ÉMOIRES Le D'EMU | DU DOUBS. . LA" - DEUXIÈME VOLUME 2/2. :BESANÇON — Z-, _ IMPRIMERIE DE DODIVERS ET Ce, | LE ; _ Grande-Rue, 42 ë LI + 4 . 4 2 e L 4 re | = 7 h s £ mé) . : ‘ ; * + 3 Ù ee 2 Fr : 2 7 ? du CAR RAS =” Ces Rene anomoon-sb f:ntd E diopsht » ss" Xe #b MÉMOIRES | DE LA D'ÉMULATION Dé DOUBS. : “ Li LA LL Fr “; Le N'yà “7 [2 » p é L L: LI | À MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION EU DOUBS. QUATRIÈME SÉRIE. DEUXIÈME VOLUME: 1866 BESANCON IMPRIMERIE DE DODIVERS ET Ce, Grande - Rue, 42, 1867 Dore « = Ca > « + à Pr » À fi n F+ ù Dr | . + run MÉMOIRES D LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS 1866 PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES. Séance du 13 janvier 1866. PRÉSIDENCE DE MM. GRENIER ET BRETILLOT. Sont présents : Bureau : MM. Grenier, président sortant, élu premier vice- président; Bretillot, président élu; Delacroix (Alphonse), pre- mier vice-président sortant; Girod (Victor), vice-président élu ; Castan, secrétaire décennal; Faivre, vice-secrétaire réélu ; Jacques, trésorier réélu ; Varaigne, archiviste réélu. MExBRES RÉSIDANTS : MM. Bertrand, de Chardonnet, Courlet, Courlet de Vregille, Delacroix (Emile), Lhomme, Travelet. Le procès-verbal de la séance du 14 décembre 1865 ayant été lu et adopté, M. Grenier procède à l'installation du nouveau conseil d'administration et cède la présidence à M. Bretillot. M. le président fait part à la Société de la perte regrettable qu'elle a faite, avec le pays tout entier, dans la personne de M. Bixio, l’un des membres honoraires de la compagnie. I] annonce que M. Quicherat, également membre honoraire, veut bien se charger de rédiger, pour nos Mémoires, une notice sur ce grand citoyen, sur cet infatigable artisan de bonnes œuvres dont notre savant confrère a été le condisciple et l’ami. La Société se montre reconnaissante et flattée de la bonne pensée de M. Quicherat; elle promet le plus sympathique accueil à l'excellent travail qui doit en être la conséquence. S'occupant ensuite de pourvoir au remplacement de M. Bixio, la Compagnie, sur la proposition du conseil d'administration, décerne, à l'unanimité et par acclamation, le titre de membre honoraire à M. Lélut, membre de l’Institut de France et de l'Académie impériale de médecine, ancien député au Corps législatif. Cette élection est motivée, non-seulement sur la haute valeur scientifique de M. Lélut, mais encore plus particulière- ment sur les services incessamment rendus par cet éminent compatriote à tout ce qui fait l'honneur de la Franche-Comté. Il est donné lecture d’une circulaire de Son Exc. M. le Ministre de l'Instruction publique, informant la Société que les lectures publiques de la Sorbonne auront lieu, cette année, les mercredi 4, jeudi 5 et vendredi 6 avril. Son Excellence a décidé qu'aucun mémoire ne sera admis, pour les lectures de la Sorbonne, s’il n’a été préalablement jugé digne par une société savante de bénéficier de cette faveur, et si le manuscrit de ce mémoire n’a été transmis au ministère le 45 mars prochain, au plus tard. Chaque société devra faire connaître, avant cette dermière date, les noms des personnes disposées à la représenter dans la réunion dont il s’agit, et cela pour le motif que les billets à prix réduits, concédés par les compagnies des chemins de fer, sont déterminés par le nombre des inscriptions faites en temps utile. La Société charge son conseil d'administration de prendre toutes les mesures propres à concourir au but qui fait l’objet de la circulaire de Son Excellence. M. Quiquerez, membre correspondant à Bellerive (Suisse), adresse une note sur les dernières recherches opérées par ses soins dans le Jura bernois. Son opinion sur l’âge celtique des fers de chevaux à bords onduleux vient d’être confirmée par la rencontre récente d'un de ces fers avec des tessons de vases celtiques et deux belles haches de pierre de la forme la plus ancienne; ces objets se trouvaient dans de la terre noire, sous ARE quelques roches bordant une route celtique, à quelques pas d'un gour de la Byrse, appelé le Creux-Belin. Un peu plus loin, en face de la chapelle de Vorbourg, de l’autre côté du même cours d’eau, notre savant confrère a exploré des habitations celtiques occupant de petites esplanades ou terrasses établies sur une pente générale de plus de 45 degrés. Les fondations de ces demeures sont faites de terrain rapporté, soutenu sur le devant par quelques pierres brutes qui ont dû former un mur sec. En remuant le sol de l’une de ces cabanes, on a récolté des tessons de vases ornementés et semblables à ceux que fournissent les emplacements lacustres, puis des pesons de fuseaux en terre cuite, des débris de meules, un couteau de bronze, beaucoup d'os d'animaux domestiques provenant de la cuisine, puisqu'on les avait fendus pour en extraire la moelle. Ce groupe d’habi- tations remonte jusque sur la crête du rocher, où il y a au moins trois cabanes. De ce lieu on domine le défilé ou la cluse de Vorbourg; la vue s’étend sur une partie de la vallée de Delément et plonge sur celle de Bellerive, ainsi que sur le gour de Creux- Belin, dont le nom indiquerait peut-être que les habitations dont il s’agit furent un séjour de Druides. Quoi qu'il en soit, toutes ces demeures portent la trace du feu, ce qui prouve que l'incendie les a dévorées; mais elles ont dû avoir une très longue existence, car leurs ruines restituent des débris celtiques des trois âges. M. Quiquerez annonce, en outre, la publication prochaine d’un mémoire sur plus de deux cents emplacements de forges antiques du Jura bernois; quelques-uns, peut-être même les plus nom- breux, remontent aux temps celtiques, et l'on verra, par les coupes et plans de fourneaux retrouvés en entier, comment on faisait autrefois le fer sans machine soufilante. M. Quiquerez joint à sa lettre le dessin de deux petites pipes en fer retrouvées dans des ruines romaines, et se demande, à ce propos, si l'on n'aurait pas, dès cette époque, fumé quelques plantes aroma- tiques. La Société décide que M. Quiquerez sera remercié de son ANR intéressante communication, et qu'un résumé de celle-ci sera inscrit au procès-verbal de la séance. M. Travelet, membre correspondant à Bourguignon-lez-Morey (Haute-Saône), envoie le plan d’un hypocauste de maison ro- maine, découvert en 1765 au village de Morey. Sous un dallage en grandes briques qui formait le sol de la chambre, étaient disposés de petits piliers également en briques et reposant sur une couche de béton. Dans l’espace ménagé entre les piliers circulait l'air chaud, qui arrivait par une conduite dont on ne découvrit que le débouché intérieur. M. Travelet décrit ensuite une voie romaine, nouvellement reconnue, qui allait de Langres, par Morey, vers les rives de la Saône. « Elle se détachait, dit-il, de la voie de Langres à Besançon, par delà Génevrières (Haute- Marne), passait sur les territoires de Savigny, Valeroy et Farin- court. À l'extrémité nord du territoire de Fouvent-le-Châtel, au lieu dit Vérons, elle rencontrait une voie venant de Larret. Plus loin, elle se divisait en trois branches : l’une se dirigeant vers le camp de Bourguignon; la seconde vers Suaucourt et Villers- vaudey; la troisième, après avoir franchi la montagne, descen- dant à Morey, sous le nom de Chemin de la pierre-qui-vire. De Morey, cette voie gagnait les bords de la Saône par Lavigney, Arbecey, Purgerot, etc. » M. Travelet signale, à Morey, les Pierres-qui-virent, monuments qui ont trait aux croyances religieuses des temps celtiques. Il décrit enfin un combat qui eut lieu dans cette même localité, au mois de mai 1455, entre Jean de Vergy (1v° du nom) et Philibert d’Oiselay ; il pense que c’est à ce fait de guerre qu'il faut rattacher l’origine du lieu dit Le Poirier-de-la-bataille, qui sert à désigner l’un des cantons parcellaires du territoire de Morey. Des remerciments seront transmis à M. Travelet, et une analyse de sa communication fera partie du procès-verbal de la séance. M. Cessac, membre correspondant à Paris, nous instruit, par lettre, des nouveaux résultats qu'ont donnés les recherches qui se poursuivent au Puy-d’'Ussolud, localité dont notre compagnie, — VV — par l'organe de M. Bial, appuyait, dès 1858, les titres à repré- senter l'Uxellodunum des Commentaires. Les fouilles, jalonnées primitivement par MM. Cessac et Bial, puis dirigées par M. Cessac, au moyen d’une allocation du conseil général du Lot et les offrandes de diverses personnes, ont amené la découverte de la galerie creusée par les soldats romains pour priver d’eau les défenseurs de la place. L'attribution devenant incontestable, Sa Majesté l'Empereur a bien voulu adjoindre à M. Cessac deux de ses officiers d'ordonnance et mettre à leur disposition des soldats du génie de la garde. Les fouilles ont eu, dès lors, pour objet principal de mettre en évidence les fossés d'investissement de l’oppidum. M. Cessac nous apprend que ces fossés sont à fond rond, et que la terre qu’on en extrait est richement pourvue de débris d'armes en fer et de poteries grossières, caractères qui sont également ceux des restes de la contrevallation et de la circonvallation qui enveloppait le massif d’Alaise. Il est arrêté que M. Cessac sera remercié, et que M. Bial sera prié de rédiger, pour nos Mémoires, un compte-rendu des fouilles archéologiques du Puy-d’'Ussolud. L'Institut national genevois, par l'entremise du secrétaire de sa section d'industrie et d'agriculture, accepte la proposition que l’un de nous lui avait faite d'entrer en relations d'échanges avec la Société d'Emulation du Doubs. Cette savante compagnie offre, : en outre, de nous envoyer une collection de volumes édités par ses soins, contre la partie disponible de nos publications. La Société ratifie avec empressement cette négociation, et décide qu'un exemplaire de la 3° série de ses Mémoires sera adressée à l’Institut genevois, avec prière d’user de réciprocité. Sur la proposition du conseil d'administration, la Compagnie vote l'impression, dans son volume de 1865, des cinq lectures qui ont rempli la séance publique du 44 décembre dernier. M. Grenier dépose sur le bureau un travail de M. le docteur Perron, ayant pour titre : Recherches sur la mortalité dans le département du Doubs. Cet ouvrage est renvoyé à l'examen d’une commission com- posée de MM. les docteurs Blondon, Faivre et Grenier, rap- porteur. Conformément à l’article 16 de ses statuts, la Société s’occupe de désigner trois membres étrangers au conseil d'administration pour arrêter les comptes du trésorier et faire connaître la gestion financière de l’année écoulée. Le choix de l'assemblée se porte sur MM. Courlet de Vregille, Bertrand et Bial, rapporteur. Sont présentés pour faire partie de la Société : Comme membres résidants, Par MM. Saint-Eve (Charles) et Castan, M. Courtot, commis- greffier à la cour impériale; Par MM. Jacques et Travelet, M. Denans, vérificateur des poids et mesures; Par MM. Bial et Castan, M. Drapeyron, professeur agrégé d'histoire au lycée impérial; Par MM. Bial et Castan, D de Rochas d’Aiglun (Albert), capitaine du génie; Par MM. Jacques et Castan, M. Védrhènes, médecin-major de 4re classe à l'hôpital militaire de Besançon; Et comme membre correspondant, par MM. Jacques et Castan, M. Paris, docteur en médecine à Lons-le-Saunier. À la suite d’un scrutin secret ouvert sur les candidatures inscrites au procès-verbal de la précédente séance, M. le pré- sident proclame : Membres résidants, MM. ALexaNDRE, secrétaire du conseil des prud'hommes; Caorarp, professeur d'histoire à la Faculté des lettres; DeLAVELLE, professeur au lycée impérial; GaurTuier (Jules), archéologue ; l'abbé Guisarp, aumônier de la citadelle ; Jacos (Alexandre), propriétaire et maire de Pirey; KRACHPELTZ, gTaVeUT ; LEGENDRE, chef de bureau à l'hôtel de ville; Lorcner, avoué à la cour impériale; > VIE = MM. Perrier (Just), employé à la préfecture ; SaixT-GinesT, architecte du département du Doubs; Vivier (Edmond), directeur de l'asile départemental du Doubs ; | Et membres correspondants, MM. GannarD (Tuskina), propriétaire à Quingey (Doubs); Macxarp (Jules), peintre d'histoire, pensionnaire de l’A- cadémie de France à Rome. Le Président, Le Secrétaire, L. BRETILLOT. À. CASTAN. Séance du 10 février 1866. PRÉSIDENCE DE M. BRETILLOT. Sont présents : Bureau : MM. Bretillot, président; Grenier, premier vice- président, Jacques, trésorier; Castan, secrétaire; Meugres RÉSIDANTS : MM. Arbey, Bial, Canel, Constantin, Courlet de Vregille, Delacroix (Alphonse), Delacroix (Emile), Dunod de Charnage, Gauthier, Jacob, Lancrenon, Lhomme, Renaud (Louis), Vivier (Edmond). Le procès-verbal de la séance du 43 janvier est lu et adopté. Par une lettre, en date du 19 janvier, M. Lélut fait connaître combien il est touché et honoré du témoignage d’affectueuse estime que lui a donné la Société d'Emulation du Doubs. « C’est dans le Doubs, dit-il, c’est à Besançon, qu'a commencé pour moi la vie de travail dont ce témoignage est une des plus pré- cieuses récompenses, c’est à Besançon que j'ai contracté ces amitiés que n'a point affaiblies la distance des lieux et des années, et dont j'ai retrouvé comme le symbole dans la signa- ture de votre président... En me donnant, parmi ses membres, mere. (|: (giron la place si bien occupée par mon ancien et regretté collègue M. Bixio, la Société m'a fait un honneur et un plaisir aussi . grands qu’elle püt le croire. Je serais bien heureux si j'avais jamais l’occasion de lui témoigner, par mon dévouement, ma respectueuse reconnaissance. » À son tour, la Société de linguistique de Paris accuse récep- tion du dernier volume de nos publications, dont il lui a été fait envoi, elle se propose d’user envers nous de réciprocité et nous assure de ses sentiments de cordiale confraternité. M. Faivre, membre correspondant à Seurre, annonce la con- tinuation de ses études sur les abeilles et promet de nouvelles communications à cet égard. Une circulaire de l’Institut des provinces nous informe qué la session du congrès des délégués des sociétés savantes aura lieu, pour l’année 1866, du 20 au 27 mars prochain. La Société délègue, pour la représenter dans cette réunion et y lire un compte-rendu de ses récents travaux, M. de Chardonnet, membre résidant. Avis de cette délégation sera donné, tant à notre honorable confrère qu’à M. le directeur général de l’Institut des provinces. M. le comte Achmet d'Héricourt, rédacteur de l'Annuaire des sociétés savantes, demande, dans l'intérêt de sa publication, une note sur l’origine et les travaux de notre Compagnie. Il sera satisfait au désir de M. d'Héricourt. Le secrétaire met sous les yeux de l’assemblée une vignette de sa composition, figurant des emblèmes héraldiques se rap- portant à l’histoire du pays, et des attributs scientifiques ayant trait au but que poursuit la Société; cette vignette, gravée sur bois, serait encadrée, comme fleuron, en tête des imprimés émis par la Compagnie. La Société, après examen, adopte le projet qui lui est soumis, et décide qu’il sera converti en gravure sur bois pour la desti- nation dont 1l s’agit. M. Grenier, rapporteur d’une commission nommée dans la précédente séance, analyse l'ouvrage de M. le docteur Perron, = je intitulé : Recherches sur la mortalité dans le département du Doubs, et conclut en demandant l'insertion de ce travail dans le volume actuellement sous presse des Mémoires de la Société. Cette conclusion est adoptée. Sur la proposition du même membre, et ensuite d’un exposé sommaire fait par ses soins, la Société vote l'impression, dans son volume de 14866, d’un mémoire de M. Sire, ayant pour objet une Nouvelle démonstration expérimentale du principe d'Ar- chimède. La Société des curieux de la nature de Bâle nous ayant envoyé les deux derniers fascicules de ses Mémoires, il est décidé que cette compagnie recevra désormais nos publications. Sont présentés pour faire partie de la Société : Comme membres correspondants, Par MM. Jacques et Ligier, M. Coste, docteur en médecine et pharmacien de 4'e classe à Salins; Par MM. Delacroix (Alphonse) et Castan, M. Hugon (Charles), littérateur à Moscou (Russie). Sont élus enfin, à la suite d’un scrutin secret : Membres résidants, MM. Courror, commis-greffier à la cour impériale ; Dexaxs, vérificateur des poids et mesures ; DraPEyRON, professeur agrégé d'histoire au lycée impé- rial ; DE Rocuas D’AIGLuN (Albert), capitaine du génie ; VéDarènes, médecin-major de {re classe à l'hôpital mili- taire de Besançon ; Et membre correspondant, M Paris, docteur en médecine à Lons-le-Saunier. Le Président, Le Secrétaire, L. BRETILLOT. A. CASTAN. Séance du 10 mars 1866. PRÉSIDENCE DE M. BRETILLOT. Sont présents : Bureau : MM. Bretillot, président; Grenier et Girod, vice- présidents ; Jacques, trésorier; Faivre, vice-secrétaire ; Va- raigne, archiviste; Castan, secrétaire ; MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Alexandre, Bial, de Chardonnet, Courlet, Courlet de Vregille, Courtot, Delacroix (Alphonse), Delacroix (Emile), Drapeyron, Ducat, Dunod de Charnage, Gauthier, Lancrenon, Lhomme et Renaud (Louis). Le procès-verbal de la séance du 40 février est lu et adopté. M. le président notifie à la Société la mort de M. Charles Weiss, l’un de ses membres honoraires; il exprime les senti- ments de vénération et de regret de la Compagnie envers l’homme éminent qui a été, depuis le commencement de ce siècle, le prin- cipal soutien et l’un des types les plus achevés du patriotisme franc-comtois. Il est ensuite donné lecture d'une dépêche de M. Henri Martin, membre honoraire, réclamant la coopération de notre Société au rachat de la tour où Jeanne d'Arc a subi sa glorieuse détention. L'assemblée S voulant concourir dans la mesure de ses faibles ressources à cet acte de réparation nationale, met une somme de cinquante franes à la disposition du comité de l’œuvre. L'ordre du jour appelle l'audition des travaux préparés en vue de la prochaine réunion des sociétés savantes à la Sorbonne. M. Castan lit une Monographie du palais Granvelle à Besan- fon, destinée à la section d'archéologie du Comité impérial des sociétés savantes ; M. Drapeyron lit une Etude sur le rôle de la Bourgogne à l'époque mérovingienne, destinée à la section d'histoire du même Comité ; M. Grenier communique un travail ayant pour objet l'Action chimique du sol sur la végétation, travail qui serait destiné à la section des sciences du Comité. La Société, conformément aux termes de la circulaire du 7 janvier 4866, juge que ces trois morceaux sont dignes d’être proposés par elle à Son Excellence le Ministre de l’Instruction publique pour être lus à la Sorbonne. Le secrétaire entretient l'assemblée d’un travail de M. le colonel Sarrette, membre correspondant, dont le sujet est une Démonstration militaire du problème d’Alesia, au point de vue de l’Alaise franc-comtoise. La Société, désirant favoriser cette production du savant officier, donne plein pouvoir à MM. Bial et Castan pour en préparer, d'accord avec l’auteur, une publication, qui ne devra comprendre, autant que possible, que des démonstrations non encore éditées dans nos Mémoires. M. Grenier expose qu'il vient de terminer le catalogue d’un herbier considérable trouvé, au mois d'août 1855, dans la villa Kowkiloff, près du cap Laspi (Crimée), après avoir été arraché des mains de nos soldats, qui en commençaient la destruction, et ramené en France par M. Îe docteur Frilley, de Dole, méde- ein-major de la marine : cette collection renferme des envois de la plupart des notabilités botaniques du nord, accompagnés de notices autographes, ce qui lui donne une haute valeur scienti- fique. Le propriétaire de cet herbier consentirait à s’en dessaisir moyennant une somme de six cents francs, payable en trois annuités, et M. Grenier propose à la Société de réaliser cet achat avec les fonds qu’elle affecte chaque année au développe- ment du musée d'histoire naturelle. En déposant cette collection dans le musée, la Société se réserverait le droit d’en extraire les spécimens qui s’y trouveraient en nombre, à l'effet de pou- voir faire des échanges. La Compagnie, après délibération, autorise M. Grenier à con- clure ce marché pour le prix de six cents francs, payable en trois termes annuels de deux cents francs chacun; elle est également — XI — d'avis que cette collection soit déposée au musée d'histoire natu- relle, mais avec réserve de la libre disposition des exemplaires de plantes qui y feraient plus d'un emploi. Sont présentés pour entrer dans la Société : Comme membre résidant, Par MM. Jacques et Faivre, M. Tournier (Paul), docteur en médecine à Besançon; Et comme membres correspondants : Par MM. Alphonse et Emile Delacroix, MM. Monnier, archi- tecte à Paris; Patel, ancien maire de Quingey; Dessertines, directeur des forges de Quingey ; Par MM. Lancrenon et Castan, M. Petit (Jean), statuaire à Paris. | Sont élus enfin, à la suite d’un scrutin secret : Membres correspondants, MM. Cosre, docteur en médecine et pharmacien de {re classe à Salins ; Hucox (Charles), littérateur à Moscou (Russie). Le Président, Le Secrétaire, L. BRETILLOT. A. CASTAN. Séance du 14 avril 1866. PRÉSIDENCE DE M. DELACROIX. Préalablement à l'ouverture de la séance, il est constaté que M. le président et MM. les vice-présidents sont empêchés de venir prendre place au bureau : en conséquence, le conseil d'administration, se référant aux prescriptions de l’article 7 du règlement, appelle au fauteuil M. Alphonse Delacroix, comme étant le plus ancien des membres présents, CRE Sont présents : Bureau : MM. Delacroix (Alphonse), délégué pour présider la séance; Jacques, trésorier, Faivre, vice-secrétaire ; Castan, sec:étaire ; Mewsres RÉsIDANTS : MM. d'Aubonne, Bertrand, Bial, Canel, Dunod de Charnage, Gaudot, Jacob, Lhomme, Michel (Brice), Saint-Eve (Charles); MEMBRE CORRESPONDANT : M. Hugon. Le procès-verbal de la séance du 10 mars est lu et adopté. Par une lettre en date du 17 mars, M. Henri Martin, membre honoraire, remercie la Société de sa coopération à l'œuvre du rachat de la tour où Jeanne d’Arc a souffert pour la cause natio- nale. « On est, ajoute-t-1l, aussi bons français que bons gaulois en Séquanie, et la Société d'Emulation du Doubs montre l'exemple à ses sœurs des départements. » A ce propos, M. le président fait connaître que le conseil mu- nicipal de Besançon s’est associé à la même entreprise par le vote d'une somme de deux cents francs. L'ordre du jour appelle le rapport de la commission chargée - de vérifier les comptes du trésorier. M. Bial, rapporteur de cette commission, donne lecture de l'exposé suivant : « Messieurs, » La Société d'Emulation du Doubs avait en caisse nrotdécornbre 1868.21: 2,2... 1.2... 1,639 90 » Les recettes de 1865 ont été de.............. 4,581 » » Les recettes totales de ladite année se sont donc SE a que 6,220f 90 » Durant la même année, les dépenses se sont nn Dons aude 3,688 15 » Il reste donc en caisse au 31 décembre 1865... 2,539f 75 » Après avoir déduit 1,520 fr. de cotisations inalié- en Do Can Ra ne éarere 1,520 » M Ce Ar NT ANSE lee ets RES _, «om » Toutes les dépenses sont justifiées par les registres et par des pièces à l’appui régulières. En conséquence, la commission déclare que les comptes de l'année 1865 sont en règle, et propose à la Société de voter des remerctments à M. le trésorier. » Besançon, le 14 avril 1866. » (Signé) Paul Braz; E. BERTRAND. » Les conclusions de ce rapport sont adoptées, et la Compagnie est unanime pour remercier M. le trésorier de l'intelligence et du zèle qu'il apporte dans l’accomplissement de sa délicate mission. Le secrétaire fait ensuite un rapport verbal sur la part prise par plusieurs membres de la Compagnie aux récentes assemblées de la Sorbonne. M. Drapeyron a lu, devant la section d'histoire du Comité impérial des sociétés savantes, son Etude sur le rôle de la Bourgogne dans les temps mérovingiens, et ce morceau, remarquablement écrit et pensé, lui a valu des félicitations réitérées de la part d’un maître illustre, M. Amédée Thierry, qui a bien voulu se souvenir de ses propres débuts à Besançon, à propos de ceux de notre jeune et savant professeur d'histoire. La section d'archéologie du Comité a paru écouter avec intérêt la Monographie du palais Granvelle à Besançon. L'un de nos correspondants, M. Cessac, a communiqué à la même section le récit et les pièces justificatives de la découverte des travaux de César au Puy-d’'Ussolud; il a rendu pleine justice à notre con- frère M. Bial, sur les indications duquel a été faite cette mer- veilleuse trouvaille qui fixe irrévocablement la position d'Uxello- dunum : cette communication a eu la bonne fortune d’avoir pour auditeur M. le Ministre de l’Instruction publique, et Son Excel- lence a voulu laisser un gage de son estime à M. Cessac, en le nommant officier d'Acad ‘mie. La session s’est terminée, comme de coutume, par la proclamation du résultat des concours ouverts entre les sociétés savantes. Le rapporteur de la section des sciences, M. Blanchard, de l’Institut, a rappelé tout ce que la botanique doit aux immenses travaux de M. Grenier, l’un des DE auteurs de la Flore de France; il a caractérisé de la manière la plus élogieuse le récent ouvrage dont le même auteur vient de publier la première partie dans nos Memoires : après quoi, M. Grenier est allé recevoir, des mains du Ministre, une mé- daille d'argent, ainsi qu'une médaille de bronze destinée à nos archives, et qui témoignera du nouveau succès obtenu, sous les auspices de notre Compagnie, par cet éminent confrère. L'assemblée se montre très sensible à ces bonnes nouvelles : elle remercie ceux de ses membres qui lui ont valu un tel com- plément de notoriété; elle félicite tout particulièrement M. Gre- nier de la distinction si bien méritée dont il a été l’objet. Le secrétaire ajoute que le dernier cahier paru de la Revue des sociétés savantes, publiée par le ministère de l’Instruction publique, renferme un compte-rendu fort développé et très favorable du huitième volume de nos Mémoires, et que l’auteur de ce travail, M. Alfred Darcel, termine en déclarant que « la Société d’'Emulation du Doubs se place en tête des sociétés pro- vinciales les plus intelligemment actives. » La Compagnie n’apprend pas avec moins de satisfaction que M. de Chardonnet a rempli, auprès du congrès de l’Institut des provinces, la mission dont il avait bien voulu se charger, et que le rapport qu'il a présenté, au sein de cette réunion, sur nos travaux de l’année 1865, a reçu le meilleur accueil. Des remercîments seront transmis à M. de Chardonnet. M. le président entretient l'assemblée de deux mémoires en- voyés par M. Léon Gallotti, capitaine d'état-major et professeur à l'Ecole impériale d'application de l'état-major : le premier de ces travaux est un examen théorique des opérations militaires accomplies par César autour d’Alesia ; le second a pour objet de prouver, par des raisons purement stratégiques, que le site d’Alise-Sainte-Reine ne convient nullement à la donnée des Commentaires. Ces études, qui résultent d'un examen comparatif d’Alise et d’Alaise accompli l'automne dernier, se recommandent par la clarté de l'exposition autant que par la rigueur de la mé- thode. M. le président propose de les insérer dans nos publica- — XVI — tions, et de leur accorder même, en raison de certaines éven- tualités, un tour d'urgence. La Société vote l'impression de ces travaux; et quant à la place à leur assigner, elle déclare s’en rapporter au jugement de son conseil d'administration. M. Gaudot dépose sur Le bureau un grand et un petit couteau, une agrafe de baudrier et une virole, le tout en fer et rencontré dans une sépulture burgonde, sur le territoire de Rougemont (Doubs), lieu dit aux Cuisottes. Le sépulcre qui a rendu ces objets était taillé dans le roc, et avait ses parois latérales garnies de larges dalles. M. Gaudot a toute raison de croire que cette tombe n’est point isolée et qu’elle appartient à un cimetière non encore exploré de l'époque des grandes invasions. La Société accepte pour le musée de la ville les objets qui lui sont offerts par M. Gaudot, et elle remercie l'honorable membre de son intéressante communication. M. le président expose que M. Charles Saint-Eve, présent à la séanco, a imaginé, l’an dernier, un appareil destiné à rem- placer avantageusement la pompe à bière des limonadiers : cet appareil consiste en un simple récipient à air pouvant fonctionner sous la pression des eaux de la ville. M. Saint-Eve ayant exprimé le désir de prendre date de son invention, afin que le public n’en soit pas frustré, M. le président pense qu'il y a lieu de nommer des commissaires pour examiner l'appareil dont il s’agit et en rendre compte à la Compagnie. Le conseil d'administration délègue à cet effet MM. Bial et Faivre. Sont présentés pour entrer dans la Société comme membres correspondants : Par MM. Delacroix (Alphonse) et Grenier, M. Bertrand (Alexandre), secrétaire de la commission de la topographie des Gaules, à Paris ; Par MM. Delacroix (Alphonse) et Bial, M. Gallotti (Léon), capitaine d'état-major, professeur-adjoint à l'Ecole impériale d'état-major, à Paris ; — XVI — Par MM. Jacques et France, M. Gresset (Félix), chef d'esca- dron d'artillerie, à La Fère (Aisne). Il est ouvert enfin un scrutin secret sur les candidatures annoncées dans la précédente séance. Après le dépouillement des votes, M. le président proclame : Membre résidant, M. Tournier, Paul, docteur en médecine, à Besançon ; Membres correspondants, MM. Desserrines, directeur des forges de Quingey ; Monnier (Eugène), architecte, à Paris ; Pare, ancien maire de Quingey ; Perir, Jean, statuaire, à Paris. Le Président délégué, Le Secrétaire, A. DeLacroix. | A. CASTAN. Séance du 12 mai 1866. PRÉSIDENCE DE M. GRENIER. Sont présents : Bureau : MM. Grenier, premier vice-président ; Jacques, trésorier; Varaigne, archiviste; Castan, secrétaire; MEmBRes RÉSIDANTS : MM. Arbey, Delacroix (Alphonse), Dra- peyron, Dunod de Charnage, Lhomme et de Sainte-Agathe (Louis). Le procès-verbal de la séance du 14 avril est lu et adopté. Procédant à l’énumération des dons reçus depuis la dernière réunion, le secrétaire appelle l'attention de l'assemblée sur un travail de M. Quiquerez, membre correspondant, intitulé : Re- cherches sur les anciennes forges du Jura bernois. Les obser- vations qui font l’objet de ce mémoire n'ayant pas encore été entreprises dans notre région, la Société juge qu'il est utile de les y provoquer en vulgarisant les résultats obtenus par M. Quiquerez. gs CUS ee En conséquence, l'ouvrage de ce savant confrère est renvoyé à l'examen de MM. Grenier, Delacroix et Bial, qui voudront bien en rédiger une analyse pour nos publications. Il est ensuite communiqué trois propositions d'établissement de relations d'échange faites par la Société littéraire de Lyon, par la Commission des monuments de la Gironde et par la Société des sciences naturelles de Brême. L'assemblée décide que ces trois compagnies seront inscrites sur la liste des sociétés correspondantes. Elle ratifie également la concession faite d'urgence, par le conseil d'administration, d’un exemplaire de la 3° série des Mémoires à la bibliothèque du musée impérial de Saint-Germain ; il est en outre délibéré que cet établissement comptera désormais parmi les dépôts publics ayant droit à un exemplaire de nos publications. Le secrétaire expose que trois membres correspondants de la Société, MM. Tuskina Gannard , Dessertines et Patel, ont eu la bonne pensée de former, dans la ville de Quingey, une associa- tion de travailleurs ayant pour but d'explorer les fumulus cel- tiques et les ruines gallo-romaines qui abondent sur ce territoire. Les fouilles, qui ont déjà commencé, ont produit d'intéressants vestiges de la période gauloise, et ces objets, accompagnés de notes faites avec soin et intelligence, sont venus enrichir le musée archéologique de Besançon. La Société ne peut qu’applaudir à cette patriotique entreprise ; elle félicite ceux de ses membres qui en ont pris l'initiative, et promet à l'association nouvelle Le concours de son expérience et de la publicité dont elle dispose. M. Grenier présente une étude de M. François Leclerc, de Seurre (Côte-d'Or), sur les carpelles du fruit dans les plantes crucifères; 1l estime que ce travail est digne d'intérêt, et veut bien se charger d’en préparer la publication. Cette proposition est adoptée. Sont présentés pour entrer dans la Société : nt :: Mises Comme membre résidant, par MM. Grenier et Jacques, M. Saillard, docteur en médecine, à Besançon; Comme membre correspondant, par MM. Delacroix (Alphonse) et Grenier, M. Leclerc {François), à Seurre (Côte-d'Or); Comme membre correspondant, par MM. Delacroix (Alphonse), Hugon et Castan, M. Burckhart (Jean-Rodolphe), docteur en droit, conseiller à la cour d'appel de Bâle. A la suite d’un scrutin secret sur les candidatures annoncées dans la dernière séance, M. le président proclame : Siembres correspondants , MM. Bertranp (Alexandre), secrétaire de la commission de la topographie des Gaules, à Paris ; GazLorTi (Léon), capitaine d'état-major, professeur à l'Ecole impériale d'état-major, à Paris; Gresser (Félix), chef d’escadron d'artillerie, à La Fère (Aisne). Le Vice-Président, Le Secrétaire, CH. GRENIER. A. CASTAN. Séance du 9 juin 1866. PRÉSIDENCE DE M. BRETILLOT. Sont présents : Bureau : MM. Bretillot, président ; Grenier, premier vice- président ; Jacques, trésorier; Castan, secrétaire ; MemBres RÉSIDANTS : MM. Arbey, Bial, Delacroix (Alphonse), Lhomme, Renaud (Louis) et Rollot. Le procès-verbal de la séance du 12 mai est lu et adopté. Le secrétaire propose l'établissement de relations d'échange avec la Société d'histoire et d'archéologie de Neuchâtel (Suisse). Il est décidé que cette compagnie sera portée sur la liste des sociétés correspondantes. M. Grenier fait connaître qu’en vertu du mandat qu'il avait reçu du conseil d'administration, il a livré officiellement, le lundi 7 mai, au délégué de M. le Recteur de l’Académie, l’herbier exotique acheté par la Société pour être déposé au musée d’his- toire naturelle, mais avec réserve pour la Compagnie de pouvoir librement disposer des exemplaires de plantes qui feraient plus d'un emploi dans la collection. Cette clause a été inscrite dans le procès-verbal de dépôt, qui est signé de M. le doyen de la Faculté des sciences, agissant au nom de M. le Recteur, et de M. Grenier, stipulant comme délégué de la Société d'Emulation du Doubs. M. Grenier donne lecture de cet acte, et en remet un double à la Compagnie pour ses archives. M. le président annonce que le Conseil municipal de Besançon, voulant donner à la Société d’Emulation du Doubs un témoignage d'estime pour les travaux de ses membres et de satisfaction pour le zèle qu'elle met à enrichir les collections publiques, a élevé de 300 à 600 francs la subvention annuelle accordée à cette Compagnie. L'assemblée, vivement touchée de l’encouragement flatteur qui lui arrive, vote des remercîiments unanimes au Conseil muni- cipal, et décide que cette expression de sa gratitude sera trans- mise à M. le Maire de la ville. Le secrétaire lit une note de M. Quiquerez, membre corres- pondant, relative à des questions d'archéologie celtique qui ont plus d’une fois occupé la Société. Cette note est ainsi conçue : « À une petite lieue de Delémont, dans la forêt du Bambois, au nord des minières de Courroux, on voyait, ces années der- nières, trois gros blocs de roches fichés en terre, à quelques pieds de distance l’un de l’autre et formant un triangle irrégulier. Deux de ces roches ont été brisées récemment, pour en employer les débris à l’'empierrement d’un chemin; la troisième est encore intacte, ayant un peu plus d’un mètre hors de terre et un peu moins d’enfoncé dans le sol. Elle est un peu penchée, présentant au nord sa face la plus polie, appartenant à une roche un peu striée du terrain jurassique supérieur. Son épaisseur est de CRE — 60 centimètres d'un côté et d’un peu moins de l’autre, avec une forme assez régulière due à la nature et nullement au travail des hommes. Une des pierres brisées avait à peu près les mêmes dimensions, et l’autre offrait hors de terre une hauteur de plus de deux mètres, avec un mètre en terre. Leurs hauteurs étant mégales, on ne peut admettre qu'elles aient servi de pieds à quelque table de pierre, et une quatrième roche couchée non loin de là n'aurait pu s’ajuster sur ce trépied irrégulier. Il occupe le sommet d’une petite élévation du sol, et celui-ci, composé d’argiles, ne renferme aucune pierre : en sorte que les blocs de rocher ont été évidemment roulés à bras d'hommes depuis la base de la montagne située un peu plus haut. On donne à ces rochers ainsi plantés un nom patois signifiant une petite guigne, guigne-rofte, la vielle de nos jours. Cet instrument de musique est fréquemment imdiqué, dans les procès de sorcellerie, comme servant à faire danser les gens qui allaient au sabbat. Cette partie de la forêt du Bambois est en mauvaise réputation dans le village : les femmes n’y passent pas volontiers la nuit, et quand leurs enfants font les méchants, elles les menacent de les exposer sur la grande pierre de la Dgynguerlé. » La position d'une de ces roches, inclinée à dessein, avec sa surface polie contre laquelle on pouvait s'appuyer le dos en ayant les yeux tournés vers le nord, offre une singulière analogie avec certaines pierres dites celtiques dont fait mention M. Désiré Monnier, dans ses Traditions populaires comparées. À plusieurs de ces roches se rattachent des pratiques qui rappellent le culte de la déesse de la Fécondité, et, à en juger même par certaines traditions locales, la roche qui nous occupe pourrait fort bien avoir servi à sacrifier à Vénus. En effet, ce lieu n’a rien d’ef- frayant, et la terreur qu'il inspire semble être un reste des pra- tiques qu'on employait près des lieux sacrés pour en éloigner le vulgaire. » Nous avons recueilli près de ces roches des parcelles de poteries celtiques du premier âge. Le village de Courroux et tous ses environs ont restitué une multitude d'objets dits celtiques, RINT depuis l’âge de pierre jusqu’à celui du fer, et aucune localité de la contrée n’en est aussi richement pourvue. La forêt du Bam- bois offre des traces de culture d’une époque inconnue, préci- sément dans le voisinage des roches dressées, et non loin de là encore une belle source sort de terre et ne tarit jamais. » Dans cette même commune et tout à côté d'une autre roche de sacrifice, sur le bord de la Byrse, au Creux-Belin, où l’au- tomne dernier nous avions ramassé des haches de pierre et des poteries celtiques, nous venons de recueillir plus de dix fers de cheval, tous à bords onduleux, forme que nous attribuons aux fers celtiques. Il y avait à côté d'eux, dans un terrain quelque peu charbonneux, un morceau informe de bronze, et un peu plus loi une de ces grandes aiguilles de bronze, ayant plus de 33 centimètres de longueur et assez de consistance pour servir de poignard. Bien d’autres découvertes récentes de ces mêmes fers de cheval, accompagnés d’objets tous antérieurs à l’époque romaine, nous ont de plus en plus confirmé dans notre opinion sur l’âge de ces fers. » À peine le mémoire que nous venons de publier sur l’âge du fer était-il sorti de presse, que nous d'couvrions de nouvelles preuves de la haute antiquité qu'on doit assigner à plusieurs emplacements de forges épars dans les montagnes du Jura. Ces Jours derniers encore, en allant visiter des fouilles que la société des forges d'Audincourt opère dans la commune de Cheveney, à une lieue et demie de Porentruy et à une demie-lieue de la frontière française vers le sud, nous avons découvert, à la base du Lomont, un de ces amas de scories de fer, avec débris de fourneau en sable ou argile réfractaire, portant la marque du ringard en bois employé pour travailler dans les anciens four- neaux, le tout accompagné de quelques fragments de tuiles romaines à rebords. À cent mètres de là, le terrain sidérolitique affleure et se trouve criblé de puits et d’effondrements d’an- ciennes galeries de mine. Voilà donc tout un établissement sidé- rurgique groupé à la base du Lomont, et présentant les mêmes débris que ceux de l’intérieur du Jura bernois : seulement les ee MT quelques morceaux de tuiles déterminent l'époque à laquelle avait lieu cette exploitation. | » On peut voir dans mon mémoire sur les établissements celtiques et romains du Jura, qu'il y avait à Cheveney un camp romain et des habitations de la même époque, avec plus d’un nom et plus d’une tradition de l’âge antérieur. Mais quant à l'emplacement de forge préindiqué, ce lieu est trop sauvage pour y supposer autre chose que des huttes en bois, dans les- quelles on aura utilisé quelques tuiles romaines en manière d’être à faire le feu. Cependant, non loin de là, dans un site plus convenable, onremarque les traces d’une habitation murée avec ciment romain. » L'assemblée décide que l’intéressante communication qui pré- cède fera partie du procès-verbal de la séance et que M. Qui- querez en sera remercié. M. Castan lit une notice sur les Variations du régime muni- cipal à Besançon; il explique préalablement que ce morceau doit servir d’appendice à la Monographie du palais Granvelle, qui a été lue par lui à la Sorbonne, le 4 avril dernier, au nom de la Société d’'Emulation. La Compagnie, après avoir entendu cette lecture, exprime le désir que les travaux produits à la Sorbonne par ses délégués soient insérés dans ses Mémoires. M. Grenier entretient l'assemblée de la Description des pois- sons d’eau douce que vient de publier M. Blanchard, de l’Insti- tut : il rappelle que c’est à la Société d’'Emulation qu'il doit d'avoir pu expédier à l’auteur de cet important ouvrage deux exemplaires de la série complète des poissons du département du Doubs, circonstance qui a été mentionnée par M. Blanchard ; il fait part enfin de la promesse qui lui a été faite par l'éminent naturaliste de renvoyer au musée d'histoire naturelle de Besan- çon l’un des exemplaires qui composaient cet envoi. À la suite d'un scrutin secret ouvert sur les candidatures proposées dans la précédente séance, M. le président proclame : O2 Membre résidant, M. SarzLarD (Albin), docteur en médecine, à Besançon; Membres correspondants , MM. BurckuarT (Jean-Rodolphe), docteur en droit, conseiller à la cour d’appel de Bâle (Suisse); Leccerc (François), à Seurre (Côte-d'Or). Le Président, Le Secrétaire, L. BRETILLOT. À. CASTAN. Séance du 14 juillet 1866. PRÉSIDENCE DE M. BRETILLOT. Sont présents : Bureau : MM. Bretillot, président; Grenier, premier vice- président; Jacques, trésorier; Bavoux, secrétaire honoraire ; Varaigne, archiviste; Castan, secrétaire ; Memeres RÉsIDANTS : MM. Bial, Delacroix (Alphonse), Dunod de Charnage, Foin, Gaudot, Gauthier, Legendre, Lhomme, Piguet, Renaud (Louis), Rollot ; MEMBRE CORRESPONDANT : M. Tuetey. Le procès-verbal de la séance du 9 juin est lu et adopté. En retour de la notification qui lui a été faite de son inscription sur la liste de nos compagnies correspondantes, la Société d’his- toire du canton de Neuchâtel nous annonce l'envoi du Musée neuchätelois qui lui sert d’organe. « Nous espérons ainsi, ajoute- t-elle, entrer avec vous dans des relations scientifiques d'autant plus précieuses pour nous que Besançon possède des documents importants pour l’histoire de nos contrées, et nous sommes persuadés d'avance qu’en nous adressant à votre honorable Société, nous trouverons des correspondants aussi empressés qu'éclairés, » wo ESF En nous adressant un exemplaire du Rapport sur le projet d'une exposition de l’industrie suisse à Genève en 1868, l'Ins- titut national genevois déclare avoir profité grandement pour cette étude des renseignements que la Société d'Emulation du Doubs lui a transmis sur l'exposition universelle de Besançon en 4860. La savante compagnie fait de nouveau appel à notre expérience dans l'intérêt de son entreprise. La Société d'agriculture du Doubs exprime sa gratitude au sujet de la réception du dernier volume de nos Mémoires. « Le volume qui vient de paraître, dit son honorable président, se distingue, comme les précédents, par le choix, la variété et l'importance des documents qu’il renferme. Il a pour nous un intérêt d'autant plus grand que l’on y trouve réunis et coordon- nés avec un soin méthodique les faits se rattachant au concours régional agricole de Besançon. » Il est communiqué un prospectus relatif à la reprise, par les soins de l'Académie de Besançon, de la publication des Docu- ments inédits pour servir à l'histoire de la Franche-Comté. La Société ne peut qu’applaudir à cette continuation d'une utile entreprise; elle fera bon accueil aux volumes qui en résul- teront et dont elle a droit d'attendre l'envoi gratuit, toutes ses publications ayant été servies régulièrement à l’Académie. Le secrétaire met sous les yeux de la Compagnie le dessin colorié d’une mosaïque gallo-romaine de très bon style, en partie découverte, au mois de mars dernier, à une profondeur de 3 mètres 50 centimètres, dans l’arrière-cour d’une maison de notre ville portant le n° 28 de la rue Saint-Paul. Le propriétaire de l'immeuble, déçu dans l'espoir de tirer un profit pécumiaire de sa trouvaille, a fait anéantir ce curieux fragment d'art antique; il n’en reste done que le dessin très soigné qu’en a exécuté M. Charpy, élève-architecte, sur la demande de plusieurs mem- bres de la Société d'Emulation du Doubs. L'assemblée se montre extrêmement satisfaite du zèle et de habileté dont a fait preuve M. Charpy en reproduisant ce spé- cimen de la splendeur du Besançon gallo-romain : elle lui vote CHAN des félicitations, et décide l'achat de son dessin, ainsi que du cadre qui le renferme, pour la somme de 60 fr.; il est délibéré, en outre, que cette image sera déposée au musée archéologique de Besançon. Enumérant ensuite les envois faits à la Société depuis sa dernière séance, M. le président signale deux livraisons des Annales de la Société impériale d'agriculture , industrie, sciences, arts et belles-lettres du département de la Loire, à Saint-Etienne, et demande que cette compagnie reçoive désor- mais un exemplaire de nos Mémoires. Cette proposition est accueillie. M. Alphonse Delacroix donne quelques explications sur une tête en bois de chêne envoyée par son frère, M. Emile Delacroix, inspecteur des eaux de Luxeuil. Cette figure, rencontrée dans le sous-sol du vieil établissement thermal, beaucoup plus bas que la couche des ruines gallo-romaines, a cela de remarquable qu’elle porte au cou un torques terminé par deux disques qui se rapprochent sans se toucher, ornement qui est particulier aux plus anciennes représentations humaines sorties du sol gaulois. Des remerciments seront adressés à M. Emile Delacroix pour celte intéressante communication, et la figure qui en est l'objet sera déposée dans la collection arch“ologique de la ville. La Société n’est pas moins sensible à l'hommage qu'a bien voulu lui faire M. Lélut, membre honoraire, de son savant ouvrage sur la Physiologie de la pensée; elle est flattée qu’un monument de cette valeur devienne pour elle le gage de la sympathie d'un compatriote qui unit à un rare talent le plus noble caractère. Sont présentés pour faire partie de la Société : Comme membre résidant, par MM. Varaigne et Castan, M. Girolet (Louis), dit Androt, peintre-décorateur à Besançon; Et comme membres correspondants, Par MM. Grand et Grenier, M. Bixio (Maurice), agronome à Paris, rue Jacob, 26; Par MM. Delacroix (Alphonse) et Castan, M. Boisselet, archéo- logue à Vesoul; — XXVIL — Par MM. Bretillot (Léon) et Castan, M. Cortet (Eugène), litté- rateur à Paris, rue Royer-Collard, 12; Par MM. Delacroix (Alphonse) et Castan, M. Robert (Ulysse), à Blancheroche, canton de Maïîche (Doubs). Le Président, Le Secrétaire, L. BRETILLOT. - A. CASTAN. Séance du 11 août 1866. PRÉSIDENCE DE M. GRENIER. Sont présents : Bureau : MM. Grenier, premier vice-président; Jacques, tré- sorier; Faivre, vice-secrétaire; Varaigne, archiviste; Castan, secrétaire ; MemBres RésIpaANTS : MM. Bial, Delacroix (Alphonse), Dra- peyron, Dunod de Charnage, Gauthier, Hory, Lancrenon, Saillard, Saint-Eve (Charles), Vivier (Edmond). Le procès-verbal de la séance du 14 juillet est lu et adopté. Il est communiqué une circulaire informant la Compagnie que la 34° session du congrès archéologique de France aura lieu l'hiver prochain, à Nice, dans le courant de janvier, en même temps que la 5° session des assises scientifiques de Provence. Les membres présents sont priés de se souvenir, à l’occasion, de ce double rendez-vous et d’en faire part à ceux de leurs confrères qui seraient disposés à y répondre. Une lettre du comité de souscription pour le rachat de la tour de Jeanne d'Arc, en date à Rouen du 3 juillet 1866, nous accuse réception et nous remercie de la somme de 50 fr. envoyée par notre Société pour coopérer à cet acte de réparation nationale. M. Travelet, membre correspondant, a bien voulu compléter sa communication lue dans la séance du 13 janvier dernier, par l'envoi de la note suivante sur les monuments présumés drui- diques de Morey et de Bourguignon (Haute-Saône) : "LXANE » Au pied des ruines du Chdtel-dessus de Morey, on aperçoit un bloc énorme de calcaire, de forme irrégulière, ayant trois mètres de hauteur, quatre de largeur et cinq d'épaisseur : on l'appelle Pierre-qui-vire, parce que, selon l'opinion vulgaire, ce bloc tourne une fois tous les cent ans. Une seconde Püierre- qui-vire existait près de la première, mais elle a été en parte détruite depuis une vingtaine d'années. » Sur le versant opposé, Bourguignon montrait naguère avec orgueil son Poirier-à-la-Vierge et le Trou-de-la-Dame-noire. Cette dame n'apparaissait à nos aïeux que comme signe précur- seur des époques néfastes : elle avait annoncé les invasions de Volfgand, de Weymar et les deux conquêtes de Louis XIV. Quand les armées alliées mirent le pied sur le sol français, on la vit encore, dit-on, mais voilée et vêtue d’une robe noire où scintillaient des larmes; ce fut pour la dernière fois. » La Société remercie M. Travelet, et décide que les renseigne- ments qui précèdent seront consignés au procès-verbal. Le secrétaire lit une courte étude de M. Quiquerez, membre correspondant, sur un Tronçon de voie celtique à Pierre-Pertuis (Suisse). L'auteur exprimant l'opinion que les ornières si profondes des voies celtiques pourraient bien avoir été ouvertes par la main des hommes, et ne devoir au frottement des roues que leurs fonds arrondis, MM. Alphonse Delacroix, Bial et Varaigne objectent que cette manière de voir n’est pas d'accord avec leurs observations : ils n’ont, en effet, remarqué aucune uniformité dans la profondeur des ornières en question; ils en ont trouvé souvent dans un même chemin plusieurs étages successivement frayés et abandonnés et présentant des degrés d'usure très variables, qui tenaient uniquement à ce que les roues y avaient passé plus ou moins longtemps. Ces honorables membres recon- naissent, avec M. Quiquerez, que les entailles transversales qui affectent les saillies de rochers, aux endroits où les ornières étaient devenues exceptionnellement profondes, ont été prati- quées de main d'hommes, pour rendre ces saillies plus faciles à nee SERIE franchir et éviter que le dessous des voitures n’en soit heurté; mais il n’est pas de même des empreintes de pas de chevaux qui se remarquent sur les gradins : ces empreintes sont essentielle- ment le produit du choc des ferrures venant poser un nombre infini de fois sur les mêmes points, et aucun travail antérieur ne les a préparées. Ces observations n’enlèvent rien à l'intérêt du mémoire de M. Quiquerez : aussi la Société juge-t-elle convenable de les y annexer, sous forme de note, et d'insérer le tout dans ses publications. M. Castan communique une étude sur la Charte d’affranchis- sement de la ville et de la seigneurie de Gy en Franche-Comté, document qui date du 4® avril 14349, et qui est l’un des plus curieux symptômes du mouvement d'idées qui donna naissance à la plupart de nos bourgs ruraux. La Société vote l'impression de ce travail. Elle met ensuite à la disposition de M. Emile Delacroix une somme de 200 fr., pour coopérer, par les soins de cet honorable membre, à la recherche, dans le sous-sol de Luxeuil, de figures en bois de chêne portant des ornements de style gaulois : l’admi- nistration préfectorale de la Haute-Saône étant disposée à four- nir des fonds pour le même objet, 1l est convenu que les pièces exhumées se partageront également entre ce département et la Société d'Emulation du Doubs. La Compagnie, voulant faciliter à sa commission archéolo- -gique la possibilité d'entreprendre des fouilles durant les va- cances, rend dispomible, dans ce but, le crédit de 300 fr. inscrit au chapitre 6 du budget. Les présentations faites dans la dernière séance sont soumises à un scrutin secret, ensuite duquel M. le président proclame : Membre résidant, M. Girozer (Louis), dit Anpror, peintre-décorateur à Be- sa 1ÇOn ; es SR Membres correspondants, MM. Brxio (Maurice), agronome à Paris; BorsseLer, archéologue à Vesoul; Correr (Eugène), littérateur à Paris; RogerrT (Ulysse), à Blancheroche, près Maïîche (Doubs). Le Vice-Président, Le Secrétaire, CH. GRENIER. A. CASTAN. Séance du 10 novembre 1866. PRÉSIDENCE DE M. BRETILLOT. Sont présents : Bureau : MM. Bretillot, président; Grenier et Girod, vice- présidents; Faivre, vice-secrétaire ; Jacques, trésorier; Castan, secrétaire ; MEuBreEs RÉSIDANTS : MM. Arbey, Bial, Blondon, Courtot, Delacroix (Alphonse), Drapeyron, d’Estocquois, Faucompré, Gauthier, Girolet, Lépagney, Marchal, Robert, Rollot, Saillard et Sancey. Le procès-verbal de la séance du 11 août est lu et adopté. IL est donné lecture d’une dépêche de M. le Ministre de l'Ins- truction publique, en date du 44 août dernier, par laquelle Son Excellence annonce l'attribution faite à notre Société d’une allo- cation de 400 fr., à titre d'encouragement. L'assemblée ratifie et renouvelle les remerciments que le conseil d'administration a adressés à Son Excellence en retour de ce témoignage d'intérêt. Une lettre de M. le Préfet du Doubs, en date du 9 novembre courant, informe la Société que Son Excellence M. le Ministre de l’Instruction publique l’autorise à rendre publique sa séance mensuelle de décembre prochain. ne" OR Le secrétaire dépose sur le bureau la médaille de bronze décernée à la Compagnie, en commémoration du succès obtenu sous ses auspices par M. Grenier, dans le concours ouvert entre les sociétés savantes de France pour l’année 1865. L'assemblée décide, à ce propos, qu'il sera extrait de la Revue des sociétés savantes, pour figurer dans ses Mémoires, tous les passages qui concernent le rôle rempli par ses délégués aux réunions de la Sorbonne du printemps dernier. Elle pense qu'il y a également lieu d'emprunter au même recueil {n° de mars 1866), avec l'autorisation de l’auteur, une critique très nette des fouilles d’Alise - Sainte - Reine, par M. J. Quicherat. | En accusant réception de son diplôme, M. Eugène Cortet, membre correspondant, offre à la Compagnie de la mettre en relations d'échange avec la Société d'agriculture de Joigny. Cette proposition est accueillie. Le secrétaire annonce que, pendant les vacances, il a reçu de M. de Rochas, membre résidant, un travail intitulé : D’Arçon, ingénieur militaire, sa vie et ses écrits, et que, conformément à l’article 10 du règlement, le conseil d'administration a ren- voyé cet ouvrage à l'examen d’une commission composée de MM. Reynaud-Ducreux, Bial et Castan. M. Bial expose ensuite que le mémoire de M. de Rochas jette un jour nouveau et complet sur l’une des plus sérieuses 1llus- trations de la Franche-Comté; il ajoute que, dans cet ouvrage, la mise en œuvre est aussi distinguée que sont importants les documents révélés par l’auteur; il conclut enfin en demandant J'impression de cette remarquable étude. M. Castan exprime, à son tour, le vœu que cette publication soit accompagnée d’une lithographie reproduisant les traits du général d'Arçon : il déclare avoir sollicité et obtenu dans ce but l'autorisation de faire photographier deux portraits identiques du savant ingénieur, qui existent l’un dans la salle des séances du Comité des fortifications, à Paris, et l’autre à l'hôtel de ville de Pontarlier. ANRT Les propositions de MM. Bial et Castan sont mises aux voix et adoptées à l'unanimité. M. Delacroix (Alphonse) entretient l'assemblée d’un groupe de documents démontrant, de la manière la plus formelle, que les premiers essais de navigation à vapeur sont entièrement dus au génie de deux Bisontins, d'Auxiron et de Jouffroy. Ces docu- ments ont été réunis par M. le conseiller Paguelle, qui en a fait le dépôt dans les archives de l’Académie de Besançon; mais cette compagnie n'ayant pas jugé à propos de les publier, M. Dela- croix pense que la Société d'Emulation du Doubs ferait un acte d'intelligent patriotisme en les insérant dans ses Mémoires. Délibérant sur cette proposition, la Société autorise préala- blement M. Delacroix à faire copier, pour ses archives, les do- cuments dont il s'agit, puis à s'entendre avec M. Paguelle pour formuler un projet définitif de publication. L'ordre du jour appelle la discussion du budget de la Société pour 1867, et, conformément à l’article 16 des statuts, M. le président en présente un projet qui a été élaboré par le conseil d'administration. Les divers articles de ce projet ayant été mis aux voix et accep- tés, le budget de 1867 s’est trouvé établi de la manière suivante : RECETTES PRÉSUMÉES. 1° Excédant de recettes au 31 décembre 1866 ...... 2,600 99. Subventions:de l'État ii SE Ne 400 3° — du département 2:44. 200 40 — de la. ville 2% et te ES 600 5° Cotisations des membres résidants ...... TES 2,000 6° ms correspondants ........ 600 1° Rachat de cotisations par les membres résidants. . » 8° — correspondants. » 90 Intérêts des cotisations rachetées............... 85 10° Droits de diplôme; recettes accidentelles........ 40 Total des recettes... 6,525 À déduire : Cotisations rachetées...... 2,300 Reste disponible... 4,295 = CR = DÉPENSES. 4° Impressions, gravures et lithographies.......... 2,700! 20 Fournitures de bureau, ports de lettres, de livres mes Qmeis VUS uso ant ése Dé ed 150 3° Indemnité aux personnes chargées de l'entretien de la salle et des courses de la Société............ 200 4° Achat de livres, reliures et achat de matériel..... 200 5° Allocation pour l’archéologie.................. 300 6° Allocation pour les sciences naturelles .......... 300 D mireuenide L'herbier 5 nn do. 50 8° Subvention au musée d'horlogerie....,.......... 100 9° Souscription à l’œuvre du comité départemental de l'Exposition universelle de 4867 (publication d’une étude du concours faite au point de vue des intérêts du département, et envoi à Paris de contre-maîtres et ouvriers méritants)... ...... 100 D D DERSOS DNPrÉVUES. . 2. .4 22 0e anses era eee à 1925 Total des dépenses égal à celui des recettes... 4,225° L'assemblée délibère ensuite sur la tenue d’une séance pu- blique au mois de décembre prochain, et sur l’organisation du banquet qui doit avoir lieu le même jour. Il est fait choix du jeudi 20 décembre pour cette double solennité. La séance, qui se tiendra extraordinairement dans la grande salle de l'hôtel de ville, sera divisée, comme l’an dernier, en deux parties : la première, consacrée au renouvellement du conseil d'administration et à l'expédition des affaires courantes, durera de une à deux heures de l'après-midi; la seconde, à laquelle le public sera admis, s'ouvrira à deux heures et sera remplie par des lectures. Le banquet aura lieu à six heures du soir, dans les salons du palais Granvelle ; la souscription sera de dix francs, et tous les membres résidants et correspondants en seront informés Comme les années précédentes, des invitations seront adressées aux C ee NAAEY membres honoraires, et deux couverts seront mis à la disposition de chacune des sociétés correspondantes des régions limitrophes. L'assemblée donne plein pouvoir au conseil d'administration, tant pour régler la composition de la séance publique que pour organiser le banquet. Enumérant les dons arrivés à la Compagnie depuis sa der- nière séance, le secrétaire fait remarquer que le numéro de juin de la Revue des sociétés savantes renferme une analyse très étendue et fort élogieuse du 9° volume de la 3 série de nos Mémoires : le rédacteur de ce rapport est M. Alfred Darcel, membre de la section d'archéologie du Comité impérial des tra- vaux historiques. | Le secrétaire appelle également l'attention de ses confrères sur deux documents nouveaux relatifs à la personne de Jeanne d'Arc, produits par M. Jules Quicherat et publiés par le comité de souscription pour le rachat de la tour où souffrit la Pucelle. Ces actes établissent que le pusillanime Charles VIE, cédant aux mesquines jalousies de son entourage, avait conclu, à l'insu de Jeanne, une trève honteuse avec le parti anglo-bourguignon, abandonnant ainsi à une perte certaine celle qui avait replacé la couronne de France sur sa tête. Le nombre de plus en plus considérable des publications qui arrivent à la Société rendant urgente la nécessité de trouver un local pour installer sa bibliothèque, l'assemblée est d'avis qu'il soit écrit dans ce but une lettre pressante à M. le Maire de la ville : elle n'hésite pas à compter sur la bienveillance de l’ad- ministration municipale et des membres du conseil pour obtenir, dans le palais Granvelle, un lieu de dépôt où ses collections de livres puissent sortir de l’état de pêle-mêle qui les rend inabor- dables depuis tant d'années. M. Marchal met sous les yeux de la Compagnie un appareil de son invention, au sujet duquel il donne les explications sui- vantes : « Le système que j'ai l'honneur de soumettre à la Société n’est que l'application utile d’un principe de physique bien ARE = connu. On sait que lorsqu'on projette un courant de vapeur d’eau dans un milieu, ce courant déplace l'air en le chassant devant lui, et que si l’on ferme alors le milieu de manière à ce que l'air ne puisse y rentrer, que de plus on condense la vapeur emprisonnée, 1l en résulte le vide presque parfait. L'application que je fais de ce principe consiste à utiliser le vide ainsi produit pour filtrer le mercure et en séparer les métaux que l’on a amalgamés avec lui, soit dans le traitement des cendres d'or- fèvres, soit dans l’industrie minière. » L'appareil que j'ai construit à cet effet, se compose : 4° d’un cylindre en tôle forte, bien matté de manière à pouvoir main- tenir le vide; 2° de deux solides robinets en fer, dont l’un est fixé sur le flanc du cylindre, à vingt centimètres au-dessous de lorifice, tandis que l’autre est situé à la partie inférieure du système; 3° d’une cloison en peau de chamoiïs soutenue par une grille, et obstruant horizontalement le cylindre à deux ou trois centimètres au-dessus du premier robinet. » Pour opérer, je verse l’amalgame de mercure et de métaux précieux sur la peau de chamoïis; j'ouvre les deux robinets, et introduis dans celui du haut un tube en caoutchouc qui corres- pond à un générateur de vapeur; lorsque la vapeur s'échappe chaude par le robinet inférieur, je ferme l’un et l’autre robinets et laisse refroidir spontanément; la vapeur emprisonnée se con- dense, et la pression atmosphérique s’exerçant graduellement sur le dépôt, le mercure est entraîné par la capillarité microsco- pique du diaphragme dans la partie inférieure du cylindre; il ne reste alors sur la peau de chamois qu’un amalgame onctueux dont on dégage le peu de mercure restant par la distillation. » Ce procédé est expéditif, nullement fatigant et économique, en ce sens qu'avec lui on n’a plus à craindre, comme avec l’an- cienne méthode, de trouer les peaux de chamoïs par la torsion, ou au moins d'en augmenter la capillarité et par suite de laisser couler plus ou moins de métal précieux. » M. le président remercie M. Marchal de son intéressante com- munication, et l'assemblée décide que la note qui sera remise à FRE ANE ce sujet par l'honorable membre fera partie du procès-verbal de la séance. Sont proposés pour entrer dans la Compagnie : Comme membres résidants, Par MM. Delacroix (Alphonse) et Saint-Eve (Charles), M. Fitsch (Christian), entrepreneur de maçonnerie à Besançon ; Par MM. Delacroix (Alphonse) et Lancrenon, M. Lebreton, directeur de l’usine à gaz de Besançon; Par MM. Robert (Ulysse) et Castan, M. Piquerez lAristites, fabricant d'horlogerie à Besançon; Et comme membres correspondants, Par MM. Bretillot et Castan, M. de Mandrot, lieutenant-colonel à l'état-major fédéral, à Neuchâtel (Suisse); Par MM. Delacroix (Alphonse) et Delacroix (Emile), M. Perret (Paul), littérateur à Paris. Le Président, Le Secrétaire, L. BRETILLOT. A. CASTAN. Séance du 20 décembre 1866. PRÉSIDENCE DE M. BRETILLOT. Sont présents : Bureau : MM. Bretillot (Léon), président, Grenier et Girod (Victor), vice-présidents ; Jacques, trésorier; Bavoux, secrétaire honoraire; Faivre, vice-secrétaire; Castan (Auguste), secrétaire. Meueres RésipanTs : MM. Alviset, Arbey, Belot, Bertin, Ber- trand, Bial, Blondon, Bourcherictte, Boysson d’'Ecole, Canel, Carlet, Chotard, Constantin, Coutenot, Courtot, Cuenin, le baron Daclin, Delacroix (Alphonse), Delacroix (Emile), Diétrich, Dodivers, Donzelot, Drapeyron, Ducat, d’Estocquois, Girod (Achille), Grangé, Jacob, Lancrenon, Lhomme, Loichet, Mar- chal, d'Orival (Léon), Percerot, Pourcy de Lusans, Renaud HENNE (François), Renaud (Louis), Robert, Rollot, Saillard, de Sainte- Agathe, Sire, Veil-Picard; MEMBRES CORRESPONDANTS : MM. Blanche, Castan (Francis), Coste, Henry, Ligier. La séance s'ouvre extraordinairement, à une heure de l’après- midi, dans la grande salle de l'hôtel de ville de Besançon. Le procès-verbal de la séance du 10 novembre est lu et adopté. Procédant au dépouillement de la correspondance, le secré- taire communique les réponses de plusieurs sociétés savantes à l'invitation qui leur avait été faite d'envoyer des délégués à la séance de ce jour et au banquet. Cette invitation a été acceptée par les Sociétés des sciences naturelles et d'histoire de Neuchâtel, et par les Sociétés d'Emu- lation du Jura et de Montbéliard; mais l’Institut national de Genève, la Société d'histoire de la même ville et la Société d'agriculture de Poligny ont exprimé leurs regrets de n’être pas représentées à nos fêtes, tout en nous remerciant cordialement de l’attention que nous avions eue à leur égard. Son Eminence le cardinal-archevêque s’est excusé de ne pou- voir, en raison de son état de santé, assister à la séance, et M. le procureur général a invoqué de douloureux souvenirs personnels comme motif de son absence au banquet. L'Association scientifique de Paris et la Société d'archéologie, sciences, arts et belles-lettres de la Mayenne nous proposant d'établir avec elles des relations d'échange, l’Académie du Gard nous ayant adressé un volume de ses publications, et M. Francis Castan voulant bien se charger de nous mettre en rapport avec la Société des sciences naturelles de Strasbourg, il est décidé que ces quatre compagnies seront inscrites sur la liste des sociétés correspondantes. Le secrétaire saisit l'assemblée du projet formé par M. J.-B. Cessac, membre correspondant, d'envoyer au prochain concours d'archéologie du ministère de l’Instruction publique, avec l’at- tache de la Société d'Emulation du Doubs, une description rai- sonnée des fouilles qui ont amené la découverte de la galerie — AA: souterraine au moyen de laquelle César priva les défenseurs d’Uxellodunum de l’eau dont ils s’abreuvaient. Le mérite de cette constatation a été proclamé presque simultanément par Sa Majesté l'Empereur, dans le deuxième volume de la Vie de Jules César, et par Son Excellence M. Duruy, lors des réunions de la Sorbonne du printemps dernier. La Société d'Emulation du Doubs ne peut donc que s’honorer en présentant au Comité impérial des travaux historiques le récit de cette entreprise, l’une des plus importantes et des plus heureuses de son genre; et quant aux droits de notre Compagnie à exercer ce patronage, il lui suffira, pour les établir, de rappeler que la trouvaille dont il s’agit est entièrement due aux indications sagaces de M. Paul Bial, ainsi qu'aux généreux et persévérants efforts de M. Cessac, tous deux nos confrères. Ces considérations ayant été adoptées, il est décidé que le mémoire de M. Cessac sera introduit, sous les auspices de la Société, dans le concours actuellement ouvert par la section d'archéologie du Comité impérial des travaux historiques. A la suite d’un scrutin ayant pour objet les présentations de membres faites dans la précédente réunion, M. le président proclame : Membres résidants, MM. Frrscu (Christian), propriétaire et entrepreneur de ma- connerie ; LeBRETON, directeur de l'usine à gaz de Besançon; Piquerez (Aristide), fabricant d’horlogerie ; Et membres correspondants, MM. pe Manpror, lieutenant-colonel à l'état-major fédéral, à Neuchâtel (Suisse) ; PERRET (Paul), littérateur, à Paris. MM. Cuenin et Ligier proposent, comme candidat au titre de membre résidant, M. Bodier (Eugène), docteur en médecine à Besançon ; — XXXIX — MM. Gauthier et Castan présentent, pour membre corres- pondant, M. Prost (Bernard) ,. élève de l'Ecole des Chartes, à Paris. : L'ordre du jour appelle la Société. à élire son conseil d’admi- nistration pour l’année 1867. Les scrutins successifs ouverts à cet effet donnent les résultats suivants : Pour le président, 27 votants : M. Girod (Victor) réunit 23 voix ; M. Sire, 3 voix; | M. Delacroix (Alphonse), 4 voix. Pour le premier vice-président, 27 votants : M. Bretillot (Léon) réunit 24 voix ; M. Sire, 2 voix; M. Grenier, À voix. Pour le deuxième vice-président, 27 votants : M. Gouillaud réunit 22 voix ; M. Grenier, 3 voix; M. Sire, 2 voix. Pour le vice-secrétaire, 28 votants : M. Faivre réunit 27 voix ; M. Marchal, 4 voix. Pour le trésorier, 28 votants : M. Jacques réunit 27 voix ; M. Arbey, 4 voix. Pour l’archiviste, 28 votants : M. Varaigne réunit 28 voix. En conséquence, M. le président déclare le conseil d'adminis- tration de 1867 composé ainsi qu'il suit : Présidents ri ir MM. Victor Giron ; Premier Vice-Président... Léon BRETILLOT ; Deuxième Vice-Président. GOUILLAUD ; Secrétaire décennal ...... MM. CasTaw; Vice-Secrétaire.......... FAIVRE ; Trésorier: si. sr ee JACQUES ; Arhdvisie.s cute DS VARAIGNE. La séance est suspendue pendant quelques moments; puis, à partir de deux heures, elle est rendue publique et un nombreux auditoire remplit la salle. Les siéges du bureau sont alors occupés par le conseil d'administration, les membres honoraires, les dé- légués de sociétés savantes et les membres résidants auteurs de lectures. Toutes ces personnes prennent séance dans Jl’ordre suivant : M. Léon Bretillot, président annuel; M. LE GÉNÉRAL COMMAN- DANT LA 7® DIVISION MILITAIRE; M. LE PREMIER PRÉSIDENT DE LA Cour IMPÉRIALE; M. LE PRÉFET DU DÉPARTEMENT Du Douss; M. LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR IMPÉRIALE; M. LE RECTEUR DE L'ACADÉMIE ; M. LE MAIRE DE LA VILLE; M. L'InspecrEuR D'Aca- DÉMIE; M. le colonel fédéral de Mandrot, délégué des Sociétés des sciences naturelles et d'histoire de Neuchâtel; M. Rebour, président de la Société d'Emulation du Jura; M. Bouthenot- Peugeot, vice-secrétaire de la Société d'Emulation de Montbéliard; MM. Grenier et Girod, vice-présidents annuels; M. Jacques, trésorier; M. Bavoux, secrétaire honoraire; M. Faivre, vice- secrétaire; M. Castan, secrétaire décennal; MM. Delacroix (Alphonse), Delacroix (Emile), Bial et Drapeyron, membres résidants. Le secrétaire ayant énuméré les titres des lectures, M. le pré- sident Bretillot en ouvre la série par un exposé des travaux de la Société en 4866, précédé de considérations sur les tendances scientifiques particulières à notre époque. Le secrétaire lit ensuite une notice de M. Jules Quicherat, membre honoraire, sur la vie et les œuvres d'Alexandre Bixio. M. Emile Delacroix fait l’histoire d’une industrie dont il est l'inventeur primitif et pour laquelle 1l propose un notable perfec- tionnement : il s’agit de l’étamage à fil courant des fils de fer. => EE M. Drapeyron peint le rôle de la reine Brunehilde dans la crise sociale du vi siècle. M. Castan présente des considérations sur l'arc antique de Porte-Noire, qui tendent à confirmer l'opinion de ceux qui ont vu dans cet édifice un monument de la reconnaissance du mu- nicipe de Besançon envers l’empereur Marc-Aurèle. M. le colonel de Mandrot relate les circonstances qui firent passer le val de Travers des mains du comte de Bourgogne dans celles du comte de Neuchâtel. M. Bial décrit les recherches de M. Quiquerez sur les anciens emplacements de forges observés dans le Jura. L'heure étant trop avancée pour entendre une lecture de M. Alphonse Delacroix, sur la Séquanie et l'Histoire de Jules César, la séance est levée. Le Président, Le Secrétaire, L, BRETILLOT. À. CASTAN. BANQUET DE 1866. Le banquet a eu lieu le jeudi 20 décembre, à six heures du soir, dans le grand salon du palais Granvelle. Ce local vraiment princier avait été décoré, sous la direction de M. Varaigne, avec autant de simplicité que de bon goût. Au fond de la pièce figurait un grand écusson aux armes que la Société s'est choisie : l'aigle bisontin en regard du lion de Franche-Comté, avec une abeille en pointe; ce triple symbole ressortait sur un lit de drapeaux aux couleurs nationales et à celles de la ville de Besançon. Sur les grandes faces du salon étaient appendues les armes des villes dont les sociétés savantes avaient envoyé des représentants à la séance publique et au banquet : ici c'était l'écusson de Neuchâtel accompagné de dra- peaux suisses ; là c’étaient les blasons de Lons-le-Saunier et de Montbéliard avec des drapeaux français. Ces écussons étaient l'œuvre de M. Léon Leblanc, peintre-décorateur distingué, — XLI — - La table, qui tenait toute la longueur du salon et se terminait à chaque bout en forme de T, était chargée de plantes rares, disposées avec intelligence par nos habiles horticulteurs MM. Lé- pagney, et s’harmonisant on ne peut mieux avec l’élégante vais- selle de la maison Haussmann ; une illumination brillante avait été fournie par M. Mathey. Le menu, des plus relevés, a été partagé par environ soixante-dix convives. M. Bretillot, président annuel, avait à sa droite M. le Général commandant la division et M. le premier Président de la Cour impériale. En face était assis M. Victor Girod, élu président pour 1867, qui avait à ses côtés M. le Préfet du Doubs et M. le Maire de Besançon. Les autres places d'honneur étaient occupées par M. le Recteur et M. l'Inspecteur de l’Académie. M. le colonel fédéral de Mandrot, M. Rebour, président de la Société d'Emu- lation du Jura, M. Bouthenot-Peugeot, vice-secrétaire de la Société d'Emulation de Montbéliard, MM. Grenier, Boysson d’Ecole, Lancrenon {de l’Institut) et Alphonse Delacroix, anciens présidents de la Compagnie, M. Proudhon, adjoint au maire, M. de Sainte-Agathe, président de la Chambre de commerce, MM. Reynaud-Ducreux, Pourcy de Lusans et Emile Delacroix, membres fondateurs de la Société, M. le baron Daclin, membre du Conseil général, M. le commandant Faucompré, lauréat de la prime d'honneur au concours agricole de Besançon, M. Bial, secrétaire général de l'Exposition de 1860, MM. Jacquard, Oudet et Veil-Picard, membres du Conseil municipal de Besançon, etc. Au dessert, toute l'assemblée s’est levée pour entendre le toast impérial, qui a été porté par M. le Préfet du Doubs. Jamais la voix sympathique de l’éminent magistrat n’a su toucher plus délicatement le thème officiel de la santé de l'Empereur, de l’Im- pératrice et du Prince Impérial. Chacune des paroles de M. le Préfet découlait d'un sentiment d’exquise bienveillance pour l'œuvre que poursuit la Compagnie, et du désir de faire passer non-seulement dans les esprits, mais surtout dans les cœurs de l'assistance, quelques-unes des idées grandes et généreuses qui sont la base de l'édifice impérial. Tous les convives ont apprécié EN hautement la valeur de cette charmante allocution, et se sont- unanimement associés aux vœux patriotiques qui la terminaient. M. le président Bretillot s’est levé à son tour et a prononcé le toast suivant : Messieurs, Je vous propose un toast que vous accueillerez volontiers, sans vous arrêter à son caractère un peu personnel. Il a d’ail- leurs, pour se produire ici, l'autorité d’un proverbe très ancien et fort accrédité qui dit que « charité bien ordonnée songe à sot- même. » Les proverbes passant pour être l'expression de la sagesse des nations, nous ne ferons qu’une chose licite et sage en buvant avec chaleur à la prospérité de notre Compagnie. Son état de santé est satisfaisant aujourd’hui, et nous pour- rions nous en contenter. Mais un autre proverbe dit : « Quand on prend du galon.....» Vous savez le reste. Exprimons donc énergiquement le vœu de voir la Société s’affermir et s’avancer dans la florissante situation qu’elle a su se créer au bout d’un assez petit nombre d'années. D'où lui est venu ce succès si rapidement atteint ? D'abord du zèle infatigable et du talent de ceux de ses membres qui ont consacré leur intelligence et leurs veilles à enrichir ses publications annuelles : Une seconde cause, que j'ai indiquée dans la séance publique, a certainement contribué à la faire prospérer. Il y en a une troisième dont nous pouvons parler, puisque nous sommes entre nous et en famille. Les fondateurs de la Compagnie ont eu la très heureuse idée d'en faire une société ouverte, non pas à tout venant, mais à tous ceux qui voient dans les sciences un puissant élément de civilisation, une force éminemment libérale et humaine. S’écar- tant des errements suivis par les anciennes académies, ils ont jugé qu’en un temps de démocratie intellectuelle, il ne fallait pas chercher un levier et un foyer d'action dans une réunion restreinte d'hommes choisis, mais dans l'effort commun des AN ee hommes d'intelligence et de bonne volonté. Ils ont convoqué tous les amis du savoir et du progrès, qui, répondant à l'appel avec empressement et en nombre, ont amené avec eux le mou- vement et la vie. L'émulation était le drapeau sous lequel ils venaient se ranger. Ils se sont fait un point d'honneur d’en sou- tenir la devise et les couleurs. | Notre association a ainsi constitué par le fait dans le départe- ment la république des sciences et des arts. Quiconque a le désir de s’éclairer et de coopérer à la diffusion des lumières peut s’y adjoindre et y apporter le tribut de ses méditations et de ses idées. Conservons soigneusement, Messieurs, cette facilité d'accès et cette grande liberté laissée à tous les membres de nous faire profiter des fruits variés de leurs connaissances spéciales. À cela, plus qu’à toute autre cause peut-être, la Compagnie devra d’ac- quérir des forces nouvelles et une autorité plus grande sur les esprits. A la prospérité de la Société d'Emulation du Doubs! Puis M. Castan, secrétaire de la Société, s’est exprimé en ces termes : Messieurs, Voici la seconde fois que les représentants des sociétés savantes de la région jurassique viennent siéger à votre séance solennelle et prendre part à votre banquet. C'est une bonne tradition que vous avez créée, une tradition qui ne périra pas. Vous aviez fait par vous-mêmes l'expérience de ce que peut l'association dans le domaine scientifique; c’est cette force que vous avez voulu accroître au profit de vos travaux. Longtemps les sociétés de la terre jurassique n'ont commu- niqué avec la nôtre que par un échange de publications : vous avez pensé que ce lien n’était point suffisant, et que l'exercice d'une hospitalité cordiale serait l’occasion pour vous d’user plus largement des lumières de nos savants et gracieux voisins. De la Saône au versant oriental des Juras, des Vosges au — XLV — Rhône, ce sont les mêmes phénomènes naturels et historiques qui se déroulent; il y a donc avantage à ce que les érudits disséminés dans cette contrée se voient pour se communiquer leurs observations, qu’ils se connaissent pour s'entendre. Voilà ce qu'ont compris les éminents délégués qui sont pré- sents à cette fête; voilà pourquoi ils ont bravé les rigueurs de l'hiver pour venir fraterniser avec nous. La Société d'Emulation du Doubs les en remercie; elle sera heureuse d'enregistrer ce nouveau témoignage d'une sympathie qui l’honore et d’un dé- vouement aux sciences qui la réjouit. Je bois à l’union étroite et durable de notre Compagnie avec ses sœurs de la région jurassique, et J'adresse particulièrement ce toast : Aux Sociétés des sciences naturelles et d'histoire de Neuchâtel, de cette noble et intelligente cité dont les relations amicales avec la nôtre se perdent dans la nuit des âges, qui, dès 1214, nous donnait un gage éclatant de son estime en demandant à ses sou- verains des coutumes conformes à celles de la ville de Besançon; A la Société d'Emulation de Lons-le-Saunier, qui réside au cœur du Jura et sait, au moyen de ses cours publics, le faire palpiter pour toutes les idées généreuses et progressives ; A la Société d'Emulation de Montbéliard, qui perpétue le goût des études sérieuses dans le plus instruit des arrondissements de France, et qui, par l'œuvre des bibliothèques populaires, a su conquérir une influence morale dont le département du Doubs a le droit d’être fier et le devoir d’être reconnaissant. Que ces sociétés prospèrent et que leurs honorables délégués vivent ! Trois répliques ont suivi le toast de M. Castan. Voici celle de M. Bouthenot-Peugeot, délégué de la Société d'Emulation de Montbéliard : Messieurs, Je remercie l'honorable M. Castan des parolessympathiquesqu'il a bien voulu adresser à la Société d'Emulation de Montbéliard. — XLVI — Nos bonnes relations avec vous ont eu pour point de départ une coïncidence également flatteuse pour les deux compagnies . je veux parler de cette solennité de la Sorbonne, en 1864, où la Société d'Emulation du Doubs recevait du Ministre de l’Instruc- tion publique le prix d'archéologie pour les travaux de M. Castan sur les fouilles d’Alaise, tandis que la Société de Montbéliard obtenait le prix d'histoire pour les études de M. Tuetey. Ces relations si heureusement commencées, nous avons tous à cœur de les développer et de les affermir. Aujourd’hui, Messieurs, il n’est plus permis de rester confiné dans sa ville, ni même dans son arrondissement. C’est le devoir des sociétés savantes de grouper les forces isolées pour en former un imposant et durable faisceau. Enfants du même dé- partement, nous poursuivons tous le même but : instruire et moraliser ; et tous, tantôt sous le titre de Société d'Emulation, tantôt sous le nom de Société des bibliothèques communales, nous cherchons à maintenir à notre contrée le rang élevé qu’elle occupe sur la carte de l’Instruction publique. Avant de quitter ce palais Granvelle, signons entre Besançon et. Montbéliard une étroite alliance, et engageons-nous à tra- vailler, ici et là-bas, plus activement que jamais au progrès et au développement de l'instruction. Je bois à La prospérité de la Société d'Emulation du Doubs et à son union fraternelle avec la Société d'Emulation de Mont- béliard ! M. le colonel de Mandrot a fait ensuite cette réponse : Messieurs, Au nom des Sociétés d'histoire et des Pre naturelles de Neuchâtel, que vous avez bien voulu convier à votre réunion d'aujourd'hui, je viens vous remercier d'avoir pensé à vos voi- sins d’au delà du Jura et de la réception cordiale que vous leur faites en ma personne. . Messieurs, comme vient de le dire votre Lonormblé secrétaire, ils sont anciens les rapports qui unissent les populations des —" AENLE deux versants du Jura, ils ont été des plus intimes : nous avons été comme vous Celtes, Gallo Romains, Burgondes et Bour- guignons |! Les circonstances politiques et religieuses nous ont séparés ; mais néanmoins la sympathie pour nos voisins d’outre- Jura existe toujours. Nous sommes Suisses! bons Suisses! mais, comme Suisses, nous n'oublions pas que la France nous a toujours été largement ouverte, que son appui ne nous a jamais manqué, et cela surtout dans une occasion grave, il y a dix ans! Messieurs, si quelques journaux de mon pays se croient obligés d'attaquer, d’insulter même le gouvernement de la France, ne croyez pas qu'ils représentent l'opinion publique de la Suisse! Non, les Suisses savent qu'ils ont toujours trouvé dans le souverain qui règne actuellement sur la France, un appui généreux! C’est pour cela, Messieurs, que je me permets en terminant de reprendre un toast déjà porté par M. le préfet et de boire à Sa Majesté l'Empereur, l'ami de mon pays! M. Rebour, président de la Société d'Emulation du Jura, a dit: Messieurs, En écoutant tout à l'heure l'honorable M. Bretillot énumérer les causes qui ont fait le succès de votre association, il en est une qui m'a surtout frappé et que je vous demande la permis- sion de proclamer à mon tour. Je veux parler de la pensée que vous avez eue de ne point vous ériger en un cénacle de savants, mais au contraire d'ouvrir vos rangs à tous ceux qui s'intéressent au progrès intellectuel, moral et matériel de notre pays. Et cette action, vous ne l'avez pas bornée au département du Doubs; vous l'avez étendue à tout le territoire de la Séquanie, comme le prouvent ces agapes confraternelles que vous nous offrez aujourd'hui. Messieurs, la Société d'Emulation du Jura a eu le même point de départ que vous et se gouverne par les mêmes principes : aussi attend-elle avec impatience le moment prochain où elle pourra + ANRT vous rendre, sinon votre splendide, au moins votre cordiale hospitalité. | Gardez, Messieurs, le rôle initiateur qui vous appartient et qu'il vous sied si bien d’exercer, car si vous admettez que Lons- le-Saunier soit le cœur de la région jurassique, nous voulons, nous, que Besançon en demeure la tête, et, pour ce motif, nous serons toujours heureux de retremper nos courages dans vos bons exemples, et toujours honorés de boire à la prospérité de la Société d'Emulation du Doubs! M. Victor Girod, président élu pour 4867, a remercié la Com- pagnie dans les termes suivants : Messieurs, Je ne chercherai pas à dissimuler l'émotion qui me domine en cet instant; elle est facile à comprendre. Investi, par vos bienveillants suffrages, d’une fonction qui impose de sérieux devoirs et une lourde responsabilité, ce n’est qu'avec une vive inquiétude que j'accepte le périlleux honneur de vous présider. Des hommes éminents dans les sciences et dans les arts ont successivement occupé ce fauteuil de la présidence; ils ont im- primé à votre Société un élan incomparable et l’ont élevée au niveau des meilleures sociétés savantes. C’est un véritable hon- neur d’être reçu membre de votre Société; être appelé à la présider, c’est pour moi une distinction d'autant plus inattendue que je ne m'y connais aucun droit. Je ne me suis jamais occupé ni de sciences ni d’arts, et l'in- suffisance de mon instruction première semblait devoir me con- damner à un rôle plus humble. Ouvrier et fils d'ouvriers, je ne puis mettre à la disposition de votre Société que le rude bon sens de l'industriel, quelques connaissances pratiques, et le dévouement d’un cœur et d’une volonté qui ont le désir de bien faire. « Notre siècle est le siècle de l’ouvrier, » a dit naguère le chef d'une grande république : par ces mots, le président Johnson a exprimé une profonde vérité. — ELLE En effet, les aspirations de notre siècle tendent à faire ressortir tous les talents; de nos jours, plus qu’à aucune autre époque, la fortune et les honneurs deviennent souvent la légitime récom- pense du travail intelligent et persévérant. L'industrie est le grand moteur de la société actuelle; parfois même elle usurpe une place trop considérable, au détriment des lettres et des sciences. C'est sans doute, Messieurs, pour donner une marque de votre haute considération et un témoignage de sympathie à l'industrie bisontine en général, et à l’industrie horlogère en particulier, que vous avez porté sur moi votre choix. Permettez-moi de rappeler un souvenir de famille. Mes pères étaient du nombre de ces premiers pèlerins qui, en des temps difficiles, ont importé l’industrie horlogère dans notre grande cité. Les commencements ont été pénibles ; mais rien ne résiste à des efforts persistants. Aujourd’hui l'industrie horlogère est une mine d’or pour nôtre département, elle est la plus considérable de notre ville. Sous peu, nous l’espérons, la fabrique de Besançon sera la plus im- portante de l’Europe et figurera sur tous les marchés du monde. Si ce sont les efforts de ces premiers travailleurs descendus des montagnes neuchâteloises, si c’est leur travail persévérant, si c’est le sacrifice d’une vie tout entière vouée à la prospérité d'une branche de l’industrie humaine que vous avez voulu cou- ronner dans ma personne, vous avez fait preuve, Messieurs, d’un véritable esprit d’émulation et de fraternité. Merci, au nom des représentants de l’industrie de notre ville, de la distinction dont vous m’honorez : je tâcherai de mériter cette confiance. En prenant place à votre bureau, je compte, pour remplir dignement ma tâche, sur la bienveillance de savants amis et collaborateurs. Fort de leur soutien, je travaillerai avec un zèle et une activité infatigables. Je suivrai, avec une émulation nou- velle, la voie tracée par mes prédécesseurs. L’Exposition universelle de Besançon en 1860, due à l’initia- d — L— tive de votre Société, a mis en relief la vitalité et la variété des productions de notre industrie bisontine; l'Exposition universelle de 1867 achèvera, je l'espère, de conquérir à notre ville une des premières places au sein de l’industrie française. Assez de discours, et maintenant à l’œuvre. Vous me con- naissez; 1l n'y a pas un sacrifice que je ne m'imposerais pour le bien de notre Société d’'Emulation et de notre cité tout entière. Je ne saurais mieux terminer, Messieurs, qu’en portant un toast : À M. Bretillot, notre digne président, et aux succès de nos industries locales à l'Exposition universelle de 14867! Tous ces discours ont été chaudement applaudis. Les conver- sations se sont prolongées jusqu'à dix heures du soir; puis chacun s’est retiré, emportant le souvenir d'une bonne et agréable fête de famille. _ MÉMOIRES Soc.d'Em. du Doubs 186G Fig. Î Principe d'Archimède HYDROSTATIQUE. NOUVELLES MÉTHODES POUR LA DÉMONSTRATION EXPÉRINENTALE DU PRINCIPE D'ARCHIMÈDE Par M. GEORGES SIRE Docteur ès-sciences, Directeur de l'Ecole d'horlogerie de Besançon. Séance du 10 février 1866, Chacun connaît l’anecdote de la couronne de Hiéron de Syra- cuse, qui fournit à Archimède l’occasion d'appliquer le principe d’hydrostatique dont ilavait découvert la loi, principe d’une telle fécondité que chaque jour on voit augmenter le nombre de ses applications. Les méthodes qui sont actuellement employées dans les cours de physique, pour établir et vérifier par l'expérience le principe d’Archimède, sont peu nombreuses, et aucune ne présente la simplicité et la généralité désirables. Le plus souvent, on part de ce fait capital et aisément vérifiable, qu’un corps lourd est plus facile à soulever lorsqu'il est entièrement dans l’eau que quand il est dans l'air, ce qui permet d’aflirmer que dans le premier cas le corps est poussé de bas en haut par une force d’une certaine intensité. D'un autre côté, si aux extrémités du fléau d’une balance hydrostatique, on suspend deux corps de même poids, mais de volume différent, et si on fait ensuite plonger ces deux corps dans le même liquide, l'équilibre n’existe plus, c’est le corps le plus petit qui l'emporte. On en conclut que ce dernier est sou- levé moins fortement que l’autre corps dont le volume est plus 1 RESTOS grand, et, par suite, qu’il existe une certaine relation entre la poussée de bas en haut du liquide et le volume du corps plongé, relation qui a été découverte par Archimède et qu’on formule en disant que tout corps plongé dans un liquide est soulevé verticalement de bas en haut par une force égale au poids du liquide qu'il déplace; d’autres fois on dit simplement que le corps perd une partie de son poids égale au poids du liquide déplacé. Assez généralement on établit cette importante propriété, d’abord par le raisonnement, en isolant par la pensée une masse liquide terminée par une surface quelconque au sein d’un vase plein de liquide. Le fluide étant en repos , la masse considérée est en équilibre et ne tombe pas, ce qui ne peut avoir lieu qu’au- tant que son propre poids est neutralisé par la poussée du liquide qui l’environne. Or, comme cette poussée est indépen- dante de la forme de l'enveloppe de la masse liquide prise pour exemple, elle sera la même pour tous les corps de même forme : qu'on y substituera. Donc, pour tout corps plongé dans un liquide, la poussée verticale de bas en haut est égale au poids du liquide dont il tient la place. Pour vérifier cette déduction par l'expérience, on s'arrange pour se procurer un volume de liquide égal à celui d’un corps, et on fait voir que le poids de ce volume de liquide compense la perte éprouvée par le solide lors de son immersion dans le même liquide. C’est ce qu’on réalise dans l’expérience des deux cylin- dres décrite dans tous les traités de physique. Mais cette expérience a l'inconvénient de ne s'appliquer qu’à un corps de forme géométrique et plus dense que l’eau, et il est très important, pour montrer la généralité du principe d’Archi- mède, d’en faire la vérification en employant un corps solide de forme et de densité quelconques. J'ignore si l’on a déjà signalé une expérience spéciale pour arriver directement à ce résultat; du moins nos traités de phy- sique n’en font pas mention : en sorte que, si aujourd'hui on veut prouver expérimentalement que le principe d’Archimède US ee est indépendant de la forme des corps, on est obligé de déter- miner : 4° La perte de poids éprouvée par un corps de forme arbitraire plongé dans un liquide ; 20 Le poids d’un volume de ce liquide égal au volume du COTPS ; De montrer que ces deux quantités sont égales. Cela nécessite en tout quatre pesées, ou plus exactement quatre équilibres successifs avec une balance hydrostatique ; et encore ne montre-t-on qu'une partie des phénonèmes qui se produisent lors de l'immersion des corps solides dans les liquides. Il était donc à désirer de pouvoir remplacer ces manipulations trop longues par une expérience unique, complète et facile à reproduire, et c’est ce que Je crois avoir réalisé dans les mé- thodes expérimentales que je vais décrire. Première méthode. — Une tige T, fig. 1, formée d’un gros fil de fer ou de laiton, supporte inférieurement un bassin B, tandis que sa partie supérieure terminée en anneau sert à la suspendre en À, à l'extrémité du fléau d’une balance hydrostatique. La même tige porte en b un petit crochet auquel on suspend, à l’aide d’un fil délié, un corps solide C de forme arbitraire. Entre le corps C et le bassin B, on dispose un vase Y solide- ment fixé à un support immobile S. Ce vase est en verre et son bord supérieur est soigneusement rodé à l’émeri de façon à pouvoir être fermé par un obturateur. Un peu au-dessous du bord supérieur se trouve mastiquée une rigole annulaire et sufi- samment inclinée pour recueillir et conduire dans un canal le liquide qui se déverse de la partie supérieure du vase. On verse de l’eau plein le vase et on en met un léger excès, de manière qu'en plaçant l’obturateur le vase soit exactement rempli. Tout l'excédant d’eau passe alors dans la rigole, de là dans le canal à, et finalement se rend dans le bassin B en suivant un fil Z préala- blement humecté qui empêche les projections. Le poids du système accroché en À est à ce moment composé de la tige T, du bassin B, du corps suspendu C, plus de l’excé- SAS dant de liquide déversé du vase V; mais on enlève cet excédant à l'aide d’une pipette, et c’est dans ces conditions qu'on établit l'équilibre de la balance hydrostatique. Cela fait, on enlève l’obturateur o, et on descend ensuite len- tement le fléau de la balance en faisant jouer la crémaillère. Aussitôt que le corps C touche le liquide, et à mesure qu’il s’en- fonce, le niveau de l’eau tend à s'élever, mais elle se déverse au fur et à mesure et se rend dans le bassin B en suivant le fil Z. Lorsque le corps est entièrement immergé, on replace l’obtu- rateur, qui doit être formé, on le comprend, de deux parties demi-circulaires ayant chacune une entaille également demi- circulaire m, fig. 1, de façon que ces deux parties réunies laissent entre elles une petite ouverture circulaire dans laquelle se meut librement le fil de suspension du corps plongé. Quand l’obtura- teur est placé et qu'il ne s'écoule plus de liquide dans le bassin B, on reconnaît que la balance est encore en équilibre, fig. 2. C'est là toute l'expérience qui fait ressortir l'évidence des deux particularités suivantes : 1° Le corps plongé déplace un volume de liquide égal au sien; 2° Ce volume de liquide se rend dans le bassin B (!). Comme l’eau qui arrive dans ce bassin augmente nécessaire- ment son poids, elle devrait rompre l'équilibre primitif; mais puisque cet équilibre persiste, c’est que cette augmentation n'est qu’apparente et ne fait que compenser une perte de poids éprouvée par une des parties du système suspendu à la balance. De toutes ces parties, le corps C est le seul dont la condition soit changée ; c'est donc lui qui est devenu plus léger. @) Si toutes les parties où circule l’eau sont parfaitement mouillabies, elles le sont sensiblement de la même facon avant et après l'immersion du corps; en sorte que le volume d’eau qui se rend dans le bassin B est bien réellement égal au volume du corps plongé. PE Or, comme c’est le poids de l’eau qu'il déplace qui maintient l'équilibre, on en conclut que, quand le corps est plongé dans le liquide, il est soulevé verticalement par une force égale au poids du liquide dont il tient la place. On le voit, l'opération est extrêmement simple, et elle n’exige qu’un seul équilibre. | S'il s’agit d’un corps plus léger que l’eau, l'expérience n'est pas plus difficile; seulement on remplace le fil de suspension par une tige déliée, vissée par une extrémité au fil T, l’autre extrémité étant implantée dans le corps. Cette tige doit être suffi- samment rigide pour produire l'immersion totale du corps malgré la poussée qui le soulève : dès lors l’expérience est aussi facile qu'avec un corps plus dense que l’eau. Deuxième méthode. — En opérant comme je viens de le dire, on ne montre qu’une partie des phénomènes qui se produisent lors de l'immersion des corps solides dans les liquides, on ne met en évidence que la loi de la poussée de bas en haut exercée par ces liquides. Il reste à démontrer l'effet produit par la réaction de cette poussée sur le fond des vases qui contiennent les li- quides, et c’est ce qu'on peut faire avec la plus grande facilité en modifiant légèrement notre première manière d’opérer. La disposition à employer est la suivante : Au lieu d’établir le vase V sur un support immobile, on le suspend bien horizontalement au fléau d’une balance ordinaire, à l’aide d’un étrier Æ dont les deux branches sont suffisamment longues pour permettre entre elles la libre descente du corps C, fig. 2. On n'équibre le vase V et le système suspendu à la balance hydrostatique que lorsque l’obturateur est en place, c’est- à-dire lorsque l’excédant d’eau s’est rendu dans le bassin et que cet excédant a été enlevé avec une pipette. On opère ensuite exactement comme je l’ai dit plus haut; seulement on s'arrange pour rendre immobile le vase V pendant l'immersion du corps €, afin d'éviter des oscillations qui pourraient troubler l'expérience. Lorsque le corps est entièrement plongé et que l’obturateur est de nouveau mis en place, on rend la mobilité au vase V et on Loan Le constate alors que l'équilibre des deux balances n’est pas troublé. Voici l'explication de cette persistance de l'équilibre. Si l'immersion du corps C s'était opérée sans que le liquide pût se déverser par la partie supérieure du vase V, il est clair que le niveau de l’eau se serait élevé d’une certaine quantité, et il aurait été facile de prouver que la pression sur le fond de ce vase serait devenue plus grande, bien que la quantité du liquide fût restée la même; ce qui aurait nécessité toutefois une nouvelle expérience. Mais, d’après la méthode expérimentale ci-dessus, les choses se passent différemment. Le niveau de l’eau reste à la même hauteur pendant toute la durée de l'immersion, puisque toute élévation de ce niveau a pour effet de faire déverser une certaine quantité de liquide qui se rend dans le bassin B. De plus, il est évident que toute fraction d’eau qui s'échappe du vase V ailége ce vase d’un poids équivalent, de telle sorte que, quand le corps est entièrement immergé et l’obturateur en place, le poids primitif de l’eau contenue dans le vase V est diminué de toute la quantité de ce liquide qui s’est rendue dans le bassin B. Or, si malgré cette diminution la pression du liquide sur le fond du vase reste la même, comme l’expérience le prouve, c’est que la réaction de la poussée verticale compense la perte d’eau réel- lement faite par le vase, en maintenant le niveau du liquide à la même hauteur. De même que l’eau qui se rend dans le bassin B compense la poussée du liquide sur le corps immergé, de même aussi la réaction de cette poussée produit une compensation équivalente, en exerçant sur le fond du vase une pression égale à la pression qu’exerçait primitivement sur le même fond l’eau déversée. Donc l'équilibre doit persister. Troisième méthode. — On peut simplifier encore les manipu- lations ci-dessus et réduire de beaucoup les appareils empioyés, c'est-à-dire qu’au lieu de faire usage de deux balances, comme dans la méthode précédente, on peut mettre en évidence les ES A LUE LIT DSTI ANT PET EL ee RO NT, es ES M ee — eh RU VU Je de DIT SN NTIE UNPNNE LR ER à er S À TS mêmes phénomènes en ne se servant que d’une seule balance, une balance de Roberval (fig. 3). A cet effet, on dispose sur l’un des plateaux de la balance un support formé d’un pied pesant et d’une tige verticale £, sur laquelle peut se déplacer et se fixer à volonté une autre tige ho- rizontale s. Le pied du support doit être assez massif pour donner au système une stabilité suffisante et qui permette de suspendre un corps pesant C à l'extrémité de la tige s. Le même support porte deux vases-en verre v et v!, fixés dans une garniture légère et mobile autour de la tige verticale f, en sorte que, par une rotation de 480° autour de cetle tige, chacun de ces vases peut être substitué à l’autre. Sur l’autre plateau de la balance, on établit un vase V portant vers la partie supérieure une rigole circulaire et également inclinée comme dans les appareils ci-dessus ; mais l’eau qui se déverse de la partie supérieure de ce vase, au lieu de s’écouler par la partie inférieure, ainsi que cela se produit dans les mé- thodes précédentes, s'engage daus un conduit c de même inclinaison que la rigole, et coule directement dans l’un des vases v, 0’. Cette disposition étant prise, on opère ainsi qu’il suit : On fixe la tige s de manière à placer le corps en C/ [!), puis () Si le corps suspendu était un peu lourd, on voit de suite qu'un pareil système ne serait stable qu’à la condition d’avoir un support très-pesant. Or, pour que la masse de celui-ci soit la moindre possible, afin de ne pas trop fatiguer la balance, il est préférable de prolonger la tige s d’une longueur égale à elle-même et d'équilibrer le corps suspendu à l’aide d’un contrepoids p. Le poids du corps et le volume d'eau qu'il déplace étant connus par une expérience préalable, il est facile de déterminer à priori les positions p et p' que doit occuper le contrepoids sur la tige s prolon- gée, pour qu'avant et pendant l'immersion du corps le centre de gravité du système reste sensiblement sur la tige t. Avec cette disposition, on peut donner à tout l'appareil des formes très-légères. Je n’ai pas besoin d'ajouter que si le déplacement du contrepoids est susceptible de faire varier la position du centre de gravité, il est sans in- fluence sur le poids du système, et ne peut en rien modifier l'équilibre préalablement étabtr. ue on remplit d’eau le vase V, de façon qu’un léger excédant de ce liquide coule dans l’un des vases établis sur l’autre plateau de la balance. On place sur la partie supérieure du vase les deux parties d’un obturateur semblable à celui des expériences précé- dentes, et lorsqu'il ne s'écoule plus d’eau, on équilibre la balance. Le reste de l'expérience consiste : 4° à faire tourner les vases vw et v' de 180°; la quantité d’eau qui s’est déversée du vase V se trouve ainsi mise de côté ; 2° à abaisser la tige s pour effectuer l'immersion du corps. Pour opérer commodément la descente de cette tige, on rend immobiles les deux plateaux de la balance, en introduisant sous chacun d’eux une cale de bois d’une épaisseur convenable. Cela fait, on enlève délicatement les deux parties de l’obturateur sans répandre de liquide au dehors de l'appareil, et on abaisse la tige s lentement et sans secousse. Pendant ce mouvement, l’eau se déverse et se rend dans le vase w, et lorsque le corps est entièrement plongé, on fixe la tige s, et on replace les deux parties de l’obturateur. Dès que l'écoulement de l’eau dans le vase » cesse, on retire les cales de bois, et on observe que la balance est toujours équilibrée. Cette méthode est évidemment plus expéditive que la précé- dente et montre les mêmes phénomènes, c’est-à-dire l'égalité de la poussée du liquide sur le corps plongé et de la pression qui en résulte sur le fond du vase. Les explications sommaires que j'ai données de ces actions réciproques, à l'occasion de la deuxième méthode, sont donc aussi applicables à celle plus simple que je viens de décrire. Quatrième méthode. — Une particularité qui caractérise les trois méthodes précédentes, c’est que le volume de liquide dé- placé par le corps plongé se rend dans une partie distincte des appareils etse trouve de cette façon parfaitement mis en évidence. Cela résulte de ce que le niveau du liquide dans le vase V est rendu constant à l’aide de l’obturateur. Mais si on supprime cet obturateur, et si on s'arrange pour que le volume de liquide dé- LhS placé, au lieu de se déverser hors du vase, se traduise au con- traire par une élévation de niveau, il est encore facile de mon- trer l'égalité de la poussée du liquide et de la réaction sur le fond du vase, en employant les mêmes appareils de la troisième méthode. Je suppose donc que le vase V, fig. 3, n’est pas plein de liquide, mais qu’il contient à l’origine une quantité d’eau sufli- sante pour y plonger totalement le corps C, et qu'après l'immer- sion le niveau primitif de l’eau s'élève d’une certaine quantité dans ce vase. Cela admis : Soient M et M’ les poids des deux systèmes que les plateaux de gauche et de droite de la balance supportent respectivement. Comme avant l'immersion on a soin d’établir l’équilibre, on a M — M. | Mais après l'immersion du corps C l'équilibre n'existe plus : 1° parce que la poussée du liquide diminue d’une certaine quan- tité le poids du système M; 2° parce que l'élévation du niveau du liquide dans le système M produit, au contraire, une aug- mentation de pression sur le fond du vase V. Or, si réellement l'augmentation de pression sur le fond de ce vase est égale à la poussée du liquide (que je représenterai par p), le poids du système dans le plateau de gauche sera (M + p), et dans le plateau de droite le poids sera (M! — p); la différence D de ces poids sera donc. D =(M +p) —(W' — p) = 29. C’est effectivement ce que confirme l'expérience ; car, en opé- rant comme je viens de le supposer, il faut, pour rétablir l’équi- libre, ajouter dans le plateau de droite un poids égal au double du liquide déplacé. On peut, d’ailleurs, réaliser cet équilibre d’une manière dé- taillée : 1° en versant dans le vase v une quantité d’eau égale au volume d’eau déplacé, ce qui compensera, par exemple, la poussée du liquide sur le corps plongé; 2° en versant dans es QE le vase v/ une même quantité d’eau destinée à compenser l’augmentalion de pression sur le fond du vase V. On obtient ainsi un équilibre parfait de la balance, en même temps que l'égalité de la poussée du liquide et de la pression sur le fond se trouve matérialisée par les deux masses égales de liquide versées dans les vases w et v'. Telles sont les méthodes à l’aide desquelles on peut vérifier, par une seule expérience et d’une manière générale, les phéno- mènes qui se produisent lors de l'immersion des corps solides dans les liquides : notamment la loi de la poussée de bas en haut qui soulève les corps plongés, et la pression équivalente qui se transmet simultanément sur le fond des vases. J'ajouterai, en terminant, que les appareils employés dans les méthodes expérimentales que je viens d'exposer n’exigent aucune précision et qu’on peut les construire partout. D’un autre côté, les deux dernières méthodes permettent de supprimer la balance hydrostatique, qui ne se trouve guère que dans les cabinets de physique, et de se servir de la balance de Roberval, aujourd’hui très répandue dans le commerce. Ce genre de balance offre une sensibilité suffisante pour la vérification rigoureuse des phéno- mènes d'hydrostatique dont il est fait mention dans le cours de cette note. + ‘ « = 4 « - . à « es , ù _ sr & . # . IT FE 7 Ai © mA: ne : - PURES + n Li * 0 1 ss ! 710 n J béshe : + : à ; À 1 ER. > CRE TAC ns d à A E = : Je 2 n 3 à “ a 1.7 ue : - £ . . a æ ; tt Re 3 re . À SAR re . 6... ci : > à ps x $ ’ Tu. # - » - à La - > - us . Æ— «2 - * d { RES La * i -<" . : = — - * De] in DR PT oi L 15 id .. ri di pole »», | e A « = - te er, “ . i ï [ À a « * 2 | Coupe suivant Z 1 11707772 te tamer Yi! Mr Miareatas EEE TE. ; { « P save nd R Wet ri E mr 7 nt M ! : ya \#'à # M Len A à LOS Crajton Gupe suivant Z VV: de la Mer el Mer. 401 APTE === DÉMONSTRATION MILITAIRE DU PROBLÈME D'ALESIA PAB NM. A. SARRETTE Lieutenant - Colonel au 86° de ligne, Séance du 10 mars 1866, La configuration topographique, de laquelle dépendent les opérations militaires, les travaux des blocus et des siéges, a été l’objet du plus vif débat auquel Alesia ait été soumise ; et l'interprétation donnée depuis des siècles, plus par les latinistes de profession que par les militaires, à cette partie de la question, a toujours soulevé dans le monde savant une interminable dis- cussion, car chacun entendait en tirer des conséquences favo- rables à ses idées. Comme la disposition des chap. LXVI, LXVIIT, LXIX, EXX, LXXI, LXXII, LXXIII, LXXIV, LXXIX, LxXXIII et Lxxxv du livre VII est capitale, la traduction de quelques-unes des phrases les plus importantes de ces chapitres demande à être méditée, pour bien déterminer la configuration topographique qu'elles assignent à la montagne de l’oppidum d’Alesia, et pouvoir se rendre compte de la gradation des travaux du blocus, du rapport qui les lie entre eux et avec la forme du terrain. Il ressort, en effet, de l’ordre du récit et de la lettre du texte, les mots techniques étant pris avec leur valeur propre et leur valeur relative, tout autre chose que ce que nous montrent les traducteurs de César. RS Tes Pour se bien rendre compte de la pensée du général romain dans les descriptions topographiques et dans le récit des batailles, il faut absolument en prendre chaque phrase, chaque mot, les considérer, les étudier au point de vue de la science militaire, les suivre à travers le texte des Commentaires de la Guerre des Gaules et des Guerres civiles, et remonter ainsi à la source de leur vrai sens. Nous donnons, dans la traduction partielle qui suit, un résumé de ce genre de travail, que neus ne saurions trop recommander aux chercheurs. C’est une étude nouvelle, consciencieusement faite et fortifiée de l'expérience acquise dans des travaux antérieurs rectifiés. Elle comprend : 4° Les préliminaires de l'investissement commencé dès l’arri- vée de César à Alesia; 2 Le caractère topographique de la montagne de l’oppidum ; 3° La position de l’armée gauloise sous les murs de l’op- pidum ; 4° La position de l'armée romaine sur la circonférence, après les préliminaires de l'investissement ; 5° Le combat de cavalerie livré par les Gaulois dans la plaine de 3,000 pas, dès les préliminaires de l'investissement, et la disposition des troupes dans ce combat ; 6° L'investissement terminé, après le combat de cavalerie, par la construction du rempart tourné contre Alesia et reliant Les camps romains ; T7 La place des défenses accessoires ; 8° La manière dont la contrevallation fut topographique- ment conduite, et la ligne de circonvallation commencée après l’achèvement de la contrevallation ; 99 L'emplacement de la colline extérieure $ 10° La configuration topographique de la colline a septen- trionibus ; 11° La position géographique d'Alesia. ER Lie Préliminaires de l'investissement commencé dés l’arrivée de César à Alesia. CH. LXVIII. « Le lendemain, César campa Altero die ad Alesiam castra près d’Alesia. L’assiette de la ville fecit. Perspecto urbis situ, per- reconnue, et les ennnemis étant territisque hostibus, quod equi- terrifiés de la défaite dela cavale- tatu, qua maxime parte exer- rie, arme sur laquelle ils comp- citus confidebant, erant pulsi, taient le plus comme principale adhortatus ad laborem milites, force de leur armée, le général Alesiam circumvallare insti- romain exhorta les soldats autra- tuit. vail et commenca d'investir Ale- sia. » Camper près d’une place que l’on veut investir ou assiéger, signifie s'établir, se fortifier, dès l’arrivée, en face de la partie accessible, c’est-à-dire du côté le plus faible où sera le front de l'attaque. César ne manquait jamais à ce principe : témoins le blocus de la place des Aduatuques et le siége d’Avaricum. Il paya cher de l’avoir négligé une fois au siége de Gergovia, dans l'obligation où il était de conserver à tout prix l'Allier qui couvrait sa ligne de communication avec Noviodunum, son plus proche dépôt (lib. VIT, c. 1v ). Donc, après avoir choisi pour camper un emplacement conve- nable du côté de la plaine, donnant le plus facile accès vers l'oppidum d’Alesia, César commença l'investissement, selon l'expression circumvallare instituit, qui implique la construction de travaux non interrompus sur toute la circonférence, opération constituant un blocus, car lorsque les travaux ne sont que partiels, le texte repousse l'expression circumoallare, comme au siége d’Avaricum, par exemple : nam circumvallare loci natura prohibebat (lib. VIE, c. xvur ). TT 0 À cet effet, divisant de suite une partie de son armée en plusieurs détachements, il les fit sortir de son camp et les répandit avec rapidité sur toute la circonférence, de manière à occuper les avenues de la place. En arrivant aux postes désignés, ces détachements se mirent d'abord à construire des redoutes ou petits camps sur les points importants des collines du pour- tour, car ils devaient s’y établir solidement avant de commencer à travailler au retranchement principal, ou rempart continu tourné contre la place et destiné à relier les petits camps, afin de mieux intercepter les communications avec l’oppidum. C'est là l’ordre invariablement suivi dans ces sortes d’opéra- tions préliminaires d’un blocus. Tous les ouvrages de fortification anciens et modernes le constatent. Pendant la construction des redoutes, les troupes gardent au loin toutes les avenues: elles se tiennent le jour sur les positions choisies à une certaine distance de la place, dont elles se rapprochent la nuit, ne laissant alors que de petits intervalles entre leurs sentinelles et leurs postes plus nombreux et plus rapprochés, pendant que les positions sont occupées en arrière par les réserves. En outre, souvent la vigilance redouble, comme au blocus de Corfinium : {Cæsar) portas murosque asservari jubet. Ipse iis operibus, quæ facere instituerat, milites disponit, non certis spatiis intermissis, ut erat superiorum dierum consueludo, sed perpeluis vigiliis stationibusque, ut contingant inter se... {De bell. civ., lib. I, c. xxi). Lorsque les redoutes (ou petits camps des détachements) sont terminées sur les collines du pourtour, on commence à con- struire, face à l’ennemi, en un terrain convenable, c’est-à-dire sur la pente tournée vers la place, le rempart circulaire qui doit relier entre eux tous les camps et redoutes. Mais c’est là une opération des plus délicates, qui demande des mesures spéciales. Nous verrons comment César procédait, en présence de l’ennemi, à l'exécution de ce rempart qui, avec tout son accessoire de défenses, constituait la ligne continue dressée contre l'oppidum. “Ab Il est évident qu’on s’en tient toujours à cette première et seule ligne d’un rempart continu tourné contre la place, lorsqu'on n’a à craindre l'ennemi que d'un côté : chez les anciens cela est affirmé par Appien et Polybe ; César lui-même le laisse entre- voir dans le récit de ses sièges. Si l’on apprend que la place bloquée va être secourue, on construit, après avoir fait la première ligne et avant l’arrivée de l’armée de secours, une deuxième ligne, avec un rempart également continu, regardant l'extérieur ; mais on a soin de laisser entre les deux remparts un intervalle nécessaire pour contenir les camps et concentrer les troupes en cas de sortie. La première ligne prend Le nom de contrevailation, et la deuxième celui de circonvallation. Cette gradation logique et naturelle, consacrée par la pratique et la théorie, nous allons voir César la suivre à Alesia, comme il l’a suivie dans toutes ses opérations de blocus et notam- ment à Dyrrachium : Quibus rebus cognitis, Cæsar consilium capit ex locinatura.Erant enim circuin castra Pompeii permulti editi atque asperi colles : hos primum prœsidiis tenuit, castel- laque ibi communiit. Inde, ut loci cujusque natura ferebat, ex castello in castellum perducta munitione, circumovallare Pom- peium instituit (De bell. civ., lib. ILE, c. xuim). Les chapitres suivants (xLiv, xLv et xLvI) sont consacrés aux détails d'exécution de ces perpetuas munitiones perductas ex castellis in proxima castella, qui complètent le circumvoallare. Mais à Alesia, César, avant de parler du rempart continu qui devra terminer l’inves- tissement, en reliant entre eux les castella, dès qu'ils seront terminés sur les collines du pourtour, expose d’abord avec plus de méthode et de détails la topographie du local, la position respective des deux armées et le combat de cavalerie auquel les préliminaires du blocus donnèrent lieu dans la plaine. QU IT. Caractère topographique de la montagne de l'oppidum d'Alesia. CH. LXIX. « L'oppidum même était sur le sommet d’une montagne, en un lieu très élevé, de sorte qu’à moins d’en faire le blocus on ne pouvait s’en emparer; c'était facile à con- cevoir : les racines de cette mon- tagne. deux ruisseaux, des deux côtés, les lavaient par-dessous. Devant cet oppidum, une plaine d'environ 3,000 pas s’étendait en longueur; de tous les autres côtés, des collines, un médiocre espace étant interjeté, espace dont le fai- Ipsum erat oppidum in colle summo, admodum edito loco, ut, nisi obsidione, expugnari non posse videretur : cujus collis radices duo duabus ex partibus flumina subluebant. Ante id oppidum planities, cir- citer millia passuum 111, in lon- gitudinem patebat; reliquis ex omnibus partibus colles, me- diocri interjecto spatio, pari altitudinis fastigio, oppidum cingebant. tage de la profondeur était égal, entouraient l’oppidum. » Le mot collis entraîne plutôt avec lui l’idée d’une montagne avec ses coteaux et ses contreforts que celle d’une colline isolée. Ainsi, pour exprimer que Labienus ne laissa pas de côtoyer toujours l'ennemi sur la droite, par le haut des montagnes, le texte dit : Labienus per jugum summum collis dextrorsus procul (hostem) subsequi non desistit (De bell. Afr., ec. Lxxv); et pour faire comprendre que l’oppidum de Zela est sur le sommet d’une colline isolée, il dit: Tumulus enim naturalis, velut manu factus, excelsiore undique fastigio sustinet murum (De bell. Alex., C. LxxII). Si l’on veut bien saisir les détails de la description topogra- phique du terrain sur lequel vont s'exécuter les travaux du blocus d’Alesia, il faut étudier la topographie de Gergovia, aller au fond de chaque mot, se rendre compte de tout et comparer. St NÉ Le À Gergovia, César emploie synonymiquement les mots urbs et oppidum (c. xxxvi), collis et mons (c. xLvi). Cet urbs ou oppidum de Gergovia était situé sur une très haute montagne dont les pentes et les contreforts, collines et coteaux (c. xxxvi) étaient occupés par les camps très serrés de l’armée gauloise; et comme le mur de l’oppidum se trouvait à 1,200 pas romains (4 kilom. 767 m.) du bas de la montagne {oppidi murus ab pla- nilie atque initio adscensus Mcc passus aberat) (c. xLvi), on voit combien était considérable la superficie de cette montagne, qui devait avoir au moins dix à onze mille pas de base circulaire, pour peu que la surface de la ville ou oppidum eût de 300 à 400 pas de rayon. Ce rayon, en effet, augmenté de 4,200 pas, serait celui de la superficie de la montagne, dont la circonférence ou circuit aurait alors 10 à 14,000 pas romains (passus). À Alesia, l’oppidum lui-même ou urbs était également situé sur le sommet d’une montagne dont les coteaux, destinés, dans les projets du général gaulois, à devenir, comme ceux de Gergovia, un champ de bataille, devaient avoir aussi une très grande superficie. C’est ce que semble indiquer la combinaison des mots collis et locus dans la phrase : Ipsum erat oppidum in colle summo, admodum edito loco ; car elle nous révèle deux choses distinctes : 4° un oppidum couronnant une montagne, colle summo ; 2 un haut plateau, admodum edito loco, sur lequel s’élève la montagne qui porte l'oppidum à son sommet. Le caractère topographique de la montagne d’Alesia comporte donc une idée d’élévation dans tout le vaste espace qu’elle occupe, depuis sa base jusqu'à son sommet. Et, comme conséquence géologique, le caractère des deux rivières qui l'entourent de deux côtés doit réveiller l’idée de profondeur. Cela est ainsi, en effet, car le verbe subluere, qui signifie laver par-dessous, ne saurait s'appliquer qu’à une rivière encaissée; et l’idée de profondeur se trôuve encore corroborée par le mot radices, employé dans ce sens à Vesuntio (lib. I, c. xxxviu) et à Uxellodunum (lib. VIIT, CHsù. Un tel caractère est la meilleure preuve de la force du lieu, 2 PT: constatée par ces mots du ch. Lxix : ut, nisi obsidione, expugnari non posse videretur, dans lesquels l'expression obsidione, qui vient à l'appui du sens attaché au verbe circumvoallare du ch. LxvIIt, suppose généralement une opération ayant pour but de s'emparer par la famine d’un lieu inexpugnable. C’est ce que dit César au ch. xzvir du livre IIT des Guerres civiles : Causa autem obsidionis hæc fere esse consuevit, ut frumento hostes prohibeantur. Pour ce qui est de l’unique plaine, côté faible de l’oppidum, la préposition ante de la phrase : Ante oppidum planities millia passuum xx in longitudinem patebat, en-fixe la place intermé- diaire entre la montagne d’Alesia et le camp que César a tracé dès son arrivée devant l'oppidum, par le rapport de perspective que cette préposition exprime, entre le lieu qu’occupe le narra- teur et la montagne qu'il décrit. De plus, le terme in longitudi- nem en donne la forme, car ce terme, qui marque l’étendue de 3,000 pas de l’un des bouts à l’autre de la plaine, implique une étendue moindre dans les autres sens, puisque longueur se dit des deux extrémités de la surface qui sont les plus éloignées l’une de l’autre, à la différence de largeur. Quant aux collines entourant l'oppidum, la phrase : Reliquis ex omnibus partibus colles, mediocri interjecto spatio, pari altitudinis fastigio oppidum cingebant..……. joue un rôle principal dans la topographie d’Alesia, dont elle précise encore le vrai caractère. : Cet oppidum élait d'autant plus fort que la montagne qui le portait sur son sommet présentait à sa base circulaire, comme obstacle naturel, un ravin très étroit. Le second membre de la phrase citée indique ce genre d’obstacle, c'est-à-dire un médiocre espace existant entre l’op- pidum et les collines de ceinture ; et le troisième membre complète le second en le caractérisant. En effet, altitudo appliqué à un intervalle quelconque entre collines, tel que ruisseau, ravin, vallée, à un fossé ou un trou, veut dire profondeur; d’autre part, le mot fastigium, dont le sens = 19 = propre signifie inclinaison en forme de toit, s’applique aussi bien à une cavité qu'à une éminence. Cette expression technique affecte alors à la cavité la forme d’un toit renversé ; comme le démontrent clairement les trous de loup du ch. zxxtt du livre VIT de la Guerre des Gaules : Scrobes trium in altitudinem pedum fodiebantur, paulatim angustiore ad infimum fastigio, et le fossa fastigata des Romains, ainsi nommé, dit Hygin (c. xzix), « parce qüe les parois, inclinées à partir du niveau du sol, se réunissent en arrivant au fond. » Donc, le pari altitudinis fastigio du mediocri interjecto spatio de la phrase dont nous nous occupons doit être traduite littérale- ment ainsi : « De tous les autres côtés, des collines entouraient l’oppidum, un médiocre espace étant interposé, le faîtage de la profondeur étant égal ; » en d’autres termes : « les deux pentes de ce médiocre espace étant, à partir du niveau du sol également inclinées l’une vers l’autre, jusqu’à leur réunion au plus bas de la profondeur, » comme le fossa fastigata d'Hygin. Voilà le vrai caractère topographique et militaire du circuit d’Alesia. En dehors de la plaine, ce n’est pas même une médiocre vallée, c’est un ravin, une crevasse ayant le caractère d’un large fossa fastigata, au milieu et et au fond duquel est le thalweg d'un ruisseau : cujus collis radices duo duabus ex partibus flumina subluebant; ce qui confirme nos observations anté- rieures à propos des mots radices et subluebant. Les collines de ceinture ne sont point des collines peu éloignées entre elles et de hauteur égale, comme on l’avait toujours supposé, attendu qu'en donnant même à l'expression pari altitudinis fastigio le sens de faîtage appliqué à une éminence, les collines pourraient avoir même faîtage, c’est-à-dire même croupe, ce qui serait assez extraordinaire, sans avoir même hauteur. SSUNES IT. Position de l'armée gauloise sous les murailles dé l’oppidum. CH. LxIx (suite). « Sous les murailles, la partie Sub muro, quæ pars collis de la montagne qui regardait le ad orientem solem spectabat, soleil levant, tout ce lieu les hunc omnem locum copiæ Gal- troupes des Gaulois l’avaient rem- lorum compleverant; fossam- pli, et sur le devant (de la mon- que et maceriam sex in altitu- tagne , partie qui regardait la dinem pedum præduxerant. plaine, pro oppido) elles avaient conduit un fossé et un mur en pierres sèches de six pieds de haut. » Ces dispositions relatives à l'emplacement des troupes gau- loises sous les murailles de Z’oppidum d’Alesia, rappellent celles qui furent prises à Gergovia. On ne saurait trop méditer ces dernières ; les voici : A£ Vercingetorix, castris pro vppido in monte positis, mediocribus circum se intervallis, separatim singularum civitatum copias collocaverat ; atque omnibus ejus jugi collibus occupatis, qua despici poterat, horribilem speciem præbebat (c. xxxvi)... Elles sont complétées par les suivantes : Oppidi murus ab planitie atque initio adscensus, recta regione, si nullus anfractus intercederet Mcc passus aberat. A medio fere colle in longitudinem, ut natura montis ferebat, ex grandibus saxis VI pedum murum, qui nostrorum impetum tardaret, præduxerant Galli; atque, inferiore ommi spatio vacuo relicto, superiorem partem collis usque ad murum oppidi densissimis castris compleverant (c. xLvi). L'expression pro oppido du chapitre xxxvi représente, d’après le texte, le front de la place, c’est-à-dire la partie de la montagne de Gergovia où l’armée gauloise faisait face aux Romains; et, d’après le texte encore, le verbe præduxerant du chapitre xLvI a même signification, à cause de la préposition præ, qui veut dire 2. Bqies devant. Dans l’une et l’autre phrase, il s’agit d'une disposition de défense faite par Vercingétorix sur les coteaux de la montagne (montis ou collis), du côté du front menacé de l'oppidum. A Alesia, les dispositions prises par le même Vercingétorix sur les coteaux de la montagne, du côté du front menacé de la place, qui est le côté de la plaine, étaient identiquement les mêmes que celles faites sur le front de l'oppidum de Gergovia. Cela est indiqué ici encore, d’abord par le même verbe præduxerant de la phrase : fossamque et maceriam præduxerant du chapitre Lxix, et ensuite par la même expression pro oppido de la phrase : copias omnes, quas pro oppido collocaverat, in oppidum recipit du chapitre zxxr1, qu'il faut combiner avec le chapitre Lxix pour avoir une idée nette de la place occupée par une partie de l'armée gauloise sur le versant de la montagne d’Alesia, côté de la plaine où se trouve le vrai et seul terrain d'attaque. Ainsi, à Alesia comme à Gergovia, les troupes gauloises, tenant une large zône de terrain (600 pas romains ou 882 mètres à Gergovia), étaient campées sous la muraille de l’oppidum, en face des Romains. Mais à Alesia, où elles étaient de beaucoup plus nombreuses, elles occupaient en outre le versant de la colline regardant le soleil levant, comme le veut la première partie de la phrase traduite; de sorte que l'oppidum même et l’urbs étaient entourés de l’armée gauloise, protégée au levant, sur ses derrières et sur ses flancs, par le mediocri interjecto spatio pari altitudinis fastigio, et au couchant, sur son front, par un fossé et un mur en pierres sèches, parceque de ce côté de la montagne, qui est celui de la plaine, le ravin protecteur n'existait pas. Que le lecteur se mette un instant par la pensée dans celte plaine, à la place du narrateur, il saisira aussitôt ce détail de perspective d’un montagne s’élevant sur un haut plateau bordé par 3000 pas de plaine, portant sur son sommet un oppidum, sur ses flancs des troupes campées, et présentant à César, qui l'examine de ladite plaine, son versant occidental, tandis qu'elle — 99 — offre aux rayons du soleil levant son versant oriental que ne peut voir le général romain. Alors, il comprendra que les 80,000 Gaulois occupant toute la montagne de l’oppidum, ce qui est naturel, aient voulu protéger les avenues de la place, en établissant un camp extérieur d'infanterie et de cavalerie sur leur front, præœduxerant, c'est-à-dire sur les coteaux couvrant l’'oppidum du côté de la plaine, seul terrain propre à la cava- lerie, où était l’unique et véritable front d’Alesia, face aux Romains campés vis-à-vis, ante oppidum : dispositions mili- taires tout-à fait rationnelles, très habiles, vu l’état des lieux, et justifiées par la suite du récit. IV. Position de l’armée romaine sur la circonference après les préliminaires de l'investissement, CH. LxIx (suite). « De cet investissement que les Ejus munitionis, quæ ab Ro- Romains avaient commencé, la manis instituebatur, circuitus base circulaire tenait 11,000 pas. x1 millia passuum tenebat. Cas- Les retranchements étaient placés traopportunislociserant posita; en des lieux favorables, et là (en ibique castella xx111 facta. In ces lieux) 23 petits camps (redou- quibus castellis interdiu statio- tes) étaient en voie d'exécution. nes disponebantur, ne qua su- Dans ces petits camps, pendant le bito irruptio fieret. Hæc eadem jour, des grand’'gardes étaient noctu excubitoribus ac firmis posées, de peur de quelque sortie præsidiis tenebantur. subite. Ces mêmes petits camps étaient gardés la nuit, en dehors, par de petits postes, et au dedans par de fortes garnisons. » Depuis que l'investissement est commencé, d’après la fin du chapitre Lxvnr (Alesiam circumvallare instituit), la position des troupes romaines autour d’Alesia est celle-ci : La force principale occupe dans la plaine, ante oppidum, le camp du FT egee chapitre Lxvrrr que César a établi dès son arrivée devant Alesia, ad Alesiam castra fecit, camp qui fait face, parconséquent, au mur en pierres sèches que les Gaulois ont fait sur leur front, præduxerant. Le reste des troupes, divisé en détachements, est répandu sur les collines qui, de tous les autres côtés, ceignent la montagne de l’oppidum. Ces détachements se trouvent être protégés de tous ces côtés, contre les Gaulois campés sur le versant oriental de la montagne de l’oppidum, par le mediocri interjecto spatio pari altitudinis fastigio, qui sert de circuit concurremment avec les 3,000 pas de la plaine. Grâce à la sérieuse protection d’un tel obstacle, espèce de fossé naturel, qui règne au pied de la montagne de l’oppidum, partout excepté du côté de la plaine, les détachements commencent avec sécurité les premiers travaux de l’investissement. Ces premiers travaux sont naturellement, d’après les principes que nous avons exposés dans les préliminaires du blocus, ceux que nécessite la confection des petits camps {castella), dont les remparts et les fossés doivent d’abord abriter les détachements. En effet, ce qui était commencé, selon l'imparfait instituebatur, temps qui a trait au moment où l'investissement est mis à exécution, ce n’est pas le circuilus de l'investissement, c’est le munitio, puisque le texte dit quæ instituebatur, quæ se rapportant à munitio et non à circuitus qui est du genre masculin Or, cette fortification {munitio) commencée, quelle est-elle ? C’est celle des 23 castella, par la construction desquels commence toujours l'investissement. Les voilà donc en voie d’exécution ces castella : facta, comme dit le texte, et non perfecta ; et ils s’exécutent sur une base circulaire qui a 11,000 pas de dévelop- pement. Mais où est la base circulaire ou circuitus de cet investissement commencé par l'établissement des castella ? Elle est naturel- lement dans la plaine de 3,000 pas et dans le mediocri interjecto spalio pari altitudinis fastigio, qui délimitent la montagne de l'oppidum. En effet, César appelle toujours circuitus oppidi la vallée de ceinture qui sert de base et de défense naturelle a is à la montagne de l’oppidum, comme, par exemple, chez les Aduatuques : Sua omnia in unum oppidum egregie natura munitum contulerunt; quod, quum ex omnibus in circuitu partibus altissimas rupes despectusque haberet, etc. (lib. IT, c. xxix). Or, si l’on considère cette même vallée de ceinture par rapport aux collines environnantes, sur le sommet des- quelles se font les premiers travaux d'investissement {castella) dressés contre l’oppidum, cette vallée sera alors tout naturel- lement le circuitus de ces travaux commencés sur lesdites collines, circuitus munitionis quæ ab Romanis instituebatur, parce qu'elle servira aussi de base et de défense naturelle à l’assiégeant contre l’assiégé. Là se trouvent, en même temps, à l’opposite l’un de l’autre et face à face, le périmètre des travaux de l'oppidum et le périmètre des travaux du blocus. Cela est exprimé plusieurs fois par César, notamment lorsqu'il dit à propos de l'investissement d'Uxellodunum : Vallum in circuitu oppidi ducere instituit (lib. VIII, c. xxx), et de celui d’Ulia : Castellis idoneis locis collocatis, operibusque in circuitu oppidi continuatis, Uliam munitionibus clausit (De bell. Alex., €. zxt). Ainsi, l'expression circuilus munitionis du chapitre Lxix a une autre portée que celle que lui ont donnée les commentateurs. Ce circuitus munitionis, ou base circulaire de l'investissement commencé, et auquel le texte attribue 11,000 pas de dévelop- pement, n’est vraiment autre que le circuit ou base circulaire de la montagne d’Alesia. A tort donc on a toujours voulu attribuer les 11,000 pas au rempart reliant les castella et tourné contre la place. Là est la source de toutes les erreurs, venues de l’oubli des principes et de la fausse interprétation d’un mot technique. De ce rempart 1l n'est point encore question; ce n’est que plus tard que le texte en parlera au chapitre zxxrr. Le supposer déjà construit, serait renverser l'ordre naturel des travaux et des faits, et mettre dans la lettre du texte une impossibilité absolue qui, certes, n'y est point. On ne peut même pas dire que le rempart de l’inves- tissement soit à cette heure commencé sur une seule partie de la UE circonférence. Comment alors en calculer le développement ? Ce calcul, au contraire, est facile à faire pour le circuit palpable et visible de la montagne de l’oppidum. En conséquence, le circuitus de la montagne d’Alesia doit avoir, comme la base circulaire des travaux du blocus, 3,000 pas de plaine, plus 8,000 pas de mediocri interjecto spatio pari altitudinis fastigio; total: 41,000 pas. C'est sur les points importants du dehors de cet immense circuit que seront bientôt établis les travaux multiples destinés à investir Alesia, travaux dont les premiers construits ne sauraient être autres que les retranchements du grand camp et ceux des 23 petits camps ou castella, dont quelques-uns contiennent jusqu’à 4 cohortes (c. Lxxxvit). Le mot retranchements, au pluriel, rend très bien le terme castra de la phrase : Castra opportunis locis erant posita. Ce terme est toujours employé par César pour désigner les empla- cements fortifiés par un fossé et un rempart ordinaires, et même lorsqu'il s'agit d’un simple rempart et d'un simple fossé de contrevallation : Zunatis castris Thapsum (ville maritime) circummunivit. Combiné avec l'expression opportunis locis, au pluriel, avec le mot ibique, qui commence la phrase suivante, il comprend le grand camp de la plaine, dont le rempart et le fossé ont été terminés dès l’arrivée, avant la reconnaissance de la place, et les petits camps du pourtour, dont les fossés et les remparts sont en voie d'exécution, depuis que l'investissement est commencé. Les uns et les autres sont tracés, d’après les principes généraux de la castramétation, en des lieux favorables, opportunis locis, afin que leurs retranchements ne soient ni dominés ni enveloppés, si ce n’est hors de la portée du trait, et que le terrain, fortifié comme à Dyrrachium (ut loci cujusque natura ferebat), en raison des obstacles naturels qu’il présente, tels que rochers, ravins, ruisseaux, soit également propre à la défensive et à l'offensive. Quant aux précautions prises pour garder les retranchements de l'investissement commencé, elles sont très bien indiquées, quoique MS très sommairement, par les mots sfationes, excubitoribus et firmis prœsidüs, grand'gardes, avant-postes, sentinelles et. vedettes placées à des distances variables, selon le jour ou la nuit et d’après les localités, afin que les approches des castella soient bien couverts et les avenues de la place bien observées. César usa des mêmes précautions à Atègue dès le commencement du blocus: Præsidii causa, Cœsar complura castella occupawit, partim ubi equitatus, partim ubi pedestris copia in statione et in excubitu castris præsidio esse possent (De bell. Hisp., C. vi). De pareilles mesures préliminaires entrent dans le service des avant-postes, qui était admirablement organisé dans les armées romaines. Nous pourrions citer des milliers d'exemples où les mots s{atio, excubitus, prœsidium indiquent ce genre de service : Turmæ equitum, quæ pro vallo in stationibus esse solebant...… (De bell, Afr , ©. xxx). On le voit, les dispostions militaires de César à Alesia n'étaient ni moins habiles ni moins prudentes que celles de Vercingétorix. Instruit par la rude défaite qu'il avait éprouvée à Gergovie, pour avoir voulu attaquer de vive force les Gaulois dans une position imexpugnable comme celle-ci, il s’est décidé à les bloquer, circumvallare, c'est-à-dire à les combattre par la famine; et, pour l'exécution de ses plans, il à su profiter de l’état des localités, en retournant contre son adversaire tous les avantages topographiques du terrain. Brusquement il a renversé les rôles, car Vercingétorix va être obligé maintenant d'attaquer des positions que la nature des lieux rend très fortes : ne doit-il pas, en effet, essayer d’abord de maintenir ses commu- nications avec l’extérieur, et puis empêcher du moins les Romains de fortifier à temps par la science ces mêmes positions qui l'entourent ? Me au LE Combat de cavalerie livré dans la plaine de 3,000 pas, dès que l'investissement est commencé, et disposition des troupes dans ce combat. CH. LXX. « Le travail commencé, il se fit un combat de cavalerie dans cette plaine entrecoupée de collines, longue de 3,000 pas, comme nous l'avons dit précédemment. Les nôtres souffrant beaucoup, César envoie secrètement les Germains à leur secours et place des légions à la tête du camp, de peur que quelque sortie ne soit faite par l'infanterie gauloise... Les Ger- mains poussent avec plus d’achar- nement les Gaulois jusqu’à leurs fortifications (fossé et mur en pierres sèches)... César ordonne de porter un peu en avant les lé- gions qu'il avait placées à la tête du camp... Plusieurs Gaulois effrayés se précipitent dans l’oppi- dum. Vercingétorix ordonne de fermer les portes, de peur que le camp ne soit abandonné. » Opere instituto, fit equestre prælium in ea planitie, quam intermissam collibus 111 mil- lium passuum in longitudinem patere supra demonstravimus. Laborantibus nostris, Cæsar Germanos submittit, legiones- que pro castris constituit, ne qua subito irruptio ab hostium pedidatu flat is. rss, Germani acrius usque ad mu- nitiones sequuntur......... Paulum legiones Cæsar, quas pro vallo constituerat, promo- nil dE POMPES S LAS Nonnulli perterriti in oppidum irrumpunt. Vercingetorix jubet portas claudi, ne castra nu- dentur. Le mot opere, qui se présente ici pour la première fois dans le récit, et l’ablatif absolu instituto, marquent comme le moment où le premier coup de pioche a été donné pour la mise à exécution des petits camps {castella), par lesquels commence l’inves- tissement (!). () Malheureusement, beaucoup de commentateurs ont traduit opere instilulo par le travail étant terminé, au lieu de commencé. Cette grave erreur a porté de suite dans la question une difficulté inextricable. Ce n’est =. DS Ainsi, dès que Vercingétorix vit que César, au lieu de l’attaquer de front, comme à Gergovia, voulait l'investir, il laissa les Romains s’éparpiller sur la vaste circontérence; et, lorsqu'ils eurent commencé les petits camps, il les fit aussitôt assaillir dans la plaire par la cavalerie, qui campait avec de l'infanterie de ce côté de l’oppidum. Son but était de conserver la plaine, qui le reliait avec l'extérieur et servait de rayon d'activité à sa cavalerie. Une telle conduite, indiquée par le texte, est rationnelle; toute autre ne le serait pas et serait indigne de celui qui déploya tant de bravoure, de zèle et d'intelligence dans la défense de son pays. Il avait un but semblable à Gergovia, lors- qu'il conservait la partie de la montagne qui donnait une com- munication facile, aditus, avec l'extérieur et lui permettait d'aller au fourrage, exitu et pabulatione (lib. VIF, c. xziv). Cette plaine de 3,000 pas, dont la forme est d’être plus longue que large, offre encore une particularité topographique impor- tante : elle est interrompue dans sa superficie par des collines, intermissa collibus, c’est-à-dire qu’elle en est parsemée. Assuré- ment, le camp d’où César fit sortir les légions disponibles pour les ranger sur son front, pro castris, afin d'appuyer sa cavalerie engagée contre celle des Gaulois, se trouvait assis sur quelques- point la faute de l’auteur des Commentaires de la Guerre des Gaules, qui emploie toujours le verbe inslituere pour marquer le commencement d'une action, et notamment les premiers travaux dans un blocus. J'en montre la preuve dans la phrase décisive : Poslero die munitiones inslitutas Cæsar parat perficere (De bell. civ., lib. 1, c. LxxxIn). Il s’agit du blocus de la position occupée par Afranius et Petreius. Le but que se propose César et la gradation des travaux de l'investissement y sont les mêmes qu'à Alesia. Au chapitre Lxxx11, comme déjà le troisième jour les travaux de César sont fort avancés (tertio die magna jam pars operis Cæsaris processerat), Afranius et Petreius rangent leurs troupes en bataille devant leur camp, pour interrompre les travaux d'investissement, impediendæ rei causa. Au chapitre Lxxxu1, le quatrième jour, César tra- vaille à compléter le blocus, en achevant les fortifications qu'il avait com- mencées : Postero die muniliones institutas Cœsar parat perficere. Au cha- pitre Lxxxv, Afranius et Petreius, se voyant entièrement bloqués, selon l'expression consacrée obsessi, demandent à capituler. ET 2 unes de ces collines, position militaire habituelle dans ces circon- stances, où l’armée assiégeante, obligée de se partager en plusieurs corps sur la circonférence, doit nécessairement occuper des positions fortes. Et vu la topographie particulière de la plaine, le général romain put faire exécuter à la cavalerie germaine la manœuvre imprévue qu'exprime le verbe submittere (envoyer secrètement). Cette manœuvre, qui arrêta brusquement les progrès des Gaulois surpris par elle, ne se comprendrait pas dans une plaine unie. Tandis que la cavalerie battue se réfugiait dans le camp exté- rieur, dont les portes devenaient trop étroites, angustioribus portis, et non dans la ville, parce que celle-ci était plus éloi- gnée et parce que le camp, placé sur le devant, en fermait le passage, quelques uns de ceux préposés à la garde de ce camp, fortement émus par l’événement, s’enfuirent, au contraire, natu- rellement dans la ville (oppidum), qui était tout près derrière eux. C'est alors que Vercingétorix fit fermer les portes d’Alesia, de peur que le camp ne fût abandonné par l'infanterie chargée de le défendre. Ces divers incidents concordent avec la position d’une partie des troupes romaines et d’une partie des troupes gauloises campées devant l’oppidum, du côté de la plaine, comme le veulent les ch. Lxix (ante oppidum) et Lxx ( pro oppido). Ils s'expliquent d’ailleurs très bien au point de vue militaire : une situation différente rendrait inintelligibles les détails tactiques de ce combat de cavalerie. CH. LXXI. « Vercingétorix, avant que les fortifications soient achevées, Vercingetuorix, priusquam munitiones ab Romanis perfi- prend la résolution de renvoyer toute sa cavalerie pendant la nuit. Après avoir donné ses instructions , il renvoie sans bruit sa Cavalerie, vers la seconde veille, par l'endroit où le travail de l’in- vestissement était interrompu... ciantur, consilium capit, om- nem a se equitatum noctu di- NOT En Re AU His datis mandatis, qua erat nostrum opus intermissum, secunda vi- gilia, silentio equitatum dimit- beat at Copias omnes, quas HORS Toutes les troupes qu’il pro oppido collocaverat, in avait placées devant l’oppidum (sur oppidum recipit. son front), il les fait rentrer dans l’oppidum. » Le combat de cavalerie, livré dès le commencement du blocus par les troupes gauloises campées devant l’oppidum, avait eu pour but évident d'empêcher César de compléter par des castellum, faits du côté de la plaine, l'investissement commencé sans difficulté sur les autres côtés du pourtour, grâce au mediocri interjecto spatio pari altitudinis fastigio, qui là protégeait si bien les Romains contre les sorties. L’issue malheureuse de ce combat laissait entrevoir qu'il serait impossible à la cavalerie gauloise de se maintenir dans la plaine et de s'opposer, même de ce côté, à la marche régulière des travaux. Par conséquent, on ne pou- vait espérer d'empêcher les Romains d’y faire des castellum et de les relier ensuite entre eux et avec le camp de la plaine, par un rempart continu : opération qui devait avoir pour résultat de compléter l’investissement, et d'enlever ainsi à la cavalerie, dé- sormais inutile, tout espoir de s'échapper par cette plaine, seul passage conservé en face des Romains, parce qu'il était le seul qui lui fût convenable sur tout le circuit de l’oppidum, et resté ouvert devant cette place, puisqu’aucun travail n’avait encore pu, à cause de sa présence, être commencé de ce côté : qua erat nostrum opus intermissum. Après le départ de la cavalerie, le camp gaulois établi vers la plaine, sur le front de l’oppidum (pro oppido), avec un mur de pierres sèches, fut naturellement abandonné. Ensuite toutes les troupes d'infanterie qui, de ce côté, servaient de soutien à la ca- valerie, dont elles avaient certainement facilité, par leur pré- sence, le secret départ, rentrèrent dans la place. Il n’est pas ici question des troupes qui occupaient tout l’autre versant de la colline, du côté du soleil levant: bien défendues par le mediocri interjecto spatio pari altiludinis fastigio, qui leur valait mieux qu'un fossé et qu’un mur en pierres sèches, elles durent garder leur position très forte de ce côté de l’oppidum. Notre raisonne- hante ment, suscité par la topographie du local telle que l'indique le chapitre Lxix, trouve sa justification dans la phrase du chapi- tre LXXXIV, ainsi conçue : Vercingetorix ex arce Alesiæ suos con- spicatus, ex oppido egreditur ; e castris longurios, musculos, falces, reliquaque, quæ eruptionis causa paraverat, profert. Cette phrase, en effet, qui prouve que l’oppidum d’Alesia avait une citadelle d’où le regard plongeait de très près sur la plaine, nous démontre, par le terme e castris, qu'après l'évacuation du camp de devant la ville, Vercingétorix avait conservé un autre camp hors de l’oppidum. Il y avait donc sous les murailles de l'oppidum des camps de deux côtés, comme le veut l’interpréta- tion litlérale du chapitre Lxix. Le camp extérieur conservé ne saurait être autre que celui placé sur le versant de la montagne qui regardait du côté du soleil levant, puisque celui placé devant l'oppidum a été évacué. Au surplus, c’est vers ces côtés, et non vers la plaine, que sont les prærupta loca dont il s’agit dans cette circonstance. Il est donc naturel que, pour aller attaquer là exceptionnellement les pentes raides, sur lesquelles circule le rempart de la contrevallation, le général gaulois ait préparé dans ce camp même, plus rapproché du point d'attaque, et qu'il en sorte tout ce qu'il lui faut pour l'assaut projeté. VL. Investissement terminé par la construction du rempart tourné contre la place et reliant les camps. CH. LXXII. « Instruit de ces détails par les Quibus rebus cognitis ex per- transfuges et les captifs, César fugis et captivis, Gæsar hæc commença à faire les espèces de genera munitionis instituit. fortifications que voici. Il creusa Fossam pedum xx latam direc- à talus droit un fossé large de 20 tis lateribus duxit.... Reliquas pieds ; toutes les autres fortifica- omnes munitiones ab ea fossa tions, il les conduisit en arrière, {passibus] cp reduxit : id hoc BEST | VER à 400 pas de ce fossé. En agissant ainsi, son but était, puisqu'il avait embrassé par nécessité un si grand espace, et puisqu'il ne pouvait fa- cilement garnir de troupes tous les points de la circonférence des travaux, d'empêcher du moins les ennemis de venir à l’improviste, soit la nuit fondre sur les fortifi- cations, soit le jour inquiéter les travailleurs en leur lançant des traits. Après avoir laissé ces 400 pas d'intervalle, il mena deux fos- sés larges de 15 pieds et d’une pro- fondeur égale. De ces deux fossés, il remplit celui intérieur de l’eau dérivée de l’un des ruisseaux dans la campagne et dans les lieux bas. Derrière ces fossés, il éleva un rempart et un parapet de 12 pieds PE: € et à toute la circonférence de ce rempart il donna des tours qui étaient également distantes de 80 pieds d’un centre à l’autre. » consilio (quoniam tantum esset necessario spatium complexus, nec facile totum opus militum corona cingeretur) ne de im- proviso, aut noctu ad munitio- nes hostium multitudo advola- ret, aut interdiu tela innostros operi destinatos conjicere pos- sent. Hoc intermisso spatio, duas fossas xv pedes latas, ea- dem altitudine, perduxit : qua- rum interiorem campestribus ac demissis locis, aqua ex flu- mine derivata, complevit. Post eas aggerem et vallum x11 pe- dum exstruxit.. ? et turres toto Mnêre de dit, quæ pedes Lxxx inter se distarent. Le départ de la cavalerie gauloise facilitait l'exécution du rempart circulaire, forme voulue par les termes : {urres toto opere circumdedit, rempart non encore commencé contre la place; et la nouvelle d'une demande de secours faite par Vercingétorix à la Gaule entière, rendait ce travail immédiatement nécessaire, car il faudrait bientôt se fortifier aussi contre l’ennemi extérieur. Mais la construction de ce rempart, en présence d’un ennemi nombreux, intelligent, brave et actif, était une opération extré- mement délicate, qui exigeait les plus sages précautions et ne pouvait être faite qu’à son heure. Voici quelles furent les dispositions prises par César, dans une circonstance moins grave, qui a quelque analogie avec celle qui nous occupe : LAS LS SE « Afranius était posé sur une montagne. César, voyant qu'il refusait le combat, résolut de camper à 400 pas de la montagne, et, pour se retrancher sans être interrompu par une attaque brus- que faite contre ses travailleurs, 1] fit tirer sur son front un fossé large de 45 pieds, avec ordre de ne pas élever de rempart, dont l'aspect aurait donné l'éveil à son adversaire. Il s’y prit de la manière suivante : son armée était rangée sur trois lignes face à l'ennemi; pendant que la première et la deuxième ligne restaient sous les armes dans l’ordre habituel, derrière elles la troisième ligne creusait secrètement le fossé. Ce travail fut ainsi terminé avant qu'Afranius ait pu s’en apercevoir et y mettre obstacle. Le soir venu, César se retira avec ses légions derrière ce fossé, de 45 pieds et passa toute La nuit sous les armes. Le lendemain, il maintint une partie de son armée en bataille derrière le fossé, et continua de se fortifier en arrière et sur les flancs. Vainement Afranius descendit alors jusqu'au pied de la montagne pour effrayer les soldats et interrompre le travail, César le fit toujours continuer, rassuré par l'appui de trois légions sous les armes et par l'obstacle que présentait sur son front le fossé de 15 pieds derrière lequel ses légions étaient en bataille. » (De bell. civ., lib. I, c. xzi et xzn). ; Devant Arioviste, César procéda à peu près de la même ma- nière (lib. [, c. xuix). À Alesia, il dut agir avec plus de pru- dence encore, attendu qu’il était en présence d’une infanterie intacte, dont il avait battu la cavalerie, il est vrai, mais dont il avait éprouvé naguère la vigueur à Gergovia, et qui était ici de beaucoup plus nombreuse que la sienne. L’assiette des lieux lui venait puissamment en aide, et il n’était pas assez inhabile pour négliger de tels avantages. Sur tout le circuitus de la montagne de l’oppidum, excepté du côté de la plaine de 3,000 pas, il avait à sa disposition, pour le protéger contre les sorties, un fossé naturel, qui était le mediocri inter- jecto spatio pari altitudinis fastigio du chapitre Lxix. Voulant s'assurer partout une semblable protection, que lui restait-il à faire? Continuer tout simplement, en creusant un obstacle arti- 3 ER ae ficiel dans la plaine de 3,000 pas, près de la montagne de l'oppi- dum, et d'une extrémité à l’autre du mediocri interjecto spatio, le fossé naturel qui lui apportait ailleurs une défense efficace. Donc, à Alesia, agissant du côté de la plaine comme devant la montagne qu'occupait Afranius, César y rangea en bataille ce qu'il avait de troupes disposibles, avec toutes les machines de jet, et fit un fossé de 20 pieds à talus droit. Il opéra, sans doute, non pas comme dans une tranchée de siége, mais en éparpillant les terres de l’excavation et les employant à remplir les creux et fondrières qui, plus tard, auraient pu servir aux d’abri Gaulois et favoriser leur approche. Mais, comme le pied de la montagne était à une faible distance du mur de l’oppidum, derrière lequel se trouvaient maintenant les Gaulois du camp évacué de la plaine, on peut encore supposer que, pour faire le fossé de 20 pieds, César procéda par la force et non par la ruse. Dans ce cas, il prit des précautions analogues à celles-ci : Crates contra hostem proferri et adversas locari; intra has fossam, tectis militibus, obduci jussit (De bell. civ., lib. ITF, c. xzvi). Au reste, il devra toujours agir de la sorte, par la suite, lorsqu'il s'agira de recreu- ser le fossé de 20 pieds, comblé par les Gaulois après une sortie. Les fouilles résoudront ce côté tactique de la question, en mon- trant dans les tranchées une terre noirâtre, mélangée de char- bons, de fascines et de débris de grands vases, lancés de l’oppidum d’Alesia pour incendier les claies protectrices. Le fossé de 20 pieds terminé, le général romain maintint ses troupes derrière cet obstacle, et fit creuser les deux fossés de 45 pieds, qu'il traça à 400 pas en arrière de celui de 20 pieds. Cet espace de 400 pas, réservé en arrière du fossé de 20 pieds, lui était indispensable, en avant des travailleurs, pour l’établis- sement de son ordre de bataille, puisque son armée, rangée sur trois lignes, occupait ordinairement 133 pas ou 186 mètres de profondeur {De bell. civ., lib. I, ch. Lxxxu). Ajoutez à ces 133 pas le terrain occupé en avant par les troupes légères qui bordaient le fossé de 20 pieds, ajoutez-y aussi le terrain occupé ne Te en arrière pour la réserve, vous aurez l’espace indispensable de 400 pas, espace que les commentateurs, ignorant les exigences tactiques, ont fixé à 400 pieds ou 148 mètres, au lieu de 400 pas ou 590 mètres. Vainement, comme Afranius, Vercingétorix descendit jusqu’à la contrescarpe du fossé de 20 pieds, pour épouvanter les travail- leurs et interrompre le creusage des deux fossés de 15 pieds. César le fit continuer sans interruption, plein de confiance dans les troupes qui étaient sous les armes et en l'obstacle que pré- sentait sur son front le large fossé de 20 pieds. C’est ainsi que purent être faits les deux fossés de 15 pieds, en arrière et sous la protection desquels devait s'élever le rempart circulaire des- tiné à relier les camps. Pour mener ensuite à bonne fin ce travail principal et si difficile du rempart, César usa de précautions analogues. Les troupes légères et la cavalerie {cohortes in statione habebat propter hostium multitudinem (De bell. Afr., ©. xx1) — turmeæ equilum quæ pro vallo in stationibus esse solebant (De bell., Afr., €. xxix) occupèrent l’espace de 400 pas laissé entre le fossé de 20 pieds et les deux fossés de 45 pieds, et le reste des troupes disposibles fut rangé, selon l'habitude en pareille cir- constance, sur une seule ligne de bataille derrière les deux fossés de 45 pieds terminés. De cette manière, les travailleurs purent apporter, préparer les matériaux et construire le rempart avec sécurité. Les Gaulois, en effet, retardés par le fossé de 20 pieds que défendaient les troupes légères, surveillés, combattus dans l'espace de 400 pas par les troupes de soutien, et arrêtés enfin par les deux fossés de 15 pieds, qu’il fallait franchir sous les traits des troupes rangées en bataille à quelques pas de l’escarpe, ne pouvaient, conformément à la lettre du texte, ni prendre les Ro- mains au dépourvu ni venir lancer des traits aux travailleurs. Cette disposition tactique, qui consistait à établir la force principale des troupes de soutien en arrière des deux fossés de 15 pieds pendant la confection du rempart, était conforme à l'usage toujours observé de placer le reste de l’armée sur le front, NET Sr en avant des travailleurs, toutes les fois qu’on se fortifiait en présence de l'ennemi : Perfecit inceptum castrorum opus Do- mitius, parte copiarum pro vallo instituta (De bell. Alex., c. xxxvI1). Au surplus, pour faire le rempart, on ne pouvait agir autrement dans la plaine d’Alesia, car ranger la force prin- cipal dans l’espace de 400 pas, en avant des deux fossés de 15 pieds achevés, c'eût été tout compromettre, en s’exposant à livrer bataille avec les deux fossés à dos, et sans pouvoir tirer aucune protection du rempart non encore terminé ni armé. Du reste, cette manière logique de placer les troupes en arrière des deux fossés de 15 pieds, et en avant des travailleurs, est implicitement contenue dans la phrase : Post eas (fossas) aggerem et vallum xn pedum exstruxit. En effet, la préposition post, employée exceptionnellement ici pour marquer la place du rempart derrière les fossés, a toujours dans les Commentaires de César une valeur de circonstance, comme par exemple dans la phrase : Post hos opus in occulto acies tertra faciebat (De bell. civ., lib. I, c. xu), où le mot post indique la distance réglementaire existant entre les deux premières lignes et le fossé creusé, opus; et daus cette autre phrase : Post hunc ordinem reliquas naves subsidio distribuit (De bell. Alex., ©. xiv), où les navires en seconde ligne sont à une distance tactique conve- nable de ceux de la première ligne qu'ils doivent soutenir. Nous pourrions encore citer la phrase : Deinde in ordinem elephantos constituit; post illos aciem suam instruxit (De bell. Afr.,. c. xxvu), ainsi que les mots post montem du chapitre Lxxxmr et post tergum du chapitre zxxx1v du livre VIF. Dans la circonstance qui nous occupe et dans laquelle les troupes, rangées sur une seule ligne, sont protégées, en tête, par les deux fossés de 45 pieds, la distance convenable pour le rem- part fait en arrière des deux fossés, dont il devra défendre le passage, doit être celle de la portée des traits de rempart; et remarquons qu’à une telle distance les fossés seront plus difficiles à franchir que s'ils étaient tout contre le talus de ce rempart, haut de 42 pieds et garni de tours à deux étages, comme chez les AR: PUR Belloyaques, afin de donner plus de portée aux traits : U£ hostis a duplici fossa propugnatorum ordine defenderetur. ... . .\ . hoc audacius longiusque tela permitteret (lib. VIE, C. IX). Telles furent les mesures pleines de sagesse par lesquelles César procéda au tracé du rempart tourné contre la place, par- tout où le mediocri interjecto spatio pari altitudinis fastigio n'existait pas. Mais là où cet obstacle naturel protégeait les troupes contre les sorties, l'opération fut plus simple et plus facile. Il faut en chercher les dispositions dans les suivantes, que prit César en présence de Pharnace, roi de Pont : « Le lieu à fortifier était séparé de l'ennemi par une vallée large d'un millier de pas, dont les pentes étaient brusquement coupées. Pharnace sortit de son camp pour s'opposer aux tra- vaux. Mais César, protégé sur son front par la vallée, d’un accès plus difficile aux yeux d’un homme sage que tous les fossés imaginables , continua l'ouvrage sans s'effrayer, après avoir rangé les troupes de la première ligne à la tête du retranchement en voie d'exécution et face à la vallée. » ({ De bell. Alex., C. LXXIIT, LXXIV.) A Alesia, partout excepté du côté de la plaine, il y avait, comme au royaume de Pont, une médiocre vallée entre les deux armées. Et César estima que le mediocri interjecto spatio pari altitudinis fastigio d’Alesia, qui n’était pas même une vallée d'un millier de pas, dont les pentes étaient brusquement coupées, puisque leur partie basse devait former le fossa fastigata d'Hygin, était un obstacle infranchissable où jamais homme sage n’oserait l’attaquer : Que in locum nemo sanus hostis subiturus esset (De bell. Alex., ©. Lxx1v). En conséquence, considérant comme fossé de 20 pieds le lit de l’un des deux ruisseaux de ceinture, qui coulait nécessairement dans le médiocre espace constituant une partie du circuit de l’oppidum , et comme contrescarpe du double fossé de 45 pieds la contrescarpe rocheuse de ce médiocre espace, de tous ces côtés, il fit élever le rempart à portée de trait seulement de ce large fossé naturel, laissant ainsi un terrain ee ER suffisant pour y ranger, selon l'habitude, une ligne de troupes à la tête du retranchement en voie d'exécution et face à Alesia. Cette manière réglementaire et simple de mettre partout à profit la nature du terrain, abrégea considérablement les travaux de la contrevallation et rendit leur exécution plus facile sur toute la circonférence, c’est-à-dire sur la pente des collines qui for- maient à l'extérieur le circuit de la montagne d’Alesia. D’après cette règle, César renfermait toujours d'autant plus volontiers l'ennemi dans une ligne non interrompue, que le terra s’y prêtait davantage par sa nature défensive. Chez les Aduatuques, par exemple (lib. IT, c. xxix, xxx, xxx), où le circuit de l’oppidum était marqué par des rochers abruptes : cum ex omni- bus in cirouitu partibus altissimas rupes despectusque haberet, il ne manque pas, utilisant la nature des lieux, d’enclore les Gaulois dans un rempart circulaire continu : Postea, vallo pedum x11, in circuitu xv millium, crebrisque castellis circum- muniti (Aduatuci),-oppido sese continebant. Ainsi s'explique à Alesia, par le côté technique de la guerre et par la topographie du local, telle que le texte la donne, l'entière réalisation de ce fossé large de 20 pieds, de ces deux fossés de 15 pieds et de ce rempart haut de 12 pieds dans tout le circuit de la montagne de l'oppidum, travaux auxquels l'imagination refuse d’ajouter foi, sur un terrain qui serait dépourvu du mediocri interjecto spatio pari altitudinis fastigio. Cette gradation admirable dans la concision lumineuse du texte, cet ordre, dont nous avons déduit les prudentes dispositions militaires prises pour l'exécution du rempart dressé contre les assiégés, répond aux éternelles exigences de l’art de la guerre, à l’idée qu’on se fait de l’habileté de César, de l'intelligence de Vercingétor'x contre laquelle 1l fallait se prémunir, et de la bravoure proverbiale des Gaulois ; et, en même temps, elle consacre d’une manière définitive la version 400 pas, pour ce qui est de l'intervalle laissé entre le fossé de 20 pieds et Le double fossé de 15 pieds. Renversez cet ordre, comme l'ont fait presque tous les commentateurs : élevez d’abord le rempart, placez les RER ven deux fossés de 15 pieds tout contre son talus, adoptez la version 400 pieds ou 4118 mètres, au lieu de 400 pas ou 590 mètres, pour l'intervalle qui doit séparer ces deux fossés de celui de 20 pieds, vous rendez aussitôt l’opération d’une exécution impossible en présence d'un ennemi sérieux. Et, en admettant cette opération impossible menée à bonne fin, vous faites ensuite, faute d'espace suffisant réservé sur le front, commencer par le rempart la défense des lignes romaines ; vous fermez toute communication sur le dehors; vous supprimez le rayon d'activité en avant du rempart; vous tombez dans un système combattu par les seuls vrais prin- cipes, ‘car une défense qui exclut l'offensive et se borne à des combats de front, n’est bonne dans aucune circonstance. Certes, ce n’est pas là le système édicté par le texte des Com- mentaires de César. Nous pourrions montrer, par des milliers d'exemples pris dans les Commentaires de la guerre des Gaules et de la guerre civile, que, quelle que fût son infériorité numé- rique, César fit hors de ses retranchements des retours offensifs, profitant du désordre qu’occasionne toujours chez l’assaillant une attaque d'assaut. Il dut à cette manœuvre des succès décisifs. À Alesia, pour agir d’après ces principes, il fallait qu'il se fût ménagé un champ de bataille toujours avantageux, en avant du rempart des lignes. Ce champ de bataille était l’espace de 400 pas, limité du côté de l'ennemi par le fossé de 20 pieds. Lorsque la concentration des troupes était faite derrière le rempart, sur le point menacé, il faisait sortir par les portes établies aux endroits les plus favorables ( De bell., civ , lib. IT, c. xv) des détachements qui se portaient rapidement dans l’espace de 400 pas, se jetaient avec plein succès sur les flancs et les derrières de l'ennemi embarrassé dans les défenses accessoires, et, protégés par le rempart, le poursuivaient jusqu’au fossé de 20 pieds. C’est ainsi qu'il voulait que l’on combattit : Jmperat, si sustinere non possit, deductis cohortibus eruptione pugnat (c. Lxxxvi); et lui même appuya celte sortie de Labienus au nord des lignes, en lançant sa cavalerie dans l'espace de 400 pas envahi par les Gaulois de Vergasillaune, ES D Au surplus la phrase : Reliquas omnes munitiones ab ea fossa passibus cb reduxit, est conséquente avec les principes que nous défendons. Les 23 castellum sont terminés, le fossé de 20 pieds est creusé : voilà les seuls travaux exécutés lorsque vient cette phrase. Toutes les autres fortifications dont il est parlé après elle dans la suite du récit (deux fossés de 15 pieds, rempart regardant la place, tours, défenses accessoires et travaux tournés contre l'ennemi du dehors) restent encore à faire. Ce sont toutes ces fortifications qui doivent être exécutées à 400 pas en arrière du fossé de 20 pieds, creusé avant elles, tout à la fois pour faci- liter leur exécution et pour avoir, dans le circuit de l’oppidum, un premier obstacle ayant un enceinte moins grande et moins difficile à garder que la ligne du rempart tourn écontre la place, ligne d’un développement obligé très considérable : quoniam tantum esset necessario spatium complexus. Cette phrase importante : Reliquas omnes..…….. dit nettement ce qu’elle veut. Or, nous venons de voir que les deux fossés de 415 pieds, le rempart, les tours, sont placés en arrière de l’espace de 400 pas. Restent les défenses accessoires, qui jouent un si grand rôle dans le drame d’Alesia. Elles doivent être, elles aussi, en arrière de cet espace de 400 pas, terrain qui s’étendait en avant des positions occupées par César et qui constituait les abords de ces positions si bien défendues par l’art : c’est grâce à elles que ce terrain, zone d'activité des troupes garnissant le rempart, servait souvent aux retours offensifs, et que le général romain pouvait s'y ménager tous les avantages du théâtre de l'action, Mais où les placerons-nous ? VIL Place des défenses accessoires. CH. LXXII. « Il fallait en même temps aller chercher des matériaux de toutes sortes, des vivres, et employer aux travaux des fortifications les trou- pes diminuées de celles envoyées au loin; et très souvent nos travaux étaient inquiétés par les Gaulois qui, sortant de l’oppidum par plu- sieurs portes à la fois, faisaient les plus grands efforts pour les abor- der. C’est pourquei César jugea à propos d'ajouter quelque chose aux travaux déjà faits, afin qu’un Erat uno tempore et mate- riari et frumentari, et tantas munitiones fieri necesse, dimi- nutis nostris Copiis, quæ lon- gius ab castris progrediebantur: et nonnunquam opera nostra Galli tentare atque eruptionem ex oppido pluribus portis fa- cere summa vi Cconabantur. Quare ad hæc rursus opera ad- dendum Cæsar putavit, quo minore numero militum muni- tiones defendi possent, plus petit nombre de soldats püût défendre les fortifications. » (Vient ensuite la description des défenses accessoires.) Quelque petite qu’on suppose la montagne d’Alesia, qui cepen- dant devait pouvoir loger, d’abord sur ses flancs et plus tard dans l'intérieur de l’oppidum même, les fantassins de Vercingétorix ct une population de 90,000 âmes, selon Plutarque, la ligne du rempart tourné contre la place ne pouvait guère avoir moins de 20 kilomètres. Ce rempart était tracé, en effet, d'un côté dans la plaine, et de tous les autres côtés sur la pente intérieure des collines du pourtour, entre le circuit de la montagne de l’oppidum (ayant 11,000 pas ou 16 kil”) et les camps qui occupaient la plaine et les sommets de ces collines. Un tel développement, tout calcul fait, nécessitait au moins 4,000 hommes de service par jour, rien que pour fournir les sentinelles, les petits postes, les grand'- gardes et leurs soutiens. Eu outre, lorsque Vercingétorix faisait RTL une ou plusieurs sorties en même temps, pour s'opposer à la marche régulière des travaux, César devait prendre aussitôt des dispositions, en arrière du rempart auquel on travaillait, pour faire avancer d’abord les renforts pris dans les castellum les plus voisins, appeler ensuite des secours de la grande réserve, et réunir enfin une force suffisante sur chaque point menacé de la circonférence, Tout cela nécessitait l'emploi d’un grand nombre de troupes et laissait, par conséquent, peu de monde disponible pour les travaux. Malgré les réquisitions probables de travail- leurs, faites selon l'habitude (De bell. Alex., ©. Lxxur) dans le pays et parmi les valets de l’armée, le travail n’avançait pas au gré des désirs de César. Il n’ignorait rien, en effet, du suprême effort que faisait la Gaule pour venir au secours de Vercingétorix. Il devait donc se hâter de terminer la contrevallation le plus tôt possible, en lui donnant une grande solidité, afin de commencer les travaux de circonvallation, destinés à le défendre contre l'ennemi extérieur, et de pouvoir y employer un plus grand nombre d'hommes. Ces raisons le décidèrent à ajouter aux approches du rempart terminé la série formidable de défenses accessoires qu'il décrit ; et, comme la lettre du texte défend de mettre ces défenses acces- soires dans l’espace de 400 pas en avant des deux fossés de 15 pieds, c'est entre ces fossés et le rempart qu'illes plaça. IL fallait donc qu’il y eût là un terrain disponible et suffisant. Il y était, en effet : disponible, puisque nous avons vu que, pour élever avec sécurité le rempart, on avait dû placer les troupes devant les travailleurs, en arrière des deux fossés de 15 pieds; et suffisant, attendu que les défenses accessoires n’occupaient pas au delà de 50 à 60 pas en profondeur, et que les traits lancés du rempart devant battre les deux fossés de 15 pieds, la portée des traits dépas- sait de beaucoup cet intervalle (De bell. civ., lib. IIT, c. Lv, Lvr). Voilà où furent établies ces nouvelles et importantes fortifica- tions, qui complétèrent la ligne de contrevallation ou travaux divers tournés contre la place. Grâce aux défenses accessoires, le temps nécessaire aux APTE Gaulois pour qu'ils pussent atteindre le rempart avant l’arrivée des premiers renforts, se trouva considérablement augmenté : le fossé de 20 pieds conquis, comblé, l'intervalle laissé entre lui et les deux fossés de 15 pieds franchi, ces deux fossés passés, restaient les défenses accessoires qu'il fallait obstruer avant d'ar- river au rempart. Alors César, après avoir calculé de nouveau le temps qu'il lui fallait pour concentrer les troupes sur les points probables des attaques que tenteraient les assiégés, put dimi- nuer le nombre des soldats de garde, la force des troupes de soutien, celle des réserves, et les éloigner davantage, don- nant ainsi à leur activité un plus grand rayon, sans nuire au service. De cette manière, il augmenta les travailleurs, ce qui lui permit d'achever plus vite la ligne de contrevallation et de commencer enfin, avec de plus grands moyens, celle de circonvallation, devenue nécessaire à cause de la prochaine arrivée d’une nombreuse armée gauloise de secours. VII. Manière dont la contrevallation qui vient d’être décrite fut topographiquement conduite, et la ligne de circonvallation commencée après l'achèvement de la contrevallation. CH. LXXIV. « César, ces choses faites (lors- (Cæsar) his rebus perfectis qu’il eut achevé ces choses : fossé (cum has res perfecisset), re- de 29 pieds, double fossé de 15 giones secutus quam potuit pieds, rempart, tours, défenses æquissimas, pro loci natura, accessoires), en suivantlesterrains x1vV millia passuum complexus, les plus égaux qu’il pût, en ayant pares ejusdem generis muni- embrassé 14,000 pas, à cause de tiones, diversas ab his, contra la nature des lieux, fit contre l’en- exteriorem hostem perfecit. nemi extérieur des fortifications de la même espèce, pareilles et opposées à celles qu’il avait faites contre l’ennemi intérieur. » SE de Interprété de cette manière, le texte résume, par une explica- tion technique, essentielle et indispensable, qu’il n'a point encore donnée, les travaux dressés contre la place et les seuls décrits. Il indique ici, en effet, que dans leur tracé César a suivi, le plus possible, les lieux les plus unis, et que, pour tirer ainsi le meilleur parti du terrain, il a fallu embrasser, avec le rempart que nous savions devoir être très considérable, un développement de 14,000 pas. Par là 1! nous montre, ce que le chapitre précédent et les règles de la guerre nous avaient déjà fait connaître, qu’on avait déterminé à l'avance, par le tracé même du rempart, l'em- placement des défenses accessoires. Ne fallait il pas nécessaire- ment qu'elles fussent disposées, comme les deux fossés de 15 pieds, dans les terrains les plus égaux que possible, pour permettre de les bien découvrir et Les bien battre du rempart? Le texte se borne ensuite à dire qu'il fut fait contre l'extérieur des fortifications en tout semblables à celles dirigées contre l'in- térieur. César ne décrit pas ces travaux, parce qu'ils sont sem- blables à ceux qu'il vient de détailler, et il ne donne pas leurs circonférences, parce qu'elles dépendent entièrement de l’espace variable, mais suffisant, qui existe entre les deux remparts. Il est sûr d'être compris des hommes spéciaux, qui n’ont qu’à ajouter cet espace au rayon connu de la circonférence du rernpart de 14,000 pas de la contrevallation, pour obtenir par le calcul tout l’ensemble des travaux de la circonvallation. C’est une règle de poliorcétique : il ne fait point un traité d’art militaire; il est donc conséquent en se taisant ici sur cette règle, comme il l’est par- tout ailleurs, en restant muet sur la forme rectangulaire de ses camps. Cette interprétation nouvelle du chapitre Lxx1v, si différente de celle généralement adoptée, est basée, au point de vue du texte, sur les considérations qui suivent. 1° La manière de s'exprimer par des ablatifs absolus est une habitude de style chez l’auteur. Nous la retrouvons très souvent, notamment dans le chapitre xzrv du livre IT des Guerres civiles : (Pompeius) castellis enim xxi1v effectis, xv mallia passuum am- es (0 plexus, hoc spatio pabulabatur, où le sens n’est pas douteux, malgré que la phrase ne soit pas à la rigueur grammaticale. C'est une tournure brusquement interrompue pour en adopter une autre. César, dans sa concision, n’ayant pas de verbe actif pour exprimer ces choses qu'il a faites, s’est servi d’une expres- sion absolue, rendant sa pensée plus vivement que ne l'aurait fait la circonlocution cum has res perfecisset, qui eût été grammati- cale. Toutes les langues offrent des exemples de ce genre d'irré- gularités, qui existent seulement dans les mots et non dans l'es- prit de l’auteur, dont la pensée très claire jaillit du récit anté- rieur et de l’ensemble de la phrase. Ces brusques changements de tournure constituent comme une sorte d’anacoluthe, espèce d’ellipse. 29 Nous avons vu que le fossé de 20 pieds, tracé dans le cir- cuit de la montagne de l’oppidum, a un développement de 11,000 pas. Or, entre ce fossé et le rempart circulaire, il existe un es- pace de 400 pas, augmenté du terrain nécessaire pour l’établisse- ment du double fossé et des défenses accessoires. Par consé- quent, le développement du rempart cireulaire, qui enveloppe le tout (complexus), doit surpasser de beaucoup la circonférence du fossé de 20 pieds. Et si nous remarquons que le nombre de pas contenu dans le rempart doit être un multiple de 16, puisque les tours qui le flanquent sont également distantes de 80 pieds ou 16 pas, d'un centre à l’autre, nous trouvons que le chiffre 14,000 pas convient à son développement. Ce chiffre, multiple de 16 et de 80, représente, en effet, une circonférence dont le rayon égale celui d’une circonférence concentrique de 11,000 pas (fossé de 20 pieds), plus 400 pas (espace laissé entre le fossé de 20 pieds et les deux fossés de 15 pieds), plus 77 pas (terrain ré- servé pour les deux fossés de 15 pieds et les défenses accessoires) qui. représentent très exactement la bonne portée des traits de rempart. 3° L'ancien traducteur grec des Commentaires de César sur la guerre des Gaules, qui a traduit le texte latin sur un manus- crit très authentique, a échappé à l'irrégularité grammaticale De existant dans nos éditions latines. Habitué aux hardiesses, aux libertés, aux diverses tournures du style de César, comprenant bien l’idée de l’auteur et ayant dans sa langue un verbe actif pour l’exprimer avec la même rapidité, il traduit ainsi la phrase citée : Tadta LLEY OÙY HOLNGALEVOS ÊV TOOL, 6 AÔUVATO, (César) ces (cheses) donc ayant fait sur les lieux, autant qu'il pût, ÉRITNOELOTÉTOLS , ÉLATOY x ÜUWÔELX GTAÛLX les plus convenables, cent ct douze stades (414,000 pas) TEPtAXGEY, ÔpLotas TOÙ aùToÿ Etdouc ayant embrassé, semblables de la même espèce OLUPUOEL, XQT” ÉVAVTIX TAG MPOVÉDAIG, HAT ouvrages de fortification, du côté opposé aux premiers, contre TOÙ ÉEwbev moheutou énotoato’ du dehors l'ennemi il fit. Les trois termes Tara romoduevoc, ëv tômois, meptha6dy, se rap- portent grammaticalement à César, aux choses qu'il a faites dans les chapitres précédents, aux lieux où il les a faites, et à la cir- conférence du terrain embrassé pour les faire. Dès lors, il est clair que l'interprétation du traducteur grec est iei absolument la même que la nôtre. Logiquement, il devait en résulter ceci : puisque la version 400 pas, que nous avions été tactiquement obligé d'admettre pour l’espace laissé entre Le fossé de 20 pieds et les deux fossés de 15 pieds, nous avait géométriquement en- traîné à donner à notre rempart de contrevallation un développe- ment de 14,000 pas, réciproquement le traducteur grec, affectant liltéralement 14,000 pas au même rempart, devait attribuer la version 400 pas audit espace laissé entre le fossé de 20 pieds et les deux fossés de 15 pieds. Or, c’est précisément ce qui a lieu, puisqu'il fixe à trois stades, qui valent 400 pas, selon les uns, et 375 pas seulement, selon les autres, la largeur de cet espace : Tavra D r’&A)x dyupwuara and Tabrnc Thc Tappou Tpla cTÉdLX Émotñoato. Nous sommes donc arrivés l’un et l’autre aux mêmes conclusions : lui, érudit, par la voie de la philologie ; nous, militaire, par le côté technique de la guerre. Le hasard ne produit pas de telles coincidences. MD pee Ainsi, d’après l’ordre naturel des opérations du blocus d’Alesia, et d’après la gradation rigoureuse du récit, les travaux regar- dant l'extérieur ne furent entrepris, ce qui est tout à fait ration- nel en l’absence de l’armée gauloise de secours, qu'après l’a- chèvement entier de ceux regardant l'intérieur et qui embras- saient dans la circonférence de leur rempart 14,000 pas de dé- veloppement. Au surplus, de par la lettre du texte, les mots pares ejusdem generis munitiones diversas ab his du chapitre LxxIv, qui rap- pellent les mots auxquels ils font opposition : Aœc genera muni- tionis instituit du chapitre Lxxn relatifs à la contrevallation, dé- signent manifestement la construction totale et postérieure des travaux extérieurs ou circonvallation. Enfin, l'achèvement de la contrevallation, avec un rempart continu, et la construction postérieure de la circonvallation, sont encore confirmés par la lettre du texte dans la phrase suivante du chapitre zxxvir, qu’il faut lire avec réflexion et en se repor- tant au moment où le vigoureux Critognat prononça son dis- cours : Quid ergo ? Romanos in illis ulterioribus munitionibus animine causa quotidie exerceri putatis? Si illorum nuntiis confirmari non polestis, omni aditu præcepto, iis utimini tes- tibus, appropinquare eorum adventum ; cujus rei timore exter- rili, diem noctemque in opere versantur. Les remparts des deux lignes étaient donc circulaires et conti- nus à Alesia, comme dans d’autres blocus des Commentaires de César. Cela explique pourquoi les Mandubiens, chassés de l’oppi- dum par Vercingétorix, offraient à César leur liberté pour du pain (!). Ces deux remparts contenaient entre eux les castrum (2) Hi, cum ad munitiones Romanorum accessissent, flentes omnibus precibus orabant, ul se, in servitutem receplos, cibu juvarent. At Cæsar, disposilis in vallo custodibus, recipi prohibebat (lib. VIE, c. Lxxvnt). Ici, comme à Corfinium, César redouble de vigilance pour qu'aucun assiégé ne puisse franchir le rempart qui les tient enfermés sur la montagne de l'oppidum Si les Mandubiens avaient pu sortir des lignes romaines, ils n'auraient point donné ce triste spectacle à leurs vainqueurs. Mais sortir par la force, RS et castellum ; mais le texte ne dit point quelle distance les sé- parait, probablement parce qu'ils n’élaient pas parallèles, à cause des inégalités de terrain et des hauteurs qu'il convenait d’occu- per sur toute la partie extérieure du circuit de la montagne de l'oppidum. La possession de ces hauteurs et de leurs pentes op- posées était indispensable, en effet, afin de pouvoir dominer dans la campagne et commander sur les lieux choisis pour les deux fossés de 15 pieds et les défenses accessoires de la circonvalla- tion, comme on l'avait fait dans le tracé de la contrevallation, en profitant de tous les accidents de terrain qui pouvaient faciliter Ja défense et abréger les. travaux. Toutefois, on pourrait fixer approximativement l'intervalle réservé entre les deux lignes pour les manœuvres et l’emplace- ment des camps, en s'appuyant sur les règles de la poliorcétique des anciens et sur les données des auteurs modernes. À Dyrra- faire une brèche au rempart tel que le faisait César (De bell. Afr., ce. cxxxt), ce n'était point chose facile. Vainement les Aduatuques, complètement investis comme Îles Mandubiens, tentèrent de le faire avec toutes leurs troupes et par surprise (lib. 11, e. xxxin1). Instruits par l'expérience, les Bellovaques, craignant d’être bloqués comme les Mandubiens (veriti similem obsessionem Alesiæ), abandonnèrent leur forte position des rives de Ja Verse (lib. VILE, ce. x1v); et, à Uxellodunum, ies chefs gaulois, voulant éviter les mêmes dangers, miserrima Alesiæ memoria solliciti, similem casum obsessio- nis vererentur {c. xxXxIV), sortirent de la place, pour la bien ravitailler avant que le rempart de l'investissement fût terminé. Mais un auteur grec prétend que Vercingétorix aurait pu échapper à César : done le rempart, dit-on, n’était point continu à Alesia comme à Dyrrachium (munitiones perpeluas). Evidemment cet auteur, qui n'était point militaire, suppose que Vercingétorix aurait pu, en fuyant isolément, ce qui eût été indigne de lui, tromper la vigilance des sentinelles du rempart, ordinairement placées à des intervalles égaux (100 mètres environ), certis spatiis inlermissis (De bell. civ., lib. 1, e. xx1). Ce n'était point aussi facile qu'il l’a pensé. Le chapitre LXXvII ne dit-il pas qu'aucun porteur d'avis ne put pénétrer dans la place, et ne ressort-il point de tout le récit que Vercingétorix ne put se concerter avec les chefs gaulois de l’armée de secours? Par une mort facile, le héros gaulois pouvait seulement échapper à César ; mais il savait qu’en se livrant vivant, il rendait un dernier service aux siens : ad utramque rem se illis offerre, seu morte sua Romanis salisfacere, seu vivum transdere velint (C. LXXXIX). REY, ra chium, César fixe à 600 pas l’espace laissé entre les deux rem- parts, là où la ligne était double (De bell. civ., lib. IE, c. LxxIm); et M. Lainé, dans son excellent Aide-Mémoire à l'usage des officiers du Génie (4° édition, page 539), accorde 600 mètres au moins à l’espace réservé entre les deux lignes, pour l’établisse- ment des camps. Alors le tracé des deux lignes de C‘sar autour de la montagne d’Alesia pourrait être représenté par le bout du croquis suivant, qui est la démonstration géométrique de tous les raisonnements qui précèdent : ee we *Spoid 08 9p 95504 ‘sed 007 op 9oedsq spord CI op S9SS0J XN9P ST : “ano34er op sed LL jue£e ouoz oun ans stpqe)o À °°°. *S91108S0900 S98U0J9(T : “29814 ef o17u09 guanoy j1eduror np uoÂer ne so1jau 009 dapnofe ‘quowaddoeapp ef 11048 ua anod : SIOY9p np IWauu9 [ 21009 aU1N0} nr *‘sduro sop AUSSI 879,1 ANOÙ sy1ed 91 Xn9p sa, 91U9 PSSIET S01JQUU 009 2P OI[[RAIOU] : ‘quowoddoroapp 9p sed 000‘FI jueÂe 39 00814 ef a17u09 puanoy jaedtuoy “ano34et op sed LL jueÂe ouoz oun Jns s11q8)9 { DE. PAPAIOREENON PESTE Spoid CT 9p S9ss0J xnop 597 *SUOI)P9 —JNMOÿ Sarjne Sa] Sa7n07 SoJInpuoo juos fonbnp oigtie ua ‘sed 00p op soedsy “juowoddors49p 9p sed 00011 Jue4e “JUAWASSISOAUT,] 9p oseq ‘prddo snymouo 91 suep psno19 spard 08 op 9SS0 = L "sed 00F © © 0CC00000000000 8 8 nn ne "SaJJQu 009 *ouunw np Amogwyid21 no snxo]dwo" RM a De el °] 29000000000090c0c0e TE ‘sed 00F *OuLunw NP SNJINIA17 °119 -2]124 wojsoy W910149]%9 DAJU99 SIY Q0 EE RS er Be CR TPE PAR 1 AU —tunu Si1U90 wopsnfa said “HRJUSUE SIUOLJEUNUL DAIU9b 94 | Circonvallation. "UONPI[PA9IJUO") 4! Hd ME Cette démonstration est, en effet, péremptoire ; elle a la bru- talité des chiffres. On ne manquera pas de dire : Pratiquement, les cercles que vous décrivez au compas sur le papier n'étaient pas concentriques à Alesia, car on ne peut supposer que le fossé de 20 pieds et les deux fossés de 15 pieds aient été partout pa- rallèles au rempart, les inflexions de terrain ayant dû varier cette distance. Cela est parfaitement exact. Mais, en accordant que ce soient des polygones semblables, les circuits des polygones sem- blables, ainsi que les circonférences des cercles, étant entre eux comme leurs côtés homologues, ou comme les lignes terminées par des points semblablement placés, le même calcul sert de démonstration dans les deux cas. IX. Emplacement de la colline extérieure. CH. LXXIX. « Les Gaulois de l’armée de se- ....... Cum omnibus copiis cours arrivent à Alesia, et, vccu- pant la colline extérieure, ils ne s'établissent pas à plus de 1,000 pas dé nos fortifications. Le len- demain, ils font sortir la cavalerie de leur camp et ils en remplissent toute cette plaine, que nous avons dit s'étendre de 3,000 pas en lon- gueur; quant à leur infanterie, ils l'embusquent tout près de là dans des lieux plus élevés. » ad Alesiam perveniunt: et, colle exteriore occupato, non longius M passibus a nostris munitio- nibus considunt. Postero die, equitatu ex castris educto, om- nem eam planitiem, quam in longitudinem 111 millia pas- suum patere demonstravimus, complent; pedestresque copias, paulum ab eo loco, abditas in locis superioribus constituunt. Le mot exterior précise très bien l'emplacement de la colline dont il s’agit. Pour en comprendre l'orientation, il faut se repré- senter les limites de la montagne de l’oppidum et le tracé des lignes romaines : d’un côté s'offre une plaine de 3,000 pas, et, de tous les autres côtés, des collines, laissant entre elles et l’op- PER RER pidum un médiocre intervalle ; sur tout le pourtour, les lignes romaines embrassent ces collines et bordent la plaine, le plus près possible de la montagne de l’oppidum. La colline extérieure, c’est-à-dire celle qui, dans le pourtour, n’est pas atteinte par les lignes romaines et ne sert pas de limite à la montagne de l’oppidum, ne saurait être ailleurs, bien évi- demment, que du côté de la plaine de 3,000 pas, à l’opposite de l'oppidum. Elle doit commander cette plaine, ainsi que les hau- teurs qu'elle renferme, et y donner accès. De plus, comme la plaine de 3,000 pas se trouve à l'occident de l’oppidum et qu’elle est plus longue que large, la colline extérieure doit fermer cette plaine dans sa largeur, à l'occident d’Alesia, et à moins de 3,000 pas du pied de la montagne de l’oppidum. Cette condition ri- goureuse de distance est en outre imposée par le récit, qui veut que le combat livré dans la plaine, par la cavalerie de l’armée de secours, soit également vu de près par les Romains, les Gau- lois assiégés et l'infanterie de l’armée de secours embusquée dans le voisinage (ch. Lxxx). Enfin, les chiffres eux-mêmes fournis par le texte, ici et à l’occasion du tracé des lignes, prouvent encore surabondamment que la colline extérieure était située à moins de 3,000 pas de la montagne d’Alesia. En effet, quelle que soit l’épaisseur que l’on donne aux deux lignes romaines et à l’intervalle qui doit séparer leurs remparts (Voir le croquis : Epaisseur de la contrevallation, 471 pas; idem de la circonvallation, 477 pas ; espace entre les deux remparts, 600 pas au maximum; total 1,554 pas), on ne peut, en ajoutant cette double épaisseur et cet intervalle aux mille pas qui doivent exister de la circonvallation à la colline extérieure, atteindre le chiffre de 3,000 pas. Or, ce chiffre exprime l'étendue de la plaine, considérée dans les deux extré - mités qui sont les plus éloignées l’une de l’autre. Donc la colline extérieure, ne pouvant se trouver à aucune de ces extré- mités qui marquent la longueur de la plaine, était située dans la largeur, qui, par conséquent, avait moins de 3,000 pas. Ainsi, voilà matériellement justifiée, par la position de la cb 2: colline extérieure, la rigueur de l'expression in longitudinem, plusieurs fois répétée, qui donne la forme de la plaine d’Alesia, plus longue que large. Il en est de même des mots intermissa collibus, qui fixent sa configuration topographique. Ils trouvent ici leur application dans les Zocis superioribus où s’est embus- quée l'infanterie de l’armée de secours, en face et près du champ de bataille : lieux élevés, qui ne sont pas la colline extérieure et commandent la plaine accidentée, théâtre de l’action ; lieux où peut s'établir et se cacher (abditas), à quelques pas seulement des soldats de César, une infanterie considérable. Certes, voilà une disposition de terrain qui mérite toute l'attention des mili- taires, habitués à juger de l'importance qu’un tel détail topogra- phique a sur un champ de bataille. Quant à la phrase : Omnem eam planitiem complent, il faut considérer que les fortifications romaines occupent tactiquement, non une partie basse, mais une partie élevée de la plaine, dite intermissa collibus, sur les coteaux les plus voisins de la mon- tagne d’Alesia. C’est ce que veut dire le texte par les expressions. toujours usitées dans le cours du récit : in locis campestribus et campestres munitiones, le mot campestris, employé par César dans les localités montagneuses, indiquant non la plaine propre- ment dite, mais les derniers gradins des collines (De bell. civ., lib. I, c. Lxxix). Alors la cavalerie de l’armée de secours pou- vait remplir littéralement, dans toute la longueur de 3,000 pas, la plaine proprement dite, ou surface plane comprise entre les collines qu’elle renfermait. C'était le seul terrain, la seule partie de la plaine favorable à la cavalerie, qui ne saurait agir efficace- ment sur des crêtes. Elle pouvait d'autant mieux remplir ce ter- rain que, d’après le texte, le théâtre de l’action ne dépassait point une zone large de 1,000 pas et longue de 3,000, limitée, selon le chapitre Lxxix, d’un côté par les fortifications romaines, et de l’autre par le pied de la colline extérieure. PU AU Configuration de la colline a septentrionibus. CH. LXXXIII. « Il y avait au nord une mon- tagne qui, à cause de la grande étendue de son circuit, n’avait pu : être renfermée dans nos lignes; de sorte que les nôtres avaient été contraints d'y faire les retranche- ments en un lieu défavorable al- lant légèrement en pente........ » (Vergasillaune) s’embusqua derrière cette montagne. » Erat a septentrionibus collis, quem quia, propter magnitudi- nem circuitus, opere circum- plecti non potuerant nostri, necessario pene iniquo loco, et leniter declivi castra fece- sant. Gi - (Vergasillaunus) post mon- - tem se occultavit. CH. LXXXV. « C’est vers les fortifications faites sur les lieux les plus élevés qu’on a Le plus de mal, là {vers la montagne du nord) où Vergasil- laune avait été envoyé, comme nous l’avons dit. L’étroit faîtage (de la montagne), à cause de la déclivité du lieu, est du plus grand poids. » Maxime ad superiores muni- tiones laboratur, quo Vergasil- launum missum demonstravi- mus. Exiguum loci ad declivi- tatem fastigium magnum habet momentum. La montagne dont il est question aux chapitres Lxxxmr et Lxxxv, et qui joue un rôle capital dans la suprême bataille, était située au nord d’Alesia, et, par conséquent, au nord des lignes romaines qui entouraient Alesia. La colline extérieure, point de départ de Vergasillaune, étant à l'occident et à mille pas seulement des lignes romaines, la marche de ce chef gaulois, allant attaquer les fortifications au septentrion, se conçoit aisément dans les condi- tions posées par le texte ; elle doit être facile à expliquer sur le terrain, puisqu'elle s’exécuta avec un succès si complet que les Romains furent surpris, oi Cette montagne du nord, par l’exception à laquelle elle donna licu dans le tracé des travaux d'investissement, à cause de sa topographie spéciale, consacre le principe de poliorcétique qui prescrivait, alors comme aujourd’hui, d'enfermer dans les lignes toutes les collines environnant l’oppidum. Ainsi, du côté du nord, l'ouvrage circulaire dont les Romains ceignirent Alesia avait ses retranchements (castra fecerunt) sur la pente méridionale de la montagne de ceinture. Ce tracé défectueux, qu’on n'avait pu éviter (necessario), explique comment Vergasillauñe put, avec ses 60,000 hommes, s’embusquer sans être vu ni entendu, quoiqu’à une faible distance, derrière la pente septentrionale non occupée de cette montagne {post montem se occultavit). Remarquons qu'ici comme à Gergovia, le texte emploie indif- féremment collis et mons pour désigner une même série de hauteurs. Cette série de hauteurs graduées était fort étendue et dans une position dominante, puisqu’une armée de 60,000 hommes s’y développa et y combattit les Romains, là où les lignes avaient été tracées sur un terrain plus élevé dans toute sa superficie que partout ailleurs : Maxime ad superiores munitiones laboratur, quo Vergasillaunum missum demonstravimus. Il y avait nécessaire- ment un point culminant. Pour les Romains, dont il commandait les lignes, ce point était particulièrement dangereux, et pour les Gaulois de l’armée de secours, il était la clef de la position. C’est là que l'affaire se décida. Cette clef de la position, au nord des lignes romaines, est admirablement caractérisée par la phrase : Exiguum loci ad declivitatem fastigium magnum habet momentum, dont ancun des commentateurs ne paraît avoir compris la haute portée mili- taire. Elle mérite, pour ce motif, une attention particulière. Fastigium veut dire faîtage, signification que lui donnent les Commentaires de César, dans les douze descriptions topogra- phiques où ce mot figure : appliqué à une montagne, il désigne, comme pour une maison, la partie en forme de. toit la plus élevée de la montagne. Une montagne s'élève graduellement, de sa base à son sommet, mr DR Ce par des pentes distinctes. Ces pentes forment comme des divi- sions, des degrés, des étages différents, par lesquels on arrive successivement au point le plus élevé de la montagne, au sommet. Les deux dernières pentes opposées, qui se réunissent au sommet, constituent avec lui ce qu’on appelle en topographie le dos, la croupe de la montagne, c’est-à-dire le faîtage (fastigium). Ce faîtage varie d’allure. Si les deux pentes du sommet forment à leur intersection comme un angle obtus, la montagne est ter- minée par un léger faîtage (tenui fastigio, De bell. civ., lib. I, €. xLv), ou par un faîtage arrondi (molli fastigio, De bell. civ., lib. IT, c. x); si, au contraire, les deux pentes les plus hautes forment à leur intersection comme un angle aigu, la montagne est alors terminée par un petit ou étroit faîtage (exiguo fastigio). Toute série de hauteurs, toute montagne a un faîtage. En prin- cipe, là est la clef de la position militaire. Cela se conçoit facile- ment. Maître du faîtage de la montagne, on l’est de la montagne entière, puisqu'on a commandement sur toutes les autres pentes. A l’Alma, la clef de la position, le molle fastigium du sommet arrondi qui, à cause de la déclivité du terrain, était d’un grand poids, c'était le point central et le plus élevé où les Russes avaient construit un télégraphe, en face de la division Canrobert; à Inker- mann, C'était le point légèrement culminant (tenue fastigium) d’où les batteries russes balayaient le plateau ; à Solferino, c'était le sommet étroit (exiguum fastigium) où s'élevait la célèbre tour. Telle est la situation de la montagne au nord d’Alesia, situa- tion que César signale, dans la phrase citée, par un détail topo- graphique très clairement indiqué, comme nous le voyons. Là, les retrancherments romains étant établis à proximité du faîtage de la montagne, que l'on n’avait pu enclore dans l'intérieur des deux lignes, se trouvaient dans de mauvaises conditions, quoi- qu'ils fussent sur des lieux élevés. Les Gaulois de l’armée de se- cours, maîtres du sommet et des pentes de l’étroit faîtage, devaient s'élancer et plonger d'autant mieux sur le terre-plein des lignes romaines que ce faîtage en était plus rapproché ; et, de ce point * ,% FR, d'appui, marchant contre les retranchements, ils devaient avoir constamment l’avantage de la position. C'était le centre autour duquel rayonnaient leurs colonnes d'attaque. Ainsi, au nord de l'emplacement qu’on veut affecter à l’Alesia de César, il doit se trouver .une montagne dont la configuration présente, dans sa partie la plus élevée, un étroit ou petit faîtage, que la circonvallation ne puisse envelopper sans un développe- ment démesuré. De plus, bien que cette circonvallation, attaquée par Vergasillaune, n’atteigne pas ledit faîtage, elle n’en doit pas moins circuler en des lieux plus élevés {munitiones superiores) que ceux où sont les munitiones campestres de la plaine. XL. LL Position géographique d'Alesia. Deux oppidum, Alise et Alaise, se disputent l'attribution de l'Alesia de César, dont nous venons d'étudier militairement la topographie (!). Que le lecteur compare : () Un troisième oppidum, Novalaise, a été mis en avant, dans ces derniers temps, avec plus d'un apercu nouveau et des raisonnements stratégiques rafraichis, qui démontrent qu'on ne saurait faire prendre à César d'autre route que celle par les Lingons et la vallée de la Saône, et ne pouvaient manquer d'aider au triomphe de la vérité. Comme tous les lieux forts, celui-ci offre quelques points de ressemblance avec l'Alesia mandubienne; mais il est en Savoie, base principale d'opérations de César, et baigné par le Rhône dans le pays des Allobroges, dont l'adjonction à la province romaine avait été opérée soixante ans avant l’arrivée de César ; et, en outre, on ne peut y expliquer les opérations qu'entraîne, partout sans exception aucune dans les Commentaires de César et notamment à Alesia, le verbe circumvallare, qui veut dire bloquer par des travaux circulaires et con- tinus, NS 7 ES Caractères principaux de l'emplacement d'Alise. 1° ALISE-SAINTE-REINE : Alisiüa dans les inscriptions, au lieu de l’Alesia du texte latin et des ’Arn- ia €t ’Alauoia des textes grecs. 2 Alise est en pays éduen. 3° Le Mont-Auxois, où est Alise, estune montagne isolée, s’élevant en forme de tumulus dans une plaine des bords de la Brenne. Les escarpements sont tels que les pentes de la montagne sont de partout abordables, et son sommet en quelques endroits seulement. Sa superficie est de 100 à 150 hectares (); sa hauteur de 418 mètres. 4 Les deux rivières de cein- ture, l’Oze et l’Ozerain, coulent dans deux vallées de facile accès. Une troisième plus importante, la Brenne, traverse la plaine des Laumes, et n'aurait pas été men- tionnée par César. 5° La plaine des Laumes est unie, se trouve à l’occident de la montagne, mais non devant l’op- pidum, dont l’accès principal est du côté du mont Plévenel, en Caractères principaux de l'emplacement d'Alaise. 1° ALAISE : Alesia dans les vieux manuscrits, comme l’Alesia du texte latin, l’’Aïnoia et l’’Ada- ia des textes grecs. 2° Alaise est en pays séquane. 3 La montagne (Mouniots et Montiordes), où est Alaise, est une montagne oblongue, s’élevant sur un massif des bords du Lison, affluent du Doubs (Dubis). Ses escarpements sont tels que toute la montagne elle-même est de partout inabordable, ainsi que le sommet. Sa superficie est de 1,500 hectares ; sa hauteur de 508 mètres. 4 Les deux rivières de cein- ture, le Lison et le Taudeur, sont encaissées : la première n’a d’au- tre vallée que son thalweg, espèce de fossé naturel ; la seconde coule dans une plaine accidentée. 9° La plaine du Taudeur est parsemée de collines, se trouve à l’occident de la montagne, et, en même temps, devant l’oppidum, dont le seul accès est () « L'espace nécessaire pour servir de champ de bataille ou de camp retranché à une armée de 30,000 hommes doit avoir, dit M. LAINÉ (4° édit., p.774), 2,000 mètres de longueur sur 1,300 ou 1,400 mètres de profondeur. » De là on peut déduire la superficie de la montagne d’Alesia, sur laquelle était campée, attendant l'attaque des Romains, une armée gauloise de 80,000 hommes. Cette superficie, comme on le voit, n'existe point à Alise, même pour 30,006 hommes, et existe à Alaise pour 80,000 hommes. Elle donne une idée de l'immense étendue que devront avoir les lignes d'investisse- ment. face duquel, par conséquent, est. le pro oppido qui devrait être devant la plaine, selon le récit. Elle à à peu près 3,000 pas du nord au sud, et beaucoup plus de l’est à l’ouest : elle est donc plus large que longue. Là, point d'emplacement convenable pour le camp que César a tracé devant l'oppidum, ni pour celui de Ver- cingétorix, côté de la plaine. du côté de la plaine qui, par conséquent, est le pro oppido du texte. Elle a 3,000 pas du nord au sud, et moins de 3,000 pas de l’est à l’ouest : elle est donc plus longue que large. Là, le contre- fort (jugum), qui va du Lison à Myon, est l'emplacement conve- nable pour le camp que César a tracé devant l’oppidum (:), et le coteau de Charfoinge pour celui de Vercingétorix, côté de la plaine. (} Les hauteurs de Myon répondent aux cinq conditions réclamées par le texte pour le camp de César : lo Elles sont près de l'oppidum d’Alaise : (C. LxviI). 20 Elles sont devant l'oppidum; car, de ces hauteurs, regardant la mon- tagne d’Alaise, on peut dire : Ante oppidum planities circiter millia pas- Suum III in longiludinem patebat (c. LxXIx). 30 Elles offrent une position militaire favorable, selon l'expression gé- nérale : Castra opportunis locis erant posita (ec. LxIx). 40 Elles forment un contrefort qui s’avance dans la plaine, comme le contrefort occupé par le camp Cornélien s’avançait dans la mer : Id est jugum eminens in mare (De bell. civ., lib. IT, e. xxiv). De tous les points des hauteurs de Myon la vue plonge dans la plaine, comme le veut la phrase : Erat ex omnibus castris quæ undique jugum tenebant despectus (ce. Lxxx). En appliquant cette phrase, comme on l'a fait, à tous les retran- chements romains du pourtour d'Alesia, on a confondu les faits et créé une impossibilité qui n'existe pas dans le texte. Il n’est question que d’un double combat dans la plaine. La phrase citée ne saurait donc s'entendre que des soldats romains qui occupent les retranchements de la plaine, et notamment de ceux de l'omnia castra qui commande la plaine, et par son assiette d'où la vue s'étend partout, et par le grand nombre de troupes qu'il contient. Là, en effet, sont six légions et la cavalerie, car, sur les dix que César a, deux gardent la plaine et le côté sud avec Antonius et Trebo- nius (c. LXxx1), et deux tiennent la colline du nord et le côté est avec Reginus et Rebilus (ce. Lxxxu1); lesquels côtés sud, est et nord sont très faciles à défendre contre les sorties, à cause du mediocri interjecto spatio, ravin du Lison et du Fourré. 50 Elles sont dans une position centrale, par rapport au théâtre de l'action au moment où César dit ; Cæsar idoneum locum nactus, quid quaque ad Alesiam castra fecit ES 6° Excepté du côté de la plaine, de tous les autres côtés les col- lines du pourtour (Réa, plateau de Grésigny, mont Plévenel, mont Druaux) sont séparées de la montagne de l’oppidum par les vallées plus ou moins larges de l’Oze et de l’Ozerain. 7 La base circulaire de la montagne a moins de 4,000 pas. Elle est de beaucoup inférieure à celle de la montagne de Gergovie, qui donne une idée de l’étendue que devait avoir le circuit de la montagne d’Alesia. 8" La colline extérieure com- prend trois hauteurs distinctes, ce sont : Mussy, Venarey et Gri- gnon. La distance qui les sépare de l’oppidum dépasse de beau- coup 3,000 pas. Aucune hauteur n'existe entre elles et l’oppidum; on y remarque, au contraire, une rivière importante, la Bren- 6° Excepté du côte de la plaine, de tous les autres côtés les col- lines du pourtour (Bergeret, Doulaise, Refranche, Coulans, Eternoz, Montmahoux, Vaux- Mourand) sont séparées de la montagne de l’oppidum, non par une vallée, mais par le ravin du Lison et du Fourré, qui forment comme une espèce de fossé na- turel. 7 La base circulaire de la montagne à 11,000 pas. Elle est un peu supérieure à celle de la montagne de Gergovie, quidonne une idée exacte de l’étendue que devait avoir le circuit de la mon- tagne d’Alesia. 8 La colline extérieure ne comprend qu’une hauteur, c’est la colline oblongue de By; elle est parallèle à la montagne d’A- lesia. La distance qui la sépare de l’oppidum est inférieure à 3,000 pas. Entre elle et l'oppidum on remarque les hauteurs de Malcartier, qui bordent dans sa in parte geralur, cognoscit (c. Lxxxv). Là, il est prêt à tout; il tient six légions et sa cavalerie dans la main, et connaît rapidement, par lui-même ou par les rapports de ses pfficiers d'ordonnance, tout ce qui se passe, puisqu'établi sur ce point, il se trouve à la fois dans la plaine et dans le voisinage de la colline du nord (Doulaise), deux champs de bataille où la lutte est déjà très vive. Quant au troisième champ de bataille, c’est-à-dire les prærupla loca qui sont attaqués plus tard par Vercingétorix (c. Lxxxvi), rien n'indique que, du point central où est César, la vue doive s'étendre jusque là, pas plus que jusqu’à la colline du nord : his rebus cognitis. Le verbe cognoscere n’a jamais voulu dire, en effet, surtout au point de vue militaire, connaître de visu, comme l'ont supposé tous les traducteurs, ne se rendant pas bien compte des distances et de l'immensité des lieux né- cessaires pour de telles actions de guerre. SR ne ne, qui ne manquerait pas de jouer un rôle dans les combats de la plaine des Laumes. 9 Quelle que soit l’interpréta- tion donnée au texte, le sommet étroit de la montagne du nord- est (le Réa) est forcément enve- loppé par la circonvallation. Là, point d’exiguum fastigium pos- sible en dehors des lignes ro- maines, et l’attaque de Vergasil- laune se fait nécessairement dans la vallée du Rabutin, village de Grésigny, situé au nord du mont Auxois, en des lieux bas et non en des lieux hauts, comme le veut le texte. 10° Avec notre interprétation nouvelle, le terrain d’Alise est de beaucoup insuffisant pour le tracé des lignes romaines; la base circulaire de ce tracé a 11,000 pas, tandis que le circuit de la montagne de l’oppidum n’en a que 4,000 environ (!). hauteur la plaine étroite du Tau- deur, dont elles font partie. 9° Quelle que soit l’interpréta- tion donnée au texte, le sommet de la montagne du nord {le Rou- chat) ne peut être enveloppé par la circonvallation. Ici, l'exiguum fastigium est bien marqué par la croupe étroite et allongée qui s'élève, à partir de Doulaise, entre Lisine et Refranche, et l'attaque de Vergasillaune se fait nécessairement vers Doulaise, en des lieux hauts, comme le veut le texte. 10° Avec notre interprétation nouvelle, le terrain d’Alaise est mathématiquementsuffisant pour le tracé des lignes romaines ; la base circulaire de ce tracé a 11,000 pas, comme le circuit de la montagne de l’oppidum. (:) De même qu’on ne s'est jamais bien rendu compte, dans cette ques- tion d’Alesia, de la superficie que devrait avoir une montagne pour servir de camp retranché à une armée de 80,000 hommes, de même on n’a jamais eu une idée bien exacte de l'immense développement qu'il faudrait donner aux deux lignes de contrevallation et de circonvallation nécessaires pour investir une montagne comme Gergoyia ou Alesia. Cependant les travaux du blocus de Dyrrachium devraient fixer nos idées sur ce genre d’opé- rations : le camp retranché de Pompée, dont l’armée est forte -de 50 à 60,000 hommes, embrasse 15,000 pas ou 22,010 mètres ( De bell. civ., c. xLIV), et la ligne continue de la contrevallation de César, qui n'avait qu2 25 à 30,000 hommes, compte 18,000 pas ou 26,460 mètres (c. Lx). Remar- quons qu'entre les travaux des assiégés et ceux des assiégeants, il y a ici un intervalle de 3,000 pas ou 4,400 mètres. C'est précisément l'intervalle qui, d’après notre interprétation, existe entre le circuit d’Alesia (11,000 pas) et le rempart de César tourné contre la place (14,000 pas). C’est encore à peu près l'intervalle qui doit être réservé aujourd’hui, selon M. Lainé, 2 RE, 11° Sur le plateau (colle summo), pas de hauteur distincte pour l'emplacement de la citadelle (arx Alesiæ, C. LXXxIV), qui, comme à Vesontio, devait être réunie à l’oppidum par un mur (lib. 1, C. XXXVIII). 12° Impossibilité d'expliquer la marche de Vergasillaune et tous les détails de la bataille générale livrée sur trois points à la fois de la circonférence (ch. Lxxxut et suivants). 11° Sur le plateau (colle summo), le Mouniot, qui commande la plaine située ante oppidum (c. LxIX), forme une hauteur dis- tincte pour la citadelle. Ce pla- teau du Mouniot est réuni à l’op- pidum du plateau des Montfordes par les restes d’un mur cyclopéen. 12° Possibilité d'expliquer la marche de Vergasillaune et tous les détails de la bataille générale livrée sur trois points à la fois de la circonférence (ch. Lxxxir1 et suivants) (1). entre la contrevallation et les ouvrages de la place les plus avancés (Aide- mémoire à l'usage des officiers du Génie, 4° édition, page 539). () Les lieux, les distances et l'emploi du temps sont ici conformes aux manœuvres des généraux gaulois et à celles de César (voir la carte d’Alaise). Vergasillaune, parti à neuf heures du soir de Ronchaux, point septen- trional de la colline extérieure, arrive secrètement, avant cinq heures du matin, au vallon de Lisine par le gué de Châtillon-sur-Lison; distance parcourue : 12 kilom. A l'heure de midi, il attaque par surprise les pentes de Bergeret, Doulaise, Refranche ; son quartier général est au Rouchat. A la même heure, l'armée de secours menace la circonvallation, depuis Bartherans jusqu’au sud du plateau de Charfoinge, et les Gaulois de l’oppidum attaquent parallèlement la contrevallation. De son camp oblong de Myon, où sont tenus en réserve, comme devant Avaricum (lib. VIT, ce. xx1v), six légions et la cavalerie, César voit de suite l’attaque qui se ‘fait dans la plaine, et apprend bientôt celle de Vergasil- Jaune sur le point dangereux de la montagne du nord. 11 y envoie Labie- nus, son meilleur lieutenant, avec six cohortes tirées de Myon, ce qui porte à vingt-six cohortes les troupes de Reginus, de Rebilus et de Labienus, engagées en ce moment sur ce point, Vercingétorix, de son côté, ne tarde pas à connaître l'attaque faite au nord, et se décide à opérer une diversion, par Saraz, vers les pentes raides des vallées d'Eternoz et de Nans. Il y arrive vers deux heures, avec les troupes campées de ce côté sur le versant oriental de la montagne d’Alesia. Mais César a vite connaissance, par les signaux ordinaires (lib. IT, ce. xxx111), de ce projet d'attaque sur un nouveau point de la contrevalla- tion. Il y dirige successivement, de Myon, treize cohortes avec Fabius et Brutus ; elles y arrivent au pas gymnastique avant deux heures et demie, et César les suit en personne avec un nouveau renfort, grâce auquel l’en- ns ir 13% Le résultat des fouilles complètes exécutées à Alise ne peut se concilier avec le texte, à cause : l° de la forme ronde de six Camps trouvés, trois au sud, trois à l’est et aucun du côté de la plaine des Laumes; 2° du petit nombre des fossés de contreval- lation et de circonvallation; 3 de l'intervalle insuffisant qui les sé- pare dans la plaine des Laumes ; 4° de l'impossibilité d’y tracer les défenses accessoires à la place déterminée par le texte. Tout cela prouve que le mont Auxois a été l’objet d’un blocus, mais qui ne ressemble en rien à celui de l’Alesia de César. 13° Le résultat des fouilles par- tielles faites à Alaise se concilie avec le texte, à cause : 1° de la forme carrée des camps, dont l’un entourait une colline de la plaine ; 2° des fossés trouvés en nombre suffisant; 3° des nom- breux vestiges existant sur tout le pourtour, là où la nature et la forme du terrain les réclament dans l'hypothèse d’un blocus ; 4° de la possibilité d'y tracer les défenses accessoires à la place déterminée par le texte. Tout cela prouve que le massif d’Alaise a été l’objet d’un blocus, qui res- semble beaucoup à celui de l’A- lesia de César. Telles sont les graves dissemblances qui existent entre Alise ct Alaise comparées. Ce n’est pas tout. Le texte, que nous avons vu déterminer si bien le caractère topographique et militaire d’Alesia, ne pouvait rester muet sur la question géographique. Il l’a tran- chée, en effet, dans l’ordre naturel du récit, avant qu'il soit ques- tion du blocus, par une seule phrase du chapitre Lxvr. Voici cette phrase qui, bien comprise dans sa traduction littérale et au point nemi est repoussé aux prærupla loca vers trois heures et demie. Ensuite les treize cohortes de Fabius et de Brutus achèvent de longer le côté est, et apportent à Labienus, vers quatre heures et demie, un secours inattendu (sors oblulit) ; alors ce général compte trente-neuf cohortes, selon le texte : Coactis una de quadraginta cohortibus (c. LxXxvH). César retourne au galop à Myon, par Vaux-Mourand et Charfoinge. Il y arrive à quatre heures et demie. Comme on le voit, la circulation est active dans les lignes. Là, il est aussitôt prévenu des dangers que court Labienus. Ses dispositions sont déjà prises : trois légions à peu près restent au camp de Myon pour faire face à l’armée de secours ; il descend dans la vallée du Lison et arrive à Doulaise, pendant que sa cavalerie opère un mouvement tournant sous Bergeret, dans l'espace de 400 pas. Cette ma- nœuvre, inspirée par la topographie des lieux, fut décisive, Er Ne de vue stratégique, a une valeur réelle, car, en sa présence, on ne peut plus hésiter entre les deux localités rivales : ; « Un grand nombre de cavaliers Magno horum coacto nume- gaulois étant rassemblés, comme ro, quum Cæsar in Sequanos César s’avançait contre les Sé- per extremos Lingonum fines quanes par les derniers confins iter faceret, quo facilius subsi- des Lingons, afin de pouvoir plus dium provinciæ ferri posset, facilement secourir la province circiter millia passuum x ab romaine, Vercingétorix vint cam- Romanis, trinis castris Vercin- per, en trois quartiers séparés, à getorix consedit. environ 10,000 pas des Romains. » Ainsi, d’après la traduction littérale du texte, la Séquanie va être le théâtre des événements, puisque César passait du territoire des Lingons sur celui des Sequanes, en franchissant la frontière commune à ces deux peuples, au moment où Vercingétorix vint lui barrer le passage, selon les propres paroles du chef gaulois (ch. Lxvi). Cette interprétation est conforme : 4° à la direction de la marche de l’armée romaine ; 2 aux raisons stratégiques et au but que se propose César ; 3° à la plus ancienne tradition historique. 4° Direction de la marche. — Le terme derniers confins, extremi fines, marque un rapport avec le terme premiers confins, primi fines, expression que César emploie ailleurs (liv. VI, ch. xxxv). L'un est ici l'opposé de l’autre, comme lorsque César dit, dans un autre ordre d'idées : primum agmen ( De bell. civ., lib. TILL, c. xzr) pour désigner la tête d'une colonne ou l'avant-garde, et extremum agmen (De bell. Afr., ©. Lxx) pour désigner la queue d'une colonne ou l’arrière-garde ; ou bien encore quand il écrit (De bell. Hisp., c. xxx): Ita, quum in extrema planitie iniquum in locum nostri appropinquassent, fixant, par le mot extrema, la partie de la plaine où arrive l’armée. Cette plaine de 5,000 pas sépare César de Pompée campé sur les hauteurs ; César la traverse pour aller attaquer son adversaire : extrema planities, point d'arrivée, fait donc opposition à prima planities, point de départ. Si l’on veut, conséquemment, déterminer les derniers confins = d'un pays, il faut en connaître les premiers. Ainsi, les derniers confins de la Gaule proprement dite ou celtique seront la Marne ou la Seine, qui séparent les Celtes des Belges, si, venant de l’Aquitaine, nous pénétrons dans la Gaule celtique en traversant la Garonne, qui sera, par rapport à nous partant de l’Aquitaine, les premiers confins de la Gaule celtique : Gallos ab Aquitanis Garumna flumen, a Belgis Matrona et Sequana dividit — .Belgæ ab extremis Galliæ finibus oriuntur (lib. I, ec. 1). De même encore les derniers confins des Suèves seront au fond de la Germanie, vers l’est de leur pays, à l'entrée de la forêt qui les sépare des Chérusques et dans laquelle ils se sont réfugiés, penitus ad extremos fines sese recepisse (lib. VI, c. x), si, comme César, nous marchons contre eux à travers le Rhin et le territoire des Ubiens, lequel confine à la partie ouest du territoire des Suèves, premiers confins de ce peuple par rapport au Rhin. Donc, pour dire quels sont, dans le cas que nous examinons, les derniers confins des Lingons, il faut absolument savoir quels en étaient les premiers confins par rapport à la place qu'occupail l’armée romaine avant de se mettre en marche; ce qui revient à connaître approximativement son point de départ. Ce point approximatif de départ, le texte lui-même le fixe chez les Séquanes. En effet, après la levée du siége de Gergovia et le passage de la Loire, César pénétra dans le territoire de ceux de Sens : iter in Senones facere instituit (c. zvi), où Labienus, avec lequel il voulait faire sa jonction, quod adjungi Labieno vehementer cupiebat (c. zvi), vint le rejoindre des bords de la Seine, en passant par Agendicum : Labienus revertitur Agendi- icum; nde, cum omnibus copiis, ad Cœsarem pervenit (c. Lxu). Conséquemment, par rapport à César campé sur le territoire des Sénones, les premiers confins des Lingons étaient ceux tou- chant aux Sénones et leurs derniers confins étaient les confins opposés, c'est à dire ceux vers la haute Saône, par lesquels on pénétrait de chez les Lingons chez les Séquanes. Ainsi, la marche de César s’opéra, d’après la valeur relative 5 — 660 — des termes per extremos Lingonum fines, sur le territoire lingon, de Ja Seine à la Saône, dans la direction de l’est à l’ouest. 20 Raison stratégique et but que se propose César. — Nous savons que le territoire lingon confinait vers le nord aux Rèmes, vers l’ouest aux Sénones, vers le sud aux Edues et vers l’est aux Leuques et aux Séquanes. La haute importance militaire du plateau de Langres n'avait point échappé à César. Dans son plan de la conquête des Gaules, le territoire lingon fut sa base se- condaire d'opérations, le reliant le plus intimement, par la Saône, à la province romaine, qui était son point de départ ou base principale d'opérations. La Saône lui servit toujours de ligne de communication na- turelle entre le nord et le midi de la Gaule. C’est ainsi que, dès la première campagne, celte rivière lui assura des approvision- nements fournis par les Edues, les Séquanes, les Leuques et les Lingons (lib. I, c. xvr, xL), et que, dès lors, pour la conserver, l’armée romaine établit des quartiers d'hiver sur sa rive gauche, dans la Séquanie {lib. 1, c. Liv) qui touchait à la province ro- maine (lib. [, €. xxxrm). De la Séquanie, César peut marcher à la conquête de la Bel- gique et des états maritimes de la Gaule celtique, ayant ses der- rières assurés, sans interruption, par le territoire rémois, celui des Lingons et celui des Séquanes (lib. I, If, IT, IV, V, VI). Telle fut sa ligne d'opérations, soudée à la province romaine, qui en était la base, par la Saône et le Rhône. Grâce à la facilité des communications assurées par cette ligne, il reçut constamment des renforts venus d'Italie et de Vienne, son grand dépôt des bords du Rhône, territoire des Allobroges réuni à la province romaine (lib. I, ©. 11, vi; lib. VIE, c. 1x). Pour plus de sûreté, il plaça bientôt (lib. VI, c. xziv) un camp de deux légions au centre de cette ligne, sur le plateau de Lan- gres, d'où il était maître de l’entrée des bassins de la Marne, de la Seine, de la Loire, du Rhin et de la Saône. Cette sage pré- cation lui permit de rejoindre ses légions, à l’époque du grand soulèvement de la Gaule (lib. VIE, c. 1x) ; et, grâce à elle, dans sam | let cette dernière lutte, il put maintenir sa base secondaire d’opéra- tions en un pays ami dont il était le maître, c’est-à-dire dans le vaste triangle compris entre Reims, Langres et Agendicum, oppidum sénonais tenu par ses troupes (lib. VIE, c. xrv). De cette base, il se porte par le bassin de la Loire sur Avaricum et Gergovia. Forcé de battre en retraite (lib. VIT, c. vi), (victus aufugit, dit Orose) César rejoignit naturellement sa base secon- daire d’où il était parû et s'établit, comme nous l'avons vu, tout près d'elle, chez les Sénones qui s'étaient déclarés contre lui (lib. VIL, c. xxxiv), vivant sur le territoire ennemi et ména- geant ainsi ses alliés les Lingons. Revenu à sa base secondaire d'opérations, el la révolte dans Ja Gaule celtique devenant générale {defectione Æduorum co- gnita, bellum augetur), puis sa base principale d'opérations étant menacée sur le Rhône {/Vercingetorix bellum inferre Allobrogibus jubet, lb. VIT, c. zxiv), quelle route s'offre à César pour continuer sa retraite vers les Allobroges de la pro- vince romaine, déjà envahie du côté du Dauphiné, du Rouergue, du Vivarais et du Quercy ? Une seule, qui est la ligne habituelle et sûre de communication avec cette province, par le plateau de Langres et la Saône. Vouloir lui en faire prendre une différente et nouvelle, par exemple celle allant du territoire senonais dans le bassin de la Saône, par le territoire éduen et les passages de la Côte-d'Or, ne serait-ce pas oublier le premier de tous les grands principes dans l’art militaire ? Ainsi, au point de vue stratégique, la marche de César vers la province romaine par le territoire lingon, par la haute Saône et par la Séquanie supérieure, était tout à fait rationnelle et la seule possible. Il y trouvait, dès les premiers pas, un point d’ap- pui assuré par le camp établi sur le plateau de Langres; il allait au-devant du seul renfort qu’il pût espérer, celui de la cava- lerie germaine venant du Rhin; il voyait ouvert devant lui le meilleur chemin vers les Allobroges, chez lesquels Eporédorix avait en vain essayé Jusqu'à ce moment de pénétrer, en fran- chissant le Rhône (lib. VIF, c. Lxv) ; enfin, il pouvait, par cette LE ES route libre, secourir plus facilement la province romaine en- vahie sur d'autres points, car, de cette manière, il devait arriver plus vite au Rhône et donner plus tôt la main aux Allobroges res- tés fidèles, attendu que depuis le territoire des Lingons, où il passait la Saône sans danger, il opérait sa retraite le long de la rive gauche de celte rivière, par le territoire des Sequanes, et non par le long de la rive droite, par ce pays des Edues, chez lesquels l’armée gauloise concentrée (lib. VIT, c. Lxim) aurait infaillible- ment retardé sa marche. Tout cela est conforme au but principal que César se propose, à la lettre ainsi qu’à l'esprit du texte, et se conçoit aisément. Arrivé en Séquanie, bien pourvu de vivres tirés de chez ses alliés les Lingons, sans être obligé de com- battre avant la venue des Germains, César était de suite couvert par la Saône, qui servait, comme jadis, au transport de ses vivres (lib. I, c. xvi, lib. VIT, ch. xc) ; et, en cas de nouvelles défaites, les pentes occidentales du Jura, auquel il s’appuyait, offraient un asile à son infanterie. Cette marche très habile de l’armée romaine, déduite du plan de campagne que le texte indique nettement, fut vite connu de Vercingétorix, dont le quartier général était à Bibracte, et lui dicta la seule conduite qu’il eût à tenir dans cette circon- stance (lib. VIT, c. Lxvi) : Fermer à César le bassin de la Saône; à cet effet, établir une base d'opérations sur le flanc occidental du Jura, en un lieu assez fort et assez vaste pour servir de champ de bataille, de camp retranché à ses 80,000 hommes d'infanterie, en cas de revers subi par la cavalerie, seule arme destinée à combattre en rase campagne, selon le dessein arrêté (lib. VII, C. LXIV). 3° Tradition historique. — Tout le monde sait que les histo- riens latins et grecs sont unanimes pour indiquer la Séquanie comme théâtre de la rencontre qui eut lieu, dans cette campagne, entre la cavalerie de César et celle de Vercingétorix, la veille du blocus d’Alesia. Ce combat ayant été livré en Séquanie, d’après les auteurs anciens ainsi que d’après notre traduction littérale, et Alesia Ever devant se trouver dans la Gaule celtique, cet eppidum devait être chez les Séquanes. En effet, comme le combat équestre se livra la veille du blocus d’Alesia, et nécessairement à environ dix mille pas des derniers confins des Lingons, par lesquels César entrait en Séquanie, sans doute sur les bords de l'Ognon, dans ces mêmes Locis apertis que César, ravitaillé par les Lin- gons, avait déjà parcourus lors de la guerre contre Arioviste (lb. I, c. xur), l’oppidum d'Alesia, choisi comme refuge et comme champ de bataille pour l'infanterie gauloise intacte (plan en tout conforme à celui suivi sur les bords de l'Allier et à Ger- govia), devait se trouver stratégiquement sur les derrières de Vercingélorix, et à une Journée de marche du lieu du combat de cavalerie. Or , à cette distance, se rencontre précisément un terrain spécialement propre à l’action de l'infanterie, comme l'était celui de Gergovia, terrain tout militaire, qu’arrose un af- fluent du Doubs /Dubis), sur les bords duquel habitaient les Mandubiens (Man-Dubii, hommes du Doubs); et, dans ce pays tourmenté, les manuscrits locaux nous indiquent et nous mon- trent l'emplacement d'un oppidum celtique, qui portait autrefois le nom latin Alesia et qui s'appelle aujourd'hui Alaise : Vercin- getorix protinus Alesiam, quod est oppidum Mandubiorum, iler facere cœpit (c. Lxvin). Au surplus, la tradition historique, en plaçant Alesia en Sé- quauie, contrée limitrophe de la province remaine, est d'accord avec la lettre du texte : Respicite finitimam Galliam (c. Lxxvur), paroles prononcées dans les murs d’Alesia, qui, par conséquent, était aussi dans une contrée limitrophe de la province romaine ; et elle n'est pas contraire à la phrase : His rebus confectis, Cæsar in Æduos proficiscitur (c. xc), relative au départ du pays où est Alesia pour aller dans un pays où elle n’est pas. En présence de tant de preuves, quel est l'esprit impartial qui oserait méconnaître la logique du système que ma solution con- sacre, en détruisant l'illusion militaire d’Alise-Sainte-Reine et en rendant à la Franche-Comté l’Alesia de César ? ‘ +2 UM Be et pe Cote ù e. 0h cpl ghA ÉTTU : D STE SPORT TR E: trou 1 Ê ns af ST en potenli fret | NE a RASE LE Cum tab atsls CASE MONOGRAPHIE PALAIS GRANVELLE A BESANÇON M. AUGUSTE CASTAN. Séance du 10 mars 1866. 2 M ES HRÈE 2484 WE LLT sa Rr : nr Le A. - . ce d à, RTE - En En, 1 2 . ri: es in - ; d - > L Le . el De Le EE 48 DES PCT SR 7, " +? le & Le Vye A TE 2 à Fa ge ë PRE k PTE #1 æ tr re Éa | Va e | . ax es : Lay R Ko Se mi ei æ _ d * H Le] \ fl LA 7) t re » # L RE ee V2: 12 L ARE t r ) Fu MONOGRAPHIE DU PALAIS GRANVELLE A BESANCON Origines du Palais. La famille Perrenot, qui a donné à la Franche-Comté et à l'Europe un principal ministre de l'empire germanique et un car- dinal vice-roi de Naples, est originaire de la vallée de la Loue. Son premier auteur connu, Nicolas Perrenot, quitta en 1391 le village d’Ouhans, et, moyennant l'engagement de payer une capitation annuelle de deux sous au duc et comte de Bourgogne, fut reçu dans la bourgeoisie de la petite ville d’Ornans (‘). L'un des enfants de ce Nicolas exerçait en 4426 le métier de for- geron (*); mais, par suite du mariage de son petit-fils avee — () Lettre de bourgeois d'Ornans, octroyée à Nicolas Perrenot, d'Ouhans, éditée par l’auteur de ce travail dans la Correspondance liltéraire, 6° année, - 1862, p. 365. (2) « A propos de ce voyage [que fit le cardinal de Granvello en Franche. Comté après sa sortie des Pays-Bas], je raconteray, dit Jules CHIFFLET, que le P. Claude Richard, de la eompagnie de Jésus, natif d'Ornans, me dit à Madrid, en l'an 1650, à scavoir qu'il avoit appris des vieux (alors luy- mesme estoit âgé de 63 ans et en son jeune âge avoit esté page du comte de Cantecroy, neveu du cardinal) que le cardinal fut en ce temps voir Ornans, ancienne patrie de ses gens, et qu’estant un jour accompagné de plusieurs gentilshommes du pays, il leur monstra le lieu où estoit la forge de son bisayeul, qui avoit esté un mareschal; et que de plus il rencontra une vicille femme qui l’avoit cognu fort jeune, qui luy dit : « Monsieur Antoine, j'ay travaillé autrefois aux champs avec vostre grand-père » ; de quoy le cardinal ne s'offensa nullement, et qu'au contraire il luy assigna une pension pour le reste de ses jours, » — Cf. A. MARLET, Note sur la généa- logie des Perrenot de Granvelle, dans les Mémoires de la Socièlé d'Emulation du Doubs, 4° sério, t. 1, 1865, pp. 41-45, BASE Guillemette Grospain, l’aisance arriva dans la famille, et, dès la fin du quinzième siècle, Pierre Perrenot cumulait les charges de notaire et de juge-châtelain d'Ornans (!). Le fils de ce dernier, nommé Nicolas comme son ancêtre, débuta par la fonction d'avocat du roi au bailliage d'Ornans- Ayant épousé en 1513 Nicole Bonvalot, d'une des premières fa- milles de Besançon, cette alliance, en lui procurant quelque for- tune, favorisa l'essor de ses talents. Nommé, en 1518, conseiller au parlement de Dole, il fut fait, l'année suivante, maître des re- quêtes de l'hôtel de l'empereur, et sut gagner la confiance de Marguerite d'Autriche, comtesse de Bourgogne et gouvernante des Pays-Bas, à tel point que cette princesse le choisit pour son représentant aux Conférences, de Calais, en 1524. L'habileté qu’il déploya dans cette mission frappa l’empereur Charles-Quint, qui le comprit au nombre des négociateurs du traité de Madrid, et lenvoya auprès de François [e' pour surveiller l'exécution de cet acte. Forcé de quitter Paris, en 1528, lors de la reprise des hostilités entre les maisons de France et d'Autriche, Perrenot ne fit que grandir dans la confiance de son maître (?) ; il en reçut les titres de premier conseiller d'Etat et de garde des sceaux des royaumes de Naples et de Sicile. Chargé de présider plusieurs diètes de l'empire, il réussit à calmer, mais non à éteindre, les passions religieuses qui embrasaient l'Allemagne. Il finit à Augsbourg, le 27 août 1550, âgé de soixante-quatre ans. En ap- prenant sa mort, Charles-Quint écrivit à Philippe IE : « Mon fils, nous avons perdu, vous et moi, un bon lit de repos (*). » Nicolas Perrenot, qui avait acheté, entre autres seigneuries, () D. LÉVESQUE, Mémoires pour servir à l'histoire du cardinal de Gran- velle,t. 1, p.168; MARLET, La vérité sur l'origine des Granvelle, Dijon, 1859, in-80. (?) La lettre écrite à Nicolas Perrenot par la reine Eléonore, immédiate- ment après la mort de Francois Ier, son époux, fera juger de la confiance qu'inspirait le chancelier de Charles-Quint; nous donnons cette lettre dans nos pièces justificatives, no IT. (*) D. LÉVESQUE, ouvrage cité, t, 1, pp. 170 et 181, Ch. Weiss, Notice préliminaire des Papiers d'Elat du cardinal de Granvelle, pp. 1-vr. cie celle du village de Granvelle, et conquis la rare faveur de dé- corer son modeste blason paternel de l'aigle impérial, fit le plus noble usage de ses immenses richesses (!). Protecteur éclairé des savants et des artistes, il voulut être par-dessus tout le dé- fenseur des intérêts de ses compatriotes (?). Il avait sollicité et obtenu, par lettres-patentes du 44 août 1527, le modeste office de juge pour le comte de Bourgogne dans la ville de Besançon (°); et la réception qui lui fut faite, lorsqu'il vint prendre person- nellement possession de cette charge, donnera l’idée de la haute estime dont il jouissait dans la vieille cité. « Magnifique et noble seigneur, disent les registres munici- paux, messire Nicolas Parrenot, chevalier, seigneur de Grant- velle, Mesches, etc., premier conseiller d’Estat de l’empereur nostre souverain seigneur, Juge pour Sa Majesté et gouverneu: en ceste cité de Besançon, ayant bien mérité de ladicte cité et () La fortune pécuniaire des hommes d'Etat était, à cette époque, pro- portionnelle à leur crédit, car tout solliciteur n’abordait la cour que les mains pleines; or, Granvelle était, suivant l'expression d'un contemporain, le tout de l'empereur qui ne faisoit rien que par lui. (Mémoire de M. de Bellegarde, envoyé du duc de Savoie, en 1530, dans les Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Genève, t. XV, p.257.) ) Lors d’une querelle qui s'était élevée, en 1533 et 1534, entre le clergé et le pouvoir municipal, au sujet d’un édit de ce dernier qui ordonnait l’extirpation des vignes enclosés dans les murs de Besancon, Granvelle intervint amiablement pour concilier les parties. « Et ce faisant, écrivuit-il aux cogouverneurs, j'auray meilleur moyen d'assister au bien de ladicte cité que je vouldroie préférer au mien propre. » (#) La création de cet office de juge du comte de Bourgogne datait de 1451, époque où le maréchal Thiébaud de Neuchâtel ayant réprimé une insurrection de la plèbe contre la bourgeoisie, les chefs de celle-ci s'étaient laissé arracher un acte d'association avec le souverain de la Franche- Comté, qui eut dès lors le droit d’instituer dans la cité un capitaine mili- taire et un juge. Ce magistrat participait à tous les actes judiciaires du conseil de ville et faisait percevoir, pour son maître, la moitié des gabelles et des amendes. 11 avait la faculté de mettre à sa place un lieutenant : aussi voit-on Nicolas Perrenot, retenu par ses hautes fonctions auprès de l'empereur, déléguer immédiatement ses pouvoirs à Jacques Bonvalot, son beau-père, et, après la mort de celui-ci en 1537, à Jacques Chambrier, docteur ès-droits. — 76 — république d’icelle, fit son entrée en ladicte cité le jour feste Pu- rification Nostre-Dame, second jour du moys de février l'an mil cinq cens trente-ung (2 février 4532, x. s.), luy venant de court dudict seigneur empereur, entra par la porte de Battant; et, pour le recevoir, Messieurs les gouverneurs envoyèrent au devant de luy hors de la eité messieurs d’Ancier, de Gonssans, Chenecey, d'Anvers, Nicolas Boncompain, Pétremand et Montrivel, con- gouverneurs, et bon nombre de notables de ladicte cité ; à son entrée a esté tirée la grosse artillerie, et en très grand Jjoye et lyesse a esté receu triomphament par mesdicts sieurs, aussi général et commung de ladicte cité. » Vivement touché de cet accueil princier, il résolut de laisser dans la ville un souvenir imposant de sa munificence. Il avait acquis, depuis plusieurs années, un vaste immeuble, compris entre deux grandes artères de la cité, la Grande-Rue et la rue Saint-Vincent, et confinant d'autre part au monastère des Carmes. Un chemin public traversait diagonalement ce terrain, et mettait en communication la Grande-Rue avec le traige du Point-du-Jour. I sollicita la suppression de ce chemin, et la ville s'empressa d'accéder à son désir : elle fit plus encore, car, par un acte du 45 décembre 1534, elle achetait une bande du terrain des Carmes, large de dix-huit pieds, allant de la Grande- Rue à la rue Saint-Vincent, et convertissait cet espace en ruelle publique, avec faculté pour le chancelier d'y construire un mur bordant son clos et d'y prendre les jours et ouvertures qui e- raient à sa convenance (!). \ \ ————— (1) «..... Les gouverneurs désirant l’embellissement d’icelle cité et que ladite église des Carmes soit mieulx fréquentée, et pour l’embellissement et commodité des meix et maison dudit seigreur de Grantvelle, ont conclu et ordonné que ledit cloz dés Carmes, à eulx advenu par échange, sera réduict en plaice commune à usage de rueile, en largeur de dix buit piedz de compte, afin povoir treger communément des rues Grande et de Sainct- Vincent, à l'utilité et commodité de toutes personnes; en laquelle ruelle veulent et entendent icelluy seigneur de Grantvelle pouvoir faire pourtes pour la commodité de sadite maison; et pour ce que entre ladite maison dudit seigneur de Grantvelle et son cloz, y a une ruelle commune appar- A RCRRE Le 7 Le chancelier aurait voulu pousser la principale façade de son édifice jusqu’au niveau de cette ruelle; mais il en fut empêché par la résistance du propriétaire d’une maison enclavée dans son domaine. Ce propriétaire, nommé Charles Ludin, vint ce- pendant à mourir, et, à la vente de ses biens qui eut lieu par autorité de justice le 5 décembre 1534, Nicolas Perrenot put ac- quérir la maison qui lui faisait obstacle ; mais alors l’ordre infé- rieur de la grande face du palais était construit, ainsi qu’en té- moigne le millésime 1534, qui se lit dans le fronton d’une fenêtre de ce rez-de-chaussée, avec la devise sic visvm svreris (‘). La maison Ludin fut conservée telle quelle par le nouveau proprié- taire, qui en fit une annexe de son palais. La bâtisse se poursuivit encore pendant six années, sous la surveillance de Nicole Bonvalot, la digne épouse du chancelier Granvelle. On voit, en effet, la date 4539 sur deux chapiteaux de l'étage de la cour du palais, et sur deux autres le millésime 1540. Profitant d'un voyage diplomatique, dont le but était de s'a- boucher avec le pape Paul IT, à Lucques et à Rome, pour trai- tenant à ladite cité, lesdits sieurs gouverneurs......, considérans l'adresse, biens el amytié qu'il a fait et pourté à ladite cité et qu'ilz espèrent fera au temps advenir, luy ont donné et donnent, spontanément, purement et irrévocablement, ladite ruelle qu'est au mylieu de sesdits maison et cloz, à prendre dois le commancement du coustel desdits Carmes ef jusques au treige ct hissue derrier de la maison aux héritiers feu Huguenin de la Borde, avec le reste dudit cloz des Carmes qui se trouvera hors la ruelle du coustel de l’héritaige d'icelluy seigneur de Grantvelle...., pour, par ledit seigneur de Grantvelle, ies clorre, fermer et comprendre deans sesdits meix, maison, cloz et pourpris.....» ( Délibération municipale du 15 dé- cembre 1534.) (2) « Sa devise, dit Jules CHiFFLET, fut SIC vISVM SvPERIS, et le corps qu'elle avoit estoit le Père Eternel sortant d’une nue : ce qui servira à l'intelligence d'un brocard qui fut fait pendant ses grandes entremises, fondé sur ce que l'empereur lui changea le chef de l’escu de ses armes qui estoit chargé de trois croissans, luy donnant en place un aigle impé- rial, avec réserve de l’ancien timbre dont il usoit, qui estoit une teste de porceau en pal. Et tout cela bien entendu, voici le vers examètre qu'on fit sur ses nouvelles armes : Sie visum superis aquilam submittere porcis. » mu TR se ter des préliminaires du concile de Trente, Nicolas Perrenot put s'arrêter quelques jours à Besançon, et jouir de l'aspect impo- sant de l'édifice qui venait de s'achever. Il arriva dans la ville le 20 décembre 1544. La municipalité, pleine de reconnaissance pour ses bienfaits, lui avait préparé une entrée triomphale. On en jugera par le récit suivant que nous empruntons aux registres MUNICIPAUX : « Ce jourd’uy, sur la nuyt, est arrivé en ceste cité de Besan- çon illustre et magnifique seigneur Messire Nicolas Perrenot, chevalier, seigneur de Grantvelle , baron d’Aspremond, Bel- jeu, etc., premier conseiller d’'Estat et garde des seaulx de très sacré et très victorieux prince Charles cinquiesme, empereur des romains, toujours auguste, et juge en ladite cité pour Sa Ma- jesté comme comte de Bourgoigne. » Au devant duquel sont estez Messieurs les gouverneurs, avec grande compaignie de peuple de ladite cité, tous à chevalx, lesquelx sont sortis de l'hostel consistorial de ladite cité, lesdits sieurs gouverneurs estans vestuz de leurs meilleurs et plus so- lempnelz habitz : devant lesquelx précédoient deux sergens pourtans les harmaux et vergettes blanches ; plus les officiers suyvoient lesdits sieurs gouverneurs et grande compaignie de ladite cité, » À la porte de Charmont, par laquelle entra ledit seigneur de Grantvelle, estoient environ cent compaignons bien en ordre, avec partisainnes et hallebardes. » À laquelle porte estoit aussi la plus grande partie de l’ar- tillerie dudit hostel consistorial, que pour ce l’on y avoit fait conduyre : laquelle l’on a tiré impétuosement à l’arrivée dudit seigneur. » Auquel seigneur de Grantvelle, incontinent qu'il a esté ar- rivé en sa maison, pour la part de la cité, par le trésorier d’i- celle, luy a esté envoyé le présent suivant : premièrement quattre poinssons de vin sur un char, assavoir deux de vin blanc et deux de vin cler viez, fort excellent, que coustoit deux groz la pinte; item huit bichotz d'avenne sur huit asnes; huit an GÙ == symases d'ypocras, tant blane que cleret, tenant chascune trois chavealx ; huit boyttes de dragées, chascune de trois livres; trois douzaines de torches, pesant chaseune cinq quarterons. » Et le soir, environ les huit et neufz heures, pour la bien venue dudit seigneur de Grantvelle, l’on a tyrer impétuosement et fait sonner copieusement en Fhostel consistorial l'artillerie y estant.» La ville de Besançon n'avait cessé de prêter le concours le plus honorable à la construction du palais. Non contente d’a- voir autorisé le chancelier à prendre dans ses forêts tous les bois de bâtisse qui lui étaient nécessaires, elle exempta perpé- tuellement, par acte du 20 août 4538, le palais et ses dépen- dances de toutes contributions et impositions. Puis, en 1542, le 16 mai, deux des cogouverneurs furent chargés d’aller offrir à Madame de Granvelle, pour sa maison de la Grande-Rue, le don et présent d'un filet d’eau des fontaines publiques : cette gra- cieuse concession fut immédiatement acceptée; mais l'acte n’en fut dressé que le 25 février 4550, ce qui fixe la date de l'appro- priation de la cour et du jardin de l'édifice. Trois mois auparavant {18 novembre 1549), le receveur du chancelier avait passé marché pour la construction d’une cha- pelle attenante à l’église des Carmes (!), et pourvue d’une crypte (2) Avant de songer à la fondation de cette chapelle, le chancelier avait construit un oratoire dans l’intérieur même de son palais et l'avait dédié à Notre-Dame des Sept-Douleurs. L'autel de ce petit sanctuaire avait pour retable un tableau à volets d'Albert Durer, dont le milieu représente une Maler Dolorosa entourée de médaillons figurant les six mystères doulou- reux : les volets montrent sur une de leurs faces des prophètes avec légendes latines, et sur l’autre les images de Jésus et Marie, en grisailles, surmontées des armes des Granvelle et des Bonvalot. Lorsque le palais devint, à la fin du xvinre siècle, la résidence des gouverneurs de la pro- vince, on supprima cette chapelle intérieure, et le tableau d'Albert Durer fut placé au-dessus de la porte qui mettait en communication le pont cou- vert du palais avec l’église des Carmes; puis ce passage lui-même ayant été démoli en 1782, la municipalité retira le tableau, le fit restaurer par un peintre nommé Frick, moyennant la somme de 259 livres 2 sous, et le placa NE qui dut être affectée aux sépultures de la famille Granvelle. Un passage couvert, jeté par-dessus la ruelle publique, mettait le palais en communication avec l’église, tandis qu'une porte, percée sous le jubé de l’église, permettait de passer de celle-ci dans la chapelle (!). Sur ces entrefaites, arriva le décès du chancelier, et, confor- mément à ses volontés dernières {?}, son corps fut ramené en Franche-Comté. On l'entreposa d'abord au prieuré de Beaupré, bénéfice de François Bonvalot, son beau-frère; puis on lui fit à Besançon de pompeuses obsèques (*). Mais, en attendant que la construction de la chapelle funéraire fût suffisamment avancée, on le déposa dans l’une des salles basses du palais, où il resta toute une année. C’est là le plus long séjour qu’ait fait le chan- celier dans sa splendide demeure de Besançon. Il en sortit solen- dans la chapelle de l'hôtel de ville où il est resté jusqu'à la Révolution. (Cf. Catalogue du musée artistique de Besançon, par J.-F. LANCRENON, 5° édit., no 92.) @) Cette chapelle, située entre le clocher et la sacristie de l'église des Carmes, se compose de trois sections de voûtes en étoiles retombant sur des pilastres de style dorique; les fenêtres sont en plein cintre avec me- neaux formant des arcatures. Sous le sol existe un caveau voûté en berceau, long de 15 mètres, sur une largeur de 2 mètres 50 centimètres. Dans le marché de la construction de cette chapelle, on voit la commande de douze piédestaux en pierre destinés à recevoir autant de statues de saints de grandeur naturelle. La Révolution:a détruit les statues, en même temps qu'elle a jeté au vent les cendres de ceux qui reposaient dans la crypte. 11 reste cependant un débris de cette décoration : c'est une figure de diacre en pierre tendre, aujourd’hui privée de sa tête, dans le dos de laquelle on avait creusé une auge pour servir à la forge de l'atelier de serrureric qui occupe les écuries du palais; M. Charles Saint-Eve a remis en lumière ce fragment d’une bonne facture. L'autel du sanctuaire qui nous occupe avait pour retable une Descente de croix du Bronzino, présent de (.osme de Médicis au cardinal de Granvelle, remplacée immédiatement dans la chapelle du palais ducal de Florence, par une répétition originale que possède la galerie des Offices. {Catalogue du musée de Besançon, n° 46.) (?) Testament de Nicolas Perrenot et de Nicole Bonvalot, dans les Mé- moires de D. LÉVESQUE, t. IT, pp. 255-256. (*) Voir une lettre du futur cardinal de Granvelle sur les funérailles de son père, dans nos pièces justificatives, n° III. SES" nellement, au mois de décembre 1551, pour habiter un_ sarco- phage de pierre décoré d’une élégante épitaphe latine, qui fait aujourd'hui partie de notre musée archéologique (1). « Le 6 décembre de cette année, dit un chroniqueur local, fut bénite la chapelle de Granvelle aux Grands-Carmes de Besançon, et peu après on y enterra le chancelier de ce nom, dont le corps avoit été apporté un an auparavant. Il étoit dans une litière cou- verte de velour noir et les mulets couverts de même jusqu'à terre. Les processions de la cité précédoient; item cent torches chargées de ses armoiries; item d’autres torches sur des banes posés à un pied l’un de l’autre, sur lesquels on avait placé des torches avec écussons des parents et amis du défunt. Toute l'église des Carmes, le chœur compris, étoit tapissée en noir, partie en velour et partie en drap. Au chœur étoit un catafalque, chargé de torches pesant quatre livres pièce. Sur le corps, il y avoit un drap de velour portant jusqu'à terre. Les gentils- hommes habillés en noir suivoient le corps : l’un portoit l’écu de ses armes, le second son heaulme, le troisième son épée, le quatrième son hoqueton, le cinquième son épée dorée, le sixième ses éperons, le septième ses gantelets, Je huitième son écusson. Quatre seigneurs portoient les coins du drap. Trente- six enfants habillés de noir portoient chacun une torche. La litière entra jusqu'au chœur des Carmes, fut mise alors dans un préparatif de carrons ou carreaux, et soudain couverte de chassis de bois. Personne ne vit jamais tant de seigneurs en monceaux ni tant de torches (?). » Par ses divers testaments, le chancelier avait affecté une somme de dix mille francs à la fondation d’un établissement () Ce sarcophage, vidé à l’époque révolutionnaire, servit d’abreuvoir aux chevaux des chasseurs de la Côte-d'Or, casernés aux Carmes, Vendu plus tard à un particulier qui en fit un lavoir, il a trouvé enfin un hono- rable asile au musée archéologique de Besancon. (A. MarLEr, La vérité sur l'origine de la famille Perrenot de Granvelle, p. 80 et pl. 4.) (?) Extrait d'une chronique inédite du xvie siècle, dans les mss. du P, Dunanpn, Histoire séquanoise, t. IT. 6 ss d'instruction supérieure dans la ville de Besançon. « Mais, dit Prosper Lévesque, il n'eut pas le temps de voir son ouvrage achevé. Ce fut Nicole Bonvalot, sa veuve, qui y mit la dernière main, en ordonnant, par acte du 20 mars 1568, qu'il y auroit dans ce collége un professeur en théologie, deux en belles-lettres et huit boursiers, lesquels tous auroient leur logement en une maison qu'elle fit bâtir proche l’église Saint-Maurice (!). » Les revenus n'étant pas en rapport avec les charges, ce collége n’eut jamais un fonctionnement complet n1 régulier. Il était depuis nombre d'années absolument désert, lorsqu’en 1630 les héritiers des Granvelle en cédèrent le local et les rentes à la congrégation enseignante de l'Oratoire, qui venait d'obtenir l'autorisation de s'établir dans la cité. Les obligations de la communauté se bor- nèrent à l'entretien d’un seul professeur en théologie; ce cours publie eut lieu, jusqu'à la Révolution, dans une grande pièce qui sert aujourd'hui de vaisseau principal à la bibliothèque de la ville. IT. Description architectonique du palais (?). LA « La distribution de l'édifice, dit M. l'architecte Delacroix (°), est celle de la plupart des palais d'Italie. Au centre est une vaste cour entourée au rez-de-chaussée d’un portique, et à l'étage d’une galerie dans laquelle sont les entrées des appartements. » Du côté de la Grande-Rue s'élève la façade principale. Elle est composée d’un rez-de-chaussée, de. deux étages et d’un attique. La porte d'entrée est une arcade entre deux colonnes. Il () D. LÉVESQUE, Mémoires, t. 1, p. 176. (2) Voir les planches d'architecture qui accompagnent ce travail, et dont nous devons les dessins à l’obligeance et au talent de M. Saint-Ginest, architecte du département du Doubs, (5) Notice sur Le palais Granvelle, dans les Mémoires de la Soc. d'Emul. du Doubs, 1re série, t. II (1812), pp 7-5. ÉRYE: n’y à pas d'autre baie cintrée dans la façade. Les fenêtres du rez-de-chaussée et du premier étage sont subdivisées par des croix, comme celles du grand palais de Venise à Rome. » La façade est divisée en cinq parties, au moyen d'espèces de contreforts composés chacun de trois colonnes, dorique, ionique et corinthienne, superposéés; au-dessus de l'attique sont trois lucarnes en pierre. » La décoration du palais Granvelle est extrêmement riche. Les fenêtres du rez-de-chaussée sont encadrées de pilastres à chapiteaux variés et dessinés avec un luxe rare, même pour le temps de la Renaissance : chacune d'elles est couverte d'un fronton ; les tympans sont remplis par des cartouches, dont l'un porte la devise sic visvm svperis que l’on retrouve encore dans plusieurs parties de l'édifice. Ces fenêtres et celles du premier étage ont des chambranles en chanfrein ; il n’en est pas de même à l'étage supérieur : ces dernières sont couronnées de frontons d’où sortent des têtes sculptées. » Rien ne surpasse l'élégance de la porte d'entrée, si ce n’est celle des lucarnes sur lesquelles s'élèvent, à limitation des pyra- midions de l’époque antérieure, des candélabres flambants. » Des cartouches, des fleurs, des dauphins, mais surtout des têtes d’anges et des figurines mythologiques font les frais de l’or- nementation. La plus grande partie de la façade est en marbre poli, tiré des carrières du pays. » S1 l'extérieur du palais est un exemple des premiers essais de l'architecture de la Renaissance, le style de la cour n’est pas moins caractéristique. En effet, sur les colonnes du portique sont des arcs surbaissés, l’ellipse écrasée jusqu'aux dernières limites du possible... Les colonnes sont doriques, mais l'extrême lar- geur de leurs chapiteaux n’a pas d'exemple dans l'antiquité. A l'étage sont des pilastres ioniques excessivement fins et grêles. » L'intérieur de l'édifice a subi tant de modifications qu'il est difficile d'y reconnaître les œuvres primitives. Quelques portes en pierre existent encore. On retrouve aussi quatre médaillons en albätre représentant les empereurs Otho, Vitellius , Vespa- sianus, Titus. Ces médaillons, portant les numéros 8, 9, 40 et 11, appartenaient à une série disposée autour de la galerie supé- rieure. » On ignore le nom de l'architecte du palais Granvelle. « Cepen- dant, dit M. Delacroix, son nom devait être illustre si l’on en juge par l’œuvre. » Nous croyons avoir retrouvé les initiales de ce nom sur l’un des chapiteaux de l’étage de la cour; ce sont les lettres I. O. A. LIL. Annales du palais. Nicolas Perrenot avait à cœur d'assurer la conservation du palais et de son mobilier dans sa descendance [!) : aussi prit-il des mesures pour en empêcher la vente. À cet effet, les pro- priétés qu’il possédait sur le territoire de Besançon furent con- stituées en un groupe indivisible, assuré perpétuellement, en vertu de la loi de substitution, à celui que l’ordre de primogéni- ture rendrait chef de la famille. Antoine, le quatrième des quinze enfants du garde-des-sceaux, était attaché à la ville de Besançon par le plus solide de tous les () « Déclarons que nostre intention est et voulons que les antiquailles estant en la maison et meis dudict Besancon, édiffiez devant Sainct-Mauris, y demeurent, et aussy les remmes de cerf, sans ce que, comme qui soit, rien s'en puisse distraire. Aussy entendons-nous et leurs recommandons que, en faisant les partages desdits meubles, ilz tiennent regard de les fere telz que les tapisseries historiées demeurent entières et sans séparer pièces servans à une mesme histoire... Et quant aux calices et habillemens d'aultel servans à la chappelle dez Sept douleurs, construicte et fondée en nostredicte maison devant Sainct-Mauris, et tous et quelconque libvres, tant en parchemin que papier, et tant en latin, francoys que aultres lan- gaiges, estant en icelle chappelle et en la sallette devant, nous voulors et entendons qu'ilz ne s’en puissent distraire, ains demeurent pour toujours en ladicte maison...» (Acte de partage fait entre leurs enfants par Nicolas Perrenot et Nicole Bonvalot, le 5 janvier 1550, dans les Suppléments aux Papiers Granvelle.) PTT — 65 — liens, celui de sa naissance qui avait eu lieu, le 20 août 4517 à quelques pas du terrain où s’éleva plus tard le palais (!). Ayant possédé ou occupé des palais splendides, à Arras où il fut évêque de 1540 à 1560, à Bruxelles qu’il habita comme premier ministre des Pays-Bas de 1558 à 156%, à Malines dont 1l devint le pre- mier archevêque en 1560, à Rome où son titre de cardinal-évêque le plaçait au premier rang des princes de l'Eglise, à Naples qu'il gouverna Comme vice-ro1 pendant cinq années, à Madrid où 1l di- rigea la politique intérieure de l'Espagne de 1575 à 1586, année de sa mort, Granvelle aimait le palais de Besançon comme on ane son berceau. Il y revenait toujours avec bonheur, entouré de l'élite des érudits d un grand siècle, et ajoutant aux collections formées par son père les précieux monuments qui s'exécutaient ou revoyalent le jour sous sa généreuse impulsion. Le cardinal ne cessa de fréquenter le palais qu'en 1575, époque de la mort de son frère Thomas et de sa brouille avec François, fils de ce dernier (?). C’est alors qu'il acheta la Tour de Montmartin, à Besançon, et qu'il fit construire sur ce terrain un vaste logis, qui fut sa propriété personnelle {). François, dont il vient d’être question, avait recueilli la partie (4) Voir le Mémoire de la nativité des enffants de Nicolas Perrenot (pièces justificatives de ce travail, no 1) ainsi qu'une lettre, du 17 août 1585, où le cardinal dit qu’il est.né citoyen à Besançon (MARLET, La vérilé sur l'origine de La famille Perrenot, p. 68). Comme il résulte du premier de ces documents que le cardinal fut baptisé à l’église Saint-Maurice, et que sa naissance est antérieure à l'achat des terrains où s'éleva le palais, tout porte à croire qu'il vit le jour dans une maison contiguë à l'église Saint- Maurice et ayant un droit de pas:age derrière le chevet de cet édifice. Cet immeuble, qui faisait partie de la dot de Nicole Bonvalot, porte aujour- d’hui le n° 123 de la Grande-Ruc de Besancon. (2) D. LÉVESQUE, Mémoires, t. [, pp. 190 et 191. (#) Le 3% volume des lettres du cardinal au prieur de Bellefontaine renferme les plans originaux de cet édifice, qui, après avoir élé acquis par la ville, le 4 décembre 1618, pour la somme de 16,000 francs, servit, jusqu’à la Révolution, au logement du commandant militaire de la pro- vince, et fut vendu nationalement comme le palais Granvelle; il est occupé aujourd’hui par le pensionnat du Sacré-Cœur. RE indivisible de l'héritage des Granvelle. Il avait le goût des ta- bleaux, des livres et des curiosités ; 1l s'était même attiré, par là, les bonnes grâces de l’empereur Rodolphe, qu’il ne sut malheu- reusement pas garder. Entre de telles mains, les collections du palais ne pouvaient que gagner ; elles s’enrichirent, en effet, de curieux morceaux d'art et de beaux manuscrits ({). Le palais fut visité à cette époque par les députés que les ligues suisses envoyèrent au roi de France Henri IT; et voici ce qu’on trouve, au sujet de cet édifice, dans leur relation : « Nous entrâmes d’abord au palais Granvelle. Près de la porte, du côté gauche, un énorme loup était suspendu à une poutre : sa longueur était presque de trois aunes, son poil rude et de couleur fauve. | » Au milieu de l'atrium, ou large cour intérieure, se trouve une fontaine très limpide, au centre de laquelle s'élève une colonne : cette colonne sert d'appui à une sirène, qui laisse échapper de ses deux mamelles une eau très abondante. Au sommet de cette colonne de pierre, se dresse une statue de marbre blanc, représentant un homme dont la barbe descend au-dessous de la poitrine. Au pied de la statue, on lit cette in- scription gravée en lettres d’or : HANC NOBILEM IOVIS STATVAM DELICIAS OLIM IN VINEA MEDICEORVM ROMÆ ILLVSTRISS. D. MARGARETA AB AVSTRIA DVC. CAMERINI ANN.' M.D.XLI GRANVELLÆ CVM IBI TVM CÆSARIS VICES AGERET DONAVIT QVI EAM VESVNTIVM TRANSTVLIT ET HOC LOCO POSYIT ANNO _M.D.XLVI. » J'ai vu dans un beau salon, sur une cheminée, un cerf en plâtre, de grandeur naturelle, artistement travaillé et dont la couleur imitait parfaitement la nature. De sa tête s’élançaient () A. CASTAN, Etude sur le Froissert de Saint-Vincent de Besançon, dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 6° série, t. 1, 1864-65, p. 119. ER de grandes cornes à quatre perches..……. Il y avait aussi d'autres cornes de cerfs, de daims et de chevreuils, d’une grandeur pro- digieuse et de différentes espèces. Ces cornes étaient scellées dans les murs d'enceinte du palais. Dans d’autres chambres, agréables et spacieuses, on voyait des peintures de grand mérite : c'étaient les portraits de quelques ducs d'Allemagne, surtout ceux des ducs de Bavière, ceux de Madame de Granvelle et de ses enfants. Il y avait, en outre, à visiter dans le même palais, une écurie pour les chevaux, écurie voûtée et très vaste. On voyait des pressoirs arrangés avec art, et d'énormes cuves où l’on jette les raisins pour les fouler aux pieds; ensuite on laisse écouler le moût pour le séparer de la grappe. On admire également, dans la maison ou plutôt dans le palais magnifique de M. de Granvelle, un jardin très agréable. À l’entrée du jardin a été disposé ingémeusement un jet d'eau à deux becs; quand on les ouvre, l'eau s'élève en l'air, et l'on peut ainsi arroser facilement ceux qui se tiennent autour. Dans ce même jardin on trouve des simples et des plantes diverses... Il y avait, de l’autre côté du jardin, un pré embelli par divers arbres fruitiers : une eau pro- venant d’une autre fontaine pouvait être conduite en tous sens dans ce pré. Dans le jardin s'élève une colonne de marbre, au sommet de laquelle a été établi un cadran solaire de cuivre doré. D'un côté... du cadran on lit cette inscription : VERTICALE HORGLOGIVM SVBLEVANS POLVM GRADVS XLVII ET MI. XXXVI GEORGIVS HARTMANNVS NORIBERGÆ FACIEBAT ANNO MDXLI DIE HI IVLUI (!). » François, n'ayant pas laissé d'enfants légitimes, eut pour héritier son neveu, Thomas-François d'Oiselay, qui releva le (?) {inéraire des députés suisses se rendant à la cour de Henri III, roi de Franre, écrit en latin par Georges Cellarius, publié dans les Archiv für schweizcrische Geschichle. t. XIV, Zurich, 1864. Des extraits de cette rela- tion ont été traduits en francais par M. G. PERREXET et insérés dans les Annales franc-comtoises, t. IT, pp. 167-178. SR LU nom des Granvelle et eut l'heureuse fortune d’épouser Caroline d'Autriche, fille naturelle reconnue de l’empereur Rodolphe (!). Cette princesse, aussi éclairée que libérale (?), habita fréquem- ment le palais de Besançon et y continua les traditions des pré- cédents propriétaires; elle se plut à en disposer avec goût les richesses. Le palais Granvelle était alors parvenu à son apogée de splendeur. Un contemporain digne de foi, Jean-Jacques Chiffet, médecin et antiquaire, en a laissé une peinture instructive. « Tout ce que la sagacité d’un amateur, écrivait-il en 1618, a pu lui faire recueillir de rare et d’admirable, semble être venu se grouper au palais Granvelle. On y voit des ouvrages antiques surprenants, statues soit de marbre, soit de bronze; celles de marbre principalement dans le verger. » L'une, à droite, représente Jupiter... () Un chroniqueur raconte ainsi la première entrée de cette princesse à Besancon : « L'an 1608, le dimanche vingtième jour de juillet, généreux etillustre François d'Oyselay, conte de Cantecroix, et illustre princesse Caroline d'Autriche, sa femme, fille donnée de l’empereur Rodolphe, à présent régnant, et par Sa Majesté recongnue pour sa fille, et par icelle légitimée, pourtant le titre de marquise du Sainct-Empire, firent leur entrée à Besancon, laquelle fut fort belle, car quasi tous les citoiens, tous bien armés, tant à cheval qu’à pied, leur allarent au devant jusques ès planches de Chailluz, par lesquels ils furent receus et salués de plusieurs coupts d'artillerie : l'on leur fit ung austant beaul recueil que si se fust esté l’empereur. Ladicte dame estoit aagée d'environ quinze ans, et pour son regard l'on fit par divers jours plusieurs allégresses par toute la cité, et mesme au lougis des pères Jésuites furent jouhées des comédies par les jeunes escoliers, à la louange de Sa Majesté Impériale et desdicts conte et dame sa femme, en sa présence, laquelle y print grand contentement, selon qu’elle le démonstroit par ses contenances... » (Ce que c’est passé de mon temps, par Jean BonNNET, citoyen de Besancon, dans les Documents inédits pour servir à l'hist. de la Fr.-Comté, t. I, pp. 314 et 315.) () Dans une lettre écrite à Jean-Jacques Chifflet, le 9 août 1633, elle évaluait ainsi la fortune que devait posséder un jour son fils unique : « Mon fils a 40,000 francs de rante ; en admodiation il a 35,000, sans mon bien que j'é en Allemagne qui est ung 300,000 francs ; et de meubles plus de 100,000 francs, et de jouiaux plus de 150,060, et de très belles maisons. » LS Se » À gauche, est une statue de Junon, sous laquelle sont gravés ces mots : ME IVNONEM À GRANVELLA CVM IOVE VESVNTIVM EVECTAM D. CAROLINA AB AVSTRIA HIC PONI VOL. M. DC. XII. » Dans la cour, comme si c'était un splendide sanctuaire des temps anciens, vous voyez les statues antiques de Diane, de Mars, d'Hercule, de Mercure, de Téthis et de plusieurs nymphes encore; puis les bustes en bronze de Jules, d'Hadrien et de quelques autres Césars, à peu près de grandeur naturelle. Enfin, si vous avez à cœur la peinture, en tant qu'imitatrice des œuvres de l'éternel auteur de la nature, il vous sera donné de contempler en longues files tout ce qu'ont produit de capital les artistes les plus habiles du dernier siècle et de celui-ci, les Albert Durer, les Michel-Ange, les Martin Devos, les Raphaël d'Urbin, et autres génies dignes des Zeuxis et des Appelle {!). » Nous ne saurions passer sous silence cette noble collection d'antiques manuscrits qui resplendissent dans ce palais, à côté d’autres innombrables volumes dont les hommes les plus doctes ont fait les écrins et les fontaines de toutes les sciences (?). » Thomas-François d’Oiselay mourut en 1629, ne laissant qu'un fils qui s’éteignit lui-même sans postérité en 1637. Conformé- ment aux dispositions testamentaires du chancelier, la succes- sion des Granvelle fut dévolue à Jacques-Nicolas de la Baume, comte de Saint-Amour, petit-fils, par sa mère Hélène, du plus jeune des frères du cardinal. Les comtes de Saint-Amour, qui brillaient par les talents militaires, étaient loin de posséder au même degré les aptitudes httéraires et artistiques. Gentilshommes de vieille souche, ils (?) Voir aux pièces justificatives (n° IV) l'inventaire des œuvres d'art qui existaient dans le palais Granvelle au début du xvu* siècle, (2) J.-J. CHiFFLErit Vesontio, pars 1+, pp. 35-36, ET" n'avaient souci que de briller dans les Cours. À cette indifférence pour les choses de l'intelligence, se joignirent les visées ambi- tieuses de l’un d’entre eux, Charles-François, qui, durant une période de dix années (1664-1674) caressa tour à tour les cabinets d'Espagne et de France pour obtenir la succession de son oncle, le marquis d’Yenne, au gouvernement de la province. Ces solli- citations lui coûtèrent des sommes folles, et, ses ressources patrimoniales n’y suffisant pas, il.se mit à vendre ou à distribuer en cadeaux « mille belles choses de la maison Granvelle, qui estoient, dit un contemporain [!), les effets de la faveur du père du cardinal (?).» Ce qu’il estimait le moins, les papiers et les livres, fut abandonné à la merci de ses serviteurs. On vit alors () Jules CHIFFLET, Mémoires sur les deux conquêtes de la Franche-Comté par Louis XIV et sur la période intermédiaire (1668-1674), liv. IV, ch. 6, ms. de la bibliothèque de Besancon. — Cf. D. LÉVESQUE, Mémoires, t. I, P: 199. À (2; Le musée du Louvre doit posséder uv certain nombre des objets d'art ainsi dispersés. On n'y rattache cependant à cette provenance que deux seuls morceaux : un torse de Jupiter, qui passe à tort pour un présent fait par les citoyens de Besancon à Louis XIV, tandis qu'il a été offert, en 1683, à ce monarque par le comte de Saint-Amour; puis un magnifique médaillon en bronze représentant le buste de Charles-Quint, vu de profil et de grandeur naturelle, richement encadré, sous l'épaule duquel on lit l'inscription suivante : _ CAROLO V MAX. IMP. OPT. PRINCIPI ANT. PERRENOT GRANVELLANVS EPS. ATREBATENSIS EIVS PRIMVS CONS. RERVM STATVS ET SIGILLORVM CVSTOS DNO. S. OPTIME MERITO HANC AD VIVVM HVIVS PRINCIPIS EFFIGIEM DIVTVRNÆ MEMORIÆ EX ÆRE POSVIT. L'inventaire que nous publions dans nos pièces justificatives (n° IV) permettra probablement de restituer à cette même origine encore plus d'un morceau d'art de la collection impériale, Nous appelons particulièrement l'attention des critiques sur la Joconde de Léonard, le Portrait de Raphaël et du Pordenone, la Vénus et le Satyre du Corrège, que mentionne notre document, bien que les inventaires du Louvre fassent provenir d'autres galeries les tableaux de mêmes vocables que renferme le musée. RE" les dépêches du cardinal, traitées comme paperasses inutiles, prendre le chemin de l’épicier et subir les dernières indignités. Ce vandalisme eut cependant un terme, grâce à l'intervention de deux ecclésiastiques érudits et jaloux de la gloire de leur patrie : Jules Chifflet, abbé de Balerne et ancien chancelier de la Toison d'Or, puis Jean-Baptiste Boisot, abbé de Saint-Vincent de Be- sançon, qui entretenait des relations épistolaires avec les plus brillants esprits de la capitale de la France. Ce dernier ayant acheté du comte de Saint-Amour la bibliothèque, les médailles et quelques-uns des tableaux du palais, le conseiller Chifflet lui céda volontiers les dépêches recueillies par son frère défunt, l'abbé de Balerne. « J'y ai ajouté depuis, dit l'abbé Boisot (1), plusieurs pièces originales tant anciennes que modernes déterrées en divers endroits, et, pour prévenir un nouveau malheur, j'ai pris soin de les faire relier. Il y en a déjà plus de quatre-vingts gros volumes in-folio (?)}. » Boisot termina noblement sa carrière, en léguant son cabinet aux bénédictins de son abbaye, avec un petit fonds pour l’eatretenir, et sous la condition expresse que le public y serait admis les mercredi et samedi de chaque semaine. C’est là l'origine de notre bibliothèque publique, ouverte en 1695, et qui occupe l’un des premiers rangs parmi les dépôts littéraires des provinces (*). On en a distrait, sous le premier empire, les admirables portraits de Nicolas Perrenot par le Titien, du car- dinal de Granvelle par Scipione Gaëtano, de Simon Renard et de sa femme par Antonio Moro, et ces quatre chefs-d'œuvre, réunis à deux Descentes de croix sorties des mains d'Albert Durer et du Bronzino, lesquelles provenaient de deux chapelles des () Lettre à Pellisson sur la vie du cardinal de Granvelle, dans la Conti- nuation des mémoires de littérature et d'histoire, t. IV, lre part., pp. 31-32. (?) La publication des Papiers d'Etat du cardinal de Granvelle a été en- treprise, sous les auspices du Miuistre de l'Instruction publique et la direction de feu Charles Weiss, dans la Collection de documents inédits pour servir à l'histoire de France; 9 volumes in-4° ont déjà paru. (5) Voir une Notice sur la bibliothèque de Besançon, dans le Petit bulletin du bibliothécaire, n° 2, mai 1866. sf Granvelle, sont devenus, en 184%, les pierres angulaires de notre beau musée de peinture (!). Les comtes de Saint-Amour ne s’entendaient guère mieux à entretenir les bâtiments qu'à conserver les manuscrits : aussi quand, après la conquête française, la municipalité de Besançon, obligée de fournir un hôtel au gouverneur de la province, amodia dans ce but le palais Granvelle, se vit-elle dans la nécessité d'y | faire tout d'abord pour près de trois mille francs de réparations. Elle ne fut que faiblement indemnisée de cette dépense, par une diminution de quatre cents francs sur le prix de chacune des quatre premières années de location. Ce prix, fixé par un bail du 3 juillet 1676, était de deux mille livres, et ce fut en vain que la ville tenta d'obtenir un rabais, lorsque, dix ans plus tard, le comte de Saint- Amour eut vendu, comme place à bâtir, une bande du jardin qui donnait sur la rue Saint-Vincent. Parmi les charges écrasantes que l'administration française faisait peser sur la ville (?)}, aucune, plus que celle-là, n’était abusive. Le gouverneur de la Franche-Comté ne pouvait venir à Besançon qu’en vertu d’un ordre spécial du roi, et il usait rare- ment de cette faculté. Obliger la ville à lui entretenir en perma- nence un vaste hôtel et à lui laisser la libre disposition de tous les appartements qu’il renfermait (*), n’était pas équitable. La @) Voir Ja 5e édition du Catalogue des peintures, dessins et sculplures du musée de Besancon, par M. J.-F. LANCRENON. (2) Depuis la conquête de 1674, la ville avait construit et meublé pour plus de 200,000 livres de casernes; elle avait payé, en 1676, 300,000 livres pour le transfert du parlement de Dole à Besancon, et abandonné à ce corps de justice une portion considérable des bâtiments municipaux; en 1691, il lui avait fallu financer 150,000 livres pour obtenir l’Université et fournir à celle-ci un local pour ses lecons Les logements de fonctionnaires coûtaient annuellement 12,611 livres : à quoi il fallait ajouter encore 4,176 livres pour entretien des casernes et des corps de garde. Toutes ces charges réunies représentaient un revenu de 49,287 livres, et la ville ne percevait annuellement, au début du siècle dernier, que 72,781 livres; il ne lui restait donc que 23,494 livres pour pourvoir aux services munici- paux proprement dits. | (3) La municipalité ayant essayé de combattre cette prétention des gouver- OT ne municipalité trouvait néanmoins dans cet état de choses quelques compensations, celle entre autres de pouvoir mettre un logis princier à la disposition des hauts personnages qui traversaient la cité. Bien des fois déjà le palais avait retenti du bruit des fêtes publiques, car les comtes de Saint-Amour l'avaient toujours prêté volontiers pour y installer des hôtes d’une distinction exception- nelle. Le marquis de Castel-Rodrigo, venu comme plénipoten- taire du roi d’Espagne, pour conclure avec la république bison- tine le traité qui la plaçait sous le protectorat de son maître, avait séjourné au palais Granvelle depuis le 48 septembre jusqu'au 9 octobre 1664; et, durant le magnifique festin qu'il y offrit aux principaux fonctionnaires de la cité, sa fille, mademoiselle de Moura, fit d'abondantes largesses au peuple : les pièces qui tom- bèrent alors des fenêtres de l'édifice portaient d’un côté la figure de Phihppe IV, et au revers l’image de la ville, avec les mots MAGNO SVB REGE LIBERA VESVNTIO [!). Moins de quatre ans après, neurs de disposer à leur guise à'un local dont ils n'avaient que l’usufruit, ces hauts fonctionnaires prirent l'habitude de faire confirmer leurs gra- cieusetés par brevet royal, afin d'en rendre l'exécution obligatoire. Le brevet royal était toujours doublé de la lettre de concession. Le texte suivant de l’une de ces lettres est un exemple assez caractéristique du sans-gêne dont quelques grands seigneurs, sous le régime du bon plaisir, pouvaient user envers les corps composés de bourgeois : Leltre à Madame la comtesse de Scey, accompagnant le brevet du roi qui lui concède, pour sa vie, un appartement à Granvelle. « Paris, le 8 février 1762. » Madame la comtesse, ma caducité, mon radotage qui s'ensuit, et sur- tout ma bêtise qui ne peut s’accoutumer à ce qu’elle voit et entend jour- nellement, m'a fait prendre le party de demander au roy de vous assurer le logement que j'ay été assés heureux de vous procurer. J'espère que cela ne vous déplaira pas. » J'ay l'honneur d'’estre, avec respect, Madame la comtesse, vostre très humble et très obéissant serviteur, Duras. » @) Th. VaRiN, Narré fidile ct curieux de loul ce qui s’est passé dans l'heu- reuse prise de possession de lu rilé de Besançon par son Excellence Mer le marquis de Castel-Rodrigo, Besançon, 1664, in-4°, 41 pages. BE) Nr le grand Condé emportait la place de Besançon sans coup férir, et passait au palais Granvelle la journée du 8 février 4668 (!). À la suite de la seconde conquête française, lorsque Louis XIV crut sa domination suffisamment affermie pour trouver un bon accueil en Franche-Comté, ce monarque, la reine, le dauphin et une partie de la Cour descendirent au palais Granvelle dans la soirée du 46 juin 1683, et ne le quittèrent que dans la matinée du 49 (2). Le grand roi accepta du comte de Saint-Amour, en souvenir de sa visite, les torses de Jupiter et de Junon qui ornaient le jardin du palais (*); la première de ces figures, une merveille de l’art antique, fut jugée digne de prendre place dans le parc de Versailles. Ce fut également dans le palais qu'eurent lieu, le 18 décembre 1685, les noces de mademoiselle de Rosanne, fille du duc de Duras, gouverneur de la Franche- (2) « Le prince de Condé suivit le sieur de Pradel à entrer dans Besancon environ une heure après, et arrivant à la place Saint-Pierre, il s’arresta à considérer la statue de bronze de l’empereur Charles-Quint, assise sur un double aigle impérial qui jette de l'eau par ses deux testes; puis il osta son chapeau. Et rencontrant le corps du magistrat, il dit au sieur Buson d'Auxon, qui ceste semaine-là en estoit président, qu’il sçavoit desja bien tout ce qu'il vouloit luy dire, afin d'espargner et mesnager le temps, et qu'il falloit aller droit à l'église pour remercier Dieu. » L'archevesque le receut à la porte de Saint-Jean-le-Grand, revestu pontificalement, et luy donna l'eau bénite, estant tout prest pour le Te- Deum. On avoit dressé, au milieu du chœur de cette métropolitaine, un appuyoir d'oratoire pour le prince; et dans les formes se mirent les corps selon la coustume. Ce prince attentif à toutes choses, estant à genoux, appela le sieur Bouillet. son médecin, natif de Charoles, qui n’estoit pas loin de luy, et luy ordonna de prendre garde si l’archevesque diroit bien l'oraison et s’il traiteroit le roy de France de Ludovicum regem nostrum, et ce prélat n’y manqua point. Estant retourné de l’église, il fut festoyé par le magistrat (la municipalité) dans la maison de Granvelle, où le comte de Saint-Amour l'entretint. » (Jules CHIFFLET, Mémoires sur les deux conquêtes de la Franche-Comté par Louis XIV, liv. II, ch. 2, ms. de la bibliothèque de Besancon.) @) Voir les délibérations municipales relatives à cette réception de Louis XIV à Besancon, dans nos pièces justificatives, n° VII. (*,) Duwon. Histoire du comlé de Bourgogne, t. I, p. 166. se HE Dee Comté, avec le jeune duc de la Meilleraye, petit-neveu du cardinal Mazarin (‘}. Enfin, dans la dernière année du dix- septième siècle, le prince de Bourbon-Conti (?) occupa le palais Granvelle durant la nuit du 26 janvier et la journée du len- demain. Le propriétaire du palais Granvelle mamifestait dès lors l’in- tention d'élever le prix du loyer de cet édifice, et la mumicipalité n’était pas disposée à y consentir. Le débat était devenu si vif, en 1712, que la Cour s’en émut et chargea l’intendant de la pro- vince de ménager un accommodement entre les parties. Ce fonc- tionnaire jugea que le meilleur accommodement était que la ville fit l'acquisition du palais Granvelle. Or, pour le magistrat de Besançon, qui ne sortait plus alors du suffrage populaire (*), les désirs de l'administration supérieure avaient presque force de loi. L'intendant négocia lui-même les conditions d’un traité de vente, qui fut signé le 14 août 1712. Par cet acte, la municipalité s'engageait à payer immédiatement 3,000 livres au comte de Saint-Amour, et à lui créer sur l'hôtel de ville une rente annuelle de 2,850 livres, représentant l'intérêt d’un capital de 57,000 livres. L'intendant, revenant à son rôle de délégué du souverain, félicita la ville de cette acquisition, comme de la meilleure affaire qu'elle eût jamais faite. Ces compliments étaient prématurés. Le fils du comte de Saint-Amour, Jacques-Philippe de la Baume, le prouva bientôt, en invoquant la coutume du retrait-lignager pour (2) Paul-Jules, fils unique d’Armand-Charles de la Porte, duc de Mazarin et de la Meiïlleraye, et d'Hortense Mancini, né le 25 janvier 1666, mort le 7 septembre 1731 ; — Félice-Charlotte-Armande, fille de Jacques-Henri de Durfort, duc de Duras, et de Marguerite-Félice de Levis-Ventadour, morte le 27 décembre 1730, âgée de 58 ans. (MorÉRI, Dictionnaire historique, édit. Drouet, t. VII, p. 383.) (?) Francois-Louis de Bourbon, petit-fils de Henri (2° du nom) prince de Condé, était né le 30 avril 1664 : il avait pris une part glorieuse aux cam- pagnes de Louis XIV, et fut, en 1697, l'un des candidats au trône de Pologne ; il mourut à Paris en 1709. (5) Voir notre exposé des varialin: da régime municipal à Besancon, dans les pièces justificatives de @e travail, no V. RON 0e se substituer à la ville dans le marché qu’elle venait de conclure ; il attendit toutefois, avant d'agir, que les 3,000 livres eussent été versées dans la caisse paternelle. Le bailliage de Besançon, par un jugement du 13 septembre 1743, lui donna gain de cause ; mais la ville en appella au parlement, tandis que l’intendant sollicitait l'intervention du chancelier de France. Cette double démarche décida Jacques-Philippe de la Baume à renoncer au bénéfice de la sentence du baïllage ; mais son désistement ne fut pas gratuit. Pour acquérir un titre de propriété définitif, la ville dut faire le sacrifice des 3,000 livres payées comptant, et porter à 1,000 écus, soit en capital 60,000 livres, la rente primiti- vement stipulée. Cet acte additionnel fut passé le 3 août 1715. Devenue propriétaire du palais Granvelle, la ville en améliora la distribution intérieure; mais elle ne tarda pas à retrouver lar- gement le prix de ces sacrifices, en gagnant la bienveillance du gouverneur le plus éclairé et le plus paternel (!} qu'’ait eut la province. N’étant encore que gouverneur en survivance, le due Marie-Jo- seph de Tallard vint au mois de février 1728 prendre possession de’son département. En prévision de cette visite, la municipalité avait fait venir d'excellents vins de Champagne et de Bourgogne, ainsi que des bougies du Mans. Sensible à toutes les attentions dont il fut l’objet, le duc de Tallard se prit d’attachement pour la ville de Besançon (?}, et ne cessa jusqu’à la fin de sa vie de lui en donner des preuves. Sous ce nouvel hôte, le palais Granvelle vit refleurir dans son sein les arts, les lettres et les sciences. @) A propos d’une légère contestation survenue entre le lieutenant de roi à Besancon et la municipalité, le duc de Tallard écrivait à cette dernière (5 août 1736) : « J'ay toujours beaucoup de peine, Messicurs, lorsqu'il est question de donner tort à quelqu'un. » () Par une lettre du 18 février 1728, le maréchal de Tallard, gouverneur en titre, remerciait en ces termes la municipalité de l’aceueil fait à son fils. « S'il est âssez heureux pour que vous soyés contents de luy, je vous assure, Messieurs, qu'il l’est encore bien davantage de vous. Il ne me parle, depuis son arrivée, que de vos munificences, que de votre empressement à con- courir à tout ce qui luy pouvoit estre agréable. » TR M Une Académie de musique s'était formée à Besançon en 1726 ; mais elle manquait d’un local suffisamment spacieux pour tenir ses assemblées. Sur la demande du président de Michotey, l'un de ses directeurs, le duc de Tallard s’empressa de lui accorder, dans le palais Granvelle, une grande pièce que la ville se chargea de restaurer. Il n'existait pas à Besançon de promenade intérieure, et l’opi- nion publique désirait ardemment que le jardin du palais Gran- velle reçût cette destination. C'était pour le jeune gouverneur une belle occasion de fonder sa popularité ; il la saisit avec em- pressement. « Messieurs, écrivait-il au magistrat le 12 février 1728, vous avez été témoins des vœux de toute la ville pour que mon père donnât son agrément à ce que l’on fit du jardin du palais Granvelle une promenade agréable et utile au publie. Je lui en ai rendu compte dès les premiers moments de mon arrivée; il est charmé de pouvoir contribuer à l’amusem nt de tout ce qu'il y a de considérable à Besançon, et il m'a chargé de vous dire que vous vissiez avec M. l’intendant ce qu’il conviendrait de faire. » Les travaux d’appropriation furent entrepris dès l’année suivante. Ils consistèrent d’abord dans l’abaissement de la terrasse et son raccordement avec le niveau général du sol, au moyen de décombres provenants de constructions privées. Puis on supprima la fontaine qui existait dans la cour, et l’on renforça de la sorte le jet d’eau du jardin : le trop plein du nouveau bassin, réuni à celui de la fontaine des Carmes, fut concédé au jardin botanique qui existait sur l'emplacement du théâtre actuel. Le public n'eut toutefois que le parcours des allées, et le jardin continua d'être amodié à un maraîcher, qui payait loyer au gouverneur de la province. Le due de Duras, qui avait remplacé en 1756 le défunt duc de Tallard, concéda, deux ans plus tard, la jouissance viagère de ce revenu aux époux Plançon, ses anciens domestiques : aussi lorsque la ville voulut, en 1778, livrer aux promeneurs la totalité du terrain, fut-elle obligée de racheter le droit de la veuve Plançon, en lui constituant une rente viagère de 710 livres. On fit alors un nivellement complet du sol et l’on y disposa la plan- 7 ) — 98 — tation régulière d'arbres qui a subsisté depuis. Quant à la sombre muraille qui clôturait le jardin Granvelle du côté des Carmes, elle fut abattue en 1783, époque où la ruelle ouverte en 1534 devint un prolongement de la rue de Traverse, aujourd’hui rue de la Préfecture. Le même intérêt de voirie fit démolir le pont couvert qui reliait le palais à l’église des Carmes, et l’on entoura ce dernier édifice de boutiques qui existent encore aujourd’hui ; une portion de la maison Ludin, cette misérable dépendance du logis des Granvelle, dût être également sacrifiée pour l’élargisse- ment de la rue. La pièce d’eau fut comblée en 1786, comme dangereuse pour les enfants; mais, en revanche, l’année 1789 vit s'élever, dans la partie basse de la promenade, un pavillon de style grec ayant pour enseigne : Salon de rafraïîchisse- ments (1). Depuis la conquête française, une troupe de comédiens s'était établie à Besançon (?). Elle représentait dans une salle de la rue des Granges, dite le Jeu de-Paume; mais ce local offrait le double inconvénient d’être trop étroit et de coûter fort cher : deux louis de location par semaine. Pour sortir de cette situation, les comédiens députèrent, en juin 1728, auprès du duc de Tallard etils en obtimrent l'autorisation de transformer en théâtre les ap- partements supérieurs de l'aile méridionale du palais Granvelle. Plus tard, en 1744, la ville acquit, moyennant 5,000 livres, le mobilier de la comédie ; elle augmenta, en 1753, les dimensions de la salle, et celle-ci ne cessa d’abriter les représentations () Les enrochements pittoresques et les cascatelles qui bordent la pro- menade, du côté du théâtre, ont été établis en 1860, avec les éléments d'une décoration analogue existant dans le jardin provisoire de l’exposi- tion universelle qui venait de finir. Ces deux créations successives ont été l'œuvre de l'habile décorateur de nos promenades (M. Brice Michel). La statue en pierre, représentant le Doubs, qui couronne si heureusement les rochers de Granvelle, a été posée en 1864; elle a pour auteur M. Just Becquet, de Besancon. (@) Voir une note sur les iorigines du théâtre à Besançon, dans nos pièces justificatives, ne VI. JS Me scéniques que le 9 août 1784, jour de l'inauguration du monu- ment spécial qui sert encore aujourd’hui de théâtre (!). Marie-Joseph de Tallard avait reçu l'éducation la plus soignée. Sa famille le destinait à l’état ecclésiastique et l'avait déjà fait pourvoir d'un riche prieuré, lorsque la mort de son frère aîné, tombé glorieusement sur le champ de bataille d'Hochstet, vint lui imposer le devoir de changer de direction. Il lui restait néanmoins de sa vocation première un vif amour des études sérieuses et une disposition bienveillante envers ceux qui s’y li- vraient. L'une des conséquences de ce sentiment fut la création de notre Académie des sciences, belles-lettres et arts, reconnue par lettres-patentes du mois de juin 1752 et installée Le 40 août de la même année. « Le public, écrivait un contemporain, a paru applaudir à un projet qui, en ouvrant à l’émulation une carrière brillante, nous procure le seul avantage que nous puis- sions envier à nos voisins, et qui, en réunissant en un même Corps l'épée, la robe, les dignités et les talents, engage les différents ordres de cette province à contribuer à la perfection des connais- sances humaines (?}. » Aux deux prix d’éloqunce et d'histoire fondés par le duc de Tallard, la ville en ajouta un troisième pour récompenser les travaux relatifs aux arts utiles; la distribution s'en faisait dans une séance solennelle qui avait lieu le jour de Saint-Louis. Depuis 1753 jusqu’en 1793, époque de sa suppres- sion, l’Académie se réunit au palais Granvelle; elle a réalisé ou provoqué, durant cette période, d'importants travaux d'histoire locale (?). Une autre institution de première utilité, l'Académie de pein- (*) Le théâtre de Besancon, l’une des meilleures productions de Claude- Nicolas Ledoux, occupe une grande place dans l'œuvre gravée de cet architecte, Paris, 1804, gr. in-fol. (?) Almanach historique de Besançon ct de la Franche-Comté pour 1753, p. 93. (#) Voir sur les origines de l’Académie de Besancon, le discours de pré- sidence de M. PÉRENNÈS, prononcé le 28 janvier 1852 et inséré dans les Mémoires de celte compagnie. — 100 — ture et de sculpture, fonctionna au palais Granvelle pendant les dernières années de son existence. Elle avait été ouverte en 1774, sous les auspices de l’intendant de Lacoré, par les soins de deux artistes d’une valeur sérieuse et originale, le sta- tuaire Luc Breton et le peintre Melchior Wyrsch. La révolution en fit une simple annexe de l’école centrale du département, et elle ne reprit une vie indépendante qu'en 1809, mais avec le titre beaucoup plus modeste d’Ecole municipale de dessin (!). En supprimant la charge de gouverneur de la province, en dispersant les associations savantes, la Révolution avait fait le vide dans le palais Granvelle. Cet édifice tombait dès lors sous le coup de la loi du 40 août 1791, qui obligeait les communes à payer leurs dettes en aliénant ceux de leurs immeubles qui n’é- taient plus affectés à des services publics. Mis en vente au mois de juillet 1793, le palais Granvelle fut adjugé pour la somme de 98,200 livres. Madame Just Détrey, née Hérard, fille du principal adjudi- cataire, a eu l'immense mérite de considérer le palais Granvelle comme un dépôt sacré dont elle devait compte à ses conci- toyens. Ayant résisté à toutes les offres de la spéculation privée pour conserver intact ce bel édifice, elle voulut un jour rendre sa succession liquide, et vint elle-même proposer à la ville de reprendre son ancienne propriété pour la somme de 350,000 fr. Le maire de Besançon, M. Clerc de Landresse, en homme de goût et d'intelligence, fit bon accueil à l'offre de Madame Dé- trey, et, ensuite d'un vote favorable du Conseil municipal, la ville fut autorisée, par une loi du 2 mai 1864, à réaliser cette acquisition et à en payer le prix en vingt annuités succes- sives (?). () Voir sur les débuts de l'Ecole de dessin de Besancon, Melchior Wyrsch et les peintres bisontins, par M. Francis Wey, dans les Mémoires de la Soc. d'Em. du Doubs, 3e série, t. VE, pp. 25-52. (?) Cette loi, promulguée à la date du 21 mai 1864 et insérée au Monileur du 18 juin suivant, est ainsi conçue : « La ville de Besancon est autorisée à contracter l'engagement d'acquitter, — 101 — IV. Destinées futures du palais Granvelle, Dès 1841, M. l'architecte Delacroix présageait ainsi la desti- nation que l'avenir réservait au palais Granvelle : « Il convien- drait, disait-il, que plus tard, dans un moment de prospérité, la commune rachetât cet édifice, regardé par tous les habitants comme le véritable palais du musée, du cabinet d'histoire na- turelle, de la bibliothèque et de l’Académie ['). » N'est-ce pas là, en effet, qu'est née notre bibliothèque, qu'ont été réunis les plus précieux joyaux de nos musées, qu'ont vécu et prospéré nos plus anciennes sociétés savantes ? Ces divers services , aujourd'hui disséminés et pourvus de locaux trop étroits, gagneraient beaucoup à être rapprochés et à vivre dans une atmosphère imprégnée de glorieux souvenirs. &« L'état des finances de la ville, disait naguère M. Clerc de Landresse à son Conseil municipal, ne permet pas de restaurer et de compléter immédiatement ce vieil édifice. Vous avez voulu seulement le sauver de la destruction, en empêchant la spécu- lation de s’en emparer. Quand vos charges auront diminué, vous pourrez consacrer ce palais à des usages publics (?). » Un premier pas vient cependant d’être fait dans la voie de cette restauration si désirable. C’est la commande d’une statue du cardinal de Granvelle, destinée à la cour du palais (). L’'ini- dans un délai de vingt ans, à partir de 1866, et sur ses revenus ordinaires, une somme de 350,000 francs, productive d'intérêts à 5 0/0, et représentant l'évaluation d'un immeuble dit palais Granvelle, dont l'acquisition à été approuvée par arrêté préfectoral. » (:) A. DELACROIxX, Nolice sur le palais Granvelle, dans les Mémoires de la Soc. d'Em. du Doubs, 1" série, t. II, 1842, p. 9. (2) Rapport du maire de Besançon au Conseil municipal, dans sa session de mai 1864. (5) Les journaux de couleur libérale ct les feuilles protestantes ont blämé le projet d'élever une statue au cardinal de Granvelle, en objectant — 102 — tiative du projet est venue de feu Charles Weiss, le doyen des bibliothécaires français, qui a généreusement affecté à cette dis- tination une somme de 30,000 francs, fruit des épargnes d’une vie de 87 années, consacrée tout entière au culte des illustrations de notre province. Le Conseil municipal de Besançon s’est asso - cié à l’entreprise par le vote de 40,000 francs. La statue en marbre blanc, confiée par Charles Weiss à l’habile ciseau de M. Jean Petit, représentera le cardinal dans son rôle poli- tique, tandis que quatre génies en bronze, accolés au piedestal, symboliseront les diverses branches des arts, des lettres, des sciences et de l’industrie qu’il s’efforça de faire germer dans sa terre natale. que cet homme d'Etat avait été l'un des agents de la politique sanguinaire de Philippe 11. A cela nous répondrons que l'hommage dont il s’agit s'adresse beaucoup moins au premier ministre du roi d'Espagne qu'au bienfaiteur de la ville de Besancon et de la province de Franche-Comté; et ce dernier titre ne {saurait être contesté au cardinal de Granvelle, nul n'ayant plus fait que lui pour l'avancement de ses compatriotes et pour répandre parmi eux le goût des choses de l'intelligence. Quant à son rôle politique, on ne l’a longtemps apprécié que d'après les pamphlets de ses ennemis; mais ses dépêches, depuis qu’elles sont connues, le font voir sous un tout autre jour : il en ressort que Granvelle fut l'adversaire déclaré de toutes les mesures violentes décrétées par son maître, et qu'il usa de tout son pouvoir pour en adoucir l'exécution. Ce témoignage lui est rendu par un écrivain protestant, également dévoué à ses croyances reli- gieuses ct à la vérité de l’histoire, qui avait fait son opinion sur le cardinal de Granvelle ans une étude approfondie de sa correspondance. Un juge- ment aussi bien fondé est la meilleure réfutation des clameurs qui se sont produites à propos de la statue; nous le reproduisons dans nos pièces justificatives (n° VIIT). — 103 — PIÈCES JUSTIFICATIVES. F Mémoire de la nativité des enffans de monseigneur Nicoias Perrenot, chevalier, seigneur de Grandvelle, etc., et de madame Nicole Bonvallot, sa femme. (Papiers Granvelle, Mémoires, t. XXXIII, fol. 347 bis.) Le premier fut ung filz (‘) qui nesquit le xx1r du moys de may l'an 1514, baptisé sur les fons de Saint-Mauris à Besançon, levé sur iceulx par messire Antoine de Vergy, archevesque dudit Besançon, et par mademoyselle Buétry Bonvallot, seur de ladite dame ; Le second fut une fille (?) que nesquit le second de septembre 1515, nommée Jehanne, levée sur lesdits fons par le sieur de Champagney, père de ladite dame, et par mademoyselle Jehanne Ferreul ; Le tiers fut une fille que nesquit le xvi° de jullet l'an 1546, que eust nom Marguerite (*), et fut levée sur lesdits fons par le sieur Françoys d’Arboys, seigneur de Morvillers, et dame Mar- guerite Marceret, mère de ladite dame ; Le quart fut ung filz, qui nesquit le xxvif d’aoust l'an 1517 et eust nom Antoyue (‘), levé sur lesdits fons par messire Antoyne de Baulmotte, prieur commendataire de Saint-Ultrich, et par madamoyselle Jehanne d’Esternol; (4) Mort enfant. (?) Morte enfant. (#) Mariée à Jean d’Achey, baron de Thoraise, (#) C'est le cardinal de Granvelle. —.104, — Le cinquiesme fut une fille que nesquit le xxrm de mars l'an 1518, que eust nom Estienette (!), levée sur lesdits fons par messire Léonart de Gruyères et dame Estienette Philebert, mère dudit seigneur de Grandvelle ; | Le sixiesme fut une fille nommée Henriette (?), que nesquit le xvie de mars l’an 4519, levée sur lesdits fons par messire Quantin Vicquot et damoyselle Henriette ; Le septiesme fut ung filz nommé Thomas {‘), qui nesquit le ixe de jung l'an 4521, et fut levé sur lesdits fons par messire Thomas Michelout et dame Ysabel de Chauviré, à Besançon ; Le huyttiesme fut une fille nommée Jacqueline (f), que nesquit le xxvinr de novembre l’an 1522, à Besançon ; Le neufviesme fut ung filz nommé Hiérosme (), qui nesquit le xuu de may l'an 1524, à Besançon, et fut baptisé à Saint- Jehan-le-Grand ; R Le dixiesme fut Marguerite (f), que nesquit à Malines le xxe d'octobre l’an 4595 ; Le xr° fut une fille nommé Anne (), que nesquit à Malines l'an 1526, le cinquiesme de janvier ; (*) Mariée à Guyon Mouchet, seigneur de Châteaurouillaud. (2) Mariée à Claude Le Blanc, seigneur d'Ollans, gruyer du comté de Bourgogne. (5) Héritier des biens patrimoniaux des Granvelle, il remplit avec succès plusieurs ambassades en France, en Allemagne et en Angleterre; c’est à lui que Philippe II dut le succès des négociations qui aboutirent à son mariage avec la reine de la Grande-Bretagne; il était majordome du roi d Espagne, son capitaine dans la ville de Besancon, et eut l’insigne hon- neur de tenir sur les fonds du baptême, avec Hélène de Brederode son épouse, l’un des enfants de l’empereur d'Allemagne; il mourut en 1571. (*) Morte enfant. (5) Gouverneur du prince d'Orange, puis colonel du régiment de ce - seigneur, il fut aimé de la fille du marquis de Bade eten eut unifils naturel, nommé Octavio, qu'il légitima ; il mourut d'une blessure recue au siége de Montreuil, en 1554. (5) Cette seconde fille du nom de Marguerite épousa en premières noces Antoine de Laubépin, baron de l’Aiïgle, et en deuxièmes noces Fèrdinand de Lannoy, troisième fils du vice-roi de Naples. (7) Mariée à Marc de Beaujeu, seigneur de Montot,. — 105 — Le xu° fut une fille nommée Laurence (‘}, que nesquit à Be- sançon le 11° de mars l'an 4527 ; La xin° portée fut de deux : une fille nommée Françoyse, qui mourut au bout de six moys, et ung filz nommé Charles (?), qui nesquirent tous deux à Bruxelles le 1x° de janvier 1531 ; Le xv° enfant fut Frédériq (*), qui nesquit à Barcellone le se- cond d'avril l’an 1536, que fut levé là sur les fons par mon- seigneur le duc Frédériq palatin et madame la contesse de Tre- vente. | Extraict (par le cardinal) d'ung escript faict de la main de la- dite dame (sa mère). ie Lettre d'Eléonore d'Autriche, reine douairière de France, au chancelier de Granvelle. (Papiers Granvelle, suppléments.) Monsieur de Granvelle, ces jours passez il pleust à Dieu prandre à sa part le feu roy monsieur mon mary (‘), duquel je sens la mort bien grandement et laquelle m'est bien dure à com- porter par l’ennuict que j'en reçois avec bien grande raison. Son trespas m'a meu vous envoyer le pourteur de cestes, affin d’a- voir vostre bon advis sur auleunes choses que me concernent, desquelles l'ambassadeur de l'empereur mon seigneur (5) vous () Elle épousa successivement Claude de Chalans, baron de Verjon, et Pierre de Montluel, baron de Châteaufort. (2) Entré dans les ordres, il fut membre du conseil privé des Pays-Bas, trésorier du chapitre d'Utrecht et abbé-commendataire de Faverney en Franche-Comté; il mourut en 1567, () Gentilhomme de la chambre du roi d'Espagne, gouverneur d'An- vers, chef des finances en Flandres, il avait épousé Constance de Berkem et n’en eut qu’une fille, nommée Hélène, qui porta l'héritage des Granvelle dans la famille de La-Baume-Saint-Amour ; il mourut vers l'année 1601. (t) François I‘, mort au château de Rambouillet, le 31 mars 1546. (5) Jean de Saint-Mauris, beau-frère du chancelier Granvelle, — 106 — advertira bien au long, auquel je vous prie en respondre bien amplement, vous asseurant, monsieur de Granvelle, que Je aurez bien bonne souvenance non seulement de voz peinnes, mais de la sincérité de laquelle je sçais vous avez tousjours pro- céder et estes employer en tous mes affaires, lesquelx je vous recommande avec l’asseurance que je vous donne que je n’en demeurerez ingrate envers vous, me remectant au reste à ce que plus au long vous entendrez par ledit ambassadeur, priant le Créateur vous donner en très bonne santé longue vie. Dois Poissy, ce vi® d’apvril 1546. L£éonor. II. Lettre d'Antoine Perrenot, évêque d'Arras, à son frère Thomas, sur les funérailles du chancelier de Granvelle, leur père. (Papiers Granvelle, suppléments.) Mon frère, après vous avoir escript ce que mes lettres d'hier contenoient, sachant l’empereur que l’on vouloit pourter le corps en Bourgogne, il fit enquérir quelles cérémonies l’on y feroit, disant qu'il vouloit que l’on luy fit honorable pompe, luy ayant faict de si grandz services et longuement avec si grande loyaulté; et, pour obéyr à son commandement, l’on a dressé le billet qui va avec ceste, que Sadicte Majesté a trouvé bon, et en a esté le compilateur le contrerôleur Wandenesse (‘}, et ma- dame (?) s’est résolue d’ainsi le faire, et que le corps se porte à () Jean Vandenesse, né à Gray vers la fin du xv° siècle, fut pendant 37 ans contrôleur ou surintendant de la maison de Charles Quint, et rem- plit la même fonction auprès de Philippe I[ jusqu’en 1560; son Journal des voyages de l'empereur Charles-Quint et du roi Philippe 11, qu'il dédia au cardinal de Granvelle, a été publié par la Commission royale d'histoire de Belgique. (2?) Nicole Bonvalot, veuve du chancelier et mère du cardinal. — 107 — Baulprey (‘), comme du commencement j'avoye escript, et qu’il se garde là en l’esglise jusques après que madame sera arrivée que l’on fera le service. Et, ce pendant, il fera bien que vous donnez ordre que l’on face les groz ouvraiges pour la chappelle ardent, et les lanbourdes avec les escueltettes, et les chandoiles, et les robbes pour les povres que madame entend de choisir à sa venue, en prenant auleuns de la ville, aultres des subjectz, de povres mesnaiges nécessiteux et non de ceulx qui vont quettant par ville. Et dadvantaige faut-il que je vous déclare que ce qu'il (?) dit de pale (*) sur la litière n’est pale ny baldaquin, mais seulle- ment ung drap de velour noir qui couvre la litière jusques ung peu plus bas que les brancars; et la couverte de drap va, comme l’escript contient, jusques à terre. Puisque ainsi est, lais- sant ordre, afin que monsieur de Luxeul (‘)}, mon oncle, face re- cepvoir le corps sans mistère en l’esglise dudict Beaulprey, et ausdictz groz ouvraiges, il me semble que vous debvez partir, vous mectant en deul et vos genz, pour venir rencontrer ma- dame le plus loing que vous pourrez, par le chemin que vous l’'amenastes dernièrement, puisque, comme je vous ay escript, c’est celluy qu’elle a délibéré de prandre. Demain, à neuf heures, se fait le service en la grande esglise : monsieur l’Electeur de Mayance (°) et les aultres estatz (°) ont supplié Sa Majesté qu’elle print bien qu'ilz y entrevinssent, recongnoisçans la grande obli- gacion qu'ilz doibvent au bon deffunct pour tant de penne qu’il a prins aux affaires d'icelluy; et n'y a prince ny ambassadeur () Eglise collégiale, située sur la commune de Thise (canton de Mar- chaux, arrondissement de Besançon). (2) IL, c’est-à-dire le billet. (*) Synonyme de dais. (*) François Bonvalot, beau-frère du défunt, qui avait occupé avec distinction, de 1530 à 1532, le poste d'ambassadeur de Charles-Quint près la cour de France, était à la fois abbé de Luxeuil, de Saint-Vincent de Besançon et doyen de Beaupré. (5) Sébastien de Heusenstam, archevêque de Mayence de 1545 à 1555. (5) C'est-à-dire les autres princes ou ambassadeurs allemands présents à Ja diète. — 108 — qui m'ayent envoyé condoloir ou venu en personne. J'ai faict faire desseing de la chappelle ardante, afin que l’on voye comme l'on l'entend : ne sçay s’il sera achevé devant que le pourteur parte, que je fais haster, afin qu'il arrive quant à quant à Gries- bech (!) ou tost après fin que vous ne faictes. Quant à la forme de l’anterrement, deseing sur mes aultres lettres, je suis pour le présent enveloppé de tant de choses, outre le trouble de l’esperit que la grande perte me donne, que je ne vous puis faire ceste plus longue, à laquelle j'adjousteray seullement mes très affec- tueuses recommandations, sans oblier ma seur vostre bonne femme, priant le Créateur qu'il vous doint, mon frère, l’entier accomplissement de vos désirs. D’Ausbourg, le xxix° d’aoust 1550. Vostre à jamais melleur frère, L'EvEsQuE D'ARRAS. À Monsieur de Chantonay, mon très chier frère. {5) Griesbach; il y a deux bourgs de ce nom dans la Bavière (Bas-Danube). — 109 — IV. Inventaire des meubles de la maison de Granvelle {!) (Manuscrit de la bibliothèque de Besancon.) Pourtraictz tant d'hommes que de femmes, peysages et aultres pein- tures, de l’haulteur et largeur qu’elles sont au pied romain. Premièrement un peysage de Peeter Stevens (?), de deux piedz unze polces d'haulteur et de largeur de quattre piedz et trois polces, avec molure dorée, n° 4. Peysage de Peeter Stevens, de haulteur de deux piedz et un polce et de largeur deux piedz treize polces, molure dorée, n° 2. Aultre peysage de Peeter Stevens, de largeur de deux piedz neufz polces et de haulteur d’un pied douze polces romains, avec sa molure dorée, n° 3. Peysage de Peeter Stevens, de haulteur d’un pied douze polces et demy et de largeur de deux piedz dix polces, avec mo- lure dorée, n° 4. Peysage de Peeter Stevens, d’haulteur d’un pied neufz polces et de largeur de deux piedz six polces, avec molure dorée, n° 5. G) Cet inventaire fut fait en 1607, immédiatement après la mort de Francois Perrenot, le dernier descendant par les mâles de la famille du chancelier Granvelle. Il existe deux rédactions de ce document : l’une purement descriptive, l’autre descriptive et estimative. La première offrait, au point de vue de ce travail, l'avantage de citer les noms des artistes au- teurs des peintures : aussi notre extrait devant se borner aux objets d'art proprement dits, n’avons-nous pas hésité à le lui emprunter. La seconde version est beaucoup plus détaillée sur le compte des meubles meublants et des livres; M. GacHARD en a publié des fragments dans le 4e volume (1862) de la 3° série des Bullelins de la Commission royale d'histoire de Belgique, à la suite d'une très intéressante dissertation sur le scandaleux procès qui suivit la mort du fils unique de Caroline d'Autriche. (*) Steevens (Pierre), de Malines, peintre et graveur, florissait dans la seconde moitié du xvi siècle. — 110 — Peysage de Peeter Stevens, d’haulteur d’un pied dix polces et de largeur de deux piedz cinq polces, molure dorée, n° 6. Peysage de Peeter Stevens, d'haulteur d’un pied huict polces et large d’un pied quinze polces et demy, avec molure dorée, he Peysage de Peeter Stevens, d'haulteur d’un pied six polces et de largeur deux piedz et un polce, molure dorée, n° 8. Peysage de Gilis Coninxloo (‘), d’haulteur d’un pied quinze polces et de largeur de deux piedz sept polces, molure dorée, n°, 9. Peysage de Gilis Coninxloo, d’haulteur d’un pied quatorze polces et de largeur deux piedz sept polces, molure dorée, n° 10. Peysage de Gilis Coninxloo, d’haulteur d’un pied treize polces et de largeur deux piedz sept polces, molure dorée, n° 44. Peysage de Gilis Coninxloo, d’haulteur d'un pied quattre polces, large de deux piedz deux polces, molure dorée, n° 42. Peysage de Gilis Coninxloo, d’haulteur d’un pied sept polces, large de deux piedz, molure dorée, n° 43. Peysage de Thobias Stimmer (?), d’haulteur d’un pied treize polces, large de deux piedz et demy, molure dorée, n° 14. Peysage de Thobias Stimmer , d'haulteur d’un pied treize polces et de largeur de deux piedz et demy, avec molure dorée, n° 15. ——— (:) Coninxloo (Gilles de), né à Anvers en 1544, habita longtemps la France et l'Allemagne, puis revint dans les Pays-Bas ; il mourut dans les premières années du xvi1° siècle, avec la réputation du meilleur paysagiste de son temps. Ses paysages, souvent ornés de figures et d'animaux par Martin van Cleef, sont encore recherchés. (?) Stimmer (Thobic), né à Strasbourg vers 1550, vécut longtemps du produit des fresques dont il décorait les façades des maisons, tant dans sa ville natale qu'à Francfort; il eut depuis à peindre de grandeur naturelle toute la série des margraves de Bade; revenu enfin à Strasbourg, il s’y adonna presque exclusivement à mettre sur bois des dessins que gravait ensuite son frère Jean-Christophe. — 14 — Peysage de Lucas Valkemborch (‘), d'haulteur d’un pied douze polces, large de deux piedz trois polces, molure dorée, n° 16. Peysage de Lucas Valkemborch, d'haulteur d'un pied douze polces, large de deux piedz quattre polces, molure dorée, n° 17. Peysage de Lucas Valkemborch, d'haulteur d'un pied douze polces et large de deux piedz quattre polces, molure dorée, n° 18. Peysage de Lucas Valkemborch, d’haulteur d'un pied unze polces, large de deux piedz deux polces, molure dorée, n° 19. Tour de Babilonne de Gilis Valkemborch, d'haulteur d’un pied six polces, large de deux piedz quattre polces et demy, molure dorée, n° 20. Peysage de Lucas Valkemborch, d’haulteur de douze polces, large d’un pied six polces et demy, molure dorée, n° 21. Peysage de Lucas Valkemborch, d’haulteur de treize polces et large d’un pied deux polces et demy, molure dorée, n° 22. Peysage de Lucas Valkemborch, d’haulteur de douze polces et tier, large d’un pied sept polces et un tier, molure dorée, n° 23. Peysage de Lucas Valkemborch, d'haulteur de douze polces et un quart, large d’un pied six polces, molure dorée, n° 24. Peysage de Martin Valkemborch, d’haulteur de neufz polces et demy et large de treize polces, molure dorée, n° 25. Peysage de Valkemborch, d’haulteur de treize polces, large d'un pied et demy polce, molure noire, n° 26. Peysage de Lucas Valkemborch, d'haulteur d’unze polces et large de quatorze polces, molure dorée, n° 27. Peysage en rond de Lucas Valkemborch, ayant de diamètre neufz polces et un tier, molure dorée, fait à destrampe, n° 28. (:) Valckemburg (Luc et Martin), frères, nés à Malines vers 1530, ont travaillé longtemps en société. Luc excellait dans le paysage enrichi de figures ; Martin faisait seulement le paysage. Eloignés des Pays-Bas par les troubles, ils travaillèrent beaucoup sur les bords du Rhin et de la Meuse : Luc mourut à Lintz, et Martin à Francfort. — 112 — Peysage à destrampe de Lucas Valkemborch, ayant de dia- mètre neufz polces et un tier, avec sa molure dorée, n° 29. Peysage à destrampe de Lucas Valkemborch. ayant de dia- mètre neufz polces et un tier, avec sa molure dorée, n° 30. Peysage de Adrian de Wert {‘}, ayant en diamètre neufz polces, molure dorée, n° 31. Peysage de Adrian Wert, d'haulteur de quatorze polces un tier et large d’un pied deux polces, molure dorée, n° 32. Peysage de Adrian Wert, d'haulteur de deux piedz emq polces et de largeur de deux piedz treize polces, molure dorée, n° 33. Peysage de Fédérich Walkemborch, en toille, d’haulteur d'un pied dix polces deux tiers, large de deux piedz, avec sa molure de nouhier, n° 34. Peysage de Fédérich Walkemborch, fait sur toille, d'haulteur de deux piedz six polces, large de trois piedz unze polces, mo- lure de nouhier, n° 35. Peysage d’une Nostre-Dame allant en Egypte, du vieux Pierre Breughel (?)}, d’haulteur d’un pied quattre polces, large d’un pied treize polces et demy, avec sa molure dorée, n° 36. Peysage d'un Jonas, de Breughle, d'haulteur d’un pied et un polce et large d’un pied dix polces et un quart, sa molure do- rée, n° 37. Peysage sur planche de cuivre de Pierre Breughel (*), d'haul- teur de quatorze polces, large d'un pied trois polces et un ter, molure de nouhier, n° 38. G) Wecrdt (Adrien de), né à Bruxelles vers 1510, imita d’abord les paysages de François Mostaert, puis adopta la manière du Parmesan et s’adonna dès Lars à la peinture d'histoire ; forcé de quitter Bruxelles en 1566, à cause des troubles, il se retira à Cologne où il mourut jeune. (2) Breughel (Pierre), dit le Vieux ou le Drôle, né aux environs de Bréda dans les premières années du xvi® siècle, commenca par diriger à Constan- tinople une fabrique de tapisserie, et mit à profit ses voyages à travers la France et l'Italie pour recueillir des vues; il finit par s'établir à Anvers, où il produisit une immense quantité de paysages, de fêtes villageoises, de scènes historiques, et mourut à Bruxelles en 1570. (5) Fils du précédent et du même prénom que lui, il fut surnommé — 113 — Peysage de Hans Breughle (!}, d’haulteur d'un pied et demy polce, large d’un pied sept polces et demy, avec sa moulure do- rée, n° 39. Une danse de village, de Hans Breughle, d'haulteur d'un pied quattre polces, large d’un pied quatorze polces et demy, molure dorée, n° 40. Peysage d’une bataille navale, de Paule Brile (?}, d’haulteur d'un pied six polces et demy, et large d’un pied treize polces et quart, molure dorée, n° #1. Peysage fait sur planche de cuivre d’un bam de Diane, de Rotheramer (*), ayant d’haulteur quatorze polces et de largeur un pied deux polces, avec sa molure de nouhier, n° 42. Navires en mer tranquille, avec petites figures en icelle et peysage lointain, de Pierre Breughel, tenant d’haulteur un pied trois polces deux quartz, largeur: un pied treize polces, molure noire, n° 43. Peysage à destrampe, de Hans Boler {‘), d'haulteur de six polces et demy, large de neufz polces, avec sa molure d'ébenne et couvercle, l’attache d'argent taillée en fuillage, n° 44. Peysage de Hans Boler, d’haulteur de sept polces un tier, large de dix polces deux tiers, sa moulure d'ébenne, la planche de cuivre recouverte d’ébenne, l’attache d'argent, n° 45. Peysage à destrampe de Hans Boler, d'haulteur de huict Breughel d'Enfer, parce qu'il se plaisait à représenter des incendies et des scènes diaboliques ; il était né à Bruxelles en 1559 et mourut en 1625. () Egalement fils de Breughel Le Vieux, il fut surnommé de Velours, à cause de son goût pour les vêtements de luxe; il traita supérieurement les fleurs, les fruits, les paysages, les marines, et les plus grands peintres d'histoire de son temps l'employèrent à peindre les fonds de paysage de leurs tableaux : né à Bruxelles vers 1589, il mourut en 1643. (?) Bril (Paul), paysagiste distingué, né à Anvers en 1554, mort à Rome en 1626. () Rottenhammer (Jean), imitateur du Tintorct, né à Munich en 1564, mort à Augsbourg en 1623. (t) Bol (Jean) peignit, tant à la détrampe qu'à {l'huile, des paysages avec figures qui étaient et sont encore très recherchés : né à Malines en 1531, il mourut à Amsterdam en 1593. 8 — 114 — polces, large de douze polces et un tier, molure de nouhier noir avec sa couverte et une boucle d'argent, n° 46. Peysage de Marcus Gherart (‘), d’haulteur de sept polces et un cinquième, large de neufz polces et demy, molure dorée, n° 47. Peysage à destrampe de Marcus Gherart, d’haulteur de sept polces et un tier, large de neufz polces un tier, molure dorée, n° 48. Peysage de Hans Breughel, d'haulteur de sept polces et large de neufz polces, avec sa molure dorée, n° 49. Peysage de Hans Breughel, d’une poissonnière de mer avec ses petites figures, d’haulteur de huict polces et un cinquième, large de neufz polces deux tiers, avec sa molure dorée, n° 50. Peysage de Frans Mostaert (?)}, d’haulteur de sept polces et un tier, large d’unze polces un tier, avec sa molure dorée, n° 54. Peysage d'hiver, de Gilis Mostaert (*), d’une Nostre-Dame allant en Egypte, d'haulteur d’un pied deux polces, large d’un pied neufz polces deux tiers, molure dorée, n° 52. Peysage d'un feu, pillage et escarmouche, de Gilis Mostaert, d'haulteur d’un pied sept polces et demy, large d’un pied quattre polces, molure dorée, n° 53. Peysage de Gilis Mostaert, historié d’une poissonnière de mer, d'haulteur de neufz polces et quart, large de huict polces un quart, molure dorée, n° 54. Peysage de Gilis Mostaert, d'haulteur de huict polces et un tier, large d’austant, avec sa molure dorée, n° 55. Peysage, sur planche de cuivre, de Gilis Mostaert, d’un feu G) Gérard (Marc), né à Bruges en 1521, mort en Angleterre en 1590, eut la réputation d'un artiste universel, ayant peint et gravé avec un égal succès l’histoire, le paysage, le portrait et l'architecture. (2) () Mostaert, Francois et Gilles, frères jumeaux, nés à Hulst, près Anvers, vers 1520, collaboraient le plus souvent, le premier faisant le paysage, le second les figures; Francois mourut dans la fleur de l'âge, et Gilles très vieux, en 1601. LE — nocturne, historié d’un monastère de religieuses, d’haulteur de treize polces et demy, large de deux piedz deux polces et un quart, molure de nouhier, n° 56. Peysage d’une nuict, historiée du camp d'Holofernus, de Henry al de Chouette (‘), d'haulteur et largeur de quinze polces, sa molure dorée et jaspée, n° 57. Peysage d’un feu, de Henric de la Chouette, rond, tenant en son diamètre douze polces, avec sa molure dorée, n° 58. Peysage rond, de Henry la Chouette, historié d’une tentation de sainct Anthoine, contenant en rond, avec sa molure dorée, huict polces, n° 59. (Manque le n° GO.) Peysagé d’Henric la Chouette, historié de Loth, tenant en diamètre unze polces et quart, n° 61. Peysage d’une tentation de sainct Anthoine, de Henry la Chouette, d’'haulteur de treize polces et demy, large d’un pied trois polces et demy, sans molure, n° 62. Peysage de Jacques Savery (?), avec une feuille transparante dessus, d'haulteur de quattre polces et un cinquième, large de sept polces et un tier, molure dorée, n° 63. Une Nativité et seize actes de la Passion allentour d’icelle, de Gilis Mostaert, contenant le tout d’haulteur trois piedz sept polces et demy et de large deux piedz quinze polces, molure dorée, n° 64. Un Dieu de pitié assis en peysage, de la main de Gilis Mos- taert, d'haulteur d'un pied dix polces et demy, large d’un pied cinq polces et demy, avec sa molure dorée, n° 65. (:) Il s’agit de Hendrick van Steenwyck (le vieux), ainsi appelé du nom de la ville où il naquit en 1550, et que l’on traduisait en France par la Chouelte, à cause de l'analogie de ce nom avec le mot hollandais steenvil qui siguifie chouette : ce peintre est surtout connu par ses vues de villes et villages et ses intérieurs d'église; il mourut à Francfort en 1604. (?) Peintre médiocre de la ville de Courtray, il n'est guère connu que pour avoir été le premier maître de son fils Roland, l’un des meilleurs paysagistes de l'école flamande. — 116 — Une Nativité en peysage d’hyver, de Gilis Mostaert, d'haulteur d'un pied trois polces, de large d’un pied neufz polces, sa molure de racine de bois mabré, n° 66. Une Magdalenne, de Gilis Mostaert, en une grotte, d’haulteur d'un pied et demy et large d’un pied et un polce, sa molure dorée, n° 67. Un Crucifix avec une Magdalenne, de Gilis Mostaert, d’haul- teur d’un pied dix polces et demy, de largeur unze polces et demy, molure noire, n° 68. Une saincte Suzanne avec les deux viellardz, sur de la toille, d'haulteur de trois piedz et quatorze polces, large de trois piedz, de la main de Hans von Achez (‘}, molure de nouhier, n° 69. Un Christ pourtant sa croix, accompagné de peuple, de la main de Hans von Achez, d’haulteur d’un pied six polces et demy, large de deux piedz, avec sa molure dorée, n° 70. Le pourtraict de Hans von Achez fait de sa main, d’haulteur d'un pied unze polces, large d'un pied trois polces, molure dorée, n° 71. Une Résurrection du Lazare, de la main de Rhoteramer. d'haulteur de quatorze polces et demy et large d’un pied deux polces, sur lame de cuivre, sa molure d'ébenne, n° 72. Un bain de Diane avec ses Nymphes, de maistre Henric (?) et le peysage de Peeter Breughel, sur planche de cuivre, d'haul- teur d’un pied et large d’un pied et demy et un quart de polce, sa molure de nouhier, n° 73. Une Nostre-Dame tenant Jésus, de la main de maistre Henric, d’haulteur de demy pied et large de cinq polces et demy, avec la molure en planche d’ébenne et deux petites boucles d'argent, n° 74. Une Nostre-Dame tenant son enffant dormant, de la main du @) Achen (Jean van), né à Cologne en 1556, peintre religieux et portrai- tiste distingué, passa la plus grande partie de sa carrière au service des empereurs d'Allemagne. (2) Hendrick van Steenwyck (le vieux), déjà cité dans ce document, colla- bora fréquemment, en effet, avec Breughel. — 117 — Corregio (‘}, d'haulteur d’un pied sept polces, large d'un pied deux polces, avec sa molure dorée, n° 75. Une Nostre-Dame copiée de la précédente, de haulteur d’un pied treize polces, large d’un pied six polces, sa molure d’é- benne, n° 76. Une saincte Catherine assise sur sa rouhe, estant avec deux petitz anges, de la main du Corregio, d'haulteur de quinze polces et large de douze polces et demy, molure de bois, n° 77. Une teste de vieillard en un ovale, sur toille colée sur du bois, de la main de Jacques de Bacher (?), d’haulteur de deux piedz six polces, large d’un pied dix polces, sans molure, n° 78. Une teste de femme dans un ovale, sur toille colée sur bois, de la main de Jacques de Bacher, d’'haulteur de deux piedz six polces et large d’un pied dix polces, sans molure, n° 79. Les dix mil Martyrs d'Albert Durez (*), d'haulteur de trois piedz cinq polces et large de trois piedz, molure d’ébenne, n° 80. Une estude de femmes nues, de la main de Jacques Bacher, “d’haulteur de deux piedz, large de deux piedz neufz polces et demy, n° 81. Une Nostre-Dame entortillant son enffant sur un berceau, de la main du Corregio, faite en toille, d'haulteur de trois piedz douze polces, large de deux piedz six polces, molure de nouhier, n° 82. Trois testes de femme tenans un livre de musique, .de la main de Frans Flores (‘)}, d'haulteur d’un pied six polces et demy, large d’un pied quatorze polces et un tier, molure dorée, n° 83. Une teste de Bachus, de Frans Flores, d’haulteur d’un pied et () Allegri (Antonio), dit le Corrège, l'un des princes de la peinture, né à Corregio en 1494, y mourut en 1534. (>) Backer (Jacques de), né à Harlingen en 1608, mort en 1641, peintre d'histoire et de portraits, l’un des bons coloristes de l’école flamande. (°) Durer (Albert), l'une des gloires de l'école allemande, naquit à Nuremberg le 20 mai 1471 et y mourut le 6 avril 1528. (*) Francois de Vriendt, dit Frans-Floris, né à Anvers en 1520 et mort en 1570, fut appelé de son temps le Raphaël des Flamands. — MS — douze polces, large d'un pied six polces, sa molure de bois de chasne, n° 84. Une teste de Cérès, de la main de Frans Flores, d’'haulteur d'un pied douze polces, de largeur un pied six polces, sa molure de chasne, n° 85. | Une Nostre-Dame tenant son enffant, d'haulteur d’un pied et treize polces, large d’un pied cinq polces et demy, le dessus fait en arc rond, la molure dorée, de la main d’un vieux maistre, n° 86. Le pourtraict d’une femme, de la main de Jean Pietro Silvio (!), d’haulteur de trois piedz moings un polce, large de deux piedz et demy, la molure dorée, fait sur toille, n° 87. Un vase sur lequel y a diverses fleurs, de la main d’un vieux maistre, d’haulteur d’un pied un polce et demy, large de treize polces et demy, sa molure de racine mabrée, n° 88. (Manque le no 89.) Pourtraict d'un enffant nud couché, de la main du Titian (?)}, d'haulteur d'un pied neufz polces, large de deux piedz un polce, sa molure noire, n° 90. Peinture d’une femme avec un Cupido tenant un miroir, de la main d’un Titian, d'haulteur de quattre piedz deux polces, large de trois piedz neufz polces, molure de nouhier, n° 91. Assassin, de la main de Martin van Chlefz (*), d'haulteur d’un pied neufz ‘polces, large de deux piedz sept polces, molure dorée, n° 92. Une perspective d'église, de Henrich Steenvichk, les figures (2) Silvio (Jean-Pierre), né à Venise vers 1500, fut un des plus habiles imitateurs du Titien. ) Vecellio (Tiziano), dit le Titien, né au bourg de Pieve (ancienne province de Cadore) en 1477, mort le 27 août 1576; c'est la grande illus- tration de l'école vénitienne. (5) Clecf (Martin van), né à Anvers vers 1510 et mort vers 1560, est connu par ses petits tableaux de genre, dans lesquels son frère Henri faisait le paysage. — M9 — estant de la main de Gilis Mostaert, d’haulteur d’un pied et demy, large d’un pied six polces, sa molure doré, n° 93. Histoire d’un rapt de Menelaus, de la main de Féderich Lambertus (‘}, d'haulteur de trois piedz sept polces, large de quattre piedz et demy, avec sa molure de nouhier, n° 94. Un enffant de Geronimus Bos (?}, d’haulteur d’un pied douze polces, large de deux piedz six polces, sans molure, n° 95. Peysage avec mesnagerie, de la main du Bassand (f), d’haul- teur de quattre piedz quattre polces et large de six piedz moings un polce, fait sur toille, avec sa molure de nouhier, n° 96. L'Adoration des trois Roys, avec une Nativité et une Fuite en Egypte sur les deux portes, de la main d’un vieux maistre, d'haulteur de deux pieds moings demy polce, large de douze polces, les molures dorées, n° 97. Une Prudence, de la main de Stadamus {‘), d’haulteur d'un pied sept polces et demy, large d'un pied, la molure dorée, n° 98. Un Dieu de pitié, de Joannes Mobeuge (), d'haulteur de douze polces un tier, large de neufz polces et un tier, ses molures noires, n° 99. Le pourtraict de monsieur le comte et la damoiselle Gaille peinte en fruictière, sur toille, d'haulteur de quattre piedz et (:) Zustris (Frédéric), appelé par Vasari Federigo di Lamberto, origi- naire d'Amsterdam, avait choisi Florence pour patrie ; il fut l’un de ceux qui décorèrent le catafalque de Michel-Ange, en 1564. (2) Bos (Jérôme), né à Bois-le-Duc vers 1450, est l'un des plus anciens peintres à l'huile. (5) Ponte (Jacopo da), dit le Bassan du lieu de sa naissance (Bassano), né en 1510 et mort en 1592, fut l’un des peintres les plus féconds de l'école vénitienne. (*) Strada (Jean), né à Bruges en 1536, adopta l'Italie pour patrie et y laissa nombre de beaux ouvrages; il mourut à Florence le 3 novembre 1605. (5) Mabuse (Jean van), né à Maubeuge (Hainaut) vers 1470, mort à Anvers en 1532, fut l’un de ceux qui importèrent d'Italie dans les Pays-Bas les vrais principes de l'art. — 120 — large de trois piedz quattre polces, de la main de Flores, molure de nouhier, n° 400. Pourtraict de Geronimus Bos, d'haulteur de demy pied, large de six polces, molure dorée, n° 401. Une chauve-souriz, d'haulteur de sept polces, large de douze polces, molure de bois noir, n° 102. Une Nostre - Dame, sur lame de cuivre, d'Albert Durez, gravée, d'haulteur de sept polces deux tiers, large de cinq polces, moulure d’ébenne, n° 403. Une Nostre-Dame, d'Albert Durez, gravée sur lame de cuivre, haulte de demy pied, large de cinq polces et demy, molure d'ébenne, n° 404. Un vase plain de fleurs, de aluminature, de Oufz Neglez [!), haulte de sept polces et demy, large de six polces, couvert d’un verre, molure d'ébenne ayant sa bouclette d'argent, n° 105. Une danse d’enffans, d’aluminature, de Stevan van Castel, haute de six polces, large de quattre polces et demy, avec sa molure d’ébenne, couverte d’un verre, sa bouclette d'argent, n° 106. Une Nostre-Dame de bas-reliefz d'argent ciselé, d'haulteur de neufz polces et demy, large de six polces deux tiers, sa molure et fond derrier d’ébenne, son attache d'argent ciselé d'une teste d’un chérubin, et sa couverte d’ébenne, n° 107. Une escrevice, de la main de George Fleghle, d’haulteur de quattre polces, large d'un pied six polces et demy, molure noire, n° 108. Testes d’un asne, d'un chien, d'un renard, conny d'Inde et de chat, de la main du vieux Puerbus (?), haultes d’un pied trois () Hœfnæghel (Georges), né à Anvers en 1545 et mort à Vienne en 1600, peigoit d'abord à la gouache, genre que notre inventaire appelle alumina- ture ; il apprit ensuite la peinture à l'huile, sous la direction de Jean Bol, et rendit avec succès le portrait, Le paysage et les fleurs. 2) Porbus (François) dit le Vieux, portraitiste estimé, non moins habile peintre d'animaux, naquit à Bruges en 1540 et mourut à Anvers en 1584. — 121 — - polces et demy, large d’un pied quattre polces, molure noire, n° 109. Teste d’une femme pourtant barbe, de la main de Guillaume Chayez (!), haulte d’un pied et un polce, large de quatorze polces, sa molure noire, n° 410. Une teste de jeune-homme en porfile, haulte d’un pied un polce, large de treize polces, avec sa molure noire, n° 144. Une teste de chien blanc, de Pœurbus, haulte de douze polces et austant de large, molure noire, n° 412. Un pourtraict d’une Diane, d’un maistre italien, sur lame de cuivre, haulte de quatorze polces et demy, large de neufz polces, molure noire, n° 413. Un Bacchus avec un petit Satyre fait à la plume sur parchemin, de la main d'Henric Goltius (?)}, d’haulteur de deux piedz trois polces, large d’un pied unze polces, mollure de nouhier double; ceste pièce est joincte à la suigante, n° 11%. Un paysage haché à la plume, de la main de Henric Goltius, sur du papier collé sur bois, d'haulteur de deux piedz trois polces, large d’un pied unze polces, molure de nouhier; ceste pièce est attachée à la précédente, n° 115. Deux platz plains de poires et perches, de George Fleghez, sur toille, haultes d’un pied sept polces et demy, large d’un pied unze polces et demy, molure de nouhier, n° 416. Un plat de raisins, de George Fleghez, hault d'un pied sept polces et demy, large d’un pied douze polces, sur toille, molure de nouhier, n° 417. Une perdrix, une bécasse et une caille, de George Fleghez, (1) Key (Guillaume), né à Bréda vers 1520, eut un grand renom comme portraitiste ; il peignit le cardinal de Granvelle et le duc d’Albe, et mourut, en 1563, de frayeur, dit-on, d'avoir entendu, chez ce sanguinaire gouverneur, concerter la mort du comte d'Egmont. (2; Goltz (Henri), né à Mulbrack {duché de Juliers) en 155S, mort à Harlem en 1617, habile graveur et peintre, a laissé nombre de dessins hâchés à la plume du plus bel effet. — 122 — d'haulteur d’un pied unze polces et demy, large d’un pied quinze polces, fait sur toille, molure de nouhier, n° 418. Deux gelinottes et un aultre oyseau, de George Fleghez, d'haulteur d’un pied huict polces, large de deux piedz un polce, faites sur toille, molure de nouhier, n° 419. Une cuisine, de la main de George Fleghez, faite sur toille, d'haulteur de quattre piedz quattre polces, large de cinq piedz dix polces, molure de nouhier, n° 120. Une crédence avec une fruictière de George Fleghez, d’'haul- teur de quattre piedz quattre polces, large de six piedz, sa molure de nouhier, n° 424. Deux chiens, de la main de Bartholomez Spranger (!), d’haul- teur de deux piedz sept polces et demy, large de cinq piedz trois polces, faitz sur toille, la molure de nouhier, n° 122. Pourtraict de sainct Jacques, de la main de Guillaume Chayer, hault de deux piedz un polce, large d’un pied dix polces, molure de nouhier, n° 123. Un vieux pourtraict de la main d’un bon vieux maistre, d'haulteur deux piedz cinq polces et demy, large de deux piedz, sa molure colorée, n° 124. Pourtraict, de Martin van Eemskerck (?}, de la ruine d’un vieux Colisée, de sa main, d’haulteur d'un pied sept polces, large d'un pied treize polces, sa molure de nouhier, n° 195. Les sept péchez mortelz, peinctz de la main de Holbeyne (*), d'haulteur d’un pied quattre polces, large d’un pied six polces un tier, molure de nouhier, n° 126. () Spranger (Bartholomé), né à Anvers en 1546, mort à Prague dans un âge très avancé, fut un peintre d’une fécondité exceptionnelle. Après avoir exécuté de nombreux ouvrages pour les églises de l'Italie, il s'attacha à la cour des empereurs d'Allemagne et y fut comblé d'honneurs par Rodolphe If. (?) Emskerken (Martin van), né dans le village de ce nom en 1498, peintre et graveur, mourut à Harlem en 1574. (5) Holbein (Jean), l'ami d'Erasme, fut à la fois peintre, sculpteur, gra- veur et architecte : né à Augsbourg en 1498, i] mourut à Londres en 1554, — 123 — Une Nostre-Dame avec son enffant dormant, sur lame de cuyvre, après Michael-Angel (t), d'haulteur d’un pied sept polces et demy, large de quinze polces et demy, sa molure noire, n° 127. Un Crucifix, Nostre-Dame et sainct Jean, sur lame de cuyvre, d'après Michael-Angel, d’haulteur d’un pied unze polces, large d’un pied deux polces, molure noire, n° 128. Une Nostre-Dame avec son enffant, de la main de Prévost (?), d'haulteur d’un pied unze polces, large d’un pied cinq polces et demy, molure noire. n° 129. Une teste de Véronique, d'Albert Durez, d'haulteur d’un pied, large d’un pied sept polces et tier, sa molure d’ébenne, n° 130. Une teste de fille en porfille, à destrampe, d'Albert Durez, d'haulteur d’un pied deux polces et demy, large de quinze polces et demy, sa molure de nouhier et couverte noire, n° 431. Un lièvre d'Alexandre Paduano Fiorentino (*), d’haulteur de douze polces, large de neufz polces trois quartz, molure dorée, n° 432. Un Crucifix, à destrampe, de Petre de Vos {‘), d'haulteur de dix polces deux tiers, large de huict polces, sa molure d’ébenne et son attache d'argent taillée en fuillage, n° 133. Une Nostre-Dame des sept douleurs, à destrampe, de Petre de Vos, haulte de dix polces deux tiers, large de huict polces, molure et couverte d’ébenne, l’attache d'argent à fuillage, n° 134. Une teste de mort, faite de crayon noir, sur papier bleu, du 6) Il s'agit du grand Michel-Ange Buonarotti, né au château de Caprèse (territoire d’Arezzo) en 1474, mort à Rome en 1554. (2) Prévost (Jacques), né à Pesmes (Haute-Saône) au commencement du xvie siècle, fut à la fois peintre et graveur : on croit qu'il avait eu pour maître Michel-Ange; les églises de Langres possédaient plusieurs de ses tableaux qui ont péri pendant la Révolution, mais l’église de Pesmes con- serve de lui une Descente de croix qui porte le millésime 1551. (5) Varotari (Alexandre), dit le Padouan, né à Padoue en 1590, mort en 1650, peignit dès sa plus tendre enfance, ce qui explique la mention d'un de ses ouvrages dans un inventaire rédigé en 1607. (+) Vos (Pierre de), père et premier maitre du célèbre Martin, — 194 — Fongino {'), haulte de six polces et large de sept polces, molure d'ébenne, son attache d'argent, n° 135. | Une femme nue, faite de crayon noir sur papier bleu, du Fongino, d'haulteur de cinq polces et large de quattre polces deux tiers, son attache d'argent, molure et couverte d’ébenne, n° 136. Une dame religieuse, d’haulteur de six polces, large de cinq polces trois quartz, molure et couverte d'ébenne et l’attache d'argent, n° 137. Un Crucifix, de Martin de Vos (?), sur toille, historié en bas de Nostre-Dame, sainct Jehan et aultres figures, d'haulteur d'un pied neufz polces deux tiers, large d’un pied cinq polces et demy, sa molure d’ébenne, n° 138. Un jardin d’olivet, de Martin de Vos, d’haulteur de deux piedz trois polces et demy, large d’un pied neufz polces et demy, molure de nouhier et de racine de bois mabré, n° 1439. Une Nativité,; de la main de Martin de Vos, d’haulteur d’un pied treize polces, large d’un pied six polces et demy, molure de racine de hois, n° 440. Une Nativité, de la main de Martin de Vos, haulte d'un pied huict polces et demy, large d'un pied deux polces et demy, molure de racine de bois, n° 141. L Un sainct Michiel avec des anges combatans les démons, d'haulteur d’un pied six polces, large de quinze polces et demy, molure noire, n° 142. Une Nostre-Dame avec son enffant dormant, sans molure, haulte de deux piedz sept polces et large d’un pied quatorze polces et demy, n° 143. Une résurrection du Lazare, de la main de Martin de Vos, d'haulteur de huict piedz et neufz polces, large de cinq piedz cinq polces et demy, fait sur toille, sa molure de nouhier, n° 444. (?) Ponchino (Jean-Baptiste), dit Bozzato, né vers 1500 et mort en 1570. (2) Vos (Martin de), né à Anvers en 1524, le plus distingué des élèves et initateurs du Tintoret, mort à Venise en 1604. — 195 — Un sainct Gérosme, de la main de Martin de Vos, d’haulteur de huict piedz et douze polces, large de cinq piedz et sept polces, fait sur toille, sa moulure de nouhier, n° 145. Le Jugement, de Michael-Angel, d'haulteur sur toille de sept piedz trois polces, large de quattre piedz et treize polces, sa molure de nouhier, n° 146. | Une Nativité de nuict, avec les anges chantans, de la main d'Ambrosius Franc (!), d’haulteur de huict piedz et demy, large de sept piedz cinq polces, en toille, sa molure de nouhier, n° 447. Une nuiet d’un Christ avec Nycodemus, d’Ambrosius Franc, d'haulteur de quattre piedz et demy, large de quattre piedz, sa molure de nouhier, sur toille, n° 148. Une Judit tenant la teste d'Holofernus, de la main de maistre Chrispian (?}, d'haulteur de quattre piedz, large de cinq piedz et demy, faite sur toille colée sur bois, sa molure dorée, n° 449- Une Nostre-Dame, d’un vieux maistre, d’haulteur de trois piedz deux polces, large de deux piedz six polces, avec ses portes et molures dorées, n° 150. Une dame nue mettant sa chemise, de la main du Titian, d'haulteur de quattre piedz, large de trois piedz et demy, faite sur toile colée sur bois, sa molure dorée, n° 151. Un feu de Troye nocturne, de Gilis Valkemborch, d’haulteur de trois piedz quinze polces et large de cinq piedz, fait sur toille, la molure de nouhier, n° 152. Mars et Vénus, de la main de Galleazzo Millaneso {*) fait sur toille, d'haulteur de quattre piedz quatorze polces, large de six piedz, molure de nouhier, n° 153. (:) Frank (Ambroise), le plus jeune des trois frères de ce nom, né à Herentals (Campine) vers 1555, mort à Anvers en 1619. (2?) Broeck (Crispin van den), qui signait en latin Crispianus Brockius, né à Anvers vers 1530, fut aussi bon peintre qu'habile architecte. (5) Le rédacteur de notre inventaire aurait-il pris pour une signature de peintre une inscription dédicatoire en l'honneur de Jean-Galéas, duc de Milan ? — 1926 — Une Vénus, de Paris Bourdon [!), de quattre piedz deux polces d’haulteur, large de six piedz et demy, faite sur toile, molure de nouhier, n° 154. Une Vénus dormante avee un Cupido et un Satyre, faitz du Corregio (?)}, sur toille, de six piedz d’haulteur et quattre de largeur, sa molure de bois de nouhier, n° 155. Une Vénus avec Mercure, du Corregio, d’haulteur de cinq piedz et neufz polces, large de trois piedz neufz polces, fait sur toille, molure de nouhier, n° 156. Une poissonnière, sur toille, de la main del Campy Cremo- monese (*)}, d'haulteur de quattre piedz douze polces, large de sept piedz, sa molure de nouhier, n° 457. Vénus et Adonis, sur toille, de la main de Michiel Coxe (‘), d'haulteur de huict piedz six polces et large de six piedz, sa molure de nouhier, n° 458. Un Adam, de Lucas Cranac (*), d’haulteur de sept piedz et demy, large de trois piedz dix polces, molure de chasne, n° 159. Une Eve, de Lucas Cranac, d’haulteur de sept piedz et demy, large de trois piedz dix polces, molure de chasne, n° 160. Un Christ avec la femme adultère et des Juifz, du Tintoret (°), de trois piedz trois polces d’haulteur et cinq piedz de large, sur toille, molure de nouhier, n° 461. (:) Bordone (Paris), l'un des meilleurs élèves du Titien, naquit à Trévise en 1500 et mourut à Venise en 1570; il suivit longtemps la cour de Fran- çcois Ler et y fit un grand nombre de beaux portraits. (2) C'est identiquement la description que les anciens inventaires du Louvre font du Sommeil d'Antiope, l'une des merveilles de l'art. La toile qui est au Louvre passe pour avoir été acquise par Louis XIV des héritiers de Mazarin. (8) Campi (Galéas), né à Crémone en 1475, mort en 1536, chef d'une famille de peintres qui illustra les monuments de la haute Italie. (#) Coxcie (Michel), né à Malines en 1497 et mort en 1592, fut un habile imitateur de Raphaël. (5) Sunder (Lucas), dit Cranach du nom de sa ville natale (en Franconie), né en 1472, mort en 1553, peiganit le portrait avec une grande finesse; il fut l'ami et l’un des premiers adeptes de Luther. (5) Robusti (Jacques), dit le Tintoret, né à Venise en 1512, mort en 1594, élève et rival souvent heureux du Titien, — 127 — Une pluie d’or, faite sur toille colée sur bois, du Titien; d’haulteur de trois piedz, large de cinq et demy, sa molure dorée, n° 162. Une fruictière estant au marchefz, de la main del Campÿ Cremonese, d’haulteur de quattre piedz treize polces, large de sept piedz, sur toille, molure de nouhier, n° 163. Un marchefz de viandes, del Campy Cremonese, sur toille, de haulteur de quattre piedz treize polces, large de sept piedz deux polces, molure de nouhier, n° 164. Une royne de Perse, de Guillaume Cayer, faite sur {oille colée sur bois, d'haulteur de quattre piedz et large de trois piedz trois polces, sa molure dorée, n° 165. Des aveugles qui se mènent l’un l’autre, de Breughle, d'haul- teur d’un pied douze polces et demy, large de deux piedz quattre polces, molure noire, n° 166. Un rhinocerot, sur toille, sans molure, d'haulteur d’un pied, large d’un pied et demy, n° 167. Un Crucifix, sur marbre noir, de Martin de Vos, d’haulteur de deux piedz sept polces, large d’un pied treize polces, molure dorée et de nouhier verny, n° 168. Pourtraict du fut roy Philippe second, roy d'Espagne, d’haul- teur de six piedz sept polces, large de trois piedz neufz polces et demy, sur toille, de la main d’Alonso Sanchès (!), portuguois, molure de nouhier, n° 169. Pourtraict de l'empereur Maximilian, sur toille, de la main de l’Archimbole {?), d'haulteur de trois piedz douze polces, large de trois piedz trois polces, molure dorée, n° 170. Pourtraict de fut monsieur le cardinal de Granvelle, sur lame de cuivre, de la main de Scipion Gaetan (*), d’haulteur de deux (2) Coello (Alonso-Sanchez), le peintre favori et l'ami le plus intime du roi Philippe 11, mourut, comblé d'honneurs et de richesses, en 1590. (2) Arcimboldi (Joseph), peintre burlesque, passa sa vie au service des empereurs Maximilien 11 et Rodolphe I. (*) Pulzone (Scipion), appelé Gaëtano du nom de la ville de Gaëte où il naquit vers 1550 : son habileté dans le portrait l’a fait aussi surnommer le — 128 — piedz unze polces et demy, large de deux piedz un polce, molure noire, n° 474. Pourtraict de fut don Thomas sieur de Maches (!), sur toille, de la main d'Alonso Sanchez, portuguois, d’haulteur de sept piedz et large de trois piedz six polces, molure de chasne, n° 172. Pourtraict de fut monsieur de Granvelle (?), sur toille, de la main du Titian, d'haulteur de quattre piedz et large de trois piedz trois polces, molure noire, n° 173. Pourtraict d'une femme assise, de la main du Titian, sur toille, d'haulteur de trois piedz quatorze polces et large de trois piedz, molure dorée, n° 174. Aultre pourtraict de fut monsieur de Granvelle, de la main du Titian, d'haulteur de trois piedz six polces et demy, large de deux piedz quatorze polces, molure noire, n° 175. Pourtraict de fut madame de Granvelle (*), du Titian, d’haul- teur de trois piedz six polces et demy, large de deux piedz qua- torze polces, molure noire, n° 176. Pourtraict de fut monsieur de Chantonnay {*), sur toille, de la main de Flores, d'haulteur de deux piedz neufz polces et demy, large de deux piedz un polce, molure de nouhier, n° 477. Pourtraict de dona Isabel, infante d’Espagne (°), sur toille, de Van-Dyck de l’école romaine; il est mort à Rome vers 1588. Le portrait décrit ci-dessus, légué en 1694 à la ville de Besancon par l'abbé Boisot, fait aujourd'hui partie de notre musée de peinture. () Jean-Thomas Perrenot, seignzur de Maïche, l’un des fils de Thomas, périt dans le naufrage de la flotte envoyée par Philippe IT contre l’Angle- terre, en 1588. (2) Ce portrait du garde des sceaux de Charles-Quint faisait partie du legs de l’abbé Boisot à la ville de Besancon; il est conservé dans notre musée de peinture. (5) Nicole Bonvalot, femme du garde des sceaux de Charles-Quint. (4) Thomas Perrenot, comte de Cantecroix et seigneur de Chantonay, frère puiné du cardinal et héritier de la fortune patrimoniale des Granvelle. (5) Isabelle-Claire-Eugénie, fille du roi d'Espagne Philippe IT, mariée en 1597 à l’archiduc Albert d'Autriche, gouverna les Pays- Bas et la Franche-Comté, depuis son mariage jusqu'à sa mort arrivée en 1633. — 1299 — la main d’Alonso Sanchez, portuguois, d’haulteur de trois piedz, large de deux piedz et demy, molure de nouhier, n° 178. Pourtraict de Philippe troisième, roy des Espagnes, fait sur toille, de la main de Jean Pantoche de la Crux {!), d’haulteur de deux piedz quattre polces et large d’un pied unze polces, chassis de sapin, n° 479. Pourtraict de la royne d’Espagne (?), femme dudict Philippe troisième, d’haulteur que dessus et largeur de mesme, de la main dudict de la Crux, chassis de sapin, n° 180. Pourtraict d’une Pallas, de la main de Guillaume Cayer, d’haulteur d'un pied neufz polces, molure noire, ladicte Pallas faite sur le vifz de madamoiselle Marie de Berchez (*), n° 481. Pourtraict de madame de Brabançon (‘), sur toille, de la main de Puerbus, d’haulteur de deux piedz et six polces, large d’un pied quinze polces et demy, molure de nouhier, n° 482. Pourtraict de la femme de Ans von Achen ()}, de la main d'icelluy, sur toille, d'haulteur d’un pied et treize polces, large d’un pied et demy, molure de nouhier, n° 183. Pourtraict de fut messire Jacques Bonvalot, sieur de Cham- pagney (5), de la main du père de Pierre d'Argent (), d'haulteur d'un pied six polces et demy, large d'un pied trois polces, au doz duquel pourtraict sont les armes dudict sieur Bonvalot, molure jaspée, n° 484. (:) Pantoja de la Cruz, peintre ordinaire de la cour d’Espagne sous les rois Philippe 11 et Philippe I1I, né à Madrid en 1551 et mort en 1610. (?} Marguerite d'Autriche, fille de l'archiduc Charles, mariée en 1599. () Probablement la fille de Jean-Baptiste Le Goux, seigneur de la Berchère, président au parlement du duché de Bourgogne. (*) Marie de Barbancon, célèbre par la défense héroïque qu'elle fit du château de Benegon, en Berry, contre les troupes du roi de France, en 1569. (5) Jean van Achen avait épousé Régine de Lassus, fille du célèbre musicien de ce nom. (5) Père de Nicole Bonvalot et aïeul du cardinal de Granvelle. (*) Les deux peintres ainsi appelés, qui furent aux gages des Granvelle, appartenaient à une ancienne famille de Besançon, dans laquelle la pro- fession d’argentier était héréditaire : c'est de cette circonstance qu'elle tirait son nom. 9 — 130 — Pourtraict de la main d’Andrea del Certo (!), fiorentino, d'un . homme, sur toille, d’haulteur de trois piedz trois polces, large de deux piedz neufz polces, molure de nouhier, n° 485. Pourtraict de fut monsieur de Brederode (?), d’un vieux maistre, d'haulteur d’un pied et cinq polces, large d’un pied etun polce, molure dorée, n° 186. Pourtraict de la femme de fut ledict sieur de Brederode (*), d'un vieux maistre, d’haulteur d’un pied et cinq polces, large d'un pied et un polce, molure dorée, n° 187. Pourtraict de don Nycolas Perrenot (*), fils de fut monsieur de Chantonnay, d’haulteur de deux piedz, large d’un pied sept polces, molure de noubhier, fait de la main du petit Pierre d’Ar- gent (*), n° 188, () Vannucchi (André), dit del Sarte, né à Florence en 1488, mort en 1530, fut surnommé par ses contemporains le peintre sans défauts. (2) ($) Renaud, seigneur de Brederode, chevalier de la Toison-d'Or, et Philippote de la Marek, père et mère d'Hélène qui épousa, au mois de mai 1549, Thomas Perrenot, second fils du chancelier Granvelle. (*) Nicolas Perrenot, l’un des fils de Thomas, mourut à Naples sans postérité. () Le passage suivant, relatif à Pierre d'Argent, d’une lettre écrite de . Bruxelles au cardinal de Granvelle, le 5 mai 1564, montrera combien était misérable la situation des artistes sans renom qui suivaient les grands Seigneurs : « .... En la porterie de la chaussée et en la Joliette, qu'a le regard sur le vivier à fond de cuve, l'humidité a faict tombé beaucoup de plaistre ; mais l’on fera le tout radouber par Pierre d'Argent, le peinctre, lequel de soy-mesmes a desjà faict instance plusieurs fois pour il mectre la main là et aultre part. Ledit Pierre n’a peu demeurer ny à Malines ny à Anvers, seule occasion pour laquelle il n’avoit suyvir sadite seigneurie illustrissime en Bourgougne, comme elle sçait, ny n’a proffiter l'instance que le provost Morillon a faict là-dessus au peinctre de Malines ny à celluy d'Anvers, les prières de Polytes ny les allées que ledit Pierre a faict en l’une et l'autre ville seulement pour ceste poursuitte : de sorte qu'il a esté contrain retourner en la maison de vostredite seigneurie illustrissime, avec un extrême regret, tant de se veoir frustrer d’estre en ung lieu où qu'il aspi- roit pouvoir apprendre quelque chose pour mieulx luy rendre service, que pour maintenant ce veoir demeurer icy inutile. If ne sçait qu'il doit faire, ou bien si doit aller trouver sadite seigneurie 1llustrissime en Bour- gougne, pour dois là s’encheminé en Italie, comm’ il désire et comme jà — 131 — Pourtraict de la Corambone (!}, après Scipion Gaetan, sur toille, d’haulteur de deux piedz sept polces et demy, large d’un pied treize polces, molure de nouhier, n° 189. Pourtraict, sur toille, de Cleris Farnese (?)}, après Scipion Gaetan, d’un pied et demy d’haulteur et d’un pied unze polces de large, molure de nouhier, n° 190. | Un pourtraict en face de fut monsieur le comte de Cante- croy (°}, de la main de Gueldrop Gortz (‘}, d’haulteur de deux piedz quattre polces, large d’un pied unze polces et demy, molure dorée, n° 191. Aultre pourtraict de mondict sieur le comte de Cantecroix, de la main de Gueldrop Gortz, d'haulteur d’un pied unze polces et demy, large d’un pied cinq polces, molure de nouhier, n° 492. Aultre pourtraict dudict sieur comte, de la main dudict Guel- drop Gortz, d'haulteur d’un pied douze polces, large d’un pied quattre polces, molure de nouhier, n° 493. Aultre pourtraict, sur toille, de mondict sieur le comte, de Cayer, d’'haulteur de deux piedz six polces, large d’un pied douze polces et demy, molure dorée, n° 494. Aultre pourtraict, sur toille, de monsieur le comte de Cante- l’on luy a accourder, ou si doit entendre icy son retour, Il m'a prié bien fort d'en advertir sadite seigneurie illustrissime, estant déterminé, comme son très-humble serviteur, de faire voluntairement ce qu’elle luy commen- dera, comme certes je seay qu'il fera, car il est bon filz ct de bien bonne nature, et sert voluntairement. [1 est povre et il y a pitié, et est nu, sans accoustrement qu'il vaille ung sol, et sera œuvre de miséricorde si sadite seigneurie luy ordonne une livrée.... » (:) C’est probablement le nom altéré de quelque haute dame de la société romaine, car Baglione nous apprend que le Gaëtano peignit à peu près toutes celles de son temps. ) Clélie, fille naturelle du cardinal Alexandre Farnèse, mariée succes- sivement à Jules Cesarini et au marquis de Sossolo. (*) François Perrenot, fils de Thomas, le second héritier des biens patri- moniaux de la famille Granvelle. (*) Gortz (Gualdrop}), né à Louvain en 1553, florissait encore en 1604; il s'était fait une brillante spécialité dans le portrait. — 132 — croix, de la main de Puerbus, d’haulteur de deux piedz sept polces, large d’un pied treize polces, molure de nouhier, n° 495. Pourtraict, sur toille, de dona Isabel Suarès (‘), de la main de Jean Pantoche de la Crux, d'haulteur de quattre piedz et large de trois piedz sept polces, molure de chasne, n° 496. Aultre pourtraict de dona Isabel Suarès, de ladicte main, d'haulteur de quattre piedz et large de trois piedz sept polces, molure de nouhier, fait sur toille, n° 497. Pourtraict de Jean Anthoine (?)}, de ladicte main, sur toille, d'haulteur de trois piedz quinze polces, large de trois piedz, molure de nouhier, n° 198. . Pourtraict d’une dame, de la main de Martin de Vos, sur toille colée sur bois, d’haulteur d’un pied unze polces, large d'un pied quattre polces et demy, avec molure dorée, n° 499. Aultre pourtraict de mondict sieur le comte de Cantecroy, sur toille de son long, de la main de Cayer, d'haulteur de sept piedz deux polces et large de trois piedz trois polces, molure de nou- hier, n° 200. Pourtraict de fut monsieur de Granvelle, sur toille, après le Titian, d'haulteur de trois piedz treize polces, large de trois piedz, molure de nouhier, n° 201. Pourtraict de fut madame de Granvelle, en toille, après le Titian, d'haulteur de trois piedz treize polces, large de trois piedz, molure de nouhier, n° 202. Pourtraict de fut madame de Vennes (*), de la main de petit Pierre d'Argent, en toille, d’haulteur de trois piedz dix polces et large de deux piedz unze polces, molure dorée, n° 203. Pourtraict de fut monsieur le cardinal de Granvelle, quand il (:) Isabelle Suarès Hurtado de Mendoza, de l’une des premières familles d’Espagne, s'était attachée à Francois Perrenot de Granvelle et en eutun fils nommé Jean-Antoine; elle mourut sous l’habit religieux. (?) Jean-Antoine Perrenot, fils naturel de François et d'Isabelle de Mendoza, fut marié deux fois et assassiné par les frères de sa seconde femme, Marguerite du Hautois. () Claudine de Rye, dame de la Palu, de Vennes, etc., décédée en 1593, — 133 — estoit évesque d'Arras, fait sur toille, de maistre Chrispian, d’haulteur de trois piedz unze polces, large de deux piedz unze polces, molure de nouhier, n° 204. Pourtraict dudict fut sieur cardinal, lorsqu'il estoit évesque d'Arras, d'haulteur de trois piedz, large de deux piedz cinq polces, molure jaspée, n° 205. Quattre pourtraictz, l'un d'André del Certo, l’aultre du Tin- toret, l’aultre de Michiel Coxce et l’aultre de Martin de Vos, tous de la main de Martin de Vos, d’haulteur de trois piedz dix polces, large de deux piedz dix polces, sur toille, à chassis de sapin, sans molure, n° 206. Pourtraict d’un enffant, de la main de Martin de Vos, d’haul- teur d’un pied et demy, large de deux piedz trois polces, sur toille, chassis de sapin, n° 207. Pourtraict de fut monsieur de Granvelle, d'haulteur de treize polces et large d’unze polces, molure noire, n° 208. Pourtraictz de furent monsieur et madame de Granvelle, en forme de tablier, d'haulteur d’un pied sept polces, large d’un pied quattre polces, molure dorée, n° 209. Pourtraict en face de fut mondict sieur de Granvelle, d’haul- leur d’un pied sept polces et large d’un pied trois polces, molure dorée, n° 210. Pourtraict de fut monsieur de Bellefontaine (‘), fait sur toile, de la main du petit Pierre d'Argent, d'haulteur de deux piedz, large d'un pied et demy, molure de nouhier, n° 214. Pourtraict de fut monsieur de Miserey (?)}, de la main de Hans de la Porte, d'haulteur de trois piedz quattre polces, large de deux piedz et demy, molure de nouhier, fait sur toille, n° 212. (:) Fils aîné de Jean de Saint-Mauris, ambassadeur de Charles-Quint en France, et d'Etiennette Bonvalot, sœur cadette de Madame de Granvelle, Jacques de Saint-Mauris, prieur de Bellefontaine, fut l'ami le plus cher et le confident le plus intime du cardinal, son cousin. (?) Francois Grusset, neveu et filleul de Francois Richardot, fut pourvu, en 1561, de la prébende canoniale de Miserey, dans l’église de Besancon, lorsque son oncle remplaça le cardinal de Granvelle sur le siége d'Arras. — 134 — Pourtraict de don Nycolas Perrenot, sur toille, de quattre piedz et demy d’haulteur, large de deux piedz et demy, chassis de sapin, sans molure, n° 213. Pourtraict d'une dame flamande, de la main de Guillaume Cayer, d'haulteur de trois piedz dix polces, large de deux piedz, sur toille, chassis de sapin, n° 214. Pourtraict d'une dame flamande, de la main de Guillaume Cayer, d'haulteur de trois piedz et demy, large de deux piedz, sur toille, chassis de sapin, n° 215. Aultre pourtraict d'une dame flamande, de Guillaume Cayer, sur toille, d'haulteur de trois piedz unze polces, large de deux piedz, chassis de sapin, n° 216. Pourtraict d’un prince de Montbéliard, d’un vieux maistre, d'haulteur de deux piedz quattre polces et demy, large d’un pied et demy, molure de nouhier, n° 217. Pourtraict de l’empereur... , de la main d’un vieux maistre, d'haulteur de deux piedz sept polces, long d’un pied unze pol- ces, molure de nouhier, n° 218. Pourtraict de six des enffans de Philippe premier, roy de Castille, d'haulteur d'un pied, large de demy pied, molure dorée, n° 219. Pourtraict de dona Blanca, de la main de Pierre d'Argent, sur toille, hault de cinq piedz et demy, large de trois piedz, molure de nouhier, n° 220. Pourtraict du duc de Saxe et sa femme, de la main de Peetrez Guectuerez (!), d’haulteur de trois piedz cinq polces, large de cinq piedz quattre polces, molure de nouhier, n° 221. Pourtraict de deux princes de la maison de Bavière, de la mam de Peetrez Guertuerez, d'haulteur de trois piedz cinq polces, large de cinq piedz quattre polces, molure de noubhier, n° 222. Pourtraict de quattre princes de ladicte maison, de ladiete () Probablement Pieters (Ghérard), d'Amsterdam, dont la principale industrie était de reproduire des portraits de grands personnages. — 135 — main, d'haulteur de trois piedz cinq polces, large de cinq piedz quattre polces, molure de noubhier, n° 223. Pourtraict d’un prince allemand de ladicte maison et de ladicte main, d'haulteur de deux piedz et demy et large de deux piedz sept polces, mesme molure, n° 224. Pourtraict d’une aultre prince allemand de ladiete maison et main, d'haulteur de deux piedz cinq polces, large de deux piedz unze polces, molure que dessus, n° 225. Pourtraict d’un aultre prnice de ladicte maison et de ladicte main, d'haulteur de deux piedz et demy et large de deux piedz €imgq polces, molure de nouhier, n° 226. Pourtraict d’un aultre prince de ladicte maison et de ladicte main, d'haulteur de deux piedz cinq polces et large de deux piedz sept polces, molure de noulier, n° 227. Pourtraict d’un prince allemand de la mesme main, d'haulteur de deux piedz cinq polces, large de deux piedz et demy, mesme molure, n° 228. Pourtraict d'un prince allemand de ladiete main, de mesme haulteur, largeur et molure, n° 229. Pourtraict d’un prince allemand de ladicte main, d'haulteur de deux piedz cinq polces, large de deux piedz cinq polces, molure idem, n° 230. Pourtraict d’un aultre prince allemand de ladicte main, d'haulteur de deux piedz cinq polces, large de deux piedz un polce et demy, molure idem, n° 231. | Pourtraict d’une dame allemande de religion, de ladicte main, d'haulteur de deux piedz cinq polces et demy, large de deux piedz et demy, molure de nouhier, n° 232. Pourtraict dudict Peetrez Guertuerez, fait de sa main, et d’un frère, d'haulteur de trois piedz six polces, large de quattre piedz un polce, molure idem, n° 233. Pourtraict d’une damoiselle de ia maison de Brederode (!), re (°) Puissante maison des Pays-Bas, à laquelle Thomas Perrenot s'était allié en 1549. : — 136 — d'haulteur d’un pied huict polces et large d’un pied deux polces, sans molure, ledict pourtraict cassé, n° 234. Pourtraict d’un homme d'église, d’haulteur d’un pied, large d'unze polces, molure de chasne, n° 235. Pourtraict d'une dame allemande, d’haulteur de treize polces, large de neufz, molure jaspée, n° 236. Pourtraict d'un seigneur d'église, d’haulteur d’un pied, large de quinze polces, molure dorée, n° 237. Pourtraict d'un gentilhomme savoyard, d’haulteur d’un pied, large de treize polces, sans molure, n° 238. Pourtraict d'une dame bressande, d’haulteur de quinze polces, large de douze polces, sans molure, n° 239. Pourtraict d’Albertus comes Carpy (‘), d’haulteur de neufz polces et sept de large, sans molure, n° 240. Pourtraict de fut monsieur de Faverney (?), quand il estoit jeune, d'haulteur de cinq piedz quattre doigtz, large de deux piedz et demy, chassis de sapin, molure de nouhier, ladicte pièce bien caduque, n° 241. Pourtraict de fut monsieur de Champagney (*), d'haulteur de cinq piedz, large de deux piedz et demy, molure de nouhier bien caduque, n° 242. Pourtraict d’une dame habillée, sans teste, d’haulteur de cinq piedz et large de trois piedz et demy, sur toille, chassis de sapin, n° 243. ; Pourtraict d’un enffant nud, sur toille, d'haulteur de deux @) Albert Pio, comte de Carpi, fut tour à tour l'instrument de la France et de l’Empire, dans les guerres d'Italie au xvi° siècle. (2) Charles Perrenot, l'un des jeunes frères du cardinal de Granvelle, entra comme lui dans les ordres, et eut des bénéfices considérables, entre autres l’abbaye de Faverney en Franche-Comté : il résidait ordinairement à Bruxelles, où il avait fait bâtir une fort belle maison; il mourut en 1567, âgé de 48 ans. (5) Frédéric Perrenot, le plus jeune des enfants du chancelier Granvelle, fut gentilhomme de la chambre du roi d'Espagne, gouverneur d'Anvers et chef des finances en Flandres; il mourut à Dole en 1602. — 137 — piedz et demy, large de deux piedz dix polces, chassis de sapin, n° 244. (Manque le n° 245.) Pourtraict sur toille de la damoiselle Gaille, d’haulteur de trois piedz six polces, large de deux piedz cinq polces, de la main de petit Pierre d'Argent, sans chassis ny molure, n° 246. Deux pourtraictz, en une boette ronde se fermant, de deux seigneurs de la maison de Brederode, ayant en diamètre demy pied, n° 247 et 248. Une teste faite à la plume sur papier bleu rehaulsé de blanc, de la main d'Albert Durez, sans molure ny chassis, liée avec une esguillette, n° 249. Pourtraict d’un seigneur allemand ayant un esprevier sur son poingt, hault d’un pied douze polces, large d’un pied et demy, sans molure, n° 250. Pourtraict d’un prince allemand de la main de Peetrez Guec- tuerez, d'haulteur de deux piedz et demy, large de deux piedz quattre polces et demy, molure de noubhier, n° 254. Pourtraict d'un aultre prince allemand desdites main, haulteur, largeur et molure, n° 252. Une descente de la maison de Bourgongne, en papier colé sur toille, où que sont peinctz les princes d’icelle, tenant de largeur sept piedz trois polces, roulée sur un baston, n° 253. Pourtraict d’une dame de la maison d’Austriche tenant une fille en ses bras, de la main d’un vieux maistre, n° 254. La cosmographie, faite à la main, d’une partie de la mer Méditerranée et des pays circonvoisins, comme la Cilicie, l’Ar- ménie, l’isle de Chipre, la Syrie, la Judée, la Palestine et l'Egypte, longue de neufz piedz quattre polces romains et large de quattre piedz douze polces, n° 255. L Pourtraict d’une femme coiffée de blanc, fait sur toille, sans molure, estant dans une boette de fer blanc, copiée de la main d'Emanuel Schweiger, n° 256. Un Crucifix pourtraict entre la Vierge Marie et saint Jean, les deux larrons et le peuple spectateur, fait sur lame de cuivre, — 138 — avec double molure de nouhier et un filet de jaspe au milieu d'icelle, hault d'environ deux piedz et un peu plus large, n° 257. Pourtraict de Joconde, royne d'Egypte, fait sur bois de chasne, de la main de Leonardo da Vinci (‘), sa molure noircie, haulte d'environ trois piedz et large de deux, n° 258. Le Triumphe d'Amour, fait sur toille de la main de Jean de Hoz (?), peintre du roy de France, hault d'environ quatre piedz, large d’austant, sans molure, n° 259. Pourtraict de Scipion, fait sur toille de la main du Perdo- none (*), large d'environ quattre piedz et demy et troiz piedz el demy d’'haulteur, sans molure, n° 260. Le pourtraict de Rafael d'Urbin et dudit Perdonone (‘), faictz sur toille, hault d'environ quattre piedz et large d'environ trois et demy, sans molure, n° 264. Pourtraict d'une teste colossée de la main du Titian, fait sur toille, hault d’un pied et demy ét austant de largeur, son chassis de sapin, ledit pourtraict jà caducque, n° 262. Pourtraict d'une Vénus et d’un Satyre, fait sur lame de cuivre, d'haulteur d'environ un pied, avec sa molure d’ébenne, n° 263. Et un aultre d’une Vénus et d'un Satire, faictz sur lame de cuivre, avec un petit-enffant, de semblable haulteur, Fey et molure, n° 264. | En la grande garde-robbe y à quattre pièces peintes de blanc et noir, sur toille, avec leurs chassis et molure de sapin, touttes caduques et pouries, non cothées. k () 11 s’agit du portrait de Mona Lisa, connue sous le nom de Joconde, par Léonard de Vinci : l'original de ce chef-d'œuvre est au Louvre, et on en connaît plusieurs copies très belles à Madrid, en Angleterre et en Russie. (2) Connu en France sous le nom de maître Roux, ce peintre, né à Florence en 1496, fut le surintendant des travaux d’art de Francois Ier; il mourut à Fontainebleau’ en 1531. (*) Licinio (Jean-Antoine), dit le Pordenone, du nom d'un village du Frioul où il naquit en 1484, acquit une grande célébrité dans la peinture murale; il mourut en 1540. (*) Serait-ce le double portrait qui est au Louvre et que l’on a long- temps intitulé : Raphaël et son maitre d'armes ? — 139 — Une aultre de Geronimus Bos, colorée à destrampe, d’une tentation de saint Anthoine, sans chassis ni molure, non cothée id. Et une aultre pièce faite à destrampe, où 1l y a les galères retournans du Levant, sa molure et chassis de sapin, bien caduque, non cothée id, Statues, testes, figures et aultres choses historiées, tant d'argent, bronze, marbre, yvoire que bois. Une statue de Juppiter (‘), faite de marbre, colossée et antique, d’haulteur de cinq piedz romains, sans le piedestal, lequel pôrte description de ladite statue en lettres dorées et pierre de Sanpan (?), estant au bas du jardin, n° 4. Une aultre statue colossée d’une femme antique (*), de marbre, avec sa base de marbre, et le piedestal de bois noir, ayant ladite statue avec sa base trois piedz romains et quatorze polces d’haulteur, n° 2. Un terme d’une femme antique, allentour de laquelle, en bas- reliefz, sont trois Graces s’empoignans l’une à l’autre, fait.de marbre, d'haulteur de deux piedz unze polces et demy, assis sur son piedestal de nouhier, n° 3. (:) C’est le fameux torse de Jupiter qui passa, en 1683, du jardin Gran- velle dans le parc de Versailles, où il est resté jusqu'à la Révolution; il fait aujourd’hui partie du musée du Louvre. Voir sur ce bel antique et les diverses restaurations qu'il a subies : THOMASSIN, Recueil des fiqures du château de Versailles, n° 178; MonrraucoN, L’Antiquité expliquée, supplé- ment, tom. 1, pp.47-52, pl. xvit1; PiROLI, Monuments antiques du musée Napoléon, t. {, pp. 17-18, pl. 3; BOUILLON, Musée des antiques, t. I, pl. 1; DE CLARAC, Musée de sculpture, t. TIT, pp. 40-41, pl. 312. (?) Sampans, village situé près de Dole, a des carrières de marbre de couleur jaune, avec veines roses, violettes ou rouges, qui sont exploitées . de toute antiquité. (5) C'est le buste de Junon, que Granvelle avait fait faire à Rome pur un habile sculpteur pour donner un pendant à son Jupiter : cette disposition ne fut réalisée qu’en 1612, lorsque, par la volonté de Caroline d'Autriche, le Jupiter fut transféré de la fontaine de la cour dans le jardin du palais; la Junon trôna dès lors sur un piédestal de marbre avec inscription. Les deux figures partirent ensemble pour Versailles, en 1683. (Dunop, Histoire du comté de Bourgogne, t. I, p. 166.) — 140 — Une teste antique de marbre colossée, avec sa base, tenant de haulteur, avec icelle base, deux piedz douze polces, avec son piedestal de noubhier, n° 4. Une teste antique contournée d’une Diane cornue, faite en marbre, d'haulteur, avec sa base, de deux piedz, le piedestal de nouhier, n° 5. Une teste antique de marbre d’un homme assis sur sa base, ayant d’haulteur un pied six polces avec ladite base, ayant d'haulteur un pied six polces avec ladite base, son piedestal de nouhier, n° 6. Une teste antique de marbre d’une femme assise sur sa base, d’haulteur d’un pied dix polces, le piedestal de nouhier, n° 7. Une teste antique de marbre d'un homme assis sur sa base, d’haulteur d’un pied six polces, le piedestal de nouhier, n° 8. Une teste antique de marbre d’une femme assise sur sa base, d'haulteur d’un pied unze polces, le piedestal de nouhier, n° 9. Une teste antique d’une femme de marbre, assise sur sa base, d'haulteur d’un pied neufz polces, son piedestal de nouhier, n° 40. Deux testes de deux enffans antiques, faites en marbre, cha- cune assise sur sa base et chacune d’haulteur d’un pied deux polces, n° 41. Une teste eslevée antique d’une femme faite en marbre, assise sur sa base de marbre, d’haulteur d’un pied quatorze polces, son piedestal de nouhier, n° 42. Une teste antique d’un adolescent, faite en marbre, d’haulteur d’un pied six polces, n° 43. Une teste antique d’un homme, faite en marbre, assise sur sa base de marbre, d’haulteur d’un pied, n° 44. Deux testes en porfil, de bas-reliefz, antiques, de deux enffans, faites en marbre, chacune d'icelles en sa molure d’ébenne et tenant d’haulteur douze polces et demy, n° 45. Une teste de Jo. Galz Vicecomes, dux P. Mli (‘), antique, faite () Jean-Galéas Visconti, premier duc de Milan (1378-1402). Ls] % P . — A4 — en marbre et une molure de nouhier ronde, ayant de diamètre huict polces et demy, avec son attache d'argent, n° 46. Une sépulture historiée d’un Christ, faite en marbre, de bas- reliefz, ayant de haulteur un pied un polce et large d’un pied et demy, avec molure noire, n° 47. Trois ournes antiques de terre, d’haulteur chacun de deux pieds six polces et demy, n° 18. Une figure d'une Nostre-Dame assise tenant son enffant, fait en marbre, d'haulteur d’un pied deux polces, assise sur son piedestal de bois noir, n° 49. Trois figures de marbre de Michael-Angel, couchées sur leur piedestal de bois quant à deux d’icelles, l’aultre sur son piedestal enrichy de marbre, n° 20. Deux petites testes d’enffant assises sur leurs bases en marbre, le piedestal de bois, d’haulteur chacune d’icelles de sept polces, n° 24. Un petit chien de marbre, assis sur son piedestal de bois noir, d'haulteur en marbre de demy pied, n° 22. Une teste de Jules César antique, faite de bronze, assise sur sa base de marbre, tenant de haulteur un pied unze polces, son piedestal de nouhier, n° 23. Une Vénus et un Cupido couchez, en deux pièces faites de marbre, de bas-reliefz, antiques, avec molure noire, d’haulteur d'unze polces chacun d’iceux et de largeur d’un pied un polce, n° 24. Une teste de bronze antique, assise sur sa base de marbre, d'haulteur d’un pied et quatorze polces, son piedestal de nouhier, n° 25. Une aultre teste antique, de bronze, d’un homme, tenant de häulteur un pied, n° 26, Une teste de Méduse, faite de bronze, ayant de haulteur un pied quinze polces, n° 27. Un cheval de bronze, ayant de haulteur, en l’hault de la teste, un pied trois polces, assis sur son piedestal noir, n° 28. » — 142 — | Deux figures antiques de bas-reliefz, gestées en bronze, l’une tenant des tenailles sur une enclume en forme de Vulcan, d’haulteur d'un pied quattre polces et demy, n° 29. Une figure de bronze d’un enffant criard, assis sur sa base de bronze, d'haulteur d’un pied, n° 30. Demye figure de femme en reliefz, de bronze, nue, tenant sur sa cuisse une coquille de mer, d'haulteur de quinze polces, n° 31. Une femme couchée, nue, en bronze, escrivant, d’haulteur de douze polces et demy, historiée d’une géométrie en sa base, n° 32. -Une teste de femme en contour de bronze, assise sur sa base, d'haulteur de quatorze polces, n° 33. Un Herculès avec un Centaure en bronze rouge, combattans, hault d’un pied dix polces et demy, n° 34. Une figure de bronze d'une homme assis escrivant, et assis sur un piedestal de bronze, n° 35. Deux testes de gy d'homme et de femme vieillardz, peinctz en couleur de chair, n° 36. Une figure en marbre d’une Foiïd, d’haulteur d’un pied cinq polces, assise sur son piedestal de bois noir, n° 37. Une figure en marbre d’une Charité, d'haulteur d’un pied cinq polces, assise sur son piedestal de bois noir, n° 38. Une figure en marbre d’un sainct Anthoine, d’haulteur d’un pied un polce, assise sur son pied de bois noir, n° 39. Deux pyramides de jaspe, avec leur piedestal, d’haulteur chacune d’un pied et demy, comprins ledit piedestal, le tout de jaspe oriental, n° 40. : Deux pyramides avec leur piedestal, chacune d’haulteur d’un pied et demy, de jaspe oriental, n° 41. Un globe d’un jaspe verd, assis sur sa base de marbre, d’haul- teur de douze polces, n° 42. Deux globes de jaspe gris sur leurs bases de marbre, d'haul- teur chacun d’iceux de dix polces, n° 43. Un Satire nud tenant un panier plain de fruicts, fait de terre cuitte, en couleur de chair, hault de cinq pieds, n° 44. | — 143 — Une femme nue assise, tenant son pied droit à deux mains, faite de terre cuitte, en couleur de chair, de proportion audit Satyre, n° 45. Figure d’un acte d’un jeune homme surprenant une femme couchée et dormante dans son lict, au pied duquel est un Cupi- don, le tout de reliefz d'argent réparé, avec ornement de bois allentour, étoffé d'argent molu aux corniches, avec coulonnes dorées et bassemens, le tout enrichy d’or moulu, son piedestal de nouhier, n° 46. Une figure nue, en bronze, d’une femme assise sur son tour enveloppé d’un linge, d’haulteur d’un pied, n° 47. Un Laocon de bronze, d'haulteur de quinze polces, assis sur son piedestal de bois noir, enrichy de deux petites testes de marbre, n° 48. Les douze empereurs faitz en bronze, avec leurs bases, assis sur leur piedestal de bois noir, n° 49. Une statue de Pirrhus antique, de bronze, haulte de douze polces, sur son piedestal de bois noir, n° 50. Une figure d’un Herculès, de bronze, avec son piedestal, d’haulteur d’un pied, le tout de bronze, n° 51. Figure d’un Lantin (!)}, de bronze, d’haulteur de douze polces, son piedestal de bois, n° 52. (Manque le n° 53.) 6 Une statue antique d’une Bachanale, de bronze, d’haulteur de quatorze polces, son piedestal de bois de nouhier, n° 54. Une figure d’un Hereulès tenant un enffant sur une main et de l'aultre une massue, fait en bronze, d’haulteur de quatorze polces, son piedestal de bois noir, n° 55. Une figure en bronze d'une Europe, assise sur sa base aussi de bronze, d'haulteur d'unze polces, son piedestal de bois noir, n° 56. Une figure d’un jeune Bacchus tenant des raisins, fait en (2) I s'agit sans doute d'une image du célèbre typographe Christophe Plantin, d'Anvers, l’un des protégés du cardinal de Granvelle. — 144 — bronze, d'haulteur de quatorze polces, son piedestal de bois noir, n° 57. Une aultre figure de bronze d'un Satire tenant les bras ouvertz, d'haulteur de quatorze polces, son piedestal de bois noir, n° 58. Une figure antique d’une Vénus bronzée de l'antiquité, d’haul- teur de quatorze polces, son piedestal de bois noir, n° 59. Une figure de bronze d’un David tenant une teste, d'haulteur de dix polces, assis sur son piedestal de bois noir, n° 60. Une figure de bronze antique d’un homme tirant une espine de son pied (la haulteur est de sept polces), assise sur son piedestal noir, n° 64. Une figure de bronze d’un homme tenant une masse, d’haul- teur de neufz polces, assise sur son piedestal de bois noir, n° 62. Une petite figure antique d’un Alexandre, de bronze, haulte de cinq polces, son piedestal de bois noir, n° 63. Un petit Cupido antique de bronze, assis sur sa base, hault de quattre polces, son piedestal de bois noir, n° 64. Une demye figure antique d’une Cérès, de bronze, haulte de quattre polces, avec son piedestal de bois noir, n° 65. Un cinge antique ayant un chapperon au col, de bronze, hault de cinq polces, assis sur son piedestal de bois noir, n° 66. Une teste antique d’un Satyre, de bronze, haulte de quattre polces, assise sur son piedestal de bois noir, n° 67. Une figure d'une femme vestue, antique, de bronze, haulte de six polces et demy, avec son piedestal de bois noir, n° 68. Une figure d’une Pallas, de bronze, réparée de la main de Cop, assise sur sa base, et son piedestal de bois noir, n° 69. Une petite figure d'un homme, assise sur sa base, de bronze, réparée de la main dudit Cop, de l’haulteur de ladite Pallas, son piedestal de bois noir, n° 70. Uue aultre figure d’un homme, avec un morrion (!) en teste, () Le morion était le casque de l'infanterie, de même que le heaume était celui de la cavalerie. COEUR — 45 — réparée de ladite main, d’haulteur que dessus, assise sur sa base et son piedestal de bois noir, n° 71. * Une aultre figure d’une femme nue agenoillée, de bronze antique, d'haulteur de cinq polces et demy, son piedestal de bois noir, n° 72. Une figure antique d’une femme nue, assise, taillant les ongles de ses piedz, de bronze, d'haulteur de cinq polces et demy, son piedestal de bois noir, n° 73. Une figure d’une femme, assise sur sa base, de bronze, d'haul- teur de eimq polces et demy, son piedestal de bois noir, n° 74. Une figure entière d’une Vénus tenant son pied sur un esca- beau, avec un petit Cupido, le tout de bronze, hault de demy pied et son piedestal de bois, n° 75. Une aultre petite figure d’un Mercure, assise sur sa base, de bronze, d'haulteur de cinq polces et demy, son piedestal de bois noir, ladite figure réparée de Cop, n° 76. Une aultre d’une femme, assise sur sa base, réparée de Cop, d'haulteur et piedestal que dessus, n° 77. Une aultre d’une femme assise, réparée, d'haulteur et piedes- tal que dessus, n° 78. Une figure de bronze d’une Lucrèce, haulte de sept polces, son piedestal de bois noir, n° 79. Une teste d’un Baccanal antique, de bronze, d'haulteur de cinq polces, son piedestal comme le précédent, n° 80. Une teste antique, de bronze, d'haulteur de trois polces, mesme piedestal, n° 81. Un petit Cupido aislé, assis sur sa base, de bronze, hault de trois polces, mesme piedestal, n° 82. Un aultre Cupido sans aisles, assis sur sa base, de bronze, hault de trois polces, même piedestal, n° 83. Une figure d’un bouc, de bronze antique, haulte de six polces, mesme piedestal, n° 84. Une petite figure antique nue d’un Mercure, haulte de quattre polces et demy, mesme piedestal, n° 85. 10 — 146 — Une petite figure antique d’un Mercure, avec les yeux d’ar- gent, haulte de trois polces, mesme piedestal, n° 86. Une figure d'un homme escorché, de bronze, avec sa base, d’haulteur de demy pied, mesme piedestal, n° 87. Une figure d’une Vénus tenant uné coquille d’une main, de l’aultre une paulme, les piedz et la base d'argent, ladite Vénus antique et de bronze, d'haulteur de douze polces, mesme piedes- tal, n° 88. Une figure antique d’une Victoire aislée, de bronze, d’haulteur de douze polces, mesme piedestal, n° 89. Une teste de cheval antique, de bronze, haulte de deux piedz, mesme piedestal, n° 90. Un cheval de bronze, d'haulteur par la teste de demy pied, avec son piedestal de bois noir, n° 91. Uu cheval antique, avec un homme, ledit cheval mordant l'homme à la teste et l’embrassant des jambes devant, de haul- teur, par les oreilles dudit cheval, de neufz polces, avec mesme piedestal, n° 92. Une teste d’un enffant, avec sa base de bronze, haulte de treize polces, mesme piedestal, n° 93. Une figure entière d’une femme nue, antique, de bronze, avec les yeux d'argent, haulte de demy pied, mesme piedestal, n° 94. Un petit Mercure avec son baston, antique, de bronze, hault de quattre polces, avec sa base de bois blanc, n° 95. Une figure antique, assise sur sa base, tenant un barril, haulte de cinq piedz, mesme piedestal, n° 96. (Manquent les nos 97-104.) Un Crucifix d’yvoire, de la main de Michael Angel, d’haulteur de quinze polces, la croix d’ébenne assise sur un rocher d’é- benne, et le piedestal de bois noir jaspé d’or moulu, n° 405. (Manque le n° 106). Une Mort d’yvoire, tenant un horrologe et une palle (!), (1) Une pelle à creuser les fosses. 4 UE \ "fs — 147 — d'haulteur de quatorze polces, assise sur son piedestal de bois noir, n° 407. Une Nostre-Dame d'yvoire dedans un dôme, avec quattre : piliers, sa base d’yvoire, d’haulteur d’un pied trois polces, com- prins le dome, n° 408. Figure d’une Charité, avec deux petitz enffans nudz, assise sur son piedestal d’yvoire, d'haulteur le tout d’unze polces, ledit piedestal de bois noir, n° 109. Une figure entière d’un sainct Sébastien, de la main d’Albert Durez, taillée en bois de buy, avec sa base de buy, le tout d’haulteur de quinze polces, n° 410. Une teste d’un enffant criard, taillée en bois, d'Albert Durez, ayant une mouche le piquant au front, d’haulteur de neufz polces, n° 111. Un vigneron taillé en bois, enrichy d’un chappeau avec un rain de vigne allentour, tenant en sa main un baston entourré d'un cep de vigne, d’haulteur, avec sa base, d’un pied deux polces, n° 412. Une esguille d'yvoire en pyramide tournée en ovale, au dessus de laquelle y a une bole vuyde et pertuisée, dans laquelle y a un corps, les faces duquel sont en triangle et au milieu un petit rond, n° 443. ; Une coulonne dorique d’ébenne, assise sur son piedestal d’é- benne, ladite coulonne, sa base et son chapiteau, d’haulteur de dix polces, et le piedestal de quattre polces, au dedans de la- quelle coulonne y a un pilier soustenant un vase, sur ledit vase un escalier tourné en rond, et au-dessus un autre vase, lesdits pilier, vase et escalier d'yvoire, n° 414. Une figure entière d’un Herculès, assise sur un dez, tout de marbre, d’haulteur d’un pied, son piedestal de bois noir doré, n° 415. Une Diane nue couchée, en bas-relief, rembrassant un cerf, de marbre, d’haulteur de demy pied et large d'unze polces, n° 446. — 148 — Un teste de marbre d’un homme, antique, d’haulteur de cinq polces, dans son estuy serrant à fermilletz d'argent, n° 417. Un rocher de minne d'argent, au-dessus duquel y a la Résur- rection, ayant son pied d'argent doré, d’haulteur de huict polces, n° 448. En la sale y a dix testes d’empereurs, en gy, avec leurs mo- lures tournées et dorées, dans une chascune desdites molures sont escriptz en lettres noires les noms desdits empereurs. Item douze mufles de lyons, faitz de gy. Sur la corniche de la cheminée est le cerf couché, avec double ramure de cerf naturel, ledit cerf taillé en bois, coloré au na- turel (!). En la chambre au bout de la grand garde-robe, douze testes d'empereurs en marbre blanc, dans leurs rondz et molures de marbre jaspé, ayant chaque rond de diamètre un pied treize polces (?). : Deux autres rondz d’empereurs, moulez en matière de cyre et parrasine {*), de mesme diamètre. Trois testes de gy, l’une d'une femme antique et les deux aultres d'hommes. Une teste colossée gectée en cire noire. Un enffant esboché en cire à sa naissance sur le naturel, estant en la chambre sur la cuisine. Item une teste de gy, gectée sur le naturel, de madame Hé- laine de Brederode, mère de feu monseigneur le comte (*). @) C’est le cerf qui avait émerveillé les ambassadeurs suisses en 1575, bien qu'ils l’eussent pris pour un ouvrage en plâtre. @) Ces médaillons avaient été sculptés. en 1540 et 1541, par François Landry, tailleur d'images, de Salins. (DELACROIX, Notice sur Le palais Granvelle, dans les Mém. de La Soc. d'Em. du Doubs, 1re série, t. LI, p.8, note.) (8) Poix-résine. (*) Hélène de Brederode, femme de Thomas Perrenot et mère de Fran- cois, morte à Anvers en 1572. — 19 — Une teste de gy, mollée sur l’antiqué, d'un Apollo. Une aultre teste, de gy, d’un homme. Une aultre teste, de gy, d'une femme coiffée à l'antique, avec cheveux eslevez. Une aultre petite teste, de gy, d’une femme antique. Une aultre teste, de gy, d'un soldat antique. Une molure ronde, dans laquelle y a une teste, de gy, d’un empereur, le né gasté, ladite molure dorée. Une console de gy, enrichie d’une petite teste de chérubin, d'ordre ionique, aultrement un soubassement. Moles de gy de l’empereur Charle, du bon duc Philippe, en plusieurs pièces. Dans une des liettes d’icelly (comptoir de bois) est le pourtraict d’une fille de la maison d’Austriche, faite et représentée au na- turel, de tapisserie de soye et or, ayant environ deux piedz d'haulteur. La figure d'une Diane nue, de bas-reliefz, faite de marbre blane, embrassant d’une main un cerf et de laultre la teste d’un chien. Une Nativité, de reliefz, gectée en gy, haulte de deux piedz. Un Bachus en basse taille, de cire, eslevé soubz vantaux de fenestre. dt ele © = In pan, à 5 at) 5e ae urale se à blu % 0.01 © » »' 9 % © 6,9 » © G'a oc à « RS ST de pu Do de aleue s © à de À: 0: Sie 0e" je1s 01,0 © © '9 0),9,e © 6. € 0e ee «me Une petite figure d'argent coloré, qu'est celle qui manque à l'horrologe imitant celluy de Strasbourg. Un Orfée avec les Muses, fait à la plume sur parchemin, dédié à fut monsieur le cardinal de Granvelle. — 150 — Deux plans du chasteau de Scey (!), faietz en papier. Un Agrippa et un César, crayonnez en deux feuilles de papier. ee figurines house et de femme nudz FR faites de cire sur celles de marbre envoyées à Sa Majesté Set Une carte des Peys-Bas, faite sur parchemin. Une carte du comté de Bourgongne, de l'invention du sieur Fernande de Lannoy (?). Plusieurs plans de villes, chasteaux, forteresses et maisons LEE] LEE] sin 0,06 "24% © 9 . . So fo” na cleis/'h, Lan ets 2%, 47h 2 .n CRI NS An ee 9 70 CRC ef ANS * em" ve anale) e s-s "ete: cfn,e nee vie p LU’ d'e' es ee » sers a R EN s Se p T Rte ais L’argenterie blanche, sans façon...... 489 marcs, #4 onces. L'argenterie blanche et dorée, de grand fiédh, se nu) ARSENAL HO 307 marcs, 7 onces. Toute la chapelle, à savoir une croix, un calice, un eau- beneystier, une paix, un bassin, quatre chanettes, une clochette, deux chandelliers, pèsent....... sin a ee EE () Scey-en-Varais, dans la vallée de la Loue, un peu au-dessous d'Or- nans, manoir d'une famille féodale dont la généalogie remonte au com- mencement du xe siècle et se continue de nos jours. (@) Ferdinand de Lannoy, duc de Boyennes, troisième fils du célèbre vice-roi de Naples, avait épousé en secondes noces une sœur du cardinal de Granvelle : il était très versé dans l'art militaire et dans les mathématiques; ses cartes du duché et du comté de Bourgogne ont été gravées par Jérôme Cock et insérées dans les atlas d'Ortelius, de Hondius et de Blaeu. Variations du régime municipal à Besançon. Antérieurement à la conquête française et depuis un temps qu'il n’est pas possible de préciser, la ville de Besançon était divisée en sept quartiers, qui avaient chacun un étendard avec armoiries distinctes (!) et liraient de là le nom de bannières. Toutes les années, le matin du jour de Saint-Jean-Baptiste (24 juin), la municipalité se rendait solennellement de l'hôtel de ville à l’église Saint-Pierre, où l’universalité des citoyens se trouvait rassemblée. On y chantait ure messe du Saint-Esprit pour appeler les bénédictions du ciel sur les élections qui allaient se faire. L'assemblée se transportait ensuite à l'hôtel de ville, et là le président du corps municipal adressait au peuple quelques paroles relatives à la circonstance. Puis les gens de chaque bannière choisissaient, par acclamation, les plus considérables d’entre eux et les créaient syndices pour procéder, au nom de tous, à la nomination des notables. Acte ayant été dressé de cette procuration, les syndics se retiraient dans leurs quartiers respectifs et élisaient, au scrutin secret, quatre citoyens par bannière. () Ces armoiries, qui se voient sur les jetons de comptabilité de la commune et sur les médailles que celle-ci fit frapper à diverses reprises en l'honneur de ses suzerains, les empereurs ou les rois d'Espagne, étaient les suivantes : Saint-Quentin, d'or à l'aigle éployé de sable; Saint-Pierre, de gueule à la clef d'or posée en pal; Chamars, parti de gueule à la clef d'or mise en pal, et d'azur à quatre croissants d'argent posés de même ; Le Bourg, de gueule au griffon ailé d'argent; Battant, de gueule au chef d'argent; Charmont, de gueule à la croix fleuronnée d'or; Arènes, de gueule au lion rampant d'or, accosté de deux coquilles d'argent. BG —— l'A — Dans l’après-midi du même jour, les vingt-huit notables élus se rendaient à l'hôtel de ville; ils y vérifiaient les titres de ceux qui siégeaient pour la première fois : après quoi, 1ls choisissaient leur président, et élisaient enfin les quatorze gouverneurs qui devaient exercer le pouvoir exécutif durant l’année. Le coffre où ils avaient déposé leurs suffrages était scellé, en présence de deux ou quatre religieux, et soigneusement renfermé entre les deux portes du trésor. Les notables avaient la faculté d’a- journer plus ou moins longtemps le dépouillement de ce scrutin, et tant que durait l’interrègne (comme on disait), c'était à eux qu’appartenait le gouvernement de la chose publique : pendant ce laps de temps, ils révisaient les actes de l’administration pré- cédente et préparaient des instructions pour le gouvernement qui allait succéder. Au bout de huit jours généralement, le coffre était tiré de sa cachette, et, les sceaux ayant été reconnus intacts par les reli- gieux, le président des notables en extrayait les bulletins, réca- pitulait les suffrages et proclamait gouverneurs pour l’année les quatorze citoyens qui avaient réuni la pluralité des voix. L’as- semblée des notables s’occupait ensuite d’assigner un couple de gouverneurs à chaque quartier, en avant soin d'éviter que le même citoyen fût gouverneur et notable dans la même bannière : c'élait chose facile, vu que si l’on ne pouvait être notable pour un quartier où l’on n'avait pas domicile, rien n’empêchait que l’on fût gouverneur pour une bannière à laquelle on n’apparte- nait pas. Cette répartition faite, les notables indiquaiïent le jour où les gouverneurs élus viendraient prendre possession de.leurs charges. Ce jour arrivé, les nouveaux gouverneurs étaient reçus, dans les couloirs de l'hôtel de ville, par les quatre premiers en séance des notables : ils élaient ensuite complimentés par le président et invités à valider l'élection de ceux qui entraient pour la pre- mière fois dans leur corps; puis, cette formalité remplie, ils prèêtaient serment entre les mains du président des notables et — 153 — s'occupaient immédiatement d'examiner les vœux formulés par ces derniers durent l’interrègne. Les gouverneurs prenaient séance suivant le rang que leur assignait leur position sociale d'abord, puis l'ancienneté de leurs services municipaux : les nobles y avaient le pas sur les gradués , et parmi ceux-ci les légistes siégeaient avant les médecins. Le corps des gouverneurs n'avait pas de président annuel : chaque semaine, à tour de rôle, un nouveau membre occupait le fauteuil. Les notables, au contraire, conservaient pour toute l’année le président qu’ils avaient élu. Les gouverneurs s’assemblaient régulièrement les lundi, mer- credi et vendredi de chaque semaine, matin et soir si les affaires le requéraient. Ils étaient souverains en matière d'administration et de police communales. Ils instruisaient les procès de toute nature, les jugeaient avec l'assistance du juge que le souverain du comté de Bourgogne entretenait dans la cité, puis donnaient force d'exécution à leurs sentences en les faisant prononcer par une des trois cours de justice concurrentes qui existaient à Besançon, la régalie, la vicomté et la mairie; ces sentences étaient irrévocables en matière criminelle, et en matière civile elles ne pouvaient être réformées que par le conseil aulique de l’empereur d'Allemagne. Aux notables appartenait l'inspection permanente de leurs quartiers respectifs aux points de vue de la voirie et de la salu- brilé; 1ls dénoncaient les délits aux gouverneurs qui en faisaient justice. Réunis en assemblée, les notables avaient le droit de remontrance sur les actes des gouverneurs, et ceux-ci ne pou- vaient leur refuser audience pour entendre leurs observations; ils étaient les organes du populaire vis-à-vis du gouvernement. On les appelait au conseil chaque fois qu’il s’y traitait une question de haute importance ou qu’on y jugeait une cause criminelle de quelque gravité. S'il s'agissait de légiférer ou d’in- tervenir dans la politique extérieure, on mandait en outre les — 154 — anciens gouverneurs, c’est-à-dire ceux des citoyens qui avaient été honorés, une ou plusieurs fois, du mandat gouvernemental. En 1660, les gouverneurs ayant à délibérer sur la propo- sition de distraire la ville de la suzeraineté de l’Empire pour la placer sous la tutelle du roi d'Espagne, il fut jugé utile de convoquer un supplément de notables : chaque bannière eut à en élire six, ce qui fit le nombre de quarante-deux. Cette deuxième classe de notables subsista dès lors et fut renouvelée chaque année, mais en dehors des trois degrés d'élections qui procu- raient les administrateurs de la chose publique. Les quarante- deux notables continuèrent à n’être appelés que lorsqu'on trai- tait de politique et de guerre, et quand, dans ces circonstances solennelles, ils se réunissaient aux gouverneurs, aux anciens gouverneurs et aux vingt-huit, les délibérations du conseil étaient promulguées au nom des quatre compagnies. Les gouverneurs et les notables étaient exempts de toute con- tribution pendant l’année de leur magistrature. Les gouverneurs avaient en outre un droit pécuniaire de pré- sence au conseil; mais ils étaient passibles d’une amende équi- valant au double de ce droit, quand ils s’absentaient sans cause légitime. Ils portaient, dans les cérémonies publiques, une robe de soie noire avec épitoge et retroussis en soie cramoisie. Il y avait quatre officiers principaux du service communal, qui marchaient toujours avec les gouverneurs et étaient revêtus du même costume qu'eux. C'étaient : le secrétaire d'Etat, qui rédigeait les délibérations et les jugements et signait les actes municipaux de toute nature; l'avocat fiscal, qui était le conseil de la commune et son procureur pour la poursuite des procès; le trésorier, qui faisait les recettes et les dépenses ordonnancées par délibération des gouverneurs; le contrôleur, intendant des propriétés de la vile et directeur des travaux d’utilité publique. Ces officiers jouissaient d’un traitement fixe et percevaient en outre des droits sur les affaires qu’ils expédiaient. Bien que, par des articles spéciaux des capitulations de 1668 x et 1674, Louis XIV se fût engagé à respecter les libertés et — 155 — franchises de Besançon, le système de gouvernement que nous venons de décrire était trop démocratique et partant trop turbu- lent pour convenir aux autorités françaises. Par un arrêt du conseil royal, en date du 26 août 1676, l’an- cienne forme du magistrat de Besançon était abolie, et l’on y substituait une institution analogue à celles qui régissaient les autres villes du royaume, à savoir : un maire ayant la qualité de vicomte, trois échevins, seize conseillers de ville et vingt notables ; la juridiction du maire était subordonnée à celle du bailliage royal, et de cette dernière on appelait au parlement qui venait d’être transféré de Dole à Besançon. Le nouveau corps municipal devait aussi sortir de l'élection ; mais on s'arrangea de manière à ce que cette formalité ne pût Jamais troubler la tranquillité publique. Le 31 décembre de chaque année, quarante noms des plus anciennes familles de la ville étaient mis dans une boîte; on plaçait dans une autre les noms des conseillers au parlement. Le maire, en conseil, tirait au sort dix-huit noms de la première boîte et formait ainsi la liste des notables de l’année suivante; il tirait ensuite deux noms de la seconde boîte, et les deux parlementaires ainsi désignés prenaient rang parmi les notables et élisaient avec eux, dans l’après-midi du même jour, le magistrat de l’année qui allait s'ouvrir. Le maire et les trois échevins ne pouvaient conserver leurs postes plus d’une année; mais, à chaque élection, on ne renouvelait qu’un quart, c’est-à dire quatre, des conseillers de ville : il était d'usage que le maire de l’année qui finissait fût élu premier échevin pour l’année suivante. Cette organisation dura jusqu’en 4692. À cette époque, le trésor royal était fort obéré et avisait aux moyens de trouver de l'argent. L'un de ses expédients fut d’ériger en charges vénales les offices municipaux des villes, avec obligation pour celles-ci d'en fournir la finance ou de la faire payer par les titulaires des emplois et de servir ensuite à chacun de ces der- niers les intérêts de leur quote-part. La ville de Besançon fut taxée à 39,600 livres, qui furent acquittées également par les — 156 — vingt-quatre membres de la municipalité : le mairé, les trois échevins, les seize conseillers de ville, le sécrétaire-greffier, le trésorier et les deux procureurs-syndics. Ces offices devinrent dès lors la propriété viagère des titulaires qui en avaient soldé la valeur, et ceux que le choix du corps appela plus tard à les remplacer durent, avant d’être admis, rembourser aux familles des défunts le capital primitivement versé. Cette opération financière ayant été fructueuse, le pouvoir y prit goût et la renouvela sous une autre forme. En 1699, un édit du roi créa dans toutes les villes un office vénal de lieutenant général de police, avec des attributions judiciaires qui n’étaient autres que celles dont les municipalités avaient toujours jou : 1l fallut racheter cet office, et pour obtenir son annexion à la mairie, le magistrat de Besançon dut encore financer 40,000 livres. Ces mesures fiscales menaçant de se continuer, les villes de la Franche-Comté s’unirent et conclurent, en 1704, un abonnement avec l'Etat, pour être désormais déchargées de toute conséquence des édits de création d’offices : il en résulta pour le trésor un encaisse d'environ quatre millions. A partir de 4693, il y eut à Besançon vingt conseillers de ville possesseurs à vie de ces emplois, et c'était parmi eux que l’on choisissait, à la fin de chaque année, un maire et trois échevins pour l'an qui allait s'ouvrir. Cette élection continua de se faire par le corps du magistrat lui-même, avec le concours de deux conseillers au parlement et de dix-huit notables tirés au sort parmi quarante noms déposés dans une urne. L’intendant venait souvent présider la séance, et le magistrat ne manquait jamais de lui faire demander, quelques jours à l’avance, s’il avait des préférences à exprimer ; ce qu'il disait était rapporté au conseil, et le scrutin donnait invariablement un résultat conforme Les mêmes formalités avaient lieu pour le remplacement d’un con- seiller défunt ou démissionnaire, et le candidat de l’intendant était toujours l’élu de l'assemblée. Ce n’était point encore assez pour l'appétit de domination qui animait Ce délégué du souverain : aussi l’année 1760 vit-elle — 157 — éclore un nouveau règlement pour la nomination du maire. Au lieu d’élire directement son chef annuel, le magistrat, réuni aux deux conseillers du parlement et aux dix-huit notables, dut seulement établir une liste de candidats à proposer au choix du pouvoir royal. Cette opération eut lieu désormais le 45 octobre : les noms des deux conseillers de ville qui obtenaient la plurarité des suffrages étaient joints à celui du maire en exercice, et envoyés à Versailles par les soins de l’intendant. Le roi faisait connaître sa volonté par un brevet, et cet acte était notifié au magistrat le 31 décembre, jour où continuait de se faire l’élec- tion des trois échevins : si le choix du monarque s'était porté sur un autre candidat que le maire dont les pouvoirs expiraient, on attribuait à celui-ci le poste de premier échevin. Ayant ainsi la faculté de prolonger ou de restreindre la durée des pouvoirs du maire, l’intendant devint le chef suprême de l'hôtel de ville, et rien ne put s’y faire désormais que sous le contrôle de son bon plaisir. Ce régime ne cessa qu’en 1790. On sait qu’alors l'élément populaire recouvra la plénitude de ses droits sur les élections municipales ; mais on n’ignore pas non plus l’abus qu’il en fit et la réaction qui en fut la conséquence. as © Origines du théâtre à Besançon. Le goût des représentations scéniques ne pouvait s’allier avec l'esprit d’intolérance religieuse qui régna sur Besançon jusqu’à la conquête française de 1674. Antéricurement à cette époque, et en dehors des mystères qui se jouaient dans les cloîtres et des tragédies chrétiennes que donnèrent plus tard les élèves du collége des Jésuites, les annales dramatiques de notre ville se bornent à un seul fait : la représentation d’une moralité de l'Homme pécheur, qui eut lieu à l'hôtel de ville pendant les — 158 — journées du vendredi 24 juin, du samedi 25, du dimanche 26 et du lundi 27 de l’année 1533, et dans laquelle Nicolas Boncom- pain, contrôleur et cogouverneur de la cit*, remplit le principal rôle; les frais de cette mise en scène se montèrent à 21 francs, 6 gros, 5 engrognes et 2 deniers tournois. Les cérémonies du culte, infiniment pittoresques quand elles comportaient les ca- valcades de la fête des fous, les messes avec déguisements bibliques, les danses cléricales dans les cloîtres, les processions en nombre infini, tout cela suffisait pour alimenter la curiosité publique. Les tentatives d'établissement de troupes de comédiens étaient systématiquement repoussées. Il n’en put plus être de même lorsque Besançon, devenu place de guerre française, compta dans ses murs une nombreuse garnison. La municipalité, qui avait perdu son omnipotence, dut subir les comédiens comme un mal nécessaire; on jJugera de ses sentiments à cet égard par la déhbération suivante : &« Samedi 22 septembre 1674. — Comme Messieurs furent priez ces Jours passez, de la part de M. l’intendant, de permettre qu'une troupe de comédiens, qui se rencontre en cette cité, dresse son théâtre dans la grande sale de l’hostel consistorial, ce qu'ils crurent ne pouvoir leur refuser, d'autant plus que la comédie est à présent réduite à une grande pureté et ne sort point des règles de l’honnesteté, les sieurs vingt-huict en ont fait plaintes à Messieurs, disantz que beaucoup de citoyens en murmuroient et qu'en cas il auroit mieux vallu les placer en la tour de Montmartin ; mais Messieurs ont respondu que la parole en estant donnée, ils ne pouvoient pas se rétracter ni le refuser à M. l’intendant, et qu'à présent l’on ne fesoit pas difficulté d'admettre les théâtres dans les palais des princes et dans les maisons les plus augustes. » — 159 — VIL. Réception faite à Louis XIV par la municipalité de Besançon, en 1683. (Extraits des délibérations municipales.) Mardy 8 juin 1683. — Pour prendre quelques mesures dans le peu de temps qui reste, Messieurs ont député MM. de Faletans et de Villars-Saint-George pour parler à quelqu'architecte pour dresser un arc triumphal sur le pont, et en feront faire un dessein que l’on exécutera s’il est jugé propre et que le temps le permette. Il a esté de plus résolu que pendant les nuits du séjour de Sa Majesté en la cité, l’on fera brusler des flambeaux de cire blanche, deux à chaque fenestre de l’hostel de ville, des gaude- rons dans des seaux au joignant de l’église Saint-Pierre pour esclairer la place, et des reschaux de gauderons tout autour dudit hostel de ville... Et l’on ordonnera de mettre des lenternes aux armes du roy sur toutes les fenestres prenant jour sur les rues; et l’on fera couler du vin à la fontaine de l’hostel de ville, le jour de l’arrivée. Mardy 8 juin, après midy. — Messieurs se sont assemblés pour veoir le dessein d’un are triumphal, et l’on le posera sur le pont si l'architecte se veut obliger de le rendre achevé et posé pour le temps nécessaire. Ordre sera envoyé aux villages de l’ancien territoire d'allumer des feux sur les montagnes voisines de la cité, pendant les nuits du séjour de Sa Majesté en icelle. Mecredy 9 juin 1683. — Comme il a esté résolu que les cloches des esglises de la cité seront carillonnées à la venue de Sa Majesté, le contrôleur a eu ordre de signifier ceste résolution à tous les convents et esglises; et MM. Reud et Philippe invi- teront MM. du chapitre métropolitain d'en faire le mesme dez que le roy paroistra dans les charières. — À6G0 — Mecredy 9 juin, après midy. — Comme les armes de Sa Majesté qui sont sur le portail de l’hostel de ville n’ont pas assez d’esclat pour cette occurrence de son arrivée, M. Chandiot a eu la commission d'en faire faire de plus grandes et les faire poser sur ledit portail, et celles qui y sont sur celuy du palais Grandvelle où doibt loger Sa Majesté (1). : On mettra soubz l’escut qui sera mis sur le portail de lhostel de ville ce cronograffe, heureusement rencontré par le sieur Jean-Baptiste Varin, receveur des greniers de la cité : REX LVDoVICVSs Vesontrionis AMor. Vendredy A1 juin, après midy. — Messieurs souhaitans que les seigneurs, dames et autres qui sont à la suite de Sa Majesté soient reçeus, dans les logements qui leur ont esté marqués par les fouriers de son hostel, avec toute l'honesteté et propreté possibles, ont résolu d'inviter leurs citoyens, par édit, à meubler les quartiers qu'ils occuperont autant proprement qu'il se pourra faire. Dimanche 13 juin 1683.— Dans l’appréhension que Messieurs ont que le chemin des charières de Battant ne soit pas entière- ment réparé à l’arrivée du roy, ils ont résolu dèz demain d'y faire travailler cent vignerons par jour, à chacun desquelz sera payé quinze solz tournois. 3 Mardy 15 juin, à midy. — Messieurs du magistrat, en robes de cérémonie, suivis des officiers du bureau aussy en robes, environ une heure après midy, sont passés en la maison de M. le maire où doit loger monseigneur de Louvois; lequel estant arrivé, a esté reçeu à la descente de son carosse par mesdits () L'écusson royal pour la facade de l'hôtel de ville fut payé 110 franes au peintre Jacques-Joseph Baudot; la réparation de celui qui fut posé devant le palais Granvelle coûta 33 francs, qui furent soldés au peintre Germain Bourrelier. Après le départ du roi, la municipalité fit sculpter en pierre les armes de: France pour le portail de hôtel de ville : ce travail, confié au sculpteur Hugues Morand, s’éleva à la somme de 271 fr., 3 gros. :— 4614 — sieurs, complimenté de leur part par M. le mayeur, auquel il a répliqué avec beaucoup de bienveillance pour le magistrat. 15 juin, à 4 heures après midy. — Comme M. de Courtam- vaux, fils de Monseigneur le marquis de Louvois, est arrivé avec luy, Messieurs ont cru estre de la civilité de l'envoyer visiter de leur part; et pour ce ont député MM. les trois eschevins et M. Jean-Baptiste Mareschal qui y sont instamment passés. Mecredy 46 juin. — Sur les quatre heures du soir, Messieurs du magistrat s’estans revestus de leurs robes de cérémonie, précédés de leurs six sergents et suivis des quatre officiers du bureau aussy en robes, se portèrent de l’hostel de ville jusqu’au dehors de la contrescarpe de la porte d’Arennes. Peu après arriva M. de Montauban qui leur répéta ce qu’il y avoit à faire à l'arrivée du Roy. Pendant quoy beaucoup de carosses et équi- pages des princes et seigneurs de la cour arrivoient; et celuy de M. de Brederode passant, comme il vit M. de Montauban avec Messieurs du magistrat, il descendit de carosse, les vint joindre, et après les salutz de civilité, il leur répéta les cérémonies à faire et les avertit que bientost M. de Duras arriveroit. Ce qu’il fit peu après, mit pied à terre et se plaça à la teste du magistrat, attendant Sa Majesté, laquelle, après que les carosses des princes et princesses furent passés, arriva dans le sien, tiré de huict chevaux gris, où estoient avec luy la Reyne et Monseigneur le Dauphin. A la veue de M. de Duras, le carosse du Roy arresta. Messieurs du magistrat fléchissant un genou, M. de Duras, monstrant au Roy M. le maire, et ce magistrat luy offrit les clefs de la ville; puis le carosse entra dans la cité, précédé des gardes du Roy à cheval, entouré des gardes suisses et suivi de ses mousquetaires et de ceux de la Reyne. Les cris de joye et de Vive le Roy ne cessèrent point, dez l'entrée qu'il fit dans la eité jusqu'à son arrivée dans le palais Grandvelle où ils logèrent. Messieurs retournèrent de là en l’hostel de ville, d’où ils firent envoyer le vin et les confitures, celles-cy dans dix corbeilles 11 — 162 — garnies dehors et dedans de tafetas bleu [!), et ne se fit compli- ment à personne. Et la nuit, les feux et les lenternes illumi- nèrent toutes les rues de la cité. Sambedy 19 juin. — Messieurs, advertis que Sa Majesté debvoit partir sur les dix heures, se disposoient pour se pré- senter à luy et recevoir ses commandements ; mais ayant esté informé que cela ne se pratiquoit point et que l’on ne lûy disoit aucun adieu, ont vuidé les requestes qui estoient sur le bureau, puis ont quitté le conseil. | VII. Le cardinal de Granvelle jugé par un écrivain protestant. (Extrait de la Nolice sur les maisons de Granvelle et de Saint-Mauris- Montbarrey, par Ch. Duvernoy, Besancon, P.-J. Proudhon, 1839, in-&e, pp. 3-5.) " Plusieurs écrivains, traçant du cardinal de Granvelle un por- trait fort peu véridique, lui font jouer, pendant son ministère en Flandre, un rôle aussi odieux qu’il était peu d'accord avec ses opinions d'homme politique et de prince de l'Eglise. Si on devait les croire, ce prélat, tout à fait selon le cœur de Philippe, n’était qu'un aveugle instrument dans ses mains tyranniques ; c’est lui, selon eux, qui établit l'inquisition dans les Pays-Bas, et tout altéré qu'il était du plus pur sang des réformés, il le fit verser par torrents. De là les haines et les ressentiments que Granxelle amassa sur sa personne, à un tel point que le roi d'Espagne, quoiqu'il dût lui en coûter, n’osa pas soutenir plus longtemps son ministre, et que celui-ci fut obligé de se retirer devant les malédictions unanimes dont 1l était devenu l’objet. A la vérité, le cardinal de Granvelle quitta ces provinces au commencement - de mars 1564, et vint chercher dans le comté de Bourgogne un () Le vin et les autres présents offerts par la ville à Leurs Majestés coûtèrent 666 francs 7 gros 3 blancs. — 163 — abri contre l'orage qui, depuis quelque temps, grondait au- dessus de sa tête; d’injustes défiances, de basses jalousies, des ambitions déçues, et, en particulier, l'impatience de quelques seigneurs à subir l’autorité d’un étranger, l'avaient fait naître. Mais 1l n’est pas vrai que Philippe ait congédié le cardinal, et ce ne fut qu'avec une extrême surprise et la plus vive peine qu'il apprit la nouvelle de cette retraite brusque et spontanée de la part du prélat, qui crut par ce moyen enlever aux mécontents Jusqu'au dernier prétexte de plaintes. Il emporta avec lui la confiance de la gouvernante Marguerite de Parme et l'estime de ses premiers conseillers; plusieurs seigneurs, tels que le duc d'Arscot, les comtes d'Aremberg et de Barlaymont, un grand nombre de gentilshommes et d'habitants notables lui demeu- rèrent attachés, et il reçut d'eux, en maintes circonstances, des témoignages non équivoques de leur affection et de leurs regrets. À la vérité encore, il voulait avant tout le maintien de la religion catholique et celui de l'autorité souveraine, et il défen- dait l’une et l’autre, avec vigueur et conviction, contre l’opulente et inquiète bourgeoisie des villes, et une noblesse non moins riche et non moins turbulente. Mais ce pouvoir royal, dont le dépôt lui était confié, et que les états provinciaux s’efforçaient d'affablir périodiquement, cette Eglise romaine qu’il illustrait par sa science et par ses vertus, et que des milliers de novateurs prtendaient abattre pour élever la leur sur ses ruines, jamais Granvelle n’a associé à leur défense le fer et la flamme; son humanité, ses lumières supérieures et sa conscience répugnaient invinciblement à toutes les mesures de violence. Il a blâmé Ja polhtique sanguinaire du duc d’Albe, et a gémi hautement sur les trop nombreuses victimes sacrifiées à ses vengeances et à sa haine aveugle. Pendant la durée de son ministère à Bruxelles, Granvelle n’a jamais eu d’autres auxiliaires que les lois antiques du pays, desquelles il vantait l'excellence à chaque occasion, et une grande fermeté qu’il savait allier à beaucoup de prudence. Il n’a cessé de respecter les priviléges des provinces et les droits légi- — 164 — timés dé la population; il à vu avec peine l'établissement de nouveaux évêchés, sur lequel il n’avait point été consulté et qui fut le premier prétexte des troubles; il voulait que les décrets du concile de Trente ne fussent publiés qu'avec de sages réserves ; il voulait aussi que la défense du pays ne fût point confiée aux soldats espagnols; et s’il n’a pas été en son pouvoir d'empêcher tous les maux causés par l’inquisition, déjà intro- duite par l’empéreur Charles-Quint, 1l était parvenu à affaiblir son influence, en lui opposant celle qu'il fit attribuer aux tribu- naux de justice dans toutes les causes qui intéressaient la rel- gion. Si l'exercice public du culte réformé, qui au départ du cardinal comptait déjà des sectateurs par certaines de milliers, était interdit, du moins il n’en a envoyé aucun à l’échafaud (à l'exception de quelques turbulents anabaptistes), se bornant à ordonner l'expulsion de ceux qui s'étaient le plus ouvertement compromis. L'auteur de cette notice qui a lu, presque säns exception, dans l'immense recueil de notre bibliothèque publique, toutes les lettres du cardinal et celles qui lui ont été écrites, croit ne pas se tromper lorsqu'il affirme que, demeuré à la tête des affaires de Flandres, ce grand homme aurait prévenu l'insurrec- tion; que du moins il l'eût comprimée en peu de temps et sans de trop grandes rigueurs, si le roi catholique l'avait laissé maître absolu du choix des moyens. Mais les éternelles irrésolutions de Philippe neutralisaient presque toujours les desseins les mieux concertés; au lieu d'agir, il écrivait, puis écrivait encore et toujours..…., ne quittant la plume que pour passer de son cabinet à son oratoire, et de là quelquefois à la place publique, quand l'y appelait le spectacle odieux d'un auto-da-fé. MONOGRAPHIE DU PALAIS GRANVELLE, I. Origines du palais. IL. Description architechtonique du palais. Annales du palais. Destinées futures du palais. PIÈCES JUSTIFICATIVES. _ L Mémoire de la nativité des enfants de Nicolas Perrenot de + Granvelle. Hu à 1 Lettre d'Eléonore, reine douairière de France, au chancelier de __ Granvelle. Lettre d'Antoine de Granvelle, évêque d'Arras, relative aux obsèques du chancelier son père. Inventaire des objets d'art du palais Granvelle, en 1607. Variations du régime municipal à Besançon. . Origines du théâtre à Besançon. . Réception faite à Louis XIV par la municipalité de Besançon, | en 1683. Le cardinal de Granvelle jugé par un écrivain protestant. L2 e ». g $ + . se = tes , + . : | 2 ” # 4 > + “on I Mémoires de la Société d'EÉmulation du Doubs.- 1066. 0m « « : 4 1. e . à “ EN s, À, 2 “: + 1 , . 5 LA . e + + # JA Ses | EF = EE Façade sur la rue. ; L2 LL - Façade «2 la cour. | À 7 . NE ” PER PALAIS GRANVELLE À BESANÇON. ue é 2 re F * sde cn - he ds" Societé d'Emulalion du Doubs. - 1866 ) Mémoires de la Société d'Erudation du Doubs._ 1860 sr _4 à Eh L Ve | . A = DT à LA ia # l Et + … L nat "+ à ’ Vs s l'A } 7 ru } | t k A n | + Li WP \: + : Um QAR ‘4 1 (ii ] (2 19 ie , Let A Î ti | Va À Lu L ù LP: Rey | . O7 COUP EN AT ARE NTI EDR | FE AR AM x ol 7 bn INR SZ ns À 11 a 4 L ! 4 7e, 2) #2 Ÿ : LUN ; | U VA (y: X { h ue Loue 1 | ? Pen AU « A 9 [} "CE {i { NUTA j “ \iel | N FRE LA | | DA /1 i die ur Ne à. RAA ET | Dr PRUTÉ enr "PAU [ L NEA CU UNCS CHE AVE DAA LIANT N EN rt 4 7 db dis À cs AS | : mn F7 JAN DU ROLE DE LA BOURGOGNE SOUS LES MÉROVINGIENS Par M. Ludovic DRAPEYRON Professeur d'histoire au Lycée impérial de Besartçon. Séance du 10 mars 15656. C'est en Gaule que le conflit de la race latine et de la race germanique, conséquence des invasions, a éclaté dans toute sa violence. Partout ailleurs l'élan des barbares a été amorti par leur course effrénée elle-même, par leur éloignement de la mère- patrie, par l'impossibilité de recruter leurs armées, par leur faiblesse numérique, intellectuelle et morale, par leur rapide mélange avec les peuples vaincus. Est-il besoin de rappeler les Vandales si vite amollis, les Ostrogoths si vite exterminés, les Visigoths si vite absorbés, les Lombards eux-mêmes, mieux situés, si vite réduits à l'impuissance ? Que de siècles, au contraire, il a fallu pour effacer de la Gaule l'empreinte de la Germanie! La renaissance du droit romain, Philippe le Bel, Louis XI, Richelieu, la Révolution de 1789 ont à peine suffi à cette lourde tâche. | | L'histoire de la lutte de la Neustrie et de l’Austrasie, pré- sentée avec tant de précision et de vivacité par Augustin Thierry (‘), nous a mis à même de comprendre les origines de la féodalité. M. Guizot (?)} a analysé avec patience et avec vigueur les influences qu'ont exercées ou subies les Germains et les Gallo-Romains. () Récils mérovingiens. (2) Histoire de La civilisation en France et Essais sur l'histoire de France. — 170— Ainsi, lorsqu’a lieu l'invasion des barbares, la région du Rhône et de la Saône est, de toutes les contrées transalpines, la plus profondément pénétrée de la civilisation romaine et de la religion chrétienne : double fait important à noter et qui nous expliquera l’époque mérovingienne tout entière. | Les Burgondes s’établissent dans cette contrée presque aussi romaine que l’Italie. [ls lui imposent le nom de Bourgügne qui lui restera. Mais, à part ce vain témoignage de leur vietbire, ils subissent l’action irrésistible d’une civilisation armée dé toutes pièces et ne tardent pas à confesser leur infériorité. \ Les érudits, étonnés de ce phénomène, se sont donné une peine infinie pour l'expliquer. Ils ont été jusqu'à rechercher et jusqu’à constater l’origine romaine des Burgondes. Les lus prudents se sont contentés de nous montrer dans ces barbares si vite gagnés à la civilisation, des proscrits déjà brisés par l’in- fortune et accueillis comme par compassion dans un dermièr asile (!). | L'examen le plus superficiel de l’histoire fait évanouir tous ces systèmes ingénieux. Les Burgondes, à voir la conduite de leurs | chefs, ne diffèrent guère, dans les premiers moments, des autres barbares, de ceux qui méritent le mieux cette dénomination. Quand on lit la vie de Gondebaud, on le rapproche vite bon gré mal gré de Clotaire (?}. Mais la situation n’est pas la même, et tandis que le roi des Frances, qui vit au sein de la barbarie, ne s'arrête dans sa voie criminelle que lorsqu'il sent la mort s’ap- pesantir sur sa tête, le roi des Burgondes, que la lumière enve- loppe de toutes parts, se radoucit et, le calcul politique interve- (4) A notre avis, il ne faut pas accorder une confiance absolue à certains passages de Socrate, dit le Srholaslique, de Nicéphore, d'Olympiodore, de Prosper d'Aquitaine et de Paul Orose, et il importe d'envisager dans son ensemble le monde germain pour ne point jeter de trouble dans la question que nous traitons ici. (2) « Godegiselus ad ecclesiam hæreticorum confugit, ibique cum episcopo ariano interfectus est..……, interfectis senatoribus, Burgundionibusque qui Godegiselo consenserant. » (GREGOR. TuRON., lib. II, c. 23.) “ à LR en SR Er D 7 Ta D — AA — nant, promulgue la loi Gombette ('). Gondebaud, instruit par ses revers, semble dire à ses Burgondes : «Ne poussez pas trop loin vos exigences (un tiers des terres), traitez les Romains sur le pied de l'égalité, ou vous auriez tout à craindre. » Qu'on se rappelle d’ailleurs que la princesse bourguignonne Clotilde est l'agent du catholicisme auprès des Francs païens, comme si pour ces rudes guerriers il eût fallu un rude interprète (?). Les Burgondes, à cause de l’arianisme où ils s'étaient obstinés si longtemps faute d’études théologiques, à cause de leur igno- rance, de leur inaptitude littéraire et surtout de leur mobilité d'esprit plus grande encore que celle des Gaulois, ne fondèrent rien de durable dans le pays policé des Eduens et des Séquanes (*). Ces géants que nous dépeint Sidoine Apollinaire (‘), gauches, ayant conscience de leur rusticité, ne savaient quelle contenance garder en face de ces Gallo-Romains, petits, mais vifs et alertes, qui se démenaient autour d’eux avec une prestesse désespé- rante, assez faibles par eux-mêmes, il est vrai, mais appelant à tout propos à leur aide les terribles guerriers de Clovis et de Clotaire. Les Frances mirent fin au royaume des Burgondes. Il ne resta plus, comme vestige de leur domination éphémère, qu'une aris- (2) Grégoire de Tours ne voit pas, bien entendu, cette révolution qui s'opère chez Gondebaud, mais il nous met à même de l’étudier. Qu'on lise la conversation de Gondebaud et de saint Avit, et l’on s’expliquera ce passage : « Burgundionibus leges mitiores instituit, ne Romanos oppri- merent. » (Lib. IE, c. 23, 24.) (2) Remarquez bien que si Clotilde cherche à apaiser les dissensions de ses fils, c'est bien elle qui les pousse à se venger des Bourguignons, et dans cette circonstance, elle se montre aussi implacable qu'une Brunehaut, (Cf. GRÉGOIRE DE Tours, liv. III, c. G, 18, 28.) (*) Voir le discours de Clovis à ses guerriers, dans GRÉGOIRE DE Tours, livre II, chap. 37 : « Valde moleste fero, quod hi Ariani partem teneant Galliarum. » Mais il est évident que l’arianisme était aussi peu connu de l'orthodexe Clovis que des Wisigoths et des Burgondes qui étaient sensés le pratiquer. (*) Septipedes, dit SiboinE (Epist. ad Lampridium, apud Scripl. rer. gallic. el francic., t. 1, p. 800.) — 179: — tocralie assez puissante qui s'était ralliée d’abord aux nouveaux conquérants, celle des Farons (1). ‘ Dès ce moment, il convient de marquer, dans la région qui nous occupe, une différence capitale entre la partie septentrio- nale et la partie méridionale. Le bassin du Rhône proprement dit, surtout à partir de Lyon, conserve, au milieu de toutes les révolutions qui se succèdent, le caractère romain dans son intégrité. Ici, en effet, non plus qu'en Aquitaine, les Germains ne veulent encore s'établir si loin de leur patrie et du gros de leur armée. Dans le bassin de la Saône, au contraire, à cause de la proxi- mité de la Neustrie et de l’Austrasie, leur point de départ, les Germains se mêlent aux Romains : de là une situation smgu- lière dont les effets sont bien curieux à étudier. Lyon, Avignon, Arles, Aix, Marseille sont, sous la dynastie des Mérovingiens, des centres romains où éclatent contre les Barbares des complots redoutables, tramés à Ravenne, à Cons- tantinople même, activement propagés en Aquitaine jusqu’au pied des Pyrénées. Chalon, Autun, Mâcon, villes désormais moitié franques, moitié romaines, servent aux rois mérovingiens de postes d'ob- servation contre la Provence : c'est à Chalon que le souverain réside, à Mâcon qu'il rassemble autour de lui les évêques. Autun, à la fin de la première race, lors de la lutte d'Ebroiïn et de saint Léger, aura une importance capitale : ce sera comme le trait d'union de la Bourgogne barbare et de la Bourgogne civilisée (?). Quoi qu'il en soit de ce mélange, jamais la Bourgogne, prise dans son ensemble, ne présentera l’épouvantable chaos de la Neustrie et de l’Austrasie; longtemps même elle les modérera, (:) Frédégaire en parle plusieurs fois. (?) Pour le rôle de toutes ces villes, il faut relire d’une manière attentive Grégoire de Tours presque entièrement, Frédégaire et les autres chro- niqueurs contemporains. — 173 —. les empêchera d’en venir aux mains. Seule, elle cherche d’une manière nette et sans arrière-pensée à faire prévaloir les idées d'ordre empruntées à la Rome impériale, les idées morales de l'Evangile. L'abbaye de Luxeuil sera comme une digue opposée à la barbarie austrasienne qui menace de tout engloutir ({). Pendant un siècle et demi, de la conquête franque à la ba- taille de Testry, il y a lieu d'étudier l'histoire de la Bourgogne à plusieurs points de vue qui, dans la confusion étrange de cette époque, s'offrent à l'observateur sans transition et même s’en- trecroisent, se heurtent, se détruisent les uns les autres. Nous les ramènerons à leurs plus simples termes : 1° Le Compromis gallo-franc ; 20 La Tentative de restauration de l'empire romain; 3° L'Organisation de la conquête chrétienne ; &° L'Essai d'un royaume franc d'après les principes ro- mains ; 5° La Coalition sacerdotale d'Autun et de Marseille contre la tyrannie franque. Compromis gallo-france. Pour la première fois, à la mort de Clotaire Ie", les Frances, sous l'inspiration des Gallo-Romains, montrèrent dans le par- tage de la Gaule quelque préeccupation administrative. Malgré leur système de morcellement et d’enclaves que l’on retrouve dans l'Allemagne moderne (?), ils adoptèrent trois divisions natu- relles historiquement justifiées : Austrasie, Neustrie et Bour- gogne. (?) On peut consulter à cet égard D. GRaAPriN, Histoire de l'abbaye de Luxeuil, ms. de la bibliothèque de Besancon. (*) C’est contre cette anomalie, ce particularisme, comme on dit au delà du Rhin, que réagit en ce moment même la Prusse, en s'inspirant de l’idée des nationalités. — 174 — Le roi Gontran vient s'établir à Chalon-sur-Saône, dans la contrée de la Bourgogne que se disputent l'influence franque et l'influence romaine. On s'aperçoit bien vite de la transformation subie par ce souverain barbare dans la nouvelle atmosphère où le sort l’a transporté. Certes Le Franc ne disparaît jamais complè- tement chez lui : c’est toujours la même incontinence de mœurs, la même mobilité d'impressions et d'idées, la même fureur d’en- treprendre et d’usurper. Comment ne pas reconnaître à ces traits un frère de Chilpéric et de Sigebert? Mais il y ajoute les habitudes d’esprit de son entourage. Tandis que Chilpérie se plaint de l’opulence des églises et de la pauvfeté du fise, Gon- tran prodigue au clergé les dons, les exemptions de toutes sortes. Il se montre partout avec les évêques comme un évêque (!). Il convoque des synodes, non point pour venger des injures personnelles, mais pour les intérêts de l'Etat. Il ne dis- pute jamais sur le dogme, il s'incline devant l'autorité des Pères; mais il interrompt un repas pour faire entonner par les clercs des hymnes sacrées. Si ses armées éprouvent un grand désastre, il n’accuse pas systématiquement, comme les autres rois francs, les dues chargés de conduire l'expédition. Il indique les causes religieuses de l'événement, et, pour la première fois, l’idée de la Providence trouve accès dans une tête mérovingienne. Le premier aussi, Gontran est animé de l’orgueil dynastique. Il ne cesse de parler de la grandeur du royaume des Francs; il se réjouit de la naissance des enfants de Childebert et de Chilpéric, parce qu'elle assure la perpétuité de sa race; et s’il sert de tuteur aux jeunes rois de Neustrie et d'Austrasie, c’est que chez lui, grâce à une seconde éducation toute romaine, le désir de la spolation et de la vengeance est moins énergique que le senti- ment de la dignité royale. Il finit même par acquérir une piété touchante et qui nous surprend chez un Mérovingien : il re- () « Guntchramnus, rex Francorum, cum jam annos xxxu1 Burgundiæ regnum, bonitate plenus, feliciter regeret, cum sacerdotibus ulique sacer- dotis ad instar se ostendebat. » (FREDEGAR., lib, Ï.) 9 — 175 — cherche avec le plus grand soia les corps des fils de Chilpérie, immolés par leur père et par leur marâtre, pour leur donner une sépulture digne de leur illustre origine! Bien différent de son frère Sigebert et de tous ses ancêtres, le roi Gontran, qui prépare tant d'expéditions contre les Frances, contre les Visigoths, contre les Bretons, n’en commande aucune. On dirait un César de Byzance, toujours enfermé dans son pa- lais, ,transmettant au loin ses volontés par des envoyés, véri- table providence de l'Etat. Avouons qu'il serait facile de découvrir dans ce personnage des défauts qui résultent du mélange artificiel du Franc et du Romain. Le composé obtenu par ce procédé ne laisse pas que d’être un peu trouble. Ainsi la finesse mérovingienne, si aiguë et si pénétrante chez un Clovis, chez un Clotaire, est visiblement émoussée chez Gontran. Comme le bonhomme se laisse manier par Frédégonde ! De même l'intelligence politique traditionnelle des Gallo-Romains lui manque complètement, et le patrice Mummolus a beau jeu quand il a Gontran pour partenaire (!). Mais n’allons pas dire avec un historien éminent que Gontran est chargé de la partie comique dans l’histoire du vie siècle (?). Dans un drame aussi sanglant, le burlesque, quoi que fassent les personnages, est exclu. La Bourgogne, bien au contraire, a sous Gontran aussi un rôle sérieux qu’utile, grâce à ses patrices, grâce à ses évêques. Les Lombards sont repoussés hors de la Gaule L'élément gallo-romain, si nécessaire dans la circonstance et pour l'avenir, est préservé. Le choc de la Neustrie et de l'Aus- trasie est amorti. Supprimez le royaume de Bourgogne, vous 4 ( MicueLer, Histoire de France. (?) Le roi Gontran est peut-être le personnage de prédilection de Gré- goire de Tours : aussi, en relevant les principaux passages et surtout en les bien interprétant, peut-on le faire revivre. Ici, nous nous abstenons de citer. 11 convient de relire d'une manière suivie l'évêque gallo-romain, à partir du IVe livre de son Histoire ecclésiastique des Francs. Gontran et Grégoire étaient exactement contemporains, et ils se sont vus l’un et l’autre de très près. (Liv. VILE, c. Let 2; Liv. IX, c. 20.) — 176 — changez complètement l’histoire de notre pays, vous aggravez la barbarie. IE. Tentative de restauration de l’Empire romain. Que la région comprise dans le bassin de la Saône, c'est-à- dire sous la menace des Francs et de toutes les hordes germa- niques, s’accommodât du régime inauguré par le roi Gontran, du compromis gallo-frane, cela se conçoit, car cela était néces- saire. Mais la région du Rhône, mieux protégée, placée comme l'Aquitaine hors de la sphère d'action des conquérants, où un visage tudesque se montrait rarement, devait avoir une ambition plus haute et de plus libres aspirations. Depuis que les royaumes barbares entraient en décadence, l'empire romain tendait à se reconstituer. Justinien avait donné l'exemple de cette revendi- cation universelle au milieu des périls”qui lassaillaient et des hontes qu'il dévorait. L'Afrique, l'Italie avaient été rattachées à Constantinople; l'Espagne avait été entamée, et ce n’est pas sans plaisir que les Grecs, qui se paraient du nom de Romains, avaient vu les Burgondes précéder les Ostrogoths et les Visigoths dans lenr chute. Ils espéraient que les Francs, comme toutes les tribus germaniques, s’énerveraient à leur tour, sans réflé- chir que ceux-c1 se recrutaient chaque jour dans les forêts et les marécages de la Souabe et de la Saxe : ramo avulso non deficit alter. Ils se vanteront bientôt d'en remontrer au Rhin (5): Un passage significatif de Grégoire de Tours nous fait voir l'affinité de la Provence et de l'empire grec. () Nous avons relevé ce vers dans le Poème de Georges PrsIpÈs, contem- porain de l'empereur Héraclius (610-641), sur l'expédition contre Les Perses : Tevod duxaortis Keltuxoë “Phvou mAéov, Tevod dtxaoThc. Pisidès fait allusion, dit Quercius, aux défaites de Sigebert et de Dagobert au delà du Rhin. — 177 — Dumnole, désigné par Clotaire pour remplir le siége épiscopal d'Avignon, le supplie « de ne pas l’éloigner de sa présence comme un captif et de ne pas exposer sa simplicité aux peines qu'elle aurait à souffrir parmi des sénateurs sophistes et des juges philosophes, l’assurant que ce siége serait pour lui un lieu d'humiliation plus que d'honneur (!). » Les habitants de la Bourgogne méridionale étaient trop civi- lisés pour subir avec patience le joug des Barbares et trop cor- rompus pour se délivrer eux-mêmes. Le type du Gallo-Romain, au vi siècle, c’est Mummolus, sorte de renégat au service des Francs, dont la valeur et la tactique mettent en déroute les Lombards et les Saxons, mais également incapable de s’attacher à ses nouveaux maîtres et à sa patrie. On nous le représente retranché dans Avignon où il entasse les richesses enlevées aux amis et aux ennemis, les Gallo-Romains eux-mêmes, qu'en ses impitoyables razzias il a fait prison- niers et qu’on lui rachète à haut prix, ne respectant ni les choses saintes ni la foi jurée , n’accordant sa confiance à personne, n'ayant d'autre distraction dans son repaire que la vue de ses trésors dont il avait remis la garde à un serviteur d’une stature colossale (?). Incapables de rien faire par eux-mêmes, les Gallo-Romains eurent recours à toutes sortes d'appuis extérieurs pour concerter une attaque contre la domination franque. Ils savaient les Aus- trasiens irrités contre la reine Brunehaut, qui avait adopté à leur égard les procédés des Césars. Théodore, évêque de Mar- seille, Sagittaire, évêque de Gap, ce dernier dépouillé de son siége, se mirent en rapport avec le plus rusé des Francs, le () « Senatores sophisticos ac judices philosophicos. » (GREGOR. TURON., lib. V1, c. 9.) (?) « Ducenta et quinquaginta talenta argenti, auri vero amplius quam triginta. Tunc et homo ille immensi corporis ad regem de Mummoli fami- liaribus adductus est, ita magno corpore elatus ut duos aut tres pedes super longissimos homines putaretur magnus, lignarius faber, qui non multo post obiit. » (GREGOR. TurON., lib. VIT, c. 40, 41.) 12 — 178 — eélèbre duc Boson, « toujours prêt au parjure (!), » c’est-à-dire assez semblable au patrice Mummolus. Il se fit donner par le roi de Bourgogne une mission auprès de l'empereur, et, d'accord avec les Gallo-Romains, avec les Grecs, ourdit la plus infernale conspiration (?). À Constantinople vivait Gondovald ou Ballomer, fils prétendu de Clotaire [°'", mérovingien apocryphe, plusieurs fois reconnu et tondu par ses frères (*). Boson lui adressa de nombreux présents et s'engagea dans douze lieux saints à défendre sa cause. Mais lorsque le prince aborda à Marseille, le perfide due le dépouilla de tous ses trésors et le renvoya, confus et men- diant, attendre dans une île de la Méditerranée une occasion plus propice et un champion plus chevaleresque (*). L'assassinat de Chilpérie, les querelles de Brunehaut et de Frédégonde l’autorisèrent à mettre de nouveau le pied sur le @) « Ad perjuria nimium præparatus erat » (GREGOR. Turon., lib. V, c. 14.) Boson signifie le Méchant. : (%) Grégoire de Tours nous donne les détails les plus intéressants sur cette conspirätion que Frédégaire ne fait qu'indiquer, mais il n'en saisit pas le sens. (5) « Tune es pictor ille, qui tempore Chlothacharii regis per oratoria parietes atque cameras caraxabas ? Tune es ille, quem Ballomerem nomine sæpius Galliarum incolæ vocitabant? Tune es ille, qui plerumque a regibus Francorum, propter has præsumptiones quas profers, tonsoratus, et exsilio datus e5? (GREGOR. TURON , lib. VIT, €. 36.) » Gondovald avoue qu'il a été tonsuré par ordre de Clotaire ct de ses successeurs, mais il affirme toujours sa légitimité : « Quod me Chlothacharius pater meus exosum habuerit, habetur incognitum nulli. (Ip., ibid.) » La destinée de ce prince rappelle d’ailleurs celle des enfants de Clodomir et relle de Chramm. (‘) Voyez le discours de Gondovald dans GRÉGOIRE DE Tours. Peu de pages de l'Histoire ecclésiastique méritent une étude plus attentive : « Hæc me causa (l'inimitié des rois francs) Narseti præfecto Italiæ junxit : ibique uxorem accipiens, duos filios generavi. Qua mortua, adsumptis mecum liberis, Constantinopolim abii. Ab imperatoribus vero suscepltus benignis- sime. cognovi generationem nostram valde adtenuatam..…. Boso invitavit me..., At ego, datis ei multis muneribus, per duodecim loca sancta ab eo suscipio sacramenta, ut securus in hoc regnum accederem... Immemor sacramenti ac promissionis suæ, thesauros meos abstulit et in suam ditio- nem redegit, » (Lib. VIT, ec. 36.) AD sol de la Gaule. Mummolus, qui n'avait plus confiance dans la fortune du roi Gontran, flatté de l’idée de créer un roi de sa façon, et surtout calculant les profits d’une pareille affaire, s’em- para du prétendant inventé puis délaissé par Boson. L'évêque Epiphane, venu tout exprès d'Italie sans doute sur un ordre de l'empereur, le vénérable Théodore, le turbulent Sagittaire, étaient initiés à ce complot gallo-romain contre les Barbares. Waddon, intendant de Chilpéric, un Franc nommé Chariulf, étaient habilement mis en avant pour empêcher les Frances de saisir le véritable sens de la conjuration. Mais Brunehaut, Childebert, Gontran, dans ce moment cri- tique, s’unirent d’une manière étroite (‘). La Bourgogne, sur laquelle le patrice Mummolus, déjà maître d'Avignon, comptait s'appuyer, était surveillée de près par le roi qui résidait à Che- lon-sur-Saône. Les ménagements dont il usait envers les évêques, sa piété si connue, sa bonhomie, empéêchaient ses sujets de langue latine, si énervés d’ailleurs, de rien oser contre lui. Aussi bien la rébellion, détournée de son champ naturel, la Bourgogne, se rejeta sur l’Aquitaine qui n'y était point pré- parée. L’Aquitaine ne vit dans la course de Gondovald que l'un de ces pillages méthodiques auxquels les Germains l'avaient ha- bitué depuis trois quarts de siècle. Tout ce mouvement alla expirer au pied des Pyrénées. Mummolus, lui aussi, trahit sa cause, inutilement il est vrai, car le vainqueur des Lombards ne put faire oublier l’auteur d’une si redoutable conflagration. Mummolus et Boson ne tardèrent pas à être immolés comme Gondovald (?|. Leurs richesses passèrent aux mains de Gontran, qui put désormais s’accorder quelque luxe, montrer avec orgueil _— () Le fameux traité d'Andelot est la conséquence naturelle de l’insur- rection de Gondovald (587) : l’Austrasie ct la Bourgogne s'unissent et les leudes obtiennent l'hérédité des bénéfices. Mais tout cela est présenté d’une manière bien décousue par Grégoire de Tours, (*) Rien de plus lugubre que la fin de l’infortuné Gondovald livré par les siens. (Voy. GRÉG. DE Tours, liv. VII, ch. 38.) — 180 — dans ses festins une argenterie brillante, et se faire pardonner sa victoire en comblant de présents les églises et les monastères. IET. Organisation de la conquête chrétienne. Ainsi, grâce au caractère de la Bourgogne, la défaite des évêques elle-même aboutissait à l'extension de leur influence et de leurs priviléges. C’est ce que comprit Grégoire le Grand. Quand il traça son fameux plan de conquête religieuse, il vit quel secours pouvait lui prêter le royaume ecclésiastique de Bourgogne, où le roi Gontran venait d'établir, en face même de l’'Austrasie et pour la gagner au christianisme, le grand monas- tère de Luxeuil. La reine Brunehaut gouvernait au nom de son petit-fils Théodoric Elle n'avait pas encore entrepris de réunir sous un seul sceptre, par toutes sortes de moyens criminels, les royaumes francs. Elle était encore telle que nous l’a re- présentée Grégoire de Tours, «honnête et décente dans ses mœurs, de bon conseil et d’agréable conversation (1), » catho- lique zélée depuis son abjuration. Aussi bien le pape Grégoire le Grand l'mvoque ainsi : « Vous dont le zèle est ardent, les œuvres précieuses, l'âme affermie dans la crainte du Dieu tout puissant, nous vous prions de nous aider dans un grand ou- vrage. La nation des Anglais nous a manifesté l'envie d’embras- ser la foi du Christ, et nous voudrions contenter son désir. » Le roi Théodoric recevait en même temps ce message : « J’a () « Erat enim puella elegans opere, venusta adspectu, honesta moribus atque decora, prudens consilio et blanda conloquio. (GREGOR. TURON., lib. 1V, c. 27.) » Il ne faut pas prendre trop à la lettre ce portrait de Brunehaut qui ressemble à celui d'une Romaine du vue siècle. Les Wisi- goths, qu’on ne l’oublie pas, étaient des Germains, moins barbares, il est vrai, que les Francs, mais peu civilisés encore; si leur intelligence com- mencait à s'éclairer, leurs mœurs restaient grossières : tel était le cas de Brunehaut. Nous avons fait la même remarque pour Clotilde. — 181 — pensé que vous deviez souhaiter avec ardeur l'heureuse conver- sion de vos sujets à la foi que vous-même vous professez, vous leur seigneur et leur roi; c’est ce qui m'a déterminé à faire partir Augustin, le porteur des présentes, avec d’autres servi- teurs de Dieu, pour y travailler sous vos auspices {!). » La Bourgogne ne tint pas plus dans cette occasion que dans les précédentes ce qu'on avait espéré d'elle. L'esprit médiocre, mais Conciliant, du roi Gontran avait fait place au génie hardi et violent de Brunehaut. La veuve de Sigebert, au lieu de se con- sacrer à l'établissement d’un royaume durable qui eût civilisé et converti les royaumes barbares et païens de Neustrie et d’Aus- trasie, mit le trouble partout en voulant, sans délai, tout sou- mettre à la même règle. Les résistances des Gallo-Romains éclatèrent aussi décidées que celles des Francs; et Brunehaut, démentant les paroles si flatteuses de l’évêque et du pape, en vint à expulser saint Colomban et à lapider saint Didier. Une fois engagée dans cette voie, elle devait necessairement périr, car, en s’aliénant les représentants de la civilisation, elle se livrait elle-même aux Barbares. IV. Essai d’un royaume franc d’après les principes romains. Tant que Brunchaut avait résidé en Austrasie, c’est-à-dire pendant plus de vingt années, elle n’était parvenue à aucun résultat. « Eloigne-toi de nous, de peur que les pieds de nos chevaux ne t’écrasent contre terre, » ne cessaient de lui crier les leudes et les hommes libres. Ses ministres étaient massacrés ou contraints de se réfugier en Bourgogne. Elle-même était ex- posée chaque jour au poignard de Frédégonde. Elle est enfin chassée d’Austrasie. Un pauvre homme la trouve seule dans la ——————————, () GREGORI PAPÆ Opera, t. 1V, p. 189. ARR. Champagne, près d’Arcis (!), et la conduit à Théodoric. Aussitôt sa fortune change : elle prend sur le royaume de Bourgogne une grande autorité, elle triomphe de la Neustrie et prépare la dé- faite de l’Austrasie. Tentative grandiose, mais qui témoigne encore plus d'orgueil et de haine que de sens politique; car l'unité qu’elle rêvait, vu les éléments hétérogènes en présence, devait être fatale aux principes romains qu’elle voulait faire pré- valoir. En outre, pour réaliser cette unité, il lui fallait violenter le royaume sur lequel reposait son édifice tout entier. N’avons- nous pas montré que si, à partir de Lyon, les Gallo-Romains prédominaient, à Chalon, trait d'union de l’Austrasie et de la Neustrie, les leudes francs et burgondes étaient redoutables ? Le choix de Protadius, un Gallo - Romain de la trempe de Mummolus, comme maire du palais, était donc souverainement impolitique. « Il exerçait (suivant Frédégaire, qui reconnaît son extrême finesse et sa grande habileté) contre certains hommes de cruelles iniquités, accordant tout aux droits du fise et s’effor- çant par toutes sortes d'artifices - de le remplir, de s'enrichir lui-même de la dépouille des biens d'autrui (?). » Il semble que Brunehaut ait reconnu sa faute, puisqu'elle prit ensuite pour maire Claudius, « Romain d’origine, prudent, enjoué dans ses @) « Eo anno Brunichildis ab Austrasia ejecta est, et in Arciacensi Cam- pania a quodam homine paupere singula reperitur : secundum ejus peti- tionem ipsiam ad Theudericum perducit. Theudericus aviam suam Bruni- childem libenter recipiens, gloriose honorat. » (FREDEGAR., ©. 19.) (2) Frédégaire se montre, à l'égard de Brunehaut, d'une malveillance quelquefois grossière : « ….. Cum jam Protadius, genere Romanus, vehe- menter ab omnibus in palatio veneraretur, et Brunichildis, stupri gratia, eum vellet honoribus exaltare.» (c. 24.) Ce moine ignorant se complait dans ces détails, que la vie antérieure de Brunehaut repousse. Il semble vouloir répéter sur tous les tons ct dans un langage barbare le terrible Væ victis! Le portrait de Protadius lui-même doit être assez ressemblant : « Argutissimus et strenuus in cunctis, sed sæva illi fuit contra persones iniquitas, fisco nimium tribuens, de rebus personarum ingeniose fiscum vellens implere et se ipsum ditare. Quoscumque genere nobiles reperiret, totos humiliare conabatur, ut nullus reperiretur qui gradum, quem arri- puerat, poluisset adsumere. » (c. 27.) — 183 — récits, ferme en toutes choses, patient, sage dans le conseil, versé dans l’étude des lettres, rempli de fidélité et faisant amitié avec tout le monde {!).» Et cependant Brunehaut vengeait d’une manière cruelle la mort de Protadius {*). En vain elle répétait sans cesse qu’elle voulait civiliser les Barbares. Elle-même avait pris les mœurs de ceux qu’elle com- battait Elle livrait son petit-fils à une honteuse débauche, afin de le mieux dominer. Le clergé s’éloignait d'elle après bien des re- * montrances inutiles et la laissait courir à sa perte. Enfin les seigneurs des trois royaumes qu'elle avait subjugués la trahirent. Obéissant toujours au désir de dominer et de se venger plutôt qu'à une idée supérieure, elle essaya de déchaîner la Germanie barbare sur la Gaule (*). Mais, livrée aussitôt au fils de Frédé- gonde, elle subit le supplice après avoir vu l’extermination de toute sa famille (f) (1) « Subrogatur major-domus Claudius, genere Romanus, homo pru- dens, jucundus in fabulis, strenuus in cunctis, patientiæ deditus, plenitu- dive consilii abundans, litterarum eruditus, fide plenus, amicitiam cum omnibus sectans. (FREDEGAR., ©, 28.) » Frédégaire est content cette fois. Les Gallo-Romains du caractère de Claudius étaient malheureusement bien rares à cette époque. Le chroniqueur insinue que 12 crainte était pour quelque chose dans les vertus du maire Claudius : « Priorum exempia metuens, lenem se et patientem ostendit. » Et encore sa complexion devait- elle lui nuire aux yeux des Barbares : « Sed hoc tantum impedimentum habebat, quod sagina esset corporis adgravalus. » (2) La barbarie des Francs se montre bien dans ce détail : « Tune omnis exercitus Theuderici, inventa occasione, supra Protadium irruunt. » (FRE- DEGAR., €. 27, 28.) L'auteur du meurtre, Uneilène, est justement puni. Mais Brunehaut, avec ses sauvages instincts, aime mieux le mutiier et le réduire à la misère que le mettre à mort : « Pede truncato, de rebus exspoliatus ad debilitatem perductus est. » (#) C’est le fait le plus grave qui pèse sur Brunehaut : « Brunichildis Sigibertum, seniorem filium Theuderici, in Thoringiam direxit, cum quo Warnacharium, majorem-domus, et Alboenum, cum cæteris proceribus des- tinavit, ut gentes quæ ultra Rhenum sunt adtraherent. » (FREDEGAR., C. 40.) (*) Après cette exécution où il se complait, Frédégaire est bien venu de nous faire l'éloge de Clotaire : « Patientiæ deditus, litteris eruditus, timens Deum, ecclesiarum et sacerdotum magnus munerator, pauperibus elee- mosynam tribuens, etc...» (e 42.) Il y a, il est vrai, un correctif : « Vena- tione ferarum nimia assiduitate utens, et postremum mulierum et puellarum suggéstionibus nimium annuens, ob hoc quidem blasphematur a leudibus, » — 184 — Y Coalition sacerdotale d'Autun et de Marseille contre la tyrannie franque. Désormais la Bourgogne voit son influence décroître. Sous son maire Warnachaire, elle semble avoir inspiré la constitution perpétuelle de Paris, si favorable au clergé (!). Mais bientôt, de même qu'elle s’est débarrassée de sa dy- nastie, elle se débarrasse de son maire. Le midi de cette contrée est abandonné à la vie municipale, aux patrices; le nord aux évêques, aux farons burgondes. C’est contre ces derniers que Dagobert fait sa terrible promenade mili- taire sur les bords de la Saône {?). Sous Clovis IT, le rétablissement momentané de la mairie ne produisit pas d'heureux résultats. « Le France Flaochat, dit Fré- dégaire, promit, par une lettre et par des serments, à tous les ducs et évêques de Bourgogne qu'il les maintiendrait dans leurs biens, dans leurs honneurs, et qu'il leur conserverait son ami- tié (#).» La dignité de patrice, magistrature d’origine toute romaine comme on le sait, était remplie par le Burgonde Wille- bad. « Flaochat parcourut le royaume de Bourgogne, et, retrou- vant une ancienne haine qu'il avait longtemps cachée dans le @) Warnachaire nous intéresse comme chef du complot formé contre Brunehaut. (2) « Tanto timore pontifices et proceres consistentes adventus Dagoberti concusserat, ut a cunctis esset admirandum,. » (FREDEGAR., €. 28.) @) « Flasochatus , genere Francus, major-domus in regnum Burgundiæ, electione pontificum et eunetorum ducum, a Nantechilde regina in hunc gradum honoris nobiliter stabilitur. » Remarquez ce mode tout aristocra- tique d'élection. « Flaochatus cunctis ducibus de regno Burgundiæ, seu et pontificibus, per epistolam etiam et sacramentis, firmavit unicuique gradum honoris et dignitatem seu et amicitiam perpetuo conservare. » (FREDEGAR., C. 28.) — 4185 — cœur, il médita de faire périr le patrice (‘).» Il l'attira dans un guet-apens, le mit à mort, et succomba lui-même dix jours après. Ainsi, à tant de dissensions, venait s’ajouter l’inimitié im- prudemment réveillée des Burgondes et des Franes. Au temps d'Ebroïn et de saint Léger, l'anarchie est à son comble dans la vallée du Rhône comme dans la vallée de la Meuse, faute d’un pouvoir central capable de prévenir les con- flits entre les Romains, les Burgondes et les Francs. Ebroïn, qui connaît cette situation, fait un édit « pour que nul des Bour- guignons ne puisse se préseater au palais sans en avoir reçu l'ordre (?).» Lorsqu'il a été tonsuré et jeté dans un monastère, on arrache à Childérie H un décret par lequel « chacun arrivera tour à tour à la place la plus élevée (°) : disposition approuvée par un moine de l’époque, mais souverainement anarchique. Le champion de cette politique était saint Léger, évêque d'Autun. Lorsque le roi des Francs affecta le pouvoir absolu, il forma avec Victor, patrice de Marseille, une redoutable conspiration. Nous avons signalé, sous le roi Gontran, un accord aussi inat- tendu entre des Austrasiens et des Gallo-Romains. L'affaire fut très sérieuse. La prompte arrivée du roi à Autun, son trouble, sa colère, ne laissent aucun doute à ce sujet. Dans la poursuite, le patrice Victor fut tué, saint Léger fut enfermé avec Ebroïn à Luxeuil (*). Le siége d’Autun et le martyre de saint Léger, qui pèse sur la mémoire du maire de Neustrie, sont les derniers événe- () « Flaochatus regnum Burgundiæ pervagatur, consilium assidue iniens, priorem inimicitiam, qua cordis arcana diu celaverat, memorans, Willebadum patricium interficere disponcbat. » (FREDEGAR., ©. 28.) (?} Tyrannicum dederat tune edictum, ut de Burgundiæ partibus nullus præsumeret adire palatium, nisi qui ejus accepisset mandatum. » (Vita S. Leodegarii, auct. monacho Augustodunense coævo, €. 1.) (°) « Dum mutuam sibi successionem culminis habere cognoscerent, nullus se alio anteferre auderet. » (Ip., ibid.) (*) Voir e récit de ces événements dans le premier chapitre de la Vie de saint Léger. — Cf, D. Pirra, Histoire de saint Léger. — 186 — ments importants accomplis en Bourgogne durant l'ère méro- vingienne. Désormais, le centre de la résistance est l’Aquitaine, qui est parvenue à se donner des chefs nationaux; le centre de la domi- nation est l'Austrasie {!). Pendant près d'un demi-siècle, la Bourgogne avait joué ces deux rôles. Nous avons exposé les motifs de cette prépondé- rance. Nous avons montré aussi comment elle est restée au- dessous de ses promesses. C’est dans le règne de la reine Brune- haut et dans la catastrophe qui l'a suivi que l’on doit, suivant nous, chercher l'explication de ses destinées Imcomplètes. () Nous voulons ici désigner la période qui s'étend de Ja bataille de Testry à la bataille de Fontanet (687-841). LA SOCIÈTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS A LA RÉUNION ANNUELLE DES SOCIÉTÉS SAVANTES ET À LA DISTRIBUTION DES RÉCOMPENSES EN 1866. {Extraits de la Revue des Sociétés savantes, no de mai 1866.) Le mercredi # avril a eu lieu à la Sorbonne la réunion des délégués des Sociétis savantes des départements et des membres du Comité des Sociétés savantes établi près le Ministère de l'Ins- truction publique. A midi, MM. les délégués se sont réunis dans le grand amphi- théâtre, sous la présidence de M. Léon Renier, vice-président de la section d'archéologie, membre de l'Institut... M. Léon Remier a donné lecture des actes officiels concernant la réunion des délégués, la distribution des prix et la compo- sition des bureaux. Les sections se sont réunies dans les salles qui leur étaient destinées. La section d'archéologie était présidée par M. Léon Renier, membre de l’Institut, vice-président de la section.…. On a en- tendu d'intéressantes communications. , - . « . . . . . . . . . e M. Castan, membre de la Société d'Emulation du Doubs, a lu une intéressante Monographie du palais Grantvelle à Besançon, ET élevé par le chancelier de ce nom au commencement du xvI® siècle, sur le modèle des palais d'Italie. Les délégués des Sociétés savantes ont continué vendredi (6 avril) leurs lectures à la Sorboane..…. La troisième et dernière séance de la section d'histoire et de philologie a été présidée par M. Amédée Thierry. On y a en- tendu les lectures suivantes : M. Drapeyron, professeur d'histoire au lycée de Besançon et membre de la Société d'Emulation du Doubs, a examiné quel avait été le rôle de la Bourgogne à l'époque mérovingienne, au milieu des querelles de la Neustrie et de l’Austrasie. Il a déter- miné d'abord la position de ce pays, si favorable à l'introduction de la civilisation romaine et à sa diffusion dans toute la Gaule. IT a ensuite fait connaître à quelles causes pouvait être attribuée la chute du royaume des Burgondes. La section d'archéologie, présidée tour à tour (le 6 avril) par MM. Léon Renier, de l’Institut, et Victor Hamille, directeur de l'administration des cultes, a entendu de nombreuses lectures. 9 L » LI . . . . - - . L . L L ° L , La parole a été donnée à M. J.-B. Cessac (de la Société d'E- mulation du Doubs), qui a entretenu l'assemblée de fouilles exécutées à Puy d’Issolud (Lot), en 1865, pour rechercher l’em- placement d'Uxellodunum. M. Cessac a présenté des photogra- phies exécutées sur les lieux ainsi que divers fragments d'armes, de poteries, etc., résultat de ces fouilles et de celles qui ont été exécutées sous sa direction par les ordres de l'Empereur. Ces objets, qui appartiennent au musée de Saint-Germain, ont été mis à la disposition de M. Cessac, par ordre spécial de Sa Ma- jesté, et expressément dans le but de les porter à la connaissance de MM. les délégués des Sociétés savantes. Les conclusions de M. Cessac sont que l'emplacement d'Uxellodunum est définiti- vement le Puy d’'Issolu ou d'Ussolu. # — 189 — * M. le Ministre (présent à la séance), en félicitant M. Cessac sur la rigoureuse logique de sa démonstration et sur le succès de ses persévérants efforts, ajoute que lui-même avait, dès 1839, adopté l'opinion de M. Cessac sur l'emplacement d'Uxellodunum, plutôt par conjecture, 1l est vrai, que d’après des preuves posi- tives. Cette opinion a priori, ou plutôt par intuition, a réuni les suffrages de l'assemblée, et Son Excellence, considérant les découvertes de M. Cessac comme un fait désormais acquis à la science, a demandé pour l’auteur une salve d’applaudissements, qui lui a été hibéralement accordée par tous les auditeurs. Le samedi 7 avril a eu lieu à la Sorbonne, sous la présidence de S. Exec. M. Duruy, ministre de l'instruction publique, la dis- tribution des récompenses accordées aux Sociétés savantes des départements, à la suite du concours de 1865. Après le discours de Son Excellence le Ministre, MM. L. Re- nier, vice-président de la section d'archéologie du Comité des travaux historiques, Léopold Delisle, membre de la section d'histoire, et Blanchard, secrétaire de la section des sciences, ont successivement lu leurs rapports sur les travaux scientifiques et littéraires de 1865... MM. Blanchard et Hippeau ont ensuite proclamé, dans l’ordre suivant, les récompenses accordées à la suite du concours : SECTION DES SCIENCES. Aucun sujet n’était mis au concours; le Comité a choisi parmi les membres des Sociétés savantes les auteurs des travaux les plus remarquables publiés en 1865. Une médaille d'argent est décernée à : M. Grenier, de la Société d'Emulation du Doubs, à Besançon : travaux relatifs à la flore de la France. — 190 — Une médaille de bronze est accordée à chacune des Sociétés ci-dessus désignées, pour être déposée dans ses archives. . . L . . . L . . . . . . L . . . . . L . . . L L2 . . . . . . . Rapport sur les travaux scientifiques des Sociétés savantes, publiés pendant l’année 1863, par M. Emile BLANCHARD. Messieurs, Il est impossible de jamais mieux apprécier l'excellente inspi- ration qui a produit le Comité d?s sciences et l'usage de rendre compte des travaux publiés par les 1mbres des Sociétés savantes, qu'après un examen général des ouvrages les plus recomman- dables reçus des diverses parties de là France pendant le cours d'une année. Au premier aborü, la dissémination présentant une certaine difficulté pour embrasser l'ensemble d’un coup d’æil, une crainte saisit : celle d’avoir peu de chose à signaler. Après avoir rapproché les mémoires venus de la plupart de nos dépar- tements, on s'étonne presque, alors, de posséder une réunion de travaux qui témoignent d’une activité toujours grande, d'efforts digaement soutenus, de talents tous les jours plus manifestes. Si nous nous transportons à Besançon, nous y trouverons un botaniste dont les travaux descriptifs, dont les études persévé- rantes et consciencieuses ont eu pour objet d'arriver à une con- naissance très complète de la flore de la France. C'est M. Charles Grenier, de la Société d’Emulation du Doubs, dont l'ouvrage en trois volumes qu'il a publié en commun avec M. Godron, de l’Acacadémie de Stanislas de Nancy, est entre les mains de tous ceux qui s'occupent de nos végétaux indigènes. Ayant repris un point spécial, M. Grenier vient de commencer à mettre au jour une Flore des montagnes jurassiques. Après tant d’explorations de la part d’u°e foule d’observateurs habiles, après la multipli- cité des ouvrages et des mémoires destinés à faire connaître les — 191 — plantes de notre pays, bien des personnes assurément s’ima- ginent que tout doit être à peu près fini de ce côté. Il n’en est rien cependant, et 1l faudra du temps pour en arriver à un résultat jugé définiuf. La difficulté est aisée à comprendre. Il existe des espèces assez voisines les unes des autres pour rendre les distinctions embarrassantes; il y a surtout les espèces qui varient suivant le chmat, suivant l'altitude, suivant la composi- tion chimique du sol, et ces infinies variétés ont pu être consi- dérées comme des espèces particulières par certains botanistes, très passionnés pour les plus minutieuses distinctions. Ceux-là se montrent d'une générosité magnifique, quand il s’agit de grossir l'inventaire des plantes qui croissent sur notre sol. D’autres botanistes, à la vérité, se récrient contre une pareille tendance ; mais le moyen de décider si une différence appré- cable caractérise une espèce ou n’est que le signe d’une influence locale! Il y aurait pour chaque cas particulier un moyen propre à décider la question, assez simple, mais fort difficile à mettre en pratique; il s'agirait de transporter les graines prises sur le même pied dans tous les sols de la plame et de la montagne, dans nos départements du nord et du sud, pour déterminer l'étendue des variations de l'espèce végétale, mais la nécessité de perpétuelles pérégrinations pour suivre les observations est un grand obstacle. C’est pourquoi, bien longtemps encore, la - flore de la France donnera lieu à d'immenses recherches et à d'interminables discussions. MM. Godron et Grenier ont montré, de l'avis général, beaucoup de discernement dans leur appré- ciation de la valeur des caractères spécifiques, dans l’ouvrage qui leur est commun; M. Grenier a fait preuve de la même qualité dans sa nouvelle Flore. Une médaille d'argent lui est attribuée. A9" Compte-rendu détaillé des lectures faites à la section d'archéologie, par M. CHABOUILLET, secrétaire de la section. . . . . . . . L . . L . . L . L . . . . . . . 0 L . os . . . . CR] SÉANCE DU # AVRIL 1866. M. Castan, membre de la Société d'Emulation du Doubs, donne lecture d'une Âfonographie du palais Granvelle à Besan- con. Construit entre les années 1532 et 1540, sur le modèle de la plupart des palais italiens de cette époque, par le garde des sceaux de Charles-Quint, Nicolas Perrenot de Granvelle, père du célèbre cardinal de ce nom, ή palais Granvelle est un des plus nobles ornements de la capitale de l’ancienne comté de Bourgogne. M. Castan ne s’est pas contenté de décrire ce bel édifice, il en a aussi déroulé le; annales, et a même énuméré la plupart des trésors d'art et d’érudiion qui en firent longtemps comme le musée de la cité. Il est rare qu'avec les années la disposition d’un monument ne se modifie pas sensiblement; cela est surtout vrai des habitations privées : aussi a-t-on écouté avec un intérêt marqué les pages dans lesquelles M. Castan nous a fait connaître l’état du palais Granvelle à la fin du xvr° siècle. C’est à une relation du voyage des ambassadeurs suisses qui se rendaient auprès de Henri IT, en 1582, pour renouveler les traités entre les Cantons et la France, que M. Castan a emprunté les plus curieux détails de son mémoire. On remarquera dans l'intéressant récit de ces voyageurs, si heureusement exploité par le savant comtois, la mention d’une figure de Jupiter en marbre blanc, provenant de la Vigne des Médicis à Rome, qui avait été donnée, en 4541, à Nicolas Perrenot par Marguerite d'Autriche. Cette statue, qui figure aujourd'hui dans le musée du Louvre ('}, après avoir été placée dans la cour d'honneur du @) 11 s'agit d'un Jupiter en marbre de Carrare, sans bras ni jambes, dont Boettiger a fait un si magnifique éloge dans sa Mythologie de l'art. Du temps de Montfaucon, cet antique, placé sur une gaine et transformé — 193 — palais Granvelle, fut plus tard transportée dans les jardins, où Caroline d'Autriche, fille naturelle reconnue de l’empereur Ro- dolphe IT et femme d'un arrière-petit-fils de Nicolas Perrenot, lui donna pour pendant une Junon de marbre, également rap- portée de Rome par le garde des sceaux de Charles -Quint. Chifflet, cité par M. Castan, a parlé avec enthousiasme des ta- bleaux d'Albert Durer, de Michel-Ange, de Raphaël et de Martin de Vos, qui peuplaient le palais Granvelle, où résida longtemps le gouverneur de la province. En 1864, la ville de Besançon a acquis la propriété de ce mo- nument'historique moyennant une somme de 350,000 fr. C’est là une op‘ration qui, comme le dit très bien M. Castan, fait le plus grand honneur au conseil municipal de la cité ainsi qu'au maire -actuel, M. Clerc de Landresse. « Les destinées futures du palais Granvelle, dit M. Castan en terminant, peuvent se déduire de ses annales. N'est-ce pas là qu'est née notre bibliothèque, qu'ont été réunis les plus précieux joyaux de nos musées, qu'ont vécu et prospéré nos plus an- ciennes Sociétés savantes ? Ces divers services, aujourd'hui disséminées, gagneraient beaucoup à être rapprochés et à vivre dans une atmosphère imprégnée de glorieux souvenirs. » Nous ne pouvons qu'applaudir aux vues de M. Castan et souhaiter que l’état des finances de cette ville, patrie de tant d'hommes éminents dans les lettres, les sciences et les arts, lui permette bientôt d'installer dans le palais des Médicis de la comté les a — ————————— — —— — — ——— —————"Î# — —— — © ————————_— —— — ——— ——————————— — —————— ————————————————————— en Hermès par le sculpteur Drouilly, se voyait dans les jardins de Versailles, à l'extrémité d'une allée descendant au Château d’eau, où il fut pendant plus d'un siècle exposé aux intempéries de l'air. C'était (disait-on) un présent que Messieurs du corps de ville de Besançon avaient fait à Louis XIV au moment de la conquête de la Franche-Comté. L'auteur de l’Anguité cxpliquée nous apprend que Madame, mère du Régent, avait attiré son attention sur ce précieux morceau qu'elle s’efforça de soustraire aux dangers de la place où on le laissa si longtemps. On peut en voir la figure d'abord dans Montfaucon, Antiquité expliquée, tom. I, p. 48 et 49, pl. xvi1; puis dans Clarac, Musée de sculpture, t. 111, p. 40, pl. cecxn, no 682. 13 — 194 — divers musées dont elle s’honore. En attendant, un premier pas vient d'être fait dans la voie d’une restauration du palais Gran- velle, et ce premier pas, Besançon le doit à la patriotique libé- ralité de son savant et regretté bibliothécaire, Charles Weiss, le doyen et le modèle des bibliothécaires, qui, par une disposition testamentaire, a affecté une somme de 30,000 fr. à l’érection d’une statue du cardinal de Granvelle, laquelle, selon ses inten- tions, vient d’être commandée à M. Jean Petit et est destinée à décorer la cour du palais. SÉANCE DU 6 aAvriL 1866. M. J.-B. Cessac, membre de la mission des fouilles du Puy- d’'Issolu, a fait, en présence de Son Exec. le Ministre de l’instruc- tion publique, qui est venu présider à ce moment la séance, un lucide exposé de la question de l'emplacement d'Uxellodunum, ainsi que le récit des fouilles exécutées à Puy-d’Issolu, tant par lui-même et avec ses propres ressources qu'au moyen de fonds votés par le conseil général du Lot, et enfin avec la coopération d'officiers chargés d’une mission dans ce département par l'Em- pereur. La publication du tome IE de l'Histoire de Jules César, sur- venue depuis la séance du 6 avril 1866, donne un intérêt d’ac- tualité particulier à cette question, qui paraît résolue, puisque l'opinion soutenue par M.J.-B. Cessac, et adoptée par l'Empereur, a été applaudie par lassemblée tout entière, et en consé- quence proclamée par M. le Ministre comme définitivement acquise à la science. Sans analyser la chaleureuse exposition de M. J.-B. Cessac, qui, sur notre demande, a bien voulu en rédiger le sommaire pour le volume des lectures de la Sorbonne, Je renverrai au livre dont j'ai cité le titre tout à l'heure; indépen- damment d'un historique de la question résumé en quelques pages, avec la magistrale concision qui caractérise l’auguste écrivain, on y verra que c’est bien à M. Cessac qu’on doit le mot de cette énigme topographique qui à produit presque autant — 195 — d'opinions diverses que celle de l'emplacement d’Alesia. Uxello- dunum, l’oppidum assiégé par César dans la campagne de l'an 703 de Rome, était sur le plateau nommé Puy-d'[ssolu et même d'Issolud, dénominations évidemment dérivées du nom gaulois, et, comme l’a dit l'Empereur, « la découverte la plus intéres- sante est celle de la galerie souterraine |‘). » Or cette découverte est une de celles que l’on doit à M. Cessac, qui a également re- trouvé la fontaine dont parle Hirtius; et ce sont surtout ces deux traits saillants du récit du continuateur de César, qui ont fait cesser les hésitations de la science. M. Cessac, à l'appui de sa démonstration, a pu montrer à l'assemblée des photographies de la localité, ainsi que divers fragments d'armes, de poteries, mais surtout les étais de la galerie souterraine creusée par les Romains. Ces divers objets, qui appartiennent aujourd'hui au musée de Saint-Germain, avaient été mis à la disposition de M. J.-B. Cessac, par ordre spécial de l'Empereur, et expressé- ment pour qu'ils fussent portés à la connaissance de MM les délégués des Sociétés savantes. Après le témoignage si honorable pour M. J.-B. Cessac que nous venons de citer, après les félicitations adressées au zélé et patient explorateur du Puy-d’Issolu par M. le Ministre de l'Ins- truction publique, après les marques non équivoques et una- nimes de l'adhésion de l'assemblée à ces félicitations, ilne me reste, pour conclure, qu'à rappeler, sinon les termes eux-mêmes dont s’est servi M. V. Duruy, au moins le sens de son allocution que je retrouve dans ma mémoire : « Vous avez lutté longtemps et avec persévérance, Monsieur, mais ce qui n'arrive pas toujours aux chercheurs les plus infatigables, alors même qu'ils sont dans la bonne voie, vous avez trouvé et tout le monde en convient. C'est là un rare bonheur, et je vous en félicite sincèrement. » E . . . . . . . . . . . . . . . EL . . . . . . . . . . . . M) Histoire de Jules César, t. IT, p. 345. — Voyez aussi dans cet ou- vrage, à la même page, cette note qui se rapporte à la découverte de la galerie : « Elle est due aux recherches persévérantes de M. J.-B. Cessac, assisté, plus tard, par la commission départementale du Lot. — 196 — Compte-rendu détaillé des lectures faites à la section d'histoire et de philologie, par M. Hippeau, secrétaire de la section. L . . e L 0 L . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . M. Drapeyron, professeur au lycée impérial de Besançon, membre de la Société d'Emulation du Doubs, a examiné quel a été le rôle de la Bourgogne sous les Mérovingiens. La Bour- gogne, se trouvant à la fois en contact avec l’Austrasie et avec la Neustrie, a eu naturellement de nombreuses relations avec ces deux pays. Au moment de l'invasion des Barbares, la région de la Saône et du Rhône était, de toutes les contrées transalpines, la plus profondément pénétrée de la civilisation romaine et de la religion chrétienne, double fait qu’il est impor- tant de noter, et qui sert à expliquer l’époque mérovingienne tout entière. Les Burgondes, en s’établissant dans cette contrée presque aussi romaine que l’'ftalie, lui donnèrent leur nom, mais subirent l’action irrésistible d’une civilisation supérieure. Hs ne fondèrent rien de durable dans le pays policé des Eduens et des Séquanes. M. Drapeyron établit une différence capitale entre la partie méridionale et La partie septentrionale de la région dont il s'oc- cupe : le bassin du Rhône, surtout à partir de Lyon, conserva, au milleu des révolutions qui se succédèrent, le caractère romain dans toute son intégrité; dans le bassin de la Saône, les (Ger- mains se mêlèrent aux Romains. Chalon, Autun, Mâcon, villes : moitié franques et moitié romaines, servirent aux rois mérovin- giens de postes d'observation contre la province. Prise dans son ensemble, la Bourgogne ne présente à aucune époque lépou- vantable chaos dont l'Austrasie et la Neustrie offrent le spectacle : elle les modéra longtemps, au contraire; elle chercha à faire prévaloir les idées d'ordre empruntées à la Rome impériale et les idées morales de l'Evangile. M. Drapeyron, recherchant ensuite les causes qui amenèrent la chute du royaume des Burgondes, dégage et met en lumière — 197 — plusieurs points qui, dans la confusion étrange de cette époque, ont échappé à la plupart des observateurs. Ces points qu’il traite successivement sont : 4° le Compromis gallo-franc ; 2° l'Essai de restauration romaine ; 3° l'Organisa- tion de la conquête chrétienne; 4° la Tentative de tyrannie im- périale ; 5° la Coalition ecclésiastique d’Autun et de Marseille. Chacune de ces parties du mémoire donne lieu à des remarques judicieuses et à l'appréciation du caractère des principaux per- sonnages mis en scène, Brunehaut, Mummol et Gontran. L’au- teur termine cet exposé par le tableau de la barbarie gagnant chaque jour davantage et finissant par ôter à la Bourgogne ses traits distinctifs, c’est-à-dire son rôle modérateur et conciliateur. . . . L . 0 . L . . . . . . . L . . L . 0 . . . . . E . . . . . , CHARTE D'AFFRANCHISSEMENT DE LA VILLE ET DE LA SEIGNEURIE DE GY (Franche-Comté) . PUBLIEE, AVEC UNE INTRODUCT'ON ET DES NOTES, Par M. Auguste CASTAN. Séance du 11 août 18658. On a considéré longtemps les chartes de commune et d’af- franchissement comme des concessions libérales et gratuites de la part des seigneurs; mais depuis qu'une méthode vraiment scientifique, qui sera l'honneur de notre époque, préside à l'étude de l’histoire, toutes ces illusions se sont évanouies. Après les immortels travaux de M. Guizot et d’Augustin Thierry, il n'est plus permis de chercher le mobile de ces actes en dehors d’une contrainte résultant de la rébellion, ou bien encore d'une spéculation intéressée du seigneur espérant, par le fait de l'accroissement du bien-être des classes inférieures, élever Le chiffre de la population de son domaine et le faire ainsi produire davantage. Cette dernière vérité n'apparaît nulle part aussi palpable que dans la charte d’affranchissement de la terre de Gy, en Franche- Comté, donnée par l'archevêque de Besançen, Hugues de Vienne, le 4° avril 1348. Le prélat y pense tout haut; ilest curieux de l'entendre sup- puter un à un et savourer d'avance tous les profits qui résul- — 199 — teront pour son siége de l’affranchissement qu’il va décréter : Pyrrhus, Pichrochole et la laitière de la fable n’ont pas poussé plus loin la naïveté. | Il a le projet d’entourer la ville de Gy de remparts, afin de s’en faire un refuge dans le cas où lui et ses successeurs seraient menacés; mais pour cela il lui faut obtenir 400 livres des habi- tants de la terre de Gy, et ceux-ci, qui voient dans la forteresse future un élément de sûreté pour le pays, lui promettent cette somme s'il les affranchit de la condition mainmortable. Et ces habitants, devenus ainsi capables de disposer de leurs biens par testament, on les verra travailler avec bien plus de courage, se marier plus volontiers, attirer sur le territoire archiépiscopal leurs voisins et même des gens de très loin : et dès lors la terre de Gy se défrichera et se couvrira de maisons, les impôts y se- ront plus considérables et se paieront sans difficulté, les contrats y deviendront plus nombreux et de plus grande conséquence pour la caisse du seigneur. Que sont, en comparaison de ces bénéfices, les échutes provenant de la mainmorte? fort peu de chose, puisque le seigneur les abandonne le plus souvent à ses serviteurs ou en fait des aumônes, ce qui amoindrit son do- maine, car les biens ainsi relâchés sont dégrevés de servitudes. Une autre perspective qui réjouit l’archevêjue, c’est qu'il pourra amener de l'eau dans les fossés du bourg de Gy, dans cette eau mettre des poissons dont la vente lui rapportera bien dix livres de revenu, puis au débouché du courant établir des moulins qui lui vaudront beaucoup d'argent. Pour ces motifs, l'archevêque, d'accord avec son chapitre métropolitain, déclare la mainmorte abole dans la terre de Gy. Auparavant, les biens de ceux qui mouraient ne pouvaient ar- river qu'à leurs enfants légitimes, et encore fallait-1l que ces enfants n’eussent pas abandonné la communauté paternelle ; autrement l'héritage échéait au seigneur, et les parents, de quelque degré qu'ils fussent, n’y avaient aucune part. Désor- mais, au contraire, les successions seront régies par le droit des hommes libres : les biens propres, c'est-à dire ceux qui provien- — 900 — nent de la famille, iront aux parents les plus proches, et quant aux acquets, c’est-à-dire aux biens résultant du travail personnel, le possesseur, s’il n’a pas d’héritiers à réserve, pourra les desti- ner par testament à qui bon lui semblera; mais nul ne sera admis à succéder s'il n’est habitant de la terre de Gy. Sont toutefois exceptés de l’affranchissement les bâtards et les aubains : les uns n'ayant pas de parenté légitime, et les autres étant arrivés trop récemment dans la seigneurie pour y avoir domicile. L’ar- chevêque se réserve en outre les impôts ordinaires et extraor- dinaires qu’il avait coutume de percevoir sur ses sujets. La charte d’affranchissement de Gy, le témoignage le plus explicite d’un revirement d'idées qui donna naissance à la plu- part de nos bourgs ruraux, n’est cependant connue que par les courtes citations qu’en ont faites Perreciot (!}, puis MM. Edouard Clerc (?) et Tuetey (*), d'après des copies excessivement fautives Nous avons pensé qu'elle méritait une édition complète et cor- recte : celle qui suit est une reproduction de l'original qui existe aux archives de la ville de Gy. « In nomine Domini. Amen. Nous Hugues de Vianne, par la grace de Deu et du siége de Rome arcevesques de Besançon (‘)}, façons savoir à touz que come li homes et li habitanz de nos villes de Gy, de Bucey et de toute la poestey de Gy ), en non () De l'état civil des personnes et de la condition des terres dans les Gaules, t. I, pp. 403, 508-509; t. II, pp. 427-428. (?) Essai sur l'histoire de la Franche-Comté, t. TI, pp. 89-90. (5) Etude sur le droit municipal en Franche-Comté, pp. 21-23. (4) Hugues de Vienne, grand-oncle du célèbre amiral français de ce nom, était doyen du chapitre quand les suffrages des chanoines l'élurent arche- vêque de Besancon, en :334. Son poutificat fut agité par les usurpations des seigneurs voisins sur le monopole monétaire qui appartenait à son siége, puis par la rébellion sanglante de l'aristocratie frane-comtoise contre le duc Eudes qui était devenu souverain des deux Bourgognes. 11 mourut le 12 mai 1355. ” (5) La seigneurie (poestey) de (ry se composait de la bourgade de ce nom et de quatre villages voisins : Bucey, Vantoux, Vellefrey et Citey. Cette terre était le principal domaine des archevêques de Besarçon; on les en — 201 — de nostre inglese et du siége de Besançon, devaut le temps de la confection de ces présentes lattres, fussent à nous, en non que dessus, taillable, expiectable, de toute serve condution et de main morte, nous, per graat consoil et per mehure délibération, reguerdé et considérey les très grant et évidant profist de nous, de nos successours arcevesques de Besançon, de nostre inglese et siége de Besançon, des diz homes et habitanz de Gy, de Bucey, de la poestey et de toute la terre d'ycelx dessus diz, pour plusours roisons efficalx nous à ee movenz : prumerement pour ce que nous avons intention et voluntey de fermer ladicte ville de Gy et faire forterace sehure pour et en laquelle li home et habitanz de Gy, de Bucey et de toute la poestei de Gy met- tront et doivront mattre et contribuir quatre cenz livres d’este- venans; item, le leu affranchy de main morte, Ni voisins pru- chains et li lointeis plux volutiers et à plux [grant] seurtey de cuer et de corps pour lour et pour lour hoirs attrairont à Gv pour cause de la franchise et de la forterace lour corps et lour biens, et lour filz et lour filles et lour parenz marieront, ce que il ne voloient devant pour la main morte; item, considerey le leu et le pays, ceste franchise de main morte establie et nottfié, la ville de Gy seray grandement amandée, deanz brief terme, enforcié et publié, afim que senz grevance la justise et 1 menuz droiz du seignour vadray mehuz que maintenant li groz (); item, pour cause de bons terretoires que sont ès finaiges de Gy, de Bucey et de la poestey, les terres à présent vacant non cul- tivées, lou leu afranchy de main morte, se planteront et édiffie- voit saisis dès le x1e siècle : dans deux diplèmes de cette époque (1049 et 1092), Gy est appelé Judicium. (CF. Duxon, Histoire du comté de Bourgogne, t. 11, p. 599, et Histoire de l'église de Besancon, t. 1, pr., p. 42.) (:) Voici comment nous interprétons ce dernier membre de phrase : .... la ville de Gy serait, dans un bref délai, grandement: améliorée, fortifiée et populeuse, de sorte que, sans accroissement de charge pour le seigneur, la justice et les menus droits y vaudraient mieux que ne valent mainte- nant les gros droits. — Les gros droits étaient les droits certains, analogues à nos impôts actuels; les menus droits étaient les droits éventuels, comme les amendes, l'enregistrement, les frais de procédure, ete, — 9202 — ront, pour quoy li droiz du seignour seray crehuz et multipliez; iéem avec ce que la ville de Gy seray amandée de rentes et de revenues, seray li inglese et li siéges enforcié de genz qui attrai- ront lour et lour biens; item cil de morte main, pour ce qu'il ‘sont de ceste condition, sont remis et négligenz de travaillier, de édifier et de bien faire, en disant que il travaillent pour atruy, et pour ceste cause il gastent le lour et ne lour chaut que lour demoroit (!), et se il estoient certain qui demorest à lour pro- chains il se travailleroient et acquerroient de grant euer et de bone voluntey, sy seroient pussant, don li sires vaudroit mehuz, et quant il s’en voudroit aidier il an trairoit plux par grace qu'il ne fait à présent par devoir, outre les certainnes rantes et yssues; ilem ces eschoites de main morte (?) sont de petite valour à sei- gnour, quar quant elles y veignent, pour la plux grant parte il convient que li sires les donoit à ses servanz ou per prohières as autres, et per ensinc il n’am vaut mehuz, et par ces donations les prises, les tailles (*) et li autres droiz du seignour s’en © © © 2 © (1) .…. et ne lour chaut que lour demoroit, c'est-à-dire : et peu leur importe ce qui leur restera. (?) Les échutes (eschoiles) de main-morte étaient les héritages qui arri- vaient au seigneur par le décès des mainmortables qui ne laissaient pas d'enfants ou dont les enfants avaient cessé de partager leur domicile. (3) Les prises et les tailles étaient deux formes de l'impôt foncier dans la terre de Gy : les tailles étaient annuelles et les prises ne s’exerçaient que tous les trois ans; certaines propriétés étaient sujettes aux tailles, tandis que d'autres ne supportaient que les prises. Un siècle après l'affran- chissement que nous rapportons, les taiiles et les prises étaient encore à la volonté de l'archevêque, qui cependant tenait compte dans ses exigences du produit variable des immeubles. Une fois le chiffre fixé par l’arche- vêque, les habitants demeuraient chargés de la répartition; ils remettaient ce travail, sous forme de rôle, au receveur du prélat, et cet agent percevait sur chacun en deux termes : s’il y avait des insolvables, leurs quote-parts étaient acquittées par la masse des imposés. Les principes d'association communale ayant fait du chemir, la population de la terre de Gy fut un jour assez forte pour réclamer et obtenir la cessation de ce mode arbitraire d'impôts : les conditions d’un abonnement furent débatiues avec l’ar- chevêque Quentin Ménart et arrêtées par un contrat du 15 septembre 1454. En vertu de cet acte, les tailles et les prises furent confondues en une seule redevance anvuelle et fixe de 350 francs, qui dut se répartir, — 203 — amoindrissent, quar cilz eui li sires les donne vuillent tenir fran- chemant seaz riens palier, et ansine li autres demoranz ne poent paier les débites (‘) ; êtem se li habitans estoient riches, il feroient plus granz contralz que maintenant, don li sires vaudroit mehuz et plux grossement que devant; item en enforcent la dicte ville et ancroissent les foussers commenciez deviron la ville de Gy, li quelx foussers en fonz et an rive seroat et demorront perpétuelment à siége de Besançon et qui seront touz Jours plains de aigue vive, pour cause de la lontey de l’ague (?) et du fonz où elle serayt, li poissons pourroit valoir chascum am l’un parmi l’autre dix livrées de terre {*) et plux, la quel chose est bien nécessaire au siége de Besançon, comme il ait petit de revères et riens de estanz, et si pourroit l’on faire et édiffier molins qui seroient de grant profit au seignour; item en brief temps li leux seroit à ce fors, fers, granz, receptables et guerniz que, ou caux que besoins seroit, li seignour de l’inglese de Besançon se pour- par les soins des habitants, sur tous les immeubles roturiers de la terre de Gy : la ville fournissait à elle seule 175 francs de cette somme. () Pour comprendre cette phrase, il faut se rappeler que le seigneur héritait du passif aussi bien que de l'actif du mainmortable dont la suc- cession lui arrivait. S'il concédait le produit d'une échaute à ses serviteurs, les dettes du défunt lui incombaient ; si, au contraire, il renoncait simple- ment à exercer son droit, les proches devenaient héritiers et se trouvaient chargés des dettes. (?) Pour cause de La lontey de l'ague : per causam longiludinis aquæ. Le territoire de Gy n'a, en fait de cours d’eau, qu'un mince ruisselet appelé la Morte ; il est séparé de la Saône par environ quatorze kilomètres et de l’'Ognon par une distance de douze : de là cette difficulté qu'il y avait au moyen âge de s'y procurer du poisson, difficulté telle que Charles-Quint, par lettres-patentes du 13 mai 1531, crut devoir reporter du samedi au lundi suivant trois des foires de la petite ville, « à cause qu'il n’y a rivières prochaines dudict lieu de Gy pour recouvrer poisson, » et alimenter con- venablement les marchands aux jours d'abstinence (5) « La livrée fut dans l'urigine, comme elle l’a été ordinairement depuis, une certaine quantité de terre qui devoit produire uue livre de rente ; de sorte qu'en supposant l'intérèt au denier vingt, il falloit un fonds de terre de vingt livres en principal pour asseoir la rente annuelle d'une livre. » (D. GRAPPIiN, Recherches sur les anciennes monnoies du comté de Bourgogne, p. 29.) roient retraire ségurement (!) et à honour, s’il lour avenoit caux nécessaire, si come il fait ès autres collèges senz cause; et pour ces causes dessus dictes et pour plusours autres efficaux et roisenables, de l’expreis consentement et voluntey de honorables et discrètes persones le doyen et lou chapitre de ladicte inglise de Besançon, nous, pour nous et pour nos successours arce- vesques de Besançon, de certainne science, non par force, par pahour, par fraude ou par décevance à ce menez, les dictes villes de Gy et de Bucey et de toute la poestey de Gy et tous les finaiges et terretoires d’ycelx, maix, meisons, plactres, places, cultiz, vergiers, vignes, nreelz, champs. chenevières, oïches et terres, touz les homes et fomes, habitanz et demoranz par le temps présent et par le temps avenir, dois maintenant, perpé- tualment et héretablement, avons affranchy et affranchissons par ces présentes lattres de toute main morte et de toute la servitude de main morte, excepté ce saul que les bestars et les aventuz que l’on appelle espaves (?) desquelx li mains morte seray et davray demorer à nous et à nos successours, en tel menière que dès hoir en avant, la dicte main morte du tout en tout ostée, effacié et subtoliée, li homes et les fomes habitanz et demoranz ès diz leux de Gy, de Bucey et de toute la poestey de Gy, par le temps présent et par le temp savenir, dès hoïr en avant, perpétuelment, de hoiïr en hôir, pussent faire hoirs hun ou plusours de celx ou de celui qui lour plairay, qui soient de nos diz leux de Gy, de Bucey ou de la dicte poestey, en touz lour biens mobles et heretaiges, et que la succession des tres- @) C'est-à-dire : le lieu serait à ce [point] fort, fier, grand, habitable et pourvu, que, en cas de besoin, les seigneurs de l’église de Besancon s'y pourraient réfugier sûrement... @) Ce nom d'espaves donné aux étrangers (aventuz) est un iudice des idées de mesquine défiance qui régnaient au moyen-âge. L'étranger, comme le bâtard, était homme de main-morte, c'est-à-dire incapable de tester, et s’il décédait sans laisser d'enfants en communion avec lui, ce qu'il laissait appartenait au seigneur de la terre où il était mort. (Cf. PERRECIOT, De l'élat civil, t. 1, pp. 465 et suiv.) Le — 205 — pessens ou du trespessent de cest siègle viegne, reschiesse {!), encontinent après la mort d'eux, à ces ou à celui qui seray plux pruchains ès greyz de lignaige du trespessey demorent et facent mansion ès diz leux de Gy, de Bucey et de la dicte poesteï, senz ce que nous ou nostre successour arcevesques de Besançon puis- siens ou doigiens riens demander ou réclamer ès biens du tres- pessey ou en la succession et eschoite d'iceluy pour cause de main morte, sauf que de bestars et espaves; touz autres droiz, toutes autres servitutes, toutes Justises altes et besses, toutes amandes grosses et petites, tailles, prises, aydes, corvées, censes, rentes, exactions ordenaires et extraordenaires et toutes autres chacuses que nous, en non que dessus, aviens, pouhiens et doiviens avoir devant la confection de ces présentes lattres, pouhons et devons avoir ès diz leux de Gy, de Bucey et de la poestel de Gy et ès homes des diz leux, per ensinc com nous les aviens devant ceste franchise de main morte, demorant à nous et à nos successours arcevesques de Besançon perpétuelment en pais et en repox, sen mattre ascum impachement quel qu'il soit. Et ceste présente franchise et cest affranchement de main morte ensince fait, ostel, affecié et subtolley toutes les choses contenues en ces présentes, nous, pour nous et pour nos SuCCessours arce- vesques de Besançon, avons promis et promettons en bone foy et en parole de prélet, fermement tenir, garder, acomplir et non mie venir encontre par nous où par autruy, par fait ou par parole, tafsiblement ou expressément, ne consentir que autres y veigne, et que nous ne avons fait ne ferons chose par quoy toutes les choses contenues en ces présentes lattres ne soient et demoroient perpétuelment en lour force et en lour vertuz, subz expresse obligacion général et expécial de nous et de nos successours arcevesques de Besançon et de touz nos biens et de tous les biens du siége de Besançon, lesquelx dès maintenant nous obligeons par ces présentes lattres par tant comme droiz puet soflrir et sustenir, toutes exceptions de fait, de droit, de us, (1) Reschiesse, retourne, — 206 — de costume, de statuz, de graces, de privilèges et de indulgences données et à donner cessent et arrier mises, ès quelles nous, pour nos et pour nos suceessours arcevesques de Besançon, renonçons en cest fait en bone foy; et volons que ces présentes lattres et toutes les choses contenues en ycelles aient force et vigour perpétuel senz corrompre. Et avons volu et outroié, pour nous et pour nos successours, et voillons et outroions par ces présentes lattres que li diz seignours de nostre inglese de Besan- çon, ensamble ou deviséement, aient, pussent et doient avoir deanz la ville et ledit boure de Gy ensinc fermey lour recept et lour demorance, toute foiz et quante foiz comme il lour plairay et besoins et nécessitelz lour seray, à lour messions et despens. En tesmoingnaige de laquel chos?, nous avons fait mattre nostre grant seel et lou seel de nostre court de Besançon pendenz en ces présentes lattres; et pour plux grant seurtel avoir, nous ayons requis et priey à honorables persones et discrètes le doyen et le chapitre de nostre inglese de Besançon que il, en tant comme il lour appartient, puet et doit appartenir, se vuillient consentir ès choses dessus dictes et ycelles louher, approver rattiffier.et confermer (1). Et nous Jehans de Courcondray [*}, doiens de l’inglese de Besançon, et touz li chapitres de cest meisme leu, considérel et regardel ès choses dessus dictes le grant et évident profit du siége et de l’inglese de Besançon, à la requeste du dit monseignour l’arcevesque de Besançon, à la dicte franchise et à l’affranchissement de la dicte main morte, à toutes les choses contenues en ces présentes lattres et à une chascunne d'ycelles, en tant comme y nous toiche et appartient, puet et doit toichier et appartenir pour cause de l’inglese de Besançon, ) Le chapitre de Saint-Etienne, l’une des deux branches du chapitre métropolitain de Besancon, avait eu, dans sa dotation, quelques-uns des manses de la terre de Gy (Dunon, Hist. de l’église, t. 1, pr., p. XLIN) : ainsi s'explique l'intervention du chapitre dans notre charte. (*) Jean de Carcondray fut élevé de la fonction d’écolâtre à la dignité de doyen du chapitre en 1335; il conserva ce poste jusqu'à sa mort arrivée le 18 février 1360. — 207 — nous sumes consentiz et nous consentons et ycelles louhons, approvons, ratiffions et confermons par ces présentes laitres, et promettons en bone foy que nous ne venrons encontre; et en signe de véritey et de confirmacion, nous ayons mis nos seels, ensemble le seel dudit monseignour l'arcevesque et du seel de la court de Besançon, pendanz en ces présentes lattres, que furent faites et données le prumier Jour du mois de avril l’'am mil trois cenz quarante et sept, selonc le setile de Besançon {!). » . () Comme il s’agit ici d'un acte essentiellement civil, la chancellerie archiépiscopale emploie, pour le dater, le comput ou style usité dans les actes civils à Besancon. La cour ecclésiastique, ou officialité, faisait com- mencer l’année au l'" janvier, tandis que l’usage général de la province était de la faire commencer à Pâques. Si le Ler avril de notre charte eût été postérieur à la fête de Pâques, il serait devenu inutile de préciser le comput dont on se servait; mais ce ler avril tombant avant Pâques, l'officialité l'aurait placé comme nous dans l’année 1348, tandis que, pour le populaire, on était encore alors, et jusqu'à la fête de Pâques, dans l’année 1347. çe * D’ARCON SA VIE ET SES ÉCRITS Par M. A. De ROCHAS D’'AIGLUN Capitaine du Génie. Séance du 10 novembre 1866. Naissance de d’Arcon (1733). — Sa famille. — Son enfance. — Son ad- mission (1754) et son séjour (1754-1756) à l’école de Mézières. Jean-Claude-Eléonor Le Michaud, qui devait illustrer le nom de d’Arçon, naquit à Besançon le 18 novembre 1733 {!). Son père, Jean-Claude-Joseph Le Michaud, écuyer, seigneur d’Arçon (?), était un avocat distingué, qui savait unir à la fruc- (4) Il ne fut baptisé que le 10 décembre 1735 à Pontarlier, résidence ordinaire de sa famille. Cette circonstance a induit en erreur quelques biographes sur la date et le lieu de sa naissance. [l eut pour parrain son grand-père, Jean-Claude-Eléonor Joly, seigneur de Mantoche, représenté par le chevalier d'Arcon, officier au régiment de Vermandois, et pour marraine dame Francoise Le Michaud, épouse du sieur Vannod de Sept- fontaines, représentée par demoiselle Angélique Le Michaud, sa tante. (?) La famille Michaud (ou Le Michaud), originaire de Chaux-Neuve, avait été annoblie, le 25 septembre 1699, par le cardinal d'Estrées, abbé de Ssint-Claude, en la personne d'Antoine Michaud, docteur ès-droits, issu d'une famille bourgeoise ancienne et honorable, et jouissant d'assez de fortune pour vivre noblement. Armes : d’or à trois feuilles de laurier de sinople posées 2 et 1. Le petit village d'Arcon est à cinq kilomètres de Pontarlier. Le général Michaud, qui a marqué dans les guerres de la Révolution, appartenait à cette famille. 14 — 210 — tueuse pratique du droit le culte désintéressé des lettres. Il disputa une chaire à Dunod, l'historien de la Franche-Comté, et a laissé quelques ouvrages manuscrits sur les coutumes juri- diques de la province. Sa mère, Marie-Magdeleine Joly de Mantoche, était la fille d’un président au présidial de Gray. Tous deux appartenaient à la petite noblesse qui, alternant entre l'épée et la robe, conservait au fond des provinces les anciennes traditions d'honneur et de vertu. Ils donnèrent à leur fils cette éducation première sans laquelle l'intelligence n’atteint Jamais son entier développement. Cadet d’une nombreuse famille, il fut destiné d’abord à la prêtrise, et l’on obtint même pour lui l’expectative d’un cano- nicat régulier à l’abbaye de Monthenoît; mais ses dispositions naturelles le portaient vers une toute autre carrière. À peine savait-1l écrire, que déjà 1l griffonnait sur ses cahiers des for- teresses et des citadelles; et une ardeur extrême pour tout ce qui avait rapport aux arts du dessin lui faisait quelquefois né- gliger les autres études, au grand désespoir de son père. Un jour on peignait son portrait en abbé : entre deux séances, l'artiste eut l'imprudence de laisser ses couleurs et ses pinceaux à portée de son modèle; quand il revint, 1l trouva la soutane remplacée par l’habit gris à revers de velours de l'ingénieur. Cette déclaration, pour être muette, n’en était pas moins élo- quente, et l'avocat d’Arçon était un homme trop intelligent pour s'opposer davantage à une vocation qui s’annonçait si nettement. Vingt ans plus tard, dans une province voisine, une circons- tance analogue marquait l'enfance d’un autre ingénieur destiné aussi à la gloire. On représentait une bataille au théâtre de Dijon : un tout petit garçon, assis sur les genoux de sa mère, suivait d’un œil ardent les évolutions des troupes; tout à coup il se lève et, interpellant celui des généraux qui avait conquis ses sympathies, il lui montre du doigt un rocher derrière lequel il pouvait masquer son canon. Cet enfant était Carnot, et ce cri la première révélation du génie qui devait organiser la victoire. L'ingénieur en chef de la Franche-Comté, allant en inspection — 211 — au fort de Joux, vit, à Pontarlier, le jeune d’Arçon, reconnut ses aptitudes et l’admit dans ses bureaux comme ingénieur volontaire. Trois ans après, il le fit recevoir à l’école de Mézières. On n’y exigeait point alors les preuves de noblesse. Ce ne fut qu’en 4781, sous le ministère de Ségur, qu'un généalogiste fut chargé, concurremment avec un membre de l’Académie des sciences, de l'examen des candidats; en sorte que les professeurs de l’école failirent se trouver un jour sans élèves, les nobles n'ayant point été trouvés assez savants et les savants pas assez nobles. En 1754, quand d’Arçon fut admis, on demandait seu- lement que le candidat fût d'une famille honorable et qu'il justifiât d’une certaine fortune : mesure excellente pour un corps où la probité et la délicatesse sont au moins aussi néces- saires que le talent [!). () Les ingénieurs jouissaient d'avantages de solde considérables par rapport au reste de l’armée. En 1796, le ministre de la guerre Pétiet, ayant à réorganiser le corps du génie, faisait remarquer, dans son rapport au Directoire, que le traitement de ce corps avait loujours été déterminé séparément d'avec celui des autres, et il présentait à l’appui de cette me- sure les considérations suivantes : « Le corps du génie réunit à la fois les fonctions d'artiste et de militaire. Sous ce premier rapport, son service exige de longues études et un travail continuel de cabinet, indépendamment des devoirs et des fatigues que le service militaire impose à tous les officiers de l’armée, — Ce corps est isolé et sujet à de fréquents déplacements individuels; il a par conséquent beaucoup moins de facilités pour exister ct se trouve obligé à beaucoup plus de dépenses. — Les officiers du génie ont une grande responsabilité de comptable, qui exige de leur part beaucoup de surveillance et une mo- ralité à toute épreuve : ils ont toujours professé les principes de la plus grande délicatesse ; il importe essentiellement de les y maintenir, et pour cela il faut les mettre à l'abri des besoins. — Le long espace de temps nécessaire pour former un bon ingénieur, et la difficulté qui en résulte pour effectuer les remplacements dans ce corps, commandent impérieuse- ment d'employer tous les moyens de conserver à ce service les hommes qui s’y sont consacrés, et qui généralement sont, par leurs talents, dans le cas de se livrer, plus aisément que les autres militaires, à une carrière plus lucrative. » Dans l'origine, les ingénieurs recevaient, outre le traitement de leur grade militaire, des appointements particuliers à leurs fonctions; ainsi, en — 212 — L'école de Mézières était alors à peine organisée. Un ingé- nieur de la place exposait, en quelques séances les grands prin- cipes de Vauban : le lever des plans, l'exécution des travaux de siége, l'étude du défilement, de la coupe des bois et des pierres occupaient le reste du temps des élèves. Cette instruction nous paraîtrait aujourd’hui bien incomplète; elle dut contribuer néan- moins, par son insuflisance même, au développement du génie de d’Arçon. Un enseignement très détaillé a souvent pour résultat de rendre l'esprit paresseux, en lui inculquant des types qu'il n’a plus ensuite qu'à appliquer presque mécaniquement. L'homme qui s’habitue à recevoir les opinions des autres, et ne s'occupe qu’à les retenir, finit par ne plus pouvoir combiner ses propres idées, ni se former des principes fixes et précis. Il D'Arcon lieutenant. — Il entre dans le corps réuni artillerie-génie au mo- ment de la fusion (1756). — À la séparation des deux armes (1758), il est envoyé sur les côtes de Bretagne. — Ses campagnes en Allemagne (1760- 1763). Après deux années passées à Mézières, d’Arçon fut nommé ingénieur ordinaire, au moment où l’on venait de prononcer la réunion de l'artillerie et du génie. 1757, au moment où d’Arcon sortit de l’école de Mézières, il touchait 240 livres par an comme lieutenant d'infanterie au régiment de Picardie, et 600 livres comme ingénieur de dernière classe. Cet état de choses subsista jusqu'en 1776; le comte de Saint-Germain, réorganisant le corps, fondit alors les deux traitements en un seul. A la suite de cette mesure, d'Arcon, qui recevait 350 livres comme capitaine d'infanterie et 1,600 livres comme ingénieur ordinaire de première classe, toucha 2.400 livres comme capitaine du génie de première classe. On voit, par ces chiffres, que ce n’est point à la suite de réorganisations successives que se sont élablies les inégalités que présente la solde du même grade dans les différentes armes, inégalités que des actes officiels qualifient d'anomalies, et qui ont du reste aujourd’hui à peu près complè- tement disparu: — 213 — Cette mesure avait pour motif apparent de détruire la rivalité des deux armes dans le service des siéges, et d'assurer des éco- nomies par la réduction de quelques doubles emplois; mais le vrai but de d'Argenson avait été de décapiter l'artillerie par la suppression de son grand-maître, comme déjà, en 1742, il avait décapité le génie en faisant disparaître la charge de directeur général des fortifications. La réunion n’avait point été concertée entre les officiers des deux armes : aussi ne se fit-elle pas sans secousse. Le général de Vallière, qui avait été mis à la tête du corps réuni, sous l’au- torité du ministre, acheva d'introduire la confusion, dans la vue étroite de prouver, disait-il, que tout artlleur valait un ingénieur. Au bout de deux ans et demi, l'artillerie et le génie furent séparés de nouveau; mais le Coup était porté, et les deux services restèrent dans les attributions du ministère de la guerre, pêle- mêle avec les vivres et les charrois. Cet essai avorté ne laissa pas que de produire des fruits utiles. D’Arçon put voir par lui-même combien cette fusion, habilement ménagée, pourrait être avantageuse; et quand, plus tard, elle fut de nouveau mise à l’ordre du jour, il en fut le plus ardent défenseur. Les armes savantes étaient du reste animées, à cette époque, d'un esprit de cachotterie aussi mesquin dans son but que funeste dans ses conséquences. Mineurs, artilleurs, ingénieurs, tous avaient leurs traditions secrètes : ici, c’étaient les manus- crits de Delorme, ou la fameuse instruction de Vallière; là, la gâche mystérieuse de Mézières (!}. De plus, on pensait généra- lement dans le génie qu’à chaque grade correspondait une dose d'instruction qu'il était bon de ne pas dépasser (?). La surveil- (:) Cette gâche ne fut d'abord qu'une collection de dessins, relatifs à la coupe des bois, que l'on distribuait aux élèves du corps du génie. Plus tard, on comprit sous ce nom tous les modèles du front dit moderne. (?) Voir à ce sujet le mémoire de Meusnier, cité page 588 du tome II de l'Aperçu historique d'Augoyat, et les Rapports du général Filley sur le LA — 914 — lance incessante des travaux, la tenue d’une comptabilité méti- culeuse, de longs dessins cent fois refaits pour des objets sans importance ou qu'on ne devait Jamais exécuter, mille détails enfin accumulés à plaisir, ne laissaient aucun relâche aux ingé- nieurs ordinaires. Les chefs du corps évitaient peut-être ainsi l'éclosion prématurée de quelques systèmes trop hâtifs; mais ils dévouaient à de stériles travaux les plus beaux moments de la vie, ceux où l’âme jeune encore est dévorée du feu sacré de ‘étude. Et quand enfin arrivaient les grades supérieurs, l'esprit, refroidi par l’âge, rétréci par la contemplation des détails, ne pouvait plus que se traîner terre à terre dans la pâle imitation des œuvres du grand fondateur. Grâce à la perturbation momentanée que produisit la réunion, d'Arçon put échapper dans ses débuts à ces influences alourdis- santes. Plein de zèle, 1l étudia avec soin les détails de l'artillerie; et la connaissance approfondie des ressources de ce service lui assura de bonne heure une supériorité marquée sur ses cama- rades, en général trop peu initiés à tout ce qui n’entrait pas directement dans leurs fonctions quotidiennes. À la séparation des deux armes, d’Arçon fut envoyé sur les côtes de Bretagne que menaçaient les Anglais. Les fonctions d’un officier du génie dans une armée d’obser- vation sont une des rares sinécures dont il lui soit donné de jouir. Il sut la mettre à profit; 1l lut beaucoup et médita ce qu'il avait lu : aussi quand, en 1760, il fut appelé pour la première système de forlification de l'ingénieur Boisforet (Archives du dépôt des for- tifications, art. 20, objets d'art). Le comte de Saint-Germain est un de ceux qui ont le plus contribué à faire disparaître cet esprit étroit du corps du génie. Pénétré d’une profonde admiration (qu’il exprime dans ses Mémoires) pour le mérite et la probité des officiers qui le composaient, il s'attacha à les développer encore, en augmentant leur solde et en encourageant leurs études. L’artigle 65 de l'ordonnance du 31 décembre 1776 promettait aux auteurs des mémoires jugés dignes d'importance, non-seulement des ré- compenses pécuniaires, mais encore des grades suivant l'utilité de leurs découvertes. Cette heureuse mesure fut régularisée en 1803 par la fondation de deux prix d'encouragement, et la création d'un recueil périodique des- tiné à publier les travaux les plus remarquables des officiers de l'arme. — 215 — fois à faire la guerre, les grandes leçons de l'expérience trou- vèrent dans son esprit un champ intelligemment préparé. Il débuta en Westphalie par le siége du château de Dillem- bourg, qui modifia heureusement ses idées d'école. Les règles classiques de l’art déterminaient pour la place un point d'attaque; naturellement l’assiégé y avait accumulé ses défenses, et il fallait pour les surmonter se soumettre à toutes les lenteurs d’un siége méthodique. L'opinion commune était d'y recourir; mais un ingénieur, moins routinier que les autres, reconnut les fortifi- cations et indiqua la position d'une batterie qui pouvait voir à 640 mètres une portion de l'enceinte intérieure du haut en bas. On le crut : on fit brèche; la place se rendit, et l’on ne perdit personne (!). La capitulation fut signée le 45 octobre 1760; et d’Arçon, chargé de lever le plan des environs du château dans un rayon de quatre kilomètres, le fit avec une exactitude et une célérité remarquables. Le 1% novembre, il était à Gœttingue, occupé, avec dix autres ingénieurs, de mettre cette place en état de défense. En dix huit jours, on palissada les chemins converts, on fraisa l'enceinte et les réduits de place d'arme; cinq redoutes furent élevées pour défendre les approches du chemin couvert, et quand l'ennemi arriva, comptant sur un succès facile, il trouva les troupes fran- çaises solidement établies derrière ces remparts improvisés. Malgré des forces sextuples, 1l n’osa en faire l'attaque et se contenta de bloquer la ville; mais la garnison fit des prodiges et tourmenta tellement les bloqueurs par des sorties, que, pendant un hiver où elle fut livrée à ses propres forces, elle fit en détail un nombre de prisonniers qui excédait de près d’un tiers le () Les contreforts des murailles étaient reliés par des voûtes allant de l’un à l’autre, de sorte que ces voûtes retenant les terres, la brèche que nous fimes était complètement impraticable ; si l'ennemi s'en était douté, il est probable qu'il eût prolongé sa défense. Ce fait fut noté par d’Arcon, qui le cite (Cunsidérations pol. et mil., p. 309) à l’appui du système de revé- tements avec voûtes en décharge. — 216 — nombre de ses soldats. La disette et les maladies se joignirent à nous pour décimer l’assiégeant et le forcer enfin à la retraite. À peine les chemins étaient-ils libres, que d'Arçon rejoignit à Cassel le comte de Broglie, menacé par une armée de 30,000 hommes. En quelques jours, les troupes prussiennes enserrèrent la ville par un développement de plus de six kilomètres de tranchées: mais la petite garnison, forte de 5,000 soldats à peine, opposait la terre à la terre et la ruse à la force. Les faubourgs de la ville neuve présentaient un point faible; on s’avisa de faire entendre le marteau du mineur dans les caves les plus avancées, et l'assié- geant, redoutant les dangers d’une guerre souterraine qui n’exis- tait que dans son imagination, reporta ses travaux vers le point où nous avions disposé nos ressources. Là, à chaque pas que faisait l'attaque, la défense s’avançait aussi, créant des dehors sous le feu même de l’ennemi, et, au bout de trois semaines, . celui-ci découragé leva le siége. À l'issue de cette campagne, le général Filley, qui commandait les ingénieurs, adressait au ministre de la guerre le rapport suivant : « D’Arçon, excellent sujet, recommandable par son activité et ses talents, surtout celui de bien lever à la boussole et très bien dessimer. Il est fort appliqué, a beaucoup d'intelligence et une ardeur infatigable à la guerre. Il réussira très bien dans tout ce qu'il entreprendra, et a un goût décidé pour la partie relative aux fonctions de maréchal-des-logis de l’armée (1), ce qui peut le rendre utile en bien des occasions. Au surplus, per- sonne n'aime aussi singulièrement que lui le plaisir et le travail, ne trouve comme lui le temps et le moyen d'y satisfaire pour ainsi dire en même temps. Personne aussi n’est si entier dans son opinion, ne la soutient avec tant de chaleur et de véhémence, et ne trouve autant de raisons pour l’appuyer. Il a foncièrement toute la présomption d’un homme qui a beaucoup lu et médité. ——— () Officier d'état-major, 4 s 2 à à : 4 J L — 917 — Il a de la probité, des mœurs, de la délicatesse dans les sen- timents ; en tout, c’est un bon officier à ne pas laisser en arrière....... » En 1761, d’Arçon accompagna nos armées lors de leur marche triomphale sur les bords du Rhin. Dans les provinces que nous parcourûmes, la plupart des places, démantelées et hors d'état de se défendre, ouvraient leurs portes sans coup férir. Sous les mains industrieuses de nos ingénieurs, on les vit s'élever, pour ainsi dire, de dessous terre et former pour nos soldats des abris sûrs où ils purent en repos prendre leurs quartiers d'hiver. Au printemps de 1762, l’armée française se rassembla devant Cassel, attendant que l'ennemi vint l’y attaquer. Le 22 juin, ayant appris que les Anglais approchaient, nous nous portâmes à leur rencontre auprès du village de Grebenstein; deux jours après , ils nous y surprirent par une marche de nuit, et nous fûmes contraints de nous retirer, quoique en bon ordre, jusqu’à notre première position. D’Arçon avait assisté à l'affaire, et resta dans Cassel quand, vers la fin d'août, notre armée, menacée sur ses derrières, abandonna la ville avec une faible garnison. Enfermé pour la seconde fois dans cette place, 1l y soutint un blocus de deux mois et seize jours de tranchée ouverte, au bout desquels on se rendit avec les honneurs de la guerre, sur l’ordre du général en chef prince de Soubise. On vit dans ce siége l'exemple singulier d’une redoute aban- donnée qui se défendit par sa seule inertie. Les Français y avaient soutenu un premier assaut, après onze jours de batteries et de cheminements : secourus à temps, ils parvinrent à repous- ser l'ennemi à la suite d'une lutte acharnée; mais, trop éloignés de Ja place pour pouvoir compter sur son appui, ils jugèrent qu’une simple redoute en terre qui avait eu les honneurs d’un siége en règle, avait plus que rempli son objet, et ils l’'évacuèrent furtive- ment pendant la nuit. Le surlendemain, les Anglais, honteux de leur échec, jurèrent de le venger, et se précipitèrent avec un redoublement de rage et de furie sur l'ouvrage qu'ils croyaient — 218 — encore occupé. « C'était, dit d’Arçon, un spectacle curieux de voir l'attaquant se battre les flancs pour s’encourager à cette attaque; il s'était jeté dans le fossé, d’où il lançait des gerbes de grenades; 1l poussait des cris de victoire; 1l se pressait péni- blement en colonne; il reculait d’effroi; 1l remontait et reculait encore, et cela contre une masse de terre morte! Enfin, après une heure et demie de combat vis-à-vis de ce fantôme grossi par le souvenir de l'assaut repoussé l’avant- veille, les ennemis entrèrent en triomphe et se trouvèrent n’avoir embrassé qu'un fantôme. » Partout d’Arçon se fit remarquer par son courage aussi bien que par son intelligence; et, nommé capitaine pour sa brillante conduite dans plusieurs sorties, ce fut lui qui eut l'honneur d’être chargé de la relation officielle de la défense (!). III D'Arcon capitaine dans les places : & Sedan (1763-66), à Besançon (1766-68), au fort de Joux (1768-74). — 11 réfute les systèmes de Boisforet et de Trincano. — Son mariage (1769). — Sa réception à l'Académie de Be- sancon (1772). — Commencement de sa lutte avec Guibert : de l'utilité des places fortes. Le nouveau capitaine reçut avis de sa promotion à la fin d'avril 4763, et fut immédiatement envoyé à Sedan. C'était la première fois qu’il était appelé au service des places, et il dut s'acquitter de ses nouvelles fonctions avec tout le zèle qui lui était propre; mais un mémoire sur la place de Sedan (?), où il propose des améliorations suggérées par l'expérience des dernières campagnes, et une excellente relation du premier (:) Journal des opérations du blocus de Cassel, depuis le 10 avril jusqu'au 16 octobre; — Journal des opérations du siége (Archives du dépôt des forti- fications, art. 15). (2?) Mémoire sur les fortifications de Sedan (Archives du dépôt des fortifi- cations, manuscrits reliés), — 219 — siége de Cassel (!), écrits par lui à cette époque, témoignent que les détails des constructions ne lui firent jamais oublier quelle doit être la véritable science de l'ingénieur militaire. Deux ans après, une place vacante à Besançon lui permettait de revenir dans son pays. M. de Cossigny occupait alors l'emploi de directeur en Franche-Comté. Homme de beaucoup de talent et d’infiniment d'esprit, il sut bien vite apprécier toute la valeur du jeune officier qui arrivait sous ses ordres. En 1767, à propos d’un nouveau système de fortification présenté par M. de Bois- foret, ingénieur ordinaire à Lille, 1l écrivait au duc de Choiseul : « J'ai soumis ma critique au jugement de M. Damoiseau, ingénieur en chef, qu’un grand nombre de places assiégées a rendu très expert en cette matière; J'ai également soumis le tout aux yeux de M. le chevalier d’Arçon, dont la vivacité d’une imagination bien réglée, quoique simple ingénieur ordinaire, ne cède en rien aux connaissances de tout ce que nous avons dans le corps du génie de plus versé dans la science de la profession militaire, et je me fais honneur d’avoir ici le suffrage de ces deux ingénieurs qui me dédommagera de celui que M. de Bois- foret pourra bien ne pas me donner. » M. de Boisforet regardait comme un grand inconvénient que les fossés des demi-lunes fussent flanqués obliquement par les faces des bastions, et 1l proposait d'y remédier en décomposant la demi-lune en trois petits ouvrages flanqués à angle droit {?). Les officiers généraux et les directeurs seuls de l’arme avaient été appelés à donner leur avis. D’Arçon prit néanmoins la plume et montra qu'en voulant éviter un défaut sans importance, l’au- teur en avait introduit de beaucoup plus graves. Le flanquement direct n'est en effet réellement utile que pour les ouvrages de () Relation du siège de Cassel (ms. de la bibliothèque de Besancon). (*) Quatre ans auparavant, le général Filley avait présenté, pour l'île d'Aix, un projet de fortification fondé sur le même principe. Ce projet avait été rejeté. —— 220 — campagne, où la brusquerie des attaques de vive force ne laisse pas toujours au soldat le temps de viser {!). L'année suivante (1768), d'Arçon obtint, ct cette faveur ne dut pas lui être disputée, la direction des travaux du fort de Joux, situé tout près de la ville de Pontarlier qu'habitait la famille Le Michaud. L'hiver, il revenait à Besançon où, dispensé de tout service, il pouvait se livrer à ses études favorites.-Grâce aux ressources de cette ville intelligente, 1l trouvait dans de nombreuses lectures le germe de pensées que les méditations de la solitude devaient ensuite faire éclore et fructifier au centuple. Son premier ouvrage imprimé fut publié, cette année même (°), pour réfuter les systèmes de Trincano, qui étaient éclos à Besan- çon, où l’auteur avait occupé un poste de professeur adjoint à l’école d'artillerie, avant de devenir professeur de mathématiques des pages du roi. | Trincano, en s’improvisant ingénieur, était resté maître de mathématiques. Ne voyant dans l’art de la fortification que ce qui était de son ressort, 1l l'avait fait consister uniquement à combiner des lignes sur le papier. Il était ainsi parvenu, tantôt raccourcissant celle-c1, tantôt allongeant celle-là, ouvrant un angle, diminuant un autre, à composer neuf systèmes de forti- fication, tous, à son avis, également heureux. | D'Arçon les examina avec beaucoup plus de soin qu’ils ne le méritaient; mais il ne put s'empêcher de laisser voir un peu son dédain pour ces réformateurs de cabinet qui, n'ayant étudié la fortification que dans les livres, n’en connaissent que les pre- miers éléments et s’'imaginent néanmoins avoir fait faire un grand pas à la science, quand ils sont parvenus, à force de labo- rieuses recherches, à changer certaines dimensions de quelques () Réponse du chevalier d'Arçon à M. de Boisforet (Arch. du dépôt des fortifications, art. 20), (2) Lettre d'un ingénieur à un de ses amis (sans nom d'auteur), Paris- Amsterdam, 1768. — 2921 — mètres. Les véritables livres de l'ingénieur, ce sont les places fortes. C’est en les visitant et en les comparant, c’est en étudiant l'histoire des siéges qu’elles ont subis, c’est enfin en lisant les mémoires qui leur sont relatifs et en cherchant à s'approprier la science traditionnelle, résultat des méditations de tout un corps depuis qu’il existe, qu'on arrive à se convaincre de l’inanité de tous ces compassements théoriques. Plier les forüfications aux terrains, voilà la vraie science, et devant ce but tous les systèmes s'unissent et se confondent, parce que la solution est une comme la vérité. La brochure de d’Arçon se termine par un dialogue entre Vauban et Coëhorn : dialogue aussi remarquablement écrit que profondément pensé, et où le génie particulier de chacun de ces deux maîtres est analysé avec une süreté de coup d'œil qui ne pouvait appartenir qu'à un homme digne de leur succéder. Vauban, promenant à travers l'Europe nos armées victo- rieuses, se montra supérieur dans l'attaque; Coëhorn, combattant pour le sol de la patrie, a perfectionné les détails de la défense. Le premier, en construisant des places, ne s’est attaché qu'à produire de larges dispositions susceptibles de toutes les chicanes du moment; le second s’est complu dans l’étude de ces chicanes qu'une aggression toujours imminente rendait nécessaires. Mais, si d’un côté celui-ci a produit des œuvres excellentes, ces œuvres tomberont quand on cessera de les entretenir (‘); tandis que celui-là a posé des principes qui ne périront pas. Si l'un a pris des places, l’autre a appris à les prendre. Coëhorn, enfin, ne fut que l’un des plus grands ingénieurs de son temps; Vauban a été celui de l'avenir. L'année suivante (13 mai 1769), d’Arçon épousa, à Besançon, Jeanne-Pierrette Jallout, fille de Henri-Ferdinand Jallout, avocat au parlement, et d'Elizabeth Jacquey. Ce n’est point la fortune qu’il avait cherché dans ce mariage, à en juger du moins par le () La plupart des dispositifs intérieurs de Cœhorn sont en charpente et d’un entretien aussi difficile que coûteux. — 99 — contrat. La dot de la future se composait, en effet, d’un trous- seau évalué à 2,000 livres, d’un appartement non meublé situé au second étage dans la Grande-Rue, et d’une pension annuelle de 300 livres. Les liens qui attachaïient à Besançon l'ingénieur franc-comtois furent ainsi augmentés, et la ville, justement fière de son enfant, chercha encore à les resserrer en le nommant, en 1772, membre de son Académie. Vers le même temps, le comte de Guibert publiait son Essai de tactique. Jamais l’art militaire n’avait été traité avec une telle élévation de vues, un si grand charme de style. La tactique, jusqu'alors science obscure, ardue, spéciale à quelques hommes, devint, sous la plume de Guibert, lumineuse, intéressante et populaire. Ce livre, écrit par un homme de vingt-deux ans, fut bientôt classique dans toutes les armées de l’Europe, et Frédéric le Grand le mit au petit nombre de ceux dont il recommandait la lecture à ses généraux. ù Mais, séduit jusqu’à l'enthousiasme par l'éclat éphémère des campagnes du roi de Prusse, le jeune colonel n'avait vu dans la guerre que les brillantes combinaisons du conquérant. Dès lors les places fortes, « ces ancres sacrées qui sauvent les empires (1), » devaient être l’objet de ses attaques. Il les accuse, en effet, d’a- voir rendu la guerre plus ruineuse et moins savante : plus rui- neuse, en ce qu'il faut des ârmées énormes et des attirails immenses pour les investir; moins savantes, en ce qu'elles rem- placent par une série d'engagements partiels ces grandes batailles où peut se déployer le génie d’un général. « Elles lui font perdre enfin, disait-il, de la grandeur de ses effets, puisqu'elles l’em- pêchent de remplir le premier et malheureux but qu’elle doit avoir, celui de faire le plus de mal possible à l'ennemi, et de décider promptement du sort des nations. » Que deviennent ces prétendus défauts aux yeux d'un philo- sophe ? () Montecuculli, — 223 — « Le droit des gens, a dit Montesquieu, est naturellement fondé sur ce principe, que les nations doivent se faire dans la paix le plus de bien et dans la guerre le moins de mal possible, sans nuire à leurs véritables intérêts. » Oui, les places fortes empêchent le sort des nations de dé- pendre des chances fragiles d'un combat; et c’est ainsi qu’elles mettent les peuples paisibles à l'abri des soudaines ingressions d’un voisin ambitieux. Elles rendent les guerres ruineuses; mais c’est pour le con- quérant qu'elles arrêtent dans sa course envahissante ou qu’elles condamnent à la dure nécessité de vaincre toujours et sans re- prendre haleine ; « car la moindre intermittence est capable de faire évanouir les édifices de feu dont l'éclat flamboyant ne peut subsister qu'à force de consumer. » Elles les rendent moins savantes et empêchent les rapides fortunes militaires. La guerre serait-elle donc un art à cultiver pour les avantages qu’elle produit? Non; c’est une passion à réfréner. L'homme n’a rien de mieux à désirer que le repos et la jouissance paisible. Il ne faut savoir la guerre que pour com- battre un ennemi avide et injuste; et c'est la science de l’ingé- nieur seule qui, détournant les desseins offensifs par cela seul qu’elle préserve d’être offensé, pourra réconcilier la profession des armes avec les amis de l'humanité. Telles sont les nobles idées que développa d’Arçon dans sa réponse à Guibert (!), le premier acte de cette longue polémique qui devait mettre aux prises, pendant vingt ans, le plus brillant avec le plus profond des écrivains militaires du xvrrr® siècle. Les places fortes, avait dit encore Guibert, énervent les armées par les garnisons qu’elles exigent, et épuisent l'Etat par les dé- penses de leur entretien. Mais ce ne sont point des soldats qu'il faut pour défendre les places fortes; ce sont des hommes : et dans un pays comme la —— () Réflexions d'un ingénieur en réponse à un tarticien (sans nom d'auteur), Paris-Amsterdam, 1772, in-12. — 2924 — France, si les soldats manquent, les hommes ne manqueront jamais (!). Quant à cette dépense dont on a fait si grand bruit dans tous les temps, qu'est-elle donc dans le budget de la guerre? Une somme qui équivaut à peine à l'entretien de trois régiments, somme dont la distribution vivifie les frontières de l'Etat et qui permet, d’après les évaluations de d'Arçon, de réduire de 125,000 hommes l'effectif permanent qui nous serait nécessaire, à son défaut, pour résister à nos voisins. Que l’on calcule main- tenant le travail annuel de tous ces jeunes gens laissés ainsi au commerce, à l'agriculture, à l’industrie; que, d’un autre côté, l’on considère le contre-coup porté aux générations futures par le célibat forcé de l'élite de la nation; qu'on se rappelle le résultat funeste, dont les guerres de l'empire ont pu nous faire apprécier l'étendue, de n'avoir pour régénérateur du peuple que les ma- lades et les infirmes; et l’on verra si c’est trop payer de trois millions l'entretien des colonnes de l'Etat ! (?) Chaque peuple a du reste son génie particulier. Habitués au succès, nous somes prompts à nous laisser décourager par les revers. « Les subtils mouvements de notre nation, a dit Riche- lieu, ont besoin d'être garantis de la terreur qu’elle pourrait recevoir d'une attaque imprévue. » Plus que tous les autres pays, la France a donc besoin de forteresses, puisque c’est par elles seules que l’on peut essuyer un ou plusieurs échecs sans conséquences désastreuses, recueillir les débris, gagner du temps, rappeler le courage et la fortune. —— () Quand on accuse Napoléon d'imprévoyance pour avoir laissé des garnisons nombreuses au fond de l'Allemagne, dans sa retraite de 1813, on ne réfléchit pas que ces garnisons n'étaient composées que d'éclopés et de malades incapables de suivre l'armée. (*) Quelques années plus tard, Carnot faisait remarquer que la dépense de construction et d'entretien de toutes les places de France, depuis la fondation de la monarchie jusqu'au moment où il écrivait, n’équivalait pas à l'entretien de la seule cavalerie francaise en vingt-six ans; et il y avait alors juste vingt-six ans que notre cavalerie n'avait pas tiré l'épée. 995 — L'heureuse situation de notre territoire, enserré par des limites naturelles, la juste proportion de nos frontières monta- gueuses et maritimes, la variété de nos productions, la douceur de notre climat, nous permettent d’aspirer au premier rang des puissances de l'Europe, sans avoir recours au funeste éclat des conquêtes. Renforçons donc nos points de sûreté; mais que ce soit avec une sage mesure. Les remparts ne peuvent sauver un empire par leur seule force d'inertie; ils deviendraient même nuisibles s'ils n'étaient appuyés et soutenus par des armées vraiment constituées, en paralysant des efforts qui, réunis, eussent pu sauver l'Etat. On ne doit considérer les forteresses que comme des acces- soires dans le système général des forces d’une nation, mais des accessoires indispensables pour assurer les dépôts, prendre l'offensive avec sécurité pour ses derrières, simplifier enfin les plans de campagne, en donnant au général la facilité de calculer les événements et d'appuyer sur des bases précises la combi- naison de ses manœuvres. Le système de guerre d’envahissement, conséquence de l’état politique actuel de l'Europe, n’a fait qu'augmenter encore la valeur des raisons que nous venons d'énoncer. L’énorme quan- üté d'hommes qui compose nos armées modernes, ne peut sub- sister qu'à la condition de s’étendre et de marcher toujours. Le vrai principe de la défense est donc d'arrêter longtemps les armées sur les mêmes points, en les forçant à toutes les lon- gueurs des guerres de siége. De récents événements sembleraient prouver l’'inutilité de ces précautions; mais les sanglants souvenirs de la campagne de Russie sont là pour nous rappeler que, si parfois le succès a couronné l'audace, le génie même ne suffit pas toujours pour conjurer les désastreuses conséquences de ces marches témé- raires. 19 — 9926 — EY Projet de fortification pour l’île de France (1774). — Travaux topogra- phiques en Provence et en Dauphiné (1774-1776). Ces premières publications avaient attiré sur l'ingénieur du château de Joux l'attention publique. En 1774, le ministre de la marine l'invita à présenter ses vues sur le système de fortifica- tion à adopter pour l’ile-de-France, point de reläche extrêmement important alors à cause de nos colonies des Indes. Une commission mixte, présidée par le comte d'Estaing, avait été établie pour étudier les différents projets; mais chacun des membres, suivant l’arme à laquelle il appartenait, avait sur le système à suivre des idées arrêtées à l'avance, et, guidé par cet égoisme de profession dont ne peuvent se défendre les meilleurs esprits, prétendait faire prédominer son art à l'exclusion de tous les autres. Les généraux d'infanterie ne voulaient que des troupes de ligne soutenues par une forteresse centrale ; Les artilleurs répondaient de tout avec des batteries unifor- mément réparties sur la côte ; Les marins soutenaient que la protection de l’île au moyen d’escadres pouvait seule être efficace. D'Arçon montra que des troupes isolées au milieu des mers ne pourraient jamais se soutenir contre les forces qu’apporte- raient sans relâche les vaisseaux ennemis, si l’on n'était maître des ports. Il répondit aux artilleurs que leur système de défense nécessiterait une accumulation énorme d'hommes et de matériel, puisque, pour résister à une invasion soudaine, toutes ces batte- ries devaient être armées à la fois. Aux officiers de marine, il fit voir que s’il fallait des escadres pour chacune de nos colonies, ces escadres seraient nécessairement fort petites et pourraient être battues en détail. Mais tous ces moyens, inadmissibles si on les emploie exclu- — 9221 — sivement, peuvent se prêter un intelligent concours. Il sut le faire comprendre, et son projet, qui consistait à fortifier surtout la ville de Port-Louis, port principal de l'île, fut admis en principe. Port-Louis est situé entre deux rameaux de montagnes for- mant fourche, qui se terminent à un kilomètre de la mer. Ces deux grands contreforts à pentes abruptes se réunissent du côté de l'intérieur de l’île, en sorte qu'ils embrassent la ville dans une espèce d'enceinte naturelle, ouverte seulement depuis l'extré- mité des rameaux jusqu'à la mer. D’Arçon proposa de profiter de cette heureuse situation pour créer autour de la place un vaste camp retranché, où pourraient, en temps de guerre, venir se réfugier les colons de l'Île avec leurs richesses. Des escarpements factices et des plantations d'arbres épineux devaient achever de rendre les hauteurs inac- cessibles sur la plupart des points; de simples retranchements en pierres sèches occuperaient les parties plus facilement abor- dables ; enfin, des fronts solides, appuyés d’un côté à la mon- tagne, de l’autre à la mer, fermeraient les trouées ouvertes actuellement le long de la plage. Cette solution était rigoureusement commandée par la dispo- sition des lieux; car il était essentiel de préserver du bombar- dement les riches et nombreux magasins d’une ville, à la fois port de premier ordre et chef-lieu d’une colonie importante : si l’on se füt borné à une enceinte immédiate, la ville, dominée de tous côtés, n'eût pas été tenable. Le système de d'Arçon avait également l'avantage d’être fort économique et de ramener l'attaque sur des fronts en ligne droite : aussi réunit-il bientôt tous les suffrages. Mais, parmi les membres de la commission, se trouvait le marquis de Montalembert. C'était un colonel de cavalerie qui, lui aussi, avait inventé un système de forüfication, fondé, comme ceux de Filley et de Boisforet, sur la perpendicularité des feux. Que l’on se figure une série de V disposés autour d'un centre unique, de façon à ce que — 928 — les branches de ces différents V soient toutes perpendiculaires entre elles, et on aura une idée des ouvrages que le marquis appelait ses fortins à étoile. Montalembert crut l'occasion bonne pour faire exécuter ses conceptions ; 1l proposa de former l'enceinte du camp retranché au moyen d'ouvrages de cette nature, régulièrement espacés, qui auraient, disait-1l, l'avantage de se flanquer réciproquement et de posséder chacun une résistance indépendante. Il était absurde de vouloir à grands frais détruire des obstacles naturels, pour les remplacer par des forts coûteux qui, nécessai- rement resserrés sur la croupe étroite des montagnes, ne pou- valent plus être que de vaines symétries. Ces forts, du reste, non reliés entre eux et à peine capables de contenir le nombre d'hommes strictement nécessaire à leur propre défense, n’au- raient pu garantir la ville d’une invasion soudaine; dès lors l'ennemi, maître des ports, des magasins et de tout ce qui cons- titue la possession, les aurait simplement laissés là avec leur résistance indépendante, jusqu’à ce que les défenseurs, n'ayant plus que leurs personnes à conserver, se fussent décidés à venir implorer la clémence du vainqueur. Il fallut cependant à d'Arçon douze longues séances du comité pour faire rejeter les idées du grand novateur, à qui des in- fluences tout à fait étrangères à l’art avaient donné de chauds partisans. Mais cette discussion avait laissé aux prétentions diverses le temps de se reconnaître et de se rallier. Chacun redemanda celui-ci ses canons, celui-là ses vaisseaux. M. de Cossigny qui, autrefois ingénieur à l'Ile-de-France, avait été désigné pour y retourner en qualité de gouverneur, « ne demandait, lui, qu'une chose : c'était de changer d'air, et disait qu'il ferait exécuter tous les projets, fussent-ils des Savoyards du Pont-Neuf (!). » D’Arçon ne comprenait point ainsi ses devoirs. Il insista, au < @) Lettre de d'Arcon au général Filley, 16 déc. 1774. (Archives du dépôt des fortifications). — 229 — risque de se voir laisser en France, quoique son départ dût lui donner le grade de major et une pension considérable reversible sur sa femme et ses enfants. Alors, ceux-là mêmes qui avaient failli admettre les folles dilapidations de Montalembert, repous- sèrent le projet du capitaine comme trop coûteux et ajournèrent l'affaire à des temps meilleurs (). Il resta donc en France, et le maréchal du Muy, ministre de la guerre, s’empressa de l'utiliser en le chargeant de finir les cartes du Dauphiné et de la Provence, commencées déjà depuis une vingtaine d'années. D’Arçon choisit ses collaborateurs, leur distribua le travail, les munit d'instructions claires et précises, de sorte que, tous les tätonnements étant ainsi évités, on vit des officiers, guidés par cette main sûre, lever jusqu'à trente lieues carrées de pays en une saison : ouvrage énorme, si l’on considère que les cartes qui existaient à cette époque ne pouvaient être d'aucune utilité pour un lever exact. | Chaque année, il se réservait la partie la plus difficile et, tout en surveillant l’ensemble, il produisait lui-même autant que les plus habiles de ses subordonnés. Il inventa à cette occasion une méthode de lavis plus rapide et plus expressive que les anciennes, méthode qu'on n’emploie plus, depuis que l’on a annulé dans nos cartes la partie artistique par la convention de la lumière verticale. Ces travaux furent appréciés à leur Juste valeur, et plusieurs fois le ministre lui témoigna combien il était satisfait « de sa célérité, de la manière dont les opérations étaient dirigées et de l'exécution de l'ouvrage. » Is ne l'empêchèrent pas néanmoins de prendre part à la grande lutte entre l'ordre mince et l'ordre profond, qui divisait (?]) Expose des preuves disculées dans le comité ordonné pur le roi relati- vement à l'importance de l'objet de sûrelé à l'Ile-de-France et au choix des moyens défensifs qui y sont applicables. (Mêmes archives, mss. reliés, série in-4", no 60 ) — 230 — alors tous les militaires de l’Europe, et que l’on est trop porté à ne regarder aujourd’hui que comme une querelle de mots. Cette manière de résumer les polémiques est fort commode: pour l'écrivain, qui s’épargne ainsi des recherches fastidieuses : le lecteur y gagne quelquefois; la mémoire de ceux qui y prirent part peut seule en souffrir. V L'ordre mince et l’ordre profond. Au commencement du xvire siècle, la tactique (1), que les Grecs et les Romains avaient poussée à un si haut degré de per- fection, ne s'était pas encore relevée de sa chute avec la civili- sation de l’ancien monde. La barbarie des temps, la petitesse des armées régulières, l'indiscipline des soldats, l'avaient, au moyen âge, empêché de se développer; plus tard, la difficulté de transporter les pre- miers canons produisit les mêmes résultats. C'était à peine si, dans leurs écrits, les maréchaux de Saxe et de Puységur venaient de poser quelques principes. Les géné- raux de cette époque, presque tous princes ou grands seigneurs, élevés dans la douce persuasion que le génie de la guerre est un don inné, un présent du ciel fait à ceux que leur naissance appelle au commandement, bornaient leur science à quelques principes de fortification passagère, au moyen desquels ils choi- sissaient l'emplacement de leur ligne de bataille. Les troupes, conduites en colonne de route le long de cette ligne, se trouvaient par un simple mouÿement de conversion à leur place de combat. L’artillerie uniformément répandue sur tout le front, la cavalerie flanquant les ailes, et un second cordon (4; « La stratégie est l’art de faire manœuvrer les armées sur une grande étendue de pays, et de les diriger sur un point pour les faire combattre à l'aide de mouvements particuliers exécutés sur ce point et qu'enseigne la tactique. » (COURNEAUD). — 231 — d'infanterie parallèle au premier formant-réserve, complétaient leurs dispositions. L’ennemi en faisait autant de son côté. Au signal du combat, les deux armées marchaient l’une contre l'autre, conservant entre leurs deux lignes un parallélisme rigoureux et ürant droit devant elles au commandement de leurs chefs, jusqu’à ce que l’une des troupes lâchant prise aitirât sur elle la cavalerie ennemie qui achevait la déroute. Telle était alors la bataille classique, que venaient seules par- fois modifier les dispositions du terrain ou les inspirations du génie, Mais ces évolutions du moment n'étant point prévues par les ordonnances, les soldats n’y étaient pas exercés, et le général qui, une fois son armée rangée en ligne, voulait lui faire faire un autre mouvement que la marche en bataille, risquait de la jeter dans une inextricable confusion. Cette marche en bataille même, il suffit d’avoir assisté à une revue pour en apprécier les difficultés. Le long ruban d'hommes qui d'abord s’avance, rigide, sur un terrain parfaitement uni, ne tarde pas à onduler. Iei, les soldats restés en arrière pressent le pas pour rejoindre leurs compa- gnons, qui, de leur côté s’apercevant qu’ils sont en avance, ralen- tissent leur marche et se trouvent bientôt dépassés. Là, les files s'ouvrent, et l'impulsion se propageant, il se fait bientôt une vaste trouée. Plus loin, au contraire, les hommes s’entassent, perdent la liberté de leurs mouvements et sont obligés de se replier en arrière. Partout enfin l'inquiétude d’un vain aligne- ment paralyse le soldat, l'empêche ‘de viser et introduit la confusion et le désordre. Toutes les armées de l’Europe en étaient là, quand parut Fré- dérie IX. Ce prince avait reçu de son père une infanterie toute formée, aguerrie par de nombreuses campagnes, confiante en elle-même par la tradition de ses victoires. Profitant avec habileté des résultats déjà acquis, il ne chercha qu'à perfectionner la tactique alors en usage et dont les mouve- = 999 — ments compassés convenaient au caractère flegmatique de son peuple. Il réduisit à trois rangs l'épaisseur de ses lignes (autre- fois de six ou de sept); il diminuait ainsi l'effet du feu de l’en- nemi, développait le sien et rendait les manœuvres plus simples. Il sut régulariser la marche en bataille, en posant les principes que nous suivons encore aujourd'hui (bataillon de direction, jalonnement en arrière). Grâce à la discipline de fer qu'il intro- duisit dans ses troupes et à la bastonnade qui faisait justice de la moindre distraction, le soldat prussien devint un automate qui se mouvait avec la précision d’une machine. Ces améliorations de détails seules lui eussent facilité la vic- toire; 1l l’enchaîna en inventant des manœuvres pour passer promptement de l’ordre de bataille à l’ordre de marche et se développer sur une direction quelconque. II pouvait ainsi chan- ger ses dispositions pendant le combat même, et se dérobant d'un côté aux coups de l'ennemi, venir l’accabler d'un autre pendant que celui-ci cherchait vainement à le suivre dans ses rapides évolutions. À l'issue de la guerre de sept ans, les champs de manœuvre de Postdam devinrent le rendez-vous des militaires de toute l Europe. La France n’est jamais en retard, surtout quand il s’agit d’en- gouement : aussi vit-on affluer à la cour de Prusse tout ce que nous avions de plus brillant parmi les jeunes colonels qui avaient gagné leurs épaulettes à l'Œil-de-Bœuf. La rectitude des alignements, la régularité des défilés et la rai- deur solennelle du soldat prussien, excitèrent au plus haut point leur admiration. [ls crurent avoir trouvé le secret du conqué- rant et revinrent tout glorieux en France, rapportant les coups de plat de sabre, le col carcan et l'habit étriqué sous lequel nous gémissons encore aujourd'hui. Mais à côté de ces officiers de cour, pour la plupart n'ayant jamais vu leur régiment, il en existait d'autres dans notre armée qui avaient conquis leurs grades un à un sur les champs de bataille. Ceux-là gémissaient en silence de ces importations — 233 — étrangères : habitués à vivre, à combattre avec le soldat, ils souffraient de le voir humuilié par des châtiments corporels et soumis à cette discipline absurde qui a pour résultat de lui faire craindre plus ses chefs que ses ennemis. Ils se réunirent et cherchèrent un drapeau. Ce drapeau fut, par opposition au système prussien, la co- lonne d'attaque que le chevalier de Folard, bénédictin égaré sous le froc militaire, avait voulu ressusciter en imitation de la phalange des Grecs. Le baron de Ménil-Durand, chef du nouveau parti, reprit les idées de Folard; mais, esprit confus quoique profond, :1l se serait perdu dans ses plésions et ses manipules, si d'Arçon n’était venu lui prêter l'appui de sa vigoureuse dialectique. I s'engagea alors entre le comte de Guibert et le chevalier d’Arçon une polémique dont les écrits précédents ne furent que le point de départ, et qui, sous la plume de ces deux esprits d'élite, devint la lutte entre la tactique qui venait de nous vaincre et celle qui plus tard devait assurer nos succès. Tous deux admettaient, en principe, l'excellence de l’ordre mince pour les positions et les feux, et de l’ordre en colonne pour l'attaque. Mais l'un, se fondant sur ce que les manœuvres pour passer de l’ordre mince à l’ordre de route étaient déjà trouvées, que Fréd‘rie IT les avait amenées à leur plus grand état de perfec- tion, que l'expérience les avait sanctionnées, et qu’enfin le mieux est l'ennemi du bien, coneluait qu'il fallait établir dans nos armées l’ordre mince comme ordre fondamental. L'autre, au contraire, qui n’était pas du métier et que ces considérations pratiques touchaient moins, s'élevait à des vues plus hautes. Il représentait que l’un des grands principes de l'art de vaincre est de toujours prendre l'offensive; que, plus que tous les autres peuples, nous sommes propres à cette manière de combattre, et que, par conséquent, il faut que notre ordre fondamental soit un ordre d'attaque : or, cet ordre d'attaque est nécessairement un ordre en colonne, puisque ce n’est qu'en co- — 234 — lonne qu'on peut marcher commodément. De nouveaux mouve- ments étaient done nécessaires; mais ils avaient été étudiés par Ménil-Durand, et il n'y avait plus qu’à les perfectionner par l'expérience du champ de manœuvre. Passant à la critique des dispositions si vantées du roi de Prusse, il montrait l'absurdité de la seconde ligne, invariable- ment liée à la première qui la masque, et souvent entraînée en déroute sans avoir pu tirer un coup de fusil ; il proposait de la remplacer par des réserves massées en colonne, qui, mobiles et dans la main du général, pourraient être, à chaque imstant, lan- cées au secours des points menacés. {l faisait ressortir combien plus judicieux serait l'emploi de l'artillerie, si, au lieu de la ré- partir uniformément sur le front, on l’établissait en fortes batte- ries dans des positions avantageuses. Il démontrait que ces longs mouvements processionnels pour changer la direction de la ligne de bataille, auxquels Frédérie avait dû tous ses succès, ne pou- vaient s’exécuter que sur un terrain uni et devant un ennemi démoralisé et inerte. S'élevant enfin contre ces tendances étran- gères qui voulaient annuler en nous ce qui fait principalement notre force, l'intelligence et l’ardeur du soldat, il semblait pré- voir le moment où nos troupes, privées de leurs chefs, auraient à combattre l’Europe coalisée, et où, trop faibles pour résister à l'ennemi, il ne leur resterait d'autre ressource que de l’écraser dans un héroïque élan. Les terribles attaques à la baïonnette, l'emploi meurtrier des tirailleurs, toute cette méthode d’audace et, pour ainsi dire, d’in- dividualité, qui caractérise nos guerres de la Révolution, ne fut point le fruit du hasard et de l’exaltation du moment. Elle avait été trouvée et étudiée en détail par Ménil-Durand et son école, eomposée, nous l'avons vu, de tout ce qu’il y avait de vraiment national daus notre armée. Affermies par la discussion, ces idées fécondes fermentèrent pendant vingt ans, et, quand enfin elles purent se produire en libert', elles sauvèrent la France. Parmi les généraux qui les avaient embrassées avec ardeur, — 235 — comptait au premier rang le maréchal de Broglie, le vainqueur de Sunderhausen et de Bergen. Il fut chargé du commandement du camp de Vaussieux (1778) où, par ordre-de la cour, on devait comparer les manœuvres de l’ordre mince et de l’ordre profond. On convoqua, pour assister à ces expériences, les officiers les plus distingués de l’armée : d’Arçon reçut ordre de quitter ses travaux topographiques pour se rendre au camp. Les troupes furent divisées en deux partis : l’un, sous la direc- tion de Rochambeau, devait manœuvrer suivant le système prus- sien ; l’autre, sous les ordres du maréchal lui-même, devait agir selon la méthode déjà appelée, à bon droit, la méthode fran- çaise. Le maréchal fut battu ; mais cette expérience ne pouvait rien décider. D’un côté, Rochambeau était trop bon général pour être exclusif, et, ne voulant pas se laisser vaincre, il n’hésitait pas à appliquer les principes de son adversaire quand il en sen- tait le besoin; d'autre part, les manœuvres de Ménil-Durand, encore dans l'imperfection de l'enfantement, ne pouvaient lutter contre des manœuvres déjà connues et parfaitement exécutées : les troupes elles-mêmes, sous l'influence de la routine, se pré- taient mal à ces essais, et l'on vit, un jour, les grenadiers pres- que en révolte parce qu'on avait compromis leur dignité au point de les faire courir pour exécuter une manœuvre de tirailleurs. Aussi n'est-ce point, dit le général Renard, dans les champs de Vaussieux que se vida la querelle, mais bien dans ceux d'Iéna et d'Austerlitz, et cela en faveur des principes de Ménil-Durand si habilement défendus par d'Arçon (1). (2) Ouvrages de d'Arcon relatifs à la question de l'ordre mince et de l’ordre profond : 10 Correspondance sur l'art de la querre entre un colonel de dragons el un capitaine d'infanterie (sans nom d'auteur), Bouillon-Besançon, 1774, in-8e ; 29 Réflexions sur La lettre à un ami, par l'auteur de la correspondance sur l'art de la guerre, 1775 ; 3° Défense d'un système de querre nalionale, ou analyse raisonnée d'un ouvrage intitulé : Refutalion complèle du système de M... D..., Paris, 1778; Paris-Amsterdam, 1779, in-8o, — 236 — VI D'Arcon continue ses travaux topographiques (1776-1781). — Il présente un projet de réforme relativement à la réorganisation des armes savantes 1776), un projet de fortification pour Toulon (1777) : réduits de sûreté. — I1lest nommé major (1777); licutenant-colonel (1779). — Discours sur la guerre à l’Académie de Besancon. Le vent était alors aux réformes de toute nature. Le comte de Saint-Germain, qui venait de succéder au maréchal du Muy comme ministre de la guerre, avait entrepris de réorganiser l'armée et d'y faire disparaître les abus. Ce n’était point une mince besogne; car la manie du fonctionarisme est vieille en France, et le besoin de récompenser certains services a toujours multiplié les sinécures et les doubles-emplois. Ainsi, rien que dans les armes spéciales, on trouvait alors : 1° L'artilierie de terre, avec ses troupes (canonniers, bombar- diers et sapeurs), ses arsenaux, ses fonderies et ses capitaines en résidence fixe ; 99 Les mineurs; 3° L’'artillerie coloniale : 4° Le génie du continent ; 5° Le génie colonial; 6° Les ingénieurs géographes militaires ; 7° Les ingénieurs géographes du département des affaires étrangères, chargés spécialement de la délimitation des fron- tières ; 8° Les ingénieurs géographes des colonies ; | 99 Les ingénieurs des ponts et chaussées, de la marine et des finances, concourant avec le génie militaire à la construction des ports de guerre ou de commerce; 10° L’état-major de l’armée, qui, n'ayant encore aucune constitution, était le puits perdu destiné à recevoir indéfiniment tous les abus du département de la guerre, — 231 — La plupart de ces corps avaient une école particulière et étaient chargés presque identiquement des mêmes fonctions. Il en résultait des luttes continuelles, des dépenses considé- rables et un affaiblissement de plus en plus marqué pour le corps du génie, qui se voyait successivement dépouillé de ses fonctions les plus essentielles par toutes ces nouvelles créations. D’Arçon, connu et apprécié par le nouveau ministre qui sortait de la même province que lui (!}, fut mandé à Versailles et con- sulté sur les mesures à prendre pour obvier à tous ces incon- vénients (?). Réunir tous les corps qui ont besoin des mêmes études et assurer par là l'unité d'intention indispensable pour exécuter les grandes conceptions; faciliter celles-ci en portant rapidement aux grades élevés les esprits d'élite capables d’embrasser l’en- semble des services; assurer enfin la perfection des détails en favorisant les spécialités chez les esprits moins ambitieux : tel fut le plan qu’il présenta. Or, à part quelques détails techniques sans importance, artil- leurs, ingénieurs, mineurs, géographes, officiers d'état-major, tous doivent posséder les mêmes connaissances générales : tous doivent connaître l’art de l'attaque et de la défense des places; tous sont appelés à faire des reconnaissances et à lever des cartes; tous enfin doivent être, au même degré, initiés aux grands principes de la tactique, qui ne sont autres que éeux de la fortification, soit permanente, soit passagère. Si donc ces corps restent séparés, cela ne peut être qu'aux dépens du bien du service, de l’économie des finances, de l’ins- truction et même de la moralité (*) de leurs officiers. (} Le comte Claude-Louis de Saint-Germain était né, le 15 avril 1707, au château d> Vertamboz, près de Lons-le-Saunier (Jura). (°) Mémoire adressé au comte de Saint-Germain. (Ms. de la bibliothèque de Besancon). (5) Les scandales des bureaux arabes n'ont que trop confirmé les obser- vations de d’Arçon au sujet de la démoralisation qui semble un fruit iné- vitable des services exclusivement coloniaux. — 238 — Les idées seulement énoncées ici, d'Arçon les développa avec sa chaleur habituelle; mais un plan de réforme devait froisser beaucoup trop d'intérêts pour êlre soutenu. Sous le régime d'alors, tout homme qui faisait la guerre aux fripons avait aussitôt pour ennemis une foule de ses compatriotes. « J'ai vu, dit le comte de Saint-Germain dans ses Mémoires, une grande et dangereuse anarchie contrarier tous mes projets. Le roi avait des projets; Maurepas en avait; il fallut amalgamer tout cela avec ma constitution : par là, je fus jeté hors de ma route. On n'a jamais vu tant de prévarication et d'impunité. » Le génie resta donc, pour le moment, à peu près tel qu'il était; mais les idées de d'Arçon reçurent peu à peu la sanction des événements. L'ordonnance du 31 décembre 1776, résultat de toutes ces discussions, aunexa au génie le corps des ingénieurs géographes, qui n'en fut plus détaché que tout récemment, quand il fallut trouver des occupations pour le corps d'état-major qu'on tenait à constituer. Si la même ordonnance ne réunit point alors ce dernier corps au génie, ce ne fut point la faute du munistre; mais, du moins, elie permit aux ingénieurs d'être employés auprès des généraux : monopole jusque-là défendu avec achar- nement par l'infanterie et la cavalerie. qui redoutaient une dangereuse concurrence. Guelques années plus tard, le génie colonial, les géographes des frontières et des colonies, et la collaboration des ingénieurs civils de toutes sortes, furent également supprimés. Avant la fin du siècle, le génie recevait dans son sein ses troupes naturelles, les sapeurs et les mineurs. Quant à la fusion des deux armes principales, elle fut de nou- veau discutée, en 1790, par l'assemblée constituante (séance du 9 septembre), et la crainte seule d'introduire de la confusion dans l'armée, à un moment critique, empêcha l'exécution d'une mesure reconnue bonne. L'empereur chercha à y préparer les esprits, en créant (4 octobre 4802) une école commune ; il l’eût certainement accomplie, avec tant d'autres réformes qu'il avait — 239 — projetées, si les événements lui en eussent laissé le temps. Au- jourd'hui, enfin, cette grave question semble reprendre un intérêt nouveau, et l'identité des études premières n’a fait que donner plus de poids aux considérations présentées par l'ingé- nieur du xvri° siècle. Cette même ordonnance de 1776 {titre 1°", art. 8) portait que « chaque année, Sa Majesté ferait assembler, chez le secrétaire d'Etat ayant le département de la guerre, tel nombre d'officiers généraux ou autres quil jugerait convenable, pour comparer le résultat des divers conseils d'administration et statuer sur tout ce qui serait relatif aux fortifications. » La création de ce conseil, origine du comité des fortifications, avait été demandée par d'Arçon dans son rapport au comte de St-Germain. Sa première séance eut lieu à Versailles, en février 1718. Elle devait être employée à discuter différents projets concernant la ville de Toulon; mais elle. fut en réahté consacrée toute entière à l'examen d'un volumineux mémoire (!), rédigé par notre ingénieur pendant qu'il levait les environs de la place. Ce projet n'était, par l'ensemble, que la reproduction de celui qui, présenté en 1764 par Milet de Monvelle, était alors en cours d'exécution. Il consistait en une série de petits forts détachés s'étendant à l’est et à l'ouest, depuis les flancs de la montagne Faron jusqu'à la mer, afin de mettre la ville et la rade à l'abri du bombardement; mais il différait du premier par la position plus judicieusement choisie de quelques ouvrages, et surtout par l'introduction à leur gorge de réduits crénelés à l'épreuve de la bombe. D'Arçon avait remarqué des dispositions analogues dans les avant-chemins couverts du front d'attaque à Luxembourg, et son esprit élevé avait immédiatement saisi l'importance de ces points de sûreté, qui, donnant pour ainsi dire une âme à la défense, préviennent les pertes inutiles d'hommes, assurent à la () Mémoire sur les dispositions défensives de Toulon. (Archives du dépôt des fortifications, mss. reliés, série in-4°, n° 60). — 240 — garnison ua repos nécessaire, affermissent son moral, lui four- nissent un solide point de départ pour la guerre de mine , et lui procurent enfin le moyen de se reconnaître et de rassembler ses forces au cas d’une attaque brusquée. Les faits qu'il observa durant ses campagnes d'Allemagne confirmèrent ses prévisions, et le projet que nous venons de mentionner ne fut que la pre- mière application d'une idée féconde qu’il devait perfectionner encore dans les lunettes qui portent son nom. Il avait été nommé mayor et chevalier de Saint-Louis en 1777. Au retour du camp de Vaussieux {3 janvier 1779), on lui donna les épauleites de lieutenant - colonel; quelques jours après (8 avril), il reçut dans la hiérarchie des ingénieurs le titre de sous-brigadier. La même année (1779), on le chargea de nouvelles études topographiques sur la frontière de l’est, depuis le fort de l’Ecluse jusqu'à Landau. Il ne s'agissait plus ici simplement de lacunes à remplir, comme pour la carte de Provence : 1l fallait établir le réseau géodésique, lever les obstacles et examiner dans chaque pays les objets relatifs à sa défense, les postes à occuper (!) et leurs. rapports les uns avec les autres. C'était une œuvre de création délicate autant qu'utile; il s’y livra tout entier, et y acquit une science du terrain bien rare à cette époque. Tout homme qui s’est un peu occupé de topographie sait par- faitement apprécier aujourd'hui le relief d’un terrain, à la seule inspection d’une carte où ne sont indiqués que les cours d’eau ; il sait, par exemple, reconnaître l'emplacement des montagnes par la position des sources; il sait que plus ces sources sont nombreuses, plus la montagne est haute, et que la chaîne se relie aux points d'attache des contreforts. Ces notions, maintenant vulgaires, ont été formulées pour la première fois, en 4779, par le colonel d’Arçon, dans un discours @) D’Arcon signala, dès cette époque, l'importance de la position des Rousses (Jura), où la création d’une place d'entrepôt fut décidée en 1840. — 241 — où il expose à l’Académie de Besançon l'utilité des sciences naturelles pour l’homme de guerre. _ L'anecdote suivante nous tiendra lieu d'analyse : Le duc de Choiseul, bien que ministre de la guerre, n’avait, de sa vie, soupçonné les rapports qui peuvent exister entre l’aride science du topographe et les hautes combinaisons du stratégiste. Il vou- lait néanmoins déterminer les mouvements et positions d’une armée française qui, soutenue par les Espagnols, devait attaquer les Portugais (1762); mais il ne possédait qu’une carte à pettie échelle. Cette carte n’exprimait ni ne pouvait exprimer les diffé- rentes chaînes de montagnes qui séparent le Portugal des deux Castilles et de l’Andalousie; elle indiquait toutefois les cours d’eau avec assez de détails. C’en était assez pour un vieil ingé- nieur qui, appelé dans le cabinet du ministre, dictait les instruc- tions aux généraux. Or, il ne s'agissait dans ces dépêches que de montagnes à franchir, de points d'appui à se procurer à la faveur des grandes chaînes, de communications à couvrir, de vallées à descendre, de positions à occuper sur les chaînes secondaires, de cols à masquer, de passages à réserver, etc. Choiseul ne revenait pas de sa surprise, qu’une petite feuille où il n’apercevait, lui, que des noms de lieux, pût indiquer une si grande variété de mouvements de terrain; de son côté, le prince de Beauvau, qui commandait l’armée française à six cents lieues de là, écrivait au ministre : « Vous avez à côté de vous un diable Où un ange qui vous fait deviner toutes nos positions.» Ce diable ou cet ange, c'était Bourcet, auquel dix ans plus tard avait succédé d’Arçon dans le lever des frontières de Provence. Quelques jours après (18 juin 1779), le colonel reprenait, à un point de vue plus général, la question dont il n'avait étudié qu'une face dans son premier discours, et il développait devant la même Académie les rapports de la guerre avec les sciences et les arts. La guerre, disait-il, est l’inévitable résultat des passions humaines; en vain la religion et la philosophie ont essayé de la proscrire, elle est restée l'arbitre des peuples. 16 — 942 — Mais s’il n’est pas permis de réaliser encore le rêve sublime d’une éternelle paix, le premier pas à faire est du moins de chercher à endiguer le fléau. Ce n’est qu’en enchaïînant les hasards des événements militaires et en opposant à la force brutale toutes les ressources de l’art et de l'industrie, que l'on parviendra à maintenir l’ordre des choses en épargnant la vie des hommes, et que l’on atteindra cet heureux équilibre d’où sortira, peut-être, pour les conquérants la conviction de l’inuti- lité de leurs coupables efforts. À mesure, en effet, que les guerres sont, devenues plus sa- vantes, elles ont été moins meurtrières. Un général habile sait deviner les mesures de son ennemi, il les déjoue par des mouvements imprévus, gagne du temps et laisse aux hommes d'Etat la possibilité d'intervenir : par ses brillantes combinaisons, il fixe les caprices de la fortune; ou, par la patience, la ruse et la circonspection, 1l oppose des digues au torrent de la victoire et parvient ainsi à ramener la paix, tout en ménageant la vie de ses soldats qu'il rend, glorieux, aux lettres et aux arts. Mais la géométrie a présidé à l’organisation de ses lignes de bataille, au choix de ses positions, au tracé de ses forteresses : c’est elle qui a dirigé ses mineurs dans leurs travaux souterrains et qui a conduit sûrement au but les terribles projectiles de ses bouches à feu ; La chimie lui a fourni de la poudre et des armes; Grâce à la mécanique, il a pu faire manœuvrer ses plus lourds engins ; Les mathématiques ont dicté à ses ingénieurs l'épaisseur de leurs remparts et la charge de leurs fourneaux ; Les sciences naturelles lui ont permis d'étudier dans le silence du cabinet tous les détails de ses plans de campagne; C'est dans l'histoire qu'il a puisé une expérience précoce : c'est là qu'il a découvert quels sont les ressorts secrets qui font mouvoir une nation, à quoi tiennent ces émotions de terreur ou — 243 — d'espérance qui viennent tout à coup nous saisir et qui de l'abat- tement nous font subitement passer à l’ivresse et à la gloire ; Par l’éloquence, enfin, il a su tirer parti de cette connaissance approfondie du cœur de l’homme, soit qu’il fallût entraîner les suffrages dans un conseil ou ranimer au moment du besoin les courages abattus. C’est ainsi que tous les arts marchent, se prêtant un mutuel appui. La science est une : la petitesse de notre esprit l'empêche seule d'embrasser le tronc gigantesque qui en unit les rameaux. Et nous, qui cultivons ces arts divers, tous nous concourons au même but, la perfection de l'humanité. Pourquoi donc ces vaines déclamations contre la profession des armes? Pourquoi cet injuste mépris de certains moralistes pour une science à laquelle ils doivent cette paix qui leur est si chère ? S'il fallait s'arrêter à des abus accidentels, il n’est pas de profession que l’on ne dût maudire : de ce que la justice a quel- quefois envoyé des innocents à l’échafaud, de ce que la méde- cine a peut-être tué plus de malades qu'elle n’en a guéris, doit- on conclure à la condamnation des juges et des médecins en général? Si parfois le soldat fut détourné de son véritable but, la défense des intérêts de la nation, n’a-t-il pas alors sacrifié ses propres sentiments à la sanction de cette grande loi d’obéis- sance passive qui fait sa force, et ce sacrifice même ne doit-il pas lui être compté avec tant d’autres ? L'esprit militaire ne se perd que trop chez les peuples policés; légoisme le remplace : c’est qu'il est plus facile de prêcher l’ab- négation et le courage que de les mettre en pratique, plus commode de jouir tranquillement des fruits de la civilisation que d'abandonner famille et patrie pour aller la défendre au péril de ses jours. Que l’on s'arrête dans cette voie funeste ! Que le citoyen qui travaille et le citoyen qui protége n’oublient plus que, frères tous deux, ils sont également utiles à la mère com- mune ; et puisque l’un a choisi la tâche la plus périlleuse, que l'autre reconnaisse son noble dévouement par les plus nobles des récompenses, la reconnaissance et la gloire! Que nos armées, — 244 — au lieu de se séparer de plus en plus de la nation, comme les prétoriens de l’ancienne Rome, s’en rapprochent au contraire et s'y retrempent ! Que, sans sortir de leur pays et par de savantes études, elles consacrent leur ardeur à perfectionner l’art de la guerre, au lieu d'aller répandre au loin un sang précieux, dans des expéditions qui n’ont d'autre but que les intérêts privés des gouvernements ! « Et si, par une pente que l’on dit inévitable, ‘elles venaient à s’amollir dans ces spéculations pacifiques, elles regagneraient plus par l’industrie qu’elles ne pourraient perdre par des triomphes passagers qui ne seraient dus qu’à la force ; le génie d'invention arrêterait les débordements de la barbarie ; la dextérité amortirait des efforts dirigés à l’aveugle, et la hache du Tartare viendrait s'émousser contre des armes trempées dans le creuset de l'artiste ingénieux. » VII Siége de Gibraltar. Les Etats-Unis venaient de proclamer leur indépendance, et nous nous préparions, en leur prêtant notre appui, à nous venger de la perte récente du Canada. L'Espagne, entraînée par le pacte de famille et voyant ses colonies d'Amérique prêtes à lui échapper, s'unit à la France, et les deux nations déclarèrent la guerre à l'Angleterre. Pendant que le bailli de Suffren s’illustrait dans les mers des Indes, les flottes de France et d'Espagne, réunies le 23 juin 1779, mirent le blocus devant Gibraltar. Ce blocus durait déjà depuis trois ans, sans avoir pu empêcher l'amiral Derby, en 1779, et l’amiral Rodney, en 4781, de ravi- tailler cette place, quand les puissances alliées se décidèrent à en entreprendre le siége. La montagne de Gibraltar, haute d'environ 400 mètres, s'élève brusquement à la pointe sud d’une étroite presqu'île, et présente au nord, à l’est et au midi des escarpements inaccessibles; mais — 245 — le versant ouest forme une sorte de cirque en pente douce, contre _ les flancs duquel serpentent à découvert des chemins qui con- duisent aux batteries étagées sur les ressauts des escarpements du nord. C’est au bas de ce cirque que s'étend la ville, fermée seulement du côté de la mer par une muraille assez mal flanquée. Si l'on eût voulu appliquer à Gibraltar la méthode ordinaire des siéges, comme cela avait eu lieu en 1705 et en 1727, on aurait dû attaquer le front unique situé du côté de l'isthme. II aurait fallu de La sorte cheminer sur une étroite langue de terre, bordée d’ur côté par la Méditerranée, de l’autre par une Inon- dation; puis s’avancer sur un glacis très resserré, établir une batterie de brèche et enfin donner l'assaut : opérations partout longues et dangereuses, et ici presque impraücables, à cause de la convergence du commandement et de la multiplicité des feux anglais. D’Arçon le sentit, et, dès le mois de mars 1780, il envoya à l'ambassadeur d’Espagne un mémoire très d'taillé, dans lequel il exposait un projet d'attaque basé sur des considérations nou- velles (1). Toutes les places maritimes, disait-il, ont été fortifiées d’après ce principe que, ne pouvant être attaquées du côté de la mer que par des vaisseaux, il leur suffit en ces points d’une simple . muraille capable de porter du canon. Des vaisseaux peuvent bien, en effet, grâce à la superposition de leurs feux, prendre momentanément la supériorité sur les batteries de terre; mais, qu'on les force à stationner pour faire brèche, bientôt les boulets rouges, les bombes, les obus, les artifices de toute sorte, perçant () Le dépôt des fortifications possède une note de d'Arçon, datée de 1779, sous ce titre : Idée sur le siège de Gibraltar. — On a prétendu que le projet de d’Arcon n'était qu'une légère modification de celui proposé, quelques années auparavant, par M. de Vallière, capitaine de mineurs ; mais, outre que le susdit projet n'était qu’un aperçu contenant à peine trois pages d'écriture, il était fondé sur des principes tout opposés : suivant Vallière, la véritable attaque devait avoir lieu par terre, et les quelques batteries qu'on devait placer en mer étaient destinées, non à faire brèche aux fronts de l'ouest, mais à ricocher les fronts du rord. — 246 — leurs frêles bordages et portant l'incendie dans leurs entrailles, les forceront à fuir, s'ils ne veulent périr corps et biens. Tout change si, au lieu de navires ordinaires, on emploie des machines insubmersibles et incombustibles ; alors, les feux de la défense devenant impuissants, le siége commence par où les autres finissent ordinairement : la brèche au corps de place. D’après le projet de d’Arçon, ces machines devaient être dix prames plates, portant à babord 150 pièces de 24. Ce côté (exposé au feu de l'ennemi) était renforcé, jusqu’à la ligne de flottaison, par d'épais madriers de chêne vert disposés jointi- vement (!), et surmonté par un blindage incliné à l'abri duquel se manœuvraient les canons. Ce blindage était terminé à sa partie supérieure par de longues poutres creusées en rigole, destinées à recevoir, à l’aide de pompes, une eau abondante qui, de là, devait se répandre sur des toiles à voile plissées et fixées d’abord dans l’intérieur du blindage incliné, puis entre le redoublement extérieur de la prame et le bordage intérieur soi- gneusement calfaté. L'imbibition de cette cuirasse de bois devait être complétée par un arrosage extérieur, que rendraient plus efficace des retenues faites par de longues cordes clouées hori- zontalement, de pied en pied, sur sa surface. Enfin, un lest con- venablement réparti à tribord rétablirait l'équilibre, et un lit de vieux câbles devait par son élasticité annuler l'effet des bombes. Les prames, construites dans la rade d’Algésiras, iraient s'embosser devant la place, soutenues par les feux d’une attaque auxiliaire par terre, qui prendrait à revers et d’enfilade tous les fronts attaqués. Au bout de huit ou dix jours, elles auraient ouvert une brèche immense et ruiné les défenses; alors, une heure avant le lever du soleil, 150 chaloupes, portant 50 hommes chacune, déboucheraient de derrière la file des batteries, pour aborder sur la plage, au pied des brèches, et y déposer les colonnes d'assaut. Malgré sa clarté, le projet de d’Arçon souleva d’abord cette (4) Cette cuirasse avait un mètre d'épaisseur. SN — opposition violente qui ne manque jamais d'accueillir les idées nouvelles. Pendant plusieurs mois, l'ingénieur dut lutter pour vaincre la résistance des esprits méthodiques, effrayés de tout ce qui semble s'éloigner des routes battues. Heureusement l’am- bassadeur d’Espagne était un homme de haute intelligence; il écrivit à Madrid, et, malgré l'opposition du comte de Ségur, alors ministre de la guerre, d’Arçon, demandé à la France, fut envoyé à Gibraltar à la fin de juillet 1781. Il reconnut la place avec un soin extrême (!), et indiqua comme point d'attaque le nouveau port situé au sud, près de la pointe de la presqu'île dite Pointe-d'Europe. Ce nouveau port présentait sur l’ancien, situé au nord, près du front de terre, l'avantage d’un mouillage plus profond, ce qui permettait aux prames d'aborder directement : l'espace en arrière était mieux découvert, de sorte que la colonne d'assaut pouvait se développer sans craindre de chicanes ; enfin, les casernes et les hôpitaux se trouvant agglomérés sur cette partie de la montagne qui était La plus salubre, on devait supposer que la gêne imposée aux assié- gés par la ruine de ces établissements, accélérerait la reddition de la place. Un comité chargé de l'examen des différents projets proposés pour réduire Gibraltar, admit celui de l'ingénieur français; les cours de France et d’Espagne ratifièrent sa décision, et le général duc de Crillon, qui venait d'enlever Minorque aux Anglais, fut chargé de la conduite du siége. Dès lors commence cette longue série de fautes, où le mauvais vouloir et l'imprévoyance semblent se disputer le triste honneur de faire échouer l’entreprise la plus gigantesque et la mieux conçue que présente l'histoire des guerres modernes. D’Arçon s'était rendu à Cadix pour y examiner dix vaisseaux de transport qui, par des raisons d'économie, devaient être () Description historique et topographique de La ville et des fortifications de Gibraltar, avec un détail de la baie et du détroit, el aussi des endroits qui peuvent contribuer à l'attaque et à la défense de celte place, Paris, 1781, — 948 — organisés de façon à remplacer les prames plates. Sur ces dix vaisseaux, sept étaient trop vieux ou d’un tonnage trop faible pour l’usage auquel on les destinait : avant que l'ingénieur eût eu le temps de faire son rapport, ils étaient achetés et envoyés à Algésiras où ils arrivèrent au commencement de mai 4782 (!). Là, d’Arçon ne trouva ni chantiers, ni chemins, ni ouvriers. Le commandant du port, loin de le seconder, écrivait à l'ngé- nieur en chef de la marine chargé de fournir les matériaux nécessaires : « Méfiez-vous de ce Français, il échouera et vous rendra responsable. » Cependant l’activité prodigieuse de l'inventeur suffit à tout. En même temps qu'il se multipliait dans la surveillance des travaux, il discutait encore avec les hommes spéciaux tous les détails de son projet (?) : non pas qu’il pût y avoir quelque chose à changer dans des dispositions déjà si sérieusement méditées par lui; mais il tenait à faire passer une conviction complète dans l'esprit de tous ceux qui étaient appelés à jouer un rôle dans le siége, et à avoir, suivant son expression, des patrons (*) Le 10 mai 1782, d’Arcon fut nommé colonel au choix. En 1781, M. de Laffite-Clavé avait recu la même faveur, au retour d’une mission en Tur- quie. Ce sont les deux seuls exemples de grades non donnés à l'ancienneté dans Île corps du génie, de 1777 à 1790. (2) On trouve dans une correspondance échangée à cette époque entre d’Arcon et M. de Verdun, capitaine du vaisseau Royal-Louis, l'idée pre- mière des batteries cuirassées en fer. M. de Verdun proposait de revètir les bâtiments avec une muraille en briques fixée au bordage par des gril- lages en fer. D’Arcon répondit : « Le fer quarré, disposé en grillages sur des maçonneries friables, manquerait de ductilité et serait bientôt brisé par le canon; mais il serait vraiment avantageux de l’employer en lames épaisses à barder la surface extérieure des appareils de charpente massive, sans rien économiser d’ailleurs sur les épaisseurs des bois, qui seraient toujours nécessaires pour résister à la chute des bombes. IL faudrait en- castrer des bandes de fer, de deux pouces de largeur sur neuf lignes d'épaisseur, sur la surface extérieure de ces blindages, suivant le sens de leur inclinaison et laissant entre elles des intervalles de deux pouces. La résistance qu'opposeraient ces barres consolidées sur des masses de bois dur, empêcherait, avec le secours de l’inclinaison des blindages, que les bombes ne pénétrassent dans le bois, » — 949 — renforcés. Il prévoyait les jalousies et les méfiances, qui, en effet, ne tardèrent point à éclater. L’enthousiasme général aurait pourtant pu l’éblouir : les jour- naux de toute l’Europe retentissaient de son nom, et les nom- breux ennemis de l'Angleterre se réjouissaient déjà hautement de la chute de Gibraltar, cette hydre des forteresses; des princes, des chefs d’escadre, des capitaines de haut bord s'étaient disputé Je commandement des prames, et le duc de Crillon prétend, dans ses Mémoires, que la cour lui avait imposé le projet des batteries flottantes, parce qu’elle était convaincue que la vue seule des préparatifs déterminerait la reddition de la place. La petite armée française, composée de 4,000 hommes, sous les ordres du baron de Falkenheim, arriva de Mahon au camp de Gibraltar vers la fin de juin. Le duc de Crillon la suivit de près, et, à partir de ce moment, un conseil de marine fut tenu tous les huit jours à Algésiras, pour régler tous les détails de l'attaque. C’est là que, dans d’interminables discussions, les questions principales furent peu à peu éliminées pour faire place aux objections de détail les plus futiles, cent fois réfutées et cent fois reproduites ; c'est là que se fomentèrent les rivalités mesquines et les vaines prétentions qui devaient amener la catas- trophe du 143 septembre. Crillon était déjà illustre par de nombreux succès; mais ces succès, 1l les devait plus à sa fortune qu’à ses talents. Brave, mais de cette bravoure qui convient plutôt à un soldat qu’à un général, il accueillait mieux les conseils d'une brillante témérité que ceux d'une prudente sagesse. Défiant à l'égard de ses offi- ciers généraux, il ne voyait en eux que des chefs de parti, tandis qu'il accordait toute sa confiance à des intrigants subalternes. Trop peu instruit pour apprécier la valeur des procédés de détail employés par son ingénieur, il fut assez léger pour ne s'être Jamais rendu un compte exact de l’ensemble des opérations. S'il eût enfin le d‘vouement d'accepter la conduite d'un projet qui n'était pas le sien, il ne poussa pas la vertu jusqu'au point de sacrifier sans arrière-pensée ses propres combinaisons. — 250 -— Moreno, chef de l’escadre du blocus, avait été nommé au commandement général des prames, malgré Crillon qui redou- tait son influence auprès du ministre. Il avait les qualités et les vices qui font paraître un homme de loin et le font mépriser de près. Intelligent et résolu, il était faux et ambitieux. Secrètement jaloux du colonel français, il lui faisait une sourde opposition sous le prétexte de sauvegarder les intérêts de son corps. Egoïste et fanfaron, il cherchait, avant toutes choses, à empêcher les officiers de terre de s'immiscer dans les affaires de la marine, et quand d’Arçon proposa d’essayer l'effet des boulets rouges sur les prames, il détermina le refus du conseil en disant qu'il se chargeaït à lui seul de recevoir dans la poitrine tous les bou- lets de l'ennemi. Souvent des raisons semblables obtinrent le même succès. Les autres capitaines des prames, tous grands personnages, étaient en rivalité ouverte. Partageant l’opinion commune que les Anglais, épuisés par un long blocus, attendaient l’occasion de se rendre avec gloire, ils ne demandaient qu’une chose, briller dans la journée décisive : aussi repoussaient-ils toute apparence de combinaison, chacun voulant combattre pour son propre compte. Le baron de Falkenheim, nature franche et loyale, se perdait au milieu de ce conflit de haines et de petitesses. En vain il voulait servir d’intermédiaire : plusieurs fois il fut trompé lui- même en ce qui concernait les attributions de son corps d'armée; car les rivalités particulières des Espagnols s’effaçaient toutes devant le désir de glorifier leur nation aux dépens de la France. D’Arçon, placé au centre de l'orage, cherchait à le conjurer, en affectant pour tous une confiance qu'il était loim d’avoir. Ménagé en apparence, parce qu’on soupçonnait son crédit auprès de la cour, mais enserré dans un réseau d’intrigues mystérieuses, il avait affaire à des adversaires d'autant plus dangereux que, ses instructions secrètes lui enjoignant d’avoir égard à toutes les susceptibilités, ilne pouvait opposer à une malveillance systéma- tique que larme impuissante de la persuasion. Ses propositions , bi les plus sages étaient repoussées comme pusillanimes. On l’ac- cusait de vouloir traiter trop en père ses propres enfants ([‘). Le plus souvent même on se refusait à l'entendre, et, le général l'arrêtant sur les mots de la langue espagnole qu'il prononçait assez mal, il était forcé d’avoir recours à des plans ou à des mémoires; mais ces plans on ne les comprenait pas, et ces mémoires on ne se donnait pas la peine de les lire. Cependant les esprits originaux ont un sentiment naturel de leur force, qui leur donne une énergie surhumaine pour sur- monter les obstacles. Cédant avec habileté sur les détails secon- daires, afin de faire admettre les dispositions essentielles, d’Arçon parvint à réunir les suffrages du conseil sur le projet suivant : Le point d'attaque fut transporté au vieux port contigu au front de l'isthme, afin de plaire au général qui voulait donner un rôle à son armée de terre ; Les dix batteries, armées de 150 pièces de 24, devaient se placer sur deux rangs, à 450 mètres environ de la place, et con- centrer leurs feux sur les deux fronts les plus au nord; Trente chaloupes canonnières {?), réparties trois par trois à l'abri derrière les prames, devaient se tenir prêtes à avancer au moindre signal contre les embarcations que les ennemis auraient pu diriger sur les batteries flottantes : la nécessité d'éviter les coups d’embrasure avait contraint à rendre celles des batteries aussi étroites que possible (*), ce qui ne permettait qu'une très petite mobilité dans le tir, destiné uniquement du reste à battre des points déterminés pour les brèches ; () C'est sous ce prétexte que fut rejetée l’idée d'embosser les prames en trois positions successives, en les touant, pendant la nuit, sur des ancres perdues en avant, et en les approchant au fur et à mesure de J’affaiblisse- ment des défenseurs. On eût assuré ainsi la concordance des attaques de mer et de terre , et une grande précision dans la position définitive des prames pour le tir en brèche. (*) Il existe encore à l’Armeria real de Madrid un modèle de ces cha- loupes. (#) Le rapport de la partie pleine à la partie évidée sur le babord des prames était de 24 à 1; des dispositions de détail, prises à l'intérieur, diminuaient encore le danger des coups d'embrasure. — 959 — . Deux divisions de quinze bombardes chacune, placées à droite et à gauche des prames et à une assez grande distance en arrière pour avoir peu à redouter le canon de l'ennemi (‘), devaient concourir, avec les feux de l'attaque auxiliaire par terre, à inonder de projectiles les fronts dangereux ; Enfin, quand la brèche serait ouverte, huit ou dix vaisseaux de guerre opéreraient une diversion sur la Pointe-d’'Europe, pendant que deux colonnes d'assaut s'élanceraient, l'une de derrière les prames sur des barques, l’autre des tranchées sur le quai du vieux port rendu accessible par la ruine d’un profil en maçonnerie qui en défendait l'entrée. L'arrivée au camp du comte d'Artois, neveu du roi d'Espagne et frère du roi de France, donna le signal des opérations. Dans la nuit du 45 au 16 août, 1,500 travailleurs, sous la protection de 10,000 soldats en armes, exécutèrent sur l’isthme, à 900 mètres de la place, une sape volante composée de 760 mètres de tranchées et de 1,300 mètres de communications. Cette sape présentait des difficultés d’une nature toute particu- lière, à cause de la consistance sablonneuse du terrain, de l'énorme commandement des batteries anglaises, et de la rapide combustibilité que donne aux fascinages le ciel brûlant de l'Es- pagne. D'Arçon indiqua d’ingénieuses dispositions, au moyen de toaneaux et de sacs remplis de sable ; et 1l conduisit lui-même le travail avec tant d'ordre, qu’il put en dérober la connaissance à l'ennemi par une rapidité d'exécution qui n’a pas d'autre exemple. En cinq heures, la sape fut portée à 2,60 de haut sur 3%,25 de large, sans que l'attaque, favorisée par un vent violent qui empêchait le bruit des outils d'arriver jusqu’à la place, eût perdu un seul homme. Au lever du jour, les Anglais, apercevant cette immense muraille sur un terrain nu la veille, n'en pouvaient croire leurs () Le canon des Anglais n’était dangereux pour les bombardes qu'autant qu'il les atteignait: les bombes des assiégeants étaient désastreuses où qu'elles tombassent, pourvu qu’elles tombassent dans la ville. — 253 — yeux. Ils ouvrirent contre les épaulements un feu terrible, malgré lequel ceux-ci furent renforcés la nuit suivante par un triple revêtement intérieur de saucissons couronnés de sacs à terre (!). Les abords resserrés de la porte de ville et une garde habile- ment placée, d’après les conseils de l'ingénieur, à couvert sous les escarpements du nord, rendaient les sorties très dangereuses pour les assiégés : aussi n’en tentèrent-ils pas; mais deux fois ils essayèrent d’incendier les ouvrages, et deux fois l'incendie fut éteint, grâce à l’activité des Français, qui se trouvaient pré- cisément de garde ces jours-là. Le 6 septembre, tout était fini à l'attaque de terre : une grande parallèle s’étendait d’une mer à l’autre, sur une longueur de plus de deux kilomètres, et 190 bouches à feu n’attendaient que le démasquement de leurs embrasures pour inonder de projec- tiles les fronts de l’ouest. Mais les batteries flottantes n'étaient point achevées ; trois des plus grosses étaient encore en cons- truction. Néanmoins, sur le bruit que la flotte anglaise, aux ordres de l'amiral Hove, venait de partir de Plymouth avec un convoi de 200 voiles pour ravitailler Gibraltar, Crillon voulut tenter l’at- taque générale ; la violence des vents empêcha seule l'exécution de ces ordres prématurés. Le futile désir d’étonner les Anglais par un coup de théâtre fit alors retarder le démasquement des embrasures. C'était inviter les ennemis à les insulter. Ils n’y manquèrent point, et, dans la journée du 8, ils firent pleuvoir sur les travaux de l'attaque une grêle de matières incendiaires, de carcasses et de boulets rouges. Le feu se déclara en plusieurs endroits; les Français, qui se (:) D'Arçon fit construire, dans la tranchée même et du côté du revers, une série de petites traverses destinées, non à préserver de l’enfilade, mais à garantir des éclats de bombes et d'obus les hommes qui n'avaient qu'à se jeter du côté opposé à celui où tombait le projectile. Cette simple disposition eut, paraît-il, les plus heureux résultats. — 254 — trouvaient encore de garde, ne purent le maîtriser qu'au bout de dix heures de travail. Crillon comprit sa faute et fit démasquer les batteries dans la nuit du 8 au 9; mais il ne renonça point à ce qu’il appelait son premier coup d'archet : les onze vaisseaux de l’escadre de Moreno reçurent l’ordre d’appareiller à la pointe du jour, pour aller canonner la Pointe-d'Europe, au moment où les pièces de terre commenceraient leur feu. Les Anglais, prévenus à temps par les manœuvres que ne pouvait plus dérober l'obscurité de la nuit, reçurent l’amiral avec des boulets rouges. Moreno en fut réduit, pour ne pas sacrifier ses bâtiments, à se tenir hors de portée. Humilié du rôle ridicule qu’on lui faisait Jouer en face de l’armée de terre, témoin de cette vaine canonnade, il en conserva un ressentiment profond, que de nouveaux griefs devaient bientôt transformer en une soif ardente de vengeance. Le soir et la nuit suivante, des attaques isolées et sans but eurent encore lieu avec des chaloupes canonnières. C'était ainsi que le général discréditait à plaisir ses propres moyens, et compromettait par des parades indignes le succès des opérations futures. Le 12, arriva l’escadre combinée sous les ordres de don Cordova, forte de trente-neuf vaisseaux de ligne, dont douze français. Crillon, vivement pressé par la cour, crut devoir profiter du découragement que ce nouveau renfort avait sans doute inspiré aux Anglais : le vent, qui avait amené l’escadre, était propice à l’'embossement des prames; l’équinoxe approchait avec ses tem- pêtes, et la flotte anglaise ne pouvait être loin. Il ordonna de préparer l'attaque pour le jour suivant, et fit embarquer les poudres. En vain d’Arçon fit observer que les bouées de reconnaissance pour indiquer la route et la position des prames n’existaient point encore; que cette route n'avait pas même été reconnue, et que cependant les sondages, dont s'était chargé Moreno, étaient absolument nécessaires, à cause des bancs de sable qui — 9255 — obstruaient l'entrée du vieux port; que les ancres de secours, proposées pour la retraite, n'étaient point placées; que les instructions pour le tir des prames et des batteries de terre n'étaient pas faites; qu'aucune mesure n’ayait été concertée avec l’escadre qui venait d'arriver; qu'il serait plus sage de laisser passer l’équinoxe; qu’enfin on ne devait pas s'inquiéter de la flotte anglaise, puisque, dans tous les cas, la prise de la place était assurée. « Je vous ai fait venir ici pour exécuter des batteries flottantes, répondit le général : le reste me regarde; commencez. » | L'ingénieur n'avait plus qu’à obéir. On s’aperçut alors, en essayant les rigoles nourricières, que le calfatage, auquel on avait travaillé nuit et Jour, était mal fait, et que l’eau de l’arrosage intérieur menaçait de mouiller les poudres. [Il était trop tard pour tout recommencer; cette dispo- sition n’était du reste pas essentielle, et d’Arçon pensait que, grâce à la résistance énorme des bois, les boulets rouges s’étein- draient d'eux-mêmes dans le blindage faute d'air. Une exécution vigoureuse pouvait du reste encore tout sauver. « Il faut em- ployer nos moyens quels qu'ils soient, disait-il ce jour-là à un ami : il n’est plus permis de calculer lorsque les circonstances forcées nous ordonnent d'agir; mais j'ai perdu tout le mérite de mon projet, on ne réussira que par l'ensembie et l’'énormité des moyens. » A la chute du jour, il s'embarqua avec quelques rameurs sur un petit canot et alla reconnaître lui-même la passe. La nuit était sereine, et son esquif, se détachant comme un point noir sur la surface lumineuse des eaux, ne tarda pas à être signalé aux batteries de la place. Menacé à chaque instant d’être coulé bas, il parvint cependant à prendre les sondages les plus néces- saires, et revint au camp préparer pour les diverses batteries, soit de terre, soit de mer, des instructions où il indiquait jour par jour les points qu’elles devaient attaquer. Il était ainsi occupé, quand, à deux heures du matin, sous l'influence de je ne sais quelles basses intrigues, Moreno reçut — 256 — du général en chef l'ordre d'attaquer incontinent, sous peine de destitution. Le billet ajoutait que s’il n’obéissait pas de suite, le comte d'Artois saurait à quoi attribuer le motif de ce retard. « Je ferai voir à M. de Crillon, répondit Moreno exaspéré par cette insulte, que je n'ai pas peur du canon, » et il donna l’ordre d'appareiller; puis, sans s'inquiéter si ses ordres avaient été transmis et si les dispositions convenues avaient été prises, il monta sur la Pastora dont il avait le commandement, et alla s'embosser au centre de la place, à 600 mètres des murailles. Cependant les commandants des prames et d’Arçon, succes- sivement avertis, arrivaient en hâte au lieu d'embarquement et se précipitaient à la suite de la Pastora. La plupart des batte- ries, ignorantes de ce qu’elles avaient à faire et de la route qu'elles devaient suivre, manquèrent la passe; elles allèrent butter contre les bancs de sable et restèrent dès lors simples spectatrices du combat. La Talla-Piedra seule, commandée par le prince de Nassau et portant d’Arçon,-alla prendre un emplacement voisin de celui qui lui était désigné. Les Anglais regardaient surpris : l’habile général Elliot, gou- verneur de la place, hésitait à reconnaître dans ces manœuvres désordonntes le plan d'attaque si redouté du célèbre ingénieur ; mais quand, vers neuf heures, les batteries flottantes ouvrirent leur feu, et que les batteries de terre répondirent à cet appel, il fit converger vers la Pastora et la Talla-Piedra, qui seules étaient à portée, tous les canons de la place. L'enthousiasme du combat avait chassé à bord des prames ioute autre préoccupation. Les coups terribles de l'ennemi, qu’on entendait s’amortir contre les épais massifs de charpente, étaient autant de sujets de joie et d'espérance. Quand la muraille vint à faiblir et qu'on vit quelques pierres se détacher sous les boulets des batteries, ce fut un véritable délire. Sur la Talla- Piedra, on portait l'inventeur en triomphe, on l'embrassait, on venait solliciter de lui la faveur de prendre part à l'assaut. « Nous n’en sommes point encore là; 1l y aura place pour tout le monde, » répondait d'Arçon, qui, loin de partager l'ivresse de | _-#13 générale, remarquait avec inquiétude la mauvaise direction des projectiles de l’attaque de terre : les bombes tombaïent dans la mer en avant de la ville, pendant que les boulets venaient frapper inutilement les escarpements du nord (!). _ Les Anglais, rassurés de ce côté, précisaient leur tir, et les coups d’embrasure devenaient de plus en plus fréquents. À onze heures et demie, il y avait sur la Talla-Piedra vingt-cinq hommes hors de combat, et le prince de Nassau écrivait au comte d'Artois : « Le danger est grand ; nous perdons beaucoup de monde, mais les prames résistent bien; les boulets rouges s’'éteignent facilement, et j'espère bientôt, au moyen d’une brèche, vous ouvrir les portes de Gibraltar. » Mais voilà qu’à midi les batteries de l’isthme se taisent tout à coup : elles avaient épuisé leurs munitions journalières, et en l'absence d'ordres nouveaux, nul ne voulut prendre sur lui la responsabilité d'aller se ravitailler au pare distant à peine de deux kilomètres et demi. Les chaloupes canonnières et les bom- bardes ne paraissaient pas; elles n'avaient point été prévenues. Les onze vaisseaux de l’escadre de blocus, qui devaient faire diversion à la Pointe-d’Europe, avaient été réclamés par l'amiral Cordova, indigné de la comédie qu’on leur avait fait jouer le 9; ils étaient ainsi soustraits à l’autorité de Crillon et n'avaient plus à concourir aux opérations du siége. D’Arçon se sentit perdu. S’approchant d’un officier français, 1l lui dit avec déses- poir : « Ne voyez-vous pas, mon ami, que nous sommes aban- donnés de Dieu et des hommes. » Mais l'excès du malheur qui anéantit les âmes timides, ranime au contraire les natures d’élite. Un boulet rouge, s’enfonçant plus profondément que les autres, était arrivé jusqu'au bordage intérieur du navire. L’in- tervalle destiné à la circulation aqueuse fournissait de l’air : a] Les batteries de terre devaient exécuter, à charge entière, un tir plongeant à grande distance sur des objets qu'elles ne voyaient pas. Ce tir était inusité et présentait des difficultés particulières : aussi d’Arçon avait-il préparé pour l'artillerie des instructions précises qui, on l'a vu, ne purent être distribuées, 17 — 9258 — aussi, loin de s’éteindre au bout d’une heure, comme les autres, il produisit un charbonnement lent, insensible, qui donnait de la fumée par le trou extérieur. Réunissant avec peine quelques soldats et secondé par le zèle d’un ancien capitaine du génie qui s'était dévoué à sa fortune, d’Arçon essaya d’éteindre ce commencement d'incendie. Mais le tir des Anglais n’était plus inquiété, et il avait acquis une telle précision qu’en moins d’une heure vingt hommes périrent en tentant d’humecter, au moyen de seaux, le bordage extérieur. On voulut alors recourir aux pompes, mais 1l n’en restait plus qu’une dont le tuyau se trouva trop court pour atteindre le trou du boulet; on fit rapprocher le coffre, et au moment même où l'inquiétude allait cesser par l'application de l’injecteur dans le trou fumant, le tuyau fut coupé par un boulet. Le prince de Nassau, qui jusqu'alors n'avait vu que le cheva- leresque honneur de supporter à lui seul tous les efforts de la place, commença à s’effrayer. Quoique le boulet fût à plus de 17 mètres de la soute aux poudres, il ordonna de les mouiller ; en même temps, i envoya demander des secours à Crillon. Le seul secours efficace en ce moment eût été une diversion qui facilitât la retraite : d'Arçon supplia le prince de le laisser aller lui-même faire décider des ordres généraux; il était inutile au dedans et pouvait servir efficacement au dehors. Nassau crut mettre sa responsabilité à couvert en gardant l'ingénieur; il refusa. Cependant le boulet de la Talla-Piedra fumait toujours. On essaya de rétablir la circulation intérieure : l'eau coula dans la batterie à travers le bordage. On en revint aux seaux, et l’on voulut ouvrir le bordage par dedans pour arriver plus facilement au foyer de l'incendie ; mais les charpentiers et leurs outils étaient perdus au fond de la cale. Le capitaine en second pro- posa d'envoyer une ancre de secours hors de la portée de l’en- nemi, et de ramener le cordage pour que la batterie pût aller se réparer à son aise : jamais on ne parvint à réunir assez de matelots pour effectuer la manœuvre; on les faisait sortir de la — 259 — cale à coups de baton, ils y rentraient furtivement l'instant d'après. Il ne restait plus qu’une ressource : avertir la flotte; on | s'aperçut seulement alors que la feuille des signaux, qui avait été remise au dernier moment, n’établissait aucune correspon- dance avec l’escadre combinée. La nuit s’avançait : les vagues terreurs que l’obscurité en- fante achevaient de troubler la superstitieuse imagination de l'équipage, surexcitée par la fatale issue de tous ses efforts. Les quelques soldats restés à l’entrepont s'étaient couchés pêle- mêle avec les cadavres, attendant la mort dans l’apathie du désespoir. Les bombes, les boulets, les grenades pleuvaient sur la charpente avec un bruit sourd, et ce bruit qui, le matin, semblait d'un si heureux augure, faisait maintenant tressaillir les plus hardis. Assis sur l’affût d’un de ses canons désormais muets, le prince de Nassau, comme le capitaine qui voit sombrer son navire, écrivait sur ses genoux les détails de cette sinistre Journée. Plusieurs officiers l'entouraient, la plupart blessés, à terre, couverts de sang et se refusant au repos. D’Arçon, en chemise, échevelé, enveloppé dans une longue couverture de laine, était comme égaré; il voyait ses rêves évanouis, sa gloire disparue, et, dans sa naïve grandeur, il se reprochait les vic- times qui gisaient à ses pieds. Pourtant tout n’était point encore perdu. Quand, un siècle auparavant, Bernard Renau avait imaginé devant Alger les galiottes à bombes, un obus était venu mettre le feu à celle qui le portait. Les matelots, fuyant à la nage, l'avaient laissé seul sur son navire en flammes; mais le grand Duquesne s'était trouvé là : l'attaque avortée la veille avait pu être reprise le lendemain, et la conquête d'Alger était devenue la récompense du génie de l'inventeur et de la sagesse du général. Quel contraste avec ce qui se passait alors devant Gibraltar ! À quatre heures, le comte de Guichen, commandant les vais- seaux français, avait fait offrir à Moreno tous les secours de son escadre : Moreno, dont la batterie était en aussi mauvais état que celle du prince de Nassau, mais qui avait ses projets, — 260 — répondit que tout allait parfaitement et que l’on n’avait besoin de rien; puis, immédiatement après, abandonnant la Pastora, il se rendit auprès du duc de Crillon, auquel il confirma le rapport de l’envoyé de Nassau sur l’état critique des prames. Le général, qu'on est vraiment tenté de croire pris de vertige quand on lit les détails de cette malheureuse expédition, au lieu de faire touer les prames sur des ancres en arrière, comme cela avait été convenu, se rendit chez l’amiral Cordova, pour que celui-ci les fit remorquer par ses frégates. Cordova, froissé de n’avoir été jusque-là consulté en rien, se contenta d’alléguer l'impossibilité de l'opération à cause des vents contraires, et renvoya la commission à Moreno que cela regardait. C’est ce qu’attendait le haineux chef d’escadre : il avait enfin à la fois le moyen de se débarrasser d'un rival dont la renommée lui était importune, et de se venger d’un chef qui l'avait insulté; il pouvait détruire l’œuvre de l’un et charger l’autre de tout l’odieux de ce crime. , Profitant de la légèreté et du trouble de Crillon, il sut lui persuader que l’entreprise était finie, puisqu'on n'avait point encore réussi à faire brèche : il ne restait plus, disait-il, qu’à détruire les batteries pour empêcher l'Angleterre de s’en faire des trophées; puis, avec un art perfide, 1l fit sans doute briller à ses yeux l'espérance d’un succès prochain dont la gloire ne serait point partagée. Le duc qui, la veille, par un billet secrè- tement envoyé à Madrid, avait déclaré qu’il ne croyait point au succès des flottantes, et que, quelle que fût l'issue de l'attaque, 11 en déclinait la responsabilité, fut peut-être tenté d’aider à sa prophétie; 1l céda et donna par écrit l’ordre de brûler les prames. Cependant, à minuit, d’Arçon était parvenu à s'échapper de la Talla-Piedra : 1 courut demander secours aux premiers na- vires ; on le renvoya au vaisseau amiral, puis de là au duc de Crillon. Au quartier général, il ne trouva personne ; mais, en même temps qu'il apprit l'ordre donné, il vit s'élever du sein des eaux de sinistres flammes, et put suivre ainsi à la trace le canot chargé de remettre aux commandants des prames les — 261 — chemises soufrées qui devaient allumer l'incendie. Un seul de ces officiers s’avisa de faire retirer son bâtiment; il était déjà hors de la portée de l'ennemi, quand un second émissaire vint lui dire que l’ordre était de brûler et non de se retirer. Les autres, fatigués d'une longue et vaine inertie, acceptèrent avec joie une mesure qui mettait fin à leur périlleuse mission. Plu- sieurs l’accomplirent avec un tel empressement qu'ils ne se donnèrent pas même le temps de faire retirer leur équipage; et, le lendemain, les Anglais recueillirent plus de trois cents hommes abandonnés par leurs chefs sur des bâtiments embrasés. Cette joie, nous sommes forcés de le constater à regret, fut presque universelle dans le camp. La renommée de d’Arçon, l'éclat insolite de son projet, avaient d'abord exalté les esprits. Trois semaines avant la funeste journée que nous venons de décrire, une bombe lancée par les assié- geants tomba sur un magasin à poudre : de là une explosion épouvantable; tout le monde de l’attribuer à une composition merveilleuse donnée par l'ingénieur. D’Arçon s’en défendit tant qu'il put, et ce fut peut-être un tort. Beaucoup de gens s'étaient formé de lui l’idée d’un enchanteur qui, par la seule vertu de sa magique baguette, devait les faire entrer dans Gibraltar : ils éprouvèrent un secret mouvement de dépit quand ils ne purent plus voir en lui qu'un simple ingénieur {‘); par un brusque revirement, ils passèrent de l'enthousiasme le plus absurde à la plus injuste défiance. Dès lors, tout événement qui ramenait le siége à ses optrations ordinaires devait être bien accueilli par — «() « Tout, écrivait-il à cette occasion, dépendra des acteurs et de l'exé- cution; tout dépendra surtout des moyens énoncés qui doivent agir en- semble. Si le général peut déterminer cet heureux accord, c’est à lui seul qu'on devra tout le succès de l’entreprise : c'est sur la nécessité de ce con- cert général qu'il faut adresser nos prières à l'Ingénieur universel. Ayons-y plus de confiance qu’en la faiblesse des moyens qui sont entre les mains des hommes. Cependant, comme aussi ce sont des hommes que nous avons à vaincre, j'ai lieu d'espérer qu'il ne sera pas difficile d'en venir à bout. » — 9262 — la plupart des assiégeants, qui se retrouvaient ainsi sur leur terrain (!). Quelques jours après, d'Arçon écrivait à Fourcroy (?) : « Je vois ici des hommes qui ne savent pas dissimuler une joie intérieure qui éclate presque sans ménagements, et qui viennent me témoi- gner le plus grand intérêt à ce qu'ils appellent mes malheurs. Cela est singulier; eh! qu'importent mes malheurs? I faut vous dire mon secret, car ma contenance doit paraître inconséquente à ceux à qui je ne puis confier les contrastes bizarres de ma situa- tion ; le voici : Je suis malheureux au dernier point; mais c’est parce que je déplore un malheur d'Etat. Je suis l'objet de la plus affreuse humiliation et ne suis point humilié, bien convaineu d’avoir fait tout ce qui peut assurer le succès. Je suis timoré à l'excès sur l'opinion publique, et je récuse sans peine les juge- ments d’un peuple téméraire. Enfin, je serais idolâtre de l’hon- neur d’avoir contribué à un succès éclatant, et pourtant Je n'ai vu la fortune que comme un rêve dont on rit en s'éveillant. » Ces alternatives d'abattement et d’exaltation donnèrent lieu à deux ou trois scènes terribles dont d'Arçon fut obligé de dévorer les conséquences; et cependant il eut encore la vertu de servir ces mêmes hommes qui l'avaient sacrifié. Le ministre lui ayant fait demander son avis sur les opérations ultérieures, en l’avertissant qu'il ne s'agissait plus que d’une entreprise simulée en attendant le résultat des négociations politiques, il fit exécuter, en cinq heures, une communication de 480 mètres de long, partant de la droite de la parallèle et se dirigeant vers les escarpements du nord. L'opération, dérobée (:) Beaucoup de Français se consolèrent du malheur de leur compatriote par une plaisanterie. « Ce n’est pas, disaient-ils, le cheval de bois qui, cette fois, a pris Troie; c’est Troie qui a brûlé le cheval de bois. » Le mot n'était même pas juste; car ici c’étaient les Grecs qui avaient brûlé leur cheval, sans s'inquiéter des hommes qui étaient dedans. (2) La correspondance de d’Arcon avec de Fourcroy, général du génie, directeur attaché au ministère de la guerre, existe au dépôt des fortifica- tions; elle témoigne d’une grande intimité entre ces deux hommes. pARs- "pee pendant la nuit à l’aide de six mille travailleurs, fut dirigée par d’Arçon en personne, et ne coûta pas un seul soldat aux assié- geants. Ne pouvant plus vaincre, il voulait au moins conserver. Après cela, 1l n’y avait plus rien à faire : le moindre boyau de retour dirigé vers la droite eût été pris d’écharpe par les batte- ries de la place. D’Arçon obtint un ordre de rapatriement et revint en France en passant par Madrid (octobre 1782). Il eut la satisfaction d'y recevoir, de la part du roi et des ministres qui n'avaient point été dupes des événements de Gibraltar, de sin- cères éloges; mais 1l ne demanda aucune faveur, et, pendant qu'à sa sollicitation les imgénieurs de la marine et tous ceux qui avaient servi sous ses ordres recevaient des ‘récompenses, il rentrait à Paris avec un louis dans sa poche. Son départ ouvrit la barrière aux projeteurs de toute espèce. Un jésuite italien, tout imbu des souvenirs de l'antiquité, avait envoyé un projet d'attaque, appuyé de calculs détaillés et du reste fort savants. C’était une digue immense, large de trente mètres en moyenne, sur trois, quatre ou cinq brasses de profon- deur, qui devait, semblable à ces énormes cavaliers qu’élevaient autrefois les Grecs et les Romains, s’avancer jusqu'au pied des murailles de la ville, à 1,500 mètres de son point de départ. L'idée d'imiter Alexandre devant Tyr, ou Richelieu devant la Rochelle, séduisit Crillon. Il ne réfléchit pas que la digue du premier avait échoué, que celle du second n’était qu’un simple barrage hors de la portée de la place, et que, pour élever la sienne, il faudrait sacrifier des années, des millions et des armées entières; mais le cabinet de Madrid l'avait compris, et dès que, après la ruine des prames, il fut question de la construire, il en arrêta l'exécution. Le duc se rejeta alors sur les conceptions les plus bizarres. Il appela à ses conseils son perruquier, qui prétendait avoir trouvé une fissure dans le roc, au pied des escarpements de l’est : on voulait en profiter pour ouvrir une galerie qui n'aurait pas eu moins de 800 mètres de long; l’armée assiégeante devait s’en- — 264 — gager dans cette sombre embouchure, etarriver tambour battant au milieu de la place d'armes de Gibraltar. Un colonel de cavalerie prétendait harnacher des chevaux de liège pour en faire des escadrons maritimes. On cherchait des moyens merveilleux dans la balistique des anciens, pour lancer des bombes qui devaient empoisonner exclusivement l'atmosphère des ennemis. « Un de ces génies, plus heureux en singularité, proposa de seringuer la ville de Gibraltar. Les canons et les bombes lui paraissant faibles et méprisables, il leur substituait de vastes seringues mises en action par des pompes à feu : on aurait jeté vingt muids d’eau par minute; les calculs étaient excellents, 1l ne s'agissait plus que d'approcher les seringues. On enchérit encore sur cette idée, en proposant de seringuer du vinaigre pour fondre les rochers (1). » Heureusement, on se gardait bien de rien mettre en œuvre : tout se passait en allées, venues et apprêts mystérieux; on attendait avec impatience la paix, qui vint me mettre un terme à cette ridicule comédie. Si maintenant nous jetons un regard en arrière sur les événe- ments que J'ai essayé de raconter, nous nous sentirons pris pour d'Arçon d’un sentiment mêlé à la fois d’admiration et de pitié. : Nous verrons un homme de génie qui, pour réduire une place réputée imprenable, a conçu une idée simple et féconde. Pour la faire admettre, il combat la routine et les préjugés; pour en préparer l'exécution, il lutte contre l'insuffisance de ses res- sources, l'incapacité de ses chefs et la jalousie de ses égaux; et quand un ordre brutal, au moment où, à force de persévérance et d'habileté, il allait parvenir au terme de ses travaux, l’oblige à compromettre le résultat de tant d'efforts par une exécution pr'maturée, ïl sait encore triompher de lui-même et sacrilier son amour-propre d’'inventeur à ses devoirs de militaire : 1l (1) Conseil de querre privé sur l'événement de Gibraltar. — 265 — attaque et suecombe, vaincu non par ses ennemis, mais par la trahison de ses alliés. Cette défaite ne doit-elle point être considérée comme un triomphe, quand on réfléchit que sur 4,000 hommes, abandonnés et inactifs pendant quatorze heures sous le feu le plus terrible qu'on vit jamais, il y en eut 485 à peine hors de combat; que sur 9,000 bombes lancées par l'ennemi pendant ce même temps, il y en eut une seule qui perça le bordage incomplet de l’une des prames; et que ces prames, enfin, privées de la disposition principale qui devait assurer leur incombustibilité, n’ont pu être incendiées que par leurs propres équipages ? Que, d’un autre côté, l’on compte les milliers d'hommes qui eussent trouvé la mort dans les lentes et périlleuses opérations d’un siége ordinaire, et l'on pensera sans doute que, même dans son malheur, d’Arçcon a bien mérité de l'humanité. VIIL D'Arçon reprend ses travaux topographiques (1782). — Publications rela- tives au siége de Gibraltar. — Projet d'application des machines à vapeur à la défense des places (1785). — Projet d'endiguement du Rhin. — Les travaux topographiques sont interrompus (1786). — D'Arcon nommé directeur à Landau. — I1 défend la mémoire de Vauban contre de Laclos. — Circulaire du conseil de la guerre au sujet du trop grand nombre de places fortes (1788) et polémique à ce sujet. A son retour d'Espagne, d’Arçon reprit ses travaux topogra- phiques sur les frontières de l'est, et chercha, par des expé- riences (!) et des écrits, à présenter sous leur vrai jour les () D'Arcon fit, en mai 1783, à Besancon, des expériences sur la résistance d'un massif de bois de chêne imbibé d’eau à l’action des boulets rouges, et en adressa le résultat à l’Académie des sciences. Ce travail fut retenu pour être inséré dans l’un des volumes des savants étrangers, (Histoire de l'Aca- démie royale des sciences, an. 1784, p. 18.) En 1785, Meusnier, officier du «génie et membre de l'Académie des sciences, fit à Cherbourg de nouvelles expériences à ce sujet. Le comman- dant du génie Augoyat a résumé ces diverses expériences dans un mémoire inséré au n° 7 du Mémorial de l'officier du génie. — 266 — événements de Gibraltar, défigurés à chaque instant par des relations inexactes (!). Le ministre lui interdit longtemps toute publication à ce sujet. D’Arçon parvint cependant à faire paraître, en 4785, sans nom d'auteur ni de lieu et sous le titre de Conseil de guerre privé sur l'événement de Gibraltar, un gros volume (404 pages et 3 planches) où, au milieu de redites et de récriminations qui dévoilent une âme profondément ulcérée, il cherche encore à faire tourner son désastre au profit de l’art militaire. Etudiant en détail tous les faits du siége, il montre les fautes que l’on y a commises et les enseignements que l’on doit en retirer; il com- pare ensuite, dans différents cas, l'attaque par les procédés: ordinaires avec l'attaque par les batteries flottantes, et fait voir dans quelles circonstances ces dernières doivent être préférées. Un passage de ce livre, que nous avons cité dans le chapitre précédent, rappelle d'une façon ironique les projets présentés au duc de Crillon pour inonder Gibraltar au moyen de pompes mues par la vapeur. Cette idée-là n’était absurde que dans l’ap- plication spéciale que l’on en voulait faire, car quelques mois avant la publication du Conseil privé, le colonel avait développé lui-même, dans un discours lu à l’Académie de Besançon, tous les usages auxquels ces machines, alors bien peu usitées, pou- vaient être employées à la guerre et notamment dans la défense de certaines places {?). (1) Mémoire pour servir à l'histoire du siége de Gibrallar, par l’auteur des batteries flottantes. Cadix, Hermil frères, 1783, in-8°, — Cette brochure fut écrite à la hâte par d’Arcon, en novembre 1782; publiée à l'étranger par des amis officieux, elle est pleine d’omissions et d'erreurs. Noles sur les Mémoires militaires attribués à M. le duc de Crillon, en ce qui concerne Gibraliar, sans lieu ni date, 43 pages in-8°. Odservalions sur un mémoire atlribué à M. le prince de Nassau, au sujet de l'attaque de Gibrallar. (Ms. de la bibliothèque de Besancon.) Observations sur les faits ct circonstances qui, dans le Tableau de l'Espagne moderne, sont relatifs aux opérations du siège de Gibraltar. (Tbid.) (?) D'Arcon proposait d'employer les machines à vapeur pour élever les caux dans un réservoir central, d’où elles pourraient ensuite être distri- buées, soit pour alimenter les fontaines de la ville, soit pour faire marcher — 9267 — On sait combien sont pénibles les cheminements d'une attaque pendant la mauvaise saison : la terre détrempée fuit à travers les interstices des fascinages et se refuse à former des abris; les tranchées deviennent des ruisseaux fangeux; les fièvres, la dyssenterie s'emparent du soldat-épuisé par de longues stations dans ces eaux croupissantes, et souvent l’assiégeant, incapable d'avancer, décimé par les maladies, est forcé de lever le siége avant que la défense ait perdu, pour ainsi dire, un seul homme. Ces résultats, on pourrait les obtenir dans tous les temps, au moyen d'une irrigation artificielle des glacis. Un siphon renversé, en fonte, passant sous le fossé, aboutirait d’un côté à un réservoir alimenté, dans le corps de place, par une machine à vapeur, de l’autre à une rigole ménagée sous le glacis, à quatre ou cinq mètres des crêtes du chemin couvert. De cette rigole, qu’on enfoncerait plus ou moins au-dessous du sol, de façon à la rendre à peu près horizontale, on ferait partir une série de petits canaux qui, dirigés le long des arêtes, déverseraient par infiltration les eaux à droite et à gauche. Enfin, au pied de chacune de ces arêtes, un puits, de deux mètres de large sur deux mètres de haut, recueillerait le reste des eaux des moulins, soit enfin pour l'irrigation des glacis dont nous parlons dans le texte. « Cette opération, dit-il, a été exécutée à Nimes et a eu tout le succès qu'on avait lieu d’en attendre. Je vois, d’après le calcul des produits, qu’en élevant le château d'eau à la hauteur médiocre de quarante pieds, on aurait un débit de quatre pieds cubes d’eau par seconde; ainsi, en employant des roues à godets au lieu de roues à aubes, pour économiser la consommation de l’eau, et réservant d'ailleurs dix pieds de chute pour chaque tournant, on pourrait établir quatre coursiers à quatre étages de tournants chacun, ce qui ferait seize tournants mis en mouvement par une seule pompe à feu et sans chômage. » Ce projet peut donner une idée de l’état d'imperfection où se trouvait encore la mécanique du temps de d'Arcon. La pompe de Chaillot, que l’on venait de construire, passait pour l’un des chefs-d’œuvre de l’indus- trie humaine, malgré son volume immense, la complication de ses pièces et ses secousses terribles. Aujourd’hui nos petites machines à vapeur, si élégantes, si douces dans leur jeu, produisent quinze fois plus avec la même quantité de charbon. — 9268 — du canal et s’opposerait à toute tentative de mine de la part de l'assiégeant. Un tel système a ce grand avantage qu’il est appli- cable partout [!}, et que l'ennemi n’y peut rien, tandis que les inondations ordinaires sont susceptibles d’être saignées, et de plus rarement possibles sur les fronts d'attaque, en général assez élevés. F L'année suivante (1784), Flachon de la Jomarière, capitaine -du génie à Strasbourg, reprenant une idée déjà présentée, en 1742, par l'officier de cavalerie de Commeaux, proposa d'utiliser la force du jet d’une pompe à incendie pour s'opposer au cou- ronnement du chemin couvert. D’Arçon profita de cette occasion pour publier son propre système (?), et montra que celui de La Jomarière, applicable seulement contre les derniers travaux de l’assiégeant, pouvait être annulé en construisant les batteries de brèche et les communications adjacentes sans employer de terre; que, de plus, il nécessitait un trop grand nombre d'hommes et de machines pour produire un résultat efficace avec les moyens dont on pouvait alors disposer (?). Des essais de ces deux méthodes eurent lieu au polygone de Strasbourg, devant une commission d'officiers généraux. Les eaux jaillissantes produisirent l'effet qu’en attendait l'inventeur, contre des sapes exécutées par les procédés ordinaires. Quant à l'irrigation des glacis, bien que l’on n'eût qu'une mauvaise pompe à incendie qui fournissait à peine deux pieds et demi cubes par minute {la centième partie de ce que peut produire @) 11 suffit que le sol ne soit pas trop poreux ; et, même dans ce cas, on peut obtenir les résultats indiqués, en recouvrant les glacis de deux couches, l’une de terre glaise, l’autre de terre végétale, entre lesquelles coulerait l'eau. (?) Essai sur la défense des plares par des eaux jaillissantes et des eaux | soulerraines au moyen des pompes foulantes, par M. FLACHON DE LA JoMA- RIÈRE, février 1785, 32 pages et 1 pl.; — Réponse de M. le chevalier D'ARÇON à l'auteur de l'Essai sur La défense des places, 17 pages; — Réplique a M. D'ARÇON, par l'auteur de l'Essai, 18 pages : le tout formant une bro- chure in-&o. (3) 100 pompes et 1,500 hommes pour la défense d'un seul front, — 269 — une toute petite machine à vapeur), on constata que les sapeurs avaient bientôt de l’eau jusqu'à mi-jambe, qu'ils lançaient autant d’eau que de terre dans les gabions, que ceux-ci se renversaient pour la plupart; et, au bout de trois quarts d'heure, il fut unanimement décidé qu'il était impossible de continuer. « Cependant, dit Carnot, on n’a pas donné suite à ce résultat: ce qui prouve qu'il ne suffit pas toujours d’avoir pour soi l'expé- rience, la raison et même l'intérêt de l'Etat; la force de l’inertie l'emporte sur tout cela. Peut-être, dans un siècle ou deux, une circonstance extraordinaire fera-t-elle apercevoir que cette idée pouvait servir à quelque chose (!). » Peu de temps après ces expériences, des nécessités financières commandant la plus stricte économie, on donna l’ordre de sus- pendre les travaux topographiques (?). Leur directeur, brusque- ment congédié, revint à Besançon sans même obtenir le titre d'ingénieur en chef, titre purement honorifique qu'on lui avait depuis longtemps promis, en récompense de ses pénibles travaux (:) La faiblesse des moyens dont on disposait à cette époque pour élever l’eau, rendait ces idées réellement difficiles alors à mettre en pratique. Elles ont été néanmoins reprises, peu de temps après, par Foissac-Latour (OEuvres mililaires de Vauban, an LIT) et par Chasseloup-Laubat (Essai sur quelques parties des fortifications, 1805). — En 1813, Napoléon demanda au comité s’il ne serait pas possible d'employer des machines à vapeur mobiles à la défense des places : les événements de 1814 firent oublier cette affaire ; on ne connaissait du reste encore en France que l’ancienne et lourde ma- chine de Watt. — En 1825, le chef de bataillon du génie Belmas présenta au ministre de la guerre le projet d'une machine à vapeur mobile. Cette machine fut construite ct essayée sur le canal Saint-Martin à Paris. Les expériences montrèrent quelques imperfections, que l’auteur signala dans un mémoire remarquable, où il développait les nombreuses applications dont sa machine était susceptible. Ce mémoire fut inséré au n° 10 du Mé- moriul. La question en est encore là. (?) Le travail topographique auquel d'Arcon se consacra pendant sept ans (1779-1786) comprend les montagnes du Jura et des Vosges, depuis le fort de l'Ecluse jusqu’à Landau Il se compose d’un canevas et de soixante- dix-sept feuilles de dessin, à l'échelle de six ligues pour cent toises. Sur chaque fouille est la table alphabétique des lieux qu'elle contient, avec la distance de chacun d'eux à la méridienne et à la perpendiculaire du signal de Saint-Sorlin, dans le département de l'Ain. — 970 — exécutés souvent à ses propres frais-(!). « J'en ai été pénétré, écrivait-il à Foureroy (Besançon, 26 octobre 1786) : au surplus, d'une manière ou de l’autre, s'ils parviennent aisément à m’é- carter, 1l ne leur sera pas aussi facile de me dégoûter; j'irai toujours de mon mieux aux objets qui me seront confiés. » En effet, du fond de sa retraite, il envoie aux autorités de Strasbourg un long mémoire (?}, où, après avoir savamment étudié les causes des variations qu'éprouve le Rhin dans son cours, 1l indique les moyens de le régulariser et de réunir dans un seul ht toutes ses dérivations : projet aussi utile sous les rapports civils et politiques, qu’au point de vue militaire. Cette même année 1786, l'Académie française avait proposé l'éloge de Vauban comme sujet du prix d’éloquence : au lieu de concourir, Choderlos de Laclos, alors capitaine d'artillerie (*), adressa à l’Académie (26 mars 1786) une lettre pour la blâmer de ce choix. « Vauban, disait-1l, ne fut point un grand homme. Il n’a rien inventé : le système bastionné existait avant lui, 1l l’a conservé malgré ses défauts; et les trois cents places qu’il a construites, mal situées puisqu'elles laissaient des passages ouverts, mal fortifiées puisqu'elles ont été prises, ont coûté à l'Etat 1,400 millions dont la dette pèse encore sur la France. » D’Arçon, Carnot (*) et un autre capitaine du génie nommé de Lerse, réfutèrent la lettre de Laclos ; mais le maréchal de Ségur (1) «Je me passerais fort bien de traitement, mais je serai forcé d'envoyer un mémoire de dépenses extraordinaires qui paraîtront fortes; cela me répugne. Je ne demande pas mieux d'aller; mais si l'on m'inquiète, je préférerais de beaucoup dire tout uniment mon bréviaire à Landau. » (Lettre à Fourcroy, Guemersheim, 15 juillet 1786.) (2) Archives du dépôt des fortifications ; manuscrit in-fol. de 200 pages, relié. (5) L'auteur des Liaisons dangereuses, mort à Tarente en 1803, général d'artillerie. (*) Carnot venait de remporter le prix proposé, en 1784, par l'Académie de Dijon, pour l'éloge de Vauban. — 971 — arrêta cette polémique, en défendant aux militaires de faire imprimer un ouvrage quelconque concernant l’art militaire, « sans qu'au préalable ils eussent eu l'honneur d'en adresser le manuscrit et d'en avoir reçu réponse du ministre. » D’Arçon ne tint aucun compte de cette défense. I fit imprimer clandestinement, sans nom de lieu, d'auteur ni de libraire, sa réponse à Laclos, sous ce titre : Considérations sur l'in- fluence du génie de Vauban dans la balance des forces de l'Etat, avec cette épigraphe tirée d'Hésiode : Fama nulla prorsus perit quam multi populi celebrant. Etenim Deus est ipsa. Il s'étonne d’abord qu’un officier d'artillerie se soit fait l'écho de certains préjugés, pardonnables tout au plus chez le vulgaire ignorant. Les places fortes ne sont pas destinées à être impre- nables : tout ce que les hommes édifient peut être renversé par la main des hommes; elles ne sont pas destinées davantage à entourer les Etats de barrières continues comme la muraille de la Chine; leur but est d'arrêter l'ennemi pendant un temps plus ou moins long, et leur véritable importance réside tout entière dans la combinaison de leur action avec celle des armées. Vauban sut le premier faire sentir les avantages de ce système de guerre, et les augmenter encore par l'invention des camps retranchés. D’Arçon refait ensuite tous les calculs de Laclos ; 1l montre que si Vauban a travaillé à trois cents places fortes, 1] n’en à réellement construit que trente-trois neuves, et, dans ce nombre, onze seulement aux frais de l'Etat; les autres furent exécutées avec l'argent et les corvées que le droit de la guerre permet d'imposer en pays ennemi. S'appuyant sur des données authen- tiques, il fait voir que, pendant le tiers de siècle que dura son administration, Vauban ne dépensa pas même 4151 millions, dont plus de 30 furent consacrés à des casernes, hôpitaux, hangars, magasins à poudre et autres établissements indépen- dants de la fortification. Les places élevées par le maréchal sur la frontière de Flandre et d'Alsace, ne dussent-elles jamais rendre d’autres services que celui d'avoir préparé à Villars son — 972 — triomphe de Denain, n'auraient-elles pas déjà largement payé ce qu'on à dépensé pour elles, en préservant notre pays des calamités d’une invasion après les désastres de Ramillies et de Malplaquet ? Vauban n'inventa point le système bastionné; mais qui peut s’en dire l'inventeur? Dès que, par la création d'armes nou- velles, on reconnut la nécessité d'un flanquement exact, les bastions prirent naturellement naissance ; c’était une disposition obligée. Le tout était d'en perfectionner le tracé et les éléments : Vauban le fit, et cela de la façon la meilleure par rapport à la nature et à la portée des armes de son temps. Depuis, des milliers de systèmes se sont produits, et, malgré les perfection- nements de l'artillerie, les places de Vauban restent encore les plus fortes du monde (1). C'est qu'il sut si admirablement se () Ces perfectionnements de l'artillerie ne constituent pas, comme on le croit généralement, une révolution dans la poliorcétique. L’artillerie nou- velle pourra bien, il est vrai, avec sa longue portée et la justesse de son tir, faire brèche de plus loin dans les remparts de quelques places qui ne sont actuellement défilés que jusqu’à la portée de l’ancien canon; elle pourra même, avec son tir plongeant, ruiner des murailles considérées jusqu'à ce jour comme suffisamment couvertes. Mais ces places devront- elles pour cela se rendre sans résistance? Certes non. Il ne suffit pas de faire la brèche, il faut encore y arriver ; et l'artillerie à fait pour l'assiégé exactement les mêmes progrès que pour l’assiégesnt. Les canons de la défense ne laisseront point impunément l'ennemi cheminer sur les glacis, perfectionner les brèches, opérer sa descente et son passage de fossé, et eufin donner l'assaut. Il y aura, tout au plus, une interversion de l’ordre classique des opérations de J’attaque : au lieu de finir par la brèche, on commencera par elle la série des travaux d’approches, jusqu'à ce que des perfectionnements de détail apportés aux fortifications actuelles aient ra- mené l'ancien ordre de choses, Le tir, dit à ricochet, dont on nous fait un épouvantail, n’est pas nou- veau : Vauban le connaissait parfaitement : c’est lui qui l’a inventé. Aussi recommandait-il « de prendre des mesures efficaces pour que toutes les vues d'enfilade que l'ennemi peut avoir sur la fortification lui soient bou- chées par des traverses placées à propos. » Ce tir est devenu plus précis et par suite plus dangereux; soit. Mais n’avons-nous pas de plus qu'autre- fois les blindages en fer et toutes les ressources de l’industrie moderne? 11 y à, du reste, à ce mal un remède connu depuis longtemps : c'est d'oc- cuper par des ouvrages détachés les points les plus dangereux. « Remar- — 973 — plier aux divers accidents de la nature, qu’il trouva partout la véritable solution, indépendamment de tout système; c'est que les bases qu’il a posées ont non-seulement une valeur absolue par rapport au temps où elles furent construites, mais encore une valeur relative, en ce sens qu’elles sont susceptibles de tous les degrés d’accroissement que les circonstances peuvent exiger et admirablement appropriées au caractère de la nation qu'elles sont destinées à défendre. Dans l’art des siéges, il ne se montra pas moins créateur : le premier, il en fixa les règles, et il les fit si précises et si sûres, qu’on vit des places ne se défendre contre lui que juste le nombre de jours qu'il avait indiqués, et, chose plus étonnante encore, les assiégeants ne pas perdre plus de monde que les assiégés. Mais son génie ne s'arrête point à la guerre. Il sait encore, du sein des camps, diriger tous les grands travaux d'utilité publique : les jetées, les môles, les écluses, les desséchements de marais, les digues pour contenir les torrents ou resserrer les fleuves, toutes ces entreprises, qui nécessitent le concours de tous les arts et les méditations profondes du cabinet, ont été étudiées par lui au milieu du tumulte des armes; et, dans une quez, dit d’Arçon, que, par les emplacements qu’on pourrait donner à ces ouvrages avancés, on déroberait les faces des bastions aux prolongements des ricochets de l'attaque. » C’est encore par les mêmes ouvrages, ajoute cet ingénieur, « que l’on privera l’attaquant des positions dominantes d’où il pourrait entamer et peut-être ouvrir les remparts du corps de la place.» Le plus souvent même, il ne sera pas nécessaire d'y avoir recours; car c'est dans la contrescarpe et non dans l'escarpe que réside la véritable défense d’une place. Vauban conseillait de revêtir la seconde de préférence à la première : « On ne doit point, disait-il, attendre une grande résistance de ces revêtements (l’escarpe); ils ne sont pas faits en vue de souffrir le canon, comme plusieurs se l'imaginent, mais seulement pour soutenir le rempart et empêcher l'effet de l'escalade. » Les ingénieurs modernes se contenteront donc d'approfondir suffisam- ment le fossé pour couvrir leurs murüilles, et l'on peut affirmer que, tant que l'attaque n'aura pas trouvé de nouveaux moyens, qui soient aux moyens actuels ce qu'est, par exemple, la mine au canon, nos places, construites suivant les principes de Vauban, seront encore susceptibles d'aussi belles défenses que par le passé. 18 top vie si occupée, il ne donna jamais de projet qu’il ne l'eût accom- pagné de toutes les remarques et de tous les détails nécessaires à l'exécution. | On vit, après lui, se former une multitude de classes parmi les ingénieurs. Les uns se sont spécialisés dans les travaux des ports; d’autres ne s'occupent que de l’endiguement des fleuves: ceux-c1 des routes; ceux-là des bâtiments : dans le génie mili- taire, on distingue les officiers chargés de la conduite des sapes, de celle des mines, les constructeurs et les fortificateurs; l’artil- lerie comprend l'instruction des troupes, la direction des arse- naux, des fonderies, des manufactures, etc. En est-il un seul, parmi ces quatre ou cinq mille hommes dont je viens d’énumérer les fonctions, qui puisse, je ne dis pas reprocher à Vauban une erreur, mais l’accuser de ne point avoir fait faire un progrès à la spécialité dont il s'occupe ? Et cependant ce qu’a produit Vauban est peu de chose, si on le compare à ce qu'il voulait produire. Esprit d’une portée im- mense, d’une activité prodigieuse , 1l fut sans cesse occupé de vues grandes et générales : marine, finances, culture de forêts, colonies, commerce, tout cela fut étudié par lui en douze gros volumes qu'il a intitulés ses Oisivetés, et dont Fontenelle a dit que, s’il était possible que les idées qu'il y propose s’exécu- tassent, ses oisivetés seraient plus uüles que tous ses travaux. Voilà l’homme, non moins admirable dans sa vie privée que dans sa vie publique, dont on osait blâmer l'éloge; mais le libelle de Laclos n'était que le prélude d’une attaque bien autrement grave dans ses conséquences : on n'avait insulté l'ingénieur que pour discréditer son œuvre. La question de l'utilité des places fortes est une de celles qui ont été Le plus rebattues et sur lesquelles on ne manque jamais de revenir encore au moindre changement dans l’art de la guerre. Touchant par sa nature aux plus hautes questions de la science militaire et de la politique, elle n’est réellement étudiée que par un nombre d'hommes fort restreint; et quand ceux-là — 975 — répondent, ou on ne les lit pas, ou on ne les comprend pas, ou on ne veut pas les comprendre. Les fortifications, en effet, sont contraires à une foule d'inté- rêts privés bien plus puissants sur l'esprit du grand nombre que les intérêts de l'Etat. L'habitant des villes de guerre ne voit que les servitudes, l'économiste que les dépenses : ils ne songent ni l’un ni l’autre que les administrations de toute sorte imposent souvent des servitudes aussi gêénantes, quelquefois dans un simple but d’em- bellissement (!), et que ces dépenses ne leur paraissent consi- dérables que parce qu’elles ne sont réparties que sur un petit nombre de points (?). Le républicain ne les considère que comme des instruments de despotisme, tandis que le despote les craint comme des foyers de rébellion. Les conquérants les redoutent, parce qu’elles s’opposent à leurs conquêtes; ils cherchent à les proscrire, mais seulement _chez les autres : c’est ainsi que Frédéric IT, qui ouvertement en était l'ennemi déclaré, en recommande l’usage dans ses instruc- tions secrètes à ses généraux, et que Napoléon, qui, au faîte de la puissance, semblait les dédaigner, en démontre l'utilité dans ses écrits de Sainte-Hélène. Les fortifications ont enfin contre elles tous les militaires ambitieux, qui savent bien que ce n'êst pas dans le service périlleux de l'attaque et de la défense des places que se font les rapides fortunes. Guibert était de ce nombre. Désireux, suivant l'expression du () C'est ainsi qu'à Besançon, si d’un côté le génie militaire ne veut que des constructions en bois dans la deuxième zone, pour éviter à un moment donné la ruine de bien des familles; d’un autre, l'administration munici- pale exige que l’on ne construise qu'en pierre dans la troisième. — Com- parez la gène minime de ne pouvoir bâtir sur un terrain déterminé, avec ces expropriations forcées rendues si fréquentes aujourd'hui par l’amour effréné de la ligne droite. (?) L'entretien de toutes les places fortes de France coûte annuellement trois millions ; trois autres millions sont consacrés aux places de l'Algérie. — 216 — roi de Prusse, d’arriver à la gloire par tous les chemins, il profita de la création du conseil de la guerre {!) pour reprendre la thèse que déjà il avait soutenue dans son Essai de tactique. Il y avait attaqué les places fortes en général. Victorieusement réfuté par d’Arçon, il se rabattit sur le système de distribution créé par Vauban, et Laclos fut envoyé en éclaireur. Là encore, Guibert retrouva son terrible adversaire. N'ayant pu ternir la gloire du maréchal, ni affaiblir sa puissante autorité, il changea de tactique et chercha des armes contre lui dans ses écrits mêmes. Vauban avait dit quelque part que sur une frontière qui ne présente aucun obstacle naturel aux approches et progrès de l'ennemi, une bonne défense exige deux lignes de places, et que tout ce qui les excède en arrière est de trop. S'appuyant sur ce passage, Guibert présenta au conseil de la guerre, dont il était rapporteur, une liste de quatre-vingt- dix-neuf places fortes qu’il proposait de supprimer. Illustre, éloquent et profitant avec habileté de l’état déplorable de nos finances, il parvint à faire admettre ses idées; et, le 24 juin 1788, le ministre de la guerre envoya la liste proposée aux commandants des provinces, directeurs des fortifications et in- génieurs en chef, en leur demandant leur avis. D’Arçon , alors au camp de Metz, Foissac-Latour, Carnot et cinq autres officiers, l’élite du corps du génie, prirent aussitôt la plume contre cette mesure. Examinant la circulaire ministérielle, d’Arçon montra (?) la (:) Le conseil de la guerre, créé par le ministre de la guerre comte de Brienne, d'après les idées de Saint-Germain, était chargé de la partie légis- lative, constitutive et financière, des marchés, des adjudications, de la surveillance, des fournitures en général, enfin des projets d'amélioration à discuter et à introduire. Le ministre conservait la partie active et exécu- tive, avec le droit de présentation aux grades et aux récompenses. Créé le 9 août 1787, le conseil fut supprimé le [4 juillet 1789. (?) Considérations militaires et patriotiques sur la réforme projetée d'un grand nombre de nos places de guerre, ou examen raisonné des motifs vrais ou supposés alléguës par M. de G. pour diminuer le nombre de nos forteresses — 971 — légèreté avec laquelle elle avait été composée. Sur les quatre- vingt-dix-neuf places indiquées, vingt-neuf ne possédaient pas la moindre fortification; un grand nombre d’autres n'étaient plus entretenues depuis longtemps. On proposait pour quelques grandes villes d'abandonner les dehors et les citadelles : c'était donner le conseil de couper les jambes à un cheval pour écono- miser sur sa nourriture. Il étudia ensuite le rôle de chacune des places que le génie entretenait encore et en fit voir l'importance. Les fortifications n’ont été, en effet, généralement construites qu'après que l’expé- rience de une ou plusieurs guerres eût démontré l'utilité perma- nente de la position qu’elles occupent; ce n’est donc pas la peine de détruire des remparts qui existent avec toutes les ressources que le temps seul permet de créer, pour en élever passagèrement de mauvais qui exigeraient plus de monde pour les protéger, juste au moment où l'Etat a le plus besoin de ses défenseurs. Quand Vauban avait écrit les lignes que l’on invoque, il vou- lait certainement parler de ce qu'il y aurait à faire si l’on cons- truisait à neuf tout un système de forteresses; mais ici ce n’est pas le cas : les places existent. Ce qui en a multiplié le nombre, ce sont les déplacements de frontières; mais ces frontières peuvent encore se déplacer : il ne faut donc rien détruire à la légère, et se contenter de ne plus entretenir quelques petites places actuellement en quatrième ou cinquième ligne, en n’a- bandonnant tout à fait que les châteaux et les tours, derniers débris de la féodalité qui ne peuvent résister au canon (!). La brochure de d’Arçon provoqua, de la part du conseil de la guerre, la publication d'une série de mémoires attribués à Vauban, où celui-ci proposait nommément la réforme d’un cer- tain nombre de places. En Mi) 5 iront ns de doper eu el la force de la plupart de celles qu'il se propose de nous laisser, Metz, septembre 1788, in-8o. (°) Ces idées ne sont plus complètement justes, à cause de la grandeur de nos armées actuelles, Si le rôle des grandes places n'a fait qu'aug- menter, celui des petites places s’est singulièrement amoindri. — 218 — D'Arçon les étudia (‘) un à un, phrase par phrase, avec cet esprit d'analyse qui lui était propre; il en montra les contradic- tions, et finit par conclure que la plupart étaient apocryphes. Quant aux autres, ils avaient été écrits soit en 1678, au moment où la France, puissante et enivrée de sa gloire, supposait à peme qu'on pt l’attaquer, soit en 1701 quand, entraînée au contraire dans une guerre désastreuse, elle devait avant tout se procurer de l'argent pour nourrir ses soldats. Le conseil de la guerre s'était bien gardé de reproduire d’autres mémoires, authentiques ceux- là, écrits en 1705 et 1706, lorsque, éclairé par les revers, Vauban proposa pour la première fois le classement de nos places. Il existait alors. 297 lieux fortifiés, dont 119 villes, 34 citadelles, 58 forts ou châteaux, 86 réduits ou redoutes. Le maréchal sup- prima 13 villes et 8 forts. Les places qu'il conserva étaient donc considérées par lui comme nécessaires ; mais il ne les regardait pas comme suffisantes, puisqu'en même temps 1l en entreprenait de nouvelles, comme Huningue et Neuf-Brisach, qu'il demandait des fonds pour en créer quelques autres sur la frontière, et for- tifier Paris, Lyon, Marseille et autres grandes villes du royaume. La voix courageuse de d’Arçon, qui s'élevait en faveur des forteresses au moment où tous, même les rois (?), se liguaient contre elles, fut écoutée. Le conseil de la guerre termina sa courte existence sans avoir rien décidé; et, le 10 juillet 1791, l'Assemblée constituante rendit une loi conforme aux vues du colonel d'Arçon. Non-seulement nos places furent respectées, mais on accorda quatre millions pour les mettre en état, et deux ans plus tard elles sauvaient Paris (*). () Observalions sur les fragments de mémoire attribués au maréchal de Vauban, au sujet de la question des places fortes, Landrecies, 30 juin 1789. (?) En 1782, l’empereur d'Allemagne, Joseph IT, avait fait démanteler ses places fortes de la Belgique : aussi, en 1793, nos armées s'emparèrent-elles, en une seule campagne, de cette contrée qui, pendant {ant de siècles, avait été un théâtre de guerre sans jamais avoir été conquise. (8) « Lors des revers de Louis XIV, ce système de places fortes sauva la capitale. Le prince Eugène de Savoie perdit une campagne à prendre Lille; le siége de Landrecies offrit à Villars l'occasion de faire changer la fortune. — 219 — IX D’Arcon et Montalembert, La polémique avec Guibert et le conseil de la guerre venait à peine de finir, que d'Arçon reprenait encore la plume en faveur de nos places fortes. On avait successivement attaqué leur utilité et leur distribution sur nos frontières : Montalembert {!) s'attacha surtout à combattre le système suivant lequel elles étaient tra- cie, afin d'y substituer ses propres inventions. Cent ans après, en 1793, lors de la trahison de Dumouriez, les places de Flandres sauvèrent de nouveau Paris; les coalisés perdirent une campagne à prendre Condé, Valenciennes, le Quesnoy et Landrecies. Cette ligne de forteresses fut également utile en 1814 : les alliés qui violèrent le territoire de la Suisse, s'engagèrent dans les défilés du Jura pour éviter les places ; et, même en les tournant ainsi, il leur fallut, pour les bloquer, s’affaiblir d'un nombre d'hommes supérieur au total des garnisons. Lorsque Napo- léon passa la Marne et manœuvra sur les derrières de l’armée ennemie, si la trahison n'avait ouvert les portes de Paris, les places de cette frontière allaient jouer un grand rôle; l’armée de Schwartzemberg aurait été obligée de se jeter entre elles, ce qui eût donné lieu à de grands événements. En 1815, elles eussent été également d'une grande utilité : l’armée anglo- prussienne n’eût pas osé passer la Somme avant l’arrivée des armées austro-russes sur la Marne, sans les événements politiques de la capitale; et l'on peut assurer que celles des places qui restèrent fidéles ont influé sur les conditions des traités et sur la conduite des rois coalisés en 1814 et 1815.» (NAPOLÉON, Notes sur les Considérations du général Rogniat.) () Marc-René, marquis de Montalembert, né en 1724, servit avec dis- tinction dans la cavalerie. 11 fit de nombreuses campagnes en Italie, en Flandre, en Allemagne et en Suède. En 1761, il fit construire quelques ouvrages de campagne dans l’île d'Oléron, dont il avait le commandement, et sut inspirer aux ministres une certaine confiance dans les découvertes qu'il croyait avoir faites en fortification. En 1773, le ministère de la marine lui demanda un projet de fortification pour Pondichéry, et nous l'avons vu lutter, en 1774, avec d'Arcon pour fortifier l'Ile-de-France. Le premier volume de la Fortificalion perpendiculaire, achevé depuis 1761, ne put obtenir l'autorisation d’être imprimé qu’en 1776, malgré l'avis de Fourcroy qui écrivait (21 avril 1761) : « Les gens de tout état qui ont voulu se rendre auteurs de nouvelles fortifications, y ont échoué jusqu'à — 280 — Une école s’est formée depuis peu en Allemagne, qui, prenant pour chef ce grand novateur, a perfectionné ses idées et les a rendues pratiques. On ne connaît généralement aujourd’hui que le résultat de cette épuration intelligente, et l’on est disposé à présent, faute de connaître en quoi consiste précisément le problème; s’il n’est pas utile d'éclairer sur cette matière ceux qui n’en font pas une étude par état, je ne pense pas non plus qu'il puisse y avoir le moindre danger à faire connaître au public les combinaisons et assertions qui peuvent être le fruit du travail de M. de Montalembert : si l'ouvrage est bon, c’est tout au plus le rêve d’un savant, dont personne ne pourra profiter ni pour ni contre l'Etat. » Le second volume parut en 1777; Le troisième et le quatrième en 1778. La guerre avec l’Angleterre éclata la même année, et, dans la crainte que l’île d'Aix ne fût l’objet d'une nouvelle attaque, le ministre permit à Montalembert d'y construire, selon ses idées, un fort en bois, à plusieurs étages d'artillerie. Le fort coûta cher et dura peu, mais il remplit son objet. Les cinquième, sixième et septième volumes parurent à la suite de cet événement. Ce ne fut qu'en 1786 que les officiers du génie crurent utile de réfuter les idées du marquis; Fourcroy le fit d'une facon remar- quable. En 1790, Montalembert publia la première partie de son huitième volume, qui coutenait une critique acerbe des forts de Cherbourg récemment cons- truits par Decaux et Meunier : le marquis partait de là pour attaquer d'autres travaux nouvellement terminés par les officiers du génie, notam- ment les fortifications du Hävre, et il demandait que l'inspection de ces travaux ne füt pas dévolue au corps qui les faisait exécuter ; il y proposait enfin un nouveau système de casemates, aver son projet de lignes frontières permanentes dont nous parlerons dans le texte. D'Arcon répondit par une brochure de 119 pages intitulée : Réponse aux mémoires de M. de Montalembert, publiés en 1790, sur la fortification dite perpendiculaire, la composition des casemales inexpu- gnables, la multiplication illimitée des bouches à feu, le projet d'enceindre le royaume par des lignes imprenubles, et autres idées d'une apparence très m- portante, pour servir d’apologie aux principes observés dans le corps royul du génie, par le colonel D'ARÇON, Paris, 1790, in-8°. Cet ouvrage était approuvé par quarante-huit officiers du génie, dont quatorze maréchaux de camp. D’Arcon y réfutait les principes de Monta- lembert en général. Reprenant ensuite ses accusations en détail, il lui montrait que les forts de Cherbourg remplissaient parfaitement leur but avec 480 pièces de moins que n’en comportait son propre projet. Quant aux fortifications du Hâvre, il s’y était réellement commis des fautes : tous les officiers du génie en convenaient; mais ces fautes devaient être imputées : aux ingénieurs des ponts et chaussées qui avaient pris part au travail, — 281 — rejeter sur l'esprit de corps le folle général qu’'excitèrent parmi les ingénieurs les écrits du marquis. Mais, outre que celui-ci avait attaqué sans ménagements leur administration et leurs actes (et une partie de la polémique fut employée à réfüter ces injustes accusations), il avait encore cherché à tirer parti des malheureux événements qui signalèrent le début de notre révo- lution pour prouver la faiblesse du système bastionné. Le mo- ment était on ne peut plus mal choisi, et il était du devoir de tout bon citoyen de flétrir des discussions qui ne pouvaient que diminuer le moral de nos défenseurs et lancer l'Etat dans des dépenses au moins intempestives. Enfin, partant de principes justes, Montalembert était arrivé à des conséquences fausses, et ses systèmes, de plus en plus exagérés, loin d’être un progrès pour l’art, tendaient, au contraire, à le faire rétrograder. Un coup d'œil rapide jeté sur les développements successifs de cet art suffira pour démontrer ce que nous avançons. Les plus anciennes fortifications, dont il reste des traces, sont les murs pélasgiques qui, bravant depuis vingt-cinq siècles les « car ces ingénieurs, quoique très habiles et excellents artistes, travaillent pourtant généralement en haine de l'esprit militaire, et de là s'en sont suivies de fausses dispositions et des dépenses énormes. » Si Montalembért avait été ingénieur, il aurait su que ses casemates étaient depuis longtemps inventées, et que le manque d'argent seul avait jusqu'alors empêché d'en construire. Si, enfin, c'était le corps des ingénieurs qui inspectait ses propres travaux, c'est qu’il n’y avait que les membres de ce corps capables de les apprécier. Montalembert répliqua, en octobre 1790, dans la deuxième partie de son tome VILLE (24 pages in-40). D’Arcon répondit de nouveau dans une bro- chure de 38 pages intitulée : Suite des réponses du colonel D'ARÇON, pour éclaircir les répliques de M. de Montalembert, Paris, 1790, in-80o. En 1792, Montalembert profita de la reddition de Longwy et de Verdun pour attaquer encore le système bastionné. D'Arcon lui reprocha en termes assez durs son manque de tact, dans une brochure de 68 pages, intitulée : Des fortifications et des relations générales de la guerre de siège, pour serrir de réponse au dernier ouvrage de Marc-René Montalembert, par le citoyen Micaaup, inspecteur des fortifications, Paris, an 11, in-8°. Il y combat par le ridicule le système circulaire, la dernière et la plus bizarre des conceptions de son fécond antagoniste, E Mic-n Du A — 982 — efforts du temps, couronnent encore les monts de la Grèce et de l’Asie-Mineure. Composés d'énormes blocs simplement super- posés, ils formaient autour des bourgades de massives ceintures qui ne pouvaient agir que par leur foree d'inertie. Sans doute, 1ls ne tardèrent point à être surmontés de créneaux et de machi- coulis : les peintures des antiques monuments de l'Egypte semblent l’attester; c'était du reste la seule manière dont la défense, qui ne connaissait point encore le principe du flanque- ment latéral, pouvait s'opposer aux efforts de l'ennemi cherchant à faire brèche. Les murailles de Tirynthe, de Mycènes, de Larisse, n’ont point de tours; et ce n'est que dans les villes d’une antiquité moins reculée, telles qu'Orchomène en Béotie, Daulis et autres villes de la Phocide, qu'on les voit apparaître. Leur invention parut même si merveilleuse aux peuples grossiers de l’'Hellade, qu’ils n'hésitèrent point à l'attribuer aux Cyclopes, ces ingénieurs des temps primitifs dont le paganisme a fait des demi-dieux. Les tours, d'abord rares et peu saillantes, se multiplient peu à peu, les murs eux-mêmes se contournent avec art pour augmenter le flanquement, et se creusent en galeries crénelées pour donner plusieurs étages à la défense. De son côté, l'attaque devient une science : dès lors il ne suffit plus d’être architecte pour élever des remparts assez hauts pour s'opposer à l'esca- lade, assez solides pour résister au bélier; 1l faut encore être . homme de guerre, pour savoir habilement choisir une assiette qui restreigne le nombre des points d'attaque et favorise les retours offensifs sur les flancs de l’assaillant. Au moyen-êge, il n’y eut presque pas de villes fortifiées. Les défenseurs des châteaux, peu nombreux, se renferment dans une résistance passive, et l’on voit se mulüplier les précautions contre les surprises et les détails ingénieux de la défense pied à pied. Il n'y a pas de corps de doctrine; chaque seigneur fait construire son habitation suivant ses propres idées. Mais la poudre apparaît : la féodalité tombe, les nationalités se forment, 4 2 fa se: ACTA & RUN ee MT UN UT ÿe es à ES — 983 — Les forteresses ne sont plus destinées seulement à protéger quelques hommes contre des attaques imprévues; elles ren- ferment désormais une population nombreuse, active, intelli- gente, qui ne se contentera pas d'attendre l'ennemi derrière ses murs, mais ira l’attaquer sur son terrain même. Dès lors, les tours et les terre-pleins s’élargissent pour porter du canon êt permettre à l'artillerie et aux troupes de circuler librement. Après avoir vainement cherché à résister aux projectiles de l'attaque par l’épaississement des murailles, les ingénieurs re- connaissent que le seul remède efficace est de ne présenter au boulet ennemi que des masses de terre indéformables. Le flan- quement, ne pouvant plus alors se faire au moyen de machi- coulis, devenait incomplet si l’on continuait à construire des tours rondes ; on les bastionna et l’on résolut ainsi, par la géo- métrie, le problème du flanquement exact au moyen du tracé. Peu à peu, la défense devenant plus habile et plus hardie, les dimensions des différentes parties de ce tracé se fixent d’après la nature et la portée des armes alors en usage; les dehors s'introduisent pour masquer les ouvrages en arrière, tout en leur conservant un commandement suffisant sur la campagne, pour favoriser les sorties et en recueillir les débris, pour porter des feux croisés avec art sur les points faibles, et forcer enfin l'ennemi à une série de siéges successifs (1). 4) Nous ne pouvons qu'indiquer iei ces considérations ; mais on trouve- rait dans l'histoire de nombreux exemples pour les appuyer. L'un des plus curieux est le siége de Candie (1653-1669). Morosini, grand-maître de l’ordre de Malte, avait confié à chaque langue la défense d’un bastion, en lui permettant d'agir comme elle l’entendrait. Ces langues diverses finirent par arriver toutes à peu près au même résultat dans le même temps. Mais les Francais repoussèrent les Turcs par des sorties ; les Italiens s'avancèrent jusque sous les pieds de leurs ennemis au moyen de mines; les Allemands opposèrent aux énormes cavaliers de l'attaque des retranchements aussi élevés, et lui disputèrent le terrain pied à pied. A Ostende (1600-1603), les Hollandais se défendirent pendant trois ans, en abandonnant successivement à l'ennemi des portions de la ville qu'ils isolaient par de nouveaux remparts. A Grave (1674), Chamilly, avec une faible garnison française, décima — 284 — Ces principes, bientôt communs à tous les peuples civilisés, chacun les appliqua suivant son génie particulier. L’Italien hardi et le chevaleresque Français s’occupèrent sur- tout à donner le caractère offensif à la défense; ce sont eux qui, les premiers, firent usage du chemin couvert et de la demi-lune. L'Espagnol, opiniâtre, s’attacha à la résistance pied à pied; 1l se servit peu des dehors, mais il n'en employa jamais qu . ne les eût renforcés par des réduits. Le flegmatique Hollandais accumula retranchements sur re- tranchements, et, profitant avec habileté de la nature de son sol bas et marécageux, il s’entoura souvent de plusieurs enceintes concentriques, de glacis et de contre-fossés pleins d’eau. Le Suisse ne fit que compléter les fortifications naturelles de ses montagnes; il éleva des constructions massives qui, bouchant hermétiquement les passages, s'opposent aussi bien aux irrup- tions, qu'il est trop sage pour tenter, qu'aux invasions venant du dehors. Le Suédois, enfin, placé au milieu des mers, obligé de cher- cher dans le commerce les ressources que lui refusait un sol ingrat, dut surtout fortifier ses ports. Il avait à combattre des vaisseaux : au bois, il put encore opposer la pierre; il su- perposa des casemates, pour répondre aux feux étagés de son ennemi et pour mettre ses canonniers à l'abri du feu meurtrier des tirailleurs embusqués dans les hunes. Familier lui-même avec la mer, habitué à loger et à combattre dans des espaces étroits, il multiplia ces abris voûtés, en resserrant leurs dimen- sions et en adoptant pour les armer les modèles en usage dans la marine. Montalembert avait habité la Suède pendant la guerre de sept ans : 1l fut frappé du nombre considérable de pièces que ces dispositions permettaient d’opposer aux énormes équipages de siége récemment introduits par les attaques à la Coëhorn. Obéis- l'assiégeant pendant six semaines par des retours offensifs sur les CHERS couverts. — 285 — sant à une tendance générale à cette époque, même parmi les ingénieurs (!)}, qui consistait à rendre la défense pour ainsi dire mécanique et à la faire reposer plus sur la quantité que sur la qualité des feux, il crut trouver dans l'étagement des abris voûtés le secret de rendre la fortification imprenable : secret chimé- rique; car c’est une défense active qui, seule, peut être à la hauteur d’une attaque active, et non pas des remparts inertes, si fortement armés qu’on les suppose (?). Il ne sut point comprendre que ce qui était bon chez un peuple pouvait être détestable chez un autre, et que la vivacité française s’accommoderait mal de retraites caverneuses qui paralyseraient son élan. Il n’observa point d’ailleurs les dispositions spéciales qu’avaient employées les Suédois partout où il s'agissait de faire face à des attaques par terre, car, en ces points, leurs ingénieurs s'étaient bien gardés d’opposer des maçonneries friables à des épaulements que le canon ne peut déformer. Mais sa brillante imagination, éveillée sans doute par l'aspect caractéristique que donnait aux casemates leur armement naval, crut pouvoir comparer au navire perdu (2) C’est cette tendance funeste qui déjà avait produit certaines des mo- difications de Cormontaingne, le mezzalutre de Filley et le tétragone de Boisforet. (3) Cette question est extrêmement délicate et demanderait de longs dé- veloppements. Une garnison dans une place forte doit être considérée comme une armée retranchée dans une position qui la met à l'abri de l'escalade et lui donne l’avantage du terrain, Elle a des chances de résister longtemps à un ennemi supérieur en nombre, mais à la condition de com- battre et d'opposer aux entreprises toujours renaissantes de l’assaillant des ressources toujours nouvelles. Si elle n’a qu'un mode de défense fixe et déterminé, quelque fort qu'il soit, l’assiégeant trouvera bien vite le moyen de l’annuler, et la place tombera. Les prorédés d'attaque indiqués par d'Arcon, contre les systèmes de Montalembert, en sont une preuve frap- pante. Carnot avait bien raison de s'élever, dans son Traité de la défense des places fortes, eontre ce préjugé funeste qui veut que telle fortification ne puisse tenir que tant de jours. Cela n’est vrai que si la fortification paralyse l’action de ses défenseurs; mais si, au contraire, comme dans les places de Vauban, elle la seconde, la résistance ne peut être évaluée que d'après la force numérique et l'énergie morale de la garnison. — 286 — sur l’immensité des flots, la place forte privée par l’investisse- ment de tout rapport avec l'extérieur. | | Montalembert parüt de là pour se créer une fortification idéale, où l'artillerie serait distribuée comme sur un vaisseau, sans réfléchir à cette différence essentielle que la forteresse est immobile, tandis que le navire se tourne, dès qu’il a lâché sa bordée, pour ne présenter que le moins de surface possible à l'ennemi, et sans songer aussi que l'obligation de construire des embrasures en maçonnerie le forcerait à donner une direc- tion fixe au ir de ses pièces, défaut capital qui n’existe pas dans un vaisseau, grâce à la nature des matériaux qui forment la batterie. C'est de cette idée, combinée avec la perpendicularité des feux (!}, que naquit la fortification dite perpendiculaire, dont les fortins à étoile étaient une première application. Nous les avons comparés à une série de V disposés autour d’un centre unique, de manière à ce que les branches des différents V fussent per- pendiculaires entre elles. Montalembert entourait ses places d’un festonnage analogue, composé de deux ou trois étages de case- mates et séparé de la campagne par un fossé : Ia longueur des différentes branches était calculée sur le but en blanc du canon, dont il utilisait ainsi toute la portée pour défendre la brèche ; mais à son avis la brèche n'était même pas possible. « Car, disait-il, si l’on ne peut disconvenir que vingt pièces bien cou- vertes de l’assiégé détruisent une pièce de l’assiégeant, il faut en conclure que l'artillerie de ce dernier sera détruite par celle du premier. Mais, sans arüllerie on ne peut ouvrir les remparts d’une place et sans brèche on ne peut y pénétrer ; ainsi donc elle ne pourra être prise. » D’Arçon.fit observer que, à cause de la contrescarpe, tous ces étages de feux ne pourraient agir à la fois sur l’assiégeant qui cheminerait sur les glacis. Celui-ci n'aurait affaire d’abord @) Montalembert trouvait surtout dans la perpendicularité des feux, l'avantage de pourvoir rétrécir ses embrasures en maçonnerie. — 281 — qu'aux feux supérieurs qu'il éteindrait facilement, soit avec le ricochet (!}, soit au moyen d’une contrebatterie établie à une distance convenable. Cette contrebatterie pourrait être rendue aussi résistante qu'on le jugerait nécessaire, en dérobant le premier travail pendant la nuit, puis en le renforçant comme à Gibraltar et façonnant ensuite les embrasures par dedans ; on ne démasquerait celles-ci que lorsque l’on en aurait établi un assez grand nombre pour écraser l'artillerie de la défense : ce que l’on obtiendra facilement, puisque la ligne enveloppante de lassiégeant est plus grande que la ligne enveloppée de l’assiégé, et que l'on sait parfaitement que les batteries maçon- nées ne peuvent lutter contre des batteries en terre. Les étages supérieurs ainsi détruits, on s’avancerait jusqu’à ce que l’on puisse découvrir l'étage au-dessous et le contrebattre par le même procédé, et ainsi de suite. Ces dernières opérations seraient même inutiles avec des remparts tels que les présentait Mon- talembert; car, pour atténuer les dépenses énormes nécessitées par le développement des escarpes (?| et la construction des casemates, 1l n'avait couvert celles-ci que par une seule voûte à la partie supérieure, les autres étant séparées simplement par des planchers, de sorte que la chute de cette voûte unique devait entraîner la destruction de toutes les batteries situées au-dessous (#). Montalembert ne trouva d'autre réponse que d’exagérer encore le rôle de son artillerie, et de la rendre tellement for- midable qu'elle devait pulvériser en un instant tout ce qui se (4) Les batteries à ciel ouvert étaient extrêmement en prise au ricochet, à cause de la longueur et de la direction fichante des branches du système perpendiculaire. () Le système perpendiculaire offre un développement de maçonneries presque double de celui du système bastionné, pour un même espace inté- rieur. (5) A cette objection, Moutalembert répondit qu'il avait calculé ses voûtes sur celles du Panthéon; comme si jamais le Panthéon avait eu la prétention d'être à l'épreuve de la bombe. On sait, du reste, que l'on a été obligé de refaire cette voûte qui n'était pas assez solide, ex BR trouverait à sa portée. Pour y parvenir, il entoura sa place d'une enceinte circulaire, formée par quatre ou cinq étages de case- mates, et il supprima comme inutiles la contrescarpe et le flan- quement. C'était renoncer d’un coup à tous les progrès de l’art moderne et revenir, avec une simple différence dans le nombre et la qualité des armes, à la fortification des peuples primitifs. Une première objection, du reste, qui renverse tous les sys- tèmes basés sur cette donnée, provient de l'impossibilité de réunir le matériel qu’exigerait l'armement de quelques places fortes semblables, et de l'impossibilité aussi complète d’abriter l'énorme approvisionnement de munitions de guerre et de bouche nécessaires à la défense ; car, la forme circulaire ne déterminant pas le point d'attaque, il faut que l’assiégé soit en mesure de s'opposer, en un point et à un moment quelconques, à toute tentative de l’assiégeant, et par conséquent qu'il munisse également toute l'enceinte. Montalembert croyait résoudre cette difficulté en disant que toutes les places de Vauban, étant déjà fort vieilles, allaient tomber en ruine, et qu’il n’y avait qu'à les raser pour les rem- placer par d’autres qui occuperaient les points stratégiques. Une seule ligne de places suffirait, pourvu qu'on rapprochât suf- fisamment celles-ci, puisqu'elles seraient imprenables, et, en les rendant complètement militaires, on n’aurait à y construire que des casernes et des magasins. Mais cela ne résolvait pas la question d'argent, au contraire. D’Arçon faisait observer que, pour munir toutes les places d’un grand état, il faudrait plus de canons d’un gros calibre qu'il n’y a d'individus militants; c’est-à-dire que « chaque soldat aurait, outre son fusil, un gros canon à manœuvrer. » Pour loger toute cette artillerie dans ses cellules casematées et composer les ruches canonnières de l'inventeur, il en coûterait des milliards, jusqu'au point qu’il faudrait vendre trois fois la république pour la défendre, et ce serait pour la livrer. Tout se réduit, en effet, pour l’assiégeant à établir une batterie — 289 — qui fasse voler en éclats les murs de masque de casemates, et d’Arçon proposait, pour arriver à ce résultat, une marche ana- logue à celle que déjà nous avons indiquée. On élèverait pendant la nuit, à bonne portée de canon, une parallèle, longue d'environ 400 mètres, pour faire diverger les feux de la place sur une grande étendue : on y arriverait par la droite et par la gauche, au moyen de communications défilées et organisées défensivement afin de repousser les sorties ; on ren- forcerait et on hausserait ensuite cet épaulement jusqu'à ce qu'une batterie, établie à vingt mètres en arrière, ne püût être en prise qu’à l'étage supérieur des feux de la défense; on ruinerait ainsi ce premier étage ; puis, écrêtant la butte, on en ruinerait un second, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il y eût une brèche praticable (!). Le lecteur familier à ces études spéciales remarquera, sans doute, que nous n’avons point parlé du système à caponnières qu'ont adopté les ingénieurs allemands, mais que Montalembert ne proposa qu'incidemment dans ses œuvres. C’est que d’Arçon, qui avait compris les perfectionnements dont il était suscep- tible, non-seulement ne l’a point attaqué, mais encore a indiqué la marche qu'a précisément suivie la nouvelle école pour le rendre pratique; et en effet il terminait ainsi son dernier ouvrage contre Montalembert : « Parmi les disciples séduits par un compositeur aussi adroit qu'infatigable, il existe, nous n’en doutons pas, des hommes judicieux et capables d'entendre raison ; car ils ne sont pas aveuglés ceux-là par l'esprit exclusif des sytèmes. Si donc il pouvait être question ici d’une épreuve quelconque, ils arrê- teraient l'inventeur sur les bords du précipice où l'exécution le ferait tomber infailliblement. Saissisant l'esprit de ses observa- tions, ds s’empresseraient de lui dire : Diminuez des deux tiers () D’Arçon proposa encore un système d'affüts qui hausserait le canon par-dessus l'épaulement pendant le tir et le rabattrait derrière aussitôt après. 19 — 290 — la hauteur démesurée de vos galeries ; couvrez-les par des rem- parts capables de résistance ; tâchez de les flanquer d’une ma- nière quelconque ; faites au moins que les attaquants soient forcés de cheminer avec perte d'hommes et de temps. A l'égard de cette balourdise des 680,000 canons, nous dirons que vous entendiez parler de canons de fusil ; enfin il n’est pas que, parmi toutes les variantes de vos livres, on ne trouve de quoi justifier bien ou mal ces nouveaux changements. Par ces moyens vous pourrez encore prétendre aux honneurs de l'invention. » Le système à caponnières, complètement remamé par des hommes aussi remarquables que le colonel Brialmont, se rap- proche de plus en plus, en tenant compte des modifications de détail nécessitées par la portée de l'artillerie nouvelle, du der- nier système de Vauban, par lequel ce grand ingénieur remit, en introduisant les casemates destinées à flanquer le fossé dans la dernière période du siége, la défense à la hauteur où 1l avait élevé l'attaque par l'invention du tir à ricochet. Il est probable que Montalembert en renierait aujourd'hui la paternité. Quant à d’Arçon, on peut préjuger de son avis par les lignes suivantes qu'il écrivait en 1793 : « Il suit de là enfin que la ligne bastionnée, régulièrement flanquée et défendue sur tous les points de son pourtour, sera toujours une base première, une disposition mère dont 1l ne sera permis de s’écarter que dans le cas où il surviendrait quel- ques changements notables dans la qualité ou la portée de nos armes. Que ceci soit dit sans préjudicier aux progrès indéfinis de la perfectibilité. Le temps, qui ne semble en effet tout dé- truire que pour tout régulariser, fournira des moyens de ren- chérir sur ces bases fondamentales ; c’est une chose particulière à l’art de la fortification, qu'il n’est rien de si parfait en ce genre à quoi l’on ne puisse ajouter, ni rien de si mauvais que l’indus- trie, sans rien détruire, ne puisse rendre au moins passable. » — 291 — X D'Arcçon est député de la noblesse aux Etats de Franche-Comté (1788). — 11 est nommé citoyen d'honneur de Besancon (1789), maréchal de camp (1791). — 11 inspecte les frontières. — 1] fait mettre Besancon en état de défense (1792). — Lunettes à la d'Arçon. Pendant ces luttes scientifiques, la révolution se fomentait de tous côtés en France. Le pouvoir énorme dont Jouissaient les intendants avait amené des abus tels, qu’en 1788 le roi se décida à confier aux pro- vinces une partie de leur administration intérieure : en consé- quence, les Etats furent réunis dans les diverses parties du royaume, pour présenter leurs vues sur l’organisation future de ces assemblées provinciales. Presque partout, et notamment en Franche-Comté, les divers ordres ne purent s’entendre. Le clergé et la noblesse, tenant à leurs anciens privilèges, voulaient que les Etats fussent scindés en trois chambres distinctes, et que ces chambres eussent cha- cune le même nombre de voix ; le tiers demandait, au contraire, une chambre unique, et réclamait un nombre de voix propor- tionnel au nombre des individus qu'il représentait. Le roi trancha la question par l’ordonnance du 27 décem- bre 4788, qui donuait raison au tiers. À cette nouvelle, les deux premières chambres de Franche- Comté se réunirent et protestèrent (6 janvier 1789), sauf vingt- deux membres de la noblesse et neuf du clergé qui prirent une délibération à part pour adhérer aux ordres de la Cour. Le parlement de Besançon, qui se considérait encore comme le représentant de la nation séquanaise, ordonna l'anéantis- sement de la délibération des dissidents, et souleva ainsi une tempête populaire, mollement réprimée par la force armée dont les chefs partageaient les idées nouvelles (!). Plusieurs parle- () L. pe LAvERGNE, Les Assemblées provinciales en France avant 1789, livre VI, ch. 1v. . — 292 — mentaires furent insultés publiquement et durent quitter la ville, pendant que les vingt-deux gentilshommes qui s'étaient pro- noncés pour l'abolition des priviléges de leur ordre, étaient pro- clamés citoyens d'honneur de Besançon (!). () Voici le texte de la délibération municipale en vertu de laquelle d'Arçon fut gratifié du titre de citoyen de Besancon : « SÉANCE DU MERCREDI 7 JANVIER 1789. » La Compagnie voulant consacrer dans les fastes de la cité les noms de plusieurs seigneurs de Franche-Comté qui, à l'assemblée des Etats de cette province du 26 novembre de l’année dernière, dont la clôture a été faite le jour d'hier, ont donné des témoignages également constans et solennels de désintéressement, de patriotisme, d’attachement aux intérêts du peuple et de dévouement au bien général, elle a arrêté d'admettre au nombre des citoyens de Besançon ceux desdits seigneurs qui n'ont point encore la qualité de citoyen, et de donner à ceux qui en sont revêtus une déclaration expresse de la reconnaissance publique due aux vues de bienfaisance qui les dirigent, | € . . ° 0 . . e 0 L C2 . . . e » Seigneurs à qui seront expédices des lettres de citoyen : , . e . D . . . . . . e . » Messire Jean-Claude-Eléonore LE Micnaux, écuyer, seigneur D'AR- çow, colonel au corps royal du génie, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis. e e . e . . . . ° . L . e . . . . . . » Teneur des lettres de citoyen à expédier auxdits seigneurs : » Nous Vicomte-mayeur-lieutenant-général-de-police, échevins et con- seillers assesseurs de la cité royale de Besançon, sçavoir faisons que, dans l'assemblée du 26 novembre de l’année dernière, messire (nom, surnoms el qualités) ayant donné des témoignages également solennels et constans de son amour pour le meilleur des rois, d’attachement à l’avantage du peuple, de désintéressement, de patriotisme et de dévouement au bien général, et que nous-mêmes, désirant exprimer à ce seigneur la reconnaissance pu- blique la plus justement méritée par les vues de bienfaisance qui le di- rigent, et l’unir en même temps aux intérêts de cette cité par des liens sacrés et indissolubles, nous avons pensé que nous ne pouvions le faire d'une manière plus digne de lui, plus conforme à sa sensibilité et à sa délicatesse, qu’en l’admettant au nombre de nos citoyens, et en ajoutant aux titres qui le décorent une qualité infiniment précieuse parmi nous qui toujours fût gravée dans son cœur. À ces causes, nous avons reçu et admis, recevons et admettons ledit seigneur...... .. au nombre des citoyens de | | | — 293 — Parmi ces derniers se trouvait le colonel d'Arçon, que ses compatriotes venaient déjà de nommer commandant de leur garde nationale (!), et qu’ils chargèrent en 1791 d’aller défendre auprès, du gouvernement les intérêts de leur commune. C'est pendant ce séjour à Paris qu'il fut nommé (13 juillet 1791) maréchal de camp, à la suite de l'adoption de la loi sur les places fortes qu'il avait si vivement défendues dans ses écrits. Quelques jours après (22 juillet), le ministre de la guerre établissait, à la suite d’un décret de l'Assemblée nationale, une cette cité de Besancon, pour y jouir, lui et les siens nés et à naître, des honneurs, droits, franchises, privilèges, libertés et immunités attachés à la qualité de citoyen. En témoignage de quoi nous avons fait expédier les présentes par le sieur Nicolas-Joseph Belamy, avocat au parlement, se- crétaire de ladite cité, et y apposer le scel ordinaire d'icelle. Fait au Conseil, le sept janvier mil sept cent quatre-vingt neuf. » Par ordonnance : (signé) BELAMY. » {) Le comte Louis de Narbonne, colonel du régiment de Piémont alors en garnison dans la ville, était commandant général de cette garde et de celles du Doubs. Il ne tarda pas à se lier d’une vive amitié avec le colonel d'Arçon, qui partageait ses idées libérales et ses illusions sur l'avenir. Le 8 février 1790, il servit de témoin à Elisabeth-Antoinette, fille de d'Arcon, qui épousait Francois-Xavier- Octave Barberot de Vaudey de Vellexon, écuyer, capitaine de cavalerie au régiment de Bourgogne. Possesseur d'une grande fortune, mais excessivement prodigue, M. de Vaudey était criblé de dettes : aussi se hâta-t-il d'émigrer, malgré les con- seils de son beau-père qui lui disait : « Vous partez pour revenir, il est bien plus simple de rester; qui quitte la partie la perd.» Il perdit la partie et ne revint que dix ans plus tard; mais il sauva sa tête. Quand il fut question d'arrêter, à Besançon, les parents des émigrés, d'Arcon sollicita des trois corps réunis la liberté de sa fille, comme ré- compense de ses services, et sa demande fut admise à l’unanimité. Pendant la terreur, Mmes d’Arcon et de Vaudey durent leur salut au représentant Bernard (de Saintes), qui voulait absolument épouser Mme Vaudey, bien que son mari fût toujours vivant. Sous l'empire, Mme de Vaudey devint dame d'honneur de l'impératrice Joséphine. Douée d'une imagination ar- dente et d'une beauté remarquable, elle eut une existence des plus agitées, qu'elle a racontée elle-même dans le tome III des Mémoires de CONSTANT. Elle mourut en 1863, à l'asile de la Providence, à Paris, dans un état voisin de la misère. — 294 — commission d'officiers généraux de l'artillerie et du génie, chargée de parcourir les principales frontières du royaume, de prendre connaissance de l’état des places, des travaux qui y étaient commencés et de ceux qui étaient nécessaires pour compléter leur défense. D'Arçon et le général d'artillerie de Rostaing visitèrent en- semble le Jura et les Alpes (!}. La déclaration de Pilnitz (41 août) nécessitant des mesures promptes , les deux inspec- teurs proposèrent, pour fermer certains passages d'accès dif- cile, un système de fortins emprunté à Montalembert. C’étaient des espèces de maisons fortes voûtées, avec une plate-forme supérieure : armées de pièces de gros calibre, elles devaient tenir à distance les petites pièces de montagne que l'ennemi pouvait seules leur opposer ; leur construction était, du reste, beaucoup plus rapide que celle des forts ordinaires à tracé bastionné. On voit combien peu étaient fondées les accusations de Montalembert sur l'esprit d'exclusion aveugle qui, selon lui, animait les armes spéciales. Le 22 octobre 1791, le ministre de la guerre Duportail écri- vait à d’Arçon : « J'ai reçu, Monsieur, les comptes que vous m'avez rendus successivement de la commission dont vous êtes chargé con- jointement avec M. de Rostaing. Sur le rapport que j'en ai fait à Sa Majesté, elle est très satisfaite de l'activité et de l'intelligence avec lesquelles vous avez disposé ou projeté les défenses des places et des passages que vous avez parcourus ; c’est une nou- velle preuve de votre zèle et de talents qui étaient déjà bien (*) 19 Observations sur Les routes situées dans le département des Hautes- Alpes, par les généraux DE RosTAING et D'ARÇON ; — 2 Mémoire sur la vallée de Barcelonnette et ses dépendances, par les mêmes ; — 3° Mémoire sur les places fortes du comté de Nice, par D'ARÇON ; — 4° Mémoire sur les dispositions générales des places de guerre qui peuvent convenir aux circons- tances actuelles, par D'ARÇON; — 5° Plan général de défense des frontières orientales du royaume, depuis l'embouchure du Var jusqu'au département du Haut-Rhin, par D'ARÇON. — (Archives du dépôt des fortifications, mss., Frontières.) — 295 — connus. Les détails de ce travail devant être discutés au comité des fortifications, l'intention du roi est que vous vous rendiez ici du 45 au 20 novembre prochain, pour examiner avec les autres inspecteurs des fortifications les dispositions les plus urgentes relatives à la défense des places. » _ Le comité des fortifications avait été créé par la loi du 40 jan- vier 479 ; mais il n'ouvrit ses séances que le 13 janvier 4792. Jusqu'à cette époque, le général accompagna depuis Besançon jusqu'à Dunkerque le comte de Narbonne, qui, devenu ministre, avait voulu vérifier par lui-même l'état de notre frontière du nord. Le rapport que Narbonne lut à l'Assemblée nationale, le 41 janvier 1792, au retour de sa rapide tournée, était l'œuvre du général {!), mutilée toutefois par le jeune ministre, dans le but de rassurer les esprits sur nos moyens de défense contre une attaque étrangère. Ce rapport fut couvert d’applaudisse- ments, et l'Assemblée en vota, comme témoignage de recon- naissance, l'envoi à tous les départements. La première session du comité fut consacrée à la répartition des quatre millions votés pour l'amélioration de nos places. Les besoins étaient tellement urgents de toutes parts, que l’on décida d’abord que rien ne serait alloué à celles de nos frontières que préservait la neutralité de la Suisse : Besançon se trouvait ainsi éliminé. Le général d’Arçon fit observer qu’en 1709 l’empereur d'Autriche et le roi de Sardaigne avaient fait le projet de débou- cher, l’un par le Haut-Rhin, l'autre par la Savoie, de se réunir devant cette ville et de partir de là pour envahir le royaume. La victoire remportée sur les impériaux au passage du Rhin fit échouer ce projet ; mais des circonstances analogues pouvaient amener les mêmes événements. Il obtint 280,000 francs et se mit aussitôt à l’œuvre. (2) « Vous reconnaîtrez sans peine, disait le rapport, le travail du général d'Arcon dans les observations sur les places frontières que je vais vous soumettre, » — 296 — Les murailles de. Besançon étaient très vieilles, et leur surface en mauvais état, à cause de la gélivité des pierres. Il eut la sagesse de résister aux sollicitations des habitants et de ne point entreprendre de travaux de maçonnerie qui eussent forcé à encombrer les fossés et. à ouvrir des brèches, -le tout avec des dépenses énormes et à peu près inutilement ; car de vieuxemurs, L4 malgré les écorchures de l’épiderme, résistent encore mieux au. canon que les maçonneries qui n’ont point encore pris corps. Il se contenta de. réparer les brèches réelles, mais il fit relever partout les. couvre-faces, restaurer les: parapets et préparer des retranchements. En même temps, 1l donnait les plans et ordon- nait l'exécution, de quatre lunettes pour occuper les hauteurs dominantes : deux sur les hauteurs de Thouzey et de Trochatey (en avant de la citadelle), une sur Chaudanne et. une autre sur Bregille (). (:) Ces lunettes, auxquelles le nom de leur inventeur est resté, sont des- tinées à occuper les dehors peu éloignés des places fortes. Elles n’ont point de chemin couvert, sont revêtues à la gorge, et se distinguent essentielle- ment des autres ouvrages de même nature par les dispositions suivantes : 1° Une tour en maçonnerie, placée à la gorge, organisée défensivement pour servir de réduit à la garnison; 2° Des casemates, situées derrière la contrescarpe, auxquelles on arrive par un conduit souterrain partant du réduit : ces casemates servent à flanquer les fossés ; elles permettent ainsi à la pièce de se soutenir par elle-même, sans avoir besoin de la protection des ouvrages en arrière, protection que l’on ne peut souvent obtenir que par des sacrifices sur l’a- vantage de la position, et dont l'expérience de la guerre a du reste démontré l'inefficacité ; elles servent en outre de point de départ pour un dispositif de mines préparé sous le saillant:; 3e Une traverse voûtée, placée.en capitale au niveau du terre-plein, qui sert à la fois à défiler l'ouvrage et à couvrir la garnison, tout en la tenant constamment en mesure défensive. Leur construction et leurs propriétés ont été clairement expliquées dans un travail de l’auteur qui a pour titre : Mémoire sur la manière d'occuper les dehors des forteresses par des moyens rapides, disposition approuvée par le ministre de La guerre, d'après l'examen du: comilé desifortifications, Paris, 1792, in-4°, 15:p..et L pl. GAY DE: VERNON, qui avait fait constrüire-un: de: ces ouvrages, en a domiéi les détails dans le tome IT (p. 194) de son Trailé élémentaire d'art. militaire — 297 — Comme directeur des fortifications, les projets une fois pré- sentés ef admis, sa tâche était terminée ; maïs il ne s’en tint pas là. Ées officiers du génie avaient émigré en grand nombre; le peu qui restait était employé aux armées : il sut y suppléer en stimulant le zèle et le patriotisme des Bisontins, et en faisant pi accorder des traitements à tous ceux qui étaient capables de surveiller des constructions. L'entrepreneur avait déjà fait 77,000 francs d’avances et se trouvait hors d'état de continuer les travaux, qui furent un ins- tant suspendus. D’Arçon écrivit au conseil général du départe- ment : il montra l'étranger menaçant déjà le Porrentruy, et les ouvriers de la ville privés tout à coup des occupations qui les faisaient vivre. Il parvint à obtenir une somme de 20,000 francs qui devait être prélevée, par parties égales, sur la caisse du et de fortificalion (Paris, 1805, in-4°). Le colonel AuGoyaAT en donne une description dans le tome III (p. 565) de son Aperçu hislorique sur les for- tifications. Bousuarp (Essai de fortification, t. 11, liv. 2, ch.6), CHASSELOuP-LAUDBAT {Essais de fortificalion, p.130) et NoizeT (Principes de fortification, t. II, p- 228) ont critiqué certaines des dispositions du général d’Arcon. Sans entrer ici dans le détail de ces critiques, nous nous contenterons de ré- pondre que d’Arcon, pressé par les événements politiques qui exigeaient une exécution rapide et une grande économie, n’a pas prétendu donner aux places la meilleure fortification possible, mais la meilleure qu'elles pussent recevoir dans les circonstances où elles se trouvaient alors. Il existe encore des lunelles d'Arçon à Metz, à Landau, à Perpignan et à Saint-Omer. Le 15 mars 1794, d'Arcon proposa, pour occuper les positions qui envi- ronnent le port de la montagne à Toulon et en général les dehors éloignés des places, une sorte d'ouvrages qui ne différaient de ses lunettes qu'en ce qu'ils étaient organisés plus fortement. Ils étaient entourés d'un chemin couvert, et le réduit, formant caserne, devait fermer la gorge et supporter une plate-forme destinée à donner un étage de feux. Cette plate-forme devait être protégée par un comble en charpente, qui avait l'avantage en temps de paix d'assainir les logements, et, eu temps de guerre, de fournir, par sa démolition, les bois dont on a taut besoin au moment d’un siége : disposition de détail dont la pratique montre toute l'importance. On a récemment construit, à peu près suivant ces données, les forts de Chaudanne et de Beauregard à Besancon, — 298 — payeur et sur celle des frais du culte (!)}. Mais cette somme étant insuffisante, il écrivit alors au ministre de la guerre Servan (?) : il lui rappela que les fonds étaient votés, qu'ils existaient en nature et que le seul moyen de prévenir tous les retards serait d'envoyer immédiatement chez les payeurs des places de guerre tous les fonds qui leur seraient accordés. Le ministre fit droit à sa demande et lui répondit le 25 août : « Je ne saurais donner assez d'éloges au zèle que vous apportez dans la surveillance qui vous est confiée et les objets les plus importants du service; je vous invite à continuer à me communiquer les vues utiles que votre amour pour la patrie pourra vous suggérer, et je me félicite d’avoir à compter sur votre lumière et votre patrio- tisme (°). » Les devoirs de son grade forçant d’Arçon à s’absenter, il voulut, avant son départ, donner encore à ses concitoyens une nouvelle preuve de sa sollicitude. | Il adressa aux membres du département ‘une remarquable instruction sur la conduite à tenir en cas de siége : il y indiquait non-seulement la manière dont on devait défendre les différents ouvrages dans l’état où ils se trouvaient actuellement, et le parti qu’on pouvait tirer des obstacles naturels qui environnaient la place ; mais, avec sa grande expérience dela guerre, il prévoyait encore les différentes éventualités qui pourraient se produire dans la lutte, et désignait pour chacune des remèdes prompts et faciles. Entrant même dans des considérations plus délicates, 1l montrait les moyens à mettre en œuvre pour maintenir la con- fiance parmi les défenseurs et prévenir les fausses alarmes, si dangereuses dans une ville qui n’est pas défendue par des soldats. () Séance du 13 août 1792. (*) Lettres des 11, 16, 17 et 22 août. (Archives de la direction du génie de Besancon.) (2) Mêmes archives, — 299 — Un acte d'accusation, qui menaçait sa liberté et sa vie, devait être la seule récompense de tant de dévouement ({}. XI D'Arcon prépare le siége de Genève. — Il est suspendu de ses fonctions par le général de Hesse (11 octobre 1792). — Il est réintégré (13 février 1793) et envoyé à l’armée du Nord. — Siéges de Breda et de Gertruy- denberg. Li Les événements politiques se succédaient à Paris avec une rapidité effrayante : le roi était en prison; les journées de sep- tembre avaient inauguré la longue série des massacres, auxquels on donna bientôt une apparence juridique par la création des tribunaux révolutionnaires ; des commissaires, choisis parmi les membres les plus exaltés de l’Assemblée nationale, venaient d’être envoyés dans les départements pour surveiller les chefs civils et militaires, les renouveler au besoin et réchauffer par d’inflexibles exécutions le patriotisme des citoyens trop modérés (?). (*) La plupart des faits relatifs à cette période de la vie de d'Arcon ont été puisés soit dans Deur époques militaires à Besançon et en Franche-Comté (1674-1814), par M. L. ORDINAIRE, chef d’escadron d'artillerie, soit dans des notes que je dois à l'extrême obligeance de M. CAsTAN, bibliothécaire de la ville de Besancon. () « M. du Ronget de l'Isle, ingénieur en chef à Huningue, a été sus- pendu de ses fonctions. C'est pourtant un bon patriote, mais qui n'était pas d'accord sans doute sur quelques nuances politiques : or, il paraît que les influents n'adoptent pas les nuances. Ils se sont disputés ; il n’en a pas fallu davantage. Et puis voilà Huningue sans ingénieurs. (C’est assurément mal servir la chose publique, même dans le système de ces publicistes, Les passions font bien du mal.» La lettre dont nous avons extrait les lignes précédentes est écrite par d'Arçon au chef du génie de Besancon, et datée de Pontarlier le 2 sep- tembre; elle contient, en outre, l'appréciation suivante sur Carnot : « Le chef du génie de Béfort me marque que M. Carnot a paru avoir des préventions contre moi. Je n'en suis pas étonné. Nous avons eu plus d'une rixe ensemble. Je m'opposais à l'introduction des ponts et chaussées et tenais pour la réunion des mineurs, d'autant qu'elle était simple et — 300 — Le général prince de Hesse-Rhinfels commandait alors à Besançon. Il crut pouvoir racheter le crime d’une naissance illustre par l'éclat d’un zèle odieux, et chargea le général d’Arçon, ainsi que les officiers du génie sous ses ordres, des accusations les plus absurdes. I] les dénonça comme soudoyés par l'ennemi pour laisser tomber en ruine les remparts dont ils avaient en effet, nous l'avons vu, négligé les escarpes, et prétendit en outre que les nouveaux ouvrages qu'ils avaient élevés sur les hauteurs voisines n'avaient d'autre but que de fournir aux étrangers des batteries toutes prêtes pour écraser la ville. Hesse s’étonnait enfin de voir le confident du traître Narbonne, le confident de sa frauduleuse inspection des frontières, l'âme de l’infâme Lafayette et de son suppôt Bureaux de Pusy ('}, tenir entre ses mains le sort de la place de Besançon, l'une des M: les plus importantes de la république. D’Arçon, qui faisait alors sa tournée dans les places de l’est, fut averti par ses amis et adressa le 30 septembre un premier mémoire justificatif au conseil général du département ; puis, donnant par ses actes une éclatante confirmation à ses paroles, il sollicita du ministre la faveur d’être employé à l'armée des Alpes qui venait d’envahir la Savoie. Le 5 octobre, il rejoignit à Carouge le général de Montes- quiou, au moment ou celui-ci venait de recevoir du pouvoir exécutif l’ordre d'entrer par tous les moyens possibles dans 0 + ee utile pour l'avenir. Je remarquais que les ponts et chaussées, bien payés et mieux que nous dans leurs fonctions faciles et dont la responsabilité ne tirait pas à conséquence, répugneraient de prendre la queue de notre corps; mais c'est un homme très opiniâtre. D'autres rixes encore ont dû aliéner cet esprit peu conciliant. Que faire à cela? Prendre patience et laisser couler. » (Archives de la direction du génie de Besançon.) () Lafayette avait refusé de faire proclamer devant son armée la dé- chéance du roi : après les événements du 11 août, déclaré traître à la patrie, il émigra avec son aide-de-camp Bureaux de Pusy, capitaine du génie (juillet 1792). Bureaux de Pusy, qui avait siégé à l’Assemblée cons- tituante et en avait été à trois reprises le président, était né à Port-sur- Saône (Franche-Comté), en 1750. — 301 — Genève, pour punir cette ville de l’injure qu'elle avait faite à la loyauté française, en s’alarmant du’ voisinage de nos troupes et en réclamant une garnison fédérale. Montesquiou, qui n'avait que fort peu d'hommes et presque pas d'artillerie, hésitait à obéir : 11 lui était impossible de songer à un siége en règle pendant l'hiver, en présence de toutes les forces helvétiques qui se montaient au moins à 46,000 hommes ; il ne pouvait au plus que lancer quelques bombes, et 1l lui répu- gnait de porter inutilement l'incendie dans une cité riche, indus- trieuse et, en somme, très innocente. Il prévoyait en outre les. conséquences désastreuses d’une attaque qui ne serait pas suivie de succès ; car il était probable que les Suisses irrités s’uniraient avec les Autrichiens et les Sardes, et que, au printemps, Genève, transformée en une solide place d'armes , servirait de point d'appui à nos ennemis pour prendre loffensive. . . D’Arçon le confirma dans ces sentiments, et les deux géné- raux résolurent de tout faire pour conserver la neutralité d’un pays qui couvrait une grande partie de nos frontières, alors que nous étions attaqués de tous les côtés à la fois. D’Arçon envoya, le 13 octobre, un rapport au ministre (!) dans lequel 1l lui exposait les considérations précédentes, tandis que Montesquiou, feignant d’un côté d’obtempérer aux ordres de la Convention, par la concentration de quelques troupes dans le pays de Gex, parvenait d’un autre, en exagérant la portée de ses préparatifs et faisant sonner bien haut le nom de son illustre ingénieur, à effrayer les Genevois et à obtenir d'eux le renvoi des troupes fédérales. | Cependant d’Arçon, dès son arrivée à Carouge, avait fait dis- tribuer (6 octobre), à Besançon, une adresse à ses concitoyens du département du Doubs (?} : adresse qui, signée du nom de (:) Observations sur l'attaque de Genève (15 octobre 1792). ‘Archives du dépôt des fortifications, art. 15.) (?) Adresse du maréchal de camp Darçon à ses concitoyens du département du Doubs (brochure de la bibliothèque de Besancon.) — 302 — Darçon, n'eut d'autre résultat que de le faire condamner, sous le nom de Michaud, par le tribunal du district, pour s’y être servi de dénominations abolies par la loi (‘}. Le 41 octobre, le général Hesse le suspendit de ses fonctions, et, le même jour, le conseil général du département décréta son arrestation et fit mettre le scellé sur ses papiers. A peine Montesquiou eut-il appris ces mesures, qu’il se hâta de protester contre une suspension aussi illégale qu'injuste, puis- qu’elle atteignait un officier servant dans son armée, au moment même où l'éclat de son nom déterminait l'issue pacifique d’un conflit qui pouvait devenir dangereux pour la France. « Je vou- drais, écrivait-il au ministre, le 48 octobre, que vous eussiez vu avec quel empressement il est venu me rejoindre, avec quel zèle il a travaillé aux préparatifs, avec quel chaleur il détaillait les moyens de succès ; vous n’auriez pas eu besoin d’autre réponse à ses accusateurs (?). » En même temps d’Arçon se rendait à Bourg, auprès des com- missaires de la Convention : il eut avec eux une longue confé- rence, et il est probable que la difficulté seule de le remplacer, au moment où l’on avait besoin de lui, détermina son salut ; car, quelques jours après, Montesquiou, dont la modération avait été regardée comme une atteinte à la dignité de la France, fut accusé de trahison et obligé de prendre la fuite pour sauvef sa vie. Les commissaires donnèrent à d’Arçon l’ordre d'aller prendre, à Chambéry, le commandement du génie de l'armée des Alpes. Jl se porta en effet dans la Tarentaise, et fit exécuter quelques travaux au-dessous de Bourg-Saint-Maurice et de Bramant dans (*) Par jugement du 20 octobre 1792, le tribunal appliqua au général la loi du 16 octobre 1791, qui défendait à tout citoyen français de prendre, dans aucun acte, des titres ou qualifications nobiliaires, sous peine d’une amende égale à six fois sa contribution mobilière, et en outre d'être rayé du tableau civique et déclaré incapable d'occuper aucun emploi civil ou militaire. (*) Archives du dépôt de la guerre. — 303 — la Maurienne. Il adressa, le 9 novembre, au ministre de la guerre un mémoire, qui présente aujourd'hui un intérêt d'ac- tualité, sur Les moyens à employer, en fortification, pour assurer l'indépendance de la Savoie (1). Chassé par les neiges, il revint en France et se retira à Saint- Germain, près de Paris, où 1l possédait la belle terre de Lu- zancy. Il était encore sous le coup des mesures prises contre lui à Besançon : il se pourvut d’abord contre le jugement du tribunal du district, jugement qui fut cassé par le ministre de la justice Garat, d’après cette considération fort juste que le général n'avait pu répondre qu’en usant du nom sous lequel on l'avait attaqué; il réclama ensuite auprès du comité des fortifications contre la suspension prononcée par le général Hesse (?). Les démarches du comité et de la commune d’Arçon, qui attestait le patriotisme de son ancien seigneur, furent vaines, tant que Pache occupa le ministère de la guerre. Homme de bureau, élevé par l'intrigue, cachant un esprit ambitieux sous le masque d'une austère simplicité, Pache craignait de se compro- mettre, et il refusa de réintégrer d’Arçon si le conseil du district ne lui accordait pas un certificat de civisme. Celui-ci, loin de accorder, écrivait au ministre, en lui dénonçant une nouvelle fournée d'officiers suspects : « Vous ne devez non plus pas comp- ter sur le patriotisme de Michaud, ci-devant d’Arçon, à la dispo- @) Archives du dépôt des fortifications, manuscrits, Frontières. (*) Son mémoire justificatif adressé au comité est à la date du 8 janvier 1793. Il y expose ses services passés et les preuves qu'il a données de son patriotisme, notamment en faisant l'un des premiers le sacrifice de ses droits féodaux : « Qu'on me permette, dit-il à ce sujet, d'observer que ceux qui attaquent le plus aigrement sur le fait de civisme, sont précisément les mêmes qui n’ont fait aucune espèce de sacrifice à notre liberté. Je ne parle pas de la classe respectable qui n'avait guère que ses bras et qui les a donnés. Mais entre deux individus, si l'un, payant déjà de sa personne dans une révolution favorable à la liberté publique, faisait encore de bonne grâce le sacrifice de la moitié de sa fortune, tandis que l’autre doublerait ou décu; lerait la sienne à force de dénonciations et de calomnies, on de- mande de quel côté serait le civisme? » (Archives du dépôt des fortifica- tions, carton 5, Documents historiques, n° 96.) x DQ4:— sition duquelle (sic) citoyen Servan a remis les fonds nécessaires pour le rétablissement des fortifications du fort Blamont (!). » Mais, à la fin de janvier, Pache fut remplacé par Beurnonville, ami intime de Dumouriez. Dumouriez se préparait alors à envahir la Hollande. Son plan consistait à descendre la Meuse, en s’emparant successivement des places de Maëstricht, Vanloo et Grave, à se rabattre de Grave sur Nimègue, et à fondre de là sur Amsterdam. Il avait à faire de nombreux siéges et il fallait un ingénieur habile : il demanda au ministre de la guerre d’Arçon, qu'il connaissait personnelle- ment et qu’il avait en haute estime (?). | En conséquence, Beurnonville réclama d’Arçon pour faire partie du comité de défense générale (*); il le fit réintégrer, le 43 janvier 1793, par arrêté du conseil exécutif, et lui donna ordre de se rendre sur-le-champ à Anvers pour y recevoir les instructions de son général en chef, en le prévenant en outre qu'il allait être chargé du siége de Maëstricht. D'Arcon, avec son activité ordinaire, court aux Invalides, étudie le plan en relief qui s’y trouve, rassemble en hâte quel- ques cartes, et, quatre jours après, part en poste. En route il rédige son plan d'attaque, et le 49 il arrive à Anvers. Il y trouva Dumouriez dans une grande exaltation. Aux pre- miers mots relatifs à Maëstricht, le général en chef l'interrompit, en lui disant que tout était changé, qu'il avait conçu un nouveau plan de campagne, plus hardi, plus prompt que l’ancien et bien plus fécond en résultats décisifs, et que lui, d'Arçon, devait se () Le manque d'officiers du génie avait forcé de négliger les travaux du fort de Blamont, dont les fonds avaient été reportés sur Besancon. Hesse accusait d'Arcon de les avoir détournés à son profit. (?) « Ce maréchal de camp (d’Arçon) est un des meilleurs ingénieurs et des plus honnêtes hommes de France. » (Mémoires de DUMOURIEZ.) (5) Les procès-verbaux des séances du conseil général du département du Doubs, à la date du 27 février 1793, constatent que « le ministre de la guerre, sauf approbation des commissaires de la Convention en tournée, osa réclamer Michaud, dit d'Arcon, pour faire partie du conseil de défense nationale, » — 305 — rendre immédiatement à Breda et remettre son projet d'attaque au général Valence, qui le remplacerait devant Maëstricht (t). En suivant son ancien plan, Dumouriez était obligé d'attaquer de front les Hollandais, qui déjà avaient fait leurs préparatifs entre Grave et Gorcum. Il permettait en outre aux Anglais et aux Prussiens d'arriver pendant qu'il assiégerait les places de la Meuse. Au moment d'ouvrir les hostilités, il résolut de laisser ses lieutenants, Valence et Miranda, exécuter ostensi- blement ces opérations, tandis que lui-même, à la tête d’une petite armée, entrerait brusquement en Hollande, en laissant sur sa droite les places de Breda et de Gertruydenberg, et sur sa gauche Berg-op-Zoom, Steenberg, Klundert et Willemstadt. Après avoir traversé le bras de mer appelé le Bielbos, 1l se dirigerait vers Amsterdam, par Rotterdam, Delft, la Haye, Leyde et Harlem, villes non fortifiées, qui ne pouvaient lui opposer aucune () Ce projet d'attaque eut une destinée assez curieuse, que révèle la lettre suivante écrite de Dusseldorf, le 3 août 1794, par le comte de Metternich au maréchal prince de Cobourg (Archives du dépôt des forti- fications, places étrangères, Maëstricht) : « Le ministre plénipotentiaire a l'honneur d'envoyer à S. A.S. la copie exacte d'une pièce qui peut devenir de la plus haute importance, dans le cas où l'ennemi se proposerait d'entreprendre le siége de Maëstricht. C'est le plan des dispositions qui furent tracées à Miranda, lorsqu'en 1793 il entreprit d’assiéger cette place. Le plan fut rédigé par le sieur d'Arcon, qui était alors, comme on prétend qu'il l’est encore aujourd'hui, L'AME DE TOUTES LES OPÉRATIONS DE L'ENNEMI. Cette pièce, vraiment curieuse par les combinaisons perfides dont elle offre ie développement, jette un grand jour sur l'esprit qui dirige les entreprises des Français, et a été trouvée dans les papiers du sieur Lasonde, lors de son arrestation à Bruxelles par ordre de la cour, et elle avait été confiée à celui-ci par le général Valence lors de son départ pour l'Angleterre. Le comité militaire de la Convention nationale pouvant ignorer que cette pièce, dont le ministre a envoyé l'original à la cour, est tombée en notre pouvoir, en suivra peut- être les errements, s’il entreprend le siége de Maëstricht, et le ministre plénipotentiaire a jugé faire à la fois une chose agréable à S. A. S.M. le maréchal et servir la chose publique, en transmettant à S. A. S. la copie ci-jointe. [1 a l'honneur de lui renouveler l'assurance de sa haute consi- dération. » (Signé) METTERNICH, » 20 résistance. Il avait en outre l'avantage de prendre ainsi à revers toutes les défenses de la Hollande, quand il reviendrait d'Ams- terdam vers Nimègue, où le général Miranda devait le rejoindre avec 25,000 hommes, pendant que le gros de l’armée, sous les ordres de Valence, contierdrait les Autrichiens et protégerait la droite. Le nœud de l'opération consistait donc à percer le trian- gle dont Berg-op-Zoom, Breda et Willemstadt occupaient les trois sommets. En conséquence, Dumouriez réunit à la hâte 48,000 hommes qu'il divisa en quatre corps. L'avant-garde , commandée par le général Berneron, eut ordre de se porter sur Willemstadt et de réunir les moyens de transport pour traverser le Bielbos ; d'Arçon, à la tête de la division de droite, devait contenir Breda ; le général Leclerc devait agir de même avec la division de gauche devant Berg- op-Zoom, pendant que Dumouriez, avec la réserve, se tiendrait au centre, prêt à porter secours partout où le besoin s’en ferait sentir, en attendant que tout fût prêt pour le passage du bras de mer. Breda est une très grande place, située sur la rivière de la Merk, dont les eaux retenues forment des inondations qui ne laissent accès que par les chaussées de Bois-le-Duc, de Gin- nekin et d'Anvers, ainsi que par les digues de la rivière elle- même. Elle avait déjà été assiégée en 4637 par Louis XIV, et le siége avait duré quatre-vingt-dix jours. Les fortifications de la ville s'étaient beaucoup améliorées depuis : en outre elle était défendue par 2,400 hommes et possédait 250 bouches à feu, ainsi que des approvisionnements de toute nature. Les Français n'avaient que quatre mortiers, deux obusiers, trente canonniers, des munitions pour deux jours de tir ordi- naire et un effectif d'infanterie ou cavalerie peu supérieur à celui de la garnison. D’Arçon arriva devant la place dans la nuit du 22 au 93, accompagné du colonel Devaux, aide de camp de Dumouriez : il la trouva déjà investie, depuisle 15, par ses troupes etreconnue — 307 — par le lieutenant-colonel d'artillerie La Martinière et le capitaine Sénarmont de la même arme. Ces officiers avaient déterminé l'emplacement de deux bat- teries en des points où, grâce à des haies, des broussailles et des maisons, on pouvait parvenir à travailler sans être aperçu de la défense. L'une de ces batteries, destinée aux deux obusiers, était sur une petite hauteur, de façon à tirer de plein fouet dans l'intérieur de la ville ; l’autre, destinée aux quatre mortiers, était placée à la queue des glacis, entre les portes de Bois-le-Duc et de Ginnekin, et pouvait envoyer des bombes jusqu’au centre de la place. D’Arçon approuva ces emplacements : il ne fit point ouvrir de tranchée, mais ordonna qu’on construisit les épaulements avec une solidité exceptionnelle, ces deux batteries devant con- centrer sur elles tous les efforts des assiégés. A neuf heures du matin, les batteries étaient achevées et prêtes à tirer. Il envoya faire au comte de Byland, gouverneur de la place, une première sommation, qui fut accueillie comme une mauvaise plaisanterie. Le feu s’ouvrit alors des deux côtés. Grâce aux précautions prises par l'attaque, nous n’eûmes dans toute la journée que trois volontaires tués et un canonnier blessé. Vers cinq heures du soir, un obus de l’enemi mit le feu à une voiture pleine de bombes et fit éclater tous les projectiles qu’elle contenait. Par suite de cet accident, nous n'avions presque plus de munitions. Il était cependant indispensable de tromper l'ennemi. D'Arçon décida que le feu recommencerait à deux heures après minuit et qu'on le réglerait de façon à le faire durer jurqu'’au jour. Le 24 au matin, le colonel Devaux se présenta devant les portes pour faire une nouvelle sommation. Il savait que nous avions des intelligences dans la place, et comme, pendant la nuit, nous avions mis le feu à une quarantaine de maisons, il avait lieu d'espérer que le comte de Byland, homme de cour qui n'avait jamais fait la guerre, se laisserait influencer par les mur- mures des habitants, Admis devant le conseil de défense, il — 308 — parla avec tant d'énergie qu’on entra en pourpalers. Il n’y avait pas lieu d’être exigeant sur les articles de la capitulation : si l'ennemi s'était aperçu de notre faiblesse réelle, c’est lui qui aurait pu nous la dicter. D’Arçon accorda à la garnison les hon- neurs de la guerre, et la place se rendit le 95. La conquête de Breda nous donna, outre les 250 bouches à feu de l'ennemi, 5 bâtiments de transport, 300 milliers de poudre et 500 fusils dont nous avions le plus grand besoin. Dumouriez arriva le 27 : il fut dans l'enthousiasme d’un succès qui inaugurait si brillamment la campagne et sur lequel 1l n’avait pu compter, vu le peu de ressources dont nous dis- posions. D’Arçon partit aussitôt après pour Gertruydenberg, où ses troupes l'avaient déjà précédé; il y arriva le 29. Gertruydenberg est située sur le Bielbos, à l'embouchure de la Denge dont elle occupe la rive gauche. Elle n’est munie, du côté de la rivière, que d’une simple muraille complètement dominée ; mais, du côté opposé, elle est couverte par une bonne inondation et deux rangs d'ouvrages très forts, Elle possède un excellent port, alors rempli par une trentaine de bâtiments de commerce, dont la prise devait être d’une très grande impor- tance pour les projets ultérieurs du général en chef. Elle était défendue par 250 bouches à feu, un régiment d'infanterie fort de 8 à 900 hommes, et le beau régiment de dragons, garde du stathouder. D'Arçon, qui n'avait que quelques canons amenés de Breda, peu de troupes et pas d'équipage de ponts, ne pouvait songer à passer une rivière sous le feu de l'ennemi. Au lieu de faire brèche aux remparts du côté de la Donge, comme il l'eût cer- tainement tenté dans toute autre circonstance, il essaya de la méthode d’intimidation qui venait de lui réussir si heureusement. Après avoir vainement envoyé une première sommation, il atta- qua du côté des ouvrages extérieurs; et telle était alors l'ardeur de nos troupes et la terreur qu'inspirait le nom français, qu’en deux jours tous ces forts détachés furent enlevés de vive force — 309 — ou abandonnés par l'ennemi. Nous y établimes nos batteries, et le 4 au matin, dès que quelques coups de canon eurent été échangés, d’Arçon envoya au gouverneur le colonel Devaux, avec une sommation conçue en ces termes : « Monsieur le commandant de Gertruydenberg a dû s’aper- cevoir que, dans l'obligation d’obéir à des ordres précis, j'ai cependant pris sur moi de me borner à une exécution qui n’est qu'un simple avertissement des moyens qui se préparent. J'ai voulu vous donner le temps de réfléchir sur les suites fâcheuses où, par la plus vaine des résistances, vous entraïneriez les habi- tants de Gertruydenberg , et cela pour ce que vous appelez l'honneur de la garnison. En quoi faites-vous donc econsister cet honneur, si vous ne l’employez à sauver les malheureux habi- tants que vous n'êtes plus en état de protéger ? « Vous pouvez apprécier nos progrès. Je dois vous prévenir qu'il nous sera difficile de contenir l’ardeur de nos soldats, et vous savez à quel point les suites de leur audace seraient ter- ribles. Si vous pouviez en douter, il est d’autres malheurs non moins terribles et des effets desquels vous ne doutez pas, et vous seul les aurez provoqués par un préjugé aussi vain qu’il serait inutile à la cause que vous soutenez. Vous sentirez, je l'espère, qu'aux extrémités où vous êtes réduit, il ne vous reste plus qu'un moment. Non-seulement je ne serai plus le maître d’influer sur les conditions honorables que vous pourriez encore obtenir, mais vous resterez personnellement responsable de tous les désastres que, jusqu'à présent, J'ai pu épargner aux habitants de Gertruy- denberg (!). » Le gouverneur demanda les honneurs de la guerre, et d'Arçon s'empressa de les lui accorder ; mais, circonstance caractéris- tique de cette époque d’exaspération, il se crut obligé d'en rendre compte directement à son ministre et d'excuser sa con- duite. Après avoir fait ressortir les motifs politiques, il se ha- sarda à placer cette observation qui peint son noble caractère : nn D nl pe Lo Rd () Moniteur du samedi 9 mars 1793, — 310 — « Il s'agissait d'économiser un temps qui nécessairement eût été fort long, de ménager des hommes précieux et d’épargner des travaux excessivement pénibles au milieu des marais et des inondations. Mais ce qui devait surtout nous intéresser, c’est qu'au lieu d'apporter aux habitants de ces villes le bonheur et la liberté, il aurait fallu les ruiner et réduire leurs maisons en cendres, et cela pour le misérable avantage de faire quelques prisonniers de guerre, et acheter encore cet avantage par la perte de plusieurs milliers de nos compagnons (!). » M. le général de Blois (?}, après avoir raconté une partie des événements qui précèdent, ajoute : « L'attaque de Breda fut conduite par d’Arçon avec une grande habileté. Il sut tirer un excellent parti de la terreur qu'inspi- rèrent ses bombes, et des sympathies que la cause française avait excitées parmi les habitants. Dumouriez se glorifia du change- ment quil venait d'introduire dans l'attaque des forteresses ; mais la satisfaction de d’Arçon ne dut pas être sans mélange. Le succès qu'il venait d'obtenir, à peu de frais et si promptement, était de nature à ébranlér la conviction professée par son école sur les avantages de l'emploi exclusif du siége régulier. » Cette appréciation des principes de d’Arçon et de son école est erronée. Il est bien vrai que le corps du génie, mû par des sentiments d'humanité fort honorables, a toujours proserit l’'emplot inutile d’un moyen barbare qui pèse surtout sur les femmes, les enfants et les infirmes, et que, fidèle à la devise de Vauban, son fon- dateur : Brülons plus de poudre et versons moins de sang, il préfère généralement la marche sûre et méthodique du siége régulier, qui ne s'attaque qu'aux soldats de la défense, tout en ménageant autant que possible la vie des assiégeants. Mais il y a des circonstances où les moyens exceptionnels, le bombar- (:) Archives du dépôt de la guerre. (?) De la fortification en présence de l'artillerie nouvelle, par F. DE BLois, général de brigade, Paris, 1865, in-8°. — 311 — dement entre autres, deviennent nécessaires, et alors le génie n’a jamais hésité à les employer. Pour ne point sortir de notre sujet, nous ne voulons d’autres exemples que les siéges aux- quels assista d’Arçon : Dillenbourg, Gibraltar, Breda et Ger- truydenberg; certes tous quatre ne sont rien moins que des siéges réguliers. La bibliothèque de Besançon possède encore le projet du siége de Maëstricht par le même ingénieur. Voici ce qu’on y lit : « Aussitôt que les premières troupes seront arrivées, on ouvrira la tranchée et on y préparera des batteries, quand même d’ailleurs rien ne serait prêt. L'exécution en sera ainsi plus facilement dérobée et on sauvera bien des hommes. On aura en outre l'avantage de faire dater le siége de plus loin ; car il faut compter en général que les défenseurs sont disposés à se ren- dre : il ne faut que leur sauver la honte de n'avoir pas assez prolongé leur défense... » On évitera, autant que possible, de faire intervenir la guerre de mineur, dont les procédés pénibles rendent les siéges si longs, si dégoûtants et si meurtriers. Les moyens de s'y soustraire ne sont pas toujours faciles ; il faut les esquiver, en brusquant cer- taines opérations qu’on indiquera... » On évitera surtout les cheminements pied à pied, qui dé- signent beaucoup trop clairement à l'ennemi les points où l’on travaille et où par conséquent il doit réunir tous ses feux ; il faut au contraire faire diverger ces feux, en embrassant d’abord les plus grands développements. On fera en sorte que les ap- proches s’exécutent toujours à la sape volante... » Les ouvrages enlevés par coup de main sont bien du genre qui convient à notre nation ; mais il faut en assurer le succès, car l'effet moral d’une attaque repoussée agit en sens contraire : les défenseurs y prennent plus de confiance et les attaquants y perdent le sentiment de leur audace. Cependant il sera essentiel de leur faire craindre au moins les escalades et les.coups de main : c'est-à-dire qu'on distinguera bien la qualité des ou- vrages détach's, et l’on forcera sur ceux qui seront dépourvus — 312 — de protection ; mais l'on évitera celles de ces entreprises qui seraient hasardeuses et qu’on ne serait pas assuré de soutenir. » Les coups de main d’ailleurs (ceux-là où l’on ne serait pas favorisé de l'avantage de surprendre) pourraient être plus meurtriers que ne le serait en somme la suite des procédés régu- liers. Ce sont des nuances à calculer dans le moment ; je veux dire qu'il faut épuiser tous les moyens physiques et moraux d’é- tonner, d’en imposer et de jeter la terreur parmi les défenseurs, par la rapidité des travaux, mais sans préjudice de la marche régulière des attaques. » Sont-ce là les conseils d’un homme aveuglément attaché à des règles imnmuables ? Et si nous ajoutons que la suite des opérations du siége reposait essentiellement sur l'emploi de machines infernales, analogues à celles dont se servit Giannibelli à Anvers en 1584, on reconnaîtra sans doute que la phrase de M. de Blois, citée plus haut, n’est juste que si, par les mots de siége régulier, on entend une attaque conduite avec ordre et intelligence. M. de Blois reproche encore aux officiers du génie de ne point professer le bombardement dans leurs leçons de l’école de Metz. Mais, comme le fait remarquer M. le commandant de Ville- noisy, qui y professe la fortification {!}, « les moyens d’intimi- dation quels qu'ils soient, comme la corruption plus sûre et plus économique encore, comme les surprises et toutes les manières d’influencer l'esprit des hommes, ne sont pas suscep- tibles d’être réduits en règle; ils ne constituent pas une mé- thode, mais appartiennent à ce que l’on nomme la partie morale de la guerre et ne dépendent que de l'inspiration du chef; on s'en sert avec le discernement dont on est capable, on ne pourra Jamais les enseigner. ......» Et la preuve, c'est que ce projet du siége de Maëstricht, dans lequel d’Arçon n’omet pas le moindre détail, indiquant, jour par jour, les travaux (1) Réponse au général de Blois, dans le Moniteur de l'armée du 5 mars 1866. — 313 — à entreprendre et jusques au texte des sommations à faire, parut si difficile à exécuter que la minute de ce plan d’attaque, qui se trouve aux archives du dépôt des fortifications, porte en marge la note suivante : « Je répondis que quand on faisait de tels projets, on venait les exécuter soi-même (!). » Enfin, pen- dant que Berneron passait vingt-sept jours à bombarder inuti- lementWillemstadt, d’Arçon, placé dans des conditionssemblables n’en mettait que deux pour s'emparer de Breda. « L'un voulait tout brûler en arrivant; l’autre voulait tout ménager, excepté les fortifications et le moral des défenseurs. . 4 Le premier crut jeter l'épouvante en voulant tout incendier : cela fait, 1l ne lui restait plus rien à faire, tout le désastre possible était consommé, etles défenseurs, ne pouvant être affec- tés du grand mal de la peur, s’aperçurent que leurs fortifications étaient entières ; dès ce moment 1ls méprisèrent des feux qui ne pouvaient qu'être impuissants. Le second fit valoir en menaces le peu de moyens qu'il avait, et surtout ceux qu'il n'avait pas; il supposa que les fantômes de la peur, l'imagination frappée de terreur sur des désastres seulement annoncés, étaient infini- ment plus puissants sur des têtes faibles que n’eussent été les désastres eux-mêmes. Enfin le premier, qui avait tout saccagé de loin, fut obligé de lâcher prise, et le second, qui avait ménagé les habitants, réussit (?). » C'est que le tout n’est pas de lancer des bombes : il faut encore savoir les lancer à propos; et cette science est précisé- ment ce qui constitue le génie d'un général. () Cette note, signée d'un simple B, est probablement du général Bolle- mont, commandant en chef l'artillerie dans l'armée qui, sous les ordres de Kleber, vint l'année suivante remettre le siége devant Maëstricht. (*) D'ARÇON, Considérations politiques et mililaires, — 314 — XII D'Arcon est nommé général de division (2 mars 1793). — Mission dans le Porentruy. — Siége de Toulon. — Il est mis à la retraite (28 novembre 1793). — 11 prépare avec Carnot les plans de campagne de nos armées. — Il est appelé au comité des fortifications {16 octobre 1794). — Il ouvre le cours de fortification à l’école polytechnique (décembre 1794). Le gou- vernement fait publier ses Considérations politiques et militaires. — Il se retire à Voray (mars 1795). Trois jours après la prise de Gertruydenberg, d’Arçon reçut sa nomination au grade de lieutenant général; mais, au moment où il se préparait à partir pour Bois-le-Duc, il éprouva l'effet des exhalaisons marécageuses qu’il avait bravées pendant les deux derniers siéges, et il fut frappé d’un rhumatisme universel qui le privait de toute faculté d'agir. | Il revint à Anvers, désespéré de ne pouvoir plus être utile. « J'en suis tellement affecté, écrivait-il à Dupin, adjoint au ministre de la guerre (!), que je ne puis accepter ni le grade, ni le traitement de lieutenant général, à moins que ma santé promptement rétablie ne me permette de reprendre incessam- ment le cours des opérations. Croyez que ce n’est m relativement à vous, ni à l'égard du général Dumouriez et autres hommes de votre trempe, que je tiens à cette délicatesse. Je me l'impose pour une classe où l’on croit que c’est l'intérêt qui fait agir : d’ail- leurs ce n’est qu'une très petite vengeance que Je me permets de tirer d’un physique assez mal disposé pour me faire faux bond danr un moment de crise. » Par la même lettre, le général de- mandait un congé pour aller aux eaux de Bourbonne ou de Plombières, et, en attendant la réponse, il se dirigea à petites journées vers la France. Le 26 mars il arriva à Lille, où le commissaire de la Conven- tion lui offrit le commandement de la place ; mais il était telle- (1) Lettre du 11 mars 1793. (Archives du dépôt de la guerre.) — 315 — ment impotent qu'il dut refuser. Craignant à chaque instant d’être bloqué dans cette ville par les alliés, et ne recevant au- cune nouvelle relativement à son congé, il se fit transporter à Arras. j : Le 7 mai, il écrivait au ministre de la guerre Bouchotte pour lui rappeler sa demande, et il ajoutait : « J'ai appris avec beau- coup de peine qu'en m'élevant au grade de général de division, à l’occasion du siége de Breda, le ministre Beurnonville m'avait fait remplacer dans mes fonctions d’inspecteur des fortifications, seul genre de service auquel je sois propre. J'ai passé ma vie dans l'exercice des siéges et de toutes les opérations qui y sont relatives ; le maniement des troupes serait une carrière absolu- ment nouvelle pour moi. J'ai soixante-deux ans et je suis déjà éprouvé par de longs travaux. J’ajouterai que ce n’est point sans raison que Vauban ne voulait point être maréchal de France (!). Il refusa constamment de commander des corps d'armée ; c’est qu'il n'était lui-même qu’un fortificateur et un assiégeur. Si les connaissances générales qu'il déploya sur la guerre et dans les plans de campagne , lui laissèrent pourtant apercevoir à quel point ses connaissances étaient encore éloignées de celles de la tactique et de toutes les pratiques des détails des troupes, com- bien moi ai-je plus de raison d’en sentir l’incompatibilité ? En conséquence je vous supplie, citoyen ministre, de vouloir bien me rendre à l'élément dans lequel je suis né et pour l'utilité duquel j'ai consacré quarante années d’études et de médi- tations (°). » (:) Cette opinion, qui eut cours longtemps, est une erreur. Vauban fut nommé maréchal le 14 janvier 1702, et le 2 janvier 1701 il avait adressé au roi une lettre qui commence ainsi : « Sire, le bruit qui court à Paris, à Ver- sailles et dans toutes vos troupes, d'une prochaine promotion de maréchaux de France, m'autorise à représenter à Votre Majesté qu'en ma qualité de lieutenant général plus ancien que la plupart de ceux qui sont à portée d'y prétendre, et mes services, mieux marqués que les leurs et dont je ne veux pour témoin que Votre Majesté, me donnent lieu d'espérer qu'elle ne me jugera pas indigne de cette élévation. » (?) D'Arcon insiste souvent sur la différence qui cxiste entre la science — 316 — Cependant l’état du général d'Arçon allait toujours en empi- rant. Une toux douloureuse ne lui laissait aucun repos ; un engourdissement presque complet paralysait ses épaules et ses bras ; il ne pouvait plus se lever qu’à l’aide d’appuis, et, à peine debout, il avait des tournoiements et des défaillances qui occa- sionnaient des chutes, dont l’une faillit être mortelle. Son congé arriva enfin le 45 mai. Il était de deux mois seu- lement. D’Arçon, incapable de supporter longtemps de suite les fatigues de la voiture, mit jusqu'au 5 juin pour arriver à Plom- bières. Il n’avait donc que cinq semaines à consacrer à son traitement ; encore le ministre le chargea-t-1l pendant ce temps d’une mission dans le Porentruy. Ce pays venait d'être soumis à la France ; mais l'introduction des assignats y avait soulevé des mécontents. On craignait une révolte soutenue par les alliés, qui, entrant par là, auraient pu se diriger sur la Bourgogne, par Gray, ou sur la Champagne, par Vesoul et Langres, en tournant toutes nos positions défensives depuis Bâle jusqu'à Belfort. Cette frontière, jusque-là regardée comme couverte par la Suisse, avait été fort négligée et ne pos- sédait, pour toute défense, que les petits forts de Blamont et de Landskrone, alors en fort mauvais état. Les généraux cantonnés dans le pays avaient proposé un certain nombre d'ouvrages pour renforcer les défilés et les gorges. D’Arçon dut en étudier l'opportunité et en rendre compte au ministre. L'importance et la longueur de ce travail lui firent obtenir une prolongation de congé, et il ne regagna Paris qu’à la fin d'août. Il venait d’être réintégré dans ses fonctions d'inspecteur général des fortifications, et, aussitôt son rapport sur le Poren- des siéges et celle des batailles. « Les succès de celles-ci, dit-il dans ses Considéralions politiques, dépendent le plus souvent des éclairs soudains par lesquels on résout une foule de combinaisons, avec autant de prompti- tude que le coup d'œil a de rapidité pour savoir l'à-propos d’un instant décisif. Dans les siéges, au contraire, toujours maître du temps et des moyens, ayant la facilité de tout prévoir, on calcule dans le calme. On peut même exécuter à tête reposée. Ce n’est ici qu'une science acquise qui vous dirige en sûreté. » — 317 — truy terminé (1e septembre) (‘), il partit pour une tournée d'inspection des places de la Meuse. | A son retour, il reçut l’ordre d’aller prendre le comman- dement du génie au siége de Toulon. Mais ses courses au Mont-Terrible et sa dernière tournée, pendant laquelle il avait fait une chute de cheval, l'avaient tellement affaibli qu'il ne put entreprendre le voyage et se contenta de rédiger un plan d'attaque. Toulon a deux rades, séparées par un promontoire qu’oc- cupent les batteries de l’Aiguäillette et Balagnier. Pour protéger ces batteries, les Anglais avaient élevé en arrière, sur une hau- teur escarpée, un fort auquel sa position avait fait donner le nom de Petit-Gibraltar; on embrassait de là l’ensemble des deux : rades. D’Arçon fit observer que si l'on parvenait à s'emparer de cette position, l’escadre ennemie, battue à boulets rouges, se verrait forcée d'évacuer la place. Il était infiniment probable alors que la garnison de la ville, isolée et sans ressources, ne tarderait pas à se rendre. Mais, comme ce fort n’avait pas été reconnu, d’Ar- çon ne put qu'indiquer des dispositions générales, et 1l s'attacha surtout à developper les détails d’une seconde attaque, que l'on devait diriger en même temps sur le front de l'arsenal situé à l’ouest de la ville (?). En même temps que d’Arçon présentait ces vues au comité du salut public, le chef de bataillon Bonaparte, commandant l'artillerie du siége, envoyait également un projet d'attaque presque identique. Il ne différait de celui du général,’ qu'en ce que Napoléon, qui avait lui-même reconnu la place, insistait () Mémoire sur les moyens de conserver l'indépendance du pays de Po- rentruy. (Archives du dépôt des fortifications, Frontières.) (?) 1° Notes pour le ministre de La guerre sur l'entreprise de Toulon, 26 octob. 1793 ; — 2° Observations sur un compte-rendu du général Carteaux, relati- vement à Toulon, 27 octobre 1793; — 3e Disposition relative au siége de Toulon, pour servir à l'instruction des officiers qui y sont employés, 31 octob, 1793. (Archives du dépôt des fortifications, art. 15.) — 318 — surtout sur la marche à suivre pour s'emparer du Petit-Gibral- tar et indiquait les moyens de brusquer l'attaque du côté de l'arsenal, à l'aide de quelques bois d’olivier qui pouvaient mas- quer les approches. | Les généraux Lapoype et Dugommier reçurent l’ordre de suivre exactement les instructions du jeune officier, et, au bout de deux jours, les ennemis évacuèrent la ville. . D'Arçon avait touché, pour sa reconnaissance du Porentruy et son voyage à Toulon, une somme de 4,500 livres. Ce dernier voyage n'ayant pas eu lieu, il offrit de la rendre. Dupin en accepta la remise, mais décida que le général aurait dix francs par poste, pour ses tournées du Mont-Terrible. D’Arçon lui répondit : « La décision que je te demandais, citoyen, au sujet de mes appointements, m'a paru trop favorable ; ayant appris depuis que mon vieux collègue Rozières était payé sur le pied de paix, je ne dois pas avoir d'autres prétentions, surtout d'après le parti qui semble pris de me destiner au travail de cabinet (‘).» Il ne put même continuer ce genre de travaux : la méditation et les veilles avaient appauvri son sang, affaibli sa vue, et l'on craignait pour lui le marasme. Honteux, du reste, de servir des hommes qui lui étaient odieux, il demanda sa retraite, et Du- pin la lui annonça, le 28 novembre 1793, par la lettre sui- vante (?) : « Le ministre m'a chargé de t’annoncer, général, qu'après l'avoir satisfait dans les différents détails des missions qu'il l'avait confiées, il t'autorisait à te rapprocher des eaux, dont l'interrup- tion a causé le dépérissement que tu as éprouvé, et à profiter d'un temps où le repos t'est devenu nécessaire, pour continuer dans la retraite à méditer et à écrire sur ton art si utile à la force et à la sûreté de la république. Que les jeunes ingénieurs sans-culotte qui s’y dévouent chaque jour, et dont tu ne pourrais () Paris, 27 brumaire an II. (Archives du dépôt de la guerre.) (2) Mêmes archives. — D'Arcon avait alors soixante-trois ans, près de quarante ans de services effectifs, sans compter trois ans d'études prélimi- naires, et sept campagnes. — 319 — plus guider les pas et l'instruction par l'exemple, $éclairent du moins par tes leçons et tes préceptes si profondément analysés dans tes écrits. Ainsi tu rendras encore des services à la répu- blique, et ta carrière militaire aura été tout entière glorieuse- ment remplie pour l'avantage de la patrie. » D'Arçon passa l'hiver à Paris, vivant très retiré, au milieu d’un petit cercle d’amis que la tourmente révolutionnaire dispersait peu à peu. Carnot venait d’être élu membre du comité du salut public. Investi d'un pouvoir immense, son premier soin fut de régulariser les opérations de nos armées. Jusqu’'alors, l'absence d'une direction unique avait rendu souvent imutiles les victoires que nous assuraient l’enthousiasme populaire et le développe- ment rapide de la nouvelle tactique fondée par l’école de Ménil- Durand. Il avait servi sous d’Arçon et admirait autant son génie qu'il respectait son noble caractère : presque chaque jour 1l venait discuter dans son cabinet les plans de campagne, qu'il envoyait ensuite aux généraux; et beaucoup de hardies concep- tions, qui lui valurent le beau nom d’organisateur de la victoire, sont en partie l’œuvre du général d’Arçon (!). La stratégie des peuples de l’Europe était alors, en effet, symé- trique et timide, comme l'avait été leur tactique avant l’intro- duction de Fordre profond. Suivant les règles d'une vieille routine, on ne songeait qu'à opposer armée à armée, bataillon à bataillon, et, voulant résister également partout, on était faible partout. D’Arçon, reprenant devant Carnot les principes qu'il avait autrefois soutenu contre Guibert, lui montrait que le vrai moyen de vaincre était de concentrer ses forces en un point et () L'influence qu'exerça le général d’Arçon sur les grands événements de cette époque est un fait aujourd'hui peu connu; mais il est attesté par les Mémoires de Me de Vaudey, sa fille. Nous en avons une autre preuve dans la lettre du prince de Metternich, citée plus haut, où il est dit que d’Arcon « était alors, comme on prélend qu'il l’est encore aujourd'hui, l'âme de toutes les opérations de l'ennemi.» Le Journal de Genève y fit même un jour une allusion très directe. L'article tomba par hasard sous les yeux de Carnot, qui crut à une indiscrétion de d'Arçon, et lui en conserva tou- jours depuis un certain ressentiment. — 320 — d'y produire un effort décisif. Ce qu'avait fait la colonne dans les manœuvres du champ de bataille, il fallait maintenant l’ob- tenir dans les grandes opérations des armées, par l'emploi de 4 masses puissantes que l’on porte tout à coup au delà-d’un fleuve ou d’une chaîne de montagnes, pour surprendre un en- nemi confiant dans ces obstacles, qui coupent ses commumica- tions, divisent ses forces, et, ajoutant à la supériorité physique tout le poids des influences morales, le démoralisent pour l’a- venir en même temps qu’elles l’écrasent dans le présent {!). Les entrevues de d’Arçon et de Carnot étaient souvent fort orageuses. Comme tous les hommes honnêtes et intelligents, le général avait d’abord adopté avec sincérité les principes de la révolution ; il avait cru à la possibilité d’une réforme pacifique et l'avait désirée avec ardeur. Les crimes du nouveau pouvoir le désillusionnèrent : il ne voulut plus servir, et 1l fallait qu'il s’agît du sang de nos soldats et de l'intégrité de notre patrie pour qu’il se décidât à aider encore de ses conseils une cause qu’il détestait ; mais, vif, emporté, incapable de transiger avec sa (:) Il serait facile de reconnaître l'application de ces idées dans les guerres d'alors. M. Carnot, dans ses Mémoires sur son père, rapporte le projet d’une descente en Angleterre, que d’Arcon voulait organiser à cette époque; nous le citons comme exemple des principes dont nous venons de parler : « D’Arcon faisait remarquer qu’au lieu de combattre successivement et en détail toute l'Europe sur terre, et de perdre également nos escadres les unes après les autres pour soutenir des possessions éloignées, il fallait faire momentanément le sacrifice de celles-ci, se tenir sur la défensive, et, se recueillant, préparer de quoi aller attaquer le foyer de nos ennemis, la puissance payante. Il faudrait pour cela réunir dans la rade de Brest 100 vaisseaux de guerre, 50 frégates, 30 prames manœuvrantes, 500 vaisseaux de transport, avec tous les accessoires et engins de guerre. De là, on débar- querait du côté opposé 100,000 combattants, non loin du principal dépôt des forces maritimes de l'ennemi, pour s'emparer de ce point capital qui renferme tout le secret de leur puissance factice. Immédiatement après la descente, on établirait une communication depuis Cherbourg, qui, par la proximité et la nature de sa rade, fournirait inépuisablement à la successi- bilité des combattants, et à tous les moyens de les entretenir dans l’abon- dance des vivres et des munitions. » — 32 — conscience, il ne craignait point d’accabler Carnot de reproches sur ses opinions politiques : quelquefois le conventionnel quit- tait son cabinet après des altercations tellement vives, que d’Arçon était persuadé que deux heures après on viendrait l'arrêter. | Bien loin de là : quand parut la loi du 27 germinal (16 avril 1794) qui chassait de Paris et des places fortes tous les ex-nobles, Carnot essaya de le retenir auprès de lui. Il dressa une liste de plusieurs personnes, en faveur desquelles il demandait une excep- tion pour les employer dans ses bureaux. D’Arçon y était porté sous le nom de Michaud. Au comité du salut public, la liste passa de main en main pour être signée : « Michaud, dit Barrère, voilà un nom de gentilhomme qui sent furieusement le vilain! » et, tout en répétant le nom de Michaud, sa plume trace le nom de Michaud au lieu de la signature Barrère. Carnot s’empresse de se rendre chez le général et ne s'aperçoit qu’en route de l'erreur commise. [l retourne sur-le-champ au comité , où l’on s'étonne de son ardeur pour le citoyen Michaud. Cependant la pièce est recopiée et signée de nouveau, cette fois régulièrement. D’Arcon était sur le point de monter en voiture, quand il vit accourir Car- not, porteur de la feuille qui le sauvait de la proscription. Il l'en remercia ; mais, empressé de quitter Paris à cette désastreuse époque, 1l n’en voulut point profiter et se retira à Voray, dans la Haute-Saône, où il possédait une petite maison de campagne. Mesdames d’Arçon et de Vaudey, qui jusqu'alors avaient habité Besançon, vinrent l’y rejoindre. La pension de retraite du général avait été fixée à 9,500 livres, que l’on réduisit provisoirement à 3,000 livres; mais elle ne fut décrétée qu'à la fin de février 4795, de sorte qu'il resta qua- torze mois sans traitement. Sa fortune personnelle ayant été détruite presque tout entière par la révolution, il se trouva bientôt dans un état de misère déplorable. Le comité des fortifications chercha à venir à son secours, en le réclamant pour coopérer à ses travaux, ce qui lui valut une 21 — 322 — indemnité mensuelle de 500 livres en assignats, valant 425 francs en numéraire. Conséquemment le général revint à Paris, en octobre 1794, et il y resta cinq mois, pendant lesquels il ouvrit le cours de fortification à l’école polytechnique (décembre 1794). 1] lut, en douze séances, plusieurs cahiers qu’il venait de composer sur les généralités les plus importantes de la fortification, et il y joignit d’abondance et avec le feu qui lui était propre autant de déve- loppements que le temps le permettait. « Nulle part, dit Doben- heim (!), on ne trouve un pareil ensemble d'idées sur la manière de tirer parti de l’art de fortifier pour assurer la tranquillité des hommes. L'auteur considère cet art sous presque tous ses rap- ports militaires et politiques, et 1l en discute les bases avec pro- fondeur et intérêt. » L’attention que les auditeurs prêtèrent à la lecture des cahiers de d’Arçon, détermina le gouvernement à les faire imprimer (?) et à en envoyer un grand nombre d'exemplaires dans les places. Le général était enfin parvenu à faire décréter sa pension (*). Les travaux du comité achevés (‘), il demanda de nouveau à quitter Paris, et revint à Voray en mars 1795. (1) Journal de l'école polytechnique, 1‘ cahier, an II, in-4°., — Doben- heim était un habile ingénieur, qui continua le cours de fortification inauguré par le général. (2) Considérations mililaires et politiques sur les fortifications, par le citoyen Micuaup (DarçÇon), ancien général de division et inspecteur des fortifications, imprimé par ordre du gouvernement, Paris, imprimerie de la république, an ilF, in-8°. — Cet ouvrage a été traduit en anglais par Foster (Londres, 1815), et en allemand par Ebermeyer (Halberstadt, 1801). (3) 9 ventose an III. Il est porté sur son brevet de pension comme ancien général d'artillerie. | ({) La quatrième session du comité s'ouvrit le 6 décembre 1794, et fu close le 18 avril 1795. On y proposa des expériences sur l'évacuation de la fumée de la poudre dans les réduits de sûreté et les casemates à feu de revers des lunettes à la d’Arcon. Ces expériences eurent lieu en mars 1795: à Besancon, dans la lunette de Chaudanne ; à Metz, dans celle de Montigny; à Perpignan, dans celle du Canet. Elles prouvèrent que les préjugés, que l'on avait alors généralement dans le génie contre les casemates, n'étaient point fondés. — 323 — XIII D'Arcon, retiré à Voray, refond et développe scs Considéralions mililaires el politiques, sous le titre : De la guerre conservatrice des empires. — Courte mission en Piémont (1796). — Il est nommé membre du bureau militaire établi auprès du Directoire (18 avril 1799). — Il est rappelé à Paris par le premier consul et nommé membre du Sénat (15 mars 1800) — Il meurt le 1‘ juillet 1800. D’Arçon, retiré à Voray, vécut quatre ans avec une austère simplicité, mais dans une tranquillité profonde, à peine inter- rompue pendant quelques jours, en 1796, par une mission en Piémont (!). Il partageait son temps entre la culture de son Nul, plus que d’Arcon, ne contribua à faire sentir tous les avantages que la défense peut retirer des casemates dérobées aux vues lointaines des assiégeants, telles que les casemates à feu de revers, les flancs bas dérobés par des tenailles, et les traditorés ménagés sous des traverses dans le fossé. Il y consacre un chapitre entier (chap. 27) dans ses Considérations militaires el poliliques. 11 n’avait combattu chez Montalembert que l'usage immodéré que celui-ci voulait en faire, et surtout la manière vicieuse dont il les employait, en les exposant dès le commencement du siége à toute l'ar- tillerie attaquante. Dans la même session du comité, il était question d’enceindre les fau- bourgs de Notre-Dame et des Malades, à Lille, par un camp retranché. D’Arçon s'y opposa, et, prenant pour exemple les événements qui venaient de se passer à Watignies et à Maubeuge, il montra (voir AUGOYaAT, t. 111, p. 152) quels devaient être l'emplacement et le but véritables de ces ou- yrages : appréciations extrêmement délicates dans lesquelles Vauban lui- même s'est quelquefois trompé, et que le général Rogniat a développées depuis dans le même sens que d'Arcon. () Bonaparte, se préparant à marcher sur les Autrichiens et voulant assurer ses derrières, imposa au roi de Sardaigne l'armistice de Cherasco (28 avril 1796), par lequel ce prince lui cédait un certain nombre de places qui devaient lui servir de points d'appui, et s’engageait à détruire, à ses propres frais, les fortifications de la Brunette et de Suze, qui auraient pu couper nos communications. Les démolitions devaient s'exécuter sous la surveillance d'un commissaire du pouvoir exécutif. Ce commissaire fut d'abord d’Arçon, qui visita les travaux et fit un rapport (Archives du dépôt des fortifications, Frontières), mais fut bientôt remplacé par le général Vallier-la-Peyrouse, — 324 — jardin et la rédaction d’un grand ouvrage intitulé : De la guerre conservatrice des empires, résultat des méditations de toute sa vie (!). La plupart des écrivains politiques n’avaient jusqu'alors attri- bué la chute des empires qu’à des causes morales ; mais, s’il est vrai que la corruption soit le dissolvant des’peuples, la vertu seule ne suffit cependant point pour les maintenir : il y a aussi à ces décadences des causes physiques et conséquemment des remèdes physiques, dont les effets seraient beaucoup plus directs et plus prompts que les intructions morales, parce que celles-c1, ne pouvant opérer qu'avec la lenteur des régénérations, sont presque toujours infructueuses. Un petit nombre de penseurs profonds, tels que Montes- quieu, Raynal et quelques autres, ont bien aperçu le rôle que devait jouer, dans les conditions de stabilité des Etats, l’organi- sation de la force militaire ; mais ils n’ont fait qu'indiquer som- mairement cette idée, et pas un n’a paru sentir la différence essentielle entre La force qui peut détruire et celle qui conserve, entre l’armée active et les forteresses. D’Arçon l’établit : il montre les conséquences funestes de l'emploi exclusif de chacun de ces deux éléments; il étudie dans quelles proportions ils doivent être combinés, et en déduit les limites d’étendue et les configurations de territoire les plus pro- pres à assurer la durée des Etats, eu égard à leur population. Après ces considérations générales, il examine les principes qui peuvent guider dans la distribution et la nature des places fortes sur chaque espèce de frontières : côtes maritimes, mon- tagnes, plaines, fleuves, marécages, ete, ; il passe ensuite à l'étude détaillée des éléments de ces fortifications et montre comment on doit les combiner entre eux et les défendre. () Manuscrit relié, in-40, 517 pages. — Cet ouvrage, qui se trouve actuellement dans les archives du dépôt des fortifications, fut vendu, en 1809, par Mme de Vaudey à Magimel, libraire, qui demanda à l'imprimer à ses frais. Le comité appuya cette demande, et j'ignore les raisons qui l'empêchèrent d'avoir suite. ‘ — 325 — IL termine enfin par un chapitre extrêmement remarquable, où, avec la grande autorité que lui donnent les siéges de Gibral- tar, de Breda et de Gertruydenberg, 1l traite des moyens ex- traordinaires à employer dans l’art de l'attaque et de la défense des places. Jusqu'à la fin de sa vie, le général travailla à cet ouvrage, y introduisant chaque jour les idées nouvelles que lui suggéraient les faits de l’histoire contemporaine : aussi la rédaction n’en est- elle point complètement terminée. Quelques chapitres sont ina- chevés ; d’autres, relatifs à des études de détail, manquent ; enfin les planches annoncées dans la préface n'existent pas. Mais, tel qu'il est, ce livre est encore l’œuvre capitale de d’Ar- çon, et on doit regretter de le voir enfoui, presque inconnu, au fond des archives d’un dépôt. La pension du général, pour être décrétée, n’en était pas mieux servie. « Je ne suis pas payé de ma retraite, écrivait-il, en Janvier 4798, au ministre Schérer; j'éprouve le besoin, et encore plus l'humiliation de voir des militaires nouvellement réformés jouir d'un traitement effectif payé par mois, à titre de subsistance. La loi du 41 brumaire dernier (an VI) et l'arrêté du Directoire exécutif du 5 frimaire, relatif à cette loi, ont eu sans doute pour objet d'assimiler ceux des militaires infirmes qui ont également bien mérité de la République. En conséquence, j'ose vous prier de vouloir bien substituer à mon brevet de retraite un ordre de subsistance proportionné à mon grade et à l’an- cienneté de mes services. » Le ministre fit droit à sa demande, et, en avril 4799, Milet- Mureau, successeur de Schérer et ancien officier du génie, fit nommer le général membre du bureau militaire établi auprès du Directoire (!), afin de le faire jouir du traitement d'activité. () Les cinq membres composant ce bureau étaient : Moreau, d'Arcon, Kellerman, Canclaux et Muller. — D'Arcon présenta à cette époque, au directeur Merlin, un mémoire intitulé : Observations sur La défense des places relativement aux circonstances actuelles. (Archives du dépôt des for- tifications, art. 20.) — 326 — D’Arçon, chez lequel les occupations paisibles d’une vie agreste avaient remplacé tous les rêves de l'ambition, hésitait à partir ; il céda néanmoins aux sollicitations de sa fille, dans l'espoir que sa nouvelle position pourrait aider à obtenir la radiation de son gendre de la liste des émigrés. Il retrouva à Paris son vieil ami Le comte de Narbonne, qui le présenta à Mme de Staël, et son hôtel de la rue de Varennes fut quelque temps le rendez-vous des rares débris de l’ancienne société française qui avaient survécu, dans la capitale, à la tour- mente révolutionnaire. Mais, forcé par ses fonctions d'aller sou- vent au Directoire, il s’y trouvait en contact avec les hommes nouveaux, dont le caractère etles mœurs répugnaient à sa nature délicate. Un jour, il se rendit chez Barras avec sa fille. M. de Tal- leyrand, Me de Staël, Bernadotte, une foule de généraux, rem- plissaient les salons ; mais le directeur n’y était pas. On leur dit qu'il venait d'entrer dans son cabinet avec Mme Tallien. Une heure après on les vit rentrer ensemble. Un des bras de Barras était passé autour de la taille de Me Tallien, et ils s'avancèrent ainsi jusqu'au milieu de l'appartement. D’Arçon fut tellement choqué de cet oubli de toutes les convenances, que, sur-le- champ, il sortit avec Me de Vaudey, en la priant de ne jamais retourner dans un monde pareil. Voyant, du reste, l’inutilité de ses démarches en faveur de son gendre, il demanda à regagner sa province, dont l'air seul convenait à son corps affaibli, et il revint à Voray au mois d'août 1799. Il y était depuis peu de temps, quand éclata le 18 brumaire 10 novembre 1799). Bonaparte ne connaissait le général que de réputation ; mais, par le projet du siége de Toulon, il avait été à même de juger de sa valeur. Il chercha à l’attirer près de lui et fit présenter à ses collègues, par le ministre de la guerre Ber- thier, le rapport suivant (27 décembre 1799) : « Le ministre de la guerre, persuadé que l'intention du gou- vernement est de reconnaître les services rendus, s’empresse de — 397 — mettre sous les yeux des consuls le juste tribut d’éloges que mérite la conduite distinguée du citoyen Michaud-Darçon. » » C’est à ses soins et à son activité remarquable qu’on a dà, dans le commencement de la guerre, les mesures générales de défense et l’état imposant de nos places frontières : c'est à lui qu’on a dû les conquêtes de Breda et de Gertruydenberg. » Le comité du salut public, pénétré de l'étendue de ses con- naissances, l’a employé en différents genres et toujours il a eu à se louer de lui. » Enfin le citoyen Michaud, unissant les talents à la valeur, s’est occupé d’un ouvrage important sur la guerre conservatrice des empires. » Lorsque ses infirmités n’ont plus permis au gouvernement de l’employer à la tête des armées, il s’est utilement servi de ses lumières en l’occupant, soit au comité central des fortifica- tions, soit à la formation de plusieurs projets pour la défense générale des frontières, soit à la rédaction d'ouvrages sur l’art militaire. » Il a enrichi le corps du génie d’un grand nombre de mé- moires particuliers, qui renferment des idées neuves tant sur la perfection de l'art que sur l’organisation de l’arme. L'attaque de Gibraltar, fondée sur des considérations d'art entièrement nou- velles, ne doit peut-être son non-succès qu’à la jalousie d’une nation rivale et pour lors amie. » Cet ancien officier se trouvait, malgré sa pension de retraite, dans un état de misère vraiment déplorable, occasionné par le non-paiement des pensions, lorsque le gouvernement vint à son secours en transformant sa pension en traitement de réforme, le 21 ventôse an VI. » C’est aux consuls à prononcer sur le sort d'un homme aussi recommandable, comme citoyen, comme ingénieur, comme militaire. » En conséquence de ce rapport, le premier consul fit prier le général de se rendre à Paris, et, à peine arrivé, le présenta comme candidat au Sénat : les deux autres corps qui avaient AT — droit de présentation, le Tribunat et le Corps législatif, l'avaient également proposé, chacun de leur côté (11 mars 1800). Cette unanimité, dont on ne trouve pas d'autre exemple, fut le plus beau, mais le dernier hômmage rendu à son génie; car trois mois après (14e juillet 1800), d’Arçon mourait, à peine âgé de soixan- te-sept ans, d'une invasion de la bile dans le sang, occasionnée par ses travaux excessifs. Ses obsèques se firent à Saint-Roch, environnées de toutes les pompes du culte catholique, qui, pour la première fois de- puis la révolution, osait se produire officiellement (1). Le ministre de la guerre assista à la messe funèbre ; le Sénat et l’Institut, dont il était membre associé, y envoyèrent des députations; et le grand nombre des ingénieurs de tout grade qui se pressaient dans l’intérieur de l'église, témoigna des regrets universels qu’excilait, parmi le corps du génie, la perte d’un homme qui l'avait honoré par ses vertus autant qu'il l'avait illustré par ses talents. XIV Résumé. — Portrait de d'Arcon. Ce simple récit de l'existence de d’Arçon fait assez connaître quel fut son caractère et son âme : l'amour de l'humanité et de la patrie, le désintéressement et la haïne de l'injustice en forment les principaux traits. Passionné pour la gloire, 1l ne la chercha jamais que par le dévouement et le travail : sa vie n'offre pas une tache, et 1l est du petit nombre de ceux dont il suffit de raconter les actions pour les louer. () Mme de Vaudey fit transporter le corps de son père dans sa terre de Luzancy où il fut inhumé. L'année suivante (1801), une cérémonie publique eut lieu à Besancon, sur la promenade de Chamars, en l'honneur des citoyens morts pour la patrie. Le citoyen Arsène Faivre y prononça un éloge de d’Arçon. — 329 — Doué d’un esprit profond, d’une imagination ardente et d'un cœur généreux, 1l se consacra tout entier à un art dont le but est d'employer les progrès de la science et de l’industrie humaine à rendre moins sanglant le fléau de la guerre, et à protéger les peuples paisibles contre l’agression de voisins ambitieux. Cet art, 1l sut l’étudier à la fois en philosophe et en praticien; et pendant que, d’un côté, il en montrait l'influence sur les plus hautes questions d'économie sociale et politique (‘), de l’autre, il s’attachait à en perfectionner les détails. Ses cartes et ses mémoi- res topographiques sont des chefs-d’'œuvre ; les pièces de fortifica- tion qui portent son nom sont l’un des premiers et des meilleurs types de ces sortes d'ouvrages; ses batteries flottantes ont opéré une véritable révolution dans la guerre maritime : elles ont été le signal de ce duel entre la cuirasse et le canon, qui prend aujour- d’'hui des proportions gigantesques, et dont le résultat final sera nécessairement encore de donner au faible une arme contre le puissant (?). Jamais la définition célèbre, Le génie n'est qu'une longue patience, ne fut plus vraie que pour d’Arçon : l'utilité des forte- () Aujourd'hui de nombreux et excellents ouvrages ont traité ces ques- tions, qui sont presque tombées dans le domaine public; mais il faut bien remarquer que d'Arçon, le premier, réunit en corps de doctrine les idées qui n'étaient alors, depuis Vauban, qu’à l’état de tradition dans le corps du génie. Les livres antérieurs à ceux de l'ingénieur franc-comtois ne traitent que du tracé des forteresses ; aucun ne parle des relations qui doivent exister entre elles. (?) « Quelques progrès que l’on suppose devoir être faits par l'artillerie, il est douteux qu'elle puisse recouvrer la puissance de destruction que lui donnait l’action de boulets creux incendiaires sur des bâtiments en bois. On arrivera à percer la cuirasse, ou bien on ne la percera pas; je ne veux rien affirmer à cet égard. Mais, quelle que puisse être la résistance de la cui- rasse, le résultat final sera toujours un grand progrès en faveur des petites pations maritimes : aussi les marines secondaires, qui avaient abandonné la partie, se reconstituent-elles ; elles font depuis quelques années à la France des commandes importantes de batteries cuirassées, dont le total s'élève maintenant à près de 60 millions. {Séance du Corps législatif du 10 juin 1866; discours de M. Dupuy pe LÔME, conseiller d'Etat, commissaire du gouvernement.) — 330 — resses et l'appropriation de notre système de guerre au caractère du soldat français, tels sont les deux principes que l'ingénieur franc-comtois passa sa vie à méditer et à défendre. Si on lui reprochait de revenir trop souvent sur les mêmes objets, il pourrait répondre que, préférant l'utilité à l'éclat, il sacrifiait volontiers sa réputation d'écrivain au désir de déra- ciner de dangereuses erreurs; et l'histoire de notre révolution montre que ses écrits, plus encore que son bras, ont contribué à assurer le succès de nos armes. Dans ses ouvrages didactiques, la profondeur des idées qu'il expose, les nuances délicates qu'il sait y introduire, quelques néologismes que nécessite la pauvreté de la langue technique, et aussi des incorrections et des formes surannées de langage, le rendent souvent, au premier abord, obscur et fatigant à lire ; mais bientôt ce puissant génie vous étreint, vous élève à sa hau- teur et ouvre devant votre esprit des horizons inconnus. Dans la polémique, il séduit dès la première ligne : fin, caus- tique, railleur, il découvre, comme par intuition, le défaut de la cuirasse de son adversaire et le transperce d’une pointe fine et acérée ; sa conviction passe dans l'esprit du lecteur ; on s’enthousiasme pour les idées qu’il défend ; et, tout entier sous le charme de sa parole, on ne remarque même plus le peu de ménagements qu'il garde parfois pour les opinions qu'il combat. Cependant, si d'Arçon eut beaucoup d’adversaires, 1l n'eut point d'ennemis. C’est qu’il n’attaqua jamais l'homme derrière l'écrivain, que quand son âme indignée crut démêler dans les écrits de son antagoniste des vues d’ambition personnelle. Doit-on lui faire un crime d’avoir osé dévoiler Guibert, cher- chant à édifier sa fortune militaire sur les débris de nos for- teresses ? Il suffisait, du reste, de l’approcher pour sentir tomber toutes les préventions qu’on aurait pu concevoir envers lui avant de le connaître. « La nature n’avait rien négligé pour le rendre inté- ressant : son physique même parlait en sa faveur ; 1l était d'une — 331 — taille moyenne, bien‘ proportionnée, et d’une physionomie agréa- ble (!}. La vivacité de son esprit pétillait dans ses regards, et sa conversation, alternativement enjouée et sérieuse, était toujours très animée. Bon mari, bon père, bon ami, l’on trouverait dif- ficilement un homme plus serviable : et ses camarades le savaient si bien, qu’au lieu de jalouser le crédit que lui donnait sa réputa- tion, ils semblaient tous partager son avancement. Ce caractère obligeant lui était d’ailleurs si naturel, qu’il a semblé se dévelop- per encore davantage avec son pouvoir dans les derniers temps de sa vie (?). » Sa carrière militaire fut des plus glorieuses. Les siéges de Breda et de Gertruydenberg offrent des exemples d’audace et d’habileté presque uniques dans l'histoire de la guerre. Ses ser- vices antérieurs, pour avoir moins d'éclat, n’en sont pas moins importants. Le courage nécessaire à l'officier du génie, dans l’at- taque et la défense des places, n’est généralement pas apprécié à sa juste valeur. Certes, il est beau de s’élancer, emporté sur un cheval fougueux, à la tête d’un escadron, contre une ligne hérissée de baïonnettes, ob enivré par le bruit et la poudre, de conduire un régiment à l'assaut d'une forteresse. Mais n'est-il pas plus véritablement courageux, celui-là qui, comme d’Arçon à Dil- lembourg, à Cassel et à Gibraltar, s’en va sous le feu des enne- mis, seul et dans une nuit pleine d’embûches, lever un plan, tracer une lunette ou exécuter un sondage, sans que l’obus qui éclate à ses pieds et la balle qui siffle à ses oreilles l’interrompe dans son calcul ou fasse trembler le crayon dans sa main ? Tel fut l’homme dont la Franche-Comté doit s’enorgueillir comme de l’une de ses gloires les plus pures. En France, où () Le portrait qui accompagne ce travail est la reproduction d’une toile peinte en 1769, et qui fut donnée, en 1836, par Mme de Vaudey à l'hôtel de ville de Pontarlier. La fille du général en avait fait exécuter une copie, qu'elle offrit au comité des fortifications; c'est d'après cette copie qu'a été exécutée l'image lithographiée que possèdent la plupart des directions du génie. (*) GiRop-CHaNTRANS, Nolice sur la vie et les ouvrages du général d'Arçin, Besançon-Paris, an X (1802), in-12. — 332 — chaque jour apporte une illustration nouvelle, il est plus admiré que connu; mais, à l'étranger, il n'est pas d'ingénieur, après Vauban, qui jouisse d’une autorité plus grande. C’est que, comme lui, il s'attacha à poser des bases indépendantes des temps et des lieux, que constamment, dans ses œuvres, 1l sut ramener l'accident au principe et l'infinie variété des faits à un petit nom- bre de causes puisées dans une profonde connaissance du cœur humain ; c’est qu'enfin, dans ses écrits comme dans ses actes, il négligea toujours le passager pour ne s'attacher qu'à l'im- mortel. XV Catalogue des ouvrages de d'Arçon. 1° OUVRAGES IMPRIMÉS. Lettre d'un ingénieur à un de ses amis, Amsterdam-Paris, Le Breton, 1768, in-12, 219 pages. Réflexions d'un ingénieur en réponse à un dérr Amster- dam-Paris, Le Breton, 1773, in-12, 66 pages. Correspondance sur l’art de la guerre entre un colonel de dragons et un capitaine d'infanterie, Bouillon-Besançon, Fan- tet, 1774, in-8°, 157 pages. Suite de la Correspondance sur l’art de la guerre, Bouillon- Besançon, Fantet, 1774, in-8°, 112 pages. Réflexions sur la lettre à un ami, par l’auteur de la Corres- pondance sur l'art de la guerre, Londres-Paris, Moutard, 1775, in-8°, 32 pages. Défense d'un système de guerre nationale, ou analyse rai- sonnée d'un ouvrage intitulé : Réfutation complète du système de M... D..., Paris, 1778, in-8°; Amsterdam, juillet 1779, in-8, 283 pages. Description historique et topographique de la montagne, de la ville et des fortifications de Gibraltar, avec un détail de la baie et du détroit, et aussi des endroits qui peuvent contribuer — 333 — à l'attaque et à la défense de cette place, présenté au roi, Paris, Legras et Gorreau, 1782, in-8°, 22 pages. Mémoire pour servir à l’histoire du siége de Gibraltar, par l’auteur des batteries flottantes, Cadix, Hermil frères, 1783, 62 pages et 3 planches. Conseil de guerre privé sur l'événement de Gibraltar en 1782, pour servir d'exercice sur l’art des siéges, s. 1., 1785, in-8°, 384 et xix pages, plus 3 planches. Réponse de M. le chevalier d’Arçon à l’auteur de l'Essai sur la défense des places (Flachon de la Jomarière), s.1. n. d. (1785), in-8°, 17 pages. Considérations sur l'influence du génie de Vauban dans la balance des forces de l'Etat, s. 1., 1786, in-8°, 79 pages. Considérations militaires et patriotiques sur la réforme pro- jetée d’un grand nombre de nos places de guerre, ou examen raisonné des motifs vrais ou supposés alléqués par M. de G., pour diminuer le nombre de nos forteresses, et la force de la plupart de celles qu’il se propose de nous laisser, Metz, sep- tembre, 1788, in-8°, 59 pages. Observations sur des fragments de mémoires attribués au maréchal de Vauban, au sujet de la question des places fortes, (Landrecies) 30 juin 1789, in-8°, vri-88 pages. Réponse aux mémoires de M. de Montalembert, publiés en 4720, sur la fortification dite perpendiculaire, la composition des casemates inexpugnables, la multiplication illimitée des : buuches à feu, le projet d'enceindre le royaume par des lignes imprenables et autres idées d'une apparence très importante, Pour servir d'apologie aux principes observés dans le corps royal du génie, Paris, 1790, in-8°, 119 pages. Suite des réponses du colonel d'Arçon pour éclaircir les ré- pliques de M. de Montalembert, s. 1. n. d. (Paris, 4790), in-8°, 38 pages. Notes sur les mémoires militaires attribués à M. le duc de Crillon, en ce qui concerne le siége de Gibraltar, s. 1. n. d. (1794), _in-8°, 43 pages. — 334 — Mémoire sur la manière d'occuper les dehors des forteresses par des moyens rapides : disposition approuvée par le ministre de la guerre, d'après l’examen du comité des fortifications, Paris, imprimerie royale, 14792, in-4°, 15 pages et 4 planche. Adresse du maréchal de camp Darçon à ses concitoyens du département du Doubs, Besançon, Simard, 6 octobre 1799, in-8°, 21 pages. Des fortifications et des relations générales de la guerre te siége, pour servir de réponse au dernier ouvrage de Marc-René Montalembert, Paris, Magimel, an If, in-8°, 68 pages. Considérations militaires et politiques sur les fortifications, Paris, imprimerie de la République, an IT, in-8°, vur-359 pages. 29 MÉMOIRES MANUSCRITS. Journaux des opérations du blocus et du deuxième siége de Cassel, 1762. Mémoire sur les fortifications de Sedan, précédé de quelques réflexions militaires relatives à la position de cette place, 1763. Mémoire sur le premier siége de Cassel, 1763. Réponse du chevalier d’Arcon à M. de Boisforet, 1767. Discours de réception à l’Académie de Besançon, 24 août 1712. Mémoire sur les fortifications à exécuter à l'Ile-de-France, 1774. Mémoire sur l’organisation des armes spéciales, 1776. Mémoires sur les dispositions défensives de Toulon, 1771. Discours sur la formation des montagnes, lu à l'Académie de Besançon le 30 novembre 1778. Discours sur la guerre considérée dans ses rapports avec les sciences et les arts, lu à l’Académie de Besançon le 29 juin 4779. Eloge de M. de Cossigny, lu à l’Académie de Besançon le 6 décembre 1780. Mémoires divers relatifs aux opérations du siége de Gibral- tar, 1779-1783. — 335 — Notes et expériences sur la résistance d'un massif de bois de chêne à l'effet des boulets rouges, 1783. , Mémoire sur l'application de la pompe à feu à quelques ma- nœuvres de guerre et à divers usages de la société, lu à l'A- cadimie de Besançon le 21 décembre 1785. Cartes et mémoires topographiques et militaires relatifs à la frontière de l’est, 1719-1786. Projet de rectification du Rhin, 1787. Mémoires des généraux de Rostaing et d’Arçon, sur les routes des Hautes-Alpes et la vallée de Barcelonnette, 1791. Plan général de défense des frontières orientales du royaume, depuis l'embouchure du Var jusqu'au département du Haut- Rhin, 1791. Notes diverses relatives aux établissements de l'artillerie et à la composition des états-majors dans les places frontières; sur les rapports des vingt directions du génie avec les vingt-cinq divisions militaires, NTI. Notes sur les places fortes du comté de Nice; sur les dispo- sitions générales qui peuvent convenir aux places dans les circonstances actuelles; sur les capitulations des places assié- gées, 1792. Projets de lunettes pour Montigny, Landau, l’Ecluse, etc., 1792. Observations sur l'attaque de Genève, 1792. Mémoire sur les*moyens à employer en fortification pour assurer l’indépendance de la Savoie, 1792. Mémoire justificatif adressé au comité des fortifications, 1793. Projet du siége de Maëstricht, 1793. Mémoire sur les moyens de conserver l'indépendance du Porentruy, 1793. Notes relatives à la conduite du siége de Toulon, 1793. Casernes défensives, forts républicains, pour occuper les de- hors éloignés, particulièrement à Toulon, 1794. z — 336 — Rapport et observations sur le Piémont, 1796. De la guerre conservatrice des empires, 1800. Notes diverses sur les journaux de siége, les camps retran- chés, etc. Ces manuscrits se trouvent pour la plupart dans les archives du dépôt des fortifications et à la bibliothèque de Besançon. — Pour rendre ce catalogue complet, 1l eût fallu pouvoir com- pulser les archives des différentes places auxquelles travailla d’Arçon. — 337 — TABLE DES MATIÈRES. I. Naissance de d’Arcon (1733). — Sa famille. — Son enfance. — Son admission et son séjour à l’école de Mézières (1754-1756). II. D’Arcon lieutenant (1756-1763). — Il entre dans le corps réuni artillerie-génie au moment de la fusion (1756). — A la séparation des deux armes (1758), il est envoyé sur les côtes de Bretagne. — Ses campagnes en Allemagne (1760-1763). III. D’Arcon capitaine dans les places : à Sedan (1763-1766), à Be- sançon (1766-1768), au fort de Joux (1768-1774). — Il réfute les systèmes de Boisforet et de Trincano. — Son mariage (1769). — Sa réception à l’Académie de Besançon (1772). — Commencement de sa lutte avec Guibert : de l’utilité des places fortes. IV. Projet de fortification pour l'Ile-de-France (1774). — Travaux topographiques en Provence et en Dauphiné (1774-1776). V. L'ordre mince et l’ordre profond. VI. D’Arcon continue ses travaux topographiques (1776-178]). — Il présente un projet de réforme relativement à la réorganisation des armes savantes (1776), un projet de fortification pour Toulon (1777) : réduits de sûreté. — Il est nommé major (1777); lieute- nant-colonel (1779). — Discours sur la guerre à l’Académie de Besancon (1779). VII. Siége de Gibraltar. VII. D’Arçon reprend ses travaux topographiques (1782). — Publi- cations relatives au siége de Gibraltar. — Projet d'application des machines à vapeur à la défense des places (1785). — Projet d’en- diguement du Rhin. — Les travaux topographiques sont inter- rompus (1786). — d'Arçon nommé directeur à Landau.— Il défend la mémoire de Vauban contre Choderlos de Laclos. — Circulaire du conseil de la guerre au sujet du trop grand nombre de places fortes (1788) et polémique à ce sujet. IX. D’Arcon et Montalembert. 22 — 338 — X. D’Arcon est député de la noblesse aux Etats de Franche-Comté (1788). — Il est nommé citoyen d'honneur de Besançon (1790), maréchal de camp (1791). — Il inspecte les frontières. — Il fait mettre Besancon en état de défense (1792). — Lunettes à la d’Arçon. XI. D’Arçon prépare le siége de Genève. — Il est suspendu de ses fonctions par le général de Hesse (11 octobre 1792). — Il est réin- tégré (13 février 1793) et envoyé à l’armée du Nord. — Siéges de Breda et de Gertruydenberg. XII. D’Arçon est nommé général de division (2 mars 1793). — Mis- sion dans le Porentruy. — Siége de Toulon. — Il est mis à la retraite (28 novembre 1793). — Il prépare avec Carnot les plans de campagne de nos armées. — Il est appelé au comité des forti- fications (16 oct. 1794). — Il ouvre le cours de fortification à l’é- cole polytechnique (décembre 1794). — Le gouvernement fait publier ses Considérations militaires et politiques. — I] se retire à Voray (mars 1795), XIII. D’Arçon, retiré à Voray, refond et développe ses Considéra- tions militaires et politiques, sous le titre : De la guerre conserva- trice des empires. — Courte mission en Piémont (1796). — Il est nommé membre du bureau militaire établi auprès du Directoire (18 avril 1799). — Il est rappelé à Paris par le premier consul et nommé membre du Sénat (15 mars 1800). — 11 meurt le 1“ juillet 1800. XIV. Résumé. — Portrait de d’Arçôn. XV. Catalogue des ouvrages imprimés et des principaux manuscrits de d’Arçon. TRONÇON DE VOIE CELTIQUE À PIERRE-PERTUIS 0 Par M. A. QUIQUEREZ Ancien Préfet de Delémont (Suisse). Séance du 41 août 1866. En janvier 1863, l'Indicateur d'histoire et d'antiquités suisses publiait ma découverte d’un tronçon de chemin celtique dans les roches de Moutier. La même année, mon ouvrage sur Le Jura oriental à l’époque celtique et romaine en indiquait d’autres () Extrait du registre des délibérations de la Société d'Emulation du Doubs. — Séance du 11 août 1866. Le secrétaire lit une courte étude de M. Quiquerez, membre correspon- dant, sur un tronçon de voie celtique à Pierre-Pertuis (Suisse). L'auteur exprimant l'opinion que les ornières si profondes des voies celtiques pourraient bien avoir été ouvertes par la main des hommes et ne devoir au frottement des roues que leurs fonds arrondis, MM. Alphonse Delacroix, Bial et Varaigne objectent que cette manière de voir n’est pas d'accord avec leurs observations : ils n’ont, en effet, remarqué aucune uniformité dans la profondeur des ornières en question; ils en ont trouvé souvent, dans un même chemin, plusieurs étages successivement frayés et abandonnés, et présentant des degrés d'usure très variables qui tenaient uniquement à ce que les roues y avaient passé plus ou moins longtemps. Ces honorables membres reconnaissent, avec M. Quiquerez, que les en- tailles transversales qui affectent les saillies de rochers, aux endroits où les ornières étaient devenues exceptionnellement profondes, ont été pratiquées de main d'hommes, pour rendre ces saillies plus faciles à franchir et éviter que le dessous des voitures n’en fût heurté; mais il n’est pas de même des empreintes de pas de chevaux qui se remarquent sur les gradins : ces empreintes sont essentiellement le produit du choc des fer- rures venant poser un nombre infini de fois sur les mêmes points, et aucun travail antérieur ne les a préparées. Ces observations n’enlèvent rien à l'intérêt du mémoire de M. Quiquerez: aussi la Société juge-t-elle convenable de les y annexer, sous forme de note, et d'insérer le tout dans ses publications. Pour extrait conforme : A. CASTAN, secrétaire, — 340 — traces, et, l’année suivante, la Société jurassienne d'Emulation admettait dans ses Mémoires d’autres recherches que je venais de faire sur ces temps reculés. Durant cet intervalle, M. le capi- taine Bial insérait dans les Mémoires de la Société d’'Emulation du Doubs un travail du plus haut intérêt sur les chemins cel- tiques, et voulait bien citer ma découverte de 1863. Si j'avais connu plutôt ce précieux mémoire, j'aurais donné plus d’atten- tion à un grand nombre d'anciens tracés épars dans les mon- tagnes du Jura, et dont une partie semble appartenit à l'époque gauloise. Ces jours-ci, me trouvant à Pierre-Pertuis avec mon fils qui photographiait de nouveau le tunnel et l’inscription que les Ro- mains y ont gravée après y avoir conduit une route, j'ai profité de cette circonstance pour explorer encore les environs, et j'ai retrouvé sans étonnement la vieille voie celtique qui avait déjà emprunté le tunnel. Ce tronçon est à environ cent mètres au sud de la roche percée et à deux mètres au-dessus du niveau de la route présumée romaine. Toutes deux, en sortant du tunnel vers le sud, se serraient près du rocher pour remonter la pente fort raide que présente ce ravin. Les deux voies sont tantôt parallèles, tantôt superposées et parfois même croisées, ne s’é- cartant que fort peu de la routé moderne. La plus ancienne est aussi la plus élevée et en même temps la plus ravinée et encaissée. Le tronçon qui forme le sujet de cette notice est en partie caché sous la mousse et la pierraille. Il présente des ornières creusées dans le roc, de 8 à 12 centimètres de profondeur sur une largeur de 6 à 7, en sorte qu’il fallait des roues à jantes fort étroites pour passer librement dans ces sillons à fonds arrondis. Le bout de l’essieu, ou le moyeu de la roue, frottait le roc laté- ralement sur un côté de la voie. Celle-ci avait également peu de largeur, conservant celle de 4 mètre 20 cent. observée dans les roches de Moutier, faisant, à trois lieues de là, son prolon- : gement oriental. Dans ces deux localités, comme encore ailleurs, la voie ayant rencontré une tête de roc, on avait trouvé plus — 341 — facile de la franchir, en y creusant des ornières et des entailles transversales pour empêcher les chevaux de glisser, que de la contourner ou de l'enlever. Ces rainures sont espacées parallè- lement entre elles de 25 centimètres, et elles sont assez larges pour permettre à un petit pied de cheval de s’y loger tout entier, sans glisser sur la pierre polie par le frottement. Ces rainures ne sont pas le produit de l’usure, car elles vont d’une ornière à l'autre avec une régularité qui repousse l’idée de leur formation par le passage réitéré des chevaux. En effet, si les anciens chars avaient été attelés de deux chevaux marchant de front, ceux-ci auraient dû poser leurs pieds dans les ornières qui sont trop étroites pour les recevoir. Si, par contre, on les attelait à la file, alors l'empreinte de leurs pieds devait se marquer au milieu de la voie, et non pas dans toute sa largeur. Il suffit d’ailleurs de voir de près ces rainures transversales, pour s'assurer qu’elles ont été faites avec le pic ou le marteau, comme probablement les ornières mêmes. ‘ Je connais un grand nombre de chemins qu’on parcourt de- puis des siècles, sans que les roues et les pieds ferrés des che- vaux y aient laissé aucune trace pareille. Le roc jurassique est bien un peu usé; mais il n’y a pas d’ornières profondes, ni de rainures transversales. A la vérité, on a taillé de ces rainures au moyen âge pour gravir quelques raides montées de forteresses féodales; mais partout, comme dans les voies antiques, on re- connaît la pointe du marteau. J’estime donc qu’à Pierre-Pertuis, comme dans toutes les autres localités où ces ornières et rai- nures profondes existent dans des roches compactes, elles ont été faites par la main des hommes au moyen d'outils d'acier, tandis que le passage réitéré des chars et des chevaux durant des siècles n’a fait que les arrondir plutôt que de les approfondir. Il y à à Pierre-Pertuis deux étages d’ornières appartenant à des temps différents. Le plus haut est le plus ancien; mais c’est un indice certain que le passage du tunnel ne date pas de l'époque romaine et qu'il appartient à des temps antérieurs. C'est la nature qui avait ouvert cette communication entre la —. 313% vallée de la Suze et celle de la Byrse, et lors même que tempo- rairement ce tunnel aurait été plus ou moins obstrué, il ny avait pas de motifs pour chercher un autre passage, parce qu'il n’y en avait pas de plus facile. Cependant, tout près de là, il y a un autre tracé de voie antique qui offre un grand intérêt. J'ai déjà signalé, en 1864, des chemins longeant les plateaux ou les flancs élevés du Chas- seral et du Sonnenberg qui encaissent les deux côtés de la vallée de Saint-Imier. Celui du Sonnenberg partait de Pierre-Pertuis même, mais ne passait pas sous ce tunnel. Il laissait celui-ci à gauche, remontait une petite vallée, et gravissait ensuite le flanc de la montagne pour arriver sur le plateau dans la direction de l’ouest. IL était si raide en certains lieux, qu’on a dù tailler des rainures transversales dans le roc, et celles-ci ont emprunté la forme d’escaliers pouvant servir aux hommes comme aux che- vaux. Des ornières plus ou moins profondes, aussi creusées dans le rocher, attestent que ce n’était pas un simple sentier, mais bien une voie à char, que ne nécessite pourtant aucune habi- tation des temps historiques. Sur cette ligne, on a découvert, à diverses reprises, de ces petits fers de cheval à bords onduleux, que nous regardons tous les jours davantage comme apparte- nant au premier âge du fer. Ces ornières profondes, ces rainures transversales, ces voies anté-historiques indiquent la connaissance et l'emploi du fer dans ces contrées à une époque bien loin de nous : car si, dans les temps modernes, nos pesantes voitures, nos lourds chevaux de trait, tous si fortement ferrés, ne produisent qu’une faible usure sur le roc jurassique, il paraît évident que, dans l’anti- quité, ce ne sont pas les roues de bois sans cercles ou mincement cerclées, ni la corne des sabots des chevaux ou les petits fers qui la renforçaient, qui ont pu former par le frottement, quelque prolongé qu'il fût, et dans ce même rocher, les sillons profonds qu’on y observe. On peut bien admettre que les chemins tracés sur des terrains en pente, dans un sol non rocheux, ont pu se raviner plus ou moins profondément par le passage des roues et — 343 — plus encore par l'érosion des eaux; mais ce fait ne peut s’appli- quer au rocher compact : je pourrais en indiquer une multitude de preuves. Il faut donc reconnaître qu’à une époque plus ou moins anté- rieure à l’arrivée des Romains dans les Gaules et dans cette partie du Jura, on y usageait le fer et l’acier ou le fer aciéreux, et que lorsque les chemins passaient dans des lieux d’un accès difficile, on entaillait le roc qu'on ne pouvait éviter et encore moins enlever. | Le tronçon découvert à Pierre-Pertuis indique que les Ro- mains n’ont fait que restaurer en ce lieu la vieille voie de com- munication, en l'améliorant tout particulièrement à son passage dans la roche percée par la nature. Cette voie se détachait, près de Petinesca, de celle d'Aventicum à Augusta-Rauracorum, dans la plaine helvétique, et elle avait probablement un embranche- ment à Pierre-Pertuis même, pour aller à travers les montagnes vers Vesuntio. LA QUESTION D’ALESIA | EN NORMANDIE Par M. J. QUICHERAT. Séance du 10 novembre 1866. Un travail publié dans le 25° volume des Wémoires de la So- ciété des antiquaires de Normandie, me fournira l’occasion de revenir sur une question que j'ai traitée déjà bien des fois, et au sujet de laquelle je ne cesserai jamais de revendiquer la solution qu'elle a reçue, en ces dernières années, d'un savant de Besan- çon. Je veux parler de l'emplacement d’Alesia. La Normandie, elle aussi, & voulu entrer dans cet interminable débat, ou, pour parler plus juste, un savant de la Société normande a cru devoir à sa conscience de porter dans le camp des Bourguignons le drapeau sous lequel il est inserit. C'est M. Dansin qui a con- sommé cette alliance par un article dont le titre est : Une excur- sion à Alise. | Je m'explique parfaitement que M. Dansin, après tant d’autres érudits, se soit senti entraîné par la ressemblance apparente du mont Auxois avec le lieu décrit par César, où périt la nationalité gauloise. L’'Alesia des Commentaires est bien voisine, par son nom, de l’Alisia des inscriptions et autres documents de l’anti- quité qui mentionnent la localité bourguignonne. Alesia était sur une montagne entre deux rivières. Alesia fut enfermée entre deux lignes d'investissement, et on a retrouvé dans le sol autour d'Alise les vestiges de deux lignes d'investissement. N'y a-t-il pas de quoi faire illusion? C’est en de pareils cas qu'il faut déployer toute la force d'attention dont on est susceptible, et — 345 — savoir résister à l'entraînement, car que valent trois ou quatre traits de ressemblance pour établir une identité qui doit reposer sur soixante-dix ou quatre-vingts ? Des considérations de philologie, de topographie ou d'histoire ne me fourniraient que des redites. N’examinons que le côté archéologique de l’excursion de M. Dansin, et voyons si les vestiges de travaux militaires qu’on lui a montrés à Alise ré- pondent d’une manière aussi satisfaisante qu'il le pense aux travaux du siége d’Alesia. Les ouvrages exécutés par César sur sa première ligne d'in- vestissement comprenaient deux fossés parallèles de 15 pieds de large et 15 pieds de profond (4,15); puis, à 400 pieds ou 116 mètreæen avant (et non point à 400 pas, ou un demi-kilomètre, comme se l’est laissé dire M. Dansin}, un autre fossé à fond de cuve de 20 pieds (5",80) de profond et de large; enfin, dans l’espace qui séparait ce fossé antérieur des deux fossés parallèles, une suite non interrompue de fosses d’abatis et de trous de loup, excavations creusées, les unes à 1,47, les autres à 48 centi- mètres de profondeur. Ce formidable ensemble constituait ce que nous appelons la contrevallation. Si Alise nous représente Alesia, il faut que la contrevallation ait régné sur toute la ligne d'investissement des Romains, c’est-à-dire sur un développe- ment de 11,000 pas, ou 16,300 mètres. La configuration des lieux exige cela, et la composition du terrain exige, d’autre part, que non-seulement les fossés, mais même les fosses d’abatis et trous de loup, aient laissé leur empreinte dans le sol, parce qu'ils furent creusés plus profondément que la couche meuble, qui, dans sa plus grande épaisseur, ne dépasse pas 40 centim®*. De la deuxième ligne ou circonvallation, il doit rester, sur un développement de 14 milles ou 20,700 mètres, des ouvrages absolument pareils à ceux de la contrevallation, sauf le fossé antérieur de 20 pieds. Est-ce tout cela qu'il a été donné de voir au studieux anti- quaire normand ? Pour ce qui concerne la contrevallation, il déclare qu’on s’est — 9346 — appliqué vainement à chercher le fossé antérieur. Cet ouvrage, qui devrait avoir laissé la trace la plus reconnaissable, n’en a pas laissé du tout. Les excavations pour les piéges qui furent disposés derrière le fossé n’ont pas été davantage retrouvées. La seule chose qu'on ait montrée à M. Dansin, c’est un double fossé. Il l'a mesuré, et il a trouvé, au lieu de la profondeur voulue de 4 mètres, celle de 14,80 à 2 mètres seulement. A la vérité, 1l Lui a semblé qu'on pouvait trouver les 42,45, c’est- à-dire les 45 pieds des Commentaires, en supposant la mesure prise du fond des fossés au sommet du terre-plem qui bordaïit l'arrière-fossé; mais cette explication est incompatible avec le témoignage de César, qui dit avoir fait les deux fossés de 15 pieds, et derrière eux un rempart et une palissade qui en avaient 42 : Duas fossas xv pedes latas eadem altitudine perduxit...… Post eas aggerem ac vallum x pedum exstruæit (lib. VIE, c. Lxxn). N'ayant fait qu'apercevoir le double fossé par quelques trous d'anciennes tranchées non encore recomblés, M. Dansin n’a pas pu le suivre dans toute sa longueur, ni, par conséquent, constater s’il avait bien 16 kilomètres de développement. Il n’a pas pu voir non plus s’il était double sur tous les points. Enfin, il n’a pas eu l'idée de s'assurer si les mesures étaient les mêmes pour l'avant et pour l’arrière-fossé. Or, il résulte de constatations faites dans la nouveauté des fouilles que les deux fossés n’ont ni la même coupe, ni la même profondeur; que l’un est de forme triangu- laire, tandis que l’autre a un fond plat entre ses deux escarpe- ments; que ce dernier s'arrête à 50 centimètres au-dessus de l’autre; que d’ailleurs le doublement du fossé n'existe que dans la plaine des Laumes; que c’est un simple fossé qui forme à mi-côte la plus grande parte de la contrevallation, et que la ligne entière, d'après une induction facile à tirer de son tracé, n’a pas 46 kilomètres (!). () La vérité sur Alise-Sainte-Reine, par M. Paul BrAL, capitaine-comman- dant d'artillerie, professeur à l’école d'artillerie de Besançon, Paris, Gar- nier, 1861 ; — Les Camps, les Tombelles et les Villas du pourtour d'Alaise, par M. A. CasTan (Mém. de la Soc. d'Em. du Doubs, 3e série, t. VIII, 1863. — 347 — La circonvallation n'était pas encore découverte en son entier lors de la visite de M. Dansin; donc il n’a pas pu dire si elle répondrait à la mesure de 20,700 mètres. Cependant il était possible d’arriver par le raisonnement à juger qu’elle resterait de 3 ou 4 kilomètres au-dessous, et je sais qu'il en est ainsi. Cette ligne a laissé voir à M. Dansin des fossés de 1,50, qui, dit-il, dévient de la ligne droite pour envelopper des espaces circulaires de 1430 à 140 mètres de diamètre. Pour l’éclaireisse- ment de cette description, que je ne comprends pas bien, Je recours à l'un des documents précédemment invoqués par mot, lequel me dit qu'un fossé unique de circonvallation relie entre eux deux groupes chacun de trois camps ronds. Les camps ronds appartiennent à la décadence, et ne peuvent, par conséquent, être les restes des travaux de César; leur fossé, ajouté au fossé qui les enveloppe, ne constitue pas le double fossé qui devrait régner sur toute la ligue; enfin la profondeur indiquée de 147,50 n’est pas celle qu'il faut, car 4",50 fait un peu plus de 2 pieds romains et non 45 pieds: Je remarque encore que, sur un point de cette circonvallation, M. Dansin a vu des trous de loup. Ils sont accouplés deux par deux et distancés régulièrement de 14 mètres. Eh bien, ceux dont parle César étaient en quinconce et formaient des groupes de huit rangs, séparés les uns des autres par des intervalles de 88 centimètres : Obliquis ordinibus in quincuncem dispositis, scrobes trium in altitudinem pedum fodiebantur...…. Hujus generis octoni ordines ducti, ternos inter se pedes distabant (lib. VIE, ce. Lxxm). Les deux systèmes, il faut en convenir, ne se ressemblent pas. Voilà comment ce que l’on est conduit à prendre au premier abord pour une conformité parfaite peut se trouver plein de dissemblance quand on en vient à une confrontation rigoureuse. On annonçait, il y a quelques mois, la découverte d’une cin- quième ou sixième Alesia. Celle ci se trouve en Savoie, ce qui n'est pas à son avantage; mais elle a pour elle de posséder les lignes de fossés couplés de 45 pieds romains dans toutes leurs — 348 — dimensions, plus le fossé de 20 pieds creusé à fond de cuve en avant de la contrevallation, tout cela conservé comme à plaisir pour prouver l'exactitude de la description de César. Quel ne serait pas l'embarras de M. Dansin et des autres visiteurs satis- faits d’Alise-Sainte-Reine, s'ils se trouvaient en présence de ces nouveaux vestiges, encore plus éloquents que ceux par lesquels ils ont été convaincus ! L'archéologie est appelée à jeter la lumière sur un grand nombre de faits restés obscurs, mais à condition qu’on en usera avec critique; autrement elle serait la perturbation jetée dans l'histoire. Des événements à peu près semblables se sont passés dans des temps et dans des lieux différents. Si la terre laisse sortir de son sein les témoignages matériels de l’un, qu’on prenne garde de les prendre pour les témoignages d’un autre. Le meilleur préservatif contre les illusions de ce genre est d’avoir sans cesse présente à l'esprit l'idée des lacunes sans nombre qu'il y a dans l’histoire en général, et particulièrement dans la nôtre. Que savons-nous de la Gaule avant et après César ? Où est le récit des guerres que coûta l'acquisition de la province romaine ? de celles qu'Auguste eut à pacifier ? de celles dont le pays ne cessa plus d’être le théâtre depuis Commode jusqu’à Clovis ? Cette dernière période surtout donne à supposer l'infini en fait de catastrophe:. Pendant trois siècles, les légions révol- tées, les usurpateurs, les bagaudes, les barbares, se sont dé- chaînés à l’envi sur notre territoire; des batailles ont été données, des villes assiégiées, prises, détruites; si bien que, lorsque l’on voit apparaître des vestiges d'opérations militaires, toutes les probabilités sont pour qu'ils se rapportent à des faits inconnus. Je suis bien aise que M. Dansin m’ait fourni l’occasion de rap- peler cela à lui et à tous nos honorables confrères qui le savent, mais qui, sous l'empire des circonstances, sont exposés à l'oublier. “ BOTANIQUE QUELQUES OBSERVATIONS SUR LES FONCTIONS DU CADRE PLACENTAIRE ET DE LA COLUMELLE DANS LES FRUITS DES CRUCIFÈRES Par M. FRANÇOIS LECLERC. “Séance du 12 mai 1866. Le but de l'anatomie comparative est la recherche perpétuelle des analogies de composition et de fonctions dans les êtres organisés. Or, 1l peut y avoir sujet de mettre en évidence des analogies prises dans des plantes de classes différentes et diffé- remment constituées. Dans les Crucifères, le placenta doit son origine à l'appareil axile. Le calice, qui appartient à cet appareil, retient quelque chose du pédoncule; aussi est-il le plus souvent coloré en vert. Dans un bon nombre de Crucifères, il se rapproche de la couleur de la corolle. La feuille carpellaire se distingue d’une feuille ordinaire en ce qu'elle porte des vaisseaux ponctués, elle n’est donc pas de même nature que la feuille (‘). Il est de principe, en philosophie anatomique, que les matériaux de même nature se rapprochent ou se cherchent par le fait même de cette similitude; les adhé- rences que contractent les étamines, les styles et la corolle, sont une preuve de cette identité; c’est encore une réflexion de Decandolle, de même que celle ci : « Le disque, qui n’est pas le torus (le réceptacle), appartient au système appendiculaire ; il () FouRNIER, Sur les caractères hislologiques du fruit dans les Cruciferes (Bulletin de La Sociélé bolaniq., n°5 5 et 6, 1864. —- 390 — est donc produit par le torus, » et, quelque forme qu'il revête, en est tout à fait distinct. Je me suis proposé, en m’appuyant de quelques études de Brisseau, Mirbel et d’Auguste Saint-Hilaire (!), de rechercher ce que sont les fonctions que remplissent le cadre placentaire, la columelle et les feuilles carpellaires dans l’appareil floral des Crucifères. Le nom de carpophore ne peut suffire à désigner les supports du fruit ou de la silique dans les Ombellifères et dans les Cruci- fères. Le mot de cadre placentaire ou carpellaire s'applique pro- prement aux deux ramifications qui semblent partir du pédoncule pour encadrer une silique ou une silicule. La columelle, de son côté, s’interpose d'ordinaire entre un méricarpe, une silicule ou une gousse par son milieu, et fait ainsi fonction de support. Le mot de carpophore a, d’après cela, une signification très générale. La columelle ne se divise, dans les Ombellifères, que lors de la maturité du méricarpe, tandis que, dans la plupart des Cruci- fères, le cadre placentaire a ses branches toutes séparées dès l’époque de la formation de la silique. Ce cordon bifurqué qui entoure la silique se remarque dans plusieurs espèces de fruits légumineux : Cercis siliquastrum, Robinia pseudoacacia, Ge- . nista anglica, et les genres Pisum, Phaseolus, Faba, où il se trouve réduit à un épiderme résistant. Les Crucifères présentent la columelle et les cordons du cadre plus fréquemment bipartis qu'indivis. Dans le genre Lunaria, la silicule plane est circonscrite par les deux cordons et terminée par le style. Dans le genre Biscutella, les siliques planes ne sont pas encadrées, la columelle seule accompagne les deux carpelles accolés par le côté, elle est mdivise. La silicule de la Lunaire, quoique très large, ne devient pas vésiculeuse, bien que les feuilles carpellaires soient gonflées dans la Vesicaria utricu- lata, l'Alyssum macrocarpum, etc. (4) Diction. scienc. natur., au mot Péricarpe. Auguste SAINT-HILAIRE, Leçons de botanique, 1847, — 351 — Dans les Légumineuses /Cytisus, Coronilla, Lotus), le cadre seul fonctionne en circonserivant le fruit, car le style est éliminé et porté en haut du légume. Le nom de cadre placentaire con- vient naturellement aux deux branches qui procèdent des ner- vures du calice, chez les Crucifères; mais souvent aussi, comme le cadre, la columelle des Ombellifères est un carpophore bi- partit. La columelle se présentant toujours lorsqu'il y a plusieurs carpelles, la fonction ordinaire du cadre dans la fructification est d’entourer la silique. la silicule ou le légume et de s’'accroître avec ces fruits, de même que la columelle. Le rôle du cadre de divers Ombellifères est d'accompagner les feuilles valvaires, la columelle s’interposant d'ordinaire entre les carpelles. Quant aux fruits orbiculaires et aplatis, ils sont généralement circons- crits par un cadre, tant dans les Ombellifères que dans les Cru- cifères. Le fruit à bourrelet du Tordylium maximum n'a pas cet encadrement; d’autres encore en manquent parmi les Cruci- férinées, les Corydalis lutea et bulbosa, par exemple, où les graines adhèrent à un placenta filforme qui figure comme cadre dans ces siliques, mais le méricarpe du Tordylium maximum est occupé dans son milieu par une columelle bipartite et extrê- mement déliée. Le cadre est nul aussi dans la silicule des Biscu- tella ; très peu apparent dans le genre Heracleum aussi bien que dans le Pastinaca sylvestris, il est très épais dans le Pastinaca Opoponax. Les Crucifères siliqueuses et siliculeuses présentent cette particularité dans un assez grand nombre de genres, que les feuilles carpellaires s’étalent en une membrane ou cloison transparente qui occupe l'espace compris entre les deux branches du cadre. Tout placenta est double généralement, ainsi que l’a démontré Auguste Saint-Hilaire, mais il peut ne pas se diviser lorsqu'il est axile ; il est susceptible, le style se trouvant éliminé, de se diviser en deux cordons; c’est alors que, columelle d’abord, il devient placenta, en formant le cadre de la silique et servant d'attache aux graines; Car, organe axile, il s’est trouvé formé avec l'ovaire et le style pour constituer les cordons et devenir placenta double, — 352 — On peut même observer dans les siliques plates ou folhicules des Cassia obovata et acutifolia, que chacun des cadres auxquels adhèrent les feuilles carpellaires peut se diviser en deux {!). Dans ces fruits, les graines étant placées au milieu des feuilles carpellaires, le cadre les retient par un filet très mince, et elles sont séparées les unes des autres par une membrane faisant office de cloison. La colonne axile qui accompagne la silique ou plutôt la capsule dans le Scandix Pecten, n’est divisée qu’à son extrémité; elle peut la diviser dans toute sa longueur. Dans le Scandix odorata, c'est un cadre non ouvert qui, là, fait fonction de columelle. Dans l’Hesperis Alliaria, le cadre sert de placenta aux graines par une attache très courte. Dans le genre Jsatis, la silicule uniloculaire surmontée par le style est également circonscerite par le cadre, et les siliques à segments étranglés du Raphanus Raphanistrum, d'un Coronilla, ne sont maintenues que par un épiderme, la cloison étant alors transversale. Ainsi, quant aux silicules des Crucifères, les unes sont cir- conscrites par un cadre surmonté par le style couronné quel- quefois par le stygmate {/Lunaria annua et rediviva, Alyssum calicinum (le genre Thlaspi), V Alyssum pyrenaicum, Alyssum edentatum, Camelina dentata, etc.; d’autres séparées dans leur milieu en deux loges; d’autres accolées par leur côté à la columelle, chaque cloison étant très étroite (Thlaspi perfolia- tum, Capsella bursa, Iberis umbellata, nudicaulis, amara). Dans certains genres de Cruciférinées, à capsule siliquacée (le genre Erodium), un pédicule axile s'accroît avec la capsule, et lui sert également de columelle, en s’entourant des graines. Cet accroissement d’une colonne axile n’est autre chose que la continuation du réceptacle (Auguste Saint-Hilaire parle aussi de la continuation du réceptacle) (?); mais en fait d'organe pouvant @) {1 y a donc là un cordon pour chaque bord de panneau, de même que dans les siliques des Crucifères. Le pistil des Crucifères, dit Auguste Saint- Hilaire, est formé de deux cordons soudés en un seul. (*) Leçons de bot., page 505. — 353 — s'accroître de cette manière, je ne remarque dans d’autres classes que des genres à graines indéhiscentes (les genres Anemone et Clematis, par exemple) qui offrent un processus pistillaire accrescible, et qui dépasse leur capsule triloculaire. Dans les Sulen otitese et nutans, le style éprouve un allonge- ment analogue. Parmi les Scrophulariées, le genre Veronica |) _ (V. anagallis, arynifolia, præcox, scutellaria, Beccabunga, ser- pyllifolia) présente une capsule biloculaire qui ne comporte pas de cadre carpellaire, le style s’interposant dans la commissure qu'il dépasse, et servant de columelle. Il en est de même pour les genres Scrophularia et Linaria (espèces : L. supina, arvensis, minor, repens, striata), et les Odontites lutea et vulgaris. Dans certaines Ombellifères, lorsque la columelle veut se diviser, son extrémité supérieure qui dépasse le fruit, abandonne une sorte de gaîne qui sert d’épiderme à cette portion extérieure; ce qui fait qu’à la maturité la graine se détache et laisse la colu- melle subulée. Un organe subulé proprement dit doit représenter une alène implantée dans son manche, il est dépourvu de l’épi- derme vert que revêt tout rameau ou ramuscule. Dans ce cas, la columelle du méricarpe des Ombellifères, qui est le style de la fleur, se trouve mis à nu comme l’est naturellement le style de plusieurs Légumineuses, dans les genres Citysus, Genista, Coronilla, Lotus, qui surmonte le légume ou la silique, surtout dans la jeunesse. Or, un cadre carpellaire aigu à son extrémité, une columelle indivise, devraient être qualifiés seulement d'A- cuminés, toutes les fois qu'ils ne sont pas sortis d'une gaîfne. Les échantillons des genres Pimpinella, Ptychotis, Æthusa, Conopodium, Pastinaca, etc., que l’on récolte entièrement mûres pour l’herbier, deviennent difformes en se séparant de leur graine, ornement de l’'Ombelle, et montrent à nu leur colu- melle subulée. Dans plusieurs Crucifères à fruit cloisonné {Lepidiuwm grami- nifolium , Thlaspi bursa, Cochlearia officinalis, Hutchinsia (4) Superovariées, 23 — 354 — patrea, les deux feuilles carpellaires se séparent du cadre à la maturité, en laissant à nu la cloison. Même circonstance pour le Chelidonium majus, où les feuilles se séparent spontanément du cadre qui les supporte (!). La capsule du Glaucium flavum, qui ne perd pas ainsi ses valves, a aussi la fausse cloison des Crucifères. A l'égard des Corydalis capnoides et bulbosa, le phénomène est le même que pour le Chelidonium majus. Si j'allais prendre un exemple au loin, je pourrais dire que l’épis- perme du noyau de la datte représente dans ce fruit les deux feuilles carpellaires, quoique étant d’une autre nature histolo- gique; ce sont deux feuillets elliptiques fixés seulement par l'un des bouts de leur plus grand diamètre à la base de l'ovaire, et enveloppant librement le noyau avec le style qui se trouve logé dans le sillon que présente ce noyau. Ces feuillets sont blancs et très minces. Certains cas se présentent où la feuille carpellaire n’est pas toujours binaire; la graine de l’Aristolochia sypho, qui n’est pourvue que d’une feuille carpellaire sur l’une de ses faces, mais a en outre une enveloppe mince, grisâtre, adhérente à chaque graine qui du reste est fixée au placenta par un cordon. Dans le fait cité plus haut pour la datte, on voit qu'une graine, quoi- que ayant un périsperme osseux, ne fait pas exception à la règle : iln'y a point de graine nue. Une lame qui rentre dans la cavité du péricarpe est formée par la partie soudée de deux feuilles carpellaires; voilà ce qu'est dans le fruit, comme dans l'ovaire, la cloison véritable (Auguste Saint-Hilaire), cloison qui alterne toujours avec les styles et les stygmates, tandis que le diaphragme des Crucifères, qui est une fausse cloison, revient de l’axe vers la circonférence. C’est ainsi que dans les genres Lunaria, Draba, etc., la feuille carpellaire a sa limite sur les bords du cordon (Aug. Saint-Hilaire, p. 495). (2) En notant cependant que la silique de cette plante n'offre pour cadre qu'un seul cordon pour chaque bord de feuille carpellaire, Mais « la struc- ture du pistil des Crucifères si yoisines de ce Chelidonium, montre que chez elles il existe deux cordons soudés en un seul » (Aug. Saint-Hilaire, p. 494). — 355 — Ii serait convenable, peut-être, pour être plus intelligible, d'appeler valves les feuilles carpellaires caduques, comme dans beaucoup de Crucifères, et feuilles carpellaires, celles qui donnent lieu aux véritables cloisons. Il est conséquent qu’une silique, parmi les Crucifères, ne peut admettre une columelle, et que le style est toujours exclu par le fait du développement de la silique même qui n’est autre chose que l'ovaire; en un mot, « que le style n’est que la terminaison d’une feuille carpellaire (Fournier). » Une différence à établir dans les siliques des Crucifères, et plus caractéristique que la forme de ces fruits, c'est la non-existence de la columelle dans les siliqueuses, tandis qu’on la trouve adhérente au milieu des siliculeuses divisées en deux loges, chacune ayant sa cloison. Ces dernières entrent pour ce motif en comparaison avec les fruits d’un assez grand nombre d'Ombellifères, quoique ces dernières soient inférovariées. Il y a encore une distinction qui touche les Crucifères, c’est que dans les siliculeuses la columelle porte les loges, pendant que le cadre porte les graines. Enfin, par une autre distinction, je rangerais parmi les siliqueuses toutes les siliculeuses qui sont pourvues d’une cloison unique et plus ou moins large {Cochlearia offic., Draba verna, Lepidium graminifolium). Selon Auguste Saint-Hilaire, l’axe, parfattement entier à sa base dans quelques Papavéracées et Crucifères, se divise évi- demment en deux branches qui passent dans l'ovaire et se réu- nissent de nouveau à leur sommet pour former le style, imitant ainsi une sorte de châssis fermé aux deux bouts. Ce sont les deux branches du châssis, ou si l’on veut les deux cordons pis- tillaires, qui portent les ovules. Dans le cas présent, les placentas auraient leur origine dans les cordons pistillaires ; il ajoute que les feuilles carpellaires sont manifestement indépendantes du châssis (1). L'axe floral se compose de plusieurs filets, mais lorsqu'il forme (4) Leçons de bot., p. 493, — 356 — un placenta axile, cet axe monte droit et sans déviation, les filets étant soudés les uns aux autres. Il n’en est plus de même du placenta pariétal ou columellaire, quoiqu'il soit une continuation du placenta axile. En effet, pour faire comprendre comment il devient pariétal, Auguste Saint-Hilaire donne pour exemple un faisceau de fils attachés par les extrémités. Droit, ce faisceau représente la columelle, mais en refoulant l’un vers l’autre les deux bouts attachés, les fils s’écarteront en décrivant une cour- bure, et nous donneront une image des placentas pariétaux (Leg. de bot.). Pour compléter ce que je pourrais dire ici théoriquement sur l'origine du cadre placentaire et de la columelle, c’est qu'ils paraissent naître de l’axe, mais de l'axe en tant que constitué comme réceptacle, et ne recevant du pédoncule que la sève qu’il est chargé d'élaborer à son tour. — Ce faible travail, venu mal- heureusement après l’étude savante de M. Eugène Fournier sur les caractères histologiques du fruit des Crucifères (première partie), et dont j'ignorais la publication, aura le désavantage de se montrer très imparfait dans cette circonstance, et sollicitera l'indulgence de la eritique. J'ai affirmé plus haut que la cloison provenait de l’épanouis- sement des feuilles carpellaires, et les auteurs sont générale- ment de ce’ avis; c’est avec réserve toutefois, la nature histo- logique de ces feuilles étant différente de celle de la cloison dans les Crucifères. — J'ai dû, pour le sujet dont j'ai l'honneur d'entretenir la Société d'Emulation, me borner à peu près à des exemples pris parmi les familles de Crucifères qui sont du do- maine de notre flore régionale; voilà pourquoi je n’ai eu recours que rarement aux genres exotiques, sinon comme objet de comparaison, les premiers m’ayant paru suffire aux exigences d’une aussi courte revue. Je la terminerai par le résumé synop- tique ci-après : — 357 — Dans les genres : _Arabis Turritis Nasturtium officinale. sylvestre. amphibium. Synapis alba. arvensis. Dentaria pentaphylla. Et quelques Cruciférinées : Chelidonium majus. Corydalis lutea. Oxalis stricta. Dans les genres : Sysimbrium officinale. sophia. murale. tenuifolium. irio. asperum. crepidifolium. barbarea. perfoliatum. lanceolatum. canescens. Cheiranthoïdes. verna. aizoides. officinalis. bursa p. perfoliatum. Erucastrum obtusangulum. Cheiranthus cheiri. Hutchinsia petræa. Crambe maritima, Eryisimum Draba Cochlearia Thlaspi Dans les genres à silicule : Lunaria annua. rediviva. Dans les genres : Alyssum montanum. edentatum,. calycinum. utriculatum. lberis amara Lepidium campestre. Camelina dentata. Cochlearia armoracia, coronopus. Sn — D” Le cadre carpellaire cireonscrit une silique allongée, les deux valves abandonnant la cloison à maturité. Le cadre carpellaire ou placen- taire supporte les deux valves, qui sont caduques, et il encadre la cloison. Les graines sont attachées au cadre placentaire par de longs filaments, point de columelle. Le cadre placentaire entoure la silicule surmontée du style por- tant parfois son stygmate; la co- lumelle, séparant les deux car- pelles, placée entre les deux cloi- sons. — 398 — Genres à silicule munie d’une co- lumelle, celle-ci partageant la silicule en deux loges, chacune à cloison linéaire : Genres à silicule munie d’une cloison : Alyssum. Draba. Cochlearia. Camelina. Thlaspi perfoliatum. Tœsdulia. Alyssum montanum. Hutchinsia. Capsella bursa. Iberis. Iberis amara. Lapidium. _ umbellata. Biscutella. — nudicaulis. Senebiera. Neslia (1). Genres dont les siliques ou sili- | Genres à siliques ou silicules ter- cules sont terminées par un style obtus surmonté de son stygmate : Erysimum crepidifolium. cheiranthoides. perfoliatum. lanceolatum. Matthiolia annua. Diplotaxis muralis. — viminea. minces par un style aigu et allongé dépassant la silique: Cardamine amara. latifolia. Raphanus raphanistrum. maritimus. Diplotaxis tenuifolia. Malcolmia littoralis. maritima. Lepidium Smithii. Alyssum spinosum. Thlaspi scapiflorum. Biscutella auriculata. () Armoracia ruslicana, Bunias Erucago, cloison déchirée et incomplète ; Jsatis tinctoria, cloison rudimentaire; Calepinia Corvini, cloison nulle. COUP-D'ŒIL SUR LES TRAVAUX SOCIÉTÉ D’ÉMULATION DU DOUBS EN 1866 M. LÉON BRETILLOT Président annuel. Séance publique du 20 décembre 18686. Messieurs, Dans votre réunion publique de l’année dernière, votre hono- rable président, M. Grenier, a dit que la Société d'Emulation avait voulu donner une nouvelle marque de sympathie à l'œuvre nationale de l'Exposition universelle de 1867, en appelant à la présider, en 4866, un des membres du comité chargé des inté- rêts de cette entreprise dans le département du Doubs. Per- mettez-moi d'attribuer une signification plus générale au choix que vous avez bien voulu faire, et de penser qu’à propos d'une circonstance accidentelle, la Société a cédé, une fois encore, à l’action latente et continue qui rattache de plus en plus le déve- loppement de l'agriculture, de l'industrie, du commerce, au progrès des sciences physiques et naturelles et des sciences économiques. Les rapports entre ces grandes branches de l’activité humaine sont anciens, sans doute, car à mesure que l'étude des sciences expérimentales a étendu la connaissance des lois qui régissent les corps et que l'examen des phénomènes révèle à l'observateur, limdustrie a profité de ces révélations pour y conformer ses LUANLSET RO0Ee ND ŒTUQE procédés, pour modifier la fabrication de ses produits et pour en créer de nouveaux. Mais jusqu’à la fin du dix-huitième siècle, la marche de l’industrie dans cette voie scientifique s’est faite en. quelque sorte au hasard. C’est à partir de l’époque actuelle que l'attention des industriels s’est portée chaque jour davantage sur les puissants auxiliaires qu’ils pouvaient trouver dans les théo- ries scientifiques, et qu'ils ont éprouvé le besoin de ne pas se borner aux moyens empiriques de fabrication transmis par la tradition et graduellement améliorés par la pratique industrielle. Dès que ce besoin et cétte tendance nouvelle se sont nettement manifestés, l'évolution scientifique y a répondu par une distri- bution de ses travaux et de ses études conforme à l'intervention et à l'assistance qui lui étaient demandées. Les savants ont suivi deux ordres d'investigation. Les uns ont continué à observer avec passion les phénomènes physiques et naturels, afin d'en surprendre les causes et de connaître les effets des innombrables modifications qu'ils subissent : ils l'ont fait, comme leurs prédécesseurs, sans autre but que de chercher une parcelle, quelque minime qu’elle fût, de la raison des choses et de contribuer à la découverte des lois ou des rapports qui produisent les phénomènes. D’autres se sont appliqués à déduire de la connaissance de ces rapports des moyens d'être utiles à l'humanité, à étendre l'action de l'homme sur le monde qui l’enserre, à en tirer parti pour améliorer sa condition, affermir son existence et la rendre plus facile et plus douce. La science appliquée est devenue la directrice et le guide de l’industrie, en donnant à ce mot d'industrie son sens le plus général, qui signifie l'intelligence façonnant et transformant les objets matériels, organiques et inorganiques, pour les approprier aux besoins et aux usages de l’homme. Cette union de la science et de l’industrie a, comme tout mouvement sérieux de l'esprit humain, introduit dans l’ordre social certains faits, certaines modifications qui se sont produits avec lenteur, et dont l'importance n’est devenue manifeste que le jour où ils ont occupé l'attention universelle et pris définitive- — 361 — ment leur place dans la vie des sociétés. Je ne veux citer ici que deux de ces faits et modifications qui, parmi beaucoup d’autres, me paraissent donner une idée claire de la marche de l'évolution scientifico-industrielle et du point où elle est arrivée. D'abord, la création de ces expositions des produits de l’industrie, qui, fort modestes à l’origine et presque inaperçues, sont aujourd'hui des événements considérables, provoquent sur une échelle éten- due les facultés créatrices et la puissance des capitaux, excitent la curiosité et l'intérêt de toutes les nations civilisées, et que les savants, les politiques, les observateurs à titres divers vont étudier avec autant de soin que les producteurs de tous les ordres et de tous les degrés. En second lieu, la part toujours croissante que l'instruction scientifique a prise dans la dispensa- tion de l’enseignement scolaire, depuis l'école primaire jusqu'aux instituts supérieurs. Ce n’est pas en vue de l’avancement des sciences qu'on s'est décidé à donner à leurs éléments une part plus large dans l’enseignement. Il fallait pourvoir cette foule d'hommes occupés à produire des notions sûres et précises qui, suivant le travail auquel ils étaient destinés, leur permissent d'y appliquer leur intelligence de la manière la plus profitable pour eux. De là viennent les changements apportés aux programmes d'étude, la création d’école des arts et métiers, d'écoles profes- sionnelles, d’une seconde école polytechnique où les futurs industriels peuvent acquérir des connaissances scientifiques complètes, et enfin ce récent essai d'un enseignement spécial qui doit fournir à l’agriculture, à l’industrie, au commerce, des recrues qu'on se propose d'instruire dans le but de les rendre plus aptes à embrasser et à suivre ces grandes professions. Des personnes, fort éclairées d’ailleurs, ne donnent pas à ces faits et à ces innovations la portée que je crois pouvoir leur attribuer. Elles ne voient dans les expositions industrielles qu’un spectacle plus fastueux qu'utile, dont la mode passera. Elles blâment l'intrusion, dans l’enseignement primaire et classique, de cet autre enseignement qui, ne pouvant être que très élémen- taire, n’apportera, selon elles, dans l'esprit des élèves que des — 362 — notions vagues et incomplètes, promptement oubliées, et qui resteront sans résultat utile. Ces critiques et ces défiances s'expliquent naturellement, si on regarde le passé plutôt que le présent et l'avenir, et si on ne se rend pas un compte exact de la puissance des causes écono- miques qui déterminent l'alliance de la science et de l'industrie. Les plus apparentes de ces causes sont l'augmentation des popu- lations et le désir du bien-être devenu presque universel. Les habitants des contrées civilisées, étant plus nombreux et voulant avoir une existence plus facile et plus large, ont dà chercher les moyens de satisfaire à de plus amples besoins. Ils ne pouvaient les trouver que dans une production plus abondante et plus économique. Chez les peuples où déjà, par une culture agricole intelligente et par l'exercice de l’industrie et du commerce, on était arrivé à un certain degré de richesse, et où, par consé- quent, les populations étaient plus denses et les rangs plus serrés, de nouveaux et incessants efforts ont été faits pour accroître l’aisance individuelle et la richesse générale, pour fournir à tous les objets nécessaires à la vie. On s’est appliqué avec une ardeur progressive à mettre à la portée de tout le monde, et à des prix de moins en moins élevés, l’innombrable variété des produits qui, depuis les plus simples et les plus grossiers jusqu'aux luxueux et aux raffinés, sont incessamment consommés et mis en usage. Ces efforts ne sont pas restés stériles. Ils ont rendu la vie plus facile aux populations qui s’y sont livrées, et l'exemple des résultats obtenus, la richesse visi- blement accrue, la prospérité individuelle donnant à la puis- sance de l'Etat une vigueur et un éclat jusqu'alors inconnus, ont graduellement fait graviter toutes les nations vers le progrès que la vieille Europe et la jeune Amérique voyaient s’accomplir par l’action combinée du travail et de l'intelligence. Il était naturel, dès qu'on cherchait à produire davantage et à produire plus économiquement, qu'on ne négligeât aucun des moyens de résoudre le problème et de conduire au but. Les découvertes déjà faites par la science, et celles qu’elle ne cessait — 363 — de faire, offraient aux producteurs une mine féconde qu'ils se sont mis à exploiter et dont ils ont tiré des résultats aussi sur- prenants qu'avantageux. Non contents de demander aux savants d'appliquer à la création et à la préparation des produits naturels et manufacturés leur savoir et leurs veilles, les industriels se sont dit qu'eux et leurs coopérateurs de tout rang s’acquitteraient mieux de leur office s'ils possédaient des notions sur les nom- bres, les surfaces, le mouvement, les lois physiques et les com- binaisons chimiques qui interviennent à chaque instant dans l'œuvre de la production. Ce raisonnement si juste a fait son chemin. Il a eu pour conséquence d'imprimer a l'instruction publique une direction propre à pourvoir les jeunes travailleurs de l'élément intellectuel qui leur devenait presque indispensable. Le commerce lui-même, qui n’a pas d’autre objet que de mettre les produits à la disposition de ceux qui doivent en user, et à qui la science des nombres paraîtrait devoir suffire, a com- pris qu'il trouverait dans l'étude de l’économie publique des indications propres à le diriger dans ses opérations. Les négo- ciants, sortant avec plus de lenteur que les industriels de la routine empirique, se sont décidés à regarder du côté de la lueur nouvelle, afin d'y chercher des enseignements qu'ils pus- sent mettre à profit pour la gestion de teurs affaires. La science économique, dont les premières investigations ne remontent pas au delà du dix-septième siècle, examine, d’après les faits, com- ment les richesses se forment, se distribuent, se consomment, s’accroissent ou se restreignent. Elle cherche à déterminer les lois en vertu desquelles ces phénomènes sociaux se produisent et les conséquences qui en découlent. Cultivée avec passion depuis un siècle, elle n’est pas jusqu’à présent arrivée à donner au résultat de ses recherches la certitude qui caractérise les sciences physiques et mathématiques. Mais elle en a déduit cer- tains principes qui paraissent ne plus pouvoir être contestés, et elle a jeté de vives lumières sur la nature de l'échange, sur les formes si complexes qu'il affecte, sur les effets qu'il produit. Plus que tout autre, le commerçant a intérêt à s'enquérir de ces — 364 — matières. L'échange des produits est son domaine, et désormais il lui deviendra difficile d'ignorer ce que l'observation patiente des faits aura appris aux économistes sur la richesse de ce do- maine et sur les moyens de l’exploiter. Ainsi, la force des choses, loi rigoureuse à laquelle tout finit par céder, a obligé et obligera les agriculteurs, les chefs de ma- nufacture, les contre-maîtres et ouvriers, les négociants et les spéculateurs à acquérir les éléments des sciences, dans des limites proportionnées à la tâche qu’ils doivent remplir. Les savants continueront de leur côté à diriger leurs recherches sur les moyens de faire prospérer l’agriculture, l’industrie et le com- merce, et ce mouvement simultané consolidera l'alliance de la pensée qui découvre et qui conseille, avec la pensée qui exécute et qui réalise au moyen du travail de l’homme et du produit accumulé de l'épargne, c’est-à-dire du capital. La Société d'Emulation du Doubs , instituée dans le but de concourir activement aux progrès des sciences et des arts dans le département, ne pouvait pas ne point entrer dès son origine dans la voie ouverte par l'application de la science aux moyens de production. Les travaux inspirés à ses membres par cet ordre d'idées, aussi bien que ses propres actes, me parais- sent avoir grandement contribué à la faire arrriver à l’état de considération et de solidité où elle est aujourd’hui. Si on examine les listes successives de ses membres, on voit, en effet, que d'année en année, elle a recruté le plus grand nombre de ses adhérents dans les classes qui, n'étant pas en position d'étudier les sciences pour elles-mêmes, prennent cependant un très vif intérêt à leur développement, en considération des services qu'elles rendent si libéralement à l'état économique des popu- lations. Les nombreux mémoires qui ont eu pour objet des applications de la science, et qui ont paru successivement dans les recueils de la Société, ont donné ample satisfaction à cette disposition des esprits Puis la Société a, par une résolution décisive, manifesté ce qu’elle entendait faire à l'égard de l'agri- culture, de l’industrie et des arts, le jour où elle a provoqué et — 365 — rendu possible la remarquable Exposition de 4860. Dans ce grand et riche concours, la production franc-comtoise a puisé de nouvelles forces. Elle a fait connaître au dehors la variété, la qualité et le bon marché relatif de ses produits. Ses agricul- teurs et ses industriels ont été, de leur côté, mis à même d’'étu- dier avec soin des objets de comparaison qui, éveillant leurs idées, excitant leur émulation, leur ont fourni l’occasion d’as- surer leur marche et de l'améliorer. C'est à la Société d'Emu- lation qu'est dû ce double et heureux résultat. On ne saurait trop lui en tenir compte. Vous vous êtes donc, Messieurs, montrés attentifs à suivre le mouvement des idées, en faisant dans notre Franche-Comté ce qui est utile et profitable, à l'heure même où 1l était opportun que cela fût fait. Vous n’étiez heureusement pas arrêtés par le programme que vous vous étiez donné dès le principe, et vous avez pu vous mouvoir en toute liberté. C’est, à mon sens, un avantage réel pour les sociétés savantes de ne pas être enfer- mées dans des spécliaités trop circonscrites. Il faut à leur action de l’espace et de l'air, au risque de voir cette action s’alanguir parfois dans le vague et dans l'indéterminé. S'il était nécessaire d’insister sur ce point, je donnerais comme argument la marche même de notre Société. Pendant une série d'années, les sciences naturelles ont été l’objet presque exclusif de l’activité d2 ses travailleurs. Puis, les rangs des naturalistes s'étant éclaircis, toute un2 légion d’arch‘ologues s’est levée pour les remplacer. Aujourd’hui l'archéologie et les sciences qui s’y rattachent occupent près des trois quarts de nos recueils annuels. Il est donc de stricte justice de commencer par les travaux de cette catégorie le très rapide coup d'œil qu’il est de mon devoir de jeter sur les publications faites par la Société depuis sa der- nière séance publique. | Le centre d’études celtiques qui s’est formé à Besançon, sous l'influence du retentissant problème posé par M. Alph. Delacroix, n’a pas cessé d'étendre ses rayons. La seule question d’Alesia nous a donné trois mémoires, dus à la plume de mulitaires qui — 366 — sont à la fois des stratégistes expérimentés et d’habiles écrivains. Tandis que M. le colonel Sarrette, par une suite de déductions militaires et d’ingénieux rapprochements de textes, démontrait que la septième campagne de César dans les Gaules avait eu son dénouement en Séquanie, M. le capitaine Gallotü, élevant des objections graves contre les prétentions du moût Auxoiïs à repré- senter l’Alesia des Commentaires, et calculant le temps et les hommes qui avaient été nécessaires à César pour accomplir sur tout le pourtour de l'oppidum la série complète des ouvrages qu'il a décrits, arrive à prouver que ce mémorable blocus ne de- vient intelligible que si on le place dans un lieu où les accidents naturels réduisaient considérablement le nombre des points à fortifier. Cette conclusion est éminemment favorable à l'hypo- thèse franc-comtoise. L'un de nos plus actifs correspondants, M. Quiquerez, ingé- uieur des mines du Jura bernois, s’est attaché, dans une série de notes intéressantes, à compléter par des analogies les belles études de M. Bial sur les voies celtiques, et à corroborer l'opi- nion de M. Delacroix sur la haute antiquité du fer à cheval circulaire et muni de clous. Dans deux gisements explorés par notre savant collaborateur, les fers de cette espèce se sont ren- contrés avec des haches de pierre et des poteries gauloises. M. Quiquerez nous a de plus fourni de curieux détails sur trois pierres levées qui existent près de Delémont et auxquelles se rattachent des traditions religieuses qui pourraient remonter aux temps des Druides. Au même ordre de faits historiques se rapportent les Pierres- qui-virent de Morey, et le Trou-de-la-Dame-Noire, de Bour- guignon (Haute-Saône), monuments qui vous ont été signalés par M. Nicolas Travelet. Vous avez reçu du même correspon- dant la description d’une voie romaine qui allait de Langres à la Saône, en passant par Morey. Vous avez applaudi à la formation, par les soins de trois de vos correspondants (MM. Gannard, Dessertines et Patel), d’une association de travailleurs dans la ville de Quingey, dont l'objet — 367 — est de fouiller, au profit de notre musée d'archéologie, les tom- belles gauloises qui abondent sur ce territoire et qui sont la continuation du groupe d’Alaise. M. Emile Delacroix vous a fait don d’une tête sculptée, en bois de chêne, portant au cou la représentation d’un: forques celtique, et rencontrée, avec beaucoup d'autres figures ana- logues, dans la plus ancienne couche des ruines de Luxeuil. Vous avez exprimé le vœu que de nouvelles fouilles fussent faites dans ce précieux gisement, et vous avez voté une somme pour y coopérer. Une belle mosaïque romaine avait été découverte à Besançon, dans une maison de la rue Saint-Paul, non loin de l'emplace- ment du Palatium qui servait de résidence au gouverneur de la province séquanaise. Vous auriez désiré que le musée de la ville recueillit ce spécimen de la splendeur de notre Vesontio ; mais les exigences du propriétaire ne l'ayant pas permis, vous avez fait les frais d’un dessin colorié de cet ouvrage d'art, et vous en avez enrichi la collection municipale d'archéologie. Le même établissement a reçu de vous un groupe d'objets sortis d'un tombeau burgonde, rassemblés par notre confrère M. Gaudot, qui vous a, par le fait, signalé sur le territoire de Rougemont un cimetière contemporain des grandes invasions. ‘état politique de notre province durant la période qui suivit ces catastrophes, ct les causes qui accélérèrent la décadence du royaume dont nous faisions partie, toutes ces questions ont fait l’objet d'un travail, riche en aperçus nouveaux, qui a été lu, au nom de notre compagnie, dans les dernières réunions de la Sor- bonne, par notre confrère M. Drapeyron, professeur d'histoire au lycée impérial. Dans les mêmes circonstances solennelles, notre secrétaire, M. Castan, a fait entendre aux délégués des sociétés savantes une très curieuse monographie du palais Granvelle, qui justifie pleinement l'acquisition récente faite par la ville de ce bel édi- fice. M. Castan ne s’est pas contenté de dérouler les annales du palais, qui fut d’abord le logis d'une famille illustre et devint — 368 — ensuite l'hôtel des gouverneurs de la province. Il a joint à son travail des documents du plus haut intérêt : tels sont un inven- taire des richesses en objets d'art amassées par les Granvelle et disséminées depuis dans les galeries princières de l'Europe ; un exposé des variations du régime municipal à Besançon ; une note sur les origines du théâtre dans la même ville, et enfin les détails de la réception qui y fut faite à Louis XIV et à la cour de France en 4683. Nous devons au même auteur une étude sur la charte d’af- franchissement de la ville et de la seigneurie de Gy, donnée par l'archevêque de Besançon Hugues de Vienne, le 4e avril 1348. Cette pièce, que M. Castan publie pour la première fois, offre ceci de remarquable qu’on y trouve longuement exposés les mo- üfs de spéculation intéressée qui déterminèrent le seigneur à améliorer la condition de ses sujets, afin d'en attirer un plus grand nombre sur sa terre et de la rendre, par ce moyen, d’un meilleur rapport. Vous avez voté avec empressement l'insertion dans vos Mé- moires d'une biographie, aussi solidement pensée qu’élégam- ment écrite, du général d’Arçon, l’une des illustrations de la province. Ce travail, dû à notre confrère M. de Rochas, capitaine du génie, sera précédé d’une lithographie reproduisant les traits de l’éminent ingénieur militaire. Votre conseil d’adminis- tration ne pouvait mieux confier l'exécution de ce dessin qu’au talent distingué de notre confrère M. Victor Jeanneney. Le même sentiment de sollicitude pour les gloires du pays vous a fait accueillir la proposition de publier une série de documents, réunis par les soins de M. le conseiller Paguelle, qui établissent les droits de priorité de deux Bisontins, d'Auxiron et de Jouffroy, sur l’une des plus belles inventions de notre épo- que, la navigation à vapeur. Les sciences économiques sont représentées dans nos récentes publications par une consciencieuse étude de M. le docteur Perron sur la mortalité dans le département du Doubs. Son mémoire présente une statistique raisonnée des décès qui ont — 369 — eu lieu dans une période de dix années, et qui sont successive- ment considérés dans leurs rapports avec le climat, avec les saisons, avec les diverses professions des défunts, avec leurs âges et leurs sexes. Dans l’ordre des sciences iquen et chimiques, je mention- nerai trois ingénieux appareils qui vous ont été présentés : l’un, dont l'invention appartient à notre confrère M. Georges Sire, l’'habile directeur de l’école d’horlogerie de Besançon, a pour objet de démontrer d’une manière aussi simple que saisissante la vérité du principe d’Archimède ; le second, qui est destiné par notre confrère M. Ch. Saint-Eve à remplacer le mécanisme facilement altérable de la pompe à bière des limonadiers, con- siste dans un simple récipient à air pouvant fonctionner sous la pression des eaux de la ville ; un troisième, qui a pour inventeur M. Marchal, supprime l'usure, assez dispendieuse pour les la- veurs de cendres, des peaux de chamoiïs qui servent à filtrer le mercure chargé de métal précieux. Notre confrère verse le merçure sur une peau qui occupe le sommet d'un cylindre creux. Il chasse l'air de la partie inférieure de ce cylindre, au moyen d'un courant de vapeur. La pression qui s'exerce par le haut suffit pour faire passer le mercure à travers la membrane, et celle-ci retient l’or ou l'argent sans avoir éprouvé aucune altération. La botanique est toujours en honneur parmi nous, et il n’en saurait être autrement dans le sein d’une compagnie qui compte parmi ses membres l’un des maîtres de cette science. C’est à l'initiative de M. le professeur Grenier qu'est due l'acquisition, que vous avez faite pour la somme de 600 fr., d’un herbier considérable trouvé, lors de la campagne de Crimée, dans une villa du cap Laspi, et ramené en France par les soins intelligents de M. le docteur Frilley, de Dole. Vous avez voulu que cette précieuse collection, annotée par les plus éminents botanistes du Nord, vint s'ajouter aux richesses de notre musée d'histoire naturelle. Quelques jours après, vous votiez l'impression d’une courte 24 — 310 — et substantielle étude de M. François Leclerc, de Seurre, sur les carpelles des fruits dans les plantes crucifères. Nous avons distribué en 1864 la première partie d’une Flore de la chaîne jurassique, par M. Grenier. La deuxième partie de cet important ouvrage est sous presse et ne tardera pas à figurer dans nos Mémoires. Une récompense flatteuse est déjà venue proclamer bien haut le mérite de cette publication. C’est à elle que s’adressait la grande médaille d'argent remise solennel- lement à l’auteur, au mois d'avril de cette année, par Son Exc. le Ministre de l’Instruction publique, en même temps qu'une médaille de bronze était attribuée à notre Société en mémoire de ce succès. | C'était la seconde fois que notre compagnie était distinguée dans les concours du ministère de l’Instruction publique. Vous n'avez pas oublié, sans doute, qu'en 1864, les rapports de M. Castan sur les fouilles d’Alaise nous avaient valu le prix d'archéologie. Comme les années précédentes, vous avez tenu à ce qu'une revue de vos travaux fût présentée dans la réunion des délégués des sociétés savantes que dirige l'Institut des provinces, et votre représentant, M. de Chardonnet, a accompli cette mission avec zèle et talent. Vous avez entendu l'appel qui vous a été fait par deux de vos membres honoraires, MM. Henri Martin et Jules Quicherat, au nom du comité qui s’est formé à Rouen pour le rachat de la tour où Jeanne d'Arc a souffert une partie de son glorieux mar- tyre. Vous vous êtes fait honneur de vous associer, par une mo- deste offrande, à cet acte de réparation nationale. Vos efforts, si multipliés et si persévérants, ont été payés d’un juste retour, et vous me saurez gré de rappeler 1e les encouragements moraux et matériels qui vous ont été donnés. Son Exc. M. le Ministre de l’Instruction publique vous a con- tinué le maximum de la subvention que son département accorde aux sociétés savantes. Le Conseil mumicipal de Besançon, dési- reux de montrer l'estime qu'il fait de vos travaux et de recon- — 311 — naître le zèle que vous mettez à enrichir les collections publiques de la cité, a élevé de 300 à 600 fr. la part qui vous revient dans le budget de la ville ; puis il a, par décision récente, mis à votre disposition, dans le palais Granvelle, un local où votre bibliothè- que déjà riche pourra être convenablement installée. Un de nos éminents compatriotes, M. le sénateur Lyautey, vous a fait parvenir, selon sa généreuse habitude, une somme de 200 fr. _ destinée à faciliter vos recherches archéologiques. Vos publications ont été, nombre de fois, l’objet d’apprécia- tions très flatteuses, et tout dernièrement la Revue des sociétés savantes, organe officiel du Comité impérial des travaux his- toriques, déclarait que « la Société d'Emulation du Doubs se place en tête des sociétés provinciales les plus intelligemment actives. » Vous pouvez donc à bon droit, Messieurs, vous rendre ce témoignage, qu'en 4866, comme dans les années précédentes, vous avez rempli votre tâche et vous êtes restés fidèles à l'esprit de votre institution. NOTICE sUR ALEXANDRE BIXIO Par M. J. QUICHERAT Membre honoraire de la Société d'Emulation du Doubs. Séance publique du 20 décembre 1866. MEssrEURs, Il ÿ à un an à pareille date, la nouvelle de la mort de Bixio, apportée par les journaux de Paris, produisit une impression douloureuse dans cette ville et dans le département tout entier. Les esprits se reportèrent à une autre époque. On se rappela 1848, les terribles journées de juin et la façon glorieuse dont le mandat de représentant du Doubs avait été rempli sur les bar- ricades. Aux témoignages de la considération générale s’ajou- tèrent les regrets des amis que Bixio possédait en grand nombre en Franche-Comté comme ailleurs, et plus encore qu'ailleurs. Puis la Société d'Emulation de Montbéliard exprima publique- ment sa reconnaissance et le deuil que causait dans son sein la perte de celui qui avait été son bienfaiteur infatigable. A votre tour, Messieurs, vous avez voulu qu’un pareil hommage lui fût rendu au nom de la Société d'Emulation du Doubs, dont il fut aussi membre, à laquelle il fit aussi sentir sa libéralité, et c'est moi que vous avez chargé de l’accomplissement de ce devoir. Je n'ai pas besoin de vous dire sous l'impression de quel sen- timent je m'en acquitterai. S'il y a de l’amertume pour mot à remettre devant mes yeux, à si peu de distance de la séparation, l'image d'un ami qui me fut cher, je sens toutce qu’il y a d’hon- neur à être l'organe d'une compagnie comme la vôtre, lorsqu'il s’agit de raconter l’une des nobles et vaillantes existences de — 313 — notre temps, la vie d'un de ces fermes croyants dont l'exemple s'adresse particulièrement aux méditations d’une époque de dé- faillance et de foi douteuse. | Jacques-Alexandre Bixio naquit le 28 novembre 1808 à Chia- vari près de Gênes, lorsque l’état de Gênes était un département français. Amené en France par un parent qui s'était chargé de de son éducation, il fut élevé d’abord à Metz, puis à Paris. On le mit à Sainte-Barbe, dans le temps où la persécution s’appesan- tissait sur cette institution célèbre. Il entendit la plainte proférée par l'opprimé contre un pouvoir arbitraire : ce fut assez pour allumer dans son cœur l’amour de la liberté, qui fut la passion dominante de sa vie. Dès qu'il fut maître de ses actions, il s’enrôla parmi ceux qui avaient juré de lutter à outrance contre un gouvernement hostile à toutes les tendances de l'esprit moderne. Il combattit en juillet 1830, aux postes les plus avancés, et sous les yeux d’assez de témoins pour que, malgré sa jeunesse, on l’ait nommé membre de la commission chargée de distribuer les récompenses natio- nales. Ce mandat fut pour plusieurs, qui ne s’oublièrent pas, l’acheminement à une belle fortune. Bixio n’eut garde de sortir les mains pleines du concours dont 1l avait été l’un des juges. Il resta sous le nouveau règne ce qu'il avait été auparavant. Aucun engagement, aucun lien d'intérêt ne gênant son indépendance, il ne fut pas exposé à tomber dans l’optimisme. Au contraire, il partagea, avec une partie de la jeunesse, l'opinion qu'on s’ar- rêtat lorsque l'ouvrage à faire n’était encore qu’ébauché, et il continua de s'associer aux efforts du parti le plus avancé pour amener le gouvernement de juillet à accélérer sa marche. | En février 1848 1l dirigea le mouvement réformiste dans son arrondissement ; mais, fidèle au programme convenu entre les fractions diverses de l'opposition, il ne trouva pas bon que ce programme fût outrepassé, Lui, républicain dans l'âme, il s’op- posa au décret qui déclarait la France en état de république. Pendant quelques instants, il arrêta entre les mains du gouver- nement provisoire cet acte d’une si grande conséquence. Quand — 314 — il eut vu la nation tout entière donner son adhésion, il se dévoua à l'établissement du nouveau régime. Bientôt le soulèvement de l'Italie contre les Autrichiens fit naître une complication menaçante pour le maintien de la paix européenne. Bixio fut envoyé à Turin pour juger de l’oppor- tunité qu'aurait l'intervention armée de la France, Quel bonheur g'eût été pour lui d’enchaïîner l’une à l’autre, par une alliance de cette sorte, sa patrie d’origine et sa patrie d'adoption ! Mais aucune illusion ne put prévaloir dans son esprit contre la réalité telle qu'il la reconnut par ses observations et par ses informa- tions. L'Italie était disposée à regarder la France du même œil que l'Autriche, si la France voulait à toute force envoyer ses armées au secours de l'Italie. Voilà ce que Bixio ne cessa de répéter dans toutes ses dépêches, et la politique extérieure adoptée par le gouvernement provisoire fut la politique de la paix. C’est pendant cette mission diplomatique qu’il brigua l’hon- neur de représenter votre département. Sa femme appartenait à une famille recommandable de Besançon ; d'autre part il était membre de la Société d'agriculture du Doubs, chargé de repré- senter cette compagnie auprès du comité central de Paris. Il était donc connu d’un certain nombre des électeurs auxquels :l s’adressait. La franchise de sa profession de foi assura son suc- cès. Il fut nommé par vingt-trois mille voix. Il était encore en Italie lors de l'attentat du 45 mai. À Turin, on resta pendant vingt-quatre heures sous le coup de la nouvelle que l’Assemblée nationale était envahie et qu'un nouveau gou- vernement se formait. M. de Brignole, ambassadeur de Sar- daigne à Paris, n’avait pas eu le temps d’en écrire davantage, pressé par le départ du courrier. Sur-le-champ Bixio expédia une dépêche dont je ne puis me défendre de citer quelque chose. C’est au ministre Bastide qu’il s’adressait : « J'aime à croire que M. de Brignole ne connaissait pas l’issue » définitive de ces folles et criminelles violences, et qu'à l'heure » où vous recevrez cette dépêche, le gouvernementet la popula- — 315 — » tion de Paris auront fait une justice éclatante. Cependant et à » tout hasard, comme il se peut faire, Monsieur le Ministre, que » ce ne soit pas entre vos mains que cette lettre arrive, mais aux » mains de quelque insensé que ces actes de surprise et » de violence auraient porté au pouvoir, je veux qu'il sache : » 1° que comme représentant du peuple à l'Assemblée consti- » tuante, je proteste avec énergie contre sa prétendue autorité ; » 29 que comme envoyé de la République à Turin, je considé- » rerais comme le déshonneur de ma vie de rester un seul » instant au service de l'absurde et honteux gouvernement que » quelques factieux veulent imposer à la France. » Voilà ce que Bixio pensait du gouvernement de la rue, et du même ton qu'il s’exprimait à trois cents lieues de distance, il aurait parlé en face des envahisseurs, s’il avait siégé à sa place: de représentant le 15 mai. Cette journée lui a manqué. La pre- mière occasion qu'il eut de se faire connaître fut l'insurrection de juin. Le matin du 24, au milieu d'un trouble inexprimable qui em- pêchait l’Assemblée nationale d'entrer en séance, il ouvrit l'avis que plusieurs représentants devraient se rendre dans les quartiers les plus agités. Leur présence, disait-il, et les bons conseils qu'ils feraient entendre ramèneraient peut-être une multitude égarée ; sinon, 1ls donneraient courage aux.défenseurs des lois. Il s’offrit lui-même pour une de ces missions périlleuses , et aussitôt on le vit sortir en compagnie du docteur Recurt, pour le moment ministre de l’intérieur. Après une longue tournée employée utilement, ils furent ap- pelés par le bruit du combat qui s’engageait dans les rues formant alors la limite du onzième et du douzième arrondis- sement de Paris. Les colonnes d'attaque, distribuées par le général Bedeau, achevaient de se mettre en marche. Bixio prit la tôte d’un détachement de garde nationale mobile. Il s'avançait à découvert, sans armes, sans autre sauvegarde que la rosette de représentant qu'il avait à sa boutonnière. Plusieurs barricades furent emportées; mais il y en eut une, à la rencontre de quatre — 316 — rues, qui fut défendue par un feu épouvantable. La troupe recula dans un tel désordre qu'il fut impossible de la rallier. Tranquillement Bixio alla chercher d’autres soldats plus aguerris, et, revenu à la même barricade, comme il désignait l'endroit par où 1l voyait jour à frayer le passage, il fut atteint dans le haut de la poitrine par une balle qui lui traversa le corps. Telle était sa présence d'esprit dans le danger qu’il s’aperçut qu'il avait fait machinalement un demi-tour, et, raisonnant d’après le cas ordinaire qui estque l’homme frappé à mort se comporte au- trement, 1l dit : « Ce n’est rien. » Alors on le vit, les deux mains appuyées sur sa plaie, entrer dans une maison. Il allait deman- der secours à des gens quieurent la barbarie de l’éconduire. Il put aller frapper à une porte plus hospitalière. Là il tomba épuisé. . Ses poumons s’obstruèrent ; il ne respirait plus que par sa bles- sure qui produisait un horrible sifflement. On ne trouvait pas de médecin. Enfin Recurt arriva et lui fit une saignée abondante. C’est à ce moment que la nouvelle de sa blessure fut portée à l'Assemblée. Garnier-Pagès l’annonça en des termes qui ne laissaient presque plus d'espoir, car 1l s’écria en terminant, avec l'accent d’une émotion dont toute l’assistance fut gagnée : « Je » ne sais pas si Dieu ne nous l’enlèvera pas cette nuit ; mais il » sera mort glorieusement, 1l sera mort sur le champ de bataille, » pour la défense de la République, de l’ordre et de la liberté. » Dès que l’Assemblée eut acquis la certitude qu’elle ne perdrait pas ce magnanime collègue, elle le nomma par acclamation son premier vice-président, et par cinq élections successives elle le maintint à ce poste de confiance. Après l'élection du 140 décembre 1848, le président de la Ré- publique, formant son premier cabinet, offrit à Bix10 le portefeuille de l’agriculture et du commerce. Il accepta d’après le conseil de Cavaignac et d’autres amis. Sa durée comme ministre ne fut pas longue : il se retira le dixième jour, en même temps que M. de Malleville. Le renouvellement de la législature en 1849 le mit une se- conde fois en présence des électeurs du Doubs. Il fut le seul des — 311 — candidats républicains dont le nom sortit de l’urne. Nommé en même temps à Paris, c’est pour votre département qu'il opta. Il se considérait comme naturalisé franc-comtois. Le pays lui plaisait, indépendamment de la reconnaissance qu'il gardait aux habitants. Il revint enthousiasmé d’un voyage qu'il fit dans les quatre arrondissements pour étudier la question de l'emploi du sel en agriculture. L’affection déjà ancienne qu'il avait pour Besançon et pour Montbéliard lui faisait regarder ces villes comme des lieux d'origine. Il était plein d'ambition pour elles. Comme elles avaient grandi et prospéré autrefois sous des gou- _vernements libres, il les jugeait plus aptes que d’autres à profiter des nouvelles institutions, et il se promettait de les seconder toutes les fois qu’elles feraient bon usage de leur initiative. C'est ce qu’il fit, mais dans des conditions bien différentes de ce qu'il avait espéré pour l'avenir, lorsque Besançon essaya de réclamer contre le-lot qui était échu au département dans la répartition des chemins de fer francs-comtois. Vous n'avez pas oublié, Messieurs, l'effet produit dans cette ville, lorsqu'il fut question de convertir en loi le projet dont on a vu depuis l'exécution s’accomplir. La science s'était trompée au point de méconnaître les propriétés de la ligne droite et de ré- pudier le plus court chemin, quiétait en même temps le plus fa- cile, entre Neuchâtel et Paris : on allait chercher Pontarlier par un immense circuit à travers le désert ; l'antique capitale de la province devenait la succursale d’une autre capitale à venir, choi- sie uniquement pour le triomphe d'une hypothèse. Des plaintes s'élevèrent de toutes parts. L'administration municipale de Be- sançon crut de son devoir de les prendre en considération. Une commission fut chargée par elle d’aller faire entendre en haut lieu cent raisons dictées à la fois par le bon sens et par l'intérêt général du pays. Plusieurs d’entre vous, Messieurs, faisaient partie de cette commission. Ils voient encore Bixio, à leur ar- rivée à Paris, quittant tout pour leur recruter des patrons. Lui-même il se fit leur introducteur auprès des conseillers d'Etat qui préparaient la loi. Son pouvoir n'allait pas plus loin, et, s’il — 318 — faut le dire, 1l ne le regretta pas pour le succès de sa démarche, car 1l avait jugé sagement que les choses étaient trop avancées pour qu'aucun effort en arrêtât le cours. Mais c’est à tort que j'intervertis l’ordre des faits. Lors du coup d'état de 1851, Bixio fut l’un des représentants qui allèrent tenir séance à la mairie du dixième arrondissement. C’est lui qui se chargea de porter à l'imprimerie nationale les résolutions votées dans cette assemblée. À son retour la mairie était occupée militairement. Il apprit que ses collègues avaient été emmenés à Mazas. Il courut aussitôt à cette prison et obligea le directeur de l’écrouer, ne voulant pas échapper par un hasard à la responsa- bilité qu'il avait encourue. Ce fut là le terme de sa participation aux affaires publiques de la France. C'est à celles de l'Italie qu'il consacra dès lors l'ardeur de son libéralisme. Lié d’ancienne date avec le comte de Cavour (ils avaient fait connaissance sur le terrain pacifique de l’économie rurale), lié aussi avec le prince Napoléon, il servit d'intermédiaire pour les négociations qui amenèrent l'union étroite de la France et de l'Italie, et par suite la prise d'armes de 4859. Ces choses, ignorées dans notre pays, sont de noto- riété publique au delà des monts, et le nom d'Alexandre Bixio est inséparable de celui de son frère, l’héroïque général Nino Bixio, lorsque les Italiens énumèrent les fondateurs de leur unité. Tels sont, Messieurs , les actes les plus saillants de la vie politique de notre regretté confrère. Ils révèlent à ceux d’entre vous qui ne l’ont pas connu tous les grands traits de son carac- tère : La franchise, la spontanéité, l’intrépidité, le dévouement à ses semblables sans aucune préoccupation de soi-même. La franchise respirait dans ses paroles autant qu’elle était peinte sur son visage. Il n'usait pas de circonlocutions pour exprimer sa pensée. La vérité eût-elle dû déplaire, il osait la mettre dans tout son jour, et jamais il ne l’épargna à personne, pas même à ses amis, pas plus en politique qu’en toute autre matière. C’est ce qui lui faisait dire, à cause du danger que cela pouvait avoir — 319 — en de certains moments, qu'il était homme à être guillotiné sous tous les régimes. Ayant à la fois l'indépendance d'esprit la plus entière et beau- coup d'initiative, il tirait ses idées de son propre fonds. La mé- ditation n’était pas son fait. Il jugeait avec les lumières du bon sens, qui est l'apanage ordinaire des hommes pratiques. Pour agir il n'avait besoin ni de conseil ni de réflexion. Aussitôt qu’il avait compris, il partait. Il réunissait en lui tous les genres de courage, à commencer par le plus rare de tous en notre pays, celui qui consiste à braver le ridicule ou à fouler aux pieds le respect humain. Comme il avait exposé sa vie pour le maintien des lois en 1830 et en 1848, il l'exposa pour le progrès dela science en 1850. Il exécuta deux ascensions en ballon avec M. Barral. Leur but était de recueillir de l'air à diverses altitudes et d'observer des faits relatifs à la polarisation de la lumière. L'expérience man- qua la première fois par un vice de construction du ballon, qui creva avant d'être monté assez haut. Le second voyage ne réussit qu'à moitié, à cause d’une brume épaisse au-dessus de laquelle les hardis aéronautes ne parvinrent pas à s'élever. Mais s'ils ne rapportèrent pas tout ce qu’ils étaient allés chercher, ils furent témoins d’un fait inattendu. Al]a hauteur de 7,000 mètres, où Gay-Lussac avait constaté par un temps clair une tempéra- ture de neuf degrés au-dessous de zéro, le mercure gela dans leurs appareils, ce qui veut dire qu'ils éprouvèrent un froid de plus de trente-neuf degrés. Dans l’exposé qui fut fait par Arago à l'Académie des sciences, on lit une autre particularité digne de remarque. Bixio, dans la première ascension, avait éprouvé une douleur violente aux oreilles. Expérimentateur de sang-froid autant que physiologiste ingénieux, il imagina, la seconde fois, de faire de temps en temps le mouvement de la déglutition, afin de main- tenir à la même pression l'air contenu dans ses oreilles et l'air du dehors. Par ce moyen l'incommodité dont il avait souffert ne se renouvela pas. N'est-ce pas là une de ces petites choses dans . EN Tous lesquelles un homme se montre tout entier, et ce qu’on appelle une situation critique pouvait-il exister pour celui qui se possé- dait de la sorte ? La manière dont cet homme énergique faisait le bien n’est pas moins surprenante. Venir en aide à ses semblables était son occupation ordinaire et, pour ainsi dire, une fonction de sa na- ture. Il s'en acquittait comme de se mouvoir ou de respirer, et sans en faire plus d'état. Qui essaierait de dire combien de personnes 1l a lancées dans la carrière ou secourues dans des moments difficiles ? Lui-même assurément en ignorait le nom- bre. Il ne gardait pas registre de ses bienfaits. Lorsque ses obligés lui avaient fait honneur, il les tenait pour quittes envers lui. Les autres, en qui sa confiance n’avait pas été bien placée, 1l Les oubliait. Pour avoir une place dans son estime, il fallait avoir fait œuvre virile. Il appréciait les hommes en raison des efforts dont ils étaient capables. Les distinctions que la force de l'habitude maintient encore parmi nous n'étaient rien à ses yeux. Le seul titre valable pour lui était de pouvoir se dire un parvenu du tra- vail. Lui-même se donnait pour tel, et en effet 1l avait été l'unique artisan de sa fortune. Ses commencements furent difficiles, d'autant plus difficiles qu'il répudia comme à plaisir les premiers fruits de ses heu- reuses dispositions. Elève en médecine remarqué, 1l montra dans le service des hôpitaux une dextérité rare. Ses condisciples et ses maîtres le considéraient déjà comme un praticien qui ferait parler de lui. Cependant il ne fut pas plus tôt reçu docteur qu'il abandonna la médecine pour une autre profession où il avait tout à apprendre. Il voulut être le propagateur de l'instruc- tion agronomique en France. C'était le temps où Mathieu de Dombasle donnait ses dernières leçons dans la ferme-modèle de Roville. Les travaux de cet homme utile n'avaient eu jusqu'alors qu’une publicité restreinte. Il en était de même pour ceux des autres économistes qui écri- vaient sur les matières d'agriculture. Deux ou trois almanachs, — 381 — une vingtaine de petits manuels ou de mémoires savants repré- sentaient le mouvement annuel de la librairie française en cette partie. Bixio entreprit presque à la fois la Maison rustique du xixe siècle et le Journal d'agriculture pratique, deux excel- lents recueils qui furent le premier fonds d’une librairie exclu- sivement agricole. Dix ans après toute une littérature était sortie du même établissement ; une infinité d'ouvrages accommodés à la portée si diverse des esprits avaient répandu la connaissance des grands principes et des saines méthodes. Les sociétés d’agri- culture battirent des mains à une création qui secondait si heu- reusement leurs efforts. Celle du département du Doubs crut devoir déroger à ses statuts réglementaires en élisant Bixio par acclamations au nombre de ses membres. L'élection est consi- gnée au procès-verbal du 5 février 4844, comme la récompense bien méritée « d’un homme d'élite qui avait rendu à l’agricul- ture les plus éminents services. » Cette librairie qui avait procuré à son fondateur une honorable indépendance en même temps que la satisfaction d’être utile au publie, Bixio ne fut point ingrat envers elle. Il ne s’en des- saisit pas ni ne l’éloigna de ses yeux lorsqu'il fut intéressé dans les plus grandes affaires, et qu’on le vit à la fois administrateur des chemins de fer italiens, russes et espagnols, administrateur de la compagnie du gaz parisien, et de celle des paquebots trans- atlantiques, et du crédit foncier italien, et du crédit mobilier français. Le modeste magasin resta sous sa surveillance, contigu au salon dans lequel il recevait, sur le pied d’une égalité parfaite, les puissances du siècle et les plus humbles de ses amis ou de ses protégés. Mais l'œuvre de prédilection de Bixio, celle qu'il préférait à toutes les autres parce qu'elle lui avait coûté toujours sans ja- mais lui rien rapporter, c'était Sainte-Barbe : Sainte-Barbe, établissement unique en son genre, collége possédé par une . Compagnie d'actionnaires qui s'appuie sur une vaste association de bienfaisance. L'amitié de collége avait préparé les éléments de cette combimaison qui se forma, sous l'empire des circons- — 382 — tances, par les efforts réunis de plusieurs hommes généreux. Bixio fut un de ceux dont la coopération eut le plus d'efficacité. Pendant trente-trois ans, il appliqua sans relâche à cette entre- prise son infatigable activité. Il a donné une extension incroyable à la grande association qui est le fondement de l'édifice, et il lui a donné encore une constitution financière où est la garantie de sa puissance et de sa durée. À ses derniers moments on l’en- tendit se louer d'avoir fait cela, et c’est la seule chose pour laquelle il ait demandé qu’on lui gardât de la reconnaissance. Ce mouvement de fierté partait d’un sentiment réfléchi. Sainte-Barbe n’est pas seulement une création heureuse sortie de la plus honorable pensée; par le fait elle est devenue un essai, et un essai réussi, de l'exercice de la liberté en matière d'enseignement. Or, lorsque cette liberté est encore si peu com- prise que pour beaucoup de personnes elle consiste à faire passer dans les mains d’une puissance exempte de contrôle le monopole arraché des mains de l'Etat, il est d’un salutaire exemple qu’on voie quelque part une maison d'éducation gou- vernée avec le concours actif d’une association de citoyens. Voilà ce que comprit Bixio, et c'est pourquoi la meilleure de toutes ses bonnes actions lui parut être sa participation aux affaires de Sainte-Barbe. Cette maison d’ailleurs lui servit à exercer sa bienfaisance sous la forme qu’il affectionnait le plus. Elle reçut les enfants qu'il se chargeait de faire instruire. Il en avait toujours plusieurs à la fois dans ce cas, soit des orphelins que des amis lui avaient légués par leur mort, soit des sujets méritants qui lui étaient recommandés. Non content de ceux que lui présentait le hasard, il en faisait chercher par des personnes dignes de sa confiance. En s’employant ainsi à susciter des talents capables d’honorer plus tard la patrie, il disait qu'il préparait le bataillon de l'avenir. Ce sont là des choses que vous n’ignorez pas, Messieurs. Vos deux derniers présidents ont été les recruteurs de Bixio à Be- sançon, et vous vous souvenez que c’est à titre de bienfaiteur de la jeunesse du pays que vous inscrivites ce généreux citoyen — 383 — parmi vos membres honoraires. Vous aviez voulu lui payer la dette du département. Il n’accepta pas le rôle de créancier. Il fit présent à la Société de toute une bibliothèque de livres d'histoire naturelle et d'agriculture, en retour de la distinction qu'il avait reçue d'elle. En vous l’associant, vous n’aviez pas espéré de l'avoir pour compagnon de vos travaux. Cependant, dans une occasion so- lennelle, lorsqu’eut réussi l'entreprise qui vous appartient d'une exposition universelle à Besançon, votre commission exécutive pria Bixio de souffrir que son nom fût porté sur la liste du jury de cette exposition. Non-seulement 1l y consentit, mais entre des voyages contimuels à Turin, à Madrid, à Moscou, il trouva un moment pour faire une halte à Besançon. Il vint ajouter son suffrage à celui de tous les connaisseurs qui proclamaient l’expo- sion de l'horlogerie la plus complète et la plus intéressante qu'on eût jamais vue. Il favorisa par le don de pièces curieuses la création d’un musée en cette partie, musée dont Besançon ne pouvait plus se passer, du moment que Besançon était reconnu pour la cité horlogère par excellence. Il prouva une fois de plus que d'innombrables et immenses occupations ne l’'empêcheraient jamais d’être présent là où 1l serait appelé pour exercer une influence bienfaisante ou pour donner un encouragement. Il n’est vigueur qui résiste à un travail surhumain. Même une si robuste nature, à force de se prodiguer, s’épuisa. Des symp- tômes qui auraient dà attirer l'attention d'un médecin, Bixio les négligea, habitué qu'il était à ne compter pour rien son corps, _à ne pas s’apercevoir seulement qu'il eût un corps. Lorsque la maladie se déclara, elle était déjà sans remède. Il le reconnut dans un moment de lucidité qui précéda de peu sa mort. Il fut admirable de fermeté, de présence d’esprit, de sérénité. A ses enfants, à plusieurs de ses amis qu’il avait mandés auprès de lui, il donna ses dernières instructions, il fit ses adieux sans laisser voir ni regret de la vie, ni vaine affectation de stoicisme. Ses paroles, élevées et simples, furent d’un sage; son attitude fut celle de l’homme de bien à qui sa conscience rend la mort facile. — 384 — Il répéta à plusieurs reprises qu’il n’y a de service bien rendu, de bonne action digne de ce nom, que ceux auxquels on s’est porté sans songer à soi. Ce mot était l'explication de sa vie, car en faisant pour les autres l'infini et l'impossible, il n’avait jamais rien espéré pour lui-même. Ses funérailles, où il avait recom- mandé qu'il n’y eût aucune cérémonie religieuse, furent célé- brées par la religion de la reconnaissance. Dix mille personnes l'accompagnèrent à sa dernière demeure. Que la Société d'Emulation du Doubs s’honore d’avoir possédé un tel homme dans son sein; qu’elle conserve de lui un souvenir durable! Je le dis en faisant de sa mémoire la part qui doit revenir à chacun. Aux amis de Bixio de redire entre eux ses qualités aimables et les beaux traits de sa vie privée; à la patrie de regretter son grand cœur éteint, hélas! trop tôt pour elle : vous, Messieurs, vous vous rappellerez sa vive intelligence sym- pathique à tous les travaux de l'esprit, et son empressement géné- reux à les seconder. Voilà les titres que vous devez inscrire dans votre livre d’or, pour consacrer le bon exemple par l'autorité d'un nom illustre; car la solidité de votre association est dans l'union constante du désintéressement qui encourage avec le talent qui produit. DE LA GALVANISATION DES FILS DE FER Par M. le docteur Emile DELACROIX. Séance publique du 29 décembre 1866. Notre Société n’a pas pris en vain le nom de Société d'Emu- lation. Avant tout fondée dans un but d'utilité générale, elle vient en aide aux travaux d'exploration scientifique ou historique intéressant de près ou de loin notre pays, comme aux efforts tentés pour l'amélioration de son industrie. Elle a montré sa féconde initiative en proposant, et donné la mesure de ses forces en dirigeant la remarquable exposition bisontine de 1860. Et c'est ainsi qu’elle accomplit dignement la mission qu’elle se traçait, rien de ce qui constitue un progrès dans les choses de sa compétence ne lui restant étranger. Elle ne borne pas son action au simple encouragement : beau- coup de ses membres, artisans eux-mêmes de quelque œuvre en voie d'élaboration, trouvent ici un premier examen bien- veillant qui est la vraie pierre de touche de la pensée naissante, et au besoin une assistance qui la met au grand jour de la publicité. Parmi tant de sujets d’études dont les membres de la Société d'Emulation du Doubs peuvent à bon droit revendiquer l'initia- tive, 1l en est un qui n’est pas encore signalé dans nos Mémoires, et qui cependant, par l'importance qu’il a acquise dans l’appli- cation, mérite d'y figurer. Je veux parler de la galvanisation à chaud des fils de fer, industrie très considérable aujourd'hui, ‘d'origine toute franc-comtoise. Accordons-lui à ce titre au moins quelques mots d'historique. En 1844, le D' Delacroix, professeur à l’école de médecime de Besançon, avait été frappé, dans une conversation avec un 25 — 386 — maître de forges de ses amis, de l’insuccès des tentatives praüi- quées un peu partout pour arriver à l’étamage des fils de fer. On décapait, on frictionnait, on enduisait alors à qui mieux mieux quelques brins de fil, dont les moins incorrects étaient appelés à l'honneur d'arrêter des bouchons de vin de Cham- pagne. Les plus hardis galvanisateurs faisaient autrement. Ils plongeaient une botte entière de fil dans une grande cuve pleme de métal en fusion, et la retiraient en secouant vivement la botte pour faire tomber la matière en excès. Sous la main des plus habiles, les tours s’enchevêtraient, s’entresoudaient,; ce qu'on en pouvait dégager restait couvert de gouttes durcies, qu'il fallait arracher en poussière en détruisant toute adhérence, si l’on voulait montrer un fil qui, a défaut de qualité, eût au moins quelque aspect. C'était dispendieux, peu encourageant; mais chaque intéressé cherchait, car le consommateur attendait, et bientôt la télégraphie électrique, notamment, devait faire un immense emploi des fils galvanisés. On dit souvent que la théorie seule n’aboutit pas à grand chose; comme s’il était possible de travailler sans voir clair, surtout quand il s’agit de l'application de ces lois de la nature où rien ne se fait au hasard ! Dans le cas particulier, de quoi s’agissait-il? De savoir si les affinités métalliques sont vraies, si elles sont puissantes, si elles sont instantanées; et cela bien admis, d’oser faire courir un fil pur à travers un bain de métal en fusion, et de l'essuyer dans un trou de filière à sa sortie. Voilà ce qui, théoriquement, pouvait se présenter à l'esprit. Etait-ce un rêve ? On m'a dit que c'était une absurdité. Mais, le lendemain, l'expérience démon- trait aux plus endurcis que rien n’était plus simple, ni plus facile, ni plus vrai. Dès lors, ce n’était plus grand chose. C'est l'histoire de toutes les inventions. Néanmoins, pensant bien faire et désirant assurer à nos excel- lents fils doux de Franche-Comté les avantages de l'antériorité, je déposai une demande de brevet d'invention à la préfecture du Doubs, en date du 2 novembre 1844. La précaution n’était pas — 387 — inutile; mais, il faut le dire, elle ne pouvait que réserver à l'inventeur le pauvre mérite de l'invention, puisque bientôt i] eut la trop généreuse maladresse de tout livrer au domaine public. Mes successeurs ont donc pu, et tout à l’aise, exploiter l'in- vention sans qu'il leur en coûtât rien. Mais n'est-il pas étrange que dans de pareilles conditions, dix ans après, quand de Paris et d’ailleurs on n’avait cessé de me demander quelques conseils pour la nouvelle industrie, un manufacturier ait pu être assez mal informé pour tenter de monopoliser l'affaire, en la présentant comme importée récemment de Belgique à son profit! On pu- bhait à l'appui des comptes-rendus, des réclames et jusqu’à de grands dessins d'illustration. Aurait-on pensé que l'inventeur était mort, ou que la description originale de son procédé avait disparu des archives du ministère des travaux publics, ou que l'appareil était purement imaginaire ? Il y a malheureusement ou heureusement au monde des choses laissant trace. L'appareil a porté dès sa naissance le nom très caractéristique de filière étameuse; et, encore une fois, la date de son baptême industriel est le 2 novembre 1844. Cela nous fait vieux. Un jour, la Société des forges de Franche-Comté s’aperçut, mais un peu tard, qu’on lui imposait tribut pour l'application d'un procédé qui appartient au domaine public. Alors, tout na- turellement, elle eut recours aux anciens titres de l'inventeur. Je fis de mon mieux, c'était mon devoir de bon Franc-Comtois, pour la dégager de l'étremte. On avait élevé de singulières prétentions sur la propriété du fond même de l’industrie, sous prétexte d'engins accessoires et de distances pour l'application des filières. Quelques -uns étaient allés jusqu'à revendiquer comme un titre une prétendue priorité de dévidage et d'embo- binage : choses qui ne se mentionnent plus, parce qu’elles datent de l'enfance de l'industrie humaine. Au milieu de ces contesta- tions qui ont retenti devant les tribunaux, il a fallu rappeler aux compétiteurs que l'affaire essentielle était tombée dans le domaine public; que l’étamage à fil courant et le passage à — 388 — travers une filière étaient très nettement établis par l’antériorité du procédé Delacroix (*). Abstenons-nous de rapporter ici les paroles assez sévères que l'organe du ministère public adressait dans la circonstance aux détracteurs intéressés de l'invention. Aujourd’hui chacun sait que l'emploi des fils de fer nus, con- séquemment trop oxydables, tombe rapidement en désuétude. En tous pays, pour fabriquer divers ustensiles de ménage, façonner les treillis, tendre des cordons ou poser des fils de transmission électrique, on veut des fils enduits du métal pro- tecteur, en un mot, galvanisés. Mais il ne suffit pas de faire des fils galvanisés, il faut les bien faire. On n’y regarde pas de très près quand il ne s’agit que d'emploi vulgaire. Mais ladminis- - tration télégraphique est beaucoup plus exigeante : elle veut des fils qui, dans leur section, présentent une parfaite égalité, dont la surface, examinée à la loupe, n'offre pas le moindre point nu; enfin, elle veut que l’enduit résiste un certain temps à l'immer- sion dans des acides concentrés. Or, il me semble, après nouvelle étude, que ces conditions rarement sont bien remplies. Qu'on me pardonne d'ajouter qüe l'industrie de la galvanisation des fils, malgré l’habileté de ceux qui l’exercent, a encore beaucoup de progrès à faire. À quoi cela tient-il? J’attribue l’imperfection surtout au système de traction latérale appliqué au fil après son passage dans le bain. Quoi qu’on fasse dans ce système, il y aura toujours une trop grande difficulté à saisir le point juste où les filières doivent être appliquées. Trop loin, ces filières ou autres engins désa- grégent l'enveloppe à demi durcie. Trop près, ils n’empêchent pas le coulage de la matière encore fluide qui tend à descendre sous le fil. En outre, des oscillations et trépidations inévitables accumulent par points la matière; et aussi le besoin de hâter le refroidissement a fait appliquer divers moyens qui, par une sorte de trempe, enlèvent au fil une partie de sa souplesse. PURE D TUE S EU ANR CNE ITR ENTRE ENT SIT RCE (1) Cour impériale de Paris; conclusions de M. l'avocal général SENART, à l'audience du 31 décembre 1862. = 389 — Pour éviter ces inconvénients, j'ai proposé un appareil nou- veau qui me paraît être le complément nécessaire des moyens fondamentaux que j'avais indiqués en 1844. Ce système, dont l’auteur se réserve les droits de priorité, est le sujet d’un dessin qui doit paraître à la prochaine exposition universelle. LA REINE BRUNEHILDE ET LA CRISE SOCIALE DU VI° SIÈCLE SOUS LES MÉROVINGIENS Par M. Ludovic DRAPEYRON Professeur d'histoire au lycée de Besançon. Séance publique du 298 décembre 1868. Entre l'établissement des Frances sur le sol de la Gaule et la décadence des Mérovingiens se place l’une des crises politiques les plus terribles et les plus décisives que mentionne l’histoire. La civilisation et la barbarie se livrent un duel prolongé. La société est remuée dans ses profondeurs. Et ce n’est pas là une révolution locale, telle qu’en présente le moyen âge depuis le triomphe de la féodalité jusqu'aux croisades, alors que des milliers d'Etats, opposés comme des digues, empêchaient tout mouvement de se propager et de retentir au loin. Il s’agit d'un bouleversement aussi vaste qu'intime, que ne limite ni le Rhin, ni les Pyrénées, ni les Alpes. Le monde germanique tout entier y est intéressé ; le monde romain, qui est le théâtre de la lutte, reçoit des chocs multipliés; le monde grec ressent le contre-coup. Un flux et un reflux continuels ont lieu du nord au midi de la Gaule : ce sont les armées qui avancent ou qui reculent, les populations qui se déplacent à l'approche de la tourmente ou sous une irrésistible pression (!). (:) Nous désignons ici la deuxième invasion germanique en Gaule sous Siegebert, les razzias de Mummolus, la campagne de Gondowald en Aqui- taine. Voy. GRÉGOIRE DE Tours, passim. Lisez surtout le chapitre 45 du livre VI, où il est question du mariage de Rigonthe, fille de Frédégonde et de Chilpéric : « Familias multas de domibus fiscalibus auferri præcepit, — 9391 — L'ensemble du tableau que nous esquissons n’a pas encore été complètement saisi. Ce n’est point, suivant nous, que les ténèbres y soient accumulées et impénétrables. Nous croyons plutôt que, faute de grouper autour d’un personnage principal les événe- ments, on abandonne à eux-mêmes tous ces barbares si indisci- plinés et si capricieux, on les suit dans leurs aventures, on tâtonne, on s’égare avec eux. Il faut avouer qu'on fait ainsi, à peu de frais, une peinture assez vraie de la barbarie, et qu'on inspire pour elle une aversion salutaire. Mais ces ombres que l'on épaissit, l’histoire a précisément la mission de les dissiper : elle recueille les idées partout où elle Les rencontre, et si elle ne trouve que des passions quand elle voudrait une raison droite et ferme, elle en montre du moins la logique et les conséquences fatales. Or, ce personnage directeur existe-t-1l à l’époque dont nous nous occupons ? Au premier abord, il ne semblerait guère. Grégoire de ‘Tours, ce peintre si animé du siècle où il a vécu, ne nous présente que des acteurs isolés qui jouent, séparément, d’une manière fort remarquable et fort piquante, mais sans aucun souci de se mettre d'accord; si bien qu'il y a des rôles variés presque à l'infini et qu'il n'y a pas d'action. Toutefois, nous possédons les éléments du drame. Il suffit d'enchaîner fortement les faits que le précieux témoin des temps mérovin- giens devait, par suite de l'improvisation de ses récits, de sa mort prématurée, du trouble universel, exposer au hasard. Si l’évêque de Tours eût vu le spectacle auquel le moine bourguignon assista plus tard, sans doute son esprit se serait illuminé, et il aurait composé lui-même la tragédie dont il con- naissait si bien la matière [!). etin plaustris componi... Ferunt multos sibi ob hanc amaritudinem vitam laqueo extorsisse… Separabatur autem filius a patre, mater a filia, et cum gravi gemitu ac maledictionibus discedebant, tantusque planctus in urbe Parisiaca erat, ut planctui compararetur Ægyptio. » () Grégoire de Tours est mort en 596, trois ans après le roi Gontran, et sa chronique ne va guère au delà du traité d'Andelot (587). On ne — 392 — La reine Brunehilde était destinée par sa naissance, son ma- riage, la durée et les vicissitudes de sa vie, son génie puissant et immodéré, à provoquer, à précipiter, à embrasser dans son ensemble le grand drame mérovingien. Elle a eu la singulière fortune d’appartenir successivement à toutes les nations germa- niques qui ont débordé sur l'empire; elle a eu des rapports amicaux ou hostiles avec les autres tribus restées au delà du Rhin ou appelées par elle au cœur de notre pays. Elevée en Espagne, les circonstances l'ont conduite tour à tour en Neustrie, en Austrasie, en Bourgogne, en Germanie. Elle a traversé des milieux bien différents, romains ou barbares. Elle à réussi et échoué plusieurs fois, toujours avec la même hauteur, sans faiblesse, mais non sans enivrement, et son dernier triomphe, éclatant et prodigieux, n’a fait que préparer sa chute irrémé- diable et jleine d'horreur. Laïssons l’idylle de Fortunat {!). La cour de Tolède, où grandit Brunehilde, n’était pas une école d'élégance et d’urbanité. Les saurait dire, d’une manière absolue, que l'intérêt général de la lutte lui échappe. Voir sa fameuse apostrophe aux rois des Francs : « Tædet me bellorum civilium diversitates, quæ Francorum gentem et regnum valde proterunt, memorare... Quotiens et ipsa urbs urbium, et totius mundi caput, iniens bella civilia, ruit! quo cessante, rursum quasi ex humo surrexit. Utinam et vos, o reges, in his præliis, in quibus parentes vestri desudave- runt, exercemini, ut gentes, vestra pace conterritæ, vestris viribus preme- rentur. Recordamini quid caput victoriarum vestrarum, Chlodovechus, fecerit, qui adversos reges interfecit, noxias gentes clisit, patrias gentes subjugavit ; quarum regnum vobis integrum inlæsumque reliquit (GREeGoR. Turox., 1. V, in Prologo).» Bien plus, Chilpéric lui-même, l'un des plus aveugles soldats de la guerre civile, entrevoit, dans une ou deux circons- tances, le résultat possible de cette conflagration, et reste en suspens : « Jile vero timens, ne conliso utroque exercilu, etiam regnum eorum conrueret, pacem peliit, civitatesque ejus, quas Theodobertus male pervaserat, reddidit, deprecans ut nullo casu culparentur earum habitatores, quos ille injuste igni ferroque opprimens adquisierat. » () I faut lire pourtant le poème de Fortunat sur la mort de Galeswinthe: le poète nous attendrit au récit de Ja séparation de cette infortunée prin- cesse et de sa mère. Mais, chose étrange! pour lui l'invasion des barbares est non avenue. Ceux qu'il met en scène ont toute la délicatesse et l'affé- terie des Romains de la décadence. A force de raffiner, il devient incapable — 393 — Visigoths, malgré leur long commerce avec les Romains, étaient moins étrangers qu’on ne le pense aux mœurs de la Germanie [!). L'unité morale que signale Tacite ne saurait être niée, même deux siècles après la conquête (*). La civilisation et le christia- nisme agissaient lentement sur les envahisseurs. Et ce n’est pas un paradoxe d'affirmer que si, plus tard, 1ls devaient être meil- leurs, pour le moment ils étaient pires. Les Romains et les Ger- mains, mis en présence, avaient d'abord fait un échange de vices : ceux-ci étaient devenus avides et perfides, ceux-là féroces et cruels. Les esprits et les cœurs d'élite, car il y en avait dans ce siècle de fer, se réfugiatent au fond des monastères, laissant plus de liberté aux homines sans conscience. La vue d’un évêque comme Sauve d’Alby, d'une sainte telle que Radegonde, de reclus et de stylites aussi durs envers eux-mêmes qu’on l'était alors envers les autres, étonnait plutôt qu’elle n’instruisait (°). Le nord de l'Espagne offrait sans doute le même aspect que le midi de la Gaule (*). La loi des Visigoths, dont on a constaté la de marquer, je ne dirai pas les nuances, mais {es oppositions les plus frappantes. La Thuringe lui rappelle Rome ! « Aula Palatino quæ floruit antea cultu, Hanc modo pro cameris mœsta favilla tegit. » C'est ainsi qu'il parle de la hutte sauvage où a été élevée Radegonde ! Quand on a lu Fortunat, on admire sans réserve Grégoire de Tours au point de vue de l'observation des hommes et des événements. () Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir l'histoire de l'Espagne depuis Ataulphe jusqu'à l’arrivée des Arabes. (2) « [psos Germanos indigenas crediderim, minimeque aliarum gentium adventibus et hospitiis mixtos. » (TACITE, De Moribus Germanorum, c. 2.) © —« Ipse eorum opinionibus accedo, qui Germaniæ populos nullis aliis aliarum nationum connubiis infectos, propriam et sinceram et tantüm sui similem gentem exstitisse arbitrantur.» ([p., c. 4.) () Pour Sauve, voir GRÉGOIRE DE Tours, livre VII, ch. 1. C'est cet évêque, si célèbre pour sa vision touchant le roi Chilpérie, qui rachetait les prisonniers de Mummolus : « Cujus tempore cum Mummolus patricius multos captivos ab ea urbe (Albigense) duxisset, prosecutus ille omnes redemit. » — Pour Radegonde, voir Augustin THIERRY, Cinquième récit mérovingien. (*) Les mœurs rudes de la Catalogne (Gothalaunia, pays des Goths) nous — 394 — supériorité sur celle des Francs, était l'œuvre du clergé et de la nécessité (!). « La frayeur naturelle aux Goths » (?) agissait puissamment. D'ailleurs, ce droit si vanté, l’observait-on ? Qui oserait le prétendre, quand, depuis le frère d’Alaric jusqu’au père de Brunehilde, on compte huit rois égorgés? Le régicide sévissait en Espagne. Ainsi avait été exterminée l’illustre dynastie des Baltes, et aucune autre maison souveraine n’échappa au fer des assassins (?). Admettons que Brunehilde, née dans une contrée où un calme relatif régnait enfin après les terribles ravages des Alains, des Suèves et des Vandales, se trouvait mieux préparée que les Mérovingiens, ces chefs d’une invasion éternelle, à comprendre le mécanisme de l'administration romaine. Mais de là à l’intelli- gence supérieure de la tradition impériale il y a loin à coup sûr, et, d’ailleurs, il ne suffit pas de posséder l'intelligence, il faut encore avoir le tempérament de la civilisation. Destinée à Siegebert, roi d'Austrasie, la fille d'Athanagilde traversa l'Espagne et la Gaule, il y a cette année même treize siècles, suivie de son cortége de Visigoths et de Francs (‘). C'est avec intérêt, sympathie et admiration que les Gallo-Ro- mains, accourus à son passage, contemplaient ses traits empreints d’une douce majesté : « Ta dot est l'empire de la beauté! l'Es- ont vivement impressionné dans notre enfance (c'était, il est vrai, au sortir de la guerre des carlistes), et semblent prêter à notre induction une cer- taine force. (1) Voir M. Guizor, Histoire de la civilisalion en France, lecon dixième. () « Gothorum pavere mos esl, » dit GRÉGOIRE DE Toursa(lib. II, c. 27). L'isolement des Goths au milieu des populations romaines de l'Espagne explique ces craintes continuelles. (#) La maison de Théodoric, qui succéda à celle des Baltes, régna, il est vrai, cent douze ans, de 419 à 531; mais après elle l’hérédité disparaît. Le fameux Récarède lui-même ne réussit pas à fonder de dynastie. (*) Voyez l’épithalame composé par VENANTIUS FORTUNATUS pour les noces de Siegebert et de Brunehilde : « Per hiemes validas nivibus, Alpemque Pyrenem, Perque truces populos vecta est, duce rege sereno. » PRE pagne a mis au monde une perle nouvelle! » s'écrie Fortunat. L'évêque de Poitiers insiste sur ses qualités morales : il l'appelle « modeste, adroite, aimable, bienveillante, puissante par son esprit. » Et l’évêque de Tours, complétant ce portrait, la dit « de bon conseil et d’agréable conversation » |‘). Eloges que la flatterie n’a pas tous inspirés, mais qui reposent en partie sur des apparences mensongères ou sur un état d'âme accidentel et passager. Siegebert, l'époux de Brunehilde, semblait réunir toutes les qualités que l’auteur de La Germanie a célébrées : Odin et Hermann revivaient dans ce guerrier intrépide , toujours prêt à combattre, mais aussi plein d'adresse, d'élan généreux, dont l'activité exubérante se serait constamment exercée pour le bien, si elle eût été au service d'une volonté droite et d’un esprit supérieur. PIût à Dieu que le roi d’Austrasie n’eût jamais combattu que les Lombards et les Avares! Son bras aurait aisément préservé la Gaule, arrêté définitivement l'invasion germanique et permis le rétablissement d'une société régulière. Mais un grand crime vint déchaïîner les Francs les uns contre les autres, rouvrir aux barbares les chemins fermés par Clovis, et livrer à la future Allemagne les deux rives du Rhin. L'assassinat de Galeswinthe, sœur de Brunehilde, avait pour auteur Chilpéric, cet exemple saisissant de l'union redoutable autant qu’odieuse des vices de la Germanie et de Rome : nature ingrate, esprit inquiet, incapable de rien négliger et de rien comprendre, bvré à la discrétion d'un caractère résolu et éner- giquement criminel. () FORTUNAT s'exprime ainsi : « ...... Novam genuit Hispania gemmam:. Pulchra, modesta, decens, solers, grata atque benigna, Ingenio, vultu, nobilitate potens. » Et GRÉGOIRE DE Tours : « Erat enim puella elegans opere, venusta adspectu, honesta moribus atque decora, prudens consilio et blanda conloquio. » (Lib. IV, ce. 27.) — 396 — Frédégonde ! À ce nom nous évoquons les victimes d’une femme forcenée, véritable Walkyrie introduite dans la famille mérovingienne pour la déshonorer et la décimer : une reine douce et sympathique, un héros généreux, trois fils de rois, un saint évêque, et tant d'autres que sa fureur a immolés! Frédé- gonde s'oppose naturellement à Brunehilde. La reine d’Austrasie a un vaste horizon : des bords du Tage à ceux du Rhin, elle a tout vu et, malgré son éducation défectueuse, beaucoup observé. La reine de Neustrie, au contraire, exclusivement et obstinément franque et barbare, reste confinée dans le nord de la Gaule, au milieu d’une armée venue des Ardennes ou de l’Yssel, loin des Gallo-Romains et de la civilisation qui l’offusque. Son génie se déploie à l’aise dans ses ténèbres profondes. Ce n’est pas en vain que les Germains attribuaient à certaines femmes quelque chose de surnaturel (}. Cette croyance, elle la met à profit pour tout oser. Elle sait fasciner et ceux qu'elle a marqués comme ses victimes, et ceux qu'elle destine à l'exécution de ses infernales volontés. Elle emploie tour à tour, avec un terrible à-propos, la séduction et la terreur, dominée elle-même par d’étranges superstitions qui lui tiennent licu de remords (?}, marâtre sauvage et mère d’une tendresse plus instinctive que raison- (:) « Inesse quin etiam sanctum aliquid et providum putant, nec aut consilia earum adspernantur, aut responsa negligunt. » (Tacir., De Mo- ribus Germanorum, c. 8.) ” (3) 11 convient de l'observer au milieu de la maladie de ses fils. Chlo- dobert est en danger de mort; aussitôt elle prend en considération les larmes des pauvres, les lamentations des veuves, les soupirs des orphelins : « Ecce thesauri remanent a possessore vacui, rapinis ac maledictionibus pleni. Nunc, si placet, veni, et incendamus omnes descriptiones iniquas ; sufficiatque fisco nostro, quod suffecit patri regique Chlothachario. Hæc effata regina, pugnis verberans peclus, jussit libros exhiberi projectisque in ignem elevans ad regem conversa : Quid tu, inquit, moraris? Fac quod vides a m: ficri, ut etsi dulces natos perdimus, vel pœnam perpetuam evadamus.» (GREGOR. TURON., liv. V, c. 35.) Le remords de Frédégonde, disons mieux, sa superstition, dégrève ainsi la Neustrie. Mais hâtons-nous de dire que ces aubaines, aussi bien que les scrupules de la reine, sont fort rares. — 397 — née (!), aussi reconnaissante envers ses dévoués qu’impitoyable envers ses ennemis et ses serviteurs maladroits, généreuse par orgueil (?}, jalouse de sa renommée qui, avec l’art de la magie et des sortiléges, assurait son prestige (*). A la nouvelle de l'assassinat de Galeswinthe, Brunehilde se révéla : le sentiment de la vengeance, inné dans son cœur, trouvant enfin l'occasion propice, fit explosion et prit de jour en jour plus de consistance. De même, dans les Niebelungen, la douce Chriemhild, dès que son époux lui a été ravi par la main d’un traître, s’emporte aux violences les plus extrêmes et va jusqu’à immoler tout.un peuple aux mânes de Siegfried ! L’his- toire des princesses germaines au va siècle est pleine de ces traits : Rosamunde n'est-elle pas contemporaine de Brunehilde ? Une autre passion vint fournir un nouvel aliment à l'esprit de vindicte et le diriger : c'était l'ambition ardente, démesurée, telle que nous la rencontrons chez Clovis, le fondateur de la dynastie mérovingienne. C’est ainsi que Brunehilde engage Siagebert dans la revendi- () Sa manière d'agir comme mère et comme marâtre se montre dans le récit que Grégoire de Tours nous présente de la mort de Clovis. Ce fils de Chilpéric et d’Audovère avait rauillé la douleur de Frédégonde. I] était de plus accusé d'avoir causé, par des maléfices, la mort de Chlodobert : « Ut orbatu filiis sedeas, dolus hic Chlodovechi est opinatus. » (GREGOR. TURON., lib. V, c. 40.) Les supplices suivent de près cette déposition : « Cultro pereussus interiit. Servientes quoque illius per diversa dispersi sunt. Mater autem ejus crudeli morte necata; soror illius in monasterium... transinit- titur…. Mulier quæ super Chlodovechum locuta fuerat dijudicatur incendio concremari.. Jigata ad stipitem, vivens exuritur flammis. » (Ip., ibid.) — VENANTIUS FORTUNATUS avait composé les épitaphes de deux des fils de Frédégonde; elles nous sont parvenues. (?) C'est en grande partie par ses largesses qu'elle avait gagné ses sujets barbares. — Quand elle fiance Rigonthe sa fille au roi des Visigoths Récarède , elle remet aux ambassadeurs de grands trésors : « Tanta fuit multitudo rerum, ut aurum argentumque et reliqua ornamenta quinqua- ginta plaustra levarent. » (GREGOR TURON , lib. VI, €. 4.) () C’est pour cette raison qu'elle poursuit avec tant d'acharnement le procès de Grégoire de Tours, accusé d'avoir censuré sa conduite privée. Le chapitre 19 de la Germanie, de TAciTE, fournit un précieux commentaire, — 398 — cation du présent du lendemain, succession sanglante de l’in- fortunée Galeswinthe ! | La fille d’Athanagilde, dans sa fureur vengeresse et avide, s'inquiète si peu des intérêts de la civilisation, qu’elle fait appel aux guerriers d'outre-Rhin, Saxons, Thuringiens, Alamans. Qu'il faille l’accuser, à l'exclusion de tout autre, des nouvelles invasions, cela est hors de doute. Saint Germain, évêque de Paris, ne s’y trompa point lorsqu'il adressa directement à Bru- nehilde sa protestation restée célèbre : « Répéterai-je les bruits qui courent dans le public? On dit que c’est par vos conseils et à votre instigation que le très glorieux roi Siegebert s’acharne si obstinément à la ruine de ce pays. » Et, plus loin, il invite ceux qui gouvernent « à ne pas se laisser dominer par des pensées de meurtre, par la cupidité, source de tout mal, et par la colère qui fait perdre le sens |). » Malheureusement Brunehilde, malgré son intelligence, malgré son génie, ne pouvait dépouiller des passions inhérentes à son éducation et à sa nature; ce qu’elle pouvait, c'était de faire concourir à un but barbare les moyens de la civilisation. Siegebert essaya en vain de contenir la fureur des Thurin- giens ; 1l fut sur le point de leur abandonner le territoire même de Paris : ainsi la capitale de la France avait risqué un instant de devenir allemande (?). La mort de Siegebert, .conséquence d’une déplorable obstina- tion, fortfia la haine que Brunehilde nourrissait contre Frédé- gonde. Et ici nous sympathisons volontiers avec elle, tant la @) « Vulgi verba iterantes, quæ nos maxime terrent, vestræ pietati in notitiam deponimus, quæ ita disseminata eloquentium ore detrahunt, quasi vestro voto, consilio et instigatione dominus gloriosissimus Sigebertus rex tam ardue hanc velit perdere regionem. Cupiditas, quæ radix est omnium malorum ; iracundia, quæ sensum aufert prudentiæ... » (Vita S, Germani, ap. Script. rer. gallic. et francic., t. IV, p.80.) (?) « Fame gentium, quæ de ulleriore Rheni amnis parle venerant, supe- rare non polerat (GREGOR. TURON., lib. [V, c. 50)... Usque Rothomagensem urbem accessit, volens easdem urbes hostibus cedere. Quod ne facerel, a suis prohibitus est.» (Ip, ibid., ©. 52.) — 399 — magicienne franque nous inspire d'horreur ! Maîtresse de Paris, i] n'y a qu'un instant, elle devient prisonnière dans cette ville. Mais elle soustrait son fils, elle-même, aux coups de Chilpéric. Elle se réfugie à Rouen, attire (car elle aussi avait ses séductions) le fils de son ennemi, lui suggère une irrésistible passion et en fait l'instrument redoutable de ses desseins. Dans cet épisode, immortalisé par Augustin Thierry, elle poursuit son idée fixe, même à travers l'amour. Elle ne tient aucun compte n1 de son récent veuvage, ni des prescriptions de l'Eglise, ni du sort réservé à Prétextat et à Mérovée (!). Le poignard de Frédégonde frappe les nouvelles victimes qu'on lui a ainsi désignées! Quant à Brunehilde, après ses aventures romanesques où se montre l'héroïne espagnole, elle rentre en Austrasie. L'idée de gagner sa patrie pour y vivre en repos, comme l'avait souhaité Galeswinthe, ne s’offrira jamais à son esprit. Ce n’est pas un asile qu’il fallait à son caractère, mais un empire. La lutte de cette reine contre l'aristocratie austrasienne est mémorable : elle a duré quarante ans. C’est que, pour Brune- hilde, dompter l'aristocratie austrasienne, c'était encore se ven- ger de Frédégonde. Faisons connaissance avec ces leudes, ces hommes libres si redoutables, si réfractaires à toute autorité, et qui communiquent à la veuve de Siegebert leur sauvage énergie. Au premier rang, nous trouvons Raukhing, être mystérieux, ennemi de la lumière comme Frédégonde, dont il est le digne émule : « C'était un homme vain dans ses manières, poussant au delà des bornes communes la cupidité et l'avidité du bien d'autrui, orgueilleux de ses richesses, arrogant, cruel au delà de ce qui est ordinaire à la méchanceté et à la folie humaines; il se rendait coupable envers les siens d'actions détestables. » Ses traits de barbarie nous rappellent ceux de Scyron et de Procuste, () Voir le Troisième récit mérovingien d'Augustin TaiERRY, intitulé : Histoire de Merowig, second fils du roi Hilpérik (575-578). — 400 — ceux de Néron et d'Héliogabale, unissant ainsi tout ce que.pou- vait inventer la sauvagerie et la corruption (!). Il avait pour alliés Ursion, homme résolu et dont le langage intempérant s’empor- tait contre le souverain lui-même aux plus grossières invectives, Bertfried qui, par un point d'honneur bien rare à cette époque, suivait ses complices jusque dans le châtiment (?). En face de Raukhing, pour accuser un contraste piquant, plaçons Boson, si célèbre par ses courses aventureuses à l’orient comme à l’occident de l’Europe, également bien doué pour la guerre et pour l'intrigue, superstitieux, peut-être à bon escient, prompt à tout entreprendre, « donnant à tous sa foi et ne tenant jamais ses promesses? » Auquel des royaumes francs apparte- nait réellement Boson? Nous ne saurions le dire au juste. On le rencontre sur tous les chemins de la Gaule, partout où 1l peut tendre ses filets : en Neustrie, comme ennemi de Chilpéric et comme agent de Frédégonde; en Bourgogne, leurrant le roi Gontran et se mesurant avec son digne partenaire Mummolus (°); et surtout dans l’Austrasie, devenue le foyer de tous les complots et le théâtre privilégié du crime. Entre Raukhing et Boson, nous apercevons un de ces Gallo- Romains qui, au leu de chercher à rendre meilleurs les barbares, {) « Vir omni vanitate repletus, superbia tumidus, elatione protervus : qui se ita cum subjectis agebaf, ut non cognosceret in se aliquid humani- tatis habere, sed ultra modum humanæ malitiæ atque stultitiæ in suos desæviens, nefanda mala gerebat.» Ses traits de cruauté nous font souf- frir : « Si ante eum , ut adsolet, convivio urentem puer cereum tenuisset, nudari ejus tibias faciebat, atque tamdiu in his cereum comprimi, donec lumine privaretur; iterum cum inluminatus fuisset, similiter faciebat, usque dum totæ tibiæ famuli tenentis exurerentur.» Le supplice de l'homme et de la jeune fille enterrés vifs par son ordre, et malgré son serment qu'il prétend tenir en l’éludant, nous remplit d'horreur et d’effroi. (GREGOR. TuroN, lib. V, c. 3.) (2) « Nisi morte divellas ab eo, nunquam a me relinquetur. » (GREGOR. TuroN., lib. IX, c. 10.) (5) Rien de plus curieux que le chapitre où l’évêque de Tours nous représente le Franc et le Gallo-Romain faisant assaut de ruse et de gros- sièreté, La scène se passe à Avignon. Comme on le pense bien, la victoire reste indécise, (GREG. TURON., lib. VI, c. 27.) — hdi — se laissaient volontiers pervertir par eux; Ægidius, évêque de Reims, célèbre par son astuce, faussaire effronté, parjure à tous les rois, sujet de scandale pour les évêques de la Gaule {!). Autour de ces personnages, on pourrait à la rigueur réunir tous les chefs francs, n'importe où ils se trouvent, les Waddon, les Chariulf, les Dracolène, toujours incertains dans le choix d’un maître, et passant volontiers, autant par mobilité d'esprit que par égoisme et par perversité, de Brunehilde à Chilpérie, de Chilpéric à Gontran. C'est précisément cette instabilité que la reine Brunehilde semble avoir pris à tâche de supprimer. L’aristocratie austrasienne était maîtresse de la personne de Childebert, son souverain, dont la garde était confiée, non pas à sa mère, mais à un nourricier royal, le seigneur franc Wandelin. Pour lui tenir tête, Brunehilde s’appuya sur un Gallo-Romain, riche et important, Lupus, duc de Champagne. Les leudes et les grands propriétaires, avertis, insultaient et pillaient chaque Jour Lupus, dont la modération et la candeur d'âme contrastaient singulièrement avec la rage homicide de ses ennemis. Ils firent marcher une armée entière, sous Ursion et Bertfried, pour le mettre à mort. L'héroïsme et le sang-froid de Brunehilde se montra avec éclat. Elle s'élança au milieu des sauvages guerriers qui entouraient Lupus, au risque d’être foulte aux pieds des chevaux : « Eloigne-toi, femme, et qu'il te suffise d'avoir régné au temps de ton mari. C’est maintenant ton fils qui règne; c'est notre appui et non le tien qui protége le royaume! » s’écria Ursion {?}. Son habileté, qui était grande quand la colère ne l’entraînait pas, prévint un horrible carnage. Le Gallo-Romain, dépouillé de tous ses biens, put du moins se () GREGOR. TuRoN., lib. X, ec. 19, et passim. (?) GREGOR. TuRON., lib. VI, c. 4 : « Recede a nobis, o mulier. Sufficiat tibi sub viro tenuisse regnum; nunc autem filius tuus regnat, regnumque éjus non tua sed nostra tuitione salvatur. Tu vero recede à nobis, nete ungulæ equorum nostrorum cum terra confodiant. » 26 EAU TRE réfugier en Bourgogne (!). Mérovée, repoussé par les Austra- siens, tomba sous le poignard de Frédégonde, et quand Brunc- hilde implora les grands pour sa fille, captive en Afrique, sa prière resta sans écho (?). Bientôt ce fut sur Brunehilde elle-même que se concentrèrent les passions envenimées. Des conspirations se tramaient dans l'ombre avant de se révéler par des révoltes ou par des régicides. Cette partie est restée jusqu'ici fort obscure, faute d’une analyse patiente et de l'étude approfondie des hommes et des intérêts mis en Jeu. Il y eut, par le fait, deux complots distincts qui paraissent, mais faussement, se croiser et se renforcer, tandis qu'ils ne font que s’entre-détruire; l'âme du premier, c’est Raukhing ; celle du second, c’est Boson. Raukhing groupe autour de lui tous les éléments austrasiens et aristocratiques : cette coalition a lieu nécessairement au profit de Frédégonde qui exerçait un empire irrésistible sur les Francs barbares. La démarcation entre les Neustriens et les Austrasiens ne se dessina que plus tard, surtout à l'époque des rois famnéants. Autrement la Neustrie aurait-elle été, durant un demi-siècle, l’espoir et souvent le refuge de l'anarchie? Les ministres gallo- romains, le Limousin Eloi, entre autres, donnèrent tardivement, sous Dagobert, quelque consistance à l'élément civilsateur de la Gaule. Le féroce Raukhing choisit, comme négociateur, l’évêque Ægidius, et réserva l'exécution de ses plans à Ursion et à Bert- fried. On devait proposer à Chilpéric la ruine de la Bourgogne, l'arche sainte de la civilisation, la mort de Brunehilde, peut-être ————— — a. ————————…—…—…——…"—— ————.—.—…—— () Lupus vero, dux Campanensis… ad Guntchramnum regem confugit. À quo benigne susceptus cum eo latuit, expectans ut Childebertus ad le- gitimam perveniret ætatem. » (GREGOR. TuroN., lib, VI, c. 4.) #8) « Brunichildis regina pro Ingunde filia, quæ adhuc in Africa tene- batur, omnibus prioribus questa est; sed parum consolationis meruit. » (GREGOR. TuroON., lib. VIII, c. 21.) — 403 — celle de Childebert. Frédégonde aurait été l’unique souveraine de tous ces Germains du Nord qu’elle avait fascinés. C’était un retour complet à la barbarie. Des ambassades furent échangées entre la Neustrie et l'Aus- trasie, à l'insu de Brunehilde et à l'instigation de Frédégonde. On conclut un pacte au nom des rois Childebert et Chilpéric. Il y eut même un commencement d'exécution (‘}. Une nouvelle guerre éclata entre les deux fils survivants de Clotaire, La Gaule fut en proie à la plus violente fermentation (?). À ce moment même une seconde trame se nouait, non plus seulement contre Brunehilde et Gontran, mais contre tous les Mérovingiens en général, contre la nation franque tout entière. Le duc Boson, si perspicace et si malfaisant, avait pris con- naissance, dans une mission à Constantinople, du grand projet légué par Justinien à ses successeurs. Il voyait en Espagne l'héritier même du trône prêter main-forte à l'utopie impériale. Il abusa Gondowald, ce fils prétendu de Clotaire Le", alors retiré à Byzance, prodigua les serments solennels, annonça l'extermi- nation de la famille royale, et attira à Marseille le crédule im- posteur. Cependant l'ingénieuse entreprise de l’Austrasien avait trouvé de nombreux adhérents dans la Provence, si connue pour ses tendances grecques et romaines. L’'évêque Théodore s'était muni de lettres des principaux leudes de Childebert, aussi apo- cryphes que Gondowald lui-même. Mais Boson, si versatile, s'était ravisé, et, après avoir saisi les richesses du prétendant, avait abandonné son invention au patrice Mummolus et aux Gallo-Romains. Brunehilde, qui n'avait évité le sort qu’on lui réscrvait qu'en insurgeant le petit peuple (*) (sans doute la masse des hommes libres), se releva au moment où elle semblait (2) GREGOR. TuRoON., lib. VI, c. 31. (*) « Talis depopulatio inibi acta est, qualis nec antiquitus est audita fuisse, ut nec domus remaneret, nec vinea, nec arbores. » ([p., id.) (©) « Nocte autem quadam, commoto exercitu, magnum murmur contra Ægidium episcopum et duces regis minor populus elevavit : Tollantur a facie regis qui regnum venumdant. » ([p., ibid.) — 404 — à jamais abattue. La mort de Chilpéric, si invraisemblablement imputée à Frédégonde (!), en mettant à néant le premier com- plot, permit au second d’éclater. On s’aperçut bien vite que celui-ci, malgré les noms de Waddon et de Chariulf, n'avait au fond rien d’austrasien. Les Austrasiens marchèrent contre les Provençaux et les Aquitains. Brunehilde et Gontran échangèrent des messages qui établirent, avant l’entrevue, une entente complète. Gontran, malgré son défaut d'initiative si évident, avait conçu une noble idée : assurer la perpétuité et la grandeur de, la dynastie mérovingienne. Privé lui-même de postérité, il voulait du moins préserver la double souche de Chilpérie et de Siege- bert. Aussi bien refusa-t-il énergiquement de livrer Frédégonde ; il servit également de tuteur aux fils des deux implacables rivales, de même qu'il persista, à travers bien des mécomptes et bien des désastres, à réclamer des Grecs et des Visigoths la délivrance de la princesse mérovingienne Ingonde (?). Mais, dans la circonstance présente, une simple neutralité ne pouvait suffire. Les Francs d’Austrasie et de Burgondie s’avan- cèrent donc jusqu'aux Pyrénées et mirent un terme à l’insurrec- tion de Gondowald. Restait à châtier les auteurs de la double conspiration qui avait compromis à la fois la cause de la civilisation et l’établis- sement des Barbares. Sur ce terrain, Brunehilde, délivrée du maire du palais Wandelin, et de nouveau réunie au due Lupus, se trouvait d'accord avec le roi Gontran. Alors eut lieu le massacre de l’orguilleux Raukhing qui, depuis la mort de Chilpéric, se disait fils de Clotaire, et prétendait () Frédégonde avait tout à perdre à la mort de Chilpérie sous le nom duquel elle régnait d’une manière absolue. Sa condition fut entièrement changée lorsqu'elle devint veuve. (Cf. D. RuINART, ad. cap. 93 et ultimum, Historiæ Gregorii Turonensis Epitomata a Fredegario, ul credilur.) @) Pour le caractère de Gontran, voir notre étude : Du rôle de la Bour- gogne sous les Mérovingiens (Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, 4e série, t. 11, 1866). régner sur la Champagne. On n'eut raison de ce traître que par la trahison. Le gendre de Lupus poursuivit jusqu'au sommet d’un roc escarpé le féroce Ursion. Bertfried, toujours chevale- resque malgré le pardon de Brunehilde, périt lapidé. Boson eut recours à ses ruses ordinaires pour éviter la mort qui, plus habile que lui, l’atteignit et mit fin à ses éternelles agitations. Mummolus expia la terreur qu'il avait inspirée aux Mérovingiens, Ægidius se reconnut lui-même passible du dernier supplice : on l'envoya mourir misérablement aux environs de Strasbourg. Ces sentences furent exécutées avec une telle vigueur, une telle promptitude , un tel ensemble, que Grégoire de Tours, par une rare exception, nous offre en cet endroit un tableau aussi com- plet que dramatique |). Bertfried et Boson avaient été immolés à Verdun, dans la maison et sous les yeux de l’évêque Agéric. Ce lugubre souvenir attrista et abrégea son existence. « C’est en haine de moi qu’on vous a laissés orphelins! » l’entendait-on répéter à la vue des enfants de Boson. lei encore, Brunehilde avait peut-être excédé la limite d’une légitime répression. La forme de la répression, tout au moins, était barbare et n'avait rien de commun avec la procédure romaine. Le traité d'Andelot, fameux dans l’histoire mérovingienne, fut rédigé en Austrasie sous l'inspiration de Brunehilde, dont le nom se trouve à côté de ceux de Gontran et de Childebert. L’adroite et ambitieuse reine stipula l'union éventuelle des deux royaumes; clause toute en faveur de sa dynastie. Elle ne s’oublia pas elle-même, car elle obtint une bonne part du Présent du lendemain. Aux leudes fut garantie la possession de leurs fiefs, et aux rois la possession de leurs leudes : des communications permanentes étaient établies entre la Bourgogne et l’Austrasie (?). Brunehilde fit désormais preuve d’un grand sens politique en (:) Voir le début du livre IX dans GRÉGOIRE DE Tours. (?) Le texte du traité d'’’Andelot se trouve au chapitre 20 du livre IX de GRÉGOIRE DE Tours. — 406 — consultant, dans tous les cas importants, le vieux roi Gontran qui prenait, sous l'inspiration des Gallo-Romains, l'attitude d’un empereur byzantin, protégeait l'Eglise et la civilisation, réunis- sait autour de lui les évêques devenus comme ses conseillers d'Etat et ses ministres. Toutefois, elle ne parvint pas à gagner entièrement sa confiance. L’éternelle inimitié qui divisait les deux reines confondait et alarmait son esprit conciliant et crain- tif (*). I lui semblait voir dans l'ombre les poignards de Brune- hilde et de Frédégonde toujours prêts à le frapper. Soupçon fondé du côté de la Neustrie, illusion presque puérile du côté de l’Austrasie. Jusqu'à sa mort, il se fit garder soigneusement, sauf à l’église, et souvent, au milieu de l'office, il éleva la voix pour réclamer pitié (?). Brunehilde, respectée tant qu'il vécut, employa noblement ses loisirs à la réparation des routes romaines que ses prédécesseurs avaient laissées dans le plus complet abandon. Les chaussées de Brunehaut (comme on l’appelait au moyen âge) ont longtemps subsisté et rendu son nom populaire. Gontran disparu, elle —— ———————————_—_—_—, mm _…— (} Il y a de l'ironie et de la frayeur dans ces paroles du roi Gontran à Félix, collègue d'ambassade de Grégoire de Tours : « Die, o Felix, jam enim plenissime connexuisti amicitias inter sororem meam Brunichildem, et inimicam Dei atque hominum Fredegundem.» (GRE@. TUROX., lib. IX, c. 20.) Gontran est toujours aux écoutes et ne se fie pas plus à Brunehilde qu'à Frédégonde. Cependant Brunehilde restait fidèle au traité d'alliance. Elle faisait répondre au roi Récarède : « Promissum habemus de majoribus causis nihil sine ejus (Guntchramni) consilio agere. » (1p., c. 16.) (%) « Sed quia non erat fidus ab hominibus inter quos venerat, armis se munivit, nec unquam ad ecclesiam aut reliqua loca qu ire delectabat, sine grandi pergebat custodia. Unde factum est, ut quadam die Dominica, postquam diaconus silentium populis, ut missæ auscultarentur, indixit, rex conversus ad populum diceret : Adjuro vos, o viri cum mulieribus qui adestis, ut mihi fidem inviolatam servare dignemini, nec me, ut fratres meos nuper fecistis, interimatis, liceatque mihi vel tribus annis nepotes meos, qui mihi adoptivi facti sunt filii, enutrire : ne forte contingat, quod Divinitas æterna non patiatur, ut cum illis parvulis me defuncto simul pereatis; cum de genere nostro robustus non fuerit qui defenset… Hæc eo dicente, omnis populus orationem pro rege fudit ad Dominum. » (GREGOR TuRoON., lib. VII, c, 8.) — 407 — recueille son splendide héritage, mais les Austrasiens, mécon- tents de l'alliance bourguignone, ne dissimulent pas leurs sym- pathies pour Frédégonde. Pouvaient-ils, en effet, hésiter entre la sorcière franque et une reine qui s'inspirait des maximes de la politique impériale ? La suppression du wehrgeld, ce tarif de l'assassinat, réforme hardie et généreuse, exaspéra tous les Francs (!}. La guerre éclata entre la Neustrie et l’Austrasie : lutte presque mystérieuse où Frédégonde eut recours à toutes ses ruses, à tous ses maléfices. Shakspeare les lui empruntera pour redoubler la terreur de la sombre tragédie de Macbeth (?. Droissy, Latofao, insolents triomphes, funérailles sanglantes de celle que Gontran avait si bien appelée un Jour « l'ennemie de Dieu et des hommes! » Childebert n'avait pu survivre à sa défaite. Brunehilde restait seule avec deux petits-fils en bas âge. Elle n’en voulut pas moins tirer vengeance du désastre probablement volontaire de son armée : ne pouvant plus atteindre Frédégonde, D () Voir Histoire de France de M. Henri Mani, t. IT, en note : « Tout le système pénal de la loi salique fut bouleversé, et la législation s’efforca de substituer la peine de mort dans les cas graves aux compensations en argent. Childebert tenta d'abolir complètement le wehrgeld pour les homi- cides. Ce curieux décret est ce que nous possédons de plus explicite sur le caractère du gouvernement de Brunehilde. » On trouvera cette pièce dans les Historiens des Gaules et de la France, t. IV, p. 111, et dans les Capilulaires de BALUZE, t. |, p. 17. (2) Siward. — What wood in this before us ? Menlelh. — The wood of Birnam. Malcolm. — Let every soldier hew him down a bough, And bear't before him, thereby shall we shadow The numbers of our host, and make discovery Err in report of us. (Macbeth, acte v, scène 1v.) Macbeth, — 1 pull in resolution, and begin To doubt the equivocation of the fiend That lies like truth. « Fear not, till Birnam wood Do come to Dunsinane ; » — and now a wood Comes toward Dunsinane. — Arm, arm, and out. (Id., acte v, scène vi.) Consultez à ce sujet les Gesta Francorum. — 408 — que la mort lui dérobait, elle frappa le duc Wintrion, héritier des projets de Raukhing. Mesure excessive encore! La révolte des Austrasiens, favorisée par l’imbécillité de leur roi, renversa une domination qui n'avait point su se faire accepter. Longtemps errante, dénuée de tout, cette princesse, déjà sexagénaire, fut recueillie, dit-on, par un pauvre homme et conduite en Bourgogne auprès de son petit-fils Théodoric. Ici commence pour elle un nouveau règne qui offre une con- ception bien plus vaste et où elle approche du but fixé. C'est qu'elle se trouve enfin dans un milieu favorable. La Bourgogne avait été, lors des invasions, le refuge des familles dépossédées. La civilisation, chassée de Trèves, avait cédé la ligne du Rhin, celle de la Meuse, et s'était repliée sur la Saône. Les inscriptions chrétiennes, beaucoup plus nombreuses et plus touchantes en cette contrée, suffiraient à démontrer la supériorité intellectuelle et morale à l'époque des Mérovingiens (!). Pendant plusieurs années on put croire que la vieillesse, sans rien ôter au génie de Brunehilde, de sa grandeur et de sa sûreté, l'avait réglé et tempéré. Elle subissait en ce moment l’ascendant d’un esprit aussi bien doué et plus maître de soi. Nous voulons parler de l'illustre pontife Grégoire le Grand, dans lequel revi- vaient, à côté des vertus chrétiennes, les mâles qualités de l'aristocratie romaine, et qui, par des moyens purement spiri- tuels, organisa une conquête non moins vaste et plus durable que celle de l’ancien sénat (?). (Q) Consultez à ce sujet le Recueil des inscriptions chiriennes de la Gaule, par M. LesranT. Les inductions qu’elles suggèrent au savant épigraphiste sont en parfait accord avec celles que nous avions tirées de la géographie et de l’histoire pour notre étude de La Bourgogne sous les Mérovingiens, lorsque nous ignorions encore cette source précieuse d'informations. Ncus recommandons la lecture de sa préface et l'examen de sa carte épigraphique. (2) L'étude de l'Arislocratie romaine, dont un voyage en Italie nous a montré tout l'intérêt, offre une suite que l’on chercherait vainement ailleurs. L'étude des Rapports du monde germanique avec le monde romain, depuis les invasions jusqu'à nos jours, n’est ni moins attachante ni moins décisive pour l'histoire de l’Europe en général et de la France en particulier. Il y à là — 409 — Ce patricien avait l’art de manier les hommes. La lecture de ses lettres à la reine Brunehilde est une preuve sans réplique. L'habile emploi des conseils et des éloges combinés assouplit cette âme orgueilleuse et rétive : « Dans le gouvernement des Etats, écrit Grégoire, la vertu a besoin de justice et le pouvoir d'équité; aucune de ces qualités ne peut suffire, si elle est seule. Aussi voit-on par la manière digne de louange dont vous gou- vernez tant de peuples, avec quel soin vous cherchez à réunir en vous ces qualités. » La veuve de Siegebert aurait dû méditer des conseils partis de si haut (1). Sous cette influence, elle semble concevoir un programme qui se ramènerait à ces termes : 1° Attribution des fonctions supérieures aux Gallo-Romains; 2° maintien de la haute situa- _fion des évêques, mais sous condition d’obéissance au pouvoir central; 3° étroite subordination des leudes et des hommes libres ; 4° établissement d'impôts réguliers pesant sur tout le monde ; 5° extension de la foi chrétienne ; 6° unité de l'empire franc (?) La réussite de ce projet, qui rappelle celui de Théodoric le Grand, dépendait de la mesure avec laquelle on en tenterait la réalisation, surtout quand de la Bourgogne, restée romaine en définitive, on passerait à la Neustrie si incohérente et à l'Aus- trasie si barbare. La meilleure politique eût été de se contenter d'administrer la Séquanie, la Lyonnaise et la Provence, et de donner l'exemple d'un gouvernement sage et respecté dont les peuples voisins auraient subi l'influence. La docilité que montrait Brunehilde dans ses relations'avec matière à deux grands ouvrages où l’on aurait pour guides MONTESQUIEU, Augustin THiErRY et M. Guizor. (1) « Cum in regni regimine virtus justitià ct potestas egeat æquitate, nec ad hoc alterum sine altero possit sufficere; quanto in vobis &more horum eura præfulgeat, ex hoc utique patenter ostenditur, dum {urbas gentium landabiliter gubernatis. » (S, GREeGorit Epislolarum, liber IX, Epistola 117.) (2) Ce plan de règne résulte des actes de la reine Brunehilde, que l'on trouve dans FRÉDÉGAIRE, passim, — 410 — le pape était de bon augure. Elle lui demanda un code qu’il s’empressa de lui transmettre. « Car, disait-il, nous nous inté- ressons vivement à vos sages études (!).» Son génie admirable pour les affaires le frappe vivement. Témoin « des fluctuations de ce monde, de tant de secousses violentes, » il est surpris (ce sont ses expressions) « de l’art avec lequel elle gouverne pru- demment les esprits farouches (?). » Aussi bien la Bourgogne tenait le premier rang dans la Gaule : l’Austrasie elle-même acceptait sa direction. Une grande bataille, celle de Dormeille, livra Clotaire à la merci de Brunehilde, qui fit à ses enfants le partage des dépouilles, mais ne s’acharna pas contre le fils de Frédégonde réduit à douze cantons. C’est peut- être alors que Clotaire tint sur les fonds baptismaux le nouveau- né de Théodoric (*). Cette modération relative nous étonne chez la sœur de Galeswinthe, et nous en faisons honneur à Grégoire le Grand. Le charme disparaît avec lui. Souverains et sujets sont rendus à leur naturel indiseipliné et vindicatif. Brunehilde rompt vio- lemment avec les leudes et les évêques. Enivrée par la fortune, elle prétend soutenir seule tout l'édifice qu’elle a construit; elle A —————"——————————— —…——————— () « Codicem vero, sicut scripsistis, prædicto dilectissimo filio nostro Candido presbytero vobis offerendum transmittimus ; quia boni vestri studii esse participes festinamus. » (S. GREGORI Epistolarum, liber IX, Epistola 11.) {2) « Quanta in vobis bona divino munere sint collata, quantaque vos supernæ gratiæ pietas impleverit, inter cetera vestrorum testimonia meri- torum, illud etiam cunctis patenter insinuat ; quia et effera corda gentilium providi gubernalis arte ronsilii, et regiam, quod majoris adhuc laudis est, ornatis sapientia potestatem. » (S. GREG. Épislolarum, 1. IX, Epistola 63.) — « Inter alia bona hoc apud vos præ ceteris tenet principatum, quod in mediis hujns mundi fluctibus, qui regentis animos turbulenta valent vexalione confundere, ita cor ad divini cultus amorem et venerabilium locorum dispo- nendam quietem reducitis, ac si nulla vos alia cura sollicitet. » ({p., 1. XIE, ©. 6.) — « Præ aliis gentibus genlem Francorum asserimus felicem quæ sic bonis omnibus prædilam meruit habere reginam. » ({b., ibid.) (#) Ce fait qui nous surprend est mentionné par FRÉDÉGAIRE (c. 42). Le jeune prince nommé Mérovée fut épargné lors du massacre des descen- dants de Brunehilde et recueilli en Neustrie. — A1 — pousse à l'extrême son entreprise déjà si hardie, et, de succès en succès, elle s’achemine fatalement et à son insu vers une chute certaine. Le maire du palais, Bertoald, Franc d'origme, « était un homme de mœurs réglées, sage, prudent, brave dans les com- bats, gardant sa foi envers tout le monde. » Surtout il était Germain, et, à ce titre, bien venu des conquérants (!). IL avait pour rival d'influence Protadius, Romain d’origine, patrice du pays ultrajurain, et de celui de Salins, « fort considéré de tous dans le palais, à cause de son extrême finesse et d'une grande habilité en toutes choses (?). » L’embarras de Brunehilde, entre ces deux personnages, devait être grand; mais, en restant neutre, elle pouvait apaiser les passions et prévenir un conflit dangereux. Il n'en fut rien. Depuis longtemps, la reine ne dissimulait plus ses préférences pour les Gallo-Romains. Elle avait déjà, dans presque toutes les hautes charges, substitué les vaincus aux vainqueurs. Le Franc Bertoald, poussé au désespoir, chercha la mort au milieu d'une grande bataille contre les Neustriens. La tour de Brunehaut, à Etampes, a témoigné longtemps de la victoire des Bourguignons. Le vaillant Théodoric, instrument docile d’une politique hautaine, entra à Paris en triomphe. La charge de maire fut livrée au Gallo-Romain Protadius. Protadius ne tarda pas à devenir l'objet de la haine de tout le monde. C'est qu'il faisait peser de lourds impôts sur ses administrés. «€ On montrait l’ordre sans cacher la corruption, a ————— 2 …———————" "— —— ———————— (, FREDEGAR., ©. 24 : « Berthoaldus, genere Francus, major-domis palatii erat Theuderici, moribus mensuratus, sapiens et cautus, in prælio fortis, fidem cum omnibus servans » (?) FREDEGAR., €. 27 : « Qui cùm esset nimium argutissimus, et strenuus in cunctis, sed sæva illi fuit contra personas iniquitas, fisco nimium tri- buens, de rebus personarum ingeniose fiscum vellens implere et se ipsum ditare. » — 19 — : remarque Montesquieu; on réclamait le droit du fisc, pour prodiguer les biens du fisc à sa fantaisie (1). » À ces premiers mécontentements en Bourgogne répondit une protestation en Austrasie. Les Francs orientaux firent défection, empêchant ainsi la ruine imminente de Clotaire. Habituée à ne point souffrir de d'lai, Brunehilde ordonne à Théodoric de marcher contre son frère Théodebert. Les évêques opposent en vain leur médiation. Mais les leudes, au lieu de présenter la bataille, se mutinent, se jettent sur Protadius et le massacrent. Le roi rentra plein de confusion dans ses Etats (?). IL y avait là un indice dont le gouvernement bourguignon aurait dû tenir compte. Brunehilde remplace Protadius par Claudius, Gallo-Romain comme lui, mais irréprochable Que ne prenait-elle modèle sur son ministre, « patient, enjoué dans ses récits, faisant amitié avec tous ? (5) » Elle se montrait, au contraire, cruelle dans la répression, sévissant tous les jours davantage contre les Francs. Elle ne témoignait pas moins de mépris aux souverains qu'à ses sujets. Ainsi, elle renvoya ignominieusement en Espagne la princesse visigothe fiancée à Théodoric. Les rois des Visigoths, des Lombards, des Neustriens et des Austrasiens, craignant d'être attaqués et vaincus séparément, et d'ailleurs irrités de cette conduite orgueilleuse, songèrent un instant à former une coalition {). Mais ils n’osèrent, tellement Brunehilde inspirait de Q@) MonTEsQuIEU, Esprit des lois, livre XXXI, ch. 1. Ê (2) FREDEGAR., c. 27 : « Supra Protadium inruunt, dicentes melius esse unum hominem moriturum, quàäm totum exercitum in periculum mitti. — Tentorium regis gladio undique incidentes, Protadium interficiunt. Theu- dericus confusus et coactus cum fratre Theudeberto pacem inivit. » (#) FREDEGAR., ©. 28 : « Claudius, genere Romanus, homo prudens, jucundus in fabulis, strenuus in cunctis, patientiæ deditus, plenitudine consilii abundans, litterarum studiis eruditus, fide plenus, amicitiam cum omnibus sectans. » (*) FREDEGAR , ©. 30, 31 : « Theudericus Aridium episcopum Lugdunen- sem ad Bettericum regem Spaniæ direxit, qui exinde Frmenbergam filiam ejus Theuderico matrimonio sociandam adducerent. Ibique datis sacra- — 113 — terreur. La reine et son fils conçurent pour tous les Germains un dédain qui devait leur être fatal. Brunehilde consommait aussi sa rupture avec le clergé, et à l'instigation d’Aridius, évêque de Lyon, elle faisait lapider saint Didier, évêque de Vienne {!} L'attitude hostile prise à ce moment par un moine, dont la renommée éclipsait celle des rois et des pontifes, vint exaspérer l'âme de la veuve de Siegebert déjà profondément ulcérée. Saint Colomban avait quitté l'Irlande vers la fin du vr° siècle, et fondé au pied des Vosges, sous les auspices du roi Gontran, la célèbre abbaye de Luxeuil. L'île des Saints, comme on l’appelait au moyen âge, était un nouveau royaume d'Israël, où la Bible était, non-seulement apprise par cœur, mais mise en action dans le cours ordinaire de l'existence. Les moines de la verte Erin, énergiques, indépendants, fiers de leur pauvreté, ne fléchissaient point le genou devant les grands de la terre ; ils se présentaient à eux comme des conseil- lers désintéressés et inspirés. mentis ut a Theuderico ne unquam a regno degradaretur, ipsamque acci- piunt, et Theuderico Cabillono præsentant, quam ille gaudens diligenter suscepit. Eadem, factione aviæ suæ Brunichildæ, virilem coitum non cognovit : instigantibus verbis Brunichildæ aviæ efficitur odiosa. Post anni circulum Theudericus Ermenbergam exspoliatam a thesauris in Spaniam retransmisit .Bettericus hæec indignans, legationem ad Clotharium direxit ; legatus Clotharii cum Betterici legato ad Theudebertum perrexit. Iterum Theudeberti legati cum Chlotharii et Betterici legatariis ad Agouem regem Italiæ accesserunt; et unianimiter hi quatuor reges cum exercitu undique super Theudericum inruerent, ut regnum ejus auferrent, et eum morte damnarent, eo quod tantam de ipso reverentiam ducebant. Legatus verû Gotthorum evectu navali de Italia per mare in Spaniam revertitur : sed hoc consilium divino nutu non sortitur effectum. Quod cùm Theuderico compertum fuisset, fortissimè ab eodem despicitur. » () FREDEGAR., c. 32 : « Theudericus, consilio Aridii episcopi Lugdu- densis perfidi utens, et persuasu aviæ suæ Brunichildæ, sanctum Deside- rium de exsilio regressum lapidare præcepit : ad cujus sepulcrum miræ virtutes à die transitûs sui Dominus integra assiduitate ostendere digna- tur : per quod credendum est, pro hoc malo gesto regnum Theuderici et filiorum suorum fuisse destructum. — hi — Aucune imperfection ne trouvait grâce devant ces scrutateurs des actions et des consciences. On les redoutait comme ministres de la vengeance céleste. Or, la conduite du puissant Théodoric n'était pas irréprochable. On célébrait sa piété. Mais il s'était soustrait à la règle d'un mariage légitime, encouragé par sa mère qui voulait rester sans rivale (!). La famille royale florissait; elle comptait quatre rejetons dont Gontran, s'il eût vécu, se fût montré fier. Mais, aux yeux de saint Colomban, toute cette lignée mérovingienne était viciée dans sa source. Le cénobite était bien résolu à ne pas admettre le principe posé par Grégoire de Tours : « On appelle mainte- nant enfants du roi ceux qu'il a engendrés sans avoir égard à la condition des femmes (?). » Une pareille transaction avec le pa- ganisme répugnait à cette âme austère. Son imagination, nourrie des souvenirs de l'Ecriture, eut bien vite assimilé Théodoric à Achab, Brunehilde à Jézabel; lui-même, par une identification singulière, devint un nouvel Elie, un nouvel Elisée! (*) Ses apparitions soudaines et répétées remplissaient la cour de ter- reur (‘). Il refusa sa bénédiction aux enfants de l’adultère. II ) FREDEGAR., passim. Voir surtout ch. 36. (?) GRÉGOIRE DE Tours reproche à l'évêque Sagittaire de s'être montré trop sévère à l'égard de Gontran : « Sagittarius felle commotus, hanc rationem dure suscipiens, ut erat levis ac vanus, et in sermonibus inratio- nalibus profluus, declamare plurima de rege cœpit, ac dicere, quod filii ejus reganum capere non possent, eo quod mater eorum, ex familia Magna- charii quondam adseita, regis thorum adiisset ; ignorans quod, prætermissis nunc generibus feminarum, regis vocilantur liberi, qui de regibus fuerint procreali. » (Lib. V, c. 21.) (8) « Secunda ut erat Jezabelis, » dit FRÉDÉGAIRE en parlant de Brunehilde. Ce mot est précieux parce qu'il indique et caractérise la crise religieuse que traversait la Bourgogne. [1 trahit aussi l'inspiration biblique de saint Colomban. Tout ce chapitre 36, le plus intéressant et le seul vraiment animé de la chronique de Frédégaire, est à lire et à méditer. (*) FREDEGAR., c. 36: La première apparition a lieu à Bourcheresse, l'autre à Espoisse (Bourgogne). — A Bourcheresse, saint Co:omban refuse de bénir les enfants de Théodoric : « Egrediens vir Dei regiam aulam, dum limitem transiliret, fragor ex terrore incussit. » — A Espoisse, il refuse d'entrer dans la maison royale : « Regi nuntiant virum Dei inibi — 15 — prononça à leur égard de sinistres prédictions. D'abord, Théo- doric et Brunehilde s’humilièrent, cherchèrent à l'apaiser. Il redoubla ses anathèmes [!). S'arrogeant dans le Jura la farouche indépendance dont les prophètes avaient été investis dans le Liban, il allait jusqu’à rejeter l'autorité des évêques, 1l interdisait aux laïques et au roi lui-même l'entrée de son monastère. Brunehilde, poussée à bout, profita des haines qu'il avait sou- levées. Elle le relégua à Besançon. On nous le représente errant et méditant sur la cime escarpée où s'élève la citadelle (?). Il ne tarda pas à regagner Luxeuil au mépris de l’ordre royal. Alors fut prononcée son expulsion de la Séquanie. Une troupe de guerriers l’arracha à son cloître et le conduisit jusqu’à Nantes. Mais 1l ne devait point revoir l'Irlande : rejeté à la côte par la tempête, il se réfugia auprès de Clotaire, chargé de l'accomplis- sement de ses inflexibles oracles (). _ Nul doute que la vieille reine n’eût présentes à l'esprit les terribles paroles du prophète irlandais : « Ton empire s'écrou- lera de fond en comble, et tu périras avec toute la famille esse, nec regis domibus metare velle. » Il repousse les présents de Théo- doric : « Munera impiorum reprobat Altissimus. » Remarquez surtout ce qui suit : « His dictis, vascula omnia in frusta disrupta sunt, vinaque ac sicera solo diffusa, ceteraque separatim dispersa. Pavefacti ministri.,.» Ces scènes nous ramèuent à la Bible. () FREDEGAR., c. 36 : « Ille (Theudericus) pavore perculsus cum avia diluculo ad virum Dei properant. Precantur de commisso veniam, se in posterum emendare pollicentur. » Saint Colomban s’apaise un instant, mais il ne tarde pas à écrire à Brunchilde des lettres pleines de coups, verberibus plenas, dit énergiquement le moine bourguignon dont le style est d'ordinaire si faible et si pâle. (?) FREDEGAR., c. 36 : « Is (Baudulfus) virum Dei a monasterio pellit, et penes Vesontionem oppidum ad exsulandum perducit..… Adscendit Domi- nica die in verticem ardui cacuminis montis illius ; ita enim situs urbis babetur, cum domorum densitas in defuso latere proclivi montis sita sit, prorumpens ardua in sublimibus cacuminibus, qui undique ei abscisi fluminis Dovæ alveo vallante, nullatenus commeantibus viam pandit..…. » Frédégaire nous donne ainsi de Besancon une description pittoresque que l’on peut rapprocher de celle de César. (5) FREDEGAR,, €, 36. — 116 — royale (!}.» Mais il y avait dans cette destinée, je veux dire dans ce caractère, je ne sais quoi de fatal. Elle dominait les autres, incapable de se dominer elle-même. Elle avait décrété de venger les injures austrasiennes. Les invectives de l'ancienne esclave assise sur le trône à côté de Théodebert (?), surtout la perfide surprise de l'Alsace, ne lui permettaient plus de tempo- riser (*). La honte d’une lutte fratricide, la santé chancelante de Théodoric ne la retinrent pas. Une grande armée se réunit à Langres. La bataille de Toul, où des milliers de braves guerriers succombèrent, força le roi d'Austrasie à sé jeter dans Cologne. C’en était déjà trop. Mais on ne fait point à la vengeance sa part. L’apologue de l'évêque de Mayence peint ce moment terrible presque unique dans l'histoire : « Un loup étant monté sur la montagne et ayant commencé à chasser, appela vers lui ses fils, leur disant : Aussi loin que votre vue peut s'étendre de tout côté, vous n'avez point d'amis si ce n’est quelques-uns de votre race. Achevez donc ce que vous avez commencé (‘). » Brunehilde était encore plus impitoyable. Théodoric, traversant la forêt des Ardennes, fondit de nouveau sur son frère à Tolbiac. « Jamais, dit un contemporain, 1l ne fut livré de semblable bataille par les Francs et par les autres nations. Il se fit un tel carnage que les cadavres demeuraient, faute de place pour tomber, debout et serrés comme s'ils eussent été vivants (5). » A Fissue de la (®) - Scito tuum regnum funditus ruiturum, ct cum omni propagine regia periturum.» (1p., ibid.) @) « Bilichildem habebat uxorem quam Brunichildis a negotiatoribus mercaverat.. sæpius per legatos Brunichildem despiceret. » (Ip., c. 35.) (*) FREDEGAR., c. 37. (*) FREDEGAR., €. 38 : « Rustica fabula dicitur, quod cum lupus adscen- disset in montem, et cum filii sui jam venare cœpissent, eos ad se in monte vocat dicens : Quam longè oculi vestri in unamquamque partem videre prævalent, non habetis amicos, nisi paucos qui de vestro genere suut . Perficite igitur quod cœæpistis. » (5) FREDEGAR., c. 38 : « Ibi enim tanta strages ab utroque exercitu facta est, ut phalanges in ingressu certaminis contra se præliantes, cadavera virorum occisorum undique non haberent ubi inclinata jacerent, sed stabant mortui inter ceterorum cadavera stricti quasi viventes, » — 417 — journée, Théodebert fut immolé avec sa famille. Ainsi, les Champs qui avaient vu s’annoncer la gloire des Mérovingiens, voyaient maintenant leur ruine accomplie de sang-froid et par leurs propres mains ! | Les temps prédits par Caen étaient venus. Théodorie, après tant de sang versé, mourut lorsque son bras allait s’appe- santir sur Clotaire. Cette épreuve, la plus redoutable de son existence, la trouva, comme toujours, malgré ses soixante-dix ans, résolue, ardente, inflexible. Elle plaça sur le trône l’un de ses arrière-petits-fils, le jeune Siegebert, méprisant les deux coutumes chères de tout temps aux Germains, l'élection et le partage. « Les leudes et les grands officiers, dit Montesquieu, se crurent perdus; ils la perdirent (t). » Arnoul et Pepin de Landen, ancêtres des Carlovingiens, les Francs des trois royaumes, les farons burgondes, les évêques, les Gallo-Romains eux-mêmes se concertèrent pour mettre un terme à une tyrannie univer- sellement détestée. Car, comme l’a très bien exprimé un grand magistrat, « Frédégonde fit plus de maux, Brunehilde en fit craindre davantage (?). » Brunehilde, en cet instant critique, s'établit à Worms, afin d'appeler à elle les barbares d’outre-Rhin, qu’elle avait, quarante ans auparavant, déchaînés une première fois sur la Gaule (*). Le roi se rendit exprès en Souabe et en Thuringe. Mais la révélation de l'arrêt de mort prononcé contre le maire du palais Warnachaire et plusieurs grands de Bourgogne déjoua cet effort désespéré et précipita le lugubre dénouement {*). Les armées de ( noovre Esprit des lois, Liv. XXXI, c. 1. 1) O)"In.; 4h44: c. 2. (5) « … gentes quæ ultra Rhenum sunt adtraherent, » dit FRÉDÉG. (c. 40). # FREDEGAR., ©. 40 : « Indiculum direxit, ut Alboenus cum ceteris Warnacharium interficeret.….. viæ disruptum projicit in terram. Inventus est a puero Warnacharii : super tabula cera linita denuo ipse solidatur. Warnacharius cernens se vitæ periculum habere , deinceps cogitare cœpit, quo pacto filii Theuderici opprimerentur, et in regnum Chlotharius elige- retur : gentes quæ illic adtractæ fuerant, consilio secreto de solatio Bruni- childis et filiorum Theuderici procul fecit abesse. » 27 — 418 — Neustrie et d'Austrasie se rencontrèrent sur les bords de l'Aisne, non loin du fameux champ d’Attila. Avant l’action, à un signal convenu, les guerriers austrasiens s’enfuirent. Clotaire, averti de leurs intentions, les suivit lentement et atteignit ainsi la Saône. Il campa à Renève, sur la Vingeanne, en terre bourgui- gnonne, à l'extrême limite des départements de la Côte-d'Or et de la Haute-Saône. C’est en cet endroit qu’on lui amena trois Mérovingiens, reJetons du généreux Siegebert, espoir de la dynastie de Clovis. Brunehilde elle-même, arrêtée à Orbe, près du lac de Neuchâtel, lui fut livrée (!). La haine du fils de Frédé- gonde put s’assouvir. Il joignit la plus odieuse raillerie à la plus froide cruauté. Il reprocha à cette reine infortunée la mort de dix rois francs, victimes la plupart de lui-même ou de sa mère. Elle mourut comme elle avait vécu, sans aucune marque de faiblesse, n’implorant pas pour elle la pitié qu’elle n’avait jamais ressentie pour les autres. L'affreux supplice qu’il lui infligea confond l'imagination : on s’étonne et on s’indigne que les Francs aient méprisé à ce point un demi-siècle de domination et une vieillesse auguste. Mais cette immolation, par un juste retour, a fixé sur Brunehilde les sympathies de la postérité. Ainsi se développe cette existence fameuse, depuis la revendi- cation du présent du lendemain jusqu’à la perte d'un empire. Nous sommes surtout frappé de la puisssante unité qu’elle pré- sente : l’époque où elle tient une si grande place participe, malgré une apparente incohérence, à ses allures nettement accusées. Frédégonde ne put pas se réjouir longtemps au fond de sa (2) FREDEGAR., c. 42 : — Ce séjour de Brunebhilde à Orbe montre qu'elle se défiait également des Germains et des Gallo-Romains. Le lac de Neu- châtel est effectivement à la limite des deux langues et des deux races, Nous avons été vivement frappé, dans une excursion à Morat, de ce fait qui donne lieu à bien des surprises, à bien des observations piquantes. La limite exacte nous semble être successivement la Sarine, la Broye, la Thielle et l’Aar. Fribourg, que la Sarine divise en deux parties, est moitié française, moitié allemande. Les villes situées sur cette frontière si digne d'attention ont en général deux noms, l'un francais, l’autre allemand. — 419 — tombe. La lutte prolongée de l’Austrasie et de la Neustrie avait brisé les Mérovingiens. Ils sortirent de cette crise déconsidérés et amoindris. Clotaire n’avait triomphé qu’en abdiquant : seul roi des Frances, il subissait la tutelle des maires du palais et la constitution perpétuelle. Si la dynastie se continuait par le fils même de Frédégonde, tandis qu'aucun des enfants de Brune- hilde ne survivait, c'était pour aboutir presque immédiatement à la série des rois fainéants! A ces guerriers sans repos et sans frein vont donc succéder les énervés de Jumièges ! |‘) Ne doutez pas qu’il n’y ait là une expiation en rapport avec le crime. La malédiction de Prétextat s’est accomplie. Ces tragiques événements ne pouvaient s’effacer du souvenir. L'impression générale resta, si les détails se perdirent. Aussi bien, dès que l'Allemagne, parvenue à son âge héroïque, com- posa son Iliade, elle emprunta à la tradition les traits principaux de la funeste régence de Brunehilde. Nous retrouvons, dans les Niebelungen, un Chilpéric faible et irrésolu, un Siegebert intré- pide et loyal, une Frédégonde perfide, une Brunehilde venge- resse. Les noms seuls sont changés (?). Le nom même des Burgondes subsiste dans la légende, comme pour attester le rôle important qu'ils ont joué dans l’histoire. (} « Clovis IT, dit la légende, vainqueur de ses deux fils révoltés contre lui, les énerva « en leur faisant brûler les jarrets. » Ce supplice ne les tua pas. Mais dès lors étiolés, sans force, ils languirent sous les yeux de leur père, que les remords et la honte saisirent. Un jour il les fit placer en un bateau sur la Seine et les abandonna au courant, remettant à Dieu de les conduire. Le courant les porta jusqu’à la presqu'ile où saint Philibert venait de fonder le monastère de Jumièges. Les moines ecueillirent les énervés et montrèrent longtemps leur tombeau. C’est le symbole de cette race mérovingienne, caduque avant l'âge, que l'Eglise va recevoir et gar- der. » (V. Duruy, Histoire de France.) (?) 11 y a, nous le savons, bien autre chose dans les Niebelungen, qui nous semblent être le résumé légendaire de l'histoire héroïque des Ger- mains. Piusieurs époques distinctes y sont rapprochées, s’y pénètrent et s'y confondent. Il est nécessaire de lire sur ce sujet l'Histoire d'Allila de M. Amédée Tæixrey. (V, la 4° partie, Hist. légendaire et tradition. d'Attila.) CONSIDÉRATIONS SUR L’ARC ANTIQUE PORTE-NOFESE A BESANCON Par M. Auguste CASTAN Séance publique du 20 décembre 1866. Messieurs, Il y a trois villes au monde dont nous sommes tous les citoyens : Jérusalem, berceau de nos croyances religieuses ; Athènes, qui a gravé sur le marbre et le bronze les principes qui nous règlent en matière de goût; Rome, qui nous a imposé une puissante formule de civilisation dont nos lois actuelles sont encore le reflet. Pourquoi nous trouvons-nous plus complte- ment chez nous dans ces trois localités que dans les villes où nous sommes nés et que nous parcourons chaque jour ? C’est évidemment parce que les Juifs, les Athéniens et les Romains ont eu l’heureuse fortune d’avoir une succession non interrompue de chroniqueurs, et que chacun de leurs monuments correspond à un fait qui est un paragraphe du rudiment de toute éducation libérale. Nous aimons d’instinct les villes qui nous ont donné la nais- sance; mais pour que cette affection soit sérieuse, il faut qu’elle soit raisonnée : or, elle ne peut parvenir à ce degré supérieur qu’à la condition d’avoir pour base une exacte notion des sou- venirs du passé. Il en est des monuments comme des hommes; on ne s'attache volontiers qu'à ceux dont on connaît les anté- cédents. — 498 — Envisagée à ce point de vue, l’histoire locale accomplit une haute et salutaire mission; car, en fournissant aux individus des motifs d'amour pour la terre natale, elle combat cette tendance à l’émigration vers les grands centres que l’on a justement signalée comme l’un des fléaux de notre époque. La Société d'Emulation du Doubs est née en quelque sorte sous l'empire de ce sentiment : elle en a déposé l'expression dans l’article premier de ses statuts, en disant qu’elle encoura- geait particulièrement les études relatives à la Franche-Comté. L'énoncé du principe a élé suivi de près par une application des plus heureuses, car, à peine organisée, notre compagnie éditait la première description véritablement scientifique des monu- ments de cette ville, que l’un de ses fondateurs, M. l'architecte Delacroix, venait de produire (1). La Société n’a pas discontinué depuis son bienfaisant patro- nage envers nos monuments historiques, et c'est en conséquence de cette disposition qu’elle a fait mouler, sous la direction de notre zélé collègue M. Varaigne, la plus grande partie des bas- reliefs de l'arc antique connu sous le nom de Porte-Noire. Je veux prouver à la Société que cette entreprise a été utile, et je ne puis mieux y réussir qu'en lui présentant un essai dé déchiffrement de quelques-unes des sculptures qui ornent l’édi- fice, lesquelles, faute de pouvoir être perçues d’une manière suffisamment minutieuse et suivie, avaient donné lieu aux mter- prétations les plus divergentes. En remontant aux débuts de la critique historique dans le pays, nous rencontrons Denis Fage, jurisconsulte bisontin du xvie siècle, qui prétendit reconnaître dans les captifs de Porte- Noire les Germains d’Arioviste vaincus par Jules César (?). Vint ensuite Claude Chifflet, l’un des disciples chéris de Cujas, qui soutint que notre arc célébrait le triomphe de Verginius Rufus, () Mémoires de la Sociélé d'Emulation du Doubs, 1lre série, t. I (1841), livr. 3-4, pp. 53-67; t. II (1842), livr. 1-2, pp. 3-9. (?) J.-J. CHIFFLET, Vesontio, t. I, p. 159. — 4922 — lieutenant de Néron, sur le rebelle Vindex (!)}. Jean-Jacques Chifflet, neveu de Claude, consacra vingt-huit pages et deux planches de son Vesontio à la description de Porte-Noire, dans laquelle il vit un monument commémoratif des exploits de l'empereur Aurélien (?). Cette thèse fut adoptée par le jésuite Prost, dans son Histoire de Besançon restée manuscrite {#). Dunod écrivit deux dissertations et fit graver une planche pour démontrer que Porte-Noire se rattachait aux victoires de Crispus, fils de Constantin, sur la Germanie {(*). L'abbé Bullet fut d'un tout autre sentiment : il Jugea que notre arc convenait mieux à l'empereur Julien, qui décrivit Vesontio après sa ruine par les Barbares et pourrait avoir aidé à sa reconstruction (*). Perreciot s’est attaché à consolider cette opinion (5). Dans le même temps, le bénédictin D. Berthod sut trouver un moyen terme : il envi- sagea Porte-Noire comme un symbole des victoires de Marc- Aurèle sur les Quades et les Marcomans, mais en se bornant à une énumération sommaire des motifs qui lui avaient fait con- cevoir cette attribution (T). Ce système a été développé et soutenu par feu M. Ravier, qui ne l’a basé d’ailleurs que sur une inter- prétation des sculptures, sans entrer dans aucune considération architechtonique (%). M. Edouard Clerc, tout en adoptant l’époque () J.-J, CaiFFLET, Vesonlio, t. I, p. 160. (?) In., ibid., pp. 161-187. À (8) Ms. de Ja bibliothèque de Besancon, pp. 280-283. (4) Histoire des Séquanois, pp. 118-126; — Histoire de l'église, ville et diocèse de Besançon, t. II, pp. 375-380. (5) Observation sur l'arc de triomphe de Besançon, dans les Ouvrages ma- nuscrits des membres de l'Académie de Besançon, t. IV, fol. 197 et 198. (5) Dissertation où l'on examine si c’est pour Crispus que fut érigé l'arc triomphal appelé vulgairement Porte-Noire, à la suite d'une Dissertation sur les différentes positions de la ville de Besançon, conservée en manuscrit dans les Concours de l’Académie, ann. 1764. (") Porte-Noire bâtie avant Crispus et Aurélien, dans les preuves d'une Dissertation sur les différentes positions de la ville de Besançon. (Mem. et documents inédits publ. par l’Acad. de Besançon, t. II, pp. 280-282.) (#) Dissertation sur l'arc de triomphe de Besançon, dans le compte-rendu de la 8° session du Congrès scientifique de France, 1840, pp. 513-530. — 4923 — de Marc-Aurèle pour date de la construction de Porte-Noire, se refuse à voir dans celle-ci un arc de triomphe érigé en souvenir d'une victoire : ce serait pour lui, au contraire, le monument commémoratif de l’arrivée des eaux d’Arcier à Besançon (!). Enfin notre confrère M. Alphonse Delacroix, appliquant à cet objet sa remarquable faculté d’intuition, tendrait à penser que Porte-Noire remonte au règne de Claude, à ce moment solennel de l'admission au sénat des grands de la Gaule chevelue (?). Abordant la question à notre tour, nous avons moins ambi- tionné l'honneur de proposer une solution nouvelle que d'en présenter une qui fût fondée tout à la fois sur une comparaison de notre arc avec ses analogues, et sur un examen du style artistique et moral de ses sculptures. Porte-Noire est, à n’en pas douter, un arc triomphal, érigé par le municipe de Vesontio en l'honneur des victoires d’un empereur romain sur des peuples barbares. Le nom de Porie- de-Mars que les textes du xr° siècle donnent encore à ce monu- ment ‘#), les trois combats et le siége d’une ville représentés sur les bas-reliefs supérieurs de ses pieds-droits, les figures de captifs et de captives enchaînés et gardés par des soldats romains qui font le sujet des deux bas-reliefs inférieurs de la même série et se reproduisent entre les colonnes de la face qui regarde la ville, la scène d’un crucifiement de prisonniers que Dunod avait relevée sur l’un des bas-reliefs aujourd’hui masqués par la maison d'Angirey, les trophées d’armes offensives et défensives qui ornent les bandeaux placés entre les bas-reliefs ainsi que les frises des entablements, tout cela en est une démonstration surabondante. Quant à sa formule architechtonique, l'arc qui nous occupe n’est la répétition d'aucun autre are de l'antiquité. Seul entre (?) La Franche-Comté à l'époque romaine, pp. 25-29. (?) Guide de l'étranger à Besançon, pp. 87-93. (5) « Cum venerint (elerus et populus) ad Portam Martis, quæ nunc dici- tur Porta Nigra..….. » (Ordinarium antiquum ecclesiæ Bisuntinæ, Ordo in die Palmarum, ap. Dunop, Hist. des Séquanois, preuves, p. XxxIx.) sed Done tous, 1l présente sur ses grandes faces un double étage d’archi- tecture (‘), tandis que ses congénères n’en ont qu’un seul étage surmonté d’un attique; à lui seul appartient également cette large archivolte en plate-bande sur laquelle ressort un énroule- ment de divinités marines; il est enfin le seul à avoir les fûts de : ses colonnes totalement couverts de sculptures. C’est donc avec raison que M. Delacroix à pu dire : « Aucun arc antique ne surpasse la Porte-Noire pour le luxe des ornements (?). » Mais cette profusion de richesse, si elle n’offense pas encore le goût, est néanmoins l'indication d'une époque où l’art com- mençait à marcher vers sa décadence. Les architectes du premier siècle usaient de l’ornement avec beaucoup plus de discrétion : ils comprenaient la nécessité de ménager des repos pour l'œil, et savaient donner de la valeur aux parties ornées en les enca- drant de surfaces lisses. Les arcs élevés en l'honneur d’Auguste, à Rimini et à Suze, se distinguent par la simplicité, le calme et la sobriété : la figure n’y apparaît que dans la frise ou dans des médaillons qui décorent les tympans (*). Il faut descendre jus- qu'à l’arc de Titus pour trouver des bas-reliefs formant tableaux dans l’intérieur des pieds-droits (*), et c’est également cet édifice qui nous offre le premier exemple de l'emploi des chapiteaux composites (*). Or, toutes les colonnes de Porte-Noire se termi- nant par des chapiteaux composites, et les tableaux en bas-reliefs y existant en très grand nombre, il s'ensuit qu'on ne pourrait faire remonter ce monument au delà du règne de Titus. Cherchant à lui assigner une limite d’âge en sens imverse, nous l’avons attentivement comparé à l’arc de Septime-Sévère, (:) On pourrait voir un deuxième étage d'architecture dans l'arc d'Adrien à Athènes; cependant ce second ordre n’accostant pas, mais surmontant l’arcade, on ne saurait guère le considérer que comme l'équivalent d'un attique. (2) Notice sur Porte-Noire, dans les Mémoires de la Sociélé d'Emulation du Doubs, 1lre série, t. 1], livr. 1-2, p. 3. (8) ViTeT, Articles du Journal des savants, ann. 1859, pp. 331-333. () Cf. BeLzLoRI, Veteres arcus Augustorum, 1690, in-fol. (5) CARISTIE, Monuments antiques à Orange, p. 23. — 495 — et celui-ci nous a présenté un caractère architechtonique qui “n'existe dans aucun arc d’une date antérieure, mais qui se reproduit constamment dans les portes triomphales des règnes subséquents. Nous voulons parler de la substitution de pilastres plats aux colonnes comme supports de l’entablement {1}. Porte- Noire est bien loin d’être dans ce cas, ses colonnes engagées en partie faisant corps avec les entablements de l'un et de l’autre étages : donc cet arc est antérieur au temps de Septime-Sévère. Entre l'avènement de Titus et celui de Septime-Sévère, cent quatorze ans se sont écoulés, pendant lesquels douze empereurs ont régné sur le monde romain ; et c'est parmi ces douze césars qu'il faut nécessairement trouver le héros des exploits figurés par les bas-reliefs de Porte-Noire. Dans cette recherche, nous procéderons d’abord par élimination. Si Porte-Noire était un monument de la gloire de Titus, les trophées qui s’y déploient rappelleraient indubitablement, par quelques objets caractéristiques, la conquête de la Judée qui compose toute la gloire militaire de cet empereur : on y verrait au moins ce fameux chandelier à sept branches qui fut l’orne- ment capital de l'unique triomphe qu'ait eu le fils aîné de Vespasien (?). Une raison péremptoire pour ne pas restituer notre arc à Domitien, c’est le décret du sénat qui prescrivit la destruction de tous les monuments élevés à la mémoire de cet indigne empereur (), et en effet aucun d'eux n’a subsisté. Porte-Noire ne saurait être attribuée devantage à Nerva, ce premier des bons empereurs n'ayant jamais souffert qu’on lui dressât le moindre simulacre, pas même une statue (f). () Il existe bèen des colonnes dans les arcs de Septime-Sévère et de Constantin, mais elles ne font pas corps avec l'édifice, jetées qu'elles sont en avant des pilastres et ne soutenant que des saillies de l’entablement qui elles-mêmes supportent des statues. (2) Cf. BELLORI, Veleres arcus Augustorum, pl. 3-8, (5) SUETON., Domilianus, ©. XXII. (4) Dio Cass., Epilome, Nerva. — 4926 — Adrien et Antonin furent des amis trop prononcés de la paix pour qu'on ait pu retracer des scènes militaires sur un édifice. qui leur eût été consacré : on ne voit, en effet, rien de semblable dans l’arc que le peuple d'Athènes dédia à l’empereur Adrien (!). Quant à Commode, uniquement occupé à satisfaire des ins- tincts de bête fauve, il fut un objet d'horreur pour le monde romain : aussi, lorsqu'il eut péri par le poison, les provinces obéirent-elles volontiers à cet ordre du sénat : « Renversez de toutes parts les statues de l'ennemi, de toutes parts les statues du parricide, de toutes parts les statues du gladiateur (?). » Nous ne mentionnerons Pertinax, Didier-Julien, Albin et Niger, que pour rappeler que ces monarques éphémères n’eurent pas le temps de se faire accepter nulle part d’une manière sé- rieuse, et qu'il n’y a pas lieu de leur faire honneur d'un monu- ment qui supposerait de la part de notre municipe une confiance impossible dans la durée de l’un d’entre eux. Ces dix empereurs étant écartés pour les raisons que nous venons de dire, il ne reste plus que Trajan et Marc-Aurèle comme candidats à l'attribution que nous cherchons à préciser. Trajan et Marc-Aurèle sont deux noms infiniment respec- tables : il serait donc indifférent pour la gloire de Vesontio que notre arc célébrât les hauts faits de l’un ou de l’autre de ces grands et bons princes. Si nous optons pour l’un des deux, puisqu'il y a nécessité de le faire, on ne nous reprochera pas d’avoir été influencé par le désir de donner un complément de lustre à notre vieille cité. A n’envisager l'arc bisontin que superficiellement, 1l semble convenir également bien aux deux beaux règnes que nous venons de mentionner. Ses colonnes cerclées de bas-reliefs procèdent évidemment des colonnes triomphales qui portent encore aux nues les campagnes de Trajan et de Marc-Aurèle ; il y a d’ail- leurs similitude parfaite entre les armures représentées sur @) CARISTIE, Monuments antiques à Orange, pl. xviI-xvIIt, fig. 12. (2) Æz. LAMPRID., Commodus Antoninus, C, XVIII. — 4927 — Porte-Noire et les pièces de l'équipement des légionnaires qui combattirent sous ces deux empereurs ; les barbares de nos sculptures sont les frères de ceux qui figurent sur les deux colonnes de la ville éternelle; et ce chef armé d’un arc qui, dans l’un des bas-reliefs de Porte-Noire, défie les Romains derrière une muraille crénelée, pourrait être indifféremment baptisé Décébale ou Vologèse. Les scènes militaires ne font pas tous les frais de la décoration de Porte-Noire, et notre examen serait imcomplet s’il n'embras- sait aussi les bas-reliefs qui couvrent les colonnes et bordent les jambages du monument. Tous ces bas-reliefs ne sont pas égale- ment lisibles; nous nous bornerons à parler du très petit nombre de ceux qui nous ont paru pouvoir concourir à l'éclaireissement du problème qui nous occupe. Deux de ces derniers occupent le sommet et le bas de la colonne si bien conservée qui regarde l'église Saint-Jean, du côté opposé à l’archevêché. Sur le pre- mier, on voit une sorte d'Hercule se livrant au massacre des troupeaux, mais arrêté subitement par une déesse qui lui pré- sente un flambeau, ce dont une pauvre brebis profite pour chercher un asile sous les jupes de sa libératrice. Le second bas-relief met en évidence la supériorité de la faiblesse civilisée sur la force brutale : un guerrier armé de toutes pièces tient sans effort en échec un sauvage nu qui brandit un roc au-dessus de sa tête. Dans la plate-bande du seul jambage antique de l'arc, nous avons distingué un bas-relief infiniment curieux : il repré- sente un vigoureux jeune homme posant triomphalement sur un autel un sac rempli de monnaie, tandis qu'un individu chétif s'éloigne tristement, emportant sur son cou un quartier d'animal immolé. Nulle part le déménagement du paganisme n'a été symbolisé d'une façon plus crue et plus ironique; et pour qu’une telle dénégation ait pu être jetée publiquement à la face de l’an- cienne religion officielle de l'empire, 1l fallait qu’alors le monde romain fût sous le coup d’une invasion de doctrines philoso- phiques qui sapaient les vieux dogmes en les ridiculisant. On dirait ce bas-relief inspiré par les railleries amères de Lucien: —- 128 — et si les deux autres précédemment décrits n’accusent pas aussi franchement une date, ils n’en font pas moins songer à un temps où les idées morales étaient la préoccupation dominante. Or, le patron de Lucien et d'Epictète, le moraliste couronné qui avait fait asseoir la philosophie sur le trône et voulait lui donner le monde pour royaume, cet empereur ne s'appelait pas Trajan, mais bien Marc-Aurèle. Si nous interrogeons à leur tour les échos de l’histoire, c’est encore le nom de Marc-Aurèle qui sera répercuté. Les annales du règne de Trajan ne contiennent pas un seul fait qui ait eu la Séquanie pour théâtre. Il en est tout autrement du règne de Marc-Aurèle. L’unique biographe de cet empereur rapporte, en effet, que, grâce à son intervention ferme et paternelle, des troubles furent appaisés chez les Séquanes (!). Une inscription, trouvée dans le voisinage de notre église de Sainte-Madeleine, disait la même chose en ces termes : | AUX EMPEREURS CÉSARS AUGUSTES MARC-AURÈLE ANTONIN ET LUCIUS AURELIUS VERUS, LES CITOYENS DE BESANCON (?). Porte-Noire nous paraît être le développement de la pensée qui a dicté l'inscription; et comme dans celle-ci le nom de Vérus se trouve associé au nom de Marc-Aurèle, il s’en suivrait que l’in- tervention de cet empereur, et par suite la construction de notre arc, seraient antérieures à la fin de l’année 169. Deux années avant cette date, Marc-Aurèle avait triomphé de la plus formi- dable levée de boucliers que les Germains eussent encore faite : (:) « Res etiam in Sequanis turbatas, censura et auctoritate repressit. » (Juz. CaPpiTOL., Marcus Antoninus, c. XX11.) () IMP. CAES. AVG. M. AYR. ANTONI NO ET .L. AVR. VERO CIYES VE. (J.-J. CHIFFLET, Vesontio, t. I, p.157; GRUTER, Corpus inscript., p. CCLVH, 4; Dunon, Hist. des Séq., p. 129.) F — 429 — aucune province n'avait plus à s’en réjouir que la nôtre, destinée qu'elle était par sa position topographique à être la première victime de toute irruption des barbares du Nord sur l'Italie (1). Vesontio avait donc tous les motifs possibles pour saluer dans Marc-Aurèle un bienfaiteur, et ainsi s’expliquerait l'érection de Porte-Noire d’une façon tout à la fois extrêmement plausible et fort honorable pour nos ancêtres. Un dernier argument pourrait encore se tirer de l’ancien nom qu'a porté la montagne qui domine notre ville et à laquelle Porte-Noire sert d'entrée. La tradition veut que cette montagne, occupée aujourd'hui par notre citadelle, se soit appelée à l’é- poque romaine le mont Cælius (?, ce qui ne peut guère s’expli- quer qüe par une dédicace de cette hauteur à quelque héros ayant une relation intime avec le mont Cælius de Rome : or, Marc-Aurèle, qui fut rangé parmi, les dieux après sa mort, était né sur le mont Cælius (*) et avait passé son enfance dans les jardins d’une villa qu'y possédait sa famille {*). Tout concorde, on le voit, pour que notre arc triomphal soit un monument de la piété de nos ancêtres envers le génie de Marc-Aurèle, le seul empereur dont les ouragans du ciel et des révolutions aient laissé debout la statue, récompense bien mé- ritée par celui qui sut régler sa conduite sur cette belle maxime sortie de sa plume : « Tu aimeras les hommes si tu viens à penser que tu es leur frère, que c'est par ignorance ou malgré eux qu'ils font des fautes, et que tous, bientôt, vous devez mourir. » Q) Cf. STRABO, Geog., lib. IV, c. 11, S 2. (2) J.-J. CHiFFLET, Vesontio, t. 1, p. 65. (5) « Ut ego qui a græca litteratura tantum absum, quantum a terra Græcia mons Caœlius meus abest..…… » (M. AURELN Epist, ad Frontonem, lib. IT, ep. 2.) (4) « Natus est Marcus Romæ, sexto kalendas maias, in monte Cælio, in hortis, ao suo iterum et Augure coss. (26 avril 121)... Educatus est in eo loco in quo natus est...» (JuL. CArITOL., M. Antoninus, €. 1.) — Cf, N. pes VERGERS, Essai sur Marc-Aurèle, p. 4. LE PRIEURÉ DE SAINT-PIERRE DU VAUXTRAVERS ET LES COMTES DE NEUCHATEL Par M. A. de MANDROT Lieutenant-Colonel à l'Etat-major fédéral suisse, Séance publique du 20 décembre 1866. Les anciens historiens neuchäâtelois ont généralement cru que le comté de Neuchâtel n'avait cessé d’être un tout umiforme dé- pendant d’un même seigneur, et cela dès l’inféodation de cet état aux comtes de Fenis. Cette erreur n’a point été partagée par M. Frédéric de Cham- brier, lequel, dans son Histoire de Neuchâtel, a fort bien reconnu que la baronie de Neuchâtel, remise à Ulric, comte de Fenis, vers 1040, ne comprenait qu’une minime partie de ce qu'on a plus tard appelé mal à propos comté de Neuchâtel, et que ce comté (puisque l'usage a fini par régulariser cette usurpation de titre) se composait de pièces rapportées : c'est du reste le cas de la plupart des seigneuries ou souverainetés issues du moyen âge. La baronie de Neuchâtel était un domaine royal, ne compre- nant que la côte entre le Jura et le lac, depuis Cornaux et Thièle jusqu'à Colombier et Rochefort, à l'entrée du val de Travers. Tout ce qui était au sud de l’Areuse, entre le mont de Boudry et Le lac, appartenait aux seigneurs de Gorgier et de Vauxmarceus, dynastes que nous croyons être issus de la maison de Grandson. Colombier même ainsi que Rochefort, avec Cormondresche et Auvernier, appartenaient à des dynastes du nom de Colombier. Le val de Travers ainsi que le reste des montagnes ne faisaient point partie de ce domaine royal. A peu près au centre de la vallée que nous venons de nommer, s'élève une antique église, reste imposant d’un prieuré jadis — 431 — riche et puissant, lequel, malgré les idées très fausses que se fait en général le public sur la toute-puissance de l'Eglise au moyen âge, fut dépouillé de sa souveraineté d'abord, puis de ses ri- chesses, par un seigneur laïc qui avait officiellement mission de le protéger : nous voulons parler du prieuré de Saint-Pierre du Vauxtravers, sis au village de Motiers, dans la susdite vallée. Le Vauxtravers et le val de Ruz étaient originairement aussi bien domaine royal que la baronie de Neuchâtel. Pourquoi ces deux vallées et leurs dépendances, les Ponts, la Sagne, le Locle, la Chaux-de-Fonds, etc., ne firent-elles pas partie de l’inféoda- tion de Conrad le Salique? C’est que déjà, sous les rois de Bour- gogne, elles avaient servi à doter le prieuré de Saint-Pierre de Motiers;, on n'avait excepté de cette donation que l’église et la paroisse de Dombresson, au val de Ruz, qui avaient été données précédemment au chapitre de Saint-Imier, dans l'évêché de Bâle. Cependant, la chapelle royale de Neuchâtel avait des hommes et des terres dans plusieurs villages du val de Ruz, et les hommes royés de ce vallon devaient suivre la bannière du seigneur de Neuchâtel dans les guerres de l'empire. Ces hommes royés (homines regii) possédaient leurs terres en franc alleu, et ne devaient qu’au roi ou à l'empire le service militaire et les impôts qu'ils avaient eux-mêmes gonsentis. Ils étaient sous le comman- dement militaire des comtes territoriaux et assistaient à leurs plaids. On en comptait beaucoup dans la Suisse romande ; mais peu à peu ils entrèrent dans la vassalité des grands seigneurs leurs voisins, ou même finirent par devenir de simples hommes hbres de la campagne. Ils donnèrent, du reste, un fort contingent aux bourgeoisies des villes, lorsque celles-ci se formèrent; enfin c'est des hommes royés de la Bourgogne transjurane que des- cendent les neuf dixièmes des familles nobles de la Suisse romande. Mais revenons à notre prieuré de Saint-Pierre. Nous avons dit qu'il avait été fondé sur terre royale et ne dépendait que du roi; en voici la preuve. Un diplôme de l'empereur Henri IV, qu'il faut rapporter entre 1093 et 1105, contient ce qui suit : — 432 — « Au nom de la sainte et indivisible Trinité (suivent les titres de l’empereur et les noms des témoins de l’acte).. Sur l’humble et salutaire requête de Hugues, abbé de Cluny, et du moine Etienne, par cette page (écrit) et cet ordre, nous concédons en possession perpétuelle au monastère de Sainte-Marie de Payerne le lieu {Zocum) qu’on appelle vulgairement Vallis transversa, et que l’on sait être bâti dans l'évêché de l’église de Lausanne, avec toutes ses dépendances, exceptées celles que certains laïcs y tiennent de notre main (exceptis his quæ de manu nostra qui- dam laici tenent) (!)...…. » L'expression de locus, dans les chartes et légendes antérieures au 1ix° siècle, est souvent employée avec le sens de monastère, d'abbaye où d’hermitage. C’est ainsi que l’abbaye du Pont (vallée du lac de Joux) s’est appelée Zocus Domini Pontii; celle de Condat ou Saint-Claude, dans un acte prétendu de Charlemagne, est désign ‘e sous le nom de locus Condatiscensis. Le diplôme cité ci-dessus ne peut être un titre de fondation : il s’agit d’un lieu où monastère déjà construit; c’est une dona- tion pure et simple dudit monastère, lequel, indépendant jus- qu'alors, a demandé la protection de Cluny en devenant un des prieurés annexés à Payerne. Cluny était alors une puissance ! Il y avait dans l'empire, et dans le royaume de Bourgogne qui en faisait alors partie, trois espèces de fondations religieuses : 1° Les abbayes royales, appelées aussi monastères royaux ou Impériaux ; 2° Les abbayes ou monastères fondés sur le sol royal, ou d’empire, mais par un vassal du roi ou de l'empereur; 3° Les abbayes ou monastères fondés par des seigneurs im- médiats, ou dynastes, sur leur franc-alleu. La première catégorie demeura sous la protection royale ou impériale. Cette protection dégénérait souvent en une espèce de propriété. Romain-Motiers, Payerne et Saint-Pierre du Vaux- travers étaient dans ce cas. On ne manque pas de preuves que (4) MATILE, Monuments de l'histoire de Neuchâtel, ne pcexcix, p. 1188, — 433 — ies rois de Bourgogne traitaient souvent de cette manière les abbayes royales; un seul exemple suffira pour convaincre. Romain-Motiers, fondé par Clovis Il (630-635), était une abbaye royale : Rodolphe [°", roi de Bourgogne, n'hésite pas à l'inféoder, en 888, à sa sœur Adélaïde, femme de Richard, duc de Bourgogne, et on ne voit pas que ce fait ait amené la moindre réclamation de la part d'aucune autorité ecclésiastique. Adélaïde remit l’abbaye à Cluny (927-942) pour qu’elle devint une maison de cet ordre. La preuve que le prieuré de Saint-Pierre était dans une posi- tion identique, c’est que l'empereur Henri If, comme nous venons de le dire, et plus tard Frédéric If agissent de même à son égard. Ce dernier prince, confirmant les franchises du prieuré, dit, dans une charte de 1178, qu'il le prend sous sa protection immédiate, sauf le droit du comte de Bourgogne, vice-défenseur du monastère. Le roi, et plus tard l’empereur, nommalent, on le voit, un sous-avoué à vie, qui remplissait en leur absence (vice nostra) les fonctions d’avoué héréditaire des monastères royaux. La seconde catégorie de monastères ne pouvait être fondée sans l'approbation du roi ou de l’empereur, puisque le vassal qui en était fondateur dotait la nouvelle maison religieuse aux dépens de son fief royal ou impérial; mais, à part son consentement qui était indispensable, le roi ou l'empereur ne s’inquiétait plus du monastère, à moins que le fondateur ne lui en offrît l’avouerie d'honneur. Quant à la troisième catégorie de maisons religieuses, il ré- sulte de ce que nous venons de dire, que le roi ou l'empereur n’avalt pas à se mêler de leurs affaires; elles étaient sous la protection, sous l’avouerie des familles qui les avaient fondées ou sous celles de leurs héritiers légitimes. En 41107, le pape Pascal Il soumet le prieuré du Vauxtravers au couvent de la Chaise-Dieu, en l’ôtant à Payerne. Pourquoi le pape révoque-t-il la donation de Henri III? La Bourgogne et son comte, Guillaume dit l'Allemand, avaient 28 — 434 — tenu chaudement le parti de l'empire contre les papes; mais Henri IV étant mort excommunié en 41106, le susdit comte voulut demeurer fidèle à son souverain jusqu’après sa mort : aussi se tourna-t-1l contre son fils Henri V, dont les mauvais procédés envers son père avaient excité l’indignation générale. Guillaume se réconcilia donc avec le pape, qui vint, en 4407, tenir un concile à Châlons : c’est à ce concile que Saint-Pierre du Vauxtravers fut soustrait à l’obédience de Payerne et mis sous celle de la Chaise-Dieu (‘). Le pape, en agissant ainsi, se rendait agréable au comte Guillaume qui, étant avoué pour l'empereur Henri V du susdit prieuré, préférait le voir soustrait à l'influence que l’empereur exerçait encore sur Payerne. L'union du prieuré de Saint-Pierre avec la Chaise-Dieu dura nominalement jusqu’au xv° siècle; mais nous ne connaissons aucun document qui nous montre qu’elle ait eu quelque influence sur ledit prieuré. En 1178, nouvel incident. Le monastère de Saint-Pierre est menacé dans son imdépendance par des voisins : 1l s'en plaint à son avoué le comte de Bourgogne. C’est ce que nous apprend un diplôme de l'empereur Frédéric Ier. « Frédéric, par la grâce de Dieu, empereur romain auguste, à tous nos fidèles présents et futurs savoir faisons qu’'étant 1rrité des actes nombreux et variés de rapines et de violentes spolia- tions que l’on a fait subir à l’église de Saint-Pierre du Vauxtra- vers, nous la prenons, pour obtenir le mérite de la vie éternelle, très spécialement sous notre gracieuse protection, et nous vou- lons qu’elle et toutes ses dépendances demeurent sûres et in- violables sous le patronage de notre paix : nous arrêtons donc, et nous défendons, sous la sanction de notre autorité, à toute personne quelconque, grande ou petite, d’oser à l'avenir porter atteinte par la violence aux frères dudit prieuré et à leurs hommes, soit en leurs biens, soit en leurs personnes, et de les tourmenter par des exactions de quelque genre que ce soit, Lin att si TRIER (4) MaBizLon, Annales benediclini, t, V, p. 458. — 435 — réservé cependant le droit du comte de Bourgogne, qui est chargé de notre part et à notre place de défendre diligemment cette église, etc. (‘). » Frédéric agit ici au double titre d'empereur et de comte de Bourgogne; on sait qu'il avait épousé Béatrix, fille unique du comte Rainaud II, et c’est en parcourant les états de sa femme que, se trouvant à Pontarlier, il donna le diplôme susmentionné en faveur du prieuré de Saint-Pierre. Le comte de Bourgogne, pour lequel l’avouerie de Saint-Pierre est ultérieurement réservée, n’est autre qu'Othon I‘, quatrième fils de Frédéric et de Béatrix, que son père destinait à recueillir l'héritage maternel. Béatrix, fille d’Othon [er et sa seule héritière, épousa Othon IE, duc de Méranie, qui prit le titre de comte palatin de Bourgogne. Celui-ci eut de sa femme Béatrix Othon IIT, lequel fit héritière sa sœur Alix, fiancée dès 1231 à Hugues, fils de Jean de Chalon, sire de Salins. Hugues était issu de la branche cadette des comtes de Bour- gogne, qui avait disputé à la branche aînée, ou du moins aux ducs de Méranie entés sur elle, le titre de comte de Bourgogne et les possessions qui en dépendaient. Ce fut pour réconcilier les deux maisons que le mariage de Hugues et d’Alix eut lieu en 1236. En 1248, Othon IIT mourut sans postérité, et sa sœur Alix apporta le comté de Bourgogne à son mari Hugues de Chalon. Quels étaient les ennemis du prieuré que l’empereur Frédéric menaçait si fort de sa colère ? C’étaient Ulric IT, sire de Neu- châtel, et l’abbaye de Saint-Jean de Cerlier, dont Ulric était avoué : il s'agissait de l’église de Diesse, qui avait été enlevée à Saint-Pierre du Vauxtravers et donnée indûment à Saint-Jean de Cerlier par Burcard de Neuchâtel, évêque de Bâle. L'affaire fut réglée par un arbitrage en 1185 (?), et le prieuré — @) MATILE, Monuments, n° XXVINH, p. 21. (?) Ip., ihid., n° xxxv, p. 26. — 436 — n'avait obtenu qu’une indemnité de trois muids de vin; mais, ne pouvant accepter un pareil jugement, il réclama de nouveau, en 1228, et l'avoué de l'abbaye de Saint-Jean, Berthold, sire de Neuchâtel, céda à ladite abbaye différentes propriétés au Vaux- travers pour indemniser le prieuré (!). La sous-avouerie du prieuré de Saint-Pierre pour le val de Ruz était exercée par une maison de Valengin, que l’on a cru mal à propos être du chésaul de Neuchâtel. Cette maison s’étei- gnit vers la fin du xri siècle, et l’on voit, dès 4185, Ulric II de Neuchâtel en possession de l'avouerie du val de Ruz. Sans pou- voir nous expliquer jusqu'à présent comment cette acquisition se fit, nous voyons dès lors la maison de Neuchâtel exercer les droits d’avoués au val de Ruz, aidée sans doute dans cette opération par ses droits de patronage sur l’église de Neuchâtel, qui possédait des hommes et des terres dans cette vallée, puis aussi par ses rapports avec les hommes royés de la contrée, qui étaient sous son commandement militaire et commençaient déjà à entrer dans son vasselage. Du reste, il est fort probable que cette usurpation de l’avouerie du val de Ruz comptait parmi les spoliations et violences dont se plaignait le prieuré en 1178. Sur ce point-là justice ne fut point faite, car Ulric IF, sire d’Ar- berg, succéda à son père dans l’avouerie du val de Ruz, laquelle devint peu à peu la seigneurie de Valengin. Quant au Vauxtravers, les comtes de Bourgogne en étaient demeurés les avoués, puis cette avouerie avait passé aux sires de Chalon. Il semblait que, sous une semblable protection, le prieuré ne dût avoir plus rien à craindre de la part de ses fâcheux voisins de Neuchâtel; il en advint tout autrement. Les sires de Chalon, résidant à trop longue distance, avaient besoin d'un sous-avoué pour remplir leur office : ils ne trouvèrent rien de plus simple que de choisir pour cela le sire de Neuchâtel, dont les possessions étaient limitrophes de celles du prieuré de Saint-Pierre et qui occupait déjà des terres dans cette vallée. G) MATILE, Monuments, n°5 LXXXVII, LXXXIX, XC, XCI et XCH. RD Se De | — 431 — . Quoi qu'il en soit des raisons déterminantes du fait en ques- tion, il est certain qu’en l’année 1237, Berthold, sire de Neu- châtel, prête hommage à Jean, comte de Bourgogne et sire de Salins, pour La garde du prieuré du Vauxtravers. Voici les termes de la charte : ; « Moi Berthold, sire de Neuchâtel, à tous présents et à venir je déclare que j'ai fait hommage à noble baron monseigneur Jean, comte de Bourgogne, sire de Salins, et que j'ai reçu de lui en fief et chasement tout ce que Je possède au Vauxtravers, avec terres, prés, forêts, eaux, Joux, villages, justice, plus la garde du prieuré de ladite vallée, sauf le péage, la chasse et quelques colons qu’on appelle royés; et J'ai promis, par mon serment prêté corporellement, que je seconderai ledit comte, tant avec Neuchâtel qu'avec mes autres châteaux ou forte- resses et toute ma terre, envers et contre tous, excepté mon seigneur l’empereur, et mes frères, et Guillaume de Vienne, et mes parents de Savoie. Et Rodolphe, mon fils, a juré de garder fidèlement et à perpétuité toutes ces choses. En témoignage de quoi nous avons corroboré et muni ce présent acte de notre sceau. Donné l’an du Seigneur 1237, au mois d'août. » Nous Jean, comte de Bourgogae et sire de Salins, déclarons à tous présents et à venir que notre cher et fidèle Berthold, sire de Neuchâtel, nous a rendu hommage et fidélité, et qu'il a reçu de nous en hommage et fidélité tout ce qu'il possède au Vauxtravers, tant en prés, terres, forêts, eaux, Joux, villages, justice, avec la garde du prieuré de ladite vallée, sauf le péage et la chasse et quelques colons qu'on appelle royés. Et, à cause de cet hommage et de cette fidélité qui nous ont été prêtés, nous sommes tenus d'aider le susdit sire de Neuchâtel contre tous, tant qu'il voudra ester devant nous en justice {/stare juri contra nobis). Le susdit sire de Neuchâtel est de même tenu à la fidélité de l'hommage qu'il nous doit devant tous, excepté contre l'em- pereur son seigneur. Et son fils Rodolphe a juré de garder toutes ces choses fidèlement et à perpétuité. En témoignage de quoi — 438 — nous avons corroboré et muni de notre sceau ce présent acte. Donné l’an du Seigneur 1237, au mois d'août [!). » Avec un pareil acte, on se demande comment les historiens neuchâtelois ont pu ignorer l’époque de l'acquisition du Vaux- travers par la maison de Neuchâtel, et le mode de cette acqui- sition. Pour quelles raisons le sire de Neuchâtel désirait-il devenir le vassal du comte de Bourgogne, en prenant de lui en fief la sous-avoucrie du prieuré du Vauxtravers ? Berthold avait cer- tainement en vue de profiter de sa position de gardien pour dépouiller le monastère. Il possédait déjà au Vauxtravers des biens qu'il avait acquis d'hommes royés, devenus ses ministé- riaux à prix d'argent. En en faisant hommage au comte de Bourgogne, 1l lui soumettait personnellement des biens sur les- quels, comme avoué supérieur, 1l n'avait eu jusqu'alors qu'une suzeraineté bien restreinte, car à titre d'hommes royés leurs anciens possesseurs ne lui devaient aucun impôt et n'avaient d'autre obligation que de le suivre dans les guerres de l'empire. C'était une manière habile de gagner les bonnes grâces du comte, que de lui offrir l'hommage direct de terres qui dépendaient, au fond, de l'empire seulement. Après cela, il ne pouvait plus refuser au sire de Neuchâtel l’objet de ses convoitises, c’est- à-dire la garde ou sous-avouerie du prieuré de Saint-Pierre. De son côté, le comte de Bourgogne gagnait un vassal puissant dont les possessions lui donnaient au besoin accès jusqu'à Morat. Mais une autre considération que le désir de dépouiller le prieuré, peut avoir poussé Berthold à son acte d'hommage. L’é- poque à laquelle se passe l'événement que nous venons de raconter, est celle où la maison de Savoie, à force de ruse, de violence et surtout d'argent, avait fini par s'étendre jusqu'aux portes de Berne. Les maisons des dynastes de Granson, d'Esta- vayer, de Montagny, etc., avaient dû aliéner leur liberté par crainte du comte de Savoie, ou pressées par les dettes qui les 4 @) MATILE, Monuments, nos cix et cx, pp. 92 et 93. = AT — ruinaient. Les cousins de Berthold, les comtes de Nidau, avaient. remis à Pierre de Savoie leur seigneurie de Cerlier contre une grosse somme d'argent, et l'avaient reprise de lui en fief. Ber- thold se choisit un protecteur moins puissant et par conséquent moins écrasant, mais cependant assez fort pour le garer contre les désirs d’annexions du petit Charlemagne. Tout le monde gagnait à cette affaire, sauf le prieuré qui devait savoir à quoi s’en tenir sur la protection que lui offrirait le sire de Neuchâtel. La forme des actes qui précèdent indique bien que l'hommage de Berthold est le premier qu'il ait prêté au comte de Bourgogne pour le Vauxtravers : on n’y rappelle, en effet, aucune prestation plus ancienne; et d’ailleurs le fait que Rodolphe, fils de Berthold, jure de garder ces choses fidèlement et à perpétuité, prouve évidemment que cet hommage était le premier. Après l’acte impérial de 4288, qui soumit toutes les posses- sions des sires de Neuchâtel à la suzeraineté de la maison de Chalon, branche cadette de celle des comtes de Bourgogne {!), ces derniers abandonnèrent non-seulement le prieuré, mais aussi les hommes royés du Vauxtravers, plus la chasse et les péages aux sires de Neuchâtel, lesquels régissent ces choses en souverains déjà vingt ans après cette date célèbre; et bien qu'il soit de mode dans les annales neuchâteloises de se lamenter sur le malheur de Berthold, qui de vassal direct de l'empire devint vassal des sires de Chalon, nous ne pouvons nous associer à ces doléances, étant d'avis que le sire de Neuchâtel et ses succes- seurs profitèrent largement de ce soi-disant abaissement. Au reste, d’après la manière de voir de ces temps-là, Berthold ne fut pas moins considéré après son acte de vasselage qu’il ne l'était auparavant. Il reste à expliquer comment, dans un temps de ferveur reli- gieuse aussi grande, personne ne prit le parti du monastère dépouillé. La raison en est simple : ni le comte de Bourgogne, ni les sires de Neuchâtel n'avaient fondé ou doté le prieuré; on (@) MATILE, Monuments, nos CCXLYIII et GCXLIX, pp. 226 et 221. — 410 — n'y disait aucune messe ni pour eux ni pour leurs ancêtres; ils ne s'y intéressaient donc pas, et ce devait être uniquement pour eux une proie à dévorer. Quoi qu’il en soit, cinquante-cinq ans après l'hommage de Berthold de Neuchâtel à la maison de Chalon, on voit le comte Louis de Neuchâtel céder à Catherine, sa seconde femme, en compensation de sa dot, la seigneurie du Vauxtravers, depuis les Bayards jusqu’à la Clusette, et faire confirmer cette disposition par Jean de Chalon-Arlay, l’avoué de Saint-Pierre, de même que par l’official de la cour archiépiscopale de Besançon (!). Le prieuré ne conserva plus que des droits utiles au Vauxtra- vers ; 1l fut supprimé à la réformation. Les moines emportèrent alors leurs archives à l’abbaye de Montbenoît, où elles ont péri dans un incendie. (?) MaTiLe, Monuments, n° ccccLxiv, pp. 528-530. FORGES ANTIQUES DANS LE JURA Par M. Paul BIAL. Séance publique du 20 décembre 1866. Suivant un passage de Denys le Périégète, le fer de Béotie était en renom chez les Grecs. Le poète géographe dit au sujet du trident de Neptune : ’Aoviw Tinuleion moïvyhwyivt o1dñpw (1). « La mer divisée par le fer aonien (ou béotien) armé de plusieurs pointes. » J'en conclus, malgré l'opinion d’Eusthate, que le poète a dû choisir pour le sceptre du dieu des mers un fer de bonne qualité. Les Béotiens sortaient de cette vieille souche pélasgique des Aones, des Hyantes, des Lelèges, vigoureuse race d'artisans habiles à manier la truelle et le marteau, qui avaient percé le tunnel du lac Copais dont le curage surpassait les forces de la Grèce au temps d'Alexandre. Mais tout maçons et forgerons qu'ils étaient, lorsque le flot hellénique les eut débarbouillés, ils enfantèrent des poètes comme Corinne, Hésiode et Pindare; des historiens philosophes comme Plutarque; des généraux comme Epaminondas. Nous ne serions, par conséquent, pas trop humiliés si l’on appelait la Franche-Comté, si habile aussi à manier le marteau, à fabriquer le fer, à créer les merveilles métalliques de l’horlo- gerie, une moderne Béotie. Les Burgondes, race d'artisans, se sont aussi débarbouillés dans le sang séquanais; notre province () Dionys., Perieges., v. 476. — 449 — ne cède à aucune autre pour la vigueur de l'intelligence; et, si l'on juge le génie franc-comtois plus apte aux œuvres sérieuses de la science et de l’industrie qu'aux entraînements de l’élo- quence et aux brillantes créations de la poésie, nous ne nous plaindrons pas : c’est nous laisser encore une belle part. Demeurons fiers d’être de bons forgerons, puisque la métal- ‘ lurgie du fer a été l’une des gloires et faisait naguère la fortune de notre province. À quelle époque cette industrie y a-t-elle pris naissance ? Quels maîtres nous l’ont apprise? Sont-ce les Ro- mains, les Grecs de Marseille, les Phéniciens ? Bien longtemps avant l’arrivée de César dans la Gaule, les Celtes fabriquaient du fer. C’est avec des épées de fer que, quatre siècles avant notre ère, les Gaulois saccagèrent plusieurs fois l'Italie et prirent Rome. C’est un glaive de fer que Brennus jeta dans la balance sur laquelle se marchandait {la rançon du Capi- tole. Mais peut-on affirmer spécialement que cette fabrication avait déjà lieu en Séquanie? Les historiens et les géographes anciens n'en disent rien. César ne parle expressément que des Bituriges (t); Pline que de l’île d’Elbe et de la Cantabrie en Espagne (?). En fait de produits, la Séquanie n’est mentionnée par Strabon que pour ses salaisons, dont elle approvisionnait Rome et l'Italie entière, et dont la tradition, chère aux gastro- nomes patriotes, s’est conservée dans la saucisse de Morteau, dans les jambons fumés et le bresi de nos montagnes (*). Cependant un peuple de l'Orient, où, suivant la légende de Tubal-Caïn (‘), l’on fabriquait le fer dès la plus haute antiquité, () « Quod apud eos (Bituriges) magnæ sunt ferrariæ. » (Bell. gall., lib. VIF-c99) (@) « Ferri metalla ubique propemodum reperiuntur, quippe insula etiam Italiæ Ilva gignente. » (PLIN., Hist. nat., lib. XXXIV, c. 41.) — « Me- tallorum omnium vena ferri largissima est. Cantabriæ maritimæ parte, quam Oceanus alluit, mons præruptè altus, incredibile dictu, totus ex ea materia est...» (1bid., c. 43.) (8) STRAB., Géog., lib. IV, c. nr, 2, (#) « Sella quoque genuit Tubal-Caïn qui fuit malleator et faber in cuncta opera æris et ferri. » (Genes., ©. 4, v. 22.) — Tubal-Caïn a sans doute — 443 — les Phéniciens, avait exploité les mines d’or, d'argent et de fer que renfermaient, suivant Aristote, Posidonius et Strabon (!), les Pyrénées, les Cévennes et les Alpes. L’Hercule tyrien, remontant la vallée du Rhône, combattant d’une main, trafi- quant de l’autre, vint fonder, au milieu des peuplades grossières des montagnes et des bois, un centre de civilisation, Alesia. Notre savant collègue et ami, M. Alphonse Delacroix, vous démontrera tout à l'heure que cette Alesia, c’est Alaise, située sur le premier plateau du Jura. Les Phéniciens à Alaise, c’est la métallurgie du fer dans nos montagnes. Ce rapprochement ferait remonter nos forges jusqu’à treize siècles avant notre ère. Les fouilles d’Alaise ont donné quelques indications à ce sujet. Dans des tumulus et dans le sol à une certaine profondeur, on a recueilli des fragments de scories et de fer brut, notamment un culot moulé sur un fond de creuset. Ces résidus de forges rencontrés dans des gisements incontestablement celtiques dé- montrent qu'au temps de la Gaule indépendante les Séquanes fabriquaient le fer. Un nouveau pas vient d’être fait : un savant ingnieur corres- pondant de notre compagnie, M. Quiquerez, a retrouvé de nom- breux vestiges de forges antiques dans les montagnes du Jura. Ses recherches, consignées dans un mémoire riche de faits et et de vues hardies (?}, ont été circonscrites, il est vrai, dans le Jura bernois et la haute Alsace; mais elles nous font espérer que nous découvrirons de pareils restes de forges dans la Franche-Comté, en suivant la même méthode. Cette méthode est simple et rationnelle : chercher les forges auprès des gisements de mine de fer et des forêts qui fournis- saient le combustible. quelqne parenté de nom tout au moins avec le Vulcain de la mythologie latine. En langue arabe tubal signifie srorie de fer. () Posipon. ap. ATHEN., lib. VI, c. 4, — ARISTOT., Mirabil. ausc. — STRAB., Geog., lib. III et IV. (?) A. QUIQUEREZ, De l'âge de fer, recherches sur les anciennes forges du Jura bernois, Porentruy, Victor Michel, 1866. mé = Celui-ci paraît avoir été le charbon de bois; car les fourneaux découverts par M. Quiquerez n'étaient pas assez grands pour que l’on pût y jeter le bois en bûches. D'ailleurs, autour des emplacements de forges on retrouve des places à charbon et des fragments de charbon dans les scories. L'industrie du char- bonnier est tout à fait primitive (!). Le minerai mis en œuvre avec ce combustible était la mine en grains ou fer pisolithique. I repose par lambeaux sur l’assise supérieure des terrains jurassiques. L'étendue de ces dépôts est restreinte, leur puissance très variable. Souvent ils affleurent à la surface du sol et s’y font remarquer par la couleur rouge des argiles, par les grains ou pisolithes d’un brun jaunâtre, luisants, à l'aspect métallique, lourds à la main, qui durent de bonne heure être essayés et employés. Ensuite on rechercha cette mine, au moyen de puits et de galeries, là où elle se trou- vait recouverte par le sol. M. Quiquerez indique un certain nombre de ces anciens lieux d'exploitation de la mine en grains, soit à ciel ouvert, soit par les procédés du mineur : les affleurements de mine, particuliè- rement dans les vallées de Delémont, de Lauffon, de Moutier, de Court, et au pied des montagnes qui bordent au sud le pays de Porentruy; les exploitations souterraines, entre les villages de Boécourt et de Montavon, dans les minières du Pré-Bour- card, de Rière-les-Martins, à Courroux, à Corcelon, dans la montagne de Chaumont près de Vicques, etc. « À Chaumont, dit M. Quiquerez, le mineur a suivi les simuosités des cavernes ou crevasses du rocher et des cavités remplies d’argiles. Quand l’espace manquait, il a attaqué le roc; quand l’air faisait défaut, il a foré des puits encore dans le roc, non pas avec le pic, car ces puits sont trop petits pour pouvoir s’y servir d’un outil à long manche, mais avec le ciseau et le marteau ou une barre de () M. Quiquerez signale la découverte, à Bellelay, d’une place à charbon sous une couche de tourbe compacte de vingt pieds d'épaisseur. On trou- vera plus loin quelques détails à ce sujet. — 45 — fer aciérée. Ces puits sont plutôt carrés que ronds, et ils ont pu servir à l'extraction aussi bien qu’à l’aérage. » Dans les minières de Rière-les-Martins, on a découvert des pièces de chênes car- bonisées par le temps, débris de boisages de mines. Enfin, en pénétrant dans des travaux antérieurs de minières actuellement en exploitation, l’on y a trouvé des outils en fer et en bois d’une forme inusitée et certainement très ancienne. Le combustible et le minerai une fois déterminés dans leur nature et leur gisement, M. Quiquerez a pu rechercher avec quelque certitude les emplacements de forges. Du temps des Gaulois, les chemins étaient rares et les transports peu faciles. Aussi les forges étaient établies sur le parcours des voies de communication et au milieu des forêts. Le bois se dévalait par bûches le long des pentes, ou se portait sur des traïneaux durant lhiver. On trouve ces forges tantôt isolées, tantôt par groupes alignés ou superposés dans les combes, dans les ravins, dans les gorges les plus sauvages. Nous ne pouvons suivre M. Quiquerez dans ses explorations le long de l'antique voie appelée le chemin du Rhin, qui descend du plateau des Franches - Montagnes dans la vallée de Delémont. Depuis les Enfers jusqu'aux autels _druidiques de la Caquerelle sur le mont Repais, toute la ligne est bordée d’anciennes forges. On en rencontre vingt-cinq ou trente dans la seule commune de Saint-Brais ; sept ou huit dans celle de Glovelier. L'auteur en signale encore dans la vallée d'Undervelier, dans le val de Sornetan, et jusque dans le val de Saint-Imier, au midi; à l’est, dans le val de Moutiers, jusque sur le Weissenstein; à l’ouest, dans la haute Alsace, notamment à Courtavon, à Winckel; entre Beurnevesain et Réchesy, sur la colline en face des cavernes de la fée Arie, non loin de sépultures celtiques et gallo-romaines. M. Quiquerez a retrouvé plus de deux cents de ces emplacements. Ils étaient facilement reconnaissables soit à des amas de scories, soit à des débris de fourneaux. Dans quelques cas rares, les fourneaux se montrent encore presque dans leur entier, comme à Favergeatte. Ces restes matériels suflisent pour mon- — 416 — trer clairement quel était le procédé de fabrication alors en usage. M. Quiquerez distingue trois espèces de fourneaux, ou plutôt trois degrés de perfectionnement de leur construction. Ceux de la première espèce, assez rares, sont les plus anciens. Ce sont des creusets cylindriques, au fond en forme de calotte, excavé dans le flanc des coteaux. La partie antérieure est complétée par des argiles soutenues extérieurement par un revêtement en pierres sèches. Ces creusets, à peine profonds de 0,30 à 0,40, étaient garnis intérieurement d’une couche de 0,10 à 0®,45 d'argile blanche qui a passé au rouge sous l’action du feu. Les fourneaux de la deuxième espèce, qui est la plus com- mune, sont les précédents agrandis, exhaussés. Les creusets ont alors 0,45 à 0M,48 de diamètre, 2%,30 à 2,50 de profondeur, une épaisseur de parois de 0,30 à 0,40 et une contenance moyenne d'un hectolitre. Le mode de construction, un peu variable suivant le caprice de l’ouvrier, était grossier, irrégulier : ainsi le cylindre intérieur du creuset était rarement vertical. Au fond et sur le devant était ménagée une ouverture pour donner le vent au fourneau ; elle était barrée à sa base par une dame en argile, retenant le métal en fusion ou à l’état pâteux, et formant déversoir pour les scories fondues s’échappant à l’extérieur. Point de traces de l'emploi de tuyères et de soufflet; le tirage avait lieu par cette ouverture. La preuve en est dans la scorifi- cation des parois du creuset qui regardent l’ouverture et qui, recevant l’air directement, ont dû supporter un plus fort coup de feu que les autres parois. La construction de la troisième espèce de fourneaux accuse un notable perfectionnement dans la fabrication du fer. Ils dérivent sans doute des deux premières espèces; les forgerons de cette époque nouvelle sont les fils des forgerons des deux âges précédents; mais les derniers venus ont su appliquer à leurs fourneaux des souffleries marchant à bras ou à l’eau. Telle est l’organisation du fourneau découvert dans la combe oxfor- dienne du Fer à cheval, entre Develiers et les Rangiers, à l’ouest — 447 — de la cascade du Pichon, au lieu dit La Favergeatte |‘). Le creuset est établi dans un fort massif quadrangulaire, et fortement con- solidé par un double revêtement en pierres sèches: Au fond se montrent deux ouvertures, l’une pour le passage des scories et le travail du fer au moyen du ringard, l’autre pour le passage de la buse du soufflet. Les deux premières espèces de fourneaux, travaillant sans soufflerie, ne développaient pas une température suffisante pour qu’on püt y employer des fondants. On se contentait de réduire le minerai par le charbon de bois. C’est, en principe du moins, la méthode des forges catalanes. Avec un minerai comme celui du Jura bernois, ce procédé devait donner un déchet considé- rable. M. Quiquerez a étudié les scories des divers emplacements et a reconnu qu'elles ne contiennent pas de laitiers proprement dits, mais bien des quantités considérables de silicate de fer, ce qui démontre qu'on n’employait pas de fondants, pas même dans les fourneaux de la troisième espèce. Il faut renoncer à chercher dans les auteurs anciens la confir- mation formelle de ces vues sur la fabrication du fer en Gaule. Pline est incomplet et confus. Il fait entrevoir cependant le pro- cédé : « Chose singubhière ! dit-il, dans la cuisson du minerai, le fer devient liquide comme de l’eau. » On produisait d’abord de la fonte (?). « Ensuite le fer se réduit en une sorte d’éponge; » c'était lorsque La loupe se réunissait, au moment d’être portée sous le martinet |). Pline, dans tout cela, ne dit pas que l’on ajoute de fondants. Il est donc probable qu’on n’en faisait pas usage. Le même auteur dit encore que les différentes espèces de fer () De Favere, lieu où l'on travaille le fer. Cf. DucanGE, Gloss., col. 361, et QUIQUEREZ, op. cit., p. 47. (2) « Mirumque, quum excoquatur vena, aquæ modo liquari ferrum.……. » (Pun., Hist. nal., lib. XXXIV, c. 41.) (5) « … Postea in spongias frangi. » (In., ibid.) — Cf. A. MEILLET, Mé- tallurgie des anciens. — 418 — tiennent à la diversité des minerais et des fourneaux. « Les fourneaux établissent aussi une grande différence : on y obtient un certain noyau de fer servant à fabriquer l'acier dur, ou, d'une autre façon, les enclumes compactes et les têtes de mar- teau (!)}. » Cette production de l'acier naturel dans la fabrication du fer met hors de doute l’absence de tout fondant et, dans certains fourneaux, de toute soufflerie un peu énergique. Mais est-1l vrai, comme nous l'avons dit d'après M. Quiquerez, que dans les deux premières espèces de fourneaux, le travail se faisait absolument sans soufflerie ? J'éprouve quelques doutes à cet égard. En Suède, en Hongrie, s’est conservée la méthode de fabriquer le fer dans de petits foyers chauffés en bois et à l’aide d’un soufflet à main. Il est donc possible, probable même que, dans les deux premiers genres de fourneaux antiques, l’on donnait l’air de la même manière par l'unique trou de devant. En Hongrie, lorsque le lopin de métal est formé, on le retire en éventrant le creuset à sa partie antérieure; M. Quiquerez a trouvé ses petits fourneaux éventrés sur le devant. Il y a donc entre les antiques forges du Jura bernois et les petites forges actuelles de certaines parties reculées de la Hongrie et de la Suède, identité de procédé jusque dans les moindres détails, et sans doute aussi jusqu’à l'emploi, dans les uns comme dans les autres, du soufflet à main. Cette continuation en quelques endroits des procédés primitifs jette beaucoup d'incertitude sur l’âge des forges antiques décou- vertes par M. Quiquerez. Des fouilles, en rendant les objets d'industrie, pourraient seules fixer notre jugement. M. Quiquerez s’est efforc’ d'y suppléer. Il à d'abord reconnu qu’il y a des emplacements de forges de toutes les époques; il en cite des exemples. « Nous estimons, ajoute-t-il, que jusque vers le com- mencement ou au plus tard au milieu du xv° siècle, on avait (1) « Et fornacum magna differentia est : nucleusque quidam ferri exco- quitur in his ad indurandam aciem, alioque ad densandas incudes, malleo- rumvye rostra. » (PLIN., Hist. nat., lib. XXXIV, c. 41). — 449 — encore l'usage des mêmes fourneaux que durant les longues périodes précédentes, et que ce n’est que depuis lors qu'on les à agrandis et perfectionnés, soit spontanément, soit en imitant ce qui se faisait ailleurs. » Il faut donc distinguer les fourneaux modernes de ceux du moyen âge, de l’époque romaine, enfin d’un âge encore antérieur. Mais comment? D'abord par l'obser- vation des places à charbon. Une d'entre elles a été découverte sous une couche de tourbe de vingt pieds d'épaisseur. On a trouvé dans cette tourbe un rouleau de monnaies du xv° siècle à deux pieds de profondeur, et, à douze pieds, les os d’un cheval dont un pied est ferré avec un de ces petits fers à bords feston- nés, reconnus antiques dans les fouilles d’Alaise et de Besançon. Mais il est regrettable que cette place à charbon ne soit en rela- tion de proximité avec aucun emplacement de forges. Autre moyen : M. Quiquerez veut induire de la puissance des amas de scories, et la quantité de métal fabriqué, et l'antiquité de la fabrication. Le calcul me paraît plus ingénieux que solide. Autre moyen encore : Les forges sont placées sur des voies de la plus haute antiquité, auprès de monuments dits celtiques; il s'attache souvent à leurs emplacements des traditions primitives ou de sorcellerie. L'argument qu’on en peut tirer dépend, dans chaque cas particulier, de la valeur que la critique laisse au monument ou à la tradition que l’on signale. Les Grecs et les Romains, ajoute-t-on encore, connaissaient l'usage des soufflets ; l'absence de toute soufflerie dans les plus anciens fourneaux tend à prouver que ceux-ci sont antérieurs à la conquête romaine. Mais nous avons objecté déjà que l’on a dû probablement se servir de soufflets à mæin dans les petites forges du Jura bernois. Häâtons-nous de donner les raisons les plus solides. Je veux parler des objets antiques trouvés dans les débris et les scories de certains emplacements de forge, tels que des fragments de poteries celtiques, une hache à douille en fer et des pièces en fer à deux pointes, en forme de deux pyramides quadrangulaires 29 — 450 — adossées : ce sont peut-être de ces {ali ferrei qui, suivant César, servaient de monnaie aux Bretons (). Si les gisements de ces trouvailles ont été bien constatés, elles prouvent suffisamment que les forges du Jura bernois remontent jusqu’au temps de la Gaule indépendante. M. Quiquerez a vu et jugé les faits; 1l est « homme de science et de conscience; » nous pouvons donc le suivre avec sécurité jusque-là. Mais la prudence ne nous permettrait pas de l'accompagner plus loin. () Bell. gall., lib. V, c. 12 CYANR TRE: | h du SIEGE D'ALAISE dessinée depri s la Carte d' Flat Mayor \bbamg de “sos UE QUINGÉ Dar / Mandrot L'Uolonel à l'Etat Mayor federal Suisse, Malbrans Membre correspondant de lu societe démulation di Lin de Moubs n : | Epeuênes PAC Ÿ | Do ( = d D .- Stey ES Rx HN aix ur cle sSee é \\ à) CE REY 1 "> | NX \ N \ | Mônlgesoye RE ST 2 Uhassaëno ( AR Re F ( j / R | SN k % ÿ sifouhe je ù NY A S Chatillon ,# PS EE ù } FSerS: VA / j | (ER 1] EN > À } rss : \, ) G \ Amathas-g dr” Rentdale / Amathay L rhes de la ut \ \ Cul; mis Bolandoz 77 \ À je, Comp de Ming Pous Lever + Worst Ge A 17 7 { Von “ra PE fort C7 Sa 3Y jo | Mont HOCLLATEL A UTE VA Lgrtcs de controdllationr «dde caronudilution x 1111 Taces de retranchements encor Helen til COMSIIPCCS Lacs en grande parte faces pur Ls délricherientls L'ourties COUT OILISCS SL COS LOSSCS (Lt LSOL 0000 Léonerdiss ise Echelle {30000 Plemctres int Les romans 1 Ve. 2272 Las bands ES ee = pe Lath. de H Furrer, Neuchâtel (Smsse LA SÉQUANIE ET LA L’HISTOIRE DE JULES CÉSAR PAR M. À. DELACROIX. Séances du 20 décembre 1866 et du 12 janvier 1863. Napoléon écrivait, dit-on, du camp de Boulogne au ministre de l'Intérieur : « Je viens de lire Le projet du citoyen Fulton, ingénieur, que vous m'avez adressé beaucoup trop tard, en ce qu'il peut chan- ger la face du monde. Je désire que vous en confiiez l'examen à une commission de membres choisis par vous dans les diverses classes de l'Institut. C’est là que l'Europe savante viendrait chercher des juges pour résoudre la question dont il s’agit : une grande vérité, une vérité physique, palpable, est devant mes yeux; ce sera à vous, Monsieur, de la voir, de la saisir. Aussitôt le rapport fait, il vous sera transmis et vous me l’enverrez ; tâchez que cela ne soit pas l'affaire de plus de huit jours, car je suis impatient... » L'avis défavorable qu’allait donner l’Institut avait des précé- dents. Vers la fin du xvire siècle, Papin établissait les principes de la machine à vapeur. Le navire qu’il fut réduit à construire loin de son pays, et avec lequel il se vit obligé ensuite de fuir sur la Fulta les poursuites de la Ghilde, ou corporation marinière du Hanovre, ne résista pas aux priviléges de celle-ci, comme il — 459 — l'avait fait aux flots et aux vents. Il fut brisé le 26 septembre 1707, et vendu par pièces au profit de la compagnie privilégiée ('). La Société royale des savants de Londres, malgré les recom- mandations de Leibnitz, refusa son concours à l'invention de Papin, destinée, semblait-il, à être étouffée. Entre les temps de Papin et de Fulton, le 22 mai 1772, Bertin, ministre ayant le département des canaux, avait écrit à un Bisontin, le capitaine d’Auxiron, cette lettre non moins remar- quable que celle de Napoléon [er : & J'ai rapporté au conseil la demande que vous avez faite au roi, d'un privilége exclusif pour appliquer la force de la pompe à feu à faire remonter les bateaux sur les rivières les plus rapides, et S.M. m'a autorisé à vous donner de sa part l'assurance que ce privilége vous sera accordé pour quinze années, si, lorsque : vous aurez mis en pratique cette méthode, elle est trouvée par l’Académie des sciences véritablement utile à la navigation... » Le premier de ces bateaux, construit par ordre à Paris, au milieu d'actes malveillants de toute sorte de la part de la corpo- ration des mariniers français, fut enfin coulé dans la Seine presque la veille de son essai. D’Auxiron expia dans la prison la faute d'autrui, puis mourut d’une attaque d'apoplexie. Le projet de d’Auxiron, repris sur ses plans par son compa- triote et associé Claude de Jouffroy, réussit complètement à Lyon, le 15 juillet 1783; et cependant l'un des membres de cette commission choisie dans l’Académie des sciences déclarait « qu'il avait eu à examiner bien des projets ridicules, mais qu'il n’en avait pas trouvé d'aussi fou que celui de M. de Jouffroy. » Ni le roi Louis XVI, n1 l’empereur Napoléon [®, ne purent surmonter l'influence toute-puissante de l'opinion qui prévalait alors dans les corporations privilégiées contemporaines. Ils se soumirent. Comme :l n'existait point d'institution de ce genre aux Etats-Unis, ce fut à cette jeune nation qu’échut l'honneur () Mémoire sur des expériences de navigalion par la vapeur en 1707, par M. pK LA SaussayE, dans les Mémoires lus à la Sorbonne en 1865, volume . . d'histoire, pp. 1-31. — 453 — d'appliquer enfin une invention française destinée, d’après la pensée première d'un Napoléon, à changer la face du monde. Papin, d’Auxiron, de Jouffroy se ruinèrent à la peine, et leurs noms furent longtemps étouffés au profit de l'ingénieur de Pen- sylvanie. Cet exemple semble nous conduire bien loin du titre de notre mémoire; mais, à propos de Séquanie et de l'Histoire de Jules César, nous avions grand besoin de nous appuyer sur un pré- cédent caractéristique pour oser faire le procès à l'autorité pri- vilégiée, tour à tour si bonne ou si mauvaise, de l’Institut, et, dans cette savante compagnie, à l’Académie des inscriptions et belles-lettres qui a spécialement dans son lot les questions d’ar- chéologie. Nous confessons même qu’en agissant ainsi, nous ne saurons pas nous dépouiller complètement de l'inévitable senti- ment de foi imspiré à tous par le plus docte des aéropages. Nous sentons le danger de la fascination, et c’est pour nous donner courage que nous tenions à crier tout d’abord bien haut notre pensée. Les corporations privilégiées, utiles, indispensables, comme principe de conservation à divers points de vue, sont toujours dangereuses, à cause de leur disposition à défendre ce qu'elles protégent à tort ou à raison, et à fouler aux pieds ce qu'elles sentent contraire soit à leurs intérêts, soit à leur amour- propre. Combien de temps n’a-t-on pas vu les plus respectables corporations religieuses de la grande moitié du globe arrêter le progrès des sciences physiques, en croyant servir ainsi les intérêts de la Genèse sur des questions où, en réalité, il ne s'agissait que de traduire des mots dont le sens échappait avant les études modernes d'astronomie et de géologie Jusqu'à la fin du siècle dernier, les sciences ont rampé plutôt que marché sous l'empire des priviléges de toute nature. Elles ont commencé à relever la tête en France sous le règne de Louis XV; elles n’ont pris un libre essor qu'au sein de la géné- ration actuelle. Après une halte forcée par le tumulte de la Révolution, elles ont puisé dans la suppression des corporations — A54k — industrielles et commerciales une vigueur inconnue des anciens temps. Sous leur impulsion, la vapeur et l'électricité prodiguent à l’envi des miracles devant lesquels se prosterneraient les peuples, si l'explication n'était pas aujourd’hui la compagne in- dispensable de l'acte. « La face du monde change. » On marche dans le progrès par une méthode bien simple : apprendre ce qui est su, corriger librement ce que l’on vient d'apprendre. Ce qui est su se trouve mis enfin librement à la disposition des hommes de bonne volonté. Mais la liberté de perfectionner sera toujours entravée par la résistance des devanciers, par leur inévitable tendance à vouloir stéréotyper la science au point où ils l'ont fait parvenir, par l'intérêt propre de l'homme. Lorsque leur mérite a conquis des positions privilégiées, les maîtres consen- tent difficilement à laisser décheoir leur prestige sous la concur- rence. Bien rares sont les savants se faisant, comme Arago, les apôtres dévoués de tout succès obtenu en dehors d'eux. Nous ne voulons pas dire que ce sentiment de générosité soit inconnu à l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Il y est, au contraire, le partage de plusieurs que nous citerions s’il le fallait. Mais il ne réussit pas à se faire jour dans toutes les décisions de la majorité, et on rencontre habituellement peu de profit à vouloir y corriger les opinions reçues. Il fallait donc, aujourd’hui encore, être doué d’un véritable esprit d'indépendance pour émettre certaines idées neuves dont le domaine archéologique moderne va s'enrichir. Or, tel a été l'un des plus grands mérites de l'Histoire de Jules César. Esprit plus délié, plus pratique, plus ferme que Louis XVI, et même que Napoléon [°", l’auteur n’a pas subordonné sa pensée à celle du sanctuaire de l’Institut. Il ‘sait rester lui - même. Jamais science ne fut honorée autant que l'archéologie nationale vient de l’être par la publication de ce tome second de l'Histoire de Jules César. À tous les points de vue, c’est l’œuvre d’un maître. Attendu comme tel durant plusieurs années, il n’a pas déçu les prévisions des archéologues. Ses solutions seraient même toutes des jugements définitifs, si l’auteur avait pu voir — 455 — les choses, sans nulle exception, de ses propres yeux. Mais comment suppléer toujours, par la seule puissance du génie, à l'absence des documents? Comment, la production du livre ayant exigé le concours matériel d'autrui, prévenir toutes les erreurs qui, du jour de la préparation à celui de l'impression, ont pu échapper au zèle moins intéressé des collaborateurs ? (!) Le succès archéologique de l'Histoire de Jules César est ce- pendant immense. L'auteur a placé sur un terrain solide, en pleime lumière, la science des antiquités nationales. Certaines vérités géographiques cesseront désormais d’être contestées, d’autres auront surgi. Les faits abondent dans ce livre, surtout ce qui concerne l’époque gauloise. Le voile des erreurs accré- ditées est percé de toute part. Nous avons reconnu avec bonheur, entre les idées nouvelles, celles qui, ayant été soutenues au sein de la Société d'Emulation du Doubs, se trouvaient sanctionnées ainsi contrairement aux opinions en faveur à l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Le nom de Bibracte cesse d’être usurpé par Autun, pour être rendu au sauvage mont Beuvray. Le nom de Genabum retourne d'Orléans à Gien. Grâce aux travaux de nos confrères M. Paul Bial, puis M. Cessac, l'identité du Puy d’Ussolud et de l'antique Uxellodunum a pu être définitivement constatée. Reste aux simples archéologues comme nous à user des matériaux mêmes du livre, pour compléter ou pour essayer de rectifier l’ensemble tracé. Nous tenterons, pour notre part, de le faire en ce qui concerne la Séquanie. () Voici un exemple, non moins saisissant que peu important par les circonstances dans lesquelles il se produit, d’une de ces erreurs qui attei- gnent les meilleurs ouvrages. L'auteur vient de dire au sujet d'une terrasse de bois (t. IT, p.256), qu’elle atteignait la hauteur prodigieuse de 80 pieds (24 mètres) ; et, à la même page, lorsqu'il veut reproduire ce chiffre qui était exact, les correcteurs laissent imprimé à sa place celui de 80 mètres. — 456 — Il Limite de la Séquanie sur la Saône. Au temps où Caius Julius César vint dans les Gaules, celles-ci s’étendaient aussi loin sur la rive droite que sur la rive gauche du Rhin. Diodore de Sicile comptait alors le Danube au nombre des trois principaux fleuves gaulois Dion Cassius reproduit le fait en ces mots : « Anciennement les peuples de l’une et de l’autre rive étaient désignés sous le nom unique de Celtes {!). » Celui de Germain était récent, ajoute Tacite (?]. Aussi dans l'antiquité où n'existait pas encore sur la grande famille gauloise la déplorable démarcation établie, sinon importée, par les idiomes latin et allemand, où parfois le Romain lui-même refusait de reconnaître des différences de dialecte (*), le Rhin ne fut-il jamais, nonobstant l'humeur guerrière des peuples, un obstacle aux alliances les plus intimes {‘). Lorsque César détruisit, au profit des Edues et des Rèmes, la conf“dération qui reliait en- semble les Suèves, les Arvernes et les Séquanes, et mettait chez ces derniers l'autorité aux mains d’Arioviste, il ne pouvait néces- (1) « ’Enel to ye névu &oyaïov Keïtoi Exategpot oi èn’aupotenæ ToÙ roraucÿ otxodvtes ovoudgrovro. » (Dio Cass., Hist. rom., lib. XXXIX, c. xLIx.) (2) « Ceterum Germaniæ vocabulum recens et nuper additum. » (TacrT:, Germania, c. 11.) (5) «Gothinos gallica.. lingua coarguit non esse Germanos. » ([p., €. xzut.) (#t) Contrairement à ce qui arrive pour l'Israélite européen, en qui nous pouvons encore reconnaître quelques traces d’une origine étrangère, l'Alle- mand né en France est complètement Français, comme nos émigrés protes- tants sont devenus à Berlin de véritables Prussiens. Le sentiment de cette identité a permis à Grégoire de Tours d'avaucer que les Francs étaient Gaulois, et aux Burgondes de dire à Valentinien qu'ils savaient avoir eu, dans des temps déjà anciens, une origine romaine {mot qui couvrait alors celui de gauluise) : « Quod jam temporibus priscis, sobolem se esse roma-. nam sciunt. » (Amm. MaRcELLINUS, lib. XXVIIT.) Du reste, le fait ne de- vrait avoir rien d'étonnant, le type de la race blanche européenne ne commençant à s'altérer qu'en Asie, et ne faisant que brunir aux abords de la mer. — 457 — sairement point y avoir de solution de continuité entre les terri- toires de ces trois nations. Le pays des Ambarres, baigné des eaux du Jura, faisait encore partie de la Séquanie. C’est parti- culièrement de cette contrée qu'il s'agit, lorsque les Commen- taires disent de la Saône, à propos du passage des Helvètes, « qu’elle va dans le Rhône avec une incroyable lenteur, au point que l'œil peut à peine discerner le sens du courant. » Comment croire que cette grande confédération, par laquelle les Séquanes avaient acquis la prééminence sur les tribus éduennes {!), eût pu laisser à ces dernières la moindre parcelle de terrain sur la rive gauche de la Saôné ? Or, la Carte des peuples de la Gaule, annexée à l'Histoire de Jules César, donne aux Edues, en avant de Chalon, une petite partie de la rive gauche de la Saône; et le texte dit de plus : « C’est à tort que l’on a traduit Arar quod per fines Æduorum et Sequanorum in Rhodanum influit, par ces mots : « la Saône qui forme la limite commune des Eduens et des Séquanes. » César entend toujours par fines « territoire » et non « limite. » Il s'exprime différemment lorsqu'il parle d’une rivière séparant des territoires {Guerre des Gaules, ivr. VI, €. xxxumr; livr. VII, c. v). Aussi l'expression per fines confirme la supposition que les territoires de ces deux peuples s’étendaient sur l’une et l'autre rive de la Saône {voir planche 2). L'opinion de Strabon {p. 43, note 2) ne nous semble pas devoir infirmer cette interprétation. » Cette citation, dans toute son étendue, n’est qu’une note; mais elle a, géographiquement, de l'importance pour l’archéo- logie séquanaise. Nous croyons devoir dire à cet égard que si fines signifie « territoire, » per fines, quand il s’agit de deux territoires contigus, a pour traduction naturelle « par la conti- guité des deux territoires entre eux, » et non plus « au travers . (t) « Quum Cæsar in Galliam venit, alterius factionis principes erant Ædui, alterius Sequani. Hi... præliis vero compluribus factis secundis… tantum potentia antecesserant, ut... et partem finitimi agri, per vim occu- patam, possiderent, Galliæqne totius principatum obtinerent. » (De bell. gall., lib, VE, c. xu.) — 458 — de chacune de ces contrées. » Nous sommes donc conduit à maintenir l'opinion de Strabon, et à répéter avec lui : « Ces deux peuples {les Séquanes et les Edues), séparés par l’Arar (la Saône), prétendaient chacun que la rivière lui appartenait et réclamaient les droits de péage (!).» Non-seulement Strabon a donné ici une détermination géographique précise, mais 1l l’a corroborée par la production d’un fait historique inexplicable dans l’autre hypo- thèse. L'opinion de l'antique géographe, contrairement au tracé de la Carte générale des Gaules, recevra d’une circonstance que nous allons produire la confirmation la plus complète. Quoique la politique de César l’eût porté à réduire l’impor- tance de la Séquanie et à séparer définitivement celle-ci des Arvernes, en donnant les Ambarres pour clients aux Edues, il ne dut point étendre le territoire de ces derniers sur la rive gauche de la Saône, en avant de Chalon, car à l’époque, bien postérieure cependant, où le roi de Bourgogne Gontran fut inhumé à Saint-Marcel-lez-Chalon, la terre même de la célèbre abbaye, quoique faubourg en quelque sorte de Chalon, était restée séquanaise : « Le territoire, faubourg de Chalon, appar- tient à la Séquanie, » dit Frédégaire (?). La basilique de Saint- Marcel de Chalon, rapporte le livre De gestis Francorum, « est dans le faubourg de cette cité, mais sur le territoire des Séquanes, en pays de Bresse (*). | De même, aucun texte n'autorise à chercher sur la droite de la Saône, au détriment des Edues, des contrées séquanaises. @) SrRABONIS Geog., lib. IV, c. 11. (8) « Anno xxun regni sui, divino amore, ecclesiam beati Marcelli, ubi ipse (Gontram) preciosus requiescit in corpore, suburbano Cabillonensi, sed quidem tamen Sequanorum est territorium, mirifice et sollerter ædi- ficari jussit.. » (FREDEGAR., apud Scriptor. rer. francic., t. II, p. 417.) (5) « Anno xxxi1 ejusdem regis, ipse rex corpore exemptus, terrenum, ut creditur, regnum pro cœlesti commutans, in ecclesia Sancti Marcelli Cabi- Jonis sepultus est. Hanc denique basilicam ipse, ut præfati sumus, divino succensus amore, in suburbio quidem prædictæ civitatis, sed in territorio Segonum, saltuque Brexio, studiosissime ædificavit.. » (AIMOINI MONACHI De gestis Francorum, lib. 1II, c. ut, apud Script. rer. francic., t. III, p.67.) — 459 — I importe donc de maintenir à ces mots per fines Æduorum et Sequanorum le sens donné par Strabon et par les faits ulté- rieurs, et de considérer la Saône comme la limite commune entre les Edues et les Séquanes : jusqu’au pays des Arvernes, durant l’époque antérieure à César; jusqu'aux Ambarres seule- ment, à partir du jour où ils devinrent, avec leurs voisins les Ségusiaves , clients des Edues. Il Vesontio. L'auteur se conforme exactement, en décrivant notre antique cité, au tableau qu'en donnent les Commentaires. Mais il ne lui a pas échappé qu’une erreur matérielle existait dans toutes leurs éditions, quant au chiffre de six cents pieds donné pour exprimer la largeur du rocher de la citadelle: entre les eaux du Doubs, à la gorge de la célèbre presqu'île. Cet espace étant réellement de mille six cents pieds, le chiffre romain mpc avait été remplacé, dans toutes les éditions des Commentaires, ensuite d’une omission de l’m, par celui de pc. Nous avions proposé nous-même, depuis quelques années, la rectification qui est fournie aujourd'hui par l'Histoire de Jules César avec une autorité plus décisive que la nôtre. I Guerre d'Arioviste. La guerre d'Arioviste appartient complètement à la Séquanie. Au moment où nous croyions avoir abouti à déterminer la question géographique soulevée par cet important sujet (!), () A. SARRETTE, Les guerres d'Ariovisle contre les Gaulois et contre César, avec un rapport sur cet ouvrage par A. DELACROIX, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 3° série, t. VLIL (1863), p. 73-147. — 460 — l'Histoire de Jules César rompt nos prévisions, en marquant dans la plaine de Cernay le champ de bataille que nous placions en decà de Belfort, sur la trouée entre les Vosges et le Jura. Il'est vrai que la planche 1v du livre avait singulièrement déna-- turé les documents soumis aux regards de l’auteur, en dessinant une rive droite de l’'Ognon plus montagneuse encore que la rive gauche, où domine cependant la haute chaîne de Chaïllu, en mettant gratuitement à la place du pays le plus bas un môle alpestre. Comme rien, dans un esprit logique, ne reste‘ sans effet sur la conclusion, il n’est pas impossible que cette erreur matérielle ait contribué à porter l’auteur vers la solution de Cernay, fournie par la science allemande avec plus de succès que de fondement. Nous nous contenterons donc de rappeler iei la version admise dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, et à laquelle nous ne cessons pas de nous rattacher. Arioviste avait installé 120,600 Germains sur un tiers de la Séquanie (!}. Il venait d'appeler en outre 24,000 Harudes, pour lesquels 1l demandait de nouvelles concessions et qui ravageaient les frontières des Edues (?}. Son pouvoir s’étendait sur tous les oppidum des Séquanes, qui avaient été ses malheureux compa- gnons de victoire et chez qui 1l était devenu réellement roi. Les Edues vaincus (*) lui payaient un tribut annuel. Il appelait déjà sa Gaule, sua Gallia (‘), leur pays, où la présence de César (t) « Nunc esse in Gallia ad c et xx millium numerum... Sed pejus victo- ribus Sequanis, quam Æduis victis, accidisse; propterea quod Ariovistus, rex Germanorum, in eorum finibus consedisset, tertiamque partem agri Sequani, qui esset optimus totius Gailiæ, occupavisset, et nune de altera parte tertia Sequanos decedere juberet, propterea quod paucis mensibus ante Harudum millia hominum xx1v ad eum venissent... » (De bell. gall., Be. axxr) (2) « Ædui questum, quod Ha2rudes, qui nuper in Galliam transportati essent, fines eorum popularentur. » (Ip., ibid., ©. xxxvn.) (8) « Æduos sibi, quoniam belli fortunam tentassent, et armis congressi ac superati essent, stipendarios esse factos. à (Ip., ibid, ©. xxxvr.) (t) « Sibi autem mirum videri, quid in sua Gallia, quam.bello vicisset, aut Cæsari, aut omnino populo romano negotii esset, » (Ip., ibid., ©. xxxi9.) — 61 — faisait baisser le produit des péages au détriment des Germains (!). Il maintenait sa domination au moyen d’une armée restée qua- torze ans sans coucher sous un toit, et fournie par les Harudes, les Marcomans, les Tribocques, les Vangions, les Némètes, les Séduses, enfin les Suèves, tribu la plus septentrionale de ce groupe qui commençait au lac de Constance, en amont de la Séquanie. * Sur la plainte des Edues et même des Séquanes, César prit parti pour eux et échangea des messages avec le chef germain. Où se trouvaient alors chacun des interlocuteurs ? Arioviste n’était certainement pas dans sa patrie suève; car ce fut par les Trévires, et non par les hommes employés aux négociations, que César apprit les efforts des cent cantons suèves à traverser le Rhin, bien au-dessous de la Séquanie, sous la conduite de Nasua et de Cimberius. Mais il pouvait arriver que ces nouvelles forces, disent les Commentaires, vinssent se réunir à celles d’Arioviste (?). Cette observation suffirait pour assigner une seconde fois à la demeure du chef germain une position plus rapprochée du théâtre de ses opérations habituelles, surtout des 444,000 colons, toujours en armes et sous des tentes, qu'il avait amenés avec lui en Séquanie et qui ne pouvaient plus être ailleurs. César n’eût pas eu à dire qu'il craignait Ja jonction des cent cantons avec les émigrés d’Arioviste, si ces derniers se fussent trouvés alors chez les Suèves. C'est le voisinage d’Arioviste et de ses bandes qui molivera, au contraire, les actes de l’armée romaine : la rapidité avec laquelle, se dirigeant d'abord contre les Germains, César se détourne tout à coup pour occuper avant eux Besançon; la panique «les légionnaires à la vue de la contrée difficile au travers de laquelle il faudra chercher un ennemi redoutable; le soin du proconsul à prendre, au lieu de la voie plus directe du Doubs, @) « Magnam Cæsarem injuriam facere, qui suo adventu vectigalia sibi deteriora faceret. » (De bell. gall., lib. I, c. xxxv1.) (2) Ip, ibid., ce. xxxvH. — 462 — ou du plateau forestier situé entre cette rivière et celle de l'Ognon, un détour par le pays bas qui, étant très ouvert, n'exposait plus aux mêmes dangers; enfin le fait même de la lenteur mise par les Romains à parvenir au champ de bataille, en ayant à dos des Harudes et sur leur droite une suite d’oppi- dum naturels d’où pouvait descendre encore à chaque instant une attaque imprévue. Nous maintenons donc, en écartant toute espèce d'interpré- tations, le sens le plus littéral des Commentaires; et, sans entrer dans le récit de la bataille, nous rétablirons avec eux la question géographique d’après des chiffres. De Besançon au Rhin, par le détour des plaines de l'Ognon, on compte, à vue de la carte même de l'Histoire de César, environ 98 mille pas romains. Or, en sortant de Besançon, César parcourt d’abord 50 milles (!). Arioviste, par une manœuvre ayant pour objet de couper les communications derrière César, vient se placer à 2 milles plus en deçà, sur le point qui servira de champ de bataille, consé- quemment en réduisant de 50 à 48 milles la première distance (?). Du champ de bataille, Arioviste en fuite eut à parcourir sous une poursuite ardente, conséquemment par la voie la plus courte, l'espace qui le séparait du Rhin et qui était encore de 50 milles environ (*), soit donc, en additionnant les deux dis- tances, le chiffre total de 98 milles que nous avons mentionné plus haut. Cette coïncidence des nombres tranchera certainement la question, si le point géographique où elle fait aboutir n’est pas stratégiquement absurde. Or, il suffira, pour faire évanouir une @) « Ut millium amplius quinquaginta circuitu, locis apertis, exercitum duceret, de quarta vigilia, ut dixerat, profectus est. » (De bell. gall., lib. TI, (LR à À À) (*) « (Ariovistus) præter castra Cæsaris suas copias transduxit, et millibus passuum duobus ultra eum castra fecit... » ([p., ibid., c. XLVII.) (*) « Nec prius fugere destiterunt, quam ad flumen Rhenum millia pas” suum ex eo loco circiter quinquaginta pervenerunt.» (Ip., ibid., c.LHI.) — 163 — pareille crainte, de nommer la plaine de Ronchamp et de Cham- pagney, ce que l’on appelait jadis le Pas de Ronchamp, ce que les militaires connaissent mieux aujourd'hui sous la désignation de Trouée de Belfort. Belfort est la tête du passage à défendre contre les invasions germaniques; le Pas de Ronchamp, ainsi que l'indique son nom, est le passage lui-même, cette vallée longitudinale dont on s’est, disputé la possession dans toutes les grandes guerres, où les deux chefs ennemis devaient naturelle- ment prévoir l’arrivée l’un de l’autre. C’est la continuation des lieux ouverts, des locis apertis, jusqu’en Alsace. A sa gauche s'él'‘vent les premières rampes des Vosges, à sa droite les der- nières difficultés des monts Jura, celles que César voulait éviter et qui, depuis le territoire de Besançon, présentent un front de montagnes, non interrompu, de quelques centaines de mètres de hauteur. Arcey, situé au delà de cette chaîne et séparé ainsi des lieux ouverts, est donc à tort indiqué par la carte topographique de l'Histoire de Jules César comme le terme du détour de 50 milles. Le Pas de Ronchamp remplit seul, au contraire, ces conditions, et se trouve être le point où viennent aboutir naturellement d’une part les grands chemins de la Séquanie et du pays éduen vers le Rhin, d'autre part ceux des Lingons et des Leuques dans la même direction. Le mémoire publié naguère par la Société d'Emulation du Doubs, sur la guerre d’Arioviste, nous paraît avoir conservé toute sa valeur. IV Alesia. Cette question est, de toutes, celle sur laquelle nous regrettons le plus de rester en dissidence avec le savant auteur de l'Histoire de Jules César. Son livre ne fait même pas mention de cette Alaise que nous avons tant défendue (‘), que les plus puissants () Parmi les personnes qui ont bien voulu faire cause commune avec — h6k — archéologues de l'Académie des inscriptions et belles-lettres avaient cru plusieurs fois anéantr, et sur laquelle ils ont obtenu du silence enfin les honneurs du triomphe, mais que d'irrécu- sables monuments sauveront toujours de l'oubli. Car ce sont : les textes désormais imp ‘rissables des auteurs anciens; les anti- quités que rendent des myriades de tombes celtiques, à côté des retranchements de l’époque républicaine de Rome; les magni- fiques temples donnés par la nature à la métropole-des forêts druidiques; enfin le nom du lieu naïvement conservé sur les registres dé l église chrétienne, ÂLES1A. De ce riche inventaire, rien n’a été contrôlé, ni même vu par aucun des membres de l’Institut qui condamnèrent Alaise. Leur jugement a prévalu en faveur de l'antique Alisiia du mont Auxois, devenue Alesia par l'erreur d’un moine du x® siècle. Il a même reçu une sorte de confirmation éclatante par le résultat de fouilles opérées dans cette localité sur Les ordres de Sa Majesté l'Empereur. Une statue de Vercingétorix a été érigée en consé- quence sur un point culminant, pour attester l'identité d’Alise en Auxois avec la véritable Alesia des Commentaires. Et cependant Alaise n’a point cessé d’être Alesia! Il peut aujourd'hui paraître insensé de soutenir cette doctrine; elle, du moins, demeure invulnérable. La vérité ne change pas avec les circonstances. Nous n’étalerons pas ici, comme nous l'avons fait dans un oo aous dans le débat d’'Alesia, la reconnaissance nous fait un devoir de citer: M. Jules Quicaerar, professeur à l'Ecole des Chartes; MM. le comte DE LAsTEYRIE et Louis QuicaEraT, membres de l’Institut; M. Henri MARTIN, historien; M. Carl Müirer, helléniste; M. pe LANNEAU, littérateur ; M. Ernest DEssarpins, professeur à l'Ecole normale supérieure; M. Bon- DIER, paléographe; M. le colonel SaRRETTE; M. le chef d’escadron BiaL ; M. le capitaine GaLLoTTi; M. FALLUE, archéologue; M.Cuiner, curé d’A- mancey; M. CasTAN, bibliothécaire de Besancon; M. le vicomte CHIFLET; M. le professeur Ch. TouBin, de Salins; M. BoussoN DE MAIRET, biblio- thécaire d'Arbois ; M. VuILLERET, conservateur du musée archéologique de Besançon; MM. CONTEJEAN et BAvoux, naturalistes ; M. VARAIGNE, archéo- logue; M. François LecLerc, de Seurre; M. MARLHIOU, d'Aurillac, etc, — 465 — mémoire plus étendu (‘), soixante-quatre conditions, peut-être même davantage, que doit remplir l’Alesia des Commentaires, auxquelles Alaise a répondu complètement, et dont trois ou quatre seulement, partagées avec Alise en Auxoïs, font la fortune archéologique de cette localité. Nous nous bornerons à indiquer celles dont la vérification est Le plus facile. L'histoire ne nous a transmis qu'un seul renseignement géo- graphique au sujet de l'emplacement d’Alesia, c’est que l’oppi- dum était dans le pays mandubien, à une certaine distance d’un point mieux déterminé, mais contesté, où César remporta une grande victoire sur la cavalerie de Vercingétorix. Les Commen- taires disent à propos de ce champ de bataille : « …. Quum Cœsar in Sequanos per extremos Lingonum fines iter faceret, quo facilius subsidium Provinciæ ferri posset, circiter millia passuum x ab Romanis, trinis castris Vercinge- torix consedit. » (De bell. gall., lib. VIE, c. Lxvi.) Développant ce texte avec une habileté de stratégiste devant laquelle nous nous inclinons avec joie, l’auteur de l'Histoire de Jules César écrit à son tour : « La réunion de ses troupes effectuée, César chercha, avant tout, à se rapprocher de la province romaine {la rive gauche du Rhône à partir de Genève) pour être à portée de la secourir plus facilement ; il ne pouvait songer à prendre la route la plus directe qui l'aurait conduit dans le pays des Eduens, un des foyers de l'insurrection ; il était donc forcé de passer par le territoire des Lingons qui lui étaient restés fidèles, et de se rendre en Séquanie, où Besançon lui offrait une place d'armes importante. Il partit de Joigny, suivant la voie parcourue en marchant à la rencontre d’Arioviste, et, l'hiver précédent, en se rendant de Vienne à Sens. Arrivé sur l'Aube à Dancevoir, il se dirigea vers la petite rivière de la Vingeanne, traversant, disent les Commentaires, la partie extrême du territoire des Lingons () Alaise et le Moniteur, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 3° série, t. VII (1862), pp. 3-92. 30 —- 466 — (per extremos Lingonum fines). Son intention était, sans doute, de franchir la Saône à Gray ou à Pontailler. » Après avoir applaudi à cet exposé si clair des faits qui ont précédé la bataille de cavalerie de Vercingétorix, comment per- sistons-nous à placer le lieu du désastre, conformément à la tradition locale, sur le mont Colombin, tandis que l'Histoire de Jules César la reporte dans les plaines de la Vingeanne, au nord de Saquenay ? C'est qu'ici encore, comme pour la guerre d’Arioviste, il y a eu, selon nous, une erreur dans le document géographique mis sous les yeux de l’auteur. « La partie extrême du territoire des Lingons (per extremos Lingonum fines) » n’est pas, comme l'indiquerait la Carte générale des peuples de la Gaule (plancher de l'atlas), une ligne à tracer à droite de la Saône, assez loin de ce cours d’eau, et qui en tiendrait séparés les Lingons. Le texte du géographe Strabon est positif à cet égard : « La Saône sépare les Séquanes des Edues et des Lingons [). » Il faut donc chercher sur le tracé fluvial même l’extremos Lingonum fines des Commentaires. Cette ligne terminale est connue. Elle est donnée exactement, et conformément à la des- cription de Strabon, par l’ancienne délimitation des diocèses de Besançon et de Langres, que la Saône séparait rigoureusement (?). Ainsi Auxonne, ainsi les terres de Pontailler situées sur la rive gauche de la rivière, ainsi Apremont en face de Mantoche, ainsi Gray en face d'Arc, appartiennent à la Séquanie, tandis que les paroisses du diocèse de Langres occupaient toute la rive droite. César, en se dirigeant sur Besançon, devait donc ne rencontrer la partie extrême du territoire lingon que sur les gués de la Saône, entre Gray et Pontailler. C’est à dix milles de ces extremos Lingonum fines que s'élève (2) « ‘Pet dE xai 6 "Apap Ex Toy "Atewv, Opiéwv Enxoavoûs te xai Atdoÿous Aai Auyxactous. » (STRABON. Geog., lib. IV, c. 1, S 11.) (?) Voir le Pouillé de l’église de Besançon, ap. nes Histoire de l'église, ville et diocèse de Besançon, t. 11, pp. 386-509, — 467 — la chaîne de montagnes doucement ondulées, où la tradition a placé une grande bataille entre « Jules César » et « nos ancêtres Gaulois, » sur des traces de voies primitives presque partout effacées par la charrue et qui n'existent plus que par leur vocable: vieux chemins de Besançon. Malgré les défrichements, des groupes de nombreux tumulus subsistent encore sur les collines. L'Histoire de Jules César mentionne avec raison ce genre de document toutes les fois qu’elle en a l’occasion. Si le nombre devait parler ici, le champ de bataille de notre tradition ne lais- serait relativement aucune importance aux trois ou quatre {u- mulus signalés dans la contrée de la Vingeanne (!). Mais, pour les savants qui ne peuvent venir sur les lieux, et qui auraient cependant une volonté sérieuse d'en exercer le contrôle au moins sommaire, il existe deux documents, deux textes anciens, dont le rapprochement fournit un témoignage irrécusable. L'un est de Plutarque, l’autre d’un grand historien, d’un consul, qui fut aussi la plus haute personnalité militaire de son temps, et en quelque sorte le ministre d'Alexandre Sévère, nous voulons dire de Dion Cassius, dont l'historien de Jules César a du reste invoqué parfois l'autorité. Ces deux textes, exhumés depuis la question d’Alaise et vingt fois reproduits en sa faveur, ont encore réellement le mérite de la nouveauté; car l'Académie des inscriptions et belles-lettres, par le fait de sa commission des antiquités de la France, a toujours rejeté en masse les textes cités par nous, comme devant être torturés pour les besoins de la cause : ce sont les expressions employées à notre égard (?). Et quand nous avons insisté en publiant un mémoire sous le titre d’Alaise à la barre de l’Institut (*), il fut décidé que ni l’œuvre, ni même la lettre d'envoi ne devaient () Cf, A. CasTAN, Les préliminaires du siège d'Alesia, dans les Mémoires de la Soc. d'Emul. du Doubs, 3° série, t. IX, pp. 377-407. (*) Rapport fait à l'Académie des inscriptions et belles-letlres, au nom de la commission des antiquités de La France, par M. Alfred Maury, lu à la séance publique annuelle du 7 décembre 1860 ; Paris, Didot, 1860, in-de. (*) Besançon, Dodivers, 1‘ mars 1861, gr. in-8e. — 468 — être lus (t). Les textes de Dion Cassius et de Plutarque étaient destinés à subir avec nos arguments, au palais Mazarin, le même sort que les projets de navigation à la vapeur. Ils devaient rester méconnus des personnes ayant foi dans la science de l’Académie. | Nous allons donc rappeler encore les deux textes antiques, en abritant notre impartialité derrière les traducteurs les plus connus. | Plutarque (traduction d'Amyot) dit : (César) « partant de là, passa à travers le pays des Lingons pour entrer en celui des Séquaniens, qui étaient amis des Ro- mains et plus près de l'Italie de ce côté-là, au regard du reste de la Gaule. Là le vinrent (les ennemis) assaillir et environner de tous côtés avec un nombre infini de combattants (?). » Dion Cassius (traduction de Gros) dit de même : « Vercingétorix surprit dans le pays des Séquanais {èv Enxovavots) le général romain qui allait porter du secours aux Allobroges (*). » Ces deux textes concordent entre eux et ne permettent aucune équivoque sur le sens de la citation que nous avons déjà donnée des Commentaires. Or, si l’on admet avec nous le raisonnement stratégique exposé dans l'Histoire de Jules César, et si on le complète à l'aide des textes anciens, il est évident que le champ de bataille se trouvera, non sur la rive lingone de la Saône, mais sur la rive gauche, en Séquanie, entre les derniers gués de cette rivière et Besançon. Dès lors le mont Colombin, avec la chaîne à () Comptes-rendus des séances de l'Acadèmie des inscriptions et belles- lettres, par M, E. DEsJARDINS, 1861, p. 77. (4) « Atônep ai xivoas ènetbev bnepéGañe Tù Aryyovexd Bou?ôouevos àVacôar rh Enxovavüy œllwv Ovrwy xal nporemévoy Ts ’frallas noùç Tv "AMV lodatiav. "Evrauôa ÔE aûré Toüv nokepiwy EnITNGOVTWY xAÙ MEpI5Y0VTWY pupiéot noldaïs….. » (PLUTARCHI, C. J. Cœsar, C. XXVL.) (2) « Käv Toûtw épuhoavra avrév wç xal Bonôñoovra cptorv (AXGGpLEL), ànéhaGey ëv Enxovavois yevémevov, xat évexvxkwsato. » (Dio. Cass., list, rom., lib. XL.) — 469 — laquelle il appartient, ayant derrière fui la rivière de l’Ognon, répond à toutes les conditions, à toutes les exigences du texte des Commentaires. Ainsi placé à dix milles de la Saône, sur les vieux chemins de ce Besançon dont les Romains ne s'étaient certainement pas dessaisis, le champ de bataille de Colombin motive à son tour le refuge des vaincus précisément vers une contrée considérée de tout temps comme le plus sûr réduit pour les habitants des bords du Doubs, Dubis, pour ceux à qui incombe si naturelle- ment le nom de Mandubiens, nous voulons parler du pays d’Alaise. Les blés et les grands troupeaux ayant été mis en sûreté dans ce pays de forêts et de précipices, c’est là que Vercingétorix, voulant attendre les secours de toute la Gaule pour recommencer la lutte, a dû abriter ses soldats contre l'ennemi et contre la faim. La distance à parcourir était pour lui de deux marches, chacune d'environ vingt kilomètres, l’une pour atteimdre les gués du Doubs, à Routelle et à Osselle (‘), l’autre pour franchir la chaîne du Lomont, par les chemins aujourd’hui boisés dont les vestiges ont conservé le nom de Jules César, et pour atteindre enfin l’oppidum. Ces deux journées nous semblent avoir été indiquées par les expressions employées pour désigner le fait dans les Commen- taires. Le premier jour, à la suite de la bataille, César atteint de nouveau les Gaulois, au passage du Doubs, après les avoir poursuivis {quantum diei tempus est passum). Altero die, lit-on ensuite, ad Alesiam castra fecit. Faudra-t-il désormais, d'après l'Histoire de Jules César, donner au mot altero le sens de surlendemain, et ne plus dire que César campa le lendemain devant Alesia ? L'opinion commune était fondée sur ce principe que le mot alter exprime une comparaison et signifie l’autre par rapport à l'un, alius, ou par rapport à ce qui vient d’être soit nommé, soit sous-entendu. Dans une série progressive de jours, 0 (t) L'importance militaire de ce passage est marquée par ces noms : La Bataille, Champs de la guerre, A Tombe, Ile de bataille. — 470 — altero die voudra dire le lendemain si l’on vient de parler d'aujourd'hui, le surlendemain s'il s'est agi auparavant du len- demain, le 4°, le 5°, le 6° jour par rapport aux 8°, 4e et 5e (1). S'il était nécessaire de produire un exemple décisif, contrai- rement à la notice donnée à cet égard par l'Histoire de Jules César, nous citerions le passage suivant des Commentaires : « Chacun de son côté prit ses mesures, César pour joindre Antoine au plus vite, Pompée pour s'opposer à leur jonction et essayer de les surprendre. Tous deux lèvent leur camp le même jour et s’éloignent des bords de l’Apsus, Pompée secrètement et de nuit, César ouvertement et en plein jour. Mais César était forcé de faire un long détour et de remonter la rivière pour trouver un gué; Pompée, qui avait le chemin libre et point de fleuve à passer, marchait à grandes journées contre Antoine, et dès qu’il le sut assez proche (appropinquare), il prit un poste avantageux, y plaça ses troupes, les renferma toutes dans le camp et défendit d'allumer des feux afin de cacher son arrivée. Antoine en fut aussitôt averti par les Grecs; 1l dépêcha sur le champ vers César, resta un seul jour dans son camp funum diem sese castris tenuit), et le lendemain César le rejoignit (ALTERO DIE ad eum pervenit Cæsar) (?). » Si, d’après la notice, altero die devait être traduit ici par Le surlendemain, il y aurait un non-sens évident entre cette expression et celle d’unum diem qui précède. Car du moment qu'Antoine s’enferme dans son camp jusqu'à l’arrivée de César, et que ce laps de temps est appelé unum diem, il ne peut plus (:) Nous admettons, avec l'Histoire de Jules César, que dans l'exemple suivant emprunté à Virgile : Alter ab undecimo tum jam me ceperat annus, la traduction dise treizième et non douzième année. Ab est ici un séparatif. I] interdit la comparaison d’alter avec undecimo. Après undecimo vient done se ranger le groupe des inséparables alius et alter, dont le premier est presque toujours remplacé, et qui, dans le cas présent, est resté sous- entendu. Alius eût été douze, aller sera treize. I1 n’y a pas dérogation à la règle. j (2) De bell. civil., lib. III, c. xxx, trad. Artaud, t. III, p. 41. — EN — être question de traduire altero die par surlendemain; cela ferait deux jours au lieu d'unum diem. La question d’Alaise ne dépend pas néanmoins du sens à donner au mot altero. Mais que la retraite de Vercingétorix sur une Alesia quelconque ait été opérée en deux jours au plus, au lieu de trois, cela est nécessaire pour la vraisemblance d'une circonstance citée par les Commentaires. En effet, César, aussitôt qu'il eut compris le mouvement de l'ennemi, n’hésita pas à se débarrasser de tous ses bagages !!) pour rendre ses troupes plus alertes. L'armée gauloise, au contraire, marchait alourdie par ses impedimenta, et cependant put arriver non-seulement sans les perdre, mais encore sans avoir été tournée. Un tel succès suppose à la fois une marche peu longue et une disposition spécialement favorable des lieux parcourus; c’est là le cas pré- senté par la route d’Alaise. De Ruffey, l’ancien oppidum Ruffiacum, où Vercingétorix dut avoir la masse de son infanterie (ad flumen), jusqu’au lieu du refuge, l’armée gauloise, constamment placée entre César et le but à atteindre, occupait successivement avant l'ennemi les gués du Doubs et la trouée exceptionnelle de la chaîne du Lomont à Lombard, deux points situés sur la même ligne directe, et dont l'avantage était de ne pas permettre aux Romains, quelque ardents qu'ils fussent à la poursuite, de déborder par les flancs. Ces incidents expliquent seuls comment l’armée la plus lourde a pu conserver l'avance sur la plus légère; comment des bagages ont pu marcher plus vite que César, malgré les moyens inaccou- tumés de prompttude dont il dit avoir usé. Après la production des textes de Plutarque et de Dion Cassius, les seuls qui nous restent de l'antiquité relativement à la dési- gnation du lieu de la bataille qui précéda la retraite des Gaulois (4) « Cæsar, impedimentis in proximum collem deductis, duabusque legionibus præsidio relictis, secutus, quantum diei tempus est passum, circiter tribus millibus hostium ex novissimo agmine interfectis, altero die ad Alesiam castra fecit. » {De bell, gall., lib. VII, c. Lxvin.) à — 472 — sur Âlesia, il ne reste plus à recueillir dans les Commentaires que des compléments d'indication. Nous les récapitulons ainsi : 4° « Pendant que César était en marche dans la Séquanie (in Sequanos), par la partie extrême du territoire des Lingons…., Vercingétorix vint asseoir trois camps à dix milles environ des Romains {circiter millia passuum decem ab Romanis, trinis castris Vercingetorix consedit). » Un traducteur grec anonyme, qui écrivit à l’époque où la bibliothèque de Constantinople existait encore et renfermait né- cessairement tous les éléments propres à écarter les erreurs sur le fait historique d’Alesia, rend de la manière suivante la phrase des Commentaires que nous citons : « Iaurékkwv dè Toûtwy Ovrwy ênetôn 6 Kaïoup els Tav Enapyiav Ôtà tñc Tv Enxav@v ywpas Éropebero, va bäov Ôdvarro aûtA Bonbeïv, dyôonxovTa _ctädla àarauroÿ Tptyh, Ô Bepuiyyétopué Éctoatonedeucaro (1). » Soit en français : « Se voyant à la tête de troupes si nombreuses, pendant que César marchait vers la Province à travers (à) le pays des Séquanes, afin de pouvoir secourir facilement les siens, Vercin- gétorix vint asseoir trois camps à quatre-vingts stades de là. » Ainsi se trouve déterminée la place du champ de bataille du mont Colombin, à dix mille pas, ou 80 stades, de la limite des territoires lingon et séquane. 2° « Après ces opérations (la prise de possession d’Alesia), César part pour le pays éduen : « His rebus confectis, in Æduos proficiscitur (?). » Alesia se trouve donc indiquée comme n'étant pas chez les Edues. 3° « Voyez cette Gaule limitrophe qui, devenue province romaine, ayant perdu ses droits et ses lois, subit sous la menace des haches une servitude sans fin : « Respicite FINITIMAM Galliam, () C. J. CÆSARIS INTERPRES GRÆCUS, edit. LEMAIRE, lib, VII, c. Lxvi. (?) De bell. gall., lib. VII, c. xc. — 473 — quæ in provinciam redacta, jure el legibus commutatis, secu- ribus subjecta, perpetua premitur servitute (‘). » Or, les Gaules limitrophes de la Province, à l’époque de la guerre d’Alesia, étaient, au nord-ouest : Les Edues, par le fait des Ambarres leurs nouveaux clients, et les Ségusiaves : « Æduis Segusiavisque, qui sunt finitimi Pro- vinciæ (?); » Puis les Séquanes que le Rhône séparait de la Province : « Quum Sequanos a Provincia nostra Rhodanus divideret (*).» Alesia n'étant pas chez les Edues, et ne pouvant être chez les Ségusiaves, se trouve donc forcément dans cette Séquanie, limi- trophe à la fois du pays lingon d'où venait César, et de la Pro- vince à laquelle il fallait porter secours : « In Sequanos per extre- mos Lingonum fines.., quo facilius subsidium Provinciæ ferri posset. » Le pays d’Alaise répond à toutes les données géographiques, indirectement, mais nettement posées par les seuls textes an- tiques conservés jusqu’à nos jours. Si l'Histoire de Jules César nous a donné, avec la supériorité de vues et de langage qui distinguent ce livre, une assiette plus solide pour l'application des textes anciens, elle achève d’un autre côté de renverser une objection faite par des savants de la commission de la carte des Gaules contre une partie essentielle des antiquités du pays d’Alaise, les fumnulus. Un champ de bataille de l’époque celtique ne doit pas, disait-on, avoir produit des tumulus; leur travail eût coûté trop de temps. Or, à propos de la bataille livrée aux Helvètes sur les bords de la Saône, six ans avant la guerre d’Alesia, l’auteur mentionne, à l'appui du choix du lieu, « de nombreuses sépultures, tant gallo-romaines que celtiques. Les fumulus, ajoute-t-il, ont fourni des vases d'argile grossière, beaucoup de fragments (2) De bell. gall., lib, VIT, c. Lxxvu. (3) Ip., ibid., c. Lxiv. (#) Ip., ibid., ©. xxx. — 474 — d'armes en silex, des ornements en bronze, des fers de flèche, des fragments de douilles (!). » Voilà donc la valeur des tumulus enfin restituée comme argu- ment dès qu'il s'agit d’un champ de bataille de César. La voilà restituée en des termes qui donnent la plus fidèle peinture du résultat de nos fouilles dans les sépultures d’Alaise. Un prix d'archéologie avait été décerné à la Société d'Emulation du Doubs et à notre confrère M. Castan, dans le concours des sociétés savantes de 1864, pour nos découvertes, mais sous toules réserves relativement à l'attribution de l’Alesia des Com- mentaires à la contrée séquanaise. Ces réserves, dictées peut- être par le sentiment qui inspirait la commission de la Carte des Gaules, perdent par la citation qui vient d’être faite une grande partie de leur gravité. Les débris du champ de bataille des Helvètes sont identiques à ceux d’Alaise; leur éloquence est la même, sauf la différence de proportion des événements rappelés et le nombre des objets exhumés. Ces antiquités tumulaires d’Alaise, qui font aujourd'hui la gloire du musée archéologique de Besançon, ont sur celles de la Saône inférieure un avantage précieux, celui d’être datées par la présence de castramétations appartenant à l’époque républicaine de Rome. En effet, les castellum du Champ de la Victoire, de Saint-Loup, de Malans, de Bellague, montrent encore aux yeux leur forme carrée ré- glementaire. Et comme il n’y eut pas de soldats romains en Séquanie avant César; comme les Gaulois, avant Vercingétorix, — les Commentaires le disent — s’abstenaient de construire des castellum ; comme après la conquête nos ancêtres ont pris l'armement des vainqueurs en place de celui que rendent nos fouilles, les objets celtiques mis au jour par nos soins ne sont donc ni antérieurs à César, ni postérieurs à la guerre de l’indé- pendance : ils ont une date certaine. Les antiquités d’Alaise, dont la nature était pour nous évi- dente, ont reçu ainsi, par la citation faite des sépultures helvètes (1) Histoire de Jules César, t, I, p. 61. — 475 — * et romaines dans l'Histoire de Jules César, une affirmation indirecte qui ne permettra plus, nous l’espérons, aucune déné- gation nouvelle. Alesia fut la métropole religieuse de toutes les Gaules, à l’époque où l’on consacrait les accidents naturels du sol, des montagnes, des vallées, des forêts, et par-dessus tout les sources aux belles grottes, sanctuaires des prêtresses. Sous ce rapport, notre Alaise demeure sans rivale. Des rives occidentales de l'antique Hibernie jusqu'aux pays des Scythes, des colonnes d'Hercule aux montagnes scandinaves, nulle retraite n’avait réuni plus d'accidents naturels capables de séduire l'imagina- tion. Autour du nom de Rhéa, qui occupe le centre d’une majestueuse vallée, s'étalent, en moins de trois kilomètres de développement, les sombres précipices du Creux-Biard, la source du Lison, dont la grotte avec sa haute cascade défie toute comparaison, le bief Sarrazin aux voussures immenses qui abriteraient, sans le toucher, le portail entier de Notre-Dame de Paris; puis la source du Verneau, les écroulements d’'Andieu, des cavernes, des aiguilles de pierres, et partout une luxuriante verdure avec de grandes roches nues. Ce genre de supériorité propre à notre Alaise ne lui est dénié par personne. Et quand on voit en même temps, sans faire la distinction des champs de bataille, le funèbre manteau de tu- mulus qui s'étend à plusieurs lieues au nord-est et au sud-ouest du Lison, on cède invinciblement à la nécessité d'expliquer, par la présence de la métropole religieuse du plus belliqueux des peuples, ces cent mille tertres où gisent les ossements d’un nombre bien plus grand encore de Gaulois. Or, Diodore de Sicile donnera aux explorateurs l'affirmation de l'identité de cette métropole religieuse avec l’Alesia des Commentaires, en ces termes précis : « Considérée comme la métropole de toute la Celtique, cette ville est restée, depuis les temps d’'Hercule son fondateur, libre et se gouvernant par ses propres lois. Puis Caius César, que — 4716 — ses hauts faits ont déifié, la prit de force et l’assujettit aux * Romains {!). » | Tous les genres de monuments qui étaient de nature à carac- tériser la métropole celtique désignent donc exclusivement notre Alaise. Il reste à examiner le dernier de ces monuments, le nom même du lieu. « Alaise, disions-nous dans l’un de nos précédents mémoires (?), est la dérivation la plus exacte de ce que les Latins ont appelé Alesia et Alexia, les Grecs Asia, ’Alnota et ’Auoia. Le nécro- loge de l’abbaye Saint-Paul de Besançon cite : « Altare de AÂLESIA et altare de Myon. » Celui de Saint-Anatoile de Salins, extrait en 1390 «ex antiquis libris et regestris dicte ecclesie, » men- tionne : « Girardus de ALesra, Henricus de ALesra, heredes Henrici de ALEsra. » » Enfin, comme pour prouver la persistance de la forme latine dans le pays même d’Alaise, le registre des naissances de cette paroisse au xvi° siècle, exploré dans les archives de Myon par l'inspecteur des archives communales du Doubs, a montré des centaines d'exemples du mot ÂLEsrA. » Ce nom que nous avions lu au commencement de nos débats sur un fragment de poterie rendu par le sol d’Alaise {°), fut déclaré alors par quelques savants illisible et de plus impossible. Aujourd’hui que les preuves abondent, nous n’abuserons pas de notre succès. Nos preuves ne sont plus contestables. Si, dans le vaste ensemble des monuments d’Alaise, on vient à faire la part de la guerre décrite par les Commentaires, si de (1) « Où dë Keïroi péyot THVÔE TOv YaupOV TO TAÜTNV TV TOY, &s éndons Ts Kentixñs oÙoav ÉcTiay xai LnTpomoAV. Atémetve d’aÛTn TaVTE Tv àp” ‘Hpaxhéous ypovoy Éheubépa xai dropÜntos Léyot Toù xaf’AUGc ypovou" Tù dÈ teheutatov 0nd l'aiou Kaicaæpos Toù ia To uéyedoc Tov mp&éewv Beod rpocayopeutévros Ex flas dhodda ouvnvayxäoôn petàa Tov &hwv Kelrüv drotayñvar ‘Pwuatou. » (Dioport SicuLi Bibliotheca, lib. IV, ec. x1x.) (?) Alaise et le Moniteur, dans les Mémoires de la Socielé d'Emulation du Doubs, 3e série, t. VII, p. 81. (8) A. CASTAN, Tombelles celtiques et romaines d'Alaise, ibid., t. III (1858), p. 579 et pl. 3, fig. 14. — TI — l'examen des caractères généraux on a le courage de passer à celui des détails, on ne tarde pas à être frappé de la fidélité avec laquelle chaque description locale donnée par une phrase, un mot de César, s'applique à des accidents spéciaux du sol de cette contrée. Il ne pourrait du reste en être autrement, l’auteur des Commentaires ayant été l'acteur principal dans les faits qu'il raconte. Mais le parcours des lieux offrant des difficultés est rarement entrepris. Ainsi, le castellum de Bellague (‘), qui est une prise d’eau fortifiée, admirablement conservée dans sa solitude entre des escarpements, et dont la construction est un _non-sens en dehors des circonstances de la dérivation mention- née par César, ce castellum, dont l'aspect arracherait la convic- tion aux plus résistants, n’a été vu encore que par trois des per- sonnes compétentes étrangères à la Franche-Comté, MM. Jules Quicherat, le colonel Sarrette et le capitaine Gallotti. Comment s'étonner dès lors qu’Alaise ait encore une espèce de Sosie dans une localité facile à parcourir même pour les plus paresseux, dont le nom latin Aisiia diffère si peu de celui d’4- lesia et se trouve de même accolé aux noms antiques de Rhéa et de Reine, qui fut un oppidum celtique, petit, il est vrai, avant de devenir une ville gallo-romaine fortifiée, qui offre une mon- tagne entre trois cours d’eau et à plus forte raison entre les deux que cite César, qui enfin fut assiégée un jour au moyen d’une contrevallation et d'une circonvallation ? Comment l’auteur de l'Histoire de Jules César, dessinant à grands traits ses récits, en face de pareils précédents et des déclarations faites hautement au sein de l'Académie des inscrip- tions et belles-lettres en faveur de l'hypothèse du mont Auxois, eût-il pu échapper à l'illusion ? Nous qui avons gagné, en produisant la question d’Alaise, l’humble mission d'examiner les faits par le menu, comme un comptable devant une opération à contrôler, nous sommes forcé (:) Voir notre dessin de cette castramétation, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 3e série, t. VIII (1863), pl. 1. — 478 — de n’admettre aucune des applications du texte des Commen- taires aux événements militaires que comporte la localité d’Alise en Auxois, et quoique le système en ait été admirablement établi dans l'Histoire de Jules César. Nous rappellerons sommairement, après l’avoir fait déjà tant de fois, ce qu’il faut à un pays pour être l’image de l’Alesia des Commentaires : Une montagne d’une lieue, sinon d’une surface encore plus considérable, pour recevoir les 80,000 fantassins de Vercingé- torix, à côté de 90,000 Mandubiens qui s’y trouvaient déjà réfugiés avec leurs troupeaux ; Sur cette montagne, une citadelle distincte, et de telles subdi- visions de terrains que les 80,000 fantassins aient pu être trans- férés de leurs camps dans l’urbs, puis qu’un pareil mouvement fût connu de César seulement par le moyen « des transfuges et des prisonniers, ex perfugis et captivis. » Il faut : Devant la montagne, une plaine entrecoupée de dépressions (intermissam collibus), limitée dans le sens de la plus grande étendue, dans sa longueur, à 3,000 pas, et terminée de telle sorte que la cavalerie entière de Vercingétorix ait pu s’abriter après sa défaite et ensuite s'échapper de nuit sans être ni vue n1 enten- due des Romains, sans que César en apprit plus tard la nouvelle autrement que par les transfuges et les prisonniers, lui qui cependant, depuis les hauteurs occupées par ses travaux d’in- vestissement, voyait à ses pieds cette même plaine. Enfin il faut autour d’Alesia une disposition générale des lieux telle que la triple bataille du dernier jour s'explique par les Commentaires, même sans y supposer des erreurs de texte. Or, relativement à cette dernière affaire sur laquelle tant de savants stratégistes avaient échoué, l’auteur de l'Histoire de Jules César eût peut-être ajourné sa conclusion devant un texte exempt de corrections (‘}. Dans un rôle assigné aux Gaulois et (:) L'une de ces corrections intervertit les rôles assignés par les Com- — 419 — aux légionnaires, et d’où ressortait un défaut décisif de la confi- guration du pays de l’Auxois, les Commentaires, traduits par Artaud, disent : « Les ENNEMIS {hostes), qui de la hauteur le voient (César) sur la pente avec les escadrons dont il s'était fait suivre, viennent commencer l'attaque. » L'Histoire de Jules César traduit au contraire ainsi : « Aussitôt que, des hauteurs où ils se trouvent, les LÉGIONNAIRES reconnaissent leur général... et l’aperçoivent suivi de cohortes et de détachements de cavalerie, ils sortent des retranchements et commencent l'attaque. » Dans le premier cas, dans le vrai, ce sont les Gaulois qui occupent les hauteurs ; dans le second, ce sont les légionnaires. De cette interversion découle immédiatement celle du relief de terrain décrit par César et que représente seul, au contraire, le système d’Alaise : aussi les conséquences varient-elles avec le point de départ de la manière la plus remarquable. En voici un exemple : « Labienus, dit l'Histoire de Jules César, voyant que ni les fossés, ni les remparts ne peuvent arrêter l'effort des Gaulois, rallie trente - neuf cohortes venues des redoutes voisines, que le hasard lui présente, « quas ex proximis prœsidiis deductas sors obtulit. » Ce hasard, dans le système de l’Auxois, ne s'explique et n’a mentaires aux peuples des bords de l'Océan et au groupe des Rauraques et des Boïens. Les premiers, très éloignés du théâtre de la guerre, avaient envoyé au secours d’Alesia 6,000 hommes; les Rauraques et les Boïens d'outre-Rhin, rapprochés de la Séquanie, fournissaient un contingent commun de 30,000 hommes. Or, il n'y avait aucune absurdité dans cette répartition. L'interversion semble avoir été inspirée par une confusion faite entre le gros de la nation boïenne resté au delà du Rhin, près des Rauraques, avec le petit groupe des émigrés boïens devenus Edues à la suite de la guerre des Helvètes. Mais il s’agit, dans les Commentaires, du groupe des Rau- raques du Rhin et des Boïens du Danube fournissant un contingent en commun, et non des Boïens-Edues qui eussent été nommés, s'ils avaient dû l’être, avec les clients de leur nouvelle patrie. En tête de l'énumération des troupes se trouvent : « Æduis, atque eorum clientibus, Segusiavis, Ambi- varetis, Aulercis Brannovicibus, Brannoviis. » A l’avant-dernier rang sont nommés ensemble Rauracis et Boiis. (De bell. gall., lib. VII, c. Lxxv.) — À80 — été expliqué par rien. On comprend même assez peu comment trente-neuf cohortes de légionnaires, d’une armée commandée par César, se trouvent par hasard en dehors de l’action du combat. Dans la contrée d’Alaise, les choses se passent autrement : Le camp de Reginus et celui de Rebilus se trouvent sur le plateau d'Amancey, superioribus locis. Ils y sont attaqués à la suite d’une surprise habilement combinée par soixante mille Gaulois. César, averti par des messagers {his rebus cognitis), envoie Labienus au secours des siens. Mais la population mandubienne expulsée de la ville, et con- séquemment rapprochée des lignes romaines, a vu les messagers. Elle a deviné, par les étendards sanglants apportés en témoi- gnage, Ce qui se passait. Vercingétorix apprend par leurs cris, dit Plutarque, de quoi il s'agit. Il cesse de suite sa lutte infruc- tueuse contre les retranchements de la plaine et se hâte d’ac- courir du côté opposé, où les lignes des Romains avaient toujours paru inattaquables, à cause des escarpements {prærupta loca) qui les défendaient. L'action capitale de la journée se passe alors entre le front des soixante mille Gaulois d’une part et les prærupta loca de l’autre, entre un secours qui arrive et une sortie pour le rejoindre. Vercingétorix parvient à prendre d'assaut (ex ascensu) les retranchements romains. Il renverse successivement Brutus et Fabius qui ont été envoyés contre lui. Et comme pendant ce même temps les troupes de Reginus et de Rebilus cèdent le terrain devant Vergasillaune, il arrive que la fortune des com- bats (sors) et l'énergie de Labienus rallient les trente-neuf cohortes rejetées les unes sur les autres, dont parlent les Commentaires et dont voici, d’après eux, le détail précis : Les légionnaires de Reginus et de Rebilus formaient en- semble 24 47 EE Li D LS NES RUES NE Labieaus :en avait Amané., : 4 5 es CS UT EEE Druls : 45 404 8e SU GR ART TOURS QU NEO TT 10 NES FD DRCRAS OMR TELE re ES SET SAR Total égal. . . 39 cohortes. 1 AGE | C'est ainsi que, dans un fait certain, la vérification des détails accroît au lieu de diminuer la force des arguments. C'est de même ainsi qu’à l'appui du récit auquel s'appliquent nos calculs, l'explorateur pourra suivre sur le terrain la piste des combats, par l'abondance des tumulus, à la Fontaine de Brut, à la forêt des Prés Bretins, aux Champs de guerre, sur le plateau des Gaules, au Camp de mine, et jusqu’au delà des Champs de la victoire et de Côte bataille, ces groupes corres- pondant à des opérations intelligentes et de Vercingétorix et de Vergasillaune contre Brutus, Fabius, Labienus et César. Un seul genre d'arguments a paru manquer à la défense d'Alaise, d’après le sentiment de quelques personnes; c’est celui des monnaies contemporaines de César, et que le sol, dit-on, eût dû rendre abondamment. Nous admettons moins que jamais ce défaut. Nos fouilles dans les fwmulus celtiques n’ont rien produit de ce genre, parce qu’en Gaule l’usage n’était pas d’en- fouir des monnaies avec les morts. Les môles de cendres funé- raires des soldats romains, ouverts par nos soins, étaient de même dépourvus de ces objets, parce qu’en pays ennemi le souci devait être de protéger les sépultures contre la profanation, et non d’exciter celle-ci par un appât. Aussi ces môles pré- sentent-ils simplement une composition de terre et de cendres humaines, intimement mêlées avec quelques restes de dépouilles ennemies jetées au bûcher {‘)}. Enfin, les fouilles entreprises à la recherche des ouvrages de César devant l’oppidum, loin de nous donner des monnaies, n’ont produit, nous l’avouons sans peine, que des vestiges, et notamment ce fossé de vingt pieds décrit par les Commentaires, mais remblayé — cela devait être — avec les charbons des fascines (cratibus), les débris de pots de poix jetés pour brûler celles-ci, la terre (aggere) apportée au contraire pour couvrir le feu, le tout parsemé de quelques (1) A. CASTAN, Tombelles celtiques et romaines d'Alaise, dans les Mém. de la Soc. d'Em. du Doubs, 3e série, t. III (1858), p. 571 ; — Tombelles et ruines du massif et du pourtour d'Alaise, ibid., t, V (1859-60), pp. 416-419. 31 — 482 — restes d'objets celtiques. Nous avons même retrouvé, protégés contre la destruction par l’eau d’une source devenue souterraine, ces pieux reliés ensemble sous terre {stipites ab infimo revincti}; le groupe était de cinq (quini erant ordines). Nonobstant l’évi- dence du travail romain sur ce point, pas de monnaies {!). Nos fouilles, il est vrai, quoique ayant exigé beaucoup de temps et de soins, n’ont pas remué des masses réellement con- sidérables de terres. Néanmoins le musée archéologique de Besançon renferme bon nombre de monnaies celtiques produites dans la contrée d’Alaise par des défrichements (?) ; d’autres nous ont échappé. Nous avons aussi quelques monnaies romaines consulaires. Heureux de rencontrer ce genre d'objets quand le hasard les mettra sous nos yeux, nous ne ferons aucun effort pour en conquérir. Car s'ils sont relativement rares sur les champs de bataille, ils le sont moins dans les débris des maisons antiques incendiées et ils remplissent partout des collections particulières. Or, nous savons par l'expérience acquise à Besançon même, où ces monnaies, en raison de leur abondance, ont peu de prix, combien de peine nous éprouvons à nous garer contre les ingé- nieuses machinations des marchands d’antiquités, la complicité railleuse de quelques ouvriers, et parfois des excès de bienveil- lance de la part des collectionneurs. Nous ne doutons pas que les monnaies, si nous y attachions trop de prix, n’apparussent bientôt devant nos pioches sur le terrain d’Alaise. La contrée, heureusement pour nos travaux, est restée pure du commerce des antiquités. Partisan convaincu, fanatique si l’on veut, d’Alaise-Alesia, nous n'avons pas été touché de la découverte des monnaies de J’Auxois. Eussions-nous été témoin du fait, nous nous serions (2) A. CAsTAN, Vestiges du siège d'Alesia, dans les Mém. de la Soc. d'Em. du Doubs, 3° série, t. VI (1861), pp. 461-492. (2) Voir le dessin de l’une de ces monnaies dans les Mém. de la Soc. d'Em. du Doubs, 3e série, t. V (1859-60), p. 419. — 483 — refusé à croire qu'un champ de bataille d’Alise pût avoir engendré sur un point, et encore sur un seul point destiné à être exploré le dernier, ce que l’on prétend y avoir été trouvé. Notre tâche n’est pas de poursuivre plus loin la comparaison d'Alaise et d’Alise, rendue désormais inutile, à notre point de vue, par l'unanimité des textes anciens et la concordance des lieux avec les textes. Mais nous partageons avec tous les savants l'intérêt qu'ont excité en eux ces magnifiques explorations exé- cutées autour du mont Auxois. Nous désirons qu'une date puisse être un jour donnée à ces antiques vestiges d'opérations militaires rendus par le sol. Là commenceront les difficultés. En effet, Alise a été un oppidum celtique dès les temps les plus anciens, comme l’attestent les noms de la localité et un cimetière de tumulus encore inexplorés (!). Mais de cette époque jusqu’à nos jours, le lieu n’a pas cessé d’avoir quelque impor- tance. La ville n’a pas été brûlée et rasée, comme Alesia le fut le lendemain de sa reddition, sans autre motif que celui de punir le vaincu (?). Edue ou lingone, Alesia eût partagé avec les Lingons. ou les Edues les faveurs de César, la Séquanie étant la seule nation de l’est des Gaules que n’atteignit point la clémence du proconsul. C'était la vieille ennemie de Rome (*). Alise a été ensuite une ville gallo-romaine, ainsi que le disent les restes de construction enfouis dans le sol du mont Auxois. Elle a joui de quelque importance encore après la chute de l’em- pire romain, puisque la cité, non pas des Mandubii, mais des Alisienses, eut des monnaies sous ce dernier nom dans les temps carlovingiens. Le sol de l’Auxois rend donc des objets de toutes les époques, et dont le triage, propre à expliquer tous les systèmes, ne donne (2) Paul Bratz, La Vérité sur Alise-Sainte-Reine, Paris, 1861, in-8°, pp. 8-17. (*) « Alexiam, ducentorum quinquaginta millium juventute subnixam, flammis (Cæsar) adæquavit. » (FLORUS, Epilome rer, roman., lib. III, €. x.) (5) « Enxoavot, Gidpopor ai Toïs ‘Pwmaior x modoU yeyovôtes ka Toïs Aidoüous.» (STRABONIS Geog., lib. IV, c. 11.) — 484 — une valeur certaine à aucun. Ce n’est donc pas de là que sortira la date exacte des travaux du siége d’Alise (1). Quelques personnes pourraient, nonobstant les preuves que nous avons fournies contre l'identité d’Alise avec Alesia, rester touchées d’une sorte de coïncidence entre le chiffre de 41,000 pas assigné par les Commentaires aux premiers travaux de César, et celui qu’aurait fourni la contrevallation retrouvée sous le sol autour du mont Auxois. Or, ce n’est qu’au pied du massif d’Alaise que la contrevallation eut rigoureusement un dévelop- pement forcé de 11,000 pas, savoir 8,000 pas d'ouvrages exé- cutés par la nature et qu’un partisan distingué de l’Auxois a si bien caractérisés en les appelant une crevasse, et 3,000 pas de travaux à établir dans la plaine avec le luxe de précautions décrit par les Commentaires. À Alise, dit en note l'Histoire de Jules César, « ce n’était pas la contrevallation qui avait 44,000 pas d'étendue, mais la ligne d'investissement (?). » Nous ne croyons pas, du reste, qu’il y ait liéu d’attribuer les vestiges des ouvrages militaires d’Alise aux belles époques de Rome. La forme carrée, puis le carré allongé étaient alors les types réglementaires tels que nous les avons montrés à Alaise, tels qu’on les voit sur l’atlas de l'Histoire de Jules César lorsqu'il s’agit de Gergovia (pl. 22), ou de la bataille de l’Aisne (pl. 9), tels que l’auteur les suppose toujours. L’exception à cette règle n’eût été motivée, pour les camps d’Alise , par aucune difficulté locale, l'assiette de ces ouvrages irréguliers se trouvant généra- lement plane. Mais arrêtons-nous dans ces digressions relativement à Alise, puisqu'il ne s’agit plus directement de la Séquanie, puisque, pour notre Alaise, nous nous sommes borné à mentionner la série des soixante-quatre conditions groupées en sa faveur, et à détacher seulement quelques-unes d’entre elles du faisceau. @) Cf. J. QuicaERAT, Examen des armes trouvées à Alise-Sainte-Reine, dans les Mém. de La Soc. d'Em. du Doubs, 4e série, t. 1 (1865), pp. 3-24. (*) Histoire de Jules César, t. II, p. 301. ER Te Notre but est rempli si, sur la terre séquanaise du moins, les erreurs archéologiques accréditées à l’Académie des inscriptions et belles-lettres se sont évanouies, les unes à la lumière faite par l'Histoire de Jules César, les autres nonobstant le prestige dont ce beau livre vient de les couvrir. Notre consolation, sous ce dernier rapport, est de nous dire que nos œuvres et ce qu’elles défendaient n’ont jamais été vus par le savant auteur, dont l'approbation eût été pour nous cependant d’un si haut prix. — 486 — OBJETS DIVERS DONS faits à la Société en 1866 ee Par Son Exc. M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, 400 francs ; Par LE CONSEIL GÉNÉRAL DU PÉPARTEMENT DU Dougs, 200 fr.; Par LE CONSEIL MUNICIPAL DE BESANÇON, 600 fr.; Par M. H. Lyautey, général de division d'artillerie, sénateur, 200 francs. Par Sox Exc. M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE : Revue des Sociétés savantes des départements, 4° série, t. IE, septembre-décembre 1865; t. IT, janvier-juin 1866; t. IV, juillet-septembre 1866; Mémoires lus à la Sorbonne en avril 1865, histoire et archéo- logie, 2 vol. in-8°; Distribution des récompenses accordées aux Sociétés savantes, faite le 7 avril 1866. Par MM. Bexorr (Emile), membre correspondant, sa Note sur les abla- tions et dépôts superficiels antérieurs à l’époque quaternaire dans le Jura méridional, Paris, 1866, br. in-8° ; Juzuior (G.), son Catalogue des inscriptions du musée gallo- romain de Sens, Sens, 1866, br. in-8° ; Le RECTEUR DE L'ACADÉMIE, Rentrée solennelle des Facultés et de l'Ecole de médecine de Besançon, 16 novembre 1865; Laurens (Paul), membre résidant, son Annuaire du Doubs et de la Franche-Comté pour 1866, in-8° ; CaRRANCE (Evariste), À vingt ans, un acte en vers; — 487 — QuiquerEz, membre correspondant, son Rapport sur la ques- tion de l'épuisement des mines de fer du Jura bernois à la fin de l’année 1863, br. in-8°; ses Recherches sur les anciennes forges du Jura bernois, 1866, 1 vol. in-8°; ses Etudes sur des objets d’antiquité provenant de l’abbaye de Moutiers-Grand- Val, et sur le château de Morimont (Haut-Rhin), Strasbourg, 1866, 2 broch. in-8° ; Marcou (Jules), membre correspondant, sa brochure intitulée : Le Niagara, quinze ans après, in-8°; VIVIEN DE SAINT-MaRTIN, membre correspondant, L'année géographique, 4° année, 1866, 1 vol. in-12; Marrin-Lauzer, sa Bibliographie des Eaux de Luxeuil, 1866, broch. in-8° ; ToureTre, son Etude sur l'emploi médical des eaux de Vals (Ardèche), broch. in-8°; ConTEJEAN, membre correspondant, sa Conférence sur l’ori- gine et l'avenir de la Terre, 1866, br. in-8° ; Résa, sa Note sur le mode de chargement des hauts-four- neaux au coke de M. Minary, br. in-8° ; LéLurT, membre honoraire, sa Physiologie de la pensée, 2 vol. in-12 ; Rexaup (François), membre résidant, sa Note sur les Banques, broch. in-8° : Corter (Eugène), membre correspondant, l’Analyse, compte- rendu mensuel des institutions scientifiques de la France et de l'étranger, 1'° année, 1866, livraisons de janvier à novembre; sa Notice sur Beaufort (Jura) et ses seigneurs, Paris, 1865, 1 vol. in-12; son Essai sur les fêtes religieuses et les traditions populaires qui s’y rattachent, Paris, 1867, 1 vol. in-12; Bavoux, GuicnarD et ParzLor, membres résidants, Billotia ou notes de botanique, par MM. Bavoux, À. Guichard, P. Gui- chard et J. Paillot, t. Ier, 2 livraison, 1866, in-8°; WiLLermoz, directeur de l'Ecole d'horticulture du Rhône, son Mémoire sur les amendements et les engrais propres à chaque espèce de terre, Lyon, 1866, broch. in-8° ; — 188 — Quicnerar (Jules), membre honoraire, sa brochure intitulée : Nouveaux documents sur Charles VIT et Jeanne d'Arc, Rouen, 4866, in-8°; BELTRÉMIEUX, membre correspondant, sa Faune fossile du département de la Charente-Inférieure, La Rochelle, 1866, in-8°; Musron, membre correspondant, ses Recherches anthropolo- giques sur le pays de Montbéliard, 1"° partie, Montbéliard, 4866, 4 vol. in-8° ; BOUTHENOT-PEUGEOT, Première séance annuelle de la Société des bibliothèques communales de l'arrondissement de Montbe- liard et des environs, 5 juillet 1866, broch. in-8°; Roserrt (Ulysse), membre correspondant, sa Notice historique sur la famille Bouhélier de Cernay-Blancheroche, Besançon, 1865, broch. in-8° ; BEerTaaup, membre correspondant, son Résumé des études géologiques sur le Méconnais, Mâcon, 1866, br. in-8° ; CHERVIN aîné, deux Rapports sur sa méthode curative du bégaiement, Lyon, 4864-1866, in-8°. Faivre | Pierre), membre correspondant, Echantillons de miels et cires produits par diverses floraisons ; | Girop (Victor), membre résidant, six clefs antiques en fer provenant des fouilles du clos Saint-Amour à Besançon, une monnaie grand-bronze de Commode, une monnaie en billon aux armes de la cité de Besançon et au millésime de 1594, une médaille du xvine siècle en bronze représentant Charles I, . duc de Lorraine, et la duchesse Claude ; DeLacroix (Emile), membre résidant, une tête sculptée en bois de chêne, portant au cou le forques celtique, trouvée à Luxeuil, au-dessous des ruines gallo-romaines ; Rogerr (Ulysse), membre correspondant, huit médailles ro- maines, petit-bronze, des empereurs Gallien et Claude le Gothique, trouvées à Blancheroche (Doubs), au lieu dit le Mont-de-Pré. —,489 — . LE PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ D’EMULATION pu JurA, un moulage en plâtre d’un carreau à repasser antique en marbre, appartenant au musée de Lons-le-Saunier. Envois fais, en 866, par Les Sociétés correspondantes. Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne, t. 19, 1865, 3° et 4° trimestres; Bullekin de la Société des sciences médicales de l’arrondisse- ment de Gannat, 19° année, 1865, et compte-rendu de l’année 1865-1866 ; Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poli- gny, 6° année, 1865, n° 12; 7e année, 4866, n°5 1-8; Bulletin de la Société d’horticulture pratique du Rhône, 1865, n°° 6-12; 1866, n° 1-11 ; Bulletin de l’Institut national genevois, t. 1-13, 1853-1865; t. 14, livraison de 1866; Almanach de Genève pour 1866, publié par l'Institut gene- DOS ; Projet d’une exposition de l’industrie suisse à Genève en 1868, sous les auspices de l'Institut national genevois, 1866, in-8° ; Bulletin de la Société vaudoise des sciences naturelles, t. 8, bulletin n° 93, t. 9, 1866; Bulletin de la Société géologique de France, 2° série, t. 22, 1865, feuilles 27-36, t. 23, feuilles 1-51 ; Mémoires de la Société des sciences naturelles et médicales de Seine-et-Oise, t. 9, 1863-1864; = Mémoires d'histoire naturelle publiés par la Société Eduenne, t. À et 2 (Catalogue des lépidoptères de Saône-et-Loire, par M. A. Constant) ; Verhandungen der Naturforschenden Gesellschaft in Basel, vierter theil, 1-2 hefts, 1864-1866 (Actes de la Société des curieux de la nature de Bâle, 4° partie, cahiers 1-2, 4864-1866); — 490 — Compte-rendu de la Société des sciences naturelles et médi- cales de la Haute-Hesse, 1865, n° M ; Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais, t.8, 1864; Bulletin de la Société archéologique de l’Orléanais, 1865 (25-4e trimestres), 4866 (1° trimestre) : Schriften der kœniglichen physikalisch-œækonomischen Ge- sellschaft zu Kænigsberg (Publications de la Société royale physico-économique de Kœnigsberg), t. 8, 1864, fase. 1-2; Société des sciences naturelles du grand-duché de Luxem- bourg, t. 8, 1865; Mémoires de la Société académique de Maine-et-Loire, t. 17 et 48, 1865 ; Sitzungsberichte der kœnigl. bayer. Akademie der Wissen- schaften zu München (Comptes-rendus des séances de l’Académie royale des sciences de Bavière, à Munich), 1865, B. 9, hefts 3-4; Bulletin de la Société archéologique et historique du Limou- sin, t. 45, plus les feuilles 1-12 des Registres consulaires de la ville de Limoges, et les demi-feuilles 10 et 11 du Nobiliaire du Limousin ; Mémoires et documents publiés par la Société d'histoire et d'archéologie de Genève, t. 16, Livr. 1; Compte-rendu des travaux de la Commission des monuments historiques de la Gironde, 1862-1864, Table des matières des comptes-rendus de 1840 à 1855 ; Mémoires de la Société littéraire de Lyon, 1865; _Erster Jahresbericht des naturwissenschaftlichen Vereines zu Bremen (Société des sciences naturelles de Brême, premier rap- port), nov. 1864-mars 1866, in-8° ; Mémoires de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon, janvier 1866; Bulletin de la Société des sciences naturelles et historiques de l'Ardèche, n° 2, 1863-65 ; Annales de la Société impériale d'agriculture, industrie, sciences, arts et belles-lettres de la Loire, à Saint-Etienne, année 1865, 3° et 4° livraisons ; — 491 — Annales de la Société d'Emulation des Vosges, t. 12, 1% cahier, 1864, 2° cahier, 1865 ; | Mémoires de la Société impériale des scienees naturelles de Cherbourg, t. 11, 1861 ; Nouveaux mémoires de la Société helvétique des sciences na- vurelles, t. 21, 1865; Actes de la Société helvétique des sciences naturelles, 49° ses- sion, tenue à Genève en août 1865 ; Mittheilungen der naturforschenden Gesellschaft in Bern (Publications de la Société des sciences naturelles de Berne), année 1865; Mémoires de la Société d'Emulation de Montbéliard, 2° série, t. 2, pp 1-107; Société de secours des amis des sciences, compte-rendu de la 9e séance publique annuelle, 4 mai 1866; Journal d'agriculture de la Côte-d'Or, ann‘e 1865; Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orien- tales, t. 14, 1866; Jahrbuch des k. k. geologischen Reichanstalt (Annales de l’Institut impérial et royal de géologie de Vienne), band xv, n°% 1-2, jænner-juni 1865; Mémoires de l’Académie du Gard, novembre 1863-août 1864; Bulletin de la Société de médecine de Besançon, n° 15, année 1865; Bulletin de la Société polymathique du Morbihan, 1865 (2° se- mestre), 1866 (4°' semestre) ; Bulletin trimestriel de la Société d'agriculture de Joigny, n° 71, juillet-septembre 1866; Bulletin de la Société d'archéologie, sciences, arts et belles- lettres de la Mayenne, à Mayenne, année 1865. —. 499 — MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ au 31 décembre 1866. Le millésime placé en regard du nom de chaque membre indique l’année de sa réception dans la Société. Les membres de la Société qui ont racheté leurs cotisations annuelles sont désignés par un astérisque (*) placé devant leur nom, conformément à l’article 21 du règlement. Conseil d'administration pour 1867. Présent te TT MM. Giro» (Victor); Premier Vice-Président . . . BreTizLor (Léon); Deuxième Vice-Président . . GOUILLAUD ; Secrétaire. . . :. ARE, CASTAN; Vice-Secrélaire . . . . .: . . FAIVRE ; ÆPUSOTUEF Se dar tente cr JACQUES; APCE, ES VARAIGNE. Secrétaire honoraire . . . .. M. Bavoux. Membres honoraires. MM. Le Prérer du département du Doubs. L'ARCHEVÊQUE du diocèse de Besançon. Le GÉNÉRAL commandant la 7° division militaire. Le Premier PRÉSIDENT de la Cour impériale de Besançon. LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour impériale de Besançon. Le Recteur de l’Académie de Besançon. Le Marre de la Ville de Besançon. L’'IxsPectreur d’Académie à Besançon. D'ALBERT DE Luynes (le duc), membre de l’Institut {Académie des inscriptions); Dampierre (Seine-et-Oise). — 1859. — 493 — MM. Bayze, professeur de paléontologie à l'Ecole des mines; Paris. — 1851. Coquax», Henri, professeur de géologie; Marseille. — 1850. Device, Henri-Sainte-Claire, membre de l’Institut (Académie des sciences), Paris. — 1865. Devoisixs, sous-préfet; aux Andelys (Eure). — 1842. Douszenay, Henri, entomologiste; Epping, comité d’Essex (An- gleterre). — 1853. Goucer, docteur en médecine; Dole (Jura). — 1852. LéLur, membre de l’Institut {Académie des sciences morales); rue Vanneau, 15, Paris. — 1866. Magie (M5), évêque de Versailles. — 1858. Marrix (Henri), historien; Paris-Passy, rue du Ranelagh, 54.— 1865. Micueu, doyen honoraire des conseillers référendaires à la Cour des comptes; Paris. — 1860. Paravey, ancien conseiller d'Etat, rue des Petites-Ecuries, 44, Paris. — 1863. QuiceraT, Jules, professeur à l'Ecole impériale des Chartes ; Paris, rue Casimir-Delavigne, 9. — 1859. Membres résidants (1). ADLER, fabricant d’horlogerie, quai Vauban, 30-32. — 1859. ALEXANDRE, secrétaire du conseil des prud'hommes, rue Saint- Vincent, 11. — 1866. ALvISEr, président de chambre à la Cour impériale, rue du Mont-Sainte-Marie, 1. — 1857. D'ARBAUMONT, chef d’escadron d'artillerie, sous-inspecteur des forges de l'Est, rue des Martelots, 8. — 1857. () Dans cette catégorie figurent plusieurs membres dont le domicile habituel est hors de Besançon, mais qui ont demandé le titre de résidants, afin de payer le maximum de la cotisation, et de contribuer ainsi d’une manière plus large aux travaux de la Société. — 494 — MM. ARBEY, négociant, Grande-Rue, 55. — 1861. ARNAL, économe du lycée. — 1858. Baïzy (l'abbé), maître des cérémonies de la cathédrale. — 1865. BAGUE, entrepreneur, rue des Boucheries, 23. — 1859. Bargaup, Auguste, adjoint au maire, rue Saint-Vincent, 43. — 1857. BarBaup, Charles, négociant, rue Neuve-St-Pierre, 15. — 1862. BATAILLE, ancien fabricant d’horlogerie, rue des Chambrettes, 15.— 1841. BauLier, négociant, rue des Chambrettes, 11. — 1863. * Bavoux, Vital, second commis à la direction des douanes, à Fontaine-Ecu (banlieue). — 1853. BELLAIR, médecin-vétérinaire, rue de la Bouteille, 7. — 1865. BELoT, essayeur du commerce, rue de l’Arsenal, 9. — 1855. BERTHELIN, Charles, ingénieur en chef des ponts et chaussées, rue de Glères, 23. — 1858. BERTIN, négociant, aux Chaprais (banlieue). — 1863. * BERTRAND, docteur en médecine, rue de l'Ecole, 10. — 1855. Bessox, avoué, place Saint-Pierre, 17. — 1855. Braz, Paul, chef d’escadron d'artillerie, sous-directeur à l’ar- senal. — 1858. BLoxpeau, Charles, entrepreneur de menuiserie, rue Saint-Paul, 57. — 1845. BLonpeau, Léon, entrepreneur de charpenterie, rue de la Cas- sotte (banlieue). — 1845. BLonpow, docteur en médecine, place Saint-Pierre, 4. — 1851. BouLrer, proviseur du lycée impérial. — 1863. BouRCHERIETTE dit POuRCHERESSE, entrepreneur de peinture et propriétaire, rue des Chambrettes, 8. — 1859. Bourpy, Pierre, essayeur du commerce, rue de la Lue, 9. — 1862. BourG@ox, président honoraire à la Cour impériale, rue du Cha- pitre, 4. — 1865. Bourrey, Paul, fabricant d’horlogerie, rue Moncey, 12. _ 1850. — 495 — MM. Boyssox p’EcoLe, trésorier-payeur général du département, rue de la Préfecture, 22. — 1852. BRETENIER, notaire, rue Saint-Vincent, 22. — 1857. BrerizLor, Eugène, propriétaire, rue des Granges, 46. — 1840. Brerizzor, Léon, banquier, ancien maire de la ville, rue de la Préfecture, 21. — 1853. Brerizzor, Maurice, propriétaire, rue de la Préfecture, 21. — 1857. BretiLLoT, Paul, propriétaire, rue de la Préfecture, 21. — 1857. Brucnowx, professeur à l'Ecole de médecine, médecin des hos- pices, rue des Granges, 16. — 1860. BruGNox, ancien notaire, rue de la Préfecture, 12. — 1855. Broxswick, Léon, fabric. d'horlog., Grande-Rue, 28, — 1859. DE Bussierre, Jules, conseiller à la Cour impériale, président honoraire de la Société d'agriculture, rue du Clos, 33. — 1857. Cane, chef de bureau à la préfecture, rue de Glères, 23.— 1862. CarLer, Joseph, ingénieur, rue Neuve, 13. — 1858. Casrax, Auguste, conservateur de la bibliothèque et des archives de la ville, rue Saint-Paul, 3. — 1856. CHapor, dessinateur, Grande-Rue, 86. — 1853. DE CHARDONNET (le vicomte), ancien élève de l'Ecole polytech- nique, rue du Perron, 28. — 1856. CHauveLOT, professeur d’arboriculture, à la Butte (banlieue). — 1858. CHevizLier, professeur de mathématiques spéciales au lycée impérial, rue du Clos, 27. — 1857. CHortarp, professeur d'histoire à la Faculté des lettres, rue du Clos, 31. — 1866. CLERC DE LANDRESSE, avocat et maire de la ville, rue de la Pré- fecture, 44. — 1855. DE CONEGLIANO (le marquis), chambellan de l'Empereur, député du Doubs. — 1857. CONSTANTIN, préparateur d'histoire naturelle à la Faculté des sciences, rue Ronchaux, 22. — 1854. — 496 — MM. ; Corpier, Jules-Joseph, employé des douanes, rue du Clos, 8.— 1862. CouLox, Henri, avocat, rue de la Lue, 7. — 1856. CourLer, proviseur de lycée en retraite, rue Ronchaux, 41. — 1863. COURLET DE VREGILLE, chef d’escadron d'artillerie en retraite, rue Neuve, 12. — 1844. CourToT, Théodule, commis-greffier à la Cour impériale, rue du Perron, 4. — 1866. CouTEnoT, professeur à l'Ecole de médecine, médecin en chef des hospices, Grande-Rue, 44. — 1852. CuEniN, Edmond, pharmacien, rue des Granges, 40. — 1863. Dacunx (le baron), juge au tribunal de première instance, membre du Conseil général, rue de la Préfecture, 23. — 1865. Dava, Aug., avoué, rue des Granges, 17. — 1859. Davin, notaire, Grande-Rue, 107. — 1858. Decoumois, Ch., directeur d'usine; la Butte (banlieue). — 1862. Decacroix, Alphonse, architecte de la ville. — 1840. DeLacroix, Emile, professeur à l'Ecole de médecine, inspecteur des eaux de Luxeuil, rue de Chartres, 6. — 1840. DELAVELLE, notaire, Grande-Rue, 39. — 1856. DELAVELLE, professeur au lycée impérial, rue Saint-Antoine, 2. — 1866. Dexaxs, vérificateur des poids et mesures. — 1866. Dérrey, Just, banquier, Grande-Rue, 96. — 1857. Drérrica, Bernard, négociant, Grande-Rue, 73. — 1859. Donivers, Félix, imprimeur, Grande-Rue, 42. — 1854. Doxzezor, colonel en retraite, rue de la Préfecture, 18. — 1857. DrapeyrON, Ludovic, professeur agrégé d'histoire au lycée im- périal, rue Moncey, 7. — 1866. Ducar, Alfred, architecte, rue Saint-Pierre, 49. — 1855. Duxop pE CHARNAGE, avocat, rue de la Bouteille, 1. — 1863. Durer, géomètre, rue Neuve, 28. — 1858. — 497 — MM. D'Esrocquois, Théodore, professeur à la Faculté des sciences, rue du Chapitre 9. — 1851. Eris, Edmond, propriétaire, Grande-Rue, 91. — 1860. Eris, Ernest, propriétaire, Grande-Rue, 91.— 1855. Eris, Léon, sous-inspecteur des forêts, Grande-Rue, 91. — 1862. Faivre, Adolphe, professeur à l'Ecole de médecine, rue du Lycée, 14. — 1862. Faucomrré, chef d’escadron d'artillerie en retraite, lauréat de la prime d'honneur au concours régional agricole de Besançon en 4865, rue du Lycée, 6. — 1855. Fernier, Louis, fabricant d'horlogerie, président du conseil des prud'hommes, rue Ronchaux, 3. — 1859. Feuvrier (l'abbé), professeur à Saint-François-Xavier, rue des Bains-du-Pontot, 4. — 1856. Frrsca, Christian, propriétaire et entrepreneur de maçonnerie, rue du Chateur, 12. — 1866. Frrscx, Léon, entrepreneur de maçonnerie, rue des Martelots, 8. 1865. FLaGey, Camille, ingénieur civil, Grande-Rue, 63. — 1865. Foix, agent principal d'assurances, place St-Pierre, 6. — 1865. Fouix, Auguste, mécanicien, rue de l’Arsenal, 9. — 1862. DE FRAGuIER [le baron Armand), président de la Société des Amis des Beaux-Arts, Grande-Rue, 109. — 1840. France, Désiré, membre du Conseil d'arrondissement de Be- sançon, Grande-Rue, 53. — 1865. Gaunor, médecin; Saint-Ferjeux (banlieue). — 1840. GAUFFRE, receveur principal des postes, Grande-Rue, 100. — 1862. GaAUTHEROT, entrepreneur de menuiserie, rue Morand, 9.— 41865. Gauruier, Jules, élève de l'Ecole des Chartes, place Saint-Sul- pice, 4, Paris. — 1866. GérarD, Edouard, banquier, ancien adjoint au maire, Grande- _ Rue, 68.— 1854. 32 CE — 498 — MM. ÿ GérarD, Jules, professeur de philosophie au lycée, rue de la Préfecture, 25. — 1865. GirarDÔT, Régis, banquier, rue Saint-Vincent, 15. — 1857. Giro, Achille, propriétaire; Saint-Claude (banlieue). — 1856. Grrop, avoué, rue des Granges, 62. — 1856. Giro, Victor, président de la Société de secours mutuels, Grande-Rue, 70. — 1859. Girozet, Louis, dit ANproT, peintre-décorateur, rue de l'Ecole, 28-30. — 1866. GLORGET, Pierre, huissier, Grande-Rue, 58. — 1859. GouizLAuD, professeur à la Faculté des sciences, rue Saint-Vin- cent, 3. — 1851. Gran, Charles, directeur de l'enregistrement et des domaines; Beauvais (Oise). — 1852. GRANGÉ, ancien pharmacien, rue des Granges, 22. — 1859. Grenier, Charles, professeur à la Faculté des sciences et à l'E- cole de médecine, Grande-Rue, 106. — 1840. GROSJIEAN, bijoutier, rue des Granges, 21. — 1859. GuexarD, bibliothécaire honoraire, rue du Perron, 3. — 1856. GUERRIN, avocat, Grande-Rue, 74. — 1855. Guirsarp, Charles, aumônier de la citadelle, rue du Chapitre, 7. — 1866. GuicæarD, Albert, pharmacien, rue d'Anvers, 3. — 1853. GUILLEMIN, ingénieur-constr.; Casamène (banlieue). — 1840. Hazpy, fabricant d'horlogerie, rue du Clos-St-Paul, 4 bis. —1859. Hory, propriétaire, rue de Glères, 17, — 1854. Jaco8, Alexandre, maire de Pirey, propriétaire, rue Saint-Paul, 54. — 1866. JacQuarD, Albert, banquier, rue des Granges, 21. — 1852. Jacques, docteur en médecine, rue du Clos, 32. — 1857. JEANNINGROS, pharmacien, place Saint-Pierre, 6. — 186%. DE Jourrroy (le comte Joseph), propriétaire, au château d'Ab- bans-Dessus et à Besançon, rue Neuve, 9. — 1853. KrAcupELrz, graveur en horlog., rue des Granges, 19. — 1866. — 499 — MM. Lamy, avocat, rue des Granges, 14. — 1855. LANCRENON, conservateur du Musée et directeur de l'Ecole de dessin, correspondant de l'Institut, rue de la Bouteille, 9. — 4859. Lauper, conducteur des ponts et chaussées, rue Ronchaux, 40. — 1854. Laurens, Paul, président de la Société d'agriculture du Doubs, rue Saint-Vincent, 22. — 1854. LeBoN, Eugène, docteur en médecine, Grande-Rue, 88. — 1855. LEeBrETON, directeur de l'usine à gaz, Grande-Rue, 97. — 1866. Lecenpre, Louis, chef de bureau à l'hôtel de ville, receveur du bureau de bienfaisance, rue du Chateur, 15. — 1866. Lépacney, François, horticulteur; la Butte (banlieue). — 1857. LHoume, Louis, ancien notaire, rue de la Vieille-Monnaie, 4. — 1864. LierFRoy, Aimé, propriétaire, rue Neuve, 5. — 1864. Lorcer, avoué à la Cour impériale, rue Proudhon, 6. — 1866. LorGxor, Eugène, négociant, Grande-Rue, 50. — 1864. DE LONGEvILLE (le comte), propriétaire, rue Neuve, 7. — 1855, Louvor, Arthur, ancien avoué, rue du Lycée, 6. — 1858. Louvor, Hub.-Nic., notaire, Grande-Rue, 48. — 1860. Lumière, Antoine, photographe, rue des Granges, 59. — 1865. LyauTey, général de division d'artillerie, sénateur; Paris, rue de la Chaise, 24. — 1855. Macuarp, viticulteur, Grande-Rue, 14. — 1858. Marre, ingénieur des ponts et chauss., rue Neuve, 15. — 1851. Manor, Félix, président du tribunal de commerce, rue de la Préfecture, 17. — 1857. Marmor, Edouard, entrepreneur de charpenterie, rue Morand, 2. — 1865. MaLniney, entrepreneur de charpenterie, abbaye Saint-Paul. — 1865. MarcuaL, Georges, essayeur du commerce, Grande-Rue, 44. — 1860. — 900 — £ MM. Marion, mécanicien; Casamène (banlieue). — 1857. Marzer, Adolphe, secrétaire général de la préfecture de la Haute-Saône. — 1852. Marque, Hector, propriétaire, ancien élève de l'Ecole polytech- nique; Poligny (Jura). — 1854. Marureu (M£'), Césaire, cardinal-archevêque de Besançon. — 1862. Maruior, Joseph, avocat, rue du Chateur, 20. — 1851. Mazoyuie, ancien notaire, rue des Chambrettes, 12. — 1840. Messsezer, Séb., médecin-vétérinaire, rue Battant, 45. — 1841. Micaup, Jules, directeur en retraite de la succursale de la Banque, rue des Granges, 38. — 1855. Micuez, Brice, décorateur des promenades de la ville; Fontaine- Ecu (banlieue). — 1865. Monxor, Théodose, docteur en médecine, médecin des épidé- mies, Grande-Rue, 79. — 1856. Morez, Ernest, docteur en médecine, rue Moncey, 12. — 1863. _Mourrizze, Alfred, banquier, rue de la Préfecture, 31. — 1856. Munier, Aug., propriétaire, rue des Chambrettes, 40. — 1857. Norrer, voyer de la ville, rue de la Madeleine, 19. — 1855. D'Orivaz, Léon, propriétaire, rue du Clos, 29. — 1854. D'Orivaz, Paul, conseiller à la Cour impériale, place Saint-Jean, 6. — 1852. Ouper, Gustave, avocat, rue Moncey, 2. — 1855. OuTHENIN-CHALANDRE, fabricant de papier et imprimeur, rue des - Granges, 23. — 1843. OuTHENIN-CHALANDRE, Joseph, juge au tribunal de commerce, Grande-Rue, 68. — 1856. PaizLor, Justin, naturaliste, rue des Chambrettes, 13. — 1857. Pancnaux, Francisque, architecte, rue Neuve, 48. — 1859. Percerot, architecte, rue du Chateur, 25. — 1841. Pérrarp, docteur en médecine, rue du Clos-St-Paul, 6. — 1861. PERRIER, Just, employé à la préfecture ; Montjoux (banlieue). — 1866. — 501 — MM. Pérey, chirurgien-dentiste, Grande-Rue, 70. — 1842. PETITHUGUENIN, notaire, rue de la Préfecture, 42. — 1857. Prieur, Emm., fabric. d’horlogerie, place St-Pierre, 9. — 1856. Prquerez, Aristide, fabric. d'horlog., rue de Glôres, 23.— 1866. Porcxanp, médecin-vétérinaire, Grande-Rue, 64. — 1855. PorGnanD, premier avocat général, rue des Granges, 38.— 1856. PorTERET, propriétaire, Grande-Rue, 1409. — 1857. Pourcy pe Lusaxs, docteur en médecine, rue de la Préfecture, 23. — 1840. Proupnow, Camille, conseiller à la Cour impériale, Grande-Rue, 129. — 1856. Proupnow, Léon, adjoint au maire de la ville, rue de la Préfec- ture, 25. — 1856. Racine, Louis, négociant, ancien adjoint au maire, rue Battant, 7. — 1857. Racine, Pierre, négociant, rue Battant, 7. — 1859. Ravier, Franç.-Joseph, ancien avoué; Saint-Claude (banlieue). — 1858. ResouL, prof. à la Faculté des sciences, rue Neuve, 8. — 1861. RexauD, François, négociant, abbaye Saint-Paul. — 1859. RenauD, Louis, ancien pharmacien, rue d'Anvers, 4. — 1854. RexauD, Victor, comptable de la caisse d'épargne, rue de la Préfecture, 146. — 1855. Reynaun-Ducreux, professeur à l'Ecole d'artillerie, rue Ron- chaux, 22. — 1840. Rita, Arth., professeur à l'Ecole de médecine, rue du Chateur, 9. — 1860. RogLorT, imprimeur, rue du Clos, 31. — 1863. RozLor, contrôleur des contributions indirectes en retraite; les Chaprais (banlieue). — 1846. SAILLARD, Albin, professeur à l'Ecole de médecine, rue Morand, 8. — 1866. SAINT-Eve, Ch., entrep. de serrurerie, place Granvelle, — 1865. SAINT-EvE, Louis, fond. en métaux, rue de Chartres, 8. —1852. =— 502 — MM. | SaIxT-Ginesr, Etienne, architecte du département du Doubs, rue de la Préfecture, 18. — 1866. DE SAINTE-AGATHE, Louis, président de la Chambre de commerce, Grande-Rue, 42. — 1851. SANCEY, Louis, employé au bureau central de la compagnie des forges de Franche-Comté; Montjoux (banlieue). — 1855. SARRAZIN fils, propriétaire de mines; Laissey (Doubs). — 1862. SICARD, Honoré, négociant, rue de la Préfecture, 4. — 1859. SizvanT, Adolphe, propriétaire, Grande-Rue, 44. — 1860. SIRE, Georges, directeur de l'Ecole d’horlogerie, rue Saint- Antoine, 6. — 1847. Soupre, André, contrôleur de la garantie, rue Proudhon, 6. — 1865. TAILLEUR, propriétaire, rue d’Arènes, 33. — 1858. - TarépauD, chanoine, Grande-Rue, 412. — 1855. Tournier, Justin, propriétaire, Grande-Rue, 124. — 1855. Tournier, Paul, docteur en médecine, rue du Mont-Sainte-Marie, 7. — 1866. TRAVELET, essayeur de la garantie, rue St-Vincent, 53. — 1854. Trémozières, Jules, avocat, rue des Martelots, 1. — 1840. VaRAIGNE, Charles, premier commis à la direction des contribu- tions indirectes, rue Saint-Vincent, 48. — 1856. VéparÈnes, médecin-major de 4'e classe à l'hôpital militaire, rue de la Préfecture, 25. — 1866. Veiz-Picarv, Adolphe, propriétaire, Grande-Rue, 14. — 1859. DE Vezer {le comte), propriétaire, rue Neuve. 17 ter. — 1859. Vézian, prof. à la Faculté des sciences, rue Neuve, 21. — 1860. Vivier, employé à la mairie, rue de Chartres, 22. — 1840. Vivier, Edmond, directeur de l'asile départemental du Doubs, quai Napoléon. — 1866. VorriN, négociant, rue de la Préfecture, 18. — 1857. Voisin, Pierre, propriétaire-agrieulteur; Montrapon (banlieue). — 1855. Vouzeau, conservateur des forêts, rue des Granges, 38. — 1856. — 603 — | MM. Vurzerer, Just, juge au tribunal, secrétaire de la commission municipale d'archéologie, rue Saint-Jean, 11. — 1851. Membres correspondants. MM. BABINET, capitaine au 5° régiment d'artillerie; Strasbourg. — 1851. DE BAnGENEL, chef de bataillon du génie en retraite; Liesle (Doubs). — 1851. Barpy, Henri, pharmacien; Saint-Dié (Vosges). — 1853. Barraz, maire de la ville de Morteau (Doubs). — 1864. Barrnop, Charles, conducteur des ponts et chaussées; Morteau (Doubs). — 1856. BATAILLARD, Claude-Joseph, greffier de la justice de paix; Audeux (Doubs). — 1857. Beauqurer, économe de lycée en retraite; Montjoux (banlieue). —— 1843. Bezrrémieux, agent de change; La Rochelle {Charente-Infér.). — 1856. Bexoir, Claude-Emile, vérificateur des douanes; Paris, rue du Faubourg-Saimt-Martin, 188. — 1854. Bexour, docteur en médecine; Giromagny (Haut-Rhin). — 1857. * Berraaup, profess. au lycée; Mâcon (Saône-et-Loire). — 1860. * BerruorT, ingénieur en chef du canal en retraite; Pouilly (Saône-et-Loire). — 1851. Bertrraxp, Alexandre, conservateur des musées impériaux ; Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise). — 1866. Besson, gérant des forges de Bourguignon-lez-Pont-de-Roide (Doubs). — 1859. Berren», Abel, imprim.-lithog.; Lure (Haute-Saône). — 1862. * Beuque, triangulateur au service de la topographie algérienne ; Constantine. — 1853. BeurTneret, Paul, rédacteur en chef de la France centrale : Blois (Loir-et-Cher). — 1865. — 004 — MM. | BizcecarT, Alexandre, fabricant de vin de Champagne ; Mareuil- sur-Aï (Marne). — 1860. Brzzrer, Francisque, propriétaire, cours Morand, 51, Lyon (Rhône). — 1860. Bixro, Maurice, agronome, rue Jacob, 28, Paris. — 1866. BLaxcue, naturaliste; Dole (Jura). — 1865. _ HER * DE BoisLECOMTE {le vicomte), général de division; Paris, bou- levard Haussmann, 82. — 1854. BoisseLeT, archéologue; Vesoul (Haute-Saône). — 1866. Boïsson, Emile, propriétaire ; Moncley (Doubs). — 1865. Boisson, Joseph, pharmacien ; Lure (Haute-Saône). — 1862. Bozu, médecin-major à l'hôpital militaire de Strasbourg (Bas- Rhin). — 1855. * Bouizer, Appolon, entrepreneur, place du Jardin-Public, à Nice {Alpes-Maritimes). — 1860. Bouvor, chef de bataillon du génie; Salins (Jura). — 1864. BranGeT, conducteur des ponts et chauss.; Terre-Noire (Loire). — 1852. * BRenin, professeur au lycée; Vesoul (Haute-Saône). — 1857. Bucuer, Alexandre, propriétaire; Gray (Haute-Saône). — 1859. Buquer, Paul, ingénieur-chimiste; Dieuze (Meurthe). — 1858. BurckarpT, Jean-Rodolphe, docteur en droit, conseiller à la Cour d’appel de Bâle (Suisse). — 1866. Care, cond. des trav. du chemin de fer; Dole (Jura). — 1856. CarTEREAU, docteur en médec.; Bar-sur-Seine (Aube). — 1858. CasrTan, Francis, capitaine d'artillerie à la poudrerie du Bouchet (Seine-et-Oise). — 1860. Cessac, archéologue, rue des Feuillantines, 64, Paris. — 1863. Caaix-BourB8on, Auguste, peintre, rue Richelieu, 98, Paris. — 1862. | Cuamrix, sous-préfet; Baume-les-Dames (Doubs). — 1865. * Cuazaup, archiviste du départ. de l'Allier; Moulins. — 1865. CHERBONNEAU, directeur du collége arabe d'Alger. — 1857. * CLoz, Louis, peintre; Lons-le-Saunier (Jura). — 1863. LUS — 505 — MM. Coran», chef d'institution, Ecully (Rhône). — 1857. Cozar», Charles, architecte; Lure (Haute-Saône). — 1864. Cou, juge de paix; Pontarlier (Doubs). — 1864. -* ConTesean, Charles, professeur à la Faculté des sciences de Poitiers (Vienne). — 1851. Correr ; Eugène, littérateur, rue Royer-Collard, 12, Paris. — 1866. | Coste, docteur en médecine et pharmacien de {'e classe; Salins (Jura). — 1866. * CoTTEaAU, juge au tribunal de première instance; Auxerre (Yonne). — 1860. * CouTHEeRuT, Aristide, notaire; Lure (Haute-Saône). — 1862. CreBELy, Justin, employé aux forges de Franche-Comté; Frai- sans (Jura). — 1865. Cuixer, curé de canton, à Amancey (Doubs). — 1844. Curé, docteur en médecine ; Pierre (Saône-et-Loire). — 1855. DarLor, ingénieur-opticien, rue Chapon, 14, Paris. — 1864. DE LA Porte, médecin du Corps législatif; Paris. — 1862. DeLeuLz, instituteur ; Jougne (Doubs). = 1863. Dépierres, Auguste, avocat, bibliothécaire de la ville de Lure (Haute-Saône). — 1859. Descos, ingénieur des mines ; Paris. — 1858. * DEssERTINES, directeur des forges; Quingey (Doubs). — 1866. Derzem, ingén. des ponts et chauss.; Réthel (Ardennes).— 1851. * Deuzuix, Eugène, banquier ; Epernay (Marne). — 1860. Devaux, pharmacien; Gy (Haute-Saône). — 1860. Déy, conservateur des hypothèques; Laon (Aisne). — 1853. Daprer, Jules, pharmacien; Lure (Haute-Saône). — 1864. Dorner, chef de service de la compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon. Paris. — 1857. Dusosr, Jules, maître de forges; Châtillon-sur-Lizon (Doubs).— 1840. Dumorrier, Eugène, négociant, rue de Constantine, 12, Lyon (Rhône). — 1857. — 906 — Farvre (Pierre), apiculteur; Seurre {Côte-d’Or).:—"1865. * Farvre p'Esnans, docteur en médecine ; Baume-les-Dames (Doubs). — 1842. | < *-Fazpor fils, architecte; Monthéliard (Doubs), — 1858. FarGEauD, professeur de Faculté en retraite; Apinbfapard (Haute-Vienne). — 1842. * Favre, Alphonse, professeur à eos de Genève (Suisse). — 1862. * DE FERRY, Henri, maire de Bussières, par eur Sorlin, près Mâcon (Saône-et-Loire). — 1860. * Férez, curé; la Rivière (Doubs). — 1854. Forrêre, curé; Verne (Doubs). — 1858. ForTuné, Pierre-Félix, employé aux forges de Franche-Comté ; Fraisans (Jura). — 1865. * DE FromENTEL, docteur en médecine ; Gray (Haute-Saône). — 1857. GaLLorri, Léon, capitaine, professeur à l Ecole impériale d’Etat- major, rue de Bourgogne, 39, Paris. — 1866. Gannarp, Tuskina, propriétaire; Quingey (Doubs). —= 1866. GENTILHOMME, pharmacien de l'Empereur; Plombières (Vosges). — 1859. GEvrey, Alfred, juge:impérial à Mayotte ‘(colonie française), canal de Mozambique, voie de Suez. — 1860. * GRARDIER, agent voyer d’arrond.; Pontarlier (Doubs).—1856: Giro», Louis, architecte; Pontarlier (Doubs). — 1851. * Goprow, doyen de la Faculté des sciences de Nancy Meurthe}: — 1843. Gocuxz, Charles, manufact.; le Logelbach (Haut-Rhin). —1856; GoGuez, pasteur; Ste-Suzanne, près Montbél. (Doubs). — 1864. GocueLy, Jules, architecte; Baume-les-Dames (Doubs). — 1856... * GRANDMOUGIN, architecte de la ville et des bains; Luxeuil (Haute-Saône). — 1858. Gresser, Félix, chef d’escadron d’artill.; La Fère (Aisne).—1866: GRrosmou&ix, curé; Miserey (Doubs). — 1860, — 907 — MM. *Guizzemor, A°, entomologiste; Thiers (Puy-de-Dôme).—1854. Guyot, inspecteur des lignes télégraphiques ; Strasbourg (Bas- Rhin). — 1852. Hazrey, Pierre, agent voyer d'arrondissement; Gray (Haute- Saône). — 1859, Hexriey, médecin; Mont-de-Laval (Doubs). — 1854. Hexry, vérificateur des poids et mesures; Baume-les-Dames (Doubs). — 1861. Hucow, Charles, littérateur; Moscou (Russie). — 1866. Jaccarp, Auguste, naturaliste; le Locle, canton de Neuchâtel (Suisse). — 1860. Jeanxexey, Victor, professeur de dessin au lycée de. Vesoul (Haute-Saône). — 1858. JouarrT, notaire; Gray (Haute-Saône). — 1856. Juxca, archiviste-paléog., boulevard Clichy, 44, Paris, — 1863. KLEIN, anc. juge au trib. de comm. de la Seine; Paris. — 1858. * KorcaLix, Oscar, chimiste; Dornach (Haut-Rhin). — 1858. KouLer, Xavier, président de la Société jurassienne d'Emula- tion; Porentruy, canton de Berne (Suisse). — 1864. * KomLwanx, recev. du timbre; Angers (Maine-et-Loire).— 1861. * Kozzer, Charles, construct.; Lons-le-Saunier (Jura). — 1856. LauserT, Léon, ingénicur en chef du canal du Centre; Chalon- sur-Saûne. — 1852. * Lamorte, directeur de hauts-fourneaux; Ottange, par Aumetz (Moselle). — 1859. * LaxGLois, juge de paix; Dole (Jura). — 1854. Lanrernier, chef du dépôt des forges de Larians; Lyon, rue Sainte-Hélène, 10. — 1855. Larour pu Mouzin, député du Doubs, rue de la Madeleine, 7, Paris. — 1864. * LaurenT, Ch., ingén. civil, rue de Chabrol, 35, Paris. — 1860. * pE LAVERNELLE, inspecteur des lignes télégraphiques, membre du Conseil général de la Dordogne; rue Saint-Dominique- Saint-Germain, 87, Paris. — 1855. — 508 — MM. * LeBEau, chef du service commercial de la compagnie des forges de Franche-Comté; Fraisans (Jura). — 1859. Lecrerc, François, archéologue et naturaliste; Seurre (Côte- d'Or). — 1866. LENORMAND, avocat; Vire (Calvados). — 1843. Leras, inspecteur d’Académie; Auxerre (Yonne). — 1858. LHomue, Victor, directeur des douanes et des contributions in- directes ; Colmar (Haut-Rhin). — 14842. Licrer, Arthur, pharmacien ; Salins (Jura). — 1863. pe Linters (le marquis), général de division; Châlons-sur-Marne. — 1861. Lorr, professeur de chimie à la Faculté des sciences de Lyon (Rhône). — 1855. Lory, professeur de géologie à la Faculté des sciences de Grenoble (Isère). — 1857. MacarD, Jules, peintre d'histoire, pensionnaire de l’Académie de France à Rome. — 1866. * Marzcarp, docteur en médecine ; Dijon (Côte-d'Or). — 1855. Maisonner, curé; Villers-Pater (Haute-Saône). — 1856. * DE Manpror, lieutenant-colonel à l'état-major fédéral suisse ; Neuchâtel. — 1866. Marcou, Jules, géologue ; Salins (Jura). — 1854. Marës, Paul, docteur en médecine, chemin de ronde de Cha- renton, 19 bis, Paris. — 1860. DE Marie {le duc), député au Corps législatif; Seveux (Haute- Saône). — 1854. MarquiseT, Gaston, propriétaire; Fontaine-lez-Luxeuil (Haute- Saône). — 1858. MarrTin, docteur en médecine ; Aumessas (Gard). — 1855. * Marmey, Charles, pharmacien ; Ornans (Doubs). — 1856. MaAUSssiER, ingénieur civil; Saint-Etienne (Loire). — 1859. Meizcer, pharmacien et archéologue; Poitiers (Vienne). —1865. DE MENTHON, René, botaniste; château de Saint-Loup-lez-Gray (Haute-Saône). — 1854. — 509 — MM. * Micmez, Auguste, instituteur communal; Mulhouse (Haut- Rhin). — 1842. Micaezor, ingénieur en chef des ponts et chaussées, rue de la Chaise, 24, Paris. — 1858. Muczarre, Maurice, caissier ; Lure (Haute-Saône). — 1864. Monnier, Désiré, archéologue ; Domblans (Jura). — 1846. Moxxisr, Eugène, architecte, rue du Faubourg-Saint-Denis, 86, Paris. — 1866. Morérix, docteur en médec., rue de Rivoli, 68, Paris. — 1857. Munier, médecin ; Foncine-le-Haut (Jura). — 1847. Musrox, docteur en médecine ; Paris. — 1864. DE Nervaux, Edmond, chef de bureau au ministère delJ'Intérieur; . Paris. — 1856. Nicozer, Victor, doct. en méd. au service de la marine. — 1865. ORDINAIRE DE LA COLONGE, chef d’escadron d'artillerie en retraite; Bordeaux (Gironde). — 1856. * ParaNDIER, inspecteur général des ponts et chaussées, rue de Berri, 43, Paris. — 1852. Paris, docteur en médecine ; Lons-le-Saunier (Jura). — 1866. Parisor, Louis, pharmacien; Belfort (Haut-Rhin). — 1855. PaRMENTIER, Jules, membre du Conseil général de la Haute- Saône; Lure. — 1864. Parriaux, Vital, maire de Jougne (Doubs). — 1863. PATEL, ancien maire de Quingey (Doubs)? — 1866. Pé£cour, Auguste, archiviste-paléographe, attaché à l'ambassade de France à Madrid. — 1865. Perret, Paul, littérateur, rue de Moscou, 11, Paris. — 1866. Perron, docteur en médecine; les Chaprais (banl. de Besancon). — 1861. P£rsox, doyen de Faculté des scienc. en retraite; Paris. — 1851. Pessières, architecte ; Pontarlier (Doubs). — 1853. Perir, Jean. statuaire, rue d’Enfer, 425, Paris. — 1866. Peuceor, Constant, membre du Conseil général ; Audincourt (Doubs). — 1857. — 510 — MM. Pierrey, docteur en médecine; Luxeuil (Haute-Saône). — 1860. Pône, docteur en médecine, maire de la ville de Pontarlier (Doubs). — 1842. pu Pouey, général en retraite; Pelousey (Doubs). — 1865. Prevor, Eugène, avocat; Lure (Haute-Saône). — 1864. Proupnox, Hippolyte, membre du Conseil d'arrondissement ; Ornans (Doubs). -— 1854. * Quécer, Lucien, docteur en médecine; Hérimoncourt (Doubs). — 1862. QuiQuEREz, ancien préfet de Delémont; Bellerive, canton de Berne (Suisse). — 1864. Racine, Pierre-Joseph, ancien avoué; Oiselay (Haute-Saône). — 1856. REBILLARD, pasteur ; Trémoins (Haute-Saône). — 1856. * RexauD, Alphonse, officier principal d'administration de l'hô- pital militaire de Vincennes. — 1855. Rexaup, docteur en médec.; Goux-lez-Usiers (Doubs). — 1854. REQUIER, intendant res Alger. — 1857. REevon, Pierre, banquier; Gray (Haute-Saône). — 1858. RicHarD, Ch., docteur en médecine; Autrey-lez-Gray (Haute- Saône). — 1861. RiNGEL, pasteur; Montbéliard (Doubs). — 1864. RogerT, Ulysse, 2 d'allemand au collége de Dole (Jura). — 1866. DE RocHas D'AIGLUN, cäpitaine du génie ; Chambéry (Haute- Savoie). — 1866. Rouaer, docteur en médecine; Arbois (Jura). — 1856. RouxeL, professeur de physique au lycée de La Rochelle (Cha- rente-[nférieure. — 1864. Rurrey, Jules, docteur en médecine, rue des Moulins, 20, Paris. — 1863. SÆMANN, Louis, naturaliste, rue de Mézières, 6, Paris. — 1860. DE SAUSSURE, Henri, naturaliste; Annemasse (Haute-Savoie). — 1854. | = ONF — MM. * SarRETTE, lieutenant-colonel au 86° de ligne; Tours (Indre- et-Loire). — 1864. : SAUTIER, chef de bataillon du génie; Toulon (Var). — 1848. * Trénarp (le baron), membre de l’Institut (Acad. des sciences); Talmay (Côte-d'Or). — 1851. Tissor, doyen de la Faculté des lettres de Dijon (Côte-d'Or). — 1859. Tousix, Charles, professeur au collége arabe d'Alger. — 1856. Tourer, Félix, percepteur; Nans-sous-Sainte-Anne (Doubs). — 1854. * Tournrer, Ed., docteur ès-lettres, rue de Vaugirard, 92, Paris. — 1854. TRraveLeT, Nicolas, adjoint au maire de Bourguignon-lez-Morey (Haute-Saône). — 1857. TrucueLur, photographe, rue Richelieu, 98, Paris. — 1854. Tusrey, Alexandre, archiviste aux archives de l'Empire; Paris. — 1863. Vazerey, Jules, homme de lettres, boulevard Malesherbes, 36, Paris. — 1860. VENDRELY, pharmacien ; Champagney (Haute-Saône). — 1863. Vice, Emile, voyageur en librairie, maison Victor Masson, rue de l’Ecole-de-Médecine, 47, Paris. — 1862. Vreizze, Eugène, fabricant de meules; La Ferté-sous-Jouarre (Seine-et-Marne). — 1860. Vivien DE SAINT-MARTIN, géographe, quai Bourbon, 45, Paris. . — 1863. Werze, architecte de la ville de Montbéliard (Doubs). — 1864. Wey, Francis, inspecteur général des archives de France; Paris, rue du Hâvre, 41, — 1860. — 912 — SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES. Le millésime indique l'année dans laquelle ont commencé les relations. FRANCE. Comité impérial des travaux historiques et des sociétés savantes près le Ministère de l’Instruction publique (deux exemplaires des Mémoires) ................. Aisne. Société académique des sciences, arts, belles-lettres, agri- culture et industrie de Saint-Quentin............... Allier. Société des sciences médicales de l’arrondissement de Gannats : LES RE RER SES Société d’Emulation du département de l'Allier; Moulins. Ardèche. Société d'histoire naturelle de l'Ardèche; Privas....... Calvados. Société Linnéenne de Normandie; Caen.............. Société française d'archéologie; Caen................ Charente-Inférieure. | Société d'agriculture de Rochefort................... Corrèze. Société historique et littéraire du Bas-Limousin; Tulle... Côte-d’or. Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon... Société d'agriculture et d'industrie agricole du départe- ment de la Côte-d'Or; Dion. 5146 RALEC ES 1856 1862 1851 1860 1863 1857 1861 1861 1857 — 513 — Doubs, Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon. Société d'agriculture, sciences naturelles et arts du dé- partement du Doubs; Besançon................... Commission archéologique de Besançon .............. Société d'Emulation de Montbéliard........,.......,... Société de médecine de Besançon ................... Société de lecture de Besançon..:......,..,......... Gard. QU Gard, Nimes. 2.21..........4,..: 4,2. Gironde. Commission des monuments de la Gironde; Bordeaux... Isère. Société de statistique et d'histoire naturelle du départe- ment de l'Isère; Grenoble......,.......... PE TPS Jura. Société d'Emulation du département du Jura; Lons-le- Ton ve osavee Loire. Société impériale d'agriculture, industrie, sciences, arts et belles-lettres du département de la Loire; Saint- € ER TE CN Loiret. Société archéologique de l'Orléanais; Orléans......... Maine-et-Loire. Société industrielle d'Angers et du département de Maine- OT nn vtr oo sé Société académique de Minel-Loire: ANDBOTS. : 25 2.1 Manche. Société des sciences naturelles de Cherbourg.......... 1841 1841 1853 1854 1861 1865 1866 1866 1857 — 514 — Marne. Société d'agriculture, commerce, sciences et arts du dé- partement de la Marne, Châlons................... Mayenne. Société de l’industrie de la Mayenne; Laval........... Société d'archéologie, sciences, arts et belles-lettres du département de la Mayenne; Mayenne............, Meuse. Société philomathique de Verdun.................... Morbihan. Société polymathique du Morbihan; Vannes........... Moselle. Société d'histoire naturelle du département de la Moselle; Oise. Société d'agriculture de Compiègne.............,..,... | Pyrénées (Hautes-). Société académique des Hautes-Pyrénées; Tarbes. ..... | Pyrénées-Orientales,. Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées- Orientales: Perpipnan:... 1 NME, JU NES Rhin (Bas-). Société des sciences naturelles de Strasbourg.......... Rhin (Haut-). Société d'histoire naturelle de Colmar....... « «€ PTE Rhône. | Société Linnéenne de Lyon.......... ESS es CIE Société d'agriculture, d'histoire naturelle et arts utiles de LAON D er re OLA rime MR EP E AE D Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon... 1856 1845 1862 1859 — 515 — Société d'horticulture pratique du département du Rhône; ae à ee à Rp dn one ... 4853 Société httéraire de Lyon .......,.........,..,..,.. 1866 Saône-et-Loire. Société Eduenne ; Autun.......... RENAN ee Re 1846 Société d'archéologie de Chalon-sur-Saône ............ 1857 Saône (Haute-). Commission d'archéologie de la Haute-Saône; Vesoul.. 4861 Seine. Société géologique de France; Paris................. 1847 Société de secours des amis des sciences; Paris........ 1863 Société de linguistique; Paris, rue de Lille, 34......... 1865 Association scientifique ; Paris............... ...... 1866 Seine-et-Marne. Société d'archéologie, sciences, lettres et arts de Seine- OU 2 RE Ji En io eu 1865 Seîine-ct-Oise. Société des sciences naturelles et médicales de Seine-et- ler CL Fos in sde ee ... “1865 Tarn. Société scientifique et littéraire de Castres..... fre de 1860 Haute-Vienne. Société archéologique et historique du Limousin; Limoges 41852 Vosges. Société d'Emulation du département des Vosges; Epinal. 1855 Yonne. Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne; Jo SM NP 1852 — 916 — ALLEMAGNE. Institut impérial et royal de géologie de l'empire d’Au- triche (Kæserlich-kæniglich geologische Reichsanstalt); Vienne..... RSR one 5 fi me CS Académie royale des sciences de Bavière à Munich (Kænigl. bayer. Akademie der Wissenschaften zu München), représentée par M. Scheuring, libraire à ÉYON- dass ss 51080 mit 000 Éd VER EN SRE Société des sciences naturelles de Brême (Naturwissen- schaftlicher Verein zu Bremen).................... Société des sciences naturelles et médicales de la Haute- Hesse (Oberhessische Gesselschaft für FREE und Heil- kunde); Giessen.. 5.44 denis en Société des sciences naturelles du grand-duché de Luxem- bourg: Luxembourg. 4.4, sent es 00 Société royale physico-économique de Kænigsberg (Kæ- nigliche physikalisch - œkonomische Gesellschaft zu Kæœnigsberg ); Prusse: SR DES SRE AMÉRIQUE. Société d'histoire naturelle de Boston, représentée par MM. Gustave Bossange et C°, libraires, quai ee 25; Paris. 227 MUST, ie RÉ CE SE RES ANGLETERRE. Société littéraire et philosophique de Manchester (Literary and philosophical Society of Manchester).....,,.... SUISSE. Société des curieux de la nature de Bâle (Naturforschen- den-Gesellischafl'in Basel}. 247,545, ARCS Société d'histoire naturelle de Berne (Bernerische Natur- forschenden Gesellschaft) ........................ Société jurassienne d’'Emulation de Porentruy, canton de 1855 1865 1866 1858 1854 1861 1865 1859 — 917 — Société d'histoire et d'archéologie de Genève.......... 1863 D pnbanal de.Genève......,.,. sie sise 1866 Société vaudoise des sciences naturelles ; Lausanne. .... 1847 Société neuchâteloise des sciences naturelles; Neuchâtel. 1862 Société helvétique des sciences naturelles (Allgemeine schweizerische Gesellschaft für die gesammten Natur- wissenschaften); Zurich................, LATE 1857 Société de physique et des sciences naturelles de Zurich (Naturforschenden Gesellschaft in Zurich)........... 1859 Société des antiquaires de Zurich...........,......,. 1864 BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES AYANT DROIT À UN EXEMPLAIRE DES MÉMOIRES. Bibliothèque de la ville de Besançon. Id. de l'Ecole impériale d'artillerie de Besançon. Id. de la ville de Montbéliard. Id. de la ville de Pontarlier. Id. de la ville de Baume-les-Dames. Id. de la ville de Vesoul. Id. de la ville de Gray. Id. de la ville de Lure. Id. de la ville de Lons-le-Saunier. Id. de la ville de Dole. Id. de la ville de Poligny. Id. de la ville de Salins. Id. de la ville d’'Arbois. Id. du musée impérial de Saint-Germain. — 518 — TABLE DES MATIÈRES DU VOLUME PROCÈS-VERBAUX. Morts de MM. Alexandre Bixio et Charles Weiss, membres honoraires... ... Hi MLD EAN TAN ss val PRPP. TEE Election de M. LÉLUT comme membre honoraire. PP. 11, VII, VII et xvI Fers de chevaux de l’époque celtique, pierres druidiques, ha- bitations et voies gauloises, emplacements de forges an- tiques, signalés dans le Porentruy par M. QUIQUEREZ.... PP. ui, IE, XX, XXI XXI CRM OL XXVIN Hypocauste gallo-romain à Morey (Haute-Saône), voie ro- maine de Langres à la Saône, monuments et traditions de l’époque gauloise et du moyen âge à Morey et à Bourgui- gnon, décrits par M. N. TRAVELET........... . PP. IV Et XXVIII Preuves de l'identité du Puy-d’Ussolud et d'Uxellodunum, par M. J.-B. CEssac.............. PP. IV, V, XIV, XXXVII Et XXXVIII Souscription de la Société au rachat de la tour de Jeanne d’Arc à Rouen, et documents nouveaux justifiant cette mesure, publiés par M. J. QuICHERAT. ........ PP. X. XIII, XXVI Et XXXIV Achat d’un herbier exotique provenant de la Crimée. pp.x1et xur Rapport sur la gestion financière de l’exercice 1865, par M. P. Brar.. ge sé PAMITET AY Lectures faites : à 44 boot ir MM. Devori ok et CASTAN, et médaille obtenue par M. GRENIER....... PP. XIV, XV et XXXI Rapport fait au congrès des délégués des ne savantes par M, De CHARDONNET.. . .. ns on fes ler P. XV Sépultures burgondes à Rougemont (Doubs), signalées par RL GAUDOT Pere ce Poivre ee moe ee VENT CS P. XVI Appareil proposé par M. Ch. Saint-Eve, pour remplacer la pompe à bière des limonadiers ....................... P. XVI Association formée par MM. GANNARD, PATEL et DESSERTINES, pour l'exploration des éumulus du territoire de Quingey. p. xvu Découverte d’une mosaique gallo-romaine à Besançon.... p. xxv Têtes sculptées en bois de chêne, portant au cou le torques celtique, découvertes à Luxeuil et signalées par M. Emile DELACROIX. .. suce 2e 2e ce se ef nee core DD SENTE — 919 — Allocations de 600 francs, par le Conseil municipal de Besan- con, et de 400 francs, par S. Exc. le Ministre de l’Instruc- tion publique. bus LME idee à ea cae 0. DDC LR CÉTAX Budget de LEA 1867 ETES … APCE PP. XXXII et XXXIII Appareil de M. G. MARCHAL pour filtrer, dans le traitement des cendres d’orfèvres, les amalgames de mercure et de mé- taux précieux CT es 1er ART ELTT Election du conseil die: ratio de 1867. . : fee XXXIX et XL Séance publique du 20 décembre 1866 ............ pp. xL et xLI Banquet annuel, et toasts portés dans cette circonstance par MM. le préfet n'Arnoux, Léon BRETILLOT, CasTaAN, Bou- THENOT-PEUGEOT, le colonel de ManproT, REBour et Victor ee De RÉ Ta 4 de cusetets DD MENT MÉMOIRES. Nouvelles méthodes pour la démonstration expérimen- tale du principe d’Archimède, par M. G.SrRe (4 pl). p. MA Démonstration militaire du problème d’Alesia, par nn RE Ur, PCA a MM RON ENEREE p. 41 Monographie du palais Granvelle à Besançon, par Coll 2 Rs ut p. 71 Du rôle de la Bourgogne sous les Mérovingiens, par ON PS M 0 clans. . p. 467 La SoctéËTÉ p'EmuLaTion pu Dougs à La réunion an- nuelle des sociétés savantes et à la distribution des OO CR AO O6, EE. EE nes se 6 ee 06 à 60 5188 p. 187 Charte d’affranchissement de la ville et seigneurie de Gy (Haute-Saône), publiée par M. A. CasTan...... p. 498 D’Arçon, ingénieur militaire, sa vie et ses écrits, par M. À. pe Rocnas D’ArGLun (1 portrait)............ p. 209 Tronçon de voie celtique à Pierre-Pertuis (Suisse), par OUIQUEREE AL CE me aise Geo à à uleie p. 339 La question d'Alesia en Normandie, par M. Jules CUT Re TN GS Sr EC PE TEE «… p. 344 Quelques cbservations botaniques sur les fonctions du cadre placentaire et de la columelle dans les fruits des crucifères, par M. F. Lecgenc...,.......,.,.., p. 349 — 520 — Coup-d’œil sur les travaux de la Société d'Emulation du Doubs en 1866, par M. L. BRETILLOT....,.,.... Notice sur Alexandre Bixio, par M. J. QuicHEraT . ... De la galvanisation des fils de fer, par M. E. DELACRoIx. La reine Brunehilde et la crise sociale du vi siècle sous les Mérovingiens, par M. L. DRAPEYRON....... Considérations sur l'arc antique de Porte - Noire à Besançon, par M. À. CAram... 2n0 S Le prieuré de Saint-Pierre du Vauxtravers et les comtes de Neuchâtel, par M. À. ne MaNDROT ............. Forges antiques dans le Jura, par M. P. Braz........ La Séquanie et l'Histoire de J. César, par M. Alphonse Decacroix (1 cartel. M: NE... RS OBJETS DIVERS. Dons faits à la Société en 1866... re Envois faits par les sociétés correspondantes en n 1866. Liste des membres de la Société. . Id. des sociétés eotrespotidèntes : Pen Id. des bibliothèques publiques ROC CT Ant 4 MANOIR | Besancon, imp. Dopivers et Ce, Grande-Rue, 42. À. RE RE EE | 3 5185 00317 9 : AU Soft Tr L y à d 7; \ q #1 ? h # #7) £ y ue * + + M 5m T' Æ + Fe À - pe . E: i + + . RER + A à L 4 b LE” + . < (l x f ’ é 4 AN C3 ne NT PARENTS Le | RL |: Are. "EE des Statuts : diter 2 travaux utiles de ses. mb. | 4 _» Elle encourage principalement les études relatives à Ja F1 Comté. »- g LR STE is ë Art. 15 des Shui « 4e Sopiété pourvoi r. De L - MOYEN : RCE RER >. P D'une cotisation sandéle payable par € Art. 17 du règlément : € La cotisation “annittte est . francs pour les membres a et tà six francs Tr correspondants. » Art..23 des statuts : Jatituc de leur cotisation rnnnelle 4 en ve ersant un capital la Société. LR ce » La somme exigée est de cent ae 3 pour € démissionnaire parle conseil doduenbston __ Art. G du règlement : « Les séances ordir ab cond samedi de chaque mois... s ts Art. 9 du règlement : « La Société publie, 2 ue AE 45. de réglement: « Le bulletin tr ; _: % 2.4 À Chacun des en = | pondaus à de Ja Société. £ rt ar LE A Clos, n° 32, à \ Désangon. + HET FX . PE