D Se DR ADS de Sn dog 4 $ re Li $ LA de #" 7 MÉMOIRES SOCIÉTÉ D'ÉMULATION PAR DOUBS de dors, WE aa 1: a pe " Le | | 3 Ge, va’ | 4 JOAARAEAUN AREUT HOME pute TEE ; MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ D'EMULATION DU DOUBS CINQUIÈME SÉRIE PREMIER VOLUME 1876 BESANCON IMPRIMERIE DODIVERS ET Cè, Grande- Rue, 87. 1877 MEMOIRES LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS 1876 PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES Séance du 8 janvier 1876. PRÉSIDENCE DE MM. VÉZIAN ET MARQUISET. Sont présents : Bureau : MM. Vézian, président sortant, élu deuxième vice-président, Marquiset, premier vice-président sortant, élu président ; Saillard, deuxième vice-président sortant, élu premier vice-président; Castan, secrétaire décennal; de Prin- sac, trésorier-adjoint réélu. MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Androt, Amberger, Chapoy, Daubian-Delisle, Demongeot, Ducat, Gouillaud, Haldy, Huart, Jégo, Lehrs, Louvot, Monnot, Moquin-Tandon, Paillot, Renaud (François), Savourey et Sire. M. Vézian ayant déclaré la séance ouverte, il es: donné lecture deS procès-verbaux de la réunion du 15 décembre dernier et de la séancé publique du lendemain, procès-ver- baux qui sout adoptés. Après quoi, M. le président Vézian déclare le nouveau conseil d'administration installé; puis il invite la Société, par a CN — une allocution des plus aimables, à féliciter son secrétaire décera2!, M. Castan, de la haute distinction que vient de lui accorder l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres, de l'Institut de France, en l’élisant au nombre de ses vingt correspondants nationaux, pour remplacer le savant abhé Cochet. Cette allocution ayant été accueillie par des applaudisse- ments unanimes, M. Castan répond, avec émotion, qu'aucun témoignage de sympathie ne pouvait lui être plus agréable que celui d’une société à laquelle il a voué la plénitude de ses affections et dont il ne cessera d'être le fidèle serviteur. Il ne saurait oublier que, tandis qu'on lui marchandait ailleurs les plus modestes encouragements, la Société d'Emulation du Doubs lui accordait, dans une large mesure, les moyens de poursuivre des recherches et d’en publier les résultats. S'il a été pour quelque chose dans la prospérité dont jouit la Société, il n’a fait par là que payer une dette de reconnaissance. Le succès personnel qui lui arrive est la récompense de travaux presque tous entrepris sous les auspices et publiés aux frais de la Société : c'est justice que cette honorable compagnie en recueille le bénéfice moral, et le nouveau correspondant de l'Institut ne négligera rien pour qu'il en soit ainsi. M. Marquiset, prenant la direction de la séance, fait aux paroles de M. Castan la plus gracieuse des répliques : il veut que la Société soit l’obligée de son secrétaire décennal et qu'elle ne retienne pour elle, dans le verdict de l'Institut, que la bonne fortune d'avoir comme pilote un membre du sénat de l’érudition française. Il est ensuite donné lecture d’une dépêche, en date du 29 décembre dernier, par laquelle la Société nautique nous remercie de lui avoir permis de profiter; pour son banquet -annuel, des éléments décoratifs dont nous avions orné, quel- ques jours auparavant, le grand salon du Palais Granvelle, Cette compagnie nous offre, en retour, tout ce dont elle pour- rait disposer pour contribuer à l'éclat de nos fêtes. —— Ji M. Demongeot soumet à la Société un manuscrit intitulé : Principes élémentaires d'économie politique. Plusieurs chapitres de ce travail sont l'œuvre du fils de l’auteur, le regretté Ar- mand Demongcot. L'auteur se borne à lire la conclusion de l'ouvrage, et il demande que le tout soit renvoyé à l'examen d'une commission. Sont désignés pour composer cette commission : MM. Mar- quiset, Carrau et Charles Grand. Le secrétaire entretient l'assemblée d’une communication annoncée par M. Poly, membre correspondant. Il s’agit d'un récit populaire, sous forme de ballade, en patois de Frahier (Haute-Saône), dont le héros est Ernest le Fort, appelé le roi de Belfort, récit qui semblerait être un écho de la lutte de César contre Arioviste. Cette l‘gende, qui se conservait dans la mémoire d'une ancienne religieuse de Migette, morte en 1841, à l’âge de près de Cent ans, a été entendue dans son enfance par M. Poly, petit-neveu de la vieille chanoinesse. Notre confrère cherche à la retrouver dans ses souvenirs, en s’'aidant du concours des anciens du village de Frahier. Le secrétaire a envoyé à M. Poly des instructions très-précises sur la méthode à suivre dans une enquête de cette nature, et il espère que nous ne tarderons pas à posséder ainsi un docu- ment légendaire du plus haut intérêt. L'un de nos plus dévoués confrères nous avait adressé une note de botanique intitulée : La tige, le pédoncule, la hampe. Cet opuscule, renvoyé à l'examen de M. Paillot, a été, de la part de cet érudit botaniste, l’objet d’une appréciation ainsi formulée : « L'auteur s'efforce de prouver, toujours d’après Gœthe et À. Saint-Hilaire, ce qui est parfaitement défini dans tous les livres de botanique et n'offre rièn de nouveau à la science. Chaque botaniste, en effet, sait la différence qui existe entre la tige, le pédoncule et la hampe d’une fleur; et si, dans le langage vulgaire, ces termes sont pris indifférem- ment l’un pour l’autre, cela ne tire à aucune conséquence scientifique. » La Société, passant à l'ordre du jour, entend un rapport de son secrc lire sur une brochure de M. Drapeyron, intitulée : Nouvelle méthode d'enseignement géographique d'après les réso- lutions du Congrès géographique de Paris. Ce rapport, dont la Société décide l'inscription au procès-verbal, est concu dans les termes suivants : « L'un de nos plus intelligents et dévoués confrères, M. Lu- dovic Drapeyron, professeur d'histoire et de géographie au lycée Charlemagne, a été l'un des membres les plus utiles et les plus actifs du groupe didactique au Congrès géographique de Paris. Il a eu depuis la bonne pensée de résumer à la fois ses vues personnelles et celles du Congrès, dans une brochure intitulée : MNouvelle méthode C’enseignement géographique d'a- près les résolutions du Congrès géographique de Paris. Ce travail a déjà obtenu les plus flatteuses approbations, et son auteur a désiré qu'il ne passät point inaperçu pour les membres d'une société dont l’estime lui est précieuse. » M. Drapeyronu veut que l’étude de la géographie cesse d'être un simple exercice de mémoire; il demande qu'au lieu de lui donner la cosmographie pour point de départ, on fasse débuter cet enseignement par des exercices de topographie. En mettant sous les yeux des enfants une réduction en relief du sol qu'ils habitent, on les intéressera bien plus vivement que par des généralités dont le sens n’est pas à la portée de leur intelligence. Avant d'apprendre aux élèves à épeler le firmament, il est convenable de leur enseigner la configura- tion des montagnes et des vallées qu'ils fréquentent, de leur montrer comment on s'oriente pour reconnaitre à distance le point où l’on veut arriver. Par une série d'exercices gradués, les écoliers arriveront à lire la Carte de l'état-major, et alors ils auront dans l'esprit des notions précises qui leur permet- tront de comprendre et de retenir les descriptions des pays lointains. Cette méthode, qui est le renversement de procédés trop longtemps admis dans nos écoles, a pour auteur M. Fré- déric Hennequin, professeur de topographie, qui, en l’expo- = (WW sant devant le Congrès de Paris, ne cessait de répéter cette sage maxime : « Il est aussi utile de savoir lire la carte de » son pays et de s’en servir que de savoir livre dans un livre.» » Cette idée de M. Hennequin, qui vise surtout les écoles primaires, a pour sœur une idée qui appartient en propre à M. Drapeyron et qui intéresse l’enseignement des lycées. Il s’agit de la concordance des cours de géographie et des cours d'histoire. Le simple bon sens indique la nécessité d'une telle fusion : en effet, les destinées des peuples découlent essen- tiellement des conditions topographiques de la région où ils sont établis, car c'est le cachet du terroir qui spécialise les races humaines et ce sont les ambitions territoriales qui les animent les unes contre les autres. C'est donc avec toute raison que M. Drapeyron a pu dire : « Ne faites pas de la » géocraphie indépendante. Liez la cause de la géographie à » celle de l’histoire. L'histoire apprend aux élèves les causes » politiques et morales des événements; la géographie leur en » apprendra les causes naturelles. » » Tout en souhaitant que l’on mit d'accord les programmes des cours de géographie et d'histoire, le groupe didactique du Congrès désirerait que l'on formât un corps spécial de profes- seurs de géographie : ce serait le moyen de répartir la tâche, tout en lui conservant son unité. « On ne doit pas se spécia- » liser pour apprendre, dit à ce propos M. Drapeyron; on doit » se spécialiser pour enseigner : voilà la vérité. » Il est conve- nable d’ailleurs de ne pas accabler les maîtres sous le nombre des classes et sous la multiplicité des cours. Il faut aussi que les professeurs aient quelque loisir pour faire des recherches personnelles. « Or, dit encore notre confrère, sans recherches » personnelles, point de professeur, Un professeur qui ne fait » point de recherches personnelles est, à la longue, distancé » par les bons élèves qu'il est censé diriger. » » Parmi les questions soumises au Congrès, il en était une ainsi concue : « Quels sont les établissements qui ont été » créés pour favoriser les travaux et les connaissances géogra- — (VI — » phiques ? » Deux savants russes y ont répondu par la simple et précieuse indication que voici : « Créez dans les principales » villes, dans les principaux établissements, des musées péda- » gogiques.» La Russie, paraît-il, en possède un grand nombre, et le matériel géographique y occupe une large place. L’en- trée en est gratuite, et des catalogues explicatifs font connaître à chacun la valeur et l'emploi du matériel d'enseignement. » Pour perpétuer, entre géographes, les bons rapports que les congrès ont inaugurés, il serait opportun qu'il se fondât un organe géographique international, bulletin périodique où les inventions et les méthodes nouvelles seraient consignées. Ce serait le moyen d'arriver à l’uniforMmité des signes con- ventionnels en matière de cartographie, ce qui permettrait l'usage facile pour tous des documents topographiques édités sur les divers points du globe. On assure que cet organe si désirable serait à la veille d'être créé par un libraire de Paris. »° Si nous devrions imiter les Russes en fondant chez nous les musées pédagogiques, nous n’aurions pas un moindre in- térêt à emprunter aux Allemands leurs méthodes de produc- duction dans l'ordre géographique. Les éditeurs français se jalousent et se copient : ils multiplient les atlas sans grand souci du perfectionnement; un nom connu mis sur un titre d'ouvrage est, chez nous, le plus fructueux des passeports. Il serait temps de cesser cette concurrence stérile, qui entrave notre essor scientifique. « C’est la liberté sans la méthode, dit » notre confrère, qui, dans toutes les branches de l’érudition, a » mis la France au point où elle en est; c’est l'association dans » la méthode qui a fait de l'Allemagne ce qu'elle est. » Nous possédons, autant qu'aucun autre peuple, les hommes capa- bles de bien faire et les sources d’information soigneusement recueillies; nous sommes doués, à un degré exceptionnel, de l'esprit d'initiative et de la faculté des surprenants efforts. Que nous manque-t-il pour occuper, sur le terrain de la science géographique, le sommet auquel nous avons le droit de prétendre? Il nous manque une seule qualité, jusqu'ici — VII — dédaignée par nous comme vulgaire, mais sans laquelle pour- tant aucun but collectif ne saurait être atteint. Cette qualité, M. Drapeyron l'appelle {a méthode, moi je la nommerai le désintéressement. Que nos savants s'entendent pour se corriger les uns les autres, que nos éditeurs s'associent pour créer et vulgariser des recueils qui fassent honneur au pays, et bientôt la supériorité nous appartiendra sans conteste. Si le sentiment patriotique, plus vivace aujourd’hui chez nous qu'il ne l’a jamais été, pouvait nous inspirer cette salutaire réforme, la France ne devrait plus regretter des malheurs qui lauraient instruite sans la décourager. » La brochure de M. Drapeyron, écrite avec la fièvre du patriotisme, est bien faite pour éveiller une telle espérance. Nous ne pouvons qu'accueillir ce travail avec sympathie et désirer-vivement que les vœux qu'il exprime aient prompte- ment raison des habitudes routinières qui nous avaient si fatalement endormis. » Appelée à désigner trois membres étrangers au conseil d’ad- ministration pour contrôler la gestion du trésorier pendant l'exercice 1875, la Société confie ce mandat à MM. Alexandre, Bougeot et Francois Renaud, ce dernier commissaire chargé du rapport. Sont présentés pour entrer dans la Société : Comme membre résidant, par MM. Alphonse Delacroix et Pierre Voisin, M. Lesbros, fabricant d’horlogerie; Comme membre correspondant, par MM. de Sainte-Agathe et Ducat, M. Vaillandet, médecin, à Pin-l'Emagny (Haute- Saône). A la suite d’un vote favorable sur les candidats présentés le 15 décembre dernier, M. le président proclame : Membres résidants, MM. CrerTiN, Emile, professeur de mathématiques spéciales au Lycée; LHomuE, Louis, surnuméraire de l'enregistrement ; VITRE MM. Moxxrr, Louis, pharmacien; Mouror, Léonce, percepteur'; Vuizcemor, Albert, avoué près le tribunal de première instance. Le Président, Le Trésorier-adjoint substituant Léon MArQuUISET. le Secrétaire, Bo DE PRINSAC. Séance du 12 février 1876. PRÉSIDENCE DE M. SAILLARD. Sont présents : Bureau : MM. Saillard, premier vice-président ; Klein, trésorier, Gauthier, archiviste; de Prinsac, trésorier adjoint ; Castan, secrétaire; { MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Alexandre (Charles), Androt, Besson (Edouard), Bial, Berquet, Chapoy, Delacroix (Alphonse), Delavelle, Denizot, Dietrich, Ducat, Grand (Charles), Huart, Jégo, Martin, Renaud (François), Ripps, Savourey, Sire. Le procès-verbal de la séance du 8 janvier est lu et adopté. Une circulaire ministérielle invite la Société à indiquer les documents qui pourraient concourir à une publication, pro- jetée par M. Georges Picot, de tous les actes relatifs aux Etats généraux de France, depuis le quatorzième siècle jusqu’au dix-septième. , La Société aura le regret de ne pouvoir contribuer à cette intéressante entreprise, nos dépôts publics ne renfermant rien qui puisse, même de loin, s’y raltacher. M. Asher, libraire à Berlin, nous demande quelles seraient les formalités à remplir pour recevoir régulièrement les pu- blications de la Société d'Emulation du Doubs, 1] sera répondu à l'honorable libraire que nos volumes ne peuvent s'acquérir par voie d'abonnement, qu’ils sont dis- tribués aux membres de la Société et envoyés aux associations scientifiques qui échangent leurs publications contre les nôtres. Parmi les ouvrages reçus depuis la dernière séance, le se- crétaire fait remarquer un volume de M. Godron, membre correspondant, intitulé : Ætudes sur la Lorraine dite Alle- mande, le pays messin et l'ancienne province d'Alsace. Ce tra- vail, écrit en vue de réfuter les arguments historiques mis au service des appétits annexionistes de nos érudits voisins, mérite que nous lui accordions une attention sympathique et sérieuse. La Société en confie l'examen à M. Edouard Besson. L'ordre du jour appelle l'audition du rapport, rédigé par M. François Renaud, sur l’exercice financier de 1875. Ce document est ainsi concu : | « MESSIEURS, » Les finances de la Société sont prospères et en bon ordre. » L'exercice de 1874 avait légué des charges au budget de 1875 : tout a été nivelé, et, grâce à notre dévoué trésoricr, l'honorable M. Klein, nos ressources se sont accrues au point de nous permettre un nouveau placement de 1,050 francs en capital, qui assure à notre Société une augmentation de rente de 50 francs sur l'Etat. » Votre commission a constaté les articles de caisse sui- vanis : . » Recettes ordinaires. » Subvention de l'Etat.:.......... 400 f. » » — du département ..... 500 » » — de NI une, 600 » » Cotisations de 240 membres rési- DAME en OAALEA PINOT ADR 2,400 » À reporter. 3,900 » Sd Report. 3,900 » » Cotisations de 170 membres cor- respondants.. +020, L:0 EAST 1,020 » » Droit de diplômes..........,... 90 » » Intérêts des rentes sur l'Etat..... 262 50 » — des fonds chez MM. Bre- COL PR ni Le RU 32 60 » Total des recettes ordinaires. .... 5,308 F0 "T,a08e 10 » Recettes extraordinaires. » Recouvrements de cotisations ar- DIGIÈOS: 1640 ANUS UN MENEE en 390 » » Recouvrements de ports de lettres et frais de mandats. ...........1 46 25 » Redressement du compte Dodivers de >» » Rachat de cotisations par cinq membres correspondants........ 300 » » Solde par transaction de la créance AM NTORLSE SI ONE DE PRG UE re 4 le à | » Redressement du compte de caisse, CACTOICE LOS à eur erreur oi A € | » Solde en caisse au 31 kbipre DOTE US der do TP ee 163 07 » Total des recettes extraordinaires. 1,121 70 1,121 70 » Montant général des recettes. .... . 6,426 80 » Recettes d'ordre au débit de La caisse. » Remboursement sur les sommes déposées chez MM: Bretillot és: 1223: 14,400 OUT Re 4,465 50 » Total général des sommes entrées en caisse .. 10,892. 30 » Dépenses ordinaires. » Achat de 50 francs de rentes 5 0/0 1,050f. » » — de 100 étuis pour diplômes. AUS » Impressions chez MM. Dodivers AN ER PE NRMEELE 2 PS LE LES 3,000 /p » Frais de bureau, chauffage, éclai- rage, Correspondance........... 94 70 » Frais de recouvrements........… 15 50 » Séance publique et banquet...... LE RSA es ÿ Traitement de l’agent de la Société 250 » Recherches scientifiques (travaux place Saint-Jean)... .. 500 » Total des dépenses ordinaires.... 5,909 20 5,909 20 ÿ ÿ » Dépenses extraordinaires. » Solde du traitement de l'agent pour RSR, D OUR PNO CETTE FOUT D » Souscription à la statue Caumont. 20» » — au congrès américa- OS Sn en Rte nt els 2 ae 127.73 » Achat de 18 volumes........... 26 60 » — dan volume publié par M. Hucher {Le Saint-Graal).. ... GS » Remboursement et frais divers... 20 50 » Total des dépenses extraordinaires 189 10 189 10 » Total général des dépenses...... 6,098 30 » Dépenses d'ordre au crédit de la caisse. » Versé chez MM. Bretillot et Ci°..,.....,..... 4,717 90 » Solde en caisse au 31 décembre 1875......... 16 10 » Somme égale au total général des recettes. .. 10.892f. 30 ht Ma » Situation financière de la Société au 1° janvier 1876. » Espèces en caisse............ DELUEE AREA Le ne 16.10 » Solde créditeur chez MM. Bretillot ét cie AU 4e. 48 60 » 350 fr. de rentes, soit un capital de plus de 7,000 fr., dont 4.725 attribués au fonds inaliénable des cotisations ra- chetées ; le surplus est une réserve qu'il conviendra sans doute d'augmenter le plus possible, » Quelques cotisations, montant à 102 fr., sont encore en retard. Quoique ces créances soient d’une rentrée très-dou- teuse, le trésorier continuera ses efforts pour obtenir ce qu'il pourra. » Ensuite de cet exposé, votre commission n'hésite pas, Messieurs, à vous proposer d'approuver la gestion définitive de 1875. » Devant le zèle discret et persévérant du trésorier pour faire rentrer les cotisations courantes et arriérées, pour arriver au remboursement des ports de lettres et des frais de mandats, pour tirer parti des fonds disponibles, pour ne payer que les mandats régulièrement ordonnancés, pour faire viser chaque mois la balance des comptes par le président de la Société ; enfin, devant la parfaite exactitude avec laquelle ont été apurés tous les comptes au 31 décembre, votre commission a l'honneur de vous proposer de voter à M. Klein des remer- ciements qu'elle croit bien mérités. » Besancon, 9 février 1877. » (Signé) E. RBouGEOT ; ALEXANDRE ; François RENAUD, rapporteur. » La Société, adoptant les conclusions du rapport qui précède, vote des remerciements unanimes à son honorable trésorier; elle oxprime en outre sa gratitude aux commissaires qui se sont si bien acquittés de leur tâche. M. Alphonse Delacroix présente un intéressant compte- — XIE — rendu de l’opuscule de M. Poly, dont un avant-goût avait été donné à la Société dans sa dernière séance. La tradition lé- gendaire de Frahier, si heureusement mise en lumière par M. Poly, est incontestablement un écho populaire de la défaite d’Arioviste : les lambeaux qui en survivent sont de nature à expliquer les sous-entendus du récit de César. Il y a donc lieu de voter l'impression de ce curieux document. La Société, partageant cet avis, prie M. Delacroix de rédiger le rapport oral qui vient d’être entendu, lequel servira de préface au travail de M. Poly. | Le secrétaire met sous les yeux de ia compagnie une série d'objets provenant de fouilles récemment faites à l’Arsenal de Besancon. Ces fouilles ont porté sur lintérieur du grand édifice circulaire qui occupait le centre du Champ-de-Mars de Vesontio, monument dont un plan a été publié dans nos Mémoires (année 1859). Un égoût traversait le sous-sol de cet édifice : les nouvelles fouilles en ont rencontré le prolonge- ment. Il est à remarquer que cet égoût, qui conduisait à la rivière le trop-plein des fontaines publiques, ne pourrait plus aujourd’hui remplir un tel emploi, car son radier est d’une trentaine de centimètres au-dessous du niveau moyen des eaux du Doubs; cette circonstance prouve que, dans l’anti- quité, notre ceinture d’eau avait une cuvette moins encaissée que celle qui lui a été faite par l’industrie moderne. On sait que le bâtiment circulaire avait été précédé par un cimetière datant des premiers temps de la conquête romaine : les morts y étaient bruülés; puis on recueillait leurs cendres dans de grandes amphores, en y joignant les monnaies obligatoires et souvent des objets ayant appartenu à la parure des défunts. Quelques-unes de ces amphores funéraires ont encore été mises au jour : sur l’anse de l’une d'elles on voit le sceau en relief d'un potier qui signait ses produits des deux lettres HD. Du mème gisement proviennent quelques fibules romaines en bronze; deux pendeloques terminées par des disques ornés de _stries concentriques et dentelés au pourtour, objets en bronze mince et que leur élégante simplicité rattache à la meilleure époque de l’art romain ; plusieurs monnaies romaines, toutes frappées en Gaule au premier siècle, savoir : six monnaies moyen bronze à l'effigie d'Auguste et au revers de l'autel de Lyon (Conex, n° 276), l’une d'elles ayant au revers la con- remarque monogrammatique FLAV ; un petit bronze d’Au- guste avec le taureau cornupète au revers ([grp., n° 262); 6 monnaies moyen bronze de Tibère, au revers de l'autel de Lyon {Igm., n° 44); 2 monnaies petit bronze du même em- pereur, avec revers semblable (Igip., n° 45); une monnaie moyen bronze de la colonie de Nîmes, au revers du croco- dile(l). L'objet capital de ces trouvailles est un corps de dauphin en bronze doré, composé de deux troncons qui se rejoignent à peu près et ont ensemble une longueur de 80 centimètres. Ce morceau d'art avait été travaillé au repoussé et raffiné par la ciselure : à un endroit, le martelage ayant produit un trou dans le métal, on avait réparé l'accident par une feuille de bronze surajoutée. Notre musée possède déjà un relief d'ap- parence analogue : c'est un pied humain, également en bronze doré, trouvé dans le sol de la rue d'Anvers. Seulement l’inté- rieur du pied est rempli de plomb fondu, tandis que notre corps de dauphin est creux en dedans : toutefois, pour consolider les parois métalliques à l’endroit de la naissance de la tête, on y avait logé une plaque de bronze posée verti- calement. Cet objet, rencontré à une profondeur de ? mètres 90 centimètres en contre-bas du sol actuel, témoigne que le Champ-de-Mars de Vesontio possédait une fontaine dont la vasque surmontait des dauphins en bronze doré. On recueillit en même temps un fort anneau de suspension en bronze. Sur un autre point des fouilles, on exhuma une pierre creusée A —— ——— 2 ————— nt 00 (1) Nous avons su depuis qu'il était encore sorti des mêmes fouilles plusieurs pièces des Séquanes et de la colonie de Nimes, ainsi qu'une monnaie gauloise en bronze aux légendes CANTORIX et TVRONOS : cette dernière monnaie appartient à notre confrère M. le baron de Prinsac, — XV — en forme de gargouille, ayant 40 centimètres de hauteur en amont et 25 seulement en aval, C'était sans doute une dispo- sition qui règnait au pourtour de l'édifice ci-dessus men- tionné. Cet ensemble de constatations s'ajoute, comme un intéres- sant complément, à ce que d’on savait déjà du passé de notre Champ-de-Mars. Si nous avons pu opérer une telle récolte, c’a élé grâce à l’intelligente bienveillance de MM. les officiers de la direction d'artillerie, et tout particulièrement de MM. le lieutenant-colonel Sers, le commandant Bial et le capitaine Guilloux. Sur leur demande, M. le colonel directeur d’artil- lerie a bien voulu nous concéder le produit archéologique des fouilles de l’Arsenal, nous permettant ainsi de le décrire avant d'en faire le dépôt au musée de la ville. La Société, vivement touchée de cette preuve d'intérêt donnée à des études-qui lui sont particulièrement chères, décide que l'expression de sa reconnaissance sera transmise à M. le colonel directeur d'artillerie et à ses excellents ad- joints. Sont présentés pour entrer dans la compagnie comme membres résidants : Par MM. Gauthier et Huart, M. Paul-Noël Le Mire, avocat ; Par MM. Gauthier et Castan, M. Joseph Meynier, médecin major au 3° bataillon de chasseurs à pied ; Par MM. Bizos et Castan, M. Albert Pierre, agrégé de l'Université, professeur au lycée ; Par MM. Marquiset et Castan, M. Alfred Vaissier, pro- priétaire. MM. Edouard Besson, Drapeyron et Castan demandent la qualité de membre correspondant pour M. Frédéric Henne- quin, professeur de topographie, à Paris, rue de Verneuil, n° 43. : À la suite d’un vote d'admission des candidats ci-devant présentés, M. le président proclame : — XVI — Membre résidant, M. Lessros, fabricant d'horlogerie ; Membre correspondart, M. VarLLanDeT, médecin, à Pin-l’Emagny (Haute-Saône). . Le Vice-Président, Le Secrétaire, A. SAILLARD. A. CASTAN. Séance du 11 mars 1876. : PRÉSIDENCE DE M. MARQUISET, Sont présents : Bureau : MM. Marquiset, président; Saillard, vice-pré- sident; Faivre, vice-secrétaire; Gauthier, archiviste; de Prinsac, trésorier adjoint; Castan, secrétaire ; Memgres RÉSIDANTS : MM. Alexandre (Charles), Amberger, l'abbé Bailly, Besson (Edouard), Daubian-Delisle, Delacroix (Alphonse), Delagrange, Ducat, Dunod de Charnage, Gouillaud, Grand (Charles), Jégo, Lambert, Lehrs, Louvot, Martin, Monnot, Paillot, Pingaud, Potier, Renaud (Francois), Ripps, Savourey, Sire, Vautherin (Francis); MEMBRES CORRESPONDANTS : MM. Bailly et Viellard.…. Le procès-verbal de la séance du 12 fevrier ayant été lu et adopté, le secrétaire donne lecture de la correspondance. Par une lettre en date du 18 février, M. le lieutenant- colonel Sers, sous-directeur d'artillerie, nous remercie de la communication d'un extrait de nos procès-verbaux con- cernant les découvertes archéologiques récemment faites à l'Arsenal. Il saisit cette occasion de nous assurer de l'empres- sement que mettra toujours la direction d'artillerie à favo- riser, dans la limite de son pouvoir, nos études sur le passé de Besançon, | AMIE A son tour, la Commission municipale d'archéologie nous accuse réception des objets trouvés à l’Arsenal, en nous remerciant de notre vive et constante sollicitude pour l’enri- chissement du musée des antiquités de la ville. Sur la demande faite par la Société géologique de Belgique, il est décidé que cette compagnie comptera désormais parmi celles qui échangent leurs publications contre les nôtres. Par une circulaire en date du 15 février, M. le Ministre de l’Instruction publique nous informe des mesures arrêtées en vue du prochain congrès des délégués des Sociétés sa- vantes à la Sorbonne. Cette réunion s'ouvrira le mercredi 19 avril et prendra fin le samedi 22. Des billets de voyage gratuit, pour le retour seulement, seront mis à la disposition des auteurs de lectures et des représentants des Sociétés, ceux-ci ne devant pas être plus de cinq à six par chaque com- pagnie. Toute lecture d'histoire ou d'archéologie aura dû préalablement être approuvée par une société savante. Les notifications relatives aux lectures et aux délégations devront avoir été faites avant le 1° avril. Il résulte des informations parvenues à cet égard au conseil d'administration : 1° que M. Drapeyron a l'intention de faire au congrès, sous nos auspices, une lecture ayant pour titre : De la transformation de la méthode historique par les études géographiques et de l'application des réformes du Congrès géogra- phique de Paris ; 2° que M. Frédéric Hennequin se propose de lire à la Sorbonne, également comme notre délégué, un morceau intitulé : Du passage de la topographie ©: la géo- graphie; 3° que M. Alphonse Delacroix prépare à ce même effet une Notice sur la tradition populaire concernant la défaite d’Arioviste en Séquanie. La Société approuve ces trois communications et remercie les honorables savants à qui elles seront dues. La Société au- torise en outre le conseil d'administration à demander des cartes de délégués pour MM. Bizos, Carrau, Delagrange, de Fromentel, Marion et Tivier. Elle donne d'ailleurs plein poux b NN voir au conseil d'administration pour trancher les questions qui pourraient ultérieurement surgir au sujet du congrès. M. Edouard Besson, chargé de l'examen d’un écrit de M. Godron, présente à cet égard le rapport suivant : « M. le docteur Godron, ancien recteur de l’Académie de Besancon, vient de faire hommage à notre Société d’une Etude sur la Lorraine dite Allemande, le pays messin et l'an- cienne province d'Alsace. Ce travail remarquable a pour objet de démontrer l'inanité des prétextes dont les Allemands ten- tèrent de couvrir leur usurpation, après avoir violemment arraché du sein de la France vaincue les plus chers de ses enfants. Ils mirent alors en avant le principe des nationalités qui, comme on sait, a joué un rôle si considérable et si funeste à nos intérêts dans les transformations survenues de- puis quelque temps en Europe. D'après leurs savants, leurs publicistes, leurs diplomates, nos frères d'Alsace et de Lor- raine, parlant allemand, appartenaient à la race allemande, et devaient être soumis au mème gouvernement que les peu- ples d'outre-Rhin. » M. Godron n'a pas de peine à faire justice de ce sophisme odieux. Par le témoignage des savants prussiens eux-mêmes, il prouve que la langue n’est pas le critérium de la nationalité d’un peuple. Il rappelle, après M. de Quatrefages, que les Prussiens, bien que parlant allemand, sont de race finnoise, et « ne ressemblent aux vrais Allemands ni par leurs carac- » tères anthropologiques, ni par leurs caractères moraux. v « Il fait ensuite l'historique rapide des populations ayant occupé à diverses époques le nord-est de la France. La race celtique qui en à formé l'élément primordial, et qui a parlé successivement sa langue propre, le latin, le roman et l'alle- mand, suivant les dominateurs qu'elle a subis, n’a jamais été ni expulsée, ni détruite. Il est notamment absurde, et con- traire aux notions les plus élémentaires tirées de l'histoire de toutes les invasions, de prétendre avec M. de Sybel que « les » Alamans, après avoir pénétré en Alsace, en ont extirpé = PC » l’ancienne population dans des guerres acharnées qui ont » duré cent aus, et ont entièrement germanisé cette contrée. » En aucun temps, en aucun pays, une nation Conquérante n'a ainsi complétement exterminé la nation conquise. » Après l'invasion, au moyen âge, Metz et la Lorraine n'ont jamais été rattachées à l'empire allemand que par un lien purement nominal. L'indépendance de la Lorraine est notamment reconnue dans la fameuse convention de Nu- remberg, en 1542. Du reste, les peuples de cette province et ceux de l'Alsace, bien avant leur annexion à la France, lui ont donné des preuves non équivoques de leurs sympathies ; depuis, ils en ont été les plus fermes remparts. Presque au lencemain de la conquête, Metz résistait victorieusement à l'empereur Charles-Quint. » L'ouvrage de M. Godron se termine par une série de re- cherches très-curieuses et très savantes sur les noms des lieux situés dans les provinces conquises par la Prusse. Il y re- trouve, malgré le soin que les Allemands ont toujours eu de généraliser l'usage de leur langue dans les pays occupés par eux, des traces non douteuses de l’idiome celtique. Bien plus, les patois germaniques de la Lorraine et de l'Alsace parti- cipent de la langue romane. Enfin, un grand nombre de com- munes récemment annexées à l'Allemagne parlent exclusi- vement français. Les Prussiens ont donc été les premiers à violer leur prétendu principe. » Telles sont, aussi résumées que possible, les idées pré- sentées par M. Godron au cours de son travail. Le style est celui qui convient à une analyse serrée et substantielle; c’est le style précis des vrais savants. L'œuvre elle-même est lar- gement conçue et originale, propre à convaincre tout esprit de bonne foi. C’est dire qu'elle ne s'adresse pas aux Alle- mands. Lorsque, comme eux, on érige en principe le droit du plus fort, que l’on ne voit la justice et la protection divine que « du côté des gros bataillons, » que l'on a rejeté depuis longtemps les premières règles de la morale, on se soucie peu — TT — de violer celles de la logique. Ils savent, mieux que per- sonne qu'un peuple n'appartient pas au groupe de nations qui parlent sa langue, ou même dont il partage l'origine, mais qu'il a la libre disposition de lui-même et doit pouvoir se donner à qui possède son cœur et ses affections. Où sont les affections des Alsaciens-Lorrains ? Qu'on le leur demande! Nous ne craignons pas leur réponse. » La Société remercie M. Besson, et décide que son compte- rendu entrera dans le procès-verbal de la séance. $ M. le président donne lecture du rapport de la commission nommée pour examiner un manuscrit de M. Demongeot, intitulé : Principes. généraux d'Economie politique. Ge rap- port, rédigé par M. Carrau, déclare que le travail en question est sérieux, bien conçu, méthodique surtout, écrit dans un style clair et intelligible pour tous. À la suite de quelques léocères critiques, dont l’auteur tiendra compte en révisant son œuvre, la commission conclut en ces termes : « Votre com- mission pense que cet ouvrage peut rendre d’utiles services, et elle vous propose d’en voter l'impression dans les Mémoires de la Société. » Une évaluation, faite séance tenante, ayant démontré que l'ouvrage formera environ neuf feuilles et demie d'impres- sion, c'est-à-dire à peu près 150 pages, la Société adopte la conclusion du rapport. La Société vote également l'impression d’une ‘Note, de M. Waille, sur l'emploi des quantités négatives en trigono- métrie, opuscule dont M. Bertrand, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, a reconnu la valeur et utilité pra- ‘tique, M. Castan communique un petit travail, qu'il a rédigé avec le concours de M. Gauthier, sur les £vques auxiliaires du siège métropolitain de Besançon. À la suite d’une notice sur les attributions de ces évêques auxiliaires, l’auteur en fournit une liste beaucoup plus complète que celle précé- demment établie par M. l'abbé Richard ; il y joindrait le dessin d’un sceau du quatorzième siècle, qui est mis sous les yeux des membres présents. La Société vote encore l’impresion de ce travail. M. Pingaud intéresse vivement l’assemblée par la lecture d'un chapitre de l'ouvrage qu’il va publier sur l'illustre famille de Saux-Tavannes. C'est l’histoire émouvante du rapt de Me de Brun par le marquis de Mirbel, aventure dont le récit, présenté avec talent, montre ce qu'avait d'inflexihle le caractère d'un gentilhomme franc-comtois dans l'exercice de l'autorité paternelle, M. le président remercie et félicite M. Pingaud. Sont présentés comme candidats au titre de membre ré- sidant : Par MM. Pingaud et Castan, M. Gaston Coindre, artiste- graveur ; y" Par MM. Paillot et Amberger, MM. Jules Vorin, pharma- cien et Paul Chatelain, élève en pharmacie. Un vote favorable ayant eu lieu sur le compte des can- didats antérieurement présentés, M. le président proclame : Membres résidants, MM. Le Mire (Paul-Noël), avocat ; Meyer (Joseph), médecin-major au 3° bataillon de chasseurs à pied ; Prerre (Albert), agrégé de l'Université, professeur au Lycée de Besancon; Vaissier (Alfred), propriétaire. Membre correspondant, M. Hexxequi (Frédéric), professeur de topographie, attaché à l'Etat-major général du ministre de la guerre, à Paris. Le Président, Le Secrétaire, Léon MARQUISET. A. CASTAN. — MAXI Séance du 8 avril 1876. PRÉSIDENCE DE M. MaARQUISET. Sont présents : Bureau : MM. Marquiset, président; Castan, secrétaire. MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Besson (Edouard), Canel, Dau- bian-Delisle, Delagrange, Dietrich, Ducat, Dunod de Charnage, Grand (Charles), Guillin, Monnot, Renaud (Francois), Ripps, Vaissier, Waille ; MEMBRE CORRESPONDANT : M. Choffat. Le procès-verbal de la séance du 11 mars est lu et adopté. Une lettre de la Société des Antiquaires du Centre, dont le siége est à Bourges, demande son inscription sur la liste des associations qui correspondent avec la nôtre; elle nous offre trois volumes de ses Mémoires. Cette proposition est acceptée, et il est décidé que nos deux derniers volumes parus seront adressés, avec celui qui est sous presse, à la Société des Antiquaires du Centre. Le secrétaire annonce, dans les termes suivants, la mort de M. le commandant Poulain, l’un de nos correspondants et collaborateurs : « J'ai l'honneur de notifier à la Société d’'Emulation du Doubs la mort de notre confrère, M. Claude-Pierre-Hippolyte Poulain, chef de bataillon du génie, officier de la Légion d'honneur, né à Vesoul, le 5 août 1828, décédé à Batna (Algérie) le 17 mars 1876. » Le commandant Poulain comptait dans son arme parmi les travailleurs : il se distinguait par l'activité de l'esprit, la vivacité de l'imagination et la promptitude du coup-d’æil. Tout ce qui était intelligent le séduisait : aussi, dans sa vie quelque peu nomade de militaire, prit-il comme motifs d'étude une foule de sujets que les circonstances offraient à ses médi- tations. Il sut se montrer écrivain dans les travaux de l’ordre > 0 scientifique et mathématicien dans les études qui relevaient de l’histoire. Son patriotisme était à la hauteur de ses talents. » Il appartenait à notre Société depuis 1873. Sa collabo- ration nous fut immédiatement acquise, et nous espérions en bénéficier pendant de longues années. Le plus important de ses mémoires historiques a paru sous nos auspices; il est in- titulé : Les Huns et les champs catalauniques. C'est une intelli- gente application au terrain des textes concernant la mémo- rable invasion d'Altila. Il y a dans cet écrit les qualités de méthode et de style qui distinguent les bons produits de l’éru- dition francaise. » Dans un mémoire d’une autre nature, également publié par nos soins, M. Poulain traitait de l’Assainissement des lilto- raux marécageux avec le concours des marées. C'était le résultat d'observations et de calculs faits au Sénégal, en Algérie et en Corse, trois pays où le brave commandant avait dirigé des entreprises de travaux publics et de colonisation. » Pour se rendre dans ces lointains parages et en revenir, le commandant Poulain avait dû subir le ballottement des vaisseaux. Il s'était mis en quête d'y apporter un remède, et la solution qu'il proposait fit l'objet d’un mémoire édité ré- cemment par la Société d'Emulation du Jura, sous ce titre : Nouvel organe mécanique réciproque, et principe d'un nouveau navire de querre sans roulis ni tangage. » Les revues et journaux militaires renferment beaucoup d’autres productions de cet ingénieux et savant travailleur. Nous nous bornons à rappeler ici celles qui ont pris place dans les recueils de la Franche-Comté. Elles suffisent d'ail- leurs à caractériser les aptitudes intellectuelles de l'homme distingué dont nous garderons fidèlement le souvenir. » La Société, partageant les sentiments qui viennent d'être exprimés, décide que la notice qui les formule entrera dans le procès-verbal de la séance. M. Edouard Besson lit une étude intitulée : Le Césarisme et la Démocratie dans l'ancienne Rome. HAN, — Ce travail, fortement pensé et éloquemment écrit, est l’objet d’un accueil des plus favorables. Trois mémbres de la Société l'ont déjà examiné à titre officieux. M. le président propose que ces trois membres, qui sont MM. Marquiset, Huart et Castan, recoivent la mission de faire, dès la prochaine séance, un rapport sur la question d'imprimer dans nos Mémoires l'étude de M. Edouard Besson. Cette proposition est adoptée. M. le président dépose sur le bureau un travail de M. Thu- riet, membre correspondant, intitulé : Aperçu sur quelques prédictions relatives à la fin du monde. Ce manuscrit est renvoyé à l'examen d’une commission composée de MM. Ducat, Gauthier et Castan. Le secrétaire lit un rapport sur l'Annuaire du Doubs, de la Franche-Comté et du territoire de Belfort, pour 1876, par MM. Paul Laurens et Jules Gauthier. Ce compte-rendu, dont la Société vote l'insertion au procès-verbal, est conçu en ces termes : « Le département du Doubs, qui occupe un rang si hono- rable dans la statistique de l'instruction primaire, se distingue également par le caractère sérieux et persévérant des recueils périodiques qui portent son attache. Parmi ces recueils, l’An- nuaire du Doubs, parvenu à sa 63° année d'existence, jouit au dedans et au dehors d’une légitime réputation. » Ce résumé annuel de la situation morale et matérielle, non-seulement de la circonscription départementale dont Besancon est le chef-lieu, mais encore des territoires voisins qui faisaient partie de l’ancienne Franche-Comté, est à la fois un précieux indicateur pour les contemporains et une source abondante de renseignements exacts pour les chercheurs futurs. » Cette œuvre d'intérêt public a eu, pendant de longues an- nées, pour unique auteur M. Paul Laurens, qui, dans cette tâche du plus honorable dévouement, s’est montré le digne continuateur de son père. Mais cet infatigable travailleur, —IXXN — soucieux d'assurer l'avenir du recueil, a eu le bon esprit de s'associer, dès à présent, un jeune érudit bien capable de gérer à son tour l’entreprise. C'est ainsi que l'Annuaire de 1876 paraît avec les deux noms de nos confrères MM. Paul Laurens et Jules Gauthier. » A la suite d’une iñtroduction histofique et de documents législatifs et agricoles, le nouveau volume renferme une no- tice sur l’éminent cardinal Mathieu, archevêque de Besançon, puis un important travail de M. Gauthier, sur la baronnie d’Etrabonne, le prieuré de Moutherot et l’abbaye des dames de Corcelles. » La famille féodale d'Etrabonne apparaît, dans nos chartes franc-comtoises, dès la fin du onzième siècle. Son château- fort, dont il existe encore deux tours imposantes, était placé sur le bord d’une voie antique (Strata bona), dans un défilé qui mettait en communication les deux vallées du Doubs et de l’'Ognon. Pour se concilier les faveurs du clergé, la maison d’'Etrabonne avait fondé, sur une colline voisine de son ma- noir, un prieuré de Bénédictins, que son exiguité fit appeler le Moutherot. Les seigneurs d’Etrabonne s'étaient réservé la garde du monastère et les profits de la foire renommée qui se tenait et qui se tient encore en cet endroit. Sur un terrain généreusement cédé par la maison d'Etrabonne s'établit en- suite l’abbaye cistercienne de Corcelles, peuplée de religieuses venues de Tart en Bourgogne. » Des deux sources qui avoisinent le château d’Etrabonne, l’une était célèbre par la légende dite des Trois-Rois. On ra- contait que les Mages passant par Etrabonne, en revenant de Bethléem, avaient eu soi£et ne trouvaient rien à boire en ces parages. L'idée leur vint de planter leurs trois bâtons dans le sol : une source à trois orifices jaillit aussitôt. En goûtant de cette eau miraculeuse, le premier Mage aurait dit : Elle est bonne! le second : Elle est assez bonne! le troisième : Elle est très-bonne ! Et comme les Mages s'exprimaient en patois, cette dernière exclamation : £ tra bonne ! serait devenue le nom du AVI village ainsi abreuvé et baptisé. Pendant tout le moyen âge, cette fontaine eut la réputation de guérir les écrouelles; on y venait de très-loin en pèlerinage, et, quatre fois par an, les malades recevaient le pain de l’aumône dans la chapelle du château où se voyaient les reliques et les effigies des Trois- Roïs. » Suivant nos vieux auteurs, la légende d’Etrabonne aurait pour origine le passage à travers la Franche-Comté, en 1162, des reliques des Trois-Rois qui furent alors, sous les auspices de Frédéric Barberousse, transférées de Milan à Cologne. Le château d'Etrabonne aurait donné asile au cortége qui opérait la translation, et cette hospitalité aurait été reconnue par la concession de quelques parcelles des reliques. L'imagination du peuple se serait chargée ensuite de dramatiser l'événe- ment. » Cette explication ne reposant sur aucun document, M. Gauthier la mentionne sans l'accepter. Il inclinerait à croire que la légende résulterait de la coïncidence d’un apport de reliques et d’un jeu de mots fait sur le nom dela localité. Etrabonne se disait, dans les chartes du douzième siècle, Astrabona. Quoi d'étonnant qu’un clerc ingénieux ait songé à faire venir ce nom de l’astre, bon entre tous, qui guida les trois illustres pèlerins dont Etrabonne possédait quelques reliques ? » Les seigneurs d'Etrabonne comptaient parmi les grands barons de Franche-Comté : ils prirent une part active aux ligues incessantes de la noblesse du pays contre le représen- tant, quel qu'il füt, des idées de centralisation gouvernemen- tale. À l'imitation des autres seigneurs de la province, ils concédèrent l’affranchissement de la mainmorte aux habi- tants du bourg qui était sous leur château, et cela dans l'es- poir intéressé d'accroître le nombre de leurs sujets. La charte des franchises d’Etrabonne date de 1355; M. Gauthier en a publié le texte. » Sous les comtes-ducs de la maison de Valois, Guillaume D NTIE—S d’Etrabonne conquit le renom d’un guerrier intrépide et d'un sage conseiller. Philippe le Bon le créa son chambellan et attacha sa femme à la duchesse en qualité de dame d’hon- neur, La seigneurie d’Etrabonne reçut l'avantage d’avoir pour elle seule un baïilli, ou juge d'appel des sentences rendues par son prévôt, et cette institution subsista jusqu'en 1790. Guil- laume, qui avait sollicité cette faveur, fut honoré lui-même du collier de la Toison d'or. Il mourut en 1453, et son tom- beau, surmonté d’une statue, était l'ornement de la vieille ‘église de Mont-Roland. L'une de ses petites-filles porta la seigneurie d'Etrabonne dans la maison française des d'Au- mont. 4 » Dès lors Etrabonue ne fut plus qu’un domaine à revenus, et ses nouveaux maîtres en abandonnèrent le château à leurs officiers et intendants. C'était à ceux-ci qu'appartenait l'exer- cice d’un droit seigneurial particulier à Etrabonne, le droit de ménestrerie. « Chaque fois, dit M. Gauthier, qu'on célébrait un mariage » dans la terre d’Etrabonne, les futurs mariés devaient con- » vier aux Cinq repas de la veille, du jour et du lendemain des » noces, le seigneur ou son représentant, auquel ils payaient » encore une somme de huit engrognes. Le nom de ce droit » venait sans doute de ce que le seigneur avait dû primitive- » ment fournir un ménétrier pour la danse. » » Les d'Aumont, qui laissaient tomber en ruine le château d’Etrabonne, finirent par aliéner ce domaine qu'iis possé- daient depuis deux siècles et demi. L'acte de vente fut passé, en 1725, au profit de Jean Pourcheresse, enrichi par la pros- périté de ses hauts-fourneaux de Fraisans. La petite-fille de cèt industriel anobli vendit, à son tour, Etrabonne au prince de Montbarrey, ministre de la guerre sous Louis XVI, mort à l'émigration. » Le travail de M. Gauthier se termine par deux intéres- santes notices : l'une sur le prieuré de Moutherot-lez-Etra- bonne, colonie bénédictine sortie, à la fin du onzième siècle, EXT = de l’abbaye de Baume-les-Moines; l’autre sur l’abbaye cister- ciennes des dames de Corcelles, issue, vers 1150, de l’abbaye de Tart, au diocèse de Langres, et réunie, dès 1609, au mo- nastère de Notre-Dame d’'Ounans-lez-Dole. On y trouve des listes, aussi complètes que possible, des prieurs de Mottherot et des abbesses de Corcelles. Comme les précédents Annuaires, celni-ci donne des indications sommaires sur les origines des principales asso- ciations du département et sur les richesses de ses collections publiques. » En un mot, la collaboration de M. Jules Gauthier nous paraît une excellente fortune pour l'Annuaire du Doubs ; mais nous devons souhaiter aussi que M. Paul Laurens continue, pendant de longues années, à enrichir ce recueil des indica- tions utiles et des conseils pratiques dont il s'est fait une si remarquable spécialité. » Sont présentés pour entrer dans la Société comme membres résidants : Par MM. Marquiset et Castan, M. Georges Chevandier, propriétaire, au château du Grand-Vaire ; Par MM. Guillin et Castan, M. Courtier, négociant, rue Battant, 18 ; Par MM. Paillot et Amberger, M. Auguste Richard, phar- macien, rue du Chateur, 16; et M. Charles Jeannolle, élève en pharmacie. A la suite d'un vote d'admission des candidats précédem- ment inscrits, M. le président proclame : Membres résidants, MM. CHarTELain, Paul, élève en pharmacie; CoinNprE, Gaston, artiste-graveur; VorriN, Jules, pharmacien. Le Président, Le Secrétaire, Léon MarQUISET. A. CASTAN. —\XBAX" — Séance du 13 mai 1876. PRÉSIDENCE DE M. SAILLARD. dont présents : Bureau : MM. Saillard, premier vice-président ; Bavoux, secrétaire honoraire ; Castan, secrétaire ; Meugres RÉsIDANTS : MM. Besson (Edouard), Canel, Chapoy, Coindre, Daubian-Delisle, Demongeot, Ducat, Gouillaud, Guil- lin, Haldy, Jégo, Le Chatelier, Ripps, Savourey, Sire, Waille. Le procès-verbal de la séance du 8 avril est lu et adopté. Le secrétaire informe la compagnie des invitations qui lui ont été faites d'envoyer des délégués aux séances publiques, suivies de banquets, qui auront lieu, à Montbéliard le 8 mai courant, et à Lons-le-Saunier le 24 du même mois. En raison de la nécessité de répondre promptement à ces invitations, le conseil d'administration de la Société a pris sur lui de désigner les délégués qni nous représenteront à Montbéliard et à Lons-le-Saunier. La députation qui se rendra à Montbéliard se composera de MM. Marquiset, président annuel, Victor Girod, Sire et Edouard Besson. Pour Lons-le-Saunier, les délégués seront MM. Marquiset, Daubian-Delisle, Faivre et Gauthier. Par une lettre en date du 19 avril dernier, M. le conserva- teur du musée des antiquités de la ville nous accuse réception du versement fait dans son dépôt de la totalité des menus objets sortis des fouilles de la place Saint-Jean. Cet envoi, comprenant 300 pièces, est groupé sous 129 numéros soigneu- sement détaillés dans un inventaire. En nous remerciant de ce nouvel apport, M. le conservateur reconnait, une fois de plus, le généreux empressement qu'a toujours mis la Société d’'Emulation du Doubs à seconder le recrutement du musée d'archéologie. ane te De la part de M. Vermot, capitaine de frégate, il a été offert à la Société un modèle de jonque japonaise et une ré- duction des coupes d'avant d’un vaisseau francais. Cette nouvelle preuve du bon souvenir d'un estimable confrère et compatriote, bienfaiteur assidu de nos collections publiques, est accueilli avec une vive gratitude. M. Edouard Besson lit ux rapport sur la part prise par la Société au récent congrès de la Sorbonne : il analyse les communications faites dans la section d'histoire de cette réu- nion par MM. Alphonse Delacroix, Drapeyron et Hennequin ; il constate la bonne situation morale de notre compagnie et l'engage à s'y maintenir par de nouveaux efforts. Ce morceau, chaleureusement applaudi par l'assistance, prendra place dans le recueil des travaux de l’année 1876. Le secrétaire communique un rapport, rédigé par M. le président Marquiset, sur le travail de M. Edouard Besson intitulé : Le Césarisme et la Démocratie à Rome. « Ce travail, dit le rapport, peut avoir un intérêt sérieux comme coordon- nant et résumant les différentes théories émises sur le Césa- risme et la Démocratie à Rome. La commission néanmoins n'entend pas, plus qu’en toute autre circonstance, approuver ou improuver les théories exposées par l’auteur. Notre Société a toujours voulu laisser à chacun des auteurs l'entière liberté de ses appréciations : aussi n'est-ce qu’à titre de rapporteur fidèle que je mentionne les critiques suivantes. M. Besson aurait peut-être dû insister davantage sur ce point que l'empire romain, pas plus que la république, n'ont conuu la véritable liberté : la loi des Douze-Tables était au plus haut degré la législation du droit de la force. Peut-être aussi l'auteur aurait dû laisser davantage au lecteur le soin de trouver dans l'histoire romaine des applications aux temps modernes. Ces réserves ne diminuent en rien le mérite réel de l'ouvrage, dont la Société a apprécié déjà la valeur. » Délibérant sur la conclusion de ce rapport, la Société vote l'impression de l'étude de M. Edouard Besson. — XXXI — M. Castan donne lecture d’une note sur Jean-Baptiste Bésard , de Besançon , jurisconsulte , médecin et musicien, qui eut en Allemagne, dans la première moitié du dix- septième siècle, la réputation d’un artiste distingué, Cette note biographique est retenue pour les Hémoires. A la suite d'un vote d'admission des candidats présentés dans la dernière séance, M. le président proclame : Membres résidants, MM. CaevanDier (Georges), propriétaire, au château du Grand-Vaire ; COURTIER, ñégociant ; JEANNOLLE (Charles), élève en pharmacie ; RicHaRD (Auguste), pharmacien. Le Vice-Président, : | Le Secrétaire, A. SAILLARD. A. CASTAN. Séance du 10 juin 1876. PRÉSIDENCE DE M. MARQUISET. Sont présents : Bureau : MM. Marquiset, président; le PrRÉFET pu Douss, membre honoraire; Klein, trésorier; Gauthier, archiviste; de Prinsac, trésorier adjoint; Castan secrétaire ; Memwgres RÉsIDANTS : MM Alexandre (Charles), Androt, Bertrand, Besson (Edouard), Bizos, Boutterin, Canel, Charlet, Coindre, Daubian-Delisle, Delacroix (Alphonse), Ducat, Grand (Charles), Huart, Lacoste, Martin, Micaud, Paillot, Renaud (Alphonse), Renaud (Francois), Richard, Ripps, Tivier, Vais- sier, Waille ; MEMBRE CORRESPONDANT : M. Renaud (Alphonse). Le procès-verbal de la séance du 13 mai ayant été lu et tt: ( adopté, M. le président Marquiset souhaite la bienvenue à M. le Préfet dans les termes suivants : « MONSIEUR LE PRÉFET, » Je suis heureux d’avoir à vous présenter chez elle la So- ciété d'Emulation du Doubs. Vous voyez réunis dans cette enceinte des hommes de toutes les opinions, qui ont su se rencontrer dans un mutuel sentiment d'affection pour le progrès de la science. Vous connaissez déjà notre doyen, M. Delacroix, l’auteur de la découverte d’Alaise ; vous con- naissez M. Castan, notre secrétaire décennal, le pivot de notre Société. Vous compléterez, je l'espère, notre connais- sance en participant à notre grand banquet de cet hiver, car, suivant le vieux dicton de Franche-Comté, on ne se connaît bien qu'à table. Vous verrez, de plus en plus, que si les membres de la Société d'Emulation du Doubs veulent le pro- grès de la science, c'est parce qu'ils veulent avant tout le bonheur du pays. » Je disais, Monsieur le Préfet, que je suis heureux d’avoir à vous présenter la Société d’Emulation du Doubs : permettez à mon amour-propre de président d'ajouter que j'en suis fier. A votre arrivée dans notre ville, vous avez pu la juger par ses œuvres, en visitant les musées et le square archéolo- gique. » Nous espérons, Monsieur le Préfet, que vos lourdes fonctions vous laisseront quelquefois le loisir de venir à nos séances. Nous serons non-seulement honorés de la présence de l'administrateur du département au milieu de nous, mais heureux aussi de rencontrer un cœur qui bat à l'unisson des nôtres pour la prospérité de la patrie. » M. le Préfet répond que ses visites au musée des antiquités et au square archéologique lui ont déjà révélé la puissance d'action de notre compagnie pour l’accroissement des collec- tions locales et la résurrection des vestiges du passé. En jetant un coup d'œil sur notre dernier volume paru, il a été frappé — XAXNI — de la variété des études qui occupent nos séances. Tout en s’excusant de ne pouvoir contribuer à ce mouvement intel- lectuel, il promet de s'y intéresser comme particulier et de le seconder de son mieux comme administrateur. Il accepte l’in- vitation qui vient de lui être faite d'assister à la fête annuelle de décembre prochain, et, autant que ses nombreux devoirs le lui permettront, il suivra nos réunions mensuelles. En un mot, il fera le possible pour que les sociétés savantes du dé- partement le considèrent au plus tôt comme un vrai Franc- Comtois. La harangue de M. le Président et la réponse de M. le Préfet sont accueillies par des applaudissements sympa- thiques. Une circulaire ministérielle, en date du 24 mai, nous in- forme de la constitution d’un bureau international d'échanges des publications relatives à la géographie, en nous demandant ce que nous pourrions y déposer et ce que nous désirerions recevoir en retour. Il a été répondu à M. le Ministre que la Société d’Emulation du Doubs est très disposée à étendre ses relations, déjà consi- dérables, avec les associations scientifiques ou littéraires de l'étranger. Dans la limite de ce que comportent les volumes qu’elle a en réserve, elle mettra volontiers ses Mémoires au service des sociétés étrangères avec lesquelles elle n’a pas encore de relations. Nos rapports avec la Suisse et la Belgique étant à peu près ce que nous pouvons désirer qu’ils soient, nous souhaiterions d'en entretenir de plus fréquents avec les sociétés de l'Italie, de l'Espagne et de l'Autriche : tel est le résultat que nous attendons du bureau international qui vient d’être créé. La Société de Tir de Besançon ayant bien voulu, par dé- cision en date du 8 mai dernier, accorder aux membres de la Société d'Emulation du Doubs, qui justifieront de cette qualité, le libre accès du stand de Saint-Ferjeux, tous les dimanches et jours de concours, avec la faculté d'user des armes et muni- (a — XXXIV — tions à prix réduit pour s exercer ou pour concourir, une carle individuelle a été adressée à chacun de nos confrères à l'effet de les mettre à mème de profiter des dispositions ci-dessus in- diquées. d La Société de Tir nous ayant informé, par la même occa- sion, qu'une souscription était ouverte pour fournir des prix au concours international de cette année, le conseil d’admi- nistration a jugé convenable de répondre aux nue procédés de la Société de Tir par l'offrande, comme prix à décerner par ses soins, d'une grande médaille de vermeil à l'effigie de la République française, avec les inscriptions suivantes au revers : Société de Tir de Besancon. — Concours de 1876. — Prix offert par la Société d'Emulation du Doubs. Cette médaille ayant été mise sous les yeux de l'assemblée, la mesure prise pour en faire l’offrande est ratifiée à l'unani- milé. Le secrétaire communique le programme du congrès scien- tifique qui aura lieu à Autun le 4 septembre prochain et jours suivants. Il donne un apercu de l'intérêt qu'offriront ces assises et fait des vœux pour que notre Société y soit repré- sentée. M. le président Marquiset lit un intéressant rapport sur les séances publiques qui viennent d’avoir lieu à Montbéliard et à Lons-le-Saunier, en caractérisant la physionomie de ces réunions dans lesquelles il a exprimé les sentiments cordiaux' de notre compagnie envers ses voisines. Ce compte-rendu, vivement applaudi, est retenu + les Mémoires de la Société. M. Castan donne lecture d'un nouveau fragment de son Histoire abrégée de la Franche-Comté : c'est un précis des évé- nements lamentables de la guerre d’extermination dirigée contre notre province par le cardinal de Richelieu. MM. Besson (Edouard) et Castan proposent d'admettre comme membre résidant M. Paul Péchaud, licencié en droit. RAIN VIE A la suite d’un vote approbatif sur le candidat antérieure- ment présenté, M. le président proclame : Membre résidant, M. le baron Henry (Edouard), littérateur. Le President, Le Secrétaire, Léon MARQUISET. A. CASTAN. Séance du 17 juin 1876. PRÉSIDENCE DE M. MARQUISET. Sont présents : Bureau : MM. Marquiset, président, l’INSPECTEUR D'Aca- DÉMIE, membre honoraire; Castan, secrétaire. Mewgres RÉsIDANTS : MM. Alexandre (Charles), Berquet, Besson (avoué), Besson (Edouard), Beurnier, Blondon, Canel, Ducat, Grand (Charles), Grosrichard, Haldy, Huart, Foin, Maire, Marion (Charles), Marteau, Martin, Michel (Brice), d'Orival (Léon), Piguet, Renaud (Alphonse), Savourey, Vais- sier, Vautherin (Francis); MEMBRE CORRESPONDANT : M. Renaud (Alphonse). La séance est ouverte à huit heures et demie du soir. ‘ M. le président expose que l’objet de la réunion est d’en- tendre une conférence de M. Gustave Sahler, de Montbéliard, sur l'exploration commerciale du Soudan par la voie du Niger. M. Sahler a été recommandé par M. le président de la Société d’'Emulation de Montbéliard à la bienveillance de la Société de Besançon, et le conseil d'administration de celle-ci s’est : fait un devoir de favoriser la divulgation d’une idée patrio- tique ayant pris naissance dans le département du Doubs. La Société a donc été convoquée extraordinairement, avec faculté pour chacun de ses membres d'introduire les personnes étran- — XXANI — gères que la question envisagée par M. Sahler pourrait inté- resser. La parole ayant été donnée à M. Sahler, cet orateur met en parallèle le stationnement de notre situation commerciale et les progrès incessants accomplis par nos rivaux : il faut cependant marcher et lutter, sous peine de s'étioler et de dé- choir. Parmi les débouchés nouveaux dont nous pourrions nous emparer, aucun ne serait plus à notre convenance que le bassin du Niger, car nous relierions aisément cette con- quête à nos belles colonies du Sénégal et de l'Algérie. Ce pays, suffisamment étudié par les géographes, recèle des trésors commerciaux; il est habité par des populations paisibles et délimité par l'immense circuit d'un fleuve dont six lieues à peine offriraient des difficultés aux navigateurs. M. Sahler croit que le moment est venu de planter nos jalons sur cette route; mais, avant tout, il juge nécessaire de mettre l'opinion publique dans la confidence de son idée : plus tard, il essaiera de fonder une société d'initiative au capital de 20,000 fr., et enfin il se proposera comme organisateur d’une expédition dont les frais ne dépasseront pas 300,000 fr. En attendant, il ne demande à ceux qui l'écoutent que de l'écho et de la sympathie. Les dernières paroles de M. Sahler ayant été suivies de chaleureux applaudissements, M. le président lui adresse, au nom de la compagnie, des félicitations sincères sur le talent et le courage qu'il met au service d’une cause digne de la plus sérieuse attention. La séance est levée à neuf heures et demie. Le Président, Le Secrétaire, Léon MARQUISET. A. CASTAN. AXEL — Séance du 8 juillet 1876. PRÉSIDENCE DE M: MARQUISET. Sont présents : Bureau : MM. Marquiset, président; Faivre, vice-secrétaire; Castan, secrétaire ; MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Alexandre (Charles), Androl, Besson (Edouard), Cuillier, Demongeot, Dietrich, Gouillaud, Guillin, Huart, Jégo, Martin, Pingaud, Ripps, Vaissier et Waille. Les procès-verbaux des séances des 10 et 17 juin sont lus et adoptés. Le secrétaire communique la correspondance, et il est pris, au sujet des diverses lettres qui la composent, les décisions suivantes : 1° Invitation au congrès tenu à Lyon, du 26 juiu au 6 juil- let, par la Société botanique de France. — M. Paillot nous à dignement représenté à ce congrès. 2 Invitation aux assises que tiendra à Clermont-Ferrand, du 18 au 25 août, l'Association francaise pour l'avancement des sciences. — M. Pingaud suppose qu’il sera à Clermont- Ferrand au moment de cette réunion; dans ce cas, il accep- terait volontiers la mission de nous y représenter. 3° Demande d’une souscription pour l'envoi d’une déléga- tion d'ouvriers horlogers de Besançon à Philadelphie. — La Société, tenant à témoigner constamment ses sympathies à la fabrique d’horlogerie de la ville, souscrit pour une somme de trente francs, moins à titre de concours que comme preuve de bon vouloir. 4 Lettres du bibliothécaire de l’Institut et du secrétaire perpétuel de la Société des antiquaires de Picardie, deman- dant l’un et l’autre quelques volumes pour compléter les —RABANII — exemplaires de nos Mémoires qu'ils conservent. — Ces deux requêtes sont favorablement accueillies. | Le secrétaire communique une gravure représentant la statue de M. de Caumont qui va être inaugurée à Bayeux : il rappelle que la Société a contribué par une modeste offrande à ce monument de gratitude publique; il demande s’il n’y aurait pas convenance de donner à M. Georges Garnier, notre correspondant à Bayeux, le mandat de nous représenter dans la cérémonie d'inauguration. Cette question ayant été résolue affirmativement, la Société approuve les termes d'une lettre qui exprime à M. Georges Garnier les sentiments dont nous désirerions qu’il se fit l’in- terprète. M. Edouard Besson donne lecture d'un morceau quil intitule : Les plagiats de Mirabeau, fragment d’un ouvrage en cours d'exécution. Il y défend l’illustre orateur contre ceux qui l'ont accusé de n’avoir fait qu'exploiter les talents d'autrui. Mirabeau employait, il est vrai, des secrétaires qui travail- laient sur ses canevas; mais le rôle de ces collaborateurs n’alla jamais au delà de la part qu'ont les praticiens dans les œuvres des grands statuaires. C’est ce que démontrent les lettres, ré- cemmént publiées, de Mirabeau à l’une de ses prétendues victimes. | Cette lecture ayant été suivie de sympathiques applaudisse- sements, M. le président félicite et remercie M. Edouard Besson. . M. Castan communique une note intitulée : Consultation de Cujas sur l'organisation de l’enseignement du droit à Besançon en 1580. La Société autorise l’auteur à introduire cet opuscule dans le volume qui comprendra les travaux de l'année 1876. Les candidats présentés à la dernière séance ayant été ad- mis par un vote de la Société, M. le président proclame : —HWXXXIX-— Membres résidants, MM. le baron Henry (Gaston), ancien élève de l'Ecole poly- technique, capitaine d'artillerie de réserve; Pécaaup (Paul), licencié en droit. Le Président, Le Secrétaire, Léon MARQUISET. A. CASTAN. Séance du 12 août 1876. PRÉSIDENCE DE M. SAILLARD. Sont présents : Bureau : MM. Saillard, premier vice-président; Klein, tré- sorier; Castan, secrétaire; MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Amberger, Besson (Edouard), Canel, Cuillier, Daubian-Delisle, Ducat, Huart, Jégo, Lesbros, Paillot, Renaud (Francois), Tivier, Vaissier, Waille; MEMBRE CORRESPONDANT : M. Roy. M. le président Marquiset s’est excusé de ne pouvoir être présent à la séance. Une dépèche, en date du 29 juillet dernier, nous annonce une allocation de 400 fr., à titre d'encouragement, sur les fonds du ministère de l’'Instruction publique. La Société confirme les remerciements adressés à M. le Ministre en retour de ce nouveau témoignage d’une flatteuse estime. M. Georges Garnier nous écrit qu’il a fait part à l’Associa- tion normande des sentiments dont notre compagnie l'avait prié d'être l'interprète dans la cérémonie d'inauguration de la statue de M. de Caumont. La commission centrale administrative de l’Institut nous remercie de notre empressement à lui envoyer, pour la biblio- thèque de cet illustre corps, le complément d'un exemplaire de nos Mémoires. Un nouveau travail de botanique, présenté par son auteur, est renvoyé à l'examen de M. Paillot. Le secrétaire annonce que l'on vient d'achever l'impression d’une table générale des matières comprises dans les quatre séries des volumes de nos Mémoires. Cet utile instrument de recherches, qui fera partie du tome prêt à paraître, est l'œuvre de notre savant collaborateur M. Waille, à qui la Société ne saurait témoigner une trop vive gratitude pour cette preuve d’intelligent dévouement. M. Waille, présent à la séance, recoit les remerciements empressés de ses confrères. M. Castan lit deux notes intitulées : 1° Une nouvelle réplique au sujet du Fra Bartolommeo de Besançon ; ?° Les fouilles de Notre-Dame de Jussan-Moütier. | La Société vote l'impression dans ses Mémoires du premier de ces opuscules, et elle retient pour le procès-verbal la se- conde note qui est ainsi Conçue : « En faisant récemment des creusages pour la construction d’écuries contiguës à la caserne des gendarmes de Besançon, on a mis à découvert ce qui restait des substructions de l’église de Notre-Dame de Jussan-Moûtier, bâtie primitivement au vire siècle sous les auspices de l’évêque saint Donat, recons- truite plusieurs fois, puis démolie de fond en comble à la suite de la période révolutionnaire, en 1804. C'est du voisi- nage de cette église que l'une des portes de la ville, dite de Notre-Dame, a tiré son nom. » Cet édifice, fondé sur les pentes rocheuses de l’un des flancs de la citadelle, n'avait de substructions que dans les anfractuosités du sol, Quelques-unes de ces cavités naturelles avaient été régularisées au marteau pour former sous l'église des caveaux funéraires. Un cimetière régnait en avant du flanc d’aval de l’église, là où le plongement des assises ro- cheuses permettait d'avoir une certaine épaisseur de terre pour les inhumations. On a retiré de cette portion du sol une très-grande quantité d'ossements et quelques sarcophages creusés dans une pierre tendre, dite de vergenne, à peu près exclusivement employée par les constructeurs gallo-romains de nos contrées. L'un de ces sarcophages était rectangulaire, c'est-à-dire datant de l'antiquité ou de la renaissance; les autres, qui se rétrécissaient dans le sens de la descente des corps, semblaient dater du haut moyen âge. » Dans les substructions de l’église, on avait réemployé beaucoup de pierres de vergenne, ayant appartenu à des mo- numents gallo-romains qui existaient sur ce même emplace- ment. On savait déjà que Jussan-Moûtier avait remplacé des constructions antiques, car notre musée archéologique con- serve un bas-relief extrait de là, qui représente un génie bel- liqueux tenant une épée et un prisonnier de guerre dans l'attitude de la consternation. Les pierres de vergenne qui vien- nent de sortir du même endroit, la plupart portant les trous de scellement des crampons qui les reliaient lors de leur em- ploi primitif, ces pierres, dis-je, plongeaient dans un déblai produit par l'incendie et abondant en tuileaux romains. On y a recueilli quelques débris de colonnes, dont un demi-tam- bour en grauit, et des vestiges d’entablement en pierre tendre. Il m'a été remis, également de cette provenance, ‘une monnaie assez fruste de Marc-Aurèle, du module grand bronze. » Parmi les pierres antiques réemployées à Jussan-Moûtier, j'ai constaté deux débris de monuments funéraires de l'époque gallo-romaine, probablement du troisième siècle de notre ère. Bien que ces deux fragments d'épitaphes n’aient pas indivi- duellement un bien grand intérêt, je crois devoir en transcrire ici les textes, à titre d'indications pouvant à l'occasion devenir utiles : | » 1° Cartouche transversal, encadré d’une moulure, incom- plet d'au moins une ligne en tête et ébréché sur la lisière finale. LIC SILVI NI REGIN/ nl » I] y a, dans le Corpus inscriptionum de Mommsen, t. IIT, n° 4549, une inscription funéraire, trouvée aux environs de Vienne (Autriche), où figure un C. LICINIVS SILVINVS. Quant au mot Regina, comme prénom de femme à l'époque romaine, il se voit dans quelques inscriptions du recueil de Gruter. » 2° Dalle en hauteur, sans moulure, incomplète des premières lignes et ébréchée sur la lisière finale. MAGNILLI ANORVMX » Parmi les noms masculins relevés dans les inscriptions romaines, on ne trouve pas le mot Magnillus; mais il y a le féminin Magnilla dans une épitaphe conservée à la biblio- thèque de Vienne (Autriche). V. Mommsen, t. III, n° 1491.» À propos d'un renseignement demandé par M. Roy sur l’état de la question d’Alésia depuis les derniers travaux pu- bliés à ce sujet par la Société, M. Castan fait un résumé oral des arguments mis en ligne par les défenseurs d’Alise et par ceux d'Alaise, s’attachant surtout à indiquer les motifs qui permettent de ne pas désespérer de la solution franc-comtoise. Sont présentés pour entrer dans la Société : Comme membre résidant, Par MM. Lesbros et Amberger, M. Léandre Coste, fabricant d’horlogerie ; Comme membres correspondants, Par MM Delacroix (Alphonse) et Bourcheriette père, M. Célestin Bourcheriette, élève de l'Ecole centrale des arts et manufactures, rue Amelot, 154, à Paris; Par MM. Amberger ct Paillot, M. Adolphe Méhu, phar- macien de première classe à Villefranche (Rhône). Le vice-président, Le Secrétaire, A. SAILLARD. A. CASTAN. LADITE Séance du 11 novembre 1876. PRÉSIDENCE DE M. MARQUISET. Sont présents : Bureau : MM. Marquiset, président; le RECTEUR DE L’A- CADÉMIE, membre honoraire; Saillard et Vézian, vice-prési- dents ; Klein, trésorier; Faivre, vice-secrétaire ; Gauthier, ar- chiviste; de Prinsac, trésorier-adjoint; Castan, secrétaire ; MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Alexandre (Charles), Amberger, Androt, l'abbé Bailly, Bertin, Bertrand, Canel, Cuillier, Dau- bian-Delisle, Delacroix (Alphonse), Delavelle, Demongeot, Ducat, Durupt, de Gassowski, Grosjean, Guillin, Haldu, Huart, Jégo, Lacoste, Le Chatelier, Lehrs, Martin, Monnier (Louis), Monnot, Paillot, Renaud (Francois), Richard, Ripps, Savourey, Sire, Vaissier, Waille ; MEMBRE CORRESPONDANT : M. Michelot. Le procès-verbal de la séance du 12 août ayant été lu et adopté, le secrétaire annonce en ces termes la mort de M. Tissot, membre correspondant : « Un de nos confrères et compatriotes les plus distingués, M. Claude-Joseph Tissot, doyen honoraire de la Faculté des Lettres de Dijon, correspondant de l’Institut de France (Aca- démie des sciences morales et politiques), est mort le 17 oc- tobre dernier, dans sa 75° année. » M. Tissot, originaire des Fourgs et par conséquent voisin de naissance du philosophe Jouffroy, dont il fut le bien-aimé disciple, occupait une place honorable parmi les penseurs et les écrivains de notre époque. Par une traduction devenue classique, il fit connaître à la France les travaux du philo- sophe, Kant. I traita lui-même d'original une foule de questions appartenant aux diverses branches de la philoso- phie : la vie dans l’homme, les causes des idées, l’activité hu- maine, l'imagination, la science des mœurs, le droit au ALI = travail, le ridicule, le suicide, le divorce, etc. Avec ces études, qui forment une nombreuse suite de volumes, M. Tissot obtint d'éclatants succès dans les principaux concours académiques de l'Europe. Devant l'Académie de Besançon, il fut, plusieurs années de suite, le rival de Pierre-Joseph Proudhon. » Aimant le travail et l'ayant facile, il ne comprit jamais les loisirs inoccupés. Les vacances, qu'il passait régulièrement dans son village des Fourgs, il les employait à écrire l'his- toire, à recueillir le vocabulaire, à dépeindre la nature et les mœurs de ce coin de terre qui lui a fourni la matière de plu- sieurs volumes : l'étude sur le patois des Fourgs, qui n'est pas la moins intéressante partie de cet ensemble, a été publiée dans les Mémoires de notre Société. » M. Tissot, qui ressemblait par les traits du visage au philosophe Vicior Cousin, était d’un abord aimable: sa conversation, brillante et enjouée!, témoignait de la vivacité de son esprit et de la fidélité de sa mémoire. Dans la chaire qu'il occupa durant de longues années, son enseignement très-libéral demeura sympathique à un nombreux auditoire. La ville de Dijon, qui emprunta jadis à notre province Fran- cois Devosge pour créer son Ecole des beaux-arts et le juriscon- sulte Proudhon pour mettre en réputation sa Faculté dedroit, devra encore s'unir à nous pour garder du professeur Tissot un durable souvenir. » La Société partageant les sentiments ci-dessus exprimés, il est décidé que mention en sera faite au procès-verbal. Il sera également pris acte des regrets de la compagnie au sujet de la mort récente de M. Jean-Auguste Michel, institu- teur communal à Mulhouse, l’un de nos correspondants les plus anciens et les plus dévoués, M. Michel nous sera prochaï- nement révélé comme écrivain, son fils nous annonçant qu'il va mettre sous presse un recueil des récits de voyages laissés par notre digne confrère. Sont communiquées les lettres par lesquelles M. le Maré- chal président de la République et M. le Général commandant — XLV — le 7° corps d'armée accusent très-gracieusement réception des premiers exemplaires qui leur ont été offerts du tome X (4° série) de nos Mémoires. ll est en outre fait part à la Société des remerciements qu'elle a recus en retour de sa modeste souscription pour l'envoi de délégués de l'industrie horlogère à l'exposition de Philadelphie. Sur la demande que nous adresse la Société philomatique vosgienne, qui vient de se fonder à Saint-Dié, à l'effet d'entrer en relation d'échanges avec nous, il est délibéré que ce désir sera satisfait. - La Société des sciences naturelles de Cherbourg nous si- gnalant, dans la collection qu'elle possède de nos Mémoires, une lacune de cinq volumes dont nous avons des exemplaires en nombre, il sera répondu par l'envoi des volumes de- mandés. Plusieurs libraires importants de Paris désireraient acheter quelques exemplaires de notre récent volume, offrant de les payer dix francs chacun. La Société est d'avis que ces propo- sitions soient acceptées, à la condition toutefois qu'il n’en résulte pas un épuisement des exemplaires à réserver en vue d'échanges. Parmi les dons reçus depuis la dernière séance, le secré- taire fait remarquer : {° un album in-folio renfermant les eaux-forles récemment produites par M. Jeanmaire, de Genève, recueil artistique qui nous est offert par M. Jules Jurgensen, notre aimable et généreux correspondant du Locle; 2° un Glossaire du patois de Montbéliard, que vient de produire et de nous envoyer M. Ch. Contejean, également distingué comme naturaliste et comme philologue, travail du plus haut intérêt pour notre province, ainsi que le fait re- marquer en fort bons termes un émule de M. Contejean, notre confrère M. Paillot. Des remerciements seront adressés à MM. Jurgensen et Contejean. = NVir ee M. le président présente le projet de budget pour 1877, élaboré par le conseil d'administration. La Société ayant ap- prouvé ce document, il est décidé que les recettes et les dépenses de l’anj prochain s’effectueront de la manière sui- vante : RECETTES PRÉSUMÉES. 1° Encaisse prévu au 31 décembre 1876......... 100 f. 20 Subvention de l'Etat ..................:... 400 s à — du:département, .44.4129, 54044 500 4° - désiievilielte, Li Die ie Tiny 600 o° Cotisations des membres résidants.....,..... 2.500 6° — — correspondants. ..... 1.200 T° Droit de diplôme et recettes accidentelles...... 50 8° Intérêts du capital en caisse et des rentes sur IA EAP TEA CE AIDE RPRE LOIRE SERIE ETES PES LA EE STEP LETTRE 300 TOILE ere 5.700 f. DÉPENSES. ARE OR IOMS à Duo ae ne en eue UN VAE 3.600 f. RUE Te ia à de ne ee 0 ee De CE 100 3° Frais de bureau, chauffage et éclairage... .... 225 4° Frais divers et séance publique..... ........ 500 5° Traitement et indemnité pour recouvrements à l'agent de la Société. ..........:.....,.. AR 6° Crédit pour recherches scientifiques. ......... 900 TORRES TÉSHEN O0. Lu een ie oran à 500 Total des dépenses............. 5.700 f. M, le président fait observer ensuite que le crédit affecté aux impressions dans le budget de 1876 se trouve dépassé par le prix de revient du volume qui est en distribution. Gette élévation de la dépense s'explique par l'introduction dans le ne 01 0 ne volume de deux planches coloriées, comme aussi par l'addition d'une table générale des matières de toute la collection de nos Mémoires. Il faudrait, pour la régularité des opérations, que la Société autorisät le conseil d'administration à faire masse des portions de crédit non employées.et à prélever là-dessus de quoi payer les dépenses non encore soldées de l'exercice courant. | Cette autorisation est accordée. Délibérant ensuite sur la question de la fête annuelle, la Société en fixe La date au jeudi 14 décembre; puis elle donne plein pouvoir au conseil d'administration pour orga- niser, conformément aux usages, la séance publique et le diner. A ce propos, le secrétaire fait connaître que deux sociétés voisines et amies se proposent de déléguer chacun un lecteur à notre séance publique. M. Tuefferd lirait, au nom de la Société d'Emulation de Montbéliard, une étude sur Renaud de Bourgogne et les franchises municipales de Montbéliard; nous entendrions en outre un travail de M. Jules Finot, de la Société d'agriculture, sciences et arts de Vesoul, intitulé : la Saône considérée comme frontière naturelle. Trois autres mor- ceaux seraient fournis par M. le président Marquiset, M. Pin- gaud et M. Edouard Besson. L'ordre du jour appelle un rapport de M. Paillot sur un mémoire inlilulé : Du mode d'accroissement de la sexualité dans les plantes. Le rapporteur décline toute compétence pour apprécier l'intérêt que peuvent avoir les théories de physio- logie végétale constamment reproduites par l’auteur : aussi propose-t-il de confier l'examen de ce nouveau mémoiré à M, Moquin-Tandon. Cette proposition est adoptée. M. Gauthier entretient la Société des résultats archéolo- giques de fouilles faites an mont Vaudois, près d'Héricourt, et au mont Bart, près de Montbéliard, pour l'établissement de forts sur ces deux hauteurs. Par une communication an- REVUE — térieure de M. le commandant Bial (1), nous savions déjà que des retranchements d'une haute antiquité avaient couronné l'un et l'autre de ces sommets, et qu'au mont Vaudois les abords de l'ancieñh rempart étaient abondamment semés de tumulus. À son tour, M. Gauthier nous apprend que les re- tranchements du mont Vaudois renfermaient des sépultures où les cadavres, logés dans des sortes de caisses faites avec des laves, ont été assis, le menton appuyé sur les genoux, le poing droit serrant une hache en pierre polie et soutenant la tempe du défunt : derrière chaque personnage était une urne en terre cuite des plus grossières. Parmi les ustensiles en pierre et en os rencontrés dans ce milieu, il convient de re- marquer une lampe fabriquée avec un os de rotule et pourvue d'un trou qui permettait de la suspendre. Au mont Bart, il y a mélange d'armes de pierre et de fers de flèches en bronze. M. Gauthier croit pouvoir assurer qu'une bonne partie de ces objets sera offerte par le génie militaire au musée de Besancon. En attendant, il a dessiné les plus remarquables pièces et se propose d'en composer, à l'intention de nos Mé- moires, quelques planches qui accompagneraient une notice sur les deux forteresses préhistoriques. La Société, vivement intéressée par l'exposé de M. Gaw thier, vote de confiance l'impression du travail qui résumera cette communication. M. Gauthier ayant dit quelques mots, en manière de corol- laire, sur la grotte de Cravanches, dans le flanc du mont Salbert, laquelle est incontestablement une nécropole des temps préhistoriques, M. le Recteur, qui en a fait la visite, dit avoir remarqué les traces d'un travail de main d'homme pour l’exhaussement du plafond de ce logis funéraire : en effet, il n’y a pas concordance de volume entre les stalagmites du sol et les stalactites de la voûte, celles-ci s'étant reformées après la destruction de plus anciennes dont les débris gisent (1) Séances des 18 avril et 9 mai 1874. Tati Nix sur le sol. Un fait aussi très frappant, c’est la découverte, sous les os des squelettes, de tapis en joncs nattés. M. Castan clot la série des communications par le rapport suivant sur la récente découverte, entre* Besançon et Saint- Ferjeux, d’un tombeau des premiers temps de l'occupation de la Séquanie par les Burgondes : « Dans les fouilles qui se font pour la construction d'un ca- sernement d'artillerie, entre Besançon et Saint-Ferjeux, d’une part, entre la route de Paris et le sentier dit le Chemin des Saints, d'autre part, on a trouvé, sous un mètre de terre, un cercueil en pierre tendre, avec couvercle plat au dehors, taillé en biseau à l'intérieur, et maintenu par quatre crampons en fer scellés au plomb. Üne sorte d'enceinte, bâtie en pierres sèches et de forme à peu près circulaire, avait environné cette sépulture. » Le bon état des scellements attestant que ce tombeau n'avait pas été violé, on était assuré d'en trouver le contenu intact, ce qui pouvait faire espérer d'intéressantes révéla- tions. MM. les officiers supérieurs de la direction du génie militaire ont eu la charitable pensée d'associer les archéolo- gues de notre ville aux émotions de l'ouverture du mysté- rieux sépulcre. » Dès l'enlèvement du couvercle, il y eut une déception pour l'assistance : le scellement n'avait eu d'autre but que celui de maintenir à la surface du tombeau un couvercle taillé trop court et qui, sans cet expédient, aurait fini par descendre sur le cadavre. Cette circonstance faisait présumer déjà une sépulture organisée à la hâte et dans des circonstances calamiteuses, par conséquent ne devant pas être très-richement meublée. En effet, le squelette couché dans cette tombe, celui d'une femme d'un certain âge, avait les deux jambes rejetées à droite contre l’une des parois du sarcophage, le bras droit parallèle au corps, mais le bras gauche s'appuyant sur le bassin, dispositions indiquant que le corps n'avait pas été en- veloppé dans un linceul. ; | d —"#% — » Cette première constatation faite, on dégagea avec pré- caution les ossements de la petite couche de terre qui s'était déposée au fond du sarcophage, et l’on saisit ainsi, pièce par pièce, les objets de la parure de la défunte qui avaient pu se conserver. Sous la tête on trouva une grande épingle en os et deux pelites, qui avaient servi à retenir la chevelure. Autour du cou et des poignets, on recueillit des chapelets de petits tubes en matière vitrifiée bleuâtre, analogues aux canons de Jais dont les femmes bordent aujourd'hui leurs vêtements : quelques vestiges de fils d'or étaient mêlés à ces menus orne- ments. Sur la poitrine existaient deux objets dignes de re- marque : un fort anneau de verre blanc à verge torse et à surface polie à l’endroit du chaton, trop étroitement percé pour qu’un doigt ait pu y être introduit, ce qui porterait à croire qu’il faisait fonction de coulant ; secondement un assez gros morceau d'ambre, taillé en forme de poire aplatie dans le sens de la longueur, et rappelant la forme des hachettes en pierre polie. Parmi les os du bassin, on à trouvé une lamelle d'argent extrêmement mince, ayant servi à décorer une ceinture. : » Aucune monnaie ne s'étant rencontrée ni dans la bouche, ni dans les mains de la défunte, on ne saurait considérer celle-ci comme ayant appartenu à la société et à la religion de l’époque romaine. D'autre part, les joyaux en verroterie caractérisent habituellement les ‘sépultures des Barbares qui ont envahi la Gaule en y détruisant la civilisation romaine. Et comme le sarcophage qui nous occupe est rectangulaire, et nou rétréci vers les pieds; comme il paraît avoir été une épave que l'on a utilisée dans un moment de presse, en la complétant par un couvercle fait à la hâte, tout porte à croire que notre sépulture date des premiers moments de la conquête de la Séquanie par les Burgondes, c’est-à-dire de la première moitié du cinquième siècle. » En un mot, la défunte qui vient d'être exhumée nous parait être la femme d’un chef militaire des Prussiens du cin- y = quième siècle, précipitamment descendue dans un sarcophage emprunté aux Gallo-Romains de la Séquanie. » Sur la demande de M. le sénateur maire de la ville, qui assistait à l'exhumation, M. le colonel directeur du génie a bien voulu faire don du contenant et du contenu de la sépul- ture aux collections municipales. » Sont présentés pour faire partie de la Société : Par MM. Amberger et Faivre, M. Justin Blanc, négo- ciant ; Par MM. Delacroix (Alphonse) et Faivre, M. Emile Boudot, négociant ; ! Par MM. Vaissier et de Prinsac, M. Francis Cheviet, pro- priétaire ; Par MM. Bouttey et Bertin, M. Albert Fernier, négociant ; Par MM. Marquiset, Baïlly et Castan, M. Albert Girardot, docteur en médecine; Par MM. Besson (Edouard) et Castan, M. Alexandre Gros- jean, avocat ;' Par MM. Bouttey et Bertin, M. Albert Hézard, négo- ciant ; Par MM. Huart et Castan, M. Victor Le Grix, substitut du procureur général ; Par MM. Louvot (notaire) et Klein, M. l'abbé Fernand Louvot, professeur d'histoire au collége Saint-François- Xavier ; Par MM. Grand (Charles), Saillard (Albin) et Besson (Edouard), M. Olivier Ordinaire, publiciste ; Par MM. Saillard (Albin) et Faivre, M. Armand Lebault, docteur en médecine, à Saint-Vit (Doubs). Après un vole favorable de la compagnie, sur les candida- tures posées dans la dernière séance, M. le président pro- clame : Membre résidant, M, Coste (Léandre), fabricant d’horlogerie; Membres correspondants, MM. BourcxerieTTE (Célestin), élève de l'Ecole centrale des arts et manufactures, à Paris … Méau (Adolphe), pharmacien de première classe, à Villefranche {Rhône). Le Président. Le Secrétaire, Léon MaArQUISET. A. CASTAN. Séance du 13 décembre 1876. PRÉSIDENCE DE M. MARQUISET. Sont présents : Bureau : M. Marquiset, président; M. le RECTEUR DE L'ACa- DÉMIE, membre honoraire; M. Jurgensen, délégué de la So- ciété d'histoire de Neuchâtel; M. Bailly, délégué de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône; MM. Sail- lard, premier vice-président; Xlein, trésorier; Faivre, vice- secrétaire; Gauthier, archiviste; de Prinsac, trésorier-adjoint; Castan, secrétaire. MEMBRES RÉSiDANTS : MM. Amberger, Arnal (Alexis), Bar- bier, Bertin, Bial, Bougeot, Bourcherielte, Bouttey, Boysson d'Ecole, Canel, Chapoy, Cuillier, Daubian-Delisle, Debauchey, Demongeot, Ducal, de Gassowski, Girod (Victor), Grand (Charles), Grosjean (Francis), Guenot, Haldy, Jégo, Lacoste, Ledoux, Lehrs, Lesbros, Louvot (notaire), Marion (Charles), Monnot, Moquin-Tandon, Nargaud, Paillot, Pétey, Petitcuenot, Pingaud, Potier, Renaud (François), Reynaud-Ducreux, Ri- chard, Savourey, Sire, Vaissier ; MEMBRE GORRESPONDANT : M. Thuriel. Le procès-verval de la séauce du 11 novembre ayant été lu et adopté, le secrétaire donne lecture des réponses faites par — EIN — les personnes invitées à la séance publique et au banquet. Des excuses, basées sur des raisons d'ordre majeur, ont été très- gracieusement exprimées par MM. le Général commandant le 7° corps d'armée, le Sénateur maire de la ville, le Procu- reur général et l'Inspecteur d'Académie. La Société peut compter en revanche sur la présence de M£' l’Archevêque de Besançon et sur celle de MM. le Premier président, le Préfet et le Recteur. On nous annonce de plus des délégués de Neuchâtel, de Belfort, de Montbéliard, de Vesoul et de Poligny. L'un de nos plus vaillants collaborateurs, M. Quiquerez, empêché par son âge et ses occupations de venir fraterniser avec nous, se fait représenter par une Carte archéologique du canton de Berne, qu'il a exécutée de concert avec MM. le ba- ron de Bonstetten et le docteur Uhlmann, ouvrage dort il a recu quatre exemplaires pour sa collaboration. La Société ne peut qu'être vivement touchée de ce nouveau gage d’une estime qni lui est précieuse : aussi se fait-elle un devoir d'adresser à M. Quiquerez des félicitations au sujet de l'intéressant travail qu'il vient d'accomplir, comme aussi des remerciements pour la généreuse communication qu'il nous en a faite. En nous envoyant le dernier recueil publié de ses travaux, la Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron nous ex- prime le désir de compter parmi les associations qui corres- pondent avec la nôtre. Cette requête est favorablement accueillie. M. Thuriet donne lecture de la préface d'un travail qu'il prépare sur cette question : Quelle est en Franche-Comté la ligne de séparation des patois de langue d'oil avec ceux de la langue d’oc? Ce curieux problème avait déjà préoccupé M. l'abbé Dartois, et son travail sur les patois de Franche- Comté contient un tracé approximatif de la frontière dont il s’agit. Pour arriver à une délimitation plus rigoureuse, M. Thuriet fait traduire un même texte en patois de chacun — LIV — des villages de la zone présumée frontière : une fois cette en- quête terminée, il lui sera aisé de voir quels dialectes virent dans le sens d'oi/ et quels sont ceux qui virent dans le sens d'oc. M. le président, interprète des sentiments de l'assistance, engage M. Thuriet à poursuivre cette intéressante étude : il saisit d’ailleurs cette occasion de complimenter l'honorable correspondant sur l’utile emploi qu'il sait faire de ses loisirs. M. Moquin-Tandon, prié d'examiner un mémoire de bota- nique soumis à la Société, conclut, ainsi que l'avait déjà fait M. Paillot, en reconnaissant dans ce travail un effort esti- mable de chercheur isolé, mais n'apportant aucune révélation utile à la science. La Société adopte cette conclusion et passe à l’ordre du jour. Ont été présentés pour entrer dans la Société : Comme membre résidant, Par MM. Paillot et Amberger, M. Ansberque, vétérinaire en retraite; Comme membres correspondants, Par MM. Marquiset et Gauthier, M. Ernest André, notaire, à Gray; Par MM. Paillot et Amberger, M. l'abbé Deroze, curé e Champvans-lez-Gray ; Par MM. Gauthier et Lacoste, M. Octave Pierson, institu- teur à Cussey-sur-Lison. Les candidats proposés dans la dernière séance ayant été l'objet d'un vote d'acceptation, M. le président proclame : Membres résidants, MM. Bzaxc (Justin), négociant; Boupor (Emile), négociant; Cnevier (François), propriétaire ; FEerNier (Albert), négociant ; GrraRpoT (Albert), docteur en médecine ; — LV — MM. GRosJEAN (Alexandre), avocat ; Hézarp (Albert), négociant ; LE Gris (Victor), substitut du procureur général ; Louvor (l'abbé Fernand), professeur d'histoire au col- lége Saint-Francois-Xavier ; ORDINAIRE (Olivier), publiciste; Membre correspondant, M. LeBauLT (Armand), docteur en médecine, à Saint-Vit (Doubs). La Société procède ensuite au renouvellement de son con- seil d'administration pour l’année 1877. Un scrutin secret s'étant ouvert et 43 votants y ayant pris part, le dépouillement de l’urne donne les résultats suivants : Pour le président, M. Saillard, 43 voix ; Pour le premier vice-président, M. Marquiset, 43 voix; Pour le deuxième vice-président, M. Sire, 43 voix; Pour le vice-secrétaire, M. Faivre 43 voix; Pour le trésorier, M. Klein, 42 voix; M. Faivre, 1 voix; Pour le trésorier-adjoint, M. de Prinsac, 43 voix; Pour l’archiviste, M. Gauthier, 42 voix ; M. Besson, 1! voix. En conséquence, M. le président déclare le conseil d'admi- nistration de 1877 ainsi composé : PrésilenE ane ATOS CE M. SarzcarD (Albin); Premier vice-président. ........ M. MarQUISET (Léon); Deutième vice-prusident........ M. SRE (Georges); Secrétatre-décennali. 4%. sn. M. Casran (Auguste); Vice-secrétaire et contrôleur des DÉBUT a te der elets 4 0 M. Farvre (Adolphe); PPS IER AA AE PRE, LE M. Kzein (Auguste): — LVI — Trésorier-adjoint............. M. le baron pe Prinsac; ATARI... esse eee M. Gauruier (Jules). Le Président, Le Secrétaire, Léon MarQuiser. A. CASTAN. Séance publique du 14 décembre 1876. PRÉSIDENCE DE M. MARQUISET. me Sont présents : Bureau : MM. Marquiset, président; Saïllard, premier vice- président ; Klein, trésorier; Faivre, vice-secrétaire: Gauthier, archiviste; de Prinsac, trésorier-adjoint; Castan, secrétaire ; MEMBRES HONORAIRES : M. LE PREMIER PRÉSIDENT DE LA Cour D'APPEL ; SA GRANDEUR Mf' L'ARCHEVÈQUE DE BESANCON: M. Le PRÉrFET pu Dougs; M. LE RECTEUR DE L'ACADÉMIE; DÉLÉGUÉS DES SOCIÉTÉS SsavANTES : MM. Jules Jurgensen, de la Société d'histoire et d'archéologie de Neuchâtel; Mau- rice de Tribolet, de Xa Société des sciences naturelles de Neu- châtel; Parisot, le docteur Bernard et l'avocat Le Bleu, de la Société d’Emulation de Belfort; Favre, Charles Goguel et l'architecte Fallot fils, de la Société d'Emulation de Monthé- liard; Reboul de Neyrol, Bailly et Galmiche, de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône; Charles Baïlle et Cournut, de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny; MEMBRES RÉSsIDANTS : MM. Amberger, Auscher, Barbier. Bertrand, Besson (avoué), Besson (Edouard), Biai, Boudot, Bougeot, Cuillier, Daubian-Delisle, Debauchey, Delavelle, Ducat, Grand (Charles), Haldy, Ledoux, Lehrs, Monnot, Nargaud, Pin- gaud, Renaud (François), Ripps, de Sainte-Agathe, Vaissier, Tivier ; ; MEMBRES CORRESPONDANTS : MM. l'abbé Chatelet, Gauthier LE — VII — (de Luxeuil), Grenier (Edouard), Mignard, Mourot, Thuriet et Vaillandet. ï La séance s'ouvre à deux heures un quart, dans la grande salle de l’hôtel de ville, devant un auditoire exceptionnelle- ment nombreux. | Les lectures ont lieu dans l’ordre suivant : La Société d'Emulation du Doubs en 1876, par M. Marquiset, président annuel; | Renaud de Bourgogne et les franchises municipales de Mont- béliard, par M. Edouard Tuefferd, secrétaire général de la So- ciété d'Emulation de Monthéliard, morceau lu par M. Favre, président de cette compagnie ; Le prince de Vaudémont, défenseur de Besançon en 1674, par M. Léonce Pingaud, membre résidant; | Jacques de Molay, dernier grand-maître des Templiers, par M. Edouard Besson, membre résidant; Quel serait le véritable nom de la place Labourey, à Besançon? par M. Augusie Castan, secrétaire décennal. La séance est levée à quatre heures moins un quart. Le Président, Le Secrétaire, Léon MARQUISET. A. CASTAN. —Dyill BANQUET DE 1876. Deux heures après l'achèvement de la séance publique, une seconde réunion avait lieu dans le grand salon du Palais Granvelle, décoré comme il l’est toujours en cette aimable circonstance. M. Francois Lépagney, horticulteur doublé d'un artiste, avait groupé sur la table les plus élégantes va- riétés de ses belles plantes. M. Baud, notre décorateur ordi- naire, avait fourni ses élégants candélabres et ses coupes en porcelaine de Chine. Sur les deux cheminées du salon, on voyait les bustes de Jean-Jacques Chifflet, l'historien de Be- sançou, et de l’illustre Georges Cuvier, de Montbéliard. La carte du menu avait pour fleuron le dessin d'une petite ins- cription gravée sur bronze, eæ-voto déposé au temple de Jupiter des Alpes-Pennines par le messager de la colonie romaine de Vesontio. Le nombre des convives était de cent treize. M. MarQuiser, président annuel, avait à sa droite M£' Pau- LINIER, archevèque de Besançon, et à sa gauche M. le premier président Lorseau. En face était M. le docteur SAILLARD, assis entre M. Paul CauBon, préfet du Doubs, et M. Lassasous, rec- teur de l’Académie. Venaient ensuite : M. l'abbé ANGLADE, vicaire général, MM. Jules JurGENSEN et Maurice DE Ti- BOLET , délégués des sociétés savantes de Neuchâtel; M. Pa- Risor, maire de Belfort et président honoraire de la Société d'Emulation de cette ville; MM. le docteur BEerNanp et l'a- vocat Le BLeu, délégués de la même compagnie; M. F4- VRE, président de la Société d'Emulation de Montbéliard ; MM. Charles Goquez et l'architecte FazLor fils, délégués de la même association; MM. Resouz pe NEyroL, président, Barzzy, vice-président, Roger GaLuicHE, président honoraire de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône; ae.) os MM. Charles BalLee, président honoraire, CoURNUT et SALINS, délégués de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poli- gny; MM. Alphonse Decacroix, Boysson D'Ecoze, Charles GranD, VÉzIAN, Ducar, SiRE et Victor GiRop, anciens prési- dents de la Société d'Emulation du Doubs; M. Reynaup- Ducreux, membre fondateur; M. MarrorT, président du tribu- nal de commerce; M. Louis DE SAINTE - AGATHE, président du conseil d'administration des forges de Franche-Comté; M. HuarrT, avocat général, M. Le Grix, substitut du procu- reur général; M. Bouvarp, bâlonnier de l’ordre des avocats; MM. les commandants Braz et Arthur Prcarp ; M. CourTEenor, médecin en chef des hospices; M. Daugran-DeisLe, directeur des contributions directes ; MM. Sarr-Lour et Moquix-TaN- DON, professeurs à la Faculté des sciences; MM. le baron Henry, MiGnarp (de Dijon), Charles Taurier et Edouard Besson, littérateurs; MM. Léon Bargrer et Amédée ARNAL, membres des conseils d'arrondissement de Baume-les-Dames et de Besancon; MM. CRrETIN, professeur de mathématiques spéciales, et Brzos, professeur de rhétorique au Lycée de Be- sancon; M. BouTTey, juge au tribunal de commerce; M. l’avo- cat CouLox, docteur en droit; M. Bruzarp, greffier du tribu- nal civil; M. PaïzLorT, naturaliste; MM. BERTIN et GUILLIN, membres du conseil municipal de Besancon; M. pe Gas- sowskt, artiste-peintre; MM. les docteurs Rover (d'Ar- bois) et GauTaIER (de Luxeuil), etc. MM. le baron pe Prixsac et Paul Rreps avaient bien voulu se charger des fonctions de commissaires de la fête. De nombreux toats ont été portés durant la période du des- sert. Ceux de M. le Préfet du Doubs, de M. le Recteur de l'Académie (1!) et de Mr l’Archevèque rivalisaient de finesse d'esprit et de libéralisme du meilleur aloi. M£' Paulinier a été (1) La spirituelle improvisation de M. Lissajous, recteur de l’Aca- démie, se terminait par un toast à M. le ministre de l’Instruction pu- blique, protecteur des sociétés savantes de la République française. — [X — particulièrement acclamé. Nous publions ci-après la presque totalité de ces discours : on pourre ainsi apprécier la physio-. nomie morale de la fête et conclure avec nous que de pareilles réunions sont éminemment favorables au progrès des mœurs publiques, puisqu'elles servent à démontrer que, dans la poursuite d'un idéal honnête, il n'est pas besoin pour s’en tendre de parler tous absolument le même langage. 0 Toast de M. Eéon MARQUISET, président annuel. L'an dernier, à pareille époque, Messieurs les membres de la Société d'Emulation du Doubs, je vous adressais mes vœux de bonne année et je vous remerciais de l’insigne honneur que vous m’aviez fait en me nommant votre président. Je re- mets aujourd'hui mes fonctions entre les mains d'un collègue et d’un ami, dont la science éprouvée saura, mieux que ma bonne volonté seule, vous diriger vers les travaux de l'esprit. Mais, qu'il me permette de le lui dire, il ne trouvera ni à raviver votre zèle refroidi, ni à soutenir vos principes aban- donnés, parce que chez vous les honneurs ne sont point des charges. 11 arrive avec la ferme intention d’être tout au tra vail; je puis lui affirmer qu’il sera tout à la joie. L'année de présidence que l'on passe au milieu de vous, Messieurs les menibres de la Société d'Emulation du Doubs, passe trop vite, comme toutes les bonnes journées de la vie. Et pourquoi ne me laisserais-je pas entraîner à manifester hautement notre joie, à la fin de cette fête qui nous offre tant de motifs de légitime satisfaction ? Je vous ai dit tout à l'heure que je m'étais efforcé de pro- clamer partout les principes de véritable liberté qui vous ani- ment. J'ose, ce soir, me flatter de voir qu ils rencontrent par- tout un chaleureux accueil. Oui, votre haute réputation ne s'est point amoindrie cette année : je n'en veux pour preuve que la présence à ce banquet des hôles éminents qui ont si gracieusement répondu à votre appel. En votre nom, Messieurs — AXE — les membres de la Société d’'Emulation du Doubs, je les re-. meércie de cet empressement; en votre nom, je leur dis com- bien nous est chère cette sympathie qui favorise si publique- ment nos travaux; en volre nom je porte un toast aux premiers fonctionnaires de la province. J'aurais voulu féliciter le Général commandant le 7° corps d'armée du renouvellement de ses pouvoirs. Son patriotisme élevé lui a valu dans notre réorganisation militaire une des plus lourdes tâches, parce qu'il sait que, dans notre pays, quand tout est perdu c’est fors l'honneur, et que l'honneur suffit à la France pour retrouver le chemin de la gloire; j'au- raïs voulu remercier le Sénateur maire de la ville de l'appui généreux et empressé que nous recevous de la:municipalité ; j'aurais voulu aussi souhaiter la bienvenue au chef distingué du parquet de la Cour d'appel. Les devoirs de leurs hautes fonctions les retiennent ce soir éloignés de nous. Mais j'ai la bonne fortune de pouvoir remercier de leur présence ceux de nos membres d'honneur qui sont pour nous de vieilles con- naissances : M. le Premier président, qui vient fidèlement chaque année nous assurer de son inaltérable attachement; M. le Recteur, qui est des nôtres en assistant souvent à nos séances particulières et en nous assurant ainsi de son dévoû- ment à toutes les sages réformes. Je dois un toast tout spécial aux deux nouveaux veuus de nos hôtes : au Prélat affable qui veut bien, en acceptant notre invitation, nous affirmer qu'il est de son temps et que là où battent des cœurs pour la science et le véritable progrès, il est avec eux; au Préfet du départe- ment, auquel ses idées nettement libérales ont valu de suite en notre ville de Besancon le droit de cité. Je ne puis m'empêcher d'empiéter un peu sur les droits de mon collègue, M. Sire; je suis même disposé à faire à son égard acte d'autorité en mon dernier jour de présidence, pour avoir le droit de m'adresser aux délégués des sociétés savantes. A vous tous, Messieurs, j'adresse un cordial salut de bon accueil; à vous particulièrement, Messieurs les délégués des RAT — sociétés helvétiques : depuis des siècles, nos deux pays sont unis par les liens de la plus franche amitié; ils le seront da- vantage encore lorsque les puissants moyens de civilisation des temps modernes auront, avec le Jura-Berne et le Be- sancon-Morteau-Locle, rapproché tellement nos villes, que nous pourrons bien alors et à juste titre vous appeler nos bons voisins de Suisse. Ah! je ne crains pas de le redire, je suis heureux d'être l'interprète de la Société d’Emulation du Doubs auprès de ses membres d'honneur, parce que je puis constater le rang qu'elle occupe dans la considération publique, et que, pour moi, cette haute situation est plus importante encore que son renom dans le monde savant. L'année dernière, je formulais un vœu quand je vous disais mon espérance de voir la partie sociale de votre œuvre porter ses fruits. Laissez-moi croire que ce soir j'en vois la réalisa tion. Vous avez réuni sur le libre terrain de la science les hommes de tous les partis. C’est là votre but : je le proclamais hautement à Montbéliard et à Lons-le-Saunier. Cette pensée est la meilleure inspiratrice de vos travaux; elle est la sauve- garde de votre existence, le gage de votre prospérité. Oui, vous voulez que toutes les forces vives du pays se concentrent dans cette vue; vous voulez qu'aucune cause extérieure ne vienne vous distraire de la grande cause du progrès; en un mot, vous avez laissé à la porte de cette salle votre drapeau politique, et vous avez bien fait, car vous retrouvez ici le drapeau de la France. Celui-là, soyez-en sûrs, dans les plis de ses trois couleurs il contient l’emblême de vos sentiments, parce qu'il veut dire : fervent amour de la patrie, loyauté dans les intentions et tolérance de toutes les opinions qui, pour rechercher par dessus tout le vrai, le beau et le bien, veulent avant tout la liberté ! PAU Toast de M. Paul GamBoN, préfet du Doubs. « MESSIEURS, » J'éprouve quelque embarras à prendre la parole après le discours éloquent que vous venez d'entendre, mais je ne puis résister au désir de remercier votre honorable président de ses paroles bienveillantes et de lui exprimer ma reconnaisance de m'avoir convié à cette fête. » Je suis d'autant plus charmé d'être des vôtres, Messieurs, que votre institution me semble répondre d'une facon parti- culière à l’une des nécessités les plus pressantes de notre temps. Vous n'avez d'autre but que la recherche désintéressée de la vérité, vous réunissez vos efforts pour éclairer les points obscurs de notre histoire, pour résoudre les problèmes scien- tifiques les plus difficiles; vos travaux sont considérables, vos publications importantes; vous faites exécuter des fouilles et vous élevez des monuments; vous faites comme les grands seigneurs d'autrefois qui pensionnaient les gens de lettres et les savants. Les grands seigneurs ont disparu et nous consti- tuons aujourd’hui uné démocratie ; mais il ne faut pas croire qu'une démocratie puisse impunément se désintéresser des choses de l’esprit. Elle doit, sous peine de se dégrader, hono- rer les supériorités, susciter les talents, constituer au milieu d'elle-même une aristoratie de l'intelligence. C’est ce que vous cherchez à faire, Messieurs, et dans notre Franche- Comté, vous êtes les nobles représentants de ces idées. Ainsi vivaient les républiques anciennes : leurs citoyens ne dédai- gnaient ni la poésie, ni la philosophie, ni l’art; et si Platon, dans un accès de mauvaise humeur, voulait baunir les gens de lettres de sa république, il eût été bien fâché de se voir pris au mot, car une république ne peut-pas se passer de gens d'esprit. » Aujourd'hui nous vivons dans des temps plus difficiles : les intérêts sont plus grands, les affaires plus compliquées, les AN T— existences plus mobiles, les luttes plus ardentes ; jamais nous n'avons eu plus besoin d'être prémunis contre l'erreur et jamais nous n'avons eu si peu le temps de penser. Des so- ciétés comme la vôtre nous donnent le moyen de nous dégager un peu de cette obscure mêlée; en sortant de vos séances, on se sent plus frais et plus dispos, plus éloigné que jamais de ce qui est déshonnèête et de ce qui est vulgaire. » Aussi, Messieurs, en voyant une fête pareille, avons-nous le droit de nous enorgueillir et de nous rassurer sur l’avenir de notre pays. Nous avons affronté de terribles orages et, grâce à la protection divine, nous n'avons pas péri. Notre sort est entre nos maius ; il dépend de nous de prouver au monde que nous sommes dignes de nous gouverner nous- mêmes et mûrs pour la liberté. » Gardons au cœur le sentiment des grandes choses, le culte des nobles travaux ; soyons sages, soyons surtout hon- nêtes ; c'est le meilleur moyen de se türer d'affaire. Méditez l'exemple offert par le chef de l'Etat: il sait traverser les crises les plus délicates, et tranquillement, simplement, il résout toutes les difficultés par la seule force de sa loyauté, par la pratique honnête des institutions dont la garde lui est confiée. Permettez-moi donc de vous proposer la santé de M. le maréchal de Mac-Mahon, président de la République française. » Toast de M. Georges SIRE, vice-président élu pour 1877. « MEssiEurs LES DÉLÉGUÉS DES SOCIÉTÉS SAVANTES, » On a dit avec raison qu'il n’est bon pour l’homme, ni in- tellectuellement ni socialement, de rester seul. Avec non moins de justesse, on peut dire qu’il est dangereux pour les associations d'agir et de travailler dans l'isolement, car toute société, toute compagnie et mème toute industrie, enfermée dans un programme immuable, est condamnée à le briser ou à s'y ensevelir. Aussi les sociétés savantes ont compris l’im- HA Ni portance et les avantages d’entrer en communion d'idées, de nouer et d'établir entre elles des relations suivies, relations généralement consacrées par l'échange réciproque de leurs publications. » Mais quelques compagnies de notre province ont fait plus. Elles ont rendu ces relations plus étroites et plus in- times, en instituant des fêtes annuelles, dans lesquelles l'intel- ligence et l’appétit trouvent également plaisir et satisfaction. » Nous n'oublions pas, et nous aimons à le rappeler, que l'initiative de ces fêtes appartient à la Société d'Emulation de Montbéliard. Notre compagnie s'est empressée d'accepter les gracieuses invitations de sa sœur cadette, et plusieurs de nos délégués ont été honorés de pouvoir donner, dans ces réunions d'élite, la primeur de leurs travaux. C'était prêter à usure, puisque cette manière d'agir nous à valu la remar- quable étude du savant secrétaire général de la Société de Montbéliard, magistralement traduite par son honorable pré- sident. Et qui de nous ne se souvient des communications si poétiques, si touchantes, du sympathique délégué de nos voisins de Neuchâtel ! » Ce sont là des exemples d’une bonne et saine émulation, que notre Compagnie est d'autant plus heureuse d’avoir pro- voqués qu'ils font bien augurer de l'avenir, et qu’ils con- firment le but utilitaire de nos assises scientifiques, que je n'hésite pas à qualifier de véritables fêtes de famille : fêtes de famille dont les heureux effets sont d'autant plus efficaces et assurés, que les membres participants sont plus nombreux, que leurs aspirations sont cimentées par un accord plus una- nime. La présence des plus hauts dignitaires de notre province, votre concours empressé, Messieurs les délégués, l'entrain de cette assemblée, prouvent que la solennité de ce jour a la bonne fortune de jouir de ces précieuses qualités. » Vous donc, Messieurs, que l'éloignement et l’inclémence de la saison n'ont pas empêché de répondre à notre appel, qui avezsi largement contribué à l'éclat de notre fête, recevez e an (0.0 0 OR nos remerciments et nos félicitations. Veuillez transmettre à vos sociétés respectives les sentiments de sincère confraternité dont nous sommes animés envers elles; veuillez aussi per- sonnellement tenir pour agréables les témoignages d'estime et de vive sympathie que je suis heureux de vous offrir au nom de la Société d'Emulation du Doubs. » Pour sanctionner mes paroles, je vous propose, Messieurs, premièrement de boire à la prospérité toujours croissante des sociétés savantes si brillamment représentées parmi nous, et en second lieu de boire à la santé de leurs honorables dé- légués. » Toast de M. Jules JURGENSEN , délégué de la Sociéle d'histoire de Neuchätel, « MESSIEURS ET CHERS COLLÈGUES, » De nos jours, en France surtout, par le jeu combiné d'une double tendance lentement régularisée, on spécialise les études et les professions, en même temps qu'on centralise l’ad- ministration industrielle, le gouvernement de l'Etat, la direc- tion du mouvement social. » Tous, du plus au moins, une fois casés dans l’une des cellules du système général, nous nous sentons comme en- traiînés par le rouage de la carrière choisie et, dès lors, soumis à sa marche inexorable. Il semble que la hauteur d'expression à laquelle est parvenue l'intelligence humaine exige au début seulement, de la part des auxiliaires nouveaux, des aptitudes et des acquisitions variées. Plus tard, la connaissance très- approfondie d'un travail ou d'une étude à laquelle on s’ap- plique définitivement devient absorbante. » Nous ne saurions réagir utilement contre un fait que l'organisation présente de la société rend nécessaire. Il serait oïseux de rechercher si ce fait constitue un bien ou un mal — etdans quelle mesure il est un bien ou un mal— puisqu'il s'impose, bon gré malgré ! AN » Mais, après l'avoir constaté, reconnaissons combien il serait regrettable que le spécialiste, s’isolant dans ses préoccu- pations ou se renfermant dans le cercle relativement étroit de son activité, finit par devenir étranger aux choses qui ne ressortent pas de sa culture immédiate, aux hommes que les devoirs sociaux ou professionnels séparent de lui. » Une compagnie semblable à la vôtre, à la nôtre, Mes- sieurs, est bien propre à parer aux inconvénients créés par les nécessités actuelles : groupant en un faisceau solide des éléments variés, elle démontre qu’en toutes occurences le fécond principe de l'association conduit à de sérieux résultats. » Elle ne convie pas ses adeptes à des joutes de rivalité; elle leur propose les joies fortifiantes de l’émulation. » Plus et mieux encore, elle offre un champ d'action nou- veau dans lequel il nous est loisible de cultiver un arbre, une fleur, en dehors dü jardin banal où nous bêchons toute l’année pour préparer la récolte en ce qui nous concerne. » Préparer, disons-nous, car il est mélancolique, mais vrai, que rarement nous voyons l’épanouissement de nos œuvres. Souvent aussi le vulgaire ne remonte pas de l’effet à la cause. Il attribue le succès à qui le cueiïlle, sans songer à qui l’a rendu possible. » Je me suis souvenu d’un long, glorieux et laborieux passé lorsqu’après des malheurs dont nous souffrons encore, j'ai vu la noble France se relever meurtrie, mais moralement forte, et puiser dans les ressources accumulées les éléments divers qui l'ont mise à même de reprendre sa marche en avant, » À son tour, l'ère contemporaine assurera la position ac- quise, consolidera les progrès accomplis, en suscitera de nou- veaux. » Il n’est donné qu'aux individualités d'élite, aux hommes exceptionnels de marquer à la fois dans plusieurs domaines et de se multiplier à salut. Néanmoins, une place reste à prendre à côté d’eux, et ils nous encouragent par leur — ENVI — exemple. Imitons-les en ce sens qu'en dehors du travail quo- tidien et de la tâche principale, nous sachions réserver quelques heures pour nous tenir au courant de ce qui se fait de bien, de grand et de beau dans le monde, et donnons une part de notre temps à telle œuvre d'utilité publique qui nous paraît mériter nos préférences ou nous offrir quelque chance de solide réussite. — Ce faisant, nous serons bien réellement de notre époque ; l'esprit démocratique nous aura communiqué ses meilleures inspirations. Chacun ne saurait être le soleil ou la montagne. : que serait d’ailleurs le printemps sans le brin d'herbe et la chanson du ruisseau ? » On rencontre des esprits maussades qui n’admirent que les souvenirs dorés du passé ou les chimères d’un brumeux avenir. Ne vous semble-t-il pas qu'on doit être de son temps, aimer d’abord l'heure que le eiel nous donne et reconnaître jalousement les mérites de ses compagnons de route ? Qui ne se nourrit que de regrets ou d'envie ne vit pas ou vit mal. Sans contredit, les méchants conseils et les actes ténébreux paraissent devoir l'emporter parfois. A tout prendre, voyez combien est éphémère le triomphe de l'injustice ou de la fraude! — Et plus on travaillera, plus on éclairera les âmes et les cerveaux, moins puissantes seront les suggestions du faux, plus fragiles ses victoires. » Et puis, dans ce vaste chantier où tant de places restent à prendre et demeurent encore inoccupées, rougirions-nous de nous attribuer la plus modeste ? » Il est présumable qu'aux yeux de Dieu, rien de ce qui” est humain n'est grand, — mais qu'aussi, dans l’accomplisse- ment de sa volonté à notre égard, rien de ce que nous entre- prenons en vue du bien n'est petit. Je sais dans les vallons retirés de notre Jura telle existence obscure et bien remplie qui doit conquérir l'admiration des anges à défaut des ap- plaudissements de la terre. En Suisse, plus qu'ailleurs peut- être, il est de ces dévouements cachés, mais continus, que seuls inspirent la foi et l'esprit de devoir. — LXIX — » Messieurs, » Non, l'avenir n'est pas toujours traîné par des tigres. Il est, plus souvent qu'on ne pense, humblement et saintement amélioré par des cœurs doux et fiers que Dieu suseite et qu'il bénit. » Essayons donc — vous les maîtres — nous les apprentis, d'apporter notre pierre à l'édifice. » Délégué auprès de vous par une Société d'histoire, vous comprendrez que j'aie voulu, en premier lieu, rendre hommage à l'esprit de solidarité dans la patrie de saint Vincent de Paul et de Voltaire: de saint Vincent de Paul, catholique au cœur brûlant de charité, père des Enfants-Trouvés et protecteur des déshérités d'ici-bas, — de Voltaire, avocat de Calas, défen- seur du brave Lally-Tollendal, fervent soutien de la liberté de conscience. » Au nom de la Société d'histoire et d'archéologie de Neu- chätel, je bois à la Société d Emulation du Doubs ! » Toast de M. ReBouz DE NEYROL, président de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône. « MESSIEURS, » En prenant la parole comme délégué de la Société d’agri- culture, sciences et arts de la Haute-Saône, j'éprouve une douce satisfaction : celle de pouvoir vous exprimer les senti- ments de haute et profonde estime que la Société nourrit pour vos travaux, et celle de pouvoir m'associer personnellement et de tout cœur aux éloges si bien mérilés qu’on adresse à votre association. Bien que nouveau dans le pays, j'ai appris à vous connaître, d'abord par la publique renommée, ct ensuite par vos Mémoires annuels, dont je suis un lecteur assidu et à coup sûr très-intéressé. D'ailleurs votre œuvre a été parfaitement caractérisée par M. Léopold Delisle, membre de l’Institut, lorsqu'il a dit, en parlant des sociétés savantes de la province, qu'elles rendaient à la science d'éminents PLAN services, en abrégeant les tâtonnements des chercheurs, en fixant sans retard les résultats acquis et en ne laissant se perdre dans le silence ou l'obscurité ni une inspiration, ni une étincelle du génie. Mais, à mon avis, elles font plus encore : elles contribuent puissamment à décentraliser la vie intellectuelle qui n'avait de pulsations qu’à Paris. Grâce à elles et par elles, aujourd’hui la science est un peu partout et va partout se développant, non-seulement sans nuire à la science parisienne, mais en la servant très-ulilement comme ses échos et ses propagateurs. On ne pourrait donc plus répéter maintenant ce que disait autrefois un autre savant : que la science en province est un calorique latent qui ne donne ni chaleur ni lumière, et j'aime mieux croire avec un troisième que l'avenir est à la science. » Messieurs, votre force et votre honneur sont dans votre travail. En cela vous obéissez à cette grande loi sociale qui assure la considération, la prospérité et la durée aux asso- ciations et aux institutions humaines dans la mesure des travaux qu'elles produisent. C'est aussi le sentiment que par- tage la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute- Saône, et elle est bien persuadée que plus elle se rapprochera de la Société d'Emulation du Doubs, son modèle, plus elle s’élèvera à la hauteur de la tâche qu'elle s’est imposée. » Mais vous devez être, Messieurs, rassasiés de compli- ments, et cependant il faut vous résigner à en entendre aussi longtemps que vous serez ce que vous êtes. » Messieurs, j'ai l'honneur de porter un toast : » À la science : non pas à la science maniée et tourmentée ‘par l'orgueil et la témérité des hommes, mais à la science qui conduit les hommes à Dieu par la reconnaissance ; et à la Société d'Emulation du Doubs, interprète distinguée de la véritable science ! » — LXXI — Toast de M. Parisor, maire de Belfort, président honoraire de la Société belfortaine d'Emulation. « MESSIEURS, » Je viens encore une fois à votre réunion annuelle, attiré autant par le charme de vos séances que par l'accueil sympa- thique que vous réservez toujours aux délégués de la Société d'Emulation de Belfort. » Jeune encore dans l’arène du travail, notre Société à déjà, je crois, rendu quelques services à la science, et, j'aime à le dire ici, elle doit en attribuer le mérite aux associations voisines, dont les travaux considérables ont été pour elle un puissant stimulant. » C'est, en effet, de vos bons exemples, Mesieurs, que l'idée nous est venue de fonder chez nous un centre de propagation des doctrines scientifiques et d'enregistrement des faits ob- servés. Pour activer ce foyer, nous avons compté avec toute raison sur le patronage des associations de la région jurassique et de celles de l'Alsace qui, malgré tant d'adversités cruelles, ont si bien su conserver leur autonomie et maintenir leurs traditions. » Dès le lendemain de notre fondation, le hasard se char- geait d'en démontrer l'utilité, car nous nous mettions aussitôt à l'œuvre pour diriger des fouilles qui ont fourni, une fois de plus, la preuve de la haute antiquité du rôle de notre ter- ritoire comme sentinelle avancée de la défense de la Sé- quanie. » C’est avec la ferme persuasion de l'opportunité d'une entente cordiale entre les sociétés savantes si bien repré- sentées ici, que je bois à la prospérité de chacune d'elles et tout spécialement à la continuation des succès de la Société d'Emulation du Doubs! » — ARNIL — Toast de M. B. FAvRE, président de la Société d'Emulation de Montbéliard. « MESSIEURS LES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ D'EMULATION pu Douss, » Après une séance où la science et la littérature ont fait assaut d'élégance et d’ingéniosité, où l’art de bien dire a jouté avec l’art de bien penser, en présence d’une assistance où l’on compte des notabilités de tout genre, au milieu d'un luxe matériel éblouissant, il n’est peut-être pas hors de propos de porter un toast à la science et au progrès. Etrangère aux agi- tations politiques, la science, Messieurs, poursuit un but immuable et sacré, dont rien ne vient la distraire, l'éducation et le bien-être de l'humanité ; elle amène avec elle le progrès qui développe le bonheur matériel et assure en même temps le perfectionnement moral. La science dissipe Les préjugés : elle éteindra, avec le temps, les haines et les jalousies de castes et de nations, et si elle a quelques adversaires, si elle rencontre quelques obstacles, c’est qu’elle se heurte à des idées surannées et manifestement fausses, qu'on persiste souvent à maintenir en articles de foi. » Permettez-moi de boire à la science, à l'étude sérieuse, si propres à relever l'esprit public, si aptes à soutenir le patrio- tisme, et seules capables de faire de nos enfants les fils intel- ligents et dévonés de la France. Le nom de votre honorable Société est inséparable des idées de science et de progrès; cette savante compagnie est, dans notre province, comme un phare à la lumière duquel les sociétés voisines viennent se réchauffer de loin en loin. Honneur donc, honneur et longue vie à la Société d'Emulation du Doubs! » — LAN — Toast de M. CournNuT, délégué de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny. « MESSIEURS, » Les réunions de la Société d'Emulation du Doubs ont un charme si puissant, un intérêt de science si élevé, de confra- ternité si aimable, qu'on brigue avec ardeur l'honneur d'y être délégué. On est heureux de venir près de vous ap- prendre à chercher et à trouver le vrai, à admirer le beau et surtout à aimer le bien. » Les sociétés savantes, Messieurs, ont le privilége de fournir un terrain neutre sur lequel tous les partis politiques peuvent se donner rendez-vous et travailler ensemble à la prospérité de la patrie, au perfectionnement de l'humanité, sans renoncer à la plus petite de leurs convictions. Ce pri- vilége a ses avantages. Là, en effet, par un échange charmant de politesses prévenantes et cordiales, les préventions dispa- raissent peu à peu, les préjugés tombent, les nuances s’effa- cent, le cœur s'élargit, pour ainsi dire, et les derniers nuages de discorde se dissipent dans une douce et tiède atmosphère de bienveillante sympathie. Oh! c'est qu'en France, et en Franche-Comté surtout, oui, Messieurs, en Franche-Comté surtout, je ne crains pas de le dire, rien ne tue l'esprit de rivalité, rien ne rapproche les hommes cornme le patriotisme. » Au nom de :nes collègues de Poligny, je vous remercie de votre gracieux accueil; je souhaite prospérité toujours croissante à la Société d'Emulation du Doubs, et je vous propose de boire à l'union de plus en plus intime de toutes les sociétés- savantes dans le dévouement à la patrie et à la grande cause de l'humanité ! » man |) ©. h'S Toast de M. Maurice DE TRiBOLET, délégué de la Société des sciences naturelles de Neuchaätel. « MESSIEURS, » C'est aujourd'hui la première fois qu'un représentant de la Société des sciences naturelles de Neuchâtel a le plaisir d'assister à une de vos séances publiques annuelles. Et pour- tant, depuis quatorze ans que nous avons l'honneur d'être en relation d'échanges avec vous, vos invitations à la fois si. aimables et si tentatrices n'ont pas fait défaut. Je viens main tenant vous en remercier et vous exprimer toute la recon- naissance de notre Société pour l’aimable attention que vous lui témoignez chaque année, et, en particulier, pour l’accueil sympathique et cordial que vous faites aujourd'hui à son re- présentant. A cette occasion, je tiens aussi à vous exprimer toute ma gratitude pour la bienveillance avec laquelle vous avez accueilli, à deux reprises, de mes travaux. Vous m'avez donné ainsi, en les recevant dans vos Mémoires, une marque d'encouragement dont je vous resterai toujours reconnaissant. » Mais, malgré ce que je viens de dire, vous serez peut- être disposés à croire qu'il y à eu jusqu’à maintenant mauvais vouloir de notre part, et que nous ne nous sommes pas souciés de faire plus ample connaissance avec une société sœur et voisine. Cependant telles ne sont pas nos pensées du tout. Si nous avons jusqu'ici manqué au devoir de la frater- nilé envers vous, c’est que malheureusement diverses cir- constances nous y ont obligés malgré nous. Mais oubliez le passé et ne regardez plus que le présent et l'avenir; songez au vif plaisir que j'éprouve à me trouver maintenant au milieu de vous, et soutenez mes efforts pour resserrer les liens qui uniront désormais intimement, je l'espère, nos deux sociétés. » Si la distance qui sépare encore Besancon de Neuchâtel est assez sensible, elle sera considérablement diminuée dans quelques années. La ligne de Morteau nous unira directe- ET AAVE ment. Espérons aussi que nous en profiterons abondamment. » Nos domaines se touchent. Si, d’un côté, le Jura nous sépare comme frontière naturelle, il nous offre, de l’autre, un même champ d'études et d'observations. Une variété consi- dérable de sujets divers s'y présentent à nous, et il semblerait même que plus on étudie, plus on est loin d’épuiser cette mine de faits curieux et dignes d'intérêt. Vous avez fourni votre contingent d'études, nous avons livré le nôtre. Mais, par là, nous n'avons fait que commencer. » Pour arriver mieux et plus rapidement au but que nous poursuivons ensemble, le travail d'association est nécessaire. Unissons donc nos efforts et échangeons nos idées, car c'est du choc des esprits que jaillit la lumière. » Et maintenant je me résume. Je bois à l'association in- tellectuelle de nos deux Sociétés, de la Société d'Emulation du Doubs et de la Société des sciences naturelles de Neu- châtel ! » Toast de Sa Grandeur MS PAULINIER, archevêque de Besancon. « MESSIEURS, » Je ne peux me défendre d’un moment d’hésitation et d'embarras en prenant au milieu de vous la parole, quand des hommes passés maîtres dans l’art de bien dire nous ont tenus, ce soir, sous le charme de leurs récits, dans lesquels Ja distinction du langage s’estadmirablement mêlée à la richesse de l'érudition et à la sage impartialité de l’histoire. » Les toasts pleins de considérations élevées, de pensées fines et délicates, et mème de patriotiques élans, que vous venez d'entendre à la fin de ce banquet, rendent ma tâche encore plus difficile. Pour clore dignement une réunion toute littéraire, puisque vous avez su donner ce cachet même à votre excellent diner, il faudrait l’esprit pétillant comme le champagne et la verve gauloise de votre secrétaire décennal. » Je n'ai, Messicurs, ni cet esprit, ni cette verve, et pour- — LAN — tant votre accueil sympathique me touche si profondément que je m’expose au péril d'être accusé de témérité ou d’im- prudence en vous adressant, à mon tour, quelques mots. - » Le chef éminent de notre Académie, qui vient de dé- ployer une véritable éloquence, tout en se défendant d'être orateur, ne nous à pas fait oublier qu’il est un de nos physi- ciens les plus érudits. Je ne puis pas vous faire oublier que je suis évêque; c'est donc le cœur de l'évêque que je vais laisser parler. » Je suis fier de l'invitation que vous avez bien voulu me faire, non pas pour moi, Car je n'ai aucun droit à cethonneur; mais pour les doctrines dont je suis ici le représentant. En m'appelant à m'asseoir à côté de ce que notre cité franc-com- toise compte de plus éminent dans la magistrature, l’admi- nistration et l’enseignement, et en me mettant en contact avec les esprits d'élite de la province et d’une partie de la Suisse, vous avez reconnu que nos doctrines ne vous sont pas anti- pathiques, que la religion est, elle aussi, une de ces forces vives et sociales dont a parlé avec tant de vérité M. le préfet, et que si la confraternité, comme l’a si bien dit votre pré- sident , est un des caractères de vos constitutions, cette confraternité n’a rien d’exclusif : elle est large comme vos in- telligences et vos cœurs. » Ma présence à ce banquet a une autre signification : c’est que l’épiscopat n’a pas peur de la science, et qu'à ses yeux, elle peut se concilier parfaitement avec toutes les exigences légitimes de la foi du chrétien. Vous connaissez mieux que moi l’histoire franc-comtoise, et vous savez combien de prélats illustres, qui se sont assis sur le siége de Hugues Ie et des Grammont, ont donné la preuve de la largeur de leur intel- ligence. Si je ne peux que lessuivre de loin, soyez convaincus, Messieurs, que je partage et je partagerai toujours leurs af- fections pour la science ; et si j'ai applaudi aujourd’hui à vos recherches historiques, aucun de vos travaux ne me sera indifférent. Et une société encyclopédique comme la vôtre, — LKXWVI — puisqu'elle embrasse à la fois la géologie, la botanique, les progrès des arts, les améliorations de l’industrie et même les sciences économiques, aura, précisément à cause de l'univer- salité de ses études, mes plus vives sympathies. » Je vous remercie donc, Messieurs, non pas seulement en mon nom, mais au nom des membres d'honneur de la Société d'Emulation du Doubs. Je le fais d’une manière spéciale au nom de notre vénéré premier président, qui aurait porté mieux que moi la parole, mais qui, dans sa modestie, a voulu me céder ce doux et redoutable honneur. M. le préfet et M. le recteur vous ont exprimé eux-mêmes leurs sentiments avec une délicatesse de pensée et de langage que je ne saurais atteindre et que nous avons tous ici chaleureusement ap- plaudie. » Des toasts nombreux ont été portés déjà au progrès de votre association scientifique. Permettez-moi de vous en pro- poser un qui ne sera pas moins bien accueilli : » À la continuation de l’esprit fraternel qui vous anime ! Laissons de côté tout ce qui divise et appliquons-nous à tout ce qui unit, c'est-à-dire aux grandes et belles choses dont votre Société s'occupe et qui ont toutes pour but le relèvement de la France! » Toast de M. SAILLARD, président élu pour 1877. « MESSIEURS LES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ D EMULATION pu Douss, » Hier, vos suffrages m'ont appelé à la haute et délicate mission de présider à vos travaux. Profondément touché d'une marque si flatteuse d'estime et de sympathie, je suis heureux de pouvoir, dès aujourd’hui, vous témoigner ma reconnais- sance et vous assurer de mon dévouement, » Alors que parmi vous tant d'hommes d'élite semblai-nt naturellement désignés à votre choix, vous avez jeté vos regards sur un médecin, qui ne se connaît d'autre titre à votre ER KV — bienveillante attention que son ardent désir de vous voir pro- gresser dans la science et d’applaudir à vos succés. » Aussi, je crois être l'interprète fidèle de vos intentions en considérant cette élection comme un cordial encourages ment donné par nos devanciers à la jeune et laborieuse cohorte qui s'inspire de leurs exemples, et comme un hom- mage confraternel of/ert par tous au corps auquel j'appartiens, » Vos traditions, Messieurs, sont libérales et généreuses. Dans votre compagnie, loin de briguer les dignités, on les évite. L'ambition de chacun se borne à prendre la plus grande part possible à la tâche commune. La jeunesse recoit dans vos rangs le plus gracieux accueil : en vain voudrions-nous rester modestement à l'écart; ceux-là mêmes qui seraient les plus dignes d'occuper les premières places nous contraignent à les accepter. » À l'égard des médecins, vos dévoués collègues, vos pro- cédés sont empreints d'une courtoisie non moins exquise. Je n'en veux pour preuve que le droit que vous m'avez conféré de vous porter un toast ce soir. Vous avez voulu, sans doute, nous inviter à une plus active collaboration, mais plus cer- tainement encore nous témoigner que vous ne nous teniez point rigueur du peu de bruit que nous faisons parmi vous. Permettez-moi de vous présenter notre défense. Je serai bref, quoique usurpant les fonctions d’un avocat. » Nos investigations sont d'ordinaire si spéciales, nos ob- servations faites dans de tels milieux, nos expériences char- gées de tant de détails, que nous devons hésiter à vous en faire part. Nous aurions le bonheur, peut-être, de vous intéresser quelquefois, nous risquerions plus souvent de vous lasser, et, s’il faut le dire, nous craindrions toujours de vous attrister. » Vous avez senti dès longtemps vous-mêmes que de sem- blables recherches ne pouvaient être signalées dans vos séances, ni même consignées dans vos Mémoires. Aussi nous présa- geons, non sans regrets, qu'il nous sera toujours malaisé de devenir vos émules. IR E » Est-ce à dire que nous assistions inactifs autant que silen- cieux au développement intellectuel et moral de votre Société? » La médecine, science indépendante, mais complexe, doit - pour progresser puiser à toutes les sources. Vos publications sont fécondes en documents qui nous intéressent ei que nous consultons avec fruit. Vous créez, nous appliquons. En retour, soyez assurés que nous vous attribuons loyalement une large : part dans nos résultats. » Vous avez tous apprécié, Messieurs, le vrai mérite et l’ai- mable initiative de mon excellent ami, l'honorable président auquel je succède. II me lègue la Société d'Emulation en pleine prospérité. Ce serait pour mes forces une tâche bien lourde de la maintenir dans cette voie, si je ne savais que vous avez déjà une longue habitude d'y marcher vous-mêmes et le désir de mieux faire chaque année. » Il ne me restera qu’à veiller, quand l'heure sera venue, aux innovations dont l'idée, en réalité, n'appartient à per- sonne, mais qui à certains moments doivent être tentées. » L'heureuse influence de votre Société s'est fait souvent seutir. Sous quelles formes diverses ? je n'ai pas à vous le rap- peler ici. Vous trouverez peut-être, et nous le souhaitons de tous nos vœux, quelques moyens d’initier plus complétement encore à vos études un grand nombre de nos concitoyens. » Une société unie comme. la nôtre, honorée du haut pa- tronage des convives éminents auxquels mon éloquent prédé- cesseur à eu la bonne fortune de souhaiter la bienvenue, peut concevoir les plus nobles desseins et espérer atteindre le but le plus élevé.? » Messieurs, je bois à l’avenir et à la prospérité de la Société d'Emulation du Doubs! » Après le diner, M. le président et Mse Léon Marquiset ont ouvert leur salon aux membres de la Société et en ont fait Îles honneurs avec une charmante courtoisie. nm gra ja [ e m ce pa . » ; DT État Péri. if A ALERT br : A LS sn de LC DE sk | PUTTE Me Pers ue Raw? it dndiugsoinnl LUS se ‘Al pe PA 0 LU PRE. 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Ne vous effrayez point de ce programme, Messieurs, car nous avons eu de rudes jouteurs dans tous les tournois de la science. J'espère donc que le récit de leurs efforts justifiera l'intérêt que leur témoigne votre présence dans cette enceinte. Me serais-je abusé sur les mérites de la Société d'Emulation, et n’aurais-je point, à la vue de ces nombreux mémoires sur AN cu toutes les branches de la science, cédé à quelqu’amour propre de président? Non, Messieurs; car plus on approfondit les connaissances humaines, plus on reconnait l'immensité du champ livré à nos études, et la Société d'Emulation du Doubs, qui n’excepte de son programme aucun genre d'étude, aurait le droit de s'approprier le vieux mot : Humani nihil a me alienum puto. Je demande pardon à la plus belle moitié de mon auditoire d'avoir parlé latin. Je ne crois pas qu'il lui soit bien nécessaire de comprendre cette langue, bien que je pro- fesse sur l'éducation des femmes des idées très libérales. Mais il y a ue langue que la femme française à toujours mieux comprise qu'aucune autre, c’est celle de la charité, du dévoü- ment et du cœur. Si bien qu'après nos désastres, lorsque la France écrasée de toute part n'avait plus qu'à acheter son repos, c'est à votre dévoñment, Mesdames, qu'on s’adressa pour aller de porte en porte solliciter l’aumône pour cette illustre délaissée. Dans notre ville, proportionnellement, vous avez accompli cette tâche. Mais vous aviez su mieux faire : votre charité a consolé ou sauvé nos blessés, votre énergie et votre foi dans l’avenir ont relevé nos courages, et la patrio- tique éducation que vous donnez à vos fils nous assure qu’au- jourd'hui, parmi les grandes nations, il y en à une qui ne perdra pas son rang légitime, c’est la France. Notre Société, ainsi que je viens de le dire, a favorisé les études les plus variées. Dans les sciences , je signale tout d'abord un mémoire sur les Quantités négatives en trigonométrie, par M. Waille. Cet opuscule, soumis à M. Bertrand, secrétaire perpétuel de l'A- cadémie des sciences, a été reconnu d’une utilité pratique et d’une valeur réelle. M. Renaud, membre correspondant, publiera dans nos Mémoires des recherches sur les Muscinées de l'arrondissement de Forcalquier, suivies d'un Catalogue des Muscinées dans le bassin de la Durance. Un magnifique ouvrage sur les Microzoaires et les Infusoires ATRTUE a valu à M. de Fromentel les éloges du monde savant : « En investigateur habile, disait le rapporteur au congrès de la Sorbonne, l’auteur observe, sous le rapport de l’organisation et du mode de propagation, des êtres microscopiques dont l'étude est pleine de difficultés. » L'archéologie et l’histoire ont eu les honneurs de l'année. Disons que notre infatigable secrétaire décennal s'est souvenu du proverbe : Noblesse oblige. IL nous a rendu compte des fouilles pratiquées à l'arsenal et à la caserne de gendarmerie de Besancon pour la construction de nouveaux bâtiments : toutes deux ont rendu à la lumière des objets précieux pour l'antiquaire. Grâce à ces travaux et à la générosité de ses membres, notre Société a pu envoyer aux musées de notre ville une riche collection, soigneusement étiquetée et cataloguée. Elle a été heureuse en cette circonstance de témoigner, une fois de plus, à la municipalité sa vive gratitude pour les géné- reuses allocations qu’elle en recoit. M. Castan nous a communiqué un complément d'étude sur le Fra Bartolomeo de notre cathédrale ; une note sur le mu- sicien Goudimel ; une notice historique sur Jean Bésard, Bisontin des dernières années de la Renaissance, qui se signala comme médecin, musicien et jurisconsulte. Les lecteurs de nos Mémoires trouveront un réel intérêt dans la relation des pourparlers entre le magistrat de Be- sancon (le conseil municipal de l’époque) et le grand Cujas, pour l'établissement d’une école de droit dans notre ville. L'illustre maître ne put accepter les offres qui lui étaient faites, parce qu'il avait promis à Madame de Savoie d'aller professer à Turin. Mais il assura le député du conseil qu'il trouverait des hommes aptes à prendre ceste charge, qui n'est petile, de bailler bruict à une université nouvelle. Seulement, écrit le négociateur bisontin à ses mandataires, il dict aussi que pour avoir hommes fameux et renommez, ù fauldra foncer bonne somme. — Vous voyez, Messieurs, que le projet de LÉ = fonder une université en droict est depuis longtemps le but de nos administrations locales. — Le magistrat du xvr° siècle pensait comme celui du xix*; et cependant, à cette époque, notre province ne pouvait encore se vanter d’avoir donné à l'école de Paris les Bugnet, les Oudot, les Valette, et d'avoir créé l’école de Dijon par le grand Proudhon. | Enfin M. Castan vient de faire paraître à la librairie Dela- grave une Histoire de la Franche-Comté. Cet éditeur publie une Histoire de France à l'usage des écoles primaires, et il se propose, suivant la région où son livre sera répandu, d'y joindre l'histoire de la province. M. Castan a su parfaitement utiliser le cadre qui lui était tracé, et nous devons féliciter notre secrétaire décennal d’avoir si bien résumé nos annales franc-comtoises. M. Castan a mieux fait encore : il a publié ce même abrégé en volume séparé, dans lequel chaque cha- pitre est suivi d'un itinéraire ingénieusement combiné pour visiter les lieux et les monuments illustrés pendant la période correspondante. M. Gauthier et M. Castan nous ont communiqué une bio- graphie des évêques auxiliaires de Besancon. Ce travail ap- porte à l’histoire ecclésiastique de la province des documents entièrements nouveaux. M. Poly, membre correspondant, a charmé une de nos séances privées par l'envoi qu'il nous a fait de la complainte d’Ernest le Fort, roi de Belfort, guerroyant contre Jules César, Peu d’entre nous auraient reconnu Arioviste sous ce singu- lier travestissement : il a fallu la perspicacité divinaioire de M. Delacroix, notre doyen, pour commenter cette légende et montrer qu'elle cadre merveilleusement avec les Commen- taires de César, qu'elle démontre l'importance stratégique de la trouée de Belfort dès le temps de la conquête romaine. Le mémoire de M. Delacroix, lu à la Sorbonne par M. Quiche- rat, a obtenu un véritable succès dans le monde savant. Les théories de M. Delacroix sont confirmées d'une ma- nière remarquable par l'intéressante description que M. Gau- = 0 thier nous a fournie des refuges défensifs du mont Bart et du mont Vaudois : là, dans des casemates des temps préhisto- riques, on a retrouvé les guerriers de l’âge de la pierre, repo- sant depuis des siècles la tête appuyée sur leur hache de granit. : Continuant ses recherches sur nos traditions populaires, M. Thurict a étudié les Prédictions relatives à la fin du monde. Nous publierons aussi de lui un travail fort intéressant sur les Dialectes de la Franche-Comté, à l'effet de déterminer dans celte province la limite géographique de la langue d’oc et de la langue d'oil. M. le docteur Godron, l’un des anciens recteurs de notre académie universitaire, nous a envoyé une Etude sur la Lor- raine allemande, le pays messin et l'Alsace. Cet ouvrage a pour objet de faire justice des sophismes de l’école historico-poli- tique des Allemands. Pour la première fois, notre volume renfermera des travaux d'économie politique. Je m'en applaudis hautement. Est-ce parce que cette science est mon étude favorite ? Peut-être; et cependant, bien que j'aie cherché à me dégager de cette im- pression, mon premier sentiment persiste. En effet, une so- ciété comme la nôtre, composée d'hommes qui travaillent et qui vivent de la vie de chaque jour, en un mot qui sont de leur temps, ne peut se désintéresser des grands problèmes qui agitent le pays, et je me réjouis de voir la Société d'Emu- lation aborder avec un sage libéralisme ces puissantes études. Nous publierons de M. Edouard Besson un ouvrage sur La démocratie et le césarisme à Rome. L'auteur a eu surtout en vue la réfutation des théories de Momssen. Notre collabo- rateur nous donne aussi un morceau du plus vif intérêt sur les Plagiats de Mirabeau. Ces deux études, remarquables par la finesse du style et la hauteur des pensées, révèleront un écrivain sérieux. Nous devons à M. Demongeot un Traité élémentaire d'éco- nomie politique. Notre confrère a cherché à rendre populaire Re cette science qui doit être la science de tous. L'ouvrage est bien coordonné ; les définitions y sont nettes, claires et pré- cises. Nous pensons que cette publication aura un résultat éminemment pratique. Deux chapitres sont écrits par M. Ar- mand Demongeot fils, ce jeune maître des requêtes qu’une mort prématurée est venu enlever trop tôt aux profondes déli- bérations du conseil d'Etat. La géographie devient une science dont l'utilité s’impose chaque jour davantage. MM. Drapeyron et Hennequin, deux de nos délégués au congrès de la Sorbonne, ont présenté à la docte assemblée d'intéressantes études sur les Nouvelles mé- thodes d'enseignement de la géographie. Là, comme dans toutes les branches de l'instruction publique, il y a de profondes réformes à opérer, et il faut espérer qu’on verra bientôt dis- paraître la vieille méthode purement mnémotechnique. Nous devons une mention toute spéciale de gratitude à M. Waille, pour la rédaction de la Table analytique de nos Mémoires. C'est une œuvre de patience, pour laquelle l'esprit de méthode de notre confrère a rendu un véritable service à notre Société. Hélas! Messieurs, à chacune de nos réunions annuelles il faut enregistrer de nouvelles pertes. M. le commandant Poulain est décédé à Batna le 17 mars 1876. I1 comptait, dans l’arme du génie, parmi les travail- leurs : c’est assez dire que cet officier distingué se faisail re- marquer par l’activité de l'esprit, la vivacité de l'imagina- tion et la promptitude du coup d'œil. Nous avons publié de lui son principal ouvrage : Les Huns et les champs catalau- niques. Il y a quelques jours, tout ce que Dijon compte d'hommes d'élite conduisait à sa dernière demeure M. le doyen Tissot, une des gloires de ses écoles. Sa vie doit être l’objet d’une plus longue étude. Mais je ne puis m'empêcher de rappeler qu'il publia de nombreux ouvrages de philosophie et qu'il fut le premier traducteur français de Kant; mais ce qui est plus se. M} = à sa louange encore, c’est que pendant de longues années un auditoire sympathique se pressa autour de cette chaire où M. Tissot défendait les grandes idées libérales. Pourquoi ne remarquerais-je pas que Dijon, qui a dû demander à la Franche-Comté Devosge pour fonder son école de peinture, Proudhon pour illustrer son école de droit, a dû demander encore à notre province un philosophe, pour porter au loin le renom de sa faculté des lettres ? En même temps nous apprenions la mort de M. Michel, instituteur à Mulhouse, le doyen de nos membres correspon- dants, qui s’est éteint après une vie consacrée entièrement au progrès de l'instruction. Sa famille, dans une lettre touchante, nous adresse ses derniers adieux. Messieurs, que pouvons- nous lui répondre? Nous nous recueillons dans un doulou- reux silence, lorsque, de ces provinces arrachées à notre affection, nous vient un de ces appels suprêmes. Comment consoler la famille d'un homme au cœur vraiment français, qui n’a pas eu en mourant l'espérance de reposer dans la terre de la patrie! L'état général de notre Société est prospère. Notre budget, grâce aux généreuses allocations du ministère de l'instruction publique, du département et de la ville, se solde honorable- ment. Notre bibliothèque s'enrichit de nombreux envois, et nous sommes encore entrés en relations avec cinq nouvelles sociétés. Enfin nous nous sommes fait représenter au congrès de la Sorbonne, où les communications de nos délégués ont eu de véritables succès. Elles nous ont valu, ainsi que la pu- blication de notre volume, les honneurs d’un rappel de mé- daille au congrès de la Sorbonne. Félicitons-nous donc, Messieurs, du rang que notre Société occupe dans le monde savant. Elle a eu la bonne fortune que Cujas souhaitait à la future école de droit de Besancon de trouver hommes fameux et renommés pour bailler bruict à une université nouvelle. Mais pour cela elle n’1 pas eu besoin de foncer bonne somme. Il lui a suffi de rencontrer en même AD) =: temps des hommes de cœur et de dévoñment, comme mes- sieurs Delacroix, Grenier, Ducat, comme tant d’autres ; comme notre secrétaire décennal surtout. Au commencement de l’année, la plus haute assemblée de l'intelligence, l'Insti- tut, a nommé M. Castan membre correspondant. Cet arrêt était ratifié d'avance par l'opigon publique. Je n’ai plus be- soin de m'en faire l'interprète pour le lui prouver. Mais, au milieu de ce concert d’éloges, il nous permettra de choisir la première réunion solennelle de notre Société pour lui adresser un nouveau témoignage d'affection, qui lui sera particuliè- rement cher parce qu'il est le cri du cœur. . Plusieurs sociétés nous ont invité à leurs fêtes annuelles. Nous avons eu le regret de ne pouvoir nous rendre en Suisse. Mais je suis allé avec quelques-uns d’entre vous à Lons-le- Saunier et à Montbéliard. Je tenais à assurer de vive voix nos confrères des sentiments de mutuelle affection qui nous unissent. Je tenais surtout à donner, en votre nom, un gage public de dévoiment et d'adhésion à cette grande cause de la décentralisation intellectuelle. Je l'ai affirmé hautement, nous en sommes les énergiques champions. Je le répète aujour- d'hui, parce que là est, pour notre Société, la véritable cause de son existence et de sa prospérité. N'est-ce point là aussi que sera, pour notre pays, la véritable cause de son relève- ment ? Oui, Messieurs, il faut que l'instruction, se vulgarisant, développe partout l’activité de l'esprit. Il faut que toutes les professions honorent ceux qui les exercent. Cette vulgarisation du travail intellectuel est notre apanage, Messieurs, parce que la vitalité de nos sociétés est à ce prix. Calquées sur les principes de liberté des sociétés modernes, elles sont ouvertes à toutes les bonnes volontés; car elles comprennent que l'égalité, qui a élevé dans la vie civile tous les hommes aux mêmes droits, doit opérer dans la vie des intelligences la même révolution. Et ne croyez pas que cette égalité abaisse le niveau de la science. Qui oserait dire que Us — les Français ont perdu de leur dignité le jour où ils sont tous également devenus citoyens d’un pays libre? Non, l'esprit national ne peut que grandir lorsque vous cherchez à l’é- clairer davantage au flambeau de la science et de la morale. Le propre de nos sociétés est de mettre en honneur le tra- vail, puisqu'elles ont pour résultat, par le libéralisme de leur constitution, d'appeler à la culture de l'esprit la grande ma- jorité des citoyens, c’est-à-dire ceux qui travaillent. Aujour- d'hui, chacun dans sa sphère sait qu’il peut être utile au bon- heur public, parce que chacun sait que pour tous le travail est le premier devoir. Aussi convions-nous à notre œuvre toutes les sympathies et tous les dévoiments; aussi appe- lons-nous à notre aide tous les hommes qui sont réellement de leur temps, parce qu’ils veulent sincèrement le progrès. Telle a été la Société d'Emulation du Doubs en 1876. — A mon honorable auditoire de juger si nous avons mérité le témoignage d'intérêt qu'il nous donne. À lui de nous dire si, fidèles à notre programme, nous avons fait œuvre de citoyens et de Français. | LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS A*LA SORBONNE EN 1876 RAPPORT FAIT A LA SOCIÉTÉ, LE 13 MAI 1876 PAR M. Edouard BESSON. MESSIEURS, Nous avons été dignement représentés à la Sorbonne lors de la dernière réunion des sociétés savantes. Comme tous les ans, notre contingent n’a pas été des moindres pour le nombre et pour la qualité dans les œuvres produites à cette solennité scientifique. Trois de nos collègues ont présenté des mémoires : MM. Delacroix et Drapeyron, vétérans de notre Société, et que l’on trouve toujours à son avant-garde dans les grandes occasions, et M. Hennequin qui compte, il est vrai, parmi nous de moins anciens services, mais que ses débuts vien- nent d'annoncer comme un de ceux Qui, pour leurs coups d'essai, veulent des c>ups de maitre. Je dois à l'obligeante communication que ces messieurs ont bien voulu me faire de leurs manuscrits, de pouvoir au- jourd’hui vous en offrir une analyse succincte. Vous savez déjà quel était l’objet du travail de M. Dela- croix, l'éminent archéolozue nous en ayant donné la primeur ici-même, 11 s'agissait de fixer l'emplacement de la grande ET bataille où César écrasa Arioviste et ses bandes germaniques. Les plus lourdes erreurs avaient été accumulées sur ce point par l’impérial auteur de la Vie de Jules César. Napoléon IT, écrivant en son palais sur des documents recueillis sans ordre et sans direction sérieuse par une foule de savants de toute origine et de toute capacité, ne devait pas apporter une grande exactitude dans la description des lieux et dans la solution des questions qui en dépendent. Relativement à celle qui nous occupe, M. Delacroix avait dès longtemps formulé de vives critiques, accentué d'énergiques dissentiments. — « Ceci est une montagne, disait l’empereur. — Non, répondait notre collègue, c’est une plaine. — C’est une montagne presque aussi haute que le Mont-Blanc. — C’est ce qu'au contraire nous appelons chez nous les plaines dé l'Oignon, ou simple- ment le pays bas. » M. Delacroix, guidé par la lecture des textes anciens, et, comme il nous le dit lui-même, par le vulgaire sentiment de stratégie qu'inspire la connaissance approfondie d'un pays, plaçait déjà le lieu de la rencontre d’Arioviste et de César dans la trouée de Belfort, ce passage naturel de toutes les invasions. Napoléon III voulait qu’il füt à Cernay, dans les Vosges. Une découverte précieuse, due aux investigations de M. Poly, membre correspondant de notre Société, est venue trancher le débat. Déjà vous ont été communiqués, à l’une de vos der- nières séances, les lambeaux étonnamment conservés jusqu'à nos jours d'une chanson où complainte formant la tradition locale de Frahier, village situé dans la trouée de Belfort, près d'Errevet et de Chérimont. Cette chanson, écrite en un patois bizarre, entremêlé de mots gaulois et latins, et portant avec elle un caractère d'originalité que ne saurait revêtir l’œuvre d'un faussaire, confirme absolument les prévisions de notre savant collègue. Elle place le théâtre de la lutte à Errevet, à Chérimont (Cæsaris mons, étymologie dès longtemps devinée par M. Delacroix), et nous en raconte les phases diverses. Son récit est même plus complet que celui des Commentaires, car 2e 4 elle y ajoute un fait important omis par César, sans doute par politique ou dans le but d’enfler sa gloire. La victoire, longtemps douteuse, aurait, paraît-il, été décidée par l’inter- vention de nos ancêtres qui, partis de Besancon au secours des Romains, seraient venus par le Lomont et la vallée de la Lisaine, tomber sur les derrières de l'armée germanique. I se fit alors, dit la chanson, une véritable boucherie; les chevaux avaient du sang jusqu'au poitrail. Les femmes qui prenaient part à la lutte furent elles-mêmes massacrées. Arioviste, blessé en combattant au milieu de ses loups et de ses ours, eut grand'peine à fuir; et la Gaule, et en particulier la Séquanie, se trouvèrent débarrassées de l'odieuse autocratie d’un brigand. M. Delacroix, outre l'exposé de cette importante découverte, nous présente une série de considérations stratégiques du plus haut intérêt sur les défenses naturelles de la trouée de Bel- fort, contre lesquelles, nous dit-il, est venue, comme la science topographique de l'écrivain des Tuileries, se briser la valeur incontestable d’un général français à la tête de ses braves soldats. Il observe d’ailleurs que, lors de leur dernière imva- sion, « les Allemands ont exactement repéré, sur la terre de Séquanie, les traces des guerres d’Arioviste et de Vercingé- torix. Ainsi (et c’est là la conclusion du mémoire) les anciens, que nous regardons comme nos maîtres dans les arts et dans les lettres, ne doivent pas avoir moins de valeur à nos yeux quant à leur savoir stratégique. La guerre d’Arioviste est une des plus précieuses lecons qu'ils nous aient léguées, » = Le mémoire de M. Delacroix avait, comme on le voit, pour objet une question d’une grande importance, mais intéressant particulièrement la Franche-Comté. MM. Drapeyron et Hen- nequin ont embrassé dans leurs travaux une thèse d'ordre plus général. Dès longtemps nos deux collègues s'étaient pro- posé d'amener un remaniement complet des méthodes péda- gogiques actuellement en vigueur dans nos écoles pour l’en- seignement de l'histoire et de la géographie. Au congrès RP géographique qui eut lieu l'été dernier à Paris, l’un d’eux, M. Drapeyron, avait résumé le programme de la réforme en cette proposition concise : « Pas d'histoire sérieuse sans géo- graphie ; pas de géographie sérieuse sans topographie. » Après avoir fait théoriquement adopter cette formule par le congrès, malgré l'opposition de personnages officiellement considé- rables, MM. Drapeyron et Hennequin, se préoccupant avant tout de la pratiqué, ont entrepris une véritable campagne contre nos vieilles méthodes désormais condamnées, mais encore protégées par l'esprit de routine. Comme leur thèse était double, ils se sont partagé le développement de ses deux termes. M. Drapeyron a choisi la tâche qui convenait le mieux à la nature spéciale de ses études. Dans une série de travaux remarquables parus soit en brochures, soit en articles de revues ou de journaux, il a montré la concordance intime qui relie entre elles la géographie et l'histoire, et qui fait que l'enseignement de la première de ces sciences doit servir de base à celui de l’autre, M. Hennequin, ancien graveur et dessinateur au dépôt de la guerre, actuellement professeur de topographie dans les écoles municipales de Paris, était des plus compétents pour établir l'alliance entre la topographie et la géographie. Les mémoires lus par nos collègues à la Sor- bonne n'ont été que le résumé de leurs doctrines à ces deux points de vue. M. Drapeyron avait pris pour titre : « De la transformation de la méthode historique par les études géographiques et de l'application des réformes du congrès géographique de Pa- ris. » L'idée mére de son travail consiste à replacer les évé- nements qui se succèdent, les questions politiques et sociales qui divisent et agitent les peuples, dans leur milieu géogra- phique et ethnographique, à montrer que la configuration du sol est le plus souvent la cause non aperçue de ces événe- ments, l'origine première de ces questions, et doit en consé- quence être étudiée tout d’abord par ceux qui veulent con- naître et surtout comprendre le caractère et les annales d’une AG :— nation. C'est là la méthode scientifique, la méthode baco- uienne appliquée à l'histoire ; car toutes les sciences devien- nent ses tributaires, grâce à la géographie qui les centralise à son profit. Alors plus de mystère, plus d'imprévu. Au lieu de faits plus ou moins surprenants et romanesques se succédant au hasard, nous n'avons plus qu’une série logique d'induc- tions confirmées par l'expérience. Il n’y a pas jusqu'aux di- verses religions qui ne puissent géographiquement s’expli- quer. « La géographie, dit très bien M. Drapeyron, a pacifié mème l'enfer. » Ces principes, déjà développés en Allemagne par Humboldt et Ritter, en France par Elie de Beaumont, sont-ils ceux qui président actuellement à notre enseignement public? M. Dra- peyron ne le pense pas. Jusqu'à présent, en effet, on a fait de la géographie et de l'histoire des sciences indépendantes. De là, incohérence dans les programmes , et chez les élèves, désorientation absolue lorsqu'ils abordent des matières ne présentant entre elles aucun lien, par exemple l’histoire ro- maine et la géographie de l'Amérique. M. Drapeyron vou- drait, au contraire, voir établir l'harmonie entre des études connexes par leur nature; ainsi, faire étudier en même temps l'histoire romaine et la géographie du bassin de la Méditer- ranée. L'éminent professeur, dont les idées ont rencontré beau- coup d'adhésions, notamment celle si grave et si honorable de M. de Cissey, ministre de la guerre, et ont suscité une vaste correspondance tant en France qu'à l'étranger, expose où en est la réforme dans les divers pays de l’Europe. Il pro- pose de plus un certain nombre de moyens pratiques destinés à mettre la géographie à la hauteur du rôle nouveau qu'il lui assigne dans l'économie générale de l’enseignement. Ge sont notamment la création de sections de géographie à l'Ecole normale supérieure, à l’Académie des sciences morales et politiques et au comité des sociétés savantes, et l'institution d'une société de topographie. an N'oublions pas, en effet, que dans le plan des deux nova- teurs, la topographie doit servir de base à toute étude géogra- phique sérieuse. M. Hennequin a spécialement développé ce dernier point dans un mémoire dont la lecture a été souvent interrompue par de chaleureux applaudissements. Dès le dé- but, notre nouveau confrère déclare une guerre à mort à la mnémotechnie, à la cartographie facile, à la vieille méthode de Meissas et Michelot, consistant à faire réciter machinale- ment aux enfants des noms de fleuves et de montagnes qui ne représentent rien à leur esprit, et propose de la remplacer par une méthode raisonnée et progressive, En un mot, il veut introduire dans notre enseignement géographique ce que les Américains connaissent depuis longtemps sous le nom d’édu- cation des choses. « Le maitre, dit-il, montrera tout d'abord à l'élève comment il doit s'y prendre pour tracer le plan de l'école où il étudie. Il le conduira ensuite dans le village. Elargissant son horizon, il lui fera faire en pleine campagne des promenades topographiques. Il mesurera le terrain sous ses yeux et lui eu expliquera la structure. Au moyen d'un relief qu’il exécutera lui-même, il reproduira cette structure d'après une échelle exacte. Plus tard il placera sous ses yeux un fragment de la carte de l'état-major, celui où figurent le village et les environs du village; il lai enseignera l'usage des courbes, le mode de représentation des divers objets qui existent à la surface du sol. Lorsque l'élève aura passé par cette série d'exercices gradués, il conclura de lui-même que la carte géographique, sous peine de non-sens, ne peut être autre chose que la réduction mathématique de la carte topo- graphique. » M. Hennequin poursuit ensuite l'exposé de sa méthode, dont ce qui précède suffit à montrer l'esprit général. Il raconte avec grands détails une excursion topographique à Champi- eny, faite par ses élèves sous sa direction. Il montre comment ‘ ces enfants parvinrent à lever avec exactitude le plan de ce lieu célèbre. Il cite un certain nombre de travaux exécutés 9 NET Pen par eux à un âge si tendre que nous nous montrerions incré- dules si nous n’en avions un spécimen sous les yeux. Le plan- relief de Besancon, que vous voyez, et dont M. Hennequin a fait hommage à la Société d'Emulation, est dû à un enfant de onze ans, qui n’a eu pour guide que la carte de l’état- major. Un Bisontin pourrait peut-être formuler quelques cri- tiques de détail; mais tout le monde doit reconnaître chez le jeune artiste une précocité surprenante, qu'on doit attüibuer d'abord à ses aptitudes naturelles, et aussi aux soins intelli- gents de son maître. Les dimensions de ce travail nous empêchent de suivre M. Hennequin dans les détails fort intéressants où il entre sur le matériel indispensable à l'enseignement de la topo- graphie et de la géographie. Signalons toutefois les éloges mérités qu'il donne au magnifique atlas de M. Vivien de Saint-Martin, que nous avons vu en voie d'exécution au congrès de Paris. En terminant, notre collègue a lu une lettre qu’il avait adressée au Ministre de l’'Instruction publique, pour le con- jurer, au nom de la science et de nos intérêts nationaux, d'introduire dans nos écoles primaires et dans nos lycées l’enseignement de la topographie. Ce qui précède suffit à montrer les avantages qu'offrirait une telle mesure. Elle ré- pandrait dans le pays des connaissances indispensables à tous ; elle faciliterait dans l’armée le recrutement des sous- officiers; enfin, pour les esprits destinés à une culture intel- lectuelle plus haute, elle rendrait aisée et fractueuse l'étude approfondie de la géographie et de l’histoire, Pour en faire sentir l'urgence, il n’y aurait qu'à rappeler l'incroyable infé- riorité où nous nous sommes trouvés naguère en face de nos ennemis sous le rapport des connaissances géographiques, infériorité qui n’a pas été une des moindres causes de nos désastres. Voilà le mal auquel nos collègues ont voulu porter remède. Leur œuvre ne se recommande donc pas seulement au point MO de vue de la science ; elle est avant tout patriotique, et la So- ciété d'Emulation doit les remercier de lavoir mise sous son patronage. Les trois mémoires que Je viens de résumer autant que possible ont été lus à la section d'histoire et de philologie. Celle d'archéologie n'avait, par extraordinaire, recu de nous aucune communication. Nous serions presque tentés de faire un crime de cette abstention inaccoutumée à notre cher se- crétaire décennal, j'allais dire perpétuel, si nous ne savions que son temps est pris en grande partie par les soins qu’il donne aux intérêts de notre Société. Il nous avait habitués à ses succès qui étaient aussi les nôtres, et que le rapporteur, M. Chabouillet, a délicatement rappelés en se félicitant d’a- voir à remplir un aussi agréable devoir. A la section des sciences, M. Blanchard a parlé avec grand éloge du bel ouvrage sur les Infusoires et les Microzoaires qu'un de nos collègues, M. de Fromentel, de Gray, auteur de nombreux travaux de paléontologie, vient d'achever avec ses propres ressources. « En investigateur habile, a dit M. le rap- porteur, M. de Fromentel a observé, sous le rapport de l'or- ganisalion et du mode de propagation, des êtres microsco- piques dont l'étude est pleine de difficultés. » Il s’est réservé, d’ailleurs, de revenir bientôt sur une œuvre de cette impor- tance. Signalons aussi la mention honorable qui a été faite du travail d’un autre de nos collègues, M. le docteur Quélet, sur les cryptogames dü Jura et des Vosges. En résumé, Messieurs, la Société d'Emulation vient de montrer une fois de plus, au congrès de la Sorbonne, sa vita- lité féconde. Elle a prouvé à ses nombreux amis, comme aussi . à ses adversaires, si par malheur il s’en rencontre, qu’elle n’est point en décadence, qu'au contraire elle ne fait que ga- gner des forces avec le temps (vires aquirit eundo), et qu'enfin le régime large et vraiment libéral auquel elle est soumise - produit chaque année des fruits meilleurs et plus abondants, — 20 — Ses membres ont le droit d'en être fiers; mais ils doivent se garder de l’inertie qu'enfante le succès, et se souvenir tou- jours que les sociétés, comme les individus, ne vivent et ne progressent que par le travail. - LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS AUX RÉUNIONS SOLENNELLES DES SOCIÉTÉS DE MONTBÉLIARD ET DE LONS-LE-SAUNIER Rapport de M. Léon MARQUISET Séance du 10 juin 1876. MESSIEURS, Conformément à l'usage, j'ai l'honneur de vous rendre compte des réunions qui ont eu lieu pendant le mois dernier à Montbéliard et à Lons-le-Saunier. J'ai considéré comme un devoir pour votre président d’aller en personne porter aux sociétés voisines votre cordial salut de confraternité. — Je m’empresse de vous dire que de l’une comme de l’autre de ces réunions j'ai rapporté le témoignage de la meilleure affec- tion pour la Société d'Emulation du Doubs. MM. Victor Girod, Sire et Edouard Besson formaient avec moi votre délégation à Montbéliard; MM. le docteur Faivre, Daubian-Delisle et Gauthier celle de Lons-le-Saunier. M. Sire, retenu par une affaire de service, ne put être des nôtres. Le 18 mai, la Société d'Emulation de Montbéliard avait sa grande réunion annuelle. Nous y rencontrions les délégués de Belfort et du Jura bernois. La séance eut lieu dans la salle de la Société, à 9 heures et demie du matin. M. le Sous- Préfet et M. le Maire de Montbéliard y assistalent. Aupara- Eu À. tres vant, M. Favre, président, M. le juge Tuefferd, secrétaire général, et d’autres membres du bureau, avaient bien voulu nous faire les honneurs des richesses archéologiques et miné- ralogiques des musées de la ville. M. Favre, dans son discours d'ouverture, souhaita la bienvenue aux délégués des sociétés voisines ; il sut émouvoir vivement ses auditeurs en parlant des absents dont la place était toujours marquée dans les réu- nions d'autrefois ; il nous raconta enfin les patriotiques dis- cours qu'il avait entendus quinze jours auparavant de la bouche des premiers représentants de l’industrie alsacienne. La parole fut ensuite donnée à MM. Quélet, Mugnier, Thies- sing et Tuefferd, pour d'intéressantes communications sur des questions de sciences naturelles et d'histoire. Nous avons très spécialement remarqué une étude de M. Tuefferd sur le prince Georgesde Montbéliard. Une heure après la séance, un splendide banquet réunis- sait les membres de la Société et leurs invités dans la grande salle de l'hôtel de la Balance. La décoration de ce beau local comprenait les bustes de deux illustrations de Montbéliard, Georges Cuvier et Dorian. Plusieurs toasts furent portés. Tous semblaient fêter la même pensée : la concorde entre les sociétés qui doit forcé- ment amener la concorde entre les citoyens. Mais Monthé- liard est trop près des Vosges, et il y eut plus d’un sentiment de douleur en voyant au milieu de nous ces nombreux indus- triels d'Alsace qui sont venus demander le sol de la patrie à notre terre comtoise. Pendant le reste de la journée, nos hôtes nous firent gra- cieusement visiter leur ville. Constatons un fait, Messieurs, qui a frappé vos délégués, c'est qu'à Montbéliard, dans toutes les classes de la société, il y a un véritable goût des travaux de l'esprit. Vous savez sans doute que ce pays est le plus avancé du département, c’est-à-dire de la France entière, pour l’instruc- tion primaire. Or on peut se convaincre, en étudiant la So- = — ciété d'Emulation de Montbéliard, que ce résultat est l’œuvre de tous. La peusée de l'étude se révèle parlout, et c’est peut- être ce qui donne à cette Société sa physionomie propre. A Montbéliard, en un mot, on étudie sérieusement et on aime l'étude sérieuse. Non moins intéressant était l'aspect de la réunion de Lons- le-Saunier. On y trouva, ainsi qu’au banquet, la verve et l'esprit qui caractérisent les habitants des grands crus de Château-Chalon, de l'Etoile et des Arsures. Il y avait douze ans que la Société d'Emulation du Jura, la plus ancienne de la province, n'avait eu sa fête annuelle. Aussi nos confrères de Lons-le-Saunier voulaient réussir : nous pouvons leur dire qu'ils ont eu un succès. D'abord ils n'avaient point limité leur auditoire à la plus vilaine moitié du genre humain. D'élégantes toilettes, de gracieux visages, prouvalent que la science ne se montre pas toujours avec une figure austère. Il y avait aussi, au fond de la salle, un joyeux bataillon de rhétoriciens qui, proba- blement pour la première fois, assistaient à une fête littéraire. Leurs maîtres n'avaient point mal choisi la lecon; car le dis- cours de M. l'avocat Rousseaux, président de la Société, nous a montré que le barreau de Lons-le-Saunier conserve les saines traditions du style oraroire. Un Rapport sur les fouilles du cas- trum de Coldre, par M. Clos; une lecture de M. Toubin sur le Siége de Salins en 1674, furent suivis d’une pièce de vers que nous dit avec énergie M. Guichard, lauréat des Jeux flo- raux. Cette séance, tenue dans une des salles de l'Hôtel de Ville, était honorée de la présence de MM. d'Ariès, général commandant la subdivision, et Guyennot, président de la commission départementale. Le soir, le banquet réunissait quarante convives. Le pre- mier toast fut porté par M. le président Rousseaux aux délé- gués des sociétés de Besancon et de Poligny, qui lui répon- dirent, Puis on dit adieu aux affaires sérieuses, et la chanson ainsi que la pièce de vers vinrent égayer la fin du banquet. RP A Nos hôtes nous avaient fait voir avant la séance une très charmante exposition de peinture organisée par les soins de la Société. A côté des noms de nos artistes bisontins figuraient ceux de MM. Buchin, Clos, Billot, Mrs la comtesse de Gri- vel, Empereur, ete. On reconnaissait dans l’habile disposition des toiles l’intelligente organisation de M. Buchin. J'ai eu, Messieurs, dans ces deux réunions, à porter la pa- role en votre nom ; j'ai cru être votre interprète en assurant les sociétés de Montbéliard, de Lons-le-Saunier, de Belfort, de Poligny et du Jura bernois, du vif désir qui nous anime de continuer ces relations de bon voisinage. Je leur ai dit que si nous trouvions dans nos sociétés un noble délassement de l'esprit, nous arrivions surtout par elles à entretenir, au moyen d’une noble émulation locale , le goût des hautes études; avec elles nous conserverons dans nos petites villes ce développement intellectuel, cette force d'initiative particu- lière qui seule peut faire de la vraie et de la bonne décentra- lisation. Mais je trouve encore à nos sociétés un but plus élevé, et j'ai tenu à Paffirmer en disant à nos confrères de Lons-le- Saunier : « Courage, Messieurs, dans cette lutte que vous avez entreprise contre l'ignorance qui engendre la discorde. —. Courage dans cette noble tâche que vous avez acceptée de réunir tous vos concitoyens sur le libre terrain de la science. Mais pour que nos sociétés aient un but pratique, il faut faire descendre sur la place publique l'union qui règne parmi nous. Permettez-moi, Messieurs, de terminer par une comparaison : Si la république des lettres est prospère, c'est parce que la première de ses lois est le respect de l'adversaire dans ses opinions, dans sa pensée, en un mot, dans son libre arbitre, — Eh bien ! soyons-en certains, la République fran- caise sera aussi prospère le jour où nous serons convaincus qu'il y a une noble et sainte chose qui ne doit jamais être un moyen, mais bien notre but unique à tous, c’est la liberté. » IN CE" TE JEAN-BAPTISTE BÉSARD DE BESANCÇON CB LÉBRE L'ULETISTE Par M. Auguste CASTAN CORRESPONDANT DE L'INSTITUT Séance du 13 mai 1876. C'est avec raison que l'on s'est mis, de nos jours, à re- cueillir minutieusement les données biographiques concer- nant les artistes. En effet, une œuvre d’art, pour être bien comprise et surtout sainement jugée, doit être abordée avec une notion exacte des circonstances qui l'ont fait naître et de la tradition dont s'était inspiré son auteur. La Franche-Comté, chemin naturel des invasions belli- queuses, fut, jusqu'à son annexion à la patrie française, une terre ingrate pour la culture des arts. Les artistes qu'elle pro- duisit, antérieurement à la conquête de Louis XIV, durent s’'expatrier pour exercer leurs talents. Ainsi firent les peintres Jacques Prévost (1!) et Jacques Courtois (2), le dessinateur Jean-Jacques Boissard (3), le sculpteur Etienne Monnot (1), ee me ee mn me mme 0 0 | (1) Notice sur Jacques Prévost, par Lancrenown, dans les Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, 1868, pp. 299-307. | (2) Voir la notice sur Jacques Courtois, dit le Bourguignon, dans l'Histoire des peintres de M. Ch. BLanc : école française, t. I. (3) Etude sur Jean-Jacques Boissard, par A. Casran, dans les }ém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, 1874, pp. 65-91. (4) Notice sur le sculpteur Monnot, par LANGRENON, ibid., 1869, pp: 397-365. LG — les musiciens Claude Goudimel (t) et Jean-Baptiste Bésard. Ce dernier personnage est loin d'avoir sa biographie en règle. On sait seulement, par les titres et les préfaces de ses livres, qu'il était né à Besançon et avait la qualité de citoyen de cette ville (2); qu'il possédait le grade de docteur ès droits; qu'ayant, dans l'esprit des aptitudes variées, et se lrouvant contraint par la mauvaise fortune de changer de patrie, il avait habité successivement Rome, Cologne et Augsbourg (G). A Rome, il se passionna pour la musique et devint, sous la conduite du fameux Lorenzini (#), d'une habileté hors ligne comme joueur de luth. I1 se révéla comme spécialiste en ce genre par la publication d'un Thesaurus harmonicus, recueil de morceaux arrangés pour le luth, tant par son maître que - par lui-même, et suivi d'une méthode pour apprendre le luth. Cette publication, qui eut lieu à Cologne en 1603, fut dédiée à Philippe-Guillaume de Nassau, prince d'Orange, fils aîné du Taciturne, maïs attaché néanmoins au service de l’Es- pagne. Dans l'adresse qui précède sa dédicace, Bésard donne au prince d'Orange la qualité de vicomte à Besançon, titre que ce seigneur possédait comme héritier indirect de la maison de Chalon, branche cadette des anciens souverains de la (1) Une date de la vie du musicien Claude Goudimel, par A. Casran, ibid., 1876, pp. 522-528. (2) « Ego quoque ipse..…. insigni et perantiqua Sequanorum interio- um imperiali urbe et libera Vesontione ortus, ibidem penates meos habeo ejusdemque urbis civis sum. » (Antrum philosophicum : epistola dedicatoria). (3) « Jam annorum tempus aliquod elapsum est, amice lector, ex quo, me domi studiis legalibus (quibus et liberalium artium exercitia a prima juventute conjunxeram) publice et privatim attendentem, non tam peregrinandi voluntas, quam præceps occasio et adversa sors, ad diversas orbis christiani partes lustrandas adegit.…... » (/bid. : præfalio ad lectorem). — « Prodiit ex urbe Romana, Colonia olim splendidissima, hodieque Germaniæ inter multas clarissima urbs Augusta Vindelico- rum. » (/bid. : epistola dedicatoria). (4) Féris, Biographie universelle des musiciens : articles Bésard et Laurencini. QT Franche-Comté. Bésard, lui-même, se décernait, en tête de ce premier ouvrage, les qualifications de Bisontin, d'adeple des arts libéraux et de très habile musicien (U. Tout en surveil- lant l'impression de son œuvre musicale, Bésard s'employait à compiler le tome cinquième du Mercurius gallo-belgicus, sorte de revue rétrospective des événements politiques de la fin du seizième siècle. Peut-être fut-ce pour Bésard une façon de s'acquitter envers son imprimeur : les deux volumes sor- tent des mêmes presses, et le premier est indiqué comme publié aux frais de l’auteur. Le tome cinquième du Wercu- rius s'ouvre par une dédicace à Antoine de la Baume-Saint- Amour, abbé de Luxeuil, en Franche-Comté (?) : Bésard y parle en termes affectueux de sa patrie, dont il est absent de- puis quelques années (3). S'il transporta ses pénates de Cologne à Augsbourg, ce fut pour se rapprocher d'un ancien camarade d'études, Philippe Heinofer, dont l'amitié sut lui procurer le patronage des princes de la maison de Pomérauie (4. À Augs- bourg, il publia, dans la seule année 1617, une seconde édi- (1) Thesaurus harmonicus, divini Laurentini Romani, necnon præs- tantissimorum musicorum qui hoc sæculo diversis orbis partibus excel- lunt, selectissima omnis generis cantus in testitudine modulamina con- tinens.…, per Joannem-Baptistam Besarpum, Vesontinum, artium liberalium excultorem et musices peritissimum : additus est operis extremitati : Ve modo in testitudine studendi libellus, in gratiam rudio- rum, ab eodem authore conscriptus. CoLonræ AGrrPpiNvx excudebat (Ge- rardus Grevenbach, sumptibus authoris, anno Redemptionis M. DC. ITT, in-fol. parv., 179 fol. (2) Mercuri Gallo-belgici, sive rerum in Gallia et Belgio potissimum, Hungariæ quoque, Germaniæ……. ab anno 1598 usque ad annum 1600 geslarum nuncü, tonus quintus..…. auctore Joanne-Baptista BESARDO, Vesontino ; CoLoxræ-A6riPriNx, ap. Gerh. Grevenbach, anno 1604; in-1?, 298 pp. (3) « Cum jam præterlapsis aliquot annis a patria longinquus ha- rumque regionum diuturnus hospes.…. » (Dedicatio præfali operis D. Antonio À Bauma, inclyti cœænobii S. Petri Luxoviensis abbati.) (A). Quo ego, quum non ita pridem venissem, reperto ibi nobili et magnifico viro Dn. Philippo Heinofero, ejusdem urbis cive patricio, meo viginti abhinc annis in liberalium studiorum cultu condiscipulo; 295 = tion du Thesaurus harmonicus, avec un magnifique portrait de l’auteur, dessiné et gravé par Luc Kilian (1); puis le Novus partus, sive concerlationes musicæ, Collection de vingt-quatre morceaux, dont douze pour un seul luth et douze pour deux instruments de cette espèce (?) ; enfin l’Antrum philosophicum, compilation de recettes de médecine et d’alchimie (3). | Après l’année 1617, on perd la trace de Bésard, et l'on ignore le lieu et l’année où il cessa de vivre. Un érudit de l'Allemagne nous apprendra quelque jour comment finit Bésard ; mais c'est à nous qu'il appartient de dire ce qu'avaient été ses origines et ses débuts. Sa famille était originaire du bourg de Jussey, en Franche- Comté (4). Son père (5), Ambroise Bésard, avait épousé à Be- sançon Marguerite Gigouley; ils tenaient boutique sur la place Saint-Pierre de cette ville. Le 30 octobre 1580, la familiarité de l'église Saint-Pierre leur vendait, pour 415 francs, une maï- son récemment incendiée, dans la ruelle où était la cure de ea ex homine mihi amicissimo intellexi quæ ad hanc dedicationem..……. faciendam vehementer me inflammarunt. » (Dedicatio Antri philoso- phici Philippo IT, Francisco episcopo Caminensi, Bogislao et Udalrico, fratribus germanis, Pomeraniæ ducibus.) (1) {sagoge in artem testudinarium, das ist : Unterricht ueber das Künstliche Staitenspiel der Laulen ; Aucusr.-VixpeL., David Franck, 1617, in-fol. (2) Novus partus, sive concertationes musicæ ; AuGusr.-ViNpEL., David Franck, 1617, in-fol. (3) Antrum philosophicum, in quo pleraque arcana physica, quæ ad vulgatiores kumani corporis affectus curandos attinent, revelan- tur.…..., per J.-B. Besarpuw, Vesontinum; in-4. Le volume s'ouvre par un frontispice gravé sur bois, de la composition de Luc Kilian, ayant pour couronnement les armes des ducs de Poméranie et portant la date 1617. — L'exemplaire de la bibliothèque de Besancon est revêtu, au bas du frontispice, d’un envoi autographe de l'auteur, ainsi conçu : Pour Monsieur le chanoinne Philippe, mon cousin. (4) D. Pavex, Bibliothèque séquanoise, art. Bésard ; manuscrit de la Bibliothèque de Besançon. (5) Les détails qui vont suivre ont été puisés dans les Archives de la ville de Besançon. — Voir la pièce justificative jointe à cette Nole. un ladite église, immeuble qui avoisinait le logis principal de l'acquéreur. En 1595, Ambroise Bésard fut chargé par la commune d'être receveur, pour le quartier Saint-Pierre, de l'impôt destiné à racheter la ville des conséquences d'un siége dont le roi de France Henri IV était venu la menacer. Ambroise Bésard avait un fils et trois filles (1). Le fils, ap- pelé Jean-Baptiste, fut destiné aux études, ce qui conduisait alors à la noblesse. Son instruction de collége terminé, il fut immatriculé à l’université de Dole et y suivit les cours des professeurs en droit civil et en droit canonique. Sa réceplion comme licencié et docteur donna lieu à l'inscription suivante dans les Actes de l'Université : « Jean-Baptiste Bésarp, de Besancon, également distingué par l’érudition de l'esprit et la probité du caractère, reconnu digne par les illustres professeurs d’être élevé au double grade de la licence et du doctorat ès droits, fut reçu en cette qua- lité, le 19 mars 1587, dans l'auditoire ordinaire des lois de l’Université. — Signé : C1. Javez, vice-recteur (?). » Jean-Baptiste Bésard devait atteindre alors sa vingtième année, ce qui reporterait sa naissance aux environs de l’an- née 1567. Il se maria dans sa ville natale avec demoiselle Péronne Jacquot, fillede noble Claude Jacquot, d’une famille de juris- consultes où les lettres étaient en honneur (G). Leur contrat de mariage, passé à Besançon le 5 février 1602, stipulait une dot \ (1) Jean-Baptiste (qui nous occupe); Jeanne, mariée à honorable Aimé Cointot (déjà veuve en 1613); Anne, femme d’honorable Charles Leschelle, marchand; Françoise, femme de noble Pierre Junet. (2) « Eruditissimus dominus, necnon morum probitate conspicuus, Joannes-Baptista Besaro, Vesuntinus, a clarissimis dominis juris an- tecessoribus dignus declaratus est cui licentiæ simul et docturæ laurea in utroque jure conferretur, quam idcirco decima nona martii hujus anni octuagesimi septimi in frequenti legum auditorio consecutus est. — (Sign.) CL. Jave, prorector. « (Acla recloria universitatis Dolanæ.) (3) Essai sur quelques gens de lettres nés dans le comté de Bourgogne (par Girop De Novizcars); Besançon, 1806, p. 107-108. ff de 826 francs 10 gros en faveur de la nouvelle épouse, somme dont le mari se portait garant par yn acte du 3 octobre 1605. Jean - Baptiste Bésard assurait à sa femme une somme de 240 francs pour ses joyaux et une somme de 400 francs à titre de douaire. Plus lard, Péronne recueillait, du chef de sa mère, un millier de francs provenant de la vente d'une maison. En 1613, Ambroise Bésard le père vint à mourir, et son héritage fut l'objet d'une liquidation judiciaire entre ses quatre enfants. La vente des immeubles ( maison sur la place Saint- Pierre et jardin dans la rue Saint-Vincent) produisit une somme de 7000 francs : Péronne Jacquot, femme de notre Bésard, se porta créancière pour une somme de 2,466 francs 10 gros que lui devait son mari. Elle exerça cette revendica- tion par l'entremise de son père, noble Claude Jacquot. Dès cette époque Jean-Baptiste Bésard était en possession de léttres de noblesse ; mais ce dut être là le plus clair de son profit : il aimait la vie errante, le changement d'occupations; et de même que la pierre qui roule, son escarcelle ne put guère connaître la mousse de l'épargne. Son portrait, dessiné d’après nature et gravé en 1617, lui donne bien l'air d'un homme de cinquante ans : il y est re- présenté à mi-corps, vêtu en gentilhomme, avec une double chaîne en écharpe et un gant d'écuyer dans sa main droite. On lit au pourtour : NOBILIS ET CLARISSIMVS IOAN- NES BAPTISTA BESARDVS, CIVIS BISVNTINVS AC LL. DOCTOR,; en exergue : ET PALLADE ET PHOEBO. — La figure, intelligente par l'expression, mais vulgaire par les traits, semble refléter les instincts d'un franc viveur et d'un coureur d'aventures. Se PIÈCE JUSTIFICATIVE Extrait des actes de liquidation judiciaire de la successsion d’Ambroise BÉsarD , marchand à Besançon, père du docteur Jean-Baptiste BÉSARD. 16134614 (Archives de la ville de Besancon.) En nom de Nostre Seigneur. Amen. Veuz par nous Jean-Baptiste de Montoiche, docteur ès drois, juge et gouverneur de la Cour de la Ré- galie de Besançon, les actes et pièces de la cause mehue et pendante en ladicte Cour entre les sieurs vénérables curé et chappellains fami- liers de l'église parrochiale Sainct-Pierre dudict Besançon, impétrans en matière de vendage, subhastation et interposition de décret de cer- tains meix et maison sis et situez en la Grand’Rue dudict Besançon... plus un jardin situé en la rue Sainct-Vincent dudict Besançon...…, contre : noble messire Jean-Baptiste Bézard, docteur ès drois; demoi- selle Jeanne Bézard, vefve de fut honorable homme Aymé Cointot; demoiselle Anne Bézard, femme d'honorable homme Charles Leschelle, marchant ; demoiselle Françoise Bézard, femme de noble Pierre Junet, aux noms et qualitez qu'ilz sont convenus, deffendeurs et tenementiers principaulx desdictz biens immeubles; et demoiselle Péronne Jacquot, femme dudict sieur docteur Bézard, opposante à fin de collocations..….; par ceste nostre sentence définitive que prouonceons en ces escriptz, disons et déclairons..…. lesdictz biens immeubles debvoir estre vendus, subhastez, adjugez et délivrez aux plusouffrans.. .; condamnons lesdictz derniers monteurs et appréciateurs de mettre et nantir en noz mains les pris de leurs achaptz et appréciations, affin en estre faict distri- bution aux cy-après colloquez..….. Au tier lieu, et sur la part des deniers que proviendront du ven- daige desdicts biens immeubles appartenans audict messire Jean- Baptiste Bésard, docteur ès drois, nous colloquons ladicte demoiselle Péronne Jacquot, sa femme, pour la somme de deux cent quarante frans monnoie, d’un costel, à elle promis pour joyaulx, et quatre cent frans, d'aultre costel, pour douhaire, comme par leur traicté de ma- riage en datte du cinquiesme de febvrier l'an mil six cent el deux, signé C1. Philippe. Au quart lieu, nous colloquons encoires lesdictz sieurs vénérables curé et chappellains familiers de l’église Sainct- PS Pierre de Besançon, pour la rente de six frans dehue chascun an le dernier jour du mois de décembre, ledict jour de l'an mil six cent et trois constituée par ledict fut Ambroise Bézard et demoiselle Mar- gueritte Gigoulez, sa femme, pour la fondation d'une messe hebdoma- daire et de requiem à basse voix, à dire et célébrer chascun lundy de l'année à l’autel Saincte-Catherine..…. Au cinquiesme et dernier lieu, et sur la part dudict sieur Bézard, nous colloquons encoires ladicte demoiselle Péronne Jacquot, pour la somme de mille frans monnoie, d’un costel, provenans du vendaige d’une maison que compétoit à icelle demoiselle Péronne Jacquot, receue par ledict sieur docteur Bézard, son mari; et huict cent vingt six frans dix groz, d’aultre partie, des deniers dotaulx à icelle demoiselle Péronne Jacquot pro- mis par son traicté de mariage et receuz par ledict sieur docteur Bézard et assignez, comme par les lettres d’assignal en datte du treisiesme jour du mois d'octobre de l'an mil six cent et cinq, signé Jo. Girardot, et pour ses trousselz et aultres meubles anciens, selon qu'ilz seront évaluez et liquidez..…. Prononcée judicialement en l'audience de ladicte Cour de Régalie par le sieur juge en icelle séant en jugement, les parties y assignées et comparantes comme aux actes, le pénultiesme jour du mois de no- vembre l’an mil six cent et treize. Et après, pour l'exécution de nostredicte sentence...., venans aux tierce et cinquiesme collocations faisant au profit de demoiselle Pé- ronne Jacquot, femme de noble messire Jean-Baptiste Bézard, docteur ès drois, citoyen dudict Besançon, estant de la somme de dix-huict cent vingt-six frans dix groz monnoie, d’un costel, deux cent qua- rante frans, d’aultre, et quatre cent frans, aussy d’aultre, avec ses troussel et meubles, du consentement de ladicte demoiselle Péronne Jacquot, comme aussy de noble messire Claude Jacquot, docteur ès drois, citoyen dudict Besançon, son père, présens et comparens en ceste exécution, de son auctorité et du consentement dudict sieur docteur Bézard, son mary, avons passé par néant lesdites collocations, sans préjudice de ses drois et actions d’hypothèque portez tant en son traicté de mariage que assignal..…. Donné audict Besançon.…., ledict quinziesme jour du mois d’apvril l'an mil six cent et quatorze. NOTE SUR L'EMPLOI DES QUANTITÉN NÉGATIVES EN TRIGONOMÉTRIE Par M. I. WAÏILLE ANCIEN PROFESSEUR DE MATHÉMATIQUES, Séance du 11 mars 1876. 1. Des quantités négatives en géométrie. — Etant donnés deux points quelconques À et B sur une ligne droite ou courbe, si on suppose qu'un point se meuve sur cette ligne en allant de À vers B, et si on désigne par a la distanee AB parcourue dans ce sens, a est le nombre d'unités de longueur entier, frac- tionnaire ou incommensurable qui exprime la mesure de 4B; mais lorsqu'on suppose que le point parcourt la même dis- tance en allant de B vers À, on fuit la convention de placer le signe — devant le nombre qui représente 4B et de désigner la quantité — AB par a qui, dans ce Cas, est non un nombre arithmétique, mais moins ce nombre, et comme d'après la règle des signes — (— AB) est AB, on voit que la longueur AB est actuellement exprimée par — a, où a est une quantité néga- tive et où le signe — indique le changement de direction du point mobile. 2. L'exemple suivant fait comprendre l'utilité des quantités négatives. Un point se meut sur une droite indéfinie et par- court successivement en allant dans le même sens des lon- gueurs AB, BC, CD, etc. Si on désigne ces longueurs par a, b, c, etc., qui sont les mesures des droites en prenant une unité arbitraire, et si æ est la distance finale du point mobile 3 Fa. LA au point de départ 4, on a évidemment æ = a<+b+c+.…… Il est facile de démontrer que la formule reste la même dans le cas où le mobile ne se meut pas toujours daus le même sens, pourvu que à, b, c, etc., aient des significations conve- nables. Si en effet on suppose que le point n'ait parcouru que les deux longueurs AB, BC, la seconde étant de direction opposée à la première, deux cas se présenteront : ou BC < AB ou BC > AB. Quand BC < AB, on a (fig. 1), AC— AB— BC. Les lon- gueurs AB et AC étant a et æ, BC qui est en sens contraire de AB doit être désignée par — b, b étant négatif, et on a ainsi æ—a—|—b) oux—a+b. Lorsque BC > AB, on a en conservant les mêmes notations pour ces deux lignes : (fig. 2), AC = (—b) — a; mais comme AC est en sens inverse de AB, cette ligne doit être désignée par — x, et par suite On à : —x—(—b)— a, ou encore T—=G + b. Après avoir parcouru AB et BC, le mobile peut décrire une troisième ligne CD dans le sens de AB ou en sens contraire : elle devra donc être désignée par C ou par — c, de même que AC est ab ou —{a—+b). Dans le premier cas qui corres- pond aux figures Î, 2, 3, on a : (fig. 1) AD=— AC + CD, ou &—a+b+c; (fig. 2) AD—CD—AC,ouxz=c—[—(a+b)]; (fig. 3) AD— AC — CD, ou —x—— (a + b) —c. Dans le second cas correspondant aux figures 4, 5, 6, on a: (fig. 4) AD—AC— CD, ouz—=a+b—(—c); (fig. 5) AD—CD— AC, ou —x—=—c—{a+b); (fig. 6) AD— AC + CD, ou —z—=—{(a+b)+(—c); le résultat final est toujours & = a +b+ c. On passe de même du cas de trois droites à celui de quatre en remarquant que, d'après le raisonnement qui précède, on est toujours ramené à ne considérer que deux lignes, et on = = continuera ainsi pour un nombre quelconque de longueurs parcourues. La formule z—a<+b+c+..…… convient donc dans tous les cas, en observant que si la valeur de x est né- gative, le point mobile se trouve à une distance — x du point À dans la direction opposée à la première ligne 48. 3. Mesure des arcs et des angles. — Soit une circonférence d'un rayon quelconque : si on prend ce rayon pour unité de longueur, la circonférence est exprimée par ?r, la demi-cir- conférence ou l'arc de 180° par 7 et le quart de la circonfé- L T LA rence ou l'arc de-9)° par 3 La ss de l’arc de {° étant / To celle d'un arc de X degrés est — Cette quantité qu'on désignera par x exprime indifféremment un arc de la circon= férence ou l'angle au centre correspondant dont le nombre 180 x de degrés X est égal à 4. Définitions des lignes trigonométriques (fig. 7). — La cir- conférence étant divisée en 4 quadrants par les deux diamètres perpendiculaires 44° et BB, on suppose qu'un point se meut sur la courbe en allant de A vers B; il parcourra ainsi un arc æ compté à partir de À et dont l'autre extrémité est suc- cessivement dans le {*r, le 2e, le 3° et le 4° quadrant, et si le point continue à se mouvoir, l'arc x deviendra plus grand qu'une ou que plusieurs circonférences. Admettant comme connues les définitions des lignes trigo- nométriques des angles plus petits que à et AÏ — x étant un J x | de ces angles dont le complément est BH — 3%, on sait qu'on a les identités : : IT T me Ÿ (a) sis —%)— 002, cos|s—7}=sin, SE — tang (5 — z) = Cotg x, cotg Ê — z) —= {ang æ, T T sec 6 Fr ) —= COSEC Æ, COSEC G = :) —= SCC Z. On sait aussi qu'entre ces quantités numériques qui sont les mesures des lignes correspondantes, le rayon de la cir- conférence étant l’unité, on a les égalités : sin & { 2, 9 ne RARE COS Z° PURE COS T° COS 1 1 EL RIAE sinæ tangæ? (2) PÉPÉUEE sit les deux dernières étant des conséquences des deux autres où T on remplace æ par 5 — 2 T 2 Soit M' l'extrémité de l'arc x; le sinus de x est encore la per- pendiculaire abaissée de M' sur le diamètre qui passe par l’autre extrémité À; or M'M étant supposée parallèle à 44’, les lignes HP, MP’ sont égales, et comme AM étant x, AM est r — %, On à identiquement : sin æ = sin (r — x). OP", distance du pied du sinus au centre est égale à OP qui est le cosinus de {r — x); mais OP' est dirigée en sens con- traire de OP ; donc, d’après ce qui a été dit $ 1, on conviendra d'appeler cosinus de æ la quantité — OP et on aura ainsi par définition : cos x := — cos (x — x). De cette convention sur le cosinus, on déduit les définitions des autres lignes trigonométriques qui pour la généralisation des résultats devront satisfaire aux formules (1), (2), (3), (4). Menant pour l'arc AM les lignes AT’, OT, BS', OS’ qui sont égales respectivement aux lignes AT, OT, BS, OS correspon- dant à l'arc AM, on a : 5. Définitions quand x est compris entre - et # (fig. 7). — 0 RUE in sin æ _sinæ (as TRE TT AA SEE | ce mer no OP" — COS Z SE : COS T° donc la formule {{) devant s'appliquer à un arc x > 5 il faut que tang x soit — AT', ou que AT soit — tang æ; on voit d'ailleurs que le signe — correspond à un changement de direction. | On a de même : 1 He OP cosæ donc à cause de la formule (2), la sécante de æ est — OT ou OT ——sec x. On peut remarquer ici que OT" a une direc- tion opposée à celle de ON. Il est facile de voir d’après (3) et (4) que cotg æ = — BS" et que cosec x = OS", et en résumant, on a les formules : (b) sin æ— sin (r —%), COST —— COS (Tr — &), tang æ — — tang (r — x), cotg x = — cotg (x — x), sec æ —-— sec (r — %), Cosec æ — Cosec (7 — x). On peut supposer d'ailleurs & < 5 ,7— æ devenant l'arc > 5: ; dt Æ Elles sont également vraies æ élant com- : T 3x pris entre 5 et x, Ou entre # eb T° En résumé, le sinus et le cosinus étant définis, il résulte des formules (1), (2), (3), (4) 1° que la tangente est positive 290 — quand le sinus et le cosinus ont le même signe, et qu’elle est négative quand ces deux lignes ont des signes contraires ; 2° que la cotangente a le même signe que la tangente ; la sé- cante le même signe que le cosinus, et la cosécante le même signe que le sinus. 8. Cas de x > ?r. — Quand le point mobile a dépassé le point À dans son mouvement sur la circonférence, l'extrémité de l'arc parcouru coïncide avec celle d’un des arcs qu'on vient de considérer : x désignant un quelconque de ces derniers, l'arc décrit est 2r + x et a les mêmes lignes trigonométriques que æ, puisqu'il aboutit aux mêmes extrémités. On a ainsi : (d) sin (2r + x) —sinx, cos (2r + x) —cosx, tang (2x + x) — tang x, cotg (2r + x) — cotg x, sec (2x + x) —seczx, cosec (2x + x) — cosec x, ou si æ désigne l'arc > ?r,æ—?r devenant un arc plus petit qu'une circonférence (d') sinæ—sin(t—?r), cos x— cos (xt — ?r), tang æ —tang (x — 2x), cotg x — cotg (x — ?r), sec x — sec (x — ?r), Cosec x — cosec (x — 2x). Enfin si le point a parcouru # circonférences ou 2kr, on a: {e) sin (2kr Lx) —sinx, cos (2kr + x) — cos x, tang (2£r + x) —tang x, cotg (2kx + x) — cotg x. sec (2kr + x) —secæ, cosec (2kr + x) — cosec x, ou {e) sin æ—sin (t— 2kr), cos x — cos (x — 2hx), tang &æ — tang (x — 2kr), cotg x — cotg (x — 2hx), sec æ — sec (x — ?kx), cosec x — cosec (5 — ?hr), qui expriment que les lignes trigonométriques ne thangent pas, quand on ajoute ou quand on retranche à un arc un nombre quelconque de circonférences. AMIE : por L T 9. Lignes trigonométriques des arcs &æ — 5 et x + DUT æ étant compté à partir de À dans le sens AB 4'B', x — 5 a pour origine B et se compte dans le même sens. Considé- rant successivement les différents quadrants, on a : Dans le 2° quadrant qui est le 1% pour æ — ‘3 . F , L sin ( 5 )= MP, =O0P =—0c08 7, T 1n' . cos! æ —5)=0P — HI Frs Dans le 3° quadrant qui est le 2° pour x — = sin (2 — :) NP =O0P= CRT, £ T cos (z —=)—=—0P,—=—M'P = sin; Dans le 4e quadrant qui est Le 3° pour æ — 5 , F es sin (c—5)=-" P,=—0P—=—0cos%x, T 5 Fe , cos ( —5)= — OP, =—M"P—=s5sin %; Dans le {+ quadrant qui est le 4° pour x — Ë ; T sin (2 —5)=- ur —=—0P——0cos8x, T . cos (2 — :) = OP, = MP —=sin 7. . . . , T Les autres lignes trigonométriques de: l'arc æ — 5 se trou- vent en exprimant qu'elles satisfont aux formules (1), (2), (3), (4) du ? 4; par exemple : à ( T Sin { T — - tan (+ ) 4 Pas cotg x 8 9 ANSE. be ) sinZ ( 2 3 T | SeC{ T — 5 | — = —— = Cosec », etc. ra T sin æ cos (z — :) T è {a} sin ( — :) — — COST, COS (: — 5)= sin, T T tang (2 _ 5) = — Cotgx, cotg ( = 5) — — lang æ, T T sec ( 2 :) — cosecz, COSEC (2 — :) = — sec &. T ; Si dans ces formules on remplace x par æ + gr On obtient On a donc quelque soit æ > les suivantes : » - T CT (a) sn(z+;)—cosx, cos{x- 5) ——sns, T T tang (a +5) —— Cotgæx, cotg ( + ) ——tangx, T T sec ( +5) — — (COSeCT, COSeC (: +3) — set qu'on peut établir directement en comptant # à partir de B, z +5 étant compté à partir de À. Rem : On montrera de la même manière que les lignes tri- gonométriques de l'arc æ—# sont données par les formules (b") du $ 6 pour toutes les valeurs de æ > r et que celles de l'arc x +7, du mème Z, renfermées dans les formules (b') sont vraies quel que soit x. Et UE 10. Arcs négatifs. — Au lieu de supposer qu'un point mo- bile parcourt la circonférence dans le sens AB ‘A'B', on peut admettre qu'il aille dans le sens inverse AB'A'B. Pour distin- guer ce mouvemcog du précédent, il faut, comme on l’a dit $ 1, introduire des quantités négatives. On appellera’ donc moins l'arc parcouru, de manière que l'arc sera — x, x étant négatif et le signe — marquant le changement de direction. Par une nouvelle convention on assignera à x des lignes tri- gonométriques, lesquelles devant indiquer le quadrant dans lequel se trouve le point qui a décrit l'arc —#, seront les mêmes que celles de d'arc ?2r — (— x) qu'il aurait dû par- courir dans le sens primitif pour arriver au même point de la circonférence. Par exemple, AM" étant — x, on aura : sin &— sin (27 — AM") — — sin AM" — — sin (— x), .cos æ — COs (?r — AM") — cos AM" — cos (— x), et de même pour les autres lignes trigonométriques dont les signes dépendent de ceux du sinus et du cosinus. Donc x étant négatif, on a les définitions suivantes : (f) sinz——sin(—x), cos x— cos (— x), tang æ — — tang (— x), cotg x —— cotg (— x), sec æ — sec (— x), cosec x — — cosec (— x). On remarquera d’ailleurs que daus ces formules on peut sup- poser æ positif, et qu’alors les résultats sont ceux qu'on obtient en supprimant 2x dans les formules {c) du ? 7, sin (27 —x) ——sinx, Cos (?r -— x) —cosx, etc., suppression analogue à celle qui à été indiquée pour l'arc 2x + x. 11. La considération des arcs négatifs et de leurs lignes trigonométriques permet de généraliser la définition du com- plément et celle du supplément d'un arc. En effet, æ étant T > +, son complément est l'arc négalif : — x. Cette quantité 6) ? À est égale à — (2 — 5) et le signe — ainsi mis en évidence MG), 7 Nes > . . . T correspond à un changement de direction, puisque æ — » est compté à partir de B dans le sens BA'B’A, tandis que le : à T £ complément d'un arc moindre que à: est compté dans le sens contraire, De même x étant > rx, son supplément est l'arc négatif 7 — x, el dans ce cas aussi il y a changement de direction. 12. Il est facile de voir que les formules (a) du Z 4 et les formules (b) du ? 5 s'appliquent aux cas où les arcs : — x et Fr — æ sont négatifs. En effet, on a (2 10) : : T “A ; T Sin ( —:) sil (2 == 5) T T X COS E mél — cos( à — 5) Or (29) e T T ; SN(T—,;)]—=— cos x et cosi x 75 Sing À Donc. : T T i sin(s—x —— (— cos x) —cosx et cos 3 —T)—snx. On a de même et sinfr—x)——sin(x —#) et cos(r —x) — cos (x — rx). Or (2 6) Sin (t— 7) —=— sin x et Cos (x — x) — — COS T; donc : sin (rx — x) ——(—sinx)—sinx et cos(r - x) ==—cosx. La même démonstration se fait pour les autres lignes trigo- nométriques. me QE == On peut enfin montrer que l'emploi des arcs négatifs per- met de passer des formules {a) $ 4 aux formules (a) ? 9, des formules {b) $ 5 aux formules (b") 2 6, des formules (d) $ 8 aux formules (c) 2 7, et réciproquement. Par exemple on aura : à sin [: — :| = Ji E — (— a | — COS (— x) — COS x, cos E - :| —=-C08 E — (— 2)| = sin (— x) —=—sin x, sin (r + zx) —sinfr —(— x)] = sin (—x) =—sinx, cos (7 Æ x) = cos fr — (— x%)] = — cos (— x) = — cos r, etc. Il résulte de ces raisonnements que les formules {a), (b), et (c] sont les seules dont on ait à se servir, x désignant un arc positif ou un arc négatif. THÉORÈME DES PROJECTIONS. 13. Angle de deux directions (fig. 8). — Soient X'OX, Y'OY deux lignes indéfinics. A partir de leur point de concours 0, sur chacune d'elles on a deux directions, OX et OX sur la première, OX et OY' sur la seconde. Soit 8 l'angle aigù YOX. En ne considérant que le cosinus, on peut prendre indiffé- remment pour l'angle de OY avec OX, l'angle 6 ou l'angle 27 — 0 puisque ces deux angles ont le même cosinus. Sem- blablement l'angle de OY' avec OX est r —0 ou r +6, et comme le cosinus de chacun de ces angles est égal et de signe contraire au cosinus de 9, on voit que le changement de signe du cosinus indique le changement de direction sur l'une des deux droites, la direction sur l'autre étant restée la même. 14. Projection d'une droite (fig. 8). — Soient 4 et B deux points sur F'Y, tels que la direction 4B soit celle de O7. On projette ces deux points sur XX en 4”, B'. Menant AC paral- lèle à OX et décrivant de À comme centre avec AB pour rayon = Q5 = un arc de circonférence qui mesure l'angle CAB; les rapports BC AC À B’ AB AB étant pris pour unité et par conséquent sont le sinus et le sont respectivement les mesures des lignes BC et AC, AC pe cosinus de l’angle CAB. On a donc ane cos CAB ; d'où on déduit : AC — 4B cos CAB. Si on désigne par la notation (4B, OX) l'angle de la direction AB avec OX et si on remplace AC par 4'B' on a : 4'B°— AB cos (0Y, OX) — 4B cos (4B, OX). Mais il peut arriver que la direction AB soit la même que celle de OT’, c'est-à-dire opposée à celle de OF: alors 2 13, cos (AB, OX) devient — cos (0Y, OX) et par suite on a : A'B' —— AB cos (4B, OX). C'est le produit 4B cos (AB, OX) qui est positif ou négatif suivant la direction de AB, qu'on appelle projection de AB sur OZ. 15. Projection d'un polygone (fig. 9). — Soit un polygone quelconque ABCDEF dont les sommets sont projetés en 4’, B', C', D’, E', F' sur la direction X’X et qu'un point mobile parcourt en partant d’un sommet quelconque À pour y reve- nir sans parcourir deux fois le même côté. Si on considère la projection du point mobile sur XX comme se mouvant elle- mêmé sur cette droite, on voit que pour chaque côté du po- lygone sur lequel la direction du mouvement fait avec XX un angle aigu, la projection du point se meut dans le sens X'X, tandis qu'au contraire pour un côté sur lequel la direc- tion du mouvement fait avec X'X un angle obtus, la projection se meut dans le sens inverse XX". Il résulte de là qu'en dési- gnant par a, b, c, etc , les projections des différents côtés dé- finies au ? 14, a+ b+c+...….. représente (? 2) plus ou moins la distance de la projection du mobile au point de départ 4’; mais le mobile étant revenu en À, sa projection est en 4’et la distance finale est nulle : on a donc ab +c—+ =" ou 4B cos (AB, X'X) + BC cos (BC, X'X) + CD cos (CD, X'À) + DE cos (DE, X'X) L EF cos (EF, X'X) + FA cos (FA, X'X) = 0, — 46 —” Ce qu'on écrit en abrégé x 4B cos (AB, X'X) — 0, et qu'on énonce : La somme des projections des côtés d'un polygone fermé sur une droile quelconque est égale à zéro. 16. Si dans l'égalité précédente on fait passer au second membre un quelconque des termes, par exemple DE cos (DE, X'X), on obtient : — DE cos (DE, X'X) — AB cos (AB, X'X) + BC cos (BC, X'À) + CD cos (CD, X'X) H EF cos (EF, X'X) + FA cos (FA, X'À). Mais — Di cos (DE, X'X) — ED cos (ED, XX) puisque les di- rections DE, ED sont opposées. On à donc ED cos (ED, XX) — EF cos (EF, XX) + FA cos (FA, XX) + 4B cos (43, XX) + BC cos (BC, XX) + CD cos (CD, X'X), c'est à dire que la projection sur X'X de la droite ED ou du plus court chemin pour aller de E en D est égale à la somme des pro- jections des droites qui forment un chemin polygonal quelconque EFABCD menant du premier point au second. Le côté ED qui forme la ligne polygonale £FABCD s'appelle la résultante des lignes EF, FA, AB, BC, CD, appelées compo- santes et le théorème s'énonce alors : La projection de la ré- sultante est égale à la somme des projections des composantes. Ce théorème, dont les applications sont nombreuses en ma- thématiques, sert à démontrer de la manière la plus simple et la plus générale les formules relatives à la somme et à la différence de deux arcs. 17. Calcul de cos (a + b) (fig. 10). — Soit a l'arc AM compté de À en M dans le sens ABA'B' et b l'arc AB'N porté dans le sens AB'A'B', a et b étant les longueurs des arcs en prenant pour unité le rayon de la circonférence. En partant de N et en allant dans le sens NA'B"... pour arriver en W, on parcourt ainsi toujours l'arc a + b, quelles que soient les positions des points M et N sur la circonférence. Menant HP et OM, et pro- jetant la figure OPM sur la direction ON, on a : RQ OM cos (OM, ON) — OP cos (0P, ON) + PM cos (PM, ON), égalité qui est générale. Cela posé, OM est 1 et l'angle de OW avec ON est toujours a + b. Le premier membre est donc cos {a + b). Dans le second membre, OP est cos a où — cos a. Dans le premier cas cos (0P, ON) est cos b, puisque la direc- tion de OP est celle de 04, et le produit OP cos (OP, ON) est cos a cos b. Dans le second cas, cos (OP, ON) est — cos b, puisque la direction OP est alors opposée à celle de 04 et par conséquent OP cos (OP, ON) = — cos a >< — cos b, ou encore cos & COS D. De même PM est sin a ou —sin a. Si PA est sin a, l'angle de PM avec ON est le même que celui de la direction OB avec T - Tr : ON ou c] — b'et PM cos (PM, ON) — sin a cos (: < :) ; Mais si PA est — sin a, la direction PH étant opposée à celle de OB, on a : cos (PM, ON) —=— cos (0B, ON) = — cos (+ ) et le produit est — Sin GX — COS (5 + v) ou encore sin & COS (S | ») : Donc on a, quels que soient les arcs a et b: cos (a + b) — cos a cos b + siu a cos (5 +6); mais on a vu au $ 9 que cos (5+:1) est toujours égal à — sin b, quel que soit l'arc b. On a doncenfin: (5) cos (a + b) — cos a cos b — sin a sin b. 18. Calcul de sin (a + b) — La formule (5) étant générale, on peut y remplacer a par a +3 et elle devient : cos (+ a+ b)= cos (5+ a)cosb — sin (5 + a)sine EAN et par suite $ 9 : — sin (a+ b) = — sin a cos b — cos a sin b, ou enfin : (6) sin (a + b) = sin a cos b + sin b cos a. 19. Calcul de cos (a —b) et de sin (a — b). — On obtient ces deux quantités en remplaçant dans (5) et (6) b par 247 — b, 2kr étant le nombre entier de circonférences immédiatement supérieur à b. On a ainsi : cos (a + 2hkr —b) — cos a cos (2kr — b) — sin a sin (2kr — b), sin (a + hr —b) — sin a cos (247 — b) + cos a sin (2kr — b), et en supposant a > b, et on a d’après les 2 7 et Z 8 : (7) cos (a — b) — cos a cos b + sin a sin b, (8) sin (a — b) = sin a cos b — cos a sin b. 20. Lorsque b est plus grand que a, on met la quantité a + 2hr — b sous la forme 247 — (b—- a); le cosinus de cet arc étant cos (b — a) et son sinus étant — sin (b— a), on a dans ce cas les égalités : cos (b — a) — cos a cos b + sin a sin b, — sin (b— a) — sin 4 cos b — sin b cos a, qui se déduisent de (7) et (8) en écrivant —- (b — a) au lieu de (a — b), et en appliquant la règle du Z 10. Les mêmes raisonnements montrent enfin que les valeurs de cos {a — b) et de sin (a — b) peuvent se déduire de celles de cos (a + b) et de sin (a + b), en remplaçant dans ces derniers b par — b, et réciproquement. 7 {à ; 3 d’Em.du Doubs. 1876. TRIGONOMÉTRIE IQ te Mais } i "1 PAL! TAN IR 0 14 ui "Tres un e L - : : s Le » + , » Ea : de . ri | | : » LA ra 7" 3 | . ( L 1 ? à ; bn pu et Ê "< } ! Re Le RUE Le à duel HP orne Eure son Eos sarondnèb, PAT L * l : : # à } CR T7, (+ &i ba Danñiza ri 'h TON (re y #4 “hyu wo! \h iii re à } | CPPERTE LES . À ar CRELTAUTE a on OU PHIC LL NON EE EL abug 12 op [ed . Les L l 7 | à deu int rats ea! ni \É 4 ue dat Me viit4 x 7 4 | NANTES 1 4 y" $ 2 [ Lai a PEU hi th; PT Ah : ARvt ef  Mr, nt ENCRE CA bee 4 RUTEU er vite dans ft à (28 M, } . 4 ANA + L ‘704 LOUE, da gr 08 2 d ” 4 à He aus à ms ue Re th # Ar uses PA } D j En ) L à, à i | 0 ” « e a (| ‘ E . - + ] Ê LE CÉSARISME ET LA DÉMOCRATIE A ROME Par M. Edouard BESSON. Séance du 13 mai 1876. « Unius honor, orbis excidium. » SALVIEN, De qubernaiione Dei, 1v, 4. I La démocratie est, d'après l'étymologie du mot, le gouver- nement du peuple par lui-même. Un César nous à donné la formule du césarisme : « Quidquid principi placuit, a dit Justinien, legis habet vigorem (1). Le bon plaisir du prince a force de loi. » Le césarisme est donc le gouvernement qui soumet le peuple aux caprices d'un homme. Il serait difficile à priori d'accorder ensemble ces deux défi- nitions; il serait même difficile de ne pas convenir qu'elles sont en opposition complète, et que par suite les deux gouver- nements définis n'ont absolument rien de commun. Néan- moins on a souvent tenté, surtout dans notre siècle, de re- présenter le césarisme comme un gouvernement populaire offrant, outre les conditions d'égalité et de justice réclamées par une nation qui veut jouir de ses droits, les garanties de (1) Instit. I, 2, 6, SRMEINIE". stabilité et d'ordre nécessaires aux progrès de toute société; en un mot, comme le type le plus achevé de la démocratie. On ne s'est pas contenté , pour établir cette étrange doctrine, de fausser l'histoire contemporaine, de nous parler des prin- cipes révolutionnaires implantés en France par Napoléon qui n'y implanta guère que les abus de l’ancien régime; l’histoire ancienne a été moins respectée encore, et nous avons vu le plus exécrable des régimes politiques, le césarisme romain, transformé sous la plume d'écrivains sérieux en un gouverne- ment idéal. Le premier Bonaparte, qui avait ses raisons pour ne pas aimer Tacite, voulut en vain le faire réfuter par les littérateurs serviles de sa cour. Il eût été amplement satisfait s'il eût assez vécu pour voir éclore cette foule d'œuvres soi- disant philosophiques si nombreuses de nos jours, qui, sous l'apparence d’une analyse savante et scrupuleuse, cachent la théorie la plus vide et la moins féconde : le panégyrique du fait accompli. Un profond penseur qui fut aussi un grand citoyen, le regretté M. Edgard Quinet (!), a su dégager notre histoire des sophismes nés de cet esprit de système; il a montré que la véritable science devait toujours parler le langage de la liberté. L'histoire romaine échapperait-elle à cette règle, et l'antiquité serait-elle un champ ouvert à toutes les théories subversives de la morale et du bon sens? Nous ne le pensons pas. Sans doute des faits si éloignés de nous, et dont les vraies causes sont forcément restées très obscures, prêtent beaucoup aux interprétations de l'esprit de système. Il y a pourtant des limites que la seule pudeur devrait empêcher de franchir. Eùt-on jamais pu croire que le libéralisme et la philanthropie des Tibère et des Néron donneraient un jour matière à de gros volumes et exerceraient la plume des plus graves histo- riens? C’est ce qu'a vu notre siècle; et, ce qui est encore plus étrange, ces doctrines au moins immorales ont pris pied dans EEE (1) Voir sa Philosophie de l'histoire de France. Hi la science moderne. Nées dans notre malheureux pays qui devait pourtant connaitre par expérience la nature propre et les effets du césarisme, elles ont franchi le Rhin et les Alpes et ont trouvé des interprètes même au delà des mers. Le procédé de la nouvelle école est d’ailleurs bien simple. Elle attribue à l'influence du régime politique qu'elle veut réhabiliter toutes les améliorations sociales qui résultent du progrès naturel des esprits et des mœurs. Si ce progrès n’au- rait pu produire ses effets à Rome sous le gouvernement de la république; si les empereurs n’y mirent pas le plus souvent obstacle : autant de questions que l'on ne songe même pas à ‘examiner. On énumère les faits qui semblent à l'avantage des Césars, on dissimule ceux qui pourraient nuire à leur mé- moire; des causes, on n'en parle pas. Etrange méthode, et bien peu faite pour satistaire un esprit vraiment philoso- phique! C’est ainsi que de nos jours on a voulu faire bénéfi- cier le gouvernement napoléonien des progrès du bien-être matériel dus principalement à l'invention de la vapeur; et personne n’ignore que les offres de Fulton furent repoussées par le premier des Bonaparte. Que la société ait marché en avant depuis César, la chose est indiscutable. On devrait supposer à cet homme et à ses successeurs une bien grande puissance dans le mal pour croire que durant des siècles ils ont pu rendre l'humanité station- naire. Mais l'établissement de l'empire fut entouré de telles circonstances qu'il faudrait être volontairement aveugle pour rattacher à ce seul événement tout ce qui s’accomplit sous la domination des Césars. Si l'on voulait trouver une origine unique à des résultats nés de causes si diverses, la naissance du christianisme les expliquerait beaucoup mieux que les intentions humanitaires d’'Héliogabale ou de Caracalla. Le but des auteurs que nous combattons est trop manifeste pour qu'il soit nécessaire d’y insister. Mais ils se trompent encore s'ils pensent que la réhabilitation du césarisme ro- main peut servir en quelque chose la cause du césarisme Ent: moderne. Eussent-ils mené à bonne fin leur entreprise ardue, nous eussent-ils fait admirer et chérir la mémoire des monstres qui, pour la honte de l'humanité, présidèrent à ses destinées durant de longs siècles, qu'en résulterait-il pour le présent? — Absolument rien. On a trop souvent comparé notre société à la société antique. De là sont venues les erreurs les plus graves des hommes de la Révolution. Mais leur expérience nous a éclairés, et nous ne risquons plus de confondre des temps qui n'ont rien de commun. Néanmoins, afin de ne pas laisser la moindre illusion aux esprits les plus prévenus et de chasser le césarisme de ses der- niers retranchements, il est bon de le combattre même dans l'antiquité, de le représenter tel qu'il fut alors, c’est-à-dire comme un gouvernement absolument mauvais, fatal aux peuples comme aux grands, aux provinces comme à Rome; enfin d'arracher le voile dont l'esprit de système a prétendu couvrir ses turpitudes. Voilà le but que nous nous sommes proposé dans ce travail. Etudier le monde romain à la fois dans la cité maîtresse de l’univers ct dans les provinces soumises à sa domination ; voir quelle influence l'établissement de l'empire eut sur cha- cun de ces éléments à coup sûr distincts, mais non entière- ment séparés, c’est évidemment une méthode certaine pour n’omettre aucun des points importants de la question. Elle a été employée par M. Amédée Thierry dont le Tableau de l'em: pire romain résume les doctrines de la nouvelle école. Ce sera aussi la nôtre. Nous examinerons si, comme l’avancent cer- tains auteurs, le régime républicain à l'époque de César était devenu, même dans l'enceinte des Sept-Collines, une ano- malie et une injustice (1); si, d'autre part, l'avénement des empereurs fut un bienfait pour le peuple des provinces. Enfin (1) « The old Roman regime became, even within the circuit of the seven hills an anomaly and an injustice. » (MérivaLs, History of the Romans under the empire, t. III, p. 547.) AT EE nous nous attacherons à établirles vraies causes des transfor- mations que subit en effet la société romaine dans l'intervalle compris entre le triomphe de César et l’époque des grandes invasions. LE Une erreur très grave, bien que fort répandue, consiste à se représenter le gouvernement de Rome vers la fin de la république comme exclusivement aristocratique. L'homme qui a le mieux connu la constitution romaine telle qu'elle était au deuxième siècle avant notre ère, Polybe, ne parta- geait pas cette opinion. El observait dans sa patrie d'adoption une combinaison des trois formes principales de gouverne- ment si bien balancées entre elles que personne, même parmi les Romains, n'eût pu décider si le pouvoir appartenait aux nobles, au peuple, ou à un seul homme!{t). Cicéron exprime les mêmes idées dans son Traité de la République. — A partir de l'époque où écrivait Polybe, sauf la courte période de réaction syllanienne, l'élément populaire ne fit que gagner en pouvoir et devint bientôt prépondérant. Cela tenait aux grandes pré- rogatives des tribuns, et à l’extension des comices par tribus, c'est-à-dire du suffrage universel. Aussi, depuis Sylla, tous les ambitieux, Pompée comme César, s'appuyèrent d'abord sur le peuple. Ils sentaient bien que de ce côté, et de ce côté seulement, était la vraie force de l'Etat. L'empire aida-t-il à celte tendance générale vers la démo- cratie ou, du moins, lui laissa-t-il produire ses effets ? C'est (1) « Omnes igitur tres partes quas supra nominavi potestatem ha- bebant in republicà : atque cuncta, distributis cuique suis vicibus, ita. æquabiliter ac convenienter ordinata erant et ab his administrabantur ut ne indigenarum quidem quisquam satis certè pronuntiare haberét de universà republicà optimatiumne, an populi, an unius esset imperium. » (Pozyse, édit. Didot, AHist. vi, 11.) Eh, | QE ce qu'on ne peut admettre si l’on observe quelles furent les premières institutions impériales, celles qui marquèrent l'avé- nement définitif des Césars. Nous en trouvons le tableau très exact au début des Annales de Tacite. « Lorsque, dit-il, la défaite de Brutus et de Cassius eut anéanti le parti de la répu- blique, que Sextus Pompée eut succombé en Sicile, que l’abaissement de Lépide, que la mort d'Antoine n’eurent plus laissé, même au parti de César, d'autre chef qu'Auguste, celui-ci renonçant au titre de triumvir, se contenta de la dignité de consul, en y joignant la puissance tribunitienne pour protéger le peuple. Dès qu'il eut gagné le soldat par ses largesses, le peuple par des distributions de blé, tous les ordres par les douceurs de la paix, on le vit s'enhardir et attirer insensiblement à lui tous les pouvoirs du sénat, des magis- trats, des lois; rien ne lui résista. Les plus fiers républicains avaient péri dans les combats ou par la proscription; le reste des nobles, voyant les richesses et les honneurs payer leur empressement pour la servitude, et trouvant leurs avantages dans la révolution, préféraient leur sûreté à des périls et le présent au passé (1). » Il faut un esprit de parti bien tenace pour découvrir dans cet exposé s1 lucide l'établissement d'un gouvernement démo- cratique. Nous y voyons seulement la noblesse abaïissée au point de vue moral et non dans ses richesses ou son pouvoir ; que dis-je ? l'élévation des nobles les plus serviles, l'élite de la nation disparue, la soldatesque bassement flattée, la ca- ‘naille de Rome nourrie et amusée aux dépens du reste de l'empire, et un homme dominant tout, même la loi. C’est un mélange de la plus vile démagogie et de despotisme oriental, L’auteur ajoute, il est vrai : « Ces changements ne déplai- saient point aux provinces, le gouvernement du sénat et du peuple faisant toujours craindre les divisions des grands et la cupidité des magistrats qui n'était contenue que par des lois (1) Tac. Ann. 1, 2, trad. Dureau de Lamalle, revue par Collet. ST faibles, impuissantes contre la violence, la brigue et l’ar- gent (1), » Là dessus les défenseurs de la thèse que nous combattons triomphent. L'empire, nous disent-ils, fut fait au bénéfice du plus grand nombre, puisque les provinces y trouvèrent leur avantage. « L’autocratie des Césars n'eut pas un autre carac- tère que la toute-puissance tribunitienne des Gracques et de Marius, ou la royauté offerte à Sp. Cassius, à Saturninus et à tant d’autres; pouvoirs extraordinaires confiés à un seul par la majorité contre l’oligarchie dans un but de progrès gé- néral (2). » Nous ne croyons pas que la phrase de Tacite ait une telle portée. Pour nous, elle signifie simplement que les provinces, fatiguées des guerres civiles causées par l'ambition des deux Césars et des ruines qu’elles avaient faites, se trouvèrent rela- tivement heureuses sous le règne d’Auguste, lorsque l'empe- reur eut dépouillé le triumvir. Mais Tacite fera-t-il la même réflexion après le règne de Caligula? Sans doute il serait commode, pour juger un régime politique, de s’en tenir à une époque et à des circonstances particulières; et on trouverait en faveur de l'empire bien d’autres arguments en se plaçant au siècle des Antonins. Mais la saine raison demande que l’on analyse un gouvernement en lui-même et dans les con- séquences qu'il peut avoir, étant donnée la fragilité des hommes appelés à y présider. Or, le césarisme romain ne peut résister à cet examen, pas plus qu'aucun régime poli- tique fondé sur le despotisme. On objectera, il est vrai, certains décrets libéraux, du moins en apparence, et émanés des plus exécrables empereurs; on rappellera que le droit de cité sous l'empire fut étendu aux (1) « Neque provinciæ illum rerum statum abnuebant suspecto sena- tûs populique imperio ob certamina potentium et avaritiam magistra- tuum, invalido legum auxilio, quæ vi, ambitu, postr'emo pecunià turba- bantur. » (Ann. 1, 2.) (2) As. Taierny, Tableau de l'Empire romain, p. 81 de l’éd. in-1?. sé villes et aux nations, et qu'enfin Caracalla conféra le titre de citoyen à tous les sujets de Rome. Sur tout cela, il est néces- saire de bien s'entendre-atin de ne pas introduire de confu- sion dans les mots et dans les choses. Sans doute les empereurs étendirent le droit de cité, mais après l'avoir complétement avili en privant les citoyens de toute influence. Ils donnèrent la cité à tous lorsqu'elle ne signifia plus rien et qu'elle fut devenue une forme de l'esclavage politique. Car, remarquons le bien, de tout temps le droit de cité, même lorsqu'il pré- senta des avantages réels, entraîna aussi avec lui des incon- vénients assez graves pour le faire refuser par nombre de peuples, comme plus funeste qu'utile (1). Il en fut ainsi, même sous la république, quand la cité romaine emportait avec elle tant et de si incontestables prérogatives. Sous l'empire, ces prérogatives disparurent presque en entier, et les inconvé- nients demeurèrent. L'octroi du droit de cité fut souvent pour les familles une source {de perturbations telles que, suivant Pline, il équivalait à la haine, à la discorde, à la privation d'enfants (2. Aussi le décret de Caracalla n'eut-il, comme nous le verrons, qu'un but d'oppression et de fiscalité. : Et d'ailleurs, sans tenir compte de ces nuances et de ces distinctions essentielles, pour faire des avantages que l'exten- sion de la cité put, dans certains cas ct à certaines époques, offrir aux provinces un argument en faveur du césarisme, il faudrait montrer que l’idée première en revient aux Césars, et qu'avant eux le droit de cité n'avait jamais dépassé les limites du pomærium romain. Comment, en effet, leur faire un mérite d’avoir continué une tradition historique antérieure à leur avénement, de ne s’être point opposés à un mouvement social dont l'impulsion première avait devancé de beaucoup (1) DE Bgauronrr, République romaine, liv. vr, ce. 6. T. Liv. 1x, 43, 45; xxint, 21; xx VI. 24. Cic. pro Balbo, c. 8. (2) « Ita maximum beneficium vertebatur in gravissimam injuriam, civitasque Romana instar erat odii et discordiæ, et orbilatis, quum ca- rissima pignora, salvà ipsorum pietate, distraheret. » (Panegyr., c. 37.) — De — l'établissement de l'empire? Ainsi énoncée et ramenée à ses véritables éléments, la question est facile à résoudre. « C'est une maxime, dit Tite-Live, constamment observée par nos ancêtres, de bien traiter leurs alliés dont plusieurs ont été gratifiés du droit de cité romaine et mis dans une en- tière égalité avec nous (l) » Il y eut, relativement à la con- cession du droit de cité, deux époques dans la vie de Rome. Elle commença par s'agréger violemment les vaincus, par les transporter dans l'enceinte de ses murailles, ou sur son ter- ritoire. C'est de la sorte que, malgré les pertes nombreuses que lui faisaient subir ses luttes continuelles avec les peu- plades voisines, elle put se maintenir florissante et se déve- lopper sous les rois et dans les premiers temps de la répu- blique. Plus tard seulement, elle accorda les divers priviléges attachés au titre de citoyen, et parfois la cité tout entière aux habitants des villes vaincues. La première concession de cette nature date de l'an 365. A cette époque, en récompense de services rendus aux Romains, les habitants de la ville de Cère recurent seulement la com- munication du droit civil. Une fois le mouvement donné, il s'accéléra promptement, et, au commencement de la seconde guerre punique, la plus grande partie de la Campanie jouis- sait déjà du droit de cité (2). (1) vr, 4. Cicéron caractérise encore plus nettement la politique suivie par Rome dès son origine et d'une manière constante à l'égard des étrangers. « Illud vero sine ullà dubitatione maxime nostrum fundavit imperium et populi Romani nomen auxit, quod princeps ille, creator hujuswurbis, Romulus fœdere Sabino docuit, etiam hostibus recipiendis augeri hanc civitatem oportere. Cujus auctoritate et exemplo nunquam est intermissa a majoribus nostris largitio et communicatio civitatis. Itaque et ex Latio multi et Tusculani, et Lanuvini, et ex ceteris gene- ribus gentes universæ in civitatem sunt receptæ,; ut Sabinorum, Vols- corum, Hernicorum, quibus ex civitatibus nec coacti essent civitatem mutare, si qui noluissent; nec si qui essent civitatem nostram beneficio populi Romani consecuti, violatum fœdus eorum videretur. » (Grc. pra Balbo, c. 13.) (2) De B£aurorr, liv. vi, €. G. AP SRT Ainsi, à toutes les époques de son histoire, Rome ouvre son sein aux étrangers; tantôt elle les agrége violemment, tantôt elle leur accorde des droits qui en font les égaux de ses citoyens. C'est là un usage constant. Denys d'Halicarnasse attribue à cette seule cause l'extension rapide de la puissance romaine (1). Tacite exprime, par la bouche de l'empereur Claude, des idées analogues (). Comment M. Amédée Thierry, après avoir cité ces autorités considérables (3), semble-t-il, quelques pages plus loin, attribuer exclusivement aux Césars ce qui était un trait essentiel du caractère de leurs compa- triotes (4)? La thèse du grand historien se présente néanmoins sous un jour assez spécicux. Oui, nous dit-il, telles furent en effet les tendances de Rome sous les rois ; mais la révolution aris- tocratique de 234 eut pour conséquence d'arrêter où du moins de ralentir ce mouvement libéral. Les nobles qui furent dé- sormais au pouvoir s'efforcèrent de mettre obstacle à de nou- velles concessions, tandis que « la masse du peuple romain ne renia jamais sa vieille sympathie pour l'étranger vaincu ou devenu ami (5). » César serait venu plus tard, comme pa- tron de la plèbe et des provinciaux, rendre au mouvement interrompu son énergie première. Raisonnement dont nous ne saurions admettre ni les prémices, ni les conclusions. Et d'abord « le peuple de Rome n'a jamais sympathisé avec les Italiens, encore moins avec les provinciaux (6) — .. Entre le parti démocratique et les provinciaux, il n’y eut aucune idée politique commune, par conséquent point d'union véri- table (7), » Ensuite César ne se fit jamais le représentant d’in- (1) Antiquit. rom., u, 16. (2) Ann., x1, 24. (3) Tableau de l'Empire romain, c. 1. (4) Telle paraît être aussi l'opinion de M. Troplong. /nfluence du christianisme sur le droit civil des Romains, 3° édit., p. 110 (5) Tableau de l'Empire romain, p.22. (6) Duruv, Hist. rom., Paris 1844, t. II, p. 523. (7) In., ibid. EN térèts autres que ceux de Rome. S'il favorisa parfois certaines provinces, c’est qu'elles étaient les instruments nécessaires de son ambition : deux points sur lesquels on nous permettra d'insister, car i!s méritent chacun une étude approfondie. Que la plèbe romaine ait fait cause commune avec les pro- vinciaux , que surtout les défenseurs des intérêts populaires à Rome aient toujours été en même temps les patrons des nations conquises, Cest ce que l’histoire dément à chaque page. Tibérius Gracchus, par sa loi agraire faite au profit des pauvres de Rome, nuisit considérablement aux Italiens (1), et la noblesse s'appuya sur ces derniers pour résister aux en- treprises du tribun (). Lésés dans leurs plus graves intérêts par les opérations des commissaires répartiteurs nommés en vertu de la loi, les Italiens sollicitèrent l'appui de Scipion Emilien, qui, par le plébiscite de 625, arrêta les partages de terres. Ce véritable patron des sujets détestait par contre la plèbe romaine. On connaît ses réponses célèbres aux clameurs de cette populace composée en grande partie d'affranchis et affectant à l'égard des nations vaincues un exclusivisme en- core plus outré que celui de l'aristocratie. [nterrompu comme il parlait à la foule : « Taisez-vous, s'écria-t-il, vous qui n'avez pas l'Italie pour mère, mais pour marâtre. » Et le tumulte continuant, il ajouta : « Croyez-vous donc que mis en liberté vous me ferez peur, vous que j'ai fait mener jadis enchaînés sur le marché aux esclaves? » Lui homme de l'aristocratie, lui qui avait approuvé l'acte sanglant de Scipion Nasica, n’en comprenait pas moins la nécessité de régénérer le sang ap- pauvri du vieux Latium. C’est à lui que revient l'honneur (1) « Ce ne fut pas seulement la noblesse de Rome qu’alarma le projet de cette nouvelle division agraire. Les Italiens s’unirent à elle dans une opposition résolue. » (MÉrIvaLe, L. I de la trad. franc., p. 20.) (2) « Nobilitas noxia atque eo perculsa modo per socios ac nomen latinum, interdum per equites Romanos quos spes societatis a plebe dimoverat, Gracchorum actionibus obviam ierat. » (SazL., Bell. Jug., XLII.) 00 2 d'avoir le premier prononcé un nom qui devait encore retentir après bien des siècles, celui de l'Italie. Aussi fut-il assassiné, et l'opinion publique vit dans ce crime la maiu des pute de Tibérius Gracchus. Le frère de celui-ci, Caïus Gracchus, était bien le patron de la plèbe romaine. Quant aux pays sujets, il suffit, pour appré- cier ses sentiments à leur égard, de remarquer qu'il fit attri- buer les jugements aux chevaliers, c’est-à-dire aux traitants. Il livra ainsi la province aux déprédations que peut se per- mettre une armée de publicains débarrassée de tout contrôle (1). L’Asie fut particulièrement sacrifiée ; la recette en fut donnée à bail aux entrepreneurs de Rome. Et un auteur considérable ajoute pour achever le tableau : « Il n’est point téméraire de croire que la désignation aux fonctions judiciaires portait de préférence sur les principaux partenaires des grandes sociétés de la compagnie des impôts d'Asie, ou autres (?). » Les jurés sénateurs ne s'étaient pas, il est vrai, montrés bien sévères dans le contrôle des actes de leurs collègues administrateurs des provinces. Mais personne n'’ignore que, dans les mêmes conditions, une aristocratie d'argent sera toujours infiniment plus rapace qu’une aristocratie de naissance. Et si Gracchus voulut, comme quelques-uns le prétendent, remédier à la mauvaise administration des provinces, son remède fut de beaucoup pire que le mal (3). « Lorsque à Rome, dit Montes- quieu, les jugements furent transportés aux traitants, il n'y . (1) « Equites Romani tantà potestate subnixi ut qui fata fortunasque principum haberent in manu, interceptis vectigalibus, peculabantur suo jure rempublicam. » (Fconus, 111, 18.) (2) Mouxsex, Histoire romaine, t. V, p. 62 de la trad. franc. (3) « Si l'intention de Gracchus était droite, il faut aussi reconnaître que le choix des nouveaux juges était des plus mauvais, et que Caïus: ne tirait l'Etat d’un péril que pour le précipiter dans un autre plus grand. » (LagouLave, Essai sur les lois criminelles des Romains concer- nan! la responsabililé des magistrats. Paris, 1844, p. 225. — Voir Ar- P1ex, De bello civili, 1, 22; Navoer, Des changements opérés dans l'admi- nistralion de l'empire romain, t. I, p. 10.) En: 20 eut plus de vertu, plus de police, plus de lois, plus de magis- tratures, plus de magistrats (1). » Les chevaliers justifièrent el mot de Tite-Live : « Là où se trouve un publicain, le droit public est un vain mot, la liberté n’existe pas pour les alliés (2). » Lucullus faillit perdre son gouvernement pour s'être opposé à leurs déprédations. On connaît le procès de Rutilius, un des plus grands scandales de l'histoire. Il ne faut donc pas dire que Gracchus s’inspira de l'intérêt des provinces; au con- traire, ayant besoin, pour ses projets contre la noblesse, de l'appui des chevaliers, il leur sacrifia les peuples sujets. Une remarque analogue nous donnera la clé d’un autre projet du tribun qui paraît en opposition avec notre manière de voir. On sait qu’il voulut étendre le droit de cité aux Latins et le droit latin aux Italiotes. Mais son but est ici évident. Les nouveaux citoyens, obligés de venir voter à Rome, de- vaient, aux jours des comices, lui former une armée dévouée et prête à faire passer toutes ses motions. Et admirons ici l'affection que la plèbe romaine porte aux étrangers et ses tendances à se confondre avec eux. A peine Gracchus a-t-il fait ces propositions que ses partisans l’abandonnent, et c’est de te moment que date la chute de son crédit. Qu'on ne cherche pas des motifs de philanthropie et de libéralisme dans une lutte où il n’y avait en jeu que des in- térêts : ceux du peuple et ceux de la noblesse. Les provinces servaient d'appoint tantôt à l'un des partis, tantôt à l’autre; mais aucun ne sympathisait avec elles. Ce n'était pas par affection pour elles que Caïus Gracthus inslituait l’annone destinée à nourrir le peuple romain à leurs dépens, qu’il en- voyait des colonies s'établir sur leurs territoires. Ce grand démocrate, mème dans ses mesures favorables aux alliés, ne songeait qu'au peuple romain. (1) Esprit des lois, xr, 18. (2) « Ubi publicanus est, ibi aut jus publicum vanum, aut liberta- tem sociis nullam esse. » xLv, 18. Par contre, Drusus, qui reprit les projets de Scipion Emi- lien et de Gracchus relativement aux Italiens, était du parti de la noblesse (1). Nous ne voulons pas suivre les peuples al- liés durant l'époque troublée des guerres intestines de Rome. Il faudrait pour cela refaire une histoire romaine. Les Italiens prirent à la lutte une part très active, et ce furent eux qui gagnèrent le plus à ce jeu sanglant, puisqu'ils finirent par y conquérir le droit de cité (2). Nous nous contenterons, pour résumer cette période, de présenter le jugement d’un historien absolument d'accord avec nos vues personnelles. « Les Ita- liques, dit M. Mommsen, restèrent calmes jusqu’au jour où la révolution ébranla Rome elle-même. Mais à peine elle éclate, qu’on les voit entrer dans le flux et le reflux des partis, demandant aux uns ou aux autres l'égalité civique qui leur tient tant à cœur. Ils font cause commune d'abord avec les démocrates, puis avec le parti sénatorial G), » La cause de la plèbe romaine et celle des étrangers furent donc loin de se confondre sous la république. Les patriciens ne furent pas toujours hostiles aux derniers. Qu'on n'objecte pas la dictature aristocratique de Sylla, qui pesa aussi cruellement sur l'Italie que sur le parti populaire à Rome, Les Italiques étaient alors citoyens ct, depuis la réforme sulpicienne respectée par Sylla, jouissaient des mêmes droits que les anciens habitants de la métropole. À partir de cette époque, la question du droit de cité ne se débat plus entre Rome et l'Italie, mais entre l'Italie et les provinces. Mais bientôt de nouveaux acteurs occupent la scène politque; les guerres civiles reprennent avec plus de (1) « Domi suæ nobilissimus vir, senatus propugnator, atque, illis quidem temporibus pœne patronus, avunculus hujus nostri judicis fortissimi viri M. Catonis tribunus plebis M. Drusus occisus est. » (Crc. pro Milon., 7.— Voir Suerowe, Vie de T'ibère, xr.) On sait que Drusus voulut rendre les jugements aux sénateurs. (2) Le droit de cité, conféré d’abord aux Latins par la loi Julia (654), fut étendu à tous les Italiens par la loi Plautia (665). (3) Moumse, t. V, p. 202, 07 — fureur, ct comme elles se font sur un plus grand théâtre, il n’est pas aisé de distinguer, au milieu des chocs sanglants qui ébranlent le monde, les tendances des divers partis. Parmi ces généraux qui guident les nations les unes contre les autres, en est-il qui se préoccupent des intérêts populaires à Rome, des intérêts des provinces en dehors de l'Italie? Question difficile, impossible à trancher d’un mot, à moins de partir de doctrines préconçues et par suite fausses, à l'exemple des auteurs que nous critiquons. Pompée et César servent en effet tour à tour la cause de la démocratie suivant les intérêts de leur ambition; ils s'appuient sur certaines provinces qu'ils ont dès longtemps gagnées. Mais nous n’apercevons chez aucun d'eux rien qui ressemble à des vues générales de pro- grès telles qu'on en attribue assez communément à César. LTE Représenter César, c'est-à-dire l’homme le plus positif, le plus froidement égoïste qui ait jamais été, comme une sorte de philosophe humanitaire, de Saint-Simon guerrier révant l'amélioration des classes pauvres et l'émancipation des peu- ples, et subordonnant ses actes à ce double but, ce n’est pas faire de l’histoire, c'est se livrer à toutes les fantaisies de l'imagination. Nous possédons dans ce genre un véritable chef-d'œuvre : la Vie de César de Napoléon III montre à quels résultats on arrive en voulant à tout prix faire entrer les données historiques dans le développement d’une thèse ‘politique déterminée à l'avance. Le démocrate moderne qui nous est représenté par l'impérial écrivain sous le nom de César, n’a jamais existé dans l'antiquité; et, pour trouver quelque chose qui en approche, il faut attendre que le chris- tianisme ait marqué la vieille société à son empreinte. Nous ne parlons pas ici des altérations trop évidentes de la vérité, ER des faits les mieux établis niés audacieusement (1). Ce que nous combattons chez l’auteur de la Vie de César et chez les historiens de la même école, ce sont les hypothèses sans au- cune base sérieuse, par exemple gelle de César transformé en ami, en patron des provinciaux et en particulier des Gaulois. Suétone, historien très exact, sinon très profond (?), nous donne une‘idée de la conduite de cet ami des provinciaux en pays étranger. « Il ne fut désintéressé, dit notre auteur, ni dans le commandement, ni dans les magistratures. Il est prouvé, par les mémoires de beaucoup de contemporains, qu'en Espagne il recut du proconsul et des alliés des sommes d'argent qu'il avait mendiées pour acquitter ses dettes. Il sac- cagea quelques villes de Lusitanie, quoiqu’elles n’eussent fait aucune résistance et qu'elles eussent ouvert leurs portes à son arrivée. Dans les Gaules, il pilla les chapelles et les temples des dieux qui étaient remplis de riches offrandes. Il détruisit les villes, plutôt pour y faire du butin qu'en punition de quelque faute. Aussi avait-il de l'or en abondance (3). » Quant aux Gaulois, si nous en croyons deux ou trois mau- vaises plaisanteries rapportées par Suétone (4), César en fit entrer quelques-uns dans le sénat (5). Mais outre qu’une plai- (1) Par exemple la complicité de César et de Catilina. Qu'il nous suffise sur ce sujet de renvoyer le lecteur au plus exalté des admira- teurs de César : Mouse, I. vi, p. 248. (2) Voir sur ce sujet ,Eccer Examen des historiens d'Auguste. (3) Suer., /n Cæsar. trad. Cabaret-Dupaty. M. Laboulaye dit fort bien à ce propos : « Verrès, Pison, Gabinius ont laissé dans l'histoire un nom exécrable; mais la conduite de César ne fut pas moins infâme, et je ne sais pourquoi les historiens éblouis de son génie n'ont point : marqué du même sceau d’ignominie ce voleur éhonté. » Essai sur les. lois criminelles, p. 178. (4) « Bonum factum ne quis senatori novo curiam monstrare velit. » Et illa vulgo canebantur : « Gallos Cæsar in triumphum ducit, idem in curiam; » Galli bracas deposuerunt, latum clavum sumpserunt,. » SUET,, C. LXXX, (5) « Civitate donatos et quosdam e semibarbaris recepit in curiam. » In. LxxvI. — 65 — ï santerie est toujours de sa nature une énorme exagération, outre que ces plaisanteries pouvaient parfaitement s'appliquer à des colons romains établis en Gaule; pris littéralement, les bons mots des Romains contre les nouveaux sénateurs n’au- raient pas encore une portée si considérable. César poursui- vait le double but d'avilir le sénat et de le mettre dans sa main. Quel moyen plus sûr que d'y introduire des étrangers méprisés de ses compatriotes, et beaucoup moins exposés que les Italiens aux variations politiques? C'est par une raison semblable qu'il donna le droit de cité aux soldats de la légion Alauda (1). Mais, en vérité, César qui décima la population gauloise, qui fit refluer son or sur le forum romain afin de s'acheter des partisans, qui mutila les défenseurs d'Uxello- dunum, peut-il être sérieusement représenté comme un pa- tron de la Gaule? Et qu’on ne parle pas des cruelles néces- sités de la guerre. Lorsque le martyr de la liberté gauloise, lorsque Vercingétorix fut venu livrer au proconsul ses armes et son cheval de bataille, était-ce une nécessité d'envoyer le héros pourrir six ans dans le Tullianum pour le faire ensuite égorger ? Ge seul fait devrait ouvrir les yeux aux plus incré- dules, leur faire voir dans César ce qu'il était réellement : un ambitieux effréné, un joueur habile spéculant sur les peuples comme sur les individus, sur les provinces comme sur Rome, pour les jeter tour à tour dans la grande lutte où se jouait le sort du monde, et, une fois sa tyrannie établie, pour lui donner de solides bases. Tous les actes de César sur lesquels s'appuient les auteurs que nous combattons, ou bien sont controuvés, ou bien peu- vent s'expliquer par la poursuite de son intérêt personnel, ou par les habitudes romaines. « Ses voyages comme particulier, a écrit un historien non suspect (?), se réduisent à deux courses en Asie. » Or, il n'y avait pas un noble romain qui ne fit le (1) Suer., În Cæsar., xxIv. @) M. Duruy, Histoire romaine, page déjà citée. - — 66 — même voyage dans le même but d'instruction; il allait étu- dier à Rhodes. S'il accusa des concussionnaires, c'était le moyen employé par tous ceux qui voulaient se mettre vite en évidence ; il n'y avait pas un seul personnage, même parmi les chefs de l'aristocratie, qui n’eût ainsi commencé. Les liens d'hospitalité contractés avec les villes étaient un vieil usage que suivaient les plus fiers patriciens. Quant à ses lois durant son consulat, celles qu'on cite ne sont que le développement de lois antérieures, telles que Sylla et Cicéron en avaient proposé. » Et plus loin : « La concession du droit de cité à la Cisalpine était un fait fort simple. Ce pays était depuis un siècle et demi couvert de colonies romaines, ct la population gauloise en avait été en partie chassée (émigration des Boïies) ou exterminée. Pour les constructions dans les provinces, c'était encore une ancienne coutume; Appius, un des plus cruels déprédateurs, avait fait élever un portique à Athènes, et Cicéron fit comme lui. (Voyez dans CG. Népos les dons d’At- ticus à Athènes.) Les provinciaux non plus ne se déclarent pas pour lui, excepté les deux Gaules et l’Illyrie où il com- mandait(U. La Narbonnaise, la Sicile, l'Espagne qui, dit-il lui-même, situées aux portes de la Gaule, ne connaissaient pas même son nom, l'Afrique et tout l'Orient étaient pour son rival. La Macédoine, dit-il encore, remuera toujours tant qu’elle verra un soldat pompéien, et les débris de Pharsale trouveront asile et 'sûreté dans la Grèce jusqu’à l’arrivée de Brutus. En commençant la guerre, César n'avait hors de ses (1) Ce fait de l'isolement de César au milieu des provinces durant la guerre civile nous semble si bien établi que nous ne savons comment l'opinion contraire a pu prendre naissance. « Si auxilia sociorum in- spicias, dit Florus (1x, 2) hinc Gallici, Germanicique delectus, inde Dejotarus, Ariobarzanus, Tarcondimotus, Cotys, one Thraciæ Cap- padotiæque, Ciliciæ, Macedoniæ, Græciæ, OEtoliæ, totiusque robur Orientis. » Il faut joindre au parti de Pompée la Narbonnaise, les deux Espagnes et presque toute l'Italie propre. Car, suivant M. Mommsen, t. VII, p. 234, « dans l'Italie propre, l'influence de César restait bien en arrière de celle de ses adversaires, » < Er provinces que l'étendue de son camp. » Enfin, il n’y a peut- être pas dans cette partie du livre de M. Thierry (1) une phrase relative à César à laquelle on ne puisse opposer un fait contraire ou qui l'explique dans un autre sens (?). Aïnsi, il ne dit pas au tribun qu'il casse : « Tu n'as pas fait moins de mal à moi qu'à la république, » mais : « Tu as été inutile à moi et à la république (la république est ici le mot de convention dont se servaient tous les partis), parce que tu as rempli ton navire d'esclaves et de denrées quand j'avais ordonné de ne le remplir que de soldats G). » C'est là parler d’or sur la matière; cet admirable résumé ne laisse subsister aucun des points sur lesquels s’appuyait la thèse du cosmopolitisme césarien. Car, après cela, il ne reste plus à citer que les intentions présumées du dictateur, ou de prétendues lettres de Salluste à César qu'aucun écrivain sérieux ne regarde plus comme authentiques (#. Et ceci nous amène à juger les sources mêmes où ont puisé tous ceux qui ont écrit sur César et sur les premiers temps de l'empire. Les auleurs originaux sont très nombreux et le plus souvent exacts; (1) Le Tableau de l'Empire romain. (2) On peut même y relever l’énonciation de faits matériellement inexacts, comme celle du droit de cité conféré aux Siciliotes par le tes- tament de César. Personne n’ignore qu’on trouva ce qu'on voulut dans le testament de César, à condition de bien payer Antoine et surtout sa femme Fulvie. Tous les auteurs (App. de Bell., civ. u1, 5; VEL. Par. 1, 6; Gic. ad Al. xix, 18) sont unanimes sur ce point et sur les faux commis par Gabinius. Pour le fait cité par M. Thierry, nous avons la négation formelle de Cicéron, qui parle bien du droit latin, mais en affirmant que la concession du droit de cité était une invention d’An- toine. « Scis, quam diligam Siculos, et quam illam clientelam hones- tam judicem. Multa illis Cesar, neque me invito, et si latinitas erat non ferenda : verumtamen. — Ecce autem Antonius, acceptà grandi pe- cunià, fixit lezem a dictatore comitiis latam, quà Siculi cives Romani; cujus rei, vivo illo, mentio nulla. » (Ad Att.. x1v, 12.) (3) «Mihi reique publicæ inutilis fuisti. » (De Bell. Afr.) La traduction dé M. Thierry est au moins très élastique. (4) Voir notamment Mérivaze, t. III de la trad. franç., p. 170, et Mouse, t. VIIL, p. 115. LA Des, fs mais il faut distinguer. Les contemporains de César et de l'établissement de l'empire ont fort hien parlé d'événements dont ils avaient été spectateurs, souvent même acteurs. Ils ont fort bien étudié le jeu des partis et les véritables mobiles de leurs chefs. Mais ceux qui ont écrit longtemps après cette époque, Dion Cassius en particulier, nous ont trop souvent donné leurs propres idées pour celles’ des personnages dont ils racontaient la vie. De César à Caracalla Le temps et les es- prits avaient marché, et Dion Cassius, qui voyait tous les ha- bitants de l'empire ciloyens romains, était singulièrement porté à prêter aux premiers empereurs des tendances cosmo- polites. On a souvent parlé des anachronismes de cet auteur (1). Il attribue notamment à Mécène un plan de réorganisation du monde romain auquel Mécène n'avait sans doute jamais pensé (2. « Mécène, dit à ce propos un grand historien du dernier siècle, lui conseilla (à Auguste) de donner par un édit à tous les sujets le titre de citoyens; mais nous soupcon- nons, à juste titre, Dion Cassius d'être l’auteur d’un conseil si bien adapté à son temps et si peu à la politique (3). » Cri- tique juste autant que piquante, et que l’on pourrait souvent renouveler. Il faut donc, pour juger les intentions de César, se défier beaucoup des écrivains postérieurs à son époque, et ne puiser autant que possible d’appréciations que chez les auteurs con- temporains. Or on ne trouvera chez ces auteurs rien qui res- semble aux hypothèses toutes modernes dont le caractère de César a été l'objet. Mais voici mieux. César lui-même a écrit; (1) Sur cinq cents chapitres, remarque en outre un savant critique, qui composent chez lui l'histoire du règne d’Auguste, cent cinquante sont déplacés, ou inutiles, ou d’une faible autorité. » (Eccer, £xainen des historiens d'Auguste, p.293.) (2 M. Amédée Thierry, qui expose ce plan, ne peut s'empêcher d'a- jouter : « Il y a là, de la part de l'historien qui fait parler Mécène, anachronisme évident, au moins dans l'expression. » (Tableau de l'Empire romain,-p. 116.) (3) Gipgox, Décadence des Romains, trad. Buchon, t. I, p, 20. 59 — il nous a laissé le tableau de ses luttes, tant contre l’étranger que contre ses compatriotes. Y a-t-il dans tous ses ouvrages une ligne faisant allusion aux intentions humanitaires et cosmopolites que ses panégyristes postérieurs lui ont prè- tées (1)? Cependant le dictateur avait l'esprit assez large pour comprendre la grandeur de telles idées ; et s’il les avait réelle- ment conçues, nul doute qu'il s’en fût fait un titre de gloire anx yeux de la postérité. La vérité, la voici : César n’inaugura pas pour les provinces une ère nouvelle. Parmi les concessions de droit de cité aux- quelles il présida, les unes, comme pour la Transpadane, furent destinées à lui attacher fortement un pays qui fût son 2rand point d'opérations durant la guerre des Gaules et durant la guerre civile; les autres eurent pour motif l'intérêt le plus sordide, comme pour l'Espagne où il vendit le droit de cité à plusieurs villes 2); toutes furent des conséquences plus ou moins directes du mouvement imprimé aux esprits dans le sens cosmopolite et égalitaire bien avant César. Durant ses guerres où son administration, comme gouverneur ou comme général, il pilla les nations sujettes en véritable Verrès. S'il envoya des colonies au dehors, il ne songea, comme ses pré- décesseurs, qu'à débarrasser Rome du trop plein de ses habi- bants; d’ailleurs l'idée première de ces colonies avait été don- née depuis longtemps et appliquée dans de grandes propor- tions par Caius Gracchus: En un mot, dans tous ses actes relatifs aux étrangers, on ne trouve rien qui caractérise un novateur, surtout dans le sens libéral et tout moderne de cette expression. Si maintenant nous étudions sa conduite à l'égard de Rome elle-même, ce n’est pas sans une véritable stupéfaction que nous voyons des auteurs sérieux le représenter comme un par- (1) « César, dans les motifs qu'il donne de son entreprise (la guerre intestine}, n’allègue nulle part l'intérêt des peuples vaincus. » (G. Bots- siEr, Cicéron el ses amis, ?° édit., p. 59.) (2) DE Beaurorr, République romaine, Lvr, €. 6. ENT = tisan sincère de la démocratie. Un tel rôle ne se concilie guère avec cette fierté naturelle qui lui faisait sans cesse rappeler son origine à la fois divine et royale(N. Sans doute, il se tourna au début du côté du parti populaire, ou plutôt du parti de Ma- rius non encore relevé des coups terribles que lui avait portés Sylla. Si cela suffit pour faire un démocrate, le premier des démocrates doit être Pompée, qui le premier porta la main à l'édifice élevé par le dictateur. Rétablir le parti de Marius était une manière hardie et originale de se poser par un coup d'audace en face du parti dominant. Les lois agraires, comme celle que proposa César durant son consulat, menaient dès longtemps à la popularité et par suite au pouvoir. Quant à ses largesses envers le peuple, elles coûtaient peu à un homme disposant de l'or de plusieurs provinces. Etant donné le but qu'il se proposait dès son enfance, l’as- servissement de sa patrie (2), il n’y a rien de plus clair que toute sa conduite , et l’on n'a pas besoin pour l'expliquer de lui supposer des tendances quelconques vers tel ou tel parti politique. Violer le droit n’était pour lui qu'un jeu 5). II lui fallait avant tout de l'or et des partisans. De l'or, nous savons comme il s’en procurait. Pour ses partisans, il les prenait un peu partout, résolu à ne jamais s'en servir que comme d'ins- truments pour arriver au pouvoir. Il s'allia successivement (1) « Amitæ meæ Juliæ maternum genus ab regibus ortum, pater- num cum diis immortalibus conjunectum est. Nam ab Anco Marcio sunt Marcii regès, quo nomine fuit mater : Venere Julii, cujus gentis fa- milia est nostra. Est ergo in genere et sanctitas régum, qui plurimum inter homines pollent, et cærimonia deorum, quorum ipsi in potestate sunt reges. » (SuEr., /n Cæs., vi.) (2) Suer., In Cæs., XxXvux. (3) Il répétait sans cesse ces vers d'Euripide : Eînep yap GÔvzEiV ph, TUpavvidOc HépL Käluotov. GÔrmetv, T’& N'edcecerv ype@v. (Dot. 524.) qu'il avait lui-même ainsi traduit : Nam si violandum est jus, regnandi gralià Violandum est : aliis rébus pietatem colas. (Suer., In Cæs., XXX.) EE = avec Catilina, avec Clodius, avec Pompée et Crassus, s’in- quiétant peu des opinions que pouvaient représenter des hommes si dissemblables. Il traîna toujours avec lui une armée de prodigues, de gens tarés qu'il poussait à la guerre civile comme à l’unique refuge ouvert à leur détresse (1). On peut voir dans les lettres de Cicéron en quelle abominable société le vainqueur des Gaules vint subjuguer l'Italie après le passage du Rubicon (?). Aussi l'opinion publique suivit-elle à son égard des fluc- tuations singulières. Le peuple romain, qui d’abord s'était laissé prendre aux allures démocratiques des triumvirs, de César en particulier, comprit bien vite qu'il servait d'instru- ment aux projets de misérables ambitieux ; et, à l'époque des conférences de Lucques, si nous en croyons Cicéron, « rien n'était plus populaire que la haine des populaires G), » Car les écrivains qui jugent après coup ont beau nous parler de la nécessité absolue où se trouvait Rome de subir le régime mo- narchique, le peuple tenait fortement aux institutions répu- blicaines. Et ce n'était pas seulement dans l'enceinte de la métropole que l'opinion se prononcait en ce sens. D'après un historien partisan du césarisme, « chaque jour faisait voir combien les institutions républicaines avaient jeté de pro- fondes racines au sein du peuple, et combien peu surtout les (1) « Tum reorum aut oberatorum, aut prodigæ juventutis subsidium unicum ac promptissimum erat; nisi quos gravior criminum, vel ino- piæ luxuriæve vis urgeret quam ut subveniri possit a se. His plane palam bello civili opus esse dicebat. » (Suer., /n Cæs., xxvir.) (2) « Reliqua, à Dii qui comitatus! quæ, ut tu soles dicere, vexvta! In quà erat areà scelerum! O rem perditam! Ô copias desperatas! Quid, quod Servii filius? quod Titinii? quot in iis castris fuerunt quibus Pompeius circumsideretur? » (Ad AE. 1x, 18.) Et ailleurs : « Cave autem putes quemquam hominem in Italià turpem esse qui hine absit. Vidi ipse Formiis universos : neque mehercule unquam homines putavi; et noram omnes, sed nunquam omnes, sed nunquam uno loco videram. » (Ad AU., 1x, 19.) — Cf. Philip, 11, 32. (3) « Populare nihil tam est quam oditwn popularium, » (Crc., Ad AU, We) _— T2 — hommes vivant en dehors et loin de l'agitation des partis, combien peu les villes de l’intérieur se sentaient portés vers la monarchie ou seulement se préparaient à la subir (1). » Cette fameuse conférence de Lucques eut pour but de réagir contre le mouvement de l'opinion. Il y vint des séna- teurs au nombre de deux cents, accompagnés de cent vingt licteurs 2). Voilà les démocrates qui allaient régler avec le descendant des rois et des dicux les conditions de l’asservisse- ment de leur patrie. L'accord entre Pompée et César ne fut pas long, comme on sait. D'où vinrent les premiers torts? De quel côté était la justice ? Questions futiles et supcrflues. De graves auteurs se sont plu à discuter longuement la question de droit entre César et le sénat (3). Maïs pouvait-il y avoir un droit sérieu- sement établi là où depuis longtemps il n’y avait que violence et corruption dans les votes qui conféraient tous les droits ? Nous ne voyons dans le grand drame qui se dénoua à Phar- sale que la lutte d'ambitieux convoitant tous deux le pouvoir absolu. Pompée n'avait pas d’autres vues que son rival, et les hommes les plus intelligents de son parti redoutaient son triomphe. Cicéron appréhendait en lui un autre Sylla (1). Quant à César, la grande ombre de sa patrie tremblante eut beau lui apparaître sur les bords du Rubicon et lui rap- poler que ce fleuve servait de rempart à la liberté publique (5), il n’était pas de ces hommes qui cèdent à des scrupules de (1) Mommsex, Histoire romaine, t. VII, p. 132. (2) PLuTarQuE, Vie de Uésar, t. III, p. 562 de la traduct. de M. A. Pierron, (3) Par exemple M. Mommsen, qui lui a consacré un ouvrage spécial. Voir à la fin du tome VII de son Histoire romaine (traduct. frane.), un résumé de cet ouvrage, où M. Alexandre a succinctement présenté les arguments de l'historien allemand. (4) « Mirandum in modum Cnæus noster Sullani regni similitudinem concupivit. » (Crc., Ad AE. vi, 3.) « Genus illud Sullani regni jam pri- dem appetitur, multis qui unà sunt appetentibus. » ({o., var, 11.) « Sin autem-vincit, Sullano more exemploque vincet. » ([p., x, 7.) (5) Voir Lucas, Pharsale, €. 1. 87118 vertu ou de patriotisme. « Je viens, disait-il, délivrer le peuple romain d'une faction qui l’opprime (1). » Mais ces allures de démocrate ne se maintinrent pas longtemps. Elles ne trom- paient personne. « En effet, une réunion de grands seigneurs ruinés, les Dolabella, les Antoine, les Curion, marchant sous la conduite de celui qui se glorifiait d’être le fils des dieux et des rois, méritait peu le nom de parti populaire, et il s'agissait d'autre chose que de défendre les priviléges de la naissance dans un camp où s'étaient rendus tant de cheva- liers et de plébéiens, et qui comptait parmi ses chefs Varron, Cicéron et Caton, c’est-à-dire deux petits bourgeois d'Arpinum et de Réate et le descendant du paysan de Tusculum (?. » Mais bientôt, jetant le masque, César ne parla plus que de ses intérêts, de son consulat, de sa province. Il était ainsi dans le vrai; et ses soldats qui ne voyaient que lui compre- naient bien mieux ce langage. Au milieu de cette lutte de convoitises et d'égoismes, on aime à reposer sa vue sur la grande figure d'un homme demeuré pur et intègre, et personnifiant en lui le vieil honneur du nom romain. Tandis que tous ne songent qu’à leurs intérêts, Caton n'obéit qu'à sa conscience , ne se préoccupe que de la justice.’ Cela lui donne un air singulièrement ridicule aux yeux des Césars tant anciens que modernes et de tous les petits rhéteurs à la suite. Et ici, nous devons faire une distinction qui n'est pas à l'avantage de notre époque. Sauf César qui, en essayant desouiller la mémoire de sa victime 6), trahit indigne comédie (1) « Se non maleficii causà ex provincià egressum, sed uti se a contumeliis inimicorum defenderet, ut tribunos plebis eà re ex civitate expulsos in suam dignitatem restitueret, ut se et populum romanum, paucorum factione oppressum, in libertatem vindicaret. » (Gxs., De Bell civ., x, 22) k G. Boïssier, Cicéron el ses amis, p. 65. (3) César, en apprenant le suicide de Gaton, s'était écrié : « O Caton, j'envie ta mort, puisque tu m'as envié la gloire de te donner la vie. » Ce qui ne l'empêcha pas plus tard de répondre au Caton de Cicéron par son Anti-Calon. Dans ce pamphlet, il amoncela les plus dégoûtantes gr jouée par lui après la catastrophe d'Utique, tous les écrivains anciens, même sous les plus exécrables empereurs, ont célébré Caton et l'ont presque mis dans le ciel (1), S'ils avaient perdu la liberté, ils la respectaient encore dans son sublime et der- nier représentant. Nous n'avons plus cette noble pudeur. C'est à qui de nos jours essaiera d'ébranler le piédestal où l'admiration des siècles a placé le martyr des vertus républi- caines. C'est un concert de critiques très ingénieuses sur son caractère manquant de nuances, ne s'accommodant pas avec son époque, suivant le droit chemin avec trop de raideur. M. Mommsen, en particulier, épuise sur lui les traits de sa verve toute germanique. La chose ne doit pas surprendre quiconque a un peu étudié l’œuvre du célèbre historien (?). Les principes de Caton n'étaient pas ceux dont s'inspire la chancellerie allemande, et que M. Mommsen a cherché à po- pulariser dans son Histoire romaine. Caton ne pensait pas, après Thapsus, que la monarchie « fût désormais assise sur la légitimité du fait accompli @). » Si c'est pour un tel motif que M. Mommsen le traite de fou et de Don Quicholle, cela montre seulement que M. Mommsen éprouve le besoin de crier Væ victis sur tous les vaincus, comme il le criait sur nous calomnies contre son ancien ennemi, l’accusant d’avoir fait tamiser les cendres de son frère pour y trouver de l'or. L'honnête Plutarque dit très justement à ce propos : « Eùût-il épargné vivant un homme dont il a couvert des flots de sa bile les restes inanimés? » (Vie de César, trad. Pierron, t. III, p, 596.) (1) Montaigne a consacré un chapitre de ses Essais à la mémoire de Caton. Il cite les principaux poètes latins qui ont chanté le héros d'U- tique : Martial, vi, 32; Manilius, Astronom, 1v, 87; Lucain, 1, 128; Ho- race, Odes, II, 1, 23; Virgile, Enéide, vu, 670. Il faut relire cet admi- rable chapitre où le philosophe gascon flétrit les tentatives de tous les zoïles qui ne respectent pas même les plus sublimes figures de l'histoire. — « Qu'on me donne, dit-il, l’action da plus excellente et pure, ie m'en voys y fournir vraysemblement cinquante vicieuses intentions. » (Essais, 1, 36.) (2) Voir à ce sujet un très remarquable article de M. G. Boissier dans la fevue des Deux-Mondes du 15 avril 1872. (3) Mouse, /lisloire romaine, t. VIII, p.38. AE TES pendant nos désastres. Maïs la mémoire de Caton estsupérieure à ces attaques et à celles des imitateurs de César qui ont épousé ses colères impuissantes contre sa grande victime. Elle n’en reste pas moins glorieuse et vivante comme la protestation du droit contre la force, de la liberté contre le despotisme triomphant. Non pas que nous donnions Caton pour un démocrate, pour un républicain comme nous le concevons de nos jours. Le vrai démocrate, nous l'avons dit, n'exista pas dans l'antiquité, sur- tout dans l'antiquité romaine. Toutefois ce sénateur, cet aris- tocrate, ce prétendu défenseur des anciens abus, était d’une admirable intégrité dans la gestion des fonds publics; il ne voulait pas même que les provinces s’apercussent de son pas- sage; seul à Dyrrachium, lors d’une victoire de son parti, il pleurait sur les cadavres des Romains (1). Avouons que la bande de faméliques qui venait régénérer la société à la suite du dévastateur des Gaules et des Espagnes, fait triste figure en face d'un tel homme. Lui, du moins, s’il n’était point avec les populaires, affirmait hautement sa pensée et ses al- tières convictions ; il faisait voir au monde un homme mou- rant pour un principe, spectacle toujours sublime. Etrange contraste, dont les panégyristes des Césars auraient bien dù nous donner le secret! D'où vient que les hommes ayant recu de prétendues missions providentielles pour asseoir la société sur de nouvelles et meilleures bases, s’entourent, pour accomplir leur œuvre, des personnages les plus com- promis de l’ancien ordre de choses , de ceux qui profitaient le plus des vieux abus; d'où vient qu'ils ont toujours contre eux ceux que leur intégrité et leur vertu mettent au-dessus des besoins factices créés par une civilisation corrompue ? La so- lution de cette question suffirait peut-être à nous faire connaître ce que nous cherchons, la véritable nature du césarisme. Il va du reste se montrer à nous, sous son vrai jour, César (1) PLurarQuE, Vie de Caton, trad. Pierron, t. IT, p. 721. RE occupant désormais le trône et régnant, suivant l'expression de M. Mommsen, grâce à la légitimité du fait accompli. S'il est exact de dire, avec le poète, qu'on ne peut connaitre le caractère d'un homme tant qu'il reste dans une condition privée, la pensée de César a échappé à cette obscurité, et nous avons pour le juger le grand critérium du pouvoir absolu exercé par lui jusqu'aux fameuses ides de mars. L'œuvre du nouvel imperator inspire à M. Mommsen des accès d’enthou- siasme se traduisant en un langage lyrique qui ne lui est point ordinaire. D'après lui, « César a conservé immuable la devise et la pensée de la démocratie romaine (t. » Il va jus- qu'à énoncer cette proposition paradoxale : « César tenta autre chose que l'état militaire (2). » Mais il reconnait aussitôt que c'était une illusion de la part du grand homme, la seule du reste qu'il eût jamais éprouvée. Nous ne partageons sur aucun de ces points l'opinion de l'éminent historien, et nous ne sommes pas surpris que, de l’aveu même de M. Mommsen, les démocrates romains se soient montrés fort mécontents du maitre qu'ils s'étaient donné. César, en effet, commença l'œuvre que devaient achever Auguste et Tibère, et qui consistait à priver le peuple de toute part dans les affaires ct dans la nomination des magistrats. Et d’abord , il partagea avec lui les comices (3). C'était certes une manière tout à fait neuve de comprendre la démocratie. De plus il supprima la liberté d'association et abolit les clubs politiques { collegia, universitates) qui, menés par Clodius, lui avaient été à lui-même d’un si grand secours (f). A la vérité, (1) T. VII, p. 63. (2)T VIIL D. (3) « Comitia cum populo portitus est, uti exceptis consulatüs com- petitoribus; de cætero numero candidatorum, pro parte dimidià, quos populus vellet, pronunciarentur, pro parte allerà, quos ipse edidis- set. » (SUET.,-/n Cæs., A1.) (1) « Cuncta collegia præter anliquitus constituta detraxit. » (SuEr., In Cæs , 1.) Voir G. Boissrer, Cicéron el ses amis, p. 212. ' oies dns it à de dé SE ns. — T1 — il avilit aussi les nobles et le sénat , dont il ne pouvait laisser subsister le pouvoir en face du sien. Dans ce but, il accrut le nombre des sénateurs, auxquels il adjoignit des étrangers. Un jour il forca le chevalier Labiénus à se transformer en histrion (D; mais de telles bassesses ne prouvent qu'un orgucil tenant du délire et ne cherchant plus même à déguiser les apparences. Ce n’était pas là faire œuvre de démocrate, mais de démagogue, et nous avouons que ce dernier titre était bien dû à celui qui, en privant le peuple de toute action politique, le gorgeait à chaque instant de viandes et de vin et lui faisait oublier ses droits et sa liberté dans des orgies où venaient s’en- gloutir les ressources des provinces. César n'eut d’ailleurs pas le temps d'achever son œuvre d'asservissement et de démoralisation, et les derniers des Romains surent montrer que si l'empire était devenu un be- soin pour ceux qui se contentaient de pain et de jeux, il avait pas pour lui les hemmes dont le cœur gardait encore quelques nobles aspirations. Le drame des ides de mars a été bien dif- féremment apprécié selon les temps et selon les personnes. Des esprits très élevés ont blâmé les meurtriers. Ils ont re- gardé l'antiquité d'un point de vue moderne. Mais nous croyons qu’on ne peut hésiter, si l'on songe avec Montesquieu que « à Rome, depuis l'expulsion des rois, la loi était précise, les exemples reçus; la république armaïit le bras de chaque citoyen, le faisait magistrat pour le moment et l'avouait pour sa défense (?). » Le même auteur ajoute tout aussi justement : « Le crime de César, qui vivait dans un gouvernement libre, n'était-il pas hors d'état d'être puni autrement que par un as- sassinat? Ei demander pourquoi on ne l'avait pas poursuivi par la force ouverte ou par les lois, n’était-ce pas demander raison de ses crimes (3)? » Certes, ce dut être un spectacle (1) Sugr,, In Cæs., 39, (2) De la grandeur des Romains et de leur décadence, c. 11, (3) In, ibid. OR = tragique et plein d'enseignements que celui de César impe- rator, au milieu des épées nues, tel qu'une bête fauve as= saillie par les chasseurs, et traînant son corps cà et là en poussant de grands cris (1), jusqu'à ce qu'il vit son fils, son enfant chéri, Brutus, marcher sur lui le fer à la main. Et pas un des neuf cents sénateurs, où se trouvaient tant de ses créatures, ne se levait pour le défendre. Terrible sanction de la justice divine! Elle brise dans le cœur des hommes tous les liens du sang, de l'amitié, de la reconnaissance qui les rattachaient à un usurpateur. IV Les partisans du césarisme essaient en vain de nous donner le change sur l'effet produit par la mort du dictateur. La joie fut profonde, uaiverselle. Toutes les âmes honnètes y prirent par, et il serait trop long de citer les passages de Cicéron où le grand orateur exalte les meurtriers ®). M. Amédée Thierry affirme que le poignard qui frappa César « sembla du même coup avoir frappé au cœur toutes les provinces (3). » En ce cas, la douleur des provinces ne se communiqua pas aux muni- cipes italiens, dont la joie, suivant Cicéron, tenait du délire (4). Rome était tout entière pour les conjurés (3), et Antoine ne réussit, quelques jours après, à exciter contre eux la populace qu'en jouant une ignoble comédie. On sait d’ailleurs que, (1) Voir PLurarque, Vie de César, traduct. Pierron , t. I, p. 611, et Cicéron, De divin., 11, 19. (2) « Ecquis est igitur, te excepto et iis qui illum regnare gaudebant, qui illud aut fieri noluerit, aut factum improbarit, » Philip., u, 12. (3) Tableau de l'Empire romain, p. 75. (4) « Exultant lætitià in municipiis. Dici enim non potest quanto opere gaudeant et ad me concurrant, et audire cupiant mea verba de re. » (Ad Alt., xIv, G.) (5) Gic.; Philip 13 x AMIS 0 malgré leur prétendu isolement au sein du monde romain, Brutus et Cassius purent opposer cent mille hommes à l’armée des triumvirs dans les plaines de Philippes. Fut-il alors question des intérêts du peuple romain et de ceux des provinces? Nous ne le pensons pas. Auguste lui- même, dans un document sur lequel nous reviendrons, avouait qu'il n'avait eu pour but, en combattant les républicains, que de venger la mort de son père (1). De même, lorsque plus tard Antoine et Octave luttèrent pour l'empire du monde, ni l'un ni l’autre ne se préoccupaient sans doute de la démocratie romaine et de l'émancipation des peuples conquis. Si l’on voulait à tout prix découvrir parmi les concurrents un repré- sentant des provinces, ce serait à coup sûr Antoine menant à Alexandrie sa vie inimitable et voulant y transférer le siége de l'empire, tandis qu'Octave représente évidemment l'aristo- cratie romaine avec son orgueil et ses idées exclusives (?). On en trouve la preuve frappante dans le tableau de la ba- taille d'Actium, dû à l’immortel pinceau du poète officiel de l'empire. Nous y voyons en effet Auguste commandant aux Italiens, c'est-à-dire aux citoyens romains avec l’aide des grands Dieux protecteurs de Rome : Hinc Augustus agens Italos in prælia Cæsar, Cum Patribus, populoque, Penatibus et magnis Dis (3). De son côté, Antoine s'appuie sur les Barbares et sur l'Orient, où le droit de cité n’a point pénétré encore : {1) Voir l'ouvrage de M. Moumsex intitulé : Res geslæ divi Augusti ex monumentis Ancyrano et Apolloniensi. C'est l'analyse du testament poli-, tique d'Auguste, tel qu'il a été complété par de récentes découvertes. L'empereur s'y exprime ainsi au sujet de la guerre de Macédoine : « Qui parentem meum occiderunt, eos in exilium expuli judiciis legi- timis ultus eorum scelus, et posteà bellum inferentes reipublicæ vici acie bis.» C.2. (2) Voir Mrcuecer, Histoire de France, t. I, p. 70. (3) VirGice, Enéide, 1. vin, v. 678-79. OÙ — Hinc ope barbaricà, variisque Antonius armis, Victor ab Auroræ populis et littore rubro, Ægyptum, viresque Orientis et ultima secum Bactra vehit; sequiturque (nefas!) Ægyptia conjux (1). Le contraste est-il assez évident? Le poète interprète des sen- timents d’Auguste exprime-t-il assez énergiquement cet or- gueil romain qui se révolte à la seule pensée de l'union d’un citoyen avec une étrangère? Un autre poète officiel, ami de * l'empereur, comme Virgile, Horace, exprime des idées sem- blables dans son ode célèbre consacrée à la mort de Cléo- pûtre (2). Mais nous avons mieux que des vers de poètes pour appré- cier les sentiments d'Auguste à l’égard des provinciaux. Ses actes suffisent à nous montrer en lui un pur romain plein de mépris pour le sang servile et étranger. « Il se montra, nous dit Suétone, très avare du droit de cité et mit des bornes aux affranchissements (3). Bien plus, en mourant, il recom- manda à ses successeurs de suivre son exemple sous ce rap- port (#). Certains historiens ont, il est vrai, prêté-à Auguste comme à César des conseillers aux vues libérales et progres- sives dont l’ancien triumwvir n’a fait, suivant eux, que réaliser le programme (5). Mais tout le monde est obligé de reconnaitre dans le langage de ces prétendus conseillers de monstrueux (1) Virerne, Enéïde, 1. vit, v. 685-88. (2) Odes, 1, 31. (3( « Magni prætcrea existimans sincerum atque ab omni colluvione peregrini ac servilis sanguinis incorruptum servare populum, et civi- tatem Romanam parcissime dedit, et manumittendi modum termi- navit. » (SuETr., /n Augusl., 40.) « His effects were directed rather to shutting the door against the provincials than throwing it more widely open. » (MÉrivaze, History of the Romans under the Empire, t. IT, p. 500) Voir aussi Monresquieu, Grandeur el décadence, c. 13, et MiCHELET, Histoire de France, t. I, p. 75. (4) Voir pe Beaurort, République romaine, vx, 6. (5) Allusion aux conseils de Mécène à Auguste dont nous avons déja parlé. 4}. anachronismes qui ne permettent pas de s’y arrêter un instant. Il est certain que plus tard Rome devint cosmopolite sous les empereurs, et cela par la force naturelle des choses qui poussait le monde vers l'unité, Ce que nous nions absolu- ment, c'est que ce cosmopolitisme enträt dans le plan des fondateurs de l'empire. En est-il question dans le testament politique d’Auguste, où l'ancien triumvir, alors âgé de soi- xante-seize ans, rappelait aux nations les gloires de son règne ? Qu'on nous permette de nous arrêter quelque peu sur ce mo- nument Curieux de l’orgueil d’un vieillard touchant aux portes du tombeau et essayañt encore de tromper sur ses actes l'œil infaillible de la postérité. Dès les premières lignes, nous sommes très surpris d’ap- prendre qu’Octave a pris les armes pour rendre la liberté à la république (1). On voit que le style des documents officiels émanés du despotisme a toujours été le même. L'impérial écrivain continue l’histoire de sa vie en donnant à chacun de ses actes des interprétations analogues. Il en omet naturelle- ment quelques-uns, par exemple ses proscriptions et l’assas- sinat de son tuteur. Mais insistons avec lui sur ceux qui ca- ractérisent le nouveau régime imposé au monde romain. Ce sont les libéralités à la populace À) et aux soldats G), et les fêtes prodiguées à la canaille de la métropole (!). Auguste entre à cet égard dans les plus minutieux détails. On sent qu'il touche là à un véritable instrumentum regni. C'est qu'en effet là est tout le secret de la puissance des empereurs. Un judicieux écrivain à fort bien exprimé cette situation. « Une sorte de transaction, dit-il, se fit entre les Césars et le peuple; il leur céda l'empire du monde et ils lui laissèrent un usufruit pré- Caire qui n'allait pas au delà des premiers besoins de la vie (1) « Rempublicam dominatione factionis oppressam in libertatem vindicavi. » (C. 1.) (2) C. 15. (3) C. 16-et 17. (4) C. 27 et 23, no — et de quelques vains amusements (l), » Aïnsi se formait cette populace abjecte qui sous l'empire ne sut plus que crier : Du pain et les jeux du cirque, ou bien : Les Chrétiens aux bites ! Auguste quadrupla les distributions gratuites que recevait le peuple depuis la loi de Publius Clodius ; multiplia les com- bats de gladiateurs, les naumachies, et tout ce genre de spec- _tacles que les Romains préférèrent toujours aux plaisirs déli- cats de l'esprit. Quant aux soldats, un gouvernement fondé sur le mililarisme ne pouvait pas les négliger; mais on doit dire qu'Auguste les gorgea littéralement, le plus souvent aux dépens des malheureux Italiens. La première églogue de Vir- gile nous donne le tableau des misères qu'eut à éprouver la Haute-Ttalie lors du triumvirat. Nous ne pouvons trop le de- mander : est-ce là de la démocratie ? Le testament politique d’Auguste contient de plus, comme les inscriptions fastueuses des despotes assyriens, l'énumération de ses guerres, de ses triomphes, de ses constructions, de ses traités avec différents peuples. Remarquons qu'il ne parle jamais du Sénat qu'avec respect et comme du corps le plus considérable de l'Etat, On trouve d’ailleurs à la fin un paradoxe au moins aussi violent que celui que nous avons signalé au début. L'empereur affirme qu’à partir de son septième consulat, s'il l'emporta sur le reste des citoyens en gignité, il n'eut pas plus de pou- voir que ses collègues dans les magistratures (?. En résumé, le testament politique d’Auguste, ce plaidoyer en faveur de la nouvelle monarchie, est un hommage rendu à l’ancienne forme de gouvernement par son plus cruel en- nemi. Le premier et le dernier chapitre nous montrent dans l'auteur un ami de la liberté républicaine ; le document tout entier, un ami de l'aristocratie. Tous ces sentiments sont-ils (1) Nauper, Des changements opérés dans l'administration de l'empire romain, t. I, p. 31. (2) « Post id tempus præstiti omnibus dignitate, potestatis aulem nihilo amplius habui quam qui fuerunt mihi qnoque in magistratu conlegæ. » (CG. 34.) = 99 — complétement feints ; sont-ils tous d'habiles concessions faites à l'esprit du siècle, à l'amour des vieilles formes républicaines qui vivait encore dans les cœurs? Pour la liberté, elle était évidemment morte à jamais, et ce n’était pas Auguste qui songeait à la rétablir. Quant au Sénat et aux nobles, quoique moralement abaissés, ils n’en devaient pas moins être et rester prépondérants sous l'empire. C’est un fait sur lequel tous les: auteurs sont d'accord et qui mérite d'être remarqué; car il jette une lumière étrange sur cette nouvelle période de l’his- toire. « Ce fut principalement, a dit Gibbon, sur la dignité ‘du Sénat qu'Auguste et ses successeurs fondèrent leur nouvel empire ; ils affectèrent en toute occasion d'adopter le langage et les principes des patriciens. Dans l'exercice de leur puis- sance, ils consultaient le souverain conseil de la nation, et ils paraissaient se conformer à ses décisions pour les grands intérêts de la paix et de la guerre (1). » M. Renan va plus loin : « l'aristocratie romaine, dit-il, qui avait conquis le monde et qui en somme resta seule au pouvoir sous les Cé- sars..... (2). » Est-il possible, après cela, de représenter encore l'empire comme l’avénement de la démocratie au pouvoir? Il en fut au contraire le complet anéantissement. Le fait s'était déjà accentué sous César qui avait partagé les comices avec le peuple G). Auguste lui enleva le droit de faire les lois et celui de juger les crimes publics (. Tibère, ce descendant de la (1) Décadence de l'empire romain, traduct. Buchon, t. I, p. 40. (2) Les Apôtres, p. 304. Voir aussi Fusrez pe CouLanGes, /lisloire des inslitulions politiques de l’ancienne France, livre IT, ce. 15. Tacite n’est pas moins explicite. « Apud quos, dit-il en parlant des patriciens, etiam tune cuncta tractabantur. » (Annales, 1v, 15.) Juvénal, tout en critiquant la noblesse, nous la montre bien réellement au pouvoir dans $a huitième satyre. Voir, sur le véritable rôle de l'aristocratie romaine sous l'empire, un travail très remarquable de M. L. Drapeyron : L’aris- torie romaine et le Concile, Paris, 1870, chez E. Thorin. (3) Voir ce que nous avons dit plus haut. (4) Moxresqureu, Grandeur et décadence des Romains, xiv. NE — gens Claudia, la plus aristocratique des gentes romaines, et l'exécuteur de la pensée d'Auguste (1), acheva d’écarter le peuple de la vie publique. I] lui enleva la dernière préroga- tive qui lui avait été maintenue, celle de nommer ses magis- trats (). Cette prérogative fut attribuée au Sénat. Montes- quieu et M. Amédée Thierry (3) conviennent bien que cela revenait à concentrer tout le pouvoir entre les mains du prince, le Sénat se trouvant transformé en une sorte de con- seil d'Etat monarchique. Mais on nous accordera qu'ôter au peuple toutes les attributions dont il avait joui sous la répu- blique pour les donner à la noblesse ou à l’empereur, n’était pas faire œuvre de démocratie. En quoi donc le peuple avait-il bénéficié du nouvel état de chose ? L'empire, dira-t-on, rétablit l’ordre et l’union entre les citoyens et mit un terme aux guerres civiles. Mais les guerres civiles ne furent pas si bien terminées, puisqu'elles ébran- lèrent encore l'empire dès le temps de la mort de Néron. En outre, comme le fait très bien observer Montesquieu, les di- visions qui troublèrent Rome sous la république « y étaient nécessaires, elles y avaient toujours été, elles y devaient tou- jours être (4). » Le même auteur ajoute : « Ces guerriers si fiers, si audacieux, si terribles au dehors, ne pouvaient pas être bien modérés au dedans 65). » Il fallait donc, pour établir la paix dans Rome, avilir les Romains, et les Césars, qui s'étaient élevés au trône grâce précisément à ces guerres civiles dont on voudrait faire un argument en leur faveur, (1) Vecz. Parer., 1, 124; DE Beaurorr, République romaine, livre vi, C6. (2) « Tum primum e campo comitia ad patres translata sunt. Nam ad eam diem, etsi potissimo arbitrio principis, quædam tamen studiis tri- buum fiebant. » (Tac., Ann. 1, 15.) Voir Monreso., xiv; Nauper, Des changements …, t. I, p. 136. . (3) Tableau de l'Empire romain, p. 304. (4) Grandeur et décadence, 1x. Voir aussi MacrAvEL, Discours poli- tiques, 1, 4. (5) MoxrEsQu'EU, 1bid. — réussirent merveilleusement à atteindre ce but. D'ailleurs, qui dit gouvernement despotique dit nécessairement silence matériel; mais, pour citer encore Montesquieu, « si l'on y voit de l’union, ce ne sont pas des citoyens qui sont unis, mais des corps morts ensevelis les uns auprès des autres (1), » V Il y a dans Pline un mot profond et sur lequel les panégy- ristes de l'empire n'ont sans doute point assez réfléchi : « A dire vrai, les grandes propriétés ont perdu l'Italie, et elles commencent à perdre les provinces @). » La grande propriété, résultat de la disparition de la classe moyenne et agricole, et de son remplacement par d'immenses troupes d'esclaves, voilà la plaie qui rongea le monde romain au point d'amener sa dissolution complète. On sait le-respect qui s’attachait à l’a- griculture aux beaux temps de la république. Les tribus rus- tiques cofnprenaient tout ce qui avait de la considération dans l'Etat; les gens tarés et sans honneur étaient relégués dans les tribus urbaines (3). Un citoyen qui ne se contentait pas de sept jugères (1 hect. 75 ares) de terre labourable était regardé comme dangereux (t). C'est que, dans les idées d’a- lors, nul n'avait le droit d'accaparer le territoire commun. Chacun devait posséder, et chacun devait faire valoir ce qu'il possédait. Aussi ne pouvait-on mieux louer un citoyen qu’en l'appelant un bon agriculteur (5). (1) Grandeur el décadence, 1x. Le poète Turnus n’est pas moins éner- gique : « Et molle imperii senium sub nomine pacis. » (Fragment, v, 3.) (2) « Verum confitentibus latifundia perdidere Italiam, jam vero et provincias. » (L. xvur, 7.) (3) L. xvIIT, 3. (4) PuinE, |. xviux, 4. (5) « Et virum bonum quem laudabant, ita laudabant bonum agrico- lam, bonumque colonum. Amplissime laudari existimabatur, qui ita laudabatur. » (Caro, Ve re rusticä.) RD 1 Cet état de choses ne se maintint pas longtemps, et les causes du changement sont faciles à apercevoir. L’accroisse- ment des richesses, la multiplication des esclaves, remplaçant avantageusement les petits ferrhiers, les grandes guerres tirant sans cesse le meilleur sang de l'Italie, le recrutement des armées épuisant la classe agricole, les guerres civiles et les proscriptions, les concessions de terres aux vétérans qui s'empressaient de les vendre pour aller en dépenser le prix dans les tavernes de Rome, voilà ce qui mit tout le sol aux mains de quelques propriétaires, et, en avilissant la masse du peuple, prépara l’avénement de l'empire. Les Césars étaient donc sortis de la ruine de l'Etat, et ils ne devaient pas cher- cher à y porter remède. « La transformation de la république en monarchie, dit M. Egger, avait surtout contribué à rendre le mal incurable (1).-» Comme le remarquait Pline : de son temps, c'est-à-dire dès le premier siècle de l'empire, la grande propriélé, qui n'avait encore perdu que lItalie, s'étendait déjà aux provinces. Il rapporte même ce fait étrange que, sous Néron, la moitié de l'Afrique appartenait à six proprié- taires (2). Plus on alla, et plus de tels scandales devinrent fré- quents. Une fois la classe moyenne disparue, les provinces ne tardèrent pas à se transformer en solitudes 6). Dès le pre- mier siècle de l’ère chrétienne, les auteurs se plaignent du dépeuplement du monde. Nous avons vu quelle était l'ori- gine du mal, Mais d’où vinrent ses progrès rapides? On ne saurait le comprendre avant d'avoir étudié les transforma- tions introduites par César et ses successeurs dans ladminis- () Examen des historiens d'Auguste, p. 188. (2) Tv IC 7e » (3) « Le trait le plus caractéristique de l'histoire des derniers siècles de l'empire, est que la classe aristocratique fut toujours en progrès et devint à la fin toute-puissante; tandis que les classes moyennes tom- bèrent peu à peu dans la pauvreté et dans la servitude. » (FUSTEL DE CouLaxGes, Hisloire des institutions politiques de l'ancienne France, Liv: 11, c. 16.) 0 tration des provinces, d’avoir vu comment le césarisme, né de la décadence, se conserva par la décadence (l), et en la rendant plus rapide, C'est la thèse favorite des auteurs que nous combattons, d'opposer le régime administratif de l'empire à celui de la république. Il n’y eut pourtant pas entre eux une différence aussi radicale qu'on pourrait le croire. Le principe resta le même ; ce fut toujours l'omnipotence de l'Etat. Seulement les empereurs, ayant hérité de toutes les magistratures, repré- sentèrent l'Etat lui-même, et de là vint leur monstrueuse puissance. Les fonctionnaires dépendirent d'eux seuls, comme auparavant ils avaient dépendu de la république, ou de l’uni- versalité des citoyens. Y eut-il avantage à ce changement ? C'est ce que nous pouvons bien difficilement apprécier. Nous avons l'esprit tellement faussé par nos habitudes administra- tives et bureaucratiques; l’effrayante centralisation qui pèse sur notre pays depuis l’avénement de nos Césars a si bien dé- truit en nous toute idée d'activité et de contrôle personnels, que les vices inhérents au régime despotique nous échappent entièrement, ou tout au moins nous semblent sans gravité. Qu'importe à nos yeux qu'un homme absorbe en lui toutes les forces vives d'un immense empire, pourvu qu'üne appa- rence d'ordre remplace la véritable vie politique et les quel- ques irrégularités qu'elle entraîne toujours avec elle? Mais que l’on aille au fond des choses; que l'on le dépouille des préjugés d'éducation et de caractère national, et l’on verra que tout gouvernement centralisé tombe sous cette critique Judicieuse que M. Laboulaye adresse au régime administratif de l'empire romain. « Tout, dit-il, reposait sur le prince : quand il était bon, la justice était excellente ; quand il était méchant, cupide ou jaloux, la justice était cruelle, avide ou soupconneuse (). » Le même auteur caractérise ailleurs en- (1) Taie, Essais de critique el d'histoire, p. 377. (2) Essai sur les lois criminelles des Romains, p. 425. DS" core plus nettement la situation faite par les Césars aux gou- vernants et aux gouvernés. D'après lui, « les empereurs se montrèrent jaloux d'assurer la responsabilité des magistrats; mais, malheureusement, ils dépassèrent le but. La responsa- bilité fut si immédiate et si terrible que les magistrats abdi- quèrent leur libre arbitre et ne furent plus que des instru- ments mis en mouvement par la volonté du prince. Le monde fut dans la main d’un homme, et l'empire n'eut plus de ga- ranties que dans les vertus de son chef; mais pour un Trajan, pour un Antonin, combien de Caligulas, de Nérons ou de Caracallas (1). » Nous irons plus loin que M. Laboulaye. Dans un gouver- nement despotique et centralisé, il ne faut pas considérer seulement le moteur de la machine administrative, c’est- à-dire le prince; il faut encore avoir égard aux rouages, c’est- à-dire aux agents. Les vices des uns et des autres s'addition- nent pour peser sur le peuple administré. Les crimes com- mis par Verrès sous la république ont été souvent rappeles. Mais lorsque sous l'empire il y eut en même temps un Verrès à la tête de l'Etat, et d’autres Verrès à la tête des provinces, on juge de ce que ces dernières durent supporter. Il ne fau- drait pas croire que les fureurs des empereurs s’'exercaient seulement à l’intérieur de Rome contre le Sénat, parfois ré- duit à délibéref sur la manière dont serait cuit un turbot (?). Sans parler de Caligula « qui pesa pendant quatre ans sur les provinces non moins que sur l'Italie (), » Auguste lui-même acceptait les excuses de Licinius « qui, remettant à l'empe- reur pour obtenir sa grâce les trésors qu'il avait extorqués de ses compatriotes, prétendait en cela avoir fait acte d’adroit politique et non de voleur, puisqu'il avait énervé, c'était son expression, un pays mal disposé et trop riche pour n'être pas (1) Essai sur les lois criminelles des Romains, p. 323. (2) Voir Juvenaz, Sal., IV. (3) A. Tnierry, Tableau de l'Empire romain, p. 140. a | redoutable (1). » Tibère, tout en donnant le conseil de « tondre les brebis et de ne pas les écorcher ), » étendit le cercle de ses rapines bien au delà des bornes de l'Italie. I] pilla surtout l'Espagne, les Gaules, la Syrie et la Grèce G). L’insurrection de Florus et de Sacrovir fut, si nous en croyons Tacite (4), provoquée par la lourdeur des impôts, l'énormité des usures, la cruauté et l’orgueil des gouverneurs, et cela sous le règne de ce même Tibère que l’on a cependant voulu représenter comme le modèle des administrateurs, comme le gardien vi- gilant des intérêts des provinces (5). On connaît celle de Vin- dex, origine première de la chute et de la mort de Néron, et celle du Batave Civilis qu'occasionna l'avarice des recruteurs de troupes (6). On sait en outre que dès les premiers siècles de l'empire, il y eut un nombre considérable de procès en coneussion intentés aux fonctionnaires ; et les haines politi- ques ne suffiraient pas évidemment à les expliquer tous. La vérité est donc que le passage de Rome à l’état monar- - chique n’apporta aucune amélioration dans le sort des pro- vinces (7), En vain objecterait-on avec les érudits de la nouvelle (1) A. Taierrv, Tableau de l'Empire romain, p. 131. (2) Suer., In Tib., 32. (3) « Præterea Galliarum, et Hispaniarum, Syriæque et Græciæ prin- cipes confiscatos ob tam leve et tam impudens calumniarum genus, ut quibusdam non aliud sit objectum, quam quod partem rei familiaris in pecunià haberent. » (Suer., Zn Tib., 49.) (4) Ann., 1x, 40. (5) C’est en se plaçant à ce point de vue que M. Duruy a entrepris de réhabiliter la mémoire de cet empereur, dans une thèse latine (1854) à laquelle son objet paradoxal et l’époque où elle paraissait valurent un grand retentissement. (6) « Jussu Vitellii, Batavorum juventus ad delectigm vocabatur, quem suapte naturà gravem onerabant ministri avaritià ac luxu, senes aut invalidos conquirendo quos pretio dimitterent; rursus impubes sed form conspicui (et est plurisque procera pueritia) ad stuprum trahe- bantur. » (Tac., Hist., 1v, 14.) (7) « On dit beaucoup que l'empire traitait les provinces avec plus de douceur que la république; mais ce bien-être prétendu qu'elles durent à l'empire est énergiquement démenti par l'histoire et par les PU école l'apparence de prospérité qu’elles revêtirent dans les premiers siècles de notre ère, les monuments nombreux qu'elles élevèrent, les inscriptions qu'on y retrouve gravées à l'honneur des préteurs et des proconsuls de cette époque. Les monuments étaient dus le plus souvent à l'initiative privée de simples particuliers (1); d’ailleurs les soldats répandus sur le territoire et auxquels il ne fallait pas laisser de dangereux loisirs étaient occupés, eux aussi, à des constructions. Quant - aux témoignages officiels d'enthousiasme envers les représen- tants du pouvoir, ils ont toujours été les mêmes dans tous les temps et sous tous les régimes politiques. Si l'on voulait y témoignages contemporains. Suétone nous montre Néron après l'in- cendie ne recevant pas seulement, mais sollicitant des dons volon- taires {collaliones), et épuisant les revenus des particuliers el des provinces. On peut voir aussi dans Juvénal une peinture énergique, et trop détaillée pour être une pure déclamation, de la misère des provinces comparée à leur ancienne prospérité : « Quand la province que tu attendais depuis longtemps t'attendait pour la gouverner, mets un frein à ta violence et à ton avarice. Aie pitié de la pauvreté de nos alliés... Autrefois ce n'était pas un gémissement pareil et une telle blessure, une telle ruine pour les alliés alors florissants et seulement vaincus. Leurs maisons êtaient pleines de richesses... Maintenant nos alliés possèdent quel- ques paires de bœufs, un petit troupeau de juments. On prend l'humble champ et l’on enlève le taureau. » Le poète montre alors le danger dont ces extorsions menacent Rome : « Crains l'Espagne, la Gaule, l'Illyrie; épargne ces moissonneurs d'Afrique qui nourrissent la ville tandis qu’elle est tout entière aux jeux du cirque et de la scène Prends garde de trop accabler des malheureux qui ont du courage; car, bien que tu leur ôtes tout ce qu'ils possèdent d’or et d'argent, il faudra leur laisser le bouclier et l'épée, le casque et le javelot; aux dépouillés restent les armes. » Juvénal parle encore d'une province qui a gagné son procès sans ètre indemnisée de ses pertes : « victrix provincia plorat. » OM voit que les provinces n'étaient pas mieux sous Domitien que sous Néron, et cet état de choses avait commencé plus tôt. » (J.-J. Ampère, L'empire romain à Rome, t. II, p. 62-63) (1) M. G. Boissier, tout en partageant les idées que nous combattons relativement à l'état des provinces sous l'empire, dit lui-même : « Les plus beaux monuments qu'on ait découverts à Pompéi étaient l'œuvre de simples particuliers. » (L'opposition sous les Césars, p. 45.) Voir la cri- tique de cet ouvrage dans la Revue historique (juillet-septembre, 1876). R rattacher quelque signification , il faudrait y voir des indices de servitude et non des preuves de reconnaissance. Les faits eux-mêmes parlent plus haut que les médailles et les inscrip- tions, et il serait trop long d'énumérer tous ceux qui prou- vent la mauvaise gestion des fonctionnaires impériaux, leur cruauté, leurs rapines et le sort misérable fait par eux aux peuples qu'ils administraient. Si ceux-ci eurent un instant de répit dans leurs misères, instant bien court toutefois, ce fut à l'époque d’Adrien, lorsque ce prince, réunissant les meilleurs édits des préteurs, en eut composé sa fameuse ordonnance perpétuelle-qui fut le Code provincial de l'em- pire (1). Même à la suite de cette ordonnance, on peut juger des souffrances des provinciaux d'après les mesures prises par les empereurs pour les alléger. « Adrien fut obligé de remettre l'arriéré de seize ans de contributions; Antonin fit un abandon des dettes fiscales de quarante années. Une telle indulgence n'eût été qu'une orgueilleuse prodigalité des re- venus de l'Etat, si la détresse des provinces n’en avait fait un secours nécessaire (?). » C'est qu’en effet les besoins de l'Etat s'étaient accrus dans une proportion considérable depuis l'é- tablissement de l'empire. Je ne parle pas seulement des orgies du prince qu'on nous représente trop comme des incidents secondaires au milieu du grand mouvement social auquel pré- sidait le césarisme, et qui, après tout, étaient payées par les provinces. L'énumération des dépenses ordinaires est ef- frayante eu égard.à la pauvreté des peuples qui devaient y subvenir. « Il fallait soudoyer et entretenir perpétuellement une force armée de quatre à cinq cent mille hommes en temps de paix sur les frontières et dans quelques provinces, et pour- voir à l'équipement de plusieurs flottes sur les deux mers de l'Italie et sur les principaux fleuves qui servaient de limites. Il fallait payer des traitements annuels en argent, en vivres () NaüDET, t: I, p. 153: (2) 1n., ibid. t. I, p. 59. | — 92 — et en provisions de nécessité et de luxe, aux gouverneurs des provinces, aux procurateurs, à une multitude d'employés et d'agents de la maison de l’empereur, des administrations ci- viles et militaires et de la police. Il fallait faire de grands et continuels travaux pour la construction, ou la réparation, ou l'embellissement des édifices publics, des fabriques de Rome et des routes de l'empire. Il fallait fournir aux frais du culte à Rome, soit pour la décoration des temples, soit pour la cé- lébration des cérémonies, soit pour le salaire des officiers su- balternes de la religion. I fallait nourrir le peuple de Rome et alimenter l'immense maison des empereurs Si l’on en croit Suétonc, Vespasien déclara que la république ne pou- vait pas subsister sans un revenu de quarante milliards de sesterces, ou, selon quelques auteurs, de quatre milliards seulement. Nous ne comptons pas au nombre des dépenses malheureusement trop fréquentes les largesses des empereurs au peuple et aux soldats, leurs effrayantes prodigalités en festins, en fêtes, en spectacles, en bâtiments, les tributs que les barbares arrachèrent sous le nom de présents à la faiblesse des quelques empereurs depuis Domitien (1). » Voilà les besoins énormes auxquels devaient subvenir les provinces sous le gouvernement impérial, ct, remarquons-le bien, les provinces seules; car, malgré l'extension progres- sive du droit de cité, même après le décret de Caracalla, Rome et l'Italie demeurèrent exemptes d'impôts jusqu'à Dio- clétien. Ainsi, non-seulement le titre de citoyen perdit, sous l'empire, comme nous le disions au début de ce travail, la plupart de ses prérogatives (2); mais, en le recevant, les étran- gers ne furent pas même mis sur le pied d'égalité avec les descendants avilis des anciens Romains. Les empereurs, qui (1) NauDET, t. I, p. 4. (2) « Le nom de citoyen romain autrefois estimé et payé si cher, cha- cun le regardait non seulement comme une vaine et honteuse distine- tion, mais comme une sorte d’abomination. » (Sazvixx, De qubernaltione Dei, ce. v) cité par Montalembert dans un remarquable article de la se D ne pouvaient résister aux tendances générales portant les racés conquises à s'émanciper de la tyrannie du peuple con- quérant, s’en firent le plus souvent un instrument d’oppres- sion et de fiscalité. 11 serait superflu de descendre aux détails sur ce point, de suivre pas à pas les progrès du droit de cité sous les divers empereurs, progrès incontestables, mais qui ne prouvent rien, puisque les fondateurs de l'empire s’y oppo- sèrent dans les limites de leurs forces. Occupons-nous seule- ment du fameux décret de Caracalla, qui fit citoyens tous les sujets de Rome. Dion Cassius, historien très scrupuleux et très exact quand il traite de faits contemporains, expose avec détails les circonstances où ce décret fut rendu. Qu'on nous permette de reproduire les termes mêmes de sa narration, trop curieuse pour être simplement analysée : « Indépendam- ment des couronnes d’or qu'il (Caracalla) demandait à chaque instant, comme s’il n'eût cessé de remporter des victoires (je ne parle pas seulement des couronnes qui furent fabriquées, quelle importance a cela? mais des sommes immenses que les villes ont coutume de donner aux empereurs sous le nom d’or coronaire), des nombreux approvisionnements pour les- quels on nous mettait de toute part à contribution, tantôt à titre gratuit, tantôt en nous imposant des dépenses, approvi- sionnements qu'il distribuait tous en largesses aux soldats, ou leur vendait comme un cabaretier, des présents qu'il ré- clamait des particuliers riches et des peuples, des impôts, tant des nouveaux qu'il établit que de celui du dixième en rem- placement de celui du vingtième dont il frappa les affranchis- sements, les legs, les donations de toute nature, par l’aboli- tion des successions ab inlestat et des immunités accordées dans ces circonstances aux proches parents des défunts (c'est Revue des Deux-Mondes du 1° janvier 1855. (L'empire romain après la paixz de l'Eglise.) « Le titre de citoyens romains que portaient les Gaulois n’apparte- nait depuis longtemps qu'à des esclaves. » (Magzy, Observations sur l'histoire de France, t. I. p. 243.) D pour cela que tous les habitants de l'empire furent, sous appa-. rence d'honneur, mais en réalité pour plus de revenu à l’em- pereur, attendu que les étrangers étaient exempts de la plu- part de ces taxes, déclarés citoyens romains... (1), » Et le même auteur ajoute, pour nous peindre l'état de l'empire au temps de ce décret dont on a osé faire un argu- ment en faveur des Césars : « Tous les pays soumis à son autorité furent pendant tout le temps de son règne tellement pillés qu'un jour, aux jeux du cirque, les Romains, entre autres cris, laissèrent éclater ces mots : « Nous ferons périr les vivants pour donner la sépulture aux morts. » Il répétait en effet à chaque instant : « Personne ne doit avoir d'argent que moi pour en faire des largesses aux soldats. » Julia le reprenant un jour de ses profusions à leur égard, et lui di- sant : « Il ne nous reste plus aucun revenu juste ou injuste, » il lui répondit en montrant son épée : « Prends courage, ma mère, tant que nous aurons ceci, l'argent ne nous manquera pas (@). » Caracalla donnait ainsi une formule à la fois très exacte et très originale du régime politique créé par César et perfectionné par ses successeurs, en particuliér par Septime- Sévère qui livra complétement l'Etat aux caprices de ses sol- dats indisciplinés. M. Amédée Thierry le félicite d'avoir attribué le choix des Césars à ce que l’'éminent historien appelle « la démocratie armée des légions (3). » L'éloge est vraiment un peu paradoxal. Outre que cette démocratie n'é- (1) Dion Cassrtus, Lxxvir, 9, trad. Boissée. — Michelet a dit tout aussi justement : « Caracalla fit une chose horriblement vexatoire et à la- quelle pourtant l'empire romain tendait depuis son commencement : il accorda le droit de cité à tout l'empire. Ce n'était pas en lui libéralité d'esprit, mais c’est que le nom de citoyen obligeait de payer les impôts.» (Fragments inédits sur les empereurs romains, publiés par la Revue his- torique, juillet-septembre 1876.) (2) « Odpce, pitep Éws yap &v Toûr” Étwmev, oùdèv Au&s émueiber xpñ- para. » (DION CASSIUS, LXXVII.) (3) Tableau de l'Empire romain, p. 170. Voir aussi Grepow, Décadence de l'empire romain, trad. Buchon, t. I, p. 75. = — tait plus sous l'empire qu’une soldatesque mercenaire (1), quel peut être le sort d'une nation continuellement à la merci de ses diverses armées ? Cet état de choses était certainement une suite fatale de la conception césarienne, et il suflirait seul à nous faire juger l'empire comme régime politique. Les fon- dateurs de ce régime avaient bien pu, pour le faire accueillir, le représenter comme mettant un terme aux guerres qui dé- chiraient le monde romain, et dire aussi ce mot trop fameux : « L'empire, c’est la paix. » Mais nous pensons que toute illu- sion dut cesser à cet égard lors des trente tyrans qui suivirent de bien près le règne de Sévère. L’effroyable anarchie mili- taire qui pesa alors sur le monde entier n’était pas à com- parer avec les guerres civiles de la république dont, jusqu’à César, Rome et l'Italie souffrirent seules. Que devenaient pendant ce temps les provinces, que devinrent-elles à la fin de l'empire ? La rapacité du fisc impérial s'était accrue dans une telle proportion que, dès le temps d'Alexandre Sévère, cet empereur avait ramené les impôts de trente à un. Ainsi, «un prince équitable pouvait se contenter du trentième de ce que percevait son prédécesseur (2). » Mais c'est surtout de l’avénement de Dioclétien et de l'é- poque où furent introduites dans le gouvernement les formes du despotisme oriental, que datent l’énervement de l'empire et sa décomposition rapide. Il fallait désormais entretenir une armée de fonctionnaires, de valets, d'eunuques, de serviteurs du palais. Il y eut de plus deux cours et bientôt quatre. Les centres administratifs se multiplierent et la bureaucratie fut créée. Suivant l'énergique expression de Lactance, « ceux qui percevaient étaient plus nombreux que ceux qui contri- buaient G). » Constantin acheva l'œuvre commencée, et en ne re em me 0 mo + mn oc ee 0 ge À er (1) Nauper,t. I, p. 110. (2) Serniexy, Droit public el administralif romain, t. I, p. 6. (3) « Adeo major esse cœperat numerus accipientium quam dantium.» 1 (De mort. persecut., c. 7) A — plaçant en Orient la métropole de l'empire, il fit définitive- ment entrer le monde romain dans des voies nouvelles (1). Voulons-nous apprécier les effets immédiats et désastreux d'un tel régime ? Ouvrons le traité de la Providence de Sal- vien; nous y trouvons un tableau déchirant de l'état des pro- vinces au moment de l'invasion des barbares : les campagnes abandonnées , les magistrats quittant les villes où les institu- tions municipales sont devenues des instruments de fiscalité et d'oppression, les habitants de l'empire fuyant les collec- teurs d'impôts jusque chez les barbares (?) , les pauvres se ré- fugiant dans la servitude (3), voilà le spectacle que le prêtre de Marseille offre à nos regards; voilà les suites de ce gou- vernement réparateur qui venait guérir les plaies des pro- vinces. Sans doute les premiers empereurs ne pouvaient prévoir toutes ces conséquences, et, pour comparer le césarisme avec le régime républicain, il faudrait s'en tenir à l’époque où celui- ci succéda au premier, à l’époque où l'empire s'organisa sous la main de César, d’Auguste et surtout de Tibère, le véritable génie du despotisme. Si nous avons jeté un coup d'œil som- maire sur les temps postérieurs, c'était afin de suivre nos ad- versaires dans la série de leurs déductions, et aussi parce que les faits par nous signalés étaient des suites nécessaires, quoi- que lointaines, de l'établissement du gouvernement impérial et en général de tout gouvernement autoritaire et centralisa- teur. Il fallait bien voir comment le césarisme menait à la des- (1) Voir dans Gibbon quel était l’état déplorable des provinces sous Constantin. « L'histoire, ajoute l’auteur, reproche aux empereurs d’avoir en même temps dépouillé le sénat de son autorité et les provinces de leurs richesses. » (Décadence de l'empire romain, t. I, p. 381.) (2) De Gubernaltione Dei, v, 7. « Jam inveniuntur inter eos Romani qui malint inter barbaros pauperem libertatem quam inter Romanos tri- butariam sollicitudinem sustinere. » (Orose, Hist., vu, 41.) (3) De gubernatione Dei, v, 9. Selon Zozime (Histor., 11, 38), les pères menaient leurs filles au lupanar pour avoir de quoi payer le fisc. Voir aussi Montesquieu, Grandeur et décadence, c. xvur. ER truction de toutes les forces du monde romain, comment Rome impériale préparait les voies à Constantinople et au Byzanti- nisme. Et puisque nous avons prononcé ce nom odieux de Byzantinisme, disons qu'en essayant de réhabiliter le régime politique des Césars, on l’a trop souvent confondu avec la dernière forme qu'il revêtit, alors que Constantin eut trans- porté le siége de l'empire dans sa ville de prédilection. Le César de Napoléon IIT, ce rêveur mystique à la fois libéral, socialiste et despotique, est un empereur byzantin. Il a perdu sous la plume de son panégyriste ce caractère puissant et ori- ginal qui le rattachait encore, malgré ses crimes, aux tradi- tions de la vieille Rome. Fu regere imperio populos Romane memento; telle fut la devise de la république et des premiers Césars. Si la domination exercée par Rome sur les peuples conquis s'effaca graduelle- ment; si les provinces, à défaut d'une amélioration dans leur sort, eurent du moins la triste consolation de voir la métro- pole aussi opprimée qu'elles-mêmes; si enfin il y eut progrès réel en tant que le monde marcha vers l'unité, que les indi- vidus tendirent à devenir égaux, il en faut cherchér la cause ailleurs que dans l'établissement de l'empire. VX Le cours ordinaire des choses, la marche des esprits en avant, qu'un régime politique même déplorable ne peut entiè- rement arrèter, sufliraient à expliquer ce progrès; mais deux causes surtout y concoururent sur lesquelles il est bon d’in- sister. Ces deux causes furent l'invasion de l’hellénisme dans le monde romain et les progrès du christianisme. La conquête du monde grec, et le contact avec sa civilisa- tion si puissante, si nouvelle pour un peuple exclusivement guerrier, produisirent dans Rome une véritable révolution. Horace a très bien dit : 7 ON — Græcia capta ferum victorem cepit, et artes Intulit agresti Latio (1). Et ce ne furent pas seulement les arts qui envahirent le fa- rouche Latium; ce ne fut pas seulement le luxe qui vint venger l'univers vaincu (?) ; ce furent aussi les doctrines des philosophes, les idées des penseurs qui, analysées, discutées, introduites dans le courant de l'opinion, sapèrent par la base le vieil exclusivisme romain et préparèrent les voies au nivel- lement social (3). Caton l’ancien, ce vrai type du vieux Ro- main, savait bien ce qu'il faisait quand il demandait l'expul- sion des rhéteurs grecs (1). Rome hellénisée (5) devait finir par comprendre et par appliquer la grande parole de Socrate : « Je suis citoyen du monde. » N'est-ce pas un fait remarquable et d’une portée évidente, de voir le Romain le plus instruit de son temps dans les lettres grecques, l’ami de Polybe, Sci- pion Emilien, poser le premier en système l'extension du droit de cité? N'est-il pas aussi curicux, qu'Adrien, cet Hellène par éducation et par caractère, ait été le véritable bienfaiteur des provinces sous l'empire ? Aussi, à partir de la conquête de l'Orient, on peut observer + 2 ee 2 (1) Ep, x, 1, 156. (2) Sævior armis Luxuria incubuit victumque ulciscitur orbem. (JuvenaL, Sal., vi, 292.) (3) « The struggles of the Persian and Peloponesian wars, the siege of Syracuse, the battle of Chæronea sink into insignifiance beside the moral revolutions effected hy Plato and Aristotle, hy the sophists and the Rhetoricians, by the poets and the painters, the architects and sculptors. » (MÉRIVALE, t. VII, préface, p. 11.) (4) « L'époque de Cicéron fut celle d’un grand mouvement intellec- tuel. La philosophie grecque avait fait irruption dans Rome, et l’ensei- gnement des rhéteurs, si redouté des amis des coutumes antiques, avait initié la jeunesse aux nouveautés les plus hardies. » (TroPLonG, Influence du christianisme, p. 47.) (5) ……. Non possum ferre, Quirites, Græcam urbem. (JuvENAL, Sat. 11, v, 60.) = 0Ù = une transformation à la fois dans le droit public qui devient plus humain et qui tend peu à peu vers l'émancipation des peuples conquis, et dans le droit privé qui dépouille ses for- mules barbares et symboliques et qui s’adoucit en même temps que les mœurs elles-mêmes se polissent (1). Et une preuve que les Césars ne venaient pas imprimer à la société romaine une impulsion nouvelle et libérale, c’est que les no- (1) L'influence néfaste des empereurs se fit cependant sentir jusque dans les détails du droit privé. On connaît la fameuse loi Julia majes- tatis. Grâce à elle, un citoyen romain put être mis à la torture; ce qui, sous la république, eût passé pour un scandale. « Lege majestatis nulla dignitas a tormentis excipitur. » (Pauzus, Sentent., lib. v, tit. 29.) — « Omnes omnino, in majestatis crimine, quod ad personas principum attinet, si ad testimonium provocentur, cum res exigit, torquentur. » (L. x, 2 1. Dig. De quæstionibus.) Cette loi élant très élastique et très vague dans ses termes, on put faire tomber tous les crimes dans son application, et l'usage passa dans la jurisprudence de torturer les ci- toyens. Du reste, il y avait là bien d’autres abus : la loi Julia majestatis étant une perpétuelle dérogation à toutes les règles du droit, les per- sonnes que la loi excluait à raison de leur infamie du droit d’accu- sation, le recouvraient en cette matière. Il en était de même des femmes qui en général ne pouvaient accuser. Enfin, les esclaves, qui n'étaient pas entendus en justice comme témoins, étaient recevables à accuser même leurs maitres et les affranchis leurs patrons. « Servi deferentes audiuntur et quidem dominos suos et liberti patronos. » (L. vur, Dig. ad leg. Jul. majestat.) Quant au nombre des accusations de lèse-majesté, Pline nous en donne une idée effrayante : « Locuple- tabant et fiscum et ærarium non tam Voconiæ et Juliæ leges, quam majestatis singulare et unicum crimen eorum, qui crimine vacarent. » (Pune, Panégyriq., ce. 42.) Tout cela est résumé d’une manière très nette et très concise par Montalembert. « Le droit criminel, dit-il, si humain, si tutélaire jus- qu'au temps des proscriptions, était devenu entre les mains des empe- reurs un système où, selon la forte expression de Bacon, on torlurait les lois pour lorlurer les hommes. » Et ailleurs : « La torture est univer- sellement employée comme moyen de perception : autrefois réservée aux seuls esclaves, l'usage en est étendu à tous les citoyens. C'est ainsi que le pouvoir absolu entend et pratique l'égalité. » (L'empire romain aprés la paix de l'Eglise.) Voir aussi l’Introduction au grand Trailé d'instruction criminelle de M. Faustin Hézrs. — 100 — vateurs en matière de jurisprudence, ceux qui se pronon- çaient pour le droit prétorien contre les rigueurs de la légis- lation des douze tables, restèrent presque tous, où du moins les plus éminents d’entre eux, fidèles aux doctrines républi- caines..« La rénovation du droit, dit M. Amédée Thierry, compla parmi ses plus ardents propagateurs plusieurs des derniers soutiens de la république qui embrassèrent dans le régime prétorien la liberté de la pensée, sans trop s'aperce- voir que celle-là ruinait précisément la liberté républicaine dans un de ses plus solides remparts. Sur ce terrain du droit, Labéon, l'ami de Brutus, donnait la main à Trebatius, l'ami de César (1), » L'aveu est précieux, malgré ses réticences; il est décisif, car il ruine absolument le système que nous critiquons. M. Amédée Thierry ne nous persuadera pas qu'un esprit aussi élevé que l'était Labéon ignorait quelle influence di- recte et prépondérante la législation privée a sur les destinées d'un peuple ; de quel secours elle peut être pour modifier et transformer complétement l'esprit public. Et Labéon, qui était pour le progrès, et pour le progrès immédiat aussi bien dans les mœurs privées que dans les mœurs publiques, se montrait l'adversaire déclaré de César et de ses successeurs. Car il n’y eut pas de sa part une opposition passagère et de circonstance. Lorsque l'empire eut triomphé, sous le princi- pat d'Auguste et sous celui de Tibère, nous retrouvons La- béon refusant les honneurs et conservant sa fière attitude de républicain indépendant et convaincu. Capiton au contraire, le chef de l’école adverse, l’homme des vieilles doctrines, le partisan de la législation des douze tables, « se montra dé- voué aux Césars jusqu'à la bassesse (2). » me mt ee mm ent de M be eat 00 nee fete (1) Tableau de l'empire romain, p. 292. « Labéon fut grand novateur en jurisprudence, et grand conservateur en politique. » (TroPLONG, In- fluence du christianisme, p. 54, en note.) (2) « Sed Labeo incorruptà libertate, et ob id famà celebratior; Capi- — 101 — Et puisque nous parlons ici de la législation impériale, rappelons encore parmi les tendances démocratiques des Cé- sars celle qui leur fit priver les citoyens de toute participation aux jugements criminels. À partir de Dioclétien, il n'y eut plus de jurés, et les accusés se virent enlever la première ga- rantie de toute bonne justice (1). » Il reste donc établi que dans les progrès incontestables du droit privé, il ne faut pas voir l'influence bienfaisante de l'empire, que les Césars n'y furent pour rien et y mirent souvent obstacle. On doit seule- ment observer un grand mouvement philosophique dans le monde d'alors, mouvement qui s'exprima surtout dans les travaux des jurisconsultes (1). Est-il besoin maintenant de faire remarquer l'influence qu'exerça sur les esprits et sur les mœurs le développement des lettres latines, ce fruit tardif maïs encore savoureux de la culture hellénique ? Est-il besoin de rappeler cette guerre longue, terrible, implacable que les hommes de lettres, c’est- à-dire les hommes de progrès soutinrent contre le césarisme? Cicéron, Catulle, Cremutius Cordus, Juvénal, Tacite, Lucain ; voilà quels génies les premiers empereurs eurent pour adver- saires et trop souvent pour victimes. Sans doute ils purent se rattacher quelques hommes de lettres par l'attrait qu'exerce © © © ——— tonis obsequium dominantibus magis probabatur. » (Tac., Ann., mr, 7.) Voir aussi Amédée Tarerry, Tableau de l'Empire romain, p. 302. (1) Voir Faustin H£ézte, Introduction au Trailé d'instruchon crimi- nelle. (2 Il ne faudrait pas d’ailleurs s'exagérer les effets salutaires des progrès du droit privé au sein d’une société livrée à une anarchie com- plète, comme l'était celle de l'empire romain. « Pour moi, dit fort bien un éloquent écrivain, je déclare ne pas connaître dans l'histoire un spectacle plus répugnant et plus grotesque que celui des travaux de tous ces jurisconsultes qui savaient couper un cheveu en quatre sur des questions d’usufruit ou d’usucession, sur les tutelles et les intérêts, mais qui pendant cinq siècles ne surent pas découvrir la moindre bar- rière aux violences sanguinaires d'une horde de prétoriens, ni aux monstrueuses fantaisies d'un Héliogabale ou d'un Caracalla. » (Mowra- LEMBERT, L'empire romain, etc.) — 102 —. toujours le pouvoir et surtout par celui des faveurs; ils purent faire passer l'épicurien Horace du camp de Brutus à la cour d'Octave. Maïs qu’on le remarque: les poètes, les historiens vivant dans le palais des Césars, écrivant presque sous leur inspiration, n'ont jamais parlé qu'avec respect, même avec enthousiasme, de la grande cause républicaine tombée à Phar- sale et à Philippes. Tous font l'éloge, presque l’apothéose, de Caton. Aucun n'a une parole de blâme pour Brutus, le meur- trier de César. Chez tous on sent percer, sous le langage de cour et sous des flatteries touchant parfois à la bassesse, leurs sympathies vraies et profondes pour l’ancien régime politique. Ce sont les plus dangereux ennemis que les Césars réchauffent dans leur sein. Car il y a dans le cœur des hommes, surtout des hommes cultivés, quelque chose de plus fort que l'intérêt matériel et les passions qu’on peut salisfaire-avec l'or des ty- rans : c’est la haine de la tyrannie, c'est le mépris instinctif de cette puissance brutale fondée sur la crainte, sur la bas- sesse et sur tous les sentiments serviles de notre nature; et ils ne peuvent assez se déguiser pour que l'amour de la liberté n’éclate parfois dans leurs paroles ou leurs écrits et ne pro- teste contre le honteux esclavage auquel ils sont soumis. Voilà d'où vient que les écrivains de Rome impériale, même parmi les plus courtisans, ont pris leur idéal dans Rome républi- caine, voilà pourquoi ils ont tous cherché une consolation des hontes du présent dans les souvenirs glorieux du passé. L'empire avait donc contre lui les représentants du mouve- ment intellectuel, ou du progrès général dans son expression la plus élevée. Mais ses principaux adversaires furent préci- sément ceux qui venaient apporter au monde ces principes d'égalité et de justice dont les auteurs à systèmes voudraient faire bénéficier les Césars. Pourquoi ceux-ci persécutèrent-ils les premiers chrétiens, s'ils voulaient comme eux établir la fraternité entre les hommes, comme eux soulager les misères des opprimés? Il y eut entre l'empire et le christianisme naissant une guerre de trois siècles, guerre acharnée d'où — 103 — l’idée régénératrice finit par sortir victorieuse, après avoir transformé par un travail long et latent la société antique. Les Césars ont alors été de véritables vaincus; « l'empire a cédé, dit très justement Bossuet, et ayant trouvé quelque chose de plus invincible que lui, il a reçu paisiblement dans son sein cette Eglise à laquelle il avait fait une si longue et si cruelle guerre (1). » Voilà encore une des causes de ce progrès social que l’on attribue si complaisamment au césarisme. Si du moins il s'en était fait l'auxiliaire, on comprendrait la thèse que nous com- battons; mais quand on voit les meilleurs empereurs, un Marc-Aurèle par exemple, persécuter la nouvelle religion d'une manière barbare, on ne peut s'empêcher de reconnaître que l'empire n'avait pas pour devise une doctrine humani- taire et libérale. Que l’on songe maintenant à la rapidité des progrès du christianisme qui, au temps de Trajan, n'avait pas seulement envahi les cités, mais les bourgs et les champs eux-mêmes (2), comme parle Pline le jeune ; au puissant attrait que les nouvelles doctrines devaient exercer sur les âmes, aura-t-on besoin de chercher ailleurs des causes de pro- grès ? Si donc la marche naturelle de l'esprit humain, si la dif- fusion des civilisations grecques et orientales, si le dévelop- pement du christianisme ont produit à la longue dans les conditions une égalité, dans les rapports des gouvernants et des gouvernés un adoucissement, dans le monde entier une unité qui ne pouvaient exister au début de la puissance ro- me © ee ce (1) Discours sur l'histoire universelle, ur, 1. (2) « Neque enim civitates tantum, sed vicos etiam atque agros super- stitionis istius contagio pervagata est. » (Lettre à Trajan, x, 97.) Est-il besoin de rappeler ce célèbre passage de Tertullien écrit seule- ment un siècle plus tard : « Hesterni sumus, et vestra omnia implevi- mus; urbes, insulas, castella, municipia, conciliabula, castra ipsa, tri- bus, decurias, palatium, senatum, forum : sola vobis relinquimus tem- pla. » (Apologélique, ce. 37.) Ê — 104 — maine, quelle part reste-t-il au gouvernement de l'empire dans ce vaste mouvement social ? I] était commencé avant la naissance du premier des Césars; il se continua sous eux, indépendamment d'eux, souvent même malgré eux. Pense- t-on que toutes les causes par nous énumérées n'auraient pu agir sous un gouvernement républicain ? Qu'on ne dise pas qu'un tel gouvernement ne convenait plus à Rome à cause de l'étendue de son territoire. Les Etats-Unis sont venus de nos jours donner un éclatant démenti à ce vieux préjugé. Sans doute Rome républicaine manqua, comme tous les peuples de l'antiquité, de cet élément essentiel du gouvernement libre : d'un système représentatif. Cependant l'extension progressive du drûit de cité entrainait avec elle l'introduction dans le Sénat des principaux d’entre les nouveaux citoyens. On insiste beaucoup d'ordinaire sur l'admission des provinciaux aux honneurs sous le gouvernement de l'empire. Ce n'était pour- | tant que la conséquence directe et nécessaire de l'extension du droit de cité. Sur la fin de la république, les plus illustres sénateurs m’étaient pas Romains. Ils venaient de l’Italie et de l'Italie seule, parce que seule l'Italie avait reçu les privi- léges de la cité romaine. Quand celle-ci aurait franchi les Alpes, les sénateurs seraient venus de la Gaule ou des autres provinces, et l’on aurait vu ainsi, comme cela se passa sous l'empire, une sorte de représentation nalionale. Mais, sous l'empire, cette représentation fut vaine et purement fictive; sous un gouvernement républicain, elle eût été réelle, et son influence eùt beaucoup amélioré le sort des provinciaux. — D'ailleurs, ne l'oublions pas, le Sénat n'était pas seul à Rome. Polybe nous y a fait voir l'union parfaite des trois formes monarchique, aristocratique ct démocratique. L'empire exa- géra la première, atténua la seconde, supprima la troisième. Il anéantit la démocratie romaine et atteignit ainsi par contre- coup la démocratie provinciale, qui perdit l'espoir d'arriver jamais, en même temps qu'au droit de cité, à une part quel- conque dans le gouvernement. Il fit passer sur tous le niveau dl — 105 — d'une monstrueuse tyrannie représentée par le soldat et l'a- gent du fisc. Cette tyrannie, on a tenté de nos jours sa réhabilitation, sans doute pour préparer les voies à une autre non moins insupportable, On pouvait, on devait même en rechercher les causes, car il est certain que, dans le monde politique comme dans le monde physique, tout ce qui est a sa raison d'être; il est certain qu'à Rome, cette populace abjecte ne songeant plus qu'à sa nourriture et à ses jeux, qu'au dehors ces im- menses armées ayant perdu loin du forum tout sentiment civique, menaçaieut terriblement l’état républicain. On pou- vait admettre, ce que nous ne croyons pas, que l'empire fût nécessaire. Mais donner pour bon ce qui fut mauvais en soi et par ses conséquences, s'applaudir de la nécessité, si néces- sité il y eut, où se trouva le monde romain de supporter pen- dant des siècles des monstres indignes du nom d'homme, pro- clamer ainsi la nécessité du mal, c'est faire mentir l’histoire, la morale et le simple bon sens au profit de la plus déplorable des thèses politiques (1). Oui, Cicéron, Tacile, Juvénal, les orateurs, les historiens, (1) Nous ne pouvons résister au plaisir de transcrire ici la spirituelle conclusion d’un excellent ouvrage auquel nous avons déjà fait quelques emprunts : « On m'a accusé de refaire l’histoire romaine; oui, j'ai dû la refaire, car on l'avait défaite. On s'était lassé de la vérité historique; on avait tenté souvent avec beaucoup d'art de réhabiliter, comme on dit, cette époque néfaste de l'empire. L'empire romain, tel que je l'ai peint d’après les monuments et les textes, était celui de tout le monde, jus- qu'à ce qu'on en ait découvert un autre qu'il faudrait admirer. Ce que j'ai raconté l'a été par Tacite, et, si on rejette Tacite comme suspect d'indignation, par Suétone qui ne s’indigne jamais, par Dion Cassius, ee pauvre diable de sénateur qui avait si grand peur quand Commode lui montrait son glaive teint de sang et la tête d'autruche qu'il venait de couper, par les arides chroniqueurs de l/istoire Auguste; mais on avait changé tout cela depuis quelque temps. On avait mis le cœur à droite, je l'ai remis à gauche; ce n’est pas ma faute s’il ne convient pas à tout le monde qu'il soit à sa place, » (J.-J. AurÈère, L'empire romain à Rome, t. II, p. 412-413.) — 106 — les poètes qui ont jeté au gouvernement des Césars un ana- thème dont il ne se relèvera pas, ont vu aussi juste qu'ils ont grandement pensé et écrit. Sans se placer à notre point de vue, sans posséder comme nous l'expérience des choses poli- tiques, sans avoir connu les dernières conséquences du régime impérial, ils ont flétri à bon droit ce qui est et sera toujours méprisable : le crime, la violence, le renversement des lois. Ils avaient, pour juger de tels excès, ce qui vaut mieux qu'une analyse savante, ce qui ne trompe jamais, le génie et la con- science. RECHERCHES SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES MUSCINÉES DANS L'ARRONDISSEMENT DE FORCALQUIER ET LA CHAINE DE LURE (BASSES-ALPES) SUIVIES D'UN CATALOGUE DES MUSCINÉES DU BASSIN PRINCIPAL DE LA DURANCE Par M. F. RENAULD. Séance du 13 novembre 1875. + \ : * . LL " a _ - | | L2 ve < - LA Le , … o À , LA LL . hr à JISÉSSÉ AE 1h 1 TOC Net AE 0 LUTTER CHU CRE PRTE ET CI | #7 MITE AA PUIS ir À *. ; oz 11h 2Ph \ at 74} $ (lé latte tr + “th” 2 MUR C H 15 (HAT JeS À Pe | (177 L iranien | L: NS Hal nr) auf} zh [HR 04 : L “er PR EPUNIT | Mo ZT. 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Nous nous sommes attaché moins à chercher ça et là quel- ques plantes rares qu'à noter d’une facon aussi exacte et aussi détaillée que possible la physionomie bryologique de cette partie, bien peu connue, des Alpes françaises. Cette manière de procéder entraînait forcément à quelques lon- gueurs de rédaction que nous prions le lecteur de vouloir bien excuser. La saison défavorable nous ayant empêché d'explorer suf- fisamment la haute chaîne de Lure, M. l'abbé Boulay a bien voulu la visiter en juillet 1875 et nous communiquer le ré- sultat important de ses recherches, qui ont très heureusement complété les nôtres. Nous avons recueilli et nous possédons en herbier des spé- cimens de presque toutes les espèces observées, même des plus vulgaires. Toutes ont été étudiées avec soin et soumises à la vérification de M; l'abbé Boulay qui a eu, pendant quelque temps, nos récoltes entre les mains. Nous sommes heureux de saisir cette occasion de remercier ce savant bryologue de l'obligeance aussi cordiale que désintéressée dont il ne cesse de nous donner des preuves. supiaolowl Stat te Cyprus 0: en érod f ane qés START [IE Ù d PAS RD TixbLti Or FAN DE EPT LAON LES D PT COTE RRQ “oi : PATTERN: ALT E einen ed uanE ere d Séance A op CONIPAUE ARS 7 C repli: edodié ct “af demi nälinié Van: EU R DRCLORS DIRES TU TE ; | LL ” Sala nn) ceci, 4e fout ef pee à a RÉ EEE D £ « ais Eten le le 5 AN] ras dhctarur er Péset HET PO ToN d'entrée Haurhstr ere ia PAT ARLES 26 q0ù af tr br Grrc dei end Mare sfr ps | { et efol . 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Elle comprend presque toute la partie du département des Basses- Alpes située à l’ouest de la Durance, et plus particulièrement les cantons des Mées, de Forcalquier, de Banon, de Saint- Etienne-les-Orgues et de Noyers. Elle est limitée à l'est par la Durance depuis l'embouchure de l’Asse jusqu’à celle de la Bléone ; au sud par un prolongement de la chaîne du Lu- béron qui vient se terminer près de la Durance, à Volx, au nord de Manosque; au nord par la chaîne de Lure, et enfin à l'ouest par la limite conventionnelle qui sépare le départe- ment des Basses-Alpes de celui de Vaucluse. Le niveau de la Durance est compris entre 329 et 417 mè- tres. Le prolongement de la chaîne du Lubéron dans les Basses-Alpes varie entre 600 et 800 mètres. L’axe de la chaîne de Lure se maintient entre 1400 et 1800 mètres d'alti- tude et s'abaisse un peu en se soudant à celle du Ventoux. Le territoire intermédiaire a un relief assez confus, composé de plateaux creusés de vallées assez profondes; l'altitude de ces plateaux, croît du sud au nord, sans toutefois dépasser 900 mètres. Ils sont terminés au nord par des pentes raides et séparés de la chaîne de Lure par une longue dépression passant par Montlaux, Saint-Etienne, Ongles, Banon. La géologie de toute cette région est compliquée et d’une étude d'autant plus difficile pour le botaniste que les diffé- rents étages que les géologues y ont reconnus ne possèdent — 112 — pas toujours des caractères minéralogiques bien tranchés, seule question réellement importante au point de vue de la dispersion des plantes. M. Scipion Gras, dans sa statisiique minéralogique des Basses-Alpes, indique les terrains suivants dans l’arrondis- sement de Forcalquier : 1° Terrain d'eau douce supérieur (3 étage tertiaire) formé de marnes et de poudingues calcaires; se trouve dans la vallée de la Durance et sur la rive gauche de cette rivière. 2° Molasse marine et molasse d’eau douce (2° étage ter- tiaire) : marnes, calcaires marneux, calcaires durs, macignos (grains de quartz reliés par un ciment calcaire), occupent sur- tout les cantons de Forcalquier, Manosque et la Reillane. 3° Grès verts du terrain crétacé : marnes et macignos res- semblant beaucoup à la roche de la molasse, et passant quel- quefois à de véritables grès. Ce terrain se trouve dans la vallée du Jabron et forme une bande étroite passant au pied du revers méridional de la chaîne de Lure, par Château-Arnoux, Peyruis, Montlaux, Ongles, Vachères, etc. 4° Néocomien : marnes et calcaires durs; constituent la chaîne dé Lure et, un peu en dehors de nos limites, celle du Lubéron. Ë 5° Calcaires jurassiques (corallien ?) représentés seulement par quelques escarpements flanquant le revers nord de la chaîne de Lure, dans la vallée du Jabron. A ces divisions purement géologiques nous substituerons les suivantes, intéressant davantage le bryologue et qui, ba- sées sur les propriétés physiques et chimiques du sol et.son aspect extérieur, sont faciles à distinguer. 1° Poudingues calcaires de l'étage tertiaire supérieur : ter- rain dysgéogène oligopélique (l) ou hémipélique. (1) Nous nous servons de ces termes qui ont été créés par THURMANN et qui rendent parfaitement compte des propriétés physiques du sol. — 1135 — 20 Terrains tertiaires ou crétacés marneux perpéliques ou hémipéliques. 3° Calcaires tertiaires et néocomiens rocheux : terrains dys- géogènes oligopéliques. 49 Grès de la molasse et grès verts (terres. de safre) pélop- sammiques. Poudingues de l'étage tertiaire supérieur. — Ce terrain, qui est figuré sur la carte de M. Elie de Beaumont par la teinte conventionnelle des alluvions anciennes de la Bresse, se trouve principalement dans la vallée de la Durance de Ma- nosque aux Mées et sur la rive droite de cette rivière où il occupe un espace considérable. Dans la partie du territoire des Basses-Alpes dont nous avons à parler, il est peu élevé et ne dépasse pas 600 mètres d’altitude. Il se compose de marnes et de cailloux roulés variant de la grosseur d’un œuf à celle de la tête, de nature généralement calcaire (1). Nous en avons remarqué quelques-uns provenant de roches cris- tallines ; mais c’est l'exception. Ces cailloux sont tantôt ré- pandus sans cohésion à la surface du sol, tantôt reliés par un ciment argilo-calcaire très résistant et constituent alors des poudingues, véritables masses rocheuses quelquefois très im- posantes. Tels sont les rochers des Mées si curieusement dé- coupés en forme de cône et dont les parois verticales attei- gnent près de 100 mètres de hauteur. Ce terrain est tantôt marneux, tantôt de nature dysgéogène lorsque les cailloux roulés forment poudingue. Un climat aussi chaud et aussi sec que celui de la Pro- vence ef un sol retenant mal l’eau , comme ce diluvium , ne peuvent pas présenter des conditions favorables au dévelop- pement des mousses qui, en effet, ne s’y trouvent pas en abon- (1) Au-dessus de l'embouchure de la Bléone, en remontant la Du- rance vers Sisteron, M. Boulay a constaté que ce diluvium, sans doute formé dans cette partie de débris détachés du massif granitique du Pelvoux, était beaucoup plus siliceux, 6) — 114 — dance. Quelques pentes exposées au nord ef couvertes de chênes verts aux environs des Mées et de Malijay nous ont fourni les espèces suivantes : * Hypnum prælongum. var. méri- Barbula nervosa. dionale. * B. inermis. H. Vaucheri, C. B. unguiculata, H. cupressiforme, v. ericetorum, B. convoluta. H. chrysophyllum, C. Leptotrichum flexicaule, CG. H. lutescens. Trichostomum crispulum. H. glareosum, C. T. mutabile, C. H. molluscum. Didymodon rubellus, C * H. circinatum. Pottia cavifolia, C. * H. striatulum. P. truncata, C. * H. illecebrum. Anacalypta lanceolata, C. H. velutinum. Dicranum varium. H. rutabulum, Fissidens decipiens, C. H. filicinum. Weisia viridula. H. commutatum, C. Weisia verticillata, C. H. Sommerfelti. Gymnostomum calcareum, C. I. abietinum. Encalypta vulgaris, C. Leskea sericea. E. streptocarpa, C. Neckera crispa. Orthotrichum saxatile, C. N. complanata. Orthotrichum diaphanum. Anomodon viticulosus. Cinclidotus fontinaloïdes, C. * Fabronia pusilla. Grimmia apocarpa. * Habrodon Notarisii. G. crinita, C. * Leptodon Smithii. G. pulvinata. Leucodon sciuroïdes. G. orbicularis, C. * Bryum torquescens. Scapania æquiloba. Zygodon viridissimus. Radula complanata. Barbula muralis. Madotheca platyphylla. * B. membranifolia. Pellia calycina. B. fallax. Reboulia hemispherica, C. B. ruralis.' Lophocolea minor, C. B. lævipila. * Jungermannia alicularia. B. subulata. à Asplenium Halleri. B. tortuosa. A. trichomanes, B. squarrosa. A. ruta muraria. B. inclinata, C. Adianthum capillus Veneris. B. ambigua, C. Polypodium vulgare. * B. cirrhata. eterach officinarum. B. aloïdes, C. On remarquera que beaucoup dé mousses très-communes — 115 — dans la France moyenne manquent à cette liste où figurent, outre les ubiquistes, une dizaine d'espèces méridionales (mar- quées d’un astérisque), et une vingtaine d'espèces calcicoles (suivies de la lettre G), ces dernières croissant aussi dans le Jura, ce qui établit une certaine analogie entre la flore bryo- logique calcicole de ces deux contrées très distantes. Dans cette localité, comme du reste dans la plus grande partie des environs de Forcalquier, les Hypnum lutescens et Leskea sericea cà et là fertile sont surtout répandus. Le Leu- codon sciuroïides et sa variété morensis abondent sur tous les troncs de noyers et de müûriers et fructifient très souvent contrairement à ce qui se voit dans le Jura. Les Grimmia orbicularis, Gr. crinila, Weisia verticillata, Gymnostomum caléareum, Hypnum glareosum sont aussi plus fréquents que dans la France moyenne. Le contraire a lieu pour le Grim- mia pulvinata qui semble demander un niveau plus élevé. Nous avons été frappé de l'abondance et de la belle fructifi- cation, dans quelques localités, du Fissidens decipiens qui croît ici sur les rochers et sur la terre, tandis qu’il est, dans le Jura, moins commun, exclusivement saxicole et très rarement fer- tile. Les Pottia truncata, lanceolata, cavifolia doivent être fréquents, mais la mauvaise saison nous à empêché de les bien observer. L En général , on ne trouvera guère la réunion des espèces de la liste précédente que sur les pentes raides exposées au nord. Partout ailleurs la plupart de ces espèces ne se mon- trent que par petits groupes, composés de peu d'individus. Terrains tertiaires ou crétacés marneux. — Nous désignons sous ce nom les terrains dont la marne constitue l'élément principal, qu’ils appartiennent soit aux étages tertiaires , soit aux étages crétacés. Nous les avons remarqués surtout dans la partie de l'arrondissement de Forcalquier indiquée comme crétacée sur la carte de M. Elie de Beaumont. Ces terrains occupent de vastes espaces et constituent, après — 116 — les calcaires néocomiens rocheux, la plus grande partie du territoire que nous décrivons. Presque partout ils se présen- tent sous le même aspect extérieur formant des montagnes souvent élevées (600 à 900%), accidentées, à pentes raides et ravinées laissant voir de nombreux bancs de calcaires subor- donnés, compactes et marneux, fissiles, se séparant en petits fragments et n'offrant nulle part de saillies rocheuses impor- tantes. D'ailleurs marnes ou calcaires sont aussi peu solides l'un que l'autre et se ravinent avec la même facilité à la moindre pluie d'orage. Au point de vue bryologique, ces terrains sont d’une pau- vreté désolante. I1 y a des montagnes entières où l'on ren- contre à peine quelques rares individus appartenant aux espèces les plus vulgaires. Les phanérogames n'y sont d’ail- leurs guère mieux représentés; ce qui doit être attribué à la mobilité continuelle de la couche superficielle du sol. Sur les arbres qui croissent dans ces terrains (chênes, müriers et noyers), nous avons trouvé le plus souvent : Orthotrichum diaphanum et surtout Leucodon sciuroïdes qui fructifie très fréquemment et abondamment dans la région méridionale et revêt les formes les plus disparates , quelques-unes très ro- bustes, d’autres très rameuses que nous n'avons pas obser- vées en Franche-Comté où cette espèce est beaucoup moins polymorphe : sur tous ces arbres croissent les lichens sui- vants qui se retrouvent partout dans ce pays : Leptogium Hildenbrandii. Parmelia acetabulum. Physcia parietina P. olivacea. Ph. stellaris. P. caperata. Ph. ciliaris. P. saxatilis. Ph. pulverulenta. P. perlata. Ph. obscura. P. tiliacea. Calcaires tertiaires et néocomiens rocheux. — Nous réu- nissons ces terrains qui présentent des affleurements rocheux assez importants. Les calcaires tertiaires se trouvent princi- — 117 — palement au sud de Forcalquier, et les néocomiens au nord de cette ville jusqu’à la chaine de Lure, notre limite septen- trionale, qu'ils constituent entièrement. D'ailleurs, tertiaires ou néocomiens, ces calcaires se ressemblent beaucoup et ont un aspect à peu près semblable à celui des calcaires juras- siques que tout le monde connaît. C’est donc un sol pierreux et rocheux, dysgéogène oligopélique, sec, ne retenant pas l’eau qui s'échappe par des fissures verticales. Nous n'avons pas pu visiter la chaîne du Lubéron (1100), qui après un assez long parcours dans le département dé Vau- cluse, vient se terminer dans les Basses-Alpes près de Ma- nosque. Nous avons exploré principalement les environs de Peyruis (4007), de Forcalquier (500-600) et le plateau élevé 1800-900m) qui se termine en face de Banon. | Dans les environs de Peyruis, Forcalquier, Dauphin, Saint- Michel, Niozelles, alt. (450-600"), nous avons observé les espèces suivantes : Hypnum molluscum. Habrodon Notarisiie H. prælongum, v. meridionale. Bryum capillare. H. rusciforme, v. laminatum. * B. gemmiparum. H. cupressiforme, v. ericetorum. B. argenteum. H. lutescens. Barbula muralis. H. glareosum. B. membranifolia. H. illecebrum. B. fallax. H. populeum. - B. vinealis. H. rutabulum. B. ruralis. H. filicinum. B. lævipila. H. commutatum. B. subulata. H. velutinum. B. tortuosa. H. crassinervium. B. cirrhata. I. tenellum. B. squarrosa. H. abietinum. B. inchnata. H. chrysophyllum. B. convoluta. Leskea sericea. B. unguiculata. Neckera crispa. B. ambigua. N. complanata. B. aloïdes. Leucodon sciuroïdes. Trichostomum mutabile. Acomodon viticulosus. T. crispulum. Leptodon Smithii. T. tophaceum. Fabronia pusilla. T. flexicaule. Didymodon rubellus. D. luridus. Pottia cavifolia. P. truncata. Anacalypta lanceolata. Dicranum varium. Fissidens decipiens. Weisia viridula. W. verticillata. Gymnostomum tortile. G. calcareum. Encalypta vulgaris. E. streptocarpa. Orthotrichum saxatile. — 118 — Orthotrithum cupulatum. O. diaphanum. O. obtusifohum. Seligeria pusilla. Funaria calcarea. F. hibernica. Grimmia apocarpa. G. orbicularis. G. crinita. G. pulvinata. Scapania æquiloba. Lophocolea minor. Madotheca platyphylla. Reboulia hemisphærica, Parmi les autres cryptogames : Placodium murorum. Squammaria crassa. Leptogium Hildenbrandii. Pannaria nigra. Lecanora sub-fusca. L. rupestris. L. albo-atra. Lecidea calcivora. L. decipiens. L. cinerea, v. calcarea. L. contigua. Verrucaria rupestris. Endocarpum miniatum. Leptogium lacerum. Solorina saccata. Cladonia rangiferina, CL endiviæfolia. Cetraria aculeata. Physcia ciliaris. Ph. stellaris. Ph. parietina. Ph, obscura. Ph. pulverulenta. Parmelia caperata. P. saxatilis. P. acetabulum. P. tiliacea. P. olivacea. Adianthum capillus-Veneris. Asplenium Halleri. A. ruta muraria. A. trichomanes. Ceterach officinarum. Synalissa symphorea. C’est, comme on le voit, à peu près le même ensemble que ce qui avait été observé sur le diluvium caïllouteux de la vallée de la Durance. Seulement ici les stations bryologiques sont plus nombreuses et mieux fournies à cause de l'altitude un peu plus élevée, du relief plus accidenté du terrain et de ses saillies rocheuses, qui, sans présenter les beaux escarpe- incnts des calcaires jurassiques, offrent néanmoins de nom- breuses parois verticales toujours un peu fraîches quand elles sont exposées au nord. — 119 — La végétation bryologique des hauteurs calcaires qui sépa- rent Forcalquier de Saint-Etienne et de Banon n'est pas sen- siblement différente, Les espèces méridionales deviennent plus rares sur ces plateaux élevés (800-900) qui ne nous montrent pas encore les ubiquistes de la région moyenne de la France. En face de Banon, nous avons trouvé encore vers {000% Barbula membranifolia et Leptogon Smithü fertile. Le Leucodon sciuroïdes abonde sous toutes ses formes, à ra- meaux tantôt gonflés, tantôt effilés, et divisés en nombreuses branches. Le Rhacomitriwm canescens fait son apparition ainsi que Ramalina calicaris, Orthotrichum affine, 0. leéiocarpum dont nous avons apercu quelques touffes. On trouve assez souvent sur ces calcaires néocomiens des pierrailles imprégnées de silice, ainsi que des véritables silex et des dépôts d'argiles siliceuses. Sur ces silex croissent quel- ques lichens silicicoles Lecidea geographica, Parmelia con- spersa, Lecanora atra, Parmelia prolixa (). Les areiles siliceuses sont ordinairement décelées par la présence des Pleris aquilina et Calluna vulgaris. Nous y avons trouvé près de Banon, dans un beau bois de chênes (alt. 800m), Hypnum glareosum fertile, Hypnum strigosum très abondant et fertile, ainsi que quelques pieds d’une espèce silicicole : Polytrichum juniperinum. Tous ces faits sont autant de preuves à l’appui de la théorie qui admet l’action chimique du sol sur la dispersion des plantes. Chaîne de Lure. — La chaîne néocomienne de Lure prend (1) Aux environs du Revest-du-Bion, sur le plateau élevé (950) qui se détache de la chaine de Lure, ces silex sont extrêmement abondants et couverts des lichens cités; mais nous n’avons pu y trouver aucune mousse siliticole. Ces pierrailles siliceuses sont d’ailleurs très pauvres en mousses auxquelles elles n’offrent pas de stations convenables. Dans des plantations de pins croissaient en foule deux plantes des terrains siliceux Sarothamnus scoparius et Ulex europæus qui, peut-être, avaient été importées avec les semis. Si elles ne sont pas spontanées, elles sont du moins parfaitement naturalisées. 0 — naissance près de la rive droite de la Durance, un peu au- dessous de Sisteron, court de l’est à l’ouest sur une longueur d'environ 35 kilomètres, et vient se souder à la chaîne du Ventoux qui en est le prolongement, aux confins des dépar- tements de Vaucluse, de la Drôme et des Basses-Alpes. Elle prend assez rapidement, vers la Durance, une altitude supé- rieure, atteint sa plus grande hauteur vis-à-vis Saint-Etienne (1827%) et s'abaisse à partir de Banon (1400-1500") en s’épa- nouissant en plateaux jusqu’à sa rencontre avec la chaîne du Ventoux. Les sommets sont ballonnés ct coupés du côté du nord par des pentes raides. Le revers méridional dont le pied est à 700 d'altitude, passant par Montlaux , Saint-Etienne, Banon, s'élève en pente douce et est creusé de nombreuses combes profondes qui prennent naissance vers la ligne de crête et ont une direction à peu près perpendiculaire à cette ligne (Combe des Charbonniers, C. Cavallet, C. de l'Ours, C. de Notre-Dame de Lure, C. longue). Les flancs souvent très raides de ces combes sont donc exposés à l’est et à l’ouest. Tout ce revers méridional de la chaîne de Lure est pierreux, mais n'offre pas d’affleurements rocheux importants et pas d’escar- pements. Il est très sec, bien qu'il soit couvert d'assez belles forêts et ne donne naissance qu'à très peu de sources. Les pentes du revers nord sont, au contraire, très raides et très rocheuses sans offrir toutefois, au moins dans les parties que nous avons visitées, de grands escarpements verticaux. Dans presque toute sa longueur, ce revers est flanqué d'une série de montagnes moins hautes (1200-1400%) dont il n’est séparé que par de grands ravins. Ces montagnes, constituées par des calcaires jurassiques, présentent presque sans inter- ruption une ligne de magnifiques escarpements semblables à ceux qu'on voit dans le Jura. Au pied du revers méridional de Lure, dont la pente est douce et assez régulière, on trouve encore quelques oliviers vers 800, mais c'est là l'extrême limite de cet arbre qui n'est guère cultivé en grand qu'au dessous de 600% et qui ne dé- by passe pas au nord la ligne nettement tracée par la base des pentes méridionales des chaînes de Lure et du Ventoux. Le chêne vert ne paraît pas s'élever au-dessus de 900. Nous l'avons encore vu en abondance à Mont Salier vers 800%. Aux oliviers succèdent quelques champs plantés de noyers et de müûriers, puis des forêts de chênes rouvres, ct enfin vers 1200- 1300» des forêts de hêtres dont les arbres deviennent rabou- gris, puis disparaissent vers 1500-1600, limite à partir de laquelle, sur le versant sud, les pâturages alpins occupent seuls toute la crête de la chaîne. Nous avons fait une première excursion, le 23 décembre 1874, sur le revers méridional de Lure, en face de Montlaux. La partie inférieure est très pauvre en mousses de 700-800 à 1200. Nous n'avons guère observé que Grimmia orbicularis, G. pulvinata, G. apocarpa, une touffe de Dicranum scoparium qui ue s'était pas montré encore, Trichostomum flexicaule, T. mutabile, Hypnum prælongum , Cladonia endiviæfolia , Squammaria crassa. Vers 900, la neige commence à pa- raître par plaques éparses. Dans la combe Cavallet, vers 1200- 1300®, le chêne devient rare, le hêtre commence, la neige couvre tout le fond de la combe et une partie de son revers exposé à l’est. Le ravin opposé est presque dégarni de neige et paraît très pauvre en mousses terricoles. L'influence de l'altitude commence à se faire sentir sur les espèces ligni- coles. Sur tous les troncs abondent Ramalina calicaris fertil., Orthotrichum affine, O. leiocarpum, Lecidea parasema, L. pal- lida, de plus tous les Physcia et Parmelia observés plus bas. Leucodon sciuroïdes et sa variété morensis. Nous voyons encore vers 1400® une touffe de Leptodon Smithii. Nous gravissons à travers les hôtres mélangés de quelques beaux houx le revers oriental jusqu’à la crête de la combe et nous trouvons entre 1400 et 1500 Pterigynandrum filiforme, Leskea nervosa, Cla- donia pyæidata, Cladonia rangifcrina, aux pieds des arbres Barbula subulata C., B. lævipila, B. tortuosa, B. ruralis, quel- ques rares individus rabougris de Usnea barbata et Evernia — 122 — furfuracea, Radula complanata, Dicranum scoparium. Nous voyons encore vers 1550, Rosa canina qui est peu ascendant dans les Vosges, ainsi que Pteris aquilina et Calluna vulgaris accusant quelques dépôts siliceux. Le genèvrier commençait à prendre sa forme rampante. Vers 1600, des rochers situés au-dessus de la combe des Charbonniers nous ont offert : Barbula tortuosa, Gymnosto- mum curvirostrum, Trichostomum tophaceum, T. mutabile, Grimmia orbicularis, Dicranum scoparium (fertile), Neckera crispa, Hypnum molluscum, H. cupressiforme v. ericelorum, Scapania æquiloba, Lophocolea minor, et enfin Aypnum pu- rum et H.'rugosum non observés encore à des niveaux moins élevés. L’épaisseur de la neige nous empècha de monter plus haut, mais une course faite en juillet 1875, par M. Boulay, permit de compléter ces observations et de signaler les espèces sui- vantes à la partie supérieure de ces combes , qui, à leur ori- -gine, c'est-à-dire près de la ligne de crête, forment des val- lons encaissés et frais, quoique sans eau courante, les princi- paux remplis d'une magnifique végétation subalpine : Eryngium spina-alba. Ranunculus platanifolius. Rumex arifolius. Brunella alba. Calamintha grandiflora Digitalis lutea. Aquilegia vulgaris. Urtica dioïca. Armeria bupleuroïdes. Saxifraga cuneïfolia. Les forêts de hètres, avec quelques rares Abies peclinata, s'élevant à une altitude approximative de 1500", quelques arbres à 1550 nous ont montré : Pterogonium filiforme, Leu- codon sciuroïdes v. morensis, Leskea mutabilis, L. Philippeana, Hypnum atrovirens, H. abictinum, H. reflezum, H. velutinum, H. glareosum, Bryum cæspititium, Ceraltodon purpureus, Bar- bula ruralis, Orthotrichum leiocarpum, 0. speciosum, 0. cris- pulum, Jungermannia alpestris. Dans une autre excursion, faite le 7 janvier 1875, nous avons exploré la belle forêt de M. de Tournon sur le versant — 123 — oriental d’un contrefort se détachant de la chaîne de Lure au- dessus de La Rochegiron. Ici quelques dépôts d’argiles un peu siliceuses avec Pleris aquilina et Calluna vulgaris nous ont offert, vers 1350", des stations plus fraîches que le calcaire néocomien pur, mais toujours dépourvues d'accidents rocheux importants. Nous y avons observé : Hypnum lutescens. Encalypta vulgaris. H. cupressiforme. Orthotrichum affine. H. populeum. O, saxatile. H. molluscum. O. leïocarpum. H. abietinum. Rhacomitrium canescens. H. strigosum (fertile). Grimmia orbicularis. H. glareosum (fertile). G. pulvinata. H. chrysophyllum. G. apocarpa. H. Sommerfelti. Barbula tortuosa. Leucodon sciuroïdes. B. ruralis. Leskea myura RR. Plagiochila asplenoïdes. L. sericea. Madotheca platyphylla. L. nervosa. Radula complanata. Leptodon Smithii. Frullania tamarisci. Anomodon viticulosus. Sticta pulmonacea. Pterygynandrum filiforme, C. Leptogium Hildenbrandii. Id. var. heteropterum, C. Peltigera venosa. Neckera complanata. P. canifa. Bryum capillare. P. rufescens. B. argenteum, R. Ramalina calicaris. B. crudum. Cladonia endiviæfolia. Fissidens decipiens. Lecanora pallida. Dicranum scoparium (fertile). Lecidea parasema. Didymodon rubellus. Physciæ (spec. comm.). Trichostomum flexicaule. Parmelia physodes. Seligeria pusilla RR. Sur les rognons de silex : Lecidea geographica. Parmelia prolixa. Parmelia conspersa. Lecanora atra. Le revers nord de la chaîne de Lure est couvert de hîtres sur plusieurs points, à partir d’une altitude de 900, et de sapins entre 15 et 1700, Nous avons pu visiter, le 16 jan- vier 1875, les escarpements jurassiques qui le séparent.de la — 124 — rivière du Jabron. Ceux-ci courent presque sans interruption de Valbelle aux Omergues (20 kilomètres), suivant une ligne parallèle à la crête de Lure et variant entre 1000 et 1400m d'altitude. Nous sommes partis du château de M. de Seyzieu à Jarjayes pour en faire l'ascension. Jusqu'à une hauteur de 1000® nous ne rencontrâmes rien d'intéressant, mais arrivés aux éboulis rocheux qui se trouvent au-dessous des escarpe- ments, vers 1200®, nous vimes apparaître une belle végéta- tion bryologique favorisée par un abondant terreau noir. Nous pümes Constater la présence, non-seulement de plu- sieurs des Hypnées de l'Europe moyenne et septentrionale que nous n'avions pas encore rencontrées dans l'arrondisse- ment de Forcalquier : Hypnum tamariscinum, H. splendens, H. purum, H. triquetrum, mais encore de quelques espèces des régions montagneuses et même alpestres du Jura : Hyp- num calenulatum, H. uncinatum, Bartramia Œderi, Didy- modon capillaceus, Leptotrichum fiexicaule, T immia megapoli-- tana, enfin une espèce rare découverte récemment au Mont- Blanc, Neckera Menziezii. Nous ne fûmes pas médiocrement surpris de rencontrergn abondance au milieu de cette végé- tation septentrionale le Leptodon Smithii qui affectait les formes les plus bizarres, quelques-unes très allongées. Voici d'ailleurs le relevé des espèces observées : £ Hypnum molluscum. Neckera crispa. H. chrysophyllum. N. Sendineriana. H. lutescens. N. Menziezii. H. uncinatum. N. complanata. H. cupressiforme, v. ericetorum. Leucodon sciuroïdes. H, abietinum. Anomodon viticulosus. H. tamariscinum ? Leptodon Smithii. H. delicatulum. Maium undulatum. H. purum. M. spinosum. H. triquetrum. M. orthorhynchum. H. splendens. Bryum capillare. H. catenulatum. Timmia megapolitana. H. serpens. à Barbula ruralis. Leskea sericea. .B. subulata. L. Philippeana. B. tortuosa. — 125 — Trichostomum flexicaule Didymodon capillaceus (fertile). Bartramia OEderi. Dicranum scoparium (fertile). Encalypta vulgaris. E. streptocarpa. Orthotrichum saxatile. O. affine. O. speciosum. O. Rogeri. 0. leïocarpum. O. stramineum. Grimmia apocarpa G. pulvinata. Metzgeria pubescens. Scapania æquiloba. Madotheca lævigata. Frullania tamarisci. Radula complanata. Jungermannia barbata. Plagiochila asplenoïdes. Endocarpum miniatum. Solorina saccata. Asplenium Halleri. À. trichomanes. Ceterach officinarum. Polypodium vulgare. Saxifraga cuneïfolia. Rhacomitrium canescens. S. aïzoon. Ce premier résultat nous avait intéressé en nous montrant une grande différence entre la végétation bryologique des deux versants de la chaîne de Lure, mais le temps nous ayant manqué pour monter au delà des falaises jurassiques - (1400w) qui flanquent le revers nord, il fallait attaquer ce revers lui-même dont un grand ravin nous séparait. La course eut lieu les 14 et 15 juillet 1875. La saison per- mettait alors de recueillir des phanéregames qui devaient nous aider à distinguer les régions d'altitude. Le point de départ étant Peipin, station du chemin de fer voisine de Sis- teron , à l'extrémité orientale de la chaîne de Lure, notre iti- néraire fut tracé de la manière suivante : Gagner immédiatement la crête (1100-1200), la suivre en s'élevant successivement, par une série de pelouses ballon- nées, jusqu'au point culminant (1827), là, descendre le revers nord jusqu'aux crêts jurassiques dont il vient d’être parlé, et revenir par Valbelle à Peipin, point de départ. Il sera facile de suivre ce trajet sur une carte de l'état-major. C'est M. l'abbé Boulay qui a fait cette excursion ; nous transcri- vons, à peu près textuellement, ses notes. De 700 à 1100, Quercus sessiliflora presque toujours plus ou moins pubescent avec plantes méridionales. Mousses rares : Hypnum cupressiforme; vers 900w, sur le tronc d'un vieux — 126 — chène, Habrodon Notarisii; Leucodon sciuroïides, Barbula ra- ralis v. pulvinata, B. cirrhata, Bryum capillare, Orthotrichum speciosum, 0. diaphanum, 0. obtusifolium, 0. Schimperi? 0. tenellum. Des cotes d'altitude 1137 à 1258", Mélange brusque de plantes alpestres et de plantes méridionales, ces dernières de- venant rares : Anthyllis montana, Sorbus aria, Androsace villosa, Gentiana lutea, Digitalis lutea, Faqus sylvatica, Buxus sempervirens. Parmi les mousses : Hypnum cupressiforme. Neckera Sendtneriana. H. lutescens. Barbula tortuosa. H. catenulatum. B. ruralis, H. abietinum. B. ruraliformis. H. molluscum. B. muralis. Leskea subtilis. Bryum capillare, v. cochlearifo- L. nervosa. lium. L. sericea. Fe Didymodon rubellus. L. attenuata. Trichostomum flexicaule. Anomodon viticulosus. Encalypta vulgaris. Leptodon Smithii. Orthotrichum speciosum. Leucodon sciuroïdes. Zygodon viridissimus. Neckera crispa. Jungermannia barbata. N. complanata. Madotheca platyphylla. Vers le Pas de Jean-d’Ane, les hêtres rabougris du versant nord atteignent la crête (1399), tandis que sur le versant sud ils restent à 100" plus bas : Cotoneaster vulgaris, Iberis saxatilis, Saxifraga oppositifolia, Hieracium Jacquini, Sorbus aria. Hypnum abietinum. Didymodon capillaceus. H. strigosum, v. imbricatum. D. rubellus. Leskea intricata. D. inclinatus. . Myurella julacea. Trichostomum mutabile. Bryum crudum. T. flexicaule. Encalypta vulgaris. Barbula tortuosa. Bartramia OEderi. Fissidens decipiens. A partir de la hauteur cotée 1399, les pelouses offrent un — 127 — mélange d'espèces méridionales et de plantes des montagnes du midi : : Stipa pennala, Lavandula (abondant), Anthyllis montana, Cephalaria leucantha, Satureia montana, Gentiana campestris, Rumex acelosella, Antennaria dioica, Rhacomitrium canescens, Ceratodon purpureus. Ges quatre dernières espèces sur une zone siliceuse. Le Lecidea geographica apparaissait sur des ro- enons de silex. En montant vers le point culminant, les pelouses nous ont montré : Spiræa filipendula. . Gentiana lutea. Potentilla Salisburgensis. Pedicularis fasciculata. Fragaria vesca. Teucrium montanum. Helianthemum canum. ; Androsace helvetica. Dianthus Seguieri. Globularia cordifolia. Linum suffruticosum. Armeria bupleuroïdes. Eryngium spina-alba. Juniperus nana. Anthyllis montana. Sesleria cærulea. Achillea dentifera. Kæleria Valesiaca. Gentiana verna. Botrychium lunaria. Pas d’autres mousses que Polytrichum juniperinum fertile, et P. piliferum stérile. Sur le point culminant (1827), rocailleux, très sec, il y a peu de terre végétale et la végétation, très pauvre, n'offre que des plantes rares, espacées, dont aucune ne parait spéciale; mais en descendant la pente rocailleuse du versant nord, di- rectement de la sommité dans la direction de la ferme de Pé- legrine, on trouve jusqu'aux sapins une solendide végétation alpine semblable à celle du Ventoux. Arenaria grandiflora, C. Pedicularis fasciculata. Alsine striata. Campanula Allionii. Biscutella coronopifolia. Oxyria dygina. Saxifraga exarata (Vill.). Allium narcissiflorum, C. S. oppositifolia. Avena sempervirens. Crepis pygmæa. Trisetum dystichophyllum. Aronicum scorpioïdes. Rosa pimpinellifolia. Hieracium alpinum R. Athamantha Cretensis. Galium megalospermum (Vill.). Phyteuma orbiculare, Valeriana montana. — 128 — x D'ailleurs très peu de mousses à cause de l'absence de rochers massifs un peu frais; à peine quelques brins de Di- dymodon rubellus, D. capillaceus, D. inclinatus, Barbula tor- tuosa. Sous les derniers sapins rabougris, vers 4700", nous avons trouvé à la suite d’une exploration très attentive : Hypnum chrysophyllum. H. atrovirens. H. reflexum (fertile). H. velutinum. Leskea nervosa. L. Sprucei ? Bryum inclinatum. Barbula tortuosa. Didymodon rubellus. D. inclinatus. D. capillaceus. Trichostomum flexicaule. Barbula subulata. Trichostomum crispulum. Orthotrichum stramineum RR. Encalypta streptocarpa. Grimmia apocarpa. Jungermannia acuta. J. tersa. Plagiochila interrupta RR. Scapania compacta. S. curta (forme grêle). Dans la zone des sapins entremêlés de hêtres, d’érables [Acer pseudo-platanus) et de cytises (Cytisus laburnum) (1650- 1500), la végétation est excessivement riche, sans mélange de plantes méridionales et rappelant avec une évidence par- faite la flore du Haut-Jura de 1000 à 4400 à la limite des forêts. Actæa spicata. Aconitum lycoctonum. Ranunculus platanifolius. Thalictrum aquilegifolium. Sorbus aria. Rosa alpina. Rubus saxatilis. Geranium sylvaticum. Saxifraga aïzoon, S. cuneïfolia. Chærophyllum aureum. Lonicera alpigena. L, nigra. Parmi les mousses : Hypoum uncinatum. H. catenulatum. Galium lævigatum. Pyrola secunda. Calamintha grandiflora. Valeriana montana. Cacalia alpina. Lilium martagon. Luzula nivea. Carex tenuis. Aspidium aculeatum. A. lonchitis. À. Halleri. À. viride. Cystopteris fragilis. Hypnum atrovirens (fertile). H. Halleri (fertile). H. Silesiacum R. H. nitidulum. H. triquetrum. H. splendens. H. reflexum (fertile). Leskea nervosa. L. subtilis. y L. Philippeana. L. mutabilis, var. saxicola. Pterogonium filiforme. Myurella julacea. Didymodon rubellus. D. capillaceus. Timmia austriaca. Bartramia OEderi. Mnium spinosum. Mn. orthorhynchum. Bryum cirrhatum! AC. — 129 — Bryum crudum, CC. Dicranum scoparium (fertile). D. strictum (fertile). AC. Barbula tortuosa. B. subulata. Seligeria pusilla. Orthotrichum Lyellii. . O. leïocarpum. Encalynta streptocarpa. Buxbaumia indusiata. Jungermannia incisa. J. barbata. J. Schraderi. Lophocolea heterophylla. L. minor. Scapania compacta. Plagiochila asplenoïdes. En pleine zone des hêtres (1500-1300) : Hypaum salebrosum. H. nitidulum. H. Sommerfelti. H. velutinum. H. Tommasinii. H. serpens. Leskea subtilis, C. L. nervosa. L. Philippeana. Pterogonium filiforme. Dicranum scoparium.- D. strictum. Mnium orthorhynchum. Bryum capillare. — v. cochlearifolium. Orthotrichum Rogeri. Barbula tortuosa. Lophocolea minor. Vers 1150, réapparition sur un champ de rocailles sèches de Lavandula spica, Gentiana campestrrs, Galium boreale, et de quelques Betula pubescens, Hypnum delicatulum, et plus bas, près d’une source, Hypnum palustre et Weisia verticillata. , Les cultures, à la ferme de Pélegrine (1150) située sous le point culminant de Lure, dans le grand ravin qui sépare le revers nord de la ligne d'escarpements jurassiques, sont : le blé, la pomme de terre, le chou, le haricot, le pois. Près de la ferme : Hordeum murinum, Hyoscyamus niger, Lapsana communis, Lappa minor, Malva rotundifolia, Lavan- dula spica, Sisymbrium officinale, Marrubium vulgare. 9 — 130 — En descendant de Pélegrine à Valbelle par la cluse des escarpements jurassiques : Saæifraga cuneifolia, Neckera Men- ziezii CC, Neckera complanata, N. Sendineriana, Hypnum un- cinatum, Bryum roseum, Leptodon. Vers 1100, réapparition du Quercus sessiliflora. En remontant de Valbelle par le chemin de Peipin, point de départ de l’excursion, l’amandier et la vigne ne s'élèvent - pas au-dessus de 800%, bien que le vallon soit abrité et chaud par reverbération. À partir du col de Valbelle, en descendant sur Peipin, on voit reparaître aussitôt les plantes méridionales, en particu- lier Santolina chamaæcyparissus dès 1000-900n. Grès verts. — Ce terrain, appelé vulgairement dans le pays terre de safre (1),-se montre fréquemment entre Forcalquier et la chaine de Lure. Sa constitution minéralogique nous a paru assez variable, mais en général la roche se compose de grains de quartz extrêmement fins, reliés par un ciment cal- caire très abondant. Elle est fort tendre et se désagrége faci- lement en une terre légère. L’exploration de ce terrain nous paraissait intéressante à cause du mélange des éléments cal- caire et siliceux. Nos premières recherches ne furent pas heu- reuses ; partout la plus grande pauvreté bryologique. Les mousses que nous pûmes constater étaient toutes des espèces calcicoles ou indifférentes : Barbula fallax, B. ambi- qua, Weisia verticillata, Gymnostomum calcareum, Dicranum varium, Grimmia orbicularis, G. crinita, Hypnum chrysophyl- bum, Aspleniwm Halleri, Ceterach officinarum, Squammaria crassa, Lecidea decipiens. Il faut remarquer que la silice est en faible proportion re- lativement au calcaire. Dans les environs de Valsaintes, le terrain est beaucoup (1) Ce nom vulgaire s'applique aussi à la molasse, — 131 — plus siliceux. Nous y avons vu de véritables grès (1) affleu- rant en gros blocs à la surface du sol. D'ailleurs les monta- ones vers 000-600" d'altitude étaient couvertes de bruyères Erica scoparia.et Calluna vulgaris, l'humus noir abondant et le sol plus humide que dans toutes les localités visitées anté- rieurement. Il n’était pas difficile de prévoir une plus grande richesse bryologique dans de semblables conditions. Les blocs de grès étaient couverts de Grimmia leucophæa, Hediwigia ciliata, Pie- rogonium gracile, Sticta scrobiculata, Lecidea geographica, Par- melia conspersa, espèces silicicoles, tandis qu’à terre, sur la terre de bruyère, et les argiles compénétrés de carbonate de chaux croissaient, en mélange curieux, des mousses calci- coles comme Weisia verticillata, Gymnostomum calcarew, Trichositomum flexicaule, Reboulia hemispherica, Hypnum gla- reosum , H. chrysophyllum , et d'espèces silicicoles comme Bartramia pomiformis, Dicranum undulatum, Polytrichum pi- liferum, P. juniperinum, Bæomyces rufus, Pteris aquilina. Sur des débris rocheux presque contigus, nous voyions : sur les uns Grimmia leucophæa et Hedwigia ciliata, et sur les autres Grimmia orbicularis ®). La constitution géologique de cette localité étant extrêmement compliquée et montrant en contact des calcaires et des grès, il aurait fallu faire l'analyse chimique de chaque fragment de support des espèces saxi- coles pour tirer des arguments au point de vue de la théorie chimique. Cette théorie nous paraît toutefois démontrée par la réunion sur le sol formé par les détritus calcaires et sili- ceux de ces roches, d'espèces calcicoles et silicicoles. (1) Le manque de documents géologiques nous empêche de préciser cet étage. Ce sont probablement des grès cénomanciens ou turo- niens. (2) Malgré la Saison défavorable, nous avons remarqué quelques plantes phanérogames dont la dispersion n’est pas moins curieuse à observer, Ainsi le Buis et l’Hellébore croissaient pêle-mêle avec les bruyères et les Pleris aquilina et Molinia cærulea. Valsaintes. Hypnum lutescens. H. cupressiforme. H. chrysophyllum. H. Sommerfelti. H. purum. H. cuspidatum. H. velutinum. H. illecebrum (fertile). H. molluscum. H. strigosum (fertile), H. glareosum. H. abielinum, Leskea sericea, Leucodon sciuroïdes. Pterogonium gracile. Bryum crudum. B. alpinum. B. gemmiparum. B. capillare. Bartramia stricta. B. pomiformis. Encalypta vulgaris. E. streptocarpa. Orthotrichum saxatile. O. rupestre. Atrichum undulatum. Polytrichum piliferum. P. juniperinum. P. formosum ? Barbula ruralis. B. subulata. B. muralis. B. fallax. B. unguiculata. B. tortuosa. — 132 — Voici la liste des espèces observées dans cette localité de Barbula squarrosa. Dicranum varium. D. scoparium (fertile), D.undulatum. Fissidens adianthoïdes ? Ceratodon purpureus. Weïisia viridula. W. verticillata. Gymnostomum calcareum. Grimmia apocarpa. G. pulvinata. G. orbicularis. G. leucophæa, Rhacomitrium canescens. Hedwigia ciliata. Jungermannia corcyræa. Plagiochila asplenoïdes. Frullania tamarisci. Reboulia hemisphærica. Stricta strobiculata. Peltigera venosa. P. aphtosa. Cladonia endiviæfolia. CL. rangiferina. Parmelia saxatilis. P. conspersa. Pannaria plumbea. Endocarpum miniatum. Lecanora parella. Lecidea geographica. Lecanora atra. Asplenium trichomanes. A. adianthum-nigrum. Polypodium vulgare. Ceterach officinarum. Régions d'altitude. — On peut, en partant des données précédentes, arriver à la distinction de quatre grandes ré- SOS : | 1° Région méridionale caractérisée par l'olivier et le chêne vert, — 133 — . 20 Région montagneuse où des hêtres, correspondant aux montagnes basses de l'Europe moyenne. 3° Région des conifères ou subalpine, correspondant à la ré- sion des sapins du Jura. 4° Région alpine. Si ces grandes divisions s'imposent, pour ainsi dire d'elles- mêmes, il est loin d’être aussi aisé de les limiter d’une ma- nière précise. D'ailleurs les végétaux qui ont servi à les éta- - blir : olivier, hêtre, sapin, bien qu'excellents, comme carac- téristiques, ne sont pas les seuls dont il faille tenir compte pour donner une idée exacte des modifications qu'éprouve la flore lorsqu'on s'élève dans les montagnes ; nous sommes donc conduits à établir des subdivisions essentiellement con- ventionnelles, il faut le dire, et concordant plus ou moins avec les limites inférieures et supérieures de végétation de groupes, convenablement choisis, de plantes répandues. Région inférieure des oliviers. — Si nous sortons un peu de notre territoire et que nous partions des bords de la Méditer- ranée, nous voyons la région méridionale nettement tracée jusque vers 400-500" par la large diffusion de l'olivier, du chône vert, et d'une nombreuse série de plantes phanéro- games dont nous n'avons pas à nous occuper ici. Les mousses de cette région sont les suivantes (nous indiquons d’abord celles que nous avons observées dans larrondissement de Forcalquier dont une très faible partie est comprise au-des- sous de 400% d'altitude) : Hipnum circinatum. Bryum gemmiparum. H. prælongum, v. meridionale. Bartramia stricta, H. striatulum. Barbula Jlævipila, v. meridiona- H. illecebrum. lis. Leptodon Smithii. B. membranifolia. Fabronia pusilla. B. squarrosa, Habrodon Notarisii. K B. inermis. Antitrichia curtipendula, v. His- B. cirrhata. : panica. Trichostomum tophaceum. Bryum torquescens. Gymnostomum calcareum. — 134 — Grimmia tergestina. Jungermannia corcyræa. Jungermannia alicularia. Cette liste ne représente pas d’une manière suffisamment complète la flore bryologique de la région méridionale, soit que beaucoup d'espèces nous aient échappé, soit qu’au pied des premiers contreforts des Alpes le facies méridional de cette flore tende à s’affaiblir (L ; il faudrait donc, pour le mieux définir, ajouter les espèces suivantes signalées dans le Var, non loin de nos limites. Hypnum aureum. Trichostomum subulatum. Fabronia octoblepharis ? T. strictum. Cryphæa heteromalla T. triumphans. Bryum Donianum. Ceratodon corsicus. B. canariense. Weisia reflexa. Barbula princeps. Conomitrium Julianum. B. canescens. Funaria convexa. B. cuneifolia. Entosthodon Templetoni. B. chloronotos. Physcomitrium curvisetum. Trichostomum barbula. Phascum rectum. T. flavo-virens. Ph. curvicollum. Cette région basse qu'on pourrait appeler région inférieure - des oliviers ou méditerranéenne proprement dite ne se trouve ouère dans nos limites que dans la vallée de la Durance et sur une faible partie des cantons des Mées, de Manosque el de Reillane (). Région supérieure des oliviers (500-800), — A partir de 500-600n, l'olivier devient plus disséminé pour cesser à peu (1) Il faut remarquer d'ailleurs que presque toutes les localités que nous avons visitées ne se trouvent pas à moins de 380-400 d'altitude, par conséquent à la limite supérieure de cette région, et encore avons- nous dû presque toujours explorer les pentes exposées au nord. (2) Il nous semble inutile de répéter que la végétation bryologique de toute cette région est très appauvrie et ne se compose que d’un nombre restreint d'espèces et d'individus. Voir ailleurs dans le Z relatif au diluvium quaternaire l’'énumération des espèces observées; d'où l’on pourra conclure l'absence d’un grand nomre de mousses de l'Europe moyenne. — 135 —. près complétement vers 800m. Le chêne vert ne monte guère plus haut. Le chêne rouvre forme l'essence dominante des forêts. Dans cette région, les espèces méditerranéennes sont plus rares et les stations bryologiques un peu plus fréquentes et mieux fournies que dans la précédente. Les Neckera crispa, Hypnum cupressiforme var. ericetorum , H. crassinervium , Bryum capillare, B, argenteum , Encalypta streptocarpa, Poly- trichum juniperinum, Barbula subulata, Barbula tortuosa, Di- dymodon rubellus, Orthotrichum obtusifolium, Scapania æqui- loba, Madotheca platyphylla commencent à se montrer. Nous ne nous occupons ici que des terrains calcaires ou en partie calcaires qui constituent la presque totalité de notre terri- toire. Les grès verts de Valsaintes ont, comme on l'a vu, vers 500-600 une végétation bryologique beaucoup plus monta- gneuse. | On remarquera dans la liste que nous avons donnée des mousses de cette localité quelques espèces non observées en- core ou vues seulement dans la haute chaîne de Lure : Hyp- num purum, H. cuspidatum, Dicranum undulatum, D. scopa- rium, Fissidens-adianthoïdes, Bryum crudum, Atrichum undu- Latium, Ceratodon purpureus, Plagiochila asplenoïdes, Peltigera aphthosa, Peltigera venosa, Asplenium adianthum -nigrum. Non-seulement la plupart de ces espèces croissent en abon- dance à Valsaintes à 550" d'altitude, mais elles y ont une luxuriante végétation, bien rare dans le midi, et qui nous rappelait celle des Vosges. On voit donc combien est grande l'influence de l'humidité du sol qui supplée ici à l'altitude, et on peut conclure que dans la zone méridionale comme dans la France moyenne, les espèces montagneuses ont une tendance à descendre, sur les sols siliceux humides, beau- coup au-dessous de leur niveau normal. Toutefois, dans le midi, cette observation paraît devoir s'appliquer plus parti- culièrement aux grès. M. Boulay, qui à exploré le Var, a trouvé les grès rouges humides et riches en mousses, tandis que les porphyres compactes étaient aussi secs que les cal- — 136 — caires et n'avaient qu'une végétation bryologique appau- vrie. Dans les environs de Valsaintes, les grès verts s'élèvent à plus de 800 vers la ferme de Saint-Laurent. Il est probable que l'exploration de ces pentes raides, couvertes de bruyères et de forêts, amènera la découverte d’autres espèces monta- gneuses. Les mousses méridionales observées dans cette région su- périeure des oliviers sont les suivantes : _ Hypnum circinatum. Bartramnia stricta. H. prælongum, v. meridionale. Barbula squarrosa. H. striatulum. B. inermis. H. illecebrum. B. lævipila, v. meridionalis. Leptodon Smithii. B. membranifolia. Fabronia pusilla. B. cirrhata. Habrodon Notarisii. Trichostomum tophaceum. Antitrichia curtipendula, v. His- Gymnostomum calcareum panica. Grimmia tergestina. Bryum torquescens. Jungermannia Corcyræa. B. gemmiparum. J. alicularia. D'ailleurs elle doit être évidemment rattachée à la précé- dente et-comprend la plus grande partie de notre territoire, tout ce qui est situé au sud de.la chaîne de Lure, à l'excep- tion de quelques points élevés des plateaux qui se terminent en face de Saint-Etienne et de Banon. Région de transition (800-1200%). — L’olivier a disparu, le chêne vert ne se montre plus qu'accidentellement au-dessus de 800". Le chêne rouvre domine toujours dans les forêts, mais commence vers 900-1000 à être accompagné du Sorbus Aria et de quelques hêtres, notamment sur les pentes expo- sées au nord. La vigne cesse vers 900", l'amandier vers 1000m, le noyer et le mûrier vers 4100-1200w. La végétation bryolo- gique est encore mélangée de quelques espèces méridionales comme : Leptodon Smithii, Leucodon sciuroïides var. morensis, Barbula membranifolia, B. cirrhata, mais d’ailleurs se modifie — 137 — assez sensiblement par l'apparition de : Leshea subtilis, Nec- kera Menziezü, N. Sendtneriana, Bryum crudum, B. capillare, Dicranum scoparium, Orthotrichum affine, 0. leiocarpum, 0. spe- ciosum, 0. pumilum , Rhacomitrium canescens, Jungermannia barbata, etc. L Cette région de transition, qu’on pourrait appeler région des chênes rouvres, comprend quelques points des plateaux élevés situés au sud de Saint-Etienne et de Banon (800-900) et les flancs de la chaîne de Lure de 800 à 1200" {sur le ver- sant nord, les plantes montagneuses de la région suivante descendent un peu au-dessous de 1200»). Elle établit le pas- sage de la zone méridionale de Schimper à celle de la France moyenne et pourrait être, sous certains rapports, assimilée aux plaines et collines calcaires basses de Lorraine et de Franche-Comté, bien que d’ailleurs, notamment pour les mousses, elle s’en éloigne notablement par la rareté d’une foule d'espèces extrêmement abondantes dans ces dernières contrées et qui sont chassées d'ici plutôt par la sécheresse du climat que par la température. Il est nécessaire de remarquer que dans les localités de cette région que nous avons visitées, nous n’avons pas ren- contré de grands escarpements exposés au nord, et que c’est là surtout où il faut étudier les mousses. Dans une partie de la vallée du Jabron que nous n'avons pas pu explorer, notam- ment aux environs de Saint-Vincent et de Châteauneuf de Miravail les escarpements jurassiques qui flanquent le revers nord de Lure descendent jusqu’à 900", et il est plus que pro- bable qu'ils sont habités par plusieurs des espèces signalées dans des stations analogues au-dessus de Jarjayes vers 1200- 1300n. Il nous semble donc qu’on pourrait ajouter aux espèces de la France moyenne, citées tout à l'heure, qui commencent à se montrer dans la région de transition, les suivantes : Hypnum triquetrum. Hypnum splendens. H. delicatulum. H. Salebrosum., H. tamariscinum. H. purum ? — 138 —- Hypnum rugosum. Timmia megapolitana (1). Leskea Philippeana. Didymodon capillaceus. Myurella julacea (1). Metzgeria pubescens. Bryum roseum. Madotheca lævigata. Bartramia OEderi (1). Plagiochila asplenioides. Ensemble qui accentue beaucoup la différence de cette région et üe la précédente. Région des hôtres (1200-1500w). — Le chêne rouvre devient rare ct finit par céder peu à peu la place au hêtre. Le fraisier et le framboisier apparaissent partout. Le revers sud de Lure et les pelouses du sommet dans les parties où la chaîne ne dépasse pas 1500 offrent un curieux mélange de plantes mé- ridionales et de plantes alpestres. La lavande n'a pas encore disparu et croît avec Aquilegia vulgaris. Gentiana lutea. Ranunculus platanifolius. Digitalis lutea. Cotoneaster vulgaris. Sorbus Aria. Iberis saxatilis. Satureia montana. Eryngium spina-alba. Gentiana campestris. Saxifraga oppositifolia. Calamintha grandiflora. S. cuneifolia. Armeria bupleuroïdes. Anthyllis montana. Rumex arifolius. Cephalaria leucantha. R. acetosella. Antennaria dioïca. Stipa pennata. Hieracium Jacquini. Les mousses dont la végétation est contrariée par la séche- resse du climat et l'aridité du sol ne montrent, vers 4400- 1500, que quelques espèces montagneuses, surtout parmi les lignicoles. Pterogonium filiforme. Hypnum atrovirens. Leskea Philippeana. I. reflexum. L. subtilis. Bryum crudum. L. mutabilis. Jungermanuia alpestris. L. myura. (1) Cette espèce se trouverait ici à son extrême limite inférieure et pour ainsi dire exceptionnellement. — 139 — Sur le versant nord, au contraire, la flore bryologique de l'Europe moyenne s’accuse nettement à partir des escarpe- ments jurassiques (1300-1500) par Hypnum triquetrum. Mnium spinosum. H. delicatulum. M. orthorhynchum. H. tamariscinum ? Bryum roseum H. splendens. B. crudum. H. purum. B. capillare, v. cochlearifolium. H. salebrosum. Timmia megapolitana. H. catenulatum. Didymodon capillaceus. H. nitidulum. Bartramia OEderi. H. Tommasinii. Dicranum scoparium. I. uncinatum. D. strictum. Pterogonium filiforme. Orthotrichum leïocarpum. Leskea Pbilippeana. O. affine. L. nervosa. O. speciosum. L. subtilis. O. Rogeri. L. intricata. Metzgeria pubescens Neckera Menziezii. Scapania æquiloba. N. Sendtneriana. Madotheca lævigata. Myurella julacea. Jungermannia barbata. Mnium undulatum. Phagiochila asplenoïdes. r Cette région montagneuse ou des hêtres ne se trouve guère, dans nos limites, que sur les revers de la chaîne de Lure de 1200 à 1500® et correspond à peu près aux moyennes mon- tagnes du Jura. On remarquera, dans la liste précédente, quelques mousses Myurella julacea, Mnium orthorhynchum, Timmia megapoli- lana qui sont rares et se maintiennent dans le Jura au-dessus des forêts. Ces espèces sont plus communes et descendent beaucoup plus bas dans les Alpes. Les Timmia megapolitana et Myurella arrivent même jusqu'à 800" à la Sainte-Baume dans le Var, ainsi que l’a constaté M. Boulay ; mais c’est un fait exceptionnel, explicable seulement par l'influence d’es- carpements exposés AU nord. Les Hypnum atrovirens, H. catenulatum, H. nitidulum, Hyp- num Tommasinii, H. reflezum, Leskea nervosa, L. mutabilis, Mnium spinosum ne se trouvent guère qu’à la partie supé- — 140 — rieure de cette région dont la végétation bryologique a déjà les plus grands rapports avec celle de la région des conifères. Si ces espèces descendent un peu bas sur Je revers nord de Lure, c'est grâce encore aux pentes abruptes et à l'exposition. Région des conifères (1500-1700). — Cette région n'est re- présentée que sur le revers nord de Lure, où de 1500 à 1700 les sapins (Abies pectinata) mêlés au hêtre, à l'érable (Acer pseudo-platanus) et au Cytisus laburnum, forment une ligre assez régulière. Vers 1650" les uns et les autres deviennent buissonnants pour disparaître complétement à 1700". Dans cette région, toutes les plantes méridionales ont disparu et nous retrouvons une flore ayant une analogie remarquable avec celle des forêts de sapins du Haut-Jura de 1000 à 1400m. Ranuneculus platanifolius. Pyrola secunda. Actæa spicata. Calamintha grandiflora. Aconitum lycoctonum. Valeriana montana. Thalictrum aquilesifolium. * Cacalia alpina. Rosa alpina. Lilium martagon. Rubus saxatilis. Luzula nivea. Geranium sylvaticum Carex tenuis. Saxifraga aïzoon, Aspidium aculeatum. S. Cuneifolia. Asp. lonchitis. Chærophyllum aureum. Asplenium Halleri. Lonicera alpigena. Aspl. viride. L. nigra. Cystopteris fragilis. Galium lævigatum. Les mousses ne sont pas moins caractéristiques. Hypaum uncinatum. Hypnum Tommasinii H. catenulatum. Leskea mutabilis. H. atrovirens. L. Philippeana. | H. silesiacum. L. nervosa. H. Halleri, L. subtilis. H. nitidulum. Pterogonium filiforme. H. reflexum. Myurella julacea. H. triquetrum. Didymodon capillaceus. - H. splendens. D. inclinatus. HT. purum. Timmia austriaca. H, rugosum. Bartramia OEderi. L À L { e — 141 — Mnium spinosum. Orthotrichum crispulum. - Mn. orthorhynchum. Buxbaumia indusiata. Bryum inclinatum. Jungermannia barbata. B. cirrhatum. J. incisa. B. crudum. J. Schraderi. Dicranum scoparium. Lophocolea heterophylla. D. strictum. Plagiochila asplenoïdes. Orthotrichum Lyellii. Scapania compacta. Cette région des conifères a une si faible étendue à Lure qu'il est difficile de la bien étudier. Dans les Alpes du bassin de la Durance, elle est généralement peuplée de mélèzes de 1500 à 2000 et habitée par les mousses que nous venons de citer, auxquelles il faut joindre : Hypnum plicatum, H. fasti- giatum, H. Heufleri, H. cirrhosum, H. falcatum, Leskea rufes- cens, Grimmia anodon, G. elatior, Orthotrichum alpestre, En- calypta ciliata. Toutes ces espèces, ainsi que celles de la liste précédente, ne sont pas également répandues dans toute la région des conifères. Un assez grand nombre d’entre elles sont localisées à la limite supérieure des forêts vers le point où les arbres deviennent rabougris aux abords de la région alpine. Aussi conviendrait-il peut-être, comme M. Boulay le laisse entrevoir dans sa Flore cryptegame de l'Est, de disuin- guer et d'appeler subalpine cette zone si bien caractérisée par ses arbres buissonnants, dans les Vosges vers 1100-1200, dans le Jura vers 1400-1500, et dans les Alpes entre 1500 et 2000. D'ailleurs il faut remarquer que presque toutes ces mousses de la région supérieure des forêts persistent dans la région alpine, sauf celles comme Hypnum reflexum, Leskea nervosa, L. mutabilis, etc., qui ont besoin de troncs d'arbres pour sup- port. | Il convient encore de joindre aux mousses que nous ve- nons de citer comme habitant la région des conifères des Alpes quelques espèces montagneuses de la France moyenne qui n'ont encore été observées ici qu'à des niveaux élevés (région des conifères et région alpine) où seulement elles peu- — 142 — vent trouver des stations convenables, notamment les espèces des marécages et lieux tourbeux. Hypnum giganteum. Mnium serratum. H. revolvens, Mn. punctatum. H. nitens. Mn. afline. H. trifarium. Bartramia fontana. H. denticulatum. B. calcarea. Dicranum fucescens. B.H alleriana. Bryum bimum., Meesia uliginosa. B. pallescens. Zygodon Mougeotii. B. turbinatum. Gymnostomum rupestre. B. albicans. Scapania irrigua. B. pseudo-triquetrum. Jungermannia ventricosa. Mnium stellare. Struthiopteris crispa. Ces espèces ont été signalées par MM. Husnot et Boulay, soit dans le Queyras, soit à Briançon ou au Pelvoux. Afin de mieux préciser la distribution des mousses de la France moyenne dans les régions d'altitude que nous venons d'étudier, nous les classons dans les groupes suivants que nous sommes loin, d’ailleurs, de considérer comme définitifs, et qui s’'échelonnent successivement à mesure qu'on s'élève. lo Mousses ne descendant guère au-dessous de 500. Hypnum Vaucheri. Barbula subulata. H. cupressiforme, v. ericetorum? B. tortuosa. H. crassinervium ? Didymodon rubellus. Neckera crispa. Bryum crudum. Bryum capillare. Polytrichum juniperinum ? B. argenteum. Atrichum undulatum. Dicranum scoparium. Scapania æquiloba. D. undulatum. Madotheca platyphylla ? Encalypta streptocarpa. Plagiochila asplenoïdes. Rhacomitrium canescens. 29 Espèces dont la limite inférieure paraît être vers 1200, mais descendant avec les escarpements exposés au nord jusqu'à 900- 800, Hypnum triquetrum. Hypnum tamariscinum. H, delicatulum. H. splendens, Hypnum salebrosum. H. palustre. H. rugosum. H. uncinatum. Leskea subtilis. L. myura. L. Philippeana. Pterogonium filiforme. Neckera Menziezii. N. Sendtneriana. Myurella julacea. Bryum roseum. — 143 — Bartramia OEderi. Timmia megapolitana. Didymodon capillaceus. Orthotrichum afline. O. leïiocarpum. O. stramineum. O. speciosum. O. obtusifolium. O. pumilum ? Jungermannia barbata. Metzgeria pubescens. Madotheca lævigata. 93° Espèces se maintenant généralement au-dessus-de 1500-1400m, dans la zone supérieure des hêtres et celle des conifères, mais quelques-unes descendant avec les escarpements exposés au nord jusque vers 1300-1200. Hypnum catenulatum. H. atrovirens. H. reflexum. H. Halleri. H. Tommasinii. H. nitidulum. H. silesiacum. Leskea nervosa. L. mutabilis. L. intricata. Didymodon inclinatus. Timmia austriaca. Mnium spinosum. Mn. orthorhynchum. Bryum inclinatum. B. cirratum ? Dicranum strictum. Orthotrichum Lyellii, O. crispulum. O. Rogeri. Buxbaumia indusiata. Jungermannia alpestris. J. porphyroleuca. J Schraderi. J. tersa. J. acuta. Lophocolea heterophylla. Scapania compacta. A ces mousses de la chaîne de Lure nous ajoutons les sui- vantes des régions élevées des Alpes de la Durance, dont nous connaissons moins bien la dispersion. Hypnum plicatum. H. fastigiatum. H. Heufleri. H. cirrhosum. H. giganteum. H. revolvens. Hypnum Oakesii. H. nitens. H. trifarium. Leskea rufescens. Dicranum fucescens. Bryum bimum. — 144 — Bryum pseudo-triquetrum. Bartramia Halleriana. B. albicans. Meesia uliginosa. B. pallescens. Zygodon Mougeotii. B. turbinatum. Gymnostomum rupestre. Mnium stellare. Grimmia anodon. Mn. affine? G. elatior. Mn. punctatum ? Orthotrichum alpestre. Bartramia fontana ? Encalypta ciliata. B. calcarea? Région alpine (1400-1825%). — Si dans la chaîne de Lure on entend, comme dans le Jura, par région alpine, les pâtu- rages des sommets, au-dessus de la limite des forêts, on est forcé dy comprendre toutes ces pelouses bombées qui forment la crête de Lure et dont plusieurs ne dépassent pas 1400" d'altitude, ce qui semble être en contradiction avec les limites que nous avons assignées aux régions précédentes. Il faut, pour expliquer cette anomalie apparente, remarquer que c’est l’ensemble de certaines conditions plus ou moins dépendantes de l'altitude, mais non l'altitude absolue, qui constituent les régions. Evidemment le manque d’abri plutôt que la tempé- rature trop basse empêche les forêts de croître sur les moins élevées de ces pelouses, et l’on éoncoit qu'uniformes sous le rapport du relief extérieur et du revêtement du sol, également battues par les vents, et échappant par leur position même à la diversité de température résultant, pour les deux revers de la chaîne, de leur exposition au nord et au sud, elles puissent nourrir un ensemble de plantes spéciales qui leur soient communes (l), malgré les différences de niveaux de plus de 400% qui existent entre quelques-unes d’entre elles. C'est dans les environs du point culminant de la chaine (1827) que la végétation alpine paraît le mieux caractérisée. Les phanérogames suivantes occupent la partie de ces pe- louses doucement inclinée vers le sud : (1) Nous citerons no‘amment Juniperus nana, Gentiana lutea et An- drosace villosa qui se montrent dès les premières pelouses: les deux premières espèces surtout très répandues. — 145 — Potentilla Salisburgensis. Pedicularis fasciculata. Helianthemum canum. Androsace helvetica. Eryngium spina-alba. A. villosa. Achillea dentifera. Globularia cordifolia. Gentiana verna. Juniperus nana. G. lutea. — La végétation bryologique est presque nulle sur ces som- mets et sur les abrupts rocailleux qui les coupent vers le nord. En revanche, ces derniers sont habités par une flore phanérogamique alpine parfaitement caractérisée, aussi nette qu'au Ventoux. Arenaria grandiflora. Galium megalospermum. Alsine striata. * Valeriana montana. Biscutella coronopifolia. Pedicularis fasciculata. Saxifraga exarata. | # Campanula Allionii. S. oppositifolia. Oxyria dygina. Crepis pygmæa, , Allium narcissiflorum. Aronicum scorpioides. Avena sempervirens. Hieracium alpinum. Trisetum dystichophyllum. Il faut arriver aux derniers sapins rabougris vers {700% pour trouver quelques mousses et encore appartiennent-elles, sauf Distichium inclinatum, plutôt à la région supérieure des sapins ou subalpine qu’à la région alpine. Hypnum atrovirens. Distichium capillaceus. H. reflexum. Scapania curta. Leskea nervosa. S. compacta. : L. Sprucei ? Jungermannia tersa. Bryum inclinatum. J. acuta. Distichium inclinatum. Nous voyons donc la flore bryologique alpine du Jura manquer sur les hautes cimes de Lure à cause de leur ari- dité.et de l'absence de masses rocheuses solides. Pour en chercher l'équivalent dans les Alpes, il faut franchir un peu nos limites sans sortir toutefois du bassin principal de la Du- rance qui se trouve dans des conditions météorologiques gé- nérales analogues à celles de Lure et est soumis comme cette 10 — 146 — chaîne à l'influence du climat méditerranéen. Dans les mas- sifs calcaires du Queyras, de Briançon. et le Pelvoux grani- tique, cette région alpine peut être caractérisée par les mousses suivantes qui semblent se maintenir généralement au-dessus de la limite des forîûts : Hypnum petræum (N. B.). Trichostomum systylius. H. arcticum. Zygodon lapponicus. H. glaciale. Weisia crispula. H. collinum. W. Vimmeriana. Meesia alpina. Pottia latifolia. Bryum Ludwigii. Dicranum virens. B. polymorphum. D. Mublenbeckii. B. Blindii. Encalypta rhabdocarpa. B. Duvalii. E. commutata. Mielichhoferia nitida. E. apophysata. Dissodon Fræhlichianus. Rhacomitrium sudeticum. Amblyodon dealbatus. Grimmia alpestris. Polytrichum sexangulare. G. Sulcata. Pogonatum alpinum. G. mollis. Olygotrichum hercynicum. G. unicolor. Catoscopium nigritum (1). Andræa alpestris. Barbula acyphylla. Jungermannia julacea. Trichostomum glaucescens. Gymnomitrium concinnatum. T. latifolium. Dans ces hautes Alpes comme dans la chaîne de Lure, la limite inférieure de la région alpine est variable. Elle com- mence à la suite des arbres buissonnants et des rhododen- drons, entre 1600 et 2000", pour s'élever jusqu'à 3000, ni- veau ordinaire des glaciers et des neiges. | Les mousses que nous venons de citer ne sont pas égale- ment répandues dans la région alpine qu'il faudrait sans doute subdiviser en deux zones, l’une inférieure ne dépassant pas beaucoup 2000", et l’autre supérieure ; mais nos rensei- —————_———— (1) Cette espèce descend quelquefois avec les torrents dans la région des conifères, mais elle a son centre de végétation dans la région alpine. HT — gnements ne sont pas suffisants pour les distinguer avec assez de précision (1). D'après M. Boulay, qui a exploré le Pelvoux en août 1875 avec beaucoup de succès, les Weisia crispula et Grimmia sulcata existent dans toute la région alpine; mais les Oligo- trichum hercynicum, Rhacomitrium sudeticum, Zygodon lap- ponicus, Pogonatum alpinum, Dissodon Fræhlichianus, Mielich- hoferia nitida, Grimmia unicolor, Hypnum glaciale, Junger- mannia julacea, Gymnomitrium concinnatum, Andræa alpes- tris se trouvent très haut (2800) dans des escarpements très raides avec Saxifraga androsacea, S. aspera, S. biflora. Les Bryum Blindü. B. Ludivigii, Encalypta commutata se mon- trent au niveau de 1800" à la suite des Rhododendrons; plus haut, vers 2200-2600%, Weisia Wimmeriana. Si l'on examine la liste, probablement bien incomplète, que nous venons de donner des mousses de la région alpine, on voit qu'une vingtaine de ces espèces se retrouvent sur les pelouses des Vosges et du Jura au-dessus de la limite des forêts, ce qui établit bien la nature alpine de la végétation de ces sommets vosgiens de 4200 à 1400 et jurassiques de 1400 à 1700. Il vient naturellement à l'esprit de chercher une cor- respondance entre eux et la partie inférieure de la région alpine des Alpes. Des recherches ultérieures pourront probablement faire découvrir une concordance qui.ne ressort pas, toutefois, des observations que nous venons de relater, puisque plu- sieurs des mousses alpines communes aux Vosges et au Pel- voux n'ont encore été trouvées#gans ce dernier massif qu’à une altitude considérable (2800), non loin des glaciers. Il est néanmoins permis de supposer que les espèces manquant aux Vosges et au Jura comme : Hypnum arcticum, H. glaciale, Andræa alpestris, Dissodon Fræhlichianus, Grimmia mollis, G. unicolor et d’autres non encore signalées, appartiennent (1) C’est grâce aux intéressantes recherches de M. Husnot (1874) que nous avons-pu parler du Queyras. — 148 — à une région des Alpes qui n'a pas d'équivalent dans ces montagnes où les glaciers n'existent pas. Ces considérations sur la végétation bryologique des hautes Alpes nous ont entrainé un peu en dehors de nos limites; revenons à la chaîne de Lure. Les faits de dispersion relatifs à l'altitude observés dans cette chaîne donnent lieu à plusieurs remarques intéressant sur- tout le botaniste jurassien, à l'esprit duquel s'impose natu- rellement la comparaison de Lure et du Jura. . 1° Les plantes méridionales ont une remarquable tendance ascendante sur le revers sud de Lure (). Ce n'est pas sans surprise que nous avons vu la lavande et d’autres plantes méridionales s'élever jusqu'aux pâturages des sommets et se trouver brusquement en contact avec les plantes alpines. Nous n'avons pas été moins étonné de ne pas rencontrer les Hypnum triquetrum, H. splendens, H. tamaris- cinum si communs dans les basses montagnes de la France moyenne, alors que des mousses montagneuses du Jura comme Pterogonium filiforme et Leskea nervosa se montraient fréquemment sur les hêtres., Les Æypnum rugosum et H. pu- rum nous ont paru aussi fort rares (2). Même en faisant la part de la mauvaise saison et de l'in- suffisance de nos observations, nous devons conclure que la flore bryologique des plaines.et basses montagnes du Jura qui correspondent cependant comme température à la région (1) La limite supérieure de la vigne nous paraît bien peu élevée à Lure, puisqu'elle ne dépasse guère que de 150 à 200" celle de l'olivier et du chène vert. Il est probable qu’elle pourrait être cultivée plus haut et donner encore des produits acceptables. (2) Ces deux espèces ont été, à la vérité, signalées sur les calcaires du midi à des niveaux inférieurs : Aypnum rugosum à 700® près de Digne et Aypnum purum dans les environs de Nimes. Elles sont fort rares sur les calcaires de l'arrondissement de Forcalquier, É SN = des hêtres de Lure, se trouve mal représentée sur ce versant sud, surtout en espèces terricoles. Tous ces faits reconnaissent la même cause, le climat mé- diterranéen qui, aidé par l'état physique du terrain et son aridité, combat l'influence de l'altitude. On sait, d’ailleurs, que l'influence de ce climat est tellement considérable qu’elle se fait sentir dans presque toute la moilié inférieure du bas- sin du Rhône, et que de nombreuses plantes méridionales remontent le long des cours d’eau jusque dans les hautes vallées des Alpes. 20 Les Hypnées ordinaires des plaines et basses montagnes du Jura ne commencent à se montrer Sur le versant nord de Lure qu'accompagnées de plusieurs mousses de la région des sapins ou même alpestre du Jura. Ainsi, en même temps que les Hypnum triquetrum, Hyp- num splendens, H. delicatulum, H. purum, on voit apparaître sur les escarpements jurassiques qui flanquent (vers 1200- 1400") le revers nord de Lure les Timmia megapolitana, Bar- tramia Œderi, Hypnum uncinatum, Mnium spinosum, Mn. or- thorhynchum avec Saxifraga cuneifolia, S, aizoon. Ce fait ne peut être expliqué que par le relief extérieur des terrains et la rapidité des pentes; les grandes murailles ver- ticales de rochers, interdisant l'accès des rayons du soleil, maintiennent une fraicheur bien rare dans ces climats et qui est encore augmentée par le séjour prolongé de la neige accu- mulée entre les gros blocs de rochers détachés de l’escarpe- ment. Ces éboulis abrupts ne peuvent pas être parcourus par les troupeaux et conservent, sous le couvert épais de quel- ques grands hôtres, une humidité qui permet la formation d'un abondant terreau noir et favorise admirablement la vé- gétation des mousses. Il est probable que si ces escarpements se prolongeaient plus bas sur les flancs de la chaîne, ils se- raient encore accompagnés des mêmes espèces montagneuses. — 150 — L'influence des escarpements sur la tendance des plantes à descendre au-dessous de leur niveau normal a d’ailleurs été parfaitement démontrée par M. Contejean dans son beau tra- vail sur la flore des environs de Montbéliard. 3° Le point de contact des deux grands courants de végétation : l'un, ascendant, des plantes de la plaine; l'autre, descendant, des plantes montagneuses ou alpestres, qui a lieu, dans le Jura, à la limite inférieure des sapins vers 700-800", se trouve, à Lure, dans la région des hètres. Le hêtre paraît jouer à Lure le même rôle que le sapin dans le Jura. Il faut avouer que le contact des deux courants n'est pas très distinct sur le revers sud à cause de la tendance ascendante de beaucoup de plantes méridionales. Toutefois le hêtre, même à sa limite inférieure, vers 1200", est accom- pagné d’une série de plantes montagneuses qui ne descendent pas plus bas et s'élèvent avec lui, se mêlant, à partir de 1400w, à des plantes alpestres. Sur le versant nord, le point de contact est très nettement tracé par la ligne d’escarpements jurassiques. Dès qu'on arrive aux éboulis, que ne paraissent guère franchir les plantes méridionales, le hêtre se montre immédiatement avec des espèces montagneuses et même alpestres. Une ascension de 200% à peine, aux abords de ce point, fait passer brusque- ment le botaniste, du midi aux régions froides du Jura. 4° La différence en latitude du Jura central et de la chaîne de Lure correspond à peu près à 600" en altitude. Ce chiffre a été calculé en prenant la moyenne des diffé- rences qui, dans la chaîne de Lure et dans le Jura, existent entre les limites inférieures ou supérieures de quelques plantes cultivées comme la vigne, l’amandier, le mürier, et d'arbres forestiers comme le chêne rouvre, le sapin, le sorbier, l'érable faux platane, re 4 - , Re D D 4 — 151 — Résumé. — Envisagées au double point de vue de l'influence exercée sur la distribution des plantes par le climat et la con- stitution minéralogique du sol, nos observations se résumeny de la facon suivante : 1° Influences climatériques. — L'arrondissement de Forcal- quier est entièrement compris dans la zone méridionale de l'Europe, de Schimper (tracée par le 46° degré de latitude et la Méditerranée). Il est traversé de l'est à l’ouest par la ligne qui limite la région des oliviers, passant par le pied du ver- sant méridional de la chaîne de Lure dans les Basses-Alpes et de celle du Ventoux dans Vaucluse. Ces deux chaînes for- ment une limite d'autant plus naturelle qu'au midi les mon- tagnes s’abaissent sensiblement, tandis qu'au nord elles se maintiennent à une altitude supérieure dans les Alpes de la Drôme (1). D'un côté l'olivier et le chêne vert, de l’autre le sapin. Un observateur qui parcourrait notresterritoire du sud au nord pourrait suivre avec intérêt les diverses zones végétales s'échelonnant successivement depuis la Durance jusqu’au sommet de Lure, ces deux points extrêmes distants de près de 1600r selon la verticale. Mais si la température s'abaisse, suivant la loi ordinaire, à mesure qu'on s'élève dans la chaîne de Lure, de manière que dans la région des hêtres, par exemple, on arrive à une moyenne équivalente à celle des plaines ou basses monta- (1) Ces Alpes font encore partie de la zone méridionale de Schimper dont la flore bryologique doit se trouver représentée dans leurs vallées. Mais leurs forêts de sapins sont sans doute accompagnées, comme celles du revers nord de Lure, d’un ensemble de mousses croissant dans la France moyenne et le Jura montagneux, et presque nul dans la région des oliviers. Ici donc, grâce à l'altitude, la flore bryologique « de la zone intermédiaire de Schimper s'avancerait vers le sud au delà du 45° degré par les sommets des Alpes de la Drôme, et, par la chaîne de Lure, cette zone se trouverait en contact presque immédiat avec la région des oliviers. — 152 — gnes du Jura, le climat de Lure, entendu dans le sens des phénomènes atmosphériques, ne subit pas des modifications analogues qui puissent le faire assimiler à ces régions plus septentrionales. Il reste méditerranéen, avec le mistral, avec les longues sécheresses de l’été et les pluies d’orage qui battent la terre et s’écoulent trop promptement pour qu'il en résulte grand profit pour la végétation. Aussi ne faut-il pas s'étonner des tendances ascendantes d'un grand nombre de plantes mé- ridionales, ainsi que de l'absence, sur le revers sud de Lure notamment, de plusieurs mousses qui forment le fond même de la végétation bryologique de nos forêts de hêtres de la Franche-Comté, où elles trouvent un climat approprié à leurs exigences, indépendamment de la nature calcaire, argileuse ou siliceuse du sol qui semble n’exercer aucuñe influence sur leur dispersion. Quant au groupe d'espèces spéciales qui, en Franche-Comté, différencie les collines calcaires des Vosges siliceuses, nous le retrouvons peu altéréssur les calcaires de Forcalquier ; on sait d’ailleurs depuis longtemps que la végétation des basses mon- tagnes du Jura à une physionomie méridionale qu'on ne voit pas sur le granite. 2° Influences de la constitution minéralogique du sol. — Nous avons toujours vu les espèces calcicoles habiter les calcaires néocomiens, jurassiques ou tertiaires, ainsi que les poudin- gues diluviens, que ces sols soient compacts ou désagrégés, disgéogènes oligopéliques ou eugéogènes perpéliques et ac- compagner partout le carbonate de chaux même sur la mo- lasse et les grès calcareux du néocomien, malgré la nature psammogène de ces roches, ce qui fait parfaitement ressortir l'action chimique du carbonate de chaux. F i Les espèces silicicoles dont plusieurs ne sont peut-être que des calcifuges (1), ont été observées sur les grès verts de Val- (1) Consulter à ce sujet un très important mémoire publié en 1875 par M. Contejean dans les Annales des sciences nalurelles. = — 153 — saintes peu ou pas effervescents, sur la terre de bruyère, ainsi que sur les zones à silex et à argiles siliceuses assez fré- quentes dans la chaîne de Lure, et en général sur le néoco- mien. En ce qui concerne le classement des muscinées, relative- ment à leurs préférences ou leur répulsion pour le calcaire ou la silice, nous sommes en parfaite concordance avec les indications faites à ce sujet par M. Boulay et consignées dans la Flore cryptogamique de l’est de cet auteur. Nous résumons le résultat de nos recherches dans le tableau suivant. Toutes les muscinées observées y sont classées par groupes répondant aux catégories d'espèces dont il a été. le plus souvent fait mention dans ce travail. 1° Espèces méridionales : Hypnum circinatum. Barbula membranifolia. H. illecebrum, B. squarrosa. H. striatulum. B. lævipila, v. meridionalis. H. prælongum, v. meridionale. B. inermis. Antitrichia curtipendula, v. His- B. cirrhata. panica. B. nervosa. Leptodon Smithii. B. papillosa. Fabronia pusilla. Gymnostomum calcareum. Habrodon Notarisii. Grimmia tergestina. Bryum torquescens. Jungermannia Corcyræa. B. gemmiparum. J. alicularia. Bartramia stricta. 20 Espèces des hautes régions du Jura croissant dans la chaîne de Lure : Hypaum Halleri. Myurella julacea. H. atrovirens. Leskea mutabilis. H. catenulatum. L. Philippeana. H. reflexum. L. intricata. H. silesiacum. L. nervosa. H. Tommasinii. Pterigynandrum filiforme H. uncinatum. Mnium spinosum. H. nitidulum., Mn, orthorhynchum, Bryum inclinatum. Bartramia OEderi. Timmia austriaca. T. megapolitana. Gymnostomum curvirostrum. Didymodon inclinatus. D. capillaceus. Dicranum strictum. Buxbaumia indusiata. Jungermannia alpestris. — 154 — Jungermannia porphyroleuca J.tersa J. acuta. J. incisa. J. Schraderi. Scapania curta. S. compacta. Plagiochila interrupta. Metzgeria pubescens. Lophocolea heterophylla. 3° Espèces de la France moyenne et septentrionale ne croissant que dans la haute chaîne de Lure, nulles ou trés rares sur les calcaires de la région des oliviers : Hypnum delicatulum. H. tamariscinum ? H. splendens. H. triquetrum. H. salebrosum. H. palustre. H. rugosum. Leskea myura, Pterigynandrum filiforme. Bryum roseum. B. crudum Dicranum scoparium ? Orthotrichum afline. O. leïocarpum. O. speciosum. O, Lyellii. O. stramineum. O. Rogeri. O. crispulum. O, pumilum ? Rhacomitrium canescens. Jungermannia barbata. Madotheca lævigata. Plagiochila asplenioides. 30 (bis) Espèces analogues se retrouvant dans quelques stations siliceuses fraîches (grès verts de Valsaintes) des montagnes inférieures : Hypnum purum. H. cuspidatum. Leskea myura, Bryum crudum, Dicranum scoparium. D. undulatum. Fissidens adianthoïdes ? Ceratodon purpureus, Atrichum undulatum. Polytrichum formosum? Orthotrichum affine, O. leïocarpum. Rhacomitrium canescens. 4° Mousses silicicoles croissant sur les grès verts de Valsaintes : Bryum alpinum. Rartramia pomiformis ? Pterogonium gracile. Orthotrichum rupestre. Polytrichum piliferum. P. juniperinum. Grimmia leucophæa. 0° Mousses communes au Jura et aux Alpes calcaires de Forcal- — 155 — Hedwigia ciliata. Jungermannia corcyrea. quier non comprises dans les catégories précédentes : Hypaum molluscum. H. prælongum. H. cupressiforme. H. lutescens. H. glareosum. H. velutinum. H. serpens. H. rutabulum. IH. Sommerfelti. E. fiicinum. H. commutatum. H. crassinervium. H. strigosum. H. rusciforme. H. megapolitanum. H. tenellum. H. chrysophyllum. H. abietinum. Leskea sericea. Neckera crispa. : N. complanata. Leucodon sciuroïdes. Anomodon viticulosus. Bryum capillare. B. argenteum, R. Barbula muralis. . vinealis. . fallax. . ruralis. . lævipila. . subulata. . tortuosa. . inclinata. . convoluta. . unguiculata. . ambigua. . aloïdes. œ & © © EX & EE Trichostomum mutabile, T. crispulum. T. tophaceum. T. flexicaule. Didymodon rubellus. D. luridus. Pottia cavifolia. P. truncata. P. lanceolata. Dicranum varium. Fissidens decipiens. Weisia viridula. W. verticillata. Gymnostomum tortile. G. microstomum. G. calcareum. Encalypta vulgaris. E. streptocarpa. Orthotrichum saxatile. O. tenellum. O. cupulatum. O. diaphanum. O. obtusifolium. Zygodon viridissimus. Seligeria pusilla. S. tristicha. Funaria calcarea. F. hibernica. Grimmia crinita. G. orbicularis. G. apocarpa. G. pulvinata. Cinclidotus fontinaloïdes. Radula complanata. Frullania tamarisci. Madotheca platyphylla. Lophocolea minor. Scapania æquiloba. Reboulia hemisphærica. Pellia calycina. — 156 — 9° (bis) Espèces de cette 3° série plus communes dans le midi : Hypnum glareosum. Barbula aloïdes. H. Sommerfelti. Fissidens decipiens. H. strigosum. Gymnostomum calcareum. H. megapolitanum. Grimmia crinita. Barbula lævipila. G. orbicularis. B. ambigua. Reboulia hemisphærica. 6° Mousses rares dont la dispersion en France est mal connue : Neckera Menziezii. Leskea Sprucei. N. Sendtneriana. Hypnum Vaucheri. Le nombre des muscinées observées par nous dans l’arron- dissement de Forcalquier et Lure est d'environ cent soixante- dix. Il faut admettre que par suite de la saison défavorakle et de l'insuffisance de nos recherches, un assez grand nomFre d'espèces nous ont échappé, surtout parmi Les genres Barbula Trichostomum et Phascum qui sont généralement riches en espèces dans le midi. Il y a, en outre, une observation essen- tielle à faire au sujet du nombre d'individus. Ce nombre est relativement restreint, à l'exception de quelques stations pri- vilégiées, même quand il s’agit d'espèces communes. Pour expliquer ce fait, il faut avoir égard, non-seulement au cli- mat chaud et sec du pays que nous avons parcouru, mais encore à un ensemble de causes qui concourent à entraver le développement des mousses en les privant d'un élément in- dispensable à leur vitalité, l'humidité. Les calcaires du néo- comien laissent filtrer l’eau par des fissures verticales, ce qui rend les sources extrêmement rares. On n'y trouve guère de stations fraiches et moussues que là où il y a des escarpe- ments exposés au nord. La pluie bat et ravine les pentes mar- neuses sans les pénétrer beaucoup. D'ailleurs la mobilité constante de la couche superficielle du sol nuit énormément à la végétation des mousses dans les terrains argileux qui n'offrent quelques mares que dans les bas-fonds. En revanche — 157 — les grès du néocomien de Valsaintes nous ont montré une foule de stations humides ou fraiches où les mousses terri- coles avaient une végétation luxuriante, tant est grande l'in- fluence de l’état mécanique d’agrégation des supports. D'un autre côté, l'exploitation abusive des forêts, la mise au pâturage exagérée des moutons et des chèvres, et l’habi- tude d'enlever les feuilles mortes dont on se sert comme en- grais, contribuent à empêcher la croissance des mousses et la formation de l’'humus qui serait pourtant si nécessaire pour conserver au sol un peu de fraîcheur et pour retenir une partie de l’eau des pluies d'orage qui ravagent les Basses- Alpes. Nous avons rencontré, à la vérité, quelques bois touffus et herbeux qui nous rappelaient ceux de la Franche- Comté, mais c’est là l'exception, et nous ne pouvons mieux comparer l'aspect de la plupart de ceux que nous avons vus qu'à celui des promenades publiques où, sous les grands arbres, le sol est soigneusement ratissé. Les pâturages alpins sont moins maltraités, grâce au man- teau de neige protecteur qui les recouvre pendant huit mois de l’année ; mais il faut, pour les trouver, atteindre une alti- tude d'environ 2000", à partir de laquelle la neige ne fond pas en hiver, comme cela se produit dans les Vosges vers 1200 et dans le Jura vers 1400". Les hautes cimes des Alpes, vers 2800-3000, gardent la neige plus ou moins compléte- ment en permanence toute l’année. Nous ne parlons pas, bien entendu, de certaines pentes raides exposées au nord, où la neige se maintient à des niveaux relativement infé- rieurs, ni des glaciers qui descendent quelquefois au-dessous de 2000®, C’est seulement dans ces hautes régions des Alpes de la Durance que l'influence funeste sur la végétation bryo- logique de la sécheresse du climat méditerranéen se trouve sérieusement contrebalancée par les nombreux filets d'eau provenant de la fonte lente des neiges. Au commencement de décembre 1874, nous avons vu deux décimètres de neige à Forcalquier à 500" d'altitude, et envi- — 158 — ron 80 centimètres sur le sommet de Lure. Au milieu de jan- vier 1875, le mistral avait fortement dégarni les pelouses al- pines de cette chaîne qui, à la fin de ce mois, à la suite de quelques pluies douces, se inontrèrent complétement à nu. Assurément il restait de la neige dans les dépressions où les rafales de vent l'avaient accumulée, et nous en avons apercu encore de longues traînées dans les sapins du versant nord. Mais au sommet de Lure, à 1827», l'observateur, le pied sur le gazon, aurait pu voir, dans la haute vallée de la Bléone, se dérouler devant lui, à une altitude de 2000 à 2500r les pics entièrement blanchis des Alpes de Blégiers, de Prads et du Cheval-Blanc. Novembre 1875. CATALOGUE DES MUSCINÉES DU BASSIN PRINCIPAL DE LA DURANCE Ce catalogue comprend l’ensemble des muscinées obser- vées dans l'arrondissement de Forcalquier et la chaîne de Lure que nous venons d'étudier, ainsi que dans plusieurs parties des hautes et basses Alpes appartenant au bassin prin- cipal de la Durance et à quelques-uns de ses affluents, comme le Guil, la Bléone et l’'Ubaye. Les renseignements relatifs au Queyras sont tirés de la Revue bryologique de M. Husnot (1874, n° 4) qui a fait de très belles récoltes dans ces montagnes. M. Boulay nous a com- muniqué directement le résultat de ses observations dans les localités suivantes : 1° Massif granitique du Pelvoux dont la boue glaciaire contient souvent du carnonate de chaux, châlet d’Aïle-Froide, vallée de Séléou. 2° Environs de Briancon; montagne cal- caire de Grandvillars (2800) avec blocs siliceux (grès houil- ler, quartzite) à la base de 1300 à 1800"; mont Genèvre. 3° Vallée de la Bléone, environs de Digne; environs de Prads et montagnes de la Vachière, chaînon calcaire de 2000" d’al- titude. 4° Mont Ventoux (1912) (1). (1) Pour abréger, nous n’avons pas fait suivre le nom des localités de celui de l'observateur. Les indications qui précèdent sont suffisantes pour faire ressortir la part qui revient à chacun dans la découverte des espèces. — 160 — Ce catalogue n’a d'autre but que de préciser la dispersion particulière à chaque espèce dans les environs de Forcalquier et la chaîne de Lure que nous avons plus spécialement étu- diés, et de donner un apercu général de la végétation bryo- logique, d’une partie peu connue sous ce rapport, des Alpes francaises. oi tint tt im dt =&# je . ALOPECURUM L. — Dispersion mal connue. Rare dans la région des MOUSSES. FamiLze I. — HYPNACÉES. Tribu I. — Hypnées, Genre Hypnum. . TRIQUETRUM L. — Nul dans la région des oliviers ; non observé sur le versant sud de Lure, même dans les régions élevées. Ne com- mence à se montrer sur le versant nord que vers les escarpements jurassiques (1200 m.), où il est fréquent jusqu'aux sapins (1650 m.); c. au Pelvoux. . OakEsnt Sull. — Région subalpine du Pelvoux au-dessus des chalets d’Aile-Froide (Husnot). . PLICATUM Schleich. — Région subalpine et alpine; espèce calcicole. Mont de Grandvillars près Briançon (2000 m.), Mont de la Vachière près Prads; Queyras au vallon de Ségur. . SALEBROSUM Hoffm. — Douteux pour la région des oliviers. Revers | nord de Lure dans la région des hêtres (1300-1500 m.); Pelvoux; La Vachière (Philibert). . GLAREOSUM Brüch. — Calcicole, — Région des oliviers où il est commun el d’où il monte en devenant plus rare jusqu’à la région alpine. Niozelles (500 m.), Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), Banon (800 m.) fertile, Ongles (700 m.) Valsaintes (500 m.) sur les grès verts compénétrés de carbonate de chaux; La Rochegiron (1300 m.), fertile ; Queyras au vallon de Ségur au-dessus de 1600 m.; revers sud de Lure (1500 m.). ' SALICINUM D. — Troncs d'arbres près de Gap (Philibert). oliviers; probablement plus commun dans les régions supérieures. Environs de Digne, aux Eaux-Chaudes (700 m,). 11 — 162 — H, (scorprunRum) RIVALE Sch. — Sur nos limites, à la fontaine de Vau- cluse (Schimper). H. rusctroRME Weis. — Environs de Forcalquier (500 m.). Var. lamina- tum près de Peyruis (450 m.). Peu répandu dans les régions infé- rieures à cause de la rareté des sources; N'est pas rare dans les petits ruisseaux des montagnes. >: H. srricosum Hoffm.— Parait répandu depuis les oliviers jusqu'à la “région alpine. Nous l'avons surtout vu abondant et bien fructifié dans les zones argilo-siliceuses du néocomien à Banon (800 m.) et à La Rochegiron dans la forêt de M. de Tournon (1300 m.); revers sud de Lure vers 1400 m. La var. imbricatum à La Vachière près Prads, et au Pelvoux dans la zone des Rhododendrons (1800 m.). H, cmcxarum Brid. — Commun dans la région des oliviers au-dessus de laquelle il s'élève peu. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.). H. srriaTuzum Spruce. — Assez commun dans la région des oliviers d'où il monte çà et là dans les moyennes montagnes. — Les Mées {450 m.); les. Eaux-Chaudes près Digne (700 m.). H. MEGapozITANUM Bland. — Nous indiquons cette espèce avec doute dans les environs de Banon (800 m.); elle est d’ailleurs répandue dans toute la région des oliviers. H. rexezzum Dicks. — Calcicole. — Dispersion mal connue; obsérvé dans la région des oliviers à Forcalquier (500 m.) et à Saint-Mi- chel (550 m.). H. sPLENDENS Hedw. — Nul dans la région des oliviers ; non observé sur le versant sud de Lure, même dans les régions élevées. Ne commence à se montrer sur le versant nord que vers les escarpe- ments jurassiques (1200 m.) où il est fréquent jusqu'aux sapins (1650 m.); commun au Pelvoux. H. REFLExUM Stark. — Assez commun dans la région supérieure des forêts ou subalpine, accompagne les arbres buissonnants jusque dans la région alpine. Les deux versants de Lure à partir de 1400 m. s'élève jusqu'à 1700 m. sur le versant nord où il fructifie çà et là. H. vezvrinum L. — Depuis la région des oliviers jusque dans la région subalpine ; assez rare. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), Peyruis (450 m.), Saint-Michel (500 m.), Banon (900 m.) Revest-du- Bion (950;m.), La Rochegiron (1300 m.), grès verts de Valsaintes (500 m.), revers nord de Lure (1700 m.), revers sud vers 1400 m. H. Lurescexs Huds. — Une des espèces les plus communes de la région des oliviers; s'élève en devenant plus rare jusque dans la région des hêtres. Région alpine? Préférente-calcaire décidée. — Les Mées (50 m.), Forcalquier (500 m.), Saint-Michel (500 m.), Niozelles us FO — 103 — (600 m.), Valsaintes (500 m.), Banon (800 m.), La Rochegiron (1300 m.), Revest-du-Bion (1000 m.), revers sud de Lure vers (1300 m.), escarpements jurassiques du revers nord (1200-1400 m.). H. GLacraALe Sch, — Région alpine supérieure près des glaciers (2200- 30)0 m.). Pelvoux au-dessus de la vallée du Seléou (2600-2800 in.) ; Queyras au-dessus du vallon de Ségur, col de la Traversette, abon- dant et bien fructifié au col de Ruine non loin du sommet (2800 m.). H. rurABuLuM L.— Cà et làfdans les régions des oliviers et de transition ; probablement aussi celle des hêtres et des conifères ? Beaucoup moins commun que dans la France moyenne. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), Banon (800 m.), Revest-du-Bion (1000 m.). H. 1LLEGEBRUuM L. — Assez commun dans la région des oliviers d'où il monte en devenant plus rare dans la région de transition et çà et là dans celle des hêtres. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), Niozelles (500 m.), commun et bien fructifié sur les grès verts de Carnioles et de Valsaintes (400-550 m.), zones argilo-siliceuses du néocomien à Banon (900 m.). H. Tesspazu Smith. — Dispersion mal connue, probablement répandu çà et là dans les régions inférieures; assez commun sur les ter- rains calcareo-siliceux du Var! H. cRassiNeRvIUM Tayl. — Observé dans la région supérieure des oli- viers à Forcalquier vers 500 m. H, Toumasinir Sendtn. — Manque aux régions des oliviers et de tran- sition. — Région des hôtres de Lure sur le versant nord, vers 1500 m. — Calcicole. H. PRæLONGUM L. — Répandu dans la région des oliviers d’où il s'élève dans la-région de transition. Non observé plus haut. Nous n'avons vu que la var. méridionale (Boulay) publiée par M. Husxot, sous le n° 480 dans les Musci Galliæ. — Mirabeau (400 m.), Les Mées (450 m.), Malijai (400 m.), Puymichel, Entrevennes (500 m.), For- calquier (500 m.), revers sud de Lure (900-1000 m..). H. cuspipatum L. — Parait rare, au moins sur les calcaires, à cause de leur aridité. Observé en petite quantité à Valsaintes sur les grès verts humides (500 m.). H. GiGanreum Schimp. — Paraît spécial dans nos limites aux régions subalpine et alpine. — Queyras aux environs de Saint-Véran, dans la vallée de Molines (au-dessus de 2000 m.). H. purRUM L. — Parait très rare dans la région des oliviers, au moins sur le calcaire. Observé en abondance sur la terre de bruyère de Carnioles et de Valsaintes (grès verts, vers 500-550 m.). Nous ne l'avons retrouvé que dans la haute région des hêtres de Lure, vers 1500 m. sur le versant sud. — 164 — H. crxrnosum Schwægr. — Région alpine. — Queyras au vallon de Ségur. H. rrairarium Web. et M. — Observé seulement dans nos limites dans la région subalpine, vers 1600 m., près de la zone de l'Abies DATE dans une prairie marécageuse au Mont Genèvre H. rucosum Ehrh. — Depuis la région de transition au-dessous de laquelle il ne descend guère, jusqu'à la région alpine. Assez rare. — Eaux-Chaudes près Digne (Philibert) (700 m.); revers sud de Lure, vers 1500-1600 m. H. commurarum Hedw.— Depuis les oliviers jusqu'à la région alpine. — Calcicole. — Malijai (450 m.), sur les bords de la Bléone, For- calquier (500 m.), sur la boue glaciaire compénétrée de carbonate de chaux, le long des ruisseaux du Pelvoux; Queyras, dans la vallée de Molines; montagne de Grandvillars (1800 m.) où il fruc- tifie. H. rarcarum Brid. — Régions subalpine et alpine. — Calcicole. — Abondant et fertile le long des ruisseaux du Pelvoux (1800 m,) et de la montagne de Grandvillars. H. wruicinom L. — Observé çà et là dans la région de transition; monte jusqu’à la région alpine au Pelvoux. — Banon vers 800 m. H, REVOLVENS Sw. — Observé seulement dans nos limites; dans la région alpine. Vallée de Molines au-dessus de Suint-Véran dans le Queyras. H. uxcnarum Hedw. — Manque à la région des oliviers, à peine vu dans la région de transition, devient plus fréquent dans la région supérieure des hêtres et celle des conifères et surtout dans la ré- gion alpine. Non observé sur le versant sud de Lure, ne commence à se montrer sur le versant nord qu'avec les escarpements juras- siques (1200-1400 m.); commun au Pelvoux. H. moczuscum Hedw. — Répandu depuis la région des oliviers jusqu'à la région alpine. Fréquent surtout sur les calcaires rocheux. — Les Mées (150 m.), Forcalquier (500 m.), Saint-Michel (550 m.), Peyruis, Niozelles (500 m.), Banon (800 m.), La Rochegiron (1300 m.), revers nord de Lure (1400 m.), revers sud (1650 m.), ete. Nous avons sur- tout observé la var. {enellum N. B. Voyez Bouray, Fl. crypt. de l'est, p. 260, et une var. densum à toulffes très serrées et compactes, à rameaux courts dressés-fastigiés. - H. cupresstronme L. — Depuis la région des oliviers jusqu'à la région alpine; commun. — Les Mées (460 m.), Forcalquier (500 m.), Pey- ruis (450 m.), Niozelles (550 m.), Saint-Michel (550 m.), Banon (800 m.), Revest-du-Bion (900-1000 m.}, La Rochegiron (1300 m.), re- vers nord de Lure (1400 m,), revers sud (1650 m.). + — 165 — Cette espèce est moins abondante et moins polymorphe que dans la France moyenne, au moins sur les calcaires. Les variétés robustes, v. ericelorum se rencontrent surtout à partir de la région supérieure des oliviers. H. PErRÆUN N. B. — Cette espèce, que M. Boulay (F1. cryp., p. 264) sépare du 77. cupressiforme, et qu'il a observée au sommet du Su- chet (1570 m.) dans le Jura, a été retrouvée par lui dans la région des conifères du Mont Genèvre. H. Hevrceri Jur.— Région supérieure du mélèze au-dessous de laquelle il paraît ne pas descendre. — Chainon de La Vachière près de Prads, Mont Genèvre. H. Vavcaert Lesq. — Nous considérions comme alpine cette espèce du haut Jura (Chasseron, au sommet, 1600 m.) et du Ventoux (1700 m.), lorsque nous l’avons observée assez abondante aux Mées vers (450- 500 m.) et à Forcalquier (500 m.).— Très voisin du 7. cupressiforme ; s'en distingue par ses tiges grèles, simples ou garnies de rameaux courts, non pennées, subjulacées dressées et serrées les unes contre les autres. Tissu à cellules beaucoup plus courtes et plus larges, à parois moins épaisses, devenant rectangulaires dans le quart infé- rieur de la feuille; elles passent insensiblement à la forme carrée, pour former les oreillettes dont le tissu se trouve ainsi moins brus- quement séparé de celui du reste de la feuille que dans le /J. cu- pressiforine. Les cellules des oreillettes sont généralement vertes, carrées-arrondies, plus petites et plus nombreuses (au moins deux fois plus que dans la var. ericetorun). H. paLusTRE L. — Rare dans nos limites. — Région de transition. — Revers nord de Lure vers 1000 m. H. arcricum Sommerf. — Région alpine au-dessous de laquelle il ne descend pas. — Vallée de Seléou au Pelvoux, dans la zone des Rhododendrons (1500 m.) H, Sizesracuu Selig. — Manque à la région des oliviers et à la région de transition. Non observé sur le revers sud de Lure. Revers nord dans la région des sapins, vers 1600 m. Rare. H. rasrierarum Brid. — Région alpine et des conifères au-dessous de laquelle il ne descend pas. — Chaînon de La Vachière près de Prads, Mont Genèvre, fertile à la montagne de Grandvillars vers 2000 m., Queyras aux Chalets de la Tronchée et au col de la Tra- versette vers 2800 m. H. xrrouzum Wahlenb. — Manque aux régions des oliviers et de tran- sition; non observé sur le revers sud de Lure; ne commence à se montrer sur le revers nord que dans la région des hètres (1400 m.) d'où il s'élève dans celle des sapins (1600 m.). — 166 — H. penricuzarum L. — Douteux pour les régions des oliviers et de transition. — Silicicole. — Région alpine du Pelvoux, fertile vers 2600 m. H. curvsopayLLum Brid. — Assez commun dans la région des oliviers, s'élève jusqu'à la région alpine. — Calcicole. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), Simiane (700 m.), Banon (800 m.), Grès verts compénétrés de calcaire à Valsaintes (500 m.), La Rochegiron (1300 m.), revers sud de Lure (1600 m.), revers nord (1700 m.). H. serpexs L. — Disséminé depuis la région des oliviers jusque dans la haute région des forêts. — Valsaintes (500 m.), La Rochegiron (1300 m.), revers nord de Lure vers 1400 m. H, nrrexs Schreb. — Paraît spécial dans nos limites aux régions supé- rieures. Rare. — Queyras dans la vallée de Molines au-dessus de 2000 m. H. SomwerreLri Myr. — Disséminé depuis la région des oliviers jusque dans la région des hôtres, et probablement plus haut. — Les Mées (450 m.), revest en Fangat (1000 m.), Banon (1000 m.), revers nord de Lure (1400-1500 m.). .H. Hazceri L. — Assez commun dans les régions alpine et supérieure des forêts au-dessous desquelles il ne descend pas. — Calcicole. — Non observé sur le revers sud de Lure; revers nord où il fruclifie vers 1500-1600 m.; montagnes de Grandvillars vers 2000 m.; mon- tagne de La Vachière près Prads. H. amæriNum L. — Depuis la région des oliviers jusqu'à la région alpine. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), Banon (800 m.), La Rochegiron (1300 m.), chaîne de Lure (1400-1500 m.). H, peucaruzum L. — Paraît manquer aux régions des oliviers et de transition. Non observé sur le versant sud de Lure; commence à se montrer sur le versant nord à partir des escarpements juras- siques vers 1100-1200 m. Vu à 1400 m., monte sans doute plus haut. Nous indiquons avec doute sur le versant nord de Lure vers 1400 m. le À. tamariscinum. H. arroviRens Diks. — Régions alpine et subalpine au-dessous des- quelles il descend un peu dans la région des conifères. — Revers sud de Lure vers 1400-1500 m.; revers nord vers 1700 m.; fertile vers 1600 m., Commun au Pelvoux jusque dans la région alpine supérieure (2800 m.); Queyras aux environs d'Abriès (1600 m.); vallon de Ségur. FM. carenuzarun Bwid. — Régions alpine et subalpine, descend çà et là jusque dans les sapins et les hêtres. — Calcicole. — Revers nord de Lure depuis les escarpements jurassiques (1300-1400 m.) et plus haut vers 1600 m. D cn. — 167 — Genre Myurella. M. sucacea Sch.— Fréquent dans les régions alpine et subalpine ; des- cend dans les régions, des conifères et des hêtres, et même sur quelques escarpements exposés au nord; dans celle de transition. — Calcicole. — Revers nord de Lure (1400-1600 m.); le Ventoux; les Eaux-Chaudes près Digne (700 m.); Sainte-Baume (Var) (800 m.), localités exceptionnelles pour l'altitude; Queyras aux vallées de Ségur et de Moiines; Barcelonnette (1000 m.;. Paraît assez com- mun dans les Alpes où il descend beaucoup plus que dans le Jura. M. ApicuLaTA Sch. — Haute vallée de l'Ubaye, au bois de Fouillouse (Boudeille, d’après Debat). Genre Leskea. L, ATTENUATA Hedw. — Paraît rare. — Chaîne de Lure vers 1300 m. L. xervosa Myr.— Assez commun dans la région subalpine sur les arbres buissonnants; descend dans la région des conifères et même celle des hètres où il est plus rare. — Revers sud de Lure depuis 1300 m. environ; revers nord jusque vers 1700 m. . SERICEA Hedw. — Depuis la région des oliviers où il est fréquent et où il fructifie assez souvent jusque dans la région supérieure. — Mirabeau (500 m.), Malijai (450 m.), Les Mées (450 m.), Forcal- quier (500 m.), Banon (800 m.), La Rochegiron (1300 m.), haute chaîne de Lure où il est souvent remplacé par le L. Philippeana. . PaiiPpEANA B. — Les régions supérieures; descend jusque dans la région des hêtres. — Revers sud de Lure vers 1400-1500 m.; revers nord (1200-1600 m.), ete. . MUTABILIS B. — Région subalpine sur les arbres buissonnants; des- cend dans la région des conifères et celle des hêtres où il est plus rare. — Versant sud de Lure (1400-1500 m.); versant nord (1400- 1600 m.}), où il est fertile. La var. saæicola se trouve aussi sur le même versant. . Myura B.— Parait manquer à la région des oliviers, au moins sur le calcaire. Ubservé une seule fois sur le revers sud de Lure au- dessus de La Rochegiron (1300 m.). C’est une des espèces com- munes de l’Europe moyenne qui ne se trouvent ici que dans les montagnes un peu élevées; signalé dans les Maures (Var). . RUFESCENS Schwægr. — Les régions supérieures; descend jusque dans la région des conifères et même des hêtres., — Calcicole — Queyras au vallon de Ségur: L. iNrricATA Hartm. — Les régions supérieures où il parait un peu — 168 — plus fréquent que le précédent? Descend assez bas dans la région des hôtres. — Chaîne de Lure vers 1400 m,; les Eaux-Chaudes près de Digne (500 m.); chaînon de La Vachière près Prads; montagne de Grandvillars au-dessus de 2000 m.; Queyras au vallon de Ségur. L. sugriuts. Hedw.— Régions des conifères et des hêtres. —- Commun sur les troncs d'érables, faux platanes du versant nord de Lure (1400-1600 m.). 1 L. SprucEr Bruch. — Indiqué avec doute par M. Boulay sur le versant nord de Lure (région subalpine) vers 1700 m. — D'après ce bryo- logue, ce ne serait peut-être qu'une variété du L, sublilis. Tribu 2. — Neckérées, Genre Meckera. N. crispa Hedw. — Paraît rare dans la région inférieure des oliviers, ” commence à se montrer vers 500 m. et s'élève jusque dans la ré- gion alpine. — Bords du Gardon près de Nimes et dans le Var. Les Mées (500 m.), Forcalquier (500 m.), Banon (800-900 m.), Niozelles (600 m.), versant sud de Lure (1600 m.), versant nord (1400 m.), les Eaux-Chaudes près Digne (700 m.). N. Mewzrezn Hook. — Cette rare et belle espèce est abondante sur toute la ligne des escarpements jurassiques du revers nord de Lure (1000-1400 m.), n'a pas encore été observée plus haut sur ce versant; vu quelques touffes près de Banon (900 m.): M. Boulay l’a également trouvé en abondance à la Sainte-Baume (Var)vers 800 m. Touffes lâches d’un vert terne aux extrémités, couleur de rouille à l'intérieur. Tiges couchées à la base puis redressées, divisées en bran- ches simples ou assez régulièrement pennées et même bipénnées, ra- meaux disposés dans un même plan, souvent alténués en jets flagel- liformes et munis çà et là de ramuscules filiformes très nombreux, agglomérés et plus ou moins entrecroisés, sorte de dégénérescence de la ramification normale. Feuilles aplanies-distiques, à peine plus petites que celles du Neck. crispa, révolutées d'un côté depuis la base jusque vers le milieu, for- tement ridées, un peu élargies à la base, puis ligulées arrondies au sommet où terminées par un apicule large et très court, souvent à peine saillant, irréguliérement dentées dans la partie supérieure. Une seule nervure forte, ne s'évanouissant qu'aux deux liers ou aux trois quarls de la feuille. Tissu : à la base, entre la nervure et le bord, un groupe de cellules plus larges et plus courtes, de forme irrégulière, souvent rectangulaires, devenant carrées vers le bord de la feuille, Celui-ci formé d’une ligne de cellules carrées où un peu en losange, remontant très haut. (Dans le Neck. complanala, ces cellules carrées ne dépassent — 169 — pas le bord arrondi de la base de la feuille.) Les cellules moyennes, oblongues-linéaires à angles peu marqués, atténuées et obtuses aux extrémités, droites ou un peu flexueuses. Vers le sommet elles devien- nent beaucoup plus courtes et plus anguleuses; d’ailleurs toutes, sauf sur une lisière étroite bordant le contour supérieur de la feuille, sont chargées de grains peu nets de chlorophylle. Parois épaisses présen- tant çà et là de petits étranglements. Feuilles des jets filiformes très petites, énerves, disposées sans ordre autour de la tige, oblongues- lancéolées, moins longuement et moins finement acuminées que celles du Neck. complanata, très légèrement denticulées, composées de cel- lules courtes un peu anguleuses. Plante observée seulement à l’état stérile dans les Alpes et intermés= diaire par son système végétatif entre les Neck. crispa et complanala dont on la distinguera facilement par les caractères ci-dessus impri- més en italiques. N. compranara B. et &. — Cà et là depuis les oliviers jusque dans la région des hêtres, et peut-être plus haut. — Les Mées (450 m.}, Forcalquier (500 m.), La Rochegiron (1300 m.), chaîne de Lure (1300 m..) sur le versant sud, versant nord vers 1400 m. N. SENDTNERIANA Sch. — Intéressante espèce dont la dispersion parait analogue à celle du N. Menziezii. M. Boulay la signale aux envi- rous de Digne, à la Sainte-Baume près Toulon vers 800 m. et dans lx chaîne de Lure vers 1300 m. Genre Pierogonium. P. rIcIroRME Schwægr. — Manque aux régions des oliviers et de tran- sition. Fréquent à partir des hêtres (1200 m.) sur le versant sud de Lure où il fructifie cà et là et où se trouve aussi souvent la variété Heteropterum. Commun également sur le versant nord (1600 m.), s'élève jusqu’à la région alpine. P. GRaGILE Sw. — Silicicole. — Assez commun sur les grès verts de Valsaintes et de Carnioles (500-550 m.). Genre Anomodon. À. vrricuLosus Hook. — Assez commun depuis les oliviers jusqu'à la région des hêtres et peut-être plus haut. — Les Mées (450 m.), For- calquier (500 m.), La Rochegiron (1300 m.), revers sud de Lure (1300 m.), commun dans les escarpements jurassiques du revers nord (1200-1400 m.). Genre Antitrichia. À. CuRTIPENDULA Brid. — Région inférieure des oliviers? Cà et là dans la région de transition, s'élève dans la région des hêtres et sans — 170 — doute beaucoup plus haut. — Banon (900 m.), grès verts de Val- saintes (500 m.), revers nord de Lure vers 1400 m., Var. Hispanica à Niozelles, Genre Leucodon. L. scrunoïpes Schwægr. — Une des espèces les plus communes du midi depuis la région des oliviers jusqu'à la haute chaîne de Lure, fructifie souvent et abondamment. La var. morensis est très ré- pandue et s'élève autant que le type. — Mirabeau (500 m.), Malijai (400 m.), Les Mées (450 m.), Forcalquier, Banon (900 m.), Revest- du-Bion (1000 m.), La Rochegiron (1300 m.), revers sud de Lure (1500 m.), revers nord (1400 m.), etc. Tribu 3. — Fabroniées. Genre Fabronia. F. pusiLLza Schwægr. — Assez rare. Régions des oliviers et de transi- tion qu'il ne parait pas dépasser. — Niozelles (500 m.), fertile. Genre Habrodon. H. Norarisn Sch. — Régions des oliviers et de transition qu'il ne pa- rait pas dépasser. Probablement assez répandu. — Forcalquier (500 m.), chaine de Lure vers 900 m. Tribu 4. — Cryphéées. Genre Leplodon. L. Surruit Mohr.— Assez commun dans la région des oliviers d’où il s'élève dans la région des hêtres de Lure. Douteux au-dessus. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), fertile à Banon (900 m.), Mont Salier (800 m.), La Rochegiron (1300 m.), revers sud de Lure (1300 m.). Très abondant et très polymorphe sur les escarpements jurassiques du revers nord (1300-1400 m.) où il s’eflile et s’allonge beaucoup à l'ombre. M. M. M\. — 171 — FAMILLE II. — BRYACÉES. ms 4 Tribu I. — Mniées. Genre HMnium. uNDULATUM Hedw.— Çà et là dans la région des oliviers où il nous parait rare, au moins sur les calcaires. S’élève dans les hautes ré- gions de Lure. Paraïît stérile dans le midi.— Valsaintes sur les grès verts (500 m.), escarpements jurassiques du revers nord de Lure (1300-1400 m.). ORTHORHYNCHUM B. S.— Les régions supérieures où il est assez com- mun. Descend dans la région des hêtres avec les escarpements. — Revers nord de Lure depuis les escarpements jurassiques (1300 m..) et plus haut (1600 m.) dans les sapins; montagne de La Vachière près de Prads dans la forêt de mélèzes; Queyras au vallon de Ségur dans la région alpine. SPINOSUM Schwægr. — Dispersion analogue au précédent. — Re- vers nord de Lure depuis les escarpements jurassiques (1300- 1100 m.) et plus haut dans les sapins (1600 m.); Pelvoux dans la zone des Rhododendrons (1800 m.). . SERRATUM Brid. — Non observé dans les régions inférieures. Pa- rait rare. — Queyras au vallon de Ségur dans la région alpine et aux environs de Saint-Véran. Existe à la Sainte-Baume (Roux!) . AFFINE Schw. — Non observé dans les régions inférieures. Paraïit rare. — Queyras au vallon de Ségur dans la région alpine. . STELLARE Hedw.— Non observé dans les régions inférieures. Pa- raît rare. — Montagne de Grandvillars dans la région des conifères (fertile !). Mx. PuNGrATUM L. — Signalé sbulement dans les régions supérieures. — Montagne de Grandvillars dans la zone des mélèzes. Genre Bryum. B. roseum Schreb. — Douteux pour la région des oliviers. Cà et là depuis la région de transition jusqu'à la récion alpine. Rare. — Revers nord de Lure dans les escarpements jurassiques (1200 m.), Queyras au vallon de Ségur dans la région des conifères. B. ARGENTEUM L. — Rare dans la région inférieure des oliviers; çà et là à partir de 500 m.; s'élève probablement jusqu'aux régions supé- — 172 — rieures. — Mont Salier (700-800 m.), Fercalquier (500 m.), La Ro- chegiron (1300 m.). Peu fréquent et stérile dans les Basses-Alpes. M. Boulay l'a pourtant signalé assez commun sur les murs dans le midi. = B. acrixum L. — Silicicole. — Sur les grès verts de Valsaintes vers 500-600 m. B. GEmmtParum de Not. — Observé dans la région supérieure des oli- viers à Forcalquier (509 m.) et sur les grès verts de Valsaintes (500-550 m.), (stérile), B. PseuDo-rrRIQUErRUN Schwægr. — Observé seulement dans les hautes régions. — Montagne de Grandvillars dans la zone des mélèzes (fertile), B, capiLLaRE L. — Douteux pour la région inférieure des oliviers; ne commence à se montrer que vers leur limite supérieure et surtout à partir de la région de transition d'où il s'élève très haut. — Fré- quent. — Forcalquier (600 m.), Ongles (700 m.), Banon (900 m.), La Rochegiron (1300 m.), Revest-du-Bion (1000 m.), les deux ver- sants de Lure jusqu’à la région alpine. La var. Cochiearifolium sur le versant sud vers 1400 m. et sur le versant nord jusque dans les sapins (1500-1600 m.). B. Duvaux Voit. — Région alpine. — Queyras aux environs de Saint- Véran. B. rurBixaruu Schwægr. — Région alpine au-dessous de laquelle il descend probablement un peu. Parait assez fréquent. — Vallée du Seléou au Pelvoux dans la zone des Rhododendrons (1800 m.); fer- tile dans une vallée voisine au-dessus du chalet d’Ailefroide. Fruc- tifie au Queyras près du chalet de Ruine. Dans tous les cas c’est la var. Zalifolium. B. cæsrrririum L. — Dispersion mal connue. Parait être plus rare dans la région des oliviers que dans la France moyenne et s'élève assez haut dans les montagnes.— Revérs sud de Lure vers 1400-1500 m. La Rochegiron (1300 m.). Var. tmbricalum au Pelvoux vers 1800 m. . B. Bunpnt B. S. — Région alpine. Rare. — Pelvoux au-dessus du chalet d’Ailefroide dans une vallée voisine de celle du Seléou (1800 m.). M Boulay a trouvé cette jolie espèce abondante en cet endroit B. rALLEsGExs Schleich. — Observé seulement dans la région alpine au-dessous de laquelle il ne descend probablement pas beaucoup. — Vallée de Séléou au Pelvoux vers 2300 m., Queyras dans la vallée de Molines. B. ronquescexs B. S. — Surtout les régions inférieures; n’atteint pro- bablement pas la région des conifères. — Les Mées (450 m,), For- calquier (500 m.). CT le TT NT NN B. B. B. B. . GRUDUM Schreb. — Assez fréquent dans les régions supérieures y B. B. M. KR. — 173 — . BIMUM Schreb. — Constaté seulement dans les régions supérieures. — Vallée de Séléou au Pelvoux dans la zone des Rhododendrons 1600 m. CIRRHATUM B. 5. — Région des sapins du versant nord de Lure où M. Boulay l’a trouvé fréquent, — Fleurs synoïques, feuilles mar- ginées, acumen subulé, entier. Un anneau, cils appendiculés, lanières ouvertes. ALBICANS Brid. — Région alpine d’où il descend probablement avec les torrents dans celle des conifères. Préférente-calcaire. Fréquent sur la boue glaciaire des ruisseaux du Pelvoux au-dessus du chalet d’Ailefroide; bien fructitié au vallon de Ségur dans le Queyras. — Dans l’un et l’autre cas, c’est la var. glacialis. LupwiGrt Schwægr. — Région alpine au-dessous de laquelle il ne paraît pas descendre. — Pelvoux (pré de M. Carle), aux environs d’Aiïlefroide au-dessous de la zone des Rhododendrons (1800 m.); Queyras entre les chalets de la Tronchée et le col de la Traver- sette. CARNEUM L. — Indiqué dans les Basses-Alpes par de Mercevy. compris celle des hêtres; descend çà et là dans la région de tran- sition et même, sur les grès verts, jusque dans la région supé- rieure des oliviers. — Grès verts de Valsaintes où il fructifie bien (550 m.), La Rochegiron (1300 m.), revers nord de Lure depuis les escarpements jurassiques (1200-1400 m.) jusque dans les sapins (1600 m.) où il est très abondant et en belle fructification, Queyras dans la vallée de Molines. POLYMORPHUM B. S. — Région alpine au-dessous de laquelle il ne paraît pas descendre. — Queyras entre les chalets de la Tronchée et le col de la Traversette. INCLINATUM B. $. — Région subalpine de Lure, sur le versant nord, vers 1700 m. Genre Mielichhoferia. Nirina Hornsch. — Région alpine supérieure du Pelvoux (2600- 2800 m.). Tribu 2. — Mesiées, Genré Meesia. ULIGINOSA Hedw. — Région alpine d’où il descend avec les ruis- seaux dans la région des conifères. Parait fréquent. — Montagne de Grandvillars dans la zone des mélèzes (1300-1800 m.) et plus haut dans la région alpine. Var. alpina Funk. aux environs de L1 — 174 — Saint-Véran dans le Queyras, au-dessus de 2000 m., au vallon de Ségur, près des chalets de la Tronchée. Var. minor Brid. Queyras, dans la vallée de Molines; du chalet au col de Ruine, vallée supé- rieure du Guil. Genre Amblyodon. À. DEALBATUS P. B. — Région alpine. — Fréquent dans le Queyras : vallée de Molines, vallon de Ségur, chalets de la Tronchée, chalet de Ruine, col de Ruine (2850 m.), vallée supérieure du Guil. Tribu 3. — ‘"Timmiées. Genre Timmia. T. MEGAPOLITANA Hedw. — Fréquent dans les régions supérieures; descend dans celle des hêtres el même, avec les escarpements exposés au nord dans la région de transition. — Calcicole. — Re- vers nord de Lure dans les escarpements jurassiques (1200-1400 m.), descend jusqu’à 800 m. à la Sainte-Baume près Toulon; montagne de la Vachière près de Prads; Queyras au vallon de Ségur, vallée de Molines, chalets de la Tronchée; commun dans les montagnes calcaires de Briançon. T. ausrriaca Hedw.— Les régions supérieures; mais descend beau- coup moins que le précédent et ne se montre guère au-dessous de la région des conifères. — Calcicole. — Versants nord de Lure et du Ventoux vers 1600 m., tandis que le T. megapolilana occupe plus particulièrement les escarpements jurassiques situés plus bas; Queyras dans la vallée de Ségur, montagne de La Vachière et de Grandvillars. Tribu 4. — Bartramiées. Genre Dartramia. B. cazcareA B. S. — Les régions supérieures; descend dans la région des conifères et peut-être plus bas, le long des ruisseaux. — Cal- cicole. — Pelvoux dans une vallée voisine du Seléou au-dessus du chalet d’Ailefroide (1600-1800 m.). B. ronraAna Brid. — Dispersion analogue au précédent. — Queyras, entre les chalets de la Tronchée et le col de la Traversette, dans la région alpine. B. HazcertaNa Hedw.— Signalé seulement dans les régions supé- rieures. — Montagne de Grandvillars dans la zone des mélèzes vers 1800 m. L 2” — 175 — B. OEnerr Schwægr. — Fréquent dans les régions supérieures; des- B. P; P: cend dans celle des hêtres et même avec les escarpements exposés au nord dans la région de transition. — Calcicole. — Non observé sur le revers sud de Lure. Revers nord, où il est abondant depuis les escarpements jurassiques (1200-1400 m.), et dans les sapins (1600 m.), descend à la Sainte-Baume jusque vers 800 m.; revers nord du Ventoux; montagne de La Vachière près de Prads; Quey- ras au vallon de Ségur et près des chalets de la Tronchée dans la région alpine. . POMIFORMIS Hedw. — Silicicole. — Sur les grès verts de Valsaintes vérs 500 m. srricrA Brid. — Région des oliviers. — Fréquent sur les grès verts de Carnioles et de Valsaintes. Tribu 5. — Zygodontées. Genre Zygodon. . VIRIDISSIMUS Brid. — Cà et là depuis les oliviers jusque dans la haute région des hêtres. — Les Mées vers 450 m., chaîne de Lure (1400 m.). . Moucsort B. $S. — Silicicole. — Constaté seulement dans les régions supérieures. — Vallée du Seléou au Pelvoux dans la zone des Rho- dodendrons (1600 m.). LAPPONICUS B. S. — Silicicole. — Région alpine supérieure. — Escar- pements du Pelvoux, vallée supérieure de Séléou (2400-2800 m.). Tribu 6. — Polytrichées Genre Polytrichum. . FORMOSUM Hedw. — Paraïît très rare, au moins dans la région des oliviers. Se retrouvera probablement dans les régions supérieures. Nous l'indiquons avec doute sur les grès verts de Valsaintes vers 990 m. . JUNIPERINUM Hedw. — Préférente-siliceuse bien accusée. Observé dans la région des oliviers seulement, sur les grès verts de Val- saintes. Assez répandu sur les zones argilo-siliceuses du néoco- mien jusque dans la région alpine. — Banon {800 m.), La Roche- giron (1300 m.), sommet de la chaîne de Lure (1827 m.). PILIFERUM Schreb. — Dispersion analogue au précédent. — Grès verts de Valsaintes (500 m.), sommet de la chaîne de Lure (1827 m.). SEXANGULARE Hopp. — Région alpine au-dessous de laquelle il ne — 176 — j descend pas. — Queyras entre les chalets de la Tronchée et le col de la Traversette (2400-2800 m.). Genre Pogonaium. . ALPINUM Rœhl. — Région alpine. — Silicicole. — Vallée du Seléou au Pelvoux (2000-2400 m.). Genre Oligotrichum. . HERCYNICUM Lam. — Région alpine. — Silicicole. — Escarpements du Pelvoux au-dessus de la vallée du Seléou (2400-2800 m.). Genre Atrichum. . UNDULATUM P. B. — Paraît rare. Observé seulement, dans la région supérieure des oliviers, sur les grès verts de Valsaintes (500 m. 2.). Se retrouvera sans doute dans les régions supérieures. Tribu 7. — Trichostomées. Genre Barbula. . RURALIS Hedw.— Depuis la région des oliviers jusqu'à la haute chaîne de Lure. Parait plus fréquent dans les montagnes. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m,), grès verts de Valsaintes (500 m.), Revest-du-Bion (1000 m.), revers sud de Lure près de la région alpine (1550 m.), revers nord dans les escarpements jurassiques (1200-1400 m.). Var. ruraliformis Besch., chaine de Lure vers 1300 m. V. pulvinala sur un chêne de la montagne de Lure (900 m ). . ACIPHYLLA B. S. — Région alpine au-dessous de laquelle il ne parait pas descendre. — Queyras dans la vallée de Molines (bien fructifié), autour des chalets de la Tronchée et près du col de Ruine, fertile 2850 m. . LæVtriLA Brid. — Fréquent dans la région des oliviers; s'élève en devenant plus rare jusque dans la haute région des hêtres. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), revers sud de Lure vers 1400 m. Répandu surtout sous une forme spéciale au midi, que de Notaris appelle 8. lævipilæformis. . SUBULATA Brid. — Rare dans la région inférieure des oliviers ; de- vient commun à partir de 500 m. et s'élève, toujours abondant, jusqu'à la région alpine de Lure. — Les Mées (400-500 m.), Forcal- quier (500 m.). Saint-Michel, Niozelles, Peyruis, Simiane (500- 600 m.), Banon (800 m.), Revest-du-Bion (1000 m.), La Rochegiron (1300 m.), revers sud de Lure (1550 m.), revers nord (1700 m.). .INERMIS Bruch, — Région des oliviers d'où il s'élève probablement 228 t — assez haut, car il a été observé dans les Hautes-Alpes. — Les Mées (450 m.). B. murazis Timm. — Depuis la région des oliviers jusqu'à la haute chaîne de Lure. — Les Mées (150 m.), Forcalquier, Saint-Michel (500 m.), Niozelles (500 m.), Peyruis (450 m.), Valsaintes (500 m.), chaine de Lure (1300 m.). B. xervosa Milde. — Dispersion mal connue. Région des oliviers où nous l'avons récolté, sans nous rappeler exactement la localité. B. rorruosa Web. et M. — Rare dans la région inférieure des oliviers où domine le Z. squarrosa; devient commun à partir de 500 m. pour s'élever, toujours abondant, jusque dans la région alpine. — Les Mées (450 m.), Forcalquier, Niozelles, Saint-Michel (500 m.), Banon (808 m.), Revest-du-Bion (1000 m.), La Rochegiron (1300 m ), les deux versants de Lure jusqu’à l'extrême sommet (1827 m.). B. INCLINATA Schwægr. — Régions des oliviers et de transition; s'élève peut-être un peu plus haut. Bien moins fréquent que le B. {ortuosa. — Calcicole. — Peyruis (400 m.), entre Les Mées et.Oraison (400 m.), Banon vers 800-900 m. B. cirrHATA B. S. — Régions des oliviers et de transition jusqu'aux hèêtres, et peut-être un peu plus haut. Généralement fertile. — Les Mées (500 m.), chaîne de Lure vers 900 m., entre Banon et Revest-du-Bion (1000 m.). B. squarrosA B. $S. — Région des oliviers où il remplace le B. fortuosa; s'élève probablement jusqu'aux hêtres. — Mirabeau (400 m.), Ma- lijai (400 m.), Les Mées (450 m.), Valsaintes (500 m.). B. coxvozura Hedw. — Calcicole. — Observé dans la région des oli- viers entre Les Mées et Oraison (400 m.), sur un emplacement à charbon dans les forêts de hêtres de Lure (versant sud vers 1400 m.). B. uxGuicuzara Hedw.— Constaté surtout dans les régions inférieures comme en général toutes les espèces murales; s'élève probable= ment très haut. — Les Mées (400 m.), Forcalquier (500 m.), Mont Salier (700-800 m.). B. rALLAx Hedw. — Dispersion mal connue et facile à confondre, à cause de sa stérilité habituelle avec les espèces voisines. Observé surtout dans les régions inférieures. — Préférente-calcaire. — For- calquier sur la molasse (500 m.), Les Mées (450 m.), Valsaintes (500 m.). B. viseaus Brid. — Régions des oliviers et de transition au-dessus desquelles il ne parait pas s'élever. — Calcicole. — Niozelles, Les Mées (450 m.), abonde surtout entre Forcalquier et Saint-Michel (500-550 m.) où il forme de gros coussinets lâches, d’un vert tendre 12 — 178 — passant au brun, sur les murs et rochers frais exposés au nord. Toujours stérile; c’est bien la même plante que nous avons observée dans la Haute-Saône, à Fouvent, et dans le Doubs, à Besançon; dificile à distinguer du Z. cylindrica. . CYLINDRICA Sch. — Revers nord de Lure (forme bien caractérisée). . MEMBRANIFOLIA Schulz. — Surtout la région des oliviers où il est fréquent; s'élève dans la région de transition jusqu'aux hêtres. — Calcicole.— Malijai (400 m.), Les Mées (500 m.), Forcalquier (500 m.), Banon (800 m.), entre Banon et Revest-du-Bion (1000 m.). . PAPILLOSA C. Müll. — Dispersion mal connue; répandu probable- ment dans les régions inférieures où nous l’avons observé à For- calquier (500 m.). . ALOÏDES B. S. — Surtout les régions des oliviers et de transition où il est fréquent. Non observé au-dessus. — Calcicole. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), Niozelles (500 m.), Mont Salier (700- 800 m ). . . AmMBtGuA B. S. — Dispersion analogue au précédent dont il est sou- vent difficile de le distinguer. — Niozelles (500 m.), Mont Salier (800 m.), Forcalquier sur la molasse (500 m.). Genre Trichostomuim. . LATIFOLIUM Schwægr. — Région alpine moyenne et supérieure. — Calcicole. — Montagne de Grandvillars vers 2600 m., Pelvoux (2000 m.), Queyras dans les vallées de Molines, près de la chapelle de N.-D. de Bon-Secours, et de Ségur. Var. glacialis entre les cha- lets de la Tronchée et le col de la Traversette. . SysryLius B. S.— Région alpine. Haute vallée de l’'Ubaye aux ro- chers de Saint-Ours (Boudeille, d’après Debat). . cRISPULUM Bruch. — Depuis la région des oliviers ; monte très haut dans la chaîne de Lure comme le T. mulabile dont on ne le dis- tingue guère sans le secours du microscope; stérile. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), Valsaintes (500 m.), revers nord de Lure (1700 m.) au contact de la région alpine. . NUTABILE B. S. — Depuis la région des oliviers où il est comme le précédent assez fréquent jusqu'à la haute chaîne de Lure; stérile. Peyruis (100 m.), Forcalquier (500 m.) Niozelles (500 m.). Observé sur le revers sud de Lure à 900 à 1400 et à 1600 m. . TOPHACEUM Brid. — Disséminé depuis la région des oliviers jusque dans la haute chaîne de Lure. Formes robustes. — Calcicole. — Forcalquier (500 m.), fertile. Pierrerue sur la molasse. Revers sud de Lure vers 1600 m. — 179 — T. GeLaucescexs Hedw. — Région alpine surtout la partie inférieure depuis le contact des mélèzes. — Calcicole. — Vallée du Seléou au Pelvoux dans la zone des Rhododendrons vers 1600 m. T. susuLarux B. S. — Haute vallée de l'Ubaye au bois de Fouillouse (Boudeille, d'après Debat). T. FLExXIGAULE B. S. — Depuis la région des ohviers jusqu'à la région alpine. — Calcicole. — Fréquent et ordinairement stérile. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), Peyruis (450 m.), Banon (800- 900 m.), La Rochegiron (1300 m.), revers sud de Lure (1600 m.), revers nord où il forme de grandes touffes profondes et monte très haut (1700 m.), Valsaintes sur les grès verts compénétrés de car- bonate de chaux. Genre Ceratodon. C. purpureus Brid. — Préférente-siliceuse bien marquée. Disséminé depuis la région des oliviers où nous ne l'avons pas vu fréquem- ment, jusqu'à la région alpine de Lure. — Valsaintes sur les grès verts (580 m.). Dans La chaîne de Lure il ne se montre guère que sur les zones à silex et surtout les aires à charbon. Revers sud vers 1400-1500 m., pàturages du sommet vers 1500 m. Tribu 8. — HBidymodontées. Genre Didymodon. D. Luripus Hornsch. — Paraïît rare. Observé dans la région supérieure des oliviers à Forcalquier (500 m.) et Saint-Michel (550 m.). D. rRuBELLUS B. S. — Calcicole@ Nul ou rare dans la région inférieure des oliviers; commence à se montrer vers 500 m. et s'élève en de- venant commun jusqu'à la région alpine. — Les Mées (400 m.), Forcalquier (500 m.), Banon (800 m.), La Rochegiron (1300 m.), les deux versants de Lure jusqu'à 1800 m., commun au Pelvoux (2600 m.). 5 D. carizLaceus W. et M. — Calcicole. — Les régions supérieures où il est commun et souvent associé au Myurella julacea; descend, toujours fréquent, dans la région des hêtres et mème avec quelques escar- pements exposés æu nord dans celle de transition. — Rare sur le versant sud de Lure; commun sur le versant nord depuis les escarpements jurassiques jusqu à la région alpine (1800 m.), mon- tagne de la Vachière près Prads. Observé à plus de 3000 m. dans les Alpes de Barcelonette; commun au Pelvoux (2600 m.); mont Ventoux. , D. ixGuinaTus Swartz, — Assez commun dans la région alpine d'où il descend un peu dans la zone supérieure des conifères (région suhb- — 180 — alpine). — Calcicole. — Non observé sur le versant sud de Lure; versant nord, près des hêtres rabougris dès 1400 m., et sous le: point culminant (1700-1800 m.); assez commun dans le Queyras, vallée de Molines, chalets de la Tronchée, chalet de Ruine, col de Ruine (2850 m.): montagne de Grandvillars dans la zone des mé- lèzes. s Genre Pottia. . LATIFOLIA C. Müll. — Calcicole. — Région alpine supérieure. — Montagne de Grandvillars (2600 m.). . CAVIFOLIA Ehrh. — Calcicole. — Probablement répandu dans les régions inférieures y compris celle de transition. — Les Mées (450 m.), entre Banon et Simiane (800 m.). . TRUNCATA B. $. — Calcicole. — Très rare dans la région des oli- viers. — Les Mées (400 m.). . LANCEOLATA C. Müll. — Calcicole. — Commun dans les régions des oliviers et de transition; monte peut-être dans celle des hêtres. — Les Mées (400 m.), Forcalquier (500 m.), Revest-du-Bion (900 m.), Ongles (700-800 m.). — Nous n'avons pu, à cause de la saison, ob- server convenablement la distribution de ces trois espèces. Tribu 9. — Dicranées. Genre Dicranum. D. uxpuzaruu B. S. — Préférente-siliceuse bien accusée. Paraît rare D. D. dans nos limites. Douteux pour la région inférieure des oliviers. Se retrouvera probablement dans 1drégions supérieures. — Val- saintes sur les grès verts (500 m.). . scopariuM Hedw. — Paraît rare dans la région des oliviers, au moins sur les calcaires. Commence à se montrer dans la région de transition, fructifie à partir de celle des hêtres et monte jusque dans la région alpine. — Commun et fertile à Valsaintes sur les grès verts (550 m.) dans la région supérieure des oliviers, seule localité observée pour cette plante dans cette région; La Roche- giron (1300 m.); revers sud de Lure à partir de 900-1000 m., fertile « . - . . _ à 1600 m.;, revers nord à partir des escarpements jurassiques (1200-1400 m.) où il fructifie bien, jusque dans les sapins (1500- 1700 m.). FucEsCENs Turn. — Régions alpine et supérieure des forêts. = Queyras au vallon de Ségur. : MuuLengeckit B. S. — Région alpine. — Queyras dans la vallée de Malines près de la chapelle de Bon-Secours, D. — 181 — . VArIUM Hedw. — Argilicole. — Région des oliviers; s'élève sans doute jusqu'aux hêtres. — Malijai (400 m.), sur la molasse à For- calquier (500 m.), entre Simiane et Valsaintes sur les grès verts (600 m..,, viReNs Hedw. — Préférente-calcaire. Régions alpine et supérieure des forêts. — Fréquent dans la vallée du Seléou au Pelvoux dans la zone des Rhododendrons (1600-1800 m.); Queyras au vallon de Ségur, entre les chalets de la Tronchée et le col de la Traversette, chalet de Ruine. . STRICTUM Schleich. — Régions alpine et des conifères. — Observé seulement sur le revers nord de Lure où il est assez abondant et fertile dans la zone des sapins (1650-1500 m.), et d’où il descend même dans celle des hêtres vers 1400 m. Genre Fissidens. . ADIANTHOÏDES Hedw. — Dispersion mal connue. Paraïît rare surtout dans les régions inférieures. — Nous l'indiquons avec doute sur les grès verts de Valsaintes (500 m.). . GRaAnDIFRONS Brid. — Indiqué près de nos limites à la fontaine de Vaucluse (Requien). . DEGIPIENS de Not. — Depuis la région des oliviers où il est fréquent et très souvent fertile jusque dans la région des hêtres où il devient plus rare. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), Peyruis (400 m.), Niozelles (500 m.); monte sur le revers sud de Lure jus- que vers 1350 m. au-dessus de La Rochegiron. Préférente-cal- caire. . BRYOÏDEs Hedw. — Dispersion mal connue: parait rare. — Nous l'indiquons avec doute à Forcalquier (500 m.) sur la molasse. Tribu 10. — Seligériées- Genre Seligeria. rrisricHA B. $S. — Calcicole. — Observé en grande abondance près de Blégiers au-dessus de Digne vers 900 m. . pusiLLA B. S. — Calcicole. — Depuis la région des oliviers jusqu'à la région des sapins de Lure. — Forcalquier (500 m.), Entre Banon et Simiane (800 m.), revers sud de Lure au-dessus de La Roche- giron (1300 m.), revers nord (1609 m), Manosque sur la molasse, les Eaux-Chaudes près de Digne (700 m.). — 182 — Tribu 11. — Catoscopiées. Genre Catoscopium. C. nierrrum Brid. — Région alpine; descend avec les ruisseaux dans celle des conifères. — Montagne de Grandvillars dans la zone des mélèzes (1500-1800 m.). Assez commun dans le Queyras, vallées de Molines et de Ségur, chalets de la Tronchée. Tribu 12. — wWeislées. Genre Weisia. W. verTIGILLATA Brid. — Calcicole. — Depuis la région des oliviers où il est assez commun et souvent fertile jusque dans la région des hêtres, peut-être plus haut. — Les Mées (450 m.), fréquent et fer- tile à Forcalquier (500 m.), Sigonce sur la molasse (550 m), Val- saintes sur les grès verts (500 m.), revers nord de Lure vers 1100 m. W. crispuza Hedw. — Silicicole. — Région alpine au-dessous de laquelle il ne descend pas. — Commun dans la vallée du Seléou ‘au Pelvoux depuis la zone des Rhododendrons (1500-1600 m.) et dans toute la région alpine. W. virinuLa Brid. — Depuis la région des oliviers jusqu'aux hôtres et peut-être plus haut. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m), . Banon (800-900 m.), Valsaintes (500 m.), Peyruis (400 m.), La Roche- giron (1300 m. W. WimmMErIANA B. S. — Région alpinäMau-dessous de laquelle il ne paraît pas beaucoup descendre. — Vallée voisine de celle du Se- -_ léou au Pelvoux (2200-2600 m.). Genre Gymnostomum. G. curvirosrruM Hedw. — Nous avons retrouvé cette espèce dans nos récoltes sans nous rappeler si elle vient des environs de Forcal- quier ou de la haute chaîne de Lure. G. RUPESTRE Schwægr. — Montagne de Grandvillars dans la zone des mélèzes. G. cazcareumM N. et H. — Calcicole. — Surtout la région des oliviers où il est fréquent, çà et là fertile et presque toujours associé au Weisia verlicillata , s'élève probablement jusqu'aux hêtres. — Les Mées (450 m.), commun et fertile à Forcalquier (500 m.), Valsaintes (500 m.), sur les grès verts compénétrés de calcaire, Sigonce sur la molasse (550 m.). — 183 — G. rorrice Schwægr. — Calcicole. — Régions des oliviers et de tran- sition où il est assez répandu; s'élève probablement plus haut dans les hôtres. — Forcalquier (500 m.), Mont Salier (800 m.), Peyruis. G. microsromum Hedw.— Probablement répandu dans les régions infé- rieures. Nous l’indiquons avec doute à Forcalquier. La même — observation s'applique aussi au Systegium crispum qui nous à sans doute échappé. Tribu 13. — Encalyptées. Genre Encalypta. E. srrerrocarpa Hedw.— Calcicole. — Douteux pour la région infé- rieure, des oliviers, commence à se montrer à partir de 500 m. et s'élève jusqu'à la région alpine. Commun. Stérile. — Les Mées (450 m.), Mirabeau (500 m.), Forcalquier (500 m.), Niozelles (500 m.), Valsaintes (500 m.), tout le revers nord de Lure jusque sous le sommet (1700 m.). E. rHappocarpa Schwæpgr. — Région alpine au-dessous de laquelle il ne descend pas.— Calcicole. — Montagne de Grandvillars (2200 m.); Queyras dans les vallées de Molines et de Ségur, chalet de Ruine, Environs d’Abries. E. crzrara Hedw.— Région alpine au-dessous de laquelle il descend dans celle des conifères. — Montagne de Grandvillars dans la zone des mélèzes; Queyras près d’Abriès et dans la vallée de Ségur. E. ApopaysaTA N. et H. — Calcicole. — Région alpine. — Haute vallée de l’'Ubaye à Serennes (Boudeille, d’après Debat). E. vuzcaris Hedw. — Calcicole. — Depuis la région des oliviers jusque dans la haute chaîne de Lure. Fertile. — Les Mées (450 m.), For- calquier (500 m.), entre Banon et Simiane (800 m.), chaîne de Lure vers le Pas-de-Jean-d’Ane (1400 m.), et sur le revers nord (1200- 1400 m..). E. couuurara N. et H. — Région alpine au-dessous de laquelle il ne descend pas. — Calcicole. — Vallée de Seléou au Pelvoux (2200- 2800 m.), montagne de Grandviilars (2600 m.). Tribu 14. — @rthotrichées, Genre Orthotrichum. O. crispuzum B. S.— Régions des conifères et des hêtres au-dessous desquelles il ne paraît pas descendre. Rare. — Revers sud de Lure vers 1500 m. © Pan — 184 — . LEÏOCARPUM B. $S. — Douteux pour la région des oliviers, surtout l'inférieure; commence à se montrer dans la région de transition, devient abondant dans celle des hêtres et des conifères. — Banon vers 800-900 m., Revest-du-Bion (1090 m.), revers sud de Lure où il est commun jusqu'à la limite des forêts (1500-1550 m.), revers nord vers 1400 m. et plus haut dans les sapins (1600 m.). . Lyecztr Hook. — Région des conifères et probablement celle des hôtres au-dessous de laquelle il ne paraît pas descendre. — Revers nord de Lure dans la zone des sapins (1600 m..). . DIAPHANUM Schrad. — Région des oliviers où il est commun; s'élève dans la région de transition et peut-être dans celle des hêtres. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), chaîne de Lure (vers 900- 1000 m.). . RUPESTRE Schleich. — Silicicole. — Observé sur les blocs de grès de Valsaintes vers 500 m. . SPECIOSUM N. v. E. — Douteux pour la région des oliviers. Région de transition? Commence à se montrer à partir des hêtres. — Chaîne de Lure (1600 m.), revers nord depuis les escarpements jurassiques (1200-1400 m.) et plus haut (1500 m:). . AFFINE Schrad. — Dispersion analogue à celle du 0. leïocarpum. Commun à partir de la région de transition. Ces deux espèces nous paraissent de bonnes caractéristiques de la moyenne montagne relativement à la région des oliviers. . TENELLUM Bruch. — Depuis la région des oliviers où il est répandu; monte dans la chaîne de Lure où il a été observé vers 1000 m. . PUMILUM Sw. — Dispersion mal connue; indiqué avec doute par M. Boulay dans la chaine de Lure vers 900-1000 m. . Scmimpert Hammar.— Même observation que pour le O0. pumilum. . ALPESTRE Hornsch. — Régions alpine et subalpine. — Queyras au vallon de Ségur. STRAMINEUM Hornsch. — Douteux pour les régions inférieures. Observé dans la chaine de Lure sur le versant nord vers 1400 m. et plus haut sur les derniers sapins (1700 m.). . Rocert Brid. — Dispersion probablement analogue au précédent, — Revers nord de Lure vers 1400 m. . OBTUSIFOLIUM Schrad. — Paraît nul dans la région inférieure des oliviers; ne commence guère à se montrer qu'à partir de la région de transition. — Forcalquier (550 m.), Banon vers 600-900 m., monte sans doute plus haut, bien qu'il n'ait pas été observé dans la chaîne de Lure au-dessus de 900-1000 m. . CUPULATUM Hoffm. — Calcicole. — Dispersion mal connue. Observé sur des roches calcaires à Valsaintes vers 500 m. — 185 — O. saxarize Wood. — Calcicole. — Très voisin de l'O. anomalum qu'il remplace sur les calcaires, Depuis la région des oliviers où il pa- raît assez commun jusque dans la haute chaîne de Lure. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), Valsaintes (500 m.), Banon (800 m.), Revest-du-Bion (1000 m.), La Rochegiron (1300 m.), revers nord de Lure (1400 m.). Tribu 15. — Buxhaumiées, Genre Puxbaumia. B. ixpustara Brid. — Paraît rare. Région des conifères de Lure sur le revers nord vers 1600 m. Tribu 16. — Splachnées. Genre Dissodon. D. FrœuLicHranus Grev. — Région alpine supérieure. — Vallée de Se- léou au Pelvoux (2400-2600 m.); assez commun dans le Queyras, vallée de Ségur, abondant près du chalet de Ruine, vallée supé- rieure du Guil. Tribu 17. — Cinelidotées. Genre Cinclidotus C. ronTiNALoïpes P. B. —"Calcicole. — Observé sur les bords de la Bléone près de Malijai (450 m.). Paraît assez rare. C. aouaricus B. S. — Calcicole. — Près de nos limites à La fontaine de Vaucluse (Schimper). Tribu 18. — Grimmiées. Genre Rhacomitrium. R. cAnescexs Brid. — Préférente-siliceuse, bien qu'on la rencontre quelquefois sur les calcaires purs. — Région supérieure des oliviers sur les grès verts de Valsaintes (500 m). Paçait manquer aux cal- caires de la région des oliviers, mais commence à se montrer à partir de la région de transition jusqu’à la région alpine. Sur les calcaires néocomiens de Lure, préférant toutefois Les zones à silex de ce terrain; Banon (800 m.), La Rochegiron (1300 m.), fréquent sur le revers sud de Lure jusqu'aux pâturages (1150 m.), revers nord (1400 m.), ete. — 186 — . Supericum B. $. — Silicicole. — Région alpine supérieure. — Vallée de Seléou au Pelvoux (2400-2600 m.). Genre Grimmia. . ELATIOR B. S. — Silicicole. — Régions alpine et des conifères. — Montagne de Grandvillars sur des blocs quartzeux dans la zone des mélèzes; vallée du Seléou au Pelvoux au-dessus d’Ailefroide (1500 m.); Queyras près du lac de Floréant. TRICHOPHYLLA Grev. — Silicicole. — Cà et là depuis la région des oliviers. Environs de Digne sur des blocs calcaires contenant des grains de quartz; montagne de Grandvillars sur des blocs quart- zeux dans la zone des mélèzes (1400 m.). . PULVINATA Sm. — Cà et là dans la région des oliviers où il est bien moins commun que le G. orbicularis; s'élève en devenant plus fré- quent jusqu’à la haute chaîne de Lure. — Les Mées (450 m.), For- calquier (500 m.), Banon (800 m.), La Rochegiron (1300 m.), Val- saintes (500 m.), Revest-du-Bion (1000), revers sud de Lure (1200 m.), revers nord (1400 m.). . oRBICULARIS B. S. — Calcicole. — Fréquent dans la région des oli- viers d’où il s'élève jusque dans la haute chaine de Lure. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m), Peyruis (450 m.), Niozelles (500 m.), Valsaintes (500 m.), entre Peyruis et Mallefougasse sur des roches calcaréo-siliceuses (600 m.), Banon (800 m.), La Roche- giron (1300 m.), tout le revers sud de Lure jusque près de la crète (1600 m.), etc. . . cRiniTA Brid. — Calcicole. — Fréquent dans la région des oliviers; s'élève dans la région de transition et probablement plus haut. — Les Mes (450 m.), Forcalquier (500 m.), Pierrerue sur la molasse (500 m.). . ANODON B. S. — Calcicole. — Observé seulement dans les régions supérieures à partir de la zone des mélèzes. — Queyras dans la vallée de Molines à Saint-Véran (2000 m.); environs d’Abriès; sommet de la montagne de Grandvillars (2700 m.). . LEucopæÆA Grev.— Silicicole. — Abonde sur les grès verts de Val- saintes vers 500-600 m. . ALPESrRIS Schleich. — Silicicole. — Région alpine. — Queyras près des chalets de la Tronchée et entre ces chalets et le col de la Tra- versette. _ . suzcarA Saut. — Silicicole. — Région alpine. — Tout le haut massif du Pelvoux depuis la zone des Rhododendrons. — Vallée du Se- léou et vallée voisine au-dessus d’Ailefroide (1600-2800 m.). - — 187 — G. unicocor Grev. — Silicicole. — Région alpine supérieure. — Vallée du Séléou au Pelvoux (2200-2800). G. mois B. S. — Silicicole. — Région alpine supérieure. — Queyras entre les chalets de la Tronchée et le col de la Traversette. G. apocarpa Hedw. — Cà et là dans la région des oliviers d'où il monte en devenant plus fréquent jusque dans la haute chaine de Lure. — Les Mées 450 m.), Forcalquier (500 m.), Peyruis (450 m.), Niozelles (600 m.), La Rochegiron (1300 m.), Mont Salier (900 m.), Valsaintes (500 m.), revers nord de Lure (1400 m.) et plus haut (1700 m.). G. conrerra Funk. — Silicicole. — Chalet d’Aile-Froide au Pelvoux (Husnot). G. TERGESTINA D. N. — Régions des oliviers! et de transition! — Fré- quent dans la vallée de la Bléone aux environs de Digne jusqu’au delà de la Javie (600-700 m..). Genre Hedwigia. bd I. crrara Hedw. — Silicicole. — Depuis la région des oliviers jusqu'à la région alpine. — Abonde sur les grès verts de Valsaintes (500- 600 m.), montagne de Grandvillars sur des blocs de grès houiller dans la zone des mélèzes (1300-1800 m.). Tribu 19. — Funariées. Genre Funaria. F. nycromerricAa Hedw., — Dispersion mal connue; probablement répandu. — Observé par M. Husnot dans le Queyras jusqu'à une altitude de 2100 m. F. mcrosroma B. $S. — Chalet d’Aile-Froide au Pelvoux (Husnot). F. xyBerntcA Hook. — Calcicole. — Assez fréquent dans les régions des oliviers et de transition; monte probablement un peu plus haut. — Forcalquier (500 m.), entre Banon et Simiane (800-850 m.). Dans la plante des Basses-Alpes comme dans celle de la Haute-Saône, nous avons observé des formes qui se relient par des intermé- diaires au #. calcarea, ce qui laisse subsister nos doutes sur la validité de cette espèce. — 188 — FAMILLE III. — ANDRÉACÉES. Genre Andræa. A. ALPESTRIS Schimp. — Silicicole. — Région alpine supérieure. — Vallée du Séiéou au Pelvoux (2400-2800 m.). N. B. — La mauvaise saison nous a empêché d'observer les mousses de la famille des Phascacées qui doivent être répandues dans les régions inférieures. HÉPATTOUES : FamILLe 1. — JUNGERMANNIACÉES. Tribu 1. — Gymnomitriées. Genre Gymnomitrium. G. coxcixnarum Cord. — Silicicole. — Région alpine supérieure. — Escarpements du Pelvoux au-dessus de la vallée de Seléou (2409- 2600). 1 Tribu 2. — Jungermanniées. Genre Plagiochila. P. AsPLenioiDEs Mont. — Paraît rare dans la région des oliviers, au moins sur les calcaires. — Grès verts de Valsaintes vers 550 m. Commence à se montrer dans la chaîne de Lure à partir des hêtres et s'élève sans doute très haut. La Rochegiron (1300 m.), revers nord de Lure vers 1400 m. et plus haut sous les sapins (1600 m.). P. r\rerruprA N. ab. E. — Calcicole. Rare. — Région subalpine de Lure sous les derniers sapins du revers nord (1700 m.). La: un — 189 — Genre Scapania. . compAcTA Lindb. — Région des conifères de Lure (600 m.) jusque dans les derniers sapins du revers nord (1700 m.) dans la région subalpine. . ÆQUILOBA N+ ab. E. — Calcicole. — Rare ou douteux pour la région inférieure des oliviers. Commence à se montrer vers 500 m. et s'élève en devenant fréquent jusqu'à la région alpine de Lure et du Ventoux. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.}), revers sud de Lure (1600 m.), revers nord (1400 m.), Mont Ventoux. . IRRIGUA N. ab. E. — Région alpine du Pelvoux. Vallée de Séléou dans la zone des Rhododrendrons (1600 m.). . GURTA N. ab. E. — Observé dans la région subalpine de Lure sous les derniers sapins du revers nord (1700 m.). Genre Jungermannia. . ScæraDert Mart. — Région des sapins de Lure sur le revers nord (1600 m.). . ALICULARIA D. N. — Région des oliviers. Les Mées (450 m.), espèce méridionale. . TERSA N. ab. E. — Région subalpine de Lure sous les derniers sapins du revers nord (1700 m.). . ACUTA Lindenb, — Depuis la région des conifères jusqu’à la région alpine. — Revers nord de Lure sous les derniers sapins (1700 m.). Commun sous diverses formes dans la vallée de Séléou au Pelvoux dans la zone des Rhododendrons (1600 m.). . VENTRICOSA Dicks. — Région alpine du Pelvoux où il abonde sous diverses formes dans la zone des Rhododendrons (vallée de Séléou). . PORPHYROLEUCA N. ab. E — Revers nord de Lure dans la région des sapins (1600 m..). . ALPESTRIS Schleich. — Revers sud de Lure à la limite supérieure des forêts de hèêtres vers 1500-1550 m. . concYRÆA D. N. — Espèce silicicole méridionale. — Région des oli- viers à Valsaintes sur les grès verts (500 m.). . INGISA Schrad. — Région des sapins de Lure sur le revers nord (1600 m.). . BARBATA Schreb. — Douteux pour la région des oliviers. Commence à se montrer sur le revers nord de Lure dès les premiers escarpe- ments (1000 m.); s'élève dans les sapins (1600 m.); Mont Ventoux — 190 — dans les mêmes conditions; fréquent sous diverses formes dans la vallée de Séléou au Pelvoux, en pleine zone des Rhododendrons (1600-1800 m.). Var. Schreberi au Mont Ventoux (Fabre). . JULACEA Lightf. — Région alpine supérieure: — Escarpements du Pelvoux au-dessus de la vallée du Pelvoux (2400-2800 m.). Genre Lophocolea. . MINOR N. ab. E. — Calcicole. — Observé depuis la région supérieure des oliviers jusqu'à la haute chaîne de Lure. Assez rare. — Les Mées (450 m.), Revers sud de Lure au-dessus des forêts (1600 m.), revers nord vers 1400-1500 m. et plus haut dans les sapins (1600 m.): . HETEROPHYLLA N. ab. E. — Région des sapins de Lure sur le versant nord vers 1600 m. Le L. bidentata nous a sans doute échappé. Tribu 3. — Platyphyllées, Genre Radula. . COMPLANATA Dum. — Paraït rare dans la région des oliviers, au moins l’inférieure ; commence à se montrer dans la zone des hêtres qu'il accompagne jusqu’à la limite des forêts. — La Rochegiron (1300 m.); fréquent sur les hôtres du revers sud de Lure (1300- 1500 m.). Genre Madotheca. . LÆVIGATA Dum. — Douteux pour la région des oliviers; observé sur le revers nord de Lure à partir des escarpements jurassiques (1200- 1400 m.). . PLATIPHYLLA Dum. — Assez fréquent depuis la région supérieure {des oliviers jusqu’à la haute chaîne de Lure. — Les Mées (450 m.), Forcalquier (500 m.), Peyruis (450 m.), La Rochegiron (1300 m.), revers sud de Lure (1390 m.), entre Banon et Simiane (800-900 m.). Tribu 4. — Jubulées. Genre Lejeunia. . SERPILLIFOLIA Lib. — Nous avons retrouvé cette espèce dans nos récoltes sans nous rappeler exactement sa provenance. Genre frullania. . DILATATA N. ab. E. — Cà et là depuis la région des oliviers jusqu'à la haute chaîne de Lure. — Les Mées (450 m.), revers sud de Lure. — 191 — F. ramariso1 N. ab. E. — Paraît rare dans la région inférieure des oli- viers, plus fréquent à partir de la région de transition, s'élève jus- qu'à la haute chaîne de Lure. — Valsaintes (500 m.), La Rochegi- ron (1300 m.). revers nord de Lure dans les escarpements juras- siques (1200-1400 m.). Tribu 5. — Haplolénées. Genre Pellia. P, cazyaiNA N. ab. E. — Calcicole? — Peu fréquent à cause de la rareté des sources. — Les Mées dans la région des oliviers (400 m.). Genre Aneura. A. piNGuIS Dum. — Mème observation que pour le précédent. Peyruis vers 450 m. Tribu 6. — Metzgériées. Genre Metzgeria. M. rurcarTA. N. ab. E. — Dispersion mal connue. Rare et peut-être douteux dans la région des oliviers? Région des hêtres de Lure * sur le revers nord (1200-1400 m.). M. puBEscExs Radd. — Probablement nul dans la région des oliviers; commence à se montrer sur le revers nord de Lure dans les escar- pements jurassiques (1200-1400 m.). FamiLLe II. — MARCHANTIACÉES. Tribu 1. — Jécorariées, ». Genre Marchantia. M. rorvmorpaa L. — Dispersion mal connue, Rare et peut-être dou- teux dans la région des oliviers, au moins sur les calcaires, où les sources sont peu communes. Probablement plus fréquent dans les régions supérieures où il s'élève très haut. Observé par M. Husnot dans le Queyras jusqu’à une altitude de 2600 m. Genre Reboulia. R. uemspaærica Radd. — Calcicole. — Assez répandu depuis la région — 192 — des oliviers jusqu'à la haute chaîne de Lure. — Les Mées (400 m.), Forcalquier (500 m.), Valsaintes sur les grès verts compénétrés de calcaire (550 m.), revers nord de Lure (1200-1400 m.). N, B. — Plusieurs hépatiques méridionales nous ont sans doute échappé et doivent se trouver dans la région des oliviers : Lunularia vulgaris, Targionia Michelii, Corsinia marchantioïdes, Oxymitra py- ramidala. : — 1935 — SUPPLÉMENT Notre manuscrit était depuis plusieurs mois entre les mains de l'imprimeur lorsqu'a paru la 2° édition du Synopsis de M. Schimper. Nous y trouvons des modifications de syno- nymie ou des observations intéressantes concernant des es- pèces de notre catalogue. ; Le Funaria hibernica (Hook et Taylor) est réuni au #. calcarea (Walhenb.). Déjà en 1872, dans sa Flore cryptogamique, M. l'abbé Boulay émettait le doute que ces deux plantes pusseut être spécifiquement séparées. Les nomhreux échantillons de la Haute-Saône et du Jura que nous avons étudiés nous ont souvent moutré des formes de tran- sition très difficiles à rattacher à l’un ou à l’autre de ces types (Voyez : Aperçu phylostatique sur la Haute-Saiüne, p. 321). Le nom de Æypnum recognitum (Hedw.) doit être substitué à celui de Æ. delicatulum (Hedw.); ce dernier réservé à une mousse de l’Amé- rique du nord dont les feuilles périchétiales sont très longuement ciliées. M. Schimper rapporte au Antitrichia Californica (Sull.) la variété hispanica du 4. curtipendula (Syn., 1° édit.). Notre plante de Niozelles concorde parfaitement avec un échantillon du À. Ualifornica recueilli en Californie par Sullivant et Lesquerreux, et dont nous devons la communication à l’obligeance de M. Husnot. Les caractères suivants distinguent facilement cette mousse du À. curtipendula : plante plus grèle, feuilles plus courtes, plus larges relativement à leur longueur, plus brusquement et moins longuement acuminées, non striées, moins fortement dentées, concaves, étalées-dressées à l’état humide, imbri- quées-appliquées à l’état sec, ce qui rend les rameaux julacés. Tissu très différent : cellules médianes et supérieures arrondies-ellipsoïdes. Il y a encore d’autres caractères spécifiques tirés de la forme de la capsule et des feuilles périchétiales, mais les différences que nous avons constatées sur les organes de végétation de la plante mâle de Niozelles suffisent largement pour légitimer le parti qu'a pris M. Schim- per de séparer. la variété Hispanica du À. curlipendula. 13 — 194 — La variété latifolium du Bryum turbinatum est distraite du type sous le nom de Bryum Schleicheri (Schwægr.). Le Synopsis nous fournit en outre des renseignements sur la distribution géographique de quelques espèces rares de notre catalogue. Necxera MExziezu Hook. — Découvert d’abord par Drummand dans les Montagnes rocheuses à l’état stérile, puis en fruit par Lyall Cette belle et rare espèce n'est mentionnée en Europe qu'au Cha- telard (vallée de Chamonix) où elle a été trouvée par M. Payot; observée ainsi aux deux extrémités nord et sud des Alpes fran- çaises, il est probable qu’elle se retrouvera dans des stations in- termédiaires, et ce qui rend cette supposition très plausible, c'est l'abondance du Neckera Menziezit dans la chaîne de Lure. Une espèce très voisine, le Neckera turgida (Juratz.) est signalée dans les Iles Ioniennes, en Thuringe (Rœse) et au Rhœn-gebirge (Geheeb). NECKERA SENDINERIANA Br. Sch. — Indiqué à Baden (Autriche) (Ju- ratzka), en Carinthie (Molendo), en Franconie (Arnold), en Suède (Sillen) et dans le Tyrol méridional. Il faudra rechercher cette intéressante espèce dans les Alpes de Provence où elle est quel- quefois mêlée au Veckera complanata. Hypxum Vaucxert Lesquerr. — Découvert par Lesquerreux au sommet du Chasseron (Jura). Au Righi et sur plusieurs points des Alpes calcaires (Schimper). [Ne pas le confondre avec Eurynchium Vau- cheri (Br. Sch.), Hypnum Tomimasinii (Sendt.).] ANTITRICHIA CALIFORNICA Sull. — Espèce fréquente sur les troncs d'arbre dans les forêts de la basse Californie (Bollander). Chaîne de l'Atlas en Algérie (Durieu). M. Schimper ne la signale en Europe qu’au monastère de l'Escurial et dans la Sierra Morena (Espagne); puis il ajoute qu'il n’est pas étonnant qu'elle croisse dans le bassin mé- diterranéen, car Bollander a constaté récemment en Californie plusieurs autres espèces qui n'avaient été rencontrées jusqu'à présent que dans l'Europe méridionale. Il n’est pas à notre con- naissance que cette mousse ait été encore signalée en France. Elle se retrouvera probablement sur d'autres points de la région des oliviers. On voit par les citations précédentes que le bassin de la Durance, si négligé jusqu'à ce jour et bien incomplétement connu encore, est digne de l'intérêt des bryologues. Les mousses n'y ont pourtant pas une végétation luxuriante; — 195 — certaines parties même, comme les calcaires marneux, sol peu solide, toujours mobile et ravagé par les torrents, sont d'une aridité désolante; mais ên dirigeant convenablement des explorations et fouillant avec soin les escarpements des calcaires néocomiens, les blocs de grès et les sables du ter- rain crétacé et les roches cristallines, on fera des récoltes dont la qualité compensera la quantité. D'ailleurs toute cette partie des Alpes françaises offre au botaniste géographe un admi- rable champ d'étude où il peut suivre, dans un espace rela- tivement restreint, toutes les modifications de la flore, depuis la région de l'oranger et de l'olivier jusqu'aux neiges éter- nelles du Pelvoux, l'une des plus hautes montagnes de l’'Eu- rope. Juin 1876. À eg ie TRE UNNTE ÉITUTIIOAC ha beatiot el Hs Dre dpatoyquo, ZEN AO ehnbe et dyermengentstinelo a ÉD sai eye ge 84 x nt es tale tige be (LE rabat Àr à DT Vatiit fi MURS mbanc Ms | [LUS = > | ; fre LT 2 MR ER, PR CONTENT RC 4 F 4 E”" à #1 = à, 1e lorte\t “re " L SNOTE) LITE ’ + : à M LR N CAP reT ICI IL PEL ETES > sh tLutwatap “ cts à " SRTAUE TES CC RE TT * is Pris té TT IUT | Mile t sr CE + < : LA "4 2 su onu Fr: LL ES t dars.inN A: é ni . NA “ : Ma Nr #1 W ne } Watt 4 £ A , M sh £ À 1 ; ut © ei) CF D ta Ale à ; # aire Da ge be riD ns Are AS | LU tu TALSLAT er EM LS 4 fk [a # nr ans CRT AL on Pagao Cricel us ca Pre Pre a, era eefésse tr Las CORALIE 0" 7 et 20087 Mb 2e HU UT d v'e mp r at $ RM U 2 Tapie ET (LI Man tir “ : * MIT CS CAES vu) Lo "4 DURYT 7 LT 10 pis, 2 und Fr tes dome es cr RP dates Perf ue Navas les : » Ailiniér rrdévit are ete . 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LA Li } hi UM on RL CLRALTES mu (= <” ’ nr. "à . ‘ 4 À, d se * d NN. & | 2 Tin ’ RL El | " # ds Ar tal + AV re ÉTUDE HISTORIQUE SUR LE BOURG DE ROUGEMONT APERÇU TOPOGRAPHIQUE. Entre Monthozon et Villersexel, sur la rive gauche de l'Ognon, on apercevait autrefois d'assez loin, par dessus les forêts et les collines d’alentour, un château-fort bâti sur une montagne, et connu, depuis le xr° siècle, sous le nom de Rou- gemont, Rubeus mons, sans doute à cause de la couleur rou- geâtre des terres du coteau sur lequel on le construisit ainsi que le bourg muré attenant à son enceinte (1). La forteresse n'existe plus; mais le bourg, qui n’est pas moins ancien qu'elle et qui a survécu à sa destruction, est encore situé, comme à l’époque féodale, au sommet et sur le penchant de la montagne. Aujourd'hui, ce qui frappe le regard du voyageur, quel que soit le point de l'horizon par où il se dirige vers notre bourg, ce sont les ruines d’un ancien couvent de Cordeliers occupant l'extrémité nord de la montagne appelée /a Citadelle. Une partie-importante de la chapelle subsiste encore et sert de demeure, comme le reste du couvent, à divers particuliers. Un grand nombre de maisons anciennes et basses, desservies par des rues étroites qui se nomment rue du Chdteau, rue des (1) Perrecior, Description historique du doyenné de Rougemont. — 200 — Tours, rue Saint-George et rue du Couvent, couvrent entière- ment le sol de la citadelle, L’une de ces maisons, qui ne se distingue plus guère que par sa vétusté et son extrême déla- brement, parmi des vestiges d'architecture des xu1° et x1v° siècles, est appelée encore la maison de Philibert de Molans, ou le quartier des Chevaliers de Saint-George. k Au midi de la citadelle, entre le jardin actuel du presbytère et le chemin dit des Chevaliers de Saint-George, on retrouve aisément la place qu'occupait le château-fort des sires de Rougemont. Les anciens'disent que l’ensemble de cet édifice se composait d’une grosse tour carrée, flanquée d’autres tours aux angles; que ces tours avaient une élévation de cent pieds en maçonnerie, et qu on les apercevait depuis les environs de Lure. M. le marquis de Grammont, s'étant rendu acquéreur de ces tours au commencement du premier empire, en fit opérer la démolition complète en 1809 (1). Pourquoi, dit-on encore chaque jour, avoir détruit sans nécessité un monu- ment historique que le temps, les guerres et les révolutions avaient épargné, et dont l'aspect donnait à notre bourg un caractère à la fois imposant et pittoresque ? Au temps de sa splendeur, le château de Rougemont était protégé par un mur d’enceinte d'une forte épaisseur et d’une grande élévation, garni de tourelles à l'antique de distance en distance. Il reste encore des débris de cette muraille, qui enfermait non-seulement le donjon, mais aussi tout l’espace appelé la citadelle. L'entrée principale de la citadelle se trouvait au couchant, du côté du bourg, où l’on voit encore un portail large et élevé. Deux rampes rapides conduisent à cette porte des deux extrémités du bourg inférieur. L'église du château, qui existe encore en partie et qui est devenue (1) Les pierres provenant de cette démolition, pour laquelle on fut obligé de faire-jouer la mine, furent employées à construire le barrage et l'écluse de l'usine de Montagney. On ne trouve plus aujourd'hui, sur l'emplacement de l’ancienne forteresse, que des amas considérables de déblais. — 201 — celle de la paroisse, est située immédiatement au-dessous de la citadelle, dans la position la plus élevée et la plus escar- pée qui püt lui être donnée, en dehors du mur d'enceinte de la forteresse et dans le périmètre du bourg proprement dit. On lit dans un acte de reconnaissance des droits du sei- gneur de Rougemont, à la date du 17 octobre 1541, la des- cription suivante qui complète parfaitement celle que peut suggérer l’état actuel des lieux. « Le château de Rougemont est situé dans une magnifique assiette, sur la hauteur d'une petite montagne. Devant l’en- trée du château, il y a une basse-cour close de hautes mu- railles, où l’on entre par un grand portail. A l’entour de la basse-cour sont plusieurs édifices pour les portiers et gardes, une belle maison avec grangeages, écuries, etc. Un fossé existe entre la basse-cour et le donjon. Aux deux extrémités de ce fossé sont deux poternes, l’une à laquelle aboutit le che- min des Chevaliers de Saint-George, et l’autre, près de la cure, pour communiquer du château à l’église. Au milieu de ce fossé, se trouve l'entrée du château, sur un pont de bois monté sur des piles de maconnerie. Le donjon est le principal corps et l'édifice de la force du chastel. Il est entouré de bien hautes murailles qu'il serait impossible d’escalader avec des échelles, parmi de si hautes tours, belles tt spacieuses, ete. Devant le chastel, près des murailles du bourg, est un couvent de Frères-Mineurs, fondé par les précédents seigneurs, et au joignant deux maisons de gentilshommes (1). » En bas duquel châtel et maison forte, en devers soleil mussant (?), est assise et située la ville de Rougemont, entou- rée de murailles, laquelle ville a entrée par quatre portes, à savoir : au levant, la porte appelée Le Vieux-Moulin; l'autre, devers vent, appelée la porte du Moulin; et les deux autres, (1) L'une de ces maisons est celle de Philibert de Molans, qui existe encore. : {2 Soleil couchant. — 202 — en devers soleil mussant, appelées portes Fourquels ou Four- quées. » Et en icelle ville, près ledit chastel, il y a une belle église paroissiale, en laquelle se fait Le divin service par les vicaires et chapelains y desservants, et aussi y est fait le divin service d’une confrérie en l'honneur de monseigneur Saint-George, fondée par un grand nombre de gentilshommes de ce pays, qui, une fois l’an, s’y trouvent assemblés et y font trois jours durant dire et célébrer messes, vespres, vigiles et autres beaux suffrages en l'intention desdits confrères et pour le salut des âmes des trépassés. » On retrouve sans peine toute la trace de l'enceinte murée du bourg. Deux murailles partant de la citadelle descendaient perpendiculairement, l'une jusqu'aux portes Fourquées (1), et l’autre jusqu'à la porte du Vieux-Moulin, encore debout. Ces murailles se réunissaient, après avoir décrit un cercle dans la plaine pour envelopper le bourg. Une poterne percait ce rempart à l’angle nord-est de la place, près du moulin sei- gneurial. Un chemin extérieur, qui part de cet endroit et aboutit non loin de l’ancienne porte Fourquée, s'appelle rue des Fossés. Cette rue ou plutôt ce fossé, qui entourait autrefois le rempart depuis la porte du Vieux-Moulin à la porte Four- quée, formait, avec le rempart et le cours d’eau, une triple ceinture de défense au bourg de Rougemont, du côté où il pouvait être le plus facilement accessible. Si la porte Fourquée, démolie en 1868, était forte et monu- mentale, comme l'affirment tous ceux qui ont pu la voir, celle du Vieux-Moulin n’a aucun de ces caractères. C’est un simple portail assez bas et assez étroit, qui s'appuie d’un côté contre un vieux bâtiment flanqué d’une tourelle ronde. Ce groupe de constructions ne représente que le tiers ou le quart du château d'habitation du dernier seigneur de Rougemont, le (1) La première de ces portes se trouvait au milieu de la Grande- Côte, et la seconde dans la Grand'rue. Celle-ci a été démolie en 1868. — 203 — marquis Charles-Antoine de la Baume-Montrevel. Il y a seu- lement une centaine d'années, que noble Francois-Joseph Vorget, acquéreur des droits du marquis de la Baume, fit démolir en grande partie le château du Vieux-Moulin pour bâtir près de là, dans une position plus commode et plus agréable, le château moderne de Rougemont. On sait encore que les maçons qui y furent employés n'étaient payés qu'à raison de six sous par jour. Une grande place irrégulière, élevée en terrasse au-dessus de la chaussée, occupe le centre du bourg de Rougemont. C'est là que vient se nouer le réseau de sept grandes voies de communication et que se tient le vendredi de chaque semaine, dans la halle aux grains, un des marchés les plus importants du département. Plusieurs maisons solidement bâties entourent la place centrale de Rougemont. L'une d'elles (1) était au xv° siècle la propriété de l'archevêque Thiébaud de Rougemont. Les murs sont d'une épaisseur considérable. C'est en quelque sorte une petite forteresse munie d’une tourelle ronde au levant. La tradition place dans une chambre de cette maison la chapelle particulière où l'archevêque Thiébaud de Rougemont disait sa messe. ; A mi-côte de la citadelle, entre les deux rampes princi- pales qui y conduisent, on distingue, parmi les maisons plus modestes s’élevant en amphithéâtre sur le versant de la col- line, le château du comte de Bressey-Raigecourt, avec ses terrasses élevées et ses escaliers de pierre. Sur la montagne de Rougemontot, en regard de la cita- delle et de l’ancien couvent des Cordeliers, on voit une petite église entourée de monuments funèbres. C’est le cimetière actuel, environné lui-même d’un groupe de maisons et d’un réseau de petites rues. C'est là () que le seigneur de Rouge- (1) La maison Revilliard. = (2) C’est la tradition qui le dit; mais il existe entre Rougemont et — 204 — mont, qui avait pouvoir et autorité de connaître de toutes causes, tant civiles que criminelles, jusqu’à extermination ou exécution du dernier supplice, faisait élever un signe patibu- laire à quatre colonnes, à l'érection duquel les bourgeois et habitants de Rougemont et des autres villages de la baronnie étaient tenus de comparaître en personnes, avec leurs bâtons d'armes, à l'effet d'assister et aider à ladite érection ; comme ils étaient tenus de comparaître pour accompagner justice à main forte, toutes et quantes fois que l’on faisait exécution de criminel, par la main du maître de la haute justice, soit exé- cution du dernier supplice ou autres peines corporelles (1), La chapelle du cimetière de Rougemontot, quoique tom- bant en ruines, est de construction moderne; mais il existait autrefois, sur le même emplacement, une église sous le titre de la T. S. Trinité, qui était l'église paroissiale de Rouge- . mont (?). Pour découvrir dans leur ensemble les environs de notre bourg, qui sont très riants, il convient de gravir Le sentier ou chemin des Cavots, qui conduit de la citadelle à la chapelle de Mont-au-Civey. Cette chapelle, que l’on aperçoit de fort loin, a été construite au sommet de la montagne qui domine le pays de Rougemont, en 1854, après que le choléra eut fait de grands ravages dans la contrée sans que cette épidémie attei- gnît notre bourg. Arrivé à la hauteur de cette chapelle, on jouit, quand le temps est serein, d’un tableau champêtre aussi étendu que varié. D'abord, on découvre dans tout son développement la fertile vallée de Cuse, dominée par la roche de Nans et la Goubhelans la digue d’un étang desséché qui se nommait et se nomme encore l’Etang de la Merci-Dieu. Ce nom permet de supposer qu’en cet endroit aussi durent avoir lieu autrefois des exécutions de condamnés, auxquels, suivant le style du temps, on faisait rendre merci à Dieu. (1) Acte du 17 octobre 1541. (2) « Ecclesia matrix est extra oppidum et dicitur ecclesia de Rouge- monto. » (Pouillé du P. ANDRÉ DE SAINT-NicoLASs.) — 205 — pointe ‘du château Bournel. La vue se prolonge dans cette direction jusqu'à la chaîne des Vosges, ces belles montagnes bieues qui limitent aujourd'hui la France du côté de l’Alle- magne, et qu'on ne saurait regarder sans éprouver un dou- loureux serrement de cœur. Ici, c'est la riche vallée de l’'Ognon qui se déroule gracieusement au regard, entre le Doubs et la Haute-Saône. Du côté de Besançon, l'œil se porte jusqu’au delà de Châtillon-le-Duc. Dans la direction de Baume, l’ho- rizon est plus resserré. Il ne dépasse point Les limites du can- ton; mais il offre encore des perspectives intéressantes, notam- ment celle que présente le val et le château de Montmartin. Sur les deux flancs de la hauteur de Mont-au-Civey, s’éten- dent d'immenses coteaux de vignes, dont les produits font la richesse et l’orgueil de leurs propriétaires. Le vin rouge de Champoté jouit en effet, dans le pays, d'un renom justement mérité. Quant à la plaine, elle ne le cède pour la fécondité à aucun autre sol de notre province. À la jonction des territoires de Rougemont, Chazelot et Montferney, qui ne formaient autrefois qu’une même com- mune, se trouve une petite église isolée et comme perdue au milieu de la campagne. Cette église très ancienne, sous le vocable de Saint-Hilaire de Poitiers, est d’une architecture curieuse. On y entre en passant sous un porche bas et large, orné d’une croix de pierre brute et surmonté d’un petit clocher dont la construction date peut-être du xu° siècle. Le porche parait moins ancien que le clocheton; mais il forme avec lui et le reste du monument, nouvellement restauré par M. l’ar- chitecte Ducat, un ensemble des plus intéressant. Suivant d'anciennes chartes, dit Perreciot dans sa descrip- tion historique du Doyenné de Rougemont, on appelait cette église l'église de Naon, vraisemblablement du grec vais qui signifie temple. Peut-être, ajoute le même auteur, y avait-il en cette endroit, au temps du paganisme, un temple célèbre auquel on aurait, par la suite, substitué une église chré- tienne. — 206 — A peu de distance de ce monument et dans une assez grande étendue, on a trouvé quantité de débris de tuiles romaines. Une tradition locale rapporte qu'autrefois il existait un vil- lage important, d’autres disent une ville(), appelée Nahon, autour de cette église. La tradition ajoute qu'à l’époque d’une invasion très ancienne, dont la date précise est inconnue, mais bien antérieure à céte des Suédois (?), les habitants de cette localité déposèrent dans l’église ce qu'ils avaient de plus précieux. Ils apportèrent ensuite des matériaux de toute sorte, sous lesquels ils l’enfouirent complétement, afin de la pré- server du pillage et de l'incendie. La commune de Nahon, désertée par ses habitants, fut complètement brûlée et détruite. L'église seule, avec tout ce qu’elle renfermait, fut soustraite à la dévastation. Après la guerre, les malheureux habitants de Nahon reconstruisirent non loin de là deux villages, ceux de Chazelot et de Montferney, qui n’ont jamais eu d'autre église paroissiale que celle de Saint-Hilaire ou de Nahon. On ne peut savoir ce qu’il y a de vrai dans cette tradition, jointe à la conviction qu'ont les gens de Chazelot et de Mont- ferney que leur église à mille ans d'existence (3). (1) Cette expression de ville, du latin villa, s'explique aisément : on désignait par ce nom au moyen àge le village ouvert, en dehors de l'enceinte murée appelée Le bourg. (2) Ce qui le prouve, c’est l'acte de reconnaissance des droits du sei- gneur de Rougemont du 17 octobre 1541, qui ne mentionne pas Nahon parmi les villages de la seigneurie, et qui, au contraire, nai de - déjà Chazelot et Montferney. (3) On trouve seulement ce qui suit dans le Pouillé du P. André : « Non procul ab oppido de Rubeomonte est ecclesia dicta de Nahum et alias de Nayons. Est sub tilulo sancti Hilarii episcopi ab omni pago avulsa, ad quam incolæ de Montfernelz et Chazelot, cum incolis de Saint- Hilaire, accedere solebant. » On ne peut également savoir quels sont ces habitants de Saint-Hi- laire dont parle le P. André, qui, ajoutant que cette église n'a été de- puis longtemps qu'une annexe de l’église de Rougemônt, dit : « Sed a quo et quando non liquet; certum tamen quod ante annum 1361. » Une pierre de l'autel porte cette inscription curieuse : Sanctus Mar- tinus Turonensis episcopus me consecravil. — 207 — ll TEMPS ANTÉRIEURS AU ONZIÈME SIÈCLE. La plupart des villes franc-comtoises ont déjà leurs histo- riens. Beaucoup de maisons illustres, de bourgades, de vil- lages même, ont aussi les leurs. Le bourg de Rougemont a été laissé jusqu'à ce jour dans un oubli complet par nos annalistes. Cependant l'aspect des lieux que nous venons de décrire, ces noms de Citadelle, de couvent des Cordeliers, de quartier des chevaliers de Saint-George, sont de nature à éveiller l’at- tention des esprits curieux. J'ai recueilli à ce sujet quelques notes prises dans les sou- venirs des anciens du pays, dans le peu qui reste des archives municipales de Rougemont et dans les vieux livres de nos chroniqueurs qui parlent naïvement des choses d'autrefois. J'ai cherché à mettre dans tout cela un peu d'ordre et de clarté, pour payer une dette de cœur à un pays que j'aime. L'origine du bourg de Rougemont, comme celle d’un grand nombre de localités de notre province, se perd dans la nuit des temps. Qu'était Rougemont avant la conquête de la Séquanie par les Romains ? On ne saurait le dire. Aucun monument, au- cun document écrit, aucune tradition même de cette époque ne nous sont parvenus. On ne sait rien non plus de Rougemont à l’époque gallo- romaine. Perreciot(l) dit bien qu'à peu de distance de ses murs, vers le couchant, on voit, dans une assez grande éten- due, quantité de débris de tuiles romaines. On parle bien aussi de quelques vestiges d’une route que l’on appelle encore (1) Description historique du doyenné de Rougemont. — 208 — la chaussée romaine, allant de Rougemont à Villersexel, par la Vaivre (1). Dans la forêt qui couronne la hauteur de Mont-au-Civey, plateforme ovale d’une étendue de plus de cinquante hectares qui tient à la citadelle de Rougemont et qui la domine de plus de cent mètres, on rencontre des accidents de terrain qui paraissent être des restes de murailles et de fossés con- sidérables. Bornons-nous toutefois à répéter ce qu'a dit Perreciot : « La fertihté de son territoire et les tuileaux romains que l'on trouve dans son ban, ne laissent aucun doute que Rouge- mont n’ait été habité dans les hauts siècles. » Nous devons mentionner ici la découverte d'une sépulture burgonde faite il y a peu d'années sur le territoire de Rouge- mont, lieu dit aux Cuisottes. À un kilomètre de notre bourg, sur le versant occidental d'une petite colline faisant face au château de Rougemont, où l’on exploite encore une carrière de pierres à chaux hydraulique, on a rencontré fortuitement cette sépulture. Les cadavres y sont sur deux rangs, les pieds tournés du côté de l’est. Les ossements ont tous une taille colossale. Ce sont des guerriers qui, à l’époque d’une inva- sion burgonde, ont été inhumés dans ce lieu à la suite de quelque mêlée sanglante. On ne trouve, en effet, parmi ces ossements, ni squelettes de femmes, ni squelettes d'enfants. Les têtes de quelques-uns de ces morts sont recouvertes de deux pierres formant sur le crâne une espèce de toiture trian- gulaire. À côté de ces cadavres, qui sembleraient être ceux des chefs, on a trouvé des boucles de baudrier en fer et deux lames de coutelas de grandeur inégale, tandis que l’on n’a rien rencontré de semblable à côté des autres squelettes (?). (1) On a aussi trouvé une pièce de monnaie de Vespasien dans les décombres de la porte Fourquée. (2) J'ai eu l'honneur de communiquer à mes confrères de la Société d'Emulation du Doubs (séance du 10 janvier 1874), une plaque et une — 209 — Mentionnons les dénominations persistantes de Rocher des Sarrasins, Fontaine des Sarrasins et Cave des Sarrasins, don- nées à un rocher, à une source et à une petite grotte situés sur la rive gauche de l'Ognon, entre Chazelot et Montagney. Une tradition locale, qui n’est peut-être, comme tant d'au- tres, qu’un conte sans valeur, dit que les Sarrasins se reti- raient dans cette caverne; qu'ils y cachaïent les fruits les plus précieux de leurs rapines et qu’ils y célébraient la nuit les cérémonies de leur religion. On y montre un banc de ro= cher que l’on désigne encore par le nom d’autel (). On ne commence à savoir quelque chose de positif sur notre bourg qu'au x1° siècle. La maison de Rougemont qui, en ce temps-R, était une des plus puissantes du comté de Bourgogne, tire son nom, dit Dunod dans son Notiliaire, d’une terre à bourg et château située au baillage de Vesoul et au voisinage de Baume-les-Dames. Plus de cent bourgs pareils à celui de Rougemont existaient dans notre province. C'était presque partout le même aspect : sur la montagne, le château-fort; immédiatement au-dessous du château et sur la pente de la colline, le bourg, enceinte murée souvent fort petite, qu'habitaient les ministériels et les gens attachés au service du château; dans la plaine, enfin, hors de l'enceinte fortifiée, le village ouvert que l’on appela d’abord la ville (villa) et ensuite le faubourg. Rougemont était alors le chef-lieu d'une vaste baronnie (?). Les anciens vicomtes héréditaires de Besançon étaient de la boucle de baudrier, accompagnées d'un coutelas de bataille, le tout en fer et provenant de cette sépulture burgonde. (1) Ces dénominations ne remonteraient-elles qu'aux croisades, époque à laquelle sarrasin devint synonyme de payen? Au contraire, ce banc de rocher dit autel, qui n’est qu’un accident naturel, aurait-il été affecté jadis au culte druidique? (2) La baronnie de Rougemont fut un fief de Montbéliard jusqu’à ce que la maison de Montbéliard le céda, dans le xui siècle, à la maison de Neufchâtel-Comté. Rougemont a relevé dès lors de la terre de Neuf- châtel. (Perrecior Descrip. histor. du doyenné de ‘Rougemont.) , 14 — 210 — maison dé Rougemont, également illustre par son ancien- neté, ses marques d'honneur et ses alliances (1). « Durant le long désordre qui suivit la dissolution de l’em- pire carlovingien , les comtes avaient institué, dans les prin- cipaux centres de leurs possessions, des lieutenants appelés vicomtes qui se substituèrent insensiblement à eux dans l’exer- cice des prérogatives dela souveraineté, particulièrement dans l'administration de la justice. Ges charges avaient subi le sort de tous les bénéfices et étaient devenues héréditaires dans les familles de ceux qui en avaient été primitivement investis. C’est ainsi, dit le savant auteur (?) des Origines de la commune de Besançon, auquel nous empruntons ce paragraphe, que la vicomté de Besançon était devenue l'héritage de la famille de Rougemont, l’une des plus puissantes de la province, C'était la plus belle et la plus fructueuse de ses prérogatives. Les hé- ritiers de cette maison conservèrent leur siége de justice, à la seule condition de rendre à l'archevêque les services féodaux qu'ils avaient rendus jusque-là au comte de Bourgogne. » La maison de Rougemont, qui était du haut baronnage du comté de Bourgogne, en possédait aussi la Gonfalonie, hon- neur qui consistait à porter dans les combats le pennon du comte (3). Nous allons voir cette famille, À laquelle l’histoire donne quatre siècles d'existence, fournir pendant deux cents ans des vicomtes héréditaires à la cité de Besançon et trois archevè- ques à son Eglise. (1) Gurncaume, Histoire des sires de Salins, t. I, p. 114. (2) M. A. CASTAN. (3) Humbert, sire de Rougemont, fut ainsi gonfalonier en 1316 et 1320. Tel fut aussi Jean de Rougemont, sire de Trichàtel, de 1361 à 1374. À cette date, le dernier titulaire renonça, moyennant 200 francs d'or, à cet office héréditaire, qui fut supprimé par la comtesse Mar- guerite. (CmevaLreR, Mém. sur Poligny, t. IL, p. 36.) — 211 — II ONZIÈME, DOUZIÈME ET TREIZIÈME SIÈCLES. — LES SIRES DE ROUGEMONT, VICOMTES DE BESANCON. == GÉRARD ET EUDES DE ROUGEMONT, ARCHEVÈQUES. La généalogie des seigneurs de Rougemont a été faite par vlusieurs écrivains, entre autres Dunod (Nobiliaire) et l'abbé Guillaume (Histoire des sires de Salins, t. I, p. 114 et suiv.). Nous nous bornerons ici à étudier historiquement cette filia- tion, en insistant sur ceux des membres de la famille qui ont eu quelque importance au point de vue des destinées de notre bourg. De 1090 à 1289, on compte sept vicomtes héréditaires de Besancon, appartenant à la famille de Rougemont : HuBazn, qui vivait l’an 1090; EriexnE, qui vivait au commencement du xrre siècle : TaréBauD, qui figura dans des actes de 1133 et de 1138; HUMBERT ; Tuaiépau», fils du précédent, qui témoigna dans des actes publics, de 1173 et de 1213, qui fut époux d'Aix de Trave et père de l'archevêque Gérard Ie; TaiéBauD, qui se reconnut, en 1242, homme lige de Jean de Chalon, comte de Bourgogne, et lui fit hommage de la moitié du château de Rougemont, promet- tant de l'y recevoir et défendre contre tous, à l'ex- ception de l’archevêque de Besancon et du comte palatin de Bourgogne (1). (1) On peut voir le texte de cet acte dans GuiLLaUME, t. I, p. 136, aux preuves. —1212 — Ce fut pendant l'existence de ce vicomte que le fourbe fameux qui se disait Baudoin, comte de Flandres et empereur de Constantinople, fut arrêté à Rougemont et renvoyé à Lille en Flandre où il fut pendu en 1225 (1). TaréBaup, que le comte Otton aomma arbitre des querelles qui règnaient en 1286 entre Jean de Montbéliard, sire de Montfaucon , et Thiébaud de Belvoir; qui fut encore chargé par le même, en 1287, de déci- der si les prétentions que Jean de Chalon-Arlay avait à la gardienneté de l’abbaye de Balerne étaient légitimes, et qui céda la vicomté de Be- sançon, en 1289, à la maison de Montferrand. Dans le cours du xu1* siéecte, la maison de Rougemont donna deux archevêques à l’Église de Besançon. Ces prélats sont Gérard 1° et Eudes où Odon. Albéric de Trois-Fontaines, dans sa chronique, à l'an 1220 et au sujet de l'élection de Gérard de Rougemont à l’arche- vêché de Besançon, fournit en ces termes la preuve de quatre générations de la families de Rougemont : « On choisit, dit-il, pour archevêque de Besançon un noble personnage appelé Gérard, qui était, depuis quarante ans, doyen de l’église mé- tropolitaine, et qai était 1ils de Thiébaud de Rougemont, petit- fils d' Humbert et cousiu d'Etienne, comte de Bourgogne (?); il eut deux frères, Humbert et Thiébaud. Hugues, fils d'Hum- bert, marië à {a fille d Aimé de Faucogney, eut pour fils d Aimé (3). # nn (y Pxnrecior. Descripnun wu doyenné de Rougemont. — Ed. LE GLAy, Hist. des comtes de Flandre, t II, p. 37. (2} L'archevêéque Gérad est qualifié cousin du comte Etienne, parce que sa mère Alix de Trave etait sœur de Poncette de Trave, mère du comte Etienne. (3) Ce dernier fut ere 1e l’archevèque Eudes ou Odon, arrière- petit-neveu de Gérard, ou sollatéral au 5° degré. = pis = Les deux archevêques, Gérard et Eudes, eurent de graves démêlés avec les citoyens de Besançon. Le premier fut expulsé de la ville et mourut à l’abbaye de Bellevaux où il s'était re- tiré, le 15 mars 1225. Pour éviter un pareil sort, Eudes de Rougemont résolut de se bâtir un château très fortifié sur une montagne aride située à peu de distance de la ville, du côté du sud. A peine le châ- teau était-il terminé (1291), qu'une émeute éclata; la forte- resse fut détruite de fond en comble par les citoyens de Be- çon aidés de plusieurs seigneurs de la province (1). Bientôt après, le neveu de l'archevêque, Humbert, sire de Rougemont, dut donner, au nom de son oncle, la promesse formelle qu'à l'avenir la maison de Rougemont ne construi- rait aucun château-fort sur le territoire de la ville. L'archevêque Eudes de Rougemont mourut Le 23 juin 1301, après avoir concédé à Nicolas de Rougemont, son parent, mais seulement pendant la vie de ce dernier, l'hôpital de Saint- Igny@). I] fut inhumé dans l'église de l’abbaye de Bellevaux, devant le grand autel. (1) Cette circonstance valut à la montagne de Rognon un second vocable. On l'appela depuis Rosemont, par corruption du nom de famille de l'archevêque Eudes de Rougemont. Voir la note de M. Casran sur cette question : Faut-il dire Rognon ou_ Rosemont ? dans les Mémoires de la Société d'Emulalion du Doubs, ann. 1873, p. 573. (2) Annuaire de la Haute-Saône, 1842, p. 356. — 214 — IV QUATORZIÈME SIÈCLE. — JEAN DE ROUGEMONT. — HUMBERT, GOU- VERNEUR DU COMTÉ DE BOURGOGNE. — HUMBERT, AUTEUR DE LA CHARTE DES FRANCHISES DE ROUGEMONT. — RUE DES JUIFS ET BOIS-DU-JUIF. —— RESTAURATION DE LA CHEVALERIE DE SAINT-GEORGE A ROUGEMONT. Au commencement du xrv° siècle, nous trouvons un Jean de Rougemont qui fut chanoine trésorier de l’église de Besan- con, et Humbert de Rougemont, sire dudit lieu, de Durnes, Trichatel, etc. Ce fut lui qui, en 1291, promit aux citoyens de Besancon qu'aucun château-fort ne serait construit à l'avenir par les siens sur le territoire de la cité. Il avait épousé Agnès de Durnes. En 1305, il était gouverneur du comté de Bour- gogne. Vers cette époque, le même Humbert, à La tête d’une troupe armée, envahit la maison de Beau Git et de ses enfants, pilla leurs meubles et leurs papiers et mit le feu aux bâtiments. Git recourut au roi Philippe, qui condamna le sire de Rou- gemont à 10,000 livres d'amende et à tenir prison dans le chastel du Louvre, à Paris (1). Nous arrivons à un autre Humbert, sire de Rougemont, auquel est due la charte des franchises de notre bourg. Celui- ci était marié à Alix de Neufchâtel, Il assista, le 16 juin 1369, au mariage de Philippe le Hardi et de Marguerite de Flandre, qui fut célébré à Gand (2). Il était arrivé précédemment à ce jeune seigneur, d'un na- turel bouillant, de tuer, dans un combat singulier, un cheva- lier nommé Garnier de Blaisy. Le cousin du défunt, Jean de (1) Ed. Czerc, Hist. de la Franche-Comté. (2) Il était suivi d’un écuyer et avait avec lui six chevaux. — 215 — Blaisy, pour venger cette mort, s'était rendu maître de la per- sonne d'Humbert, par surprise, à son retour de Gand; après l'avoir dépouillé et maltraité, il le détenait étroitement dans son donjon. Le plus fâcheux de l'aventure était que les parents et les amis des parties, en se prononcant d’après leurs affec- tions, avaient fait une affaire générale de cette querelle toute personnelle. Dans cette occurrence délicate, le duc Philippe le Hardi ne voulut se prononcer que comme arbitre. Muni donc du consentement des deux chevaliers, il condamna, pour toute réparation, Jean de Blaisy à tenir un jour de prison chez le seigneur de Ray, ami d'Humbert de Rougemont, et à boire après avec celui-ci en sa propre présence (1). Jusqu'ici l'histoire de notre bourg n’a été en quelque sorte que celle de la maison illustre qui en possédait la seigneurie, L'administration du bourg était tout entière aux agents sei- eneuriaux. Nous allons voir cette population acquérir, Cornme tant d’autres, avant et après elle, la liberté de s’administrer par des magistrats de son choix élus par le suffrage universel. Les chartes d’affranchissement n'apparurent dans notre province que vers le milieu du xx siècle. La plupart éma- nent des seigneurs issus de la famille de Jean de Chalon l’Antique, à qui la Franche-Comté doit ses deux premières communes. Ces chartes ont entre elles de nombreuses ana- logies (?). | Besançon est commune en .. ...,.. 1189 Salins (bourg dessus) en........ .. 1249 Dole AREA TEE Cr TETE AIFDOTS OR A RE PU per 1282 PORENV ER EN Tee. Pete Cros renress Lons-le-Saunier en.............., 1295 Quingey en.......... BR Cu MAO \ (1) Durowzrer, Mémoires historiques sur la Franche-Comté, pages 53 et suiv. GUILLAUME, ouvrage cité. (2) Voir Les travaux récents de MM. Tuzrey et DÈy sur cette malière, = A — L'Isle-sur-le-Doubs en... ,....... 1308 Gray en ........ j se ir T° s. RE Gÿreni iiasaté AO ads 1 VOA: Rougemontiens: 2. 2mmla 0, 41310 Etc. Le mouvement s'opère de proche en proche, sans secousse et naturellement, comme une des nécessités de l’époque (1). Les seigneurs s’y prêtent de si bonne grâce qu'ils ont souvent l'air de traiter d'égal à égal avec leurs villes (?). Ils trouvaient d’ailleurs des avantages certains en affranchissant leurs do- maines. La population y affluait, le commerce et l'industrie s'y développaient, et les redevances réservées étaient plus fixes et d'une perception plus facile et plus sûre. Les termes mêmes de la charte d'affranchissement de Rou- gemont, que nous allons transcrire, donnent lieu de croire que la condition des habitants de notre bourg, avant 1370, se rapprochait assez de celle des serfs, mais dans le sens le plus favorable du mot, des serfs de condition douce, tenant, pour ainsi dire, le milieu entre les hommes libres et les gens de main-morte. Ils avaient en même temps des prérogatives libérales et des charges serviles. Ils pouvaient disposer de leurs biens en liberté, ce qui exclut toute idée de main-morte; d’un autre côté, ils devaient acquitter certains droits, certaines redevances qui atteignaient principalement les serfs (3). La charte des franchises de Rougemont, concédée par le seigneur Humbert, en 1370, charte que la commune invo- quait encore en 1781, dans un procès qu'elle soutenait contre le dernier possesseur des droits seigneuriaux de la terre de Rougemont, est ainsi conçue : « En nom de N.S. Amen. Je, Humbert, sire de Rouge- (1) M. Tuerev, Etude sur le droit municipal en Franche-Comté. (2) Io., ibid. (3) Tuerey, ouvrage cité. — 217 — mont et d'Usie, chevalier, fais savoir à tous que, desirant que ‘ma ville de Rougemont grandisse et prospère, je donne fran- chise plénière et perpétuelle liberté à ses bourgeois et habi- tants. Je les affranchis de toutes servitudes seigneuriales excepté des trois corvées et autres choses ci-après déclarées. Ils payeront pour l'octroi desdites franchises et libertés la somme annuelle de 100 livres de bons estevenants(1)...... lesquelles cent livres d'estevenants devront être payées chaque année le jour de la fête de saint Michel archange. Ces cent livres seront recueillies et comptées au seigneur par quatre prud'hommes élus chaque année à cet effet par les bourgeois. Ces prud'hommes commis et ordonnés de la ville par foy et par serment pour répartir également, lever et payer ladite somme, auront puissance de contraindre ceux qui refuseraient de payer leur part contributive. Ils pourront dans ce cas pro- céder par exploitations et veuditions de biens meubles et par toutes autres voies et manières que bon leur semblera, et par la manière que fait le seigneur et que accoûtumé est de con- traindre, à l'aide du prévôt de Rougemont qui tiendra la jus- tice seigneuriale, ledit prévôt demeurant à cette fin à la con- dition de la communauté. Les bourgeois et habitants de Rougemont payeront de plus au seigneur les cenBordinaires de la saint Martin et feront chacun un charroi de bois à Noël et à la Toussaint. Les trois corvées sont : la corvée du Breuil et l’aide de toute la terre, comme accoutumé est; l’autre corvée de fessourer la vigne que l'on appelle.......... et l'autre de vendanger 1.14. .0l.. [tem pour quelque cas et quelque fait que ce fut; pour passer mer, pour acquérir terres, pour fait de prison, ce que ja n’advienne, pour fait de guerre et pour quelque autre raison ou occasion, ne pourront être exigées autre chose que lesdites cent livres, excepté de marier fille (1) Monnaie des archevêques de Besançon, nommée estevenant (en français) et stephaniensis (en latin), parce qu'elle portait, sur l’une de ses faces, l'image du bras de saint Etienne. = is — une fois seulement pour chaque seigneur de Rougemont et être chevalier nouveau. En chacun desdits deux cas et non en autres devront les bourgeois et habitants payer âu seigneur 200 livres de ladite monnaie, icelles années que le cas y adviendra, le jour saint Michel et non autre. » Item, s’il choit un pan de mur de la cloison ou fermeté dudit bourg de Rougemont, le seigneur le devra refaire à ses propres dépens. Les bourgeois et habitants devront seulement lui bailler et délivrer ung roncin (1) jusqu’au prix de 10 livres d'estevenants pour aider à charrier la pierre. ......... NAT moyennant quoi le seigneur devra maintenir la fermeté des portes et autres choses nécessaires, sauf que lesdits bourgeois et habitants devront aider chaque an de 60 sols estevenants. Ces 60 sols payables au jour de fête saint Michel seront per- cus par les quatre prud'hommes qui gouverneront la ville, pour les employer auxdites réparations, selon que bon leur semblera de faire, en rendant compte de l'emploi au-seigneur. Devront encore lesdits bourgeois et habitants aider à charrier les bois utiles auxdites réparations. » Le seigneur se réserve un droit de sceau de 6 deniers par livres, formant le quarantième du prix de chaque acquisition. Si pour une dette du seigneur les bourgeois et habitantsétaient arrêtés par les créanciers. et contraints de payer, le seigneur les dédommagerait et leur rendrait l'argent qu'ils auraient dûment payé auxdits créanciers. » Nous n'avons fait que mentionner les dispositions de cette charte, sans y ajouter le style des formules, chose assez con- nue pour n'être plus qu’une banalité. Cet acte fut confirmé par Thiébaud de Neufchâtel, dont Humbert deRougemont était le vassal (2). (1) Cheval. (2) En 1283, les Rougemont relevaient encore des Montbéliard ; on en trouve la preuve dans la charte des franchises de Montbéliard. (Voir Tuerey, ouvr. cité, pp. 124 et 240.) — 219 — Telle fut, pour notre bourg, la première conquête toute pacifique des libertés communales, qui ont été partout le point de départ des libertés civiles et politiques. Dans l'acte de reconnaissance des droits du seigneur, à la date du {7 oc- tobre 1541, nous verrons mentionnés un certain nombre d'usages dont il n’est point parlé dans notre charte d’affran- chissement. Dans le même siècle, vers 1377, l'état de guerre permanente n'étant rien moins que favorable au commerce et à ses opéra- tions, le comte-duc Philippe le Hardi rappela les Juifs et les Lombards, bannis du pays sous les règnes précédents. Par leurs relations très étendues, les Juifs marchands se rendirent utiles à la contrée, dont les habitants avaient d’ailleurs alors assez peu d'aptitude pour le négoce. On accorda à ces Juifs, moyennant un tribut annuel de 1,000 francs d’or, des privi- léges et même des quartiers pour leur demeure dans les villes de Vesoul, Jussey, Gray, Baume-les-Dames (1), Rou- gemont, etc. La principale synagogue des Juifs de ce temps-là était à Vesoul. Les Juifs enrichis ne tardèrent pas à faire l'usure et à s’'engraisser de la substance des pauvres particuliers. On essaya de remédier à ce mal en créant une banque populaire appelée Mont-de-Salins, sorte de mont-de-piété où l'on trouvait de l'argent à justes intérêts. Mais ce remède ne suffit pas pour détruire le mal. Le clergé et ies seigneurs de Franche-Comté portèrent plainte contre les Juifs usuriers, et l'ordre fut donné de les expulser du pays. Un quartier de Rougemontot, en dehors de l'enceinte murée du bourg, avait élé affecté à la demeure des Juifs et au commerce de ces marchands. Ce quartier a retenu, depuis le xrv° siècle, le nom de rue des Juifs. On dit aussi que le sei- gneur de Rougemont ayant eu besoin d’une forte somme, un (1) La ville de Baume a encore sa rue des Juifs et sa rue des Lom- bards. — 220 — Juif la lui prêta, en exigeant pour gage la vente à réméré d'un immeuble important en nature de forêt. Le seigneur eut mille peines de rentrer dans la propriété de cette forêt, parce qu'il avait laissé passer de quelques jours le terme stipulé pour l'exercice de la faculté de rachat. 11 fallut se rendre aux conditions rigoureuses imposées par le Juif pour rentrer dans la propriété de l'immeuble, qui depuis ce temps s’est appelé le Bois du Juif. | L'établissement de la chevalerie de Saint-George à Rouge- mont est sans contredit le plus glorieux souvenir que puisse offrir l'histoire de notre bourg; mais l’époque précise de cet établissement fait l'objet d'une controverse. Les uns le font remonter au xiv° siècle, et les autres seulement vers le milieu du siècle suivant. Quoi qu'il en soit de cette controverse peu importante, nous consacrerons un chapitre spécial à la chevalerie de Saint- George, et nous le placerons en cet endroit. V CHEVALERIE DE SAINT-GEORGE. La chevalerie, cette fameuse institution qui avait pris naïs- sance vers le xr° siècle et qui, pendant deux cents ans, avait rempli le monde du bruit de ses triomphes et de l'éclat de ses services, commençait à perdre son prestige et à tomber en décadence. C'est alors que, vers l'an 1300 (1), la noble asso- ciation de Saint-George, composée des gentilshommes de l'ancienne chevalerie, a été fondée à Rougemont par les sou- a —— — (1) Cette date indiquée par le marquis de Saixr-Mauris n'est pas celle que conteste Duverxoy. Il conteste celle de 1390 ou 1400 indiquée par Gozcur comme étant celle de l’époque où la confrérie aurait été réorganisée par Philibert de Molans. — 221 — verains de Bourgogne. Les statuts de cette nouvelle associa- tion n'étaient autres que ceux de l’ancienne chevalerie. Lteinte ou désorganisée par les guerres et les fléaux qui ont dévasté le pays dans le cours du xrv° siècle, la chevalerie de Saint-George fut restaurée à Rougemont vers 1435 ou 1440 (1) par Philibert de Molans (?), gentilhomme de nom et d'armes, du ressort de Vesoul. Plein de zèle et d'enthousiasme pour les œuvres pieuses, Philibert de Molans avait fait, jeune encore, un voyage en Palestine, d'où il avait rapporté des reliques de saint George, fameux martyr d'Orient (3). Il les déposa d’abord dans une petite chapelle qu’il avait fait con- (1) Duvernoy a réfuté l’assertion de GoLLutr qui fait remonter cet événement au xiv° siècle. L'opinion de Duverxoy, à laquelle nous nous rattachons, est fondée sur cette considération que les personnages nommés comme faisant partie de la première liste de la confrérie ne florissent que vers le milieu du xv*° siècle. (2) Il était petit-fils de l'écuyer Jean et fils de l’écuyer Richard de Molans, qu ont paru comme témoins dans la charte des franchises de Rougemont. Sa famille était peu ancienne, sans gloire militaire êt sans alliances illustres. Son père, vassal du sire de Rougemont, mourut en 1375. Sa mère, Béatrix de Loray, fit alors reprise de fief à l'arche- vêque Thiébaud au nom de Philibert encore mineur. En 1424, Phili- bert de Molans n'était encore qu'écuyer. Il habitait un hôtel dans le château de Rougemont. Sa femme était Jacquette Buret, dite aussi de Rougemont, mais d’une famille étrangère à celle des seigneurs. En 1434, il occupait à la cour du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, un rang assez peu élevé, celui d’écuyer d’écurie. En 1438 et 1440, il servait ce prince en qualité de maître de son artillerie. Contrairement à l'opinion de Duvernoy, Saint-Mauris dit qu'il fut chevalier et qu'il mourut maitre visiteur des arsenaux et artillerie de France et d'Angleterre. Il portait alors d’or à trois molettes d’éperons de gueules et avait pour quartiers : 1 Molans, ? Rougemont, 3 Loray, 4 Vercel. Sa veuve vivait encore en 1450. Jacques de Molans, son proche parent, était homme d'armes du prince d'Orange et fut tué en 1430 à la bataille d'Anthon. (3) Rien n'est moins certain que les actes de ce martyr, cependant rien n’est plus célèbre que le culte qu'on lui rendit en Orient et en Occident. C'est surtout depuis l'époque des croisades que son culte s'est répandu en France et particulièrement dans notre province. (Vies des saints de Franche-Comté.) — 222 — struire tout exprès dans sa maison de Rougemont, et que l'on montre encore respectueusement aux visiteurs de cette ma- sure. Il eut ensuite la pensée de les offrir à la noblesse du comté de Bourgogne qui s’assembla chez lui, à Rougemont, pour les recevoir, et prit la résolution de célébrer chaque année la fête de ce saint que la noblesse regarde comme son patron, parce qu'il a été chevalier et qu'on l'a représenté d'ancienneté à cheval, armé d’une lance et terrassant un dragon (1). C'est Philibert de Molans qui paraît avoir fait les frais de l'établissement de la chapelle des chevaliers de Saint- George dans l’église du château de Rougemont, avant sa translation dans l'église du couvent des Cordeliers. C’est en- core lui qui institua et dota les chapelains , voulant d’ailleurs que tous les confrères eussent part à la fondation comme si eux-mêmes y eussent contribué (2), Il aurait été d'abord élu bâtonnier de l’ordre et en serait devenu gouverneur (3). Dès son origine, cette noble confrérie comptait parmi ses membres des gentilshommes dont la plupart surpassaient Philibert de Molans par l'éclat de la naissance ou par le haut rang qu'ils occupaient dans les hiérarchies ecclésiastiques, civiles ou militaires. De toute ancienneté, la confrérie de Saint-George s'assem- blait à Rougemont, chaque année, le 22 avril, veille de la fête de saint George. Ces pieux chevaliers arrivaient, dit-on, à cheval, au chà- teau de Rougemont, par l’entrée qui existait au levant de la forteresse. Ils suivaient, pour arriver du fond de la vallée au seuil de cette poterne, un chemin qui n’a pas cessé d'exister, qui ne parait pas avoir changé de direction depuis des siècles, et qui se nomme encore aujourd'hui le chemin des Chevaliers CE ms ee (1) Un groupe en pierre, sculpté d’après cette donnée, décore la façade principale du château neuf de M. le marquis de Moustier, à Bournel, près de Rougemont. (2) Gozzur. (3) Marquis DE Sanr-MauRis, — 223 — de Saint-George. Leur quartier général était la maison de Philibert de Molans, dans la basse cour du château. On ap- pelle encore ce qui reste de cette maison, le quartier des Che- valicrsCe Saint-George. Après l1 mort de Philibert de Molans, la sanglante querelle de Louis XI et de Charles le Téméraire, à laquelle les sei- gneurs du pays furent mêlés, empêcha pendant un certain nombre d'années les chevaliers de Saint-George de se réunir et de vaquer aux exercices de leur institution. On sait d'ail- leurs que de 1476 à 1480, Rougemont fut pris, repris, pillé et incendié. Lorsque la paix d'Arras fat conclue, en 1482, les gentils- hommes de la province, de retour dans leurs châteaux en ruines ou dans leurs villes en cendres, jugèrent qu'il y avait lieu de reprendre leurs anciens usages de dévotions, afin de remercier Dieu des événements qui venaient de s’accomplir en Bourgogne. Plusieurs des principaux chevaliers de Saint-George, qui se retrouvaient dans la contrée, s’assemblèrent à Rougemont, au nombre de quarante-Cinq, pour y accomplir, comme avant la guerre, le service de leur confrérie. C'était le 23 avril 1485, propre jour de la fête de saint George. Ces pieux gentilshommes pensèrent que « tendis que leurs corcelets demeureraient pendus au croc, » ils feraient œuvre méritoire en rafraichissant et renouvelant les dévotes pratiques qui avaient été instituées par eux avant les suerres et inter- rompues pendant leurs cours (1). A cette fin, ils rédigèrent et signèrent de nouveaux statuts dont l’analyse pourra peut- être offrir ici quelque intérêt. "Chacun avait place, rang et marche selon l’ordre de sa réception dans la confrérie, sans prendre égard à dignité, maison, richesse ni autre chose donnant prééminence. La confrérie était dirigée et présidée par un chef inamovible ne men er 0e nt (1) Gozzur. — 224 — sous le nom de gouverneur, élu par le corps. Ce gouverneur avait pour distinction dans les cérémonies un manteau de drap d'or moucheté de noir, à queue trainante. Un bâtonnier, sorte de procureur annuel de la confrérie, était appelé à cette fonction par rang d'ancienneté. Il portait, durant l’année de sa charge, un bâton d'argent richement ciselé, surmonté d'un saint George à cheval, qui lui était rernis au pied des autels, lors de son entrée en fonction. Pour marque distinctive entre eux, les chevaliers portaient l'image d’un saint George à che- val terrassant un dragon. Cette effigie en relief d'or était fixée à la boutonnière par un ruban moiré des couleurs du souve- rain. Le matin de la fête de saint George, tous les chevaliers se rendaient à l'heure convenue dans la demeure du bâtonnier, devant lequel ils marchaient deux à deux, ayant un cierge de cire pure à la main. Le cortége conduisait le bâtonnier à la chapelle où le service divin devait être célébré. Les prêtres en surplis précédaient les confrères en chantant les hymnes de saint George, en l'honneur duquel la grand’messe était dite. Les prètres disaient aussi les vêpres le jour de saint George et chantaient vigiles et laudes. Le lendemain, trois messes étaient célébrées, l’une en l'hon- neur du Saint-Esprit, autre en l'honneur de Notre-Dame et la troisième pour les trépassés. Tous les confrères y assistaient comme aux funérailles de leurs propres parents. A cette céré- monie, le bâtonnier offrait le pain, le vin et le luminaire; il offrait également l'épée du défunt. Les confrères plus voisins présentaient l'écu. S'il y avait eu dans l’année plusieurs dé- funts, les autres confrères venaient à la suite faire de sem- blables offrandes. Lorsqu'un chevalier de Saint-George mourait, les confrères qui se trouvaient sur les lieux se faisaient un devoir et un honneur de porter le corps à l'église. La prestation annuelle de chaque confrère pour le service divin était d'un franc qui se payait au bâtonnier. — 225 — Celui-ci devait, entre autres charges de sa fonction annuelle, la collation de pain et de vin, rien de plus, le jour de saint George. À diner, il devait y avoir du bœuf bouilli seulement. et à souper un rôti et deux sortes de vin pur et net, et ce sans excès, sans quoi le gouverneur de la confrérie s'emparait du superflu et Le distribuait aux pauvres. Le lendemain de la saint George, le bâtonnier donnait en- core une collation semblable à celle du premier jour. Pour supporter ces frais, il recevait de chaque frère six gros vieux. Chaque frère payait aussi annuellement deux gros au gou- verneur pour le salaire des chapelains. Celui qui ne pouvait assister à la réunion annuelle devait envoyer au bâtonnier les droits dus à la confrérie et les ex- cuses de son absence. Celui qui pendant deux ans consé- cutifs négligeait de se rencontrer à Rougemont, le jour de saint George, sans excuse légitime, était rayé du catalogue. Celui qui avait droit au bâton pouvait s'excuser en présen- tant requête à ses confrères. Si ces excuses étaient agréées, il payait un droit de dispense de vingt sols pour la fabrique. Si celui qui devait avoir le bâton le refusait, sans avoir fait agréer ses excuses, il payait dix livres. Son nom était rayé du catalogue et l'écu de ses armes « tiré hors de la place. » Si un confrère voulait se dégager de l'association, il devait payer soixante sols estevenants, Le confrère nouvellement recu était tenu d'envoyer, dans l’année de sa réception, l'écu de ses armes peint, pour qu'il fût suspendu à son rang de réception dans la chapelle. En cas de querelle entre confrères, celui qui ne voulait pas acquiescer au jugement des autres confrères était mis hors de nombre. « Nul ne devait rester plus d’un an sous le coup d’une sen- tence d’excommunication, ni faillir à l'honneur, sous peine d'être expulsé. Les confrères se devaient mutuelle assistance. Celui qui en l'assemblée faisait tumulte payait une amende 15 — 226 — de dix écus et ses chevaux étaient arrêtés jusqu'à ce qu'il eût payé. | En 1487, on se relâcha un peu de la sobriété primitive; on décida que le bâtonnier donnerait le souper-la veille de la saint George, au lieu de la collation, en recevant de chaque confrère six blancs, et le diner le lendemain de la fête, en recevant encore la même somme. En 1552, on décide qu'au banquet il n'y aura d'autre viande que de bœuf, moulon, veau, cabris, porcs, chapons, poules, poulets, pigeons « et au-dessous, » sans pâtisserie « sauf de tartres pour dessertes. » En temps de poisson, -le plus commun seulement devra être servi. Le 27 juin 1569, la fête ayant été remise à cette date à cause des guerres et passages du duc Wolfgang des Deux- Ponts, François de Vergy, gouverneur de la province, vint à Rougemont pour être recu chevalier de Saint-George. En sa présence tous les confrères renouvelèrent leur serment de ré- pandre jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour mainte- nir la foi catholique, de veiller surtout dans leurs terres à la conservation de ce dépôt; d'arrêter les hérétiques et prédi- cants, de les livrer à la justice ou de les chasser; de les exter- miner même par la force des armes. Il jurèrent, en même temps, d’obéir au roi Philippe II d’Espagne, à qui Charles- Quint avait remis la Franche-Comté en 1556. Dans la même réunion, quatre membres furent désignés pour vérifier les titres des récipiendaires , qui d’abord durent justifier de quatre quartiers et ensuite de seize, remontant à cent trente ans au moins de noblesse. Un membre de la confrérie, Michel de Franquemont, fut rayé, en 1584, de la liste des chevaliers de Saint-George pour avoir embrassé le protestantisme. C'est du reste le seul cas d'exclusion qui ait été mentionné. = C’est lors de la guerre de dix ans, au xvrrt siècle, que les chevaliers de Saint-George cessèrent de se rendre à Rouge- mont pour leurs réunions solennelles. Dans les années qui — 227 — suivirent le traité de Munster, en 1648, traité qui eut pour résultat de donner un peu de tranquillité à notre province, jusqu'à la première conquête qu’en fit Louis XIV, en 1668, la confrérie de Saint-George se réunit plusieurs fois à Vesoul, ville qui avait ce saint pour patron. Nos chevaliers ne s'y réunirent pas longtemps. En effet, nous les retrouvons assemblés à Salins le 25 avril 1661. Ce jour-là, ils décident que leur confrérie, qui depuis sa fon- dation devait se réunir tous les ans à Rougemont dans la maison de Philibert de Molans leur fondateur et dans l’église des Cordeliers y attenant, se réunira à l'avenir pour plus de commodité à Besancon au couvent des Grands-Carmes fondé par un de leurs membres les plus illustres, Jean de Vienne. Le même jour ils vendent à Gaspard de Moustier, pour la conserver, la maison de Philibert de Molans, dite le quartier des Chevaliers de Saint-George, — comme étant, ledit Gaspard de Moustier, un des seigneurs du voisinage dont la famille avait le plus marqué dans cet ordre depuis son origine (1). Les chevaliers de Saint-George tinrent leurs réunions an- nuelles au couvent des Grands-Carmes de Besançon jusqu'à la fin du xvurr° siècle. Leur institution était liée trop étroite- ment à la monarchie pour ne pas partager sa destinée à l'époque de la Révolution. En 1792, la plupart des chevaliers de Saint-George, qui étaient alors au nombre de quatre-vingt-un, quittèrent la France pour aller se joindre à l'armée de Condé. Après la Restauration, un article de la Charte portant que (1) Achat fait par Gaspard de Moustier de la maison sise à Rouge- mont et ses aisances et appartenances, qui souslait appartenir à l'il- lustre confrérie de Saint-George, pour la somme de 800 francs, daté à Salins le 25 avril 1661, en l'assemblée de la dite confrérie. — Signé de la Croix, notaire secrétaire d’icelle confrérie. — Auquel est joint un traité fait par lesdits seigneurs confrères avec noble seigneur Melchior de Montagu concernant la dite maison, daté à Dole le 21 décembre 1625. — Signé Hugonnin. (Archives de la famille de Moustier, au chà- teau Bournel.) — 228 — l'ancienne noblesse reprenait tous ses titres, les chevaliers de Saint-George survivants voulurent renouveler leur antique association ; mais la restauration de leur ordre fut aussi éphé- mère que celle de la monarchie traditionnelle. Le dernier de ses gouverneurs, M. le marquis de Saint- Mauris, élu en 1823, a donné dans son livre sur {a Chevalerie de Saint-George du comté de Bourgogne, la liste, ne contenant pas moins de mille noms, de tous les gentilshommes reçus dans cet ordre depuis 1390 à 1830, époque où l'institution a cessé d'exister. VI QUINZIÈME SIÈCLE. — TESTAMENT DE HUMBERT DE ROUGEMONT. — LOUIS DE CHALON ACQUIERT LA TERRE DE ROUGEMONT. — L'ARCHEVÈQUE THIÉBAUD. — FONDATION DU COUVENT DES COR- DELIERS PAR LE DERNIER SEIGNEUR DE LA MAISON DE ROUGE- MONT, — SAC DE ROUGEMONT PAR LES FERRETOIS ET LES SUISSES. — ROUGEMONT PRIS ET REPKIS PAR LES FRANCAIS ET LES BOUR- GUIGNONS. Le 29 mars 1406, ce même Humbert de Rougemont qui donna la charte de franchise aux bourgeois et habitants de notre bourg, vendit à Louis de Chalon une part dans la terre même de Rougemont que sa famille possédait depuis des siècles et d'où elle avait tiré son nom. Il fit son testament la même année, le 9 décembre, choisit sa sépulture à Belle- vaux (1), ordonna que son cercueil fût couvert d’un drap d’or et qu'on offrit à l’église, lors de ses obsèques, ses chevaux de bataille, de tournois et palefroi, comme ornements les plus - pompeux des funérailles de ce temps. Ges sortes de dons n'étaient que fictifs, car la famille les rachetait. Il fit des legs s (1) Dans le tombeau de ses ancêtres. — 229 — à Alix de Neufchâtel, son épouse (1), institua héritiers Thié- baud de Rougemont, son fils, archevêque de Besancon, Jean de Rougemont, son autre fils, chevalier, et Humbert de Rou- gemont, écuyer, son petit-fils, chacun pour un tiers, etil ordonna que le château de Rougemont serait compris dans la part de son fils l'archevêque, à qui il laissa la liberté de faire le choix de celui qui devrait être chef du nom et des armes de la maison de Rougemont. Les armes de la maison de Rouge- mont étaient d’or à l’aigle éployée de gueules, membrée, bec- quée et couronnée d'azur. Humbert de Rougemont mourut le 27 mars 1412 (2). Thiébaud de Rougemont, fils d'Humbert, prince du saint empire romain, chevalier de Saint-George, fut le troisième archevêque fourni par sa famille à l’église de Besancon. C'é- tait le plus riche en terres de tous ceux de son lignage(). II fut d'abord évêque de Chalon. De Chalon il fut transféré à Vienne et ensuite à Besancon, où il avait été postulé après la mort de Gérard d'Athier. Comme les archevêques Gérard et Eudes, ses parents et ses prédécesseurs sur le siége de Besan- con, l'archevêque Thiébaud de Rougemont porta la mitre dans des temps difficiles. Comme eux, il eut à soutenir des luttes terribles contre les citoyens de Besançon; comme eux, ee ne ee (1) Et à ses deux filles mariées dans les maisons de Montmartin et Montureux. Il en avait encore deux autres mariées dans les maisons d'Azuel et de Torpes. (2) L'épitaphe d'Humbert de Rougemont et d’Alix de Neufchàtel, sa femme, retrouvée à Bellevaux, est ainsi conçue : € CY GISENT NOBLE ET PUISSANT SEIGNEUR MESSIRE HUMBERT, SEIGNEUR DE ROUGEMONT ET D'HUSIES, QUI TRESPASSA LE XXVII® JOUR DE MARS, L’AN COURANT DE NOSTRE SEIGNEUR MCCCC ET XII ET DAME ALIS DE NEUFCHATEL ET DE ROUGEMONT, SA FEMME, QUI TRESPASSA LE XVI SEPTEMBRE MCCCOXIV. F DIEU AIT LEURS AMES. AMEN. ) (3) D'après le codicille que sa sœur, Jeanne, la jeune, épouse de Jean de Thoraise, seigneur de Torpes, fit en 1427. — 230 — il crut devoir jeter l’interdit sur la ville, s’exiler et mourir loin de son palais. La destinée malheureuse de ces trois prélats de la même famille serait un fait digne de remarque, si un sort à peu près semblable n’eût été aussi celui de plu- sieurs autres archevêques de notre église, à la même époque. L'archevèque Thiébaud testa en 1422 (1). Il mourut le 16 septembre 1429, à Rome, où il était allé pour engager le pazse à user de son autorité propre et de son crédit auprès des souverains pour le rétablir dans les droits qu’il prétendait (?). Il fut inhumé dans la chapelle de saint Thomas de l’église Saint-Pierre, à Rome. Sa dalle funéraire, où il est représenté en gravure, existe encore dans les cryptes de la basilique vaticane. Voici l’épitaphe qui l'encadre : « Axxo Domini MCCCCXXIX, mie XVI SEPTEMBRIS, TEMPORE SANCTISSIMI DOMINI MARTINI PPE QuixTi, PONTIFICATUS SUI ANNO XII, REVERENDISS. IN CHRISTO PATER DOMINUS THEOBALDUS DE RUBEOMOXTE, ARCHIEP. BISUNTIN. MAGNUS, DELEGATIONE ASSUMPTA GLORIOSA, IN HAC URBE IN DOMINO OBIIT, ET SUB HOG LAPIDE CORPUS SUUM GENERALEM MORTUORUM EXPECTANS RESURRECTIONEM REPOSITUM QUIESCIT. ANIMA EJUS IN SINU AÂBRAHE COLLOCETUR. - AMEN (3). » Le dernier mâle de la famille de Rougemont fut encore un Thiébaud, arrière-petit-neveu de l'archevêque. En 1419, ïl était écuyer banneret sous la bannière de Thiébaud de Neuf- châtel. En 1430, il fut fait prisonnier à la bataille d'Anton. En 1440, il assista avec plusieurs gentilshommes à la prise de possession de l'archevêque de Besançon Quentin Ménard. Il (1) Il institua héritier Humbert de Rougemont son neveu dans le château de Rougemont, et à défaut d'enfant il lui substitua le fils aîné de Jeanne, sa sœur, épouse de Bernard d’Azuel, à charge de porter son nom et ses armes. (2 Duxon, Histoire de l'Eglise de Besancon. (3) Dioxysio, Vaticanæ basilicæ cryplarum monumenta, p. 167, pl LXV. — 231 — défendit, en 1443, avec Pierre de Bauffremont, un pas d’armes entre Auxonne et Dijon. Il n'eut de Gauthière de Saux, sa femme, que deux filles, Catherine et Marie. Cette dernière, mariée à Bernard de Chalon, hérita de sa sœur Catherine après la mort de leur père. Ainsi s'éteignit la famille de Rou- gemont. Thiébaud, le dernier des seigneurs de Rougemont, fonda avant sa mort, dont la date précise n’est pas connue, le cou- vent des Cordeliers de Rougemont, auquel nous consacre- rons une notice spéciale dans le chapitre suivant. Nous nous bornerons à rappeler ici que cet établissement date du 10 mai 1449. Après le règne de Philippe le Bon, qui finit en 1467, son fils Charles le Téméraire lui succéda comme duc de Bour- sogne. Louis XI, qui avait formé le dessein de le perdre, trouva le moyen de le mettre aux prises avec les Ferretois et les Suisses. C’est alors qu'eurent lieu dans notre pays des guerres terribles. Vainqueurs devant Héricourt, en 1474, les Suisses se répandirent dans le comté, où de nombreux com- bats se livrèrent en 1475 et 1476. Beaucoup de Suisses y péri- rent. Vainqueurs, les Suisses étaient terribles; vaincus, leur rage s’exaspérait par la défaite : ils dévastaient tout et brû- laient les villages. Le bourg de Rougemont fut pris et saccagé par les Ferretois et les Suisses au mois de février 1476. Un document contem- porain, analysé par M. le président Clerc dans les pièces jus- tificatives de son Mémoire sur l’abbaye de Montbenoît, contient ces tristes détails sur le dépeuplement des environs de Rou- gemont et de Baume : « Les commissaires préposés, au mois de mars 1476, par Charles le Téméraire à la levée d'une aide de six cent mille écus accordée par les Etats de Bourgogne et divisée en six an- nées, parcoururent alors le pays et reconnurent, qu'eu égard aux dévastations des Suisses-Allemands, il était certaines con- trées où l’on ne pouvait lever cet impôt : ET JU » L'Isle-sur-le-Doubs dernièrement bruslée par les Alle- mands. » L'abbaye de Lieucroissant (abbaye des Trois-Rois) et tous les villages appartenant à icelle bruslés par les Allemands, et sont mendiants les religieux. » La Grâce-Dieu présentement détruite et inhabitable. » Avilley, inhabitable et bruslé. » Vaucluse, prieuré inhabitable. » Cuse, Adrisans, Gondenans (les-Moulins) et Nans, du présent inhabitables. » Senargent tout bruslé. » Anteuil, Huanne, Chaux {les-Clerval), Centoche, bruslés et détruits. » Il ne demeure qu'un ménage à Bois-la-Ville. Terre de Verne, Luxiol, Fontenotte, Vergranne, Rilloux (Rillans), Au- techaux; il n’y a personne en la cure de ce dernier village. Le pays est inhabitable par doubte des Allemands, et ont aban- donné les paroïissiens d’iceux tous leurs biens. » Après la mort de Charles le Téméraire devant Nancy (5 janvier 1477) son unique héritière était sa fille Marie, âgée de vingt ans. Louis XI prétendit que la succession de Charles ne pouvait tomber entre les mains d'une femme et revenait de droit à la couronne de France. Il commenca par s’assurer la possession des domaines de la princesse en les faisant envahir par ses armées, ce qui eut lieu sans difficulté. Ce qui restait du bourg et du château de Rougemont fut, comme toute la province, pris et occupé par les troupes du roi de France. Le 18 août de la même année 1477, la princesse Marie, effrayée de l'audace de Louis XI, épousa Maximilien d'Au- triche. Ce mariage devint la cause d'une sanglante rivalité entre les maisons d'Autriche et de France. Le 11 juillet 1478, une trève d’un an ayant;été conclue, Louis XI évacua le comté de Bourgogne. Notre bourg fut alors repris et réoccupé par les Bourguignons. Après avoir — 233 — profité de la trêve pour renforcer son armée, Louis XI en- vahit de nouveau notre province en 1479. « Ses officiers, dit Gollut, rangeaient tout à sa dévotion, forcant les forteresses et chasteaux des gentilshommes destitués de toutes assis- tances. » » Environ la feste de Toussaincts 1479, ajoute le même chroniqueur, les François reprindrent Rougemont et le pillè- rent et bruslèrent, puis se retirèrent pour hyverner. » Le baïllage d’Amont tout entier fut ravagé. Afin de porter un coup mortel à la puissance de l’aristo- cratie bourguignonne, Louis XI fit mettre hors de défense tous les châteaux-forts de la province, et celui de Rougemont fut du nombre. Cette guerre fut cause d’une grande disette, et le pays, dit Dunod, n'avait souffert de pareille désolation depuis l'invasion des barbares. En 1490, l'archiduc Maximilien reprit le comté de Bour- gogne aux Français et réoccupa avec ses troupes Faucogney, Vesoul, Amance, Rougemont et tout le baïillage d'Amont, jus- qu'à Besançon. VII COUVENT DES CORDELIERS. L'établissement des Cordeliers à Rougemont date du mi- lieu du xv° siècle. Le couvent des Cordeliers de Besançon avait été fondé pendant la vie même de saint François. Ceux de Salins, Gray et Lons-le-Saunier dataient de peu de temps après sa mort. Le relâchement s'étant glissé dans cet ordre, quelques reli- gieux zélés se plaignirent et obtinrent en 1358 la permission de se retirer dans le couvent de Mirebeau, pour y suivre la règle dans toute sa rigueur. Ce fut par ce couvent que com- menca l’observance de saint Francois. — 234 — Un des religieux de Mirebeau, frère Pierre Bourgeois, qui avait pris l’habit en 1360, vint en 1369 voir ses parents à Dole, où il était né. Il profila de son séjour dans cette ville pour décider Jean de Rye à y bâtir une maison pour les ob- servantins. Mais ce seigneur ayant été prévenu par la mort, Thiébaud de Rye, son frère, exécuta son dessein et posa la première pierre de la maison de l'observance de saint Fran- cois, à Dole, en 1362. Ce couvent a dès lors servi de modèle à la réforme et a produit, suivant Dunod, plusieurs grands hommes et saints religieux. Les Cordeliers ou Frères mineurs de Dole vivaient dans une si grande austérité et avaient si grande renommée de vertu, qu'il venait se présenter au couvent une foule de personnes pour y recevoir l’habit; mais le couvent de Dole était trop petit pour contenir tous ces postulants, et le gar- dien prit le parti d'écrire au pape Nicolas V, pour obtenir la permussion de restaurer des établissements déjà construits ou d'en fonder de nouveaux. : Le 11 février 1448, les Frères mineurs de Dole obtinrent du souverain pontife l'autorisation de faire construire deux nouveaux couvents de leur observance dans la province, l’un à Montbéliard et l’autre où ils jugeraient à propos. « Se trouvaient alors, dit le père Jacques Fodéré (1), en la ville de Dole, puissant et illustre Thiébaud, seigneur de Rou- gemont, et noble Catherine de Bauffremont, sa femme, dame de Trichâtel (2, lesquels, ayant oui ces nouvelles, vinrent trouver le père gardien, lui firent entendre la volonté qu'ils À dé mime hot (1) Narration historique et lopographique des couvents de l'ordre de Saint-François en la province de Saint-Bonaventure, Lyon, 1619, in-4.. (2) Il y a erreur dans la narration du P. Fodéré. Thiébaud de Rougemont dont il est parlé ici avait pour femme Gauthière de Saux. Sa fille ainée s'appelait bien à la vérité Catherine et fut dame de Tri- châtel; mais jamais elle ne porta le nom de Bauffremont. C’est d'elle qu'il s’agit (Voir au précédent chapitre) — 235 — avaient de faire bâtir à leurs frais un couvent, le priant de l'assigner dans leur ville de Rougemont. Ils écrivirent de même au sieur de Chappas, archidiacre de Flavigny, exécu- teur apostolique de la bulle. Ce qu’ils demandaient leur fut accordé; car ledit père gardien envoya à Rougemont quatre religieux fort morigénés et dévots, auxquels ledit seigneur Thiébaud montra une place au coin sénestre de la basse cour de son château et acheta même certaines maisons et jardins derrière et joignant ladite place tirant jusqu’au précipice de la montagne, que les religieux trouvèrent propre pour y faire leur couvent. D'autre part ledit Chappas, ne craignant point ses peines, se transporta en personne à Rougemont et mit lesdits religieux en possession desdites places, maisons et jardins le 10 mai 1449. « Ce généreux et noble Thiébaud fit aussitôt tracer le plan de tous les bâtiments, selon le dessin que les quatre religieux en donnèrent aux maîtres maçons et fit jeter en même temps les fondations de tout le couvent. » La construction était déjà fort avancée, quand le mal- heur arriva de la mort subite dudit seigneur et de l'absencé de la dame sa femme, ce qui fit cesser la poursuite de l'œuvre. Dans leur perplexité, les religieux eurent la pensée de recou- rir au prince souverain, Philippe, duc de Bourgogne. Cette résolution étant prise, deux d’entre eux le vont trouver à Pa- ris, lui exposent l'extrémité où ils sont réduits avec humble supplication de les assister. Philippe leur donna 600 écus, au moyen desquels ils firent continuer la construction de leur église qui fut achevée en 1455 et consacrée en 1457, sous le tre de Notre-Dame-de-Gräce, parce que la grâce divine les avait si bien assistés ; comme aussi la même grâce divine leur procura plusieurs autres aumônes : Car, allant visiter les mai- sons de noblesse circonvoisine, plusieurs donnèrent d'assez bonnes sommes de deniers, à l'aide desquels ils faisaient avancer peu à peu leurs autres bâtiments. Enfin cette même grâce divine suscita la volonté de noble puissant seigneur — 236 — Thomas de Grammont (1), lequel entreprit lui seul d'achever à ses frais tout le couvent : en quoi il était porté d’une si ardente affection qu'il ne manquait point tous les jours de venir à pied, le chapelet à la main, depuis son château de Fallon, distant de Rougemont de plus d'une lieue et demie (2, pour solliciter les architectes et si prendre garde que le tout fut fait bien fidèlement. Et dit-on que bien souvent, par une grande dévotion, il y venait à pieds nus. » Et d'autant que le lieu était fort incommodé (3) d’eau pour être tout au-dessus de la superficie de la montagne, il fit faire un puits dans le jardin d’une profondeur admirable (# et d'un industrieux artifice à puiser l'eau pour la commodité du couvent : où depuis l’on a fait faire une citerne, ne se servant guère dudit puits, sinon en temps de sécheresse, quand la citerne est tarie. En somme, cet illustre seigneur ne cessa qu'il n'eut fait rendre ce couvent en une entière perfection qui est bien manifeste et les murailles d’une épaisseur exces- sive. Le pourpris dudit couvent est assez petit, ne se pouvant étendre davantage à cause des précipices qui l'environnent; mais il est fort aéré, d’une vue de grande étendue de toutes parts, sinon du côté de l'entrée qui est contre le château. Enfin ce généreux seigneur, Thomas de Grammont, payant le tribut commun à la mort, d’une incroyable affection qu’il avait à ce couvent, ordonna que son corps fut porté à la ma- nière des religieux en l’église dudit couvent, où il fut ense- veli, l'an 1461, au milieu du chœur, devant le maitre-autel. » C'était à cette époque un usage fréquent de demander à l'heure de la mort l’habit monastique, en esprit de dévotion. (1) Thomas de Grammont, homme d'armes, seigneur de Fallon, Vel- lechevreux et Gesans, chevalier de Saint-George, chambellan du duc de Bourgogne, marié à Marie de Saux. Il portait de gueules au sautoir , d'or, qui est de Grange, écartelé d'azur à trois bustes de roi de carna- tion, qui est de Grammont. Gri : Dieu aide au gardien des Rois. (2) La distance véritable est de 11 kilomètres. (3) C'est-à-dire dépourvu. (1) Ce puits existe encore au milieu des jardins du couvent. — 237 — Les plus hauts personnages, les rois (1) mêmes, sollicitaient quelquefois l'honneur de mourir ainsi. On revêtait alors le mourant de l'habit de l’ordre qu'il avait indiqué, et il était enseveli avec les honneurs propres à cet ordre. Si le malade guérissait, il était lié par son vœu, et devait l’accomplir, sous peine d’encourir la tache d’apostasie. « Dès sa fondation, ajoute le père Kodéré, le couvent des Cordeliers de Rougemont fut bon, où étaient entretenus ordi- nairement 16 et 18 religieux. Mais depuis environ 30 ans (l'ouvrage de Fodéré a été imprimé en 1619), il est bien déchu, la charité y étant refroidie et les quêtes fort petites, si bien qu’à présent 8 religieux seulement peuvent y être entretenus. » Malgré la décadence que signale le P. Fodéré en 1619 et qui prouve que le couvent des Cordeliers de Rougemont n’a Joui ni d'une grande ni d’une longue prospérité, Christophe de Rye, qui mourut en 1623, fonda son anniversaire et celui de son épouse dans l’église des Cordeliers de Rougemont où les chevaliers de Saint-George se réunissaient pour vaquer chaque année aux pieuses pratiques de leur institution. C’est aussi dans cette église, dont les caveaux existent encore et dont le plus important, celui régnant sous le chœur, n’a point été fouillé jusqu’à ce jour, que furent inhumés : 1° Thiébaud de Rougemont, le fondateur du couvent ; 2° Catherine, sa fille, dame de Trichâtel ; 3° Simon de Moustier, seigneur dudit lieu, de Bermont, Cubry, Nans, Adrisans, Cuse, Bonnal, Louze et Chaigey, chevalier de Saint-George en 1518; 4° Pierre de Moustier, fils de Simon, capitaine d'une com- pagnie de 100 arquebusiers à cheval, chevalier de Saint- George en 1575, époux 1° de Catherine de Bressey, 2° de Françoise de Vy et 5° de Marguerite de Trestondans, lequel testa au château de Nas le 30 juillet 1576; (1) Parmi les moines à l'article de la mort ou monachi ad succurren- dum, l'histoire signale notamment Lothaire, fils de Louis le Débonnaire, — 238 — 5° Françoise de Vy, épouse de Pierre de Moustier ; 6° Desle de Moustier, fils de Pierre et de Françoise de Vy, chevalier, seigneur de Cubry, Bermont, Nans, etc., capitaine et gouverneur pour le comte de Montbéliard des bourgs et châteaux de Clerval et de Passavant, capitaine d'une com- pagnie de 100 hommes d'armes à cheval pour le service du roi d’Espagne, chevalier de Saint-George en 1593, gouverneur de cet ordre en 1608, mort en 1631. À la fin du xvine siècle, lors du décret du 14 octobre 1790, on ne comptait plus dans le couvent des Cordeliers de Rou- gemont que 5 religieux, dont 4 prêtres et 4 frère lai. Le supérieur s'appelait Claude-Antoine Grand. IL était né à Montmorot le 6 septembre 1722, avait fait profession dans la maison des mineurs Cordeliers de Lons-le-Saunier et ap- partenait au couvent de Rougemont depuis 1775. Il déclara le 12 janvier 1791 qu'il voulait se retirer chez le sieur Etienne Grand, son neveu, homme de loi à Conliége. Les autres religieux étaient : Claude-Etienne Bouvard, né à Vaux, paroisse de Macornay, le 8 juin 1726. 11 avait fait profession à Lons-le-Saunier le même jour que le P. Grand, supérieur. Il était affilié à la maison de Rougemont depuis 1773. Il déclara qu'il voulait continuer la vie commune. C'était un pauvre valétudinaire accablé de plusieurs infirmités. Nicolas Gouaille, né à Gourgeon le 3 septembre 1729. Il avait fait profession à Lons-le-Saunier le 6 décembre 1746. Ancien professeur et gardien, il avait été affilié à la maison de Rougemont en même temps que le P. Grand. Il déclara vouloir continuer la vie commune dans la maison qui serait désignée en Franche-Comté (1), se réservañt la liberté d’en sortir, conformément aux décrets. Pierre-Paul Emonin, né à Vaucluse le 30 juin 1742. Il a ———————— NO 0 (1) Le département assigna le couvent des Minimes de Besançon, qui fut désorganisé en 1792. — 239 — avait fait profession le 16 mai 1769 dans la maison des Cor- deliers de Dole. Affilié à la maison de Rougemont depuis 1775, il déclara comme Nicolas Gouaille vouloir continuer la vie commune. Claude-Marie Alingrin, dit Lacoste ou Damien, frère lai, né à Lons-le-Saunier, sur la paroisse de Saint-Désiré, le 29 mai 4731, avait fait profession à Lons-le-Saunier le 4 no- vembre 1751 et avait été affilié à Rougemont depuis 1778. Il déclara vouloir se retirer en maison bourgeoise, à Rouge- mont, chez le sieur Roussel (1). Il n’a pas été possible, dit M. Sauzay (2), en parlant des Augustins de Pontarlier et des Cordeliers de Rougemont, de réunir au complet les divers éléments de leurs revenus qui étaient peu considérables et ne devaient pas s'élever au delà de 3 à 4,000 livres. D'après le livre d’arpentement général du territoire de Rougemont, notre petite communauté y possé- dait en 1749, sans parler des jardins, terrasses et autres dé- pendances du couvent, 10 champs, 15 prés et » vignes, le tout estimé 4,999 livres, 16 sols, 7 deniers. Lorsque les événements politiques obligèrent les Cordeliers de Rougemont à quitter leur couvent, ils ne furent l’objet d'aucune persécution de la part des habitants du pays. Au contraire, la municipalité de Rougemont pétitionna, mais en vain, pour être autorisée à garder sa petite communauté de ‘Cordeliers qui, dans les temps de misère, nourrissait de ses aumônes la classe indigente. Cependant, après le départ des religieux, le couvent et la chapelle furent en quelque sorte livrés au pillage, et l’on retrouve encore dans quelques mai- sons de Rougemont des christs, des madones et d'autres ob- jets mobiliers qui proviennent de cet établissement. (1) Archives municipales. (@) Histoire de la persécution révolutionnaire dans le département du Doubs,t . I, Introduction, p. 91. — 240 — VII SEIZIÈME SIÈCLE. — UN EXPLOIT DES CHEVALIERS DE SAINT-GEORGE. — RENÉ DE CHALON, SEIGNEUR DE ROUGEMONT. — ACTE DE RE- CONNAISSANCE DES DROITS DU SEIGNEUR. — GUILLAUME DE NASSAU, HÉRITIER DE LA MAISON DE CHALON , VEND LA TERRE DE ROUGEMONT A MARC DE RYE. — ELLE PASSE A LA MAISON DE POITIERS. — ROUGEMONT PRIS ET INCENDIÉ PAR TREMBLECOURT. En 1525, les chevaliers de Saint-George se trouvant réunis à Rougemont apprirent que des bandes de huguenots rava- geaient les environs. Ils assemblèrent aussitôt leurs vassaux à Rougemont et défirent les huguenots dans un combat qui fut livré près de Montbozon. Nous avons vu qu’en 1406 Humbert de Rougemont, l’au- teur de la charte des franchises, vendit à Louis de Chalon une partie de la terre de Rougemont. Nous avons vu ensuite que Thiébaud de Rougemont, dernier mâle de la famille et fondateur du couvent des Cordeliers, n’avait eu de son épouse, Gauthière de Saux, que deux filles, Catherine et Marie. Catherine de Rougemont, dame de Trichâtel, épouse en premières noces de Ch. de Mello, mort sans postérité, et en secondes noces de Jean de Neufchâtel, testa au château de Saint-Aubin le 22 septembre 1499. Elle ordonna que son corps füt transporté en l’église des Cordelières de Besancon où l'on ferait un service solennel pour le repos de son âme ; que de là il serait conduit à Rougemont pour y être inhumé dans le monastère des Cordeliers, auprès de celui de Thiébaud, son père. Elle donna à son mari la jouissance de la seigneurie de Rougemont et institua Marie de Rougemont, sa sœur, pour héritière. Marie de Rougemont, qui était femme de Bernard de Cha- lon, ayant hérité de sa sœur, alors que déjà elle était veuve, — 241 — la terre et la baronnie de Rougemont passèrent entièrement dans la puissante famille de Chalon. C'est ainsi que le 17 octobre 1541 (1), René de Chalon, prince d'Orange, comte de Nassau, était baron et seigneur de Rou- gemont, comme neveu et héritier de Philibert de Chalon, prince d'Orange. La seigneurie de Rougemont lui apparte- nait avec ses dépendances en toute justice et juridiction haute, moyenne et basse, etc., sauf toutefois la souveraineté de l'em- pereur duc et comte de Bourgogne. Les villages de Dampierre, Thiéfrans, Corcelle, Montagney, Tressandans, Chassey, Montferney, Chazelot et Gouhelans ressortissaient alors de la baronnie de Rougemont (2). Les habitants de ces villages étaient tenus de faire guet et garde au château et de contribuer à tous menus emparements. Le seigneur avait droit de nommer ou destituer tous officiers nécessaires, comme bailli, lieutenant, châtelain, procureur scribe, sergent, maire, prévot, clerc, notaire et tabellion pour recevoir sous son sceau tous contrats et traités. Les baïlli et châtelain avaient pouvoir de connaître de toutes causes tant civiles que criminelles, jusqu’à extermi- nation et exécution de supplices. En cas d'appel de la sen- tence du baïilli de Rougemont, la cause était portée devant le juge ordinaire de l’empereur ou son lieutenant au siége de Montbozon. Déjà à cette époque un marché ordmaire se tenait à Rou- gemont le samedi de chaque semaine. Il s’y tenait également chaque année trois foires publiques auxquelles se trouvaient « marchands étrangers et de lointains pays en grande multi- (1) Date de l'acte de reconnaissance des droits du seigneur. Nous avons déjà eu occasion de ciler plusieurs passages de cet acte impor- tant pour l'histoire de notre bourg. Nous allons en analyser les autres dispositions principales. (2) La seigneurie de Cuse, composée du village de ce nom et de ceux de Gondenans-Moulins, Nans et Adrisans, était un fief de Rougemont. (Perrecior, Descrip. hist. du doyenné de Rougemoni.) 16 — 242 — tude, » à savoir la première ke jour de saint Pierre-en-Chaire, l'autre au jour de fête saint Jacques et saint Christophe, et la troisième au jour de fête saint Luc évangéliste,” A l'occasion de ces marchés et foires, le seigneur exerçait par ses fermiers des droits sur toutes les ventes de denrées et marchandises. Les droits de vente étaient exigés de tous marchands, sauf des habitants de Rougemont qui préten- daient ne les devoir que pour les étaux et éminages. Les droits de vente se prenaient ainsi : sur chaque quarte de blé ou autre graine une coupe, dont les 24 faisaient la quarte et les 24 quartes le bichot. De tous venants aux marchés et foires le seigneur exigeait trois engroignes (1) tournoises, comme de tous ceux qui ven- daient une pièce de bétail grosse ou petite, excepté des habi- tants de Rougemont. Outre la taille annuelle de cent livres stipulée payable au seigneur dans l'acte d’affranchissement, chaque habitant de Rougemont devait encore payer au seigneur tous les trois ans une autre taille de pareille somme. Un des droits seigneuriaux les plus vexatoires pour les ha- bitants de Rougemont était le droit appelé Banvin, en vertu duquel il n'était permis à personne (?)}, pendant douze se- maines, à compter du jour de Pâques, de vendre du vin en gros ou en détail, sans le consentement exprès du seigneur, sous peine de soixante sols estevenants d'amende. Si quelqu'un voulait vendre en gros un tonneau de vin, l'officier du seigneur pouvait avoir ce vin en payant comptant le prix convenu dans le marché. On ne pouvait vendre vin ou blé, soit en gros soit en détail, à d’autres mesures qu’à celles de Rougemont, sans licence et permission du seigneur, à peine de soixante sols estevenants d'amende. Il fallait aussi que les mesures fussent marquées et taillées par le seigneur ou ses officiers. (1) Pièces de menue monnaie. (2) Le seigneur excepté. — 943 — Tout habitant ayant eu « beste trahante » à la charrue pendant l’année, devait labourer trois journaux pour le sei- gneur ou payer, au choix de celui-ci, 5 sols estevenants le jour de fête saint Martin. Chacun était tenu de payer annuellement au seigneur 18 deniers pour droit de bourgeoisie. Les habitants de Rougemont devaient faire guet et garde aux portes de leur ville, comme les habitants des autres vil- lages de la seigneurie devaient le faire au château. Quand le seigneur l’ordonnait, les habitants de Rougemont étaient tenus de faire vue et montre d'armes, à peine de 3 sols estevenants d'amende. Ils devaient aussi fournir bâtons de guerre, armes et habits de diverses couleurs. Le seigneur avait droit de loignerie; c'est-à-dire que les habitants de Rougemont étaient obligés d'amener au château- fort tout le bois de chauffage nécessaire, à prendre dans les coupes des forêts seigneuriales. Le droit de chasse était réservé au seigneur. Chaque infrac- tion était punie d'une amende de 6 sols. Le seigneur avait droit aux épaves selon la coutume géné- rale du comté. Il avait la dime sur les prés, champs et vignes de la Chaux. Les bois de la Vaivre, du Juif, de Montagney, de la Vain- rotte, de la côte Saint-Mauris, de la Gratte, des Longs-Champs et des Ayges, appartenaient au seigneur. Ces deux dernières forêts étaient déjà, en 1541, converties partiellement en terres labourables sur lesquelles le seigneur avait la dime. Les étangs de Bennans, de Boulon ou Famerey et celui de la Mercy-Dieu appartenaient au seigneur. Parmi les prés qui étaient dans son domaine figurait le Grand-Breuil. Pour recueillir les produits de ce pré, les ha- bitants de Rougemont et ceux des autres villages de la sei- gneurie ayant feu et terres, étaient tenus chacun de faire corvée d'un jour entier chaque année sans auire salure que la nourriture, Une corvée semblable avais lieu pour ia veu- OT — dange. D'autres droits féodaux, tels que celui de pennage, étaient encore réservés au seigneur. Tous ces droils paraissent avoir été reconnus sans opposi- tion à René de Chalon par les habitants de notre bourg et des villages de la seigneurie, aux termes de l'acte du 17 octobre 1541. Quant au moulin batteur et au four banal de Rougemont, au droit de retenue sur les héritages vendus et à l’amende faute de paiement de la taille triennale de 100 livres, les ha- bitants de Rougemont refusèrent formellement d’en faire la reconnaissance. Ils demandèrent terme pour faire leurs re- montrances ; mais on ignore quelle fut la suite de cette affaire. En 1555, Guillaume de Nassau, héritier de la maison de Chalon et possesseur à ce titre de Ja terre de Rougemont, la vendit à Marc de Rye (1). De la maison de Rye, elle passa dans celle de Poitiers, par le mariage de Sabine de Rye, fille de Marc, avec Guillaume de Poitiers, baron de Vadans. En 1595, c’est-à-dire un siècle après les ravages que fit Louis XI dans le comté de Bourgogne, et alors que notre pays se croyait protégé par un pacte de neutralité, voici que, sur l’ordre du roi de France Henri IV, le capitaine Tremble- court fond, à la tête de 5,000 Français et Lorrains, sur la pe- tite place de Jonvelle qui se rend sans coup férir au pouvoir de l’envahisseur. Bientôt Tremblecourt est maître de Jussey, Port-sur-Saône, Faverney, Pesmes et Marnay. Gy et Vesoul succombent ensuite, après une brave mais inutile résistance. Montbozon et Villersexel subissent le même sort. Partout les populations épouvantées s'enfuient devant cet ennemi cruel (1) Le 30 décembre 1585, par autorité du Parlement de Dole, la sei- gneurie de Rougemont, consistant en château, tours, prisons, rem- parts, ponts-levis, vergers, prés, vignes, usines, moulins, corvées, bois, etc., fut vendue sur saisie; mais la maison de Rye, dépossédée par le fait de cette vente, rentra peu de temps après dans tous ses droits. MOUSE qui signale son passage par le meurtre, le vol, la violence et l'incendie. Quelques jours avant le dimanche de la Passion de cette même année 4595, le 12 mars, Tremblecourt s'empare de Rougemont et le livre aux flammes. Les sinistres lueurs de l'incendie portent au loin l'alarme. Mais un détachement de l'armée de Tremblecourt essuya le lendemain, pendant la nuit, un échec fameux sous les faibles murailles de la ville de Baume (!), et peu de jours après le connétable de Castille, qui était accouru avec une armée de 20,000 hommes, délivra complétement le pays de ses envahisseurs. IX DIX-SEPTIÈME SIÈCLE. — INVASION DES SUÉDOIS. -— PESTE, — LOUIS XIV. —* LA TERRE ET LA BARONNIE DE ROUGEMONT PAS- SENT DE LA MAISON DE POITIERS A CELLE DES LABAUME-MONT- REVEL. Le sous-sol et les murs des plus anciennes maisons de Rou gemont ont conservé les traces des incendies successifs que les guerres ont allumés dans ce malheureux bourg. Il s'était rétabli après sa destruction par Fremblecourt et commençait à jouir, au début du xvu* siècle, d’une prospérité nouvelle. On voit, parles registres de la paroisse de Rougemont, que cette localité comptait alors un grand nombre de familles nobles. Ainsi on y trouve, dès l’an 1600, Philibert Chaillet et Marguerite de Raincourt, son épouse ; Étiennette de Tho- massin, Pierre Maublan, Jean Recy, Achille de Précipiano et Jeanne de Montrichard, son épouse ; Guillemette de Man- dre, veuve d' Ambroise de Précipiano; Louis de Bréville, Claude Outhenin, capitaine au château de Chariez, et Jeanne- (1) La ville de Baume célèbre encore le lendemain de Pâques la fête de sa délivrance. — 246 — Claude de la Ronchère, dite de Bians, son épouse; Simon Dorothée de Bréville et Bénigne d'Aubonne, son épouse; Claudine de Vesoul; Charles de Montagu; Antide de Mon- tagu et Elisabelh de Précipiano, son épouse; Claude-Fran- çcois de Joutfroy d'Uzelle ; etc. (1), En 1630, le revenu de la seigneurie de Rougemont était de 2,000 francs (). Rougemont fut totalement incendié le 12 mars 1632 (3). Une lettre d'habitantaige du 8 février 1636, délivrée à un chirurgien appelé Servois Guillegoz, fait voir qu'à cette époque on n'acquérait ce droit d'habitantaige, à Rougemont, qu'en payant aux échevins la somme de 60 francs, en mon- aie de Bourgogne (4) La guerre de dix ans, ce nouveau fléau qui s'abattit sur notre province, n'épargna pas notre bourg qui avait encore alors une garnison. Les Francais s'étant emparés de Lure au mois de juin 1636, les garnisons de Vesoul, de Luxeuil, de Clerval, de Rouge- mont, renforcées de quelques troupes fournies par les châ- teaux voisins et d’un petit corps de milices aux ordres du marquis de Saint-Martin, marchèrent contre la ville de Lure ayant à leur tête le colonel Gigouley et le baron de Bonvaux. Cette place, son château et un fort tout récemment construit par le duc de Weymar furent rapidement emportés ; mais à peine établies dans Lure, les troupes franc-comtoises furent obligées d'en sortir, chassées à leur tour par des troupes fran- çaises ct suédoises qu'avait réunies à la hâte un sieur de Mé- dany qui commandait pour le roi Louis XIII le comté de Montbéliard (5). Rougemont partagea le sort d'un grand nombre d’autres places. On sait en effet qu’alors toutes les (1) Almanach historique de la Franche-Comté pour 1786, p, 322. (@) Archives du Doubs. (3) Almanach de 1786. (4) Archives municipales. (5) Annuaire de la Haute-Saône, 1842, p. 196 — 247 — villes du comté, à l'exception de Besancon, Dole, Salins et Gray, furent pillées et brûlées, que toute la c:mpagne fut ravagée et incendiée, et qu'en outre la famine et la peste dé- cimèrent les populations. Girardot de Beauchemin, qui fut inteudant général de l’armée comtoise et un des principaux acteurs de la lutte avant d'en devenir l'historien, dit, en par- lant de deux localités voisines de notre bourg (1): « C'estoit chose triste de veoir la désolation de toute notre campagne, que le passage des Allemands et la peste avoit dé- solée. C'estoit emmy le mois de juin, que toutes les campa- ones estoient universellement pleines de bled prest à mois- sonner, et les villages tellement vuides d'hommes que l'herbe estoit creue par loutes les rues. Je pris des vivres à Viller- sexel, où la peste estoit cruellement eschauffée (2. » Il résulte de l'examen que nous avons fait du registre des décès de la paroisse de Rougemont, que la mortalité y a été fort grande en 1637. On n’y remarque pas moins de 624 dé- cès, chiffre considérable, si on le compare à la moyenne an- nuelle des décès de cette paroisse pour les années antérieures et suivantes (1). C’est en avril et mai que la peste fit alors le plus de ravages à Rougemont (1). (1) Soye et Villersexel. (2) Guerre de Dix ans, p. 170. (3) En 1631, où il y eut cependant une apparition de la peste (PErRoN, Annales des épitémies en Franche-Comté, dans les Mémoires de la So- ciélé d'Emvulation du Doubs, 1861, p. 393), le nombre des décès n’est querder +7... rte ie ET ce Se Co bp verrann al en 1632 11 est de... ss FÉLCE PC CS CO TO ASS … 26 NE auto ontarien onde er is JE ONMOBE Aer. ete AAA DEETE DIU Emi nee Mdesiae Peche Su os enti03n 2: RS ali nt sé nr DeRtrse ur St 140 DAMES NE PET see M te en te RECCSROE 60) CMLO ee ae memes ele es as RE ER EE RENE MÉBRLE 624 PL LB pire HE ANR EVA TA LE AE Uno RARE 53 EDGE SAME scene PIVOT IDE el reed Mrs et MA Moyenne de l’époque, environ.:....,..,..,.............ss.ssue 40 (4) C'est à cette époque que les chevaliers de Saint-George cessèrent de se réunir à Rougemont. — 218 — Cette même année.1637, un régiment de Polonais fit à Rougemont un ravage affreux. Jeanne Poignet, veuve de Pierre Lidoine, pour éviter la fureur des soldats, se retira le 13 juillet au cimetière, où elle fut trouvée morte le 28, après avoir vécu de sa propre chair, dont il ne lui restait plus rien sur les os (1). A l'époque où Louis XIV fit la conquête de notre province, le château de Rougemont n'était plus qu’une ombre de for- teresse. On n'y pouvait plus tenir garnison. Le mur d’'en- ceinte du bourg, comme celui de la citadelle, était tellement endommagé et insuffisant, que l'on ne paraît pas même avoir songé à faire de cette place un point de résistance. Il n’y a donc eu aucune attaque de Rougemont par les troupes de Louis XIV, ni dans la première conquête, ni dans la seconde. En 1689, la terre et la baronnie de Rougemont passèrent de la maison de Poitiers dans celle des Labaume-Montrevel, par le mariage de Charles-Antoine de Labaume, marquis de Saint-Martin, baron de Pesmes, Montmartin et Caromb, avec Marie-Françoise de Poitiers, dame de Rougemont, qui recut en dot de son père Ferdinand-Francois, comte de Poi- tiers, la terre de Rougemont. X DIX-HUITIÈME SIÈCLE. — ÉPOQUE ANTÉRIEURE A LA RÉVOLUTION. — ADMINISTRATION MUNICIPALE. — LE MARQUIS DE LABAUME- MONTREVEL VEND LA TERRE DE ROUGEMONT A M. VORGET. Depuis la conquête définitive de la Franche-Comté par Louis XIV jusqu'à l'époque de la DO l'histoire de Rougemont offre peu d'intérêt. La commune était administrée par deux échevins et un (1) Almanach de 1786, p. 322 — 249 — conseil communal, composé primitivement de tous les habi- tants bourgeois et résidants, qui s'assemblaient sur la place publique, au son de la cloche, pour délibérer. Pour la nomi- nation des deux échevins une première élection avait lieu à Rougemont. Les deux élus devaient ensuite obtenir un juge- ment au baillage royal de Vesoul, en vertu duquel ils fai- saient procéder, sans voter eux-mêmes, à une nouvelle élec- tion par les habitants. Les délibérations étaient reçues, sous la forme des actes authentiques, par le notaire royal du lieu, tabellion de la baronnie. Comme tabellion de la baronnie, le notaire de Rougemont recut, le 16 novembre 1736, un acte d'acensement du moulin de Rougemont, fait par haut et puissant seigneur messire Fer- dinand-Francois de Labaume-Montrevel, seigneur et baron de Pesmes, Caromb, Rougemont et autres lieux, pour le prix annuel de 200 mesures de froment, un cochon gras ou {2 livres d'argent, 20 livres d'œuvre et six chapons gras. On lit dans cet acte que les censitaires, obligés d'entretenir et réparer l'usine, pourront prendre dans la forêt de la Vaivre, apparte- nant au seigneur, tous les bois qu’il y à fait marquer pour les réparations dudit moulin, et toutes les pierres et le sable nécessaire dans l’ancien château du seigneur, à charge de ne point toucher aux tours dudit château. A cette époque, les affaires communales de Rougemont étaient dans un assez mauvais état, ce qui tenait, paraît-il, à un vice de l’organisation administrative d'alors. Ce ne fut qu’à partir du 4 novembre 1738, qu’un véritable conseil municipal fut établi à Rougemont, et voici dans quelle curi2use circonstance. Ledit jour, 4 novembre 1738, les bourgeois, habitants et résidants, formant le corps de la communauté de Rougemont, s'assemblèrent sur la place publique, au son de la cloche, à la manière accoutumée, pour délibérer sur les expédients les plus convenables au règlement et à l’économat de leurs affaires communes. [1 est exposé dans le préambule de la L — 950 — délibération que les affaires de la commune sont dans un désordre épouvantable; que les immeubles patrimoniaux sont entièrement abandonnés; que les procès nombreux qui sont nés à cette occasion restent sans poursuites, ou plutôt que la commune les perd par défaut de justifications et d’éclaircisse- ments, et parce que personne ne veut s’en mêler. La com- mune est d’ailleurs accabléc par les amendes auxquelles elle est contrainte, faute d'exécuter. dans les délais prescrits les ordres du roi et ceux de l'intendant. L'on continue tous les jours d’usurper impunément les communaux. Les titres de la commune sont dispersés entre les mains d’un grand nombre d'habitants, qui ne veulent pas s’en dessaisir ; enfin tous les particuliers indifféremment touchent et perçoivent, sans charges ni commission, les revenus patrimoniaux et n'en rendent jamais aucun compte. Il est reconnu que ce désordre, auquel on a vraiment peine à croire aujourd'hui, n’est causé que par l'impossibilité d'assembler les habitants, en raison de leur grand nombre. Que si quelques-uns s'assemblent , ajoute encore naïvement le préambule, ils ne s'entretiennent que d’affaires étrangères et particulières et ne se séparent qu'après s'être beaucoup invectivés, sans avoir pris aucune résolution. Enfin, il est dit que les plus prudents et les plus expérimentés ne se trouvent jamais aux assemblées. Pour remédier à un sitriste état de choses, on prend la délibéra- tion suivante : s 11 sera nommé dans la suite et de 6 ans en 6 ans sept particuliers de la communauté, qui formeront', avec les deux échevins en exercice, une espèce de conseil qui régira et ad- ministrera. Ils choisiront entre eux au jour saint Sylvestre de chaque année le chef du conseil, chez lequel ils s'assem- bleront pour délibérer. Ils assisteront à la messe paroissiale de chaque premier jour de l'an, à la fin de laquelle le chef, .au nom de lous, prêtera serment à haute voix, en face du très Saint-Sacrement de l'autel, qui sera tenu à cet effet exposé par le sieur curé, de fidèlement et en conscience régir — 251 — les affaires de la communauté et d'en rendre bon et fidèle compte, à la fin de leur administration. Les suppôts du con- seil choisiront entre eux un receveur qui aura le sol pour livre de ses recettes et qui, comme les échevins, rendra ses comptes au conseil, à la fin de chaque année. Il sera construit au joignant de l’église une chambre voütée où les archives de la communauté seront remises et inventoriées (1). Celte chambre fermera à trois clés qui seront tenues l’une par le chef du conseil, la seconde par le receveur et la troisième par l'un des échevins. Le conseil administrera comme tous les autres conseils établis dans la province. Ceux qui feront voyages pour la communauté recevront 3 livres par jour, les 30 sols que l’on donne ordinairement n'étant pas suffisants pour subsister en campagne (2. » Cette importante délibération, reçue par Projean, notaire royal à Montbozon, a été approuvée par l’intendant de la pro- vince le 1! décembre de la mème année 1738. La nouvelle administration fit preuve d'activité et d'énergie. Les avantages qu'elie procurait aux habitants de notre bourg y attirèrent un certain nombre de nouvelles familles. Mais plusieurs de ces personnes étrangères s'étant signalées par leur mauvaise conduite, le conseil et les échevins durent prendre à leur égard des mesures rigoureuses. Le 15 avril 4741, pour remédier aux abus et aux désordres introduits (1) Rougemont n'avait pas alors de maison commune. () Les sept membres ou suppôts de ce premier conseil électif de Rougemont furent : 1° J.-B. CLERGET, avocat ; 2 Jean-Claude THouveniN, juge châtelain; 3° Ignace-François BRiIsEuUx ; 4 Jean-François GuERRIN ; 5° Alexandre-François GRIMONT ; 6° François Tomas; et7° Desle Prévorer, qui ont été jugés les plus capables et les plus expérimentés de la commune. Nicolas Vincent et Claude-François Tour- noux étaient alors échevins. — J.-B. Clerget fut nommé chef du con- seil et Briseux receveur. — 252 — depuis plusieurs années par le fait de ces personnes étran- gères qui commettaient journellement des délits dans les bois, des dégâts dans les héritages et des vols dans les maisons, qui débauchaient la jeunesse, et qui, après avoir profité des communaux, abandonnaient fortuitement le lieu sans payer leurs cotes-parts de l'imposition royale, ce qui retombait tou- jours sur les autres habitants, le conseil et les échevins déci- dèrent qu'à l’avenir aucune personne ne serait reçue pour habitant ou résidant dans le bourg de Rougemont, sans une attestation régulière des magistrats et curé du lieu d'où elle serait venue, constatant qu'elle est de la religion catholique, de bonne vie et mœurs, exempte de toutes notes d'infamie et recherches criminelles de justice. La même décision fut dé- clarée applicable à ceux qui n'avaient pas encore cinq ans de résidence, sous peine de 20 livres d'amende au profit de la. fabrique et d’être chassés du bourg comme vagabonds et gens sans aveu. Il fut enjoint aux propriétaires de maisons de ne recevoir chez eux aucun étranger pour y résider, sans une permission des échevins et du conseil. En cas d'infraction, ils étaient passibles de la même amende de 20 livres, et ils demeuraient responsables de tous vols, délits et dégâts com- mis par leurs locataires et de tous impôts non payés. Un arpentement général du territoire de Rougemont, com- mencé en juin 1749 et terminé en février 1755, corstate que le marquis de Labaume-Montrevel, dernier seigneur de Rou- gemont, y possédait à cette époque, sans parler de ses châ- teaux et autres bâtiments, 63 champs, 163 prés, 9 vignes, 2 vergers et ! jardin, le tout estimé 30,486 livres 7 sols. Peu de temps après, le marquis de Labaume vendit sa terre de Rougemont et tous les droits seigneuriaux qui en dépendaient à noble Francçois-Joseph Vorget (1), Celui-ci, en sa qualité d’acquéreur des droits seigneuriaux, (1) Il était seigneur en moyenne et basse justice el en directe dans la baronnie. (Minutes du notaire de Rougemont). ent: vet se trouva engagé dans plusieurs procès contre la commune de Rougemont, devant la chambre souveraine des eaux et iorèis du parlement de Besancon et devant le baillage royal de Vesoul. Au mois de novembre 178f, il eut l'heureuse inspiration de proposer à la commune que toutes ces difi- cultés fussent soumises à un arbitrage amiable. La commune accepta l'arbitrage proposé et la transaction fut signée le 3 dé- cembre de la même année, ce qui valut peut-être à M. Vorget de n'être inquiété plus tard ni dans sa personne ni dans ses biens. Il était encore d'usage à cette époque relativement peu éloignée de sonner les cloches dans les temps d'orage, ainsi que dans ceux où il y avait danger de gelée. On lit en effet cette clause singulière dans un marché authentique fait par la commune de Rougemont avec le sonneur, le 31 décembre 1782 : « Article 6. Lorsque le temps menacera d’orvales (1), l'entrepreneur sera tenu de sonner toutes les cloches au troi- sième coup de tonnerre, au plus tard (). » Veut-on savoir quelle position la commune de Rougemont faisait à son instituteur et à son institutrice? Un engagement passé le 28 septembre 1783 entre la commune et le nommé Party, comme recteur d'école, porte que son traitement sera de 300 livres; qu'il devra enseigner la lecture, l'écriture, l’arithmétique et le chant; et qu’il lui sera payé 5 sous par mois par Chaque écolier apprenant à lire seulement, 5 sous par celui qui apprendra aüssi à écrire, 7 sous par celui qui apprendra en outre le chiffre et le chant. Enfin le recteur recevra 10 sous des futurs mariés. Quant à l’institutrice, si elle avait comme le recteur droit de recevoir 3 sous, 5 sous et 7 sous de ses élèves dans les mêmes cas, son traitement (1) Par ce mot, qui appartient au dialecte de notre province, on dé- signe tous les accidents qui détruisentsubitement les récoltes, tels que grandes pluies, grêles, ouragans, gelées. (2) Minutes du notaire de Rougemont. — 254 — n'était fixé. qu'à 100 livres; et encore aux termes d’un enga- gement portant la date du 21 novembre 1784, elle était obli- gée de fournir le local et le chauffage (1). XI ÉGLISE ET DÉCANAT DE ROUGEMONT. À une époque très reculée, mais qu'on ne saurait préciser, l’église mère de Rougemont, ecclesia matrix, était en dehors des murs du bourg, à Rougemontot, Dans cette église, sous le titre de la très Sainte-Trinité, il y avait trois chapelles, dont l’une, celle de Notre-Dame, était à la collation de l’ordinaire diocésain. L'église du château était paroissiale aussi, mais, desservie seulement par les chapelains du seigneur; elle n’était fré- quentée dans l’origine que par les ministériels habitant le bourg et par les gens du château. On l'appelait l'église du Crotot, lieudit affecté à l'emplacement sur lequel elle est con- struite. C’est dans cette église que se trouvait la chapelle des chevaliers de Saint-George, fondée par Philibert de Molans. Lorsque les Cordeliers eurent bâti leur chapelle, les cheva- liers de Saint-George y transférèrent (2) leurs écussons et s’y réunirent pour vaquer à leurs exercices pieux. La nef était tapissée de leurs blasons et pavée de leurs tombes « comme s’ils eussent voulu réunir en ce lieu les emblèmes de la va- nité humaine au témoignage de son néant. » Ce fut sans doute à cette époque que l’église de Rougemon- tot, tombant en ruine, fut abandonnée, ainsi que le cimetière (1) Minutes du notaire de Rougemont. Un autre marché fait en 1786 avec une sage-femme, porte que son traitement annuel sera de 30 livres. (Même dépôt.) (2) Le fait de cette translation est postérieur à 1541 — 255 — qui l’entourait, et que l’église du Crotot devint, ensuite d’une concession du seigneur, l'église paroissiale de Rougemont ; on iuhuma sur son poürtour jusqu'au commencement de notre siècle. « Ecclesia matrix, lit-on en effet dans le pouillé du P. An- dré, est extra oppidum et dicitur ecclesia de Rougemonto, est- que sub titulo sanctissimæ Trinitatis, solumque nunc habet ad- junctum cæmelerium in quo adhuc parochiani sepeliri solent, et in ea jam non fiunt divina (1)... » Jam dudum altera ecclesia in clivio seu monticulo ad cas- trum oppidi condita est, quæ ideo dicitur ecclesia du Crotot, sive ecclesia communilatis familiarium, el hæc abiit in parochia- lem in qua divina fiunt et sacramenta ministrari solent. » Le sanctuaire de l’église du Crotot était autrefois où est l'entrée actuelle, et réciproquement l'entrée où se trouve actuellement le sanctuaire. On y parvenait soit en tournant l'édifice et en passant sur le cimetière, soit en montant une rampe de pierre qui amenait au seuil de l’église depuis le milieu de la Grande-Côte. L'église du Crotot, aujourd hui église paroissiale de Rou- gemont, a toujours été sous, le vocable de la Nativité de Notre- Dame. Elle fut longtemps à la nomination alternative de l'abbé de Saint-Vincent et du prieur de Mouthier-Haute- Pierre. Le 20 novembre 1670, il fut fait, par devant l'official de Besancon, un règlement entre Claude-Francois Thevenin, curé de Rougemont, et les habitants et paroissiens dudit lieu, au sujet des droits constituant le casuel. Ce règlement porte les disposilions suivantes : « Chaque paroissien qui sèmera ou fera semer, sera tenu de donner au curé 2 gerbes de froment chaque année, pour (1) On enterrait encore à Rougemontot; mais on n'y disait plus la messe. Ce cimetière finit aussi par être abandonné, avant de redevenir le cimetière actuel. le droit de paroissiage et pour la passion que le curé sera tenu de dire depuis l'une des fêtes de Sainte-Croix à l’autre. » Le curé sera tenu de célébrer une messe pour les femmes accouchées qui feront leurs relevailles, et il lui sera payé pour rétribution 6 gros, avec l’offerte d’un pain de la valeur de 4 blancs. » Le curé aura 6 gros pour les fiançailles qui se feront sur le lieu, et il sera appelé au paste quand il s’en fera. » Pour le droit d'épousailles, il recevra des riches 4 francs, 3 francs des médiocres et 18 gros des pauvres. Pour les céré- monies du mariage, il aura aussi 3 pastes des riches et des médiocres. À cette occasion, le curé sera tenu de dire deux messes, l’une le jour des noces, avec vigiles le soir, et l’autre le lendemain. Pour la messe à haute voix, il recevra une ré- tribution de 9 gros, 6 gros pour celles à voix basse, et 4 gros pour les vigiles, outre l'offerte d’un pain et de deux pintes de vin. » Pour le droit mortuaire, il lui sera payé par les riches, chefs d'hôtel, 4 francs, 3 francs par les médiocres et 18 gros par les pauvres. Pour les non-chefs d'hôtel, au-dessus de l’âge de 14 ans, il lui sera payé 3 francs par les riches, 40 sols par les médiocres et 20 sols par les pauvres. » Les héritiers des défunts chefs d'hôtel, riches et médio- cres, seront tenus de faire dire trois messes hautes ou basses avec les vigiles. Pour chacune de ces messes dites à haute voix, le curé recevra une rétribution de 9 gros et de 6 gros pour les autres. Pour les non-chefs d'hôtel décédés au-dessus de l’âge de 14 ans, riches et médiocres, il sera célébré deux messes hautes ou basses avec une vigile, rétribuées comme il est dit ci-dessus... Le luminaire sera fourni par les héri- tiers des défunts chefs d'hôtel. Il ne pourra être moindre de 4 cierges, 2 sur l'autel et 2 proche le corps, restant au profit du curé après l'office achevé. Les héritiers seront obligés de mettre un suaire sur le corps en valeur de 40 sols pour les riches et médiocres chefs d'hôtel et pour les autres au-dessus — 257 — de 14 ans de 20 sols, et pour les autres au-dessous dudit âge de 9 gros. » Pendant l’année du deuil, les héritiers des chefs d'hôtel riches et médiocres seront tenus d'offrir chaque dimanche une miche de pain telle qu’ils la font pour leur usage ou bien 4 gros, au choix du curé. Les héritiers desdits chefs d'hôtel seront tenus de faire célébrer à l'annuelle une messe et une vigile à la rétribution fixée ci-dessus. » Les échevins de Rougemont seront tenus de faire et de remettre chaque année au curé un rôle contenant chaque famille ou ménage composé de deux chefs d'hôtel, savoir l'homme et la femme, et à leur défaut les deux plus anciens de la famille, et les noms des habitants et paroissiens divisés en trois classes, riches, médiocres et pauvres, de telle sorte qu'il y en ait autant des uns que des autres. » Ce règlement a été observé avec régularité jusqu’en 1734. À cette époque, un certain nombre de paroissiens n'ayant pas voulu acquitter leurs obligations, Antoine Paillot, alors curé de Rougemont, adressa une requête aux membres du présidial de Vesoul, à l’effet d'obtenir l'autorisation d'exécuter le règlement et en conséquence de faire saisir les particuliers redevables. Cette requête fut répondue par une ordonnance du 22 mars 1734, permettant les saisies requises (1). Avant la Révolution, le diocèse de Besancon était divisé en {5 parties appelées décanats ou doyennés, parce qu'elles étaient sous l'inspection d'autant d’archiprêtres nommés doyens ruraux et plus anciennement decani christianttatis, chargés de distribuer les saintes huiles et les mandements du prélat, porter et intimer ses ordres, chacun dans sa cir- conscription, veiller sur la conduite des ecclésiastiques qui s'y trouvaient, etc. (?). Les doyens assistaient en surplis aux synodes du diocèse. (1) Archives de la Fabrique de Rougemont. (2) Stat. synod., tit. 3, 17 — 258 — Ils devaient informer le synode du nom des curés et autres bénéficiers obligés à résidence et qui ne résidaient pas, de celui des excommuniés qui ne s'étaient pas fait absoudre dans l’année, des hérétiques qui tenaient des assemblées, de ceux dont la foi était suspecte, des curés qui ne montraient pas les talents requis pour leur ministère et des clercs vicieux et in- corrigibles (1), « Rougemont, dit Perreciot, situé à l’angle du nord au cou- chant (c’est-à-dire nord-ouest) du comté de l'Elsgau, était le chef-lieu d’un des trois pagelli ou baronnies qui composaient ce canton. Il est naturel de croire qu'il était le lieu le plus considérable de son pagellus ; il fut le siége de l’archidiacre et du doyen qui y étaient préposés sous le dernier royaume de Bourgogne. » Rougemont était donc le siége d'un des 15 décanats ou doyennés composant le diocèse de Besançon. En 1749, la cure de Rougemont possédait sur le territoire du bourg 7 champs, 15 prés, 4 vignes, un verger, une che- nevière et un jardin au midi de la maison curiale, le tout estimé 3,472 livres 7 sols, dans le livre d’arpentement. Sans parler de la chapelle des chevaliers de Saint-George à la nomination des gouverneurs de la confrérie noble, qui possédait encore à cette époque sur Rougemont 2 champs, 3 prés et une vigne, le tout estimé 339 livres 10 sols 3 de- niers, il y avait dans l'église de Rougemont plusieurs cha- pelles : celles de Notre-Dame, de Saint-Jean et de Saint-Ni- colas étaient à la nomination du seigneur. La chapelle de saint Nicolas possédait un champ et un pré. Les autres chapelles, qui possédaient toutes quelques immeubles, étaient : la chapelle Saint-Michel, la chapelle Sainte-Catherine et la chapelle du Saint-Nom de Jésus fondée par le curé Billot (2). (1) Pouillé de l'Eglise de Besançon. (2) Acte de prise de possession de cette chapelle à la date du 5 mars AA — 259 — Un procès-verbal de visite faite à l’église paroissiale de Rougemont, le 1% mai 1778, constate ainsi son état à cette époque : « Elle est composée d’un vestibule en forme de rond-point, d’un porche ensuite, sur lequel est posé le clocher, d'une seule nef à l'extrémité de laquelle est le sanctuaire, de quatre cha- pelles collatérales, dont deux de chaque côté, et d’une sacristie sur la droite et tenant au sanctuaire. Elle est orientée du nord au sud. « Le vestibule nous a paru avoir formé dans l’origine le chevet de l'église dont l'entrée a été changée. Le tout semble avoir été construit à des époques différentes. Cette église, dont la plus grande partie est de construction assez récente, se trouve déjà dans un état de dépérissement inquiétant. » Le procès-verbal dit qu’il n'y a aucun moyen de parer com- plétement à la ruine prochaine .de l'édifice. « Cette église, ajoute le même document, est d'ailleurs de moitié trop petite pour contenir les paroissiens. Il faut se borner à faire des réparations légères et indispensables, en attendant qu'on ait avisé aux moyens d’une reconstruction totale dans nn empla- cement plus avantageux. » Les archives municipales de Rougemont, à la date des années suivantes, contiennent plusieurs délibérations rela- tives au projet que l’on avait conçu de bâtir une nouvelle église dans la partie inférieure du bourg, au milieu même de la place publique. De magnifiques plans furent faits et approuvés. On commença même les travaux, qui furent in- terrompus par la Révolution et finalement abandonnés. L'église, commencée sur la place publique de Rougemont sous la direction de l'architecte Amodru, n’a pu être élevée qu'à trois mètres au-dessus du rez-de-chaussées L'entrepre- neur se ruina et prit la fuite. Les fonds destinés à la con- 1786. (Titre curieux qui se trouve dans les minutes du notaire de Roue gemont.) — 260 — struction furent absorbés par diverses réquisitions et dé- penses extraordinaires. Le 10 thermidor an XII, après Le réta- blissement du culte dans notre bourg, la municipalité déclara qu’elle était absolument sans ressources; qu'elle ne pouvait achever l'édifice commencé, et qu'il y avait nécessité de con- tinuer les offices dans l’ancienne église. On n'y fit alors que des réparations indispensables. Le ci- metière qui l’environnait étant devenu insuffisant, on le transféra sur la hauteur de Rougemontot, au lieu même où il avait été autrefois ainsi que l’église paroissiale de la très Sainte-Trinité. Un document administratif de ce temps-là dit en effet : « Il existe -un terrain en contenance d'environ ? décares, 4 ares, où élait anciennement bâtie une église avec cimetière au joignant, qui est situé au-dessus de l’autre colline, au pied et dans la rampe de laquelle est hâtie la partie de Rougemont dite Rougemontot, et est au septentrion, appartenant à la commune. Il pourrait être employé en supplément au cime- tière qui environne l'église de Rougemont, ou servir unique- ment aux inhumations ayant une étendue suffisante (1). Lorsque le cimetière fut rétabli en cet endroit, on con- struisit au centre du champ funèbre, avec autant de parci- monie que peu de goût, la petite église qui y existe dans un état assez pitoyable de dégradation. Sous le règne de Louis-Philippe, il devint urgent de re- construire l’église de Rougemont qui tombait en ruines. Mais comme on venait de dépenser des sommes importantes pour bâtir une maison commune monumentale, de vastes halles, un grand lavoir couvert, un abattoir et plusieurs fontaines, on ne fit encore cette fois que restaurer et agrandir l'ancienne église du Crotot. On ne put conserver dans cette reconstruc- tion que la partie la plus ancienne de l'édifice primitif qui offrait encore quelque solidité. La partie conservée de l’an- (1) Archives municipales. = AG = cienne église, c’est l'entrée actuelle qui en formait autrefois le sanctuaire. Ce fragment d'architecture du moyen âge, que le clocher surmonte, contraste d'une manière peu agréable avec le reste de l'édifice, qui ne se distingue par rien des con- structions les plus vulgaires. Ce qu'il y a sans contredit de plus précieux dans l’église de Rougemont, c'est un christ en argent très ancien qui fut, dit-on, un présent de l'archevêque Thiébaud. La croix, qui est du xv° siècle, est fort belle. Elle était ornée de pierres précieuses qui ont disparu avec le temps et qui ont été rem- placées par d'autres sans éclat et sans valeur. Le christ est beaucoup plus ancien que la croix. F On voit encore à l’église de Rougemont, dans la nef de gauche, derrière la chaire, un grand tableau de la Vierge au rosaire et au scapulaire, provenant du couvent des Cordeliers. Cette toile, fraîchement restaurée, date de plusieurs siècles. On la regarde comme une bonne copie d’un tableau de maître. L'église de Rougemont possède enfin de la même provenance un bon portrait de saint Vincent de Paul et quelques autres petites toiles et statues de valeur très médiocre. XII FIN DU DIX-HUITIÈME SIÈCLE ET RÉVOLUTION. Les premières années de la Révolution se passèrent assez paisiblement dans notre bourg. L’abolition de ce qui restait des droits seigneuriaux y fut reçue par M. Vorgct et par le peuple comme une nouvelle ordinaire. On ne comprit pas d'abord toute l'importance de cette mesure qui a en quelque sorte changé la face du pays. L'expulsion des Cordeliers en exécution des décrets de l'Assemblée jeta quelque émoi dans la population. Il existait alors à Rougemont, ainsi que dans un grand … — 262 — nombre d’autres paroisses, un usage ancien qui consistait à tirer des armes à feu pendant la messe, en l'honneur de la personne qui offrait le cierge et le pain bénit. Cette personne était accompagnée à l’offerte par toutes les filles et femmes qu'elle avait pour amies. Plus le cortége était nombreux et brillant, plus la personne qui faisait l'offerte était censée avoir de considération et de sympathie. Quand il arrivait que les garcons s'abstenaient de tirer des armes à feu au dehors, et que celle qui faisait l'offerte n’était pas escortée d’une longue suite de filles et de femmes, elle était en quelque sorte notée d'infamie. Un certain scandale s'étant produit dans l'église à cette occasion, cet usage fut aboli par l'autorité municipale le 21 janvier 1791. Le dimanche suivant, le curé Billot et le vicaire Bernard prêtèrent serment à la constitution civile du clergé; mais quatre mois après, le 22 mai, le curé Billot fit notifier, par huissier, au procureur de la commune de Rougemont un acte de rétractation ainsi concu : « Je soussigné Léonard-Joseph Billot déclare que lorsque j'ai fait le serment ordonné par l'Assemblée nationale, j'ai crn pouvoir le faire, dans la persuasion que je conservais tou- jours l'unité et la communion avec le chef visible de l'Eglise; mais étant instruit par des brefs du souverain Pontife, qu'il réprouve et condamne ce serment, dans la crainte de ne pou- voir sans crime exercer mes fonctions, je rétracte et désavoue le serment que j'ai fait sur la constitution civile du clergé, en tout ce qu’elle pourrait avoir de contraire à la religion, à ses dogmes et à la puissance spirituelle de l'Eglise, étant néan- moins toujours dans le dessein d'être soumis à cette consti- tution en tout ce que je pourrai faire sans désobéir à la loi de Dieu et de l'Eglise, et n'agissant ainsi ni par opiniâtreté ni par esprit de désobéissance et de révolte, mais par crainte de manquer en quelque chose à ce que je dois à la religion et au Saint-Siége, » | Le 3 septembre suivant, le Département arrêta que les élec- TT — 263 — . teurs de Baume nommeraient un curé à Rougemont, en rem- placement de l'abbé Billot, qui avait rétracté son serment. Claude-Joseph Boilley fut alors nommé curé de Rouge- mont. Le 9 octobre 1791, il prêta, ainsi que Michel Grisey, vicaire, avant la célébration de la messe paroissiale, le ser- ment constitutionnel. Ce serment fut fait en présence du conseil général de la commune, du procureur et des parois- siens assemblés. Nous verrons ce même abbé Boiïlley faire partie, avec la charge de secrétaire, de la société des sans-culottes de Rouge- mont, et obtenir, le 26 floréal an IT, un certificat de la com- mune constatant qu'il s'est toujours montré vrai patriote, zélé républicain et ami des lois; qu'il a toujours déclaré guerre ouverte aux traîtres fédéralistes et modérés; qu’enfin sa conduite politique et privée a toujours témoigné de son amour pour la Révolution (1). L'abbé Boilley ne quitta Rougemont que le 2? thermidor an IT, lorsque son église devint le Temple de la Raison. Après le départ de ce prêtre constitutionnel, Rougemont resta sans curé jusqu'au 17 prairial an XII, presque dix ans. La récolte des vignes avait manqué en 1789, 1790 et 1791. La misère était grande, et la classe pauvre commencait à con- voiter autant le bien-être de la classe moyenne que celle-ci avait pu convoiter auparavant les richesses et les prérogatives de la noblesse et du clergé. On fut obligé, le 3 décembre 1791, par mesure de sûreté publique, de créer à Rougemont une garde nocturne composée de 7 hommes, y compris le chef du poste, ayant mission de veiller, à tour de rôle, dès les cinq heures du soir à six heures du matin, à l'ordre et à la tranquillité. Le 21 mars 1792, la municipalité de Rougemont fut répri- mandée par le Département pour ne s'être pas opposée aux désordres qui avaient eu lieu dans la commune. La munici- (1) Archives municipales. L — pes — palité dressa alors un procès-verbal portant « que les sieurs Pierre-Francois Briseux, ci-devant curé de Pomoy, et Léo- nard Billot, ci-devant curé de Rougemont, tenaient des pro- pos contre la constitution et contre les prêtres assermentés, et qu'ils faisaient leurs efforts pour entrainer les citoyens dans leurs opinions, ce qui avait déjà occasionné des rixes entre les particuliers de la commune. » Le 28 mars, le district décida que ces deux perturbateurs seraient dénoncés à l’accusateur public; mais l'affaire n'eut aucune suite (1). Vers le même temps, le comte de Bressey-Raigecourt émi- gra avec plusieurs autres seigneurs de la contrée. Cette fuite lui coûta la confiscation de son domaine de Rougemont, vendu plus tard comme bien national. Le notaire Roussel, tabellion de l'ancienne baronnie de Rougemont, eut aussi l'idée de s'éloigner, parce qu'il crai- gnaït, dit-on, d'être compromis dans la banqueroute de l'en- trepreneur de l'église. Avant de fermer son étude, il fit donner par huissier une sommation assez étrange aux officiers mu- nicipaux. Il prétendait dans cet acte les rendre responsables non seulement de ses propriétés rurales, mais encore de sa femme, de ses filles, ainsi que des titres et minutes de son étude et de tout le mobilier de sa maison. Le conseil réplique à cette singulière prétention que les propriétés rurales du sieur Roussel sont, comme toutes ses autres propriétés , sous la garde et surveillance de la loi et des autorités établies pour la conservation de tout le territoire de la commune. En ce qui concerne la femme, les filles et les minutes du notaire, le conseil fait observer que le sieur Roussel s'égare considé- rablement et qu'aucun décret n’astreint les officiers munici- paux à la conservation de telles choses, disant : « Les per- sonnes qui demeureront chez le sieur Roussel pendant son absence n'auraient qu'à laisser perdre par leur négligence (1) Sarzav, Persécution révolutionnaire, t. IL, p. 459. TEA — 265 — quelques titres importants, et les officiers municipaux en se- raient responsables : conséquence absurde et qui ne fut ja- mais. » Toutefois, pour parvenir à la conservation requise par le sieur Roussel pour ces derniers objets, le conseil arrête que journellement 12 gardes nationaux, y compris un ser- gent et un caporal, seront établis au domicile du sieur Rous- sel; qu'ils seront payés par lui, savoir : 30 sols par jour pour chaque homme, 40 sols pour le caporal et 3 livres pour le sergent, non compris le bois et la chandelle qu'il sera tenu de fournir. Le conseil somme en même temps ledit Roussel de déclarer le jour même où il veut se retirer et d’avoir à jus- tifier de sa résidence en ce lieu, dans la huitaine. Cette déli- bération assez curieuse date du 19 juin 1792. Elle eut pour effet de déterminer le notaire Roussel à ne pas exécuter son projet de retraite. A côté de cette affaire ridicule, voici un beau trait de gé- nérosité et de patriotisme. M. Duvernet, fils cadet, adjudant général de la légion du district de Baume, prend le 9 sep- tembre 1792, devant le conseil de notre bourg, l'engagement de nourrir et entretenir une jeune fille et un jeune garçon de deux citoyens de Rougemont pendant le temps que ceux-ci seront obligés de quitter leurs foyers pour la défense de la patrie ; et si le sort des armes privait ces enfants de leurs pères, il s'oblige à leur faire apprendre à chacun un métier. Rougemont, à cette époque, n'avait pas de bureau de poste. On n'y apprenait que fort irrégulièrement les graves nouvelles des affaires publiques, qui devenaient de jour en jour plus importantes. Ce ne fut que le 14 septembre 1792 que la com- mune jugea opportun de prendre un abonnement de 3 mois au Moniteur. La délibération prise à ce sujet porte que les numéros seront adressés à Besancon, où le messager les prendra le plus promptement possible ; qu'à leur arrivée la commune sera avertie et qu'on les lira publiquement. Au commencement d'octobre 1793, Ch.-Emmanuel Benoît de Saint-Vandelin, parent de M. Vorget, chez lequel il avait 000. sa résidence, fut arrêté comme suspect. I1 avait possédé le droit de banalité du four de Rougemont, et avait eu pour cela ses gardes et sa justice. Le 8 dudit mois, le conseil de Rougemount décide que ce citoyen sera envoyé à Baume es- corté d’un détachement de la garde nationale et que, comme il n'y a pas à Rougemont de maison d'arrêt, il restera jus- qu'au moment de son départ dans la maison du citoyen J.- B. Orchampt (1). La délibération ajoute qu'il sera fait réqui- sition au commandant, par la voie du maire, pour qu'il ait à donner une bonne et sûre garde composée de vrais citoyens audit Saint-Vandelin, duquel le commandant restera chargé pour en répondre audit conseil et le représenter à première réquisition. Le lendemain on apprend que le nom de Saint-Vandelin est compris dans la liste faite par les corps administratifs de Besancon des gens suspects. Alors le conseil décide que M. de Saint-Vandelin ne sera pas conduit à Baume, mais à Besan- con, au directoire du Département, par le maire escorté de deux gardes nationaux, et que, jusqu’au En il sera gardé à vue. Dans le courant de l’année 1793, les autorités municipales de Rougemont mécontentèrent l'administration supérieure. On les destitua, et l’on nomma à leur plice d'autres magis- trats en leur enjoignant d'accepter la mission qui leur était confiée et de se rendre à leur poste dans les 24 heures, sous peine d’être mis en prison. Le procureur syndic de la commune était souvent en oppo- sition avec le conseil. En effet, plus d’un membre de cette assemblée faisaient partie de réunions secrètes auxquelles, en plein conseil, le procureur syndic donnait le nom pom- peux et à la mode alors d’assemblées liberticides et dange- reuses (?). (1) Où était naguère le bureau de la poste. (2) Délibération du 4 novembre 1793. — 267 — Ce fut le 1°" frimaire an IT de la République que trois clo- ches de la paroisse de Rougemont furent livrées au dépôt de Baume (f). On livra en même temps les ferrements et les bat- tants de ces cloches (?, ainsi que les fers et grillages prove- nant de l'église des Cordeliers (3), Un lot d'argenterie provenant de l'église de Rougemont fut envoyé au même dépôt le 11 décembre 1793 (4). Il s'était formé alors à Rougemont, comme dans beaucoup d'autres localités, une société populaire, ou club des sans-cu- lottes, composée de 107 membres tous citoyens, frères et amis. Le 5 nivôse an IT, les citoyens frères et amis composant la société populaire du canton de Rougemont firent la commu- nication suivante aux officiers municipaux de notre bourg : « CITOYENS, « Les citoyens composant le noyau de la société centrale et populaire de ce canton se sont réunis le jour d'hier pour remplir les fonctions auxquelles ils avaient été destinés par les commissaires. Mais les papiers publics, par la transcrip- tion d’un journal républicain, ayant annoncé notre dissolu- tion, nous vous déclarons, citoyens, que nos fonctions se sont bornées à former la société populaire dont nous faisons noyau, laquelle, se trouvant au nombre de 107 membres, s’est dé- clarée assez nombreuse pour être formée. Chargés par notre arrêté dudit jour de vous manifester, citoyens municipaux, le désir que la société a de concourir au bien public, nous nous flattons de l'espoir que vous voudrez bien agir de con- cert avec nous pour tout ce qui peut être utile à la Républi- que. Nous vous invitons d'en référer aux autorités adminis- (1) L'une pesait 2,237 livres, la seconde 1,617 livres, et la troisième 1,116 livres. (2) 870 livres, en y comprenant les fers et grillages de l’église des Cordeliers. (3 et 4) Etats de ces livraisons aux Archives communales de Rouge- mont. — 268 — tratives, et nous vous prévenons que notre seconde séance se tiendra le 10 nivôse, à 2 heures de relevée, dans la salle de l'ancien couvent des Cordeliers, dont il vous sera donné avis. Salut et fraternité! — (Signé) Duverner, président, et Borc- LEY, secrétaire. » Nous avons vu semblable chose se renouveler en 1848, dans la plupart de nos villes. La société populaire, ou club, acquérait bientôt une telle importance qu'elle osait convo- quer les électeurs pour le renouvellement des conseils muni- cipaux. L'administration supérieure était quelquefois obligée de céder devant cette pression, ou du moins de composer avec elle (1). Le 18 nivôse an IT, le conseil général de la commune fut convoqué extraordinairement. Les citoyens Bourgeois, maire, Pourtier, Berthaud, présents, ainsi que les citoyens Duver- net et Lambert, commissaires de la société des sañs-culottes du canton, invités à la séance, le procureur syndic de la com- mune rappela à la municipalité l'exécution du décret con- cernant la fête civique qui devait manifester la joie de tous les bons citoyens relativement aux grands succès des armées de la République française : 1° dans la reprise de Toulon, 2° dans la défaite des brigands de la Vendée, 3° dans la re- prise de Wissembourg, 4° dans la jonction de nos armées de Moselle et du Rhin qui ont su repousser l'ennemi avec le courage qu'inspire la cause de la liberté aux soldats républi- cains, etc. On arrêta à l'unanimité que la fête serait célébrée le prochain décadi, à deux heures de relevée, et que la réu- nion des corps administratifs, députation de la société popu- laire et gardes nationaux, aurait lieu à la maison commune pour défiler de là dans l'ordre suivant : (1) C'est ainsi qu’à Baume, en 1848, le sous-commissaire Tanchard, après avoir déclaré nulles les élections municipales faites sur la con- vocation de MM. du club, prononça la dissolution de l'ancien conseil et ordonna une élection régulière pour son renouvellement. Par ce moyen, le vœu du club se trouva légalement accompli. — 269 — Le bonnet de la liberté prendra la marche et sera accom- pagné par un officier et douze fusiliers de la garde nationale. Quatre jeunes républicains coïffés de bonnets rouges porte- ront sur un carreau l'acte constitutionnel et seront placés dans le centre, escortés par les piques. Quatre jeunes répu- blicaines de douze à quinze ans vêtues de blanc avec des écharpes tricolores, coiffées de bonnets de police, tiendront d'une main un laurier et de l’autre l'hymne des Marseillais et l'hymne de la Liberté qu'elles chanteront, et chacun fera chorus. Le commandant de la garde nationale sera requis de marcher avec 100 hommes et le drapeau. La moitié des armes à feu fermera le cortége. Tous les militaires auront des lau- rlers ou d'autres branches d'arbres verts pour en tenir lieu sur leurs chapeaux. La municipalité y sera, en écharpe, et suivra le drapeau. Ensuite, et toujours dans le centre, vien- dront le comité de surveillance et les députés de la société populaire. La troupe défilera en haie. Il sera donné 60 car- touches aux 20 soldats qui auront des armes à feu pour faire des décharges comme il sera dit plus loin. La marche du cor- tége sera de la maison commune à Rougemontot, où l'hymne de la Liberté sera chanté en son entier. Le cortége revenant sur ses pas, l'hymne des Marseillais sera chanté autour du chêne de la liberté, sur la place publique, et ensuite, conti- nuant-la grande rue, on se rendra à l'église par la grande côte. L'on y entrera dans le même ordre à part les soldats auxquels on aura donné des cartouches. Ceux-ci resteront à là porte et l'officier leur fera faire une décharge en feu de pe- loton lorsque l'on entonnera le Te Deum, et un feu de file pendant qu’on le chantera, et la troisième décharge aura lieu après la bénédiction donnée. Arrivés à l’église, le bonnet rouge, les jeunes citoyens porteurs de l’acte constitutionnel et le drapeau, ainsi que les jeunes citoyennes et les piques seuls entreront au sanctuaire ; le reste de la troupe formera la haie des deux côtés de l’église ; après quoi le maire mon- tera à la tribune et haranguera ses concitoyens. La cloche — 270 — sonnera à toute volée depuis l'instant du départ jusqu'à l’en- trée à l'église. Le conseil arrêta en même temps qu'il serait délivré à trente pauvres de la commune, savoir : à chacun deux livres de pain, une demi-livre de viande et une pinte de vin, me- sure de Besançon. Il arrêta en outre que l'on mettrait en réquisition tous les violons pour faire danser la jeunesse; que la salle de la société des sans-culottes au couvent des ci- devant Cordeliers servirait à cet effet, et que le bal serait ouvert par les jeunes républicains et jeunes républicaines (1). I n'y avait pas rien alors à Rougemont que des réjouis- sances publiques. Un certain nombre d'habitants, restés fidèles aux doctrines religieuses et politiques des temps an térieurs, ne se mêlaient pas, ou ne se mêlaient qu’à regret à ces manifestations d'une joie qu’ils ne partageaient point. Ils se réunissaient en secret, malgré la surveillance active dont ils étaient l'objet. Lorsqu’à la faveur des ténèbres ils étaient parvenus à introduire dans une maison sûre quelque mal- heureux prêtre déguisé (?), ils se rendaient auprès de lui avec discrétion et en petit nombre afin de ne pas éveiller les soup- cons de l'autorité. Les précautions les plus grandes ne suffi- saient pas toujours pour les mettre à l'abri des dénonciations et des poursuites. - Antoine Lambert et Joseph Plotet sont les premiers qui donnent le signal de la réaction religieuse dans notre bourg. En effet, le 17 novembre 1794, Bournoiïs, agent national 2e Rougemont, écrivit au comité du district : « À. Lambert et J. Plotet se sont avisés de faire sonner les offices, comme d’ancienne coutume, les {1 et 12 brumaire courant, jours de la Toussaint et des Morts, vieux style; 1ls ont chanté les offices et continué les mêmes cérémonies les (1) Archives municipales. «+ (2) Ce fut à Rougemont que se trahit d'abord la présence des prêtres rentrés. (Sauzay, t. VI, p. 636,) — 271 — jours de dimanche, ce qui fait conserver dans l'esprit d'un grand nombre de monde de notre commune un esprit fana- tique, et les empêche de se former un esprit républicain. Voyez ce que vous et moi devons faire. » Le cas parut d'autant plus grave au comité que les deux prévenus avaient été destitués l’année précédente comme ma- gistrats municipaux et jouissaient encore d’une grande in- fluence dans la commune. On les arrêta comme inculpés d'avoir provoqué des rassemblements défendus par les lois et tendant à entretenir le fanatisme. Ils subirent un interroga- toire le 27 novembre, Lambert répondit qu’il était cultivateur, âgé de 53 ans et ancien maire de Rougemont; qu'il avait en- tendu sonner pour les morts le 11 brumaire, mais qu'il ne savait pas par quel ordre ; que depuis le départ du curé Billot et même après le 11 brumaire, il était réellement allé deux fois chaque dimanche à l'église, où l'on faisait la congréga- tion et où l’on chantait les vêpres, qui étaient annoncées par le son de la cloche ; que c'était CL.-F. Sauvageot qui avait entonné le chant des hymnes et des psaumes, mais que pour lui, il n'avait jamais chanté au lutrin ; enfin que l'église était restée ouverte tous les dimanches depuis le départ du curé, et que si c'était un crime d'y faire des exercices de culte, la municipalité actuelle aurait dû en tenir les portes fermées. Il ajouta que le dimanche le plus récent, étant à la congré- gation, il avait fait lui-même la lecture des Réflexions sur le 27e dimanche après la Pentecôte, sur un livre qui lui avait été remis par Sauvageot. Le président lui demanda : A-t-on fait usage de cierges dans,les exercices auxquels tu as assisté, et sais-tu qui les a fournis ? J’ai vu 4 cierges allumés, ré- pondit-il, et j'ignore qui les a fournis. On lui demanda en- core s'il y avait des étrangers dans ces rassemblements. Il ajouta qu'il y venait beaucoup de monde des communes voi- sines. Plotet interrogé ensuite répondit qu'il était cultivateur, âgé de 56 ans, et ancien agent national de la commune; que c'é- — 272 — tait Feuillette, ancien marguillier, qui avait fait sonner la cloche le 11 brumaire ; que les quatre cierges allumés autour du catafalque avaient été fournis par le maire; qu’on avait chanté les vêpres de la Toussaint et celles des Morts; qu'il y avait environ 200 personnes à l'église, et que personne n’est monté à l'autel, Il avoua qu’à la fin de l'office, il avait an- noncé à l'assemblée que, chaque dimanche, on se réunirait pour faire la congrégation et chanter les vêpres, ce qui avait eu lieu effectivement. Le président lui ayant demandé s'il ignorait que les rassemblements de cette espèce étaient pro- scrits par la loi du 11 frimaire an II, comme nuisibles à l'ordre et à l’unité de la République, il répondit qu'il igno- rait si ces assemblées étaient proscrites et si elles étaient nui- sibles à l'unité de la République, et que quand il verrait un décret de la Convention qui lui défendiît son culte, il s’y con- formerait. : Le comité révolutionnaire voulut bien se tenir pour satis- fait des explications des deux prévenus; et sur la promesse qu'ils firent de se conformer dorénavant à l'arrêté de Besson et de Pelletier, il les renvoya chez eux en liberté. Mais le 7 décembre 1794, le représentant Pelletier se trouvant à Baume et les détails de cette affaire ayant été mis sous ses yeux, il décida que Lambert et Plotet seraient incarcérés pour au‘ant de temps que le comité révolutionnaire jugerait con- venable. On ne sait combien de temps Lambert fut détenu ; quant à Plotet, on le voit, le 3 février 1795, encore consigné pour un mois dans sa maison, par le comité révolution- naire (1). Le 25 nivôse an III (14 janvier 1795), un rapport anonyme était fait au conseil général de la commune. Ce rapport disait que des réunions de fanatiques avaient eu lieu dans diffé- rentes maisons de Rougemont pendant les nuits des 21, 22 et 23 nivôse courant. L'agent national de la commune fit à — ———— (1) Sauzay, t. VI, p. 511. — 273 — ce sujet un réquisitoire fulminant. Le conseil ému considèra que ces rassemblements étaient susceptibles de porter atteinte à l’ordre social et aux intérêts de la République. Une informa- tion fut ordonnée sur le champ contre les auteurs et complices de ces rassemblements. La garde amena d'abord devant le conseil la citoyenne Jeanne-Françoise Monnin, femme de Jean Meunier, sage-femme, qui répondit comme il suit’ à l'interrogatoire : « Dans la nuit du 21 au 22 de ce mois, j'ai été invité par le citoyen Metzker, boucher à Rougemont, à vouloir bien porter son enfant tout nouvellement né dans les maisons Où je savais qu'il pourrait être baptisé. J'avais été informée par plusieurs personnes dont je ne puis me rappeler les noms qu'il y avait un prêtre au domicile du citoyen Jean- François Rouge, médecin. J'y portai donc l'enfant qui y fut baptisé par un homme à moi inconnu, vêtu d'un habit cou- leur de cendre. » La femme Meunier a dit ne pas savoir autre chose et être illettrée. La garde fait ensuite comparaître devant le conseil la ci- toyenne Jeanne-Claude Vincent, veuve d'Ignace Baudy. Celle- c1 déclare que, pendant la journée du 22 du courant, elle a recu dans son domicile deux hommes à elle inconnus, l’un habillé de vert et l’autre de gris. Elle ajoute leur avoir donné l’hos- pitalité pendant toute la journée. Interrogée sur le point de savoir si l'on n'a point apporté à ces individus des enfants pour les baptiser, elle répond négativement. Interrogée si dans la journée et dans la nuit du 22 au 23 nivoôse couränt, il n’y à pas eu une assemblée chez elle et si les individus auxquels elle a donné l'hospitalité n’ont pas confessé, marié et célébré la messe, elle répond que ces hôtes se sont retirés dans la chambre sur le poèle de son domicile et qu’elle ignore ce qui a pu s y passer. Elle signe : J.-C. ViINcENT. On interroge ensuite le citoyen Noël Boichard, fils. On lui demande s’il ne connaît point les motifs des rassemblements qui ont eu lieu à Rougemont dans les nuits des 22 et 23 ni- vôse courant pour motif de fanatisme, s'il n’a point vu bap- 18 — 274 — tiser chez lui et s’il n’a point vu de prêtres déportés et dégui- sés. Il répond qu’il n’a aucune connaissance des faits dont il s'agit, et il signe : Noël Borcxarp. La femme du citoyen Rouge est aussi interrogée par le conseil. On lui fait les mêmes questions. Elle répond qu elle ne sait rien et signe. La municipalité expédie cet interrogatoire au comité cen- tral du district. CI.-F. Vuillemin, membre de ce comité, en- voyé en mission, arrive sur ces entrefaites à Rougemont et écrit le surlendemain au comité : « Deux scélérats de prêtres ont osé venir semer le trouble et prêcher le fanatisme dans cette commune. Dans leur féroce désespoir, ils sont capables de tout hasarder pour se faire des prosélytes. Les municipaux de Rougemont allèrent hier soir, à 11 heures, faire perquisition dans des baraques de cou- peurs, dans un bois où l’on avait dit qu'ils s'étaient retirés. Mais, à leur arrivée, ils trouvèrent les oiseaux dénichés, et on est informé que ces perturbateurs se sont retirés dans la Haute-Saône, dans les maisons isolées appelées maisons du Val, entre Thiéffrans et Vallerois-le-Bois. Il faut en informer instamment le comité révolutionnaire de Vesoul. On ne peut prendre trop de précautions pour s'assurer de ces deux enne- mis du bien public. » ’ Le ?9 nivôse an IIT (18 janvier 1795), deux autres mem- bres du comité de Baume, Ferrette et Carisey, revenant éga- lement de mission, firent le rapport suivant, beaucoup plus circonstancié que le premier : « Dans la soirée du 22 nivôse courant, trois prêtres déportés et rentrés se sont présentés à Rougemont dans différentes maisons, où ils ont confessé et baptisé, notamment au domi- cile de J.-F. Rouge, chirurgien, et chez la Vincent, veuve d'Ignace-François Baudy. Ces scélérats, ennemis du repos public, ont baptisé onze enfants ; ces trois corbeaux s'appellent Tribouley, de Cenans, Toillon, de Villefrye, près Vesoul, et Daval, de Faucogney. Après leurs opérations, ils se sont re- — 275 — tirés aux maisons du Vaux, territoire de Chassez. La matrone jurée de Rougemont est convenue formellement qu’elle avait porté elle-même l'enfant de Metzker au domicile de Rouge. Nous avons parcouru quantité de maisons pour prendre des informations sur la conduite de ces trois monstres. Nous avons appris en outre que l'ex-capucin Vieille, d’Adrisans, avait roulé pendant la même soirée les rues de Rougemont, avec Borey, ex-moine, et quoique ces deux derniers soient de Rougemont, ils sont allés demander à souper, le même soir, au chirurgien Guérin, lequel nous a paru taché de fana- tisme, l'ayant trouvé dans son lit récitant ce que l’on appe- lait ci-devant les sept psaumes pénitentiaux. » Sur ce rapport, le comité décida qu'il serait écrit sur le champ au comits de Vesoui « pour faciliter l'arrestation de ces trois charlatans de l’ancien régime » en spécifiant que l’un était habillé de vert et l’autre de gris. Le comité ne se contenta pas de cette mesure. [l ne tenait pas quittes encore les recéleurs et les complices des charla- ans, et plusieurs habitants de Rougemont reçurent l'ordre" de comparaître devant le comité, le 26 janvier 1795. Metzker avoua que son enfant avait été baptisé, mais prétendit que c'était à son insu (1). Monniot déclara avoir oui dire que deux corbeaux s'étaient abattus chez le médecin Rouge et la veuve Baudy, où ils avaient baptisé, marié et confessé; et que le soir du 22, l'ex-prètre Vieille, d'Adrisans, appelé Victor, et l'ex-prètre Borey, de Rougemont, appelé Léonard (tous deux assermentés), avaient été arrêtés et mis au corps de garde, où ils étaient restés quelques heures, après lesquelles on les avait mis en liberté. 11 déclara en finissant, qu'il savait qu'il y avait bien du monde entaché de fanatisme à Rougemont. Un autre témoin déclara que les deux filles de Plotet s'étaient trouvées chez la veuve Baudy en mème temps que les prêtres, et que (1) La sage-femme dit le contraire dans sa déposition devant le con- seil, — 276 — ces derniers s'étaient retirés dans les baraques de Chassafhe où ils confessaient. Le’comité ne se trouvant pas encore satisfait de tous ces renseignements renvoya Vuillemin à Rougemont pour y in- former à nouveau. Mais celui-ci n'en rapporta que quelques détails de plus sur le baptême de l'enfant de Metzker. A l'ap- pel de la sage-femme, l'inconnu s'était levé, avait pris dans sa poche un livre et une boite dite du saint-chrême, et avait administré le sacrement à l'enfant, qui avait recu le nom de Georges. Soit modération, soit impuissance, le comité ne poussa pas l'affaire plus loin ; la réaction continua à marcher et le fana- tisme à lever la tête; de sorte que le 17 mars 1795, le district fut réduit à envoyer six chasseurs à cheval à Rougemont pour prévenir les rassemblements et faire la chasse aux prêtres (1). Le 14 ventôse an III, tous les citoyens et citoyennes de Rou- gemont sont convoqués au sou de la cloche et de la caisse. On s'assemble à l’église qui s'appelle le Temple de la Raison. Il e s'agit rien moins que d’aviser aux moyens à prendre pour opérer le partage des biens communaux, en vertu de la loi du 10 juin 1793. On se hâte de nommer un géomètre et des indicateurs à l'effet de procéder immédiatement aux partage et divisions. Six semaines après, ces opérations étaient exécutées (1). Au mois d'octobre de la même année, on dut voter pour l'approbation de la Constitution du 22 août 1795. A Rouge- mont, sur 730 électeurs inscrits, on ne compta que 251 vo- tants. La majorité accepta la Constitution, mais rejeta les dé- crels, ainsi que l’article de la Constitution portant que les ministres des cultes ne seraient pas salariés (3). (1) Sauzay, t. VI, p. 636. (2) Acte du 24 germinal an III, aux Archives communales de Rou- gemont. | (3) Sauzay t. VII, p. 656. | — 277 -— La maison commune, située sur la place publique, n'était à cette époque qu’une masure composée d'une cuisine et d'une chambre dite poèle, avec cave derrière, grange et écurie. Le 8 frimaire an IV (1795), le conseil délibère qu'il y a urgence de s'occuper d’un logement suffisant pour la tenue de ses séances; que dans la disette où se trouve la commune, le local le plus propre à cet établissement paraît être le quartier haut du château du comte de Raïigecourt, émigré, acquis de la nation par le citoyen Rivière. Le 15 du même mois, on re- vient sur cette délibération et l’on décide que la municipalité sera établie au ci-devant presbytère. | Rougemont jouit d’une paix profonde jusqu'au 18 octobre 1796, époque a laquelle parut l'arrêté suivant : « L'administration centrale du Doubs, informée que les prêtres déportés et Les jeunes gens de la réquisition abondent dans le canton de Rougemont, notamment au chef-lieu et à Abbenans; considérant que toutes les instances faites auprès de l'administration cantonale ont été jusqu'ici infructueuses, et que les agents et adjoints des communes tolèrent par leur insouciance cette infraction aux lois ; arrête que la force armée y sera envoyée sur le champ, et sera placée sous la direction du citoyen Perriguey. Le général commandant la division est invité à fournir uae troupe suffisante, et le commandant de la gendarmerie cst requis de fournir des gendarmes en nombre. » Perriguey, en quittant le canton de Rougemont, écrivit à Morizot, commissaire du Directoire, qu'il était informé que les prêtres officiaient dans la plupart des communes au son des cloches et sans avoir fait aucune soumission ; que cet abus ne pouvait rester plus longtemps impuni, et que les délin- quants devaient être dénoncés au commissaire près le tri- bunal de Baume. Morizot répondit le 9 décembre 1796 : « IL n'y a dans le canton aucun prêtre qui n'ait fait sa soumis- sion, excepté le prêtre Siroutot, de Tressandans, sur qui l’on a eu du doute et qui a exercé quelquefois à Saint-Hilaire, — 278 — Bonnal et Rougemont. Depuis que la force armée a passé dans le canton, je u’ai pu découvrir sa retraite. — L'ex-curé Gaudy, déporté, a été à Montagney et à Servigney. J'en ai été instruit par dessous main ; j'ai donné une réquisition aux gendarmes de Baume pour l'arrêter (1). » Deux jacobins dédaignés dans les derniers scrutins électo- raux, Lambert et Bourgeois, provoquent l’épuration de l’ad- ministration cantonale. On lit en effet dans une première dé- nonciation lancée par eux en septembre 1797, au nom des pa- triotes du canton : « C'est avec la plus vive douleur que nous voyons journel- lement les manœuvres qui se trament par les ennemis de la République, et notamment par l’agent de Rougemont et ses adhéreuts. Ils cherchent à pervertir les esprits en leur prèé- chant qu’il faut des législateurs pour ramener la paix et l’u- nion, et qu’il faut ôter cette horde de scélérats de la législa- ture et de l'administration, disant que les pères seraient bien aise de revoir leurs fils et le peuple sa religion. L'agent s'en est allé dans la montagne chercher un prêtre déporté et il l’a introduit à Rougemont pour séduire, sous le titre de religion, le peu de citoyens restés fidèles à la République. Il s’est fait des rassemblements dans l’église, malgré l'arrêté de l'admi- nistration cantonale. Requis de les faire cesser, l’agent a gardé un profond silence. » Cette première dénonciation étant restée sans effet, Lam- bert et Bourgeois reviennent à la charge à l'approche des élections de 1798. « Nous vous font savoir, écrivent-ils à Quirot, que les trames se renouvellent. Les auteurs de ces préparatifs sont en partie de l'administration. Ils disent aux citoyens qu'il faut faire de bons choix, nommer des gens de bien, tant pour le corps législatif que pour les administrations ; que ceux qui y sont ne sont que des tyrans; que le crédit de la France est (1) Sauzay, t. VIII, p. 490. DR … —- nn — totalement perdu ; que la terreur reprend plus fort que ja- mais, etc. Il conviendrait de les remplacer par des patriotes, . afin de dissoudre leur influence. Ceux qui sont à remplacer sont : Duvernet, président, aristocrate juré; X. Simon, agent de Rougemont, aristocrale et fanatique; Léonard Chichet, adjoint, ete. » Suivait une liste de patriotes proposés pour les remplacements. Le 8 mars 1798, le département, faisant droit à cette dé- nonciation, prit l'arrêté suivant : « Vu les pièces constatant que le président de Rougemont et autres ont non-seulement protégé les prêtres rebelles, les émigrés, les déportés, mais ont encore l’audace de calomnier les fonctionnaires actuels et jusqu’au gouvernement lui- même, inspirant audacieusement aux administrés haine et mépris contre les uns et les autres, l'administration centrale arrête que le président, l'agent et l'adjoint de Rougemont sont suspendus de leurs fonctions (1). » Le commissaire provisoire de Rougemont, Morizot, avait d’ailleurs fait le rapport suivant le 22 septembre 1797 : « L'esprit public est bon, mais le fanatisme semé par les prêtres déportés aura de la peine à se déraciner. S'ils étaient restés davantage, ils auraient gâté encore plus de monde. Les déportés ont fait leur paquet pour partir; je ne sais s’ils sont allés bien loin. Ils osent encore espérer une contre-révolu- tion; mais il n’en viendront pas à bout. Ils empêchaient les conscrits de rejoindre leurs drapeaux et les agents de faire parvenir les registres de l'état civil au canton. L’ex-capucin Ravier, qui desservait Bonnal, vient de quitter ses fonctions et refuse de faire le serment, disant qu'il est religieux, qu'il n'a touché aucun traitement, qu'il n'est ni fonctionnaire public ni sujet à déportation. L’ex-prêtre Siroutot, de Tres- sandans, qui est rétractant, comme ce capucin, ne le veut pas faire non plus. Le curé Billot, déporté, qui passe 70 ans, est (1) Sauzay, t. IX, p. 91. — 280 — malade dans son lit à Gouhelans. On dit que si on lui annon- çait la loi, il en mourrait tout de suite. L’abbé Pourtier (de Chaucenne) dit qu’il n’est pas fonctionnaire public, qu'il n’a pas exercé à l'église et n’est pas sujet au serment, quoiqu'il ait dit la messe en chambre chez la dame Pourtier, à Rouge- mont. Tous ces prêtres, pour rester, doivent-ils faire le ser- ment ? » Quirot répondit : « Si les prêtres Ravier et Siroutot n'exercent aucune fonction, ils ne sont tenus à faire aucun serment. Vous dites que ces ecclésiastiques sont rétractants. Si vous avez des preuves de ce fait, ou si ces ecclésiastiques troublent la tranquillité par leurs discours ou leurs actions, je vous invite à m'en donner connaissance, afin que je puisse provoquer du Directoire un arrêté de déportation (à la Guyane) contre ces individus. » Les trois prêtres signalés cessèrent toute fonction et l'affaire en resta là. Quirot manda même le 7 mai suivant que M. Briseux, curé de Pomoy, était autorisé à rester dans sa famille à Rougemont, en raison de son grand âge et de ses infirmités (1). Décidément Rougemont n'était pas une commune patriote. Elle ne marchait pas au gré de l'autorité (2). Voici Bassand, commissaire du Directoire dans notre bourg, qui se plaint fort, le 18 mai 1798, de l’enseignement public que l’on y donne dans les écoles. « Je me suis informé, dit-il, des prin- cipes qu'on y enseigne. Ce sont toujours les mêmes choses enseignées par les mêmes personnes : mêmes catéchismes, mêmes Heures de Notre-Dame, mêmes Heures paroissiales, mêmes pédagogues chrétiens qu'avant la Révolution. Les (1) Sauzay, t. IX, p. 265. (2 Le 3 février 1798, Morizot, commissaire à Rougemont, demandait que l'assemblée électorale du canton fut transférée à Mondon. Cette commune, disait-il, est à portée des communes patriotes, qui sont Montussaint, Mondon et Avilley. Ce serait un exemple et une punition pour Rougemont. (Sauzay, t. IX, p. 477.) — 281 — prétres en fonction, même les plus constitutionnels, toujours papistes-romains et jamais français, ne veulent pas adopter ni souffrir d'autres enseignements. Ils chanteront des anciens cantiques et aucun hymne patriotique, soit dans la crainte de passer pour avoir été imposteurs ou ignorants, soit par ressen- timent d’avoir été privés de leurs fonds curiaux et de n'être pas payés de leurs pensions. Il faudrait que la République salariât un instituteur dans chaque chef-lieu de canton et lui fournit des livres à nouveaux principes, dégagés de tout ancien préjugé (1), » Le même commissaire Bassand, voyant l'inefficacité de ses exhortations et de ses conseils relatifs à l'observation du décadi à Rougemont, sollicita pour y parvenir des moyens de coac- tion. Le 23 mai 1798, il écrit à Quirot : « Je me suis hasardé à engager les citoyens de Rougemont à s'abstenir du travail le second décadi de floréal, en leur persuadant qu'il n’y avait plus de fêtes que les décadis, et j'y ai réussi ; mais j'en ai essuyé des reproches, à cause que les communes voisines ont été détournées de chômer. Les prêtres constitutionnels ne cessent de persuader au peuple qu'il doit célébrer les fêtes instituées sous l’ancien régime, et qu'il n’y a que les fonctionnaires et employés aux ateliers de la Répu- blique qui doivent férier les décadis. Si donc c’est l'intention du gouvernement républicain, comme je le pense, d'effacer et de supprimer les fêtes de l’ancien régime, il faudrait instamment prendre des mesures pour que les prêtres consti- tutionnels ne célébrassent publiquement les mystères dans les temples que les décadis, et aucunement les dimanches et autres fêtes instituées et recommandées par l’évêque de Rome. Et après, ce serait le cas d'établir la peine pécuniaire seule- ment d'une journée de travail contre chaque individu qui serait trouvé travaillant un jour de décadi. Je ne vois pas d'autre moyen pour dégager le peuple du fanatisme. » (1) Sauzay, t. X, p. 461. — 282 — n Les efforts de Bassand, cet apôtre de la décade, comme l’ap- pelle M. Sauzay (1), n'eurent qu'un médiocre succès à Rouge- mont. Aussi écrit-il encore le 14 novembre suivant : « Le peuple commence lentement à observer les décades. Gette insouciance, cette répugnance proviennent de ce que les prêtres persuadent que les décades sont les fêtes des représen- tants du peuple, qui n'ont que la philosophie pour religion, et que les autres fêtes commandées par l'Eglise sont d’institu- tion divine, principalement le dimanche. Si, au contraire, les prêtres avaient voulu faire leurs fonctions les jours de décade et persuader au peuple qu'il est indifférent à l’Etre suprême du jour où le culie lui sera rendu, tout le peuple aurait élé content d'observer les décades. Mais, d'après leur zèle aussi intéressé qu'orgueilleux, le peuple murmure et dit : Des fêtes, des dimanches, des décades, des fêtes nationales à observer; nous ne pourrons donc plus travailler ni gagner notre subsistance? Dans ces circonstances, ce serait donc d’ordonner ou de déterminer à ne plus célébrer que les jours de décades. J'ai réussi moi-même à les faire observer à Rou- gemont dans l'intervalle de temps qu'il a été dépourvu de prêtres (2). » Il existe au pied de la Grande-Côte, et en face de la caserne de gendarmerie de Rougemont, une croix de pierre antique. On y voit une image du Christ grossièrement sculptée, avec une Madeleine qui embrasse le pied de la croix. Dans le jardin des Cordeliers, on voit encore une croix du même genre, beaucoup plus petite, posée à l'extrémité du mur, au bord du rocher. Enfin, au pied de ce même rocher, à l'un des coins du carrefour formé par les routes de Gouhelans et de Cuse, et par la rue principale qui traverse le bourg, on trouve une troisième croix de pierre dont l'enlèvement, en 1798, fut l'objet d'une révolte populaire. En effet, le 4 oc- (1) T. X, p. 367. (2) Sauzay, t. X, p. 366. — 283 — tobre 1798, le département en fut informé et prit l’arrêté sui- vanl : « L'administration a été informée officiellement que le 29 fructidor dernier, au moment où l'agent de Rougemont faisait enlever les signes extérieurs du culte, il s'est formé un attroupement, ce qui l’a obligé de requérir le commandant de la garde nationale pour protéger cet enlèvement contre les séditieux. Ce commandant, s'étant empressé d'obéir à la ré- quisition, donna les ordres nécessaires au fils aîné de P.-F. Pourtier le vieux, à Joseph Luquet et à Jean-Pierre Bouthe- rin le vieux, gardes nationaux, qui refusèrent d'y déférer, en sorte que le commandant n'eut de secours que d’un seul citoyen. Alors ceux qui s'étaient attroupés l'assaillirent à coups de pierres et l’accablèrent d'infamie. L'insolence a été au point de menacer de jeter en bas les ouvriers occupés à l'enlèvement des signes extérieurs qui dominaient le clocher. Les principaux auteurs de cette sédition sont : les femmes Fauchet, Carnot, Boutherin et Devaux. Considérant qu'une insurrection de cette espèce est un attentat d'autant plus grave qu'il attaque directement la liberté par une rébellion ouverte contre la loi; qu'un attroupement aussi criminel aurait dû être comprimé par la force publique ; mais qu’au contraire il a été protégé et peut-être excité par ceux qui étaient légale- ment appelés à le dissiper ; que ce délit est de nature à pro- voquer l’animadversion publique, puisqu'il est un trouble scandäleux et une révolte manifeste contre l'autorité légitime, l'administration arrête que tous les susnommés seront dé- noncés à l’accusateur public, comme prévenus du crime de rébellion à la loi (1). » Le 14 novembre 1798, Bassand, commissaire à Rouge- mont, écrit à Quirot : « Six communes ont déjà fait disparaitre les signes (extérieurs du culle). Je n'ai encore pu vaincre l'opiniâtreté fanatique et idolâtre des communes d’Avilley, (1) Sauzay, t. X, p, 34. — 284 — Montussaint, Mondon, Servigney et Gouhelans. Il n’y a que des croix de bois et, sur une chapelle {à Gouhelans probable- ment), une petite croix de fer qui n'est pas à 49 pieds de hauteur. Le moindre toitot {(couvreur) peut, dans un quart d'heure, faire cette opération sans danger et sans dépense. Si vous jugez à propos de m'écrire pour m'autoriser à prendre des ouvriers et à faire enlever les croix, aux frais personnels des agents, je puis vous assurer qu'en leur communiquant votre letire, les croix seront aussitôt enlevées. » Quirot s'empressa d'envoyer une lettre dans le sens indiqué, ajoutant : « Pour assurer la liberté pleine et entière de tous les cultes, il faut qu'aucun ne soit dominant; et n’aurait-il pas ce caractère, si des signes extérieurs paraissaient seuls (1) sur les édifices ou dans les campagnes (2? » XII. TEMPS MODERNES. Après la signature du Concordat de 1801 et le rétablisse- ment du culte catholique en France, la paroisse de Rouge- mont ne put pas obtenir immédiatement un curé de l'autorité diocésaine, parce que le presbytère, qui avait servi pendant la Révolution à différents usages et qui avait été ensuite loué au profit de la République, n’était point en état de servir d'habitation « par défaut de couverture, portes et fenêtres et planchers usés, murs lézardés en plusieurs endroits et dé- crépis. » | Le 24 pluviôse an X (1801), le conseil approuve un devis de réparations s’élevant à 2,400 francs. Des réparations (1) Il veut dire des signes appartenant uniquement au culte catho- lique. _ : (2) Sauzay, t. X, p. 46. — 285 — indispensables à faire à l’ancienne église, menaçant ruine et d'ailleurs insuffisante, sont aussi votées par la commune le 18 pluviôse de l'année suivante (1802). Les ressources man- quent complétement pour l'édification d'une nouvelle église. Enfin, le 27 germinal au XI, on annonce à Rougemont l'arrivée prochaine d’un ministre du culte. Les réparations de la cure ne sont pas encore terminées; mais dans la joie où l’on est de revoir bientôt un prêtre, le conseil s’'empresse, dès le 25 du mois suivant, et avant l'arrivée du pasteur, de lui assurer un supplément de traitement de 200 francs. M. l'abbé François-Joseph Baud ne put être installé dans la paroisse de Rougemont, par M£' Lecoz, que le 17 prairial an XII (1803). Sous le premier empire, l’histoire de notre bourg ne pré- sente aucun fait important à relater, jusqu'aux invasions de 1814 et 1815. D'après l'examen des archives municipales, la commune de Rougemont paraît avoir fourui alors au moins autant de réquisitions aux alliés qu'elle a pu en fournir aux Prussiens en 1870 et 1871; mais du moins à cette époque’, les habitants ne connurent pas les ennuis de la longue occupation à laquelle ils ont été assujettis lors de la dernière guerre. Un jour de 1814, le comte de Bressey-Raigecourt, revenant dans le pays avec l'étranger, conduisait sur Rougemont un régiment de dragons autrichiens. Les habitants du bourg craignaient de sa part quelque acte de vengeance et étaient dans le plus grand émoi. Alors M. Duvernet(l), maire, et M. Beaudot, notable de Rougemont (?), allèrent au-devant de la colonne et demandèrent à parler à M. de Raigecourt. Ils le prièrent d'épargner Rougemont et de se montrer généreux en- (1) Noble Jean-Pierre Duvernet de la Cassagne, écuyer, ancien capitaine d'infanterie, fils de messire Claude-Simon Duvernet, cheva- lier de Saint-Louis, administrateur du département du Doubs et maire de Rougemont en 1789. (2) Il avait épousé Me Vorget, et il possédait alors le château de son beau-père, aujourd’hui vendu à M. Louis Guillemin. — 286 — vers ce pays qui avait été le sien. M. de Raïigecourt, obéissant à un beau mouvement et repoussant loin de lui toute pensée de vengeance, ne voulut pas même savoir le nom du particu- lier qui s'était rendu acquéreur de son château pour la somme ridiculement minime de 4 francs 50 eentimes. Il rassura MM. Duvernet et Beaudot, en leur disant que non-seule- ment il ne ferait aucun mal à Rougemont, mais qu'il lui épargnerait encore les ennuis et les frais d'une occupation. On en fut quitte pour quelques bouteilles de vin que l’on distri- bua aux soldats, et le régiment se dirigea aussitôt sur Mont- bozon. Sous la Restauration et sous le gouvernement de Juillet, Rougemont fut paisible. La commune eut seulement quel- ques procès à soutenir et quelques constructions utiles à exé- cuter (1). . En 1848, on y plant le chêne de la liberté aux cris sédi- tieux de : À bas les rats! Comme chaque jour ces cris se renouvelaient et devenaient plus inquiétants pour les em- ployés des droits réunis qui résidaient à Rougemont, ceux-ci durent être rappelés à Baume par mesure de prudence; ils n'ont été réinstallés dans notre bourg, malgré l'importance du vignoble, qu'au commencement de 1875. Depuis longtemps le partage des bois de la coupe commu- nale s'opérait d'après le métré des bâtiments. Cédant aux réclamations de la classe pauvre, l'administration toléra pour cette même année, 1848, un partage par égales parts entre tous les habitants. L'année suivante, il fallut revenir à l'an- cien mode de partage. Une sorte d'émeute éclata à cette occa- sion. Le maire (?) résista énergiquement à la pression popu- laire. Quelques particuliers s'étant laissés emporter à des actes regrettables de violence, l'autorité judiciaire dut inter- venir et prononcer jusqu'à quinze condamnations Correction- A se ee ee (1) Voir chapitre XI. (2) M. Chaudot. — 287 — nelles. L'administration supérieure, craignant de nouveaux désordres, jugea utile de faire opérer cette année-là (1849) le partage des bois par toisé de maisons, sous la surveillance de la force armée. Plusieurs brigades dejgendarmerie se rendirent à cet effet à Rougemont; mais le partage se fit sans donner lieu à aucun incident, et il continua à s’opérer sur les mêmes bases, jusqu'à ce que M. Ch. Duvernet, maire de Rougemont à la fin du règne de Napoléon ITE, donna, en sa qualité de propriétaire de bâtiments importants dans la commune, une preuve manifeste de désintéressement, en faisant décider qu’à l'avenir la futaie des coupes de Rougemont serait vendue, au plus offrant, au profit de la caisse municipale. Terminons celte monographie de notre bourg par le récit de ce qui s’y est passé de plus intéressant pendant la dernière guerre. L'armée de Cambriels revenant des Vosges après les affaires malheureuses de la Burgonce et de Raon-l’Etape, passa à Rougemont le 14 octobre 1870, dans un état complet de désordre qui faisait mal à voir. Deux jours après, les francs- üreurs des Vosges qui, soi-disant, soutenaient la retraite de Cambriels (1), traversèrent aussi notre bourg. Ceux-c1, ne leur en déplaise, ressemblaient à des brigands, bien moins dange- reux pour l'ennemi que pour leurs concitoyens, en cas de troubles civils ou de guerre intestine après la guerre étran- gère. Nous avons entendu cette parole sortir de la bouche de l’un d'eux : « Quand la guerre sera finie avec les Prussiens de Prusse, nous la ferons aux Prussiens de France. » Vesoul et le département de la Haute-Saône furent dès lors occupés par l’armée allemande. Des uhlans venaient journel- lement en reconnaissance jusqu’à Esprels, Cognières et Mont- bozon. À quelques jours de là, le 22 octobre, vers les quatre heures (1) Nous soutenons, disaient-ils, la retraite de ces rossards qui ont passé ici avaut hier. — 288 — du soir, on entendit une explosion terrible dans la direction de cette dernière localité. C'était le pont de Montbozon que les Prussiens venaient de faire sauter, Bientôt après, du côté de Châtillon-le-Duc, le bruit du canon retentit, et le lendemain seulement on fut informé du résultat de la bataille de Cussey. L'ennemi étant ainsi à proximité de Rougemont, une com- pagnie de francs-tireurs girondins était venue s'y fixer. La présence de ces francs-tireurs dans notre bourg paraissait moins une protection qu'un danger pour ses habitants. Les Allemands avaient en effet déclaré qu'ils ne reconnaissaient pas les francs-tireurs comme une milice régulière, qu'ils les traiteraient comme des assassins et non comme des soldats, et qu’ils brüleraient les localités où l’on aurait commis la faute de les recevoir. Deux longs mois se passèrent ainsi dans l'anxiété la plus cruelle, « Si les Prussiens ne viennent pas aujourd'hui, di- sait-on chaque matin avec tristesse, ils viendront probable- ment demain. » Le jour de Noël, à trois heures de l’après-midi, pendant les vêpres, par un temps de chasse-neige très rigoureux, trois ublans arrivèrent à l'improviste, par la route de Vesoul, jus- qu'au centre de notre bourg, où ils furent apercus par les francs- tireurs. Ceux-ci coururent à leurs armes et les repoussèrent à coups de fusils. Les uhlans prirent la fuite; mais l'un d'eux fut frappé mortellement par une balle qui lui traversa le cou. I tomba de cheval au bord de la route où tout son sang se répandit sur la neige, à cinquante pas de la tuilerie Guilloz. Le corps de ce militaire, qui était sous-officier, marié et père de cinq enfants, fut relevé par nos francs-tireurs et ramené à Rougemont sur une brouette. On le déposa d'abord au lavoir. Le peuple voulut ensuite l’enterrer pour le soustraire aux recherches des siens; mais on trouva cette mesure impru- dente, et l’on se contenta finalement de le transporter sur le cimetière. Les francs-tireurs s'emparèrent de son sabre et de son casque, et se replièrent immédiatement sur Baume. — 289 — Toute la soirée et toute la nuit se passèrent dans des an- goisses mortelle, Des secours furent demandés à réitérées fois par dépêches télégraphiques à Baume et à Besancon. On ne répondit rien et l'on n'envoya rien. Rougemont fut abandonné à l'ennemi. Le lendemain 26 décembre, à neuf heures du matin, les Prussiens revinrent en force à Rougemont par la route que les uhlans avaient tenue la veille. Ils braquèrent d'abord sur le bourg deux canons qu’ils établirent sur le point culminant du Semblon, derrière la tuerie, Une partie de, la colonne d'infanterie se déploya dans les champs du côté de l'église de Saint-Hilaire, descendit en front de bataille jusque dans la prairie du Breuil et vint se réunir à l'entrée du bourg avant d'y pénètrer. Pendant ce temps-là des cavaliers se déployaient dans les champs du côté de Bonnal. Ceux-ci prirent le che- min des Gratteris, qui mène à l'extrémité du vignoble et revient sur Rougemontot, en suivant la crète de la montagne jusqu'au cimetière. Parvenus à cet endroit, quelques cava- liers descendirent dans le bourg où arrivait la colonne d'in- fanterie. D'autres cavaliers prirent le chemin qui descend dans les vignes dites Sous-le-Mont. Arrivés sur la route de Cuse, les uns l’explorèrent pendant que d’autres allèrent faire la même besogne sur la route de Gouhelans, Maîtres de Rougemont, les Prussiens y exercèrent une lâche vengeance, en livrant aux flammes la tuilerie Guilloz. Ils menacaient du même sort plusieurs autres maisons, lors- que MM. Duvernet, ancien maire, Louis Briseux et Duper- ray, se présentant pour parlementer, recurent les conditions d'un ennemi distingué surtout par sa rapacité. Les Prussiens volèrent d’abord l'appareil télégraphique établi à la mairie. Ils exigèrent sur-le-champ une somme de 3,000 francs qui leur fut remise et comptée sur l'affût de leurs canons. Ils de- mandèrent et obtinrent encore du pain, de la viande, du vin, 16 voitures, 16 chevaux que l’on ne revit jamais et le cadavre du uhlan tué la veille. Ils parurent satisfaits de retrouver leur 19 — 290 — mort’ sur le cimetière. « C'est bien, disaient-ils, de l'avoir déposé en terre sainte. » A midi, les Prussiens avaient évacué Rougemont et avaient repris leur route dans la direction-de Vesoul, en disant non pas adieu, mais au revoir. Le 30 décembre, dès le point du jour, on voyait sur les hauteurs des uhlans en vedette qui paraissaicnt observer sur- tout la route de Besancon. A neuf heures du matin, 4,000 hommes, avec chevaux et artillerie, entrèrent dans Rouge- _mont et s’y établirent chez l'habitant. Le lendemain, l'ennemi exigea une contribution de 25,000 francs que l’on ne put trouver, malgré les menaces d'incendie et de pillage général qui ne faisaient pas défaut. Une collecte faite ce jour-là produisit environ 9,000 francs. Les Prussiens s'en contentèrent, mais plusieurs maisons furent en partie dévastées. Le 3 janvier 1871, à sept heures du matin, ces 4,000 hommes, qui dévoraient Rougemont depuis le 30 décembre, l'évacuè- rent à l'approche de Bourbaki. Le combat de Villersexel eut lieu trois jours après. Rougemont paraissait avoir été désigné pour celte rencontre. Aucun événement ne mérite SA ce jour une mention spéciale. Tout s’est borné à de nombreux passages de troupes jusqu'à la fin des hostilités, et à l'enlèvement de deux otages, M. Chaudot, receveur de la poste, et M. Renaud, percepteur. qui ne rentrèrent de captivité que le 11 mars. Par suite des événements de la Commune de Paris, qui eurent lieu après la conclusion de la paix, Rougemont ne put être rendu à son calme ordinaire que le 30 septembre 1871, après neuf mois d'une occupation presque continuelle. [Æ [ae] NT D Soc. d'Émul. du Doubs. ou9e)1 2072E #7, S TL ITS =. [L » $ L des Fosse 4 III (1271077 | mai tri [ap] tra =! Ed D 11 PAT 77mmmm VRLIITTILL 2 1 rql CITADELLE = Re es RÉ D Décombres du Château fort . 8 Moulin seifnerurial, 9 Cure. 9 Maison cle l'Archesèque Thiebaud. ÿ Eglise 10 Château de Raigecourt. Æ Maison de Philibert de M olans. 11 Maison comnuune. 5 Couvent des Cordeliers. 19 Hôtel de C'hoiseul. M6 Porte du vieux moulin et restes du 13 Porte Fourquee. fes du M de là Baume. 14 Gendarmerie. 4 Château moderne, PLAN DU BOURG DE ROUGEMONT ce e EN DC ARCS : NES Las. + à À #7 L Tel as nl 4, NT 4 à ” es. L F0 Ü QU 7 à : : 7 N 4 ÿ n "é È ® # Æ | 11 n TE | 4 } l #} É é Pr Û LA Le | , jr ant i ones” LME Pre PEL HECTT TEE DE: EPS TPS DA EE LTTS Art hr” *) MOJRANIE “ai FENTE WARS pie Qun eg NAT RAR "is T4 ( | “à rare S tiné vm We AT = { . ; “ RTS ch : ï APT oÙ LU Ti De | 1 Moi pADIE) À Me. 2 EL i Re * To ue si } PAT < PMU in EL ALL L E- F QU V'LPALE, ” : : : - f mn r a j AT M l 14 | NA cu : : PAT pol : : | ie AT car | tuiles | à) (a) AT #30) 17427. D'AUORI Oa 70 EEE LI E : CRT n ele | (TT PETER k | ‘ » are) e roma LOU élan x) ve F ad + = Ÿ ES to "eu M vera CEE um : “ 0 ; adewyeti cn mo de . Ü Het iTU lente ‘ ALL LE: 0 I TON v sonia ml inaofc MT ALES CR 7 > A eu QT pl ai (etat LE ape. Milo ii : uw} =, . ET fl > | à 4%! ne : Le af Le DUR + D Le 4 AS NT. ES . ; : . L di E al tte 11 + 2 >) PROS grue fe db GORE 11 4) vol Los : , Le a L = Lave it PAPE on SRE . rate lente 4h" te t 4 _ eZ die r La EL 14 ar. ji PRINCIPES GÉNÉRAUX D’ÉCONOMIE POLITIQUE A L'USAGE des Ecoles normales primaires, des Écoles primaires supérieures et des Ecoles professionnelles, PAR P. DEMONGEOT, ANCIEN DIRECTEUR DES ÉCOLES NORMALES DU RHÔNE ET DU DOUBS, INSPECTEUR SPÉCIAL DES ÉCOLES COMMUNALES DE BESANCON, OFFICIER DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, ET A. DEMONGEOT, INGÉNIEUR AU CORPS DES MINES, MAÎTRE DES REQUÊTES AU CONSEIL D'ÉTAT. < L'économie politique est le meilleur auxiliaire de la morale. » (Joseph Droz.) < Les phénomènes de l'économie so- ciale ont leur cause efficiente et leur intention providentielle. » (Frédéric BASTIAT.) « Les lois économiques s'imposent aux sociétés avec la fatalité A is DS si- ques. » Séance du 11 mars 1876. nn PERS Lo Mis à | d L : “ Les n ! AL w L ds 4 nu h 4 a Der | ‘#1 we 4 à... PE 7. A Fo 2 de «} on we À de. n, : : ar h US y 2 10 DA LE Me. 4 + è | ET cé DER 548 #14 Ko out ie HNOCE v. j ee | LAN = ) (Pr L de " . di “ BA k jo dr : m. L « « ALP = . CON : pes EN "4 PE De 5 le 4 F. Us nu. - LA Lee : oui to A Ho AG ea à i Ca 4  «. MERE CR | 4 RO in aq 19 Lu M jme pl see Pis 4 nt { - 414 . me: ner * + fo aten Fun GWT TRE 1 + we 44 5 sh d | +406 gas EUR roy YHFBÉCT Ra ASS “ain 2 ru Lun JR EURRPUTES Snitre HS + NUL RER x! HOCAME AS 16 ON FAR ER à ET CAE} } af) Et APTE) LÉ TU R s" HAS rit LL L # fi D'AUTRE ch. FL LL vis : u : Ve Li; D AU EL s 8, se dm or: PUR jf vubUfifé du Lit sua ; dun TE A pe anont a. Un ho Me nuisance is JUNE "RE du CARTE ru. (oo Maries LAS Co 4e de tas 1 ar a FT AUTRES (90 “ii Tant É- | ROLE UUR ut DA) rt tn 2: re d à EP: | (CRETE UP 0 RUE giron ET qi # ue ue La hr. ie JA ji LIRE nee : D" 0 SG Sn 40. PTE AE ARR. mp à LAN HET porn (Lu de sais RULES LATREN 4 es # e 2 ! gi #sb, PENPLIONE &AT vd "ai éd a a res : 4) «+ PILHLTTL init paie ha y IA HA LALUS * dx . Le Ho toifnio » NA thaieratire ho Li D He habérnt EUR mad anohon 24" a tél 1 ur tost rome (PTT er aushot Afoen LUS à etai font pootl 64 Ath wud van 10 on cree} Auot 0 ve lo TE ATEN xl », | h b à + ye Le" h, 21 AU" "a 4 | AVERTISSEMENT Ce petit traité d'Economie politique a été rédigé pour répondre aux intentions exprimées par le Ministre de l'In- struction publique dans une circulaire du ? juillet 1866 rela- tive aux programmes d'enseignement dans les écoles normales primaires. Resté manuscrit jusqu’à ce jour, nous l'avons revu et corrigé, sans changer la forme primitive. Nous ne pouvions prétendre à l'originalité, ai dans les idées, ni même dans le mode de raisonnement et l’ordre des déductions ; nous avons cherché franchement un modèle, et nous avons cru le trouver dans le Traité sommaire de M. Courcelle Seneuil, qui présentait à nos yeux le mérite d'une grande rigueur et d’une forme presque scientifique. Cette forme nous paraît la meilleure à adopter pour les écoles primaires supérieures et professionnelles, où l'esprit des élèves est familiarisé de bonne heure, par l'étude de l’arith- métique et de la géométrie, avec les méthodes des sciences élémentaires. Mais nous ne pouvions placer entre les mains de ces jeunes gens un précis substantiel et complet, fait pour coordonner dans un texte sec, concis à l’usage de lecteurs déjà instruits des notions économiques. Pour nous mettre à la portée de nos lecteurs, il fallait nous borner aux matières essentielles, consacrer un chapitre à chacune d'elles, multi- plier les exemples, prodiguer les explicalions, varier les : 1901 formes de développement et de langage, sans sortir d’un cadre restreint, sans nuire à la clarté par l'abondance des détails. C’est ainsi que partant des idées communes, et choisissant pour titre de chacun de nos chapitres un mot emprunté à la langue usuelle, nous avons voulu, sans heurter d’abord les esprits par des notions trop neuves, montrer comment les idées se transforment par l'analyse, et comment les mots prennent une acception scientifique plus large ou plus précise. Nous croyons avoir abordé toutes les questions fondamen- tales de la science ; le sujet seul de la population présentait, dans un livre destiné à des jeunes gens, des difficultés d’ex- position qui nous ont paru inconciliables avec le respect des convenances ; en le négligeant à dessein, nous ne pensons pas rester incomplet; et quoique rédigé pour les élèves des écoles normales et professionnelles, nous espérons que ce petit traité sera également utile aux industriels, commercants, agriculteurs, ouvriers, etc., qui tous auraient besoin de con- naître les éléments de l’économie politique, mais qui, faute de temps ou d’une instruction suffisante, ne pourraient entre- prendre avec fruit l'étude des ouvrages complets et, par suite, très-volumineux, publiés sur cette science, dont l'importance est aujourd'hvi reconnue et appréciée partout. Besançon, le 29 août 1874. PRINCIPES GÉNÉRAUX D'ÉCONOMIE POLITIQUE CHAPITRE I NOTIONS GÉNÉRALES. Utilité des sciences sociales. — Le temps n'est pas encore loin de nous, où les belles-lettres étaient seules enseignées dans les colléges, où les sciences passaient pour un simple objet de curiosité, propre tout au plus à exercer l'esprit ingé- uieux d’un petit nombre de savants, où Fontenelle, pour les relever de cet injuste discrédit, avait grand'peine à démontrer qu'elles étaient bonnes à quelque chose. Depuis, les sciences ont fait de rapides progrès, elles ont recu dans l'industrie de telles applications, qu'à leur tour, elles se sont cru le droit de renvoyer aux belles-lettres le reproche de stérilité. Les lettres se sont donc transformées elles-mêmes pour s'adapter à l'état nouveau des esprits et aux besoins des sociétés modernes ; elles ont pris un tour plus pratique : de cette époque date l'ère véritable des sciences sociales, la rénovation des études historiques appliquées à la recherche des causes des événe- ments humains et des lois qui les régissent, la faveur dont — 296 — jouit avec raison une science vieille à peine d'un siècle, l'Economie politique. À Aujourd'hui, cette’science exerce une telle influence sur les grandes mesures de gouvernement et d'administration, qu'elle est vraiment tombée dans le domaine public, et que les principes doivent en être exposés à tous les degrés de l’en- seignement. Aussi, le Ministre de l'Instruction publique, révisant, en 1866, les programmes des écoles normales pri- maires, a-t-il exprimé le vœu que le cours d'histoire fût ter- miné par quelques lecons consacrées à l'examen rapide de l'organisation économique des sociétés modernes. Objet des sciences sociales. — L'économie politique est une branche des sciences sociales. Ces sciences, comme l'indique leur nom, traitent des lois qui régissent les sociétés. Mais, dans cette étude, elles peuvent se placer à un double point de vue, le point de vue politique et le point de vue économique. La politique envisage les rapports sociaux fondés sur un principe de droit, de justice, d'autorité, ceux qui découlent des lois et institutions des peuples et qui tiennent à l’état de leurs mœurs publiques ou à la forme de leurs gouvernements. L'économie politique concerne les relations qui s’établissent librement entre les hommes dans un but d'industrie et de commerce, et qui assurent le bien-être et la prospérité maté- riels du pays. On pourrait dire que l’économie politique est cette branche des sciences sociales qui s'occupent des intérêts matériels de la société ; les intérêts moraux ne sont point de son ressort. Tout traité des devoirs comprend trois parties : l’honnête, l'utile et le moyen de les concilier entre eux : la morale est la science de l'honnète, l’économie politique, celle de l'utile. Le droit est une troisième science qui s'inspire des deux pre- mières, contrôlant l’une par l'autre pour établir les règles à formuler dans la loi. Objet de l'économie politique. — Des exemples feront mieux et — saisir qu'une définition l'objet d’une science ; indiquons par des exemples les diverses parties du domaine de l’économie politique : vous êtes-vous demandé quelquefois comment se règlent sur un marché les prix des denrées, comment elles y affluent, comment elles se répartissent entre les divers membres de la société pour la satisfaction de leurs besoins, pourquoi les uns sont riches, les autres pauvres, plusieurs même réduits à un tel dénuement que, sans les secours de la bienfaisance, ils seraient exposés à mourir de faim ; enfin, si une pareille inégalité de fortune est conforme à la justice, ou n’est que le résultat de l'oppression ? Vous êtes-vous demandé s’il était possible de remédier à de telles souffrances, par exemple, en faisant tarifer par l'Etat le prix des marchandises pour le mettre au niveau de la bourse des plus pauvres, ou si, dans une telle entreprise, l'Etat ne s’attaquerait pas à des lois naturelles plus fortes que tous les règlements et n’aggrave- rait point le mal au lieu de l’atténuer? Vous êtes-vous de- mandé suivant quelle loi s'accroît la population dans un pays, si cet accroissement est un signe de prospérité ou une cause de ruine, et si les ressources qu'offrent l’agriculture et l’industrie poux l'entretien des nouveaux venus augmentent dans la même proportion; si donc l'émigration est utile ou nécessaire ? Toutes ces questions, et d’autres semblables, sont du ressort de l'économie politique. Nous n’étudierons que les plus importantes, les moins compliquées, et d'une manière succincte. Rapport de l'économie politique avec les autres sciences sociales. — Tel est l’objet de l'économie politique; mais le domaine de cettæscience touche par plusieurs points à celui des autres sciences sociales ; nous avons déjà cité l’histoire, la morale, le droit. L'histoire est l'expérience des siècles : on ne néglige pas les lecons de l'expérience dans l'administration d'un patrimoine, à plus forte raison faut-il en tenir compte lorsqu'il s’agit de — 298 — la richesse et de la prospérité publiques: La morale et le droit viennent confirmer ou corriger les conclusions parfois trop, absolues de l’économie politique : car, lorsque les intérêts sont en présence, 1l y a peu de questions d'utilité qui ne sou- lèvent en même temps une question de justice. L'économie politique enseigne, par exemple, que, dans le commerce, les prix des marchandises sont librement débattus entre le vendeur et l'acheteur, chacun s’attachant à faire triompher son propre intérêt ; mais la morale, corrigeant ce principe, nous apprend qu’il n’est point juste de spéculer impitoyable- ment sur les besoins de son adversaire, et la législation civile, confirmant cette restriction à la liberté absolue du commerce, admet la rescision d'une vente d'immeuble, lorsque le ven- deur a été lésé de plus des sept douzièmes dans le prix de l'immeuble. | Utilité de l’économie politique. — Quelle est l'utilité de l’économie politique ? Il est facile de l’apprécier, surtout à une époque comme la nôtre, où tout le monde contribue plus ou moins par l'opinion publique au gouvernement du pays. L'économie politique, par l'observation des faits et l'analyse des causes qui les produisent, nous met en garde contre des préjugés qui ébranlent les fondements mêmes de l'ordre social, par exemple, les systèmes socialistes ou communistes dont l'essai a fait craindre en 1848 la violation temporaire du principe fondamental de la propriété. Elle nous apprend que le progrès est l'œuvre du temps, qu'on ne modifie pas en un jour les mœurs ou les habitudes industrielles d’une nation, que les innovations à faire ou les réformes à tenter doivent être préparées par le succès de modifications partielles; qu'il serait imprudent et coupable de tarir, par un bouleversement subit, la source de la richesse publique, et d'exposer au péril d'un moment de crise la vie même des populations. Elle nous apprend enfin à distinguer les progrès possibles des vaines utopies et nous fait reconnaitre, au-dessus des institutions 21400 — particulières à telle ou telle époque, les lois nécessaires qui -découlent de la nature même de l’homme et des choses, qui dominent l’ordre établi dans toutes les sociétés, et que celles- ci n'ont jamais méconnues sans s’exposer à de longues souf- frances. IFR Définitions. — Les premières notions d'économie politique nous mettent en présence de termes presque tous en usage dans la langue de la conversation, mais qui doivent perdre ici leur acception vulgaire pour en prendre une plus nette, mieux appropriée à la précision du langage scientifique. Dé- finissons successivement les mots besoin, richessè, utilité. Besoin, dans le sens économique du mot, signifie désir de s'approprier uu objet matériel pour en jouir. Divers exemples sont nécessaires pour montrer la généralité du terme : un sauvage se met à la poursuite d’un animal ; après de longs efforts, il parvient à l’atteindre, le tue et le fait cuire pour son repas. D'où vient que, surmontant sa paresse naturelle, il s'impose une telle fatigue? C’est qu'il éprouve un besoin pressant, celui de la faim, et que ce besoin peut être satisfait par la capture de l'animal ; il désire donc se l’approprier. Il existe dans les grandes villes une industrie, la plus mi- sérable qu'on puisse imaginer, celle du chiffonnier. Le chif- fonnier parcourt les rues pendant la nuit, une lanterne à la main, et remue avec un crochet les tas d'ordures pour en tirer quelques morceaux d'étoffe qu'il vend à vil prix aux fabricants de papier. Pourquoi cette dégoütante et pénible besogne ? C'est pour le chiffonnier le moyen de gagner sa vie. Grâce à la frugalité de son régime, le produit de la vente de quelques chiffons lui suffit; voilà pour quel motif il désire se les approprier. Voyons un exemple de besoin bien différent des deux pre- miers : un riche amateur d'objets d'art consacre les revenus — 300 — d'une grande fortune à l'acquisition de tableaux dont il orne sa galerie. Pourquoi cette dépense? C'est qu'il a le goût des arts et que la possession de toiles de maîtres lui cause un plaisir très-vif, qu'il n’estime pas trop payé, même au prix de sommes considérables. Ce désir est-il un besoin? Besoin: pressant, impérieux comme celui du sauvage et du chiffon- nier? non assurément. Cependant la privation de tableaux serait aussi une peine pour celui qui consent à les acheter aussi cher, et cette souffrance est apaisée, comme celle de la faim, par la possession d’un objet matériel. Cette double ana- logie suffit pour que les économistes n'hésitent pas à dési- gner par le même nom le désir de l'amateur et celui du chif- fonnier et du sauvage, le nom de besoin. Peut-être est-ce là se placer à un point de vue trop exclusif; peut-être eût-il été préférable de créer deux mots pour distinguer le nécessaire du superflu, mais les conséquences de cette distinction étant d'ordre purement moral, l'économie politique n'a pas à s'en préoccuper. D'ailleurs, où s'arrête le nécessaire ? Où com- mence le superflu? Une pareille distinction ne dépend-elle pas de considérations personnelles qui ne se prêtent pas à la netteté d’une délimitation scientifique? Un Parisien, habitué au confort de la vie moderne, ne périrait-il pas de misère là où un sauvage de l'Océanie se trouve dans l'abondance? Pour ce motif, les économistes appliquent le même mot de besoin au désir de posséder un objet matériel quelconque, sans ap- précier par degrés l'utilité relative qu’il présente. Cette confusion de mots s'adapte d’ailleurs trèsheureuse- ment à la variété d'habitudes que l'homme introduit néces- sairemtent dans son existence, à mesure que la civilisation se développe. A l'origine des sociétés, le sauvage se contente du produit de sa chasse pour toute nourriture, de peaux de bête pour vêtement, d’une hutte en terre pour habitation. Bientôt les hommes se groupent en tribus, et, avec la vie commune, de nouveaux besoins apparaissent; mais l'industrie aussi se développe : on apprivoise les animaux, que l'on réunit en — 3U1 — troupeaux pour les faire paître; puis la tribu nomade se fixe et la vie sédentaire marque un progrès de plus dans le sens du travail industrieux et des mœurs recherchées; on con- struit des maisons, on s'adonne à l’agriculture, on invente la charrue. Aujourd'hui l'ouvrier le plus pauvre veut de la viande et du vin à ses repas, un habit de drap le dimanche; plusieurs ne peuvent se passer de tabac. Mais, pour satisfaire ces besoins, que nous nous sommes créés, nous avons à notre service les roues hydrauliques ; la vapeur et les machines- outils. Les économistes, frappés de ce développement continu dans une société du bien-être et de l'industrie, qui en est l’instru- ment, sont partis de cette idée que l’homme est insatiable, et qu'à l'instant même’où il vient d'atteindre, au prix de longs et pénibles efforts, l'objet de ses premières recherches, loin de songer au repos, il se crée un autre besoin.et se met à la poursuite de nouveaux désirs. Si nous savions aujourd'hui nous contenter du genre de vie des héros d'Homère, avec les ressources prodigieuses que les progrès de l’industrie ont mis à notre portée, nous pourrions acquérir leur aisance presque sans travail. Nous travaillons pourtant beaucoup plus que les premiers Grecs; mais c'est que le simple ouvrier de nos manufactures, dans sa maison de pierre bien fermée, avec son vêtement simple, mais chaud, ses ustensiles de ménage, sa nourriture saine, son vin clair, les distractions des grandes villes et Les facilités de communications que donnent la poste, le télézraphe et les chemins de fer, a plus de confortable que le roi Ulysse dans son palais d’'Ithaque. Je n'entends point dire qu'il soit plus heureux; la vie fière et indépendante du héros de l'Odyssée lui procurait peut-être plus de véritables jouissances que toutes nos délicatesses. I s’agit ici du bien- être matériel, d’aisance et non de bonheur. Toutefois, en dépit des fatigues qu'il s'impose pour ajouter à sa vie quel- ques médiocres jouissances, l’homme n'aime pas le travail. Tout acquérir sans prendre de peine, telle serait son ambi- — 302 — tion. La richesse, aux yeux des économistes, ne consiste donc pas à modérer ses désirs, mais à les satisfaire aisément, et le peuple le plus riche est celui qui peut se procurer, au prix du moindre travail possible, le plus de choses utiles à la satis- facüon de ses besoins, naturels ou factices, raisonnables ou puérils. L'économie politique se place au point de vue des intérêts purement matériels, mais en analysant, par‘une ob- servation raisonnée, les penchants de notre nature, afin d'en tenir compte comme de faits généraux et bien constatés; elle ne prétend pas les ériger en règles de conduite; il est vrai que l’homme est insatiable et paresseux par instinct, mais en reconnaissant combien cet instinct domine et forme notre caractère, l'économie politique n’interdit pas d'y opposer les préceptes de la morale, qui nous enseigne que toutes les jouis- sances ne sont pas bonnes, ni tous les besoins légitimes, que le sage doit rechercher le bonheur plutôt que la richesse, et, dans ce but, modérer ses désirs, satisfaire ceux dont l’objet profite à sa santé, à l'éducation, à la douceur des mœurs, aux progrès de l'intelligence; réprimer ceux qui n'engen- drent que la mollesse et le goût des plaisirs sensuels; prendre enfin quelque repos et se ménager des loisirs pour cultiver l'esprit et vivre de la vie morale, Où commence le luxe, là commence le désordre, et l’histoire n’a jamais donné de signe plus certain de la décadence d’un peuple, que la poursuite exclusive de la richesse, lorsqu'elle devient la règle des mœurs, au risque d’ébranler le caractère et de pervertir les âmes. III Utilité; richesses. — Nous avons défini en général le besoin économique, DÉSIR DE POSSÉDER UN OBJET MATÉRIEL. La qualité de certains objets qui les rend propres à la satisfaction de nos besoins, se nomme utilité. Ces objets eux-mêmes sont comptés au nombre des richesses. On entend donc par richesses toutes — 303 — choses matérielles utiles, susceptibles d'être appropriées. Les richesses se reconnaissent donc à deux caractères : utilité, possibilité d'appropriation. Une pierre ramassée au milieu d’un champ n'est pas une richesse, bien qu'elle devienne la pro- priété de celui qui la prise, parce que c'est un objet sans utilité; l'air, bien qu'il soit utile, même indispensable, car nous ne pouvons vivre sans le respirer, n’est pas une richesse, parce que tout le monde en jouit librement et qu’il n’appar- tient à personne en particulier. Mais si l'air nous est procuré par le travail, comme celui qu'on refoule à grands frais dans les galeries de mines au moyen de ventilateurs, alors il se paye et s’acquiert, donc il devient richesse. On voit que la définition économique des richesses a la généralité de celle de besoins; le terme s'applique également aux haillons du mendiant et aux objets d'art d’une collection, car, dans les deux cas, il y a propriété et satisfaction d’un besoin. Production ; matière et industrie, — L'homme ne travail- lant que pour satisfaire les besoins qu’il éprouve, et n’y par- venant que grâce à l'utilité qu’il retire des richesses, le but du travail consiste dans la production des richesses, et pro- duire, c’est donner de l'utilité à une chose qui n'en avait pas ou augmenter celle qu’elle avait. Ainsi, la production suppose une transformation de la chose : on ne crée rien avec rien, il faut par conséquent distinguer dans la production deux éléments : la matière fournie par la nature, et l’industrie, par laquelle l'homme transforme la matière. L'industrie, c’est l’activité humaine appliquée à la transformation utile de la matière. La nature offre à l’industrie humaine, suivant la diversité des lieux et des climats, des ressources très-différentes : tel pays à un sol fertile qui convient à la culture des céréales, tel autre est riche en forêts, tel autre en pâturages; ailleurs le sol est complétement stérile, mais il est coupé de filons d’où le mineur extrait le fer, le plomb, le cuivre. De même les besoins de l’homme varient avec les divers climats : le — 304 — costume d'un sauvage des plaines brülantes de l’Afrique ne peut être celui du Lapon perdu au milieu des glaces du nord. Le moyen le plus sûr de se procurer toutes choses au prix du moindre travail est évidemment de localiser chaque in- dustrie dans le lieu que la nature paraît avoir disposé pour la recevoir, sauf à faire arriver sur chaque marché tous les genres de produits par la voie du commerce. Les ressources naturelles, bien que variables en elles- mêmes, peuvent être mises plus ou moins par l’industrie à la disposition de l'homme. C'est ainsi que la vapeur, lélec- tricité, forces naturelles dont la puissance resta longtemps ignorée, ont été et seront de plus en plûs, grâce aux décou- vertes de la science, appliquées aux travaux des manufac- tures. — 305 — CHAPITRE II DE L’INDUSTRIE. Les richesses sont produites, distribuées, consommées pour la satisfaction des besoins de l’homme : production, distribu- lion, consommation, soht les trois faits généraux de la vie sociale que l'observation révèle et auxquels la science écono- mique applique les procédés de analyse. Commençons par le premier terme, la production. Art et travail. — Nous avons déjà reconnu deux éléments dont le concours est nécessaire à la production : la matière et l’industrie. Nous distinguerons aussi dans l’industrie hu- maine deux agents de production : l'art et le travail. L'art, c'est-à-dire l’ensemble des inventions qu’une société conserve et dont elle profite; le travail, effort pénible appliqué à la matière pour mettre en œuvre les procédés de l’art. Il ne suffit pas de vouloir, il faut savoir travailler; le travail sans l'art ne déploie qu'une stérile activité. Le mot de travail lui-même a recu dans la science écono- mique une acception plus étendue que dans le langage usuel. On a remarqué que l’homme contribuait à accroître la pro- duction industrielle, non-seulement par un effort de travail actuellement développé, mais encore par la conservation du produit d'un travail antérieur qui aurait pu être consommé et qui devient, grâce à cette épargne, un instrument, sinon un agent de production nouvelle. L'épargne est donc une des 20 —., | formes de la coopération, et, en regard du travail musculaire, la science a pu placer, à raison de l'identité du résultat, le travail d'épargne. Epargne et capital. — L'’épargne a pour but la formation d'un capital. On donne le nom de capital aux provisions amassées, soit pour subvenir aux besoins de l’ouvrier pen- dant son travail, soit pour servir de matière première à la fabrication de nouveaux produits. Personne dans le monde ne vit au jour le jour, si ce n'est peut-être le sauvage qui se livre à la chasse ou à la pêche quand il sent venir la faim. Encore le sauvage lui-même fait-il des provisions. IL n'est pas d'ouvrier qui attende le soir le salaire de sa journée pour payer et prendre son repas. Chacun a sa réserve de richesses économisées, plus ou moins considérable, et destinée à durer plus ou moins longtemps. Chaque industrie aussi a besoin de provisions, sans quoi comment pourrait-elle fabriquer? La fabrication ne crée pas, elle transforme; entrez dans une ma- nufacture de cotonnades, vous trouverez d'abord d'immenses magasins remplis de balles de coton venues d'Amérique ; le coton , apporté à l'usine sous forme de produit naturel, après avoir passé par la filature, le tissage, la teinturerie, en sortira sous forme d'éloffes ou de produits ouvrés. Ces provisions for- ment le capital de l’industrie. Les bâtiments, les ateliers des manufactures, les machines de toutes sortes rentrent aussi dans ce capital, car c'est le produit du travail économisé, non encore consommé. | Nous avons dit d’abord travail d'épargne ; c'est qu'entre le travail et l'épargne, il y a la plus grande analogie, soit quant au procédé, soit quant au résultat. Comme le travail, l'épargne exige un effort pénible; car c'est faire effort que de se pri- ver. Demandez aux ouvriers qui chôment le lundi, ce qui leur coûterait le plus de renoncer au repos ou aux dépenses de cette journée; ils répondront, s'ils sont sincères, qu'ils re- doutent moins le travail que l’économie. C’est se priver aussi — 307 — que d'appliquer le travail musculaire à la production d'un instrument industriel dont l'utilité ne sera recueillie qu’à la longue, au lieu d’en tirer un objet de consommation et de jouissance immédiate. Comme le travail, l'épargne est rému- nérée par l'intérêt qu'on retire du capital; qui donc s'avise- rait de former, à force de privations, un capital stérile dans ses mains? Comme le travail, enfin, l'épargne augmente la somme des richesses, non pas, il est vrai, en remplaçant les richesses consommées, mais en conservant celles qui existent. D'après ce qui précède, il y a, pour un fabricant, deux ma- nières d'accroître sa production, car il peut développer l’un ou l’autre des éléments de la puissance industrielle, l’art, en perfectionnant ses procédés, le travail, en occupant plus d'ou- vriers ou en dépensant plus de capitaux. Mais est-il également avantageux pour lui de recourir à l'un ou à l’autre moyen? Non, certes; car l’accroissement de force productive qui vient de l’art est gratuit, et celui qui résulle du travail s’acquiert à titre onéreux. Pour employer plus d'ouvriers ou de capital dans une usine, il faut payer plus de salaires ou d’intérûts ; pour appliquer un procédé meilleur, il suffit d'y consacrer les premiers frais d'installation, souvent même il n'y a pas de dépenses de ce chef, car si l’invention coûte un effort, la misé à profit de cette invention par le fabricant auquel elle est révélée n’en exige pas. Dans les premières machines à vapeur, la marche était réglée par un ouvrier chargé d'ouvrir et de fermer alternati- vement la vanne d'admission ; on s'apercut que pour rendre ce mouvement automatique, il suffisait de relier la tige de la vanne par une pièce intermédiaire, appelée excentrique, à l'arbre de rotation de la machine. Les industriels qui tirèrent parti de cette idée purent de la sorte rendre dispomible pour un autre emploi le travail d'un ouvrier et accroître ainsi la force productive. C'était par le fait un ouvrier de plus dont ils recevaient le travail sans le payer. Autre exemple : je fabri- quais des balles en taillant du plomb avec un couteau, pro- — 308 — cédé défectueux qui me permettait à peine d'en faire dix en une heure; on m'apprend que le plomb est fusible, et qu'en profitant de cette propriété je pourrai couler des balles dans un moule; par ce moyen expéditif, j'en obtiens cent au lieu de dix dans le même temps; la force productive est décuplée, et que m'a coûté l'application de cette idée ? rien absolument. L'art est donc, dans l'industrie, la véritable source de pro- grès; mais il faut entendre par le mot art, non-seulement toute invention susceptible de se traduire par un procédé nouveau de travail manuel, mais toute idée suggérée par la réflexion qui, d’une manière quelconque, donne lieu à un accroissement gratuit de force productive. C'est dans ce sens que nous allons passer successivement en revue les applica- tions de l’art : 19 À la discipline morale qui permet d'augmenter le travail ou l'épargne; 20 Aux divers modes de transformation de la matière; 3° À l'organisation du travail commun; 4 Aux institutions qui concernent l'état économique de la société. 1 Développement du travail et de l'épargne, — Parlons d’a- bord du travail musculaire. Bien que les progrès récents de la science tendent à substituer de plus en plus dans l’indus- trie les forces naturelles aux forces physiques de l'homme et des animaux, le temps n'est pas encore venu où le rôle de l'ouvrier se réduira à la direction intelligente d'une machine en marche. Il convient donc de développer le travail muscu- laire et par conséquent la force physique comme un agent important de la production industrielle, Travail musculaire. — Les prescriptions de l'hygiène et de la morale ont pour résultat de porter la force musculaire à — 909 — son maximum d'énergie. Tout le monde connaît l'influence déplorable, sur la santé et sur la force, de la malpropreté, d’une alimentation insuffisante ou malsaine, d'habitudes vi- cieuses. Apprécions les pertes qui en résultent pour l’indus- trie. Soient 15 jours de travail perdus dans l’année pour cause de maladie, par un million d'ouvriers; à 2 francs la journée, évaluation encore bien faible, cela fait une perte de 30 mil- lions. La faiblesse de constitution des individus se traduit, pour la race, par un abaissement de la vie moyenne. Suppo- sons que la vie moyenne soit abrégée de 40 à 30 ans pour 100,000 ouvriers gagnant par jour 75 centimes de plus qu'ils ne dépensent. La perte sur la production de 10 années, à 300 jours de travail par an, sera de 225 millions. Divers usages établis dans la société par les traditions ou introduits par la paresse ont des résultats aussi fâcheux. Avant le concordat de 1802, il y avait en France un nombre de fêtes chômées beaucoup plus considérable qu'aujourd'hui. Soient 10 fêtes chômées par 10 millions d'ouvriers, c'est-à-dire à peu près le nombre d'hommes valides en France; à 2 francs la journée, la perte est de 200 millions par an. De même, si à millions d'ouvriers, non contents du repos du dimanche, chôment en outre 5? lundis dans l’année, la perte sera de 312 millions. Et la perte ne s'étend pas seulement au travail mus- culaire de ces ouvriers, mais au travail de toutes les machines des ateliers arrêtées par suite de leur absence; ce qui décu- plerait les nombres cités plus haut. Sans doute Ie repos est nécessaire à l’homme, mais seulement pour retremper ses forces et les exercer ensuite avec plus d'énergie. Au delà, tout excès de repos est une perte sèche. Les institulions sociales ne sont pas sans influence sur le développement du travail musculaire; l'homme n’aimant pas le travail, son activité procède de deux mobiles : l'espérance d’être récompensé, la crainte d’être puni; de ces deux mo- biles, le premier est de beaucoup le plus efficace. L'expérience a démontré que l’esclave est le plus coûteux de tous les ou- — 310 — vriers ; car, s’il dépense peu de chose pour sa nourriture et son entretien, réduits au strict nécessaire, il n’a d'autre souti que de tromper la surveillance du maître et de lui dérober une part du travail dont il ne retire lui-même aucun profit. Ici donc, les intérêts économiques sont en pleine harmonie avec les préceptes de la morale. Le même accord se rencontre au sujet de la sécurité, sans laquelle l’homme n'est point assuré de récolter le fruit de son travail. Sous le régime des- potique de l'Orient, les spoliations sont fréquentes et le tra- vail reste languissant. Développement de l'épargne. — L'intérêt personnel est l’ai- guillon ordinaire de l’activité, et voilà pourquoi la propriété acquise par le travail, qui attribue à chacun le prix de ses efforts, est l'institution la plus efficace pour rendre les sociétés prospères. Le mobile de l’activité est en même temps celui de l'épargne. L’épargne n’est pas naturelle à l'homme; elle exige qu'au sentiment des besoins présents s'ajoute celui des be- soins à venir. Plus encore que le travail, l'épargne est donc le fruit de la sécurité et de la civilisation. Le capital d’une nation ne s'accroît qu'à la faveur de la paix, d'une bonne police, de la probité et de la douceur des mœurs. Mais comment procède l'épargne ? C'est ici surtout que l’art est précieux : il ne suffit pas de vouloir, il faut sa- voir épargner ; car l'épargne ne se borne pas à conserver les capitaux, elle doit les faire valoir. Qu'importe un capital sous- trait à la circulation, également stérile pour le propriétaire et pour le pays? Thésauriser est une manie absurde. L'épargne raisonnable consomme les capitaux, mais pour fabriquer des instruments de travail et augmenter la force productive, au grand profit du capitaliste et de la société. Un fabricant réa- lise des bénéfices considérables ; au lieu de les consommer en dépenses de luxe, il les consacre à l'établissement d'une ma- chine, et le produit du travail de cette machine s'ajoute aux profits de son industrie, S'il avait empruntié ce capital, il — 311 — n'aurait fait une bonne affaire qu'à la condition d'établir une machine tellement avantageuse, qu'il püt prélever chaque année sur les bénéfices résultant de son emploi, une part destinée à la restitution du prêt, intérêt et capital; c’est ce qu'on nomme les frais d'amortissement. IIT Modes de transformation de la matière. — Le travail mus- culaire ou d'épargne sert à mettre en œuvre les procédés de l'art industriel ; l’industrie n’a pas seulement progressé, elle a été renouvelée par les découvertes de la science appliquée à la construction et au mode d'emploi des machines; l'art de l'ingénieur donne à l’ouvrier contemporain une puissance que celui du siècle dernier n'aurait pas même entrevue par un effort d'imagination. L'homme réduit à l'usage de ses forces et de ses membres ne pourrait guère que gratter la terre avec ses ongles, comme les animaux : le premier qui forgea un morceau de fer, en aiguisa le bord tranchant, l'ajusta au bout d'un manche pour s'en servir à la manière d'une bêche ou d’une pioche, celui-là fit appel à l'art et inventa une machine; plus tard vint la charrue, qui fut construite depuis l'antiquité sur les modèles les plus variés, chacun procurant un outil meilleur que le précédent, plus commode ou plus fort. Et pourtant l’agricul- ture est de tous les arts celui qui, depuis l’origine, semble le moins perfectionné. Voyez plutôt les progrès de la naviga- tion, et comparez la légère pirogue du sauvage, péniblement creusée dans un tronc d'arbre et déplacée à Coups de rames, la barque du pêcheur dont la petite voile s’enfle pour recevoir l'impulsion du vent, avec ces superbes paquebots, revêtus de plaques métalliques pour mieux résister à l’action destructive des eaux ou à la violence des vagues, et dépourvus de mâ- ture, parce que la vapeur leur communique seule une vitesse — 312 — inconnue dans la marine à voile; quel exemple frappant de la puissance de l'esprit, lorsque, appliqué sans relâche au mème objet, il le modifie et l’améliore pendant plusieurs siècles ! Utilité des machines. — Les machines rendent à l'industrie un double service; elles développent presque sans limite la force et l'adresse de l'ouvrier. La force d’abord; les exemples abondent : le treuil, la grue sont d’un usage journalier et déplacent des fardeaux que la main de l’homme ne pourrait mouvoir. Les roues hydrauliques recueillent, pour l'employer dans les machines, la force motrice des chutes d’eau, et ces forces naturelles, si considérables, seraient bien insuffisantes pour remplacer celle que développe la vapeur. C’est la vapeur qui met en mouvement les marteaux pilons sous le choc des- quels d'énormes blocs de fer rouge se faconnent comme une boule de cire entre les doigts; c'est elle qui fait tourner les gros laminoirs de forge entre lesquels une plaque d'acier de 20 centimètres d'épaisseur, destinée au blindage des navires, passe et s’aplatit d’un seul coup. L'adresse des machines-outils n’est pas moins saisissante; on peut citer comme exemples les scies à débiter des parquets, le métier Jacquart en usage dans les fabriques de soieries, l'outillage des papeteries, etc. Comparez un bas tricoté à la mécanique avec un has tricoté à la main; la maille est infi- niment plus régulière dans le premier, malgré la rapidité du travail. On vend dans les magasins de nouveautés des ca- chemires de l'Inde et des cachemires français, les premiers à la main, les seconds à la mécanique ; la beauté de leur cou- leur et l'effet artistique de leurs dessins, que nous n'avons pas encore su imiter, donnent plus de prix au cachemire de l'Inde; mais ils sont bien inférieurs pour la finesse et la per- fection du tissu. Préjugés des ouvriers contre les machines. — L’utilité des machines paraît donc évidente, et pourtant elles n'ont pas de — 313 — plus grands ennemis que les ouvriers, dont elles facilitent ct améliorent le travail. Ce préjugé est excusable ; chaque fois qu'une machine s’introduit dans une branche d'industrie, elle accomplit la tâche d'un certain nombre d'ouvriers, qui restent sans ouvrage jusqu'au moment où ils ont pu se créer de nouvelles ressources. Ces ouvriers souffrent, s'irritent, au lieu de chercher immédiatement à sortir de cette crise, quel- quefois même s'insurgent, pillent et détruisent. Le métier Jacquart fut brûlé par les ouvriers de Lyon. De pareils excès, loin de remédier au mal, arrêtent l'industrie et privent d’em- ploi un plus grand nombre de bras. Il n’y a pas d'innovation ou de réforme si salutaire qui ne mette pendant la période de transilion quelques intérêts en souffrance : un ouvrier sobre et intelligent sait faire des économies pour les mauvais Jours, et ne s’effraic point de l'épreuve, rapidement traversée, d’un nouvel apprentissage, IV \ Art de la coopération. — L'emploi des machines et l'usage de la division du travail dans l'atelier sont les deux causes principales du développement prodigieux de l’industrie mo- derne. Or, l'art s'applique aussi à l’organisation du travail en commun. L'expérience a démontré les avantages de la coopération étendue presque sans limite. [1 n’y a pas d'être plus misérable que le sauvage réduit à ses ressources person- nelles. Un écrivain anglais a publié un livre célèbre, Robin- son Crusoë, consacré à la description des infortunes d’un nau- fragé sur une ile déserte. La faiblesse qui résulte de l’isole- ment paraît clairement aux difficultés qu’il rencontre pour se procurer les choses les plus indispensables : le vêtement, le logement, la nourriture. Et pourtant Robinson Crusoë a en- core à sa disposition les débris du navire, des instruments, une hache, un fusil, quelques barils de poudre ; avec ces se- — 314 — cours, produits d'une civilisation dont il a été brusquement séparé, el que toute son industrie, aiguisée par le besoin, ne saurait remplacer, c’est à peine s'il peut échapper à la mort. Dans les sociétés antiques, nous rencontrons déjà des mo- numents gigantesques qui supposent une prodigieuse asso- ciâtion d'efforts, les pyramides, les obélisques, énormes blocs monolithes d'une telle dimension que le transport d’un seul d'entre eux d'Egypte à Paris a suffi pour illustrer un ingé- nieur contemporain, bien qu'il apportât dans une telle entre- prise toutes les ressources de la mécanique moderne. Mais ce sont là de simples exemples de coopération, dans lesquels n'apparaît point encore l'art si fécond de diviser le travail pour simplifier et activer la tâche de chacun. Pour apprécier un tel progrès, il suffit d'entrer dans un atelier. Au xvre siècle déjà (depuis, combien l'industrie ne s’est-elle pas développée!), le premier des économistes an- glais, Adam Smith, observait que 10 ouvriers, par un par- tage bien entendu des opérations, arrivaient à fabriquer en un jour 48,000 épingles, c'est-à-dire 4,800 chacun. Or, un seul d’entre eux, construisant l'épingle entière, en aurait à peine fait 20 dans sa journée. La division du travail avait donc accru la puissance iudustrielle dans le rapport de ! à 240. Division du travail. — Les motifs des avantages de la divi- sion du travail sont aisés à comprendre. £ En premier lieu, l'ouvrier acquiert par l'habitude d'une même opération, toujours simple et toujours répétée, une dextérité incroyable, qui approche du talent d'un prestidigi- tateur. L En second lieu, l’on évite les pertes de temps et d'attention qu'entraîne toujours un changement d'exercice, et celles que représenterait un capital laissé inactif, si les outils n'étaient pas constamment employés. Enfin l'opération confiée à chaque ouvrier étant fort simple, — 315 — son apprentissage est moins long ; on lui trouve aisément un em}loi conforme à son aptitude ; lui-même, sans cesse occupé au même genre de travail, s'ingénie de mille manières à abréger ou à simplifier son procédé, et découvre parfois, à force de patience et d'attention, des. perfectionnements qui eussent échappé au premier examen d'une intelligence supé- rieure. Mais à côté de ces avantages auxquels l'industrie moderne doit en grande partie sa puissance, il ne faut pas hésiter à reconnaître un inconvénient des plus graves, c'est l’abrutis- semont de l'ouvrier. Il n'y a rien qui fatigue et endorme plus complétement l'intelligence que cette répétition machinale et presque automatique d'un mouvement des mains auquel l’es- prit, par suite de l'habitude, a cessé de prendre garde. De là vient que si la division du travail est éminemment profitable à l'industrie, elle est en même temps la ruine de l’art, dans le-sens vulgaire du mot. Nous fahriquons beaucoup, à bon marché, et avec une rare perfection, c’est-à-dire sans défauts ni rebuts, mais nous sommes incapables dans nos ateliers, où la même pièce sort de mille mains, de reproduire ces beaax ouvrages de serrurerie, ces magnifiques faïences peintes, ces belles armes ciselées et damasquinées de la Renaissance, chefs-d'œuvre de patience, de finesse, de travail élégant et soigné, que le maitre, épris de sa profession, terminait de ses mains, jusqu'au moindre détail, et dans lesquels il mettait à la fois tout ce qu'il avait acquis d'habileté, d'expérience tech- nique et de sentiment de l’art. Ce mal, l'abrutissement de l’ouvrier, plusieurs économistes ont trouvé plus commode de le nier que d'y chercher un re- mède. Le mal est incontestable; quant aù remède, il ne peut se rencontrer que dans un nouveau progrès de l'art indus- triel, permettant de diminuer encore la participation automa- tique de l’ouvrier au mouvement de la machine, et de borner son rôle à une surveillance attentive, à une direction intelli- ‘ gente. I] serait désirable aussi qu'une partie de la force pro- — S16 — ductive que nous voyons se développer chaque jour et favo- riser la création d'industries nouvelles, fut reportée sur les anciennes pour y réduire, sans altérer la production, le tra- vail manuel], la durée de la journée de l'ouvrier et donner à celui-ci, au sortir de l'atelier, le temps du repos, de la réfle- xion, de la lecture, du loisir appliqué à la culture de l’esprit. Mais pour que cette réforme des usages industriels n’entrai- nât pas une réduction correspondante du taux des salaires, il faudrait que, par une sorte d'entente tacite et générale sus- pendant les effets de la concurrence entre industries et entre nations, les prix de revient et de vente antérieurs des produits fussent partout maintenus, malgré la possibilité d’un abais- sement. Un tel résultat ne saurait être que le fruit tardif des mœurs et de la civilisation universelles. De même que le travail se divise dans l'atelier, les profes- sions se partagent dans le monde entre les hommes, et ce partage donne à chaque industrie la liberté d’allures et.la facilité de production que la simplification de sa tâche com- munique à l’ouvrier; quand on considère combien d'hommes et d'industries diverses se sont prêté leur concours pour la fabrication d’un produit commun; qu’un habit de drap, par exemple, représente le travail du berger qui a recueilli la laine sur les moutons ; des ouvriers filateurs qui l'ont lavée, filée, tissée ; du tailleur qui a coupé et cousu l’habit; des ma- cons qui ont construit l'étable et l'atelier ; des ouvriérs con- structeurs qui ont établi les métiers ; des mineurs, bûcherons, carriers, forgerons qui ont extrait et ouvré les matériaux, fer, bois, pierres, elc , on n’imagine pas que l'homme soit capable de vivre en dehors de la société, et l'on a peine à concevoir par quelle étrange âberration certains philosophes du siècle dernier ont été conduits à placer l'état de perfection dans l’état de nature, c'est-à-dire de faiblesse, d'ignorance et de misère | — 317 — V Art social. — Nous avons traité de la coopération dans l'in- dustrie. Mais certaines institutions qui touchent à l'ordfe so- cial, bien qu'établies avant tout dans un but politique et mo- ral, ne sont pas sans influence sur les intérêts économiques. Ici encore l'art trouve sa place. Par institutions, terme vague, il faut entendre à la fois règlements, mœurs, usages, cou- tumes. Nous nous bornerons sur ce point à quelques remar- ques. Dans l'antiquité, le travail était méprisé ; les citoyens libres se faisaient un point d'honneur de ne pas exercer de métier et de partager leur vie entre la guerre et les délibérations sur ia place publique; les arts manuels étaient abandonnés aux esclaves ; aussi l'antiquité a-t-elle connu le luxe, qui résulte de la formation de grandes fortunes, jamais l’aisance qui s'é- tend à toutes Les classes de la société, et dont l'activité indus- trielle procure seule le bienfait. Dans les sociétés modernes, le travail est plus honoré, à mesure que la civilisation est plus avancée : le citoyen des Etats-Unis de l'Amérique du nord est à la fois le plus libre, le plus laborieux, le plus aisé qui soit au monde. La sécurité, qui garantit à chacun la jouissance des fruits de son travail, est une condition vitale pour l’industrie. Les économistes, qui inclinent à la suppression de tous les règle- ments restriclifs de la liberté commerciale et intellectuelle, réduisent l'intervention de l'Etat à un seul point : procurer la sécurité, et comptent sur l'initiative privée pour accomplir spontanément tous les autres progrès. L'Etat doit donc entre- tenir une bonne police, réprimer sévèrement les crimes contre la propriété, qui découragent le travail, parce qu'ils mettent le citoyen actif et justement enrichi à la merci du paresseux qui vit de rapines ; veiller de près à la probité des adminis- — 318 — trateurs, qui donnent dans certains pays l'exemple des spo- liations ; faire justice à tous et assurer le respect des engage- ments. Mais il faut avant tout que les mœurs publiques soient fa- vorables aux progrès de l’industrie, qui exige non-seulement l'amour du travail, mais l'esprit d'association, sans lequel on tombe dans la routine. La prospérité publique est donc l'œuvre commune du gou- vernement et du peuple; l’un et l’autre peuvent la compro- mettre par des excès ; mais l'expérience a prouvé que les excès de la liberté sont bien moins funestes à l'industrie que ceux de l'autorité. L'histoire nous montre les communes de Flandre et d'Italie très-prospères au moyen âge, bien qu’agitées par de perpétuelles dissensions. L'abus des règlements, dans l’an- cienne monarchie, fut au contraire l’une des causes les plus graves de stagnation pour l'industrie, et leur suppression l’une des réformes justement proposées par le ministre Tur- got à la veille de la révolution française. C’est que l'honué- teté, les efforts des citoyens librement associés pour le main- tien de la paix publique peuvent suppléer, par des engage- ments et des institutions privées, à l'insuffisance des lois ou à la faiblesse du pouvoir. Mais il n’y a pas de résistance qui puisse utilement prévaloir contre les entraves d'un gouver- nement tracassier ; car, isolées, les résistances sont impuis- santes; réunies, elles provoquent une révolution. Résumé, — Nous avons analysé successivement les diverses influences qui président au développement de la puissance industrielle, une des premières conditions du progrès dans les sociétés modernes. Au point de vue de l’économie poli- tique, c'en est même le principal signe; ce qui a fait taxer cette science de matérialisme. En effet, les économistes ont- ils à juger le mérite d’une institution, d'une époque, d'une sociélé, la question pour eux se réduit à ces termes : /a pro- duction industrielle a-t-elle augmenté ou diminué? De ce point TA, — 319 — de vue, tous les problèmes sociaux apparaissent simples, fa- ciles, précis et se résolvent pour ainsi dire d'un mot. Toute- fois, si l'économie politique, sans empiéter sur le domaine des autres sciences, se renferme dans une conception un peu ex- clusive des intérêts généraux, au moins par le genre de pro- grès qu'elle préconise, n’apporte-t-elle aucun obstacle aux branches de la civilisation qu'elle néglige. Au fond même, la civilisation cest une, et tous les progrès se tiennent : le bien- être, avec les habitudes d'ordre, les besoins d'hygiène et de propreté qu'il répand autour de lui, appelle et. favorise aussi l'instruction, source de l’art; la justice, condition de la sécu- rité ; la probité, nécessaire dans la gestion des affaires indus- trielles ; la douceur des mœurs, inséparable d’une vie recher- chée ; l'esprit de conduite, qui produit l’économie; le respect de la famille, véritable école de prévoyance. Le développe- ment de la prospérité dans le monde est donc comme une morale en action ; il montre la fortune dans chaque maison marchant de pair avec les vertus privées et publiques. L’ac- croissement des richesses ne porterait atteinte à la civilisation que s’il favorisait un déploiement immodéré de luxe; mais le luxe, nous le verrons, est un appauvrissement ; il entraîne au gaspillage de capitaux, que l’économie politique n’a pas moins de raison de condamner que la morale chrétienne. — 320 — CHAPITRE II DE L'ÉCHANG E. Objet de l'échange. — Nous avons vu que l’homme, sti- mulé par l'aiguillon du besoin, secoue la paresse naturelle et travaille pour se procurer des ressources. Le but du travail, c’est la production industrielle, qui donne aux objets l'utilité et les fait entrer au rang des richesses. Mais une fois que les richesses sont produites par le travail commun, il y a pour chaque membre de la société un autre moyen de les acquérir, c'est d'échanger celles qu’il possède et dont il n’a pas besoin contre celles qui lui manquent et qui sont en excès dans les mains d'autrui. Ce moyen s'appelle l'échange et fera l’objet de ce chapitre. Forme primitive de l'échange. — Nous avons signalé les avantages de la coopération et montré que l'isolement serait pour chacun de nous la faiblesse et la pauvreté. L'échange est une forme de la coopération ; introduit dans les habitudes des hommes, il conduit au partage des professions entre eux et restreint l’activité de chacun à la fabrication d'un seul produit, qui sera ensuite, suivant les besoins de l’ouvrier, échangé contre tous les autres. Il faut, en abordant ce sujet de l'échange, nous dégager de toute idée préconçue, et no- tamment faire abstraction du rôle de la monnaie, qui ne peut être bien compris tant que l’on n’a pas étudié les conditions de l'échange direct des produits les uns contre les autres. — 321 — Nous négligerons donc pour un instant les usages commer- ciaux des peuples policés et nous nous transporterons par la pensée à l’origine des sociétés, chez les peuples sauvages qui pratiquent le troc, forme primitive du contrat, dont le sens est contenu dans cette phrase populaire : Donne-moi de ce que tu as, je te donnerai de ce que j'ai. Nous supposerons enfin que les personnes qui concluent un échange le font en toute liberté; car la contrainte ne peut avoir d'autre but que de priver injustement quelqu'un de sa propriété ; or, le vol se pratique de mille manières, il échappe à toutes les règles, il n’est qu'une violation des lois naturelles que nous nous proposoris de découvrir. Nous parlerons suc- cessivement de l'échange isolé entre deux personnes, puis de l'échange avec concurrence. Echange isolé. — Deux sauvages se rencontrent : l’un a fait une chasse heureuse et rapporte du gibier ; l’autre a ramassé du bois dans la forêt. Tous deux ont faim et froid : un échange partiel des produits qu'ils possèdent en abondance permet- trait de satisfaire le double besoin qu’ils éprouvent l'un et l'autre. Ils se mettent en relation ; mais tout d'abord un débat s'engage, car leurs prétentions sont bien différentes. L'homme n'aime pas le travail ; il n’en abandonne le produit qu'avec peine; chacun prétend donc obtenir la plus forte part pos- sible des choses possédées par son adversaire, et ne.lui donner en échange que la moindre part des siennes; le premier exige, par exemple, 20 kilogrammes de bois pour un kilo- gramme de gibier; le second n'en veut donner que 10. Mais, quelles que soient leurs exigences réciproques, ils éprouvent tous deux un besoin pressant qui les oblige à s'entendre; chacun devra donc rabattre quelque chose de ses prétentions, et ce désistement réciproque les conduira à un accord sur les deux clauses de l'échange : 1° Les conditions auxquelles il est conclu, 2° Les quantités sur lesquelles il devra porter 21 — 322 — Il sera convenu, par exemple, qu'un kilogramme de gibier vaudra 10 kilogrammes de bois et que l'échange portera sur ? kilogrammes de gibier contre 20 kilogrammes de bois. Supposons donc l'échange conclu. La nature du débat qui l'a précédé, les motifs de ce débat et ceux de l'accord par le- quel il s'est terminé, conduisent aux remarques suivantes : Aucun des deux adversaires n’a obéi à des considérations de morale, de justice, de sympathie ou de charité; un besoin personnel à satisfaire aux conditions les moins onéreuses, tel est le molif purement égoisie de leur détermination. Mais, bien que l'intérêt d'autrui ne les ait point guidés, ils se sont cependant rendu un service mutuel, puisque sans l'échange l’un fût peut-être mort de faim, l’autre de froid. Ce service toutefois est le résultat et non Ie but de l'échange, but pure- ment intéressé : il est heureux que personne ne puisse faire ses affaires sans faire tout à la fois celles des autres; mais cette bienfaisance involontaire, qui découle de la nature des choses, n’honore en rien lhumanité et n'implique aucun de- voir de reconnäissance. Ces remarques faites, étudions successivement les deux clauses de l'échange et sous quelles influences elles se mo- difient. | II Valeur. — 1° Conditions auxquelles l'échange a été conclu. — Quand ces conditions ont été fixées d'un commun accord, on dit que les quantités de chacun des objets échangés l’un contre l’autre ont une valeur équivalente; ce qui signifie tout simplement que les parties ont consenti à traiter sur ces bases. Il ne faut donc voir dans ce terme de valeur qu'un mot destiné à exprimer l'intérèt purement accidentel qui s'attachait à la possession de ces objets, et point du tout une de leurs qualités propres et permanentes. Ce n’est point la valeur relative des objets, appréciée à priori, qui les à fait — 323 — échanger dans telle proportion, c’est au contraire cette pro- portion convenue, première clause du contrat, qui sert à dé- finir la valeur relative. Si donc nous nous reportons aux motifs qui ont déterminé les contractants à s'entendre, nous reconnaftrons que la va- leur des objets n’a jusqu’à présent rien d’absolu, qu’elle ré- sulte d’une appréciation purement individuelle, et principa- lement de l'intensité des besoins respectifs des parties au mo- ment de la transaction ; chacune d’elles spécule, en effet, sur les besoins de son adversaire pour lui imposer un échange onéreux, c'est-à-dire pour exalter la valeur de l'objet qu'elle donne et pour déprécier celui qu'elle recoit. L'avantage dans l'échange restera donc à celui qui se présente avec le moins de besoins actuels ; en d’autres termes, le produit qui en sort avec le plus de valeur est celui qui répond au besoin le plus vif, et qu'il serait le plus difficile de se procurer directement. Cas anormaux dans l'estimation relative des valeurs. — La Bible donne plusieurs exemples de valeurs excessives acquises par certains objets dans l'échange isolé, en raison des besoins de l'acquéreur. Le premier, c'est la vente du droit d’aînesse d’'Esaü à Jacob pour un plat de lentilles ; le second, emprunté à l'histoire de Joseph, est l'abandon fait par le peuple égyp- tien de sa liberté au Pharaon, qui prit en revanche l’engage- ment de le nourrir pendant la famine. Un exemple plus mo- derne se rencontre dans les mémoires du capitaine Péron, que cite M. Courcelle Seneuil : Péron était resté avec trois ou quatre matelots dans une île déserte de l'Océanie pour chasser des phoques jusqu’au retour de son navire, qu'il avait#envoyé en Chine. Le navire tardait à revenir et Péron commençait à craindre de manquer de vivres, lorsqu'un navire américain vint mouiller près du lieu où il se trouvait. Un échange fut négocié : « On me proposa, dit Péron, de me céder une fu- taille de riz dè 500 livres moyennant 600 peaux de phoque; ce qui mettait à 12 ou 15 francs la livre de riz, qui coûtait à — 324 — Boston 3 ou 4 sous de France. L'affaire s'arrangea, et je donna 300 peaux pour la futaille de riz. » Certains économistes considèrent ces marchés onéreux comme très-légitimes ; ils se fondent sur un raisonnement spécieux, qui consiste à mesurer la valeur d'un objet au ser- vice rendu, et qui donnerait le droit, en mettant les choses au pire, d'exiger la fortune, la liberté, la vie même d’une personne en échange d’un morceau de pain, si ce morceau de pain, dans un moment d'extrême disette, la sauvait de la mort. Il est évident que la conscience proteste contre une pa- reille rigueur, et que la liberté que nous avons regardée, dès l'abord, comme la condition normale de l'échange, n'existe plus dans le cas où un besoin impérieux place de fait l'un des contractants sous le coup de la nécessité. Les cas extrèmes, dans les sciences morales, mettent toujours la loi en défaut et forment une exception. La loi civile, pas plus que la loi morale, ne reconnaît ce droit de spéculer impitoyablement sur les besoins de son adversaire, puisqu'elle autorise la res- cision du contrat de vente d’un immeuble dans le cas où le vendeur est lésé de plus des 7/12. L'économie politique, en constatant des exemples d'échanges contraires à cette double loi, ne prétend pas les justifier : elle examine ce qui pourrait et non ce qui devrait être. Nous verrons bientôt comment la concurrence fait disparaître ces valeurs excessives auxquelles donne lieu parfois l'échange isolé, en réglant celle de chaque objet, non d’après les besoins particuliers des contractants, mais d'après les besoins généraux du marché. Quantités échangées., — 2° Deuxième clause de l'échange. — Sur quelle quantité de chaque objet devra-t-il porter? Il est évident que la valeur est indépendante de ces quantités abso- lues, puisqu'elle n'est qu'une simple question de rapport. Cependant, les deux clauses étant débattues simultanément, chacune d'elles peut influencer l’autre, suivant le point sur lequel les contractants sont disposés à faire ou à refuser des — 325 — concessions. La partie à laquelle le marché parait avantageux voudra le faire porter sur la totalité des produits qu'elle pos- sède et dont elle n'a que faire; celle qui le trouve onéreux desirera le restreindre à la quantité qui lui est indispensable, se proposant d'attendre, pour acquérir le reste, une meilleure occasion. Des deux sauvages que nous avons mis en présence, le chasseur pourra exiger, par exemple, non-seulement que l'autre lui donne 20 kil. de bois pour wwkil. de gibier, mais qu'il prenne à ce prix tout le gibier mis en vente, et le second pourra trouver cette condition tellement onéreuse qu'il pré- fère payer le gibier encore plus cher pour faire réduire les quantités échangées. [ci encore, spéculer sur le hesoin de son adversaire est le moyen de faire prévaloir dans l'échange son propre intérêt. IT Concurrence. — Jusqu'ici nous avons traité de l'échange isolé entre deux parties. Introduisons une troisième personne, et supposons que celle-ci apporte, comme la seconde, du bois qu'elle propose à la première en échange du gibier. Celle-ci, placée en présence de deux concurrents qui se disputent son produit, le mettra à l'enchère, afin de l’adjuger à celui qui en offrira le meilleur prix. Le chasseur veut se défaire de deux kilogrammes de bibier, par exemple; ces deux kilogrammes représentent ce qu'on appelle l'offre de gibier ; chacun des concurrents veut obtenir ces deux kilogrammes ; pour les satisfaire l'un et l’autre, il faudrait donc leur proposer quatre kilogrammes au lieu de deux. Quatre kilogrammes, telle est donc la demande de gi- bier. L'inégalité primitive entre l'offre et la demande est la condition de l'enchère; car deux acheteurs qui pourraient acquérir séparément l'objet qu'ils désirent par un échange isolé ne seraient pas mis en concurrence. Mais l'échange ne pourra se conclure que quand cette inégalité aura disparu — 326 — par l'effet d'une convention réglant la quantité totale à échan- ger et le partage de cette quantité entre les concurrents. Loi de l'offre et de la demande. — Examinons l'influence de l'enchère sur les deux clauses du contrat : {° les conditions ou la valeur ; 2° les quantités des objets échangés. Ces deux clauses, dans le cas de l’échange isolé, nous avaient paru à peu près indépendantes; ici elles sont liées par une relation entre les trois termes : offre, demande et va- leur, à laquelle on a donné le nom de loi de l'offre et de la demande, et qui s’énonce ainsi : l'offre et la demande, primi- tivement inégales, s’'égalisent par la hausse ou la baisse de la valeur. Pour faire comprendre le sens de ces termes, déve- loppons l'exemple que nous avons d'abord choisi. Si le chas- seur n'avait rencontré qu'un bücheron prêt à lui offrir du bois en retour de ses deux kilogrammes de gibier, il aurait consenti, par exemple, à les céder pour 30 kilogrammes de bois; mais comme il y a deux concurrents, chacun d’eux, pour obtenir la préférence, offrira successivement un prix plus élevé, et le chiffre de 50 kilogrammes de bois, qui re- présentait d'abord la valeur des deux kilogrammes de gibier, montera à 40, 50, peut-être plus. Admettons que l’un des concurrents soit incapable d'enchérir au delà de 40 kilog. de bois, parce qu'il n’en possède pas davantage; il devra renon- cer à l'acquisition du gibier, qui sera, par conséquent, adjugé à l’autre. Ainsi, la hausse de la valeur rebute la demande, qui est ainsi ramenée au niveau de l'offre. On voit que la concurrence est avantageuse d’une part au vendeur qui présente sur le marché l'objet le plus demandé, puisqu'il recueille le bénéfice de l'enchère; d'autre part, à celui des demandeurs en concurrente qui possède le plus, parce qu'il peut offrir davantage pour obtenir la préférence. La valeur des deux kilogrammes de gibier s'étant élevée à 40 kilog. de bois, nous avons supposé que l’un des concur- rents renonçait à l'échange et laissait le champ libre à AN l’autre, dont la demande se trouvait égale à l'offre primitive. Mais il serait possible que le chasseur, à ces conditions avan- tageuses, consentit à satisfaire les deux -concurrents en por- tant l'offre à 4 kilog., quantité demandée. En ce cas, l'égalité entre l'offre et la demande serait réalisée non par une réduc- tion de la demande, mais par un accroissement de l'offre, qui peut s'élever ainsi au niveau de la demande, Si le chasseur, voulant abuser de l'avantage que lui don- nerait la concurrence entre les demandeurs, avait proposé nne mise à prix exorbitante, tous deux, s'ils n'éprouvaient pas un besoin urgent de gibier, auraient fait mine de se re- tirer et de réduire ainsi la demande à zéro, ce qui eût obligé le vendeur, ou à garder sa marchandise, ou à la mettre lui- même au rabais ; ainsi la baisse de la valeur encourage la demande et rebute l'offre. En résumé, l’on peut dire que l'inégalité primitive de l'offre et de la demande peut disparaître, soit par une variation de la demande seule, soit par une variation en sens contraire de l'une et de l'autre, et que ces variations sont déterminées par celles de la valeur, en sorte que l'offre et la demande, commeinous l’avions annoncé, s’égalisent par la hausse ou la baisse de la valeur. | IV Règlement de la valeur sur les marchés publics. — Nous avons remarqué que l'échange isolé se concluait parfois à des conditions extrêmement onéreuses pour l’une des parties, par suite de besoins urgents qui la mettaient à la merci de son adversaire. Un pareil abus de l'avantage donné à l’un des contractants par la misère de l’autre ne saurait avoir lieu sur les marchés communs, où la concurrence rend l'échange pour ainsi dire impersonnel, et règle la valeur des objets d’après les besoins généraux du marché, manifestés par la dispro- portion initiale entre l'offre et la demande. — 328 — Imaginons un marché sur lequel se rencontrent en nombre considérable des producteurs de vin ou de blé, chacun appor- tant l'un des produits pour l'échanger contre l'autre. L'offre de blé représente la demande de vin et, réciproquement, l'offre de vin représente la demande de blé. Le marché n'aura pas lieu tant que, pour chacun de ces produits, l'offre ne sera pas égale à la demande. Or, supposons qu'on reconnaisse tout d’abord que le vin est relativement rare et le blé très-abon- dant. Les marchands de vin s’apercevant que leur produit est recherché, en profiteront pour se montrer exigeants et le mettront à l'enchère ; il en résultera une sorte de mise à prix qui dépendra non-seulement du coût de production de chaque espèce de denrée, c'est-à-dire des frais de semis, de culture et de récolte, mais de l'opinion qu’on se sera formée de leur rareté relative; car la denrée la plus rare, c’est-à-dire la plus recherchée, augmente de valeur par l'effet de la concurrence. Les marchands de vin, qui ont en main le produit le plus précieux, demanderont, par exemple, dix hectolitres de blé pour un seul hectolitre de vin. Admettons qu'à ce prix, tous les marchands de blé soient disposés à conclure l'échange et qu'il y ait juste de quoi les satisfaire, sans excès ni déficit, c'est-à-dire que les quantités de vin et de blé apportées au marché soient en raison inverse de leurs valeurs relatives ainsi déterminées; l'offre sera de part et d'autre égale à la demande, et l'échange aura lieu sans difficulté. Comment l'offre et la demande s’équilibrent. — Il n'est pas probable que cette proportion exacte entre la valeur des pro- duits et leur quantité soit rencontrée du premier coup; car alors il n’y aurait à proprement parler ni enchère ni concur- rence. Si le vin est relativement rare, il y à chance pour que la demande soit encore supérieure à l'offre,malgré l'élévation de la mise à prix. Les marchands de vin ne tarderont pas à s'en apercevoir, aux demandes en concurrence qui leur seront faites, et aux conditions de plus en plus avantageuses qui leur — 329 —. seront proposées par chacun des marchands de blé, pour obte- nir la préférence. On leur offrira successivement 10, 12, 15 hectolitres de blé pour un seul de vin. Mais cette hausse de la valeur du vin rebutera peu à peu une partie de ceux qui désiraient s'en procurer, et leur désistement réduira la de- mande jusqu'à ce qu'elle soit exactement égale à l'offre. Si les marchands de vin, s'exagérant leurs avantages, avaient fait une mise à prix telle que la quantité de vin ne püt être échangée en totalité contre la quantité insuffisante de blé, c’est l'offre de vin qui eût été supérieure à la demande, et ceux qui désiraient s’en défaire, s’apercevant qu'ils seraient exposés à le garder, n'auraient eu d'autre ressource que de proposer des rabais; d'offrir, par exemple, un hectolitre de vin pour 8 ou 7 hectolitres de blé au lieu de 10, afin de pro- voquer par ces concessions un accroissement de la demande. Dans ce cas, ce sont les marchands de blé qui auraient re- cueilli le bénéfice de l’enchère et de la concurrence. On voit donc que c’est la rareté ou l'abondance relalive des produits sur le marché qui détermine leur valeur; chose na- turelle, légitime, puisque la rareté des objets fournis par le travail résulte de la difficulté vaincue pour JS obtenir. Si le blé est rare, c’est que l’année a été mauvaise et le travail du cultivateur mal récompensé. Une récolte médiocre n'ayant pas exigé moins de frais de culture qu’une bonne, il est juste que les produits en soient rendus relativement plus chers. Aussi le prix du blé monte-t-il quand il y a disette. Sur nos marchés, les produits ne s'échangent pas les uns contre les autres ; ils se vendent, s’achëtent à prix d'argent; mais l'intervention de la monnaie n’altère en rien le jeu de la concurrence, auquel préside toujours la loi de l'offre et de la demande. Si, sur un marché, 1000 hectolitres de blé sont mis en vente et que la population en. demande 1500, la con- eurrence fera monter le prix du blé jusqu'à ce que cette hausse de valeur ayant rebuté une partie des acheteurs, la demande se soit abaissée au niveau de l'offre. La baisse de — 330 — la valeur aurait produit l'effet contraire dans le cas d’une iné- galité en sens inverse. Ce nouvel exemple nous amène à étudier le rôle de la monnaie. i — 331 — CHAPITRE IV DE LA MONNAIE. I La monnaie est une marchandise qui s'échange contre toutes les autres, mais qui présente en outre deux avantages : 1° Elle sert de commune mesure pour apprécier la valeur relative des autres produits. 2° Elle est acceptée partout le monde et divisible à volonté; elle figure comme intermédiaire dans tous les échanges et permet de réaliser par différence celui de deux objets indi- visibles de valeur inégale. Utilité de la monnaie comme unité de mesure des valeurs. — La valeur relative des objets qui se mesurent au poids, au volume, ou de toute autre manière est, comme nous venons de le voir, en raison inverse des quantités de ces objets qui s'échangent entre elles. Supposons que 6 kilog. de pain s'échangent contre 3 litres de vin, contre 10 kilog. de sel, contre 10 grammes ou ? francs d'argent, Dire que 6 kilog. pain valent 3 Dit, vin, valent 10 kilog. sel, valent 2 fr, argént, c'est dire que 1 kiog. pain id 2/7, Dit. vin, 1. 10/, kilog. «el, id ?/, fr ou qué 6/, Kiog.paim il. À itvm, id ‘07, kilog.«el, id, ?/, fr, ouque 6/,, Kiog.pain id. #/,, Bit.vin, id 1 Kkiog,æl, id. ?/,, fr. où que 6, kilog,pain id %/, lit. vin, id 107, kilog.sl, id 1 fr, = Il est évident que ces diverses expressions sont équivalentes — 332 — et ne reproduisent, sous une autre forme, qu'une seule et même série de valeurs relatives. Or, lorsque nous avons ainsi réduit chacun des termes de la série primitive à l'unité en le prenant comme dénomina- teur commun, nous n'avons fait autre chose que prendre suc- cessivement les produits auxquels se rapportent ces termes comme mesure commune de la valeur des autres, c'est-à-dire comme monnaie. Si donc, pour nous conformer à l'usage suivi en France, nous choisissons pour unité de monnaie le franc d'argent, nous pourrons dire que le kilogramme de pain vaut ?/, de franc, le litre de vin ?/, de franc, le kilo- oramme de sel ?/,, de franc. En transformant en fractions ordinaires, en décimales, nous aurions l'expression de ces valeurs en francs et centimes, suivant l'usage recu. Il ressort nettement des raisonnements qui précèdent que le choix que nous avons fait de l'argent comme monnaie, et du franc comme unité, est arbitraire, et que théoriquement nous aurions pu tout aussi bien prendre le kilogramme de pain ou le litre de vin ou le kilogramme de sel. Le franc est une unité purement francaise, et les métaux précieux, bien qu'universellement adoptés par les nations civilisées, n'ont pas été partout et toujours la scule monnaie courante : le thé a servi de monnaie en Chine, le sel en Ecosse; sur la côte de Gorée, les indigènes africains, avec lesquels nous faisons du commerce, comparent toutes les valeurs à celle de la livre de poudre ou à celle de barres de fer d’un poids déterminé. D'où vient que l'usage des métaux précieux a prévalu ? C'est que la monnaie doit présenter un autre genre d'utilité pour lequel certaines qualités spéciales sont nécessaires. Utilité de la monnaie comme intermédiaire dans les échan- ges. — La monnaie figure comme intermédiaire dans les échanges. Un tailleur qui désire se procurer une paire de souliers ne va point proposer à un cordonuier l'échange direct de cette paire de souliers contre un pantalon; il vend — 333 — le pantalon et se procure ainsi de l'argent, avec lequel il paie la paire de souliers. , L'usage généralement répandu de la monnaie a donc fait disparaître le troc en y substituant une vente suivie d'un achat, échanges spéciaux dans lesquels l'argent figure comme un terme. Vendre, c’est donner un objet dont on recoit l’équi- valent en argent; acheter, c’est donner l'argent pour recevoir l’objet. Tout échange dans lequel figure l'argent est à la fois une vente et un achat. Ces deux termes sont corrélatifs. L’é- change direct d’une paire de souliers contre un pantalon de valeur différente ne serait possible qu’à la condition de joindre à l’une des marchandises un objet qui représentât avec exac- titude le complément à la valeur de l’antre. La monnaie, qui est divisible, convient à merveille pour fournir ces complé- ments. ' Connaisssant les divers usages de la monnaie, on peut aisé- ment en donner une définition et en indiquer les qualités essentielles. Définition de la monnaie. — La monnaie est une marchan- dise d’un usage général, qui sert de commune mesure pour ap- précier la valeur de toutes les autres, et qui s’échange habituel- lement contre elles. Qualités que doit présenter la monnaie. — Il faut donc qu'elle ait du prix par elle-même, car on ne donne rien pour rien ; qu'elle soit généralement recherchée et universellement admise, pour figurer dans les échanges; divisible, pour se proportionner exactement à la valeur de chaque objet; inal- térable et portative, pour circuler aisément; d'une valeur à peu près invariable, pour n'apporter aucun trouble dans les calculs. Or, les métaux précieux, l'or et l'argent, réunissent au plus haut degré toutes ces conditions. ” — 334 — Il Variations de la valeur de la monnaie. — On peut être étonné que nous parlions de la permanence de la valeur de la monnaie, Comment, dira-t-on, cette valeur pourrait-elle changer, puisqu'elle est choisie pour unité ? Ce serait là con- fondre deux choses bien différentes : la valeur et le prix des objets. Valeur exprime une qualité particulière des objets, celle d'être plus ou moins recherchée dans l'échange. C’est l'échange même qui donne la mesure de cette qualité; on ne peut donc énoncer que des valeurs relatives; car échange suppose deux termes, et la valeur de chacun d'eux est donnée en fonction de l’autre. Si l'on suppose dans tous les échanges un terme commun, la monnaie, la valeur de tous les autres sera donnée en fonction de celle-ci; cette valeur est ce qu'on nomme le priæ. La monnaie est à proprement parler l'unité de prix plutôt que l’unité de valeur, puisque la valeur est une quantité abstraite, que l’on peut concevoir, mais qui échappe à la mesure. Le prix de la monnaie est nécessairement inva- riable, puisqu'elle sert d'unité; il n'en est pas de même de sa valeur, qui varie avec son degré de rareté, ses frais de re- cherche, d'extraction, de fabrication. Le prix d’un objet, n'étant qu'un rapport, peut varier de deux manières, soit par un changement de valeur de l’objet, soit par un changement de valeur de la monnaie. Mais il est facile de distinguer les deux cas; car, lorsque le changement porte sur la monnaie, il affecte également tous les prix, qui s'élèvent ou s'abaissent à la fois dans le même rapport. Ces changements sont peu sensibles à de courts intervalles, parce que la valeur de la monnaie est très lentement variable. Mais il faut en tenir compte lorsque l’on compare des époques éloignées; c’est ainsi que les nombres exprimant les recettes et les dépenses de l'Etat sous Louis XIV, lorsqu'on les rap- — 335 — proche des nombres actuels, doivent être doublés; car depuis cette époque, par suite de la découverte des mines de l’Amé- rique et de l'Australie et du progrès des procédés métallur- giques, la valeur de l'or et de l'argent, plus répandus dans le monde, a diminué de moitié. Quantité de monnaie nécessaire sur un marché. — Cette valeur dépend d’ailleurs non-seulement de l'abondance ou de la rareté des métaux, mais du besoin qu'on en éprouve et de la passion avec laquelle on les recherche, suivant la loi de l'offre et de la demande. Autrefois on considérait l'or et l’ar- gent comme la seule richesse ; de là une foule d’édits, ins- pirés par des erreurs économiques, et rendus par l'Etat pour empêcher l'argent de sortir du territoire et y attirer celui des étrangers. Or, il est si peu vrai que l'argent soit l'unique source de richesse dans un Etat, que la quantité susceptible d'y circuler utilement est limitée par la nature des choses, et que tout excès introduit en sus de cette quantité ne servirait qu'à le déprécier. En effet, l’argent n’est employé que pour faciliter les échanges, qui ne sont point innombrables. I re- présente la valeur des objets dans l'intervalle de la vente et de l'achat qui constituent l'échange. Donc, plus ces deux opé- rations se succèdent rapidement, moins on éprouve le besoin d'argent, parce que la même somme peut figurer dans des échanges successifs, tandis que des sommes différentes sont nécessaires dans des échanges simultanés. La quantité d'argent utilement employée dépend donc à la fois du nombre et de la rapidité des transactions. Et l’on peut dire, en général, qu'elle ne doit pas dépasser sur un marché la valeur des objets figurant dans les échanges commencés et non terminés. Tout ce qu'on verse en plus dans la circula- tion est de trop, donc déprécie la monnaie et fait monter tous les prix, en sorte qu'on à plus d'argent sans devenir plus riche. Monnayage, — Les métaux précieux circulent sous forme de — 336 — pièces frappées à l'effigie du souverain dans les pays monar- chiques, et portant au revers l'inscription de leur valeur ex- primée en fonction de l’unité du pays. Cette unité est, en France, en Belgique, en Suisse, en Italie, le franc; en An- gleterre, la livre sterling; en Allemagne, le thaler; en Au- triche, le florin; en Russie, le rouble; en Espagne, le réal ; aux Etats - Unis d'Amérique, le dollar. La livre sterling vaut 25 fr, environ ; le thaler, 3 fr. 75; le florin, ? fr. 50; le rouble, 4 fr.; le réal, O0 fr. 25; le dollar, 5 fr. Quelle est l'utilité du monnayage ? L'usage de battre mon- naic n'a pas existé dès l’origine. Dans les sociétés naissantes, les métaux précieux circulaient sous forme de grenailles et de lingots, dont on mesurait le poids pour chaque échange. Tite-Live nous montre le dictateur Manlius pesant la rançon du Capitole exigée par les Gaulois. Mais on ne tarda pas à s'apercevoir que ces pesées continuelMes étaient un obstacle à la rapidité des transactions, et que si elles suffisaient pour vérifier le poids, elles ne garantissaient pas la pureté du mé- tal. Il fut donc convenu que les métaux seraient faconnés sous forme de pièces d’un poids et d’un titre déterminés, por- teraient un signe qui serait la garantie de cette double vérifi- cation, et que le droit de vérifier et de marquer les pièces appartiendrait exclusivement à l'Etat, dont la bonne foi n’ins- pirait de doute à personne. On a édicté des lois sévères contre les faux monnayeurs. L’effigie du souverain, frappée sur une pièce de 1 franc, équi- vaut donc à un procès-verbal de vérification, c’est-à-dire à la déclaration officielle que cette pièce a été pesée et essayée avant sa mise en circulation, et que, sauf une légère erreur appelée tolérance, et tolérée en effet pour ne pas rendre la fabrication impossible, le poids est de 5 grammes et l’alliage de !/,, de cuivre. Dès lors plus de pesée ni d'essai, ces deux opérations ayant été faites une fois pour toutes. CRT — EL Monnaie divisionnaire. — L'argent n'est pas le seul métal en usage pour la confection des monnaies. On emploie éga- lement l'or et le cuivre. L'emploi exclusif de l'argent pour les pièces de valeurs très différentes qui sont nécessaires dans la circulation, aurait obligé à en frapper de très petites et de très grosses, les premières faciles à perdre,.comme le centime d'argent, du poids de 5 centigrammes; les autres encom- brantes par leur poids, qui atteindrait, par exemple, !/, kilo- gramme pour la pièce de 100 francs. On a donc fait usage, pour ces pièces de faible valeur ou de valeur considérable, de métaux plus vils ou plus précieux que l'argent : le bronze et l’or. La monnaie de bronze a une valeur purement conven- tionuelle, très supérieure à sa valeur réelle. Néanmoins tout le monde la recoit, parce qu’elle ne représente jamais que de petites sommes, et personne, aux termes de la loi, n’est tenu d’en accepter pour plus de 4 fr. 95, appoint de la pièce de 9 francs. Double étalon. — Il n’en est pas de même des pièces d’or et d'argent, dont on ne saurait altérer la valeur par mesure administrative sans ébranler la confiance publique et ap- porter le plus grand trouble dans les transactions. Les rois de France se sont quelquefois servi de ce déplorable expédient pour sortir d'embarras financiers, et l'expérience a montré qu'il engendrait de véritables calamités. La sincérité dans la déclaration officielle de la valeur des monnaies précieuses est donc une des premières conditions de la prospérité commer- ciale. Valeur relative des métaux or et argent, employés concur- remment comme monnaie. — Mais comment peut-on inscrire sur une pièce d’or une valeur, 5 fr., 10 fr., 20 fr., qui repré- 22 — 338 —- sente un poids d'argent; car le franc, par définition, n’est pas autre chose ? Cela suppose évidemment que la valeur relative de l'or et de l'argent est invariable ; ce qui ne peut être, puisque cette valeur, déterminée comme toutes les autres par l'échange sur le marché, dépend du degré de rareté de chacun des métaux. Des différences se manifestent, en effet, et l’on n’a garde de les négliger dans le commerce des métaux pré- cieux. Mais elles ne sont pas assez considérables pour qu'il y ait intérêt à en tenir compte dans les transactions ordinaires; et depuis 50 ans, l'or est réputé valoir 15 fois 1/2 autant que l'argent, rapport admis à la Monnaie (l) pour déterminer le poids des pièces d'or. Fixité de la valeur relative des métaux précieux. — Cette fixité de rapport tient à deux causes : la première, c'est que la valeur des métaux précieux, comparée à celle des autres marchandises, varie.très-lentement ; la seconde, c’est que ces variations de valeur, quelles qu’elles soient, affectent dans le même rapport les deux métaux employés simultanément comme monnaie. En effet, à l'inverse de toutes les marchan- dises, qui se consomment et se reproduisent au jour le jour, telles que les denrées alimentaires, le bois, les métaux com- muns, dont la valeur, déterminée par leur abondance ou leur rareté relative, dépend à la fois des besoins et des ressources du marché, les métaux précieux, or et argent, presque inal- térables, ne sont point sujets à la destruction par l'usage; consommés sous une forme , ils en prennent une autre entre les mains du bijoutier ou du monnayeur sans déchet appré- ciable; la quantité qui existe à un moment donné dans le monde ne diminue donc pas, et l'accroissement qui résulte de la production annuelle, comparé à cette somme totale, est presque insignifiant. Voilà pourquoi le degré de rareté des métaux précieux ne change pas sensiblement à de courts in- (1) Monnaie désigne ici l'usine où se fabrique les monnaies. — 339 — tervalles ; et comme l’usage qu'on en fait et le besoin qu'on en a, pour la bijouterie, par exemple, sont également réglés par les habitudes, leur valeur paraît à peu près constante. Mais il y a plus : l'emploi même des métaux précieux comme monnaie contribue à entretenir cette permanence ; car il a fait amasser dans les banques, comme nous le ver- rons plus loin, des réserves métalliques qui, pour suffire aux besoins de la circulation, s'épuisent ou se reforment sans cesse, et compensent, comme une sorte de régulateur, l'excès ou le défaut de monnaie, sitôt qu'ils se font sentir. Ainsi, l'emploi que l’on fait d’une substance pour la fabrication de la monnaie tend à atténuer les variations de sa valeur. Si deux substances reçoivent concurremment cette destina- tion, elles subissent la loi qui régit en général tous les pro- duits affectés à des usages similaires; leur valeur commer- ciale, qui dépend des mêmes besoins manifesiés sur le mar- ché, est sujette aux mêmes oscillations; l'or et l'argent aug- meéntent ou diminuent de valeur à la fois et dans le même rapport, de même que le bon marché ou la cherté du pain fait baisser ou hausser par contre-coup le prix de la viande, des légumes, de toutes les substances qui peuvent le remplacer dans l'alimentation. Les inquiétudes , au sujet de la possibilité d’une crise mo- nétaire, qu'avait fait concevoir un instant la quantité d’or versée dans la circulation depuis la découverte des mines d'Amérique et d'Australie, n'ont donc pas été justifiées par l'événement. Si l'or est devenu moins rare, en revanche l’u- tilité des pièces de ce métal, si commodes par leur légèreté pour les besoins d’un commerce actif et étendu, l’a fait chaque jour rechercher davantage, et personne ne redoute plus une dépréciation de l'or en faveur de l'argent. — 340 — CHAPITRE V DU COMMERCE, Définition. — Nous avons vu comment l'échange est de- venu peu à peu pour l’homme {ce principal moyen d'acquérir, chacun s’adonnant à une seule industrie dans laquelle la pra- tique le rend habile et dont il échange ensuite les produits contre ceux de toutes les autres, au lieu de subvenir pénible- ment lui-même à la totalité de ses besoins. L'échange, en passant dans les habitudes des sociétés, a fait naître une in- dustrie nouvelle qui, à première vue, ne semble point pro- ductive comme les autres, le commerce. L'objet du commerce est d'acheter des produits à seule fin de les revendre dans l'espoir de réaliser un bénéfice par la différence des prix d'achat et de vente. L'habileté, dans cette double opération, consiste donc à acheter le meilleur marché possible pour revendre le plus cher possible. Si le commerce se réduisait à la vente, toute industrie serait commerciale dans une certaine mesure, car l'industrie ne fabrique qu'à la condition d’écouler ses produits. Mais l'industriel qui vend ses produits ne cherche qu'à obtenir la meilleure rémunéra- ion possible de son travail; il ne spécule pas sur les condi- tions de deux échanges successifs du même objet. Il ne faut pas confondre le commerce avec l'industrie des transports, qui fréquemment l'accompagne, et qui est une industrie productive par elle-même sans opérer de transfor- malion matérielle des produits qu'elle déplace, puisqu en leur * — 341 — ouvrant de nouveaux débouchés, elle augmente leur utilité et, par suite, leur valeur. En est-il de même du commerce ? Si le commerce consiste simplement à acheter pour revendre, quelle utilité nouvelle procure-t-il ? Quel élément spécial vient-il ajouter à la production industrielle? Sans doute il profite à celui qui l'exerce, lorsqu'il donne des bénéfices; mais quel avantage la société retire-t-elle de cette fortune acquise sans travail apparent par un de ses membres ? En quoi ce déplacement de richesses contribue-t-il à les accroître ? Utilité du commerce. — Le commerce est une industrie productive ; il communique aux produits une nouvelle utilité, en ce sens qu'il les répartit suivant les besoins entre les divers lieux. Le commerce opère ainsi tout à la fois dans ie temps et dans l’espace; dans le premier cas, il s'appelle commerce de spéculation; dans le second, commerce de distribution. Donnons un exemple de chaque genre de commerce, et dé- montrons son utilité. Commerce de spéculation. — J'achète du blé au mois d'oc- tobre sur le marché de Lyon, et comme la récolte de l’année a été abondante, que, pour le conserver, les greniers man- quent aux cultivateurs qui viennent de le battre, le blé afflue à la vente et.se vend à bas prix. Je conserve ce blé pendant l'hiver; les provisions diminuent de toutes parts à mesure que le printemps approche; la nouvelle année ne s'annonce pas bonne; on concoit des inquiétudes sur la récolte prochaine; ces inquiétudes sont confirmées par l'enquête que l'Etat ouvre dans toute la France et dont il publie les résultats sous forme de tableaux statistiques ; on acquiert la certitude qu'il faudra, pour prévenir une disette, importer des grains de l'étranger ; en conséquence le prix du blé, devenu plus rare et plus pré- cieux encore depuis que l’on craint de n’en pouvoir renou- veler la provision, monte de jour en jour sur le marché; de 3 francs le double-décalitre, prix du mois d'octobre, il s'élève à 7 francs. Je profite de cet instant de crainte, en partie légi- — 342 — u time, en partie exagérée, et je vends au cours du jour, réali- sant sur chaque mesure 4 francs de bénéfice. Sans doute, dans cette opération, qui consiste à acheter, à conserver, à vendre, je n’ai consulté que mon intérêt, l'espoir de réaliser un profit; en cela, je ne diffère pas des autres industriels qui songent à faire fortune, non à conquérir la reconnaissance publique. I] n’est pas moins vrai cependant que si j'ai acheté le blé à bon compte en octobre, c’est qu’il regorgeait dans le grenier des cultivateurs, que ceux-ci cherchaient à s’en dé- faire, qu’il avait donc alors peu de valeur et se fût peut-être perdu sans le soin que j'ai pris de le conserver ; que si, d'autre part, je l'ai vendu cher au mois de mai, c'est qu'à cette époque il était rare, qu'on craignait avec raison d'en manquer et qu’il y aurait eu disette, si des personnes comme moi, pré- voyantes et intéressées, n'avaient pris soin de le garder pour le verser à propos sur le marché le plus pauvre; que, par conséquent, mon blé, presque inutile en octobre, était devenu indispensable en mai; que j'en ai donc, par ma sage économie, augmenté la valeur, ce qui est le propre de toute industrie productive. Ajoutez qu'en opérant entre les deux maïchés une répartition plus équitable du blé, prélevant sur-le pre- mier pour verser sur le second, j'ai contribué à atténuer l’a- bondance excessive d'une part, la disette de l’autre, et, par suite, les variations de prix qui en résultent. Le bénéfice que j'ai recueilli n’est donc que la juste rémunération d'un ser- vice rendu ; et bien injuste ou bien fou serait celui qui, sous l'empire de préjugés populaires, me traiterait d'accapareur, he forcerait à vendre trop tôt à mon désavantage, et de la sorte augmenterait pour l’année les chances de disette et de cherté. Commerce de distribution. — Le commerce de distribution donne lieu aux mêmes remarques. Imaginez que j'achète du blé à la Russie, dont les provinces méridionales en produisent plus qu’il n'en faut pour nourrir ses habitants, et que je le — 343 — vende à l'Angleterre, qui n'en récolte pas assez pour sa propre consommation. Sans doute, dans ce cas encore, j'achéterai bon marché pour revendre cher, et j'aurai réalisé un béné- fice; mais aussi j'aurai fait une répartition du blé plus en rapport avec les besoins entre les deux marchés de Crimée et d'Angleterre ; par là, j'aurai nivelé les prix, j'aurai conjuré un double fléau : d'une part, celui de l'abondance sans dé- bouchés, de l’autre, celui de la disette sans secours. Le commerce recueille donc un profit légitime, même quand ce profit dépasse les frais de garde ou de transport dont il a dù faire l'avance. Si ces frais seuls étaient couverts par l'excès du prix de vente, il n'y aurait pas, à proprement parler, de bénéfice commercial. Pour se rendre compte des services rendus par le commerce international, il suffit d'imaginer qu’il suspende un instant ses opérations. Dès lors il faudrait en France renoncer à l'u- sage du café, du sucre de canne, des épices, du thé, des den- rées coloniales, des oranges, des citrons et autres fruits du midi, du coton, etc., tandis que-les habitants des pays con- sacrés à ces diverses cultures scraient privés, en retour, des produits de notre sol ou de notre industrie : draps, soieries, vins, etc. Le commercant est une sorte d’inspecteur des mar- chés, chargé de voir s'ils ne manquent de rien, s'ils n'ont pas d'excédant, et de faire entre eux une égale répartition des produits. Il atténue les différences qui se manifestent entre la valeur des mêmes produits sur chacun d'eux. U : Divers procédés imaginés pour faciliter les échanges. — Comme toutes les industries, le commerce a ses procédés par- ticuliers inventés pour rendre les transactions plus faciles, plus rapides ou plus sûres. Ces procédés consistent en crédits aux livres, billets de commerce, lettres de change, titres de — 344 — rentes, actions ou obligations de compagnies industrielles, billets de banque, et toute autre espèce de papier fiduciaire représentant une créance ou garantissant la possession d'un capital. Ils ont donc Lout cela de commun qu'ils sont fondés sur le crédit, dont l’usage permet d'économiser la monnaie. Nous les distinguerons en deux classes, suivant qu’ils ont pour objet un capital prochainement ou non remboursable. La première comprend les crédits aux livres, les effets de com- merce : C’est d'elle que nous nous occuperons en premier lieu. Crédits aux livres. — IL est d'usage dans le commerce de régler les comptes à certaines échéances ordinairement fixées par l'usage, par exemple, à la fin de chaque mois. En ce cas, chaque transaction ne se solde pas inimédiatement; elle donne lieu à l'inscription de la somme due au crédit de l'un des commerçants et au débit de l’autre sur leurs registres, qui se contrôlent réciproquement, et, pour ces motifs, font foi en justice, lorsqu'ils sont d'accord. L'avantage de cette pratique, au point de vue de l'économie du numéraire, est évidente; car elle permet de solder certains comptes, non pas en numé- raire, mais en tout ou partie par compensation. Si Pierre doit 10 fr. à Paul, et qu’à la fin du mois, par l'effet d’une nouvelle transaction, il devienne contre Paul créancier de la même somme, les deux dettes s'annuleront réciproquement, sans le secours de la monnaie. On voit que l'usage des crédits aux livres permet de con- clure des échanges qui peut-être eussent été impossibles au comptant. Ils donnent aux commercants la faculté de mé- nager, seulement pour les échéances connues, les rentrées de numéraire, qu'ils seraient obligés sans cela d'avoir toujours à la main. Et, comme les nouveaux échanges qui viennent ainsi étendre le champ des transactions seront soldés à l'é- chéance, partie en numéraire, partie par compensation, d’une — 345 — part le crédit provoque une demande de monnaie en multi- pliant les échanges dans lesquels elle figure comme intermé- diaire, d'autre part, il l’économise en offrant un moyen de s'en passer. En réalité, la demande de numéraire s'accroît, mais dans une proportion moindre que le nombre des trau- sactions, Ce qui procure une véritable économie. Il peut même arriver que, par suite de l'habitude, plusieurs échanges qui auraient eu lieu au comptant, soient conclus à terme et se soldent ensuite par compensation ; dans ce cas, malgré l’ac- croissement du nombre des échanges, la quantité de mon- naie en circulation pourrait effectivement diminuer. Billets de commerce. — Jusqu'ici les avantages du crédit restent limités au créancier et au débiteur. La création d’un papier fiduciaire, dit effet de commerce, permet de les étendre à un plus grand nombre de commerçants et de transformer, pour ainsi dire, le crédit en monnaie courante. . IT Avantage du billet; économie du numéraire, — Supposons qu'au lieu d'inscrire simplement sur un livre une dette con- trôlée par l'inscription correspondante d’une créance égale au livre de son créancier, le débiteur donne à celui-ci un papier signé de lui et ainsi concu : « Je reconnais devoir à Paul la somme de cent francs pour marchandises reçues. — Signé : Pierre. » Paul, dont la créance constatée par son simple cré- dit aux livres fût demeurée stérile jusqu’à l'échéance, pourra la négocier sous la forme de ce billet de commerce, la donner, par exemple, en paiement à l'un de ses créanciers, Jean, qui, à son tour, pourra la transmettre à un troisième, et ainsi de suite jusqu’au détenteur à l'époque de l'échéance, qui pré- sentera à Pierre le billet signé de lui et en recevra la somme promise. — 346 — Il pourrait même se faire que ce dernier détenteur fût un débiteur de Pierre et s'acquittât envers lui par la remise de la promesse de paiement; dans ce cas, l'effet de commerce aurait parcouru un cercle complet de créances, qui se serait fermé après l'extinction successive de chacune d'elles par une série de compensations, sans que le numéraire apparût en aucun point de circulation. Toutefois, cette transmission régulière du billet doit être con- statée pour que Pierre, en versant la somme au porteur, soit certain de se conformer aux intentions de son créancier Paul, et n'ait à craindre de sa part aucune réclamation. Qui pour- rait garantir, en effet, que ce billet n’a point été dérobé ? Pour éviter toute surprise, 1l est convenu que quiconque donnera le billet en paiement devra l’endosser, c’est-à-dire mettre à la suite ou au verso : Passé à l'ordre d'un tel, puis la date et la signature. Cette formalité de l'endossement est une garantie, non-seulement pour l’auteur du billet auquel le remboursement sera demandé, mais encore pour chacun des détenteurs qui ont accepté, au-lieu d'argent comptant, une promesse de paiement souscrite à leur débiteur par un inconnu, peut-être un insolvable, et qu'il serait injuste de rendre victimes de leur bonne foi, Il est donc établi par la loi que tout possesseur d'un billet refusé à l'échéance aura un recours contre tous les endosseurs, en remontant à partir du dernier. Grâce à ce contrat simple et énergique, l'effet de commerce circule rapidement et favorise les compensations, puisqu'au lieu d'une seule possible dans le cas de crédit aux livres, il en opère d'autres, en nombre"égal à celui des endos- sements. Economie de numéraire, tel est donc le premier avantage de l'effet de commerce. Lettre de change ou traite. — Avant de parler des autres, il faut indiquer une seconde forme sous laquelle il se pré- sente dans les affaires, celle de la lettre de change ou traite. Le billet ordinaire est une promesse de paiement signée du — 347 — débiteur. La lettre de change est un ordre de payer signé du créancier. Elle se négocie et s’endosse de la même manière que le billet ; seulement il y a recours légal contre le signa- taire d’une lettre de change protestée, c'est-à-dire non payée à présentation. On attribne aux banquiers juifs du moyen âge l'invention de la lettre de change. Les Juifs, persécutis au moyen âge, exclus de la plupart des professions, réduits à se consacrer au commerce des capitaux, dans lequel ils acquirent promp- tement une grande habileté, mais exposés chaque jour à des confiscations suivies d’exil, devaient soustraire leurs richesses au grand jour, en les remettant à des personnes de confiance ; au lieu donc de faire ou de recevoir eux-mêmes les paiements, ils donnaient à leurs clients des lettres secrètes pour les dé- tenteurs de leurs capitaux, et continuaient ainsi leurs affaires à distance, malgré l’édit qui les frappait de bannissement. Telle fut l'origine de la lettre de change. Avantage de la lettre de change; transport de numéraire. — La forme de la lettre de change convient spécialement au second genre d'utilité qu'on retire des effets de commerce, l’économie, non plus de la monnaie, mais du transport de la monnaie. Imaginons qu'un commercant de Paris, en relation d’affaires avec deux commerçants de Marseille, soit débiteur de l’un et créancier de l’autre pour la même somme ; il sera libéré envers le premier par l'envoi d’une lettre de change tirée sur le second ; de cette manière deux dettes seront acquit- tées sans déplacement de numéraire. Nouvel avantage des effets de commerce ; escompte. — Reste un troisième avantage que l'on retire de la possession d'un effet de commerce, la faculté de se procurer de l'argent immé- diatement avant l'échéance. I suffit pour cela de transmettre l'effet à un commerçant appelé banquier, qui fait profession de les escompter, c’est-à-dire de se charger du recouvrement de la somme due, pour son propre compte, et d'en faire l'a- — 348 — vance, mais en retenantt, outre un droit de commission, l'in- térêt jusqu’à l'époque de l'échéance. Certains banquiers don- nent, au lieu d'argent, en échange de l'effet reçu, un papier fiduciaire, connu vulgairement sous le nom de billet de banque, qui circule comme la monnaie sans formalité d’endossement, et doit être remboursé à vue, sur la présentation qui en est faite par le porteur, sans échéance déterminée. Nous revien- drons sur l'usage, le mode de garantie et la valeur de ce pa- pier. L IV Occupons-nous maintenant de la seconde espèce de titres, de ceux qui ont pour objet un capital non remboursable, tels que les titres de rentes ou les actions des compagnies indus- trielles dites anonymes. Titres de rentes. — Généralement, lorsqu'un Etat contracte un emprunt, il ne s'engage pas à restituer dans un délai, dé- terminé ou non, l'argent qui lui est prêté; il vend des rentes, c'est-à-dire qu'il assure au rentier, en échange de l'argent comptant qu’il reçoit, le droit de percevoir indéfiniment la rente, c’est-à-dire l'intérêt d’un certain capital. Acheter un titre de 100 fr. de rente à 3 p. 0/0, c’est acquérir le droit de venir chaque année toucher au trésor la somme de 3 fr., in- térêt au taux de 3 p. 0/0 du capital de 100 fr. En réalité cette inscription du capital fait illusion, car elle est inutile et pour- rait impliquer l'obligation du remboursement; un titre de 9 fr. de rente sans indication du capital correspondant pré- cise avec une clarté suffisante le droit qu'il confère. Si l’on veut, au moyen du litre, se procurer de l'argent, on le vend à une personne qui désire faire un placement et qui en trouve le moyen dans l'acquisition du droit de perce- voir une rente. | La Bourse est un établissement où se négocie ce genre de — 349 — valeurs, et les journaux en publient régulièrement le cours, c’est-à-dire les conditions moyennes auxquelles s’est conclu l'échange. 11 ne faut pas croire, en effet, que le montant du capital inscrit représente le prix de vente du titre, que 5 fr. de rente à 3 p. 0/0 valent 100 fr., en d’autres termes, que le cours ait nécessairement lieu au pair. Il peut en être ainsi, mais ce serait un simple hasard; cet échange, comme tous les autres, est librement débattu entre les parties, qui en fixent à leur gré les conditions. Ces conditions dépendent du crédit de l'Etat, c'est-à-dire de la confiance qu’inspire sa fidélité à remplir ses engagements ; aussi voit-on que tous les événe- ments qui font naître des doutes sur la solvabilité de l'Etat déterminent à la Bourse une baisse des fonds publics : la crainte d’une guerre, par exemple, ébranle le crédit, parce qu’une guerre entraîne l'Etat dans de nouvelles dépenses qui ne peuvent se couvrir que par la voie de l'emprunt; que, d'autre part, elle fait languir l’industrie, une des principales sources de revenus, et pourrait, à la longue, entraver la ren- trée des impôts; qu’ainsi elle augmente tout à la fois les charges et diminue les ressources publiques. Cours de la rente. — Comme le défaut d’une échéance dé- terminée suivie d’un remboursement obligatoire est une ga- rantie de moins pour les créanciers de l'Etat, dont la fortune court tous les risques d’un avenir prochain ou reculé, toutes les éventualités d’une politique incertaine, les fonds publics sont souvent au-dessous du pair. On a vu le 5 p. 0/0 à 85 fr. 90 fr., 95 fr. Par contre, il peut arriver, après une période de paix, de stabilité, de prospérité industrielle, que la con- fiance dans la solvabilité de l'Etat dépasse celle qu'inspire la fortune privée la mieux assise, que les fonds publics parais- sent une source de revenus aussi assurée que celle de la terre, que, par conséquent, on fasse au trésor, à raison de cette sé- curité, des conditions plus avantageuses qu'à un prêteur ordi- naire, et que le cours de la rente s'élève au-dessus du pair; — 350 — le 5 p. 0/0 se vendra alors 105 fr., 110 fr., 115 fr., au lieu de 100 fr., capital nominal. En somme, la rente n’est que le droit de percevoir les intérêts d’un capital non remboursable, et la valeur commerciale d'un titre de rente dépend non du ca- pital nominal, mais des conditions de l'échange librement débattues, régularisées par le jeu de la concurrence. Actions des compagnies anonymes. — Les mêmes observa- tions s'appliquent aux actions des compagnies anonymes, par exemple, d'une compagnie de chemin de fer. La construction d'un kilomètre de chemin de fer, dans des conditions ordi- naires-coûte en moyenne environ 300 mille francs. Supposons un réseau de 1500 kilomètres à construire; c'est un capital de près de 500 millions à dépenser. Or, quelle fortune privée pourrait faire les frais d’une pareille entreprise ? Quelquefois. comme en Belgique, en Allemagne, c’est l'Etat qui la prend à sa charge ; ou bien, et notamment en France, on fait appel à l'association. On divise le capital à fournir en un million de parts, de 500 fr. chacune, auxquelles on donne le nom d'actions. Chaque porteur d’une action est co-propriétaire du chemin de fer, recueille les bénéfices ou subit les pertes de l'entreprise commune pour une fraction proportionnelle à son apport. C’est ainsi que se trouve constituée la compagnie ano- nyme. On peut définir l’action : le droit de recueillir une part proportionnelle des profits et l'obligation de supporter une part proportionnelle des pertes de l'entreprise. Toutefois, la contri- bution aux pertes est limitée à un maximum, montant de la valeur nominale de l’action. Sur une action de 500 fr., le premier versement pour la mise en train de l’entreprise peut, aux termes de la loi, ne pas dépasser le quart. Quand les ap- pels successifs ont épuisé la totalité des 500 fr., l’actionnaire cesse d'être tenu de l’excédant des dettes. En cas de liquida- tion, le capital réalisé serait distribué aux actionnaires à raison du nombre d’actions de chacun d'eux. Jusqu'à la liquidation, le capital ne peut être réalisé que par la vente du titre, dont — 351 — les conditions sont soumises à toutes les fluctuations de la Bourse. Obligations. — Il ne faut pas confondre les actions avec les obligations. Quelques explications sont ici nécessaires : sup- posons une compagnie anonyme propriétaire d'un établisse- ment industriel, soit un chemin de fer qu'elle a créé avec le produit de ses actions. Cette compagnie, à un moment donné, a besoin d’une somme importante, par exemple, pour le re- nouvellement de son matériel roulant, l'agrandissement de ses gares, elc. Alors elle contracte un emprunt, et, pour cela, elle émet des titres portant un intérêt annuel fixe, rembour- sables par voie de tirage au sort dans un temps maximum déterminé et à un taux généralement supérieur à celui de l'émission, afin d'attirer les prèteurs. Ge sont ces titres, né- sociables à la Bourse, comme les actions et les titres de rente sur l'Etat, que l’on désigne sous Le nom d'obligations. On voit que le porteur d'obligations n'est pas, comme l’ac- tionnaire, cCo-propriétaire de l'établissement industriel ; il est seulement créancier de la compagnie. Il en résulte que, en cas de dissolution de la société, toutes les obligations devraient être intégralement remboursées avant que les actionnaires pussent toucher la moindre part de l'actif social. Le service des obligations, intérêt et amortissement, est également assuré de préférence à toute distribution de dividende aux action- naires. Cette deuxième espèce de titres, aujourd'hui très communs, titres de rentes, actions, obligations, a donné lieu à une erreur fort répandue : c'est que le crédit crée des capitaux. Il n’en est rien. De ce qu’un titre de créance ou de pro- priété augmente la fortune d’un particulier dans la mesure du profit pécuniaire qu'il lui donne le droit de réaliser, il n’en résulte pas que la richesse sotiale accroisse de la même quantité. Imaginons un inventaire général des richesses, et, pour le dresser, procédons séparément à l'inventaire de chaque — 352 — fortune privée pour faire ensuite l'addition ; 1l est bien évi- dent que toute somme inscrite à titre de créance dans un des inventaires partiels sera de même inscrite à titre de dette dans un autre et disparaîtra par conséquent dans le compte général; cette somme ne s'ajoute donc pas à la totalité des richesses existantes. Non-seulement le crédit ne crée pas des capitaux, mais il n’est, par lui-même, ni utile ni nuisible au développement de la richesse. Il est utile, s’il procure des capitaux aux per- sonnes capables de les faire valoir ; il est nuisible, s’il les met aux mains de dissipateurs ; C’est dans ce sens seulement qu'il peut influer sur la puissance productive, source de la richesse. Mais si l'existence ou l'extension du crédit n’est pas une cause nécessaire, c'est au moins un signe du développement de cette puissance ; car elle indique que les capitaux circulent rapide- ment, qu'on ne craint pas de les prêter, qu'ils sont donc pro- fitables à ceux qui les font valoir. — 353 — CHAPITRE VI -: DES BANQUES, Le développement du crédit et l'usage quotidien de papiers fiduciaires ont donné lieu à la création d’un genre de com- merce particulier, celui des banques, que nous avons déjà eu l’occasion de nommer. Il y a deux sortes de banques, les banques de commerce et les banques de circulation ou d'émission. Banques de commerce. — Une banque de commerce est une caisse commune des commerçants ; et, comme tout Cais- sier, le banquier joue un double rôle : il recoit et paie pour le compte des commerçants ; il conserve leurs capitaux et les tient à leur disposition. Voyons quelle est l'utilité de cette concentration de services dans ses mains. Rôle du caissier. — Deux commerçants en rapport avec le même banquier concluent un marché dont le paiement doit être fait à une échéance déterminée. Sur un ordre donné par eux, la somme due est inscrite chez le banquier au débit du commercant débiteur, au crédit du commerçant créancier. Cette inscription s'appelle virement. Le banquier prend de cette manière à son compte la dette et la créance de ses cor- respondants; il servira d’intermédiaire pour le paiement; il touchera d’une main pour verser de l’autre. L'ordre est d'or- dinaire transmis au banquier sous forme de lettre de change tirée sur lui par le débiteur. 23 — 354 — Simplification dans les comptes.— Jusqu'ici, tout se réduit à un mode spécial de comptabilité, Quels avantages offre-t-i1? Le premier, c’est une simplification remarquable, une réduc- tion du nombre des comptes ouverts entre les commerçants. En effet, le banquier étant un caissier commun, il suffit, pour inscrire toutes les créances et toutes les dettes, que chaque commerçant ait un compte chez le banquier. Autant de com- merçants, autant de comptes, pas un de plus. Mais supposons que le banquier n'existe pas ; chaque commercant devra ouvrir séparément un compte à chacun de ses correspondants, ce qui fera autant de comptes sur une place qu’il y aura de couples de commerçants pris deux à deux. Pour trois commerçants A, B,C, (fig. {), il faudra trois comptes, celui de A avec B, de B avec G et de C avec À. Pour quatre commerçants A, B, C, D (fig. 2), il faudra six comptes, ceux de A avec B, de B — 359 — avec C, de G avec D, de D avec A, puis de A avec C et de B avec D, tandis que les quatre comptes de A, B,C, D avec le banquier auraient suffi. On voit de même (fig. 3) que cinq commerçants ne pourraient se mettre directement en rapport deux à deux qu'au moyen de dix comptes : dix au lieu de cinq, ouverts chez le banquier, et ainsi de suite. Telle est la simpli- fication introduite par le rôle du banquier dans la tenue des écritures. Economie de numéraire. — Cet avantage, déjà considérable, est toutefois bien insignifiant auprès de celui qui résulte de l'économie de numéraire réalisée par le banquier, en favori- sant les compensations. Imaginons un commerçant A (fig. 4) Déëit deA Crédit de À 6,F B46 Br * Sr 3 Débrt de A Crédit de A en rapport d'affaires avec d’autres commerçants B, C, D, E, F. Il leur doit respectivement à la fin du mois, échéance con- venue, les sommes 3 fr., 9 fr., 5 fr., 7 fr., 6 fr. En revanche, il lui ést di par eux les sommes 6 fr., 3 fr., 9 fr., 5 fr., 7 fr. S'ils n'ont pas choisi de banquier, chaque compte devra s'é- quilibrer séparément ; ou si la compensation ne s'établit qu'en partie , l'excès sera payé en numéraire. Les différences sont 3 fr., 4 fr. et { fr. au profit de A, de ? fr. et 6 fr. au profit de ses créanciers ; ce qui fait 8 fr. à recevoir d’une part, 8 fr. à payer de l’autre. Admettons que les 8 fr. rentreraient dans la caisse de À, apportés par B, D, F, avant d’en sortir sur la de- mande de C et de E, condition la plus favorable à l'économie du numéraire ; toujours est-il que cette économie ne saurait en descendre au-dessous de 8 fr., nécessaires pour solder les cinq comptes, même au moyen de la combinaison la plus ingé- nieuse. Imaginons maintenant qu'il y ait des comptes ouverts chez un banquier; il suffira de solder chacun de ces comptes : celui de À, par exemple, s'équilibrera par une compensation exacte entre les créances et les dettes ; 8 fr. à recevoir, 8 fr. à payer; différence : zéro. Aïinsi, grâce au. nouveau mode de comptabilité, la compensation, qui d’abord devait s'opérer dans le compte de chaque couple de commercants , peut avoir licu indistinctement entre le compte de l’un quelconque d’entre eux chez le banquier et les comptes de tous ceux qui ont contracté avec lui. Il On voit, d’après ces considérations, que la monnaie serait inutile dans le monde à une double condition : 1° Qu'il n’y eût qu’une seule banque, et que tous les com- merçants fussent en rapport avec elle; 2° Qu'elle eût assez de confiance dans ses correspondants pour ne leur demander jamais aucune avance de fonds et ne jamais liquider son compte avec eux..En effet, la balance cest toujours strictement établie entre les livres d’un banquier; car s’il fait un virement, la somme qui entre au débit de l’un des comptes entre à la fois au crédit dans un autre; de telle sorte qu'on ne pourrait concevoir des doutes sur sa solvabi- lité, s’il était assuré lui-même de celle de ses débiteurs. . Rapports entre les banquiers. — La première condition est approximativement réalisée par les rapports établis entre les banquiers. L'ordre de payer donné à l’un d'eux par un com- merçant débiteur se transmet de banquier à banquier, jus- qu'à celui qui est en compile courant avec le commercant créancier, Chaque banquier n'est ainsi qu'un agent intéressé _et responsable de la lanque universelle ; de telle sorte que, si nous n'avions pas énoncé d'autre condition, la monnaie ne — 357 — serait utile que pour solder les comptes des commerçants qui n'ont pas de banquier ou dont le banquier ne correspond pas avec le marché général. Mais il s'en faut beaucoup que la seconde condition soit réalisée comme la première : le ban- quier qui opère un virement sc constitue à la fois créancier et débiteur à la place de ses correspondants; or, il ne peut raisonnablement se constituer débiteur, si, comme créancier, il manque de garanties. Il ne peut prendre à sa charge et sans compensation le risque de l'insolvabilité de l’un de ses clients. Il ne consent donc à payer que pour le compte de commerçants qui lui confient leur caisse, lui offrent des ga- ranties en le constituant leur trésorier ordinaire, et ne con- servent eux-mêmes que les fonds de roulement journalier de leur commerce. Lorsqu'un commerçant est trop en retard avec son banquier et que celui-ci craint de se compromettre par de nouvelles avances, il arrête son compte avec lui et refuse de rien verser sur son ordre tant qu’il n'aura pas recu d'argent. Que devient cet argent dans la caisse du banquier ? A quoi bon les virements et les compensations qui en résultent, si le numéraire dont il devait économiser l’usage reparaît pour la garantie du banquier chargé de ces opérations? Toute la différence consiste-t-elle à immobiliser la monnaie dans la caisse du banquier, au lieu de la laisser circuler dans les mains des commerçants? Ceci nous amène à parler du se- cond rôle du banquier comme agent de placement. Placement d'argent par l'intermédiaire du banquier. — L'argent ne reste pas stérile dans la caisse du banquier. Le banquier le fait valoir ; il le place, le prête à des industriels qui s’en servent pour fonder des manufactures, pour con- struire des machines; cet argent devient donc un capital, un instrument de travail, un agent de production, tandis qu'entre les mains des commerçants, il n'aurait eu d'autre utilité que celle de représenter la valeur des marchandises échangées. — 908 — Mais cette sorte de cautionnement accordé au banquier pour sa garantie perd le caractère d’un dépôt pour prendre celui d'un simple prêt, dont la restitution dépend des chances bonnes ou mauvaises d’une véritable spéculation. A leur tour, les commerçants qui courent le risque de l’insolvabilité du banquier et lui livrent un capital productif, ont le droit d'exiger une rémunération et des garanties : le banquier leur sert donc un intérêt annuel; et lui-même, mieux en état par la nature de ses relations et la quantité de capitaux dont il dispose de faire de bons placements, tâche d’en tirer un profit plus considérable, Ainsi, tandis qu’il ne paie, par exemple, que 2? 1/2 ou 3 p. 0/0 aux commerçants, il tire au moins 6 p. 0/0 de ses prêts. III Banques de circulation ou d'émission. — Outre les effets ordinaires, signés et endossés par les commercants, il circule des billets dits de banque, émis par des établissements spéciaux auxquels on donne le nom de banques de circulation ou d’é- mission. Un billet de banque est une promesse de paiement au por- teur et à vue ou sans échéance fixe : au porteur, c'est-à-dire qu’il circule sans formalité d’endossement destinée à constater par quelle voie il est venu entre les mains du détenteur ac- tuel ; à vue, c'est-à-dire que le remboursement peut en être demandé à une époque quelconque, fût-ce l'instant qui sui- vrait immédiatement celui de son émission hbrement accep- tée ; car la banque en général n’a droit d’obliger personne à recevoir ses billets. Cependant on voit le billet de banque passer de main en main avec la même facilité que la mon- naie, donné et reçu en paiement comme argent comptant, sans aucune garantie. 11 semble, à voir cette confiance, qu'il représente une somime déposée et conservée en espèces son- nantes dans la caisse de la banque, de telle sorte que chacun, — 399 — assuré de le pouvoir retirer quand il voudra, trouve commode de garder et de transmettre simplement le billet, afin de s’é- pargner le transport d’une richesse encombrante. Pour nous rendre compte des motifs de ce crédit, voyons en quoi le billet de banque se rapproche du billet de commerce, en quoi il en diffère. Analogies du billet de banque avec le simple billet de com- merce. — Les analogies d'abord : 1° De même que le billet de commerce, le billet de banque sert à économiser la monnaie comme instrument d'échange. Emis par la banque, qui le fait accepter soit à un créancier dont elle obtient libération, soit à un emprunteur dont elle escompte le titre, le billet circule de main en main jusqu’au moment où il est présenté au remboursement, après avoir éteint sur son passage une série de dettes. Il peut même ar- river que le billet revienne à la banque par la voie d'un de ses débiteurs, qui le lui rapporte en paiement; dans ce cas, sa rentrée, comme sa sortie, est marquée par l'extinction d’une dette, et le numéraire n’est utile en aucun point de sa circulation. 2 En second lieu, le billet de banque, comme le billet de commerce, est fondé sur le crédit, auquel il emprunte toute son utilité. Le billet n'est recu au lieu d'argent que parce qu'on a l’assurance d’en réaliser, quand on voudra, la valeur. Si cette assurance n’est pas fondée, si la banque refuse de rembourser ses billets à présentation, la confiance s’ébranle ; tous les porteurs de billets prennent l'alarme et viennent à la fois réclamer de l’argent, et si la banque n'est point en me- sure de faire face à de telles exigences, elle est punic par une mise en faillite. Le crédit d’une banque a donc la même source que celui de tous les commerçants : la fidélité scrupu- leuse à un engagement librement accepté. De là résultent plusieurs règles de prudence qu'une banque doit toujours observer, sous peine de compromettre son crédit : — 360 — 1° Elle doit toujours posséder, soit en biens-fonds, soit en numéraire, soit en valeurs en portefeuille, titres et créances de toutes sortes, un avoir au moins équivalent à la somme de billets en circulation, sans quoi elle ne serait qu'un commer- cant endetté, dont le passif surpasse l'actif, et ne pourrait ré- pondre que par une déclaration en faillite à une demande générale de remboursement." 2° II faut en second lieu que cet avoir puisse être réalisé en espèces sonnantes, car le papier n’est recu que comme un moyen de se procurer au besoin de l'argent. Encaisse métallique. — 3° Elle doit enfin se ménager un fonds de roulement disponible en numéraire pour faire face aux demandes de remboursement qui ne coïncideraient pas avec les rentrées prévues. Toutefois, par suite du nombre de ses billets et du défaut d'échéance fixe, elle reste bien plus exposée qu'un banquier ordinaire au risque d’exigences inat- tendues. En France, où le privilége d'émettre des billets ap- partient à une seule banque, le gonvernement n'a pas reculé, dans des moments de crise, devant l'emploi d’un moyen éner- gique, dont l'efficacité est démontrée par la pratique : il a décrété Le cours forcé des billets, c'est-à-dire obligé les parti- culiers à les recevoir comme de la monnaie, ce qui dispense la Banque de les rembourser, et, pour cela, de réaliser ses valeurs en portefeuille. En prenant une telle mesure, l'Etat ne crée pas un papier monnaie, puisqu'il accorde simplement à la banque un délai sans lequel elle ne pourrait transformer en argent des titres ayant d'ailleurs une valeur réelle. Peu à peu les fonds rentrent, les demandes de remboursement ces- sent et, la confiance renaissant, les affaires reprennent leur cours normal. Expédient du cours forcé. — Cependant la légitimité d’un pareil expédient reste contestable, puisqu'il revient à dispen- ser, dans une certaine mesure, la Banque de tenir l'engage- ment qu’elle avait pris de payer ses billets à vue, D'ailleurs, — 361 — - la durée n’en peut être indéfinie; si le cours forcé était admis en principe, au lieu de passer pour une mesure transitoire, le public, qui ne prend point du papier pour de l'argent, fini- rait par douter de la solvabilité de la banque et refuserait les billets en dépit de toute contrainte. IV . Différences entre le billet de banque et le billet de com- merce. — Jusqu'ici nous n'avons constaté entre les billets de commerce et les billets de banque que des analogies. Voyons maintenant les différences Il y en à deux principales : 1° La première, c’est que les billets de banque circulent, comme la monnaie, sans endossement. Ce n’est pas seule- ment la dispense d’une simple formalité destinée à constater la marche du billet ; c'est la suppression d’une garantie légale. Nous avons vu, en effet, que: le porteur d'un billet de com- merce protesté a un recours non-seulement contre celui des mains duquel il l’a reçu, mais contre l’un quelconque des endosseurs précédents. [ci la marche du billet ne laisse pas de trace ; il est offert sans garantie, accepté sans condition ; la banque seule est responsable d’une promesse de rembour- sement. Aussi ne peut-elle faire accepter et circuler ses bil- lets qu'à la condition d’inspirer plus de confiance et de mé- riter, plus de crédit. Si cette confiance n'est pas trompée, le commerce retire un avantage réel de l'emploi d’un papier fiduciaire dont la circulation est si facile. ° Paiement à vue; taux de l'escompte. — 2° La seconde dif- férence qui sépare les billets de banque des billets de com- merce, c'est qu'ils sont payables à vue, sans jour d'échéance déterminé. D'où il résulte que la banque, incertaine sur le jour de la demande de remboursement, ne saurait être en règle qu'à la condition de conserver en caisse une certaine _ — 9362 — réserve de numéraire inactive, variable, dont l’appréciation exige beaucoup de tact ; car elle doit être assez forte pour sou- tenir le crédit du banquier, pas assez pour laisser improductif un capital qui pourrait être placé sans danger. C'est une sorte de cautionnement substitué à la garantie multiple de l’endos- sement qui protège les détenteurs d’effets de commerce, et c'est l'épuisement accidentel de cette réserve qui motive en général le recours à l’expédient de la circulation forcée. En temps ordinaire, la banque se borne à élever le taux de l'es- compte, qui en ralentit la demande et permet d'attendre les rentrées de numéraire par la réalisation des valeurs en por- tefeuille. Le taux de l’escompte devient ainsi le. régulateur des émissions. | La banque de circulation est donc obligée d'immobiliser une portion de ses capitaux plus considérable que la banque de commerce. Mais quel avantage retire-t-elle d'une émission de papier qu’elle ne peut soutenir qu'au prix de charges in- connues aux banquiers ordinaires? Un avantage exception- nel, celui de se procurer sans intérêt un capital supérieur à celui qu'elle laisse volontairement improductif. C’est ce qu’il importe de bien comprendre. Un banquier ordinaire qui se bornerait à escompter le pa- pier de commerce sans recevoir de placements, ou, pour em- ployer le langage ordinaire, de dépôts, afin d'alimenter sa caisse, serait nécessairement obligé de régler le chiffre des escomptes sur les rentrées de numéraire, au fur et à mesure des recouvrements qu'amène l'échéance des effets précédem- nent escomptés, formant ce que l'on appelle son portefeuille. La même réserve s'imposerait à une banque de circulation qui se contenterait d’escompter en billets au lieu d’escompter en argent, et qui se croirait tenue de conserver en caisse le numéraire provenant des rentrées et représentant la valeur des billets en circulation. Certaines banques se sont ainsi fait une loi de n'émettre en billets que lexacte représentation de leur encaisse métallique. Dans ce cas, le seul avantage du — 363 — billet est pour le commerce, qui évite les transports de mon- naie; quant à la banque, elle ne tire aucun profit de son cré- dit ; sa situation est celle d’un banquier qui, n'ayant en caisse que des dépôts à jour et ne leur bonifiant pour ce motif au- cun intérêt, ne cherche pas non plus à les faire valoir. Cette timidité toutefois persiste rarement; les billets offrant au public tous les avantages de la monnaie, ne sont presque jamais présentés au remboursement tant que le crédit se sou- tient; l’encaisse métallique forme donc une réserve excessive pour les besoins; et le crédit manifesté par la circulation des billets, la banque n’a d'autre moyen de le mettre à profit que d'employer en placements une partie de l’encaisse. Il lui suf- fit, pour cela, de forcer le chiffre de ses escomptes au lieu de le mesurer exactement sur celui des recouvrements dispo- nibles, et d'émettre ainsi des billets représentant, non plus une valeur de numéraire en caisse, mais des valenrs en por- tefeuille. Tout escompte de papier au moyen de billet effectué en sus du montant de l’encaisse métallique constitue pour la banque le placement d’un capital qui ne lui coûte rien; la banque dispose ainsi gratuitement d’un capital égal à la dif- férence entre le montant nominal des billets émis et le mon- tant réel de l’encaisse, capital qu'un banquier ordinaire ne se procurerait qu'au moyen de dépôts ; et, tandis que la banque de circulation perçoit en entier sur l'emploi de ce capital le bénéfice de l’escompte, un banquier ordinaire ne le perçoit que sous déduction de l'intérêt qu’il sert lui-même aux dépo- sans. V Différence entre le billet de banque et le papier monnaie. — Les développements qui précèdent montrent suffisamment quelle différence il y a entre le billet de banque et le papier monnaie. Le billet de banque représente l'avoir de la banque, qui peut être réalisé pour opérer au besoin le remboursement. — 364 — Le papier monnaie ne représente rien ; et c'est une singulière illusion de croire que le public acceptera un morceau de car- ton pour 100 fr., sur la foi de l'Etat qui, sans condition d’au- cune sorte, y aurait fait inscrire cette valeur. Il n’y a pas d'autorité ni de crédit qui ait le pouvoir de créer un capital, et le bon sens public ne s'y trompe pas. Si la monnaie est acceptée, de tout le monde, c'est que tous les métaux avec lesquels elle est fabriquée ont une valeur propre, qui résulte . des usages auxquels ils sont universellement appliqués. La monnaie, sans doute, n’est employée dans le commerce que comme intermédiaire, comme signe représentatif de la valeur des objets échangés ; mais elle ne représente pas seulement cette valeur ; elle la renferme pour ainsi dire; en sorte que celui qui la recoit, en retour d’une marchandise, recoit une valeur réelle et non une valeur fictive, un simple signe de valeur, quelque chose en échange de rien. Dangers du papier monnaie. — A la vérité, nous avons vu que la quantité de numéraire qu’exigent les transactions est une quantité limitée; et s’il n’existait point de marchandise qui püt servir commodément d’intermédiaire général dans les échanges, on comprendrait que l'Etat émit un papier repré- sentant cette somme indispensable de monnaie, s’engageàt (mais quelle garantie?) à ne pas en émettre davantage et le fit accepter, circuler, comme une monnaie véritable. Mais à quoi bon cette monnaie fictive, quand nous avons à notre disposition une monnaie réelle qui ne présente point les mêmes dangers ? Est-il donc si facile d'évaluer la quantité de numéraire que réclame le commerce, afin de proportionner exactement l'émission aux besoins actuels? Et l'Etat tenant dans ses mains une source en apparence inépuisable de ri- chesse, ne sera-t-il point tenté, dans un moment d’embarras financiers, de battre monnaie avec la planche à graver? Le papier monnaie a existé sous le nom d’assignats pendant la révolution française ; et, bien qu'il ne fût pas à cette époque — 365 — complétement dénué de garantie, comme nous venons de le supposer, puisqu'il était hypothéqué sur les biens nationaüx, l'Etat l’émit en quantité tellement supérieure soit aux besoins du commerce, soit à la valeur des biens servant de gage, que le bon sens public fit justice de cette richesse imaginaire. Il s'établit dans les transactions un cours conventionnel chaque jour plus déprimé, malgré la rigueur des lois qui imposaient le cours nominal; l'Etat lui-même fut bientôt réduit à prendre le cours réel comme taux de remboursement des assignats, en rejetant sur les créanciers, par une banqueroute déguisée, l'énorme perte qui résultait de leur dépréciation. Liberté ou monopole des banques. — Le billet de banque n'est pas un papier monnaie, puisqu'il représente l'avoir de la banque affecté au remboursement, Cependant la facilité de l'émission est un danger. La quantité de numéraire dont le commerce a besoin étant limitée, et le billet de banque rem- plaçant en partie le numéraire, tout billet émis en sus de cette quantité sera, par suite de la difficulté de circulation, promptement présenté au rembou+sement, et la banque punie de son imprudence et de sa mauvaise foi par une mise en faillite. Cette garantie de l'intérêt personnel paraît suffisante dans certains pays pour prévenir une émission de billets ex- cessive; on y laisse donc aux banques pleine liberté; on compte même sur la concurrence pour les déterminer à riva- liser de crédit en augmentant leur encaisse métallique. Mal- gré les inconvénients du monopole, qui fait disparaître cette concurrence, on a préféré, en France, accorder celui de l'é- mission de billets à un seul établissement, mais en le sou- mettant à une surveillance de la part de l'Etat, qui détermine par la loi le maximum des émissions et vérifie régulièrement le montant de l'encaisse métallique, des valeurs en portefeuille, des billets en circulation. Ce bilan est publié chaque semaine au Journal officiel, et le public peut se rendre compte par lui- même de la situation de la banque, de sa solvabilité, de son — 366 — crédit. C'est le régime du contrôle administratif substitué au régime de la liberté complète. L'expérience n'a pas encore définitivement prononcé sur le mérite de ces deux systèmes. Peut-être même ce mérite n'est-il pas absolu et dépend-il des habitudes commerciales du pays. Gependant les économistes inclinent vers une extension de la liberté; et l'on ne peut guère contester qu’un peuple ne soit d'autant plus en progrès qu'il fait moins appel à l'intervention de l'Etat. T— 367 — CHAPITRE VII . DES PROFESSIONS. Diverses extensions de l'échange. — Nous avons vu quels changements la pratique de l'échange a introduits dans les habitudes des hommes; chacun à promptement reconnu qu’il n'y avait rien de plus avantageux que de se renfermer dans l'exercice exclusif d’une profession et de se procurer, par l’é- change des produits fabriqués, tous les objets nécessaires à la satisfaction de nos besoins. C’est ainsi qu'on a développé au plus haut point les avantages de la coopération et tiré le meil- leur parti de l'habileté particulière que donne à l'artisan la pratique quotidienne de son métier. L’échange s’étendit peu à peu, non-seulement aux objets fabriqués, mais à divers contrats, tels que la prestation de travail, le prêt d'argent, le louage, etc. L'ouvrier fournit sa journée moyennant salaire ; le capita- liste engage ses capitaux pour en retirer un intérèt; le pro- priétaire stipule une redevance d’un locataire ou d'un fer- mier, en leur conférant le droit d’habiter sa maison, de culti- ver ses terres et d'en récolter les produits. Ces contrats, comme celui de vente, sont conclus à des conditions librement dé- battues entre les parties ; et ces conditions sont déterminées, comme celles de l'échange d'objets fabriqués, par la loi de l'offre et de la demande, Examinons quelle est l'influence de cette loi sur les conditions de l'échange appliqué aux divers genres de services. = y 11. = Îl Echange de services. — L'industrie s’alimente par deux genres de prestations : le capital et le travail. Tous les deux lui sont également nécessaires, car ellé ne peut se passer ni d'instruments de fabrication ni de bras pour manier ces in- struments ; tous deux sont rémunérés. La rémunération du capital prend le nom d’intérét, celle du travail celui de salaire. Capital et travail peuvent être compris sous le nom générique de services, à la condition toutefois d'entendre le travail dans son acception la plus large : tout effort utile de corps ou d’es- prit fait en vue d’une rémunération. Le professeur, l'avocat, le médecin, le fonctionnaire, dont les services sont réclamés par les besoins sociaux, travaillent à ce titre comme le ma- nœuvre. En 1848, alors que les dénominations qui impli- quaient l'égalité de condition étaient à la mode, on avait 1ma- giné, pour les désigner, le terme d'ouvriers de la pensée; le mot a passé, mais l'idée est juste et subsiste en économie politique. Echange direct; échange indirect. — Tantôt la prestation de services a lieu directement sur la demande du consomma- teur : c’est le cas du professeur, de l'avocat, du médecin aux- quels on vient demander des lecons, des consultations ou des soins. Tantôt elle à lieu par intermédiaires ; c'est le cas des services rendus par toutes les industries qui fabriquent des produits ouvrés : le consommateur s'adresse au détaillant, celui-ci au négociant en gros, ce dernier au fabricant, qui traite lui-même, soit directement, soit par l'intermédiaire du banquier et de l’entrepreneur, avec le capitaliste et l’ouvrier. Négociant, fabricant, banquier, entrepreneur sont autant d'intermédiaires utiles qui mettent en relation le consomma- teur et les producteurs véritables : capitalistes et ouvriers. Direction de l'industrie par les consommateurs. — D'ordi- naire, les produits sont fabriqués et les magasins ajprovi- sionnés d'avance. Chaque année, tant de chapeaux, de vête-- menis, de meubles, etc., sortent des ateliers et sont livrés au commerce, qui les écoule au fur et à mesure des besoins. On — 369 — se fonde généralement sur la stabilité des habitudes pour fabriquer à peu près chaque année le même nombre de pro- duits anciens de même espèce et pour donner à l'industrie une marche régulière. Si l’on s’est trompé dans ses prévisions, la hausse ou la baisse des prix montre bientôt de quel côté est l'excès, de quel côté est l'insuffisance, et indique les cor- rections à apporter au roulement traditionnel pour répondre au désir du consommateur, qui ralentit ou accélère la com- mande. En somme, directement ou indirectement, il y a demande de services de la part du consommateur, offre de services de la part du capitaliste et de l’ouvrier ; et la direction de l'in- _ dustrie appartient à l’ensemble des consommateurs. Demande de services: offre de services. — Chaque année, une certaine somme de richesses est consommée pour sub- venir aux besoins réels ou factices des divers membres de la société. Cette somme représente la demande de serviees. Le reste des richesses est économisé, et, comme l'économie véri- table consiste à consommer pour reproduire avec bénéfice, cette nouvelle somme, livrée à l’industrie, représente en ca- pital l'offre de services. En travail, l’offre de services est repré- sentée par le nombre des ouvriers ou agents de diverse na- ture, qui demandent à employer, moyennant salaire, leurs bras ou leurs talents. Tout service industriel affecte l'une de ces deux formes : capital ou travail. Il Personnes nuisibles à la société. — Tout le monde concourt donc à la demande de services, puisque tout le monde con- somme ; tout le monde participe également à l'offre, si l’on excepte les avares, qui thésaurisent au lieu de faire valoir leur argent ; les mendiants, les voleurs, qui vivent aux dé- pens d'autrui; les paresseux, prodigues et dissipateurs, qui 24 — 310 — consomment inutilement un capital; trois classes de gens nuisibles à la société. Au point de vue moral, le voleur est de beaucoup le plus coupable, parce qu’il consomme le bien d'autrui et non le sien; sa paresse est aggravée par un crime contre la propriété. Au point de vue de la prospérité publique, tous causent à la société le même préjudice : un capital inu- tilement détruit ou méchamment soustrait à la circulation, donc un appauvrissement général. L'opinion est peu favorable aux avares, bien que la loi ne les atteigne pas, car il a paru utile, au point de vue de la sé- curité privée, de respecter le droit de propriété dans sa rigueur la plus absolue et d'en tolérer même le mauvais usage. Mais l'opinion est souvent plus indulgente pour les prodigues, qui, dit-on, ne font de mal qu’à eux-mêmes, et bien loin de nuire à la société, font, par leurs dépenses, aller le commerce. C'est là une déplorable erreur : le prodigue ne commet pas seule- ment la faute de consommer pour ses jouissanees personnelles la subsistance de plusieurs familles, il a le tort de détourner l'industrie de sa direction rationnelle, d'encourager, par l’u- sage qu il fait de sa fortune, le développement des industries de luxe, qui sont démoralisantes, parce qu’elles ne procurent que des satisfactions de vanité, au préjudice des industries nécessaires ou bienfaisantes, de celles qui contribuent au bien-être général et à l'entretien de la santé publique, en abaissant par une production plus abondante et moins coùû- teuse le prix de la nourriture, du logement, du vêtement, dans l'intérêt des familles pauvres; de celles aussi dont les produits n’apportent pas seulement une jouissance passagère, mais serventeux-mêmes, comme les machines, d'instruments de production et s'ajoutent au capital du pays, source pre- mière de la richesse publique. Rôle du capitaliste. — S'il convient de flétrir le prodigue, malgré les complaisances de l'opinion, il est juste en revanche de reconnaitre les immenses services rendus par le sage ad- — 311 — ministrateur d’une grande fortune, et de combattre l'injustice du préjugé populaire dont il est souvent victime. Le riche qui consacre ses capitaux à l’agricultutre, aux industries utiles, est le bienfaiteur de son pays; car la force productive ne s’ac- croit, à égalité de population, que par l'abondance des capi- taux. Il n'y a donc pas lieu de distinguer, au point de vue de l'utilité publique, entre le riche et le pauvre, l’ouvrier et le capitaliste, Les uns et les autres rendent à la société un ser-. yice et recoivent une rémunération. Aujourd'hui ce sont les riches que l’on accuse trop fréquemment d’absorber, comme des parasites, la substance du peuple; autrefois, sous l’em- pire de préjugés différents, c'était la classe des grands pro- priétaires fonciers, noblesse et clergé, qui repoussait l’assimi- lation avec les membres salariés des classes vouées à lindus- trie et au commerce. Mirabeau, combattant à la tribune de l’Assemblée constituante cette prétention aristocratique d'é- pargner aux gens de condition l'exercice d’une profession lucrative, déclara qu'il ne connaissait que trois moyens d'exister dans la société : être voleur, ou mendiant ou salarié. Il appliqua la dernière qualification, même au propriétaire, en présentant ses revenus comme la rémunération du service rendu à la société par la conservation de ses capitaux. I Egalité des professions devant l'économie politique ; rému- nération des diverses professions. — De ce point de vue, toutes les professions, même les plus élevées, comme le sacerdoce et la magistrature, sont ramenées au même niveau par l’éco- nomie politique. Elle considère le monde comme une vaste entreprise qui réclame à chaque instant pour alimenter la production industrielle, diriger le travail et maintenir l’ordre, tant de laboureurs, de vignerons, de tonneliers, de menui- siers, d'ébénistes, de forgerons, de boulangers, d'artisans de toutes sortes ; Lant d'entrepreneurs, de commerçants, d’ar- — 372 — tistes ; tant de prêtres, de magistrats, d’administrateurs ; enfin tant de capitaux ; car la seule différence entre le capi- taliste et l’ouvrier ou le fonctionnaire, c’est que l'utilité de ceux-ci se mesure à l'importance de leurs prestations person- nelles, tandis que celle du capitaliste se mesure à l'importance de ses capitaux. Ces fonctions diverses, ces prestations de travail ou de capitaux sont mises pour ainsi dire en adjudi- cation, de telle sorte que, l'enchère une fois ouverte, la ré- munération de chaque profession doit être déterminée, dans cèt échange de services, comme le prix de chaque objet dans un échange de produits, par la loi de l'offre et de la demande. Les professions rémunérées par autorité n’échappent pas elles-mêmes aux effets de la concurrence. Sans doute la con- currence manifestée par le nombre excessif ou insuffisant de candidats aux fonctions publiques ne détermine qu'à de longs intervalles une révision des traitements des fonctionnaires ; mais elle influe sans cesse sur l'utilité des services rendus : les fonctions trop mal rétribuées en raison de leur importance, sont abandonnées par les hommes les plus intelligents, qui préfèrent embrasser une carrière industrielle, et laissées par eux aux hommes médiocres qui n’y seraient pas parvenus sans la retraite des premiers. C'est ainsi que la cherté d'un produit sur le marché se traduit non-seulement par-l'éléva- tion des prix, mais par l'abaissement de la qualité. Il résulte de là que, si tout le monde pouvait également concourir pour toutes les professions, et s’il n’y avait aucun motif de préférer l’une à l’autre, à part la différence de rému- nération, cette différence, sauf quelques légères fluctuations, serait nulle. En effet, chacun se porte lui-même et cherche à diriger ses enfants vers les professions les mieux rémunérées. Or, ce concours même, qui rend la demande supérieure à l'offre, fait baisser la rémunération et détermine la retraite d'une partie des candidats ; l'équilibre ne peut s'établir que quand l'offre est partout égale à la demande, et que toutes les professions sont également remplies selon les besoins ; or, les OT) — différences de rémunération disparaissent en même temps que cette disproportion entre l'offre et la demande qui les avait causées. Principe de l'égalité de rémunération. — L'égalité de ré- munération serait done une loi économique, mais à une double condition : {° le concours de tous les hommes pour toutes les professions ; 2° l'absence de tout motif de préférence qui les porte vers l'une plutôt que vers l’autre. Or, il s’en faut beau- coup que ces deux conditions soient réalisées. Parlons d’abord de la seconde. Restriction. — L'intérêt pécuniaire, autrement dit l'iné- galité de rémunération, n'est pas le seul motif qui guide un homme dans le choix d’une profession. Il en est d'autres que nous distinguerons en deux classes, d’après leur nature. La première comprendra les sentiments égoïstes, tels que la pa- resse naturelle, l'amour du bien-être, le désir de la conser- vation, la crainte de la douleur. Principe de rémunération proportionnelle. — L'homme, nous l’avons déjà remarqué, n'aime pas le travail, bien qu'en général il redoute plus encore la pauvreté; il n’affronte vo- lontiers ni le danger ni la fatigue; il évite le souci. Les pro- fessions pénibles, dangereuses, difficiles, sont donc les moins recherchées, et grâce au défaut de concurrence, leur rému- nération s'élève. Mais tout homme capable de braver le dan- ger et la fatigue, de résoudre heureusement une difficulté, rend un service exceptionnel qui mérite une rémunération spéciale; donc si cette restriction au principe énoncé plus haut était la seule, on pourrait y substituer celui-ci : {a rémuné- ration est proportionnelle au service rendu. Malheureusement, la seconde condition à laquelle nous avons tout d'abord subordonné l'exactitude de ce principe, la concurrence générale de tous les hommes pour toutes les pro- lessions, cette seconde condition n’est pas remplie dans la so- cièté. En droit, tout citoyen est également admissible à toutes — 314 — les charges; les priviléges ont disparu dans notre pays; mais en fait, la plupart des professions exigent des conditions d’ap- titude naturelle ou d'éducation, des dépenses d'apprentissage ou d'instruction qui excluent d’abord le plus grand nombre des candidats; celle de capitaliste, notamment, n’est accessible qu'à ceux qui ont des capitaux disponibles, Ainsi les excep- tions au principe énoncé se multiplient au point de devenir la règle. L'insuffisance de fortune ne peut être réparée ni par les lois ni par les mœurs : elles ne sauraient faire un propriétaire sans propriétés ni un capitaliste sans capitaux. Il en est de même des qualités naturelles, physiques ou morales : les hommes diffèrent toujours entre eux par la force, l’intelli- gence; par la variété des dons du corps et de l'esprit qui dé- cident de leurs goûts et de leur vocation. Mais le défaut d'in- struction générale n’est pas invincible, et, dans une société démocratique, les lois doivent pourvoir à la diffusion de l'in- struction primaire, mettre l'éducation à la portée de toutes les familles, rendre le concours pour les professions diverses plus accessible, et, dans cette mesure, atténuer les inégalités de condition qui résultent de la naissance. Répartition de la richesse ; professions manuelles; profes- sions libérales. — La profession la moins rétribuée est celle pour laquelle tout le monde peut concourir sans condition de fortune et de capacité : c’est celle de journalier. En effet, en vertu de la loi de l'offre et de la demande, les ressources pro- venant de la rémunération doivent augmenter progressive- ment depuis les professions inférieures, les plus recherchées, où elles fournissent le minimum indispensable de consom- mation, jusqu'aux professions supérieures, les moins acces- sibles, où elles procurent toutes les superfluités de la vie élé- gante et recherchée. Ces termes supérieures, inférieures, em- ployés à raison des différents salaires, n’impliquent nullement l'idée d’une estime particulière qui s'attache aux unes plutôt — 370 — qu'aux autres. Toutes les professions sont également hono- rables, parce que toutes sont nécessaires dans la société. Mais il s’en faut beaucoup que toutes soient également favorables au développement de l'individu. Plusieurs, comme celle de manœuvre ou de domestique, nuisent aux progrès de l'intel- ligence par l’excès du travail manuel ou de la sujétion mo- rale. D’autres, comme celle de prêtre, de jurisconsulte, de professeur, élèvent l'esprit par les grandes idées de religion, de justice, de vérité, vers lesquelles elles le ramènent sans cesse. On se demande quelquefois si les hommes admis aux pro- fessions les plus libérales en deviennent plus heureux, et l’on entend répéter cet adage vulgaire, que l'instruction, pas plus que la richesse, ne fait le bonheur. À ce compte, le bonheur r’existerait que pour les animaux. Si complexe que soit l’idée de bonheur, elle se concoit difficilement en dehors du senti- ment de la dignité personnelle, et l’homme croit s’honorer non-seulement par ses vertus, mais par ses lumières. Une société aristocratique , comme l’étaient la plupart des an- ciennes, s'efforce généralement de maintenir les familles, de père en fils, dans l'exercice d'une même profession ; c’est une mesure d'ordre publie, ou plutôt un gage de sécurité pour les castes qui se sont réservé le gouvernement de l'Etat. Mais aujourd'hui, sous le régime nécessaire de l'égalité devani la loi, les professions libérales auxquelles appartiennent la di- rection du travail et la conduite des affaires publiques sont ouvertes à tous; c’est le but commun offert à la juste ambi- tion des individus ou des familles. La civilisation se déve- loppe en se renouvelant par l'introduction perpétuelle au sein des classes dirigeantes d'éléments nouveaux; l’industrie se perfectionne aussi par ce mélange des professions, qui rap- proche le simple artisan de l’homme cultivé et met au service du travail manuel les découvertes de la sciénce, — 3176 — CHAPITRE VIII DES ENTREPRISES. I Définition de l’entreprise industrielle. — Les personnes qui concourent à la production industrielle, capitalistes, ingé- nieurs, employés, ouvriers, sont divisés en divers groupes de travailleurs, qui, liés entre eux par un contrat plus ou moins strict et placés sous la direction d’un même chef, poursuivent de concert le même but au moyen du même capital. Ces groupes portent le nom d'entreprises. Prenons comme exemple une forge : deux ou trois cents ouvriers viennent chaque jour faire subir au fer, dans les fours , sous le marteau, sous le laminoir, diverses transformations : chacun exécute une opé- ration particulière dans ce travail complexe; ils se relèvent à heure fixe et recoivent un salaire qui se mesure, soit à la durée de leur poste, soit à la quantité de produits ouvrés; d’autres apportent les matières premières, houille, minerai; les ingénieurs, les contre-maîtres suivent la série des trans- formations et en règlent la marche, de telle sorte qu’au sortir de chacune d’elles les produits soient prêts à subir immédia- tement la suivante ; ils entretiennent et réparent les machines surveillent les ouvriers et les distribuent dans les diverses . parties de l’usine, suivant les besoins. Des employés étran- gers aux détails techniques de la fabrication dressent la comp- tabilité générale, calculent le prix de revient de chaque pro- duit, procèdent aux ventes de marchandises en magasin ou aux approvisionnements de matières premières ; enfin des — 371 — capitalistes apportent des fonds pour couvrir les frais de pre- mier établissement ou se chargent des avances que néces- sitent soit une extension subite de la fabrication, soit une stagnation momentanée des affaires qui retarde les rentrées d'argent. Rôle de l'entrepreneur. — Toutes ces personnes sont pla- cées sous la direction d’un administrateur général qui seul centralise toutes les opérations, les modifie, les développe ou les restreint pour les mettre en harmonie, soit entre elles, soit avec les besoins du marché, calcule les bénéfices ou les dé- penses probables, maintient le budget en équilibre, constate par des inventaires périodiques les résultats, distribue les in- térêts et les salaires, reçoit les commandes, surveille les dé- bouchés et tâche au besoin d'en ouvrir de nouveaux, négocie les emprunts, les achats, les ventes, connaît et discute seul, en un mot, la situation et l'avenir de l’entreprise, règle les question d'ensemble et ne laisse à ses subordonnés que le dé- tail des affaires. Ce directeur général, quels que soient [es noms différents qu'on lui donne dans chaque industrie, qu’il agisse pour son compte ou qu'il représente une association, est appelé par les économistes entrepreneur. Rapports des entreprises entre elles. — Les entreprises ont aussi des rapports entre elles, car aucune industrie ne vit complétement à l'écart des autres; les produits de l’une ser- vent d'ordinaire de matières premières pour le travail de l’autre ; mais ces rapports sont accidentels, n’opèrent pas une fusion d'intérêts, ne font pas obstacle au but particulier que chacune d'elles poursuit; ce sont de simples rapports com- merciaux de vendeur à acheteur. L’individualité, le capital propre, l'unité de direction, et, dans une certaine mesure, la communauté d'intérêts, puisque chacun attend sa rémuné- ration particulière du succès de l'ensemble d'opérations aux- quelles il concourt pour partie : voilà ce qui caractérise l’en- treprise. L'entreprise peut se réduire au travail d’une seule — 318 — personne, comme celle du petit cultivateur qui exploite son domaine à son compte, achète ses engrais, ses semences, ses instruments de travail et vend ses récoltes. Elle peut aussi comprendre plusieurs milliers de personnes engagées à des titres divers, et plusieurs millions de capitaux; c’est le cas d'une grande société industrielle. Il Gestion d'une entreprise. — Dans la gestion d’une entre- prise, le premier soin doit être d'établir jour par jour sa si- tuation financière, de tenir par conséquent une comptabilité en règle, afin de calculer le prix de revient de chaque objet et, en le comparant au prix de vente, d'évaluer le bénéfice. Le calcul du prix de revient donne souvent lieu à d'assez grandes difficultés. 1 comprend pour chaque objet, non-seu- lement les frais de main-d'œuvre, le prix de la matière pre- mière, en un mot toutes les dépenses faites spécialement pour la fabrication de cet objet; mais encore celles qui sont affec- tées au travail de divers produits de même nature ou de na- ture différente, et qui doivent être couvertes proportionnelle- ment par chacun d’eux en raison de la valeur commerciale qu'ils ont acquise. Un four à réchauffer dans une forge recoit successivement une foule de produits qui ne peuvent être tra- vaillés qu'au rouge; la dépense de combustible entre dans le prix de revient de chaque produit à proportion du temps qu’il a passé dans le four. De même une machine doit être considérée comme débi- trice : 1° de l'intérêt du capital employé à son établissement ; 2 des frais d'entretien et de réparation; 3° d'une certaine annuité dite amortissement, destinée à reproduire le capital détruit par l’usure, de telle sorte qu’au moment où la machine sera hors d'usage, elle ait remboursé, par son travail, les frais de construction ; 4° d’une prime pour compenser les chances de perte en cas de liquidation forcée et de vente subite au rabais. — 379 — Ces diverses sommes doivent se répartir annuellement sur tous les produits qui ont passé par la machine, et par consé- qu2rt entrer en ligne de compte dans le calcul de leur prix de revient. Frais généraux. — Ce sont là les frais spéciaux de chaque genre de fabrication. En outre, il y a des frais généraux re- latifs à l'ensemble de l’entreprise, tels que l'intérêt et l’amor- tissement du capital dépensé pour la construction des bâti- ments, le salaire des employés de la direction, le salaire même de l'entrepreneur, qui doit être calculé d’après la na- ture des fonctions dont il s'acquitte personnellement et la rémunération qui lui serait accordée s’il les remplissait au service d'autrui. Ces frais se répartissent sur la totalité des produits fabriqués, de telle sorte qu'ils diminuent proportion- nellement pour chaque pièce à mesure que la production s'accroît. Ils se distinguent en cela des frais spéciaux, dont la somme augmente à raison du nombre des objets. Toutefois, plusieurs des frais que nous n’avons pas compris dans les frais généraux, parce qu'ils ne concernaient pas l’ensemble complet de l’entreprise, par exemple l'amortissement et l’in- térêt des frais de premier établissement d’une machine, sui- vent à cet égard la même règle, puisqu'ils pèsent d'autant moins sur chacun des objets travaillés qu'ils se répartissent sur un nombre plus considérable, Tout le monde sait, par exemple, qu'une édition d’un livre tirée à mille exemplaires ne coûte pas beaucoup plus qu’une édition tirée à cinq cents, de telle sorte que le prix de l’exemplaire est presque réduit de moitié. C’est que les frais spéciaux de l’exemplaire, fourni- ture de papier et d'encre, sont peu de chose en comparaison de la part qu'il supporte dans les frais communs de typographie. Loi des débouchés. — Cette réduction proportionnelle des frais généraux, résultant d’un accroissement de production, est désignée sous le nom de Loi des débouchés. Elle montre clairement que l'entrepreneur à grand intérêt à étendre sa — 380 — fabrication, par conséquent à s'ouvrir des débouchés nou- veaux, même à réduire ses prix et ses bénéfices dans l'espoir de provoquer de nouvelles demandes. Si 200 mille francs d’affaires à 5 p. °/, de bénéfice rapportent 10 mille francs, 300 mille francs à 4 p. ‘/, en donneront 12 mille. Mais avant de risquer une baisse , il faut toujours s’assurer qu’elle peut avoir pour effet d'étendre les débouchés; cela n'aurait pas lieu si, par exemple, on avait atteint déjà le débit maximum; : c'est le cas d'une denrée alimentaire d'un usage commun, dont la consommation est nécessairement limitée. On sait que l’agriculture peut être mise en souffrance aussi bien par une abondance excessive de céréales que par une forte disette. III Direction du personnel d'une entreprise. — Nous venons d'insister sur les difficultés matérielles de la gestion d’une entreprise, mais l’art de régler les rapports entre les divers membres du personnel n'est-pas indifférent au succès de l’œuvre commnne. Nous avons distingué les personnes vouées à l'industrie, d’après la nature de leur rôle et leur mode de rémunération, en trois classes : entrepreneurs, capitalistes, employés ou ouvriers. Les premiers recueillent un bénéfice, les seconds touchent un intérêt, les derniers recoivent un salaire. Les capitalistes procurent des fonds à l'entrepreneur; les employés et ouvriers fournissent un travail personnel; il faut donc entretenir avec ceux-ci des rapports plus suivis et user à leur égard de plus de ménagements pour ne pas altérer les bonnes dispositions qui stimulent à chaque instant le zèle et l'activité. C’est non-seulement un devoir d'humanité, mais un utile calcul, que de procurer aux personnes que l’on em- ploie toute l’aisance et le bien-être possibles. Un ouvrier tra- vaille toujours mieux dans un atelier commode, propre, bien aéré et bien éclairé, où il se plaît, pour employer une locu- tion vulgaire, que dans un taudis poudreux, étroit, obscur, — 381 — humide, où il souffre à la fois d’un malaise physique et moral. Dans l'exercice de la surveillance, on doit tenir compte des différences de caractère : tel employé actif, dévoué, intelli- gent, a besoin d’un peu d'indépendance et n’en fera point un mauvais usage; tel autre, porté à l’insouciance, travaillera mieux s’il est continuellement dirigé, stimulé. Il ne faut jamais placer un employé entre son devoir et son intérût, mais régler au contraire sa rémunération sur des bases telles qu'il trouve toujours un profit prochain à bien s'acquitter de ses fonctions. Ainsi il vaut mieux payer l’ouvrier aux pièces qu'à la journée, parce que le temps est une mesure vague du travail fourni et qu'il ne faut pas trop compter sur la con- science pour écarter les suggessions de la paresse. On ne doit pas craindre non plus de faire profiter les employés des pro- grès de l'entreprise : pour les manœuvres, une simple aug- mentation de salaire suffit généralement; pour les ouvriers intelligents, dont le zèle et le dévouement sont plus utiles que l'activité matérielle, une participation aux bénéfices serait préférable. IV Rapports entre les entrepreneurs. — La concurrence crée entre les personnes une rivalité d'intérêts inévitable, mais qui ne doit jamais dégénérer en inimitié. Il faut se pénétrer de cette idée que les diverses rémunérations sont réglées par la loi de l'offre et de la demande, qu'elles s’établissent par le libre débat des conditions entre les intéressés, et que toute déviation de la loi commune est un fait transitoire presque toujours funeste même à celui qui croit en profiter, parce qu’il est suivi d’une réaction contraire. D'ailleurs, si les inté- rêts sont souvent opposés, souvent aussi ils sont identiques ; le premier péril à éviter, parce qu’il est la source de toutes les fausses spéculations, c’est l'erreur ; or, toutes les demandes de renseignements, tous les moyens d’information, les en- — 382 — quêtes et expériences, les publications, les fondations d'écoles, cours publics, ete., pour l'instruction des ouvriers; même les associations de consommation, l’organisation des cités ou- vrières, tant d’autres institutions utiles à la fois à toutes les industries, peuvent être concertées d’un commun accord. Un entrepreneur a grand intérêt à n’avoir que des concur- rents intelligents, qui ne lui feront pas subir une baisse de prix inopportune et ne l’abuseront point par de fausses me- surés sur les véritables conditions du marché, l’état des ap- provisionnements et des besoins, les chances de débit, l’é- tendue des débouchés. Rapports entre les entrepreneurs d'une part, les capitalistes et les ouvriers de l’autre. — L'entrepreneur s'adresse aux ca- pitalistes d'une part, aux ouvriers de l’autre, pour discuter avec eux Contradictoirement le prix de l'argent et du travail. Ici encore il y a rivalité, mais non inimitié. Toute coalition entre les membres d'une même profession, pour faire monter artificiellement le prix de leurs services, aura toujours pour effet de rebuter la demande et de déterminer une baisse par suite de cette rareté, contrairement aux prévisions des inté- ressés. Une coalition d'ouvriers entraîne la ruine des établis- sements qui ne peuvent supporter la crise, diminue donc la demande et fait baisser le prix de la main-d'œuvre. Aussi un auteur anglais blâmait-il la liberté récemment accordée en France aux ouvriers de se mettre en grève, pour cette raison singulière que c'était leur procurer le moyen de se faire du tort et de produire un résultat contraire à leurs désirs. Cette opinion est trop absolue. Mais il est vrai que les ouvriers ne doivent recourir aux grèves que comme à un moyen extrème, pour élever leur salaire au niveau de celui des autres profes- sions, lorsqu'il est notablement inférieur, et vaincre les ré- sistances que rencontrent toujours, même en dehors des questions d'intérêt, les changements apportés aux vieilles habitudes, De même il est utile aux entrepreneurs de ren- — 383 — contrer, chez leurs employés, une défense raisonnable de leurs intérêts ; car une trop grande condescendance pourrait les induire en erreur sur le prix véritable de la main-d'œuvre et leur inspirer des projets fondés sur la permanence de con- ditions qui seraient promptement modifiées. Chacun doit donc soutenir les prétentions qu'il croit justes avec fermeté et rai- son, sans aigreur, sans violence, sans récriminations. Chose singulière ! les bons procédés de la part des contrac- tants sont plus utiles à celui qui en use qu’à celui qui les ré- clame. Les différences de rémunérations s’établissent en rai- son de la difficulté des professions. Donc la mauvaise volonté des employés, qui rendrait les fonctions de l'entrepreneur plus pénibles. aurait pour résultat d'en faire monter le sa- laire, et la dureté des entrepreneurs à l'égard de leurs em- ployés les obligerait bientôt à leur accorder une augmenta- tion. Concurrence entre les intérêts et les salaires. — Le capita- liste touche l'intérêt de l'argent qu’il a prèté; l’ouvrier recoit le salaire de son travail; intérêts et salaires sont pris sur les bénéfices de l’entreprise, et la part des uns ne peut être aug- mentée qu'aux dépens de celle des autres. De là une concur- rence des intérêts et des salaires, et cette malveillance mal fondée que les ouvriers montrent fréquemment à l'égard des capitalistes. En général, à mesure que l’industrie se développe dans un pays, on voit baisser le taux de l'intérêt et s'élever le prix de la main-d'œuvre. C'est que les capitaux économi- sés sur les profits d'une industrie prospère augmentent plus rapidement que la population ouvrière appelée à les mettre en œuvre. L’Amérique (Etats-Unis) est le pays peut-être le plus industriel du monde et celui où la main-d'œuvre est le plus cher. Les ouvriers n’ont donc aucun motif de redouter l’a- bondance des capitaux et de reporter injustement leur dé- fiance sur les propriétaires qui en disposent. Ainsi, plus on étudie les rapports établis entre les hommes — 384 — par l'industrie, plus on reconnaît que la plus parfaite har- monie s’y révèle et qu ils sont tous réglés par cette loi simple de l'offre et de la demande. Il faut donc se résigner franche- ment aux suites de la concurrence ; car toute tentative pour y échapper entrave l'industrie, produit des erreurs, de fausses démarches, des crises, porte atteinte d'abord à l'intérêt gé- néral, ensuite à l'intérêt particulier de ceux qui croyaient en tirer profit. — 385 — CHAPITRE IX + D'EMMANPIR O PERTE: Il Les chapitres précédents étaient consacrés à l’étude des divers moyens d'acquérir les richesses : /a production directe et l'échange. Nous avons admis comme un fait la propriété fondée sur le travail. La légitimité du droit de propriété, quand telle en est l'origine, n’est guère contestée par per- sonne, Mais ce n'est qu'un cas particulier d’un vaste système d'appropriation, qui s'applique à la fois aux objets acquis par le travail, par l'échange, par l'hérédité, et dont le principe se résume en quelques mots : /a proprièté personnelle, perpé- tuelle, inégale et transmissible. | Caractères de la propriété dans les sociétés modernes.— Per- sonnelle, c’est-à-dire que les richesses produites par le travail n'appartiennent point par indivis à tous les membres de la société, mais exclusivement à l’auteur ou à ceux qui les tien- nent de lui par la voie de l'échange. Perpétuelle, c'est-à-dire que la propriété n'est pas un simple droit d'usufruit consenti par la société à un de ses membres pour un temps déterminé, et qui, à l'expiration du terme, pourrait n'être pas renouvelé, mais qu'une fois acquise par le travail ou par l'échange, elle ne peut être révoquée qu'en vertu d’une nouvelle convention et avec le libre consente- ment du propriétaire. Inégale, c'est-à-dire que si l'un des membres de la société augmente ses biens par le travail ou par d’heureuses spécu« Ad or — 3860 — lations, ce profit, qui rend sa fortune supérieure à celle des autres, ne sera point regardé comme un tort fait à ceux-ci. Transinissible, c’est-à-dire que le propriétaire dispose de ses biens, non-seulement de son vivant, mais qu'à sa mort la société lui reconnaît le droit de les transmettre, par acte de dernière volonté, à ses enfants ou à d’autres personnes ; à défaut de testament, la loi règle la dévolution des biens, en les maintenant dans la famille du propriétaire décédé. Nécessité de l'appropriation des richesses. — Tels sont les caractères distinctifs du système d’appropriation appliqué dans les sociétés modernes. Quant au fait même de l'appropriation, il est général et nécessaire, car il ressort de la nature des choses. Le sauvage qui méprise le travail de la culture et se flatte de vivre sous le soleïl, libre de toute attache, possède au moins les aliments dont il se nourrit et les peaux de bôtes dont il se couvre; il n'y a pas de droit plus absolu que celui qui s'affirme par la consommation. Influence de la distribution des richesses sur leur produc- tion. — Mais le mode de distribution des richesses, quel qu'il soit, a sur leur production une influence telle qu'il est impos- sible d'envisager l’une des questions indépendamment de l'autre. En effet, comme il n'existe pas de richesse qui s'ac- quière sans effort et qu’on ne travaille jamais que pour se procurer des richesses, l'attribution de la propriété est à la fois le but et la juste rémunération du travail producteur : la libre disposition des richesses, une fois créées par le travail, appartiendra-t-elle au producteur où à d’autres personnes ? Toute la question est là. La meilleure solution serait évidem- ment celle qui aurait le double avantage de favoriser au plus haut degré la production des richesses et d'assurer à chacun la plus équitable rémunération de ses efforts. Comme il n'existe pas d'institutions parfaites, on ne peut atteindre deux buts aussi différents que dans une certaine mesure, à laquelle il faut se tenir, sous peine de sacrifier l’un à l'autre, — 387 — Trouver cette juste limite, qui concilie le mieux possible les intérêts économiques et les intérêts moraux, tel est le pro- blème à résoudre, et la solution dépendra en partie, pour chaque société, de circonstances particulières : l'état des mœurs, la différence des lumières, les traditions, les res- sources offertes par chaque époque, par chaque pays. Gette solution n’est donc pas nécessairement la même dans tous Les temps et dans tous les lieux, comme on peut en juger par la variété des lois relatives à l’hérédité : ici la liberté tes- tamentaire, là le règlement légal des successions ; ici le droit d’ainesse, là le partage légal des biens entre les enfants ; ail- leurs le droit exclusif des héritiers mâles; ailleurs encore le privilége des femmes, etc. C’est dans ce sens que Pascal a pu dire des institutions sociales : « Vérité en deçà du méridien, erreur au delà ; un degré dans la longitude change toute la juris- prudence. » C’est que la vérité, en pratique, n’est qu'un terme de conciliation entre des éléments qui n'ont pas toujours et partout la même importance relative. Systèmes communistes et socialistes. — Mais toute solution possible du problème de la propriété doit embrasser le double point de vue de l'appropriation des richesses et de l’organi- sation du travail ; c’est une erreur de vouloir distribuer les richesses d’après une loi arbitraire, sans se préoccuper des circonstances qui favorisent leur production ; c'est une erreur aussi de vouloir partager les professions et réglementer le travail sans songer au mode de rémunération. La première erreur est celle des systèmes communistes, la seconde celle des systèmes socialistes. Quelques réformateurs modernes, afin de se donner carte blanche pour remanier tout à leur aise le régime de la pro- priété, ont voulu chercher au travail un genre de rémunéra- tion en dehors de l'acquisition des richesses, et ils ont cru le trouver dans l'attraction passionnelle, c’est-à-dire ce goût et ces dispositions particulières que chacun apporte en naissant — 388 — pour l'exercice de tel ou tel état, et que l’on nomme vulgai- rement vocation. En s'exagérant l'influence des vocations, ils ont fini par se persuader que chaque homme éprouvait pour un certain genre de travail une sorte d’attrait irrésistible, et s'y livrait moins par intérêt que pour satisfaire ce besoin impérieux de la nature, comme s'il était né pour exercer in- stinctivement telle ou telle profession, de même qu’un arbre est destiné à produire tel ou tel fruit, C’est là une fausse idée de la nature humaine. Le travail procure sans doute des jouis- sances ; il est l'unique remède contre l'ennui ; il met l'esprit en éveil et donne un aliment à son activité naturelle. Mais aussi le travail est une peine, et les travaux à la fois les plus pénibles et les plus dépourvus d'attrait sont ceux que les be- soins physiques rendent indispensables. On conçoit qu'un géomètre, un astronome, étudient sans arrière-pensée d’am- bition les propriétés des lignes ou les révolutions des astres, dans le seul but de satisfaire la curiosité scientifique qu'ils éprouvent ; et ces recherches savantes leur procurent souvent un plaisir assez vif pour faire négliger le soin de leur fortune. Mais conçoit-on un maçon portant du mortier, un terrassier dressant un talus, un boulanger pétrissant la pâte du pain, par goût, par passion ? Il y a certaines opérations serviles et dégoûtantes auxquelles l'attraction passionnelle ne saurait s'appliquer. Le sentiment seul du besoin fait comprendre à l’homme qu'il est assujetti au travail, et l’acquisition de l'ob- jet utile est le seul but de ses efforts. Il Deux principes opposés : la liberté et l'autorité. — Cette recherche du mobile de l’activité humaine fait pressentir déjà la solution que nous donnerons du problème de propriété posé dans ces termes : « L'objet produit par le travail appar- tient-il à son auteur ou à tout autre ? » Si nous résolvons la question en faveur de l’auteur, nous fonderons l’ordre social — 389 — sur le principe de la liberté, chacun restant le maître de s’oc- cuper à sa guise et d'acquérir la propriété par le travail ou par l'échange ; si nous la résolvons en sens contraire, nous invoquerons le principe de l'autorité, nous comprimerons toutes les volontés pour soumettre le partage des professions et la distribution des richesses à des règles arbitraires. Le principe d'autorité domine d'ordinaire dans les sociétés naissantes ; il préside au gouvernement des tribus de pasteurs constituées sur le modèle de la famille patriarcale : le chef de la tribu réunit les doublés prérogatives de la propriété et de la souveraineté ; il assigne à chacun un champ à cultiver, un troupeau à faire paître, percoit seul les récoltes, pourvoit lui-même à la subsistance de tous et règle la consommation de chaque ménage. La famille romaine primitive fournit un autre exemple de société fondée sur l'autorité, dans des limites plus restreintes, mais avec une organisation légale plus pré- cise. La famille romaine comprend toutes les personnes sou- mises à la puissance du père, non-seulement ses fils, petits- fils et descendants à tous les degrés, qui, jusqu’à sa mort, restent avec leurs femmes sous son obéissance, mais encore ceux qui sont venus en son pouvoir par l'adoption, les esclaves employés aux services domestiques, et les personnes étran- gères à la famille naturelle qui s’y sont rattachées par les liens réciproques plus ou moins étroits du patronage et de la clientèle. L'autorité du père sur ses enfants naturels ou adop- tifs, sur ses esclaves, sur tous ceux qui sont en sa puissance, est une autorité absolue; lui seul est propriétaire du fonds comme de la famille; lui seul recueille en cette qualité le produit de l'industrie ou du commerce exercés par ses mem- bres; lui seul pourvoit à leur entretien ; la consommation seule les rend irrévocablement maîtres d’une partie du pa- trimoine; et s'ils acquièrent quelques biens d’un étranger, ils l’acquièrent au nom et pour le compte du père, dont ils représentent la personne. La liberté se fait jour peu à peu dans les rapports sociaux, — 390 — à mesure qu'ils se compliquent et qu’il devient nécessaire de simplifier le gouvernement, en laissant chacun maître d'agir dans sa sphère, sous sa propre responsabilité. C'est là une présomption en faveur de la liberté, qui nous apparaît comme un fruit de l'expérience et de la civilisation. Les avantages de l'autorité ne se révèlent guère que dans le cas où les lumières et les vertus appartiennent à un petitnombre d'hommes, tandis que l'ignorance et la corruption règnent dans la masse du peuple. Cette inégalité, qui ne serait pas possible aujourd'hui, était invoquée dans les républiques anciennes pour fonder le droit de l'aristocratie, ou gouvernement des meilleurs. II L'autorité peut être absolue; la liberté est nécessairement restreinte. — Le principe d'autorité peut être appliqué dans une société de la manière la plus rigoureuse, et s'étendre aux points les plus importants comme aux moindres détails du gouvernement, Il n’en est pas de même de la liberté, qui, si étendue qu’elle soit, s'arrêtera toujours à deux obstacles nécessaires : l'autorité paternelle et l'autorité judiciaire. Nul ne vient au monde, ne grandit, ne se développe, ne s'engage dans une profession que par la volonté d'autrui, et puisque les enfants ne peuvent se passer de secours et pour- voir eux-mêmes par le travail à leurs besoins, il faut bien les laisser sous la garde de ceux qui en ont accepté la charge. De là l'autorité paternelle, qui, à défaut de père et de mère, peut être déléguée à une autre personne, et qui, renfermée dans les plus étroites limites, confère le pouvoir de l'éducation. C’est une première restriction au régime de la liberté absolue. Il en est une autre, nécessaire également : comme l'homme n'existe pas seul au monde, la liberté individuelle doit s’ar- rôter là où elle empiéterait sur la liberté d'autrui. C’est dans ce sens que l’on a pu dire que la société est une réunion de ” ls qui sacrifient une partie de leur liberté pour sauver — 391 — le reste. Que ce sacrifice résulte d’une simple convention, telle qu’un contrat librement formé, et qui devient, en vertu de la fidélité à la parole donnée, la loi des parties, ou qu'il soit inspiré par une idée morale supérieure, telle que l’obli- gation de respecter la vie, l’activité, la propriété d'autrui : dans l’un et l’autre cas, 1l constitue des droits individuels qui sont autant de restrictions apportées à la liberté d'autrui. Le respect de ces droits procure à une société cette heureuse in- souciance du péril, désignée sous le nom de sécurité. Maïs la sécurité du grand nombre ne peut avoir sa source que dans la vigilance de quelques-uns. Il faut donc que certaines per- sonnes soient chargées de défendre l’ordre social contre les entreprises de l'égoïsme, et revêtues à cet effet de l'autorité juditiaire, qui consiste dans le pouvoir de répression. Tantôt l'autorité judiciaire se borne à faire remplir les engagements librement contractés, que la mauvaise foi des parties voudrait éluder ; tantôt elle recherche et punit les violences contre les personnes et les propriétés : pour accomplir cette œuvre de la justice civile ou criminelle, elle dispose de la force pu- blique. Rendre la justice, telle est la première fonction des gouvernements. Parfois l'exercice en a été abandonné à la discrétion et à la conscience du juge, sans autre règle perma- nente que l'équité naturelle; mais dans toutes les sociétés policées, 1l est soumis à des règles fixes dont l'établissement constitue l'attribution la plus élevée des pouvoirs publics : le juge en prononçant ne fait qu'appliquer les lois. Dans l’un et l’autre cas, l'autorité judiciaire est une restriction nouvelle et nécessaire au régime de la hberté absolue. Les restriations pourraient à la rigueur se borner là; car la vie des enfants une fois assurée, tous les citoyens majeurs peuvent, à l'ombre de la sécurité garantie par l'Etat, ou bien pourvoir individuellement à leurs besoins par leur propre in- dustrie, ou réunir leurs efforts dans un but d'intérêt commun. Mais en France, comme dans la plupart des Etats civilisés, elles sont encore, par suite de traditions et de l’état des mœurs, — 392 — beaucoup plus nombreuses; elles comprennent par exemple : l'exécution et l'entretien à frais communs des travaux publics par l'Etat, qui y pourvoit sans consulter les volontés indivi- duelles et exerce dans ce but le droit d’expropriation ; l'in- struction publique donnée au nom de l'Etat, notamment dans les écoles primaires communales ; la police et l'entretien des cultes reconnus ; une surveillance habituelle exercée sur l’in- dustrie dans l'intérêt de la sûreté et de la salubrité publi- ques; certaines restrictions apportées au droit de tester, c'est- à-dire de disposer de ses biens par acte de dernière volonté en faveur de personnes étrangères à la famille, ou de rompre l'égalité dans le partage du patrimoine entre les héritiers lé- gitimes ; l'établissement et la perception de l'impôt, dont le produit est appliqué à l'entretien des divers services publics ; enfin le recrutement et le commandement des armées de terre et de mer, qui suppléent par la ressource extrême de la guerre à l'impuissance du pouvoir judiciaire dans les rapports inter- nationaux. On voit que si la société française a profondément entamé le despotisme des sociétés primitives, elle est loin encore de réaliser l’idéal du régime de la liberté. IV Deux sociétés idéales fondées sur l'application de chaque principe. — Puisque nous avons reconnu deux principes con- traires qui président à l’organisation économique des sociétés, nous pouvons imaginer deux sociétés idéales, fondées cha- cune sur lapplication exclusive de l’un de ces principes, et qui seront comme les termes extrêmes entre lesquels un terme moyen doit être recherché, de nature à concilier leurs avan- tages et à exclure leurs inconvénients. Dans une société fondée exclusivement sur l'autorité, l'E- tat est seul propriétaire et seul capitaliste ; il opère entre les citoyens le partage des objets de consommation ; il fixe la — 393 — quotité et l'emploi des richesses économisées; il réglemente absolument le travail, assigne une tâche à chacun et en sur- veille l’accomplissement; enfin, comme il dispose de toutes les forces et de toutes les ressources, il assume aussi toutes les responsabilités et accepte toutes les charges; 1l pourvoit donc lui-même à l'éducation des enfants. Pour suffire à ces services multiples, il est représenté par un corps de fonctionnaires qui prennent la direction du travail et l'administration des capi- taux, et qu'on désigne sous le nom collectif de gouvernement. Le modèle d’une société pareille est reproduit avec plus ou moins d’exactitude par une armée, un couvent, la colonie fondée au siècle dernier par les jésuites du Paraguay, le gou- vernement des Incas au Pérou, et, dans l'antiquité, par la république de Sparte. Il faut remarquer toutefois que si, à Sparte, les exercices militaires, unique occupation des ci- toyens, étaient soumis à une discipline aussi rigoureuse pour les hommes faits que pour les enfants, le caractère commu- niste de la législation de Lycurgue a été fort exagéré par des historiens mal informés; que notamment, il ne supposait pas un partage égal des terres, auquel il n’a jamais été procédé, et qu'il se réduisait à l'obligation de prendre les repas en commun, c’est-à-dire à une association de consommation. Les recherches de la science moderne, en rectifiant sur ce point une erreur historique, ont ôté aux réformateurs com- munistes le seul exemple pratique qu'ils pussent invoquer d'une application de leurs théories sur de vastes proportions. - Dans la seconde société idéale, dont il nous reste à pré- senter le tableau, et qui doit faire à la liberté la plus large part possible, le majeur est le maitre absolu de son travail et des produits de son industrie ou de son commerce. Les en-. fants sont élevés dans la famille sous l'autorité de leur père; celui-ci dispose à son gré de ses biens par testament; il les lègue, soit à ses enfants, soit à des étrangers, par portions égales ou inégales. L'industrie et le commerce échappent à toute réglementation. Tous les travaux, même ceux d'utilité — 394 — publique qui, par leur étendue, excèdent les ressources d’une seule fortune et intéressent l'ensemble des citoyens, sont abandonnés à l'initiative privée, rendue plus puissante par l'association. L'armée se recrute, au moment où la guerre éclate, par engagements volontaires. Les impôts sont limités aux dépenses strictement nécessaires pour l'entretien de l’ar- mée et de la police. A la rigueur, on comprendrait même que la police fût faite par les citoyens spontanément réunis à l’appel de secours sous le coup d’un péril imminent, ou orga- nisée de longue main dans un but de protection mutuelle; que les tribunaux se formassent de même pour le jugement de chaque litige ou la répression de chaque délit. Les Etats-Unis de l'Amérique du nord offrent, surtout dans les Etats de récente formation, l'exemple le moins éloigné de cette société purement idéale, où l’abus d'une indépendance sans contrôle permanent favoriserait les plus graves désordres. En Amérique même, l'Etat ou les municipalités se chargent de faire la police et de rendre régulièrement la justice; les tribunaux improvisés ne fonctionnent que dans des circon- stances exceptionnelles. Comparaison des deux régimes. — Après avoir décrit ces deux types opposés de société, il nous reste à en faire la com- paraison, afin de reconnaitre lequel des deux est préférable et de l’adopter en principe, sauf à étudier dans quelle mesure il y aurait lieu d’en corriger encore les excès par l'influence modérée du principe contraire. Nous examinerons donc suc- cessivement, pour nous borner aux divers points de vue éco- nomiques, l'effet des deux régimes sociaux sur la direction de l'industrie, sur le développement du travail, de l'épargne, de l’art, enfin sur le mouvement de la population. Cette analyse nous conduira à une démonstration pratique des avantages de la propriété individuelle. — 395 — CHAPITRE X DIF STD AU CB IR RE: I Le régime de la propriété dépend de l'application, dans l'organisation du travail, des principes d'autorité ou de liberté. Nous avons montré de quelle manière l’ordre social serait affecté par l’exagération de l’un ou de l’autre principe. Cette conception idéale des deux sociétés où ils domineraient exclusivement facilitera l'analyse de leurs effets écono- miques. Direction de l’industrie. — Sous le régime de l'autorité, la direction de l’industrie appartient au gouvernement : à lui de prévoir par des enquêtes l'étendue et la nature des besoins, de régler en conséquence la quantité des divers produits à fabriquer, de répartir les capitaux entre les industries. Il y a là, sans doute, un grand principe d'ordre, qui permettrait à l'Etat de restreindre le développement des industries de luxe au profit des industries plus utiles ; de substituer la précision des résultats d’une enquête générale, publique, minutieuse, aux incertitudes des observations bornées et des prévisions individuelles. Sous le régime de la liberté, la direction de l'industrie appartient aux consommateurs dans la mesure de leurs com- mandes, aux capitalistes dans la mesure des capitaux qu'ils apportent à l’industrie. A la vérité, les caprices sont à craindre de la part des uns, le gaspillage de la part des autres, l’im- prudence de la part des fabricants qui marchent, pour ainsi — 396 — dire, à tâtons, sollicités à la fois par la demande de produits et l'offre de capitaux. Mais les erreurs sont promptement rec- tifiées par les indications qui résultent de la hausse ou de la bâisse des prix, et la responsabilité étant divisée, chacun porte le premier la peine de ses fautes. Si les erreurs sont moins probables sous le régime de l'autorité, elles ne sont pas impossibles, et si l'Etat se trompe sur des points aussi graves que l'alimentation publique, n'est-il pas à craindre que les populations exaspérées par la souffrance ne punissent l'imprévoyance des gouvernants par de sanglantes révoltes, qu'il faudra réprimer avec une impitoyable sévérité ? Car, dans une société où l'existence de tous dépend de celle du souvernement, il faut que l'autorité reste à celui-ci, malgré ses fautes. Mais plus le gouvernement aura besoin d’obéis- sance pour réparer le désastre et conjurer les maux plus graves que causcrait le désordre, moins on sera disposé à la lui accorder, parce qu'on se sentira le droit de l’accuser et de s'en prendre à lui de tous les malheurs publics; si l'on - échappe aux violences, on n’évitera pas les réclamations, en- quêtes, contre-enquêtles, discussions stériles, temps perdu pour le travail. La modération des dépenses de luxe serait le seul bienfait possible de l'autorité, largement compensée par les périls qu'entraine la responsabilité unique de PEtat. Mode de rémunération du travail. — Mais avant de diriger l’industrie, il faut la mettre en mouvement. Dans une société autocratique, le mobile d'activité peut être soit l'intérêt, mis en jeu par l'espoir d'une récompense ou la crainte d'un châti- ment, soit un motif d'ordre moral, tel que l'opinion, le devoir, la religion. L'intérêt d'abord. Quel châtiment proposer pour la paresse ? La violence physique? Cela répugne à nos mœurs; ce serait rétablir l'esclavage et le régime du fouet. La privation d’ali- ments ! Ce serait cruel. — 397 — Quelle récompense pour l'activité? Un supplément de ration ? C’est inutile et ridicule. Un objet de luxe, une sen- sualité ? C’est frivole ; on stimule un enfant par la promesse d'un gâteau, et on a tort; mais, pour un homme, quel sin- gulier appât ! Si la richesse est recherchée parmi nous, c’est qu'elle éloigne le souci, qu'elle procure le repos, l’indépen- dance; qu'elle permet les divertissements variés, les fantaisies coûteuses. Mais des jouissances réglées comme les plaisirs d’un collégien, mesurées comme les largesses faites à un soldat, qui donc s’y laisserait prendre ? D'ailleurs, châtiment et récompense supposent un effort exceptionnel; or, c'est surtout la régularité du travail ordi- naire qui est productive et qu'il faut encourager; c'est elle que la liberté récompense par la fortune, fruit habituel de l'ordre, de l'épargne et del’assiduité. L'autorité n'aurait d'autre ressource que de faire un appel à l'opinion, à la conscience morale et religieuse; de là cette idée d’un réformateur socialiste contemporain, de vaincre la paresse par le mépris et d'inscrire sur un poteau le nom du paresseux avec cette qualification : « voleur. » Mais, faut-il le dire, si la conscience est contre le mal l’auxiliaire le plus efficace, l'expérience démontre que, comme mobile d'activité, elle est inférieure à l’amour-propre, l’amour-propre infé- rieur à l'ambition, l'ambition à l'intérêt. Comparez le travail de l’ouvrier payé à la journée avec le travail de l'ouvrier payé à la pièce, vous serez édifié sur la valeur économique d’un mobile tel que le sentiment du devoir. C'est parce que la liberté favorise au plus haut point lés calculs de l'intérêt, qu'elle est l’aiguillon naturel des sociétés industrieuses. L'in- térêt s’'ennoblit d'ailleurs sous l'influence de la paternité et dépouille la forme mesquine de l’égoïsme pour s'associer à tous les sentiments de famille : la fortune n’est plus un instrument de jouissances personnelles, c'est une garantie de sécurité, dedignité, d'indépendance pour les enfants, auxquels on aplanit le chemin de la vie. — 398 — De l'esclavage. — En résumé, on peut dire que la liberté développe dans l'industrie plus de puissance que l'autorité, parce qu'elle donne à chacun ses propres besoins pour ai- guillons, et qu'elle fonctionne avec plus de sûreté et de régu- larité, parce qu'elle laisse à chacun la responsabilité de ses entreprises. L’impuissance de l'autorité n’a jamais été mieux démontrée que par la triste expérience de l'esclavage. On a souvent allégué lincptie et l’insouciance naturelles de certaines races pour les priver de la liberté et leur imposer par la crainte un travail actif, régulier, étroitement surveillé. On oubliait que l’esclave, toujours prêt à dérober à son maître un travail sans intérêt pour lui, causait peut-être plus de pertes par sa mau- vaise volonté qu'il n'aurait fait par son incurie. C'est pour l'intéresser à son travail qu'on li permit, dans la suite, d'amasser un pécule dont il avait la libre disposition, ce qui prépara la transition de l'esclavage à la simple domesticité. IÏ Formation des capitaux. — Si l'autorité produit peu, saura- t-elle au moins économiser ? Non. Les remarques que nous venons de faire sur le développement du travail s'appliquent également à la formation des capitaux. L'intérêt est le vrai mobile de l'épargne comme il est le vrai mobile du travail. Sous le régime de l’autorité, la formation et l'entretien des capitaux sont confiés à des fonctionnaires ; c'est à eux qu'il appartient d'en régler l'emploi, de prescrire l'économie, de tarifer la consommation de chacun, de prévenir le gaspillage, d'assurer par une police qui ne s'arrêterait même pas au seuil du domicile, l’exacte observation des règlements. Sans doute il y à là un grand principe d'ordre; et si le contrôle n était pas toujours négligemment exercé, impatiemment supporté, si le fonctionnaire pouvait apporter dans son inspection la vigilance d'un maître de maison et chaque citoyen s'y sou- — 399 — mettre avec la docilité d’un fils de famille, sans doute bien des abus, bien des erreurs, bien des caprices ruineux seraient évités. Mais, par malheur, le fonctionnaire ne recueille pas directement le fruit de sa vigilance, ni le citoyen celui de sa docilité, et cela suffit pour détruire l'efficacité du contrôle. Sous le régime de la liberté, les conservateurs des capitaux existent, mais ce sont des conservatenrs intéressés qu'on nomme propriétaires. Le père de famille règle dans sa maison la dépense de chacun et recueille le bénéfice de l’économie qu'il y a fait régner; le capitaliste prête ses capi- taux à l’industrie, mais il en touche l'intérèt ; les conditions de placement, plus ou moins avantageuses, en déterminent l'emploi ; le succès d'opérations bien concues augmente la fortune et l'importance du capitaliste habile ; la ruine destitue le capitaliste incapable. C’est une sorte d'avancement au concours. On a parfois à regretter des maladresses, des intempérances, un excès de luxe, un gaspillage, que le gouvernement, en prenant avec plus ou moins de succès le double rôle de capitaliste et de préfet des mœurs, s'efforce de prévenir; mais l'intérêt personnel, qui est la meilleure sanction de toute responsabilité, répare amplement ces pertes accidentelles, tandis que le traitement des fonctionnaires préposés par l'autorité à la garde des capitaux suffirait pour les absorber en partie. Ji Développement de l'art, — Ainsi, sous le régime de l’au- torité, peu de travail, peu d'épargne, on peut ajouter : point d'art; car l'autorité, loin de favoriser l'invention , tendra vraisemblablement à l’entraver. Qui inventera ? L'’ouvrier ? Sa tâche n’en sera pas moindre; s’il la simplifie, on se hâtera de l’augmenter à proportion ; s'il la supprime par un mécanisme ingénieux qui fonctionne automatiquement, on lui fera faire un nouvel apprentissage. = AOÛ L'ingénieur ou le contre-maitre de l'atelier ? A quoi bon ? Pour imposer aux directeurs généraux, qui gouvernent sans peine d’après les vieux errements, l'ennui d’une transforma- tion industrielle, la construction d'un nouvel outillage, une réorganisation de l'atelier ? La routine qu’engendre toujours l'abus des règlements est un obstacle à l'invention ; le progrès semble une idée révolutionnaire; le novateur un homme suspect. Aussi est il probable que l'esprit d'invention, sans cesse entravé et réprimé, se consumera dans une révolte stérile et dangereuse contre l'autorité. Sous l'ancien régime, l'exploitation d’un brevet d'invention était subordonnée à l'obtention d’un privilége royal. Le mar- quis de Joufifroy, qui avait fait marcher un bateau à vapeur sur la Saône, à Lyon, en présence de dix mille personnes, demanda un privilége à M. de Calonne, ministre du roi Louis XVI, pour la construction des machines à vapeur appliquées à la navigation. Le ministre n'eut garde de refuser; mais il mit au privilége des conditions telles que le marquis de Jouffroy, ruiné par ses premiers essais et incapable de les renouveler sur une plus vaste échelle, comprit qu'il devait renoncer à son projet. C'est ainsi que l'autorité favorise l’in- vention. D'ailleurs pour inventer il faut une pleine liberté d’esprit ; tout inventeur, au prix même de ses intérêts, com mence par se ménager des loisirs; or, le régime du travail obligatoire et réglementé ne laisse de vrais loisirs à personne. Brevets d'invention. — La liberté encourage peu l'inven- tion, mais elle ny apporte aucun obstacle; chacun peut trouver profit à appliquer son idée tant qu'elle n’est point mise par la publicité au service de tous. En France et dans la plupart des états modernes, on a essayé de rendre inutile le secret qui fait perdre à l'industrie, par l’oubli des traditions, une foule de procédés ingénieux, et d'y suppléer en accordant à l'inventeur, pendant 15 années, le droit exclusif d'exploiter l'industrie ou d'employer la machine qu'il a créée. Toutefois, — 401 — c’est là une exception au principe de la liberté; mais sans parler de découvertes susceptibles d'être brevetées, l'invention se manifeste dans les moindres choses, tours de main, partage du travail, organisation de l'atelier; et, dans ces inventions de chaque jour, qui ne se répandent pas au dehors, tout est profit. En somme, ni la liberté, ni l'autorité ne favorisent l'esprit d'invention, qui d’ailleurs n’a guère besoin d'encouragement ; car il tient sans cesse en éveil les hommes qui en sont doués. Mais la liberté n’entrave pas, tandis que l’autorité comprime. Ici encore l'avantage reste à la liberté. IV Population. — En traitant de la direction de l’industrie, nous avons reconnu que si des erreurs se produisaient sous le régime de la liberté, elles étaient toujours restreintes et promptement réparées, parce que la liberté porte avec elle le remède à ses propres excès ; que les fautes de l’autorité sem- blaient plus faciles à prévenir, mais qu’elles étaient beaucoup plus graves, quelquefois même irréparables. Ces remarques paraïîtront plus évidentes encore au point de vue nouveau que nous allons envisager : celui de l'accroissement de popu- lation. | Si l'Etat est responsable de l'alimentation publique, il devra régler l'accroissement de la population pour la propor- tionner à l'étendue de ses ressources. Est-ce admissible ? La plupart des républiques de l’antiquité ont concu un idéal de société fondé sur l'hypothèse d'une population sta- tionnaire, et fait de vains efforts pour le réaliser. Quels moyens employer en effet ? : Des obstacles aux mariages ? C'est un affreux despotisme, un engagement à la débauche; le grand nombre d'enfants trouvés qui tombe à la charge de l'Etat prouve d’ailleurs que ce moyen serait peu efficace. Le meurtre des nouveaux-nés ? C’est de la barbarie, 26 — 402 — L’exil ? De quel droit une partie des citoyens chasserait- elle l'autre ? Bien que l’on ait fait sur la pratique de l'infanticide, soit à Sparte, dans l'antiquité, soit en Chine, dans les temps mo- dernes, des récits fort exagérés, l’histoire atteste que les hommes n'ont pas toujours reculé deyant l'emploi de ces moyens violents. En tous cas, le régime de l'autorité devrait logiquement y conduire, et les réformateurs modernes ont tenté vainement d'en méconnaître la nécessité. Sous le régime contraire, l'autorité se concentre dans la famille ; elle est déléguée au père; lui seul a souci de ses enfants, des dépenses qu’il peut faire pour leur éducation. Il les engendre, les nourrit, les élève sous sa propre responsa- bilité ; c'est à lui de prévoir l'étendue de ses ressources et de se préparer par l'économie aux obligations qu'impose le mariage. Si des imprudences sont commises, les consé- quences sont limitées à la famille : la bienfaisance les répare en partie, etl'ordre social tout entier n’est pas compromis par les souffrances de quelques membres. Si l'émigration devient nécessaire, elle est acceptée librement ; elle n’a point le carac- tére de la déportation ou de l'exil. Sous le régime de l'autorité, une solidarité universelle s'é- tablit entre les hommes ; mais comme les souffrances ne s’al- légent pas indéfiniment par le partage, un certain nombre de membres succomberont toujours pour le salut des autres, à moius que la société ne se laisse périr tout entière ; ceux qui seront sacrifiés en pareil cas, le seront volontairement par leurs semblables, comme un naufragé par ses compagnons mourant de faim et de la manière la plus cruelle. Sous le régime de.la liberté, quelques personnes sans doute peuvent périr de misère ; mais leur mort au moins n'est pas une exécution. La solidarité n'existe que dans la famille; ni les souffrances, ni les joies ne s'étendent plus loin ; mais les sentiments naturels d'affection provoquent entre personnes unies par les liens du sang un dévouement, des efforts, une — 403 — persévérance que la simple sociabilité humaine ne pourrait inspirer. Le père chargé d’une nombreuse famille en accepte le fardeau avec un désintéressement et le supporte avec un courage que l'Etat, coupable d’avoir toléré un accroissement funeste de population, n'aurait pas la vertu d’imiter. La liberté répare ses imprudences par un déploiement nouveau d'activité ; l'autorité n’a que la ressource cruelle de la ré- pression. Transmission des biens pour cause de mort. — La faculté de disposer après sa mort des biens que l’on acquiert de son vivant est un aiguillon des plus vifs pour le père de famille. En Angleterre, aux Etats-Unis, la liberté de tester est com- plète ; le père de famille déshérite à son gré ses enfants ou favorise les uns dans le partage du patrimoine aux dépens des autres. En France, une réserve est accordée par la loi à chaque enfant contre les libéralités excessives faites par le père soit à un étranger, soit à l’un d'eux. Le premier système a l'avantage de permettre au père de transmettre, intact et florissant, à un seul héritier l’étabiissement où il a fait sa fortune, de s'associer même cet héritier de son vivant, et, loin de songer à la retraite quand l’âge affaiblit ses forces, de mettre l’activité d’un jeune homme au service de son expé- rience ; le patrimoine, au lieu de changer de main et de se morceler à chaque succession nouvelle, forme comme un noyau autour duquel chaque génération vient ajouter le fruit de son travail. C'est un avantage pour l'industrie, que favo- risent la stabilité et l’accroissement des fortunes dans les mêmes mains; l'individu est sacrifié à la famille, qui devient ainsi le véritable élément social. C’est le contraire qui a lieu en France: les rédacteurs du Code civil ont observé dans le règlement des successions une loi d'égalité qui a pris à nos yeux toute l'importance d’un principe de justice. Ils ont préféré le partage équitable à l'accroissement indéfinr de la fortune et sacrifié la famille à l'individu. D'ailleurs, les pros priétés morcelées par les successions sont sans cesse recons- tituées par les, mariages, Les mœurs anglaises sont plus favorables à l'accroissement des capitaux, les mœurs françaises au développement des individualités. Conclusion. — Nous venons de comparer à divers points de vue l'influence de l'autorité à celle de la liberté; nous avons fait pencher la balance en faveur de la liberté, parce qu'elle est le premier mobile de l’activité, la première source de progrès, la première condition de la dignité humaine. Il ne se produit rien de beau ni de grand dans le monde qui ne doive son origine à l'initiative d'un esprit original et indé- pendant. Si la liberté dévie parfois du droit chemin, elle corrige elle-même ses écarts ; d’ailleurs il ne faut pas, sem- blable à un mécanicien qui arrèterait une machine sous prétexte d'en régler la marche, tarir la source de l'activité pour en mieux diriger le cours; suivant en cela les desseins de la Providence, il faut laisser chaque homme, éclairé par les lumières de la raison et de la conscience, développer cette force qu'il a reçue pour le bien ou pour le mal et qui produit à son gré des vices ou des vertus. Toutefois la liberté a recu des sociétés modernes, soit à cause des traditions et de l’état particulier des mœurs, soit par suite de nécessités communes à toutes, diverses restrictions que nous avons énumérées. Elles se manifestent toutes par une augmentation de l'impôt, qui n’est plus exclusivement affecté au maintien de la société et qui recoit de nouvelles destinations : les travaux publics, les cultes, l'instruction publique, etc. Ce sera l’objet des chapitres suivants. — 405 — CHAPITRE XI DE L'AUTORITE. I Nous avons reconnu que l'appropriation des richesses était un fait naturel et nécessaire, puisque toute richesse produite sera consommée par quelqu'un et qu'il n’y a pas de droit plus absolu que celui qui s'affirme par la consommation ; mais la propriété d’un objet matériel devant toujours échoir à quel- qu'un, c’est à la loi qu'il appartient d’en régler l'attribution, et nous nous sommes proposé de découvrir le système le plus conforme à la nature des choses comme aux intérêts bien en- tendus de la société. Tout système fait une part plus ou moins large à deux principes contraires qui dominent l'organisation sociale : la liberté qui conduit à la propriété, l'autorité qui aboutit au communisme. Après avoir comparé les effets de ces deux principes aux divers points de vue économiques, nous nous sommes prononcé en faveur de la liberté. Mais comme en pratique il n y a rien d’absolu ; comme les insti- tutions humaines ne sont jamais qu’un compromis entre des principes contraires, qui se limitent réciproquement et pren- nent dans le monde plus ou moins d'influence suivant l’état des mœurs et les besoins de l’époque, nous avons admis d’a- bord que les deux sociétés fondées sur l'application exclusive de l'autorité ou de la liberté n'étaient que des sociétés idéales, et nous n'avons penché en faveur de la liberté qu'après nous être réservé le droit d’en corriger les ëxcès par l'intervention modérée du principe opposé. — 406 — Restrictions apportées au régime de la liberté.— Nous nous sommes promptement convaincu que le régime de la liberté absolue était impossible et qu'il admetlait nécessairement deux restrictions, l'autorité paternelle et l'autorité judiciaire : l’une découle du fait naturel de l'enfance, pour laquelle la liberté n’est que l'impuissance de vivre, et l’aulorité qu’une protection indispensable; l’autre, du fait également naturel de la vie en société et du besoin de sécurité, qui impose à tous les hommes l'observation de certaines règles de conduite puisées dans la conscience ou établies par la loi. Obstacles naturels et artificiels. — Mais à côté de ces res- trictions nécessaires, il en existe beaucoup d’autres que nous distinguerons en obstacles naturels et obstacles artificiels : Les uns résultent de faits regrettables dont les hommes subissent la fatalité, mais contre lesquels ils peuvent réagir dans une certaine mesure par l'énergie de leur volonté; les autres sont élevés autour de la liberté, comme autant de barrières, par les soins du législateur pour prévenir des dangers qui sem- blaient autrefois, sous un régime de guerre continuelle et de défiance politique, justifier un vaste système d’entraves, mais qui doivent aujourd’hui, grâce à l’étendue et à la sécurité des rapports internationaux, exciter moins d’appréhensions. Comme exemples des premières, nous citerons l'ignorance, les distances, les différences de langage, de mœurs, de natio- nalité, qui compliquent l’entreprise en commun d'opérations industrielles. Comme exemples des seconds, les monopoles, les règlements, la taxation du prix de vente des denrées ali- mentaires, qui gênent la liberté du travail, faussent le jeu de la concurrence dans les transactions et favorisent les unes au détriment des autres. Il Obstacles naturels. — Etudions d’abord les obstacles natu- rels. — 407 — Ignorance. — La liberté ne fait sentir au peuple son action bienfaisante et féconde qu’à la condition de favoriser une concurrence générale des industriels, dont l’intérét est de pro- duire beaucoup et à aussi bon marché que possible, afin d’é- tendre le cercle de leurs affaires et de détourner la clientèle de leurs rivaux. Mais concours suppose publicité, et la pu- blicité est restreinte par l'ignorance. C’est elle qui amène des marchandises en excès sur un marché déjà encombré, où® elles manquent d'écoulement et ne servent qu’à avilir le prix, tandis que sur une autre place, elles eussent comblé les vides, sauvé les consommateurs de la disette et procuré aux négo- ciants de légitimes bénéfices. C’est elle qui maintient les vieux errements de la routine, décourage les inventeurs et prévient les industriels contre l'application de procédés nouveaux. C'est elle enfin qui expose la crédulité publique à d’indignes duperies, en offrant par les mille artifices de la réclame, aux capitaux, fruits d’une lente et sage économie, l’appât de spé- culations sans garantie sérieuse ni chance raisonnable de succès. Toute société subit le fléau de l’ignorance, qui tient à l'in- curie des générations précédentes. Mais elle peut le combattre et préparer aux générations à venir une destinée meilleure. Il suffit pour cela de répandre l'instruction primaire, qui ouvre l'esprit, développe l'adresse de l’ouvrier et donne au peuple, sinon des connaissances étendues, au moins l’habi- tude de la réflexion. Le petit commerce, à la rigueur, se passe d'informations étendues ; mais la grande industrie, dont les opérations ex- cèdent la mesure de la consommation locale, ne peut être éclairée que par une exacte connaissance des débouchés, et la moindre erreur sur ce point est trop souvent punie par la ruine. Distances. — L'ignorance est un obstacle moral. Les dis- tances, les difficultés de communication et de transport sont un obstacle matériel qui circonscrit le domaine normal de — 408 — chaque entreprise ; mais si cet obstacle est invincible d'une manière absolue, il peut être reculé par l'exécution des voies de communication, qui diminuent les frais de transport et étendent ainsi le cercle des débouchés. Dans les premiers siècles du moyen âge, le commerce était renfermé dans chaque ville ou dans chaque province. La construction des routes, les progrès de la navigation lui permirent de s'étendre d’un bout e à l'autre du royaume et même d'en franchir les frontières. Les rivières, ces chemins qui marchent, comme dit Pascal, reliées par les canaux à travers les montagnes, mirent en mouvement des poids énormes de, matières encombrantes. De nos jours, trois grandes entreprises d'utilité publique, l'ouverture et l'entretien des chemins vicinaux, la construction des chemins de fer, l'organisation des compagnies de paquebots à vapeur, ont relié le moindre village à l'immense réseau du commerce international, et fait pénétrer au sein même des populations rurales les denrées exotiques des régions loin- taines. Il n’est pas rare pourtant d'entendre dire : « À quoi bon faire des chemins, la terre en produira-t-elle un épi de plus? Au contraire, tout ce que l’on prend pour les routes est perdu pour les champs ; » mais par ces minces lambeaux de terrains enlevés à la culture, le sol labouré recoit de toutes parts les engrais et les substances fertilisantes ; il répand au loin, grâce aux débouchés ouverts, les récoltes qui jadis eussent pourri sur place, produits d’une inutile fécondité. Préjugés nationaux. — Les différences de nationalité, de langage, de mœurs; les préjugés qui trop fréquemment por- tent les hommes à se haïr sans motif des deux côtés d’une frontière, sont autant d'obstacles moraux que l’on peut rap- procher de l'ignorance, et dont les fléaux de la guerre attes- tent trop souvent la redoutable puissance. S'imputer à profit la ruine de son voisin, c'est une doctrine insensée, mesquine, qui ne mériterait pas d’être relevée, si elle n'avait pas pénétré longtemps dans les conseils des grands Etats. En France, sous un roi tel que Louis XIV et un ministre tel que Colbert, le — 409 — gouvernement, moins soucieux de la prospérité des peuples que de la grandeur de la famille régnante, cherchait à fonder sa supériorité sur un équilibre relatif des forces que procurent les armées et les richesses, et considérait comme un accrois- sement de puissance tout affaiblissement des nations voisines. À peine concevable en politique, cette doctrine est désastreuse en économie sociale, car elle ruine toutes les industries tant nationales qu'étrangères, en les privant des débouchés natu- rels qu'offre le commerce international. C’est une grande erreur qu’on a qualifiée de systéme mercantile, et que les éco- nomistes du xvrr° siècle ont eu la gloire de détruire. Impôt. — Bien qu'artificiel dans sa forme, l'impôt doit être considéré comme un dernier obstacle naturel à la liberté, parce qu'il répond à des besoins qui sont communs à toutes les nations et qui résultent de l’état même de société. Assurer la sécurité par l’entretien d'une bonne police, tel est l'usage essentiel, sinon exclusif, que l'Etat doit faire de l'impôt. IT Obstacles artificiels. — A la suite des obstacles naturels que les sociétés les mieux policées subissent, tout en s’efforcant de réagir contre eux, viennent se placer les obstacles artifi- ciels imaginés par l'Etat comme un remède à certains incon- vénients vrais ou supposés de la liberté absolue, et dont l’uti- lité est aujourd'hui plus que jamais contestée. Ces obstacles peuvent tous se grouper sous trois titres différents : mono- poles, règlements, maxima. Monopoles. — Un monopole est l'attribution exclusive de l'exploitation d’une branche d'industrie, faite à un particulier ou à une classe de citoyens. Le vieux monde reposait tout entier sur le monopole, que l’on considérait comme un prin- cipe d'ordre social ; la liberté paraissait alors le règne même de la confusion. Sous l’ancien régime, en France, par exem- ple, les membres d'une même industrie étaient tous réunis — 410 — en corporation ou corps de métier. Nul ne pouvait exercer une profession, tisserand, charpentier, tailleur, etc., sans se faire affilier à la corporation, en observer les règlements, suivre les degrés de la hiérarchie, subir les épreuves ou exa- mens pour d'apprenti devenir maitre, enfin acquitter les droits établis. Quiconque eût voulu se soustraire à ces longues exigences et faire, à sa guise, usage de ses bras, se fût mis en révolte ouverte contre une institution publique, et, comme tel, eût été poursuivi par le procureur du roi et traduit devant les tribunaux. La suppression des jurandes et maîtrises, éléments constitutifs des corporations, fut l’une des premières réformes proposées par le ministre Turgot, à la veille de la Révolution française, et accomplies 15 ans plus tard par l'Assemblée con- stituante. Aujourd'hui la liberté du travail est un principe aussi évident que la propriété, et le monopole ne se montre plus guère sous cette forme absolue. On peut citer cependant le monopole de l'exploitation des tabacs, que l'Etat s’est ré- servé et que l'on doit considérer comme un véritable impôt ; celui de la fabrication des allumettes, établi récemment aussi dans un but fiscal ; enfin celui de la fabrication et de la vente des poudres de guerre, de mine ou de chasse, établi dans un intérêt de sûreté publique. La fonte des monnaies est encore une sorte de monopole dont nous avons expliqué les raisons. Règlements. — La liberté individuelle est encore restreinte par l'institution de règlements concernant le mode de pro- duction ou les prix de vente. Les règlements étaient nom- breux sous l’ancien régime : l'Etat prescrivait parfois des procédés de culture ou de fabrication spéciaux, et chargeait des inspecteurs de veiller à leur application ; il prétendait forcer le pays à prospérer malgré lui. On a bientôt reconnu que la liberté, l'expérience, l'intérêt étaient encore, en dépit de la routine, les véritables agents du progrès. Le ban de vendanges, aujourd'hui supprimé presque partout, est un reste malencontreux de ce régime d'autorité. — Al — Maxima. — Les maxima sont des prix de vente fixés par l'autorité dans le but de soustraire le consommateur à de pré- tendues exactions de la part du producteur ou du commer- cant. Il n’y a pas longtemps que la taxe du pain est suppri- mée et la liberté de la boulangerie reconnue en principe. Les tarifs officiels étaient inutiles ou injustes : inutiles s'ils fixaient un prix équitable et rémunérateur qui s'établit de lui-mênre par le jeu de la concurrence; injustes s’ils fixaient un prix inférieur. Dans des moments de disette, comme en 1793, l'Etat, pen- sant épargner au peuple une extrême misère, a voulu régler le prix des denrées de consommation. Loin de conjurer la famine en donnant ainsi du pain aux plus pauvres, cette me- sure mit obstacle à l’approvisionnement de Paris, dont le commerce évitait le marché, dans la crainte de subir des con- ditions onéreuses. La Convention en vint à se charger elle- même de l'approvisionnement et à enlever les produits sur place par la réquisition. Où s'arrêter dans une pareille voie ? En résumé, ces divers obstacles entravent le libre jeu de la concurrence, qui a pour effet naturel de procurer au consom- mateur le plus possible de choses utiles dans les meilleures conditions de qualité et de bon marché. IV Douanes. — Le monopole se présente fréquemment sous la forme indirecte de douanes, prohibitions ; alors il est sénéra- lement établi en faveur de l’industrie nationale contre l’in- dustrie étrangère. La douane consiste dans la perception par l'Etat, d'après un tarif réglé par la loi ou les traités de com- merce, d’un droit sur certaines marchandises désignées d’o- rigine étrangère, comme condition de leur entrée sur le ter- ritoire national. Les douanes sont donc pour l'Etat une source de revenus; c'est un impôt qui pèse, non pas sur l'étranger, mais sur les consommateurs indigènes, qui sont obligés, afin — 412 — de couvrir le négociant de ses déboursés pour l’acquittement des droits, de payer le produit plus cher. Système de la protection industrielle, — Mais l'intérêt fiscal n'est pas seul en jeu dans la question des douanes: leur prin- cipal objet était de protéger l'industrie nationale contre la rivalité écrasante de l’industrie étrangère, plus puissante ou placée dans des conditions naturelles ‘plus favorables. Sup- posons que les usines françaises ne puissent produire la fonte à moins de 200 fr. la tonne, et que l’industrie anglaise, mieux favorisée sous le rapport de l'abondance et de la qualité des matières premières, houïlle et minerai, la présente, rendue sur le marché français, à 150 fr. la tonne. I] est évident qu'une pareille concurrence, si la production anglaise n'est point limitée, sera ruineuse pour l’industrie métallurgique indigène. Pour rétablir l'égalité, l'Etat frappera les fontes anglaises d'un droit de douane de 50 fr. par tonne, de telle sorte qu’elles ne puissent revenir en France, y compris les frais de transport, à moins de 200 fr., prix de revient dans les usines francaises. Ce qui prouve que la question de pro- tection est la principale en matière de douanes, c’est que le droit de douane a fait place parfois à une prohibition absolue de l'entrée des produits étrangers. On comprend à première vue et l’objet et le danger de ce régime de protection. La protection favorise les calculs de la paresse et laisse les producteurs indigènes, assurés de leurs débouchés ainsi que de leurs bénéfices, s’endormir dans la routine, sans souci des progrès industriels qui s’accomplissent autour d'eux. C'est ainsi qu'après les traités de commerce de 1860, qui ont considérablement réduit les tarifs d’intro- duction des produits anglais, un grand nombre de filateurs et de maîtres de forges français, dont les usines étaient jus- qu'alors florissantes, incapables de renouveler sur-le-champ leur vieil outillage ou de transformer leurs procédés pour les meltre au niveau des progrès de l’industrie, ont dù cesser — 13 — leur fabrication. Il est vrai que les industriels ont attribué exclusivement leur ruine à l’abaissement excessif des tarifs, qui ne permettaient plus, d'après eux, même à l'industrie perfectionnée, de soutenir la concurrence étrangère, tandis que le gouvernement a mis complétement le désastre sur le compte de l’incurie et de la routine. Sans résoudre cette question de fait, nous remarquerons qu'interpréter et défendre de cette manière une réduction de tarifs, c'est admettre encore l'utilité de la protection, mais en la réduisant aux limites strictement nécessaires pour faire vivre celles des industries nationales qui ne pourraient s'en passer. C’est se montrer aussi peu protecteur que possible, mais rester protecteur. Système du libre échange. — Il est un système beaucoup plus radical, celui du libre échange, qui se résume dans l’a- bandon complet de la protection et conclut à la suppression des douanes, lors même que certaines industries nationales devraient en périr. Ce système, le seul, dit Rossi, que la science puisse avouer, place l'intérêt des consommateurs avant tout : c’est un droit pour eux de se procurer librement toute chose au meilleur marché possible ; les droits de douane ne sont qu’un impôt prélevé sur le reste de la nation, qui paie les produits plus chers, au profit des industries fondées dans de mauvaises conditions; donc un véritable privilége pécu- niaire, c'est-à-dire une violation de la propriété. La protection fausse la loi naturelle des débouchés, en vertu de laquelle toute industrie s'établit dans le lieu dont le sol lui offre le plus de ressources, et lui permet ainsi d’abaisser davantage ses prix de revient; elle a pour résultat, par exemple, de faire produire à la France plusieurs milliers de tonnes de fer, que l'Angleterre nous fournirait à un prix moindre de 25 p. ?/,. En renonçant à cette industrie anormale, la France ne per- drait rien ; car les ouvriers forgerons en seraient quittes pour se meltre au service d’une industrie plus viable et développer, — 414 — par exemple, soit la production du vin, soit la fabrication des dräps, dans lesquelles nous excellons. Enfin, on ne saurait mettre en doute la création ou le développement de ces nou- velles industries destinées à remplacer les anciennes; car les produits ne s’échangeant jamais que contre des produits, puisque la monnaie est un simple intermédiaire, l'Angleterre ue nous donnerait pas les métaux dont nous avons besoin sans faire en échange d’autres commandes à nos producteurs. C'est d’ailleurs l'intérêt du monde entier de tirer le meilleur parti du travail de tous les hommes, c'est-à-dire de localiser chaque industrie dans le lieu où sont réunies les conditions les plus favorables à son genre de production, où cette production, à travail égal, sera Le plus considérable , où le prix de revient, à égalité de production, sera le moindre. Cette théorie est, en effet, irréfutable au point de vue de l'utilité économique du monde entier : accroître le rendement du travail, c'est évidemment augmenter les richesses sociales. Toutefois, il est excessif de prétendre que chaque industrie ruinée dans un lieu par l'application du libre échange serait incontinent remplacée par une autre de même importance; car il est certains pays qui ne présentent en toutes choses que des ressources médiocres, dont il est impossible de tirer avanta- geusement parti en face de la concurrence des régions mieux favorisées pour les divers genres de productions. Il est très- probable que l'établissement du libre échange, tout en aug- mentant la prospérité générale, provoquerait des déplacements de population ; dès lors l'équilibre entre les échanges de pays à pays s’établirait par une réduction de la consommation dans l’un d’eux, non par le développement de productions nou- velles. On comprend donc qu’en présence de cette transfor- mation générale de la population, la puissance, la richesse de certaines nations soient atteintes, et qu'avant d'y prêter les mains, un homme d’Etat désire s'assurer que son pays est de ceux qui doivent y gagner, non y perdre. T3 — 415 — CHAPITRE XI DE L’IMPOT. Nous avons énoncé déjà une dernière restriction au prin- cipe de liberté, l'impôt. Nous l'avons mise au nombre des obstacles naturels, parce que l'impôt est commun à toutes les sociétés policées et qu'il résulte de besoins auxquels elles ne sauraient se soustraire. Le gouvernement, son rôle et ses pouvoirs. —- L'ordre, en effet, est le premier besoin de la société, et l’ordre, quel qu'il soit, est toujours fondé sur un ensemble de principes moraux ou de conventions mutuelles dont il faut assurer l'observation. De là, la nécessité de l'institution d’un gouvernement, qui est le gardien de la sécurité publique. Le gouvernement réunit dans ses mains tous les pouvoirs nécessaires pour défendre les intérêts qui lui sont confiés : le pouvoir législatif, afin .de soumettre à des règles fixes, con- formes à la justice et à l’état des mœurs, les rapports des citoyens entre eux; le pouvoir judiciaire et de police, pour veiller au maintien de la paix publique, au respect des lois, à l'exécution des engagements pris par les particuliers; le pouvoir militaire, pour assurer l'observation des traités inter- nationaux et repousser les agressions injustes venant de l'ex- térieur; enfin, le pouvoir exécutif, pour prendre à l'intérieur toutes les mesures que réclame l’intérèt public. Le gouvernement doit s'abstenir de violer la liberté des | — 416 — citoyens en s'immiscant dans les affaires privées; mais toutes celles qui touchent à l'utilité générale sont de sa compétence. Toutefois, son action est plus ou moins étendue, suivant l’état des mœurs et l'aptitude que montrent les peuples à la suppléer par l'initiative des associations privées. C'est ainsi que de grands travaux d'utilité publique, la plupart des chemins de fer, le câble transatlantique, ont été exécutés par des compa- gnies industrielles qui les exploitent à leurs risques et périls. Mais la construction et l'entretien de la plupart des travaux publics, routes, ports, canaux, sont en France et dans tous les Etats modernes, sauf quelques rares exceptions, attribués à l'Etat. C'est lui qui pourvoit également aux dépenses des cultes, sauf en Amérique, où les lois assurent la liberté de tous, sans en reconnaitre aucun. Enfin, en France, le gou- vernement s'est chargé d’une mission qui, dans la plupart des. autres Etats, est abandonnée à l'initiative des citoyens, l’in- struction publique. À la suite d’une révolution qui avait dé- truit les anciennes universités et dont les souvenirs récents faisaient craindre, dans l'éducation de la jeunesse, l'influence dangereuse de l'esprit de parti, Napoléon fonda, sous le titre d'Université de France, un corps recruté et payé par l'Etat, qui devait donner à tous les fils de famille un enseignement uni- forme, élevé, solide, impartial, exempt de passion et con- forme à l'esprit moderne. Napoléon n'avait pas même fait exception pour les enfants destinés à l'état ecclésiastique, dont la plupart recoivent aujourd’hui, dès le début de leurs études, une éducation spéciale dans les petits séminaires, sous l’au- torité des évêques. Malgré de très-vives protestations, le mo- nopole universitaire subsista jusqu'en 1850; aucun candidat n’était admis à subir les épreuves du baccalauréat s’il n'avait suivi dans un collége de l'Université les cours de rhétorique et de philosophie. En 1850, une loi reconnu le principe de la liberté de l’enseignement, et, depuis lors, l'Université n’est qu'un corps enseignant entretenu par l'Etat, en concurrence avec de nombreuses institutions privées, Les dépenses de — 417 — l'instruction primaire sont également payées sur les fonds publics fournis par les communes, les départements et l'Etat. En aucun pays, du reste, l'instruction primaire n’est orga- nisée complétement sans la participation de l'Etat, qui tout au moins l'encourage et la soutient par de fortes subven- tions. On voit par là que le rôle de l'Etat peut être plus ou moins étendu ou simplifié. Mais quelles que soient l'importance et la variété des services publics, il est impossible d'y pourvoir sans argent; de là l'établissement de l'impôt auquel tous doi- vent contribuer, puisque tous participent aux avantages que procure le bon emploi de la fortune publique. Principe, répartition et assiette de l'impôt. — Quel sera le taux de cette contribution ? Puisque l’impôi est une charge économique destinée à pourvoir aux besoins qui résultent, pour l'homme, de la vie sociale, il paraît juste que chacun la supporte à proportion des avantages économiques dont la société lui garantit la jouissance. Tel est le point de vue au- quel les économistes envisagent la question de l'impôt, sa ré- partition. Il en est un autre, dont se préoccupent plus habi- tuellement les financiers, et qu’on nomme l'assiette de l’im- pôt. Il ne suffit pas qu'un impôt soit équitablement réparti, il faut, avant tout, que la perception en soit assurée; or, l'impôt, si légitime et équitable qu'il puisse être, n’en est pas moins une charge impatiemment supportée par les contri- buables. On a donc eu recours, pour en dissimuler le poids et en faciliter le recouvrement, à divers artifices; de là un point de vue nouveau dans l'étude et la comparaison des diversgenres d'impôts, la sûreté de leur rentrée, qui dépend de la base sur laquelle ils sont établis, autrement dit, de leur ussiette. C'est le point de vue financier. Nous examinerons ces deux côtés de la question, afin de montrer combien la conciliation est difficile; car l'impôt établi d’après Les règles les plus équitables se prête moins que tout 21 — 418 — 5 autre à une évaluation précise du montant de la contribution et à une poursuite rapide du paiement. IT Modes de répartition de l'impôt. — On peut tout d'abord distinguer les impôts en nature et les impôts en argent. Les impôts en nature, très-nombreux au moyen âge, sont aujour- d’hui exceptionnels; ils portent le nom de prestations : tels sont les logements militaires, les prestations de travail sur les chemins vicinaux. Ces impôts équivalent complétement aux impôts en argent, Car on peut s'en dispenser par le paiement d'une certaine somme. Ils donnent donc lieu, suivant leur mode de répartition, aux mêmes critiques. Les impôts en argent peuvent être assis : 1° Sur la personne (ou par tête); 2° Sur le revenu; 3° Sur les produits ; 4 Sur le capital. Impôt sur la personne. — L'impôt sur la personne, ou réparti également par tête, existe en France; c’est la capita- tion, ou cote personnelle. S'il existait seul, ce serait Le plus injuste de tous les impôts, puisqu'il ferait peser les mêmes charges sur tous les citoyens, quelle que füt leur fortune. Combinée avec des impôts sur les biens, il peut être considéré comme l’acquittement d’une dette contractée par chaque membre envers la société, pour la sécurité qu'elle lui assure en protégeant sa personne. Impôt sur le revenu. — L’impôt sur le revenu serait le complément naturel de la capitation, et joint d'une part à l'impôt personnel, d'autre part à une taxe sur les capitaux improductifs dont la police garantit la propriété, il formerait le système le plus équitable de répartition. Rien de plus juste — 419 — que de proportionner les charges aux jouissances économiques, qui n’ont d'autre mesure que le revenu de chacun. Aujourd'hui, cet impôt n'est cependant encore établi en France que sur le revenu de quelques valeurs mobilières (loi du 29 juin 1872). Il a été essayé aussi dans d’autres pays étrangers, en Suisse par exemple, ou plusieurs cantons l’ap- pliquent concurremment avec l'impôt sur le capital. Nulle part, on n’a tenté de l'appliquer exclusivement, bien qu'il puisse tenir lieu de tous les autres, puisqu'il atteint à la fois tous les genres de propriétés, par cela seul qu'elles sont pro- ductives, et les atteint toutes en raison de leur valeur actuelle. Cette défaveur, qui paraît s'attacher au plus équitable et au plus rationnel de tous les impôts, s'explique par l'incertitude de l'assiette et les difficultés de la répartition. Il est malaisé d'apprécier exactement le revenu d’une personne sans procé- der à une enquête sur l'étendue et l'administration de sa for- tune, qui pénètre d’une manière indiscrète et vexatoire jusque dans l'intimité de sa vie privée. On conçoit d’ailleurs les dif- ficultés que ferait naître, soit le défaut de sincérité des con- tribuables, soit enfin la discussion contradictoire des prin- cipes d'après lesquels aurait lieu l'évaluation du produit brut et du produit net. C'est Le cas de reconnaître que les institu- tions les plus rationnelles ne sont pas toujours les plus pra- tiques. Quelques économistes, exagérant le principe de l’impôt sur le revenu, ont même proposé de le rendre progressif, c’est-à- dire d'attribuer à l'Etat une portion de plus en plus forte des revenus à mesure qu'ils augmenteraient. Cette opinion est inspirée, sans doute, par une pensée bienfaisante, puisqu'elle décharge en partie les fortunes médiocres de l'impôt pour le faire peser plus lourdement sur les grandes. Mais la bienfai- sance doit rester étrangère à la solution des questions écono- miques; car la bienfaisance imposée ne serait que tyrannique ; l'impôt progressif conduit d'ailleurs, lorsqu'on essaie d'en établir les bases, à des résultats singuliers et complétement — 420 — inadmissibles. Supposons, par exemple, que l'impôt absorbe la dixième partie d’un revenu de 1,000 fr., et que cette frac- tion augmente proportionnellement au revenu, c'est-à-dire que sur un revenu de 2,000, 3,000, 4,000 fr., etc., l'impôt absorbe les. ?/,5, %/10, “/10 etc. de ce revenu; pour 10,000 fr. de revenu, l'impôt sera les #/,, de 10,000 fr., c'est-à-dire égal à la totalité du revenu. Pour 11,000 fr., l'impôt serait de 1/,, de 11,000 fr., ou de 12,100 fr., c’est-à-dire supérieur au re- venu. Un pareil résultat suffit pour infirmer le principe de l'impôt progressif. Impôt sur les produits. — Les impôts sur les produits sont nombreux : tels sont les impôts sur les boissons, le sel, le sucre, le tabac, les cartes à jouer. Ces impôts sont d'autant plus équitables que la contribution de chacun se proportionne plus exactement au revenu. À cet.égard, ils donnent lieu à de justes critiques. Les: impôts sur le tabac, sur les cartes à jouer, y échappent en partie, parce qu’ils ne frappent que des produits de luxe et que, chacun est libre de s’y soustraire en réduisant sa consommation. Il s'en faut beaucoup cependant que les, personnes les plus pauvres usent de cette faculté : l'impôt sur le tabac, par exemple, dont l'assiette a été discutée au point de vue exclusivement fiscal, dans le but d'obtenir le plus fort produit, frappe d’une taxe proportionnellement plus lourde les cigares communs que les cigares de luxe. L'impôt sur les boissons, réglé comme il l'est d'après la quantité et non d'après la qualité, pèse principalement sur les classes ou- vrières; car la quantité de vin que consomme une personne n’augmente pas évidemment dans le même rapport que sa fortune. C’est le défaut ordinaire des impôts de consomma- tion, Les impôts sur les produits atteignent toujours en défi- nitive le consommateur, bien qu'ils soient acquittés d’ordi- paire par le producteur ou par le marchand; car celui-ci élève ses. prix de manière à rentrer dans ses déboursés, et il peut le faire sans crainte de perdre ses pratiques, parce que LAN — tous ses concurrents devront, comme lui, dans le caléul de leurs bénéfices, faire entrer l'impôt en ligne de compte parmi les frais généraux. C'est un élément du prix de revient. Il en est de même de l'impôt des patentes, qui s'ajoute également à la colonne des frais généraux et se répartit pro- portionnellement sur le prix des produits vendus. L'impôt des portes et fenêtres rentre encore dans la même classe, car il augmente le prix de location des appartements. Impôt sur le capital. — Le plus considérable des impôts établis sur le capital est l'impôt foncier. Pour se rendre compte de ses effets, il faut distinguer l’époque de son établis- sement et les époques postérieures. Le propriétaire qui vient d'être soumis à l'impôt foncier perd, non-seulement une partie de son revenu, mais une partie correspondante du capital ; car s’il vient à mettre son immeuble en vente, l'acheteur, qui cherche le placement de son argent et qui le choisit toujours le plus avantageusement possible, en offrira un prix calculé en raison de son rapport, et, dans ce calcul, déduira l'impôt du produit brut. Si un impôt de 1 p. ?/, est établi sur une terre qui rapportait 5, elle ne se vendra plus qu'à raison de 80 fr. au lieu de 100 fr. Le premier propriétaire a donc subi une véritable confiscation ; mais tous ceux auxquels il a trans- mis son droit n’ont éprouvé aucune partie du dommage; et si l'impôt foncier était aboli, l'Etat leur ferait un véritable ca- deau, car ils pourraient capitaliser à leur profit la différence de revenu. III Modes de perception. — On voit que le seul impôt réelle- ment équitable serait l'impôt sur le revenu, et que tous les autres, établis soit sur le capital, soit sur les produits, ne le remplacent que très-imparfaitement. Impôts directs et indirects. — Pourquoi le plus juste des — 422 — impôts est-il le moins usité? Nous avons trouvé la raison de fait dans la difficulté de perception. Ce point de vue est celui des financiers, qui distinguent tous les impôts en deux classes : impôts directs et impôts indirects. Les impôts directs compren- nent la capitation, les impôts fonciers, mobiliers, les patentes, les portes et les fenêtres. Les impôts indirects comprennent tous les droits établis sur les denrées de consommation, boissons, sel, sucre, tabac; on y fait rentrer également les douanes. Leurs avantages et leurs inconvénients. — Cette division repose simplement sur le mode de perception. La contribution directe est fixée à la suite d’une enquête sur des faits patents: l'étendue et la qualité des terres, le nombre des ouvertures d’une maison que l’on a pris comme mode d'évaluation simple et rapide de son importance; le prix de location d’un apparte- ment, qui sert de base à la contribution dite mobilière. On a choisi à dessein tous les éléments du calcul parmi ceux qui étaient, pour ainsi dire, évidents à tous les yeux, et ne pouvaient par conséquent donner lieu à aucune contes- tation. On a quelquefois même préféré la simplicité à l'exac- titude, comme pour les portes et fenêtres et l'impôt mobilier. La qualité seule des terres, dans l'établissement de la matrice cadastrale, est un fait d'appréciation. On en a chargé une commission d'habitants de la commune, et un recours est ouvert contre leur évaluation, en première instance devant le conseil de préfecture, en appel devant le conseil d'Etat, qui statue après expertise. Aussi la perception de l'impôt direct ne donne-t-elle lieu d'ordinaire à aucune difficulté; elle n’exige pas l'intervention de la police; tout s’y passe au grand jour, et chacun sait ce qu'il paie; mais par ce motif même, les contribuables ressen- tent plus vivement la charge qui leur est imposée; car le ver- sement de la somme due entre les mains du percepteur à lieu directement, sans aucun artifice propre à déguiser l'étendue des exigences du fisc. — 423 — Il n’en est pas de même des impôts indirects. Ils se per- coivent à l’occasion de la vente d’un produit et retombent en définitive sur le consommateur. Mais la vente d’un produit n'est pas un fait public tel que l'existence et la valeur d’une terre ou d’une maison ; il faut donc un contrôle spécial pour empêcher les ventes clandestines qui seraient faites au préju- dice des droits de l'Etat. De là des difficultés particulières de perception. Eu revanche, cette perception a lien à l'insu de celui sur lequel la charge pèse réellement. Le consommateur qui vient acheter du sel ou du tabac ne songe pas que dans le prix qui lui est demandé est compris un droit fiscal qui s'é- lève à plusieurs fois la valeur même du produit; s'il y songe, il n’a pas au moins sous les yeux la présence irritante de l'a- gent du fisc percevant son argent pour le verser au Trésor: Un grand nombre d'impôts, sans être percus clandestine- ment, ont un avantage analogue, celui d'être perçus à l’occa- sion du versement de sommes plus considérables qui servent, pour ainsi dire, à dissimuler l’énormité du droit: tels sont les impôts du timbre, de l'enregistrement, des mutations. Le peuple les supporte plus aisément que les impôts directs, bien qu'ils soient excessifs et qu’ils entravent les transactions. C'est grâce à de tels artifices que l'impôt peut absorber le 1/5 envi- ron du revenu de la France, sans provoquer de trop vifs mur- mures. Il est remarquable que les motifs de la préférence souvent accordée par les financiers aux impôts indirects sont ceux mêmes que les économistes allèguent pour les attaquer le plus vivement. La perception occulte ressemble à un défaut de franchise, et il paraît convenable que chacun sache facile- ment et au juste ce qu'il paie. Combien de taxes indirectes deviennent, au profit des commercants, le prétexte d’extor- sions qui doublent et triplent parfois le sacrifice réel demandé par le Trésor au consommateur ? Conclusion. — En général, il ne faut toucher aux impôts — 424 — qu'avec une grande réserve, parce que le moindre changement peut faire baisser les recettes et troubler l'équilibre du bud- get, qui s'établit avec peine dans les Etats modernes. De là cette maxime des financiers, que les meilleurs des impôts sont toujours ceux qui existent; car, quand la société s'y est accoutumée et que chacun a pris ses mesures en conséquence, ils ne troublent plus ni l'administration des fortunes, ni les habitudes industrielles du pays. — 425 — à CHAPITRE XII DE LA BIENFAISANCE. Inconvénients de la liberté. — Nous venons de passer en revue diverses restrictions apportées au principe de la liberté dans l’organisation du travail et la constitntion de la propriété modernes : les unes naturelles, que la volonté de l’homme peut atténuer sans jamais les supprimer complètement; les autres artificielles, œuvres des législateurs, imaginées pour prévenir par voie d'autorité des dangers auxquels trop souvent elles aportent un remède pire que le mal. A côté de ces prétendus inconvénients de la liberté, que les progrès de la civilisation font évanouir peu à peu, il y en a d’autres, inhérents à"la liberté même, impossibles à mécon- naître, contre lesquels l'autorité se trouve ordinairement im- puissante et dont l’expérience n’a révélé qu'un seul correctif efficace : les sentiments spontanés d'humanité et de bienfaisance. C’est à la vertu que l’économie politique fait appel pour écarter les conséquences extrêmes de son principe, principe de liberté et de justice tout à la fois, bien que sa rigueur, comme celle ‘ du droit, doive fléchir devant l’application de cette vieille maxime : € Summum jus, summMa injuria. » Accaparements. — En premier lieu, nous citerons l’acca- parement. L'accaparement consiste à soustraire à la vente sur le marché la majeure partie des denrées nécessaires à l'alimentation publique et à les tenir en réserve, afin d'en — 426 — faire monter le prix et d'imposer au consommateur, sous la pression du besoin, une vente onéreuse, C’est une spéculation sur la diselte, une véritable violation de la liberté même, puisque l’un des contractants est mis, par la misère, à la dis- crétion de l'autre. On sait ce qu’on entend par le jeu de la bourse sur la hausse ou la baisse des titres. On achète une quantité importante de titres de la même nature et on les soûstrait à la circulation ; le public prend cette rareté pour une preuve que ces titres sont précieux et que les détenteurs tiennent à les conserver ; donc leur prix monte sur la place et l'on profite de cette haussse factice pour s'en défaire avanta- geusement. L'accapareur n'est qu'un spéculateur à la hausse sur les denrées alimentaires. Personne ne peut nier que le défaut de sincérité dans les relations commerciales ne soit une duperie, donc un acte immoral : donner par artifice une valeur factice à des objets mis en vente, c’est assurément sur- prendre la bonne foi publique. L'accaparement est plus odieux encore, puisqu'à l’artifice s'ajoute la violence, et que l'acheteur, réduit par la disette, est contraint d'accepter ces conditions notoirement onéreuses. Il n’y a donc pas de doute que l'acca- parement ne soit le fait d’un malhonnête homme, et l'on ne saurait s'étonner des violences auxquelles le peuple, exaspéré par la souffrance, s’est souvent livré contre les personnes soupconnées à tort ou à raison d'exercer une telle industrie. Reste à savoir si l'accaparement est réellement possible, dans quelles conditions il se produirait, et, dans ce cas même, si les violences populaires ou les moyens de répression légale ne seraient point de nature à exagérer le mal au lieu de l’atténuer, La répression même d’un acte immoral ne doit . . prendre place dans le Code pénal que si l’utilité publique en est démontrée. Possibilité. — L'accaparement est-il possible ? Il ne faut pas le confondre avec la spéculation légitime, celle qui con- siste à garder un excès de produits pour les verser plus tard + — 427 — sur un marché insuffisant. Le bénéfice que procure un pareil commerce n'est que la juste rémunération d'un service rendu, à savoir la répartition des denrées entre les marchés suivant les besoins : spéculation, dans ce cas, c'est pré- voyange. La spéculation ne devient illégitime que lorsqu'elle dépasse les limites d’une sage réserve, et que, sous prétexte de prévenir la disette probable, elle crée la disette présente. Créer la disette présente, c'est se ménager une chance de profit ; mais prévenir du même coup la disette à venir, c’est _s’en interdire une autre. Entre les deux chances de gain et de perte y a-t-1l compensation, de telle sorte que l’accaparement soit une fausse manœuvre, une souffrance inutile infligée au public, sans profit pour le marchand ? L'expérience montre qu'une telle compensation n'existe pas, que cette spéculation immorale peut être profitable, que chaque jour les joueurs à la hausse réalisent à la Bourse des bénéfices considérables, et que l'opinion publique est sujette à de dangereuses mé- prises. S'il en est ainsi, lorsque le spéculateur n'a d'autre arme que la ruse, que dire de l’accapareur qui a pour lui la force, l'avantage de la sécurité et de la patience sur la misère aux abois ? Dangers d'une répression. — Mais l’accaparement suppose une coalition entre tous les détenteurs d’un même produit, sans quoi la disette habilement ménagée par l’un serait in- continent réparée par l’autre. Il faut que tous d'accord sachent résister à la tentation d’un profit immédiat et facile dans l'espoir de réaliser un profit encore plus considérable. Or, si - une pareille entente était possible, lorsque les difficultés des communications et l’entrave des règlements officiels circon- scrivaient dans chaque ville, dans chaque province, le com- merce des blés, est-elle vraisemblable aujourd'hui que le marché embrasse le monde tout entier ? Prendre des mesures de rigueur contre l’accaparement, ce serait inquiéter sans raison lecommarce, qui a besoin d’une complète sécurité pour — 128 — . découvrir les points où l'intérêt l'appelle, et répartir exacte- ment les produits entre les marchés; pour conjurer un mal imaginaire, ce serait en créer un véritable, exciter la défiance, donner aux négociants un motif plausible de soustraire par prudence leurs denrées à la circulation. La disette est sou- vent sortie de l’excès des menaces ou des mesures vexatoires prises pour l’éviter. L'expérience est faite : les années 1853, 54, 55, années de cherté dont on n'a pas perdu le souvenir, auraient été certainement des années de disette aussi désas- treuses que celle de 1818, si le gouvernement, par une franche rupture avec les vieilles traditions, n'avait déclaré qu'il lais- serait le commerce libre de pourvoir à l’approvisionnement des marchés, et d'y diriger ses produits sans autre guide que son propre intérêt. ii Défaut de rémunération des inventeurs, — Un autre in- convénient de Ia liberté, c’est le défaut de rémunération des inventeurs ; nous avons vu qu à cet égard l'autorité ne serait pas plus salutaire. L'histoire n’a que trop fréquemment à raconter les déceptions d'inventeurs morts désespérés et mi- sérables, la veille du jour'où l'application de leurs idées devait enrichir un peuple (1). L'idée nouvelle est comme les terres vierges, qui épuisent trois générations de défricheurs avant de récompenser leur travail. De nos jours, on a tâché de per- fectionner, sans grands succès, la législation des brevets d'invention. L'inventeur d’un procédé industriel nouveau doit en faire la déclaration au gouvernement, qui lui accorde pendant 15 ans le privilége exclusif de l'exploitation. Au bout de 15 ans, le procédé tombe dans le domaine public. On a cru concilier de cette manière l'intérêt de l'inventeur, qui a 1 (1) Lepox. inventeur du gaz d'éclairage. — LEBLanc, qui a découvert les procédés pour extraire la soude du sel marin; et tant d'autres. . — 429 — droit à une rémunération, et l'intérêt de l’industrie, qui doit profiter de tous les progrès. Mais en favorisant une pre- mière invention, 1l ne faut pas décourager à l'avance celles qui pourraient en découler ; il ne faut pas méconnaître les droits qui résultent d’une transformation nouvelle apportée au pro- cédé primitif. Là est toute la difficulté : définir nettement l'étendue, la portée de l'invention présente, pour en attribuer la récompense à l’auteur, sans empiéter sur les droits de ses devanciers ou de ses successeurs. Système des brevets. — A cet égard, la loi sur les brevets est une source de procès ; elle a fait la fortune d'une foule d'industriels de second ordre, auteurs d’un produit ridicule auquel la mode attachaïit sa faveur passagère, crinolines, épingles à cheveux, etc. ; elle n’a pas sauvé de la ruine des esprits distingués, dont l’idée première était encore trop vague pour se traduire par un procédé matériel d'exécution. Toute- fois l'opinion, éclairée par l'expérience, reste favorable au système des brevets, et les lois de la France, de la Belgique, de l’Allemagne, de l'Agleterre s'accordent, après de nom- breuses enquêtes qui n’ont amené que des réformes de détail, à en maintenir le principe. Lorsqu'une découverte impor- tante tombe immédiatement dans le domaine public, le pays qui en recueille le bienfait tient à témoigner sa reconnais- sance à l’auteur. Des lois spéciales ont été rendues pour décerner en pareil cas une récompense nationale. Plus fré- quemment le gouvernement organise des expositions et pro- clame le mérite des inventeurs par des distinctions honori- fiques. Enfin, il offre quelquefois des prix pour la recherche de procédés dont l'application serait, dans l’indusirie, d’un intérêt exceptionnel. - III Loi de la rente. — Troisième inconvémient : la liberté fait — 430 — bénéficier ow pâtir le propriétaire foncier, sans mérite ou sans faute de sa part, des variations de prix des denrées qui résultent des accroissements ou diminutions de population. Cet énoncé suppose la connaissance d’un fait économique appelé vulgairement Loi de la rente. La première colonie qui s'établit dans un pays commence par mettre en culture les terres les plus fertiles, et le prix de revient des produits, en raison de la fécondité naturelle de ces terres, est d'abord faible, À mesure que la population s’accroit, il faut, afin de pourvoir à son alimention, étendre les cultures et par conséquent défricher des terres moins fertiles. La culture embrasse ainsi progressivement des terres de moindre qualité, et le prix de revient des fruits sur ces terres augmente, puisqu'elles exigent plus de travail et rendent moins de produits. Mais on sait que le prix des denrées sur le marché, déterminé par la libre concurrence, s'établiten raison des besoins des consommateurs, sans distinction de prix de revient; d'autre part, le cultivateur cesse de produire s'il ne peut vendre qu'avec perte ; donc, pour que la production ne descende pas au-dessous des besoins de la consommation, il faut que le prix de vente se maintienne au niveau du prix de revient maximum des produits qui forment la masse néces- saire à l'alimentation publique. Ainsi, à mesure que de nouvelles terres sont défrichées, tandis que les nouveaux cul- tivateurs font à peine leurs frais, l'élévation du prix de vente vient chaque jour augmenter, sans nouveaux efforts de leur part, les bénéfices des propriétaires des fonds les plus fertiles et les plus anciennement cultivés. Cette différence entre le prix de revient et le prix de vente, provenant de la concur- rence, est ce que l'on nomme /a rente, et cette variation de valeur de la rente qui résulte de l'étendue des besoins ou de l'accroissement de population, s'appelle loi de la rente. On voit donc que la rémunération, si elle se proportionne au service rendu à la société, n’est pas toujours en rapport avec le travail qu'il a coûté. C'est une anomalie, mais une ano- — 431 — malie qui découle de la nature des choses, une conséquence du principe de la liberté à laquelle on ne saurait échapper sans rejeter le principe lui-même. IV Excès de la concurrence. — Enfin le quatrième et le plus grave inconvénient de la liberté, c'est d'aggraver au préjudice des plus faibles toutes les inégalités économiques. Une in- vention permet-elle de réaliser dans l’industrie une économie de main-d'œuvre ? Sans transition ni ménagement, elle jette sur le pavé une foule d'ouvriers qui n’ont pas eu le temps de faire un nouvel apprentissage. S'opère-t-il une transforma- tion industrielle, une modification de procédés conduisant à une réduction de prix de revient, à un accroissement de pro- duction ? Elle ruine à l'instant les usines les plus faibles, sans tenir compte de l'étendue des difficultés du moment ou de l'énergie des efforts. En un mot, la liberté ne récompense que le résultat, elle néglige la droiture des intentions ou le mérite d’un travail stérile ; elle est incompatible avec les encourage- ments qui supposent protection, c’est-à-dire le contraire de la liberté. Elle abandonne toutes les variations de prix aux caprices de l'opinion publique, qui est naturellement impres- sionnable et s'exagère les causes de dépréciation ou de cherté ; l'équilibre finit toujours par s'établir, mais à la suite d’oscilla- tions excessives qui causent de graves souflrances, quelque- fois même déterminent des crises. L'agiotage devient un art soumis, pour ainsi dire, à des règles fixes ; on peut apprendre le moyen d’égarer l'opinion publique sur la valeur des titres, de provoquer tour à tour la confiance ou l’alarme, et, en un mot, de faire à son gré et à son profit la hausse ou la baisse. Des artifices de ce genre entrent toujours plus où moins dans les opérations des grands capitalistes. Nous avons vu aussi combien, dans l'échange isolé, les spéculations sur les besoins —"432 — du plus faible pouvaient donner d'avantages au plus fort; dans ce cas, l’exagération des prix n’a plus de limites, et la vente, sous apparence de liberté, n’est plus qu'une extorsion. Nous avons fait obssrver que la concurrence atténue de tels excès en rendant l'échange pour ainsi dire impersonnel ; mais les fait-elle complétement disparaitre ? Non. Pour toutes les in- dustries qui ne sont pas de première nécessité, le producteur se trouve vis-à-vis du consommateur, qui peut refuser de traiter avec lui, dans un état visible d'infériorité : l’industrie est, dans une certaine mesure, à la merci du capitaliste, et l'ouvrier à la merci du patron, car l'industrie ne peut se passer de capitaux, ni l'ouvrier de travail, tandis que le capital peut rester sans emploi, et l'entrepreneur réduire ses bé- néfices; d'une part c'est une question d'existence, d’autre part une simple question de progrès. Il suit de là que le salaire du journalier, qui dépend de tout le monde et n'est in- dispensable à personne, doit s’abaisser au minimum essentiel de consommation, tandis que la durée de la journée de travail augmentera jusqu'au dernier terme de la fatigue. Le dévelop- pement de l’industrie et du bien-être, dans la classe moyenne, n’est donc pas nécessairement un remède contre la pauvreté, et l'on concoit que les ouvriers s'efforcent par l'association d'acquérir le degré d'indépendance sans laquelle on ne peut débattre ses intérêts avec avantage. Toutefois, si l'association, même formée dans le simple but d'apporter un refus collectif de travail à l'offre d’un salaire insuffisant, si la grève, en un mot, est légitime, c'est à la condition de respecter la liberté d'autrui, de ne recueillir que des adhésions volontaires, de n'employer ni intimidation mi violence. Quank à l'association fondée entre ouvriers pour l'exercice à frais communs de leur propre industrie, elle exige une première mise de fonds, fruit de l'économie des nouveaux associés, une persévérance, une discipline volontaire, une confiance réciproque bien rares : aussi ne réussit-elle que très- difficilement. La participation des ouvriers aux bénéfices du — 433 — patron, consentie par celui-ci, leur procure sans aucun risque, sans engagement préalable de capital, le seul avan- tage qu'ils puissent raisonnablement poursuivre, c'est-à-dire une compensatien à l'abaissement éventuel des salaires. La bienfaisance. — Enfin il arrive que, par suite d'une erreur Où d'un caprice, soit qu'on ait trop compté sur la faveur publique, soit que la mode ait tourné, un produit peut être répandu sur le marché en quantité excessive. Alors son prix baisse et le salaire des ouvriers producteurs tombe même au- dessous du minimum indispensable de consommation. Il en est de même quand les mathères premières manquent subite- ment par suite de circonstances imprévues, et que le nombre des ouvriers s'élève outre mesure. Alors une partie d’entre eux devrait périr de misère, si, parmi les riches, plusieurs personnes ne réduisaient leurs dépenses de luxe pour venir au secours des malheureux. C'est là le rôle de la bienfaisance, qui forme, comme on le voit, une exception aux règles ordi- naires de l'échange. Paupérisme. — Malheureusement, la bienfaisance a de graves dangers : l'homme dont elle vient soulager la’ misère dans des circonstances exceptionnelles, prend rapidement l'ha- bitude de recevoir des secours, et croit avoir un droit à l’as- sistance publique ; il s’épargne donc les efforts qui lui per- mettraient, une fois la crise passée, de rétablir, par le travail, le taux de son salaire. Il cède à la double influence de la paresse et du découragement. La condition de journalier est tellement précaire que le moindre moment de défaillance peut compromettre à jamais sa fortune ; dès l'instant où il com- mence à douter qn'il soit capable de reconquérir seul la liberté et l’aisance, il s' abandonne complétement et glisse avec une effrayante rapidité sur la pente de l’abrutissement et de l’in- souciance. Il à cru le mal irréparable, et le mal, en effet, l’est devenu. à Alors se produit le phénomène du paupérisme, c’est-à-dire 28 l'existence, au milieu de la société industrieuse, d'une classe inutile et parasite qui vit exclusivement de bienfaisance. Quand cette plaie a envahi une société, elle s'étend chaque jour : iln'y a pour ainsi dire aucun remède ; car plus la bien- faisance devient active et rézulière pour se mettre au niveau des besoins, plus augmente l'imprévoyance des personnes qui fondent sur elle leur sécurité. Le paupérisme est donc avant tout une maladie morale, et c'est un remède moral qu’il convient de lui appliquer ; l’as- sistance publique la prolonge, l'entretient, l’aggrave : l'in- struction primaire seule peut rendre à ces hommes dégradés le sentiment de leurs devoirs, et faire renaître parmi eux le travail et l’aisance avec l'esprit d'ordre et de prudence. em — 435 — CONCLUSION Résumons, sous forme de conclusion, les enseignements qui résultent de l’économie politique. Les institutions sociales ne sont pas arbitraires; elles découlent de lois naturelles qui président à la fois au développement de l’homme et des choses, et qu'on ne saurait méconnaître sans se heurter, soit à des obstacles matériels, soit aux obstacles non moins insurmon- tables qui naissent du caractère humain. Les uns, croyant se placer au point de vue exclusif de l’in- térêt individuel, s’indignent de l'inégalité des conditions faites aux hommes à l'entrée de la vie par l'héritage qui perpétue les différences de fortune; ils réclament l'intervention de l'Etat dans la distribution des richesses. Les autres, jugeant les institutions d’après des théories politiques préconcues, mettent au-dessus de tous les intérêts l'ordre fondé sur la distinction des classes et la permanence des traditions. Ils allèguent l'instabilité des familles et des fortunes livrées au hasard des entreprises industrielles ; ils proposent d'établir l’aliénabilité de la propriété foncière. Mais la véritable unité sociale n’est ni l'individu ni l'Etat : c’est la famille, dont les membres sont unis par des liens et des obligations naturels qu'aucune loi ne pourrait complétement rompre. L'héritage, qui place les individus dans une situation différente, égalise au contraire les conditions de concours entre les familles; leur sécurité, leur indépendance, leur pouvoir suivent les variations de leur fortune, selon qu'elles savent l’augmenter à force de travail et d'économie, ou qu'elles la dissipent par incurie, prodigalité ou paresse. — 436 — Par le mariage, l’homme contracte l'obligation de nourrir et d'élever ses enfants ; la société, qui lui reconnaît l'autorité paternelle, lui laisse aussi la responsabilité de l'entretien de sa famille. C’est donc une imprudence que de se marier sans ressources ; C’est de plus un préjudice pour le corps social, qui voit augmenter le nombre de ses membres placés par une extrême misère en dehors des lois économiques et mis à la charge de la bienfaisance. Mais l'excès de prudence n'est pas moins dangereux : on s'alarme pour la prospérité de notre pays d’un fait révélé par les statistiques : c'est qu'en France, l'accroissement de la population est, depuis le commencement du siècle, beaucoup moins rapide qu'en aucune autre contrée de l'Europe. Lorsqu'on a pourvu aux premiers besoins et pré- paré devant soi quelques années de sécurité, on peut aban- donner la conduite des événements à la Providence. Les familles qui disposent d'un capital peuvent former des ma- riages avec confiance; la réserve convient davantage aux ou- vriers qui doivent, avant tout, économiser un pécule pour cou- vrir les premiers frais d'entrée en ménage, l'acquisition d’un mobilier, d’un trousseau ; quelqu’argent placé dans ce but-à la caisse d'épargne mettra l'aisance à la place de la gêne. Toute richesse s’acquiert par le travail. La terre elle-même, avec sa fécondité naturelle, serait impropre à la culture si, dans le sol défriché, n’était enfoui le travail de plusieurs gé- nérations. Quels que soient son rang, sa profession et sa fortune, cha- cun à ici-bas une mission à remplir pour le bien de l'huma- nité, un rôle dans l’œuvre de la prospérité générale. Les riches ne bénéficient pas sans raison d’un partage des richesses où l'égalité paraît rompue à leur profit. [ls ont dans la société une fonction déterminée, car ils sont les conservateurs des capitaux, sans lesquels il n’y aurait ni industrie ni travail. L'administration d'une grande fortune n’est point une tâche facile; elle exige autant de sagacité et d'application que d'éco- uomie pour engager les capitaux dans des entreprises sûres, — 437 — et les confier aux industries capables de les faire utilement valoir. Ce n’est point le luxe qui fait aller le commerce, comme on le dit trop fréquemment; tout capital dépensé en sus de celui qui est affecté à la subsistance quotidienne des familles, sert soit à payer un produit sans utilité industrielle, une parure, un objet de consommation frivole, soit à développer une nou- velle fabrication quand on l'applique à la construction d’un instrument de travail. Dans les deux cas, il procure du travail aux ouvriers; mais, dans le second, il se reproduit par l'utilité qu'on en retire, tandis que dans le premier il est détruit sans retour. Le luxe mine donc les fortunes par une consomma- tion excessive, tandis qu'une sage administration les conserve et les augmente. L'économie politique condamne toute dé- pense d’ostentation, même en fait de bienfaisance; car la bienfaisance doit simplement mettre les pauvres en état de se suffire par leur travail, au lieu d'éncourager chez eux l’aisance et la paresse. La plupart des hommes sont voués à l’industrie. En France, une considération particulière s'attache aux professions dites libérales et aux charges de fonctionnaires. Ce sentiment, lors- qu'il est poussé à l'excès, transforme un peuple de citoyens en une nation de solliciteurs. Les industriels eux-mêmes semblent partager et autoriser le préjugé dont ils se plaignent, car ils ne cherchent souvent dans l'industrie que le moyen de faire rapidement fortune, et manquent rarement de se retirer, quand ils se sont assez enrichis pour vivre de leurs rentes. Enfin, dans leur impatience de la retraite, ils se sur- mènent pendant la courte période de leur vie qu'ils consa- crent aux affaires; et, dans la crainte de perdre un instant ou d'éprouver une distraction, bannissent de leurs bureaux tout livre de science ou de littérature. Ils quittent ainsi le commerce ou l’industrie au moment où leur établissement est le plus prospère, où ils ont eux-mêmes acquis toute leur expé- rience et pourraient faire le meilleur usage de leurs capi- — 438 — taux; ils s’exposent à une vie d’oisiveté et de découragement, qui est presque toujours insupportable et souvent mortelle pour des hommes accoutumés à l’activité, Ils donnent enfin, par leur ignorance trop fréquente des choses étrangères à l’objet même de leur profession, un motif plausible pour les tenir à l'écart du mouvement intellectuel du pays. L'économie politique, en appelant l'attention des hommes sur les causes qui produisent la richesse et sur la puissance même politique que les nations doivent à la prospérité, a con- tribué, plus que toute autre science, à relever le travail du discrédit qui l'avait atteint jusqu’à nos jours. Elle a donné le coup de grâce aux vieux préjugés aristocratiques, en montrant que toutes les professions sont honorables, parce que toutes sont utiles à la société. Mais il n’est pas de profession, quelques soins minutieux qu'elle exige, qui doive absorber l’homme tout entier, sans quoi il cesserait d’être homme pour devenir un simple artisan : aussi, dans la journée de l'homme, même le plus occupé, faut-il que de courts instants soient réservés pour la lecture, la réflexion, l'attention donnée aux questions sociales, la culture rapide des sciences, des arts, des lettres qui, plus que le souci des intérêts matériels, plus que l’intel- ligence des lois qui les régissent, ouvrent l'esprit, élèvent l’âme et ennoblissent le cœur. — 439 — TABLE AVERTISSEMENT Len eee tete na tsiatersta lei ee elle ft ail rs onto 293 CHAPITRE I. — NoTIONS GÉNÉRALES. Utilité des sciences morales. — Objet des sciences sociales. — Objet de l'économie politique. — Rapports de l’économie politique avec les autres sciences sociales. — Utilité de l’économie politique. — Défini- tions. — Richesses. — Utilité. — Production. — Matière et indus- DOIB NP e saietein idees felalele eee taie eta réel ah cie see sel ie 295 CHAPITRE II. — DE L'INDUSTRIE. Art et travail. — Epargne et capital. — Développement du travail et de l'épargne. — Travail musculaire. — Mode de transformation de la matière. — Utilité des machines. — Préjugés des ouvriers contre les machines. — Art de la coopération. — Division du travail. — Art SOCIAL. RES MES. NAN Te MERE SOUS MES CHAPITRE III. — DE L'ÉCHANGE. Objet de l'échange. — Forme primitive de l'échange. — Echange isolé. — Valeur. — Cas anormaux dans l'estimation relative des valeurs. — Quantités échangées. — Concurrence. — Loi de l'offre et de la de- mande.— Règlement de la valeur sur les marchés publics. — Gom- ment l'offre et la demande s’équilibrent,.,.,..,..,,.,,,,,,,..,. 320 CHAPITRE IV. — DE LA MONNAIE. Utilité de la monnaie comme unité de mesure des valeurs. — Utilité de la monnaie comme intermédiaire dans les échanges. — Définition de la monnaie. — Qualités que doit présenter la monnaie. — Varia- tion de la valeur de la monnaie. — Quantité de monnaie nécessaire sur un marché. — Monnayage. — Monnaie divisionnaire. — Double étalon. — Valeur relative des métaux, or et argent, employés con- curremment COMME MONNAIE , se venesnrennesus vvssresvelensses JO — 440 — CHAPITRE V. — Du coMMERCE. Définition. — Utilité du commerce. — Commerce de spéculation. — Commerce de distribution. — Divers procédés imaginés pour faci- liter les échanges. — Crédits aux livres. — Billets de commerce. — Avantage du billet: économie de numéraire. — Lettre de change ou traite. — Avantage de la lettre de change : transport de numéraire. — Nouvel avantage des effets de commerce : escompte. — Cours de la rente. — Actions des compagnies anonymes. — Obligations... 340 CHAPITRE VI. — DES BANQUES. Banque de commerce. — Rôle du caissier. — Simplification dans les comptes. — Economie de numéraire., — Rapports entre les banquiers. Placements d’argént par l'entremise du banquier. — Banque de cir- culation. — Analogie du billet de banque avec le simple billet de commerce. — Encaisse métallique. — Expédient du cours forcé. — Différences entre le billet de banque et le billet de commerce : dis- pense d’endossement, paiement à vue. — Taux de l’escompte. — Dif- férence entre le billet de banque et le papier monnaie. — Dangers, du papier monnaie. — Liberté ou monopole des banques de cireula- Bonnes on monebane, Mes LNIDERRANEN a nt Dee CHAPITRE VII. — DES PROFESSIONS. Diverses extensions de l'échange. — Echange de services. — Echange direct. — Echange indirect. — Direction de l’industrie par les con- sommateurs. — Demandes de services. — Offre de services. — Per- sonnes nuisibles à la société. — Rôle du capitaliste. — Egalité des professions devant l’économie politique. — Rémunération des diverses professions. — Principe de l'égalité de rémunération. — Restriction. Principe de la rémunération proportionnelle. — Répartition de la richesse. — Professions manuelles. — Professions libérales... 367 CHAPITRE VIII. — DES ENTREPRISES. Définition de l'entreprise industrielle. — Rôle de l'entrepreneur. — Rapports des entreprises entre elles. — Gestion d'une entreprise. — Frais généraux. — Loi des débouchés. — Direction du personnel d'une entreprise. — Rapports entre les entrepreneurs. — Rapports entre les entrepreneurs d’une part, les capitalistes et les ouvriers de l'autre. — Concurrence entre les intérêts et les salaires..,..,,.., 376 CHAPITRE IX, — DE LA PROPRIÉTÉ. Caractères de la propriété dans les sociétés modernes. — Nécessité de l'appropriation des richesses. — Influence de la distribution des ri- — 441 — chesses sur leur production. — Systèmes communistes et socialistes. — Deux principes opposés : la liberté et l’autorité. — L'autorité peut être absolue; la liberté est nécessairement restreinte. — Deux so- ciétés idéales fondées sur l'application de chaque principe. — Com- paraison des deux régimes....,....,...e.esse..osssse.sesoss 389 CHAPITRE X. — DE LA LIBERTÉ. Direction de l'industrie. — Mode de rémunération du travail. — De l'esclavage. — Formation des capitaux. — Développement de l'art. — Brevets d'invention. — Population. — Transmission des biens pour causeidée mort—1Conelusion. 52. .4-2eiee LEC rer 298 CHAPITRE XI. — DE tes Restrictions apportées au régime de la liberté. — Obstacles naturels et artificiels. — Obstacles naturels : ignorance, distances, préjugés na- tionaux, impôts. — Obstacles artificiels : monopoles, règlements, maxima, douanes. — Système de la protection industrielle. — Sys- ième du libre échange........ ace bbivoovoce FOTOS 0 Don ot . 405 CHAPITRE XII. — DE L'IMPÔT. Le gouvernement, son rôle et ses pouvoirs, — Principe de l'impôt. — Répartition et assiette de l'impôt. — Mode de répartition de l'impôt. — Impôt sur la personne. — Impôt sur le revenu. — Impôt sur les produits. — Impôt sur le capital. — Modes de perception. — Impôts directs et indirects; leurs avantages et leurs inconvénients. — Con- clusion...... CRÉAS ATA E UE re NL CA ESS AT M SN Re ne re RS CHAPITRE XIII — DE LA BIENFAISANCE. Inconvénients de la liberté. — Accaparements; dangers d’une répres- sion. — Défaut de rémunération des inventeurs; système des bre- vets. — Loi de la rente. — Excès de la concurrence. — La bienfai- sance. — Paupérisme..... DE MOT OE c À AT TE seen ee LD) CONCLUSION GÉNÉRALE... ,,... PRE ES I en em Gt UNE TRADITION SÉQUANAISE CONCERNANT ARIOVISTE recueillie par M. POLY, membre corréspondant de la Société d'Emulation du Doubs ET PUBLIÉE AVEC COMMENTAIRES Par M. ALPHONSE DELACROIX L'UN DES FONDATEURS DE CETTE SOCIÉTÉ Séance du 12 février 1876. Amédée Thierry, l'éminent historien des Gaules, à une époque où il jouissait déjà de toute sa gloire littéraire, maïs avant la célèbre chasse archéologique dans laquelle les aigles, comme de simples faucons, se laissèrent bientôt encapu- chonner par le grand oïiseleur, nous écrivait : « Il vous reste à compléter ce que vous avez si utilement commencé en traitant toute la partie gauloise de l’histoire de Séquanie (1). La détermination des localités dans la guerre de César et dans la guerre de Vindex serait un grand service rendu à l'archéologie. » Le conseil fut suivi. Puis le succès ayant dépassé les espé- rances, nos convictions furent bientôt une cause d’embarras dans les circonstances que devait produire la mauvaise con- duite de la chasse sur les terres de la Séquanie. Nous étions indépendant; nous osâmes blâmer. Notre rôle devint celui d’un enfantterrible en présence des plus monstrueuses erreurs produites sous le nom du Maitre. (1) La guerre d’Alesia. — 443 — L’Auguste auteur de l'Histoire de Jules César, dès son début dans le récit de la guerre d’Arioviste, disait : « Ceci est une montagne. — Non, répondions-nous, c’est une plaine. -— C'est une montagne presque aussi haute que le Mont-Blanc. — C'est ce qu'au contraire nous appelons chez nous les plaines de l'Oignon ou simplement le pays bas. » De tels dissentiments entre les indigènes, d'une part, et l'6- crivain travaillant en son palais sur des documents recueillis de seconde main, d'autre part, font pressentir l’inanité de ces derniers et des conséquences tirées d'eux, même avec la plus grande apparence de sagesse. | Nous allons donc essayer de reconstituer cette guerre d’A- rioviste, dépaysée par l'Histoire de Jules César. Nous avons pour cuide, dans nos recherches, outre la simple lecture des textes antiques, le vulgaire sentiment de stratégie qu’inspire la con- naissance approfondie d’un pays. Nous avons eu de plus, tout récemment, la bonne fortune de la découverte d’une tra- dition locale de Frahier (!}, village voisin d’'Errevet et de Ché- rimont, tradition remémorée, colligée et religieusement re- produite avec sa versification mutilée par les siècles, avec des mots gaulois et latins hors d’usage dans le patois qui nous les transmet, avec cette vérité native qui, comme la réalité du chef-d'œuvre la Vénus de Milo, défie les faussaires de tous les temps postérieurs. Cette chanson, ou complainte, comme elle s'appelle, est plus détaillée que le récit des Commentaires; elle confirme celui-ci, mais en donnant à la bataille une se- conde partie, la plus importante à nos yeux, célée par César pour enfler sa gloire ou par politique, et qui dessine une bonne lecon de stratégie laissée par l'antiquité. Car il s’agit de cette terre où nous possédions les remparts de Belfort sans avoir pendant longtemps connu les forteresses naturelles du voisi- (1) Communication faite par M. Pozv, sous ce titre : Ernest le Fort, roi de Belfort, tradition légendaire racontée par une vieille tante à ses pelits neveux. — 444 — nage ; fatal inconnu contre lequel est venu, comme la science topographique de l'écrivain des Tuileries, se briser la valeur in- contestable d'un général français à la tête de ses braves soldats ! L’espace de quelques lieues de largeur situé entre les mon- tagnes des Vosges et celles du Jura, a été de tout temps le pas- sage des armées. La garde de cette porte donnait à la Séquanie une importance prépondérante. D’après Strabon, le peuple dela contrée était maître d'empêcher ou de permettre les invasions. Aussi, dans ce dernier cas, leur imposait-elle habituelle- ment des chefs, ses Brennes. Le passage est gardé par des troncons de collines rangés le long d’une barre d’eau trans- versale que la tradition de Frahier désigne par le mot celtique Ar, et qui est formée : de la Lisaine, laquelle se jette dans l’Allan, puis de l’Allan, lequel tombe dans le Doubs, enfin de cette dernière rivière. Le chancelier de Bismark désignait publiquement naguère cette Lisaine comme étant un ruisseau stratégique plus important que Belfort, à cause de sa posi- tion et des collines riveraines. A l’époque presque fabuleuse où le soldat se servait d'armes de pierre, certaines sommités des bords -de la Lisaine et de l'Allan, sur lesquelles nous rétablissons enfin aujourd'hui un système de fortifications, étaient déjà garnies de retranche- ments. On connaissait, dans ces temps reculés, quels étaient les points à garder pour la grande guerre, dont nous commen- cons à rapprendre la science. De vieux terrassements démolis pour les nouveanx ouvrages ont livré en quantité ces haches et ces pointes de lance en silex avec lesquelles le combat à l'arme blanche terminait, comme il le fera longtemps encore, les affaires préparées par d'autres moyens. Entre Arioviste venant du Rhin, trop tard pour conduire son armée devant Besançon, et César partant de cette forte- resse où 1l avait été introduit en protecteur, l'objectif commun devait donc être la Lisaine : d’une part les collines de la droite, d'autre part celles de la gauche. Le chef germain, ayant à se — 445 — défier de l'arrivée de César par le plateau où chemin cou- vert du Lomont, depuis lequel il est si facile d'aller couper quiconque s'engagera dans ce que l’on appelle la trouée de Belfort, se tenait en conséquence sur la rive droite, mais plus rapproché du Jura, quand il apprit que César était sur la rive gauche, à vingt-quatre mille pas de lui, du côté des Vosges d’où descendent les vastes plaines du pays ouvert. De Besan- con jusqu'au terme de leur voyage, les Romains avaient laissé constamment à leur droite la chaîne des Chaïlluz, qui les obli- geait à faire un léger détour et qui, commençant sur le terri- toire même de la capitale séquanaise, ne se termine qu’à Belfort. Il n'est pas de lieu mieux déterminé par les Commentaires que celui du campement projeté par César. En effet : cin- quante mille pas mesurés à partir de Besançon, lequel n'a point changé de place depuis César, et en suivant les plaines de l'Oignon, conduisent sans dévier au Pas de Ronchamp et dans la trouée de Belfort, précisément sur ces hauteurs de Champagney où l’ancienne Franche-Comté plaçait toujours des troupes contre un ennemi venant du Rhin. Ronchamp, encore en plaine, n’est séparé du pays ouvert dont il est pré- cédé que par un léger repli de terrain dans lequel le Rahin s'est creusé une courte rigole pour aller se joindre à l'Oignon. Un second mesurage, également d'environ cinquante mille pas, confirmé par Plutarque, qui a traduit la même distance en stades, donne à son tour l’espace à parcourir de Ronchamp, où commencera la bataille, jusqu'au Rhin ; les deux mille pas indiqués par les Commentaires séparent enfin Champagney de Ronchamp. Aussi la tradition dit-elle : Po d’vè Rontchamp al s’arroti, * Chu las routchots sas camps drossi (1), ‘ . . . . . . . . (1) Par devers Ronchamp il s'arrêta, Sur les hauteurs son camp dressa. — 446 — Tandis que sans rien connaître encore de la tradition, mais d'accord avec elle, nous hésitions à poser définitivement les noms sur les détails de la bataille, et que l’infatigable M. Jules Quicherat visitait les terriers des communes dans une localité si bien indiquée par les chiffres des Commentaires, le colonel Sarrette, conduit par des considérations toutes militaires, et en dehors de notre concours arrivant aux mêmes résultats, nommait Champagney comme l'endroit du grand camp de César et Ronchamp pour le petit, tous deux réunis par un retranchement protecteur sur le flanc de la colline. Pour nous, la cause de notre hésitation avait été dans une invincible propeusion à traduire par Cæsaris mons le nom d'une certaine montagne de Chérimont, qui fait face à Cham- pagney et à laquelle cependant aucun rôle n'était laissé dans les Commentaires. Nous avions moins douté du sens d'Errevet comme représentant le vocable d’Arioviste, parce que la col- line de ce.nom était évidemment celle sous laquelle, à six mille pas de Champagney, le roi germain était venu placer -un nouveau campement sub monte. Ervet, t’'é encoùr son nom (1), dit la tradition, confirmant ainsi nos suppositions premières. César raconte avec détail : Comment Arioviste quitta encore son camp d'Errevet pour veuir à deux mille pas au delà des Romains, dans l'intention de leur couper les vivres envoyés des pays éduen et séqua- -DAÏS ; Comment lui-même fut obligé de rétablir ses communi- cations en plaçant à son tour un second camp plus petit sur Ronchamp, à six cents pas des Germains, en un lieu avanta- geux qui était probablement l'emplacement de la chapelle régnant sur une hauteur, à la droite de la trouée ; Comment il eut à défendre ses derniers travaux contre l'at- (1) Errevet, tu as encore son nom. 4 =" Hÿ = taque de seize mille hommes de troupes légères et toute cavalerie germaine ; Comment il faisait chaque jour offrir à l'ennemi une ba- taille qui se réduisait à de sanglantes escarmouches de cava- lerie, toutes constamment à l'avantage de l'ennemi; Comment les jours succédèrent ainsi aux jours, jusqu à l'heure où il livra enfin la grande bataille. De tels récits semblaient ne rien cacher au lecteur; mais la tradition raconte que ces délais de plus d’une semaine cou- vraient une ruse de César. Il avait demandé une armée de secours aux Gaulois. Les Rèmes, et certainement avec eux les Lingons, avaient envoyé des troupes. Quant aux Séquanais, ils avaient à se venger de leur allié Arioviste qui, d’après la tradition, leur faisait payer en impôt le tiers de tous les reve- nus, et dont la cruauté n'avait point de limite : Arness éta tchi truand Qu’al fesa penr’ tô las dgens, Sas Wormains pè pu reprendgi Que tô las autr’ étrandgi (1). Depuis quatorze ans ses troupes étaient en permanence. Pensionné par le Sénat romain pour combattre avec les Sé- quanais contre les Eduens que la politique menteuse du Ca- pitole appelait dans le même temps des amis, il avait pour mission de tromper ses propres alliés et de les réduire en ser- vitude par la trahison. Il recherchaït les moyens d'exercer autour de lui la terreur : Voit’ Arness todje au grand trot, Au moitan des volps, des orts, des los (2). A (1) Ernest était si méchant, Qu'il faisait pendre tous les gens ; Ses Wormains n'étaient pas plus épargnés Que tous les autres étrangers. (2) Voyez Ernest toujours au grand trot, Au milieu des renards, des ours, des loups. — 448 — Réduits au désespoir, les Séquanuis, qui voyaient tout à coup s'élever une compétition entre deux fourbes pour la possession de la Gaule et qui ne pouvaient plus échapper à l'un ou à l'autre, livrèrent spontanément à César cette place imprenable de Besancon, la vieille ennemie de Rome, la cité qui donnait des chefs aux expéditions guerrières, et qui allait fournir son appui pour la conquête des pays celtiques, ad du- cendum bellum. Mieux valait au plus vite l'autorité du Sénat romain qu'une plus longue continuation de l'autocratie d'un brigand. Redoutant, dit la tradition, qu'Arioviste ne fût pas détruit par César, les Séquanais se levèrent en masse pour aider ce- lui-ci : « To las boub’ as s’enreulant, To jusqu’ as fennes que s'’armant Avè Djul Tcésafr; as l’aidin A détrur’ las Wormains (1). Ce n’est pas l’une des moindres particularités de la tradi- tion que d'avoir transformé le not latin Germani, aujourd'hui Germains, en celui de Wormains. Cette modification atteste et l'antiquité de la légende et son long passage au travers du moyen âge. Malgré cette qualité générique de Wormain, Arioviste était Allebrige, c'est-à-dire un Gaulois du nord. Il était de ces contrées où, de loin en loin, il a fallu fuir devant les ravages de la mer et des fleuves, et s’en aller conquérir à tout prix une autre terre plus ferme. Les. Allebriges, forcés d'émigrer, ont dû ètre maintes fois la plaie de leurs voisins. Aussi, sur le haut Rhin, leur nom s'est-il perpétué comme une sanglante injure. L'armée de secours se formait à Besançon, d'où la tradition A 2 —— ee me «mme en ce eme (1) Tous les garçons s’enrôlent, Tous jusqu'aux femmes qui s’arment Avec Jules César; ils l'aidaient A détruire les Wormains. — 449 — la montre arrivant par le Doubs. Or cette rivière coule non pas, comme l'Oignon, dans un pays ouvert, mais entre des ro- chers qui en rendent les abords impraticables. Ce qui est la ligne du Doubs pour une armée, et qui fut jadis la voie mili- taire romaine tracée par les Loposagium et Velatodurum de la Table de Peutinger, c’est la haute chaîne de la montagne du Lomont, contiguë à la rive gauche du cours d’eau, et sans cesse rongée par lui. Le Lomont, dont la citadelle de Besan- con est un saillant, se dirige vers le nord-est, depuis cette ville jusques au Camp-Brési, d'où il se détourne vers l’est, lais- sant à une grande hauteur un passage pour descendre du pre- mier plateau du Jura dans la vallée du Doubs. Au Camp-Brési, correspondit jadis, à huit kilomètres au nord-ouest, un cas- tellum carré, de petite dimension, assis sur la rive droite de la rivière, en un lieu plat, découvert et propre à défendre comme tête de pont un passage militaire d’une rive à l’autre. Ce petit retranchement s'appelle la Tente de Jules César. De Camp- Brési, dont le nom nous est connu d'ailleurs pour avoir été celui des retranchements de Brutus, on descend à volonté ou vers la Tente de Jules César par le Bois de la guerre, ou par une pente plus douce dans la direction de Belfort. = Cet emplacement de la station antique de Velatodurum avait des communications assurées dans tous les sens. On descendait de là jusqu'à Ronchamp avec sécurité par le cas- tellum de la rive droite du Doubs. Du même point on pou- vait prendre la direction de la presqu'ile mandubienne de Mandeure, Epomanduodurum, où aboutit l’Allan. Ce fut quand César, par de longues feintes, eut fait croire à l'infériorité. de son armée, qu'Arioviste prit la résolution de descendre dans la trouée et de camper hardiment à Ronchamp. Le moment venu, César livre bataille aux Germains. Ceux- ci, sortant de leur camp, se rangent par tribus : Harudes, Marcomans, Tribocques, Vangions, Némètes, Séduses, Suè- ves, et ferment derrière eux la trouée avec les chars et les rhèdes, afin de ne laisser aucune issue aux fuyards. Là furent 29 — 450 — placées les femmes qui, avec des larmes et les bras étendus, suppliaient le soldat marchant au combat de ne pas les laisser tomber au pouvoir des Romains. Chaque légion avait un lieutenant et un questeur chargés de reconnaitre les preuves de valeur données par les combat- tants. César prit le commandement de la droite où se trou- vaient les auxiliaires, c’est-à-dire des Gaulois, mais qui lui paraissait faire face à la partie la plus faible de l’armée en- nemie. Les Romains, au signal donné, s’élancèrent avec lant d'entrain, et les Germains répondirent à l'attaque avec tant de promptitude, qu'on ne lança pas les pilum. Contre l’ap- proche des glaives l'ennemi se forma, suivant son usage, en une phalange ; mais, par dessus le toit des boucliers, on vit des soldats de l’armée de César s'élancer, ouvrir de leurs mains cetie carapace, et par les trous frapper de haut en bas. Tandis que la gauche de l'ennemi était ainsi repoussée, sa droite écrasait les Romains. Le jeune Crassus, chef de la ca- valerie, et encore libre de ses mouvements, prit les troupes préposées à la garde des camps et les envoya au secours des légions qui cédaient. Les Commentaires ajoutent que le combat fut ainsi rétabli, et ils interrompent subitement en ce point le récit de la ba- taille. Mais la tradition rapporte qu'alors eut lieu le combat le plus meurtrier. L'armée de secours s'était mise en mouve- ment pour arriver à l'heure convenable. Po lo Doubs as veignant, To l’ar as remontant, As fesant in grand détoù Po las penr’ a l’arneboù (1). ue ou ue mme ne mine moe de eu 2 2 ne nom Cu ee me nt Ce à à JO moment (1) Par le Doubs ils arrivent, Remontent toute la rivière, Faisant ainsi un grand détour Pour les prendre à rebours. — 451 — C'était toute l’armée de nos ancêtres qui, par la vallée de la Lisaine et sans être attendue, tombait sur le dos des troupes germaines du côté même où étaient les femmes avec leurs familles et les impedimenta destinés à barrer la fuite. Arioviste se croyait déjà vainqueur, dit la chanson, quand se voyant pris entre deux armées, il ordonna la retraite sur Errevet : Dans l'étang d’'lè Bretche al passa ; Las Rèm’ ne l’ant pè arrota (1). Ayant passé la Brèche et la Lisaine, les Wormains, d'a- près la tradition, repoussent nos ancêtres sur les Rouges- Vies, la Goutte-Rémois et les Champs-Belin. C'est un égorgement général : Arness o au bè moitan, Al o to en tsang, to en tsang (2). La boucherie est si grande que les chevaux ont du sang jusqu’au poitrail : A di tsang las tcevaux En ant jusqu'au poiturau (3). Les champs de Rouges- Vies se couvrirent de morts : As se tuant, as se tsaingnant. Lu L . . LU Oueill! qu’he avu d’gens tsaingni Dans las tchampts das Rouges-Vi (4)! La chaleur de l'été étant grande, la rivière se trouvait (1) Dans l’étang de la Brêche il passe ; Les Rèmes n’ont pas pu l'arrêter. (2 Ernest est au beau milieu, Il est tout en sang, tout en sang. (3) Et du sang les chevaux En ont jusqu'au poitrail. (4) Ils se tuent, ils se saignent! Oh! qu'il y a eu de gens saignés Dans les champs des Rouges-Vies! — 452 — presque desséchée; mais les flots de sang lui rendirent son cours : combattants et blessés ne pouvaient s’y désaltérer qu'avec du sang. Puis le feu prit aux blés, qui étaient mûrs. Les deux femmes d’Arioviste, l'une Suève qu'il avait ame- née de ce pays, l’autre de la Norique, sœur du roi Vocion, qu'il avait épousée sur le territoire séquanais, périrent dans le carnage. Elles avaient deux filles, dont l’une resta parmi les morts et dont l'autre fut faite prisonnière. Arioviste qui était, suivant la tradition, fort et sec, Arness qu'éta f6 e 50, combattait entouré de ses ours et de ses loups. Il fut renversé trois fois, et trois fois il fut sauvé par les siens. Depuis la Goutte-Rémois, il atteignit le haut des Creuses, et, tournant à droite, où il y avait moins de résistance, il descendit les Feussies, puis la Saut-Mage, et perça les derniers rangs de nos ancôtres aux Rouges-Gouleltes. Frahier fut détruit par l’incendie des blés : A peu tè, mon pouv' Frahi, Tè avu ben élégi, Ma tè et la Tiuvotte, Te n’éteu encoûr qu'Alouvotte (1). Après la bataille, pour éviter la peste, il a fallu enterrer les morts. On en a brûlé la moitié aux Breuleux. On a fait pour les autres de grandes fosses aux Feussies; car on dit : = Las Roug’-Vi las ant tua, Las Feussi las ant terra (2). (1) Et puis toi, mon pauvre Frahier, Tu as bien été réduit; Mais toi avec la Cuvotte. Tu n'étais encore qu'Alouette. La Cuvolle et l'Alouelle sont deux lieux dits contigus sur le territoire de Frahier. (2) Les Rouges-Vies les ont tués, Les Feussies les ont enterrés. — 453 — Les morts laissés dans les étangs ont suffi cependant pour infecter le pays : Las eaux tsont empogena, To las poitsons en ant creva (1). Le village est resté longtemps désert, et lorsqu'on l'eut re- bâti, ce n’était plus à la même place, mais au pied de l'émi- nence; on lui a donné un nouveau nom qu1 porte encore. Ainsi, d’après la tradition, la grande bataille fut celle de Frahier, entre le mont Errevet et Chérimont. Or, d’après les Commentaires, César, qui commandait l'aile droite de son armée, se trouvait devant Chérimont durant l'affaire. Nos doutes sur l’étymologie du nom de cette montagne peuvent donc cesser avec beaucoup de raison. Arioviste, ayant laissé son nom au mont Errevet, Chérimont peut certes bien être aussi le Cæsaris mons. Parmi les poétiques inventions de la légende, il est inté- ressant de retrouver la part attribuée aux sources dans le sen- üment d'horreur d’un grand carnage. À Colombin, lieu de la bataille de César contre la cavalerie de Vercingétorix, c’est la Senne qui vomit du sang quand le vainqueur vient pour se désaltérer à la rivière, et qui échange l'octroi d’une goutte d’eau pure contre le nom du proconsul, dont elle accroîtra le sien pour devenir Charcenne. À Frahier, c’est la rivière qui, dit la légende, était autrefois claire comme toutes les eaux du voisinage, et qui est restée rouge en souvenir de la bou- cherie opérée sur ses bords; car, dans cette lutte, les femmes elles-mêmes périrent des deux côtés, ainsi que semble l'exiger la terre du Jura, destinée aux guerres d'extermination plus qu'à la gloire des armes. Une autre coïncidence entre les divers champs de bataille de César dans la Séquanie, c'est qu'à chacun d'eux se trouve (D Les eaux en sont empoisonnées, Tous les poissons en ont crevé. — 454 — rattachée une chapelle de Notre-Dame, où viennent obscuré- ment du plus loin les campagnards dévots dans les moments critiques de leur vie : Notre-Dame de Ronchamp, Notre- Dame de Leffonds à Charcenne, Notre-Dame des Aventures devant Alaise. Enfin, sur chacun de ces champs de bataille abondent des lieux dits caractéristiques accompagnés d’une légende plus ou moins fruste. C'est que longtemps les études militaires des anciens se firent à l’examen local des modèles de stratégie du célèbre vainqueur des Gaules : Sive trans altas gradietur Alpes, Cæsaris visens monumenta magni, Gallicum Rhenum.,.... (1) Un dernier et cruel rapprochement nous a été naguère encore présenté. Soit par inspiration stratégique, soit qu'ils eussent préalablement mieux visé les monuments du grand César, les Gaulois d’outre Rhin, séparés déjà de nous dès la haute antiquité par un schisme qui leur fit repousser les Druides, dominés ensuite par le voisinage de l'élément scy- thique, et disciplinés peu à peu pour la guerre contre la grande patrie de l'ouest, ont cessé de prétendre, comme du temps d'Ammien Marcellin, qu'ils étaient de race celtique, « se sobolis ‘esse romanæ; » — Rome était alors notre capitale — mais conduits par des généraux habiles, ils ont exactement repéré, sur la terre de Séquanie, les traces des guerres d’A- rioviste et de Vercingétorix. Par la possession de la forteresse naturelle d'Amange, Amagetobria, sur la Saône, ils ont été maîtres des communications entre les places de Belfort, de Langres, d'Auxonne, de Salins et de Besancon. Sans qu'il (1) « Soit que, franchissant les cimes ardues des Alpes, il visite les trophées du grand César, le Rhin qui baigne la Gaule.,.,,.....» (CATULLI, Carmen x1.) — 455 — fût possible de les déloger de ce poste, ils y conservaient la faculté de se diriger eux-mêmes dans le sens de toutes les vallées francaises , comme du ceutre aux extrémités d’un éventail. L'antique champ de bataille de Vercingétorix sur Colombin fut garni de canons. Les passages du Doubs sous Osselle furent gardés avec soin. L'ennemi joua sur les bords du ruisseau de la Lisaine le rôle d’un Arioviste vainqueur; puis ayant, par quelques centaines d'artilleurs, pris posses- sion du hameau d’Alesia, et vu comment les passages de Myon au plateau d'Amancey, niés avec autorité dans les journaux militaires français, existaient réellement, il fit dé- filer par là d'une manière inapercue, et se reformer sous Dé- servillers, l'armée destinée à couper la retraite aux nôtres autour du fort de Joux. Les anciens, que nous regardons comme nos maîtres dans les arts et dans les lettres, ne doivent donc pas avoir moins de valeur à nos yeux quant à leur savoir stratégique. La guerre d'Arioviste est une des plus précieuses lecons qu'ils nous aient léguées. LES ÉVÈQUES AUXILIAIRES DU SIÉGE MÉTROPOLITAIN DE BESANCON Par M. Auguste CASTAN CORRESPONDANT DE L'INSTITUT DE FRANCE Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Séance du 11 mars 1876. Dès les premiers temps de l'organisation des diocèses ecclé- siastiques, les conciles prévirent le cas où les évêques ne pourraient à eux seuls faire les fonctions religieuses qui leur étaient réservées : on les autorisa à se choisir des suppléants qui agiraient en qualité de leurs mandataires. Ces lieute- nants épiscopaux furent appelés chorévèques, c'est-à-dire évêques forains. On ne connaît qu'un seul personnage ayant exercé cette charge dans le diocèse de Besançon : c’est Etienne, doyen du chapitre de Saint-Jean, qui vivait en 620 (1). L'institution des chorévèques tomba en désuétude au dixième siècle, et ce fut, paraît-il, au grand dommage de l’ac- complissement régulier des devoirs épiscopaux. Le quatrième concile de Latran, qui se tint en 1215, constata cette lacune et prescrivit, par son dixième canon, les moyens de la com- bler. « Comme il arrive souvent, dit le concile, que les évê- ques, en raison de leurs occupations multiples, ou de leur santé, ou des invasions belliqueuses...……. , ne peuvent suffire par eux seuls à administrer au peuple la parole de Dieu, sur- tout dans les diocèses étendus et dont la population cest dissé- minée..….., nous ordonnons que, dans les églises cathédrales . (1) Duxon, Mist. de l'Egl. de Besancon, t. I, p. 378. — 457 — ou conventuelles, on institue des hommes capables, que les évêques puissent choisir comme coadjuteurs et coopérateurs, non-seulement dans l'office de la prédication, mais encore dans le ministère des confessions à entendre et des pénitences à enjoindre, et généralement dans toutes les fonctions qui intéressent le salut des âmes (1). » On le voit, cette recommandation canonique visait spécia- lement les diocèses qui avaient une vaste circonscription, des paroisses d’un difficile accès, une situation topographique les exposant fréquemment à être envahis par les armées. Tel était le cas du diocèse de Besançon : aussi l'institution d’un lieutenant archiépiscopal suivit-elle de près l'ordre donné à ce sujet par le concile. La fonction ainsi créée exista jusqu’à la révolution française, c'est-à-dire pendant près de six cents ans. Le titulaire de cet office prenait la qualité de suffragant. I] était choisi et pouvait être révoqué par l'archevêque. Pen- dant l'administration intérimaire du chapitre métropolitain, le siége vacant, c'était au corps des chanoines à confirmer le suffragant ou à en élire un nouveau. Ordinairement le choix de l'archevêque ou du chapitre se portait sur un religieux du diocèse ayant du renom comme prédicateur. Quelquefois on conférait la dignité à un chanoine distingué par son érudition ou son éloquence. La nomination du suffragant était notifiée à la cour de Rome, et celle-ci, après information canonique, donnait des bulles à l'élu, en lui attribuant un titre d'évêque, ou plus (1) « Cum sæpe contingat quod episcopi, propter occupationes multi- plices. vel invaletudines corporales, aut hostiles incursus...….…. , per seipsos non sufliciunt ministrare populo verbum Dei, maxime per amplas diœceses et diffusas.. ……., præcipimus, tam in cathedralibus quam in aliis conventualibus ecclesiis, viros idoneos ordinari, quos episcopi possint coadjutores et cooperatores habere, non solum in præ- dicationis, officio, verum etiam in audiendis confessionibus et pœni- tentiis injungendis, ac cæteris quæ ad salutem pertinent animarum. » — 458 — rarement d'archevèque, in partibus infidelium. Le suffragant était ensuite sacré et installé dans ses fonctions. Le suffragant ne participait pas, en qualité d’évêque auxi- liaire, à l'administration du diocèse : il n'exerçait que des fonctions épiscopales purement religieuses, par délégation de l'archevêque quand le siége était occupé, ou par délégation du chapitre en cas de vacance de l’archevêché. Substitut de l'archevêque in spiritualibus, il ne faisait pas double emploi avec le vicaire général qui suppléait l'archevêque in tempo- ralibus, ni avec le vices gerens, chargé, pendant la vacance du siége ou une longue absence d’archevêque, de la direc- tion spirituelle et temporelle du diocèse. Exceptionnellement, quelques-uns de ces vicaires eurent, concurremment avec le suffragant, la qualité épiscopale. Si le suffragant était un religieux, il n'avait pas entrée au chapitre et cédait même le pas aux abbés mitrés du diocèse (1). S'il était chanoine, il conservait son siége dans l’assemblée capitulaire, mais sans primer les quatre hauts dignitaires qui y présidaient suivant l'ordre de préséance de leurs titres. On avait fini pourtant par décider que, quand le suffragant serait un chanoine, il aurait, dans les processions, le pas sur tous ses confrères lorsqu'il marcherait revêlu des ornements épis- copaux, mais qu'il céderait ce pas aux quatre dignitaires lorsqu'il ne porterait point les insignes de l’épiscopat (2). Le suffragant vivait d’une pension assignée sur les revenus de l'archevêque : ce traitement, qui était de 150 francs par année au quinzième siècle, fut élevé à 200 francs au siècle suivant (3). (1) Voir le procès-verbal de la première entrée de l'archevêque Hugues de Vienne, le 15 août 1334. Le suffragant y est nommé après les abbés de Saint-Paul et de Saint-Vincent de Besançon, de Mont- benoît, de Corneux et de Bellevaux. (Mém de la Soc. d'Emul. du Doubs, 4e série, t. X, 1875, p. 220.) (2) Acta Capituli Bisunt., 1514, 13 decemb. (3) 1bid., passim. — 459 — Les historiens de l'Eglise de Besançon n’ont pas accordé grande attention aux suffragants auxiliaires du diocèse, et cependant c'était à ces lieutenants qu'incombait la plus lourde part du fardeau religieux de l'épiscopat : leur délégation était permanente pour tout ce qui concernait les fonctions pasto- rales au point de vue purement spirituel, fonctions que nos archevêques, du treizième siècle au dix-septième, exercèrent rarement en personne. Les suffragants étaient sans cesse en action pour consacrer des églises ou des autels, pour bénir des cimetières, pour donner l’onction aux prêtres du diocèse, pour administrer la confirmation, pour visiter les paroisses et les bénéfices qui relevaient de la juridiction de l'ordinaire. Il y a donc beaucoup d'actes dans lesquels figurent nos évé- ques auxiliaires, et ces actes, pour qu’ils servent à l’histoire des localités franc-comtoises, ont besoin d'être datés avec précision : de là l'intérêt d'une nomenclature aussi exacte que possible des titulaires de la suffragance. L’érudit abbé Richard est le seul qui, jusqu’à présent, ait essayé d'en dresser la liste (1). Celle qui va suivre est notable- ment plus complète (?), et nous pensons faire œuvre utile en la livrant aux amis de l’histoire franc-comtoise. I. — HENRI, ÉVÊQUE DE LA TROADE 12..-1232. Le premier titulaire de la fonction qui nous occupe paraît avoir été l'abbé cistercien du Mont-Sainte-Marie, celui qui avait présidé à l'organisation de ce monastère (3). Il se nom- — — A (1) Histoire des diocèses de Besançon et de Saint-Claude, t. IT, pp: 9-10. (2) Elle comprend onze noms nouveaux, sur lesquels deux (numé- rotés rt et vin) m'ont été fournis par mon savant collègue M. J. Gau- rHier, archiviste du Doubs : je dois en outre à l’obligeance du même collaborateur un certain nombre d'indications qui ont été fondues dans les divers articles que l’on va lire. (3) Un catalogue des abbés du Mont-Sainte-Marie qui termine le Martyrologe de cette abbaye, conservé à la Bibliothèque de Besançon, — 460 — mait Henri et recut le titre d’évêque de la Troade (Troge Ma- gne pontifez) : c'est ainsi qu'il se qualifie dans le seul procès- verbal que nous possédions de ses actes épiscopaux; cet acte est du 26 mars 1230 (1). On a de lui un opuscule théologique sur la Gräce (2). I] mourut en 1232, à l'abbaye de Haute- Combe (3), et fut enterré, dit-on, à l’abbaye de Clairvaux, devant l’autel de la Sainte-Trinité (4). IL. — RENAUD, ARCHEVÈQUE DE CORINTHE avant 1242. Mort avant 1242. Il avait fondé trois places de chapelains dans l’église de Sainte-Madeleine de Besancon; témoin ce passage d'un acte de donation fait en faveur de cette église par Guillaume de Choys, l’un des chanoines du lieu : « Dedit etiam et concessit dictus W. canonicus, in perpe- tuam elemosinam, tribus sacerdotibus constitutis in predicta ecclesia pro magistro Renaldo bone memorie, quondam ar- chiepiscopo Chorintiensi..…, tria jornalia terre... Actum anno Domini M° CC? XLIT (5), » III. — ARMAND, ÉVÊQUE DE .. 1274. Armand, suffragant de l'archevêque Eudes de Rougemont, débute par cette mention : « Primus ergo est Henricus, qui post Ma- gnæ Troiæ fuit antistes. » — Cf. Gallia chrisliana, t. XV, col. 304. (1) C’est l'acte de la bénédiction du cimetière de Villers-sous-Chala- mont, document qui appartient à l'auteur de ce travail. (2) « Henrici, primi abbatis Montis-Sancte-Ma:ie (et postea Trojæ Magnæ episcopi), libellus qui dicitur Verbi gracia. » (Calalogue des manuscrits de la bibliothèque de Troyes, n° 953) (3) « M. CC. XX XII. — Obiit apud Altam Tumbam (leg. Cumbam) domnus Henricus, quondam Magne Troie episcopus. » (AzLprier Trium- Foxriuu chronic., ap. Perrz, Monum. Germ. Scriptor., t. XXII, p. 930.) (4) Chronic. Balernense, ms. de la bibliothèque de M. Droz des Vil- lars. ) Cartular. B.-M. Magdalenes, ms de la Bibliothèque de Besançon. — A6 — recut en cette qualité le serment prêté au siége métropolitain de Besançon, le 25 février 127%, par Regnaud IT, abbé de Baume-les-Moines (1). IV.— THIERRY DE CHARIEZ, ÉVÈQUE DE SUDA. 1281-1315. Moine cistercien, successivement abbé de La Charité et de Bellevaux, il paraît avoir élé fait suffragant en 1281 (?). On a des actes de lui, en cette qualité, qui appartiennent à l’année 1294 6). Il figura, le 5 mai 1310, aux obsèques du comte de Bourgogne Othon IV, à l’abbaye de Cherlieu (‘). Le cordelier gascon Vital, qui devint archevêque de Besancon en 1312 (5), ne tarda pas à le remplacer comme suffragant par un reli- gieux franciscain. Thierry n’en conserva pas moins sa qua- lité d’évêque; il mourut le 9 mai 1324, suivant l'épitaphe qui couvrait sa tombe à l'abbaye de Bellevaux et qui était ainsi conçue (6) : MILLE TERCENTENIS IVNGTIS BINIS DVODENIS Noa LVCE MAII FERTVR AD ÆTHRA TRAHI Domxvs THirricvs PRÆSVL SVDENSIS AMICVS CHRISTI CATHOLICVS QY1 SIT EI MEDICVS Hvivs IN HAC FOSSA (1) Inventaire des titres de l'Archevéché de Besançon, dressé en 1689: aux Archives du Doubs. (2) Baverer, Évéques comtois, ms de la bibl. de Besançon. (3) Duxop. Hist. de l'Egl. de Besancon, t. I, p. 214. (4) Voyage littér. de deux bénédictins, t. I, p. 139. — Une erreur de trauscription ayant fait imprimer, dans cet ouvrage, Lude au lieu de Sude, M. Ed. GLerc (Essai, t. II, p. 15) a cru qu'il s'agissait d’un évêquo de Leyde, bien que Leyde n'ait jamais eu de siége épiscopal. (5) Duxon, Hist. de l'Egl. de Besançon, t. I, pp. 217-220. (6) Dunax», Noles sur l'hist. de Franche-Comté, à la Bibliothèque de Besançon, t. XXX. — 462 — REQVIESCANT PRÆSVLIS OSSA SPIRITVS IN DOXA VIVAT SINE NOXA AMEN. V. — GUY DE GY, ÉVÈQUE DE SAINT-JEAN DE JÉRUSALEM 1315-1328. C'était un cordelier du couvent de Gray. Le comte de Bour- gogne Othon IV l'avait choisi, en 1287, pour organiser l'U- niversité d'études qu'il venait de créer dans cette dernière ville (1). Dès 1315, on le voit agir dans le diocèse comme suf- fragant de l'archevêque Vital (2?) : au mois de septembre 1319, il figurait en cette qualité à la reconnaissance des reliques des saints Epiphane et Isidore, dans l’église de Saint-Jean de Besancon (3). Par son testament, de l'an 1328, il fonda deux chapelles dans. l'église de GYy, lieu de ses origines, en affec- tan! de plus, dans cette même localité, une chambre à l'usage de tous les Cordeliers qui y seraient de passage (4). VI. — HUGUES, ÉVÈQUE DE ...... . 1328. C’est le nom du suffragant de l’archevêque Vital qui, le premier dimanche de l'Avent, en l’année 1328, reçut le ser- (1) Garm et Bessox, Hist. de Gray, pp. 26 et 424. (2) Invent. des titres de l'Archevéché de Besançon, dressé en 1689 : aux Archives du Doubs. (3) Reliques de l'église métrop. de Besancon, ms de la Biblioth. de cette ville; — Duxon, His. de l'Egl., t. I, p. 219. (4) Par un acte du 9 août 1329, l'archevèque Vital confirma et com- pléta ces dispositions du suffragant défunt, appelant celui-ci : « bone memorie venerabilis in Christo pater dominus frater Guido de Gy, quondam civitatis Sancti-Johannis episcopus, noster in spiritualibus vicarius generalis. » (Archives du Doubs : fonds du Chapitre métropo- litain.) — 463 — ment prêté au siége métropolitain de Besançon par Jean de Fondremand, abbé de Corneux ( 1). VII. —— RIQUIER, ÉVÊQUE DE TIBÉRIADE 1334. Il figurait dans le cortége de l'archevêque Hugues de Vienne, lors de la première entrée à Besancon de ce prélat, le 15 août 1334. Le populaire l’appelait l'avesque de Tabarie, mn 00 MÉSATS contraction francaise du mot Tibériade (?. On ne connaît pas son nom de famille; mais, à en juger par son pré- nom, il devait être ori- ginaire du Ponthieu, province où florissait le culte de saint Ri- quier. Il s'était fait graver un sceau imité de ceux des cardinaux de la cour pontificale d'Avignon. Ce sceau, dont la matrice appar- tent à la bibliothèque de Besancon, est de forme ogivale. Le mi- lieu est occupé par un dais d'architecture à trois étages. En haut se (1) Duxon, Hist. de l'Eglise de Besancon, t. I, p. 220; — Archives du Doubs : /nvent. des titres de l'Archevéché de Besançon, dressé en 1689. (2) La première entrée des archevéques de Besancon; dans les Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, 4° série, t, X, 1875. p. 220. — 464 — se voit une Vierge tenant l'Enfant-Jésus. Plus bas est l’é- vêque de Tibériade en costume pontifical et bénissant. Au- dessous, le même prélat, tête nue et les mains jointes, fléchit les genoux en invoquant la Vierge. À droite et à gauche de la figure intermédiaire sont deux écussons. Sur l’un est le monogramme du nom de Jésus, avec alliage des lettres FR, lesquelles signifient Franciscus et prouvent que le suffragant en question appartenait à l'ordre de Saint-François. Sur l’autre écusson sont les lettres MA, c’est-à-dire Maria. La légende gothique du pourtour est remarquable par son incorrection latine ; elle est ainsi conçue : Sigillum : domini : episcopi : amare : tiberiadis : ulta (pour ultra) : marinis : fratrer (pour fra- ter) : richerius, — « Sceau du seigneur évêque de l'amère Ti- bériade d'outre-mer, frère Riquier. » Quant à la fleur de lys qui termine cette légende, elle semble être là pour rappeler que le souverain temporel du diocèse de Besancon, Eudes IV, duc de Bourgogne, tenait la Franche-Comté en qualité d’é- poux d’une fille de la maison de France. VIII. — CLÉMENT, ÉVÈQUE DE DoMocxus 1370. Ce suffragant, qui appartenait à un ordre religieux (frater CLEMENS, Dei gratia, episcopus Domocensis), consacra l’église de Sainte-Madeleine de Besancon, le 3 octobre 1370, par dé, légation de l'archevêque Aymon de Villersexel (1). IX. — N., ARCHEVÈQUE D'ACHAÏE (?) 1392. Le jour de Noël de l’an 1392, les offices furent célébrés à Auxonne, ville du diocèse de Besançon, par un prélat que les documents appellent l'archevesque de Chiesse (2). (1) Archives du Doubs, fonds Sainte-Madeleine, carton V, n° 17 bis. (2) Note extraite par le P. Duxanp des archives de la ville d'Auxonne. — Biblioth. de Besançon. — 10) — Cette dénomination populaire nous paraît dériver de la for- mule latine Achaïensis archiepiscopus. X. — JEAN, ÉVÈQUE DE NAZARETH. 1410. Ce suffragant consacra, le 2 avril 1410, l'autel de l'oratoire rural dédié à saint Maximin, sur le territoire de Fouche- rans (1). XI. — PIERRE, ÉVÈQUE D'EsQuiLIuM. 1428. PETRus, Dei gracia episcopus SQUILLINENSIS, agissant comme délégué de l’archevèque Thiébaud de Rougemont, conféra les ordres moindres, le 23 avril 1428, dans la chapelle du palais archiépiscopal de Besancon ?). XII. -— N., ÉVÈQUE DE CaARP1 (?) Avant 1448. Dans le testament d’Etienne Despotots, de Besançon, passé au mois de janvier 1450, il est parlé d’une sienne maison « située dans la rue des Granges de Besancon, près de celle qui a appartenu à fut révérend père en Dieu l’évesque de Crappes 6). » La locution populaire évesque de Crappes nous a paru dé- river de la formule Carpensis episcopus, que mettait sans doute à la suite de son prénom latin le suffragant que revèle le tes- tament ci-dessus indiqué. A —— (1) L'abbé Sucxer, Saint-Maximin, p. 29, note 2. (2) Acte transcrit au fol. 168 du registre 1432-46 des Délibérations municipales de Besançon. (3) Note du P. Duxaxp, à la Bibliothèque de Besançon. 30 — 466 — XIIT. — ANTOINE, ÉVÈQUE DE SIDON. 1448-1474. C'était un docteur en théologie de l’ordre des Domini- cains (1). Le 23 août 1448, on le trouve à Auxonne, donnant les ordres par délégation de l'archevêque Quentin Ménard (). Il était très apprécié comme prédicateur, et le chapitre mé- tropolitain récompensait ses sermons et ses offices pontificaux par des cadeaux de comestibles (3). L'archevèque Charles de Neufchâtel lui retira sa confiance; mais le chapitre métropo- litain refusa l'investiture aux deux religieux qui essayèrent, lui vivant, de prendre sa place (#. © —© 2 — À —— ————— ———— (1) « Le vi° jour de jung mil re cinquante et neuf, la chapelle de monseigneur le prince d'Oranges fut dédiée, et consacrez les deux aultez, par révérend père en Dieu maistre Antoinne, évesque de Sy- don, docteur en théologie de l’ordre des frères prescheurs..…. » (Note du feuillet de garde d'un missel provenant de l’abbaye du Mont-Sainte- Marie : à la Bibliothèque de Pontarlier.) (2) Note extraite des archives de la ville d'Auxonne, par le P. Duxaxp. — Bibliothèque de Besancon. (3) « Ordinaverunt domini presentari, ex parte Capituli, domino epi- scopo Sydoniensi, qui missam majorem et sermonem die sancti Dyo- nisii ultimate fecit in ecclesia Bisuntina Sancti-Stephani, due prebende panis et vini et unum quartum mutonis. » (Acta Capituli Lis., 12 oc- tobr. 1461.) — « Pro bullis super Societate Jesu contra Turchos con- cessis publicandis, fiant dominica proxima, hora majoris misse, pro- cessiones generales apud Sanctum-Stephanum, et fiat sermo per do- minum episcopum Sydoniensem..…. » (/bid., 1? febr. 1463.) — « Intuitu laborum et penarum sumptorum per do. episcopum Sydonensem in consecrationem duorum altarium, in ecclesia Bisuntina Sancti-Johannis de novo constructorum, habeat idem dominus episcopus unam char- giam salis per sexcallum expediendum. » (/bid., 20 decemb. 1463.) (4) Les frères Mansuet Fichet et Mammes, de l’ordre des frères prê- cheurs, se présentèrent successivement au Chapitre comme devant être promus à l’épiscopat en remplacement de l’évêque de Sidon. Le Cha- pitre répondit à tous deux : « nullatenus consentire hujusmodi requisi- tioni quamdiu dominus episcopus Sydoniensis, modernus suffraganeus archiepiscopatus Bisuntini, vitam duxerit in humanis. » (Acta Capituli Bis., 29 jul. 1467, 8 jan. 1468.) — 467 — XIV. — PHiLiBERT VUILLOT, ÉVÈQUE DE SALONE. 1474-1480. Né à Poligny, d'une famille ancienne, il se fit religieux au couvent des Dominicains de cette ville et en devint prieur, fonction qu'il cumula avec celle d’inquisiteur général de la foi au comté de Bourgogne. Il était docteur en théologie. L'archevèque de Besancon, Charles de Neufchâtel, le choisit pour suffragant et demanda pour lui des bulles au pape Sixte IV (juillet 1474). Il fut sacré à Chalon-sur-Saône, dont le siége était occupé par son compatriote Jean de Poupet. Il mourut à Besancon en 1480, et fut inhumé dans l’église des religieux de son ordre (1). A la même époque, Jacques de Clerval, vicaire général de l'archevêque, avait la qualité d’'évêque d’Hébron ©. XV. — HENRI POTIX, ÉVÈQUE DE PHILADELPHIE. 1180-1489, Né à Gournay-en-Bray 6), il entra dans l’ordre des Carmes au couvent de Rouen et eut la qualité de professeur en théo- logie (4). L'archevêque Charles de Neufchâtel, qui venait de favoriser la conquête de la Franche-Comté par Louis XI, crut sans doute être agréable au nouveau gouvernement en choisissant pour suffragant un religieux français. Le chapitre métropolitain ratifia ce choix par une délibération du 23 août 1480 (5). Mais lorsque la maison d'Autriche vint reprendre possession de notre province, l'archevêque et son suffragant durent quitter le diocèse : Charles de Neufchâtel reçut comme (1) Cuevazrer, Hist. de Poligny, t. II, pp. 54-55. (2) J.-J. Career, Vesontio, IL, p. 303. (3) Note sur un pontifical ayant appartenu aux Carmes de Besançon et possédé actuellement par la Bibliothèque de cette ville. (4) DaxtEL À v. M., Speculum Carmelitanum, t. IX, p. 927. (5) Acta Capiluli Bisunt. — 1468 — compensation l'administration de l'évêché de Bayeux, et l'é- vêque de Philadelphie devint prédicateur du roi de France Charles VIII. On a de lui des lectures de théologie scholas- tique, des sermons au clergé et au peuple, un carême prêché devant le roi Charles VIIL. Il mourut à Rouen en 1502 (b). XVI. — Guy ROSsELET, ÉVÈQUE DE TIBÉRIADE. 1191-1493. Originaire d'Audrehem, village de l’Artois, il appartenait à l’ordre des Curmes et y était professeur en théologie. En 1481, il se trouvait prieur du couvent de Marche-en-Famene, dans le duché de Luxembourg (2). Dix ans plus tard, l’arche- vèque Charles de Neufchâtel le substitua, comme suffragant, au carme Henri Potin, que ses attaches avec la France ren- daient impossible dans le diocèse G). XVII. — Oper TRONCHET, ÉVÈQUE DE TIBÉRIADE. 1493-1502. Né à Gray, il avait fait profession chez les Cordeliers de cette ville : de là il avait été envoyé à Paris, dans le grand couvent du même ordre, où il était devenu docteur et profes- seur en théologie. Son séjour dans la capitale de la France, qui remontait au moins à l'année 1483, lui avait permis d'acheter de beaux livres de théologie. Sur deux de ces vo- mme jun me even me amener me mme » eme nes nes Dome ee come mme men tes comm à 0 70 cm . \ = —— (1) DANIEL A v. M., loc. cit, (2) Un livre qui avait appartenu à ce religieux, et que possède au- jourd'hui la Bibliothèque de Besançon, porte l'inscription manuscrite que voici : « Liber iste est ad usum magistri Guidonis d'Audrehem, sacre pagine professoris et prioris conventus Marchie sacri ordinis beatissime Dei genitricis Marie de Monte Carmeli. Et emit in oppido de Delft in Hollandia. 1481. » (3) La prélature de Guy Rosselet nous a été révélée par une note inscrite sur un pontifical qui appartenait aux Carmes de Besançon et qui est aujourd’hui à la Bibliothèque de cette ville. — 169 — lumes, aujourd'hui à la Bibliothèque de Besançon, il avait fait peindre ses armoiries : d'argent à un tronc d'arbre au naturel (1). À Paris, il connut Charles de Neufchâtel, arche- vêque de Besançon, qui était exilé de son diocèse depuis que la Franche-Comté avait fait retour à la maison d'Autriche. Ce prélat créa le cordelier de Gray son suffragant, en 1493, lui obtint des bulles d'évêque de Tibériade, que le fit agréer en cette qualité par le chapitre métropolitain @'. L'archevêque mort, le chapitre continua les pouvoirs spirituels au suffra- gant 6), et il en fut de même lors de l'intronisation de Fran- cois de Busleyden (#). Odet Troichet mourut en 150265). XVIII. — JEAN FAvVEL, ÉVÈQUE DE NAZARETH. 1502-1514. Né à Motey-Besuche (Haute-Saône) et dominicain du cou- vent de Besancon, il était parvenu dans son ordre aux fonc- tions de professeur en théologie et d'inquisiteur de la foi pour le diocèse de Besancon. L'archevêque François de Busleyden, au moment de partir pour l'Espagne avec Philippe le Beau, roi de Castille, dont il avait été le précepteur, choisit Jean Favel comme suffragant et, par ‘une lettre datée de Tolède le 12 mai 1502, lui alloua 200 francs par année sur les reve- nus de son siége (6). Moins de trois mois et demi après cet acte, l'archevêque mourait à Tolède (23 août) (?), et le chapitre — — — ———— — —— ee (1) Renseignements puisés sur les ex-libris de divers volumes du quinzième siècle, à la Bibliothèque de Besancon. (2) Acla Capiluli Bisunt,, 2? april. 1494. (3) Ibid., 22 aug. 1498. (4) Procès-verbal de l'entrée de François de Busleyden : 1° nov. 1499 (Archives de la ville de Besançon). (6) Duxon, ist. de l'Egl. de Besançon, 1. X, p. 277. (6) Acta Capiluli Bis., 15 jun. 1502. (7) Ant. De LaLaixG, Foyage de Philippe le Beau en Espagne, publ. par M. GacrarD dans la Colleciion des voyages des souverains des Pays- Bas, t. I, pp. 196-197. — 470 — métropolitain élisait à sa place un écolier de quatorze ans, Antoine de Vergy (1). Jean Favel, donné comme mentor à ce jeune prélat, fut chargé de le conduire à Innspruck pour qu'il y recût l'investiture de l'empereur Maximilien. Pendant son séjour à Innspruck, on célébra (25 septembre 1503) un service funèbre pour le défunt prince Hermès de Milan : le suffra- gant de Besançon officia pontificalement dans cette céré- monie (?), Jean Favel mourut en 1514, après avoir fondé à Besancon l'office de saint Dominique dans la cathédrale de Saint-Etienne, et celui de saint Thomas d'Aquin dans la ca- thédrale de Saint-Jean (3). XIX. — JEAN D EMSKERQUE, DIT D'ANVERS, ÉVÊQUE DE SALONE. 1514-1523. Issu d'une famille originaire de Hollande et qui s'était fixée à Besançon au quinzième siècle (4), il était chanoine du cha- pitre métropolitain quand il fut fait suffragant, au mois de juillet 1514, par la volonté de l'archevêque Antoine de Ver- gy (5). À cette occasion, « le chapitre, par délibération du 4 juillet 1520, lui accorda la séance et le suffrage après les quatre dignités, sauf que dans les élections et options de pré- bende, il ne pourroit opiner qu’à son tour de chanoine, qu'on ne lui annonceroit ni lecons ni répons, et qu'il ne seroit pas obligé de chanter l’épitre et l’évangile comme les autres cha- (1) A. Casrax, Granvelle et le pelit empereur de Besancon, dans la Revue historique, 1"° année, t. I, 1876, pp. 81-82. (2) Ant. DE LaALAING, ouvrage cité, p. 316. — C’est à tort que le chro- niqueur appelle notre suffragant évesque de Belhléem. (3) Arch. du Doubs : fonds du Chapitre métropolitain ; — PBiblioth. de Besancon : Ordinaires des églises cathédrales. (4) Perrecor, Discours sur la dénomination des rues de Besançon, dans les ocum, inéd. pour servir à l'hist. de la Fr.-Comté, t. IL, p. 62. (5) Acla Capiluli Bis., 26 jul. 1514. — Il — noines (1), » Il mourut le 23 novembre 1523, et fut inhumé en l'église de Saint-Etienne, dans la petite nef, entre le chœur et la chapelle de la Vierge (?). Sur sa tombe étaient gravées les ärmes de sa famille (d'azur à trois harengs d'argent cou- ronnés d'or adextrés et posés en fasce ; devise : EN DIEU MON ESPÉRANCE) accompagnant l'épitaphe suivante (3) : Rovs Dns IOANNES D'ANVERS EPISCOPVS SALONENSIS COMMENDATARIVS MONASTERIT LOCIGRESCGENTIS DICTI TRIUM REGUM ORDINIS CISTERCIENSIS : GIVIS ET CANONICVS BISVNT. ANIMAM DEO REDDIDIT ANNO DNt 1523. XX.— Prerre TAssARD, ÉVÈQUE DE CHRYSOPOLIS. 1924-1533. Dominicain du couvent de Lyon, il avait étudié à Paris, comme en témoigne l’ex-libris d'un volume de la Somme de saint Thomas, aujourd'hui conservé à la Bibliothèque de Be- sancon. Sur la présentation de l'archevêque Antoine de Vergy, alors exilé volontaire de la ville par suite de ses démêlés avec la commune, le chapitre métropolitain, par délibération du [1 janvier 1524, agréa Pierre ‘l'assard en qualité de suffra- gant du siége archiépiscopal (. Ce prélat mourut vers le mi- lieu de l’année 1533. En ce même temps, il y avait dans le diocèse un second évêque in partibus infidelium : c'était Jean Renault, qui s'in- titulait évesque de Magayre (quelquefois Maguère) et était prieur commendataire de Saint-Just d’Arbois. Ses actes con- nus sont des années 1526 à 1528 (5). 2 © ——————— (1) Duxon, Aist. de l'Eql. de Besancon, t. T, p. 280. (2) Liber anniversarior. Eccles. Bisunt., aux Archives du Doubs et à la Bibliothèque de Besançon, fol. xvur. (3) Menues observations pour l'hist. du Comté de Bourgogne, ms des Chifflet à la Bibliothèque de Besançon, t. I, fol. 125 v°. (4) Acta Capituli Bisunt., 11 jan. 1524. (5) Collection Duxaxo, ms de la Bibliothèque de Besançon, t. XXX, fol. 3, et XX XII, fol. 15. — 472 — XXI. — FRANCOIS SIMARD, ÉVÈQUE DE NIcoPoLIS. 1533-1554. Né à Mondon, près de Vesoul, et admis comme boursier au collége dit de Bourgogne, fondé à Paris pour des étudiants pauvres de la Franche-Comté, Simard revint dans sa province natale avec le grade de docteur en théologie qu'il avait obtenu à la Sorbonne. Il professa quelque temps à l'Université de Dole ; mais bientôt le chapitre métropolitain de Besancon, reconnaissant en lui les qualités d'un « habile controversiste et prédicateur pathétique, » se l’attacha en lui conférant l'une de ses prébendes canoniales. Simard fut employé à prècher contre la doctrine protestante qui menaçait de s’in- troduire dans la ville (1). Le 17 septembre 1533, il annonçait au chapitre que l'archevêque Antoine de Vergy venait de le choisir pour suffragant, aux appointements de 200 francs par année sur les revenus du siége métropolitain. Simard mourut dans cet emploi le 9 septembre 1554, «et fut inhumé entre deux piliers de l'église métropolitaine (de Saint-Etienne) au- près de la chaire du prédicateur, sous une tombe sur laquelle, dit Dunod, il est représenté avec épitaphe (?). » Cette épitaphe était ainsi conçue () : Hic IACGET REVERENDVS IN CHRISTO PATER ET DOMINVS DNS FRANCGISCVS SYMARD DE MONDONE : DOCTOR SORBONIGYS : EPVS NICOPOLITANVS : SVFFRAGANEVS ET CANONICVS BISVNTINYS : QVI OBIIT DIE Ja MENSIS SEPT. ANNO 1994. ANIMA EIVS REQVIESCAT IN PACE. (1) « Per dominum Salins facta relatione de providendo statui domini Francisei Symard, sacre pagine professoris, ut in hac diocesi residere possit ad obviandum secte leutherane dietim pululanti.…. » (Acta Capi- tuli Bis., ?? decemb. 1528.) — Le 23 janvier 1529, François Simard était élu chanoine prébendé « suis exigentibus meritis, scientia, doctrina et ydoneitate.» — L'archevêque lui constitua en outre une pension de 50 francs sur la recette de son palais (Acta, 23 jun. 1529). (2) Duxop, Hist. de l'Egl. de Besançon, L. I, p. 284. (3; Menues observations pour l'hist. du Comié de Bourgogne, mss des Chifflet à la Bibliothèque de Besançon, t. I, fol. 114 vo. — 473 — XXII. — Francois RICHARDOT, ÉVÈQUE DE NICOPOLIS. 1554-1557. Né à Morey (Haute-Saône), en 1507, il entra chez les Au- eustins de Champlitte et fut envoyé à Paris pour faire de hautes études de théologie : il professa publiquement cette science à Tournay et à Paris. Il passa ensuite en Italie et obtint de la cour de Rome sa sécularisation. I revint alors à Champlitte et y fut élu prévôt du chapitre de cette ville. Appelé bientôt après à Besancon pour lutter contre les agis- sements du protestantisme, le chapitre métropolitain lui ac- corda une place de chanoine. A la mort de l’évêque Simard, en 1594, Francois Bonvalot, administrateur de l’archevêché, le choisit, de concert avec le chapitre, pour remplir l'office de suffragant, mais la famille du titulaire de l’archevêché, Claude de la Baume, fit opposition à ce choix. Il en résulta un long procès, pendant lequel l’évêque d'Arras, Perrenot de Granvelle, attacha Richardot à son église en qualité de suf- fragant (1557) ; il lui céda, en 1561, le siége épiscopal qu'il quittait pour devenir archevêque de Malines. Richardot mourut sur le siége d'Arras, le 26 juillet 1574 (1). Ses armoiries étaient : d'azur à deux palmes d’or passées en sautoir, accompagnées de quatre étoiles aussi d’or (?). Il existe un portrait de Richardol, en costume de religieux augustin, gravé dans Ælogia viror. illustr. ex ord. Erem. D. Augustini, auct. Corn. Curtio; Anterp., 1636, in-4. XXIII. — Nicozas GUÉRIN, ÉVÈQUE D’ALESSIO. 1557-1578. Originaire de Pontoise (3), il était docteur en théologie, sous l’habit de l’ordre de Citeaux, et régissait comme prieur (1) Gall. christ., t. IT, col. 349; Mémoire sur François Richardot, dans l’Abnanach du Comté de Bourgogne pour 1788. (2 Duxon, /ist. du Comté de Bourgogne, t. XIT, p. 178. (3) Anniversaires des Clarisses de Besançon : aux Archives du Doubs. — 414 — claustral l’abbaye de Cherlieu, dont l’archevéque Claude de la Baume avait la commende, quand ce prélat le promut à la dignité de suffragant du siége de Besançon : le chapitre mé- tropolitain l’agréa en cette qualité, le 2 juin 1557 (1). 11 mou- rut le 16 mai 1578, et fut inhumé dans le chœur de l’église des Cordelières de Besançon, au pied du maître-autel (2). XXIV, — Louis pu TARTRE, ÉVÈQUE DE Nicopois. 1578-1584. Issu d'une famille d’ancienne noblesse fixée à Poligny, il devint abbé de Bellevaux et suffragant de l'archevêque de Besancon Claude de la Baume, avec le titre d'évêque de Ni- copolis : il eut en outre la fonction de vice-chancelier de l'U- niversité de Dole G), Il consacra, dans cette dernière ville; l'autel de la chapelle particulière du Parlement de Franche- Comté, où il inséra des ossements du pape saint Grégoire : cette cérémonie eut lieu le 20 mars 1583 (#. Le prélat qui l'avait faite mourut le 15 octobre 1584, et fut inhumé dans l'église de l’abbaye de Bellevaux, sous une tombe avec effigie qui est aujourd’hui à l'église de Cirey-lez-Bellevaux, devant l’autel de Saint-Pierre de Tarantaise ; on y lit cette épitaphe: H1c IACET REVERENDVS DOMINVS LvDovicvs DV TARTRE : EPISCOPVS DE NICOPOLI : SVFFRAGANEVS BISVNTINVS : VICEGANCELLARIVS ALMÆ VNIVERSITATIS DOLANÆ : ABBAS MONASTERII HVIVS BELLÆVALLIS. Ogrrr 152 ocroBris ANNO Domixt 1584. Ses armoiries étaient : d’azur à deux barbeaux adossés, d'argent, accompagnés de quatre croisettes de même. (1) Acta Capituli Bis., ?, jun. 1557. (2) Note du P. Duxaxp (Biblioth. de Besançon); — Annivers. des Cla- risses. (3) Caevazter, Hist de Poligny, t. IL, p. 492. -- DE Bizz, ist. de l'U- niversilé du comlé de Bourgogne, t. I, pp. 297-98. (4) Evangéliaire du Parlement de Franche-Comté : ms de la Biblio- thèque de Besançon. — 475 — XXV. — Jean Doroz, ÉVÈQUE DE NicoPoLIs. 1585-160%. Né à Poligny, il embrassa la vie religieuse au prieuré de Vaux, de l’ordre bénédictin de Cluny. On l’envoya étudier à l'Université de Dole, où il recut les grades de docteur en théo- logie et en droit canon, puis obtint au concours une chaire de professeur de ce droit qu'il occupa pendant une vingtaine d'années. Il s’en démit pour accepter de lParchevêque Fer- dinand de Rye le poste de suffragant du siége métropolitain de Besançon : ses bulles sont du mois d'août 1585. Dix ans plus tard, le gouvernement des Pays-Bas et de Franche- Comté lui donna l’abbaye de Faverney, qu'il s'agissait de reconstruire. « Il me serait difficile, dit-il à l'archiduc Albert, de bien bâtir sans Chaux, » faisant ainsi allusion au prieuré de Chaux-lez-Clerval, qui était vacant et dont il désirait le revenu pour l’appliquer à son entreprise de restauration. — « Vous l’aurez, répondit l'archiduc, afin que vous n’ayez point d’excuse de rétablir Faverney. » Nommé par le pape évêque de Lausanne, le 10 avril 1600, il alla se faire installer à Fribourg, puis revint habiter la Franche-Comté où, pen- dant quatre années encore, il fit par délégation des fonctions épiscopales. Il mourut dans son prieuré de Chaux-lez-Clerval, le 14 septembre 1607, à l’âge de 70 ans (1). On l’inhuma dans la cathédrale de Saint-Etienne de Besancon, où un monument lui fut érigé avec épitaphe ainsi conçue (?) : D'AOME Ruo D. Ioanxt DOROZ EPISCOPO ET COMITI LAVSANNENSI : S. R. I. PRINCIPI : ABBATI DE FAVERNIACO : VIRO MORVM GRAVITATE ET VITÆ INTEGRITATE PRÆSTANTISSIMO : (1) Ge qui précède est en grande partie extrait du tome IT (pp. 348- 349) de l’Aistoire de Poligny, par Cuevarrer. (à) Mémoires historiques sur le diocèse de Lausanne, par Martin Scamirr, publ. par J. GREMAUD, t. IT, pp. 414-422. — 476 — IVRIS CIVILIS AC PONTIFICIL DIVINÆQVE SCRIPTVRÆ CVMVLATA DOCTRINA ET ELOQVENTIA CVM IIS QVOS MIRATA EST ANTIQVITAS COMPARANDO. OBIIT ANNO 1607 : 13 SEPTEMBRIS : vIXIT 70 Nogizis ANATOLIVS DOROZ DOMINVS A CRAMANT MOESTISSIMVS PATRVVS POSVIT. Ses armoiries étaient : d'or à la fasce d'azur, chargée d’une rose d'argent au cœur d'or. Devise : HONOs ALIT ARTES. XXVI. — GUILLAUME SIMONIN, ARCHEVÊQUE DE CORINTHE. 1604-1616. Né à Poligny, vers 1560, il prit l'habit des Bénédictins à l'abbaye de Saint-Vincent de Besancon et en devint bientôt le directeur effectif. L’archevôque Ferdinand de Rye ayant à remplacer comme suffragant Jean Doroz, devenu évèque de Lausanne, choisit à cet effet D. Simonin et lui obtint le titre d'archevèque de Corinthe (1). Le chapitre métropolitain s'of- fensa de n'avoir pas été consulté sur cette nomination : aussi refusa-t-1l à l'élu la permission de se faire consacrer au grand autel de la cathédrale de Saint-Etienne : une simple cha- pelle fut mise à sa disposition pour cette cérémonie qui eut lieu au mois d'avril 1604 (?), L'abbé de Saint-Vincent étant venu à mourir le 5 février 1608, D. Simonin le remplaca et introduisit dans ce monastère, en 1611, la réforme bénédit- tine de Saint-Vanne et de Saint-Hydulphe, dont il pratiqua tout le premier les observances. Il affecta presque toute sa fortune à la fondation, dans sa ville natale, d'un séminaire de jeunes clercs, appelé le séminaire de Corinthe, Relevé de ses fonctions de suffragant depuis 1616, à la suite de mésin- telligences avec l'archevêque Ferdinand de Rye, D. Simonin conserva les prérogatives honorifiques de sa prélature. Il mourut au château de Villers-Pater, qui dépendait de son (1) CuevaLrer, Hist. de Poligny, t. II, pp. 486-87. (2) Acta Capituli Bis., 24 april. 160%. — ÀTT — abbaye, le 26 août 1630. On l’inhuma dans l’église de Saint- Vincent de Besançon (1. Ses armes étaient : de gueules à un cœur d’or, traversé de deux flèches de même, empennées d'argent et mises en sau- toir (2). Son portrait existe au musée de Dole. XXVII. — CLAUDE DE LA BARRE, ÉVÈQUE D ANDREVILLE. 1616-1629. Cordelier du couvent de Dole et docteur en théologie de Paris, il est ainsi dépeint dans la WNarration historique du P. Fodéré : « Claude de la Barre, homme d'une rare érudi- tion et profonde doctrine, zélé à son estat, qui a fait continuer ce convent en son ancienne splendeur et exactement observer l'intécrité des statuts et ordonnances de la religion. Et de plus, p?r sa grande œconomie, a fait de signalées et très remar- quables réparations en ce convent; car l'église n’estoit que simplement lambrisée de bois, et depuis quelques années il l'a fait tout voûter de pierre, blanchir, embellir, et meubler de riches ornements et précieux joyaux : pour l'entrée de laquelle il à fait un très beau portail de pierre jaspée, lequel néantmoins ne se monstre pas encore si riche qu'il est en effect. Comme père des bonnes lettres, il a fait une biblio- thèque des plus magnifiques en son bastiment, mais des mieux meublées et enrichie de livres de toutes sciences... Enfin, pour ses rares mérites, il fut esleu au chapitre de Ta- rantaise, l’an 1595, ministre de ceste province, laquelle il a si heureusement et si pacifiquement gouvernée, nonobstant les grands troubles et guerres civiles qui estoient pour lors en ce royaume, qu'il a du depuis esté commissaire général en icelle trois fois en trois divers chapitres provinciaux, avec tant d’édification et érudition qu'on pouvoit désirer. Despuis peu de jours, par ses très grands mérites, rare doctrine et (1 et 2) Cevauer, Aist. de Poligny, t. IT, pp. 488-89. — 478 — singulière capacité, il a esté créé et sacré évesque d’Andre- ville et suffragant en l'archevesché de Besancon, charge certes qu'il exerce avec une dextérité et révérence fort hono- rable (1), » Le P. de la Barre fut sacré à Ornans, par l'archevêque Ferdinand de Rye, au mois de novembre 1616. Lors de son arrivée à Besancon, le chapitre métropolitain et la munici- palité l’envoyèrent saluer : le chapitre lui offrit le pain et le vin (2); la municipalité lui fit porter six grands pots de vin blanc et clairet (3). Il mourut le 16 octobre 1629, âgé de 71 ans. Son portrait se voyait dans le petit réfectoire des Cordeliers de Dijon, avec ses armoiries qui étaient : d'azur à la croix ancrée d’or et bordure de même (4). XXVIII. — PniLippE PATORNAY, ÉVÈQUE D ANDREVILLE. 1631-1639. Né à Salins, d’une famille annoblie dès le quinzième siècle (©), il était entré, dès 1611, dans l’ordre des Minimes, et il y avait professé avec distinction la philosophie et la théologie (6), Sur la demande de l'archevêque Ferdinand de Rye, le pape Urbain VIII, par bulles du 27 novembre 1631, promut le P. Patornay à la dignité d’evêque d’Andreville et de suffragant de Besancon (7) : son sacre eut lieu le 14 mars 1632 (8). 11 mourut en 1639. (1) Narration historique des convens de l'ordre Saint-François en la province de Bourgongne; Lyon, 1619, in-#, pp. 661-662. (2) Acta Capiluli Bis., 17 decemb. 1616. (3) Délibéral. municip., 15 décembre 1616. (4) Note extraite, par le P. Duxanxp, du Nécrologe des Cordeliers de Dijon. | (5) Gurzzaumes, Hist. des sires de Salins, t. II, pp. 190-192. (6) Laxovu Chronicon generale ord. Mintn., p. 575. (7) Archives du Doubs, fonds des Minimes. (8) Lanov., Loc, cil, — 479 — Ses armes étaient : d'azur à trois croissants d'argent, ? en chef et 1 en pointe, et une quintefeuille d’or en cœur. XXIX.— JosepH SAULNIER, ÉVÈQUE D'ANDREVILLE. 1640-1681. Né à Ornans le 16 décembre 1596, il avait fait profession dans la congrégation bénédictine de Saint-Vanne et de Saint- Hydulphe, en l’abbaye de Saint-Vincent de Besançon, le 23 septembre 1619 (1). Maître des novices à l'abbaye de Fa- verney, puis sous-prieur et prieur à l’abbaye de Saint-Vincent de Besançon, il fut appelé, en 1630, au poste d'abbé régulier de ce grand monastère (?). Dix ans plus tard, l'archevêque de Besançon Claude d’Achey le choisit pour son suffragant et lui obtint des bulles d’évêque. Il fit en cette qualité une longue carrière : on conserve aux Archives du Doubs le re- gistre fort bien tenu par lui-même de ses actes épiscopaux. Le plus remarquable de ces actes est la consécration qu’il donna en secret, dans une chapelle souterraine de son abbaye de Saint-Vincent, à Antoine-Pierre I de Grammont, élu archevêque de Besancon dans un moment où le chapitre mé- tropolitain était en difficultés avec la cour de Rome : un bref spécial avait autorisé le suffragant à faire extraordinairement cette cérémonie (3). D. Saulnier mourut le 25 avril 1681, âgé de 85 ans (1). I fut inhumé dans le chœur de l’abbaye de Saint- Vincent, sous un mausolée que décorait son portrait et dont l’épitaphe était ainsi conçue (5) : H1c 1AGET ILLVSTRISSIMVS AC REVERENDISSIMVS D. D. IosErHvs SAVLNIER REGVLÆ DIVI BENEDICTI (1) Matricula religiosorum congregationis SS. Vitoni et Hydulphi; Nanceii, 1727, in-#4, p. 11. (2) Gallia christ., t. XV, col. 195. (3) Duxopn, ist. de l'Egl. de Besançon, t. I, p. 344. (4) Oraison funèbre de D. Saulnier, ms de la Bibliothèque de Besan- con. (5) Archives du Doubs, fonds Saint-Vincent, cart. 1. — 480 — PER SEXAGINTA DVO ANNOS OBSERVANTISSIMVS : PER QVINQVAGINTA HVIVS MONASTERII ABBAS : PER QVADRAGINTA EPISCOPVS ANDREVILLENSIS. INTER HOS TITVLOS MODESTUS MIRAM VITÆ AVSTERITATEM MORVM SVAVITATE LENIVIT. EX vVOTO PAVPER : EX BENEFICIO IN PAVPERES ET PROPRIAM ECCLESIAM LIBERALIS. INSIGNIS CAPITVLI AMICVM SEMPER NEC INVTILE MEMBRVM FVIT. DILIGEBAT CIVITATEM SEPTVAGENARIVS INCOLA ET PARITER CIVIVM SPES ERAT ET AMOR. VIxXIT ANNOS 895 PROCERO SANO ERECTOQVE CORPORE ET AD MAIESTATEM ET DECOREM COMPOSITO. CERNIS FACIEM QVAM NEC FINGI NEC PINGI VNQOVAM VOLVIT. SACRAVIT TRES ARCHIEPISCOPOS ET TOT ECCLESLÆ MINISTROS CREAVIT VT PATREM CLERI SEQVANICI RECTE DIXERIS. HORAS CANONICAS NON OMISIT VSQVE AD MORTIS DIEM QVEM INTER FRATRVM LVGENTIVM MANVS CLAVSIT ORANS DIE 29 APRILIS ANNO Di 1681. QVasi Vas A Vel : QVasI soL EerFrVLsIr IN TEMPLo DEI. — ECCLESrASTIC. 90. Le sceau et les cachets de l’évêque Saulnier (1) portent pour armoiries : une fasce accompagnée de trois annelets posés 2 et 1. XXX. — FRAaNCoIS-JoSEPH DE GRAMMONT, ÉVÈQUE DE PHILADELPHIE. 1686-1699. Entré au chapitre métropolitain, en 1663, sous les auspices de son oncle, l'archevêque Antoine-Pierre I, il alla compléter son éducation sacerdotale au séminaire de Saint-Sulpice.De (1) V. le fac-simile du cachet et de la signature de D. Saulnier dans l’opuscule de M. Ad. Marzer intitulé : £pisodes de la guerre de dix ans dans la vallée d'Ornans; Besançon, 1865, in-8. — 481 — retour à Besançon, il fut pourvu successivement des abbayes de Bithaine et de Monthenoïît, des prieurés de Morteau et de Beaupré, ainsi que d’une charge de conseiller-clerc au parle- ment de Franche-Comté. Elu successivement par le chapitre grand-archidiacre, en 4679, et haut-doyen en 1680, son oncle l’obtint pour suffragant en 1686, se déchargeant dès lors sur lui des fonctions les plus pénibles de l’épiscopat. « On se plaisait à le regarder comme l'archevêque lui-même, et, dans l'estime publique, il ne lui en manquait plus que le titre. Aussi l’allégresse fut-elle grande dans le clergé et dans le peuple, lorsqu'on apprit que le roi l'avait nommé au siége de Besancon (1). » Sa lettre pastorale de prise de possession est datée du 10 dé- cembre 1699 ; elle est suivie de la bulle pontificale annonçant au clergé et au peuple du diocèse la promotion du nouveau pasteur. : Ses armes étaient : d'azur à trois bustes de reines de car- nation, vètues d'argent, chevelées et couronnées d'or, 2 et 1; écartelé d'azur à six besans d'argent, 3, 2, 1, au chef d’or; sur le tout de gueules au sautoir d’or. Devise : DIEV AYDE AV GAR- DIEN DES ROYS. XXXI. — FRANCOIS-GASPARD DE GRAMMONT, ÉVÈQUE D'ARÉTHUSE. 1707-1727. Déjà chanoine du chapitre métropolitain en 1672, il fut gratifié de la commende de l’abbaye de Saint-Vincent de Be- sancon, en 1701. Son oncle l'archevêque Francois-Joseph de Grammont le demanda pour suffragant : il fut sacré à Paris, le 21 décembre 1707, par le cardinal de Noaiïlles. Après la mort de son oncle, dont il avait été le collaborateur intime, le chapitre le placa à sa tête en qualité de haut-doyen, et il (1) JAGQUENET, Hist. du séminaire de Besançon, t. I, pp. 223-225. 31 — 482 — fut le pasteur effectif du diocèse sous l'autorité nominale des archevèques René de Mornay et Honoré de Monaco. Il mou- rut à Besançon, le 17 novembre 1727, et fut inhumé dans l’église de Marchaux. Ses armes étaient : de gueules au sautoir d’or; écartelé d'azur à trois bustes de reines de carnation, vêtues d'argent, chevelées et couronnées d’or, 2 et 1. Devise : DIEV AYDE AV GARDIEN DES ROYS. L XXXIL — Prerré-FRrancois HUGON, ÉVÊQUE DE PHILADELPHIE. 1736-1754. Né à Gray, le 15 octobre 1674, il fut nommé chanoine- coadjuteur au chapitre métropolitain le 4 septembre 1690, et ordonné prêtre, avec dispense d'âge, en 1696. « Sa science, la solidité de ses vertus et la noblesse de son caractère, lui acquirent une haute influence parmi ses collègues. Ce fut principalement en lui que se personnifia la grande autorité du chapitre pendant les vacances du siége archiépiscopal, depuis la mort de Francois-Joseph de Grammont jusqu'à l'avènement d'Antoine-Pierre IT. » Choisi, de l'agrément du roi, comme suffragant par l’archevêque, il obtint des bulles qui le nommaient évèque de Philadelphie. Son sacre eut lieu au séminaire, dont il avait été supérieur, le dimanche 24 juin 1736 : l'archevêque de Besançon, qui le consacra, fut assisté dans cette cérémonie par les évêques de Langres et de Dijon. Il ne survécut que dix jours au prélat dont il avait été le dévoué collaborateur : sa mort arriva le 17 sep- tembre 1754, et son corps fut déposé dans le caveau des cha- noines de l’église métropolitaine (1). 5es armes étaient : de gueules à la bande ondée d'or, ac- (1) Cette note est empruntée à l'Histoire du séminaire de Besançon, par M. Jacouexer, t. I, pp. 4214-25, 572-73, — 483 — compagnée de deux aiglettes d'argent, l’une en chef et l’autre en pointe. XXXIII. — CLaune-IanacE-FRANCoIS-XAVIER-ALEXIS DE FRANCHET DE RANS, ÉVÈQUE DE RHosy. 1755-1797. Né à Besancon le 7 janvier 1722, il entra en 1743 au cha- pitre métropolitain, obtint, en 1745, la commende du prieuré de Fontaine-lez-Luxeuil , fut choisi comme suffragant par l'archevêque Cleriadus de Choiseul, nommé par le pape évêque de Rhosy et sacré en cette qualité le 23 mai 1759. Le chapitre métropolitain lui conféra graduellement toutes ses dignités, jusqu’à celle de haut-doyen à laquelle il fut élu le 15 juillet 1775. Il avait été pourvu, en 1767, de la commende de l’abbaye de Balerne. Déporté le 12 septembre 1792 pour n'avoir pas adhéré à la constitution civile du clergé, il reçut, après la mort de l'archevêque exilé, une commission aposto- lique pour administrer le diocèse. Il y rentra dès qu'il en eut la possibilité, et ce fut lui qui reçut, à la tête du clergé, l’ar- chevèque Claude Lecoz, en 1802. L'évêque de Rhosy prit rang dans le nouveau chapitre, d'abord comme chanoine ho- noraire, puis comme chanoine titulaire. Il mourut à Besan- con le 21 février 1810, dans sa 89° année. Ses obsèques eurent lieu le lendemain à l’église métropolitaine : après quoi, sa dé- pouille mortelle fut conduite à Rans. Ses armes étaient : d'azur à une tête de cheval d'argent. Devise : LIBERTATE NON FRENO. ÉTUDE JACQUES DE MOLAY DERNIER GRAND-MAÎTRE DES TEMPLIERS Par M. Edouard BESSON. Séance publique du 14 décembre 1876. Parmi les hommes illustres originaires de Franche-Comté, il en est un dont la mémoire semble avoir été, comme à des- sein, laissée dans l'ombre par nos historiens et nos chroni- queurs locaux. Jacques de Molay, dernier grand-maître des chevaliers du Temple, joua pourtant, à son époque, un rôle qui ne fut pas sans grandeur. Il commanda une milice puis- sante dont les chefs, égaux aux princes en dignité, jouissaient d'une indépendance complète vis-à-vis des rois eux-mêmes ; il prit part à des gucrres sérieuses et à de grandes entre- prises; son nom enfin domine un procès mémorable qui se termina par une des Catastrophes les plus terribles dont fasse mention l’histoire des peuples, et où 11 périt avec l’ordre placé sous sa direction. Et cependant, ses compatriotés ne lui ont pas encore con- sacré la moindre étude particulière, la moindre monographie. On dirait que le souvenir des victimes de Philippe le Bel et de Clément V a, jusqu'à présent, exercé sur nos écrivains une sorte de terreur religieuse, et nous en sommes réduits aux histoires générales pour connaître la vie du célèbre Franc-Comtois et surtout les émouvantes circonstances de sa fin tragique, — 485 — C'est là l'oubli, ou peut-être l'omission volontaire, que cette étude a pour but de réparer. Nous n'avons eu d’ail- leurs qu'à en rassembler les éléments épars dans de récents travaux de l’érudition moderne, surtout dans la belle publi- cation du regretté Michelet, qui a mis au jour les pièces prin- cipales de l'affaire du Temple, du moins celles d’origine fran- çaise (1), Cette affaire est la première du moyen âge dont les procès-verbaux aient été conservés. Elle intéresse donc à la fois l'historien et le jurisconsulte. Elle soulève de plus, par sa nature même, des questions de l’ordre le plus élevé, ques- tions délicates et parfois brülantes, pour la solution desquelles nous nous sommes attachés avant tout à garder la stricte 1m- partialité qui convient à l'écrivain et l'indépendance de juge- ment et de critique qui convient à l’homme libre. Jacques de Molay naquit au village du même nom situé au nord du département actuel de la Haute-Saône, dans le can- ton de Vitrey. Telle n'était pas l'opinion admise jusqu'à ces derniers temps. On faisait naître le célèbre grand-maître à Molay près de Dole, de Jean de Longwy, sire de Rahon. Basée sur un simple rapprochement de nom, et sur les assertions d'auteurs plus que discutables (?), cette tradition ne pouvait © ——— — ———— ’ (1) Procès des Templiers dans la collection des Documents inédits sur l'histoire de France. (2) L'abbé pe Briy (Histoire de l'Université du comté de Bourgogne, t. II, p. 146) prétend avoir vu, parmi des testaments publiés à l’offi- cialité de Besançon, celui de Jean de Longwy, qui ferait mention de Jacques de Molay comme de l’un de ses enfants. Il faut n’accepter que sous toutes réserves les dires d’un auteur dont les œuvres fourmillent d'erreurs manifestes. Du reste, si les testaments de l'officialité de Be- sançon out été dispersés et en partie détruits, il en reste une table complète due au consciencieux Dom Berrnoo, et cette table ne fait mention d'aucun testament attribué à Jean de Longwy Il est vrai que, d’après les historiens qui longtemps ont fait loi en tout ce qui touchait aux Templiers, Dupuy, Raynouard, et surtout les auteurs d'ordinaire si bien informés et si scrupuleux de l'Art de véri- fier les dates, Jacques de Molay serait né dans le diocèse de Besançon. Si le fait eût été bien établi, la preuve était acquise et la question défi- — 486 — se justifier par aucune preuve sérieuse. Bien plus, toutes les probabilités et les vraisemblances les mieux établies Jui étaient contraires. Quoique rentrant dans les domaines de la famille de Longwy, Molay près de Dole ne formait pas un fief spécial, et ne pouvait par suite donner son nom à un membre de cette famille (1), En outre le grand-maître, dans un de ses interrogatoires , dit de lui-même qu’il est un gen- tilhomme illettré et très pauvre (2). Or, les sires de Longwy comptaient parmi les plus riches de leur époque et n'au- raient sans doute pas laissé un des leurs, même cadet de famille, dans la misère et le dénüment. Le savant M. Duvernoy, de Montbéliard, a d’ailleurs tran- ché la question d’une manière décisive. Il a retrouvé à Molay dans la Haute-Saône les traces d’une famille noble dont il est tr eq md Gone mm nitivement tranchée. Car durant le moyen àge. Molay de la Haute- Saône se rattachait au diocèse de Langres; celui du Jura était le seul qui relevàt de Besançon sous le rapport religieux. J'ai donc parcouru sans exception tous les documents originaux et de première main ayant trait à la vie et surtout au procès du grand-maître, et malgré mes recherches, faites avec l'attention la plus scrupuleuse, je n'y ai pas trouvé trace d’une telle origine. Mais voici ce qui, sous ce rap- port, aura pu induire les historiens en erreur. Durant la dernière phase du procès des Templiers, lorsqu'il se dé- battait devant les commissaires apostoliques, le 22 novembre 1319, un ancien membre de l’ordre, qui l'avait quitté depuis longtemps déjà, vint demander à le défendre. C'était un fou que les juges s’empres- sèrent de renvoyer à l’évêque de Paris, pour lui faire donner des vête- ments, de la nourriture, et les soins qu'exigeait son état Il s'appelait Jean de Melot: mais jusqu’à la publication de MicueLer, son nom s'étant faussement écrit Jean de Molay, on l'avait pris pour un parent du grand-maître, et des historiens aussi graves que M. Henri MARTIN étaient allés jusqu’à les confondre. Comme d’ailleurs il se disait du diocèse de Besançon, de là était venue la fausse légende que nous nous sommes attachés à réfuter. (1) Voir sur ce point et sur les suivants Rousser (Communes du Jura, au mot Molay), qui a fort bien résumé la question. (2) « Interrogatus autem a dictis dominis commissariis si volebat defendere ordinem supradictum, respondit quod erat miles illiteratus et pauper. » (MicueLer, Procés des Templiers, t. IT, p. 22.) — 487 — parvenu à reconstituer la généalogie (1). Le premier membre connu de cette famille fut Aimé de Molay qui, en 1138, céda au monastère de la Charité ses droits sur Etrey et Fretigney. Elle s’éteignit dans la personne de Guillaume, vicaire-général de Besancon en 1344. Dans la liste de ses membres figure Jacques, fils de Gérard, le futur grand-maître de l’ordre du Temple. Ajoutons qu'il s’est conservé à Molay même un certain nombre de traditions locales fort curieuses qui suffiraient seules à établir la véritable origine de l'illustre Femplier. Toutes ont trait à des apparitions nocturnes de moines por- tant un manteau blanc à croix rouge, parmi lesquels il y en a toujours un plus grand que les autres qui semble être leur chef. C’est évidemment le grand-maître, dont le supplice frappa vivement l'esprit des peuples et dut faire une impression par- ticulière sur celui de ses compatriotes, impression qui, dans ces temps de crédulité naïve, ne pouvait manquer de se tra- duire en légendes surnaturelles (?). Fils d’un gentilhomme obscur et pauvre, Jacques de Molay dut de bonne heure songer à chercher fortune. Son enfance avait d’ailleurs été élevée aux environs d’une commanderie du Temple, dont on voit encore les ruines à Morey, près de Molay. 11 se trouva ainsi naturellement amené à vouloir faire partie de cette milice fameuse, alors dans tout l'éclat de sa renommée et de sa puissance, et fut recu à Beaune vers 1265, par Imbert de Péraudo, visiteur de France et de Poitou. On ne sait à peu près rien de sa vie et de ses actes jusqu'à sa promotion au titre de grand-maiïtre. Il dut néanmoins se dis- tinguer dans la lutte contre les infidèles dont l'Orient conti- (1) Voir son Nobiliaire, manuscrit à la bibliothèque de Besançon. (@) Voir à ce sujet le Diclionnaire des communes de la Haute-Saône, de M. Sucxaux (1860), t. II, p. 71. — Nous avons utilisé également quelques notes manuscrites de M. N. TraveLer, de Bourguignon. vil- lage voisin de Molay (Haute-Saône), — 488 — nuait à être le théâtre ; car à la mort de Guillaume de Beau- jeu en 1298, il fut, malgré son absence, appelé par un vote unanime à lui succéder dans la grande-maîtrise de l'ordre. « L'année suivante, il se trouva à la reprise de Jérusalem par les chrétiens ; forcé ensuite de se retirer dans l'ile d’Arade, il parut encore assez redoutable aux musulmans pour qu’ils fissent contre les Templiers un armement considérable ; après avoir résisté longtemps, réfugié enfin dans l’île de Chypre, il rassemblait de nouvelles forces pour aller venger les derniers revers des armes chrétiennes, lorsqu'en 1315 le pape l'appela en France (l). » 5 Il arriva suivi de soixante chevaliers et apportant avec lui des sommes considérables qui formaient la charge de douze chevaux et qui allèrent au palais du Temple, à Paris, grossir l'immense trésor de l'ordre. Voici quel était le prétexte, au moins avoué, de son rappel. L'ordre du Temple avait un émule dans celui des Hospita- liers de Saint-Jean de Jérusalem, qui ont été nommés depuis chevaliers de Rhodes et se sont conservés jusqu’au début de ce siècle sous le nom de chevaliers de Malte. Rivaux de gloire et de sainteté, ces deux ordres s’étaient pris l'un pour l’autre d'une haine ardente. Ils se livraient même de sanglants com- bats, dans l’un desquels les Templiers allèrent, dit-on, jus- qu'à lancer leurs flèches contre le Saint-Sépulcre. Le pape Clément V, pour mettre un terme à cet état de choses, vou- lait fondre ensemble les deux milices sous un même habit, sous une seule règle et sous un seul grand-maître. Il formait de plus le projet d'une nouvelle croisade et désirait connaître, par le témoignage d’un homme compétent, les facilités et Les obstacles que rencontrerait cette entreprise. Il rédigea , en conséquence, deux mémoires qu'il fit pré- senter à Molay, quand celui-ci fut venu à Poitiers, où rési- jait alors la cour pontificale. L'histoire nous a conservé les (1) Raywouarp, Condamnation des Templiers, p. 16. — 489 — réponses du grand-maître (1). Elles trahissent chez ce soldat rude et inculte une certaine élévation de vues jointe à une grande fierté de sentiments qui parfois dégénérait en orgueil. 1 repoussait, notamment, avec indignation le projet de fusion des deux ordres, sans doute mis en avant par Clément V pour arracher le Temple aux périls qui déjà le menacaient @). Car à l'époque du retour du grand-maitre, de graves résolutions avaient été prises en haut lieu contre lui et les siens; il ne s'agissait de rien moins que de se saisir de sa personne, d'ar- rêter de même tous les Templiers présents en France, de leur faire leur procès et d’abolir leur ordre. Quels étaient les motifs d’une détermination si imprévue ? Comment, à une époque si voisine des croisades ct encore em- rreinte de la ferveur religieuse d’où étaient sortis ces grands mouvements guerriers, pouvait-on songer à attaquer et même à détruire une milice qui en avait été comme l'expression vivante ? Sans doute il y avait là tout d'abord une question d'argent. Le roi Philippe le Bel, dont l’avidité sans scrupules est de- meurée légendaire, et que l'histoire a flétri du surnom de faux monnayeur, voyait dans les immenses trésors de l’ordre (1) Voir ces deux réponses in extenso dans le recueil de Dupuy (Æis- toire de l'ordre militaire des Templiers). (2) Voici quels étaient les principaux motifs mis en avant par Molay : « Il s'était déjà fait un grand nombre de tentatives semblables, et toutes avaient échoué; on ne pouvait astreindre des religieux à changer de règle et d'anciens rivaux à vivre ensemble sans risquer de compro- mettre à la fois leurs intérêts spirituels et la paix intérieure de leur communauté; d'ailleurs l'esprit des deux ordres différait, les Templiers étant plus spécialement destinés à la guerre; si on venait à dimiuuer le nombre des grandes charges, on priverait ainsi plusieurs titulaires de situations péniblement acquises et méritées par de longs services; enfin et surtout, la rivalité qui régnait entre les Templiers et les Hos- pitaliers, bien loin d'être chose mauvaise en soi et regrettable à au- cun égard, ne pouvait que donner les meilleurs résultats en excitant chez les uns et les autres une émulation salutaire. » (Voir aussi, pour de plus amples détails, Verror, Histoire des chevaliers de Malle). — 490 — des dépouilles à s'approprier. Mais il lui fallait un prétexte, et malheureusement pour le Temple, ce prétexte existait. Quoique peu éloignés de leur origine, les chevaliers ne ré- pondaient plus au portrait qu'en traçait la plume éloquente de saint Bernard, au temps où le réformateur de Citeaux leur donnait leur règle (1) et fixait les statuts de leur ordre. « Ils vivent, écrivait-il vers le début du douzième siècle, sans avoir rien en propre, pas même leur volonté. Vêtus simplement et couverts de poussière, ils ont le visage brûlé des ardeurs du soleil, le regard fier et sévère : à l'approche du combat, ils s’'arment de foi au dedans et de fer au dehors; leurs armes sont leur unique parure; ils s'en servent avec courage dans les plus grands périls sans craindre ni le nombre ni la force des barbares ; toute leur confiance est dans le Dieu des armées; et, en combattant pour sa cause, ils cherchent une victoire certaine, ou une mort sainte et honorable. — O l'heureux genre de vie dans lequel on peut attendre la mort sans crainte, la désirer avec joie et la recevoir avec assurance (?) ! » Il faudrait mal connaître la nature humaine pour croire que cet idéal de vertu ait pu se maintenir longtemps parmi des guerriers nombreux, ignorants, fiers de leur noblesse, de leurs priviléges, des grandes richesses qu'ils avaient bientôt acquises, vivant sous l’ardent soleil de la Syrie, dans un pays d'esclaves, au milieu des mœurs corrompues de l'Orient. Aussi m’avait-on pas tardé à observer dans leur institution les premiers signes d’une décadence qui, une fois commencée, se précipita rapide et incurable. Car, comme l’observe un éminent écrivain : « La chute est grave après les grands efforts. L'âme montée si haut dans l’héroïsme et la sainteté tombe bien lourde en terre... Telle paraît avoir été la chute du Temple (3), » (1) Cette règle fut approuvée au concile de Troyes en 1128. Elle a été publiée in exlenso par MaïLLARD DE CHAMBURE; Paris, 1840, in-8°. (2) Exhortalio ad milites Templi, cité par Raynouarp. (3) Micuecer, Histoire de France, t. III, p. 32. — 491 — Tout d'abord on ne reprochait aux chevaliers qu’un grand relâchement de mœurs, un insupportable orgueil, une insa- tiable avarice, une passion désordonnée de conquêtes qui, à défaut de musulmans, s'exercait sur des chrétiens eux-mé- mes (1). Leur puissance s'était de plus accrue avec une étonnante rapidité. Dès l’année 1244, l'historien Mathieu Pâris rapporte qu'ils possédaient plus de neuf mille manoirs répandus comme autant de citadelles sur toute la surface de l’Europe @), et parmi eux leur vaste palais du Temple qui, avec ses dépen- dances, occupait le tiers du Paris d'alors, tout le quartier encore appelé de ce nom, où Philippe le Bel lui-même, en un jour d’émeute, trouva un abri contre la colère de son peuple 6) et dont une des tours, conservée en 1793, servit de prison à Louis XVI. Avec de telles ressources militaires, avec leur expérience des combats et leur esprit guerrier, avec les alliances qui les rattachaïient à presque toutes les familles nobles de la chrétienté dont ils comptaient des membres parmi eux, et leur vaste clientèle d'ouvriers et de paysans, (l) Les expressions : « Boire comme un Templier; orgueil de Tem- plier, » étaient Gevenues proverbiales. « Je laisse, disait en mourant Richard Cœur de Lion, mon avarice aux moines de Citeaux, ma luxure aux Moines gris, ma superbe aux Templiers. » On allait jusqu'à accuser le Temple d'alliance avec les infidèles et même avec les assassins de Syrie. « Parmi les contradictions qui entrent dans le gouvernement de ce monde, ce n’en est pas une petile que cette institution de moines armés qui font vœu de vivre à la fois en anachorètes et en soldats. On accusait les Templiers de réunir tout ce qu'on reprochait à ces deux professions, les débauches et la cruauté du guerrier à l’insatiable passion d'acquérir qu'on impute à ces grands ordres qui ont fait vœu de pauvreté. » (VozraiRs, Essai sur les mœurs el l'esprit des nations, Lxvr.) (2) Plus tard, la Chronique de Flandre leur en attribue 10,500. (3) Ce fut là une des causes principales de la ruine du Temple. Outre que Philippe le Bel n’était pas homme à pardonner un service, les che- valiers lui montrèrent leurs trésors durant son séjour parmi eux, et contribuèrent ainsi, sans le savoir, à allumer ses insatiables con- voitises. — 492 — avec leurs immenses revenus s’élevant en France seulement à plus de cent millions (1), ils menacaient la sécurité de tous les Etats, et formaient une grande république aristocratique qui, en se développant davantage, pouvait finir par absorber et soumettre à sa domination le monde d'alors. Aussi peuples et rois éprouvaient-ils depuis longtemps à leur égard une haine mêlée de terreur. Mais vers le commen- cement du quatorzième siècle, les accusations qui circulaient auparavant contre eux à l'état de rumeurs vagues avaient pris une redoulable consistance. Il ne s'agissait plus de simples manquements à une règle sévère, ou même de graves irrégu- larités de conduite ; on parlait de crimes infâmes, de pratiques abominables, et, ce qui dans ces temps d’exaltation religieuse semblait plus grave que tout le reste, ce qui entraînait la mort avec toutes les horreurs des supplices, d’hérésie. Suivant les bruits publics, à leur entrée dans l’ordre, ils crachaient sur la croix, ils renjaient le Christ, ils adoraient une figure hideuse ; ils se livraient de plus à des cérémonies d'un tout autre genre sur lesquelles je n'insiste pas. Sans doute Michelet a pu dire que l'affaire des Templiers, qu'il appelait avec raison la plus grave du moyen dge, «devait, pour être traitée gravement, se présenter à la critique dans l’inté- (1) M. Bouraric nous apprend quelle était la principale origine de ces grandes richesses. « Dans toute la Normandie, province où les habitants des campagnes étaient libres et pouvaient disposer de leurs biens, les donations faites par les paysans aux chevaliers du Temple sont innombrables. Dans les chartes qui relatent ces libéralités, le motif allégué par les donateurs est le sa'ut de leur âme ; le motif réel était le besoin de protection qu'ils ressentaient e: qu'ils trouvaient au- près des Templiers qui, à l'influence morale du prêtre, joignaient la puissance de l’homme de guerre. » (La France sous Philippe le Bel, p. 127.) — Les ouvriers et les artisans allaient jusqu'à s'engager et se soumettre aux Templiers, à devenir leurs hommes. Les nobles eux- mêmes se donnaient de la sorte. Ainsi firent deux comtes de Pro- vence. « Un roi d'Aragon légua son royaume (Alphonse le Batailleur, 1131-1132), mais le royaume n'y consentit pas. » (MicueLzr, /istoire de France, t. 1II, p. 139) — 493 — gralité de ses détails, dans sa vérité naïve et terrible (1). » Mais Michelet ne travaillait pas pour un auditoire comme celui qui me fait l'honneur de m'entendre (?). Aussi bien, à une pareille époque, les griefs que je viens d'énumérer suflisaient largement à motiver des mesures de rigueur contre les coupables. Mais il fallait user de prudence, et Philippe le Bel craignaït trop de voir échapper sa proie pour rien compromettre par excès de précipitation. On en- dormit le grand-maître dans une trompeuse sécurité. Déjà parrain d’un des enfants du roi, le 12 octobre 1317, il tint le poêle à l'enterrement d’une de ses belles-sœurs. Le lende- main il était arrêté, et un ordre cacheté ouvert le même jour dans la France entière provoquait l'arrestation de tous les membres de l'ordre (3), et leur procès commenca. Ce procès si vaste, si compliqué, qui fut soumis à tant de juridictions diverses et tint si longtemps l'opinion publique en attente, où la France intervint pour la seconde fois par ses (1) Procès des Templiers : Avertissement du 1° volume. (2) La réserve qui nous était commandée par la nature-particulière de notre auditoire n’a plus sa raison d’être dans un travail destiné à la lecture. On reprochait aux Templiers de se livrer au crime contre nature. Cette accusation est une de celles qui semblent le mieux établies. Il paraît même certain que l'autorisation de ce crime était donnée aux profes lors de leur entrée dans l’ordre, et cela pour de singulières raisons : « Ne ordo diffamaretur pro mulieribus. » (Dépo- sition de Raoul de Tavernay et de Gaucerand de Montpesat dans l’en- quête de 1310). Ou encore : « UL melius caliditatem terræ ultramarinæ valerint tolerare. » D'ailleurs cette autorisation est clairement indiquée par les céré- monies de réception des profès. Ils embrassaient le grand-maitre sur la bouche, au nombril et au bas du dos. On trouve même dans l’en- quête de Florence : « Et dixit interrogatus quod vidit duos fratres, quando recepti fuerunt, qui ipsi deosculati fuerunt accipientes eosdem primo in ore, postea in umbilico seu ventre nudo et tandem in virga virili seu in pectigone. » (Déposition du Frère Egidius.) (3) L'ordre d’arrestation était accompagné d’une lettre cireulaire du roi, dont voici le début : « Res amara, res flebilis, res quidem cogitatu horribilis, auditu terribilis, detestabilis crimine, execrabilis scelere, abominabilis opere, detestanda flagitio, res penitus inhumana, immo — 194 — mandataires entre son roi et la papauté (1), qui remua toute l'Europe, et qu’un concile général fut impuissant à terminer, ne saurait être complétement exposé dans une simple notice. Tout au plus pouvons-nous en apprécier la marche et les ré- sultats généraux, après cependant nous être posé cette ques- tion capitale qui a tant divisé les auteurs, que l'abbé de Ver- tot appelait « l'énigme la plus impénétrable que l'histoire ait laissé à déchiffrer à la postérité, » et que Napoléon jugeait à tout jamais insoluble : « Les Templiers étaient-ils coupables ? » Disons: tout d'abord que même après les travaux de la cri- tique moderne, après les laborieuses investigations des savants qui ont mis au jour une grande quantité de pièces et de do- cuments auparavant ignorés et pourtant essentiels à la con- naissance de l'affaire du Temple, il n’est pas encore possible de donner à cette question une réponse générale et décisive. Néanmoins, malgré l'autorité si grave de Voltaire et d’au- tres auteurs considérables, partisans déclarés de l'innocence absolue des Templiers, on ne doute plus aujourd'hui que les faits imputés à l'ordre tout entier aient été commis par plu- sieurs et même par la majorité de ses membres. Seulement certains historiens ne voient encore dans ces faits coupables que de purs symboles. Pour les uns, si les Templiers reniaient le Christ, c'était le symbole du reniement de saint Pierre (?) ; ee ne ab omni humanitate seposita, dudum fide digna relacione multorum, non absque gravii stuporis impulsu et vehementi horroris fremitu au- ribus nostris insonuit..…..» Cette violence de langage avait déjà pour but d'animer le peuple contre les accusés. (1) Consulter, sur les Etats-généraux de 1308, le beau livre de M. Bou- rARIC, La France sous Philippe le Bei. Tous les archevêques, évêques, chapitres, collégiales, abbayes, prieurés, comtes, barons, chevaliers, communes ou villes de quelque importance y prirent part. Les députés de la bourgeoisie furent nommés par une sorte de suffrage universel. Voir dans le même ouvrage (Appendice) la liste considérable des villes qui furent représentées à Tours. (2) Micxeer, Hist. de France, t. III, p. 204. Cette hypothèse semble confirmée par certaines dépositions, notamment par celles du précep- teur d'Aquitaine en 1307. Mais le même témoin donne au reniement — 495 — pour d'autres ils symbolisaient ainsi leur renoncement à toute volonté personnelle en paraissant faire le sacrifice de leurs plus chères convictions (1). Il n'y a pas jusqu'à leurs cérémo- nies et leurs pratiques infâmes qui n'auraient été des sym- boles d’abnégation et d'humilité. C’est pousser un peu loin, on l’avouera, la manie de l'interprétation symbolique. Häà- tons-nous d'ailleurs d'ajouter que parmi les auteurs dont nous parlons, les plus sérieux ont été les premiers à revenir sur leurs hypothèses hasardées, après avoir pris de l'affaire une connaissance plus approfondie et plus générale (). Il était en effet permis d’hésiter lorsqu'on ne connaissait que l'instruc- tion qui fut faite en France. La haine cupide et sanglante de Philippe le Bel pour des rivaux de son pouvoir riches et puis- sants ; la froide cruauté et la servilité rampante de ses légistes déjà imbus des doctrines politiques et sociales du Bas Empire, ie sombre fanatisme des agents de l’inquisition s’y donnèrent libre carrière, On épuisa sur les malheureux prisonniers tous les raffinements des plus effroyables tortures. L'un d'eux, lors de l'enquête générale, put montrer aux commissaires aposto- liques les os qui lui étaient tombés des talons sous l’action de la flamme, Beaucoup, d'ailleurs, comme ces cinquante-neuf chevaliers brûlés à petit feu au faubourg Saint-Antoine, protes- tèrent constamment de leur innocence, même durant leur long martyre devant tout un peuple saisi de pitié et d'horreur (3). du Christ tant d’autres origines, qu'il n'y a là évidemment de sa part que l'intention de dérouter les juges. (1) Bouraric, La France sous Philippe le Bel, p. 141. (2) Notamment Micxecer dans son introduction au Procès des Tem- pliers. M. Bouraric lui-même, qui semble convaincu de l'innocence des accusés, dans sa France sous Philippe le Bel, est beaucoup moins afirmatif dans un nouveau travail fort remarquable qu'il a plus récem- ment consacré à leur procès. (Revue des questions historiques, sous ce titre : Philippe le bel, Clément V et les Templiers.) L'historien allemand et protestant WiLckE se prononce pour la culpabilité des accusés (Hist. des Templiers, t. II, p. 16 et suiv.). (3) « Quel fut l'effet produit par cette scène de supplices dont le sou- venir rappelle celui des auto-da-fé espagnols plus récents: et à laquelle — 496 — Mais le Temple ne fut pas poursuivi en France seulement. On instruisit contre ses membres en bien d’autres contrées, soit sur l'initiative des souverains, soit d’après les ordres du pape : en Angleterre, en Ecosse, en Irlande, dans les prin- cipales villes d'Italie, dans le royaume de Naples et le pa- trimoine de Saint-Pierre, en Allemagne, dans les divers royaumes d'Espagne, en Grèce et jusque dans l’île de Chypre. Sans doute les chevaliers furent acquittés à Mayence, où ils se présentèrent en armes devant le tribunal chargé de les juger, à Ravenne et à Salamanque, où les preuves ne parurent pas suffisantes contre eux ; mais dans uu grand nombre d'ins- tructions, surtout dans celle de Florence, si curieuse, si ins- tructive et si récemment connue (1), leurs aveux furent iden- tiquement semblables à ceux qu’avaient obtenus les agents de Philippe le Bel. Et cependant la torture n’y fut jamais em- ployée, et la procédure s'y trouva entourée de toutes les ga- ranties désirables. Car, il faut rendre cette justice au pape heureusement nulle autre exécution ne saurait être comparée dans notre ancienne histoire? L’étonnement et la stupeur, s’il faut en croire le continuateur de Nangis. » (Daresrte, ist. de France, t. II, p. 369.) L'enquête française, malgré les violences dont elle fut entachée, fournit pourtant à elle seule de graves présomptions contre les accusés. « Quelqu'opinion, dit MrcmeLer, qu’on adopte sur la règle des Tem- pliers et l'innocence primitive de l’ordre, il n’est pas diflicile d’arrêter un jugement sur les désordres de son dernier àge, désordres assez analogues à ceux d’autres ordres religieux. Il suffit de remarquer dans les interrogatoires que nous publions, que les dénégations sont presque toutes identiques, comme si elles étaient dictées d’après un formulaire convenu ; qu'au contraire les aveux sont tous différents, variés de circonstances spéciales souvent très naïves qui leur donnent un carac- tère particulier de véracité. Le contraire devrait avoir lieu si les aveux avaient été dictés ou arrachés par la torture; ils seraient à peu près semblables, et la diversité se trouverait dans les dénégations..…… » (Procès des Templiers : Avertissement du ?° volume.) (1: Voir cette enquête in exlenso à la suite d’un excellent travail de M. Jules Lorsezeur, paru dans les Mémoires de la Société archéo- logique de l'Orléanais (t. XXII) et intitulé : La doctrine secrète des Templiers, travail qui nous a été d’une grande utilité dans nos re- cherches. — 497 — Clément V que partout où son influence se fit seule sentir, en France même, dans l'enquête générale dont la direction fut abandonnée à ses commissaires, les droits des accusés furent respectés, et qu'on garda envers eux les ménagements sans lesquels l'innocence est si aisément confondue avec le crime. Mais cette influence n'était pas toujours prépondérante et n'osait d’ailleurs s'exercer librement. L'ancien archevêque de Bordeaux, Bertrand de Got, élevé au pontificat sous le nom de Clément V, devait la tiare au roi de France. Il était sa créature, son hôte, son prisonnier, prisonnier respecté, mais sentant d'autant mieux sa chaine. Il ne représentait plus qu'une papauté sans force et sans prestige depuis que cette grande puissance du moyen âge, dominatrice et absolue après Grégoire VII et quelque temps soutenue dans sa lutte nou- velle contre le pouvoir civil par l’indomptable énergie de Bo- niface VIII, était tout à coup tombée comme morte, frappée au visage, avec le vieux pontife, du gantelet de fer de Colonna. Il était lié d’ailleurs par les promesses qu'il avait faites au roi lors de leur mystérieuse entrevue dans la forêt de Sain- tonge (1). L'une d'elles lui était difficile, impossible même à tenir. Il ne pouvait condamner la mémoire de son prédé- cesseur, c’est-à-dire se condamner lui-même avec l'Eglise qu'il représentait. Or le procès de Boniface VIII allait se dé- rouler parallèlement à celui du Temple, et il fallait, pour que la papauté en sortit sans tache, accorder quelque chose à l'im- pitoyable adversaire du vieillard d'Anagni (?). C'est là le secret des faiblesses de Clément V, de ses tergiversations, de ses con- (1) M. Bouraric nie cette entrevue de Philippe le Bel et de Clément V rapportée par VicLani, chroniqueur contemporain; mais il croit qu'il y eut entre eux des engagements écrits. (Philippe le Lel, Clément V el les Templiers, dans la Revue des questions historiques du 1° octob. 1871.) (2) « Disons-le tout de suite : le procès intenté à la mémoire de Boni- gace VIIL fut entre les mains du roi une arme dont il se servit pour influencer Clément V et pour lui arracher d'importantes concessions, ea lui faisant espérer qu'il se désisterait ; j'ai même la conviction, et 32 — 498 — nivences avec les juges, j'allais dire avecles bourreaux, vendus à Philippe le Bel, après que celui-ci eut pris l'initiative et la direction des premières poursuites (1). Nul doute, par exemple, que le pape ait voulu sauver le grand-maitre et les principaux dignitaires de l’ordre. Il se réserva formellement et à plusieurs reprises de statuer lui- même sur leur sort, et Molay demanda souvent à être con- duit en sa présence, mais sans jamais pouvoir l'obtenir. Pour- tant l’histoire aurait certainement gagné à cette entrevue. Le grand-maître, qui était le dépositaire des. secrets de l’ordre, qui exerçait sur ses membres une autorité absolue et sans contrôle, qui recevait les profès et devait, si les accusations portées contre le Temple avaient un fondement sérieux, les initier aux mystères de la religion nouvelle et aux infamies relevées au cours du procès, aurait pu, mieux que personne, soulever le voile qui nous dérobe encore à l'heure présente la vérité complète sur cette affaire ténébreuse, et notamment apprendre à ses contemporains et à la postérité si la corrup- tion des chevaliers était générale, si elle venait, comme on l’a prétendu, de nouvelles théories métaphysiques et reli- gieuses empruntées aux hérésies alors régnantes et érigées j'espère la faire partager au lecteur, qu’il chercha à obtenir par ce moyen la condamnation des Templiers. » (Bouraric, article cité.) (1) Nous pensons, avec M. Bouraric, que l'arrestation des Templiers eut lieu sans l’aveu et à l'insu du Saint-Siége. Le même auteur prétend que le pape déploya même en France la plus grande fermeté en leur faveur. Cependant, après la convention de Poitiers, qui rendit aux inquisiteurs leurs pouvoirs suspendus par Clément V, si nous en croyons M. Bouranric, « il n’y eut rien de changé, mais les principes étaient saufs. » (Revue des questions historiques du 1° janvier 1872.) Ce n'était pas la peine de montrer tant d'énergie pour ne rien changer. Il est juste, toutefois, de reconnaître que le pape eut à subir la pres- sion de l'opinion publique, tout d’abord hostile aux accusés et encore excitée par les pamphlets violents du célèbre Dubois, opinion qui se traduisit si énergiquement aux Etats-généraux de 1308. Peut-être aussi sa confiance dans l'innocence de l’ordre fut ébranlée par les aveux des soixaute-douze chevaliers que le roi lui envoya à Poitiers. — 499 — en un corps de doctrine universellement admis (t), ou bien si elle avait pénétré dans l'ordre peu à peu et d’une manière purement accidentelle; si elle était le fait de telle ou telle province, ou seulement de tels ou tels individus. Mais pour obtenir à cet égard des révélations sérieuses, il fallait user de prudence et de ménagements; il fallait surtout soustraire ce soldat rude, ignorant et sans expérience de la parole, au trouble que dut produire eu lui, outre le sentiment des périls encourus, l'appareil imposant et terrible des différentes juri- dictions auxquelles il fut soumis. Car, à vrai dire, sans tenir compte des dépositions formelles qui chargent le grand - maître (), l'examen attentif de ses propres réponses aux interrogatoires successifs qu'il eut à subir, de son attitude dans les phases diverses du procès, est loin de produire une impression qui lui soit de tout point favorable. Interrogé d’abord au Temple devant les docteurs et écoliers de l'Université, que l'âme damnée du roi, Guil- (1; C'est là la thèse développée par M. Jules LorsELEUR, qui est allé jusqu'à reconstituer en entier la doctrine secrète de l’ordre du Temple. Nous regrettons de ne pouvoir reproduire ses conclusions, fort cu- rieuses, mais trop étendues pour trouver leur place dans une simple notice. D'après lui, toutefois, cette doctrine n’était pas, ainsi que plu- sieurs l'avaient cru jusqu'à présent, celle des gnostiques; c'était comme une résultante générale des hérésies régnant au treizième siècle. (2) Voir notamment l'interrogatoire de Frère Jean de Stoke, prêtre chapelain de l’ordre : « Tum dixit ei magister : Videbimus modo si lu sis obediens. Et fecit asportari de capella Imaginem Crucifixi, et quæ- sivit a dicto jurato : Cujus erat illa Imago? Et respondit quod erat Imago Jesu Christi; cui dixit magister : Male dicis et erras : erat enim filius cujusdam mulieris; el quia dixit se filium Dei, erat crucifivus. Et ego ipse fui in loco, ubi natus erat et crucifixus ; et oportel te abnegare eum cujus est Imago. Et respondit iste juratus : Absit hoc a me, ut abnegem Salvatorem meum. Et ait magister : Uportet te hoc facere; aliàs faciam te imponi sacco, el duci ad locum, in quem non invenies amicum, nec aliàs unquam tibi bene eril. » (Dupuy, Condamnation des Templiers, p 599.) Cette déposition est d'autant plus grave qu’elle fut obtenue à Londres, où la torture ne fut pas employée contre les accusés, où elle était mème défendue par les lois. — 500 — laume de Nogaret, voulait compromettre dans l'affaire (1), puis examiné par l'inquisiteur de France, il fait des aveux Ces aveux, qui pouvaient être arrachés par la torture, il les réitère à Chinon devant trois cardinaux envoyés spécialement par le pape pour prendre sur lui et sur d’autres dignitaires de l'ordre des informations exactes et complètes (?). Là-dessus Clément V le prend en pitié, le recommande au roi et solli- cite sa grâce. Bientôt après les commissions apostoliques entreprennent leur enquête générale, en y apportant, nous l'avons dit, une modération et des ménagements bien extraordinaires pour ces temps encore barbares. Le 26 novembre 1309, Molay com- paraît devant eux à l'évêché de Paris. Tout d'abord :il affecte une fierté voisine de l’arrogance; il rappelle que le Temple est un ordre privilégié; il s'étonne de la haine que lui té- moigne la cour de Rome, de la précipitation avec laquelle on procède à son égard ; il déclare vouloir le défendre ; et quand on lui objecte ses aveux de Chinon, il s'emporte avec vio- lence, il les traite d’impostures odieuses; il parle de jeter aux juges un gage de bataille, de leur trancher la tête, de les couper par le milieu comme les Sarrasins faisaient aux per- vers (3). Puis, sur la réponse froide et hautaine du tribu- (1) L'Université joua dans toute cette affaire un grand rôle. « No- garet lut l'acte d'accusation devant la première assemblée de ce corps, tenue dès le lendemain de l'arrestation. Une autre assemblée de tous les maitres et de tous les écoliers de chaque faculté fut tenue au Temple : on y interrogea le grand-maitre et quelques autres. 'Ils le furent encore dans une seconde assemblée. » (MicueLer, Âistoire de France, t. IL, p. 145, en note.) Plus tard, « les maîtres, surtout ceux de théologie, furent expressé- ment requis de donner leur sentence aux Etats-généraux de Tours. » (CHANOINE DE SAINT- VICTOR.) (2) Le grand-maitre avoua formellement le reniement du Christ. Voir la lettre des cardinaux à Philippe le Bel. (Dupuy, p. 240.) (Dress Producendo bis signum crucis coram facie sua et in aliis signis protendere videbatur se esse valde stupefactum de his quæ contiuebantur super predictà confessione suà, et aliis in litteris apos- — 501 — nal (), toute cette audace tombe brusquement : l'accusé se trouble, et, appercevant Guillaume de Plaisian, un légiste du roi qui se trouve là sans avoir été appelé, il demande l’autori- sation de conférer avec lui et un délai pour müûrir sa défense. Quand il reparaît au bout de quelques jours devant ses juges, ce n'est plus le même homme (?). Il hésite, il tremble, il recule, il demande grâce non pas seulement pour lui- même (3), mais pour l’ordre qu’il représente. Il en abandonne la défense large, générale, telle qu’il l'eût présentée s'il eût été vraiment fort de sa propre innocence et de celle de ses frères d'armes. Il se rejette sur des questions insignifiantes et étrangères au procès. Les églises du Temple, dit-il, sont mieux ornées que pas une de la chrétienté; on y célèbre la messe avec pompe; l’ordre fait des aumônes abondantes ; les chevaliers ont versé leur sang pour la foi chrétienne et sont fort redoutés des Musulmans. Enfin il demande aux commissaires et au garde des sceaux (4) Nogaret qu'on lui tolicis supradictis, dicens inter alia quod si dicti domini commissarii fuissent alii quibus liceret hoc audire, ipse diceret aliud. Et cum fuisset responsum eidem per dictos dominos commissarios quod ipsi non erant ad recipiendum vadium duelli, subjunxit dictus magister quod non intendebat dicere de hoc, sed placeret Deo quod illud quod observatur a Saracenis et Tartaris observaretur contra tales perversos in hoc usu, nam dicti Saraceni et Tartari abscindunt caput perversis inventis, vel scindunt eos per medium. » (Mrcuecer, Procès des Templiers, t. I, p. 3?, et suiv.) (1) « Et tunc fuit subjunctum per dictos commissarios quod Ecclesia illos qui inveniebantur heretici, judicabat hereticos, et obstinatos re- linquebat curiæ seculari. » (In., ibid.) (2) Sans doute l’habile légiste, en l'effrayant sur les conséquences de sa première attitude, l'avait décidé à faire des aveux. (3) « Requirens eosdem quod cm ipse sicut et alii homines esset mortalis nec haberet de tenpore nisi nunc, placeret eisdem Dominis commissariis significare Domino Papæ quod ipsum Magistrum quam citiùs posset ad ejus præsentiam evocaret..…. » (Procès des Templiers.) (4) Guillaume de Nogaret était devenu garde des sceaux lors de l’ar- restation des Templiers, succédant à Gilles Aiscelin, archevêque de Narbonne, qui avait refusé de s'associer à cette mesure. (BouraRIe, Clément V, Philippe le Bel et les Templiers, dans la Revue des questions — 502 — permette d'entendre la messe et d'avoir à lui sa chapelle et ses chapelains. Cette demande lui fut accordée. Mais il venait de porter à son ordre un coup mortel. Abandonnés de leur chef, les Tem- pliers ne purent plus qu’exciter la pitié populaire par le récit des horribles tortures que les gens du roi leur avaient fait subir. Nous ne les suivrons pas d'ailleurs dans leur défense, à laquelle le grand-maître ne prit plus aucune part. Il sembla même alors s’effacer et disparaître de la scène où s’agitaient des intérêts si graves pour lui et pour les siens, et nous ne le retrouvons que quelques années après, en mars 1314. A cette époque, l'ordre du Temple a été depuis longtemps aboli par le pape au concile de Vienne (!); ses biens ont été attribués historiques du 1° octobre 1871.) — C’est à tort que la plupart des his- toriens ont fait du célèbre légiste un chancelier de France. Il n’y eut pas de chancelier sous Philippe le Bel, dont le despotisme n’admettait que des fonctionnaires révocables. {Voir La france sous Philippe le Bel, du même auteur.) : (1) La majorité des membres du concile se montra hostile à la sup- pression des Templiers. Mais aucun ne réclama lorsque le pape eut supprimé l'ordre par voie de provision et eut fait connaître ses motifs secrets, qui étaient surtout d’étouffer à tout prix et sans rien ébruiter uue hérésie menaçante pour l'Eglise. (Voir Jules LorsELeuR). Le début de la bulle Vox in excelso indique bien la nouvelle situa- tion d'esprit du pape au moment où il fit cette sorte de coup d'Etat : « Une voix a été entendue dans les hauteurs, voix de lamentation, de deuil et de pleurs; car le temps est venu, il est venu le temps où le Seigneur, par la bouche du prophète, fait entendre cette plainte : « Cette maison est devenue l’objet de ma fureur et de mon indignation ; elle sera enlevée de devant ma face à cause de la malice de ses enfants; car ils m'ont provoqué à la colère; ils m'ont tourné le dos et non le visage; ils ont mis des idoles dans la maison où mon nom a été invoqué, afin de la souiller. Ils ont élevé des autels à Baal pour anilier el consa- crer leurs fils aux idoles et aux démons. » (Jérém. xxxrr, 31-35.) « Ils ont gravement péché, comme dans les jours de Gabaa. » (Osée 1x, 9.) A une nouvelle si affreuse, en présence d'une infamie publique si hor- rible (et qui en effet a jamais entendu, qui a jamais rien vu de sem- blable?), je suis tombé quand j'ai entendu, j'ai été contristé quand j'ai vu, mon cœur s’est rempli d'amertume, les ténèbres m'ont enveloppé. » (Trad. de M. l'abbé BéLer.). — 503 — aux Hospitaliers (1), moins la part considérable qui en est re- venue à Philippe le Bel et à Clément V (2); ses membres ont péri dans les supplices ou se sont dispersés pour reformer, surtout à l'étranger, de nouvelles corporations militaires et religieuses, ou entrer dans des corporations anciennes avec leur esprit et leurs doctrines, que l'on retrouve encore aujour- d'hui dans certaines sociétés secrètes. Seuls le grand-maîitre, le visitateur de France, les maîtres de Normandie et d'Aqui- taine, attendent encore dans les cachots du roi que le pape prononce leur jugement qu'il s’est expressément réservé. Sur l’ordre de Clément V, l'évêque d’Albano et deux autres cardinaux légats les font comparaître devant une commission de prélats et de docteurs ès droits présidée par l'archevêque de Sens, frère du fameux Enguerrand de Marigny. Tous quatre avouent publiquement et solennellement les crimes qui leur sont imputés, et sont condamnés à une prison per- pétuelle. Mais voilà qu à la lecture de la sentence qui leur est faite sur la place du parvis Notre-Dame, devant une grande foule de peuple, le grand-maître et le maître de Nor- mandie protestent de leur innocence et reviennent sur leurs aveux, qu’ils mettent sur le compte des angoisses de la tor- ture (3). Les cardinaux les font conduire au prévôt de Paris en attendant qu'ils en aient délibéré. Philippe le Bel n'’attendit pas. Cette rétractation subite et - imprévue, qui remettait tout en cause, lui sembla une insulte personnelle. Il fit saisir les deux Templiers, et de sa pleine autorité, sans consulter les juges, ordonna qu'ils fussent brû- lés le jour même, dans une petite île de la Seine réunie de- (1) « Plus des deux tiers des possessions de l’ordre de Malte en France, à la fin du siècle dernier, avaient cette origine. » (La France sous Philippe le Bel, p. 146.) (2) Voir, sur les bénéfices considérables que le roi retira de cette affaire, FéLiBrex, Histoire de Paris. t. III, preuves. (3) Continuateur de GuiLLAUME DE NanGts. Certains auteurs ont mis dans la bouche de Molay un discours qui ressemble plus à une ampli- fication de rhétorique qu'à l'énergique protestation d’un soldat illettré. — 504 — puis à la Cité, à l’endroit où s'élève actuellement la statue de Henri IV. Les historiens ont diversement raconté la mort et surtout les dernières paroles du grand-maître. Mais nous croyons devoir nous en tenir au récit émouvant et fidèle qu'a laissé de ce tragique événement un témoin oculaire (1), le poète Geffroy de Paris. L'attitude de Molay à son heure dernière, si on l’envisage en elle-même et sans tenir compte des faits antérieurs, fut à vrai dire admirable; son langage noble et simple comme celui d'un soldat que n’effraie pas l'approche de la mort, même quand elle se présente dans son plus sinistre appareil. Lors- qu'on voulut lui lier les mains : « Seigneurs, dit-il, laissez- moi joindre un peu mes mains et faire ma prière à Dieu. Il en est temps vraiment; car je vais mourir tout à l'heure. Dieu sait que je n’ai pas mérité mon supplice. Il en arrivera bientôt malheur à ceux qui nous ont condamnés. Dieu ven- gera notre mort sur nos ennemis; Je meurs avec cette con- viction. Pour vous, seigneurs, tournez-moi, je vous prie, le visage vers la vierge Marie, mère de Jésus-Christ. » Et le poète ajoute : « On lui accorda sa requête, et la mort le prit si doucement dans cette attitude, que chacun en fut émerveillé. » Etrange spectacle, en effet, que celui de tant de grandeur après tant de faiblesse ; plus étrange encore si l’on admet, ce que d’ailleurs toutes les probabilités semblent établir, que le grand-maître n'avait pu rester étranger aux doctrines héré- tiques et aux pratiques mauvaises imputées à son ordre. Sa mort ne fut ni celle du criminel repentant qui accepte l'ex- piation comme légitime et nécessaire, ni surtout celle de l’a- pôtre de nouveaux dogmes religieux pour qui le supplice est une apothéose. Un siècle plus tard, Jean Huss, sur son bû- (1) « Et ainsi com le vi devise. « (Chronique rimée, vers 5711.) — Voir sur Geffroy de Paris la notice de M. ne Warzzy, dans le Recueil des his- toriens de France, t. XXII, p 87. — 505 — cher, proclamait, du milieu des flammes et dans un véritable délire d'enthousiasme, l'émancipation de la pensée humaine. Si le Temple avait, lui aussi, secoué le joug de l'Eglise, s'il s'était laissé gagner par cette fièvre d'idées nouvelles qui dans le même temps agitait tous les ordres religieux (1) et qui fit brûler au quatorzième siècle plus de Franciscains que de Templiers, pourquoi son chef mourait-il en chrétien soumis et n'ayant jamais cessé de l'être? Sans doute, comme le dit fort bien Michelet, l'exécution de Molay « à l'insu des juges fut évidemment un assassinat (?). » Il avait le droit et même le devoir de protester. Mais comment, s’il. était coupable, osait-il à l'heure suprême se transformer en martyr et invo- quer le nom du Christ qu'il avait fait renier tant de fois aux récipiendaires de son ordre? Et si ce même ordre était resté fidèle à l'antique tradition religieuse , comment expliquer les aveux du grand-maître au cours du procès, ses faiblesses, ses contradictions étonnantes ? Aussi bien, les spectateurs eux-mêmes hésitaient. Ils ne savaient s’ils venaient d'assister au trépas d'un juste victime de la haine et de l'envie, ou à une comédie cynique jouée en face de la mort. « Les discours varient, conclut notre poète, et le monde est partagé sur l'événement. Les uns l’attribuent à la calomnie, les autres à d'autres causes. Je ne sais où est la vérité... Tel commence bien qui finit mal. On peut trom- per l'Eglise, mais on ne peut tromper Dieu (3). » (4) Voir sur l'état de l'Eglise aux xur et xiv*° siècles, FLeury, Hist. de l'Eglise, xv, disc., art. 1 et suiv., t. XVI et t. XVIII, liv. 89, n° 31 et suiv., et RorBacner, Mist. univers. de l'Eglise catholique, Liv. Lxxvir. Voir aussi sur l'attitude des Franciscains à cette époque un très re- marquable ouvrage de M. Hauréau, Bernard-Délicieux et l'inquisition albigeoïse (1300-1320) Paris, Hachette, 1877. (2) Histoire de France, t. III, p. ? et 3. 6} Dyversement de ce l’en parle Et ou monde en est grant bataille; Mes je ne sai que vous en die, Li uns dient que par envie, — 506 — Ces derniers mots de l'écrivain, interprète des sentiments du temps, ressemblent fort à une condamnation. Ils prouvent au moins que l'opinion publique n'avait pas, comme on l'a pré- tendu, subi un complet revirement en faveur du Temple de- puis les Etats-généraux de 1508, où les rancunes de Philippe le Bel trouvèrent un si grand appui. Si plus tard l'innocence des chevaliers et de leur chef devint légendaire; si l'on alla jusqu'à croire que le grand-maître, sur son bücher, avait ajourné à date fixe le pape et le roi devant le tribunal de Dieu (1), cela tint aux événements qui suivirent de très près le drame dont nous venons d’esquisser les traits principaux. La même année, Clément V mourut en proie à de vagucs terreurs, et son corps abandonné des siens resla longtemps sans sépulture (2. Philippe le Bel le suivit bientôt. Une mort Li autres dient autrement; Ne sai qui dist voir ou qui ment : Viengne en ce qu’en doit avenir, Le monde convient defenir. Tel vit en biau commancement Qui a mauvez définement. L'en puet bien décevoir l’Yglise Mès l’en ne puet en male guise Diex décevoir. Je n’en dis plus; Qui voudra die le seurplus. (Chronique rimée, v. 4257 et suiv.) (1) « Clément, juge inique, je t'ajourne à comparaître en dedans qua- rante jours devant le tribunal de Dieu, et toi, Philippe, en dedans une année. » Telles sont les dernières paroles qu’un grand nombre d'au- teurs mettent dans la bouche de Molay. (Voir Henri Marri, Hist. de France, t. VI, p. 90.) D'après l'historien italien Fererri, de Vicence, ce serait un templier Napolitain qui, conduit au supplice, se serait écrié : « Audi, papa trux..…. Ego quidem ab hoc nefando tuo judicio ad Deum vivum et verum, qui est in cœlis, appello, teque admoneo, ut intra diem et annum coram eo, pariter cum Philippo tanti sceleris auc- tore comparare, studeas meis objectionibus responsurus, tuæque excu- sationis causam editurus. » (Muraront, Rerum ltalicarum scriptores, t. IV, p. 1017.) * (2) « Gascones qui eum eo steterant, intenti circà sarcinas, videbantur de sepultura corporis non curare, quia diù remansit insepultum. » (Buzvze, Vit. Pap. Aven., t. I, p. 22.) — 507 — extraordinaire (1) vint le surprendre au milieu des sombres tragédies dont sa propre maison était le théâtre, et où jouaient encore un grand rôle deux de nos compatriotes, les comtesses Jeanne et Blanche de Bourgogne. Sa race ne tarda pas à s’é- teindre dans la personne de trois frères morts tous trois jeunes encore, étiolés et usés avant l'âge. On comprend que l'imagination populaire ait vu dans ce concours étonnant d'événements funestes l'œuvre de la ven- geance divine. Il sembla qu’une malédiction s’attachait aux persécuteurs des Templiers, et que le sang des innocentes vic- times retombait sur les derniers Capétiens de la branche aînée, comme le sang de la Saint-Barthélemy devait plus tard re- tomber sur les derniers Valois. Mais la science ne saurait s'arrèter à de telles conclusions. Ses recherches n'ont qu'un but, la vérité démontrée par les faits. Tant qu'elle ne l'a pas atteinte, elle doit suspendre son jugement, et si elle désespère de la rencontrer jamais, oser le dire. Sera-t-elle réduite à cette impuissance dans la question si grave et si délicate de la condamnation des Templiers; y aura-t-il là longtemps encore et peut-être toujours un deside- ratum de l’histoire ? Nous n'avons pas l'autorité nécessaire pour nous prononcer à cet égard. Mais nous croyons avoir fait une œuvre utile et comblé une regrettable lacune de nos annales particulières en reconstruisant, autant que nous le pouvions avec les éléments dont dispose la critique contempo- raine, la physionomie à coup sûr originale et curieuse d’un de nos plus illustres compatriotes. (1) On a beaucoup varié sur la mort de Philippe le Bel. Les uns le font tuer à la chasse par un cerf, les autres par un sanglier. «Il mourra d'un coup de couenne, le faux monnayeur, » s'écrie le DANTE dans sa haine sauvage (Paradis, c. xix). D'après le continuateur de NaxGis, il s'éteignit sans mal visible, au grand étonnement de tous. (Voir MIcE- LET, Hist, de France, t. III, p. 217.) Il est probable qu'il succomba à une maladie de langueur. QUEL SERAIT LE VÉRITABLE NOM DE LA PLACE LABOUREY A BESANCON? Lecture faite en séance publique de la Société d'Emulation du Donbs le 14 décembre 1876 Par M. Aucusre CASTAN CORRESPONDANT DE L'INSTITUT (ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES). Qu'est-ce qu'une légende ? C’est une parcelle de vérité his- torique, dilatée par le souffle de l'imagination populaire et reflétant les sentiments naïfs qui sont particuliers aux masses. Comme la bulle de savon qui devient chatoyante en décom- posant la lumière, la légende tire sa parure d’une déformation de la vérité. Poursuivez cette folle avec l’aiguillon de la cri- tique, elle ne résistera pas et semblera s’évanouir. Mais l'é- clipse ne sera qu'apparente, car la légende participe des êtres imaginaires : il ne faut pas plus espérer la détruire que pré- tendre étouffer les fantômes ou éteindre les feux follets. Je connais une de ces légendes qui, depuis deux siècles, nargue les réfutations académiques et brave les arrêtés municipaux, pour maintenir à la plus fréquentée des piaces publiques de notre ville, celle où se tient le marché aux vivres, un nom absolument insensé. Chacun de nous appelle cette place la Place Labourey ; et comme elle est au débouché de la rue des Granges, les étran- gers ne manquent pas de croire que ce terrain fut jadis un champ labouré, qui dépendait des granges situées dans son — 509 — voisinage. Toute autre est l’explication que donnent les braves gens du quartier : ce ne sont pas eux qui se laisseraient illu- sionner par une juxtaposition fortuite de noms corrélatifs ; ils ont sur ce point beaucoup mieux que la vérité vraie, ils pos- sèdent une légende qui se transmet de mère en fille avec une immuable opiniâtreté. Nous aurions pourtant le droit de leur objecter que le vocable Place Labourey n’a jamais été officiel, qu'il ne figure dans aucun document écrit; que les dénomi- nations réglementaires de ce terrain ont été successivement Place du Puits du Marché (l), Place Neuve, Place de l’'Abondance. Demeurons convaincus toutefois que nos objections n'empé- cheraient pas les détenteurs de la légende d'en faire le récit à peu près dans les termes suivants : « Il était une fois, entre le bas de la rue des Granges et le pont de Battant, un pâtissier qui faisait des pâtés si bons, ais si bons que l’on courait chez lui des quatre coins de la ville. Comment réussissait-il à si bien faire? C'était là son secret, et personne ne parvenait à le deviner. Dans le même temps, beaucoup de familles étaient désolées : il leur dispa- raissait des enfants sans qu'elles pussent savoir quel chemin ils prenaient pour se perdre. Mais voilà qu'un beau jour, un petit doigt d'eufant se montre dans l’intérieur d'un pâté pro- venant de la fameuse boutique. Horreur! tout le secret du misérable consistait à attirer chez lui les petits enfants par des friandises, puis à les saigner et à fabriquer des pâtés avec leur tendre chair. On sait encore l'emplacement du four où se cuisait cette succulente et abominable marchandise. Comme c'était justice, le pâtissier périt sur un échafaud dressé devant sa maison ; celle-ci fut rasée, puis le sol /abouré ex semé de (1) Par les documents que nous éditons sous forme de Pièces justifi- catives (n°* II et III), on pourra se convaincre que le vocable Puits du Marché s'appliquait à la portion primitive de la place dont nous fai- sons l’histoire, et que ç’'a été une extension abusive de lui faire franchir ladite place, par le {raige de chieu monsieur d'Ancier, pour l'implanter au débouché de la rue des Chambrettes sur la Grande-Rue. — 510 — sel. Voilà pourquoi l’on appelle Zabourée la place où était cette maison maudite (1). » | Ce récit populaire ressemble plus à l’esquisse d'un conte de Perrault qu'à un épisode d'histoire locale. Et pourtant c’est l'écho d'un drame judiciaire réel, qui s’est passé dans notre ville il y a 258 ans et dont nous avons les actes écrits. Qu'y a-t-il de commun entre la légende et ces actes ? C’est ce dont on va juger par le résumé suivant du procès de 1618. Barthélemy Labourey, originaire du village de Virey (Haute- Saône), n'avait pas besoin de faire des pâtés pour vivre, vu qu'il possédait environ 25,000 francs, ce qui de son temps était une fortune. Il avait déjà plusieurs crimes sur la conscience quand il vint se fixer à Besancon, ville libre qui servait fré- quemment de refuge à ceux que recherchaient les tribunaux de la province. Labourey s’y accointa avec deux autres ban- dits, et à eux trois ils formèrent une association pour prati- quer l'empoisonnement et le vol. Au service de Labourey était un petit garcon de treize ou quatorze ans, nommé An- toine Coulon, qui eut la malechance de surprendre quelques préparatifs criminels de son maïtre. Les trois associés réso- lurent sa mort. Ils le firent monter au grenier, et là, sous prétexte de lui enseigner un tour de force, ils lui lièrent bras et jambes après un bâton : alors l'un des complices l’assomma avec la tête d'une hache, tandis que Labourey l’égorgeait avec un couteau. Le cadavre, additionné d’un poids de 25 livres, fut, le soir même, jeté dans la rivière, sous le pont de Bat- tant. Le meurtre d’un mendiant, qui suivit de près celui du jeune garcon, mit la justice en éveil sur le compte de nos malfaiteurs. Ils furent arrêtés et emprisonnés « pour meurtres inhumains, complots de voleries, avoir mangé du jambon en temps de carême, et autres crimes et délits. » On condamna Labourey et le principal de ses complices à être torturés, à (1) Documents inédits pour servir à l'histoire de la Franche-Comté, Lil, p.479. — 511 — faire amende honorable devant l’église Saint-Pierre, puis à être assommés et égorgés avec les instruments dont ils se servaient pour perpétrer leurs crimes. Le troisième assassin, reconnu moins coupable que les deux autres, en fut quitte pour être simplement mis à la torture et pendu. Cette triple exécution eut lieu, le 12 mai 1618, devant la maison de Bar- thélemy Labourey, laquelle fut condamnée elle-même à être rasée et réduite en place publique (P. Telle est la vérité vraic. Il est dès lors possible d'apprécier ce que l'imagination populaire en a extrait pour créer la lé- gende du pâtissier. Deux des crimes de Labourey avaient surtout impressionné le public : l'assassinat de l'enfant Cou- lon et les repas au jambon en temps de carême. Les souve- nirs de ces deux forfaits s'amalgamèrent dans la mémoire du peuple : le jambon et la chair fraîche y devinrent pâtés, et tellement nombreux qu’il fallut inventer une boutique pour les mettre rétrospectivement en vente. De plus, comme le nom du coupable se prètait à former un qualificatif exagérant la destruction expiatoire prononcée par la justice, la légende devait s'emparer de cette. acception pour ajouter à la démo- lition de l'immeuble l'épisode d'un labour du terrain à con- vertir en place publique. Ainsi procède, quant à l’enregis- trement des faits, l'intelligence passionnée des masses; aux yeux de celles-ci, le coupable ne saurait être assez atroce, et l'homme honnête mériter moins que l’auréole de la sainteté : aussi la vérité historique, qui le plus souvent se compose de pour et de contre, n'est-elle accessible et agréable qu'aux esprits cultivés. Cette réfutation de notre légende avait déjà été faite, et je ne me serais pas permis de la recommencer ici si je n'avais eu à y joindre un complément de quelque intérêt. En effet, une question restait à résoudre en cette affaire. Comment le A ——— ———— 2 —————— (1) Voir le Sommaire narré publié dans les Documents inédits (t. II, pp. 475-483), ainsi que notre Pièce justificative n° III. — 512 — terrain d'une seule maison avait-il pu fournir l'espace néces- saire à l'établissement d'une grande place publique? La ré- ponse que j'apporte éclaircit d'un mot tout le mystère; car je puis affirmer, documents en main, que la place dont il s'agit est de quatre années antérieure au supplice de Barthé- lemy Labourey, et que le terrain provenant de la maison de ce criminel n’y entra que comme un faible appoint. C'est le 15 juillet 1614 que la municipalité jeta les yeux sur la mai- son Gauthiot d’Ancier, qui avait pour dépendance un vaste verger, « lequel, dit la délibération, serait très expédient acheter pour y faire une place publique très nécessaire, attendu la foule et presse des charriots et bestiaux venant à la cité proche et à l’entour du pont, lesquels seraient conduits et menés en ladite place (1). » Tel est l'acte de naissance de la place qui nous occupe : elle résulte donc, en très grande partie, de l'acquisition par la ville du verger où Simon Gau- thiot d’Ancier donna, pendant une dizaine d'années, les fêtes somptueuses qui l'avaient fait surnommer le petit empereur de Besançon (). Si le verger à disparu , on peut voir encore à peu près moitié de l'hôtel dont il était une dépendance. C’est une mai- son qui porte le numéro 13 de la Grande-Rue et regarde d'autre part la place où était le verger. Au niveau du premier étage de la vieille façade, on remarque l'emplacement mar- telé d’un grand écusson ; il y avait là des armoiries qui sym- bolisaient le nom et les visées ambitieuses du propriétaire : sur un Champ d’azur, un gautherot (ou faucon) d'argent, armé et couronné d'or, commençait son vol (3). Dans ce logis, le plus beau qu’un particulier possédât à Besancon avant la construction du palais Granvelle, était veuu descendre clandestinement, le 6 octobre 1523, Charles (1) Pièce justificative n° IT. (2) Voir notre étude sur Granvelle et le petit empereur de Besancon, dans la Revue historique, t. I (1876), pp. 78-139. (3) Duxon, ist. du Comté de Bourgogne, t. IT, p. 259. — b13 — de Bourbon, connétable de France, que des ressentiments personnels armaient contre sa patrie. Ce prince fut parrain d'un enfant de Gauthiot d'Ancier, puis engagea celui-ci comme maitre d'hôtel, lui procurant ainsi l’occasion d’a- masser une fortune à la suite des pillards armés qui mirent à sac la ville de Rome. Revenu à Besançon, Gauthiot s'y fit une nombreuse clientèle : on le vit successivement défendre l'orthodoxie catholique et favoriser la réformation protestante, son unique but étant de se poser aux yeux de Charles-Quint comme le médiateur indispensable entre les divers partis qui s’agitaient dans la ville. Malheureusement pour son ambi- tion, Nicolas Perrenot de Granvelle voulut ce rôle pour lui- même, et l'ancien maître d'hôtel du connétable de Bourbon fut naturellement vaincu par le garde des sceaux de Charles- Quint (1). Gauthiot d'Ancier n'avait pourtant négligé aucune occa- sion de se faire des amis dans l'entourage du monarque qui était le suzerain de la république bisontine. Ce fut ainsi qu'en septembre 1533, durant la période aiguë de sa lutte contre Granvelle, il fit magnifiquement les honneurs de Be- sançon au jeune prince d'Orange, neveu et héritier de Phili- bert de Chalon, l’ancien compagnon des aventures du conné- table. La maison de Chalon, branche cadette des anciens souverains de la Franche-Comté, avait à Besançon les tri- bunaux de vicomté et de mairie (); et René de Nassau ve- nait en prendre possession. Comme il n'était âgé que de quinze ans, son père et tuteur, Henri de Nassau, l’accompa- gnait. Leur entrée solennelle eut lieu le 13 septembre, par la porte Notre-Dame, car ils avaient couché la veille au château (1) Cette rivalité est le principal objet de mon étude, déjà citée, sur Granvelle et le petit empereur de Besançon. (2) Voir J.-B. n'Auxirox, Observations sur les juridictions de la ville de Besançon, 1777, in8, ainsi que mes Origines de la commune de Be- sançon, dans les Mém. de la Soc. d'Emuli. du Doubs, 3° série, t. III, 1858, pp. 249 et suiv. 39 — 514 — d'Arguel. Quinze cents hommes armés escortèrent les gou- verneurs municipaux qui allèrent à cheval au-devant d'eux jusqu'à Casamène. Gauthiot d’'Ancier les complimenta et les amena en son logis. L'artillerie municipale tonna dans les rochers de Saint-Etienne, et les quinze cents hommes vinrent décharger leurs armes devant l'hôtel d’Ancier, ce qui, dit-on, fit gros bruit. Après ie diner de midi, les princes passèrent au verger; là ils recurent la visite des gouverneurs, suivie bientôt du présent de la ville, dont voici le détail : huit boîtes de dragées assorties, quatre pots de vin de Malvoisie, autant d'hypocras blanc, autant d'hypocras rouge, vingt-quatre tor- ches de trois livres pièce et vingt-quatre ânées d'avoine. L'a- près-midi se passa à visiter l'arsenal, qui était alors derrière l'hôtel de ville, ainsi que les fortifications des portes de Bat- tant, Charmont et Arènes. Après un brillant souper, encore servi à l'hôtel d’Ancier, on fit devant les princes « une mo- merie grandement honorable. » Un fou en ouvrit la marche; puis vint un homme en robe longue qui débita et présenta le texte d'une ballade dans laquelle, suivant la mode du temps, on réclamait le concours des divinités de Olympe pour fêter dignement De Besançon l'amateur perlifique, L'enfant René, noble prince d'Orange. Les divinités ne se firent pas beaucoup prier. Elles étaient de l’autre côté de la porte : Junon, montée sur une licorne ; Pallas et Vénus, chacune sur un dromadaire. « Et les me- noyent, dit la chronique, trois compaignons, habillez comme dieux très richement, avec grosses chaînes d'or. » Junon offrit au jeune prince un anneau orné d'un beau rubis émaillé de blanc, duquel pendait un billet rimé écrit en lettres d’or. Pallas n'eut à présenter que des vers écrits en lettres d'azur. Vénus tendit au prince une orange, avec un compliment poé- tique tracé à l'encre verte. Ces offrandes teyminées, les trois conducteurs prirent les déesses par la taille, et ainsi com- mença une danse morisque à laquelle s'associèrent les dames — 515 — et demoiselles qui étaient dans la salle. Les princes furent assez polis pour trouver tout cela du meilleur goût (1). De son côté, le bon public ne put en prendre de l’ombrage; car, à propos des dernières élections municipales, l'administration que dirigeait Gauthiot d'Ancier avait fait jouer en plein air, devant l'hôtel de ville, le Mystère de l'Homme pécheur. Cette représentation avait duré quatre jours consécutifs, et Nicolas Boncompain, l’un des gouverneurs, s'était chargé d'y remplir le principal rôle, celui de l’homme pécheur (?). C'est bien aussi le rôle qui est infligé par l’histoire à ce pauvre Gauthiot d'Ancier. En effet, son souvenir semble avoir été frappé d'un arrêt d’oubli. À Gray, comme j'ai eu déjà l’occasion de le dire, la maison bâtie par ses soins n’est guère connue que pour avoir abrité la vertueuse existence du bienheureux Pierre Fourier. À Besançon, c’est plus navrant encore, car la place faite avec son verger porte effrontément le nom d’un misérable assassin. Ici l'usurpation crie ven- seance : j'en conviens; mais qu y faire? EssAyez donc un peu d'habituer mesdemoiselles vos cuisinières à dire Place d’An- cier au lieu de Place Labourey! Vous y perdriez votre latin, Mesdames, et de plus vous risqueriez de voir le petit doigt du pâté légendaire se redresser pour vous menacer de quelque mauvais tour. (1) Pièce justificative n° I. (2) Origines du théätre de Besancon, dans les Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, 4° série, t. II, pp. 157-158. — 516 — PIÈCES JUSTIFICATIVES PROCÈS - VERBAL DE L'ENTRÉE SOLENNELLE DES PRINCES DE NASSAU ET D'ORANGE A BESANCON, ET DE LA FÊTE QUI LEUR FUT DONNÉE A CETTE OCCASION. 1533 (13 septembre). Délibérations municipales de Besançon. Messeigneurs de Nassau et Prince d'Oranges. L'an mil cinq cens trente trois, ie dymenche treziesme jour du moys de septembre, environ neufz heures du matin, très-illustres et très-puissans princes et seigneurs, messeigneurs, messire Henry de Nassau, marquis de Zenette, conte de Nassau, chevalier de l'ordre de la Toison d'Or, premier et grand chambellan de la Ma- jesté de l'Empereur nostre souverain seigneur; et messire Renier de Chalon et Nassau, prince d’Oranges, conte de Pointièvre, Ton- nerre, baron et seigneur de Noseroy, Blatterans, Longlesaulnier, Chastelguyon, Arguel, Monfalcon, visconte et maire de Besancon, son filz, [après] avoir logé le soir précédent audict Arguel, firent leur entrée audict Besançon par la porte Nostre-Dame. Et au de- vant d’eulx, jusques ès plains d’entre ladicte cité et Beure, pour les recevoir, furent messieurs les Gouverneurs {et} Notables, à cheval honorablement, ensemble les trois enseignes de ladicte cité desployées et accompaignées d’environ quinze cens hommes pié- tons et en armes. Et, sur les champs, Symon Gauthiot, escuyer, seigneur d’Ancier, congouverneur, par ordonnance desdictz sieurs Gouverneurs, luy fit le recueil très-élégamment; et, à leur entrée, les murailles Sainct-Estienne , le plain de la montagne, porte Nostre-Dame, et tours du Cingle, et sur la rivière, estoient char- gés de bonnes et grosses pièces d'artillerie, que furent tirées et deschargées sumptueusement, avec si groz bruit et joyeux recueil que soit esté fait puis cinquante ans enca à venue de prince. Les- + — 517 — dictz seigneurs Princes furent logez en la maison dudict sieur d’'Ancier, receuz et traictez magnifiquement. À leur descendue, ladicte cité leur envoya le présent ci après déclaré, et lesdictes trois enseignes et compaignons armez passarent devant sondict logis, prindrent leur tour en Battant, et repassarent devant ledict logis, et deschargearent tous leurs hacquebutes et colovrines, qui firent gros bruyt. Après disné, iceulx seigneurs Princes estans ou vergier dudict sieur d’Ancier, fut visité et salué par mesdissieurs les Gouverneurs, lesquelz luy offrirent tous services qui leur plai- roit commander au général et particulier, corps et biens de ladicte cité, avec esjoyssement et congratulacion de leurs joyeuses et très- désirées venues, que la cité recevoit et véoit plus voluntier que de princes que puissent estre, après les Majestés de l'Empereur et Roy des Romains, nos souverains seigneurs : dont ilz furent très- joyeux, firent regraciacion, en offrant tous services et plaisirs qui pourroyent à ladicte cité. Sur le vespre, ilz visitarent l'artillerie estant en l’hostel consistorial, aussi les portes de Battant, Char- mont et Arenne. Le souppé estant peracheve en la maison dudict sieur d’'Ancier, fut faicte devant eulx une mommerie grandement honorable, avec les distichues et dictiers cy-après descrips, présentez auditseigneur Prince qui, de l’ordonnance de monditseigneur de Nassau, les receust. Le lundi, lendemain matin, iceulx seigneurs Princes s’en sont retourniz par la porte Taïllée, prenans chemin à Noseroy. Et, oultre les présens à eulx faiz, la cité les a en tous leurs trayns deffrayez entièrement. — (Signé) LAmMBELN. S'ensuyt le présent fait par la cité à mesdisseigneurs de Nassau et Prince d'Oranges. Dragées : huit boittes de plusieurs sortes ; — Marvisée : quatres [e] symaises; — Ypocras blanc : quatres symaises; — Ypocras rouge : quatres symaises ; — Torches de trois livres pièces : vingt-quatres ; — Avenne : vingt-quatres asnées ; — Vin blanc et claret : huyt ponssons. — Et le deffrayement de tous despens. BALADE. Dieux immortelz, des haultz célestes lieux, Soyez songneux, promptz et audalieux De commander à la court déifique Qu'en ces bas lieux descendent très-joyeux — 518 — Les Driades, Nimphes et Semydieux, Et chascun d’eulx à honnorer s'aplique Le très-exquis hault prince et filz unique Du preux Nansot, et chascun bien se renge De recevoir en triumphe autentique L'enfant René, noble prince d'Orenge. N’'ombliés pas, mais soyez fort songneux De ramener instrumentz précieux, Comme Orpheus, Arion l’aquatique; Et vous Juno, Vénus aux blons cheveux, Dame Palas aux lucidaires yeux, : N'y faillez pas, resjouissant d’antique Le doulx Syon, de Challons très-antique, Des Bourguinons l'honneur, port et louenge, De Besançon l'amateur perlifique, L'enfant René, noble prince d'Orenge. - Avecques nous, Vésuntinois joyeux, Venez danser, nobles Dieux glorieux, Plus sumptueux qu’au banquet manifique De Peleus, dont fustes curieux Le collauder, et sy ne valloit myeulx. Non pas cent tieulx (1) n’eurent onc la pratique D’avoir tel nom, soit en renom bellique Ou en trésors, noblesse et beaulté d'ange, Comme à celluy dont je fais ma réplique, L'enfant René, noble prince d'Orenge. ÿ Envoy. Prince des cieux, concluant ma pratique, Nous vous prions que vostre veuil s’aplique Hault extoller et garder de calenge, Vivre longtemps en honneur pacifique L'enfant René, noble prince d’Orenge. Ceste présente balade fut présentée par messieurs les Gouver- neurs de Besancon à Monseigneur de Nansot et à son filz Monsei- gneur le Prince d'Orange, pour sa bien-venue et nouvelle entrée à Besancon. Et fut logé chieu monsieur d’'Ancier, gouverneur de ladicte ville, où fut joué une morisque fort sumptueuse par les (1) Sans doute pour cent aïeux. — 919 — enfans de ladicte ville, où y avoit les trois déesses Juno, Palas et Vénus, bien richement accoustrées, montées l’une sur une licorne, les aultres deux sur dromedaires; et les menoyent trois compai- gnons, habillez comme dieux très-richement, avec grosses chaines d’or. Et le fol après avoir fait son entrée, ung homme habillé de robe longue lisoit cestedicte balade bien escripte, couppée en ma- nière de tableau d’antique, enluminée d’or richement, et la pre- sentoit au jeusne Prince d’Orenge. Puis venoit l’une desdictes déesses, montée sur l’une des bestes; et estoit Juno qui donna audict Prince ung beau ruby esmaillé de blanc, et audict aneau estoit pendant un billet escript tout en lettre d’or, fort riche, lequel s’ensuyt : Je suis Juno, déesse de richesse, Esclarcissant nobles cueurs vertueulx, De mes trésors fais à chascun largesse, Pourveu qu'ilz soyent hardys, vaillans et preux, Et congnoissant qu’es de mes plus heureux Filz adoptés, noble Prince tant beau, Et que tu es de tes biens plantureux, Te saluant, te donne cet anneau. Après, entra Palas qui luy donna ung billet, et y avoit au dessus escript en lettre d’or : /nitium sapientie timor Domini; puis après, en lettre d'azur, ce que s’ensuit : Je suis Palas, dame de sapience, Que noble cueur doit tousjours soustenir ; Entre princes est ma vray résidence. Je suis Pallas, dame de sapience : Pour ce, Prince, prens vers moy audience, Et cest escript veulles bien retenir, Je suis Palas, dame de sapience, Que noble cueur doit tousjours soustenir. Puis entroit Vénus, et lui donnoit une pomme d’orenge et ce billet qui estoit escript de vert; et le tout estoit en parchemin, tout coupé comme en manière de tableau d’antique, bien illuminé d’or : Je suis Vénus, déesse de beaulté, Qui resjouis et entretiens noblesse ; Par moy princes ont les armes hanté Et tournoyé devant mainte princesse. Je suis celle qui jeunes gens adresse Et rendz plaisant et gratieux tout homme : T0 Parquoy, Prince, congnoissant ta haultesse, Signe d'amour, te donne ceste pomme. Les dons présentés, les trois compaignons conducteurs dansèrent avec aucunes dames et damoiselles qui lors estoient dans la salle. Et fut fort extimée ceste morisque de Monseigneur de Nansot, son filz le Prince, et généralement de tous les assistans. IT DÉLIBÉRATION MUNICIPALE CONCERNANT LA TRANSFORMATION EN PLACE PUBLIQUE DU VERGER DÉPENDANT DE L'HÔTEL D'ANCIER. Du mardy xve de juillet 1614. » Comme, doiz naguères, la demoiselle d’Ancier avoit acquis la maison du sieur de Thoraise, estant en la volonté de vendre la sienne du Bourg, de laquelle dépend un vergier siz au Puit du Marchef, lequel seroit très expédient d’achepter pour y faire une place publique très nécessaire, attendu la foulle et presse des cha- riotz, bestiaux et aultres choses venantz à la cité proche et à l’en- tour du pont, lesquelz seroient conduictz et menez en ladicte place…., l’on avoit jà pourparlé et mis en terme l’achapt dudict vergier...… Mesdictzsieurs, délibérantz sur l’achapt dudict vergier et considé- rantz qu’il estoit bien nécessaire au public pour les raisons avant- dictes, a esté résolu que en cas l’on en pourroit avoir pris raiso- nable, que l’on en feroit achapt, et adviseroit d’y. faire contribuer quelque chose par ceulx possédantz maisons voisines, lesquelles par tel moyen seroient beaucop méliorées. IIT PROCÈS CRIMINEL DE BARTHÉLEMY LABOUREY, ET CONFISCATION DE SA MAI- SON POUR ACCROÎTRE LA PLACE PUBLIQUE COMMENCÉE AVEC LE VERGER DE L'HÔTEL D’ANCIER. 1618 (10-12 mai). Délibérations municipales de Besançon. Du jeudy 10 may 1618. L'on a vacqué à l'ouverture et commencé la vision et lecture des La — 521 — procès criminelz fulminés contre Bartholomey Labourey, de Virey, Ferrieux Luquet, de Liesle, et Jean Doignon, de Myon...…. Du vendredy 11 mai 1618. Bartholomey Labourey, prisonnier à la Viscomté, et Jean Doi- gnon, prisonnier à la Régalie, ont esté condemnés pour meurtres inhumains, complot de voleries, et pour avoir mangé du jambon en temps de caresme, et aultres crimes et délictz : premièrement à estre appliqués à la question pour y respondre, par devant mes- sieurs Henry et Marquis, commis à la fulmination de leurs procès, tant sur leurs complices que sur quelques faictz non encore purgés ny par eulx confessés; et de là estre conduictz à teste et pieds nudz, portans chascun une torche de cyre en main du poid d’une libvre, devant le grand portal de l’église monsieur Sainet-Pierre de la cité, et illec crier à haulte voix merecy à Dieu et à la justice ; en outre, par l’exécuteur de la haulte justice estre menés sur un eschaffaux qui à cest effect sera dressé en la place dicte du Puys du Marchef et devant la maison dudiet Labourel, et y estans estre attachés chascun à ung ‘poteau pour y estre assommés de trois coups des mesmes marteaux dont ilz avoient commis lesdictz meurtres ; puis estre esgorgés d’ung costeau, comnrilz avoient faictz ung jeusne enffant nommé Antoine Coulon; ce faict, leurs corps estre mis en quatres quartiers et iceux attaichés à des po- tances qui seront plantées sur les grandz chemins de la cité, à chascune porte. Ferrieux Lucquet, prisonnier à la Mayrie, pour avoir esté du complot, avec les susnommés, des meurtres et voleries aussi Cy- dessus descriptes et aultres crimes portés par son procès, à esté condemné à estre premièrement appliqué à la question sur les complices, par devant lesdictz commis, puis estre conduict à ladicte place pour illec estre pendu et estranglé jusques à la mort à une potance qu’à cest effect y scroit dressée. Et, de plus, tous lesdictz trois prisonniers ont este condemneés chascun à une amende de cinq cens libvres estevenantz, appli- cables à œuvres pieuses, tant pour le remède des âmes de ceulx qu’ilz avoient occis qu’aultres, selon qu'il serat advisé, et aux des- pens. A este de plus résolu et jugé que la maison où résidoit ledict Labourel sera rasée, démolie et réduicte en place publique, les droictz des créanciers saulfz. — 522 — Dudict jour à quatres heures. Messieurs se sont assemblés pour mectre ordre sur la structure des eschaffaux et potance nécessaires pour l’exécution desdictz Labourey, Doignon et Lucquet, et ont donné charge au syndic de pourvoir à icelle et de faire commandement à tous charpentiers de la cité d’y travailler et rendre le tout parfaict pour demain du matin. Du sambedy 1? may, à quatres heures du matin, 1618. Messieurs se sont assemblés pour cause du refus faict par les charpentiers de travailler à la structure desdictz eschaffaux et po- tences, selon que de ce le syndic a faict rapport; et, pour ce, les maistres charpentiers et aultres ont esté mandés, et leur a esté faict commandement par Mesdictzsieurs d’incontinent et sans délay travailler ad ce que dessus et rendre le tout parfaict deans quatres heures, à peine d’estre chastiés corporelment et estre exilés de la cite. — 523 — Dons faits à la Société en 1976. Par M. le MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE . . 400 f. Par le DÉPARTEMENT pu Dous. . . . . . . . . . . 500 Para VTLPE DES ANTON. “ler. ruse 6900 Par M. le MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE : Rapport de M. G. Picot sur la publication des documents relatifs aux Etats-généraux , 1876, hroch. in-5. — Revue des Sociétés sa- vantes des départements, 6e série, t. IT, juillet-décembre 1875; — t. III, janvier-avril 1876. Par la CHAMBRE DE COMMERCE DE BESANCON : Compte-rendu de l’année 1875 (16° année), in-4. Par MM. DrAPEyYrON, membre correspondant, sa brochure intitulée : Nouvelle méthode d'enseignement géographique d’après les résolutions du Congrès géographique de Paris, suivie d’une étude sur la cartographie à l'exposition des Tuileries, par M. Frédéric Hennequin, Paris, 1876, in-8. Gopron, membre correspondant, ses Etudes sur la Lorraine dite allemande, le pays messin et l’ancienne province d’Al- sace, Nancy, 1875, in-8. Laurens (Paul) et Gaurarer (Jules), membres résidants, leur Annuaire du Doubs, de la Franche-Comté et du territoire de Belfort pour 1876. Cuorrar (Paul), membre correspondant, sa brochure inti- tulée : Le Corallien dans le Jura occidental (extrait des Ar- chives des sciences de la Bibliothèque universelle de Genève, — 524 — Par MM. décembre 1875); son étude sur les Couches à ammonites acanthicus dans le Jura occidental, extraite du Bulletin de la Société géologique de France, 1875, in-8. CoNTEJEAN, membre correspondant, son deuxième mémoire intitulé : De l'influence du terrain sur la végétation, 1876, broch. gr. in-8; son Glossaire du patois de Montbéliard, 1876, gr. in-8. DEMONGEOT, membre résidant, son Rapport sur la situation de l'instruction primaire ‘communale à Besancon pendant l’année 1876. Garnier, archiviste de la Côte-d'Or, son Inventaire sommaire des archives de ce département, t. IV, 1876, in-4. Deracroix (Emile), l’un des fondateurs de la Société, son drane versifié en trois tableaux, intitulé : Colomban, Lu- xeuil, 1876, in-12. DE SAINTE-AGATHE (Louis), membre résidant, sa Notice sur Alphonse Mas, président de la Société pomologique de France, Bourg en Bresse, 1876, gr. in-8. Perron (le docteur), ses Proverbes de la Franche-Comté, 1876, in-8, Cuvier (Ch.), la 5° série de son Cours d'études au point de vue philosophique et chrétien, Paris, 1876, in-12. JURGENSEN (Jules), membre correspondant, Eaux fortes, par E. Jeanmaire {un frontispice, 2 feuilles de texte et 31 pl.) ; Genève, 1876, in-fol. QuiquErREz, membre correspondant : Carte archéologique du canton de Berne, époque romaine et anté-romaine, par MM. le baron de Bonstetten, Quiquerez et le docteur Uhlmann, 1876, 1 vol. in-4, avec carte en couleur. DE MorTiLcer (Gabriel), sa brochure intitulée : Contribution à l'histoire des superstitions ; amulettes qauloises et gallo- romaines, 1876, in-8. Favre (Alphonse), membre correspondant, sa Motice sur la conservation des blocs erratiques et sur les anciens glaciers -— 528 — Par MM. du revers septentrional des Alpes, extraite des Archives des sciences de la Bibliothèque universelle de Genève, 1876, in-8. BaupouIx (Alphonse), de Bar-sur-Aube, son volume de poé- sies intitulé : Revers de médaille, 1876, in-12. La DIRECTION D'ARTILLERIE à Besançon: un groupe d'objets gallo-romains provenant des fouilles de l’Arsenal,. Vermor (Ernest), capitaine de frégate, membre correspon- dant : un modèle de jonque japonaise et une réduction des coupes d'avant d'un vaisseau francais. — 526 — Envois des Sociétés correspondantes en 1976, Bulletin hebdomadaire de l'Association scientifique de France, année 1876. Journal d'agriculture de la Côte-d'Or, 2e, 3° et 4° trimestres 1875. Publications de l'Institut royal grand-ducal de Luxembourg, t. XV, 1875 Revue Savoisienne, 16° année (1875), n° 12; 17° année (1876), ne 1-11; Mémoires de la Société historique et archéologique de Langres, in-4,t. 1, 1847-60; t. II, 1862-74 (livr. 1-9); — Bulletin, in-8, n° 1-3, 1872-73; — Essai sur l’histoire et la généa- logie des sires de Joinville, par J. Simonnet, ouvrage publ. par la Société historique de Langres, 1876, in-8. Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, 2e série, t. XV (1875), 2°, 3° et 4° trimestres; 2° série, t. XVI (1876), 1°" et 2e trimestres. L'Emulation jurassienne, revue mensuelle publiée par la So- ciété jurassienne d'Emulation, à Porrentruy, 1" année, janvier-août 1876. Mémoires de la Société Eduenne, nouv. série, t. IV, 1875. Annales de la Société géologique de Belgique, à Liége, t. I, 1874. Mémoires de la Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux, 2° série, t. I, 2e cahier, 1876 ; — Procès-verbaux des séances, 1874-75. Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie, 1875, n°° 3 et 4; — 1876, n° 14 et 2. Mémoires de la Société des sciences naturelles et historiques, des lettres et des beaux-arts de Cannes et de l'arrondissement de Grasse, t, IV, 1874. OT = Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny, 16e année (1875), n°s 10-12 ; 17° année (1876), n°° 1-7. — Exposition d'instruments viticoles et vinicoles et exposition de vins comtois à Poligny : compte-rendu extrait du Bulletin, 1876, broch. in-8. Revue Africaine, 19° année, n° 115 (1875) ; 20° année, n°° 116- 117 (18706). Institut des provinces de France : Bulletins trimestriels n°5 1-4 (1876); — Annuaire des sociétés savantes et des congrès scientifiques, 1876, 2° partie. Mémoires de la Société académique de Maine-et-Loire, t. XXXT- XXXII, 1875. Bulletin de la Société Vaudoise des sciences naturelles, n° 79, 2° série, t. XIV, 1876. Bulletin de la Société industrielle et agricole d'Angers el du dé- partement de Maine-et-Loire, 3° série, t. XVI, 1875; 1er se- mestre 1876. Bulletin de la Société Dunoise, n% 27 et 28, 1876; Histoire abrégée de l’abbaye de Saint-Florentin de Bonneval, publiée sous les auspices de la Société Dunoise, Châteaudun, 1875, 2 parties in-8. Mémoires de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, t. XIV (1875); — Bulletin, t. V, n°® 59 à 79, (1868-1875), titre et table des matières; t. VI, n° 85, 1875, 2e trimestre; n° 86, 3° trimestre; n° 87, 4° trimestre de 1875; — t. VI, n°091010, 2° {rim: Annales de la Société d'Emulation du département des Vosges, t. XV, 1875 et 1876. Bulletin de la Société académique de Brest, ?° série, t. If, 1874- iu” Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Pau, 1874- 1875, 2° série, t. IV. Mémoires de la Société des antiquaires du Centre, à Bourges, t. III, 1869. Bulletin de la Société des sciences physiques, naturelles et clima- — 528 — tologique d’Aiger, 12° année, 1875, 4° trimestre ; 13° année, 1876, 1er trimestre. Bulletin de la Société polymathique du Morbihan, 1875, 2° se- mestre. Annales d: la Sociélé des lettres, sciences et arts des Alpes mari- times, t. ILI, 1875. Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne, t. XXIX (2° série, t. IX), 1875, et tables analy- tiques de 1857 à 1867 ; — année 1876, t. XXX (2° série, t, X). v Mémoires de la Société littéraire, historique et archéologique de Lyon, 1874-75. Annales de la Société d'agriculture, industrie, sciences, arts et belles-lettres du département de la Loire, à Saint-Etienne, 1875. Mémoires de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Marseille, 1874-1876. Société académique des sciences, arts, belles-leitres, agriculture el industrie de Saint-Quentin, 3° série, t. XIII, 1874-1875. Congrès archéologique de France, XLI° session, à Agen et Toulouse, 1874. Bulletin de la Société des sciences naturelles et historiques de l'Ardèche, n° 9, 1875. Bulletin de la Société archéologique du Midi de la France, 187T5- 76. Académie royale de Belgique : Mémoires de ses membres, tome XLI (1875-76), in-4; — Mémoires couronnés et Mémoires des savants étrangers, série in-4, t. XXX VIII (1874), tome XXXIX, 1re partie (1875); — Id., série in-8, t. XXIV, XXV, XXVI (1875); — Bulletins, 2 série, t. XXX VIII (1874), XXXIX et XL (1875); — Annuaires pour 1875 et 1876; — Notices biographiques et bibliographiques concer- nant les membres de l'Académie, 1875. Mémoires de la Société des antiquaires de France, t. XXXVI (4° série, t, VI), 187. + — 29 — Mémoires de la Société d’'Emulation du Jura, ? série, t. I, 1875. Mémoires de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Savoie, 3° série, t. LIT et IV, 1875. Mémoires de la Société des sciences naturelles de Cherbourg, t. XIX (2e série, t: IX), 1875. Société des sciences physiques el naturelles de Bordeaux : Bul- letin des publications recues en 1875-76, pp. x1v-xxvurr. Société de secours des amis des sciences : séance publique an- nuelle du 8 juin 1876. Builetin de la Société philomatique vosgienne, à Saint-Düé, {re année, 1875. Bulletin de la Socièté d'Emulation de l'Allier, t. XIII, 3 et 4° livraisons, 1875. | Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Chalon-sur- Saône, t. VI, 2° partie, 1876: Mémoires de l’Académie du Gard, 1874. Mémoires de l’Académie nationale des sciences, arts et belles- lettres de Caen, 1876. Bulletin de la Société des sciences de Nancy, (ancienne Société des sciences naturelles de Strasbourg), 2° série, t. I, fascic. 1-3, 1874-76 ; — 2e série, t. II, fascic. 4, 9° année, 1876. Bulletin de l'Institut national Genevois, t. XXI, 1876. Bulletin de la Société des sciences naturelles de Neuchätel, t. X, 3° cahier, 1876. Mémoires de la Socièté d'Emulation de Montbéliard, 2° série, MEN pp.1-Lxxxv (Bulletin); pp. 213-494 (Glossaire du pa- tois de Montbéliard, par Ch. Contejean): t. V, pp. 429-556 (Champignons du Jura et des Vosges, par L. Quélet). Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, t. XXIII, 2° Livr., 1874; — ‘Table générale des Bulletins, 1'e série, t. I-XXIIT, 1845-1873. Procès-verbaux de la Société des leitres, sciences et aris de l'A- veyron, t. X (juillet 1874-juillet 1876).° : Mémoires de la Société d'agriculture, commerce, sciences et arts du département de la Marne, 1874-1875. 34 — 930 — Mémoires de la Société académique de l'Aube, tome XXXIX (3e série, t. XII), 1875. Nouveaux mémoires de La Société helvétique des sciences natu- relles, t. XX VII (3° série, t. VIT), cahier I. Mittheilungen der antiquarischen Gessellschaft in Zurich, in-4 : Bd. XVII, n° 4 (Forges primitives dans le Jura, par A. Qui- querez, 4 pl.); n° 5 (Tours mégalithiques en Suisse, par G. Meyer de Knonau, 3 pl.); n° 6 (Peintures romanes dans l'église de Zillis, canton des Grisons, par Rahn, 4 pl); — Bd. XVIII, n° 3 (Monuments alamanniques en Suisse, par Meyer de Kaonau, 3 pl.) ; n° 4 (Ornements héraldiques d'une maison noble de Zurich, par Zeller- Wertmüller, 4 plane.) ; n° 5 (Découverte d'un abri de l’époque du renne en Suisse, par Albert Heim, { pl.); n° 8 (Histoire de la colonie romaine de Nyon, par J.-J. Müller). Kongliga svenska Vetenskaps-Akademiens Handlingar (Mémoires de l’Académie royale suédoise des. sciences) : Bd. IX , 1870, n° 2; Bd. X, 1871; Bd. XI, 1872, in-4 (accompagné d’un atlas de 53 planches relatives aux £tudes sur les Echinoïdes, écrites en langue française, par S. Loven) ; Bd. XII, 1873; — Bihang (supplément aux Mémoires), in-8 : Bd. I, 1872- 1873; Bd. Il, 1874-75; — Bd. IIX, n° 4, 1875 ; — Ofversigl (Bulletin), in-8 : Bd. XXVIII (1871), XXIX (1872), XXX (1873), XXXI (1874), XXXII (1875); — Lefnadsteckhningar (Biographies académiques), Bd. E, n° 3 (1873). Annual report of the Smithsonian Institution; 1874. Abhandlungen herausgegeben vom naturiwissenschaftlichen Ve- reine zu Bremen, Bd. IV, n° 4, 1875; Bd. V, n° 1, 1876; — beilage n° 5 zu den Abhandiungen. Jahrbuch der k.-k. geologischen Reichsanstalt in Wien, Bd. XV, n° 2,3, 4, april-decemb. 4875 ; — Mineralogische Milthei- lungen, 1875, n° 2-4; Verhandlungen, 1875, n°% 11-18, juli- decemp. Société helvétique des sciences naturelles (Schweïzeriche Ge- sellschaft für die gesammten Naturwissenschaften) : Neue — d31 — Denkschriften, Bd. XXVI (renfermant uniquement un grand travail de M. Auguste Forel, sur les Fourmis de la Suisse), 1874, in-4; — Verhandlungen in Chur (1873-74), in-8;, — {d. in Andermatt (1874-75), in-8. Miliheilungen der naturforschenden Gesellschaft in Bern, 1874 et 1875. Schriften der physikalisch-ækonomischen SGEN zu Kœ- nigsberg, 1873 et 1874. — D32 — MEMBRES DE LA SOCIETE Au 15 juin 1877. Le millésime placé en regard du nom de chaque membre indique l'année de sa réception dans la Société. Les membres de la Société qui ont racheté leurs cotisations annuelles sont désignés par un astérisque (*) placé devant leur nom, conformément à l'article 21 du règlement. Conseil d'administration pour 1877. LPÉEUTEN 2 NANBNL LAN TIGER, MM. Sarzzarp (Albin); Premier Vice-Président. ....... MarqQuiser (Léon) ; Deuxième Vice-Président....... SIRE (Georges); Secrétaire décennal............ Casran (Auguste) ; Vice-Secrétaire et contrôleur des HÉDEMSPS ILE AE arr Farvre (Adolphe); Trésoreri. SOPANTHON EL AUX KLEIN (Auguste); Trésorier-adjoint...,:..11. De Prinsac (le baron); ArcMVISte. où 2 RS SRE GAUTHIER (Jules). Secrétaire honoraire .......... M. Bavoux (Vital). Membres honoraires (24) MM. Le GÉNÉRAL commandant le ° corps d'armée et la 7° division militaire (S. A. M£' le puc D'AUMALE). LE PREMIER PRésipENT de la Cour d'appel de Besancon (M. LorsEau). — 933 — MM. , L’'ARCHEVÈQUE de Besancon (S. G. ME PaAuULINIER). Le PRérer du département du Doubs (M. Paul CamBon). Le Recteur de l’Académie de Besancon (M. Lissagous). LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'appel de Besancon (M. PErTIToN). Le Marre de la ville de Besancon (M. le sénateur Ouper). L'INSPECTEUR d'Académie à Besancon (M. Duparay). BayLe, professeur de paléontologie à l'Ecole des mines; Paris. — 1851. BLancHarD, Em., membre de l'Institut (Académie des scien- ces), professeur au Muséum d'histoire naturelle; Paris. — 1867. CoquaxD, Henri, professeur de géologie; Marseille. — 1850. Device, Henri-Sainte-Claire, membre de l'Institut (Académie des sciences) ; Paris. — 1847. Devorsins, ancien sous-préfet; Paris, rue Monsieur-le-Prince, 48. — 1842. Dougcepay, Henri, entomologiste; Epping, comté d'Essex (Angleterre). — 1853. | Duruy, Victor, ancien ministre de l'Instruction publique, membre de l’Institut (Académie des inscript.); Villeneuve- Saint-Georges (Seine-et-Oise). — 1869. Goucer, docteur en médecine ; Dole (Jura). — 1852. Grenier, Edouard, lauréat de l’Académie française, ancien secrétaire d’'ambassade; Paris, rue Jacob, 3, et Baume-les- Dames (Doubs). — 1870. MarTiN., Henri, sénateur, membre de l’Institut (Académie des sciences morales); Paris-Passy, rue du Ranelagh, 74 — 1865. Paravey, ancien conseiller d'Etat; Paris, rue des Petites- Ecuries, 44. — 1863. QuicuEeraT, Jules, directeur de l'Ecole nationale des Chartes, vice-président de la section d'archéologie du Comité des tra- vaux historiques; Paris, rue de Tournon, 16. — 1859. — 534 — MM. Résaz, Henri, membre de l'Institut | Académie des sciences), ingénieur des mines, professeur à l'Ecole polytechnique ; Paris, rue de Condé, 14. — 1853. SErvAUx, chef de division au ministère de l’Instruction pu- blique; Paris, boulevard Courcelles, 1. — 1873. Wey, Francis, inspecteur général des archives de France; Saint-Germain-eu-Laye, rue de Mareil, 57. — 1860. Membres résidants (268) (1). MM. ALEXANDRE, Charles, secrétaire du conseil des prud'hommes, rue d'Anvers, 4. — 1866. ALEXANDRE, Henri, libraire, rue des Chambrettes, 8.— 1875. ALvIsET, Charles, propriétaire, rue du Mont-Sainte-Marie, 1. — 1857. AMBERGER, Lucien, pharmacien, rue Morand, 7. — 1874. ANDROT (GiROLET, Louis, dit), peintre-décorateur; à la Croix- d’Arènes. — 1866. ANSBERQUE, Edme, médecin vétérinaire, rue de la Bouteille, 1. — 1877. ANTOINE, fabricant d’'horlogerie, rue Moncey, 2. — 1875. D'ARBAUMONT, chef d’escadron d'artillerie en retraite, rue Sainte-Anne, 1. — 1857. ARNAL, Alexis, économe du Lycée. — 1858. ARNAL, Amédée, avocat, membre du conseil d'arrondisse- ment, rue des Bains-du-Pontot, 3. — 1872. AUSCHER, Jacques, rabbin, rue Proudhon, 6.— 1875. Baper, bijoutier, rue des Granges, 21. — 1870. (1) Dans cette catégorie figurent plusieurs membres dont le domicile habituel est hors.de Besançon, mais qui ont demandé le titre de résidants, afin de payer le maximum de la cotisation et de contribuer ainsi d'une manière plus large aux travaux de la Société. — 235 — MM. * Barzzy (l'abbé), maître des cérémonies de la cathédrale. — 1865. BarBaup, Auguste, ancien premier adjoint au maire, rue ; Saint-Vincent, 43. — 1857. Bargier, Léon, ancien sous-préfet; Baume-les - Dames (Doubs). — 1873. * Bavoux, Vital, receveur principal des douanes; Longwy (Meurthe-et-Moselle). — 1853. BELLAIR, médecin-vétérinaire, rue de la Bouteille, 7.— 1865. BELOT, essayeur du commerce, rue de l’Arsenal, 9. — 1855. BERQUET, ingénieur des ponts et chaussées, rue Proudhon, 16. — 1875. BERTHELIN, Charles, ingénieur en chef des ponts et chaussées en retraite, rue de Glères, 23, — 1858. BERTIN, négociant, membre du conseil municipal; rue Neuve- Saint-Pierre, 15. — 1863. * BERTRAND, docteur en médecine, rue des Granges, 9. — 1855. Bessox, avoué, place Saint-Pierre, 17. — 1855. Besson, Edouard, avocat, rue Saint-Vincent, 27. — 1875. Beurer, Francois-Xavier, voyer de la ville, rue du Lycée, 5. — 1873. Beurnier, Conservateur des forûts, rue de la Préfecture, 23. — 1874. Braz, Paul, chef d'escadron d'artillerie, rue Saint-Vincent, 20. — 15858. Brcxer , Jules, fabricant d’horlogerie, rue du Mont-Sainte- Marie, 17. — 1873. Brz0s, professeur de rhétorique au Lycée, rue de la Préfec- ture, 11. — 1874. BLaxc, Justin, négociant, rue Neuve-Saint-Pierre, 22. — 1876. BLaxcHARD, professeur de dessin au Lycée, rue du Clos, 14. — 1877. — 536 — MM. BLonpeau, Charles, entrepreneur de menuiserie, président du conseil des prud'hommes, rue Saint-Paul, 57. — 1854. BLoxpox, docteur en médecine, rue des Granges, 68.— 1851. Borzzor, Constant, graveur, place Saint-Amour, 1. — 1870. Bonaxe, Albert, photographe, rue Mairet, 1. — 1874. Bôssy, Xavier, fabricant d'horlogerie, rue des Chambrettes, 6. — 1867. Boupor, Emile, négociant, rue Battant, 64. — 1876. Bouceor, Eugène, secrétaire-trésorier du bureau de bienfai- sance, rue Battant, 20. — 1868. BOURCHERIETTE dit POURCHERESSE, propriétaire, rue des Chambrettes, 8. — 1859. Bourpy, Pierre, essayeur du commerce, rue de la Lue, 9.— 1862. BouTTERIN, François-Marcel, adjoint à l'architecte de la ville et professeur à l'Ecole municipale de dessin, rue des Cham- brettes, 19. — 1874. Bourrey, Paul, fabricant d'horlogerie, juge au tribunal de commerce, rue Moncey, 12.— 1859. Bouvarp, Louis, avocat, bâtonnier de l’ordre, membre du conseil municipal, Grande-Rue, 95. — 1868. Boysson D'EcoLe, trésorier-payeur général en retraite, rue de la Préfecture, 22. — 1852. BreTILLOT, Eugène, propriétaire, rue des Granges, 46. — 1840. BrerizLor, Léon, banquier, ancien maire de la ville, président de la chambre de commerce, rue de la Préfecture , 21. — 1853. : Brerizzor, Maurice, propriétaire, rue Saint-Vincent, 18. — 1857. Brerizcor, Paul, propriétaire, rue de la Préfecture, 21. — 1857. Brucuox, professeur à l'Ecole de médecine, médecin des hos- pices, rue des Granges, 16. — 1860. PET MM. Bruzar», Désiré, greffier du tribunal civil, rue Battant, 1. — 1873. Brunswick, Léon, fabricant d’horlogerie, Grande-Rue, 28. — 1859. Brusser, notaire, membre du conseil général de la Haute- Saône, Grande-Rue, 14. — 1870. BurnicHon, Victor, ancien élève de l'Ecole forestière, Grande- Rue, 31. — 1872. De Buyer, Jules, inspecteur de la Société francaise d'archéo- logie, Grande-Rue, 102. — 1874. Caxez, chef de bureau à la préfecture. — 1862. Carrau, professeur de philosophie à la Faculté des lettres, place Saint-Amour. — 1871. Casran, Auguste, bibliothécaire, correspondant de l’Institut, membre non résidant du Comité national des sociétés sa- vantes, Grande-Rue, 86. — 1856. Caaroy, Léon, docteur en médecine, rue des Granges, 17. — 1875. DE CHarponwer (le comte), ancien élève de l'Ecole polytech- nique, rue du Chateur, 20. — 1856. CHarLes, Félix, directeur de la Société générale, Grande-Rue, 72. — 1873. CuarLeT, Alcide, avocat, Grande-Rue, 135. — 1872. CHATELAIN, Paul, élève en pharmacie, quai de Strasbourg, 1. — 1876. CaevanDieR, Georges, propriétaire, au château du Grand- Vaire, près Besancon. — 1876. Caevier, Francois, propriétaire, rue des Granges, 19. — 1876. * Caorarp, professeur d'histoire et doyen de la Faculté des lettres de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). — 1866. Conpre, Gaston, artiste-graveur, Grande-Rue, 12. — 1876. CocLoupan, Jules, relieur de livres, Grande-Rue, 58. — 1875. — 538 — MM. Corner, Antoine, avoué près la Cour d'appel, rue des Cham- brettes, 6. — 1875. Cosre, Léandre, fabricant d’horlogerie, rue Morand, 16. — 1876. Coucaup, Adolphe, comptable, rue Rivotte, 17 ter. — 1875. CouLon, Henri, avocat, rue de la Lue, 7. — 1856. CourGey, avoué, rue des Granges, 16. — 1873. CourTIER, négociant, rue Battant, 18. — 1876. Courror, Théodule, commis-greffier de la Cour d'appel; à la Croix-d'Arènes ‘banlieue). — 1866. CourenorT, professeur à l'Ecole de médecine, médecin en chef des hospices, Grande-Rue, 44. -- 1852. CRETIN, Emile, professeur de mathématiques spéciales au Lycée, Grande-Rue, 126. — 1876. CuExIN, Edmond, pharmacien, rue des Granges, 40.— 1863. Cuizter, relieur de livres, rue Granvelle, 30. — 1870. Dacuin (le baron), conseiller à la Cour d'appel, membre du conseil général, rue de la Préfecture, 23. — 1865. Daugran-Deuisce, Henri, directeur des contributions directes, rue Neuve, 4. — 1874. Davin, notaire, adjoint au maire, Grande-Rue, 107. — 1858. DEBAUCHEY, ancien pharmacien ; aux Chaprais. — 1871. Decracroix, Alphonse, architecte de la ville. — 1840. DELAGRANGE (Charles), imprimeur-lithographe, Grande-Rue, 73. — 1872. DeELaveLLe, Victor, rue de la Préfecture, 16. -— 1873. DEmoxGEoT, inspecteur des écoles communales, rue Neuve, 24 bis. — 1872. Daexizor, receveur de l’Asile départemental, rue des Granges, 60. — 1871. Dérrey, Just, banquier, Grande-Rue, 96. — 1857. Diérricu, Bernard, négociant, membre du conseil des pru- d'hommes, Grande-Rue, 71. — 1859. Donivers, Joseph, imprimeur, Grande-Rue, 87. — 1875. — 539 — MM. Dusosr, Jules, maître de forges, rue Sainte-Anne, 2. — 1840. Ducar, Alfred, architecte des bâtiments de l'Etat, rue Sainit- Pierre, 19. — 1853. Duxop DE CHARNAGE, avocat, rue des Chambrettes, 8. — 1863 Durer, géomètre, rue Neuve, 28. — 1858. Duruprr, notaire, rue des Granges, 46, — 1875. EHRENSPERGER, secrétaire de la Société des salines de Mise- rey, rue d'Arènes, 5 et 8. — 1874. Erms, Edmond, propriétaire, membre du conseil municipal, rue Morand, 6. — 1860. Ets, Ernest, propriétaire, Grande-Rue, 91.— 1855. Fapy. directeur d'usine, rue Neuve-Saint-Pierre, 13. — 1871. Favre, Adolphe, professeur à l'Ecole de médecine, Grande- Rue, 76. — 1862. FaucouPRé, Philippe, professeur d'agriculture du département du Doubs, Grande-Rue, 86. — 1868. Fernier, Albert, négociant, Grande-Rue, 39. — 1876. FERNIER, Louis, fabricant d'horlogerie, ancien maire de la ville et ancien député à l’Assemblée nationale, rue Ron- chaux 321859, Frrscx, Léon, entrepreneur de maçonnerie, membre du con- seil des prud'hommes, rue du Clos, 12. — 1865. Fzagey, Camille, industriel, membre du conseil général du Doubs, rue de l'Orme-de Chamars, 10. — 1877. Foix, agent principal d'assurances, Grande-Rue, 107.— 1865. * ForTUNÉ, Pierre-Kélix, chef du service commercial des forges de Franche-Comté, rue Granvelle, 17. — 1865. Fouix, Auguste, mécanicien, rue de l’Arsenal, 9.— 1862. * GazLorri, Léon, ancien professeur à l'Ecole d'état-major ; Bazas (Gironde). — 1866. Fournier, Louis, employé des ponts et chaussées, Graude- Rue, 111. — 1872. — 540 — MM. : | GassmaxN, Emile, rédacteur en chef du Courrier franc-comtois, Grande-Rue, 87. — 1867. DE (rassowski, artiste peintre, rue Neuve, 36. — 1875. GAUFFRE, receveur principal des postes en retraite, rue Mo- rand, 11. — 1862. * GAUTHIER, Jules, archiviste du département du Doubs, correspondant du ministère de l’Instruction publique, rue Neuve, 8. — 1866. GIGANDET, propriétaire, faubourg Tarragnoz. — 1872. GirarpoT, Albert, docteur en médecine, rue Saint-Vincent, 15. — 1876. GirarpoT, Régis, banquier, rue Saint-Vincent, 15.— 1857. Girop, Achille, propriétaire ; Saint-Claude {banlieue).— 1856. Girop, avoué, rue Moncey, 5. — 1856. Giron, Victor, ancien adjoint au maire, Grande-Rue, 70. — 1859. GLORGET, Pierre, huissier, Grande-Rue, 58. — 1859. DE Goumois, Charles, directeur d'usine ; à la Butte (banlieue). — 1862. Gran», Charles, directeur de l'enregistrement et des domaines, Grande-Rue, 86. — 1852. GRAND, Jean-Antoine, greffier de paix du canton sud de Be- sancon, rue Morand, 12. — 1868. Gresser, Félix, général commandant l'artillerie du 7° corps d'armée, rue Neuve, 3. — 1866. : Grévy, Albert, avocat, député à l’Assemblée nationale. — 1870. GRrosJEAN, Alexandre, avocat, rue Neuve-Saint-Pierre, 9. — 1876. GROSJEAN, Francis, ancien bijoutier, rue du Mont-Sainte- Marie, 8. — 1859. GROSRICHARD, pharmacien, place de l’'Abondance, 17. 1870. GscawiNp, ancien notaire, Grande-Rue, 73, — 1873. — dl — MM. GUENOT, Auguste, négociant, rue du Chateur, 17. — 1872. GuicxarD, Albert, pharmacien, rue d'Anvers, 3. — 1853. GurENET, ingénieur des forges de Gouille. — 1873. GUILLEMIN, ingénieur-constructeur, rue Battant, 37. — 1840. Guizin, libraire, rue Battant, 3. — 1870. Hazpy, fabricant d'horlogerie, rue Saint-Jean, 3.— 1859. HELL, Thiébaud, négociant, Grande-Rue, 32. — 1872. HExry, Jean, docteur ès sciences, professeur de physique au Lycée, place Saint-Amour, 12. — 1857. Henry, (le baron Edouard), littérateur, rue de la Préfecture, 29. — 1876. Henry, (le baron Gaston), ancien élève de l'Ecole polytech- nique, capitaine d'artillerie de réserve, rue de la Préfec- ture, 29. — 1876. Hézarp, Albert, négociant, rue Neuve-Saint-Pierre, 15. — 1876. Hizp, Antoine, professeur agrégé au Lycée, rue Battant, 114. — 1877. Hory, propriétaire, rue de Glères, 17.— 1854. Huarr, Arthur, avocat-général près la Cour d'appel, rue de la Préfecture, 13. — 1870. JEANNINGROS, pharmacien, place Saint-Pierre, 6. — 1864. JEANNOLLE, Charles, élève en pharmacie, rue du Chateur, 16. — 1876. JEANNOT-DROz, Alphonse, fabricant d'horlogerie, Grande- Rue, 103. — 1870. JÉGo, contrôleur des bois de la marine, rue de la Préfecture, 25. — 1872. DE JOUFFROY (le comte Joseph), membre du conseil général ; au château d’Abbans-Dessous et à Besançon, rue du Cha- pitre, 1. — 1853. DE JOUFFROY (le vicomte Louis), rue du Chapitre, 1. — 1871. Kzeix, Auguste, propriétaire, rue Saint-Vincent, 28. — 1858. — 242 — MM. Lacoste, archiviste-adjoint du département du Doubs, rue Rivotte, 10. — 1870. LauBEerT, Léon, ingénieur en chef des ponts et chaussées en retraite, rue Moncey, 12. — 1852. LauRENs, Paul, président de la Société d'agriculture du Doubs, ancien adjoint au maire, rue de la Préfecture, 15. — 1854. * LeBEAuU, négociant, place Saint-Amour, 2 bis. — 1872. LE BLeu, Louis, avocat, rue Neuve, 28. — 1877. Le CHATELIER, Henry, ingénieur des mines, rue Neuve, 2. — 1875. LEBRETON, directeur de l'usine à gaz, Grande-Rue , 97. — 1866. Lepoux, Emile, docteur en médecine, quai de Strasbourg, 13. — 1875. LEGRas, Armand, négociant, Grande-Rue, 32. — 1872. LE Grix, Victor, substitut du procureur général, rue du Clos, 31. — 1876, Lexrs, Jacob, propriétaire ; à la Grette (banlieue de Besan- con). — 1875. Le Mir, Paul- Noël, avocat, rue de la Préfecture, 17.— 1876. LÉPAGNOLE, médecin ; Saint-Ferjeux (banlieue). — 1873. LEsBRos, fabricant d’horlogerie, rue Morand, 16. — 1876. LHOoMME, Louis, surnuméraire de l'enregistrement, rue Neuve, 5. — 1876. LiEFFROY, Aimé, propriétaire, administrateur des forges de Franche-Comté, rue Neuve, 11. — 1864. DE LONGEVILLE (le comte), propriétaire, rue Neuve, 7.— 1855. Louvor, Hubert, notaire, Grande-Rue, 48. — 1860. Louvor, (l'abbé Fernand), professeur d'histoire au collége Saint-François-Xavier. — 1876. Mare, ingénieur en chef des ponts et chaussées, rue Neuve, 15. — 1591. — 543 — MM. Marmor, Félix, banquier, président du tribunal de commerce, rue de la Préfecture, 17. — 1857. Marror, Edouard, propriétaire, Grande-Rue, 86. — 1865. MaisonNer, Auguste, négociant, rue Saint-Pierre, 13. — .… 1869. Marion, Olympe, mécanicien; Casamène (banlieue).— 1857. Mario, Charles, libraire, place Saint-Pierre, 2. — 1868. Marquiser, Léon, ancien magistrat, membre du conseil gé- néral de la Haute-Saône, rue Neuve, 28. — 1874. Marreau, professeur de comptabilité, rue Neuve-Saint- Pierre, 6. — 1875. MarTiN, Jules, manufacturier; Casamène (banlieue). — 1570. LarTin, Léonce, licencié en droit, ancien avoué, rue Saint- Vincent, 13. — 1874. MaAZzOYHIE, ancien notaire, rue des Chambrettes, 12. — 1840. Meynier, Joseph, médecin-major au 3e bataillon de chasseurs à pied, rue Neuve, 17. — 1876. Micaup, Jules, directeur en retraite de la succursale de la Banque, ancien juge au tribunal de commerce, place Saint- Amour, 3. — 1855. Micuez, Brice, architecte paysager; Fontaine-Ecu (banlieue). — 1865. Mior, Camille, négociant, Grande-Rue, 62. — 1872. Monnier, Louis, pharmacien, rue Ronchaux, 23. — 1876. Monnier, Paul, correcteur d'imprimerie, rue Saint-Vincent, 21. — 1860, Monxor, Laurent, propriétaire, Grande-Rue, 100. — 1875. Moquin-T'anpon, Gaston, professeur à la Faculté des sciences, rue d'Anvers, 2. — 1875. Morez, Ernest, docteur en médecine, rue Moncey, 12. — 1863. MoscHeNros, professeur d'allemand au Lycée, rue Moncey, 2. — 1874, — 544 — MM. Mouror, Léonce, percepteur, rue Neuve, 8. — 1876 MouTRiLLe, Alfred, banquier, rue de la Préfecture, 31. — 1856. MusseLIN, comptable, Grande-Rue, 82. — 1872. NarGaAuUD, Arthur, docteur en médecine, rue Battant, 25-25. — 1875. ORniNaIRE, Olivier, imprimeur et publiciste, Grande-Rue, 6. — 1876. D'OrivaL, Léon, propriétaire, rue du Clos, 22. — 1854. D'Orivaz, Paul, président à la Cour d'appel, place Saint-Jean, 6. — 1852. OuperT, Gustave, avocat, maire de la ville, sénateur, rue Moncey, 2. — 1855. Ourson, Gustave, directeur de la succursale de la Banque, rue de la Préfecture, 19. — 1873. OUTHENIN-CHALANDRE, Joseph, ancien juge au tribunal de commerce, Grande-Rue, 73. — 1858. PaILLOT, Justin, pharmacien; aux Chaprais. — 1857. ParGuEz (le baron), docteur en médecine, adjoint au maire, Grande-Rue, 106. — 1857. Pécaaup, Paul, licencié en droit, rue Ronchaux, 12. — 1876. PERNARD, négociant, rue de Chartres, 8. — 1868. PERRON, Charles, docteur en médecine, membre du conseil municipal; route de Baume (banlieue). — 1877. PERRUCHE DE VELNA, substitut du procureur général, rue Saint-Vincent, 18. — 1870. Pérey, chirurgien-dentiste, Grande-Rue, 70. — 1842. PerireuenoT, Paul, avoué près la Cour d'appel, Grande-Rue, 107.— 1869. Picar», Arthur, banquier, chef de bataillon de l'armée terri- toriale, Grande-Rue, 48. — 1867. Pierre, Albert, professeur agrégé au Lycée de Besançon, rue Granvelle, 24. — 18706. — 545 — MM. Praugr, Emmanuel, fabricant d'horlog., place Saint-Pierre, 9. — 1856. PiNGauD, Léonce, professeur d'histoire à la Faculté des let- tres, Grande-Rue, 74. — 1874, Poux, docteur en médecine, médecin aide-major à l'hôpital militaire. — 1877. Porier, Joseph, entrepreneur de plâtrerie, rue Ronchaux, 8. — 1870. Pourer, Emile, négociant, juge au tribnnal de commerce, rue de la Lue, 6. — 1877. DE PRrinsac (le baron), employé des télégraphes, rue de la Préfecture, 2, — 1873. Proupaon, Camille, conseiller honoraire à la Cour d’ appel, rue des Granges, 23. — 1856. Race, Louis, négociant, ancien adjoint au maire, rue Bat- tant, 7. — 1857. Racine, Pierre, négociant, rue Battant, 7. — 1859. Rascoz, Léon, ingénieur des ponts et chaussées, Grande- Rue, 86. — 1874. Ravier, Francois-Joseph, ancien avoué ; Saint-Claude [ban- lieue). — 1858. ResouL, doyen de la Faculté des sciences et professeur à l’E- cole de médecine, rue Neuve, 8. — 1861. * Renaup, Alphonse, docteur en droit, rédacteur à la direc- tion de l'enregistrement ; Lyon. — 1869. RenauD, François, négociant, abbaye Saint-Paul. — 1859. Renau», Victor, agent comptable de la caisse d'épargne, rue de la Préfecture, 15. — 1865. Rerrouvey, Charles, boulanger, rue de Chartres, 1. — 1877. Reynaup-Ducreux, professeur à l'Ecole d'artillerie, rue Ron- chaux, 22. — 1840. RicHarp, Auguste, pharmacien, rue du Chateur, 16. — 1876. Rips, Paul, architecte, rue d'Anvers, 4. — 1873. RoxporT, Alcide, notaire, Grande-Rue, 113. — 1874. 99 — 546 — MM. Rouzer, Louis, ingénieur voyer de la ville, rue Neuve, 4. — 1874. SAILLARD, Albin, professeur à l'Ecole de médecine et chirur- gien des hospices, Grande-Rue, 136. — 1866. SAILLARD, Francis, bijoutier, rue de la Préfecture. 2.— 1874. SAILLARD, Léon, négociant, rue du Clos-Saint-Paul, 6. — 1877. SAINT-GINEST, Etienne, architecte du département du Doubs, rue de la Préfecture, 18. — 1866. DE SAINT-JUAN (le baron Charles), rue des Granges, 4. — 1869. SaixT-Lour, Louis, professeur à la Faculté des sciences, rue Neuve, 9. — 1872. DE SAINTE-AGATHE, Louis, ancien adjoint au maire, président du conseil d'administration des forges de Franche-Comté, rue d'Anvers, 1. — 1851. * Sancey, Louis, comptable, rue de la Préfecture, 10.— 1855. SavouREY, Charles-Arthur, fabricant de boîtes de montres en or, Grande-Rue, 124. — 1874. SIRE, Georges, docteur ès sciences, essayeur de la garantie, rue des Chambrettes, 15. — 1847. SOMMEREISEN, Charles, négociant, rue de Glères, 4. — 1872. TAILLEUR, propriétaire, rue d'Arènes, 33. — 1858. Tarzceur, Louis, attaché au secrétariat de l’Académie uni- versitaire, rue d'Arènes, 33. — 1868. Tissor, économe de l'Asile départemental, rue des Granges, 23. — 1868. Tiron, propriétaire, rue du Mont-Sainte-Marie, 2. — 1874. Trvier, Henri, doyen de la Faculté des lettres, rue du Cha- pitre, 19. — 1873. VaissiEr, Alfred, propriétaire, Grande-Rue, 109. — 1876. VALLUET, imprimeur, rue de Glères, 25. — 1874. VALTEFAUGLE, directeur des forges de Gouille. — 1873. VAUTHERIN, Francis, propriétaire, rue Saint-Pierre, 16. — 1875. MM. VAUTHERIN, Jules, membre du conseil général, rue du Cha- teur, 20. — 1853. Veiz-Picarp, Adolphe, banquier, inspecteur des sapeurs- pompiers du département, membre du conseil municipal, Grande-Rue, 14. — 1859. VermoT, Théodore, entrepreneur de maçonnerie; à la Mouil- lère (banlieue). — 1873. pe Vezer (le comte Edouard), lieutenant-colonel de l’armée territoriale, rue Neuve, 17 ter. — 1870. VÉzIAN, professeur à la Faculté des sciences, rue Neuve, 21. — 1860. ViaNaIN, Laurent, docteur en médecine, Grande-Rue, 49, — 1875. VIENNET, surveillant général au Lycée, rue Sainte-Anne, 3. — 1869. VorriN, Jules, pharmacien, quai de Strasbourg, 1. — 1876. VorsiN, Claude-François, propriétaire ; Montrapon (banlieue). — 1869. Vorsi, Pierre, propriétaire ; Montrapon (banlieue). — 1855. VouzEau, conservateur des forêts en retraite, rue des Granges, 38. — 1856. * VuiLcemoT, Albert, licencié en droit, avoué, rue Saint-Vin- cent, 41. — 1876. VuiLerET, Just, juge au tribunal, secrétaire perpétuel de l’Académie, rue Saint-Jean, 11.— 1851. WAILLE , professeur de mathématiques spéciales en retraite, rue du Lycée, 9. — 1872. WERLEIN, Amédée, négociant, rue des Granges, 44. — 1870. Zorn, Auguste, ancien professeur à l'Ecole d’horlogerie, place Saint-Amour, 7. — 1877. — 548 — Membres correspondants (244). MM. ANpré, Ernest, notaire; Gray (Haute-Saône). — 1877. ARMBRUSTER, Chargé des fonctions d'inspecteur d'Académie, à Belfort. — 1875. Barzzv, inspecteur d’Académie en retraite, membre du con- seil général de la Haute-Saône; Vesoul. — 1875. BALANCHE, Stanislas, ingénieur-chimiste ; au Houlme, près Malaunay (Seine-Inférieure). — 1868. DE BANCGENEL, chef de bataillon du génie en retraite; Liesle (Doubs). — 1851. BarraL, pharmacien, ancien maire de la ville de Morteau (Doubs). — 1864. BATAILLE, Paul, ingénieur des ponts et chaussées; Autun (Saône-et-Loire). — 1870. Baupranp, Joseph, sculpteur ; Dole (Jura). — 1874. Bexoîr , Claude-Emile, vérificateur des douanes ; Paris, rue du Faubourg-Saint-Martin, 188. — 1854. Bsxoîr, vérificateur des poids et mesures; Dole (Jura). — 1870. * BerrHauD, professeur de physique au Lycée de Mâcon (Saône-et-Loire). — 1860. BERTRAND, Alexandre, conservateur du Musée national de Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise). — 1866. * Besson, ingénieur ; Salins (Jura), rue d'Orgemont, 4. — 1859. Berre», Abel, imprimeur-lithographe; Lure (Haute-Saône). — 1802. * BEUQUE, triangulateur au service de la topographie algé- rienne ; Constantine. — 1853. Bey, Jules, horticulteur ; Marnay (Haute-Saône). — 1871. DE BiGor, lieutenant-colonel d'état-major ; Toulouse (Haute- Garonne). — 1868. — 549 — MM. Bixio, Maurice, agronome; Paris, rue de Rennes, 93. — 1866. pe BLonpEau, Stanislas, membre du conseil général du Doubs et maire de Saint-Hippolyte. — 1871. Bogizcter, Edouard, maire de la ville et suppléant du juge de paix; Clerval (Doubs). — 1875. Borssezer, archéologue ; Vesoul (Haute-Saône). — 1866. Borsson, Emile, propriétaire ; Moncley {Doubs). — 1865. * Bossu (l'abbé Léon); Vuillafans (Doubs). — 1875. BourzzeroT, Achille, archéologue ; Cintrey (Haute-Saône ). — 1874. * Bouizzer, Apollon ; Paris, rue de Grenelle-Saint-Honoré, 18. — 1860. BouLay (l'abbé), botaniste, professeur à l’école Belzunce; Marseille (Bouches-du-Rhône). — 1875. BouLzzer, inspecteur de l'Académie de Paris, en résidence à Melun (Seine-et-Marne). — 1863. BourcuerIETTE, Célestin, élève de l'Ecole centrale des arts et manufactures ; Paris. — 1876. Bousson, docteur en médecine; Poligny (Jura). — 1877. Bouraexor-PEuGEoT, vice-président de la Société d'Emulation de Montbéliard; Audincourt (Doubs). — 1869. * BRenn, professeur au Lycée de Vesoul | Haute-Saône). — 1857. BreLer, avocat, membre du conseil général du Doubs, an- cien maire de Baume-les-Dames. — 1872. * Brior, docteur en médecine, membre du conseil général du Jura ; Chaussin (Jura). — 1869. * Buouer, Alexandre, propriétaire ; Gray (Haute-Saône). — 1859. CarpoT DE LA Burrue, bibliophile; Paris, avenue de Neuilly (Batignolles), et au Val Saint-Eloy (Haute-Saône). — 1873. CarLeT, Joseph, ingénieur des ponts et chaussées ; Beaune (Côte-d'Or). — 1858. — 590 — MM. Care, conducteur de travaux de chemin de fer; Gercy-la- Tour (Nièvre). — 1856. CaARPENTIER, Louis, propriétaire ; Baume-les-Dames (Doubs). — 1874. CARTEREAU . docteur en médecine; Bar-sur-Seine (Aube). — 1858. CasrTan, Francis, chef d'escadron d'artillerie à la poudrerie du Bouchet (Seine-et-Oise). — 1860. * CHampIN, ancien sous-préfet ; Baume-les-Dames. — 1865. Cxaroy, Henri, professeur; Melun (Seine-et-Marne). — 1875, Cuapuis, Louis, pharmacien ; Chaussin {Jura}. — 1869. CHARMOILLE, Francis, maire d'Oiselay (Hte-Saône). — 1871. Carry, Léon, archéologue ; Saint-Amour (Jura). — 1870. CHATELET, curé de Cussey-sur-l’Ognon | Doubs). — 1868. * CHazauD, archiviste du département de l'Allier; Moulins. — 1865. CHERBONNEAU, directeur du collége arabe, correspondant de l’Institut; Alger, Tournant-Rivogo, 74. — 1857. CHervin aîné, directeur-fondateur de l'Institution des Bègues; Paris, avenue d’Eylau, 90. — 1869. * CorraT, Paul, géologue ; Zurich (Suisse). — 1869. CLaupow, Félix, curé de Lods ( Doubs). — 1873. * CLoz, Louis, peintre ; Lons-le-Saunier (Jura). — 1863. Cozarp, Charles, architecte; Lure ({ Haute-Saône). — 1864. CouiN, Gustave, député et membre du conseil général du Doubs; Pontarlier. — 1864. * CoNTEJEAN, Charles, professeur à la Faculté des sciences de Poitiers (Vienne). — 1851. Corpier, Jules-Joseph, vérificateur des douanes ; Saint-Na- zaire (Loire-Inférieure). — 1862. Coste, docteur en médecine et pharmacien de première classe ; Salins (Jura). — 1866. * CorTEau, juge au tribunal de première instance; Auxerre (Yonne). — 1860. — 551 — MM. Course, imprimeur-lithographe; Dole (Jura). — 1875. Courger, Ernest, chef de bureau à la Préfecture de la Seine; Paris, rue de Lille, 30. — 1874. * CourxerurT, Aristide, notaire; Lure (Haute-Saône). — 1862. * CRÉBELY, Justin, employé aux forges de Franche-Comté ; Moulin-Rouge, près Rochefort (Jura). — 1865. Decacroix, Adrien-Emile, chimiste ; la Froidière, commune de Roset-Fluans (Doubs). — 1877. Dsracroix, Emile, professeur honoraire à l'Ecole de médecine _ de Besancon, médecin-inspecteur des eaux de Luxeuil. — 1840. DereuLe, instituteur ; Jougne { Doubs). — 1863. DéprerRes, Auguste, avocat, bibliothécaire de la ville de Lure (Haute-Saône). — 1859. DEroze (l'abbé), curé de Chargey-lez-Gray (Haute-Saône). — 1877. * DesserTINE, Edmond, directeur de forges; Longchamp, par Clairvaux (Aube). — 1866. Derzem, ingénieur en chef des ponts et chaussées; Niort (Deux-Sèvres). — 1851. * Deuzun, Eugène, banquier ; Epernay (Marne). — 1860. DEVARENNE , Ulysse, capitaine de vaisseau de la marine na- tionale ; Toulon (Var). — 1867. Devaux, ancien pharmacien; Gy (Haute-Saône). — 1860. Devaux (l'abbé), curé de Saint-Marcel, près Vitrey [Haute- Saône). — 1872. Dorner, chef de service de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon; Paris, rue Richer, 4. — 1857. * Donnier, pharmacien ; Morteau (Doubs). — 1873. Drapeyron, Ludovic, docteur ès lettres, professeur d'histoire au Lycée Charlemagne, directeur de la Revue: de géogra- phie; Paris, rue des Feuillantines, 69. — 1866. Drunex, Alphonse, juge suppléant à Baume-les-Dames. (Doubs). — 1875, — 592 — MM. Ducar, Auguste, docteur en médecine, médecin du bureau de bienfaisance du 19° arrondissement de Paris. — 1873. Duray, Jules, notaire ; Salins (Jura). — 1875. Dumorrier , Eugène, négociant; Lyon, avenue de Saxe, 97. — 1857. Erms, Léon, inspecteur des forêts; Bonneville (Haute-Savoie) — 1868. Farvre, Pierre, apiculteur ; Sassenay, par Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). — 1865. * FazLor fils, architecte ; Montbéliard (Doubs). — 1858. * Favre, Alphonse, professeur à l’Académie de Genève (Suisse). — 1862. FEuvrier (l'abbé), curé de Montbéliard (Doubs). — 1856. Fozrère, (l'abbé), curé de Verne (Doubs). — 1858. Francois, Camille, censeur des études au Lycée de Laval (Mayenne). — 1875. * pe FROMENTEL, docteur en médecine ; Gray (Haute-Saône). — 1857. GazmicHE, Roger, avocat, membre du conseil général de la Haute-Saône; Vesoul. — 1875. GAFFAREL, professeur d'histoire à la Faculté des lettres de Dijon. — 1868. Garnier , Georges, avocat; Bayeux { Calvados). — 1867. GARNIER DE FALLETANS, Charles, garde général des forêts ; Gannat (Allier). — 1874. Gasconx, Edouard, agent voyer d'arrondissement ; Fontaine- Française (Côte-d'Or). — 1868. GauTHIER, docteur en médecine; Luxeuil ( Haute-Saône). — 1868. Gérarp, Edouard, propriétaire, ancien adjoint au maire de Besancon; Yvoire, près Thonon (Haute-Savoie). — 1854. GÉraRp, Jules, professeur à la Faculté des lettres de Clermont- Ferrand (Puy-de-Dôme). — 1865. PP — 553 — MM. Gevrey, Alfred, procureur de la République ; Aurillac (Can- tal}. — 1860. Ginpre, docteur en médecine ; Pontarlier (Doubs) — 1869. * GIRARDIER, agent voyer d'arrondissement; Pontarlier (Doubs). — 1856. Giron, Léon, receveur de l'enregistrement; Pont-de-Roide (Doubs). -- 1870. * Girop, Louis, architecte ; Pontarlier { Doubs). — 1851. Giro, Louis, docteur en médecine ; Pontarlier (Doubs). — 1870. * Gopron, ancien recteur, doyen honoraire de la Faculté des sciences de Nancy (Meurthe-ct-Moselle). — 1843. Goquez, médecin-major au 42° de ligne. — 1875. * GRANDMOUGIN , architecte de la ville et des bains de Luxeuil (Haute-Saône). — 1858. GuiLzzemN, Louis, attaché au ministère des affaires étran- oères, membre du conseil général du Doubs ; Rougemont (Doubs). — 1873. * GuiLzemor, Antoine, entomologiste; Thiers (Puy-de-Dôme). — 1854. Guinanp, Jules-Albin, essayeur-juré du bureau de contrôle de Neuchâtel (Suisse). — 1875. Hazuer, Adrien, architecte; Paris, boulevard du Temple, 33. — 1874. HENNEQUIN, Frédéric, président de la Société de topographie; Paris, rue de Verneuil, 43. — 1876. Horrmanx, imprimeur ; Montbéliard (Doubs). — 1873. Hucox, Charles, littérateur ; Moscou (Russie). — 1866. * Jaccarp, Auguste, professeur de géologie à l’Académie de Neuchâtel (Suisse) ; au Locle. — 1860. JANET, Albert, négociant ; Saint-Vit (Doubs). — 1877. JAvEL, Emir, imprimeur; Arbois (Jura). — 1875. JEANNENEY, Victor, professeur de dessin au Lycée de Vesoul (Haute-Saône). — 1858. — 554 — MM. JEANNIN (l'abbé), curé de Déservillers ( Doubs). — 1872. Join, Alphonse, avocat; Lons-le-Saunier (Jura). — 1872. JuxG, Théodore, chef d’escadron d'état-major; Lille (Nord). — 1872. * JURGENSEN , Jules, littérateur ; au Locle ( Suisse). — 1872. * Kocauin, Oscar, chimiste ; Dornach (Alsace). — 1858. KoxLer, Xavier, président honoraire de la Société jurassienne d'Emulation ; Porrentruy (Suisse). — 1861. * KonLmanN, ancien receveur du timbre, Angers ( Maine- et-Loire). — 1861. * Kozzer, Charles, constructeur ; Jougne { Doubs). — 1856. * Lamorre, directeur de hauts-fourneaux ; Ottange, par Au- metz (Lorraine). — 1859. * LanGLois, juge de paix ; Dole (Jura). — 1854. LanTernier, chef du dépôt des forges de Larians ; Lyon, rue Sainte-Hélène, 14. — 1855. * LaurenT, Ch., ingénieur civil ; Paris, rue de Chabrol, 35. — 1860. LeBauLr, Armand, docteur en médecine; Saint-Vit (Doubs). — 1876. Le BruN-DALBANNE, archéologue ; Troyes (Aube). — 1868. LecerC, Francois, archéologue et naturaliste ; Seurre ( Côte- d'Or). — 1866. Le Moxnier, professeur à la Faculté des sciences de Poitiers (Vienne). — 1875. * Leras, inspecteur d'académie; Auxerre (Yonne). — 1857. Lomme, Victor, directeur des douanes en retraite; Paris, boulevard Péreire, 191. — 1842. Lomme, botaniste, employé à l'hôtel de ville de Vesoul (Haute-Saône). — 1875. * Licrer, Arthur, pharmacien ; Salins {Jura ). — 1863. LoxGix, Emile, avocat; Dijon, rue Chabot-Charny, 40. — 1874. — 5 — MM. Lory, correspondant de l’Institut, professeur de géologie à la Faculté des sciences de Grenoble (Isère). — 1857. LourDEL, vétérinaire en premier au o° régiment d'artillerie. — 1874. Lumière, photographe ; Lyon, rue de la Barre, près de Ecole de médecine. — 1869. Lyaurey, Claude-Baptiste, professeur de langue française, à Odessa (Russie). — 1874. MacHarD, Jules, peintre d'histoire, ancien pensionnaire de l’Académie de France à Rome; Paris. — 1866. * MarccarD, docteur en médecine; Dijon (Côte-d'Or). — 1855. Mairey (l'abbé), professeur au séminaire de Vesoul. — 1874. Maisonxer {l'abbé), curé de Chaucenne { Doubs). — 1856. * pe Manpror, colonel fédéral ; Neuchâtel (Suisse). — 1866. pe Manpror, Bernard, archiviste-paléographe ; Paris, boule- vard Haussmann, 148. — 1870. MarcHanT, Louis, docteur en médecine, conservateur du musée d'histoire naturelle de Dijon (Côte-d'Or). — 1877. Marcou, Jules, géologue ; Paris, boulevard Saint-Michel, 81. — 1845 Marzer, Adolphe, conseiller de préfecture ; Dijon (Côte-d'Or). — 1852. pe Marin (le duc), membre du conseil général de la Haute- Saône; Paris, rue de l'Université, 39. — 1867. Marquiser, Gaston, propriétaire, membre du conseil général de la Haute-Saône; Fontaine-lez-Luxeuil (Haute-Saône). — 1858. | Marin, docteur en médecine; Aumessas { Gard). — 1855. * Maruey, Charles, pharmacien ; Ornans (Doubs). — 1856. Méuu, Adolphe, pharmacien de 1" classe; Villefranche (Rhône). — 1876. pe MENTuoN, René, botaniste; Menthon { Haute-Savoie). — 1854. — 556 — MM. Mérix, Georges, agent voyer d'arrondissement; Baume-les- Dames (Doubs). — 1868. Mrcxeor , ingénieur en chef des ponts et chaussées; Paris, rue de la Chaise, 24. — 1858. MiGNarD, Correspondant du ministère de l’Instruction pu- blique ; Dijon (Côte-d'Or). — 1868. * Monnier, Eugène, architecte; Paris, rue Billault, 19. — 1866. Moxnier, Louis, professeur d'histoire au collége de Chalon- sur-Saône (Saône-et-Loire). — 1873. Moquery, ingénieur des ponts et chaussées ; Dijon (Côte- d'Or). — 1873. Moquix-Tanpow. Olivier, littérateur; Paris, rue Monsieur-le- Prince, 25. — 1875. Morer,, Eugène, homme de lettres; Courchaton (Haute-Saône). — 1873. | Morérin, docteur en médecine ; Paris, rue de Rivoli, 68. — 1857. ) Mouror , instituteur public ; Saône { Doubs). — 1870. pe Mousrier (le marquis); château Bournel, par Rougemont (Doubs). — 1874. Muenier, Henri-Auguste, ingénieur-architecte ; Paris, rue de Lafayette, 163. — 1868. Muxrer, médecin ; Foncine-le-Haut (Jura). — 1847. DE NERvaux, Edmond, directeur général de l'Assistance pu- blique; Paris. — 1856. ORDINAIRE DE LACOLONGE, chef d’escadron d'artillerie en re- traite ; Bordeaux (Gironde). — 1856. * ParaANDIER, inspecteur général des ponts et chaussées en retraite, président de la Société de viticulture d'Arbois (Jura). — 1852. Paris, docteur en médecine ; Luxeuil (Haute-Saône). — 1866. Parisot, Louis, pharmacien et maire de Belfort. — 1855. mn om toumenvs dd à mé À Éd Éd , S SS MS à sn de te nn dés ont Et æ — 557 — MM. | Passrer, Alphonse, lieutenant d'infanterie; Dole (Jura). — 1874. Passier, Henri, bibliophile ; Dole (Jura). — 1874. PATEL, ancien maire de Quingey (Doubs). — 1866. Pécnoix, Charles, instituteur public; Glay, par Blamont (Doubs). — 1874. PécouL, Auguste, archiviste-paléographe, secrétaire d'ambas- sade ; château de Villiers, à Draveil (Seine-et-Oise).— 1865. * PERRoN, conservateur du musée de la ville de Gray (Haute- Saône). — 1857. * Pgssières, architecte ; Pontarlier { Doubs). — 1853. Perir, Jean, statuaire ; Paris, rue d'Enfer, 89, — 1866. Peucsor, Constant, ancien membre du conseil général ; Au- dincourt (Doubs). — 18357. Prersox, Octave, instituteur public ; Cussey - sur - Lison (Doubs). — 1877. PinarRe, Jules, juge de paix ; Clerval (Doubs). — 1868. * Porsor, Maurice, avocat; Dijon (Côte-d'Or), rue Buffon, 4. — 1870. Pozy, négociant; Breuches (Haute-Saône). — 1869. Pôxe, docteur en médecine; Pontarlier (Doubs). — 1875. Prosr, Bernard, archiviste du Jura, correspondant du mi- nistère de l’Instruction publique; Lons-le-Saunier (Jura). — 1867. Proupxon, Hippolyte, membre du conseil d'arrondissement, maire d'Ornans (Doubs). — 1854. Proupxon, Léon, ancien maire de la ville de Besançon ; Or- nans (Doubs). — 1856. * QuéLer, Lucien, docteur en médecine ; Hérimoncourt (Doubs), — 1862. Quiquerez, ancien préfet de Delémont; Bellerive, canton de Berne (Suisse). — 1864. * REcevEUR , Jules, notaire ; Cuse, près Rougemont | Doubs). — 1874. — 058 — MM. Repper, commis des douanes; Jougne (Doubs). — 1868. * RexauD, Alphonse, officier principal d'administration des hôpitaux militaires en retraite; Paris, rue d'Amsterdam, 69. — 1855. * Renaup, Edouard, chef de bataillon d'infanterie. — 1868. RexauD, docteur en médecine; Goux-lez-Usiers (Doubs). — 1854. RenauDIN, Jules, représentant de la compagnie des eaux de Vichy ; Marseille (Bouches-du-Rhône). — 1873. RenauDiN, Francois-dJustin, instituteur public; Fontain (Doubs). — 1874. RexauLrT, Ferdinand, botaniste, lieutenant au dépôt de re- monte de Guéret (Creuse). — 1875. Re£vox, Pierre, banquier; Gray (Haute-Saône). — 1858. Ricaarp, Ch., docteur en médecine; Autrey-lez-Gray (Haute- Saône). — 1861. RiNGUELET, Eusèbe, industriel; Trécourt (Haute-Saône). — 1873. Rogertr, Achille, bibliothécaire de la ville de Valence (Drôme). — 1873. Romaxowski, photographe ; Montpellier, rue Saint-Guilhelm, 42. — 1874. RouGer, docteur en médecine ; Arbois (Jura). — 1856. Roy, Jules, secrétaire de l'Ecole des Chartes et professeur à l'Ecole des hautes études ; Paris. — 1867. Rurrier, architecte ; Dole (Jura). — 1873. Sagcio, Camille, ingénieur aux forges d’Audincourt (Doubs). — 1871, * SaILLARD, Armand, négociant; Villers-lez-Blamont (Doubs). — 1877. SARRAZIN, propriétaire de mines; Lons-le-Saunier (Jura). — 1862. * pe SaussurRE, Henri, naturaliste; château de la Charnéa, près Bonne-sur-Ménage (Haute-Savoie). — 1854. — 099 — MM. SAUTIER, chef de bataillon du génie en retraite; Vesoul (Haute- Saône). — 1848. SEBILE, propriétaire; Mouthier-Haute-Pierre (Doubs). — 1857. S1CARD, Jules, négociant; Dijon (Côte-d'Or). — 1875. TarzLarD, docteur en médecine, membre du conseil d’arron- dissement de Montbéliard ; Maîche (Doubs). — 1877. * THénarD (le baron), membre de l'Institut [Académie des sciences); Talmay (Côte-d'Or). — 1851. Taierry, Gilbert, ancien auditeur de 1° classe au Conseil d'Etat; Paris, rue Saint-Dominique-Saint-Germain, 76. — 1868. Terry, Jacques-Amédée, capitaine d'état-major ; Clermont- Ferrand. — 1873. Taurir, Charles, juge de paix; Rougemont (Doubs).— 1869. Tougin, Charles, professeur au collége arabe d’Alger.— 1856. Tour&NoOL, principal du collége de Baume-les-Dames (Doubs). — 1873. * Tournier, Ed., maître de conférences à l'Ecole normale, sous-directeur à l'Ecole des hautes études; Paris, rue de Vaugirard, 92, — 1854. TourNiER, Paul, docteur en médecine; Morteau (Doubs). — 1866. TRAvEeLET, Nicolas, propriétaire, ancien maire de Bourgui- gnon-lez-Morey (Haute-Saône). — 1857. * Travers, Emile, conseiller de préfecture ; Caen (Calvados). — 1869. * TrrPPLuIN, Julien, représentant de l'horlogerie bisontine à Londres (Hart street Bloomsbury, 13). — 1868. TrucHELUT, photographe ; Paris, rue Richelieu, 98. — 1854. Tustey, Alexandre , archiviste aux Archives nationales; Pa- ris, place Wagram, 4. — 1863. VALFREY, Jules, sous-directeur au ministère des Affaires étrangères ; Paris, rue de Rivoli, 180. — 1860. — 560 — MM, VAILLANDET, médecin; Pin-l’Emagny (Haute-Saône).— 1876. Vaussier, Jules, fabricant de papiers; Marnay, par Azay-le- Rideau (Indre-et-Loire). — 1877. VARAIGNE , sous-directeur des contributions indirectes; Ver- sailles (Seine-et-Oise). — 1856. VENDRELY, pharmacien ; Champagney (Haute-Saône).—1863. Vrarp, Alexandre, notaire et maire, à Hortes (Haute-Marne). — 1872. Vigize, Emile, libraire, maison Victor Masson; Paris, rue de l’'Ecole-de-Médecine, 17. — 1862. ViezLaRDp, Léon, propriétaire et maître de forges ; Morvillars (Haut-Rhin). — 1872. * DE ViGnauD, Eugène, littérateur ; Paris, rue des Francs- Bourgeois, 34. — 1875. Vorsix, Honoré, ingénieur des mines; Moulins (Allier) — 1874. * WaLcon, Henri, agrégé de l'Université, manufacturier; Rouen, Val d'Eauplet, 4. — 1868. * WILLERME, Colonel des sapeurs-pompiers de Paris en retraite. — 1869. ZAREMBA, vérificateur de l'enregistrement; Pontarlier (Doubs,;. — 1869. ZeLLer, professeur d'histoire au Lycée de Nancy. — 1871. — o61 — SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES (118). Le millésime indique l’année dans laquelle ont commencé les relations. a FR2£eNCE Comité des travaux historiques et des sociétés savantes près le Ministère de l'Instruction publique (deux évemplares des MÉMONTES) 2 TER a ere 1856 Ain Société d'Emulation de l'Ain; Bourg....,........... 1860 Aisne Société académique des sciences, arts, belles-lettres, agriculture et industrie de Saint-Quentin.......... 1862 Allier Société des sciences médicales de l'arrondissement de Canal. hr ee us © serons VS 1851 Société d'Emulation du département de l'Allier; Mou- UE PRE Te cn CU de 2 ste 0 OLD Aipes-Maritimes Société des lettres, sciences et arts des Alpes-Maritimes ; NICE A TE NES à. LEP D 1867 Ardèche Société des sciences naturelles et historiques de l'Ar- déchE ETS 1070 pe ARE ss | 47" Aube Société académique de l'Aube; Troyes......... ak DUT — 562 — Aveyron Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron; Ro- HORREUR Ed Eee à niet as 1876 Bouches-du-Rhône Société de statistique de Marseille......,........,.. 1867 Académie des sciences, belles-lettres et arts de Marseille. 1867 Société de géographie de Marseille.......,......... 1877 Calvados Société Linnéenne de Normandie; Caen. ........... 1857 Atadémie.de Gaen.5t6bé douane sabre 8 1868 Charente Société historique et archéologique de la Charente; Ancoulélhel.ecllou sde crctccdt motrice 1877 Charente-Inférieure Société d'agriculture de Rochefort.................. 1861 Cher. Société des antiquaires du Centre; Bourges......... 1876 Côte-d'Or Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon.. 1856 Société d'agriculture et d'industrie agricole du dépar- fient dé Ta Côte-d'Or: Don LE nee mmeienenane 1861 Commission des antiquités du département de la Côte- d'or: DDON:. ris caline 1869 Doubs Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besan- CON : sie dure nou a OU RG AR LS te 1841 Société d'agriculture, sciences naturelles et arts du dé- partement du Doubs; Besançon..... LS Tree 1841 Commission archéologique de Besançon............ 1853 Société d'Emulation de Monthéliard..........,..,... 1854 — 5035 — Société de médecine de Besançon........... ...... Dotiété derletture de Besan(ONs te eh er cute Association scientifique des pharmaciens de Besançon. Eure-et-Loir Sas Danses Ghafedaudun: 22500 nm ne Finistère. Société académique de Brest........ HO HIS CQ0 JE Gard Académie du Gard; Nîmes............. OS dE LEE Société scientifique et littéraire d'Alais..........,.... Garonne (Haute-) Société archéologique du Midi de la France; Toulouse. Société des sciences physiques et naturelles de Tou- Gironde Commission des monuments de la Gironde; Bordeaux. Société des sciences physiques et naturelles de Bor- CSSS NN gr and Société d'archéologie de Bordeaux................. Hérault Academie/de Montpelher.:e 29422 2e EN HIUTAR AN Société archéologique de Montpellier............... Hile-ei-Vilaine Société archéologique d’Ille-et-Vilaine; Rennes..... Indre-et-Loire Société française d'archéologie, Tours.............. Isère Société de statistique et d'histoire naturelle du dépar- Mément. de-l'Isère; Grenoble. 4}. 7 RME DIEEn 1861 1865 1875 1807 1875 1866 1870 1872 1875 1866 1807 1875 1869 1869 1877 1861 1857 — 004 — Jura Société d'Emulation du département du Jura; Lons- Le SaRet rene UND OR PRIMO Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny..... Société de viticulture et d'horticulture d’Arbois...... Loire Société d'agriculture, industrie, sciences, arts et belles- lettres du département de la Loire; Saint-Etienne... Loiret Société archéologique de l'Orléanais; Orléans........ Maine-et-Loire Société industrielle d'Angers et du département de Maine-et-Loire; Anéeraés tn nn ue ns Société académique de Maine-et-Loire ;, Angers...... Manche ® Société des sciences naturelles de Cherbourg......... Société académique de Cherbourg.................. Marne Société d'agriculture, commerce, sciences et arts du département de la Marne; Châlons............... Marne (Haute-) Société archéologique de Langres.................. Mayenne Société de l’industrie de la Mayenne; Laval......... Société d'archéologie, sciences, arts et belles-lettres du département de la Mayenne; Mayenne............ Meurthe-et-Moselle Société des sciences de Nancy (ancienne Société des sciences naturelles de Strasbourg)................ 1844 1860 1877 1866 1851 — 505 — Meuse Société philomathique de Verdun.................. Morbihan Société polymathique du Morbihan; Vannes...... Oise Société d'agriculture de Compiègne................. Pyrénées (lBasses-) Société des sciences, lettres et arts de Pau........... Pyrénées (Hautes-) Société académique des Hautes-Pyrénées ; Tarbes.... Pyrénées-Orientales Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées- Orientales PÉDALE eee ce 7pecnne Rhin (Haut-) Société Belfortaine d'Emulation.............,.... Rhône Société Linnéenne de Lyon.............,.......... Société d'agriculture, d'histoire naturelle et arts utiles EN EN Ro A LE EE Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon... Société d’horticulture pratique du département du Rhône: EvOR20 58 28 RAA St 2 CNT Société littéraire, historique et archéologique de Lyon. Saône-et-Loire SDHee PEN ASE ER de et etoile das Société d'archéologie de Chalon-sur-Saône. .......... Acadonede Macon. tr dé 2e ee de Société. des sciences naturelles de Saône-et-Loire; Cha- ONE AO 2 M ae le ee en 1851 1864 — 566 — Saône (Hautce-) Commission d'archéologie de la Haute-Saône; Vesoul. Sarthe Société d'agriculture, sciences et arts ; le Mans...... Savoie Académie de Savoie; Chambéry ............... D isns Savoie (Hauto-) Société Florimontane; Annecy.............. see Seine Académie des sciences de l’Institut de France. ...... Société géologique de France; Paris................ Société de secours des amis des sciences; Paris...... Association scientifique de France; Paris........... Société des antiquaires de France; Paris ............ Société française de numismatique et d'archéologie ; Seine-et-Marne Société d'archéologie, sciences, lettres et arts de Seine- Où Mare MEN: nn Ter Re ne Seinc-Inférieure Commission: départementale des antiquités de la Seine- bérieure: Rouen rl DR MONdeNN, SRE MMNE Re Somiance Société des antiquaires de Picardie; Amiens........ Tarn Société scientifique et httéraire de Castres........... Var Société des sciences naturelles, des lettres et des beaux- arts de Cannes et de l'arrondissement de Grasse. ... 1861 1869 1869 1871 1872 1847 1863 1866 1867 1877 1877 1865 1869 1869 1860 1870 — 507 — Vienne (Haute-) Société archéologique et historique du Limousin ; Limogés.4.01: RL SET PCR EEE Vosges Société d’'Emulation du département des Vosges; Epi- Yonne Société des sciences historiques et naturelles de bYonnes Auxerre, .s 2, Le. 2. PR PT Le Société d'agriculture de Joigny.:....4.....,....... ALSACE-LORRAINE Société d'histoire naturelle de Metz................. Société d'histoire naturelle de Colmar............., ALGÉRIE Société de climatologie algérienne; Alger........... Société historique algérienne ; Alger..........,.... ALLEMAGNE Académie royale des sciences de Bavière à Munich (Kænigl. bayer. Akademie der Wissenschaften zu München), représentée par M. Scheuring, libraire MVOUe eue fete res 8 xs ANNNOUT + ATRS Société des sciences naturelles de Brême (Naturwis- senschaftlicher Verein zu Bremen)............... Société des sciences naturelles et médicales de la Haute-Hesse (Oberhessische Gesselschaft für Natur- und Hatlkunde)/2Gressén Re PORN Société royale physico-économique de Kænigsberg (Kænigliche physikalisch-ækonomische Gesellschaft Mi Kænigsberg)#Prussesnt SORT EL SR TA 1852 1855 1876 1852 1865 1845 1860 1867 1870 1865 1866 1898 568 — AUTRICHE Institut impérial et royal de géologie de l'empire d'Au- triche (Kaiserlich-kæniglich geologische Reichsan- tal) NIPONER ns Me ROUE PS s MÉRIQUE Société d'histoire naturelle de Boston, représentée par MM. Gustave Bossange et Ci, libraires, quai Vol- taire 2. PATIS: 27e MEN BID Eee Yes Institut Smithsonien de Washington, représenté par MM. Gustave Bossange et Cis,........ EL PLU ANGLETERRE Société littéraire et philosophique de Manchester (Li- terary and philosophical Society of Manchester)... BELGIQUE Académie royale de Belgique ; Bruxelles............ Société géologique de Belgique; Liége........... Dr LUXEMBOURG Société des sciences naturelles du grand-duché de Luxembourg" luxemhonngiés aies. 2 ne AUS SUÈDE ET NORVEGE Académie royale des sciences de Stockholm, représen- tée par M. Otto Lorenz, libraire, ruc des Beaux- 3 ue at 0) AE à à DCE Er 2 Université royale de Christiana... SUISSE Société jurassienne d'Emulation; Porrentruy........ Société d'histoire et d'archéologie de Genève ...,.... Institut.national de Genêyess sis der Aa Société vaudoise des sciences naturelles; Lausanne... Société d'histoire de la Suisse romande; Lausanne... 1855 1865 1869 1859 1868 1876 1851 1869 1977 1861 1863 1806 1847 1873 = #0 — Société neuchâteloise des sciences naturelles; Neu- CHATS RreL Mes ee ee rt DR SR 1802 Société d'histoire et d'archéologie de Neuchâtel...... 1865 Société helvétique des sciences naturelles; Zurich.... 1857 Société des antiquaires de Zurich........... de ra UD En 0 Bibliothèques publiques (19) Ayant droit à un exemplaire des Mémoires. * Bibliothèque de la ville de Besançon. Id. de l'Ecole d'artillerie de Besancon. Id. de la Faculté des sciences de Besancon. Id. de l'Ecole de médecine de Besançon. Id. de la ville de Montbéliard. Id. de la ville de Pontarlier. Id. de la ville de Baume-les-Dames. Id. de la ville de Vesoul. Id. de la ville de Gray. Id. de la ville de Lure. Id. de la ville de Luxeuil. I. de la ville de Lons-le-Saunier. Id. de la ville de Dole. Id. de la ville de Poligny. Id. de la ville de Salins. Id. de la ville d’Arbois. Id. du Musée national de Saint-Germain-en-Laye. Id. Mazarine, à Paris. Id. de lEcole d'application de l'artillerie et du génie, à Fontainebleau. TABLE DES MATIÈRES DU VOLUME. PROCÈS-VERBAUX. Election de M. Casrax, secrétaire de la Société, au titre de correspondant de lInstitut de France... ......... pp. 1-1 Communication par M. Pozy, membre correspondant, de la légende d’Ernest le Fort, roi de Belfort, tradition po- pulaire concernant Arioviste...... AE «Lo fpp: nés ur Rapport de M. Casrax sur la WNouvel'e Ur de ment géographique de M. DRAPEYRON. ....... .... à. PP} IVSVIE Rapport sur l'exercice financier de 1875, par M. Francois RENAUD . 00 2. 0. Fe nn e eme rose und nus Son DD EEE Objets gallo-romains sortis du Champ de Mars de Ve- sontio : note de M. CAsTAN.. …. RARE AA CAE 27 s. PP. XITI-XV Représentation de la Société au congrès de la Sorbonne : lectures de MM. DrapeyrON, HENNEQUIN et A. DErA- (TI à CPR APE sb ER Le D DU LT OU Je TD TENTE Rapport de M. Edouard BESssox sur un ouv ee 4 M. ce pRON intitulé : Etude sur la Lorraine dile Allemande, le pays messin el l'ancienne province d'Alsace... .. .... Pp. XVIHI-XX Notice sur le commandant du génie Pouzan, membre correspondant, par M. CasTan.. ................ DP. XXH-XXIN Rapport sur l'Annuaire du Doubs de MM. Paul LauRENs et Jules GAUTHIER, par M. CASTAN. ..,......... Dp. XXIV-XXVIMI Séances publiques de la Société d'Emulation de Monthé- liard et de la Société d'Emulation du Jura.... pp. XXIX, XXXIV Don au musée des antiquités de la ville des objets mis au jour par les fouilles de la place Saint-Jean. ....... P. XXIX Allocution de M. le président Marquiser à M. Paul Cau- Box, préfet du Doubs, et us de ce haut fonction- naire.s ANUS PS RS INDE KE SC Médulle A à Ja 1 Societé Né Tir comme prix à décerner dans son Concours. annuel..." Mere die 2e DORATY cv; ME Conférence de M. Gustave Sacer sur l’exploration com- merciale du Soudan par la voie du Niger. sas. DD RAY ATEN Souscription pour l’envoi d’une délégation d'ouvriers hor- logers de Besancon à l’exposition de Philadelphie. … . PP. XXXVII, XLV Allocation de 400 francs accordée par M. le MimISTRE DE S INSTRUCTION PUBLIQUE AR LUS PMMME LISERR EN SN SEVE OS PRE 5.6 404 Remerciments votés à M. WarLce, en retour de sa Table générale des matières contenues dans nos Mémoires... p. XL Note de M. Casran sur d'anciens sarcophages et deux fragments d'inscriptions romaines trouvés près de la porte Notre-Dame, à Besancon... ............... pDp. XL-XLII Notice sur le philosophe Trssor, Re "correspondant, par. M. CASTANTEM EAN NN UT EN 2008 Mr MODE RD SRUEM Mort de l’instituteur Jean-Auguste Micez, membre cor- FESRORAANE ES. aus ee das» ITS RES SES LOVE Don, par M. qe Cl un Are Ftébtiiot des Eaux-fories de M. JeanmaIRE, de Genève........…. p. XLV Le Glossaire du At de Montbéliard, par M. CONTEJEAN. P. XLV Budget de 1877. RE RER * LEE PERMANENTE Quelques mots sur ét refuges cheuies du mont Bart et du mont Vaudois, par M. Jules GAUTHIER. PP. XLVI-XLIX Une sépulture de femme burgonde, trouvée entre Besan- con et Saint-Ferjeux, décrite par M. CAsTAN.. ..... pp. XLIX-LI Séance publique. .... iPod EU: Je 2624 UD DD ANIME Banquet annuel : toasts re au dessert par MM. le président Marquiser, le Prérer pu Douss, le vice-pré- sident Sire, Jules JURGENSEN (du Locle), REBOUL DE Nevroz (de Vesoul), Parisor (de Belfort), Favre (de Montbéliard), Cournur (de Poligny), Maurice ne Tri- voLer (de Neuchâtel), Sa Grandeur Mgr l’ARGHEVÈQUE pe BEsaNCON, M. Sarzcarp, président élu...... PP. LVII-LXXIX MÉMOIRES. La Soriité d'Envulation du Doubs en 1876 : discours d'ouverture de la séance publique du 14 décembre 18763 par M Léon MARQUISPE.. 7 ME — 073 — La Société d'Emulation du Doubs à la Sorbonne en 1876 : rapport fait à la Société, le 13 mai 1876, par M. Edouard Besson. La Société d'Emulation du Doubs aux réunions solen- nelles des Sociétés de Montbéliard et de Lons-le-Sau- nier : rapport de M. Léon MARQUISET. . Note sur Jean-Baptiste Bésard, de Besançon, célèbre luthiste, par M. Auguste CASTAN. 41. 44 44 nt Note sur l’emploi des quantités négatives en trigono- métrie, par M. I. Waïrze (1 planche), . Le Césarisme et la Démocratie à Rome, par M. Edouard IS. RSR ER Liecherches sur la distribution géographique des Mus- cinées dans l'arrondissement de Forcalquier et la chaîne de Lure (Basses-Alpes), suivies d’un Cata- logue des Muscinées du bassin principal de la Du- rancepar MF RENAULDE: 0. 1.500 Etude historique sur le bourg de Rougemont (Doubs), par M. Charles Taurier (1 plan) . . . . . . . .. Principes généraux d'Economie politique à l'usage des Ecoles normales primaires, des Ecoles primaires su- périeures et des Ecoles professionnelles, par MM. P. Deuon@Eor et A. DEMONGEoT (4 fig. sur bois) . Une tradition séquanaïise concernant Arioviste, re- cueillie par M. Pozy, et publiée avec commen- taires par M. Alphonse DELAGROIX. . . . Les évêques auxiliaires du siège métropolitain de Be- . sançcon, par M. Auguste Casran (l bois gravé) Etude sur Jacques de Molay, dernier grand-maître des Templiers, par M. Edouard Besson . . . . . . .. D'AUT DIM9T — 574 — Quel serait le véritable nom de la place Labourey à Be- sançon? par M. Auguste CASTAN . . . . . . . . . p. 508 Dons faits à’la Société en 1876,:..:,,,4820, 24 000.20 pi8r3 Envois des Sociétés correspondantes...........,..:..... p. 526 Membres de la Société au 15 juin 1877......,...,..... p. 532 Sociétés rotrespondantes eus 04, PDU, DHONMR ED: p. 561 Bibliothèques recevant les Métaoires A Patient A Enr 2e p. 570 tit tte BESANCON, IMPRIMERIE DODIVERS ET Ci*, GRANDE-RUE 87. pimmine eee en cenite 2 mnt RATE,