NE A TI ET el Re A ; Re (o Fest L Sud ee MT) 7 gr d Re: Ô Gen, "7 2 à Ko = CRT D A (nee p LED topuits ne TE be "7 . AT 1e, % » = L : or #2 C7 V7 par, En mn à - : Are = L 77 LS d_ PA 1 ge b _ >. Le eu "29 Un neo CARE Case, ef hg uggey 0 à pute > saut me CV 4 nd LUI 2 D ur ag, NON Wacan, # LL] "2" € as TT 2 ape Lot À mé = LATE amer pre CE] 0 1 dti, HT n 1 COCO T PEL NE : RC IT A ” s ù ù (Es gs : y, T' ns LEA rs DU S er ; 2 Et ana OT Peer a “ LI 4 are e GE ERP era DAS TUE pp » \ ne ee _ MÉMOIRES | SOGIÈTÉ D'ÉMULATION D Du poups SIXIÈME SÉRIE TROISIÈME VOLUME + 6 op Q 4 La PP d’ 1 à à = 1 % a L S cf | 5 _ BESANCON IMPRIMERIE DODIVERS ET Cie Grande-Rue, 87 1889 MÉMOIRES SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS. MÉMOIRES DE. LA SOCIÈTÉ D'ÉMULATION ‘DU DOUBS SIXIÈME SÉRIE PTS ex a (À } (à : «7 © Sn PA] À TROISIÈME VOLUME PK 18858 BESANCON IMPRIMERIE DODIVERS ET Cie Grande-Rue, 87 1889 AFS L° MEMOIRES DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS 1888 PROCES-VERBAUX DES SÉANCES Séance du 14 janvier 1885. PRÉSIDENCE DE M. BOYER. Sont présents: BUREAU : MM. Boyer, président; Besson, secrétaire; Guillemin, trésorier ; Vaissier, archiviste. MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Carry, Castan, Dietrich, Ducat, Girardot, Girod, Guenot, Fauquignon, Paul Laurens, Lieffroy, Pingaud, de Pomaret, Schoendoerffer. Les procès-verbaux des séances des 14 et 15 décembre 1887 ayant été lus et adoptés, le secrétaire donne communication d’une lettre de M. Colsenet, président sortant, retenu par un deuil de famille. Cette lettre est ainsi conçue : « Monsieur le secrétaire, un deuil de famille, récent et subit, qui frappe en même temps la Société d'Emulation, me prive du plaisir de transmettre mes pouvoirs à mon successeur. Veuillez, je vous prie, adresser encore en mon nom, aux membres de notre Compagnie, l'expression publique de ma gratitude pour l'honneur qu’ils m'ont fait en m’appelant à présider pendant un an nos séances et nos réunions. J’emporte le meilleur souvenir du zèle et de l’activité avec lesquels mes collaborateurs du con- seil d'administration m'ont secondé dans l'exercice facile de mes fonctions. Je laisse la Société d’Emulation dans un état d’'heureuse prospérité, qu’elle doit au dévouement de tous ses membres et aux efforts avoués ou discrets de quelques-uns. J’ai pleine confiance dans l'avenir, et tout en félicitant M. Boyer d’avoir réuni d’unanimes suffrages que lui méritaient ses tra- vaux et son caractère, Je lui exprime tous mes regrets de ne pouvoir à cette heure lui souhaiter la bienvenue ». Ce document est accueilli par les applaudissements de la réu- nion qui en vote l’insertion au procès-verbal. M. Boyer, président élu pour 1888, prend ensuite la parole pour remercier en termes élevés et émus la Société d'Emula- tion de l’honneur qu’elle lui à fait en l'appelant à diriger ses travaux pendant une année. Cet honneur, dont il sent tout le prix, lui sera un motif de redoubler d'activité et de dévouement pour les intérêts de la Compagnie. Il termine en faisant le plus aimable appel au concours de ses collaborateurs du bureau. Des applaudissements unanimes accueillent cette allocution du président, et M. Besson annonce en ces termes la mort récente de M. le docteur Faivre, vice-secrétaire de la Société : « Depuis sa dernière réunion, la Société d'Emulation du Doubs a fait une:perte sensible dans la personne de M. le doc- teur Adolphe FAIVRE, enlevé dans la foree de l’âge à l’affection de sa famille et de ses nombreux amis. » Né à Besancon même, notre regretté confrère s’y était fait promptement, par son travail, une excellente situation. Il n’était pas seulement, en effet, un praticien distingué, prodiguant à sa nombreuse clientèle des soins éclairés et dévoués ; il se com- plaisait aussi aux travaux d’ordre plus relevé et plus théorique. Sa thèse de doctorat fut très remarquée, et les élèves de notre Ecole de médecine garderont un excellent souvenir de son en- seignement. Toutes les Sociétés médicales de la région l'ont compté parmi leurs membres et même l’ont eu, au moins d’une facon passagère, pour président. » Quant à la nôtre, il en faisait partie depuis longtemps déjà, et avait, dès 1864, pris à son bureau une place qu’il devait con- ee UN server jusqu'à sa mort. Il était à la fois vice-secrétaire et con- trôleur des dépenses, et en cette double qualité nous rendait des services modestes, il est vrai, mais qui n’en avaient pas moins leur prix. Je n’ai eu, quant à moi, qu’à m’applaudir des rapports aussi courtois que cordiaux que ma situation dans votre Compagnie m'a mis à même d'entretenir plus spéciale- ment avec lui depuis près de dix ans. Mieux que personne, j'ai pu apprécier la franchise et la simplicité de son allure générale, jointe chez lui à une véritable bonté du cœur et à une grande droiture de caractère. » C’est vous dire, Messieurs, que je ressens particulièrement une perte qui laissera un grand vide dans notre Société, aussi bien que dans la ville dont notre confrère était un des enfants les plus distingués et les meilleurs ». La réunion applaudit à cette expression de sentiments qu’elle partage et en décide l’insertion au procès-verbal. L'Institut Smithsonien de Washington ayant notifié à la So- ciété l'élection du professeur Samuel Pierpont Langley au poste de secrétaire, en remplacement de feu le professeur Spencer F. Baird, M. Besson est chargé de donner acte à cette savante Compagnie de sa communication. M. Jules Collin, très touché de la gracieuse réception qu’à bien voulu lui faire la Société d’Emulation du Doubs, en inau- gurant le buste de Péclet offert par ses soins à la ville de Be- sançon, a chargé M. Castan d'exprimer à notre Compagnie ses plus vifs remerciements. La réunion accueille très sympathi- quement l’expression des sentiments dont M. Castan se fait l'interprète autorisé. L'ordre du jour appelant la désignation de trois membres étrangers au conseil d'administration pour vérifier les comptes du trésorier, sont nommés à cet effet: MM. Arnal, Demongeot et Sire. M. Castan donne lecture d’une dissertation sur le surnom de Chrysopolis donné à la ville de Besançon, Ce travail prendra rang dans nos Mémoires. — VII — Est présenté pour entrer dans la Société comme membre ré- sidant : Par MM. Lieffroy et Richard, M. Albert Marchand, ingénieur- directeur des Salines de Miserey. . Après un vote d'admission en sa faveur, M. le président pro- clame : Membre correspondant, M. KURTZ, juge suppléant au tribunal de Saint-Claude. Le Président, Le Secrétaire, G. BOYER. E: BESSON. Séance du 11 février 1888. PRÉSIDENCE DE M. BoYEr. Sont présents : BUREAU : MM. Boyer, président ; Chapoy, vice-président ; Besson, secrétaire ; Gœuillemin, trésorier ; Vaissier, archiviste. MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Bavoux, Michel (Henri), Carpen- hier, Castan, Coutenot (Francis), Ducat, Gauderon, Girardot, Girod (Victor), Haldy père, Paul Laurens, Lieffroy, Magnin, de Pomaret, Richard, Savourey. Le procès-verbal de la séance du 14 janvier 1888 ayant été lu et adopté, le secrétaire communique une circulaire ministérielle demandant l’envoi à la Bibliothèque Nationale des estampages d'inscriptions antiques que les Sociétés savantes pourraient posséder. Est pareillement communiquée une cireulaire de la Direction des Beaux-Arts relative au congrès de la Sorbonne qui, vrai- semblablement, aura lieu dans la semaine dela Pentecôte. Cette circulaire restera déposée sur le bureau de la Compagnie. La Société d'histoire naturelle d’Autun demandant à entrer avec la nôtre en échange de publications, cette proposition est acceptée. qu Est voté un pareil échange avec la Société Bourguignonne d'histoire et d'archéologie. Sur la demande de cette Société, on décide de plus qu’il lui sera adressé la dernière série parue de nos Mémoires. La ville de Saint-Claude (Jura) ayant enfin formulé une re- quête à l’effet d'obtenir pour sa bibliothèque l’envoi de nos pu- blications, il est fait droit à ce vœu, et l’on arrête en outre qu’il sera fait don à cette bibliothèque, dans la limite du possible, de nos volumes déjà parus. M. Castan rend compte en ces termes d’une brochure de M. Edouard Gascon, membre correspondant, que son auteur a bien voulu adresser à la Société : « L’un de nos dévoués confrères, M. Richard-Edouard GASCON, originaire de Dole et descendant du bienfaisant apothicaire qui a légué à l'hôpital de Besançon une curieuse pharmacie, vient de publier un chapitre de son importante Notice sur Fontaine- Française, bourgade très voisine de la Franche-Comté. Cette publication est intitulée : Combat de Fontaine-Française, vic- toire remportée par Henri IV en personne le 5 juin 1595; Dijon 1888, in-8 de 48 pages. M. Gascon expose en termes très clairs, d’après les documents contemporains, les préliminaires et les incidents d’une victoire qui mit fin à la dernière des guerres civiles françaises du xvre siècle, et fit abandonner à l'Espagne ses rêves de suprématie européenne. Notre confrère donne des détails très circonstanciés sur les divers monuments élevés à Fontaine-Française en souvenir de la victoire dont cette localité s’honore, et à cet égard il apporte un complément d’un intérêt très réel à la somme des renseignements fournis par ses devan- ciers. La Société ne saurait donc que voter des félicitations et des remerciements à M. Edouard Gascon ». M. le docteur Magnin, dans une conférence étendue et détaillée, présente une série d’intéressantes observations sur les rouilles des céréales et l'influence de l’épine-vinette sur leur dévelop- pement. Cette savante conférence est accueillie par les applau- dissements de la réunion qui en décide l'impression dans notre prochain volume, — X — Après un vote d'admission en sa faveur, M. le président proclame : Membre résidant, M. Albert MARCHAND, ingénieur-directeur des Salines de Miserey. Le Président. Le Secrétaire, G. BOYER. . E. BESSON. Séance du 16 mars 1888. PRÉSIDENCE DE M. BOYER. Sont présents : BUREAU : MM. Boyer, président; Colsenet et Chapoy, vice- présidents ; Besson, secrétaire ; Guillemin, trésorier, Vaissier, archiviste. MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Arnal, Baudin (Léon), Castan, de Charnage, Cordier, Drouhard, Ducat, Dietrich, Girardot, Guil- lemin (Victor), Paul Laurens, Lieffroy, Henri Michel, Pingaud, de Pomaret, Schœndoerffer. Le procès-verbal de la séance du 11 février 1888 ayant été lu et adopté, le secrétaire communique une circulaire de M. le Ministre de l’Instruction publique annonçant l’ouverture du prochain congrès de la Sorbonne pour le 22 mai et invitant la Société à désigner ses délégués avant le 25 avril. Cette cireu- laire restera déposée sur le bureau de la Société, et le secré- taire invite ceux de ses confrères qui voudraient prendre part au congrès à lui faire connaitre leurs noms avant la date ainsi fixée. La Société de gymnastique et d'instruction militaire La Pa- triote, résidant à Besançon, notifie, par une circulaire, l'arrêté préfectoral qui l’autorise à poursuivre la réalisation de son but tout patriotique. Il est pris sympathiquement acte de cette com- munication. M. Théodore Jobez, de Chaussin (Jura), membre correspon- dant, adresse à la Société un échantillon de graine provenant de ses essais de culture d’une céréale jusqu’à présent négligée. Cette sorte de petit blé croîtrait dans les lieux incultes du midi de la France. Un pain fait avec la farine du produit de la dernière récolte accompagne l’envoi. La lettre de M. Jobez, contenant le résumé de ces essais successifs et des résultats atteints, sera transmise à la Société d'agriculture du Doubs, Des remercie- ments sont en outre votés à M. Jobez. M. Arnal donne lecture du rapport de la commission des finances sur les comptes de l’année 1887. Ce rapport est ainsi conçu : « MESSIEURS, » La commission que vous avez chargée de vérifier les comptes du trésorier a constaté les résultats suivants : RECETTES. 19 Solde en caisse au 31 décembre 1886.......... 28 84 20 Subvention du département du Doubs......... 00 » 30 Subvention de la ville de Besancon... ......... 600» 4 Cotisations de membres résidants........ 2.260 » 90 Cotisations de membres correspondants.....…. Re) CPPDroit de dplomes ne ae ou. : 30 : > HAVente denNolUMmes ie dr a den du 29 0) 8° Vente de deux collections des Mémoires de la SOCIÈLE D Mie ad non aura ni 504 95 do Nente de thermometres enrecistreurs.....1.:.. 100: > 10 mtérèts des rentes sur l'État... 1... 410 » 11° Intérêts du capital placé à la caisse d'épargne. 261 15 Total: 5:507 : 94 DÉPENSES. IPMOLESSIONSS Peu. 3.140 95 DUARCTUTES re A Re men 5 044160) 30 Frais de bureau, chauffage, etc....... 206 31 A reporter..... 206 31 3.194 95 IT SE Reporis. 20006106 107 05 A déduire les ports de volumes rembour- SOS 0 LAON PE NMES ARENA ere ne ee 108 31 98 05, ci 98 05 2 Séance publiques Eee 537 80 5° Traitement de l’agent de la Société............ 300 » 6° Cotisation à l'association pour l'avancement des SCIENCES AIRE ae ne EN RRRE tee 20) Mouvement de fonds : Versé à la caisse d'éparone 1. 36010015 Retiré de la caisse d’épargne....... 2.500 » Excédant de versement. 1.161 15,cid.161 25 En caisse au 51 décembre 18817 Pr eee 195249 Total écalausrecettés tree rare D.007 94 » Si l’on compare les résultats de ce compte avec les chiffres prévus au budget de 1887, on trouve pour les recettes une plus- Value: de. 357 94 Cette augmentation est due à la vente de deux collections de Mémoires et de deux thermomètres qu’on n'avait pu prévoir au budget. è Quant aux dépenses quise sont élevées à... 1 5209142295 Défalcation faite du solde en caisse au 31 décembre 1887, elles n'étaient prévues au budget que pour... 5.150 > D'où une augmentation de. .............…. 161 94 » Mais cette augmentation est purement fictive, puisque on voit figurer dans les dépenses une somme de 1161 fr. 15 e. qui représente le dépôt fait à la caisse d'épargne, et qui, en réalité, constitue un actif pour la Société. Il s'ensuit que si du total des tHÉpDenses qui estide hOrCerANE SR e note 09 onreitranche cette somme de 2 rain Rs ne 4.161 15 léS'dépenses sont réduites are "tir Ne 4.150 80 somme inférieure de 1000 fr. 80 c. à celle qui était prévue au budget. » Votre commission ne s’est pas bornée à comparer les ré- A = sultats du compte de 1887 avec les prévisions du budget, elle les a comparées aussi avec ceux de l’exercice 1886, ce qui a donné lieu à quelques observations qu’il est bien de vous com- muniquer. » Les recettes de 1886 avaient donné un total de. 5.600 592 : celles de 1887 n’ont été que de.................... 5.507 94 eu inliution de ct ui naine 92 58 » Cependant la vente de deux collections de nos Mémoires a valu à l’exercice 1887 une recette extraordinaire de 504 95 » Et nous ne saurions trop à ce propos remercier M. Castan de la manière dont il a su conduire cette affaire au mieux des intérêts de la Société. » L'exercice 1887 a bénéficié aussi d’une somme de 100 fr. due à la vente des deux thermomètres devenus inutiles. Sans ces deux recettes extraordinaires, la différence de ..... 92 50 cisnalée ci-dessus auraitété de... 697 50 » Il ne faudrait pas conclure de ce résultat que la prospérité de la Société fût menacée ; car cette différence vient en partie de ce que, en 1886, il a été encaissé 380 francs pour rachat de cotisations, tandis qu’il n’y a pas de recette de cette nature en 1887. » En 1887;,'le produit des cotisations a été inférieur de 180 francs à celui de 1886. Il importe de veiller à ce que cette re- cette, qui forme la principale ressource de la Société, augmente au lieu de diminuer, et chacun de nous doit se mettre à l’œuvre pour provoquer de nouvelles adhésions. » Si l’on compare les dépenses de 1887 à celles de 1886, on trouve que les dépenses de 1886 ont été de..... +. 0.497 91 CHCOlES de sde nn ent 4.150 » Il y a donc en faveur de l’exercice de 1887 une dif- : TÉTANCE de NN A ARR en 4.977 91 » Et encore est-il bon de faire remarquer que, dans la dépense pour impressions, figure une'somme de 394 fr. 90 qui se rat- tache à l'exercice 1888, puisqu'elle concerne des gravures des- tinées au volume qui sera publié prochainement. NIV SITUATION GÉNÉRALE. 10 Solde en caisse au 31 décembre 1887......... À 1495 99 90 Argent placé à la caisse d'épargne......,....0 0.734 94 30 Cotisations à CECOUVIeR nr ot ue : TRE): Pour mémoire : une rente de 410 fr. Nous n'avons rien au passif, Total de l’actif..... 5.948 93 L'actif au 31 décembre 1886 était de. ............ 4.624 63 D'où il suit que les réserves de la Société se sont accrues Met M UE dE INR MS Rte 1.324 30 » La commission rend hommage au zèle, au dévouement et à l’activité du trésorier et vous propose de lui voter des remer- ciements. » Besançon, le 8 mars 1888. Pour les membres de la commission : (Signé) À. ARNAL, économe honoraire, officier de l’Instruction publique ». Ce rapport est sympathiquement accueilli par les membres présents, qui votent des remerciements et des félicitations au rapporteur de la commission et au trésorier de la Société. M. Castan donne lecture de la première partie d’un travail intitulé : Notice sur l’ancienne Ecole de peinture et de sculpture de Besançon. Ce travail est retenu pour nos Mémoires. Le Président, Le Secrétaire, G. BOYER. E. BESSON. Séance du 14 avril 1888. PRÉSIDENCE DE M. BOYER. Sont présents : BUREAU: MM. Boyer, président ; Besson, secrétaire; Guille- min, trésorier; Vaissier, archiviste. ZONE Ur 2 MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Castan, Delacroix, Dietrich, Ducat Girod, Guillemin (Nictor), Ledoux, Lieffroy, Pingaud, Richard (Henri), Ripps, Savourey. | Le procès-verbal de la séance du 10 mars 1888 ayant été lu et adopté, le secrétaire communique une circulaire de la Direction des Beaux-Arts relative au prochain Congrès des Sociétés des Beaux-Arts. On arrête ensuite la composition de la délégation chargée de représenter la Société au Congrès des Sociétés savantes. Cette délégation comprendra MM. Sire, Castan, Vaissier, Delacroix, Besson, de Fromentel (de Gray). Le secrétaire est chargé de notifier en temps opportun à qui de droit les noms de ces délégués. Est encore communiquée une circulaire relative au Congrès archéologique de France, qui se tiendra à Dax et à Bayonne Cette pièce reste déposée sur le bureau de la Compagnie. M. Edouard Blondel offrant à la Société un exemplaire de son ouvrage intitulé : La Question sociale et sa solution scientifique, M. Besson est chargé d'examiner cet ouvrage et d’en rendre compte. M. Aristide Déy offre pareillement un exemplaire de son tra- vail intitulé : Mon herbier tératologique, pour lequel des remer- ciements sont votés à son auteur. M. Magnin est chargé d’en présenter un compte-rendu. M. Besson lit un rapport sur un ouvrage de M. Jules Marcou, ayant pour objet des Recherches nouvelles sur le nom d’Amé- rique. Ce rapport prendra rang dans nos Mémoires. M. Castan achève la lecture de sa Notice sur l’ancienne Ecole de peinture et de sculpture de Besançon, qui a dejà été retenue pour l'impression. | Est présenté pour entrer dans la Société : Comme membre correspondant, par MM. Castan et Vaissier, M. Emile Le Chevalier, libraire à Paris. Le Président, Le Secrétaire, G. BOYER, E. BESSON. NN Séance du 12 mai 1888. PRÉSIDENCE DE M. BOYER. Sont présents : BUREAU : MM. Boyer, président ; Chapoy, vice-président; Besson, secrétaire ; Vaissier, archiviste. MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Bavoux, Castan, Ducat, l'abbé Drouhard, Fauquignon, Girardot (Albert), Girod, Guillemin (Victor), Paul Laurens, docteur Ledoux, Magnin, Richard, Ripps, Vernier. Le procès-verbal de la séance du 14 avril 1888 ayant été lu et adopté, le secrétaire communique une circulaire de la Direction des Beaux-Arts, relative à un classement des objets mobiliers appartenant aux établissements publics dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire de l’art, un intérêt na- tional, et sollicitant pour l'établissement de ce classement le concours des Sociétés savantes. Cette circulaire restera déposée sur le bureau de la Société. La Société d'Emulation de Montbéliard, invitant par lettre la Société d’'Emulation du Doubs à envoyer des délégués à sa séance publique du jeudi 31 mai, sont désignés pour représenter notre Compagnie à cette solennité scientifique: MM. Boyer, président ; Sire et Victor Girod, membres résidants. La Société des Antiquaires de Picardie notifie par une cireu- laire la mort de M. Jacques Garnier, son secrétaire perpétuel, et le remplacement de cet érudit par M. Duhamel-Décejean. Acte est donné de cette communication, et le secrétaire est chargé de faire connaître à la Société des Antiquaires de Pi- cardie la part prise par notre Compagnie à la perte qu’elle vient d’éprouver. M. le président Boyer annonce qu’il à reçu de M. Eugène Rétif, ancien magistrat, résidant à Auxerre, une lettre infor- mant de la mort de son frère, M. Frédéric Rétif, membre de NE notre Société, et donne la parole à M. Besson, secrétaire, pour lire une notice nécrologique sur le regretté défunt. Cette notice est ainsi conçue : € MESSIEURS, » Le 14 avril dernier mourait à Auxerre, à la suite d’une longue et cruelle maladie, l’un de nos confrères les plus dis- tingués et les meilleurs, M. Frédéric RÉTIF, ancien direc- teur de l’Enregistrement des Domaines et du Timbre à Besan- çon. » Bien que M. Rétif eût quitté depuis quelque temps notre ville, son souvenir était encore vivant chez les nombreux amis que lui avaient attachés l’élévation de son esprit et la rare no- blesse de son caractère. On rencontrerait difficilement, en effet, une nature à la fois plus haute et plus sympathique. Issu d’une des meilleures familles de l’Yonne, il avait l'extérieur, la mâle et robuste beauté, et surtout les allures d’un ancien gentilhomme ; il en avait aussi le cœur. Ceux qui l’ont connu dans l'intimité, et je m'honore d’avoir été du nombre, savent quels étaient la délicatesse de ses sentiments, la vivacité de son affection pour ses amis, le dévouement qu’il portait à leurs intérêts et à leurs personnes. » Fonctionnaire des plus distingués, et très au courant des questions si compliquées et si délicates que soulève l’applica- tion de nos lois en matière fiscale, il se plaisait aussi aux étu- des d'ordre purement intellectuel. Il connaissait fort bien tout ce qui avait trait à son pays natal, suivait attentivement les travaux dont il était l’objet, et entretenait les meilleurs rap- _ ports avec les hommes éminents qui, comme MM. Challe et Cotteau, ont pris une part prépondérante aux progrès et au dé- veloppement des Sociétés savantes de l’Yonne. II ne s'était pas moins attaché à notre province, dont il avait apprécié dès l’abord l’étrange et pittoresque caractère. Il se plaisait à en parcourir les sites accidentés, et le faisait avec une vigueur qui était loin de faire prévoir pour lui une fin ausssi préma- turée. Vous savez aussi, Messieurs, quel intérêt il portait à nos travaux, et quelle assiduité il mettait à suivre nos séances. Vous avez tous pu y apprécier sa cordialité parfaite, le charme b — XVII — de sa conversation, où se reflétait un esprit toujours jeune, la courtoisie et l’aménité de son accueil. » Sa mort laissera un grand vide parmi nous. Elle laissera aussi une blessure cruelle au cœur de ses amis, car ils pleu- rent en lui un esprit étendu et cultivé, un caractère ammable et surtout un noble cœur ». Les membres présents, s’associant à l'expression de senti- ments qu'ils partagent, votent l'insertion de la notice de M. Besson au procès-verbal et décident qu’une copie en sera adressée à M. Eugène Rétif, avec l'expression des regrets de la Société et de la part respectueuse et sympathique qu’elle prend à la douleur de la famille de leur confrère défunt. M. le professeur Magnin fait un rapport oral sur l’Herbier tératologique de M. Aristide Déy, dont son auteur a bien voulu nous adresser la description; il rend hommage au talent et à la science de M. Déy, et fait de son ouvrage le plus sérieux éloge. M. Castan donne lecture d’une notice intitulée : Le peintre Claude Rately, en religion frère Prothade de Besançon, et 8a Vierge aux saints de l’église de Sainte-Madeleine de Besançon. Ce morceau est retenu pour nos Mémoires. M. Albert Girardot lit une Note préliminaire à une étude géo- logique sur le sous-sol de Besançon. Ce travail, qui doit être com- plété, figurera dans notre prochain volume. Le Président, Le Secrétaire, G. BOYER. | E. BESSON. Séance du 8 juin 1888. PRÉSIDENCE DE M. BOYER. Sont présents : BUREAU : MM. Boyer, président; Chapoy, vice-président ; Besson, secrétaire; Vaissier, archiviste. MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Baudin (Léon), Bavoux, Boussey, DC Carry, Gastan, l'abbé Drouhard, Paul Drouhard, Ducat, Fau- quignon, Francey, Gauderon, Girardot, Victor Guillemin, Paul Laurens, Ledoux, Lieffroy, Richard, Ripps, Vernier. Le procès-verbal de la séance du 12 mai 1888 ayant été lu et adopté, le secrétaire communique une lettre de M. Eugène Rétif remerciant la Société pour le témoignage de sympathie qu’elle a donné à sa famille, à l’occasion de la mort de son frère, et pour la notice nécrologique consacrée à ce regretté défunt. M. Besson prend ensuite la parole, au sujet de la mort ré- cente de M. Bruand, ancien maire de Besançon, et s’exprime de la manière suivante : « MESSIEURS, » Il y a quelques jours, la ville de Besançon perdait l’un de ses plus récents administrateurs, qui, comme tel, avait appar- tenu à notre Société au titre de membre honoraire. » M. BRUAND était une des physionomies les plus connues de notre ville et en même temps les plus sympathiques. Les nom- breux orateurs qui ont parlé sur sa tombe n’ont fait qu'exprimer en termes émus et souvent éloquents le sentiment général, lorsqu'ils ont loué la haute et ferme probité, la délicatesse de sentiments et surtout la bonté de cœur de cet homme de bien. Honnèête et bon, tels étaient en effet les traits distinctifs du ca- ractère de M. Bruand. Et c’est là, Messieurs, un bel éloge, et qui n’a rien de vulgaire ou même de banal. La probité, qui est la meilleure ou, pour mieux dire, la seule garantie des intérêts confiés aux soins d’un homme public, la bonté, qui est comme la parure du pouvoir, sont des qualités hautes et vraiment mai- tresses, dont la réunion donne à celui qui les possède l'autorité la plus légitime et la plus incontestée. Cette autorité, M. Bruand en jouissait complètement, et ne Songeait à s’en servir que pour le bien général et l’avantage de ses concitoyens. Nous-mêmes, Messieurs, nous avons eu souvent à nons louer de sa bienveil- lance. Il allait au devant des désirs de notre Compagnie et se plaisait à satisfaire à ses demandes. Il n’était pas sans doute, à proprement parler, un érudit; mais il connaissait le prix de la science et se plaisait à seconder les efforts de ceux qui cherchent à en répandre le goût et les enseignements. » Nous le voyions chaque année avec plaisir et gratitude prendre part à nos solennités publiques, et, lorsqu’en décembre dernier, il nous adressait à notre banquet annuel de ces bonnes et chaudes paroles qui chez lui venaient du cœur, nous étions loin de prévoir, au spectacle de sa vigueur athlétique que l’âge avait respectée, qu'il dût sitôt nous être ravi. La ville de Be- sançon fait la perte la plus sensible dans la personne d’un homme qui n’avait pas seulement été son premier magistrat, mais qu’elle comptait parmi ses enfants les meilleurs. Cette perte, tous nos compatriotes l’ont vivement ressentie, et il était du devoir de notre Société, que touche particulièrement tout ce qui a trait à l'honneur et aux intérêts de la cité, de mêler aux témoignages de la douleur publique lexpression de ses regrets et des respectueuses sympathies dont elle entourera la mémoire de l’excellent citoyen qui sut non seulement être utile à son pays, mais, Ce qui vaut mieux encore, s’y faire universellement aimer ». La Société, applaudissant à l'expression de sentiments qu’elle partage, en vote l'insertion au procès-verbal. Elle décide en outre que copie en sera adressée à la famille de M. Bruand, avec le témoignage de sa respectueuse sympathie. Le conseil d'administration ayant décidé qu’une communica- tion serait faite à la Compagnie au sujet du départ de M. le général Wolff, M. Castan, délégué à cet égard par le conseil, s'exprime dans les termes suivants : « MESSIEURS, » La Société d’'Emulation du Doubs ne saurait demeurer in- sensible au départ de M. le général WOLFF, commandant du 7e corps d'armée, membre du conseil supérieur de la guerre, grand-croix de la Légion d'honneur. » Cet éminent officier général vient d'adresser des adieux émus au 7e corps d'armée qu'il commandait depuis neuf ans. La chaleureuse manifestation faite, à l’occasion de cet évènement, par les officiers du 7e corps, témoigne de la haute estime dont jouit dans l’armée française le général en chef queles exigences = OU HE de la limite d'âge enlèvent prématurément à notre importante circonscription militaire. » Mais M. le général Wolff n’est pas seulement un militaire vaillant et érudit : il est encore un écrivain de grande distinc- tion, doué d’un sens littéraire exquis, armé d’une plume fine- ment élégante. Aucun de nous n’a oublié l’élévation de pensée et la délicatesse de style des charmantes harangues qu’il faisait entendre et applaudir dans nos banquets annuels, fêtes de fa- mille qui étaient en harmonie avecle libéralisme de son aimable esprit. De sa sympathie pour nos travaux, nous conservons un précieux gage: c’est l'étude d’ethnographie algérienne dont il voulut bien donner lecture dans notre séance publique du 13 décembre 1881. A cette attention si flatteuse pour elle la Société répondit en priant M. le général Wolff d'accepter, à titre per- sonnel, la qualité de membre honoraire qui appartient de droit au commandant du 7e corps d’armée. » M. le général Wolff ne cessera donc pas d’être des nôtres; et comme il quitte la carrière active en pleine possession de ses brillantes facultés, nous pouvons affirmer que ses loisirs ne seront perdus ni pour la Patrie, ni pour la Science. De plus, sa résidence de Pont-de-Vaux n’étant pas très éloignée de Be- sançon, il nous est permis d'espérer que la Société d’Emulation du Doubs aura fréquemment l'honneur et la joie d’accueillir ainsi que d'entendre M. le général Wolff, ancien commandant du 7e corps d'armée. » La communication qui précède ayant été acclamée par l’au- ditoire, il est décidé que le texte en sera transmis à M. le gé- néral Wolff comme expression fidèle des sentiments que lui conserve la Société d’Emulation du Doubs. M. le président Boyer rend compte de la mission qu’il a rem- plie en représentant, avec MM. Girod et Sire, la Société d’Emu- lation du Doubs à la réunion qu’a tenue le jeudi 31 mai la So- ciété d'Emulation de Montbéliard. Ce compte-rendu prendra rang dans nos Mémoires. M. Besson rend compte ensuite de plusieurs ouvrages qui ont été adressés à la Société par leurs auteurs : Le premier, de M. Jourdy, conservateur de la bibliothèque de ne D ONU HE Lprur Gray, est intitulé : La citadelle de Besançon prison d'Etat au xvIIe siècle ou épilogue de l’affaire des poisons. Il contient d’in- . téressantes révélations sur les prisonniers qui furent détenus dans notre forteresse à la suite de cette célèbre affaire, et montre quelle importance nous avions prise dans le royaume dès après la conquête de Louis XIV. Le second, dû à la plume de notre excellent confrère M. Dra- peyron, dont on connaît le dévouement à tout ce qui regarde la science géographique, est consacré aux deux Buache, rénova- : teurs de cette science au dernier siècle, qui avaient pour élèves les trois frères ayant régné plus tard en France sous les noms de Louis XVI, Louis XVIII et Charles X. Enfin M. Legrelle a bien voulu nous adresser son grand ou- vrage sur la Réunion de Strasbourg à la France, où il est dé-. montré par pièces aussi authentiques que probantes que cette réunion ne fut pas, comme on l’a prétendu, l’œuvre de la vio- lence, mais dériva de la force même des choses et de l’applica- tion étroite des traités. La Société vote des remerciements aux auteurs de ces divers envois. M. le docteur Chapoy lit une notice intitulée: À propos du sous-sol bisontin, simple aperçu d'hygiène locale. L'insertion de ce morceau dans nos Mémoires est mise à la disposition de son savant auteur. Sont présentés pour entrer dans la Société : Comme membre résidant, par MM. Boyer et Castan, M. AI- fred Bovet, président de la Société d’'Emulation de Montbéliard ; Comme membre correspondant : par MM. Castan, Jurgensen et Besson, M. Eugène Revillout, conservateur-adjoint des anti- quités égyptiennes et professeur d’Egyptologie au Musée du Louvre. Le Président, Le Secrétaire, G. BOYER. E. BESSON. NN Séance du 21 juillet 1888. PRÉSIDENCE DE M. BOYER. Sont présents : BUREAU : MM. Boyer, président; Besson, secrétaire; Guil- lemin, trésorier ; Vaissier, archiviste. - MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Bavoux, Bonnet, Castan, Chabot, Dietrich, Fauquignon, Girod (Victor), Paul Laurens, Lesbros, Lieffroy, Magnin, Pingaud, Richard, Schœndoerfer, Sandoz (Léon), Sire, Vernier. Le procès-verbal de la séance du 8 juin 1888 ayant été lu et adopté, le secrétaire donne lecture d’une lettre qu’il a reçue de M. le général Wolff, ancien commandant du 7e corps d'armée, en réponse à celle par laquelle il avait notifié à ce haut digni- taire la communication faite par M. Castan à l’occasion de son départ. Cette lettre est ainsi conçue : € MONSIEUR, » Vous m'avez fait l’honneur de m’adresser, au nom de la Société d’'Emulation du Doubs, un extrait du procès-verbal de la séance dans laquelle M. Castan, se faisant son interprète, a exprimé les regrets qu’elle éprouvait de mon départ de Besan- çon. » Je suis on ne peut plus touché de l'initiative prise en cette circonstance par le conseil d'administration de la Société, des si gracieuses et si flatteuses paroles de M. Castan, et de l’adhé- sion que tous les membres présents ont bien voulu leur donner. Je suis honoré au plus haut point de ce témoignage de sympa- thie, et je le joins avec une légitime fierté à tous ceux qui m'ont été prodigués à ce moment si pénible pour moi. » Je conserverai le plus agréable souvenir des relations que j'ai entretenues pendant mon séjour à Besançon avec les hono- rables membres de votre Société, et en particulier avec vous et Monsieur Castan, et c’est avec un vrai plaisir que je saisirai les en à SON occasions qui pourraient se présenter de les continuer dans l'avenir. » Je vous suis reconnaissant des sentiments personnels que vous avez bien voulu joindre à ceux de la Société, et je vous en exprime toute ma gratitude, que je vous prie de faire partager à Monsieur Castan. » Agréez, Monsieur, la nouvelle assurance de mes sentiments bien affectueux. » (Signé) GAL WOLFE ». La lecture de cette lettre est accueillie par les applaudisse- ments de l’assistance, qui en vote l’insertion au procès-verbal, M. Ducat notifie ensuite à la Société la reprise des fouilles concernant le dégagement des vestiges de l’Amphithéâtre ro- main de Besançon. Une proposition étant formulée pour faire imprimer dans notre volume les bulletins d'observations de la Commission météorologique, cette proposition est acceptée. M. Besson donne lecture d’un rapport sur la séance générale tenue à l’île Saint-Pierre, par la Société d'Histoire et d’Archéo- logie de Neuchâtel, et où il a représenté la Société d’Emulation du Doubs avec MM. Boyer et Sandoz. Ce morceau prendra rang dans nos Mémoires. Est pareillement retenue pour l’impression une note lue par M. Castan, au sujet d’une bague de fiançailles de l’époque ro- maine trouvée à Vaire-le-Grand, dans la vallée du Doubs. M. le professeur Magnin fait une intéressante conférence sur les contrastes en petit présentés par la végétation calcicole des environs de Besançon. Cette conférence est applaudie par la réunion, des sentiments de laquelle M. le président Boyer se fait l’interprète en remerciant et en félicitant M. Magnin. M. Castan lit une notice intitulée: Le portrait de Jean de Montfort, par Van Dyck, au Belvédère de Vienne et à la tribune des Offices de Florence. Cette notice est retenue pour limpres- sion. — XXV — Après un vote d'admission en faveur des candidats antérieu- rement présentés, M. le président proclame : Membre résidant, M. Alfred BOver, président de la Société d’Emulation de Mont- béliard ; Membre correspondant, M. Eugène REVILLOUT, conservateur-adjoint des antiquités égyptiennes et professeur d’Egyptologie au Musée du Louvre. Le Président, Le Secrétaire, G. BOYER. E. BESSON. Séance du 10 novembre 1888. PRÉSIDENCE DE M. BOYER. Sont présents : BUREAU : MM. Boyer, président, Besson, secrétaire; Guil- lemin, trésorier ; Vaissier, archiviste ; MEMBRE HONORAIRE : M. Regnault, procureur général ; MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Bonnet, Boussey, Bavoux, Carry, Gastan, Cordier, Demongeot, Drouhard, Ducat, Girod (Victor), Henry, Paul Laurens, Nicklès, Pingaud. M. le comte Eusèbe de Terrier-Santans assiste à la séance. Le procès-verbal de la séance du 21 juillet 1888, ayant été lu et adopté, M. Castan notifie en ces termes à la Société la mort de plusieurs de ses membres : « Au mois de juin dernier, la Société a perdu l’un de ses membres honoraires les plus distingués, Son Excellence le comte Franz FOLLIOT DE CRENNEVILLE, membre de la chambre des seigneurs d'Autriche, général de division d'artillerie, che- valier de la Toison-d’Or, grand chancelier de l’ordre autrichien de Léopold. Pendant un bon nombre d'années, le comte de Crenneville remplit la haute fonction de grand chambellan de Sa Majesté Impériale et Royale Apostolique, et lorsqu'il prit sa — XXVI — retraite, en 1884, pour habiter son château de Gmunden, sur les bords du lac de Traun, l'Empereur lui témoigna sa satisfac- tion en lui remettant son portrait enrichi de diamants. Le titu- laire de la fonction de grand-chambellan est chargé en Autriche de la direction générale des Beaux-Arts. À ce titre, le comte de Crenneville dirigea plusieurs des splendides publications artis- tiques qui s’exécutent sous les auspices du gouvernement au- trichien. L’une de ces publications ayant eu pour objet la partie du Psautier de Maximilien I", que possède la Bibliothèque de Besançon, le comte de Crenneville voulut bien accorder à cet établissement, en retour des facilités que les savants autri- chiens y avaient obtenues, un groupe considérable de magni- fiques ouvrages. À titre de remerciement pour cette largesse, la Société d’Emulation du Doubs lavait prié d'accepter une place dans la catégorie de ses membres honoraires. Originaire de Normandie par sa famille paternelle et de Metz par la fa- mille de sa mère, le comte de Crenneville était attaché de cœur à la France, et ne cessa jusqu’à sa mort de faire des vœux pour le relèvement de notre Patrie. » Depuis sa dernière réunion, la Société a vu disparaître M. Eugène MAIRE, ingénieur en chef des ponts et chaussées en retraite; M. Etienne SAINT-GINEST, architecte du département, président de la Société des architectes du Doubs et de la So- ciété des Amis des Beaux-Arts; M. le docteur Ernest MOREL; M. le docteur Etienne MUSsToN, de Montbéliard, auteur de tra- vaux géologiques et paléontologiques qui feront vivre sa mé- moire ». La Société applaudit à cette expression de regrets qu’elle partage et en décide l'insertion au procès-verbal. Le secrétaire présente ensuite à la réunion deux ouvrages envoyés par M. Charles Toubin, membre correspondant : La Fête des myrtes, drame semi-lyrique en trois actes, et Essai sur la dénomination aryenne. M. Besson présente en outre un travail manuscrit de M. le docteur Perron, membre correspondant, intitulé : Le village de Broye-les-Pesmes, en Franche-Comté, dont l’auteur désire l’im- pression dans les Mémoires de la Société. Le secrétaire propose XX NIE — la nomination d’une commission à l'effet d'examiner le travail dont il s’agit. Cette proposition est acceptée, et la commission d'examen est formée de MM. Castan, Pingaud et Besson. La Société des Bollandistes, qui a son siège à Bruxelles, nous ayant adressé, par voie d'échange, six volumes des Analecta Bollandiana, il est décidé que ces volumes seront attribués à la Bibliothèque de la ville de Besançon. L'ordre du jour appelant la discussion et l'établissement du budget de 1889, le Conseil d'administration propose et la So- ciété adopte le projet suivant : RECETTES. 1° En-caisse prévu au 31 décembre 1888 .......... OUT. 2° Subvention du département du Doubs.......... 900 » 3° -— dela ville de-Besancon.-......... 600 » 4 Cotisations des membres résidants............. 2.150 » 90 — = Correspondants... 700 » 6? Droit de diplôme, recettes accidentelles .. ...... 00) 7° Intérêt du capital en caisse et des rentes....... 600 » Dora rat 4.650 » DÉPENSES. 16 NOTES MORE ES R r 3 050 fr. 26 RENTREE SE ER Rene ee 00 » 3° Frais de bureau, chauffage et éclairage......... 150 » A0/Frais divérs et séance publique.....:.......... 600 » 90 Traitement et indemnité pour recouvrements à fasént'de la Société Li rl eu ; 300 » 69 Crédit pour recherches scientifiques. ...:...... 900 » Total ner 4.650 » On s’occupe ensuite de fixer la date et le programme de la prochaine séance publique, et l’on décide que cette séance aura lieu le jeudi 143 décembre et qu’elle comprendra les mor- ceaux suivants : 19 La Société d'Emulation en 1888, discours d'ouverture par M. BOYER, président ; CU —— 20 Les Chants populaires de la Franche-Comté, aar M. Char- les BEAUQUIER, membre résidant ; 3o L'Enfant dans la a causerie, par M. Philippe Goper, de Neuchâtel ; 40 Une femme poète : Madame Elisa de Villers, par M. Edouard GRENIER, membre honoraire. M. Besson présente et analyse oralement un ouvrage de M. Armand Lods, intitulé: Un conventionnel en mission. Cet ouvrage est principalement consacré au rôle que Bernard de Saintes, délégué de la Convention en Franche-Comté et en Bourgogne, joua dans notre pays durant l’accomplissement de son mandat, et surtout à l’annexion du comté de Montbéliard dont cet homme politique fut le principal auteur. Ses procédés, en général, manquèrent de correction et furent empreints de ce caractère de violence et d’arbitraire spécial aux actes des pouvoirs publics à cette époque tourmentée. Il poussa même les choses si loin à cet égard, que Robespierre jeune, délégué lui-même dans nos régions, dut entrer en lutte avec lui pour faire triompher le parti de la modération et même provoquer son rappel. Toutefois, durant son court passage parmi nous, il avait rendu à la France un signalé service. Profitant très habi- lement de l’entrée du due de Wurtemberg dans la coalition et de l’état d'abandon où se trouvait le comté de Montbéliard, alors dépendant de ce prince, il y entra avec quelques troupes et en opéra l’annexion sans lutte et sans effusion de sang. On ne doit donc pas oublier, en le jugeant et en blâmant ses excès et ses violences, que c’est à lui que nous devons un pays remarquable par sa situation, par sa richesse, par l'intelligence et le patriotisme de ses habitants. M. le président remercie M. Besson de son compte-rendu, et on décide que mention en sera faite au procès-verbal. M. Castan donne lecture d’un travail intitulé : La physionomie primitive du Fra Bartolommeo de la cathédrale de Besançon. Ce morceau est retenu pour nos Mémoires. Est pareillement retenue pour l'impression, une pièce de vers: Les carotiers de Soye, due à la plume de M. Charles Thuriet, et dont lecture est donnée par M. Castan. RC Sd de Sd cd di à à ns es NN Sont présentés pour entrer dans la Société : Comme membre résidant, par MM. Ledoux et Nicklès, M. Victor Heitz, docteur en médecine à Besançon. Comme membre correspondant, par MM. Boussey, le docteur Gauthier et Besson, M. Charles-Antoine de Perpigna, proprié- taire à Luxeuil. x Le Président, Le Secrétaire, G. BOYER. E. BESSON. Séance du mercredi 12 décembre 1888. PRÉSIDENCE DE M. BOYER. Sont présents : BUREAU : MM. Boyer, président; Colsenet et Chapoy, vice- présidents ; Besson, secrétaire ; Guillemin, trésorier ; Vaissier, archiviste. MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Bavoux, Boussey, Bonnet, Castan, Dietrich, Ducat, Dunod de Charnage, Fauquignon, Gauderon, Girardot, Girod (Victor), Guillemin (Victor), Haldy père, Paul Laurens, Ledoux, Lieffroy, l'abbé Louvot, Michel (Henri), Nic- klès, Pingaud, Ripps, Saillard, Savourey, Sire. MEMBRES CORRESPONDANTS : MM. Gascon et Jurgensen. Le procès-verbal de la séance du 10 novembre ayant été lu et adopté, M. Castan s’exprime en ces termes au sujet de la mort de M. Marlet, membre résidant : _ «La Société d'Emulation du Doubs apprendra avec regret la nouvelle perte qu’elle vient d’éprouver dans la personne de M. Adolphe MARLET, ancien secrétaire général des préfectures de la Haute-Saône et de la Nièvre. En 1852, alors qu'il était secrétaire de l'Etat civil à la Mairie de Besançon, M. Marlet entra dans notre Compagnie comme membre résidant, et, malgré son éloignement, tint à conserver parmi nous cette place jusqu'à sa mort. De 1854 à 1856, il fit partie de notre conseil d'administration comme vice-secrétaire. Très attaché à DO — la ville d'Ornans, où il était né le 20 septembre 1815, il laisse un mémoire historique important sur cette patrie d’origine des Perrenot de Granvelle. Son ouvrage fut couronné par l’Aca- démie de Besançon, qui décerna ensuite à l’auteur le titre de membre correspondant. M. Marlet était poète à ses heures : un volume de vers publié par lui en 1865, sous le titre de Feuilles détachées, est signé du pseudonyme Louis d’'Athoze ». La Société applaudit. à cette expression de sentiments qu’elle partage et en décide l'insertion au procès-verbal. Le dépouillement de la correspondance relative aux invita- tions qui ont été faites, pour la séance publique et le banquet, donne les résultats suivants : M. le Premier président, M. le Préfet, M. le Procureur général, M. le Maire, M. lInspecteur d’'Académie assisteront aux deux réunions ; M. le Général commandant, Mgr l’Archevêque, M. le Recteur se sont fait ex- cuser. Quant aux Sociétés correspondantes : la Société d'His- toire de Neuchâtel sera représentée par MM. Jules Jurgensen et Philippe Godet; la Société vaudoise des Sciences naturelles, par M. le docteur Max Dufour ; la Société d'Emulation de Mont- béliard, par M. Alfred Bovet; la Société d'Agriculture sciences et arts de Poligny, par M. Gutzwiller. M. Jules Jurgensen, membre correspondant, qui assiste à la séance, communique un intéressant document concernant la formation à Fribourg, en 1795, d’un syndicat de secours mutuel entre les émigrés français. M. Jurgensen offre en outre à la Société un exemplaire en argent de la médaille commémorative de Daniel-Jean Richard, fondateur de l’horlogerie dans les mon- tagnes neuchâteloises. Des remerciements sont votés à M. Jur- gensen. M. Adrien Nicklès, membre résidant, lit un travail sur l’intro- duction du Maté dans l'alimentation. Ce morceau figurera dans notre prochain volume. Est pareillement retenue pour l’impression une étude histo- rique sur Ornans de M. le docteur Meynier, membre correspon- dant, dont lecture est donnée par M. Pingaud. M. Besson exprime l’avis de la commission nommée pour és A in — XXXI — examiner la monographie de Broye-lez-Pesmes, due à M. le docteur Perron. Malgré quelques critiques de détail, le travail de M. Perron a paru à la commission présenter des qualités sérieuses, qui en rendront la publication à la fois intéressante et utile. Cet avis est adopté par la réunion qui vote unanime- ment l'impression proposée. Un scrutin ayant été ouvert au début de la séance, à l’effet d’élire un président et deux vice-présidents pour 1888, un se- crétaire décennal dont les pouvoirs expireront en 1898, un tré- sorier et un archiviste pour 1888, le dépouillement de ce scrutin donne les résultats suivants : Nombre des votants : 26, Pour le Président : M. le docteur Chapoy, 25 voix ; Pour le premier Vice-Président : M. Georges Boyer, 25 voix ; Pour le deuxième Vice-Président : M. Edouard Droz, 26 voix ; Pour le Secrétaire décennal : M. Edouard Besson, 25 voix ; Pour le Trésorier : M. Joseph Guillemin, 26 voix ; Pour l’Archiviste : M. Alfred Vaissier, 25 voix ; En conséquence, le bureau se trouve ainsi formé pour l’année 1889. Est présenté pour entrer dans la Société comme membre correspondant, par MM. Gascon, Castan et Vaissier, M. Louis Gascon, professeur au collège de Baume-les-Dames. Après un vote d'admission en faveur des candidats antérieu- rement présentés, M. le président proclame : Membre résidant, M. le docteur Victor HEtITrz. Membre correspondant, M. DE PERPIGNA (Charles-Antoine), ancien maire de Luxeuil. Le Président, Le Secrétaire, G. BOYER. E. BESSON. Sr DOI Séance publique du jeudi 13 décembre 1888. PRÉSIDENCE DE M. BOYER. Sont présents : BUREAU : MM. BOYER, président; COLSENET et CHAPOY, vice- présidents ; GUILLEMIN, trésorier ; VAISSIER, archiviste. MEMBRES HONORAIRES : MM. le PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR D'APPEL, le PRÉFET DU DOUBS, le PROCUREUR GÉNÉRAL, le MAIRE DE LA VILLE, l’'INSPECTEUR d’'ACADÉMIE. INVITÉ : M. le général FAURE, gouverneur de la place de Be- sançon. DÉLÉGUÉS DES SOCIÉTÉS SAVANTES : MM. Jules JURGENSEN et Philippe GODET, de la Société d'Histoire de Neuchâtel, M. le doc- teur Max DUFOUR, de la Société vaudoise des Sciences natu- relles ; M. Alfred BOveT, président de la Société d'Emulation de Montbéliard: M. Henry BoissELeT, de la Société d'Agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône, M. GUTZWILLER-MÉNY, vice- président de la Société d'Agriculture sciences et arts de Po- ligny. MEMBRES RÉSIDANTS : MM. l’abbé Bailly, Baudin (Léon), Ba- voux, Beauquier, Bonnet, Bretenet, Castan, Gosson, Demongeot, Ducat, Foin, Gauderon, Girod (Victor), Guillemin (Victor), Haldy père, Haldy fils, Paul Laurens, Ledoux, l'abbé Louvot, Mairot, Nicklès, Pingaud, Rémond, Richard (Henri), Ripps, Saillard, Sandoz (Charles), Sandoz (Léon), Sire. MEMBRES CORRESPONDANTS : MM. Coste et Gascon. La séance s’ouvre à deux heures un quart dans la grande salle de l'Hôtel de ville de Besançon, devant un nombreux au- ditoire. Les lectures se succèdent dans l’ordre suivant : La Société d’'Emulation du Doubs en 1888 : discours d’ouver- ture de M. Georges BOYER, président annuel. Les chants populaires de la Franche-Comté, par M. Charles BEAUQUIER, membre résidant ; : — XXXIII — L'Enfant dans la littérature, par M. Philippe GODET, délégué de la Société d'Histoire de Neuchâtel ; Une femme du monde poète : hommage à la mémoire de Madame Elisa de Villers, par M. Edouard GRENIER, membre honoraire, travail lu par M. Castan. Tous ces morceaux seront insérés dans nos Mémoires. Le Président, Le Secrétaire, G. BOYER. E. BESSON. © . XX IN I BANQUET DE 1888. Ce second acte de la solennité du 13 décembre a eu lieu, comme de coutume, dans le grand salon du Palais Granvelle, élégamment décoré, sous la direction de M. l'architecte Ducat, par les soins de MM. Calame, horticulteur, et Dubois-Chevaidel, négociant en bronzes d’art. Le service remarquablement fait, était l’œuvre de la maison Colomat. Soixante convives avaient pris place autour de la table. M. le président BOYER avait à sa droite M. FAYE premier pré- sident de la Cour d’appel, et à sa gauche M. GRAUX, préfet du Doubs; en face, M. le docteur CHAPOY, président élu pour 1889, était assis entre M. le général FAURE, gouverneur de la place de Besançon, et M. REGNAULT, procureur général. Venaient en- suite : M. VUILLECARD, maire de Besançon; M. Charles BEAU- QUIER, député du Doubs ; M. BAILLARD, inspecteur d’Académie ; MM. Jules JURGENSEN et Philippe GODET, anciens présidents de la Société d'Histoire de Neuchâtel ; M. Alfred BOVET, président de la Société d'Emulation de Montbéliard ; M. Henry BoISSELET, de la Société d'Agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône ; M. GUTZWILLER-MÉNY, vice-président de la Société d’Agricul- ture, sciences et arts de Poligny, etc. Au dessert, plusieurs toasts ont été portés : M. le président Boyer a complimenté les membres honoraires et les délégués des Sociétés savantes qui avaient bien voulu répondre à l’appel de la Société ; M. le Préfet du Doubs a porté la santé du Prési- dent de la République française ; M. le premier Président a fé- licité la Société de sa marche aussi généreusement progressive que sagement réfléchie. M. le général Faure a remercié la Société de l'invitation qu’elle lui avait faite comme représentant de l’armée ; M. le maire Vuillecard a donné à la Société l'assurance 4 — XXXV — de toutes les sympathies de la municipalité pour l’œuvre libérale qu’elle poursuit. Des réponses très gracieuses ont été faites par les délégués des Sociétés voisines et amies, MM. Jurgensen, Philippe Godet, Alfred Bovet, Henri Boisselet et Gutzwiller- Mény. Un aimable compliment d'entrée de M. le docteur Chapoy, président élu pour 1889, et quelques mots bien sentis de M. Edouard Besson, au sujet de sa réélection comme secrétaire décennal, ont terminé la série des toasts. - Nous donnons ci-après ceux de ces discours dont le texte nous à été communiqué. ù Toast de M. le président Georges BOYER. « MESSIEURS, » Je vous remercie de l’empressement que vous avez mis à répondre à notre invitation. Merci à vous, Messieurs les membres honoraires, représentants des pouvoirs publics, de l’armée et des hautes administrations dont la présence à notre séance et à ce banquet témoigne de l'intérêt que vous prenez à nos succès ; merci à vous, Messieurs les délégués des Sociétés savantes et chers collaborateurs, qui avez rendu brillante cette fête de l'esprit en nous communiquant vos plus intéressants travaux. Soyez les bienvenus ! » L'année dernière, en vous remerciant du choix que vous aviez fait de ma modeste personne, je ne pouvais vous cacher les appréhensions qui hantaient mon esprit; mais j’ai hâte de le dire, l’indulgence dont vous avez fait preuve à mon égard, a beau- coup facilité ma tâche. Je vous remercie du fond du cœur d’avoir rendu viable cette présidence d’un amateur des sciences natu- relles. Vous avez voulu prouver ainsi que vous saviez encou- rager les efforts de ceux qui se sont donné la mission d’ex- plorer le champ si riche de notre chère Franche-Comté. Vous ne m'avez du reste point ménagé le concours le plus éclairé et le plus bienveillant ; celui de vos éminents secrétaires, dont le dévouement est si hautement apprécié, ne m'a pas manqué chaque fois que j'ai eu recours à leurs lumières. Je les prie d’agréer l'expression de ma vive gratitude. OO ee » J'ai fait de mon mieux pour contribuer à maintenir intactes les relations que nous entretenons avec les Sociétés voisines et amies. Votre sympathique secrétaire et vos délégués, MM. Sire, Girod et Sandoz, m'ont aidé à resserrerles liens d'amitié qui nous unissent ; l’accueil que nous avons reçu à l’île Saint-Pierre et à Montbéliard a été des plus chaleureux. Nous avons rapporté de ces voyages les plus douces impressions et les plus sincères témoignages de la sympathie et de l’estime que vous savez inspirer. Cette partie de ma tâche m'a été particulièrement agréable à remplir. » Les fonctions de président dont votre bienveillance m'a investi touchent à leur terme ; en quittant les pouvoirs que vous m'avez conférés, je suis heureux de les remettre en des mains aussi habiles et expérimentées que celles du successeur que vous m'avez désigné, du savant docteur M. Léon Chapoy qui, à plus d’un titre, mérite l'honneur de présider vos séances. » Je reste, Messieurs, votre collaborateur dévoué et recon- naissant, et je bois à nos nouveaux succès, à la marche toujours ascendante de notre Société. » Toast de M. le général FAURE, gouverneur de la place de Besançon. « MESSIEURS, » Je vous suis très reconnaissant de l'honneur que vous m’avez fait en m'invitant à prendre part'à cette belle réunion, et bien que je n’aie reçu aucune mission officielle pour y représenter . l’armée, je n'hésite pas, comme gouverneur de Besançon, à m'associer, au nom de mes camarades de la garnison, au toast que Monsieur le Préfet vient de porter à notre éminent Président de la République française. » Je suis heureux aussi de vous exprimer toutes nos sympa- thies pour l’œuvre noble et utile qu'accomplit votre Société, en propageant le goût des lettres, des sciences et des arts, et je bois de tout mon cœur à sa prospérité. » ER NN El ES Toast de M. J'ules JURGENSEN, de la Société d'Histoire de Neuchâtel. « MESSIEURS, » Enfin je ne suis plus seul à représenter parmi vous la Société d'Histoire de Neuchâtel ! » Mais je garde le très agréable privilège de vous apporter ici ses salutations confraternelles et l’assurance des sentiments d'estime et de respect qu’elle vous a dès longtemps voués. » Vous lui avez fait l'honneur de déléguer auprès d'elle, en juillet dernier, plusieurs de vos membres éminents : leur pré- sence a été saluée avec la plus grande joie dans le canton de Neuchâtel, et le Locle a bénéficié de leur présence la veille de la réunion générale. » Merci donc, encore et toujours, des preuves d'amitié sin- cère que vous voulez bien nous donner. Le vénérable président actuel, M. le professeur Daguet, membre d'honneur de plusieurs Compagnies savantes de Franche-Comté, me charge spéciale- ment de vous dire qu'il eût été heureux, bien heureux, d’être des nôtres aujourd’hui. Ses quatre-vingts ans ne lui auraient pas pesé pour prendre la route de Besançon, mais ils sont forcés de tenir tête à un rhume opiniâtre qui leur enlève tout loisir de voyager. » Laissez-moi, chers collègues, ne pas borner mes vœux à notre solide et vaillante Société d’'Emulation, ni même à Besan- con et à sa province. Permettez-moi de boire à la France notre voisine aimée et respectée. » Dei providentia, hominuim confusione Helvetia regitur », dit un vieil adage suisse. » Grâce à la protection divine et à la sagesse des citoyens, la Suisse, en dépit de ses trois langues nationales, de ses vingt- cinq états souverains, de ses bigarrures de codes, de climats et d'aspirations, a fini par constituer un tout homogène et d'autant plus respectable, qu’il s’est inspiré des leçons du passé en bà- tissant pour l'avenir. Non, la Suisse actuelle n’est plus une con- fusion. Puisse notre chère France, engagée dans la voie répu- blicaine, s’affermir toujours plus et toujours mieux dans la pra- ee RON tique de la liberté, y trouver gloire et profit, se garder comme de la peste des empiriques qui la voudraient médicamenter à leur profit, — et puisse chacun de ses citoyens se bien pénétrer de la pensée qu'en démocratie les fautes sont plus facilement réparables par le jeu même des institutions démocratiques. » Les scrutins se corrigent les uns par les autres, et, en défi- nitive, le dernier mot reste toujours au pays, seul juge de ses véritables intérêts. » À Besançon ! À la République française! » Toast de M. Alfred Bover, président de la Société d'Emulation de Montbéliard. « MONSIEUR LE PRÉSIDENT, MESSIEURS, » La Société d'Emulation de Montbéliard, que j'ai le privilège de représenter ici, m’a chargé de vous apporter, avec ses con- fraternelles salutations, l’hommage de son inaltérable et res- pectueux dévouement. » Voici longtemps, Messieurs, que nos deux Sociétés sœurs, — votre grande Société de Besançon et notre modeste Société de Montbéliard, — entretiennent des rapports dont nous sommes fiers, à juste titre. Pour vous dire tout ce que nous avons re- tiré de cet échange fécond d'idées et de sentiments, il faudrait plus d’éloquence que je n’en possède ! Et cependant, il est bien facile, et permettez-moi d'ajouter, il est bien doux de vous louer : pas n’est besoin d’éloquence pour cela, — le cœur suffit. Vous joignez, en effet, Messieurs, à bien d’autres talents, celui, — non le moins précieux de tous, — de faire de vos invités des amis. Cest ce que j’éprouvais encore en assistant tantôt à votre belle séance, toute ensoleillée par la délicate courtoisie de votre aimable président, et par la bonne grâce toujours in- dulgente de M. Castan, ce maître que nous vous envions tous. » Je bois donc, sans plus, à la grande et vaillante Société d’'Emulation du Doubs, qui, fidèle à ses nobles traditions, nous a conviés une fois de plus à ces fêtes et à ces banquets, où l’'ambroisie coule à larges flots, pour la plus grande joie de nos esprits et de nos cœurs. » Éd à — NKKIX — Toast de M. Henry BoISsELET, de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Haute-Saône. « MESSIEURS. » J’espérais n’avoir pas seul l'honneur de représenter, ce soir, à votre fête annuelle, la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Haute-Saône, et je regrette vivement qu’une voix aussi peu autorisée que la mienne vous apporte l'expression de toute notre sympathie et de toute notre gratitude. » Permettez-moi cependant de vous dire tout l'intérêt avec lequel nous lisons vos savants mémoires, bien faits pour nous donner de véritables modèles et de puissants motifs d’émulation. L’émulation, vous l'avez fait naître parmi nous, cette année, dans notre sphère bien modeste. Peut-être est-il trop téméraire de ma part, de venir, après avoir applaudi à vos nombreux succès, vous annoncer que nous avons créé une section de Photographie, adjointe à celle déjà existante d'Archéologie. Elle ne compte guère que six mois d'existence, et fait preuve déjà d’une certaine vitalité, grâce au grand nombre d’adhésions qui lui sont parvenues jusqu'alors. Elle a même osé déjà se pro- duire en public et faire une exposition de ses œuvres presque toutes inédites. » Nous est-il permis du moins d'espérer que vous, Messieurs, habitants de notre vieille métropole, vous nous favoriserez de vos visites, sinon pour constater nos progrès, du moins pour nous encourager | » Au nom de la Société d'Agriculture, Sciences et Aris de la Haute-Saône, je vous remercie encore une fois de votre si cordial accueil, de votre si charmante hospitalité ; et je bois à la prospérité toujours croissante de la Société d’'Emulation du Doubs. » Toast de M. GUTzWILLER-MÉNY, vice-président de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de Poligny. € MESSIEURS, » L'accueil que j'ai reçu ici, en 1887, m’a fait accepter avec le @ plus grand plaisir la mission de représenter une fois de plus auprès de vous la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de Poligny. » Les membres de cette Société m'ont chargé de vous remer- cier de votre aimable invitation et de vous dire qu’ils sont fiers de pouvoir compter sur vos sympathies et sur la haute protec- tion que vous accordez à notre Société. » Personnellement, Messieurs, comme Alsacien, je considère comme un double honneur pour moi de représenter une So- ciété Jurassienne et de me trouver au milieu des hommes supé- rieurs de notre belle Franche-Comté, de l’élite des réprésen- tants et des fonctionnaires de notre grande patrie, la France, sans oublier les délégués de nos amis fidèles de la Suisse. » Mais, Messieurs, combien je m’estimerais plus heureux en- core si je pouvais, sans avoir aucune frontière à franchir, vous apporter le salut de nos frères de là-bas, de ceux qui souffrent en attendant des temps meilleurs, de ceux dont l’amour pour la France perce les Vosges, en même temps que la haine pour leurs oppresseurs traverse le Rhin. » Je bois à la réalisation de leurs espérances ! » Je porte un toast à la Société d’Emulation du Doubs, je bois à la santé de tous ses membres. » Toast de M. le docteur CHAPOY, président élu pour 1889. « MESSIEURS, » Si la haute mission de présider vos séances ne devait jamais appartenir qu’au plus méritant et au plus digne, votre choix, ordinairement si juste et si éclairé, risquerait fort de paraître inconséquent jusqu'à l’aveuglement, indulgent jusqu’à la par- tialité. Combien de noms, en effet, auraient dû, plutôt que le mien, rallier vos suffrages ! à commercer par celui que vous avez tous sur les lèvres, que l’Institut a inscrit sur la liste de ses correspondants et que vos Mémoires s’étonnent à bon droit, chaque année, de voir figurer obstinément dans les pages con- sacrées au travail, sans qu’une seule fois encore il ait occupé la place réservée à l'honneur. rene 4 QE PE » Mais, heureusement pour moi, il n’est point nécessaire d’avoir accumulé des titres aussi nombreux qu'indiscutables pour s'élever au premicr rang parmi vous : il suffit de vous avoir donné quelques preuves d’un sincère amour de la science et d’un profond dévouement à l’œuvre commune. Vous êtes fiers des succès de vos illustrations et vous les acclamez avec enthousiasme, mais aussi vous savez tenir compte des plus humbles efforts et rendre hommage à toutes les bonnes vo- lontés. » Eh voilà pourquoi, par une faveur exceptionnelle, suspen- dant la distribution des prix d'excellence, vous m'avez gracieu- sement accordé un prix d'encouragement. » Et bien, cette récompense si grande en elle-même et pour- tant si atténuée par sa signification, permettez-moi de la rece- voir avec bonhenr, avec reconnaissance; non seulement parce que je comprends tout ce qu’elle a de flatteur pour ma personne, mais encore et surtout parce qu’elle est une preuve irréfragable de la confraternité et de l’égalité qui règnent dans notre mi- leu. » En mettant à votre tête un de vos plus modestes collabora- teurs, vous venez de montrer une fois de plus que dans notre Société, s’il existe des droits, il n’y a point de privilèges, et que si vous professez le plus grand respect pour la noblesse scien- tifique, littéraire et artistique qui la personnifie, vous avez aussi en haute estime le tiers-état des travailleurs qui lui sert de pié- destal. » Sans doute le souvenir de la date mémorable qui sonnera dans quelques jours à l’hofloge des siècles a dû avoir son in- fluence sur l'élection présente; mais est-il utile de dire que notre constitution ne court aucun risque et qu'il n’est personne qui éprouve le besoin d’être rassuré? Votre vote a marqué une phase naturelle de votre évolution; il n’est point, il ne peut pas être le signe précurseur d’une révolution. » Votre président, quel qu’il soit, rencontre, dès son entrée au pouvoir, des traditions immuables que garde avec le soin le plus scrupuleux un bureau modèle établi avant lui et destiné à lui survivre. Qu'importe, vous disait-on naguère, que le prési- dent passe, ici les ministres restent. d nr DUT » Et quels ministres! Ne les connaissez-vous pas assez pour être certains que leur valeur suppléera à mon insuffisance ! » Qui donc ignore les qualités brillantes de notre secrétaire décennal : magistrat intègre, orateur disert, écrivain distingué, causeur affable, et pour tout dire en deux mots, homo bonus, dicendi peritus, qui serait assurément le plus parfait entre tous, si la calligraphie ne lui avait absolument refusé ses secrets ? » Qui n’a apprécié à son taux réel notre trésorier, si expert en matière de finances, — je ne parle point de ses aptitudes cachées ; — et avec cela, toujours si souriant et si enjoué qu’on le croirait sans cesse occupé à faire mentir le poète qui nous parle Des figures de banque avec leur front plissé Où l’on voit que la veille un total a passé. » Et notre bibliothécaire-archiviste, si ponctuel, si métho- dique, si méticuleux, antiquaire érudit doublé d’un véritable artiste, et qui n’a pas de plus grand bonheur que d'ouvrir au | grand jour ses vastes collections si ce n’est celui de les enfer- mer le soir à double tour. » À côté de la consolante perspective de s'appuyer sur de tels auxiliaires, quel charme de prendre le fauteuil sans risquer de trouver un ennemi dans son prédécesseur, ni dans son succes- seur désigné un envieux! Vos présidents de trois années se serrent cordialement la main et relient dans une trinité parfaite les gloires du passé, les luttes du présent et les espérances de l’avenir. » N’ai-je pas lieu pour ma part de me féliciter du sort que vous m'avez réservé en me donnant pour assesseurs deux de nos plus sympathiques collègues. L'un est notre président sor- tant, et, Comme tel, je lui dois les plus vifs remerciements pour la bonté avec laquelle il vient de me présenter au milieu de vous; mais C’est depuis longtemps déjà un de mes excellents amis et, à ce titre, je me vois contraint de lui adresser un double reproche : d’abord d’avoir été trop bienveillant à mon endroit, ensuite d’avoir accru, par le zèle incessant, la compétence pro- fonde et le tact délicat dont il a fait preuve durant sa prési- dence, les difficultés qui me font hésiter au début de mes nou- velles fonctions. ma XII » L’autre est un de nos professeurs de lettres dont le talent n’a d’égal que l’aménité. La Sorbonne et l’Académie française ont félicité et récompensé l’auteur de l’étude remarquable inti- tulée : Le Scepticisme de Pascal. Or, Messieurs, s’il est un scep- ticisme que la raison autorise, il y a des vérités qui s'imposent à mon esprit. Et si je dois douter, quoique placé au zénith, de pouvoir par moi-même jeter une faible lueur sur le domaine que nous allons parcourir ensemble, j'ai lieu d'affirmer qu’une vive lumière vous sera dispensée, et par l’astre qui se couche et par l’astre qui se lève. » Cest dans cette conviction, Messieurs, que je bois à la So- ciété d'Emulation du Doubs, en faisant les meilleurs vœux pour son union, pour sa prospérité, pour sa grandeur. » 7” + CE Wok Pen in +" DE LA LEA SOCIÈTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS EN 1888 Discours d'ouverture de la séance publique du jeudi 13 décembre Par M. Georges BOYER PRÉSIDENT ANNUEL. MESDAMES, MESSIEURS, C’est pour moi une mission bien honorable en même temps que bien délicate à remplir que celle qui consiste à vous re- tracer brièvement le tableau des œuvres accomplies par notre Compagnie durant l’année qui touche à son terme. Il est sans doute flatteur d’inaugurer cette solennité devant une réunion si choisie et si nombreuse; mais il est périlleux aussi de risquer dès l’abord d’abuser de sa bienveillance en lui présentant une aride nomenclature trop semblable à une table des matières. Et pourtant cette nomenclature à sa rai- son d’être ; cette table des matières est utile et même néces- saire. C’est la seule preuve que nous puissions donner que nous nous sommes montrés dignes de l’estime de nos com- patriotes, de la sympathie des pouvoirs publics, du concours empressé dont vous voulez bien chaque année honorer nos séances solennelles, et dont vous nous faites bénéficier en- core une fois à l'heure présente. Notre Société, Messieurs, va bientôt atteindre son demi- siècle, et, je le dis avec une fierté légitime, non seulement 4 Le DOS éd elle n’a pas subi les atteintes de l’âge, mais elle porte encore en elle ia sève printanière et les espérances fécondes de la jeunesse. Cette année, comme les précédentes, elle s’est maintenue dans cette voie de sage et large progrès où elle est entrée dès longtemps, et a produit dans les genres les plus divers des travaux nombreux dont je ne puis ici que vous retracer les grandes lignes. Dans l’ordre scientifique, je citerai d’abord les écrits d’un de mes prédécesseurs à la présidence, M. le docteur Albert Girardot. Ce savant distingué poursuit ses recherches rela- tives aux coralligènes qui vivaient fixés sur les hauts fonds des mers jurassiques. Ces polypiers, les premiers construc- teurs de la charpente du globe, nous ont laissé des masses puissantes de sédiments pétris des débris de leurs orga- nismes ; les récifs qu'ils ont édifiés témoignent de la part revenant aux phénomènes biologiques dans la sédimenta- tion. Il est intéressant de suivre, à travers les âges, leurs migrations et leurs développements. Ces études feront l’objet d’un important mémoire où bien des faits nouveaux trouve- ront leur place. Parmi les multiples applications dont la géologie est sus- ceptible, il s’en trouve peu, à coup sûr, d’aussi importantes que celles ayant trait à l'hygiène qui, dans une certaine me- sure, dépend des propriétés physiques du sous-sol. M. le docteur Girardot à entrepris de rechercher quelle est la constitution du sous-sol bisontin. Une note préliminaire, seule rédigée jusqu’à aujourd’hui, nous apprend déjà que notre ville est construite sur des terrains rapportés ou re- maniés appartenant aux époques historiques, et que ceux-ci ont eux-mêmes pour base des amas graveleux des anciennes alluvions avec intercalation de lits lenticulaires de vase. Ces dépôts vaseux ou limoneux, correspondant aux phases de calme du phénomène de transport, déterminent le niveau aquifère atteint par différents puits. En outre, il est probable que, dans la partie haute de la ville, le niveau imperméable a se trouve en rapport avec des paquets de marnes oxfor- diennes se rattachant stratigraphiquement à la couche en place qui affleure au Mont-de-Bregille. L'enquête se poursuit, et ce sera pour la Société d’Emula- tion à la fois un honneur et une bonne fortune de pouvoir donner à notre corps médical la base véritable des recherches à faire. en vue d'améliorer l'hygiène locale. Aussi bien cette hygiène a-t-elle besoin d’être améliorée ? Est-elle bonne? est-elle mauvaise? Adhue sub judice lis est. La question est bien loin d’être résolue et divise forte- ment notre corps médical, dont une partie voudrait voir dans Besançon un foyer pestilentiel aux émanations délétères et morbides, tandis que l’autre est tentée d’en faire un Paradis terrestre, nous garantissant à tous les meilleures conditions de séjour et une longévité certaine. Nous n'avons pas qua- Lie: quant à nous, pour trancher le débat et faire cesser cette guerre intestine, bien qué nous pensions dans notre modeste _inexpérience que notre ville n'a mérité ni cet excès d’hon- neur, ni cette indignité. Tout ce que nous voulons retenir de la question, c’est qu'elle nous a valu cette année un remar- quable mémoire de M. le docteur Chapoy, qui n'hésite pas à se ranger résolûment parmi les plus optimistes, et sut nous charmer non seulement par son talent d'écrivain et le savant éxposé de ses vues, mais par les agréables perspectives de santé florissante et d'existence prolongée qu'il à fait miroiter aux regards intéressés de ses auditeurs. La botanique a toujours occupé dans nos Mémoires une place des plus honorables. Cette année encore, M. le profes- seur Antoine Magnin nous a fait, relativement à cette-science, de fort intéressantes communications auxquelles nous ne re- prochons que d’avoir été seulement orales et de ne pouvoir ainsi être soumises à nos lecteurs qu comme nous, en au- raient fait leur profit. Les rouilles des céréales, et influence de Pépine-vinette sur leur développement, ont été de la part de notre confrère ee l’objet d’une étude sérieuse. Suivant lui, le rôle attribué à cet arbuste est quelque peu exagéré, tandis qu’on néglige d’autres facteurs de la propagation des rouilles. Le transfert des spores à grande distance par les vents, l’action du milieu et celle du sol en particulier, pourraient expliquer beaucoup d'anomalies dans la marche de ce fléau de l’agriculture. Les contrastes en petit, présentés par la végétation calci- cole, ont eux aussi attiré l'attention du savant botaniste. Dans la région bisontne, la flore contrastante des terrains de trans- port siliceux, des chailles remaniées de l’oxfordien et des affleurements du grès vert, avait été étudiée par l’éminent professeur Grenier. Mais M. Magnin a signalé de nombreux ilois de plantes à appétence siliceuse qui avaient échappé aux recherches des botanistes, notamment dans les bois de Chailluz et de la Chaille, au niveau de la couche à silex du Bajocien. : Nous appellerons aussi tout particulièrement votre atten- tion sur l’usage du Maté préconisé avec succès par M. Adrien Nicklès. D’après notre confrère, cet aliment, très répandu dans l'Amérique du Sud, a les mêmes qualités que le café, le thé et la coca, sans en avoir les mêmes inconvénients, quand bien même il est absorbé à doses élevées. C’est l'aliment d'épargne par excellence, car il permet de se livrer pendant plusieurs jours à des travaux de force sans prendre d’autre nourriture. Il serait à souhaiter que l’usage d’une substance si bienfaisante et si utile se généralisât parmi nos popula- tions. : En terminant cet exposé des travaux scientifiques com- muniqués à notre Compagnie, il est de toute convenance de signaler le nouveau succès obtenu par un ouvrage qui, de- puis longtemps, occupe un rang distingué dans nos publi- cations. Cet ouvrage, où M. Georges Sire a si nettement exposé la théorie du polytrope, ingénieux appareil inventé par lui pour démontrer les lois de la rotation des corps nn célestes, cet ouvrage, dis-je, a eu les honneurs d’une tra- duction italienne et va paraître à Sienne, accompagné d’ad- ditions faites par son savant auteur. Nous ne pouvons qu’ap- plaudir à cet hommage rendu au mérite d’un confrère en qui nous honorons la supériorité des talents unie à la dignité du caractère. L’archéologie et l’histoire locales n’ont jamais perdu leurs droits au sein de notre Compagnie. Brillamment représentées dans chacun de nos volumes, elles y ont pour principal in- terprète notre savant secrétaire honoraire M. Castan. Cette année en particulier, l'éminent bibliothécaire nous a prodi- gué les trésors d’une érudition servie par un esprit pénétrant aussi bien que par une plume de rare valeur. Le mémoire le plus important que nous imprimerons de lui à trait à l’an- cienne école de peinture et de sculpture de Besançon. Avant leur réunion à la patrie française, la province de Franche-Comté et la ville de Besancon furent incessamment sous le coup d’invasions à subir ou de désastres à réparer. Conséquemment la culture des arts ne put s’y associer aux mœurs publiques, et ce fut à l'étranger que les Comtois des seizième et dix-septième siècles firent œuvre d'artistes ou de protecteurs des arts. Mais la province qui avait donné à l'Italie le compositeur Claude Goudimel et les trois peintres du nom de Courtois, qui avait fourni à l'Allemagne le sculp- teur Pierre-Etienne Monnot, auteur du Marmorbad de Cassel, ne pouvait manquer d'accueillir avec faveur l'établissement à Besançon d’une école gratuite de peinture et de sculpture. Une première tentative de cet établissement, faite en 1759 par le sculpteur Philippe Boiston, de Morteau, ne survécut pas au départ de l’intendant impopulaire qui lPavait patron- née. Mais en revanche deux artistes comtois, le bisontin Donat Nonotte et le graylois François Devosge, réalisèrent avec plein succès, l’un à Lyon et l’autre à Dijon, l’entreprise qui n'avait pu réussir dans la capitale de la Franche-Comté. Encouragé par ce double exemple et désireux d’acquitter pe envers Besançon, sa ville natale, une dette résultant de lap- prentissage gratuit du métier dont il avait primitivement vécu, le statuaire Luc Breton, déjà connu par des succès remportés à Rome, eut la généreuse pensée de faire revivre, sur des bases plus larges, l’école que Philippe Boiston s'était vu contraint d'abandonner. Associé avec un de ses cama- rades d’études, le peintre suisse Melchior Wyrsch, Luc Bre- ton obtint pour son idée le plus efficace des patronages, celui de l’intendant Charles-André de Lacoré, magistrat dont on a pu dire qu’il avait trouvé la Franche-Comté bâtie en pierre et qu'il la laissait reconstruite en marbre. Encouragée par la municipalité bisontine, dotée par le gouvernement de Louis XVI d’une subvention annuelle de 3000 livres, école gratuite de peinture et de sculpture de Besançon prospéra jusqu’à la Révolution française. Elle a formé quelques artistes d’un talent réel et contribué grandement à recruter ce per- sonnel d'ouvriers habiles qui ont doté les hôtels de Besançon de boiseries admirables et de ferronneries d’une élégance su- périeure. Ce morceau remarquable, et formant un pett volume, ne sera pas le seul consacré par M. Castan dans notre prochain recueil aux questions artistiques. Tout récemment il établis- sait l'identité d’un peintre comtois, Claude Rately, en reli- gion frère Prothade, de l’ordre des capucins. Get arüste, auteur d’une Vierge aux Saints qui figure dans notre église de la Madeleine sous la signature du peintre bisontin Claude Rately, suivie du millésime 1636, n’est autre que le peintre Prothade Rately, mort à Salins sous le froc des capucins en 1653. Déjà le P. Raphaël, de Besançon, capucin lui-même, avait conjecturé que Claude et Prothade étaient le prénom de baptème et le surnom de religion d’un même artiste qui s'appelait Rately. M. Castan a transformé cette conjecture en certitude au moyen d’un document positif, et 1l a ainsi ajouté un intéressant article à la biographie des artistes provinciaux qui appartiennent à la Franche-Comté. dr Quittons l’église Sainte-Madeleine, et transportons-nous devant la toile magistrale de Fra-Bartolommeo qui orne une des nefs de la cathédrale, et qui, parmi les tableaux que Besançon se flatte de posséder, occupe sans conteste le pre- mier rang : c’est le meilleur ouvrage existant en France d’un artiste qui fut l’un des plus chers amis et le plus éminent des émules du divin Raphaël. On savait que le tableau en ques- tion avait été commandé en 1511 par le grand archidiacre Ferry Carondelet pour l’église Saint-Etienne, la seconde des cathédrales de Besançon ; mais cet ouvrage étant d’une dis- tinction irréprochablement soutenue, on ne comprenait pas pourquoi la moitié de son paiement avait été faite à Mariotto Albertinelli, collaborateur de Fra-Bartolommeo, bien que lui étant inférieur comme artiste. M. Castan a élucidé cette ques- ton. Il a trouvé un texte disant que le tableau actuel de Fra- Bartolommeo était originairement surmonté d’une gloire re- présentant le couronnement de la Vierge, peinte et signée par Mariotto Albertinelli. Une petite répétition du tableau, qui appartient à M. le marquis de Terrier-Santans, montre ce qu'était ce couronnement, et a permis à M. Castan d’en retrouver les débris au musée royal de Stuttgart. Ne serait-il pas possible de faire exécuter une copie sur bois de cette gloire et de la replacer au-dessus du tableau actuel? On ferait ainsi revivre la physionomie d'ensemble d’un ouvrage dont une seule partie, heureusement la meil- leure, est le principal des joyaux artistiques de l’église mé- tropolitaine de Besançon. Les savantes recherches de notre confrère ne se sont du reste point limitées à notre territoire. En visitant les princi- paux musées de l’Europe, M. Castan a eu de fréquentes occa- sions d'interroger des portraits anonymes et de les con- traindre à révéler le nom du peintre producteur ainsi que celui du personnage représenté ; plusieurs catalogues de galeries célèbres lui doivent d'importantes révélations de cette nature. Au mois de juillet dernier, il nous lisait une neo étude très remarquable sur l’un des plus vigoureusement colorés parmi les portraits de Van Dyck, celui du graveur Jean de Montfort, dont il existe deux exemplaires, Pun au Belvédère de Vienne, l’autre à la tribune du Musée des Offices de Florence. M. Castan a déterminé la date de cette œuvre puissante, en fournissant les curieux détails d’une autopsie de la tête dont Van Dyck a si bien représenté le joveux visage. En dehors de ces questions d'histoire de l’art où il apporte un goût si délicat joint à une compétence si incontestée, M. Castan en a traité, dans nos réunions, plusieurs autres qui n’offraient ni moins d'importance, ni moins d'intérêt. Nous lui devons notamment un morceau relatif à un anneau de fiançailles de l’époque romaine retrouvé dans le sol du cime- tière antique qui avoisine le château de Vaire-le-Grand, sur la rive gauche du Doubs, ainsi qu’une dissertation des plus ingénieuses sur l’origine du surnom de Chrysopolis donné à la ville de Besançon à partir du neuvième siècle. C’est enfin de concert avec M. l'architecte Ducat, dont le zèle et le dévouement sont si hautement appréciés, que notre infatigable secrétaire honoraire dirige les travaux entrepris pour le dégagement des substructions de nos antiques arènes. Notre sympathique confrère M. Vaissier prête éga- lement à cette entreprise son habile et précieux concours. Prochainement vous verrez s’organiser au nord de Besançon un square analogue à celui que les travaux et les découvertes de M. Castan ont créé au pied de la citadelle. L'histoire locale nous à encore valu d'importants travaux qui figureront dans notre volume de cette année. C'est ainsi que M. le docteur Perron a retracé, dans un récit bien or- donné et entremêlé d’études sociales et économiques, les annales de la commune de Broye-lez-Pesmes, son pays natal. Hier encore, on nous lisait les premiers chapitres d’une his- toire d’Ornans due à la plume autorisée de M. le docteur Meynier. Cette histoire présentera un grand intérêt, ne füt-ce que comme celle du pays d’origine des Perrenot de Gran- 10 velle, dont le rôle fut si prépondérant au seizième siècle et qui furent, en Franche-Comté, de si dévoués Mécènes des lettres et des arts. M. Edouard Besson ne tient pas seulement avec facilité et talent la plume de secrétaire de notre association. Il aime à nous mettre au courant des travaux émanés de Franc-Com- tois ou ayant trait à notre province. Nous insérerons notam- ment de lui une fine analyse d’un livre dû à la plume du célèbre géologue Jules Marcou, historien à ses heures, qui, dans des hypothèses ingénieuses, bien que peut-être con- testables, a recherché l’origine véritable du nom de l’Amé- rique. Tout récemment, notre secrétaire, dans une intéressante conférence, nous rendait compte d’un ouvrage-de M. Armand Lods, ayant pour l’histoire de notre province une importance capitale. Il s’agit de la biographie de Bernard de Saintes, qui fut quelque temps délégué de la Convention en Franche- Comté et en Bourgogne, et provoqua pendant Sa MISSION l'annexion à la France de la principauté de Montbéliard. Ce n’était pas un homme bien tendre que Bernard de Saintes, si l’on en juge par ce fait : que Robespierre jeune lui-même dut réprimer ses ardeurs excessives et même provoquer son rappel. Mais il ne faut pas oublier en le jugeant que c’est à lui que nous devons la réunion à la France d’une région riche, industrieuse, peuplée d’une race pleine d'intelligence, d'énergie et de patriotisme, à laquelle notre pays devait, sitôt après cet évènement, des hommes tels que Cuvier, dont le département du Doubs peut ainsi s’enorgueillir d’avoir été le berceau. Nous imprimerons également de M. Besson le compte- rendu d’une mission que nous avons eu, en compagnie de M. Léon Sandoz, le plaisir de remplir avec lui auprès de la Société d'histoire de Neuchâtel. Cette savante et aimable So- ciété avait bien voulu nous convier à la réunion solennelle qu’elle donnait à l'ile Saint-Pierre, au centre du lac de 40 -— Bienne. Comment résister à la perspective d’attrayantes communications faites au sein d’un paysage enchanteur qu'habite encore l’ombre d’un grand écrivain qui fut le pre- mier des peintres de la nature ! Notre réception et notre séjour à l’île Saint-Pierre n’ont pas déçu notre attente, et M. Besson, qui s'était fait, au banquet de clôture de la fête, l’éloquent interprète de nos sentiments d’admiration et de gratitude, à su encore retracer pour nos Mémoires, en quel- ques pages colorées et émues, les souvenirs enchanteurs que nous avait laissés notre trop court séjour chez nos amis de Suisse. Mais, Messieurs, notre voyage ne nous à pas seulement procuré dans une large mesure les plaisirs des yeux, de Pes- prit et du cœur; il nous a encore valu une rare bonne for- tune dont vous allez vous-mêmes bénéficier dans un instant. Cest dans ce voyage, en effet, que nous avons connu et apprécié personnellement pour la première fois le président de la Société d’histoire.de Neuchâtel, M. Philippe Godet, et c’est alors qu'il a bien voulu consentir à nous apporter au- jourd’hui le précieux concours de son talent et de sa parole. Qu'il nous laisse l’en remercier et lui dire que si nous avions déjà admiré en lui le poète célébrant, en des strophes en- flammées, l’amour de son beau et noble pays, nous n’atten- dions pas moins du conférencier qui du reste a déjà fait ses preuves en France, et dont la réputation nous était connue bien avant la personne. Dans ce compte-rendu de voyages et de délégations auprès des sociétés savantes, nous serait-il possible de passer sous silence le charmant accueil que nous avons reçu, au prin- temps dernier, en compagnie de MM. Sire et Girod, de la part de la Société d'Emulation de Montbéliard ? Mais aussi cette Société voisine et amie nous a depuis long- temps si bien habitués à ses bons procédés à notre égard, qu’elle nous a presque Ôté le droit de lui en rendre grâce. J'ai cru devoir cependant consigner dans nos Mémotres le oh — souvenir de ses attrayants enseignements, aussi bien que celui de son affectueuse et cordiale hospitalité. Enfin notre dernier volume, mis en distribution depuis quelques mois, a droit à une mention toute spéciale : il con- tent plusieurs dessins dus au talent distingué de M. Henry Michel, toujours disposé à nous prêter le gracieux con- cours de son habile crayon. - J'aurais fini, Messieurs, s’il ne me restait un devoir dou- loureux mais nécessaire à remplir. La mort à fait parmi nous des vides aussi nombreux que regrettables. Elle a frappé, comme elle le fait trop souvent, en aveugle, ceux qui comp- taient parmi les meilleurs et les plus aimés de nos confrères. Nous avons perdu notamment un des membres de notre bureau, M. le docteur Faivre, qui était des nôtres depuis plus de vingt-cinq ans, et dont la coopération nous avait été particulièrement utile et précieuse. Le dernier maire de Besançon, M. Bruand, nous apparte- nait comme tel au titre honoraire. Nous avions fréquemment reçu des marques de la bienveillance de cet homme si dé- voué aux intérêts publics et surtout si foncièrement bon, et nous nous sommes associés au deuil que sa mort a causé dans notre ville où, suivant le mot de notre secrétaire dans la notice qu’il a consacrée à sa mémoire, « M. Bruand avait su non seulement être utile à ses concitoyens, mais ce qui vaut mieux encore, s’en faire universellement aimer ». Tout dernièrement encore, nous perdions un autre de nos membres honoraires les plus distingués, M. le comte de Crenneville, dont la famille était d’origine française, mais qui jouait un rôle éminent à la cour de Vienne, comme gé- néral de division et grand chambellan de l'empereur d’Au- triche. La Bibliothèque de Besançon doit à la munificence de ce grand seigneur, aussi éclairé que libéral, de magni- fiques ouvrages. Nous avions été heureux et fiers qu'il voulüt bien être des nôtres ; mais il l’a été trop peu de temps. Nous devons également un témoignage de nos regrets à oo la mémoire de M. Frédéric Rétif, ancien directeur de l’enre- gistrement, des domaines et du timbre à Besançon, dont la mâle et belle figure est encore présente à la pensée des nom- breux amis qu'il comptait dans notre ville, évoquant en même temps le souvenir des rares qualités d'esprit et de cœur qui le leur avaient rendu si cher. Nous n’oublierons pas non plus M. architecte Saint-Ginest à qui notre ville doit tant de constructions empreintes d’un véritable cachet artistique, et du talent duquel nos Mémoires ont gardé la trace. Son confrère et le nôtre, M. Ducat, s’est fait sur la tombe du regretté défunt l'interprète de nos sen- timents. Nous l’en remercions ici. Nommons encore M. l’ingénieur en chef Eugène Maire, M. le docteur Ernest Morel et M. le docteur Etienne Mus- ion. La vive intelligence du docteur Muston s'était concen- trée sur la région de Montbéliard : il en avait scruté le passé préhistorique aussi bien que raconté les entreprises indus- irielles contemporaines. Une paralysie prématurée semblait lavoir condamné au renos ; mais la vigueur de la volonté suppléa chez lui à l'insuffisance des organes, et sa vie intel- lectuelle demeura, malgré tout, utile et active jusqu’à l’âge de soixante-dix ans. De cet homme érudit et bienfaisant, je dirais davantage si M. le docteur Girardot n'avait commenté dans nos recueils ses intéressants travaux. Et pour terminer cette funèbre liste mortuaire, mention- nons la mort toute récente de M. Adolphe Marlet, ancien secrétaire général des préfectures de la Haute-Saône et de la Nièvre. Originaire d’Ornans, notre regretté confrère était membre de notre Société depuis 1852 ; il y avait occupé, de 1854 à 1856, le poste de vice-secrétaire. Il laisse des re- cherches approfondies sur l’histoire de sa ville natale et un recueil de poésies publiées sous le pseudonyme de Louis d’Athoze. J'ai terminé, Messieurs, la plus triste partie de ma tâche. Je crains qu'elle ne vous ait paru longue et qu’elle ait ré- AE pandu comme une teinte de tristesse sur les débuts de cette réunion. Mais le respect des morts, et le souvenir ému qu’on leur garde, sont des sentiments que vous partagez avec nous et dont l’évocation est seule capable d’adoucir les regrets qu'ils laissent après eux. Qu'il me suffise d'ajouter que, comme dans les armées bien conduites, nous avons su ré- parer nos pertes. Vous avez pu juger par ce rapport très court, mais trop étendu peut-être, à votre gré, que nous n'avons pas dégé- néré de nos devanciers. Vous allez vous en assurer mieux encore en entendant les morceaux qui figurent à notre pro- gramme, et ce sera pour nous tous un plaisir que je ne veux pas retarder davantage. LES CAROÏTIERS DE SON. PETIT CONTE FRANC-COMTOIS À MES CONFRÈRES DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS Séance du 10 novembre 1888. Ce n’est pas en vain, je le crois, Que de nos jours, comme autrefois, Un commun proverbe s’emploie. On dit : Les Garottiers de Soye. Désirez-vous savoir pourquoi? Eh bien! Messieurs, écoutez-moi. Un paysan de ce village, Touchant à son dernier moment, Voulut, suivant un bon usage, À sa femme, par testament, Donner un petit témoignage De son fidèle attachement. « Je lègue », dit-il, « à ma femme, » Mon bon cheval et mon vieux chien. (1) Soye, gros village du canton de l’Isle-sur-le-Doubs, qui figure déjà dans un titre de 1040. C'était le chef-lieu d’une seigneurie qui a donné son nom à une riche et noble famille. Payen de Soye vivait en 1130. I est fait mention de libéralités faites par cette famille à l’abbaye de Lieu-Croissant, située dans le voisinage. Ce fut probablement cette maison qui érigea l’an- cien château de Soye, dont il ne reste aucune trace. Un autre plus moderne, quoique d’une époque plus reculée, a été élevé sur l'emplacement de l’an- cien par la maison de Jouffroy, à laquelle appartint la seigneurie de Soye. Les murs de ce château, qui existe encore, ont deux mètres d'épaisseur. Deux gracieuses tourelles sont placées à la porte principale. Quoiqu'il en soit de ces châteaux, de cette terre de Soye et de son histoire assez peu in- téressante du reste, il existe un dicton populaire qui se perpétue avec téna- cité sur les habitants de ce pays. On les appelle les Carottiers de Soye, ds (C'était le plus clair de son bien.) » Mais je dois songer à mon âme ! » Le cheval a de la valeur, >» Si le chien ne vaut pas grand’chose. » Pour ma femme, de très bon cœur, » De l’un et l’autre je dispose; » Mais à ma disposition, » Elle permettra que je pose » Une simple condition. » Je m'explique : elle devra vendre » Le cheval, et, sans rien en prendre, » Verser tout le prix, en passant, » Au bon prieur de Lieu-Croissant, » Afin que pour mon àme il prie. » Quant au vieux chien, elle en fera, » Sans que cela me contrarie, » Tout ce que bon lui semblera ». Peu de temps après, le digne homme Mourut vraiment, et Dieu sait comme Sa pauvre femme le pleura! « Que le bon Dieu le mette en gloire! » Disait-elle avec charité ; Et par respect, comme on peut croire, Pour sa dernière volonté, Elle conduisit à la foire La plus prochaine de Clerval, Ou de l'Isle, chien et cheval. Un homme du pays d’Ajoie (1), Qui circulait sur le marché, Du cheval s'étant approché, Offrit à la femme de Soye Cent écus de cet animal. (1) Le pays d’Ajoie, arrondissement de Montbéliard, On nomme Ajoulots _ les habitants de cette contrée. Une ancienne danse particulière à ce pays était appelée l’Ajoulotte. Elle était défendue sévèrement et on était, parait-il, bien coupable quand on avait dansé une ajoulotte, 40 —= « Voici », dit-elle, « un bon apôtre ! » Mais je ne vends pas l’un sans l’autre; » Prenez le chien et le cheval ». — « De votre chien je n'ai que faire », Fit lAjoulot, « je ne veux rien » Du tout vous en offrir ». — « Eh bien! » Nous allons arranger l’affaire », Reprit-elle, « et voici comment » Nous pourrons tous deux nous entendre : » Pour cent écus, vous allez prendre » Le chien; et pour un, seulement, » Vous aurez le cheval ». — « La bride » Est neuve », observe l’Ajoulot; » Le collier a même un grelot. » Tapons ! » dit-il, « je me décide. » Quoique bizarrement tranché, » Je fais encore un bon marché ». Quant à la trop fine héritière, Elle ne remit, en passant, Au bon prieur de Lieu-Croissant, Qu'un écu pour une prière, Disant : « C’est le prix du cheval ; » De mon mari, tant bien que mal, » Jai fait la volonté dernière ». On en parla fort dans l’endroit ; Et depuis, ce fut à bon droit Qu'on l’appela la Carottière. Ce nom gagna bien des quartiers, De proche en proche et d’âge en âge; Et les méchants du voisinage Nomment aujourd'hui Carottiers Tous les habitants du village. Saint-Claude, 16 juillet 1888. CH. THURIET. RAPPORT DE M. GEORGES BOYER SUR LA SÉANCE PUBLIQUE TENUE LE 7 JUIN 1888 PAR LA SOCIÈTÉ D'ÉMULATION DE MONTPBÉLIARD MESSIEURS, La délégation chargée de vous représenter à la réunion annuelle de la Société d’'Emulation de Montbéliard a rempli la mission que vous lui aviez confiée. Cette heureuse cir- constance lui a fourni l’occasion de visiter la patrie de Cuvier et de lier des relations amicales avec quelques-uns des no- tables du pays de Montbéliard. À ce point ne vue, nous ne saurions trop vous remercier de l'honneur que vous nous avez fait, tout en nous procurant un réel plaisir. Mes impressions un peu fugitives ne me permettent guère de vous faire un compte-rendu complet de tout ce qui m'a intéressé pendant cette courte visite : la plupart d’entre vous ont depuis longtemps apprécié la valeur des belles collections et des œuvres d’art qui ornentle musée de ce centre d’études, fort digne d'attirer l'attention et marqué au coin d’une cer- taine originalité. J'arrive de suite au programme de la séance publique. L'ordre du jour ne comportait pas la lecture un peu aride des procès-verbaux. Le compte-rendu sommaire des travaux de Pannée fut fait fort judicieusement et avec talent par M. le pasteur John Viénot, L’honorable secrétaire général émit le vœu qu'un local plus spacieux fût concédé à la Société pour Pinstallation méthodique des nombreuses publications qu’elle reçoit. | M. L’Epée présenta ensuite un ingénieux appareil qu’il a 2 40 — récemment construit. C’est une application du vide baromé- trique à l'élévation de l’eau. Je ne suis point assez compé- tent pour vous expliquer le mécanisme de cet appareil dont M. Sire pourra vous donner la description. Si Jai bien retenu les paroles que mon confrère a prononcées, pour féliciter M. L’Epée de son invention, il qualifia de très heureuse « cette modification qui ne nécessite pas l’emploi d’un pis- ton ». M. Tuetey, déjà connu de vous par ses nombreux et inté- ressants travaux, avait envoyé une communication sur les menus de la cour princière de Montbéliard. M. le pasteur Jaulmes en a fait la lecture et nous a donné une longue no- menclature des mets et des vins servis à la table du prince de Montbéliard et dans les rendez-vous de chasse, pendant les mois de l’année où ce prince recevait de 2000 à 2500 con- vives. Cette énumération de menus des plus pantagruéliques mit en gaieté l’assistance. La parole m'ayant été donnée, je fis à mon tour la lecture que j'avais annoncée et que le bureau avait bien voulu inter- caler dans son programme. Je tiens à acquitter une dette de reconnaissance, en rendant hommage à la bienveillance avec laquelle le public montbéliardais, qui comptait de nombreuses dames et demoiselles, a écouté et suivi cette lecture un peu technique qui avait trait à la Cartographie géologique. Dans un mémoire fort intéressant, M: le pasteur Viénot revint sur la question qui semble le passionner le plus : la recherche des origines des superstitions dans le pays de Montbéliard. C’est une étude de toutes les légendes dans leur rapport avec les singularités naturelles où non qui les ont fait éclore. Le spirituel pasteur nous conte aujourd’hui une amusante histoire de vampire. L’un d’eux suçait, pa- vait-1l, le cadavre d’une nièce du prince de Wurtemberg, en- terrée depuis trois ans ; 1l ne fallut rien moins qu’une impo- sante force armée, réunie par les soins du prince, pour faire cesser ses agissements et cette profanation. Que signifiait ce 0e débordement de superstitions que la loi religieuse interdi- sait pourtant avec sévérité ? Telle est la question que se pose l’érudit écrivain. Ce serait, selon son opinion, la reprise des traditions païennes par un peuple de serfs. Les sciences naturelles sont toujours en honneur dans le pays de Montbéliard. M. Contejean, un des doyens de la So- ciété, professeur à la Faculté des sciences de Poitiers, a ré- digé une note sur l’existence de homme tertiaire en Portu- gal. Lors d’une visite qu’il fit à M. Paul Choffat, un de nos sympathiques membres correspondants et géologue des plus éminents, auteur de la découverte récente de traces des an- ciens glaciers dans la Sierra d’Estrella, il parcourut les riches et magnifiques collections de l'institut géologique. La salle du préhistorique attira tout particulièrement son attention. On avait exhumé des squelettes humains mélangés aux silex du Tage, silex éclatés, considérés jusqu’à ce jour, depuis la découverte de l'abbé Bourgeois, comme des indices d’un tra- vail effectué par la main de l’homme. Un autre géologue, M. Carlos Ribeiro, ayant rencontré dans les grès tertiaires du Tortonien, en septembre 1880, de semblables silex éclatés, en avait conclu que l’homme avait fait son apparition pendant ce dernier âge. Ne fallait-il pas donner un ancêtre à l’homme quaternaire ? Mais voici que pendant l’excursion qu'il fit, en compagnie de M. Paul Choïfat, M. Contejean recueillit sur lemplace- ment littéralement jonché de débris de silex éclatés, un silex entier, fragmenté, mais dont les morceaux encore juxtapo- _ sés ont pu être réunis et maintenus en position par une _ligature faite avec de la ficelle. La conclusion qui s’imposa d'elle-même à ces deux savants géologues, fut que la main de l’homme était absolument _ étrangère à l’éclatement de ces silex. Ces débris n’apparte- naient du reste à aucun des types connus, et leur accumu- lation sur le point visité paraît devoir être le résultat d’un transport par charriage avant l’éclatement. — 920 — Ainsi se trouve encore renvoyée à plus tard la solution de la question de l’homme tertiaire. Comme d'usage, le banquet de la Société d’'Emulation de Montbéliard était dressé à Phôtel de la Balance. De nombreux toasts y furent portés. M. Bovet, président, remercia chaleu- reusement M. le Maire de Montbéliard et M. le Président du tribunal d’avoir bien voulu honorer de leur présence cette fête de famille ; il exprima à tous les délégués le plaisir qu’il éprouvait à les voir nombreux groupés autour de lui, témoi- gnant ainsi de l'intérêt et des sympathies des sociétés voi- sines. : M. le Maire de Montbéliard se leva pour assurer la Com- pagnie du concours de la municipalité et promit son appui pour la réalisation du vœu de M. le pasteur Viénot, qui était de désirer pour la Société une installation plus en rapport avec son développement. J'ai exprimé aussi, lorsque la parole me fut donnée, nos sentiments de confraternité et le désir que nous avions tous d'entretenir et de continuer nos relations si cordiales, et j'ai bu à l’amitié indissoluble des deux Sociétés d’'Emulation. L'Académie de Besançon répondait à la première invitation qu’elle avait reçue de la Société d'Emulation de Montbéliard en envoyant deux délégués, MM. Jules Gauthier, archiviste du département, et Henri Mairot, président du tribunal de commerce, avec lesquels votre délégation a eu le plaisir de faire le voyage. | M. Jules Gauthier a assuré les membres de la Société qu'ils trouveront toujours, dans Académie de Besançon, la sym- pathie la plus bienveillante. Il se déclara heureux de venir sceller les liens d'amitié qui désormais ne cesseront d’unir les deux Compagnies sur le terrain de l’étude du sol si riche de la Franche-Comté. Avec finesse et à propos, M. l'avocat Longin, du barreau de Vesoul, secrétaire perpétuel de la Société d'agriculture de la Haute-Saône, rappela les mésaventures d’un avocat qui, O1 — s’étant rendu de Vesoul à Montbéliard au xvre siècle, y fut arrêté, en état d'ivresse et faisant du tapage, par le comman- dant d'armes qui l’expulsa avec menace de la pendaison s’il recommençait. Le parlement de Dole fut même avisé que quiconque serait trouvé en semblable état à Montbéliard se- rait pendu. Dans ce temps là, il n’était pas facile de venir dans cette principauté ; les temps sont heureusement chan- gés, et les Vésuliens, fussent-ils avocats, peuvent vider leurs verres à Montbéliard sans craindre l'intervention du com- mandant d'armes, lequel du reste n’assistait pas au banquet. M. Contesse, pasteur au Locle, seul représentant des so- ciétés helvétiques, porta la santé de M. le président Bovet, une de ses connaissances de longue date. Ils ont cultivé en- semble le jardin des racines grecques ; mais l’orateur cons- tate avec satisfaction que si lui-même est resté aux racines, M. Bovet est arrivé aux fleurs. Certain d’être le fidèle inter- prête de vos sentiments envers nos voisins de la Suisse, j'ai chargé M. Contesse de porter un salut amical, au Locle, à M. Jurgensen. Après M. Contesse, M. Henri Mairot mit en lumière les nombreux rapports qui existent entre la région bisontine et le pays de Montbéliard, au point de vue industriel. Il but au relèvement et à la prospérité de cette source de richesses pour notre pays. Enfin M. le pasteur Viénot, dans une improvisation pleine d'humour, émit tous ses desiderata en vue de la prospérité et du progrès de la Société dont il dirige si savamment la marche en avant. Il porta une série de toasts. Il rappela notamment que les Romains, lorsqu'ils voulaient boire aux anciens, portaient des bouquets de violettes noires : lAca- démie de Besançon est l’ainée de nos sociétés ; il n’a pas de violettes noires à sa disposition ; mais il porte un toast à la pomme de terre, en souvenir du prix décerné à Parmentier par cette société savante. | La note gaie a été donnée par M. Beley, juge de paix, qui a raconté en patois, avec une verve et un entrain indeserip- tible, un conte boroillot : La Caura. C’est la narration déso- pilante des accidents survenus à des paysans qui voulaient arracher un chêne dont le branchage les gênait. Ne pouvant réussir à le déraciner, le maire, juché sur une branche, scia la partie comprise entre lui et le tronc; il fit une chute épou- vantable et en mourut. Après le banquet, vos délégués visitèrent les principaux monuments de la ville, guidés par un magistrat des plus aimables, M. le président Brunet, proclamé le matin même, à la séance publique, membre de la Société. Une halte de quelques instants au Cercle, où tous les membres du bureau nous reçurent avec la plus grande cordialité, termina cette agréable Journée. L'accueil que nous avons reçu à Montbéliard, à la séance et au banquet, nous a prouvé à tous que nous avions dans ce pays de vrais et excellents amis. RAPPORT DE M. ÉDOUARD BESSON SUR LA SÉANCE PUBLIQUE TENUE LE LUNDI 16 JUILLET i888 A L'ILE SAINT-PIERRE PAR LA SOCIÉTÉ D'HISTOIRE ET D'ARCHÉOLOGIE DU CANTON DE NEUCHATEL MESSIEURS, Lundi dernier, 16 juillet, nous avons eu l’honneur, M. Georges Boyer, M. Léon Sandoz et moi, de vous repré- senter à la réunion que la Société d'histoire du canton de Neuchâtel tenait à l’île Saint-Pierre, au centre du lac de Bienne. Il était certes difficile de trouver un théâtre mieux approprié à une telle solennité, la nature y faisant tous les frais d’un décor incomparable. Malheureusement le soleil ne consentit jamais franchement à se mettre de la partie, et il nous manqua ainsi presque tout le jour un des éléments essentiels de la fête des yeux que nous.nous étions promise. C’est sous la pluie que nous dûmes faire en bateau le trajet de Neuchâtel à l’île Saint-Pierre. Ce trajet est généralement des plus pittoresques. On passe d’un lac à l’autre en descen- dant la Thiele qui traverse de vertes prairies bornées à l’ho- rizon par les montagnes du Jura. Mais nous ne pouvions guère que soupçonner les grandes lignes d’un paysage dont les contours se perdaient dans une brume épaisse et qu’es- tompaient de sombres nuages. Nous arrivämes à l’île Saint-Pierre vers dix heures du ma- tin. Je dis l’ile pour me conformer à l’usage ; car depuis les grands travaux hydrauliques qui ont eu pour effet de faire baisser le niveau du lac, elle est reliée au rivage par une langue de terre embrassant elle-même dans son parcours la ni, fameuse ile des Lapins. Elle est du reste encore telle que Pa décrite Jean-Jacques Rousseau, qui, comme on sait, était venu lui demander, contre la haine des hommes, un asile malheureusement bien passager. Comme elle appartient tou- jours à l’hôpital de Berne, cette grande institution l’a res- pectée, et son aspect actuel vous reporte au temps du séjour de l’illustre écrivain. Elle à encore ses cultures variées, ses vignes et ses prairies : le bois qui la domine, où l’on s’est abstenu de coupes meurtrières, est formé de chênes devenus aujourd'hui d’une beauté et d’une grandeur incomparables. Il ne s’y trouve toujours qu’une maison, celle qu'habita Jean- Jacques comme locataire du receveur de Pile, et où lon visite la chambre occupée par le philosophe qui, si on en Juge par elle, mettait au moins ses doctrines en pratique, et ne pré- chait pas au sein du luxe lPamour de la simplicité et de la pauvreté. rest dans cette maison, aujourd’hui transformée en hô- tellerie, qu'avait lieu la réunion, très nombreuse malgré le mauvais temps, et, comme d'usage, l’histoire du théâtre même de la solennité en formait le principal objet. Le pré- sident, M. Philippe Godet, un écrivain et un poète distingué qu'unissent à la France non seulement de profondes sym- pathies, mais une collaboration active au plus littéraire de nos journaux, au Journal des Débuts, avait pris pour sujet : Neuchâtel et Le lac de Bienne. Je dois dire que, par extraordinaire, la Société dhistoire tenait sa réunion en dehors du canton qu’elle étudie spécia- lement, le lac de Bienne relevant de Berne, et 1l était uüle d'indiquer les liens de dépendance qui dans le passé avaient uni à Neuchâtel. Mais arrivé à l’ile Saint-Pierre, on com- prend que lhistorien se soit principalement attaché aux sou- venirs qu'y à laissés le passage de Jean-Jacques Rousseau. Il a su, ce qui était difficile, rajeunir un sujet déjà souvent traité, et même le renouveler à l’aide de documents inédits, notamment de plusieurs lettres encore inconnues de Du Peyrou, cet ami fidèle qui fut d’un si grand secours à Jean- Jacques au milieu des persécutions, plus réelles qu’on ne croit en général, dont il était l’objet. Qu'il nous suffise, pour juger sommairement un morceau que nous ne pouvons ana- lyser en détail, de dire qu'il était digne du sujet traité, et que les nombreuses citations qui l’émaillaient se fondaient fort bien dans l’ensemble empreint lui-même d’une grande élévation et d’un véritable cachet littéraire. Dans le même ordre d'idées, M. Bachelin nous a entre- tenus des Voyageurs à l’île Saint-Pierre, depuis ceux qu'y attira la présence de Rousseau et dont les visites causaient en général une véritable horreur au grand misanthrope, jus- qu'aux touristes plus modernes qui ont fait de lPasile de l’auteur du Contrat social un objet de pieux pèlerinage. Les hommes les plus considérables à tous les points de vue s’y sont en effet succédé. On v a vu passer Kant, Pitt, Edgard Quinet. Des écrivains comme Alexandre Dumas et Tœpfer ont même raconté leur voyage en des pages qu'il est tou- jours agréable d'entendre rappeler. Avec M. le docteur Gross, nous n'avons pas quitté l’île Saint-Pierre, mais nous l’avons envisagée d’une manière plus scientifique, au point de vue de la nature des terrains qui la composent, comme aussi des vestiges archéologiques quon y retrouve en abondance. Cette étude, malgré son caractère sérieux, a vivement intéressé l'auditoire. Restait à connaitre notre nouveau séjour sous laspect le plus pratique, mais non pas le moins agréable; je veux parler du banquet qui nous était offert en plein air devant la maison de Rousseau. Nous avions bien, au début, la crainte de voir le ciel mettre un peu trop d’eau dans notre vin, ce qui eût été dommage, les crus de Neuchâtel et des environs méritant d’être respectés. Mais l'apparition du soleil finit par nous garantir d’un aussi grave péril, tout en rendant au paysage l’éclat qui jusque-là lui avait fait défaut. Je n'ai pas besoin d'ajouter que ce réveil de la nature n’était pas pour nuire à la gaieté et à la cordialité dont nos hôtes nous don- naient l’aimable spectacle, et auxquelles nous étions heureux de prendre part. Mais bientôt s'ouvre la période oratoire du banquet, et les toasts se succèdent, la plupart empreints d’une grande bon- hommie, qui n’exelut toutefois ni l’à-propos, ni même le trait d'esprit. Nous remarquons surtout le toast de M. le prési- dent Godet consacré, suivant une touchante habitude, à la Patrie suisse. Son auteur, qui est, je lai dit, un poète dis- tingué, l’a rédigé en vers. Il lit d’une voix chaude et vibrante ses strophes d’une haute envolée poétique, auxquelles la réunion fait un accueil aussi enthousiaste que mérité. Nous entendons de la sorte un grand nombre d'orateurs improvisés dont je regrette de ne pouvoir reproduire ou même analyser les discours. L’un d'eux enfin nous prend à partie d’une manière, je me hâte de le dire, qui n’a rien de désagréable, et nous porte un toast non seulement comme à des hôtes, mais comme à des Français et à des représentants d’une nation amie. Ainsi mis en demeure, je dus monter à la tribune et re- mercier nos voisins de leur aimable accueil. Je leur dis que si tous les ans ils nous adressaient un délégué sympathique entre tous, et nous créaient ainsi une dette d'obligations et d'égards, ils prenaient soin de nous en rendre le paiement aussi facile qu'agréable ; qu'avant de quitter Besançon, nous désirions beaucoup connaître le séjour auquel Jean-Jacques avait prodigué les vives couleurs de son inimitable pinceau, et où il eût voulu, si la haine des hommes n’y eût mis obs- tacle, fixer le terme de son existence agitée, que nous com- prenions ce vœu-aujourd'hui, mais que nous le compren- drions mieux encore s'il y avait eu au xvirIe siècle une Société d'histoire de Neuchâtel tenant des réunions à l’île Saint-Pierre et lui prêtant ainsi un charme capable de vaincre la misanthropie la plus enracinée. Je terminai enfin en buvant à la Suisse, à cette nation amie et sœur de la nôtre, et en particulier au canton de Neuchâtel qui en est l’ornement et l’honneur. | Le délégué de la Société d’Emulation de Montbéliard, M. le pasteur John Viénot, dont vous avez pu déjà apprécier à nos réunions solennelles le talent élevé et facile, prit en- suite la parole, et, revenant sur l’idée du toast à la Patrie qui en Suisse est toujours le premier porté dans les réjouis- sances publiques, fit à ce sujet une véritable conférence, accueillie par de vifs et unanimes applaudissements. Nous atteignimes ainsi l’heure du départ et nous eûmes encore le plaisir de visiter, sous la conduite de nos hôtes, Neuveville, grosse bourgade sur les bords du lac de Bienne, remarquable par son cachet archaïque , et son musée conte- nant un grand nombre de pièces d'artillerie trouvées à Gran- son et à Morat parmi les dépouilles de l’armée du Téméraire. Neuveville est dominée par la montagne du Schlossberg où s'élevait un château appartenant aux Evêques de Bâle. Le propriétaire des ruines de ce château, M. Schnyder, qui a très habilement restauré l'édifice lui-même, a bien voulu nous y servir de guide. Des tours supérieures on découvre une vue superbe qui, malheureusement dans la circonstance, était quelque peu voilée. C’est là que nous nous séparâmes définivement de nos hôtes, emportant le meilleur souvenir d'une journée commencée tristement sous la pluie, mais passée dans les meilleures conditions, et terminée trop tôt pour nous après le chaleureux accueil dont nous avions été l'objet, et tous les plaisirs des veux, de l'esprit et du cœur qui nous avaient été prodigués. UNE FEMME DU MONDE POETE. HOMMAGE A LA MÉMOIRE DE MADAME ELISA DE VILLERS Par M. Edouard GRENIER, Leetuve faite en séance publique de la Nociéié d'Emulation du Doubs, le 13 décembre 1885. me MESDAMES, MESSIEURS, Il y a toujours eu des poètes, et il v en aura toujours. Il y en a même plus qu'on ne croit : derrière le groupe rare et sacré des génies qui sont comme les porte-voix de leur siècle ou de leur génération, et dont la postérité recueille les noms et les poèmes, se presse le chœur nombreux des disciples, des hommes de talent qui arrivent à la notoriété sans atteindre à larcloire et dont les œuvres, après un éclat Cphémere meurent quelquefois avant leurs auteurs. Enfin, plus loin encore, par delà ces favoris de la gloire ou de la mode, il y a des myriades de poètes qui fleurissent dans l’ombre et n'en savent pas sortir par leur faute ou celle des circonstances. Le monde ne les a pas connus, ou les a méconnus. Ils s’é- chpsent dans le rayonnement des étoiles de première gran- deur ; c’est la voie lactée du ciel de la poésie. Que d’âmes charmantes, que d’esprits distingués s’éteignent ainsi sans bruit, sans éclat, surtout au fond de la province ! Un poète anglais l’a dit dans des vers souvent cités : € Bien des fleurs naissent pour s'épanouir loin des yeux et perdre leurs par-. fums inutilement dans les airs ». C’est un devoir pour ceux qui ont eu le bonheur de con- 00, naître quelques-uns de ces talents ignorés, de les saluer et de les révéler au grand jour. Nous allons essayer aujourd’hui de faire revivre un instant sous vos veux une de ces âmes poétiques qui se cachait sous les grâces et l’esprit étincelant d’une femme du meilleur monde. Et comme cette femme si distinguée a séjourné à Besançon, et qu’elle y a laissé des amis ; comme elle a connu à Paris quelques-uns de nos com- patriotes les plus célèbres, et qu’elle en a été appréciée comme elle le méritait, j'ose espérer que vous voudrez bien permettre à un Franc-Comtois de vous la présenter ou de la rappeler à votre souvenir dans cette solennité littéraire toute franc-comtoise. Il s’agit de Madame Elisabeth Durand de Villers, fille du général baron Pelletier, femme du général de Villers et mère heureuse de deux charmantes filles et de trois fils dont l’un, Paul de Villers, fut un des héroïques blessés de Reichshoffen. On le voit, fille, femme et mère de soldats dont le sang a coulé pour la France, Madame de Villers se trouvait à la source de tous les plus nobles sentiments d’abnégation, de patriotisme et d'honneur. Il n’est pas étonnant que son âme s’en soit ressentie, et sa poésie aussi. Jeune fille encore, elle fut présentée à notre Charles Nodier, et elle put voir les der- niers dimanches de l’Arsenal, ces soirées uniques et char- mantes où l’on pouvait rencontrer Lamartine, Victor Hugo, Alfred de Vigny, Musset, Dumas, les deux Deschamps et Sainte-Beuve, pour ne citer que les plus grands. Elle fut en relation avec tous, sauf Musset peut-être ; avec tous elle eut un commerce de lettres ou de vers. Cest à Arsenal qu’elle les avait connus, sous l’aimable patronage de Charles Nodier. Voici ce que le vieux et aimable conteur écrivait sur album _ de Mademoiselle Pelletier et de sa jeune sœur : « Il y avoit autrefois de jeunes et charmantes fées qui prési- doient à la naissance des heureux de la terre, et qui les douoient au berceau. » Cette coutume est un peu changée. Il paroît que c’est aux 0 derniers jours de la vie qu’elles réservent maintenant leurs bienfaits; mais la vieillesse vaut mieux à ce prix que la jeu- nesse elle-même. » Elisa et Frédérique m'ont accordé leur amitié. Elles se sou- viendront quelquefois de moi, et je ne erains plus de mourir, si je vis dans leur mémoire. » Qu’elles daignent croire toutes deux à mes vœux ardents pour leur bonheur! Que l’avenir qui leur est réservé soit digne d'elles ! — Après y avoir bien réfléchi, je n’ai pas trouvé moyen de souhaiter davantage. » 4 novembre 1842. » Ch. NODIER ». À cette même époque, Mademoiselle Elisabeth Pelleüer eut l'honneur d’être présentée à Victor Hugo, toujours à Arsenal. Pour mieux certifier son admiration au grand poète, elle lui raconta que toute jeune, à Metz, où son père commandait l'Ecole d'application, elle avait copié de sa main presque toutes ses poésies. Victor Hugo voulut voir ces ca- hiers. Mademoiselle Pelletier s’empressa de les lui envoyer en les accompagnant de quelques vers en guise d’introduc- tion. L'auteur des Orientales lui rendit ses manuscrits ac- compagnés de la lettre suivante : « Vous m’envoyez, Mademoiselle, des vers de vous charmants comme vous, mêlés à des vers de moi tristes comme moi. Votre douce écriture, répandue sur tous, sur les miens comme sur les vôtres, leur donne un air de famille qui m’enchante. » Je vous renvoie tout, puisque vous le désirez, et achève de vous obéir en mettant à vos pieds la plus récente édition de mes vers. » Agréez, Mademoiselle, avec mes remerciments, mes respec- tueux hommages. » Victor HUGO ». C’est à l’Arsenal que l’auteur de cette notice fit la connais- sance du général Pelletier et de ses deux charmantes filles. Elles s’aimaient de la plus tendre amitié et avaient les mêmes goûts d'art et d'étude. Blondes et pleines de grâce toutes les dde ref he à ue oO dé ‘or ol deux, elles venaient fidèlement aux soirées et aux bals de l’Arsenal, avec leur père et quelquefois avec leur aïeule ma- ternelle ; car elles avaient perdu de bonne heure leur mère, fille du marquis de Langalerie, d’une vieille famille protes- tante réfugiée en Suisse. Rien n’était plus intéressant que ce groupe de famille : cette aïeule et ces Jeunes orphelines avec leur père formaient un tableau qu’on n’oubliait pas faci- lement. Le général était un vieillard superbe, une vraie figure de lion. Avec ses cheveux blancs, ses beaux veux d’un bleu clair, son franc sourire, 1l représentait admirablement cette race héroïque qui avait vu l'aurore de 89, et qui avait tra- versé non sans blessure, mais sans fléchir, les guerres de la République et de l'Empire. Il s'était distingué à Friedland et à Waterloo, où il commandait l'artillerie du 2° corps. La Res- tauration l'avait mis à la tête de l'Ecole d'application de Metz, qu’il dirigea longtemps. A l’époque dont nous parlons (1842), il était encore en activité à Paris comme inspecteur général d'artillerie. Trois ans après, il prenait sa retraite et se fixait à Versailles avec ses filles. Il y vécut encore dix-huit années au milieu de l’estime et de l'admiration de tous, de la véné- ration de ses amis et de la tendresse des siens qui Padoraient. Ün poète qu'il aimait, Emile Deschamps, écrivit sous son portrait, le Jour de ses obsèques, quelques vers qui le pei- gnent; ils commençaient ainsi : Il fut grand, il fut simple, il fut bon, il fut tendre. Et c'était vrai. Y a-t-il un plus bel éloge? Revenons aux années de jeunesse de Madame de Villers. Parmi Îles littérateurs célèbres ou distingués qui fréquen- taien. le salon du général Pelletier, dont ses filles savaient si bien jaire les honneurs, on voyait au premier rang Sainte- Beuve, attiré par les charmes des deux jeunes orphelines. | Déià, en 1840, il leur avait adressé deux sonnets, recueillis du reste par lui dans l'édition de ses poésies complètes, sous ce titre : | se) SONNETS À DEUX SŒURS. Sonnet à Mademoiselle Elisa- Wilhelmine. Puisqu’à tout coup sa vive raillerie S’échappe et brille en gai pétillement, Puisqu’un lutin de grâce et de féerie Toujours dérobe un coin de sentiment ; Puisqu'amusés par ce propos charmant, D’elle on ne voit ce qui rêve ou qui prie, Et qu’à tous yeux cette gaieté chérie, Soir et matin fait un déguisement, O Poésie, ouvre-nous le mystère; Fais lui trahir ce que son cœur veut taire, Ses hauts instincts, cette fois non railleurs, Quand vient la nuit comme une sœur voilée, Et qu'en silence à la voûte étoilée Monte son rêve, et que tombent ses pleurs ? 31 décembre (1840). SAINTE-BEUVE. Sonnet à Mademoiselle Frédérique- Wilhelmine. Pour qu’en parole, en vers mélodieux, De sa jeune âme à la forme si belle Un chant s'exhale, il lui faut, nous dit-elle, Tristesse au cœur et des pleurs dans ses yeux ; Il faut que celle à qui l’azur des cieux Dés le berceau colora la prunelle Et qui répand le bonheur autour d'elle, Ressente moins ce qu’on lui doit le mieux. Oh ! s’il est vrai, sur sa lèvre si pure, O Poésie, arrête ton murmure ; Vers et soupirs, n'en soulève plus un. Comme une abeille encore ensommeillée Que la rosée odorante à mouillée, Dors au calice, ou ne sois qu'un parfum ! ol décembre (1840). SAINTE-BEUVE, 0 Les relations du poète et de la famille Pelletier furent in- terrompues, mais elles ne furent pas brisées. J’en trouve la preuve dans une lettre adressée vingt-cinq ans après à Ma- dame de Villers par Sainte-Beuve, alors dans tout l’épanouis- sement de sa gloire et de son talent. Madame de Villers lui avait envoyé sa traduction d’Evangéline, le chef-d'œuvre du poète américain Longfellow. Elle reçut en réponse du grand critique la lettre suivante : « CHÈRE MADAME, » Votre souvenir est si présent à ma pensée, et il est telle- ment d'hier, que vous n’avez vraiment pas besoin d’invoquer autrement un passé qui vit dans ma mémoire. Je n'ai jamais douté que cet esprit vif et charmant ne püût s'appliquer, s’il le voulait, à l’étude, aux lettres et même à mieux que des traduc- tions. Il se trouve, d’après les indications que vous me donnez, que je vous ai lue plus d’une fois s’en m'en douter. Maintenant pour ce qui est d'Evangéline, je la lirais certes avec plaisir, et je connaîtrais volontiers, grâce à vous, cette perfection que je n'ai qu'entrevue..……. » SAINTE-BEUVE. » 11 novembre 1865 ». Une autre lettre de Sainte-Beuve a été perdue, dans la- quelle le grand critique donnait avec détail son opinion sur Evangéline. Cette perte est à regretter ; il y faisait l’éloge de la traduction si poétique de Madame de Villers, disait-il, et assurait que cette version, publiée avec des illustrations, ferait un Keepsake virginal accompli. Pour en finir avec ces extraits tirés de la correspondance de Madame de Villers, citons encore deux lettres, l’une de Lamartine, l’autre d'Alfred de Vigny. Voici celle d'Alfred de Vigny qui remonte à 1845 : _« Ne craignez pas, Mademoiselle, que je n’aie rien oublié de votre gracieuse gaieté, de vos vœux féroces en ma faveur, de votre amour pour la poésie et la musique sa sœur, de votre 9 — 34 — « e émulation avec notre chère Marie Nodier, à qui serait la plus coquette et dédaignerait le mieux la coquetterie. Assurément cette soirée m'est présente à la mémoire, et votre billet me la remet toute entière. — Ne vous plaignez pas trop de cette orande ville de Versailles; j’y ai vécu, je l'aime et je ne Pai jamais trouvée trop froide. Ses marbres et ses bronzes ont des flammes cachées ; ses grands bois, tout réguliers qu'ils sont, renferment des allées très irrégulières et très sombres. Leur vue a toujours pour moi un charme profond et mélancolique. Tout n’est pas majesté dans ses souvenirs, et la passion y mur- mure partout. — Vous avez la bonté de m’inviter à vous y re- voir; ne défiez jamais un fou ni un poète : un matin vous m'a- percevrez sur le seuil de votre porte, » J'irai vous dire que le jour est encore fort éloigné où je prononcerai en public un nouveau monologue plus long que celui de Chatterton; que ce jour-là si quelque chose peut me consoler de sortir forcément de la solitude toujours sainte à mes yeux, ce sera la pensée que, devant moi et autour de moi, seront réunies quelques-unes de ces âmes poétiques qui ont aimé à me lire, qu’au milieu d'elles vous serez assise et m'éceri- rez peut-être vos sentiments comme vous venez de le faire, en suivant un mouvement de franchise plein de charme pour moi qui veux vous conserver, Mademoiselle, mes sentiments dé- voués et respectueux. » ALFRED DE VIGNY. » 30 mai 1845 ». En réponse à des vers adressés à Lamartine après la lec- ture d’un de ses Entretiens sur Mozart, Madame de Villers reçut la lettre suivante : « MADAME, » Grâce à nos amis communs, j'ai lu hier vos beaux vers; ils n'ont pas fait seulement, comme de beaux vers, impression sur mon oreille et sur mon imagination, ils ont fait une commotion douce sur mon cœur. À l’accent seul de la voix, j'aurais reconnu leur sexe. Une âme de femme attendrit tout ce qui résonne en elle; vous avez un diapazon que nous n’atteignons jamais. Nos Rise gain Honn vers font quelquefois admirer, mais les larmes ne montent aux yeux qu’à votre son de voix. C’est ce que j'ai éprouvé en vous lisant. La poésie est féminine parce qu’elle est pathétique : la vôtre révèle une âme égale au talent; mais âme et talent n’est- ce pas la même puissance dans ceux qui sentent et qui font sentir? DPAMRÉEZ: CLC- Cr ru, » À. LAMARTINE ». Assurément ces lettres de Charles Nodier, de Lamartine, de Victor Hugo, de Vigny, de Sainte Beuve n’ajoutent rien à leur gloire et n’apprendront rien de nouveau sur leur carac- tère et leur talent; mais elles portent l’empreinte de leur personnalité, et, sous la formule obligée de la galanterie et de la politesse, on reconnait le tour d'esprit si différent de chacun d'eux. On comprendra sans peine l’émotion que de tels encouragements, partis de si haut, devaient causer à une jeune âme poétique comme celle de Madame de Villers. Aussi, dès sa première jeunesse et jusqu'à la fin de ses jours, prit- elle plaisir à traduire les chefs-d’œuvre Ivriques des poètes anglais et allemands dans cette langue cadencée qu’on nom- mait jadis la langue des Dieux. On pense bien qu’elle aimait aussi à traduire en vers ses propres sentiments ou ses rêve- ries. Outre des nouvelles remarquables, publiées dans diffé- rentes revues, elle laisse un recueil de poésies, la plupart inédites, parmi lesquelles nous en choisirons trois ou quatre _ afin de vous donner une idée de ce talent pur, élégant et vraiment distingué. Vous allez en juger : A _ La fenêtre ouverte (The open Window). Imité de Longfellow. Vieille maison, qui fut notre riant foyer, Je t'ai revue un soir ! hélas ! muette et sombre. Dans les tilleuls en fleurs, qui bordaient le sentier, Se jouaient tour à tour et la lumière et ombre, De CT La chambre des enfants était là sous mes yeux, Et la grande fenêtre à l’air du ciel ouverte ; Mais tous ces fronts charmants qui s’y penchaient joyeux Ils ne m'attendaient plus !..… La chambre était déserte. La demeure semblait en deuil des habitants ; Couché devant la porte un chien de Terre-Neuve, Regardant s’il verrait accourir les enfants, Restait le seul gardien de cette maison veuve. Les enfants qui jadis jouaient sous les tilleuls, Dont'le rire éclatait, sonore, dans l'allée, Ne sont plus !.… Le silence et la tristesse seuls Habitent maintenant la maison désolée, Dans les arbres encor on entend la chanson Des oiseaux dont la voix avec l’aube s’élève ; Mais la voix des enfants se tait ! et ce doux son Je ne l’entendrai plus jamais que dans un rêve! Le petit compagnon de mon triste chemin, Mon dernier fils était trop Jeune pour comprendre Pourquoi je lui serrais étroitement la main, Cette petite main et si chaude et si tendre ! Avril 1800. Sainte-Beuve aimait particulièrement cette poésie. Voici maintenant les Compliments qu’elle adressait à son père le jour de sa fête, en 1857, qui était en même temps le jour de sa nomination à la dignité de grand’croix de la Légion d'honneur. Compliments de fête pour mon père. Saint-Jean 1857. Lieutenant à seize ans, à dix-sept, capitaine ; C’est beau ! mais c’est encor plus beau, plus solennel, à | De pouvoir aujourd’hui fêter la cinquantaine + De ton grade de colonel. Qui n’a parmi ses jours une date plus chère, Rappelant plus d'espoir, ou de gloire, ou d’amour ? Pour le jeune guerrier, plus tard pour le grand-père La Saint-Jean fut le plus beau jour, rom ne C'était à la Saint-Jean, chaude encor de mitraille, Que l'Empereur te fit colonel et baron. Ton écusson portait tes armes de bataille, Canon que défend un lion. Comme un écho lointain du vieux cri de victoire, Cet ardent souvenir a fait vibrer le cœur Du guerrier de Friedland, et son parfum de gloire Du temps reste vainqueur. Nos fleurs, nos tendres vœux, même nos embrassades Ont grand’peine à lutter avec ce souvenir; Les présents d'aujourd'hui sembleront tous bien fades. Saint Jean, qu'allons-nous devenir ? Mais ton patron a fait un miracle de grâce, Il attache à nos fleurs et des prés et des bois Un ruban d’un éclat que nul autre n’efface, Car c’est un ruban de grand’eroix ! Parmi ses premières poésies, il en est une intitulée Le Passé, qui fut des plus remarquées et qui méritait de l'être. En voici quelques fragments. Le Passé. L’aimez-vous comme moi ce parfum du passé Qui sort d’un vieux coffret ou de laque ou d’ébène Contenant un trésor lentement amassé ? Trésor de souvenir, doux anneaux de la chaine Qui lie à notre temps des temps qui ne sont plus ? Aimez-vous les pastels ? les portraits de famille ? Ce beau jeune berger, aux regards résolus, La musette à la main, couché sous la charmille, C'est un de nos àïeux, un chef de la maison ! Et la jeune bergère, aux longs yeux en amande, Menant son mouton blanc paitre sur le gazon, Et tressant nonchalante une fraiche guirlande, Notre arrière grand-mère ! Elle à toujours quinze ans! Et depuis plus d’un siècle avec ce doux sourire Et ce mouton fidèle, et ces attraits naissants, Elle a vu tout passer, roi, république, empire, Et dans son cadre orné d'oiseaux, de nœuds, d’amours, La bergère poudrée et couverte de roses, Coquette nous regarde et nous sourit toujours | Q ° Q Q e e ® ° Q Q ° ® o En Aimez-vous ce ruban dont la pâle nuance Attachait au corsage une éclatante fleur ? De ce satin fané, de ce bouquet de fête, Les parfums sont flétris ainsi que la couleur ; Mais cette rose sèche à pu, douce conquête, Exprimer un aveu bien des jours attendu ; Cette fleur, s’échappant d’une main adorée, Etait un doux serment par le cœur entendu. Aimez-vous ce billet à la tranche dorée Où l’on parlait d'amour sans être grammairien ? L’orthographe incorrecte accusait la paresse De ces charmants marquis, lesquels ne savaient rien, Rien qu’aimer et le dire avec grâce et tendresse, Nos aïeux dans cet art nous donnent des leçons. Oui, c’est avec respect, gracieuses reliques, Pastels, bagues, cachets, lettres, vers et chansons, Missels armoriés, écussons héraldiques, Qu'en vous je vais cherchant le bon temps d'autrefois. Ma pensée, animant la toile, vous fait vivre : Chers aïeux souriants, J'écoute votre voix. Oh ! j'aime à déchiffrer le passé ! ce vieux livre Où nous lisons la vie aux feuillets déroulés De notre propre histoire ! Oh! quand ma porte est close, Que j'aime à ramener tous ces jours écoulés, À veiller, à songer, là haut, quand tout repose. J’ouvre alors un tiroir, contenant mon trésor, Non pas un coffre-fort où les lettres de change S'entassent pêle-mêle avec les pièces d’or, Non, mais une cassette où de blonds cheveux d'ange Et de beaux cheveux blancs saintement recueillis S'entrelacent, mêlant la vieillesse à l’enfance. Là, des bouquets séchés par l'amour accueillis Rappellent lheureux temps des rêves d'espérance ; Des portraits conservés avec un soin jaloux, Epargnés par le temps sur l’ivoire fragile, Gardent leur fin sourire et leurs regards si doux ; Votre image survit à votre humaine argile, Vous qu'un pinceau magique a si bien reproduits... Je ne vous vis Jamais... Vous n'êtes plus que cendres, Et cependant sur moi, dans le calme des nuits, Vous jetez des regards silencieux et tendres. Sainte tradition, souvenir du passé, Vous avez pour mon cœur un indicible charme, Le plaisir du présent par vous est surpassé, Et souvent de mes yeux une secrète larme Tomba sur des aïeux que Je ne connus pas. - 2 0 Où sont ces beaux vieillards ? ces enfants florissants ? Où sont les cheveux blonds ? où sont les têtes blanches ? Ils dorment dans la tombe, et depuis bien des ans, L'arbre à laissé tomber ses fleurs, ses fruits, ses branches ; Mais l’oubli ne prend pas ceux qu'on a tant aimés. Autour de nous encor viennent errer leurs âmes, Et quand les froids tombeaux sur eux se sont fermés, Ils vivent dans nos cœurs, ces enfants et ces femmes Pour moi, quand Dieu m’aura reprise à cette terre, J'espère que mes fils, des vieillards à leur tour, Comme je leur parlais de ma bonné grand-mère, À leurs enfants assis sur leurs genoux tremblants, Diront de moi souvent : « Ecoutez son histoire ! Comme elle nous aimait ! Voilà ses cheveux blancs ! C'était ma mère, enfants ! Bénissez sa mémoire! » Le poète ne se bornait pas à ce ton élégiaque et tout de sentiment ; il savait au besoin mettre dans ses vers la grâce et la légèreté spirituelle qui distinguait sa conversation. Ecoutons de quelle façon elle cherchait à réveiller la paresse épistolaire d’unami : cet ami était aussi poète et lui répondit également en vers; mais comme la réponse est très infé- rieure à la lettre de Madame de Villers, nous ne vous la lirons pas. La poésie que vous allez entendre n’a pas besoin de repoussoir : | À un ami paresseux. Pourquoi sommes-nous si près et si loin ? La paresse met plus que la distance L'espace entre nous ; il devient immense Si de la combler nous ne prenons soin. Pourquoi laissons-nous ainsi croître l’herbe Sur le vieux sentier de notre amitié ? _Le sentier déjà se perd à moitié ; Bientôt ce sera tout un pré superbe. Et la route en vain pourra se chercher Sous j’herbe poussée ainsi par mégarde. On est effrayé lorsqu'on y regarde... Est-il temps encor de venir faucher ? 10 À Aujourd’hui je fauche avec grand courage, Ainsi qu'une ivraie arrachant l'oubli ; De l’ancien terrain je cherche le pli; Mais seule on ne peut faire tant d'ouvrage. Jadis nous étions plus loin et plus près. C’est que franchissant cinq cents kilomètres, Alors m'’arrivaient de charmantes lettres : On serait parfois absent tout exprès. On cite ce mot d’une grande dame : Je ne voudrais pas du plus tendre amour S'il fallait écrire un billet par Jour. Vous la comprenez du fond de votre âme. Eh bien, moi, monsieur, je ne voudrais pas D'illustre amitié de roi, de poète, Si cette amitié doit rester muette. Le silence, c'est presque le trépas. Mieux que le regard, mieux que la parole, Moi j'aime une lettre où de vieux amis Leur cœur, leur esprit, leur âme ont tout mis : C’est que l'écrit reste et le mot s'envole. Besançon 14 mai 1866. Ces lettres d'écrivains célèbres, les vers qui viennent de vous être lus, suffisent pour donner une idée du talent de Madame de Villers et de l'estime qu’elle avait su inspirer à un public d'élite ; mais ils ne donnent pas une idée complète de ce que fut cette femme si distinguée. Aux qualités de cœur et d'esprit que révèlent ses ouvrages, elle joignait à un rare degré celles qui font le bonheur dans la famille et l'agrément dans le monde. Partout elle apportait le charme d’un esprit vif, pénétrant et prime-sautier, se mouvant avec grâce dans le cadre d’un salon et les règles étroites des con- ventions mondaines. Elle fut une femme du monde accom- plie dans toute l’acception du mot. De bonne heure elle en avait fait l'apprentissage : à Metz, où le général Pelletier com- manda l'Ecole pendant treize ans, c'est elle qui faisait déjà les honneurs du salon de son père; elle continua à Paris quand le général fut appelé à siéger au Comité d'artillerie. el En 1845, il passait dans le cadre de réserve et s’installait, comme nous l’avons dit, à Versailles, À Paris comme à Ver- sailles, le salon du général Pelletier était des plus intéres- sants. l’armée et la littérature s’y coudoyaient, et Mesdemoi- selles Pelletier savaient y attirer et y retenir, avec les vieux amis et les anciens élèves de leur père, les écrivains et les artistes en renom. En février 1848, le jour même de la révo- lution, Mademoiselle Elisabeth épousait le capitaine Durand de Villers, aide-de-camp du général Regnaud de Saint-Jean d’Angély qui commandait à Versailles. Klle put donc rester auprès de son père. Le mariage, loin de la détacher de ses occupations littéraires, sembla donner plus d'essor à son talent poétique ; car c’est alors qu’elle écrivit des traductions et des nouvelles qui parurent dans différents recueils, et qu’elle composa les meilleurs de ses vers. Elle avait eu le bonheur de retrouver à Versailles un de ses amis de Paris, le poète Emile Deschamps, le plus aimable et le plus indul- gent des hommes. Lui aussi avait pris sa retraite à Ver- sailles. L'âge l'avait atteint de la plus cruelle des infirmités : il était aveugle ; mais le cœur et l’esprit du poète étaient restés toujours jeunes. On ne pouvait l’approcher sans être pénétré de surprise et d’admiration en voyant ce que cette invincible amabilité cachait de stoïcisme au fond. En effet, il est impossible de supporter une pareille disgràce avec plus de sérénité et de douceur. Je le vois encore avec ses yeux _immobiles et sa fraiche figure encadrée de beaux cheveux blancs, vous accueillant toujours avec joie et le sourire aux lèvres : caractère vraiment français où la vaillance se dégui- sait sous la gaieté ; poète vraiment rare, car il était modeste et sans envie. [l traitait presque tous ses confrères de grands poètes avec une facilité qui charmait même ceux qui ne se reconnaissaient aucun droit à un titre pareil. Les vers sui- vants qu'il dicta un jour pour Madame de Villers peignent avec grâce l’impression que laissaient ces aimables réunions de Versailles : Autour du piano de Madame de Villers. Comme le Dieu caché jaillit du bloc de marbre Sous le ciseau des Canova ; Comme la feuille, en germe, éclot au front de l’arbre Lorsque le printemps lui dit : va! Comme l’amour, qui dort au fond d’une jeune âme, S'éveille aux appels d’un regard... Ainsi, ces purs accents et ces notes de flamme, Divin langage des Mozart, Dorment froids et muets dans leur nuit inféconde, Jusqu'à l'heure où, tous à la fois, Oiseaux ressuscités, ils s’en vont par le monde Et l’extase les suit, et tout chagrin repose, Et quand cessent vos chants vainqueurs, Ainsi que le parfum qui survit à la rose, L'écho chante encor dans nos cœurs ! EMILE DESCHAMPS. Nous n'avons pas voulu passer près du souvenir de ce ga- lant homme d'esprit et de ce charmant poète, Emile Des- champs, qui fut notre ami, sans lui donner aussi la parole après ses illustres contemporains. [Il est un peu oublié, comme tant d’autres de son époque ; son nom erre sur les rives de la célébrité sans avoir reçu tous les honneurs qu’il méritait. Nous nous sommes rappelé les mots si touchants qu'Elpénor adresse à Ulysse dans Odyssée, et nous avons tenu à lui donner au moins un souvenir dans ces pages con- sacrées à l’une de ses meilleures amies. En 1863, un an après la mort du général baron Pelletier, Madame de Villers vint habiter Besançon, où son mari était devenu chef d'état-major du général Decaen, poste qu'il conserva auprès du général Abel Douay. Elle y resta cinq ans et y a laissé les meilleurs souvenirs; on S'y rappelle encore ses mercredis qu'aimait à fréquenter le cardinal Ma- thieu et l’élite de la société bisontine. Elle se plaisait dans Si 19 = notre pays et était heureuse d’y retrouver la trace des ami- tiés qui le lui avaient rendu cher, même avant de le con- naître. En 1864, la Revue littéraire de la Franche-Comté publiait d'elle ces vers touchants sur le portrait de Charles Nodier au musée de Besancon : Son portrait au Musée de Besançon. Dans la ville mconnue, Où nulle douce voix Des amis d'autrefois Ne nous dit : « Bienvenue! » Qu'il est triste d’errer Sans jamais rencontrer Sur sa roule un visage Ouvert et souriant Qui, d’un air bienveillant, D'un regret insensé Poursuivant le passé, Toute à ma rêverie, Parmi des œuvres d'art Je marchais au hasard Dans une galerie. Loin de là s’envolait Ma pensée ; elle allait Ouvrant, ouvrant son aile, Ainsi que dans les airs, Quand viennent les hivers, On voit fuir l’hirondelle Pour chercher le printemps. Moi, de mes jeunes ans, Dans mon âme apaisée Je remontais le cours ; Et je rêvais toujours, Même en ce beau musée, Où mon regard distrait Vaguement parcourait Marine et paysage. Mais ainsi que soudain, Au détour du chemin, Parfois dans un voyage, Un ami nous attend ne Et rappelle à l'instant Les jours de la jeunesse — Un portrait m’apparut ! À lui mon cœur courut, J’oubliai ma tristesse ; Et mon isolement Cessa pour un moment Devant ce fin sourire, Ce regard noble et doux. Cher Nodier, c'était vous! Vous qui sembliez dire : «Tu n’es plus seule ïei ». Je le sentais aussi. Je revoyais, (conquête Sur le maussade ennui Qui loin de vous a fui!) Comme en rêve, une fête, Un joyeux petit bal Dans le vieil Arsenal Où, le soir du dimanche, Nous allions si gaiment, Sans un seul diamant, Danser en robe blanche, Avec de frais bouquets Et des airs fort coquets ; Car nous voulions vous plaire, A vous qui plaisiez tant. Mon cœur toujours entend À chaque anniversaire Où nous venions, heureux, Vous offrir fleurs et vœux, Votre voix douce et lente Laisser négligemment Tomber un mot charmant De grâce nonchalante. Bien des ans écoulés Des plaisirs envolés N'ont pas détruit la trace ; Et, comme un cher trésor, Mon cœur la garde encor. Je revois cette place, À l’angle accoutumé De ce salon aimé, HE Où s’asseyait naguère, Près du vaste foyer, Mon père avec Nodier, Gausant d'art ou de guerre. Voilà, devant mes yeux, L'ensemble harmonieux D'un groupe de famille : De beaux jeunes enfants Aux regards triomphants, Où tant d’esprit pétille. Victor Hugo rêveur Ecoute avec le cœur Cette chanson plaintive, Le plus doux des concerts De musique et de vers, Qu'on nomme : La Captive (1). Sainte-Beuve et Deschamps Applaudissent les chants Suaves de Marie ; Et de Vigny tout bas Dit : Ne semble-t-il pas Que la voie attendrie De Trilby mêle encor Ses pleurs à cet accord ? Ainsi s’écoulait l'heure Qui semblait voltiger D'un vol bien plus léger Dans l'heureuse demeure. Cher Nodier, votre accueil Unit en moi l’orgueil À la reconnaissance, Et les mots entendus Ne se sont pas perdus, Après si longue absence, Un jour, parlant de nous, « Si Je puis », disiez-vous, « Vivre dans leur mémoire, Je ne crains plus la mort! » Ah! vous n’aviez pas tort En nous, ami, de croire, (1) La CGaptive, orientale de Victor Hugo , mise en musique par H. Reber, était ce soir-là chantée par Madame Menessier- Nodier, accompagnée par Reber, devant l'illustre poète. Jp Lorsque ma sœur et moi . Venions, pleines de foi, Vous faire la promesse D'éternelle amitié. Loin de prendre en pitié Cette folle jeunesse, Qui, sans le vouloir, ment Parfois à son serment, Tant cet âge est frivole ! Vous avez dit : « Merci! » Toutes deux, nous voici, Tenant notre parole, Ne vous oubliant pas. Depuis vingt ans, hélas! Votre tombe est fermée ; Mais dans nos cœurs toujours Vit, comme aux heureux jours, Votre mémoire aimée. Ainsi, votre portrait, Cher Nodier, m'inspirait Ces vers que je vous donne, Comme on Jette des fleurs, Qu'on tresse avec des pleurs, Douce et triste couronne... Nous finirons ces citations poétiques par cet hommage ému à l’ami de Nodier, le charmant et vénéré Charles Weiss, avec qui Madame de Villers était si heureuse de s’entretenir des amis de sa jeunesse. A Monsieur Weiss (1). Je fus aimé de Weiss, c’est mon plus doux succès. (Ch. NODIER, L’Ambre.) Cher contemporain de Nodier, Vous, des amis le plus fidèle, En qui nous voyons s’allier À tant de grâce naturelle Un si vaste et profond savoir, Combien j'aime en votre demeure Près de vous à venir m’asseoir | (1) Revue littéraire de la Franche-Comté, 1° janvier 1866, nt — Rapidement s'écoule l'heure Dans un confiant entretien. Charmée,: attentive, j'écoute Le causeur qui conte si bien. Comme on recueille goutte à goutte Un parfum rare et précieux, Je recueille votre parole, Le mot touchant, ingénieux, Qui de votre lèvre s'envole. Chez vous un seul luxe est permis : Vous n’avez en votre retraite Que des livres et des amis. Dés que notre regard s'arrête Sur ce front où s’est reflété Le calme d’un soir sans nuage, Nous croyons de l'antiquité Voir devant nous paraitre un sage. Nous eûmes pour trait d'union Nodier que votre esprit rappelle, Et par lui notre affection Est ancienne, bien que nouvelle. « Nodier m’aimait », c’est le seul mot Qu’à votre seuil je venais dire. «Ah! je vous aimerai bientôt », Me répondit votre sourire. : Qu'un cher et constant souvenir Par nous soit évoqué sans cesse ! Le cœur se plait à revenir Aux jours heureux de la jeunesse. Comme la flamme du foyer Jaillit des cendres qu’on remue, Ainsi le passé tout entier Veut renaitre en notre âme émue. Madame de Villers ne quitta Besançon que pour retourner à son cher Versailles, où son mari était appelé. Vinrent les jours terribles de 1870; le général de Villers était à Metz et y fut fait prisonnier. Sa famille alla le rejoindre à Aïx-la-Cha- pelle jusqu’au moment de la délivrance. À son retour, il commanda la subdivision de Versailles, puis il fut nommé secrétaire général de la grande Chancellerie de la Légion d'honneur : ce qui le fixa à Paris où il resta, même lorsqu'il he fut en retraite. C’est là, à Paris, que Madame de Villers passa ses derniers jours; c’est là que le 14 novembre 1887, en- tourée de son mari, de sa sœur, de ses enfants et petits- enfants, elle fut enlevée presque subitement à leur tendresse. Elle garda jusqu’au dernier moment la chaleur de son âme et la fraicheur de son esprit, exprimant encore jusqu’à la fin ses impressions poétiquement : l’avant-veille de sa mort, elle composait quelques vers, qu’on a trouvés inachevés, et qu’elle adressait à une de ses petites-filles née deux jours avant la date fatale de 14. Ainsi sa dernière inspiration lui venait encore du cœur; ainsi s’endormit cette belle âme, laissant le souvenir d’une femme accomplie, chez qui les rares qualités de l’âme égalaient les dons de lPesprit. EP | ‘4 ? L’ANCIENNE ÉCOLE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE D Er BESANCON 1796-1791 EPESPFOTRE), NOCTLCES) ANNALES RÉDIGÉES ET PUBLIÉES PAR M. AUGUSTE CASTAN CORRESPONDANT DE L'INSTITUT (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres) Séances des 10 mars et 14 avril 1888. À JU part RAA Net VANNES k 2 2 À MON DIGNE AMI ET ÉRUDIT COLLAPORATEUR ALFRED DUCAT PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ DES ARCHITECTES = : DU DOUBS CONSERVATEUR DU MUSÉE DES ANTIQUITÉS DE BESANCON PROFESSEUR HONORAIRE À L'ÉCOLE DES BEAUX-ARTS DE CETTE VILLE _ HOMMAGE DE VIVE GRATITUDE ET D'AFFECTUEUX DÉVOUEMENT » AC. HISTOIRE DE L’ANCIENNE ÉCOLE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE DE BESANCON 5 Avant leur annexion à la patrie française, la Franche- Comté et la ville libre de Besançon, qui était assise au cœur de cette province, ne jouirent pas du calme et de la sécurité nécessaires à la culture des arts. Situées au débouché du canal naturel des invasions de la Germanie sur les Gaules, elles vécurent constamment dans l’alternative de catastrophes à subir ou de désastres à réparer. Les périodes d’intermit- tence furent trop courtes pour qu'il se créât dans cette con- tirée des traditions en matière de goût et d'élégance. Quelques grands personnages du pays eurent pourtant des dispositions de cette nature; mais ce fut sur d’autres théâtres qu'ils les exercèrent. De même aussi ce furent les pays étrangers qui bénéficièrent des aptitudes artistiques qu’eurent un certain nombre de Comtois du seizième siècle et du dix-septième. Par la munificence des Carondelet, qui étaient originaires de Dole, les deux églises métropolitaines de Besançon, l’église collégiale de Dole, l’église abbatiale de Montbenoît, reçurent des tableaux, des statues et des ornements brodés de pre- mière valeur. Dans le palais qu’ils avaient fait construire à Besançon, les Granvelle installèrent une galerie de tableaux de maitres et mirent en lumière quelques belles sculptures de l'Antiquité et de la Renaissance. Peu après, les Gauthiot d’Ancier faisaient fabriquer à Besançon de beaux meubles, d’après les dessins de Hugues Sambin, le Michel-Ange dijon- nais. Plus tard, les Chiflet, citoyens de Besançon, rame- Er nèrent dans cette ville un riche cabinet qu'ils avaient formé en remplissant d’honorables emplois à la cour de Bruxelles. Mais la plupart de ces personnages, ceux particulièrement qui étaient en mesure de patroner des artistes, ne séjour- nèrent qu'accidentellement dans le pays de leurs origines : de sorte que les Comtois doués d’aptitudes artistiques durent s’expatrier pour trouver des maîtres et rencontrer des pro- tecteurs. Ainsi parvinrent à la célébrité : le compositeur Claude Goudimel, de Besançon, qui fut à Rome le maitre de Palestrina, avant d'écrire la musique protestante des Psaumes ; l’antiquaire Jean-Jacques Boissard, également né à Besançon, qui compte parmi les principaux dessinateurs des marbres de l’ancienne Rome; les peintres Jacques et Guillaume Courtois, nés à Saint-Hippolyte, qui créèrent en Italie un nombre prodigieux de tableaux ; le sculpteur Pierre- Etienne Monnot, d’'Orchamps-Vennes, dont on admire les statues et bas-reliefs, exécutés dans le plus beau style fran- çais, à Rome, à Stamford d'Angleterre et à Cassel. Une seule branche des arts a donné quelques fruits à Besancon antérieurement à la domination française : c’est la gravure, qui fut exercée dans cette ville, pendant la plus orande partie du dix-septième siècle, par les de Loisy. Ces artistes, en somme fort médiocres, avaient, eux aussi, étudié en Italie : leur établissement à Besançon fut motivé par l'existence en cette ville d’un hôtel des monnaies dont ils étaient les graveurs. En dehors des coins pour les monnaies et les jetons, ils exécutèrent assez lourdement sur cuivre des images religieuses, des portraits, des emblêmes et des blasons. Durant cette même période, la municipalité souveraine avait bien, de temps à autre, recours aux services d’un peintre ; mais C'était le plus souvent pour figurer les armoi- ries de la ville sur les écussons des cierges qu’elle envoyait aux obsèques de ses magistrats défunts. Quelquefois pour- tant elle faisait peindre une vue d'ensemble de la cité, accom- À PT El Psp pagnée des figures en pied de ses protecteurs célestes, à l'effet d’acquitter un vœu ayant eu pour objet d'obtenir la cessation d’une calamité publique. Ce n’était pas toutefois la perspective très éventuelle de pareils travaux qui aurait pu déterminer un artiste de grand talent à se fixer dans la ville : aussi les peintres qui ont exécuté ces témoignages de la piété municipale, les deux Pierre d'Argent, Sanson Brulley, les Maublan, Germain Bourrelier, et autres, sont-ils bien plus pour nous des créateurs de documents que des producteurs d'œuvres d'art. Ces mêmes peintres et quelques autres, tels que François Guérin, Sille de Loisy, Claude Ratelv, ont produit des ta- bleaux religieux pour diverses églises du pays; mais leurs ouvrages en ce genre ne sont guère que des imitations de types italiens. Vainement donc on chercherait à établir une fihation entre ces peintures d'inspiration ultramontaine : de sorte que l’on peut dire que la Franche-Comté n’a pas eu d’accent local en matière d’art antérieurement au dix-hui- ème siècle. Cette situation devait être graduellement modifiée par le fait de l'annexion de la Franche-Comté à la France, et par le groupement à Besançon de tous les organes constitutifs d’une capitale de province. La municipalité de cette ville perdit alors toute son indépendance : elle ne fut plus qu’un instru- ment soumis aux volontés d’un fonctionnaire supérieur qui était, comme on l’a dit, «tout à la fois l’œil et la main du pouvoir royal () ». Ce haut fonctionnaire, appelé lIntendant de la province, se rendait fréquemment à Paris et en rappor- tait des instructions sur la manière de provoquer dans les principales villes de son ressort administratif l’imitation loin- tane des institutions et des entreprises qui honoraient la Capitale de la France. En dehors de ce tuteur immédiat, (1) Gabriel HANOTAUx, Origines de l’institution des Intendants des provinces, p. 93. — 96 — chaque province avait un patron, maréchal de France ou duc et pair, qui portait le titre de Gouverneur et résidait en cour, quand il ne commandait pas sur les champs de bataille. Ce grand personnage, que ses protégés ne connaissaient guère que de nom, possédait néanmoins, dans la capitale de la pro- vince, un logis qui lui était fourni par la municipalité de ce chef-lieu. À Besançon, ce logis était le Palais Granvelle, amodié, puis acheté à cet effet aux frais de la caisse muni- cipale. Mais les locaux de cet hôtel étant habituellement inoccupés, le Gouverneur en concédait volontiers l’usage à des institutions qui avaient pour objet de récréer ou d’ins- iruire un public dont il ne dédaignait point la sympathie. Nous allons voir que ce fut au Palais Granvelle, sous les auspices de l’un des Intendants de la province, qu’un pre- mier essai d'enseignement des beaux-arts eut lieu à Be- sançon. ÉCOLE DE SCULPTURE ET DE DESSIN FONDÉE PAR PHILIPPE BOISTON, SOUS LES AUSPICES DE L'INTENDANT BOURGEOIS DE BOYNES; CAUSES DE SA COURTE DURÉE (1756-1759). L'installation dans cette ville de tous les organes essen- tiels d’un grand centre provincial, Commandement militaire, Parlement, Intendance, Université, avait eu pour effet immé- diat d’accroitre la population (D. Des constructions devinrent indispensables , et il se produisit dans ce sens un mouve- ment qui ne prit fin que lors de la crise révolutionnaire. De la période du dix-huitième siècle, Besançon possède encore un bon nombre de beaux hôtels, très étudiés comme archi- tecture et dont les chambres principales sont revêtues de ma- gnifiques boiseries sculptées. Ce fut surtout pour répondre (1) « En 1687, elle était de 14,209 [habitants], en 1709, de 16,929 », (A. CASTAN, Besançon et ses environs, 1re édition, 1880, p. 47.) aux nécessités de la construction, que des artistes s’établirent dans la vieille ville qui échangeait sa physionomie munici- pale contre les grands airs d’une capitale de province. Dès 1684, dix ans après l’annexion de la Franche-Comté à la France, les artistes étaient assez nombreux à Besançon pour y constituer une confrérie de saint Luc (). En 1711, les deux principaux groupes de ces mêmes artistes, ceux qui vivaient surtout du bâtiment, projetaient d'organiser une Académie locale d'architecture et de sculpture (2). Ce projet n'eut pas de suite : toutefois le sentiment auquel il répondait persista, et satisfaction y fut donnée, en 1752, par là création, sous les auspices du duc de Tallard, gouver- neur de la Franche-Comté, d’une Académie des sciences, belles-letires et arts dans la capitale de cette province. Les lettres patentes rendues à ce propos parlent de « l’établisse- ment à Besançon d’une Académie qui réunit tous les genres de travaux que présentent les sciences, les belles-lettres et les arts ». À une époque où tout était monopole et privilège, une corporation ainsi qualifiée devait nécessairement pré- tendre à la direction exclusive du mouvement intellectuel dans la province où elle était établie. Le fondateur de l’Aca- démie avait fait les frais de deux prix annuels, l’un pour en- courager les travaux relatifs à l’histoire de la Franche-Comté, l’autre pour couronner des discours écrits avec éloquence sur des questions morales. À ces récompenses la ville de Besançon ajouta un prix destiné aux mémoires sur les arts, c'est-à-dire ayant trait à des questions d'agriculture, d’in- dustrie, de mécanique et d'architecture. (1) Voyez ma Notice sur Pierre-Etienne Monnot, dans les Mémoires de la Société d’'Emulation du Doubs, ann. 1887, p. 26. (2) Une délibération municipale en date du 14 mars 1711, prise à ce sujet, est ainsi conçue : « Plusieurs architectes résidens dans cette Cité ayant présenté à Messieurs des réglemens qu'ils ont projettés entre eux pour l'établissement d'une Académie d'architecture et sculpture dans cette ville, et les ayant suppliés par une requête de vouloir les authoriser, le HE L'Académie n'avait pas encore quatre années d'existence, quand elle fut invitée par l’Intendant de la province, Pierre- Etienne Bourgeois de Boynes (1), à donner son avis sur les modèles de deux statues, Mars et Pallas, dont on voulait orner les piles d’une porte récemment percée dans la forti- fication, pour réunir en une seule promenade publique les deux portions de l’ancien Champ de Mars @). Ces modèles L tout a été renvoyé à MM. de Villeparoy, Maillot, Renard et Billerez, pour l’examiner et en faire rapport ». (1) Pierre-Etienne Bourgeois de Boynes, maitre des requêtes au Conseil d'Etat depuis 1746, avait été nommé intendant de Franche-Comté au mois d'août 175%. (2) Les délibérations de l'Académie, relatives à cette consultation, sont ainsi CONÇUES : Séance du lundy 206 avril 1756. « M. l’Intendant à présenté ensuitte à l'Académie les différents modèles des pilliers qui doivent former la porte à la Flamande que l’on construit actuellement au bout de la grande allée du Petit Chamars et qui doit servir d'entrée principale pour la nouvelle promenade à laquelle on doit travailler incessamment ; et après avoir exposé les beautés et les deffauts de chacun de ces modèles, il à fait sentir combien il étoil nécessaire dans les ouvrages publics de consulter les personnes qui ont du goût et des connoïissances avant que de prendre une résolution deffinitive sur leur construction, ayant remarqué dans cette ville que, faute d’avoir assés médité les nou- veaux édifices que l’on y construit, on a pris les mauvais partis ; que cette réflexion l’engageoit à désirer que Messieurs les Académiciens veuillent bien s'expliquer sur ces pilliers, de même que sur les nouvelles planta- tions que l’on projette de faire dans le Grand Chamars. Cette politesse de M. l’Intendant à été parfaittement accueillie, et Messieurs les Académi- ciens ont dit leur sentiment sur tous ces objets. Leur réunion a produit quelques changements à faire dans les modèles. En conséquence, M. l’In- tendant à souhaitté qu'il en füt fait mention sur le registre; et pour en conserver encore mieux la mémoire, il fera remettre dans le cabinet de l’Académie les nouveaux modèles auxquels elle s’est fixée pour son arresté ». Séance du 21 juin 1756. « M. le président de Châtillon à terminé la séance en informant la Com- pagnie que le sculpteur chargé de faire deux statues pour placer sur les pilastres de la porte de communication des deux Chamars, venoit présenter à la Compagnie, par les ordres de M. l’Intendant, deux modèles sur lesquels MM. les Académiciens étoient priez de donner leur avis. Surquoy, après | è 4 dci pi de dés ee ESPN PRE ee PR SR CET EPS RON ER i : ; eg avaient pour auteur le sculpteur Philippe Boiston, originaire du territoire de Morteau, qui venait de travailler aux sculp- tures du Palais-Neuf de Madrid et en rapportait la qualité flatteuse de membre de l’Académie de San-Fernando. L’In- tendant fit à cet artiste des propositions qui furent acceptées et dont l’Académie de Besancon fut instruite dans sa séance du 27 juillet 1756. Le président y déclara « que M. de Boynes, intendant de cette province, l’avoit prié d'informer la Com- pagnie qu'il avoit retenu dans cette ville un fameux artiste pour y enseigner les principes de la sculpture et du dessin, que cet artiste donneroit chaque jour des leçons dans la grande salle de Grandvelle qui seroit ornée des meilleurs modèles, et que le public üreroit de grands avantages de cet établissement ». Le Gouverneur de la province avait concédé à l'artiste deux chambres dans le Palais Granvelle, et la mu- nicipalité s'était chargée de les mettre en état. À son tour, VPAcadémie fut très flattée d'accepter le patronage de cet en- seignement, qui débuta au mois de novembre 1756 et fonc- tionnait avec succès le 23 juin 1759, car une délibération municipale, prise à cette date, parlait du € grand nombre » des écoliers du « sieur Boiston, maître sculpteur et dessina- teur dans le Palais de Granvelle » (D. Les deux figures dont Boiston avait fourni les maquettes ne s'exécutèrent pas ; toutefois l'artiste eut, comme compen- sation , la commande de deux statues en pierre, Jésus et la Madeleine, pour la façade neuve de l’église dédiée à cette sainte dans le quartier nord de Besançon : en retour de ce travail il reçut la somme de mille livres, qui lui fut payée au mois de novembre 1759. Au début de cette même année, la avoir examiné ces modèles, dont l’un représente Mars et l’autre Pallas, 1l a été fait des observations que M. le président de Châtillon a été prié de . vouloir bien communiquer à M. l’Intendant ». _ (1) Tout ce qui concerne ici Philippe Boiston et son enseignement se irouve justifié par des textes cités dans la notice consacrée ci-après à ce sculpteur. "Ne municipalité lui avait accordé gratuitement des lettres de citoyen , en décidant « qu’il y seroit fait mention de sa capa- cité dans l’art de la sculpture » (1). Boiïiston aurait préféré certainement un subside assuré sur la caisse municipale ; mais celle-ci était épuisée de longue date par les extorsions du fise royal : d'autre part, la gelée du printemps de 1758, qui avait supprimé la récolte des vignes, imposait au budget de la ville un surcroît de misères à soulager. Enfin le pro- tecteur de Boiston, Bourgeois de Boynes, qui était parvenu à cumuler la fonction d’intendant de Franche-Comté et celle de premier président du Parlement de Besançon, devenait odieux à tous les corps constitués du pays. La tourmente qui emporta ce tyranneau, au mois d'avril 1761 (2), priva Boiston de son unique soutien, et détermina la fermeture de son cours aussi bien que son départ pour Paris. (1) Ainsi avait déjà fait la municipalité à l'égard d'un émule de Boiston, Jacques Perret, auteur de la statue du Doubs qui décore la fontaine de Ronchaux, à Besançon. La délibération prise au sujet de cet artiste est ainsi formulée : « 26 janvier 1756. Jacques PERRET, originaire de Silley, architecte en pierres, a été reçu citoyen, moyennant cinquante livres, partie du droit ordinaire, et six livres pour le feu, le surplus à luy remis en considération de ce qu'il est bon sculpteur, et a pretté le serment re-. quis ». (@) Au mois de janvier 1759, à l’occasion de la résistance qu'opposait le Parlement de Besançon aux édits royaux qui imposaient à la province de Franche-Comté des charges nouvelles, trente conseillers furent envoyés en exil, chacun dans une ville forte des frontières du royaume. Cette mesure, prise à l'instigation de Bourgeois de Boynes, qui, depuis 1756, cumulait les fonctions de premier président du Parlement et d’intendant de la pro- vince, excita dans le pays une violente irritation. Le gouvernement s'étant décidé à délivrer la Franche-Comté de ce personnage antipathique, le rappel des exilés ne tarda pas à se produire. Leur rentrée à Besançon, le 12 novembre 1761, fut un véritable triomphe : il y eut ensuite dans toute la province des fêtes qui durérent plus de deux mois. Malgré les malédic- De ES NE tions qui ne lui avaient pas été ménagées, Bourgeois de Boynes, entré au Conseil d'Etat, mit volontiers son influence au service de la province de Franche-Comté, et la municipalité de Besançon lui offrait chaque année ses vœux, par une lettre courtoise, à l’occasion du nouvel an. Ces poli- tesses s’accentuérent encore lorsque Bourgeois de Boynes fut Ministre de la IT NONNOTTE, DE BESANÇON, ET DEVOSGE, DE GRAY, FONDENT LES ÉCOLES DE LYON ET DE DIJON (1757-1765). — LE STA- TUAIRE LUC BRETON S'ASSOCIE AU PEINTRE MELCHIOR WYRSCH POUR CRÉER, SOUS LES AUSPICES DE L’INTENDANT CHARLES-ANDRÉ DE LACORÉ, L'ÉCOLE GRATUITE DE BESAN- CON (1771-1773). En même temps qu'avait lieu ce premier essai d’une im- plantation du professorat artistique dans la capitale de la Franche-Comté, un peintre originaire de Besançon, Donat Nonnotte, qui s’était fait à Paris une notoriété comme por- traitiste (1), ouvrait à Lyon une Ecole gratuite de dessin, puis associait bientôt à son entreprise le sculpteur et architecte Antoime-Michel Perrache, réalisant ainsi, dans la seconde ville de France, un type accompli de l’enseignement popu- laire de la peinture et de la sculpture. Sous le patronage d’un bureau composé de douze amateurs, l'Ecole publique et gratuite de Lyon eut, dès 1757, un fonctionnement actif et une existence sérieusement garantie (2). La ville de Besan- Çon, fière à bon droit de ce succès de Nonnotte, eut à se Marine, c’est-à-dire entre le 7 avril 1771 et le 17 juillet 1774, situation qui inspira cette boutade à Voltaire : «Il me semble que M. de Boynes avoit bien peu de rapport avec la Marine ; mais il y a des génies qui sont propres à tout ». Après avoir rendu son portefeuille, Bourgeois de Boynes rentra au Conseil avec la qualité honorifique de Ministre d'Etat. Il mourut en 1783, Un portrait, qui est au Musée de Versailles, représente son gros et plat visage, où deux yeux en coulisse font escorte à un nez en bec de hibou. (1) L'église de Sainte-Madeleine à Besançon possède l’un des premiers ouvrages de Donat Nonnotte : c’est un Couronnement de la Vierge, daté de 1798, alors que l'auteur avait vingt ans : le dessin en est gracieux et la coloration chaudement harmonieuse. (2) PERNETTI, Lyonnais dignes de mémoire, t. I, p. 351; J.-B. Dumas, Histoire de l’Académie royale de Lyon, t. I, p. 288; Ph. DE CHENNE- VIÈRES, Peintres provinciaux, t. Il, p. 58 réjouir, l’année suivante, du triomphe d’un autre artiste qui lui appartenait également par la naissance : le 18 septembre 1758, le jeune statuaire Luc Breton recevait au Capitole de Rome le premier des prix de sculpture décernés annuelle- ment par l’Académie de Saint-Luc (). IT était dans la des- tinée de ce lauréat de renouer, pour l'honneur de sa ville natale, avec l’idée un instant réalisée par Boiston, mais en s'inspirant, au point de vue d’une création viable, des exem- ples donnés à Lyon par Donat Nonnotte. Luc Breton, orphelin dès son bas âge et dépourvu de for- tune, avait été tiré de la boutique d’un menuisier, pour de- venir l’élève d’un sculpteur sur bois qui, moyennant une somme de quatre cents livres prélevée sur les revenus d’une fondation de bienfaisance, s'était chargé de le nourrir et de l’éduquer pendant six ans. [Il avait ainsi contracté une dette envers sa ville natale, et l’énergique fierté de son caractère exigeait qu'il s’acquittàt. Parvenu à l’apogée de son talent, il avait produit à Rome, en 1771, pour la façade de Péglise que la Franche-Comté possédait dans cette métropole, une statue de saint André, dont le directeur de l’Académie de France écrivait : « Il y a longtemps qu’un pareil morceau n'a été fait à Rome ». Ce nouveau succès semblait devoir le fixer dans la ville pontificale, où un emploi de professeur lui était offert; mais, au contraire, il jugea le moment propice pour réaliser un noble projet, celui de créer à Besançon une Ecole gratuite de peinture et de sculpture, qui affranchirait de l'assistance publique ceux des enfants pauvres de cette ville dont la vocation serait dirigée vers les beaux-arts. A cette prédisposition généreuse un stimulant s'était ajouté : depuis 1765, la ville de Dijon possédait une Ecole publique et gratuite des arts du dessin, et cette institution, patronée par les Etats de la province de Bourgogne, avait eu pour au- (1) Voyez ci-après la notice spécialement consacrée à la vié et aux ou- vrages de Luc Breton. : 2e Éd de teur un contemporain de Breton, François Devosge, né à Gray, en Franche-Comté, élève du dernier des Coustou, pour la sculpture, et disciple, pour la peinture, de Deshays de Colleville, gendre du célèbre Boucher (). Pour créer sans trop de désavantage une institution sem- blable à celle que dirigeait Devosge, Breton, qui n’entendait rien au maniement du pinceau, jugea qu'il lui serait indis- pensable de s'associer un peintre doué de talent et ayant la vocation d'enseigner, Ces deux conditions se trouvaient réunies chez un artiste originaire de la Suisse allemande, du même âge que Breton et s'étant lié intimement avec lui pendant leur séjour à Rome ; il s'appelait Melchior Wyrsch. Fixé à Besançon depuis 1763, il y avait peint plusieurs ta- bleaux d'église d’une agréable et vigoureuse facture, ainsi qu'un très grand nombre de vivants portraits : dans ce der- nier genre 1l était absolument supérieur. Breton et lui avaient bien des traits communs dans le caractère : la volonté forte et tenace, l’honnête simplicité des mœurs, la bonhomie quelque peu caustique, la franchise poussée jusqu’à la ru- desse. Au physique, Wyrsch était de haute stature, avait la figure longue et la physionomie dure ; 1l louchait de l'œil droit et était prématurément chauve (2). Breton semble avoir été de taille moyenne : sa chevelure, rejetée en arrière, lais- sait voir un front superbe qui projetait des arcades sourcil- (1) L’Eloge de Devosge, prononcé par FREMIET-MONNIER, le 8 avril 1813, sera toujours la source principale des renseignements biographiques sur le fondateur de l'Ecole des beaux-arts de Dijon ; cependant M. Four- CAUD a révélé, dans sa récente étude sur François Rude, de bien intéres- sants détails sur les relations de François Devosge avec ses illustres élèves, Ramey, Gaulle, Prud’hon, Petitot, Rude, etc. {Voyez Gazette des beaux- . arts, n° des 1er mai et 1er août 1888). Quant aux annales de l'Ecole fondée par Devosge, elles ont été déroulées, avec autant de goût que de conscience, dans la Notice sur l'Ecole nationale des beaux-arts de Dijon, par M. Joseph GARNIER, le savant archiviste de la Côte-d'Or ; Dijon, 1881, in 8, (2) Voy. Francis Wey, Melchior Wyrsch et les peintres bisontins, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, ann. 1861. Cao lières saillantes sur des yeux noirs d’un très vif éclat; son nez était aquilin, et ses lèvres fines donnaient à son visage une expression quelque peu dédaigneuse (1). Breton demeura célibataire ; Wyrsch avait épousé Marie-Barbe Kaiser, de Stanz, dont il n'eut pas d'enfants. Quand ces deux artistes se retrouvèrent à Besancon en 1772, l’intendance de la province de Franche-Comté avait, depuis dix ans, pour titulaire Charles-André de Lacoré, l’ai- mable successeur du revêche Bourgeois de Boynes. Depuis son entrée en fonctions, ce haut dignitaire avait présidé à la reconstruction des Thermes de Luxeuil ; puis il faisait édifier à Besançon, aux frais de toute la province, un palais de l’in- tendance, dont il avait demandé les plans à Victor Louis, l'architecte du grand théâtre de Bordeaux. Il avait un goût irès vif pour les arts et manifestait les plus généreuses dis- positions envers les artistes : aussi ne put-il manquer de faire bon accueil au projet d'établir à Besançon une Ecole gratuite de peinture et de sculpture (2. (1) Voy. Ch. BaILLE, Le sculpteur Luc-François Breton, dans la Revue littéraire de la Franche-Gomté, t. 11, 188%, p. 68. (2) Charles-André DE LACORÉ, dont le père était seigneur de Saint-Ouen, naquit le 24 août 1720. Après avoir occupé successivement les emplois de conseiller au Parlement de Paris, en 1741, de maître des requêtes, en 1749, de président au Grand Conseil, en 1756, il fut nommé intendant de la Gé- néralité de Montauban, au mois de décembre 1758, poste qu'il quitta, au mois de mai 1761, pour devénir intendant de Franche-Comté. Esprit droit, intelligence active, caractère conciliant, il réussit à effacer les traces des discordes que son prédécesseur avait fait naître, en même temps qu'il in- troduisait les mœurs françaises dans les habitudes d’une population parti- culièrement attachée à ses coutumes provinciales. Ce fut à son initiative que la ville de Besançon, aidée par des secours de l'Etat, dut les principaux - embellissements qui modifièrent sa physionomie : transformation du ter- rain de Chamars en une magnifique promenade (1773-1784); construction, d’après les plans de Victor Louis, d’un hôtel de l’intendance, avec une voie nouvelle reliant ce superbe monument à la Grande-Rue (1769-1778); édifi- cation d'une salle de spectacle, d’après les dessins de Ledoux (1778-1784) ; reconstruction, d’après les plans de l'architecte Alexandre Bertrand, de l'église dédiée à saint Pierre, et création d'une place entre ce monument = Co Sous les auspices de ce puissant personnage, Breton et Wyrsch s’adressèrent à la municipalité qui, par une délibé- ration du 16 décembre 1771, témoigna de toute sa sympathie pour leur projet, mais en leur promettant seulement la four- niture gratuite du bois nécessaire au chauffage de la salle que le maréchal de Duras, gouverneur de la province, pour- rait leur concéder au Palais Granvelle. Les conséquences de la disette de 1770 pesaient encore lourdement sur la caisse municipale, et d'autre part, l'Académie des sciences, belles- lettres et arts, ainsi que la Société des concerts, qui occu- paient les grands logis du Palais Granvelle, n'étaient pas disposées à s’accommoder d’un voisinage dont elles avaient, à l’époque du professorat de Boiston, éprouvé les inconvé- nients (1). La municipalité n'aurait pu directement accorder qu'un seuk bâtiment, et encore avait-il une assez pauvre allure ; mais, de plus, il était provisoirement occupé par des fours publics dont la disette avait motivé l'établissement. Force fut donc aux deux artistes d’avoir patience jusqu’au moment où l’abaissement du prix des grains ferait suppri- mer les fours publics, en rendant disponible le bâtiment, - et l'hôtel de ville (1782-1786); projet de ramener à Besançon les sources d'Arcier, qui abreuvaient cette ville à l’époque romaine (1777). À propos du projet de créer à Besançon une Bourse, sous le nom de Cercle du commerce, les Affiches de la Franche-Comté du 16 mars 1781 s’expri- maient ainsi : « M. de Lacoré, qui semble n’exister que pour faire le bien, dont les désirs mêmes sont des vœux pour les Comtois, et de qui l’on pourra dire, comme de Périclès à l'égard d'Athènes, qu'après avoir trouvé la Franche-Comté de briques. il l’a laissée de marbre ; M. de Lacoré appuie de tout son crédit ce projet aussi grand qu'avantageux ». Aussi les regrets furent-ils très vifs en Franche-Comté, lorsqu’au mois de mai 1784, Charles- André de Lacoré quitta cette province pour entrer au Conseil d'Etat, et mourir prématurément le 2 novembre 1784, après avoir eu la douleur de perdre, le 20 mai précédent, sa seconde femme, Marie Guyon de Frémont, qui avait été l’associée intelligente de sa bienfaisante administration. Dans la notice consacrée plus loin à Luce Breton, on trouvera la description des deux monuments que cet artiste voulait consacrer à la mémoire de l’In- tendant si regretté et de sa digne compagne. . (D) Voir ci-après la notice sur le seulpteur Philippe Boiston. ) — 066 — situé derrière l’hôpital du Saint-Esprit, où fonctionnait la boulangerie municipale. La liquidation de cet établissement ayant eu lieu au mois de juillet 1772, nos deux artistes revinrent à leur projet; mais, cette fois, ce fut à l’Intendant qu'ils présentèrent un mémoire écrit par Luc Breton et signé, conjointement avec lui, par Melchior Wvyrsch. Le ton de ce morceau est décla- matoire : les redites ainsi que les incorrections y abondent ; lorgueil de l’ouvrier parvenu s’y étale sans déguisement. « Luc Breton », dit-il de lui-même, « Luc Breton, qui a rem- porté le prix dans la première Académie du monde, qui a laissé à Rome des ouvrages qui l’immortalisent..……. préfére- roit une place de professeur dans une Académie en Franche- Comté à celle qui lui est offerte à Rome... ». Cette jactance naïve est honnêtement rachetée par la modestie des condi- tions que posent les auteurs du projet : en effet, ils deman- dent chacun, pour tout traitement, un logis convenable avec atelier, ou cent écus par an comme compensation, quatre cordes de bois à brûler chaque année et l’exemption du loge- ment des géns de guerre (1). L’Intendant transmit à la municipalité ce mémoire, en le lui recommandant par une dépêche qui porte la date du 15 février 1773. L’adhésion de l'Hôtel de ville ne se fit pas attendre, et, à l’issue d’une conférence qui eut lieu chez l’Intendant, les bases d’un contrat furent arrêtées entre les délégués municipaux et les deux signataires du mémoire. Une délibération municipale, en date du 17 mai 1773 @), Constatalt en ertet, que le peintre Mvrsch et le Seulpreus Breton s'étaient engagés à fonctionner comme professeurs, le premier pendant dix-huit mois et le second pendant trois années, à partir, pour l’un et pour l’autre, du 11 novembre (1) Ce mémoire est publié, avec la lettre d'envoi de l’Intendant, dans la troisième partie de ce travail. (2) Voyez, dans la troisième partie de ce travail, les délibérations muni- cipales concernant la création de l'Ecole. 1 Où 07 1773. Un crédit annuel de mille livres était ouvert au budget municipal, tant pour payer de modestes mdemnités aux pro- fesseurs que pour entretenir les locaux où se donneraient les leçons. Deux salles furent aménagées à cet effet au pre- mier étage du bâtiment que possédait la ville derrière l’hô- pital du Saint-Esprit, et qui avait été jadis construit pour abriter les fours de la munition militaire. Le rez-de-chaussée de ce même bâtiment venait d’être concédé à l’Ecole de chi- rurgie, créée à Besançon par lettres patentes: du 20 juin 4773 : il devait résulter de ce voisinage une extrême facilité, pour les élèves sculpteurs et peintres, d'entendre des leçons gratuites sur l'anatomie du corps humain, complément indis- pensable de leurs exercices d’ébauchoir et de pinceau. III ORGANISATION DE L'ÉCOLE AUX FRAIS DE LA MUNICIPALITÉ ; SON BUREAU D’ADMINISTRATION ; SES PREMIERS LAURÉATS. -— SUBSIDE ANNUEL ACCORDÉ A L'ÉCOLE PAR LE GOUVER- NEMENT DE LOUIS XVI. Fandis que la municipalité faisait préparer les salles desti- nées à l’enseignement des beaux-arts, Luc Breton élaborait le règlement de la nouvelle Ecole (D et obtenait, de concert avec Wyrsch, qu'un second peintre leur serait adjoint pour l'instruction des commençants. Ce peintre, qui parait avoir été bon instituteur, était de Besançon et s'appelait Claude- Joseph Fraichot @). Le règlement, édicté par la municipalité (1) Un projet de règlement, écrit de la main de Breton, se trouve dans le groupe des papiers concernant l'Ecole gratuite de peinture et de seulp- ture, aux Archives du Doubs, fonds de l’intendance. Aux termes de ce projet, « le corps de l'Académie », c'est-à-dire le bureau de l'Ecole, devait « être composé au moins de dix protecteurs et amateurs et de deux profes: seurs ». (2) Par une requête adressée à l’Intendant, « Claude-Joseph Fraichot, peintre, citoyen de Besançon, y demeurant rue de Battant », se proposa nn — le 20 janvier 1774 (1), disait en substance que M. de Lacoré, intendant de Franche-Comté, ayant désiré l’établissement à Besançon d’une Ecole gratuite de peinture et de sculpture, l'Hôtel de ville s'était empressé de concourir à des vues aussi patriotiques ; que l’Académie de peinture et de seulp- ture, créée en conséquence, serait soumise à la juridiction d’un bureau de direction, présidé par l’Intendant et com- posé en outre du maire, des deux premiers échevins, des deux plus anciens conseillers de ville, de quatre amateurs choisis parmi les principaux citoyens, et d’un secrétaire ; que chaque année l’un des professeurs donnerait « à lalter- native » un morceau d'étude, et une fois seulement un mor- ceau de sa composition, pour l’ornement des locaux de PAca- démie ; qu’en dehors des vacances, semblables à celles de l'Université, les leçons des professeurs seraient de deux heures par jour : en hiver, de cinq à sept heures du soir, en ÉLÉ, de six à huit heures, à moins que les grandes chaleurs ne fissent préférer de cinq à sept du matin ; que l'Académie, accessible aux amateurs, recevrait gratuitement comme élèves les jeunes gens de Besançon ou de la province de Franche-Comté qui auraient au moins onze ans révolus et posséderaient les premiers principes du dessin (2). pour enseigner les principes du dessin dans la première salle de l'Académie de peinture et de sculpture en voie de formation ; il demandait, € pour toute récompense, le titre de professeur adjoint à ladite Accadémie et d’être exempt de loger des gens de guerre ». — L’Intendant apostilla la requêle en ces termes : « À Messieurs du Magistrat de la ville de Besançon pour pourvoir à la nomination du sieur Fraichot. À Besançon, le 23 Jan- vier 177%. (Signé) LACORÉ ». (1) On trouvera ce document dans les délibérations du bureau de l'Ecole, imprimées ci-après. : (2) Par une requête en date du 30 janvier 1774, le mouleur italien Gio- Battista Cortopassi, de San-Martino, dans la république de Lucques, établi à Besançon depuis deux ans et demi, proposait à la municipalitè de se fixer en cette ville et de faire un voyage à Paris pour se procurer les moules des figures pouvant être utiles à l’enseignement de Luc Breton, moyennant que la municipalité lui accorderait le privilège exclusif de vendre des ouvrages La séance d'installation du bureau eut lieu le 8 mars 1774 : elle fut ouverte par un discours de l’Intendant, qui cffrit en- suite à l’établissement un volumineux recueil d’estampes procédant des meilleurs maîtres, recueil qu’il avait fait venir de Paris, à ses frais, pour servir à l’instruction des élèves de la classe élémentaire. Le professeur de cette classe étant dès iors outillé, il fut décidé que ses leçons de principes commenceraient immédiatement : elles commencèrent, en effet, le 11 avril 1774; mais les cours supérieurs avaient eu déjà quelque prélude d'organisation, puisque des travaux d'élèves existaient dès le 8 mars. Lors de sa première séance, le bureau de direction, présidé par l’Intendant, réunissait toutes les personnes prévues par l’article 3 du règlement, c’est-à-dire le maire, les deux pre- miers échevins, les deux plus anciens conseillers de ville, quatre amateurs, les trois professeurs et un secrétaire. Voici les noms des quatre amateurs qui avaient été choisis : l’in- génieur en chef de Damoiseau, directeur des fortifications de la place; le chevalier de Sorans, ancien capitaine au régiment du Roi-Infanterie; le chevalier de Vregille, capi- taine d'artillerie ; l’abbé Matherot de Romange, chanoine et chantre du chapitre de Sainte-Madeleine. Sur ces quatre amateurs, il y en eut trois qui siégèrent jusqu’à la dissolu- tion de l'Ecole : seul, l'ingénieur en chef de Damoiseau, qui partit en 1785 pour occuper un emploi dans l’île de Corse, ou figures en plâtre dans la ville. Sous le bénéfice de ce privilège, !l s'en- gageait à faire venir de Nancy et de Châlons les moules qu'il y avait en dépôt, puis à se procurer en Italie et à Paris les moules d’ouvrages an- tiques ou modernes jugés utiles audit enseignement, s’engageant à en fournir gratuitement des épreuves en plâtre, ainsi qu'à mouler les ou- vrages désignés par le professeur de sculpture et à en remettre un exem- plaire de chacun d’eux à létablissement. La municipalité n'ayant voulu garantir au requérant le privilège exclusif que pendant une année, et s'étant encore réservée le droit d'accorder à d’autres mouleurs des per- missions temporaires de débit, l’arrangement ne fut pas conclu. (Archives de la ville de Besançon.) a dut être remplacé par le trésorier de France Brenot. Depuis son début jusqu’à sa fin, le bureau eut pour secrétaire l’avo- cat Nicolas-Joseph Belamy, qui remplissait à l'hôtel de ville l’importante fonction de secrétaire du Corps municipal. À partir de la rentrée du 12 novembre 1774, l'Ecole, qui s'intitulait Académie, eut la plénitude de son fonctionnement. _ Une seconde séance du bureau se tint le 6 décembre, et l’In- tendant y annonça son intention de donner personnellement, à partir de l’année suivante, une somme de cent cinquante livres qui permettrait de distribuer trois prix, sous forme de médailles accompagnées d’estampes, aux élèves les plus mé- ritants. La première distribution se fit le 2 mai 1775 : le prin- cipal prix, qui consistait en une médaille d'argent doré et dix estampes, fut disputé par deux Bisontins : Alexandre Chaze- rand, âgé de dix-huit ans, et François Jourdain, qui était dans sa trentième année (1). La victoire appartint au plus jeune ; mais l’ancien eut plus tard sa revanche, car son jeune rival mourut à 38 ans des conséquences d’une vie de dé- bauches, tandis que lui vécut assez pour conserver les tradi- tions de l’enseignement de Wyrsch et pour essayer, en 1807, de les faire revivre dans une Ecole qui continue d'exister. La valeur très réelle de ces deux rivaux peut être appréciée comparativement à Besançon dans léglise de Sainte-Made- leine : le Martyre de saint Vernier, par Jourdain, s’y trouve assez rapproché de lAssomption de la Vierge, par Chaze- rand. La première de ces toiles est d’une précision froide et d'une coloration fade ; la seconde réunit la grâce des lignes à la poésie du sentiment et à la finesse du coloris. À l’ocea- sion de cette première distribution des prix, Wyrseh avait exposé l'ouvrage que le règlement l’obligeait, comme pro- fesseur, à offrir pour l’ornement de l’Ecole : c'était un ma- onifique portrait de Pintendant de Lacoré, fondateur de l’ins- (1) Voyez ci-après les notices spéciales concernant François Jourdain et Alexandre Chazerand. ütution ; le bureau jugea qu'une telle peinture n'aurait pas une place convenable dans les pauvres locaux où se don- naient les leçons, et l’on décida qu’elle serait envoyée à l’hôtel de ville. Breton avait déposé plus discrètement son tribut, c'est-à-dire un morceau de sculpture, qui parait avoir été cette statuette en terre cuite représentant saint Jérôme, d’une inspiration si noble et d’un modelé si puissant (). Cependant la notoriété de l'Ecole avait franchi les limites de la province, et plusieurs jeunes étrangers étaient venus de l'Alsace, de la Suisse et de l'Allemagne pour bénéficier de cet enseignement @). Ceux-là comptaient au premier rang des élèves appliqués de l'Ecole, et néanmoins ils ne partici- paient pas aux récompenses, car une délibération réglemen- taire du bureau n’admettait à concourir que des personnes originaires de Besançon ou de la province de Franche-Comté. On n'aurait pu maintenir un tel exclusivisme sans désobliger le peintre Wyrsch, étranger lui-même et à la considération duquel plusieurs de ces jeunes gens s'étaient rendus à Be- sançon. Le bureau prit donc à cet égard, dans sa séance du 8 janvier 1777, une résolution de moyen terme, consistant à dire « qu'attendu le petit nombre des élèves originaires de (1) Cette figurine, qui appartient au Musée d'art de Besançon, est ainsi décrite dans ma Monographie des Musées de cette ville : « Saint Jérôme. — Petit modèle de statue. — Terre cuite. — H. 0",74. — Représenté à peu près nu, dans les proportions du tiers de la grandeur naturelle, la chevelure longue et le visage barbu, il enfourche un rocher agreste et semble attendre l'inspiration d’en haut pour écrire sur un livre qui est ouvert devant lui et a pour soutiens deux autres livres fermés ainsi qu'une tête de mort. — « Breton désirant être membre de l’Académie royale » de peinture et de sculpture de Paris, fit une statue de saint Jérôme qui » est à l'Ecole de Besançon et qu’il voulait présenter comme morceau de » réception. Mais, après qu’on lui eût répondu que ces sortes d'ouvrages » devaient être exécutés à Paris sous les yeux mêmes des Académiciens, » il renonça à son projet. » (J.-L. CALLIER, Notice sur Luc Breton.) (2) Dans un mémoire en date du 8 juillet 1778, imprimé dans la troi- sième partie de ce travail, il est dit que l'Ecole était alors fréquentée par Œquarante-cinq élèves. Te) > Besançon et de la province qui jusqu’à présent ont fréquenté l’Académie et qui ont été admis dans les concours pour les prix, les étrangers pourroient également concourir, en jus- tifiant, par certificat desdits professeurs, qu'ils auroient fré- quenté pendant six mois et sans interruption, immédiate- ment avant l’ouverture du concours, les leçons de l’Acadé- mie, et que cependant, à égalité de mérite, les prix seroient donnés de préférence aux élèves de la ville et de la pro- vince ». Au début de la même séance du bureau, M. de Lacoré, qui suivait avec une paternelle sollicitude les efforts des profes- seurs et désirait vivement pour eux un appoint de situation, avait eu la grande joie d'annoncer que le gouvernement de Louis XVI accordait à l'établissement une subvention an- nuelle de 3000 livres, somme qui s’ajoutait à celle de 1000 livres inscrite chaque année pour l'Ecole au budget munici- pal. Il fut délibéré de suite que, sur les fonds accordés par l'Etat, Breton et Wyrsch toucheraient chacun 1000 livres, que 500 livres seraient accordées au professeur-adjoint Frai- chot, que Breton aurait de plus, comme premier professeur, 500 livres sur l'allocation de la ville ; que le reliquat de 4000 livres servirait à fournir les prix et à solder les frais d’entre- üen des locaux où se donnait enseignement. IV L'ACADÉMIE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE BE- SANÇON DISPUTE LE PATRONAGE DE L'ÉCOLE AU DIRECTEUR GÉNÉRAL DES BATIMENTS DU ROI : EN CONSÉQUENCE, I, ÉCOLE N'OBTIENT PAS D'ÊTRE AFFILIÉE À L'ACADÉMIE ROYALE DE PARIS ; UN COURS D'ARCHITECTURE EST CRÉÉ EN DEHORS DE L'ÉCOLE PAR L'ACADÉMIE DE BESANÇON (1777-1784). La subvention, si bien accueillie par le bureau de Ecole, nn SG Se de ce dd CRT DURS A TR dura ns 1: 79 procédait de linitiative du comte d’Angiviller, directeur gé- néral des Bâtiments, et cette libéralité avait un but que ré- véla bientôt la déclaration royale du 145 mars 1777. Par cet acte de lautorité souveraine, le Directeur général des Bâti- ments était institué chef et protecteur unique de toutes les Académies de peinture et de sculpture établies ou à établir dans le royaume ; il obtenait le pouvoir absolu de ratifier ou de confirmer les statuts de ces institutions. Mais les pro- vinces n'étaient pas alors, comme elles le sont aujourd’hui, uniformément et silencieusement soumises aux décrets du pouvoir central. Une décision royale n’était exécutive, dans chaque province, qu'après avoir été examinée, au point de vue des intérêts de la circonscription, puis enregistrée. s’il y avait lieu, par le Parlement, qui était tout à la fois une cour souveraine de Justice et un conservatoire des traditions lo- cales. La déclaration du 45 mars 1777 ne pouvait done avoir à Besançon force de loi qu'après son enregistrement par la cour souveraine de la province de Franche-Comté. La sub- vention de 3000 livres, récemment octroyée à l'Ecole de Be- sançon, disposait merveilleusement la municipalité de cette Ville ainsi que le bureau de l’établissement à acclamer la dé- claration du Roi. Pour l'Ecole, c'était la perspective d’une reconnaissance légale de ce titre d’Académie de peinture et de sculpture dont elle se parait, depuis trois années, sans en avoir acquis le droit par une consécration officielle. Or cette même perspective devait nécessairement porter om- brage à l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Be- _sançon, fondée en 1752 et reconnue par des lettres patentes, . dont certains termes semblaient lui conférer une sorte de tutelle sur les études d’art dans la province. Comme tous les corps privilégiés, l'Académie était jalouse de ses prérogatives et. n’admettait pas la concurrence. En . 1754, elle avait fait supprimer, au moyen d’une lettre de ca- _chet du Roi, la Société littéraire-militaire créée par un Breton né malin, l'abbé de Sérent, et installée dans l’une des casernes 2 y + du Fort Griffon (D. En 1777, elle réussissait à empêcher la fondation dans la ville d’une succursale de la Société d’Agri- culture de Paris @. À l'égard de l'Ecole de peinture et de sculpture, son ambition n'était pas cruelle : elle se bornait à réclamer le patronage de cet établissement, et cela en vertu d’un droit qu’elle estimait supérieur à la prétention récem- ment élevée dans le même sens par le Directeur général des Bâtiments. Non-seulement ce droit lui semblait écrit dans la (1) L'abbé DE SÉRENT (Joseph-René-François), né à Vannes, en 1796, d’une ancienne famille de Bretagne, avait quitté la congrégation de l’Ora- toire pour prendre des grades en droit civil et canonique. S'étant trouvé à Besançon au moment où se fondait l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de cette ville, il eut l’ambition d’y être admis, et le refus qu'il éprouva lui fit concevoir le projet de créer une association rivale. Quelques officiers de la garnison se groupérent à cet effet autour de lui, et il en ré- sulta une Société littéraire-militaire que le due de Randan, commandant supérieur en Franche-Comté, autorisa volontiers à se réunir au Fort- Griffon, l’un des bastions du corps de la place de Besançon. « La nouvelle Société », dit Charles Weiss, « tint, à la fin de l’année 1753, sa première assemblée, dont l'abbé de Sérent, nommé président perpétuel, fit l’ouver- ture par un discours qui n'était qu'une critique amère de l’Académie. Ces séances se renouvelèrent tous les mois, et furent suivies avec d'autant plus d’empressement qu’elles étaient presque toujours égayées par des traits de satire contre les académiciens. Ceux-ci obtinrent une lettre de cachet qui défendit à la Société militaire de tenir des assemblées publiques. L'abbé de Sérent partit pour Paris dans l'intention de faire révoquer cet ordre, et il profita de son séjour dans la capitale pour distribuer libéralement des patentes d’associé à tous ceux qui lui en demandèrent. Mais la Société qu’il avait créée ne put se soutenir malgré ses efforts... » (Biographie uni- verselle, 2e édit., t. XXXIX, p..93). Elle existait encore, au moins sur le papier, en 1762 : c’est l'abbé Db’ExPILLY qui l'atteste, aprèsbavoir donné d'assez longs détails sur les origines de l'institution (Dictionnaire de la France, t, 1, p. 600). « Je puis ajouter », veut bien m'écrire de Vannes le savant abbé Luco, « que J'ai trouvé une autre société fondée par mon com-. patriote, la Société de la Reconnaissance, devenue plus tard la Société patriotique bretonne. Les réunions avaient lieu dans son château de Ké- ralier, dans la presqu'ile de Rhuys (1769-1785). Son titre de gouverneur, sa popularité parmi les cultivateurs et les marins de cette presqu'ile, les fêtes excentriques qu'il donnait à cette occasion, y attiraient des foules consi= dérables. Agé de 66 ans, il mourut à Vannes, le 18 juillet 1792 ». (2) L'Académie s’en flattait elle-même, dans un mémoire qui fait partie des pièces Composant la troisième partie de ce travail. a TE définition royale de ses attributions, mais encore il lui avait été formellement reconnu, en 1756, par l’intendant Bour- geois de Boynes, lorsque ce haut fonctionnaire s’était reposé sur elle du soin de patroner le cours de sculpture et de dessin du statuaire Philippe Boiston. Pour que ce droit ne füt pas prescrit, il suffisait que le Parlement de Besançon n’enregis- trât pas la déclaration rovale qui accordait au Directeur gé- néral des Bâtiments l’omnipotence sur toutes les Ecoles d’art nées ou à naître dans le royaume. Or l’Académie comptait dans son sein sept membres du Parlement (), dont l’un, le conseiller Droz, son secrétaire perpétuel, avait en main la plume érudite que la cour souveraine employait le plus sou- vent pour: formuler les remontrances qu'elle adressait à la royauté. L'Académie pouvait s’appuver en outre sur le crédit dont jouissait à la cour son protecteur, le maréchal de Duras, gouverneur de la province : elle était ainsi certaine que Île pouvoir royal n’userait pas de contrainte pour obtenir l’en- registrement de sa déclaration. Toutefois, il n’y avait pas à espérer que ce même pouvoir conspirerait contre lui-même en favorisant les convoitises de Académie, et pourtant le concours du pouvoir roval était indispensable au succès de ces convoitises. En effet, l’an- nexion désirée par l’Académie n’était possible qu’en vertu d’un arrêt du Conseil d'Etat ou de lettres patentes, et c'était du Directeur général des Bâtiments que devait venir lPinitia- tive d’une telle mesure. Or le comte d’Angiviller n'avait pas fuit doter l'Ecole de Besançon pour qu'un autre que lui en eût le patronage. Si l’Académie de Besançon lui barrait le - chemin du Parlement de la province, il prenait sa revanche (1) Jean-Claude-Nicolas PERRENEY DE GROSBOIS, premier président, lun des directeurs-nés de l'Académie; Denis-Ignace comte DE MOURET-CHA- TILLON, président à mortier ; Jean-Baptiste ROGHET DE FRASNE, avocat g6- néral honoraire ; François-Alexis DU BAN DE CRESSTA, conseiller ; François- Félix-Bernard DE TERRIER-SANTANS, président à mortier ; François-Nicolas- Eugène DRoz, conseiller ; Jean-François BERGERET, second avocat général, no en fermant à sa rivale les avenues des Conseils du Roi. Obligé par le crédit du maréchal de Duras à demeurer sur la défen- sive (1), il terminait une lettre à M. de Lacoré par cette amère boutade : « Je suis du reste entièrement disposé à abandon- ner à Messieurs de l'Académie de Besancon la direction de la nouvelle Ecole, et même s'ils veulent s'opposer à l’enre- gistrement de la déclaration du Roy qui rend à ces arts la liberté et l'esprit de noblesse dont ils auroient toujours dû jouir, ils en sont les maitres. La Franche-Comté sera, au moyen de cette opposition, la seule province de France où ils ne Jouiront pas de cette illustration ; et ce qui sera le plus extraordinaire, c’est que ce sera à une Académie soi-disant d'arts qu'ils en auront l’obligation (2) ». La situation ainsi tendue durait depuis trois ans, quand l’Académie crut réussir à la modifier par un stratagème. Une lacune semblait exister dans l’enseignement de PEcole gra- tüile, puisque l’on n’y professait pas l’architecture. Or il se trouva qu’en 1780, le jeune Denis-Phihibert Lapret, de Be- sançon, revenait dans sa ville natale après avoir obtenu des succès comme élève de l’Académie d'architecture de Paris. Le décider à ouvrir un cours gratuit d'architecture sous les auspices de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de. Besançon, obtenir à cet effet du maréchal de Duras les locaux jadis occupés par Boiston au Palais Granvelle : tout cela fut arrangé très vite, en dépit de la mauvaise humeur du corps municipal et de celle du bureau de l’Ecole de peinture et de sculpture. Le cours d'architecture ayant été ouvert au Palais (1) Une lettre du Maréchal duc de Duras, écrite à l’Académie des … sciences, belles-lettres et arts, sur cette affaire, est ainsi conçue : «A Marly, ce mercredy 5 may (1779). — J’ay l'honneur de vous annon- = cer, Messieurs, que M. le comte d'Angivilliers vient de m'écrire qu'il se désistoit entièrement de la prétention qu'il avoit voulu établir pour une Académie de peinture à Besançon. J'ai reçu hier sa réponse, et je me. . presse de vous en faire part. — J'ai l'honneur d’être très parfaitement, Messieurs, votre très humble serviteur (Signé) LE MARÉCHAL DE DUuRAS ». (2) Archives du Doubs : papiers de l’intendance. cr en Granvelle le 1er février 1781 (1), l'Académie pensa qu'il lui serait tenu compte de l’appoint qu’elle était dès lors en me- (D Par une dépêche en date du 5 juin 1780, l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon soumettait au Maréchal due de Duras, son protecteur, la demande d'ouvrir un cours public d'architecture, dans la salle des machines de l’Académie, au Palais Granvelle, demande qui lui était faite par « le sieur LAPRET, citoyen de Besançon, élève de l'Ecole d'architecture de Paris, muni des certificats de MM. TROUARD, contrôleur des Bâtiments ; PARIS, dessinateur du Roy, et JARDIN, architecte ordinaire de Sa Majesté... Nous espérons même », ajoutait l'Académie, « que ce sera l’occasion de consommer la réunion de l'Ecole de peinture et de sculpture d’une manière agréable à M. d’Angivillier, pour que les élèves qui iront se perfectionner dans la capitale puissent, comme d’autres, mé- riter sa bienveillance en proportion de leurs talens ». Le Maréchal autorisa bien volontiers l'ouverture des leçons du jeune Lapret, au Palais Granvelle, sous les auspices de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts ; mais le comte d'Angiviller déclara ne pas voir comment ce pouvait être une occa- sion favorable de consommer d’une manière agréable au Directeur général des Bâtiments du Roi la réunion de l'Ecole de peinture et de sculpture. « Du reste », ajoutait-il, « le Directeur, parfaitement désintéressé, accueil- lera toujours ceux qui, formés dans l’Académie de Besançon comme dans toute autre, annonceront des talens distingués et propres à faire honneur à la Nation. » La municipalité, qui tenait pour les vues du comte d’Angiviller, mit tous les obstacles possibles à lPappropriation de la salle destinée au cours d'architecture : l’un des conseillers de ville eut même à faire de ce chef des exeuses à l’Académie ; enfin l’annonce de l’ouverture du cours fut publiée dans les termes suivants : « Ecole gratuite d'architecture. — L'Académie des sciences, belles- lettres et arts de Besançon ayant permis, de l'agrément de M. le Maréchal de Duras, au sieur Lapret, élève de l’Académie d’architecture de Paris, de donner des leçons dans une salle au second étage du Palais de Granvelle, il en fera l’ouverture jeudy 4er février 1781, à deux heures après midy ». De cette Ecole d'architecture, qui n’eut qu’une existence éphémère, les Affiches de la Franche - Comté disaient, le 16 décembre 1782 : « Cette dernière Ecole a aussi formé de bons élèves, parmi lesquels on distingue le sieur Dangel ». Denis-Philibert Lapret remplaçca Longin comme architecte de la ville, en 1792, et il fut chargé, en 1819, de l'exécution du généreux testament de son vénéré maitre Pierre-Adrien Paris. Il était né à Besançon, d'une famille de menuisiers habiles, le 21 mars 1761 ; il mourut dans cette même ville, le 28 décembre 1821. Charles Weiss lui a consacré une notice bio- graphique, publiée dans les Mémoires de l’Académie de Besançon : 24 août 1822, no sure de fournir à l’enseignement de l'Ecole dont elle ambi- tionnait le patronage. Cet expédient ne produisit aucun effet. Vainement l’Académie écrivit lettre sur lettre, rédigea’ mé- moire sur mémoire, faisant valoir l'avantage qu’elle procu- rerait à l'Ecole en la ürant des locaux misérables où elle fone- tionnait, pour l’installer au Palais Granvelle, dans la Salle de la Comédie que la construction d’un grand Théâtre allait rendre libre : rien n’ébranla l'attitude prise par le comte d’'Angiviller. Résolu fermement à se désintéresser de ce qni concernait l’enseignement des arts en Franche-Comté, il promettait néanmoins de faire à Paris bon accueil aux jeunes artistes méritants que pourrait former l’Académie de Besan- Con ; mais 1l se refusait à partager avec cette Compagnie le patronage d’une institution dont la déclaration du Roi l’insti- tuait chef unique et absolu. | M. de Lacoré, qui était la conciliation même, avait employé toute la dextérité de son esprit à chercher la formule d’un arrangement qui procurerait à l’Ecole fondée par ses soins le double avantage d’une reconnaissance légale et d’une affi- lation à lAcadémie royale de peinture et de sculpture. Comme gage de ses dispositions accommodantes, il avait accordé une subvention annuelle de 150 livres au professeur d'architecture que patronait l'Académie de Besançon : aussi, tant qu'il fut Intendant, cette Compagnie ne désespéra-t-elle pas d'arriver au résultat qu’elle ambitionnait. Avec son successeur, Marc-Antoine Le Fèvre de Caumar- tin de Saint-Ange (), cette même illusion ne dura guère. En (1) Marc-Antoine Lefèvre de Caumartin de Saint-Ange, né Paris le 14 mars 1751, ondoyé au château de Saint-Ange, le 18 mars suivant, fut in- tendant de Bretagne avant d'occuper ce même poste en Franche-Comté. Son arrivée à Besançon est relatée ainsi dans les Affiches de la Franche- Comté du 14 septembre 1784 : & M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, inten- dant du Comté de Bourgogne, est arrivé le 2 septembre. M. DE LACORÉ, ancien intendant de cette province, conseiller d'Etat, étoit à Besançon dès le 25 août. M. DE CAUMARTIN à reçu, à son arrivée, les complimens des différens corps. Des lettres de citoyen et les vins d'honneur lui ont été 4 4 à de Le) ne de ge Gi Matra s lee € 'e réponse aux ouvertures que lui fit l'Académie pour obtenir son concours dans lPaffaire qu’elle poursuivait depuis six années, ce haut personnage répondit que lPétablissement concernant la peinture et la sculpture se contenterait du ütre modeste d'Ecole, des raisons majeures s’opposant à la réunion désirée : avec celle-ci, ajoutait-il, l’établissement serait sous l'autorité du maréchal de Duras, protecteur de PAcadémie, et l’intérêt des arts exigerait que cette autorité appartint au Directeur général des Bâtiments (D. Tout cela fut dit, paraîtrait-il, sur un ton qui ne permettait pas la ré- plique, car dès lors l'Académie cessa de convoiter ce qu’elle avait formellement appris qu’elle n’obtiendrait jamais. La longue et laborieuse campagne qu’elle avait conduite ne produisit d'autre résultat que celui très négatif d'empê- cher l’Ecole de peinture et de sculpture d’avoir une existence légale et d'être affiliée à l’Académie royale de Paris. Prati- . quement donc cette campagne fut nuisible aux intérêts d’un établissement dont la ville de Besancon tirait honneur et avantage. Mais si l’on considère le principe qui se trouvait présentés par MM. LAURENT, LOCHARD, D'ORIVAL et DUMONT DE VAUX, dé- putés du Magistrat, M. LAURENT, premier échevin, lui portant la parole. Le 6, il s’est rendu, avec M. DE LACORÉ, en la nouvelle salle des spectacles, qui avoit été fermée depuis le départ de LL. AA. SS. le Prince de Condé et le Duc de Bourbon. Dès qu’ils ont paru, de longs battemens de mains leur ont annoncé toute la joie qu’inspiroit leur présence. On donnoit ce jour-là Adelaide Du Guesclin et On ne s’avise jamais de tout ». — A la suite des troubles qui signalèrent à Besançon le début de la Révolution française, il regagna Paris et élut domicile dans le magnifique hôtel qu’y possédait sa famille. « Parti malade pour les eaux de Bristol, en mai 1791, il fut déclaré émigré, et, malgré les plus vives protestations, la Nation mit le séquestre sur ses biens, puis les partagea avec M. de Caumartin père, emprisonné lui-même pendant neuf mois, en 1793... Quelques années plus tard, le 31 août 1803, Marc-Antoine Lefèvre de Caumartin s’éteignait à Londres presqu’en même temps que son père. » (Th. LHUILLIER, Le chû- leau de Saint-Ange : dans le Bulletin de la Société d'archéologie de Seine-et-Oise, 1'e année, 1865, pp. 209-211.) (i) Délibération de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts : 15 dé cembre 178%, 80 en jeu dans la lutte, on reconnaîtra que l’Académie, créée pour être une sorte de parlement intellectuel de la Franche- Comté, était, sinon dans son droit, au moins dans son rôle, lorsqu'elle cherchait, même avec des vues intéressées, à préserver une institution frane-comtoise des atteintes de ce système de centralisation à outrance qui a tué linituative provinciale et que l’on à pu justement appeler « le pire fléau du génie français (1) ». v DÉPART DE MELCHIOR WYRSCH : CONCOURS OUVERT POUR LUI DONNER UN SUCCESSEUR , L’INTENDANT MARC - ANTOINE DE CAUMARTIN LE REMPLACE PAR SIMON-BERNARD LE NOIR (1784-1789). Tandis que M. de Lacoré, appelé à siéger au Conseil d'Etat, quittait l’intendance de la province, en laissant l’Ecole veuve de son premier et tout dévoué protecteur, lParüste qui avait créé l’enseignement de la peinture dans cette institution, Melchior Wyrsch, était réclamé par ses compatriotes de la Suisse allemande pour diriger à Lucerne une Académie de. peinture et de dessin que l’on y voulait former. Le 30 juin 1784, il demandait au bureau de l'Ecole d’être autorisé à quitter son poste dès ie mois de septembre suivant. Cette démission fut acceptée avec le plus vif regret. Non-seule- (4) « La centralisation à outrance est le pire fléau du génie français, dont elle étouffe en grande partie l’expansion et dont elle altère profondément l'originalité : à ce fatal excès est due cette servile atonie provinciale qui prive la nation d'initiatives vivaces, qui ne lui ont point fait défaut dans le passé. Aussi tous nos efforts ne cessent-ils de réagir contre ce déplorable état de choses ». (Paul LERoï : article dans le journal L’Art, année 1886, 2e semestre, p. 97.) — « Chacun de nos tempéraments provinciaux con- tribue à former notre tempérament national. On y rencontre la malice, la naïveté; la vantardise, la mélancolie, l'éloquence, l'enthousiasme. De tout cela se compose l'âme aimable de la France ». (Ernest LAVISSE, La jeunesse française : Revue politique et littéraire, ann. 1887, 1er semestre, p. 759.; ment le bureau décerna au très méritant artiste la qualité de professeur honoraire, mais 1l résolut de demander pour lui à la municipalité un témoignage officiel de gratitude et d’es- time. Conséquemment, le 7 juillet 1784, une délibération mu- nicipale fut prise en ces termes : « Le sieur Jean-Melchior Wyrsch, peintre, natif de Buochs, canton d’Unterwalden, en Suisse, ayant, avec succès, exercé ses talents à Besançon pendant plus de vingt années, dont dix années en qualité de professeur à l’Académie de peinture et de sculpture, se trou- vant au moment de quitter cette ville pour aller s'établir à Lucerne, la Compagnie, pour marquer l'estime et la consi- dération qu’elle porte à cet artiste qui, d’ailleurs, à tenu la conduite la plus sage et la plus régulière, a délibéré de lui donner des lettres de citoyen, qui lui seront expédiées gra- tuitement par le secrétaire ». Wyrsch se montra très sensible aux manifestations flat- teuses qui saluèrent son départ, et le souvenir reconnaissant qu'il en conserva ne fut pas étranger à sa fin tragique. De- venu aveugle sur ses vieux jours, il habitait une maison qu'il s'était fait construire près de son village natal, quand éclata la lutte des cantons catholiques contre les troupes envoyées par le Directoire pour imposer à la Suisse la constitution française. Ces soldats, furieux d’avoir été tenus en échec et décimés dans les défilés du Rozberg, firent irruption, le 9 septembre 1798, à Stanz, à Kersitten et à Buochs, où ils mirent tout à feu et à sang. Wyrsch avait refusé obstinément _de fuir. « Je connais les Français », disait-il, « j'ai vécu au milieu d’eux, je parle leur langue; ils sont courtois et hu- mains. » Quelques instants après, sa maison était envahie, et lui-même recevait en pleine poitrine une balle qui l’éten- dit raide mort. De son corps, consumé dans l’incendie qui dévora la maison, rien ne put être retrouvé (). Le remplacement à Besancon de cet estimable artiste (1) Francis WEY, Melchior Wyrsch ; J. Hess, Johann-Melchior-Joseph 6 — 82 — n'avait pas été chose facile, et le bureau de l'Ecole s’y était employé pendant dix mois. On eut tout d’abord l’idée d’un concours. La proposition en fut faite, par lettre, à PIntendant qui alors était à Paris. Dans sa réponse, en date du 15 août 1784, M. de Saint-Ange donnait au projet son adhésion, mais en ajoutant : € Je pense qu'il est très essentiel de former ce concours à Paris et de soumettre les ouvrages du concours au jugement de l’Académie royale ». Pour le bureau de l'Ecole, qui n'avait cessé de maudire l’empêchement que l’Académie de Besançon mettait à ce que l’insütution devint tributaire de l'Académie royale, une telle perspective semblait devoir être des plus séduisantes. Il n’en fut rien cependant, et le bureau de l'Ecole, qui se fit à son tour le champion de l’indépendance provinciale, motiva, par une délibération sérieuse, son changement momentané d’at- ütude. Attribuer, disait-il, à l'Académie royale la prérogative de choisir les professeurs des autres Académies de peinture et de sculpture du royaume, ce serait déconsidérer ces ins- titutions. Celle de Besançon compte parmi ses professeurs un artiste dont les ouvrages € applaudis et couronnés à Rome fixeroient également l'attention des amateurs et des artistes | de la capitale du royaume ». Les ouvrages des concours ordinaires's’ y exécutent sous les yeux des professeurs et ne sont Jugés qu'après avoir été exposés pendant huit jours dans les salles de l'hôtel de ville. « Cette forme, exactement observée à l’égard des concours pour de simples prix, le seroit plus strictement encore dans la circonstance intéres- sante du choix d’un professeur, qui aux connoissances et aux talents doit réunir des mœurs pures, l'habitude d’ensei- gner, la facilité de la démonstration, et en particulier cette aménité qui encourage, fait goûter les leçons et qui en assure le succès. » Comment l’Académie royale, qui n'aurait sous Würsch. von Buochs. — Voyez en outre la notice consacrée ci-après au peintre Melchior Wyrsch. no les yeux que des ouvrages faits en dehors de tout contrôle, pourrait-elle apprécier les talents et surtout les aptitudes spéciales de ceux qui seraient plus ou moins les auteurs de ces travaux ? Ces objections furent agréées par M. de Saint-Ange qui, dès son retour en Franche-Comté, vint délibérer avec le bureau que le concours aurait lieu à Besançon, suivant un programme imprimé dans les papiers publics et dont on enverrait des exemplaires aux villes de Strasbourg, Nancy, Dijon, Lille, Marseille et Lyon. Cette publicité n’amena pas le moindre concurrent du dehors : le seul qui se fit inscrire appartenait à Besançon par sa naissance et à l'Ecole par son instruction ; c'était l’honnête François Jourdain. Conformé- ment au programme, il dut, à un jour déterminé, être en- fermé seul dans une chambre, depuis huit heures du matin jusqu’à midi et de deux heures à cinq heures du soir, à l'effet de peindre à l’huile, sans aucun modèle sous les yeux, un tableau ayant comme dimensions trois pieds sur quatre et représentant Adam et Eve trouvant mort leur fils Abel. L'ouvrage peint dans ces conditions fut exposé à l'hôtel de ville, en même temps que les travaux du concours annuel des élèves. Le jugement du bureau, rendu le 20 décembre 1784, reconnaissait à cet ouvrage des qualités réelles, mais insuffisantes pour mériter à son auteur la place que Wyrsch laissait vacante. En conséquence, le bureau, estimant qu’il s'était ainsi acquitté des égards que les artistes de Besançon pouvaient attendre de lui, se hâta de donner à M. de Saint- Ange tout pouvoir de choisir, lors de son plus prochain voyage à Paris, un artiste capable de remplir à l'Ecole la place de professeur de peinture. Sans s'arrêter aux sollicitations du peintre allemand Kraus, qui désirait une direction d'école et finit par la trouver à Weimar (1), l’Intendant renoua de suite avec les démarches (1) Georges-Melchior KRAUS, né à Francfort-sur-le-Mein en 1727, mort — 84 — qu'il avait faites à Paris, au mois d’août 1784, en vue d’un concours à ouvrir sous les auspices de l’Académie royale. L'un des agréés à cette Académie, Simon-Bernard Le Noir, avait alors manifesté l'intention de concourir, désireux qu’il était de prendre une retraite en province. « Vous ne trou- verez pas mieux pour le talent et pour les mœurs», avait écrit à l’Intendant le plus obligeant des artistes, Pierre, pre- nier peintre du Roi. Après l’insuecès du concours jugé par la bureau de lPEcole, un tel renseignement devenait une solution. Les dispositions de Le Noir étant demeurées les mêmes, M. de Saint-Ange n'eut qu'à lui dire qu'il pouvait aller à Besançon pour remplir la place laissée vacante par Melchior Wyrsch. Le bureau de l'Ecole, avisé de ce choix par lPintendant, donna audience au nouveau professeur le 99 mai 4785, et l’autorisa immédiatement à ouvrir son cours. Simon-Bernard Le Noir (1), qui renonçait ainsi aux pompes et aux œuvres de l'existence parisienne, n’ignorait pas la joie des brillants succès. En 1759, 1l avait peint au pastel, à l’état de nature, une courtisane célèbre, mademoiselle Allard, et un bruit énorme s'était fait autour de ce portrait. Plus tard, ses portraits à l'huile du jurisconsulte Pothier et de l'acteur Le Kain, celui-ci dans le rôle d’'Orosmane, avaient eu les honneurs de la gravure. À l’occasion du dernier de ces ou- vrages, qui est possédé aujourd’hui par la Comédie française, il avait obtenu, le 27 mars 1779, un siège d’agréé à l’'Aca- démie royale, ce qui lui permettait de s’intituler « Peintre du Roi ». Bien que son pinceau eût fait quelques excursions dans le domaine de la peinture d'histoire, c'était comme portrai- Weimar en 1806, avait étudié à Paris dans l'atelier de Greuze. C'était au. banquier Louis Pochet, receveur des épices du Parlement de Besançon, qu'il avait dû l'indication de la place vacante. Cet honorable négociant, qui était un ami des arts, possédait plusieurs tableaux du peintre Kraus. Son portrait, de profil, peint par Wyrsch, en novembre 1769, est chez mesdemoiselles Daclin, à Besançon. 1) Voyez la notice qui le concerne, dans la deuxième partie de ce tra- rail, PRE tiste qu'il était particulièrement connu et estimé. Il avait donc les aptitudes essentielles pour continuer l’enseigne- ment de Wyrsch et pour le remplacer à Besançon comme peintre de portraits. S'il n'égalait pas son prédécesseur au triple point de vue de la précision du dessin, de la vigueur du modelé et de la chaleur du coloris, du moins ses ouvrages se distinguaient par une grâce toute française dans l’art des arrangements, par une touche vive et légère, par une colo- ration fine et spirituellement nuancée. Les commandes sembleraient n'avoir pas manqué au nou- veau professeur, car plusieurs années s’écoulèrent avant qu'il trouvât le temps de produire l'ouvrage que le règle- ment de l'Ecole l’obligesr* d'offrir à titre de tribut acadé- mique. Il s’exécuta cependant le 29 mars 1789, en présen- tant au bureau une étude d’après le modèle vivant, peinte à l'huile et supérieurement digne d’être proposée en exemple aux élèves. Sur cette toile, que le Musée de Besançon con- serve, on voit un homme nu, assis dans une caverne, le bras gauche appuyé sur un bloc où sont des papiers, le bras droit ayant l’air de montrer le ciel : le dessin en est distingué et la peinture harmonieusement franche. Dès le lendemain du jour où cette offrande avait eu lieu, la municipalité faisait à l'artiste qui en était l’auteur une ré- pique conçue en ces termes aimables : « Le sieur Simon- Bernard Le Noir, peintre du Roi, agréé à l’Académie royale de peinture et de sculpture de la ville de Paris, dont il est originaire, l’un des professeurs de l’Académie de cette ville de Besançon, ayant donné pour tribut académique un tableau de sa composition qui à été placé à l'hôtel de ville et qui a mérité l'admiration des connaisseurs, la Compagnie, pour témoigner sa satisfaction particulière audit sieur Le Noir, Va reçu et admis au nombre des citoyens et a chargé le se- crétaire de lui en expédier les lettres. Elle a délibéré en outre de rembourser à cet artiste les frais de la bordure qu’il a mise à son tableau ». nn VI ATTEINTE PORTÉE A L'ÉCOLE PAR LE MOUVEMENT RÉVOLU- TIONNAIRE ET PAR LA DIVISION EN TROIS DÉPARTEMENTS DE L’ANCIENNE PROVINCE DE FRANCHE-COMTÉ. — DÉPART DE LE NOIR ; DÉCOURAGEMENT DE BRETON. — IL NE SURVIT DE L'ÉCOLE QU'UN COURS ÉLÉMENTAIRE DE DESSIN (1789- 1791). En même temps que cette délibération gracieuse était prise, le 30 mars 1789, un tumulte populaire, qui dura trois jours, inaugura, par le pillage de deux hôtels, cette période de démolition fiévreuse et de reconstructions hâtives qui - s'appelle la Révolution française (1). L'enseignement des | beaux-arts semblait pouvoir s’accommoder de n’importe quel régime. D'ailleurs le bureau de l'Ecole de Besançon avait fait preuve de sollicitude démocratique en obtenant de la muni- cipalité, le 5 juillet 1786, la gratuité des lettres de citoyen et lexemption des droits de maîtrise pour tous les ouvriers qui seraient couronnés dans les concours de dessin, de peinture ou de sculpture. L'Ecole était donc garantie contre toute agression directe ; mais elle dut nécessairement subir le contre-coup des bouleversements sociaux qui atteignirent les institutions dont elle relevait et la privèrent ainsi des ressources nécessaires à son existence. Le bureau de l'Ecole se réunit encore le 31 mai 1789, sous la présidence de l’Intendant : il constata que le bon ordre et la décence n’avaient cessé de régner dans les salles. Ce fut. la dernière fois que s’exerça son contrôle. () Sur les soulèvements populaires qui eurent lieu à Besançon en 1789, voyez : Léonce DE LAVERGNE, Assemblées provinciales sous Louis X VT, pp. 368-369 ; J. SAUzAY, Persécution révolutionnaire dans le départe- . ment du Doubs, t. I, pp. 128-129 ; H. TAINE, Origines de la France con- temporaine : révolution, t. I, pp. 85-86. LC = L’effervescence populaire, encouragée par le grand nombre de ceux qui espéraient tirer profit d’un nouveau régime, mit bientôt le pays en goût d’agitation permanente. Le 17 août 1789, une foule de soldats mutinés envahit, vers le soir, l’hôtel de lintendance, en demandant la tête de M. de Saint- Ange. Cette tête leur échappa; mais le mobilier de l'hôtel fut mis en pièces. Vers la fin de cette même année, l’Assem- blée nationale brisa les cadres dans lesquels se mouvaient les institutions traditionnelles de la France, avec la convic- tion que l’anéantissement du particularisme provincial ferait surgir un patriotisme uniforme qui simplifierait le mécanisme national. Ù La destruction de l'organisme provincial mettait en ques- tion le principal aliment dont subsistait l'Ecole, c’est-à-dire la somme de trois mille livres que l’Intendant de Franche- Comté prélevait annuellement en sa faveur sur le produit des impôts qu'il avait mission de recueillir. Pour que cette allocation persistât, il fallait que les trois départements tail- lés dans l’ancienne province de Franche-Comté, le Doubs, le Jura et la Haute-Saône, reconnussent de concert l'utilité de subventionner, à frais communs, l’enseignement des beaux- arts dans la ville de Besançon. L'administration départemen- tale du Doubs s’empressa d'offrir à cet effet sa part contri- -butive, et la municipalité de Besançon déclara vouloir con- tinuer à l'établissement les subsides qu’elle lui fournissait sous l’ancien régime ; mais rien ne put être obtenu des admi- nistrations départementales du Jura et de la Haute-Saône, pas même le versement de ce qui semblait devoir leur in- comber pour la liquidation des dettes de la ci-devant pro- vince envers les professeurs de l'Ecole. En conséquence, l'administration départementale du Doubs, qui se substituait à l’Intendant pour le gouvernement de l'institution, décida, bien à regret, qu’à partir de 4791 le traitement de Luc Bre- ton, qui était de 1500 livres, serait ramené à 800, et que celui de Le Noir, anciennement de 1000 livres, ne s’élèverait Se plus qu’à 600. Par une sorte d’ironique compensation, Ecole avait quitté, dès le mois d'avril 1790, l'humble logis où elle avait été prospère (1), pour agoniser dans l’une des salles du Palais Granvelle, édifice redevenu communal depuis que la charge de Gouverneur de la province était supprimée (). Cette installation plus digne s’accordait mal avec la situation précaire qui était faite aux professeurs de l'Ecole : dans le mémoire que Breton et Le Noir adressèrent à la municipa- lité au sujet de la réduction de leur traitement, ils décla- raient, à la fin de novembre 1799, n’avoir reçu dans le cours de cette année que quatre mois d'honoraires (3). Malgré l’énergique désir qu'avait la municipalité de con- server à Besançon son Ecole gratuite de peinture et de sculp- ture , les ressources de la ville ne permirent pas à ses man- dataires de compenser le déficit résultant des refus de crédit que venaient de notifier les départements du Jura et de la Haute-Saône. La caisse municipale sortait d’être aux prises avec les nécessités engendrées par la famine de 1789; elle se retrouvait en face des exigences d’une multitude de plus en plus surexcitée : d'autre part, l’ébranlement social qui persistait n’était guère propice à la culture des arts. Cette situation bien constatée, Le Noir ne tarda pas à re- gagner Paris, sa ville natale : son dernier acquit donné à la caisse municipale de Besançon, pour remboursement de frais (D) « Du jeudi 8 avril 1790. — Le rétablissement des fours, derrière l’église de l’hôpital du Saint-Esprit, mettant dans la nécessité de transférer ailleurs l'étude de l’Académie de peinture et de sculpture qui étoit établie dans les chambres supérieures, sur le rapport de M. Bouvenot, la Com- - pagnie à arrêté que jJusques à de nouveaux arrangemens, celte étude se tiendroit dans une des salles du Palais Grandvelle, qui a été aggréée par MM. les professeurs ». (Délibération du conseil général de la commune de Besançon.) (2) A. CASTAN, Monographie du Palais Granvelle : dans les Mém. de la Société d'Emulation du Doubs, ann. 1866, p. 100. (3) Voyez, dans la troisième partie de ce travail, les délibérations de la: municipalité et de l'administration départementale du Doubs, pour la con- servation de l'Ecole de peinture et de sculpture de Besançon. a is de modèle, est du 5 mai 1791. Breton, non moins découragé que son collègue, avait fait une fugue à Genève, peut-être avec l'intention de s’y établir. «II fit à l’Académie de Genève, en 1790 (1) », écrivait son élève et biographe, « une figure d’après le modèle vivant, qui lui valut de la part des admi- nistrateurs, au nombre desquels était Bénédict de Saussure, une médaille en or, accompagnée d’une lettre flatteuse sur son habileté ». : Cependant l’éminent seulpteur revint à Besançon, beau- COUP moins pour y continuer son enseignement, qui aurait été à peu près sans objet, que pour essayer, par quelques ouvrages dans le goût du jour, de conjurer la destruction des monuments dont il avait orné plusieurs églises @). Le dernier terme de sa pension de 800 livres, à titre de profes- seur Statuaire, lui fut payé le 7 avril 1799, « stile esclave », ajoute le registre où ce paiement est mentionné. Restait Fraichot, pauvre et chargé de famille, à qui la mu- . nicipalité conserva de modestes émoluments pour que la tra- dition de l’enseignement des beaux-arts ne pérît pas à Be- sançon. Le cours de dessin, qu'il continua de professer au Palais Granvelle, survécut même à la flambée révolution- . naire du 27 mars 1793, qui anéantit, avec une masse de pein- tures plus ou moins religieuses et féodales, le beau portrait de M. de Lacoré, offert jadis à l’école par Wvyrsch, pour son (4) Consulté par moi sur ce point de détail de la biographie de Luc Breton, M. Théophile Durour, le savant directeur de la Bibliothèque et des Archives de Genève, a bien voulu me fournir une rectification ainsi conçue : « Par les mots « Académie de Genève », qu'emploie la notice de 1801, je ne pense pas qu'il faille entendre l'Académie proprement dite, aujourd’hui Université. L'enseignement scientifique, littéraire, théologique et juridique qui s'y donnait ne comprenait pas les beaux-arts. On a tres probablement voulu parler de la Société des Arts, association privée, fondée en 1776, mais qui, à cette époque, avait quelques attaches avec l'Etat; elle possédait en particulier la direction des écoles de dessin et de modelage » (Lettre du 26 juillet 1888). (2) Voyez, ci-après, la notice consacrée à Luc Breton. 00e « tribut académique (1) ». Néanmoins, le 143 août 1793, le conseil général de la commune, délibérant sur « la requête du citoyen Fraichot, professeur de Académie de dessein », et considérant qu'il avait le devoir de « favoriser le progrès des arts », décidait que « l’école de l’Académie de dessein seroit transportée de la maison Grandvelle, où elle étoit c1- devant, dans celle du collège; que cette école de dessein seroit placée dans la salle servant ci-devant à la petite con- grégation, et que le professeur Fraichot auroit pour son logement la chambre qui termine la salle d'étude du pen- sionnat ainsi qu'un cabinet y attenant ». Ce déménagement était motivé par la vente que la muni- cipalité venait de faire du Palais Granvelle, en vertu d'une loi qui obligeait les communes à aliéner ceux de leurs 1m- meubles ayant cessé d’être affectés à des services publics @. « L'école de dessein du citoyen Fraichot », comme on FPap- pelait dans les délibérations communales, ne fut pas de taille à conjurer, en tant que service public, la regrettable aliéna- tion qui priva la ville, pendant soixante-dix ans, de la jouis- sance du Palais Granvelle. VIT SERVICES RENDUS PAR L'ÉCOLE; OUVRAGES LAISSÉS DANS LA PROVINCE DE FRANCHE-COMTÉ PAR SES PROFESSEURS ; IN- DICATION DE SES PRINCIPAUX ÉLÈVES. En résumé, si l'Ecole de peinture et de sculpture de Be- sançon n’a eu qu'une existence modeste, on peut affirmer que cette existence a été digne et utile. Fondée prineipale- (1) Voyez la notice placée en tête de ma Monographie des Musées de Besançon, dans la section provinciale (monuments civils) de l'Inventaire des Richesses d’art de la France. (2) Voyez ma Monographie du Palais Granvelle à Besançon, déjà citée. ment pour élargir l'intelligence et former le goût des jeunes ouvriers appliqués à la construction ou à la décoration des édifices, elle a, sous ce rapport essentiel, donné tous les fruits que promettaient les talents et le zèle de ses professeurs. De ces fruits on peut juger par la supériorité des travaux de bâtiment qui s’accomplirent à Besançon et sur divers points de la Franche-Comté pendant la seconde moitié du dix-hui- tième siècle. Mais l'Ecole ne servit pas seulement les inté- rêts de l’art industriel : elle fit résider à Besançon, comme professeurs, un statuaire du plus haut mérite, Luc Breton, et deux peintres portraitistes des plus distingués, Melchior Wyrsch et Simon-Bernard Le Noir ; ces trois maîtres, aussi laborieux qu'habiles, ont laissé dans la province de Franche- Comté de nombreux ouvrages dont ce pays n’a pas encore cessé de s’enorgueillir. Quant aux artistes formés par l’en- seignement de ces maitres, on ne saurait en comparer la liste à celle qui fait la gloire de l'Ecole fondée à Dijon par le franc-comtois Devosge. Les motifs de cette infériorité tien- nent à la disproportion de la richesse des deux pays. La pro- vince de Bourgogne, rentrée dans le giron de la patrie fran- çaise vingt-deux années avant la fin du quinzième siècle, avait mis le goût des œuvres d’art au premier rang de ses traditions : c'était un pays riche, et son Ecole fut dotée de puissants moyens d’émulation ; on y décernait même des prix de Rome. La Franche-Comté, au contraire, tardivement rattachée à la France par deux conquêtes successives qui avaient eu pour prélude une horrible dévastation, était un pays pauvre, voué, depuis son annexion, à un régime mili- taire qui faisait servir le plus clair de ses ressources à entre- tenir des remparts et à construire des casernements. Malgré ces conditions défavorables, l'Ecole de Besançon ne fut pas sans engendrer quelques artistes d’une véritable valeur, J'ai déjà mentionné les deux rivaux de son premier Concours, François Jourdain et Alexandre Chazerand, qui ont laissé à Besançon, leur ville natale, quelques peintures fort esti- 09 mables. Il n’est que juste de citer Jean-Pierre Péquignot, de Baume-les-Dames, auteur de paysages composés, dont la poésie, gracieusement fictive, a été célébrée en vers enthou- siastes par le peintre Girodet. Parmi les jeunes gens étran- gers à la province qui jargonnèrent à lallemande avec Wyrsch et manièrent l’ébauchoir à la française sous la con- duite de Breton, il y a lieu de nommer : Louis Schweighæu- ser, de Strasbourg, dont l’Epimondas mourant est encore donné comme modèle aux élèves de la classe de seulpture à l'Ecole des beaux-arts actuelle de Besançon; Antoine Stif- fenhoffen, tyrolien, que Breton avait associé à ses travaux ; enfin et surtout Pancras Kggenschwyler, du canton de So- leure, qui sortit de la classe de Breton pour entrer à Paris dans l'atelier du sculpteur Mouchy, puis devint élève du franc-comtois Dejoux et remporta, en 1802, sous les aus- pices de ce maitre, le grand prix de Rome pour la sculpture. Cet ensemble de résultats m’autorise à dire que l'Ecole de peinture et de sculpture, due à la patriotique imitative du bisontin Luc Breton, a rendu de réels services à l’art fran- çais, et que cet établissement méritait en conséquence d’être tiré de l’oubli dans lequel Pont laissé tous ceux qui ont écrit sur les anciennes Académies provinciales de peinture et de sculpture. y | ll LES PROFESSEURS ET LES PRINCIPAUX ÉLÈVES DE L'ANCIENNE ÉCOLE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE DE BESANÇON Le sculpteur Philippe Boiston. Parmi les artistes qui concoururent à la décoration du Palais royal de Madrid, reconstruit après l'incendie de 1734, _ d’après les dessins de Philippe Juvara et sous la direction de _ Jean-Baptiste Sacchetti, le biographe Cean Bermudez men- tionne en ces termes le sculpteur français Philippe Boiston : _ «Borsron (D. Philippe), sculpteur français. Il vint en Es- pagne quand on reconstruisait le Palais neuf de Madrid et _ eut un emploi salarié dans cette entreprise. Ayant présenté trois de ses ouvrages à la commission qui préparait lAca- démie de Saint-Ferdinand, il demanda qu’en raison de ces ouvrages et de son mérite, on lui accordât rang et séance _U— | parmi les maitres, conformément à la délibération prise dans l'assemblée du 16 décembre 1744 : ce qui, en effet, lui fut concédé » (Archives de la Secrétairerie d'Etat) (). Revenu dans le pays de ses origines, 1l se mit à la disposi- tion de lintendant de Franche-Comté Bourgeois de Boynes, pour enseigner dans la capitale de cette province, c’est-à-dire à Besançon, les principes de la sculpture et du dessin. Ses services ayant été agréés, l’Intendant plaça le nouvel ensei- gnement sous les auspices de lPAcadémie des sciences, belles-lettres et arts, qui accepta ce patronage par une déli- bération en date du 27 juillet 1756, dont voici le texte : « M. le président a commencé cette séance en observant que M. de Boynes, intendant de cette province, l’avoit prié d'informer la Compagnie qu’il avoit retenu dans cette ville un fameux artiste pour y enseigner les principes de la sculp- ture et du dessin, que cet artiste donneroit chaque jour des leçons dans la grande salle de Grandvelle, qui seroit ornée des meilleurs modèles, et que le publie tireroit de grands avantages de cet établissement. Sur quoy, M. le secrétaire a été chargé d'écrire à M. de Boynes pour le remercier de son attention à faire fleurir les arts, et pour luy marquer la satis- faction qu'elle avoit de cet établissement. Il a été de plus arresté que M. le président enverroit chercher cet artiste, afin de luy donner ses ordres pour faire les leçons auxquelles il s’est engagé, de manière qu’elles ne dérangent en rien les séances de l’Académie ». Un petit logement pour lartiste avait été obtenu du maré- (1) « Boisron (D. Felipe), escultor francés. Vino à España quando se hacia el palacio nuevo de Madrid, en cuya fabrica fué recibido con salario. Y habiendo presentado tres modelos, que habia trabajado, à la junta pre- paratoria para el establecimiento de la Academia de S. Fernando, solicito que en vista de ellos y de su mérito, se le concediese lugar y asiento entre los maestros, como se habia mandado en la junta celebrada en 16 de di- ciembre de 1744, lo que en efecto se le concediô. Arch. de la Secretar. de Estad ». (CEAN BErMuDez, Diccionario de los professores de las Bellas- Artes en España, 1800, t. I, p. 156.) tee D © 0 0 chal de Duras, gouverneur de la Franche-Comté, et ayant à ce titre la jouissance du Palais Granvelle ; mais l’appropria- tion du logis incombait à la municipalité qui ne S'y refusa pas. Une délibération du 4 août 1756 en témoigne dans les termes suivants : « M. Duhault a fait rapport que M. l’Intendant désiroit fixer en cette ville le sieur Boiston, sculpteur et statuaire, et qu'ayant écrit à M. de Duras pour obtenir de lui un petit logement à Grandvelle, il lui avoit accordé deux chambres dans la cour de l'escalier, que M. l’Intendant lui avoit dit qu’il faudroit les mettre en état. — Renvoyé à MM. les com- missares de Saint-Quentin pour y pourvoir ». Pour seconder encore mieux le désir qu'avait l’Intendant de fixer Boiston dans la capitale de la Franche-Comté, le maire de Besançon, François-Joseph Dunod de Charnage, fit bénéficier cet artiste du droit que lui donnait sa charge de faire décerner gratuitement la qualité de citoyen à une per- sonne recommandable. Les deux délibérations municipales, prises à cet égard, étaient ainsi conçues : « Du 23 décembre 1758. Philippe BoisroN, de Morteau, sculpteur de profession, ayant duement fait apparoitre de sa franchise et autres qualités nécessaires, a été reçu citoyen gratis, sur la proposition de M. le Maire et suivant l'usage de la Compagnie. — Du mercredy 10 janvier 1759. Le sieur Philippe Boisron, sculpteur, natif de Frenoles, paroisse de Morteau, avoit été reçu citoyen gratis, en paiant seulement les petits droits, au mois de décembre dernier, sur la nomi- nation de M. le Maire ; mais l’expédition de ses lettres avoit _été différée Jusqu'à ce qu’il eût apporté un certificat de sa franchise plus authentique que ceux qu’il avoit emploiés : y ayant satisfait d’une façon qui a appaisé la Compagnie, elle a délibéré que sesdites lettres lui seroient expédiées, et qu'il y seroit fait mention de sa capacité dans l’art de la sculpture, laquelle a déterminé M. le Maire à lui donner sa nomination gratuite. » Alors le cours que professait Boiston au Palais Granvelle réunissait un grand nombre d'élèves, ainsi qu’en témoigne une délibération municipale dont voici le préambule : « Du samedy 23 juin 1759. M. Charles à dit que les quar- tiers qu'occupent le sieur Rougemont et le sieur BOISTON, maitre sculpteur et dessinateur dans le Palais de Granvelle, manquant de latrines, les écoliers du dernier, qui sont en grand nombre, ont rempli d’ordures le dessus de l'escalier où l’on monte à la Salle de la Comédie, ce qui infecte tout ce quartier du Gouvernement... ». Concurremment avec son professorat, Boiston avait exé- cuté des sculptures pour le frontispice de l’église de Sainte- Madeleine, alors en reconstruction. Ces ouvrages, selon toute vraisemblance, sont les figures de Jésus et de sainte Madeleine qui occupent encore les niches du second étage de la façade de l’église. Le paiement de ces sculptures fut réglé par une délibération municipale dont voici le texte : «€ Du samedy 2% novembre 1759. Le sieur BoISTON, sculp- teur, a obtenu de M. lIntendant une ordonnance au Magis- trat de lui faire paier par le trésorier mille livres pour les ouvrages en sculpture qu'il a faits au frontispice de ladite église, en déduction de ce qui reste dû par la ville du don de dix mille livres par elle fait pour la bâtisse de ladite église. Comme il n’est plus dû que mille livres, qu’elles doivent être nanties au chapitre et non pas à Boiston avec qui le Magis- trat n'a point contracté, il a été délibéré que ce seroit au pre- mier que la somme seroit paiée, ou que s’il vouloit qu’elle le fût à Boiston, il interviendroit pour, par la même quittance, en donner une finale des 10,000 livres au Magistrat ». La réaction provinciale qui emporta Bourgeois de Boynes, en 1761, eut également pour conséquence la fermeture du cours de Boiston. Cet artiste suivit son protecteur à Paris et y exposa, en 1764, une figure en terre cuite représentant Vulcain appuyé sur son enclume, morceau qui lui avait valu d’être admis à l’Académie de Saint-Luc. | En 1770, il était aux gages du duc d'Uzès qui, parlant de lui, disait « mon sculpteur ». Il fit alors, pour le jardin de ce grand personnage, la copie d’une Bacchante, d’après le marbre de Massou le fils, qui appartenait à l'Académie royale. A cette occasion, le peintre Pierre jugeait Boiston « fort médiocre ». En revanche l’Almanach des artistes pour 1776 lui décernait cette mention flatteuse : € Boiston, rue Mêlée. Il a fait les ornemens du Palais Bourbon, qui donnent une grande idée de son goût ». Boiston figure encore dans l’Almanach de 1777, avec la qualité de « sculpteur en ornemens » (). Il eut un fils, Joseph Boiston, sculpteur comme lui, qui travaillait à Rome dans les dernières années du dix-huitième siècle. De celui-ci on connaît un buste du P. Tiburce (Prost), de Jussey (Haute-Saône), procureur général des Capucins et auparavant créateur d’un musée d'histoire naturelle que les religieux de cet ordre possédaient à Besançon (2). Ce buste est signé : Boiston fils . fait aRomes 1417897 Un moulage en plâtre de ce buste est à Fontaine-lez-Lu- xeuil, chez M. Gaston Marquiset, député de la Haute-Saône ; un autre est dans le couvent que les Capucins ont recons- titué à Besançon, en 1860. (4) Les renseignements qui, dans cette notice, concernent les travaux exécutés à Paris, par Philippe Boiston, sont empruntés à un article de M. J.-J, GUIFFREY, publié dans les Nouvelles archives de l’Art français, 2e série, t. IL (1880-81), pp. 232-234. (2) Ce même P. Tiburce avait eu son portrait peint par Wyrsch, en 1784, avec cette inscription peinte au bas de la toile : _ Pater Tiburtius Prost, à Jusseo, ætatis 50 : Conventüs Bisuntini Capucinorum musæum erexit. (Armand MARQUISET, Quelques renseignements sur le P. Tiburce el le statuaire Boiston, dans le Journal de la Haute-Saône du 25 octobre 1851, n° 87 ; SucHAUX, Galerie biographique de la Haute-Saône, pp. 280- 282; Couprier et CHATELET, Histoire de Jussey, pp. 322-3%5). p, Joseph Boiston, revenu dans son pays durant la période révolutionnaire, fut à Morteau, en 1793, le directeur du club et l'organisateur des cérémonies jacobines (1). Le sculpteur Luc Breton. BRETON (Luc-François) naquit à Besançon le 6 octobre 1731 @). Sa famille était alors tombée dans une profonde mi- sère. À la suite de mauvaises affaires, son père, François Breton, avait été évincé d’une charge de procureur au bail- liage; puis, s'étant réclamé de sa proche parenté avec le défunt abbé Jeanguvyot, bienfaiteur de l'Aumône générale, il venait d'obtenir, sur les revenus de la succession de cet abbé, un subside de 200 livres destiné à aider au paiement d’une charge d’huissier qu’il avait achetée à Pontarlier 6). Ce changement de domicile ne lui ayant pas été propice, il revint à Besançon et y mourut promptement ainsi que sa femme, tous deux laissant en bas âge leur enfant, qui fut recueilli par son oncle et parrain, Luc Breton, avocat au Parlement. Cet oncle, qui n’était pas riche, se contenta de faire apprendre à lire et à écrire à son pupille : après quoi il le mit en apprentissage chez .un menuisier nommé Mo- reau (4. Là ses aptitudes se révélèrent, et Moreau, qui en eut conscience, fit des démarches pour le faire entrer comme apprenti chez un de ses confrères qui jJoignait au métier de (1) J. SauzAY, Histoire de la persécution révolutionnaire dans le dé- parlement du Doubs, t. IT, p. 595. (2) Les actes de baptême et de décès de Luc Breton se trouvent dans ma Notice historique sur la confrérie, l’église et l'hôpital de Saint-Claude des Bourquignons de la Franche-Comté à Rome. — Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, ann. 1880, pp. 239-241. (3) Délibération du bureau de l’Aumône générale, en date du 8 juin 1731 (Archives des hospices de Besançon). (4) J.-L. CaLLrER, Notice sur la vie et les travaux de Luc-François Breton. — Mémoires de la Société d'Agriculture du Doubs, 1800-1801, pp. 121 et suiv. Er 00 menuisier un certain exercice de l’art de sculpteur sur bois. La municipalité de Besançon disposait, depuis 1731, d’une fondation ayant pour objet de faire apprendre des métiers à des enfants pauvres : le jeune Breton, parent de la famille Arbilleur dont procédait cette libéralité, fut naturellement recommandé au corps municipal. Par un traité passé le 29 avril 1743, Julien Chambert, maitre sculpteur et citoyen de Besançon, s’engagea envers la ville, moyennant une somme de 400 livres prélevée sur les revenus de la fonda- tion faite par l’orfèvre Simon Arbilleur, à entretenir et à éduquer pendant six années Luc-François Breton, alors âgé de douze ans (1), Au bout de ce temps, c’est-à-dire en 1749, le jeune artiste se rendit à Dole pour recevoir les leçons d’un sculpteur de quelque talent, Claude-François Attiret. Obsédé bientôt par la tentation de voir l’italie, il gagna Marseille et s’y passionna pour les ouvrages de Puget; puis il profita de la faculté qu'avaient les Français recomman- dables d’être transportés gratuitement à Rome sur les ga- lères pontificales. À Rome, il dut modeler des ornements pour vivre ; mais son habileté en ce genre devint telle que l’architecte du roi d'Angleterre, William Chambers, se dé- clara l’acquéreur de tout ce qu’il produirait, et consigna une somme devant servir à le rémunérer. Accordant néanmoins une large part à l’étude des chefs-d’œuvre, Breton se crut un jour assez fort pour entrer dans les concours ouveris par l'Académie de Saint-Luc. Il y obtint, en effet, le grand prix de la première classe de sculpture avec un bas-relief repré- sentant l’Enlèvement du Palladium, et fut couronné solen- nellement au Capitole le 18 septembre 1758 (2). Le peintre Natoire, alors directeur de l’Académie de France à Rome, (À) A la suite de la présente notice, on trouvera le texte de ce marché. _ (2) Parmi les pièces justificatives de ma Notice historique sur Saint- Claude des Bourguignons, j'ai réimprimé le récit, écrit sous la dictée de Breton lui-même, de la cérémonie dans laquelle cet artiste avait été cou- ronné à Rome, Un récit de la même cérémonie, fait par Grosley, de Troyes, — 100 — prit intérêt à ce lauréat improvisé et obtint du gouvernement de Louis XV la permission de le recevoir comme pensionnaire au Palais Mancini. Peu de temps après, il sculptait en marbre, pour l’Angleterre ou pour l'Amérique, un bas-relief repré- sentant la mort du général anglais Wolfe, tué devant Québec en remportant une victoire sur les Français (). Il revint à Besançon, en 1765, pour y recevoir la commande de deux Anges adorateurs en marbre qu’un jeune homme, dont il avait été le voisin dans son enfance, voulait offrir à leur église paroissiale commune, avant d'aller s’ensevelir au mo- nastère de Sept-Fonds. Breton regagna Rome pour tailler ces figures qui portent la date de 1768 et sont actuellement sur le maitre-autel de la cathédrale de Besançon (@). Depuis 1766, Breton était enrôlé dans la confrérie que les Comtois, ses compatriotes, avaient instituée à Rome sous le vocable de ajoutant quelques traits à l'autre narration, je réimprime ce morceau à la suite de la présente notice. (1) Le Musée de Besançon possède une tête modelée qui semble avoir été faite en vue de l'exécution de ce bas-relief, positivement indiqué par Cal- lier, mais dont on ne connait pas la destinée (A. CASTAN, Catalogue des Musées de Besançon, 7° édit., p. 238, n° 901). (@) « Ces deux Anges furent commandés pour le maitre-autel de l’église de Saint-Maurice à Besançon, par un jeune homme de cette paroisse qui : alla se faire religieux à Sept-Fonds en décembre 1765, et y mourut au mois de juin 1769. Breton se rendit à Rome pour exécuter ces figures, que l'on inaugura en 1769. Elles furent conduites à Saint-Jean dans le cortège de la déesse Raison, en 1793, et cette église, redevenue cathédrale, les con- serva, Sur les plinthes de ces deux beaux morceaux de sculpture, on lit les inscriptions suivantes : EX DONO CLAVDII THIÉBAVT BISVNTINI A. MDCCLX VIII. — LVCAS BRETON BISVNTINYS F. » (A. CASTAN, Catalogue précité, p. 240). — L'arrivée à Besançon de ces deux figures avait été indiquée en ces termes dans les Affiches et annonces de la Franche-Comté du mercredi 19 avril 4769 : « Le maitre-autel de l’église paroissiale de Saint-Maurice de Besançon vient d’être décoré de deux Anges adorateurs du plus beau marbre, tra- vaillés par M. Luc Breton, citoyen de Besançon, résidant depuis plusieurs années à Rome et logé, par une distinction particulière, à l’Académie : ces deux Anges adorateurs font l'admiration de tous les connoisseurs et sont vraiment dignes du ciseau de ce fameux artiste, à qui l’on ne peut trop donner de louanges ». — 101 — Saint-Claude des Bourguignons : deux statues en pierre étaient désirées pour la façade de l’église reconstruite par cette confrérie ; l’une d’elles, ayant pour sujet saint André, fut demandée à Breton qui la termina en 1771 (1). Notre sculpteur eut dès lors la volonté ferme d’acquitter envers sa ville natale la dette qui résultait des frais de sa première éducation (2). Un peintre distingué, originaire de la Suisse. allemande, Melchior Wyrsch, avec qui Breton s'était lié à Rome, réussissait à Besançon, principalement comme portraitiste. Les deux artistes s’associèrent pour fonder dans la capitale de Franche-Comté, sous les auspices de l’Intendant de cette province et du corps municipal de Besançon, une école gratuite de peinture et de sculpture, qui s’ouvrit en 1774 et ne s’éteignit qu’à la Révolution fran- çaise (3). Breton pensait que ses succès obtenus à Rome étaient de nature à lui ouvrir les portes de l’Académie royale de pein- ture et de sculpture : il modela donc, comme morceau de réception, une statuette représentant saint Jérôme, dont la (1) Voy. ma Nofice historique sur Saint-Claude des Bourguignons. (2) Dès 1766 (14 juin), Breton avait écrit, depuis Rome, à la municipalité de Besançon, pour être chargé par elle de l'exécution en marbre d’une statue du roi régnant. Faire un monument pour sa ville natale était dès lors au premier rang de ses ambitions. (3) La collaboration de Luc Breton à une manufacture de faïence, située au faubourg de Rivotte, à Besançon, est attestée en ces termes dans les Affiches de la Franche-Comté du 33 décembre 1774 : « La manufacture de fayance établie au fauxbourg de Rivolte, dans la maison de l'abbé Ram- boz, est à présent une des meilleureg et des mieux montées. L’entrepre- neur, après avoir éprouvé les difficultés les plus considérables dans son nouvel établissement, est enfin parvenu au degré de l'entière perfection. La vaisselle qu'il fabrique est d’une qualité supérieure, par la bonté de la : terre, la qualité de l'émail et la vivacité des couleurs. Il exécute toutes pièces de fayance de quelle grandeur que ce soit ; il fabrique aussi, pour les jardins et parterres, des vases, des urnes et des figures de toutes gran- deurs, sur les dessins du sieur Breton, dont les talents sont connus, tant par les ouvrages qu'il a faits que pour les prix qu'il a remportés à l’Aca- démie de Rome ». 2409 terre cuite, qui est au Musée de Besançon, üendrait honora- blement sa place dans la série des compositions du même genre que possède le Louvre ; il dut toutefois renoncer à se rendre à Paris pour exécuter ce morceau sous les yeux des académiciens. Cette déception fut compensée par une commande de pre- mier ordre que lui fit la marquise de Ligniville, Jeanne-Mar- guerite de La Baume-Montrevel, qui, voyant s’éteindre le nom de son illustre race, tenait à en perpétuer le souvenir dans la province de Franche-Comté. Breton créa donc, en 17%5, pour l’église de Pesmes, un magnifique tombeau dans lequel les statues en marbre du Temps et de l’Aistoire accostaient un sarcophage entr'ouvert, où se voyaient, en bronze doré, les insignes des dignités éminentes que les membres de la famille de La Baume avaient occupées (1. Il se reposa de ce (1) La description de ce monument, détruit en 1793, est ainsi faite dans une lettre écrite de Paris, en date du 31 mai 1783, et publiée dans les Affiches et annonces de la Franche-Comté, n° du lundi 9 juin 1783 : « Dans le voyage que je viens de faire en Franche-Comté, je n’ai pu refuser mon admiration au Mausolée de la Maison de La Baume-Montrevwel, élevé dans l’église de Pesme, par M. Breton, l'un des directeurs de l'Ecole de peinture et de sculpture de la ville que vous habitez. C’est un monu- ment qui décoreroit cette ville {de Paris), qui y seroit plus convenablement placé que dans un bourg, et que vous devez indiquer aux connoisseurs. Une pyramide, symbole de l’immortalité, est destinée à supporter le mé- daillon de Charles-Ferdinand-François de La Baume-Montrevel, qu'y place le génie de la Renommée et que couronne d’un casque le génie de la Guerre. C’est le dernier de la branche de Jean de La Baume, comte de Montrevel, qui eut la baronnie de Pesme dans le quinzième siècle. Au bas de la pyramide se voit un grand sarcophage, au devant duquel est l’écu des armes de la Maison de Montrevel. À gauche du tombeau est la figure du Temps, regardant le portrait que présente le médaillon et soulevant d’une main le couvercle du tombeau avec tant de promptitude qu'il se brise. De l’autre main, il tient un flambeau, image de la vie, qu’il a ren- versé et qu'il éteint sur les ruines d’un temple antique. On aperçoit dans ce même tombeau les marques des dignités qui ont illustré la Maison de Montrevel : le timon représente la régence ou la vice-royauté; l'ancre, l'amirauté, etc. À droite du tombeau est la figure de l'Histoire, qui s’oc- cupe à tracer à la postérité, sur un bouclier d’airain, les hauts faits des seigneurs de cette maison; elle est couronnée d'immortelles : au bas de — 103 — grand travail en répondant, par une esquisse, à la demande que la municipalité de Besançon lui fit, le 22 mai 1776, du projet d’une fontaine qui devait avoir pour décoration essen- üelle une Sirène en bronze, du seizième siècle, que possé- aait la ville (1) : neuf ans plus tard, ce projet fut ponctuelle- ment exécuté. Breton fit ensuite des monuments emblématiques et com- mémoratifs pour la Maison de Toulongeon, à Champlitte, et pour celle de Bauffremont, à Scey-sur-Saône ; puis il sculpta en marbre, pour le baron de Breteuil, ministre de Louis XVI, une statue de l£tude, dans les proportions de la demie gran- deur naturelle : le Musée de Besancon conserve le modèle en terre cuite de cette figure. cette figure sont les signes du zodiaque, des livres et des rouleaux. Les guirlandes de cyprès sont les ornemens de ce mausolée et ceux que les anciens mettoient aux tombeaux qui, le plus souvent, étoient placés en des bosquets de cyprès. On peut dire aussi, Monsieur, que ce monument est vraiment digne de l'antique, par le goùt exquis, l'élévation des idées, la correction du dessein, la noblesse et l'expression des attitudes, et l’exécu- tion savante qu'on y remarque ». (1) Voici le texte des délibérations municipales en vertu desquelles Breton créa le modèle d'une fontaine qui devait d’abord être érigée dans le quart de cercle formé par les constructions du Séminaire, en regard de l’hôtel de l'Intendance (Préfecture actuelle), mais qui fut exécutée, en 1785, vis à vis de la chapelle des Dames de l’Immaculée Conception, circonstance qui valut à la fontaine le nom de Fontaine des Dames : Séance du mercredi 22 mai 1776. — FONTAINE DE L'INTENDANCE. — La Compagnie voulant donner suite à la délibération par elle prise d'établir une fontaine dans la partie circulaire au devant de l'hôtel de l'Intendance et au joignant des bâtimens du Séminaire, a arrêté d’y placer la statue en bronze représentant une Syrène, qui est déposée depuis longtemps dans la chambre des Archives, et elle a chargé le sieur Breton, statuaire et pro- fesseur de l’Académie de dessein, de donner un plan de ladite fontaine et des décorations convenables à ladite statue. Séance du mercredi 19 juin 1776. — FONTAINE. — La Compagnie persistant dans la délibération par elle prise de placer la statue en bronze représentant une Syrène dans la fontaine qui doit être pratiquée au devant des bâtimens du Séminaire, rue Neuve, a délibéré de mettre incessamment à exécution le plan de décoration analogue à cette statue, qui a été donné par le sieur Breton, statuaire de l'Ecole de Rome. — 104 — Ce fut alors que la marquise de Ligniville mit le comble aux vœux de notre artiste en le chargeant d'exécuter en pierre de Tonnerre, pour l’église de Saint-Pierre, à Besan- con, une Vierge au Christ mort, dont la composition re- montait à l’année 1771. Ce groupe, qui a retrouvé son em- placement primitif, porte la date de 1787 () : c’est un mor- ceau très remarquable comme sentiment du pathétique et comme science de la musculature. Un encadrement architec- tural fort riche avait été composé par le sculpteur lui-même ; mais cet entourage fut mutilé à l’époque révolutionnaire (), (1) A. CASTAN, Catalogue des Musées de Besançon. Te édit., p. 239, no 905. (2) « Breton désiroit depuis longtemps exécuter en grand sa Descente de Croix, et la placer dans un lieu convenable, lorsque la piété de Madame de Ligniville et son amour pour les arts lui en fournirent l’occasion, en indiquant pour cet objet à l’artiste une chapelle de l’église de Saint-Pierre, qu’elle consentit à faire décorer, à ses frais, de ce bel ouvrage dont je vais tracer l’esquisse. » Au fond d'un plan en demi-cercle, s'élève un piédestal continu, en marbre jaune et rouge, qui porte deux colonnes aussi en marbre, avec leurs chapiteaux corinthiens à feuilles d’olivier qui sont de bronze doré, ainsi que les modillons et rosaces des soffites de la corniche en pierre polie. Le tout est terminé par un fronton dont les moulures, comme celles de l’architrave, sont alternativement lisses et taillées. Sur un fond en refend léger est un enfoncement ou niche carrée, entourée d’un chambranle en marbre sculpté. D'un fond en marbre noir se détache une croix en bronze, au pied de laquelle est placé le groupe de Notre-Dame ou Dieu de pitié. Le sculpteur à représenté la Vierge tenant sur ses genoux le corps du Christ descendu de la croix, dont elle soutient un bras et la main en la pressant contre son sein, tandis qu'elle a le bras droit et les yeux élevés vers le ciel. L'expression de son visage est à la fois noble et douloureuse, et toute son attitude peint parfaitement une mère, ainsi que sa résignation à la volonté de Dieu. Le corps du Christ est tellement posé, qu’il indique encore son supplice, et la mort n’a point effacé la grandeur ni la dignité de son caractère. » Au devant du stilobate, on voit l’autel élevé sur trois marches et imité du tombeau antique d’Agrippa, placé autrefois dans une des grandes niches du portique du Panthéon de Rome. Ce sarcophage est simple dans sa forme, peu chargé de détails et produit un grand effet par la seule beauté de son. profil. De chaque côté de l'autel, au lieu de tablettes, sont deux trèpieds antiques, d’un excellent goût et d’une belle exécution. La sculpture des | CZ Ni = 105 en même temps que le tombeau des La Baume était pulvé- risé dans l'église de Pesmes : de ce dernier ouvrage il ne reste que les maquettes, qui se trouvent au Musée d’art de Besançon, et un dessin d'Alexandre Chazerand, qui appar- üent à la Bibliothèque de cette même ville. Pour obtenir le replacement de sa Pietà dans l’église de Saint-Pierre, Bre- ton dut s'engager, en 1795, à fournir au département et à la commune deux statues en pierre de Tonnerre () : l’une, re- présentant la Liberté, fut placée dans le local des cérémo- nies décadaires ; l’autre, ayant pour sujet la Loi, avait été mise dans la salle des assemblées de la commune ; les mo- dèles de l’une et de l’autre sont au Musée de Besancon (). chapiteaux, des moulures, et toute la décoration, ont été faites d’après les modèles et les profils de Breton... » Le temple de Saint-Pierre, où est la chapelle dont nous avons parlé, ayant changé plusieurs fois de destination dans ces derniers temps, Breton trouva moyen de sauver le sarcophage qui servoit d’autel de la dégradation générale dont la figure de la Vierge n’a pas été exempte, en l’employant au monument que l'on a érigé à Chamars aux défenseurs de la Patrie. Là il est posé sur un piédestal élevé sur plusieurs marches, et entouré de la même balustrade en marbre de Carrare qui étoit au devant de la chapelle. La partie supérieure est terminée par un amortissement qui soutient deux couronnes entrelacées, l’une de chêne et l’autre de laurier. Ce tombeau a été cité avec éloges par François (de Neufchâteau) à l'Institut national ». (J.-L. CaLciErR, Notice sur Breton, dans les Mémoires de la Sociélé d'Agriculture du Doubs, 1800-1801, pp. 131-135.) L'Autel commémoratif des citoyens morts pour la Patrie, élevé en 1792, n’a disparu de la promenade de Chamars qu'en 1815. Alors le tom- beau d’autel, imilé du sarcophage d’Agrippa, a été restitué à l’église de Saint-Pierre, où il a retrouvé son ancienne place, devant la Pietà de Luc Breton. La Bibliothèque de Besançon possède un dessin à l’aquarelle de l'Autel commémoratif érigé à Chamars avec les marbres taillés, pour l’église de Saint-Pierre, d’après les modèles et profils de Luc Breton. (1) Ch. BaiLLe, Luc-Francçois Breton : dans la Revue littéraire de la Franche-Comté, t. II, 1864-65, p. 58. (2) Antérieurement, Breton avait exécuté, pour la ville de Pontarlier, un monument commémoratif de Mirabeau, composé d’une urne en marbre rouge et d’une plaque de marbre noir portant en gravure les dernières paroles du grand orateur, avec le millésime 1791. Le tout avait été placé dans un encadrement de la porte du boulevard, et inauguré au mois de — 106 — Ces derniers travaux concordèrent avec la création de l’Institut national, où une place d’associé de la classe des arts lui fut immédiatement accordée ; mais il ne jouit pas longtemps de cette distinction dont il était très fier (L), car une maladie aiguë l’enleva le 20 février 1800, à l’âge de 68 ans, 7 mois et 13 jours. En dehors des ouvrages déjà mentionnés de cet artiste, on peut citer plusieurs compositions demeurées à l’état d’es- quisses et un nombre considérable de bustes ou de grands médaillons, les uns en marbre, d’autres en pierre tendre, la plupart en terre cuite @). Tous ces portraits se distinguent par un modelé vrai et une expression sincère : l’un des meil- leurs, celui du père de Charles Nodier, est chez la fille de ce célèbre littérateur, Me Ménessier, à Fontenay-aux-Roses. Breton, qui ne s'était pas marié, eut une vie laborieuse et des mœurs austères. Son caractère, fait de loyauté et de rude franchise, se retrouve dans la manière plus énergique que gracieuse qui distingue ses ouvrages. (est surtout de mai 1791 ; la plaque est aujourd’hui conservée à la Bibliothèque de la ville de Pontarlier. — Voy. Pontarlier sous la Révolution, par Jules MATHEZ, dans la Révolution française, revue historique, t. IX, juillet-décembre 1885, pp. 515-520 ; t. X, janvier-juin 1886, p. 634. (1) Par un arrêté de l'Administration départementale en date du 13 mes- sidor an 1V, Luc Breton avait été nommé, conjointement avec le peintre Jourdain, pour faire le triage des tableaux confisqués qui mériteraient d’être transportés à l'Ecole centrale. « L'article 3 de cet arrêté donne lieu à un conflit. Breton adresse au département une réclamation tendant à obte- nir d'être nommé avant Jourdain dans l’énumération des membres du co- mité. Il se fonde sur ce que, étant membre de l’Institut, il lui parait con- venable d'occuper le premier rang. Le département fait droit à sa demande, et un nouvel arrêté change l’ordre des nominations ». (S. Droz, Collège de Besançon, p. 80.) (2) À la mort de Luc Breton, ses maquettes, la plupart en terre cuite, furent achetées en vue de la création d’un Muséum (S. Droz, Collège de Besançon, p. 98); elles forment un groupe important au Musée d'art actuel de la ville de Besançon. On en trouvera la description dans mon Catalogue des Musées de Besançon et dans ma Monographie de ces mêmes établissements, qui fait partie de la section provinciale de l’Inven- taire des Richesses d’art. — 107 — limitation de Puget que son très réel talent procède. Si ce talent se fût exercé à Paris, Breton serait compté à juste titre parmi ceux qui ont fait honneur à l’école française de sculpture dans la seconde moitié du dix-huitième siècle. Comme portrait de Luc Breton, il ne nous reste qu’un dessin du sculpteur Alexandre Lapret, lavé à l’encre de Chine, sur papier, d’après un masque moulé après décès (1). Cependant l’éminent artiste n'avait pu manquer d’être repro- duit, de son vivant, en peinture et en sculpture. En effet, les Affiches de la Franche-Comté publiaient, à la date du lundi 28 avril 1783, cinq mauvais vers placés sous ce titre : Inscription pour le portrait de M. Breton, célèbre statuaire. Marché passé par la municipalité de Besançon, pour l’appren- tissage du jeune Luc Breton (2). — « Messieurs du Magistrat de Besançon ayans été nommés exécuteurs du testament du sieur Simon Arbilleur, qui a institué les pauvres de ladite ville ses héritiers universels, ayant ordonné que sur les revenus de ses biens mesdits sieurs du Magistrat feroient aprendre chaque année une profession à un garçon et à une fille qui seroient par eux choisis ; et sur la requeste qui leur a été donnée par Luc Breton, qui les auroit prié de l’admettre à la nomination qu'ils ont à faire, attendu qu’il n’a aucuns biens et qu’il est en état de commencer à travailler, mesdits sieurs ont nommé et agréé ledit Luc Breton, par délibération prise par l’assemblée du Conseil, et ont prié et choisi Joseph Pouhat, écuyer, séi- gneur de Tallans et autres lieux, ancien vicomte mayeur, con- seiller audit Magistrat, pour donner suite à ladite délibération, mettre à exécution ladite nomination et passer en conséquence le brevet d’aprentissage à faire dudit Breton. Et pour ce sujet s'étant présentés par devant le notaire royal soussigné et les (1) À. CaAsTAN, Monographie de la Bibliothèque de la ville de Besan- con, dans l’Inventaire des Richesses d'art de la France, province, t. I, p. 262. — C’est d’après le dessin d'Alexandre Lapret que M. Henri MICHEL a bien voulu exécuter le portrait qui occupe l’un des deux médaillons placés en tête de la seconde partie de ce travail. (2) Archives des hospices civils de Besançon : Aumône générale. — 108 — témoins cy après nommés, mondit sieur Pouhat, commissaire, d’une part, et le sieur Julien Chambert, maître sculteur, citoyen de Besançon, d’autre part, lesquels sont convenus entr’eux de ce qui suit : Savoir que ledit Chambert promet et s’oblige de, pendant six années qui ont commencé au vingt-trois du présent mois d'avril, loger, nourir, coucher, chauffer et blanchir conve- nablement en sa communion ledit Luc Breton et luy enseigner fidellement et en conscience la sculture et tout ce qui en dé- pend, sans luy en rien cacher ny céler, même de luy montrer, pendant deux heures de chaque jour des trois premières an- nées, le dessein et luy apprendre à dessigner; sera tenu ledit Breton de travailler assiduement et d’obéir en tous points ledit Chambert en ce qu’il luy commandera concernant cette profes- sion, Ce que ce dernier a promis de faire. Et, au réciproque, mondit sieur Pouhat, au nom de mesdits sieurs du Magistrat et en la qualité qu’ils agissent, s’obligent de faire payer et déli- vrer des deniers provenant de la succession dudit sieur Arbil- leur audit Chambert, pour le fait de cet aprentissage, la somme de quatre cent livres, monnoye du Royaume : à compte de la- quelle le sieur Blaise-Joseph Racine, avocat au Parlement, di- recteur et trésorier de l’Aumône générale de l'hôpital de Saint- Jean-l'Aumônier de cette ville, cy présent, a payé comtant et réellement, passant cettes, audit Chambert, stipulant et accep- tant, en écus de six livres et autres espèces courantes, celle de deux cent livresstdont 1lestcontent: et lautremoitée Rate de pareille somme, sera payée audit Chamibert desdits revenus dans une année à compter du présent jour, sans requisition, à peine de frais et intérêts; ne pouvant ledit Breton quitter ledit aprentissage avant lesdites six années, ny en être déjetté, sinon pour cause ou raison légitime et qu'après l'avoir commu- niqué à messieurs du Magistrat, comme le tout a été convenu, stipulé et accepté par et entre les parties, sous toutes pro- messes, obligations et renonciations de droit requises et néces- saires. Fait, lu et passé à Besançon par devant moy Claude- François Souret, notaire royal, citoyen de ladite ville, soussigné, après midy du vingt-neuf avril mil sept cent quarante trois, en présence des sieurs Claude-François-Prothade Souret et Pierre- Joseph Boisselet, les deux praticiens audit Besançon, y demeu- À — 109 — rans, témoins requis et soussignés avec les parties. Signé à la minute : POUHAT DE TALLANS, RACINE, CHAMBERT, SOURET, BOISSELET et SOURET, notaire, l’ayant reçu (1) ». « Controllé à Besançon, le quatre may 1748 : reçu trois livres. (Signé) JACQUIN ». En marge est un acte complémentaire ainsi conçu : « Et de- puis, à Besançon, le dix sept may mil sept cent quarante quatre, le sieur Chambert a reçu comptant de l’avocat Racine la somme de deux cent livres, dont il se contente, et ce pour entier paye- ment du présent marché. En foy de quoy, il a signé, quoyqu’é- crit par ledit Racine à sa requisition ». — « Je confayce avoir reseut les deux sant livre si desut nomé. (Signé) J. CHAMBERT ». Récit fait par Grosley du succès remporté par Luc Breton dans le concours de l’Académie romaine de Saint-Luc, en 1758 : extrait des Nouveaux mémoires sur l'Italie et sur les Italiens ; Londres, 1764, in-12, t. IT, pp. 462 et suiv. — « Le 18 septembre, je partageai avec tout Rome le spectacle que donna l’Académie [de Saint-Luc] pour la dix-neuvième distribution des prix fondés par Clément XI : spectacle qu'accompagnèrent la magnificence et la grandeur qui sont encore dans le génie romain. Le grand sailon du Capitole étoit le lieu de la fête. Ce sallon tapissé, dans toute son étendue, en damas et velours rouge bordés de larges galons et de crépines d’or, et éclairé par quantité de lustres et de bras distribués avec goût, avoit, à l’une de ses extrémités, une estrade ou petit théâtre en demi-cercle, dont le centre étoit occupé par une chaire au dessus de laquelle étoit placé le portrait du Pape régnant sous un riche baldaquin de la plus grande richesse, que dominoit une tribune à demi masquée : le tout lié à la décoration générale du sallon. Vis- à-vis le théâtre étoient placés, en demi-cercle, les fauteuils _ pour les cardinaux; et de droite et de gauche deux tribunes, l’une pour le Prétendant, qui est à Rome roi d'Angleterre, l’autre pour les ambassadeurs et ministres étrangers. » Vingt cardinaux, qui honoroient la cérémonie de leur pré- sence, ayant pris leurs places, l’Arcadie ou Société des Arcades (1) Le notaire Souret avait fait remise de ses honoraires, — 110 — se répandit sur le premier gradin du théâtre. L'Académie de Saint-Luc, qui faisoit les honneurs de la fête, occupa le second. Monsignor Carrara monta en chaire, et de la tribune du dais, partit une symphonie composée pour la fête et exécutée par les meilleurs instruments de Rome. A la symphonie succéda un discours prononcé en Italien. Dans ce discours, qui dura une demi-heure, M. Carrara exposa les services que la Religion a rendus aux Beaux-Arts et ceux que les Beaux-Arts rendent à la Religion. Une nouvelle symphonie annonça la distribution des prix, qui sont des médailles d’argent de différens modules : neuf pour trois classes dans la Peinture, et pareil nombre pour la Sculpture et l'Architecture. Les Romains applaudissoient avec le plus grand fracas à l’appel des Romains et des Italiens; mais un jeune François (M. Berton (1), de Besançon) ayant été ap- pellé pour le premier prix de la première classe de Sculpture, un morne silence et un murmure sourd prirent la place des applaudissements. Ce silence réveilla tous les étrangers pré- sens à la cérémonie : leurs applaudissements très marqués consolèrent un Espagnol qui remporta le prix suivant, ainsi que MM. Allegrain et Mouchy,.de Paris, de Mesmai, de Dole en Franche-Comté (2), et un Ecossais, qui furent couronnés dans différentes classes. La distribution des prix rouloit entre les cardinaux, des mains desquels les vainqueurs venoient les recevoir : ils eurent à se louer de la bonté, de la gaieté, de l’amitié dont ces Eminences accompagnoient à l’envi cette fonc- tion. Après une nouvelle symphonie et au milieu de nouvelles acclamations, les Arcades lurent, à tour, des sonnets et quel- ques autres pièces de leur composition à l’honneur des Beaux- Arts et des vainqueurs. Car, dans toute l'Italie, une Fonction, une fête de paroisse ou de confrairie, une vêture, une profes- sion religieuse, une thèse ou autre exercice de collège, est (1) Aïnsi avait-on imprimé dans le livret commémoratif de cette solen- nité. Voy. ma Notice historique sur Saint-Claude des Bourguignons. (2) « Le troisième prix de la seconde classe d’architecture avoit été dé- féré à François de Mesmay, de Dole, dans le comté de Bourgogne. Les talens de cet artiste le firent ensuite appeler à Madrid, où il est mort il y a deux ans » (Affiches de la Franche-Comté, n° du lundi 23 décembre 1782). 1 matière à sonnets : une de ces cérémonies sans sonnets seroit une perdrix sans orange. » L’emphase qui accompagne la lecture de ces productions, surtout dans la bouche de leurs auteurs, n’abandonna point celles qui suivirent la distribution des prix. Nous ouïmes une vingtaine de sonnets qui furent coupés par une prédiction très poëtique que M. l’abbé Golt mit dans la bouche de Saturne sur les destinées du Capitole, et par un ingénieux dialogue de l’abbé Pezzi entre lui et le Marc-Aurèle du Capitole, sur les grandeurs de Rome moderne, dialogue terminé par ces vers qui en formoient la récapitulation : Se il Tarpeo di virtude e si fecondo, Se 1 figli tuoi vantan si bel ardire, Sempre, Ô Roma, sarai scuola del Mondo ». Monument commémoratif de la réunion du Rhin au Doubs : composition de Partiste, non exécutée. — Ce monument est décrit dans un opuscule intitulé : Etat de la recette pour la pro- menade du grand Chamars à Besançon pendant l’année 1783 à 1784. Voici cette description : « On souhaite depuis longtemps de voir élever une statue ou quelqu'autre monument, qui se présente aux différens points de vue de la promenade, et qui fixe le coup-d’œil depuis l’hôtel du Commandement, dans toute la longueur de l’avenue, qui est terminée par le pont qui sert d'entrée au grand Chamars » Le sieur BRETON, citoyen de Besançon, artiste sçavant, qui honore sa patrie par ses talens et par le zèle qu’il offre pour la servir, et qui mérite qu’elle les consacre à la postérité par un ouvrage digne d’elle, a déjà proposé différens sujets, dont l’exé- cution serviroit à l’ornement d’une vaste promenade et à la cé- lébrité d’une grande ville. » Un de ces modèles, qui a déjà mérité bien des suffrages, est déposé à l'Hôtel de ville : il est relatif au projet formé de réunir par un canal le Rhin au Doubs, projet qui sera si utile au commerce général et à celui de la province en particu- lier. » [l représente au dessus d’un âpre rocher la figure de la ville de Besançon tenant le médaillon du Roi, au nom duquel — 119 — elle paroît commander au Rhin de mêler ses eaux à celles du Doubs. » Au bas de ce rocher, qui sert de pied-d’estal à la figure de la Ville, sort le canal déjà formé; et des deux côtés sont grou- pés les deux fleuves, le Rhin et le Doubs, qui regardent leurs eaux couler ensemble dans un grand bassin, avec différentes emblèmes, qui annoncent la navigation et l’abondance qui la suit; aux deux extrémités sont placées les deux colonnes qui soutiennent les armes de la ville, et qui sont terminées par deux globes aux armes de France. Le groupe entier est un mo- nument destiné à conserver le souvenir d’une époque fameuse et digne du règne de Louis XVI ». La composition qui vient d’être décrite fut critiquée par Phi- lipon de la Madelaine (1) et défendue par son auteur. Les deux lettres, imprimées à ce propos dans le Journal de Besançon (nos des 27 février et 17 avril 1786), étaient ainsi conçues : « Lettre de M. de la Madelaine à M. B°**. — Ce sont les grandes entreprises, Monsieur, qui développent les grands talens. Jamais on n’en proposa de plus belle à un artiste que celle de consa- crer par un monument, dans la capitale des Francs-Comtois, l’utile projet d’unir l'Océan à la Méditerranée par le Doubs et le Rhin. Cette idée superbe élève le génie, et l'emplacement qui vous est destiné n’en contrarie point l’essor; mais, de grâce, écartons les conceptions communes. Un obélisque ou une statue du Roi, soit à pied, soit à cheval, ne conviendroit ni à la chose, ni au local. Si je savois comme vous, Monsieur, animer la pierre et le marbre, je placerois, au milieu de cette belle et vaste pro- menade de Chamars, un immense rocher, double symbole de la difficulté de l’entreprise et de l’aspérité du lieu où Se fera la jonction. Il seroit partagé en deux, comme pour laisser un pas- sage au canal. D’un côté arriveroit le Rhin en courroux, et dans cette attitude que Virgile prête à Neptune quand il lui fait pro- noncer le fameux Quos ego. Les armes de Constance et de Stras- (1) Philipon de la Madelaine, né à Lyon en octobre 1734, mort à Paris le 19 avril 1818, était, lorsqu'il écrivait cette lettre, avocat du Roi près le Bureau des Finances, poste qu'il allait bientôt quitter pour devenir inten- dant des finances du Comte d’Artois. 10 bourg, gravées sur la pale de sa rame, le feroient aisément re- connoître. Il viendroit gourmander le Doubs de ce qu’il ose se mêler son onde à celle d’un fleuve qui mérite, bien mieux que le Pô, le nom de Fluviorum rex. Le Doubs, dont la modestie contrasteroit parfaitement avec la fierté du Rhin, lui répondroit en lui montrant les mots écrits sur le rocher : Louis XVI l’a voulu, 1786. Par là tout est en action : ce n’est point une statue sans âme, ce n’est point une inscription sans motifs; c’est un tableau où le Roi, quoiqu'il ne paroisse point, se montre comme un Dieu qui change à son gré le cours des eaux et l’ordre de la nature. Il me semble que ce monument, à qui votre ciseau Com- muniqueroit la-Chaleur et la vie, assureroit à son tour une gloire immortelle à votre nom. » J'ai l'honneur d’être, etc. ». « Réponse [de Luc Breton]. — Monsieur, j'ai vu avec plaisir que vous aviez jugé à propos de faire part au public des obser- vations que vous me fiîtes l'honneur de me communiquer, il y a six mois, sur le projet que j’avois conçu d’un monument qui serviroit tout à la fois d’embellissement à la promenade de Be- sançon et d’allégorie à l’entreprise mémorable de joindre le Rhin au Doubs par un canal de communication. » En 1784, je déposai le modèle en terre de ce monument dans la salle de la Maison de ville, où vous le vites et où il est encore. Si vous aviez eu la bonté de le dépeindre dans votre lettre; en présentant les changemens que vous aviez imaginés après l’avoir vu, il auroit acquis quelque éclat sous une plume élégante et qui en sait donner aux moindres choses. Il va pa- roître Sous la mienne tel que je l’ai conçu et modelé. Le public éclairé saura apprécier un ouvrage de sculpture, qui doit par conséquent être senti et saisi dans tous ses détails sans le se- cours d’une inscription ou d’un commentaire. » Au dessus d’un rocher escarpé, j'ai placé la figure de la Ville de Besançon présentant le médaillon de Louis XVI. Aux pieds de cette figure est une aigle (1) déployant ses ailes et prête à prendre son vol. D’une large bouche ou canal, taillé (4) « Les armes de Besançon sont une aigle, avec la devise Ufinam ». ) 0 dans le milieu du rocher, sort un volume d’eau assez considé- rable. À droite de cette ouverture est le Rhin, tenant un aviron et dans l'attitude d'un fleuve étonné de se voir aux pieds de la Ville de Besançon, à gauche, le Doubs couronné de roseaux, tenant une simple rame, paraît avoir l'air le plus satisfait et soutient la légende Utinam, qui exprime en cet endroit les vœux de la Ville pour la perfection du canal projeté. Le tout est accompagné de différens attributs de la navigation, de l'abondance, des armes de la Ville et de la Province, groupés en plusieurs endroits pour renforcer l’allégorie et satisfaire da- vantage le coup-d’œil de ce monument. » Après un an d'examen, vous avez cru, Monsieur, devoir retrancher quelque chose de cette idée pour la rendre plus flat- teuse. Je pourrois vous répéter ici les raisons qui combattent vos corrections ; mais je laisse le public décider sur un monu- ment qui, tel que vous le proposez, ne peut être élevé qu'après l’entière perfection du canal projeté et ne doit l’être qu’à l’en- droit: même de la jonction. Que signifieroit, en effet, dans la promenade de Besançon votre petit rocher fendu du haut en bas ? On le trouveroit aussi déplacé que l’air courroucé et me- naçant que vous donnez au Rhin, contre le Doubs qui le reçoit bénignement dans son lit. L’attitude de Neptune dans le Quos ego est belle; mais les imitations en sont trop rebattues : ici elle ne convient nullement. Je passe sous silence bien d’autres observations qui ne feroient qu'allonger ma lettre déjà trop prolixe. Quelque soit le jugement du public sur mon monument et le vôtre, imaginé d’après mon modèle et mes idées, je me croirai encore trop heureux d’avoir trouvé l’occasion de pré- senter un essai des foibles talens que je voudrois consacrer à l’utilité de mes concitoyens, à l’embellissement du lieu de ma naissance et à la gloire de mon Roi. » Je suis avec respect, etc»: Monuments commémoratifs des bienfaits de l’intendant Charles- André de Lacoré et de sa femme Marie Guyon de Frémont. — Les projets de ces deux monuments sont décrits ainsi dans ma Monographie des Musées de Besançon : Projet d’un monument commémoratif de la bienfaisante + — 115 -- administration de Charles-André de Lacoré, intendant de Fran- che-Comté depuis le mois d'avril 1761 jusqu’au mois de mai 1784. — Terre cuite. — H. 0m,55. — L’Intendant, représenté demi-nu, n’a pour vêtement qu'une draperie légère sur la partie moyenne du corps. Sa main gauche est renversée sur la hanche ; son bras droit est soutenu par la figure allégorique de la Jus- tice, posée transversalement derrière lui sur des nuages, et élevant avec le bras gauche des balances, qui ont disparu. Au- dessous des draperies qui garnissent les jambes de cette figure, un petit génie ailé porte un écusson renfermant les armoiries de Charles-André de Lacoré (chevron, accompagné en chef de deux coqs et d’un lion en pointe). Le pied de la jambe droite de l’Intendant porte sur une urne d’où l’eau s'échappe, et à côté de laquelle se trouve une figure féminine assise, qui sym- bolise la ville de Dole, reconnaissante de la canalisation du Doubs. En face, mais tout à fait au premier plan, la ville de Besançon, tenant l’écu de ses armoiries, est à genoux, les bras accoudés sur une boule terrestre où se lit le mot FRANCHE- COMTÉ. » Ce projet semble ta traduction sculpturale des lignes sui- vantes, publiées sur Charles-André de Lacoré par le Journal de la Franche-Comté du 24 mai 1784 : « La reconnoissance conservera son administration dans nos » fastes. Sous lui, la ville de Besançon a été embellie par l’ou- » verture et la construction d’une nouvelle rue, par l’achève- » ment d’une autre, par des édifices publics destinés pour la » plupart au soulagement des citoyens. Elle a encore l’obliga- » tion à M. de Lacoré de l'établissement d’une École gratuite » de dessin, de sculpture et de peinture. D’autres villes lui » doivent des corps de casernes et la réédification de leurs au- » ditoires. La restauration des bains de Luxeuil, le canal de » Dole pour la navigation du Doubs, des cours d'accouchement, » des secours pour les pauvres des campagnes dans les épidé- » mies, des médecins vétérinaires pour les épizooties dans les » différentes villes de la Franche-Comté, sont encore dés mo- » numents de son zèle. Son attention bienfaisante s’est portée » sur tous les détails qui pouvoient intéresser lhumanité, Pin- »x dustrie, le commerce, les arts », | — 116 — « Projet d’un monument commémoratif des regrets inspirés à la Franche-Comté par la mort de madame de Lacoré [1784]. — Terre cuite. — H. 0m,53. — Adossée à une pyramide tronquée, la Renommée, assise, tient d’une main sa trompette abaissée et, de l’autre main, fait planer une couronne de feuillage sur un écusson, dont la partie inférieure repose sur le dos d’un lion couché. Cet écusson renferme les armoiries de lintendant Charles-André de Lacoré. Plus bas, sur le rocher qui porte le double soubassement de la pyramide, on voit, à droite, la figure assise de l'Histoire, ayant un style à écrire dans la main droite et tenant dans la main gauche des feuillets de papier. Au-des- sous d'elle est la figure ailée du Temps, qui est assis, la tête entre ses mains et sa chevelure achevant de lui voiler la face. En regard de cette dernière figure, à gauche, une femme assise, qui représente la Franche-Comté, pleure en soutenant un écus- son aux armes de madame de Lacoré (pommier arraché au- dessous d’une fasce chargée de trois fleurs de lis). » Märie Guyon, seconde femme de Charles-André de Lacoré, avait été épousée le 11 août 1757 : elle mourut à Paris, le 20 mai 178%, au moment où son mari quittait l’Intendance de la Fran- che-Comté pour entrer au Conseil d'Etat. Le Journal de la Fran- che-Comté (31 mai 1784) fit en ces termes son oraison funèbre : « Près de vingt-deux ans passés parmi nous, où elle nous » préparoit des regrets par les talents et les qualités aimables » qui brilloient en elle, suffiroient pour faire placer son nom » dans cette nécrologie destinée à conserver le souvenir de nos » pertes nationales; mais combien doivent être profonds les » caractères servant à l’y inscrire, si on se rappelle les bienfaits » qu’elle a répandus de toutes parts à Besançon, généralement » sur les pauvres de cette ville, particulièrement sur ceux de » Sa paroisse, sur des malheureux gémissant dans des prisons, » sur des familles qu’elle avoit établies et qu’elle soutenoit ! » Lettre de Jean-Léonard Parrot, conseiller de la régence de Montbéliard (1), relatant le désir qu'avait Luc Breton de tra- (4) Voy. la notice concernant Jean-Léonard Parrot, dans le volume inti- tulé : Hommes connus nés ou élevés à Montbéliard. par G. GOGUEL;, 186%, in-12, pp. 402-409. dr — vailler à la décoration du château d’Etupes (août 1785). — « Madame (1), M. le chambellan de Borck m’ayant chargé de la part de V. A. Royale d'écrire à Besançon au sculpteur Ganser, je me suis empressé de le faire par le courrier du même jour. M. l'avocat Huot, à qui je m'étois adressé, vient de m'envoyer la réponse dudit Ganser, qui porte qu’il n’avoit jamais perdu de vue les bontés que V. À. R. avoit pour lui de lui procurer du travail, que son zèle répondroit toujours à ses gracieuses inten- tions ; mais que ne pouvant se distraire actuellement d’un ouvrage entrepris pour une église de Besançon, il la prioit d’agréer un retard de quelques semaines. Cet avocat en me marquant que c’est par l’organe d’un célèbre sculpteur, nommé Breton, qu'il étoit parvenu à la découverte dudit Ganser, ajoute que dans l’entretien qu’il a eu avec ledit Breton, l’émulation de ce dernier souffroit de n'être pas préféré à un de ses plus mé- diocres collègues, qu'il la même assuré que si ses talens pou- voient être agréables à V. A. R., il avoit trois mois à disposer par an, qu’il se feroit un devoir de les consacrer à l’ornement de sa cour, et que si même Elle paroissoit le désirer, il ôteroit à ses occupations quelques jours pour lui être présenté, qu’au surplus ce sculpteur étoit un artiste à qui les plus savans con- noisseurs et les plus critiques admirateurs n’ont pu s'empêcher de prodiguer des éloges. » [Il me rapelle en même temps que dans la visite que nous lui avons rendu dans son attelier pendant mon séjour à Besan- Çon, je n'ai pu refuser mon admiration aux ouvrages d’un homme qui, après s'être formé de lui-même en grande partie, a fait avec le plus grand succès des voyages en Îtalie pour y acquérir toute la perfection dont ses talents étoient susceptibles... ». 3 septembre 1785. « J'ai fait livrer au sculpteur Ganser les pierres que le sieur Farkot a trouvées propres pour la confec- tion du monument pour les absents (2) ». (1) Dorothée-Frédérique-Sophie de Brandebourg-Schwedt, femme du duc Frédérie-Eugène de Würtemberg, régent de la principauté de Montbéliard. _ Les minutes des lettres que lui écrivait le conseiller Parrot sont conservées dans la Collection Duvernoy à la Bibliothèque de Besançon (t. F. (2) La princesse faisait alors faire des fouilles dans les ruines de l'an- cienne ville romaine d'Epamanduodurum, aujourd’hui Mandeure, pour — 118 — Luc Breton dépeint par un de ses élèves. — « Breton avoit une imagination sage, de la solidité dans l'esprit, et tant d'amour du travail, qu'il a fait deux bas-reliefs d’après Poussin, Jésus guérissant les malades à la porte du Temple, et le Testament d'Eudamidas (1), ainsi que plusieurs autres ouvrages, unique- ment pour sa satisfaction : les uns par amitié, tels que les bustes des citoyens Nodier et Grangier, d’autres par amour pour son art, tel qu'un Triton sonnant d’une conque marine, dont il avoit fait le modèle et qu'il devoit exécuter pour une somme très médiocre. » On a reproché à notre artiste peu d’empressement à former des élèves, de la jalousie même contre ceux qui montrèrent des dispositions heureuses. Cependant il a été très utile aux citoyens Chazerand, peintres ; Beaumont, sculpteur, mort il y a quelques années ; Péquignot, actuellement à Paris, et connu par quelques travaux ; à Stifofon, qui a travaillé plusieurs années dans son atelier, et enfin à celui qui écrit ces notes, auquel il a commu- niqué plusieurs fois son portefeuille, composé de ce qu'il y a de plus intéressant à Rome, en sculpture non gravée. Il encoura- geoit surtout les jeunes gens qui étoient laborieux, leur con- seilloit de travailler encore, et disoit souvent que l’on n’apprend pas la sculpture par spéculation. » Breton n’avoit aucune connoissance dans la littérature, ni dans les sciences. Il ne savoit pas même la géométrie simple; il l’'avouoit et en étoit fàché. Il recherchoiït seulement les choses qui avoient rapport à l’art qu’il cultivoit. Il avoit fait, en ré- ponse à une critique de l’église-de Saint-Pierre de Rome, in- sérée dans les journaux, quelques notes qui m'ont paru justes, avoir des débris antiques à grouper dans son château d’Etupes (A. CASTAN, Les nouvelles fouilles de Mandeure, Revue archéologique , t. XLIHIT, 1882, pp. 266-267). Les pierres tendres non sculptées, que l’on rencontrait dans le sol antique, étaient mises à la disposition des sculpteurs qui tra- vaillaient pour la princesse. Dans la description des jardins qui entouraient le château d’'Etupes, Ch. DuvERNoy (Ephémérides de Montbéliard. pp. 482-483) parle, en effet, de la « colonne dédiée aux absens : les lettres ini- tiales de leurs noms étaient gravées en relief sur une bande adhérente qui la contournait ». (1) Le bas-relief, en terre cuite, représentant le Testament d'Eudami- das (H. 0,68. — J,. Om,50), est au Musée d’art de Besançon. — 119 — mais énoncées avec peu de clarté ». (Extrait de la Notice sur la vie et les travaux de Luc-François Breton, statuaire, membre de. l’Institut national, par Jean-Louis CALLIER, de Besançon : Mé- moires de la Société libre d'Agriculture, Commerce et Arts du Doubs, depuis le 15 ventose an VIII, jusqu’au 15 ventose an IX, pp. 135-136.) Le peintre Melchior Wyrsch. Wyescx (Johann-Melchior-Joseph), sur le compte duquel Francis Wey a écrit un intéressant travail, recueilli dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs (1), était né à Buochs {canton d’Unterwald), le 21 août 1732. Elève, dès l’âge de treize ans, du peintre Johan Suter, de Lucerne, puis de Franz-Anton Kraus, d’Augsbourg, l'habile décorateur de l’église de Notre-Dame des Ermites, Melchior Wyrsch partit pour Rome, travailla sous les auspices de Gaëtano Lapi et se rencontra, sous le toit hospitalier de l’Académie de France, avec le statuaire Luc Breton, de Besançon. Il s'établit, en 1754, à Zurich, puis se maria à Stanz et élut domicile à So- leure, où se trouvent encore quelques-uns de ses ouvrages. Son établissement à Besançon date de 1763 : il s’y fit, comme portraitiste, une notoriété considérable, et quand, dix années après, Luc Breton réussit à faire accepter le projet de créer en cette ville une école gratuite de peinture et de sculpture, Wvyrsch fut associé à cette entreprise et s’v dévoua de tout cœur. En même temps qu'il formait nombre de bons élèves, il continuait sa carrière de portraitiste, en reproduisant les A) Melchior Wyrsch et les peintres bisontins, 1861. Ce travail, dont les éléments avaient été puisés aux meilleures sources, à été paraphrasé en langue allemande et complété dans une publication intitulée : Das Leben des Bildniss-und Historienimalers Johann - Melchior - Joseph Wiürsch von Buochs von J. HEssS), Zürich, 1863, in-4°, 9 pages et 2 pl. lithographiées. J'ai dù la communication d’un exemplaire de ce dernier : mémoire à la gracieuse obligeance de mon savant collègue M. Louis Sieber, bibliothécaire en chef de l’Université de Bâle, — 10 traits de la plupart des personnes qui avaient alors une cer- | taine notoriété dans la province dont Besançon était le chef- lieu. Il faisait également de la peinture d'histoire, surtout pour les églises, donnant ainsi l’exemple d’un beau talent uni à des habitudes exceptionnellement laborieuses. Sa rude franchise, assaisonnée d’accent tudesque, était rachetée par une .droiture de caractère absolument irréprochable. Rappelé en 1784 par ses compatriotes, qui lui demandaient d'organiser à Lucerne une école d’art analogue à celle que possédait Besançon, la municipalité de cette dernière ville exprima de vifs regrets sur son départ et lui décerna, comme témoignage de satisfaction, des lettres de citoyen conçues dans les termes les plus flatteurs (©. Dans le courant de l’année 1786, bien qu'il ne fût âgé que de cinquante-quaire ans, il eut le malheur de perdre la vue : il ne l'avait jamais eue bien bonne, car il louchait horriblement (©). On lui laissa croire qu'il n’était affligé que d’une cataracte, et il conserva pendant un certain temps l’espoir qu’une opération réussirait à lui rendre ses yeux ; il n’en resta pas moins aveugle (@) et continua pendant huit années de résider à Lucerne, consolé par les témoignages de reconnaissante affection que lui pro- diguaient ses élèves. Parmi ceux-ci, on peut citer les peintres Diogg et Bénédict Mürren, ainsi que les sculpteurs Christen et Georges Obersteg. (1) J’ai donné le texte de ces lettres dans la première partie de ce travail. (2) Ce strabisme est franchement accusé dans le portrait dé Wyrsch par lui-même dont j'ai fait cadeau au Musée de Besançon, vivante image qui à été très heureusement reproduite en lithographie par Victor Jdean- neney, pour accompagner, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, l'étude de Francis Wey. Une copie de la lithographie de Jean- neney se trouve en tête de la notice allemande citée plus haut. Le dessin original de Jeanneney fait partie du Musée de la ville de Vesoul. (3) Un portrait de profil, représentant Melchior Wyrsch aveugle, à été dessiné, en 1786, vraisemblablement à Lucerne, par Joseph-Marcelin Com- bette, de Nozeroy, alors tout jeune, devenu depuis élève du sculpteur Dejoux et du peintre Louis David. Ce portrait a été reproduit dans le 4 volume du recueil intitulé : Kunstlergesselschaft in Zürich. = 14 - De son mariage avec Marie-Barbe Kaiser, de Stanz, il n'avait pas eu d'enfants, et lorsque l’idée lui vint, en 1795, de se retirer à Buochs, son village natal, auprès de son frère et de ses neveux, dans une maison qu'il s'était fait cons- truire, sa femme préféra demeurer à Lucerne et y vécut en quelque sorte dans le veuvage. Quant à lui, il fit sa jouis- sance des promenades champêtres, ayant pour guide un autre vieillard nommé Zimmermann, recevant fréquemment sur sa route les hommages des nombreux admirateurs de ses travaux. De ses deniers il avait fondé une école gratuite à Benkenried, village voisin de Buochs. Jai dit comment cette digne existence fut brutalement anéantie, le 9 sep- tembre 1798, par le coup de feu d’un soldat français, exas- péré de la résistance meurtrière que venaient d’éprouver, dans les défilés du Nidd-wald, les troupes venues pour imposer à des montagnards catholiques la constitution ré- publicaine de la France. L'œuvre de Wyrsch est considérable, et il serait fort diffi- cile d’en établir un catalogue même approximativement com- plet. Les peintures de cet artiste se trouvent en majeure partie dans les trois départements formés avec le territoire de l’ancienne province de Franche-Comté, ainsi que dans les cantons suisses d’Unterwald, de Soleure et de Lucerne. Nous nous bornerons à mentionner les ouvrages suivants : Fuite en Egypte : tableau peint en 1760 pour l’église de Stanz (canton d’Unterwald). Christ en croix, Baptême du Sauveur, Mort de saint Jo- seph, Sainte Anne, Fête du Scapulaire : cinq tableaux, dans l’église de Kerns (canton d’Unterwald), détruits par l'incendie du # août 1815. Présentation de la Vierge au Temple; Christ mort sur les genoux de la Vierge : deux tableaux, dans l’église de Saxe- Jen (canton d’'Unterwald). Saint Benoît, Saint Eugène, Saint Antoine : trois tableaux, dans l’abbaye bénédictine d’'Engelberg (canton d’Unterwald). — 192 — Christ en croix, dans la chapelle de Wisliberg (canton d’'Unterwald). | Le vénérable Nicolas de Flue () : image en pied, peinte en 1774, pour l’hôtel de ville de Saarnen (canton d’Unter- vald). Moïse législateur : vaste composition qui dépasse deux mètres en hauteur et six mètres en largeur, et comprend un grand nombre de figures (2', à hôtel de ville de Lucerne. L’Enfance de la Vierge : peinte en 1770 pour lune des églises de Besançon, actuellement au Musée de cette ville (). Nativité de la Vierge; Saint Ambroise : deux tableaux, dans l’église paroissiale de Vaux (canton de Mouthe, Doubs). Assomption de la Vierge, dans l’église paroissiale de Voray (Haute-Saône). Bapième du Christ, Immaculée Conception, Saint Pierre, Saint Paul : quatre tableaux, dans l’église de Montagney (Haute-Saône). Apoihéose de sainte Colette : tableau peint en 1772, pour l’église des Clarisses de Poligny, où il est encore conservé (4. Christ en croix : peint en 4780, pour l'hôpital de la ville de Salins où il existe encore (5). Porlrail en pied de Charles-Joseph Quirot, chanoine-pré- vôt de Saint-Anatoile de Salins, dans l'hôpital de la même ville (6. (1) « Tout en est admirable » a écrit L. SIMOND ( Voyage en Suisse, t. I, p. 465) : « ce visage exténué de l’anachorète, mais plein d’une expression simple et touchante ; son attitude si naturelle, et l'excellence des détails, surtout des pieds et des mains ». (2) Un dessin et une description de cette grande page de peinture se trouvent dans le travail précité de J. HEss. (3) À. CASTAN, Catalogue des Musées de Besançon, Te édit., n° 501. (4) Ce tableau a été décrit par Francis WEY, dans son travail sur Mel- chior Wyrsch et les peintres bisontins. (5) Francis WEY à fait un éloge enthousiaste de ce tableau, selon lui, «le chef-d'œuvre de notre peintre », «tableau qui occuperait un rang ho- norable dans la splendide collection du Louvre ». (6) Les hommages rendus à la mémoire de Charles-Joseph Quirot, dé- CNT = — Les portraits peints par Wyrsch sont, pour ainsi dire, in- nombrables, car, pendant son séjour à Besançon, il fit ceux de presque toutes les personnes qui jouissaient de quelque rang ou de quelque fortune dans la province de Franche- Comté. Le Musée de Besançon ne possède pas moins de treize de ces portraits (1), parmi lesquels il faut distinguer celui de lartiste, par lui-même (2), et celui de l'architecte Nicole, de Besançon (3). On cite également comme excellents deux portraits de landamanns qui sont à l’hôtel du Conseil exécutif de Stanz. Dans un genre qui ne lui était pas fami- lier, Wyrsch a peint, en 1773, le portrait, au tiers de gran- deur naturelle, de la famille Damedor de Moland, originaire de Vesoul : on y voit dix personnes, avec un petit enfant et deux chiens, le tout groupé autour d’une table où le thé est servi (4). cédé le 21 décembre 1782, sont relatés dans le Journal de la Franche- Comté, n° du lundi 6 janvier 1783. Cet éloge se termine par l’allusion sui- vante à un portrait du même ecclésiastique, vraisemblablement aussi fait par Wyrsch : « Une autre distinction, infiniment glorieuse à sa mémoire, est celle qu'un Prélat, qui est Ini-même le modèle de toutes les vertus, a décerné à. cet ecclésiastique. M. l’Archevêque de Besançon a voulu avoir son portrait, et il l’a fait placer dans la même salle où se trouvent ceux des Prélats ses prédécesseurs ». (1) Pour la description des dix-sept tableaux de Wyrsch que possède le Musée d’art de Besançon, voyez, dans la section provinciale (monuments civils) de l'Inventaire général des Richesses d'art, l'ouvrage intitulé : Histoire et description des Musées de la ville de Besançon, par Auguste CASTAN, 1889. () « Portrait d'atelier, inspiré du Caravage ou de Moïse Valentin », à dit Francis WE. (8) Je veux parler de celui des portraits de Nicole qui porte le n° 509 dans la septième édition du Catalogue des Musées de Besançon. (4) Ce tableau, qui appartient à Madame d'Esmont, a été exposé dans la vitrine de la Société des amis des Beaux-Arts de Besançon, durant la pre- mière quinzaine de mars 1888 : les journaux de la localité Font alors dé- crit. Au dos de la toile, on voit, au dessous des armoiries de la famille, une pochade en grisaille qui reproduit les personnages représentés et concorde avec une légende qui donne les noms et qualités de chacun d'eux. Cette énumération se termine par une signature d'artiste ainsi conçue : « Peint par Jean-Melchior Wyrscy, à Besançon, 1773 ». — 194 — La peinture de Wyrsch est ferme de touche, chaude de couleur et précise d'expression : elle relève beaucoup plus de l’observation pénétrante que de la vivacité primesautière ; elle concorde bien avec l'accent germanique auquel son au- teur demeura si obstinément fidèle. Tout ce qu’a produit cet érudit pinceau présente un intérêt saisissant, car il n’en est rien sorti de banal, encore moins de conventionnel : c’est tou- Jours profondément vrai et vigoureusement sincère. Quand un certain nombre de portraits de Wyrsch auront pris place dans les grandes collections publiques, l’auteur de ces excel- lents morceaux sera classé au premier rang des portraitistes distingués de la seconde moitié du dix-huitième siècle. Comme témoignage de la précision d'esprit de cet artiste, ajoutons qu’il ne livrait pas un tableau sans avoir inserit au dos de la toile le titre de la scène ou le nom de la personne représentées, avec la date de la production et la signature du peintre. Le peintre Simon-Bernard Le Noir. LE Noir (Simon-Bernard), né à Paris en 1729, compta parmi les bons portraitistes français du second rang, dans la deuxième moitié du dix-huitième siècle. € Sa manière », a-t-on dit (l', «se rapproche de celle de Tocqué, dont il a peut-être été l’élève ». Sa notoriété, qui remontait à 1759, avait eu pour origine le portrait d’une fameuse courtisane de ce temps, ouvrage dont un chroniqueur parlait en ces termes : « Mademoiselle Allard s’est fait peindre nue par Le Noir; tout le monde la reconnaît ». À quoi un autre gazetier ajoutait : € Elle veut donner ce portrait à M. le chevalier de Luxembourg pour (1) A. TAILLANDIER, Notice sur le peintre Le Noir, dans la Revue uni- verselle. t. XII, p. 21. — C’est à cette notice, dont je dois la connaissance à M. Edmond Bonnaffé, que j'ai emprunté la plupart des renseignements concernant l’existence de Le Noir avant son établissement à Besançon. DRE: Lin di de PEN VENT ré 1 ranimer ses feux qui commencent à s’éteindre; mais le peintre la dédommage ». Plusieurs portraits du célèbre acteur Lekain, tant au pastel qu’à l'huile, contribuèrent encore à la réputation de l'artiste. L'un de ces portraits, peint à l'huile, qui repré- sente Lekain dans le rôle d’Orosmane, appartient à la Co- médie française : il a été gravé dans le format in-folio, par Auguste de Saint-Aubin, et dans le format in-8° par Pierre- Charles Baquoy. Ce fut à Le Noir que s’adressa Le Trosne, avocat du roi au présidial d'Orléans, lorsqu'il eut décidé son maitre et ami, le grand jurisconsulte Pothier, à laisser faire son portrait. € Ce portrait, en buste et de grandeur naturelle, est peint à l'huile, et joint au mérite de la ressemblance une touche délicate et bien sentie ». Une gravure en a été faite par Vangelisky, pour l’édition in-4° des Œuvres de Pothier, publiée en 1773. L’original est conservé au Musée d'Orléans, avec le portrait d’un autre jurisconsulte orléanais, Daniel Jousse, également peint par Le Noir. L'établissement doit ces deux toiles à la générosité bien connue de son conservateur, M. Eudoxe Marcille (1). Durant ce même séjour à Orléans, notre artiste fit le por- trait du chirurgien Louis Leblanc, portrait qui à été traduit en gravure par Elluin. À l’occasion de son principal portrait de l’acteur Lekain et d’un tableau représentant Henri IV armé de pied en cap, dans la manière du portrait de Louis XIII par Philippe de Champaigne, Le Noir avait été élu, le 27 mars 4779, au nombre des agréés à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Cette élection lui conférait le droit de s’intituler Peintre du Roi et d'introduire ses ouvrages au Salon. Il pro- fita immédiatement de cette faculté pour exposer un groupe (1) Monographie du Musée d'Orléans, par M. Eudoxe MARCILLE, dans l’'Inventaire des Richesses d’art, province, t. I, p. 28 (98 du vol.). 1 de portraits, parmi lesquels était celui de Madame Le Noir, exécuté au pastel. Appelé un peu plus tard à Bordeaux, où les familles opu- lentes étaient en grand nombre, il y fit plusieurs portraits. Ceux du trésorier de France Jacques Le Grix et de Madame Le Blanc, sa sœur, sont encore à Bordeaux. Celui de l’arma- teur François Bonnaffé entouré de sa famille, ouvrage le plus considérable de l'artiste, est conservé à Paris, dans l’élé- gante demeure de l'arrière petit-fils du principal personnage représenté sur cette toile. De ce portrait, qui l'avait vivement impressionné dans son enfance, M. Edmond Bonnafté, eri- tique d'art aussi fin qu’érudit, a fait un commentaire des plus attachants, et il l’a publié avec une belle eau-forte reprodui- sant la peinture (D. « Le portrait de famille », dit-il, « repré- sente François Bonnaffé, sa femme et ses sept enfants. La toile, qui mesure 41,75 de long sur 1,52 de haut, est enca- drée dans une bordure de chêne doré, à feuilles d’eau, peries et rosaces. Les figures sont en pied, petite nature. Le peintre a pris pour sujet la fête de la mère de famille : chacun de ses enfants tient une fieur ou un bouquet à la main. La scène se passe dans un salon dont on n’aperçoit qu’un paravent for- mant le fond du tableau... La toile est signée en bas à gauche Le Noir Prit 1781... La composition est claire, spi- rituelle, les figures simplement posées, les groupes heureu- sement distribués, sans efforts, les mains généralement bien dessinées ; au total, de l’esprit, du goût, du savoir-faire, une élégance un peu froide et mince ; Le Noir a les qualités et les défauts de son siècle ». Soit qu'il ait été séduit par l'existence douce et calme dont il avait joui à Orléans et à Bordeaux, soit que quelque mé- compte lui ait rendu déplaisant le séjour de Paris, Le Noir était résolu, en 178%, à suivre « son ancien projet d’une re- (1) Bordeaux il y à cent ans : un armateur bordelais, sa famille et son entourage (1740-1809) ; Paris, 1887, pet. in-4°, avec une eau-forte. traite en province, pour peu que le traitement dans une place fût avantageux » (1). Le traitement qu’il obtint à Besançon, comme successeur de Wyrsch, n'était que de mille livres par année : il s’en contenta, et remplit honorablement les devoirs de la fonction qu'il avait acceptée. Parmi les productions de cette dernière étape de sa car- rière, le Musée de Dijon a recueilli un excellent portrait du sculpteur Claude-François Attret, de Dole, le premier maitre de Luc Breton, l’ami intime de François Devosge, qui le fai- sait appeler comme juge des concours annuels de l'Ecole dijonnaise (2). Le Musée d'art de Besançon ne possède que deux ouvrages de Le Noir, c’est-à-dire l’étude peinte à l’huile d’après nature, qu'il offrit à l'Ecole bisontine,-en 1789, à titre de « tribut académique » ; puis un pastel assez médiocre qui représente le P. Elisée, de Besançon, prédicateur renommé, que l'artiste n'avait peut-être pas connu, ce religieux étant mort deux ans avant l'établissement de Le Noir en Franche- Comté (9). À la suite du bouleversement administratif qui tarissait la source du principal des subsides dont vivait l'Ecole de Be- sancon, Le Noir quitta cette ville, après y avoir fait le por- trait de l’avocat Pierre-François Ordinaire, paré des insignes de la fonction de maire, que ses concitoyens lui avaient con- férée le 24 janvier 4790 (à), On croit que l’auteur de cet ou- vrage distingué mourut à Paris, sa ville natale, fort peu de temps après avoir quitté Besançon, c’est-à-dire dans le cou- rant de l’année 1791. (1) Lettre de Pierre, premier peintre du Roi, à l’Intendant de Franche- Comté : au Louvre, 14 août 178% (Archives du Doubs, papiers de l’Inten- dance). (2) Sur le sculpteur Attiret, de Dole (1728-1804), voy. un article de M. O. MERSON, dans la Grande Encyclopédie, t. IV, p. 525. (5) À. CASTAN, Catalogue des Musées de Besançon, 7e édition, 1886, nos 327 et 795, pp. 120-121, 218-219. (4) L’original de ce portrait appartient à M. Raoul Ordinaire, de Besan- çon, compositeur distingué : une copie, donnée par la famille, est dans le Le peintre François Jourdain. JOURDAIN (Laurent-Bruno-François) naquit à Besançon le 6 octobre 1745 (1), Son père, François J ourdain, était peintre (2) et fut certainement son premier maître ; mais il dut le meil- leur de son savoir aux leçons de Melchior Wyrsch, établi à Besançon dès 1763. Lorsque cet habile artiste ouvrit, onze ans plus tard, son cours public de peinture, Jourdain avait vingt-neuf ans : il s’assit néanmoins sur les bancs de la nou- velle Ecole et ne s’offensa pas de la préférence que l’on y donna, dans le premier concours fixé au 6 mars 1775, à l’ou- vrage d’un rival qui était de onze ans et quelques mois plus jeune que lui. Ce rival ne concourut pas l’année suivante, et Jourdain, qui dépassait alors trente et un ans, obtint la pre- mière récompense. | Le nom de François Jourdain ne reparut qu’en 1785 dans les annales de l'Ecole. Alors le peintre Wyrsch venait de re- gagner le pays de-ses origines, et un concours était ouvert pour le remplacer comme professeur. Jourdain se présenta seul pour concourir. Son tableau, qui représentait Adam et Eve trouvant mort leur fils Abel, fut jugé estimable, mais insuffisant pour mériter à son auteur la succession du peintre Cabinet du Maire de Besançon. Voy. ma Monographie des Musées de Be- sançon, dans la section provinciale de l’Inventaire des Richesses d'art. (1) Sur la paroisse de Saint-Jean-Baptiste. (2) Le certificat d’honorabilité qui va suivre concernait vraisemblable- ment le père de l’artiste dont nous nous occupons : « Séance du 24 septembre 1764. » Certificat. » Vu une requête présentée à M. le duc de Duras par le sieur JOURDAIN, peintre, tendante à obtenir un logement dans son Palais de Granvelle, renvoyée à M. l’Intendant par mondit sieur de Duras et communiquée au Magistrat pour donner leur avis, il a été dit que l’on ne se méleroit point de ce logement, que cependant on rendroit à M. l’Intendant un bon témoi- gnage de la conduite du suppliant et de ses talens ». + POSE PRET PT do) Wyrsch. Cette succession fut le lot d’un artiste étranger à la province, Simon-Bernard Le Noir, qui occupa dignement l'emploi jusqu’en 1791. Jourdain ne parait pas avoir gardé rancune à personne de cébéchee (1) - on le vit, en effet, orner de tableaux et d’es- quisses la salle des concours de l’Ecole, en 1787, et accepter de bonne grâce, à cette occasion, un encouragement de qua- rante-huit livres. L'année suivante, la confrérie des vignerons, qui venait de faire bâtir dans l’église de Sainte-Madeleine, d’après les plans de l'architecte Alexandre Bertrand, une chapelle dédiée à son patron saint Vernier, s’adressait à Jourdain pour avoir un tableau de piété représentant le martyre de ce bienheureux. Jourdain à représenté le saint, prêt à expirer sous les coups des bourreaux et ravi en extase par le concert des anges qui lui apportent la palme et la couronne des martyrs. Un autre tableau d'église, peint par Jourdain, représente l’apo- théose de saint Maximin, et se voit dans la chapelle dédiée à ce saint sur le territoire de la commune de Foucherans. Jourdain a laissé aussi quelques portraits estimables, celui, entre autres, de l’archevêque Raymond de Durfort, qui orne la salle du conseil de l'hôpital de Besançon : on y trouve quelques-unes des qualités de Wyrsch, à l'exception toute- fois de la puissance du modelé et de l’éclat du coloris. (4) H avait pourtant obtenu, six mois plus tôt, un grand succès, en déco- rant l’église des Capucins de Besançon, pour la solennité de la béatification du P. Laurent de Brindes, célébrée les 2, 3 et 4 mai 1784. « L'idée géné- rale de cette décoration », disait un journal du temps, « avoit été de carac- tériser une gloire où Laurent de Brindes se trouvoit élevé par les anges. Un autre ange, ayant une couronne à la main, paroïissoit descendre pour la mettre sur sa tête. La peinture étoit du sieur Jourdain, artiste de Be- sançon, dont les talens se manifestoient surtout dans la représentation du saint, où il n'y avoit rien qui ne tendit à faire connoître cette pleine satis- faction d'âme que donne la jouissance de la béatitude. Une savante distri- bution de lumières complétoit le bel effet de l’ensemble, en le rendant plus éclatant, » (Journal de la Franche-Comté, n° du 17 mai 1784.) 9 — 10 Lorsque la Convention nationale jugea qu’elle avait suffi- samment nivelé pour essayer de reconstruire, l’idée d’une Ecole centrale dans chaque chef-lieu de département lui sembla répondre aux principes d’uniformité qu’elle voulait en tout faire prévaloir. La loi du 25 février 1795 ayant édicté qu'il y aurait dans ces Ecoles une chaire pour l’enseigne- ment des arts du dessin, l'administration départementale du Doubs ouvrit à cet effet un concours entre les peintres du pays. Le sujet fut une composition représentant le Génie de lu peinture (1). Sur trois candidats entrés en ligne, Jourdain remporta la victoire et obtint ainsi, à l’âge de cinquante ans, un poste pour lequel ses aptitudes semblaient avoir été faites. Son enseignement, dérisoirement rétribué, ne cessa d’être dévoué et consciencieux : le nombre des élèves qui en pro- fitèrent simultanément s’éleva jusqu'à 267 (2). Quand l'Ecole centrale dut disparaître, en 1803, pour faire | place à un simple établissement d'instruction secondaire, Jourdain continua dans le Lycée cet enseignement du dessin qui était devenu la fonction essentielle de son existence. Mais, avec le Lycée, les moyens d'instruction cessaient d’être gratuits, et les élèves de Jourdain qui appartenaient aux classes laborieuses allaient être privés de leçons et consé- quemment étaient menacés de perdre le fruit de leurs méri- tants efforts. Le digne professeur s’en émut, et, par une lettre en date du 11 juin 18083, il sollicita de la municipalité un local dans lequel, à laide de quelques-uns des modèles ayant appartenu à l'Ecole centrale, il donnerait gratuitement des leçons aux jeunes gens pauvres qui seraient reconnus dignes de cette faveur. Ce fut le point de départ de la re- constitution d’une Ecole gratuite de dessin, mstitution qui. revécut effectivement en 1807, par le fait d’un arrêté muni- (1) Le dessin de cette composition se voit au Musée d’art de la ville de Besançon (n° 789). (2) S. Droz, Collège, Ecole centrale et Lycée de Besançon, 1869, pp. 90 et suiv. — 131 — cipal, en date du 26 juin, nommant comme professeurs les peintres François Jourdain et Dominique Paillot, ce dernier emprunté à l'Ecole dijonnaise, que le franc-comtois Devosge avait réussi à préserver de l'atteinte des mesures révolution- naires. Bien que Paillot fût de trente ans plus jeune que Jourdain, celui-ci trouva bon que son collègue étranger eût le premier rang dans les actes officiels concernant l'Ecole gratuite de Besançon. Il vit mourir ce jeune collègue () et s’éteignit lui-même, neuf mois après, c’est-à-dire le 18 avril 1815, âgé de soixante-neuf ans et demi, laissant de lui la mé- moire d’un homme bon, modeste et utile. Nous ne saurions mieux dépeindre son caractère qu’en re- produisant la lettre, en date du 11 juin 1803, par laquelle il sollicitait un local pour enseigner gratuitement le dessin aux jeunes gens que la suppression de l’Ecole centrale allait priver de ce genre d'instruction. « Besançon, ce 22 prairial an XI. » Aux citoyens Maire et Adjoints de la ville de Besançon, JOURDAIN, professeur de dessin à l’Ecole centrale. » CITOYENS ADMINISTRATEURS, » Au moment où l’enseignement public est sur le point de suivre une autre marche, au moment où les jeunes élèves du cours de dessin sont sur le point d’être privés de leçons, et par (1) Dominique Paillot avait obtenu le premier prix de peinture à l'Ecole de Dijon, sa ville natale, dans le concours de 1789 (J. GARNIER, Notice sur l'Ecole nalionale des Beaux-Arts de Dijon, p. 14). Paillot limita son activité à la production de miniatures, de fusains et de pastels. Dans ce dernier genre, on a de lui à Besançon les portraits du maire baron Daclin et de sa femme, chez mesdemoiselles Daclin, leurs petites-filles, ainsi que le portrait de la mère du bibliothécaire Charles Weiss, au Musée d’art de Besançon {n° 805). Paillot, dont l'existence était assez décousue, mourut subitement à Besançon, le 13 juin 1814, âgé de 39 ans. Charles Weiss a écrit sur lui quelques lignes dans la Description de Besançon d'Alexandre GUENARD, 2e édit., 1860, pp. 267-268 ; mais auparavant (1842) Ch. VIANCIN lui avait consacré un souvenir poétique dans l’Album franc-comtois. — 1392 — conséquent de perdre non seulement ce qu’ils ont acquis, mais encore ce que les dispositions d’un grand nombre faisaient espérer de progrès, je viens vous remettre sous les yeux l’offre que j'ai eu l'honneur de vous faire, de donner gratuitement des leçons de dessin à cette partie intéressante de la jeunesse que vous aurez bien voulu distinguer et que vous croirez digne de votre choix. » Air qu'il n’y ait pas d'interruption dans le cours public, un local provisoire suffit pour le moment. Les modèles dans tous les genres se trouvent présentement à l'Ecole centrale, étant en assez grand nombre pour alimenter et l’école du pen- sionnat et l’école publique. » Veuillez en conséquence, citoyens Maire et Adjoints, or- donner qu’une partie des modèles, tant en gravure qu’en ronde- bosse, sera détournée pour être employée au service de l'Ecole publique et envoyée de suite dans le local que vous aurez dési- gné. Vous aurez par là acquis de nouveaux droits à la recon- naissance des élèves et aux sentimens de respect et de consi- dération de leur professeur qui a l'honneur de vous saluer. » (Signé) F. JOURDAIN ». Le peintre Alexandre Ghazerand. CHAZERAND (Claude-Louis-Alexandre) naquit à Besançon le 24 avril 1757 dans une maison de la rue de Glères, voisine de la place du Marché. Son père était un pauvre tailleur d’habits, sa mère faisait le métier de revendeuse de légumes. « À douze ans », dit son biographe (1), « il aidait encore, sur la place publique, sa mère occupée à vendre des légumes »; mais il manifestait déjà les dispositions qui firent de lui, dès (1) Le peintre Charles-Antoine FLAJOULOT, dont Francis WEY a tracé un. amusant portrait dans son étude sur Wyrsch et les peintres bisuntins." La Notice sur Alexandre Chazerand, par FLAJOULOT, se trouve dans les Mémoires de l’Académie de Besançon, séance du 24 août 1829, pp. 30- 36. Sur ce même artiste Charles WILLEMIN a publié une biographie roma- nesque, dans la Revue franc-comtoise, ann. 1844 2e semestre, pp. 3-13. le début de l'Ecole de peinture et de sculpture, l'élève remar- qué entre tous, puis le principal lauréat du premier des con- cours ouverts dans l'établissement. « Admis à l’Ecole de dessin », dit encore son biographe, « son application extra- ordinaire et ses progrès surprenans lui méritèrent bientôt tous les prix et la protection de M. de Lacoré qui lui envoyait le modèle vivant, dès le point du Jour, pour l’exciter au tra- vail. » Il venait de remporter son dernier succès de concours quand les Visitandines de Besançon lui commanderent une toile qui devait représenter l’Apothéose de sainte Françoise de Chantal, leur fondatrice, canonisée depuis 1767. À propos de cette canonisation, la municipalité avait alloué aux Visi- tandines une somme de 150 livres pour favoriser l'exécution d’un tableau commémoratif de Pévènement qui honorait leur ordre, mais en stipulant que les armoiries de la ville seraient placées sur le cadre de la peinture (1), À treize ans de dis- tance de cette libéralité, Chazerand peignit, pour l’église des Visitandines, une toile représentant, dans les proportions de la demi-nature, sainte Françoise de Chantal, revêtue du cos- tume noir des religieuses de son ordre, assise sur des nuages et ravie en extase devant le Ciel qui va la recevoir. Des anges sont parmi ces nuages, et les deux plus rapprochés du spec- tateur tiennent ouvert un volume qui renferme les constitu- tions de saint François de Sales. Ce tableau, dans lequel la fraicheur du sentiment s’allie à la grâce des contours et aux délicatesses de la couleur, porte une signature ainsi COnÇUe : . (HAZERAND L'AINÉ pinæit, anno 1784. Après la Révolution, cette toile échut à l’église métropolitaine : elle y était exposée dans la chapelle dédiée à saint Denis (2); actuellement elle se (1) Délibération municipale du 18 juillet 1768. (2) L'Annuaire du Doubs pour 182% (p. 262) mentionne le tableau comme étant à cette place; mais en lui donnant le titre erroné d'Apothéose de sainte Fare. — 134 — trouve reléguée dans l’une des salles du corps de logis affecté à la maitrise. Peu de temps après cette création aimable, le marquis de Camus, président au Parlement de Besançon, chargea notre artiste de décorer le plafond du grand escalier de l'hôtel que ce magistrat faisait bâtir d’après les plans de l’architecte Alexandre Bertrand. La fresque qu'il y peignit a pour sujet la Justice : c’est une déesse couronnée, assise sur des nuages et inscrivant un arrêt sur un bouclier d’airain ; quelques petits génies, tenant des emblêmes, sont parmi les nuages. Cette composition est d’un jet très hardi; les raccourcis en sont habilement calculés; un coup de pinceau, à la fois sûr et vigoureux, à revêtu la composition d’une coloration har- monieuse. En somme, c’est un bon morceau de peinture, exécuté dans le style un peu tourmenté de l’ancienne école française sur son déclin. L'Assomption, qu'il peignit ensuite pour l’église de Sainte- Madeleine à Besançon, est d’un dessin gracieux et d’une coloration éthérée. La tête trop matérielle de la Vierge est en désaccord avec la suavité de l’ensemble du tableau; mais, dit le biographe de notre artiste, «on donnera moins d’atten- tion à cette critique, quand on saura qu'il fit le portrait exact d’un modèle dont il était enthousiasmé (1) ». Ce modèle avait déjà posé pour la figure de la fresque qui représente la Jus- lice. Etant donnés les moyens d'instruction restreints que Cha- zerand eut à son service, il est surprenant que des œuvres. aussi distinguées soient sorties de son pinceau. Au dire de ses contemporains, il était exceptionnellement doué comme intelligence, et sa facilité à saisir ce qu’il percevait n'avait d’égale que son avidité d'apprendre : sa mémoire était éga- (1) La jeune fille dont il était alors épris se rattachait à la famille du peintre Gaspard Gresly (1712-1756), auteur de scènes familières encore estimées à Besançon; on l’appelait la Quiquette Gresly. ue tal bohééihatols. nd es eu US ee ie mpf ns ne — 133 — lement apte à retenir les morceaux de poésie, les airs de musique, les récits des historiens et les compositions des grands peintres. « Combien de fois », dit son biographe, « on le pressa de faire le voyage de la capitale et de l'Italie, cette terre nourricière des arts! Combien de fois il en fit le pro- jet! Mais toujours il fut retenu par la crainte d'abandonner une mère âgée et dans l’indigence, et de l’exposer aux hor- reurs de la misère. » L'homme de cœur est exposé à s’exagérer le souci de sa dignité et à mourir des conséquences d’un déni de justice. Ainsi arriva-t-il à Chazerand. La salle de spectacle récem- ment construite à Besançon était à décorer, et il ambitionnait d’être chargé de ce travail : les esquisses qu’il présenta ne furent pas comprises, et l’on accepta les offres d'artistes étrangers. Chazerand en ressentit un chagrin profond, et la Révolution étant venue tarir la source des commaudes, l’oi- siveté jointe au découragement lui fit contracter des relations malsaines qui l’entrainèrent à l’ivrognerie. De cette période de sa précoce décadence, on ne cite qu’un tableau allégorique de sa composition, tableau qu'il offrit au Directoire du département, le 4 juin 1791, comme un monu- ment commémoratif de l’installation bruyante de l’évêque constitutionnel Philippe Seguin. « Le secrétaire du directoire en décrit ainsi l'assemblage comique : « C’est un soubasse- » ment de forme carrée, surmonté d’une colonne et de deux » figures représentant la Justice et l'Histoire. Sur le devant » de la colonne est la lettre S entourée du symbole de l’éter- » nité. La Justice décore la colonne d’une couronne civique, » l'Histoire grave sur un bouclier l’heureux évènement que » l’auteur célèbre ; la colonne est surmontée d’une mitre sur » un coussin violet ; le soubassement porte cette inscription : » Installé le 1% mai 1791. Sur un plan plus éloigné est la » Paix avec un rameau d’olivier à la main; l’Espérance tient » son ancre. En avant le Doubs, figurant ce département, » paraît occupé à fixer l’abondance sur ses bords. Hercule — 136 — » est armé de sa massue dont la branche porte le symbole de » la liberté et le drapeau des patriotes. Le fond caractérise le » pays ; le ciel est orageux, par allusion au prétendu schisme, » et la Liberté repousse cette vaine fumée ». Le département, applaudissant aux talents et au patriotisme de M. Chazerand, décida que son tableau serait un des ornements de la salle du Conseil (1) ». Moins de quatre äns après ce succès stérile, Chazerand mourait de débauckle et de misère à l’hôpital de Besançon, n'ayant pas encore atteint sa trente-huitième année. Les actes de baptême et de décès de cet artiste sont ainsi hbellés: Paroisse de Sainte-Madeleine. — « Baptême de Glayre (2 ». € Claude-Louis-Alexandre, fils de Claude-Ignace CHASE- RAN, tailleur d’habits, et de Jeanne-Baptiste Painchaux, son épouse, est né et a été baptisé le vingt-quatre avril mil sept cens cinquante sept. Son parrain à été Louis Painchaux, maître charpentier ; sa marraine Catherine Verguet, épouse de Claude-Charles Lami, employé au bureau des carosses : elle s’est déclarée illitérée. — (Signé) Claude-Ignace CHAZE- RAND ; L. PAINCHAUX ; DARMONT, prêtre ». Ancienne*paroisse de Saint-Marcelin. — Décès de l'Hôpital. « L’an trois de la République française une et indivisible, avant midi du quatre floréal, en la salle publique de la Mai- son commune de Besançon, par devant moi Jean Catton, officier public nommé en conformité de la loy, ont comparu Joseph Battu, instituteur des enfants de hôpital de Cham- ——; (1) J. SAUZAY, Persécution révolutionnaire dans le département du Doubs, t. I, pp. 705-706. (2) Le côté d’aval de la rue de Glères était alors de la paroisse de Sainte- Madeleine, ainsi que toute la partie de la presqu'ile de Besançon inférieure à ce niveau. PR — 137 — mars de cette commune, et Jean-Philippe ‘Pioche, citoyen de Besançon, y demeurant, les deux majeurs, lesquels m'ont déclaré que le jour d’hier, à onze heures du soir, Alexandre CHAZERAND, âgé de trente huit ans, fils de Claude Chazerand et de Jeanne-Baptiste Penchot, originaire dudit Besançon, était décédé audit hôpital, où je suis allé vérifier le décès : dont acte que les déclarants ont signé avec moi. Fait à Be- sançon, les an, jour et mois susdits. — (Signé) PIOCHE, CAT- TON, of. public ; BATTU ». Le peintre Jean-Pierre Péquignot. Cet artiste est incontestablement le plus distingué des peintres qui commencèrent leur éducation sous les auspices de Wyrsch. Son frère aîné, Antoine, disciple de Luc Breton pour la sculpture, eut, en 1780, le chagrin de voir le Nep- tune peint par Chazerand préféré, dans un concours, à la statuette du même dieu qu'il avait produite en vue de la pre- mière récompense. À la suite de cet échec, il partit pour Paris, emmenant avec lui son jeune frère, Jean-Pierre, alors âgé de quinze ans. Ce que devint celui-ci, le biographe de Girodet va nous l’apprendre, et Girodet lui-même nous dira ensuite, dans des vers imités de ceux de labbé Delille, com- bien valait à ses yeux ce Péquignot, « qu'une heureuse con- formité de goût, de talens, d'amour de l’indépendance, lui faisait aimer tendrement ». C’est aux commentaires de Cou- _ pin sur le poème de Girodet, intitulé : Le Peintre, que nous _empruntons la notice suivante, écrite sur Péquignot d’après _ les souvenirs et les notes de son illustre ami (D: € PÉQUIGNOT (Jean-Pierre), auquel Girodet portait une (1) Œuvres posthumes de GiRODET-TRIOSON , peintre d'histoire, suivies de sa correspondance ; précédées d’une notice historique, et mises en ordie par P.-A. Coupin. Paris, 1829, 2 vol. gr. in-80. — Les passages que nous reproduisons occupent, dans le premier volume, les pages 132-184, 295-300. — 138 — amitié si tendre, naquit à Baumes-les-Dames, près de Besan- con, en 1765 (l. Son père était maréchal. Ce n’est pas la pre- mière fois qu'un homme de talent s’est élancé des rangs des classes inférieures pour se placer parmi ceux dont l’histoire conserve le nom : les hommes distribuent les titres, les hon- neurs ; mais la nature s’est réservé de donner le génie. » Dès sa plus tendre jeunesse, Péquignot manifesta un goût très vif pour le dessin et pour la lecture. Frappé de cette disposition d'esprit, son père l’envoya à l’âge de dix ans rejoindre à Besançon son frère aîné, le seul qu'il eût, pour y étudier avec lui le dessin. [l passa près de cinq ans dans cette ville ; les deux frères vinrent ensuite à Paris et entrèrent dans une institution dirigée par le chevalier Paw- let. Cette mstitution, protégée par la Reine, était établie sur les mêmes bases que les écoles militaires. Ils y restèrent quatre ans. Péquignot le jeune suivit les études, mais il ne se distingua que par ce même amour du dessin et de la lec- ture qu'il avait montré dès son enfance. Pendant son séjour dans cette maison, 1l connut les neveux de Vernet [°", et se lia intimement avec eux. Lorsqu'il la quitta, ils allèrent easemble étudier à l’Académie; Vernet [°* lui donnait des conseils et lui prêta quelques-uns de ses ouvrages pour les copier. » Pendant les six mois qu'il passa ainsi, il vécut du produit de son travail : il faisait, pour mettre sur des boîtes, de petits paysages qui n'étaient pas sans mérite. Il se fit remarquer par deux tableaux du même genre qu’il mit à l'exposition qui avait lieu alors à la place Dauphine. C'était dans la place même, le long des maisons, que les tableaux, garantis seu- lement par un auvent, étaient accrochés. Gette exposition était, pour les jeunes gens surtout, un moyen de se faire connaitre. » Péquignot l’ainé suivit la carrière de la sculpture, et il est encore aujourd’hui un fort habile praticien; le jeune, Pami (1) Le 11 mai. — 139 — de Girodet, entra dans l’école de David. Ce grand maître lui témoigna un vif intérêt et le recommanda à une personne riche qui le prit sous sa protection, lui assura une pension de 1200 francs pour aller étudier à Rome, et lui donna Par- gent nécessaire pour faire son voyage. Péquignot partit plein d'enthousiasme, mais, à son arrivée dans la ville des Césars, il trouva une lettre de son protecteur qui lui annonçait qu’une faillite le mettait dans l’impossibilité de lui payer la pension qu’il lui avait promise. Réduit de nouveau à vivre de son talent, Péquignot fit des tableaux qu'il vendait à un mar- chand. Il acquit bientôt de la réputation. » Ce fut à Rome que Girodet, parti plusieurs années après lui de France, le connut. Ils avaient eu le même maitre; ils aimaient tous deux l'indépendance et leur art; tous deux avaient du talent; ils étaient jeunes, enfin ; ce fut sous ces auspices que se forma cette amitié dont Girodet avait gardé un si tendre souvenir. » Ils étaient, ainsi qu'on peut le voir dans la lettre de Girodet à M. Tortoni (tome IT, page 460), avec deux autres de leurs camarades, à l’Académie de France, occupés à peindre les armes de la République pour l'Académie même, lorsque la populace furieuse vint tout briser. Le bruit étant parvenu jusqu'à eux , Péquignot sortit de l'atelier où ils étaient pour en connaître la cause. Il rentra bientôt en disant d’un grand sang-froid : « Ce sont eux. — Qui, eux ? deman- dèrent ses camarades. — Le peuple, répondit-il ». Sans délibérer sur ce qu'il y avait à faire, Girodet et Péquignot gagnèrent aussitôt l'escalier. » On verra dans la lettre que j'ai citée, et dans celle adressée de Naples à M. Trioson (tome II, page 423), les détails de ce qui leur arriva dans cette circonstance : la né- cessité où ils furent de se cacher à Rome pour se soustraire à la fureur du peuple, et la crainte qu’ils eurent d’être assas- sinés dans une écurie où ils avaient été obligés de passer la nuit, pendant le trajet de Rome à Naples. — 140 — » Les deux amis restèrent quelque temps ensemble dans cette ville ; Girodet parle souvent de ce séjour, avec un accent qui prouve, tout à la fois, combien la société de Pé- quignot avait de charmes pour lui, et les regrets que sa mort lui fit éprouver. » En partant de Naples, Girodet y laissa son ami, qui y a passé le reste de sa vie. Avec de l’aversion pour tout le monde et une sorte de sauvagerie qui l’éloignait de toute société, et qui lui faisait considérer comme une contrainte tous les usages qu'elle exige, Péquignot devait prendre et prit effec- tivement, en avançant en âge, des habitudes qui, malgré son grand talent, ne lui auraient pas permis d'y paraître. Il se livrait à l'usage du vin d’une manière immodérée, et il n'avait aueun soin de lui-même. Un des élèves de Girodet, M. De- lorme, ayant été pendant son séjour à Naples lui porter des lettres de son maître, Péquignot refusa deux fois de le rece- voir ; M. Delorme fut obligé de forcer sa porte, et il le trouva dans un état qui expliquait la répugnance qu’il éprouvait à se laisser voir. . » Péquignot parlait très élégamment sa langue et lPitalien ; il aimait la musique et la cultivait. Il s’absentait souvent pour aller faire des excursions à des distances plus ou moins grandes de Naples, et il en rapportait toujours des dessins. Il fit un voyage en Sicile; à son retour il adressa à Girodet une description que celui-ci disait être admirable. À sa mort son portefeuille était considérable : il a été perdu pour la France et pour son frère. Un colonel napolitain auquel, à la recommandation de Girodet, M. Péquignot l’ainé donna sa procuration, recueillit tous les tableaux et les dessins et en disposa à son profit sans qu’il ait été possible de les lui faire rendre. » Péquignot, peu connu du public, avait un talent vérita- blement original et ne devait rien qu’à lui-même. Quoique l’on s’aperçoive bien qu’il à observé la nature, plutôt à la manière du Poussin et du Guaspre, que comme les colo- — 14 — ristes, il n’y à cependant pas d’analogie entre lui et ces maîtres. Ses arbres sont toujours d’une beauté de formes et d’un choix de contours remarquables. Les sites qu’il repré- sente ont une grâce et une originalité qui plaisent à l’imagi- nation. On ne rencontre dans aucun autre peintre le caractère agreste et sauvage de ses montagnes. Souvent il a donné à ses ciels un choix de formes qui n'appartient qu’à lui. » Les tableaux de Péquignot avaient peu d'effet; on peut reprocher aux arbres de ses premiers plans de manquer- de vérité : le feuillé est souvent trop compté ; on n’y trouve pas cette espèce de désordre qu'offre la nature; mais ce défaut, peut-être inévitable lorsque l’on cherche constamment la beauté, n’est plus sensible dans les autres plans. La poésie, l'élévation du dessin, la beauté des lignes et une grande dé- licatesse d'exécution font le mérite particulier des tableaux de Péquignot. Son talent, qui avait une analogie frappante avec celui de Girodet, ne pouvait marquer de faire impres- sion sur notre grand artiste, si sensible au charme de tout ce qui portait un caractère d'originalité et de beauté : aussi les premiers ouvrages qu'il vit de Péquignot excitèrent-ils en lui des transports d’admiration, et 1l ne parlait jamais de son ami qu'avec enthousiasme. Girodet, s’entretenant un jour de Péquignot avec un de ses élèves, celui-ci dit que c'était un homme de talent : « Dites un homme de génie », reprit sèchement Girodet. » Ce fut à lui que Girodet dut le goût si vif qu'il témoigna pour le paysage; il copia plusieurs de ses tableaux, et ses productions, dans ce genre, rappelaient celles de son ami; il Saisissait avec empressement l’occasion d’en acheter, et il en possédait plusieurs d’une grande beauté. Les artistes qui ont vu en Italie les autres tableaux de Péquignot, disent qu'il en avait fait de plus remarquables encore. >» Péquignot mourut à Naples, en 1806 ou 1807, dans un état complet de misère : sa mort causa un vif chagrin à Gi- rodet. — 142 — » L'amitié de notre grand peintre n'aura point été stérile pour Péquignot : c’est à elle, non moins qu’à ses ouvrages, qu’il devra cette célébrité qu’il n'avait pas recherchée et que Girodet lui prédit dans ses vers ». Les vers prophétiques de Girodet, qui terminent le troi- sième chant du poème Le Peintre, intéressent trop directe- ment la mémoire de Péquignot, pour que les plus essentiels d’entre eux ne s’encadrent pas dans la biographie de cet artiste. Voici donc les termes principaux de cet hommage aussi pompeusement emphatique que tendrement sincère : Quand les maux de la France épouvantaient l'Europe, J’errais mélancolique aux champs de Parthénope. Près d’un ami rival des Claudes, des Poussins, J'admirais ces beaux champs plus beaux dans ses dessins. L’un par l’autre excités, dans nos courses riantes, Nos crayons récoltaient des moissons abondantes... Je n’y trouverais plus cet ami précieux ; _ Ce beau ciel qu’il aimait n’éclaire plus ses yeux. Ces vallons enchantés, ces roches pittoresques Où’souvent s’égaraient ses pensers romanesques ; Cette profusion, ce luxe d’accidens Que les flots et les feux ont semés dans les champs ; Cette forte nature à ces grands paysages Prodiguant les bienfaits, prodiguant les ravages ; Ces monts, nouveaux enfants nés des flancs des vieux monts Et qui savaient si bien inspirer ses crayons, Ne feront plus jamais son bonheur et sa joie. De la mort son génie est devenu la proie ; Dans l’été de ses ans le barbare destin Arracha les pinceaux de sa savante main. La France honorerait aujourd’hui sa mémoire, Si son orgueil, moins fier, eût accueilli la gloire. Aimant les arts pour eux, heureux d’être oublié, Ses seuls besoins étaient l’étude et l'amitié ; Par l'étude fixé sur la terre étrangère, Pour compagne il garda la pauvreté sévère, Pour mentor le travail, et ses nobles mépris Aux hommes comme à l'or n’alttachaient aucun prix. Plus d’une fois j'ai vu la bizarre fortune, Accourant sur ses pas, lui paraître importune, Je l’ai vu, dédaignant les dons de sa faveur, Lui-même malheureux, secourir le malheur ! : — 143 — O toi qui, malgré toi, seras un jour célèbre, Reçois, cher Péquignot, cet hommage funébre ! Hélas ! en te quittant, j’espérais quelque jour Te revoir dans ces lieux si chers à ton amour : Les temps ont emporté mes vœux avec ta vie. Ami, paix à ta cendre et gloire à ton génie! La célébrité prédite à Péquignot ne s’est pas accomplie comme l’avait souhaité le grand cœur de Girodet. Le talent de Péquignot est incontestable : les sites qu’il invente sont disposés avec goût, accidentés avec harmonie, et leur colo- ration est d’une savante finesse ; mais la poésie qui s’en dé- gage est essentiellement artificielle et théâtrale (1). C’est la nature transfigurée par l’imagination et idéalement parée de romanesques élégances. Les compositions de ce genre sont tributaires de la mode, et leur vogue ne peut avoir qu’un temps. Si elles méritent encore, par le raffinement de leurs procédés, l'attention des amateurs de peinture, aucune émo- tion n’accompagne la curiosité qu’elles inspirent. Le manié- risme de Péquignot, tout séduisant qu’il ait été, n’équilibrera Jamais la magistrale sincérité de Claude Lorrain, le natura- lisme pénétrant des grands paysagistes de la Hollande, ni même la verve endiablée d’un Hubert Robert ou d’un Frago- nard. Toutefois la Franche-Comté ne saurait sans ingratitude se désintéresser d’un artiste qui, pour la droiture de son ca- ractère et la très réelle habileté de son pinceau, a obtenu l'honneur d’ètre considéré par Girodet comme un autre lui- même. (1) Le Musée d'art de Besançon possède un tableau de Péquignot, qui -ui a été donné par M. Jean Gigoux. J'ai décrit ainsi cet ouvrage dans la Monographie des Musées de Besançon : « Paysage composé avec des sites des environs de Naples. — Toile. — H. 00,55. — L. 0n,80. — Fig. de 0,04 — Dans un encadrement de montagnes volcaniques, une cascade, descendant de l’une d'elles, forme un lac. Au premier plan, à droite, de grands arbres s'élèvent sur des éboulis de rochers : un chasseur, précédé de son chien, y est en marche. — Signé : P. PÉQuiGNoT, Naples, 1803 ». — 144 — Le statuaire Pancras Eggenschwyler. (Notice de P.-Urban WINISTŒRFER, extraite du Neujahrs- Blatt des Kunstvereines von Solothurn : erster Jahr- gang, 1853, in-40 (1j). « Urs-Pancras EGGENSCHWYLER naquit à Matzendorf le 93 février 1756 (2). Son père, Joseph Eggenschwyler, sortait d’une famille aisée du riche petit village voisin qui se nomme Edermannsdorf. Il s'était marié en premières noces avec la fille d’un aubergiste de Matzendorf, y avait acquis le droit de bourgeoisie et était parvenu à se créer, petit à petit, un do- maine rural d'environ 70 arpents. Sa femme mourut bientôt, sans laisser d'enfants. Plus tard, le père Eggenschwyler se remaria avec Anna-Maria Altermatt, de Herbetzwyl, qui était chez lui en qualité de servante. De cette union sortit notre artiste, qui fut l’ainé de quatre fils. Lors de sa naissance et pendant ses jeunes années, l’aisance régnait encore dans la maison de son père : celui-ci était le Wetbel, c’est-à-dire l’appariteur de la juridiction *lu district, place lucrative alors et non sans importance, en raison des relations officielles qu’elle procurait avec monsieur le Landvogt et de l’influence que le titulaire de lemploi pouvait avoir officieusement sur ce dignitaire. En souvenir de ce fonctionnement, les petits- fils et arrière-petits-fils du père Eggenschwyler sont encore appelés à Matzendorf les s Weibel. Ayant une disposition naturelle à faire de la dépense pour être considéré des per- sonnes nombreuses avec lesquelles son emploi le mettait en contact, il prit l'habitude de boire volontiers un verre de (1) Je dois la communication de cette Notice à l’obligeante érudition de M. Louis Sieber, bibliothécaire en chef de l’Université de Bâle. Pour la traduction française que j’en donne, j'ai eu recours à la collaboration de mon collègue et ami M. Paul Viancin — (A. C.). (2) Cette date de naissance est en contradiction avec l’âge de 35 ans donné en 1802, par le Moniteur universel, à Eggenschwyler. Pour réta- blir la concordance, on devra lire ici 1766, au lieu de 1756 — (A. C.). Pre Les de pe ER tte, à x AD ilop, en Joyeuse compagnie; mais ce travers ne fut pas de longue durée, car par le fait de l'excès ou de la mauvaise qualité du vin que buvait l’appariteur, peut-être même par une toute autre cause, le pauvre homme mourut dans la force de l’âge, apres une courte maladie, laissant à sa veuve quatre garçons mineurs et un endettement considérable. Un tuteur fut donné aux enfants : ce qui n’empêcha pas une ruine rapide ; il fallut vendre les terres morceau par mor- ceau, et bientôt il ne resta que fort peu de chose de cet avoir. » Comme le petit Pancras avait, dès son enfance, une dis- position à tailler le bois et qu’il le faisait avec un certain goût, son tuteur en conclut qu'il était prédestiné à devenir charron : aussi, sans songer à lui donner la moindre éduca- ton scolaire, le mit-1il en apprentissage chez le charron Joseph Meister, à Herbetzwyl. Ce patron, qui n'avait pas d'enfants, prit en amitié le garçon réfléchi et travailleur qui lui était confié, et il le traita comme s’il eût été son fils. A ce premier maitre Pancras dut les impressions morales et reli- gieuses de sa jeunesse, la meilleure partie de son éducation, ainsi que les notions élémentaires de l’art sculptural : en effet, ce maitre, qui passait pour un charron très habile, se plaisait à diriger les sculptures que son apprenti fabriquait pendant les heures de récréation. Dans les dernières années de sa vie, le vieux charron était encore fier de son élève et se félicitait de l'avoir affermi dans sa vocation d'artiste. » L’ambition ayant germé dans la tête du jeune homme, il quitta l'atelier d'Herbetzwyl, séjourna dans quelques loca- htés de la Suisse et passa bientôt en France : il travailla d’abord à Strasbourg, puis à Besançon où il rencontra la for- tune. S’étant mis au service d’un carrossier de cette ville (D), (D Ce carrossier était probablement un nommé Jourdain, peintre, qui fut mis en faillite comme entrepreneur d’équipages et trouva un asile au palais de l’Archevéché de Besançon, où l'archevêque Raymond de Durfort lui fit peindre les portraits de tous ses prédécesseurs. Ces portraits ornent encore les principales pièces du palais archiépiscopal. Voyez, au sujet de 10 — 146 — il exécutait des travaux qui témoignaient de la sûreté de son goût et de l’habilité de sa main. Alors la plupart des pièces du carrosse, et notamment les essieux, se faisaient en bois : il s’appliquait à enjoliver ces pièces, en les décorant de rin- ceaux et de figures d'hommes ou de bêtes ; il se fit ainsi une réputation d’'habile ouvrier (1), Sa bonne étoile conduisit à Besançon un membre de l’Académie de Paris (2), qui prit intérêt aux sculptures du jeune Suisse et l’engagea à venir dans la capitale de la France, invitation de suite acceptée, car elle comblait les vœux de celui qu’elle allait introduire dans une haute carrière depuis longtemps ambitionnée. » Ce fut vers 1785 ou 1786 qu'Eggenschwyler s'établit à Paris (). IL y fut accueilli avec bienveillance, et ses efforts obtinrent les encouragements qu'il espérait. Ses aptitudes d'artiste, dirigées par son bienfaisant protecteur, prirent ma- leur origine, une notice intitulée : Trait de générosité de Myr de Dur- fort, par Mor MATHIEU, archevêque de Besançon (Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon, 24 août 184%, pp. 123-196) — (A. C.). (1) Rappelons ici que le jeune Eggenschwyler fréquentait les cours de l'Ecole gratuite de peinture et de sculpture de Besançon, et qu'il y avait remporté, le 16 décembre 1787, un deuxième prix, consistant en une mé- daille d'argent et soixante livres de monnaie, pour avoir copié en sculpture la statuette de saint Jérome, ouvrage de Luc Breton, son maitre — (A. C.). (2) Ce membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture parai- trait avoir été Louis-Philippe Mouchy, neveu et élève de Pigalle. En effet, Eggenschwyler, exposant en 1799 un « Sujet de pendule en marbre repré- sentant le génie de Jupiter et ses accessoires », se disait élève de Mouchy. Mais cet artiste étant mort le 10 décembre 1801, Eggenschwyler passa dans l'atelier de Claude Dejoux, dont il s’intitula dès lors l’élève. Dejoux était né à Vadans (Jura), le 23 janvier 1732. Etant berger de moutons, il avait ma- nifesté ses aptitudes pour l’art en taillant des figures de bois avec son cou- teau, puis il était devenu ouvrier menuisier, et faisant en cette qualité son tour de France, la rencontre à Marseille des ouvrages du Puget lui avait fait concevoir l’idée de devenir sculpteur (Désiré MonniEeR, Les Jurassiens recommandables, p. 331). Il y avait donc une analogie frappante entre les débuts du jeune Eggenschwyler et ceux de l'éminent sculpteur qui, après Luc Breton et Mouchy, devint son maitre — (A. C.). (3) On a vu plus haut qu'Eggenschwyler était encore à Besançon le 16 décembre 1787 — (A. C.). — 147 — gistralement leur essor, et son imagination féconde com- pensa ce qui pouvait lui manquer comme culture première. » Sur ses travaux pendant ce premier séjour à Paris, les renseignements nous manquent. Comment vécut-il, enfermé dans son atelier, durant l’orage révolutionnaire ? Tout ce que nous savons, c’est que le célèbre David, chef de la nouvelle école académique de peinture, demandait à Eggenschwyler des modèles pour les élèves de son atelier. » Malgré cette pénurie d'indications, il y a certitude qu’Eg- genschwyler avait fait de remarquables progrès : témoin le bas-relief représentant l'Amour filial, symbolisé par Cléobis et Biton, ces deux frères qui, à défaut d'animaux de trait, s’attelèrent eux-mêmes à un char, pour transporter leur mère, la prêtresse Kidippe, à l'heure précise du sacrifice, au temple de Junon (Cic. Tusc., I, 46; conf. HERODoOT. I, 31). Cet ouvrage obtint un si grand succès, que le prix de sculpture lui fut décerné à l’exposition des Beaux-Arts de Paris, en 1802 (1). Et l’auteur ne fut pas seulement gratifié de la grande médaille portant l’effigie de Napoléon, premier Consul (2) ; 1l fut encore désigné comme titulaire d’une place (4) « Noms des artistes qui, au jugement de l’Institut national des sciences et des arts, ont remporté les grands prix de peinture, de sculp- ture et d'architecture : an X de la République. — SCULPTURE. Le sujet du concours était : Cléobis et Byton, deux frères, avaient été un modèle par- fait d'amitié fraternelle, et avaient eu pour leur mère tant d'amour et de piété, qu’un jour de fête solennelle, comme elle devait aller au temple de Junon dont elle était prêtresse, ses bœufs tardant à venir, ses deux fils se mirent eux-mêmes au joug et trainèrent le char de leur mère qui était ravie et dont tout le monde vantait le bonheur d’avoir porté de tels enfans. Grand prix : Pancras EGENSVILLER, né à Soleure en Suisse, âgé de 35 ans, élève du citoyen DEJoux » (Moniteur universel du 22 vendémiaire an XI, 1% octobre 1802) — (A. C.). (2) Cette médaille, gravée au dessous du portrait d'Eggenschwyler, placé en tête de la Notice que nous traduisons, représente au droit, de profil regardant à droite, le buste habillé de Bonaparte, avec cette légende : BONAPARTE GENAL EN CHEF DE L'ARMÉE FRANCE EN ITALIE ; on lit en exergue : OFFERT A L'INSTITUT NATION. | PAR B. DUVIVIER | A PARIS. Au revers, le général en chéf, monté sur un cheval que guident la ho ‘vacante à l’Académie de France à Rome, établissement qui allait encore lui fournir les moyens de progresser. Quelle joie pour notre petit paysan ! » À la suite de ce succès, lPartisite ne manqua pas de prendre le chemin de la Suisse pour se rendre à Rome. Son entrée en voiture à Herbetzwyl et sa visite à son vieux maître firent sensation. Au gouvernement de Soleure il offrit son bas-relief couronné : cet ouvrage fut placé à l’hôtel de ville, comme monument honorable pour le pays, et l'artiste fut gratilié en retour d’une médaille d’or rappelant son succès (1). » Bientôt après, Eggenschwyler se trouvait dans un foyer d'existence artistique, c’est-à-dire dans la patrie de ses rêves, au sein de cette Académie française des Beaux-Arts qui ve- nait de s'installer sur l’aimable Monte-Pincio (2). Il eut dès Sagesse et la Vérité, élève de la main droite un rameau d’olivier, tandis que le génie ailé des arts vient lui poser une couronne sur la tête; légende : LES SCIENCES ET LES ARTS RECONNAÏISSANTS ; en exergue : PAIX SIGNÉE | L’AN 6 REP. FR. — (A. C.). (1) Le Moniteur universel enregistra ce succès d’Eggenschwyler dans ‘les termes suivants : « Soleure, le 29 novembre. M. EGGENSCHVILER, sta- tuaire, né en Suisse, mais naturalisé français, élève du célèbre statuaire Dejoux, ayant remporté à Paris le grand prix de sculpture, a désiré, en se rendant à l’Académie de France à Rome, où il est nommé pensionnaire, revoir la ville qui l'a vu naître. Les magistrats de Soleure lui ont fait l’ac- cueil le plus distingué, et en reconnaissance du don qu'il a fait à la ville du bas-relief sur lequel il a été couronné par l’Institut et qui a été placé au palais de la Régence, le grand Avoyer lui a remis, à l'issue du diner où se trouvaient réunis tous les notables du Canton, une médaille d’or repré- sentant les armes de l'Etat, avec cette inscription : MONUMENTUM BENEVO- LENTIÆ, et sur le revers, le décret du Conseil rédigé dans les termes les plus flatteurs pour l'artiste qui en était l’objet » (Moniteur du 7 décembre 180%) — (A. C.). (2) Suvée, qui était alors directeur de l’Académie, a donné sur les con- ditions faites aux pensionnaires de la France à Rome les détails suivants, consignés dans une lettre du 26 décembre 1804 : « J’ai obtenu du Gouver- nement qu'il soit accordé aux artistes partant pour Rome 600 fr. pour in- demnité de voyage et autant pour leur retour... Ils ont un traitement de 1200 fr., dont 300 pour leur entretien personnel, 400 fr. pour subvenir aux frais de leurs études, et 200 fr. pour aller, dans les saisons conve- nables, aux environs de Rome, étudier les monuments antiques et mo- Lu FLE eu EU cn dl 5 gel Late 2 Le | 1 PAAEE 40 lors libre accès dans les galeries du Vatican, du Capitole, du Lateran, où son ardeur au travail put s'exercer d’après les plus beaux modèles légués par l'antiquité classique, par le moyen âge et par les temps modernes. Son talent grandit encore au contact des artistes vivants qui fonctionnaient à Rome et portaient les noms glorieux de Canova et de Thor- waldsen. Affranchi de tout souci matériel, il passa ainsi les plus heureux jours de sa vie (1. Son temps de pensionnaire étant sur le point d’expirer, 1l dut songer à se créer des res- sources pour l’avenir. Cependant il resta encore deux ans dans la métropole des arts ; mais 1l dut y vivre parcimonieu- dernes, ainsi que les effets des sites admirables qui s’y trouvent. Trois cents francs sont annuellement retenus pour former, à la fin de la cin- quième année, une somme de 1.500 fr., destinée à être employée... par le sculpteur, pour les frais d’un modèle de statue nue de grandeur natu- relle..…. » (Dictionnaire de l’Académie des Beaux-Arts, t. I, p. 95). — La figure que produisit Eggenschwyler est indiquée en ces termes dans la Notice des travaux de la Glasse des Beaux-Arts de l’Institut national, lue dans la séance publique du 4 octobre 1806, par Joachim LE BRETON, secrétaire perpétuel : « M. Egenviller, le dernier des pensionnaires sculp- teurs arrivés à Rome, termine le modèle d’un Mercure de grandeur natu- relle » (Magasin encyclopédique, ann. 1806, t. VI, p. 158) — (A. C.). (D) L'architecte Pierre-Adrien Paris, de Besançon, chargé de l’enlève- ment et de l’envoi à Paris des antiques de la Villa Borghèse, a fait, dans le journal de cette opération, la mention suivante d’une visite qu'il reçut de l'artiste qui nous occupe : «M. Eggenswiller, pensionnaire, élève de M, De- joux, est venu voir notre travail. C'est un excellent Suisse, honnêle, mais pas complimenteur ; il a loué ce qu'il a vu de notre opération (lundi 7 mars 1808). — Le nom d'Eggenschwyler figure au bas d’une lettre collective de sympathie qu'écrivirent les pensionnaires de l’Académie de France à l’'ar- chitecte Paris qui, pendant huit mois de l’année 1807, avait été directeur intérimaire de l'institution. Cette lettre, écrite le 12 juillet 1809, donne les noms des artistes qui se trouvaient alors avec EGGENSCHWYLER à la Villa Medici. C'étaient les peintres INGRES (Jean-Auguste-Dominique), BLONDEL ‘(Merry-Joseph), ODEVAERE (Joseph-Denis), BolISsELIER (Félix), HEIM ‘Fran- çois-Joseph}, GuILLEMOT (Alexandre-Charles) ; les sculpteurs GAULE (Edme), LaiTiÉ (Charles-Remi), CALLOIGNE (Jean-Robert), RUTxHIEL (Henri-Joseph) ; les graveurs MASQUELIER (Claude-Louis), TIoLIER (Pierre-Nicolas), Ri- CHOMME (Joseph-Théodore) ; les architectes MÉNAGER ‘Jean-François-Ju- lien ,| GUÉNEPIN {Auguste-Jean-Marie), DÉDÉBAN (Jean-Baptiste), HUYOoT (Jean-Nicolas), LE CLÈRE (Achille-René-François) — (A. C.). — 150 — sement, comme faisaient la plupart des artistes, compensant une maigre pitance par des libations de ce vin rouge très fort que les cabaretiers de Rome vendent à bas prix. Il contracta ainsi des habitudes d’ivrognerie qui furent la honte de la fin de son existence. | » Après qu'il eut vécu sept années à Rome, dans la fré- quentation des artistes et des œuvres d'art, ayant d’abord connu la joie et ensuite la souffrance, Eggenschwyler revint à Paris où il exécuta, entre autres travaux, une statue de l'Amour (1), ouvrage distingué qui lui fut commandé par l'Empereur et se conserve au palais de Fontainebleau. On cite encore avec éloge son Apollon sauroctone, qui fut en- voyé, en 1820, au Musée de Strasbourg. » Notre artiste dut alors être en relation avec Jean-Victor Schnetz, qui fut pour la troisième fois, en 1852, directeur de PAcadémie de France à Rome, artiste ayant droit de compter, comme peintre d'histoire et de genre, parmi les plus savants et les plus spirituels maîtres de la nouvelle école française. Originaire de Rüttenen, au pays de Soleure, il naquit à Ver- sailles, en 1787 (2), vint fort jeune à Paris, où il se distingua par des succès précoces dans l'atelier de David (Voyez le Kunstlexikon de NAGLER) et ne put demeurer inconnu à Eggenschwyler. » Celui-ci travaillait à une statue en marbre de Napoléon, . baute de douze pieds, lorsque la chute du régime impérial brisa fatalement sa carrière d'artiste. N'ayant plus de travail et se trouvant aux prises avec les nécessités de l'existence, il végéta encore une année à Paris G), où il avait, pendant (4) Au Salon de 1812, Eggenschwyler avait exposé L'Amour jaloux d’un papillon — (A. C.\. (2) Schnetz (Jean-Victor), né à Versailles le 14 avril 1787, mort à Paris le 45 mars 1870, a été, non pas à trois reprises, mais à deux seulement (1840-46 et 1852-58), directeur de l’Académie de France à Rome — [A. C.). (3) Au Salon de 1814, il avait exposé une statue, dans les proportions de la demi-nature, représentant Uranie — (A. C.). — 151 — vingt-deux ans, subi les caprices de la fortune. Sa situation n’était rien moins que brillante, quand il rentra dans sa patrie, en 1814, sans voiture cette fois. Cependant le gou- vernement de Soleure l’accueillit avec bienveillance et lui fit une pension de deux louis d’or par mois. Le secrétaire d'Etat Friedrich von Roll (1) fut et demeura son protecteur. » Depuis cette époque, plusieurs œuvres d’une certaine valeur sortirent de sa main. Pour le gouvernement de So- leure, il sculpta un Nicolas de Flue, d’après une vieille statue de bois ; il fit aussi les bustes de Ulrich Biso, de Hans Jakob vom Stahl, et celui très estimé du dernier héros polonais Kosciusko qui, habitant Soleure, était plein de bonté pour notre artiste et le visitait souvent dans son atelier (2). » Avec l’âge son talent déclina ; les productions de sa vieillesse sont loin d’avoir la fermeté de style et la délica- tesse d'exécution qui caractérisent ses premiers travaux : l’affaiblissement moral et physique de Partiste y est visible. Cependant on peut encore citer de cette époque de sa car- rière les armoiries de Soleure, soutenues par deux lions, sur le portail de l’hôtel de ville de cette localité, de même que (1) Un membre de cette même famille soleuroise des de Roll avait tenu garnison à Besançon, s’y était marié et peut-être avait protégé les débuts de notre artiste. L'acte du mariage de cet officier suisse est relaté en ces termes dans les Affiches de la Franche-Comté du vendredi 12 janvier 1781 : « Le lundi 8 octobre, Marie-Françoise Desmier d’Archiac de Saint- Simon, fille de Louis-Marie-Etienne Desmier d’Archiac, marquis de Saint- Simon, lieutenant général des armées du Roi, commandant en second au Comté de Rourgogne, et de Claude-Jacques-Antoinette Hudelot, baronne de Pressigny, a été mariée à François-Victor-Augustin baron de Roll d'E- menholtz, capitaine au régiment suisse de Valdener, conseiller du Conseil souverain des Ville et République de Soleure, fils de Urs-Victor-Joseph baron de Roll d’'Emenholtz, ei-devant colonel commandant du même régi- ment suisse de Valdener, et d’Elisabeth de Vigier de Stembrugg. La céré- monie de ce mariage s'est faite, à onze heures du matin, dans l’église pa- roissiale et abbatiale de Saint-Vincent » — (A. C.). (2) Les relations d’Eggenschwyler avec le héros polonais étaient déjà anciennes, car notre artiste avait exposé au Salon de 1804 un Buste de Thadeus Kosciusko, ex-général en chef des armées polonaises — (A. C.), lyro quelques Crucifixs, celui entre autres de l’église de Deitin- gen, et plusieurs figures de l'Enfant Jésus. Mentionnons encore un groupe qui représente Vénus assise avec Cupidon devant elle, appartenant à M. le major Nust, ouvrage dont les formes et les draperies ne sont pas sans mérite, bien que les proportions anatomiques laissent à désirer. » Une de ses dernières œuvres fut un grand Crucifix sculpté, pour le paiement duquel une souscription avait été ouverte. Le travail étant terminé, un souscripteur s’avisa de critiquer la beauté et la jeunesse des formes données par le sculpteur au corps de Jésus. À quoi l'artiste répondit : «Je me suis toujours figuré le Sauveur comme le plus beau des enfants des hommes ». » Eggenschwyler ne forma qu’un seul élève en sculpture : un nommé Müller, de Soleure (1818), qui passa vingt-quatre ans à Paris et vit encore (l), mais a plutôt adopté les défauts que les qualités de son maitre. » Pendant deux ans (vers 1818), Eggenschwyler trouva le vivre, le couvert et un atelier chez M. Graïff-Amieth, près de la porte de Berne; plus tard il demeura chez M. Burki, sur la place du Marché, et il avait son atelier dans l’ancien hôtel des Ambassadeurs : le plus souvent il faisait venir ses repas de l’auberge de Aigle. Dans les dernières années de sa vie, il eut une existence assez désordonnée, mangeant peu et se livrant à la boisson : aussi sa pension était-elle fréquemment absorbée avant l’échéance. » Lorsqu'il fut question, en 1819 et 1890, de faire exécuter le monument de Lucerne, le grand Lion, Eggenschwyler proposa son plan et ses dessins; mais On préféra admirable modèle du Lion de Thorwaldsen (2 : notre artiste, alors usé, (1) C’est sans doute le sculpteur Karl Müller, qui exposa au Salon de 1849 la Malédiction du chanteur — (A. C.). (2) I s'agit du Lion qui symbolise à Lucerne le souvenir du dévouement des Suisses morts à Paris dans la journée du 10 août 1792 — (A. C.), ne pouvait plus offrir aucune garantie quant à l’exécution d’un plan. Le grand travail d'exécution fut confié à M. Ahorn, de Constance (1). Cependant Eggenschwyler y fut encore em- ployé ; mais il tomba du haut d’un échafaudage et contracta une maladie dont il ne put se relever. Transporté à l'hôpital CM le dénouement fatal, prévu plusieurs jours à l’avance, arriva le 11 octobre 1821, vers neuf heures du matin. Eg- genschwyler fut inhumé au cimetière de Saint-Nicolas. À son convoi solennel, organisé par le secrétaire d'Etat Friedrich von Roll, assistèrent plusieurs membres du Conseil d'Etat et beaucoup de notabilités ; on sonna la grosse cloche. et tous les hommages possibles furent rendus à lartste qui, dans ses meilleurs jours, avait fait honneur à son pays. Aucun monument n'indiquant le lieu de la sépulture d’'Eggens- chwyler, ces pages ne seront pas inutiles à la conservation de son souvenir parmi ceux de ses compatriotes qui ont Île culte des arts ». Explication des figures jointes à la Nolice : «a. Portrait d'Eggenschwyler, gravé par Taverna, d’après un buste modelé par l'artiste et conservé au Musée commu- nal (de Soleure). » b. Prix-médaille : 4° grand prix de sculpture, an X de la R. F., à P. Eggenschwyler, de Soleure. Appartient aujour- dhui à M. Frælicher, conseiller municipal, qui l’a acquis des parents de l'artiste et l’a mis gracieusement à la disposition du Kunstverein. Cette médaille est en argent fortement doré, très bien gravée par Duvivier : diamètre 56 millimètres, poids 65 deniers. — M. Friedrich Jenni en a fait une copie irès soignée pour la gravure. » à. et b. ont été gravés par Karl Jecker, de Büsserach (1) Lucas Ahorn reproduisit sur place et dans des proportions colossales le modèle envoyé de Rome par Thorwaldsen —- (A. C.). — 154 — (canton de Soleure), élève de M. Bachmann, de Zurich, comme spécimen de ses remarquables procédés xylogra- phiques. » ©. Bas-relief de Cléobis et Biton, tel qu’il se voit à l’hôtel de ville de Soleure : dessiné sur pierre par MM. Taverna, de Soleure, et Kümmerlin, d’Olten ». a te ( — 155 — ANNALES L’ANCIENNE ÉCOLE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE DE BESANÇON Délibération municipale accueillant le projet formé par le sculpteur Luc BRETON et le peintre Melchior WYrscH, pour l'établissement à Besançon d’une Ecole gratuite de peinture et de sculpture. Du 16 décembre 1771. Lecture faite de la requête des sieurs BRETON, statuaire, et WIiLcH, peintre, tendante à établir une Accadémie publique de sculpture et de peinture pour y démontrer les principes de leur art à tous les élèves qui se présenteroient, et à obtenir à ééceiel l'emplacement de la salle, la fourniture des bancs, des lampes et du modèle, l'assemblée désirant procurer, autant : que la situation actüelle de la ville peut le permettre, l’avance- ment des arts et les encourager, a renvoyé à MM. les commis- saires de Saint-Quentin (1) pour concerter avec MM. de l’Acca- démie des sciences les moyens propres à l'exécution du projet des sieurs BRETON et WILCH, et pour solliciter de la bonté de «M. le duc DE DURAS, gouverneur de la province, une salle dans le Palais de Grandvelle, l'assemblée arrêtant dès le moment que le bois nécessaire au chauffage de cette salle seroit fourni gratuitement par la ville. (1) Quartier dans lequel se trouvait le Palais Granvelle, où siégeait déjà PAcadémie des sciences, belles-lettres et arts, fondée en 1752, sous les aus- pices du duc de Tallard, gouverneur de la Franche-Comté, — 156 — Mémoire sur le projet d'établir à Besançon une Ecole gra- tuite de peinture et de sculpture, présenté à l'Intendant de Franche-Comté, par le sculpteur Luc BREroN et le peintre Melchior WYrscuH. Février 1773. (Archives du Doubs. — Intendance.) MONSEIGNEUR, Le germe des talens est dans la province; il n'attend qu'une main puissante pour le féconder. Les arts sans protection lan- guissent. Qu'on les protège, l’émulation les éveille, des maîtres habiles les développent, les récompenses les rendent laborieux, les moyens multipliés les facilitent, lambition les perfectionne. Jettez sur eux un regard favorable; on les verra naître de toutes parts. Ces dispositions innées dans la province- vous devront leur développement et leur accroissement; la distri- bution des récompenses excitera l’émulation, ils fleuriront sous vos auspices, vous deviendrez leur père en étant leur protec- teur. Déjà un de vos prédécesseurs avoit donné une preuve de son amour pour la province en appuyant l'établissement d’une Acea- démie des Belles-Lettres. Vous vous rendrez plus utile et plus cher à cette province en y établissant une Académie de pein- ture et de sculpture. Vous ouvrirez la voie de la fortune à une classe beaucoup plus nombreuse : les carrières de marbre qui avoient fourni aux talens des plus habiles étrangers, et qui bril- lent à Notre-Dame de Brou, à la métropole et dans les tombeaux des ducs de Bourgogne à Dijon, vont se rouvrir. Vous faciliterez les découvertes de ces marbres, et ces marbres multipliés dans la province deviendront pour elle un objet de commerce, dès. que la Renommée aura publié l'emploi que les hommes habiles qui vont se former sous vos auspices en auront fait. Un citoien zélé désiroit pouvoir communiquer ses connois- sances étendues à ses compatriotes. Luc BRETON, qui a remporté le prix dans la première Académie du monde, qui a laissé à Rome des ouvrages qui limmortalisent, .et qui a placé dans une | 1 1 s h 4 1 : 1 3 pe des églises de cette ville deux morceaux qui justifient la répu- tation qu'il s’est acquise, souhaiteroit que la fortune l’eût mis à même de pouvoir sacrifier tout entier ses talens à l’instruc- tion de ses concitoyens. Il préféreroit une place de professeur dans une Académie en Franche-Comté à celle qui lui est offerte à Rome, cette pépinière de tant de grands hommes dans son genre. Un habile homme, nommé Melchior WyrsCH, suisse du canton d'Undervalden, depuis plusieurs années connu à Besan- con, dont le pinceau laisse aux siècles avenirs le portrait fidèle des bienfaiteurs, aux petits neveux celui de leurs ancestres qui leur sont chers, offre au public ses talens. Daignez seconder leurs vues, et les arts vont prendre naissance. Ces deux homes habiles, forcés au travail par le caprice de la fortune, ne peu- vent donner que quelques-uns de leurs momens, et ces momens exigent encore une récompense. [ls ne pourront fournir à au- cun des frais de cette Académie, qui sont cependant indispen- sables ; les voici détaillés : Pour pouvoir établir une Académie de peinture et sculpture, il faut une salle au moins de vingt pieds en quarré. L’ameublement de cette salle consiste dans une lampe à vingt lumignons en rond, couronnés par un chapiteau qui en reçoive la fumée et la conduise hors de la chambre. Cette salle doit être échauffée par un poële, pour que le mo- dèle puisse en hiver rester nud pendant deux heures au moins, sans que le froid lui occasionne des sensations qui, en agissant sur les muscles, les contractent et en changent les gonflemens et emplacemens. Ce n’est qu'en travaillant sur la nature que les jeunes gens _ peuvent se perfectionner : il leur faut donc un modèle qui, pour . se prêter pendant deux heures au moins aux attitudes forcées qui peuvent faire le mieux remarquer l'emplacement des muscles et leur apprendre cette partie de force et de l'anatomie néces- Saire à la peinture, surtout à la sculpture, coûtera environ vingt Sols par séance. Pour poser le modèle, il faut différentes caisses ou escabelles de différentes grandeurs, et quelques coussins plats de cuir, comme les professeurs demanderont. Autour de ce modèle, en demi-cercle, il faut deux rangs de — 158 — bancs en amphithéâtre, avec des pupitres en avant, pour que les écoliers puissent y poser leurs tablettes. Par derrière ces bancs et plus élevés, il faut des chevalets destinés aux sculpteurs. L’entrée de la nuit est l’heure adoptée dans les écoles de Rome, Londre et d'Italie comme la plus convenable. En effet, les jours et les ombres sont plus sensibles, ce qui est néces- saire pour que les écoliers les saisissent indépendamment. Cest l’heure la plus commode pour les professeurs qui quit- tent alors leur attelier, et pour les écoliers qui re peuvent, sans le secours de beaucoup de lumières, employer utilement ces instants. Pour l’ouverture de l’Académie, elle se tiendra les jours et les heures qu’on sera convenu dans le règlement; et dans la séance il se trouvera toujours au moins un des professeurs qui posera le modèle et aura soin d'entretenir le bon ordre; et en même tems il travaillera pour lui, ce qui pourra servir d’émulation et de lumière aux concurrens, et dans le tems du repos du mo- dèle, il corrigera les défauts à ceux qui proposeront des diffi- cultés. Il seroit à désirer que les salles pussent attenir à leur loge- mens : la clef seroit chez un d’eux; les meubles et les fourni- tures en souffriroient moins de dommages, et on éviteroit les frais de concierge. Le modèle est ordinairement chargé de balayer la salle, d’al- | lumer le poële, la lampe, de porter le bois, ete. Lorsque les écoliers qui se livreront à la sculpture auront fait des progrès, manieront l'argile avec force et aisance, il leur faudra d'abord quelques pierres blanches, ensuite des marbres pour leur apprendre à maniérer la pierre, à se servir du ciseau et du marteau. Ces pierres, dont un petit nombre suffit, seroiïent confiées avec discernement et économie aux écoliers et pour- roient être déposées dans un hangar. Sans cette précaution, on verroit les jeunes gens à talens aller chercher dans lItalie un degré de perfection qu'ils n’auroient pu recevoir dans la pro- vince, pour ne leur avoir pas procuré les matériaux nécessaires à leur instruction. Rome et lPItalie sont, il est vrai, un champ vaste où l’on — 159 — trouve les antiques et des morceaux des plus habiles maîtres, : propres à échauffer l'imagination et perfectionner le goût. Ces voyages sont utiles à des jeunes gens déjà instruits; le coup docile leur suffit alors, mais ce qui les fixe le plus volontier dans ces pays est la facilité de se procurer des matériaux pour exercer leurs talens. Qu'on rouvre dans notre province les car- rières, l’amour des foyers ramenera nos Comtois, et les étran- gers trouvans à meilleur compte les marbres, viendront profiter des trésors que la nature nous offre. De là suivra nécessaire- ment une émulation plus grande et la perfection des arts. Qu'on établisse des prix qui encouragent si bien les émules et qui multiplient les bons ouvrages : ainsi il seroit possible de rendre cette Académie fameuse. Pour le grand avantage de la province, il faudroit établir une autre salle pour les commençans, parce qu'on ne peut admettre à la première que ceux qui sçavent déjà dessiner d’après les estampes et sont en état de travailler sur la nature. Les principes ni les leçons ne peuvent être les mêmes. Chaque enfant demande les soins continuels et les attentions de son maître. Ce n’est pas la force, la noblesse, l’ensemble et la jus- tesse du tout dont il est question pour eux, c’est de la forma- tion d’une tête, d’un pied, d’une main, d’une bouche, d’un œil, d’une oreille, etc. Le maître est par conséquent obligé de dire sans cesse. Ce bruit détourneroit les autres écoliers plus avan- cés et rendroit infructueuse l’Académie d’après la nature, le professeur étant surtout obligé de négliger l’une pour suivre l’autre. | Il faudroit donc une autre salle indépendante. Il est inutile de faire ceite école pendant la nuit : des commençans ne sont pas susceptibles des clairs, des ombres et de la force des muscles. Pour les éclairer, il faudroit une dépence inutile et nuisible à leurs yeux. D'ailleurs il seroit impossible aux professeurs dy entendre dans ces momens. Quelque précieux que soit pour ces professeurs l’enseignement des commençans, ils ne peuvent s’en charger : la fortune ne leur permet pas de perdre leurs momens ; mais on pourroit les remplacer en obligeant les plus forts de l’Académie, qui sont instruits gratis, à venir à tour en- seigner ces commençans aux heures qu'on leur fixeroit par un — 160 — règlement. Ils seront en état de les conduire au point de tra- vailler sur la nature; et si les professeurs étoient logés sous le même toit, lorsque leurs momens leur permettroient, ils pour- roient aller donner un coup-d’'œil sur cette école et veiller au maintien du bon ordre. Cest ainsi que les maîtres habiles, à Paris et ailleurs, enseignent même chez eux l’a, b, €, aux com- mençans. Il faudroit à ces élèves une collection de cent estampes au moins, bien choisies, qui comprennent depuis le commence- ment du dessin Jusqu'à son complet. Les professeurs pour- roient faire ce choix, non à leurs frais, d'autant plus utilement qu’ils connoissent le besoin des jeunes gens et ce qui est né- cessaire pour leur avancement. Il faudroit encore des morceaux en plâtre et en terre pour leur apprendre à dessiner d’après le rond de bosse. L’ameublement de cette salle consiste en chaises ou banes et pupitres. Dans les frais, il sera indispensable d'allumer du feu. On pourroit absolument se servir de la même salle pour les deux écoles, puisqu'elles ne seroient pas à la même heure. Cependant on observera que lameublement sera placé diffé- remment dans l’une et dans l’autre. Dans la salle de l’Acadé- mie, la lumière ne venant que des lampes, tous les bancs se- ront rangés autour. Dans la salle pour les commençans, ils doivent être placés suivant la disposition des fenêtres. Il faut à ces commençans des pupitres pour soutenir les es- tampes qu’ils copient; ils sont inutiles à ceux qui travaillent sur la nature. La salle étant peut-être un peu plus grande, il seroit possible de ranger les deux ateliers indépendants l’un de l’autre, et le feu qui auroit été allumé pour la première école auroit déjà échauffé la salle pour la seconde, qui exige beau- coup plus de chaleur à cause du modèle. Dans toutes les Académies, il y a un garde à la porte, qui en défend l’entrée aux étrangers qui ne viennent que par curio- sité. Leur présence dissipe les écoliers; ils interrompent par leurs questions les maîtres, gênent le modèle dont la pudeur souffrante embarrasse la respiration et déplace ainsi les os de la poitrine, en l’enflant, et les muscles du ventre. Un modèle géné et libre présente deux coups d’œil totalement différens. — 161 — Ce garde ne peut être à la charge des professeurs. Un des commissaires de police pourroit remplir cet objet, d'autant plus facilement qu'il y a toujours des invalides qui n’ont d’autres occupations que la garde de lhôtel. Pour le bon ordre de cette Académie, il est nécessaire de faire des règlemens de discipline intérieure. On pourroit aisément se procurer ceux qui sont observés dans les Académies de Rome, Paris, Marseille, Lyon et ail- leurs ; ou, si l’on souhaite, les sieurs WyYrsCH et BRETON en donneront un projet pour y prendre tel égard qu’on jugera à propos. (Cest par ces règlemens que les professeurs seront liés à l’Académie. Tout ce qu'on peut en prévoir dans ce mémoire, c’est qu'ils ne pourront quitter l’Académie qu'à la fin de l’année, et qu'ils seront obligés d’avertir au moins six mois à l'avance afin qu’on puisse les remplacer. De ce mémoire il suit qu'aucun des objets de dépenses rela- tives à cette Académie, dans l’une et dans l’autre salle, ne se- ront à la charge des professeurs. Ces professeurs, dans ces commencemens, ne demandent, pour récompense de leur zèle et assiduité, qu'un convenable logement et atelier (1) et quatre cordes de bois de bon essence, et qu'ils soient exempts de loger des gens de guerre. (Signé) Luc BRETON MeLcaior WYRSCH. (1) Dans un mémoire remis à la municipalité pour signaler les incon- vénients du local qui leur était proposé, tant pour l'Ecole que pour leurs logements, Breton et Wyrsch avaient introduit ce paragraphe qui ne se trouve pas dans le mémoire adressé à l’Intendant : « En place dudit loge- ment, les professeurs demandent cent écus et quatre cordes de bois par an à chacun ». Deux petites salles mal éclairées à l’étage, pour l’enseignement, passe encore ! Mais ces deux salles prélevées, 11 ne restait plus à l’étage que quarante-cinq pieds de large sur environ quinze de profondeur. Com- ment deux ménages pourraient-ils s'arranger dans cet espace ? Quant à la partie correspondante du rez-de-chaussée, elle était inondée à peu près chaque année, et l'éclairage y était presque nul. Or Breton avait besoin de jour pour modeler, en dehors de ses leçons, et Wyrsch ne pouvait s'en passer pour peindre. 41 — 16 Lettre de l’intendant Charles-André DE LACORÉ, transmet- tant à la municipalité de Besançon un mémoire concer- nant le projet d'établir en cette ville une Ecole gratuite de peinture el de sculpture. — Délibérations municipales acceptant cette proposilion. 15-24 février 1773. (Archives de la ville de Besançon.) A Besançon le 15 février 1773. Je joins icy, Messieurs, un mémoire qui m'a été présenté par les sieurs BRETON et WYRSCH, l’un sculpteur et l’autre peintre, dont l’objet est d'établir, sous leur direction, dans cette ville “une Ecole gratuite de peinture et de sculpture. Ce projet d’éta- ‘blissement m'a paru si intéressant, que je ne doute pas qu'ani- més des mêmes vues que moy pour tout ce qui peut contribuer ‘à l'utilité publique, vous ne concourriez avec zèle, en tout ce qui pourra dépendre de vous, à ce qui contribuera à en procurer . ‘le succès. En effet, vous savés, Messieurs, que l’industrie et les talens naturels sont en quelque façon innés dans cette pro- vince, et qu’ils n’attendent pour éclore que les secours par les- _ quels on peut suppléer au défaut de moyens dont la plupart des jeunes gens nés artistes manquent pour suivre une carrière que la nature semble leur avoir indiquée. Cest ce.que l’on a ; lieu d'espérer d’une Ecole gratuite de peinture et de sculpture, - dirigée par des maîtres d’une réputation aussi bien établie que celle des sieurs BRETON et WyrsCH, chacun dans leur genre. Ils ne demandent rien pour leurs peines, et se contentent que l’on pourvoye aux frais nécessaires qu’il ne seroit pas juste de. leur laisser supporter, et qui, à en juger par leur mémoire, for- meront un objet de dépense bien modique, en comparaison de - l'utilité générale que l’on a droit d'attendre d’un pareil établis- : sement et de l'honneur qui en résultera en particulier pour cette ville. Je vous invite donc, Messieurs, à vous occuper des moyens d’en procurer le succès, avec toute l’attention que mérite un objet aussi intéressant et tout le zèle dont vous êtes capables, — 163 — et je vous prie de me faire part de la délibération que vous aurez prise à ce sujet. Je suis très parfaitement, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur, (Signé) LACORÉ. Délibérations municipales. Du mercredi 17 février 1773. On a fait lecture d’une lettre de M. l’Intendant, en date à Be- sançon du quinze de ce mois, à laquelle était joint un mémoire à lui présenté par les sieurs BRETON, statuaire, et WIRCH, peintre, tendant au projet d'établir gratuitement en cette ville une Académie publique de dessin et de sculpture, pour y dé- montrer les principes de leur art à tous les élèves qui se pré- senteront, et à obtenir à cet effet les logemens, salles et four- nitures de bois de chauffage, modèles et estampes nécessaires pour cet arrangement. Sur quoi Messieurs, désirant seconder les vœux de M. l’In- tendant et encourager les arts et les talens autant que la situa- tion des caisses de la ville peut le permettre, ont prié MM. EGE- NOD et LAURENT et MM. les commissaires de Saint-Quentin (1) de conférer avec lesdits sieurs WIRCH et BRETON pour savoir d'eux quel peut être le montant des frais relatifs à cet établis- sement, pour, la chose rapportée à la Compagnie, y être déli- béré ultérieurement. : MM. les commissaires ont été priés de plus de faire part à M. l’Intendant des intentions de la Compagnie. Du 24 février 1773. Nouveau rapport a été fait du mémoire présenté à M. l’In- tendant par le sieur BRETON, natif de cette cité, statuaire de l'Ecole de Rome, et le sieur WIRCH, peintre, tendant au projet d'établir gratuitement en cette ville une Académie publique de (1) C'est-à-dire de la bannière ou du quartier qu'habitaient les deux ar- tistes. Per dessin et de sculpture, pour y démontrer les principes de leurs arts aux différens élèves qui se présenteront, et à obtenir à cet effet les logemens, salles, fournitures de bois de chauffage, estampes, modèles, etc., pour former ce nouvel établissement. Messieurs, délibérant sur un objet aussi important, ont arrêté que l’on remercieroit M. l’Intendant de son empressement à faire fleurir les beaux-arts dans cette capitale, que la Compa- gnie coopéreroit autant qu’il seroit en elle à favoriser les sieurs BRETON et WircH, et à seconder ces artistes dans un projet qui ne tend qu’à exciter l’émulation et à encourager les talens innés de cette province, et que MM. les commissaires des ban- nières de Saint-Quentin et de Saint-Pierre prendroient instam- ment les mesures les plus efficaces pour mettre à exécution et consolider cet établissement. Acte des engagements souscrits envers la municipalité de Besançon, par Le sculpteur Luc BRETON et Le peintre Mel- _chior WYrsSCH, pour la création en cette ville d’une Ecole gratuite de peinture et de sculpture. 47 mai 1773. (Archives de la ville de Besançon.) Extrait des délibérations de la ville de Besançon. Du lundi 17 mai 1773. Académie de Peinture et de Sculpture. MM. les commissaires députés pour conclure le projet de l'Académie de peinture et de sculpture, ont dit que, samedi dernier, ils se rendirent chez M. l’Intendant et qu'y ayant trouvé les sieurs BRETON et WyrsCH, désignés pour professeurs de cette Académie, il y fut arrêté : 40 Que ces artistes feroient leurs soumissions de résider en cette ville et d’y tenir leurs séances d’Académie, suivant un projet de règlement particulier qui sera fait pour la police de cette Académie, sçavoir le sieur WyrsCH pendant dix-huit mois, à compter depuis le 11 novembre, et le sieur BRETON pendant trois années consécutives, qui commenceront le dit jour, sans pouvoir désemparer, si ce n’est pendant le cours des vacances qui sont désignées à MM. les professeurs de l’Université de cetie ville: : 20 Qu'il sera payé aux sieurs WYyrsSCH et BRETON, et à chacun deux; annuellement la somme de trois cents livres pour leur logement, plus celle de cent cinquante livres pour les deux, pour frais de modèle dont ils pourront avoir besoin, et une autre semblable somme de cent cinquante livres pour la four- niture de l'huile et l’entretien de la lampe à dix-huit ou vingt lumignons qu'ils disent leur être nécessaire pour leurs exer- cices ; : 30 Qu'il leur sera fourni en outre, à chacun d’eux, quatre cordes de bois tant pour leur chauffage particulier que pour celui de l’entretien du feu de la salle de l’Académie, et qu’ils jouiront de l’exemption des gens de guerre tant et si longtemps qu’ils feront leurs fonctions de professeurs ; 40 Que l'Hôtel de ville fournira encore pour l’Académie une Salle dans la maison qui lui appartient, proche le rempart et derrière l’église du St Esprit, fera exhausser et ouvrir la fenêtre masquée faisant face à cette église, et fournira pour une seule fois seulement les tables, bancs et autres meubles nécessaires pour les exercices de l’Académie, et achètera la lampe à vingt lumignons, à la charge par lesdits professeurs de rendre tout ce que dessus en bon et dehu état lorsqu'ils quitteront leurs fonctions. La Compagnie a remercié MM. les commissaires, agréé et approuvé leur géré, et promis de l’exécuter, à charge par les- dits professeurs de l’approuver et ratifier par leurs signatures, et que la présente délibération sera présentée à M. l’Intendant à l’effet d’être approuvée et homologuée. (Signé) Luc BRETON. (Signé) JEAN MELCHIOR WYRSCH. Pour extrait : (Signé) BELAMY. Vu la présente délibération, Nous Intendant l’avons homo- — 166 — loguée et homologuons, pour être exécutée suivant sa forme et teneur. Fait à Besançon, le 18 juin 1773. (Signé) LACORÉ. LIVRE DES DÉLIBÉRATIONS DU BUREAU DE DIRECTION DE L’ACADÉMIE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE ÉTABLIE A BESANÇON. (Archives de la ville de Besançon.) Membres du Bureau en 1774. Protecteur. M. Charles André DE LACORÉ, chevalier, conseiller du Roi en ses Conseils, maître des requêtes honoraire de son hôtel, intendant de justice, police et finances au Comté de Bourgogne et premier président du Bureau des finances de la province. Académiciens. Du corps du Magistrat. M. Louis-Gabriel D’ORIVAL, écuyer, avocat au Parlement, vicomte mayeur et lieutenant général de police (1). M. Alexandre GILBERT DE SAINT-JOUANS, écuyer, avocat au Parlement, ancien vicomte maveur et lieutenant général de po- lice, premier échevin. M. Jean-Baptiste BRENOT, avocat au Parlement, second éche- vin. M. Henry-François EGENOD, avocat au Parlement, ancien vi- comte mayeur et lieutenant général de police, conseiller au Ma- gistrat (2). (1) L'avocat Louis-Gabriel D'ORIVAL fut désigné trois années de suite, par brevet royal, pour exercer la fonction de maire, en 1772, 1773 et 1774. Il siégea jusqu'en 1790 dans le conseil communal, dont il était le doyen depuis 1778. (2) L'avocat EGENOD, l’un des plus méritants parmi les membres de la municipalité de Besançon au dix-huitième siècle, était originaire de Moi- M. Claude-Quentin FoRAISSE, avocat au Parlement, ancien vicomte mayeur et lieutenant général de police, conseiller au Magistrat. Principaux citoyens. M. DE DAMOISEAU, directeur des fortifications (1). rans (Jura), ainsi qu’en témoigne la délibération municipale suivante, prise pour honorer ses services, le 30 septembre 1776 : « La Compagnie, voulant donner à M. Egenod une marque de l'attachement qu'elle lui porte et de la reconnoissance qu'elle ressent de ses services, a admis au nombre des citoyens le sieur Antoine-Joseph Egenod, son neveu, avocat au Parlement, originaire de Moyrans, et a chargé le secrétaire d'en expédier les lettres ». La nouvelle de la mort du digne membre de la municipalité provoqua, le lundi 3 février 1783, une délibération prise en ces termes : « Séance tenante, la Compagnie a été informée que M. Egenod venoit d’expirer. Sur quoi, chacun de Messieurs à exprimé les plus vifs regrets de la mort d’un col- lègue qui, pendant plus de quarante ans qu'il a été parmi eux, s’est rendu recommandable par ses talens, ses connoissances, ses lumières, et par un attachement inviolable au bien de l'administration. De suite, la Compagnie a fixé ses obsèques au jour de demain, à onze heures du matin, auxquelles, après avoir Jjetté l’eau bénite sur le corps, elle assistera, MM. les Maire et Echevins et les Officiers du bureau en robbes de cérémonie, le surplus de Messieurs en habits noirs, avec manteau et rabbat ou en épée ». Le Journal de la Franche-Comté, du lundi 10 février 1783, publia la notice suivante sur le regretté défunt : « Henri-François Egenod, seigneur de Marvelise, doyen de l'ordre des avocats, conseiller au Magistrat de la même ville, dont il avoit été vicomte-mayeur lieutenant général de police en 1737 et 1738, est mort le 3, âgé de 86 ans, et a été inhumé le 4 en l’église de S. Pierre, sa paroisse. On lui attribue une petite brochure sur la Coutume souchère. Il eut en 1761, à l'Académie de Besançon, le prix de la dissertation. Le sujet en étoit : Quel « élé le gouvernement politique de Besançon sous PEmpire d'Allemagne, et quelles ont été les raisons particulières de la devise de cette ville, de ses armoiries et de celles de ses quartiers ou bannières? M. Egenod est encore auteur de divers ouvrages sur des sujets de prix proposés par cette Académie, tels que lOrigine de la main-morte, et il a laissé d’amples recherches sur l’histoire de Besançon ». On lit en effet dans l’'Almanach tle la Franche-Comté pour 1773 (p. 9) : «M. Ege- nod, ancien vicomte mayeur lieutenant général de police et conseiller ho- noraire au Magistrat de Besançon, s'est occupé de l'histoire de cette Ville et de la Province, en 3 volumes in-4° : il se propose d’en faire paroitre le premier l’année prochaine ». | (1) L'ingénieur militaire DE DAMOISEAU, qui appartenait à une famille noble du duché de Bourgogne, fut envoyé à Besançon, comme ingénieur ordinaire, en 1752 : il y devint successivement colonel et ingénieur en chef, — 168 — M. le chevalier DE SORANS, ancién capitaine au régiment du Roi, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis (1). M. DE VREGILLE, capitaine d’artillerie, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis (2). M. DE ROMANGE, chanoiïine-chantre de l’église collégiale et paroissiale de Ste Marie Magdeleine (3). puis brigadier, enfin maréchal des camps et armées du Roi : en 1774, il suppléa, comme directeur des fortifications en Franche-Comté, Charpen- tier de Cossigny, envoyé pour la seconde fois à l’Ile-de-France. Sa bien- veillance éclairée l’avait rendu très sympathique à la population bisontine, et ce fut aux applaudissements de tous que la municipalité le fit citoyen d'honneur, par une délibération en date du 6 septembre 1769, qui est ainsi conçue : « La Compagnie a également délibéré que le secrétaire expédie- roit des lettres de citoyen, au grand sceau de la Cité dans une boite de vermeille, à M. Louis-Armand-Désiré pE DAMOISEAU, chevalier, seigneur de Colombier, Montfort, ete., colonel d'infanterie, ingénieur en chef des ville et citadelle de Besançon, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, pour donner des marques de sa reconnoissance à mondit sieur de Damoiseau des bons offices et des services qu'il a rendus à la Cité dans toutes les occasions ». L’intelligent et aimable ingénieur ne cessa, jusqu’à son départ en 1785, de s'intéresser aux embellissements de la ville de Besançon : lorsque la création de la promenade de Chamars fut entre- prise, en 1773, au moyen d’une souscription publique, M. de Damoiseau se réunit au marquis de Villersvaudey pour recevoir les offrandes desti- nées à procurer cet embellissement. Son fils, le baron Marie-Charles-Théo- dore de Damoiseau, né à Besançon en 1768, a été membre de l’Académie des sciences et du Bureau des Longitudes. (1) Claude-Antoine DE ROSIÈRE, chevalier DE SORANS, habitait l'hôtel, situé dans la Grande-Rue de Besançon, qui encadre les vestiges du Capitole de la ville romaine : il y avait réuni des œuvres d'art et des curiosités d’his- toire naturelle, voulant léguer les premières à l'Ecole de peinture et de sculpture, et les secondes à l’Académie de Besançon. Lors des proserip- tions révolutionnaires, bien qu'il fût accablé d’infirmités, il n’hésita pas à s’enrôler dans l’armée du prince de Condé, où il servit jusqu'à sa mort. Ses collections, qui avaient été confisquées, furent rendues à son frère « malgré le Conseil de PEcole centrale, qui invoquait la double sanction des évènements et des intentions du chevalier ». (Marquis DE SAINT-MAURIS, Saint-Georges. p. 212; S. Droz, Collège de Besançon. pp. 98-99.) (2) François-Désiré COURLET DE VREGILLE devint lieutenant-colonel d’ar- tillerie. (3) Pierre-François MATHEROT DE ROMANGE, chantre, c'est-à-dire second dignitaire du chapitre de Sainte-Madeleine, corps ecclésiastique qui avait pour doyen de droit le grand trésorier de l’église métropolitaine. — 169 — Le Sr Nicolas-Joseph BELAMY, avocat au Parlement, secrétaire de la Ville et de l’Académie (1). Professeurs. Le sieur Melchior WIRCH, pour la peinture. Le sieur Luc BRETON, pour la sculpture. Le sieur Claude-Joseph FRAICHOT, professeur agrégé pour l'instruction des élèves commençants. Séance du 8 mars 1774. M. DE LACORÉ, intendant et protecteur. M. LE MAIRE. M. le chevalier DE SORANS. M. DE SAINT-JOUANS. ND Ne CU ne M. BRENOT. M. EGENOD M. le chanoine DE ROMANGE. M. FORAISSE. Le sieur BELAMY, secrétaire. Règlement. M. l’'INTENDANT à fait l'ouverture de la séance par un discours sur l'utilité d’une Académie de peinture et de sculpture, sur les avantages qui doivent en résulter pour la province et particu- lièrement pour la ville de Besançon, avantages qu’il s’est pro- posé en procurant à la ville, comme il le fera encore dans la suite, les moyens et les ressources nécessaires pour former et soutenir un établissement destiné à exciter et encourager les talens et à faire germer et fructifier le génie des Beaux-Arts dans cette capitale. La Compagnie a unanimement applaudi au zèle de M. DE . (1) L'avocat Nicolas-Joseph BELAMY, secrétaire de la municipalité depuis 1772 jusqu’en 1790, a laissé de lui le souvenir d'un homme capable et labo- rieux. Sa prudence, peut-être excessive, le mit aux prises, à la fin de juillet 1789, avec un voyageur anglais peu endurant, Arthur Young, qui, dans le premier volume de ses Voyages en France (trad. fr., p. 438), a reproduit, non sans aigreur, les termes de son altercation avec le secrétaire muni- cipal, au sujet du refus de délivrance d’un passe-port à un étranger n'ayant personne en ville dont il pût se recommander. LACORÉ, l’a remercié de ses soins et de sa vigilance, et a pro- mis de seconder, autant qu’il dépendroit d'elle, la sagesse de ses vues et son empressement pour le bien public. Instamment lecture a été faite du règlement, en forme de statuts, dressé par Messieurs du Magistrat pour la police de l'Académie (1), et dont la teneur suit : « RÈGLEMENT pour l’Académie de peinture et de sculpture de Besançon fait par les Vicomte Mayeur lieutenant général de police, Echevins et Conseillers-Assesseurs de la Cité royale de Besançon. » M. DE LACORÉ, intendant et commissaire départi en Fran- che-Comté, nous ayant fait part, dans sa lettre du quinze février de l’année dernière, du désir que son amour du bien public et sa bienveillance particulière pour la ville de Besançon lui ont fait naître d’y voir établir une Ecole gratuite de peinture et de. sculpture pour l'instruction des jeunes élèves qui se destinent. à ces sortes d'arts, nous nous sommes empressés de concourir aux vues patriotiques de ce Magistrat, qui n’ont pour effet que l'avantage de cette province et le progrès des arts; et ne vou- lant pas en conséquence différer de lui donner des preuves de notre zèle dans cette Occasion, nous avons, pal n0S délibéra- tions des 17 et 24 février et 17 mai de ladite année, pris les me- (1) Une première rédaction de ce règlement, due à l’infatigable avocat Egenod, avait été adoptée par la municipalité, le 20 décembre 1773; mais l’Intendant n’y étant pas indiqué comme créateur et maitre de l'institution, le préambule de l'acte dut être remplacé totalement. Voici le préambule de cette première rédaction : « Les statuts et règlemens des arts et métiers dont nous nous sommes occupés jusqu’à présent, et la protection que nous avons accordée aux maitres des différentes professions, ont attiré dans la Cité nombre d'ouvriers et d'architectes qui s’y sont distingués et s’y distin- guent encore par leurs talens ; nous avons même vu l’émulation s'accroitre parmi eux, depuis surtout qu’en 1752 nous crûmes pouvoir destiner une portion des deniers publics à la fondation d’un prix annuel pour les arts. Quels autres progrès ne devons-nous pas attendre de l'établissement d'une Académie de peinture et de sculpture que nous venons d'établir à Besan- con, en désignant par choix deux professeurs pour y donner publiquement leurs leçons ? Pour consolider un établissement aussi utile, nous avons cru M devoir nous occuper d’un règlement de police pour maintenir l’ordre parmi les élèves de cette Académie ». | ni sures nécessaires pour la formation d’une Académie de pein- ture et de sculpture; mais nos soins devant s'étendre sur la police et sur la discipline dont est susceptible un établisse- ment aussi intéressant pour le publie, nous nous sommes occu- pés de la rédaction d’un règlement qui y pourvoira ainsi qu'il suit : » Article I. — L'Académie de peinture et de sculpture établie à Besançon, en exécution des délibérations ci-dessus énoncées, sera composée, quant à présent, de deux professeurs princi- paux, l’un pour la peinture et l’autre pour la sculpture, et d’un professeur -adjoint pour l'instruction des commençans aux- quels il sera nécessaire de donner les premiers-principes du dessin. » Article IT. — Pour remplir les places de professeurs, nous avons nommé et choisi le sieur Melchior WIRCH, pour la pein- ture, le sieur Luc BRETON, pour la sculpture, et le sieur Claude- Joseph FRAICHOT, en qualité de professeur-adjoint pour l’ins- truction des élèves commencçans, nous réservant, en cas de va- cance, démission ou autrement, de nommer aux places telles autres personnes que nous jugerons à propos, après néanmoins qu’elles auront été agréées par M. l’Intendant (1). » Article IIT. — Les professeurs, ainsi que les élèves de ladite Académie, seront soumis à la juridiction d’un Bureau de direc- tion, lequel sera composé de M. l’Intendant en qualité de pro- tecteur de ladite Académie et président dudit Bureau, de M. le Maire, des deux premiers Echevins, des deux plus anciens Conseillers du Magistrat, de quatre amateurs choisis dans les principaux citoyens de la ville, et d’un secrétaire; en cas d’ab- sence de M l'Intendant, ledit Bureau sera présidé par M. le Maire ou le plus ancien des Echevins ou Conseillers du Magis- trat (2). (1) La rédaction primitive disait : « nous réservant, en cas de vacance, démission ou autrement, d'y nommer telles autres personnes que nous Jugerons à propos, aux mêmes honneurs, gages, privilèges et exemptions que nous avons accordés aux sieurs Wirch et Breton ». (2) Dans la rédaction primitive, cet article était ainsi conçu : « Les pro- fesseurs et les élèves de ladite Académie demeureront soumis à la Juridie: tion d’un Bureau de direction qui sera composé de MM. les Maire et Eche- — 172 — » Article IV. — Ledit Bureau de direction s’assemblera tous les mois, au jour qui sera indiqué, et plus souvent s’il est né- cessaire, pour entendre les professeurs sur l’état de leur Ecole et les progrès de leurs élèves, délibérer sur les difficultés qui pourront survenir, ainsi que sur les propositions qui pourront être faites pour l’avantage de ladite Académie : à l'effet de quoi il sera tenu, par le secrétaire qui assistera à l’assemblée, un registre sur lequel lesdites propositions et délibérations seront inscrites. » Article V. — Chaque année, l’un des professeurs donnera à l’alternative un morceau d'étude, et, une fois seulement, une pièce de sa composition, qui resteront dans la salle de l’Aca- démie , et si, par la suite, quelques maitres dans l’un ou l’autre de ces arts vouloit se faire agréger à ladite Académie, ils seront astreints aux mêmes conditions. » Article VI. — Lesdits professeurs auront les mêmes va- cances que celles qui sont observées pour l'Université de cette ville : en conséquence ils seront dispensés de donner leurs leçons publiques depuis Noël jusqu'aux Rois, pendant la hui- taine de Carnaval, depuis le dimanche des Rameaux jusqu’à celui de Quasimodo, du jour de lAscension au lundi d’après. l’octave de la Fête-Dieu, et depuis le sept septembre jusqu'au lendemain de la Saint-Martin. » Article VIT. — Les leçons desdits professeurs seront de deux heures chaque jour, sgavoir en hiver depuis 5 heures jus- qu'à 7 heures du soir, et l’été depuis 6 jusqu’à 8 heures, à moins que les grandes chaleurs ne leur fassent préférer de les donner depuis 5 jusqu’à 7 heures du matin, auquel cas ils se=. ront tenus d'en faire avertir les élèves pour qu'ils puissent se rendre aux heures qu'ils auront indiquées. » Article VIIT. — Les salles de l’Académie seront ouvertes pour les leçons aux heures ci-dessus désignées tous les jours de la semaine, excepté le jeudi, à moins qu’il ne se trouvât une fête dans le cours de la semaine, auquel cas les salles seront ouvertes pour les leçons le jeudi. vins et des deux plus anciens Conseillers au Magistrat. M. l'Intendant pré- sidera à ce Bureau lorsque ses affaires lui permettront de s’y rendre ». PRET, SAT ee D — 173 — » Article IX. — Les professeurs seront tenus d’assister en- semble aux leçons; ils placeront alternativement, de quinzaine en quinzaine, le modèle dans le lieu le plus convenable de la seconde salle destinée à cet effet, et ils veilleront à ce que pen- dant toutes les séances la décence et le bon ordre y soient ob- servés. » Article X. — Le professeur-adjoint, destiné à donner les premiers principes du dessin aux jeunes élèves, donnera ses leçons dans la première salle servant d'entrée à celle de l’Aca- démie, et il aura l’attention de se concilier avec Îles professeurs de ladite Académie pour l’heure à laquelle il donnera sesdites leçons, de manière qu’elles ne puissent nuire dans aucun cas à celles que lesdits professeurs donneront dans la seconde salle; il aura soin de faire dessiner les jeunes gens d’après les des- sins qui leur seront soumis et ensuite d’après la bosse, jusqu’à ce qu'ils soient en état de travailler dans la seconde salle d’après le modèle. » Article XI. — Tous les citoyens et habitans de la ville de Besançon, ainsi que ceux de la province, qui se présenteront pour élèves de l’Académie, y seront reçus sans frais aucuns, en justifiant par eux de leurs bonnes vies et mœurs, pourvu qu'ils aient au moins l’âge de douze ans commencés et qu'ils aient les premiers principes du dessin. » Article XIT. — Les professeurs placeront le modèle, et les jours qu’il y aura pose nouvelle, les élèves ne pourront entrer dans la salle que lorsqu'ils y seront appelés, et ils y occuperont les places que lesdits professeurs leur désigneront suivant leurs besoins et leurs connoissances. » Article XIII. — Les élèves auront pour les professeurs la déférence et les égards que leurs places exigent; et s’il arri- voit que quelques uns d’entre eux vinssent à manquer essen- tiellement, ou causassent dans les salles du trouble contraire au bon ordre qui doit y être observé, lesdits professeurs en informeront M. le Maire, pour que, par le Bureau de direction, il soit ordonné ce qui se trouvera au cas appartenir. » Article XIV. — Les leçons de l’Académie se donneront pu- bliquement ; il sera libre aux honnêtes gens, et surtout aux amateurs, de s’y présenter lorsque bon leu: semblera, en gar- — 174 — dant la décence qui convient pour ne causer aucune distraction aux élèves. » Fait et arrêté au Conseil, le 20 janvier 1774. » Signé : BELAMY » (1). Conformément au règlement, M. l’'INTENDANT, en qualité de président et de protecteur de l’Académie, a pris séance à la tête du Bureau. A sa droite se sont placés de suite M. D'ORIVAL, vicomte mayeur et lieutenant général de police, MM. DE SAINT- JOUANS et BRENOT, premier et second échevins, et MM. EGENOD et FORAISSE, conseillers, tous deux membres du Magistrat et en leur qualité d’académiciens nés. En face de MM. du Magis- trat se sont placés : M. le chevalier DE SORANS, chevalier de l’ordre royal et militaire de St Louis, ancien capitaine au régi- ment du Roi-Infanterie; M. DE VREGILLE, capitaine d'artillerie, et M. DE DENNES DE ROMANGE, chanoine et chantre de l’église collégiale de Ste Marie Magdeleine, académiciens et amateurs choisis dans les principaux citoyens de Besançon, de même que M. DE DAMOISEAU, chevalier de l’ordre royal et militaire de St Louis, brigadier des armées du Roi et ingénieur en chef à Besançon, absent quoique invité. Secrétaire. La Compagnie a élu et nommé le sieur BELAMY, avocat au Parlement, secrétaire de la Ville, pour faire et remplir les fonc- tions de secrétaire de l’Académie. Fixation des séances ordinaires. Il a été réglé que les séances ordinaires de l’Académie se tiendroient le premier mardi de chaque mois, et que les déli- bérations pourroient s’y prendre dès que les membres du Bu- reau $’y rencontreroient au nombre de cinq. (1) Ce document a été imprimé lors de sa promulgation : il forme un. cahier de 7 pages du format in-4° portant ce titre : Règlement pour l’Académie de peinture et de sculpture de Besançon, fait par les Vicomte-Mayeur Lieutenant général de police, Echevins et Conseil- lers-Assesseurs de la Cité royale dudit Besançon. À la fin est cette mention : « De l'imprimerie de Q. J. BoGILLOT ». — 175 — Etat de l’Académie. Les sieurs WyrCH et BRETON, professeurs de peinture et de Sculpture nommés par le règlement et appelés à cette séance, ont présenté à la Compagnie plusieurs morceaux de dessin faits d’après le modèle par les élèves de l’Académie. Messieurs, après avoir reconnu les progrès successifs desdits élèves, en ont té- moigné leur satisfaction aux professeurs. Principes du dessin. M. DE LACORÉ, toujours attentif pour le progrès d’un établis- sement dont il est l’auteur, a présenté au Bureau un recueil très-nombreux d’estampes gravées en manière de crayon et autrement, et choisies parmi celles des meilleurs maîtres, qu'il a fait venir de Paris à ses frais pour servir à former des élèves commençans qui ne sont pas encore en état de dessiner d’après le modèle. LES La Compagnie a remercié M. DE LACORÉ, et lesdites estampes ont été instamment remises au sieur FRAICHOT, professeur-ad- joint pour l'instruction des commençans dont il est spéciale- ment chargé, et il a été arrèté que l’on avertiroit le public par des affiches et qu’on feroit insérer dans la Feuille hebdoma- daire de la province que le dit sieur Fraichot commenceroit incessamment la leçon des principes (1). Etudes. Les professeurs de l’Académie étant tenus par l’article V du règlement de donner chacun pour une fois seulement une pièce (D) L'insertion eut lieu en ces termes : « Le sieur Claude-Joseph Fraï- CHOT, peintre, demeurant rue de Battant, professeur de l’Académie de peinture et de sculpture, commencera, lundi 11 du présent mois, ses leçons de principes de dessin, dans la salle de l’Académie de Besançon, à six heures du soir, et continuera suivant le règlement fait par Mrs les Offi- ciers municipaux ». (Affiches et annonces de la Franche-Comté, n° du 8 avril 17/4.) — La municipalité eut ensuite à délibérer sur la question de procurer le chauffage au cours élémentaire de dessin. Elle délibéra à cet égard dans les termes suivants : « Sur la demande faite par le sieur FRAI- CHOT, agrégé à l’Académie de peinture et de sculpture pour y démontrer — 176 — de leur composition qui restera dans la salle de l’Académie, les sieurs WIiRCH et BRETON ont présenté, pour remplir cette obli- gation de leur part, savoir le sieur WrrCH de faire un tableau de M. DE LACORÉ, et le sieur BRETON de donner une pièce en relief analogue à l'institution de l'Académie, la Compagnie a applaudi à cette proposition et a engagé lesdits professeurs à les mettre à exécution le plus tôt possible. A la séance de l’Académie de peinture et de sculpture du les principes du dessin, d’une fourniture de bois, chandelle et ustensiles qui lui sont nécessaires pour donner ses leçons, la Compagnie a prié M. EGENOD de donner ses ordres pour procurer la dépense purement né- cessaire et indispensable pour cet objet ». SR M. DE LACORÉ a dit que pour faire naître et encourager l’ému- lation parmi les élèves qui féquentent l’Académie, il avoit ré- solu de leur faire distribuer à ses frais des prix jusqu’à concur- rence d’une somme de cent cinquante livres, et il a consulté Messieurs sur la manière dont il étoit convenable que se fit cette distribution. Sur quoi la Compagnie a remercié M. DE. LACORÉ de la libéralité qu'il veut exercer à l’égard des élèves mardi 6 décembre 1774, à laquelle ont assisté : . DE LACORÉ, intendant de Franche-Comté ; . le MAIRE, M. le chevalier DE SORANS, . DE SAINT-JOUANS, . BRENOT, M. DE VREGILLE, . ÉGENOD, FORAISSE, Le sieur BELAMY, secrétaire. Séances. La Compagnie, par sa délibération du 20 mars dernier, ayant arrêté que les séances ordinaires de l’Académie se tiendroient le premier mardi de chaque mois, il a été néanmoins délibéré qu’on ne les convoqueroit que dans le cas où il seroit conve- nable de le faire et où les circonstances pourroient l’exiger. Prix. — 177 — qui fréquentent l’Académie, et, délibérant sur la proposition par lui faite, elle a pensé que les prix ne pouvoient être distri- bués qu'après un concours publie, et aux particuliers qui au- roient rempli avec plus de correction les sujets proposés par les professeurs ; qu’il convenoit que des cent cinquante livres on désignât trois prix, dont deux seroient affectés pour ceux qui auroient le mieux réussi dans les dessins, soit au crayon, soit au rond de bosse, copiés d’après nature, et le troisième à celui des commençans dont le dessin sur copie seroit jugé devoir le remporter; que le concours devoit se faire sous les yeux des professeurs qui présenteroient à la Compagnie les ouvrages des concours et la mettroient en état d’asseoir son jugement et de faire la distribution à ceux qui seroient les plus dignes; enfin qu’il paroissoit que des médailles étoient le prix le plus conve- nable, avec d'autant plus de raison qu’elles étoient la palme adoptée par toutes les Académies. M. DE LACORÉ ayant réuni son suffrage à celui de Messieurs, il a été arrêté que le con- cours seroit fixé pour le 6 mars 1775, et que les prix se distri- bueroient sur le jugement de la Compagnie, le deux mai de la même année (1). Séance du 17 février 1775, à laquelle ont assisté : M. DE LACORÉ, intendant de Franche-Comté ; M. le MAIRE; M. le chanoine DE ROMANGE; M. D’OrIvAL, échevin; Les sieurs BRETON et FRaAI- MéDE VAUX, id. CHOT, professeurs de des- M. EGENOD ; | Sin; M. FORAISSE; Le sieur BELAMY, secrétaire. (1) L'annonce suivante eut lieu à cet égard dans le numéro du vendredi 13 janvier 1775 des Affiches de la Franche-Comté : « Avis. L'Académie de sculpture et de peinture, établie à Besançon, rassemble aujourd’hui plusieurs élèves dont l’ardeur et les dispositions, dirigées par MM. Breton et Virsch, annoncent à la Franche-Comté des artistes qui lillustreront encore en ces deux genres. M. de Lacoré, intendant de la province, qui s'intéresse au progrès de cet établissement dont il est l’auteur, charmé de voir régner l’'émulation parmi ces élèves, veut encore l’exciter par ses bien- faits. En conséquence, il fera distribuer, dans le cours du mois de mai 12 — 178 — Prix. Un de Messieurs a dit que les vues patriotiques de M. DE LACORÉ, pour soutenir l'établissement de l’Académie de peinture et de sculpture, et exciter l’émulation parmi les élèves qui la fréquentent, l’avoient porté à accorder une somme de cent cinquante livres pour être distribuée en différens prix aux élèves en la présente année; que la Compagnie avoit bien dé- terminé le temps du concours, qu’elle avoit arrêté que la dis- tribution se feroit en médailles, mais qu’elle n’avoit encore pu statuer sur la forme de ladite médaille et sur la règle qui devoit être observé parmi les concurrens : à quoi il étoit important d'aviser. La chose mise en délibération, la Compagnie a arrêté : 10 que l’on n’admetteroit au concours que des personnes originaires de Besançon ou de la province de Franche-Comté; 2° que ceux qui copient d’après nature ne seroient point admis à concourir parmi les commençans ; 3° que dans le cas où il ne se trouve- roit pas des élèves qui dessinassent en relief ou en rond de bosse d’après nature, le prix destiné pour la sculpture seroit distribué à ceux qui auroient dessiné au ‘crayon également d'après nature ; 4° qu'une seule personne travaillant à la sculp- ture ne pourroit emporter le prix qui y est affecté, mais qu’elle seroit admise à la concurrence avec ceux qui auroient travaillé au crayon par la comparaison de ses ouvrages avec les leurs. À l’égard de la forme des médailles, le secrétaire en à pré- senté une en or destinée pour le prix des arts à l’Académie des Sciences et Belles-Letires, représentant d’un côté les armes de la ville de Besançon et au revers ayant pour devise : Præmium artium in Academia Vesontina (1). prochain, trois prix dont il fera lui-même les frais, et qui seront décernés aux jeunes disciples qui auront fait le plus de progrès et qui en auront donné des preuves au concours qui sera ouvert au commencement du mois de mai prochain. C'est ainsi que M. l'Intendant acquiert tous les jours de nouveaux droits à la reconnoissance des habitans de cette province, et qu'il se rend digne d’être immortalisé par les arts qu’il encourage ». (1) Cette médaille, dont les coins sont conservés au Musée de la Monnaie de Paris, peut être décrite en ces termes : Diamètre, 0",040. Au droit, une als LA vd Ed sh nn he sat. bts c- 13 — 179 — La forme de cette médaille a paru convenable à la Compa- gnie, qui a chargé le secrétaire d'écrire à Paris pour en faire frapper trois en argent, dont l’une seroit dorée et destinée pour le premier prix. Règlement. M. le chanoine de Romange a fait lecture d’un mémoire soute- nant différentes observations qu’il a faites sur certains abus qui paroissent s’introduire et qui pourroient se multiplier par la suite dans la salle de l’Académie; il a été remercié, et la Com- pagnie a prié M. le Maire et mondit sieur de Romange de s’oc- cuper d’un règlement concernant la police qui doit être observée dans lesdites salles, A la séance du mardi 2 mai 1775, à laquelle ont assisté : M. DE LACORÉ, intendant de la Franche-Comté; M. le MAIRE; M. le chevalier DE SORANS ; M. D'ORIVAL, échevin; M. DE ROMANGE; MÉPDE VAUX: 1d.; Les sieurs BRETON, WIRCH et M. EGENOD ; FRAICHOT, professeurs de l’A- M. FORAISSE: cadémie ; Le sieur BELAMY, secrétaire, Distribution de prix. M. DE LACORÉ a ouvert la séance par quelques réflexions sur les progrès que font chaque jour les élèves de l’Académie. Après quoi il a fait représenter à la Compagnie les ouvrages de ceux qui ont concouru pour les trois prix sur les sujets proposés par les professeurs, savoir : la copie d’après nature d’un soldat romain nud, lançant de la main droite son javelot et tenant son bouclier de la main gauche ; 2% une copie de la statue antique du Gladiateur combattant, faite sur modèle en rond de bosse; 3° la copie d’un dessin quelconque au crayon; et M. DE LACORÉ a aigle regardant à gauche et portant deux colonnes debout dans ses serres, sous une banderole où se lit le mot UTINAM. Au revers, une couronne de laurier, nouée en haut et en bas, englobant ces mots : PRÆMIUM | ARTIUM | IN | ACADEMIA | VESONTINA. — 180 — prié Messieurs de juger ces ouvrages et d’arrêter la distribution des prix. | Sur quoi la Compagnie, après une délibération et sur l’avis des professeurs, à arrêté : que le sieur CHAZERAND, de Besan- çon (1), méritoit le premier prix, et que le sieur JOURDAIN () auroit l’accessit ; que le sieur GUILLON devoit avoir le second prix et le sieur PÉQUIGNOT (3) laccessit ; enfin que parmi les commençans le sieur CHABOZ avoit le mieux rempli le sujet proposé, et que le sieur MOUTRILLE étoit digne de l’accessit. En conséquence, les portes de la chambre du conseil ayant été ouvertes, et les élèves y étant entrés, M. DE LACORÉ a an- noncé la distribution des prix suivant la délibération prise par la Compagnie, et l’a faite réellement ainsi qu’il suit : Au sieur CHAZERAND, une médaille dorée avec dix estampes en onze pièces ; Au sieur GUILLON, une médaille en argent avec six estampes ; Et au sieur CHABOZ, une troisième médaille en argent avec cinq estampes. M. DE LACORÉ a aussi annoncé publiquement que ledit sieur JOURDAIN, pour le premier prix, le Sieur PÉQUIGNOT, pour le second, et le sieur MOUTRILLE, pour le troisième, en avoient mérité les accessit, et il a terminé cette séance publique par un discours adressé aux élèves, où il a exprimé les motifs les plus propres à encourager leurs talens et à exciter leur émulation. Portrait de M. de Lacoré. Le sieur WIrCH, professeur, a présenté à la Compagnie le portrait de M. DE LACORÉ, qu'il a fait en exécution de l’article V du règlement du 20 janvier 1774 qui assujétit les professeurs à donner, une fois seulement, un morceau de leur composition. Messieurs ont loué l'expression de ce tableau, délibéré qu'il resteroit à l’Hôtel-de-Ville jusqu'à ce que l’Académie ait une salle où elle puisse le placer (4). (4) Voyez ci-dessus la notice consacrée au peintre CHAZERAND. (2) Voyez ci-dessus la notice qui concerne François JOURDAIN. (3) Quelques mots sur Antoine PÉQUIGNOT, le sculpteur, se trouvent dans la notice ci-dessus consacrée au paysagiste Jean-Pierre PÉQUIGNOT. (4) L'accueil fait par la municipalité à ce portrait est consigné dans une AA Règlement. La Compagnie a ensuite arrêté un règlement de discipline à observer dans l’Académie et en a ordonné l'exécution. Teneur du dit règlement. — « Messieurs du Magistrat, tou- jours empressés de faire fleurir les arts dans une ville aussi con- sidérable que celle de Besançon et de concourir aux vues pa- triotiques de M. de Lacoré, intendant et commissaire départi en la province, ont cru devoir s'occuper de la formation d’une Aca- démie de peinture et de sculpture, et pourvoir, par un règle- ment provisionnel du 20 janvier 1774, à la police et à la disei- pline dont leur paroissoit susceptible un établissement aussi intéressant. Les progrès que l’on y fait et la multitude des élèves qui y accourent ont surpassé leur attente et la nôtre, et aujourd’hui, malgré nous, nous nous trouvons dans le cas d’en fixer le nombre pour prévenir des abus toujours inséparables de la multitude, Jusqu'à ce que des temps plus heureux permet- tent de donner plus d’étendue au logement de ladite Académie. À ces causes, nous ordonnons : » Art. [. — Que, conformément aux dispositions de Part. VII dudit règlement du 20 janvier 1774, les professeurs continueront de donner leurs leçons aux jours et heures qui y sont désignées. » Art. II. — Ne seront les salles de l'Académie ouvertes que pour les heures des leçons publiques, et nous faisons une ex- presse défense à aucun des élèves d’y entrer auparavant, à moins qu’il n’en ait la permission d’un des professeurs, et pour cause légitime. » Art. [TL — Il leur est également défendu de se saisir par eux mêmes et de transporter au dehors des salles aucun des plâtres, pièces et morceaux d'étude. délibération, en date du 11 mars 1775, dont voici les termes : « La Com- pagnie informée que le sieur Wircx, professeur à l’Académie de dessin, veut donner pour pièce de sa composition, ainsi qu'il y est astreint par l’article 5 du règlement du 20 janvier 1774, un tableau représentant M. de Lacoré, il a été délibéré que la ville feroit les frais de la bordure ». Ce ta- bleau a été brülé en 1793 : de sorte qu'il ne reste à Besançon, en fait d'image de Charles-André de Lacoré, qu'un portrait ovale, ayant pour pendant un portrait de Madame de Lacoré, répétitions faites par Wyrsch d’après ses portraits originaux. Ces deux toiles appartiennent à M. Paul Viancin. — 182 — » Art. IV. — Ils se rendront assidus aux leçons publiques, se mettront dans les places que les professeurs leur désigneront, sans en pouvoir prendre d’autres; ils garderont un silence pro- fond, auront la tête découverte et se comporteront avec toute la décence convenable. » Art. V. — Ils ne pourront sous aucun prétexte emporter les estampes qu’on leur aura confiées pour copier, et si le profes- seur, par abstraction ou autrement, avoit remis cette même estampe à un autre élève, celui qui en avoit précédemment l'usage ne pourra la reprendre que de l'agrément du professeur, qui la donnera s’il le juge à propos. » Art. VI. — Les élèves se rendront seuls aux leçons pu- bliques, sans pouvoir y en amener d’autres avec eux, et ils auront pour les professeurs toutes les déférences et les égards que leurs places exigent. » Art. VII. — Auront cependant les honnêtes gens, et surtout les amateurs, la liberté de se présenter aux leçons publiques lorsque bon leur semblera, ainsi qu'il est prescrit par l’art. XIV du précédent règlement. » Art. VIII. — Les professeurs placeront le modèle; et les jours qu'il y aura pose nouvelle, nous réitérons les défenses, faites par l’art. XII dudit règlement, aux élèves d'entrer dans la salle s'ils n’y sont appelés, et y étant appelés, ils se conten- teront de la place que les professeurs leur désigneront, suivant leurs besoins et leurs connoissances. » Art IX. — Le professeur adjoint, destiné à donner les pre- miers principes du dessin aux Jeunes élèves, continuera ses leçons dans la salle servant d'entrée à celle de l'Académie; et sur le rapport qui nous a été fait que cette salle ne pouvoit contenir que trente élèves, nous les avons réduits quant à pré- sent à ce nombre; invitons en conséquence ledit professeur de remettre à M. le Maire un état contenant les noms, âges, qua- lités et demeures de tous les élèves qui se rendent habituelle- ment à ses leçons, ainsi que leurs bonnes mœurs, pour, de l'avis de MM. du Bureau de direction, être fait choix des trente élèves qui continueront d'assister auxdites leçons : les citoyens et habitans de Besançon, et successivement ceux de la province, préférés aux étrangers. — 183 — » Art. X. — Aucun autre élève, que ceux compris dans le choix qui sera fait, ne pourront se présenter auxdites leçons publiques, et, dans le cas où il viendroit à vaquer quelques- unes desdites trente places, il y sera pourvu, comme il est dit ci-dessus, par MM. du Bureau de direction, sur un certificat de bonnes vie et mœurs de l’aspirant, s’il a l’âge de douze ans commencés et les premiers principes du dessin. » Art. XI. — La constante exactitude que nous avons remar- quée dans les professeurs, à donner leurs leçons aux jours et heures désignés par le règlement du 20 janvier 1774, nous fait espérer que les élèves continueront de s’y rendre avec la même exactitude ; S’i arrivoit cependant qu'aucun deux discontinuât d’être assidu, nous invitons les professeurs à le rappeler chari- tablement à ses devoirs, et, en cas d’une récidive marquée ; d’en informer M. le Maire, afin que sur son rapport il y soit pourvu par MM. du Bureau de direction. » Seront au surplus les dispositions contenues dans le règle- ment du 20 janvier 1774 exécutées suivant leur forme et teneur. » Fait et arrêté à la séance de l’Académie, tenue le.2 mai ITEM ADO À la séance du lundi 11 décembre 1775, à laquelle ont assisté : . DE LACORÉ, intendant de la Franche-Comté ; . BRENOT, maire: M. DE DAMOISEAU, directeur des fortifications ; M. le chevalier DE SORANS; . JDE VAUX, : id; M. DE ROMANGE; M le chevalier DE VREGILLE,; Les sieurs BRETON et WIRCH, . FORAISSE; professeurs de l’Académie ; Le sieur BELAMY, secrétaire. : D'ORIVATL, échevin ; . EÉGENOD ; SO = = e — (1) Ce document fut publié sous la forme d’une affiche du format in-fol., imprimée sur deux colonnes et débutant par un titre ainsi conçu : Règle- ment de discipline à observer dans l’Académie de peinture et de sculp- ture. : ei — 184 — Continuation des professeurs. M. DE LACORÉ a dit que, par la délibération institutive de _ l’Académie de peinture et de sculpture, prise par MM. du Ma- gistrat le 17 mai 1773, les sieurs WIrCH et BRETON, qui en avoient accepté les dispositions, s’étoient soumis de résider en cette ville et d’y tenir, en qualité de professeurs, les séances de cette Académie : savoir le sieur WircH pendant dix-huit mois, et le sieur BRETON pendant trois années, à compter et commencer l’un et l’autre au 11 novembre 1773; que le terme du sieur WirCH étoit expiré dès le 11 mai de la présente année, et que celui du sieur BRETON auroit son expiration au 11 no- vembre 1776; que dans la circonstance des progrès de lAca- démie sous la direction de ces deux professeurs, il étoit impor- tant de prendre de nouveaux arrangements avec eux pour leur faire continuer leurs services aux mêmes prérogatives y atta- chées et sous les mêmes clauses, charges et conditions qui leur avoient été imposées par la délibération du Magistrat du 17 mai. Cette proposition a été universellement adoptée, et les sieurs professeurs ayant consenti à prendre de nouveaux engagemens, MM. les commissaires du Magistrat présens ont été priés d’en- gager leur Compagnie à prendre une délibération confirmative de la continuation des services desdits professeurs (1). À la séance du samedi 29 juin 1776, à laquelle ont assisté : M. DE RENTECHAUX (2), éche- M. le chevalier DE SORANS; Vin ; M. le chevalier DE VREGILLE; M. VANNER (3), échevin; Les sieurs WIrCH et FRAICHOT, M. D'ORIVAL,; professeurs; M. EGENOD; Le sieur BELAMY, secrétaire. (1) Cette délibération fut prise à la date du 24 février 1776 ; mais le re- gistre municipal n’en donne que les deux premières lignes, la transcription du surplus ayant été ajournée, puis oubliée. (2) Claude-Antoine-Augustin PERREAUD DE RANTECHAUX. (3) Barthélemy VANNER. De LL 1. AE — 185 — Distribution des prix. Les sieurs WIRCH et FRAICHOT ont mis sous les yeux de la Compagnie les ouvrages des différens élèves de l’Académie qui ont concouru pour les prix à distribuer en la présente année, et, après une délibération prise de l’avis desdits professeurs, les portes de la chambre du conseil ayant été ouvertes, M. DE RENTECHAUX, président de la séance, a distribué le premier prix, consistant en une médaille dorée, au sieur François JOUR- DAIN, peintre, qui a le mieux rempli l’objet proposé d’après na- ture; le second prix, étant une médaille en argent, au sieur Antoine PÉQUIGNOT, qui à le mieux exécuté le dessin donné sur le modèle en relief; le troisième prix au sieur Gérard-Aimé- Just CHABOZ, pour copie sur le dessin, en une pareille médaille; enfin un quatrième prix, consistant en six estampes, au sieur Thomas CHALANDRE, qui a le mieux rempli l’objet proposé aux commençans. M. DE RENTECHAUX ayant ensuite fait un discours aux élèves pour exciter de plus en plus leur émulation, il a levé la séance. A la séance tenue le 8 janvier 1777, à laquelle ont assisté : . DE LACORÉ, intendant de Franche-Comté; . DUHAULT (1), maire; M. DE DAMOISEAU; M. le chevalier DE SORANS; M. DE ROMANGE, Les sieurs BRETON, WIRCH et . D'ORIVAL;: FRAICHOT ; : Le sieur BELAMY, secrétaire. D . BRENOT, échevin; - . SARRAGOZ (2), échevin; = Administration et emploi des revenus affectés à l’Académie. Les professeurs retirés, M. DE LACORÉ a dit que, pour rem- plir les vues qu'il s’étoit proposé en faisant dans cette ville une Académie de peinture et de sculpture et satisfaire en même (1) Charles-Joseph DurAULT, dont Breton avait reproduit les traits dans un grand médaillon, analogue à celui qui représente le docteur Rougnon, (2) Jean-Prothade SARRAGOZ. — 186 — temps aux promesses qu'il avoit faites de procurer les ressources et les moyens nécessaires pour soutenir cet établissement (1), il avoit sollicité auprès du Ministère et avoit obtenu une somme annuelle de trois mille livres, pour l’employer soit à pensionner les professeurs et à leur donner un état fixe et permanent dans cette ville, soit à pourvoir aux prix qu'il étoit convenable de distribuer chaque année pour exeiter l’émulation des élèves et donner plus d’essort à leurs talens, soit enfin à subvenir aux frais journaliers d'entretien et de dépenses souvent imprévues qui étoient inséparables d'un établissement de cette nature; que cette somme, jointe à celle de mille livres que la ville fournissoit chaque année, étant suffisante pour remplir ces dif- férens objets, il étoit question de faire lemploi du tout de la manière la plus convenable, et proportionnellement aux talens et au mérite à l’égard des pensions à fixer aux professeurs, à l’assiduité, à l'intelligence et aux dispositions à l'égard des prix que l’on distribueroit aux élèves, et avec une sage économie qui mit en réserve un fonds suffisant pour les détails et les besoins prévus et imprévus qu’exigeroit l’Académie, et M. DE LACORÉ a demandé l’avis de Messieurs. La Compagnie a remercié M. DE LACORÉ de ses soins officieux et de son inclination toujours active à procurer le bien d’un éta- blissement qui lui doit son existence et qui se soutient par ses bienfaits. Pour seconder en même temps les vues de sagesse qui l’animent, elle à délibéré que, sur la somme accordée par le Gouvernement, il seroit payé à titre de pension aux sieurs BRETON et WIRCH, professeurs en titre, et à chacun d’eux, la somme annuelle de mille livres, et au sieur FRAICHOT, profes- seur adjoint pour l’instruction des commençans, celle de cinq cents livres aussi annuellement; que, sur celle donnée par la ville, le sieur BRETON auroit en outre cinq cents livres par chaque année, et que les mille livres restantes sur le tout seroient em- (1) Dès l’automne de l’année précédente, M. de Lacoré avait pourvu l'Ecole de modèles en ronde bosse. La municipalité l’en avait remercié par une délibération, en date du 23 septembre 1776, dont voici le texte : « La Compagnie étant informée qu’il est arrivé quantité de plâtres en sculpture, dont M. DE LACORÉ a fait emplète à Paris pour l’Académie de peinture et de sculpture, a délibéré de lui écrire une lettre de remerciement ». — 187 — ployées au paiement des prix à distribuer aux élèves et aux autres dépenses qu’exigeroit l'entretien de l’Académie. Nouveau Règlement. Sur la représentation des professeurs, il a été délibéré : 1° Que la place de professeur adjoint pour l'instruction des commençans seroit donnée dans la suite par le Bureau, sur la présentation des deux professeurs principaux ; 20 Que la salle des commençans sera entièrement subordonnée à la discipline du professeur adjoint, qui se concertera néan- moins avec les deux premiers professeurs pour donner des leçons relatives à celles qu'ils donneront eux-mêmes dans leur salle, et conserver par là une identité dans les UGS et l'instruction des deux salles ; 93° Qu'il sera député ue mois deux membres du Bureau pour visiter l’Académie au moins une fois par semaine, à l'effet d'y maintenir la tranquillité et le bon ordre; 4° Qu'il y aura deux fois par année un concours pour les places des élèves qui travailleront d’après nature, et que ces places se distribueront à vuëé des ouvrages, au jugement des profes- seurs, subordonnément toutefois à celui de MM. les commis- saires et du Bureau, en cas de contestation; 9° Enfin qu'attendu le petit nombre des élèves originaires de Besançon et de la province qui jusqu’à présent ont fréquenté l'Académie et qui ont été admis dans les concours pour les prix, les étrangers pourroient également concourir, en justi- fiant, par certificat desdits professeurs, qu’ils auroient fré- quenté pendant six mois et sans interruption, immédiatement avant l’ouverture du concours, les leçons de l’Académie, et que cependant, à égalité de mérite, les prix seroient donnés de pré- férence aux élèves de la ville et de la province. À la séance tenue le mardi 22 juillet 1777, et à laquelle ont assisté : M. DE LACORÉ, intendant de Franche-Comté; M. DUHAULT, maire; M. DE DAMOISEAU: M. le chevalier DE SORANS — 188 — M. BRENOT, échevin; M. le chanoine DE ROMANGE,; Les sieurs BRETON, WiIRCH et M. SARRAGOZ, id.; FRAICHOT ; . Le sieur BELAMY, secrétaire. Distribution des prix. Messieurs s'étant fait représenter les ouvrages des différens élèves de l’Académie qui ont concouru pour les prix à distri- buer en la présente année, ont, après un mûr examen et de l'avis des sieurs professeurs, arrêté que le sieur CHAZERAND, de Besançon, auroit le premier prix fixé pour le dessin d’après nature ; le sieur KRENNER, Suisse, le second attribué au dessin SUN ONCE TENIOSSe CrIe ÉOUR Lee le troisième réservé pour les commençans qui copient d’après le dessin. Et les portes de la chambre du conseil ayant été ouvertes, M. DE LACORÉ à fait en conformité la distribution des prix, consistant le premier en une médaille de vermeil, et les deux autres en deux mé- dailles en argent. À la séance tenue le mardi 25 décembre 1777, et à laquelle ont assisté : M. DE LACORÉ, intendant de Franche-Comté ; M. DUHAULT, maire de la ville; M. le chevalier DE SORANS,; M. BRENOT, échevin; M. le chevalier DE VREGILLE; M. SARRAGOZ, id.; M. le chanoine DE ROMANGE,; M. D’ORIVAL, conseiller au Ma- Les sieurs BRETON, WIRCH et gistrat; FRAICHOT, professeurs de lA- M. EGENOD, conseiller au Ma- cadémie ; gistrat; Le sieur BELAMY, secrétaire. Autorisation de l’Académie et affiliation avec celle de Paris. Lecture a été faite d'une Déclaration du Roi, donnée à Ver- sailles le 15 mars 1777, en faveur de l’Académie royale de pein- ture et de Sculpture de Paris, portant : € Art. IV. — Dans la vue de donner à notre Académie de pein- ture et de sculpture établie à Paris une marque spéciale de — 189 — notre protection, Nous ordonnons qu'à l’avenir et dans toute l’étendue de notre Royaume, elle soit distinguée de toute autre académie des mêmes arts qui pourra être dorénavant établie, ‘ tant pour l'honneur d’être sous notre protection immédiate que par le titre d'Académie royale, première et principale ; voulons qu'elle soit regardée comme la mère et l’appui de toutes celles qui seront dans la suite établies pour l’exercice des peinture sculpture et arts en dépendant, et qu'elle soit leur guide en tout ce qui concerne la culture et l’enseignement desdits arts. » Art. VI. — Renouvellons en tant que besoin les dispositions des Lettres patentes du mois de novembre 1676, concernant l'établissement des académies de peinture et de sculpture dans les principales villes de notre Royaume; voulons en conséquence que le Directeur et lOrdonnateur général de nos bâtiments, Jardins, arts, académies et manufactures royales, comme chargé spécialement par Nous du soin de veiller aux progrès des arts, soit le chef et le protecteur unique des académies qui seront à l’avenir établies dans notre Royaume, pour pratiquer et ensei- gner les arts de peinture et de sculpture, et autres en dépen- dant ; qu'il leur donne, autorise ou confirme leurs statuts et règlemens sans qu’il soit besoin à cet effet d’autre acte de notre volonté. » Art. VII. — Comme le moyen le plus sûr de faire prospérer lesdits arts est l’unité et la communication des principes, les- quels doivent être plus sûrs, plus connus et plus fixes dans notre Académie royale, première et principale, de peinture et de sculpture, que partout ailleurs, soit à cause de la tradition des lumières des artistes célèbres qu’elle a produits, soit à cause de Pavantage qu'ont la plupart de ceux qui la composent d'avoir été, sous nos auspices, former leur goût par l’étude des beaux monumens de l'Italie, et d’être plus fréquemment employés à de grands ouvrages; Nous avons fait et faisons expresses exhi- bitions et défenses à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, d'établir des exercices publics des HS de peinture el de sculpture de poserulie’ modèle; faire montre ou donner des leçons en public touchant le fait desdits arts, qu'en ladite Académie royale ou dans les lieux par elle choisis et accordés, et sous sa conduite, üu avec sa permission ». — 190 — Après cette lecture, M. DE LACORÉ a proposé à Messieurs daviser aux moyens de remplir, à l’égard de l’Académie de peinture et de sculpture de Besançon, les dispositions conte- nues dans ces trois articles de la Déclaration du Roi, qui seuls peuvent la concerner. L'objet mis en délibération, Messieurs ont unanimement pensé qu'encore que cette Déclaration ne fût point vérifiée ni reconnue dans la province, l’Académie de Besançon, ne pouvoit s’empè- cher d’adhérer à ses dispositions par les avantages qui en ré- sulteroient pour ses membres et pour ses élèves. En consé- quence, ils ont décidé d'adresser mcessamment à M. LE COMTE D’ANGIVILLIER, directeur et ordonnateur général des bâtimens, les statuts faits pour l'Académie, avec un mémoire détaillé sur son institution, sa forme et ses progrès, pour prier ce protec- teur des arts de lui procurer la sanction légale qui lui manque, l'approbation de ses règlemens, une affiliation avec l’Académie de sculpture et de peinture, première et principale, de Paris, et la jouissance des privilèges attachés aux académies reconnues : MM. BRENOT, de ROMANGE et le secrétaire chargés de refondre les statuts faits en différents temps pour l’Académie et de mi- nuter le mémoire tendant à en obtenir la confirmation. À la séance tenue le jeudi 8 janvier 1778, et à laquelle ont assisté : M. DE LACORÉ, intendant de Franche-Comté; M. DUHAULT, maire de la ville; M. le chanoine DE ROMANGE,; M. VIÉNOT DE BAY, échevin; M. le chevalier DE SORANS; M. LE MaAïrLoT, NoILS M. le chevalier DE VREGILLE; M. D'ORIVAL ; Les sieurs BRETON, WIRCH et M. EGENOD ; FRAICHOT, professeurs de M. BRENOT; l'Académie ; Le sieur BELAMY, secrétaire. Autorisation de l’Académie : affiliation avec celle de Paris. MM. BRENOT et DE ROMANGE ont fait rapport du travail qu’ils ont fait pour la rédaction des statuts faits en différents tems pour l’Académie. La Compagnie les a remerciés, et elle a ap- — 191 — prouvé les modifications, changemens et augmentations qu'ils y ont insérés. Après quoi, le secrétaire a fait lecture du mé- moire et d’une lettre d'accompagnement qu'il a minutés pour demander à M. LE COMTE D’ANGIVILLIER, directeur et ordonna- teur général des bâtimens, la confirmation de l'Académie, l’ap- probation de ses règlemens, une affiliation avec l’Académie première et principale de Paris, et la jouissance des privilèges attachés aux académies renommées. Messieurs ont approuvé la teneur du mémoire (1) et de ladite lettre, et ils ont chargé ledit sieur secrétaire de mettre par ordre le projet de statuts dressé par MM. les commissaires, et d'envoyer le tout par le courrier de lundi prochain à M. D'ANGIVILILIER. À la séance tenue le mardi 10 mars 1778, à laquelle ont assisté : . DE LACORÉ, intendant de Franche-Comté ; M M. DUHAULT, maire de la ville; M. le chanoine DE ROMANGE; M. VIÉNOT DE BAY, échevin; M. ie chevalier DE VREGILLE,; M. LE MAILLOT, id: Les sieurs BRETON, WIRCH et M. D'ORIvAï,; FRAICHOT, professeurs de M. EGENOD ; : l'Académie ; Le sieur BELAMY, secrétaire. Autorisation de l’Académie : affiliation avec celle de Paris. M. DE LACORÉ a fait part à la Compagnie de la lettre que lui a écrite M. LE COMTE D’ANGIVILLIER, et le secrétaire a fait lec- ture de celle que ce protecteur des arts lui a adressée, renfer- mant les mêmes dispositions, dont la teneur suit : A Versailles, le 4 février 1778. _ «M. de Lacoré, Monsieur, m’avoit déjà prévenu de l'envoi que vous deviés me faire d’un mémoire concernant l’établissement d’une Académie de peinture et de sculpture, formée déjà de- puis quelques années par ses soins dans la ville de Besançon. J'ai reçu en effet presque en même temps, avec la lettre de (1) Nous publions ce mémoire à la suite des présentes délibérations. — 192 — MM. les directeurs de cet établissement, le mémoire annoncé, ainsi que la copie du règlement provisionnel de cette Académie qui m'en demande la confirmation et me témoigne aussi son empressement d'obtenir une affiliation avec l’Académie royale de peinture de Paris. Toutes ces demandes, qui sont entière- ment conformes à ce qu'exige le bien des arts et ce que pres- crit la Déclaration du Roi sur cet objet, ne peuvent que trouver tout accueil auprès de celui à qui Sa Majesté a bien voulu en confier le soin. Je vais en conséquence m'en occuper. Il m'a paru au reste de premier abord que, pour donner à cet établis- sement la nouvelle forme désirée, il y auroit divers articles à ajouter, et en quelque sorte une nouvelle rédaction à faire de ces statuts et règlemens, qui du reste m'ont paru propres à remplir l’objet de l'établissement. Je ferai passer à M. de Lacoré cette rédaction nouvelle aussitôt qu’elle sera faite, afin que sil a quelques observations à faire, il veuille bien me les commu- niquer, et que le tout soit concerté de la manière la plus con- venable tant aux circonstances locales qu’au bien des arts dans la ville de Besançon. » J'ai l'honneur d’être, etc. » Signé : D'ANGIVILLER }». Concours : prix. La Compagnie a chargé les professeurs d’aviser aux différens sujets qui seront proposés aux élèves de l’Académie pour le concours prochain, qui se fera incessamment, pour les ouvrages être présentés au Bureau le 4 mai, tems où se fera la distribu- tion des prix qu’elle a réglés, savoir : le premier à une médaille dorée et une somme de quatre vingt seize livres, qui seront donnés à celui qui aura le mieux rendu en peinture ou en sculpture le sujet proposé; le second à une médaille d'argent et une somme de soixante livres, à celui qui aura le mieux exé- cuté au crayon ou en sculpture la pose du modèle que les pro- fesseurs auront fixée ; et le troisième à une médaille d'argent et une somme de trente six livres, qui seront accordés à l’élève qui aura le mieux copié le rond de bosse qui sera désigné. Elle a aussi réglé, sans tirer à conséquence, une somme de douze livres à distribuer en estampes à celui des élèves commençans — 193 — qui aura copié plus exactement un dessin que le professeur- adjoint aésignera. Achat d’un plâtre. Le sieur WiRrCH, l’un des professeurs, ayant fait venir de Paris un plâtre d'anatomie d’un homme écorché de grandeur natu- relle, il a été délibéré que cette pièce seroit mise dans la salle de l’académie et que l’on rembourseroit au sieur WirCHles frais d'achat et de transport. A la séance tenue ie 26 mai 1778, et à laquelle ont assisté : . DE LACORÉ, intendant de la Franche-Comté ; M M. le MAIRE; M. DE DAMOISEAU; M. DE BAY; M. DE VREGILLE,; M. le chanoine DE ROMANGE,; M. le chevalier DE SORANS; Les sieurs BRETON, WIRCH et M. EGENOD ; FRAICHOT, professeurs ; Le sieur BELAMY, secrétaire. M. LE MAILLOT; M. D’ORIVAL; Jugement du Concours. La Compagnie s'étant assemblée à l'Hôtel de ville, à quatre heures après midi, s’est de suite transportée dans les salles de l'Académie où, honorée de la présence de Madame DE LACORÉ (1), elle a examiné les différens ouvrages que les élèves ont faits pour le concours et sur lesquels, en modifiant la délibération par elle prise le 10 mars dernier, elle a arrêté de distribuer au sieur Antoine PÉQUIGNOT, qui a exécuté en sculpture une statue d'Orphée, la médaille dorée et une somme de quarante huit livres, et au sieur Joseph-Antoine HEIMANN une médaille d’ar- gent avec pareille somme, pour avoir peint le Samaritain, ces deux particuliers ayant concouru pour le premier prix et ayant exécuté assez exactement l’objet qu’ils s’étoient proposé. (4) Voyez ci-dessus, dans les documents joints à la notice sur Luc Bre- ton, l'expression des sentiments que Madame de Lacoré avait inspirés à la province dont son mari était l'administrateur. 15 _— 194 — Les élèves qui ont concouru pour le second prix, sur le mo- dèle et d’après nature, n'ayant que très foiblement tracé au crayon la pose donnée par les professeurs, ont été privés de la médaille; et cependant, pour encourager leur émulation, la Compagnie, par grâce et pour cette fois seulement, a jugé con- nable d'accorder une somme de trente six livres au sieur Eugène BALDAUFF (1) qui a tracé la pose avec plus de correction. Le troisième prix assigné au rond de bosse, consistant en une médaille d'argent et une somme de trente six livres, a été adjugé au sieur BAZIN qui a le mieux dessiné la statue du Lut- teur. Enfin il a été délibéré de donner au sieur Jean-Claude BLÉ- VAIS (2), une somme de douze livres pour avoir copié avec le plus d’exactitude l’estampe proposée aux commençans par le sieur professeur-adjoint. À la séance tenue le 2 juin 1778, et à laquelle ont assisté : M. DE LACORÉ, intendant de Franche-Comté; M. DUHAULT, maire de la ville; M. DE DAMOISEAU; M. le chanoine DE ROMANGE,; (1) Ce jeune Bavarois s'établit à Besançon et fut reçu citoyen de cette ville, en vertu d’une délibération municipale du 16 janvier (790, dont voici le texte : « Vu la requête présentée par le sieur Eugène BALDAUF, peintre, originaire de Saint-Léonard en Bavière, tendant à ce qu'il plût à Messieurs l’admettre au nombre des citoyens : les actes constatant qu'il est de bonnes vie et mœurs, de condition franche et libre et qu’il professe la religion ca- tholique, apostolique et romaine ; oui le rapport de M. CouTHAUD, la Com- pagnie a reçu et admis ledit sieur Baldauf au nombre des citoyens de cette Cité, à charge par lui de payer la somme de trente trois livres six sous huit deniers, moitié du droit ordinaire, dont l’autre moitié lui a été remise pour bonne considération, et la somme de dix huit livres pour les menus droits ». — Eugène Baldauf préta plusieurs de ses ouvrages aux exposi- tions artistiques qui eurent lieu à Besançon en 1806 et 1807 : une Vue d'intérieur de l’église de Cherlieu, édifice démoli en 1793 ; des paysages et plusieurs tableaux de genre. Son fils et son petit-fils ont été des décora- teurs habiles et d’intelligents restaurateurs de tableaux anciens : la ville de de Besançon leur a dû quelques acquisitions heureuses. (2) Celui-ci eut une certaine réputation locale comme fondeur et ciseleur. — 195 — M. D'ORIVAL : M. le chevalier DE SORANS; M. le chevalier DE VREGILLE; Les sieurs BRETON, WIRCH et FRAICHOT, professeurs ; Le sieur BELAMY, secrétaire. Distribution des prix. Messieurs ayant pris séance ont fait ouvrir les portes de la chambre du conseil, où grand nombre de personnes étant en- irées, M. DE LACORÉ a annoncé et fait la distribution des prix conformément à la délibération prise par la Compagnie le 26 mai dernier; et il a été instamment arrêté que dorénavant il y auroit entre le jugement du concours et la distribution des prix un intervalle de huit jours, pendant lesquels les ouvrages des élèves qui auroient concouru seroient exposés à la vue et à l'examen du public dans une des salles de l'Hôtel de ville (1). À la séance tenue le lundi 6 septembre 1779, à laquelle ont assisté : M. DUHAULT, maire de la ville; M. le chevalier DE SORANS ; M. LOCHARD, échevin; Les sieurs WIRCH et FRAICHOT, M. D’'ORIVAL; professeurs; M. EGENOD; Le sieur BELAMY, secrétaire. Distribution des prix. Les différens ouvrages exécutés par les élèves, dans les salles de l’Académie et sous les yeux des professeurs, ainsi qu’il est réglé par les statuts pour le concours des prix de la présente année, ayant été exposés dans une des salles de l'Hôtel de ville pendant huit jours, la Compagnie, appuyant son suffrage sur celui du public, a arrêté : 10 Que le sieur Claude-Louis-Alexandre CHAZERAND, de Be- (1) La feuille périodique des Affiches et annonces de la Franche- Comté ayant interrompu sa publication depuis le 2 mai 1775 et n'ayant recommencé à paraître que le 1er janvier 1779, il ne nous est pas possible de suppléer au silence du présent procès-verbal, sur le compte des lauréats de 1778. — 196 — Sançon, qui a peint à l'huile d’une manière également correcte pour le dessin et satisfaisante pour le coloris un Vulcain avec ses attributs, méritoit le premier prix consistant en une mé- daille de vermeil et une somme de quatre vingt seize livres, que M. le Maire a remises à cet élève, tenu de laisser son tableau pour l’ornement des salles de l’Académie (1); 20 Qu’aucun des élèves de la seconde classe, qui ont dessiné d’après nature sur la pose des professeurs, n’étoit dans le cas de mériter le second prix qui consiste en une médaille d'argent et une somme de soixante livres : réservées pour augmenter le prix qui, l’année prochaine, sera attribué à cette classe; 3° Que le sieur Antoine STIFFENHOFFEN, originaire de Suabe (2), élève de la troisième classe, qui a exécuté en relief, d’après le rond de bosse, la statue de Saint Jérôme faite par le sieur BRE- TON, l’un des professeurs, méritoit, par lPexactitude de son ou- vrage, une médaille d'argent et une somme de trente six livres dont il a été gratifié ; 4° Enfin que le sieur Pierre-François DUVAL, de Pontarlier (3), (1) Cette toile, qui appartient au Musée d'art de Besançon, est ainsi dé- crite dans ma Monographie des Musées de cette ville : « Vulcain : étude d'académie. — Toile. — H. 0m,90. — L. 1m,14. — Fig. de 2/3 de gr. nat. — Représenté nu, en pied et assis, sa main droite a pour appui le manche d’un gros marteau : un bouclier et une épée gisent à terre. À gauche, dans le lointain, on aperçoit les lueurs d’une forge. À droite, sur le fond du tableau, on lit en lettres capitales : COURONNÉ EN 1779. PEINT PAR CHAZERAND L’AINÉ DE BESANÇON. (2) C’est celui que CALLIER, dans sa Notice sur Luc Breton, désigne, sous le nom de Stifofon, comme ayant été l’un des élèves préférés de l’éminent sculpteur. (3) Ce lauréat obtint, l’année suivante, un petit coin dans le Palais Gran- velle pour s'exercer au modelage en dehors des séances de l'Ecole. La dé- libération prise à cet égard, par l’Académie des sciences, belles-lettres et arts, le 5 avril 1780, est ainsi conçue : « Le sieur DuvaL, de Pontarlier, élève de l'Ecole de sculpture, a demandé la permission de s'exercer à mo- deler en terre dans le dessus de la tour de Granvelle, cy-devant occupée par le sieur Boiston, professeur de sculpture sous les ordres de l’Académie. M. le secrétaire a été autorisé à voir avec le concierge le local, et d’ac- 2 celui des élèves commençans qui a dessiné le plus correctement d’après l’estampe, méritoit le prix réglé pour la quatrième classe, consistant en une somme de douze livres, que M. le Maire lui a remise. Fixant ensuite son attention sur deux groupes que Melle pr ROZEMOND à dessinés au crayon hors des salles de l'Académie, sous les yeux néanmoins du sieur WirCH, professeur, dont elle est l’élève, la Compagnie en a admiré les justes contours et la correction, et elle a pensé que si ces groupes eussent été exé- cutés d’après nature et dans les salles de l'Académie, ainsi qu’il est réglé pour le concours, ils auroient incontestablement mé- rité à Melle DE ROZEMOND le prix attribué à la seconde classe des élèves. M. le Maire a terminé cette séance publique par la louange de ceux qui ont été couronnés, et une invitation à tous les élèves en général de correspondre aux bontés de M. DE LACORÉ et à se rendre digne des soins que la Compagnie prend, de concert avec ce magistrat bienfaisant, pour enflammer leur émulation et faire fructifier leurs talens. A la séance tenue le mardi 12 décembre 1780, à laquelle ont assisté : M. DE LACORÉ, intendant en Franche-Comté, protecteur; M. DUMONT DE VAUX, maire M. le chevalier DE SORANS; de la ville; M. le chanoine DE ROMANGE; M. D'ORIVAL, 1er échevin ; M. DE VREGILLE ; M. DE St GERMAIN; Les sieurs WIRCH, BRETON et M. DE St JOUANS; FRAICHOT, professeurs ; Le sieur BELAMY, secrétaire. Distribution des prix. Les différens ouvrages exécutés pour le concours ayant été exposés pendant huit jours, ainsi qu’il est d'usage, dans la se- conde salle de l'Hôtel de ville, Messieurs, après l’examen Île corder cette demande s’il n’y a pas d’inconvénient pour le passage qui con- duit à la chambre des machines ». — 198 — plus scrupuleux, ont pensé que deux ouvrages, l’un en peinture à l’huile fait par le sieur Claude-Louis-Alexandre CHAZERAND, de Besançon, représentant Neptune arrétant la fureur des vents (1), et l’autre en plâtre représentant le même dieu armé de son trident, exécuté par le sieur Antoine PÉQUIGNOT, de la même ville (2), pouvoient, par la beauté de l’un et de l’autre, balancer les suffrages; mais que l’on ne pouvoit refuser la palme à la peinture, qui marquoit plus de noblesse et d’expres- sion : pourquoi le sieur CHAZERAND à été gratifié de la médaille en vermeil et des quatre vingt seize livres fixées pour le prix de la première classe des élèves, ne l’ayant néanmoins emporté que de quelques voix sur le sieur PÉQUIGNOT, son concurrent. Les autres prix ont été adjugés et distribués : savoir celui de la seconde classe, consistant en une médaille et une somme de soixante livres, au sieur Antoine STIFFENHOFFEN, de Suabe (3); celui de la troisième classe, consistant en une médaille et une somme de trente six livres, au sieur CHAZERAND cadet, de Besançon (4); enfin celui des élèves commençans, consistant en une somme de douze livres, à Melchior-Joseph PERRÈZE, de Besançon (5). (1) Cette toile, qui a été léguée au Musée d'art de Besançon, en 1866, par le bibliothécaire Charles Weiss, est ainsi décrite dans ma Monogra- phie des Musées de la ville de Besançon : « Neptune calmant les flots : étude d'académie. — Toile. — H, 4m,15, — L. 0n,80. — Fig. de 1/3 de gr. nat. — Sur une plage semée de coquilles, le dieu tient son trident de la main gauche et étend sa main droite pour calmer les flots. Nu, à l'exception d’une légère écharpe qui passe sur sa cuisse droite, son corps se présente de face, tandis que sa tête, surmontée d’une couronne radiée, est vue de profil regardant à gauche ». (2) Antoine Péquignot était né à Besançon, tandis que son frère cadet, le peintre, était né à Baume-les-Dames. (3) © Le second [prix], dont le sujet étoit de peindre ou de modeler en ronde bosse un grouppe de Lutteurs, a été adjugé à Ant. Chetifouff (sic), de la Suabe ». (Affiches de la Franche-Comté, n° du 22 décembre 1780.) (4) € Le troisième [prix|, dont le sujet étoit de peindre le même grouppe de Lutteurs, a été adjugé à Antoine Chazerand, de Besançon ». (1bid.) () Francis WEy le dit filleul de Melchior Wyrsch. — 199 — À la séance tenue le 29 novembre 1781, à laquelle ont assisté : M. DE LACORÉ, intendant de Franche-Comté; M. DE SAINT-GERMAIN ; M. le chevalier DE SORANS ; M. D'ORIVAL; M. le chanoine DE ROMANGE; Les sieurs BRETON, WIRCH et FRAICHOT, professeurs ; Le sieur BELAMY, secrétaire. Don à l’Académie. M. le chevalier DE SORANS a présenté à la Compagnie un plâtre représentant une Descente de Croix tiré de l’original fait par le sieur BRETON et envoyé par M. DOMET DE MONT, doyen du chapitre d’Arbois, qui en a gratifié l’Académie. Sur quoi il a été délibéré qu’il seroit placé dans les salles de l’Académie, et le secrétaire a été chargé d'écrire une lettre de remerciment au nom du bureau à M. Domet de Mont. Tenue des séances. Il a été unanimement arrêté que le premier mardi de chaque mois, à quatre heures après midi, il y auroit dorénavant bureau de l’Académie, le secrétaire chargé de faire dès la veille distri- buer des billets de convocation. Visite dans les salles. Pour exciter l’émulation des élèves et pour entretenir le bon ordre danse les salles de l'Académie, Messieurs ont délibéré que les membres du Bureau, au nombre de deux commissaires, à (1) Ce plâtre fait encore partie du Musée d’art de Besançon, tandis que l'original en terre cuite de la même maquette est conservée à la Biblio- thèque de cette ville. On sait que Breton attendit jusqu’en 1787 une com- mande d'exéculion en grand de sa maquette : la marquise de Ligniville put alors donner à lartiste cette joie, que le doyen de Notre-Dame d’Arbots n'avait pas réussi à lui procurer. Etienne-Eléonor Domet de Mont, d’une des meilleures familles d’Arbois, était un homme instruit et libéral : 1l fut, en 1789, l’un des neuf membres du clergé de Franche-Comté qui se pro- noncèrent dans le sens des vœux du Tiers-Etat (Voyez BoussoN DE MAIRET, Annales d’Arbois, pp. 491-492, 510-511). — 900 — commencer par l’ordre de MM. du Magistrat pour finir dans celui de MM. les Notables, auroient tour de quinzaine pour vi- siter les salles et y ordonner cé qu’ils jugeroient le plus conve- nable au progrès et à l’avantage des élèves. Distribution des prix. Les différens ouvrages exécutés pour le concours ayant été exposés pendant huit jours dans une des salles de l'Hôtel de ville, ainsi qu’il est d'usage, Messieurs, après l'examen le plus scrupuleux, ont adjugé à pluralité de suffrages : Le premier prix, consistant en une médaille de vermeil et une somme de quatre vingt seize livres, au sieur Claude-Nicolas GUILLON, de Clairvaux-les-Vaudains (1), dont l’ouvrage en pein- ture étoit un tableau représentant Caïn effrayé de la foudre, lequel tableau restera dans la salle de l'Académie (2); Le second prix, consistant en une médaille d'argent et une somme de soixante livres, au sieur Antoine STIFFENHOFFEN (3), de Suabe, qui a exécuté sur son idée et en sculpture le Milon de britone dévoré par un lion ; Le troisième prix, consistant en une médaille d'argent et une somme de {rente six livres, au sieur Louis SCHWEIGKEIZER, de Strasbourg (4), qui a copié en sculpture et en relief la Descente de Croix du sieur Breton; | (1) Clairvaux-les-Vaudain, bourg situé entre Lons-le-Saunier et Saint- Claude, dans le bailliage d’Orgelet, renfermait alors 966 habitants. (2) Il est aujourd’hui au Musée d’art de Besançon et a été, dans ma Mo- nographie, l’objet d'une description ainsi conçue : « Gain frappé par la foudre. — Toile. — H. 1,15. — L. 0,83. — Fig. de 1/3 de gr. nat. — Personnage nu, le corps rejeté en arrière et penché à droite, les deux bras faisant un geste d’épouvante, comme pour conjurer la foudre qui sillonne les nuages et vient de briser un arbre ». (3) « Le second prix consistoit en une médaille d'argent et en une somme de soixante livres. Il à été remporté par le sieur Antoine Stiffenhoffen, de la Régence de Bregen sur le lac de Constance, en Suabe, qui a modelé, d'idée et en sculpture, Milon de Crotone dévoré par un lion, morceau de génie annonçant de grandes dispositions. On n'a pas assez trouvé d'ex- pression dans la figure de Milon, et le lion a paru un peu froid ». (Affiches de la Franche-Comté, n° du 10 décembre 1781.) (4) Ce nom, qui à été porté par plusieurs érudits strasbourgeois d’un haut mérite, doit être écrit SCHWEIGHAEUSER. — 201 — Enfin le prix des élèves commençans, étant de douze livres, au sieur Pierre-Gilbert MARCOUSSET, de Besançon (1), qui à le mieux copié l’estampe proposée pour modèle. A la séance tenue le 29 novembre 1782, à laquelle ont assisté : M. LAURENT, maire de la ville; M. le chevalier DE SORANS ; M. DUMONT DE VAUX, premier M. DE VREGILLE,; échevin ; M. le chanoine DE ROMANGE ; M. BRESSAND, deuxième éche- Les sieurs BRETON, WIRCH et Vin ; FRAICHOT, professeurs ; M. D'ORIVAL, doyen du Magis- Le sieur BELAMY, secrétaire trat ; de la ville. Distribution des prix. Les différens ouvrages que les élèves ont exécutés pour le concours ayant été exposés pendant huit jours dans une des salles de l'Hôtel de ville, ainsi qu'il est d'usage, Messieurs, après l’examen le plus scrupuleux, ont couronné du premier prix, consistant en une médaille de vermeil et une somme de quatre vingt seize livres, le sieur Louis SCHWEIGKEIZER, de Stras- bourg, pour un ouvrage de sa composition en sculpture repré- sentant Epaminondas mourant, morceau digne d’un habile maître, soit par la beauté de son attitude, soit par la correction de son dessin (2). Les ouvrages de ceux qui ont concouru pour le second prix (1) À la page 4 de la Notice des ouvrages de peinture, de dessin et de mécanique exposés dans une des salles de l’Académie impériale de Besançon, en 1811, on lit un article ainsi conçu : «M. MARCOUSSET, peintre et horloger, rue de la Lue : 14 Son portrait à l’huile. 15 Tableau mécanique. L'auteur fera mouvoir ce tableau chaque Jour de l'exposition, depuis # à 5 heures de l'après-midi ». (2) Cette statuette en plâtre est encore dans les collections de la ville : elle est fréquemment copiée par les élèves du cours de sculpture de l'Ecole actuelle des Beaux-Arts. Je l'ai caractérisée ainsi dans ma Monographie des Musées de Besançon : « Epaminondas mourant. — Figure. — Plâtre. — H: 0n,50. — L. On,80. — Le corps nu et la tête casquée, à demi renversé 909 destiné à celui des élèves qui d’après nature rend le plus exac- tement, soit en peinture, soit en sculpture, la pose du modèle déterminée par les professeurs (1), n'ayant paru que très mé- diocres, le prix dont il s’agit, consistant en une médaille d’ar- gent et une somme de soixante livres, a été mise en réserve pour être attribuée à celui des élèves qui, dans le prochain con- cours, aura mérité l’accessit du premier prix, après toutefois en avoir prélevé une somme de douze livres. Portant leur jugement sur les ouvrages des élèves qui ont concouru pour le troisième prix, consistant encore en une mé- daille d'argent et une somme de trente six livres, Messieurs, y ajoutant la somme de douze livres prélevée sur le second prix, ont accordé la médaille et la somme de vingt quatre livres au sieur BEAUMONT, d’Ornans, qui a copié en sculpture avec beau- coup d’exactitude une figure élégante de l’invention du sieur BRETON, l’un des professeurs, représentant l'Histoire considé- rant une médaille sur laquelle est gravé le buste de M de La- coré (2). À l’égard des vingt quatre livres restantes, elles ont sur un manteau qui recouvre une partie de son bouclier et sa cuirasse, il apprend la victoire remportée par ses troupes et se donne héroïquement la mort, en arrachant le javelot qu’il avait reçu en pleine poitrine ». (1) Le modèle attitré de l'Ecole, depuis 1779 jusqu’en 1782 inclusivement, était un nommé Paul Pauli, dit Deslauriers, d’après lequel Wyrsch a fait, en 1781 (le modèle ayant 29 ans), une étude d'académie en peinture, qui appartient au Musée d’art de Besançon (Voy. mon Catalogue de 1886, p. 188). (2) « Le troisième [prix] a été accordé à une figure encore de ronde bosse, d’après M. Breton. Elle est du sieur François Beaumont, d'Ornans, dont les dispositions s’étoient pareillement fait remarquer dans le précédent con- cours, quoiqu'il n’y eût eu aucun prix. Cette figure représente la Sculp- ture qui, jalouse de consacrer à M. l’Intendant un monument de sa recon- _noissance, semble prendre plaisir à représenter en médaillon des traits qui lui sont chers. La légende de ce médaillon est : Carolus Andreas Lacoré, Mecenas Sequanorum. Nous devons observer, à la gloire de M. Breton, qu'il ne choisit Jamais que des sujets nobles, allégoriques et historiques. C'est le moyen de communiquer aux élèves ce feu d’une imagination véhé- mente, qui donne l'âme et la vie aux figures, et qui, brillant dans ses ouvrages dont on admire encore l'élégance et la correction, en fait le carac- tère distinctif. M. le comte de Vezet, président à mortier au Parlement, a fait cet éloge de ce professeur, à la dernière séance publique de l'Académie de Besançon, après avoir fait considérer l'habitant de cette province comme — 203 — été attribuées au sieur Gilbert MARCOUSSET, de Besançon, à titre d’accessit, pour avoir copié en peinture d’une manière sa- tisfaisante un tableau représentant Marie Magdelaine (1). Enfin Messieurs ont attribué le prix des élèves commençans, étant de la somme de douze livres, au sieur Claude-Louis LAVY, de Besançon, qui a le mieux copié au crayon l’estampe pro- posée pour modèle. À la séance tenue le 17 juin 1783, à laquelle ont assisté : M. DE LACORÉ, intendant de la Franche-Comté ; M. LAURENT, vicomte-mayeur, M. le chevalier DE SORANS; M: VIÉNOT DE BAY, premier M. DE ROMANGE; échevin; M. DE VREGILLE; M. COUTHAUD, deuxième éche- Les sieurs BRETON, WIRCH et vin, FRAICHOT, professeurs ; M. D'ORIVAL ; Le sieur BELAMY, secrétaire de M. DE SAINT-JOUANS ; la ville. Lecture a été faite d’une lettre écrite à MM. les professeurs par le sieur HoiN, peintre à Dijon, qui leur a en même tems adressé différens ouvrages de sa composition et qui demande d’être associé à leur Académie (2). Sur quoi, Messieurs ont pensé rempli d'intelligence et d'activité : « Breton, sans guide et sans maitre, » conduit par le génie, à vu sa tête couronnée de lauriers au Capitole. » Citoyen modeste et vertueux, il est venu enrichir sa patrie de l’art de » Praxitèle. Une Ecole de dessin, formée sous ses veux par l'amour des » arts et du bien publie, obtient à son aurore des succès, que vous vous » occupez, Messieurs, à étendre et à perpétuer, en leur donnant encore » plus de lustre et plus d'éclat ». (Affiches de la Franche-Comté, n° du 16 décembre 1782.) (1) &« Quoiqu'aucun des tableaux présentés au concours n'ait été jugé digne d’un prix, une Madeleine, copiée d’après Pierre Mignard, a été néan- moins distinguée » (Ibid.). (2) Hoin (Claude-Jean-Baptiste), peintre et graveur, né à Dijon le 5 juin 1750, élève de François Devosge et de Greuze. Admis aux expositions du Louvre, il avait obtenu la double qualité de premier peintre de Monsieur et du due de Bouillon. Il devint, en 1811, conservateur du Musée de Dijon et fit à cet établissement un legs important d'œuvres d'art, entre lesquels + OÙ = que l'Académie de peinture et de sculpture de Besançon n’ayant point encore d'institution légale, elle ne pouvoit en ce moment s'associer aucun artiste; en conséquence, ils ont chargé le se- crétaire de le marquer au sieur HOIN, en lui renvoyant ses ou- vrages dont ils ont admiré l'élégance (1). A la séance du 4 décembre 1783, à laquelle ont assisté : M. LAURENT, vicomte-mayeur; M. le chevalier DE SORANS; M. COUTHAUD, premier éche- M. le chanoine DE ROMANGE,, VIN ; M. DE VREGILLE; M. D'ORIVAL ; Les sieurs BRETON, WIRCH et M. DE SAINT-GERMAIN ; FRAICHOT, professeurs ; Le sieur BELAMY, secrétaire de la ville. Distribution des prix. Les différens ouvrages faits pour le concours de la présente année ayant été exposés pendant huit jours dans une des salles de l'Hôtel de ville, ainsi qu’il est d'usage, Messieurs ont arrêté : 19 De réserver, par augmentation de celui de l’année pro- chaine, le premier prix, consistant en une médaille de vermeil se trouve son portrait au pastel, par lui-même, qu'il avait exposé à Besan- con en 1807. Hoin mourut à Dijon au mois de juin 1817. (1) Ce même désir d'association avait été exprimé, deux années aupara- vant, par le peintre Donat Nonnotte, alors premier professeur de peinture à l'Ecole de Lyon, dont il était l’un des créateurs. Son frère, le célebre Jésuite, écrivait à cet égard les lignes suivantes, dans une lettre datée de Lyon le 5 juillet 1780, et adressée au secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon : « Vous me dites, Mon- sieur, que les vues de l’Académie seroient de réunir l’Académie de pein- ture. Ces vues me paroïitroient fort sages pour encourager et diriger les Beaux-Arts, pour lesquels on à les plus heureuses dispositions dans notre province, comme il est aisé de le prouver par les grands hommes qu’elle a fournis dans ce genre. Mon frère, qui est très instruit dans cette partie de l'histoire et qui est extrêmement zélé pour la gloire de sa patrie, ap- plaudit de tout son cœur à votre projet ; étant depuis quarante ans membre de l'Académie royale de Paris, étant des Académies des sciences, belles- lettres et beaux-arts de Lyon et de Rouen, il seroit très flatté d’être, dans le cas de la réunion projetée, associé à celle de sa patrie, et de pouvoir faire quelque chose pour l'avancement des Beaux-Arts ». — 905 — et une somme de quatre vingt seize livres, attendu que dans les ouvrages du concours il ne s’en est trouvé aucun, en peinture ou en sculpture, de la composition des élèves; que même il n’en est aucun d’après nature ; | 29 D’accorder le second prix, consistant en une médaille d’ar- gent et une somme de soixante livres, au sieur Joseph Tour- NIER, de Besançon, dont l’ouvrage en peinture est la copie d’un tableau d’Hérodiade à qui un soldat présente la tête de saint Jean-Baptiste sur un plat bassin (1); 3° D’accorder, par forme d’accessit à ce second prix, une somme de quarante huit livres au sieur Gilbert MARCOUSSET, aussi de Besançon, qui a fait également une copie du même ta- bleau : Ce second prix et cet accessit accordés aux élèves par la con- sidération qu'ils ont joint à leurs ouvrages en peinture des des- sins au Crayon, faits d’après nature sous les yeux des profes- Seurs ; 49 De couronner du troisième prix, étant une médaille d’ar- sent et une somme de trente six livres, le sieur André KLo- ZONET, de Landau, qui a copié très élégamment en sculpture un buste d’Apollon, d’après le sieur BRETON, l’un des profes- seurs (2). Enfin Messieurs ont accordé le prix des élèves commençans, étant de la somme de douze livres, à Maurice MOUTON, d’Etu (3), (D) «M. Tournier l’a copié d’après Le Guide » (Almanach historique de la Franche-Comté pour 178%, p. 410). — Le tableau ainsi copié est pro- bablement l'excellente toile qui appartient de longue date à la famille Ma- reschal de Vezet, où elle est traditionnellement considérée comme un ouvrage de Velazquez, bien que la carnation de l'Hérodiate s’y rapproche plus de la manière bolonaise que de la touche du maitre espagnol. (2) « Le troisième prix décerné à M. André Clausonet, de Landaw, étoit une copie en sculpture du buste d’Apollon, d'après M. Breton ». (1bid.) (3) Mouton, qui faisait des portraits au pastel à la fois frappants de res- semblance et détestables de platitude, fut, pendant le premier quart de ce siècle, le portraitiste attitré de la petite bourgeoisie de Besançon : ses pro- ductions satisfaisaient par leur sincérité brutale et avaient le grand mérite de ne pas coûter cher. On racontait que, pour la confection d'un portrait, Mouton préludait toujours par prendre la mesure, avec un compas en bois, de tous les détails de la figure à représenter. « Je dérobe avec soin, en — 206 — qui a copié avec plus de correction l’estampe que le professeur adjoint a proposée pour modèle. De suite les portes de la chambre du conseil de l'Hôtel de ville ayant été ouvertes et tous les élèves présens, M. le Maire a fait la distribution des prix ainsi qu’il a été arrêté par Mes- SIeurs. Avances pour les pris. Le sieur BELAMY, secrétaire de la ville, ayant fait jusqu’à pré- sent et de ses propres deniers les avances des sommes pour le coût des médailles et pour la distribution des prix, dont il a déclaré avoir obtenu le recouvrement sur le receveur général de la province, en vertu d'ordonnances de M. l’Intendant, n'étant pas juste que ledit sieur secrétaire fût toujours en avance à cet égard, 1l a été arrêté de prier M. l’Intendant de vouloir bien à l’avenir rendre les ordonnances antérieurement à la distribution. À la séance du 30 juin 1784, à laquelle ont assisté : M. BRESSAND, victe-mayeur ; M. le comte DE SORANS ; M. LAURENT, échevin; M. LOCHARD, échevin; M. D'ORIVAL, conseiller au Ma- gistrat ; Le sieur BELAMY, secrétaire de Les sieurs BRETON, WIRCH et FRAICHOT, professeurs ; M. DE SAINT-GERMAIN, 1d.; la ville. Remplacement du sieur Wirch : concours. Le sieur WIRCH a représenté qu'il étoit appelé à Lucerne, s& patrie, pour la direction d’une Académie de peinture et de des- sin que l’on vouloit y former, qu'il ne pouvoit se dispenser de se rendre aux vœux de ses concitoyens, et qu’en conséquence il se trouveroit obligé, dans le cours du mois de septembre pro- chain, de quitter sa place de professeur de l’Académie de Be- héritier pieux, à la gaîté des étrangers », a dit Francis Wey, « quelques cadres intimes dus à maïtre Mouton ». À chacune des expositions qui eurent lieu à Besançon en 1806, 1807, 1808 et 1811, Mouton, qui habitait la rue Saint-Paul de cette ville, avait envoyé des portraits au pastel. — 207 — sançon, de laquelle place il a donné pour ce tems sa démission à Messieurs, en les priant de lui conserver la bienveillance dont ils l’ont honoré. Sur quoi M. le Maire a mis en délibération deux objets : l’un l'acceptation de la démission dont il s’agit, l’autre le remplace- ment du sieur WirCH dans la place de professeur. Relativement au premier objet, Messieurs, quoique à regret, ont accepté la démission donnée par le sieur WIRCH, pour avoir lieu seulement lors de son départ de cette ville, jusqu'auquel tems il a été invité à continuer ses soins envers l’Académie, ce qu’il a promis. Et comme, depuis l'établissement de l’Académie, le sieur Wircx a montré le plus grand zèle pour elle et beau- coup d’empressement pour l’instruction et l'avancement des élèves, que d’ailleurs cet artiste pendant tout le tems qu'il a demeuré à Besançon ne s’est pas moins rendu recommandable par ses mœurs et sa conduite la plus régulière que par ses ta- lens et ses connoissances dans Part qu’il professe, il a été arrêté que, du moment que l’Académie auroit obtenu de la part du Prince une institution légale vérifiée, elle feroit parvenir incon- tinent au sieur WIrcx des patentes de professeur honoraire, et que MM. du Magistrat seroient priés de lui accorder des lettres de citoyen dans les termes les plus honorables. À l'égard du second objet mis en délibération, Messieurs ont pensé que le moyen le plus sûr de procurer à l’Académie un professeur capable et même distingué, étoit d’en mettre la place à un concours qui seroit annoncé dans les papiers publics ; et en conséquence ils en ont pris la délibération, sous le bon vou- loir de M. DE CAUMARTIN DE SAINT-AÂNGE, intendant, à qui il sera écrit préliminairement pour lui faire part de cette disposi- tion, en lui donnant une notion de tout ce qui a été relatif à l'Académie depuis son établissement jusqu’à ce jour. Le secré- taire à été chargé de la rédaction et de l'envoi de-la lettre à M. de Saint-Ange, comme encore d'en adresser une copie à M. DE LACORÉ, conseiller d'Etat, ci devant intendant, à qui l'Académie est redevable de sa fondation et des secours qui en ont soutenu l’existence, avec une lettre d'accompagnement où ce magistrat bienfaisant sera prié de recommander son ouvrage à son successeur, — 208 — A la séance du 23 aoust 1784, à laquelle ont assisté : M. BRESSAND, victe-mayeur ; M. DE ROMANGE, chanoine ; M. le chevalier DE SORANS; MM. BRETON, WircH et FRAI- M. LOCHARD, id; CHOT, professeurs ; | M. BELAMY, secrétaire de la ville. M. LAURENT, échevin; Remplacement du sieur Wirch. Lecture a été faite d’une lettre de M. DE CAUMARTIN DE SAINT- ANGE à Messieurs, de laquelle la teneur suit : « Paris le 15 aoust 1784. » J'ai reçu, Messieurs, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m'écrire le 30 juin dernier, et j’ai examiné avec la plus grande attention toutes les pièces existantes dans mes bureaux relati- vement à l’Académie de peinture et de sculpture. J'ai vu avec satisfaction les progrès que par vos soins cet établissement a faits depuis sa naissance. Il doit son existence à M. DE LACORÉ, et il contribuera à rendre à jamais chère à la province la mé- moire de ce magistrat. » Vous ne me trouverez pas moins que lui disposé à seconder votre zèle pour le progrès des arts. Comme particulier, je les ai toujours aimés; comme administrateur, je sens la nécessité de les encourager, et dans tous les tems je m’occuperai bien volontiers de tout ce qui peut intéresser l'Académie, puisque je pourrai par ce moyen satisfaire mon goût personnel en remplis- sant le devoir de ma place. » La circonstance dans laquelle vous vous trouvez est bien digne, Messieurs, d’exciter votre attention. Le choix du profes- seur chargé d’instruire les élèves est l'événement le plus inté- ressSant qui puisse arriver dans l’intérieur de l’Académie, et je ne peux qu'applaudir au désir que vous me témoignez de for- mer un concours pour la place vacante par la retraite du sieur WIRCH. Il est certain que, par ce moyen, vous ne confierez Pinstruction de vos élèves qu’à un artiste doué d’un talent dont il aura donné des preuves; mais je pense qu’il est très essen- = 000 — tiel de former ce concours à Paris, et de soumettre les ouvrages du concours au jugement de l’Académie royale. » Avant de vous communiquer cette proposition, je me suis concerté avec M. PIERRE, premier peintre du Roi, chargé par M. le comte D'ANGIVILLER de tout ce qui a rapport aux arts. Il pense ainsi que moi que par ce moyen vous réunirez deux avan- tages : 40 vous aurez un plus grand nombre de compétiteurs, et par conséquent plus de choix; 2° les ouvrages présentés seront soumis à l'examen et à la critique d’un corps nombreux, com- posé de gens qui joignent à la pratique de leur art cette habi- tude d'enseigner qui fait distinguer un dessin savant d’un dessin touché avec esprit. Je pourrois ajouter à ces considérations, Messieurs, l'avantage de vous rapprocher de l'Académie royale, malgré les obstacles qui jusqu'ici se sont opposés à votre réu- nion. » Je pense done qu’il convient d'annoncer, dans les papiers publics de la province, que l’on ouvrira à Paris un concours pour la place de professeur à laquelle est attribué 1000 livres d’appointemens, à charge de etc., et qu’il est nécessaire que ceux qui veulent concourir adressent dans (telles époques) à M. COCHIN, secrétaire perpétuel de l’Académie royale à Paris, les dessins ou tableaux qu’ils veulent exposer au jugement de l'Académie, en observant de ne point signer lesdits tableaux ou dessins, mais d'y mettre une devise et de joindre à l’envoi un billet cacheté dans lequel sera la devise avec le nom de l’au- teur. Par ce moyen, vous donnerez aux artistes de la province les moyens de faire connoître leurs talens dans la capitale, et vous mettrez les juges à l’abri du soupçon de partialité dans leur opinion. » Lorsque vous aurez, Messieurs, rédigé cet avis au public, vous voudrez bien me l’adresser, pour que je le puisse faire in- sérer dans les journaux et le faire afficher à la porte de l’Aca- démie. » J'ai l'honneur d’être, etc. » Signé : CAUMARTIN DE SAINT-ANGE ». Sur quoi, Messieurs, très-sensibles à la protection dont M. DE SAINT-ANGE veut bien honorer l’Académie, ont délibéré de lui 14 — 210 — en marquer leur reconnoissance, et de lui représenter en même temps que le concours pour le remplacement du sieur WiIrcH n’est pas dans le cas d’être ouvert à Paris; que les ouvrages des concours n’y doivent point être jugés par l’Académie royale de peinture, que l’Académie de peinture et de sculpture de Be- sançon peut seule en avoir le droit, par des considérations soit de convenance, soit de nécessité. Et, en effet, quelque privilégiée que soit l’Académie royale de peinture, quelque soit la supériorité de mérite, de connoissances et de talens des artistes qui la composent, il ne lui est point attribué de choisir les professeurs des autres Académies du Royaume. Cet assujétissement de leur part, s’il pouvoit avoir lieu, y ôteroit toute émulation et les anéantiroit bientôt. Il est de règle, autant que de décence, que toute Académie choisisse elle-même ses suppôts. Le choix attribué à d’autres lui seroit déshonorant. Du moment où elle est établie et for- mée, elle est censée composée de personnes capables et en état de décider de l’aptitude et des talens de ceux qui aspirent à en remplir les places. Le conseil d'administration de l’Académie de peinture et de sculpture de Besançon est composé : 1° de M. l’Intendant, qui en est le chef et le protecteur; 2° du Maire, des deux premiers Echevins et des deux plus anciens conseillers au Magistrat ; 3° de quatre notables amateurs, choisis dans l’ordre de la no- blesse, particulièrement recommandables par leurs connois- sances relatives aux Beaux-Arts; 4° du secrétaire de la ville, qui est également secrétaire de l'Académie ; 5° de trois profes- seurs : les ouvrages du sieur BRETON, l’un d’eux, applaudis et couronnés à Rome, fixeroient également l’attention des ama- teurs et des artistes de la capitale du Royaume. Les ouvrages des concours qui ont lieu chaque année pour les prix que l’on distribue aux élèves se font sous les yeux des professeurs, dans les salles de l’Académie qui sont ouvertes à tout le monde. Le conseil d'administration s’est imposé la loi de ne juger ces ouvrages qu'après qu'ils ont été exposés dans les salles de l'Hôtel de ville, pendant huit jours, aux yeux du pu- blic qui éclaire et dirige leurs suffrages. Cette forme, exacte- ment observée à l’égard des concours pour de simples prix, le — 911 — seroit plus strictement encore dans la circonstance intéressante du choix d’un professeur qui, aux connoissances et aux talens, doit réunir des mœurs pures, l’habitude d'enseigner, la facilité de la démonstration et, en particulier, cette aménité qui encou- rage, fait goûter les leçons, et qui en assure le succès. Dans l'hypothèse proposée d'ouvrir à Paris le concours dont il s’agit, de soumettre les ouvrages du concours au jugement de l’Académie royale, de les faire adresser au secrétaire perpé- tuel de cette Académie, l’on trouve les plus grands inconvé- nients. L'avantage qui résulteroit d’un choix mérité, fait par un corps nombreux et plus qu'aucun autre en état de juger, ne pourroit compenser le danger auquel on s’exposeroit d’être trompé. L'Académie royale décidera bien de la validité des ou- vrages qui auront été faits pour le concours; mais s'ils n’ont point été exécutés sous ses yeux, comment pourra-t-elle juger par qui ni comment ils auront été faits ? Tel artiste qui n’aura ni assez de connoissances, ni assez de talens pour concourir, à qui néanmoins la place de professeur sera un appât séduisant, à raison de l’émolument qui y est attaché, adressera sous son nom un ouvrage fait ou corrigé par une main étrangère et plus habile. Si cet ouvrage est supérieur, il sera immanquablement couronné; et quoiqu'il ne soit pas de la personne qui en aura fait l'envoi, il lui procurera cependant la récompense d’un mé- rite emprunté ou qu'il aura acheté à prix d'argent. Ce seul inconvénient suffit pour faire connoître qu'il est éga- lement nécessaire et indispensable que le concours en rempla- cement du sieur WIRCH soit ouvert à Besançon; que les ou- vrages des concurrens s’exécutent dans les salles de l'Académie, sous les yeux des professeurs ; que ces ouvrages soient préala- blement exposés à la critique du public; que l’on ait d’ailleurs une connoissance des mœurs et de l’aptitude des concurrens ; enfin que le conseil d'administration décerne lui-même la palme à l'artiste qui en sera le plus digne. En conséquence, pour déterminer M. DE SAINT-ANGE à adhé- rer à cet arrangement, il a été arrêté que la présente délibéra- tion seroit mise sous les yeux de ce magistrat. — 949— À la séance du 14 septembre 1784, à laquelle ont assisté : . CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de la Franche-Comté ; M M. BRESSAND, victe-mayeur ; M. le chanoine DE ROMANGE; M. LOCHARD, échevin; M. le chevalier DE SORANS ; M. D'ORIVAL; Les sieurs BRETON et FRaAï- M. DE SAINT-GERMAIN ; CHOT, professeurs ; Le sieur BELAMY, secrétaire de la ville. Concours. M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE ayant agréé que le con- cours en remplacement du sieur WirCcH eût lieu à Besançon, Messieurs ont arrêté que ce concours seroit ouvert dès le pre- mier octobre prochain jusque au quinze novembre suivant; qu’il seroit annoncé par un programme imprimé que l’on afficheroit dans les lieux accoutumés de la ville, que l’on feroit insérer sur la Feuille hebdomadaire de la province et autres papiers pu- blics, et dont on adresseroit des exemplaires aux Magistrats des villes de Strasbourg, Nancy, Dijon, Lille, Marseille et Lyon ; et ils ont renvoyé au 25 de ce mois à délibérer sur le sujet du concours et sur les conditions que l’on imposeroit aux concur- rens. Etude, dessins remis par le sieur Wirch. Le secrétaire a remis sur le bureau différens morceaux d'étude au crayon, que lui a remis le sieur WIRCH, qui les a exécutés pour remplir les dispositions de l’article V du réglement provi- sionnel fait par MM. du Magistrat, le 20 janvier 1774, pour la police de l’Académie. Il a été arrêté que ces morceaux seroient remis dans la salle de l’Académie. A la séance du 25 septembre 1784, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de Franche-Comté ; M. BRESSAND, victe-mayeur; M. le chanoine DE ROMANGE:; M. LAURENT, échevin; M. le chevalier DE SORANS; M. LocHARD, id; M. le chevalier DE VREGILLE; — 913 — M. DE SAINT-GERMAIN; Les sieurs BRETON et FRaAI- CHOT, professeurs; Le sieur BELAMY, secrétaire de la ville. Sujet et réglement du concours. Messieurs, conformément à la délibération prise le 14 de ce mois, ayant été convoqués pour déterminer le sujet du concours en remplacement du sieur WirCH et régler les conditions que l’on imposeroit aux concurrens, ils ont arrêté que le sujet dont il s’agit seroit un tableau de trois sur quatre pieds représentant en peinture à l’huile Adam et Eve trouvant mort leur fils Abel, et que les concurrens seroient tenus d'exécuter ce sujet sans aucun modèle sous les yeux, sur une forme absolument nou- velle, sans répétition d’aucunes déjà traitées, et chacun dans une chambre où il seroit enfermé seul et sans communication avec personne, dès les huit heures du matin jusqu’à midi et dès les deux heures jusqu’à cinq heures du soir, sans pouvoir sortir le tableau de la chambre, ni l’y faire voir qu'après sa perfection entière et après qu'il auroit été mis sous les yeux de Messieurs. A la séance du 13 décembre 1784, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de Franche-Comté; M. BRESSAND, victe-mayeur ; M. le chanoine DE ROMANGE,; M. LAURENT, échevin; M. le chevalier DE SORANS; M. LOCHARD, id.; M. le chevalier DE VREGILLE; M. D'ORIVAL,; | M. BRETON, professeur; M. DE SAINT-GERMAIN ; M. FRAICHOT, prof. adjoint ; M. BELAMY, secrétaire de la ville. Appointemens du sieur Wirch. Messieurs, voulant régler les appointemens du sieur WIRCH dès le premier juillet dernier, suivant leur fixation annuelle à mille livres, et prenant en considération que cet artiste a rendu des services à l'Académie jusqu'au mois de septembre, époque du commencement de la vacance, ils ont arrêté de lui faire payer lesdits appointemens pour trois mois : ce qui lui fera une somme de deux cent cinquante livres, pour laquelle M. l’In- — 914 — tendant a été prié de rendre ordonnance sur le receveur des finances. Gratification au sieur Fraichot. Le sieur FRAICHOT, professeur adjoint pour l’instruction des élèves commençans, retiré, un de Messieurs a proposé de lui accorder, à titre de gratification et en reconnoissance de son assiduité et des soins qu’il prend dans lPexercice de ses fonc- tions, la somme de deux cent cinquante livres dont la retraite du sieur WIrCH laisse pour le moment la libre disposition. Messieurs ont d’une voix unanime accueilli favorablement la proposition, et le sieur Fraichot, rentré à la séance, M. l’Inten- dant lui a exprimé la satisfaction que Messieurs ressentent de ses services, et lui a annoncé la gratification qu'ils y ont attri- buée, en lui faisant entendre néanmoins que c'était sans tirer à conséquence pour l’avenir et pris égard aux deniers libres que laissoit la retraite du sieur WIRCH (1). Concours. Messieurs ont renvoyé à lundi prochain, vingt de ce mois, à délibérer sur les ouvrages qui ont été faits soit dans le concours en remplacement du sieur WIRCH, soit pour celui des prix à distribuer aux élèves, jusqu'auquel tems lesdits ouvrages seront exposés dans la salle de l'Hôtel de ville à l'examen du publie. A la séance du 20 décembre 1784, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de la Franche- Comté ; M. BRESSAND, maire dela ville, M. le chanoine DE ROMANGE; M. LAURENT, échevin ; M. le chevalier DE SORANS; M. LOCHARD, id. M. le chevalier DE VREGILLE: tait une fiche de consolation donnée à Fraichot qui, par une re- (1) Cétait une fiche de consolat d F hot , par une re quête en date du 3 mai 178%, avait sollicité de l'Intendant la succession de Wyrsch, en faisant valoir que, pendant les trois premières années de ’existenc e, il avait rempli gratuitement l'emploi de professeur- l'existence de l'Ecole, il avait ph gratuitement l'emploi d fesse adjoint, que cependant il était sans fortune, chargé d’une famille nom- is 1 auvrement rétribué. jers ‘enc e, aux Ar- breuse et bien pauvrement rétribué. (Papiers de l’Intendance, aux Ai chives du Doubs.) À, M. D’ORIVAL, conseiller au Ma- M. BRETON, professeur ; gistrat ; M. FRAICHOT, professeur ad- M. DE SAINT-GERMAIN, id.; joint ; M. BELAMY, secrétaire de la ville. Concours en remplacement du sieur Wirch. Distribution des prix aux élèves. L'ouvrage unique fait par le sieur JOURDAIN, pour le concours proposé en remplacement du sieur WIrCH dans l’une des places de professeur, et ceux faits pour le concours des prix à dis- tribuer aux élèves en la présente année, ayant été exposés dès le 13 de ce mois dans une des salles de l'Hôtel de ville, ainsi qu'il est d'usage, Messieurs, après l'examen des ouvrages et en particulier du tableau peint par le sieur JOURDAIN, ont pensé que ce tableau avoit des beautés réelles, mais insuffisantes pour mériter à l’auteur la place de professeur pour laquelle il avoit concouru lui seul. En conséquence, ayant satisfait à ce qu’ils devoient aux artistes de Besançon et de la province en mettant cette place au concours, Messieurs ont prié M. DE SAINT-ANGE de vouloir bien, lors du voyage prochain qu’il doit faire à Paris, faire choix dans cette capitale d’un artiste formé et en état de remplir convenablement la place dont il s’agit, laquelle lui sera accordée sur la présentation seule de M. DE SAINT-ANGE, comme réunissant les suffrages de tous Messieurs, qui à cet égard se réfèrent entièrement aux lumières de ce magistrat et à son em- pressement pour le bien et les progrès de l’Académie. Portant ensuite leur décision sur les ouvrages exécutés pour le concours des prix à distribuer aux élèves, Messieurs ont dE: 19 Que le premier prix consistant en une médaille de vermeil et une somme de quatre vingt seize livres attribué à un ouvrage de composition, soit en peinture, soit en sculpture, demeure- roit réservé pour une autre année, attendu qu’il n’est aucun des élèves qui en la présente ait concouru pour ce prix; 20 Que le sieur Antoine STIFFENHOFFEN, de Suabe, méritoit le second prix, consistant en une médaille d'argent et une somme de soixante livres, ayant exécuté en sculpture un mor- ceau représentant la Colère d'Achille, d’après nature; — 916 — 3° Que le sieur Joseph TOURNIER, de Besançon, étant celui des élèves qui avoit copié avec le plus d'élégance un morceau en sculpture donné pour modèle par les professeurs, étoit digne du troisième prix, consistant en une médaille d'argent et une somme de trente six livres ; 49 Enfin que le prix d'encouragement consistant en une somme de douze livres seroit adjugé au sieur Thomas MANCELLE, de Be- sançon, pour avoir copié au crayon avec le plus d’exactitude et de précision une estampe donnée pour modèle. À l'instant, les portes de la chambre du conseil de l'Hôtel de ville ayant été ouvertes, tous les élèves présens, M. DE SAINT- ANGE leur a fait un petit discours le plus affectueux, le plus propre à les encourager, et il a distribué les prix aimsi qu'il a été arrêté par Messieurs. A la séance du 6 avril 1785, à laquelle ont assisté : M. BRESSAND, maire dela ville; M. le chanoine DE ROMANGE; M. CHALON, échevin,; M. le chevalier DE SORANS: M. CALLET DE TOURNANS, id.; M. le chevalier DE VREGILLE,; M. D'ORIVAL, conseiller au Ma- M. BRETON, professeur; gistrat; M. FRAICHOT, professeur ad- M. DE SAINT-GERMAIN, id.; joint; M. BELAMY, secrétaire de la ville. Nouveau professeur. Lecture a été faite d’une lettre que M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant, a écrite à Messieurs; de laquelle la teneur suit :. « Paris, ce 28 mars 1785. » Depuis mon arrivée à Paris, Messieurs, j'ai repris les erre- mens que vous m’aviez prié de suivre avec M. PIERRE, premier peintre du Roi, pour vous procurer une personne capable de remplir la place de professeur de peinture vacante par la re- traite du sieur WIRCH. » Le sieur LE Noïr, peintre du Roi et agréé de l’Académie royale, est l'artiste dont M. PIERRE m'avoit parlé; il persiste dans le dessein de se retirer en province, il a renouvellé sa — 217 — sollicitation pour obtenir la place dont vous pouvez disposer, et les artistes que j'ai consultés m'ont rendu le compte le plus favorable de ses talens et de ses qualités personnelles. D’après un suffrage aussi unanime, j'ai pensé qu’il étoit digne de fixer votre choix. » En conséquence, je l’ai engagé à faire les préparatifs néces- saires pour se rendre à Besançon; il m'a promis qu’il seroit incessamment en état d'aller remplir la place que vous lui accordez, et que par son zèle il s’efforceroit de vous prouver qu'il étoit digne de l'obtenir. » Puissent, Messieurs, ces promesses se réaliser, et les pro- grès de l’Ecole de peinture répondre aux soins que vous donnez à son administration. » J'ai honneur d’être, etc. » Signé : CAUMARTIN DE SAINT-ANGE )». Sur quoi, Messieurs ont délibéré d'écrire à M. de SAINT-ANGE pour le remercier de ses soins, et pour lui faire connoître que, se référant entièrement à ses lumières et à la sagesse de ses vues pour le bien de l'Académie, ils agréent et approuvent le choix qu’il a fait de la personne du sieur LE Noir pour remplir la place de professeur vacante par la retraite du sieur WIRCH, et que ledit sieur LE Noïr peut quand il lui plaira se rendre à Besançon pour prendre possession de cette place, aux mêmes droits et émolumens dont jouissoit le sieur WIRCH. À la séance du 29 mai 1785, à laquelle ont assisté : M. BRESSAND, maire dela ville; M. le chevalier DE SORANS; M. CHALON, échevin; M. CALLET DE TOURNANS, id.; M. D'ORIVAL, conseiller au Ma- | gistrat ; M. FRAICHOT, professeur -ad- M. le chevalier DE VREGILLE; M. BRETON, professeur ; ) M. DE SAINT-GERMAIN, id.; Joint ; ; M. BELAMY, secrétaire de la ville. Nouveau professeur. M. le Maire a dit qu’il avoit convoqué Messieurs sur la de- — 918 — mande du sieur LE Noir, peintre du Roi, qu’ils avoient agréé pour professeur de l’Académie d’après le choix de M. DE CAU- MARTIN DE SAINT-ANGE, intendant, sur la présentation de M. PIERRE, premier peintre du Roi, pour délibérer sur l'envoi en possession dudit sieur LE Noïrr. Sur quoi, le sieur LE Noïrr ayant été appelé et n'ayant pu produire aucun certificat justi- fiant de ses qualités, bonnes mœurs, expérience et capacité, il a été sursis de l’admettre au nombre des professeurs jusqu’à ce qu'il ait rempli cette formalité que Messieurs ont jugée indis- pensable, ayant arrêté néanmoins que jusqu'alors il pourroit fréquenter les salles de l’Académie et y donner sa leçon. A la séance du 24 mars 1786, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de la Franche- Comté; M. BRESSAND, maire dela ville; M. le chevalier DE SORANS; M. LE MAILLOT; M. le chevalier DE VREGILLE; M. FORAISSE; MM. BRETON, LE Noïr, FRAI- M. DE SAINT-GERMAIN ; CHOT, professeurs ; M. BELAMY, secrétaire de la ville. Nouveau professeur. Lecture faite du certificat présenté en bonne forme par le sieur Le Norr, constatant qu’il est de bonnes vie et mœurs, justi- fiant en même temps ses talens et ses connoissances dans la peinture, qui l’ont fait agréer dans l’Académie royale de pein- ture et de sculpture de Paris, le 27 mars 1779, en qualité de peintre de portraits, ce qui lui a donné la faculté de se qualifier Peintre du Roi, la Compagnie a reçu et admis le sieur LE Noir au nombre des professeurs de peinture et de sculpture.de cette cité, aux mêmes droits et émolumens dont a joui ci devant le sieur WIRCH. Distribution des prix. Les ouvrages exécutés par les élèves ayant été exposés selon l'usage pendant huit jours dans une des salles de l'Hôtel de ville, après leur examen, de l'avis des professeurs, Messieurs ont arrêté la distribution des prix ‘ainsi qu’il suit : à 1 4 nm PS PR RE TR mr DT ie DNS INT — 9219 — Le premier prix, consistant en une médaille de vermeil et une somme de quatre vingt seize livres, attribué à un ouvrage de composition en peinture ou en sculpture, a été réservé de même qu’en l’année précédente, attendu qu’en la présente il n’est au- cun des élèves qui ait concouru pour ce prix. Le second prix, consistant en une médaille d'argent et une somme de soixante livres, attribué a un ouvrage en peinture et sculpture exécuté d’après nature, a été délivré au sieur Joseph TOURNIER, de‘Besançon, dont l’ouvrage est un tableau repré- sentant un Fleuve. Le troisième prix, consistant en une médaille d'argent et une somme de trente six livres, attribué à une copie d’un morceau en sculpture donné pour modèle, a été décerné au sieur Thomas MANCELLE, aussi de Besançon. Enfin Messieurs ont attribué la somme de douze livres, prix des élèves commençans, au sieur ....., , Soldat au corps royal d'artillerie. De suite, les portes de la salle du conseil de l'Hôtel de ville ayant été ouvertes et tous les élèves présens, M. l’Intendant à distribué les prix ainsi qu’il a été arrêté par Messieurs, en ac- compagnant cette distribution des termes les plus flatteurs et les plus propres à exciter l’encouragement et l’émulation. Messieurs ont indiqué une séance du Bureau de l'Académie au vingt-cinq avril prochain, pour lequel jour MM. les profes- seurs ont été invités à donner par écrit leurs observations sur ce qu'ils jugeroient le plus avantageux au bien de l’Académie et des élèves, notamment en ce qui concerne les concours et les distributions des prix dont, pour le moment, 1l seroit peur être utile de changer la forme l'attribution. A. la séance du 25 avril 1786, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT - ANGE, intendant de Franche- Comté ; M. BRESSAND, maire dela ville; M. le chevalier DE SORANS; M. LE MAILLOT, échevin; M. FORAISSE, id.; M. D'ORIVAL; | MM. BRETON et LE NoïR, pro- M. le chanoine DE ROMANGE,;; — 990 — M. DE SAINT-GERMAIN :; fesseurs ; FRAICHOT, profes- seur-adjoint; M. BELAMY, secrétaire de la ville. Nouveau réglement pour la distribution des prix. Vu les observations par écrit données par MM. les profes- seurs, Conformément à la délibération du 24 mars dernier, Mes- sieurs, considérant que depuis deux années il ne s’est trouvé aucun concurrent pour le premier prix attribué à un ouvrage de composition, soit en peinture, soit en sculpture; que, dans la circonstance d’une Ecole pour ainsi dire encore au berceau, il n’est guère possible d'attendre des élèves des ouvrages de composition qui méritent d’être couronnés, et qu’il est infini- ment plus avantageux, pour exciter l’émulation des élèves, de ne leur proposer que des ouvrages qui sont à leur portée et en même temps plus analogues à un établissement dont l’objet principal a été de les bien former dans le dessin. Par ces con- sidérations, changeant momentanément et jusqu’à ce qu'il en ait été autrement statué, l'attribution des prix qui a eu lieu ci- devant Messieurs ont arrêté : 1° Que le premier prix, consistant en une médaille de vermeil et une somme de quatre vingt seize livres, Seroit dorénavant dé- cerné à celui des élèves qui auroit le mieux exécuté, soit en peinture, soit en sculpture, un morceau d’après nature ; 20 Que le second prix, consistant en une médaille d'argent et une somme de soixante livres, seroit attfibué à la meilleure copie en peinture ou en sculpture d’un tableau ou d’une figure donnés pour modèle ; 3° Que le troisième prix, étant d’une médaille d'argent et d’une somme de trente six livres, seroit la récompense du meil- leur dessin d'imagination, soit d’une figure entière, soit d’une tête de caractère ; 40 Que le prix des commençans, étant de la somme de douze livres, sera converti en achat d’estampes à distribuer à ceiui ou ceux qui auront le mieux copié les dessins donnés pour mo- dèles. : Et comme il est également convenable de décerner une ré- compense à l’assiduité dans les salles de l’Académie et à la — 9291 — bonne conduite que l’on y tient, il a été arrêté que chaque mois MM. les professeurs distribueroient les places desdites salles, et que celles dans les positions les plus avantageuses seroient la récompense de l’assiduité, de la décence et de l'application pendant le mois qui auroit précédé. Remplacement de M. de Damoiseau. M. DE DAMOISEAU, l’un des membres du Bureau de l’Académie étant depuis plus d’une année parti pour l’île de Corse où il est employé en qualité de directeur des fortifications, et n’y ayant aucune espérance que jamais il vienne fixer son domicile à Be- sançon, Messieurs ont délibéré, en lui conférant la qualité d’ho- noraire, son remplacement, et ils ont prié M. l’Intendant d'y aviser, se référant à cet égard à son choix. À la séance du 30 mai 1786, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de Franche-Comté; M. BRESSAND, maire dela ville; M. le chevalier DE SORANS; PL 22 7 DO DOME CRE Vi L Chanoine or ROMANGE; vin; M. D'ORIVAL; MM. BRETON, LE Noir, FRaAI- M. DE SAINT-GERMAIN ; CHOT, professeurs ; M. BELAMY, secrétaire de la ville. Remplacement de M. de Damoiseau par M. Brenot. M. DE SAINT-ANGE a dit que, pour remplir le vœu de la déli- bération du 25 avril dernier, par laquelle Messieurs l’avoient invité à aviser au remplacement de M. DE DAMOISEAU dans les séances de l’Académie, il avoit fixé son choix sur M. BRENOT, trésorier de France, non moins recommandable par ses qua- lités personnelles et l’étendue de ses connoissances que par son zèle pour les progrès des Beaux-Arts et l’embellissement de la ville (1), et qui lui-même d’ailleurs avoit témoigné com- (4) Alexandre BRENOT, trésorier de France au Bureau des Finances de Besançon, avait été, en effet, l’un des commissaires bénévoles chargés de diriger la création de la promenade de Chamars. — 299 — bien il seroit flatté du suffrage de Messieurs. Sur quoi, applau- dissant au choix de M. DE SAINT-ANGE, d’une voix unanime, Messieurs l’ont confirmé en nommant M. BRENOT à la place de directeur de l’Académie vacante par la retraite de M. pe DAMoI- SEAU. Situation des fonds affectés à l’Académie. M. l’Intendant a fait part à Messieurs du compte qu'il s’est fait rendre des fonds affectés par le Gouvernement pour le sou- tien de l’Académie, et que sur les épargnes que chaque année on avoit faites, il se trouvoit de quoi fournir aux achats de plâtres, modèles et estampes qu’il étoit nécessaire de rempla- cer. Sur quoi, les professeurs ont été chargés d’en donner un état qui sera mis sous les yeux de Messieurs pour y être déli- béré à la prochaine séance. Moyens d'encouragement. Messieurs, avisant aux moyens qui seroient les plus propres à exciter l’émulation des élèves de l’Académie, et à engager ceux qui se destinent aux états de plâtriers, charpentiers, menui- siers et serruriers à en fréquenter et à en suivre les leçons, ont pensé qu’il seroit un moyen sûr d'encouragement pour les aspi- rans aux états, si chaque année l’un d’eux, après avoir été cou- ronné à l’Académie, avoit l'espérance de pouvoir être reçu gra- tuitement au nombre des citoyens et d’être exempté du droit de pâtos (1) ou de réception dû à la ville pour son admission dans la jurande où il voudroit se faire recevoir maître. Sur quoi, ces sortes d’exemptions ne dépendant point de l’ad- ministration de l’Académie, mais de celle de MM. du Magistrat, M. le Maire a été prié de leur en faire la proposition. À la séance du 15 juillet 1786, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de Franche-Comté, M. BRESSAND, maire dela ville; M. le chevalier DE SORANS; (1) Ce droit était de trois livres : son nom dérivait du mot latin pastus. repas, sans doute parce que cette redevance avait remplacé le régal jadis payé par ceux qui faisaient leur entrée, comme maîtres, dans les corps de métiers. È Fr. à ‘ # à. Li cal à 7. ei % 13 £- — 293 — M. Le MAILLOT, échevin; M. le chanoine DE ROMANGE; M. FORAISSE, id M. DE VREGILLE,; M. DE SAINT-GERMAIN ; M. BRENOT; M. BELAMY, secrétaire de la MM. BRETON, LE Norte et FRAI- ville ; CHOT, professeurs. Remerciments par M. Brenot. M. Brenot, trésorier de France au Bureau des finances, ayant pris séance, à fait à Messieurs ses remerciments de l’avoir admis parmi eux, et M. DE SAINT-ANGE lui a répondu en lui témoignant combien ils s’étoient empressés de rendre justice à son amour pour le bien et à son zèle pour tout ce qui peut concourir aux progrès des Beaux-Arts dans cette cité. Moyens d'encouragement. M. le Maire a fait rapport que, selon le vœu de Messieurs, MM. du Magistrat avoient pris délibération le 5 de ce mois, par laquelle voulant, autant qu’il dépendoit d'eux, encourager les élèves de l’Académie et leur fournir un nouveau moyen d’exciter leurs talens, ils avoient arrêté qu’à l’avenir et par chaque année, dans le cas où l’un des élèves de l’üune des professions de plà- trier ou gissier, menuisier, charpentier et serrurier, qui auroit été couronné à l’Académie, voudroit se faire recevoir maître en la jurande relative à son état, qu’on lui expédieroit gratuitement des lettres de citoyen, pourvu toutefois qu’il eût les qualités re- quises pour acquérir à Besançon les droits de cité, et qu'on _ l’exempteroit du droit de pâtos qu'il devroit payer à la ville pour son admission à la maitrise (1). (4) Voici le texte de la délibération municipale : — « Séance du mer- credi 5 juillet 1786. M. le Maire a dit qu’au dernier bureau de l’Académie de peinture, il avoit été délibéré de demander à MM. du Magistrat, à titre de récompense, pour celui des élèves des professions de menuisier, char- pentier, serrurier et couvreur fréquentant les salles de l’Académie, qui y auroit été couronné lors du concours pour les prix qui s’y distribuent, et qui par la suite voudroit se faire recevoir maitre en l’une desdites pro- fessions, qu’il füt admis gratuitement au nombre des citoyens et exempté du droit de pätos dù à la ville pour son admission à la maîtrise. — L'objet mis en délibération, Messieurs, voulant, autant qu’il dépend d'eux, encou- — 224 — Etats remis par les professeurs. Les professeurs ont présenté à Messieurs deux états, l’un contenant les plâtres et dessins dont il seroit convenable de faire emplette pour linstruction des élèves, l’autre contenant différens ameublemens et réparations qu'exigent les salles de l'Académie : M. DE SAINT-ANGE s’est chargé de faire remplir l’objet du premier, et le second a été remis au secrétaire de la ville, chargé d'inviter MM. du Magistrat à y pourvoir. Les salles de l'Académie se trouvant dans un endroit trop écarté et trop isolé, ce qui peut être un motif pour ne les pas fréquenter, particulièrement en hiver, M. le Maire et M. BRENOT ont été priés d’aviser à un autre emplacement, soit dans les bâtiments des Greniers publics (1), soit dans toute autre partie qui soit plus commode et plus à la portée. À la séance du dimanche 16 décembre 1787, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de Franche-Comté; M. BRESSAND, vicomte mayeur et lieutenant général de police; M. D'ORIVAL, échevin; M. le chevalier DE SORANS ; M. MOUGEOT, id.; M. le chanoine DE ROMANGE, M. DE SAINT-GERMAIN ; M. DE VREGILLE,; M. DUHAULT ; M. BRENOT ; M. BELAMY, secrétaire de la MM. BRETON, LE Norr et FRAI- ville; CHOT, professeurs. rager les élèves de l’Académie et leur fournir un nouveau moyen d’exciter leurs talens, ont arrêté, au désir de MM. du Bureau de l’Académie, qu'à l'avenir et par chaque année, dans le cas où l’un des élèves des profes- sions de menuisier, charpentier, couvreur et gissier, qui auroit été cou- ronné à l'Accadémie, voudroit se faire recevoir maître en l’une des jurandes relative à son état, qu’on lui expédieroit gratuitement des lettres de citoyen, pourvu toutefois qu’il eût les qualités requises pour acquérir à Besançon le droit de cité, et qu’il seroit exempté du droit de pâtos dû à la ville pour son admission à la maîtrise ». (1) Le bâtiment appelé encore Grenier de la ville, bien qu'il soit en majeure partie occupé par l'Ecole municipale d’horlogerie, avait été cons- '! — 995 — Distribution des prix. Ensuite de l'examen fait par Messieurs des différens mor- ceaux exécutés pour le concours par les élèves de l’Académie, qui, pendant les huit jours précédens, ont été exposés en la salle de l'Hôtel de ville, et parmi lesquels se sont trouvés plu- sieurs tableaux et esquisses de la main du sieur JOURDAIN, peintre, et un chapiteau d'ordre corinthien fait en cuivre battu avec un travail fini par le sieur CAILLIER (1), ferblantier, M. l’In- truit de 1720 à 1726, et était revenu à plus de 200,000 livres. Les approvi- sionnements et les ventes de blé, pour l’usage des boulangers de la ville, s’y firent très activement jusqu'en 1776, époque à laquelle le gouvernement de Louis XVI ordonna la suppression de tous les établissements de ce genre, comme contraires à la liberté du commerce des grains. À son grand re- gret, la municipalité prononça, le 13 mars 1776, la suppression du fonc- tionnement du Grenier public, et le 30 juillet 1777, les ustensiles en furent vendus. Le bâtiment était donc disponible en 1786. (4) Lorsque mourut ce digne homme, qui avoit été un type de l'ouvrier- artiste, le Franc-Gomtois, journal de Besançon, dans son numéro du 95 décembre 1843, lui rendit cet hommage, vraisemblablement émané de la plume de Charles WEIss : « M. Jean-Louis CALLIER, ferblantier, qui s'était acquis une réputation honorable dans l’exercice de son état, a terminé le 19 de ce mois, à l’âge de 92 ans, une carrière aussi longue que paisible, pendant laquelle il a constamment joui de l'estime ei de l'affection de toutes les personnes qui ont été à même de l’apprécier. À la pratique supérieure des procédés les plus délicats de la ferblanterie, 1l joignait des connaissances très variées, qu'il devait à la lecture assidue des meilleurs ouvrages et à la fréquentation des hommes les plus habiles dans tous les genres qui avaient quelque ana- logie avec ses goûts. Véritable artiste, il exécutait avec le marteau des bas- reliefs d’un fini précieux et des portraits dont le moindre mérite était celui d’une parfaite ressemblance ; les amateurs remarquèrent surtout dans le temps son portrait de Rougnon, l’un des plus célèbres professeurs de notre ancienne Faculté, et celui de Breton, sculpteur distingué, membre de l’Institut de France, dont les ouvrages décorent nos principales églises. M. Callier, qui avait vécu dans la plus grande intimité avec Breton, pro- nonça son éloge dans une séance de la Société d'agriculture, sciences et arts. Ce morceau, écrit avec une franchise et un naturel remarquables, est imprimé dans le recueil des travaux de la Société ». Le petit-fils de Jean-Louis CALLIER, M. Charles BAILLE, a obtenu de l’Académie de Besançon une récompense pour une étude intitulée : Le sculpteur Luc-François Breton, de l’Institut, ouvrage publié dans la Revue littéraire de la Franche-Comté, ann. 1863 et 1864. 15 — 996 — tendant a proposé si, attendu qu'il n’y a eu aucune distribution de prix en l’année dernière et vu le nombre des concurrents et la multiplicité des ouvrages dont on avoit lieu d’être satisfait, il ne conviendroit pas d'employer en la présente année la somme qui devoit être employée pour ces prix en distribution de prix d'encouragement à ceux dont les ouvrages, quoique bien exé- cutés, ne leur mériteroient pas néanmoins les prix ordinaires, et à récompenser les deux artistes qui ont fait exposer dans le salon leurs ouvrages, quoique les ayant faits hors des salles de l’Académie. Cette proposition ayant été universellement applau- die, de l’avis de MM. les professeurs, les prix ont été adjugés comme il suit, savoir 1 Prxe(une delle de vermeil et une somme de quatre vingt seize livres), au sieur TOURNIER, élève de l’Académie, dont l’ouvrage a été un tableau en peinture à l'huile représentant Jupiter tonnant. Prix d'encouragement : une somme de quatre vingt seize livres divisée également entre le sieur JOURDAIN, peintre, à rai- son des tableaux et esquisses dont il a décoré le salon, et le sieur CAILLIER, à raison de son chapiteau d'ordre corinthien. 2e Prix (une médaille d'argent et une somme de soixante livres) au sieur EGGENSCHYLER (1), dont l’ouvrage a été une copie en sculpture de la statue de saint Jérôme du sieur Breton, l’un des professeurs. Prix d'encouragement (même somme de soixante livres) au sieur CHARPIN, qui a exécuté en sculpture un Milon de Crotone dévoré par un lion (2). 3e Prix (une médaille d'argent et une somme de trente six livres) au sieur GILLEBERT, pour un dessin d’après nature. Prix d'encouragement (même somme de trente six livres) au sieur MOUTON, pour un dessin représentant une tête de Vénus. Prix des commençans : une somme de douze livres à employer en achat d’estampes au sieur LONCHAMP. (1) Nous avons donné, ci-dessus, une notice sur Urs-Pancras EGGEN- SCHWYLER. (2) C’est probablement la reproduction, qui existe encore parmi les mo- dèles de notre Ecole des Beaux-Arts, de la statuette de Milon, par Fal- connet, Prix d'encouragement (même somme de douze livres, à em- ployer comme celle qui précède) au sieur LABOURET : les sieurs LonNcHAMP et LABOURET ayant l’un et l’autre copié des dessins que le sieur FRAICHOT, l’un des professeurs, leur a donnés pour modèle. De suite, les portes de la chambre du conseil de l'Hôtel de ville ont été ouvertes, les élèves et beaucoup de personnes y étant entrés, M. l’Intendant a fait la distribution, suivant l’ar- rêté de Messieurs, et l’a accompagnée des éloges les plus flat- teurs et les plus propres à exciter l’émulation parmi les artistes et les élèves. À la séance du 31 décembre 1787, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de la Franche- Comté ; M. BRESSAND, victe-mayeur et M. le chevalier DE SORANS; lieutenant général de police: M. MOUGEOT, échevin; M. DE SAINT-GERMAIN; M. DUHAULT; M. BRENOT, M. BELAMY, secrétaire de la MM. BRETON, LE NoiR et FRaï- ville; M. le chanoine DE ROMAGNE; M. DE VREGILLE; CHOT, professeurs. Nouveau réglement. Messieurs, s'étant fait représenter les différens réglemens qui ont été faits pour la police des salles de l’Académie, et après lecture qu’en a faite le secrétaire, ils ont jugé convenable d'ajouter aux dispositions qu’ils renferment : 1° Que le dernier dimanche de chaque mois, le temps des va- cances excepté, il y auroit dorénavant séance du Bureau de l'Académie, qui seroit convoqué par billets d'invitation, ainsi qu'il est d'usage : 20 Qu'à chaque séance le Bureau députeroit, suivant l’ordre du tableau de Messieurs, deux commissaires , l’un parmi Mes- sieurs du Magistrat, l’autre parmi Messieurs les Notables, les- quels commissaires, qui seroient nommés pour chaque se- maine, visiteroient les salles de l’Académie pour y maintenir — 998 — la tranquillité et le bon ordre, feroient punir ceux des élèves qui troubleroient l'harmonie qui doit y régner et manqueroient de déférence à MM. les professeurs; enfin qu’ils feroient part de leurs observations lors de la tenue du Bureau subséquent ; 30 Que l’on n’admettroit parmi les élèves que des gens avoués et d’une conduite non suspecte; 40 Que, par MM. les professeurs, il seroit fait un tableau con- tenant les noms, surnoms, qualités, lieux d’origine et demeure desdits élèves ; 50 Enfin qu'à chaque tenue du Bureau, MM. les professeurs présenteroient ce tableau avec des notes sur Passiduité, la bonne ou mauvaise conduite, les progrès, les dispositions, les talens de chaque élève. Nouvel emplacement pour les salles de l’Académie. Pour donner suite à la délibération du 4er juillet 1786, Mes- sieurs ont député MM. DE SAINT-GERMAIN et DUHAULT, parmi Messieurs du Magistrat, MM. DE SORANS, DE ROMANGE et BRE- NOT, parmi MM. les Notables, pour, conjointement et avec le contrôleur de la ville, aviser à un emplacement plus à la portée, plus vaste et plus commode, où l’on pourroit établir les salles de l’Académie. A la séance du 27 janvier 1788, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de la Franche- Comté; M. BRESSAND, maire dela ville; M. le chevalier DE SORANS; M. DE SAINT-GERMAIN, ÉChE- M DE VREGILLE: à 2 Vin ; M. BRENOT ; M. DUHAULT, iole 1 M. D’ORIVAL ; MM. BRETON, LE Noïr et FRAI- M. LAURENT; CHOT, professeurs; M. BELAMY, secrétaire de la ville. Nouvel emplacement pour les salles de l’Académie. Messieurs les commissaires ont fait rapport que, conjointe- ment avec le sieur BERTRAND, contrôleur de la ville (1), ils avoient examiné les différents emplacements où l’on pourroit établir les salles de l’Académie, et qu'ils n’en avoient trouvé aucun ni plus commode, ni plus à la portée du public, qu’un bâtiment dans le fond des basses cours du Palais Granvelle dont il fait une dépendance (2); mais que, pour préparer cet emplacement, il étoit essentiel d’y faire des réparations et des distributions qui pourroient exiger beaucoup de frais. Sur quoi, avant que de rien déterminer à cet égard, le sieur BERTRAND, présent, a été invité de faire un plan de distribution dans l'emplacement dont il s’agit et un aperçu des dépenses nécessaires pour le mettre en état, pour, le tout par lui rapporté au prochain Bureau, y être délibéré ultérieurement. Conformément à la délibération du 31 décembre 1787, MM. les professeurs ont rendu compte de la conduite qu'ont tenue pen- dant le mois dernier les élèves de l’Académie, et ils ont pré- senté les états contenant les noms et prénoms des élèves, les- quels états ont été remis au secrétaire. (1) Claude-Joseph-Alexandre BERTRAND, né à Besançon le 10 janvier 173%, joignit de bonne heure à la profession d'architecte l'emploi de professeur de dessin à l'Ecole royale d'artillerie de Besançon. En retour de la peine qu'il avait prise de décorer l’église métropolitaine et celle des Cordeliers pour les services funèbres célébrés dans ces édifices à l’occasion de la mort du roi Louis XV, en 1774, la municipalité lui avait accordé des lettres de citoyen et un présent de la valeur de trois louis et demi. L’année suivante, il obtenait la survivance de la place de contrôleur-architecte municipal, occupée, depuis 1740, par Charles-François Longin ; puis cet architecte étant parvenu à un âge très avancé, en 1777, Bertrand lui fut donné pour adjoint ; mais la Révolution l’empêcha de bénéficier de la survivance qui lui avait été garantie. Il mourut le 16 janvier 1797, à l’âge de 63 ans. Parmi les édifices érigés d’après les plans de Bertrand, on peut citer : l’église paroissiale de Saint-Pierre, l'hôtel Terrier, le chàâteau de Moncley, l'hôtel de Camus, et un délicieux pavillon construit pour la marquise de Ligniville, au fond de la maison qui porte le numéro 10% de la Grande-Rue de Besançon. (2) C'était le bâtiment des anciennes écuries du Palais Granvelle, démoli, en 1883, pour l'agrandissement de la promenade. — 930 — A la séance du 24 février 1788, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de la Franche- _ Comté; M. BRESSAND, maire dela ville; M. le chevalier DE SORANS: M. DE SAINT-GERMAIN , éche- M. DE VREGILLE; Vin ; M. DE ROMANGE; M. DUHAULT, NOE M. BRENOT; M. D'ORIVAL ; MM. BRETON, LE Norr et FRaAI- M. LAURENT; CHOT, professeurs ; M. BELAMY, secrétaire. Rapport de la conduite et des progrès des élèves. La séance a été employée au compte qu'ont rendu les profes- seurs de la conduite, de l’assiduité et des progrès des élèves de l’Académie, ayant mis sous les yeux de Messieurs différens dessins qu'ont faits les élèves, sur modèles, reliefs et d’après nature. Et comme les professeurs n’ont présenté aucun ouvrage en sculpture faits par les élèves, ils ont été invités à pourvoir à ce qu'il en soit produit lors des Bureaux subséquens.. À la séance du 16 mars 1788, à laquelle ont assiste : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de Franche-Comté; M. BRESSAND, maire dela ville, M. le chevalier DE SORANS; M. de SAINT-GERMAIN, éche- M. DE VREGILIE; VIN ; M. BRENOT ; M. DUHAULT ; MM. Le Noir et KRAICHOT, M. D'ORIVAL; professeurs; M. LAURENT ; M. BELAMY, secrétaire. Messieurs ont employé la séance à l'examen des différens ouvrages que, depuis le dernier Bureau, ont exécutés les élèves : des progrès desquels, ainsi que de la conduite qu'ils ont tenue, Messieurs ont été pleinement satisfaits. S'UPRRES CP 1” e — 231 — A la séance du 27 avril 1788, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-AÂANGE, intendant de la Franche- Comté ; M. BRESSAND, maire dela ville, M. le chevalier DE SORANS ; absent; M. DE VREGILLE; M. DE SAINT-GERMAIN, éche- M. BRENOT; vin; MM. BRETON et FRAICHOT, pro- M. DUHAULT, id; fesseurs; M. BELAMY, secrétaire. MM. les professeurs ayant rendu compte des travaux des élèves de l’Académie et de la bonne conduite qu’ils ont tenue dans les salles depuis le dernier Bureau, Messieurs, prenant en considération la vacance prochaine, et que le dernier di- manche de mai prochain se trouvera celui de l’octave de la Fête-Dieu, jour auquel se feront la procession générale et celles des différentes paroisses de la ville, ils ont renvoyé la séance qui devoit être tenue ce même jour au dimanche suivant, pre- mier juin. A la séance du 1er juin 1788, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de Franche-Comté; M. BRESSAND, maire dela ville; M. le chevalier DE SORANS; M. DE SAINT-GERMAIN, éche- y. BRENOT : vin; M. DUHAULT, id. MM. LE Noir et FRAICHOT, pro- M. D'ORIVAL,; fesseurs; M. LAURENT; M. BELAMY, secrétaire. MM. les professeurs ont mis sous les yeux de Messieurs les différens morceaux, tant en dessin que sculpture et d’après nature, que depuis la dernière séance ont exécutés les élèves dans les salles de l'Académie, où lesdits élèves se sont com- portés avec honnêteté, avec attention et avec fruit, ainsi qu'on l’a reconnu par leurs ouvrages, dont Messieurs ont paru satis- faits. A la séance du 29 juin 1788, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de Franche-Comté; M. BRESSAND, maire dela ville; M. le chevalier DE SORANS; M. DE SAINT-GERMAIN, éche- M pr VREGILLE : Vin; M. B . BRENOT; M. DUHAULT, OISE k M. D'ORIVAL ; MM. LE Noir et FRAICHOT, M. LAURENT ; professeurs ; M. BELAMY, secrétaire de la ville. Achat de dessins. M. DE SAINT-ANGE, intendant, a dit qu’il avoit cru devoir pro- fiter du voyage que M. LE Noïr, l’un des professeurs, a fait à Paris, pour procurer, d’après les meilleurs maitres de cette ca- pitale, des dessins à la main, comme infiniment plus propres à former les élèves commençans de la première salle de lAca- démie et à leur donner le goût d’un crayon moëlleux, doux et délicat, que les dessins gravés dont jusqu’à présent on a été forcé, à défaut d’autres, de se servir dans cette salle; et M. de SAINT-ANGE à présenté un portefeuille rempli de ces dessins à la main. Après l'examen que Messieurs ont fait de ces dessins, ap- plaudissant au choix du sieur LE Noïr, ils ont témoigné à M. DE SAINT-ANGE la gratitude dont ils étoient pénétrés pour ce bien- fait; et pour la conservation des dessins, ils ont arrêté que le sieur FRAICHOT, professeur de la première salle, ne les donne- roit à copier que sous glace, et encore à ceux des élèves dont il est chargé qui se distingueront davantage soit par leur assi- duité, soit par leur bonne conduite dans cette salle. Le surplus de la séance a été employé à lFexamen des mor- ceaux de dessin que les élèves ont exécutés dans le cours du présent mois. A la séance du 29 juillet 1788, à laquelle ont assiste : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de Franche-Comté; Ho M. BRESSAND, maire dela ville; M. le chevalier DE SORANS ; M. DE SAINT-GERMAIN, éche- M. BRENOT,; Vin ; - T M. DUHAULT, id..; MM. LE Noir et FRAICHOT, M. D'ORIVAL,; professeurs ; M. BELAMY, secrétaire de la ville. Médailles. Le secrétaire a été chargé de faire frapper à Paris les trois médailles en argent qui, d’après le concours prochain des élèves, doivent être distribuées pour prix à ceux desdits élèves qui les auront méritées, comme encore de faire dorer celle qui doit servir pour le premier prix. Le surplus de la séance a été employé à l'examen des mor- ceaux en peinture et sculpture et des dessins que les élèves ont exécutés pendant le cours de ce mois. | A la séance du 31 août 1788, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de Franche-Comté; M. BRESSAND, maire de la M. le chevalier DE SORANS; ville ; M. DE VREGILLE; M. DE SAINT-GERMAIN, éche- M. BRENOT; VITARLE MM. BRETON, LE Noïr et FRAI- M. D'ORIVAL ; CHOT, professeurs ; M. BELAMY, secrétaire de la ville. Concours pour les prix. Messieurs , délibérant sur la conduite que doivent tenir MM. les professeurs à l’égard des élèves qui concourent pour les prix, ont arrêté que Mesdits sieurs professeurs pourroient bien, avant l’ouverture du concours, faire auxdits élèves quel- ques instructions générales sur les sujets qu'ils pourroient traiter ; mais que, le concours une fois ouvert, les élèves se- roient abandonnés à leur propre génie, sauf, lors de la distri- bution des prix, à leur faire sentir les manquemens qu'ils au- roient faits. in A la séance du 8 fevrier 1789, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de Franche-Comté; M. VIÉNOT DE BAY, maire de M. le chanoine DE ROMANGE; la ville; M. le chevalier DE SORANS; 4 M. DE VREGILLE; M. LAURENT, échevin; 1 M. BRENOT; M D'ORIVAL; MM. BRETON, Le Noir et FRAI- M. DE SAINT-GERMAIN; CHOT, professeurs; M. BELAMY, secrétaire de la ville. Distribution des prix. Ensuite de l’examen des différens morceaux en peinture, sculpture et dessin que les élèves de l’Académie ont exécutés pour le concours, de Pavis de MM. les professeurs, les prix ont été adjugés comme il suit, savoir : | 1er Prix (une médaille en vermeil et une somme de quatre vingt seize livres) au sieur Antoine STIFFENHOFFEN, dont l’ou- vrage a été un morceau en sculpture représentant le Christ au jardin des Oliviers avec l’Ange qui lui présente le calice. 2e Prix (une médaille en argent et une somme de soixante livres), mis en réserve, attendu qu'aucun des élèves n’a rempli l’objet qui doit le mériter. 3e Prix (une médaille d'argent et une somme de trente six . livres) au sieur MOUTON, dont l’ouvrage a été un dessin d’après nature. .4e Prix, ou des commençans, (des estampes en valeur de douze livres) au sieur Joseph GUENOT, celui des commençans qui a le mieux copié les dessins donnés pour modèle. De suite, les portes de la chambre du conseil de l'Hôtel de ville ouvertes, M. l’Intendant a fait publiquement la distribu- tion des prix et l’a accompagnée des expressions les plus flat- teuses pour les élèves qui ont mérité d’être couronnés, les plus propres en même temps à exciter l’encouragement et l’émula- tion. Nouveau modèle. Rapport fait par MM. les professeurs qu’un militaire d’une — 085 belle structure se présentoit pour servir de modèle à l'Aca- démie, ils ont été chargés de le mettre en pose pendant une semaine, et Messieurs ont été invités de Le voir durant ce temps, pour être délibéré à son égard à la prochaine séance qui a été fixée au dimanche 29 mars. A la séance du 29 mars 1789, à laquelie ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de Franche-Comté; M. VIÉNOT DE BAY, maire de M. le chevalier DE SORANS; la ville ; M. BRENOT; M. LAURENT, échevin; MM. BRETON, LE Noïr et FRAI- M. D’ORIVAL; | CHOT, professeurs ; M. BELAMY, secrétaire de la ville. Etude : tribut académique. Au désir de l’article V du réglement du 20 janvier 1774, por- tant que, pour une fois seulement, chacun de MM. les profes- seurs donneroit une pièce de sa composition qui entreroit dans la salle de l’Académie, M. LE Norïr, l’un des professeurs, a présenté à Messieurs, pour son tribut académique, un tableau de sa composition représentant une figure nue, et il a fait un discours analogue à cet ouvrage pour en expliquer le détail. Ce tableau, très-bien ordonné, a mérité les suffrages de Messieurs, qui en ont marqué leur satisfaction et qui ont arrêté qu'il seroit _ placé à l'Hôtel de ville, où il demeureroit Jusqu'à ce que l’Aca- démie eût une salle plus étendue et plus décente que celle mo- mentanée dont elle jouit actuellement (1). (1) Le « tribut académique » de Le Noir est entré au Musée d'art de Besançon ; je l’ai décrit ainsi dans ma Monographie des Musées de cette ville : & Un homme nu assis dans une caverne : étude d'académie. — Toile. — H. 10,929, — I, On,95. — Fig. des 2/3 de gr. nat. — Sous un abri formé par le rocher, un homme nu, vu de face, est assis : son bras gauche repose sur un bloc où sont des feuilles de papier ; son bras droit semble montrer le ciel. — Signé : Le Norr PxrT, 1788 ». Dés le lendemain du dépôt de son « Do académique », Le Noir rece- vait de la municipalité des lettres de citoyen dont nous avons reproduit ci- dessus les termes, — 936 — La séance a été terminée par l'examen des copies de dessin faites dans le cours de ce mois par les élèves commencçans, et qui ont été présentées par le sieur FRAICHOT, leur professeur. A la séance du 31 mai 1789, à laquelle ont assisté : M. DE CAUMARTIN DE SAINT-ANGE, intendant de Franche-Comté; M. VIÉNOT DE BAY, vicomte- M. le chevalier DE SORANS; mayeur ; M. BRENOT; M. BRESSAND, échevin; MM. BRETON, LE Norr et FRaAI- M. LAURENT, AOIbE CHOT, professeurs; M. D'ORIVAL,; M. BELAMY, secrétaire de la M. DE SAINT-GERMAIN; ville. La séance a été employée à l’examen des pièces et morceaux, tant en dessin qu’en sculpture, qu'ont exécutés les élèves de- puis la séance précédente, et au compte qu'ont rendu MM. les professeurs du bon ordre et de la décence qui, pendant le mois d'avril et le présent mois, ont régné dans les salles de l’Aca- démie. Mémoire exposant l’origine et la situation de l'Ecole gra- tuile de peinture et de sculpture de Besançon, adressé au comte D'ANGIVILLER, directeur général des Bâtiments du Rot, par le Bureau de l'Ecole, en vue d'obtenir l’affilia- tion de cet établissement à l’Académie royale de Paris. 8 janvier 1778. (Archives de la ville de Besançon.) La ville de Besançon cultiva les beaux-arts dans les siècles les plus reculés ; la richesse et le bon goût des anciens monu- mens qui lui restent, leur grandeur, leur magnificence, leur. solidité, dignes des temps heureux d'Athènes et de Rome, attestent qu’elle honoroit dès lors la sculpture et l’architecture dun culte particulier. Les irruptions des Barbares, le fer et le feu qu’ils traînèrent après eux, en détruisant plusieurs fois cette ville de fond en #%; — 937 — comble, ensevelirent sous ses ruines et sous la cendre les mo- numens superbes de sa grandeur primitive, sans anéantir le germe du génie et des talens qui les avoient produits. Si des siècles plus heureux rappellent en Europe les arts que la barbarie en a proscrit, Besançon est une des premières à les accueillir avec succès; son génie s’éveille aussitôt de la léthargie profonde où ses malheurs l’ont plongée. Elle tire de ses ruines des restes précieux de ses anciens monumens, que la cupidité des Barbares n’a pu entièrement détruire ; elle rassemble les chefs d'œuvre de peinture des plus habiles maîtres, pour en orner ses temples; le bronze et le marbre préparés des propres mains de ses habitans paroissent avec distinction sur ses fon- taines ; son hôtel commun, ses édifices publics et particuliers sont marqués du sceau du bon goût et de la solidité. Un de ses concitoyens y élève un palais magnifique, qu’il décore de ce que l'antique et le moderne peuvent lui procurer de plus rare ; quoique fait pour le logement d’un simple particulier, 1l le rend digne d’être habité par un monarque. Paris n’a point encore eu d’édifice aussi somptueux pour le séjour de ses Rois (1). Passe-t-elle sous la domination de la France, l’état constant de tranquillité et de paix que cet événement heureux lui pro- cure lui fait prendre bientôt une nouvelle face, et son extérieur en est plus brillant. Devenue le séjour des premières dignités de l’épée et de la magistrature , sa population et son étendue ne font qu'’augmenter de jour en jour. Elle voit ses fortifications antiques se reconstruire en entier dans le goût moderne, sur les plans et sous la direction d’un Vauban. Sa belle architecture reparaît avec dignité dans les temples, les hôpitaux et le col- lége qu'elle réédifie. Elle forme des places vastes et régulières, entourées de casernes immenses et de la plus belle construc- tion, où elle rassemble tout ce qui peut intéresser le bien du service militaire. Elle corrige l’irrégularité de ses anciennes rues par des alignements convenables et en imposant à ses habitants l'obligation de ne bâtir qu’en pierres de taille sur des plans approuvés; elle en établit de nouvelles dans des terrains jusqu'alors inhabités, qui se couvrent d'hôtels superbes. Un (1) Il s’agit du Palais Granvelle, — 9238 — hôtel d’'Intendance s’y élève avec une noblesse et une élégance qui exciteroient l’admiration, même dans la capitale. Elle des- sèche un marais profond et infect qu’elle convertit en une pro- q menade saine, agréable et qui pourroit à peine trouver son égale dans aucune ville fermée. Enfin elle devient, dans la ré- volution d’un siècle, une des belles villes du Royaume auquel elle a l’espérance d’être pour toujours réunie. La ville de Besançon ne s’est ainsi accrue et embellie qu'à laide des beaux-arts et au moyen des artistes qu’elle a formés en les cultivant. Des dispositions heureuses, constamment pro- tégées par le Gouvernement et les personnes dépositaires de l'autorité, ont été la principale cause de son lustre. C'est sous des auspices aussi puissans qu’elle a produit ces hommes cé- lèbres qui l’ont honorée et qui l’honorent encore par leurs ta- lens. Elle a donné les Courrois (1), si recommandables dans la peinture par leur habileté dans cet art et les chefs-d'œuvre qu'ils ont laissés dans les principales villes d'Italie; un Non- NOTTE (2), reconnu digne d’être placé à la tête de l’Académie de peinture et de sculpture de Lyon; un MonNNor (3), un BRE- TON (4), qui se sont immortalisés dans Rome par les beaux ou- vrages qu'ils y ont faits, qui décorent les temples de cette pre- mière ville du monde; un DEVOSGES (5), professeur de l’Aca- (1) Les trois frères du nom de CourTois, peintres et graveurs, étaient de Saint-Hippolyte en Franche-Comté : Jacques, dit le Bourguignon des batailles, né le 12 février 1621, mourut sous l’habit des Jésuites, à Rome, le 1% novembre 1676 ; Guillaume, également surnommé Le Bourguignon, peintre d’histoire des plus habiles, naquit en 1628 et mourut à Rome, le 15 juin 1679 ; Jean-Baptiste, le troisième frère, entra chez les Capucins de Rome et ne peignit que pour les couvents de son ordre. (2) NONNOTTE (Donat), né à Besançon le 10 janvier 1708, mourut à Lyon le 4 février 1785. (3) Voyez mon travail intitulé : Le sculpteur français Pierre-Etienne Monnot, citoyen de Besançon, auteur du « Marmorbad » de Cassel, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 6° série, t. IT, 1887, pp. 15-89. — MonxorT, né à Orchamps-Vennes, le 9 août 1657, mou- rut à Rome le 24 août 1733. (4) BRETON (Luc), de Besançon, sculpteur. Voyez ci-dessus la notice spé- ciale qui le concerne. (5) DEVOSGE (François), peintre et sculpteur, né à Gray le 15 janvier 1739, mort à Dijon le 22 décembre 1811. — 9239 —. démie de Dijon, un GRAIZELY (1), un ATTIRET (2), un Boïs- TON (3), et des architectes qui se sont illustrés par la fécondité de leur imagination, la hardiesse de leurs plans et la facilité dans leur exécution, enfin des artistes et des ouvriers en tout genre, qui ont excellé dans les différents arts qu'ils ont embrassés. Cest pour donner encore plus d’essort aux dispositions heu- reuses du génie comtois, que M. DE LACORÉ, intendant de la province, conçut le projet, en 1773, de former dans Besançon une Ecole gratuite de dessin, sous la dénomination d’Académie de peinture et de sculpture. Il fit part de ses vues patriotiques aux officiers du Magistrat, qui y applaudirent avec reconnois- sance. Pour le seconder en même temps, ils s’obligèrent de fournir et de mettre en état deux salles pour les exercices de la nouvelle Académie; ils consentirent à distraire des caisses de la ville une somme de mille livres, pour pensionner deux professeurs et remplir les frais indispensables de modèle et autres accessoires à cet établissement, jusqu’à ce que l'on vit quel en seroiïit le succès. M. DE LACORÉ se réserva le soin de lui procurer dans la suite un revenu plus considérable, et il promit d'employer ses bons offices pour lui donner une sanc- tion légale et reconnue. (1) GRESLY (Gaspard), né à l’Isle-sur-le-Doubs le 8 janvier 1712, mort à Besançon le 18 février 1756, était issu d’un ménage d'ouvriers suisses em- ployé dans une verrerie dite de Remorfans. Il devint peintre par instinct et réussit surtout dans le érompe-l’œil et les effets à la chandelle. Ses. scènes familières, dont les figures, à mi-corps ou à mi-jambes, sont des portraits, ont une saveur locale qui mérite à Gresly le surnom de Le Nain de la Franche-Comté. Sur cet artiste, qui ignorait l'orthographe de son art et n'aurait pas eu qualité pour enseigner, on peut lire une notice dans l'Histoire abrégée du Comté de Bourgogne, par D. GRAPPIN (2e édit., 1780, pp. 249-950). Les actes de baptême et d’inhumation de Gresly se trouvent dans la septième édition, donnée par moi, du Catalogue des Musées de Besançon, 1886, p. 98. (2) ATTIRET (Jean-Denis), né à Dole le 31 juillet 1702, mort à Pékin le 17 décembre 1768, appartenait à la Compagnie de Jésus et devint le peintre officiel de l'empereur de la Chine Kien-Long. — ATrTiRET {Claude-François), né à Dole le 14 décembre 1728, mort à l'hôpital de cette même ville le 15 Juillet 1804, sculpteur de talent, élève de Pigalle et maître de Luc Breton. (3) BoISTON (Philippe), de Morteau, sculpteur. Voyez ci-dessus la notice spéciale qui le concerne. — 240 — On forma dès lors un Conseil d'administration, composé de M. l’Intendant, en qualité de protecteur, du Maire de la ville, de deux échevins, des deux plus anciens conseillers du Magis- trat, de quatre notables amateurs choisis dans les ordres les plus distingués des citoyens, et d’un secrétaire. Le Magistrat fit un réglement provisionnel pour la tenue de ce Bureau et pour la police de l’Académie, qui fut composée de deux salles : la première pour y dessiner d’après nature sous la direction de deux professeurs principaux; la seconde pour y démontrer les principes et les élémens aux commençans, sous la direction d’un sous-professeur. : On prit des arrangements particuliers envers les sieurs BRE- TON et WIRCH, qui S’engagèrent à remplir les places de profes- seurs principaux aux conditions qui leur furent réglées, l’un pendant trois années et l’autre pendant dix-huit mois. Des mille livres données par la ville, on pensionna chacun de ces professeurs d’une Somme de trois cents livres. Le surplus fut réservé pour acquitter les frais de modèle et fournir aux dépenses d'entretien, d'ameublement et de l’illumination des Salles. Le sieur FRAICHOT, choisi pour sous-professeur, se con- tenta de quelques exemptions qui lui furent accordées, jusqu’à ce que des circonstances plus favorables missent le Bureau en. état de lui faire également une pension proportionnée à son travail. : Les lecons de l'Académie doivent être de deux heures; elles se donnent publiquement chaque jour dans l’une et l’autre salle, sauf pendant les temps de vacance que le Bureau d’administra- tion a bien voulu accorder aux professeurs, et dont il se pro- pose de diminuer le cours pour ne point retarder l'avancement des élèves. Le Bureau s’assemble une fois chaque mois à l'Hôtel de ville: les professeurs y sont appelés pour rendre compte de la con- duite, des dispositions et du travail des élèves confiés à leurs. soins. Le secrétaire est chargé de tenir registre des délibéra- tions qui s’y prennent. Les progrès de l’Académie ont parfaitement répondu aux es- pérances qui l’ont fait établir. Déjà plusieurs des élèves qu’elle a formés dessinent et modèlent supérieurement d’après nature; — 24À — ils seroient même en état de composer sur leurs propres idees. Le Bureau d'administration à applaudi à leurs succès, et M. DE LACORÉ s’est empressé de les couronner, en fournissant à ses frais, pendant les premières années, les prix et récompenses qu’il a jugé convenable d’attacher au concours des élèves dans les différentes classes. La générosité de ce magistrat l’avoit porté, lors de l’érection de l’Académie, à en décorer les salles d’une foule d’estampes choisies et d’une quantité considérable de plâtres et bas-reliefs du meilleur goût, qu’il a tirés de Paris. Son zèle, toujours actif pour le bien d’un établissement qui lui doit son existence, l’a encore engagé à solliciter des secours pour lui donner le degré de perfection dont il étoit susceptible. Il a obtenu du Ministère, sur la recette générale de la province, une somme annuelle de trois mille livres, pour l’employer soit à pensionner les profes- seurs et leur donner un état fixe et permanent dans Besançon, soit à pourvoir aux prix qu'il convenoit de distribuer chaque ‘année pour exciter l’'émulation des élèves et accélérer leurs pro- grès, soit enfin pour subvenir aux frais de modèle et aux dé- penses inséparables d’un établissement de cette nature. Ce bienfait du Gouvernement, réuni à la somme de mille livres que la ville paye chaque année, a mis le Bureau d'administration en état de remplir entièrement les vues d'utilité que l’on s’étoit proposées. Prenant égard au mérite et aux talens des profes- seurs, il a réglé au sieur BRETON une pension annuelle de quinze cents livres, au sieur WIrCH celle de mille livres et au sieur FRAICHOT, sous-professeur, celle de cinq cents livres. Les mille livres restantes ont été affectées au payement des prix à distri- buer aux élèves, à l’acquittement des frais de modèle, des dé- penses journalières ét de celles qui pourroient survenir. L'Académie de Besançon peut présentement se soutenir avec décence sur les fonds qui lui sont assurés. Le zèle et les ta- lens des professeurs qui la dirigent, les dispositions heureuses et la bonne volonté de quarante-cinq élèves qui la fréquentent, et dont le nombre ne peut qu'’augmenter, concourront à en étendre les progrès. La vigilance du Bureau d'administration s’occupera sans cesse des moyens d’y exciter l’émulation et d’y maintenir l'ordre et la décence. Il ne reste plus qu’à lui pro- 16 — 949 — curer une sanction légale, essentielle pour la faire jouir des privilèges attachés aux académies reconnues, et à l’affilier à l’Académie royale de peinture et de sculpture, première et prin- cipale de Paris, qu’elle se fera gloire de reconnoître pour mère et de prendre pour guide en tout ce qui concerne la culture et l’enseignement des arts qu’elle a pour objet. Elle recourt avec confiance à M. le comte D’ANGIVILLER qui, en sa qualité de directeur et ordonnateur général des bâtiments, jardins, arts, académies et manufactures royales, a été établi chef et protecteur unique de toutes les académies de peinture et de sculpture du royaume. C’est de ce protecteur des arts, toujours empressé à en étendre les progrès, qu’elle attend cette institution légale qui doit assurer à jamais sa consistance et lui donner une affinité qui est l’objet le plus cher de ses vœux. Elle soumet à ses judicieuses observations les réglemens et les statuts provisionnels qu’elle a cru devoir faire. Elle espère qu'il daignera en autoriser et confirmer les dispositions sous tels changements et modifications qu’il lui plaira d'y insérer. Fait à la séance du Bureau d'administration de l’Académie de peinture et de sculpture de Besançon, le 8 janvier 1778. (Signé) BELAMY, secrétaire. Lettre du comte D'ANGIVILLER, directeur général des Bâûti- ments du Roi, annonçant à la municipalité de Besancon qu’il est prêt à accorder une reconnaissance légale à l’E- cole gratuite de peinture et de sculpture de cette ville, dès que le Parlement de la province aura enregistré la Dé- claration royale du 15 mars 1777. 6 février 1779. (Archives de la ville de Besançon.) MM. les Maire, Echevins et Conseillers au Magistrat de Besançon. À Versailles le 6 février 1779. J'ai reçu, Messieurs, avec la lettre que vous m’avez fait l’hon- neur de m'écrire, le projet de réglement pour votre Académie à de peinture, que je vous avois adressé, par l’entremise de M, de Lacoré, avec quelques observations, et que vous m'avez renvoyé avec votre réponse et quelques explications. Vous pouvez dès ce moment regarder le tout comme affaire convenue à la satis- faction des deux parties, et je vais faire expédier ce projet con- séquemment. Comme vous me marquez qu’il seroit expédient de faire enregistrer au Parlement de Besançon la Déclaration du 15 mars 1777 concernant les arts de peinture et de sculpture, je viens d'écrire de nouveau sur ce sujet à M. le prince de Mont- barrey, à qui j'avois écrit dès le mois d’avril de l’année dernière pour cet enregistrement dans tous les Parlemens des provinces de son ressort (1), car j’avois déjà senti cette nécessité. Je tien- drai prête l'expédition des statuts de votre Académie, en sorte qu’il n’y ait à remplir que la date de l’enregistrement et mettre ma signature, aussitôt que j'aurai avis que cette formalité aura été remplie au Parlement de Besançon. J'ai l'honneur d’être très parfaitement, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur D'ANGIVILLER. Mémoire présenté par l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon, à l'effet de réclamer pour elle le pa- tronage de l’École de peinture et de sculpture de cette ville, que l’on voulait attribuer à l’Académie royale de Paris. 10 mars 1779. — Délibérations de l’Académie de Besançon, à la Bibliothèque de cette ville, t. IT, fol. 202-206. Mémoire sur l’Ecole de peinture et de sculpture de Besançon d qui on projette de donner le nom d’Académie (2). Il s’est formé depuis longtemps dans la ville de Besançon (1) Marie-Eléonor-Alexandre DE SAINT-MAURIS, prince DE MONTBARREY, né à Besançon le 20 avril 1732, était secrétaire d'Etat de la Guerre et avait dans son Département ministériel la surintendance des Trois-Evêchés (Metz, Toul et Verdun), de la Lorraine et du Barrois, de l’Artois, de la Flandre, du Hainaut, de l'Alsace, de la Franche-Comté, du Roussillon, du Dauphiné, de la ville de Sedan et dépendances, enfin de l’île de Corse. (2) Ce mémoire fut rédigé par Charles-Antoine SEGUIN, professeur en à on différentes associations pour le progrès des sciences et la per- fection des talens; mais la difficulté qu’on éprouve en province de trouver assez de sujets habiles dans un seul genre pour donner quelque consistance à des académies particulières et multipliées, comme celles qui sont dans la capitale du Royaume, a fait penser qu’il seroit plus avantageux de réunir dans une seule compagnie tous les genres de travaux que présentent les Sciences, les Belles-Lettres et les Arts (1). En conséquence le feu Roi autorisa, par lettres patentes du mois de juin 1752, la fondation faite par M. le duc DE TALLARD d’une Académie dans la ville de Besançon, sous le titre d’Académie des Sciences, des Belles-Lettres et des Arts, sous la protection du Gouverneur de la province et la direction de l’Archevèêque, du Lieutenant gé- néral et commandant, du Premier président du Parlement, et de l’Intendant du Comté de Bourgogne. Cette Compagnie s’est occupée depuis son établissement de. tout ce qui intéresse la province et principalement l’histoire des arts de toute espèce (2). Loin de négliger les arts libéraux, il est constaté par les re- gistres qu’elle s’est occupée d'architecture, sculpture et des- Sin (3). M. DE BOYNES,, premier président et intendant, l’a con- sultée en différentes occasions sur les décorations de Besançon, et a désiré qu’il en fût fait mention sur ses registres. Elle à pro- droit à l’Université de Besançon, de concert avec le président, le vice-pré- sident et le secrétaire perpétuel de l’Académie de Besançon, c’est-à-dire avec le marquis Claude-François-Adrien DE LEZAY-MARNÉSIA, Louis PHizi- PON DE LA MADELEINE, François-Nicolas-Eugène DROZ. — A. C. (1) « Lettres patentes de 1752 ». (2) « Sans parler des ouvrages d’éloquence et d'histoire, l’Académie a donné des prix et a formé des recueils de mémoires précieux : en 1753, ponts ; 175%, salines ; 1755, commerce ; 1756, fers, forges et fourneaux ; 1757 et 1775, moulins ; 1758, noyés; 1759, mendicité ; 1760, papeterie ; 1761 et 1777, culiure et maladie des vignes; 1763, maladie du bétail ; 176%, bains ; 1765 et 1770, flottage et navigation du Doubs ; 1766, fabrication du salpêtre ; 1767, clôture d’héritages ; 1768, culture des grains ; 1769, em- bellissements de Besançon ; 1771, aménagement des forêts ; 1772, végétaux, nourriture des hommes en temps de disette; 1773, plâtres et albâtres ; 1774, blan- chisseries ; 1778, minéralogie ». (3) « Délibérations des 26 avril et 21 juin 1756 ». ins dus “he 2 07 — posé un prix sur les embellissements de cette ville, qui a produit un volume de mémoires, plans et dessins. Tantôt elle a excité l’émulation des architectes en les introduisant dans ses assem- blées particulières, ou en leur accordant d’autres distinctions; elle a donné son avis sur l’architecture pyramidale des portes et fontaines construites à Pontarlier, de l'autorité de M. DE LACORÉ, elle a fait des recherches intéressantes sur les plâtres et albâtres de la Province et n’a laissé échapper aucune occa- sion d'encourager les artistes (1). Aussi lorsqu'il fut question de jeter les premiers fondemens de l’Ecole de sculpture et de dessin, ce fut dans les salles et sous les ordres de l'Académie que M. DE BOYNES établit le sieur BOISTON (2); et si des évènements particuliers ont interrompu les leçons, cela n’a point privé l'Académie de la direction qui lui étoit acquise en cette partie comme l’Académie de tous les arts. M. DE LACORÉ, ayant suivi et perfectionné les plans de M. DE BOYNES, son prédécesseur, a fixé pour cette Ecole deux profes- seurs de peinture et sculpture qui n’ont pas donné leurs lecons à l’Académie, dont on retranchoit alors les salles pour létablis- sement du concert; mais cette Compagnie, en se référant au zèle de l’un de ses directeurs pour la perfection des Beaux- Arts, n’a pas cru préjudicier à ses droits, et elle garderoit en- core le silence si cette Ecole n’eût aspiré insensiblement au titre d'Académie, qu’on ne peut lui accorder dès que les lettres patentes de 1752 ont déjà établi une Académie des Arts. La peinture et la sculpture forment une des parties les plus agréables et les plus distinguées des Beaux-Arts; elles tiennent de près à la poésie, à l’histoire et à la mythologie : ce seroit les dégrader si on les regardoit purement comme une Ecole pra- tique. L’artiele 1 de la Déclaration du Roi du 15 mars 1777, dont on veut se prévaloir, déclare La peinture et sculpture arts libres, parfaitement assimilés aux lettres, sciences et autres arts libé- raux; on ne peut donc en priver l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon, ni établir en cette ville (1) «95 avril et 6 décembre 1757 ; 1770 ». (2) « Délibération du 27 juillet 1756 ». — 916 — aucun autre Corps qui puisse en tout ou en partie aspirer aux mêmes fonctions. Une société se forma en 1754 pour traiter des sciences et arts qui pouvoient avoir rapport à la guerre : elle fut annoncée dans la France littéraire avec emphase; mais à peine eut-elle tenu quelques séances au Fort-Griffon, que ses assemblées furent interrompues par ordre du Commandant de la province comme contraires aux droits de l’Académie, quoique le lieu où elles se tenoient fût en quelque manière séparé de Besançon. Ces droits furent également respectés dans une autre circonstance, malgré des vues générales du Ministère : la Société d'Agriculture for- mée à Paris en 1761, avec quelques bureaux dans les villes où il n’y avoit pas d’Académie, cherchoiït à s'étendre dans les pro- vinces (1). M. BERTIN en écrivit à M. DE LACORÉ : M. l’abbé TALBERT fut chargé de représenter à ce Ministre que lagricul- ture, étant le premier de tous les arts, étoit déjà dans l’attri- bution générale faite à l’Académie de Besançon ; que cette Compagnie s’étoit déjà occupée d'Agriculture dans cette pro- vince, en excitant l’émulation et proposant des prix sur cette partie ; le Ministre fut content de ses travaux et ne songea plus à les attribuer à d’autres ; ce n’est donc pas le cas de faire pour la peinture et la sculpture ce qui n’a pu réussir pour l’agrieul- ture et l’état de guerre. La distinction que l’on voudroit faire entre la spéculation et la pratique ne paroît pas plus applicable aux arts libéraux qu'aux arts mécaniques. L'Académie s’est occupée, comme celle des Sciences de Paris, de toutes sortes d'arts utiles à la province : de l’art du tuilier et du papetier, des forges, des Salines, du commerce, des canaux, etc. Faut-il done lui ôter ces arts parce qu'ils sont réduits en pratique? Si cela arrivoit, il faudroit que chaque art eût son académie, ce qui est absolu- ment impossible dans les provinces où l’on ne trouve pas tant d'hommes à talens supérieurs en chaque genre que dans la capitale ; et c’est déjà beaucoup que l’on puisse y former une Académie universelle. La Déclaration du 15 mars 1777 qui règle (art. 4) que l’Aca- (1) « Délibérations des 10 février, 26 août et 9 décembre 1767 ». — 947 — démie de peinture de Paris sera la mère et l’appuy de toutes celles qui seront établies à la suite, et les Lettres patentes du mois de novembre 1676, qui attribuent au Directeur et ordonna- teur des Bâtimens du Roi la protection et la police de ces corps, ne sont point enregistrées au Parlement de Besançon. En second lieu, l’art. 4 ne concerne que les Académies qui seront établies à la suite, et il n’y en à point à établir à Besan- çon ; celle des arts est établie et patentée depuis longtemps, et l'influence qu’elle doit avoir sur l’Ecole de peinture est une suite de ses fonctions et de l’attribution générale des Arts. L'article 6, sur la protection de l’Ordonnateur des Bâtimens de S. M., n’est applicable qu'aux Académies uniquement bornées à la peinture et à la sculpture ; mais celle de Besançon, embras- sant les seiences et les arts, a déjà pour protecteur M. le Maré- chal DE DURAS, gentilhomme de la chambre et gouverneur du Comté de Bourgogne, et l’on ne pourroit sans lui manquer ré- clamer d’autre protection. Ce n’est pas que l’Académie de Besançon veuille éviter toute correspondance avec le Directeur et ordonnateur des Bâtimens et avec l’Académie de peinture de Paris. Au contraire : toutes les Académies sont sœurs; celle de Besançon sera charmée de concourir avec celle de Paris aux progrès des Sciences et des Arts, et elle profitera avec empressement des observations de M. le Directeur des Bâtimens en cette partie, dès que l’on agira de concert pour le bien de la chose. Cest uniquement dans cette vue qu'il a paru plus avantageux pour l’Ecole de peinture et de sculpture de ne point élever un mur de séparation entre elle et l'Académie, mais au contraire de la confier à ses soins, comme elle le fut dès sa naissance en 1757 ; et s’il étoit à tous égards convenable de laisser à M. DE LACORÉ, comme directeur de l’Académie, la principale influence sur cette Ecole, qui doit à son goût pour les décorations, les édifices et les établissemens publics, les fonds assignés sur la province, on se flatte que ce magistrat, qui n’a pas marqué moins de zèle pour Pavancement des Sciences que pour celui des Arts, voudra bien continuer à l’Académie la bienveillance dont il la honorée jusqu’à présent, et faire entendre à M. D’AN- GIVILLER que M. DE BOYNES, ayant reconnu en 1757 les droits ee de l'Académie sur l'Ecole de sculpture, il n’est pas possible au- jourd’hui à son successeur de les méconnoître, d'autant plus qu'ils résultent des Lettres patentes enregistrées en 1752. L'Académie, comme M. l’Intendant, n’a d’autres vues que d’exciter l’émulation des professeurs et des élèves, et l’on peut augmenter la considération des premiers en leur donnant séance et voix délibérative pour tout ce qui concerne leur Art, en leur assignant au Palais de Granvelle, près du dépôt des machines, un lieu pour leurs leçons, en distribuant les prix aux élèves avec plus d'appareil dans une séance publique de l’Académie qui seroit tenue à cet effet, dans laquelle on liroit les ouvrages qui ont le plus de rapport aux Beaux-Arts. Par ce moyen, la pein- ture, la sculpture et l’architecture seroient plus honorées, et les leçons mieux suivies que dans une salle obscure et éloignée; et l’on seroit toujours assuré de trouver des gens de goût dans une Société qui a tâché de s'attacher des hommes à talens en tous les genres, et qui connoît la difficulté d’en réunir beaucoup sur une seule partie dans une petite province. Le détail de l'administration pourroit être confié à un Bureau, dans lequel M. DE LACORÉ aura une influence principale, puisque l'accroissement de cette Ecole est son ouvrage; les membres de ce Bureau seront choisis parmi ceux de l’Académie, du nombre desquels le Maire de la ville sera toujours. Il paroîtroit superflu d'y appeler d’autres officiers municipaux trop oceupés. D’ail- leurs ceux d'entre eux, ainsi que les amateurs qui s’adonnent plus particulièrement aux Sciences, aux Lettres et aux Arts, ont des droits à l’Académie, qui se fera un plaisir de les accueillir, lorsqu'ils manifesteront l'envie de lui appartenir. Quant aux réglemens, ceux que M. DE LACORÉ a bien voulu communiquer à l'Académie ont paru bons à la première lec- ture ; s’il convient d'y ajouter quelque chose et profiter des lu- mières de l’Académie de peinture de Paris et de M. le Directeur des Bâtimens du Roi, rien n'empêche que l'on se concerte; cela pourra contribuer à l’uniformité de la police. Mais, pour tenir la main à l'exécution, l’Académie séante à Besançon aura sans contredit plus d'avantage que toute autre compagnie moins nombreuse ou plus éloignée. Quant aux formalités nécessaires pour l’agrégation des pro- ? # À | À 1 à Ê 070) — fesseurs de peinture et de sculpture à l'Académie de Besançon, leur nomination en cas de vacance, etc, c’est une chose de dé- tail pour lequel il suffira d’une ordonnance du Roi, expédiée . dans le département de M. le prince DE MONTBARREY, à la de- mande de M. le Maréchal DE Duras, protecteur, de la même manière que les ordres donnés pour la séance de M. le marquis DE SÉGUR, du Maire de la ville, de douze associés, etc. Quant aux fonds destinés à la pension des professeurs de peinture et de sculpture, aux prix des élèves, gages du modèle, etc., un arrêt du Conseil régleroit le tout, et il paroîtroit con- venable d'ajouter un professeur d'architecture qui participeroit aux émolumens des autres professeurs. Par ces arrangemens, on éviteroit les réclamations que l’envoi de la Déclaration de 1777 exciteroit nécessairement, sur l’espèce d'autorité de l’Ordonnateur des Bâtimens du Roi dans une pro- vince où l’on ne reconnoît aucunes juridictions étrangères. Le Parlement les a toujours écartées, et l’Académie ne pourroit s'empêcher de faire quelque démarche en cette circonstance : autrement elle s’attireroit les reproches de toutes les sociétés qui sont dans la même hypothèse. Celle de Lyon, par exemple, qui réunit comme celle de Be- sançon, les Sciences, les Lettres et les Arts, n’a-t-elle pas classé ses académiciens ; et si on lui ôte la peinture et la sculpture, quelle place assignera-t-on dans cette Académie à deux hommes célèbres (PERRACHE et NONNOTTE), dont l’un, né à Besançon, y a exercé ses premiers talens ? Amiens, Auxerre, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Dijon, Metz, Pau, Rouen et Villefranche ont réuni dans leurs Académies les Sciences et les Arts: et l’on ne croit pas que de leur agrément on en ait détaché la peinture et la sculpture pour en faire des académies particulières ; et si à Toulouse on a établi une Aca- démie particulière de peinture, c’est parce que celle des Jeux floraux et celle des Sciences et Belles-Lettres n’avoient point réuni les Beaux-Arts, comme celle de Besançon qui doit, sui- vant les Lettres patentes de son établissement, embrasser tous les genres de travaux que présentent les Sciences, les Belles- Lettres et les Arts. S'il étoit possible d'en détacher la peinture et la sculpture — 950 — pour en faire une seconde Académie, il y auroit bientôt une troisième Académie d'architecture, sous la protection de celle de Paris; puis la Société royale de Médecine et celle de Chi-. rurgie voudroient avoir leurs colonies. La Société royale d’Agri- culture, dont les bureaux n’ont été établis en 1761 que dans les villes où il n’y avoit point d’Académie des Arts, reviendroit à la charge sur le projet dont on se défendit en 1767. Les Académies des Sciences et des Belles-Lettres ne regarderoient les acadé- miciens épars dans le royaume que comme leurs facteurs et leurs correspondants ; et tandis que l’on démembreroit toutes les compagnies de sçavans, de gens de lettres et d'artistes, l'Académie françoise, qui se prétend métropolitaine, seroit peut-être alors fondée à adopter ce qui a été dit sur le luxe littéraire et la multiplication des académies de province : elle verroit le tout de telle manière que ceux qui n’ont pas la force de se mettre au-dessus des préjugés n’oseroient plus aspirer aux sociétés qui doivent exciter l’émulation dans les provinces. Il est donc d’une conséquence infinie de ne point affoiblir les Académies en les sous-divisant et en les subordonnant à d’autres : chacun aime à exister par soi, et si le génie met l’ar- tiste à côté de l’homme en place, c’est une preuve de légalité entre les académies comme parmi leurs membres. La corres- pondance générale seroit avantageuse et désirable, mais lPexé- cution en est si difficile par les soins et les frais qu’elle entraîne, qu'il faut la mettre avec le projet de la République universelle. Délibération de la Municipalité de Besançon et de l’Admi- nistration départementale du Doubs, au sujet de la con- servation de l'Ecole gratuite de peinture et de sculpture, malgré le refus des départements du Jura et de la Haute- Saône de contribuer à l'entretien de cette institution ci- devant provinciale. Extrait des Délibérations du Conseil général de la commune de Besançon. Du LUNDI 28 NOVEMBRE 1790. «M. DuverNaAY et M. Brior, députés du département, s'étant ! k — 9251 — fait annoncer ; admis dans la chambre du Conseil et y ayant pris séance à la droite de M. le Maire, ils ont dit que l’objet de leur députation étoit de savoir si la Compagnie désiroit que l’on laissât subsister l’établissement de l’Académie de peinture et de sculpture, dont la dépense étoit ci-devant remplie tant par la ville, qui y coopéroit pour une somme de mille livres, que par la province entière, qui y participoit pour trois mille livres, ajoutant mesdits sieurs les députés qu’il étoit présumable que les charges de cet établissement, si on le laissoit subsister, ne pouvoient plus guère être supportées que par la ville et le dé- partement du Doubs, par la considération que déjà le départe- ment de la Haute-Saône s’étoit refusé à y coopérer, et que celui du Jura suivroit immanquablement cet exemple. Sur quoi, la Compagnie, considérant combien il est intéres- sant de favoriser les Beaux-Arts, d'encourager les talens et de conserver les moyens de les faire éclore; considérant encore les avantages qui peuvent résulter pour les citoyens de léta- blissement de l’Académie de peinture et de sculpture, formé pour eux sous les auspices du patriotisme et de la bienfaisance, elle a prié MM. les députés d'engager MM. du département à soutenir cet établissement pour lequel, sous leur bon vouloir, la ville continuera de payer une somme de mille livres à pré- lever sur le produit des octrois réservés pour les fortifications, et, indépendamment de cette somme, le logement, comme il a été usé ci-devant. DU MERCREDI 1% DÉCEMBRE 1790. MM. DUVERNAY et BRIOT, membres du département, ayant demandé l’entrée à la séance, qui ieur a été déférée à l’instant, ils ont présenté à Messieurs un extrait en forme de la délibé- ration qu'a prise le département concernant l'Académie de pein- ture et de sculpture, de laquelle délibération la teneur suit : Extrait du Registre des délibérations du Gonseil général du département du Doubs. « À la séance du 30 novembre 1790, un de Messieurs à dit » que la délibération d'hier ayant maintenu les trois professeurs » de l’Académie de peinture, sculpture et dessin, fixé leur trai- » tement au taux auquel les circonstances forcent à les res- » treindre, il restoit à pourvoir aux frais de modèle, d’estampes, » de chauffage, lumières, et à l’administration du Bureau, qui. » étoit ci devant présidé par M. l’Intendant; invitant le Conseil » à prendre une détermination sur ces objets : la matière dis- » cutée, le procureur-général-syndic ouï, il a été arrêté que, » pour éviter tous détails qui pourroient prendre trop sur les » momens du Directoire, il convenoit de fixer à quinze cens » livres annuellement la somme pour laquelle le Département » contribuera aux dépenses de l’Académie, laissant le surplus » à la charge de la ville et sous sa surveillance particulière, » sauf que les comptes seroient présentés au Directoire, et que ; » l’un de Messieurs présideroit le Bureau; que MM. les com- » missaires conféreroient de la présente avec les officiers mu- » nicipaux, et que sur leur référé, il seroit définitivement sta- » tué. Signé au registre : SEGUIN, président, et COUTHAUD, se= » crétaire ». | DU JEUDI 2 DÉCEMBRE 1790. Lecture a été faite d’un mémoire que les sieurs BRETON et Le Notrr, professeurs de l’Académie de peinture et sculpture, ont présenté à la Compagnie, contenant leurs réclamations sur la délibération qu'à raison du refus des départemens du Jura et de la Haute-Saône de coopérer, comme la Franche-Comté entière le faisoit du passé, aux frais de cette Académie, le dé- partement du Doubs a réduit leur traitement en leursdites qua « lités de professeurs, celui du sieur BRETON, de 1500 livres, où il étoit ci-devant, à 800 livres, et celui du sieur LE NorR, de 1000 livres à 600 livres : ces professeurs marquant dans leur mémoire M que cette réduction opérera la ruine de l’Académie, par la con" sidération qu'il n’est pas possible que des gens à talens entre- prennent, moyennant un traitement aussi modique, de former des élèves dans des arts aussi difficiles que le sont la peinture et la sculpture, observant d’ailleurs que jusqu'ici ils ont été sous le bénéfice de leur ancien traitement, sur lequel, en l’année présente n'ayant reçu que quatre mois d'honoraires, il leur em E restera dû pour huit mois au premier janvier 1791, qu'on ne peut se dispenser de leur payer sur l’ancien pied, à raison des en vasemens qu'ils ont pris et qu'ils ont remplis à l’accoutumée. 4 + — 953 —. Sur quoi la Compagnie s'étant fait représenter la délibération de MM. du département du Doubs du 30 novembre dernier, par laquelle ce département, qui en a remis un extrait, a fixé à 4500 livres la somme pour laquelle il coopéreroit dorénavant chaque année aux frais de l'Académie de peinture et de sculp- ture, en laissant à la ville la charge du surplus de la dépense; considérant combien il importe de favoriser les arts, et combien il est intéressant de conserver l’Académie de peinture et de sculpture que des vues de patriotisme et de bienfaisance ont établie à Besançon, non seulement pour l’avantage particulier des habitants de cette ville, mais encore en faveur de ceux des trois départemens que l’on a formés dans la province, et même _ de tous étrangers qui se présentent pour prendre des leçons dans les arts que professe cette Académie; la Compagnie a dé- libéré de mettre le mémoire présenté par les sieurs BRETON et LE Noïr sous les yeux de MM. du département du Doubs, en les priant d'observer et de faire observer à MM. des départe- mens du Jura et de la Haute-Saône qu’il est de justice stricte de tenir les engagemens contractés avec les professeurs de l’Académie de peinture et de sculpture; en conséquence de leur payer les huit mois de leur traitement qui écheoiront au 4er janvier 1791, sur le taux réglé précédemment, de faire ob- server également à MM. des départemens de la Haute-Saône et du Jura que les engagemens contractés avec les professeurs de l'Académie l’avoient été au nom de toute la province de Franche- Comté par le Commissaire départi qui en avoit l’administration ; que dès lors ils sont obligatoires, du moins pour le passé et jusques au premier janvier prochain, même pour les départe- mens du Jura et de la Haute-Saône. Il a été délibéré de plus de représenter à MM. les adminis- trateurs du département du Doubs qu’il seroit de convenance et d'équité de conserver l’Académie de peinture et de sculpture, et en conséquence de continuer le même traitement aux pro- fesseurs de cette Académie jusques au plan et à la nouvelle organisation de l’éducation nationale promis et annoncé par l’Assemblée nationale et qui ne peut tarder à paroître; de prier mesdits sieurs les Administrateurs de faire sentir ces raisons de convenance et d'équité à MM. des départemens du Jura et — de la Haute-Saône, pour les engager à y contribuer, et, en cas de refus, MM. les administrateurs du département du Doubs 4 sont invités d’y pourvoir dans leur sagesse. 1 Les officiers municipaux et le conseil général de la commune de Besançon, convaincus de l'utilité de cet établissement, con- l tinueront la même dépense que cette ville a faite jusques à pré- sent pour cette Académie. — 955 — TABLE DES NOMS DE PERSONNES ——___— Les noms des artistes sont en caractères gras, et une astérisque (*) précède en outre les noms de ceux qui ont eu des affinités avec l'Ecole de Besancon. Ahorn (Lucas), de Constance, sculp- - teur, 153. Allegrain (Gabriel - Christophe), sculpteur, 110. Angiviller (Charles-Claude Flahaut de la Billarderie, comte d’), direc- teur général des Bâtiments du Roi 73 19, 10, 11, 18, 190, 191, 209, 236, 242, 243, 247. Arbilleur (Simon), orfèvre, bienfai- teur des pauvres de Besançon, 99, 107. Argent (les frères d”’), de Besançon, peintres, 55. Attiret (Claude-François), de Dole, sculpteur, 99, 127, 239 (note). Attiret (Jean-Denis), de Dole, pein- tre, 239 (note). * Baldauf (Eugène), bavaroïs, lau- réat de l'Ecole pour le dessin, 194 (notice). Bauffremont (la Maison de), 103. Baume - Montrevel. — Voyez La Baume. Bay (de). — Voy. Viénot. * Bazin, de Besançon, lauréat de l’Ecole pour le dessin, 194. * Beaumont (François), d'Ornans, lauréat de l'Ecole pour la sculp- ture, 118, 202. Belamy (Nicolas-Joseph), secrétaire de la ville et de l'Ecole, 70, 169 (notice), 174, 176, 177, 179, 184, 185, 188, 190; 191, 193, 195, 197, 1992012093, 204,/206208, 212 213-219, 210, 219, 2207221 723; AAA 21, 228, 230, 231,:232 233; 234, 235. 236. Bergeret (Jean - François), second avocat général près le Parlement de Besançon, 75. Bertin (Henri-Léonard-Jean-Bap- tiste), contrôleur général des Fi- nances, 246. Bertrand (Claude - Joseph - Alexan- dre), architecte, contrôleur-ad- joint de la ville de Besançon, 64, 129, 134, 229 (notice). * Blévais (Jean-Claude), lauréat de l'Ecole pour le dessin, 194. Blondel (Merry-Joseph), peintre, 149. Boissard (Jean-Jacques), de Besan- çon, dessinateur et antiquaire, 54. Boisselier (Félix), peintre, 149. Boiston (Joseph) fils, sculpteur, 97-98. * Boiston (Philippe), de Morteau, créateur d’une première Ecole de sculpture à Besançon, 56, 58, 59, 60, 65, 75, 76, 93-98 (notice), 196, 239, 245. Bonnaffé (François), armateur de Bordeaux, 174. — 9256 — Borck (le chambellan de), attaché à la cour de Montbéliard, 117. Bourgeois de Boynes, intendant de la Franche-Comté, 58, 59, 60, GI (notice), 15,020 00 2400225247 Bourrelier (Germain), de Besan- çon, peintre, 59. Boynes. — Voy. Bourgeois. Brandebourg-Schwedt (Dorothée- Frédérique-Sophie de), femme du Régent de Montbéliard, 117. Brenot (Alexandre), trésorier de France, membre du bureau de l'Ecole; 10, 22 (notice) 222 ;293, A 2070028050 028172392053) 234,255; 236. : Brenot (Jean-Baptiste), conseiller de ville M06/ 1741760183, 180, 188, 190. Bressand (Jean-François), conseil- leride lle, 12012007 2080910 ee GA DIRE AIO 20, 2 OT 020022810087 233, 1290: Breteuil (Louis-Auguste Le Ton- nelier, baron de), ministre de Louis XVI, 103. * Breton (Luc), de Besançon, sculp- teur, l’an des fondateurs de l’E- cole 01, 1627665 0652460 267000, HUNS2 60087188 89, 01007708 119 (notice), 146,159, 156,161 REP GE TON IE TANT 10: 177112719183, 184189, 1861188, 1919105195 100 107090 202,203, 2047 205, 2006 208210, 210 008 2 PNOAUT 218 AC 2 20RS PU OS ET OS 020) 291, 233,234, 235, 236, 238, 239, 240 221257; Briot (Hugues-François), adminis- trateur départemental» 250, 251. Brulley (Sanson), de Gray, peintre à Besançon, 55. | | | | | Callet de Tournans (Albert-Joseph- François), conseiller de ville, 216, Ai * Callier (Jean-Louis), ferblantier- artiste, lauréat de l'Ecole, bio- graphe de Luc Breton, 118-119, 196, 225 (notice), 226. Calloigne (Jean-Robert), sculpteur, 149. Camus (Béatrix- Antoine-Ignace, marquis de), président au Parle- ment de Besançon, 134. Carondelet, de Dole, famille amie des arts, 53 Caumartin de Saint-Ange (Marc- Antoine Lefèvre de), intendant de Franche-Comté, 78-79 (notice), 60-82, 83 61, 80 or ADS 209) 211,219, 278, 21% 210246) 217 218240002210 00022008 00e 297,228, 080, 230 280 207 08 230. * Chaboz (Gérard-Aimé-Just), lau- réat de l’Ecole pour le dessin, 180, 185. ae * Chalandre (Thomas), lauréat de l'Ecole pour le dessin, 185. Chalon, ({Claude-Charles-Thomas), conseiller de ville, 216, 217. Chambers | William), architecte du roi d'Angleterre, 99. Chambert (Julien), de Besançon, sculpteur sur bois, maître d’ap- prentissage de Luc Breton, 99, 108-109. Charpentier. — Voy. Cossigny. * Charpin, lauréat de l’Ecole pour la sculpture, 226. Châtillon. — Voy. Mouret. * Chazerand ainé (Claude-Louis- Alexandre), de Besançon, lauréat de l'Ecole pour la peinture, 70, 91, 105, 118, 128, 132-137 (notice) 180,188, 195 1100 106! * Chazerand cadet (Antoine), lau- réat de l'Ecole pour la peinture, 118, 198: Chiflet, de Besançon, famille amie des arts, 55. Christen, sculpteur suisse, 120. Clausonet. — Voy. Klosonet. Cochin (Charles-Nicolas), secrétaire perpétuel de l'Académie royale de peinture et de sculpture, 209. * Combette (Joseph-Marcelin), de Nozeroy, peintre, 120 (note). Copel. — Voy. Elisée (le P.). Cortopassi (Gio-Batt.), mouleur, 68- 69. Cossigny (Jean-François Charpen- tier de), directeur des fortifica- tions en Franche-Comté, 165$. Coupin (Marie-Philippe', peintre, biographe de Girodet-Trioson et de J:-P. Péquignot, 137-112. Courlet. — Voy. Vregille. Courtois : {les peintres Jacques, Guillaume et Jean-Baptiste, 51, 238 (notice). Couthaud (Antoine-Pierre), conseil- lende ville 203, 204, 252: Damedor de Moland (la famille), 123 Damoiseau (Louis-Armand-Désiré de), directeur des fortifications, membre du bureau de l'Ecole, 69, 167-168 (notice), 174, 183, 185 1972108192 221.222. Damoiseau (le baron Marie-Charles- Théodore de), membre de l’Aca- démie des Sciences, 168. David (Louis), peintre, 1#7. Dédéban (Jean-Baptiste), architecte, 1497 Dejoux (Claude), de Vadans {Jura), sculpteur, 92, 146 (note), 147. Demesmay. — Voy. Mesmay (de). Deslauriers. — Voy. Pauli. Devosge (François), de Gray, pein- tre, fondateur de l'Ecole de Di- | Jon, 63 (note), 91, 127, 238 (aote). Diogg, peintre suisse, 120. Domet de Mont (Etienne-Eléonor), doyen du chapitre de Notre-Dame d’Arbois, 199 Droz (François - Nicolas -Eugène), conseiller au Parlement, secré- taire perpétuel de l’Académie de Besançon, 75, 244. Du Ban de Cressia (François-Ale- xis), conseiller au Parlement de Besançon, 75. Duhault (Charles-Joseph), conseiller de ville, 185, 187,188, 190, 191; 19%, 195,224, 227228, 230; 231, 232,299. Dumont de Vaux (Pierre-François- Anatoile), conseiller de ville, 177, 1795185 197% 201% Dunod de Charnage (François-Jo- seph), conseiller de ville, 93. Duras (le maréchal Emmanuel-Fé- licité de Durfort, duc de), gou- verneur de la Franche-Comté, 75, 76, 77, 95, 195, 247, 248, 249. Durfort (Raymond de), archevêque de Besançon, 129, 145, 146. * Duval (Pierre-François), de Pon- tarlier, lauréat de l'Ecole pour la sculpture, 196. Duvernay. — Voy. Duvernet. Duvernet (Claude-Simon\, adminis- trateur départemental, 250, 251. Egenod (Henri-François), conseiller de ville, 163, 166-167 (notice), 170, 174,:176, 177, 179; 181, 184-188; 1918103195: * Eggenschwyler (Urs-Pancras), lauréat de l'Ecole pour la sculp- ture, 92, 144-154 (notice), 296. Elisée ‘Jean-François Copel, dit le P.), de Besançon, carme dé- chaussé, prédicateur célèbre, 127. 17 — 958 — Farkot, constructeur à Montbéliard, le Flajoulot (Charles-Antoine), de Be- sançon, peintre et écrivain, 13? (note). Foraisse (Claude-Quentin), conseil- ler de ville, 16%, 174, 176, 177, 1H MSI 2822100025 Fraichot (Claude-Joseph), de Be- sançon, peintre, professeur-ad- joint à l'Ecole, 67, 72, 89, 90, 171, 170 TEAM IS PASS IISG /SlSS OS TOR ND 10 ON ep, 201. 203,204 200208 212 215 00 CON DOUÉ AIS AD, ANR AE DO ANS NE ASE AS, 231, 235,230, 240, 2%] Frasne (de). — Voy. Rochet. * Ganser, sculpteur à Besançon, 117. Gaule (Edme), sculpteur, 149. Gauthiot d’Ancier, de Gray et de Besançon, famille amie des arts, De * Gillebert, lauréat de l'Ecole pour le dessin, 226. Gillebert de Saint-Jouans (Alexan- dre), conseiller de ville, 166, 174, 176, 197, 203. Girodet-Trioson (Anne - Louis ), peintre et poète, 92, 137-143. Goudimel (Claude), de Besançon, compositeur de musique, 54. Gresly (Gaspard), de l'Isle-sur-le- Doubs, peintre à Besançon, 134, 239 (notice). Granvelle. — Voy. Perrenot. Grosbois. — Voy. Perreney. Grosley (Pierre-Jean), auteur des Nouveaux mémoires sur l’Ita- lie, 109. Guénepin (Auguste -Jean - Marie), architecte, 149. * Guenot (Joseph), lauréat de l’E- . cole pour le dessin, 234. Guérin (François), de Baume-les- Dames, peintre à Besançon, 55. Guillemot (Alexandre - Charles }, peintre, 149. * Guillon (Charles - Nicolas), de Clairvaux-lez-Vaudain, lauréat de l'Ecole pour la peinture, 180, 200. Guyon de Frémont (Marie), femme de l’intendant Charles-André de Lacoré, 63 (notice), 115, 116 (éloge), 181, 193. Heim (François-Joseph), peintre, 149 * Heimann (Joseph-Antoine', lau- réat de l'Ecole pour la peinture, 19e Hoin (Claude-Jean-Baptiste), de Dijon, peintre et graveur, 203- 201 (note). Huot (Pierre-Nicolas), avocat à Be- sançon, 117. Huyot (Jean-Nicolas), architecte, 149. Ingres (Jean-Auguste-Dominique), peintre, 149. Jardin (Nicolas-Henri), architecte du Roi, 77. Jeanneney (Victor), de Besancon, peintre et lithographe, 120. Jeanguyot (l'abbé), bienfaiteur des pauvres de Besançon, 98. Jourdain, de Besançon, peintre, en- trepreneur d’équipages à Besan- çon, auteur des portraits des ar- chevêques de cette ville, 145. Jourdain (François), père, de Be- sançon, peintre, 176. * Jourdain (Laurent-Bruno-Fran- çois), de Besançon, lauréat de l’E- cole pour la peinture, 70, 91, 106, 128-132 (notice), 180, 185, 215, 225, 2206. — 259 — Juvara (Filippo), architecte italien, 93: Kayser (Barbe), femme du peintre Wyrsch, 121. * Kilozonet (André), de Landau, lauréat de l'Ecole pour la sculp- ture, 205. Kosciusko (Thadeus), général polo- nais , 151. Kraus (Georges - Melchior), de Francfort-sur-le-Mein, peintre, 83-81. Kraus (Franz-Anton), d'Augsbourg, peintre, 119. * Krenner, suisse, lauréat de l’'E- cole pour le dessin, 188. La Baume-Montrevel (Maison de), 1024103102: * Labouret, lauréat de l'Ecole pour le dessin, 227. Lacoré (Charles-André de), inten- dant de Franche-Comté, 61, 64-65 (notice), 66, 68, 69, 70, 72, 76, 78, 79, 80, 114-115 (éloge), 133, 162, 163, 166, 169, 170, 174, 175, 176, 1715 T8, 179, 180, 181, 187, 185, 150187 188: 190-191: 193, 194; 106101907709 203207 208; 199 241,243, 249, 240, 247, 248. Lacoré (Madame de).— Voy. Guyon. Laitié (Charles-Remi), sculpteur, 149. Lapi (Gaëtano), peintre italien, 119. Lapret (Alexandre), de Besançon, sculpteur, 107. Lapret (Denis-Philibert), de Besan- con, professeur d'architecture, 76, 77 (notice). Laurent (Louis-Thomas), conseiller desvile 163-201, 203, 20% 206, 2082120218 21%2228230:231, 200, 294, 239, 290. Lavy (Claude-Louis), de Besan- * con, lauréat de l'Ecole pour Île dessin, 203. Le Clère (Achille-René-François), architecte, 149. Ledoux (Claude-Nicolas), architecte de la salle de spectacle de Besan- çon, 64. Le Maillot ‘Etienne-Louis), conseil- lénde ville 190 1911937218; 2192212723; * Le Noir (Simon-Bernard), pein- tre, professeur à l'Ecole de Be- sançon, 80, 84, 85, 80, 88, 124-127 (notice), “129,216, 217, 218219; 22159223 2217297, 1228230, 231; 292, 239, 434,299, 290, 292- Lezay-Marnésia (Claude-François- Adrien de), académicien de Be- sançon, 244. Ligniville (Jeanne-Marguerite de La Baume-Montrevel, marquise de), 102;:104, 199: Lochard (Henri-Marie), conseiller de ville, 195, 206, 208, 219, 213, 214. Loisy (de), de Besançon, famille de graveurs, 54. Loisy (Sille de), de Besançon, peintre, 55. * Lonchamp, lauréat de l'Ecole pour le dessin, 226. Longin (Charles-François), archi- tecte-contrôleur de la ville de Be- sançon, 229. Louis (Victor), architecte de l’In- tendance de Franche-Comté, 64. _* Mancelle (Thomas), de Besançon, lauréat de l'Ecole pour le dessin et la sculpture, 216, 219. * Marcousset (Pierre-Gilbert), de Besançon, lauréat de l'Ecole pour la peinture, 201, 203, 205. Mareschal. — Voy. Vezet,. 000 Masquelier (Claude-Louis), gra- veur, 149. Massou fils (François - Benoit), sculpteur, 97. Matherot de Romange (le chanoine Pierre-François), membre du bu- reau de l'Ecole, 69, 168 (note), 169, 174 177, 119,183 185) 188, 190; OS MO AO O0 2) 08 207, 208 2120210 21400210, 219, 20), 225, 224297 228 250, 23% Maublan, de Besançon, famille de peintres, 55. Meister (Joseph), charron suisse, maître d'apprentissage du sculp- teur Eggenschwyler, 145. Ménager (Jean -François-Julien), architecte, 149. Mesmay (François de), de Dole, architecte, 110. Monnot (Pierre - Etienne), d'Or- champs -Vennes, sculpteur, 54, 238 (note). Montbarrey (Marie-Eléonor-Alexan- dre de Saint-Mauris, prince de), ministre de la Guerre, 243 (note), 249. Moreau, menuisier bisontin, pre- mier maitre de Luc Breton, 98. Mouchy (Louis-Philippe), sculp- teur, 92, 110, 146. Mougeot (Bruno), conseiller de ville, ADN: Mouret-Châtillon (Denis - Ignace comte de), président au Parle- ment de Besançon, 58, 59, 75. * Mouton (Maurice), d'Etuz (Haute- Saône), lauréat de l'Ecole pour le dessin, 205- 206 (notice), 226, 234. * Moutrille, de Besançon lauréat de l’Ecole pour le dessin, 180. Müller (Karl), de Soleure, sculp- teur, 152. Mürren (Bénédict), peintre suisse, 120. Natoire (Charles-Joseph), peintre, directeur de l’Académie de France à Rome, 99. Nicole (Nicolas), de Besançon, ar- chitecte, 123: Nodier {Antoine-Melchior), avocat à Besançon, 106, 118. Nonnotte (Donat), de Besançon, peintre, l’un des fondateurs de l'Ecole de Lyon, 61, 62, 204, 238 (note). Obersteg (Georges), sculpteur suisse, 120. Odevaere (Joseph-Denis), peintre belge, 149. Ordinaire (Pierre-François), maire de Besançon, 127. Orival (Louis-Gabriel), conseiller de ville, 166 (note), 174, 177, 179, 183,181, 185, 1881000 IE 105 195, 197, 198, 2010203207 2#200 2129213 215710, 26 NOUS 298,080, 231, 2322293 03/2080 230: Paillot (Dominique), de Dijon, pro- fesseur de dessin à Besançon, 131 (notice). Paris (Pierre-Adrien), architecte, dessinateur du cabinet de Louis XVI, directeur intérimaire de l’A- cadémie de France à Rome, bien- faiteur de la ville de Besançon, 71, 149: Parrot (Jean-Léonard), conseiller de la Régence de Montbéliard, 116, li Pauli (Paul), dit Deslauriers, mo- dèle à l'Ecole de Besançon, 202. Perreaud. — Voy. Rantechaux. * Péquignot (Antoine), de Besan- con, lauréat de l'Ecole pour la sculpture, 118, 137, 189, 185, 193, 193. * Péquignot (Jean-Pierre), de — 6 Baume-les-Dames, peintre, élève de l'Ecole, 92, 137-143 (notice). Perrache ({Antoine-Michel), sculp- teur et architecte, l’un des fonda- teurs de l’Ecole de Lyon, 61, 249. Perreney de Grosbois, premier pré- sident du Parlement de Besan- Con, 79: Perrenot de Granvelle, d’Ornans et de Besançon, famille amie des arts, 99. Perret (Jacques), de Silley, sculp- teur à Besançon. 60. “ Perrèze (Melchior-Joseph), de Be- sançon, lauréat de l'Ecole pour le dessin, 198. Philipon de la Madelaine, avocat du Roi près le Bureau des finances de Besançon, 112, 211. Pierre (Jean-Baptiste-Marie), pre- = mier peintre du Roi, 84, 209, 216, PARCS Pigalle (Jean-Baptiste), sculpteur, 2397 Pouhat de Tallans (Joseph). con- seiller de ville. 107-109. Prost (en religion le P. Tiburce), capucin franc-comtois, natura- liste, 97° Quirot {Charles-Joseph), chanoine- prévot de Saint-Anatoile de Sa- lins, 122-193 (note. Racine (Blaise-Joseph}), avocat, tré- sorier de l'Aumône générale, à Besançon, 108-109. Rantechaux ‘Claude - Antoine - Au- gustin Perreaud de), conseiller de ville, 184. Rately (Claude), de Besançon, . peintre, devenu capucin sous le nom de Fr. Prothade, 55. Richomme (Joseph-Théodore), gra- veur, 149. Rocheit de Frasne (Jean-Baptiste), avocat général honoraire, 75. Roll (François-Victor-Augustin, ba- ron de), officier suisse à Besan- con, 151. Roll (Friedrich von), secrétaire d’E- tat de Soleure, 151. Romange. — Voy. Matherot. Rozière (de). — Voy. Sorans. Rougnon (le docteur Nicolas-Fran- çois), de Besançon, 225. * Rozemond (Mlle de), distinguée pour ses dessins, 197. Ruxthiel (Henri-Joseph), sculpteur belge, 1:19. Sacchetti {Giov.-Batt.), architecte italien, 95. Saint-Ange (de). — Voy. Caumar- tin. Saint-Germain (Ignace-François de), conseiller de ville, 197, 198, 204, 206 AS 25216 217,528) JU 2062023, 22222%,228; 230; 2317 292-233, 254230. Saint-Jouans. — Voy. Gillebert. Saint-Simon (Louis-Marie-Etienne Desmier d’Archiac, marquis de), lieutenant général à Besançon, 151 Sambin (Hugues), statuaire et ar- chitecte dijonnais, 55. Sarragoz (Jean-Prothade), conseiller de ville, 185, 188. Schnetz (Jean-Victor), peintre, di- recteur de l’Académie de France à Rome, 150. * Schweigha=user (Louis), de Stras- bourg, lauréat de l'Ecole pour la sculpture, 92, 200, 201. Schweigkeizer. — Voy. Schwei- ghaeuser. Seguin (Charles-Antoine), profes- seur de droit à l’Université de Besançon, 213. — 26 — Seguin (Philippe), évêque constitu- tionnel du Doubs, 135, 252. Ségur (le lieutenant-général Phi- lippe-Henri, marquis de), com- mandant en Franche-Comté, 249. Sérent (Joseph-René-François de), fondateur de la Société littéraire- militaire de Besançon, 73-74 (no- tice), 246. Sorans (Claude-Antoine de Rozière, chevalier de), membre du bureau de l'Ecole de peinture et de sculp- ture de Besançon, 69, 168 (no- ice), 174, 176, 119,.183,418#, 189, 1SM0S 100108 M0 07100 201 20322 22004208 21270215; AA 16, QE 218219092297) AR E?T,228 250231292953, 292255; 280: Souret (Claude-François), nolaire à Besançon, 108-109. Stiffenhoffen (Anton), tyrolien, lauréat de l'Ecole pour la seulp- ture 92 2118, 190, 108,200 215: 234. Stifofon. — Voy. Stiffenhoffen. Suter (Johan), de Lucerne, peintre, 119? Suvée (Joseph-Benoïit), peintre, di- recteur de l’Académie de France à Rome, 148-149. * Talbert (l'abbé François - Xavier ), académicien de Besançon, 246. Tallard (le duc Marie-Joseph de), gouverneur de la Franche-Comté, DD, LE LA Terrier - Santans (François - Félix- Bernard de), président au Parle- ment de Besançon, 75. Thorwaldsen (Barthélemy-Albert), sculpteur, auteur du Lion de Lu- cerne, 192-1593. Tiburce. — Voy. Prost. Tiolier (Pierre-Nicol.), graveur, 149. Toulongeon (Maison de), 103 Tournans. — Voy. Callet. * Tournier (Joseph), de Besançon, lauréat de l'Ecole pour la peinture et la sculpture, 205, 216, 219, 226. Trouard (Louis - François), archi- tecte, contrôleur des Bâtiments du Roi, 71. Vanner (Barthélemy), conseiller de ville, 184. Vaux (Dumont de).— Voy. Dumont. Vezet (le comte Joseph-Luc-Jean- Baptiste-Hippolyte Mareschal de), président au Parlement de Besan- con, 202. Viénot de Bay (Pierre- Antoine), conseiller de ville, 190, 191, 193, 203, 234, 235,230 Villersvaudey (le marquis Richard de), l’un des directeurs des em- bellissements de la promenade de Chamars, à Besançon, 168. Vregille (François - Désiré Courlet de), membre du bureau de lE- cole, 69, 168-(note), 174, 183, 184, 168 190 10 OS OP PURE 20%, 213, 214, 216, 2U7, 218, 223, 22007, 0850810020 234. | Würtemberg (le duc Frédéric-Eu- gène de), régent de Montbéliard, IE Wyrsch (Madame). — Voy. Kaiser. * Wyrsch (Melchior), peintre suisse, l’un des fondateurs de l'Ecole de Besançon, 61, 63, 66, 67, 70, 71, 12, G0n01 6228417189 0TPAOM EAU 119-124 (notice), 128, 159, 150, 157, IGN 08 A6 MS ATAIT RS 179,183; 184185,"180; 168 MI90: IC UIO 100 0e ABRIS A0, 208 207 206, AU NUS PITPRAIRE 213, 214, 216, A7 218; 22074 00 — TABLE DES MATIÈRES HISTOIRE DE L’'ANCIENNE ÉCOLE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE DE BESANCON. DÉCICAGE RARE NAT NRA AS ER Ne 51 IbÉOUCHOM. nue CHOC de 53 I. ECOLE DE SCULPTURE ET DE DESSIN FONDÉE PAR PHILIPPE BOISTON, SOUS LES AUSPICES DE L'INTENDANT BOURGEOIS DE BOYNES ; CAUSES DE SA COURTE DURÉE (1756-1759). 56 IT. NONNOTTE, DE BESANÇON, ET DEVOSGE, DE GRAY, FONDENT LES ECOLES DE LYON ET DE DIJON (1757-1765). — LE STA- TUAIRE LUC BRETON S'ASSOCIE AU PEINTRE MELCHIOR WYRSCH POUR CRÉER, SOUS LES AUSPICES DE L'INTEN- DANT CHARLES-ANDRÉ DE LACORÉ, L'ÉCOLE GRATUITE DE BESANCON CETTE TT heu 61 IIT. ORGANISATION DE L'ÉCOLE AUX FRAIS DE LA MUNICIPALITÉ ; SON BUREAU D’ADMINISTRATION ; SES PREMIERS LAURÉATS. — SUBSIDE ANNUEL ACCORDÉ A L'ÉCOLE PAR LE GOUVER- NEMENT DE LOUIS XVEA772 1777) 2, 67 IV. L’ACADÉMIE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE BE- SANCON DISPUTE LE PATRONAGE DE L'ÉCOLE AU DIREC- TEUR GÉNÉRAL DES BATIMENTS DU ROI : EN CONSÉQUENCE, L'ÉCOLE N’OBTIENT PAS D’ÊTRE AFFILIÉE A L’ACADÉMIE ROYALE DE PARIS ; UN COURS D'ARCHITECTURE EST CRÉÉ, EN DEHORS DE L'ÉCOLE, PAR L’'ACADÉMIE DE BESANÇON CM EITIRR) RS RS ee Sn eace ei ete 12 — 264 — V. DÉPART DE MELCHIOR WYRSCH : CONCOURS OUVERT POUR LUI DONNER UN SUCCESSEUR ; L’INTENDANT MARC-ANTOINE DE CAUMARTIN LE REMPLACE PAR SIMON-BERNARD LE NoIR (1782-4789)... Rene caen 80 VI. ATTEINTE PORTÉE A L’ECOLE PAR LES MOUVEMENTS RÉVOLU- TIONNAIRES ET PAR LA DIVISION EN TROIS DÉPARTEMENTS DE L'ANCIENNE PROVINCE DE FRANCHE-COMTÉ. — DÉPART DE LE NOIR; DÉCOURAGEMENT DE BRETON. — ÎL NE SUR- VIT DE L'ÉCOLE QU'UN COURS ÉLÉMENTAIRE DE DESSIN (IST) ne ee Re D nd nu oo 80 NOTICES SUR LES PROFESSEURS ET LES PRINCIPAUX ÉLÈVES DE L'ÉCOLE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE DE BESANCON. LE SCULPTEUR PHIBIPPE BOISEON 92 EE SCULPTEUR LUC BRETON 02 2 ee 98 Marché passé par la municipalité de Besançon pour l'apprentissage du jeune Luc BRETON (1743).......... A D 0 00 107 Récit fait par GROSLEY du succès remporté par Luc BRETON dans le concours de l'Académie romaine de Saint-Luc, en 1758..... 109 Descriptions des monuments commémoratifs de la réunion du Rhin au Doubs et des bienfaits de l’intendant Charles-André de Lacoré (LIST) Re RE RAS ele ee LIL et 11% Lettres de PHILIPON DE LA MADELAINE et de Luc BRETON au sujet du monument commémoratif de la réunion du Rhir au Doubs (février avril 1180) Re ne eee 142 Lettre de Jean-Léonard PARROT, relatant le désir qu'avait Luc BRETON de travailler à la décoration du château d'Etupes (août 1785), 116 Luc BRETON dépeint par un de ses élèves. ...,. ........,.... 118 LE PEINTRE MELCHIOR- WYRSCH. 119 LE PEINTRE SIMON-BERNARD LE NOIR ................... 124 LE PEINTRE FRANÇOIS JOURDAIN............... Re nu. 128 DE PEINTRE ATEXANDRE CHAZERAND Ce on BE PEINDRE JEANSPIBRRE PÉQUIGNOT RE CREME TE 1537 LE SCULPTEUR PANCRAS EGGENSCHWYLER A ee 144% — 269 — ANNALES DE L’'ANCIENNE ÉCOLE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE DE BESANCON. DÉLIBÉRATION MUNICIPALE ACCUEILLANT LE PROJET FORMÉ PAR LE SCULP- TEUR LUC BRETON ET LE PEINTRE MELCHIOR WYRSCH, POUR L'ÉTABLIS- SEMENT A BESANÇON D'UNE ECOLE GRATUITE DE PEINTURE ET DE SCULP- HOUR UbEdECeMbre LD Re me den ao ee sn e donne lee 155 MÉMOIRE SUR LE PROJET D'ÉTABLIR A BESANÇON UNE ECOLE GRATUITE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE, PRÉSENTÉ A L'INTENDANT DE LA FRANCHE- COMTÉ, PAR LE SCULPTEUR LUC BRETON ET LE PEINTRE MELCHIOR WYRSCH HÉMReTAMR) er near A ne a aa na à ce «lOÙ LETTRE DE L'INTENDANT CHARLES-ANDRÉ DE LACORÉ, TRANSMETTANT A LA MUNICIPALITÉ DE BESANÇON UN MÉMOIRE CONCERNANT LE PROJET D'ÉTA- BLIR EN CETTE VILLE UNE ÉCOLE GRATUITE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE. — DÉLIBÉRATIONS MUNICIPALES ACCEPTANT CETTE PROPOSITION (15-24 fé- DE AR ua de nero sa ge ses ao aan ons accuse «102 ACTE DES ENGAGEMENTS SOUSCRITS ENVERS LA MUNICIPALITÉ DE BESANÇON, PAR LE SCULPTEUR LUC BRETON ET LE PEINTRE MELCHIOR WYRSCH, POUR LA CRÉATION EN CETTE VILLE D'UNE ÉCOLE GRATUITE DE PEINTURE ET DE SOUPE (Clemar 1770) A ER Re a. on. LO4 LIVRE DES DÉLIBÉRATIONS DU BUREAU DE DIRECTION DE L' ACADÉMIE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE ÉTABLIE A BESANÇON (1774-1789).,..... 166 MÉMOIRE EXPOSANT L'ORIGINE ET LA SITUATION DE L'ÉCOLE GRATUITE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE DE BESANCON, ADRESSÉ AU COMTE D'ANGI- VILLER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DES BATIMENTS DU ROI, PAR LE BUREAU DE L'ÉCOLE, EN VUE D'OBTENIR L’AFFILIATION DE CET ÉTABLISSEMENT A L'A- CONDEMIE ROYALE DE PARIS (8 janvier 1778). :5..:....:...1..::... 956 LETTRE DU COMTE D'ANGIVILLER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DES BATIMENTS DU ROI, ANNONÇANT A LA MUNICIPALITÉ DE BESANCON QU'IL EST PRÊT A AC- CORDER UNE RECONNAISSANCE LÉGALE A L'ÉCOLE GRATUITE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE DE CETTE VILLE, DÈS QUE LE PARLEMENT DE LA PRO- VINCE AURA ENREGISTRÉ LA DÉCLARATION ROYALE DU 15 MARS 1777 (6 fé- MAR En te ten de ee à se 0 à JA D MÉMOIRE PRÉSENTÉ PAR L’ACADÉMIE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE BESANCON, A L'EFFET DE RÉCLAMER POUR ELLE LE PATRONAGE DE L'E- COLE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE DE CETTE VILLE, QUE L'ON VOULAIT ATTRIBUER A L’ACADÉMIE ROYALE DE PARIS (10 mars 1779).,....,., 215 DÉLIBÉRATIONS DE LA MUNICIPALITÉ DE BESANÇON ET DE L'ADMINISTRATION — 966 — DÉPARTEMENTALE DU DOUBS, AU SUJET DE LA CONSERVATION DE L'ÉCOLE DE PEINTURE ET DE SCULPTURE , MALGRÉ LE REFUS DES DÉPARTEMENTS DU JURA ET DE LA HAUTE-SAONE DE CONTRIBUER A L’ENTRETIEN DE CETTE INSTITUTION CI-DEVANT PROVINCIALE (novembre-décembre 1790).,.. 250 TABLE DES :NOMS DE PERSONNES 0 meer tee 20 TABLE DES MATIÈRES SC nd OR eat RAPPORT DE M. EDOUARD BESSON SUR LES NOUVELLES RECHERCHES DE M. JULES MARCOU RELATIVES A L'ORIGINE DU NOM D’AMÉRIQUE Séance du 14 avril 1888. MESSIEURS, De toutes les grandes injustices que le temps a maintenues et même consacrées, il n’en est pas de plus souvent citée et qui semble mieux établie que celle qui a privé Christophe Colomb de la gloire, qu’il méritait à de si indiscutables titres, de donner son nom au monde par lui découvert. Cette gloire passe pour avoir été usurpée par le Florentin Vespucei, dont le prénom aurait servi à désigner l’immense continent ouvert par le génie d’un autre à la civilisation. _ Voilà la légende, ou plutôt la donnée qui passait pour con- sacrée par l’histoire, que s’est attaché à combattre, dans un intéressant travail () qu’il a bien voulu nous adresser et qui n’est que le développement d’un écrit déjà publié par lui an- térieurement sur le même sujet, notre éminent compatriote et confrère M. Jules Marcou. Habitant l’Amérique et rompu par ses travaux scientifiques aux méthodes rigoureuses de raisonnement, 1l était mieux à même que personne de dé- battre une question de cette nature, si toutefois elle pouvait être débattue. La solution qu’il en donne, et que nous nous réservons d'examiner, est à coup sûr aussi curieuse qu'ori- ginale. LA (1) Nouvelles recherches sur l’origine du nom d'Amérique, par M. Jules MARCOU : extrait du Bulletin de la Société de Géographie ; Paris, 1888, in-8°, 89 pages. — 9268 — D’après lui, le nom d'Amérique viendrait du Nouveau- Monde lui-même, bien loin de lui avoir été importé d'Eu- rope. Ce serait celui d’une chaîne de montagnes situées dans le Nicaragua et appelées Amerriques par les indigènes, au- trement dit Pays-du-Vent. Ces montagnes, étant particuliè- rement riches en or, auraient d’une manière spéciale attiré l'attention des navigateurs. Leur nom aurait été donné à la région ambiante, et de là, par un progrès continu, se serait étendu à l’île tout entière : le Nouveau-Monde passait pour une ile récemment découverte. Vespucci, d'ailleurs, ne pouvait donner ce qui ne lui appar- tenait pas. Au moyen âge, en effet, les prénoms étaient des noms de saints ou de grands hommes de l'antiquité, et le prénom Americo que l’on attribue à Vespucei ne rentre dans aucune de ces catégories. Le célèbre navigateur s'appelait réellement Alberico, comme le prouve la signature d’une lettre par lui écrite en 1503 à l’un des Médicis. Postérieure- ment, à la vérité, il modifia lui-même ce mot; mais ce fut précisément à la suite de voyages au Nouveau-Monde où il semble avoir reçu comme surnom le vocable qui servait à désigner une région de ce continent que sa richesse et ses caractères bien tranchés avaient particulièrement mise en vue. Plus tard encore, il signa Amerrico, doublant ainsi lr de son prénom déjà modifié, pour le rendre plus semblable à l'appellation de la chaîne de montagnes de Nicaragua. Mais il s'était auparavant produit un fait grave sur lequel M. Marcou a justement cru devoir insister. Il y avait à Saint-Dié, petite ville située aux pieds des Vosges, une sorte de Société de Géographie, patronée par le duc de Lorraine, qui s'appelait Gymnase vosgien. Cette So- ciété fit paraître, en 1507, un petit volume devenu très rare aujourdhui, mais dont la Bibliothèque de Besançon possède un exemplaire. Sous le titre de Cosmographiæ introductio, il comprenait quelques notions générales de géographie et surtout la traduction latine d’une lettre récemment adressée 3 pero ne do ER SE de dE Ÿ RARE Te PAS UE — 969 — par Vespucci à Pierre Soderini, gonfalonier de Florence. Nous ne suivrons pas M. Marcou dans ses savantes recher- ches, destinées à découvrir l’auteur véritable ou plutôt le rédacteur de cet opuscule. Qu'il se nomme Jean Basin ou Watzmüller, cela n’a pas grande importance au point de vue de la question qui nous occupe. Mais ce qui importe gran- dement, c’est que ce rédacteur est le premier qui ait proposé de donner au Monde nouveau le nom d'Amérique comme dérivant du prénom de Vespucci. Le passage est trop positif et traduit trop bien les illusions du temps au sujet des pré- tendues découvertes du voyageur italien pour n'être pas re- produit : « Nunc vero », écrit le géographe-de Saint-Dié, «et heæ partes [ Europa, Africa, Asia] sunt latius lustratæ, et ala quarta pars per Americum Vesputium (ut in sequentibus audietur) mventa est : quam non video eur quis jure vetet ab Americo inventore, sagacis ingenii viro, Amerigen, quasi Americi terram, sive Americam dicendam : eum et Europa et Asia a mulieribus sua sortita sint nomina. Ejus situm et gentis mores ex bis binis Americi navigationibus quæ se- quuntur liquide intelligi datur ». Un texte si précis et si clair semble bien à première vue aller directement contre la thèse développée par notre com- patriote. Il indique en effet que le prénom de Vespucei a été proposé pour désigner les terres nouvellement découvertes ; et comme cette désignation fut adoptée à peu près à la même époque, il y a là en quelque sorte un baptême authentique dont l'importance ne peut être dissimulée. M. Marcou ne l’envisage Cependant pas ainsi. D’après lui, le nom d’Amé- rique s’est vu accepté non à cause de Vespuccei, mais malgré l'attribution qui lui en était faite par les associés du Gymnase vosgien. Ce nom, en effet, était déjà populaire, et si le livre de Saint-Dié a pu contribuer à le répandre sur les bords du Rhin et dans les régions voisines, dans le Midi de l’Europe où la découverte du Nouveau-Monde était attribuée à son véritable auteur, c’est-à-dire à Christophe Colomb, il y eut — 970 — une réaction contre cette appellation destinée en apparence à consacrer le plus scandaleux mensonge historique, et pen- dant longtemps le monde savant cessa d’y employer le mot d'Amérique. Mais l'appellation populaire a fini par triompher partout, et a reçu du consentement unanime une indiscu- table consécration. Quel fut en tout cela le rôle personnel de Vespucci? Faut-il voir en lui, comme on le fait d'ordinaire, un imposteur habile ayant prémédité et mené à bien, par les manœuvres les plus indélicates, l’usurpation dont il devait bénéficier devant l’his- toire aux dépens de Christophe Colomb? D’après M. Marcou, le navigateur Florentin n’a mérité ni cet excès d'honneur, ni cette indignité. Notre compatriote pense, et cela résulte évi- demment de sa thèse, que le nom d'Amérique fut donné au Nouveau-Monde indépendamment de toute influence étran- gère. Seulement il insiste sur ce point que Vespuceci était Italien, bien plus, compatriote de Machiavel et des Médicis, très fin par conséquent et d’une merveilleuse aptitude à pro- fiter des évènements et les faire servir à son usage et à sa gloire personnels. Qu'il ait, comme tel, su tirer part de la similitude du vocable qui servait à désigner une région par- ticulièrement en vue du Nouveau-Monde avec son propre prénom; qu'il ait même modifié ce dernier de manière à l'identifier davantage avec le nom d'Amérique appelé à une notoriété si considérable ; qu’il l'ait fait surtout après la pu- blication du livre de Saint-Dié, qui devait donner un caractère scientifique à la confusion des deux mots, et surtout lui prêter une origine aussi fausse que flatteuse pour l’heureux béné- ficiaire de la gloire d’un autre : tout cela paraît aussi vrai- semblable que conforme au caractère présumé du voyageur italien. Mais son rôle se borna là; et, s’il y eut faute de sa part, on doit avouer que l’occasion était tentante et qu'il fut excusable de n’avoir pas su y résister. Les circonstances furent plus responsables que lui-même de l’imposture histo- rique que son nom a consacrée. — 271 — Telle est, Messieurs, résumée d’une manière aussi com- plète que possible, la thèse développée par notre éminent compatriote. Dire qu’elle nous a entièrement convaincu se- rait aller bien loin. Vespucei a-t-1l vraiment modifié son pré- nom? C’est ce qu’on ne peut inférer d’une manière certaine de la différence de deux signatures seulement, dans l’une des- quelles à pu se glisser une faute de lecture ou d'impression. Et puis, quand cette modification aurait eu lieu, quand il se- rait prouvé qu'elle aurait été faite pour assimiler, dans les limites du possible, deux noms entre lesquels on voulait par la suite établir une relation précise et directe, cela ne vou- drait pas dire que l'appellation d'Amérique n'a pas été attri- buée au Nouveau-Monde comme devant consacrer une pré- tendue découverte dont Vespucci passait faussement pour être l’auteur. C’est ce que du reste Ja publication du livre de Saint-Dié semble démontrer d’une manière indiscutable. Quoiqu'il en soit, il n’y en a pas moins là une coïncidence curieuse, que le travail de M. Marcou a mise au jour et qui mérite de fixer l'attention. Si notre compatriote en a peut- être exagéré les conséquences, il n’en a pas moins rendu service à la science, en apportant un nouveau tribut d’obser- vations et d'arguments à l’examen d’une question déjà sou- vent discutée, mais dont l'intérêt et l'importance justifient amplement les recherches qu’elle occasionne. L LE MATE SON INTRODUCTION DANS NOTRE ALIMENTATION Par M. Adrien NICKLÉÈS. Séance du 12 décembre 1888. Le Maté est un objet d'alimentation qui, dans l'Amérique du Sud, rend des services extraordinaires à une population de plus de vingt millions d'habitants, occupant une surface de huit millions de kilomètres carrés. À cet égard, non-seu- lement il mérite d’attirer notre attention, mais encore il vaut la peine qu’on recherche les motifs de la consommation énorme de cette plante, et les moyens, s’il y a lieu, de faire profiter nos populations de ce précieux élément. La tentative présente de vulgarisation n’est pas la première; la biblio- graphie sur ce sujet est déjà assez considérable. Plusieurs essais, antérieurs à 1878, étaient restés sans résultat sé- rieux ; mais c’est surtout lors de la dernière exposition uni- verselle de Paris que le mouvement dans le sens de la pro- pagation du maté s’est accentué. Au palais du Champ de Mars, dans un coin de l’exposition des produits de la Répu- blique Argentine, M. Alfred Thomas, ancien capitaine au long cours, lequel depuis a sacrifié son temps et sa fortune pour la vulgarisation du maté, avait installé une vitrine qui abri- tait, outre les différentes sortes de maté sous diverses formes, les instruments qu’emploient les indigènes pour sa consom- mation et dont j'ai l'honneur de vous soumettre quelques échantillons. Le maté, depuis, a été l’objet de nombreuses conférences, d'articles de journaux, de monographies de la part de MM. Conty, Vulpian, Barbier, Thomas, Vallette, Gü- bler, Demarçay, Dujardin-Beaumetz, Dupont, Figuier, Man- — 973 — tegazza, Byasson, Decaisne, Doublet, etc.fEn Alsace, il y a dix ans, nous avons réussi avec quelque succès à la mettre en faveur. Il y a peu de monde aujourd’hui qui ne connaisse au moins le maté de nom; et je pourrais vous citer un bon nombre de Bisontins, civils et militaires, qui en font un usage courant, à leur très grande satisfaction. Avant d'exposer le précieux usage du maté et de comparer son utilité alimentaire à celle du café, du thé et des aliments compris sous la rubrique générale d'aliments d'épargne, nous donnerons quelques détails sur son origine botanique, son histoire et sa récolte. : Le maté (en espagnol Yerba maté, en portugais Herva do maté, herbe de la forêt, [lex paraguayensis de son nom bo- tanique) est un arbuste de la famille des Ilicinées ou Aquifo- liacées, de la taille et du port de l’oranger ou de notre Jeune chêne. Cest un arbre dont la croissance est généralement très droite. Il est de la même famille que le houx de nos pays. D’après Bompland, huit variétés ou espèces employées à cet usage se rencontrent par groupes dans une immense zone forestière dont le Paraguay occupe à peu près le centre. Les feuilles sont oblongues, lancéolées, dentées, vert-foncé en dessus et blanchâtres en dessous. Son odeur, avant la tor- réfaction, rappelle l’odeur suave du tilleul en fleurs et son goût est d’une légère amertume tort agréable. C’est A. Saint- Hilaire qui, dans son premier voyage au Brésil, donna la pre- mière description du maté. On le connaît sous le nom de Yerba, Thé du Paraguay, Thé des Missions, Thé des Jésuites, Thé de la Sainte-Barthélemy. « Le fruit, m’écrit un de mes amis, M. Oettly, est un peu plus gros qu’un grain de poivre; certains oiseaux, surtout les pigeons sauvages, en sont très friands. Ce fruit, paraît-il, ne germe pas directement lors- qu'on le met en terre; les essais de semaille qu’on à faits jusqu'ici sont restés sans résultat. Elles ne se développent sous terre que lorsqu'elles ont séjourné au préalable dans l'estomac d’un oiseau. Je connais bien des personnes qui ont ; 18 — 914 — semé des baies ramassées dans les excréments d'oiseaux, et la plante a parfaitement pris naissance. Il m'est arrivé sou- vent de trouver dans la forêt de jeunes plantes d’herva do maté, bien qu’à quelques centaines de mètres à la ronde il n’y eût aucun arbre à thé. Les graines ont donc dû être por- tées là par des oiseaux. On peut en conclure que la graine, pour pouvoir germer, doive être soumise auparavant à une certaine température humide équivalant à la température de l'estomac d’un oiseau. J'aurais certainement fait des essais dans ce sens si j'étais resté au Brésil. La plante elle-même se transporte avec beaucoup de difficultés ; dix pour cent à peine des plants en pépinière réussissent. Il est évident qu’on arrivera à transplanter l'arbre à maté aussi bien que d’autres arbres, quoiqu’en disent les colons qui se découragent à la moindre difficulté et qui vous diront qu’une chose est im- possible quand elle ne leur aura pas réussi. » Depuis des siècles le maté jouit là-bas d’une juste réputa- tion. Les Indiens Guaranys, pour soutenir leurs forces dans les voyages ou les travaux pénibles, en l’absence de nourri- ture solide, avaient recours à la mastication des feuilles lors de l’arrivée des Jésuites dans le pays. Ceux-ci ne tardèrent pas à être frappés de la valeur de cette feuille et installèrent des plantations de maté dont ils étudièrent avec soin le dé- veloppement et les avantages qu'on pouvait en ürer. Mais ces plantations de maté tombèrent dans Pabandon après lex- pulsion des Jésuites, dont le territoire, dit des Missions, fut partagé entre le Paraguay, le Brésil et la République Argen- tine. Partout on en revint à la culture sylvestre qui seule est exploitée aujourd'hui. Les Jésuites furent les premiers à re- marquer que la torréfaction développait dans le maté un par- fum suave et lui donnait des propriétés nouvelles. Ce fut eux aussi qui, reconnaissant que le maté, à cause de son enveloppe coriace, ne cédait que difficilement ses principes, eurent l’idée de le réduire en poudre et de l’épuiser par une série de décoctions successives. — 975 — Cette intervention des Jésuites, et aussi les sévères régle- mentations des deux présidents-dictateurs Lopez, qui, dési- reux de conserver à leur pays le monopole d’un maté in- comparable, ne permettaient que l'exportation des meilleures sortes, ont fait que le Paraguay a possédé pendant quelque temps la réputation de produire la plus grande quantité et le meilleur maté. Mais aujourd’hui, comme l'a bien prouvé le docteur Couty dans son remarquable article publié dans la Revue Scientifique du 9 janvier 1881, et de l'avis de tous ceux qui ont pu faire la comparaison sur place, le Brésil a pris le dessus ; car une seule de ses provinces, le Parana, en exporte chaque année environ quinze millions de kilo- grammes ; la province voisine de Sainte-Catherine en four- nit aussi une quantité très importante, de même que la pro- vince de Rio Grande da Sol. La culture du maté a pris dans ces derniers temps une extension tellement considérable, qu’il forme dans l’intérieur des terres des forêts impénétrables, appelées Yerbalès, ou plantations de maté. L'arbre se nomme au Brésil Arvole de Congonha. Un fabricant de maté à Curityba, M. Correïa, a consacré tous ses efforts aux améliorations du maté. Sur les indications du docteur Couty, professeur à l’école polytech- nique de Rio-de-Janeiro, il a atteint un point capital, c’est de livrer des tonnes de maté toujours identique et régu- lier d'aspect. D’après Îles renseignements que nous à com- muniqués M. Ch. Barbier, ingénieur civil, chargé par le mi- nistère d'études économiques dans la République Argentine en 1873, la consommation annuelle dépassait à cette époque cent millions de kilogrammes de maté préparé, ou, par tête, 9 kilogrammes produisant 200 litres d’infusion. — Ces ren- seignements ont été puisés par M. Barbier dans les statis- tiques locales et les états de douane ; le maté payant un droit de sortie assez élevé, 1/10 environ du prix de vente. — Si l’on compare cette consommation prodigieuse avec celle des boissons répandues en Europe, suivant la statis- — 976 — tique de Maurice Block, on constate que le Sud-Américain consomme en maté : 1/3 en plus de ce que le Français et l'Italien consomment en vin, l'Anglais et le Belge en bière ; En calé : 5 fois plus que le Belge, 7 fois plus que le Hol- landais et le Suisse, 22 fois plus que le Français ; En thé : 10 fois plus que le Hollandais, 20 fois plus que le Danois, 440 fois plus que le Français. Si aux exportations du Brésil et à celles du Paraguay on ajoute la quantité de maté utilisée sur place dans les pays de production, on peut estimer à cinq cent mille quintaux mé- triques au moins la quantité de maté consommé par an. C'est un chiffre qui à son éloquence et qui vaut les meilleurs arguments. Le maté est dans son pays d’origine la boisson unique, preuve suffisante de sa valeur alibile. Et quoi que disent certains voyageurs qui n’ont puisé leurs renseigne- ments que dans les villes, la consommaton du maté est en progrès constant ; elle a quintuplé en moins de 40 ans. L'usage du maté dans l’Amérique du Sud est devenu une passion. Là-bas, ils ont comme nous le thé, et surtout le café. [1 faut donc que le maté réunisse des qualités excep- tionnelles et extraordinaires qui justifient cette prédilection. La gratitude des indigènes a donné au maté le nom de Yerba, (plante), la plante par excellence, comme les Romains appe- laient Urbs, la ville. Le Hottentot, qui occupe un des degrés les plus bas dans l’échelle humaine, a bien la naïveté de s’intituler Khoi-Khoïb, l'homme des hommes. Dans le même ordre d'idées, du temps des Pharaons, le pays (l'Egypte) et le monde s’exprimaient par le même mot. « Yerba, l'herbe vocable, dit le docteur Vallette, médecin de marine, qui dé- daigne dans son laconisme le règne végétal de la contrée, pour consacrer et résumer en un seul mot cette plante par excellence ou l'excellence de cette plante. » | L’émigrant, entouré de compatriotes dans les villes, con- serve à peu près les habitudes de l’ancien monde ; mais le — 9271 — colon à la campagne adopte rapidement l'usage de la Yerba ; le maté devient pour lui un aliment indispensable. Et de retour dans la mêre-patrie, après un séjour prolongé dans la pampa, la privation lui en est pénible. Jai pu en juger par la irès grande Joie qu'ont éprouvé d'anciens colons en retrou- vant dans nos pays un amateur de maté. Ils sont tous una- nimes, ceux qui ont vu de près le pays de la Yerba, à chan- ter les louanges de cet aliment mcomparable. La cuja (calebasse dans laquelle on prend le maté) est pour le Brésilien ce qu'était le calumet pour les Indiens. Une fois que le voyageur a pris le maté dans un abri, hutte ou maison, 1l peut y passer la nuit en toute sécurité, füt-ce chez le nègre le moins civilisé. La viande et le maté constituent l’alimentation presqu’ex- clusive du Gaucho. Le Gaucho, c’est l’homme des prairies. Cest le type provenant du croisement de l’Indien primitif avec l’Européen ; mais comme mœurs il est plus Indien qu'Espagnol. Comme types, les métis de ces pays varient selon les peuples auxquels ils appartiennent ; car M. d’Orbi- gny rapporte que le métis provenant d’un Guarany se rap- proche beaucoup plus des blancs que ceux provenant d’un Quichua. Le Gaucho est solidement bâti, de haute stature ; il a le teint bronzé, la face anguleuse, la physionomie expres- sive, à la fois courageuse et narquoise; sa chevelure est noire, abondante et rude. Cavalier consommé, le cheval le plus farouche n'arrive pas à le désarçonner quand il l’étreint dans ses jarrets d'acier. Agile, souple, entreprenant comme un Indien, il trahit son origine espagnole par la grâce qui accompagne le moindre de ses mouvements, par son carac- ière imdépendant et sa fierté. « À cheval il défierait le monde ; sa bête, qu’il soigne si peu, il s'applique à la sur- charger de cuirs tressés ou travaillés et d’ornements d’ar- gent. en eïfet, l’étrier est d'argent massif; la bride, la cra- vache, la selle étincellent du même métal ; c’est son luxe suprême ; il se ruine pour y arriver. » — 978 — La prairie qu'habite le Gaucho s'appelle pampa dans la République Argentine, et campo dans lUruguay. Ce sont d'immenses plaines qui s'étendent à perte de vue. C'est à peine si cette vue de verdure est coupée de petites ondula- tions de terrain. Les vents qui balaient ces régions sans obstacles n’y laissent pousser qu'une végétation ne dépassant jamais une hau‘eur de 5 à 4 mètres. (était primitivement cette herbe haute et dure connue dans nos jardins sous le nom de pampa (Gynerium argenteum). Mais l’homme, au priz de grands sacrifices et le temps aidant, à purgé le sol de ce jonc élégant et l’a remplacé par des plantes fourra- gères. Ce phénomène singulier de l’absence de forêts sur un sol ferüle, arrosé de fortes pluies en hiver, est expliqué par Darwin autrement que par l’action des vents. Suivant le grand naturaliste, le sol de cette plaine qui se perd à l'infini a dû être disposé à une période relativement récente ; cette hypothèse expliquerait encore la richesse restreinte de la flore naturelle des pampas. Le Gaucho vit heureux dans ces plaines sans fin, parta- geant son temps entre deux besoins, deux passions, le cheval et le maté. Les Gauchos ne connaissent ni le pain ni le sel ; leur alimentation est constituée presqu'exelusivement par la viande et le maté. Dans leur masure de chaume et de boue, sous leur toit enfumé, ils passent des heures entières, accroupis sur leurs talons, à sucer le maté à l’aide de la bombilla. Voici, sous vos yeux, la bombilla (bombilha au Brésil), cette tige creuse terminée par une boule percée de petits trous, laquelle sert de passoir, et la mate (la cuja du Brésilien), une calebasse creuse dans laquelle se fait l’infusion. Chez lestanciero, c’est-à-dire l’éleveur, le grand propriétaire habitant la pampa, le maté est tout autant en honneur. A l’estancia, l'habitation de l’éleveur, un peon (domestique) est occupé exclusivement à préparer le maté. Ici la mate est plus ou moins garnie d'argent, et la bom- billa, au lieu d’être un tube végétal, est d’un métal plus ou — 979 — moins précieux, suivant la situation du consommateur. Parmi les vignettes qui décorent les billets de banque du Brésil, vous verrez un Gaucho aspirant son maté. La récolte et la préparation du maté exigent des soins par- ticuliers et minutieux d’où dépend la valeur commerciale du produit. Comme nous l’avons vu plus haut, le maté le plus apprécié aujourd’hui est celui du Brésil. M. Oettly, déjà cité, m'a donné des renseignements très précis sur la pré- paration du maté dans ce pays. Le maté se trouve au Brésil surtout dans la province du Saô Pedroz Rio Grande do Sul. La cueillette se fait dans la saison d'hiver, c’est-à-dire d'avril en septembre. L’hervatero (récolteur du maté) commence par établir son rancho (hutte construite en branches et re- couverte de branches de palmier) et son carijo (hutte dans laquelle on fabrique le thé) à un endroit central d’où il peut rayonner en tous sens pour opérer la cueillette ; car au Brésil les arbres à thé sont disséminés dans la forêt et il est rare d’en trouver des étendues de terrain aussi couvertes que dans la République Argentine. Les hervateros sont géné- ralement par groupes de trois ou quatre. Ils sont munis chacun d’un facaô, couteau qui leur sert à couper les rameaux : c’est le compagnon inséparable du Brésilien. Pour grimper sur l'arbre l’hervatero remplace l’étrier de nos bûücherons par une lanière en cercle fermé. Cette lanière est en cuir, quelquefois faite avec l’écorce d’un arbuste (embira) aussi résistante que le cuir. La lanière, tendue par les deux pieds, est appliquée contre le tronc ; s’aidant de ses bras en même temps, l’hervatero monte en quelques coups secs au haut de l'arbre le plus gros. Puis il dépouille l’arbre de ses branches en ne laissant que les plus fortes. L'arbre ainsi dénudé ne peut être dépouillé à nouveau qu’au bout de quatre ans. Les branches sont réunies en petits fagots de 10 centimètres de long sur 40 centimètres de diamètre, et promenées rapidement dans la flamme d’un feu très vif allumé au pied de l’arbre. Les crépitements qui accom- 080 — pagnent cette opération, appelée là-bas sapecur à herva, s'entendent à une assez grande distance. Les fagots ainsi préparés sont au bout de deux jours transportés au carijo où ils sont placés verticalement, et en une seule couche, sur un plan incliné sous lequel, à la tombée de la nuit, on allume un feu très vif : en effet la nuit le vent n’y est pas aussi fort que dans la journée. La grande difficulté consiste à entretenir le feu suffisamment vif pour torréfer le maté, mais pas trop pour y mettre le feu. Parfois une combustion lente s'établit à l’intérieur des fagots sans qu’on s’en aperçoive, occasion- nant la perte de toute la fournée, à cause du goût de fumée qui, même dans les parües non atteintes, masque l’arome du maté. À plusieurs kilomètres à la ronde on entend dans le calme de la nuit les chants des hervateros veillant autour du carijo ; avec les chants, les récits et de nombreuses in- fusions de maté contribuent à les tenir éveillés. Après deux nuits de torréfaction les fagots étant à point sont transportés sur une aire en planches (cancha) bordée de parois obliques aussi en planches, l'appareil formant une pyramide tronquée renversée et très évasée. De chaque côté, deux hervateros, munis de forts gourdins en massue, battent en cadence à tours de moulinet sur les fagots, en s’accompagnant de chan- sons rythmées. Ce gourdin s'appelle espada (épée). Ge tra- vail est bien plus dur et fatigant que celui de nos batteurs en grange ; aussi l’hervatero a soin d'adopter le costume de nos boulangers au pétrin. À ce métier là les feuilles sont assez vite réduites en poussière ; on passe le tout au tamis, et Îles petits fragments de tiges qui restent sont rebattus jusqu'à ce qu’ils soient ramenés à une longueur maxima de 3 centi- mètres. Puis le tout est mélangé et prêt à être livré à la con- sommation. Toutefois le thé récent est inférieur comme goût à celui qui est préparé depuis quelques semaines. Cest dans un double but qu'on mélange ces fragments de tige à la feuille en poudre. Lorsqu'on fait infusion dans la cuja, les feuilles surnagent, Les brins de bois restent au fond LL iT CORRE BL ee Del "> x DE __ 98 — et, entourant la passoir de la bombilha, empêchent la poudre, de passer par les pores, d’autre part, le bois renforce le goût du maté. Au point de vue commercial le maté est la marchandise qui au Brésil a le meilleur cours. On y ajoute quelquefois par fraude des poudres de toutes sortes de plantes, particulière- ment des feuilles et brindilles de Casuna, lequel ressemble beaucoup au maté, mais qui communique à la boisson un goût amer désagréable. Mais les connaisseurs ne sy trompent pas. Le prix moyen du maté sur place est de deux milreis l’'aroba, c’est-à-dire de 5 fr. les 15 kilos. Certains proprié- taires en font annuellement plus de mille arobas, soit plus de 15.000 kilos. La culture sylvestre est la seule exploitée dans la Répu- blique Argentine. La récolte dans les Yerbalès (forêts de maté) se fait à partir de décembre et elle se continue jusqu’en août. Les Verbateros ou récolteurs de la yerba, partent en caravanes, emportant avec eux les provisions, les instru- ments, le bétail et les armes nécessaires à l’expédition, car on se trouve dans le cas quelquefois, de repousser les attaques non-seulement des animaux féroces, mais encore des Indiens indépendants. Leur manière de procéder est _ différente de celle du Brésil. Les arbres entiers sont coupés ; on en enlève les pousses et les petites branches garnies de feuilles et on les place dans la tatacua, c’est-à-dire un carré de terre de six pieds de côté dans lequel, sous l’influence d’un feu vif qui l’environne, elles subissent une première tor- réfaction; on les porte ensuite à la barbacua, qui est une sorte de tonnelle arrondie, construite avec des branches d'arbre ; les rameaux, suspendus à la partie supérieure de cette cage, au milieu de laquelle on entretient un feu léger de plantes aromatiques, sont soumis à la seconde torréfaction. Cest de cette opération, la plus délicate, que dépend cet arome qu'une longue expérience peut seule donner au maté. Au bout de 2 ou 3 jours la dessication est complète. On ré- duit alors la plante en poudre grossière, soit dans un mortier en bois, soit à l’aide de meules en pierre, soit dans des fosses creusées en terre et à fond durement tassé. L’emballage se fait en pressant le verba dans des peaux mouillées qu’on expose ensuite au soleil et qui se durcissent par le retrait. Le thé est vendu sous des noms différents chacun indiquant une sorte commerciale : Le caa-cuys (caa veut dire feuille) formée de bourgeons à peine épanouis, est consommé sur place ; le caa-minr est préparé avec de petites feuilles séchées mondées et pulvérisées avec soin ; le caa-quazu, préparé par les indigènes avec les grandes feuilles grillées, et gros- sièrement pulvérisé, est d’une amertume plus prononcée. Nous arrivons à la partie essentielle de cette notice, c’est- à-dire à la grande importance du maté comme aliment. De même que le café, le thé et la coca, le maté appartient à cette classe d'agents physiologiques que le docteur Gubler nomme dynamophores, pour indiquer qu’ils réparent non les forces, mais les tissus. Le maté est en tête de cette classe. Je ne puis mieux faire que de citer textuellement les opinions de savants connus qui ont étudié de très près les services que rend le maté. « Quelle est la valeur dynamique du maté? On peut la croire très grande si l’on considère qu’il permet aux soldats paraguayens et argentins, comme aux Gauchos de la Pampa, de se passer de nourriture solide pendant un ou plusieurs jours, malgré les fatigues épuisantes de la guerre ou de la chasse à courre dans les vastes solitudes de l'Amérique du Sud. Dans le cas où, conformément à mes observations per- sonnelles, l'expérience méthodiquement instituée viendrait à confirmer ces présomplions, il y aurait lieu d'étendre considérablement l’usage du maté, puisque cette substance réunirait deux qualités estimables, le bon marché et l’effica- cité. » (Docteur Couty, Académie de médecine.) — 08 À cette observation M. Barbier, qui, depuis sa mission dans l’Amérique du Sud, met le zèle d’un apôtre à vulgariser le maté, ajoute : « Les investigations locales sur les ques- tions physiologiques auxquelles je me suis livré assidûment en 1873 et 1874, au cours de ma mission, ainsi que de nom- breuses expériences personnelles continuées depuis mon retour, m’autorisent à attester la concordance parfaite de ces présomptions avec les faits dont j'ai été témoin et les effets que j'ai éprouvés. » « Beaucoup moins somnifuge que le café et le thé, dit le docteur Mantegazza, ce n’est qu'à très hautes doses que le maté pourrait amener l’état de veille spasmodique qu’on 0ob- serve fréquemment, sous l'influence du café. L'action com- plexe qu'il exerce sur le réseau ganglionnaire et cérébro- spinal, donne la conscience d’une vie plus active et d’un épanouissement très agréable. « Le maté agit surtout sur l'intelligence, beaucoup plus que le thé et le café. Stimulant en même temps le cerveau et le grand sympathique, 1l repose de la fatigue et excite au travail. Beaucoup de personnes qui ont besoin d'obtenir une plus grande activité dans le mécanisme des fonctions céré- brales, de les soulager, de les retremper pendant un excès de travail, et auxquelles le café fait éprouver de l’éréthisme ou une veille très pénible, trouveront dans le maté la boisson la plus convenable, la plus favorable aux travaux de l'esprit. » Un très grand argument plaide encore en faveur du maté ; c'est sonusage empirique parmi les populations de l'Amérique du Sud. Quelle que soit lexplication qu’on donne de son action, les faits sont probants. Le maté à lui seul suffit à compléter l'alimentation exclusivement animale du Gaucho. Mais fort souvent l’infusion de Yerba constitue Île seul ali- ment, entre autres pour le peon (domestique), le jour de certaines opérations très fatigantes du traitement du bétail, puis pour les conducteurs qui amènent les bœufs au salade- ro08 (lieu où on les tue en quantité dans un but industriel); ces — 984 — conducteurs restent à cheval nuit et Jour, lorsque par mal- heur ils ne rencontrent point de corral (enclos dans lequel on remise les animaux); toujours en haleine, ils n’ont pas le temps d’absorber autre chose que de linfusion de maté. Et jamais on n’a constaté chez les consommateurs de maté les accidents qui affligent ceux qui font abus du thé et du calé. | : Sur la frontière Sud-Ouest de la province de Mendoza, tout le monde vous racontera l’odyssée de la fille d’un peon, Anita, qui vit peut-être encore aujourd'hui. Anita avait alors vingt ans. Dans une razzia, les Indiens l’emmenèrent en captivité. Trois mois après, elle arrivait exténuée au fort Saint-Raphaël. Bravant mille dangers, elle s'était évadée, emportant un petit sac de maté dérobé à son ravisseur. À travers la pampa déserte, elle voyagea pendant dix-huit jours, en suivant le cours de l’Atuel, sans prendre aucune autre nourriture que sa yerba qu'elle avalait avec quelques gorgées d’eau. Et qu’on ne croie pas que cette longue vacuité de l’es- tomac ait eu pour effet de le déranger. Tant que s’exerçait l'influence du maté, il sommeillait ; au réveil il se retrouvait dispos. Lorsqu'on la recueillit au fort, on s’empressa de lui donner à discrétion des viandes rôties, seule nourriture de la contrée. Elle en mangea avidement. Après quelques jours de repos, elle se disait prête à subir la même épreuve, s’il l’eùt fallu. C’est avec une provision de maté, employé de la même manière, et quelques fruits ou racines sauvages, que les Paraguayennes, cheminant en file dans les forêts, nu-pieds, le cigare à la bouche, le fardeau sur la tête, et souvent un nino de teta (nourrisson) suspendu aux épaules, font plu- sieurs fois par an des trajets de 60 à 100 lieues pour aller vendre au Brésil le petit lot de verba qu’elles ont préparé. Autre fait bien connu à Pappui de la valeur du maté. Sui- vant un article du docteur Decaisne (la France, 26 août 1880), le docteur Tanner n’aurait pu supporter son fameux jeûne de k LE — 9285 — 40 jours et conserver sa lucidité d'esprit qu’en faisant usage du maté. Je reviens à une observation du docteur Couty. C’est à ce savant que nous devons les renseignements les plus précis sur tout ce qui concerne le maté. Il ne pouvait se passer de café pour travailler, au risque de <’endormir ; un excès lui donnait des palpitations et des insomnies. Du jour où il a remplacé le café par le maté, il a pu travailler à son aise et supporter des fatigues physiques considérables. Jamais, même en exagérant la dose, il n’a eu d’insomnie. Le docteur Doublet, pour les besoins de sa thèse sur le maté (1885), thèse à laquelle nous avons emprunté pour une grande part ce qui concerne l’action physiologique de la yerba, expérimenta le maté sur trois personnes, parmi les- quelles un idiot. Ce dernier, après avoir pris du maté le ma- tin, commençait à dormir lourdement pendant deux à trois heures. Et cet homme, qui depuis son arrivée à lhôpital n'avait pas échangé deux mots avec ses voisins, devient bruyant et tapageur le jour où il prend du maté ; sa face s’é- panouit, ses yeux brillent, il fait des farces à ses voisins ; tout le monde est étonné de ce brusque changement. Après la cessation du maté, il retomba dans sa torpeur. Pourrait-on trouver une preuve plus évidente de l’action du maté sur le cerveau. Veuillez remarquer que l’expérience était faite sur un idiot, un inconscient. Le maté rend gai, : pourrait-on conclure encore de cette observation. Et c’est vrai en effet. L'usage du maté procure un bien-être physique qui prédispose à la gaité. Les Gauchos, buveurs de maté, sont d’un tempérament gai. Le maté produirait même un certain effet qui le mettrait certainement en haute faveur auprès de ceux qui cherchent un remède à la dépopulation de la France. Et cet effet est tel que le R. P. Antonio Ruys de Montoya regardait le maté comme une découverte inspi- rée par le diable pour la perdition de l’homme. L'usage du maté accélère le mouvement du pouls et le — 286 — rythme respiratoire ; la température, au contraire, s’abaisse légèrement et la sécrétion de l’urée est singulièrement ra- lentie. L'effet le plus sensible du maté, c’est la propriété qu’il possède de doubler l’activité vitale sous toutes ses formes : intellectuelle, motrice, végétative, ce qui se traduit par la facilité du travail intellectuel, l’élasticité et la souplesse phy- sique, la sensation de force et de bien-être ordinairement attachée aux organismes forts et habitués à bien fonctionner. Surabondance de vie, telle est la formule qui peut nous ré- sumer les sensations produites par le maté. « Pour mon compte c’est le docteur Doublet qui parle, je prends du maté quand j'ai un effort à faire, un coup de collier à donner, une fatigue en perspective. Le maté stimule alors mon énergie pendant les quelques jours que j'en prends, et me laisse sans fatigue et sans dégoût quand j'ai cessé son usage. Les trois hommes auxquels j'en ai fait prendre pen- dant une semaine des quantités relativement considérables, n’ont pas non plus éprouvé ce sentiment de lassitude qui suit d'ordinaire l’usage, et surtout l’abus des autres stimulants, quand on vient à en suspendre l'usage. | € [1 y a deux manières d'augmenter la lumière avec le même bec de gaz. Ou bien vous tournez la clef de façon à doubler la lumière, ou bien vous faites usage d’un réflec- teur. » Cette image (D' Doublet) s'applique aux aliments d'épargne. La coca, le café, le thé, l'alcool, augmentent l’éner- gie, mais usent le corps : c’est le bec de gaz dont on a ouvert la clef. Le maté, c’est le réflecteur. Il n’épuise pas le corps aussi rapidement que les autres, il n’entrave pas le sommeil après vous avoir donné l'effet utile que vous en attendiez. | Ne croyez pas que je me hasarde à vouloir détrôner le café, ce liquide à l’arome suave, ce grand inspirateur, cet auxi- liaire indispensable, au même titre que le dictionnaire des rimes, à tant de poètes amateurs. Quoique, comme nous le verrons plus bas, la valeur du café comme aliment d'épargne, — 987 — soit singulièrement battue en brèche. Le thé dans notre pays ne vaut pas la peine qu’on rompe des lances pour le démo- lir. C’est un concurrent peu redoutable pour le maté. Et son usage restreint, comme consommation d'agrément dans les soirées, servi par la main des grâces dans des tasses mi- gnonnes avec un filet de crême pour les dames, de rhum pour les messieurs, ne suffit pas pour le ranger parmi les grands perturbateurs de notre organisme. Dans les pays du nord, c’est différent, surtout en Angleterre où l’abus du thé occasionne parfois des empoisonnements chroniques. L’ivro- gnerie du thé (tea-tippling) est fréquente parmi les femmes de toutes classes. Ceux qui font du café un usage qui frise l'abus, passent par les mêmes phases que les tea-tipplers. Au bout d’un certain temps apparaissent, surtout le soir, une sériede symptômes nerveux tels qu’agitation, palpita- tions, respiration embarrassée, anxiété. Et ces symptômes s’accentuent Jusqu'à épuisement total du système nerveux. C'est à cette dernière catégorie de personnes que le maté rendrait des services considérables. Le maté mérite bien le nom d’aliment d'épargne, par la diminution qu'il fait subir à-la quantité d’urée éliminée. Le café, par contre, agit comme désassimilateur très rapide ; c'est un dénourrissant qui fait mourir de faim un chien auquel on ne donne que du café plus rapidement qu’un autre auquel on ne donne que de l’eau. MM. Fubini et Otta- linghi, en Italie, concluent de leurs observations que si Pon représente par 100 la quantité d’urée émise dans les 24 heures, pour un homme qui ne prend pas de café, 117 est la quantité moyenne de l’urée émise après l’usage du café. A doses modérées, le café est inoffensif à ce point de vue. Né- anmoins, il doit être rayé de la liste des aliments qu'on appelle antidéperditeurs ou d'épargne. Pour la coca c’est pire encore. La coca, elle aussi, permet aux Péruviens de rester plusieurs jours sans manger ni dor- mir tout en faisant de grandes marches ou en se livrant à de 1988 2 rudes travaux. Mais ici la perte d’urée est bien plus considé- rable qu'avec le café; il en résulte un amaigrissement très prompt. La coca supprime la sensation de la faim par anes- thésie de l'estomac, et l’homme ne vit qu'aux dépens de sa propre substance. . Dans le domaine des aliments d'épargne, l’avantage reste donc au maté. Malgré sa teneur en gommes, résines et en substances alibiles, sa valeur alimentaire est assez faible. Il est plus riche en alcaloïdes que le thé et le café; c’est prouvé par les analyses de Byasson, Payen, Gay, Mulder, etc. Comme composition chimique la caféine, la théine, la matéine sont identiques ; mais ces trois alcaloïdes exercent une action physiologique fort différente l’une de lPauire. Comment se fait-il que le maté qui comme la coca, le thé et le café augmente notre activité, n'ait pas les mêmes inconvé- nients que ses congénères ? Cela semble paradoxal. Mais cette action particulière au maté s’explique par l’abaissement de température qu’il occasionne, et, comme nous l’avons vu plus haut, parce qu’il diminue l’évacuation de l’urée. Quand l’homme travaille, il brûle une partie de sa substance ; de même au repos, par le simple fait de sa respiration, mais en proportions moindres. Mais avec le maté, la combustion, et par conséquent l’usure de notre substance, est bien amoin- drie. Les deux points saillants des expériences du docteur Doublet, outre la résistance à la fatigue et l’entrain procurés par le maté, sont : : 1° La diminution de l’urée concrétée qui est de 37,7 p 0/0, soit de plus d’un tiers ; 2 La diminution du poids du corps, qui est de moins de 2 kil. après 36 heures de jeûne avec maté seul, soit 1 kil. 250 en 24 heures. Par contre, l’homme qui jeûne sans maté subit une perte du poids de 4 kil. par jour. En diminuant la proportion d’urée, le maté rend plus stables et plus durables les éléments azotés des muscles, nd ta A ee, ge PANNE TES TPE — 980 - les empêche de se décomposer aussi rapidement, tout en stimulant le système nerveux qui commande et règle l’effort. Voilà, comme conclusion, les avantages considérables du maté. Après un jeûne de quelques jours au maté, on peut manger à volonté sans digestion pénible. Avec le maté seul on peut dépenser en jeünant autant de forces qu'en mangeant. On peut notablement augmenter sa besogne intellectuelle ou physique en le prenant comme supplément à l’alimenta- ton habituelle. L'organisme n’en souïfre pas. Il est savoureux et aromatique. Mieux que le meilleur des médicaments, le maté combat l’échauffement. J’en ai pour ma part quelques preuves très sérieuses, corroborées par les observations du D' Couty. Il est bien moins cher que le café et le thé. Enfin, dit-on, le maté rend gai. Et ce n’est pas une qua- lité à dédaigner dans un temps où la vieille bonne humeur française tend à être battue en brêche par un intrus germa- nique qui, s'il n’est pas stipulé dans les traités et s’il ne figure pas sur la liste des espions, n’en est pas moins perni- Cieux pour nous, Je veux parler du néfaste pessimisme dont Schaupenhauer a abreuvé notre génération et dont le héros du récent procès de Constantine est peut-être une incons- ciente victime. ; | La grande importance du maté est indéniable désormais, après tant de faits si précis, tant d'expériences probantes, tant d’affirmations de savants dont il suffit de citer les noms pour leur accorder la plus grande autorité. Mais si ce maté est si merveilleux, comment se fait-il qu'il ne trône pas en maitre dans la classe de nos aliments d'épargne, et que, loin de là, il soit à peine connu chez nous? Ce n’est pas que les essais de propagande aient fait défaut. Mais on a à lutter contre un facteur qui nous tient sous sa coupe, un facteur 19 — 290 — terrible. Nous mourrons dans l’impénitence finale, c’est à craindre; ou du moins nous aurons de la peine à nous sous- traire à sa tyrannie. Ce facteur, vous l’avez deviné, c’est la bonne et sainte routine. On se complait dans les vieilles ornières ; on se laisse vivre. Et pourtant il découle clairement de l’histoire des choses humaines qu'il n’est pas permis de rester stationnaire sous peine de rétrograder. Et cela est vrai à tous les points de vue. Le maté, dans sa modeste sphère, est un progrès. Vulgarisez-en l’usage, faites-le en- trer dans nos mœurs. C’est un aliment précieux pour toutes les classes de la société. À cette époque de lutte ardente pour l’existence tous, plus ou moins, nous avons besoin de stimulants. L’ouvrier, à son lever, sent le besoin de fuer le ver pour se mettre en train. Son alimentation,soit insuffisante, soit mal comprise, est impuissante à réparer ses forces épui- sées par le travail. Il cherche dans le petit verre un réconfor- tant que ce dernier ne peut lui donner que d’une façon très passagère et bien restreinte. Que de santés délabrées n’ont d'autre origine que l'usage bientôt devenu habituel, puis exagéré, de ces boissons souvent mal préparées, quand elles ne sont pas frelatées ou toxiques ! Les chasseurs et tous les amateurs d'exercices violents ou fatigants éprouvent par. intervalles la nécessité de se refaire le jarret, de se donner un coup de fouet. Remplacez la gourde d’eau-de-vie par une gourde d’infusion concentrée de maté ; le bien-être que vous éprouverez, la facilité avec laquelle vous supporterez les fatigues, vous fera regretter de n'avoir connu plus tôt un auxiliaire aussi précieux. Ni l’alcool, ni le café, jamais ne donneront à vos muscles et à votre cerveau cette activité, cette vigueur durables que vous éprouverez avec l’usage du maté. Il y a plus de vingt ans, on a essayé officiellement d’intro- duire le maté dans certaines armées européennes. Mais le grand obstacle alors était la forme en poudre sous laquelle nous arrivait la yerba ; le maté sous cette forme nécessitait — 991 — l'emploi des ustensiles dont se servent les Américains du Sud. Le procédé était trop compliqué et le maté a été aban- donné. Mais aujourd’hui qu'on est arrivé à nous livrer un maté en petits fragments, cet obstacle est levé. La préparation de l’infusion, comme nous allons vous la décrire, n’a plus rien d'insolite. Il est aisé, après tout ce que nous venons de voir, de se rendre compte des ressources considérables qu'offrirait le maté à nos soldats, surtout en manœuvres et en campagne. Cet élément contribuerait pour une bonne part à maintenir l’entrain de nos braves guerriers et les aiderait à supporter avec gaieté les fatigues et même le jeûne forcé. € La yerba, dit M. Barbier, est aussi avare qu’elle est riche. » C’est-à-dire que la feuille est recouverte d’une oomme-résine qui en rend la pénétration difficile à l’eau. Ne vous laissez pas rebuter par l'aspect louche, par la saveur de la première infusion. Reprenez votre marc pendant quelques jours ; à partir de la troisième infusion, vous lui trouverez un goût savoureux, d’une amertume légère et agréable. Si Nicot, en présentant le tabac à son souverain, lui avait dit : « Voilà une plante dont l'usage donnera des nausées à vos sujets, et quoiqu’elle les rende malades, ils en feront une consommation telle, qu’en la taxant d’un impôt vous remplirez d’or les caisses de l'Etat », le roi François IT aurait fait enfermer Nicot dans une maison d’alié- nés. Et Dieu sait si le tabac a fait son chemin. Rien n’em- pêche le maté de faire le sien ; il a pour lui tout ce qu'il faut pour réussir. [l n’y à de notre part qu’un préjugé à vaincre. On se fait vite à son goût étrange de prime abord pour finir par s’en passionner, comme le Gaucho. Voici un procédé d'infusion qu'un long usage du maté nous a fait adopter. Pour un bol ou une tasse d’eau, prenez une grande cuillerée de maté en feuilles menues, faites bouillir deux minutes et versez le tout dans la théière. Au bout de dix minutes d’infusion, décantez à travers une pas- — 292 — soire. Laissez le marc au fond de la théière, et versez la fois suivante, sur ce marc, votre infusion bouillante que vous aurez préparée comme la première. Continuez de la sorte en laissant le marc s’accumuler jusqu’à ce que la théière en soit pleine ; puis vous la videz et vous recommencez. Une addition de crême ou de lait ne nuira pas au goût de l’infusion, au contraire. De qustibus non est disputandum Néanmoins les consommateurs de café au lait les plus endur- cis, Sils veulent bien faire la comparaison sans idée pré- conçue, trouveront un goût excellent au maité au lait; et vous finirez peut-être par lui donner la préférence, surtout | quand vous aurez surmonté la méfiance que vous inspire instinctivement toute chose nouvelle, particulièrement en ce qui touche l'alimentation. Et nous applaudirions à ce résultat, car nous aurions avec le maté un aliment réconfortant, un aliment agréable, .un aliment peu coûteux, bien moins coû- teux que le café... j’allais dire la chicorée ; oui, moins coûteux même que la chicorée, ce prétendu café du pauvre. En outre le maté est un aliment que son bon marché mettra à labri des faisifications, et de nos jours ce n’est pas une mince considération. L'homme d'étude, le travailleur que la lutte pour la vie oblige à faire usage de sa force musculaire, les personnes assujetties au travail de bureau, tous, femmes et hommes, produiront davantage, grâce au maté, avec une moindre dose de fatigue. Avant de terminer, n'oublions pas les effets remarquables du maté sur les tempéraments pré- disposés à l’échauffement. Appliquez, Messieurs, à la propagande du maté là patience que vous avez mise à écouter la lecture de ces lignes , vous épargnerez bien des fatigues à vos semblables, et vous acquerrez des droits certains à leur reconnaissance. LA PHYSIONOMIE PRIMITIVE DU RETADLE DE FRA BARTOLONMAIEO A LA CATHÉDRALE DE BESANCON RETROUVÉE PAR M. Aucustre CASTAN CORRESPONDANT DE L'INSTITUT (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres }, > — Séance du 10 novembre 1888. À SON ALTESSE ROYALE Monseigneur PE, DUC D'AUMALE EN SOUVENIR DE SON COMMANDEMENT pu VIle CORPS D'ARMÉE ET POUR SALUER SON HEUREUX RETOUR AU PAYS DE FRANCE CET OPUSCULE EST RESPECTUEUSEMENT DÉDIÉ Besançon, le 9 mars 1889. MERS R ODA GRRA AR LRO ÉALRAN GRR ESNER REREE RSR EME TER BEA S € REVUE PEN EE TETE TER EEPE LE EEE EEE DEEE PERTE PEN TEN NON VAR Ag PROG NAN DETTE PPEE ETRERNREECECECTER EEE nee giant z g : DRELE COLE EN RDA RUE BA LLÉE à 1 PRE ARRETE DE DÉRP EN TE PONS ARRET à 20 SE RE 42 PES SU ETATS VAS ASIE T ER DETTES PR OER PRE PÉNTERES DORE EEE TROT ET EEEEENRESS Î : 15M31612 PAR MARIOTTO ALBERTINELLI POUR SERVIR DE TYMPAN EN RARE F INTUR PE AU(FRA BARTOLOMMEO)DE LA CATHEDRALE DE BESANCON 3 yale de J'éctéqard, Le. PO1 € læ Galer a gmerds conserves ra re + , 072 Z, o 64, l'ragment central : À. D Uy2=r. CG Fragments latéraux : PÉPILENRE PETÉMION DAUN IR ENPABLELPEIN TEEN TSME TETE ( Tympan par Hariolto Albertinelli : fragments à J'éxllgard; Moreeau principal par r ra Bartolommeo «a Perançon |. MOTO EL ro TE o { Appartent a A. le Harqurs de Terrier -S'antans ju si FAR f f art LA PHYSIONOMIE PRIMITIVE DU RETABLE DE FRA BARTOLOMMEO À LA CATHÉDRALE DE BESANCON Parmi les tableaux que Besançon se flatte de posséder, le premier rang appartient sans conteste à la Vierge de Fra Bartolommeo qui orne la cathédrale de cette ville. Cest le meilleur ouvrage existant en France () d’un artiste qui fut Pun des plus chers amis et le plus éminent des émules du divin Raphaël. Il est de toute convenance qu’un pareil morceau ait son histoire. Cette histoire a de bonne heure préoccupé nos historiens locaux, et, dans ces derniers temps, elle a été le sujet d’un certain nombre d'opuscules où des opinions contradictoires se sont produites avec une certaine vivacité. Ayant eu part à ces débats et me trouvant aujourd’hui en présence d’un : texte qui, tout en consolidant la doctrine que j'ai com- battue jadis, révèle une part inconnue de vérité, Je saisis avec empressement l’occasion de rectifier ce que J'ai écrit sur le compte du tableau, en apportant à son histoire un appoint qui va la rendre à peu près complète. (1) En dehors du tableau de Besançon, il n'existe en France que trois peintures de Fra Bartolommeo : à Paris, au Louvre, Mariage de sainte Catherine (1511) et Annonciation (1515); à Pézenas, chez M. Charles Alaffre, Saint Sébastien (1514). — Après avoir décrit le Mariage de sainte Catherine du Louvre, M. Gustave GRUYER, auteur d'un excellent ouvrage sur Fra Bartolommeo et Mariotto Albertinelli (1886), commence ainsi l’article qui concerne le tableau de Besançon : « Un tableau plus gran- diose et plus remarquable encore orne... la cathédrale de Besançon » (p. 49), 49; — 9298 — Ce tableau, peint sur bois de chêne, a 2 mètres 60 cen- ümètres de hauteur sur 2 mètres 30 centimètres de largeur. Il représente la Vierge mère, apparaissant avec plusieurs saints au donateur de la peinture. Dessin fait en 1873, par M. Edouard MICHEL-LANCON, d’après le tableau de Fra Bartolommeo, à la cathédrale de Besancon. A l’intérieur d’un édifice décoré de pilastres et pourvu de deux avant-corps, la Vierge, assise sur des nuages et portée par ‘des anges, tient sur ses genoux l'Enfant Jésus qui bénit. Deux anges, aux ailes diaprées, escortent la Vierge, à droite et à gauche, en jouant de la mandoline. Au dessous — 999 — de la Vierge, une porte ouverte au centre du tableau laisse voir, dans la campagne, une ville forte précédée d’une rivière, avec quatre figures nues qui tournent le dos au spectateur et sont sur la berge du cours d’eau. Trois degrés se trouvent en avant de cette porte, et des roses parsèment le pavé de marbre qui occupe le premier plan de la scène. Sur ce pavé deux groupes sont répartis. A la gauche du spectateur, saint Sébastien debout a derrière lui saint Etienne, également debout, tandis qu'entre les deux, saint Jean-Baptiste à genoux montre du bras droit le do- nateur, qui est agenouillé au premier rang du groupe situé en face. Ce donateur, vêtu d’une robe rouge à larges manches doublées de noir, costume des membres du grand conseil de Malines, tient de la main gauche une calotte noire, et de la main droite désigne l'apparition de la Vierge. Un peu plus haut que lui, dans la direction des degrés, on voit sur un prie-Dieu le surplis et laumusse des chanoines, avec un bréviaire dressé sur le pavé. En pendant avec le saint Sébastien d'en face, saint Bernard, debout, vêtu d’un ample coule blanche, fait un double geste admiratif en contemplant la Vierge qui abaisse sur lui son regard, tandis que PEnfant Jésus semble particulièrement bénir sant Sébastien. En arrière-plan, pour équilibrer le saint Etienne de l’autre groupe, saint Antoine, avec son froc sombre, fait ressortir l’éclatante blancheur du vêtement de saint Bernard. La plus saillante des figures accessoires du tableau étant un saint Sébastien, magistralement peint dans une nudité chaste, on avait considéré cette figure comme ayant dû donner son nom à louvrage, et celui-ci passait conséquem- ment pour le Saint-Sébastien du maître, cette peinture dont Vasari disait qu’elle avait été éliminée de l’église du couvent de Saint-Marc à Florence, en raison des distractions que la nudité du.bienheureux donnait aux dévotes. Le P. Mar- chese, l'historien des artistes de l’ordre des Frères pêcheurs, nadmit point cette assimilation : il indiqua l'existence à — 300 — Toulouse, puis à Pézenas, du véritable Saint-Sébastien de Fra Bartolommeo, et cette indication, confirmée par le P. Ceslas Bayonne (1), remit en question toute l’histoire de la peinture qui nous occupe (2). À partir de son entrée en religion, Baccio della Porta, devenu Fra Bartolommeo, fut déchargé du souci de débattre et de recueillir le prix de ses ouvrages. Ce double soin incomba dès lors au syndic ou procureur du couvent de Saint-Marc de Florence. Nous possédons ainsi une pré- cieuse comptabilité qui indique le prix et la destination des peintures exécutées par Fra Bartolommeo, soit seul, soit en collaboration avec Mariotto Albertinelli, depuis 1504 jusqu’à 1516, c’est-à-dire depuis son entrée en religion jusqu’à l’année qui précéda celle de sa mort. Plusieurs articles de cette comptabilité concernent un important ouvrage exécuté (1) Le P. BAYONNE a publié, dans l'Année dominicaine du mois de dé- cembre 1875 et du mois de janvier 1876, un récit intitulé : Comment j'ai retrouvé le Saint-Sébastien de Fra Bartolommeo. « Retrouvé » était beaucoup dire, puisque, dès le 17 juin 1844, Benjamin Alaffre avait indi- qué ce tableau comme étant en sa possession, à Toulouse, et que ce ren- seignement avait été enregistré par le P. MARCHESE dans la seconde édi- tion de ses Memorie, publiée en 1854, t. IT, p. 101. (2) M. Gustave GRUYER (p. 42, note 4) donne la bibliographie suivante des travaux qui ont eu pour objet le tableau de Besançon : « Voyez », dit-il, «les deux articles rédigés par l'abbé DE BEAUSÉIOUR avec le concours du P. Ceslas BAYONNE, dans l’Année dominicaine (février et mars 1872); la Vierge des Carondelet, par M. Auguste CASTAN, conservateur de la Biblio- thèque de Besançon et correspondant de l’Institut de France, travail inséré ‘ dans les Mémoires de la Société d’Emulation du Doubs (4e série, t. VIH, 1873, pp. 129-156, avec une lithographie); quatre articles du P: BAYONNE dans l’Année dominicaine (décembre 1875, janvier, août et septembre 1876) ; la Notizie sopra varie opere di Fra Bartolommeo di San Marco, par M. S. Ribozri, dans le Giornale ligustico di archeologia, storia e belle arti. fondato e diretto da L. T. Belgrano‘et A. Nori, à Gênes (année V, livraisons IITe, IVe et Ve, mars, avril, mai 1878); la Semaine religieuse de Besançon du 17 et du-24 mars 1877. (On y trouve : 1° des documents découverts par M. l’abbé DEHAISNES et communiqués au Père BAYONNE ; 2 une réponse de M. CASTAN aux conclusions tirées de ces do- cuments) ». — 301 — entre 4511 et le 29 novembre 1512, ouvrage commandé et payé par un certain « messer Ferrino Inghilese » et « qui alla en Flandre ». Une partie du tableau avait été faite par Mariotto Albertinelli, puisque cet artiste toucha la moitié du prix de l’ouvrage (1). Or, il était absolument certain que notre Vierge de Fra Bartolommeo avait été donnée à l’église de Saint-Etienne, la seconde des cathédrales de Besançon, par Ferry Caron- delet, grand archidiacre du chapitre métropolitain de cette ville ; il était non moins certain qu'à l’époque de lexécution et du paiement de l’ouvrage, ce même dignitaire avait en Italie la mission de représenter auprès du pape Jules II l’empereur Maximilien et l’archiduc Charles, son petit-fils. La Flandre était bien la patrie de Ferry Carondelet, puisqu'il avait vu le jour à Malines et qu'il y occupait un siège de conseiller ecclésiastique. S'appuyant sur ces considérations, le P. Bayonne n’hésita pas à regarder le mot « Ferrino » comme une altération du mot Ferrico, le mot € [nghilese » comme résultant d’une lecture fautive du mot Mechlinese, qui aurait signifié originaire de Malines ; et quant au départ du tableau pour la Flandre, ii sembla naturel au P. Bayonne que Ferry Carondelet ait voulu emmener avec lui à Malines, où il dut retourner après son ambassade, une œuvre d'art qui ne lui avait pas coûté moins de 320 ducats d’or, ou (1) Voici, d’après le P. MARCHESE, les articles de comptabilité qui con- cernent la commande et les paiements du « Ferrino » en question : _ « Sommario dei dipinti di Fra Bartolommeo della Porta... em d'una compagnia fatta con Mariotto di Biagio, dipintore, se n’è cavato due. dugento dodici d’oro in oro lar., nella quale compagnia..……. fu la Tavola che ando in Fiandria, che fece fare un M. Ferrino..…. ». Ricordi del Sindaco del convento. — «1511. Da messer Ferrino Inghi- lese ducati 20 d’oro in oro contanti nelle mani di Fra Bartolommeo, di- pintore, p. la metà di ducati 40 dati fra lui e Mariotto, dipintori compagni, per arra del lavoro ha loro allogato a fare, come tra loro sono accordati ». — 1512, 29 novemb. Da Fra Bartolommeo, dipint., a di 29 detto, avuli da M. Ferrino, per la nostra parte della seconda paga della tavola di Fiandria, ducati 140 ». va À CROIRE Ÿ Fund 2 -LNa RS TRE CE que environ 3,400 livres françaises de ce temps. Ces raisonne- ments, auxquels M. l'abbé de Beauséjour (1) avait collaboré, furent exposés par lui, avec goût et méthode, dans les numéros de juillet et d'août 1869 de l’estimable revue qui s'appelait Annales franc-comtoises (). M. l'abbé de Beauséjour terminait en manifestant sa sur- prise de ce qu'aucun renseignement n’avait été rencontré dans les délibérations du chapitre métropolitain de Besançon, soit sur le don, soit sur l’arrivée du tableau commandé par Ferry Carondelet pour l’église de Saint-Etienne. Ce silence des actes capitulaires me paraissant également très invrai- semblable, je me mis, en 1873, à compulser les délibérations prises par le chapitre métropolitain du vivant de Ferry Carondelet, et ma peine fut récompensée par la découverte de deux actes, l’un du 26 mai 1518, l’autre du 48 mai 1519, par lesquels le chapitre autorisait son grand archidiacre à faire placer successivement dans deux endroits de l’église de Saint-Etienne une grande peinture sur bois, formant retable (5). L'acceptation de la peinture ainsi offer te n'avait (1) Alors professeur de philosophie au collège Saint-François-Xavier de Besançon, actuellement chanoïne-archiprètre de l'église métropolitaine. (2) Ce même travail, reproduit avec des modifications dans l'Année do- minicaine de 1872, a été tiré à part en une brochure de 30 pages, dont voici le titre : La Vierge de Carondelet dans la cathédrale de Besan- con ; Paris, Victor Goupy, 1872, in-8°. (3) Je donne ci-après la traduction française de ces deux actes, en la fai- sant suivre d'une interprétation nouvelle : « Sur la requête présentée par messires le chantre et Guérard, au nom de messire l’archidiacre de cette église, à l’eflet d'obtenir des seigneurs du chapitre les consentement, volonté et licence nécessaires pour que ledit archidiacre, en l'honneur de Dieu et de la Vierge Marie, comme aussi dans l'intérêt du lustre de l'église de Besançon, eût le droit de placer une pein- ture d'images formant retable. au dessus d’un autel de la bienheureuse Marie Vierge, situé dans l’église de Saint-Etienne, à côté de la sacristie, peinture qu'il se propose de donner, avec pouvoir, s'il en était besoin, de déplacer et de replacer en un endroit plus rapproché et convenable l'image de la bienheureuse Marie existant à ladite place, les seigneurs du chapitre ont accordé et concédé au requérant la faculté et le pouvoir par lui re- — 3035 — done eu lieu qu’en 1518, et l'emplacement définitif de ce même ouvrage n'avait été déterminé qu’en 1519, c’est-à- dire environ sept ans après l’achèvement de la peinture payée par le &« messer Ferrino » que l’on identifiait avec Ferry Carondelet. Cette circonstance m'inspira des doutes sur lidentification proposée. Je concevais difficilement qu’un grand tableau, spécialement fait pour l’une des églises de Besançon, eût pris la route de Flandre (D et attendu sept quis, sous la condition que le tout s’accomplira à ses dépens, sans que l’autel dont il s’agit en reçoive préjudice ou dommage (26 mai 1518). » À la demande de maitre Léonard de Gruyères, chanoine... interprète dudit messire l’archidiacre, il est accordé et concédé à ce dignitaire la faculté de placer une peinture, consistant en un grand tabernaele ou re- table imagé sur bois, que ledit archidiacre à fait faire à la louange de Dieu, en l’église de Saint-Etienne et dans la chapelle de la bienheureuse Marie- Madeleine, selon sa dévotion, en même temps qu'il pourra, s’il le juge né- cessaire et expédient, reconstruire l'autel de ladite chapelle (18 mai 1519) ». Dans mon premier travail sur le retable qui nous occupe, j'avais con- sidéré ces deux actes comme se rapportant chaeun à un tableau distinct, c'est-à-dire, d’une part, à la peinture que nous possédons et, d'autre part, à un Couronnement de la Vierge, par Mariotto Albertinelli. Comme on le verra plus loin, ces deux ouvrages superposés ne formaient qu’un seul re- table, et les deux actes ci-dessus traduits ne démentent pas cette simplifi- cation. Par le premier acte, le chapitre accepte le retable et autorise Ferry Carondelet à le placer dans l'église de Saint-Etienne, sur un autel de la Vierge, au voisinage de la sacristie de cette basilique, à la condition tou- tefois que l’autel en question n’éprouvera aueun dommage. Un an après, lors de la seconde délibération, Ferry Carondelet à changé d’avis quant à emplacement de ce même retable : une chapelle de l’église de Saint- Etienne, dédiée à sainte Madeleine, lui a été livrée et il veut la transformer à ses frais ; c’est là que, sur un autel fait à neuf, se dressera le grand re- table. Par un acte capitulaire du 13 avril 1520, cette chapelle est mise à sa discrétion, pour qu'il la restaure ou la reconstruise et l’embellisse à son gré. À la date du 22 mai 1595, les ouvriers travaillent encore à la décora- tion de la chapelle, et, sur la demande de Ferry Carondelet, un chapelain de Sant-Etienne est commis spécialement pour surveiller le travail. Les textes des délibérations capitulaires dont je viens de donner la traduction ou le résumé se trouvent dans les notes de mon étude intitulée : La Vierge des Garondelet, ann. 1873 des Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, pp. 142-145. Je les reproduis à la suite de ce nouveau travail. (1) L’objection basée sur l'indication de la Flandre comme lieu de desti- — 304 — années avant d'arriver à sa destination. Je remarquais en outre que la signature de notre tableau ne procédait pas de Fra Bartolommeo lui-même, le Frate n'ayant jamais usé, pour tracer son nom avec le pinceau, d’une formule aussi som- maire que le F BARTHOLOMEVS qui se lit au bas de cette peinture (1). En vertu de ces deux considérations, je fus porté à croire que le « Ferrino » de Florence et le Ferry de Besançon n'étaient pas la même personne, et que notre tableau, entré à Saint-Etienne après la mort de Fra Barto- lommeo et signé par une main étrangère, devait être mis au rang des ouvrages produits dans les derniers temps de la nation d’un tableau commandé pour la ville de Besançon, cette objection, dis-je, a perdu pour moi beaucoup de son importance depuis que j'ai eu constaté la même ambiguité apparente sous la plume du peintre Angiolo Bronzino, à propos d'un second retable, également créé à Florence et parti de là, en 1545, pour venir orner la chapelle que Nicolas Perrenot de Gran- velle ajoutait à l’église des Carmes de Besançon. « La spedizione della ta- vola in Fiandrias, sous la plume de Bronzino, est exactement l’analogue du « che andd in Fiandria », écrit par le procureur du couvent de Saint- Marc, à propos du retable commandé par Ferry Carondelet, en 1511, pour l’église de Saint-Etienne de Besançon. Voyez mon opuscule sur le Bronzino du Musée de Besançon. dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, ann. 1881, p. 45 (note 3) et p. 72. — La Flandre et la Franche- Comté élaient régies, au seizième siècle, par un même gouvernement qui avait son siège à Bruxelles. — Il est à noter enfin que dans l’article nécro- logique rédigé sur Fra Bartolommeo par ses confrères du couvent de Saint- Marc, la Flandre est indiquée parmi les lieux où existaient des ouvrages du grand artiste. (1) À propos de cette signature, le P. MARCHESE écrivait, le 14 août 1869, au P. Bayonne : « Je doute fort de l’authenticité de la signature qu’on voit au bas, et cela pour deux raisons : parce que cette signature ne ressemble à aucune autre du même artiste; et parce qu'ayant fait ce tableau en com- pagnie d’Albertinelli, il n’est pas croyable qu’il ait voulu l’attribuer à lui seul, en le signant de son propre nom ». (Citation empruntée au deuxième article de M. l’abbé DE BEAUSÉJOUR sur la Vierge de Garondelet : Annales franc-comtoises, t. XIT, 1869, p. 141.) En effet, au bas d’un tableau peint précisément en 1511, par les soins réunis de Fra Bartolommeo et de Ma- riotto, tableau qui représente l’'Annonciation et appartient au Musée Rath, à (renève, on lit une double signature dont voici la formule : FRIS BARTHO. OR. P. ET MARIOTTI FLORENTINOR. OPVS. 1511. stntns ondes — 305 — vie du maître, ouvrages dont plusieurs furent terminés et livrés par Fra Paolino, son élève et héritier. Ce système a soulevé plusieurs objections sérieuses. On a pu me reprocher de l’avoir construit beaucoup plus en logicien qu’en critique d’art. En effet, je n’avais pas alors à mon service les moyens de comparaison que j'ai acquis depuis par mes études dans la plupart des grands musées. Mes contradicteurs, qui étaient en possession de ces moyens, invoquèrent, contre mon système, les analogies de la manière du tableau de Besançon avec celle des ouvrages de Fra Bartolommeo qui datent de 4514 et 1512 (1), c’est-à-dire de l’époque à laquelle le «messer Ferrino » fit exécuter le tableau « qui alla en Flandre ». Cette époque est d’ailleurs celle de l’apogée du talent de Fra Bartolommeo : plus tard, le maître chercha les effets de clair-obscur et ne réussit, comme Raphaël, qu’à donner à son coloris une dureté qui n'existe pas dans l’œuvre suave et radieuse que Besançon possède. Cest là un motif absolu de ne pas regarder cette æuvre comme une production des derniers temps de la vie du maître. Et si, en conséquence de ses affinités avec le Mariage de sainte Catherine du Musée du Louvre, cette même œuvre doit être rattachée à l’année 1511, (?) les indi- (1) Voyez le Fra Bartolommeo de M. Gustave GRUYER, pp. 51-56. (2) « À tous ces arguments », dit M. Gustave GRUYER (Fra Bartolom- _ me0, p. 53), (nous en ajouterons un qui ne nous semble pas moins décisif, en comparant la Vierge de Besançon avec le Mariage de sainte Cathe- rine du Louvre, peint certainement en 1511. C’est du même modèle que Fra Bartolommeo s’est servi pour son saint Etienne dans le tableau de Ferry Carondelet et pour son saint Vincent dans le tableau donné par les Florentins à Jacques Hurault (Mariage de sainte Catherine); l'ange de droite, qui vole en jouant de la mandoline auprès de la Vierge de Besan- con, est presque identique à celui qui, à droite aussi, soulève un des côtés du rideau dans la composition que l’on admire à Paris. Le style des deux tableaux démontre qu'ils ont été exécutés pour ainsi dire en même temps, sous les mêmes inspirations ; le maïtre y apparait avec toute sa force et avec toute sa grâce, avant l'époque où 1l tomba dans l’exagération du elair- obscur (1513), avant celle où il rapporta de Rome des ambitions trop hautes, 20 — 306 — cations concernant la commande faite par « messer Ferrino », précisément en 1511, la concernent évidemment. Admettons donc que les mots « Ferrino » et « Inghilese » sont de maladroites transcriptions des mots Ferrico et Mechlinese ; ne nous étonnons plus que Ferry Carondelet n'ait pas voulu se séparer de son tableau avant le moment où il pourrait Pinstaller lui-même ; tenons pour certain que la signature actuelle de ce tableau a été tracée par un restaurateur (1), en remplacement de la signature oblitérée du maître; recon- naissons enfin dans le tableau qui nous occupe un ouvrage commandé en 1511, achevé en 1512, offert en 1518 au cha- pitre métropolitain de Besançon, et destiné en 1519 à l’une des chapelles de la seconde cathédrale de cette ville. Il n’en restera pas moins une importante question à résoudre quant à l’histoire de ce tableau. D’après les comptes du syndic de Saint-Marc de Florence, la moitié du prix du tableau « qui alla en Flandre » avait été touchée par Mariotto Albertinellhi, en qualité de collaborateur de Fra Bartolommeo dans la production de cet ouvrage. Or, le tableau qui nous occupe est d’une distinction trop soutenue pour avoir été produit par deux pinceaux de valeur inégale. Il y a lieu dès lors de se demander si nous possédons la totalité de lou- suggérées par la vue des œuvres de Michel-Ange (1514). Tout concourt done à nous persuader que la peinture magistrale qui orne... la cathédrale de Besançon n’appartient pas aux dernières années du Frate ». (1) Comme la plupart des tableaux fixés contre les murs généralement humides des églises, le retable de Fra Bartolommeo a dû nombre de fois être restauré. En 1573, Pierre d'Argent, peintre bisontin à la solde du car- dinal de Granvelle, avait « heu quinze escus de messieurs de Sainct-Estienne pour avoir rabillé le tableau » (A. CASTAN, Le Bronzino du Musée de Be- sançon, dans les Mémoires de la Sociëté d'Emulation du Doubs, ann. 1881, p. 65). En 1713, comme on le verra ci-après, le peintre sicilien Viali fit une restauration de ce même ouvrage. Vers 1895, le tableau séjourna quelque temps chez le peintre Antoine Borel, qui se contenta d'en réparer les écaillements avec des mastics coloriés. Une dernière restauration eut lieu, en 1869, par les soins de Jules Arthaud. En 1886, le tableau a été gravé, aux frais de l'Etat, par M. Jules-Gabriel Levasseur. CT ERP EL PR OP — 307 — vrage payé 320 ducats d’or, en 1511 ét 1512, par Ferry Carondelet. À cette question, qui est ici posée pour la pre- mière fois, je viens fournir une réponse. Il existe à Besançon, chez M. le marquis de Terrier-San- tans, une petite répétition de notre Vierge de Fra Barto- lommeo, répétition paraissant dater du xvi siècle et se distinguant de l'original par deux variantes très importantes. Dans le bas, à droite, une figure féminine, agenouillée et ayant un nimbe au dessus de la tête, tient la place que le maître avait accordée au portrait de Ferry Carondelet. Dans le dessus, la composition a été allongée de près d’un tiers, et cette partie supérieure, séparée de la scène de l'apparition par un zône de nuages, montre la Vierge ayant une couronne sur la tête et recevant à genoux la bénédiction de son divin Fils. Ce complément, qui est inscrit dans un demi-cercle, s’harmonise bien avec les figures de Fra Bartolommeo; de plus, il semble les affranchir d’une sorte de gêne résultant pour elles de la forme à peu près carrée qu’affecte la pein- ture originale. Il paraît même difficile que cette peinture, telle que nous la possédons, ait pu constituer ce que le texte de 1519, relatif à son placement, appelle un « grand retable » d’autel. En effet, un « grand retable » de style italien se composait généralement de trois parties, surperposées dans un encadrement d'architecture. Le tableau, partie centrale, était dominé par un tympan en demi-cercle et reposait sur un gradin, quelquefois peint, quelquefois sculpté. Fréquem- ment le tympan, dont le sujet était emprunté à la région céleste, avait son individualité comme peinture et s’emboitait dans l’encadrement architectural pour se raccorder avec le tableau. Un tel ensemble constituait une surface oblongue et cintrée par en haut, comme ce que nous montre la copie réduite du tableau surmonté d’un tympan (1). En agrandis- (1) Une reproduction en héliogravure de cette petite répétition occupe la seconde page de la double planche qui accompagne mon opuseule. Cette — 308 — sant par la pensée cette copie réduite, on aurait bien les éléments essentiels de ce qui, dans la langue ecclésiologique du xvre siècle, avait pu s'appeler « un grand tabernacle ou retable de bois imagé ». Mais ce tympan, cette gloire, comme on dit volontiers quand il s’agit de la peinture religieuse, est-elle l’invention d’un copiste, ou bien a-t-elle réellement existé en original au dessus du tableau actuel de la cathédrale de Besançon ? À cet égard, nous allons être renseignés de la manière la plus nette par un dignitaire de l’ancien chapitre métropoli- tain, c’est-à-dire du corps ecclésiastique qui avait la propriété du tableau. Dans un résumé des délibérations capitulaires qui s'arrête au 11 décembre 1745 (1), ce dignitaire a décrit, sous la date du 8 mars 1713, l'aspect qu'avait alors l’œuvre d'art donnée, deux siècles auparavant, par Ferry Carondelet. Ce témoignage est ainsi CONÇU : « 8 martii 1713. — Le sieur Viali, très fameux peintre » d'Italie, natif de Sicile, entreprit de raccommoder le grand » tableau qui est à l’autel du Saint-Suaire, qui estoit beaucoup » écaillé dans le bas (@). À quoy il réussit très bien. Il treuva reproduction dérive d’une photographie du tableau, mis gracieusement à ma disposition par M. le marquis de Terrier-Santans, photographie habi- lement exécutée par M. Alfred Boname, à titre de contribution aimable aux travaux de la Société d'Emulation du Doubs. — Sur cette petite répé- tition et ses analogues, voyez une notice annexée au présent travail. (1) Cahier ecclésiastique : manuscrit de la Bibliothèque de Besancon. (2) En dehors de la restauration du retable qui nous occupe, le peintre Viali fit à Besançon quelques portraits pompeux de style, chatoyants de coloration, mais d’un modelé absolument sommaire. Trois de ces portraits, en somme fort médiocres, sont conservés dans l'honorable famille dont ils représentent les auteurs, c’est-à-dire Joseph-Luc Mareschal de Vezet, con- seiller au Parlement de Besançon, Diane-Charlotte Boudret, sa femme, et Charles-Luc-Claude, leur fils unique. Un demi-siècle plus tard, la notice des personnages représentés fut écrite, au dos de chacune des toiles, par le pinceau de Melchior Wyrsch, et ces trois notices se terminent par les mots RENÉ VIAL, suivis de la date 1716. Or, les documents que nous pu- blions indiquent le printemps de 1713 comme époque de la présence pas- agère de Viali à Besançon : il est donc certain que Wyrsch a inconsciem- — 909 — » cette pièce si parfaite qu'il avoua que c’estoit la troisième » pièce du monde. Deux fameux peintres y ont travaillé, » dont les noms sont écrits aux bas (1). » Marriotti Albertinelli, de Florence (?), a fait la gloire : il » n’a vécu que #5 ans. Fratre Bartholomeo Baccio, aussi de » Florence, religieux jacobin, a fait la grande pièce du » tableau, où est la Sainte - Vierge et le fameux Saint- » Sébastiain : il mourut l’an 1517, âgé de 48 ans. » M. Ferreux Carondelet, chanoine, grand archidiacre de » Besançon, abbé de Montbenoit, le fit faire pour le mettre » dans la superbe chappelle qu'il fit construire dans l’église » de Saint-Estienne, où il fit eslever son mosollé de marbre, » dont les fraguements ont été transportés dans celle de » Saint-Jean, lorsqu'elle (Saint-Etienne) a été détruite l’an .» 4676, pour y bastir la citadelle ». Il résulte de ce témoignage G) qu’en 1715, le tableau qui nous occupe faisait corps avec une gloire peinte par Ma- riotto Albertinelli et portant sa signature. On saura désor- mais pourquoi ce collaborateur de Fra Bartolommeo vint ment abaissé de trois ans la date de confection des portraits. À la distance d’un demi-siècle, les souvenirs qui lui étaient dictés purent comporter cette inexactitude. Dans les documents joints au présent opuscule, on verra que ce fut un chanoine du nom de Boudret, vraisemblablement frère de Diane- Charlotte, dame de Vezet, qui dirigea la restauration, par les soins de Viali, appelé Vial dans les délibérations capitulaires, du retable issu des pinceaux de Fra Bartolommeo et de Mariotto Albertinelli. Ce peintre de passage fit-il la connaissance du chanoine Boudret à l’occasion du portrait de Diane-Charlotte, dame de Vezet, ou ful-il introduit dans la famille de Vezet à l’occasion de la restauration du retable? La coïncidence des por- traits et du travail de restauration nous parait, dans tous les cas, absolu- ment démontrée. (1) Cette désinence plurielle signifie que chacune des deux parties du re- table portait en bas la signature de son auteur. (2) La signature de Mariotto était habituellement : MARIOTTI FLORENTINI OPYS. (G. MILANESI, Vasari annoté, édit. Sansoni, t. IV, pp. 221-227). (3) Ce témoignage est corroboré par les délibérations capitulaires rela- tives à la restauration du tableau, en 1713. On trouvera aux annexes texte de ces délibérations. — 9310 — partager avec le couvent de Saint-Marc de Florence, en 1511 et 1512, les sommes payées par « messer Ferrino », c’est- à-dire par Ferry Carondelet, pour le tableau « qui alla en Flandre », puis revint à Besançon (1). Mais quel était le sujet de cette gloire qui faisait luire un morceau du paradis au dessus des figures peintes par Fra Bartolommeo? Dunod, l'historien de l'Eglise de Besançon, va nous édifier là-dessus en quelques mots très précis : « Le tableau de Saint-Sébastien », dit-il (2), « est sur bois... Au (1) I y a toutefois à se demander encore comment il se fit que Mariotto Albertinelli, qui n'avait peint qu'environ un tiers du retable, toucha la même somme que le couvent de Saint-Marec, qui était aux droits de Fra Bartolommeo pour les deux tiers de la peinture. Une explication de ce fait pourrait être hasardée. À l’époque même de la confection du retable, c'est- à-dire du temps de l'ambassade de Ferry Carondelet, celui-ci se fit peindre dans l'attitude d’un homme qui diete à son secrétaire une réponse à la dépêche officielle que tient sa main droite. Sur cette missive on lit nette- ment le prénom et le nom de Ferry Carondelet, ainsi que ses deux qua- lités d’archidiacre de Besançon et d’ambassadeur à Rome. Ce portrait, dont il existe une bonne gravure de Nicolas de Larmessin, à passé longtemps pour un ouvrage de Raphaël : il fut offert comme tel à lord Arlington par les Etats généraux de Hollande. Il se trouve actuellement à Londres, chez le duc de Grafton, où j'ai pu lexaminer: Parmi les raisons nombreuses qui m'empêcheraient de l’attribuer à Raphaël, je signalerai particulièrement les maladresses de perspective que présente l'architecture qui fait le fond du tableau. Or, on le sait, Raphaël a fait plusieurs œuvres distinguées d'architecture : aussi la perspective n'est-elle négligée dans aucun de ses tableaux. La tête de Ferry Carondelet, avec ses beaux yeux d’un bleu-per- venche, est d’un galbe très noble; mais pourquoi, comme l’a remarqué Passavant, la tête du secrétaire, bien qu’elle soit vue à la même distance que celle du principal personnage, est-elle d’une dimension notablement inférieure ? En somine, la science du groupement manque à ce portrait assurément magistral, et cette lacune ne permet pas d'y voir un ouvrage de Raphaël. Je proposerais dès lors de l’attribuer à Mariotto, ear il a bien le dessin rigide et la coloration heurtée qui caractérisent les ouvrages du collaborateur de Fra Bartolommeo. Ce portrait, absolument contemporain du retable de Besançon, aurait de la sorte servi d'appoint à Mariotto pour obtenir une rémunération égale à celle que Ferry Carondelet eut à verser, comme prix de l’œuvre de Fra Bartolommeo, dans la caisse du couvent de Saint-Marc de Florence. (2) Histoire du Comté de Bourgogne, t. {, pp. 164 et 165. — 911 — bas du tableau est écrit Fra Bartolomeo ; c’est le nom du peintre qui l’a fait... Le Mariotto a peint le Couronnement de la Vierge et y a mis son nom. Il était comme Fra Barto- lomeo disciple de Roselli. Ge tableau est sur bois ». Ce que le dignitaire du chapitre appelait, en 1713, une gloire, Dunod l’appelait, en 1735, le Couronnement de la Vierge, et cette dernière appellation est en concordance très approximative avec le sujet représenté dans le haut de la copie réduite que possède M. le marquis de Terrier- Santans (1). Donc la partie supérieure de cette copie n’est pas un morceau de fantaisie : c’est une petite répétition de la gloire que Mariotto Albertinelli avait produite pour être placée, comme tympan, au dessus de la scène d'apparition magistralement peinte par Fra Bartolommeo. Cette copie réduite est en somme un précieux document, puisqu'elle seule peut aujourd'hui donner une idée précise de ce qu'était originairement le « grand retable » commandé par Ferry Carondelet, en 1511, à l’atelier du couvent de Saint- Marc de Florence (©. (1) Le sujet représenté est en réalité : La Vierge recevant au Ciel la bénédiction de son Fils. Comme cette Vierge a une couronne sur la tête et que l'attitude respective des deux personnages est approximativement celle que l’on voit dans les nombreux retables dominés par un Couronne- ment de la Vierge, cette dernière appellation fut adoptée pour désigner le tympan qu'avait peint Mariotto. Un Couronnement de la Vierge n'aurait eu sa raison d’être qu’au dessus d’un tableau représentant l’'Assomption. Mais Fra Bartolommeo ayant représenté la Vierge apparaissant sur terre pour rappeler l’incarnation de son divin Fils, Mariotto a voulu concurrem- ment les montrer tous deux dans le rayonnement de leur existence céleste. (2) M. l'abbé de Beauséjour a le mérite d’avoir pressenti l'intérêt docu- mentaire de la petite répétition dont nous mettons la valeur en complète évidence. € Nous inclinerions à croire », écrivait-il, « que le peintre, à qui est due cette copie, a voulu reproduire deux tableaux de notre métropole, celui dont il est ici question et le Couronnement de la Vierge de Mariotto, signalé par Dunod parmi les beautés de notre église : Le Mariotto, dit-il, @ peint la Couronnement de la Vierge et y a mis son nom. Ce dernier tableau a disparu ». (La Vierge de Carondelet; brochure extraite de l’Année dominicaine, 1872, p. 12, note 1.) | — 312 — Remarquons toutefois que si le chroniqueur de 17143 indique les ouvrages de Fra Bartolommeo et de Mariotto comme ne formant qu'un même « grand tableau », qui servait de retable à l'autel du Saint-Suaire de la cathédrale de Besançon, Dunod, en 1735, cite ces deux ouvrages comme des tableaux indépendants l’un de lPautre. Pour expliquer cette divergence, il faut se souvenir qu'entre 1713 et 1735, un accident des plus graves avait endommagé la cathédrale de Besançon : le 25 février 1729, la tour des cloches s'était effondrée en ruinant l’abside nord-est de l'édifice (1), c’est-à-dire celle où le « grand tableau » qui nous occupe faisait fonction de retable. Le tombeau de Ferry Carondelet souffrit grandement de ce désastre, et le retable donné par lui aurait infailliblement péri, si le chapitre mé- tropolitain, par mesure de prévoyance, n’eût fait changer de place à cette œuvre d'art, neuf jours avant la catastrophe @). Le retable fut-il disloqué lors de ce déménagement hâtif? Un fait est certain : c’est qu'après la reconstruction de lPabside ruinée, le « grand tableau » ne fut plus employé comme re- table. On loga dans une boiserie, en manière de dessus de porte (3), la partie peinte par Fra Bartolommeo, et l’on ne fit pas le même honneur au tympan que Mariotto avait signé (1). (1) Duxop, Histoire de l'Eglise de Besançon, t. 1, pp. 422-493. — Jules GAUTHIER, L’abside nord-est de la cathédrale de Besançon. avant sa chute en 1729, dans l'Annuaire du Doubs pour 1878, p. 59. (2) Léon ORDINAIRE, La chapelle du Saint-Suaire, dans les Annales franc-comtoises, ann. 1868, p. 7. (3) Il était près de l’autel des saints Ferréol et Ferjeux, à côté de l'esca- lier actuel du elocher ; il y faisait vis-à-vis à un tableau attribué au Tinto- ret, qui représente la Mort de Saphire et d’'Ananie, tableau qui demeure placé au dessus du mausolée de Ferry Carondelet. Ce lieu sombre rendant fort difficile la vue de l’ouvrage de Fra Bartolommeo, on l’en retira en 1875, pour le placer dans la petite nef d’aval de la cathédrale, à peu près en re- gard du trône de l’archevêque. (4) Dans les textes relatifs à la restauration du retable, en 1713, il n'est pas question de gradin, ou predella. Ce socle avait été probablement une plate-bande sculptée, faisant corps avec l'encadrement architectural qu’a- — 313 — Il est à croire cependant que ce dernier ouvrage était en- core, au moment de la Révolution française, relégué dans quelque coin de la cathédrale de Besançon. Mais depuis qu'est-il devenu ? Ce qu’il est devenu je vais encore le dire, et le succès de la recherche que j'en ai faite est dû, en grande partie, au souvenir qui m'était resté de la gloire peinte au dessus de la copie réduite du « grand retable » de Besançon. Le Musée de Stuttgart possède, en trois pièces, dont chacune est dans un encadrement distinct, la majeure partie d’une peinture sur bois qui est appelée : Couronnement de Marie. Ces fragments, acquis depuis une cinquantaine d'années d’un brocanteur de Vienne, avaient été attribués à Kra Bartolommeo (l). MM. Crowe et Cavalcaselle y ont reconnu la manière de Mariotto Albertinelli (?), et je confirme leur sentiment en reconnaissant à mon tour dans ces trois fragments la partie subsistante de la Vierge bénie par son Fils qui, pendant plus de deux siècles, avait été associée au € Fra Bartolommeo » de la cathédrale de Besan- con. Il n’y a pas une variante, soit pour la composition, soit vait le retable dans la chapelle de Sainte-Madeleine, à Saint-Etienne de Besançon. Après la destruction de Saint-Etiennt, en 1676, lorsque les deux peintures de Mariotto et de Fra Bartolommeo furent placées, en manière de retable, sur l'autel du Saint-Suaire, dans la seconde abside de la cathé- drale dédiée à saint Jean, le bas du panneau peint par Fra Bartolommeo reposa directement sur cet autel : il en résulta des avaries, produites par lPhumidité, qui motivérent la restauration dont fut chargé, en 1715, le peintre Viali. Après quoi, pour éviter le retour de pareilles avaries, le cha- pitre métropolitain fit surélever le retable, en lui donnant un socle ou gradin. (4) Je dois ces renseignements, accompagnés d'excellents croquis des trois morceaux qu'ils concernent, à la confraternelle obligeance de M. Rus- TIGE, directeur de la Galerie royale de Stuttgart, qui en outre à bien voulu surveiller l’exécution des photographies reproduites en héliogravure pour accompagner le présent travail. (2) CROWE u. CAVALCASELLE, Geschichte der italienischen Malerei. t. IV, pp. 497-498. — Gustave GRUYER, Fra Bartolommeo, p. 5% (note) et lt: ue pour les attitudes et les costumes, entre les figures de ces fragments et leurs analogues réduits qui se voient dans le haut de la petite répétition de l’ancien « grand retable ». Les fragments de Stuttgart proviennent donc du tympan qui portait la signature de Mariotto Albertnelh et était à Besançon placé, comme gloire, au dessus du tableau de Fra Bartolommeo qui existe encore dans la cathédrale de cette ville. Ce retable est loin d’être la seule peinture du même genre qui ait ses morceaux dispersés. L’Ascension du Pérugin, dont le panneau essentiel est au musée de Lyon, a son tympan, représentant le Père Eternel, dans l’église de Saint-Gervais à Paris, tandis que son gradin est au musée de Rouen. La Mise au tombeau, par Raphaël, le plus insigne des tableaux de la Galerie Borghèse, avait pour tympan la figure du Père Eternel, qui est demeurée à Pérouse, et pour gradin les trois Vertus peintes en grisaille, que l’on admire au Vatican. Personne n'ignore que le Triomphe de l’'Agneau, ce chef-d'œuvre imitial de la vieille école flamande, a la majeure partie de ses panneaux acces- soires à Berlin et deux autres à Bruxelles. Néanmoins, on peut juger dans la cathédrale de Gand de l'effet que produi- sait l’ensemble de ce merveilleux ouvrage, car le panneau central a retrouvé pour cortège les copies de toutes les pièces dont Berlin et Bruxelles possèdent les originaux. Il serait possible de compléter de même la portion qui nous reste du grand retable donné à Besancon par Ferry Carondelet. Au moven des fragments conservés à Stuttgart et de la copie réduite qui en faciliterait la restitution, on reproduirait aisément en peinture sur bois la Vierge bémie par son Fils, exécutée par Mariotto, et l’on ferait ainsi revivre la physionomie d'ensemble d’un ouvrage dont une seule partie, heureusement la meilleure, est le principal des joyaux artistiques de Péglise métropolitaine et de la ville de Besançon. UN NRC ES DÉLIBÉRATIONS CAPITULAIRES CONCERNANT L'ACCEPTATION ET LE PLACEMENT DU RETABLE PEINT POUR BESANCON PAR FRA BARTOLOMMEO. (Archives départementales du Doubs.) 1518, 96 maii. Facta per dominos cantorem et Guerard relatione, parte do- mini hujus ecclesie archidiaconi, petentis dominis de capitulo sibi dari consensum et voluntatem seu licenciam ut, ad honorem Dei et ejus matris Virginis Marie decoremque Ecclesie Bisun- tine, reponere possit el valeat quandam protecturam ymaginui cujusdam tabiari, in et super altare predicte beate Marie Vir- ginis situm in ecclesia Sancti-Stephani, juxta sacristiam, quam se obtulit daturum, ymaginem ejusdem beate Marie imibi, si opus sit, admovendo et in proximiori loco et convenienti repo- nendo : domini capitulantes eidem petenti annuerunt et con- cesserunt pro premissis facultatem et licenciam premissa, suis sumptibus, facienda et adimplenda, et hoc sine altaris prejudicio et detrimento. 1519, 18 mail. Domino archidiacono majori hujus Ecclesie, voce magistri Leonardi de Gruyères, canonici, petenti...., annuitur et conce- ditur facultas reponendi quandam protecturam cujusdam magni tabernaculi seu tablarii nemorei certe ymaginis, per ipsum ad laudem Dei factam, in ecclesia Sancti-Stephani, et in capella beate Marie-Magdalenes, pro ipsius devotione, cum erectione altaris dicte capelle noviter, ut sibi videbitur necesse et expe- diens, fienda. 1520, 13 aprilis. Facta per dominos Luxeul et de Grueriis, in absencia tamen — 316 — domini hujus Ecclesie archidiaconi, relatione de et super non- nullis verbis per aliquos dominos canonicos, ut asseruerunt, dictis et prolatis, ratione reparationum per eundem dominum archidiaconum in capella Sancte-Marie-Magdalenes, in Sancti- Stephani ecclesia sita et fundata, factarum, et presertim de qui- busdam janua lapidea murata et tomba commutatis, pro tamen decore dicte capelle : que verba potius illum commovere pos- sent ad renunciationem sue bone voluntatis quam ad comple- mentum sue fundationis, quod foret in grande detrimentum predicte Bisuntine Ecclesie; domini capitulantes voluerunt et volunt premissa omnino cessare, eidem domino archidiacono, voce quorum supra petenti, insequendo acta capitularia aliàs per capitulum super premissis conclusa et sibi concordata, libere dando et concordando atque concedendo licenciam, facul- tatem et omnimodam potestatem in predicta capella edificandi, construendi, reparandi, commutandi et rapiendi, pro decore sepedicte capelle, que sibi videbuntur fore et esse necessaria et facienda, juxta ipsius voluntatem et discretionem...… 1595, 29 mai. Domino Johanni Vuillemoti, capellano familiari Sancti-Ste- phani, voce domini archidiaconi petentis, impertitur licencia assistendi et faciendi atque manendi eum operariis operantibus in capella dicti domini archidiaconi : quo tempore durante, te- nebitur pro presente in ecclesia, actento quod constructio pre- dicte capelle erit in decorem predicte ecclesie. DÉLIBÉRATIONS CAPITULAIRES CONCERNANT UNE RESTAURATION DU RETABLE DE FRA BARTOLOMMEO A LA CATHÉDRALE DE BE- SANCON EN 1713. (Archives départementales du Doubs.) LI Mercurii 8 martin 1743. Tabella Sanctissimi Sudari reparanda. — On fera raccommoder Le tableau du Saint-Suaire. Dominis Boudret et Hugon, fabriciario, demandatur commis- Sio procurandi ut tabella pretiosa altaris Sanctissimi Sudarii, — 317 — cujus pictura in variis locis est attrita, reparetur à nominato Viali, pictore perito casu per hance urbem transeunte, et faciendi pro dictæ tabellæ conservatione quidque utile et necessarium judicabitur. Mercurii 45 martin 1713. Renvoyé à ces mesmes Messieurs pour faire faire un ornement au dessous du tableau qu’on a élevé, d'en faire faire un dessein et le présenter au chapitre pour déterminer ensuite. Referentibus dominis Boudret et Hugon, fabriciario, quod ad defendendam ab humiditate tabellam altaris Sanctissimi Sudarii ipsam paulo altius elevare fecerint : qua reparatione approbata, commissi sunt idem domini ad consulendum opifices peritos super delineatione alicujus operis pro resaniendo loco vacuo infra tabellam prædictam. Mercurii 40 martii 4743. Altare Sanctissimi Sudarit. Commissi sunt domini d’Orival, Boisot, d'Orchamps, capituli procurator, et Hugo, fabriciarius, ad examinandas varias ieno- graphias propositas a pluribus seulptoribus pro conficiendo seu reparando altare in capella Sanctissimi Sudarii, et de omnibus ad capitulum referendum. Mercurii cinerum, 14 februarii 1714. Pro reparatione altaris Sanctissimi Sudarir. Domino fabriciario conceditur facultas reparandi altare Sanc- tissimi Sudarii in loco ubi, anno præterito, elevata fuerat tabella, minori tamen qua fieri poterit impensa. LES PETITES RÉPÉTITIONS DU RETABLE PEINT POUR BESANCON PAR FRA BARTOLOMMEO. Celles des petites répétitions qui datent du seizième siècle sont, à ma connaissance, au nombre de trois. Une seule, qui est sur toile collée sur bois, reproduit la phy- — 318 — sionomie qu'avait l’ensemble du retable : elle appartient à M. le marquis de Terrier-Santans, qui a bien voulu en autoriser la réduction en héliogravure pour accompagner le présent travail. Les deux autres ne reproduisent que la partie du retable peinte par Fra Bartolommeo, c’est-à-dire la Vierge aux saints qui est restée à la cathédrale de Besançon. De ces deux répé- titions partielles, l’une, sur cuivre, appartient au Sir John Soane’s Museum de Londres; l’autre, sur bois, fait partie des richesses d'art rassemblées à Chantilly par $S. A. R. le duc d’Aumale. Ces trois petites répétitions, qui toutes dérivent du seizième siècle, ont un caractère commun : la figure agenouillée de Ferry Carondelet, le donateur, en a été extraite et s’y trouve rem- placée par une figure de femme, ayant la même attitude et tenant rigoureusement la même place que le personnage éli- miné. Cette femme agenouillée, vêtue d’un riche costume flo- rentin, touche avec sa main gauche le couvercle d’une coupe en or qui est posée sur le sol. Le réalisme de son visage la dis- tingue absolument des figures épurées par Fra Bartolommeo. Plus encore que le Ferry Carondelet, dont elle tient la place, cette figure a le Caractère d’un portrait (1). Jamais on n'aurait alors représenté une sainte sous un costume aussi mondain, avec un visage aussi peu dévot. Cependant, sur deux des petites ré- pétitions, la personne substituée à Ferry Carondelet a la tête cerclée d’un nimbe de bienheureuse. Mais ce nimbe ne lui est pas donné dans celle des petites répétitions qui est peinte sur cuivre et appartient au Sir John Soane’s Museum. Une sainte ayant une main posée sur un vase à couvercle ne pourrait être que la Madeleine : or, dans la peinture d’une assemblée céleste, on à toujours représenté cette sainte avec les allures d’une pé- nitente, sans jamais lui donner le costume et le sourire de la coquetterie. (1) En me transmettant, avec la plus courtoise obligeance, des rensei- gnements sur la petite répétition qui appartient au Sir John Soane’s Mu- seum, l’érudit conservateur de cette collection, M. J.-W. Wip, n’hésitait pas à appeler portrait la figure de femme agenouillée qui nous occupe : «The kneeling female figure in Florentine costume seems to me to be a portrait ». 310 Par qui, quand et comment cette image féminine fut-elle suh- stituée au portrait agenouillé de Ferry Carondelet ? Disons tout d'abord que Fra Bartolommeo nous semble avoir élé totalement étranger à la substitution. Cette figurine, d’une élégance mondaine, n’a rien de la grâce toujours un peu mys- tique des créations du Frate. Les petites peintures où elle se trouve ne sont donc pas des esquisses du tableau dans lequel existe le grave et doux portrait de Ferry Carondelet; elles sont des copies de cet ouvrage, réduites et modifiées par le rempla- cement dont nous cherchons le motif. L'auteur de la substitution fut un peintre italien, car, avant que l’on connût en Angleterre la relation de ces copies réduites avec le tableau de Besançon, celle du Sir John Soane’s Museum était attribuée à Garofalo (1), et celle de lord Northwick, aujour- d'hui à Chantilly, passait pour un ouvrage de Pellegrino da Mo- dena (2). Ces deux réductions semblaient donc avoir été faites par des pinceaux italiens ayant opéré dans le premier quart du seizième siècle, c’est-à-dire au temps de l'existence de Ferry Carondelet, bi atout de l’œuvre originale. Quel fut le motif de la singulière substitution qui nous Gtcu pe? Pour tenter d’en éclaireir le mystère, il est indispensable que nous pénétrions dans l'existence intime de Ferry Carondelet, qui fut aimant à l’égal de ce qu’il était aimable. Sur sa vie privée, il subsistait en Franche-Comté quelques souvenirs : le docte Jean Boyvin les à recueillis, et Jules Chiflet, abbé de Balerne, les a consignés en ces termes dans sa généalogie de la famille Carondelet (3) : _ « Quand le gouverneur de Bouchain, nommé George Caron- delet, et ses frères, le doyen de Cambray et le sieur de Maulde, ee (1) L'abbé DE BEAUSÉJOUR, La Vierge de Carondelet, brochure extraite de l'Année dominicaine, 1872, p. 12. (2) Ce tableau est ainsi mentionné dans le Catalogue supplémentaire des ouvrages de peinture exposés au Palais de la Présidence du Corps législatif, Le 22 juin 1874, p. 48 : « PELLEGRINO DE MODENA (MUNARI dit), » Ecole italienne du xvre siècle ; 962 Madone accompagnée par un groupe » d’anges. Collection de S. A. R. Msr le duc d’Aumale ». (3) Généalogies franc-comtoises, manuscrit de la Bibliothèque de Be- sançon, fol. 41-42, — 9920 — furent arrestez pour avoir tramé quelque chose notable contre le service du Roi (1) (ce qui arriva en 1638), messire Francois de Rye, archevesque de Césarée, coadjuteur de l’Archevesque de Besançon, chapellain major, grand aumosnier de l’Infante Isabel, désira sçavoir s'ils estoient Bourguignons d’origine, ainsi que le bruit en couroit ; et pour l’apprendre, il en escrivit au sieur Jean Boyvin, alors conseiller au Parlement de Dole, depuis président en Bourgongne, qui luy respondit en cette sorte : GS De luy [le chancelier Jean Carondelet] procèdent tous » ceux de ce nom qui ont eu quelque employ dans le service » de nos princes et qui ont fait branche aux Païs-Bas. Néant- » moins le doyen de Cambray et ses frères n’en descendent pas » en ligne directe, mais bien de Ferry Carondelet, fils du chan- » celier dessus nommé, qui, nonobstant qu'il fust ecclésias- » tique, eut une maistresse, de laquelle il eut un fils, nommé » Paul, qu'il fit eslever aux Païs-Bas; et c’est le grand-père du » doyen Carondelet, du feu gouverneur de Bouchain, des sieurs » de Maulde et Villers, et d’un moine de Saint-Vaast. Il y a en- » viron vingt ans, qu'ayant esté fait reproche de ceci audit » doyen, pour lors archidiacre de Cambray, par le sieur de » Solre-sur-Sambre, légitimement descendu des Carondelet, » ledit doyen s’en alla à Besançon pour s’enquérir si Ferry, » grand-père de son père, avoit esité prestre. Et, après une » longue recherche, ledit doyen fut fort honteux de voir tout » auprès des balustres de la chapelle de Carondelet à Saint- » Estienne, une image en relief dudit Ferry, avec un surplis et » une grande couronne sacerdotale (2); et se trouva, par les (4) Il s’agit de Philippe IV, roi d'Espagne et souverain des Pays-Bas. — Voyez l’article Carondelet, par GACHARD, dans la Biographie nationale de Belgique. (2) Ce fut seulement en 1543, c’est-à-dire quinze ans après sa mort, que Ferry Carondelet eut un tombeau dans la chapelle qu’il avait fait décorer à Saint-Etienne de Besançon. Ce monument fut érigé à sa mémoire par son frère aîné, Jean Carondelet, archevêque de Palerme, qui fit faire pour lui-même un tombeau très analogue, que l’on voit encore dans la cathé- drale de Bruges. Sur le monument de Besançon, la statue en marbre de Ferry Carondelet le représente couché et accoudé, coiïffé d’une mitre, revêtu d’une dalmatique et d’une chasuble, avec la crosse abbatiale le long du flanc gauche. Il va sans dire que Ferry Carondelet, qui n’était pas entré 4 921 — » actes du chapitre, qu'il y avoit présidé, comme grand archi- » diacre, par plusieurs fois. Lors ledit doyen dit à quelqu'un, » qu'il estoit bien disgracié d’estre venu audit lieu pour des- » couvrir l’infamie de ses ancestres ». Le mot « infamie » était dans l’espèce une énorme exagéra- tion. Quoique pourvu de plusieurs bénéfices ecclésiastiques, Ferry Carondelet n’était jamais entré dans les ordres : la lettre de légitimation accordée à son fils Paul le dit expressément (1). Le mariage lui était interdit, mais il n'avait jamais fait vœu d’être absolument chaste, et ce qu’il voyait en Italie n’était pas de nature à lui inspirer le goût des mœurs austères. Serait-il téméraire de penser que voulant garder, au moyen d’une copie réduite, le souvenir du tableau dont il allait enrichir l’une des cathédrales de Besançon, l’idée lui soit venue de faire placer, dans cette traduction réservée de l'ouvrage, le portrait de la femme qui lui avait donné un fils? La personne ainsi re- présentée n’a pas de nimbe dans la petite répétition sur cuivre qui appartient au Sir John Soane’s Museum : d’où je conclurais volontiers que cette copie est la première en date. L’addition d’un nimbe sur la tête de cette figure de femme, dans d’autres répétitions d’un caractère moins intime, aurait eu vraisembla- blement pour objet d’atténuer l’étrangeté de ce portrait mon- dain parmi des individualités célestes. . La petite répétition sur cuivre du Sir John Soane’s Museum a 48 centimères de haut sur 38 de large (2). Bien qu’elle ne re- dans les ordres, n'avait jamais eu qualité de son vivant pour arborer ces insignes de la prélature abbatiale. De ses dignités ecclésiastiques il se con- tentait de percevoir les revenus. Depuis la destruction de l’église de Saint- Etienne, en 1676, le tombeau de Ferry Carondelet orne la cathédrale ac- tuelle de Saint-Jean. (1) «Le registre des chartes de l'audience de la Chambre des Comptes de Lille (B. 1759) renferme la lettre de légitimation de Paul Carondelet, fils naturel de maître Ferry Garondelet, alors archidiacre à Besançon, n'étant ni prêtre, ni entré dans les ordres ecclésiastiques [avril 1548] (Note de M. l’abbé DEHAISNES, conservateur des Archives du Nord) », dans mon travail sur la Vierge des Garondelet, publ. en 1873 : Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 4° série, t. VIII. p. 146, note 5. (2) Son existence fut révélée par Françis WEY, dans un passage de son livre Les Anglais chez eux, Paris, 185%, in-19, p. 143. 21 — 322 — produise que la partie du retable peinte par Fra Bartolommeo, elle est proportionnellement plus allongée, dans le sens de la hauteur, que l'original conservé à Besançon. Une bande d’archi- tecture a été empruntée au tympan du retable pour garnir le supplément de hauteur. Actuellement ce cuivre est indiqué comme étant l’esquisse du tableau de Besançon, conséquem- ment une peinture de Fra Bartolommeo lui-même (1). Trois motifs s'opposent à ce que cette attribution soit admise : 10 les peintres ne se servent pas du cuivre pour tracer des esquisses; 90 la substitution d’une figure féminine à celle de Ferry Caron- delet ne se comprendrait pas dans l’esquisse d'une œuvre ex- pressément commandée par ce dignitaire et où lui-même voulait avoir son portrait; 30 la figure féminine en question a des co- quetteries de costume et un réalisme de visage qui ne concor- dent pas avec le style de Fra Bartolommeo. On ignore de qui sir John Soane, mort le 6 juin 1837, tenait cet intéressant Dal tableau. L’exemplaire provenant de lord Northwick, conservé actuel- lement à Chantilly, est sur bois : sa hauteur est de 41 centi- mètres et sa largeur de 38. On l’attribue à Pellegrino da Modena, collaborateur de Raphaël, mort en 1524; mais cette attribution remonte à une époque où l’on ignorait en Angleterre l'existence du tableau de Besançon. Le rapprochement entre cet original et la petite répétition de Chantilly a été fait à Besançon même, par S. À. R. le duc d’Aumale, lors de sa prise de possession du com- mandement du VITIe corps d'armée, au mois de décembre 1573. La petite répétition appartenant à M. le marquis de Terrier- Santans est peinte sur une toile qui ensuite a été collée sur un panneau de bois. Elle est haute de 70 centimètres et a 40 centi- : mètres de largeur : les figures qui y sont debout ont une hau- teur de 23 centimètres (2). Moins bien conservée que ses ana- logues de Londres et de Chantilly, elle a sur celles-ci une supé- riorité documentaire, puisque seule elle peut aujourd’hui donner (1) « Sketch for Altar Piece-Besançon. FRA BARTOLOMEO (1469-1517) » (Catalogue of the Sir John Soane's Museum). (2) On en peut voir une reproduction en héliogravure sur l’une de pages de la planche double qui accompagne ce travail. — 9323 — une idée de ce qu'était le retable dans son état primitif. Cette copie réduite de l’ensemble du retable provient de la famille Frère de Villefrancon, qui l'avait reçue de la famille Boudret. Dans l'inventaire des meubles délaissés par le chanoïne Jean- Baptiste Boudret, mort le 16 juin 1746, l’objet dont il s’agit est mentionné en ces termes : €... Un autre tableau représentant » la copie de celui de l'autel du Saint-Suaire, avec un cadre noir » en ceintre et un filet doré à chaque bord du quadre, estimé » trente livres ». Jean-Baptiste Boudret avait hérité du cano- nicat et du mobilier de son oncle le chanoine Joseph-Philibert Boudret, celui qui avait été chargé, en 1713, conjointement avec le chanoine-fabricien Hugon, de procurer, par le ministère du peintre Viali, la restauration du retable provenant de Ferry Carondelet. Il était certainement alors en possession de la copie réduite du retable et devait s'intéresser plus que tout autre à la conservation de ce bel ouvrage. Pour en finir avec les petites imitations, plus ou moins modi- fiées, du Fra Bartolommeo de Besançon, il nous reste à décrire un triptyque sur cuivre, qui est la propriété de la Société d’Agri- culture, Sciences et Arts de la Haute-Saône. Ce morceau a une hauteur de 37 centimètres; sa largeur, quand il est ouvert, est de 55 centimètres ; les figures qui y sont debout atteignent la hauteur de vingt centimètres. Les diverses parties dont il se compose peuvent être ainsi caractérisées : Panneau central. — La Vierge assise sur des nuages, parmi lesquels sont de petits anges, tient sur ses genoux l'Enfant Jésus qui bénit. À droite et à gauche, voltige un ange aux ailes diaprées qui joue de la mandoline. Cest la copie textuelle du motif principal de l’ouvrage de Fra Bartolommeo ; mais l’archi- tecture, qui fait le fond du tableau dans l’original, est ici rem- placée par un ciel. Le paysage, qui n’occupe dans l’original qu'une petite place, décore ici toute la partie inférieure du pan- neau. On y voit, comme dans le tableau original, une ville forte par derrière un fleuve, avec quatre figurines nues sur la rive la plus rapprochée du spectateur : des collines boisées ont été mises à droite et à gauche par le copiste. Sur une pierre qui.est à droite, le peintre a tracé les initiales C B. — 3924 — Volet de gauche. — Là se trouve une copie du saint Sébastien, qui est au premier plan du tableau original. Le copiste a placé contre un arbre cette figure à peu près nue et percée de flèches. Au delà du pli de terrain qui supporte lParbre, on aperçoit, en contrebas, la toiture d’une église avec sa flèche et le faite d’une maison adjacente. Dans le lointain, un village est au pied d’une colline. Volet de droite. — Ici le copiste a reproduit la figure contem- plative de saint Bernard qui est dans l’œuvre originale, mais en donnant à cette figure le froc brun et les stigmates de saint François. Ce bienheureux est debout, en avant d'un arbre : dans le lointain, au pied d’une colline, est une petite ville sur le bord d’une rivière. Extérieur du triptyque. — Les deux volets fermés constituent un panneau extérieur, où l’Annonciation se trouve représentée d’après un tableau de l’école florentine. À droite, la Vierge, agenouillée sur la marche d’un prie-dieu, se tourne du côté d’un ange, qui apparaît à gauche, sur des nuages, une branche de lis dans la main gauche, et la main droite montrant le ciel. Au dessus de la Vierge, le Saint-Esprit vient d’être envoyé par le Père Eternel, que l’on aperçoit à mi-corps, ouvrant les bras et émergeant d’un nuage qui est soutenu par de petits anges. La transformation d’un saint Bernard en saint François, par l’auteur du triptyque, donne à penser que cette peinture avait été faite pour un couvent de Franciscains. Cet ouvrage, qui reproduit approximativement le plus célèbre des tableaux religieux du diocèse de Besançon, a toutes les allures d’une production locale de la première moitié du dix- septième siècle. Je n’hésite donc pas à traduire la signature C B qu’elle porte par les mots Claude Brulley. Ce peintre, né à Be- sançon le 13 novembre 1609 (1), mort après 1657 (2), était le fils (1) « Claudius-Andreas, filius Sansonis Bruslet et Joannæ Marnot : 13 nov. 1609 ». (Registre des baptêmes de la paroisse Saint-Pierre de Besan- çon.) (2) Jules GAUTHIER, Documents pour servir à l’histoire des artistes franc-comtois, dans l'Annuaire du Doubs pour 1888, p. 79. 2 LOAPECPONRS D. 2 tn — 395 — de Sanson Brulley, de Gray, dont le Musée de Besançon possède deux tableaux (1). (1) Auguste CASTAN, Histoire et description des Musées de Besançon, dans la section provinciale de l’Inventaire des Richesses d'art de la France. . — 326 — SOMMAIRE Dédicace à S, À. R. M$’ LE DUC D'AUMALE. DISSERTATION Description de la Vierge peinte par FRA BARTOLOMMEO pour Saint-Etienne de Besançon. Histoire de ce retable, exécuté en 1511 et 1512 au couvent de Saint-Marc à Florence. Texte indiquant la superposition d’un tympan per par M1- RIOTTO ALBERTINELLI. Le tympan de MARIOTTO ALBERTINELLI retrouvé à Stuttgart. ANNEXES Délibérations capitulaires (1518-1525) concernant l'acceptation et le placement du retable peint par FRA BARTOLOMMEO. Délibérations capitulaires concernant une restauration du re- table de FRA BARTOLOMMEO à la cathédrale de Besançon, en 174. Les petites répétitions du retable peint pour Besançon par FRA BARTOLOMMEO : Cuivre, à Londres, au Sir John Soanne’s Museum ; Bois, au château de Chantilly ; Toile collée sur bois, à Besançon. Inductions sur la ane de femme substituée, dans ces répétitions, au portrait de Ferry Carondelet. Triptyque sur cuivre, du xvi® siècle, reproduisant les principales figures du retable, — 9327 — DESSINS La Vierge de Fra Bartolommeo, à la cathédrale de Besan- con : dessin de M. Edouard MIcHEL-LANGÇON ; dans le corps de la dissertation. Fragments, conservés à Stuttgart, du tympan peint par - MARIOTTO ALBERTINELLI; petite répétition du retable et de son tympan : planche double, en héliogravure, de M. P, DUJARDIN. DITS BROYE-LEZ-PESMES HISTOIRE — STATISTIQUE — LANGAGE M. le docteur Ch. PERRON. Séance du 12 décembre 1888. BROYE-LEZ-PESMES $ I. — VESTIGES D’ANTIQUITÉ. PAYS D'AVANT-POSTE. Broye-lez-Pesmes, en Franche-Comté, est situé au con- fluent de deux importantes rivières, la Saône et l’Ognon, dans un angle de terrain dont les côtés extérieurs confinent à droite et à gauche le duché de Bourgogne. De sorte que le _ territoire de cette commune pénètre comme un coin dans l’ancien pays des Eduens dont il est séparé au nord, par la Saône, et au midi, par l’Ognon (1). Comme ces deux cours d’eau sont guéables en plusieurs endroits, la traversée n’en a jamais été très dangereuse.C'était comme une barrière naturelle pour les deux pays. En ren- dant les communications difficiles, cette barrière pouvait, jusqu’à un certain point, être un obstacle pour les relations d’affaires, mais non pour des incursion,, d’une rive à l’au- tre. La facilité du passage des deux rivières était même une invite aux agressions entre Eduens et Franc-Comtois. (1) À cet égard, la plupart de nos cartes sont fautives. Elles indiquent mal les limites de la Franche-Comté, en attribuant à cette province les deux rives de la Saône et de l'Ognon jusqu'au confluent de ces deux rivières, | — 9332 — Il est donc à présumer que les champs de Broye ont été le théâtre de bien des luttes sanglantes et de plus dun exploit guerrier à une époque où l’esprit de conquête et de rapine prédominait si fort sur les sentiments d'humanité et de justice. Car c’est par ce coin de terre qu’on pouvait le plus facilement pénétrer par surprise en Séquanie. Je ne crois pas qu'avant la conquête romaine, on ait songé à fortifier les gués de nos rivières. En vertu de leur caractère imprévoyant et de leur crânerie traditionnelle, les Gaulois, dont nous sommes les fils, étaient plus portés à conduire des attaques qu’à se garer des surprises. Ils estimaient qu'il y a plus de gloire à surmonter des obstacles qu’à en accumuler devant ses ennemis. La stratégie des Romains était autre. Ces conquérants modèles n’ont done pas manqué d'établir à Broye un double système de défense sur la rive droite de lOgnon et sur la rive gauche de la Saône. DÉFENSE DES PASSAGES DE L'OGNON. 1 yatrente où quarante ans, le ravage des eaux courantes init à découvert, sur la rive droite de l’Ognon, presque en face de Chassev, au lieu dit redoute du Grand-Bruyant, une double rangée de gros pieux espacés d’un mètre environ et plantés à égale distance les uns des autres, suivant le cours de la rivière. Ils formaient deux lignes droites de plus de cent pas d’étendue ; et ils avaient dû servir à soutemr quel- que endiguement destiné à fermer le passage du gué en cet endroit. Aucune trouvaille archéologique n’a été faite jusqu'ici qui puisse servir à nous indiquer l’utilité ni l’époque de ce travail remarquable. À cette époque indéterminée, mais déjà lointaine, puisque le sol de la vallée de l’Ognon était alors de trois mètres plus bas que le niveau du sol actuel, les belles grasses prairies, PES pe RÉ Te CLS LAS TOR F4 | es cri Cs — 3933 — qui font aujourd’hui la richesse et l’ornement du pays, n’exis- taient pas. À la place d’un pâturage herbeux, il y avait une vaste forêt sillonnée de mortes. Ces mortes, anciens lits de rivière, formaient de nombreux îlots boisés, désignés comme îles au cadastre, et reconnaissables par des noues que le temps n’a pas encore comblées (1. Quand les eaux de lOgnon sont très basses, le lit de Ia rivière, en aval de l’endiguement dont nous venons de par- ler, paraît établi sur un fouillis d'arbres de toute grosseur, couchés ou renversés les uns par dessus les autres, en long et en travers. C’est une véritable substructure de chênes dix- huit fois séculaires, à demi fossiles, dont quelques rares tronçons sont encore debout (@). Cest la constatation de ce fait, facile à vérifier, qui m'a permis de dire tout à l'heure que le niveau du sol était de trois mètres au moins plus bas qu’il n’est à présent. À quoi ce bouleversement, qui s’est opéré dans un temps fort court, doit-il être attribué ? Est-il le résultat d’un cataclysme quelconque ? À-t-il été produit intentionnellement ? Ce dernier sentiment me paraît préférable. On peut en effet, sans invraisemblance, rattacher la destruction de cette ancienne forêt à des mesures de sécurité pour ceux qui occupaient le pays. Les Romains avaient peur des forêts profondes : Non se hostem vereri, disaient-ils à César, sed angustlias ilineris et magniludinem sylvarum , ils ne craignaient rien tant que les défilés et le silence des grands bois. Les îlots nombreux, dont j'ai parlé plus haut, devaient être, avant cette destruction, des lieux couverts très faciles à (4) On connait trois de ces iles en amont de Broye, au dessus du gué dit le Grand-Bruyant, et cinq en aval, à l'embouchure de lOgnon, dans les bois de la Vaivre. (2) Il serait facile d’en extraire de belles billes, que l'art de nos ébéniste: pourrait utiliser. Mais Broye est un pays perdu ! — 334 —. défendre ; des abris où un ennemi invisible pouvait attendre de pied . les assaillants, et se rire de la marche serrée d’un corps de troupe. Deux de ces îlots sont appelés îles des refeux ; n'est-ce pas refeugs qu'il faudrait écrire ? Car il est à présumer que plus d’une fois les défenseurs du sol ont dû y chercher un abri en s'y réfugiant. > SPC Une autre fortification paraît avoir été établie plus bas sur l’Ognon, vers l'emplacement de Péglise du village. C'est ce. que les anciens nommaient la forteresse ou le château du Fousset. Il y a eu là certainement des constructions à l'embouchure de la Résie (), sur une roche compacte qui dominait les alentours, gardant, comme un poste à sentinelle, le passage de la rivière guéable en cet endroit. On à retrouvé des dalles, des pilotis, non loin du lieu dit le meix de la tour. DÉFENSE DES PASSAGES DE LA SAÔNE.- Les Romains avaient aussi établi sur la rive gauche de la Saône, au port Guerrin, non loin du port Saint-Pierre,à deux kilomètres du village, un castellum ou petit forün, d’où ül était facile de surveiller au loin, en aval et en amont, le cours de la rivière qui est peu profonde en cet endroit. Ce castellum est encore appelé à Broye le Châtelot. C’est une éminence en terre d'environ mille pas de super- ficie (2) ; elle est entourée d’un large fossé à talus, et située en contre-bas du finage sablonneux de Saint-Pierre où se (1) Petit affluent de l’Ognon. (2) Le Châtelot avait plus détendue autrefois ; mais le courant en a dé- truit déjà une partie. — 339 — voyait encore au siècle dernier une petite chapelle attenante à un très vaste cimetière...… Ce fortin était sans doute l’avancée d'un établissement militaire plus considérable dont nous parlerons plus loin. À la vérité, il ne reste rien des constructions ou baraque- ments qui auraient abrité un corps d'observation ; mais à défaut de constructions, il y a des vestiges évidents du chemin ou de la voie romaine qui y aboutissait. Un chemin n'aurait pas eu de raison d’être s’il n'avait eu un groupe d’une certaine importance à desservir. Ce chemin est connu des gens du village sous le nom de vie de Sauvigney. Il se dirige en effet de l’emplacement de Saint-Pierre en droite ligne sur Sauvigney,-et sans doute bien au-delà, vers Salins, après avoir traversé la Résie au gué des Laies. La chaussée en est si dure, qu’elle n’a pu être détruite par la charrue, et qu’il est facile encore aujourd’hui d'en suivre la direction sur une distance de plusieurs kilomè- tres. On remarque que, sur le parcours de cette voie stra- tégique, dans la forêt des Chazeaux, les futaies ne sont pas de belle venue, et le taillis y reste rabougri, étouffé par les broussailles. _ Quoiqu’on l'ait dit, ce chemin ne figure sur aucune des cartes modernes indiquant le réseau des voies romaines en Séquanie (1). C'est certainement une lacune imputable à ce que nos antiquaires ont négligé d'explorer l’intéressant pays dont nous nous occupons ; et M. Suchaux fait erreur quand il écrit : « À la limite orientale du territoire de Broye, entre » cette commune et celle d'Aubigney, vestiges d’une voie (1) La carte dressée et donnée comme fragment de la carte théodosienne, par Ed. CLerc, La Franche-Comté à l’époque romaine, indique fort mal les confins de ia Séquanie, qui, d’après ce document, auraient embrassé les deux rives de la Saône et de l’'Ognon jusqu'au confluent de ces deux rivières. En réalité, le pays Eduen possédait la rive droite de la Saône jus- qu’à l'embouchure de la Vingeanne, et l'embouchure de l'Ognon jusqu’à Chassey. — 3360 — » romaine qui se dirigeait du Nord au Sud, et qui paraît » avoir été la ligne Gallo-Romaine de Langres à Dammartin, » laquelle traversait POgnon entre Pesmes et Broye (D ». C’est une complète erreur. Au lieu d'aller du Nord au Sud, notre voie Romaine allait de l'Est à l'Ouest ; prolongée elle n'aurait pu traverser l’Ognon qu'à Banne ou à Marnay. TROUVAILLE D’'OBJETS ANTIQUES. Ce n’est pas le seul indice qui semble dénoter qu’une station militaire importante avait été établie sur lemplace- ment de Saint-Pierre. Car on retrouve de nombreux tuileaux caractéristiques dans les champs d’alentour, des fragments de briques, de poterie, etc. On a aussi recueilli dans ces parages une grande quantité de monnaies à l'effigie des Antonin, et surtout de nombreux Posthumes bien conservés @). « Il y a beaucoup de médailles » de Broye au médaillier du collège (des Jésuites) de » Besançon ; on y conserve une petite statue en bronze de la » Fécondité, qui est très curieuse et très rare , et qui à été » trouvée près de l’ancienne église de Saint- Pen (3) ». J'ai entendu dire qu’on aurait encore trouvé à Saint-Pierre beaucoup d’autres objets curieux qui ont été perdus ou qui sont enfouis dans des collections particulières. « En 1770, » on à déterré à Broye-lez-Pesmes un superbe vase dans » lequel étaient plus de quatre mille médailles romaines de » différents métaux. On dit que le vase est au Musée de » Besançon (à) ». (1) Dictionnaire historique, topographique et statistique des communes du département de la Haute-Saône, p. 94. (2) J'ai fait don au Musée de Besançon d’un petit Posthume d'argent trouvé à Saint-Pierre, ainsi que beaucoup d’autres médailles HSE à des amateurs de rencontre. (3) F. GOYoT-BRIOT, notice manuscrite. (4) Dictionnaire de la Haute-Saône, par J.-A. MARC, Gray, 1815, im- primerie Barbizet. ° onrreuoY ECAE 9pP ‘sobrgsen CAeubinreG 2P 21170} SIIPSST S9p SOI] -G PEN) e T 217 21470 27] @ Xn10 Jouy S9p S9]] LL OdA9 LT [AUIEG HO T9 _ UMMPOIQ},p juowsoejhuy -C dGeruy) outor rs 9P JOEL!) Ar IMIONL) JIQT 7 FAP HD TE : 2h01 97 974) 40 72SSN0]TPRAEU) © G JUORPIT 59 np 97N0pP9 79 PL) 14N3937 Aa AL “Sous SOI x 2 f 1e" NE SS N F p sg 7 V4 / / }) / { SK NN ,#! ee Keufep > Ie 1 1] AZ SS KSS Rp OUT IS SE & CP ne O4 MIESACE) CRE 7 + RC Dr ST DEEE AT) & — 331 — À Broye, on n'attache guère d'importance à ces choses là. Vers 1835, Joseph Perron faisait creuser les fondations d'un hangar devant sa maison. Enfants, nous sortions de classe comme la pioche d’un ouvrier venait de mettre à découvert une grande quantité de ferraille, une grosse brassée dé vieille ferraille... : On exhume cette découverte sous nos yeux : on l’examine. C'était des faulx en assez bon état de conservation ; mais des faulx étranges dont l’emmanchure était directe au moyen d’une douille, et non à coude avec une virole, comme celles d'aujourd'hui. On s’étonna de cette particularité dont un assistant fit la remarque, ce dont je me souviens très bien. Puis, la ferraille fut remisée par les soins du propriétaire. En ce temps-là, le fer était cher. Ayant rencontré par hasard, à vingt ans de là, Joseph Perron, je lui demandai s'il avait encore quelques-unes de ses faulx. Eh ! non, me dit-il, et j'en ai bien regret. Jen ai conservé longtemps sur le cul de mon four ; mais comme chacun m'en demandait pour faire des pendants de charrue — coutres, — ma provision «a fini par s’épuiser….. Ah! quel fameux acier c'était !... Et quels pendants on faisait avec un acier pareil !.…. Je raconte ce souvenir uniquement pour montrer le peu de cas qu’on fait au village de toutes les vieilleries qui ne servent plus. Un exemple encore. On a retiré du vieux cimetière de Saint-Pierre une certaine quantité de sarcophages monoli- thiques. Si des cercueils pareils n'avaient pas pu être utilisés comme saloirs ou comme auges à abreuver le bétail, croyez bien qu’on en aurait fait du cassage pour servir aux presta- tions. € Coquibus et son fils aîné ont mis à découvert, » en 1872, un cercueil en pierre paraissant appartenir à une 29 — 338 — » époque antérieure au xrI° siècle. Cette tombe a la forme » d’une auge à bestiaux, plus rétrécie aux pieds qu’à la tête, » véritable grès en deux morceaux d’une coïncidence » parfaite... Le cercueil dont il s’agit sert de crèche pour » abreuver les canards et les oies du fermier (1) ». S IL — TRADITIONS ET LÉGENDES. EMPLACEMENT D'AMAGÉTOBRIE. Notre vieux Gollut a écrit ceci : « Besancon n'hat esté » première et capitale, ains seulement la plus grande et la » plus forte au temps de César, comme précédemment » Broye lestoit ». Et plus loin : « Brennus estoit de Praux, comme diet » Strabon, ville de laquelle nous n'avons aucune mémoire, » si ce n’est celie que les auteurs Allemands appellent » Broïa (2 ». Praux, c’est presque Broue avec la prononciation germa- nique. Du reste on se redit à Broye de grand-père à petit-fils que Broye, jadis Broïac, avait été une ville fameuse, une ville capitale. Des auteurs sérieux, comme Dunod l’historien, comme Amédée Thierry, ont aussi prétendu que Broye était situé sur l'emplacement de l’ancienne ville d'Amagétobrie. Ce serait donc à Broye que les Eduens auraient éprouvé une défaite sanglante et perdu toute leur noblesse , leur sénat, leur cavalerie, omnem nobilitatem, omnem senatum, omnern equilalum amisisse. Il ne faut accepter cette opinion que sous toute réserve, malgré l'affirmation de nos savants historiens. Comment (1) F. GoyYoT-BRIOT, notice manuscrite. (2) Mémoires de la République Séquanoise, pp. 6 et 18. de nat | VAL. Été : Ki D) — admettre en effet qu'une grande armée ait été acculée au confluent de deux rivières en somme peu profondes et se soit laissé anéantir quand il lui était si simple de les traverser ? Il est vrai que suivant certains auteurs, Arioviste n'aurait pas acculé les ennemis ; il leur aurait tendu un piège, cachant ses troupes dans Amagétobrie, la Ville des Marais, et, sur- prenant leur arrivée, l'aurait détruite par détachements isolés. C’est la version donnée par Ed. Clerc dans son essai sur l’histoire de Franche Comté. La Ville des Marais, c’est bien la dénomination qui devait convenir à Broye dans ce temps-là. Il y avait bien là des marais ; mais la ville, où était-elle ? Comment n’a-t-on pas jusqu'ici retrouvé les monuments de terré élevés à la mémoire de tant et de si nobles guerriers tombés au champ d'honneur ? Où sont les armures, les lances, les boucliers perdus dans la bataille ? Où, les tibias et les fémurs ? Où, les brimborions et les colliers de bronze 7... Il ne nous déplairait pas qu'à notre cher village se ratta- chât quelque souvenir de lantiquité ; qu'un fait mémorable s’y fût accompli. Mais nous craignons bien que nos graves auteurs, en plaçant Amagétobrie inter Ararim et Lignonem confluentes, n'aient Iu et rapporté sans vérification la conjec- ture historique d’un chroniqueur peu serupuleux. Quoi qu'il en soit, la plupart des annotateurs des Commen- taires de César ont répété, l’un suivant l’autre, cette asser- tion dont ils se sont contentés de varier la formule. k ne Peu importe le nom que notre localité ait porté chez les Celtes et chez les Romains, il est constant, il est évident même qu'elle avait une importance stratégique et peut-être commerciale assez considérable. | À quoi en effet aurait répondu un cimetière de plus de quinze mille mètres de superficie, situé sur un plateau sablon- — 340 — neux dominant la Saône, à deux kilomètres du village actuel, s’il n'y avait eu sur ce point un groupe populeux de quelque importance ? On ne consacre pas un hectare et demi de terrain clos pour les sépultures d’une petite bourgade de quatre ou cinq cents manants. Sans compter qu'à quelques pas de notre cimetière il existe un emplacement dit Les Champs de feu, où les milices de certaines nationalités devaient brûler leurs morts. Il existait donc à Saint-Pierre un gros centre de popula- tion. Car c’est-là, c’est à Saint-Pierre et non au village actuel, que la voie romaine, que la we de Sauvigney aboutissait. Elle ne traversait pas la Saône où il n'existe aucun vestige de pont. C'était un chemin spécial se rendant au port Guerrin et qui avait pour point terminus le camp de Saint-Pierre. C’est le sentiment de lPauteur anonyme de la découverte de la ville d’Antre. CASTRUM EBRODUNENSE. Les notices du P. Sirmond et de J. Scaliger mentionnent: dans la Séquanie cinq grandes cités ou villes de premier rang, sièges d’évêché ou d’admimistration eivile ; et quatre camps, ou villes moins importantes, mais principales cepen- dant, quoique de deuxième rang, qui sont : 1° Castrum rauracense, 20 Castrum argentoriense, 30 Castrum ebrodunense, 4e Castrum viridunense (1). Suivant l’auteur anonyme que nous venons de citer, le castrum ebrodunense aurait été la ville de Broye au confluant (sic) de la Saône et de l’Ognon. E-Bro-dunum, dune ou hauteur de sable près de Broye, ou Brohe, ou Broue (vieille orthographe). L’étymologie ici (1) Découverte de la ville d’Antre, t. I, p. 118 (Amsterdam, MDCCIX). on est tout à fait conforme à la réalité des objets. L’emplace- ment dont il s’agit est en effet un plateau sablonneux qui do- mine au loin le cours de la Saône. « La belle situation de la ville de Broye, les débris qu’on y » voit, la tradition qui S'en est conservée, les auteurs qui en » parlent, les médailles romaines qu’on y trouve, et qu'on y » a toujours trouvées, sont les arguments convainquants » qu’il y eut en cet endroit une ville qui n’était pas cité, > Mais qui était assez grande et considérable à cause de son » commerce, et qui servait de forteresse sur la Saône contre » les Eduens...... Le nom de Broye qu’elle a conservé est » une autre preuve que c’est castrum ebrodunense de la » notice... (1) ». Et plus loin : « ... Au milieu du port de la Saône, il y avait » un château qui dominait sur la rivière et qui servait de » forteresse. On en voit encore les fossés où la Saône entre » quand elle grossit. La place s'appelle encore le Chatelot, le DOI Cüerrin... ». Ce quiest exact. * x # C’est par là qu’on exportait sur Lyon les froments des plaines de la Saône et de l’Ognon, réputées les plus fertiles de toutes la Gaule, ager oplimus totius Galliæ. Cest aussi par là qu’on devait en importer dans les temps de disette pour le ravitaillement des postes militaires dispersés dans la Séquanie. La grande affaire, pour une expédition si lointaine, c'était de comparare rem frumentariam, de se procurer des vivres, d’avoir du pain ; et les approvisionnements n’en étaient guère assurés dans des contrées couvertes de bois et semées de Mauvais pas. Cest pourquoi les Romains, jusqu’à l'établissement des (1) Ibid. — 9342 — Burgondes en Séquanie, ont entretenu un grand service de navigation organisé sur le Rhône et sur la Saône. Une véri- table flotte de bateaux ravitaillait leurs places de guerre et les troupes campées à l’intérieur de la province séquanaise. Il y avait un commandant spécial chargé de présider à la conduite de cette batellerie impériale remorquée par des chevaux : c'était le Præfectus classis araricæ caballoduno. Si j’osais, pour résumer, exprimer mon sentiment dans cette affaire, je dirais : oui, c’est à Broye qu’on doit chercher l'emplacement du castrum ebrodunense , à Broye où se trouvait un port militaire, un port de guerre. D'ailleurs ce qui vient corroborer mon opinion, ce sont les nombreux cadavres qui ont été exhumés au cimetière de Saint-Pierre dans ces temps derniers et qui sont à peu près tous des cadavres d'adultes à la mâchoire bien garnie (1. LA CONQUÊTE FRANÇAISE. Nul doute, comme nous l’avons dit, que le territoire de Broye nait été exposé à bien des incursions, n'ait été ensan- glanté dans bien des luttes. Mais il ne pouvait guère, à cause des nombreux cours d’eau qui Parrosent, servir de théâtre à une action entre deux grandes armées. Les Romains avaient eu la précaution, si l’on s’en souvient, (1) Il est bien regrettable que ce cimetière n’ait pas été fouillé méthodi- quement. On n’en a exhumé qu'accidentellement des ossements et des cer- cueils, sans attacher d'importance aux objets de bronze ou aux fragments de poterie qu’on trouvait. M. Vacher, le propriétaire actuel du terrain, n’a jamais pu retrouver une hachette en bronze qu'il avait mise de côté quelques Jours avant ma visite. Il la croyait sans valeur. 11 sait, dit-1l, des endroits où il y a des mon- ceaux de cadavres rangés les uns contre les autres. Il opère en ce moment la démolition des fondations en ciment de l’an- _cienne chapelle pour en extraire des matériaux de construction. « Dans ces » fondations, on dirait que les squelettes ont été scellés dans la maçonnerie » d’une solidité remarquable. » (Note de M. Charpillet.) — 943 — de faire élever quelques travaux de défense à Saint-Pierre, sur la rive gauche de la Saône ; et, sur la rive droite de lOgnon, en face de Chassey, une redoute, ainsi qu’un château ou fortin à l'embouchure de la Résie; c’est-à-dire sur les points où nos rivières étaient guéables. C’est préci- sément par ces trois points que les troupes françaises ont envahi la Franche-Comté en 1674. Le duc de Navailles, chargé de conduire les premières opérations de la guerre Franco - Espagnole, après avoir inspecté nos deux rivières, reconnut que le passage de lOgnon présentait moins de difficultés que celui de la Saone. l En conséquence, il arriva d’Auxonne le 12 février 1674 ; et afin de distraire la petite troupe qui était venue de Gray pour défendre nos rives, il fit mine de jeter un pont volant sur la Saône, juste en face de Saint-Pierre. Ses adversaires l’attendaient là en force et bien retranchés. Pour n'avoir pas l’air de renoncer à cette tentative, il laissa quelques troupes s’escarmoucher, pendant que dans la nuit, à la tête des cuirassiers du Roi, des gardes de Condé et du régiment de Villeroi, il se portait par cé sur la rive gauche de lPOgnon. Il franchit cette rivière, non sans peine, par un temps pluvieux et froid, en face de l'endroit où les Romains avaient jadis construit l’endiguement défensif dont nous avons parlé. Aucune précaution n'avait été prise par le capitaine Espa- gnoÏ qui commandait la place de Pesmes, pour s'opposer à ce passage ; et nos défenseurs, qui s’escarmouchaient sur la Saône, se voyant pris en flanc et débordés, se retirèrent sans combattre. Ce qui permit au reste des troupes françaises de passer la Saône à Saint-Pierre, et l’Ognon, au gué de Broye (1). (1) Deux époques militaires à Besançon et en Franche-Comtë, 1674, 1815, par Léon ORDINAIRE (Besançon, 1856). SR EL EUR RT REA Quelques vieillards ont encore entendu parler de cette invasion d'il y a deux siècles. On montre encore l'endroit où les Français ont effectué le passage de la rivière, en face de Chassey (1, UN MARIAGE CELTIQUE. Nous avons conservé à Broye une tradition druidique relative à une fontaine sacrée. | La source sort à mi-côte des terrains sur iesquels s'élevait autrefois l’ancien ermitage de Saint-Pierre @). Cette fontaine sacrée était encore, il y a moins de cent ans, l’objet d’une très grande vénération. C'est là que ïes jeunes gens se rendaient, avant la révolution, pour S'y fiancer ; ou mieux, pour y contracter un véritable mariage à la mode des Celtes, la confarréation. Les futurs choisissaient pour cette cérémonie, le jour de la Chandeleur, parce que le matin de ce jour-là le père leur avait dit : c’est aujourd’hui la Chandeleur : bonjour, bonne œuvre !.… [ls apportaient donc à la fontaine de Saint-Pierre des gâteaux de pâte cuits dans une tourtière, et qui figuraient grosso modo un homme et une femme ayant chacun les attributs extérieurs de son sexe, comme ces petits bons- {) A propos de Chassey, une autre tradition rapporte que, à une époque très reculée, bien avant le vieux duc de Navailles, bien avant les quatre fils Aymon, époque historique pour les gens des campagnes, il y avait sur le lieu dit Champ Jean Leblanc, dans la forêt des Chazeaux, une pelite bour- gade qui aurait été un beau jour assaillie, détruite et expulsée par une troupe d’envahisseurs. Les débris de cette bourgade se seraient sauvés dans les iles où ils se sont fixés. D’où le nom de Chassey. il est vrai que le nom de Chazeaux donné à la forêt indique qu'il y a eu là, dans les anciens temps, des habitations dont il ne reste absolument au- cune trace. (2) Outre cette source sacrée, on compte trois autres sources inlarris= sables qui émergent du plateau sablonneux de Saint-Pierre pour se jeter dans la Saône. On voit qu'un camp établi dans ces conditions était abondamraent pourvu d’eaux potablés. hs et éssndth rte de et mt ni ue be PRET 4 — 9345 — hommes de pain d'épices qu’on vend sur les foires. Puis, après s'être mutuellement donné leur foi, nos amoureux trempaient dans l’eau leurs gâteaux pour les purifier, les échangeaient ensuite et les mangeaient. Les fiançailles élaient consommées. Le mariage à la farine fut importé en Italie par les Gaulois. Il était encore très usité à la fin de la République romaine dans la Gaule Cisalpine et parmi le petit peuple du Latium. Mais il n'avait pas assez de solennité pour les riches Romains qui le laissaient à la populace. La gravité touchante et honnête d’une cérémonie aussi simple devait répondre au sentiment religieux des paysans, des hommes des champs. : Voilà pourtant ce qui se faisait encore à Broye il y a moins de quatre-vingts ans ! Quelle race opiniâtre que celle des laboureurs ! Et comme elle assure la continuité des temps! Une autre pratique superstitieuse dont je me souviens encore, parait s'être conservée Jusqu'à nos Jours... ÇIL y a » quelques années, écrit M. Charpillet, la personne à qui » était confié le soin d’ensevelir les morts ne manquait pas » de leur mettre dans la main une pièce de monnaie, sans » doute pour qu’ils puissent payer la barque à Caron ». J'ai vu mettre un sou dans la bouche d’un enfant décédé. C’est ce qui explique sans doute qu’en relevant d'anciens cadavres on ait trouvé si souvent des pièces à l'effigie de Louis XII, de Louis XIV et de Louis XV. LES ORVALS DE SAINTE ANNE AU PORT SAINT-PIERRE. On croit que la chapelle de Saint-Pierre, où sainte Anne fut autrefois vénérée, aurait été construite sur l'emplacement d’un ancien sanctuaire consacré à quelque faux Dieu. On n’ignore pas qu’en effet, pour détruire peu à peu le levain des superstitions païennes, saint Grégoire-le-Grand avait prescrit de substituer partout aux noms du paganisme — 946 — les noms de saints vénérés dans la catholicité. Le culte de sainte Anne aurait ainsi succédé chez nous au culte de Diane ou d'Hélène (la lune), que les Gaulois adoraient. Un clou chasse l’autre. Nous ne savons ce que vaut cette opinion fondée sur des altérations étymologiques assez vraisemblables. Toujours est-il que sainte Anne était en grande vénération à Saint- Pierre, où elle avait sa statue depuis un temps immémorial. Un beau jour, on ne sait trop pourquoi, cette sainte prit la résolution d'abandonner la Franche-Comté pour la Bour- gogne. Il y a plusieurs siècles de cela. Un matin on u'ouva l’image ou la statue de notre sainte dans les champs d'Œilley, de Pautre côté de la Saône. On s’empressa de la rémtégrer pieusement dans la cha- pelle. Mais comme on se disposait à passer la Saône en barque, il s’éleva une violente tempête qui rendit la traversée fort pénible. Le lendemain la statue fut de nouveau transportée comme par miracle, osons le dire, par un vrai miracle, au lieu où on l’avait trouvée la veille. Cette fois encore, on voulut la rapporter à Saint-Pierre. Mais alors il se fit sur la Saône un ouragan si épouvantable qu'on aurait juré que la barque allait s’engloutir avec ceux qui la conduisaient. Comme pour la troisième fois, l’image fut encore retrouvée à Œilley, il devint évident que c'était là que la sainte enten- dait être honorée. C’est donc à Œilley, à quelques pas du village que sainte Anne a maintenent sa chapelle; c’est là qu’elle opère de temps en temps quelque guérison, si lon en juge par les béquilles et les ex-voto qui sont appendus aux murs de l’intérieur et à la voûte de l’édifice. Et vous remarquerez, me disait naguère un bon vieillard de Broye, que tous les ans, à lu même époque, au mois de juillet, il s'élève sur la Saône des tourbillons, des coups de — 947 — vent, des orages, ce que nous appelons ici les orvals de sainte Anne... Jamais les orvals de sainte Anne n’ont manqué au port Suint-Pierre, soyez-en sûr (1)! AUTRES CROYANCES SUPERSTITIEUSES. Une sorte de crainte superstitieuse s'attache à tout ce qui touche au petit territoire de Saint-Pierre. On nous racontait, quand nous étions enfants, et on raconte encore, je crois, qu'une vouivre gardant ses trésors se tent cachée dans les souterrains du Châtelot ; que l'enfant d’un pâtre âgé de sept ans la surprendra et découvrira ses irésors, et qu’alors Grande défense il y aura, Ou la vouivre le mangera ! Je me souviens qu'on se demandait, quand on allait jouer sur les prés du port Guerrin : Quel âge as-tu ? Oubliant que nous n’étions pas les enfants d’un pâtre. On n’en finirait pas si l’on voulait rapporter toutes les idées superstitieuses qui avaient cours il y a cinquante ans dans ce beau ét riche village de Broye; village perdu, faute de voies de communication ; où l’ôn allait, mais où l’on ne passait pas. Grâce à leur isolement, nos Broyens ont encore conservé leur physionomie à part, un certain air d’antiquité. Ils mont/suere modiié leur caractère üun peu défiant, mi perdu leurs croyances et leurs habitudes, n1 surtout oublié les traditions de leur pays. (1) Orvalia, dans Ducange, est une expression franc-comtoise pour dire orage, ouragan, cyclone, etc. (voir ce mot au Glossaire). On voit souvent dans les vieux baux de nos pays des réserves stivoulées en cas d'orvals..…….. @ Il n'y auroit qu'en cas d'orvales (sic), comme gresles, » gelées et incendies qu’on devroit diminuer les charges, ete... » (Arch, de l’Intendance, CG. 114.) — 348 — IIS sont demeurés simples, comme autrefois, laborieux, peu dépensiers. Ils ne sont, en général, ni présomptueux, ni sots ; c’est-à-dire qu'ils ne se croient pas tout de suite plus sages ni plus éclairés que leurs parents, quoiqu’ils sachent mieux lire dans les gazettes ; et qu'ils n’acceptent pas une innovation, même en culture, sans un sérieux examen. Cette réserve, composée de défiance et de scepticisme, suivant moi, les honore, parce qu’elle donne en général beaucoup plus de solidité à leur jugement. S IT. — LE VILLAGE. EMPLACEMENT PRIMITIF DU VILLAGE La communauté de Brohe, de Broue ou de Broye dans le principe parait avoir été formée par plusieurs petits centres de population. Et cela se conçoit. Comme il n’y avait pas de château féodal sous les murs duquel les manants du lieu pussent abriter leur chaumière, ils la construisaient naturel- lement là où les commodités de la vie semblaient pour eux plus faciles : dans les forêts ou au voisinage des prairies, s'ils élevaient des troupeaux ; auprès de la rivière, s'ils vivaient de pêche. C’est ainsi qu'un petit groupe de pêcheurs s'était établi autour du château du Fousset, là où est l’église actuelle du village (1). Le hameau de Saint-Pierre, au dire de quelques anciens, aurait été le noyau principal de la communauté. (1) Une rue transversale qui passe derrière l’église, allant au pàäquin du Mauclerc, porte le nom de rue de la Jus. Elle est à droite et à gauche des- servie par six ou sept treiges La famille Forquet ou F ourquet la plus considérable et ia plus persis= tante de ce groupe, à duré jusqu'au xviie siècle. Elle à laissé son nom à une forme de bateau de pêche, très léger, qu’on appelle encore à Broye une forquette (voir ce mot au Glossaire). A a LG ES is ch id a di NE E tale éd) cs CU de Sn dé | FL PE NET ave ! A — 949 — Il est constant qu'on a toujours désigné par le mot de bout de lai velle, côté du village, le groupe de maisons qui se rapproche le plus du finage de Saint-Pierre. Du reste, comme le cimetière et une petite chapelle existaient vers le port Saint-Pierre depuis la plus haute antiquité, c'était une raison pour que Phabitant s’y établit. Il n’en est pas moins sûr que depuis mille ans peut-être le centre du village de Broye occupait son assiette actuelle. Hue ou Huon, le poète troubadour de l’empereur Barbe- rousse, était de Brote-Selves (1) sur l’Ognon, et non de Broye sur la Saône. Dans une requête présentée à l’intendance au nom du village, en 1688, il y a juste deux cents ans, à l’effet d'obtenir que la maïtrise des Eaux et Forêts les autorise à vendre quelques grands bois, il est dit que c’est pour enclore leur cimetière et pour réparer l’église. L’officier du ballage de Gray, P. Balahu, commissaire à l'enquête, reconnaît le bien fondé de la demande : « L'église, dit-il, avait besoin d’être » replanchéiée dans la nef du milieu et reblanchie, les murs » en étant tout noirs de vétusté. D'autre part, le cimetière » qui était à Saint-Pierre, distant de plus de deux mille pas » du village , et où 1l existait une ancienne chapelle, était un » enclos désert et en friche où les bêtes de la forêt pouvaient » entrer librement (2)... » | Le village, il y a plus de deux cents ans, n’était donc plus sur la Saône ; et depuis bien longtemps la chapelle de Saint- Pierre n’était plus l’église consacrée au culte de la paroisse 1 -si Jamais elle l’avait été. Il y a autre chose encore. L'existence d’un village eût nécessité des rues, des trages, des chemins latéraux ; et rien de cela n'existe à Saint-Pierre, qu’un chemin parallèle (D) La prairie des Sèves se trouve à présent sur la rive gauche de l'Ognor, par suite du déplacement du lit de la riviere. (2) Archives de la Haute-Saône, B. 1869, — 900 — au cours de la Saône, et deux autres chemins qui vont de celui-là vers le port Guerrin. INSÉCURITÉ DES GUERRES. Quelle à été l’importance de notre village pendant la féodalité et jusqu’au règne de Louis XIV ? . Nos renseignements à cet égard sont très incomplets. Les registres de paroisse antérieurs à 1684 ont disparu et beau- coup d’autres documents font défaut. À Saint-Pierre, comme nous l'avons dit, un centre de population considérable a dû exister avant l'invasion des barbares, puisqu'il avait nécessité un champ de sépulture de plus d’un hectare et demi ; et que les Romains avaient Jugé utile d’y construire une voie particulière y aboutissant. Mais depuis, ce centre de population a disparu. | Après la guerre de trente ans, et les fléaux dé peste et de famine qui Pont accompagnée ou suivie, [a ruine de Broye était complète. | En 1657, notre pauvre village n'avait plus que cent vingt- cinq habitants dont voici la nomenclature : Roole des manans et habitans de tous aages des villes, bourgs et villages du ressort de Gray, fuict par ordre du Parlement, en l’an 1657, pour le règlement ordinaire du sel (1). NoëlBumlardsafemme un valet Pr Francois Oudin, sa femme, quatre ENANnts + te 2 Claude Burillard, sa femme, trois enfants, un valet... ..... Jacd. Fourquel, Sa fémme Gaspard Wuillèmenct, Sa femme, deux enants > 0 Grésoire Verne, sa femme, un enfant, un valet... Francois Huson, Sa femme un enant ee A reporter. 28 (1) Archives départementales du Doubs, carton C. 270. a — 951 — tlande Huvon, Sa femme, déux enfants..../.21 .,,1... À Claude Muillemenot;sa femme, deux enfants:...-........: 4 Mranevrs Verne. 2.4... ne" D ha | Rieolas Verne. Sa femme, trois enfants. ....1....1.....1. D Jéon blanc sa ülle.... 1... .… ee 2 BÉVde Rhomas trois emants... 2. 0.4... ,.... 4 JEonArépasnol sa femme un enfant... .........1,.... 9 Jean Guaymey, sa femme, deux enfants, une servante... D Bande Perron, Sa fémme, un enfant, une servante....... À Antoine Roussel, sa femme, trois enfants, une servante... (® Pertine (Rés RES 9 1 Barbe. Vérie esse 1 NICOLAS Coton Ass rt de eee 1: Ras, | béniene Gin, Sa femme, deux enfants 2... ,....... . À. Bémiene bar Sa femmes ist core ne... 2 IS MESSon Sa femme, deux énfants:......4.0..4..... Re À Jacques Masson, sa femme, six enfants.................. 8 MÉMdÉEromas SA TeMME... du... 2 enedon Sa tenue; un enfant... . 2... ....... 9 IPeques dit Cerne, sa femme, un enfant........... 3 Hide Fourquet, Sa femme, deux enfants... ......... 4 Bomethopin, Sa fémme, deux enfants. :..:....,....4... 4 IS ae Sa femme, deux enfants... 1... 0. 4 IH HhidoneVerne, Sa femme, Un entant. ....1...:.).:.... 3 Gérard Clave, sa femme, quatre enfants......... ie 6 Eat unbent sa temme, un:enfant. :....1............. 9 MO ONAmAy: Un énant........ 0... ....,.… 2 DArRolin sa femme, un enfant, . is... ... € | 125 Le présent roole faict et indiqué par Gaspard VUILLEMENOT et CL. HUGON, eschevins dudict Broye, lesquels ont attesté (15 fé- vrier 1657.) Cent vingt-cinq habitants ! Le dénombrement général qui ne fut fait au comté de Bourgogne que trente ans après donne déjà une population trois fois plus considérable, — 992 — On peut constater cependant, à vue des reconnaissances des terriers, qu'une paix de quelques années, ce qui était rare autrefois, rendait la vie et la prospérité à notre cher pays; et que chaque nouvelle guerre qui survenait entre la France et la maison d'Autriche ou d'Espagne y amenait la dépopula- tion. On avait peur et on se sauvait, cherchant un abri derrière les murailles de quelque place fortifiée. Pendant le xvie siècle, la Franche-Comté n'ayant pas eu à craindre d’invasion, le nombre des familles résidant à Broye s'élevait, en 1585, à plus de cent cinquante. Vingt ans plus tard, en 1606, à cause de nos prises d'armes en faveur de la ligue, le nombre des feux tomba à quarante-cinq : puis à trente-six seulement après la guerre de trente ans. SOUS LA DOMINATION FRANCAISE. La population continua donc de s’accroiître sous la domi- nation française qui assurait au pays la sécurité. De trente-six feux ou ménages mentionnés en 1657, à. Broye, on remonte à soixante, en 1688 ; puis à cent dix, en 1750. Ç En l'an 11 (1803), l'annuaire de la Haute-Saône porte à 714 le nombre des habitants de Broye-lez-Pesmes. Ce chiffre depuis n’a cessé de décroître à chaque recensement. Jusqu'à la Révolution de 1789, sur les cent maisons du village, on peut assurer que quatre-vingt-dix-neuf, c’est-à- dire toutes, sauf le presbytère, étaient de pauvres baraques ou des huttes bâties en bois, en torchis ou en clayonnage, et enduites de terre glaise intüs et extra. Cela résulte évidem- ment des déclarations reçues au bailliage en 1750, quand il fut question d'établir Pimpôt du vingtième (D. Ces habitations rustiques étaient adossées ou appliquées les unes contre les autres. Il y avait ainsi une immense (1) Archives départementales de la Haute-Saône. — 9393 —. toiture de chaume, formant une seule maison, pour abriter cinq ou six ménages de pauvres gens qui se tenaient chaud pendant l'hiver. Toutes ces chaumières étaient pouvues d’un auvent, d’une rabattue, d’une avancée de toit qui descendait très bas. Outre que cet auvent servait à remiser le bois à brûler et les récoltes d'automne, comme haricots, turquie, ete. ; il pré- servait encore la maison des vents pluvieux et du grand soleil. Du soleil et de l’air, on en prenait bien assez tous les jours dans la campagne ! Il faut, pensait-on, que l’outau soit chaud en hiver et frais en été, comme une taissonnière !... Les paysans puisent volontiers des leçons d'hygiène dans les exemples fournis par les bêtes du bon Dieu. Quoi qu'il en soit, quand le feu se déclarait dans une agglo- mération de maisons pareilles, 1l formait en un clin d'œil un ardent brasier. Les incendies de Broye de 1737 et de 1768 n’ont pas été moins terribles que ceux de 1895 et de 1854. _ On s’en souvient encore dans la Franche-Comté. S IV. — COMMERCE ET INDUSTRIE. LA SITUATION ÉCONOMIQUE. Ces grossières maisons de chaume ne dénotaient pourtant pas la misère autant qu'on le pourrait croire. Par rapport aux pays VOISINS, Broye-lez-Pesmes était un bon village de culture. Le dénombrement de 1688 que nous avons déjà cité, pièce très curieuse, relève la population de chaque commune de la Franche-Comté en hommes, femmes et enfants ; en ser- viteurs et servantes ; il donne le comptage des bœufs, des vaches, des chevaux, des chèvres, des cochons, etc. Sur les 354 habitants du village de Broye, il y avait 23 en quarante-six valets des deux sexes. Cette quantité de servi- teurs à gage dénote que la population de ce village était en général dans une aisance relative, et que l’ouvrage ne man- quait pas à qui en voulait trouver. Pas plus alors qu'aujourd'hui Broye n’exportait les travail- leurs. Mais cette aisance relative des anciens serait la misère grise pour nos contemporains. Qu'on en juge. À peine comptait-on dans ce riche pays de culture trente bœufs pour labourer la terre et quatre-vingts petits bidets de tout âge. : Trois cents têtes de bétail, ou plus exactement 297 vaches, veaux et génisses, formaient la proie rouge de la commu- nauté (1). Toutefois on n’en était plus à Broye, comme à Pesmes ou à Valay, à compter les chèvres au demi cent, ce qui montre bien l’état de pauvreté de ces localités. On ne s’amuse pas à tenir des chèvres quand on peut avoir une vache à lécu- nie 1 Le paysan ne se livrait pas à l'élève du bétail, parce qu'autrefois la consommation de viande n’était pas générale comme aujourd’hui. De toutes les communes du bailliage de Gray, celle de Broye, avec ses 297 têtes de bétail, était pourtant la plus riche comme productive de lait et de chair à manger. ke village de Baujeu, qui venait après, ne comptait que 268 têtes de bétail ; Champlite. 208 ; Chargey, 200 ; toutes les autres communes, moins de 180. On élevait à Broye une grande quantité de pores qui étaient livrés vivants au commerce. On mettait ces animaux à la elandée dans les belles forêts de la Vaivre, du Fahy et des Chazeaux, qui appartenaient à la commune usufruitière, et qui comprenaient plus de cinq cents arpents. (1) Aujourd’hui on ne compte pas à Broye moins de 660 bœufs et vaches. Chaque famille avait au moins une laie ou truie à gorets — goroîlle (1) — dont les portées étaient vendues comme nour- rins où petits cochons à engraisser, aux foires de Pesmes ou de Valav. DIFFICULTÉ DES RELATIONS COMMERCIALES. La difficulté des communications, la rareté et le mauvais état des chemins, ne permettaient guère que les gens d’un _ pays qui était séparé du monde par ses rivières et perdu dans ses forêts, pussent se livrer à un commerce un peu SUIVI. - Il y à cinquante ans, la commune n’avait de pont ni sur la Saône, ni sur l’Ognon. Il n’y avait qu'un seul chemin un peu empierré et praticable aux chariots dans la bonne saison : c'était le chemin foiret — ferré ou empierré, — où de temps en temps on déchargeait, aux mauvais endroits, quelques voitures de prestation. Les autres chemins existant présen- tement comme ceux d’Aubigney et de Montseugny, de Perri- gny, etc., ou n'existaient pas du tout, ou n'étaient que des voies de défrichement, que des chemins sablonneux, étroits, effondrés, bordés de haies vives et de buissons. On n°y faisait aucun frais d'entretien. Parfois cependant un paysan obligé de passer avec sa voiture par des nécessités d'exploitation, jetait sur les creux et dans les ornières des fagots d’épines pour servir comme d’un pont volant; et cette réfection était faite pour plusieurs années. | Il n'existait pas même de sentiers pratiqués pour se rendre, Soit à Clery et à Perrigny, soit à Œilley, à Maxilly et à Tal- may, localités qui sont distantes de Broye de deux, trois ou _ quatre kilomètres tout au plus. Dans des conditions pareilles, le seul commerce possible, C'était la culture. (1) Voir ce mot au Glossaire. — 356 — CULTURE DÉS CÉRÉALES. Comme aujourd’hui, nos gens de Broye étaient, par la force même des choses, des travailleurs de la terre, des labou- reurs ou des manouvriers de cette grande famille du labourage, robuste et saine, qui assure aux races la durée et la stabilité. | La culture principale était celle des céréales. D’après un état fourni à l’Intendance (1) en 1759, et établi en vue d’indiquerles possessions en terres des ecclésiastiques et des seigneurs dans chaque communauté, le territoire de Broye comprenait 1800 journaux de terres labourables , 552 faulx de prés et 522 arpents de bois dont 138 étaient mis en réserve. La récolte annuelle s'élevait en moyenne à 4,500 mesures de froment, 4,500 mesures de seigle, 2,250 mesures d'avoine et autant de menus grains. On avait toujours soin, dans ces sortes de déclarations, de minorer ses recettes et de s’'appauvrir, afin de ne pas exciter la cupidité des agents du fisc. Mais on peut être sûr que le rendement des terres était bien loin d’égaler celui d’au- jourd’hui. On paraît avoir essayé la culture de la vigne, puisque nous voyons mentionné dans un acte de partage fait en 1707 un journal en nature de vigne situé près du Breuil @).... Cette culture ne paraît pas avoir donné de bons résultats, puisqu'elle a été abandonnée tout à fait. Quoi qu’il en soit, le terrain situé près du Breuil a conservé le nom de Lar vei- gnotte, la petite vigne. (1; Archives départementales du Doubs, carton C. 111. (2) Archives départementales de la Haute-Saône, B. 1868. — 9391 — CULTURES INDUSTRIELLES. Après la culture des céréales, celle du chanvre était certai- nement la plus intéressante de toutes. On consacrait à faire venir la plante textile un temps considérable, et surtout à préparer et à utiliser les produits de cette précieuse denrée. On semait au printemps la graine récoltée l’année précé- dente, dans une terre de choix, dans la terre la plus plantu- reuse, la mieux préparée, la mieux fumée, qu’on appelait la chenevière. On en confiait la garde à la vigilance des enfants ou d’un bon chien chargé d'en éloigner la volaille et les oiseaux qui sont très friands de chenevis, comme en sait. On arrachait le chanvre à la fin d'août pour le rouir. Pour faire l’opération du rouissage, on a employé à Broye jusqu’après 1830 exclusivement la méthode par voie humide. Frente où quarante gerbes de chanvre étaient empilées dans la rivière entre quatre pieux solidement plantés, et liées entre elles de manière à résister au courant. Dix ou douze jours après, on retirait le chanvre näsi et on le faisait sécher pour ensuite le décortiquer ou le teiller. Ce procédé de rouissage était répugnant à cause de l’odeur infecte que répandait la plante putréfiée. Le teillage se faisait dans les veillées d'automne. À peine était-il fini, qu'on voyait arriver, après la Toussaint, des troupes de Bressands, — les pignards ou les foirtoux, — qui savaient peigner le chanvre et qui avaient l’art de pré- parer la belle œuvre et les bonnes étoupes. On les payait bien et on les nourrissait grassement, dans lespoir que l'ouvrage serait soigné et l'œuvre facile à filer. Dans les soirées d'hiver les femmes étaient occupées à faire tourner les rouets, à filer l’œuvre et les étoupes. Que de Mais c'était si bon d’avoir une provision de beau linge de temps consacré à cette besogne ! ménage ! — 998 — La tâche des fileuses achevée, on remettait au tisserand d’un village voisin les riétes — paquets de fil, — qu’on avait bien soin de peser. Mais on avait beau peser ; les tisserands étaient si voleurs ! Etonnons-nous après cela que nos vieux parents aient été si fiers de leur beau Hinge, de leur fin nappage, de leurs ser- viettes ouvragées, et de leurs armoires où les chemises en toile d'œuvre et les draps étaient empilés et bien rangés. C'était leur luxe. Le fait est qu'une table garnie d’une belle nappe blanche flatte bien mieux les sens et l'appétit, que si elle était recou- verte d’une affreuse toile goudronnée, si bien peinturlurée soit-elle. | On tenait à l’œuvre et aux étoupes à ce point que, dans l'abandon de ses biens par donation, on réservait tant de blé et de lard pour sa pitance, et tant de Livres læuvresret autant d'étoupes préparées, prêtes à être filées. Et dire qu'aujourd'hui la culture du chanvre est à peu près abandonnée dans nos villages... x # x Une autre culture qui fut jadis très répandue, et qui à dis- . paru depuis longtemps déjà, c’est celle du millet. Chaque petit ménage avait sa meillotère — son champ à millet, — dont les produits étaient consommés habituelle- ment à la maison, comme la farine de maïs Pa été après. Le millet faisait d'excellentes bouillies. Avant de le cuire avec du lait, on le pilait grossièrement dans un morther. D'où le nom de pilé ou de plà sous lequel il était connu. Je crois que les enfants de Comté en pilent encore dans leurs jeux, quand ils se soulèvent et se renversent alterna- tivement, dos à dos, les bras entrelacés, et qu'ils chantent : Pilez Les grus! — 399 — I n’en peux pu! Pilez le plà! I n'en peux ma! Les nourrices font aussi semblant d'en piler sur le front des bébés quand elles disent, pour les distraire : Groue œillot, P’tiot œillot, Toqu’meillot ! Le dernier marchand de millet parcourait mélancolique- ment, après 1830, les rues de Besançon, avec sa petite voiture, où était attelé un vieux cheval qui avait nom Bavard, comme celui de Renaud, l’ainé des quatre fils Avmon. De temps en temps l’attelage S’arrêtait à un carrefour et le pau- vre marchand glapissait : Au plä! au plä! Tro sous! tro ias! Quat’sous moins in ia ! Et, après un petit temps d'arrêt, Hue, boyü ! La vente n'allait déjà plus. La mode était aux fécules exotiques qui ont un nom plus distingué. Le mullét, c'était bon pour les gens d'autrefois ! S V. — ADMINISTRATION. PAYS DE MAIN-MORTE. La féodalité n'ayant pas jugé à propos d'élever un castel à Broye-lez-Pesmes, les gens du pays n’ont jamais eu à soutf- frir du voisinage d’une maison seigneuriale sous aueun rapport. De sorte que, quand ils avaient payé lPimpôt aux décimateurs et aux collecteurs de tailles, 1ls étaient à peu près quittes. — 960 — La plupart des terres et des maisons du village n'avaient pas été affranchies. Elles sont restées biens de main-morte jusqu’en 1789. Mon aïeule paternelle, Jeanne-Bapt. Lefranc, pour sauve- garder ses droits dans la succession de ses parents, dut mettre en œuvre M° Guillaume, notaire à Pesmes, le 26 jan- vier 1789, à l'effet de constater par acte authentique « que » comme elle était obligée, par les lois divines et humaines, » de suivre son mari en sa résidence, et par là, quitter la » communion de ses père et mère, voulant user et profiter » du remède et de la faveur accordés par la coutume géné- » rale de la province aux filles de condition main-mortable, » elle a, à cet effet, en présence desdits notaire et témoins, » bu et mangé en la maison résidentielle desdits Lefranc et » Guyot, pour manifester la volonté qu'elle a de ne point » rompre la communion d'avec ses père et mère, et par là, » pouvoir leur succéder de la même manière que si elle était » restée en leur communion jusqu’à leur mort, laquelle com- » munion, nonobstant ledit mariage, elle entend et prétend » conserver, de tout quoy elle a eu besoin de l’authorité de » son mary, présent et l’authorisant, etc... >» Contrôlé à Pesmes, Le 26 janvier 1789. Reçu 15 sous. Signé : MILLOT, et, plus bas, GUILLAUME, notaire. On appelait cela un acte de respect, sans doute pour couvrir un peu ce que des exigences pareilles avaient d’igno- minieux. DES IMPOTS SANS AFFECTATION. Les charges de la commune consistaient en ce que chaque ménage faisant feu devait au seigneur une poule en temps de Carémetentrant et, pour chaque melrletamalson delà contenance d’une faulx de pré, deux gros (A); pour chaque (1) Valeur des monnaies en Franche-Comté, d’après Dom Grappin : — 9361 — faulx de pré main-mortable, aussi deux gros ; pour chaque journal de terre, trois blancs ; le tout taille à eux, payable audit Broye, le jour de feste Saint-Michel. Les fours et moulins bannaux étaient de partage entre le baron de Pesmes et le commandeur de Montseugny. Comme les fours étaient acensés annuellement à raison de 300 livres, chaque ménage ou feu était imposé à 3 livres 7 sous. Tous ces droits en somme étaient plus avilissants, plus blessants ou contrariants que lourds à supporter. L'intervention de l'autorité, quelle qu’elle soit, pour sur- veiller et même pour régler les agissements des individus dans la société, est légitime, ne servit-elle qu’à établir qu'il y a quelque chose de supérieur à nos intérêts particuliers ou corporatits : la justice et l’intérêt de tout le monde. On com- prend donc que cette autorité coûte à ceux à qui elle profite ; c'est-à-dire au corps social. Mais si les charges imposées et destinées à payer des services ne répondent plus à leur fin; siles services ne sont plus rendus , et que les charges subsistent quand même, il y à fraude. C’est drainer une terre qu'on marrose pas. C’est par conséquent la dessécher. Aurait-on crié autant contre les tailles et les redevances, si elles avaient été employées à des œuvres d'utilité géné- rale, comme à la création de routes, au développement de l’instruction, etc. L'autorité civile, sous ce rapport, négligeait un peu ses _ devoirs. On aurait dit qu’elle ne tenait qu’à ses droits doma- niaux, qu'au produit pécuniaire de la seigneurie ! Elle n’in- tervenait pour ainsi dire jamais dans les affaires de la com- munauté, si ce n’est pour mettre son velo aux changements et aux réformes qu'on aurait pu faire. Le franc = 13 sous et 4 deniers, monnaie de France ; Le gros = À sou, L denier et un tiers de denier ; Le blanc = 3 deniers et un tiers de denier ; Le sol = 8 deniers. — 362 — De temps en temps pourtant, après la conquête française, le sub-délégué de Gray rendait compte à lintendant de la province de la situation matérielle qui était faite aux manants de l'endroit ; mais en réalité il se bornait à transmettre, en les annotant, les états que les échevins lui fournissaient sur des questions générales. L'état dressé en 1759 par ce fonctionnaire déclare que les charges des habitants de Broye sont suffisantes. Il n’y aurait qu’en cas d'orvales, comme gresles, gelées et incendies qu’il conviendrait de les diminuer. La communauté ne serait pas suffisamment imposée pris égard aux autres, qui l'avoisinent, el & l’étendue et bonté de son territoire ; mais j'estime écrit le sub-cléléqué, qu’elle l’est suffisamment par la généralité de imuin-morte dont elle est affectée, ainsi que des autres redevances (À). LIBERTÉS COMMUNALES. En apparence on ne pouvait guère rêver une liberté mu- nicipale plus complète. Ecoutez ! Les manants et habitants de Broye avaient le droit de s’as- sembler toutes fois qu'il en était besoin pour la résolution des affaires de la commune, sans, pour ce, demander licence aucune & qui que ce soit. Ils avaient le droit d’élire pour chaque année deux pru- d'hommes échevins chargés de négocier ces affaires et d'as-. surer dans le pays une bonne police. Et comme ces échevins avaient qualité pour relever Les contraventions aux arrêtés pris par les assemblées générales et pour punir les contrevenants de telle peine que bon leur semblerait, cette peine devant ètre applicable aux besoins de la fabrique et au profit de la communauté, sauf Les trois sous eslevenants qui revendient à la seigneurie, il résulte (1) Etat de ce qu'ont les Ecclésiastiques et Seigneurs dans chaque com- munauté de la subdélégation de Gray. — Carton CG. 114. G | de tout cela, qu’en vertu de leur constitution communale, les .. échevins étaient chargés d'assurer les volontés des gens du - village, comme les consuls de Rome de faire exécuter les - décrets du Sénat et du peuple romain. La communauté avait aussi le droit de présenter chaque . année un personnage bien qualifié et sans reproche à l’agré- - ment de la prévôté du lieu pour être assermenté messier, 4 c'est-à-dire pour faire le devoir requis à La conservation des “à uits, tant du finage que des prairies : 4 C'était, comme on voit, une liberté municipale très g grande. | C'était autonomie, puisque nos manants de Broyve pouvaient | 4 réglementer leur police, se prescrire des lois et nommer » leurs juges. . Décidément, ce qui paraissait leur manquer, ce n’était pas la franchise politique, mais bien la capacité de s’en servir. _ D'abord ils n'étaient guère en état de saisir toute l’impor- _fance des améliorations dont nous jouissons aujourd’hui, ni . des réformes dont ils avaient peur ; ensuite ils n'étaient pas _ non plus dans des conditions à les appliquer. Ils n’avaient, en un mot, ni l'esprit d'initiative qui conçoit, n1 la force maté- | rielle quiexécule: é _ Autonomie illusoire, d’ailleurs, puisque nos manants 4 100 de condition mainmortable comme aussi leur meix, » maisons ct héritages, tant envers ledit baron que d’autres F. particuliers ayant droit de seigneurie, tailles, cens ou rede- | vances audit Broye, chacun d'eux endroit soy. …. Ce charabia du Terrier de 4660 prouve que Brove nes ap- D pas ; chaque habitant n°v était que le tenancier de sa terre. [l ne pouvait disposer de rien. …— On déclarait que le paysan était maître dans sa commune : on en faisait quasiment un petit souverain... Mais ce pauvre » Souverain était tenu de reconnaître et us pour lui et les siens, qu'il restail homme ‘originel et juridique de “condition servile, taillable, corvoyable, etc.; et tout cela à perpétuité. Sa servitude devait être éternelle. — 364 — Combien nous devons bénir à Broye la révolution salutaire de 1789! Elle nous a débarrassés de toutes ces perpétuités qui sont une image de la mort. MONSIEUR LE CURÉ. En fait, l'autorité des échevins était nulle, parce que les manants de Broye ne pouvaient leur en conférer que ce qu'ils en avaient eux-mêmes, c’est-à-dire zéro ; leur autorité était nulle, dis-je, parce qu'ils étaient sans prestige; parce que, n'étant rien par eux-mêmes, ils n'étaient pas la repré- sentation d’un pouvoir fort et conséquemment respecté. Il y avait une seule autorité sérieuse et agissante dans la commune : c'était Pautorité ecclésiastique. Le seul maître et seigneur, C'était le curé. | Sans lettres patentes et sans investiture, en vertu de son caractère sacerdotal, le prêtre était devenu dans sa paroisse l’œil et l'oreille du pouvoir séculier. Il suppléait ce pouvoir absent ; il le représentait; et il avait fini par en exercer les principales attributions. C’est bien lui qui réglait et qui surveillait la police des mœurs ; qui maintenait la décence dans les fêtes publiques et privées ; qui autorisait ou qui faisait prohiber les jeux et les amusements frivoles. Pa C’est lui encore qui dirigeait l'instruction de la jeunesse ; qui stylait et qui gourmandait les recteurs d'école ; qui pres- crivait l’enseignement qu'on pouvait donner et les exercices scolaires auxquels il était permis de se livrer. C’est lui toujours qui tenait note, dans ses registres de paroisse, des actes de la vie civile, et qui célébrait les nais- sances, les mariages et les sépultures, s’associant ainsi à tous les événements mémorables et touchants de chaque famille ; chose énorme. — 365 — Son domaine était spirituel. Mais le spirituel est dans tout, - s'étend à tout et domine tout. …. Auxiliaire du Christ et ministre de Dieu sur terre, l’auto- 4 rité d'un prêtre était bien autrement solide et inattaquable _ que celle d’un haut baron, mortel en définitive comme les autres. - L'importance d’un curé dans la commune était énorme. - Ilest dans la nature des choses du reste que si un membre 1 prend des développements excessifs, c’est presque toujours … au détriment des autres parties du corps. L'autorité du prêtre éclairée, disciplinée et surtout savam- - ment organisée, avait fini par s'imposer absolument. Elle avait grandi peu à peu, absorbant celle des autres pouvoirs + établis, des pouvoirs élus surtout qui n'étaient que ses 3 créatures et ses très humbles serviteurs. Un pasteur avait tant de petits moyens pour diriger la | RE administrative, sans avoir l’air d'y mettre la main! _ Ilavait donc pris sans beaucoup de peine la direction En oiue de l’ordre politique et moral qui, croyait-on, re À pouvait exister sans lui ou en dehors de lui. …_ Le 30 janvier 1790 avait lieu l’élection des officiers muni- - cipaux de Broye-lez-Pesmes. Sous l'influence de l'esprit de révolte qui souflait partout, des éléments hostiles au clergé . furent élus. 1 Une élection aussi insolite bouleversait toutes les tradi- - tions. Aussi l'abbé Descourvières, curé dû lieu, tonna-t-il en … chaire contre les gens qu'on avait choisis pour administrer “les affaires de la commune. ls ne sont pus faits pour rem- …plir de telles pluces, dit-il, ce sont des hommes captieux et 4 de réputation équivoque, qui ne sachant pas se conduire, étaient incapables de conduire la communauté. Ceux qui les ont nommés ont chargé leur conscience, et volé la veuve et l’orphelin, etc. — 366 — Bref, le bon abbé déclara le scrutin nul et convoqua tous les électeurs de la paroisse pour le dimanche 7 février suivant, à l'effet de procéder à de nouvelles opérations élec- torales. : Ce fait donna lieu à une longue procédure. Je ne sais ce que l’affaire devint; et cela importe assez peu. Elle montre seulement combien était grande lingé- rance du curé dans l’administration de la commune. Comme nous lavons dit, lPintervention de l'Etat était nulle, ou peu s’en faut, dans les choses des communautés ; et le rôle des échevins, livrés à eux-mêmes, se bornait à amodier des pâquis : l’intendance se chargeait d'aménager leurs forêts, et l’église de manger leurs revenus. Ce n’est pas que la cure de Broye fût très riche (!), ni que les titulaires qui l’occupaient fussent des hommes d'argent, non ; car la plupart ont été de bons prêtres. Mais le service (1) La cure avait en propriété quinze journaux de terres labourables et neuf faulx de prés. Il était dû au curé, en dehors de cela, deux gerbes de blé par feu et par ménage, sans compter la gerbe qui était due comme dime par journal de chaque espèce de grains. Un arrêt du Parlement (30 mai 1785) réglait les droits curiaux de Broye- lez-Pesmes. Le curé devait recevoir pour droit de mariage et de lettres de recedo par les riches, trois livres, par les médiocres, deux livres, et par les pauvres, une livre ; sans qu’il puisse exiger double droit lorsque les deux mariés sont de sa paroisse. | Les droits mortuares sont également d. trois livres pour les chefs d'hôtel riches; deux livres pour les médiocres, et une livre pour les pauvres. Par chefs d’hôtel on entendait le mari et la femme, et, à leur défaut, le plus ancien de la famille. Dans ce curieux document, dont je dois la communication à mon dévoué .compatriole Goyot-Briot, nous voyons qu'il est défendu au curé de s’ap- proprier les pièces d’or et d'argent qu’on faisait bénir par lui à l’occasion du mariage. On payait pour tout, pour la procession des Rogations, pour la bénédic- tion des maisons neuves, des ruchers, des croix, fontaines et puits pu- blies, etc. Chaque ménage était tenu de payer une gerbe de trois pieds de tour pour la récitation de la Passion dès l’une des fêtes de sainte Croix à l’autre ; sans compter le reste. — 367 — à Les dépenses faites en vue d’une amélioration communale … quelconque sont simplement utiles, vous dira sérieusement D un théologien ; celles qui sont relatives au culte, sont les … seules nécessaires : porrd unum est necessarium. 1 Des hommes imbus d'idées pareilles sont de bien mau- * vais administrateurs. __ La conquête française à apporté une atténuation sensible À à l’omnipotence du clergé dans nos campagnes. Mais ce ne ; fut pas sans peine. .. Ainsi, après 1674, l'Administration française voulut 4 imposer au clergé franc-comtois la tenue des livres de pa- . roisse, de registres spéciaux pour les baptêmes, les mariages 1 et les sépultures, comme cela se pratiquait dans les autres parties du royaume. Or, pour exercer sur la tenue de ces …_ registres un contrôle presque dérisoire, l'Intendance et le 1 Parlement, ét même l’Archevêché, furent obligés d'agir avec. — énergie et persévérance. . _ Les membres du clergé n’entendaient pas subir le contrôle de qui que ce fût, même dans un service évidemment d'ordre … public. Ils tenaient à leur indépendance. D. À cet égard, les événements de 1789 la leur ont donnée L. complète ; puisqu'aujourd’hui ils peuvent tenir leurs livres — de paroisse comme ils l’entendent et sans visa de personne. RTE = cu ES ci En TES G 4 : S) VI. — EDUCATION ET DRESSEMENT (1). 4 | LES VIEUX LABOUREURS. Bronzés par le soleil et les intempéries, amaigris par suite lun travail excessif, d’excès et de privations, négligés dans 18 - (1) Tous nos renseignements sont puisés dans des souvenirs où dans les — 308 — leur tenue, flétris avant l’âge, les paysans d'autrefois res- semblaient plus à des êtres demi-sauvages qu’à des hommes clvilisés. Toutefois, on aurait tort de les juger tout à fait d’après leur accoutrement et sur la mine. | Nos vieux parents avaient leurs défauts sans doute, et des vices dont nous faisons bien de nous corriger ; mais ils avaient aussi quelques qualités que nous devons tâcher de ne pas laisser perdre. Leur système d'éducation s’adaptait très bien aux condi- üons de demi servage dans lesquelles ils étaient maintenus. Leur indifférence n’était qu'à la surface. Sous des dehors d’apathie se dérobait leur sensibilité, qu'il aurait été peu convenable, croyaient-ils, et quelquefois dangereux de laisser paraître. Leur bonhomie, leur air en dessous, leur aspect sauvage, tout cela n’était le plus souvent qu’un masque qui servait à cacher une âme ordinairement maîtresse d'elle-même. Les paysans étaient habitués à cette volonté énergique dès le jeune âge, se gardant bien de faire montre des sen- timents qu'ils éprouvaient. Ils avaient doublement, et comme campagnards et comme Comtois, cette timidité défiante qui rend nos compatriotes en général gauches et peu adroits. * x + Ils se résignaient souvent sans approuver ; car résignation. n’est pas assentiment. [ls réglaient leur conduite sur des nécessités d'ordre social et sur la force des choses. Il fallait bien se courber, obéir aux prescriptions de la loi et subir les institutions au moyen desquelles les castes nobiliaire et récits du passé, qui nous ont été faits par les hommes d’avant la Révolu- tion ; dans les proverbes et les chansons du vieux temps ; en un mot dans des documents le plus souvent inédits. ER A RP RIRE TS de RS — 369 — sacerdotale avaient espéré éterniser le régime féodal à leur profit. Ces pauvres gens ne craignaient rien tant que la licence dans le gouvernement de leurs affaires. Et cette crainte les empêchait de rêver plus d'indépendance qu'ils n’en possé- daient. Ils ne couraient donc pas après les libertés politiques, lesquelles ne vont pas sans une certaine capacité morale qui leur manquait. [ls estimaient avoir assez de libertés comme cela. Ils étaient persuadés du reste, et cette croyance avait alors, comme elle a encore à présent, beaucoup d'apparence de raison, ils étaient persuadés qu’un régime de licence, qui est la liberté des inconscients, engendre plus de désordre et de perturbations, plus de misères en somme qu’une ser- vitude administrative appuyée sur des réglements de bien public. RESPECT DE L'AUTORITÉ. L'éducation qu'ils donnaient aux enfants était fondée sur cette maxime morale qu’une crainte respectueuse est le principe de la sagesse. On ne discutait pas Pautorité établie ; on n’osait même pas raisonner contre elle. On morigénait dès le jeune âge en faisant sentir aux enfants la nécessité d’obéir à leurs parents, et de se montrer soumis et respectueux vis-à-vis de ceux qui avaient qualité pour commander, à Obedientia fælicitatis mater, on se trouve bien d’obéir. Tout joug est plus ou moins lourd à supporter ; et nous sommes naturellement enclins à nous y soustraire. L'esprit d'obéissance a donc besoin d’être façonné par une longue discipline, que les parents le sachent bien, et aussi par l'exemple, pour qu’on s’y habitue ; tandis que lesprit d’insubordination pousse assez de lui-même chez tout le monde, ou peu s’en faut. 1O PS — 310 — De ces deux habitudes opposées, l’une est bien moins que l’autre compatible avec la tranquillité sociale et l’ordre public, moins favorable même au bien-être particulier. Aussi les gens sages de tous les temps se sont-ils efforcés de prémunir l’enfance contre cette tendance natu- relle de l'esprit à l’insoumission. ESPRIT DE CORPS. Une autre règle de conduite chez nos aïeux, c'était de ne pas vilipender leur profession. En toute circonstance, au contraire, on tâchait d’inculquer à la jeunesse le sentiment de la dignité du corps d'état auquel on se faisait gloire d’appar- tenir. Mauvais métier qui fait honte à son maître, a dit un vieux proverbe. Et bien à plaindre celui qui à honte du métier qu'il fait, ajouterons-nous ; car 1l travaille sans plaisir, sans entrain, sans courage. Il n’est pas soutenu par ce qu'on appelle le feu sacré ; et comme ces soldats qu’on fait marcher à l’ennemi avec la persuasion d’une défaite, il est vaincu d'avance. Sous ce rapport, nos grands-pères avaient au moins le sentiment de la convenance. Etaient-ils sincères? Ils ne voyaient rien de plus hono- rable, partant rien de plus beau, que l’état de laboureur. Et ils élevaient, comme nous le disions tout à l'heure, leur monde dans ces idées-là; bien différents de ces parents maladroits qui se répandent en plaintes contre les misères de leur profession, comme si toutes les professions n’en avaient pas. Ces deux systèmes d’éducation, absolument opposés, doivent produire des fruits bien différents. L'un raffermit le moral des enfants, pendant que l’autre jette l’amertume et le découragement au cœur des jeunes citoyens, et, chose plus grave, les empêche de se plaire au monde. | Éd LT LA mt doté À ne oi nat dt is Les tete + d'os — 371 —. HABITUDES DE TRAVAIL. Il y a Cinquante ans à Broye, dès les minuit, un chef de famille était debout. Dans la belle saison, c'était pour se rendre au labour avec son petit valet; dans la mauvaise, c'était pour batire à la grange. On battait à la grange et on labourait à la lanterne. A sept heures, l’apliée (1) finie, on rentrait à la maison pour déjeuner et pour envoyer les bêtes aux champs (2). Cela fait, la besogne ne manquait pas. Car par nécessité ou par économie, c’est le laboureur qui réparait ou qui fabri- _ quait tout son matériel de culture, ses chariots, sa charrue, sa herse, ses rateaux, etc. Et ce matériel primitif et grossier, comme on pense, se détraquait bien souvent. Le bücheron de la commune mettait dans chaque moule de l’affouage des bois à toutes fins ; des billes d’orme pour _ faire des essieux, des perches pour entretenir la toiture ou pour regarnir les chamarris W). Après cela, vous savez, un bon chrétien ne se faisait pas faute «aller cueillir en forêt, pendant que les gardes dor- maient, les matériaux dont il pouvait avoir faute. Voler la communauté, c'est ne voler personne. Pas n’était besoin d’un charron pour remettre à neuf la queue ou les oreilles de la charrue, pour ajuster des bres- sots (1) de voiture ; pas plus que du forgeron pour les ferrer. Charron, maréchal et forgeron, tout ce monde d'artisans coûtait trop cher ! Le maréchal surtout !... C’est à cause de cela que dans nos pays de sable, on ne ferrait jamais les chevaux qui s’en allaient nus-pieds, comme leurs maïîtres du reste. (1) Aipléie. (Voir ce mot au Glossaire.) (2) Champs, Ghampoy. (Voir au Glossaire.) (3) Voir ces mots au Glossaire. dope Le vieux paysan, vrai Jean Fait-Tout, s’arrangeait autant que possible pour n'avoir besoin de personne. Homme de rude labeur, il suffisait à tout. Et il savait utiliser son monde, je vous en réponds. Dur pour lui-même, il n’était pas tendre non plus pour ses compagnons de misère. Sa femme l’appelait notre maître, et ses enfants n’osaient lui parler qu’à la troisième personne : : le père veut-il qu'on fasse ceci !... Ou simplement : veut-il qu'on aille là 7... IL, c'était lui. Il donnait à tous l'exemple d’une sobriété phénoménale et d’une activité infatigable. Chiche , il l’était même pour ses terres auxquelles il montrait le fumier plutôt qu’il n’en répandait. Pour lui, un sou était un sou. Il était à cheval sur ses droits, et il se serait fait étriper pour un quart de gerbe au partage de la dime. Son rêve, nous l’avons dit, c'était de pouvoir se passer d'aides. On n’est pas toujours sûr d’en avoir à l'heure du besoin, même en payant. Ce rêve chimérique avait pourtant été réalisé en partie par notre laboureur de Broye. Son jardin lui donnait des légumes que le lard de son saloir assaisonnait. Sa femme pétrissait et cuisait la mouture. Ses filles façonnaient son linge de corps, lui tricotaient des chausses et lui confectionnaient des vêtements avec un droguet dont la trame avait été filée à la maison. De vin, ons’en passait. Quant à la viande, on n’en mangeait chez nos gens qu'aux grands jours de fête et pour les réjouissances de famille. On n’achetait presque rien. L'argent était si rare | — 9313 — LS # # On peinait beaucoup et on ne récoltait guère. Les champs d’abord rapportaient peu, parce que la terre manquait d'engrais, ou qu’elle était mal préparée, ou que la saison avait marché de travers... Et quand un laboureur avait mis de côté la graine nécessaire pour les semailles prochaines et pour la consommation de son ménage, le produit du surplus suffisait à peine pour payer les tailles, le valet et une petite redevance au vieil usurier de Pesmes à qui il avait emprunté cent écus depuis l’année où tout son bétail avait péri. Aussi quand le pauvre homme passait le long des mares, il entendait les crapauds qui lui chantaent ce refrain monotone et bien vrai : pouwr’houme !... pour’houme !.….. pour’houme ! 1! pauvre homme | Ces mœurs simples et rudes, cette existence austère, toute de privations, de modestie et de travail, nous avons encore été témoins de tout cela. Et ces braves gens ne récriminaient pas tout haut contre la destinée ; ils ne maudissaient pas la vie; ils aimaient au contraire avec une passion jalouse leur pauvre ‘toit de chaume et leur pays, et ils bénissaient Dieu de les avoir mis au monde. S VII — CAR: CTÈRE ET MŒURS. AMOUR DU CLOCHER. Ils aimaient leur pays. Amantes beali: aimer, c’est être heureux. Leur existence — 314 — se passait généralement dans ce petit coin de terre et dans cette chaumière paternelle où ils étaient nés. Ils y avaient tout, souvenirs, affections, habitudes. Ils y étaient connus ; ils y étaient à l'aise et ils s’y trouvaient bien. Partout ailleurs, on aurait dit qu'ils portaient le monde sur leurs épaules. Ce manque de vie extérieure, l'habitude de se confiner dans les limites de sa communauté, développait chez nos gens de labour un sentiment tout particulier. Ils étaient jaloux de leur village comme des abeilles le sont de leur ruche. Chaque étranger qui venait y prendre résidence était ac- cueilli avec une méfiance quasi hostile. Et cela se comprend. Le nouveau venu allait avoir sa part d’affouage, sa part des biens de la collectivité et faire d’autant plus petite celle des autres. Car on comptait pour rien ou pour peu de chose son apport en force, en produits, en. assistance. La seigneurie du lieu possédait à l’entrée du bois de la Vaivre, près du port Saint-Pierre, un vaste terrain sillonné de noues marécageuses et parsemé de broussailles avec des sentiers herbeux où depuis un temps immémorial le bétail de Broye allait paitre et se gratter aux buissons librement et sans rétribution. Un ancien notaire de Ray, nommé Pyot, se rendit acqué- reur de cette friche. Pour la mettre en valeur, en exécution de la déclaration du Roy du 13 août 1766, et au mépris du droit d'usage des gens de l'endroit, il se rendit à Broye le 22 octobre 1770, avec quelques terrassiers munis de pelles et de pioches,; et le travail de défrichement fut commencé (1). (1) Cent ans plus tard, vers 1865, la commune de Broye à fait procéder à la même opération, pour mettre en rapport la Corne-Louis, — voisine du terrain vendu à Pyot, — qui était restée jusque-là une friche couverte de buissons, et qui est à présent un excellent pré. Il a fallu un siècle pour que l'exemple füt suivi. on À l’annonce de ce que les gens du village considéraient comme un attentat frustratoire de leurs droits d'usage, droits plus que séculaires, on fait sonner le tocsin. Une foule armée de bâtons et même de hâches se porte à Saint-Pierre où les défricheurs avaient déjà commencé leur besogne. On arrache les outils des mains des travailleurs ; on jette à l’eau les pioches et les pelles des travailleurs ; et, comme Pyot veut résister, on le pousse dans une mare où l’on s'amuse à le rouler dans la vase. On remplit même de boue son bonnet et on l’en coiffe après, pour lui bien barbouiller la figure, en lui criant par dérision : voilà comme on Bref, l’ex-notaire de Ray, après s’être débarbouillé dans la Saône et avoir changé d’habits, reprit piteusement le chemin de Gray. La justice fit arrêter cinq des habitants les plus compromis qui furent, après une détention de quelques mois, condam- nés à cent livres d'amende et la commune à trois cents (1. Il me semble que si l’achat du terrain avait été fait par un habitant du ‘village, cette opération n'aurait pas donné lieu à un pareil tumulte. Si une fille de famille aisée se mariait avec quelqu'un d’un pays voisin, on voyait de mauvais œil cet enlèvement qu’on considérait comme humiliant pour les garçons de la localité. Puis, c'était aussi une question de soustraction de biens et d’amoindrissement pour la communauté. On avait recours à toutes sortes de manœuvres, et même à la violence, pour empêcher un événement aussi fâcheux. ÉCONOMIE ET PRIVATIONS. I1S vivaient chichement d'épargne et de privations. IIS avaient un idéal à cet égard : c’est qu'il faut être assez (1) Archives départementales de la Haute-Saûüne (Bailliage de Gray\. — 316 — prévoyant pour se suffire à soi-même et pouvoir se passer des autres. Ils arrangeaient leur vie en conséquence, butinant et emmagasinant tant qu'ils pouvaient, ménageant leurs res- sources et ne dissipant pas, comme des étourdis, ce qu'ils se procuraient.par leur travail. Le bon sens leur disait que les doctrines qui font consister le bonheur dans les jouissances et les plaisirs coûteux étaient une erreur et une folie. IIS amaient mieux se passer de bonne chair et de beaux habits ; et ne pas ensuite être obligés de recourir à lPassis- tance d'autrui. C'est-à-dire qu'ils mettaient leur dignité, chose durable, au dessus d'une satisfaction d'estomac ou des joies passagères de la vanité. Aussi bien ils obéissaient à un besoin de parcimonie qui leur était commandé par leur situation particulière. Les temps sont parfois si difficiles pour le pauvre laboureur, et si irréguliers ; les événements sont si incertains que celui qui est réduit à compter sur les fruits de la terre doit tou- jours avoir peur d’être pris au dépourvu. Ces braves gens par fierté ne voulaient pas être à charge aux autres. Ce n’est pas un laboureur de Broye qui aurait adopté cette cynique formule, que lhôpital n'est pas faut pour Les chiens ! ESPRIT D'INTÉRÉT. On a beaucoup reproché à ces fourmis laborieuses, à ces travailleurs de la terre leur défiance sordide, et un esprit d'intérêt qui semblait éteindre en eux les sentiments affecufs les plus naturels. Les enfants, les vieillards, les malades étaient une charge pour la famille. On faisait pour eux le moins de sacrlices qu'on pouvait. La femme n’était plus considérée comme une compagne agréable, mais comme une aide utile. Personnes et choses, tout ne s’estimait qu’au produit matériel qu’elles donnaient. : — 311 — Si nos campagnards se montraient durs à l’égard de leurs vieux parents devenus infirmes, c’est que trop souvent ceux- ci les avaient dressés à ne pratiquer que l’épargne. Ils les avaient en quelque sorte faconnés aux vertus du comptoir qui ne comportent guère la philantrophie. . On n’élève par des chats pour la multiplication des souris. De même, on ne sème pas l’amour du lucre dans lPâme des enfants pour y faire naître des sentiments dévoués et gé- néreux. Il est difficile de développer chez un même individu les différents attributs du cœur ou de lesprit qui ont tous pourtant leur utilité ici-bas ; d'y faire germer des qualités souvent opposées les unes aux autres ; d'y unir par exemple Pémergie à la souplesse et à la douceur, la libéralité à l’économie. Et chaque individu n’a de propension naturel- lement qu’à avoir les défauts de ses qualités. Une race nomade ne se trouverait pas bien d’avoir les dons d’une peuplade . attachée au sol ; un homme d’affaires, d'apporter dans le négoce la simplicité et le désintéressement qu'un homme de charité met dans ses actes. À la campagne il faut être très ménager de ses ressources. Autrement, c’est la ruine. Il n'y a pas de travailleur honnête dont lavoir ou le profit soit plus aléatoire et plus incertain que celui du paysan. En quelques heures une maladie peut vider son écurie, comme il dit, en détruisant son bétail, le plus liquide de son bien. Un ouragan, en anéantissant ses récoltes, lui fait perdre souvent en moins d’une heure le fruit de son travail de toute une année (1). Qu'une aventure de ce genre se pro- duise, et ses champs seront saccagés, sa maison détruite, sa famille dispersée.…. (D) Le 15 mai 1818, une averse mêlée de grêle détruisit presque toutes les plantations. Les seigles et les blés furent réduits à néant et fauchés de suite. En l'an V, une maladie épizootique fit périr en quelques semaines 400 bes- taux à cornes. — 3178 — Etonnez-vous que l'expression de sa figure brûlée par le soleil et ridée avant l’âge, ait été soucieuse et triste ! . Soucieux, on le serait à moins. Et on ose rire quand on voit cet homme si dur, si impas- sible en apparence, pleurer sur sa vache qui vient de périr ! Est-ce donc plus ridicule ou plus risible que ces prises d'armes des ouvriers d'industrie qui s’insurgent contre la société, parce qu’une faillite leur aura fait perdre quelques semaines de salaire. Comparez l'attitude des uns avec celle des autres, et voyez sur qui il convient de s’apitoyer. En même temps qu'on enseignait aux enfants du village lesprit d'économie, on les mettait en garde contre les pièges du jeu commercial et contre les traquenards des entreprises industrielles. Il ne faut se frotter qu’à l'herbe qu’on connait ; OP IE paysan ne peut rien savoir ni de lPindustrie ni du commerce. à Tout gain réalisé était donc mis en réserve et bien caché. On rendait, à la vérité, son épargne improductive, en même temps qu'on privait la société d’un élément d’aisance..…… C’est vrai; mais au moins, on n’aventurait pas ce qu'on avait acquis. Un peu de tranquillité valait bien, ce me semble, un petit profit pécuniaire. De la tranquillité, on en avait si peu. Encore à présent, au village de Broye, on n’est ni épicier, ni boulanger, ni boucher. Les bouchers et les boulangers y apportent du dehors leurs produits ; et les épiciers, comme les aubergistes de l’endroit, sont des étrangers qui sont venus s’y fixer. ROUTINE ET CONVENTION. Nous venons de voir quelle était la matérialité et le terre et — 379 — à terre du genre de vie de nos laboureurs, quelles étaient les conditions de leur dressement,. Il sera facile d’en déduire ce que pouvait être leur moralité. Un régime social où les vieux patriarches avaient le gou- vernement presque absolu des affaires domestiques et com- munales, un régime pareil ne pouvait qu'imposer silence aux innovations, en accoutumant les gens à vivre dans cette paresse d’esprit qu’on appelle la routine. De par l’éducation qui leur était donnée, nos grands-pères étaient des routiniers indécrottables. Quand ils avaient ohb- jecté à une idée de changement ou de réforme que cela ne s'était jamais fait, que celanese serait jamais vu, ils avaient tout dit. Léurs procédes de culture, par exemple, sont restés à peu près les mêmes qu’au temps de Triptolème ou de Cin- cinnatus. Leurs sentiments religieux et leur morale n'étaient non plus guère supérieurs à ce qu’ils avaient été chez les Grecs et les Romains. Il n’a pas fallu moins que le génie diabolique des inven- tons modernes pour bouleverser de fond en comble les idées culturales et les procédés agricoles des laboureurs de Broye. Qu'est-ce qu’il faudra encore ? Quelle révélation nouvelle, quelle doctrine et quels enseignements pour affiner leur sens moral et hausser leur conscience ?..…. Un régime de liberté, le temps aidant. * SAONE En pratique de morale, pas plus qu’en procédés de cul- ture, on ne cherchait à innover. Tout paraissait avoir été réglé définitivement par les usages établis. La franchise du bon vieux temps, la tempérance ou la sobriété, la gravité, la simplicité naïve et bon enfant des gens d'autrefois, tout cela était de la pose et du convenu’ tout cela n'existait qu’en apparence. — 380 — La sagesse était avant tout une affaire de bienséance et de bon exemple, un hommage rendu à des qualités ou à des vertus qu’on n'avait pas le plus souvent. À la campagne, je le répète, une étiquette rigoureuse ré- glait, comme elle règle encore, les habitudes, les manières, toute la conduite ; et rien de ce qui y est conforme ne blesse les sentiments, les convenances. Ainsi, pour ne citer qu'un fait à l’appui, on sait bien que le chagrin ne nourrit pas ; on sait bien qu'après avoir pleuré ceux qu’on a perdus, on éprouve tout de même le be- soin de manger. La veillée des morts s’accompagnait donc nécessairement d’un repas de nuit, servi aux gardiens du corps du défunt. Or, cet usage était devenu peu à peu un pré- texte à des orgies qui ne scandalisaient personne. Une ripaille de voisins et d'amis ne détonnait pas sur la douleur sincère des parents du mort ; elle n’avait pour nos villageois rien de choquant, rien d’inconvenant. | Il fallait voir aussi avec quelle attention minutieuse nos honnêtes campagnards étaient à cheval sur l'étiquette dans le cérémonial d'un grand diner. Chez les plus pauvres gens, on était tenu de mettre ses plus beaux habits pour prendre part au festin. On récitait debout le Benedicite, comme pour demander davance par- don à Dieu du gros péché de goinfrerie qu’on allait com- mettre, sans préjudice des autres petits péchés de médi- sance et de propos impies ou libertins. Puis, on s’asseyait avec solennité, chacun à la place que lui assignait son âge « ou son rang ; et tout devait se passer comme les usages le prescrivaient. Il n’était pas convenable de boire sans élever son verre et de ne point dire, quand on buvait: ÇA votre santé, com- père (A)! » (1) Tout le monde était compère. Le père et le parrain, compères ; le père du père et le père du parrain, compères ; le parrain et le mari de la commère, compères ; ele., etc. Ça n’en finissait plus. à. * \ _ Me 60) pen Il n’était pas convenable de ne point vider son verre quand on buvait à la santé de quelqu'un. Il n'était pas convenable... etc., etc. L'usage réglait tout ; et l'usage aussi créait tous les droits : C’iu qu’'fà quement son voisin Ne fà ni mau ni bin! $ VIII. -- HYGIÈNE ET SANTÉ. INSTRUCTION PUBLIQUE. Dans la marche en avant des choses on aurait tort d’im- puter absolument le progrès d’une société aux institutions politiques ou économiques qui la régissent ; de même qu’on se tromperait en attribuant la taille et le volume d’un nour- risson au système d'alimentation auquel il a été soumis. L'évolution dans les deux cas est fatale. Mais il ne faudrait pas non plus nier l’influence d’une sage administration et d’un bon régime sur le développement des individus et des sociétés. On est forcé, en effet, de reconnaitre qu’il existe une cer- taine coïncidence entre l’adoucissement des maux et l’aug- mentation du bien-être général; entre les progrès sociolo- giques et l’application d’un régime de hberté, c’est-à-dire d'égalité et d'instruction. Ces progrès sont évidemment facilités par lPinstruction, parce que l'ignorance en tout, en morale comme en esthé- tique £t comme en science, est coupable de la plupart de nos erreurs de jugement. On comprenait peut-être cette vérité dans le vieux temps. Et pourtant on méprisait l'instruction qui est une des fenê- tres de la conscience humaine. | Cette fenêtre, on la tenait fermée soigneusement, parce qu’elle aurait pu favoriser les idées de réforme et l'esprit de — 982 — discussion, € est-à-dire, livrer passage à des malfaiteurs... Oui, mais ces prétendus malfaiteurs sont des accidents, tandis que le jour et la lumière sont les conditions essen- üelles de la vie. x ' # Le recteur de la paroisse a toujours rempli réellement ou fait remplir à sa volonté les fonctions d’instituteur du vil- lage. L’instruction était très élémentaire. Pourvu qu'on füt à même de lire dans un psautier ou dans un missel, afin de pouvoir suivre les chantres au lutrin pendant la messe, pourvu qu'on füt assez lettré pour signer son nom, c'était bien tout ce qu'il fallait. Sans cette nécessité d’avoir des chantres pour les offices, le prêtre n'aurait certainement pas songé à faire apprendre aux enfants l’alphabet. En définitive, à quoi autrement leur eût servi de savoir lire? Lire quoi? On n'avait point de livres à épeler ; point de correspondance à déchiffrer... Puis, a-t-on besoin d’être si savant pour tenir les queues de la charrue ? Est-on meil- leur sujet, meilleur fils ou meilleur Lère de famille, quand on sait que quand on ne sait pas lire ? En vaut-on mieux ? S’en porte-t-on mieux ?.…. Franchement, tout cela s'embrouillait dans la cervelle de nos braves laboureurs. On prenait pour raccorder — raicodai () — les enfants du village quiconque se présentait, n'ayant rien de mieux à faire ; quelque pauvre infirme, capable seulement d'allumer les cierges, de servir et de chanter une messe de requiem, de sonner la cloche... Songez donc? Un homme valide au- rait eu grande honte de se faire un fouette-culs ! Les fonctions du maître étaient de surveiller les ane (1) Voir ce mot au Glossaire. — 389 — pendant les Offices, et de faire épeler aux heures de classe les rares écoliers que leurs parents lui envovaient. Depuis 1789, nos parlements se sont attachés à répandre instruction. Mais que de difficultés pour faire un peu de bien ! Comment imposer à des campagnards récalcitrants et têtus les frais d’un enseignement dont ils ne se soucient pas, qu'ils méprisent, qu’ils considèrent quasi comme dégradant ? Voici le taux des honoraires fixés en l’an Il par la munici- palité républicaine de Broye en faveur de son maître d'école. Il lui était dû par chaque élève : Pour apprendre à lire O fr. 25 c. par mois. Pour apprendre à écrire 0 fr. 30c. — Pour apprendre à chiffrer 0 fr. 35 €. — Il lui était alloué en plus, par la commune, quatre stères de bois et deux cents fagots ; puis 150 francs pour se procu- rer un local suffisant — car il n’y avait pas de maison d'école. En l’an XIII, cette redevance scolaire si minime fut élevée à 39, 45 et 50 c. Mais l’année suivante on trouva que c'était trop, et on osa revenir au taux de lan I. Il est bien difficile de reculer dans la nuit. Tout pas fait en avant compte. On fut donc obligé, en 1808, d’en revenir au taux supérieur de l’an XIIT. À ce taux là, le pauvre instituteur pouvait compter sur une recette moyenne de 6 à 7 livres par mois ; ce qui n’était pas énorme. | Il est juste d'ajouter qu’il encaissait deux ou trois et même quatre sous de libera à chaque messe de requiem, et quel- ques revenants-bons les jours d’enterrement ! Cette misère des maîtres d’ècole a sans doute contribué à les rendre féroces. Que la jeunesse était à plaindre de tom- ber sous leur férule ! | SUPERSTITIONS. Les progrès économiques étaient entravés non seulement — 384 — par la routine, mais encore par quelque chose de plus tenace et de plus insurmontable : par les idées de superstition. En 4789, les gens de Broye ne croyaient certes plus à la baguette des fées ni même aux apparitions de loups-garoux ; mais ils croyaient fermement aux esprits de l’air, aux reve- nants, aux sorciers. Tous les grands phénomènes de la nature, pestes et con- tagions, tonnerre, météores, arc-en-ciel, ouragans même étaient considérés par ce monde ignorant comme jeux des puissances célestes, ou des démons, agents mystérieux mal définis, mais à la merci desquels la pauvre humanité était livrée par la volonté du bon Dieu. Et quand on était affolé par la peur, on croyait fermement que des prières pouvaient fléchir ces agents redoutables, comme aussi des invocations bien faites les mettre en œuvre. | Tout événement qui déroutait leurs petits calculs, tout sinistre, tout mal extraordinaire qui tombait sur les gens ou sur le bétail d’une maison était de provenance suspecte. Ca, ne s’expliquait pas; ça n’était pas naturel ; il devait y avoir quelque influence maligne en Jeu Une maladie typhoïdique ou charbonneuse se déclarait- elle dans une écurie ? On n’imputait pas cette calamité au manque d'hygiène, à l’agglomération des bêtes dans un local mal aéré, obscur, insuffisant ; ni à l’usage d'aliments avariés et de fourrages mal récoltés... non; on se souvenait seulement qu’un mendiant de mauvaise mine avait passé par là, qu'on l'avait renvoyé sans l’assister, qu’on l’avait entendu proférer quelque chose en s’en allant, des menaces bien sûr. Nul doute que ce mendiant, qu’on n’avait pas revu, n’eût jeté un sort sur la maison. Et la preuve, c’est que l’aération de l'écurie avait toujours été comme cela, et que cependant jamais, dans les années précédentes, une pareille maladie ne s’y était déclarée. On attribuait donc aux maléfices les influences morbides qui tombaient sur le bétail et quelquefois même sur les FRS — 385 — gens ; ce qui égarait la thérapeutique du temps en la mettant sur une piste radicalement fausse. Nos grands-pères, bien sûr, n'auraient pas fait poursuivre en justice comme adonné à ces pratiques diaboliques un voisin dont les champs auraient été drus, pendant que les champs des autres seraient restés maigres et clairsemés. Sous ce rapport ils étaient moins enfoncés dans le bourbier des superstitions que les romains du temps des rois ou que les paysans du xvi° siècle (). Ils ne lauraient pas dénoncé à la justice ; mais ils ne l’auraient pas vu d’un très bon œil, persuadés qu'il pourrait bien avoir eu avec le diable quelque accointance et des arrangements. x # * Imbus d'idées pareilles, nos pauvres gens n’employaient que des médecins et des artistes vétérinaires élevés à leur niveau scientifique. Un pâtre ou un bucheron illettré, sa- chant charmer, sachant faire comme il faut des signes de croix et marmotter des prières leur suffisait. Ils n'auraient pas compris, ils auraient même accueilli comme un mauvais plaisant celui qui leur aurait parlé (1) Un vieux paysan du Latium avait été traduit en justice par ses voi- sins, parce que ses récoltes étaient de belle venue, tandis que celles des autres n'avaient pas réussi. Il expliqua au juge que par son mode de cul- ture il avait évité que la semence se perdit, ce que les autres n'avaient pas fait. Et comme le juge était plus sensé que superstitieux, le paysan fut renvoyé sans dépens. © Un paisan de la Beausse avoit esté accusé en justice d’estre sorcier, » pource que ses brebis ne mouroient point, et toutes celles de ses voysins » périssoient. Surquoy estant interrogé devant les juges, il fist response que jamais il ne permettoit que son bestail sortist lorsque premièrement le soleil n’eust consommé la rosée, et que plusieurs petites bestioles qu’estoient sur les herbes ne fussent retirées dedans la terre; et dict que quelquefois il l’avoit déclaré à aucuns de ses voysins : ce qui fut trouvé vray, et fut absoult pour les raisons susdictes, etc, » (Amb, PARÉ, » » » » » Ciuvres, Paris, 1607, p. 827, 29 — 386 — d'hygiène, de miasmes, de ferments ; et conseillé plus de ventilation et de propreté. Eh ! lui auraient-ils crié : êtes-vous fou ? C’est justement un courant d'air qui a fait tousser nos vaches l’année dernière ; et c’est pour avoir été lavés que les feux du petit sont rentrés et que l’humeur s’est portée sur Les paysans de Broye n'auraient done accordé aucune créance au médecin des bêtes et des gens qui leur aurait fait entendre un langage vraiment scientifique. Un homme qui n’entre pas dans nos préjugés et nos croyances, quelquefois même dans nos passions, possède rarement notre confiance. En choquant nos idées, il déroute notre conscience et nous met toujours mal à l'aise. Les progrès moraux, quoique nous nous en vantions, ont été assez incertains, assez contestables même, pour qu’on ait pu, sans trop d’invraisemblance, soutenir cette thèse que les hommes sont toujours et partout les mêmes, que humanité est stationnaire, etc. Si les anciens Grecs et Romains croyaient le monde rempli de démons ou d’esprits répandus dans Pair, qui envoient les songes, qui sèment les maladies, cette croyance est bien encore celle du peuple dans les campagnes, et même à la ville. Il n’y a pas bien longtemps qu’on faisait encore dire à Broye la prière du loup, quand une bête était restée égarée dans la forêt. Dans toute la Franche-Comté on fait encore barrer com- munément les dartres® es’ brulures "les Aemrorses les ophthalmies, les maladies aphtheuses, etc. On ne croit plus aux revenants ; et pourtant on obtiendrait difficilement du premier venu qu’il s’aventurât la nuit sur un cimetière écarté, ou dans un tournant obscur où quel- qu'un serait mort quelques jours auparavant. | Il est certain que les superstitions propres au gémie des païens ne peuvent durer qu’à la condition de se modifier en — 381 — s’appropriant au génie de ceux quiles acceptent. Il y avait sûrement une fantaisie moins incorporelle, quelque chose de plus matériel et de plus grossier dans la croyance au monde des Faunes et des Satyres, que dans la conception idéale de nos fées, de nos dames blanches, voire de nos Æläs (D) plain- üfs qui symbolisent le remords. Nos magiciens et nos sorciers n'étaient pas malfaisants comme Médée; parce que l'esprit Gaulois répugne aux conceptions tragiques, ou qu’il n’y croit pas. L'église catholique, pénétrée elle-même de cette foi aux esprits, ne pouvait en débarrasser le monde. Elle à eu le tort cependant, avec ses exorcismes ridicules, quelquefois cruels et malfaisants, de donner un corps à la superstition. Après cela, elle ne pouvait pas faire autrement. Comme le soleil dissipe les ténèbres, de même l’instruction finira par avoir raison des entités chimériques et des fan- tasmagories inventées par la peur et transmises de siècle en siècle , en s’accommodant à lignorance particulière de chaque époque. RÉGIME ALIMENTAIRE. Les gens de Broye étaient dans des conditions d'hygiène exceptionnelle. | Ils avaient à peu près tout ce qu'il faut pour se porter bien. Les travaux de culture, qui se font au grand air, exigent beaucoup d'exercice et une certaine activité. Mais leur variété récrée l’esprit en même temps qu'elle tempère ce que la fatigue corporelle pourrait avoir d’excessif. (1) Un Kl@, en Franche-Comté, est la réapparition sur terre d’un voisin où d’un parent défunt retenu loin du paradis jusqu’au jour où une per- sonne amie aura réparé sa faute d’ici-bas, remis en place une borne, par exemple. Aussi, pour se débarrasser de ses obsessions, doit-on crier au revenant : là ! mairque, y boûnera, marque, et je remettrai la borne en place ! — 9388 — Si avec cela, un homme adonné à de pareils travaux était tempérant, il réaliserait mdubitablement le type de la bonne santé. Mais la tempérance leur faisait faute assez souvent. Leur régime ordinaire était misérable. Avant 1789, et longtemps après, on ne consommait à Broye que de la viande fraiche ou salée, mais surtout salée. Cette viande bouillie servait à assaisonner des légumes qui formaient le repas principal de la journée. On n’usait de vin et de viande de bœuf ou de mouton qu'aux grandes fêtes et dans des circonstances excep- tionnelles. Le pays produisait diverses céréales, du froment, du méteil, du seigle, de l'orge, etc. Le paysan ne consommait pour son usage à la maison que la graine de seigle et d'orge, rarement de méteil, — consé(l), — et, de préférence, la graine qui n'aurait pas été de vente. Le pain était un aliment de luxe. On n’en mangeait pas à tous les repas. Et encore voulait-on qu’il fût bien rassis (2). On le remplaçait par des substances plus grossières, plus viles, moins coûteuses. On préparait dans de grandes chaudières des bouillies de farine de millet, de maïs, des morceaux de potirons, etc, délayés avec de l’eau, un peu de sel et de lait. On faisait cuire des potées de gros légumes, de haricots, de fèves ou de pois avec un peu de graisse et du sel ; et on mangeait ces aliments à la poignée (3). On se nourrissait encore habituellement de crudités, pissenlits, ognons, salsifix, raves, etc., plus ou moins assai- sonnés de vinaigre et d'huile d’œillette non épurée. (1) Voir ce mot au Glossaire. (2) Prov. de Franche-Comté, p. 59 et suiv. (3) Voir le mot Bennons au Glossaire. — 389 — Oui ; mais on a beau se priver par raison d'économie et faire de nécessité vertu, le goût de la bonne chère n’en est pas détruit pour autant. Qu'une occasion se présente de le satisfaire, ce goût, sans blesser les convenances, on s’y laissera aller outre mesure. Quand on tuait le cochon gras pour le saler, on invitait ses parents, ses amis et ses bons voisins au boudin, c’est-à-dire aux trois ou quatre repas obligés qu’on donnait à l’occasion de cet événement, qui était une vraie fête de famille, On faisait à ces repas une bombance incroyable de viande de porc fraiche. Les plats défilaient sur la table, nombreux, énormes ; et ils étaient servis assez lentement pour permettre que chaque convive püt y revenir plusieurs fois. O sobriété du vieux temps !... Comment la vertu de nos vieux parents s’arrangeait-elle de ces infractions aux lois de la tempérance ? On peut être sûr en tout cas que leur santé s’en arrangeait fort mal. Après une Série dé ripailles successives, apres ces diners de boudin ou de tue-chien, après d’autres excès encore commis au carnaval, 1l n’était pas rare qu’un paysan robuste füt pris de froid et emporté par une phlegmasie catarrhale en quelques jours. La vertu, la tempérance de nos gens n'était au fond qu’une affaire de convenance et une question d'économie. * + * Leur régime de vie, misérable en somme, n'était pas fait pour affermir la santé générale. La capacité à digérer, les fonctions stomacales en un mot, ne constituent pas à elles seules la santé. Aussi les anciens, quoique digérant mieux que nous, présentaient une résis- — 990 — tance vitale moindre à l’assaut des causes morbides. En d’autres termes, nous sommes mieux organisés à présent pour réagir contre les causes de destruction, contre les in- fluences morbides qui ont sévi dans tous les temps. Quand une épidémie se déclarait autrefois dans le village, elle ne manquait pas d'y faire d’effravants ravages. Nous avons entendu dire souvent que malgré un genre de vie si contraire aux règles de l’hygiène, le peuple des cam- pagnes était vigoureux et bien portant. C'est invraisem- blable. « Les pauvres habitants de nos campagnes, dit l’anno- » tateur de Tourtelle, mangent rarement de la viande. À Ha » vérité, peu jouissent d’une bonne santé et atteignent le » terme ordinaire de la vie Il est vrai que lmmisère ete) » malpropreté dans lesquelles ils vivent, contribuent beau- » coup à l’état de cachexie dans lequel ils languissent » presque toujours (1). » SOINS DE PROPRETÉ. _. Mais en dehors des actes d’intempérance que nous avons rappelés, et qui étaient intermittents, nos paysans commet- taient d’autres écarts d'hygiène plus funeéstes encore, puisque ces écarts étaient de tous les jours. On ecrovait à la campagne que la plupart de nos maux, rhumes ou catarrhes, fluxions, pleurésies, etc., proviennent du froid ; et on avait recours à d’étranges pratiques pour s’en préserver. Ë On voulait que le logement füt bas, peu éclairé, à Pabri des vents, creusé dans le sol, comme un terrier; et où se confinaient bêtes et gens, dans des pièces, j'allais dire dans des écuries, hermétiquement closes. En un mot, au heu d’armer l’économie vivante contre les (1) Hygiène de TourTeLre, p. 206. (Note du professeur Hallé.) D — 939 — variations de la température, on la calfeutrait dans une atmosphère viciée et on la débilitait. Car en se privant d’air pur, on se rend frileux et, par surcroît, plus accessible à toutes les influences morbides. Le taudis des pauvres gens, qu’on ne lavait jamais, qu’on ne pouvait même pas laver, puisque l’aire en était faite d’ar- gile battue, ce taudis n’était balayé qu'une fois par semaine tout au plus, le dimanche matin. La propreté pour nos aïeux était une superfluité : Lai r’messe et le torchon Ne raipotant ran ai lai mâson! On n’était pas plus soigneux de sa personne que de son oulau. Il aurait été si facile en été de se baigner dans lOgnon ou dans la Saône dont les rives sablonneuses sont partout accessibles. Oui... mais la besogne commande ; et un laboureur n’a guère le temps de s'amuser dans la belle saison. Quant à se livrer chez soi à des ablutions corporelles, on ne le pouvait pas. Il aurait fallu pour cela avoir un cabinet de toilette, uné petite piêce où l’on püt se retirer. Et les pauvres gens n'avaient qu’une chambre où tout le monde se tenait, encombrée de lits, de l’armoire, des sièges, d’une table, sans compter les bahuts et fauteuil du grand’père. C’est à peine si l’on avait la latitude de s’y faire la barbe le dimanche avant la messe. Voilà pourquoi la propreté était un luxe que nos campa- gnards n'étaient pas en situation de se payer. D’üilleurs on avait peur des bains. D’après les idées du temps, les lavages n'étaient pas sans présenter quelques dangers. Les feux, les dartres, les boutons n’ont-ils pas une utilité évidente? Ne purifient-ils On crovait cela, et on craignait de les faire passer par d — 992 — lavages intempestifs. Et cette crainte chimérique était cause que Îles pauvres gens entretenaient soigneusement les affec- tions parasitaires qui ne vont pas sans altérer la santé et sans attrister le caractère. Il n’est pas douteux du reste que des habitudes de mal- propreté et de suppuration ne soient de nature à engendrer certaines formes de scrofule, et à enlaidir la race. Voyez comme des bêtes proprement tenues, bien soignées, bien bouchonnées et bien nourries ont meilleur aspect que les autres ! comme elles ont plus de vivacité et de gaieté! Ceci soit dit sans comparaison ; mais aux gens comme aux bêtes les bons soins procurent les attributs de la santé. x +» En général, nos laboureurs étaient d’une stature au dessous de la moyenne, un peu trapus, plutôt maigres ou bouïfis que gras. Le voisinage des prairies un peu marécageuses inondées souvent, exposait les habitants du pays à des engorgements de viscères, à des accès intermittents qui aggravaient cer- tainement chez eux les maladies courantes. Même sans compter les victimes de la variole, contre laquelle on n’avait pas encore de spécifique, il mourait beaucoup plus d'enfants qu'aujourd'hui, attendu que les accidents d’impaludisme sont funestes surtout dans le jeune âge. Vivant d'aliments grossiers, les paysans étaient lourds d'aspect ; l'intelligence ne rayonnait pas sur leur physio- nomie qui manquait le plus souvent d'expression. — 9393 — $ IX. — CONSCIENCE. LA MORALE UTILITAIRE. Comme nous l'avons vu, les aliments grossiers dont nos villageois se nourrissaient, leur genre de vie, leurs préoccu- pations matérielles, etc., tout cela n’était pas fait pour don- ner des ailes à leur pensée, ni pour agrandir leur horizon moral. L'éducation de famille les avait trop habitués à ne juger des. choses que d’après leur utilité; à ne voir dans les faits accomplis que le résultat et non la fin. Le terre à terre absorbait leur existence. Ils ne compre- naient rien à l’apostolat ou à l’esprit de propagande et de prosélytisme, rien non plus à la pratique de l’art pour l’art. IIS ne supposaient pas qu’on püût ainsi de gaîté de cœur travailler avec désintéressement et sans rétribution ferme à moraliser les autres, à enrichir les autres. La gymnastique morale à laquelle on soumettait les enfants du village n'était pas de nature à développer chez eux.le goût des distractions artistiques, ni à leur affiner les sens, à en faire des dilettanti, des jouisseurs. À Broye, en fait d'instruments de musique, on en est resté aux pipeaux rustiques, au roseau troué, au sifilet taillé dans une branche de saule, aux trompettes d’écorce de cou- der etc, à l'enfance de l'art... On n'y à jamais entendu que le violon de quelque aveugle de passage ou le cornet à _piston et la clarinette des musiciens venus pour faire danser aux noces et aux fêtes du village. Qui bien chante et qui bien danse Fait un métier qui peu avance. dit-on en commun proverbe. — 394 — L'art y est donc considéré comme une amusette et non comme une occupation sérieuse. On s’y contente des beaux chants d'église. Tout chez eux était servilement conduit et préparé, parce que tout semble avoir été combiné pour les vouer à une ser- vitude perpétuelle. Dès le bas âge, on élevait les enfants avec une sévérité quasi monacale; et leur nature, fût-elle généreuse, était bien obligée de prendre l'empreinte du moule où on la coulait: elle ne pouvait manquer d’être refoulée ou dévoyée. Ainsi dressé à l’obéissance et forcé même de reconnaitre la nécessité et les avantages pratiques de la soumission, Pévidence induisait le campagnard à conclure que la vie du terre à terre, des humiliations et des aplatissements, était encore la plus sûre et partant la plus sage. On sentait là l’influence directrice des pères spirituels dans l’éducation des enfants, et l’action réfrigérante du cé- libat. a Les gens sans enfants ont beau être affectueux et bons, ils ne le sont jamais autant qu'ils lPauraient été s'ils avaient eu de la progéniture. En d’autres termes, la paternité et la maternité surtout, font naître une sentimentalité nouvelle, inconnue de ceux qui n'ont pas d'enfants. Dans ces sortes de questions, je nie qu’un céhbataire, quelque soit le caractère dont il est revêtu, puisse en par- faite connaissance de cause contrôler ce que je dis. Moralement, 1l n’est pas complet. Il lui manque toujours, pour dresser les hommes, quelque chose, comme à l’eu- nuque pour en engendrer. Et s’il a la haute main sur l’édu- cation des enfants, rarement la chose tourne à bien. Ces enfants seront élevés sans cette bonne affection ma- ternelle qui réchauffe le cœur; ils manqueront des senti- ments les plus propres à leur inculquer lesprit de sacrifice quesStilé lond' dela piété filiale et de toutes les vertus. Un célibataire ne peut pas donner ce qu'il n’a pas. AMOUR-PROPRE. Les pauvres mainmortables de Brove étaient dans des conditions de vie trop précaires pour avoir la conscience haut placée. En quoi faisaient-ils consister le sentiment de leur dignité personnelle ? Car c’est là le premier jet de la conscience. Ils se faisaient gloire d’être mieux pourvus physiquement que les autres ; de paraître plus forts ou mieux portants ; mais non d'être plus justes ou meilleurs, ni même plus riches... Car ils avaient des raisons particulières pour ne pas sc targuer d’être riches. [ls en avaient même de se déclarer plus pauvres qu'ils ne Pétaient véritablement, la. fiscalité guettant sa proie. | Ils ne considéraient comme honorables que les occupa- tions se rapportant au labourage, comme les travaux des champs et les soins donnés au bétail, où une certaine force physique et aœuelque adresse sont indispensables. _ Suivant eux, la besogne du ménage, aussi bien que la tenue d’un magasin, ne pouvait convenir qu'à une femme ou à des êtres débiles. Un vrai laboureur se serait exposé aux moqueries de ses voisins, et il aurait été montré au doigt s’il avait été vu pétrissant de la pâte, chauffant le four, tirant les vaches, surveillant sa marmite et son fricot : tout cela, c'était l'affaire des ménagères. IE aurait certes mieux aimé ne rien faire et se chauffer au coin du feu que se livrer à des travaux pa- reils, réputés avilissants pour un laboureur. Aussi méprisait-il les gems à vie sédentaire, les artisans qui travaillent en chambre, comme les tailleurs, les cordon- niers, les tisserands, et même ces désœuvrés de maitres d'école qui n'étaient bons qu’à faire des paresseux. | — 396 — Il était fier aussi d’avoir une bonne fressure (1), c’est-à-dire de bons poumons, et un estomac à digérer des cailloux. Il était, partant, glorieux de mieux boire et de mieux se tenir à table que les autres. Et si l’un des convives vomissait après avoir trop bu : ce n’est pas un homme, disait-on, c’est un estomac de papier mâché ! Il n’a pas de cœur (2)! Dans leurs légendes et dans leurs contes de veillées, ils se com- plaisaient à glorifier la force. [ls semblaient n'avoir d’admi- ration que pour les personnages rusés et adroits, que pour les hercules qui tranchent les montagnes, ou les magiciens qui changent les ronds de carottes en louis d’or... Îl faut reconnaître qu’à cet égard nos villageois d’aujour- d'hui ont un peu changé à leur avantage. Leur amour- propre a des objectifs plus relevés. JUSTICE. Les sentiments d’amour-propre sont les premiers degrés de la conscience humaine ; les idées de justice en sont les seconds. | Nos laboureurs avaient du juste une notion assez rudi- mentaire. Ils admettaient encore comme règle d'équité et de justice l'application du talion. Que l'ai fà, fà hi, qu'ment ditil’ousé ; ce qu'il t'a fait, fais lui, comme dit l'oiseau. C’était une de leurs maximes. Rends à tes ennemis la pareille. Et cette conception fausse les indui- saient à faire comme les autres, c’est-à-dire à s’arroger les droits dont leurs voisins s'étaient saisis indüment. Ils se croyaient suffisamment autorisés par le bon comme par le mauvais exemple... Les autres fourrageaient dans les bois (1) Voir ce mot au Glossaire. (2) Cœur ou pansurot, ventricule. Avoir mal au cœur, c’est avoir envie de vomir. — 397 — de la commune ? On aurait été bien bête de n’en pas faire autant ! PoOvetutja, [à li, En 1839, le conseil municipal de Broye-lez-Pesmes, appliquait cette singulière règle de con- duite aux incendiés de Vaux qui demandaient un secours à la commune. La délibération porte que la commune de Vaux, n'ayant rien accordé aux incendiés de Broye, en 4825, Broye rejetait la demande qu'on lui adressait pour ceux de Vaux. On n'était pas juste à l'égard des faibles et des infirmes dans la communion desquels on vivait. On invoquait contre eux une égalité toute judaïque, mettant sur un des plateaux de la balance tout ce qu’on avait donné en force, en pro- duits matériels, en activité physique ; et ne mettant pas sur Pautre l’apport moral des êtres chétifs, ce qu'ils avaient pu donner en bien-être, en gaieté, en dévouement et en soins affectueux. On faisait cela et on aurait voulu que la balance ne penchât ni d’un côté ni de l’autre. Cette manière de comprendre et d'appliquer la Justice est indigne. Ce n’est pas de la justice, ce n’en est que l'apparence. La justice consiste quelquefois à donner plus à celui qui parait rapporter moins. HUMANITÉ. La plus haute expression de la conscience humaine est la sentimentalité qui nous apparaît tout juste comme le con- traire de l’égoïsme. C’est cette sentimentalité qui nous fait vivre en dehors de nous-mêmes, qui nous fait aimer les autres plus que nous-mêmes. Faculté morale si remarquable et si caractéristique de l’espèce humaine, qu’on l’a appelée humanité. La conscience de nos ancêtres n’atteignait pas souvent ce niveau sentimental. Nous sommes bien forcés de convenir, en effet, que cette conscience n’était pas souvent inspirée — 398 — par lPesprit daltruisme, en vertu duquel un homme supé- rieur, un homme digne de respect, pense aux autres avant. que de penser à lui-même. Ils étaient charitables. Mais leur charité procédait rare- ment d’un élan du cœur vers le sacrifice. Elle leur était le plus souvent inspirée et en quelque sorte arrachée à la vue d’une misère poignante, à l’audition d’un malheur ou d’une calamité qui les impressionnait. Parfois aussi, elle n’était qu’un acte de superstition. On faisait l’aumône pour l’amour de Dieu, en vue de mériter la récompense éternelle et d'éviter parfois les châtiments dont sont frappés les mauvais cœurs. Leur charité n'allait pas tant au bien public qu’à leur bien propre. Les maux physiques du reste les touchaient beaucoup plus que les peines morales. Leur commisération ne s’étendait pas aux douleurs muettes ; et si un infortuné était trop dis- cret pour se plaindre, on ne Passistait pas. Nos gens entendaient que le malheureux fût un men- diant et qu'il s’avilit. Il n’y avait ni grandeur ni délicatesse dans leurs procédés de bienfaisance ; et parfois même leur grossièreté était tout à fait ignoble. Les êtres dégradés, les aliénés, les boîteux, les bossus, etc., tous les infirmes étaient pour eux un objet de raillerie quand ils les rencontraient. Chose monstrueuse ! On faisait écrire chaque année la liste des hommes du village qu’on savait trompés par leur femme ; et cette liste leur était envoyée à tous, individuel- lement, le jour de la fète de saint Joseph. Cet usage, qui florissait encore en 1840, dénote un manque absolu de sens moral chez les paysans du bon vieux temps. À cet égard encore, 1l semble que nos mœurs soient en réel progrès. sir — 399 — Disons, pour terminer, que le système de sévérité em- ployé autrefois dans l’éducation des jeunes gens, que les principes de rigorisme et de compression mis en usage, n'étaient guère propres à faire des hommes indépendants, des hommes de vraie liberté, ni à les rendre simplement bons et affectueux. Les paysans du vieux temps étaient façonnés à la vertu comme un chien l’est aux exercices de la parade. SX. — PÉRIODE MODERNE. SCEPTICISME DES VILLAGEOIS. Il y a juste cent ans que l’Assemblée nationale fit table rase des droits féodaux, abolissant dans une nuit les dimes, redevances et servitudes auxquelies nos pauvres mainmor- tables de Broye étaient soumis. Une révolution aussi bienfaisante ne pouvait manquer d’être accueillie avec satisfaction et reconnaissance par ceux qu’elle intéressait particulièrement. Et cependant elle leur causa peut-être encore plus d’éton- nement que de joie. On fut longtemps à se faire à l’idée que c’en était fini et bien fini du régime des seigneurs. On s’as- Sociait, en apparence, aux solennités et aux fêtes nationales que le gouvernement prescrivait à l’occasion de chaque évé- nement un peu mémorable ; mais on s’y associait avec cette arrière-pensée que la bourrasque politique du moment au- rait un retour, qu'une réaction inévitable se produirait, etc. On était donc assez peu enthousiaste, on voulait voir venir, comme on dit. D'ailleurs, si le cens avait été aboli, si les droits curiaux et seigneuriaux avaient été supprimés, d’autres charges fis- — 00 — cales, au moins aussi lourdes, étaient imposées aux contri- buables. Payer les tailles à un percepteur de l'Etat ou bien les payer à un intendant de seigneurie, où était la diffé- rence ? — La différence était en ceci, observerez-vous, que le produit des tailles se dépensait pour la satisfaction et le plaisir des grands, tandis qu'à présent 1l allait être employé à faire marcher les services publics. — Oui, mais ces services publics pour lesquels ils payaïient, les gens de Broye n’en profitaient guère. [ls manquaient de ponts ; leurs chemins vicinaux étaient mal entretenus. Puis, ils avaient toujours, sous le nom plus moderne d'agents forestiers, des officiers de Gruerie pour les tracasser et les empêcher d'exploiter leur bois, d'y faucher l’herbe, d'y conduire leurs bestiaux, etc. Ils étaient donc à se demander si la Révolution avait été bonne à Eee chose. Il y avait des sceptiques. Il y avait aussi des impatients ou des caractères aigris, pour qui les réformes n’allaient pas assez vite. Ces divergences d'esprit économique, ou, si l’on aime mieux, de sentiments politiques, ne devaient pas tarder à se faire jour. Quand il fut question de célébrer un service funèbre à. Broye, en l’honneur de Mirabeau, le maire refusa de donner la caisse au commandant de la milice nationale, Jos. Lefranc, et s’abstint, lui et ses amis, d’assister à la cérémonie qui eut lieu quand même. Un procès-verbal de cette cérémonie fut dressé ; mais il ne put être inséré aux actes de la commune, à cause du mauvais vouloir du secrétaire-greffier qui s'était absenté avec les mécontents du conseil. Mais ces divisions intestines ont dû être les mêmes dans toutes les communes. Elles ont eu finalement ce résultat avantageux, que chaque parti, pour agir sur l’opinion, a dû s’efforcer, sinon d'accomplir, du moins de proposer des amélorations locales. — AO! — Ce serait trop long, mais fort amusant de descendre dans tous les détails des luttes politiques qui se sont poursuivies sur un aussi petit théâtre. AMÉLIORATIONS LOCALES. Les choses marchaient quand même vers le mieux. On voyait peu à peu circuler plus d'argent qu'autrefois; la consommation des villes devenait plus active, le peuple des campagnes vendait mieux son bétail et ses denrées. Le village de Broye, qui comptait déjà 600 âmes en l’an IT, atteignit le chiffre de 700 dix ans après. Plus tard la prospérité du pays fut encore accrue par une source assez inattendue. Sous la Restauration, le Trésor payait la somme de 11,500 francs à 23 militaires pensionnés, mis à la retraite ou à la réforme, en résidence à Broye (. Les 11,500 francs encaissés par 23 chefs de famille ne lais- saient pas de profiter au pays; ils s’y dépensaient ou s’y mettaient à l'épargne. Peu à peu les vastes masures de chaume, abritant quatre ou cinq ménages, firent place à des maisons plus confor- tables, couvertes de tuiles, mieux éclairées et séparées les unes des autres ; parce que chacun voulut avoir sa demeure exempte de servitudes et de mitoyennetés. Les rues étaient « fangeuses et aquatiques », suivant les termes d’une délibération de 1826. On les empierra et on les élargit en les bordant de rigoles pavées. On en fit, en un mot, des rues vraiment superbes. On répara et on rendit praticable aux voitures l’unique chemin vicinal qu'on possédait et qui menait à Pesmes, chef-lieu du canton. (4) Ces vingt-trois pensionnés comprenaient un chef de bataillon, deux capitaines, quatre lieutenants et sous-lieutenants, sept sous-officiers et neuf caporaux ou simples soldats. Actuellement il n'existe pas à Broye un seu pensionnaire de l'Etat. 26 — 102 — Plus tard encore on fit quelques prestations sur un autre chemin de défrichement qui allait d’Aubigney sur Gray et Valay. Ces améliorations de voirie en facilitant les relations de voisinage, favorisèrent un peu le commerce local. * MIT Pendant que ces changements se produisaient l’un après l'autre, d’autres progrès s’opéraient dans les esprits et aussi dans les procédés économiques. La routine était battue en brêche par des observations que précisément les habitudes de libre discussion favorisaient. Et il s’en suivit une émula- tion extraordinaire pour tout ce qui a rapport à la culture. C'était à qui aurait les plus belles récoltes ! À qui l'écurie la mieux entretenue | Aujourd’hui, Broye possède une proie rouge d'environ 100 têtes de gros bétail, et bien que le sol y soit en général médiocre, le rendement des terres est considérable. Le vil- lage a un excédent de production moyenne en blé, de plus de 800 hectolitres. On ne cultive plus guère de méteil ; pendant que la cul- ture du seigle est conservée à cause de la paille qui sert à façonner des glus dont le commerce est assez recherché. LES LABOUREURS D’AUJOURD'HUI. Je professe à l’égard de mes compatriotes une estime trop admirative pour ne pas suspecter l'expression d’un pareil sentiment. C’est pourquoi, dans l’examen auquel je vais me livrer sur le caractère de nos gens, j'emprunterai d’abord les appréciations d’un étranger, d’un homme né dans un autre village, mais qui a vécu à Broye, qui est bien placé pour voir et pour comparer. Ces appréciations ne sau- raient être récusées. — 405 — M. Charpillet, instituteur communal, a fourni l’année der- mère à l'inspection Académique de la Haute-Saône, un tra- vail assez étendu sur Broye. Je copie: C. La population, dit-1l, s'y distingue par de » rares habitudes de travail. L'agriculture est à peu près » son occupation exclusive. Elle s’y livre avec ardeur et » n'économise pas ses bras. Sous ce rapport elle peut ser- » vir d'exemple. Ce qui lui fait honneur surtout, c’est son » attachement au pays natal et à la vie des champs. L’émi- » gration que l’on combat ailleurs est inconnue à Broye. La » ville et les emplois publics y recrutent peu. Le fils y suc- » cède à son père; et ses occupations lui procurent toujours » le nécessaire et souvent l’aisance. Cela, avec la liberté, » suffit à son ambition... » Voilà qui est Pexacte vérité. Le village est resté ce qu’il était jadis, une colonie abso- lument agricole. On naît où l’on devient laboureur, et labou- reur on reste. Comme il n'existe au pays ni couvent, ni château, ni fabrique ou usine, on n'y connait pas la mendicité n1 la domes- ticité servile, ni le travail débilitant et souvent avilissant de latelier. Chacun y cultive ses champs, et, par esprit de fierté et d'indépendance, personne ne voudrait aliéner sa liberté pour se rendre le serviteur ou l’homme lige de qui que ce soit. Après 1830, la forge de Pesmes expédiait sur la Saône beaucoup de gueuses et de fer en barre, pour de là ces mar- chandises être expédiées par bateaux sur différents points. Les transports de Pesmes au port Saint-Pierre, assez bien rémunérés, transitant par Broye, il était naturel qu’ils fus- sent effectués par les voituriers de l'endroit. Or, nos labou- reurs ont toujours préféré laisser faire ce voiturage par ceux d'Aubigney et de Sauvigney, estimant qu’il ne faut pas ré- pandre par les grands chemins un fumier dont la terre a si grand besoin. Puis, d’ailleurs, à charrier tout n’est pas — A04 — profit ; on néglige le travail des champs qui n’admet pas les atermoiements ; et quand on a tout bien compté, le coût du maréchal et du charron, on s’aperçoit que le train mange le train. Ils se livrent donc à la culture sans partage. k EX. Toutes les maisons du village et leurs dépendances sont appropriées en vue des aisances agricoles. C’est dire que l'agrément en est exclu. Ecurie, remises, grenier occupent plus des trois quarts des bâtiments. On n’y sacrifie rien au luxe. Cependant, depuis quelques années, les propriétaires les plus riches ont fait élever sur rue de beaux murs surmontés d’une grille pour enclore leur devant de maison. Espérons qu’on en viendra prochainement à des clôtures moins coû- teuses et plus pittoresques de charmille, de lilas et de ché- vrefeuille. * x * À Broye, on ne connaît pas la domesticité servile. Les gens à gages ou en service, domestiques, valets, serviteurs ou servantes, qu'on les appelle comme on voudra, ne rap- pellent en rien la valetaille qui se façonne dans les maisons bourgeoises. [ls sont considérés comme des membres de la famille, comme des aides et des compagnons, et ils rsneont à la table commune ; car Qui ne mange pas à la table Mange à l’étable....... *k x + « S'il y a des pauvres gens à Broye, dit M. Charpillet, il » n’y a pas d’indigents. Chacun a son toit et quelques sillons — À05 — » qu'il fait produire ». La mendicité n’y est pratiquée que par les pauvres des pays voisins. Presque tous les épiciers, meuniers, marchands et auber- gistes du village sont encore des étrangers qui sont venus s’y fixer et dont les descendants, par une sorte de contagion, prendront le goût du labourage, goût caractéristique de notre vaillante population. * * * Chez nous, comme lobservait M. Charpillet, on ne s’expatrie pas. On ne quitte pas son pays pour devenir en ville garde de police ou cocher de bonne maison. Non; un attrait irrésistible nous rappelle au village où nous avons vécu sainement dans une sorte de familiarité générale, indépendante, avec des mœurs simples et un profond sentiment du droit qu’on a d’être maitre chez soi et d'y vivre à sa guise. C’est pourquoi nos jeunes gens, revenus du régiment, rentrent chez eux tous pour reprendre la queue de la charrue. Et pourtant je ne crois pas qu’à l’armée on ait des recrues plus intelligentes et faisant un meilleur service que celles de Broye. En effet, quand on a été formé aux vertus champêtres par l'exemple de ses parents ; quand on a con- iracté dès le bas âge des habitudes de sobriété, l’esprit d'économie et lamour du travail, on ne saurait être qu’un soldat modèle et qu’un bon citoyen. k *# * Sans compter qu'avec ces vertus-là, on n’est Jamais pauvre. La crise agricole passe presque inaperçue à Broye-lez- Pesmes (1)... Et les crises politiques, ajouterons nous, n’ont (1) M. CHARPILLET, manuscrit cité, — 06 — jamais agité le pays qu'à la surface. Elles ont servi plus ou moins à masquer des jalousies ou des animosités person- nelles ; mais elles ont laissé la masse des paysans assez indifférente en somme. Car, république ou monarchie, ne faut-il pas des sacrifices et de la subordination sous n’im- porte quel régime ? k # * On cultive peu, on ne cultive même pas du tout les beaux arts à Broye-lez-Pesmes. À cet égard, on a des idées fausses parce qu’elles sont exagérées. On croit que la peinture n’est propre qu'à distrare les riches et les désæuvrés ; et la musique, qu’à faire danser. En dehors des chants d'église et de quelques chansons grivoises ou patriotiques, on ne connait que les airs de bastringue popularisés à l’occasion d’une noce ou de la fête patronale par les ménétriers, cornistes et joueurs de cela- rinette, artistes venus de Pesmes.... Car je ne sache pas qu’à Broye il y ait un seul instrumentiste. Ilest évident qu'un grand musicien ne saurait se déve- lopper dans un pareil milieu. Le village n’a vu naître aucune célébrité artistique, aucun grand écrivain, aucun homme de guerre fameux ; mais une multitude de braves gens dont quelques personnes fort recommandables. Claude Hubert et François Govor (1712-1714), deux frères dont l’un, chanoine de Comines, fut professeur de rhétorique au collège de Lille en Flandre; et dont l’autre, cordelier, docteur en Sorbonne, devint procureur général de son ordre et cordon-bleu de l’ordre du Saint-Esprit. Ce dernier mourut à Sellières (Jura) dans le couvent des Cordeliers. Des trois sœurs OUDIN, filles de la charité, nées dans les dernières années du xvin® siècle à Broye-lez-Pesmes, l’une mourut supérieure de l’hôpital de Mézières; l’autre, de l'hôpital de Sedan; la troisième, de l’hôpital de Corbeil. — À07 —. « Devant la grande croix centrale du cimetière de Corbeil, » se trouve un monument où est gravée l'inscription sui- >érarnte:t(CY IGIT JEANNE PIERRE OUDIN, FILLE DE LA » CHARITÉ , NÉE A BROYES-LEZ-PESMES (Haute-Saône), » DÉCÉDÉE SUPÉRIEURE DE L'HOPITAL DE CETTE VILLE LE » 6 AVRIL 1851, AGÉE DE 70 ANS DONT 49 DE VOCATION » CONSACRÉS AUX MALADES. ».... Une vie entièrement consacrée à l'humanité souf- » frante, dont chaque Jour a été employé au secours du » pauvre, qui s’est éteinte calme et sereine, comme elle » avait été simple et modeste, au miheu de ceux qu'elle » avait assistés depuis 39 ans à Corbeil... Une pareille v'e » a droit aux respects, aux regrets sincères de toute [a » population à quelque classe qu'elle appartienne..….. deuil » public... La sœur Oudin fit ses débuts à Corbeil en 1814, » au moment où la bataille de Montereau nous envoyait son » déplorable tribut. On la vit prodiguer, ete (4). » Broye fut aussi la patrie de François Perron, qui fut pro- fesseur au collège de Nancy ; puis, plus tard, professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Besançon, et long- temps secrétaire perpétuel de l'Académie, où il faisait des rapports brillants et faciles, et pour ainsi dire improvisés. Il fut sous l’Empire chef de division au ministère d'Etat, directeur du journal l'International, créateur des assurances agricoles, directeur et fondateur du Petit Caporal, etc. Fran- çois Perron, né en 1804, mourut à Paris en 1875. x * x L'étude plus sociologique qu'historique que nous con- sacrons à une comuiune absolument livrée au travail des champs prouve une fois de plus que l’agriculture est la plus saine et la plus morale des professions. (1) Note communiquée par M. Govyot-Briot. — A08 — S XI. — LE PATOIS DE BROVE-LEZ-PESMES. DE NOS PATOIS CONFUS PROCÉDENT LES LANGUES ÉCRITES, COMME DE CELLES-CI DEVRA PROCÉDER LA LANGUE UNIVER- SELLE. Dans les pays voisins on taquine volontiers les gens de Broye au sujet de leur patois qui est moins mélodique que celui des villages de Bourgogne, mais aussi moins lourd et moins trainant, moins chargé de diphthongues que celui des villages de ‘Franche-Comté ; et on leur jette en passant par moquerie, cette phrase de leur vocabulaire: Aipoté l’totot, l’virot, lai coude !.. Le totot, le virot et la corde sont toutes les pièces de lappareil nécessaire pour serrer une voiture de foin. : Je me figure qu'à Broye, localité essentiellement agricole, qui s’est toujours complu dans la routine, dont la population n’a jamais été exterminée à fond ni par conséquent renou- velée, dont les croyances, les coutumes, les usages n’ont presque pas varié depuis deux mille ans ; je me figure, dis-je, que le langage n’a dû y subir que peu de transformations, et qu'il y à conservé son originalité, au moins dans la dési- gnation nominale des choses vulgaires et des objets les plus usuels aussi bien que dans ses éléments constitutifs et sa syntaxe. Quand les Grammairiens , exclusivement préoccupés qu'ils étaient des langues écrites, ont daigné examiner d’un peu près les patois, ils ont été bien vite frappés de laffinité et des ressemblances qui existaient entre les mots de tous les idiômes parlés pour désigner les mêmes objets ; et ils n’ont pas manqué de proclamer que ces mots étaient — 409 — d’origine grecque ou latine ; que n& par exemple venait de nasus, et que frut et lenne ne pouvaient qu'être une variante des termes latins fructus et luna. Et cette manière de voir était d'autant plus spécieuse que les mots luna, fructus et nasus étaient déjà employés chez les Romains au temps des douze tables... — Eh bien; et nd? et frut ?...…. pourquoi ces mots n’auraient-ils pas été employés chez les Geltes à la même époque ? — Rien ne le prouve, puisque aucun texte écrit n’en fait mention... | — Jen conviens. Mais à défaut de textes imprimés ou manuscrits, le bon sens nous indique que bien avant l’in- vasion des Romains dans la Gaule, on y récoltait des fruits ; on y voyait la lune et les étoiles, et les Celtes comme les . Romains devaient être pourvus d’un appendice nasal, d’yeux et d'oreilles !.. Et sans doute qu'ils avaient aussi des vocables pour désigner tout cela ! Or, Je ne vois pas bien pourquoi étant en possession d’un langage traditionnel, adapté à ses besoins et à sa civilisation, les Gaulois l’auraient changé pour en prendre un autre, eux qui étaient par nature si fortement attachés à leurs habitudes et si fiers de leurs traditions. À priori, il parait donc vraisemblable que la population de chaque pays a dû conserver une bonne part des éléments et des formes primitives de son langage, à moins que le pays n'ait été saccagé et détruit de fond en comble. x + + Une horde qui s’installait dans une contrée veuve de ses habitants devait nécessairement y apporter avec elle son idiome, en même temps que ses traditions et ses mœurs ; cela va de soi. Il n’y a pas de doute par exemple, comme l’a dit Fallot, que les Celtes, en envahissant la haute Italie — MO — plusieurs siècles avant l’ère chrétienne et en refoulant les colonies d'Ibères et de Ligures vers les deux Siciles, n'aient importé dans la Cisalpine leur jargon, leur patois, qui était plus ou moins celui des Arvernes, des Eduens et des Séquanais. Cela devait être, ou la vérité historique n'aurait aucune vraisemblance. Et cependant l’élément indigène vaincu, refoulé et dis- persé, était resté encore si vivace, qu’il a fini par imposer son ancien idiome, ses formes, ses accents, aux enva- hisseurs. Comment admettre, après le fait historique que nous citons, que des conquérants de passage dans la Gaule, comme l’ont été les Romains, aient imposé si facilement leur langue aux peuples qu'ils avaient vaincus ?... Jamais ces peuples n'avaient pu uniformiser les différents dialectes de leurs tribus, qui ne se comprenaient pas de l’une à l’autre ; et l’on voudrait qu'il eût suffi d’une occupation temporaire des citadelles et des bourgs de quelques points de leur vaste territoire, pour changer radicalement leur idiome ?.. Est-ce admissible ?.… Ce serait en tout cas un miracle qu'on n'aurait plus jamais revu. k + * Non, cen’est pas quand un peuple occupe simplement les cités principales d’un grand pays qu'il peut y implanter sa langue, changer les mots techniques en usage dans ce pays, y faire oublier le nom des choses et des objets qui y existaient auparavant. A moins donc qu'elle n'ait complétement disparu et pour si peu qu'il en reste, la race autochtone ne perdra pas faci- lement les expressions qui lui sont familières et qu’elle tient de ses pères, ni les constructions spéciales de sa grammaire. Il y aura des échanges entre le vainqueur et le vaincu ; des ustensiles et même des usages seront empruntés de Pun à — AL — l’autre, qui nécessiteront des vocables nouveaux. Mais les objets dont les colons anciens continueront à se servir ; mais les vieux procédés retenus, les vieilles croyances, les produits du sol, les lieux dits, etc., tout cela aura chance de conserver sa dénomination connue et de garder la situation acquise. Gela même ne pourrait pas se faire autrement, l’étranger ne pouvant dénommer que ce qu’il connait. On fait observer que le latin étant devenu la langue reli- gieuse du pays, a dû nécessairement introduire beaucoup de mots dans nos vocabulaires..…. Mais les pauvres gens qui l’ont entendu chanter dans nos églises pendant des siècles n’y ont Jamais rien compris. fs n’ont pas dû par conséquent y faire de bien larges emprunts pour enrichir leur langue maternelle. Le clergé a certainement plus latinisé de vieux mots patois en les affublant d’une terminaison en us ou en UM quil n’a procuré de mots latins au langage vulgaire. Nous avons moins reçu que donné. Est-ce que nous n'avons pas imposé à lItalie l’article qui simplifie si fort les déclinaisons ? … Est-ce que nous n'avons pas imposé pareillement nos constructions de phrases si régulières, si méthodiques, si opposées aux amphibologies ? Et les pronoms ? Les patois ne sont donc pas des dérivés du latin. IIS sont bien des idiomes primitifs, et dans toute la force du terme des langues mères dont les langues savantes dérivent assurément. Cest donc avec ce qui nous reste du patois que nous pourrons retrouver l’étymologie d’une foule de mots au sujet desquels la philologie est dans fa nuit. La recherche des origines des mots devient de plus en plus difficile avec la disparition des patois. Quelquefois un phénomène observé, un fait physique quelconque aura été le point de départ d’une série de mots — M2 — composés pour désigner des actions ou des choses qui s’y rapportent de près ou de loin. Or, il peut se faire que ce phénomène ait disparu ou soit oublié, et que les composés qui en dérivent soient conservés. Par exemple, le mot fretu — linge de corps — n’a plus cours depuis longtemps ; quoique le mot enfretoillie qui lui doit son origine soit encore employé assez souvent. | Ainsi encore, bretu — rapière — ne se dit plus; mais le mot bretelle nous est resté pour désigner ce qui soutenait la rapière. Cest souvent dans ces radicaux oubliés où peu connus qu'on retrouvera la clef de plus d’une étymologie. | Demandez à nos lexicographes d’où provient le mot d’éblouissement ? Ils vous répondront qu’il vient d’éblouir. — Et éblouir? — Ouvrons Littré: «... es, préfixe, et un » radical qui est aussi dans le provençal em-blauzir, » étonner, d’origine incertaine. On a proposé bleu : faire » bleu devant les yeux. Il est certain qu’au xIv° siècle, on a » dit es-bleuir. Mais Diez objecte que bleu, de l'allemand » blau, n'aurait pas pris un z en provençal pour éviter un » hiatus, — et en effet, blaveuc, blaveza, etc., dérivés de » blau, et non pas blauzeuc, blauzeza, etc. Il se range donc » de lPavis de Grandgagnage qui indique l’ancien haut » allemand blôdi, interdit, incertain. V aurait-11 deux >» thèmes, GLEN. 20 | Il est clair que Grandgagnage, Diez, Littré, et tutti quanli n’y ont vu que du bleu. Un paysan de Broye un peu avisé vous dira: abloui, être abloui, bien sûr c’est quand on a les abluottes ! — Abluottes que signifie? — Eh! oui; avoir les abluottes, c’est voir trente-six chandelles, comme si des aplues vous dansaient, devant les yeux! — Et ces aplues, qu'est-ce encore ? — On appelle aplues chez nous les particules de fer incandescent, les étincelles qui jaillissent sous le marteau du forgeron. D’aplues ou d’aiplues, comme on dit à Besançon, sont — A15 — issues les aibluottes ; et d'aibluottes à éblouir il n’y a qu'un pas. Un autre exemple encore : cherchez dans les dictionnaires l’étymologie du mot breloque, vous trouverez que « breloque » est formé par une particule péjorative, — bre ou ber, — » et par le mot loque, qui viendrait du haut allemand Loc, » chose pendante....» Mais c’est chercher midi à quatorze heures. Une breloque est une machine dont l’intérieur est dé- traqué, dont le mouvement ñe vit plus, qui loque ou ber- loque comme un œuf dont le germe à demi formé est mort dans la coquille. (Voir le mot loquai). * : # Ce qui prouve bien, comme l’a dit notre compatriote Bullet dans ses éléments primitifs des langues, que pour faire l'analyse du français il faut attendre que nous ayons des dictionnaires de tous les patois de nos provinces. — M4 — GLOSSAIRE À. Abanaïie, adj. fém. Se dit d’une porte ouverte. Littéralement elle est banale, c’est un passage public. Aboilli, s’aboilli, s'étonner, être étonné. N'est guère employé qu’à la dre personne du singulier. 1 m'aboilli voue si è vinrant : je me demande vraiment s'ils oseront venir! On fait souvent précéder ce mot des accentuations bin ou pas mau. I seroue bin aboïlli, si... 1 ne seu pas mau aboilli que..! Abluottes, s. f. pl. Se dit aussi abrelues; aivoi las abrelues, être ébloui, étourdi. (Voir Aplues.) Abroussures, s. f. pl. Menus débris, sommités élaguées des haies. Abrugnai, charbonné. Le brun est le charbon des grains, l’ergot. Acampourai, v. a. Répandre du fumier, étendre des herbes, du foin, etc. Acheille, s. f. Eclat de bois piquant, esquille, épine quel- conque qui s'introduit sous la peau. Echaille (Besançon), écharde (français). Achemeé, s. m., le dessous du corps d’essieu du derrière d’une voiture sur lequel s’implante les ranches. Achemé, s. m., bois en double équerre ou en arc qui soutient les bandes d’une barque et les empêche de se rapprocher ou de fléchir. Etymologie : arche ou airchot et mé, arc ou arçon du milieu. ; Acherbots, s. m. pl. Mâcres. Echarbot, dit Littré, est le nom. vuigaire de la châtaigne d’eau ou trape nageante. C’est un fruit très commun dans la vieille Saône. On le mange euit dans l’eau un peu assaisonné de sel, comme la châtaigne ordinaire. — M5 — Achaulons, s. m. pl. Noix. Acofiai, v. a., écraser, aplatir dans sa cofieu. (Voir ce mot.) Acoure, v. à., battre au fléau. D’où le français écosser, excu- tere. L’acoussou, c’est le fléau; un acousseré, c’est un batteur en grange. Acressi, s. m. Se dit d’un enfant chétif et malingre; et aussi d’une personne très maigre, petite et ratatinée. Acrigneule-aiguesse, s. f., pie-grièche. Dans le patois de Be- sançon, cet oiseau s'appelle lai creuilloure. Acrousai, v. a., écraser dans la coquille; de creuse. (Voir ce mot.) Afiai, adj., éventé, qui a été laissé à l'air et qui s’en trouve altéré, comme le vin qu’on laisse dans un verre ou dans un flacon débouché et qui a perdu son bouquet. On veut que le mot afiai dérive de flatus. Ne peut-il pas dé- river aussi bien de fier, aigre; ou de fieu, fleurs, mycodermes ou mucédinées qui viennent sur le vin d’un tonneau en vidange? Afiai, v. a., cuver. Vai-t’en afiai ton vin pu loin, dit-on à l’ivrogne qu’on repousse. Agiquiai, v. n., éclabousser. De Giquieu (voir ce mot). Agœutiau, S. M, écope, sasse ou épuisette d’une barque; pelle creuse à manche très court servant à épuiser l’eau. Ety- mologie : gœute, goutte, égoutter et eau. Agraïlli (Il mouillés), desséché, ébaroui. Se dit d’une futaille ou d’une seille dont les douves sont disjointes par Paction du soleil. , Agueïllotai, v. a., jeter des pierres à... Agueveilles, s. f. pl. balayures, tâtots, vieux tessons, etc.; en un mot, tout ce qu’on jette dans un coin, puis à la voirie. Aiboucheton ou aïbouchon. Se mettre aiboucheton pour boire, c’est boire couché et à même au ruisseau. Aïboucheu (s’), v. n., c’est s'endormir sur la table ou sur un lit pour sommeiller, la tête appuyée sur l’avant-bras. Vai l’œ- boucheu in moment ! — M6 — Aichetaiï (s’) ou s’aissetai, v. n., s'asseoir. Aicœæilleu, v. a., fouetter les bœufs à la charrue. (Aicœure à Besançon.) Aiïcreboton, se mettre aicreboton ou s’aicrebotai, c’est s’ac- croupir, se baisser en repliant ses talons sous ses fesses. Aiïfauti, adj. Se dit d’une créature quelconque, d’un enfant surtout qu’on a privé de nourriture, qui est affaibli par un ré- gime insuffisant. Aiïgrippai, V. a., prendre, saisir. L’aigrippe-sous est le hap- pechard, lPusurier, l’avare. Aïiguebi, adv. Même sens qu'aicreboton. Aïiguebi, V. à. Assommer. Aiguesse, s. f. Pie. Aiïjoulot, s. m., trébuchet ou quatre-en-chiffre destiné à prendre les petits oiseaux. Panier sur lequel une planchette retombe par son propre poids quand l'oiseau s’est posé sur la détente du piège. Aille, s. f. Aigle, oiseau de proie en général. E trembieu que- ment enne poule qu’ai vu l’aille ; il tremble comme une poule qui a vu l’aigle ! Aimetti (participe). Affaibli, languissant. De mette (voir ce mot). | Aimouilleu, v. n. Quand la vache prend son premier lait avant de mettre bas, elle aimouille. Aiïpléieu, v. a. Mettre les bœufs au joug pour le labourage ou pour un charroiïi. L’aipléie est la quantité de travail fait dans une matinée par la charrue au labour. Aïpondre, v. a., rattacher bout à bout. Raipondre a le même sens. On raipond une corde cassée. Aiqueutai, s’aiqueutai, caler, s'appuyer. De couto, étai, mot qui se dit encore dans le Saugeais. Aiïrchon, s. m., petit bois courbé en arc et placé sur le ber- ceau des enfants pour supporter le filet qui les met à l’abri des mouches. — ANT — Are, sf, provenance, race, nid. Enfant de bonne aire Par lui sait tout faire ; Cest-à-dire qu'un enfant bien né — débonnaire — se fait de lui- même. D'où le vieux mot roman de pute aire, mauvais sujet, oiseau d’un sale nid. Airie, s. Î., espèce. Les poules de la grande cu de la grosse airie ne valent pas celles du pays. De aire. Airie, s. f. Gerbe étendue sur l’aire de la grange pour y être battue au fléau. Se coucher sur lairie, c’est fouiner, c’est ne rien faire quand l'ouvrage commande. Aïivan, S. m. Osier. Cest l’osier commun servant à fabriquer des paniers et à confectionner des objets de vannerie. Osier- à-vans et, par abréviation, avans. D'où aivanché, oseraie, lieu planté d’osiers. Aivau, adj., profond. Ce mot est indéclinable. On dit d’un puits, d’un précipice, d’une eau dormante, etc., qu’ils sont aivau, c’est-à-dire qu'ils ont une grande profondeur. Chez tire aivau, c'est chez un prodigue, tire à bas. Vau ou val est un ra- dical fournissant d'innombrables dérivés : aivolai, avaler; davo- lai, descendre; raivolai, mettre bas, etc. Aivoidre, v. àa., c’est prendre avec effort et en se haussant un objet un peu élevé, difficile à atteindre ou à décrocher. Ajàfrai, bouleversé. Une poule qui a perdu sa couvée est ajäfraie. Alude, s. f., éclair. D'où aludai, faire des éclairs. Amboichot, s. m., gros furoncle. Ambruai (s’), prendre son élan; ambruai, donner l’impulsion à un objet pour le mettre en mouvement, On embrue le pendule d’une horloge. Anvai, S. m., petit furoncle. Apanchaiï, v. a., étendre du fumier dans les champs. Apettie, S f., poupée d'œuvre. Le chanvre peigné donne 27 — MS — l’œuvre et les étoupes qui sont mises en paquets. Le paquet d'œuvre est l’apettie, et le paquet d’étoupes, l’ateupon. Une bonne fileuse pouvait filer dans sa soirée une apettie et faire ainsi deux bobines de fil d'œuvre. Apiettai, avancer à la besogne ; ce qui n'implique pas la mal façon. Aplues (ailleurs éplues), particules de fer incandescent qui jaillissent sous le marteau du forgeron. Petites étincelles qui jaillissent du feu, surtout quand on tisonne, en s’accompagnant d’un pétillement. Aquot, s. m. Vieux cheval maigre, rosse. Mägre quement enne aquot. D’equus, diront les linguistes, comme si le cheval chez les Latins eût été nécessairement décharné. Arennesons, S. f. pl., pour ernaisons. Cest le nom vulgaire du lumbago. Renaie, à Montbéliard. Argonnier, mauvais voiturier, chicaneur, marchand de rosses. Un argonnier, dit-on à Broye, est peu comptable; il n’y a pas à se fier à ce qu'il dit. Arquai, Marcher péniblement. É ne peut pu arquai, il ne peut plus avancer. Arriet, con). Par contre. Asement, s. m. La vaisselle, vaisseau ou vase de cuisine, ustensile quelconque, tasse ou coquelle, pot ou terrine. Etym. : Asie, aisé, commode. Asquintai, éreinter. Assanner, assommer, ennuyer. De sanne, sommeil. Assi, s. m., essieu. Evidemment analogue à axis. Assourbi, assommer, étourdir. Pendre as forche ou noïer en mer Ardoir en feu ou Essorber (Roman du renard). L'auteur du glossaire de ce roman fait venir essorber de sor- bere. Je crois qu'il serait plus rationel de lui donner le sens d’assourbi, le gorpil ayant fait plus d’une fois assommer son compagnon Brun, li ours, et Ysengrin, son compère. — M9 — Atoules, s. f. pl., tiges de céréales restant sur pied après la moisson. Atout, mauvais sujet, homme à tout faire. Aulemelle, s. f., lame d’un couteau. Changer son bon couteau contre une vieille aulemelle, c’est faire un marché de dupe. Atrots. s. m. pl. Une fricadelle à Nancy. Le foie du porc ar- rangé dans des morceaux du péritoine ou de la coiffe des intes- tins. Avadai, part., égaré. Noues poules sont avadaies, perdues de sens, affolées, comme quand elles ont été vivement pourchas- sées par un chien. Avillonne. Aveline, grosse noisette. B. Bachut, s. m., réservoir à poisson. Baïloyai, v. a. L'opération consiste à séparer ce qui doit être vanné, le bolä, d'avec ce qui est rejeté tout d’abord, comme la pousse et les épis vides. Le rateau qui sert à bailoyer s'appelle le bailoyou. Le bolà aux Fourgs est dit Las ribolais,; ce sont les impuretés mêlées au grain qui vient d’être séparé de la paille par le bat- tage ou le dépiquage (Tissor, p. 221). Baînon, s. m., sonnerie des morts, sonnerie triste. Les cloches semblent dire : El à don moue? — Nenni, è doue!.…. Baïinotte, s. f. Cadre de bois allongé dont le vide est rempli par un tressage d’osier ou de mancenne. On mettait autrefois des cadres pareils sur le chariot en guise de planches ou d’àfe- moûres — planches à fumier. Bainotte, S. f., panier ou petite baîne d’osier destinée à passer les haricots, pois ou fruits cuits pour les égoutter. D’où bainai, passer à la bainotte des fruits ou des légumes assaisonnés d’un peu de sel. D’où encore baînons, haricots où pois cuits à l’eau, avec un peu de sel et de graisse, puis versés tout chauds dans la bainotte où on les mangeait à la poignée. Cétait dans le temps un régal très recherché. — 490 — Radical : baîne ou benne, long panier qui sert encore à voi- turer le charbon. C’est l’ancien char celtique servant à trans- porter même les grands. En commençant un conte à la veillée, on ne manquait jamais de débuter par cette tirade prépara- toire : C'était une fois un roi et une reine Qui ch... dans une benne; Pierre ou Jean était dessous Qui ramassait tout..... Baïique, expression de dégoût. Pour inspirer du dégoût aux enfants, on leur crie : Pouih, baique! Baliste, s. f., petite bille à jouer. Bâne, adj., borgne. Barbe ai bœu, s. f., salsifix sauvage. Bardaï, v. n. Une voiture barde quand le train de derrière glisse sur un plan incliné latéralement, de manière à aller plus vite et dans une autre direction que le train ou les roues de devant. Beïllâ, beïillâde, adj., boiteux. Abréviation, pour gambeillard ou gambillard. (Voir gambi et gambiller.) Bé-mû, interj. Ce n’est pas étonnant! El ai bé-mâ!.… é y ai bé-mü!... Ge qui signifie : c’est facile dans des conditions pa- reilles ! Berré, s. m., porte à claire-voie placée à l'entrée de l’outau pour empêcher la volaille d'y entrer. Un amoureux inconstant est appelé foque-berré. Besilleu, v. n., exprime l’action d’un animal qui s’enfuit épou- vanté, la queue en trompette: Les petits bergers imitent le sif- flement ou le bourdonnement d’un taon pour faire besiller les bêtes de leur troupeau. Même sens que zaguai (voir ce mot). Bété, s. m. Support de la lampe; sorte de grand chandelier en bois qui se mettait au milieu de la pièce où l’on travaillait et où l’on veillait. Beuche, s. f., bûche ou tige. On dit aussi bien une bûche de paille qu'une bûche de bois. Le jeu de la büchette — beuchotte — 4921 — — se pratique en prenant deux pailles d’inégale longueur dont on fait tirer l’une à son adversaire. Betture, s. f., liquide obtenu après le battage du lait, quand on en a extrait le beurre et le fromage ou caseum. De bet, pre- mier lait de la vache après qu’elle a vêlé. (Dans le Saugeais.) M. Contejean veut que baiture vienne du mot battre. Beufïfe, s. f., balle d'avoine, de blé, de céréale quelconque. On la répand comme engrais sur les prés au printemps. (Radi- cal de bouffi.) Beuillai ou beuïilleu, v. a., regarder avec convoitise les gens qui mangent. Beulai, v. a., rouler. Se beulai dans lai borbe, se rouler dans la boue. Beuné, s. m., nuage pluvieux. Beurre, s. f. Choc reçu par contre-coup. Se beurrai, c’est se heurter le corps contre un objet plus ou moins volumineux. Se heurter le pied se dit sopai (voyez ce mot). Beuson, s. m. Celui qui se tient boudeur dans un coin. Bigot. Doigts bigots, c’est-à-dire engourdis par le froid. Biguenne, s. f. Cire ou chassie des yeux. (Besançon, bigäne.) Bigueu, s. m. Crochet en fer à deux branches pour sortir le fumier de l’étable. Biondenai, v. àa., élaguer un arbre ou une haie. Biosson, s. m., petite poire ou pomme des bois qui n’est bonne à manger que si elle est blesse et douce. On frappe les pommes pour les amollir, les faler, les blettir — blesser. D'où biossené, poirier sauvage dont les fruits sont mis dans le foin pour se faire, pour fainousai (voir ce mot). Boicheu. Se dit d’un œuf qui est ouvert en un point et prêt à éclore. Le petit poussin a déjà brisé la coquille. Boichot, s. m. Heurt du gros orteil contre une pierre. Bola, s. m. Le blé et les crientes (voir ce mot). Bolotte, s. f , belette. D’où bolottai, manger les œufs au nid, — 499 — comme font les belettes. Les enfants crient coucou bolottou au coucou quand ils entendent cet oiseau ou qu'ils l’apercçcoivent. Borbe, 5. f., boue. D'où emborbai. Borli, s. m., agaric desséché. On préparait l’agaric du chêne en le mettant dans le cuvier à lessive; et, après dessiccation, il prenait feu au briquet. Bossands, bossandes, jumeaux, Jumelles. Boubanceu. Se livrer à des dépenses folles et superflues dans un ménage, notamment pour la cuisine. Une boubancère est une femme de désordre et de dissipation. (Vieux français boban, su- perfluité, dépense qui ne profite pas.) Bouge, s. f., vieux nid. Boui-bian, s. m. Mercuriale. Cette herbe purgative donne la diarrhée aux porcs et fait périr promptement les lapins qui en mangent. Bouille, s. f., épis de turquie mis en grappe pour être sus- pendus. Bouliguai (se), se tourmenter. Bourenfle, atteint de fluxion dentaire. Bouron, S. M., gros nuage isolé. Bourrot, 5. f., canard. : Boussottes, s. f. pl. La petite vérole, petites bosses ou petites tumeurs. Autrefois on réservait ce nom de bosses aux bubons de la peste et on dénommait bosserands ceux qui étaient char- gés d’assainir les maisons en temps d’épidémie. Bout, s. m., morceau. Un bout de pain; un bout de lard. Bouti, s. m., moyeu d’une roue. Braîmai, v. n., beugler. Brâtelai, v. a., tourner le devant de la voiture pour faire dé- vier le train en faisant marche en arrière. (Voy. brocheu.) Bré, S. m., berceau. Bré, s. m., les claies de la voiture. 2 TEE 1 © Brechon, $. m. Vannette où se met la pâte pour lever avant que d’être mise au four. Bredaque, étourdi. Bredaque, bredaule, bredaulou, bredouil- lou, bredi-breda, etc.; tous ces mots sont les dérivés d’un radi- cal qui n’est plus employé chez nous, brède, divagation. Bregi, s. m., étable à moutons. Breniquiai, v. n., loucher. Brenotte, s. f., nuage pluvieux. Brequeillons, s. m. pl. Etre dans les brequeillons, c’est être ivre. Bressot, S. m., partie de la voiture qui sert à la tourner, à la bräteter, à la brocher. Rreussot, s. m., lait nouveau d’une vache qui vient de vèêler Ailleurs : bacoillot, bet, dans le Saugeais. Bretu. Ce mot n’existe plus que dans ce vieux dicton : Il n’a ne fretu Ne bretu...., C'est-à-dire, il n’a ni haillons ni rapière. Brette ou bretu nous aurait donné bretelle, ruban destiné à supporter la brette. Breuilleu, v. n., beugler avec animation. Quand lanimal pousse des cris, parce qu’il est en proie à la terreur, il breuille ; quand il crie pour appeler ses compagnons d’étable, il braime ; quand il appelle son maitre avec des accents plus doux, soit pour lui demander des caresses, soit pour en obtenir la pâture accoutumée, il meûne ou il miotte (voir tous ces mots). La breuillade est la mêlée générale d’un troupeau qui est pris d’une fureur soudaine. Quelquefois une bête rouge renifle, la léterenWas et le museau contre terre. On dit qu'elle flaire du sang. Son œil est hagard, irrité. Elle breuille avec fureur, et les autres bêtes accourent, comme prises de vertige par imitation, en poussant des beuglements épouvantables. Puis elles se ruent les unes contre les autres, jusqu'à ce qu'un bouvier énergique intervienne et disperse la mêlée. Ce spectacle vraiment terrible s'appelle une breuillade. | — 194 — Breule-fé, s. m., brûüle-fer, sobriquet injurieux donné au mau- vais forgeron. Brigneulai, adj., tacheté. Bringue, s. f. Vache. Vieille bringue, vieille vache. On ap- plique aussi ce vocable à une femme âgée qui parle à tort et à travers. Brique, s. f. Morceau. Brique de pain, de tuile, de faïence. Brocheu, v. a. Cest faire tourner la voiture sur le bressot. Brôlai, v. n. Cest lier et serrer sur une voiture à planches. un chargement au moyen d’une chaine et d’un pliant. À Besan- con, on dit brélà. Brou, $s. m. Gui des arbres. Brousses, s. f. pl. Menu foin qui tombe du ratelier et dont le bétail ne se soucie plus. Broussu, hérissé. Brun, s. m. Ergot ou charbon des céréales. On dit aussi abrun, et le grain malade est dit abrugnai. Bue, &. f., lessive. D’où buai, faire la lessive. Celui qui fait ia lessive à la Toussaint, bue son suaire (Prov. franc-comtois). Bure, $. {. Cruche à mettre de l'huile. Diminutif, bureton. C. Gabossé, part. Faussé, qui a reçu un renfoncement. Se dit d’une enveloppe arrondie, métallique ou autre, qui porte l’em- preinte d’un choc. Gadette, s. f., dalle. Câgne, s. f., chien paresseux. Taille-cy, càgne, dit-on à un chien couché en le repoussant du pied. D’où le mot cagné, paresseux, donné à des désœuvrés. D'où aussi cagnet, jeune chien. Gaideule, s. f., baraque élevée en arrière des bateaux de ma- rine où les mariniers couchent et font leur cuisine. D'où ca- daule, pauvre baraque, mal construite et peu solide. — 1925 — Gaiïifot, s. m., épi de maïs ou de turquie égrené ‘après avoir été séché au four. On s’en chauffe l’hiver à la veillée. Etymol. : de fo, four ; qui a été au four. Gaimaie, s. f., grande quantité. Enne caimaie d'enfants. Gairon, s. m., carreau, brique. D’où caironnai, daller de bri- ques. Gambouis, s. m., la graisse noire et sale qui à servi à graisser les voitures. Cancoire, s. f., hanneton. On connaît ce chant des enfants pour exciter le hanneton à s’envoler, quant ils lui ont mis un fil à la patte : cancoirotte, veule, veulotte! Gaüûle, s. f., bonnet d'homme, de laine ou de coton, rarement un bonnet de femme. Grie pu foue tu airé mai caule, dit-on à un marmot qui s’égosille à crier. D’où caulurot, caline ; dacau- lai, découvrir. Gautaine, s. f., femme curieuse et bavarde qui va traîner ses nippes chez les voisins pour cautenai, tuer le temps. Gauvaine, s. f., trou plus ou moins profond creusé sous l’eau dans la berge d’une rivière et où se logent les lottes, les écre- visses,. _ On dit ailleurs, à Besançon, par exemple, caubeune à peu près dans le même sens. Trou creusé dans un vieux tronc d'arbre. Gelésotte, s. f., peigne fixe à dents d'acier, dont les peigneurs de chanvre font usage. Gernô, s. m., noix incomplètement mûre dont la partie co- mestible est mangée après avoir macéré dans une eau acidulée. Ghai, s. m., chariot ordinaire, voiture à planches ou à claies. D’ou chairotte ou charretil (v. fr.). Ghaïpiai, v. à., couper par quartiers, des fruits, des pommes derterre. Chaïpusai, v. a., couper le bois en menus morceaux. Ghaiïrère, s. f., clairière dans une forêt. N'a pas d'autre sens à Broye. — 496 — Ghalé, s. m., bois de lit — chas ou chassis et lé, lit. Chamarri, S. m., grenier supérieur à l’aire de la grange. Ce grenier est perché et non planchéié, à cause des souris. On y entasse les gerbes d'orge et d'avoine. Chambelère, s. f., chevalet sur lequel on scie le bois à brûler. Chambelère, s. f., appareil de bois destiné à soutenir en avant la couverture du lit et à l'empêcher de tomber. Autrefois, par vanité, les lits étaient très hauts, et la couverture risquait fort d’être entrainée en bas — ai lai volaie — par son propre poids. Champai, v. a., jeter. Ghampoi, s. m., terre livrée à la pâture. D’où champoyai, qui signifie aller ou conduire et mettre les animaux au pâturage. Ghanté, s. m. Miche entamée à laquelle on coupe. Le chanteau est la dernière pièce mise à une futaille, et elle a la forme semi-circulaire. Une miche coupée en deux forme deux chanteaux. Ghasal, s. m., construction en ruines. Chat, s. m., prendre ou faire le chat, c’est terminer une be- sogne importante. Châtelot, s. m., petit château formé par quatre noix, dont trois sont à la base et la quatrième superposée forme le som- met. I aiva enne belle naipe Las pouill’ à courint quaitre ai quailre Et la puc’ en chätelot (Vieille chanson). On appelle aussi châtelot plusieurs noisettes réunies sur un seul pédicule. Gheneveuille, s. f., tige du chanvre roui cassée et décorti- tuée: On voit as cheneveuilles cetu qu’tille, on voit celui qui travaille à la quantité des débris qui sont devant lui. (Vieux prov.) Etym.: chenovre, chanvre, et veulai, voler, veulot ou voulot, duvet, brin- dilles qui volent. Cheni, s. m., grain de poussière, corpuseules que le balai fait voler. Avoir un cheni dans l’œil. ALES sÉ 0, Chairmouge, s. f., Coryza, rhume de cerveau. Cherrâ, s. f. Cest le bois de turquie fraichement coupé et dépouillé de l’épi. Les vaches en sont très friandes. On va à ia cherrä pour la distribuer au bétail. Chet, s. m., chat. D'où chettenère, trou pratiqué au bas des portes pour permettre au chat daller d’une chambre à l’autre. Ghevé, s. m., tête du lit. Ghevêtre, s. m., faiture du toit. Ghevris, s. m. pl., gresil. Il tombe des chevris. Jaimä saivoyà, bise de m&, chevris d'aivri, n’aimnan l’aibon- dance au pays. (Vieux prov.) Ghie-nid, s. m., dernier né d’une couvée, ordinairement le plus faible. On prétend qu’en quittant le nid, il y dépose une ordure, parce qu’il croit ne plus avoir besoin d’y revenir. On appelle aussi chie-nid ou queulot (culot aliàs) le plus jeune des enfants d’une famille. Choucheu, v. a. entasser, presser dans un sac avec la main pour faire tasser les objets. Ghoue, s. f. Chouette, onomatopée. Ce mot représente le bruit du vol de cet oiseau. Ghouignaï, v. n., pleurnicher. Ghouïlleu, aliàs cheulai, c’est sucer sa langue. D'où choul- lou, celui qui suce sa langue. Gimai, v. n., suinter, suppurer. Gions mn. rejet darbrei(v fr.) Gocue, s. f., ciguë ordinaire. Gœuiou, s. m., aliàs coillot, ustensile à passer le lait : Goullot bin laiva, fumie frisé bin relevä, danotant feille ai mairià (vieux Pro: ): Gœure, s. f., coudrier, ailleurs coudre. À Broye, on change l’o en e et on ‘supprime volontiers les gutturales et les den- tales. Exemple : cenre pour cendre, penre pour prendre, crainre pour craindre, etc; roiche pour crêcheé, renouille pour gre- nouille, etc. — 498 — Gœuquereille, s. f., coquillage, moule de rivière desséchée. Gœuquelle, s. f., casserolle. Gofieu, s. f., enveloppe du fruit des légumineuses, ou cofle (en mouillant 1). Goiseu (se), se taire. Gollot, s. m., bol. Gombe, s. f., d’où combotte, petite combe, est une dépression de terrain de forme arrondie, un petit valonnement cireulaire; pendant que la noue est allongée, comme un lit d’ancien cours d'eau. Consé, s. m., méteil. Froment et seigle mélangés. Coquefredouille, s. m. Un homme qui se mêle de l’ouvrage des femmes, qui tâte les poules pour savoir si elles feront un œuf, un imbécile. Gorgeon, s. m. Cordon. C’est le dédoublement du g italien, dont nous avons conservé la prononciation douce à Broye. Gorgie, s. f., fouet (coorge, fouet du charretier, glossaire du roman du renard). Got ou coteré, s. m., gros vers blanc, larve du hanneton. D'où asticot, ver de la viande ou du fromage. Cotte, s. f., courge. Coue, s<. f., queue. D’où couû, croupion; et couot, privé de queue. Gouèche, s. f., pruneau. Couignaï, V. n., crier Comme un cochon qu'on saigne. Par extension, Saigner. Goupe, s. f., mesure qui est la part du meunier pour prix d’une mouture. En Ecosse, goupen, mème sens. Gouvier, s. m., étui de bois renfermant un peu d’eau et où le. faucheur trempe sa pierre quand il aiguise sa faulx. Le couvier se porte attaché à la ceinture. Orà, s. m. Corbeau, onomatopée. Comme coucou. — 499 — GCraïichie, s. f., matière, résidu qui monte à la surface du beurre quand on le fond. Grampir (se). Se raidir, contracter ses muscles, comme si la crampe les raidissait. Un homme se crampit pour soutenir un fardeau qui tombe ou retenir une voiture qui dévale. Gressi, v. a., écraser. Î te creciroue, je te briserais. Creu, s. m. Son. Un marguiller a toujours du son s’il n’a pas de creu. À Vadans, ils ont toujours du creu, s’il n’ont pas de farine. (Mauvais jeux de mots devenus proverbes.) Creuilleu, v. àa., creuser avec un couteau ou un outil tran- chant. Greuse, s. f. Coquille d'œuf ou de noix. Creusot, s. m., écuelle, bol. Crientes, s. f. pl. C’est le petit blé et la zizanie qui sont re- jetés par le vanneur. Tissot dit creiantès et il fait venir ce mot du grec xpetoc, sorte de pois chiche. (Patois des Fourgs.) Grotot ou creux de lai foussotte, s. m. Fossette de la nuque. ! ° Fr « ° A Gude, s. f. Mauvais marché. D’où cuderie, même sens; cudot, celui qui fait des cudes ; cudai, en faire. D. Daboudreïilleu (se), v. n. Cesser de s’allonger pour croître en largeur, se former, se développer. Se dit des jeunes gens. Dacherqueiïlleu, v. a. Démêler les cheveux quand ils sont très embrouillés. Il était d'usage autrefois de s’empoigner à la tignasse et de se donner, suivant l’expression consacrée, une bonne peignée. Aussi disait-on de deux hommes qui s'étaient battus, 6 se sont bin dacherqueilleu ! (NV. encherqueilleu !) Dacombrai, v. a. Enlever les herbes qui s’entassent devant le pendant de la charrue. Le laboureur se sert à cet effet d’ux bâton fourchu appelé dacombrou. — 430 — Dafressureu, déchiré, déguenillé. La fressure est un organe mal défini. Mais quand on pèche par la fressure, c’est sans remède ni rémission, comme on dit en Comté. N’avoir pas de fressure, c’est avoir un tout petit tem- pérament; c’est être affaibli, essoufflé et mauriant; c’est ne pouvoir supporter ni la boisson ni les excès d'aucune sorte. Dagueilleu, débraillé. Damoülai, v. a., mélanger avec de l’eau une farine qui prend une consistance semi liquide. Damoülai las gaudes. Etym. : de môles ou maules, nom donné dans bien des localités à ce mets national. Danengeu (se), v. n., se démunir, se défaire d’une chose en général peu avantageuse. Opposé à s’ennengeu (voir ce mot). Davireu, v. à., écarter les bêtes du dommage. Signifie aussi mettre de côté, séparer les meilleurs objets pour s’en servir plus tard. Deïigne, s. f., brin de chanvre roui. Pour teiller, on casse la deigne, le bois cassé formant des cheneveuilles et la peau ou le chanvre étant recueilli sur le doigt médian de la main gauche pour faire une doillie (voir ce mot). Delère, v. a., monder, nettoyer, trier grain à grain, en pre< nant le bon pour laisser le mauvais. Derré, derrère; dernier, dernière. Devanté, s. m., tablier, vêtement du devant du corps. Ce n’est pas le tablier à essuyer la vaisselle, comme le pan (voir ce mot); c’est un tablier des dimanches, voire un vêtement habillé et d’un certain luxe, dont les petites filles se montraient fières : Regardez, vous disaient-elles, mon bè devanté ! On en faisait en indienne, en mérinos et même en sole. Diale-Sesse ! diabe-sesse! diabe-se-don! juron familier au paysan qui peste contre quelque chose, qui ne trouve pas ce qu’il cherche. Dogne, adj. Sensible, qui fait mal. Se dit d’une parte du corps où le moindre contact occasionne de la douleur. Doillie, s. f. Chanvre dont le doigt médian est chargé dans — A1 — l'opération du teillage. Plusieurs doillies de chanvre forment la roillie ou riéte, c’est-à-dire un paquet roulé et comme ficelé. Une doillie doit être alignée à sa grosse extrémité pour être proprement faite. Si ta doillie n’a pas une belle tête, dit-on pro- verbialement, tu auras une femme bavouse ! Dôrbon, s. m. Taupe-grillon, courtilière. Drajon, s. m., rejet. D'où drajonnai, pousser des rejets, comme font les noisetiers. Drosseu, v. àa., dresser. Drosse lai seupe! trempe la soupe et la mets sur la table, sur le dressoir autrefois. Dreue, 5. f., bardane. Dreule, s. m., garçon. Bon dreule ; bon garçon. Drouillou, adj. Coureur de filles, débauché. Dru, adj. Bien venant. On dit des oiseaux qui ont leurs plumes qu'ils sont drus comme père et mère. Druerie, s. f. Galanterie obscène. Druillot, adj. Gras, en bon état et bien venant. Se dit souvent des jeunes porcs. E. Embaiïtre, v. a., C’est battre la faulx sur une petite enclume plantée en terre pour donner du fil à l’instrument ou l’amineir et le rendre tranchant. On dit aussi enchaipiai dans le même sens. L’enclume et le marteau constituent les embaitures. Emboichot, s. m. Clou, furoncle. Empâtures, s. f. pl. Entraves. Empatureu, c'est mettre des entraves Enchaïipiai (voir embaitre). Encherqueilleu, se dit des cheveux mêlés et enchevêtrés. Encherbeutai, se dit du fil qui est embrouillé et difficile à pelotonrer. Encrotai, v. a. Enfouir, mettre en terre une charogne (de crot). Endains, s. m. pl. Chenets. On dit d’un domestique qui fait ses embarras : Vai! vai! tu ne veux pas emporter les andains ! — 132 — Endévai, v. a. Contrarier, faire enrager. Enfonceure, s. f. Placard fermé. Il existe une enfonçure dans le poële derrière la cheminée de chaque outau. Enfretoilleu, v. a., envelopper, entourer d’un linge. Avoir la main enfretoillie. Radical : fretu (voir ce mot). Engüai, v. a., propager. Merde embue, merde engüe. Ennengeu (s’), ennengeu. Ensemencer de mauvaise graine. Se pourvoir d’une manière durable. Cest pris ordinairement dans un mauvais sens. s’étrangler en buvant. Ennoucheu (s’), En pour. En retour, en échange. Enrotai, embourbé. Ensaigné, ensanglanté. Entemeli, engourdi. J'ai la main entemelie. Entremé, le milieu, l’entre deux. Entrieulai, v. a., tromper avec finesse, avec ruse. Entrouilleu, s’entrouilleu, S’endormir trop profondément, dormir trop longtemps. (Voir trouillot.) Envaî, s. m. Furoncle. Enviré. Etre enviré, avoir le vertige. Erpions, doigts du pied. Erpiottes, même signification. 1e Fanne, s. f. Femme. Fainousère, s. f. Provision de fruits, pommes, noix ou noi- settes, que les jeunes gens du village amassent l’automne et mettent en réserve pour en donner l’hiver à leur bonne amie. On cache sa fainousère dans un tas de foin où les fruits se con- servent bien. D’où fainousai, v. n. quand les fruits sont à point et ont perdu leur crudité. Faulère, s. f., feu de joie. — 433 — On allume de la paille et des matières très inflammables avec des branchages en guise de réjouissance. Quand, par exemple, on avait fini de teiller, le dernier jour on mettait en tas les che- neveuilles et on les allumait pour faire une faulère. IL y avait autrefois dans chaque village trois faulères banales auxquelles tout le monde prenait part, une à la Chandeleur, une autre aux Rois et une troisième à Carnaval. C’est dans celle-ci qu'on brülait le père Mardi-Gras. Fégnant, altération de foignant. Injure qu’on adresse à un adversaire qui se dérobe et qui a peur. Viens voire, fégnant! Feneuilleu, v. n. Fureter. Feunai, V. à. Flairer, sentir dans un but d’excitement sexuel. Le taureau et l’étalon feunent leur femelle avant la saillie. Fichecu, s. m. Le manche. Le fichecu de lai remesse, le manche à balaï. Fiè, adj. Aigre, vert, acide. N'a pas de féminin. Fiemmeusse, s. fÎ. Pour préparer ce mets, on étend une couche légère de pâte faite de lait, de gaudes et de farine avec un peu de sel, sur le couvercle d’une marmite qu’on a au préalable ren- versé, chauffé, puis graissé chaud au moyen d’une plume huilée. On flambe au dessous, et la fiemmeusee est bientôt cuite à point. Fieuré, s. m. Charrier pour la lessive. Alias fleuré (Besançon), fleurie (Saugeais), etc. Flâche, s. m. Aubier, bois blanc. Il y a du flâche dans ce bois; c’est-à-dire il n’est pas de re- cette. F'ot, S. m., four. D'où fonot, petit four que les enfants font dans la terre pour cuire des pommes de terre. Foinre, v. n. Lächer, abandonner une besogne presque ache- vée. Même sens que fouignai (voir ce mot). Fondrère,; s. f. Planche du milieu d’une voiture, planche du fond d’une barque, d’un lit. Forgon, s. m. Long bois dont on se sert pour opérer une be- sogne à distance, par exemple pour remuer, ranger et attiser le 28 — 3% — bois au four. Dans ce dernier cas, le fourgon est dit rouôle. (W. ce mot.) Forquette, s. f. Barque plus légère que le barquot, parce qu’elle n’est pas munie d’un bachut ou réservoir à poissons. Fosseu, v. a. Ramener de la couverture sous le matelas, afin qu’elle ne tombe pas. Fouïe, s. f. Gâteau à la fouie fait de pâte étendue et cuite au four, frotté de jaune d'œuf, avec de la crème fraîche et du sel. Ce gâteau excellent doit cuire dans un four qui flambe encore. Fouignai, v. n. Céder, faiblir, se décourager, lâcher. ET ai fouignai, il a caponné. Signifie quelquefois diminuer de volume, le contraire de re- venir (voir ce mot). Foussou, s. m. Houe servant à creuser des trous ou à sarcler des pommes de terre. Fouillot, s. m. Petite scie montée sur un cadre Foultot, s. m. Esprit follet, petit espiègle. Foûsenai, v. n. Profiter, être avantageux. Se dit de certains aliments plus substantiels que d’autres. Foussotte, s. f. Nuque. Le creux de Lai foussotte, le derrière de lai foussotte, le bas de Lai foussotte, même sens. Foyotte, s. f. Jeune brebis qui n’a pas encore porté. Fracheu, v. a. C’est détruire en brisant, mettre en désordre, défraiîchir.... Ce mot n’a pas une signification précise et définie. Frandeule, s. f. Fronde dont se servent les bergers pour lancer des pierres à de très grandes distances. Fràsillot, s. m. Troène. Fregueilleu, v. n. S'agiter vivement et en totalité. Fregueille- poussot, celui qui s’agite au point de disparaître dans la pous- sière qu’il soulève. Freleuge, s. f. Filet à poissons. , Fressure, s. f. Les poumons et le cœur, c’est-à-dire les vis- cères renfermés dans le thorax. Il a bonne fressure : il est soli- dement constitué; il a un bon coffre. He Fretu, s. m. Haillon, chiffon. Radical de quelques mots, comme enfretoilleu, mais qui ne se dit plus que dans ce proverbe : II n’a ne fretu ne bretu! Fricot, s. m. Mets un peu recherché. Frilleu, v. a. Brûler superficiellement, passer à la flamme. frilleu le gouri, c’est l'opération qui consiste à flamber avec des poignées de paille les soies du porc après sa mort. On aime mieux flamber un pore que l’échauder; le lard en est meilleur et plus ferme, dit-on. On appelle au village frille-raites — brûle-souris — celui qui est supposé avoir mis le feu à sa maison. On frille ses cheveux à la chandelle. Le froid aussi frille les plantes, les bourgeons tendres au prin- temps. Frimousse, s. f. Mine, apparence de santé. Bonne frimousse, avoir la figure pleine et le teint clair. Fromaigeots, s. m. pl. Graine d’althéa. Frouilleu, v. n. Tromper au jeu. D’où frouillou, celui qui triche. Froutaie, s. f. On frottait une brique de pain avec un morceau de lard, et on la donnait aux enfants : c'était la froutaie. On disait aussi : enne froillie. G. Gaichon, s. m. Garçon. D’où gaichenot, petit garçon; gaîche- notte, jeune fille. Gaiïitoiïillot. Cheville en bois servant à lever le ticlet. On l’ôtait après, pour que la porte fût fermée. Galendure, s. f. Cloison. Gambi, adj. boiteux. Gambilleu, boiter. Gaudes, s. m. pl., potage de maïs très usité autrefois. Gauger (se), se mouiller les pieds dans la chaussure. Par ex- tention, se gauger, c’est s’enivrer légèrement. | Gaupe, s. f., salope. D’où se gaupai, se salir. — 436 — Genne ou geine, S. m., marc de raisins après le pressurage. Grergé, S. m., vesces sauvages. Gergillot, s. m., vesces sauvages. Cette plante produit une graine luisante recherchée par les pigeons. (Voir Lusottes.) Gesses, s. f. pl. On a les gesses, quand les dents sont agacées par le contact des fruits acides. Faire les gesses à quelqu'un, c’est lui donner envie d’une chose sans le satisfaire. Gigi, S. m., jabot des volailles. Ginguai, v. n., s’amuser à jouer des pieds étant au lit. Gipai, v. n. Sauter pour s'amuser. Giquiai, v. Lancer de l’eau avec la giquieu, tige creuse d’om- bellifère ou de sureau dans laquelle on met un piston qui foule l’eau et la lance à travers un trou plus ou moins étroit. D’où agiquiai, éclabousser, crotter. Au village on donne plaisamment le surnom d’agiquiai à celui qui est maculé de lentilles. Goïlle, s. f., morceau de vieille toile, chiffon. La gotle du re- laivou est le chiffon qui sert à relaver la vaisselle. Goiïlle, s. f., femme âgée et qui se tient mal. Goui, s. m., serpe. D'où gouillä ou goyä, serpe à manche long qui sert à élaguer les arbres. C’est une véritable arme de guerre. D'où aussi gouisotte, petite serpe appelée à Besancon un louerot. Le mot aiguiser ne dériverait-il pas plus naturellement de goui que dacutus ? Gouiffon, s. m. Goujon. Gouïillet, s. m., flaque d’eau. Gouine, s. f., femme de mauvaise vie, femme impudique. (de Gwine, Vénus celtique, prétend Delacroix.) Goumeau, s. m., mélange sucré de courge, d'œufs et de farine, quelquefois de riz ou de semoule qu’on étend sur une feuille de pâte, et qu’on met cuire au four. Ga du toutié de Bounä T ai ai môdre jeusqu’au nà (Prov. franc-comtois). NS Goûnai (se), se salir. Mau gounai, mal arrangé. Gouri, S. m., cochon. D’où gourillot, petit cochon. Gouri de mer, cobaye. Gouri de saint Antoine, cloporte. Graibeussons, s. m. pl. Morceaux de panne ou graisse de porc quand elle à été fondue. On en exprime le liquide à chaud autant qu'on peut, et on mange les graibeussons par gourman- dise. (Dans le Saugeais, Grebons.) Graïllun, s. m. Goût de graillun, c’est le mauvais goût d’un fricot cuit dans un vase malpropre, où il y a eu de la graisse brülée. Graivolons, s. f. pl., frèlons. Greilleu, v. n., faire du bruit comme avec un grelot. Gremé, S. m., noyau dur de certains fruits, prunes, cerises, etc. Pu de pêches, pu de gremés! C'est-à-dire les ennuis sont en rapport avec les honneurs. Gremissé, s. m., peloton de fil. Grenaie, s f. Seigle et colza. Greszule, s. f{., cartilage. On dit aussi du croquot. Gresé, s. m. Morceau de pain bénit porté après loffice au voisin qui doit faire l’offrande du pain bénit le dimanche suivant. D'où ces expressions : Aivoi Le gresé, passat le gresé. Greu, s. m. Zizanie du blé. Greube, s. f. Souche, racine d’un vieux tronc. Groba, dans vise-lou-beu. C’est sous une greube de verne que l’écrevisse attend sa proie. Greulai, v. a. Secouer. Grèves, s. f. pl., les tibias, les jambes. Ne s'emploie plus ouère que dans cette locution : Se chauffer les grèves ; il est bon pour se chauffer les grèves devant le feu. D’où grèvi — monter . aux arbres, — grèvissou, celui qui grimpe aux arbres. Gri, adj. Gri se couche, gri se lève; celui qui se couche de mauvaise humeur se lève de même. M. Contejean pense que le mot gri signifie paresseusemen’, — 438 — avec difficulté. Mais une autre locution populaire donne à ce mot le sens que nous indiquons. On dit d’un enfant rebelle qu’il obéit gri! Grignai, v. a., ne s'applique guère qu'à la denture. Celui qui grigne les dents; les fait grincer, ou les montre avec une ex- pression sardonique. On appelle grigne-dents certaines personnes contrefaites qui ont les dents fort longues et l'esprit méchant. Grimon, s. m., Chiendent. D’où grimonai, extirper le chien- dent. Griveüllai, adj. Marqué de taches qui tranchent sur le fond de la peau. D'où le nom de grivelles donné aux vaches griveulaies. Gruilleu, v. n., trembler de peur ou de froid. (V. fr., Gruller.) Gueiïlle, s. f., petite crotte. Gœueilles de mouton, de chèvre, de lapin. Gueillot, s. m., longue quille de bois qu'on suspend au eou des bêtes rouges pour les empêcher de courir. Guenne, s. f. Morceau de bois plus ou moins arrondi, ordinai- rement un nœud, avec lequel les petits pâtres jouent dans la prairie. Chaque joueur à le pied dans son trou qu'il ne doit pas quitter, excepté celui qui Jaugue (voir ce mot) et qui cherche à lancer la guenne dans un trou du milieu que tous les autres Joueurs défendent avec leur bâton. Guerlot, s. m. Cache-aiguille. Guerroïlle, s. f. C’est le qualificatif ajouté à la truie qui porte ou qui à fait des petits. Aliàs goroye. S'applique quelquefois à une femme de mauvaise vie. Gueûgne, s. f., bosselure. Par extension, contusion, coup. D'où gueugnai, cabossé, faussé. Gueûme, s. f., racine ou gros rizôme de nénuphar. On en voit _d’énormes, d'un diamètre de 0,20 à la surface des eaux dormantes des vieux lits de rivières. Guiaivonaie, s. f. Trente ou quarante mässes de chanvre en- tassées et solidement fixées sous une eau courante pour nâsir. Guidelle, s. f., fruit du prunier sauvage qui s'appelle guidellé. — 439 — EH: Houppai, v. n. C’est pousser le cri de IOU-KOU-KOU ! IOU-KOU- KOU pou mai blonde! On pousse ce cri en l’honneur de son amie... C’est le chant du coq. C’est un cri éclatant qui, lancé dans la nuit avec une voix de tète particulière, retentit fort loin. Janfoutre, S. m., grosse injure. Altération du mot aivoutre, qui serait encore usité dans le pays de Montbéliard. Avoutrer quelqu'un, c’est le traiter de misérable et d’adultère. Ce mot, ajoute M. Contejean, est la plus grosse injure qu’on puisse adresser à un homme de la campagne. Le sens d’adultère est aussi le sens que donnent au mot d'avoutre les glossaires des vieux fabliaux et du roman du renard. Je crois que de j’avoutre, nous avons fait à Broye et ailleurs J'envoutre, puis janfoutre. Jaspi, s. m. Voix perçante, parole vive et criarde. Jeus! qué jaspi! tu nous perces les oreilles. Jauguai, v. n. Cest attendre son tour de jouer, être en péni- tence, se morfondre. Jetun, s. m., essaim. Nos mouchottes ont jetai, nos abeilles ont essaîmé. : Jume, S. f., écume. Jumai, écumer. Jû, s. m., jeu. Ce mot fait jüre, jouer. L. Lâchottes, s. f. pl., chicoracées lactescentes. Lanciron, 5. m., jeune brochet. Las-moi ! exclamation de pitié et de condoléance, équiva- lente au pécaire des gens du midi. Lessus, s. m., eau alcaline ayant servi à lessiver du linge. 10 Leu, s. m., ivraie. Lolium. Levaie, s. f., fumier fraichement retiré de l’écurie et étendu devant la porte pour être mis en tas ultérieurement. On dit : Levar le f’mé ou faire lai levaie pour désigner l’opéra- tion qui consiste à renouveler tous les huit jours la litière du bétail. C’est le samedi qu’on se livrait à cette opération autre- fois et peut-être encore aujourd’hui. | Quant à la levaie, elle était relevée et mise en {as ou au gros fumier tous les six mois. Liette, S. f., tiroir. Ligoûneries, S. Î. p., propos sâles et orduriers. Ce mot n’est. guère usité qu’au pluriel; radical, goûnat. Lingaîne, s. f., pièce de terre beaucoup plus longue que large, très peu large. Lise, v. n., glisser. D’où lisade, sente ou sillon que les enfants pratiquent sur la glace ou le verglas en s'amusant à. glisser. D’où encore lisou, pièce de l’avant-train d’un chariot qui tourne en glissant sous la ligne. Dans tous ces mots la gutturale disparaît comme dans iaude pour Claude ; roîche, pour crèche ; renouille pour grenouille ; etc. Loichet, s. m., bêche. Loicheu, s. m., loichie, s. f., repas particulier donné au bétail qu'on veut engraisser ou qui est malade : ce sont des betteraves ou des pommes de terre cuites et du son mêlés. Long (le ou au). Auprès à côté, Le long du boue, tout au long du boue, auprès, tout auprès du bois. Cela se disait en France et s’écrivait encore communément au XVIIIe siècle. Loquai, v. n., les œufs qui loquent, en étant secoués donnent à la main la sensation à l’intérieur d’un corps mobile ou un bruit de clapotement de liquide et d'air. Gela indique en général qu'ils sont gâtés, On dit à Montbéliard : berloquai. Lou, $. m., louve, s. f., loup et louve. D'où louvère, repaire à loup, v. fr., louvière. D'où encore louvâche, ver vésiculaire qui oU s'attache à la peau des moutons particulièrement. D’où aussi louvairou ou loup-garou, (lou et vair) loup gris, vieux loup qui mange les petits enfants. Louvairrou exclamation et jJuron familier pour exprimer la surprise et un étonnement désagréable. Loûches, s. f., morceau de pain coupé en tranche mince. Loûches, s. f., grand et petit carex : plantes de marais. Loûne, s. f., femme nigaude et paresseuse. D'où loûneries, propos sans valeur, de désœuvré.. Loûson, s. f., maladie courante, petite épidémie au point de vue de la gravité, mais s'étendant à bien du monde, comme la grippe, qui est le type des loüsons. Lusâde, s. f., lézard. Lusottes, s. f. f. d.. la graine du gergillot (voir ce mot). M Maquevin, S. iM., vin Cuit ou mieux jus de raisin cuit et con- servé. Mailleu, v. à., tordre avec la main. Je Iui ai maillé les poignets. ÆE? faut mailleu lai roûte quand elle a tenre. Il faut tordre le lien quand le bois est encore jeune ; c’est-à-dire corriger les enfants. Maiïllon, s. m., manche du fouet. Maillon, s. m. boucle du lien des gerbes. Cette boucle est faite en tordant les extrémités du lien’ qui sont repassées par dessous (de mailleu). Mairichau, s. m., coccinelle. Malassu, goût de sec que prennent les futailles vides. Malbrou., s. f., grosse voiture à fortes roues dont la bande à une largeur et une épaisseur doubles de celles des roues ordi- naires. Mal d'effet, adverbe qui signifie cela n’est pas étonnant ! Mal d'effet, cela ne pouvait pas se faire autrement ! un Mangeotte, s. f., petite manche d’étoffe fermée comme un sac et où les enfants conservent leurs provisions de fruits. Par extension, c’est la provision elle même qui est dite mangeotte. Maon, s. m., gésier de la volaille. Marouau, S. m., matou ou margot, chat mâle, onomatopée. Masheu. meshuy, désormais. Mâsse, s. Î., assemblage de plusieurs, mennevés (voir ce mot) attachés ensemble. La mâsse a le volume d’une gerbe ordinaire. Elle est formée par quinze ou vingt paquets de chanvre réunis par un lien. Matras, s. m., fumier, d'où matrasseu, fumer. Menai, v. a., se dit de la vache qui est en chaleur; elle mène ou mieux, elle meûne (voir ce mot) las bœus ; elle appelle les bœufs. Mennevé, s. m., paquet de chanvre qu'on peut embrasser. dans les deux mains. Cest à qui teillera le plus de mennevés dans sa soirée. Messe, s. f., grappe de turquie avec toutes ses enveloppes, épis et feuilles. Quand la messe est surchargée de feuilles, dit- on, c'est signe de gros hiver. Mette, ad., alangui. D'où aimetti. Etre mette, c’est se sentir brisé, faible, sans courage. Metton, s. m., gâteau de colza, de chenevis ou de navette dont l’huile a été exprimée, et dont le résidu pressé est moulé en carrés aplatis. Meule, s. f., tas de foin ou de gerbes faits pour en faciliter le chargement. Les meülots de foin sont de petites meules faites à la hâte, par crainte de la pluie. Meunai, v. n. et a. Cest mügir avec douceur. Le paysan comprend jusqu’à un certain point les cris des animaux avec lesquels il vit. Il interprète ces cris assez pour distinguer quand. ils sont l'expression de la fureur ou d’une passion douce, et il a des mots différents pour les caractériser. Ainsi, la jument qui hennit, quand elle appelle ses compagnons, vouine, quand on la chatouille. D Meüûrie, s. f., bête corrompue, putréfiée, charogne, se dit aussi pour putain. Alias, mürie (de müre, pourri. Sau-meire, sel COrrompU.) Meusseu (se), se cacher, se mucer (v. f. n.), d’où meussot, boudeur, dissimulé. Miâle, s. m., merle. Miguai, v. à., gueiter, ajuster. Miollot, s. m., moëlle ou amande d’un noyau de fruit, de pêche, d’abricot, d’un gremé quelconque. Mirlique, s. f., hydromel. Cest l’eau dans laquelle on à lavé les couteaux et les instruments qui ont servi à retirer le miel des ruches et à l’approprier ; doux comme de la mirlique. Misot, s. m., petite ficelle à nœuds qui se met au bout du fouet pour claquer. À Besançon, mise. Misse, s. f., la rate. On dit d’un homme qui est bon coureur qu’on lui a enlevé la misse, qu'il est dératé. Mitou, ad., plaigneux. D'où raimitouler, ramener quelqu'un en le plaignant, par des caresses, de melte (voir ce mot). Mondure, s. f., arrière faix chez les animaux. Motrequeur, s. m., quantité d’une chose, lard, pommes de terre, farine de maïs, etc., à mettre en une fois dans la mar- mite pour un repas. N Nat SM nez d'où naque, pour désigner l'humeur qui s'écoule des narines; d’où encore naiquû et naïquä de, morveux; naquet, homme de peu d'importance, gamin, qu’on moucherait; d'ou aussirendré, qui a du flair, qui est fin ; etc. On fait peur aux petits enfants du grand naiquä, du père naiquä, du veille naiquà, du père dus naiquas. Naidouilleu, v. n., agiter l’eau avec les mains pour s'amuser, comme font les enfants. Nâsir, v.a., rouir. On fait nâsir le chanvre en le mettant dans l’eau ou simplement en l’étendant sur la terre. — 4% — Népié, s. m., néflier. Niau, S. m., l’œuf qu'on laisse au nid, mot composé très * Simple comme on voit. Nonotte, s. {., petit tubercule et surtout bulbe du colchnique d'automne. Se dit aussi de la mâcre, de l’annotte, de la rai- ponce, etc. | Noue, s. f., ancien lit d’un cours d’eau. D’où nouotte, petite noue. Nourin, S. m., petit cochon, cochon de lait. ‘Nouvô, s. m., avancée du toit, toit prolongé pour abri et fort bas en avant des maisons. Il servait à remiser les voitures, du bois, d’autres objets. (était très commun autrefois. Ajouté à la construction principale, un appendice pareil présentait quelques avantages ; mais il avait aussi le grave inconvénient de rendre obscures les habitations, d'y empêcher absolument l'entrée des rayons solaires. Ce mot nouvô est une altération grossière par interversion du mot auvent. Nun, personne. Il ny à nun, il n’y a personne. Ne fa toue ai nun poi d’vant quéquun, ne fais tort à personne par devant les vens. (dje) O0 Orbeu, terre d’orbeu, marne pour servir au torchis. Cette terre était employée à agglutiner la paille des rouleaux qu'on appliquait les uns contre les autres. Orvales, S. m. p., toutes les intempéries, les bourrasques, les grands vents; radical d'ouragan. Ouchä, s. m., le mâle de l’oie. Oué, oille, oui. Ouguigne, S. m., rosse, mauvais cheval. Ouillons, jeunes oies; outllotes, oies. Ousé, s. m., oiseau; hotte des maçons servant à porter le mortier. | 2 Le peintre Claude Rately, en religion frère Pro- thade de Besancon, de l’ordre des Capucins, et sa & Vierge aux saints » datée de 1636, par M. Auguste CASTAN. Dons faits à la Société en 1888 Envois des Sociétés correspondantes. . Membres de la Société au 1er septembre 1889,...,...,.,.. “on Sociétés correspondantes Bibliothèques recevant les Mémoires. ....,,.,,...,... BESANCÇON, IMPRIMBRIE DODIVERS. 39. Te TT 293 479 482 487 . 109 D18 Extraits des statuts et. au règlement de la Société d' Emulation | du Doubs, fondée à rene le e see 1840. Décret ünpérial du 22 avril 1863 : Ca Socièie d'Emulation _. Doubs, à Besançon, est reconnue comme établissement d utilité, = © publique. » Ra . | FE * Art. Ler des statuts : « on bites de A Au _ progrès dés sciences et des arts, et, pour en faciliter le développe-”" |" ment, de. coopérer à la , des. collections publiques sit d é= _diter . travaux utiles de ses membres. ee .» Elle encourage a les études relatives à à h Franche- : Comté. ». | | = EX Art. 13 des slatuts + ot Société pourvoit à ses dépenges an | _ moyen : ; +. | » Lo D'une cotisation annuelle payable par chacun de ses plie te «résidants et par chacun de ses membres correspondants ; elle est. exigible dès l’année même de leur admission. 0 | » 2% De la somme de deuxfrancs payable par les Ha bres résie . _dants et correspondants au moment de la remise du diplôme. ee. Art. 17-du réglement : « La cotisation annuelle est fixée à dix. francs pour les membres résidants et à six ue ni 26 membres correspondants. ) Me En Art, 23 des statuts : « Les sociétaires ont Je Lucie se. bérer + ot | deleur cotisation annuelle “er versant un capital dans La caisse de s 1 | la Bociété. ee - ” + a _» Ha somme exigée. =. de our francs pour les rés ae _dants et de soixante francs pour les correspondants... DA SUR en ste Melo des statuts : « Tout. membre qui aura cessé de payer sa - cotisation pendant plus d’une année, pourra être. considéré comme | démissionnaire par le conséil d'administration. » re Art. 6 du règlement : « Les séances ordinaires : se tiennent le see + É nd samedi de chaque mois…. ne x = : ce Art. 9 du réglement : « La Société publie, ne année, Ro à Ll ; bulletir de ses travaux, Sous le titre de Mémoires. ee ME à +; Art. 13 du règlement : « Le bulletin est remis. grätuitement : » ...…. À chacun des membres honoraires, résidants et. corres=. dau de la Société... D SR = do du Trésorier de r Sootété : M. le Raietaree de la- Sociéé à ue d Emulation du Doubs, Paläis Granvelle, à Besançon, SR RE SE à à EL SLR EP A) à 14 Lt \ d rt Von VAUHEE le FE br he "de pig eg Pen a US Ù Re?) Pare 2 a re ES ca a “ RE CRT