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MEMBRES : MM. les docteurs Bourdin, Bruchon père, H. Bru- chon, Chapoy et Ledoux; P. Drouhard, Mairot, le chanoine Rossignot, Souchon, Thuriet, Vautherin et Vernier, résidants ; Pabbé P. Druot, correspondant. M. Vaissier, avant de remettre la présidence à M. le docteur Nargaud, nouveau président, prononce l’allocution suivante : « MESSIEURS, » Au moment de quitter la présidence, je dois vous exprimer tous mes sentiments de gratitude pour l'indulgente faveur que vous m'avez toujours témoignée, dans l'exercice d’une charge à honneur de laquelle je n’avais jamais osé prétendre. » Dans notre dernière séance publique, j'ai cru devoir revenir Ze — VI — sur le passé de notre compagnie, mais en y insistant davantage, afin de montrer que «si la vie des sociétés comme celle des indi- vidus se passe dans des alternatives de satisfactions et de sou- cis, une réputation noblement acquise permet toujours de pro- fiter des unes, comme de triompher des autres! __» La preuve nous en fut offerte dans le cours de cette année. La dotation des frères Grenier est arrivée pour confirmer la considération dont vous jouissiez déjà, puis la sagesse de vos dernières élections, favorisées par la gracieuse acceptation de vos élus, nous assure les ineilleures espérances pour Pavenir. » Si J'ai à manifester (en votre nom et au mien) de tous nos regrets pour la retraite de notre laborieux et dévoué secrétaire décennal : M. le docteur Meynier, en retour, j'ai la satisfaction de saluer la bienvenue de son digne successeur : M. Jules Gau- thier, dont le zèle et la science vont apporter de nouveaux élé- ments de travail à notre activité et accroître l’intérêt de nos séances. » À côté des nombreuses preuves d’un mérite que vous avez apprécié, je signalerai, en particulier, les efforts de M. Gauthier, pour combler les vides que les départs et la mort font chaque année dans nos rangs. Cette préoccupation est si importante que l’article unique de mon testament présidentiel sera le souhait que, par les efforts de tous, chaque année voie s’augmenter aussi le nombre de nos confrères. « Je m'adresse maintenant à M. le docteur Nargaud, si digne de toutes les sympathies, si bien disposé à maintenir nos tradi- tions, si bien doué pour rallier à notre Société, largement ou- verte, toutes les bonnes volontés et je l'invite à prendre la pré- sidence. » M. le docteur Nargaud prend place au fauteuil et adresse à son tour ses remerciements à ses confrères : « MESSIEURS, » En m'appelant à la présidence de la Société d'Emulation, vous nravez fait un honneur insigne qui m'a vivement touché et dont je vous témoigne ici ma vive et sincère gratitude. Je suis d'au tant plus confus de cette faveur qu’elle est absolument immé- ritée, vu que je n'ai jamais joué parmi vous que le rôle modeste a à (PES d’auditeur. Vous avez sans doute considéré que l’esprit de bonne camaraderie et d’attachement fidèle à notre Association étaient à vos veux des litres suffisants pour autoriser l'occupation de ce fauteuil, nulle autre raison sérieuse ne pouvait ètre invoquée pour justifier votre choix qui devait s'adresser à d’autres beau- coup plus dignes. Cette distinction, si généreuse de votre part, va me causer de graves soucis et de sérieuses appréhensions: je ne me dissimule pas combien il est périlleux d'assumer la responsabilité d’une si lourde tàche, surtout quand on se pré- sente en face d'elle avec un bagage scientifique aussi restreint que celui de votre humble serviteur. » Etranger, en effet, à bon nombre de questions qui consti- tuent le thème ordinaire de nos entretiens, après avcir vu dé- filer à votre tête une longue série de présidents qui ont comblé vos Bulletins de riches trésors d'expérience et de savoir, vous devez comprendre d'emblée combien mes préoccupations doivent être tout à la fois peu folàtres et légitimement motivées. Mais quand je songe à l’extrème bienveillance, à la fraternelle sym- pathie que vous avez toujours témoignée à vos représentants, et qui sont de règle dans toutes les perturbations bureaucra- tiques que les statuts imposent à notre Société, le fardeau d’une pareille succession s’allège singulièrement, l'horizon paraît s’é- claireir et toute crainte, toute défaillance doivent être bannies des esprits les plus timorés. En m'asseyant à la place de mes honorables prédécesseurs, qui ont toujours dirigé vos travaux avec un talent et une compétence que je leur envie, je tiens à déclarer hautement que je me considère comme leur rempla- çant provisoire, et, qu'au moment opportun, ils sauront certai- nement ressaisir les rênes du char, si bien conduit par eux, dans l'intérêt de notre Association. » En m'inspirant de leurs judicieux conseils et en escomptant d'avance le concours empressé du personnel du bureau, entiè- rement dévoué à la prospérité de notre œuvre, je ferai tout mon possible pour tàcher de mener à bien la mission que vous m’a- vez confiée. Dans ce but, je m’efforcerai de suivre l'exemple sa- lutuire de notre cher président sortant, le sympathique M. Vais- sier, qui à rempli son devoir avec un zèle, une sollicitude au- dessus de tout éloge et qui, le cas échéant, n’hésitera pas à nr) UD ES payer de sa personne pour guider, s'il y a lieu, dans la bonne voie la marche indécise de son successeur. Je m’empresserai tout autant de m'assurer les bons offices des deux nouveaux -membres du bureau, que j'ai lonneur de vous présenter en ma compagnie, lun, M. Gauthier, notre secrétaire décennal, l’archi- viste érudit, digne émule de l’éternellement regretté Auguste Castan, dont le talent si apprécié est sans contredit le plus beau fleuron de notre couronne scientifique et dont je ne crains pas de blesser la modestie en le désignant d'ores et déjà comme la cheville ouvrière de notre Société. » L'autre, mon ami d'enfance, maître Francey, l'avocat émi- nent, une des gloires du barreau bisontin, et dont les connais- sances juridiques, traduites par une éloquence sans rivale, fait autorité au Palais. » Grâce à l’appui d’auxiliaires aussi précieux, j'ose espérer que votre président actuel ne sera pas trop au-dessous de sa tâche et que, d’un commun accord, nous pourrons travailler à la réalisation de notre idéal, la marche en avant, toujours iuces- sante, dans la voie de la science et du progrès. » C’est dans ces sentiments, Messieurs, que je salue la Société d’Emulation du Doubs à laquelle j’apporte, à défaut de qualités techniques plus sérieuses peut-être, tout au moins mon entier dévouement et mon entière bonne volonté. » A ce discours accueilli comme le précédent par de vifs ap- plaudissements, M. Jules Gauthier, récemment élu secrétaire décennal et qui vient en cette qualité de prendre place au bu- reau, ajoute ses remerciements les plus vifs aux confrères et aux amis qui viennent de lui confier les fonctions honorables d'annaliste de la Compagnie. Il assure tous et chacun du dé- vouement qu'il a toujours professé pour eux et pour une Société dont il est membre depuis trente-six ans et dont il s’honore d’être l’un des doyens. M. l’abbé Paul Druot, correspondant, lit une intéressante et très précise notice archéologique sur une cloche du xv® siècle, jusqu'ici absolument ignorée, qu'il a découverte dans le clocher de l’église de Voillans (Doubs), dont il est curé. Il à pu lire l'inscription gothique qui entoure la cloche, déchiffrer le sceau — IX — et les armoiries imprimés sur ses flancs et reconnaitre l’origine exacte de ce précieux petit monument, grâce aux archives de l’abbaye des Dames de Baume, de l’église desquelles provient ce bronze. La cloche, fondue en 1484 ou 1485, porte le sceau d’Alix de Montmartin, abbesse de Baume, et dut sonner à toutes volées quand Louis XI, que n'aimaient point et à raison les Comtois nos aïeux, eut fait place au gouvernement plus débon- naire de Charles VIT. Cébmémoire, accompagné de planches, est retenu pour le Bulletin. M. le docteur Henri Bruchon lit une très curieuse étude sur la vie d’un médecin bisontin dans la première moitié du xvrIe siècle, et initie aux moindres détails et de la position sociale et de la pratique journalière du docteur Jean Garinet, qui a laissé en forme sommaire de très curieux, très précis et très piquants mémoires, conservés parmi les manuscrits de la Bibliothèque publique de Besançon. M. Gauthier comme président de lPAssociation Franc-Com- toise, fait une communication verbale sur un projet de Biogra- phie Comtoise, déjà arrêté en principe, mais dont l'exécution va suivre par les soins de toutes les Sociétés savantes de la région, sroupées en fédération, et par l’activité de leurs membres les plus distingués et les plus laborieux. La Société d’'Emulation du Doubs fournira la collaboration de toute une élite et prendra la direcüon du mouvement, comme elle à pris déjà l’initiative de l'Association franc-comtoise. | Après l'élection d’un membre résidant, M. CELLARD, archi- tecte, présenté par M. Simonin architecte, et M. le docteur Cha- poy, la séance est levée. Les Présidents, Le Secrétaire, À. VAISSIER, D' NARGAUD. JULES GAUTHIER. Séance du 13 février 1902. PRÉSIDENCE DE M. LE DOCTEUR NARGAUD. Sont présents : 3UREAU : MM. Neargaud, président; Vaissier, vice-président; Gauthier, secrétaire ; Fauquignon, trésorier; Kirchner, archi- viste. MEMBRES : MM. Boname, Bonnet, Girardot, Ledoux, le cha- noine Rossignot, Simonin, Thouvenin, Thuriet, G. Vaissier, Vautherin et Vernier. M. le président communique une lettre de Madame veuve À. Castan, annonçant son intention de faire distribuer en mé- moire de son mari, à tous les membres honoraires, résidants et correspondants de la Société d'Emulation, la seconde édition illustrée du volume intitulé « Besançon et ses environs » qu’elle vient de publier. Il s’est empressé de remercier la généreuse donatrice au nom de la Société d’'Emulation qui, à l’unanimité, s'associe à ces remerciements. Le Conseil d'administration de la Société, convoqué le 25 jan- vier dernier, a pris une délibération pour accepter le legs de 2,400 francs de rente roumaine fait par M. Edouard Grenier dans son testament du 21 janvier 1900, et prendre l'engagement de créer à bref délai, dès que les formalités administratives auront été remplies, la pension des frères Grenier, dont un règlement ultérieur précisera les conditions. Cette délibération est approu- vée à main levée. M. Maurice Thuriet donne communication d’une Notice sur le garde des sceaux Courvoisier, qui fut avocat général à la Cour d’appel de Besançon, et fait un exposé rapide de Ja carrière bril- lante et très mouvementée d’un des magistrats les plus distin- oués qu'ait produits la ville de Besançon. Cette notice est destinée à la « Biographie franc-comtoise » qui paraîtra sous les auspices des Sociétés savantes de la région. M le secrétaire lit une étude sur le peintre Donat Nonnotte, né à Besançon le 10 janvier 1708, mort à Lyon le 5 février 1785. Fils d'un vigneron, neveu d’un peintre très médiocre, Jean Nonuotte, Donat quitta sa ville natale à vingt ans, devint l'élève et le collaborateur à Paris et à Versailles du peintre du roi, François Lemovne. Quand il eut perdu son maitre et protecteur, il renonça à la peinture d'histoire pour se confiner dans le por- trait. C’est un des meilleurs portraitistes du règne de Eouis XV. L'église de Sainte-Madeleine de Besançon possède de lui une Sainte Famille datée de 1728. Nos musées ont son portrait et ce- lui de sa femme datés de 1757 et 1758. Le graveur Daullé a laissé un joli médaillon de Donat Nonnotlte, dont le cuivre origi- nal, conservé aux Archives du Doubs, permettra d'illustrer dans le Bulletin la notice que la Société d'Emulation à décidé de re- tenir. à MM. Gauthier et Vaissier déposent sur le bureau en l’accom- pagnant de commentaires, un joli bronze grec, provenant de l’académicien Prosper Mérimée, que MM. Gaston et René Grenier viennent d'offrir au musée archéologique. Il a été retrouvé dans les ruines de la maison que Mérimée et Edouard Grenier habi- taient rue de Lille et qui fut incendiée par la Commune. Une autre communication porte sur un torse de Vénus pudique découvert à Jougne, dans les ruines de la maison de l’écuyer Ferlin, ami et contemporain de Granvelle. Son style révèle la première moitié du xvr siècle, sa facture est la même que celle des \bas=reliefs de pierre tendre,-exécutés en 1527 dans l’église abbatiale de Monthenoït. Sont présentés pour faire partie de la Société : Comme membre résidant : M. Jean DE BUYER, par MM. Vaissier et Gauthier ; Comme correspondants . M. Gabriel GENSOLLEN, juge d'instruction à Gray, par MM. Thuriet et Gauthier: M. René GRENIER, Légion d'honneur, par MM. le docteur Bruchon père et J. Gau- hier. médecin de la grande Chancellerie de la Can A CE Est élu : Membre résidant : M. Camille CELLARD, architecte. Le Président, Le Secrétaire, D' NARGAUD. JULES GAUTHIER. Seance du 15 mars 1909. PRÉSIDENCE DE M. LE DOCTEUR NARGAUD. Sont présents : BUREAU : MM. Nargaud. président; Vaissier, vice-président ; Gauthier, secrétaire; Fauquignon, trésorier. MEMBRES : MM. G. de Beaustjour, Bourdin, A. Boysson d’Ecole, Bruchon père, Gellard, Drouhard, Ledoux, Pingaud, Thuriet et Vernier, résidants : labhé P. Druot. correspondant. Le procès-verbal du 15 février est lu et adopté. M. l’abbé Hermann Druot, ancien professeur au petit sémi- naire de Consolation, lit un compte-rendu fort intéressant et fort précis, grâce à un journal méthodique des fouilles, des dé- couvertes faites, sur son initiative, dans les ruines du château de Châätelneuf-en-Vennes, qui Ssurplombent les sources et les cascades du Dessoubre et du Lançot. [Il décrit les monticules de murs encore debout et de décombres qui apparaissent sur la droite du chemin conduisant de Guyans-Vennes et de Fuans äu fond de la vallée et couvrent un étroit plateau. Sur cet ensemble, 14 mètres de long sur 6 de large ont été explorés et fouillés, en 1897 et 1898, sous la direction de M. l'abbé Druot, par les élèves, orands et petits, du séminaire. Deux grandes pièces du rez-de- chaussée du château affleurant au levant le roc, au sud une cour d'honneur, à l’ouest et au nord des murs d'enceinte du château féodal ont livré, pêle mêle, avec des matériaux effondrés, moel- lons et tuiles, un ensemble considérable d'objets de toute sorte: — XII — instruments aratoires; outils de métier; armes : casques, épées, éperons, batteries de mousquets, moules à balles; batterie de cuisine : casseroles, marmites de fonte, de euivre ou de fer, chandeliers, crémaillères, andiers, broches, cuillers, fourchettes et couteaux. L'interprétation d'un pareil groupement d'objets métalliques de toute sorte est naturelle: c’est le mobilier des sujets (ou retrahants) de Châtelneuf-en-Vennes, ayant apporté comme dans un refuge sûr les quelques objets précieux de leurs pauvres ménages. L’incendie qui consuma, en 1639, le château- fort qui appartenait aux comtes de La Roche, de la maison de Varambon et de Rye détruisit tousles meubles de bois, tous les Métements et parures sauvés par les retrahants. Le fer, le cuivre, l'argent ont échappé aux flammes et grâce à Pintelli- gente activité de M. l'abbé Druot, reparaissent au jour pour nous donner sur les arts du xvrre siècle, sur le mobilier rural d’une époque déjà lointaine, les documents les plus circonstanciés. M. l'abbé Druot prend l’engagement de donner par écrit le résumé précis. et détaillé de sa communication, qui prendra place dans le Bulletin de 1902. La Société, sur la proposition de MM. Nargaud, Vaissier et Gauthier, vote une s'ibventior de 50 francs pour là continuation des fouilles de Châtelneuf. M. Vaissier continuant ses études sur l'arc antique de Porte- Noire étudie le symbolisme des bas-reliefs qui décorent les jambages ou les colonnes de ce monument important et restitue aussi bien par ses observations personnelles que par celles qui lui ont été suggérées par l’éminent conservateur du musée de Trèves, les sujets mythologiques dont les sculpteurs du trie siècle ont illustré les membrures de l’arc romain: Dédale s’a- daptant des ailes, Thésée assommant le Minotaure, etc AcCom- pagnée de planches habilement dessinées par le crayon si Élésantet SLexact de M. Vaissier, cette étude sur Porte-Noire prendra un rang distingué dans les publications de la Société. M. Gauthier.fait passer sous les veux de lassemblée un prée- “éieux manuscrit appartenant à la Bibliothèque municipaie de Vesoul (où il occupe ie n° 226). C’est un « Recueil d'Antiquités trouvées à Luxeuil », dessinées et expliquées par Jean-François- — XIV — Melchior Fonclause, compilé en 1778 et comportant soixante planches de statues, bas-reliefs, statuettes, vases, gemmes et médailles recueillis par les Bénédictins dans leur bibliothèque ou par MM. Guin, Fabert, Prinet et Fonclause dans leurs cabi- nets. [1 y aurait à tirer de ce manuscrit dont M. le Secrétaire a entrepris la copie, nombre d'observations archéologiques im- portantes, en le confrontant avec les objets découverts depuis 1778 et conservés aux Bains de Luxeuil et dans diverses collec- tions. Ce pourra être quelque jour l'œuvre de la Société d’'Emu- lation du Doubs. Pour combler les vides faits par la mort récente de Messieurs Edouard Grenier et du général Wolff, ancien commandant du 7€ corps, la Société, sur Ia proposilion de son Bureau, élit MM. Bernard PROST, inspecteur général des Archives et des Bi- bliothèques au Ministère de lInstruction publique, et Henri BoucHoT, conservateur du Cabinet des Estampes à la Biblio- thèque nationale. Sortis tous deux de l’Ecole nationale des Chartes, collaborateurs distingués de la Gazette des Beaux- Arts et de toutes les grandes revues d'archéologie et d'histoire, ces deux compatriotes honorent la Franche-Comté à plusieurs titres et le témoignage de sympathie que la Société d’'Emula- tion leur accorde n’est que lexpression bien légitime de les- time due à leurs personnes et à leurs travaux. Sont élus Membre résidant : M. Jean DE BUYER, à Saint-Laurent (Besançon) ; Membres correspondants : MM. Gabriel GENSOLLEN, juge d'instruction à Gray, Et le docteur René GRENIER, médecin de la Grande Chancel- lerie de la Légion d'honneur, à Paris. Est présenté comme membre correspondant, par M. le €ha- noine Rossignot, curé de Sainte-Madeleine, et M. J. Gauthier : M. l'abbé Jean-Victor-Emile FROMOND, curé de Crissey (Jura). Le Président, Le Secrétaire, Dr NARGAUD. Jules GAUTHIER. XV — Séance du 12 avril 1909. PRÉSIDENCE DE M. LE DOCTEUR NARGAUD Sont présents BUREAU : MM. Nargaud, président ; Vaissier, vice-président ; Gauthier, secrétaire ; Kirchner, archiviste. MEMBRES : MM. Blondeau, Bruchon père, Gellard, P. Drou- hard, Lieffroy et Simonin, résidants. M. le Président communique à la Société les remerciements adressés par MM. Bernard Prost, Inspecteur général des Ar- ._Chives et des Bibliothèques, et Henri Bouchot, Conservateur du Cabinet des Estampes à la Bibliothèque nationale, nommés membres honoraires; de M. de Buyer, nommé membre rési- dant ; de MM. Gensollen et René Grenier, élus membres cor- respondants. [l dépose sur le bureau, au nom de M. le cha- noine Rossignot, une Monographie de l’église Sainte-Madeleine de Besançon. M. Bloudeau est prié de faire un rapport sur cet ouvrage. M. le Secrétaire rend compte du Congrès tenu à la Sorbonne et à l'Ecole des Beaux-Arts par les Sociétés savantes de pro- vince ; trois lectures y ont été faites au nom de la Société d’'E- mulation du Doubs par son Secrétaire : une sur Antoine Brun au siège de Dole en 1636, à la section d'histoire; une sur l'Eglise priorale de Romain-Môtier, à la section d'archéologie ; une sur le peintre Donat Nonnotle, à la section des beaux-arts. Un membre de la Société, M. le docteur Maguin, doyen de la Faculté des sciences, à fait à la section des sciences d'importantes com- munieations. MM. Gauthier et Magnin ontété,à diverses reprises, choisis comme assesseurs de différentes sections du Congrès. M. Jules Gauthier communique à la Société le texte inédit d’un Voyage à Besançon accompli en 1776 par le professeur strashourgeois Jerémie-Jacques Oberlin (1735-1806). Cet érudit consacra plusieurs journées à visiter Besançon, ses monuments, ses érudits, ses collectionneurs, et recueillit dans ses Notes de = UN précieux détails sur les personnes, les manuscrits, les livres, les œuvres d'art qu'il eut l’occasion de fréquenter ou d’appré- cier. Le P. Tiburce, capucin, le notaire Viguier, le président Chifflet lui montrèrent leurs collections d'histoire naturelle, d’antiquités, de médailles, de livres. On lui fit bon accueil dans la bibliothèque publique, fondée en 1694 à l’abbaye Saint-Vin- cent par l’abbé Jean-Baptiste Boisot. Il y prit des notes sur di- vers manuscrits latins ou grecs et sur divers morceaux de sculpture ou de peinture, en partie perdus aujourd’hui. La bi- bliothèque et le cabinet du président Chifflet attirèrent d’une façon particulière son attention, qu'iis méritaient du reste, car les 6,000 volumes qui s’y trouvaient (dont plus de 200 manus- crits), entrés dans les collections publiques en vertu des lois de confiscation sur les émigrés, forment, plus encore peut-être que les manuscrits Granvelle, le fonds le plus intéressant de la bibliothèque actuelle de Besançon. M. Gauthier donne, en complémert du manuscrit d’Oberlin, qui mérite d’être publié, certains détails sur emplacement de l'hôtel du président Chifflet et sur les tableaux ou portraits restitués sous la Restauration au premier président Chifflet, fils et héritier du contemporain d’'Oberlin. À la suite de la séance, est élu : Membre correspondant : M. l'abbé FROMOND, curé de Crissey (Jura). Le Président, | Le Secrétaire, Dr NARGAUD. JULES GAUTHIER. Séance du 10 mar 1902 PRÉSIDENCE DE M. LE DOCTEUR NARGAUD. Sont présents : BUREAU : MM. Nargaud, président ; Vaissier, vice-président ; Gauthier, Secrétaire; Airchner, archiviste. re NN Te MEMBRES : MM. Berdellé, Boname, Bonnet, Bourdin, Boussey, Cellard, P. Drouhard, Girardot, V. Guillemin, Ledoux, Sou- chon, Thuriet, de Truchy et G. Vaissier. M. Guillemin lit les premières pages d’une Etude sur la peinture anglaise. Il met en relief l'entrée tardive du grand pays industriel dans le mouvement artistique, longtemps après que la France, l'Italie, l'Allemagne et la Flandre eurent constitué de véritables écoles et des groupements homogènes de peintres habiles et novateurs. Hogarth, Josuah Reynolds, Gainsborough, Thomas Lawrence, John Constable, Wilkie, Mulready, sont tour à tour étudiés dans leurs œuvres les plus caractéristiques et les plus remarquables de la « National Gallery » et dans les tableaux précieux qui sont entrés dans les collections de la ville de Be- sançon par les legs Gigoux et Chenot. L'école anglaise est ra- rement représentée dans nos musées français, elle l’est mieux à Besançon que dans la plupart de nos collections de province. M. le docteur Bourdin communique à la Société une biogra- phie de Guy-Michel de Lorges, duc de Randan, maréchal de France, lieutenant-général au gouvernement de Franche- Comté de 1741 à 1773, Mari de Mlle de Poitiers, une des plus riches héritières de la province, le duc de Randan posséda la plus grande fortune territoriale qui existàt alors en Franche- Comté, formée par la réunion des domaines des Neuchâtel, des Longwy et des Rye. Sa résidence favorite était le château de Balançon, sur les bords de l’Ognon, entre Dole et Pesmes, qui fut durant de longues années le théâtre de fêtes célèbres et l’occasion de réunions superbes, où la noblesse, l’armée etles plus jolies femmes de la province étaient conviées. Très galant, élevé du reste à bonne école dans la cour voluptueuse et. dé- cadente de la Régence et de Louis XV, le maréchal de Randan, malgré ses défauts que de moins indulgents pourraient quali- fier de vices, Jouit de son temps, dans son entourage et dans le ressort de son commandement, d’une réelle popularité. Son nom et son portrait méritent de trouver place dans la chronique comitoise du xXvirIe siècle. Une proposition relative aux collections Pàris est déposée en B NE l’absence et au nom de M. Estignard, par le Secrétaire; en voici la substance : Naguère réunies à la Bibliothèque publique, dans une salle qui portait le nom de « Cabinet Pâris », et qui contenait bronzes, marbres, antiquités, peintures, dessins de maitres, portefeuilles d'architecture et livres d'art, les collections for- mées par le célèhre architecte bisontin sont aujourd’hui frac- tionnées entre les divers musées et la Bibliothèque. M. Esti- gnard émet le vœu que les dessins et portefeuilles déposés à la Bibliothèque, où leur existence est quasi ignorée du grand nombre, Soient exposés dans nos musées à côté des peintures dues à la libéralité de Paris. Sans prendre, jusqu'à nouvel ordre, parti dans la question soulevée par M. Estignard, la So- ciété d’'Emulation décide qu’elle déléguera trois de ses mem- bres, MM. Vaissier, Ledoux et Girardot, pour examiner avec les délégués de l'Académie de Besançon et de la Société des Beaux- Arts, le vœu de M. Estignard et les moyens pratiques d'y don- ner suite. Le Président, Le Secrétaire, D' NARGAUD. JULES GAUTHIER. Séance du 14 juin 1902. PRÉSIDENCE DE M. LE DOCTEUR NARGAUD. Sont présents BUREAU : MM. Nargaud, président; Vaissier, vice-président ; Gauthier, secrétaire décennal ; Fauquignon, trésorier; Kirch- ner, archiviste. MEMBRES : MM. Berdellé, Bourdin, Bruchon père, Girardot, V. Guillemin, Ledoux et Souchon. M. le président communique une aimable invitation de la So- ciété d'Emulation de Montbéliard, priant la Société de se faire représenter à la réunion solennelle que no$ voisins tiendront le nt DU DO jeudi 19 juin; sont délégués à Montbéliard : MM. le président Nargaud et le vice-président À. Vaissier. L'échange de publications proposé par la Société des Anti- quaires de l’Ouest est accepté, et l’on décide qu'une ou deux séries de publications disponibles seront adressées, à charge de réciprocité, au président des Antiquaires. M. Victor Guillemin continue la lecture de son Etude sur la peinture anglaise et traite des peintres d'histoire. de genre, de paysage, de portrait : Burnes-Jones, élève de Rossetti, Princett, Paul Falconer-Pool, Fredon Liegthon, Alma-Tadéima. M. Gauthier fait passer sous les yeux des assistants un Livre d'Heures enluminé, de la fin du xive siècle, appartenant à la Bibliothèque publique de Vesoul et inscrit sous le n° 27 des manuserits. Composé pour Catherine de Monthozon, femme d’un chevalier de la Tour Saint-Quentin, il porte les armes de ces deux maisons, et, grâce à ses vingt-cinq miniatures, de sujets très variés, 11 fournit une contribution importante à l’histoire du costume en Franche-Comté de 1360 à 1400. Citons, entre autres sujets de péinture de ce psautier : le portrait de Catherine de Montbozon, en riche costume de châte- laine; celui de Guyette de Marnay, sa mère; celui d’un religieux vêlu de gris, scripteur et enlumineur probable du volume; puis des archérs s’exerçant à la cible sur le corps de saint Sébastien ; saint Côme et saint Damien inspectant les urines dun client, dans Île costume médical de l’époque. Chacune de ces miniatures est traitée assez méliocrement et naïvement par le pinceau de quelque artiste du crû. Dans la région franc-comtoise, si pauvre en peintures anciennes, si dénuée de vitraux, de tapisseries, d’émaux, objets qui foisonnent dans tant de provinces privilé- giées, le Livre d’Heures de Catherine de Monthozon, ou de la Tour-Saint-Quentin, prend un réel intérèt pour l'iconographie locale. Le Président, Le Secrétaire, D' NARGAUD. JULES GAUTHIER. Séance du 12 juillet 1909. PRÉSIDENCE DE M. LE DOCTEUR NARGAUD. Sont présents : BUREAU : MM. le D' Nargaud, président; À. Vaissier, vice- président; Gauthier, Secrétaire décennal; Fauquignon, tréso- rier. MEMBRES : MM. Cellard, V. Guillemin, Ledoux et 11. Savoye. M. le président rend compte de la séance publique de la So- ciété d’'Emulation de Montbéliard, à laquelle il a assisté, le 29 juin, avec M. le vice-président Vaissier, et du bon accueil réservé aux délégués de la Société d'Emulation. Ils ont été re- çus avec la plus grande cordialité par nos bons voisins et amis de ce petit Etat indépendant et très actif que constitue, au cœur du département du Doubs, lPancienne principauté que tour à tour ont gouvernée les Montfaucon et les Wurtemberg. A la séance publique, comme au banquet, les sentiments les plus aimables et les plus sympathiques ont affirmé la bonne entente de voisins qui rivalisent sur le terrain de l’érudition et de la science, pour soutenir le bon renom du pays comtois. L'Académie de Mâcon propose un échange de publications, que la Société d'Emulation s’empresse d'accepter, en tenant compte et de l’intérèt des Mémoires publiés par cette Société très estimée, et des vieux liens historiques qui rattachent le pays d’outre-Saône à l’ancien comté de Bourgogne. M. le secrétaire décennal rend compte de l’envoi à la munici- palité de Besançon du vœu déposé par M. Estignard pour l’ex- position, au Musée de peinture, des beaux dessins du cabinet Pâris, déposés dans des cartons quasi ignorés de la Bibliothèque publique. Il communique le vœu déposé dans la réunion des délégués de l’Académie, de la Société des Amis des Beaux-Arts et Arts industriels, de la Société des Architectes et de la Société d'Emulation, pour que nulle restauration, nul outrage immérité ” XXE ne soit désormais infligé aux monuments de Besançon par un bon plaisir administratif quelconque, et la décision prise de grouper les quatre Sociétés en commission permanente de protection des monuments bisontins. La Société d’'Emulation, consultée, ratifie la résolution prise, qui aura pour résultat, dès qu'une maladresse ou qu’un projet fàächeux menacerait un de nos vieux monuments, de faire entendre immédiatement d’énergiques protestations. Dans ce cas, les bureaux et présidents des quatre Sociétés agiront de concert, sans même consulter les Assem- blées générales, qui leur donnent mandat à cet effet. M. V. Guillemin termine la lecture de son Etude sur la pein- ture anglaise, en esquissant rapidement les principales figures des aquarellistes d’outre-Manche : Vernon, Copley, Fielding et autres. Ses conclusions finales tendent à constater la réelle dé- cadence de l’art dans un pays que les intérêts matériels absor- bent tellement. que le sens du beau s’y altère et s’y réduit. Après avoir fait connaître les plus intéressants parmi les ar- tistes qui ont essayé de ralentir ou d'empêcher cette décadence, M. Guillemin se réjouit de ce que le testament du peintre Gigoux ait fait entrer dans les collections publiques de Besançon nombre _de toiles précieuses de la vieille et de la moderne école anglaise. Après une convocation des membres de la Société à la pro- chaine réunion de l'Association franc-comtoise, qui aura lieu à Gray le jeudi 7 août, la séance est levée. Le Président, Le Secrétaire, Dr NARGAUD. JULES GAUTHIER. Séance du 15 novembre 1902. PRÉSIDENCE DE M. LE DOCTEUR NARGAUD. Sont présents BUREAU : MM. Nargaud, président; À. Vaissier, vice-prési- dent ; J. Gauthier, secrétaire décennal; Fauquignon, trésorier; Kirchner, archiviste. En DONTISS— MEMBRES : MM. Bourdin, Boussey, Cellard, V. Guillemin, Parizot, le chanoine Suchet, G. Vaissier. M. le secrétaire rend compte du congrès de l'Association franc-comtoise, tenu à Gray le 7 août dernier, et auquel ont pris part les huit Sociétés de la région, représentées par une partie de leurs bureaux et par plus d’une soixantaine de leurs mem- bres. Comme la réunion de Dole en 1899, comme celle de Mont- béliard en 1901, celle de Gray en 1902 à été un véritable succès pour une œuvre de solidarité et d’entente, ‘ont la Société d’'E- mulation du Doubs à eu l'initiative et dont elle recueille le bé- néfice moral. La Société Grayloise d'Emulation et son dévoué président, M. Maire, ont apporté à l’organisation du Congrès, à la prépa- ration du banquet, des séances particulières, générales et pu- bliques des sections et de l’Association tout entière, leur con- cours le plus actif et le plus dévoué. M. le maire de Gray a mis hôtel de ville et théâtre à la disposition des congressistes, fait pavoiser en leur honneur les monuments publics et pro- noncé au banquet une allocution des plus bienveillantes pour l’œuvre et pour les ouvriers. Des résolutions prises au Congrès, il en est deux à retenir: l'adoption du plan et de la publication d’une Biographie franc- comtoise, dont un spécimen paraîtra en 1903 ; la constitution de l'Association en Société dé protection des monuments franc- comtois, déléguant à son bureau permanent l'initiative néces- salre pour protester, en temps opportun, contre toute destrue- tion ou mutilation d’un édifice du passé. | M. le trésorier, sur l'invitation du président, rend compte des opérations administratives et financières qui ont fait entrer la Société en possession du legs d’'Edouard Grenier et ont préparé la constitution du capital de la fondation des frères Grenier. 2,400 francs de rente roumaine ont été vendus et transformés, par la Trésorerie générale du Doubs, en un titre de rente 3 0/0 de 1,508 francs, dont les arrérages se capitaliseront jusqu’à re- constitution normale d’nne rente de 2,800 francs taux adopté pour la pension triennale, dont la Société préparera prochaine- ment les statuts et règlements. XXII M. Jules Gauthier fait une communication sur la vie et l'œuvre du peintre Jacques Prévost, de Gray, dont une courte notice, signée du peintre Lancrenon, a paru en 1868 dans les Bulle- tins de la Société. Depuis, grâce à des recherches poussées sur divers terrains, on a retrouvé, en Bassieny et en Franche- Comté, notamment à Dole et à Rahon, six tableaux de lartiste dont on connaissait seulement, et fort mal, le curieux triptyque de Pesmes, datant de 1561, et, en dégageant un certain nombre de gravures qu’on lui attribuait à tort, on est arrivé à constater” qu'il fut tout à la fois graveur, sculpteur et peintre. Entre 1542 et 1551, Jacques Prévost, qui avait été le protégé du cardinal de Givry, évêque de Langres, fut employé par l'abbé de Saint- Waast d'Arras à de nombreux travaux de peinture. Ce- nom d'Arras découvre un protecteur nouveau : Antoine Perrenot, évêque d'Arras, qui fut pour les artistes de son pays et de son temps une véritable providence, et dans la collection duquel, à Besançon, on retrouve à la fois des tableaux, des bas-reliefs, des statues de marbre ciselées par Prévost: Le triptyque de Pesmes. avec la Descente de croix, l’Annonciation, les volets représentant les donateurs : Catherin Mayrot et Jeanne Le- moyne, nous à heureusement conservé le portrait de Jacques Prévost, assistant, recueilli, derrière les personnages officiels de la mise au tombeau, au drame poignant du Calvaire. La bio- graphie de Jacques Prévost, avec les éléments inédits qu’on vient de réunir, éclairera d’un jour tout nouveau l’histoire des arts en Franche-Comté au lendemain de la Renaissance. Sont présentés, comme membres correspondants : MM. Fernand GUIGNARD, archiviste paléographe, à Dole; André MAIRE, étudiant en Sorbonne, à Paris. Le Président, Le Secrétaire, Dr NARGAUD. JULES GAUTHIER. = D NOCIN EN er Séance du 17 decembre 1909. PRÉSIDENCE DE M. LE DOCTEUR NARGAUD. Sont présents : BUREAU : MM. Nargaud, président; À. Vaissier, vice-prési- dent; Fauquignon, trésorier; Kirchner, archiviste. MEMBRES : MM. Bonnet, Cellard, docteur Cornet, V. Guille- min, Ledoux, Montenoise, Parizot, le chanoine Rossignot, H. Sa- voye, Souchon, résidants. M. le président exprimant tous les regrets de la Société de ce que, pour raison de santé. M. Jules Gauthier ne puisse assister à la séance, M. Alfred Vaissier le remplacera comme secrétaire. Après lecture du procès-verbal de la dernière réunion, il est donné lecture des réponses faites aux invitations à la séance publique du lendemain. L’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon sera représentée par son président, M. Boutroux, professeur à la Faculté des Sciences. M. le docteur Dufour, notre hôte habituel en cette solennité, fait part de tous ses regrets d’être obligé de renoncer, pour cette semaine, au plaisir d’être des nôtres en raison de l’état de santé de quelqu'un qui lui est cher. | En réponse aux invitations aux membres honoraires, Mg" Petit espère, sans pouvoir prendre d'engagement, assister jeudi à la séance publique. Soit en raison d'engagements anté- rieurs ou de nécessités de service, M. le Général commandant le 7e corps d'armée, M. le Premier Président, M. le Préfet, M: le Recteur, et M. l’'Inspecteur d'académie, regrettent de ne pouvoir assister à la séance publique. Toutefois, M. le Préfet charge M. Cosson, conseiller de préfecture, de le représenter, et M Île Général délègue à cet effet un de ses officiers d'état-major. M. Baigue, maire de la ville, en mettant à notre disposition la grande salle de l'Hôtel de Ville pour la tenue de Ia séance, — XXV — exprime également tous ses regrets de ne pouvoir y assister, retenu par des engagements antérieurs. M. le trésorier Fauquignon soumet à la Sociétés les comptes de l’année. Ces comptes sont approuvés, ainsi que le projet de budget pour 1903, proposé par lui au Conseil d'administration de la Société. Projet de budget pour l’année 1908. RECETTES. Subvention du département du:Doubs, :..:. ::,: 300 fr. D _- de la ville debésancon.- 21 002, 400 S DotSAtions des membres résidants. :. : -.... -1.950 A. — — ÉOLTeSDONdANtS MCE 450 Droits de diplômes, recettes accidentelles . . . 80 6 Intérêts du capital en caisse-et rentes :. = . : 600 Totale et eue 3" 080"1r. DÉPENSES. 1. Impressions. . MAN CR Te ee UD) DOTE 2. Frais de bureau, chauffage, éclairage et aménage- TROUS UN SR MEN ee - 100 D HAISdle Scance publique. 57. 7 L 100 4. Traitement et indemnité pour recouvrements à rénmidé da SOCIÉlél en. nu. nerve 200 5. Crédit pour recherches scientifiques . . . . . 180 Hola Pen Sr0S0itr: De chaleureuses félicitations sont adressées par M. le prési- dent et la Société entière à son trésorier pour l'excellente et dévouée gestion de ses finances. Procédant à ses élections pour le renouvellement du bureau, la Société nomme, par acclamation, à l'unanimité, les membres dont les noms suivent : 2 HOME Bureau pour lannée 1903. Président annuel : M. Edmond FRANGEY, avocat, vice-prési- dent du Conseil général du Doubs. Premier vice-président : M. le docteur NARGAUD, président sortant. | Deuxième vice-président : M. Maurice THURIET, avocat géné- ral à la Cour d'appel. [Secrétaire décennal : M. Jules GAUTHIER, archiviste du dé- partement.| | Vice-secrélaire : M. Alfred VAISSIER, conservateur du Musée archéologique. Trésorier : M. FAUQUIGNON, receveur honoraire des Postes et Télégraphes. Archivistes : MM. KIRCHNER et MALDINEY. Après cette élection, qui assure à l'Association, comme pré- sident et vice-président, deux de ses membres les plus distin- ouéset les plus honorables, MN Francey vetMlhurmeLrareele président informe la réunion que le bureau s’est rendu, au mois d'août dernier, auprès de M. Francey, pour le féliciter de sa récente nomination comme chevalier de la Légion d’hon- neur, et lui exprimer la satisfaction et les sympathies de la Société entière. En l'absence de M. Gauthier, sous ce titre : Lettres d’un in- connu à Edouard Grenier, M. l'avocat Montenoise communique une intéressante correspondance, à la fois littéraire et intime, adressée à notre regretté compatriote par une femme-écrivain d’un réel talent. Ces lettres, remplies souvent par lactualité, sont tracées d’une plume alerte, sans répétitions, sans exagé- rations, avec un sentiment très délicat de la nature et des nuances très variées pour peindre sensations et sentiments. Cette inconnue, dont on peut facilement soulever le voile, est une Parisienne, très éminente par le caractère, l'éducation, le talent, qui mourut récemment, et dont l'amitié fidèle et tendre entoura les vieux jours du poète Grenier de sympathie et d’af- fection, « bien excusée, disait-elle, de ses prévenances, par les cheveux blancs de tous deux ». me NON TIR M. le président ainsi que la réunion remercient MM. Gauthier et Montenoise de cette communication d’un réel intérêt. On procède ensuite à la présentation et à lPélection de nou- veaux membres résidants et correspondants. Membres résidants : M. ROUGET, directeur de l'Ecole normale de Besançon, pré- senté par MM. Nargaud et J. Gauthier: M. BERNARD, pharmacien, présenté par MM. Nardin et Fau- quignon ; M. l’abbé OUTHENIN-CHALANDRE, directeur de la mission déEcole, présenté par MM. l’archiprêtre Burlet et J. Gauthier. Membres correspondants : M. Charles RAIN, ancien conseiller de préfecture du Rhône, à Champvans-les-Baume (Doubs), présenté par MM. J. Gauthier et Ravnaet: ._ M. André MAIRE, étudiant à la Sorbonne, présenté par MM. J. Gauthier et A. Vaissier. Le Président, Le Secrétaire, Dr NARGAUD. A. VAISSIER. Séance publique du 18 décembre 1902. PRÉSIDENCE DE M. LE DOCTEUR NARGAUD. La séance s'ouvre à deux heures précises de l’après-midi, dans la grande salle de PHôtel de Ville, devant un auditoire où, malgré un très mauvais temps, les dames sont en majorité. Aux côtés de M. le président, siégeaient sur l’estrade : M£r PEerTir, archevèque de Besançon; M. COSSON, conseiller de préfecture, représentant M. le Préfet; M. SPIRE, Capitaine = NE d'état-major, représentant M. le général DESSIRIER, Comman- dant le 7° corps d'armée, et M. BourRoux, professeur à la Fa- culté des Sciences, président de l’Académie de Besançon. M. le vicaire général LALIGANT accompagnait Monseigneur l’arche- vêque. Etaient presents les membres résidants dont les noms sui- VEIDE MM. DE BEAUSÉJOUR, BOUSSEY, Ch. BONNET, H. BRUCHON, docteur CORNET, CELLARD, FRANCEY, FAUQUIGNON, Victor GUILLEMIN, KIRCHNER, docteur LEpOUx, H. MAIROT, PARIZOT, H. SAVOYE, Alfred et Georges VAISSIER. Ordre des lectures 10 La Société d'Emulation du Doubs en 1902, par M. le doc- teur NARGAUD, président; 20 Porte-Noire et ses Commentateurs, par M. Alfred VAISSIER,; 30 L’Enfance d'Edouard Grenier, par M. Jules GAUTHIER (lecture faite par M. l'avocat MONTENOISE). La séance est levée à trois heures et demie. Le Président, Le Vice-Secrétaire, D' NARGAUD. À. VAISSIER. — XXIX — BANQUES DE,1902 Le soir, dans les salons de M. Colomat, un diner intime, au- quel assistait un seul invité officiel, M. BOUTROUX, président de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon, réunissait trente convives, parmi lesquels les membres du bu- reau de la Société d'Emulation et nombre d'anciens présidents et membres dévoués de l'Association. Au dessert, des toasts sont portés par M. NARGAUD, président sortant, par M. FRANCEY, président nouveau, par M. BOUTROUX. président de l’Académie de Besançon; puis M. VAISSIER donne lecture: d'une pièce de vers, avec envoi, de M. Jules GAUTHIER, secrétaire décennal, retenu par une sérieuse Indisposilion. La carte du meuu, illustrée par les soins de M. VAISSIER, portait l’efligie du ainsi de Granvelle, d’après le portrait du Gaëtano, et le texte d’un sonnet adressé par le Tasse au fameux er son protecteur. Toast de M. le docteur NARGAUD, président annuel. MESSIEURS, Une des prérogatives présidentielles des plus agréables et des plus enviables est, sans contredit, celle qui consiste à sa- luer aujourd’hui les aimables convives qui, répondant à notre invitation, ont bien voulu assister ce soir à cette fête de famille. Et, tout d’abord, ce serait oublier les convenances les plus élé- mentaires et certainement faire injure aux saines traditions de la politesse française que de ne pas remercier ici les hauts di- gnitaires qui ont honoré de leur présence notre séance publique et par là même en ont rehaussé tout l'éclat : j'adresse donc à ces Messieurs l’expression de nos hommages les plus respec- tueux, les plus affectueux et les plus sincères. Mousieur le président de l’Académie, à votre banquet annuel, où j'ai eu l'honneur d’être convié, à titre de Re de la — XXX — Société d'Emulation, j'ai tenu à vous déclarer combien nous avions à cœur d'entretenir vivaces les rapports de bonne har- monie et de respectueuse déférence qui nous unissent à l’émi- nente assemblée, élite intellectuelle de notre province. Permet- tez-moi donc, en vous renouvelant ici l’expression des mêmes sentiments, de remercier l’Académie d’avoir désigné, pour la représenter à cette réunion, la haute personnalité de son pré- sident. Un dernier mot, Messieurs. Quand vous m'avez appelé, lan dernier, à l’honneur insigne de diriger vos travaux, je n'étais pas sans éprouver les plus vives appréhensions en face du lourd fardeau qui semblait m'incomber. Je m’'empresse d'ajouter que, grâce à votre extrême indulgence, et grâce surtout à l’exquise bienveillance du personnel du bureau, ces craintes, ces terreurs chimériques se sont rapidement dissipées: aussi, Je confesse sincèrement et en toute humilité, que, pendant que tous étaient alla peine, jairdimetcontentemdetre cena ehonreuneIe ne saurais done trop vous témoigner mes sentiments de profonde cratitude. Cependant, je crois déjà m'acquitter d’une partie de la dette de reconnaissance contractée envers vous en cédant la place à mon vieil ami Francey, dont il est superflu de faire l'éloge, et qui, puissamment secondé par un auxiliaire aussi précieux que M. l'avocat général Thuriet, saura porter haut et ferme le drapeau de notre Association. C’est dans ces sentiments, Messieurs, que je lève mon verre en l’honneur de vous tous, et, en portant votre santé, je bois à la prospérité éternelle de la Société d’Emulation du Doubs. Je n'aurais garde, dans ce salut confraternel, d'oublier notre dévoué secrétaire décennal, dont nous déplorons tous iet l'absence à ce festin intime, et à qui nous souhaitons, de tout cœur, un prompt rétablissement. Toast de M. FRANCEY, président élu pour 1903. MESSIEURS, Lorsque M. Jules Gauthier, notre dévoué secrétaire décennal, me fit connaître votre intention de m'’élire président de la Société SONORE et me demanda mon assentiment, j’éprouvai un mouvement d’hésitation. Ce très grand honneur ne revenait-il pas à beaucoup d’autres plus dignes, à des hommes connus par leur science et leurs travaux ? Ensuite, comment remplacer mes honorables prédécesseurs et notamment M. le président Nargaud, dont les discours et les écrits sont toujours empreints d'un esprit si fin et si éclairé? Avec quel art,en quels termes charmants il vous a fait aujour- d’hui le récit des travaux et des progrès de la Société d’Emula- tion pour l’année qui vient de s’écouler ? Avec quelle amabilité il a parlé à ses auditeurs, et notamment à votre modeste nou- veau président, dont 1l a fait un éloge inspiré sans doute par une ancienne amitié, mais que celui-ci est obligé d'accepter sous réserves. Je ne vois, en effet, pas d’autres titres pour moi à la rrési- dence que mon ancienneté et mon dévouement à la Société. Oui, je suis un ancien, mais qui n’a jamais pris une part très active à vos travaux, se bornant le plus souvent à une lecture attentive et fort intéressante de votre publication annuelle. Cest donc mon dévouement que vous avez voulu récompen- ser etje vous en remeñrcie. du fond du cœur. Dévoué je suis à cette Société, toujours belle malgré sa vieillesse et surtout à cause de sa vieillesse, toujours alerte dans Ja voie du progrès des arts, des lettres et des sciences, cette Société qui compte des savants dont la Franche-Comté et même la France s’ho- norent. Je m'’efforcerai, avec les vice-présidents émérites que vous avez bien voulu m'adjoindre, avec les membres du bureau dont les noms seuls suffisent à entretenir la renommée et l’éclat de notre Société, à maintenir les traditions qui ont assuré ses succès passés et présents. Je lève mon verre en l'honneur: du président sortant, des membres du bureau, de vous tous, Messieurs, qui contribuerez à assurer les succès futurs! NI Toast prononcé par M. BOUTROUx, président de l’Académie. MESSIEURS, Je remercie cordialement M. le président des aimables paroles qu’il vient de prononcer à l'adresse de l’Académie, que j'ai l'honneur de représenter aujourd’hui. Je puis vous assurer, Messieurs, que la sympathie qu’elles expriment est absolument réciproque. Je trouve que les Sociétés comme l'Emulation du Doubs et l'Académie rendent plus de services qu’elles ne semblent. Au- jourd’hui toutes les branches de connaissance ont pris une telle extension que le travailleur est obligé de se spécialiser de bonne heure, et alors il est exposé à subir peu à peu une cer- taine déformation professionnelle de l’esprit. Mais s’il s'associe à d’autres personnes qui travaillent sur d’autres sujets, sil vient de temps en temps entendre de charmantes choses comme celles que nous avons eu le plaisir d'entendre aujourd'hui, il sort, malgré lui, du cercle restreint où sa pensée était enfer- mée; il s’habitue à prendre intérêt à des productions étran- oères à sa spécialité, et échappe ainsi au danger de voir son esprit se rétrécir de plus en plus avec le temps. Je lève donc mon verre à lunion fraternelle, doit lEmulation du Doubs comme l’Académie donne l’exemple, entre tous ceux qui savent dérober au labeur quotidien de la vie pratique quelque temps pour s’adonner à la culture désintéressée d’une science ou d’un art quelconque, sans autre mobile que le goût des choses de lesprit. A la Société d’'Emulation du Doubs, A son très distingué président, M. le docteur Nargaud. ONG UE Pièces de vers de M. JULES GAUTHIER, secrétaire décennal (lues par M. ALFRED VAISSIER ). ENV OT Besançon, 18 décembre 1902. C’est avec tristesse vraiment Qu'au fond d’un lit où je végète, Quoiqu'il pleuve et fasse grand vent, J éprouve un très réel tourment A déserter un jour de fête. Cest bien malgré moi, croyez bien. Et si j'avais bon pied, bon œil, Rien ne m'arrêterait, non, rien, Malgré ce véritable temps de chien, Pour courir vous faire bon accueil. Marcher, courir, je ne lai pu : Malgré nos excellents confrères Docteurs et chirurgiens, j'ai dû, Sans être absolument perdu, Dire adieu à toutes affaires. C’est alors que, sans prendre vert, Vaille que vaille j'ai pondu, Pour vous être lus au dessert, Après la salade, ces vers. Soyez indulgents au perelus! KR NXIN — LES VOLONTAIRES DE 1792 (SOUVENIRS DE FAMILLE) Quand l’ancien régime régnait, Sous Louis Quinze et Louis Seize encor, Le soldat, surtout s’il était Roturier, rarement gagnait Les épaulettes à franges d’or. Ce hasard heureux vint pourtant : | Au cousin de feu mon grand-père, Lequel, en mil sept cent et... tant (Ceci ne fait rien à l'affaire), Fut un jour nommé lieutenant. C'était un dragon. A la guerre Il s'était battu bravement ; Blessé, il revint chez son frère En congé, et incontinent Se mit au lit, le pauvre hère! Les jours passaient, et sa langueur, Rebelle à toute médecine, Ne fit que croître, et sa maigreur, Sa chétive et bien triste mine, Faisaient présager un malheur. Un soir, un exempt apporta Un grand pli aux armes de Frances Le lieutenant se souleva Sur son chevet et déchira Cette enveloppe d'ordonnance. « C’est un brevet de capitaine : » Vive le Roi! » Et puis il tend La lettre à son frère : « Tu m’entends, » Le Roi m'envoie, c’est bien la peine, » Du pain... quand je n'ai plus de dents! » RNA OQ ES Au cimetière on conduisit Le pauvre homme dans la huitaine, Et de sa carrière lointaine, Des faits d'armes qu'il accomplit, Rien ne survit au capitaine. Dix ans ont passé : la Patrie Appelle tous ses défenseurs À la frontière dégarnie, Pour repousser la tyrannie Et combattre les oppresseurs. Les volontaires, en ces alarmes, Sortent du sol et à grands cris. Tous les hommes courent aux armes; Partout s’enrôlent aux districts Les vieux soldats et les conserits. Pris d’une idée singulière, L'héritier de notre dragon Prend l’uniforme de son frère : Casque, épaulettes, ceinturon, Monte à cheval et part en guerre. Sous ce brillant harnais, 1l roule De Thoraise jusqu’à Quingey, Et les volontaires en foule, Electeurs, crient dans la houle : Vive le commandant Biget! Et, tambours battants, jusqu’au Rhin, Le bataillon de volontaires, Biget en tête, prit soudain La marche, et, l’épée dans les reins, Culbuta tous ses adversaires. Huit ans durant Biget marcha, Sacrant et sabrant, comme un sourd; Huit ans son bataillon trembla Sous sa rude main; au combat Sa voix dominait le tambour. MX XANI EE Mais voilà que de Bonaparte Le génie apparut, divin! Adieu vieux jeu et vieille carte, Des volontaires le destin Finit. Il faut que Biget parte. Retraité, avec compliments, Il se retire en son village Et lit philosophiquement Le récit des événements Qu'alors l'Empereur met en page. Et chaque fois qu’un Te Deum De victoire se chante à l’église, En umiforme le brave homme, Qui de combats encor se grise, Fêtait la Redingote grise. JULES GAUTHIER. % FEES PRE RS LA SOCIÈTE D'ÉMULATION DU DOUBS EN 1902 Discours d'ouverture de la séance publique du jeudi LS décembre Par M. le Docteur NARGAUD PRÉSIDENT ANNUEL MONSEIGNEUR (1), MESDAMES, MESSIEURS, Chaque année, à pareille époque, il est d'usage que la So- ciété d’Emulation du Doubs procède au recensement du tra- vail accompli et que son Président vienne, à cette séance publique, en faire l'exposé sommaire qui puisse permettre d'en apprécier l'importance et la valeur. C’est donc à moi qu'incombe aujourd’hui la mission délicate de remplir cette tâche ; aussi, en adressant à tous mes collègues l'expression de mes sentiments de profonde gratitude de l'honneur abso- lument immérité qu’ils m'ont fait en m’appelant à la direction de leurs travaux, j’escompte en même temps la bienveillance d’un auditoire d'élite capable de supporter sans trop de fa- tigue l’aridité de leur nomenclature. Votre présence parmi nous, Monseigneur, Mesdames et Messieurs, est du reste un sûr garant de l'intérêt que vous n’avez jamais cessé de té- moigner à notre Association, Ce qui nous autorise à vous (4) Msr PErir, archevêque de Besançon. or considérer comme étroitement unis à elle par une commu- nauté de sentiments, d’estime et de sympathie, et nous im- pose en retour l’agréable mais périlleux devoir de vous sou- mettre le compte rendu des résultats obtenus et des progrès réalisés pendant l’année qui s'achève. En jetant un rapide coup d’œil sur le tableau qui va se dé- rouler sous vos yeux, j'ai tout lieu d'espérer que votre indul- gence reconnaitra que nous nous sommes montrés dignes de la confiance de nos concitoyens, de la sollicitude toute spéciale des représentants les plus éminents des pouvoirs publics dont l’assiduité à nos réunions annuelles, tout en re- haussant l'éclat de l'assemblée, constitue pour nous la plus haute et la plus enviable des récompenses. Depuis plus de soixante ans qu’elle existe, la Société d’E- mulation du Doubs à fait preuve d’une vitalité toujours crois- sante, d’une activité et d’une ardeur infatigables à la re- cherche des documents de toute sorte destinés à enrichir son patrimoine scientifique. Les nombreux mémoires qu’elle a publiés dès sa fondation et qu’elle publie encore sont là pour l’attester ; ses bulletins officiels autorisent à prévoir d'avance ce que le monde savant est en droit d'attendre de sa bonne volonté. En 1902 les séances de la Société ont bénéficié des travaux suivants : Notre excellent confrère, le docteur Albert Girardot, nous a Communiqué une notice des plus intéressantes sur Alfred Milliard, le bienfaiteur de notre musée archéologique. Après avoir achevé ses études de droit à Paris, Milliard s'était oc- cupé beaucoup de littérature et de poésie, avait écrit dans des revues littéraires et publié deux volumes de vers remar- qués. De retour dans son pays natal, à Fédry (Haute-Saône), sans abandonner les lettres il s’adonna plus particulièrement à l’archéologie et surtout à l’archéologie préhistorique. Il eut la bonne fortune de rencontrer aux environs de son village plusieurs stations des âges de la pierre qu’il explora et étudia DO re avec beaucoup de patience et de sagacité. Les collections d'armes, d'instruments et d’ustensiles divers qu’il y a re- cueillis ont une valeur très appréciable. En les donnant au musée de Besançon, il lui a fait un legs précieux, d'autant plus que notre musée était jusqu'ici assez pauvre en objets de ce genre provenant de notre province., M. l'abbé Paul Druot, curé de Voillans (Doubs), à écrit pour nous un mémoire archéologique sur une curieuse cloche du xve siècle qu’il a découverte dans le clocher de son église. Ayant déchiffré les inscriptions gothiques, le sceau et les armoiries imprimés sur les flancs de ce bronze, il a pu en déterminer l’origine exacte, grâce aux archives des Dames de Baume. d’où 1l provient. Le docteur Henri Bruchon, fouillant les archives médicales du xvir° siêcle, nous a fait revivre la portrait d’un Esculape très considéré à l’époque, le docteur Jean Gavinet, qui fut un des bourgeois les plus notables de Besançon. [l à écrit un livre de raison où sont notés chaque année les traits marquants de sa carrière, les événements contemporains dignes d'intérêt soit dans la vie de la cité, soit dans l’histoire de l’Empire ou mème dans l’histoire de la France. Les éphé- mérides de cette autobiographie permettent de reconstituer la vie d’un praticien aimé et estimé de ses plus illustres con- citoyens et qui fut en même temps pendant de longues an- nées (1626-1641) un de nos premiers magistrats municipaux. . M. l'avocat général Maurice Thuriet, qui, d'emblée, a su conquérir une placé distinguée parmi nos collaborateurs, nous a donné lecture d’une communication fort attrayante sur le garde des sceaux Courvoisier (qui fut lui aussi avocat général à la Cour d'appel de Besançon) en nous décrivant la carrière brillante et très mouvementée d’un magistrat franc- comtois des plus célèbres. Cette notice très précise quoique très concise est destinée à la Biographie france comtoise qui paraîtra prochainement sous les auspices des Sociétés savantes de notre région. PE Digne émule de M, le curé de Voillans, dont il porte le nom et dont il professe la sympathie pour les recherches ar- chéologiques, M. l'abbé Hermann Druot, ancien professeur au séminaire de Consolation, nous à présenté un compte- rendu très instructif des fouilles et des découvertes faites sur son initiative et par ses soins dans les ruines du château de Châtelneuf-en-Vennes qui dominent les sources et les cas- cades du Dessoubre et du Lançot. Sous son intelligente direction, les élèves du séminaire ont consacré les loisirs de leurs récréations à creuser et fureter dans les décombres du vieux castel féodal, pour exhumer une collection considérable d'objets variés ; instruments aratoires, armes, mousquets, outils de toute nature, médailles, objets liturgiques qui nous donnent des renseignements précieux sur les arts du xvir* siècle. ; M. Alfred Vaissier, dont la compétence en matière archéo- logique est bien connue de tous, continuant ses études sur l'arc antique de la Porte-Noire, a expliqué le symbolisme des bas-reliefs qui décorent ce superbe monument, sans contredit la plus remarquable des curiosités de notre ville, peut-être même de notre pays. Avec une sagacité merveilleuse, il a déchiffré, comme on disait naguère, l’énigme du sphinx et déchiré, aux yeux des profanes, le voile mystérieux et impé- nétrable d’un édifice grandiose, érigé en glorification de la puissance romaine, dont s’enorgueillit notre cité, fière de posséder un des chefs-d’œuvre de l'architecture du 1° siècle. M. le docteur Bourdin, médecin-major au 7° bataillon de forteresse, un de nos nouveaux collègues, qui consacre les rares loisirs de sa profession à des études du plus haut inté- rêt, non seulement au point de vue de la santé publique, mais aussi dans le domaine des sciences, des lettres et des arts, nous à communiqué une étude très appréciée sur le maréchal duc de Randan, lieutenant général du gouverne- ment de Franche-Comté, de 1741 à 1773. Le duc de Randan était le petit-fils du maréchal duc de Lorges, ancien gou- ER - verneur de la province et fils de Gui-Nicolas de Durfort et de Thèrèse de Chamillard, fille de lun des ministres de Louis XIV. | Colonel à 19 ans, il prit part à toutes les actions militaires de son époque et fut appelé, en 1741, au commandement en second de la Franche-Comté, qu’il conserva jusqu'à sa mort. Princièrement installé à Besancon dans l’hôtel du com- mandement (ancien Hôtel Montmartin, occupé aujourd’hui par les dames du Sacré-Cœur), 1! possédait aussi le château de Balançon par suite de son mariage avec Mile de Poitiers, héritière de la maison de Rve. Son faste et son luxe sont res- tés légendaires et les fêtes splendides qu'il donna, tant à l’hôtel du quartier général qu’en son merveilleux château où toute la noblesse était conviée, témoignent hautement de son respect absolu pour les traditions aristocratiques de cette époque et aussi du vigoureux essor imprimé au commerce de notre ville, qui bénéficia largement de son administration. Aussi le nom de Durfort, de Randan, de Lorges, de Duras est-il écrit en lettres d’or à l’armorial de notre province, M. Victor Guillemin, dans une étude très documentée sur la peinture anglaise, a mis en relief l'entrée bien tardive de ce grand pays industriel dans le mouvement artistique. De- vancée depuis longtemps par les écoles italienne, flamande, française et allemande, l’école anglaise n'en compte pas moins dans son sein une pléïade d'artistes originaux dont les œuvres remarquables méritent à bon droit de fixer l’atten- tion. Nous voyons défiler Hogarth, Thomas Lawrence, Gains- borough qui ont enrichi de leurs productions la National Gallery, ainsi que les tableaux précieux offerts à nos musées par les legs Gigoux et Chenot, dont les richesses se trouvent, par là même, considérablement augmentées. | Enfin, M. Jules Gauthier, notre érudit secrétaire décennal, digne successeur d’Auguste Castan, à jamais regretté, s'est prodigué comme de coutume dans ses recherches vraiment fébriles et dans des attrayantes publications. Je vous signa- lerai à son actif : 1° Une étude sur l’église romane de Romain-Motier, bâtie au canton de Vaud, près de la frontière française de Jougne et Vallorbes. Ce spécimen de l’architecture monastique du xIl* siècle est bien conservé, presque intact, moins les ab- sides et certain porche ajoutés aux x1r1°-xv° siècles. Romain- Motier, Saint-Maurice de Jougne et Sainte-Ursanne, groupés sous le titre de Trois Eglises romanes du Haut-Jura, fourni- ront un chapitre intéressant à l’archéologie de la région. 20 Une notice sur le peintre bisontin Donat Nonnotte (1708- 1785), fils d’un vigneron de la rue Saint-Paul. Après quelques études préliminaires, Nonnotte se rendit à Paris et à Ver- sailles, où 1l devint l'élève et le collaborateur du peintre du roi, François Lemoyne. Ce fut un des meilleurs portraitistes du règne de Louis XV. L'église de la Madeleine possède de lui une Sainte-Famille datée de 1728, et nos musées son por- trait et celui de sa femme qui témoignent d’un habile pin- ceau mis au service d’un talent incontesté. 30 Une note sur un joli bronze grec provenant de l’acadé- micien Prosper Mérimée, retrouvé rue de Lille dans les dé- combres de la maison incendiée par la Commune, qu'habi- taient Mérimée et Edouard Grenier, offert au musée de Besançon par les héritiers du poète. 4° Une autre note sur un torse de Vénus pudique, en pierre, du xvi° siècle, trouvé à Jougne dans les ruines de la maison de l’écuyer Ferlin, contemporain et ami des Gran- velle. 9° Une note sur le Recueil d’antiquités romaines de Luxeuil, dessinées et décrites par Jean-François-Melchior Fonclause. en 1778, et qui, comparées aux objets découverts depuis, enrichissent encore le domaine de l’archéologie. 6° Le compte rendu d’un voyage accompli à Besançon, en 1776. par le professeur strasbourgeois Jacques Obertin. Cet érudit consacra plusieurs journées à visiter notre ville, ses Te monuments, ses musées, sans oublier les savants d'alors qui l’accueillirent avec les plus grands égards. La bibliothèque et le cabinet du président Chifflet attirèrent plus particulièrement son attention bien méritée du reste, étant donné que le groupe important des ouvrages qui S'y trouvaient (6000 volumes) constitua, en 1792, le fonds le plus important de la Bibliothèque actuelle de Besançon. | 7° Enfin une étude sur le costume à Besancon à la fin du xiv* siècle d’après le Livre d'heures de Catherine de Mont- bozon, femme d’un chevalier de la Tour de Saint-Quentin. Les miniatures qui décorent le psautier, orné des armoi- ries des deux maisons, fournissaient une contribution très précieuse à l’histoire du costume en Franche-Comté à cette époque. Tel est, Monseigneur, Mesdames et Messieurs, le tableau sommaire des travaux du savant préposé à nos archives, vous pensez sans doute avec moi que tout commentaire se- rait superflu. Toujours soucieuse des intérêts de la province, la Société d’'Emulation, de concert avec les trois Sociétés savantes de notre ville, Académie, Société des Beaux-Arts. Société des Architectes, a adopté avec empressement un projet dû à l'initiative de M. Estignard et relatif au transfert des collec- tions de dessins de l’architecte Pâris au musée, dans une salle spéciale qui prendra le nom de salle Pâris. Ces collec- tions reléguées jusqu'ici à la bibliothèque restaient ignorées de la grande majorité du public. En les exposant au grand Jour, c’est tout à la fois rendre hommage à l’éminent artiste bisontin et permettre à chacun d'apprécier dés trésors artis- tiques jusqu'ici presque Inconnus. Comme corollaire de cette sage résolution, les quatre So- ciétés, d’un Commun accord, se sont groupées en COMMISSION permanente de protection des monuments artistiques de notre cité et du département du Doubs. En terminant cette revue, je dois vous informer que le bu- A CR reau de la Société, représenté par son président et son vice- président, s’est rendu, comme de coutume, à l’aimable invi- tation de la Société d'Emulation de Montbéliard pour assister à la séance publique qui a eu lieu, le 19 juin dernier, au mu- sée de cette ville. Nous y avons entendu des lectures très instructives sur les origines de cette principauté tour à tour gouvernée par les Montfaucon et les Wurtemberg, puis sur les fouilles pratiquées à Mandeure, d’où furent extraits des bronzes et des objets d’art merveilleux qui, après un som- meil léthargique dans les sous-sols de l’ancienne cité ro- maine, resplendissent aujourd'hui dans de superbes vitrines disposées en leur honneur. Au banquet qui a couronné la séance, les sentiments les plus cordiaux et les plus sympa- thiques ont affirmé hautement la bonne harmonie et l’étroite solidarité qui unissent les deux Sociétés liées par une véri- table fraternité d'armes sur le champ de bataille du travail, de la science et du progrès. Je suis heureux et fier d'adresser nos félicitations à plu- sieurs membres de notre Société qui ont été l’objet de dis- tinctions flatteuses pendant l’année 1902. M. Joubin, doven de la Faculté des sciences, conseiller municipal, à été nommé recteur de l’académie de Chambéry. Obligé de nous quitter pour se rendre à ce poste éminent, M. Joubin nous permet d'espérer qu'il sera toujours un de nos fidèles, et Je suis sûr d'être votre interprète en lui sou- haitant de tout cœur un prompt retour au milieu de nous. M. le docteur Girod, un de nos concitoyens, a été nommé directeur de l’école de médecine de Clermont-Ferrand. C'est là un témoignage éclatant de l’estime et de la consi- dération que notre compatriote a su conquérir à Clermont aussi bien que dans sa ville natale. Enfin, comme couronnement de ces promotions, notre vice-président, M. l'avocat Edmond Francev, a été nommé chevalier de la Légion d'honneur. Cette haute dignité, juste récompense des services rendus à la chose publique, tant au | | SR palais qu’au conseil municipal et au conseil général par l’é- minent avocat du barreau bisontin, a d'autant plus de prix à nos veux qu'elle rejaillit pour ainsi dire sur notre Société, qui s’est grandement honorée en l’appelant aujourd’hui au fauteuil de la présidence. Il ne me reste plus qu’un pénible mais pieux devoir à remplir : saluer la mémoire de ceux que la mort impitoyable nous a ravis cette année. Nous avons perdu parmi nos membres résidants, M. Jules de Buyer, inspecteur de la Société française d’archéologie, puis M. Jules Vautherin, ancien président des forges de Franche-Comté, chevalier de la Légion d'honneur, ancien conseiller général du Doubs. Au mois de décembre dernier s’éteignait, à Baume-les-Dames, M. Edouard Grenier, dont la dernière pensée s’est traduite par une libéralité considérable au profit de la Société d’Emulation, à qui 1l donne par testa- ment une somme très importante consacrée à aider dans sa carrière un jeune homme pauvre se destinant soit aux sciences, soit aux lettres, soit aux arts. Cette pension triennale. sous le titre de fondation des frères Grenier {analogue à la pension Suard que distribue l’Académie de Besançon), est une preuve éclatante de l’atta- chement de ce philanthrope à la prospérité de notre associa- tion. En face d’un pareil souvenir, je regrette qu’il ne me vienne pas à l’esprit d'expressions assez éloquentes pour tra- duire les sentiments de profonde gratitude de notre Société vis-à-vis du poète distingué qui s’est révélé comme le plus généreux de ses bienfaiteurs. A cette liste nécrologique il faut ajouter encore M. Adolphe Jacquot, employé à la préfecture, collaborateur assidu d’une feuille locale, et M. Joseph Outhenin Chalandre, grand in- dustriel, véritable providence de la classe ouvrière, qu'il en- tourait d’une affection paternelle, et dont la fin prématurée est vivement regrettée par l’industrie de notre province. À ces deuils successifs, je dois ajouter ceux de deux mem- TÉMD EE bres correspondants : M. Devaux, ancien juge de paix et an- cien maire de Gy, qui a laissé une histoire manuscrite de cette ville; M. de Perpigna, ancien maire de Luxeuil, qui, pendant l’année terrible, s’est illustré en combattant brave- ment dans les rangs de la compagnie franche de l’intrépide colonel Bourras. Puisse cet hommage suprême, rendu à nos collègues dé- funts, atténuer quelque peu la douleur de leurs familles en leur apportant la certitude que leurs chagrins sont partagés par des hommes de cœur qui conservent et Conserveront pieusement le souvenir inoubliable des compagnons d'armes à jamais disparus! Tel est, Monseigneur, Mesdames et Messieurs, le bilan de l’année qui s’achève. C’est à vous de juger en dernier res- sort. Permettez-moi donc, en vous remerciant encore de l’at- tention hbienveillante que vous avez prêtée à cette lecture, d'espérer que la Société d’'Emulation n’a pas démérité à vos yeux et de conclure, avec votre assentiment, que, fidèle aux traditions laborieuses qu’elle tient de ses fondateurs, elle a continué, sans faillir, sa marche en avant, toujours inces- sante, toujours infatigable, et tressé de nouveaux fleurons à la couronne scientifique, si richement dotée déjà, de notre chère Franche-Comté. | UNE GLOCHE FRANC-COMTOISE DU XV: SIÉCLE Par M. l'abbé Paul DRUOT CURÉ DE VOILLANS Séance du 11 janvier 1902 Les cloches anciennes sont rares en Franche-Comté en raison des désastres nombreux que notre pays eut à subir. Une des plus anciennes peut-être dans tout le diocèse de Besançon se trouve actuellement dans la tour de l’église succursale de Voillans, non loin de Baume-les-Dames, et sert chaque jour encore, après 420 ans d'existence, à annoncer les offices paroissiaux. Cette cloche avait été faite pour l’abbaye de Baume-les- Dames, voici dans quelles circonstances : À la suite de la bataille d'Héricourt, le 13 novembre 1474, la Comté avait eu cruellement à souffrir des conséquences de la défaite des troupes de Charles-le-Téméraire. Les alliés, Alsaciens, Autrichiens et Suisses, excités par Louis XI contre le duc de Bourgogne, se répandirent à travers le pays. Ils prenaient et pillaient Blamont, Pont-de-Roide, l’Isle-sur-le-Doubs, Granges, Grammont, Clerval; ils incen- diaient et saccageaient tous les villages qu'ils traversaient. Baume n’échappa pas à la ruine. Un diplôme de Charles- Quint conservé aux archives municipales de cette ville nous apprend, en effet, que « Baulme-sur-le-Doubs fut prinse, brullée et saccagée par les ennemys, désolée et inhu- bitée », Les cloches de ces pays furent prises ou brisées pour être employées à la fabrication d'engins de guerre. Et s’il en échappa quelques-unes à ces actes de vandalisme, ces der- nières furent vouées néanmoins à la destruction. Moins de deux ans après, le 2 mars 1476, Charles-le- Téméraire subissait à Granson une nouvelle défaite qui le plongea dans un cruel abattement, mais le désir de la ven- geance ne tarda pas à faire succéder en lui une activité fié- vreuse. Il ne songea plus qu’à reformer une nouvelle armée ; 1l n'avait plus d'artillerie. il fit fondre le reste des cloches des églises du pays de Vaud et de la Comté pour en forger des canons, et ordonna même de rechercher dans les maisons de ses sujets les métaux propres à la guerre. Saccagée d’un côté par les alliés de Louis XI, dépouillée par Charles-le-Téméraire, l’abbaye de Baume-les-Dames, profitant d’un moment d’accalmie après tant de désastres et la mort du roi de France (1483), fit faire, sous le pontificat de noble dame Alix de Montmartin, abbesse du 11 mars 1477 au 11 décembre 1485, deux cloches dont les inventaires de ladite abbaye nous signalent l’existence. Toutes deux, y est- il dit, étaient aux armes de Montmartin, la plus grosse pesant 2000 livres, la plus petite environ 1200. C'est assurément cette dernière que possède l’église de Voillans, car elle répond en tout point à cette double mdica- ton et porte des marques indéniables de son ancienneté. Haute de 72 centimètres, elle a 1"46 de tour au cerveau, 151 à la seconde inscription, 1"75 à la gorge précédant la panse, 269 à la base, et pèse approximativement de onze à douze cents livres. Grâce à sa forte épaisseur de métal, elle a une grande amplitude de vibrations, un son argentin distingué et donne la note s2 bémol. Le battant est en fer grossièrement martelé; la panse, d’une épaisseur presque double de celie des cloches mo- dernes, est usée en maints endroits par suite des coups du battant et nombreux aussi sont les éclats qu’on aperçoit à la ot en, patte ou partie inférieure : indices certains de pérégrina- tions ou d’ascensions mouvementées. La forme rappelle celle des cloches du x1v° siècle; le cer- veau en est très aplati, à peine bombé:; les saussures pres- ‘que droites jusqu'aux gorges ou filets en relief qui précèdent la panse. Particularités à noter : les anses (ou anneaux de suspension) ne sont pas orientées avec le devant de la cloche, ce qui se fait toujours depuis longtemps; et elle à été frappée aussi par un marteau d'horloge. La décoration est fort simple : une croix latine de 18 cen- timètres sur trois degrés; une inscription. principale en beaux caractères gothiques de 33 millimètres de hauteur, qui forme comme une couronne à la naissance du cerveau de la cloche : MENTEM . SANCTAM . SPONTANEAM-HONOREM DEO ET PATRIE LIBERATIONEM, puis le nom du fondeur en mêmes caractères et faisant corps avec cette triple invocation : GUILLAME FET. Il est intéressant de constater, en passant, que c’est la premiere fois qu'on trouve le nom d’un fondeur du pays. Jusqu’alors, l’industrie du bronze avait fait appel à des artistes allemands ou lorrains qui excellaient dans la fabrication des cloches, bombardes ou canons. Chaque mot de l’inscription est séparé par un joh motif de décoration en forme d’S majuscule renversé (8), de la même dimension que les caractères gothiques, Le commencement de l'inscription est indiqué par une petite croix de Malte plantée sur quatre gradins. Huit centimètres plus bas se trouve une inscription plus petite faisant encore le tour complet de la cloche et obtenue par ces mots : LAUDATE DOMINUM OMNES GENTES, quatre fois répétés, et également en caractères gothiques minus- cules de 12 millimètres de hauteur. En considérant ces inscriptions avec attention, on remar- que que dans la première les caractères qui ont servi à l’im- primer sur le moule étaient mobiles; dans la seconde, au contraire, la phrase LAUDATE DOMINUM OMNES GENTES lait ee clichée et formait comme une matrice dont le fondeur devait se servir fréquemment. Entre ces deux inscriptions, pour les relier l’une à l’autre, quatre médaillons, de 63 millimètres de hauteur, sont placés à distance égale, et représentent deux motifs répétés alternativement : le crucifiement avec la sainte Vierge et saint Jean debout de chaque côté de la croix, puis saint Sébastien percé de dix flèches horizontales, po- sées régulièrement, cinq de chaque côté du corps, et bar- belées de façon artistique. Les figures sont grossières, d’un dessin naïf et intéressant qui rappelle le stvle de l’é- poque. Sous le nom du fondeur, à égale distance de deux des mé- daillons précédents, et toujours entre les deux inscriptions, est placé un sceau ogival haut de 66 m}m et large de 40. La légende est en minuscules gothiques : $S. Dame Alix de Montmartin abbasse de Balme. Ce sceau a exactement la même forme et la même dimen- sion que celui de la même abbesse, trouvé aux archives de Neuchâtel (Suisse) par M. J. Gauthier (G. 27, n° 14: X.5, n° 5). Sous un dais d'architecture accosté de colonnettes et de contreforts servant de soubassement à une Notre-Dame debout portant l'Enfant, avec l’écu de Montmartin fascé de onze pièces. | Ce blason nous donne approximativement la date de fabri- cation de cette cloche, Alix de Montmartin ayant été abbesse de Baume-les-Dames de 1477 à 1485. D'après le texte de l'inscription, il semblerait que c’est à la fin de son pontificat que la dite cloche a dû être fondue. Cette délivrance de la patrie (patrie liberationem) qu’on implore pourrait indiquer qu’on était au lendemain des terribles malheurs qui venaient de frapper Baume et la Comté tout entière. On objectera, sans doute, que ces mots patrie liberationem sont une for- mule qu’on retrouve sur plusieurs cloches du xvi‘ siècle et pourraient présenter un autre sens : la protection du pays OL ARS contre la foudre. La première interprétation paraît plus vrai- semblable. Il serait intéressant de savoir comment cette cloche à pu quitter l’abbaye pour venir trouver un refuge dans le modeste clocher de l’église de Voillans. La tradition locale porte à croire que cette cloche a été achetée, d’autres même disent volée à l’abbaye de Baume, Depuis le 15 août 1772, date de la bénédiction de l’église ac- tuelle de Voillans, il y a toujours eu une cloche et une seule jusqu’en 1837. Le dernier inventaire de l’abbaye de Baume, où elle figure, est celui qui a été dressé le 22 janvier 1795 par Antome-Philippe Doroz à la mort de l’abbesse de Thyard de Bissy : « Dans le clocher, v est-il écrit, sont trois cloches dont.. une médiocre, qui pèse environ 4200 est aux armes de Montmartin. » | Elle y reste jusqu’en 1791 où avec les trois autres cloches, ses compagnes, elle fut descendue du ciocher de l’abbaye pour être transformée en gros sous en vertu d’un décret royal. Mais la paroisse de Baume réclarua et obtint la plus grosse cloche pesant 2000 livres ; celle de 1200 TI. fut « pret- tée à la municipalité de Voillans, ensuitte d'ordonnance du département du 1°" octobre 1791 (1). » La commune de Voil- lans n’en paya jamais qu’une faible part au fondeur Denis Faivre des Chaprais près Besançon, chargé de transformer les cloches en saumons ou « flaons » de cuivre destinés à la Monnaie de Besancon. Telle est l’histoire de cette cloche, la plus ancienne peut- être de toute la Franche-Comté, certanement l’une des trois ou quatre plus anciennes, et la seule qui, outre une date cer- taine, possède le nom du fondeur, vraisemblablement Com- tois, qui l’exécuta. Après avoir appelé pendant deux siècles _ à de pompeux offices d’opulentes religieuses, elle sonna cou- rageusement, malgré tous les décrets, pendant les heures les (1) Etat du 2 septembre 1791 (0 389, Arch. du Doubs). — 16 — : plus terribles de la Révolution, au grand effroi de l’agent communal et du commissaire du canton, et elle convoque en- core aujourd’hui dans une bien pauvre église des Comtois vigoureux tout de foi et de labeur. MeOcreLe d'Emulation du Doubs, 1902. PLI nn ee mm mn mme mme mue bonne mumre 4 Ü , M. 446 de toux : 5 L<é te Donumuouuds ques + LDC DOIMINLITC CNCUS Q ASS LA AA . en) LNAMO}Y Serres. - Cloche donnée en 1484-1485 à l'église abbatiale de Baume par l’abbesse Alix de Montmartin (Eglise ce Vorllans Donës/ as PE. Société d'Emulation du Doubs, 1902. EH (HITS Dh 7 IT 4 l MARY SIÈCLE. -COMTOISE DU XVe Y J UNE CLOCHE FRAN Montmartin d LS Alix Médaillons et Sceau de Dame PORTE-NOIRE ET SES COMMENTATEURS Par M. Alïred VAISSIER Séance publique du 18 décembre 1902 MONSEIGNEUR (1), MESDAMES, MESSIEURS, Porte-Noire! A travers ce nom vulgaire ennobli par le temps, n'apparaît elle pas comme dans une vision l’image de l'antique Vesontio ? Il est peu de vrais rejetons de la souche bisontine qui échappent à cette sorte de fascination exercée par une ruine aussi mystérieuse que solennelle. En vain, quelques esprits superticiels viendront leur répé- ter que tout ce qu'on en raconte sont des produits de lima- gination, et mème, aveugles qu'ils sont, que tout serait neul dan: cette relique du passé, rien n’est capable de les détour- (1) Mir Perir, archevêque de Besançon. EPS ea ner d’une obsession qui prend naissance dans le légitime désir de connaître la vérité. Cette patiente et fort honorable curiosité a été tant de fois mise à l'épreuve, qu'on ne peut songer à la satisfaire qu’en arrachant, pour une première fois, à Porte-Noire quelques- uns de ses secrets. | Vous allez apprécier, Messieurs, si ce que vous allez en- tendre répond à cette condition. Il y a trente-six ans, l’érudit écrivain qui présida si long- temps et avec tant de supériorité aux destinées de la Société d’'Emulation du Doubs, Auguste Castan, consacrait à l’Arc de Besançon un remarquable travail présenté dans une séance analogue à celle d'aujourd'hui (1). Après un résumé sommaire des études antérieures sur ce sujet, le judicieux critique passait à des considéra- üons architectoniques tirées de la comparaison des monu- ments romains durant une période savamment limitée, pour consolider la thèse déjà soutenue par quelques-uns de ses prédécesseurs immédiats, à savoir que le monument avait été construit sous le règne de l’empereur romain Marc- Aurèle. Avant de terminer sa dissertation, Castan essaya, avec es- prit, mais sans trop y réussir, d'interpréter quelques-uns des bas-reliefs de Porte-Noire, la plupart des autres n'étant pas, à son gré, € également lisibles ». Aujourd’hui, de bienveillants confrères m’invitent à re- prendre ce travail en me laissant libre d’y procéder à ma guise. J'abuserai peut-être de cette latitude, mais, en retour, on aura la satisfaction de reconnaitre que si notre éminent confrère et ami n’a pas poursuivi l’œuvre jusqu'au bout, c’est à sa prévoyante initiative que nous devons des éléments (1) Considéerations sur l’Arc antique de Porte-Noire, à Besançon, Par A. CASTAN (Mémoires de la Société d’'Emulation du Doubs, année 1866, p. 420). — 19 — indispensables, sinon pour lachever, mais du moins pour la pousser un peu plus loin (1), Puissé-je, sous la sauvegarde de ce sympathique souvenir, obtenir la bienveillante attention de mon auditoire. * * x Lorsqu'un épigraphiste veut déchiffrer une inscription mu- tilée, après avoir relevé exactement les lettres certaines, il scrute, dans les lacunes, les moindres accidents de la pierre, afin d'y découvrir les traces de caractères intercalés, pour compléter, s’il est possible, ce qui manque au document, et cela avec patience et surtout sans parti pris. Il semble que la même méthode doive être employée quand il s’agit d’une sculpture détériorée. D'où vient que dans nos murs un monument antique, le plus considérable de tous, demeure, depuis au moins trois siècles, comme une inscription figurée dont des lignes en- tières passent pour être encore plus impénétrables que des hiéroglyphes ? Dirons-nous, avec un éminent critique, M. Emile Faguet, que « c’est la condition même de tout ce que fait l’homme ici-bas ; il ne réussit qu’au prix de mille tâtonnements et ne finit par frapper juste qu’à force de s'être trompé ». Permettez-moi, pour mieux approprier cette pensée au cas particulier, de répéter avec la Sagesse des nations : Ce n’est qu’en frappant juste sur la tête du clou qu’on parvient à l’en- foncer. Tous ceux, sans exception, qui ont cherché la solution d’une seule de ces énigmes n’ont pas suivi la méthode de l’'épigraphiste ; ils ont jeté sur les sculptures un regard su- perficiel, se sont rebutés des difficultés, et, surtout, ont tra- vaillé avec des opinions préconçues. De là des interprétations (1) Voir deux précédentes études dans les Mém. de la Soc. d'Emnul. du Doubs, 1897, p. 217, et 1901, p. 161. d'une stérilité absolue et ne pouvant jamais entrer comme éléments dans un ensemble bien homogène tel que les cons- tructeurs ont dû le concevoir. Que l’on veuille bien ne pas comprendre dans cette appré- clation sévère les très estimables études, entreprises pour suppléer au silence de l'Histoire, afin de déterminer l’époque présumable de l'érection du monument Il ne sera question ici que d’un certain nombre de bas-reliefs qui sont comme les mots de phrases bien faites et où tout se tient. Ne con- vient il pas qu'il ne soit plus dit que nous n’avons pas pu les déchiffrer avant leur disparition? Pour démontrer le vide des interprétations proposées, il suftit de les signaler, sans qu’il soit besoin d’insister sur le chapitre des variations. Au moyen d’un exposé chronolo- gique de la série des commentateurs et de leurs opinions di- vergentes, vous assisterez à une sorte d'escrime où chacun des combattants cherche à battre en brèche la thèse adverse pour recevoir des coups à son tour, sans que jamais personne puisse sortir victorieux. Me serait-il permis, Messieurs, de vous considérer comme les juges du camp ? Mais, direz-vous, en cette matière, il serait nécessaire de nous faire mieux connaitre l’objet en discussion ? Pour vous documenter, laissez-moi user d’un procédé peut- être étrange, mais à coup sûr fort avantageux dans la cir- constance actuelle. Veuillez écouter ce récit: « Il y a seize cents ans, un étranger, voyageant pour son instruction, arrive en face de la cité de Vesontio. Après avoir admiré le paysagé depuis une hauteur, il des- cend la route qui, par le faubourg, le conduit à la rivière où il trouve un pont de pierre dont les solides arcades peuvent défier les siècles. À peine a-t-il atteint l’autre rive que s'ouvre devant lui une longue rue, parfaitement droite, bordée de op trottoirs, et luxueusement pavée de larges dalles bien appa- reillées. | Tout au bout de la perspective des constructions, il aper- çoit dans le lointain un édifice transversal qui se détache sur le fond de tableau formé par la montagne rocheuse. Bientôt il peut satisfaire sa curiosité, circuler autour d’un monument décoratif, isolé dans la partie dominante d’une place publique; c’est une majestueuse arcade dont les deux façades ainsi que les côtés comportent la plus abondante or- nementation; l'orientation en est si parfaite que le soleil en fera pour ainsi dire le tour dans une même journée. Notre vovageur Hit sans peine une grande inscription dé- dicatoire tracée en lettres de bronze fixées sur la frise du couronnement, où elle est accostée de deux figures de Gé- nies agenouillés: JOVI OPTIMO MAXIMO, FELICITATIS REIPUBLICÆ CONSERVATORI, [Il comprend aussitôt qu'il a sous les yeux l’expression élo- quente de la piété des habitants d'une cité, après l’achève- ment de grands travaux d'utilité publique dont il aperçoit à quelques pas de somptueux témoignages. Il suit de l’œil des lignes architecturales richement fouil- lées, en même temps qu'il remarque une multitude de fi- gures, les unes d’un très haut relief, semblables à des sta- tues, les autres réparties à l’intérieur comme à l’extérieur, et même sur les seize colonnes qui les encadrent en les faisant valoir. Sur la clé de voûte préside le maître suprême Jupiter, re- présenté en vainqueur des Titans qui se tordent à ses pieds: de superbes Renommées avec les guirlandes de l'abondance lui présentent les palmes de la Victoire dont les glorieux messagers, Castor et Pollux, les deux fils du Roi de lO- lympe, se dressent de chaque côté, en grandeur colossale, pour personnifier le Jour et la Nuit, la Vie et la Mort. Plus bas les douze Mois de l’Année sont symbolisés par = 09 autant de tableaux des scènes de la vie humaine pendant la paix, sorte de Zodiaque qui unit le ciel à la terre. Comme un enseignement de haute sagesse se succèdent, sur les colonnes, les beaux exemples de travail, de dé- vouement et de courage don- nés aux hommes par les Héros légendaires : Dédale, Thésée, Hercule, etc. | Enfin, pour encadrer cette figuration religieuse et philoso- phique mise en première ligne, arrive la décoration officielle, qui comprend les com- bats, les captifs et les apothéoses des vain- queurs, mêlés aux tro- phées militaires, en ré- sumé la glorification de la puissance romaine sous laquelle se maintient la tranquillité et se déve- loppe la félicité publique. — Voilà, se dit l'étranger, un digne hommage de piété et de reconnaissance rendu par les habitants de ce lieu aux au- teurs de leur prospérité. Cela dit, notre visiteur satisfait franchit l’arcade et va rendre ses devoirs au grand temple de Jupiter qui s'élève à quelque distance sur le versant de la colline. » DÉDALE ET ÎCARE, THÉSÉE ET LE MINOTAURE. Ainsi finit notre récit. — Mais c’est une fable que vous nous racontez! — Pas tout à fait! Veuillez y voir la projection idéale d’une réalité trop lointaine pour qu’on puisse la reproduire autre- ment dans l'intérêt de ce qui suit. La vue d'ensemble ou la description mise sur le compte d'un voyageur anonyme du 11° siècle, écarte en de nom- breuses places les allusions à des faits historiques qu’on y soupçonnait à tout hasard. — Ce qu'on aurait gagné d’un côté = PTS Eat) rss 5e armes annee are te & LA €- ET LA 4 DE: . y RTE: ; 2 ne : LT HR PT Le SAT A0 > 7 A] É L 31 , (Ye AD = à 10) VAE 6 ; 2 MR LPS re CEE) 277 “ CJER œ à) ES } Eu © 2 Enr A AL PATATE - À ACTE KE. 2À. RENTE CA ” S 4 . ; .1SY “  7 serait perdu de l’autre. — Il ne resterait plus alors qu’à s’en prendre uniquement au stvle de l'architecture, au caractère ou à la qualité des sculptures, pour déterminer sinon une date précise d’origine, du moins pour limiter aussi étroite- ment que possible la période pendant laquelle Ile monument a été construit. Il est plus facile d'essayer la restitution d'un monument On mutilé que d’en retracer l’histoire quand les documents font défaut. Dans ce dessein, et d’après ce qui en a été dit de meilleur, la période cherchée ne peut être comprise qu'entre le début de la décadence de Ja sculpture romaine et sa chute rapide pendant les trente années de la fin du second siècle. À partir de cette époque, l'agitation incessante du monde barbare mettant de plus en plus en péril la situation de la Gaule, devait empêcher toutes les entreprises de construc- tions luxueuses. Aux premières invasions si meurtrières du mI° siècle, 253 et 275, après une période relativement pacifique sous Cons- tantin, succédèrent celles du milieu du quatrième, où une grande partie du territoire fut de rechef envahie et dévastée. Parmi les nombreuses villes qui furent saccagées, à une date indéterminée, nous avons sous les veux le témoignage de celle de Mändeure qui, ouverte et dégarnie de ses forces mili- taires, périt entièrement dans les flammes. Sous la menace continuelle de ces terribles occupations, Vesontio, subissant le contre-coup de la misère générale, a dû voir graduellement sa population décroitre et ses cons- tructions rester inachevées, puis, un jour que nous ne con- naissons pas, partager le sort commun. Dans quelle mesure les barbares prirent-ils part à la destruction des édifices? C’est ce que nous ignorons, Ce ne sont pas de grandes subs- tructions dont on a arraché par la suite tous les matériaux utihsables, ni même quelques colonnes renversées et brisées qui peuvent nous renseigner. Ce piédestal consacré aux dieux, cette colonne même qui, sur le versant de la citadelle, se serait effondrée, au premier siècle, à la parole de saint Lin, n'est-il pas un indice, bien que légendaire, de ce qui a pu arriver plus tard, et sans miracle cette fois, comme repré- sailles des persécutions ? Elle ne nous renseignera pas davantage cette fameuse lettre que le César Julien adressait, en 360, à son ami le phi- 1 À | | Ac losophe Maxime, au retour de l'expédition heureuse contre les Artuaires, et au moment où il passait par Vesontio pour aller hiverner à Vienne. Ce futur restaurateur du vieux culte - païen savait fort bien à quoi s’en tenir à cet égard, et, quand on connait sa prudente dissimulation relativement à la doc- trine quil professait déjà, on comprend pourquoi il n’insiste pas sur les causes de la destruction des temples somptueux qui ornatent la cité, grande autrefois, mais réduile alors à l’état de petite ville (1). Quoi qu'il en soit, que l’on fasse remonter l'occupation bar- bare de Vesontio à une époque bien antérieure ou voisine de la date de 356, il n’est pas douteux que le Philosophe alexandrin couronné n'ait compris parmi les temples dont nous retrou- vons aujourd'hui quelques colonnes couchées dans une an- tique poussière, l’apothéose de Jupiter, dépouillée, après un siècle et demi au plus, de son éclat primitif. Quelque ardent (1) Hodiyviov dE vÜn écTtv dveunuuévn, ndhot D meydAn Te fv ai modv- Tehéotv iepois ÉXELOGUNTO..... [Lettre de Julien;. Cet autrefois (rdhar, olim) n’impliquerait-il pas l'idée d’un état remontant à plus de six années, 356 étant la (late de l'invasion récente. D'autre part, le qualificatif àvetinuuévn (de &vahau6avw) signifie reprise, relevée ou réoccupée. Aussi, les traduc- teurs ne s’accorilent-ils pas : pour les uns, c’est un oppidulum dirutum, et, pour les autres, une petite ville réparée ou en réparation. Quand on se représente les préoccupations d’un chef d'armée aussi avisé que Julien, relativement à la situation et à la conservation des places de guerre qu'il visite, les pourvoyant de ce qui peut y manquer, on comprend que les di- verses nuances d'expression de la seconde interprétation soient applicables dans la circonstance. L'empereur Constance, meurtrier du père, des frères et des cousins de son neveu Julien, n'avait envoyé ce dernier à cette expédition des Gaules que pour le perdre, comptant bien lui faire endosser tous les dangers et toutes les fautes de cette guerre. Déjouant cette attente, le Jeune César, bien qu’entouré de gens hostiles ou incapables (voir son Epitre si curieuse au Sénat et au peuple d'Athènes), se révéla comme bon général, veillant à toutes choses, ardent et circonspect. Gelui auquel on avait imposé le rôle passif et périlleux de porter à l’armée les images de l'empereur, conduisit si bien la campagne qu'il remporta sa grande victoire près de Strasbourg sur le Rhin. C'est ainsi qu'après avoir balayé les Barbares, Il opérait en sûreté son retour par Vesontio en train de se refaire comme petite ville. LI gE que füt son prosélytisme, il lui eût été impossible de faire lui-même à Vesontio ce que n’avait pu réaliser à Rome son illustre prédécesseur et aïeul Constantin le Grand. Depuis longtemps il n'existait plus de sculpteurs capables d'exécuter de grandes figures, telles que celles des Renommées et des Titans de notre arc de triomphe (1). Abrégeons cette histoire. Après avoir traversé la longue période des invasions, ia noble arcade, de plus en plus meur- trie, mais toujours debout, conservera pendant quelques siècles, sous l’appellation de Porte de Mars, l’auréole des vieux souvenirs, muls bientôt, protégée nar sa masse impo- sante, elle sera enchaînée dans une muraille d'enceinte, son ouverture maçonnée et rétrécie sera réduite, sous le nom si- nistre de Porte-Noire, à l’état de sombre couloir donnant accès à un quartier fermé. Si le monument trouvera dans ces conditions un abri pro- tecteur pendant tout le Moyen âge et bien au delà, les sculp- tures dégradées et devenues incomprises sur la face apparente lui maintiendront la considération respectueuse des esprits éclairés qui se demanderont désormais ce qu’elles pouvaient signifier. Au xvi° siècle, un des premiers commentateurs signalés croit y Voir un hommage au conquérant des Gaules, Jules César; c'était remonter trop haut, et il est fort inutile de s'arrêter à cette attribution d’un caractère vulgaire. En 1580, à une époque où l’on commençait tardivement à mettre à profit les fruits de la Renaissance dans notre ville, 2 a —— (1) L'empereur Constance, pendant son triomphe immérité à Rome, ne pouvait assez admirer ces monuments devant lesquels il restail stupéfait. Perdant tout espoir de produire quelque chose de semblable et voulant faire grand, à son tour, il ne trouva rien de mieux que d’ériger, dans le grand cirque....., un obélisque que la mort avait empêché Constantin de ramener d'Alexandrie, où un vaisseau, d’une grandeur inouie, avait été construit pour le transporter à l’aide de trois cents rameurs. (Ammien Marcellin, LXVI Ch RENTE CRE) | 1 ME y naissait le fils d’une famille destiné à illustrer un nom no- blement soutenu par la descendance et la parenté. C'était Jean-Jacques Chifflet. Après avoir terminé des études littéraires et médicales, complétées par des voyages à l'étranger, surtout en Italie, ce jeune et savant docteur se livre à de patientes recherches sur l’histoire de sa ville na- tale. En 1618, toujours enflammé d’une patriotique ardeur, il publie l'ouvrage intitulé Vesontio qui va le mettre chronolo- giquement à la tête de nos historiens franc-comtois. Dans ce livre qui a eu la fortune de faire les délices des vieux Bisontins, trois chapitres sont consacrés à l'Arc dit Triomphal, tant pour démontrer que ce monument n’a pu être élevé qu'en lhonneur de l'empereur Aurélien, vainqueur sur terre et sur mer, en Orient et en Occident, restaurateur des Gaules, que pour donner une description soi-disant com- plète des figures sculptées qui sont censées appuyer cette at- tribution. Afin d'illustrer son œuvre d’un frontispice de marque, Chitf- flet commande à un orfèvre et graveur estimable de la cité, Pierre de Loizy, une planche où sera représentée Porte-Noire dans une restitution destinée à en faire comprendre toute la splendeur passée. ; Nombreuse comme celle des Chifflet, la lignée des Loizy, d’un attachement égal pour la patrie, compte plusieurs ar- tistes d’une certaine valeur. Le talent de Pierre de Loizy, in- férieur à celui de ses deux fils, Jean et Pierre IT, pouvait s'appliquer avec succès à des ciselures d’orlèvrerie, à des images de piété ou d’armoiries gracieusement composées, mais pour réaliser le rêve de son docte client, en présence d’un modèle si fruste et si peu accessible pour le regard, son burin capricieux alors dépaysé ne devait produire qu'une œuvre de fantaisie. | Comment Chifflet aurait-il pu exiger davantage de son gra- veur et reprocher à son travail le manque de sincérité? Il est à croire même que l’inspirateur de cette figuration inconsciemment grotesque fut satisfait puisque, avec sa planche supplémentaire, on retrouve les mêmes figures men- songères trois fois répétées. Le texte est à l'avenant, tant pour le fond que pour la forme, déclamatoire et inutilement chargé de citations poétiques se- lon la mode du temps. Le respect que commande la vénérable personnalité d’un citoven si jaloux du bon renom de sa ville natale ne saurait interdire la critique de ses défauts. Les images du Vesontio, qui, moins prétentieuses, plus simples et plus sincères auraient pu encore aujourd'hui avoir une valeur documentaire, n'ont servi qu'à dérouter beaucoup irop longtemps ceux qui, dupes de leur premier succès, con- tinuèrent à lui conserver quelque confiance. Si dans la collection des figures 1l y en avait une d’un intérêt capital, c'était bien celle qui couronnait l’arcade. Au lieu de s'attacher fidèlement à la reproduction de ce que le temps en avait encore épargné, Pierre de Loizy mal conseillé n'hésite pas à composer un type de fantaisie dont l’attitude et les ac- cessoires diffèrent sur chacune des deux planches. Le commentateur renchérit encore sur ce sans façon de mauvaise augure quand il nous décrit le manteau impérial d’Aurélien (trabeatum) et qu’il v ajoute même les couleurs de la poésie : In tunica lovis, et pictæ Sarrana ferentem Ex humeris aulæa togæ Echauffée par cette érudition trop littéraire, l’imagination de l’auteur le trouble dans sa vision, au point que le lecteur ne peut s'empêcher de sourire du résultat. Les sujets représentés vont subir en conséquence des adaptations étranges au gré des plus aventureuses hypo- thèses, à commencer par cette figure colossale où l’on n’hé- sitera plus à voir un des fils de Jupiter, Castor ou Pollux. Ce personnage, nu et solennel comme un Apollon, tient Je Ode à chacune de ses mains des attributs caractéristiques, à savoir la haste divine et la courte épée dans le fourreau. Ce glaive entouré du ceinturon se transforme aux yeux de Chif- flet, et sous le burin du graveur, en une massue noueuse. On nous impose ainsi, pour les besoins de la cause, soit « un Apollon déguisé en Hercule, à la façon des Egyptiens qui, dans leurs Zodiaques, adoptaient les douze travaux d’Hercule pour désigner les stations du Soleil, soit un Hercule iriomphateur (Hercules triumphalis), lequel présidait aux triomphes, à Rome (in foro Boariv) ». En outre, Chifflet ne manque pas de citer une inscription antique où le nom d’'Hercule est associé à celui d’Aurélien : Aureliani consors. La préoccupation constante de l’auteur sera de découvrir dans toutes les scènes des allusions à des triomphes chimé- riques et d'en préciser la signification. L'histoire rapporte qu'Aurélien monta au Capitole sur un char trainé par des cerfs. — Voici deux cavaliers, l’un pour- suivant l’autre avec sa lance pendant qu’une femme est ren- versée sur le terrain — Les chevaux seront des cerfs foulant aux pieds Zénobie, la reine de Palmyre. « La pierre est bien dégradée, observe notre auteur, ce seront des chameaux si vous aimez mieux, Je ne m'y oppose pas (non repuyno). )» Laissons les grands hauts-reliefs de la façade et toute cette partie de la décoration que nous appelons officielle, laquelle sera historique ou de convention suivant ce que les études de l’avenir en décideront peut-être. Dans les sujets de moindre dimension, sur les colonnes et sur le pilastre de la façade, nous n’avons que l’embarras du choix pour mettre en évidence ce que le manque de cul- ture archéologique a permis d'accepter alors d’un écrivain considéré comme sérieux. Mettons en regard des croquis sincères des six bas-reliefs du pilastre, les interprétations de Chifflet, Un choix bizarre d'épisodes peu intéressants, mais soil- disant honorables pour Aurélien, à déjà pris la place de toute hope la série des Héros légendaires; ici, au lieu de lallégorie des Mois ou des Saisons, notre historien va s’ingénier à découvrir autant de personnalités divines triomphantes à leur manière. Premier tableau. — Malgré l'extrême dégradation de ce tableau du sommet on s’accorderait à voir dans ce person- nage à tournure athlétiqne qui serre un arc dans sa main droite un Hercule chasseur, ou bien un de ces figurants aux combats des grandes fêtes célébrées au mois de Juillet en PREMIER TABLEAU. mémoire d’'Hercule. — P. de Loizy, estimant sans doute que nul n’y verra jamais mieux, imagine une figure de fantaisie, voire même celle d’une femme assise sur un haut tabouret de iorme étrange, et aussitôt Chifflet de donner cette explica- tion très alambiquée : « Comme le tempie où brûle le feu sa- cré, emblème de la puissance divine est toujours placé sur les hauteurs, nous avons ici Vesta, semblable au triompha- teur qui se repose (sedens) après la paix conquise, à côté du laurier de la virginité ! pas a Deuxième tableau. — Cette figure de jeune femme, nue et debout, sous une double chute d’eau, curieux rappel de quelque fontaine décorative où un esclave vient à la provi- sion, n’allégorise-t-elle pas assez heureusement le signe zodiacal du mois d'août, la Vierge”? — Chifflet y découvre une allusion à la continence exemplaire du triomphateur Auré- h lh {1 HN) VE 3, V')) PA Une ET sp. di, ; A DEUXIÈME TABLEAU, lien vis-à-vis de Zénobie, et c'est alors Vénus triomphante repoussant l'Amour ( Venus victrix amovens Cupidinem). Troisième tableau. — Cet éphèbe à la chevelure féminine est en train de cueillir des fruits. Le panier qui contient la récolte du mois de septembre est imétamorphosé en un mon- ceau, au pied du dieu Mars, des dépouilles de lPennemi vaincu | Quatrième tableau. — Un personnage imberbe, toujours jeune, et avec cette chevelure abondante qu’affectionne le sculpteur, est assis dans une pose très sculpturale sous une vigne grimpante. li porte la main à des grappes de raisins; à ses pieds, un récipient quelconque pour la récolte du mois d'octobre. VS Co (Pie 3 a LS Ep pas an) / A Le TROISIÈME TABLEAU. Nous accepterons cette jolie citation poétique : Hic, qui pæmpineis victor Juga flectit habenis Liber... (Liber autrement dit Bacchus), mais nous n’admettrons pas que Bacchus soit introduit à cette place parce qu'il a triomphé aux Indes ({riumphis aplus, quoniam primus om- nium dicilur de Indis lriumphasse). Cinquième tableau. — Quel peut être ce vigoureux gail- pe lard si fièrement campé et drapé par derrièré? ÜUn:paysan, . \ Q . 2 vraisemblablement de la Gaule chevelue; il est imberbe, : fs pe 24 PORTE-NOIRE SCULPTURE AU = LA FAÇADE 99 he) mais les longues mèches de sa coiffure flottent au vent avec une affectation marquée. — Un seul, parmi les chercheurs futurs, s’essaiera à trouver une solution raisonnable pour ce petit problème : Auguste Castan, qui a fort bien compris qu’il s'agissait d’une offrande ; mais, en donnant à cet acte reli- gieux un sens ironique, il s’est mis en contradiction formelle avec le sentiment de sincérité pieuse que comporte le monu- = 1} “. } ac … Æ 5 Te Ra + QUATRIÈME TABLEAU. ment. Une offrande de prémices agricoles, déposées sur un autel ne vient-elle pas à point au mois de novembre où l'on met le blé en sac pour la livraison. Le petit personnage qui porte sur ses épaules, soit un cochon sacrifié, soit une outre pleine ue rappelle-t-il pas le travail des salaisons où des entonnaisons ? On ne s’imaginerait jamais ce que devient celle scène dans les images du Vesontio. D'abord on y prend le sac pour ) wi LE met une tête de vautour! et, partant de là, l’auteur se demande si le grand personnage n'est pas : « Romulus en com- pagnie d’Aurélien, encore enfant, Romulus ou le Mars Qui- rinalis sous la hiératique peau de loup, lequel apercevrait un oiseau de proie sur sa gauche, signe de bon présage avant l’action, ainsi qu'il est dit d’Hercule dans Plutarque CINQUIÈME TABLEAU. (apud Pluturchum in Romulo) ».— Ce que c’est que d’avoir trop de lecture ! Sixième tableau. — Voici le comble pour nous apprendre que le graveur ainsi que l’auteur sont de complicité pour nous égarer davantage. Le bas relief est, il est vrai, fort usé, toutefois ses lignes principales sont encore saisissables. Im- possible d’arguer de la difficulté de vision, il est sous la main, à la hauteur de l'œil. N'importe ! Il nous faudrait voir au n° 93 de la planche et du texte, Pallas appuyée sur sa lance (Pallus hastili innixa Trojanis ad Bisontinos transmissa in arcu suum locum occupat)! Or, le personnage qu'environ trois cents ans après Chifflet nous voyons encore entière- ment vêtu comme un homme de peine, au mois de décembre où l’on fait les provisions pour l'hiver, porte sur sa tête une vaste corbeille qu'il soutient de la main droite, tandis qu’à sa D e Ds 4# es) bu Le TE LAN). AE À& ABUS, Es Es SIXIÈME TABLEAU. gauche est suspendue une paire de volailles. On se demande où peut être la lance ? Après cette surabondante exposition de ces interprétations stériles, bonnes à relever cependant comme termes de com- paraison, croirait-on qu’il se trouvera encore, sous prétexte de l’ancienneté de leur émission, des esprits assez candides pour leur attribuer un autre mérite que celui de la curiosité. Au xvur siècle, la thèse de Chifflet commence à perdre de Hope ee sa vogue. Néanmoins le jésuite Prost, dans une notice restée manuscrite (1), lui donnait un si maigre coup d'épaule qu’il ne pouvait qu'annoncer sa chute définitive d'autant mieux que Dunod, un historien de plus sérieuse autorité, arrivait pour la contredire et mettre à la place d’Aurélien, le fils de Cons- tantin Crispus. Pour combattre Chifflet, l’auteur de l'Histoire des Séqua- nois publie une reproduction de la gravure du Vesontio et y voit Crispus figuré « en différents états » mais toujours jeune ; or Aurélien triomphant était âgé (2). | À propos des scènes sculptées sur lacolonne où nous avons reconnu la série des Héros, et où Chifflet a cru voir, d'un bout à l’autre, des exemples de la sévérité d’Aurélien pour le maintien de la discipline militaire, Dunod estime avec rai- son que ce n’est pas faire honneur à un prince que d'appeler ainsi l’attention sur son atroce cruauté. Du reste, le critique n'ayant rien à mettre à la place, et pour éviter toute espèce d'explication, se tire d'affaire en disant que « ce sont là de petites scènes négligeables qui ne doivent pas entrer en considération ». Il se trompait, comme on dit, du tout au tout. Il serait inutile de s'arrêter à la conjecture de l’abhé Bullet (), qui voudrait descendre jusqu’à l'empereur Julien et en faire le restaurateur de la cité, si l’érudit avocat Perreciot ne reprenait plus tard pour son compte cette thèse aventu- reuse, avec une plus savante argumentation mais sans au- cune chance de la rendre meilleure (4). Enfin arrive don Berthod (5) qui, prenant à partie l’auteur (1) Ms. à la Bibliothèque de Besançon, p. 280. (2) DunNoD DE CHARNAGE, Histoire des Séquanois, p. 118-126. — His- toire de l’Eglise, ville et diocèse de Besançon, t. II, p. 375-380. | (3) Ouvrages manuscrits des membres de l’Académie de Besançon, LIN p Os | (4) Dissertation à la fin des concours, ann. 1764. (5) Mémoires et documents inédits, publiés par l’Académie de Besan- con, t. IE, p. 280. ANT ee de l’Histoire des Séquanois lui reproche très judicieusement de ne s'être expliqué que sur trois des grandes figures et d’avoir complètement négligé les autres : « Toutes cependant, dit avec raison le savant bénédictin, paraissent mériter une attention spéciale » ; et aussitôt il administre cette preuve qui suffirait pour condamner la thèse de Dunod favorable à Crispus. — « Vous prétendez que Crispus était le triom- phateur, mais Crispus était chrétien, ainsi que tout le pays, depuis Constantin! Or, je ne vois ici, dans les petits bas- reliefs en particulier, que des dieux et des scènes de paga- nisme ! » «Je vois, en particulier, un prêtre versant de l’encens sur un autel. » — Sans infirmer en rien la valeur de l’argumen- tation de don Berthod, bien au contraire, nous dirons que la scène à laquelle il fait allusion, plus riche encore de détails qu'il ne le crovait, représente sur lavant-dernier bas relief de la colonne de la façade : Hercule posant sur la flamme d’un autel son dernier javelot, sacrifice ultime qui consacre l’héroïsation du personnage légendaire. Mieux inspiré que tous ses prédécesseurs, don Berthod est le premier de nos historiens qui ait rattaché l'Arc de Porte-Noire au règne de l’empereur Marc-Aurèle. Le président Edouard Clerc (Det Auguste Castan sont ensuite venus confirmer cette attribution qui narait la plus sage, le premier, en considérant le monument comme un ouvrage commémoratif de l’arrivée des eaux d’Arcier à Be- sançon (j'ai fait naguère la critique des détails de cette inter- prétation) : le second, en affirmant que Porte-Noire est un arc de triomphe érigé par la municipalité de Vesontio en honneur des victoires d’un empereur sur des peuples bar- bares. Sans anticiper sur le travail de Pavenir, on peut faire quelques réserves relativement à ces affirmations, En 1840, se tint à Besançon la huitième session de ces (1) La Franche-Comté à l’époque romaine, p.25. use Congrès scientifiques dus à l’activité entraïnante du célèbre M. de Caumont. Le moment était bien choisi « pour exciter l’émulation » dans notre ville et v opérer le ralliement des hommes d’é- » tude isolés dans la province ». Telles étaient les paroles du bibliothécaire Charies Weiss qui présidait à la première séance générale du Congrès, et tels aussi les vœux de la Société d’Emulation du Doubs, qui commençait à réunir ses premiers adhérents. | Dans la section d'histoire et d'archéologie furent commu- niquées deux dissertations sur Porte-Noire ; la première, de M. Gousset, curé de Lavoncourt, lequel en retard de plus de deux siècles, reprenait servilement la thèse de Chifflet. On ne lui reconnut d'autre mérite que l’élégance de sa rédac- tion. La seconde, d’un ancien officier, M. Ravier, aurait, est- il dit, « jeté un jour nouveau » sur l’explication des petits bas-reliefs. Négligeant, toutefois, de prime abord, ces figures acces- soires, exactement comme l’a fait le président Ed. Clerc et tant d’autres, il se sert quand même, pour sa dissertation, des images de Chifflet, dont il se défend d'adopter le commentaire. Bien qu’on ne se figure pas quelle lumière pouvait jaillir de ce document, l’ardent collectionneur Duvernoy réclame, à ce propos, le dépôt sur le bureau des exemplaires du Vesontio et de l'Histoire des Séquanois de Dunod, pour consulter les gravures | Il est très singulier qu'il ne soit fait alors aucune mention de cette excellente planche, dessinée depuis dix-huit ans par Alexandre Lapret, le neveu de l'architecte de ce nom chargé des premiers travaux de restauration terminés par M. Mar- notte en 1826 (1). (1) Voir l'Annuaire du Doubs, année 1829, où cette planche a été insé- rée, et le Discours de réception de M. Marnotte à l’Académie de Besançon, Mémoires, 1875. 7 Il résulta de la discussion « que ni l’un ni l’autre des labo- rieux archéologues n’avaient cherché des preuves à l’appui de leur sentiment par une comparaison des monuments de architecture romaine à ses diverses époques. » — C'était fort bien jugé. — D'autre part, « MM. les secrétaires du Congrès ont sagement pensé que la question devait être remise en discussion, puisqu'on avait de nouveaux documents à pro- duire dans des bas-reliefs récemment découverts sur le flanc gauche de Porte-Noire. » En conséquence, l'assemblée se transporta en corps à l’Arc-de-Triomphe. Sur place, M. de Caumont appela l’at- tention de l'assistance sur la moulure des bases des colonnes où il trouvait le signe caractéristique des ouvrages du rrre siècle (1). En face de la colonne mise au jour depuis la restauration, _une des parties mieux conservées du monument (Voir la photogravure ci-jointe), M. Ravier dut soumettre à ses col- lègues un échantillon de son flair en matière d'interpréta- tion, qu'il est intéressant de remémorer comme un curieux exemple du procédé superficiel dont on abusait depuis si longtemps. Chacun peut aujourd’hui reconnaître à la partie supérieure de cette colonne, Hercule poursuivant de ses flèches le cen- taure Nessus, ravisseur de Déjanire. M. Ravier, la tête pleine d'actions militaires à découvrir, voit un soldat à l'exercice : « On se prépare à la guerre » ce sont ses termes mêmes. 2° scène : « Les chefs délibèrent » ; or, c’est Bacchus accosté de deux bacchants.— Le reste est à l'avenant. — Au vieux Silène, ivre, ét assis par terre : « On remporte la victoire » ; après : « On rend grâce aux dieux, on couronne le vainqueur » ; c’est cependant une femme, Ariane fêtée par ses compagnes. En dernier lieu, où vous reconnaissez, sans erreur possible, Mi- nerve casquée et armée luttant contre un des Géants qui (1) La scotie et le tore se transformant en talon. M 0 brandit un rocher sur sa tête; détrompez-vous, le sculpteur, au dire du commentateur, a voulu représenter « un genre de défense particulier aux peuples auxquels on fait la guerre. » Cette phénoménale élucubration a été publiée dans le vo- lume du Congres. L'année suivante, Alphonse Delacroix insérait dans les Mé- moires de la Société d’Emulation (1841) une courte notice sur Porte-Noire, très estimable au point de vue architecto- nique ou artistique, et, en ce qui concerne l’interpréta- tion, moins aventureuse que celle qu'il publia vingt ans plus tard sous la fâcheuse influence de la question d’Alesia (1). Cinq ans après (1866) Castan lisait le charmant travail auquel il a été fait allusion au début de cette étude, et c’est alors qu'il insista sur l'excellente mesure que, sur son initiative et celle de Delacroix, la Société d'Emulation avait prise de faire mouler les principales sculptures du monument pour en fa- ciliter l’étude. Ces plâtres de grande dimension séjournèrent, sans utilisation sérieuse, pendant une trentaine d’années à la Bibliothèque de la Ville. La réinstallation du Musée d'Archéologie, au rez-de-chaus- sée du bâtiment des Falles, fut l’heureuse circonstance qui permit d'exposer avec ordre et en bonne lumière les vingt- et-une pièces de nos précieux moulages. Il fut désormais fa- cile d’étudier à loisir et de mettre à profit ces éléments indis- pensables d'étude que l’on doit à Auguste Castan. Aujourd’hui chacun peut lire dans ce texte authentique la plus grande partie des choses que je mettais 1} y a un instant dans la bouche d’un voyageur idéal. La besogne de l'avenir sera de mieux éclairer, s’il est pos- sible, la question historique encore nébuleuse. En attendant on n’a qu’à se résigner à savorr ne pus savoir : scire nescire. (1) Guide de l’étranger à Besançon, 1860, p. 87. "FPE TL AE Re Les monuments dits Arcs-de-Triomphe semés à travers le monde romain, les Gaules et notre région en particulier, au milieu des groupes les plus compacts de population ont de toute évidence été érigés pour la glorification de la puissance romaine. Pas de contestation à cet égard. Celui que nous possédons, considéré avec raison comme unique dans son genre pour son architecture, l’est encore bien davantage pour la signification morale de sa décoration et sa disposition même. _ Considérez dans cette disposition deux parties distinctes. La première, l’arcade centrale (archivolte et pilastres\, puis- sante, détachée contre toutes les règles, et spécialement ca- ractérisée par une décoration absolument religieuse ; la se- conde, Le cadre, constitué par le couronnement et le double étage des colonnes, où tout rappelle la force, là puissance militaire ou la gloire humaine pour faire cortège à une figure centrale trônant sur la clé de voûte, — et après, vous con- clurez. : Si ce sont les habitants de Vesontio devenus romains par la conquête qui ont élevé le monument, ils ont parlé le lan- Di gage de Rome, de Rome si grande par ses œuvres et qui pou- vait parler avec autorité. Si vous avez bien compris ce langage, Messieurs, que fau- drait-1l de plus pour que vous arrachiez à Porte-Noire un de ses secrets — je dis un — sans qu’il soit nécessaire de re- courir à une fiction ! Le personnage du haut de l’arcade, centre de la figura- tion, et vers lequel tout converge pour exprimer lunion dans un solennel hommage, c’est la clé de voûte de l’édifice social, c’est DIEU ! Ya di 08 DONAT NONNOTTE DE BESANÇON SEC R E UD E, PORTER AITS Par M. Jules GAUTHIER Secrétaire décennal Séance du 15 février 1902. Dans les polémiques célèbres que Voltaire soutint avec es- prit toujours, sinon toujours avec succès, avec ceux qui ne voulaient pas reconnaître son autocratie littéraire, deux Com- tisMuisportèrent.et en regeurent de rudes coups. L'un se nommait Nonnotte, c'était un jésuite; l’autre Patouillet, c'était un abbé. Et souvent Voltaire, à défaut d'arguments contre les deux auteurs d'ouvrages qui exaspéraient son or- gueil, Les Erreurs de M. de Voltaire et les Lettres de quel- ques juifs, sortis de la plume un peu lourde des deux apolo- gistes franc-comtois, se vengea d’eux en appelant tout bête- ment, à la grande joie de la galerie, l’un Nonnotte, l’autre Patouillet, croyant les ridiculiser par la vulgarité et eupho- nie médiocre de leurs noms de famille. Or, ce Nonnotte dont il nous reste un bon portrait, avait un frère aîné, fils comme lui d’un vigneron bisontin, qui eut quelque mérite comme peintre d'histoire, mais surtout comme peintre de portraits, et dont je voudrais essayer d'esquisser la courte biographie en y apportant quelques éléments nou- VeaUx. : Le 10 janvier 1706, Donat Nonnotte, second fils du vigne- ron Thomas Nonnotte et de Claudine Verrin, était né à Be- AR Non sançon, trois ans avant son frère le jésuite. Au lieu de suivre la tradition de sa famille qui, depuis plusieurs générations cultivait les vignes jadis célèbres du terroir de Besançon, Donat fut engagé dans une autre vie par son propre oncle, Jean Nonnotte, frère de son père, médiocre peintre, dont il est ici parlé pour la première fois. Comme tous ses congé- nères du sol franc-comtois, ce Jean Nonnotte, qui mourut garçon, devait vivre en peignant des enseignes, des écussons pour les enterrements, des portraits de troisième ordre pour les petites gens des quartiers populaires, tels que la rue Saint-Paul où habitait Thomas, son frère, et où naquit Donat, son neveu. C'était en tous cas dans un milieu d'ouvriers que se révéla au foyer de Jean Nonnotte la vocation artistique de Donat. De ses premières études 1l nous est resté un tableau jusqu'ici inconnu que possède l’église de Sainte-Madeleine de Besancon et dont voici la nature. C’est un Couronnement de la Vierge pur la sainte Trinité, peint sur une toile haute de 2 m. 65, large de 1 m. 90, signée et datée en bas de cette façon : Donat NoNoTTE, 1728. Au-dessus de la Vierge, à ge- noux et mains jointes, placée au centre du tableau, plane le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe ; à gauche, on voit Dieu le fils tenant la croix d’une main: à droite, Dieu le père portant le globe du monde, tous deux soutenant au-dessus de la tête de la Vierge une couronne royale. Autour, dans le ciel, au milieu des nuages, volètent des têtes ailées de ché- rubins. L'œuvre est médiocre, plutôt copie que traduction d’une idée originale; elle est intéressante toutefois en montrant ce que pouvait dans un milieu provincial, avec les conseils et les lecons d’un mauvais peintre, un jeune apprenti de vingt ans que la fortune allait rapidement conduire plus haut. Au commencement du dix-huitième siècle, la misère en- traina nombre d'artisans et de cultivateurs franc-comtois vers Paris ou d’autres régions de France, suivant l’exode qui reste toujours cher aux habitants des froides montagnes qui OS de ds D > =. HDi vont chercher du pain et demander du travail à de meilleurs terroirs. Les Nonnotte avaient essaimé; il v en avait à Vau- girard, à Meudon, à Honfleur; chez ceux qui habitaient le voisinage immédiat de Paris, dont un de ses frères nommé Antoine, et vraisemblablement sur les conseils et de son oncle et de son frère, novice chez les Jésuites, Donat vint à Paris en 1728. Il y vécut de son talent pour le portrait, y fré- quenta quelques ateliers, y fit la connaissance de jeunes peintres et de graveurs de son âge. dont l'amitié l’aida à se perfectionner d’abord, de l’autre à se procurer le nécessaire pour ne pas mourir de faim. Un de ces jeunes artistes était Jean. Daullé, qui devint célèbre par son talent de graveur, et qui, nommé membre de l’Académie royale de peinture, exé- cuta pour son ami Nonnotte un fort joli portrait, dont une chance favorable m'a permis de recueillir le cuivre original: ce fut peut-être à lui, mais plus probablement à Boucher, Natoire et Boizot que Nonnotte dut d’être présenté à Fran- çois Lemoyne en 1731, trois ans après son arrivée à Paris (1). @Peude temps après que je fus entré chez M. Le Moine pour y étudier, un de mes amis lui dit que j'avais quelques connaissances de la peinture à fresque. C'était précisément dans le temps qu'il commençait la sienne à Saint-Sulpice. M. Le Moine me fit appeler, me demanda si je voulais tra- vailler pour lui et si je pourrais lui ébaucher tous les matins l'ouvrage qu'il se proposerait de finir dans la journée, moyen- nant quoi 1l m'offrit des honoraires. » Flatté comme je devais l'être d’une proposition aussi avantageuse pour mon avancement, je l’acceptay avec joie sans me trop inquiéter de mes autres intérêts, dont je Île laissai entièrement le maitre. L'ouvrage fini, M. Le Maine (4) « I] travaillait pour des esquisses à Saint-Sulpice. .., quand J'eus le bonheur d'entrer chez lui pour être son élève, au commencement de l'an née 1731. » (Ms.de Donat Nonnotte, Vie de Lernoyne, ms 909 de la Habl, de Besançon.) TE me récompensa, et je le fus aussi par le curé [de Saint-Sul- pice] qui m'avait vu assidu à son travail toutes les fois qu’il avait montré la coupole (1), » Dans ce récit de Nonnotte, il s’agit de la fresque bien con- nue de Lemoyne dans la coupole de la chapelle de la Vierge à Saint-Sulpice, exécutée de 1731 à 1732, et représentant l’'Assomption. Quand la fresque de Saint-Sulpice fut finie, Lemoyne, sur la commande du duc d’Antin, surintendant des bâtiments du roi, fut chargé d’un plafond pour le salon d'Hercule, au chäà- teau de Versailles, Nonnotte y fut employé et eut la respon- sabilité soit des ébauches, soit de l'application des figures en stuc dont il surveillait le modelage et la pose. Laissons-le raconter, tout en abrégeant, comment se passèrent les choses : «M. Le Moine, avant que de partir pour Versailles, m’ayant fait l'honneur de m'inviter à le suivre encore dans cette grande entreprise, je partis avec luy le 13 may 1733, et dès le lendemain il commença à tracer à la craye les premiers sroupes de ce fameux ouvrage... Je ne le quittai plus. » Nonnotte, en 1762, consacra à la mémoire de son maître et de son bienfaiteur une étude consciencieuse et émue qui prouve autant pour le bon cœur de l'élève que pour la bien- veillance du peintre du Roi, dont il fut très honoré de recevoir les leçons. Il ÿ raconte notamment Îles causes réelles du dé- couragement, puis du suicide de François Lemoyne, l’un des plus brillants représentants de l’École française au lendemain de la disparition des grands artistes qui avaient fait la gloire du siècle de Louis XIV, La mort du duc d’Antin, son protec- teur, la mort de sa femme, la médication bizarre qu’il suivait en buvant « une liqueur où écait infusée de la poudre de vieilles pipes à fumer », un détraquement général du cerveau (1) Voir Vie de Lemoyne, par Donat Nonnotte, ms. 505 de la Bibl. de Besançon. \ - nl TR amenèrent le jeudi 4 juin 1737 le malheureux peintre à se percer de neuf coups d'épée. Cette mort fut funeste aux espoirs conçus par Nonnotte, auquel le duc d'Artois avait promis une bourse de pension- naire du Roi à Rome, et le mirage de quelques années d’é- tude sous les cieux d'Italie dut faire place aux soucis plus terre à terre de l'existence, assurée uniquement par un tra- vail opiniâtre (1). Peu après le décès de Lemoyne, Nonnotte, qui demeurait à Paris, rue de Beauvais, s’éprit d’une voisine plus âgée que lui de neuf ans, Marie-Elisabeth Bastard de la Gravière, veuve d'Antoine Duchâtel, bourgeois de Paris (2. Elle avait, à dé- faut de jeunesse et de beauté, un caractère aimable et quel- que fortune. Il l’épousa le 29 octobre 1737, et vécut, grâce à sa modeste aisance, libre des soucis matériels au milieu des- quels 1l avait jusque-là vécu. Les amitiés qu'il avait formées dans l’atelier de Le Moyne, les succès de nombreux portraits qu'il fit de 1737 à 1740, lui ouvrirent en 1741 les portes de l’Académie royale de pein- ture et sculpture, et dès lors les livrets des salons de 1741, 1749, 1743, 1745, 1746, 1753, 1755 et 1765 enregistrèrent de ACER envois de portraits. Ce fut dans le portrait qu'il se confina ; il avait trouvé sa voie, et faute de pouvoir s'élever d'un plus haut vol comme il l'avait rèvé, alors que sur les échafaudages de Saint-Sulpice et de Versailles 1l collaborait aux fresques du premier peintre du Roi, 1l eut la sagesse de renoncer à la grande peinture d'histoire et aux tableaux de genre pour lesquels il n'avait, à côté d’une facilité réelle de coloris et de dessin, que des qualités et des études insuffisantes (3), En 1754, 1l fut nommé peintre de la ville de Lyon et diri- (4) Ms. de Nonnotte, Bibl. de Besançon, n° 505. (2) Jaz, Dictionnaire de biographie et d'histoire, v° Nonnolte. (3) 1 fut reçu le 26 août 1741 sur les portraits de MM. d'Ulin et Leclerc fils. Do gea l’école gratuite de cette ville, jadis florissante sous la di- rection de MM. Blanchet et Coysevox, et finalementrestaurée de 1754 à 1757 par l'influence d'amateurs distingués. De cette école, qui fut la première de la province, sortirent nombre de peintres et d'artistes remarquables qui obtinrent du peintre bisontin et de son zéle désintéressé et bienveillant plus de succès qu'il n’en avait cueilli lui-même, malgré sa persévérance et son labeur. | Disséminés un peu partout: à Lyon, dont le musée conserve un portrat de magistrat, probablement celui d’un conseiller de la cour des monnaies de cette ville, exposé en 1745 (1); à Orléans, le portrait de Desfriches ; à Besançon, celui de Do- nat Nonnotte et celui de sa femme, et cent autres, connus ou inconnus, signés ou non, partagés entre les dépôts publics et les collections privées, ces portraits de Nonnotte se distin- guent par un dessin correct, un modelé excellent, un coloris simple et exact, un naturalisme de bon goût. L’élégance en est réelle et la ressemblance en devait être frappante. On en jugera par les portraits du musée de Besançon que nous aurions voulu reproduire à côté de cette étude rapide, et qui furent peints par Nonnotte en 1758. Avec le portrait gravé par Daullé et celui exécuté vers 1780 par Camille Belle, élève de Nonnotte, ils constituent à la mé- moire d’un peintre de portraits qui, tout en étant de second ordre, eut un mérite réel, un hommage très appréciable. Le portrait de Donat Nonnotte (qui porte le n° 363 du mu- sée de Besançon) le représente debout à mi-corps, tête nue, les cheveux poudrés, appuyé sur le dos d’un fauteuil mis en avant. Il a sa palette et ses pinceaux en mains; derrière lui est dressée une toile à peindre au bas de laquelle on hit ces mots : Nonnotte peint par lui-même en 175k. Le portrait de Marie-Elisabeth, sa femme, la représente (1) Ce tableau, mesurant 1 mètre sur 080, à été acquis en 1870 par le Musée de Lyon. (Renseignement du conservateur; M. Dissard.) V4 f PT 4 grave pal" pb rt D aulle Q£2" iltt 4 À < AT ee assise de trois quarts à droite, à mi-jambes, vêtue d’une robe de soie bleue et d’une mantille blanche garnie de dentelles, coiffée d’un bonnet à rubans bleus. De la main gauche, elle tient une brochure ouverte qu’elle est en train de lire; sa main droite tient un éventail, son coude droit est appuyé à une table où £e trouve une tabatière. Sur la planchette qui relie les pieds de cette table, cette inscription : Mme Non- notte, peinte par son mari en 1758). Camille Belle à dessiné au crayon noir rehaussé de crayon blanc le peintre Nonnotte à l’âge de 72 ans environ (); la tête est massive, l'expression du regard énergique ; on retrouve dans la physiononmue vieillie la même vivacité et la même ro- bustesse que dans le portrait du jésuite. Nonnotte (1711-1793), peinte par Donat, son frère, et gravé par C.-A. Boily sur un dessin de Belay (6). La gravure consacrée à notre peintre par son ami Daullé doit avoir été exécutée antérieurement à 1758 et postérieure- ment à 1754. La figure, tournée à gauche, est jeune encore; elle est inscrite dans un médaillon rond suspendu par un ruban. Au bas se lit cette inscription : D. NONNOTTE, Peintre du Roy et Membre de l’Académie des Sciences, Belles-Let- tres et Arts de Lyon. Et plus bas : Dessiné pur lui-même et gravé par son umi Daullé graveur ]du Roy et de l’'Acud|émie] Implériale| d’Ausbourg. Ces trois portraits inédits donnent à la physionomie de Donat Nonnotte une saveur toute particulière. Car, nous le disions tout à l'heure, c’est un hommage que méritait le peintre de portraits dont le mérite est incontestable comme praticien et dont l'effort s’est appliqué à inculquer à ses élèves et à célébrer dans les Académies de Lyon et de Be- (1) Ces deux portraits à l'huile ont été donnés au Musée de Besançon par le baron Daclin, ancien maire de la ville. Ils portent les n°° 363 et 30%, (2) Dessin haut de 0m50, large de 035, don de M. Paul Laurens au Musée de Besançon. (3) Voir la planche originale en tète de cette Etude, ie sançon les règles de Part et les principes de la peinture sur- tout en matière de portraits : « Le portrait est un des genres qui nous intéressent davantage. C’est l’amitié, l'amour, l’es- time et le respect qui lui ont donné naissance, et 1l sert à conserver et à exprimer les sentiments du respect, de l’es- time, de l’amitié et de l’amour. On se tromperait si l’on croyait que la ressemblance des traits fit tout le mérite d’un portrait (1). » À côté de ses tableaux, de ses portraits peints ou gravés, Nonnotte s'essaya aussi à l'illustration du livre. Nous en avons la preuve dans huit gravures ou vignettes exécutées en 1762, d’après ses dessins, par son ami Daullé, pour les œuvres de la célèbre lyonnaise Louise Labé. Ces dessins sont inférieurs, il faut l’avouer, aux compositions d’'Eisen, qu'ils semblent vouloir imiter, mais ils ne sont pas sans mérite. Outre ses tableaux, ses portraits peints ou gravés, Non- notte, qui mourut à Lyon le 5 février 1785, entouré de l’es- time générale, a laissé divers manuscrits sur la peinture ou sur les peintres dont on trouvera plus loin le détail. Il n'avait pas eu d'enfants, et sa fortune, modeste d’ailleurs, passa à une nièce Joséphine Nonnotte, fille de son frère Antoine, mariée à Honfleur, à charge de servir une pension à ses père et mère. Les services qu'il a rendus à la classe populaire comme professeur à l’école de dessin de Lyon, aussi bien que les nombreux portraits qu'il a consciencieusement exé- cutés durant sa longue carrière, rendent son nom digne de reconnaissance et de respect. - (1) Discours prononcé à l’Acadamie de Lyon, le 17 novembre 1772, par Nonnotte, qui y avait été admis en 1754 (no 12, ms. 505, Bibl. de Besançon). et APPENDICE I. Acte de naissance de Donat Nonnotte (Besançon, 10 janvier 1708). Donatus, filius Thomæ Nonnotte et Claudiæ Verrin ejus uxo- ris, natus est die decima januart, anno Domini 1708 et sequenti die baptisatus est, cujus susceptores fuerunt Joannes Nonnotte et Joanna-Francisca Roy. Signé : Philipus PIERRARD. (Reg. de la paroisse Saint-Paul. Bibliothèque de Besançon.) Il Liste des manuscrits de Donat Nonnotte. 1. € Avantages des lettres et des sciences. » 2. « Compte rendu des travaux académiques pour l’année 1705 (1). » 3. « Premier discours sur la peinture : du dessin et de la va- riété de ses caractères selon les âges et selon les sexes... ; lu à la Société royale de Lyon le 29 novembre 1754, et à l’Académie royale de peinture et sculpture le 5 avril suivant. » 4. - Deuxième discours sur la peinture : de lPexpression gé- nérale ; lu à la Société royale de Lyon, le 28 novembre 1755. » 9. « Troisième discours sur lPexpression intérieure des pas- sions de l’âme ; lu à ia Société royale de Lyon le 19 novembre 1756. » 6. « Quatrième discours sur la peinture : de la composition, première partie ; lu à la Société royale de Lyon, le 12 août 1757. » 7. « Sixième discours de M. Nonnotte : les avantages du por- trait et la manière de le traiter; lu à l’Académie de Lyon, le 43 novembre 1760. » (1) J.-B. Dumas, Histoire de l’Académie de Lyon, p. 288. non 8. « Septième discours... sur les caractères auxquels on peut reconnaître les excellents peintres et ies vrais connoisseurs ; lu à l'Académie de Lyon le 19 novembre 1761 ; à l’Académie de Besançon le 21 avril 1762. » 9. « Huitième discours... sur les préjugez d'école relativement à la peinture... ; lu dans une assemblée particulière le 18 no- vembre 1762, et dans l’assemblée publique de l’Académie de Lyon le 7 décembre de la même année. » 10. « Neuvième discours... sur les principes de goût dans la peinture, lu à l’Académie de Lyon le 17 novembre 1763. » 11. « Dixième discours... sur la couleur naturelle des objets et sur la perspective aérienne... lu à l’Académie de Lyon le 15 novembre 1764. ». 19. « Onzième discours... sur les parties pratiques de la com- position. lu à l’Académie de Lyon le 18 novembre 1766. : 13. « Quinzième discours... observations intéressantes pour les élèves dans la peinture .. lu à l’Académie de Lyon, le 17 dé- cembre 1771. » 14. «Seizième discours... sur l’histoire de la peinture... lu à l'Académie de Lyon... le 17 novembre 1772. » 15. « Vie du peintre François Le Moine (1). » III. Liste des tableaux de Donat Nonnotte. 1. — 1728. Couronnement de la Vierge, église Sainte-Made- leine de Besançon. 2. — 1731-1732. Collaboration à la fresque de la coupole de la chapelle de la Vierge, à Saint-Sulpice (Paris), avec Lemoyne. 3. — 1733-1737. Collaboration au plafond du salon d’'Hercule, à Versailles, avec Lemoyne. 4. —" Salon de 1741. Portrait de M. Le Lorrain, sculpteur du roi. 9. — Portrait de Mme Lépicié, épouse de M. Lépicié, secré- taire et historiographe de l’Académie, en muse. (1) Ms. 505 de la Bibl. de Besançon. Autographe, papier, 151 feuillets, 917 sur 209 millim. J'ai publié ce ms. p. 520-540 de la Réunion des So- ciétés des Beaux-Arts des départements, 1902. TT. Si os 6. — Portrait de M. d’Ulin, ancien professeur de l’Académie. 7. — Portrait de M. Le! Clerc, ancien professeur de géomé- trie et de perspective de l’Académie. 8. — Portrait en buste de Mme Duvigeon, épouse de M. Du- vigeon jeune, peintre en miniature. 9. — Salon de 1742. Portrait de M. Fremin, écuyer, conseiller secrétaire du roi, premier sculpteur du roi d'Espagne et direc- teur de l’Académie royale de peinture et sculpture. 10. — Portrait de M. de L... avec une bergère, dont le sujet est tiré d’un couplet écrit et noté dans le tableau. 41. — Portrait de Mile Rabon, en habit de bal. 19. — Portrait de Mlle Le**, représentée en Érigone. 13. — Salon de 1743. Portrait de M. Moyreau, graveur ordi- naire du roi et de l’Académie royale de peinture et sculpture (musée d'Orléans). | 14. — Portrait de Mme *” finissant sa toilette. 15. — Portrait de Mme de Baucheron, représentée en muse, tenant un globe céleste. 16. — Portrait de M. l’abbé de“*, en robe de trésorier de France. | 17. — Portrait de M. de Varennes, chevalier de Saint-Louis, major des chevau-légers. 18. — Portrait de feu M. Hunauld, régent de la Faculté de médecine en l’Université de Paris. 19. — Salon de 1745. Portrait de M. de **”, conseiller à la Cour des monnaies de Lyon, peint en robe rouge, tenant un livre ouvert. 20. — Portrait de M. de**, lieutenant-colonel de cavalerie, peint en cuirasse. 21. — Une tête représentant Mme Lemoyne, épouse de M. Le- moyne, sculpteur du roi, et adjoint à recteur de l’Académie royale de peinture et sculpture. 22. — Portrait de Mme de‘**, appuyée sur une table de toi- lette, tenant une brochure. 23. — Portrait de M. Daullé, graveur du roi et de l’Académie royale de peinture et sculpture. 24. — Portrait de Mme de **, jouant de la vielle. A Ne 25. — Une tête représentant M. Gilquin, peintre. 26. — Salon de 1745. Un grand tableau représentant MM.**", père et fils. Le fond de ce tableau est un cabinet d’étude. 97. — Salon de 1748. Portrait jusqu'aux genoux de M.**, dans son cabinet. | _28. — Portrait d’un religieux représentant l'étude, frère de l’auteur. 29. — Salon de 1753. Portrait de 1 nn vêtu en robe de chambre de taffetas rayé. 930. — Salon de 1755. Portrait de Mile Dumesnil. 3. — Salon de 1765. Un portrait. 92. — 1758 Portrait de Donat Nonnotte (no 363 du musée de Besançon). 33. — Portrait de sa femme (n° 364 du même musée). 34. — Portrait de Desgriffes (musée d'Orléans) (1). 939. — V. 1758. Portrait de l’auteur, gravé par Daullé. 90. — Portrait du sculpteur Lelorrain, gravé par Tardieu (2). 97. — Portrait de Gentil Bernard, gravé par Daullé. 98. — Portrait de Claude-François Nonnotte, gravé par C. Boily. IV. Ouvrage imprimé de Donat Nonnotte Discours sur la peinture (réception à l’Académie de Lyon), imprimé dans le Mercure de France, 1755. ANNEXE I. Manuscrits de Donat Nonnotte conservés a la Bibliothèque publique de Besançon. 905. « Traité de la peinture et du dessin, suivie de la vie de M. Le Moine, par Donat Nonnotte, peintre du Roy, doyen de l’Académie royale de peinture et de sculpture, né à Besançon. » (1) Dictionnaire des Artistes, de BELLIER DE LA CHAVIGNERIE et AUVRAY, t. Il, col. 166. (2) J.-B. Dumas, Histoire de Rs de Lyon, 1839, p. 288. Treize cahiers distincts : 10 « Premier discours sur la peinture : du dessein (sic) et de la variété de ses caractères selon les âges et selon les sexes. lu à la Société royale de Lyon, le 29 novembre 1754, et à l’Aca- démie royale de peinture et sculpture le 5 avril suivant. » 20 « Deuxième discours sur la peinture : de l’expression gé- nérale ; lu à la Société royale de Lyon, le 28e novembre 1755 ..» 3° « Troisième discours sur l'expression extérieure des pas- sions de l’âme, lu à la Société royale de Lyon, le 12 novembre 1190.00 40 « Quatrième discours sur la peinture : de l4 composition, première partie ; lu à la Société royale de Lyon, le 12 août DO. D 99 « Sixième discours de M. Nonnotte : les avantages du por- Huterdlasmanière de le traiter; lu à l’Académie de Lyon, le 13 novembre 1760... » 60 « Septième discours... sur les caractères duquels (sic) on peut reconnaître les excellents peintres et les vrais connois- seurs.… ; lu à l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon, le 17 novembre 1761 ; Iu aussi à l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon, le 21 avril 1762... » 79 « Huitième discours... sur les préjugez d'école relative- ment à la peinture... ; lu dans une assemblée particulière le 18 novembre 1762 et dans l’assemblée publique [de l’Académie de Lyon] du 7° décembre de la même année... » 8° « Neuvième discours... sur les principes du goût dans la peinture, lu à l'Académie de Lyon le 17 novembre 1763. » 99 « Dixième discours... sur la couleur naturelle des objets et sur la perspective aérienne, lu à l’Académie de Lyon, le 15 no- vembre 1764. » 10 « Onzième discours sur les parties pratiques de la compo- sition..…, lu à l'Académie, le 18 novembre 1766. » 119 « Quinzième discours : observations intéressantes pour les élèves dans la peinture... ; [discours] lu à l’Académie de Lyon, le 17 décembre 1771. » 12 « Seizième discours... sur [l’histoire de] la peinture, lu à l’Académie de Lyon, le 17 novembre 1772. » 139 Vie du peintre François Le Moine. Ep re Le titre du premier cahier porte cette mention d’origine: « Je certifie que le présent manuserit est de la main de M. Non- notte et que j'en suis devenu possesseur par droit de succession. — Besançon, le 95 octobre 1813. (Signé) : À. LAURENS, petit-ne- veu de l’auteur. » Cest à l'auteur de cette note que la bibliothèque doit les treize cahiers dont les titres précèdent. Il. Acte de mariage de Donat Nonnotte et de Marie- Elisabeth Bastard de la Gravière (Paris, 29 octobre 1737). [Donat Nonnotte natif de Besançon, peintre de portraits, rue de Beauvais, 29 ans, épouse Marie-Elisabeth Bastard de la Gravière, veuve d'Antoine Duchâtel, bourgeois de Paris. Son père Thomas était mort en 1737. Témoins, Thomas Nonnotte, son frère, jardinier à Chaillotte, et Claude-François Balanche- Richard, peintre, demeurant rue Coquillière|]. (Reg. paroissiaux de Saint-Germain-l'Auxerrois. Jar, Dictionnaire de biographie, 1867, 918.) Ill. Acte de décès de Donat Nonnotte (Lyon, 5 février 1785). Sieur Donat Nonnotte, peintre du Roi, de l’Académie royale de peinture et de sculpture, de celle des sciences, belles-lettres et arts de Rouen et peintre de la ville, âgé de 78 ans, décédé hier à l’hôtel de ville, a été inhumé par moi, curé soussigné ce Ge février 1785; présents sieurs Jean François Arnaud et Nico- las Berjeon, clercs tonsurés qui ont signé : ARNAUD, BERJON, DEMEAUX, curé. (Reg. paroissiaux de SS. Pierre et Saturnin, 1785, reg. 644. fol. 18, n° 606. Arch. municip. de Lyon.) D QE PNA TE CC ab Cal AU PAR EEE UT DE SUR LA PEINTURE ANGLAISE Par M. Victor GUILLEMIN Séances des 10 mai, 14 juin et 12 juillet 1902 AVANT-PROPOS On sait combien il est rare de voir chez nous des tableaux de peintres anglais, et cela n’est pas fréquent même dans leur pays, car malgré les nombreuses richesses d'art qu’il possède, elles ne sont point centralisées. Ce n’est pas à la National Gallery, formée principalement par des dons et datant de 1724, que l’on peut étudier l’histoire de la peinture en Angleterre. Il faudrait, à cet effet, avoir visité entre autres collections celle que le riche amateur Robert Vernon a léguée à ses concitoyens, la salle des tableaux à l'hôpital de Greenwich remplie de peintures anglaises représentant des batailles navales, les galeries de Hampton-Court et du château de Windsor et nombre de collections particulières qui, en mai 1857, avaient momentanément centralisé leurs chefs-d'œuvre à l'Exposition de Manchester. On citait parmi les galeries fameuses celles du duc de Northumberland, la Grosvenor Gallery au marquis de Westminster, Brid- gswater Gallery au comte d’Ellesmere, Sutherland Gallery au duc de Sutherland, etc. En 1862 on avait encore fait appel aux possesseurs de ta- bleaux et même aux musées nationaux : une vaste collection de) pee de peintures fut rassemblée à côté de l'Exposition indus- trielle au palais de South-Kensington. Cet appel s'était même étendu aux différentes nations, et six mille œuvres d’art étaient arrivées du continent. Mais une fois ces exposi- tions finies, toutes ces richesses s'étaient de nouveau dis- persées. Nous voyons, chez nous, pour représenter la peinture anglaise avant 1882, le Catalogue des musées du Louvre mentionner seulement une esquisse et un petit tableau de Bonington, portés de l’école française parce que, disait- on, Cet artiste Venu jeune en France, à lagerderlorans: y avait étudié, vécu et travaillé. Deux paysages, une marine et une esquisse de Constable y formaient, en outre, tout le bagage de la Grande-Bretagne. Actuellement, dans vingt- cinq tableaux qui composent l’insuffisante exposition de la salle XIIT en ce premier musée de France, on ne trouve rien de Reynolds, rien de Turner, et seulement un paysage de Gainsborough, qui fut aussi excellent portraitiste. Parmi les musées de province, celui de Montpellier peut montrer seulement une figure d'étude de Josuah Reynolds pour une de ses compositions : c’est le Jeune Samuel en prière; le musée du Mans : un Paysage daté de 1821 et signé : John Constable, et l’on parle en ces derniers temps de portraits par Hoppner et Josuah Reynolds que le maitre Bonnat a donnés au musée portant son nom, à Bayonne, sa ville natale. Le musée de Besançon ne possédait jadis qu’un tableau de nature morte, assez important il est vrai, représentant un chasseur et du gibier, et acheté en 1840 à un peinte anglais contemporain nommé Barker, mais le musée s’est augmenté dernièrement de la collection léguée par notre regretté maitre comtois Jean Gigoux, et l’on y trouve des échantillons du talent de plusieurs artistes anglais dont la postérité a consacré les noms. Plus récemment, nous trouvions dans la collection léguée ge par M. L. Chenot un remarquable petit portrait par un mai- tre bien connu, et c’est ainsi que l’on peut noter à Besancon quelques morceaux intéressants de cette peinture britan- nique absente de presque tous nos musées de province. A propos de ces spécimens que l’on n'a pas rassemblés, qui sont dispersés parmi les tableaux et quelques dessins de la collection Gigoux, nous est venu le désir de faire une étude sur la peinture anglaise. | Ce que nons avons au musée de Besançon, sauf un ta- bleau de Barker, consiste en productions de l’ancienne école; nous ne possédons, à vrai dire, rien de l’école mo- derne. Pour cette dernière, ce que nous en avons vu dans nos expositions universelles, et dans les salons de peinture à Paris nous permettra de rendre compte de nos impressions en contrôlant notre sentiment par les appréciations de quel- ques-uns des critiques les plus compétents. 60 INTRODUCTION Jusqu'à la fin du xv° siècle on ne trouve point de docu- ments sur l’histoire de la peinture en Angleterre ; elle reste dans une obscurité profonde. Tandis que Pftalie, la France et l'Allemagne au moyen-âge pouvaient déjà citer des peintres de quelque valeur, les Anglais n'avaient point conservé le nom de ceux qui leur auraient appartenu. Pourtant, comme les érudits, de quelque nation qu'ils soient, mettent leur orgueil à vouloir prouver que leur pays a été le fover primitif de tel art ou de telle science, il s’est ren- contré au xvH1° siècle un honnête Anglais. le graveur George Vertue (1684-1757), pour prétendre donner des preuves qu’a- vant la renaissance de cet art en [talie la peinture était flo- rissante dans son pays. Il est certain toutefois que pour l’art de peindre, l'Angleterre est la dernière des nations qui pour- rait revendiquer la priorité chronologique. Tous les manuscrits où étaient consignés les documents de la longue et incessante enquête de Vertue, enquète qui dura quarante-quatre ans, furent achetés par Horace Valpole. Celui-ci, connaisseur émérite, les coordonna, et après véri- fication, fit Justice des prétentions non justifiées et des illu- sions du trop patriotique graveur. Il a été publié dans ce but quatre volumes (l)chez Thomas Kirgate dans une imprimerie que H. Valpole, ce spirituel correspondant de Madame du Deffaud, avait établie sur son domaine de Strawberry Enll. Notons en passant que nos antiquaires et nos érudits fran- (1) Le titre de cet ouvrage est : Anecdotes of painting in England collected by G. Vertue; digested and published from his original mss. by Horace Walpole, Strawberry. — Hill. Thomas Kirgate, 1765. 4 tom. UE CPR Éd er el çais ont eu le bon goût d'éviter le ridicule de George Vertue et de ne point se livrer aux tentatives d’un amour-propre de clocher pour établir la priorité de notre art national sur ce- lui de ltalie. C’est seulement au xiri° siècle, sous Henri I[T, qu'on peut mentionner quelques peintures murales, puis, dans des do- cuments du xiv° siècle, des tableaux où figurent les images des saints. Un retable d’autel du xv° siècle, dans l’église de Shen, contenait les portraits d'Henri V et de plusieurs mem- bres de sa famille, et la miniature faisait à cette époque son apparition dans les livres, mais ces peintures étaient l’œuvre d'artistes étrangers. À ce moment les beaux-arts florissaient en [talie, et cela ne fut point sans influencer quelque peu les artistes des autres nations, même ceux de l’Angleterre ; pourtant ces derniers ne produisirent point d'œuvres ayant un cachet d'originalité. | Au temps de la Réforme, les adeptes de la nouvelle religion proscrivaient les images saintes, et ils détruisirent tous les tableaux représentant des sujets religieux. Bien avant, du reste, et jusqu’à Ja fin du xvrr* siècle, les seuls peintres de quelque talent ne furent point Anglais. Dès le xvr siècle des artistes italiens sont appelés. On cite Toto deila Nunziata, disciple de Ghirlandaio, et Luca Penni, letfrèrer de) Francesco Penni, dit le Fattore. Henri VIII, à l'exemple de François Ier, avait aussiess ayé, mais en vain, de retenir des peintres de l'Italie à sa cour. Un Allemand illus- tre, Hans Holbein, fut le seul maître qui répondit à ces avances. Il résida en Angleterre pendant 98 ans et 1l y fit les portraits de tous les personnages de la cour et des premiers gentilshommes du royaume. Citons encore, à ce moment, parmi ceux de l'étranger, le flamand Gerard Luca Horrebout (1) qui mourut à Londres en (1) G. L. Horrebout : Gand, 1498 ; Londres, 1558. =D 1558, et Engelbrechsten (D, fils de Cornelisz; ce dernier fut maitre de Luca de Leyde. Le Hollandais Antoine Mor où Moro (), peintre de Charles- Quint dont, entre autres musées de province, celui de Be- sançon possède deux portraits qui sont des chefs-d’œuvre, vint aussi à Londres à la demande de la princesse Mary qui devait épouser Philippe IF, et s’y trouva en même temps que les flamands Joost Van Cleef et Luca de Heere (3). Un peintre français nommé Jehan de Paris fut adressé par François [°° à Henri VIIT en 1519, avec la mission de faire le portrait de ce roi. Sous le règne d’Elisabeth, c’est encore des artistes étrangers : Cornelisz Kate de Gouda, l'italien Federigo Zuc- chero, le flamand Mark Gerard de Bruges qui sont les seuls peintres marquants, et l’on n’en cite point d’origine anglaise. Dans la miniature seulement un certain Nicolas Hilliard, né à Londres en 1547, et Isaac Oliver, natif aussi de Londres en 1555, mais tous deux probablement de familles françaises, imitent la manière d'Holbein. Deux Hollandais, peintres de marine, Cornelisz (4) le vieux de Harlem qui peignit la Victoire du comte de Nottingham sur lArmada de Philippe Il,et Pieter Van den Velde, peut- être l’ancêtre de Wilhem, qui fleurit sous les règnes de Charles I‘ et de Charles IT, doivent aussi être cités du vivant de la reine Elisabeth. Sous Jacques Ier des peintres étrangers viennent encore en Angleterre: c’est Paul Van Somer (), Cornelisz Janson Van Ceulen (6), dont nous possédons en la collection léguée par Gigoux à sa ville natale un morceau remarquable, un portrait d'adolescent d’un grand effet avec peu de travail; 1) Engelbrechsten, 1468-1533. (2) Antoine Mor, 1525-1581. 3) Luca de Heere, né à Gand en 1534. Cornelisz Vroom, 1566. P. van Somer, 1666. ( ( ( (4) (5 (6) C. J. van Ceulen, 1618. RER) 2 ER TON 1 DER RE UE Ro c'est encore Daniel Mytens (1) de la Haye. Ces deux derniers devinrent les peintres officiels de Charles I‘ et se lièrent d'amitié avec Van Dyck qui fit le portrait de Mytens. En 1629, Rubens passe une année en Angleterre et Van Dyck v demeure en 1632. L'art autochtone n’existe point encore en ce pays et l’art étranger y brille seul. L’art au- tochtone n'apparaîtra qu’au xvinI* siècle avec Hogarth et Reynolds. Gainsboroug et Thomas Lawrence ne feront, du reste, comme tous les portraitistes modernes, que s'inspirer de Van Dyck et marcher sur ses traces sans jamais l’égaler. Tous l’imitèrent ou cherchèrent à l’imiter. Georges Jameson fut le Van Dyck écossais, etJames Gandyle Van Dvckirlandais. Jameson né à Aberden en 1586 était venu vers 1615 étu- dier dans les ateliers de Rubens et de Van Dyck: il retourna dans son pays natal en 1620, puis se fixa à Edimbourg où il mourut en 1644. Sur sa réputation on lui fit la commande d’un portrait de Charles [°'. Il fut assez bon peintre. James Gandy (2) résida en Irlande et fut un artiste distin- gué. Henri Stone fils du statuaire de ce nom, gendre du peintre hollandais Pierre de Kevser, et surnommé Old Stone (le vieux Stone), peignit aussi dans la manière dé Van Dyck, à Londres où 1l mourut en 1653, âgé de 37 ans. En même temps que Van Dyck, et autour de lui, l’on vit en Angleterre Jean Van Reyn 6) de Dunkirk, David Beck (# de Arnheim ou de Delft qui ont collaboré aux portraits de ce maitre; les hollandais Adrien Hanneman (5) de la Haye, dont nous possédons, au musée de Besançon, le portrait du chancelier Chifflet, le hollandais Veesop et Remigins Van Lemput, qui furent des imitateurs de ce grand maitre fla- mand. Lemput est mort à Londres en 1675. (4) Daniel Mytens, 1623. (2) James Gandy, 1619-1689. (3) Jan Van Reyn : Dunkirk, 1610; Londres, 1642, ) Mort à La Haye en 1650, ) Hanneman : La Haye, 1611-1680. fn Le meilleur des peintres anglais que Van Dyck ait formé fut William Dobson né à Londres en 1610, mort en 1646 dans la misère, malgré ses titres de premier peintre et valet de chambre du roi Charles I. Il avait un grand talent et a produit des chefs-d’œuvre, notamment le tableau où il s’est représenté embrassant Charles Cotterel auprès de sir Bal- thazar Gerbier, l’arni de Rubens. On trouve aussi de ses ta- bleaux représentant des sujets bibliques dans les meilleures galeries de l'Angleterre. Citons encore Robert Walker dont on ignore les dates de naissance et de mort, ct parmi les peintres de l’école de Rubens qui séjournérent plus où moms en Angleterre, George Geldorp (1, de Bois-le-Duc; le paysagiste Wouters (2), Gérard Seghers 6); les hollandais (# Lievens, Hendrick Pot, l'ami de Franz Hals; les italiens ©) Horatio Gentileschi et le neveu de Guerchin, Benedetto Gennaro, sous le règne de Charles IT. Parmi les principaux peintres étrangers qui travaillèrent en Angleterre jusqu'au milieu du xvue siècle, contentons- nous de signaler Poélenburg (6) et Adrien Van Stalbent, colla- borateurs d'Henri Steenwick (7) le jeune; Palamède Stevens, né à Londres en 1607; Terburg (8), Vinkeboom, Jacob Kee- rinck, Gerard Honthorst et son élève Sandrart (®); Wilhelm Van den Velde (10) et Jean Torrentius (1) recherché par les ) Geldorp, 1607 ou 1620-1675. ) Wouters, 1614-1659. ) Gerard Seghers, 1589-1651. ) Lievens, 1607-‘1663?). Hendrick Pot, 1600-1656. ) H. Gentileschi, 1563-1646. B. Gennaro, xvie siècle, dates inconnues. 6) Poëlenburg, 1586-1665. 7) H. Steenwick, 1580-1642. (8) Terburg, 1608-1681. Vinkeboom, 1578-1629. J. Keerinck, 1590-1646. G. Honthorst, 1592-1666 ou 1680. (9) Sandrart, 1606-1686 ? (10) Wilh. Van den Velde, 1610-1698. (11) J. Torrentius, 1589-1649. PR An ne > 600 = Anglais débauchés pour l’obscénité des sujets qu’il a traités, gracié et tiré de prison par Charles fer, Abraham Hondius (1), Van der Plaas (2), Pieter Van der Meulen 6), Norbert Van Blæ- men (4) frère de l’Orizonte, les Zeeman (5), les Netscher (6), les Verelst (7), Simon et Hermann, les Griffier (8), Ede- ma (%) élève d’Everdingen, Berestaaten 10), Samuel Van Hoogstraeten (11) élève de Rembrandt, Dirck Stoop (12), Dirck Maas (3), Egbert Van Heemskerck (14), Van Huysum mort à Londres en 1740, et nous ne les nommons pas tous, la liste en serait trop longue. Les puritains, comme nous l'avons dit, proscrivant tous les tableaux d'église, on se borna, après la mort de Van Dyck, au genre du portrait. Ce fut un Westphalien, Pierre Van der Faës (15) désigné par les Anglais sous le nom de sir Peter Lelv, lequel imita Van Dyck avec talent, mais en outrant son style et en tombant dans le maniérisme, qui obtint toute la faveur de la cour. Il récolta des succès égaux a ceux de Van Dyck dont 1l était élève, et portraitura (1) Ab. Hondius, 1638-1691. (2) Van der Plaas, 15702-1626? (83) P. Van der Meulen, xvrie siècle. (4) Norbert Van ner 1672. (5) Les Zeeman : Enoch, mort en 1744; Isaac, en 1751, frère d’Enoch, Paul, fils d’Enoch, dates inconnues. (6) Les Netscher : Gaspard, 1639-1684; Théodore, 1661-1732, et Cons- tantin, 1670-1719, tous deux fils de Gaspard. (7) Les Verelst, xvire siècle : Simon et Herman, 1666, en Angleterre, et Verelst, Cornély, fils d'Herman, 1667. (8) Griffier, Jean, 1645 ou 1656-1718, et Robert, fils de Jean, 1688, né à Londres. _ (9) Edema, 1652-1700. (10) Berestaaten, mort en 1687. (11) S. Van Hoogstraeten, 1627-1678. (12) D. Stoop, 1610-1686. (13) Me 1656. (14) E. Van Heemskerck, fils d’Egbert le Vieux, 1645-1704, mort à Londres. _ (15) P. Van der Faës, 1618-1680. I 0 = Charles f[e' et toutes les plus jolies femmes et les plus ga- lants seigneurs de la cour de Charles Stuart en 1660. Il avait adopté la facture de Van Dyck avec une habileté telle que l’on a vu parfois des connaisseurs s’y tromper. Ses collaborateurs furent nombreux : ce sont les hollandais Buckshorn et Wissing, les flamands Gaspars et Van den Eyden, les anglais Greenhill, sir John Gawdie, Sadler, Dixon, Henry Tilson, les Gibson, etc., et même deux pein- tres qui rivalisèrent avec lui : un Westphalien, Gerard Sœst, et un anglais, John Riley (1). Nôtre grand portraitiste Largillhière vint à Londres, en 1675 et y resta quatre ans. Il était mandé par Charles IT année même où mourait dans cette capitale un autre de nos fameux peintres de portraits : Claude Lefêvre, qu'il ne faut pas confondre avec Roland Lefêvre né dans l’Anjou et mort aussi à Londres en 1677. À la même époque, et jusqu'à la première moitié du XvIII® siècle, nombre de peintres français séjournèrent à Londres, et quelques-uns y moururent, entre autres Phi- lippe Duval élève de Lebrun, Jacques Parmentier, élève de Sébastien Bourdon, Paul Mignard (2), le second fils de Pierre Mignard, Charles de la Fosse (3), Jacques Rous- seau (4), Jean-Baptiste Monnoyer (5), Louis Chéron, frère de la célèbre Elisabeth-Sophie Chéron, mort à Londres en 1699, Desportes (6), Watteau (7), Antoine Pesne 8), Jean-Baptiste Van Loo () et beaucoup d’autres. (1) J. Riley (1646-1691), maitre du peintre de portraits Richardson, plus connu comme littérateur et critique d’art. (2) Paul Mignard, 1619-1671. 3) Ch. de la Fosse, 1640- Lee ï. B. Monnover, 1635 1609. François Desportes, 1661-1743. J. À. Watteau, 1681-1721. A. Pesne, xvir° siècle, dates inconnues. 17,118 Non Loo, 1684-1745. Re EN Après la mort de Lely, l’allemand Godefroy Kneller, élève de Rernbrandt, sans être son imitateur, arrive à Londres en 4674, y fait les portraits des grands et de presque tous les princes et souverains. Il fut nommé chevalier, comme l'avaient été Rubens, Van Dyck et Lelv, se fit aider par son frère aîné Zacharie et de nombreux collaborateurs hollandais ou flamands. Un peintre napolitain, Antonio Verrio, pensionné par Charles II, avait, en 1676, une grande vogue pour ses déco- rations d'architecture, et le français Louis Laguerre laidait dans ses travaux : Verrio mourut à Hampton Court en 1707, et Laguerre continua à peindre en Angleterre où il mourut aussi en 1721. L’anglais James Thornhill 1) qui avait voyagé en France, fit concurrence à Laguerre. Il peignit la coupole de Saint- Paul à Londres et la grande nef de l'hôpital de Green- wich. Georges Ier le créa chevalier et on le nomma membre du parlement. Il fut le beau-père d'Hogarth. Cest par lui que fut maugurée en Angleterre ce qu’on appelait alors la peinture historique : ce n’était en réalité que des scènes mythologiques et des allégories dépourvues de goût. Le style de Thornhill manque de noblesse, et sa couleur est terne. _Mentionnons aussi dans ce temps un artiste dessinateur de jardins William Kent (2) fort à la mode et qui fit une grande fortune. On le nomma maitre des œuvres, architecte conservateur des peintures, et principal peintre de la cou- ronne. À ce moment, l’art des différents états de l'Europe était en décadence et les grands maîtres, Rubens, Rembrandt, (1) James Thornhill, né en 1676 à Melcombe Regis, mort le 13 mai 1734, près de Weymouth. (2) W. Kent, né dans le Yorkshire en 1685, mort à Burlington-House le 12 avril 1748. eo cr Velasquez n'étaient point continués. L'école de Bologne consommait la ruine de l’art en Italie. Les insignifiants peintres anglais qui fournissaient encore de portraits l’artis- tocratie de ce pays ne faisaient prévoir en rien Reynolds et Gainsborough. C’étaient (1) Jonathan Richardson déjà nommé, Charles Gervas, élève de Kneller; William Aïikman, Jean Van der Banck, dont l’origine anglaise est douteuse : George Knapton; Thomas Hudson, maître de Reynolds: Francis Hayman maitre de Gainsborough, et d’autres encore. Il ne restait plus en Angleterre de grands peintres étran- gers; on ne saurait compter comme tels : Michaël Dahl (2), de Stockolm, Balthazar Denner, Paulus Ferg. (1) J. Richardson, 1665-1745. Ch. Gervas, 1675-1739. W. Aikman, 1682- 1731. J. Vanderbanck, 1694-1739. George Knapton, 1698-1778. T. Hudson, 1701-1779. F. Hayman, 1708-1776. (2) Dahl, 1656-1743. B. Denner, 1685-1747. P. Ferg, 1728. È $ L = 00 == ANCIENNE ÉCOLE 1730-1850 William Hogarth né en 1697, mort en 1764, fut, pour l'Angleterre, le premier graveur et peintre vraiment origi- nal. Encore plus moraliste et graveur que peintre, il voulut réagir contre la barbarie de ses contemporains, et ses com- positions furent des satires. On peut dire que la beauté de- meura la moindre de ses préoccupations, et qu'il ne serait qu’un caricaturiste s’il n'avait eu un but moral. Il repré- sente des mœurs grossières qui furent sans doute celles des Anglais de son temps, et il mêle le grotesque au terrible. Telle est, par exemple, dans la Ruelle du gin (Gin lane), — cette scène révoltante où une femme, une brute en état d'ivresse, laisse tomber son nourrisson de son sein qui s'étale pendant et nu. Comme s’il parlait le latin, que, du reste, 1l ne connut jamais, il appelle crûment les choses par leur nom. I} décrit un caractère au cours d’une série de ta- bleaux de la morale en actions, telles sont les six composi- tions de son Mariage à la mode, un mariage d'argent, et la Vie d’une Prostituée (Harlols progress), — qui la conduit de la chaumière où elle naquit, dans une auberge, de cette auberge dans un palais, de ce palais dans un lupanar, de ce mauvais lieu dans la prison, et de la prison dans l'hôpital où elle meurt. Les quatre tableaux des élections sont la peinture et la satire des mœurs politiques anglaises : le Ban- quet, la Brique, le Vote et la Victoire dans un fauteuil. Ses Comédiens ainbulants s’apprétant à jouer dans une ferme sont aussi des types fort ressemblants qui caractérisent son époque. Cependant les sentiments élevés lui font défaut, et 2 he c’est bien à tort que le chauvinisme de ses compatriotes alla jusqu'à le comparer à Shakespeare. Les Anglais n'ont ja- mais eu de Shakespeare en peinture. Hogarth fut seulement un sermoneur brutal que révoltait le triomphe de linjustice. En dehors du genre qui l’a rendu célèbre, il a peint quel- quefois des portraits, entre autres celui de la comédienne Lavinia Fenton dans le rôle de Polly Péachum de lPopéra Les Gueux par John Gay. Cette actrice de talent devint plus tard l’épouse d’un lord et duchesse de Belton. Son portrait date sans doute de l’époque où Hogarth fréquentait Rich, un fameux directeur de théâtre, ce qui lui permettait de faire des études d'acteurs pour la série de compositions qu'il a appelées Les Comédiennes ambulantes. Issu d’une famille de paysans d'Old-Bailey, W. Hogarth fut le premier peintre véritablement anglais dans toute la force du terme. Son père était maitre d'école de village et son grand-père, comme l’indique l’étymologie de son nom, un sobriquet, avait été porcher. Hog, en effet, veut dire pourceau, et herd troupeau, de là le sobriquet de Hogherd dont on fit Hogarth (1). Quoique son éducation et son instruction eussent été fort négligées — Hogarth ignorait même l'orthographe, — il n’en écrivit pas moins un ouvrage intitulé Analyse de la beuuté, et ses Mémoires. Dans son adolescence il travaillait chez le graveur Ellis Gamble à l'enseigne de lAnge doré, et après y être resté sept ans à graver des chiffres et des ornements sur des plateaux, des cuillères et des gobelets, il s'établit à ses frais dans une boutique. Peu à peu, et sans qu’on puisse af- firmer, comme on l’a dit, qu'il reçut des leçons de quelque peintre hollandais, il devint artiste. [Il commença par graver sur une planche quelques sujets de sa fantaisie, puis se mit à peindre à l'huile. Un riche marchand de Londres, nommé (1) D'après M. Max Roldit, son grand-père fut fermier, son père maitre d'école, et son oncle un chansonnier rustique faiseur de quolibets. On re- trouve ce caractère caustique chez Hogarth. A 7 Lt Bowles, lui acheta ses premières planches. Dès lors il put vivre daus une aisance relative et s’habiller comme un gen- tleman. C’est à ce moment qu'il devint amoureux de la fille de sir James Thornhill, un peintre de la cour, un homme riche et célèbre, qui peignait des coupoles de cathédrale à raison de quarante shillings par mètre et qui n’eût certes point consenti à la lui accorder si Hogarth ne l’eût enlevée. On raconte, à cette occasion, que celle-ci, de concert avec sa mère, exposa dans la salle à manger du chevalier Thornhill les six tableaux de la série: la Carrière d’une prostituée (Harlot’s progress), etque, en venant pourdéjeuner, Thornhill ne put qu’exprimer son admiration pour l’auteur en disant : « Celui qui a un tel talent peut se suffire à lui-même et épou- » ser ma fille sans que je la dote. » — Le pardon obtenu, le mariage se fit et Hogarth gagna assez pour devenir proprié- taire et avoir un carrosse. Il voulut, mais sans aucun succès, se distinguer dans la peinture d'histoire parce qu’on lui avait reproché de ne pou- voir traiter que les sujets de la vie domestique. C’est alors qu'il produisit ses compositions de la Fille de Pharaon, de la Piscine, de la Prédication de saint Paul, de Danaë, de Si- gismonde, mais on ne les goûta point. Soupçonné d'être un espion lors de son voyage en France, et arrêté pour avoir dessiné la porte de la ville de Calais, il devint gallophobe et se vengea en représentant dans deux caricatures l’Angleterre symbolisant la politesse, la courtoi- sie et la bonne humeur, et la France ne représentant que la grossièreté et la mauvaise humeur. Il se vengea aussi par des gravures et des vers satiriques de l’insuccès de son Analyse de la beauté qui lui suscita de nombreuses et virulentes critiques, et il se brouilla en ma- tière politique avec Wilkes et Churchill qui lattaquèrent vi- vement de-sorte que, le caractère aigri et sentant ses forces S’altérer, il acheva en 1764 son dernier tableau représentant la figure du Temps sur des ruines et qu'il nomma La fin de Ro Unes tout. Alors il brisa sa palette en s'écriant : « J’ai fini! » On l’enterra peu de mois après à Ghiswick où on lui éleva pour monument une pyramide ornée d’un masque comique avec une épitaphe en vers par Garrick. Nous remarquons dans le legs Gigoux un portrait d'homme que l’on attribue à Hogarth. C’est une tête coiffée d’une per- ruque ; elle manque de distinction, mais est toutefois d’une exécution permettant de la croire le produit du pinceau de cet humoriste, comme l’appellent ses compatriotes. La cou- leur en est aussi terne que celle qui distingue les peintures d'Hogarth. Constatons toutefois que son exécution est préférable à celle d’un tableau de genre avant la dimension de chacune de ses peintures de mœurs. il représente l'Intérieur d’un atelier d'horlogers. L'un d'eux travaille près d’un vitrage d’où l’on aperçoit des murailles grises, l’autre, près de son établi, reçoit d’un jeune gentleman une montre à réparer, et l'on dirait que le troisième explique le mécanisme d’une horloge à trois personnages en costumes du Levant, tandis que sa femme répond aux questions d’un de ces visiteurs étrangers, Cette peinture où règne quelque semblant d’une harmonie de tons roux à l'aspect érallé et semble usée, ce qui ne per- met guère d'en apprécier la facture. Elle est terne, peu cor- recte, et c’est même à son manque de correction qu’elle em- prunte cette expression caricaturale qui fut le propre d’Ho- garth. Elle est du reste traitée comme une esquisse. Allan Ramsay (D, fils d’une famillenoble, naquit à Edimbourg en 1715, et alla dans sa jeunesse étudier à Rome chez Soli- mène et Impériale, deux peintres fort en vogue à ce moment. De retour en Angleterre, 11 fut recherché par de hauts per- sonnages dont il fit les portraits, entre autres celui de lord Bute, président du conseil des ministres. Georges TI le nomma son premier peintre, alors que Reynolds eût sans (1) À. Ramsay, 1715-1784. me doute mieux mérité cette distinction, mais le roi s'était pris d'affection pour Ramsay qu'il admettait dans sa famille Cé- tait, sans doute, parce que celui-ci était de souche aristocra- tique et avait beaucoup d'instruction. On rapporte que, bon helléniste et latiniste, 1l parlait fort bien plusieurs langues vivantes : le français, l'italien et l’allemand, ce qui lui per- mettait de s’entretenir longtemps dans cette dernière langue avec la reine Charlotte dont il eut l'honneur de représenter les traits. La faveur du roi et des courtisans lui procurèrent une quantité prodigieuse de portraits dont il peignait seule- ment les têtes et les mains afin de pouvoir suffire à d'aussi nombreuses commandes, Il faisait peindre les vêtements à des collaborateurs parmi lesquels on cite une mistress Blake, un certain hollandais Van Dyck qui fut très loin de valoir son illustre homonyme, l’écossais David Martin (1), les allemands Roth, Eïkart, Vesperies et Philippe Reinagle. Ramsay fut plutôt un fabricant de portraits qu'un artiste. Il _s’occupait avec prédilection de littérature et de politique. Les lords Bute et Bath, les dues de Newcastle et de Rich- mond venaient diner à sa table et l’appréciaient comme homme politique. On a un volume des articles et des mémoires qu'il a pu- bliés sous le nom d’'Investigator. Il mourut à Paris dans lété de 1784 après un voyage en Italie et lorsqu'il se disposait à retourner en Angleterre. Le musée du Louvre possède de lui, catalogué sous le n° 1818 le portrait de Charlotte-Sophie de Mecklembourg- Strélitz, princesse de Galles. Il ne restait plus en Angleterre de grands peintres étran- gers ; tandis que les peuples du continent pouvaient se faire gloire de leurs artistes de génie, les Anglais seuls montraient un tempérament rebelle spécialement à la peinture. Ils avaient des poètes, des littérateurs, des savants, des indus- (1) D. Martin, 1736-1798. D triels et des commerçants, mais pas de maîtres peintres ou sculpteurs. On pourrait en conclure que là où lesprit de cal- cul domine, il ne reste rien pour la manifestation de la beauté par les arts plasüques. Nous ne voyons point dans les tableaux du legs Gigoux quelque échantillon du talent d’un peintre dont les œuvres ont du style, mais sont visiblement imitées de Claude Lorrain. Ce peintre est Richard Wiison que l’on peut dire avoir inau- guré le genre du paysage en Angleterre, car on ne cite avant lui qu’un ou deux noms de paysagistes qui n’ont paslaissé de traces. Cet artiste, né en 1714, fils d’un clergyman du comté de Montgomerv, recut une excellente éducation classique, et, en 1749, lors de son voyage en Italie où il étudia dans la- telier de Zuccarelli, se mit à traiter le genre du paysage his- torique. [l s’inspira aussi de Joseph Vernet dont il fut l'ami ; c'est sur l’éloge qu’en fit ce dernier qu’on le nomma membre fondateur de l’Académie. Mais il arrivait dans un moment où tout le monde s'était pris d’'admiration pour Gaimsborough et où Hogarth était en faveur. Sa peinture, lors de son retour à Londres, fut amè- rement critiquée par ses confrères et tomba dans le plus grand discrédit. Quand Georges [IT lui demanda une vue des jardins de Kew. au lieu de rendre la nature de ce site anglais, Wilson y substitua un paysage dans le goût latin, éclairé par un soleil d'Italie, de sorte que le roi lui renvova sans pitié son tableau, Wilson ne pouvait faire un paysage sans y placer une scène de l’histoire ancienne et des ruines grecques ou romaines. Îl aurait pu à ce moment avoir grand succes s’il eût vécu en France, mais en Angleterre il mourut dars la misère la plus complète au mois de mai 1782, Maintenant au contraire, on s’y dispute ses œuvres à prix d'or et on l'appelle hyperboliquement le Claude anglais. Après Ramsay, rien ne présageait la venue des peintres que nous allons citer et qui furent les plus remarquables des artistes de leur pays : ils inaugurent l’école anglaise. % of. rie SR. Le N En 19 RO En premier lieu Josuah Revnolds, né en 1793, jouit dés plus grands succès comme portraitiste, mais n’excelle point dans la peinture d'histoire. Ce président de l’Académie Royale de Londres, a, selon ce que dit M. Ernest Chesneau, le secret de toutes les distinctions de la femme et de l’en- » fant. Tous ses personnages, il les met dans leur milieu de » vie active, poursuivant le geste interrompu par lParrivée du peintre. » Il s’inspira en tout de Van Dyck et c’est peut-être pour cela qu’il s’appliqua de préférence à se montrer coloriste. Pourtant, s'il était vrai, comme on l’a dit, que Reynolds achetait des tableaux de maitres vénitiens pour y chercher, en décomposant leurs couleurs, les secrets des fameux coloristes de la Renaissance, cela indiquerait une ignorance qu'on ne peut guère lui supposer. [l savait sans doute que le secret des maîtres coloristes n’est point dans la nature des couleurs dont ils se servaient, mais dans l’éducation de leur œil pour apprendre à bien voir. [Il nous semble, du reste, que l’examen des œuvres de Reynolds prouve suffisamment qu'il était trop intelligent pour chercher ce prétendu secret. Quelques critiques, à cause des effets de lumière qu'il à mis dans ses portraits, l'ont appelé trop prétentieusement le Rembrandt anglais. Mais, outre qu'il est bien au-dessous de Van Ryn, il n’a point son extrême sobriété de colorations. et quoiqu'on l’aît écrit, il ne rechercha point non plus la couleur des Vénitiens qu’il ne goûtait guère. Dans ses Dis- cours sur la peinture dont il fit la lecture à l’Académie. il y professe que l’on doit concentrer l'effet sur l’objet principal du tableau, et au besoin, négliger les accessoires. La plupart des peintres anglais modernes sont arrivés, en adoptant ce système, à produire des effets n'ayant rien de la nature et sentant la manière. Reynolds s’est efforcé de mettre en faveur la grande pein- ture historique pour laquelle ses compatriotes ont toujours - montré peu de goût. Il louait sans cesse Raphaël, Michel- & Ÿ Ange, Titien aussi, qu’il préférait à Véronèse, et malgré cela l’on peut dire que ses Discours ont propagé bien des idées fausses et qui égarent, encore aujourd’hui, les peintres de son pays. Ce fut seulement après la mort de Ramsay, en 1784, qu’on le nomma peintre ordinaire du roi. Lorsqu'il cessa de vivre, le 23 février 17992, il était devenu presque aveugle. Le musée du Louvre ne possède aucune peinture de Reynolds. Il est regrettable que l’on n’ait rien de lui dans le legs Gi- goux, Une Tête de jeune Fille qui lui était attribuée et que la Revue Franc-Comtoise publiée à Dole mentionnait en 1887 dans cette collection (à moins pourtant que ce ne soit une erreur d'attribution), à peut-être élé vendue pendant la vie de son possesseur. Pour connaître les conditions du développement de l’art chez les artistes de la Grande-Bretagne, il importe de savoir ce qu'est l’Académie Royale dont Josuah Reynolds fut le premier président. Fondée en 1768, elle résida premièrement à saint-Martins Lane; Georges [IT la transféra à Somerset House, qu'elle quitta pour Trafalgar-Square, et eile occupe actuellement un palais somptueux, sa propriété, qu’elle a fait construire à Piccadillv pendant les années 1868 et 1869. On ne peut pas dire que cette institution appartienne à l'Etat. En effet, quoiqu'elle soit installée dans un monument public, et que son président, soit, par le fait, Directeur de la National Gallery et du British-Museum, quoique pres- que tous ses membres soient payés par la nation, et ses classes par les contribuables, elle est indépendante et se gouverne elle-même. Le meilleur de son budget vient d’une exposition annuelle d'artistes vivants dont le droit d’entrée est d’un shilling. On peut faire partie de cette Académie moitié publique mo.tié privée à trois titres d'fférents ; comme élève, comme associé, ou comme académicien. [Il y a quarante académiciens que l'élection renouvelle, vingt associés choi- CRT ES LE os lee sis et nommés par les artistes qui ont exposé les ouvrages jugés les meilleurs, et les élèves doivent produire un ouvrage qui soit admis par neuf membres y compris le pré- sident d’un conseil agissant comme pouvoir exécutif de la Société. Si ce spécimen de leurs aptitudes est trouvé suffi - sant on les admet pour trois mois, et si pendant ce temps les professeurs constatent leurs progrès sur le vu de nou- veaux ouvrages, ils sont définitivement acceptés pour élèves avec tous les droits que confère ce titre. Ces droits sont : instruction gratuite dans les différents arts, accès aux cours publics et usage de la bibliothèque de l'Académie. Tous les trois ans l'Académie envoie à Rome avec une pension de cent livres sterling un élève de son choix et lui paie ses frais de voyage. Quoique l’enseignement soit donné à l’Académie Royale par des hommes fort compétents, il n’est point sûr qu'il suffise pour former des artistes de premier ordre. Il nv a pas à Londres, comme chez nous, des ateliers particuliers dirigés par des maîtres qui se font un point d’amour-propre du succès de leurs élèves et s'efforcent pour les faire réussir. Quant aux autres écoles de dessin, elles sont publiques, comme celle de l’Académie, mais ne l’égalent point. Nombre de peintres anglais n’ont suivi ni les unes ni les autres, ils se sont formés au hasard par les cours de n’importe quel pro- fesseur, de sorte que, faute d'une direction sérieuse, ils de- meurent inférieurs dans le dessin et cherchent à voiler leur faiblesse en abusant de la couleur; toutefois, si les médio- crités y sont plus choquantes qu'ailleurs, cette absence de technique à pour résultat, chez ceux qui arrivent à se dis- tinguer, une originalité toute personnelle et fantaisiste qui caractérise leurs productions. Il est regrettable que nous ne trouvions parmiles tableaux du legs Gigoux aucun portrait par Gainsborough qui fut con- sidéré comme un des premiers portraitistes de l'Angleterre, supérieur même à Reynolds, au dire de certains de ses ad- Tps mirateurs, et qui excella aussi dans le paysage. De ce der- nier genre nous remarquons un petit tableau où se trouvent un arbre à droite et des bestiaux dans une prairie, sous un effet de soleil couchant. Cette peinture d’un bon sentiment de couleur est pourtant insuffisante pour nous révéler toutes les qualités qui distinguent le maître. Gainsborough fut supérieur à Revnolds d'autant qu’en fait d'art le sentiment, l'inspiration du tempérament l’emportent sur le savoir. Là où Reynolds raisonne pour arriver à la cou- leur, Gainsborough s’y trouve entraîné par son intuition de- vant la nature. Elle lui fait trouver des finesses de ton, des valeurs délicatement nuancées et des touches expressives. L'harmonie de sa couleur arrête l’attention. Ses portraits sont distingués comme s'ils étaient l’œuvre d’un émule de Van Dyck, dont il eut à tort la vanité de se croire légal. La peinture de Gainsborough est facile, elle donne tout son effet sans le secours des sacrifices et des supercheries employées par Reynolds, et l'expression de ses figures n’a point la vul- garité de celles d'Hogarth. Reynolds avant dit, dans un de ses discours à l'Académie, qu'il ne fallait pas que le bleu soit la couleur dominante d’un tableau, et qu’on devait toujours placer au centre les tons les plus vigoureux, Gainsborough fit, en manière de réponse, son portrait de Master Buttal, un jeune garçon de quinze ans vêtu entièrement de satin bleu d’une même: teinte, et que l’on connaît sous le nom de Blue Boy (). Ce portrait, son chef-d'œuvre, donne un éclatant démenti à l’assertion de Reynolds en montrant que l’agréable harmonie d’un tableau résulte de la juste valeur des tons et non point de leurs teintes. Un autre de ses meilleurs portraits est celui d’une actrice, mistress Siddons, en costume de ville, que Reynolds avait représentée vêtue en tragédienne, et aussi ceux de (1) Des gravures de Blue-Boy et de Mistress Graham, par M. L. Fla- meng, se trouvent dans la Gazette des Beaux-Arts. ns af ES yoae mistress Graham, celui de Georgiana Spencer, duchesse de Devonshire, des mistress Sheridan et Tickell, groupées dans le même cadre, de William Hallett et de sa femme se pro- menant dans leur jardin, ete., toutes œuvres où l’on remar- que de la grâce, de la distinction, et du brio dans l'exécution. En effet on peut signaler, contrastant avec Hogarth, comme un progrès dans le sentiment de la beauté, la venue de Rey- nolds et de Gainsborough. Tous deux s’inspirèrent plus de la réalité. Le premier en exprimant mieux que ses prédéces- seurs l’âme des modèles qui posèrent pour ses portraits, et le second en se laissant aller sincèrement, en toute naïveté, à son grand amour de la nature. On peut dire que si Rey- nolds peint surtout avec son savoir, Gainsborough, au con- traire, n’est guidé que par sa puissante inspiration. Quoique l’on ait affirmé qu'il faisait ses paysages pour son plaisir, et ses portraits pour de l’argent. ses portraits ne sont point in- férieurs à ses paysages, et dans chacun de ces genres il s’est montré plein de verve. Son caractère était en parfait con- traste avec celui de Reynolds qui recherchait la société des hommes politiques, des lettrés et des grands, car 1l aimait à fréquenter les acteurs et les jolies femmes. On Île trouvait sans cesse dans la campagne, au milieu des bois, des plaines de bruyères ou dans les tavernes où 1l aimait à faire ses re- pas en compagnie de bons vivants, et presque jamais à l’A- cadémie. Aussi trouvait-il les sujets de ses tableaux parmi les paysans etles gens du peuple, La Fille aux cochons et la Fille à la cruche, que Reynolds paya cent guinées au lieu des soixante demandées par l’auteur, sont deux deses chefs- d'œuvre. Et pourtant, du vivant de Gainsborough, ces ou- vrages se vendaient peu et à bas prix. Ce n’est qu'après sa mort qu'ils furent payés au poids de l'or. De nos jours encore cette vogue s’est si bien maintenue chez les Anglais qu’elle donna lieu, en 1891, à l’histoire sin- gulière du portrait de la duchesse de Devonshire. Ce por- trait, dit-on, aurait été volé, il y a de cela vingt-six ans à #0 MM. Agnew, marchands de tableaux de Bond Street, qui l'avaient acheté, en 1876, dans une vente publique, pour 262.500 francs, prix qui dépasse tout ce qu’on avait jamais payé pour aucun tableau de ce genre. Il a couru nombre de légendes sur la facon dont MM. Agnew, persistant à garder le secret, sont enfin rede- venus propriétaires de ce portrait. Ils l’ont réinstallé dans leur galerie, et après l’aventure de la disparition, qui pour- rait bien n'être qu'une ingénieuse réclame, ils disent ne vouloir le céder maintenant que -pour la bagatelle de 265,000 francs. Thomas Gamsborough était né à Sudbury en 1727 et il mourut à Londres en 1788. Notre graveur français Gravelot aida de ses conseils cet artiste bizarre qui, devenu un pein- tre original, eut cependant le tort de se croire l’égal de Van Dyck. George Romney (1) fit concurrence à Gainsborough et traita aussi l’histoire. Peu connu chez nous, il a mérité d'occuper un des premiers rangs parmi les artistes anglais et peignit surtout des portraits dont il fit un nombre prodi- gieux. C’est comme délassement qu'il produisit des compo- sitions historiques ou de genre, Voici le jugement qu'en a porté le fameux critique Thoré. « Romney fut un maitre : grand coloriste, élégant dessi- nateur, excellent dans toutes les parties de l’exécution. L’abondance de ses conceptions était inépuisable, surtout dans les sujets poétiques, Qu'il peignit l’allégorie, l’histoire, la vie familière, ïl a toujours une qualité bien rare : le charme (Î). » Cela suffisait pour le faire haïr de Reynolds alors au faite de sa puissance, et c’est pourquoi Romney ne fut point nommé de la Royal Academy. I faut dire aussi qu'il ne s’astreignit point, pour obéir à la (1) 1734-1802. oo e pudibonderie anglaise, à ne pas faire poser le nu par le mo- dèle vivant. [Il avait, d’ailleurs, un modèle incomparable dans sa maitresse, la trop célèbre Emma Heath, bâtarde de Lord Lyons, devenue plus tard la femme de sir William Hamilton, ambassadeur d'Angleterre, l’amie de la reine Caroline de Naples, puis la maitresse de l’amiral Nelson, et qui mourut enfin dans la misère. Elle posa aussi pour Rey- nolds et pour Mme Vigée-Lebrun. Voici ce que cette artiste en dit dans ses Mémoires : « Je la peignis couchée au bord de la mer, tenant une coupe à la main. Sa belle figure était fort animée, elle excellait à mimer toutes les poses, et toutes les passions Elle avait une quantité de beaux cheveux châtains qui pouvaient la couvrir entièrement, et en bacchante, ses cheveux épars, elle était admirable. Aussi Romnev, qui la faisait poser de toutes les facons, dut-il, sans doute, beau- coup de sa réputation aux charmes de ce beau modèle. » Il est regrettable que le musée du Louvre ne possède rien de Romney. Lorsque le quaker Benjamin West, né en 1738 à Spring- field en Pensylvanie, et mort à Londres en 1820, arriva en Angleterre, les peintres de ce pays étaient presque tous des excentriques. Voici ce que dit à ce sujet Thoré, sous le nom de William Bürger : « Ce yankee représenta parmi eux un certain bon sens, le calme, pendant que tous les autres, sauf Revnolds, étaient plus ou moins maniaques ; Gainsborough lui-même était assez fantasque. Il y en avait de fous aux irois-quarts, comme James Barry et George Morland, quelques-uns même tout-à-fait comme William Blake le visionnaire ; West était un contraste. » À cela, peut-être, il dut son prodigieux succès, car peu d'hommes au monde ont été aussi complètement heureux que lui, de tous les côtés : ambition et gloire, et richesse, et faveurs et titres, l’estime générale, la paix domestique, une bonne femme à l'anglaise, des enfants dociles, une bonne Se santé, bon tempérament, longue existence: tout au mieux possible. Mais de génie point, pas même de talent; ni inven- tion ni inspiration, ni esprit, ni adresse, ni expression, ni tournure, ni poésie d'aucune sorte, ni originalité, ni rien. Et surtout, pas peintre. » Ce jugement est peut-être bien sévère. Le tableau que l’on cite entre autres comme le chef-d'œuvre de West, La mort du Général Wolf, ne manque point de qualités rela- tves, et l’on peut dire que West fut, du moins, très fécond, puisqu'il a produit plus de cinq cents tableaux où quelque- fois 1l fit preuve de talent. On compte au nombre des artistes anglais le Suisse Henry Fusely (1), de Zurich, qui fut directeur de l’Académie de pein- ture. Quoique bizarre dans ses compositions qui tiennent de l’hallucination, il ne manquait pas de talent. Voici ce que dit de lui le critique Allan Cunningham : « Ce n’était pas un timide aventurier dans les régions de l’art, mais un homme singulièrement audacieux. Il ne se plaisait que dans les sujets grandioses, sauvages, merveil- leux. Les humbles réalités de la vie, il les considérait comme indignes de son pinceau, et il ne les consacrait qu'aux drames terribles où l’imagination peut déplover toute son énergie. » « [1 ne sympathisait qu'avec les demi-dieux de la poésie, et il rôdait à travers Homère et Dante, Shakespeare et Mil- ton, pour y trouver de nobles inspirations. Il aimait à se me- surer avec ce qu'il croyait trop fort pour les autres hommes. » Citons parmi ses tableaux: Titania et Bottom, sujet tiré de Shakespeare, les Sorcières de Macbeth, le Cauchemur, etc. | James Barry, peintre irlandais, mort au commencement du xix° siècle, avait passé cinq ans à Rome où il s’était livré à l'étude des meilleures statues antiques dont 1l a marqué le souvenir dans ses œuvres où il s'efforce d’avoir le style clas- (4) 1741-1806. * à 1 $ PE Fonte sique. Il s’en trouve de remarquables, mais ne justifiant point ses prétentions excessives qui lui firent beaucoup d’ennemis parmi ses confrères. Sa couleur valait mieux que son dessin. Iltraita les sujets mythologiques et l’histoire. On cite de lui: Vénus sortant de la mer, Mercure inventant la lyve, etc. En1877, il peignit, pour la société des arts, six compositions d’une grandeur excessive, 42 pieds de longueur sur 11 pieds 6 pouces de hauteur, placées dans la grande salle des Adel- phi. Elles ont pour sujets : 1° Orphée ; 2 Cérès et Bacchus ; 9° Les Jeux olympiques ; 4° La Navigation ou le Triomphe de la Tamise ;, 5° La Distribution des Récompenses à la So- cièté des Arts; 6° L'Elysée ou la Récompense finale. Ce travail lui prit six années et lui fut l’occasion d’une polémi- que très acerbe contre ses confrères de l'Académie Ilse disait supérieur aux plus grands maïîtresitaliens, et ses compatriotes finirent par le croire. James Northcote (1), né en 1746, peignait encore en 1830. Il fut élève de Josuah Reynolds, et, de même que son maitre, produisit de nombreux portraits, mais ses compatriotes le classent surtout parmi les peintres d'histoire. Son tableau de la Mort des enfants d’'Édouard qu'il exposa en 1785 avec sept autres compositions et huit portraits, alors qu’il avait 39 ans, eut un immense succès et consacra sa réputation. En 1787 il fut nommé membre de l’Académie de peinture et traita dans son morceau de réception le sujet biblique de Jahël et S1- cara. Il avait aussi, à ses débuts, produit des tableaux de genre d’un dessin quelquefois peu correct, commé celui qui est intitulé : La Charité. Robert Smirke (2) fut un illustrateur de Shakespeare, de Cervantès et de nombreux romans. S'il fut peintre, c’est qu'au siècle dernier les éditeurs de la Grande-Bretagne (1) 1746-1831. (2) 1752-1845. SPORE avaient l'habitude de faire graver les illustrations d’après des tableaux. Aussi la peinture de Smirke est-elle excessive- ment sobre de coloration, presque une grisaille ; mais il re- chercha le clair-obseur On ne doit pas s'étonner si, pour suffire à tous les livres qu'on luifit illustrer, sa production fut très considérable ; il en devait être ainsi. Voici le jugement qu’en a porté notre fameux critique Thoré. « Pour ce qui est de Smirke et de ses illustrations, tout ce qu’on en peut dire, e’est qu’à l’adresse de l’arrangement, elles joignent un certain esprit dans les attitudes et les physiono- mies, mais qu’elles ne vont jamais au fond des caractères. » S'il fait sourire parfois, comme l’observe Bryan, il ne fait guère penser. Une bonneillustration devrait servir à pénétrer l'esprit du littérateur que l’artiste entend traduire ; au con- traire, pour bien comprendre Smirke, il faut relire ses au- teurs, Shakespeare ou Cervantès qui, dans leur langue écrite, sont mille fois plus expansifs que le peintre, dans sa langue classique. » 3 Smirke a quelquefois, en outre de ses illustrations, em- prunté des sujets à la Bible ou à la Mythologie et a fait aussi des tableaux de genre d’une intention froidement comique, comme celui si connu sous le titre de : Le portrait flatté. Il fut nommé de l’Académie Rovale de peinture en 1793 et mourut à 94 ans en 1845. L’un de ses fils, qui porta aussi le prénom de Robert, fut l'architecte du British-Museum, mais ne fut point peintre. Sir George Howland Beaumont naquit à Dunmow, comté 4 d'Essex, en 1753, et succéda, en 1762, au titre de baronnet 4 héréditaire dans sa famille. Ayant fait en 1782, avec lady Beaumont, un voyage en Italie, il s’adonna tout entier à son goût pour les beaux-arts et devint peintre de paysages. Il M avait précédemment reçu des leçons de Richard Wilson. IP È fut élu membre du parlement en 1790 et y représenta Bee- À ralston. [1 mourut le 7 février 1823, après avoir toujours HO aimé et protégé les artistes et en léguant à la National Gallery sa riche collection de tableaux. Sir William Beechey fut portraiuste. Il naquit le 1er dé- cembre 1793 à Burford, dans le Comté d'Oxford, et mourut à Hampstead en 1839. L’académie Royale se l’associa en 1793, il devint académicien titulaire en 1798, et reçut le titre de chevalier après avoir terminé le portrait équestre de Georges III passant une revue en compagnie du prince de Galles, du duc d’York, de sir W. Faucett et Goldsworthv. Reynolds, avant lui, avait reçu ce titre qui fut refusé par Benjamin West. Beechey fut extrêmement fécond. On rapporte qu’il exposa, en 64 ans de sa longue vie, trois cent soixante- deux portraits. Il s’en faut, toutefois, qu’il puisse être mis sur le même rang que Gainsborough ou Lawrence. C’est un portraitiste de second ordre. Sons Georgse -:D:Beechey’ fut peintre médiocre et exposa aux salons de Londres de 1817 à 1828. On croit qu'il mourut, pendant la révolte de l’Inde en 1877. à la cour du roi d’Oude dont il était le peintre attitré. Le musée du Louvre possède de W. Beechey le père, sous le n° 1801, deux portraits réunis intitulés Frère el sœur, don du journal l'Art en 1881, provenant de la vente Wilson Citons pour mémoire Thomas Stothard (D qui ne peut être compté au nombre des bons peintres de genre du xXvII° siècle, mais dont on a beaucoup parlé à propos d’un très petit tableau dont le sujet : Pélerinage à Canterbury, était inspiré par un poème de Chaucer. On s’en occupa d’au- tant plus que William Blacke laccusait d’avoir pillé sa com- position originale. On n’a jamais pu dire si c'était à tort ou à raison. « C’est assez original, en effet, dans la gravure. Les per- sonnages ont de la naïveté et un certain caractère. Ils s’en (1) T. Stothart, 1755-1834. ee vont péleriner comme une file d'oies qui va aux champs. C’est tranquille et humoristique à la fois, assez intime et très amusant à voir dans la gravure. On croirait y deviner un peintre comme Wilkie, même avec plus de style. » Hélas! dans la peinture il n’y a rien; une petite image débile et incorrecte, au lieu de l’image énergique et subs- tantielle de Chaucer ie vaillant poète; une vignette comme en faisait le gracieux Johannot. » Car Stothard n’est qu’un délicat et spirituel illustrateur de livres, une espèce d’ornemaniste pour les éditions de luxe, les keepsakes et les magazines. » Et nous pensons même … le comparer à Tony Johannot qui avait beacoup de talent, c’est lui faire trop d'honneur. Ræburn (sir Henry), né à Strockbridge près Edimbourg (1756-1825), peignit le portrait. On voit de lui au musée du Louvre, catalogué sous le n° 1817, Le Portrait d’un Invalide de la marine à Green- wich, — en ovale, — acheté 2,400 fr. par l'Etat en 1886 à la vente Laurent Richard, Ce portrait est traité magistralement avec une hardiesse de touche, un modèle fin et puissant, un sentiment de réalité bien interprétée qui en font un vrai chef-d'œuvre. [l ne per- drait rien, a-t-on dit, à côté d’une œuvre de Chardin. Et pourtant, ce peintre n’est point apprécié à sa valeur par les Anglais qui, tout en l’estimant, lui dénient toutes qualités d’art. D'abord apprenti orfèvre à Edimbourg, Ræburn sentit bientôt se révéler sa vocation pour la peinture en s’essayant à faire quelques miniatures. David Martin, portraitiste, vit ces essais et lui donna des leçons en lui faisant copier ses ouvrages. Ræburn avait alors 19 ans. Bientôt il eut quelques succès, et se maria à 22 ans avec une jeune personne ayant une médiocre fortune. Reynolds vit quelques-unes de ses œuvres, l’encouragea, lui donna des conseils et le recom- manda à ses connaissances. Il alla passer deux ans en Italie L'Ers et revint à Edimbourg en 1787. Nommé président de la Société des artistes écossais, 11 fut élu par les peintres de l’Académie Royale, d’abord associé en 1813, puis académi- cien en 1814. Lorsque George IV passa à Edimbourg, il lui donna le titre de chevalier en 1822, et l’année suivante celui de peintre du roi pour l’Ecosse. [l mourut dans sa maison de campagne près d'Edimbourg, après avoir perdu une partie de sa fortune. Il faut citer dans un genre qui étonne par le grandiose des Étiicestelr des elieis de lumière, Blake, qui fut peintre et poète. Toutelois, il fut très médiocre dessinateur. William Blake (1757-1827), que M. Ernest Chesneau ap- pelle un génie trop plastique pour la plume et trop mystique pour le pinceau, fui un peintre visionnaire enfanté par Île mouvement teutonique qu occasionnait la per des victoires de Napoléon. Il mêla le mysticisme du Nord scandinave et germanique à l'inspiration de la poésie anglaise d’où sor- tirent les œuvres de Wordsworth et celles de Shelley et de Coleridge. Il 1llustra de gravures à la pointe sèche des poèmes inintellhigibles. John Hoppner fut un médiocre portraitiste, et pourtant un de ses ouvrages, le Portrait de ludy Louisa Manners, depuis comtesse Dysart, en costume de paysanne, dans un fond de paysage, a été, en octobre 1901, adjugé pour la somme de 14,050 guinées, et quelques Jours après, une re- production de ce portrait, gravé par Charles Turner, se ven- dait 200 livres. On est surpris de voir estimer si haut l’œuvre d'un peintre d’un mérite si secondaire. Un portrait de Mrs Farthing, par le même, a atteint 8,000 guinées. Jules-César [bbertson traita également la figure et le pay- sage. On raconte que son nom de César lui fut donné parce qu'il vint au monde à la suite d’une opération appelée césa- renne, le 20 décembre 1759. D'abord acteur, puis peintre, ses tableaux représentent des vues prises aux faubourgs de Londres, puis des plages, des paysages avec figures. Ayant perdu sa femme et huit enfants, il devint l’ami du peintre George Morland et partagea ses déréglements. Il se maria de nouveau en 1801 et mourut en 1817. Il fut aussi aquarel- liste de talent et publia en 1803 un traité de peinture illustré. par lui. Citons de lui, Fraudeurs sur Lu côte d'Irlande. Il est né à Masham (Yorkshire), en 1759, et mourut à Londres en 1817. C'est un arüste au faire bien personnel. John Opie (1), auquel on rend une justice tardive, a traité l’histoire, la mythologie ou les tableaux religieux, mais sur- tout le portrait mieux que ces différents genres. Sa princi- pale qualité fut d’être original Sans que l’on puisse dire qu'il ait jamais fait un chef-d'œuvre, on ne peut pourtant lui eon- tester d’avoir eu beaucoup de talent. | Benjamin West, son rival, a dit de lui : « Il peignait en maitre ce qu'il voyait; nul peintre ne sut jamais mieux rendre la perspective aérienne pour placer les objets à leurs places. La couleur locale dans ses tons variés fut toujours bien observée par lui. Beaucoup de peintres donnent aux ob- jets deux couleurs différentes, l’une dans la lumière et l’autre dans l’ombre. Opie ne le fit Jaiais. Pour lui, aucune cou- leur, blanche ou noire, primitive ou mixte, ne perd Jamais sa teinte relative » Cet éloge gagnerait à n'être pas fait par Benjamim West, qui ne fut jamais coloriste. Il est vrai toutefois qu'Opie l'emporte comme exécution sur West, sur Fuzely et Jarnes Barry, qui durént beaucoup de leur réputation à une vogue momentanée en Angleterre pour la peinture d'histoire. On cite d’Opie : la Mort de Rizio, l’'Assassinat de Jac- ques [* d’'Ecosse, une Scène d’évocalion, etc. Le musée du Louvre à de lui un Portrait de femme en blanc, catalogué sous le n° 14816, vendu en 1789 à la vente Wilson et donné (1) John Opie, 1761-1807. 90 par le journal l’Art en 1881, C’est une peinture large et so- lide, fort bien appropriée au genre de beauté vigoureuse et fraiche de la robuste anglo-saxonne dont elle reproduit les traits. | Georges Morland (1), malgré sa vie déséquilibrée passée dans l’ivrognerie, les extravagances qui le firent emprisonner pour dettes en 1824, et quoiqu'il soit mort à l’âge de qua- rante ans, emporté par le delirium tremens, a laissé plus de quatre mille tableaux signés de lui. Nous disons seulement signés, car il se contentait fort souvent d’'apposer son nom au bas des ouvrages de soi-di- sant collaborateurs, travaillant dans sa manière, fort recher- chée par certains amateurs, qui trouvaient du charme à cette peinture peu faite, assez semblable à une esquisse où do- mine le sentiment de l'improvisation. L'Association des marchands de tableaux de Londres ex- ploitait le talent de ce malheureux qui, poursuivi par ses créanciers, ne cessait de produire ou de laisser produire des tableaux qu'on vendait comme siens. Il est remarquable, toutefois, qu'il avait beaucoup de ta- lent ; voici comment l’apprécie William Bürger: « Morland aimait assez les animaux pour les représenter très bien dans leur caractère. Aussi faisait-1l à merveille les ânes, les co- chons, les chiens et les chevaux. Ses gros chevaux de ferme ont certaines analogies avec ceux de Géricault : sincérité de la tournure, ampleur de l'exécution. Dans la peinture des animaux comme dans celle du paysage, des intérieurs fami- Lers, des scènes rustiques ou des scènes de pêcheurs, il n’a jamais été plus loin que le premier ; et il était toujours trop pressé par l'argent ; il a peint presque toutes ses œuvres « entre deux vins ». On peut avoir une idée du talent naïf et sincère de Mor- ‘land par le tableau de South-Kensington, représentant Le (1) 1763-1804. 09e paiement de l’auberge et par La Halte, qui lui est attribuée, au musée du Louvre, n° 1814 du catalogue. Ce dernier ta- bleau a été acheté 8,720 francs en 1881 à la vente de John Wilson. Nous devons citer comme peintre de portraits assez re- marquable Richard Westall (1), reçu de l’Académie royale en 1794, et qui fit en 1830 le portrait de la princesse royale Victoria, depuis reine d'Angleterre et impératrice des Indes. John Creme, dit Old Crome pour le distinguer de son fils aîné, John Bernay Crome, naquit à Norwich, le 21 décem- bre 1769 et mourutle 2 avril 1824. Fils d’un ouvrier tisserand, il fut d’abord domestique chez un docteur-médecin, puis entra chez un peintre d’enseignes, et se forma seul en étu- diant d’après nature et d’après une collection de tableaux des maitres hollandais. Il fonda en 1805 la société des artistes de Norwich, et de 1807 à 1818 n’exposa à l’Académie qu’à peu près une douzaine de tableaux. Sa peinture se distingue par une étude sincère et naïve de la nature. Ses ciels sont légers et vaporeux et ses premiers plans corsés et bien étu- diés. Dessinant mieux que Gainsborough et plus vigoureux que Morland, il sait faire partager son impression au specta- teur. On cite de lui son tableau :: le Wieux Chéreretles Bruyères de Mouse- Hold qui passent pour ses chefs-d’œuvre. Nous arrivons à Thomas Lawrence : Le portrait du duc Ri- chelieu dans la collection Gigoux est un morceau qui, eu égard au petit nombre de peintures anglaises léguées par ce maitre, est bien remarquable. C'est ce même Richelieu dont l'effigie par Reynolds figurait en 1884à Paris dans l'Exposition des portraits du siècle. On en connaît encore d’autres, mais au dire de critiques compétents, ce portrait-ci serait le meil- leur. En effet, ce personnage aux cheveux grisonnants et frisés, a bien la tournure aristocratique, lexpression de l’homme du grand monde et du diplomate. Il porte la cra- (1) 1765-1836. È | 4 4 : RD vate blanche et la plaque de l’ordre du Saint-Esprit orne son habit, dont la coupe, à la mode du temps, lui fait des épaules tombantes et agrandit son cou hors de proportion. On peut signaler dans cette peinture la recherche d’une touche facile, mais des carnations fleuries peu naturelles. Un second portrait représente la duchesse de Sussex en robe de satin blanc. Cette jeune femme a les cheveux d'un blond roux et des yeux d’azur. Près d'elle est placé un bichon blanc sur un coussin dont la soie de couleur rose a des rap- pels au rideau rouge du fond. Cette figure ne manque pas d'un certain attrait, mais il ne faut pas songer, en la voyant, aux graads portraitistes flamands ou italiens, qui laisseraient Lawrence au rang bien secondaire que mérite sa poésie d’al- bum ou de keepsake. La réputation de Thomas Lawrence, chez lui comme chez nous, a été surfaite parce que nous écoutons volontiers les dames qui raffolent des tons frais et roses, des couleurs fades, et de tout ce qui est maniéré. Lawrence fut surtout un peintre de dames et la mode eut beaucoup de part à l’en- gouement dont on se prit pour lui. Un célèbre critique d'art a ditqu’il eut «le génie de la grâce et du chiffon, et que ce fut un Reynolds aminci. » Quoique inférieur à ce dernier, il eut pourtant la réputation du plus grand des portraitistes an- glais. ; Sa peinture, pleine d'artifice, escamote ses faiblesses et si- mule de précieuses qualités. Sans être bien dessinées, ses figures ont de la vieet ne manquent pas d’éclat quoiqu'il ne soit pas coloriste. Il semble avoir pour idéal l'aspect des figures de cire, et les femmes en sont ravies. Il suffirait de placer ses portraits à côté de ceux de Van Dyck ou du Titien dans une des salles du musée du Louvre pour voir, par Comparaison, combien est fausse cette pein- ture du maitre angiais qui ne semble être vraie que quand il s’agit de portraits d'enfants. Cet habile peintre, fils d’un aubergiste, naquit à Bristol en 09 20 4769 et mourut en 1830, On dit que, dès l’âge de six ans, il montra la meilleure aptitude pour les beaux-arts et qu’il se forma sans maitres. Il fut nommé peintre du roi Georges III en 1792, et après la mort de West, en 1820, président de l’Académie royale. La plupart des princes et des célébrités de l'Europe recherchèrent ses portraits où, disait-on, il avait l’art d’embellir. [l fut académicien en 1794, anobli en 1845, Il fit le portrait de Charles X et du Dauphin de France. Le musée du Louvre a de lui le Portrait de lord Whitworth, acquis en 1887 pour 9,360 francs. Il est heureux aussi que ce musée ait acquis dernièrement intéressant portrait de M. et Mme Angerstein par le même maitre. Sir Edwin Landseer est l’ainé et le plus connu de deux frères qui ont embrassé la carrière des arts, et leur père qui. mourut en 1852, était un graveur distingué, Ce n’est point par la science anatomique qu'il se distingue, comme la plupart des animaliers, c’est surtout par l’expres- sion qu'il donne aux bêtes, et Théophile Gautier, dans son compte rendu de l’exçosition de 1867 a su fort bien apprécier le caractère de son talent. « Il est, dit-il, dans la confidence des bêtes : le chien lui donnant une poignée de patte, comme à un camarade, lui récite la gazette du chenil ; le mouton, faisant cligner son œil pâle, lui bêle ses chagrins innocents ; le cerf, qui a le don des larmes comme une femme, vient pleurer dans son sein la cruauté de l’homme, et l'artiste les console de son mieux, car il les aime d’une tendresse pro- fonde, et il n’a point pour leur peine le dédaigneux mépris du sot. » Ii faut, en définitive, observer que Landseer a donné aux bêtes des sentiments humains, ce qui est plus mgénieux que naturel. Le paysage que, dans la collection Gigoux, on attri- bue à Turner ne nous révèle point le talent de ce peintre, surnommé pompeusement par ses compatriotes : Le Messie pbs UT FNAC EP de la peinture; c’est un ouvrage médiocre. Loin de tendre aux effets de lumière que recherche habituellement ce pay- sagiste (qui fut aussi un célèbre aquarelliste mais resta infé- rieur lorsqu'il voulut aborder la peinture d'histoire), loin de nous donner ses contrastes de rayons et d’ombres sa cou- leur est ici uniformément froide, et pourtant cette pâle étude doit avoir été peinte en Italie, parce que, dans les fonds, à droite, on voit un volcan dont la fumée s’élève sur un ciel sans nuages. Ces fonds se complêtent par un horizon de collines boisées. Aux premiers plans se trouvent deux petites figures. C’est sans doute postérieurement à 1819, au moment où après son voyage en ftalie la manière de cet artiste changea notablement, qu'il peignit ce morceau. Dans sa première manière, l'ombre occupe en ses tableaux pius de place que la lumière et son faire est vigoureux et ferme; mais, à partir de ce moment, il recherche le plein air sans contraste et ar- rive à l’effet par la variété des tons. Enfin, dans ses vingt dernières années, il ne délimite plus les objets que par des nuances très subtiles de colorations ét de lumière dont il compose des symphonies comme : Les Abords de Venise (1843) et Le Convoi de chemin de fer dans Le brouillard (The great Western railvay). Le goût pour les effets de lumière sur de vastes étendues lui venait des éclaircies du ciel changeant de son pays et des brumes lointaines qui estompent fantastiquement la nature comme dans un rêve où les rayons, les ombres et les reflets s’harmonisent et font un merveilleux mirage, par exemple dans ses tableaux : La grève de Hastings et Le château de Dunstanborough où le soleil se lève après un orage nocturne. L'artiste dont il s’inspira surtout fut Claude Lorrain, et il s’en inspira à un tel point qu'il imita même la patine que le temps assombrissant les ombres et jaunissant les lumières a donnée aux tableaux de ce maître. __ | Pour lutter:avec cet incomparable Claude, il alla jusqu’à léguer à la National Gallery deux de ses œuvres les plus im- ait portantes : La fondation de Carthage et Le Soleil levant dans les brouillards, en mettant pour condition qu’ils se- raient exposés entre deux tableaux de Claude, et cela fut exé- cuté conformément à sa volonté : l’on plaça, en effet, dans la salle IX, d’un côté le Mariage d’'Isuae, et, de l’autre, l’Em- barquement de la reine de Saba. C’est encore pour imiter le Lorrain qu’il publia, pendant douze ans, une collection d’études gravées d’après ses ta- bleaux, appelée par lui Liber studiorum, à l'instar du Liber veritatis (1), Les eaux fortes de ce livre, qui sont de sa main et qu’on trouve même supérieures à ses dessins originaux, ont été mises au même rang que celles de Rembrandt par quelques admirateurs enthousiastes. Il faut bien reconnaître toutefois que son culte pour Claude Lorrain ne lempêcha point d’être original. Il se laissait em- porter par son imagination, ne s’astreignant point assez à étudier la nature et brodant des variations brillantes où l’on ne pouvait plus reconnaître le motif qui les avait inspirées. Il regarda plus en lui-même qu’au dehors et, pour toutdire, peignit de pratique ce qu'il avait rêvé bien mieux que ce qu’il voyait, se condamnant ainsi à l’infériorité qui ne peut man- quer d'atteindre tout artiste oublieux de consulter la réalité. Ce qu'il rechercha pour plaire au faux goût de ses compa- triotes, fut l’excentricité, la bizarrerie qu’on ne doit pas con- fondre avec l'originalité. Un critique d’art a nommé Turner le Monticelli de l'Angleterre. Joseph Mallard William Turner était né à Covent-Garden, dans Maiden Lane, le 93 avril 1775. Son père, un coiffeur, ne lui fit donner qu'une instruction rudimentaire. Ses re- lations amicales avec Thomas Girtin, le premier aquarel- liste fameux de l'Angleterre, et les copies d’après les maitres qu'il eut la permission de faire dans la collection (1) Le Liber verilatis, par Claude GELÉE, est dans la riche collection des ducs de Devonshire, au château de Chatsworth, comté de Derby. Act de du docteur Monro, favorisèrent son talent naissant. En même temps il profitait des leçons de John Robert Co- zens, un maître de l’aquarelle, ani de Girtin, et devenait de première force dans ce genre. En 1789 il entre comme élève à l’Académie royale, et un an après, âgé de 15 ans, il expose une vue de Lambeth-Palace. Les éditeurs alors lui font des commandes de dessins, des vues de villes pour illustrer les livres et il parcourt différentes parties de l'Angleterre, le pays de Galles, les comtés du centre et le sud du Yorkshire, y faisant nombre d'aquarelles fort appréciées. Ce n’est qu’en 1793 qu'il expose son premier tableau, une peinture à l'huile intitulée la Rafale. Il exposa encore en 1796 des Pêcheurs et en 1797 un Lever «de soleil. En 1799 on l’élut associé de l'Académie royale, et académicien en 1802 ; puis il y devint professeur de perspective en 1807, en succédant au peintre d'histoire et portraitiste Edward Edwards. Il avait vovagé en France, en Suisse, sur les bords du Rhin, et plus tard assez longtemps en Italie. Turner n’était point distingué de ma- nières ni de visage, et son aspect ne répondait point à la poésie que l’on trouvait en sa peinture. Misantarope, aimant à s’isoler, il mourut subitement dans un pauvre logis où la femme qui le servait ne le connaissait que sous le faux nom de Brooks. Il fut enterré dans les caveaux de la cathédrale de Saint-Paul, à côté de sir Josuah Reynolds. Il léguait toute sa fortune, tableaux ou rentes, à l'Etat, en y mettant la condition que dans un délai de dix ans on pla- cerait convenablement ses tableaux. Ce qu'il laissait d'argent devait être employé à une fondation pour secourir les artistes dans le malheur. Un grand collectionneur, bien connu en Angleterre, M. Vaughan, vient de partager sa collection de tableaux de Turner entre les diverses galeries nationales de l'Angleterre, de l’Ecosse et de l'Irlande. Constable qui ouvrit une voie nouvelle au moment où l’é- tude de la nature était trop négligée, est représenté dans le Lo legs Gigoux par deux pages remarquables : tout d’abord, un tableau d'assez grandes dimensions où l’on voit un moulin rustique dont la roue tourne en un rejaillissement d’eau per- lée. Tout auprès, un toit de chaume est entouré à droite et à gauche de vieux arbres noueux et dépouillés. Sur le para- pet d’un pont de bois grossier un homme en blouse grise se penche pour parler à une femme dont les épaules sont cou- vertes d’un mouchoir rouge. Il semble que l'artiste a voulu seulement rendre le plus fidèlement ce qu'il avait sous les veux. Bien avant notre Courbet, il a abusé d’un procédé mé- canique, du couteau à palette habilement frôlé sur des épais- seurs pour rendre l’aspect de l’eau écumante, des pierres et des mousses. Ce paysage, avec ses rehauts de couleur et sa peinture au couteau, a l’air d’une grande pochade preste- ment enlevée. Il s’est, par l’effet du temps, quelque peu dé- fraichi, mais dans son harmonie rousse on peut goûter en- core l'impression que cause l’aspect de l’ensemble. L'autre petit tableau de ce maitre doit surtout être signalé : c’est un paysage bien vivant; sous un ciel gris chargé de nuées orageuses fort mouvementées que Constable excellait à peindre et qu'il a placées dans presque toutes ses œuvres, on aperçoit un cours d’eau, la rivière Stour probablement, si souvent reproduite par lui, sur laquelle glisse une voile non Join de deux maisons et d’un moulin à vent. Un bouquet d'arbres au feuillage bruni par l’automne s'étale dans les premiers plans sur un terrain d’une teinte chaude et dorée contrastant avec les tons du ciel. La couleur est excellente et donne bien l’idée de ce qui distingue ce peintre, le cama- rade et l'ami de Bonington. Comme ce dernier, il rappelle la manière des peintres français de l’école romantique qui se seraient inspirés de ces deux anglais, au dire de certains cri- tiques. | John Constable naquit le 11 juin 1776 à East Bergholt, dans le Comté de Suffolk. Son père, bourgeois à l’aise, pos- sédait des moulins et destinait John à les exploiter: il l’en- Que voya donc sur ses terres remplir l'office de meunier. Cepen- dant ce jeune homme, dans les intervalles où son métier lui permettait quelque loisir, se prit à admirer les aspects chan- geants du ciel, les effets de la lumière et de l’ombre sur les nuages et essaya de les reproduire par le pinceau. Ces essais attirèrent l’attention des amis de sa famille qui con- seillèrent de l’envoyer faire ses études d’art à Londres. Ce fut assez difficilement que son père finit par y consentir. Après quelque temps, en 1799, Constable était admis comme élève à l’Académie royale, sur un dessin de ce fa- meux torse antique dont l'original est au musée du Vatican, et, en 1802, il envovait pour la première fois un paysage à l'exposition de cette Académie. Sa manière fut d’abord peu goûtée, car il voulait rendre la nature telle qu'il la voyait, et ne point imiter le défaut des artistes de son temps qui, dit-il, « avaient la prétention de faire au delà de ce qui est vrai. » Constable n’aimait point leurs ouvrages, mais ceux-ci, de leur côté, n’admettaient point ses empâtements et lui reprochaient de peindre sâlement. Dépité de se voir si mal compris, on rapporte qu'il répondit un jour à cette cri- tique : « Je peins pour la postérité », et certes, il ne savait pas si bien ‘dire, car la mode du temps a passé, et mainte- nant on recherche sa peinture. Cependant, le peu de succès qu’il obtenait le fit, en 1812, s’essayer dans le portrait, et même dans quelques tableaux religieux dont 1l orna les églises de Suffolk. Mais il sentait bien, que ces deux genres ne convenaient point à son talent et qu'il était né pour être paysagiste. Deux paysiges qu’il avait exposés à la British Institution furent achetés, l’un par un des premiers libraires de Londres, M. Carpenter, et l’au- tre, par un cèlèbre connaisseur, le père de celui-ci qui fut conservateur du British Museum, M. Almutt. Cela lui valut un succès sérieux, et depuis ce moment sa réputation ne cessa de s’accroître. En 1819, un de ses tableaux, une Scène sur La rivière Stour, le fit nommer associé de l’Aca- 00 démie Royale de Londres dont il devint membre en 1899. Il avait obtenu une médaille d’or à Paris au salon de 1825 où plusieurs de ses œuvres avaient été fort admirées On cite parmi ses peintures les plus célèbres : le Parc de Helmin- gham ; en 1831, la Cathédrale de Salisbury vue des prai- ries, et, en 1835, la Ferme de la vallée, une de ses meil- leures peintures qui fut achetée par le cèlèbre amateur Vernon. “ Constable mourut en 1837, après avoir joui d’une grande célébrité pendant 25 ans. On cite les mots que la vue de ses paysages inspirait à des connaisseurs. Bannister disait : «Il me semble, que l’air frais me souffle au visage», et Fusely : «Ils me font penser à mon parapluie ». Le musée du Louvre possède de lui cinq paysages cata- logués du n° 1806 à 1810 inclus : un Cottage, payé 24,900 fr.; l’Arc-en-ciel donné par John Wilson en 1873; la Baie de Weymouth payée 56,000 fr.; Vue de Hampstead Head, esquisse donnée en 1887 par le journal l'Art, et The Glebe Farm, payée 3,660 francs ù Augustin Vall Calcott (1). élève de John Hopner (2), portraitiste de second ordre qui | Jouissait en même temps que Lawrence de la faveur des gens du monde, se fit paysagiste et il fut en cette qualité reçu à l’Académie Royale (1810). La plupart de ses ouvrages sont dans les galeries particulières et les mu- sées n’en possèdent guère. On recherche ses petits tableaux qui sont fort lumineux. Il en a peint aussi de grands, et non moins bien. Mentionnons rapidement Thomas Uwins R. A. (1782- 1857), qui fut un très médiocre peintre de genre. D'abord oraveur, puis aquarelliste et illustrateur de livres. En 1842, la reine le nomma conservateur de la National Galiery. M. Ernest Chesneau a dit de lui : «il exposa en tout cent (1) A. V. Calcott, 1779-1844. (2) J. Hoppner, 1758-1816. deux tableaux à l’Académie Royale : à peu près cent deux de trop. » À un groupe d'artistes appartiennent John-Sell Cotman, peintre de paysages et de marines, né à Norwich (1782-1849), qui excella dans le rendu des ciels limpides et des eaux trans- parentes — on cite comme son chef-d'œuvre une galiote pen- dant la tempête — et James Stark, paysagiste, élêve d’Old Crome (1794-1859), remarquable par la savante simplicité de sa peinture. Aux spécimens de la peinture anglaise légués par Gigoux, notons une indication du talent de Daniel Wilkie. Cette pe- tte esquisse rappelle les effets de clair-obscur chers à Van Ostade ou à Rembrandt. Elle représente deux forgerons dans leur atelier. L’un attise le feu, tandis que l’autre frappe sur l’enclume. I] y à là de réelles qualités, mais c’est insuffisant pour juger de ce maître qui, lorsqu'on ne voit que les es- tampes d’après ses tableaux où il abusa parfois des tons roses, paraît se rapprocher de l’école flamande du dix-septième siècle. Du reste, les tableaux de Wilkie gagnent à être gravés et c’est par la gravure que presque tout le monde connait ses principaux ouvrages, consacrés surtout aux scènes vil- lageoises. [ne faut point trop nous plaindre de n’avoir de lui qu’une esquisse, si nous nous rappelons ce qu'Eugène Delacroix écrivait à son ami Soulier, en 1825, au retour d’un voyage à Londres : « Jai été chez M. Wilkie et je ne l’apprécie que depuis ce moment. Ses tableaux achevés m’'avaient déplu, et, dans le fait, ses ébauches et ses esquisses’sont au-dessus de tous les éloges. Comme tous les peintres de tous les âges et de tous les pays, il gâte régulièrement ce qu'il fait de beau. Mais il y à à se contenter dans cette contre-épreuve de ses belles choses. » Voici, en outre, l'opinion du célèbre critique Ernest Ches- neau . « L'art était un mot qui, pour lui, signifiait seulement : image de la vie familière. » — 100 — « Son esprit n’était nullement inventeur, mais il était mar- qué à ce coin d’innocente causticité, de boutade rapide qu’on appelle l'humour. C’est ce qui donne un caractère piquant à ses COMPOSITIONS... » ….. Ce Sont les ridicules qui l’inspirent, les petits travers des gens, point du tout une arrière-pensée morale. Il s'amuse lui-même de ses malices ; rien ne le choque, rien ne l’in- digne, 1l voit de la vie les côtés de pure comédie ; le drame noir, la tragédie imposante sont des langues qu'il ne com- prend point. Wilkie est de ces heureuses natures ni cha- grines, ni rêveuses, ni exaltées, qui ont le bon sens de trou- ver tout pour le mieux dans le meilleur des mondes pos- sibles. » CS Si Hogarth n’est guère peintre, Wilkie ne létait guère davantage. Les tableaux de Wilkie, même dans son meilleur temps, accusent une grande sécheresse, une grande inexpérience de main, et nul sentiment des richesses artis- tiques de la nature. [l semblerait que ces deux artistes voient avec leur intelligence et non avec leurs yeux. Le dessin, les couleurs sont pour eux des procédés graphiques propres à rendre sensible le résultat de leurs observations, mais assu- rément il leur eût été aussi agréable, 1ls eussent été aussi satisfaits de communiquer avec la foule par d’autres moyens, par le théâtre ou par le pamphlet. » David Wilkie, né en 1785 au village de Fifeshire, en Écosse, mourut en mer le 1° mars 1841, près de Gibraltar, au retour d’un voyage en Orient. [l avait été envoyé d’abord par sa fa- mille à l'Académie des Trustees à Edimbourg, où on lui fit peindre des sujets de grand style historique, sous la direction de John Graham; mais son enfance passée à la campagne lui inspirait de traiter des sujets villageois. Son premier essai dans ce genre fut la Foire de Pitlessie, qui reproduisait bien les mœurs rustiques, mais ne brillait point par la couleur. Au mois de mai 1805, il vint à Londres et mit l’année sui- vante à l'exposition de l'Académie royale son fameux tableau — 101 — des Politiques de village. Sa réputation s'établit, 1l devint populaire par ses compositions : les Joueurs de cartes, le Jour des loyers, la Guimbuarde, le Doigt coupé. sa Fête de village, etc. À l’âge de vingt-quatre ans, il fut associé à l’A- cadémie royale, dont il devint titulaire deux ans après. Il alla, en 1814, passer environ six semaines à Paris; mais, en 4395, après un voyage en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne, où les œuvres de Rembrandt, de Corrège, de Velasquez l’influencèrent, il changea de manière et traita, avec peu de succès, le portrait et l’histoire. Sa Prédication de John Knox est une composition de cette époque, en 1832. Dans la collection léguée au musée de Besançon par M. L. Chenot, il nous faut citer de Mulready un portrait, une tête fortement empâtée et colorée, pas mal dessinée du reste, mais où l’on peut constater dans les chairs la prédominance du rouge, Ce peintre n’a rien dans sa manière qui le caracté- rise, si ce n’est que cette manière est d’en changer à chaque nouvelle production de son pinceau, si bien que les apprécia- tions de la critique ont varié sur son compte. Tandis que Théophile Gautier le dit coloriste, M. Edmond About, lors de notre exposition universelle de 1855 où Mulreadv, presque octogénaire, avait envoyé neuf petits tableaux de genre pour lesquels il reçut la croix de la Légion d'honneur, M. Edmond About, tout en les trouvant «finement pensés et exécutés avec beaucoup d'esprit, remarquait que sa couleur est « au- dessous du médiocre » et lui reprochait de ne peindre « que des figures cramoisies ».. puis, quand il traite le paysage, _de « n’être plus que vert et bleu ou déplorablement jaune Citron ». « La couleur de M. Mulready, ajoute-t-il, n’est pas seu- lement fausse, mais elle est crue. S’il faisait du camaïeu on le lui passerait, mais il y a je ne sais quoi de discordant et de dur dans ses excellents petits tableaux. Pour les trouver harmonieux il faut les placer à côté d’une toile de M. Mac- Lise. » 10 = William Mulready, qui traita le genre et le portrait, naquit à Ennis (frlande) en 1786 et mourut à Londres en 1863. Il commença sa carrière en illustrant des livres d'enfants, et c’est un de ceux qui sont le mieux représentés dans les mu- sées de l'Angleterre, à la suite des libéralités des collection- neurs Sheepshanks et Vernon qui donnèrent trente-quatre de ses tableaux. On cite de lui à la British Institution, l’Ate- her de menuisier ; à la National Gallery, le Retour du Ca- baret dit le Fair time, ouvrage qui consacra son nom. Citons encore : les Enfants paresseux, le Nouveau, le Passage du Gué, le Purtage du Goûter, le Choix de la Robe de noces, le Loup et l’Agneau, etc. On peut voir de lui au musée du Louvre un tableau acheté 900 francs et donné par le jour- nal l’Art en 1881. Il porte le n° 1815 du catalogue et a pour titre : l’Abreuvoir. William Etty (D vint à Londres en 1806 ; présenté par Fu- seli, 1l fut admis à suivre les cours de l’Académie et reçut pendant un an les leçons de Lawrence qui, surchargé de commandes, n'avait guère le temps de s'occuper de lui. Il se forma ensuite en étudiant d’après nature et d’après les ta- bleaux de la National Gallery. Il est mort en 1849. Il traitait le genre historique, mais corame il peignait le nu en faisant poser des modèles, l'hypocrisie anglaise ne l’ap- précia point tant quil vécut Voici ce”/quilrécrnirantcesSuel dans son autobiographie : « Mon caractère n’a pas été com- pris. J’ai été vivement blàmé parce que j'ai préféré peindre la divine forme humaine des deux sexes, les glorieuses œu- vres de Dieu plutôt que celles des tisserands, plutôt que des draperies, ouvrages des hommes. On m'a accusé d’être sho- king et immoral... Si quelqu’une de mes peintures décèle un sentiment immoral, je consens à ce qu’on la brûle. » De 1824 à 1827, il peignit pour la gloire des tableaux de : ; PEISNIL P S très grandes dimensions, entre autres celui intitulé : Le Com- A) W. Etty, 1787-1849. — 103 — bat, dont il donna un fragment arrangé en tableau pour sa réception à l’Académie. Cest un des meilleurs peintres anglais qui aient traité l’histoire, mais on s’avisa de son mérite seulement après sa mort, et sans doute un peu trop, comme il arrive toujours lorsqu'un artiste a été méconnu. Voici ce que dit de lui le critique Palgrave dans son étude sur l’exposition mternationale de Londres : « Etty est un des plus grands coloristes, peut-être le plus grand de l’école anglaise. Il avait beaucoup étudié et 1l des- sinait avec soin ; il eut un sens délicat de la science des lignes, un vif instinct du paysage. Seul, parmi ses contem- porains, il se consacra à représenter la pure forme humaine qu’il sut peindre avec un éclat et une transparence digne des Vénitiens. » C’est peut-être beaucoup dire, mais on à judicieusement remarqué qu’ «il est possible de se montrer digne des Vé- nitiens de la Renaissance sans être leur égal ». Etty fut contemporain de notre Louis David qui célébra les exploits de Napoléon et mit en honneur laforme nue classique. Cela seul eût certainement suffi pour rendre le nu immoral et antipathique aux Anglais. Le musée du Louvre n’a point de sa peinture. Patrick Nasmyth, ou, pour l’appeler de son vrai nom de baptême, Peter, fils d'Alexandre Nasmyth, fondateur de Ecole écossaise (1787-1831), naquit à Edimbourg, vint à Londres en 1822 et y fit connaître son talent de paysagiste. Ses premiers tableaux représentaient des sites d'Ecosse, et les suivants, les environs de Londres. Il reproduit la nature avec un sentiment sincère qui caractérise les peintres ÉCOS- Sais. Williams (Collins (1), père du célèbre romancier Wilkie Collins, s’est fait une réputation par de petits tableaux de (4) William Collins, 1788-1847. — 104 — genre qui, vu la médiocrité des peintres anglais au commen- cement de ce siècle, devaient attirer lattention. Il les agré- mentait de fonds de paysage et de figures d’enfants, assez réussies, mais vers la fin de sa vie, ayant changé de ma- nière, on ne vit plus de lui que des productions inférieures. Charles-Robert Leslie, d’origine américaine, naquit à Clerkenwell, et ses parents l’emmenèrent d’abord en Amé- rique. où ils le destinaient au commerce, mais il retourna en Angleterre en 1811 et devint l’élève d’un peintre d’his- toire, Washington Alston, associé de l’Académie royale, ainsi que de Benjamin West. Il a publié les Mémoires de John Constable, un Manuel du jeune peintre, et avait écrit quelques notes dont M. Tom Taylor s’est servi pour sa Vie de Reynolds Il avait été nommé membre de l’Académie en 1826. Ses premiers ouvrages furent des portraits, mais il se distingua dans le genre historique, où sa réputation fut consacrée dès son début. C'était une scène du spectator : Sir Roger de Caverley allant à l’église. Outre ses tableaux représentant : une Fête de mai sous la reine Elisabeth, San- cho Pança et lu duchesse, les Joyeuses commères de Wind- sor, Catherine et caupucins, Scène de Henri VIT, Falstaff jouant le rôle du roi. etc., on cite comme son chef-d'œuvre : l’'Oncle Toby et la veuve Wadmann, sujet tiré du Tristam Shandv, de Sterne John Martin (1), avec une exécution faible, traita dans une manière qui tient du rève, des sujets immenses comme le Festin de Balthazar,le Déluge, la Chute de Ninive, le Juge- ment dernier k John Bernay Crome, dit Crome le Jeune (1793-1842), fut l'élève de son père On rencontre moins de vigueur et moins de variété dans ses ouvrages que dans ceux d’Old Crome, et pourtant ils ont de la poésie. Citons son Village sur la Yare, ses Bords de la Yare, clair de lune. (1) 1789-1854. 10 — James Stark (1794-1859), du groupe des paysagistes de Norwich, élève aussi d'Old Crome, eut beaucoup de succès à Londres. Leslie est, avant tout, un illustrateur interprétant avec 7 esprit Shakespeare, Sterne, Goldsmith, Cervantès et Molière. Ses tableaux ne valent pas ses illustrations. Il peignit, en 1841, le Couronnement de la reine et le Baptème de la Princesse royale. Joseph Wright, mort en 1797, que les Anglais, grands ad- mirateurs de sa peinture, appellent Wright de Derby, du nom de son pays, a été surnommé le Claude Lorrain anglais à cause de certains paysages où il trouvait bon de placer quelque feu ou même un volcan en éruption, pour produire des effets de lumière. Il serait tout au plus, comme on Pa dit, un Schalcken, si l’on considère ses intérieurs, éclairés de lumière arüficielle. La plupart de ses tableaux font partie de collections particulières. Le plus célèbre, dans la collection de lord /Palmerston, réprésente une Forge. On peut citer aussi, dans la collection du marquis de Lansdowne, Île ta- bleau intitulé le Gladiateur. Vers la même époque, un peintre anglais moderne, David Roberts, avait la spécialité des Interieurs d'église, qu'il re- produisait avec de piquants effets de clair-obscur. On cite, entre autres un de ses tableaux dans la galerie du célèbre amateur Vernon. Il nous faut signaler, dans le legs Gigoux, quelques spé- cimens du talent de Bonington : 1° une charmante petite marine, effet gris du matin, avec un navire à l'horizon et une ville lointaine dans le brouillard ; 2° une autre petite marine, effet d’un gris perlé, avec une embarcation dans le fond, où une aurore aux tons roses se distingue à travers la brume ; 3° une troisième, où se trouvent des barques de pêche sur une.eau verdâtre, non loin d’une colline, dans un ciel nuageux mouvementé, la lumière venant de la gauche du spectateur ; 4° une étude moins remarquable que les trois 0) — 106 — précédentes, où une embarcation au premier plan occupe une place importante dans la toile. Richard Parkes Bonington, qui traita avec succès le genre, le paysage et les marines et se distingua comme aquarelliste et lithographe, naquit au village de Arnold, près de Nottin- gham, le 25 octobre 1801. Son père avait peint le paysage, le portrait et gravé à la manière noire plutôt en amateur qu’en professionnel, et sa mère tenait une école, peu fréquen- tée, dit-on, à cause du manque de conduite de son mari. Bonington, venu à Paris dès l’âge de quiuze ans, y fit son éducation artistique à l'Ecole des Beaux-Arts, au Louvre et dans lPatelier de Gros. Il visita l'Italie en 1824, exposa en 1827, à son retour en Angleterre, à l’Académie royale, et l’année suivante trois tableaux : Henri IIT, le Grand canal de Venise et une vue de l'Eglise Santa-Maria della Salute. Il envoya aussi à Paris, aux Salons de 1822, 1824 et 1827. Il étudiait en Normandie en 1828 avec le paysagiste Paul Huet, lorsqu'il retourna à Londres, où il mourut prématuré- ment avant la fin de sa vingt-septième année. Sir Thomas Lawrence avait certainement bien raison d'écrire à Mn° Forster l'épouse du célèbre graveur ami de 3onington : « Je ne sache pas qu’à notre époque la mort précoce ait enlevé un artiste qui promiît davantage après un développement si remarquable et si rapide. » Toutefois, La- wrence en parlant ainsi n’apprécie Bonington que comme un jeune homme qui promet, peut-être parce qu'il le consi- dère comme trop français. Et cependant, il est vrai de dire qu'il fut un des peintres les plus brillants de son époque, jugé tel par Eugène Delacroix et les meilleurs artistes fran- Cals, ses contemporains. On voit au Louvre cinq ouvrages de Bonington, catalo- gués de 1802 à 1805 bis : 1° François I‘ et la duchesse d’Etampes, payé 6,700 fr. en 1840; 20 Mazarin et Anne d'Autriche, donné par Huguet Schubert et Millet ; 3° Vue du parc de Versailles, payée 3,090 fr. à la vente Etienne dits 407 — Arago; 4 une Vue à Venise, donnée en 1883 par Huguet Schubert et Millet: 5° la Vieille gouvernante de Bonington, la même qui fut le modèle du portrait de vieille femme que Delacroix mit à l'exposition universelle de 1855. Il faut noter en plus une Vue des côtes normandes. Ce n’est qu’une esquisse, achetée récemment en 1902, mais elle est fort remarquable par son effet lumineux. Nous consacrerons un chapitre spécial aux aquarellistes anglais, mais, pour compléter ce que nous avons à dire de Bonington, citons dès maintenant deux aquarelles dans ia galerie Gigoux (musée de Besançon) : l’une représente Quatre figures de femmes en costume vénitien, et l’autre : l'Intérieur d’un salon. Nous v trouvons les qualités habituelles du maitre, mais à un degré moindre que dans ses fameuses aquarelles du musée du Louvre. Nul n’ignore le charme du coloris de Bonington lorsqu'il traite les sujets de genre historique; sa couleur est non moins séduisante lorsqu'il peint le paysage et les marines. Soit que son pinceau reproduise le ciel de Venise ou celui des côtes de France, il s’assimile la couleur de chaque pays, de même que les types de leurs habitants, leurs gestes et leurs attitudes. Pourtant, ses compatriotes, peut-être parce qu’il fut élève de Gros, le fameux peintre des vic- toires de Napoléon [°‘r, n’estiment point son talent à sa juste valeur. La peinture épigrammatique confinant à la caricature est un genre tout à fait anglais. Nous remarquons, parmi ceux qui l’ont cultivée avec assez de succès : Buss qui est peu connu, et George Lance né en 1802, mort en 1864. IT avait trois tableaux de genre à l'Exposition universelle de Paris en 1855. On connaît du premier de ces artistes, entre autres compositions humoristiques : l'Ouverture de la Chasse, et du second : la Pêche au Baquet, maintes fois reproduites par la gravure, Ce second tableau, avec les cent cinquante-neuf — 108 — autres de la collection Vernon, a été Pu à la National Gal- lery en 1864. Cooper (Thomas Sidney), animalier, naquit à Cantorbéry en 1803 et mourut dernièrement très pauvre, vers le 5 fé- vrier 1502, âgé de 98 ans. Il apprit seul la peinture, fit des décors de théâtre, resta longtemps en Hollande, et peignit le paysage et les animaux avec un très grand succès En 1867, il fut nommé de l’Académie Royale et peignit Jusqu'à 70 ans. 11 publia un livre de dessins d'animaux el groupes rustiques en 1853, et les Beautés de la Poésie et de l'Art; illustrées par lui. Daniel Maclise R. A. (1806 ou 1811 et 1870). Ce peintre, de génre historique, dont les mémoires ont été publiés en 1871 par Justin O’Driscoll, quoiqu'il eût remporté en 1831 la médaille d'or au concours de peinture historique, ne mé- ritait point le premier rang. On cite de lui: La Veille de la Toussaint en Irlande, qu’il plaça à FAcadémie, Une Scène de Lalla Rookh : Mokama devant Selica, à la British Institution : deux peintures décoratives au Parlement ; entrevue de Wel- lington et de Blücher Après Waterloo, ét La Mort de Nelson à Trafulgar. Vers la fin de sa vie, il fit des illustrations et plusieurs portraits, entre autres celui de Charles Dickens. Parmi les paysagistes de moindre réputation, il faut citer aussi Thomas Creswick, de la Royal Academy, né à Shef- field en 1811, mort à Bayswater le 28 décembre 1869. II vint à Londres et on lui reçut deux tableaux à l’Académie royale dès sa vingi-sixième année. [1 avait pris le moûf de ces ta- A ainsi qu'il le fit souvent depuis, dans les paysages du pays de Galles. On cite parmi ses meilleures œuvres : England (1847) ; Vieux arbres, Vent sur la Plage, Première lueur de la mer (1850); Lever de la lune dans les monta- gnes (1852), et Fin de tempête (1855), Ses derniers tableaux ont moins de vigueur que ceux qu’il fit dans le milieu de son existence. George Vincent, paysagiste et peintre de marines, né à TT AN ST ENTRE 7 QE ‘1 h — 109 — Norwich à une date inconnue, exposa dans sa ville natale et à Londres de 1811 à 1830. Il recut des lecons d’Old Crome et se fit un nom surtout par sa Vue de l’Hôpital de Green- wich exposée à Londres à l'exposition internationale de 1862, Citons encore son Paysage de Norfold où la lumière est dis- tribuée aux différents plans avec beaucoup d’art. Hurlstone, né à Londres en 1800, d’abord élève de lAca- démie rovale en 1820, exposait en 18921 Le Malade imagi- naire, en 1822 l'Enfant prodigue, en 1824 l’Archange Saint- Michel et Satan se disputant le corps de Moïse ; élu en 1835 président de la société des artistes britanniques, il ne fut ja- mais nommé de l’Académie royale, et fit à cette institution une opposition très vive lorsqu'elle fut l’objet d’une enquête en 4835. Il obtint une médaille d’or en 4855, à Paris, à l’ex- position universelle. Ses meilleurs tableaux sont : Armide, Eros, Christophe Colomb au couvent de la Rabida, etc. Robert Ladbrooke fut un des fondateurs de l’école de paysage de Norwich. D'abord imprimeur, puis peintre de portraits à bas prix, à cinq shillings, ce beau-frère d’Old Crome mourut à Norwich en octobre 1842, âgé de 73 ans. Il exposa plusieurs fois à l’Académie royale et laissa trois fils, tous trois paysagistes, mais le deuxième seulement, Henry Ladbrooke, a fait époque dans lhistoire de l’art. Sa peinture est harmonieuse, avec un cachet de vérité. Il est mort en novembre 1870. Ladbrooke, le père, a suivi ce principe de rendu minutieux de la nature que reprirent ensuite les préraphaélites. Son Vieux chêne et ses Bruyères de House Hold sont lapplica- tion de cette conscience exagérée du détail devant la nature, qui, chez nous, Français, avait égaré le peintre de Laberge. On trouve à la National Gallery une Vue d'Oxford par Ro- bert Ladbrooke. — 110 — CHRONOLOGIE DES PRINCIPAUX PEINTRES ANGLAIS DE L’ANCIENNE ÉCOLE HOSARUR RE EE Ramsay, 1713 ou. . . Wilson Reynolds Gainsborough . …. ROME EE SNNERE BASE ET eee USENET nee JB ATEN ES RE Northeoie RE Smirke Howland Beaumont. . MAÉ BéecheM te REDHEN RAP TEE Blake HOpDDaer EN ENRe Ibbertson OMAONIRO ECONOMIC ee Mere ie) 2e CHROME OS ENT Westallre pate nriee OldiGriome rer Th. Lawrence . Edw. Landseer. . . , RAladbrooke rer {L’abréviation R. 1697—1764 1715—1784 1714— 1782 1723— 1792 1727 —1788 1734—1802 1738—1820 1741 —1825 1741—1806 1746 —1831 1752 - 1845 1753 — 1823 1753—1839 1756 —1893 1757 - 1827 1758 —1816 1759—1817 1761—1807 1765 —180% 1765 —1836 1769—182% 1769 — 1830 1769 1852 1769 —-1842 Uvins ee Me : J=SelAColmanse% Milkre ne Mulreadv . Nasmythe rer NVECollinS Rene John Martin . . Crome jeune. 7" JamesiStarke ere Ch. Robert Leslie . . Je VEINE MERE RER Roberts mme Ci, R. P. Bonington . Fance: Rss mere Maclise, 1806 ou . . . CreswWickK a SSP GVincenti:# "00e MORT.) 1775 - 1851 1776—1837 1779 —1844 1789—1837 1782 —1837 1785 —18#1 1786 — 1863 1787—1849 1787 1787—1831 1788—1847 1789— 1834 1793 —1842 1794 —1859 17941859 + 1707 1799—1870 1800 — 1869 1801 —1898 18021864 1811— 1870 1811—1869 1811—1830 A. signifie, dans le texte : ROYAL ACADEMY. T signifie : 1868 — 111 — HOCPE MODERNE 1850-1900 Si l’on en excepte le genre du paysage, la peinture an- glaise, jusqu’à la fin du xiIx° siècle, manque de génie, ou du moins, le génie anglo-saxon, dur et rude, est tellement dif- férent de celui des races latines qu’il leur est difficile d’y sympathiser, ou même de le comprendre. Il est à noter pourtant que les peintres anglais, instruits par l’expérience, s'étaient enfin rendu compte de leur im- puissance pittoresque, et n'en accusant point leur tempéra- ment, avaient cru voir la cause de cette impuissance dans les teintes neutres dont se servaient leurs prédécesseurs. Ils tombèrent d’un extrême dans lexcès apposé. La mode fut alors de colorier à outrance. Elle régna surtout de 1850 à 1870, et aux expositions universelles de 1855 et de 1867 blessa nos yeux par une lutte de couleurs criardes où le rouge, le jaune, le vert et le bleu se livraient des combats acharnés. Les peintres modernes de la Grande-Bretagne semblaient perdre la raison dans une mêlée de couleurs dis- cordantes. Habitués que nous sommes à l’harmonie des tableaux de maitres et à la sobriété de tons que recherchent les artistes de notre école, la première impression que nous éprouvions à la vue de ces productions était plus saisissante qu’agréable. Puis, à les considérer plus attentivement, on était frappé du peu de conformité avec nos idées sur la composition d’un tableau. Cette absence de composition s’accusait par la pré- dominance des accessoires et du détail sur l’action princi- pale, et, telles libertés pouvaient passer pour des contre- 0e sens. Le cadre venait parfois couper certaines figures à la hauteur des épaules, horizontalement ou verticalement, à mi- corps. Du reste on voyait bien, au premier coup d'œil, que ces tableaux n'étaient point des œuvres françaises, tout s’y montrait absolument anglais. Le motif, la manière dont il est traité, les figures, les costumes, l’ameublement, tout y dé- notait une origine britannique, sur tout se trouvait imprimé le cachet de l'Angleterre. Il ne faut pas croire que les chefs-d’œuvre des écoles anciennes du continent dont leurs collections sont si abon- damment riches aient sur ces peintres la moindre influence. «Il semble, — à dit M. Chesneau, — que leurs ateliers soient fermés par un pan du grand mur de la Chine. Ils re- font, mais à rebours, le blocus continental. Ils ont mis en. interdit l’art européen. Ils sont, et veulent demeurer anglais. » Et le même critique observe qu'il n’en est pas de même pour les productions de nos artistes et se demande quelle idée la postérité pourrait avoir de l’art français si nous ve- nions à disparaitre comme les empires des Perses, des Assyriens, des Egvptiens et des Grecs, et ce qu’on pourrait connaître de nous par les monuments de notre peinture ou de notre sculpture. ; Nous autres, de race latine, nous sommes pénétrés d’admi- ration pour les chefs-d’œuvre qui exeluent les détails per- sonnels afin d’idéaliser la forme, en la généralisant, et rester ainsi dans la tradition du grand art, de celui des Phidias et des Raphaël, dont, il est vrai, se prévalent trop sou- vent chez nous des nullités prétentieuses, et nous aurions sans doute beaucoup à gagner en n’abandonnant point autant l’observation de la réalité dont on s’est souvent trop éloigné, pour suivre les errements de Louis David. L’art anglais moderne est tout le contraire : il s’affranchit de toute tradition, et c’est ainsi que, serrant la reproduction des détails de la vie actuelle et des mœurs de son pays, 1l PNRNT TS JOUET PE PE TT ATTE CES = 1 — reste national mieux que tous les autres en Europe. Tout en conservant un sentiment très pénétré de la vie, cet art de- meure fort subjectif, l'imagination y prédomine sur l’obser- vation, et, malgré sa tendance à abuser de l’idéalisme, il devient expressif lorsqu'il S'y rencontre quelque réalisme. Somme toute, il y a opposition entre l’art comme nous le comprenons et celui des Anglo-Saxons. Sans vouloir examiner la question de savoir quel est celui des deux qui l'emporte sur son voisin, et faisant abstraction, autant que possible, des goûts venant de notre éducation et de notre race, nous allons essaver de nous rendre compte de cet art contradictoire aux œuvres de nos artistes. La peinture britannique moderne ne vient point de la tra- dition des anciens peintres anglais, car ceux-ci s’inspiraient de Rubens et de Van Dyck, comme Reynolds, Gainsborough et Lawrence, ou des hollandais comme Constable ; elle ne continue même point Turner épris de Claude Lorrain, ni Hogarth, ni Wilkie qui devaient beaucoup aux écoles hollan- daise et flamande; les peintres anglais modernes n’appar- tiennent à aucune tradition, leur individualisme est com- plet, sauf de bien rares exceptions. Comment alors, observe M. Chesneau, concilier le succès que nous fimes à cette peinture lors de notre exposition de 1885, et qui s'accorde si peu avec nos préférences pour l’art grec et celui de la Renaissance italienne? Nous croyons qu'il faut distinguer chez nous deux sortes de goût en opposition : celui des œuvres classiques qui constituent le style élevé, le style d’apparat, et celui de l’anecdote et de la spirituelle plaisanterie. En même temps que nous manifestons un respect religieux pour la musique de Gluck ou les symphonies de Beethoven, nous prenons plaisir aux refrains de la Belle Hélène où d'Orphée aux Enfers et nous accourons aux représentations de Dumas, de Sardou ou de Labiche, tandis que nous désertons presque la salle du Théâtre Français les jours où l’on nous sert les — 114 — pièces de l’ancien répertoire. C’est, sans doute, que, dans le culte que nous professons pour elles « il entre souvent plus de convention que de conviction à l’art sérieux. » D'un autre côté, les connaisseurs qui n’estiment dans une œuvre que la beauté plastique, en raison des jouissances qu'elle procure, se laissent parfois séduire par l’imprévu d’une naïveté excessive et d’une ignorante gaucherie con- trastant avec l’art affiné dont ils sont rassasiés. C’est, sans doute, aussi que cette absence de tout ce à quoi ils sont habi- tués les a séduits par la nouveauté de la saveur qu’ils pou- valent y trouver. Quant à la masse non initiée aux beaux-arts, ce qui l’attira seulement fut le côté littéraire et l'humour, et non point la valeur pittoresque, qu’elle n’aurait pu apprécier. Toutefois, nous pensons que les initiés à nos doctrines d'art, s'ils veulent bien examiner avec nous un peu plus attentivement ces œuvres qui les ont émus, verront proba- blement diminuer le sentiment qu’ils ont tout d’abord éprouvé. Pendant très longtemps, en Angleterre, on demeura fort en arrière des autres pays pour ce qui est de la culture des beaux-arts; le gouvernement (de même qu'aujourd'hui, du reste) ne s’en occupait nullement. Si la noblesse format à prix d’or des collections où elle rassemblait les œuvres d’art des artistes étrangers, tout en ayant la prudence de n’y point placer celles des peintres anglais, les autres classes de la société n’éprouvaient pas le besoin de jouissances artis- tiques qui n'étaient point à leur portée. Par orgueil national les Anglais riches affectaient de dédaigner ces œuvres inu- tiies et frivoles, produits des beaux-arts, bons seulement pour les peuples du continent. On rapporte que lord Ches- terfield disait à son fils : « Payez les arts, ne les cultivez pas ». Aussi ceux qui, en Angleterre, rnalgré tant d'obstacles, avaient le courage d’embrasser la carrière artistique ne pou-. — 115 — vaient-ils guère produire que des portraits, faute d’autres commandes, et c’est la raison pour laquelle ce genre prima tous les autres. Nous avons vu que sir Josuah Reynolds, sir Thomas Law- rence et Gainsborough parmi ceux de l’ancienne école, furent supérieurs comme portraitistes. [Ils rendirent bien la physionomie, l’expression individuelle de leurs modèles ; mais 1l est vrai de dire qu’ils négligèrent la vérité de la couleur et abusèrent d’effets fantaisistes. C’est ainsi, en ne citant qu'un exemple, que sir Thomas Lawrence dans son Portrait de master Lambton, met à ce portrait, dont la tête est vivement éclairée, un fond de ciel sombre où lon aper- coit la lune. L'effet est agréable à l’œil, mais on ne saurait dire s’il vient du jour ou de la nuit. De plus, nous l'avons remarqué, le dessin de Lawrence, comme celui de Reynolds, cb or incorrect. Leur principal mérite, c'est d’avoir prouvé qu'un Anglais pouvait être peintre. Ceux qui les sui- virent n'imitèrent d'eux que leur facilité à se servir d’arti- fices pour arriver à l'effet, en lâchant le dessin et l'étude des accessoires. Il n'en était pas ainsi des coloristes de l’école flamande qui avaient eu pour maîtres des dessinateurs corrects, comme Otto-Venius pour Rubens; ils ne péchaient point par la base; mais les artistes anglais, tels que Turner par exemple, qui avaient, sans savoir bien dessiner, commencé avec une exécution, lâchée, en se laissant aller à leur fougue, n'étant pas avertis par une critique éclairée, en arri- vèrent bientôt à de tels barbouillages que, comme il en fut pour ce dernier, leur encadreur leur demandait où il devait placer le piton pour suspendre leurs peintures. De cet abus de la couleur devait naître une réaction. C'est ainsi que naquit l’école préraphaélite. De cette école que nous a révélée à Paris l'exposition universelle de 1855, un esthéticien subordonnant l’art à la science, John Ruskin, fut le défenseur et l’apôtre. | — 116 — À la suite de quelques expositions des tableaux d’une pe- tte église de peintres, Ruskin, ce philosophe qui n’était point peintre, né en 1819 et mort récemment le 21 janvier 1900, entreprit de défendre leur cause contre les critiques rélterées dont ils furent l’objet. Turner venait de mourir, et Ruskin prêcha une doctrine où, pour ramener l’art à un but religieux et moral, il ensei- gnait que la peinture devait revenir aux principes qui l’a- valent guidée avant Raphaël. Il fallait pour cela, selon lui, rendre la nature naïvement, et avec un soin méticuleux. On avait vu bien avant ce temps, le même souci engen- drer en Allemagne une doctrine analogue avec Owerbeck, Schadow, etc.; c’est aussi par suite de semblables préoccu- pations, qu'il se développa en Angleterre. Toutefois, chez les Anglais, le préraphaélisme n’eut, pour ainsi dire, aucun ca- ractère archaïque, il ne rappela pas plus les prédécesseurs de Raphaël que les œuvres des primitifs flamands. Les préraphaélites, en prenant le contrepied des principes de l’art antique, remis en pratique par les grands artistes de la Renaissance qui s’appuvyaient sur la synthèse des formes pour arriver à l'idéal du Beau, prétendaient ramener la pein- ture dans les voies qu'avaient suivies les prédécesseurs de Raphaël et tenaient pour corrupteur l’art de la belle époque de Léon X et des siècles suivants. Voici ce que dit à ce sujet M. Ernest Chesneau : « Ils assignaient expressément à Part un but de moralisa- tion active. [ls prétendaient atteindre ce but : les uns dans l’art historique, par la représentation de motifs ayant un caractère de précision et d’exactitude aussi minutieux que possible ; les autres, dans le paysage, par la représentation fidèle des plus menus détails, des moindres particularités spéciales au site choisi par lartiste et fourni par la nature. C'était dans l’un et l’autre cas, dans le paysage et dans l’his- toire, un système d'analyse microscopique poussé jusqu’au vertige. Par l’analyse ainsi entendue, ils voulaient réaliser, — 117 — épouser étroitement le vrai, principe et fin de toutes choses. » Le critique Thoré, sous le pseudonyme de William Bürger les juge ainsi : « Une pente logique et irrésistible a précipité les préra- phaélites vers le réalisme le plus minutieux, parce que dans la peinture du xv® siècle qu’ils s’imaginent d’abord imiter, au lieu de saisir ce qui la caractérise, le style sévère et naïf, expression intime et profondément sentie, ils n’y ont vu que le détail caressé avec la ferveur des néophytes convertis à la religion de la nature, après le mysticisme abstrait du moyen-àge. 3 » C’est par là aussi que les réalistes anglais se différen- cient des réalistes français. Courbet peint ce qu'il voit, mais il voit ce qu'il faut, et comme il le faut: les grands plans d’une figure ou d’un objet, leur relation avec l’entourage, l’effet qu'ils font dans le milieu où ils sont. Ce réaliste sait dissi- _muler ce que la réalité dévore et il ne réalise que ce qu’elle montre en son ensemble. » Au contraire. les réalistes anglais peignant chaque objet et presque chaque point d’un objet pour lui-même et dans son isolement arbitraire, ne donnent pas aux objets leur valeur réelle. Ils opèrent je ne sais quelle analyse qui conviendrait à certaines sciences positives, aux mathématiques peut-être, _ mais qui n'est plus de l’art ». Ruskin, ce logicien entrainé par son esprit philosophique, applique aux beaux-arts la méthode scientifique qui com- mence par l’analyse la plus minutieuse, pour arriver à la syn- thèse, tandis que lartiste procède par le tout ensemble avant d'arriver aux détails. Ruskin recommande la recherche du détail sous tous les rapports, cette recherche est pour lui celle de la vérité dans l’art, et il la voit avec admiration chez les gothiques dont il comprend l’art à sa manière, Ils ont été, selon lui, les seuls peintres religieux, tandis que Ra- phaël et son école, reprenant le principe de l’art grec, ne sont que les artistes du savoir-faire, de la pose et du mensonge, — 118 — de même que les maîtres de toutes les autres écoles qui ont suivi leur voie. Cest pour cela que tous ces réformateurs, défendus par lui, prirent le nom de préraphaélites et se considérèrent le plus sérieusement du monde comme les apôtres d’une religion nouvelle, d’un art régénéré dont la mission était de propager sa doctrine en combattant l’art de la Renais- sance, cet apostat né de l’art païen. Pour mieux produire et se livrer en paix à ses méditations, l’un de ces préraphaé- lites en arriva à se cloîtrer, et au commencement de leur so- ciété, les autres signèrent leurs tableaux de ces trois lettres: P.R. B. Préraphaëlite Brother : frère préraphaélite. Une révolution analogue, nous l’avons dit, se produisit en Allemagne, mais chez les Allemands pas plus que chez les Anglais, elle ne fut durable. De ces derniers, quelques-uns seulement persistèrent iso- lément et, par exemple, M. Holman Hunt qui exposait en 1855 un tableau intitulé : La Lumière du Monde, représentant comine un divin Diogène le Christ au milieu des ténèbres, une lanterne à la main, à la recherche d’un homme juste. En effet, le symbole associé à la vérité la plus minutieuse, c’est ainsi que le préraphaélisme anglais interprétait l’Ecri- ture sainte. On pouvait voir, au Champ de Mars en 1867, à l'exposition de la peinture britannique, un tableau de William H. Fisk qui représente Jésus, arrivé à l’âge d'homme, sous la pâle clarté des étoiles, à l’heure où la nuit va couvrir la terre. La tête enroulée d’une splendide auréole, il médite en tant qu'Homme sur la volonté de Dieu, et s'apprête à con- sommer le divin sacrifice. Remarquons ici que dans leurs tableaux, les préraphaé- lites ne reproduisent aucunement les types consacrés par la. tradition catholique. C’est au nom de leur foi sincère et de la vérité qu'ils rejettent le poncif de ces types si faciles à imiter de Raphaël et de l’école romaine. Mais on pourrait objecter qu'ils doivent innover des images plus générales et — 119 — plus sublimes par l’omission de détails individuels faisant obstacle à la réalisation de l'idéal Iln’en est rien; dans le tableau que nous avons cité de M. Hunt et celui de M. Fisk intitulé : La dernière soirée de Jésus-Christ à Nazareth, ils ont la prétention de retracer entièrement, dans ses plus menus détails, la vérité des évè- nements historiques dont ils veulent ainsi reproduire l'esprit et la lettre d’une manière absolue. Voici ce que dit à cet égard M. Ruskin. « Moïse n’a jamais été peint, Elie ne l’a jamais été, David non plus si ce n'est comme un florissant jouvenceau, Débo- -rah jamais, Gédéon jamais, Isaïe jamais. (Il excepte pour- tant de ce jugement F. Lippi et Botticellh dont, plus tard, il admit la peinture). De robustes personnages en cuirasse, ou des vieillards à barbe flottante, le lecteur peut s’en rappeler plus d’un qui, dans son catalogue du Louvre ou des Uffizi se _ donnaient pour des David ou des Moïse; mais s’imagine-t-il que si ces peintures eussent le moins du monde mis son esprit en présence de ces hommes et de leurs actes, il aurait pu ensuite, comme il l’a fait, passer au tableau voisin, pro- bablement à une Diane flanquée de son Actéon, ou de l'Amour en compagnie des Grâces, ou à quelque querelle de jeu dans un tripot ». On sait bien pourtant que la vérité historique absolue est impossible et pour prendre un exemple : sur quels docu- ment M. Fisk s'est-il basé? — Faisait-il beau? Vovait-on les étoiles dans cette soirée que Jésus a passée à Nazareth? Puis, le Christ se tenait-il alors sur la terrasse où l’a placé le peintre, ou à l’intérieur de la maison”? Puis, était-il vêtu de la robe à raies que nous voyons dans le tableau ? — Pendant que l’on se fait toutes ces questions, devant cette peinture, le doute arrive, et l'émotion qu’elle eût causée disparait. M. Milsand rapporte que M. Hunt — comme James Tissot le fit, à son exemple, pour la vie de Jésus, — avait long- temps séjourné en Judée, visité le pays pour se pénétrer de — 1920 — son caractère, fait pendant cinq ans de nombreuses lectures, et recherché tous les documents d’érudition pour rendre son œuvre irréprochable aux yeux des antiquaires, des physiognomonistes et des théologiens. Il avait même con- trôlé la forme des chaussures que portaient les israélites, et croyait son œuvre parfaite, à l’abri de toute critique. Cepen- dant, une dame juive observa devant son tableau que lPau- teur ignorait en quoi les hommes de la tribu de Juda se dis- tinguaient de ceux de la tribu de Ruben, et lui reprocha d’avoir donné aux docteurs de Juda les pieds plats qui carac- térisent ceux de Ruben, tandis que les premiers avaient le cou-de-pied très haut placé Les préraphaélites sont en même temps symbolistes, et trouver le mot de l'énigme qu’ils posent au spectateur est souvent impossible. C’est ainsi que M. Hunt envoyait en 1867 un tableau intitulé : Après le coucher du soleil en Egypte. Rien qu’à la lecture de ce titre on s’imagine qu'il s’agit d'un paysage; nullement. — [L'artiste nous montre une femme debout et rigide, enveloppée d’une ample dra- perie sombre à reflets bleus, ornée de colliers d’or et de corail, les oreilles percées de larges anneaux, soutenant d’une main la gerbe d’épis posée sur sa tête, et de l’autre, une amphore vert pâle en terre vernissée. Tout autour de cette femme, une nuée de pigeons venus de tous les points de lhorizon picore la gerbe ou le gran qu’elle répand à ses pieds, et, derrière elle, onde coule sous les fleurs du lotus, et de nombreuses moissons s'étendent jusqu'aux montagnes que dorent les derniers feux du jour. On se demande ce que le peintre a voulu signifier par ce tableau. Est-ce l'Egypte que personnifie cette figure morne parée comme une courtisane”? L’Egvpte moderne déchue de sa puissance, de son antique royauté, n'ayant plus que la richesse de son sol fécondé par le limon que dépose le Nil, et tournant le dos, pour ne les point voir, aux ruines de ses splendides monuments? ou bien faut-il donner toute — 121 — autre explication d'une telle énigme posée au spectateur ? Selon son imagination chacun pourra voir là une chose ou une autre, et même qui se contrediront. N'est-ce point là un argument contre cette peinture symbolique qui reste indéchiffrable ? Toutefois, la peinture de M. Hunt, pour la minutie de dé- tails, semble vouloir rivaliser avec celle de Balthazar Deu- ner qui, dans ses portraits, peignait les pores de la peau, — car cela est conforme à la doctrine de M. John Ruskin. Selon lui, la mission de l'artiste n’est point de charmer en appliquant l’idée et les principes des peuples latins dans les beaux-arts, elle est de faire profiter l'humanité en lui mon- trant, par une vision supérieure, l’œuvre de Dieu jusque dans les choses en apparence les plus infimes, dans la cour- bure et les entrelacements infinis de l’herbe et des fleu- rettes, et dans les minuties qui échappent à examen du vulgaire. C’est l’erreur où était tombé en France le peintre Delaberge qui s’efforçait, en vain, de reproduire une à une toutes les feuilles d’un arbre, toutes les tuiles d’un toit, ce qui, somme toute ne pouvait pas même le mener à un résul- tat égal à celui que ses confrères avaient atteint par une autre voie. On a dit que ces derniers sacrifiaient le détail à l’en- semble, tandis que les préraphaëélites sacrifiatent l’ensemble au détal. Or, si l’on réfléchit qu'il est impossible à notre vue de voir toutes les feuilles d’un arbre, tous les pores de _ la peau, tous les cailloux d’un chemin, que ce qu’elle en saisit c'est les parties les plus éclairées, tandis que le reste s’es- tompe dans l’aspect du tout ensemble, on comprendra que ces mots : sacrifier le détail, sont l’expression de ceux qui, pour juger de la peinture, ne se servent que de leurs idées et non de leurs yeux. La seconde proposition de la phrase citée par nous est seule justifiée car, effectivement, les préraphaélites sacrifient l’ensemble au détail. M. Ruskin, parlant de la peinture en philosophe à dit : 9 LA « Chaque herbe, chaque fleur des champs a sa beauté dis- tincte et parfaite; elle a son habitat, son expression, son office particulier, et l’art le plus élevé est celui qui saisit ce caractère spécifique, qui le développe et qui l'illustre, qui lui donne sa place appropriée dans l’ensemble du paysage et par là rehausse et rend plus intense la grande impression que le tableau est destiné à produire », Si M. Ruskin eut été peintre, il eût tout d’abord compris limpossibilité d'ap- pliquer cette théorie. En effet, si le peintre précise chaque détail avec son ca- ractère propre il le rend trop important pour lobjet prinei- pal de son tableau, et cela arriverait même s’il s'agissait de httérature, de description dans un roman par exemple. Le détail étudié scientifiquement comme le veut M. Ruskin, détruit, contrairement à ce qu’il affirme, l’ampleur et l’har- monie de l’ensemble pittoresque; lequel, par cela même, n’a plus son aspect vrai, n’est plus que mensonge. Nous avons remarqué que les préraphaélites sont symbo- listes, et que leurs rébus comme le tableau de M. Hunt : Coucher de Soleil en Égypte sont impossibles à déchiffrer. P’excentricité est du reste, fortigoûtée chez les rtistes anglais. Citons entre autres Blake (1), peintre et poète — nous en avons déjà dit quelques mots à l’ancienne école. — Cet admirateur de Wordsworth fut un visionnaire. Quel- ques-uns des poèmes qu'il publia en dernier lieu et des dessins qu’il grava, à la pointe sèche, sont le produit d’une folie mystique, et n'ont aucun sens. Il faut bien dire que de telles œuvres sont, en Angleterre, la conséquence de lesprit public, et que les artistes, pour devenir riches, ne trouvent rien de mieux que de s’y assu- Jetir. La peinture considérée comme l’art de la forme ne corres- pond point à un besoin des Anglais pour l’expression de la (1) Blake, 1757-1827. — 193 — beauté plastique, et ce qu’ils y cherchent n’est point cette in- time jouissance que procure la contemplation d’un chef- d'œuvre. Un tableau n’est pour eux qu’un objet de luxe, un meuble qui marque la richesse et la distinction de celui qui le possède. On comprend dès lors, puisqu'il s’agit surtout de se distin- guer, de se distraire, qu'on en ait cherché les moyens dans la bizarrerie, l’excentricité, et que les peintres, comme ils le font aussi trop souvent chez nous, soient soumis au goût ca- pricieux de millionnaires enrichis dans le négoce et qui manquent de culture artistique. Les artistes, pour ce monde-là, comme l’a fort bien observé un éminent critique, sont & des instruments bâtis tout exprès pour amuser et distraire l'aristocratie ». Il en est d’eux comme des fous de cour. « Est-ce là, poursuit M. Chesneau, un sérieux appel à la grandeur et à l'élévation de l’art? Aussi ces deux mots : gran- deur, élévation, doivent-ils être rayés de toute étude sur les peintres britanniques... Leurs qualités sont à eux, cepen- dant, et ils en ont. Ainsi, dans la peinture de genre ils font preuve d'observation, dans le paysage, ils réussissent très bien les ciels, c’est là une de leurs supériorités.… Mais l’é- cole anglaise ne montre en réalité, ne fait preuve d'aucun effort sérieux; venue après toutes les autres, riche de l’ex- périence du passé, elle n’a que fort peu produit et encore rien institué. » Ceci s’écrivait en 1855 et nous ne voyons pas qu’à ce jour, en 1909, il y ait eu notable changement ou progrès. Plus loin, le même critique ajoute : « Son indépendance n'est même pas un calcul légitime : si ellere jette toute tra- dition, ce n’est point pour marcher dans une voie nouvelle tracée d'avance et méditée, c’est par caprice, afin d’obéir au goût particulier des peintres pour l’excentricité individuelle qui n’a que bien peu de rapports avec la vertu la plus noble dans l'art, l'originalité. » — 124 — Turner lui-même, avec ses exagérations de lumière et d'ombre, ñe sait point composer un tableau; il manque de cette ampleur. de cette pondération dans les parties, qui constitue l’unité sereine des œuvres des grands maitres et relève du goût général plutôt que d’un sentiment personnel à l'individu. On sent devant ses paysages l'effort de tension de tout son être pour arriver à une seule des expressions que le peintre doit réaliser dans son œuvre. De telles produc- tions, en comparaison de celles où sont équilibrés les moyens des maitres, sont des exceptions monstrueuses où manque l’unité qui consacre la sérieuse valeur des œuvres bien pon- dérées, les seules qui puissent retenir d’une manière durable l’attent.on de la postérité. Les peintres anglais ignorent la science de l’art qui est la seule base certaine par laquelle Partiste contrôle lui-même sa pensée, l’exprime sûrement, incontestablement, et peut toujours progresser. Comme ils ne s’appuient point sur un fondement solde, on ne pourrait citer un seul de leurs tableaux dont il soit pos- sible de dire, comme cela arrive pour d’autres, que l'idéal atteint aux plus hauts sommets accessibles à la pensée. Il faut constater seulement que leurs meilleurs ouvrages ont un idéal que le spectateur doit compléter par l’imagina- tion. Deux hommes qui se rapprochent des préraphaélites sans faire positivement partie de leur école sont : Madox Brown et Burne Jones. Le premier, qui exposa assez rarement, fit en 1865, dans Piccadilly, une exposition d’une centaine de ses œuvres où l’on remarquait celle intitulée : Adieu à l'Angleterre et le Travail, une composition où les doctrines sociales et la mo- rale ont plus grande part que la peinture, et qui ne procède nullement du goût latin. De 1845 à 1855 cet artiste avait produit, semble-t-il, des œuvres meilleures : Cordelia et le roi Lear, Cordelia et ses 11 BE AE: À è TRES" — 125 — sœurs, la Vierge et l'Enfant, des portraits, des paysages, des vitraux pour l’église Saint-Oswald et son tableau d'Haydée. Sans s’astreindre à suivre en tous points la doctrine préra- phaélite qui veut que l’on peigne toujours d’après le modèle vivant, Madox Browne, fort abstrait en peinture, se laisse aller à son imagination et selon les sujets qu’il traite exprime des sentiments divers, par des moyens différents. Epique dans le Roi Lear partageant ses états, il devient passionné dans Roméo et Juliette, et religieux dans le Fils de la veuve de Naïm. : Edward Burne Jones, récemment décédé (D, s’inspirait des légendes nationales puisées chez les poètes de son pays, et c'est, sans contredit, le meilleur peintre moderne de la Grande-Bretagne pour la composition, le dessin et la cou- leur. Selon Mme Julia Cartwright, sa biographe (2), Burne Jones fut le lyrique de la peinture moderne dont Puvis de Chavanne fut le noble idyllique. Né à Birmingham, ce fils d’un sculpteur et doreur sur bois sentit s’éveiller sa vocation en voyant une gravure de Dante Gabriel Rossetti. À l’âge de 23 ans, il n'avait point encore fait d'études artistiques. Il re- cut des leçons de Rossetti et ses premières compositions ressemblèrent à celles de ce peintre poète. Ce sont de petites aquarelles tirées de la Mort d'Arthur et des œuvres de Chaucer : elles ont de la couleur. Il réussit mieux encore dans les cartons pour vitraux d'église et la composition des sujets religieux. [l fit des dessins au crayon et à la plume pour illustrer le Paradis terrestre qu'écrivait son ami Wil- lam Morris et s’occupa, en même temps, de travaux d'art dé- coratf et d'industrie artistique en dessinant des carreaux de faïence et des modèles de tapisseries (3) ainsi que Madox (1) Le 21 juin 1898. (2) Gazette des Beaux-Arts, 1er juillet et 4 septembre 1900. (3) Ces tapisseries ont été exposées à Paris en 1900. — 1926 — Browne Holman Hunt et J. G. Watts, Ruskin, leur cham- pion, se Joignit à eux pour les aider de ses conseils. Burne- Jones voyagea avec lui en Italie où il étudia Carpaccio et Bot- ticelli. C’est à la suite d’un second voyage en Italie, en 1864, qu'il produisit son tableau intitulé : Le chevalier miséricor- dieux, qui lui fut inspiré par une légende italienne ; on y re- marque un agréable effet de lumière. À partir de ce moment il continua toujours dans cette voie, de 1864 à 1890, et de 1890 jusqu’à sa mort, 1l fit des illustrations, des portraits et des compositions, d’après d'anciens cartons. Erudit, pas- sionné pour la lecture, 1l recherchait les légendes de tous les pays et ne voulut s'inspirer que des sujets empruntés aux époques passées, mythes grecs ou légendes du moyen-âge. On a trouvé que sa peinture ressemble aux enluminures des missels du xv° siècle. Son meilleur tableau parmi ceux dont le sujet est du moyen-âge est: Le roi Cophelua et la men- diante de la ballade de Tenuyson. Le roi dépose sa couronne aux pieds de la mendiante ; puis, deux autres tableaux sont encore à noter : Chant d'amour et l'Amour dans les ruines survivant à tout. Les aquarelles de Burne Jones ont la même vigueur que ses peintures à l'huile, comme on a pu le remarquer dans celles qu’il envoya à l’exposition de 1878. La peinture an- glaise ne fait pas de distinction dans les modes de facture. Ce qui distingue surtout l’œuvre de Burne Jones, c’est la poésie d’un style dont la mimique et lexpression sont les qualités dominantes. Mais s’il réussissait dans le domaine du merveilleux à représenter des fées ou des sirènes, il n’en fut point de même dans le portrait, comme on a pu, par exem- ple, le constater dans celui de la petite-fille de M. Gladstone, Dorothée Drew, à laquelle il donna, dit son biographe, Par de quelque génie de contes de fées. En outre de ses travaux si divers, il a laissé un très grand nombre de dessins et d’études, dont M. Hollyer a photogra- phié les plus remarquables, au nombre de deux cents. Ce — 127 — sont des esquisses, des projets de tableaux ou des études de détails. Elles nous montrent comment procédait le maitre. En premier lieu une esquisse sommaire au crayon ou à la sanguine, puis un carton où il indiquait l'effet soit à l’aqua- relle, soit au pastel, et enfin les études de parties: têtes, mains ou pieds, dessinées très consciencieusement d’après nature. | Dans ses dessins, on saisit mieux que dans ses peintures, son originalité. [l est très humoristique dans certaines charges, caricatures d’enfants où d'animaux qui lui servaient de distraction pour ses heures de loisir. Il y fait preuve d’es- prit et d’entrain comme dans son petit tableau: L'Amour déguisé en Raison, où l’amour, sous une robe de docteur, ser- _ monne deux jolies jeunes filles qui ne se doutent point que sa dangereuse personne se cache sous un tel costume. Le 21 juin 1898, la mort l’enleva subitement et il repose non loin de sa maison, sur la côte de Sussex, dans le cimetière de Rottingham. Un des plus remarquables artistes de ce groupe de pein- tres qui s’'intitulèrent préraphaélites fut le peintre et poète Dante Gabriel Rossetti, né à Londres en 1828, mort à Bir- chington-sur-Mer le 9 avril 1882. II n’exposa qu’une fois à Russel Palace plusieurs tableaux et dessins, alors qu'il avait 28 ans. Depuis ce moment, il se contenta de montrer sa peinture à ses connaissances et à ses amis, et pourtant sa célébrité n’est point inférieure à celle des peintres anglais les plus renommés. Il traita les mêmes sujets et dans les mêmes principes que ses confrères‘ les {préraphaélites qui furent grandement à la mode en Angleterre vers 1830. La plupart de ces peintres abandonnèrent en fin de compteîleur doctrine. Rossetti avait, d’une manière invraisemblable, des prétentions au réalisme dans sa recherche du détail infime, comme le prouvent la plupart de ses tableaux : la Lune de miel du roi René; le Songe du Dante, qui fait partie de la galerie de Liverpool; The seed of David, dans la cathédrale — 128 — de Ilandaff; Francesca da Rimini, aquarelle en diptyque; Beata Beatrix Beatrice; la Donna della Finestra, et d’au- tres tableaux dont les sujets sont empruntés à ses poésies, car il a publié deux volumes de poèmes intitulés Ballades et sonnels. Parmi ces compositions — on remarque : — Venus Verticordia; Sibylla palmifera; la Bella Mano: la Ghir- landata; Veronica Veronèse, etc. A l'Exposition universelle de 1900 on avait placé de Burne Jones le Rêve de Lancelot, une poétique légende qui n'était point à la hauteur de ses compositions exposées au pavillon britannique dans son exposition rétrospective où l’on a admiré un Saint-George d’une grande tournure, fort décoratif, et l’aquarelle intitulée le Conte à la Prieure. Nous avons cru devoir donner iei quelques détails sur ce maître de même que sur Madox Browne. Ces deux artistes se rapprochant des préraphaélites par certains côtés sans faire positivement partie de leur école. PYINTURE D'HISTOIRE La peinture d'histoire, telle que nous l’entendons, n’a jamais eu de succès chez les Anglais. Les meilleurs de leurs peintres ne furent point classiques et académiques comme, chez nous, les élèves ou les imitateurs de David. Le résultat des efforts de ceux qui, en Grande-Bretagne, s’orientèrent dans cette voie du grand stvle ne fut point assez brillant pour engager d’autres artistes à la suivre avec persévérance. Parmi les peintres d'histoire contemporains, M. V. Prin- sep, né dans les [ndes anglaises et qui est venu étudier son art à Paris dans l'atelier du peintre Gleyre est un des meil- leurs. On voyait de lui, à l'Exposition universelle de 1855, deux tableaux remarquables par la couleur et le dessin représentant des types orientaux : l’un avait pour titre Perle noire et l’autre À la porte d’or, représentait une femme blanche à la porte d’un harem. Il avait, en 1900, à l'Exposi- — 129 — tion universelle. un tableau où il donnait à la noblesse de la forme plastique, sans la rendre pour autant moins digne et moins distinguée, un nom moins prétentieux : il se contente de la représenter en Cendrillon. M. Paul Falconer Poole R.-A. (1810-1879), un de ceux qui jouirent en Angleterre de la plus haute réputation, sembla avoir voulu amalgamer dans un mélange hétéroclite le style des maitres de la Renaissance. du Titien. du Guide avec celui du Poussin et de Lesueur sans parvenir à se ies appro- prier d’une manière originale On cite comme une de ses œuvres les plus remarquables, son tableau : Chanson de Plhitomèle au bord du lac. Le Président de l'Académie de peinture, Lord Frédéric Leighton, récemment décédé, représente dans son pays la erande peinture avec des qualités décoratives. Son exposi- tion posthume au Salon de 1900 (Exposition universelle), se compose de trois tableaux : le Retour de Perséphone, pastiche des maîtres italiens de la Renaissance, est faible d'exécution ; Rispah éloignant les corbeaux de ses fils cruci- fiés est une peinture trop noire, et enfin le petit tableau qui a pour titre : Afteint rappelle la manière lèchée de Bougue- reau. Deux dessins, une Académie d’après le nu, et une Etude de draperie, complètent les spécimens du talent de ce peintre supérieur à ceux de son pays qui voulurent traiter le genre historique, mais qui reste académique et froid si l’on vient à le comparer aux artistes du continent qui s’illustrèrent en traitant la peinture de haut style. M. Goodal, qui exposa jadis à Paris Rachel et son trou- peau, envoyait à l'Exposition de 1900 la Tonte des moutons en Egypte, mais, de même que ceux de Prinsep, ce tableau n’est point traité dans un style qui s’élève au-dessus du ta- bleau de genre. Sir Edward Poynter et L. Alma-Tadema, dans l’anec- dote historique, ne sont guère satisfaisants. Le premier “essayant, comme son confrère, de reconstituer le passé, — 130 — semble prendre pour modèle, dans sa Danseuse, la peinture uniformément lêchée de Gérôme en ses œuvres moindres. Alma-Tadema vaut mieux avec le Printemps semé d’inté- ressants détails. M. Solomon, avec Laus Deo, se rattache par cette allégorie aux préraphaélites. Sa couleur est harmonieuse. Ce que n’ont guère la plupart des peintres que je viens de nommer, C’est l'inspiration, le sentiment du grand style, sans lequel il n’est pas de peinture d'histoire, et c’est pour- quoi je n’ai point parlé, dans l’ancienne école, des Singleton (1766-1839), Howard (1769-1847), Bird (1772-1819), Allan (1782-1850), Burnett (1784-1868), Jones (1786-1869), East- Lake (1793-1865), James Ward (1769-1859), qui sont plus ou moins nuls. Exceptons toutefois David Scott, de l’Académie royale d’Ecosse, qui mourut en 1847, dont l’œuvre est considérable et variée par le choix des sujets. Sa peinture d’une couleur fort expressive et procédant par hachures, a de lPanalogie avec celle de notre Eugène Delacroix. On remarque surtout parmi ses tableaux : Pierre l’Ermite prêéchant lu Croisade, la Reine Elisabeth assistant à la représentation des Joyeuses commères de Windsor, et Vasco de Gama, son dernier ouvrage où l’on voit ce hardi navigateur inspiré par le Génie du Cap dessiné dans la forme des nuages. Le groupe des marins qui entoure Vasco exprime l’effroi que lui cause ce phénomène. GENRE ET PORTRAITS Les peintres anglais, dans les scènes de mœurs qu'ils aiment à traiter, peignent la vie de leurs contemporains, et si les critiques de leur pays les ont quelquefois censurés pour la préférence qu’ils donnent aux sujets de genre, nous ne les blâmerons point de rendre ainsi l’intimité ou la vie publique de leurs concitoyens. Rien du sujet, mais seule- A8 — ment de son interprétation. Ce qu’on v remarque surtout c’est l'expression des physionomies et l'intérêt des scènes représentées, soit qu'ils les empruntent à la vie de nos jours ou à celle des époques passées, Il nous faut parler ici de Barker (Thomas John Henry), que nous avons mentionné rapidement dans notre introduction à la présente étude, et dont nous possédons au musée de Be- sançon un tableau acheté en 1840 pour 1900 francs, qui fit parte du salon de 18539. Cette composition intitulée Retour de la chasse, représente de grandeur naturelle un jeune chas- seur coupant du pain dont deux gros épagneuls attendent une part. En perspectivo on aperçoit une rue, et au premier plan des armes de chasse, du gibier de plume et un che- vreuil. La couleur de cette peinture est agréable, la touche en est facile et décèle une étude consciencieuse de la nature. Son auteur naquit à Bath en 1845 et mourut à Londres en 1882. Avant reçu les premières notions d’art de son père, 1l alla en 1839 à Paris, devint élève d'Horace Vernet, en suivit la manière, et fut surnommé par certains critiques l’Horace Vernet de l'Angleterre. [lexposa à Paris aux différents salons de 14837 à 1850. On cite de lui en outre du tableau dont nous venons de parler : La Mort de Louis XIV, tableau commandé par le roi Louis-Philippe, et détruit au pillage du Palais- Royal, en 1848; Beautés de ia cour de Charles IT; La Fian- cée de la Mort, peint pour la princesse Marie d'Orléans. En 1845, rentré en Angleterre, il peignit des animaux, des sujets d'histoire et de genre. En 1870-1871, il suivit les opérations de la guerre franco-allemande et y trouva plusieurs sujets de tableaux. Dans le genre, citons Dickmans dont on voit à la National Gallery un tableau fort poétique : La Fille de l'Aveugle, et M. Watts qui, en 1855, avait adopté un parti pris pour attirer attention. C'était, en se servant de couleurs à l’huile, de faire ressembler sa peinture à du pastel. Préraphaëélite à cette — 132 — époque de sa carrière, 1l savait au besoin, dans le portrait de son confrère Frédéric Leighton, peindre et dessiner d’une manière plus conforme à la vérité que dans les cinq tableaux mythologiques qu’il exposait à Paris en 1900 (1). M. Erskine Nicol, dans son £cole de village. où un magis- ter intimide son élève et vient de lui adresser une question à laquelle il eût été lui-même peut-être embarrassé de ré- pondre, a bien saisi la naïveté du pauvre petit et expression bourrue du pédagogue. Dans le Paiement du loyer, les types impassibles de l’intendant du lord et de son commis, tout entiers à encaisser leurs comptes et sourds aux doléances et aux requêtes des misérables irlandais qui viennent donner leurs fermages, le caractère des physionomies est bien rendu. La touche, quoique un peu dure, est d’une assez bonne couleur, et la composition n’a rien qui puisse choquer le goût. M. Thomas Faed peint aussi d’une manière intéressante l’intérieur des humbles. Tantôt, c’est un pauvre veuf qui es- saie, de ses grosses mains, des gants à sa fillette, daas un tableau dont le titre est Père et Mère; tantôt, c’est une mère qui raccommode l’unique pantalon que son gamin attend jambes nues. Ces sujets expriment bien le sentiment tendre de l'artiste. M. Robert Braithwaite Martineau, né le 19 Janvier 1826, à Londres, mort le 13 février 1869, élève de M. Holman Hunt, est l’auteur du tableau : Le dernier jour dans la vieille de- meure. Il recherchait les sujets dramatiques, qu'il traitait à un point de vue plus littéraire que pittoresque. Ses produc- tions sont peu nombreuses car, dans son désir de perfection, il mit dix ans à peindre ce tableau. M. William Quiller Orchardson a non moins de succes dans le genre que dans le portrait. C’est un des peintres an- (1) M. Watts est décédé en 1903, membre de l'Institut de France et de la Légion d'honneur. — 133 — glais qui sont le plus harmonistes ; la couleur de ses tableaux n’est jamais criarde, et il excelle dans l'expression de ses figures. [l se rapproche beaucoup de la facture de nos pein- tres français contemporains, et il pourrait, sans disparate, passer pour en faire partie. En 1867, il exposa chez nous deux tableaux : l’un tiré de Walter-Scott, Le Défi, et l’autre de Shakespeare, Christophe Sly, qui eurent un succès bien mérité. Citons encore : La Reine des épées, l’Antichambre, le Décavé, etc. D’autres peintres de genre choisissent lanecdote pour sujet de leurs tableaux : leur originalité n’a rien d’accentué et, en général, loin de faire comme les vieux maîtres flamands, Rembrandt, Terburg ou Metzu, qui généralisent des sujets familiers : le philosophe en méditation, la conversation, le concert, etc., ceux-ci, au contraire, spécialhisent leur sujet ; tels sont , M. Philippe Calderon ou M. Hayllard avec son ta- bleau : un mal de dents de la reine Elisabeth. De tels sujets ne sont pas faciles à comprendre et tournent au rébus. Parmi les peintres de scènes populaires il faut encore citer : M. W. Powel Frith, auteur de : Le jour du Derby et de La Gure du chemin de fer; M. C. Green et MM. S. Burgess, F. Barnard et L. Fildes. . N'oublions pas M. Frédéric Walker, mort prématurément à trente-cinq ans, qui eut un grand succès à notre exposition universelle de 1878 avec son tableau : La vieille grille, et dix aquarelles d’une charmante exécution. . M. Sir John Gilbert, membre de l’Académie royale, ré- cemment décédé, a envoyé à notre exposition universelle de 1900 : Henri VIIT et le cardinal Wolseley et une aquarelle : La Sorcière, qui se distinguent, comme la plupart de ses compositions, par l’heureux arrangement des figures et une bonne couleur. M. John Peitie, membre de l’Académie royale, actuel- lement décédé, représenté à notre exposition de 1900 par sa toile intitulée Sylvia, nous rappelle la manière de l’an- — 134 — cienne école anglaise dans le portrait, où il s’est distingué. M. W. Ouless, artiste vivant, se préoccupe de ne point né- gliger les moindres détails dans le portrait de Sir À Holden Bart. Citons encore de M. Charles H. Shannon, L'homme à la chemise noire, qui semble œuvre d’un disciple de Wisthler ou de Legros. De M. Ralph Peacock, Le portrait d'une dame dansant ; de M. Gotch (Thomas Cooper), L’hérilière des siècles, peinture violacée se complétant par des tons orangés. Un peintre célèbre en Angleterre, sir Francis Grant, né en 1804 et nommé de l’Académie en 1851, ne montre dans ses ouvrages aucune originalité. Sa manière rappelle celle d'Horace Vernet, dans un tableau qui représente Le vicomte Harding quittant le champ de bataille de Ferozeshals. Il est pourtant assez bon portraitiste: M.E.J. Gregory, de l'Académie royale, traite tous les genres avec un égal succès. [l envoyait à notre exposition universelle de 1900 le Portrait de M. S. R. Plutt, une Vue de la Tumise, Boutters G. Lock le dimunche, et deux aquarelles : La Fille du Meunier et La Petite Psychée. Get artiste est, comme M. Herkomer, un observateur réaliste de la nature. Citons encore les peintres de genre : A. Hopkins, F. Foll, G. H. Boughton, l’aquarelliste G. J. Pinwell, mort à 32 ans en 1875, P. R. Morris et M. Marcus Stone qui avait à l’expo- sition de 1900 son tableau intitulé La bonne amie du matin. Ce dernier a toujours dans ses ouvrages l'inspiration senti- mentale plus littéraire que pittoresque. Ses tableaux seraient charmants si leur exécution répondait à leur invention. Le réalisme sincère dans lobservation de la nature est re- présenté par M. Herkomer avec son Portrait de sir G° D. Taubman Goldie. Le peintre y arrive à l'expression de la vie par une facture sobre et large. Orchardson aussi dans le Portrait de M. David Stewart et surtout celui de sir W. Gail- bey exprime bien le caractère de la race anglo-saxonne. D’au- — 135 — tres portraits sont sérieusement traités par MM. Lavery, Jack Loudan, Millais, John Hare de Glazebrook. Ii faut citer aussi, parmi les tableaux de genre, à l’exposi- tion de 1900, celui de M Lorimer intitulé: Au dernier mo- ment. Une jeune mariée que viennent chercher ses amies, lorsqu'approche le moment où elle va s'unir à jamais. N'oublions pas La Maison de poupée, de M. Rothenstein; La Causerie, de Bramley, et de Hacker Le Cloître ou le Monde, qui est remarquable par un effet de lumière ; Le Diner d'été, de John R. Reïd, et de M. Christie, Le Joueur de flugeolet de Hamelin, etc. M. G. D. Leslie qui excelle aussi dans la peinture de genre et l'expression des sentiments intimes, comme il l’a bien montré, entre autres œuvres, dans son tableau d’une de nos précédentes expositions universelles, Visite à la pension, nous envoyait en 1900 un paysage d’'Un Village dans les Cotswolds, moins impressionnant que ses tableaux de genre, LA PEINTURE DE PAYSAGES — LES ANIMALIERS LES PEINTRES DE MARINES Un éminent critique d'art, M. Henri Houssaye, rappelait dernièrement que si la peinture de paysage est de nos jours fort en vogue, il n’en était point ainsi chezles anciens qui ne l’estimaient guère. Lucien disait : « Ce que je recherche dans les tableaux, ce ne sont ni des vallées ni des montagnes, ce sont des hommes agissants et pensants. » Vitruve n’ap- préciait point les peintres qui représentaient des marines ou des arbres au lieu de « scènes héroïques ou religieuses propres à élever l’âme », Or, les Anglais n’ont guère de peintres d'histoire ou de sujets religieux qui, du reste, ne trouveraient pas leur em- ploi dans les temples du protestantisme. L'Etat fait très peu de commandes pour les monuments publics ; cette règle n'a presque subi d'exceptions que pour le palais du parlement : — 136 — les tableaux des peintres d'histoire leur resteraient pour compte. Il en résulte qu'ils ont traité les sujets de la vie familière recherchés par les bourgeois riches et les membres de l’a- ristocratie payant largement les artistes. Le tableau de genre et le paysage, voilà le champ où concourent généralement les peintres de la Grande-Bretagne, en bornant leur idéal aux sentiments de la famille et aux scènes agrestes. Toujours est il que, libre de toute tradition dans le passé, leur peinture se signale par le cachet individuel, d'autant plus qu'il est dans la nature de l'Anglais de n’admirer rien tant que sa race et ses mœurs, supérieures, selon lui, à tout ce qui se voit chez les autres nations On a vu que le principe préraphaélite est la représentation minutieuse de la réalité, de telle sorte que les savants puissent reconnaitre dans un paysage la nature géologique d’un terrain, les végétaux propres à la composition du sol, les papillons, les insectes, la race des animaux de tels ou tels pays, etc. Cette manière scientifique d'envisager l’art est à l'opposition du goût et du génie des peuples latins, mais c’est l’exagération d’une qua: lité de consciencieuse observation trop souvent oubliée par nos artistes. Les peintres anglais de l’école moderne, sauf un tableau de Barker dont nous avons parlé et deux aquarelles de Fiel- ding, ne sont pas représentés au musée de Besançon. Nous voyons seulement une minime peinture signée Ver- non pouvant être de A. L. Vernon qui fait partie d'un groupe de paysagistes naturalistes; toutefois, nous n’affir- mons rien à cet égard. Cette petite étude représente un cours d’eau dans une prairie plantée d'arbres, et vers les premiers plans, bordée de buissons, Au second plan on aperçoit des lavandières. Le ciel est nuageux et la verdure d’un aspect sombre. Ce morceau est trop peu important pour donner une idée juste du talent de son auteur. C'est le paysage copié, non oiee composé, comme le pratique un groupe qui comprend, avec À. L. Vernon, J, C. Adams, À. C. Dodd, Frank Milès déjà ce AG Todd, FE J.:Watson, etc: D'autres peintres encore, que l’on dirait comme Îles pré- curseurs de nos maîtres célèbres : Corot, Troyon, Rous- seau, Daubigny, tels que, entre autres : Cecil Lawson, Ernest Parton, J. Aumonier, Edwin Ellis, J. L. Pickering, Leslie, Tomson, ont été par leurs compatriotes, dénommés impressionnistes, sans qu'ils aient rien qui ressemble au faire des peintres français auxquels nous avons donné ce nom. Parmi les paysagistes qui suivent la doctrine de John Ruskin nous devons citer MM. Linnell, Vicat Cole, et surtout M. Charles Lewis. Son tableau une Pièce d'orge dans le Berkshire montre au suprême degré la recherche des dé- tails. Tous les pavots, les bleuets, toutes les herbes parasites qui s’enlacent ou se mêlent aux tiges d'une blonde moisson sont rendus avec l'amour d’une scrupuleuse et patiente étude, avec le culte de l’objectivisme Le plus complet. M. Millais, en fidèle disciple de Turner, s'attache à rendre les effets variés de la lumière dans lPatmosphère, soit qu’il peigne, le Bord d’une lande, ou le Froid octobre ou Dans les montagnes d’Ecosse. J. E. Millais, né en 1829, fut le plus réputé des préra- phaélites : il traite des sujets historiques, des scènes de la vie anglaise contemporaine, ou empruntées à la poésie. On cite parmi ses compositions : Ophélie, Les Romains quittant la Grande Bretagne, Garde royul, Le Hussard de Bruns- wick, Le Whist à trois, et les Portraits de Gladstone et de Ruskin. Dans tous ces sujets divers on remarquait une véritable originalité d'expression, Le peintre S'y montrait, selon l’occasion, réaliste, comme dans son tableau L’élargisse- ment, ou mystique dans Le Retour de la colombe à l'Arche, ou romanesque dans La Mort d'Ophéle. 10 — 138 — En 1867, il s’éloignait de sa première manière, et, dans Le Semeur d'ivraie et Les Romains quittant la Grande-Bre- tagne, sacritiait les fonds de paysages et ne recherchait plus que l’effet du drame. En 1875, sa peinture tout en conser- vant son expression poétique devenait de plus en plus vivante, plus corsée dans les tableaux qu'il exposait au Champ de Mars, entre autres dans celui-ci tiré d’un poème de George Meredith intitulé La Couronne d'amour. L’ex-pré- raphaélite s'y montrait enfin libre dans sa facture qui ne s’assujettissait plus à la recherche minutieuse de la réalité et affirmait sa supériorité dans la diversité des genres. En 4900, John Millais se faisait remarquer à notre Exposition universelle par la poésie triste de son Vieux Jardin soli- taire, où l’on ne remarque guère que l'alignement froid des bordures de buis. : Somme toute, en nous reportant à ce groupe d'artistes qui avaient pour objectif, s’isolant de leurs confrères, un idéal où la théorie du réel et du vrai lemportait sur la pos- sibilité de la pratique, les préraphaélites, ces disciples d’une école qui n’existe plus pour être restée étrangère à la vie de notre époque, n'ont laissé aucune production qui puisse satisfaire pleinement aux exigences de la saine eriti- que d’art. Citons cependant, parmi les derniers peintres qui sem- blent s'inspirer de Burne Jones : MM. Strudwick, Chevalier Taylor, et les portraitistes de Glehn, Solomon, Collier, etc. En août 1901, on signalait aussi une tentative de rénovation de la peinture à fresque dans le style du xv° siècle italien par M. Southall et miss Kate Burne, Arthur J. Gaskvn, Evelyn de Morgan, John D. Batten, etc , à l'exposition de Ja New Gallery. | Parmi les paysagistes qui se signalèrent le mieux à lEx- position universelle de 1900 par le sentiment de la nature et le mérite de l'exécution, il faut citer MM. La Thangue, avec ses deux tableaux, une Pelite propriété et Le Bücheron, et — 139 — Stanhope A. Forbes, avec La Forge. Tous deux font partie des peintres réalistes de Glasgow. M. Franck Brangwin, en- core un de ces artistes écossais dont la peinture se compose de touches larges et vibrantes, se révélait dans son Marché de Bushire, et parmi les tableaux des autres naturalistes on remarquait : de Lionel Smythe, un Paysage d'automne, avec glaneurs ; d’Adrien Stokes, l'Avenue dans le marais ; de Lindner Moffat, Eclat du soir, Dordrecht. M. George F, Waits R. A., qui traitait, il v a de cela dix ans, les sujets de haut style et le nu, tels que L'Amour et la Mort, Orphée et Eurydice, avait abandonné, en 1900, ces sujets mythologiques pour ne nous montrer à Paris qu’une Vue de Naples, où il semble s'inspirer de Turner (1). On a prétendu que ce peintre, dégoûté de voir ses ta- bleaux mal placés dans nos Salons, sans que l’on eût égard au rang élevé qu'il occupe parmi les artistes de son pays, et malgré les médailles qu'il avait obtenues chez nous, avait fini par ne nous envoyer jamais plus de ses œuvres. Il se peut que, pour ce motif, il ne nous eût pas montré, en 1900, l’une de ces peintures qu'il aimait surtout à emprunter à la mythologie. M. Watts, grand coloriste, est actuellement no- nagénaire ; il ne cesse pourtant point de produire, et au Sa- lon de la New Gallery, en 1901, on remarquait son tableau Les Highlands. Mentionnons enfin, pour terminer, Thomas Sidney Coo- per, né à Cantorbéry en 1803, mort le 5 février 1902. Il apprit seul la peinture, fut décorateur de théâtre, paysagiste, voyagea, resta longtemps en Hollande et peignit avec grand succès le paysage et les animaux. Nommé membre de la Royal Academy en 1867, il avait publié, en 1853, un livre de dessins d'animaux et groupes rustiques, et un livre illustré par lui : Les Beautés de la Poésie et de l'Art. Parmi les animaliers remarquables, citons M. Swan et (1) Voir la note précédente au bas de la page 152. — 140 — M. Crawhal, avec un tableau intitulé Coq noir. Quant à M. Briton-Rivière, qui excelle dans les sujets où 1l peint les fauves, 1l exposait, en 1900, Tentalion dans le désert, repré- sentant le Christ dans un paysage aride, sous les derniers feux du Jour, et Fidèle à mort, la première de ces composi- tions rentrant dans le style sérieux de la peinture d'histoire. Il semble que, dans les [les-Britanniques, les peintres de marines devraient être plus nombreux qu'ailleurs ; il n’en est rien. Nous ne trouvons plus à notre Exposition univer- selle de 1900, MM. Hamilton, Robert Leslie, Franck Milès, JC Hook, MW Richards, Pb Elardy, PAG ANS H. Gibbs ; mais nous pouvons signaler dans ce genre : Tho- mas Graham, Colin Hunter, avec une Marine par un temps d'orage. C. Napier, Henry John Brett, Lindner. Nous n’y trouvons rien du chevalier de Martins, peintre de marines du roi Edouard VIT. En résumant ce que nous avons constaté dans le cours de la présente étude, nous voyons que les écoles du continent ont suivi la tradition des écoles italiennes de la Renaissance et que leurs peintres, pour la plupart, ont puisé leur ensei- gnement dans les ateliers parisiens. Mais la race anglaise, malgré ses efforts pour s’assimiler la tradition du génie latin, est restée essentiellement natio- nale et quel que soit le sujet traité, que ses figures repré- sentent César, Mahomet, Agamemnon ou Louis XVI, qu’elles aient à nous faire voir des Grecs anciens, des Romains ou des Turcs, elles restent toujours marquées du seul type anglais. De 1855 à 1867 et à 1900, si nous en jugeons par ce que l'Angleterre a envoyé chez nous à nos diverses expositions universelles, elle semble avoir décliné dans les beaux-arts, et ses dernières productions sont inférieures. Si elle a paru jadis suivre la tradition de Van Dyck avec Reynolds, Lawrence et Gainsborough, actuellement ses peintres se montrent surtout préoccupés du soin avec lequel ils traiteront les détails, ou — AM — bien ils enfantent des ouvrages que l’on croirait destinés à être reproduits en illustrations. Ils gagnent à être traduits en gravure, Ce qui n’arrive point pour les vrais maitres et les coloristes comme Rubens et Van Dyck. On a dit que l’exécu- tion mesquine de leurs tableaux produit le même effet que s’ils étaient vus à travers des lunettes de mvopes. La pro- preté, le détail étudié brin à brin et l’oubli de l’ensemble, voilà surtout ce qui les caractérise. Le plus souvent tout s’y trouve papillotant, et disperse l'attention par cette imitation servile qui paraît vouloir lutter avec l’objectif photographique, et recherche la propreté d’une peinture poncée et polie. Balthazar Denner et Blaise Desgoffe, les modèles de ce genre en Allemagne et en France, se sont montrés habiles ouvriers, mais nullement artistes. 10 LES AQUARELLISTES ANCIENS ET MODERNES Dans les écoles anglaises on enseigne la peinture à l’eau avant la peinture à l'huile, et l’on considère l’aquarelle comme un art national. Les Anglais disent qu'ils n’y ont point de rivaux et, plutôt que d'en admettre, ils reconnai- traient volontiers, contre leur habitude, que la peinture à l’huile des étrangers pourrait lutter avec la leur. Cest bien là l'opinion de gens pour lesquels l’art est sur- tout une manifestation de l’habileté matérielle. Pour rous, quels que soient l’instrument et les couleurs employés, Part relève de l'intelligence et du sentiment plutôt que de l’a- dresse manuelle. Mais, à ne considérer que le côté technique, ce qui fait le charme de l’aquarelle, c’est une touche lègère et spontanée qui résulte de l’improvisation. Si, en se livrant à un travail minutieux et détaillé, et en y ajoutant de la gouache pour simuler les vigoureux empâtements de l’huile, on paraît vouloir la faire ressembler à un tableau, elle n’a plus sa raison d’être. C’est ce qui arrive pour la plupart des aquarelles anglaises, Les aquarelles de Cattermole, de Kennet Mac Leay, de David Mac Kewan ont de la vigueur, mais l'emploi de la gouache leur enlève la fraicheur, qui est une des premières qualités de ce genre. Cette absence de technique à pour résultat, chez ceux qui arrivent à se distinguer, une originalité toute personnelle et fantaisiste qui caractérise leurs productions. Comme la centralisation est assez mal vue en Grande- Bretagne, l’Académie trouva d'assez nombreux concurrents, et ce fut presque à sa naissance : l’Insütution britannique — 143 — (British Institution), la Société des Artistes (Sociely of bri- tish artists) et la Société des Peintres à l’aquarelle (Society of painters in water-colours). En dernier lieu, l’Institut des aquarellistes, fondé par un Tournaisien, nommé Louis Hague, s’est installé à Piccadilly, dans un quartier des plus luxueux, non loin &e l’Académie royale. Les artistes qui composèrent toutes ces sociétés ont eu pour but de pouvoir exposer leurs ouvrages sans être obligés au contrôle de l’Académie. Chez chacune d'elles se trouve une salle d'expositions publiques et de vente des ouvrages de leurs sociétaires. On comprendra bien que, puisque l'Etat s’est désintéressé des beaux-arts, il importe au plus haut point que, sous peine de ne pouvoir vivre, les artistes fassent une question capitale de la vente de leurs productions. Les meilleurs peintres ne font done aucune difficulté d'exposer pour la vente leurs ta- bleaux et il faut dire que la classe riche et l'aristocratie mettent leur orgueil à les payer largement. (C’est de la sorte que les artistes en renom arrivent à une opulente situation qui ne doit rien à la faveur d’un ministre ou d’un directeur des beaux-arts ; leur bien-être ne leur vient que de l'opinion et de l’estime du public. _ On a inventé des associations que l’on nomme Arts Unions; chacun de leurs membres paie une cotisation annuelle qui va d’un shilling à une guinée, et on leur donne en retour un numéro d'action qui, s’il sort au tirage d’une loterie annuelle, gagne quelque tableau d’une valeur plus ou moins consé- quente. Ces unions ont une grand vogue, et par conséquent de très nombreux souscripteurs, de sorte qu’elles arrivent à avoir en caisse des sommes considérables qui leur permettent d'acquérir des œuvres de très grand prix. On en voit qui, comme la Liverpool Art Union, achètent chaque année pour jusqu'à 1389 livres sterling de tableaux. Les artistes qui ne se sont point encore fait un nom, les commençants, ont recours aux marchands de tableaux, fort ue nombreux à Londres. Ceux-ci remplissent l'office de jury, acceptent ou refusent les peintures qui leur sont présentées, et celles aw’ils refusent n’ont plus, en dernier ressort, qu’à être présentées aux enchères pour un prix minime, sur le- quel on leur retient un droit de commission, qui s'élève quel- quefois jusqu’à soixante-quinze pour cent. Il en résulte que, si le peintre pauvre vend un tableau cent francs, il n’en touche que vingt-cinq. Comme dernière ressource, il ne lui reste que le prêteur sur gages, le pawn-broker, qui est à Londres à peu près comme notre Mont-de-Piété. Une autre ressource des peintres malheureux est la res- tauration des vieux tableaux, ou encore, la contre:açon des maitres vivants, comme il arriva naguère chez nous, où le procès des faux Corot par Trouiliebert fit sensation. Mais ce n'est point le contrefacteur qui profite de ce métier déshonnèête, c’est l'entrepreneur qui fait circuler ses pro- duits. Avant d'envoyer leurs tableaux à l’Académie Royale de pemture les peintres \L de Londres les exposent taux approches du printemps, dans leurs ateliers : c’est ce qu’on appelle le Show sunday (Exposition du Dimanche). Ce qui distingue ces artistes des artistes français, c’est que, considérant leur art au point de vue pratique, comme un business, ils ont soin de se placer dans les meilleures conditions pour faire de l’argent. D’une tenue correcte et irréprochable, sans rien qui les distingue et dénote par leur costume quelque originalité, on les voit recevoir, dans des ateliers bien cirés et soigneusement époussetés, qui ne puissent choquer d'aucune facon le snobisme de leurs visi- teurs mondains. C’est ainsi qu'ils arrivent à pouvoir vivre en mettant à des prix avantageux leurs productions artistiques, comme s'ils vendaient du drap ou des épices, et leurs relations mon- daines leur sont plus profitables que la contemplation d’un embrandt ou d’un Velasquez. Il leur suffit d’exhiber une. — 145 — peinture lisse et propre (1) dans des cadres luisants, en évi- tant le nu cher à la peinture française, et qu'en Angleterre les gens bien élevés qualifient de shoking, pour recueillir les exclamations admiratives de : how pretty! how beautiful! Il est vrai de dire pourtant, qu'il est d’honorables excep- tons, mais généralement il en est ainsi à cause des exi- gences d’un public qui n'entend rien à l’art, et qui donne ses préférences à une peinture, correcte et sans originalité, rappelant la chromolithographie. Quelques artistes, 1l est vrai, font exception à ceux qui se résignent en sacrifiant l’art afin de subvenir aux besoins de leur ménage. On pourrait citer parmi ceux-ci : un Sargent, américain ; un Alma-Tadema, hollandais ; un Herkomer, allemand, pour un anglais, comme Orchardson. Mais fermons cette parenthèse et revenons aux aqua- rellistes anglais. Tout d’abord, ils ne produisirent que des lavis à l'encre de Chine ou dessins teintés (the stained dra- wing). Francis Barlow, né en 1626 dans le Lincolnshire, inaugura le premier ce genre. Puis, ce lavis devint brun ou gris bleu renforcé par quelques tons colorés et par un dessin à la plume vers la fin du xvirr' siècle avec Michaël Angell _Rooker de la R. A. (1743-1861), Thomas Hearne (1744-1834) et W,. Payne, dont on ignore les dates de naissance et de mort, Cette manière ne vise point alors à reproduire des effets corsés de lumière et d’ombre et conserve un aspect pâle. Les aquarélles de John Robert Cozens (1752-1799) res- semblent à des gravures enluminées, mais Thomas Girtin (1773-1802) se servit mieux de la couleur et arriva progres- sivement à réaliser l'effet de la nature dans ses dernières productions, qui ne manquent pas d’une certaine poésie. Il en est de même pour John Sell Cotman (1782-1842). (1) En octobre 1901, une Calypso de Bouguereau atteignit en vente pu- blique le prix de 924 livres. — 146 — Parmi les aquarellistes qui traitèrent la figure il faut signaler, quoique traduisant des impressions différentes, Josuah Cristall (1767-1847) et Henri Liverserege (1803-1839), remarquables tous deux par leur vive imagination. Rappelons entore le visionnaire William Blake (1757- 1827), et Thomas Stothard que nous avons cité pour ses mé- diocres peintures à l'huile, Il a de lPélégance dans la ligne, mais consulte trop peu la nature. J M. W. Turner, lorsqu'il peignit à l’aquarelle ne produi- sit à ses débuts, comme Girtin dont il fut l'élève, qu’une es- pèce de camaïeu brun ou gris, jusqu’à ce que, après de longues études de dessin sur nature, il arrive, vers 1800, à exécuter avec une maîtrise supérieure et une expression fortement sentie, non plus par un dessin coloré mais en con- cevant et réalisant son œuvre par la couleur avant tout. Son exécution est franche, et c’est à tort qu'on lui a attribué les ficelles du métier, l'enlèvement des clairs au chiffon, au grattoir ou à l’éponge. Ces expédients sont surtout employés par Georges Fennel Robson (1790-1833). Quant à Robert Hills (1769-1844), il arrive à l’effet par une seule application de la couleur au premier coup (1). Copley Fielding (2), dont Eugène Delacroix fut l’ami, a eu, comme Turner, le sentiment de l’espace et des mystérieux effets de brouillard. Il serait pourtant difficile de reconnaitre ce sentiment dans les deux aquarelles de la collection Gigoux qui lui sont attribuées : l’une représente des oiseaux d’eau, et l’autre un lévrier ; elles semblent destinées à un livre d'histoire naturelle. (1) Citons encore, parmi les meilleurs aquarellistes : John Varley (1778- 1842), David Cox 1788-1859), Peter de Vint (1784-1849), Copley Fielding (1737-1815), Georges Barret (1774-1842), Samuel Prout (1783-1852), Wil- liam Henri Hunt (1790-1864), George Cattermole (1800-1868), John Frédé- ric Lewis (1805-1876). Ces artistes, avec des styles variés, ont tous le sen- timent et l'observation de la nature. (2) Copley Fielding, de la Royal Academy, 1737-1815. — 147 — Samuel Prout excelle surtout dans les vues d'architecture, et 1l se montre plus dessinateur que peintre dans celles qu’il reproduisit au cours de ses voyages en France, en Allema- gne, dans les Flandres et en ftalie. David Cox est plus coloriste que ce dernier; sa couleur rappelle celle de Constable, et ila su donner de l'intérêt aux scènes les plus simples. William Hunt et Lewis sont coloristes dans la peinture de genre : leur faire est simple et large, soit dans les fruits et les fleurs du premier, soit dans les vues d'Espagne et d'Orient du second. La Société des. Aquarellistes (1) (The Society of Painters in water colours) fut fondée en 4805 et fit sa première expo- sition le 22 avril de ladite année à Grosvenor square d’abord, puis dans Bond street, Spring gardens, et enfin dans les salles de Pall-Mall East. En 1832, plusieurs artistes fondèrent une autre société dite : Nouvelle Société des Aquarellistes, et firent leur première exposition au printemps de ladite année (2), En 1865, cette so- ciété adopte un autre nom, celui de The Institute of Puin- ters in water colours (3), (1) Nous empruntons à M. Ernest Chesneau les noms de ses fondateurs : G. Barret, J. Cristall, W. S. Giülpin, J. Glover, W. [awell, R. Hills, J. Holworthy, J. C. Nattes, F. Nicholson, N. Pocock, V. H. Pyne, S. Rigaud, S. Shelley, J. Varley, C. Varley et W. F. Wels. (2) Ses fondateurs, selon M. Chesneau, étaient : W. Cowen, James luge, T. Maisey, G. F. Phillips, J. Powel, V. B. $S. Tayler et T. Wageman. (3) Au second rang, après les artistes déjà nommés, nous devons citer, dans cette Société : G&. Lambert, Paul Sandby. M. A. Rooker, F. Weathlev, T. Hearne, J. K. Sherwin, F. Nicholson, J. R. Cozens, N. Pocock, T. Row- landson, J. C. Ibbetson, D. M. Serres, E. Davyes, J. Glover, S Howit, H. Edridge, J. Cristall, S. Owen, R. Hills, T. Girtin, J. Varley, J. S. Cotman, WW. Hawell, J. J. Chalon, W. Turner, L. Cleunel, S. F. Rigaud, G. F. Robson, F. Nash, R. Westall, E. Dorrell, H. Liverseege, G. Chambers, G. W. Shephead, J. M. Ince, W. Stanley, W. Oliver, Saustin, G. Cruiks- hank, W. Arches, S. Cook, W. Bennets, J. D. Harding, GC. Bentley, S. Rough. — 148 — À lexposition universelle de 1900, n’oublions pas les aqua- rellistes Allan, Aumonier et Rainey, MM. Alexander et Da- wy, avec leurs animaux, Lhermann, avec ses paysages, et les aquarelles de MM. East, Petersen, Peter Graham, Water- low, Parsons, Harry Hine, À. Hurt, Brown, Walton, etc. De tous ces peintres de l’école moderne anglaise, aucun n’est représenté dans la collection J. Gigoux et dans le mu- sée de Besancon. Aux inconnus anglais sont attribués dans le legs Gigoux : une copie à l’état d’esquisse d’une composition reproduite souvent par la gravure d'illustration, elle a pour sujet L’In- nocence représentée par une jeune fille, une enfant relevant ses jupes et présentant un fruit à un serpent qui se lève de- vant elle ; un Cavalier que, par euphémisme, nous qualifions de peinture fort médiocre, et un Paysage largement ébau- ché où, avec un fond d'arbres .aux branches tombantes, on remarque une italienne sur un âne, un chien et deux paysans dont l’un est assis dans l'ombre. Nous avons fini de constater la petite place qu’occupent au musée de Besançon les peintres de ce que l’on nomme Ecole anglaise. Mais d'autre part, si nous observons, comme nous l'avons fait, que les musées de France, sans en excepter celui du Louvre (1), n’en possèdent presque rien et qu’il en est de même pour ceux des autres pays, 1l nous faudra bien avouer que ces spécimens, si minimes qu'ils Soient, ne manquent point d'intérêt. Espérons que de généreux dona- teurs pourront accroître ce noyau et rendre moins insuffi- sante dans notre collection la part des peintres de la Grande- Bretagne. (1) Au Musée du Louvre, le catalogue indique aux inconnus de l'Ecole anglaise du commencement du xIxe siècle, sous le n° 4819, un Portrait d'homme, donné en 1882 par le journal l’Aré, et ce Musée ne possède en tout, y compris ce portrait, que vingt-cinq morceaux de l'Ecole anglaise. . — 149 — CONCLUSION A cette étude sommaire sur la peinture anglaise j’ajouterai quelques réflexions qui me semblent en dériver. Et tout d’a- bord, je ne demanderais pas mieux, afin de ne point donner prise au soupçon d’avoir d'injustes préventions nationales, que de rencontrer en Angleterre des maitres méritant de notre part une admiration égale à celle que les Anglais montrent pour notre Claude Lorrain ou notre Nicolas Pous- sin. En toute impartialité, je regrette de ne pouvoir constater chez eux aucun peintre qui vaille, je ne dirai certes point un Murillo, un Rubens, un Velasquez, mais les moindres maitres approchant de ces illustres représentants des écoles étran- gères. | À part le portrait, où se continue la manière de Reynolds, on ne trouve pas d'originalité dans lés productions qui ne se rattachent entre elles par aucun lien commun. Même en der- nier lieu, chez les préraphaélites, les différents peintres an- glais conservent chacun une manière individuelle, et ces in- dividualités ne sont filles d'aucune tradition qu’elles aient suivie. Elles ne sauraient être prises en bloc pour constituer ce que l’on appelle une école, et ce n’est que pour obéir à l’usage généralement adopté et pour être mieux compris que nous nous sommes servis de ces dénominations : école an- cienne, école moderne. Dans le genre du portrait, comme noùs venons de l’obser- ver, tous les peintres anglais se montrent influencés par la manière de Reynolds, suggestionné lui même par le style de Van Dyck. En ce dernier genre même, aucun de ces peintres ne peut être égalé aux vrais maitres des autres écoles, à Ti- tien, à Rubens, à Van Dyck, non plus que, pour le paysage, — 156 — au Lorrain et à Ruysdaël, leurs modèles de prédilection. Somme toute, on ne voit guère que les Anglais, malgré les plus louables efforts pour développer chez eux l'intelligence des beaux-arts, aient traité Jusqu'ici d’autres genres que le portrait, le paysage, les tableaux de genre et les animaux. On a dit que le protestantisme, prohibant la peinture religieuse dans les églises, a empêché ce peuple de se distinguer par les tableaux de haut style; que son puritanisme s’offusque de traiter des sujets empruntés à la mythologie ; on a allégué que le désir jaloux de conserver son originale et orgueilleuse personnalité ne s’accommoderait point des règles de la tra- dition classique. Il nous semble qu’en outre de ces causes, le tempérament posiuf des Anglais ne leur permet point de s'élever aux régions où brille la forme idéale. Leur dornaine est la peinture de genre, ou plutôt la peinture anecdotique. Ce n’est point celle qui nait du sentiment pittoresque, mais celle qui s'adresse plus à l’ingéniosité de l'esprit qu’au plaisir des yeux. Cest ce qui a dominé depuis Hogarth dans leur peinture et a détourné cetart du but auquel iledoittendre dé sa beauté spécifique. Par son livre, intitulé : Analyse de la beauté, Hogarth a contribué à répandre chez ses compatriotes des idées qui ne s'appuient parfois que sur des paradoxes. Nous ne parlerons pas ici de la caricature, à laquelle ils semblent prédestinés et où ils ont eu incontestablement du succes. On sait que, dans ces derniers temps, ils ont augmenté le nombre de leurs musées et multiplié leurs écoles d'art. Mais il est juste de remarquer qu'ils v recherchent pour profes- seurs nos artistes. C’est ainsi qu'après la guerre de 1870, Cazin accepta, sur les propositions qui lui furent faites par des Anglais, une place de professeur au musée de South- Kensington, en remplacement de celle que laissait hbre la mort de son ami Legros, un Français naturalisé. Leurs écoles sont fondées surtout au point de vue pratique de l’art appli- — 151 — qué, de l’art industriel, deux mots qui jurent de se trouver ensemble, L'art industriel, en effet, n’est pas de l’art; c’est seulement, pour des objets usuels ou de luxe, l’utilisation des idées, des formes et des couleurs que les artistes ont in- ventées et semées en tous lieux. L’artisan s’ingénie à les re- cueillir et à s’en servir, mais ce n’est pas dans son métier que réside l’art, ce n’est point là qu’il prend sa source, et on ne l’y retrouve que par imitation. Et d’ailleurs, dans les industries d'art, les Anglais sont peu serupuleux : ils Copient nos motifs et les fabriques an- glaises recherchent nos ouvriers. C’est à ceux des nôtres qui se sont fixés en Angleterre qu’elles doivent surtout leurs progrès. C’est ainsi qu’en 1867, la fameuse maison Minton enrôlait M. Solon Milles, de la manufacture de Sèvres : que la fabrique de Wedgwodd qui, s'inspirant du fameux vase de Portland au British Museum, fabriquait des vases imités de la poterie grecque où étrusque, employait, dans un genre alors tout nouveau, un artiste français, M. Lessore, et que dans l’orfèvrerie, avant des lois spéciales dont les Anglais ne se doutent pas, on trouvait le concours de deux artistes français, Wechte et Moreil-Ladeuil. Les Anglais, du reste, nous copient mème dans ce que nous copions « Le savoir -et le caractère forment seuls les vrais artistes », disait Maxime Du Camp. — « Dans l’industrie étrangère, on nous copie comme on parle notre langue, avec un accent étran- ger », écrivait M. Louis Reybaud en 1867. | « Niles musées, ni les écoles, — dit ce même critique - n'ont pu introduire dans leur goût ce que donnent seuls le tempérament et la race : le choix, la mesure, l'inspiration ». De même que l’éminent critique d'art, M. Paul Leroi, je tiens, du reste, pour barbare l’accouplement de ces deux mots : industries d'art ou arts industriels ; el si Je m'en sers c’est parce que, comme il le dit fort bien : « La badauderie incapable de comprendre que l’art est un, n’a pas seulement adopté cette locution erronée, mais a réussi à l’imposer et — 152 — que force est de s’en servir lorsqu'on désire être utilement écouté.» (1). Pour ne point mettre - qu’on me pardonne cette locution vulgaire — la charrue devant les bœufs, c’est à l’École des beaux-arts qu'il faut aller d’abord puiser l’enseignement de l’art, c’est cette Ecole qu'il faut encourager et élever le plus haut possible Les disciples qui sortent de ses leçons prennent ensuite chacun des routes différentes. Les uns de- viennent des artistes éminents et les autres choisissent leur voie dans l’industrie, comme font, par exemple, les sculp- teurs qui vendent leurs modèles aux orfèvres ou aux fabri- cants de bronze, comme font aussi les peintres qui des- sinent et peignent pour les fabricants d’étoffes et de tentures. L’initiation puisée à l'Ecole des beaux-arts, la notion des principes de l’art que nos écoles donnent aux jeunes géné- rations, comme le disait le regretté critique M. À. de Ca- lonne (2), « voilà le seul moyen de réaliser la beauté des po- teries, des meubles, des bijoux et de tous ces objets de boutique qu'il est de mode aujourd’hui d’exhiber dans les expositions de peinture et de sculpture, comme s’il était convenable d'élever les produits de l’industrie et du com- merce au niveau d’un art supérieur, » Nous savons bien qu’on à argué de l'impuissance des écoles en disant : l’art ne s’enseigne pas. D’accord ; mais ce qui peut et doit s’enseigner, c’est les principes. Il à fallu des siècles pour les trouver et découvrir les bases im- muables sur lesquelles ils reposent, et les révolutions les plus radicales dans l’art du passé l’ont toujours ramené à des lois primordiales initiales, à des renaissances athéniennes, comme celle qui, partant de Italie, succéda à Part du moyen-àge. Les principes ne sont un obstacle qu'aux fantaisies per- (1) L'Art du 28 novembre 1901, page 541. (2) Décédé en janvier 1902. — 153 — sonnelles d’individualités sans règle et sans code, aboutis- sant fatalement à la confusion que nous vovons régner parmi les impressionnistes, les symbolistes et autres fumistes con- temporains. On a beau répéter : l’art ne s’enseigne pas, et rappeler, comme on l’a fait, ce mot attribué à Eugène Delacroix : « On sait son métier tout de suite ou on ne le sait Jamais », on à beau prétendre qu'il suffit d’avoir un vrai tempérament d’ar- tiste pour savoir peindre où sculpter, il n’en est pas moins vrai que personne ne vient au monde avec une palette à la main et la manière de s’en servir. On a reproché à l'Ecole des beaux-arts de suivre la tradi- “onde l’antiquité grecque et de faire étudier le nu, alors que l'idéal de notre civilisation est tout à fait l'opposé de la civilisation grecque, qui fut paienne, L'idéal de ces anciens fut le beau physique. TES divinisaient la forme humaine pour représenter leurs dieux, ils avaient établi une métrique de la beauté, ce que Winckelman et d’autres adorateurs de l'antiquité appelèrent le Beuu-canon. Tant de longueurs de têtes dans le corps, tant pour les bras, les jambes ou le torse, ete. Cet idéal du Beau n’est point celui du monde chrétien qui place la beauté dans l’âme et non plus dans le corps, et il en résulte que, nous dit-on, les artistes de la Renaissance ita- lenne ont eu grand tort de suivre la tradition païenne des anciens grecs. Pour le chrétien, la beauté est toute morale, et cette beauté ne se manifeste que par l’expression des figures qui révèle les beautés de l’âme. Mais il est certain que l’expression n’est point la beauté. On dit d’une expression qu'elle est belle, et c’est, par cela même, reconnaitre que l’expression et la beauté sont deux choses distinctes. Il ne faut point les confondre. La beauté est chose indéfinissable : on l’attribue à nombre de choses différentes entre eiles. On dit qu'une composition, une harmonie de couleurs, où il — 154 — leur contraste, que le dessin, que la forme ont de la beauté, et s’il fallait donner quelque préférence, c’est la forme qui aurait le prix dans les beaux-arts. La forme unie à la couleur est largement suffisante pour la production d’un chef-d'œuvre en peinture. Le statuaire a seulement besoin de la forme, et c’est pour ce motif que la sculpture antique n’a jamais eu de rivale. Or, selon que l’on emploie tel ou tel art, les moyens employés varient. S'il est possible à lécrivain.en se servant des signes conventionnels de la langue écrite ou parlée de montrer cette invisible beauté de lidéal chrétien dans un être difforme, Quasimodo par exemple, ou sous les dehors d'un masque faunesque comme celui de Socrate, il n’en est pas de même pour le peintre ou le sculpteur dont le langage estla forme mème La pureté de éme, Sa SéremiIes< on trouble, sa joie ou ses douleurs, le peintre et le sculpteur n’ont pour les expriner que la pureté, la sérénité, la gaité ou la tristesse de la forme. Si les Grecs ont, par de belles formes représenté l’image de leurs dieux, pourquoi lartiste moderne, se servant des mêmes moyens, n'arriverait-il point à exprimer la beauté morale ? Nous accordons volontiers que le corps n’est point tout, mais enfin il n’est pas rien : ne peut-il donc plus deve- nir la manifestation de l’âme ? Sous prétexte que, comme on l'a dit, la beauté physique est contraire à légalité, que c'est un privilège, il s’est trouvé des hommes qui ont voulu la bannir des œuvres d'art, afin, disent-ils, de démocratser Part. Il en résulterait que, jamais plus, les producüons de Part ne seraient d’un bel exemple, ne pourraient être suggestives d’un idéal, puisqu'elles ne de- vraient pas dépasser un niveau commun. Sans cesser d'admirer les chefs-d’œuvre de l’art antique, nous reconnaissons toutefois que nous ne devons pas nous laisser entièrement influencer par eux. Mais il nous est loi- sible de nous servir des moyens qu'employaient leurs au- — 155 — teurs pour exprimer de grandes choses, différentes de celles que disaient les anciens, tout en nous gardant de nous appli- quer un idéal qui n’est point le nôtre. Nous admettrions volontiers que l’on accordât à lPétude du nu une moins grande importance, et que lon enseignât mieux l'étude de la couleur aux peintres, car, contrairement à ce qu’on accepte trop facilement pour vrai, l’on peut deve- nir coloriste, ou du moins harmoniste, par lPéducation de l’œil toutes les fois que cet organe est dans son état normal, et l’on peut apprendre à composer Pelfet d’un tableau. Quand même on aurait naturellement les meilleures apti- tudes pour être arüste, 1l est nécessaire d'apprendre à voir et à bien voir, et c’est pour cela que les écoles de beaux-arts sont nécessaires. Elles le sont, non point pour enseigner l’art, mais les principes, les bases sur lesquelles tout art _S’appuie et la méthode qui sert à ne point s’en écarter, en nous exerçant à reproduire la nature chacun selon notre tempérament, On s’est encore servi de cet argument contre ces écoles, que tous les grands artistes furent profondément indivi- duels. Par exemple, dans ce que l’on a dénommé assez im- proprement l’école anglaise, on a cité Gainsborough, Cons- table, Reynolds, Lawrence, Hogarth, Turner, Romney, qui, à eux seuls, représentent toute l’ancienne école des peintres de la Grande-Bretagne. Il est pourtant vrai de dire, comme nous l'avons fait, que Reynolds, Lawrence, Gainsborough et tous les portraitistes anglais, plus ou moins, mais ceux-là surtout, s’inspiraient de Van Dycket de Rubens, et Turner de même pour Claude Lorrain dont il fut un mmitateur plus ou moins déguisé. Res- tent Hogarth, moraliste mais pas peintre, se servant de la peinture comme il se fût servi de la parole, pour représenter une morale en action, et Romnev, dont le réalisme s’est ins- piré de la vieille école flamande. Les Anglais, race peu arliste, ont toujours procédé par — 156 — imitation, comme dernièrement encore les préraphaélites avec, à leur suite, Madox Browne, Burne Jones, Rossetti, etc., procédant de l’art italien primitif. Chez leurs peintres contemporains il v a, pour un grand nombre, anarchie ou imitation; les individualités ayant quel- que valeur sont rares, presque absentes. On a cité comme argument contre l’enseignement de notre Ecole des beaux-arts, les romantiques de 1830 et les hommes de génie qui brillèrent ensuite : Corot, Delacroix, Millet, Diaz, Courbet, Théodore Rousseau, Barye, Troyon, Daubignv, en faisant observer que pas un d’eux ne sortait 1e. CEE ÉCOE. On trouve pourtant facilement d’autres noms illustres à opposer à ceux que nous venons de citer : Ingres, Hippolvte Flandrin, Bouguereau, Hébert, Henner, Delaunay, Achille Benouville, Gustave Boulanger, Baudry et tant d’autres qui se formérent à cette école. Constatons en terminant que chaque art a.sa langue qui Jui est propre. On ne saurait bien parler cette langue si l’on n’en à pas d’abord étudié la grammaire. — 1957 — BIBLIOGRAPHIE ABOUT (Edmond) : Voyage à travers l'Exposition des Beaux-Arts, 1855. BABEAU (Albert), correspondant de l'Institut : Le Louvre et son histoire. BurRGER (William) : Thoré, dans la Vie des Peintres de toutes les Écoles, de Ch. BLANC; — Trésors d’art en Angleterre. Paris, veuve Jules Renouard, 1855. À DE CALONNE, dans ses articles de critique d’art : passim. CARTWRIGHT (Julia) : Biographie de Burne-Jones, dans la Gazette des Beaux-Arts des 1° juillet et 4e" septembre 1900. CHESNEAU (Ernest) : La Peinture anglaise. Paris, À. Quantin. 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Page 62, ligne 27, au lieu de enroulée, lire entourée. Page 91, ligne 10 des notes, au lieu de Ibbetson, lire Ibbertson. Page 9, ligne 17, au lieu de dans un genre, lire dans ce genre. 158 = Les lettres R. A. indiquent les membres de la Royal Academy. Les chiffres renvoient aux pages. ù A Adams (J. C.), 137. Aïkman (W.), 68. Alexander, 148. Allan (sir William) R. A., 130, 148. Alma-Tadema (L.) R. A., 145. Allston (W.), 104. Arches (W.), 147. Aumonier (J.), 137, 148. B Barker (T. J. H.), 58, 131, 136. Barlow (Fr.), 145. Barnard (F.), 133. Barye, 156. Barry (J.) R. A., 81, 82, 83, 88, 110. Barret (Cr) AR "A" 147. Batten (John), 138. Baudry (P.), 156. Beechey (sir W.) R. À., 85, 119. Beechey (sir G.), 85. Beck (D.), 63. Beerstraeten, 65. Benedetto Gennaro 64.. Bennets (W.), 147. Benouville (Ach.), 156. Bentley (C.), 147. Berge (De la), 109, 121. Bird (Edward) R. A., 130. Bonnat, 58. Bonington, 58, 96, 105, 106, 107, 110. Botticelli, 119, 126. Bougton (G. H.), 134. zouguereau, 129, 145, 156. Boulanger (G.), 156. Buckshorn, 66. Burnes (Jones), 124, 195, 126, 158, 156. Burgess, 133. Buss, 107. Blake (mistress), 73. Blake (W.), 81,85, 87,110, 122, 146. Braithwaite-Martineau, 132. Branley, 135. Brangwin (F.), 139. Brett (H. J.), 140. Briton: Rivière R. A., 140. Brown, 148. € Calderon (Ph.) R. A., 155. Callcott (sir A. W.) R. A., 98, 110. Carpaccio, 126. Cattermole, 142. Cazin, 150. Collier, 138. Collins (W.), R. A, 103, 110. Constable (J.) R. A., 58, 95, 96, 97, 98, 110, 113, 155. ones (le oo) 62. Corot, 137, 196. Cook (S.), 147. Cotman (J. S.), 99, 110, 145, 147. Cowen (W.), 147. Cox (D.), 147. Cooper es S)MRRAE, Cozens (J. R.), 95, 145, 147. Chalon (J. J.) R. A , 147. Chambers (G.), 147. 108, 139. — 159 — Chéron (Louis), 66. Chardin, 86. F Claude Lorrain, 93, 94, 149, 150. Faed (Th) AR: A., 132. Cleunel (L ), 147. Falconer Poole R AN 7199. Courbet (Gustave), 117, 156. Ferg (Paulus), 68. Crawhal, 140. Fielding (Coplev), 146. Cresswick (Thomas), R.A.,108,110. Filde(E.)/133: Cristall (J.), 146, 147. Fisk (W. H.), 118, 119. Crome (J. B.), 90, 104, 110. Forbes (S. A.), 139. Crome (Old), 90, 110. Fuge (James), 147. Cruikshank (G.), 147. Fusely (Henri) R. A., 82, 88, 98, Chevalier Taylor, 138. 110: Christie, 135. Flandrin (Hip.), 156. D (x Dahl (Mich.), 68. . Gainsborough (Th,) R. À , 58, 6à, Daubigny, 137, 156. 74,77, 78, 80,81, 85, 90, 110, 115, David (Louis), 112. 115, 140, 155: Dawy, 148. Gandy (James, 63. Dayes (E.), 147. Gaspars, 66. Delacroix (Eug.), 99, 106, 130, 153, Gaskyn (A. J.), 138. 156. Gawdie (sir John), 66. Delaunay, 156. Geldorp (G.), 64. Denner (Balthazar), 68, 121, 141. Gentileschi (Hor.), 6#. Desgoffes (BL), 141. Gericault, 89. Desportes, 66. Gervas (Ch.), 68. Diaz (N.), 156. Gibson (les), 66. Dickmans, 151, Gibbs (H)., 140. Dixon, 66. Gigoux (Jean), 58. Dobson (W.) R. À., 64. Gilbert (sir John) R. À , 133. Dodd (A. C.), 137. Gilpin (W. S.), 147. Dorrel (E.), 147. Girtin (Thomas), 94, 145, 146, 147. Duval (Ph.), 66. Glehn (de), 128. Goodal (Fred.) R. A.. 129. . Gotch (Th. Cooper), 134. East, 148. Gleyre, 198. East-Lake (CG. Lock sir) R. A., 130, Glover (J.), 147. Edema, 6. Graham (Peter), 148. Edridge (H.), 147. Graham (Thomas), 140. Edwards (Edward) R. A., 95. Graham (John), 100. Eikart, 73. Grant (sir Francis) R. À , 134. Ellis (Edwin), 137. Gravelot, 80, Engelbrechtsen, 62. Green (M. C.), 133. Erskine Nicol, 132, Greenhill, 66. Etty (William} R. A., 102, 103, 110. | Gregory (M. E. I.) R.A., 134. — 160 — Griffier (Jean et Robert), Gs. Gros (J. A.), 106. H Hacker, 135. Hague (Louis), 143. Hamilton (sir W.), 140. Hanneman (Adrian), 63. Harding (J. D.), 147. Hardy (T. B.), 140. Hare de Glazebrouk, 135. Hawel (W.), 147. Hayllard, 133. Hayman (Fr.) R. A, 68. Hearne (T.), 145, 147. Herkomer (H ), 13%, 145. Hébert, 146. Heere (Lucade), 62. Henner, 156. Hilliard (N.), 62. Hills (R.), 146, 147. Hine (Harry), 148. Hoock (J. C.) R. A., 140. Holbein (H.), 61. Holl (F.), 13%. Hondius (Abr.), 65. Honthorst (G.), 64 Hopkins (A.), 134. Hoppner (John), 87, 110. Hoppner (L.), 58. Hogarth (W.), 63, 69, 70, 74, 78, 100 M0 AS 150155: Horrebout (G. L.), 61. Holworthy (J.), 147. Howard, 130. Howit (S.), 147. Howland Beaumont (sir Georges) RAP RS TA HIO} Huet (Paul), 106. Hudson (Th.), 68. Hunt (H.), 148, 119, 120, 121, 122, 126, 148. Hunt (W.), 147. Hunter (Colin), 140. Hurlstone, 109, 110. I Ibbertson (J. C.), 87, 83, 110, 147. Imperiale, 72. Ince (I M 147 Ingres, 156. J Jameson (G.), 63. Johannot (Tony), 86. Jones (G.) R. AÀ., 130. K Kate (Cornelis), 62. Kate Burne (miss), 138. Keerink (Jacob), 64. Kent (W..), 67. Kennet, 142. Knapton (G.\, 68. Kneller (Godefroy et Zacharie), 67. L Ladbrooke (Henry), 109. Ladbrooke (R.), 109, 110. Lafosse (Ch. de), 66. Laguerre (Louis), 67. Lambert (G.), 147. Lance (G..), 107, 110. Landseer (sir Edwin) R. A., 9, 10; Largillière (de), 56. Lavery, 135. La Thangue, 138. Lawrence (sir Thomas) R. A., 63, 85, 90, 91, 99, 106, 110, 113, 115, 140, 15% Lawson (Cecil), 137. Lefèvre (Claude), 66. Lefèvre (Roland), 66. Legros, 150. Leigton (lord F..), 129, Leslie (Ch. Robert) R. A., 104, 105, 110, 137, 140. Leslie (G. D.), 135. Lessore, 151. mr Lewis (Ch.), 137, 147. Lievens, 64. Lindner Moffat, 139. Lindner, 140. Linnel, 137. Lippi (Fr.), 419. Liverseege (H ), 146, 147. Lorimer, 135. Loudan (Jack), 135. Lhermann, 148. M Maas (Dirck), 65. Mac Kewan, 142. Mac Leay, 142. Maclise (Daniel, R. A.,101, 108, 110. Madox Browne, 124, 195, 156. Maisey (T.), 147. Mark (Gérard), 62. Martin (D.), 73, 86. Martin (John), 104, 110. Martins (le chevalier de), 140. Metzu, 133. Mignard (Paul), 66. Milès (Franck), 137, 140. Millais, 140. Millais (John-Everet) R. A., 135, 137, 138. Millès (Solon), 151. Millet, 156. Monticelli, 94. Mor ou Moro (Antoine), 62. Morgan (Ev. de), 138. Monnoyer (J. B.), 66. Moreil-Ladeuil, 151. Morland (George), 81, 88, 89, 90, 110. Morris (P. R.), 134. Mulready (W.) R. A., 101, 102, 110. Murillo, 149. Mutens (Daniel), 63. N Naish (J. G.);: 140. Napier (C.), 140. Nash (F.), 147. Nasmyth (Peter), 103, 110. Nattes (TJ. C.), 147. Netscher (G. et T.), 65. Nichelson {F.), 147. Northcote (James) R. A, 83, 110. 0 Oliver (I }, 62. Oliver (W.), 147. Opie (John), R. AÀ,, 88, 89, 110. Orchardson (W. Quiller), 132, 133, 134, 145. Otto-Venius, 115. Ouless (W.) R. A., 134. Owen (G.), 147, Owerbeck, 116. P Paris (Jean de), 62. Parmentier (Jacques), 66. Parton (Ernest), 137. Parsons, 148. Payne (W ), 145. Peacock (Ralph.), 134. Penni (Luca), 61. Pettersen, 148. Pettie (sir John) R° A), 193. Pesne (Ant.), 66. Pickerins (JL) 437. Pinwell (G. J.), 134. Pocock (N.), 147. Poëlenburg (C.), 64. Pot (Hendrick), 64. Powel-Frith (M. W.), 133. Powel (J.), 147. Poynter (sir Edward), 129, 130. Philips (G. F.), 147. Poussin (Nicolas), 149. Princeps (W.), 128. Prout (Samuel), 147. Puvis de Chavaunes, 195. Pyne (V. H.), 147. — 162 — R Raeburn (sir Henry) R. À, &6, 87, 110. Rainev, 148. Ramsay (Allan), 72, 74, 76, 110. Raphaël et son école, 117, 118. Reid (John R.), 135. Reinagle (Ph.) R. À , 73. Reynolds (sir Josuah) R. À., 58, 63, 72, 75, 78. 81, 90, 91, 110, 113, T5, 140, 149, 155. Rembrandt, 67, 99, 135. Richards (John Inigo) R. A., 140. Richardson (J.), 68. Rigaud sir F.) R. A., 147. Riley (John), 66. Roberts (David) R. À., 105, 110, Robson (x. F.), 146, 147. rkomnevy (G.), 80, 110, 155. Rooker (Mich. Ang.) R.A., 145, 147. Rossetti (Dante Gabriel). 125, 127, 198, 156. Roth, 73. Rothenstein, 135. Rough (G.), 147. Rousseau (J.), 66. Rousseau (Théodore), 137, 156. Rowlandson (T.), 147. Rubens (P. P ), 63, 67, 113, 141,149. Ruysdaël, 150. S Sadler, 66. Sandby (Paul) R. A., 147, Sandrart, 64. Sargent, 145. Saustin, 147. Seghers (Gérard), 64. Serres (D: M.) R° A, 147. Singleton, 130. Solimène, 72, Solomon, 130, 138. Southall, 138. Schadow, 116. Scott (David), 1430. Shannon (Ch. H.), 134. Shelley (S.), 147. Shepphead (G. W.), 147. Sherwin (J. K.), 147. Smirke :R.) R. A., 83, 84, 110: Smythe (Lionel). 139. Stanley (W }), 147. Stark (James), 99, 105, 110. Stevens (Palamède), 6%. Soest (Gérard), 66. Stokes (Adrien!, 139. Stoop (Dick), 65. Stone (H.), 63. Stone (Marcus), 134. Stothard (Thomas) R. AÀ., 85, 86,146. Strudwick, 138. Swan, 139. Li Laver (VB ,S:), 4e Terburg Gérard), 64, 133, Tilson (H.), 66. Titien (Vecelli, dit le), 76, 91, 149. Tissot (James), 119. Todd (J: G.), 137. Tomson, 137. Torrentius, 6%. Toto della Nunziata, 61. Turner (J. M. W.) R. À., 58, 92,95, 9%, 95, 110, : 143, 115, 116, 124, 146, 147, 155. Thornhill (James), 67, 74. Tronillebert, 144. Troyon (C ), 137, 146, U Uwins (Thomas) R. À, 98, 110: N Vanderbanck (Jean), 68. Van Bloemen (N.), 65. Van Ceulen (Cornelisz Janson), 62. Van Cleef, 62. — 163 — Van Dyck, 63, 65, 75, 78, 91, 113, 140, 141, 149. Van Dyck hollandais (le), 73. Van der Eyden, 66. Van der Faës, 65. Van Heemskerek (Egbert), 65. Van Hoogstraëten, 65. Van Huysum, 65 Van Lemput (Remigius), 63. Van Loo (J. B.), 66. Van der Meulen (Pierre), 65. Van Ostade, 99. Van der Plaas, 65. Van Reyn (J.), 63 Van Somer (P.), 62. Van Stalbent, 64. Van de Velde (Pierre), 62. Van de Velde (Wilhelm), 64. Varley (C.), 147. Varley (J.), 147. Velasquez, 68, 149. Merelst (S.'et FH), 65. Vernet (Horace), 131, 134. Vernet (Joseph), 74. Vernon (A. L.), 136. Verrio, (Ant.), 67. Veesop, 63. Vesperies, 73. Vicat Cole, 137. Vigée-Lebrun (Me), 81. Vincent (George), 108, 110. Vinkeboom, 6. LA Wageman (T.), 147. Walker (Fréd.), 133. Walker (Robert), 64. Walton, 148. Watteau, 66. Ward (James) R. A., 130. Waterlow, 148. Watson, 137. Watts (G.) R. A., 126, 131, 139. Weatley (F.), 147. Wechte, 151. Wels (W. F.), 147. West (Benjamin) R. A., 81, 82, 88, 10%, 110. Westall (R.) R. A., 90, 110, 147. Wilkie (David) R. A., 86, 99, 100, LOL MO ATS: Wilson (Richard) R. A., 74, 110. Wissing, 66. Wouters, 64. Wright (Joseph) R. AÀ., 105, 110. Zeeman (les), 65. Zuccarelli (F.) R. A., 74. Zucchero (F.), 62. PE SAINT-SUAIRE DE BESANCON ET SES PÉLERINS Par M. Jules GAUTHIER SECRÉTAIRE DÉCENNAL Séance dut 13 mar 1805 Si, depuis deux mille ans, Besançon garde la réputation d’une ville pittoresque, il le doit, surtout à présent, à son heureux site, aux montagnes verdoyantes qui lenserrent, au Doubs qui le traverse et aux superbes rochers de sa cita- delle, bien plus qu'à ses médiocres monuments. Il n’en a pas toujours été de même et l’on peut juger du tort que les transformations modernes ont fait ou font encore à notre ville, en parcourant les peintures ou les estampes qui nous ont conservé le panorama du vieux Besançon (1). Sur ces plans la cité impériale apparaît, au temps de son indépendance, partagée comme aujourd'hui par le même ré- seau de grandes voies, maintenue par la même ceinture de remparts ; mais ces remparts épaulés d’un grand nombre de tours n’ont pas encore été nivelés par les inflexibles calculs de Vauban ; ces voies sont bordées de maisons étroites à pi- onons et à tourelles élancés, construites moitié de pierre, moitié de bois. Des fontaines et des puits sont creusés de (4) Voir notamment les gravures de 1552 (Munster), de 1575 (Hogen- berg). 1618 (Spirain), les tableaux de 1615 (S. Brulev), 1629 (N..), 1692 (Bourrelier), ces derniers conservés au Musée archéologique de Besançon. — 165 — distance en distance, au milieu ou au bord des rues, pareils aux puits et aux fontaines que Berne, Neuchâtel, Fribourg gardent encore. Sept églises, vingt-cinq chapelles de cou- vents, d’ermitages ou d’hôpitaux, sept ou huit palais, de hauts donjons flanquant des demeures féodales, élèvent au- dessus des maisons particulières une masse de hautes toi- tures brillantes, de clochers et de flèches sans cesse ébran- lées par d'innombrables sonneries. Au pied de la montagne que lPantiquité avait appelée le Mont Coelius, en la couron- nant d’un panthéon, la ville municipale vient s'arrêter de- vant l’arc de triomphe de Porte Noire, qui sert de seuil et de clôture à la ville ecclésiastique, c’est-à-dire au chapitre métropolitain. | Entre les deux cathédrales, Saint-Jean, construit à la base de ia montagne près des cloîtres du palais archiépiscopal, et Saint-Etienne, bâti sur lacropole, auprès des ruines d’un temple romain, S'étage tout un quartier sur les bords du che- min raboteux qui monte en serpentant à travers les flancs du Coelius. Arrivé au sommet, à l'endroit précis où s'ouvre maintenant l’entrée de la Citadelle, une esplanade s'étend entre le clocher de la cathédrale Saint-Etienne et les deux églises de Saint-André et de Saint-Michel occupées et des- servies par des suppôts du chapitre. Du cimetière avoisinant, dont l'emplacement dominant la ville ét regardant le nord, rappelle le: cimetière fameux qui domine Florence et sur- veille l’Apennin des hauteurs de San-Miniato, la vue em- brasse un horizon superbe et immense, ouvert sans limite vers le confluent de la Saône et de l'Ognon. Pénétrons dans cette seconde cathédrale : aussi vaste que celle de Saint-Jean, elle comprend. outre trois nefs, une dou- zaine de chapelles, un transept et une abside éclairée par les rayons du soleil levant. On y compte par centaines les tombes et les épitaphes des archevèques et des chanoines, par la coutume, de fixer leur sépulture dans celle des deux basiliques dont les portiques sont plus voisins du ciel. La obligés, 4160 1 décoration de cette église, la plus célèbre, la plus ancienne et l’une des plus belles de la région, est digne de ses ori- gines, Entre Saint-Etienne et Saint-Jean, quarante-cinq cha- noines, appartenant à l'aristocratie de la naissance ou de l'esprit, vivent et circulent, desservant tour à tour chacune des deux églises. Des revenus suffisants puisés dans les vastes domaines dont ils sont seigneurs prébendiers, des distributions journalières de pain et de vin fournies par les greniers etles celliers capitulaires, assurent leur existence. Isolés chacun dans une habitation particulière, nantis, outre leur prébende, de quelque gros bénéfice, obtenu par d’heu- reuses influences, ils sont aidés dans les offices canoniaux par tout un essaim de chapelains, de familiers. de chantres et de choriaux, qui, avec le personnel de lParchevêché, complè- tent la population de ce quartier ou plutôt de cette ville ecelé- siastique. En face de la ville municipale, où, dans l'hôtel consisto- rial siège un conseil de vingt-huit co-gouverneurs élus, le chapitre métropolitain se dresse fièrement, prêt à supporter le choc du flot démocratique qui bruit aux pieds de la mon- tagne. Longtemps l'archevêque et l’église de Besançon ont été les seuls seigneurs de la cité; mais, depuis le x1r1° siècle, où, par lPappui bienveillant mais non désintéressé des empe- reurs, la commune naissante a reçu ses premières franchi- ses, l’église et le peuple, l'hôtel de ville et le chapitre ont été sans cesse en guerre. De même que de pôles contraires se dégage un courant magnétique, de même de cette hostilité permanente de la commune et des chanoines sans cesse en contact ou en lutte, résulte une vie intense et une activité souvent féconde en résultats excellents, quoique inattendus. Tout était matière à querelle, tout devenait matière à ré- conciliation et à rapprochement. Les fléaux, les calamités pu- bliques, réunissaient maintes fois, dans une action commune — 107 — et une union sincère, les ennemis de la veille. En temps de guerre, chanoines et citoyens gardent les remparts, et lhis- torien Girardot de Nozerov raconte qu'il prit plaisir à voir les prêtres, en robe courte, porter gaiement et d’un air résolu le mousquet de soldat. En temps de peste, les chanoines, non contents de provoquer des prières et des processions publiques auxquelles les bourgeois s'associent sans absten- tion, distribuent des secours, paient les médecins et les fossoyeurs. Enfin à toutes les fêtes, grandes ou peutes, les deux ca- thédrales rivalisent pour faire entendre aux Bisontins soit ia meilleure musique, soit les plus longs sermons, et ce qui plait davantage encore au populaire, pour ajouter à l'office régulier des plus grandes solennités quelqu'un de ces drames liturgiques, qui ont été dans notre vieille Gaule le ré- veil des représentations théâtrales. C'est ainsi que, durant la Semaine sainte et à Pâques, le drame de la Passion et celui de la Résurrection sont repré- sentés dans nos mères-églises avec un grand luxe d’orne- ments et de décors; qu'à PAnnonciation lAnge Gabriel, un enfant de chœur muni d'une paire d'ailes, descend attaché par une corde à travers la grande voute de Saint-Jean, pour _ venir réciter à la Vierge modestement agenouillée, les mvs- térieuses paroles de l’Ave Muria. À PEpiphanie, les Rois Mages, dont l'un transformé en nègre eut toujours les pré- férences de la foule, apportent leurs présents à la crèche du Sauveur en chantant des hymnes farcis de latin et de français qui deviendront plus tard des Noëls. Enfin, au jour des Saints Innocents, après l'occupation tumultueuse des hautes formes des stalles par tout le personnel du bas chœur {choriaux, familiers et chantres), toute une cavalcade, étrangement costumée, de chanoines, de chapelains et d’enfants de chœur, escorte, à travers les rues de la cité. le pape, le cardinal, l’évêque et labbé des fous, en chantant ce verset du Magnaificat : Deposuil polentes de sede…. , qui restera la for- _h mule démocratique jusqu’à la consommation des siècles (1). Ce fut une représentation de ce genre qui, en 15923, donna naissance à une dévotion populaire qui devait, durant près de trois siècles, jouir en Franche-Comté et même au dehors d'une faveur prodigieuse. Au mois de mars de cette année, le chapitre de Besançon, désireux de faire représenter le mystère de la Résurrection aux prochaines fêtes de Pâques, en rétablissant une coutume tombée dans l’oubli, envoyait chercher à Dijon le texte de te Mystère liturgique. Quelques jours après, par l’ordre des chanoines, on faisait confectionner un coffret muni d’une triple serrure et d'une triple clé, pour renfermer, dit notre plus ancien texte « le suaire ou linceul qu’il était d'usage de montrer en représentant le mystère du Jour de Pâques », et l’on donnait au marguillier, chargé de sa garde, l’ordre de ne jamais montrer ce suaire à personne, sans la présence de deux ou trois membres du chapitre. D'où venait ce suaire, qui n’est mentionné nulle part dans les plus anciennes chroniques de la cité et qui, en 1525, n’é- tait encore considéré que comme un accessoire uüle du drame de la Résurrection ? L'histoire est muette, une tradition prétend qu'on lPavait retrouvé, par hasard, dans un recoin de sacristie d’une des cathédrales ; en tous cas le premier document authentique qui le mentionne est celui que je viens d'analyser (®). Au moment où l'assistance. pénétrée d’une religieuse émo- tion, voyait les saintes femmes pénétrer dans la grotte du Saint-Sépulcre et où un ange apparaissant en pleine lumière leur montrait le tombeau vide et prononçait les paroles : Surrecit, non est hic, deux ou trois acteurs, des apôtres ou disciples, déplovaient et montraient au peuple le suaire du (1) Voir La Fête des Fous au chapitre de Besançon, par J. GAUTHIER (Bull. de l'Académie de Besancon, 1876-1877). | (2) J'ai donné ce texte dans mes Notes iconographiques sur le Saint- Suaire de Besançon (Bull. de l’Acad., 1884). — 169 — Sauveur, une fine toile de lin, longue de huit pieds, large de quatre, sur laquelle était reproduite en jaune pâle l'effigie du corps divin. Cette ostension terminait le Mystère, et le peuple s’écoulait, recueilli, hors de l’église, non sans avoir offert, pour les frais de la cérémonie, quelques menues aumônes, entre les mains des fabriciens où marguilliers. La représentation du 5 avril 1523 avait eu un prodigieux succès, on la recommença à l’Ascension suivante, puis Île 3 août, Jour de lInventucn du bras de Saint-Etienne, en déci- dant qu'à l'avenir on la renouvellerait trois fois Pan à pareilles dates (1), “était l'heure où la Réforme, audacieusement prêchée en Allemagne, commençait à gronder aux frontières de la Fran- che-Comté et à grouper tousles ambitieux, les déclassés ou les mécontents de la Souabe, de l'Alsace et de la Lorraine ; la guerre des Paysans commençait. Une de leurs bandes vint se faire écraser à Ternuay, au pied des Vosges, par la no- blesse comtoise, que l’énergique appel de Philiberte de Lu- xembourg, princesse d'Orange et gouvernante du pays, ainsi que du clergé bisontin, avait armée. Maisles idées nouvelles germaient partout et presque partout gagnaient du terrain ; Bâle, Neuchâtel, Monthéliard étaient de gré ou de force en- _traîinés dans l’hérésie ; un cercle de fer étreignait la province et semblait devoir l’étouffer. La volonté inflexible de lempe- reur Charles-Quint, rigoureusement traduite par le bras de ses lieutenants et les édits du parlement de Dole, le dévoue- ment obstiné des Bisontins et des Comtois à leur souverain aussi bien qu'à la religion de leurs ancêtres, la fermeté des archevêques et de leur clergé triomphèrent, après cinquante années de lutte, des tentatives dix fois renouvelées, des in- trigues sans cesse entretenues des prédicants et des hugue- nots allemands, français et suisses. Mais, chose étrange et (1) Cette délibération du 8 août 1523 est insérée dans le mème travail, p. 6. — 170 — qui n avait pas encore été relevée, le suaire mystérieux re- trouvé à Saint-Etienne, inconnu hier encore et que déjà la vénération publique nommait le Saint-Suaire et proclamait une relique des plus insignes, devint le pivot de toutes ces résistances, le bouclier qui préserva Besançon et, par lui, tout le libre Comté de Bourgogne, de l'introduction d’une Réforme dans laquelle la conscience de nos aïeux n’hésitait pas à reconnaitre et à combattre une hérésie et un déshon- neur. Du moment où 1l fut considéré comme une relique, le Saint-Suare devait occuper une place des plus honorables ; on l’avait conservé Jusque-là sous une triple clé dans la sa- cristie de Saint-Etienne ; on le porta en 1528 dans la plus belle des chapelles latérales, bâtie au côté droit du transept, sous le vocable de saint Maimbæuf, par les comtes de Mont- béliard de la maison de Montfaucon, Ornée de statues par le chanoine Henri Garnier, qui l'avait dotée d’un retable, encore existant (1), fermée par des grilles dorées aux frais du cha- noine Montrivel, cette chapelle va devenir le sanctuaire le plus fréquenté des deux Bourgognes, On place dans un ta- bernacle spécial l’écrin d'argent armorié que le chanoine Des Potots vient d'offrir pour renfermer la précieuse relique ; à ce moment, l’official de lParchevêque, le chanoine Léonard de Gruyères, tombe gravement malade et demande comme grâce suprême que le Saint-Suaire soit apporté dans sa de- meure. On condescend à son désir, et sa guérison, partout ra- contée, est réputée miraculeuse et achève de dissiper les doutes que quelques incrédules osaient encore exprimer (2). Aussi, quand reviennent les jours d’ostension solennelle, les pèlerins affluent. En 1533, à l’Ascension, 30,000 pèlerins étrangers à la cité l’envahissent et les boulangers déclarent (1) Ce rétable, en pierre, style Renaissance, est encastré dans le collaté- ral droit de la cathédrale Saint-Jean, derrière la chaire. (2) Délib. municip. de Besançon, 1535, p. 315. — A71 — qu’en vingt-quatre heures ils ont vendu 55,000 petits pains, a un lard pièce (1). Cette affluence incroyable est pour la ville le signal d’une prospérité sans exemple, pour le chapitre une bonne fortune qui rehausse singulièrement sa réputalion el son Influence, enfin, pour la foi qui se manifeste avec une ardeur crois- sante, un stimulant des plus actifs. La réconciliation au moins temporaire des chanoines et des citoyens met une trêve à leurs querelles intestines, et les gouverneurs de la cité, désireux d'affirmer leur haine des nouvelles doctrines, offrent en 1537 au légat du pape de recevoir à Besançon le concile général que l’on réunira bien- tôt : ce devait être le fameux concile de Trente. L’arcnevêque Antoine de Vergvy, surpris dans son château de Gy par une attaque d’apoplexie, invoque le Saint-Suaire ; la paralysie cesse, et, bientôt, le prélat guéri vient en grande pompe remercier Dieu dans sa cathédrale, où désormais une statue orante conservera la mémoire de lévènement. Après les gens du peuple, qui de toute part affluent aux jours d’os- tension publique, les princes et les gentilshomimes, les villes et corporations qui obtiennent une ostension parliculière, se recommandent à leur tour à la protection du Saint- Suaire (2). | En 1544 la peste éclate, le Conseil communal se réunit et voue la cité de Besançon, en suspendant auprès du Saint- (1) Ce fut ce chanoine Léonard de Gruyères, archidiacre de Salins, qui. « mûù par une dévotion particulière envers la Passion », demanda que le Saint-Suaire soit placé dans un endroit en évidence, proposant qu'on enle- vat les statues de bois qui étaient placées sur lautel de saint Maimbæuf et qu’on plaçat dans l'intérieur du retable offert par feu Henri Garnier la cas- sette contenant le précieux linge ( Délib. capitul., 31 sept. 153%). (2) Pour ce détail et ceux qui suivent, consulter les Délibérations capilu- laires 1523-1590 (Archives du Doubs); — J.-J. Guirrzer, De linteis Sepul- chralibus Christi servatoris crisis his'orica, Anvers, 162% et 1GSS; — — Dunon, ist. de l’Église de Besançon, 1750, L, 401-325; — Vie des Saints de Franche-Comté, IV, 518. — 172 — Suaire un tableau de cire en relief qui la représente. La peste s'éteint, malgré les chaleurs de juillet, et la reconnaissance des Bisontins trouve son expression dans la création d’une confrérie qui, dorénavant, le 3 mai, tiendra chaque année ses pieuses assises dans les cloitres et les nefs de Saint-Etienne. Pour contenir les pèlerins et satisfaire leur piété, Péglise. cathédrale était devenue trop étroite; on construisit auprès du clocher et contre le flanc de la chapelle de Sainte Made- leine, où les Carondelet venaient d’amasser des trésors ar- tistiques, une sorte de théâtre ou de vaste terrasse en maçon- nerie qui servit désormais à exposition du linge merveilleux. À partir de 1549 on ne ie montra plus que deux fois l’an, à Pâques et le dimanche après lAscension, dans la matinée. Sur ce théâtre où l’on accédait par un escalier depuis la cha- pelle des Carondelet, se plaçaient l'archevêque, les prélats ou abbés, chanoines et personnages de marque, au milieu de chantres et musiciens. Entourée de cierges allumés, la cassette d'argent est exposée sur un autel ; on ouvre le re- liquaire, trois chanoines développent la toile de lin et l’expo- sent à tous les points de l’horizon, aux regards de la foule rangée sur la vaste esplanade, que Jean-Jacques Chifflet dé- clarait merveilleusement préparée pour contentér tous les spectateurs. Après une bénédiction donnée avec la relique, la procession rentrait dans l’église, on refermait le coffret à triple serrure, qui reprenait sa place dans le tabernacle de la chapelle de Saint Maimbæuf #. Jusqu'au Jour malheureux où Vauban sacrifia la cathédrale de Saint-Etienne au plan gigantesque qui devait faire de Be- sançon une place de guerre de premier ordre, le cérémonial de l’ostension publique ne varia pas, mais bien des circons- tances la modifièrent ou l’empêchèrent, Epidémies, guerres, (1) Un tabernaele décent avait été construit, en vertu de délibérations du 7 janvier 1531, dans cette chapelle, mais à côté de l’autel; ce n’est qu’en 1534, nous l'avons dit plus haut, que le Saint-Suaire prit place sur l'autel lui-même (Délib. capitul., G 195, Arch. du Doubs). — 173 — craintes de surprise et de coup de main justifiées par le voi- sinage de troupes étrangères, firent supprimer souvent cette cérémonie et fermer la porte aux voyageurs venus de loin. La piété des Bisontins trouvait d’ailleurs l’occasion de véné- rer l’effigie sainte soit en fréquentant l’église Saint-Etienne et la chapelle de Saint-Maimbœuf, soit en profitant des os- tensions particulières pour contempler le Suaire devenu le palladium de la cité et du diocèse tout entier. La dévotion des étrangers pouvait être contentée à son tour, et par des médailles, des patenôtres, des couronnes, ou des étoffes qu'on faisait toucher au Samnt-Suaire et, à partir du XVII° siè- cle, par des enseignes de pèlerinage, gravures sur soie, sur toile ou sur papier, reproduisant la sainte image. J'ai re- cueilh naguère et publié tous les détails de cette pieuse ima- gerie, dont les échantillons deviennent rares et méritent de prendre place dans nos grandes collections publiques; j'en parlerai donc rapidement (1). En 1573, un religieux comtois, familier de l’Escurial, vou- lut offrir à Phihppe IT une copie du Saint-Suaire de Besan- çon ; un peintre nommé Pierre d'Argent l'exécuta en peinture à l'huile, et son émotion fut telle, au dire de Jean-Jacques Chifflet, qu'éblouis, ses veux ne purent distinguer le modèle et le reproduire qu'après l'audition d'une messe. Quand la fille de Charles-Quint, Marguerite de Parme, traversa le comté de Bourgogne pour aller prendrele gouvernement des Pays-Bas, d'Argent fit une seconde copie offerte à la princesse par le cardmal Claude de La Baume. Les Granvelle, les Chif- flet, multiphèrent ces copies, si bien qu'un beau jour, en 1608, le chapitre, craignant de les voir réputer pouroriginales, défendit d'en faire de nouvelles et confisqua dans lPatelier du peintre tous les poncis et toutes les peintures. Mais la gra- vure en taille douce, et plus tard la gravure sur bois, multi- (1) Se reportèr à mon Iconographie du Saint-Suaire. où l'on trouvera de plus grands détails et quelques types d'images pieuses. — 174 — plièrent bientôt, sans inconvénient, des images plus porta- ives ; exécutées par des graveurs dont nous connaissons les noms et dont nous possédons les œuvres, Pierre et Jean de Loisy, Benoit Clerc, Labet, et d’autres encore, ces estampes eurent une vogue et un débit immense et grâce aux pèlerins, se répandirent au loin. Elles répondent toutes, aussi bien que les médailles d'argent, de laiton ou d’étain confectionnées par nos orfèvres, aux types suivants empruntés, J'en suis convaincu, aux estampes éditées à Turin vers 16925 en l’hon- neur du Samnt-Suaire turinois, provenant, on le sait, de Chamn- pagne par la maison de Charny (1). Tantôt trois chanoines, dont l’un mitré, revêtus de chapes, tiennent étendu le linceul qui enveloppa le Christ. Tantôt, et ce sont les modèles les plus anciens, sept personnages disposés comme ceux qu’on rencontre dans les sépulcres sculptés du xv°et du xvi° siècles, la Vierge, les saintes femmes, saint Jean, Joseph d’Arima- thie et Nicodème entourent et soutiennent le Suaire déve- loppé. Quelquefois la fantaisie de l'artiste a remplacé tous ces personnages par des anges, des religieuses, ou a sup- primé complètement les porteurs, en créant des gravures de toutes dimensions, munies généralement, en contre-bas, de quelque oraison française ou latine plus ou moins sommaire. Du jour où la presse les eut distribuées par milliers, ces images furent emportées à tous les vents, comme les feuilles d'automne ; tous les foyers en possédaient suspendues à la place d'honneur ; on en trouvait dans les anneaux de fian- çaiiles, on en plaçait dans les cercueils sur la poitrine des morts. Quand Dole fut assiégé en 1636 par Condé, on arbora, sur le clocher de l’église Notre-Dame, un étendard gigan- tesque reproduisant le Saint-Suaire : quand, en 1637, la même ville fut envahie par la peste, cinq des images impri- (1\ La collection iconographique que j'ai formée aux Archives départe- mentales du Doubs renferme deux gravures sur soie, représentant le Saint- Suaire de Turin, au début du xvire siècle. — Voir, sur le Saint-Suaire de Turin, J.-J. CHIFFLET, De linteis. — 175 — mées, bénies par le contact du Suaire original, furent affi- chées aux portes et au centre de la ville pour en chasser la contagion (1). Dans les couvents de femmes les religieuses, habiles à manier l'aiguille, encadraient, dans de riches orne- ments d’or et de soie, des images du Saint-Suaire tirées en couleur sanguinolente et brodaient ces fameuses écharpes qu'on réservait pour les offrir aux plus illustres pèlerins (2), La Franche-Comté avait pu échapper aux menaces dont le xvI* siècle avait été si prodigue envers elle, seule, l'invasion successive de Tremblecourt et d'Henri IV lui avait appris tout ce qu'elle pouvait craindre de ses plus redoutables voi- sins ; le xvire siècle devait cruellement confirmer cette ex- périence. Heureusement commencé sous le gouvernement bienfaisant et réparateur de l’archiduc Albert d'Autriche et de l’Infante Isabelle-Claire-Eugénie, il lui avait donné pres- que trente ans de paix quand la peste de 1629, suivie d’une guerre de dix années, qui devait consommer sa dépopula- tion et sa ruine, commencèrent la série de ses malheurs. Les pèlerinages et les ostentions solennelles du Saint-Suaire continuaient sans interruption. Les dons précieux, tapisse- ries, vases sacrés, ornements de velours et de soie couverts de riches broderies d’ür affluaient à Saint-Etienne pour le service de la chapelle de Saint-Maimbœæuf. Les archiducs avaient fait les frais d’un jubé entièrement construit de marbre noir et rouge, dont les bas-reliefs, les ornements et les inscriptions sur marbre blanc étaient l'œuvre d’un ha- bile sculpteur champenois. Sur ce jubé, qui coûta plus de 10,000 francs (50,000 francs de notre époque), on devait dé- sormais déployer hors de toute atteinte le Sant-Suaire pour le montrer à ses visiteurs : François d’Orival, les chanoines (1) Nous donnons la reproduction de deux images de 1630 et 1688. (2) On offrit de ces écharpes à la reine Anne d'Autriche en 1645, à Marie- Thérèse d Autriche, en 1683, ete., ete. La confrérie du Saint-Suaire à lFho- pital de Besanton, et divers particuliers ou musées, possèdent de ces bro- deries, d'un travail quelquefois remarquable, fréquemment médiocre. — 176 — Pourtier et Philippe (1), Jean-Jacques Chifflet enfin, venaient d'écrire l’histoire et l’éloge de la relique, entourée d’une si grande vénération. A ce moment, la peste, plus cruelle qu’elle n’avait été en 41544 et en 1586, éclatait avec fureur dans toute la Franche- Comté; Besançon s'était voué dès 1629 au Saint-Suaire pour conjurer le fléau ; ses supplications furent entendues, au mois de mars 1630 ses co-gouverneurs acquittaient solennellement le vœu (2). Les chanoines, craignant de raviver une épidémie à peine éteinte, ayant refusé de faire l’ostension de Pâques, suscitèrent parmi les citoyens une véritable émeute et durent céder, sur les instances du parlement et du gouverneur de la province. D’autres tempêtes plus sérieuses allaient, hélas! éclater. En 1631, Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, fuyant comme jadis le connétable de Bourbon un pays qu'il voulait trahir, trouva un abri momentané à Besancon et en Fran- che-Comté (6). Son séjour dans ces pays neutres devint le prétexte, habilement travesti par Richelieu, pour exercer de terribles représailles sur une nation inoffensive, qui fut sa- crifiée à de criminelles ambitions. Dix années de guerres et d’invasions, dont les cruautés furent inouïes, laissèrent seules debout au milieu d’un pays dépeuplé et ruiné, quatre villes : Besançon, Dole, Salins et Gray, où continua de battre le cœur dela nation comtoise. Aux héroïques survivants d’un petit peuple qui s'était sacrifié pour son roi, le Saint-Suaire de Besançon, la châsse de Saint-Claude, la statuette de No- tre-Dame de Gray, apparaissaient comme la suprême conso- lation des mourants, le dernier espoir de ceux quirésistaient encore. Dès que des suspensions d'armes eurent été négo- (1) Le 1% août 1625, l'archidiacre de Luxeuil, les chanoines Pourtier et Philippe, furent chargés de rédiger les miracles du Saint-Suaire (Deélib. capitul., G 202). (2) La ville de Besançon exécute son vœu le 1e février 1630 (Ibid.). (3) Le chapitre l’envoie saluer le 27 mars 1631 (Ibid.). | FE PORN PEN SIT te: — 177 — ciées, grâce à l'influence d'Anne d'Autriche (dont le confes- seur avait fait demander, pour la reme, des images du Saint- Suaire (1), ; dès que les paysans et les bourgeois, réfugiés en Suisse ou cachés dans les cavernes et dans les bois, eurent comimencé à relever leurs villages, Besançon ouvrit ses portes aux pèlerins de Pâques et de lAscension. Et l’on vit alors ce spectacle émouvant des débris d’une petite nation brisée par les privations et les maladies, mais pleine encore de rési- gnation et de foi, gravissant les flancs de la montagne sainte avec la même confiance qu'aux jours évanouis de sa prospé- DitÉ: De Rome où s'étaient exilés 10,000 Francs-Comtois chassés par la guerre et la misère, la confrérie de Saint-Claude des Bourguignons. voulant rester en communion avec la mère- patrie, demandait, pour la placer dans son église, une repré- sentation du Saint-Suaire (2); l'Espagne, la Lorraine, les Pays-Bas, la France, recommençaient à envoyer leurs pè- lerins. Quand Louis XIV, facilement triomphant d’un pays affaibli et divisé, conquit en 1668 l’ancien comté de Bourgo- gne, les gouverneurs de Besançon ne signèrent leur capitu- lation qu'après y avoir fait insérer cette clause : que le roi ei ses successeurs maintiendraient à Jamais dans leur ville le Suaire, qu'ils considéraient comme le plus précieux de leurs trésors (). (1) Les 20-%3 octobre 1645, on envoie cette image à la Reine par l'intermé- diaire du P. Brisegeon, chartreux; on l'avait fait peindre par Jean Maillot; les remerciements de la Reine n'arrivèrent que le 2 mai 1646 (Délib. capi- tul., G& 202). (2) Dominus Borrey, pro parte confratrum congregationis sancti Claudii Romæ institutæ rogavit, domino Capitulantes quatenus concedere dignen- tur facultatem depingendi in panno serico imaginem Sanctissimi Sudarii ad eam exponendam in sacris ædibus quas Romæ novissime ædificarunt ; quod domini annuerunt, modo exemplar non fiat ejusdem longitudinis et in 60 inscribaltur esse effigiem Sanctissimi Sudarii Bisuntini. » (Délib. ca- pilul., 5 juillet 1662, G. 206.) (3) Voir le texte des capitulations dans les Eds de Franche-Comte, publiés par Droz, I, 1-3. — 178 — Le traité d’Aix-la-Chapelle rendit à l'Espagne une province si longtemps fidèle ; aussitôt, sous les ordres du prince d’A- renberg, des ingénieurs hollandais commencent sur le mont Coelius une citadelle qui, après avoir nivelé pour ses glacis l’ancien quartier des chanoines, enserre la cathédrale de Saint-Etienne masquée par une courtine et des bastions Le Chapitre essaie d’une résistance inutile ; le Saint-Suaire, un instant descendu en 1668, remonte dans sa chapelle et son tabernacle, office canonial reprend, malgré le bruit des pion- piers et des maçons de la forteresse. Un ordre du gouver- neur lPinterrompt et, le 26 avril 1669, définitivement expulsé de la montagne Saint-Etienne, le Saint-Suaire descend à Saint-Jean, Cinq ans plus tard. Besançon capitulait aux mêmes conditions qu'en 1668; Saint-Etienne, incendié par les mousquetaires de Louis XIV, tombait sous le marteau de Vauban; conservé dans labside Est de la cathédrale de Saint- Jean, rebâtie de 1730 à 1740 avec une magnificence royale, le Saint-Suaire continua à être gardé et vénéré comme par le passé; jusqu'à 1790, on le montra solennellement au peuple du baut d’un balcon du clocher. IT Après avoir esquissé dans ces pages compactes déjà et ce- pendant écourtées, les grandes lignes de lhistoire du Saint- Suaire, je voudrais indiquer au moins ses pèlerins les plus illustres. Des le milieu du moyen-âge, les pelerinages lointains étaieut depuis longtemps entrés dans les mœurs : Jérusalem, Rome, Lorette, Saint-Jacques de Compostelle avaient, malgré les périls de longs voyages, une clientèle des plus nombreu- ses et des plus choisies. Eternellement amoureux de la nou- veauté et de l’imprévu, l'esprit humain ne s’appropriera Ja- iais cette maxime de lfmitation : les Pèlerinages n’amélio- rent guère, et se fera toujours une loi de colorer son propre — 179 — désir, sous l'apparence du devoir. Le pèlerinage bisontin bénéficiera de cette vogue. Si les grandes masses des pèle- rins du Saint-Suaire furent toujours empruntées à la région, dès le milieu du xvi° siècle, des villes entières, Dole, Baume, Vesoul, Gray, Saint-Claude, et nombre de personnages mar- quants commencent à apporter leurs hommages, leurs prières et leurs offrandes au sanctuaire nouveau dont la renommée serépand. Longtemps les chanoines de Besançon tentèrent de résister aux pelerinages individuels, source de perpétuels dérangements, et essayèrent de limiter les osten- sions particulières aux princes et aux ambassadeurs. Mais les familiers des princes ont souvent autant de crédit et tou- jours plus de savoir-faire que leurs maitres ; aussi, tant désireux qu'on fût au chapitre d’éconduire les imporiuns, on eut toujours la main forcée. On pourrait, avec beaucoup de patience et de temps, dresser une liste complète et cu- rieuse de tous les gens de marque qui sollicitérent et obtin- rent celte faveur particulière, en voici déjà quelques-uns. Les premiers pélerins de distinction qui gravirent le mont Saint-Etienne (je ne parle bien entendu que des étran- gers), furent des ambassadeurs des cantons catholiques de Soleure et de Fribourg, venus en 1554 pour renouveler des traités de neutralité avec le Comté, et en 1579 les traités de combourgeoisie avec Besançon (1). Le 18 mai 1580, une fière et hautaine princesse qui, comme gouvernante des Pays- Bas, devait assumer devant l'histoire de lourdes responsabi- lités, Marguerite, duchesse de Parme, se faisait conduire en litière jusqu'aux portes de la cathédrale Saint-Etienne (2). Au dire d’un chroniqueur très véridique, qu’on peut aisément contrôler,ceux qui faisaient à pied l'ascension avaient en haut grand besoin de reprendre haleine, voire même de se reposer. Après la sœur de Philippe Il, Madame de Ligniville qu'es- (1) Délib. capitul., T juin 1554 et 19 juin 1579 (Arch. du Doubs, G 195). (2) Ibid., 18 mai 1580 (G 198). — 180 — corte en 1581 le cardinal de La Baume (1), en 1583 le duc et la duchesse d’Arschot venant des Flandres (2), en 1589, Nicole de Lorraine, prmcesse de Brunswick se rendant aux noces de sa nièce avec le grand-duc de Toscane (3), portent à leur tour leurs supplications et leurs aumônes à la cha- pelle du Saint-Suaire. La Franche-Comté était un carrefour où se croisaient les deux routes les plus fréquentées de France en Italie d’une part, de Flandre en Espagne de l’autre; diplomates en ser- vice, aventuriers en quête d'emploi, princes détrônés ou conspirateurs s’y coudoyaient sans cesse, devenant au be- soin pélerins s'ils v trouvaient satisfaction à leur piété ou moyen de dissimuler leurs intrigues. En 1592, on voit se succéder auprès du Saint-Suare le maréchal de Saulx-Ta- vannes (®:. puis deux ligueurs achaïnés, le cardinal de Sens, Nicolas Pellevé, et l'archevêque de Evon, Pierre d'Epinac, fuvant devant les rancunes d'Henri de Navarre (4. Ce prince qui n'a pas laissé dans nos montagnes la bonne odeur qu’on lui prête généralement dans l’histoire, faillit, lui aussi, taire son pélerinage mais avec 13,000 lances ou mousquets en guise de cierges. [Il s'arrêta heureusement à Saint-Vit ayant trop peu d'artillerie pour assiéger Besançon, qui, se croyant perdu, ur versa 27,000, écus pour payer ses régiments suisses et déguerpir: le seul pélerin, qui, de sa part, péné- ie dans la place, fut un espion, soldat de Tremblecourt, qui ‘étant targué de dérober le Saint Suaire, partit humilié et contril sans avoir pu réaliser sa promesse (6). À peine Henri [V avait-il disparu que, par la frontière de Savoie et de Bresse, le Cardinal-Infant, Albert d'Autriche, (1) Délib, capitul., 13 octobre 1581 (Arch. du Doubs, G. 198). (2) Tbid., 1 juin 1583 (Id.). (S)Mbid!, mars 45896 4199 ) Jbid , 23 décembre I: 0021 (C09) D) 26 août 1592 (Arch. mun. de Besancon, BB 43. 6) To 10 mai 1619 (Arch. du Doubs, G 202:. — 181 entrait en Franche-Comté et venait s’agenouiller à Saint- Etienne pour y remercier Dieu du départ des Français (1). Le maréchal de Biron, qui, avec le Béarnais, s'était taillé, en pendant et en pillant les gens d’Arbois, de Poligny, de Lons- le-Saunier, la plus médiocre des réputations, osa, lui aussi, revenir en pélerin dans le pays qu'il avait ravagé en soudard. Le 9 janvier 1602, se rendant en Suisse, il traverse Besan- çon et va saluer le Saint-Suaire @); le 31 juillet suivant sa tête, celle d’un traitre, tombait sur un échafaud, dans une des cours de la Bastille. Un autre pélerin, bien autrement sym- pathique, Saint François de Sales, évêque de Genève, arri- vait à Besançon en 1609, chargé d’une mission du Saint- Sièce. Le 8 novembre, descendant du Cœlius, il s'arrête Saint-Jean pour y prècher devant une foule rmmense sur ce texte tout à fait sie circonstance : S1 teligero fimbriam vesti- menti Sulva ero (5). Dix-sept ans Le tard, sainte Jeanne de Chantal venait à son tour vénérer Île se Suaire, suivant pieusement les traces et ni avidement les souvenirs du grand évêque, qu'Annecy avat perdu et que déjà l'Eglise proclamait un de ses plus grands saints (4). En 1621, la mère du grand Condé, Marguerite de Mont- morency, fusait en grande dévotion le pélerinage du Saint- Suaire. Besançon décerna les plus grands honneurs à la cousine du roi de France, sans pressentir que son mari vien- drait, en 1636, assiéger et bombarder Dole, et que le fils dont, anxieuse, elle soilicitait la naissance, après avoir écrasé à Rocroy les terces bourguignons de l’armée d’'Es- pagne, conduirait, en 1668 et en 1674, les armées de Eouis XIV à la conquête de la Franche-Comté (S). Cardinaux, prélats, abbés mitrés, gentilshommes de haute (1) Délib. capitul., 30 décembre 1595 (Arch. du Doubs, G 202). (2) Ibid., 9 janvier 1602 (G 500). (3) Ibid., 8 novembre 1609 (G 201). (4) Ibid., 22 janvier 1626 (G 202). (9) Ibid, 21 mai 1621 (Id.). — 182 — race ou de grande fortune, mêlés aux intrigues si compli- quées qui devancerent la Guerre de Trente Ans, se ren- contrent où se succèdent sur les pentes accidentées de la montagne Saint-Etienne : l’archevêque de Cambrai (1), Pabbé de Saint-Germain d'Auxerre (2), l’abbesse de Remiremont 6), le comte de Furstemberg, ambassadeur d’'Empire (4, Robert Miron, ambassadeur de France en Suisse, le vicomte de Gand (5), la maréchale d’Aumont (6), le due François de Lor- raine (7), sa fenme et sa fille, le prince de Nevers (8), le maréchal de Bassompierre (), le prince de Condé (0), alors gouverneur de Bourgogne, k princesse de EL (LT), le duc de Bellegarde, compagnon d’exil de Gaston d’Or- léans (12), tels sont quelques-uns des hôtes que Besançon et ses cathédrales reçurent pendant vingt ans, de 1610 à 1631. En 1633, un général de 27 ans, le comte de Montecuculli, qui devait être l’heureux adversaire de Turenne, vint dans un moment douloureux invoquer le Sant-Suaire de Besan- con. Naguère à la cour de Bruxelles, il avait aimé une jeune et charmante fille d'honneur de l'archiduchesse Eugénie, Isabelle de Bourgogne; un rival heureux, un grand seigneur franc-comtois, l'avait épousée ; à seize ans, elle était devenue marquise de Marnay et duchesse de Pont-de- Vaux. Veuve depuis peu, la duchesse vivait retirée au comté de Bour- gogne, entre les berceaux de ses trois enfants et le tombeau de son mari; ce futau château de Marnay, qu’au printemps (1) Délib. capitul., 21 avril 1610. (2) Ibid., 28 août : (3) Kb, 26 juillet 1618. (4) Ibid., 2 juillet 1614. (5) Ibid., 22 juin 1616. (6) Tbid., 9 octobre 1617. (7 ., 21 avril 1622. (8, 1bid., 8 novembre 1623. (9, Ibid., 3 décembre 1623 (10) Tbid., 19 juin 1626 (11) Jbid., 26 juillet 1628. (12) Tbid., 5 avril 1531. 2 46 de l’année 1633, Montecuculli vint lui rappeler le rêve de sa jeunesse et lui demander sa main. Son âge, sa naissance, sa qualité de général de l'Empire, glorieusement conquise sur les champs de bataille de la Guerre de Trente ans. semblaient lui promettre le succès ; mais Isabelle de Bourgogne, lui montrant ses enfants, s'était bornée à lui répondre : Je me dois tout entière à eux, mais Je suis et Je resterai toujours infiniment touchée de votre démarche Désespéré d’un re- fus, résolu à mourir dans une prochaine campagne, Monte- cuculli ne quitta pas Besançon sans avoir sollicité la faveur de baiser le Saint-Suaire, et du haut de Saint-Etienne, son re- gard, errant dans la plaine, s'arrêta une dernière fois sur les hautes tours de Marnav, où venait de s’éteindre son plus cher espoir (1). Les années se passent et les évènements se précipitent. La duchesse de Lorraine et sa sœur (2), le marquis de Bade (6), Schauembourg, ambassadeur de l'Empereur (#, le prince de Cantecroix et Béatrix de Cusance 5), Charles IV de Lorraine, cethimitateur d'Henri VIE, qui fut le précurseur:de don Quichotte (6, l'abbé de Coursan, ambassadeur de France 7) sont les pèlerins de la Guerre de Dix ans. Quand après dix années de deuil et de tortures les'armistices préludèrent à la paix, le pèlerinage reprit son cours et amena successivement à Besançon le marquis de Lullin, ambassadeur de France en Angleterre (8), le comte de Nassau (9), des généraux d'ordres religieux (10), MM. de Caumartin et de La Balde (1, l’évêque —— } Délib. capitul., 5 mars 1633. 2) Ibid., 30 septembre 1634. ) as 19 avril 1634. (4) Tbid., 26 avril 1634, JM Tb1id:, 27 avril 1635. ) lbid., 7 mai 1635. ) Ibid., 20 mai 1635. ) 1bid., 16 mai 1646. 9) Ibid,, 15 juin 1647. 10) Ibid., 23 août 16#7. 140) as 11 et 21 janvier 1648. — 184 — de Genève, Charles-Auguste de Sales (D, Pabbé de Ci- teaux (2, l’évêque de Chalon 6), le duc d'Epernon, gouver- neur de la province de Bourgogne (4), les comtes d’Arma- gnac, d'Harcourt et de Grammont ©, le duc de Pont de Vaux, fils d'Isabelle de Bourgogne 6, Louis Grimani le futur doge de Venise (7), le maréchal d'Aumont (8, François de Lor- raine, évêque de Verdun (9). | En 1663, Béatrix de Cusance, épouse délaissée du duc Charles IV de Lorraine, vint une dernière fois, peu de jours avant d'aller dormir son dernier sommeil dans le cloître des Clarisses, vouer au Saint-Suaire sa fille, la princesse de Lille- bonne, et son fils, le prince de Vaudémont (10). Onze ans s’é- coulent, et, du même emplacement, le prince de Vaudémont ürait sur l’armée de Louis XIV les derniers coups de canon qui témoignèrent de l’indépendance comtoise, et quand, le 2% mai 1674, il sortit de la citadelle avec les honneurs de la guerre, 1l put, en se retournant, voir brûler la cathédrale Saint-Etienne, où le Saint-Suaire ne devait plus être montré. En 1683, dix ans après la conquête, l’archevêque Antoine- Pierre Ï de Grammont recevait, sur le seuil de la cathédrale de Saint-Jean, où ils venaient s’incliner devant le Saint- Suaire, les deux plus illustres pèlerins qui. Paient visité : Louis XIV et Marie-Thérèse d'Autriche, cette reine de France que quinze jours plus tard la mort devait moissonner (M), D) À cette visite royale, J'arrêterai une nomenclature rapide Délib. capitul., 14 avril 1648. 1bid., 20 juillet 1648. Ibid., 28 mai-1e juin. 1bid., 4 juillet 1653 (Arch. du Doubs, G 205). Ibid., 22 décembre 1653, 15 juin 1653, 11 septembre 1658 (G 205-206). ç (1) (2) (3) (4) () 6) Ibid., 28 février 4659 {G 206). 7) Ibid. 17 mai 1669 (1d.). 8) Ibid... 40 juiu 1661 (Id.). ) ) ( ( ( (9) Ibid., 4e octobre 1660 (Id ). (10) Ibid., 5 juin 1063 (1d.). (11) 1bid., 16-19 juin 1683 (G. 209). OCICTÉ d'Emulation du Doubs, 1902. DT = PER & “. 2 È K PR TOR à Ê > Æ> NS (SZ NE SL " z (me 07 SAINT-SUAIRE DE BESANCON Gravé, vers 1630, pour une confrérie italienne, par Pierre DE Loisy. (Coll. de M. l’abbé P. BRUNE.) »ocicté d’'Emulation du Doubs, 1902, PI. TOR f ri= 7, ie É < ," & CZ À CEE? LS = =, Re ) AT sous nl Ésnis LE = = r. = es TA D LS 2 Lg, À & ( \s NS fa À 24 ue — = = #7 cr | AV : F9 de Sr A : Née # \ SA Le VEN = RE > / U : PE } É £ ) à ia: AT St AY 5 NV ai { d 4 HA 37 \ L 22222 N \ 1 \ RES , 7e à Z Ni À 0 \ ze à : Ÿ ( LLPA ZE Re Te. , CAN = | i , 0 go cer =". 4 Z à = x re EU} fn F3 Es PTE / CA 7} 1" # dE dE Me LE SRE 7 4! Al LR Sa —— WA Pre G & EE nn SE = à Ù U= RAT Rene : 1e = = 24 ! — ! = Ÿ k À RON LS Se ie 0 AA £ re Fe PE NE Z OS LC : z \ & AN = RS D Ex X VE = XONES 7 Te AS A . 2 2 ns 7 = | | É Ë = FLE À OO RO RER » SONT Ver IE le 2-2 — t \ = es ere = à = : nets = ; ss À ESS Same — il … Ü DEV QUINANS LE SAINCT S'VAIRE AV QVEL VOS TRE FE VOSTRE SANCTE PASSION CO NCEDEZ NOVS M LE RICO Re DEVSEMENT VE PAR VOSTRE MORTBASE PVL TVRE NOV PVESSIONS ARRIVERA LA GLOÎIRE DE LA RESVRRECTION OVI << g CS s VIVEZ X RÉGNEZ AVEC LE PERE KLE SAINCT ESPATE EZ SIE CLES DES SIE RSS ous ceux D ie icie oraison peliurance DUNÇ AN DCPHRJALOITC M2 F Clerc fcuTié Sy IMAGE DE PÉLERINAGE DU SAINT-SUAIRE DE BESANÇON Cuivre original, gravé par F. Ccerc en! 1688. (Coll. de M. l’abbé P.. BRUNE.) — 185 — que j'aurais dû peut-être encore raccourcir; mais les noms que j'ai cités étaient nécessaires pour faire comprendre combien le pèlerinage du Saint-Suaire avait été universel et populaire, et combien il avait rencontré de faveur dans toutes les classes sociales du xvi° et du xvr® siècle. Au xvinIe siècle, la décadence du pèlerinage $S’accentue; si le peuple garde encore la foi des vieux jours, un vent de scep- ticisme et d’incrédulité courbe devant d’autres dieux les têtes couronnées et les aristocraties. Les théologiens expriment tout haut leurs doutes sur lobjet des croyances populaires et travaillent, sans y penser, aussi bien que les philosophes, à préparer les années terribles. Quand, en 1790, le Saint-Suaire cesse d’être montré du haut du clocher de la cathédrale, le peuple manifeste bruyam- ment son mécontentement etses regrets; quand, en 1792, on le transporte hors de l’église, dans les bureaux du District ; quand en 1794 on l’expédie à la Convention qui va le détruire, personne ne se lève pour protester. La Convention Nationale envoya le Saint-Suaire à l’'Hôtel- Dieu, pour le transformer en charpie, et, depuis, son souve- nir, pieusement gardé par les survivants du dernier siècle, est allé sans cesse en s’affaiblissant. Que serait-1l advenu pourtant, si, bravant des lois néfastes, une main pieuse eût sauvé cette pieuse image si chère à nos aieux francs-comtois ? La réponse est là-bas sur les bords de la Moselle, où la Sainte Tunique de Trèves compte encore ses pèlerins et ses croyants par centaines de milliers. Quoi qu’on en dise et quoi qu’on en pense, heureux les peuples, heureuses les villes qui gardent fidèlement le res- pect des croyances et la chaine des traditions ! DU DEGRÉ DE CONFIANCE QUE MÉRITENT LES GÉNÉALOGIES HISTORIQUES Par M. Jules GAUTHIER SECRÉTAIRE DÉCENNAL Séance du 8 août 1901 © Il ne faut rien négliger en histoire, tout document authen- tique mérite d’être recueilli, lu, analysé, en attendant qu’on l'utilise, car le moindre indice, la moindre parcelle de vérité peut mettre quelque jour sur la voie d’une découverte et permettre la solution de quelque problème important. Il n'est pas jusqu'aux généalogies intéressant des maisons ou des familles de second et même de troisième ordre qui ne puissent, si elles sont loyalement dressées, apporter de pré- cieux secours même à la grande histoire, et fournir un con- tingent d'informations qui ne sont point à dédaigner. Mais combien de généalogies sont-elles restées impecca- bles, soit dans leur étalage quelquefois prétentieux et naïf, pour ne pas dire davantage, soit dans leurs réticences sou- vent habiles quand il s'agit d'origines modestes et par con- séquent fâcheuses, puisque à tort ou à raison la vanité, ou si vous voulez l’orgueil, préfère souvent à la vérité toute nue les chimères ou les fables. C’est notre rôle, à nous autres chercheurs, de faire la chasse à ces papillons de nuit que la lumière fait fuir et disparaître (1) Lue au Congrès de l'Association franc-comtoise, tenu à Montbéliard, au nom de la Société d'Emulation du Doubs. — 187 — et, sans mettre la moindre causticité à des enquêtes qui pren- draient ainsi un air de partialité, de faire passer au rang d'aimables inventions certains degrés genéalogiques imaginés naguère, pour étayer le rang et le crédit de familles qui au- raient tout gagné à se montrer simplement ce qu'elles étaient, sans vouloir remonter à Sésostris. Ces familles du reste ne sont pas toujours coupables ; les princes et les riches n’ont jamais manqué de courtisans s’ils ont toujours eu leurs détracteurs, et la collaboration d’écri- vains de mauvais aloi n'a jamais fait défaut au parvenu cher- chant à se créer des ancêtres, au gentilhomme voulant se hausser à l’égal des vieilles races, en améliorant sa lignée. Cette monomanie qui, chez nous autres Comtois, a régné comme ailleurs, fut prodigieusement répandue au xviri siècle, ét nous à valu à la douzaine des arrêts de cour des comptes enregistrant des mensonges et des certificats signés et scel- lés de noms honorables accordant, sous le régime du bon plaisir, un rang que peu de gens méritaient, Dès le xve siècle elle existait déjà, et, autour du cardinal Jean Jouffroy, qui fut un favori de Louis XI, comme plus tard autour des deux Granvelle, conseillers préférés de Charles-Quint et de Philippe IF, la jalousie des uns, la flat- terie des autres la dénoncent ou lencouragent. Sans autre préambule je voudrais, par un exemple bien tranché, caractériser cette fabrication d’aïeux comme la com- prirent et la pratiquèrent certaines familles du comté de Bourgogne, et cela, généralement pour obtenir à la cour des rois ou des empereurs certains titres enviés à moins que ce ne.fût pour contracter quelque opulent mariage. En 1507 vivait à Dole, simple commis au gretfe du parle- ment, Jean Lallemand, d’une condition très humble et sans la moindre prétention nobiliare, comme lindique suffisam- ment son emploi (1), Son père se nommait Guilla ume, il avait (4) Jean Lallemand, clerc juré au grelfe de la cour, collateur, en leglise — 188 — épousé Catherine Boudier, d’une honorable mais très plé- béienne famille de Dole. À ce moment, le parlement de cette ville, récemment reconstitué par Philhippe-le-Beau, était peuplé de clercs intelligents qu'’effleura bientôt l'aile de la Fortune. Marguerite d'Autriche y puisa ses conseillers : l’un d'eux, Nicolas Perrenot, emmena avec lui et fit accepter comme secrétaire de Parchiduchesse le commis-greffier Jean Lallemand, Secrétaire de Marguerite dès 1517, de empereur Charles-Quint dès 1522, Lallemand devint vite un person- nage influent. Souple, intelligent, insinuant même, il avait des qualités de diplornate que l’empereur utilisa: Jean Lalle- mand fut tout simplement, au lendemain de la bataille de Pavie, l’un des négociateurs et le rédacteur du fameux traité de Madrid. Ambitieux, il le devint de plus en plus ; 1l avait épousé à Burgos, le 10 juillet 1524, Anne, riche héritière de l’huissier audiencier de la cour, Philippe Hanneton, comte d’Ascot ; le titre honorifique mais secondaire de comte pa- latin, lui avait été donné par le prince en 1523 ; mais avant cette date il était devenu seigneur de Bouclans au comté de Bourgogne, où la fortune de sa femme, jointe aux profits considérables de sa situation officielle, lui permit d'acheter successivement de nombreuses seigneuries : Montigny-lez- Arbois, Augerans, Souvans, Belmont-lez-Dole et bien d’autres. Mais il advint de son ambition et de ses calculs, ce qui fut l’écueil de tant de diplomates des vieux âges ; au lieu de se borner à servir les intérêts du maître absolu qui lui donnait sa confiance, Jean Lallemand se permit de chasser pour son compte, de li2r des intrigues dont le nœud devait accroître sa fortune. Après avoir été comblé de faveurs, nommé tré- sorier et secrétaire (l'Etat, contrôleur général d'Aragon, jeté en prison en 1328 par l’ordre de l'Empereur, finalement grà- clé, mais banni à Jamais de la Cour où ses ennemis triom- de Souvans (Jura), d’une chapelle dédiée à Notre Dame et à saint Claude, 12 juillet 1510 (B 924, fol 19, Arch. du Doubs). : — 189 — phaient, Jean Lallemand, qui, en 1534, était encore auprès du prince, se vit relégué à jamais dans son pays natal. [l y vécut en grand seigneur, grâce à son opulence, y élevaneufenfants, que tinrent à l’envi, sur les fonts du baptème, le cardinal de La Baume, le maréchal de Bourgogne, les seigneurs et dames de la plus haute noblesse (1), dont l'amitié consola l’ancien secrétaire d'Etat de la disgrâce impériale. Ses châteaux de Bouclans, de Belmont, de Montigny, de Vaite, rebâtis et em- bellis à grande dépense lui servaient tour à tour de résidence, et il y notait, dans un Psautier transformé en livre de rai- son, les évènements de sa famille, La dernière mention que sa plume v traça fut pour consigner la mort de sa femme «à Bouclans, le 13 juin 1545, à huit heures du soir, avant dis- posé de son testament et receu tous ses sacrements, elle rendit son âme à Dieu, que je supplie icelle colloquer en son sainct paradis. Amen » (2). k On l’enterra dans la chapelle seigneuriale, en l’église pa- roissiale de Bouclans, et le 18 septembre 1560, son époux, mort à Montignvy-les-Arbois, vint lv rejoindre. Sur leur tombe on avait élevé un magnifique mausolée de marbre, sous lequel Jean Lallemand, le petit clerc du Parlement de 1507, revêtu de l’armure de chevalier, dormait les mains jointes, à côté d'Anne son épouse, entouré de seize quartiers armoriés, attendant et implorant la miséricorde éternelle (3). (1) Voir dans le n° I des Pièces justificatives le Livre de raison de Jean Lallemand. (2) Pièce justificative n° I. (3, L'abbé J.-B. BoisorT nous a conservé la description de ce tombeau dans ses Manuscrits : « En l’église de Bouclans se trouve une magnifique sépulture de pierre relevée, où seront la figure au naturel, armée et habillée en chevalier, de messire Jean Lallemand, chevalier, seigneur de Bouclans, Vaittes, etc., et de la dame sa femme, estant flamande de la maison d'Han- neton, qui porte : d’asur à la croix d'argent chargée de cinq roses de queules, qui se voyent avec les armes des Lallemandz en plusieurs endroits de l'église, fondée et bastie par led. seigneur. » (Mss. 1215, fol. 31%, Bibl. de Besancon.) De ce tombeau, il ne reste qu'un fragment de dalle avec > 100 Jean Lallemand, un parvenu comme Rolin, commeJouffroy, comme Jouard, comme Granvelle, comme tous ces juristes ou ces lettrés sortis du peuple qui furent le conseil ou le bras droit des ducs de Bourgogne et de leur descendance, eut des fils mais n’eut pas d’héritiers de son intelligence, de son activité, de sa science des hommes, de sa prescience des évènements. Ses enfants, six fils, trois filles, eurent des terres, des titres, de belles alliances, aucun d'eux ne le con- tünua. Plusieurs périrent en braves soldats sur les champs de bataille de l’Empire où de l’Espagne; la plupart lais- sèrent postérité masculine ou féminine; on les admit sans discuter au rang de la bonne noblesse du pays. Au dehors on les discuta davantage. Ecoutez plutôt ce récit contenu dans une correspondance de 1565, adressée de Bruxelles au cardinal de Granvelle par le prévôt Morillon et le capitaine Pierre Bordey, ses confidents habituels. « Le jour de saint Nicolas, qui fut avant-hier, advint au soir un stratagème au lougis de M. de Montmartin qu’il donnoit à soupper à Mons” de Rye et au comte Charles de Mansfeldt [et autres con- vives], entre lesquelx estoit le s' de Vayte, qu'est le petit Bouclans; lequel, ayant beu au conte Charles [commandant des armées 1mpériales]| et luy réiterant par deux ôu trois fois : J'ai beu à vous, ne me voulès vous point faire raison? Pour ce qu'il n’usoit point du tiltre de monseigneur et qu’il n’avoit point le bonnet à la main, l’on dit que M. de Ryeï luy osta le bonnet de dessus la tête par dédain. Et comme ledit Bou- clans dit qu'il estoit gentilhomme et en sa qualité aussi bon que personne que fusse à la compagnie, ledit s”’ de Rye luy donna ung dément et le comte Charles lui jeta des assiettes, dont de deux qu'il jeta l’une l’ataignit au visage, et, avec hurlerie, il fut chassé hors de table » (1). ces mots : Jehan Lalemand, chevalier, baron et seigneur de Bouclans et de Vaites [1560]. (J. GAUTHIER, Répertoire archéologique du canton de Roulans, 1889.) (1) « Bruxelles, 9 décembre 1565. — ...,. M. le Prince d’Orenge a tant — AN —. C'était Charles Lallemand, le fils de Jean, auquel arriva, pour s'être frotté de trop près et «avec trop grande pri- vauté » à de trop grands personnages, cette plaisante mésa- venture. On s’en souvint, sans doute, dans sa famille et ses arrière- neveux, car lui ne laissa point d'enfants légitimes, eurent peut-être à cœur de se venger de pareil dédain. Cent ans plus tard, vers 1660, les officiers du bailliage de faict, que Lint (la seigneurie de) demeure au docteur Hermes garde des chartes de Flandres, en parant 14° florins au sieur de Vayte, qui pour être plus favorisé portait les flesches, dont hier pour sa récompense, le comte Charles de Mansfeld, commandant des armées Impériales, Iuy rua son plat après la teste, parce que, veuillant boire à luy il semblait user de trop grande privauté ou qu'il ne lui donna ses tiltres; que fut à faire à la table de M. de $. Martin, où estoit le sr de Rye qui attisa le feug et plusieurs aultres qui disoient mille maulx au petit homme, qui fut saige de se retirer ou piz luy fut advenu. L’on me dict qu’il at été touché au visaige d’un trenchoir.. » (Lettre de Morillon au cardinal de Granvelle, If, 165-167, et Correspond. Papiers d’Etnt, Bruxelles, 1877, I, 61.) Voici comment Pierre Bordevy, capitaine de Faucogney, mandait le même fait au cardinal dans une lettre du 8 décembre 1565 : « Le jour de S. Nicolas qui fut avant-hier, le petit Monseigneur d’Austrate partit pour l'Allemagne, et ce mesme jour au soir, advint un stratagème au lougis de M. de Montmartin, qu'il donnoit à soupper à Mons’ de Ryve et au comte Charles de Mansfelt et à aultres compagnies, entre lesquelx estoit le s' de Vayte, qu'est le petit Bouclans [il s'agit de Charles Lallemand, ss de Vaites, fils de Jean Lallemand, ss de Bouclans, secrétaire intime de Charles- Quint, arrêté en 1528, et de Anne Hanneton], lequel ayant beu ou beuvant au comte Charles et luy réitérant par deux ou trois fois : J’ai beu a vous, ne me voulés vous point faire raison? parce qu'il n’usoit point du tiltre de seigneurie ou monseigneur et qu'il n’avoit le bonnet à la main, lon dit que M. de Rye luy osta le bonnet de dessus la teste par dédain. Et comme ledit Bouclans dit qu'il estoit gentilhomme, et en sa qualité aussi bon que per- sonne que fusse à la compagnie, ledit s' de Rve luy donna ung demanty et le comte Charles à luy rua coup d’assietes dont, de deux qu'il luy rua, l’un l’ataignit au visage et avec hurlerie, il fut chassé hors de la salle. » Ainsi le m'a-t-on au soir compté, Voila comme les choses passent; et ne luy ont proflité les flesches qu'il porte. » [Les flèches dont il est ques- tion servaient de ralliement et d'emblème à certains conjurés des Pays- Bas, au moment où le cardinal de Granvelle dut en abandonner le souver- nement. | 00 Dole, dans un procès-verbal, dont il nous reste copie, consta- taient dans la chapelle seigneuriale de Souvans, dédiée à Notre-Dame, l’existence de huit tombes, dalles armoriées ou simples tituli, commémoratfs des aïeux de la maison de Lallemand (i). Dans l’ordre chronologique ces inscriptions énuméraient successivement : a. Jacques Lallemand, seigneur d’Aybe près Rochefort, mort le 13 décembre 1300 €). b. Jean Lallemand [, écuyer d’Othon IV, comte de Bour- gogne, mort en 1302 (3). ce. Wolfrand Lallemand et Conrad son frère, tués sous Be- sançon, à la suite du duc de Bourgogne, en 1336 (4). (1) « S’ensuit la teneur des escripteaux escriptz sur une chacune des tombes estant posées et mises en la chappelle fondée à Souvans par les nobles seigneurs Lalemands,.... (voir plus loin les textes épigraphiques rangés dans l’ordre chronologique, de 1300 à 1502). L'escript qui se peult lire sur lad. tombe en datte de l’an mil trois cens et unze armoyée des mesmes armes, l'espée d'arme traversant. La septieme se trouve armoyée des mesmes armes ne se pouvant lire l'escript a cause de la caducité. La huitieme et dernière de la chapelle se trouve de l’an mil quatre cens et porte icelle ses quatre quartiers scavoir : Lalemand, Jouffroy, Grozon et Augerans, le tout bien recognut; et est la sepulture de Jean Lalemand, second fondateur de la chapelle. Et par ce que le tout estant bien recognu en la forme .... nous et les susd. présentz les avons requis signer en la forme cy dessus par......... avec nous en signe de verité les an Jour et mois susd. Ainsy signé sur... le besoigné : De Butte, A. Oudot, F. Raclet, F. Brenier, R. Perrenet et J. Renion ainssy signé comme notaire : Renion. » (Cop. du xvire s., vol. 20361 du fonds Boisot (auj. ms. 1206, fol. 75 vo-77 ro, Bibliothèque de Besançon.) (2) « Memoria dni. Jacobi Lalemand militis ac domini d’Aybe prope Rochefort. Obiit autem die sanctae Luciae anno millesimo cece. » (3) « Joannes Lalemand dapifer Olhonis comitis Burgundiae, anno millesimo Cec° secundo dapifici sub hoc tumulo jacet. » (4) « Wolfrandus Lalemand ac Conrardus ejus frater, olim milites in servilio ducis comitis Burgundiae, anno millesimo CCcxxxVI occu- buerunt apud Grisopolin. » [Remarquons que Besançon est appelé Chry- sopolis, habitude perdue depuis le xrre siècle !] — 193 — d. Rodolphe Lallemand, fils de Conrad, écuyer, et Etien- netie de Grozon, sa femme; ledit Rodolphe (frère de Tho- mas, tué à Poitiers en 1356) mort le 4 mars 1388 (1). e. Jean Lallemand IT, écuyer, fils de Rodolphe, maître d'hôtel de la comtesse Marguerite de Vergy, dame de Sou- vans, fondateur de la chapelle de ce lieu, mari de Claudine d’Angerans, 20 août 1392 (2). f. Guillaume Lallemand, écuver, fils de Jean, et Oudette de Jouffroy sa femme, et Jean Lallemand, prêtre, fondateur de la chapelle avec Etienne Lailemand, fils de Guillaume, o décembre 1398 &. g. Etienne Lallemand, écuyer, fils de Guillaume, 21 dé- cembre 1405 (4), h. Girard Lallemand, tribun des soldats, mort en 1405, à l'entrée du duc Jean-sans-Peur à Paris (5). à. Hugues Lallemand, chevalier, commandant des troupes (4) « Cy gisent Rodolph Lalemand, filz de Conrad, escuier, et da- moiselle Estiennette de Groson, sa femme, lequel Rodolph fut frère de mee. Thomas, chevalier mort à la bataille de Poictiers, et trespassa l'an mil trois cens quatre vingt et sept le quart de mars. » (2) « Cy gist Jean Lalemand, escuier, filz de Rodolph maistre d’hos- tel de la comtesse Marguerilte de Vergy, dame de Souvans, lequel fut premier fondateur de ceste chapelle et trespassa le vingtiesme d'aost l'an mil trois cens quatre vinat el douze, sa femme damoiselle Clau- dine d’Augerans est enterrée aux sœurs de Poulligny. » [Notons en passant que les sœurs de Polignv, c'est-à-dire les Clarisses, ne furent fon- dées que vers 1#18.] (3) « Cy gisent Guillaume Lalemand, escurer, filz de Jean, et Oudette de Jouffroy, femme dud. Guillaume, et messire Jean Lalemand, père, fondateur de ceste chapelle avec mee. Eslienne enfans desd. Guillaume et Oudette, lequel mee. Jean trespassa le cinquième de décembre l’an mil CCC IE XVIIL. » (4) & Cy gist Estienne Lalemand. escuier, filz de Jean Lalemand fondateur de ceste chapelle avec Jacob son frère, et dalle. Bonne de Plaine femme dud. Estienne, lequel trespassa le jour saint Thomas, M.CCCC.V. » (5). « Hic jacet vir fortissimus olim Gerardus Lalemand tribunus militum dum Joannes dux et comes Burgundiæ victor [Parisios| in- grederetur anno Dni.cccc.v. » — 194 — à l’entrée de Charles-le-Téméraire à Liège, en 1468 Q). j. Pierre Lallemand, écuyer, mort à la bataille de Morat, en 1476 2). k. Guillaume Lallemand, fils de Guillaume Lallemand le Vieux et de Louise de Rosey, et Catherine Eater sa femme, morts en 1500-1502 (5), Comme on le voit, tous ces Lallemand avaient su mourir très honnêtement, très brillamment même en servant et suivant leur prince à Besançon, à Poitiers, à Paris, à Liège, à Morat. et le dernier en date, Guillaume, le mari de Cathe- rine Boudier, le père du commis-greffier de Dole, semblait faire tache après tant de héros superbes, quoiqu’on eût amé- lioré sa condition roturière. Et cependant, c'était le seul authentique des aïeux de Jean Lallemand: tout le reste, imaginé pour créer des degrés fantaisistes, et, qui sait, pour effacer, sous le poids d’actes héroïques et d'aïeux illustres, l’éraflure qu'avait faite à Charles Lallemand, baron de Vaite, le plat d'étain lancé par le général impérial Charles de Mansfeldt, était, nous allons le démontrer rapidement, une pure fantasmagorie. Et d’abord, toutes les inscriptions transcrites dans la cha- pelle de Souvans pèchent par leurs caractères intrinsèques, une Seule exceptée Manplus récente ea plus tnodestes gravée, on s’en rend compte, pour relier en apparence Jean Lallemand, le grand homme de la race, à dix aïeux imagi- (1) « Memoria Hugonis Lalemand, militis, legatus in exercitu Philipp Burgundiae et deinde tribunus militum dun Leodium Carrolus ex- pugneret anno Dni. maillesimo CCGC sexagesimo octavo » (2) « Mémoire de Pierre Lalemand, escuier. Et mourut au service de Monseigneur le duc et comte Charles à la bataille de Morath, contre les Suysses. » (3) € Cy gissent Guillaume Lalemand, escuier. filz Guillaume le viel, damoiselle Louyse de Rosey, sa femme, et Guillaume Lalemand le jeusne leurs filz, dalle. Catherine Boudier sa femme, lequel Guillaume le jeusne trespassa le vingt seplième de février l'an mil cinq cens el un, sad. femme le vingt cinquième de février l’an mil ei cinq cens. » — 195 — naires. On ne voit jamais, dans aucune des 1,000 à 1,500 épi- taphes du x11° au xvi* siècle, dont le texte nous est parvenu, des textes lapidaires conçus comme les inscriptions de Sou- vans. Le tribunus militum de 1405 et de 1468, le Crisopolis de 1336, ne sont nullement conformes aux habitudes litté- Horres du xv° ou du x1ve siècle. Les caractères extrinsèques sont encore plus inquiétants. Les Jouffroy n'étaient pas connus en 1398; les de Plaine n'avaient pas encore, en 1405, la noblesse qu'ils ne con- quirent que vers 1450: la chapelle N.-D. de Souvans était loin d’appartenir à la famille de Lallemand en 1598, lors d’une soi-disant fondation attribuée à Jean Lallemand, prêtre, et Etienne Lallemand son frère; puisqu'elle appar- tenait en 1506 aux familles de Darbonnay et d’Anglure (1), La série des tombes et des inscriplions de Souvans cons- titue donc une création intégrale, faite pour renforcer ses quartiers, par l'un des descendants de Jean Lallemand. N'ayant pas reculé devant un groupe pareil d'inscriptions fictives pour étayer huit degrés généalogiques, lPauteur ano- nyme de cette création imagina un point d'appui parallèle, et en faisant graver, dans l’église des Cordeliers de Dole, une épitaphe par Nicolas Lallemand, fils de Jean, mort le 24 avril 1585, la même main que je n’oserais qualifier de pieuse, y rappela sommairement € que sa famille a été illus- trée depuis 1200 par plusieurs chevaliers et grands capi- taines » (2. Quel était cet auteur, quelle était cette main ? (1) Pouillé diocésain, vo Souvans, G 1, p. 581-582 (Arch. du Doubs). (2) « Aux Corde:iers de Dole, dans la nef du côté du septentrion, est l'inscription de « messire Nicolas de Lalemand, seigneur de Crissey, Belmont, etc., bienfaiteur du couvent, décédé le 25 avril 1585. Sa noble famille a ete illustrée depuis 1200 par plusieurs chevaliers et grands capifaines, spécialement par messire Jean de Lalemand, père _de Nicolas, chevalier, baron de Bouclans et Vaite, seigneur de Crissey, Pellemont, Augerans, Grosun, etc., plénipotentiaire auprès des princes pour sa patrie. » — J. GAUTHIER, Recueil d'Epilaphes, n° 51 (Bull. de l’Académie de Besançon, 1901). — 196 — Tout fait supposer que ces supercheries sont l’œuvre de Claude: François de Lallemand, baron de Vaites, capitaine de cuirassiers, qui obtint de Philippe IV le titre de baron de Lavignv, le 20 novembre 1663. Ayant à solliciter un titre de la faveur royale, il dicta puis produisit le certificat complai- sant de 1660, dont la lecture, singulièrement suggestive, supplée seule aujourd’hui, puisque la chapelle de Souvans ne contient plus aucune tombe, aux inscriptions funéraires qui, Jadis, vraies ou fausses, ont pu lui servir de dallage. Ce qui jusüfie notre hypothèse, c’est, avec la date relative du certificat émané du baillage de Dole, ce fait très concluant que les personnages visés dans les soi-disant tombes de Souvans sont cités dans le même ordre dans les patentes de Philippe IV (1). Cette série fictive fut du reste insérée in ex- tenso dans la Chenaye-Desbois où elle remplit à elle seule dix degrés, tous faux (2). Notre démonstration est donc finie, mais une conclusion s'impose. Il est un texte tiré de la sagesse des nations qui reste éternellement vrai dans tous les temps et sous tous les régimes : Superbia ascendit semper. Ce texte recommande, comme nous le recommandons nous-mêmes, une méfiance accentuée vis à vis de toutes les généalogies, et une pru- dence extrême dans l’examen de toutes leurs preuves et la justification de tous leurs degrés. (1) Erection de la baronnie de Lavigny, 1663, fol. 92-97 du ms. 1203 Es bliothèeque de Besançon). (2) LA CHENAvE-DESBoIs, Dict. de la Noblesse, 1770, ve de Lallemand. 191 PIÈCES JUSTIFICATIVES l. — Livre de raison de Jean Lallemand, baron de Bouclans, secrétaire d'Etat de Charles-Quint (1536- 1560 ). 4. — [Pierre Lalemand fut né à Montigny le may 1536 (?)] ..... environ l'heure de vespre, et fut son parrain M'le cardi- nal de La Baulme, evesque de Genefve et depuis archevesque de Besançon, et marraine dame Guillemette de Chaussin dame de Vauldrey, baptisé en l’église St- Gregoire dudit Montigny et pour patron la Ste Croix en may et madame Sie Anne. Marié à damoiselle Jeanne de Montfort. 2. — Jean Lalemand fut né à Bouclans le & aost 1537, baptisé miraculeusement à Nostre Dame de Beauprel par messire Jean Boisset, mon chapellain, et enterré audit lieu près le grand haultel devant le cyboire. Et avoit sa recommandation vouée à la Visitation Nostre Dame. 3. — Claudine ma fille fut née audit Montigny, le mecredy dernier jour de septembre 1538, entre cinq et six heures du soir, baptisée audit lieu. Ses parrains furent damp Jehan de Maisierres, abbé de Rosières, marraine dame Claude de Rye dame de Rolle et Costebrunne. Et ast pour patrons Monsieur St Hyerosme et Monsieur St Claude où elle fut porté au ventre de sa mère audit an 1538. Mariée avec Claude de Cicon s' de Rischecourt et Gevigny, et est enterré audit Gevigny, a laissé un fils dudit s' nommé Marc de Cicons. 4. — Claude Lalemand, mon fils, fut né audit Montigny le mecredy 22° de may 1540, environ les onze heures devant midy, baptisé audit lieu. Furent ses parrains mee, Claude de La Baulme, mareschal de Bourgogne, maraynne dame Antoine de — 198 — Longvy, de Rye et de Rahon, et pour patrons Mr St Claude et le St Sacrement son protecteur, car il fut né la veille de la Feste- Dieu. Marié a damoiselle Anne de Mailly de laquelle a heu deux fils, mourut en sa maison a Belmont le 23° doctobre 1585 et est enterré en la chapelle dudit lieu; l’un de ses fils at esté marié en l’eage de vingt et deux ans avec damoiselle Catherine de Montrichard, en l’an 1581, que fut quattre ans avant le trespas dudit fils sr son pere. L'autre fut marié a N. de Chaffoy mère de Mons” de Vaittes vivant 1661. 5. — Catherine ma fille fut conceue et engendré audit Monti- gny porté au ventre de sa mère en Flandres, en lan 1541: au- quel an, le 22° d’aost, au retour dudit Flandres, fut né audit Montigny, environ l’heure de neufz avant midy baptisé ledit Jour et pour parrain damp Vincent Marlet abbé de Billon et da- moiselle Claudine du Vernoy dame d’Usye. Fut mariée a Philippe de Sambye sr de Montjouran. 6. Guillaume Lalemand fut nez audit Montigny, le dernier jour daost 1542, par un jeudy à unze heures devant midy. Par- rains mee. Louys de Vers abbé de Mont-Ste-Marie, marainne dame Anne de Ray, dame de Roulans et Poupet, et par sa spé- ciale advocation la Nativité Nostre Dame. Ste Anne et S'e Ana- thoille. Louyse sa femme fut à St Denys rendre sa dévotion à pied. Marié à damoiselle Loyse de Grospain. 7. — Nicolas Lalemand fut nez audit Montigny le sambedy 16e du mois de febvrier 1542, environ les huit heures du soir du- dit Jour, audit Montigny. Et heust pour parrain meée. Nicolas Perrenot s' de Grandvelle, et marraine damoiselle Barbe Faul- quier, dame de Grandvaux et pour spéciaulx advocatz et protec- teurs Mr St Jacques et en espéciale recommandation la Purifica- tion Nostre-Dame. Marié à damoiselle Eve de Melligny, de laquelle a laissé deux filles nommez Françoise et Jeanne Baptiste ; mourut à Dole le vingt quattrieme du mois de juillet 1585 et est enterré au cloistre des cordeliers dudit Dole. — 199 — 8. — Et depuis, assavoir le 43 de juir 1545, dame Anne Hanne- ton, ma femme, mère desd. enfans, fust malade au lieu de Bou- clans deux jours après le trepas de feu Monsieur de Domprel. Et dura sa maladie jusques au mardy neufvième jour de mars dud an, jour de la feste des Quarante Martirs, environ les huict heures du soir aud. Montigny, la où elle estoit venue la veille de feste sainct Symon et Jude, précenden lequel jour de mardy, ayant disposé de son testament et receu tous ses sacrements, elle rendit son ame à Dieu, que je supplie icelle colloquer en son sainct paradis. Amen. Amen. Et est au charnier de nostre chapelle de Bouclans. 9, — Et le 18 de septembre de lan 1560, mee, Jean Lalemand chevalier, seigneur de Bouclans, Vayte, etc., mary de lad dame Hanneton et père des susd., mourut aud. Montigny après avoir departy et disposé de ses biens à sesd. enfans Dieu le vuille colloquer a son sainct paradis. Amen. Est aud. charnier de nostre chapelle de Bouclans. | (Fol. 74-75, n° 20361, BoisoT. Aujourd'hui ms. 1206, Bibl. de Besançon.) Il. — Livre de raison de Pierre Lallemand, marié à Jeanne de Montfort (1568-1574). Sur les feuillets de garde A-B d'un manuscrit sur vélin ; /eures fla- mandes du xvV® siècle, se lisent, précédées des monogrammes, noms et devises de Pierre Lallemand et de Jeanne de Montfort sa femme (Quoy qu’il soit, Lalemand, 1568; — Nul n’y peult, Pierre Lalemand; — Tel est l’heur, Jeanne de Montfort), les nativités suivantes, écrites par le pos- _ sesseur du volume : {. — Mathye Lalemand fust née à Montigny, le sanbedy sep- tiesme jour d’'aoust, envyron cinq heures au soir, l’an 1568. Et furent parain messyre Jacques de Tholonjon dict de Vienne, side Ruffey et chev. de l'Ordre de France, et dame Mathye de Cleremont, ausmonyère de Remyremont, marrayne. Loué soit fDieu) escript a nobis a l..... transnotavi septimus decembris anno 1568. 2. — L'an mil cinq cens soixante treize, Anne Pierre Lale- mand fust né le dymanche jour de feste saincte Trinité 17 de — 200 — may, environ les trois heures au matin avec le poinet du jour et la plainne la lune, vint au monde et fust tenus sur les fonts par messire Pierre de Grachault, chev., sr de Raucourt, et dame de Coue dame de Montfort. Dieu soit loué le 17 de (Amen) may 1573. 3. — Claude Lalemand fut né à Montigny le dymanche huic- tiesme d’aoust, l’an 1574, environ neuf heures et demye du matin et fust baptizé le 11 dud. moys sur les fonts de l’église dud. lieu et furent ses parain Claude Lalemand, s' de Bermont, et dame Dorothé de Montfort, dame de Remiremont, commère. Dieu soit loué. Amen. (Feuillets de garde du ms. 195, Bibl de Besançon.) fl 71 ce Rocicté d'Émulation du Doubs, 1902. » _ Sceau et signatures de Jesn Lallemgnd-1525-1535 | | 1 UN MÉDECIN COGOUVERNEUR DE BESANCON AU XVIIS SIÈCLE Snap Cie JEAN GARINET Par le Dr Henri BRUCHON MEMBRE RÉSIDANT Séance du 11 janvier 1902 La grande obligeance d'un collègue à fait arriver entre mes mains la copie du Livre de raison d’un des médecins les plus appréciés de Besançon, au commencement du xvir* siècle, Jean Garinet. | Ce qu'était un livre de raison, la plupart de mes lecteurs le savent aussi bien que moi; peut-être en ont-ils trouvé dans leurs archives familiales. Nos pères avaient lhabitude de consigner sur un cahier spécial, sur la marge de l’œuvre de leur auteur favori, sur celle de leur livre d'heures, voire sur celle de leur registre de commerce, les faits importants de la vie de famille, de la collectivité à laquelle 1ls apparte- naient, les évènements intéressant leur région à tout point de vue, qu'il s'agisse de phénomènes atmosphériques, cli- matériques ou de faits politiques ou historiques. Par ces do- cuments, l’histoire locale se complète ou s’agrémente d’anec- dotes, d'incidents intéressants. Nous pouvons aussi, gràce à eux, reconstituer ce que pouvait être la vie d’un noble, d’un riche bourgeois, d’un négociant, d’un avocat, d’un mé- decin, à telle ou telle époque. | 14 Garinet, qui fut un personnage important de notre cité, nous a laissé pour ce faire des matériaux nombreux: car, non seulement il a rédigé un livre de raison, mais il a annoté les marges des éphémérides imprimées dans un Promptuaire qui ne le quittait jamais (1). Je voudrais vous exposer ce que fut ce docteur en méde- cine, co-gouverneur de Besançon pendant plusieurs années. Nous relrouverons au cours de sa vie quelques faits curieux se rapportant à l’histoire de notre cité. Nous envisaserons Jean Garinet comme homme privé, comine médecin, comme observateur, et enfin comme ma- gistrat municipal. Ce dernier titre prouve une fois de plus qu'il n’varien de nouveau sous le soleil, et qu’aussi bien au x viIe siècle que de nos jours les disciples d'Hippocrate ne dédaignaient pas de briguer les suffrages populaires et de diriger leurs concitoyens. Père de famille excellent, médecin estimé et aimé de ses malades, administrateur politique intègre et habile, croyant convaincu, observateur intelligent de tout ce qui se passait autour de ui. aussi bien comme futs historiques que comme phénomènes phvsiques, Garinet ne devait pas rester un in- connu pour ses concitovens actuels. Tel est le but que je me suis proposé, espérantvous y intéresser. Les médecins de Besançon étaient déjà, au xvri° siécle, assez nombreux; ils appartenaient pour la plupartà la bonne et haute bourgeoisie, Dès le xv° siècle. nous les trouvons désignés sous le nom de noble homme où de sage et hono- ruble maitre "Etun d’entre eux, Evon de Brive, étulchevalier en armes et docteur en médecine: d'auires praticiens de notre région, furent chanoines ou conseillers des dues de Bour- (1) Prompluaire de lout ce qui est arrivé de plus digne de mémoire depuis la créatio.r du monde jusques à présent, p r Jean d'Ongois Mori- nien. — laris, Jean de Bordeaux, 1579, Voir J. GAUTHIER, Livres de raison frane-comtois (Bulletin de l’Acadé- nie de Besançon, 1886, 135). oire gogne. M. Castan a fait connaitre un médecin municipal de Besançon en 1546 (1), Il devait prendre les mesures néces- saires pour éviter les épidémies de peste, soigner les ma- lades même nécessiteux, surveiller les officines, examiner avec les commissaires municipaux les nouveaux docteurs venant exercer dans la ville. Son traitement représentait la centième partie du revenu de la commune. En 1520, parmi les ordonnances municipales, rédigées par le secrétaire de la cité, Jean Lambelin, sous les auspices de Gauthiot d'Ancier, le petit empereur bisontin, nous trouvons des dispositions relatives à l’exercice de la médecine. « D'autant que les choses de ce monde sont plus chières et plus précieuses, d'autant plus “est-il nécessaire de pourvoir à icelles avec plus d'assurance. Or est-il que les corps et créatures rai< sonnables sont trop plus dignes que les biens de ce monde : par quoi il faut avoir plus d’esgard sur lPétat des médecins » (2. Les médecins devaient, à leur arrivée, se présenter à la municipalité, passer un examen d'aptitude professionnelle devant un jury de médecins-députés, et de commissaires de la ville, prêter serment de fidélité à la commune. fls devaient soigner les malades, pauvres ou riches, en loute conscience ; après avoir étudié la maladie, 1ls formulaient (Dieu aydant) au profit des dits maiades, Ils devaient assister à la prépara- tion de leurs ordonnances, avaient le droit de constater la bonne qualité des drogues, et, si elles étaient mauvaises, de les ruer au feu ou à la charrière (rue) («afin que le malade re- couvre santé et ne perde ni vie, ni argent et que le médecin at honneur et ne le compromette pas ainsi que sa pratique. » Les docteurs devaient, avec les commissaires municipaux, (1) Mémoires de la Sociélé d'Emulalion du Doubs, 1880. (2) Manuscrit des Archive: de Besancon, cité par B. PROST. — PROST, Documents pour servir à l’histoire de la Médecine en Franche-Comté, 1884. — 904 — inspecter les officines. [ls devaient dénoncer les cas de peste « pour qu'on puisse v remédier et sauver le reste de la cité à l'aide de Dieu et des bons saints ». Le praticien qui avait découvert un cas de peste et visité un pestiféré devait se retirer, s’enfermer dans sa maison et ne communiquer avec personne d'autre que les siens. C'est ce que l’on appelait la barre. Il pouvait, de chez lui, conti- nuer à soigner ses clients, mais, sans les voir et les appro- cher ; ce quine manque pas pour nous d’un certain piquant. En cas de peste confirmée, il y avait des médecins d’épidémie spéciaux ; mais tout praticien pouvait rester auprès de son ou de ses malades ou dans le quartier atteint, avec la per- mission de la municipalité ; en ce cas, il ne devait pas ap- procher des autres maisons et des autres citoyens, ainsi que les médecins de la peste. S'il obtenait l'autorisation de sor- tr, il se tenait au milieu de la rue, en ayant soin d’avertir ou de faire avertir qu'on ne l’approchât pas. En 1590, l’arche- vêque de Besançon, Ferdinand de Rye, recommande aux médecins, dès la première visite, d’exhorter le malade à se confesser, pour ne pas l’effraver et aggraver son état en le faisant. plus tard. Si, au bout de trois jours, le patient ne s’é- lait exécuté, le médecin devait abandonner, sous peine de se voir interdire lentiée de hétise /détietexc/dnianmue déchu de son grade et frappé d'amende (E. En novembre 1597, une ordonnance de Philippe If exige que les médecins soient gradués « es fameuses et appreu- vées universités, autrement ne seront tenus et réputés des qualités à eux données par telle promotion. » Seize ans auparavant, le même souverain, à la réquisition des Elats de la province, avait & prohibé à tous d’aller étudier ou résider hors desterres de son obeyssance, sans permission de la Cour, qui se donnera à temps et pour eux où notoi- rement la vraie religion catholique, apostolique et romaine (1) PRosT, d’après Statula seu decreta synodalia Bisuntinæ diocesis, = 005 — sera gardée ; à charge d’au retour apporter deues attestations des magistrats, évêques ou curés des lieux où ils auront es- tudié et résidé, d’avoir vescu catholiquement ; desquelles attestations seront prinses copies par le greffier de ladite Cour et enfilacées et gardées ». Le parlement de Dole, en décembre 1607, promulgue des dispositions analogues, sous peine d’être déchu et privé du friit et de l'effet du grade. Enfin en septembre 1649, un édit du même parlement décide que « les docteurs en médecine ne seront admis à l'exercer rière ce pays qu'au préalable ils n’avent présenté aux officiers des ressorts des lieux de leurs résidences, non seulement leurs lettres de docteurs. pour voir s'ils sont gradués en des universités sizes rière les estats de Sa Majesté ou en la Sa- pience de Rome, mais encore seront tenus, à peine arbitraire et de n'être pas soufferts en l’exercice de leur profession, de faire voir auxdicts officiers des attestations authentiques de leurs fréquentations et exercer pendant trois ans et avec as- siduité et estudes ; lesquelles attestations, quant aux études, seront signées des recteurs, professeurs, et scellées des sceaux des universités où ils auront estudié, et quant au dit exercice, 1l sera attesté avec sceaux par des officiers ou magistrats des lieux où ils auront pratiqué la médecine » (1), Je me suis laissé un peu entraîner par ce court aperçu de l’histoire de la médecine, mais, il était nécessaire de savoir quelle était la situation professionnelle de notre concitoven. J'aborde maintenant sa véritable biographie. Jean Garinet est né en 1575, à Montfaucon (2). Il quitta Besançon à l’âge de vingt ans, fut reçu bachelier en philo- sophie en France à Tournon, en Vivarais, Il fit ses études de médecine à Avignon et obtint le grade de docteur en 1605. (1) PÉTREMAND, Recueil des Ordonnances et Edictz de la Franche- Comté de Bourgogne. — JoBeLoTr, Suite du Recueil des Ordonnances el Edicts de la Franche-Comté de Bourgogne. — PRosT, loc, cit. (2) A. CasTAN, Notes sur l’Histoire municipale de Besançon, 1898, p. 102. — 206 — Plusieurs de ses amis lui dédièrent à cette occasion de sa- vantes ou piquantes épigrammes latines dont je vous fais grâce. Sur sa soutenance de thèse, nous n’avons que peu de renseignements. Quand, beaucoup plus tard, en 1650, son fils Thomas prendra à son tour ses grades dans cette même Faculté, nous saurons qu’il a été reçu avec approbation una- nime de tous ses juges et que l’archevêque lui a fait l’hon- neur d’argumenter contre lui. De 1600 à 1605, il a vécu assez modestement et nous apprenons qu’en « icelles années son profict » ne dépasse pas huit cents francs. Il est vrai que la monnaie d'alors ne peut se rapprocher de la nôtre. Reçu doc- teur, Garinet rentre à Besançon et épouse, le 12 novembre 1605, une jeune veuve, Guyonne Marquis, fille d'un médecin connu de Besancon. En 1606, il est reçu citoyen de la ville, sans avoir à payer la taxe ordinaire et obtient l'autorisation d'exercer la médecine. Ces requêtes sont d'autant plus faci- lement admises que le docteur Marquis est alors co-gouver- neur. Assez rapidement notre praticien acquit une belle si- tuation. En 1618, on le nomme prieur de la confrérie médicale de Saint-Côme et Saint-Damien. À cette occasion, est donnée chez Garinet une série de fêtes, précédées d’un concert à trois chœurs avec orgue, à l’église des Cordeliers, et d’un banquet offert aux trente-quatre musiciens qui ont prêté leur concours. Sa clientèle était déjà étendue et il en retirait à la fois honneur et profit, ainsi qu’en témoigne un compte fait au moment de la mort de sa première femme. La lutte pour la vie était déjà, paraît-il, dure à cette époque et peut-être se rappelait-on déjà le vieil adage Medicus medico lupus. « Voilà le dénombrement, au vrai de ce que j'ai gagné aux susdites années quoi qu'il n’y ait manqué de gens qui ont employé tous leurs efforts et le crédit des leurs pour rompre mes desseins, mais avec l’aide du souverain médecin, de mon assidu travail, de prévoyance, le tout accompagné de pa- tience, j'ai vaincu l'envie. Hic enim quatuor modis semper habebis paratum adversus invidiae et sycophantarum mor- — 207 — sus. » C'est là un sage conseil que l’on peut renouveler de nos Jours. | | Parmi les cliénts de ce médecin-philosophe, nous trouvons les noms connus de nombre de nobles de notre province, de riches bourgeois, de présidents et de conseillers des chambres de justice et ceux encore plus nombreux de cha- noines, d’abbés, de supérieurs de couvents. Je cite au hasard Léopold d’'Oiselav, comte de Cantecroix, grand écuver des Archidues, chevalier de la Toison d'Or ; le comte de Saint- Amour, le baron de Scey, l'archevêque Claude d’Achev, MM. de Granvelle, de Loray, d’Auxon, de Saône, la c mtesse de Roussillon, etc. L’année de son veuvage, à la requête de l’abbesse de Remiremont, à la sollicitation du docteur Nar- din, Garinet accepte la charge de médecin du duc de Bavière, à gage de mille écus, trein de cour et laquais entretenus. En 1633, il est appelé à donner ses soins à la duchesse de Lor- raine, pendant son séjour à Besançon. Il la guérit d’une jièvre catarrhale et en reçoit une magnifique bague ornée de diamants. Détail amusant et qui choque un peu nos idées actuelles, il la revend aussitôt à l’orfèvre qui avait fournie, et après une longue discussion, obtient enfin, malgré de vaines tentatives de dépréciation, la valeur réelle du bijou. Médecin d’une grande partie du clergé, on le prie de soi- gner les sœurs de Sainte-Marie au prix annuel de douze écus « S'il n’y a pas de maladies; s’il y en a, il recevra une hon- neste récompense. Nous trouvons en marge l’annotation naïve suivante : « Je n’en ai été payé que deux fois, » C’est encore à Garinet que s’adresse la confiance des Carmélites, des sœurs de la Visitation. Les nobles personnages de l’époque se faisaient déjà ac- compagner en voyage et aux eaux par leur médecin ; en prince de la science, l’auteur du livre de raison se fait ins- tamment prier et supplier pour accompagner à Spa la com- tesse de Saint-Amour, Ce déplacement dure quatorze se- maines et entraine comme dédommagement la somme ron- — 208 — delette de cent pistoles (la pistole valant plus de neuf francs). Praticien très consciencieux et renommé, notre docteur s'attache à ses malades et les aime. S'il a le malheur, comme tous ses confrères, de les voir succomber en dépit des res- sources de l’art, il note mélancoliquement « j’en ai éprouvé un desplaisir incomparable. Dieu l'ait en sa haute grâce. » Il semble avoir été payé en retour de son affection ; on l'estime, on l’honore. Ses clients les plus titrés sont parrains de ses enfants et ne lui marchandent point leur appui dans sa Car- rière politique. dans l'obtention de bénéfices pour les siens. Chaque année, à l’occasion des grands évènements de fa- mille, ou de ses succès électoraux, Garinet reçoit nombre de cadeaux ; l’énumération en serait prodigieuse et fastidieuse, on les adresse à tous les membres de la famille. [ei encore, nous retrouvons l'esprit plus que pratique qui nous a déjà surpris ; bon nombre de ces dons sont soumis, quand cela est possible, à l’estimation de l’orfèvre et souvent convertis en argent monnayé. Dans les listes innombrables que contient le livre de rai- son, dominent les bijoux, les montres, les pièces d’orfèvre- rie, de vaisselle d’argenterie, les surtouts de table, les reli- quaires, des œuvres d'art, des objets curieux, horloges, globe terrestre, tasse de bézoard à l'épreuve des poisons; puis viennent d’autres objets plus prosaïques, étoffes pour ses costumes, ceux de sa femme, de ses enfants ; une robe à la façon de Paris pour sa fille, uñ chapeau de demi-castor pour son fils, des bas de soie, enfin des confitures, des flambeaux de cire, des vins, des viandes de mesnagerie, c’est-à-dire des salaisons. D’autres de ses concitoyens laissent par testament à lui, docteur et ami, un-reliquaire, un objet d'art, une somme d'argent; parfois, c’est une donation complète ou de conséquence, comme une vigne, ou un bénéfice ecclésias- tique. Un de ses fils reçoit d’un chanoine la chapelle de Saint Jean-Baptiste de Bregille. Quelquefois la bonne volonté des donateurs est surprise et annulée. La marquise d'Autriche Me HE Dociété d'Emulation du Doubs, 1902. PÉE Armoiries du médecin Jean Garinet (/Ms. 1045, Bibl. de Besançon) 0 TUR AL ro 000 — laisse aussi une chapelle au jeune Garinet. « Je lui suis bien obligé de sa bonne volonté, dit notre père de famille, bien qu’elle n'ait pas été suivie d'effet » Un chanoine, membre de l’officialité, laisse par testament à son ami un grand ta- bleau : « I] l’estime par son testament plus qu'il ne vaut, je ne laisse de lui être obligé, c’est un témoignage de l'amitié qui à été entre nous par l’espace de 38 ans. » De la pratique et du savoir professionnel du médecin bi- sontin, le livre de raison ne nous permet guère de juger. Les quelques maladies que nous trouvions mentionnées, sont des fièvres catarrbales, des fièvres pestilentes que nous rap- procherions volontiers de la fièvre typhoïde, des dyssente- ries, des bronchites. En l’année 1638, la mortalité fut ter- rible à Besançon: « La mort m'a ravi la plupart de mes amis, tant du pays, que de la ville ». Deux nécropsies sont rapportées dans les éphémérides de Garinet. L'une d’eiles décrit le cas intéressant de l’abbé de Bellevaux, dont la vessie « contenait quatre pierres du poids de trois onces » La seconde rappelle la découverte, dans les reins d’une femme, de deux gros calculs et de huit petits. Plus intéressantes sont les relations des cas de peste à Be- sançon. En 1629 la maladie est signalée par Garinet dans Île quartier Saint-Quentin Conformément aux prescriptions, le médecin est barré, condamné à garder le logis trois semai- nes ; il en prend gaiement son parti, car il reçoit force ca- deaux qui, malgré ses aumônes, lui rapportent encore profit. En 1639, une forte épidémie désole la ville, l’auteur du livre de raison estencore barré, bien plus, la maladie pénètre chez lui. Deux servantes meurent, la quarantaine lui fait perdre une somme considérable. « Et me serait encore facile de sup- porter cette perte patiemment, n’était celle que j'ai fait de mon second fils, qui, par sa mort contagieuse, m'a laissé un regret qui ne se peut terminer que par la mienne propre ». Cette phrase touchante m'amène tout naturellement à vous parler de la vie privée, de la vie famihale de Garinet. Nous — 210 — savons qu'il s'était marié peu après son arrivée à Besançon, en 1605, avec une jeune veuve, fille d’un médecin apprécié, co-gouverneur de la ville. Guyonne Marquis mourut en 1622 : son époux lui consacre deux épitaphes touchantes. Il se con- sole rapidement cependant, puisque, l’année suivante, il épouse Claudine Henry, fille d’un avocat, docteur en droit. Les enfants de sa première femme, ses beaux-fils et belles- filles assistent à la noce, ainsi que son premier beau-frère, et lui font de superbes cadeaux. J'ai déjà insisté suffisamment sur les dons faits au docteur. en maintes occasions, pour qu'on pense qu’en celle-ci ils abondent. La mariée reçoit cinquante-sept bagues en or enrichies de pierreries. Cette seconde union fut féconde, car il en naquit cinq fils et quatre filles. La mention de chaque naiss-nce est accompagnée de la désignation du signe du zodiaque, du quartier de la lune, du nom du saint dont relève le jour de l'accouchement, et le bébé fait son entrée dans la famille, accueilh par cette phrase : « Dieu lui fasse la grâce de bien vivre pour bien mourir ». Le pauvre père eut la douleur d'assister à la mort de trois de ses fils et de deux de ses filles. Les parrams des enfants sont toujours de nobles personnages, le comte et la comtesse de Cantecroix, le seigneur des Auxons, la comtesse de Rous- sillon, le prieur de Morteau, larchidiacre de Salins. Tous font à leur filleul de magnifiques cadeaux : laccouchée reçoit pièces de confiserie, massepains, pâtés de venalson, volailles d'un poids extraordinaire, viandes de mesnagerie. On en- voie à la famille des flambeaux de cire jaune, des confitures sèches, des dragées ; à la sage-femme, aux domestiques, on fait largesse en argent. L’ainé des jeunes Garinet entra aux Minimes et fit le voyage de Rome ; il dit sa première messe en 1648 et mourut à l’âge de trente ans. Le troisième devint le docteur Thomas Garinet quise maria et eut du vivant de son père DIDSUTS enfants. dont un termina le livre de raison. Des filles, une seule épousa un docteur en droit, les autres he Ta — 911 — entrèrent au couvent ou moururent en bas âge. De tous les documents que nous trouvons réunis dans le livre de vie, il semble ressortir que Garinet fut un excellent père de fa- mille, doux et extrèmement bon Il fit donner à ses enfants une éducation très complète et à ce propos, il lui arriva une mésaventure ; le précepteur de la famille, sans doute un jeune intellectuel de lPépoque, lui déroba une somme assez ronde et des bijoux. Bien que le voleur conservât une partie de ses larcins, au su de son maître, celui-ci lui fit grâce. « J’ai eu pitié de ce pauvre mi- sérable et lui ai donné moven de-se sauver et de faire bon voyage. Dieu lui fasse la grâce de voir et de bien reconnaître sa faute. » Ce souhait charitable ne devait pas être exaucé, car nous trouvons ce post-scriptum. CI a été depuis pendu et estranglé à Dijon ». Cette fois 1l dut regretter les bons Bisontins. Croyant convaincu, notre bourgeois se remet, lui et les siens, aux soins de la Providence, du souverain médecin. Il est prieur de Saint-Côme et Saint-Damien et plus tard de la confrérie des co-gouverneurs et des notables, la confrérie de la Croix. Nous savons que plusieurs de ses enfants en- trèrent dans les ordres, il fut le médecin et l’ami d’un de nos archevêques, de nombre de chanoines et d’abbés. L’obtention d’une place d'honneur, d’un banc au pied de la chaire de Saint-Pierre, l’achat d'une sépulture dans cette église ou dans celle des Carmélites sont pour lui choses d’une importance colossale. Administrateur Zélé de la fortune familiale, il est toujours prêt à transiger pour éviter les procès « labyrinthe dont il est difficile de se développer. » Il n’eût pas été Comtois et Bisontin s’il n’eût aimé la terre et la vigne. Legs, acquisitions nous mentionnent la possession de vignobles à la Grette, à la Croix d’Arènes, à la porte de Charmont, à Rognon, les vergers de la Raye près des fortifications. Les récoltes, pas moins qu'aujourd'hui, n’allaient sans déboires ; en 1658, nous — 9212 — trouvons enregistrée, avec forces doléances, la perte géné- rale (dans la ville) du vin de l’année précédente. À côté de la partie prosaïique de sa vie, notre docteur semble avoir eu des prétentions aux belles-lettres ; c'était un bel esprit, Comme on disait alors. Il compose des épi- grammes, des épitaphes en français ou en latin. Au cours de sa vie politique il est seul capable, parmi les gouverneurs, d’haranguer en latin le général des capucins, de passage en la ville, et qui, ne connaissant pas un mot de français, échange des visites avec la municipalité. Il a des notions étendues pour l’époque €n astronomie, tire l’horoscope de ses clients, observe avec attention les phénomènes météoro- logiques, les cataclysmes qu'il nous mentionne comme inté- ressant la région. Au milieu des évenements de Ja vie de famille, se trouvent relevées les particularités des saisons. En 1693, les abrico- üers fleurissent en janvier : en 1624, ce sont les violettes et le bois gentil. Cette dernière année avait élé féconde en fruits, plusieurs pommiers avaient porté deux fois leurs récoltes. Nous savons que le ciel de Besançon tient rang honorable parini les ciels pluvieux, c’est peut-être pour maintenir une vieille réputation. En 1606 et en 1626, il y eut procession générale avec le Saint-Suaire et la châsse de saint Prothade pour obtenir la cessation de la pluie qui, avec la grêle, a presque universellement gâté les biens de la terre. En 1693, un ouragan violent éclata, le vent a été si fort qu'un charre- ter et ses chevaux, passant sur le pont de Baume, ont été emportés et noyés. Les cheminées de la ville tombent en quantité En janvier 1645, une auire bourrasque cause des dégâts pour plus de cent mille écus. Les clochers de l’église Saint-Vincent, de la Madeleine, celui des Dames de Battant sont découronnés, ou ont leur toiture enlevée ainsi que la plupart des maisons de la ville, les mürs sont renversés. Le cyclone ravage aussi les propriétés de Garinet, à la Rave et à Montfaucon. — 215 — Les inondations étaient très fréquentes; en 1651, elles at- teignent une intensité qu'on ne leur avait point vue depuis #10 Au cours de la crue, les eaux ont envahi l'église du Saint-Esprit et y atteignent comme hauteur trois pieds de toise « tellement que pour ôter le Saint Sacrement qui était sur le grand autel il a fallu entrer dans l’église avec un ba- teau. Toute la sacristie des Cordeliers (1) a été inondée à trois pieds Les malheureux propriétaires ou amateurs de bons vins avaient, comme à présent, leurs caves envahies, et trop souvent les tonneaux « espenchaient leur contenu ». Gest ce qui arriva en cette circonstance, mais noire doc- teur a été épargné : « Dieu a voulu que ma cave ait été exempte de ce malheur. » En 1615 apparait une comète qui annonce, au dire de Ga- rinet, de grands malheurs : la mort de empereur d’Allema- gne, Mathias, de son frère Maximilien, de l’impératrice, enfin des guerres qui ravagent l'empire. En 1650, en 1651, on ressent à Besançon des tremblements de terre. Le premier fut très marqué. « Le bruit m'a esveillé soudainement et me semblait que notre maison tombait. Les Mères Cordelières ont été tellement effravées qu’elles ont couru en leur chœur, pour prier Dieu, comme ont fait plusieurs religieux et reli- gieuses ». Contemporain des premières incursions des Français en Franche-Comté, Garinet ne devait les passer sous silence. Eu 1620, le duc de Bouillon, de connivence avec quelques habitants, tente sur Besançon une surprise qui échoue. En 1639, les incursions des Français s’avancent jusqu'aux portes de la ville, ils ravagent les fermes de la banlieue, enmmenent bestiaux et récoltes. Notre pauvre père de fa- nulle est particulièrement éprouvé, c’est la même année où la peste ravage sa clientèle et lui enlève son fils : «Je puis dire avec vérité que J'ai perdu lant par la peste que par la (1) Ancien Collège catholique. guerre plus de huit mille francs, Dieu veuille qu’à Pavenir le même malheur ne me poursuive plus. Cependant ja. entretenu un ménage de plus de douze personnes parmi une cherté extraordinaire de toutes choses, à peine ayant reçu depuis le siège de Dole la somme de cinq cents francs d’arrérages ». [l s’estime relativement heureux, ear il a pu se maintenir en sa situation malgré le malheur des temps. «Ainsi le bon Dieu m'a assisté de ses libéralités sur les orandes pertes que nous faisions, son nom soit béni éter- nellement ». LEE De ci, de là, dans les Ephémérides, nous trouvons con- signés des faits intéressants d'histoire générale. En 1621 meurt le pape Paul V, Grégoire XV lui succéda jusqu’en 16923, puis viennent Urbain VIIT (1623-1644), Inno- cent X (1644-1653), Alexandre VIT (1655). En 1626, le prince de Condé vient, à Besancon, en pélerin, visiter la relique fameuse du Saint-Suaire. En 1650 est re- latée son arrestation ainsi que celles du prince de Conti et du prince de Longeville, par ordre de Mazarin. En décembre 1626 se fait, à Besançon, une procession générale en l’honneur de la prise de Prague par les armées impériales commandées par le duc de Bavière et le comte de Bucquoy. Garinét apprend au sermon à Saint-Jean que les généraux furent convaincus par la prédication d’un carme déchaussé de l'opportunité de l'assaut qui leur Hvra la ville le jour de la Toussaint. « Tous les bienheureux nous prête- ront la main si vous leur tendez la vôtre », aurait dit le reli- gieux. En 1633, le duc de Lorraine, Charles IV et sa femme, la belle franc-comtoise, Béatrix de Cusance se rendirent à Besançon. L'histoire nous apprend que cette visite d’un de ses ennemis exaspéra Richelieu contre la ville libre et fut peut-être une des causes des hostilités qui suivirent. Le 16 décembre 4638 a lieu le sacre de lan CREVER Claude d’Achevy, protecteur de Garinet. , Somme toute, nous voyons que ce médecin, en dehors de LS — 215 — sa besogne journalière et de ses soucis de père de famille, prévoyant, s’intéressait à bien des choses et faisait profit de ce quil voyait, entendait, apprenait; il le notait et nous nous intéressons aux évènements qu'il mentionne. Il me reste à vous parler de sa vie politique (1). Permettez-moi de vous rappeler, d'après lintéressant ouvrage de M. Castan, comment s’exerçait le gouvernement municipal à cette époque. Tous les ans, chacun des sept quartiers de la cité, ou des sept bannières, car chacun avait son étendard, élisait quatre notables, soit vingt-huit en tout. Is avaient un président annuel et nommaient les quatorze gouverneurs où cCogouverneurs connus encore sous le nom de Messieurs. Chacun de ces derniers présidait leur asser - blée au gouvernement par huitaine. [s possédaient le pou- voir exécutif de la ville pendant un an Deux gouverneurs étaient affectés à chaque quartier. Ils instruisaient et Ju- geaient avec le juge impérial, résidant à Besançon, les procès de toute nature. Les sentences étaient prononcées et exécutées par une des trois cours de justice existant alors, la régalie, la vicomté, la mairie. Les arrêls étaient définitifs en matière criminelle ; au civil, ils ne pouvaient être réformés que par le conseil aulique de Pempire, Les notables inspectaient leurs quartiers sous Île rapport de la police, de la voirie, de la salubrité, ils dénonçaient les délits au pouvoir exéculif. Ils avaient le droit de remon- trance aux gouverneurs Comme organes du peuple et de- vaient être consultés pour toute mesure 1imputante aux procès criminels de quelque gravité. Les anciens gouverneurs (1) De la carrière municipale de Garinet, 1l reste un jeton en cuivre re- | présentant : au droit, dans une couronne laurée, ses armes : un petit jars [oie, Jarinetus] éployé, le col entouré d'une couronne de laurier, avec la devise : NIHIL CONSCIRE SIFI; au revers les armes de Besançon, avec cette légende : VESUNTIO CIV. IMP, LIBERA, et cet exergue : 44 POUR : LES : COMPTES — 916 — de la cité étaient appelés pour l'établissement des lois ou les questions de la politique extérieure. Nous avons appris que les deux beaux-pères de Garinet avaient été gouverneurs de notre cité. Lui-même fut élu par- mi les notables de la bannière de Saint-Pierre en 1626 « par la faveur de ses amis ». C'était la seconde année de la ré= forme dite intercalarité (ou renouvellement partiel}, qui avait pour but de réfrener un peu les manœuvres électo- rales. De 1626 à 1641, le praticien bisontin est réélu régulière- ment. Il ne nous cache pas que les nominations ne se fai- saient pas sans brigues et sans intrigues, qui ne l’épargnèrent pas, car il était fort connu. Plusieurs fois il réunit le plus grand nombre de suffrages sans avoir, 1l le mentionne avec orgueil, jamais usé des compromissions et des offres d’ar- gent que d’autres de ses collègues n’épargnaient pas. Quand il est barré pour la peste, on lui accorde, faveur extraordi- naire, d’avoir encore voix déhhbérative. Le secrétaire vient en face de sa maison chercher le vote de notre bon conseil- ler municipal pour la nomination des co-gouverneurs et la présidence des notables, qui échut cette anuée-là au comte de Saint-Amour. Cette présidence lui avait été offerte à lui-même dès 16928, il avait refusée à cause des obligations, charges et scru- pules de sa profession. En 1641 le surt lui est contraire, il en accuse lui-même l'indifférence qu'il avait apportée à la campagne électorale. C’est, en effet, le moment de ses chagrins de famille, de ses revers de fortune. Ses collègues le regrettent et le lui manifestent en lui donnant malgré tout quatorze suffrages pour le faire élire gouverneur. Les nouveaux notables ont payé cher leur victoire, trois mille francs, somme considé- rable pour l’époque ; l’un d’eux a dû sacrifier 500 écus. Dès 1642, ii reprend sa place à l’assemblée et est nommé co gouverneur avec 26 suffrages sur 28 votants. Il reçoit de Le 138 se. . Se. nombreux présents et donne un festin, il offre le pâté à ses nouveaux collègues. Son intelligence, sa connaissance des affaires municipales devaient être très appréciées, car, pen- dant nombre d'années, il reste au conseil municipal et re- çoit, comme leur président, le flambeau de redevance des Jésuites, Ses armes sont gravées à côté de celles de Mes- sieurs ; il les fait placer, ainsi que celles de sa femme, sur son banc à l’église Saint-Pierre, sur sa sépulture et sur les portes, balcons et fenêtres de sa maison. En 1646, de graves difficultés éclatent entre les gouverneurs et les notables, qui ne veulent accepter certaines nouvelles dispositions. Ora- teur estimé, Garinet est désigné pour les conférences entre les parties, pour haranguer le gouverneur du Comté, le baron de Scey, et enfin un conseiller privé de Sa Majesté, venu pour fare une enquête dans la ville. [1 doit « aller le visiter et laniormer de la vérité sur ce que l’on avait écrit à Sa Majesté de nos desportements ». La mission réussit, le commissaire impérial repart satis- fait. « Aussi avait-il sujet de se contenter, puisque nous payâmes toutes ses dépenses, lui fimes grande chère en la maison de ville, où furent appelés les 28 avec nous, payämes les habits de deuil qu'il fit ici faire pour la mort de l’impé- ratrice et de plus, la veille de son départ, je lui présentai de la part de Messieurs deux cents ducats. » Il eût fallu être difficile pour ne pas se montrer de bonne composition avec d'aussi braves gens, aussi apprenons-nous que le conseiller privé narra à l’empereur merveilles sur la Municipalité et conclut son rapport en disant que, « s’il y avait au monde un paradis terrestre, c'était à Besançon ». Gardons précieu- sement cette appréciation si flatteuse et probablement unique d'un grand de l’Empire et efforçons-nous prochainement de l'obtenir de nos contemporains. Cest un but que je me per- mets de signaler à nos édiles pour égaler leurs devanciers du xvure siècle et répondre aux médisances dont on accable notre vieux Besançon. 15 — 218 — Mais l'horizon politique continue à s’assombrir, revoici les brigues, les offres d'argent au moment des élections. Malgré tout, Garinet reste gouverneur, il est même élu prieur de la confrérie municipale de la Croix. Les confrères de la Croix, ou pénitents noirs, secouraient les pauvres honteux, les or- phelins, les prisonniers, assistaient les condamnés à mort. En 1651, une nouvelle crise municipale éclate, elle ter- mine le rôle politique de notre médecin. Tous les gouver- neurs sont changés à la suite de nouvelles discussions avec les 28. Il y a, dans la rue, une petite émeute, les sergents qui exécutent les ordres des gouverneurs sont battus par la populace, excitée par les notables °CeneciNSonteres rendre compte de leur conduite devant Sa Majesté Impé- riale, qui leur inflige un blâme, genre de punition assez pa- terre, Depuis ce moment, Garinet quitte la vie publique, il reste au milieu des siens, nous apprenant avec une grande joie la naissance de ses petits-enfants. En 1657, la situation de la famille est assez florissante pour qu'à la naissance d’un fils du docteur Thomas on refuse tous les présents. C’est dans cCettemeémeannee et trois mois apres le bapréme le jour de la Toussaint, que s'éteint l’auteur du Livre de raison. Cette mort est mentionnée longtemps après par un de ses petits-enfants, qui termine par quelques annotations person- nelles le manuscrit dont je viens de vous entretenir. Con- formément à ses volontés, Garinet dut être enterré près de ses enfants, dans l’église des Carmélites (1), dans une tombe qu'il avait fait préparer depuis longtemps: sur la dalle étaient gravées les armoiries de la famille, que nous repro- duisons à la suite de cette étude, et au-dessus devait se trouver un grand tableau représentant sant Bruno. J'ai peut être insisté trop longuement sur la vie de celui (1) Rue de Glères, aujourd hui maison Charnaux. Société d’Émulation du Doubs, 1902. PI. IL. Armoiries de Guigonne Marquis, première femme de Jean Garinet. Société d'Énulation du Doubs, 1902. PI II. Armoiries de Claudine Henry, seconde femme de Jean Garinet . — 219 — que j'appellerai un très honorable et honoré confrère, j’es- père que ses mânes me permeltront cette familiarité. Il m'avait semblé que c'était une figure originale de notre vieille bourgeoisie à faire sortir de l’oubli en mettant en lu- mière le cadre au milieu duquel elle passa, toujours active et laborieuse, et en faisant connaitre dans un tableau rapide l’état des mœurs de son pays et de son temps. C’est avec grand respect qu'un docteur en médecine du xx° siècle rend hommage à un praticien contemporain de Louis XTIT et des premières années du règne du grani roi. Cest faire œuvre pie que de révéler chez lui un noble caractère, un grand dé- vouement professionnel et civique, une curiosité intelligente, une douce philosophie. Nous avons cru ainsi, pour notre faible part, atténuer un peu tant de critiques trop vives et de railleries plus ou moins fondées, adressées aux méde- cins de son temps. PIÈCES JUSTIFICATIVES EXTRAITS DU LIVRE DE RAISON DE JEAN GARINET (Manuscrit 1045 de la Bibliothèque de Besancon.) Page 10. « L'année 1595, je parti de Besancon le 29 äpvrilpour aller en France ou j'ay demeuré environ onze ans. | » Le 26 apvril 1600 je receu a Tournon en Vivarès le degré de bachelier es philosophie et dédia mes théses a Monsieur de St-Marcel d'Urfé. » Le 22 mars de l’année 1605, je receu le degré de doctorat en médecine à Avignon, auquel temps plusieurs de mes amis me donnerent quelques épigrammes pour faire imprimer dont j'en ay icy adjoute deux des principaux : Ecquid adhuce tentas fatum revocare medelis Fallere nam fatis nulla medela datur Perge tamen, fatis obsta, si fata secundent Nuin noimen fatis, capis hisce tuum. Blasius POUSSOTUS, doctor medicus. Page 11. ANAGRAMMATISMUS, Joannes Garinetus, Aegris nevit annos, Texere dent superi quos aegris neveris annos Namque AEGRIS ANNOS nomina NEVIT habent. Jacobus PETIT, theol. doctor el Socielalis Jesu. « Le 2% juillet de l’année 1605 j’arriva à Besancon, aprés le long séjour faict en France. » « Le 12 novembre 1605 j'espousa Guyonne Marquis ma pre- mière femme au gré de tous ses parens et fust en l’église de 007 + St- Vincent, estant pour lors curé Mons" Doroz en la parroisse St-Margelin. » « Le 6 juin 1606 j'ay esté receu citoyen en ceste ville, ayant seulement faict présent de deux mousquès, ayant esté gratifié de Messieurs de l’argent que coustumièrement donnent ceulx qui sont receus, ce que conste par la lettre de ma réception. » Page 12. « Fut Guyonne Marquis, ma première femme mourut le 24 mars de l’année 1622 pour memoire de laquelle et de l'affection que je lui avois je feis graver a St-Pierre, proche sa sépulture, l’épitaphe suivant : PATATE Sta hospes, saxum cui immines, vide fatum quod imminet praevide. Menti quae eminet, invide, Saxum vides quo Guydonae ex nobili Marquisiorum et Sonetiorum gente corpus elauditur fatum praevides quo te Matrona praeivit, in egenos benignissima, Menti invides quae nihil improbum vidit, nihil non probum vidit, fato praevidit cum abesset, fatum secura vidit cum adesset et voto durum patientibus invidit. Saxum vides, quod carissimi conjugis lacrymis intepuit, pauperum quaerelis ingemuit. Tu saxum vide, sed non saxeus. Mortem praevide, sed non im- providus. Menti invide sed non amens. Hoc te volui ut hoc velles. Quae jacet hic expers vitae nune laeta valeat Quod voluit medicus, si valuisset amor. » Page 80. « Mons’ Philippe, chanoine de l’insigne chapitre et official, est décédé le 14 aost 1643 et m'a légué par testament un tableau peint à huille, qu'il diet havoir heu jadis estant à Rome de Mon- seigneur l’illustrissime Claude d’Achey, archevesque de ceste — 222 — cité. Il l'estime par sond. testament plus qu'il ne vault. Je ne laisse luy en estre obligé puis que c’est un tesmoignage de l’a- mitié qui a estée continuelle entre nous par l’espace de plus de 38 ans. Dieu lui donne paix. » Page 81. « Le 28 octobre 1643 les RR. pères Jésuites m'ont faict pré- sent d’un trés beau plat à bassin avec son vase ou aiguière, ou- vrage rare et parfaictement faict. Quelques uns ont creu que c’estoit porcelaine, mais je tien que ce soit plustost ouvrage de Venise. De plus y ait adjoint deux grands fruictières mesme fa- çon et couleur. Et encores deux fruictières blanches, percées à : jour, avec deux chouettes blanches et violettes, en l’une des- quelles se voyent les armes de messire de Salive. Oultre ce encores un beau pot de la contenance d'environ un tier de channe, marqueté de diverses couleurs, avec deux aultres petites pièces. » Page 82. « Le 19 janvier 1645, les vents ont estés tellement impétueux en ceste ville depuis les 4 heures du matin jusques a 9 heures avant midy que la perte pour le desgat a estée de plus de cent mille escus. Le clocher de St-Vincent a esté renvercé, celluy de la Magdeleine, celluy des dames de Baptant et la pluspart des deux tiers des maisons particulières de la ville ont estées des- couvertes. Jay receu un grand interest en ma maison à la Raye, comme aussi à Montfaucon et en mon logis, ou présente- ment je demeure. » Page 84. « Et comme dois longtemps j'avois choisi l’esglise des R. Mères Carmelines pour y estre enterré, j'y ay faict porter une tombe sur laquelle j’ay fait graver les vers suivans : Adventorum mihi extremam dum suspicor horam Constitui vivens ossibus hunce tumulum. En la mesme église, près de la susdicte tombe est inhumé fut Pierre-Bruno Garinet, qui passa de ceste vie à l’immortelle le 30 juin 1645; la mort de ce cher enfant m'a laissé un regret qui ne s’oubliera qu'avec la mienne. » Page 87. « Le 19 mars, jour St-Joseph 1648, mon fils aisné a dict sa première messe en l’église des R. Mères Visitandines, lesquelles luy firent présent d’un très beau cingulum de soye à deux cou- leurs, d’une bouette à hostie et d’un estuy a mettre corporaux. » Les Mères Carmélittes luy envoyairent un couvre-calice de taftas rouge, couvert des Mistères de la Passion en or et soye, en plus grande valeur et beauté qu'aulcun aultre qui soit au pais. » Page 91 « Geste année 1651, sur la fir de novembre, les eaux ont esté tellement desbordées que depuis l’an 1570 l’on ne les avoit veu si grandes. Elles sont entré dans l’église du St-Esprit pour la haulteur de près de 3 pieds de toise, tellement que pour oster le St-Sacrement qui estoit sur le grand hautel, il a faillu entrer en l’église avec un bateau. Toute la sacristie des Cordeliers à esté inondée à trois pieds de hault. Plus de trois quarts des careside la ville ont receu un grand interest, les tonneaux couvert d'eaux, dont quelques uns ont esté espanchés. Dieu a voulu que ina cave ai esté exempte de ce malheur. » Page 95. « Depuis ce temps est mort mon grand-père Jean Garinet qui est celuy qui à eserit le contenu cy dessus et depuis ais aug- menter ce qui suit. » Mon grand-père mourut l’an 1657, la veille de la Toussainct 2 de novembre, et n’at pu escrire les enfants suivant que ma mère Marie Privé a eust. » LE MARÉCHAL DUC DE RANDAN Lieutenant-Général au Gouvernement de Franche-Comté (1741-1773) Par le Dr BOURDIN Séance du 10 mai 1902 Nescio quà natale solum dulcedine cunctos Ducit, et immerores non sinit esse sui. (Ovip.) Depuis longtemps il existe dans ma famille le portrait d’un ancien heutenant-général au gouvernement de Franche- Comté, Guy-Michel de Durfort de Lorges, plus connu géné- ralement dans ce pays sous le nom de duc de Randan !1), et bien qu’il n'ait laissé dans l’histoire, malgré les hautes si- tuations qu’il ait occupées, que la réputation d’un galant (1) En Auvergne il était plus connu sous le nom de maréchal de Randan, comme l'indique le passage de cette notice: « Guy-Michel de Durfort, ma- réchal de France, est désigné, tantôt sous le nom de duc, tantôt sous celui de maréchal de Randan. C’est sous ce dernie, nom qu'il était plus géné- ralement connu surtout en Auvergne, où on se rappelle l'avoir vu quel- quefois. Quant au titre de duc de Randan, on ne le trouve qu’une fois et on pourrait croire que c’est par erreur. Le duché de Randan était éteint et la terre redevenue comté. Mais il se peut que dans sa jeunesse, Guy- Michel de Durfort ait été connu d’abord, non sous le titre de duc mais bien sous celui de comte de Randan et qu'il n'ait plus voulu quitter ce nom. En effet, en 1758, époque de la mort de son père, se voyant sans en- fants, il céda le titre de duc de Lorge à son frère cadet Louis de Durfort, lieutenant général, et qui avait porté jusque-là le titre de comte de Lorge et pour nous i ne fut plus connu que sous le titre soit de duc, soit plutôt de maréchal de Randan. » (Recherches sur Randan, 1 vol. in-40, 1830). — 295 — homme et d’un homme galant, j'ai pensé qu’il pouvait être intéressant pour notre Société de retracer, dans une courte notice biographique, les traits principaux de son passage au milieu de nous. Ce portrait, qui n’existe pas dans nos musées comtois et dont la rareté fait peut-être le seul mérite, représente le duc en tenue de maréchal de France, avec l’habit et la cu- lotte écarlates, le bâton fleurdelisé à la main, la poitrine barrée du grand-cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit. Près de lui se trouvent sa cuirasse et son casque panaché de blanc. Le cadre, en bois sculptéet doré, surmonté de deux branches de chêne dont l’enlacement forme une sorte d’au- réole au-dessus de la tête du sujet, est de style Louis XVI, et par conséquent légèrement postérieur au portrait lui- même. Ce portrait n’est ni daté, ni signé: mais il est facile de lui …_assigner une date voisine de: 1768, époque à laquelle le duc a été promu maréchal de France, et antérieure à 1773, an- née de sa mort. Quant à l’auteur, il nous reste inconnu. Plusieurs peintres croient reconnaitre la facture de Wyrsch dans le fini et le modelé de la figure et des mains et dans la négligence souvent voulue de cet artiste pour certains détails et surtout le manque de correction du dessin dans l’ensemble de la composition. C’est ainsi que le buste, bien posé d’aplomb, est parfait, tandis que les jambes, au contraire, vues en raccourci, paraissent trop courtes, la droite principalement. Or nous savons que Wyrsch faisait toujours asseoir les per- sonnages dont il peignait les traits et que son attention _ principale se portait sur le port de la tête et des epaules, qu'il soignait tout particulièrement, et souvent au détriment du reste de l’ouvrage. D'autre part, cette attribution n’a rien qui puisse nous étonner, Wyrsch ayant été en quelque sorte le peintre officiel des personnages marquants de son époque. = 99p © D’autres amateurs pensent que ce portrait ne serait que la réduction d’un tableau plus grand que le maréchal aurait fait reproduire un certain nombre de fois par Wyrsch pour en faire cadeau à son entourage. Nous ne partageons pas cette manière de voir, car nous savons combien les ar- istes de la valeur de Wyrsch aimaient peu à se répéter, et 1l est probable, d’un autre côté, que si ce portrait avait été plus répandu, on en eût trouvé certainement d’autres exemplaires en Franche-Comté, où résident encore les descendants de la plupart des familles qui ont servi le duc. Le musée de Châlons-sur-Marne possède un tableau sem- blable que le hasard m'a fait découvrir l'année dernière en me rendant au camp de Châlons. Le catalogue porte simple- ment la mention suivante : « Portrait d’un maréchal de France au XVIIF siècle ». Il est entré dans ce musée avec une collection d’autres tableaux et objets d'art vers 1860, à la suite du décès d’un généreux donateur, mais sans iadi- cation de provenance ni d'identité. M. Bellevaux, maire de la commune de Vadans (Haute- Saône), possède un buste en plâtre du maréchal, monté sur un pied cannelé, et qui doit dater de la même époque que notre portrait et celui de Châlons-sur-Marne. C’est la même pose, le même costume et surtout la même physionomie in posante et majestueuse avec cet air de douceur et de bonté que chacun lui reconnaissait. [l avait été donné en caz deau par le maréchal à son médecin, M. Jeannot (1), ancien médecin de marine, attaché à sa personne et aïeul mater- nel de M. Bellevaux ; aussi n’a-t-il jamais quitté cette fa- mille et se trouve-t-il dans un état de parfaite conservation. (1) On remarque dans l’église de Thervay (Jura) une pierre tombale avec l'inscription suivante : € Ci-git Monsieur Jeannot, de Thervay, ancien chi- rurgien de la marine, généralement aimé et estimé et très regretté de sa famille. Décédé le 14 février 1818, âgé de 67 ans. Requiescat in pace. Amen. » 907 M. Bellevaux a bien voulu, avec son obligeance habituelle, nous permettre d'en prendre la photographie. ; Ces deux portraits et le buste dont il vient d’être ques- tion, rendent assez bien la physionomie du personnage qui, au dire des mémoires du temps, avait un air imposant et majestueux, cet air de grandeur auquel on reconnaît de suite l’homme fait pour commander aux autres et une assu- rance que seule peut donner l’habitude du pouvoir et du commandement. Pétdueideé Randan, né en 4704, mort en 11775, était le petit-fils du maréchal duc de Lorges, ancien gouverneur de Franche-Comté, celui qui, après la mort du maréchal de Tu- renne, fut mis à la tête de l’arrnée et releva si bien le cou- rage des troupes, attérées par une perte aussi sensible, qu'il put les mener de nouveau au combat et remporter la vic- toire d’Altenheim. Il était le fils de Guy-Nicolas de Durfort, duc de Lorges, comte de Quintin, qui avait épousé Thérèse Chamillart, fille du ministre de ce nom sous Louis XIV. La terre de Randan, par suite de la mort de la duchesse de Lauzun, sa tante, survenue en 1740, à laquelle elle ap- partenait soit comme héritière testamentaire de son mari, le fameux duc de Lauzun(l), soit plutôt comme exerçant ses reprises matrimoniales, étant donné le peu d'harmonie qui régnait dans ce ménage si mal assorti — le duc avait qua- rante-deux ans de plus qu'elle -— la terre de Randan, dis-je, passa dans la maison de Lorges et Guy-Michel, son neveu, réunit alors l’usufruit à la propriété, dont sa tante l'avait déjà investi dès 1793 (2). Quelques auteurs pensent que ce fut au détriment de son (1) Le duc de Randan, dont nous nous occupons, était donc le neveu, à la mode de Bretagne, du célèbre duc de Lauzun, le favori de Louis XIV, dont chacun connait la haute fortune et les malheurs plus grands peut-être encore que la fortune. (2) Année de la mort de son mari, (£urope vivante el mourante, par l'abbé D’ESTRÉES). — 298 — frère Louis que cette donation eut lieu ; mais il est à présu- mer que le duc ne fit que profiter d’un droit indiscutable à cette époque, le droit d’ainesse, et que c’est pour la même raison et en vertu de cet usage que la duchesse de Lauzun, sa tante, crut devoir en faire son seul et unique héritier. Elle avait, en effet, pour les deux frères, la même affection, car, victime innocente de la Jalousie de son vieux mari, elle ne s'était retirée et enfermée au château de Randan que pour se consacrer entièrement à l'instruction et à l’éduca- tion de ses deux neveux, qu’elle affectionnait tout particu- lHèrement. Colonel à l’âge de dix-neuf ans suivant les usages du temps et mestre de camp d’un régiment de cavalerie qui portait son nom, il guerroya longtemps en Lombardie, en Allemagne et en Flandre, prenant une part active à toutes les actions militaires de cette époque. Brigadier de cavalerie en 1734, maréchal de camp en 1740, ü1l fut investi en 74 du commandement militaire de la Franche-Comté en rem- placement de son cousin, le due de Duras, qui venait d’être nommé maréchal de France et appelé à Paris. Par son mariage avec Mk Elisabeth Philippine de Poitiers qui, à la suite d’un procès retentissant dont le dernier mot ne fut dit qu'au Châtelet, était entrée en possession de tous les biens de la famille de Rve(l), grâce an testament de Ferdinand de Longwy, dit de Rye, archevèque de Besançon, son grand-oncle, le due devenait un des plus riches et des plus puissants seigneurs de Franche-Comté. De plus, il arri- vait dans notre pays précédé d’une réputation militaire de premier ordre et avec le titre de commandant en chef pour Sa Majesté Très Chrétienne au Comté de Bourgogne. Son entrée solennelle dans la ville de Besançon eut lieu le (1) Nous possédons dans notre collection de monnaies et médailles un jeton portant au droit les armes des de Rye et en exergue : « Girard de Rye, seigneur de Balançon », el au revers les armes de sa femme et en exergue « Lovse de Longvy, dame de Vuillafans ». at 1° juillet 1741 et fut marquée par des réjouissances publi- ques, des distributions de vivres aux pauvres et des illumi- nations très réussies, au dire des chroniques (D. La ville entrevoyait une ère nouvelle de prospérité et de plaisirs ininterrompus. En effet, sous les auspices du duc, les fêtes allaient succéder aux fêtes, les grandes réceptions, avec leur animation coutumière, allaient commencer et les repré- sentations scéniques s’installaient brillamment au palais Granvelle, en attendant que la salle de spectacle, qui était déjà projetée, pût enfin ouvrir ses portes. Un comédien, du nom d'Armand, à la fois auteur et acteur, y remporta de grands succès. Avant de quitter Besançon pour aller se mon- trer sur une scène plus grande, à Paris, il adressa au duc de Randan lépitre suivante : Monseigneur, pendant l'intervalle Qu'il faut pour bâtir une salle, Trouvez bon qu'il me soit permis D’aller faire un tour à Paris, Pour voir la face débonnaire D'un quidam qu’on nomme mon père, Et lui conter de bonne foi Vos fréquentes bontés pour moi. Je m'ébahis quand j'envisage Tous les frais qu’exige un voyage : D'abord, 11 me faut un habit Que Carret me fait à crédit, Sur lequel ce tailleur modeste Ne me volera qu'une veste; Car je prétends bien faire honneur À la troupe de Monseigneur, Et qu’à Paris chacun s'écrie, Considérant ma friperie : Ces comédiens de Besançon Parbleu, se mettent de bon ton! Comime on le voit, tout fut à la Joie et au plaisir et on peut dire, avec le comte Hugon üe Poligny, que le jeune duc arri- (1) Journai de l’avocat Grimont, mss. 1039-1041, Bibl. de Besançon. — 9230 — vait dans la province « avec l’escorte légère des plaisirs dont il ne pouvait se passer et auxquels beaucoup de gens étaient empressés de prendre part (1) ». Princièrement installé dans l'hôtel du commandement, l’ancien hôtel Montmartin (2), qui est aujourd’hui la propriété des Dames du Sacré-Cœur, il possédait à Balançon, dont il était devenu le seigneur, avec le droit de haute, basse et moyenne Justice par suite de son alliance avec Mike de Poi- tiers, héritière des de NRC CunAdes plu Meme plus anciens châteaux de la province. C’est là surtout qu’il aimait à séjourner pendant de longs mois, pour s’y reposer des soucis et des fatigues du commandement, dont il aban- donnait du reste assez facilement la gérance à son neveu. Les fêtes qu'il y a données sont restées célèbres entre toutes et, pendant de longues années, Balançon est devenu le ren- dez-vous de tout ce que la province comptait de personnages marquants par leur naissance ou par leurs talents et d'illus- trations féminines. Le Château de Balançon. Le château de Balançon 6), dont l’origine remonte à l’é- (1) HuGoN DE PoriGny, La Franche-Comté ancienne et moderne. (2) L'hôtel Montmartlin a été construit par le maitre maçon bisontin Ri- chard Maire, sur l'emplacement de l’ancienne tour Montmartin, conformé- ment à l'ordre du cardinal de Granvelle, qui mourut en 1586 avant l'ache- vement des travaux. Il fut acquis par la ville en 1618, et, après avoir été pendant quelque temps utilisé comme manège, il fut attribué comme ré- sidence au lieutenant général. On appela dès lors cette maison « le Gou- vernement », car le gouverneur qui avait pour résidence le palais Gran- velle était presque toujours absent de Besançon et c’est à l'hôtel Montmar- tin que se traitaient réellement les affaires de l'Etat. En face de l'hôtel, se trouvait une petite place pavée qui permettait aux attelages de tourner et de circuler commodément, et que, pour cette raison, on nommait un «tourne-bride ». La ville vendit l'hôtel en 1793 et les Dames du Sacré- Cœur l’achetèrent en 1823. (3) D’après une légende recueillie dans le pays, il existerait un souterrain — 9231 — poque romaine, est placé en amphithéâtre sur la rive gauche de l’Ognon, dont 11 domine la magnilique vallée et à lem- branchement de trois grandes routes, ce qui a valu son nom au village de Thervay (1) (tres viæ), situé en contre-bas à l’ouest et à quelques centaines de mètres seulement du chà- teau. Les sires de Pesmes en ont été’les premiers posses- seurs pour passer ensuite aux de Rye et finaiement à Mlle de Poitiers, épouse du duc de Randan. Rousset, dans son dictionnaire historique des communes du Jura, nous apprend que ce château avait quatre tours, trois carrées et une ronde, d’une hauteur de vingt à vingt-cinq mètres, qu'il était entouré d’un fossé de trente-cinq mètres de largeur et de dix mètres de profondeur, qu'un pont-levis, flanqué de deux de ces tours, en défendait l’accès et qu'enfin sa superficie totale, dépendances comprises, était d'environ quatre à cimq hectares. Balançon eut à soutenir des sièges fameux, dont l’histoire nous entrainerait tron loin. Qu'il nous suffise de rappeler _ qu’il a été successivement assiégé par La Trémoille en 1477, par Tremblecourt en 1595, par La Meilleraie en 1636, par Beauquemare en 1674 et qu’enfin il servit de base d’opéra- tions et de centre de ravitaillement, ainsi que les châteaux voisins de Pesmes et d’Ougnevy, pendant les conquêtes de Louis XIV. Cest ainsi que Bussy-Rabutin s'exprime au commence- qui faisait autrefois communiquer le château de Balançcon à celui de Mont- mirey-le-Château. On montre encore dans ce dernier l'entrée présumée de ce souterrain mais aucune fouille n’est venue encore confirmer ce fait. D'un autre côté, bien que cela ne soit pas extraordinaire, il ne faut pas _ perdre de vue que ces deux chäteaux sont distants l’un de l’autre de quatre à cinq kilometres en ligne droite, (L) Jusqu'à la Révolution, Thervay s'écrivait Tervay, sans h, orthographe plus conforme à son étymologie. Il est vrai que quelques étymologistes font venir Thervay, Tervay, Trevai, de strata via, rue pavée. En effet, la voie romaine de Pontailler à Besançon traversait ce village et était pavée, comme l’étaient toutes les voies romaines. RC) = ment de ses mémoires : « Le prince de Condé entra à la fin de May dans le comté de Bourgogne par Auxonne avec une parüe de l’armée et le grand maître de l'artillerie par Pon- tailler avec l’autre, de laquelle était le régiment de mon père qu’il laissa dans la ville de Pesme après l'avoir prise et il me donna l’ordre de me saisir d’un château nommé Balançon à deux lieues de là et d'y mettre un capitaine avec cinquante hommes ». De son côté, l’intendant de l’armée française Tarnelle éeri- vait de Pesmes au marquis de Louvois : « Nous venons de prendre les châteaux d'Ougnev et de Balançon, tous deux au marquis de Varembon, situés entre l’Ognon et le Doubs et qui nous incommodaient fort ». | Le duc affectionnait tout particulièrement cette princière demeure, dont il avait lui-même surveillé agencement inté- rieur et qu'il avait meublée avec un goût exquis. L’inventaire du mobilier fait après son décès et que M. Gauthier a re- trouvé et gracieusement mis à notre disposition ne laisse au- cun doute à cet égard. Les jardins, le parc et le boulingrin avaient été dessinés et tracés suivant la mode anglaise : c’était là une innovation en Franche-Comté qui devait souvent être imitée par la suite. On avait répandu à profusion les statues de marbre, de pierre, de céramique, dont le due avait fixé lui-même les emplacements et dont l'inventaire nous donne une curieuse description. Il faut citer, entre autres, deux statues représen- tant l’une un bücheron et l’autre une baigneuse, puis cinq autres en terre cuite nous montrant un groupe d'enfants, une vendangeuse, une marchande de fruits, un joueur de flûte, etc. Une seule paraît avoir échappé à la tourmente ré= volutionnaire et se trouve à Jallerange (1), dans une maison particulière. « Au centre du parc, qui était superbe, nous dit Marqui- (1) Chez M. de Jallerange. os set dans sa statistique de l'arrondissement de Dole, l'artiste avait su ménager une rotonde de verdure garnie de bancs et au milieu de laquelle s'élevait une pyramide élégante, chargée de bas-reliefs sculptés et de galantes devises. » Le maréchal de Belle-Isle vint un jour avec sa femme rendre visite au due de Randan à Balançon. La description qu’il donne de ce château, dans une lettre datée d'Oulins, est intéressante à citer : « Nous sommes partis de Plombières, Madame de Belle-fsle et moi, le 9 pour arriver le 43 chez le duc de Randan à Balançon, après avoir passé par Verdun. C’est un vieux château sur le bord de Îa rivière du Doubs (sie) qui traverse des prairies immenses, terminées par des coteaux garnis de plusieurs villages. Le duc à pratiqué dans la cage de l'escalier, qui est vilaine extérieurement, vingt- huit logements de maître ; ceux que J'ai occupés et que j'ai été voir sont extrêmement commodes et agréables. [Il a fait un magnifique potager qui communique par des allées dans un bois qu'il a percé et accommodé dans le modèle de la Ferté, ce qui procure des promenades à l'infini et d’autant plus agréables que le terrain est doux comme du velours et toujours sec par la grande quantité de rigoles et de petits aqueducs qui en tirent toutes les eaux, quelque pluie qu’il fasse. En total, c’est une très agréable habitation, d'autant plus que c'est en même temps une très belle terre. » C’est dans ce cadre merveilleux et que je ne saurais mieux dépeindre, que s’est écoulée en grande partie l'existence franc-comtoise du duc de Randan, et c’est là, dans un vil- lage des environs, à Thervay, qu'a été retrouvé son portrait, égaré sans doute pendant la Révolution, et conservé à peu près intact jusqu’à ce Jour: rare épave d’un passé déjà loin- tain et d’un grand nom disparu. Aujourd'hui, en effet, de cette illustre demeure, qui a été vendue en 1793 comme bien national, il ne reste plus que des murs délabrés, des pierres croulantes et retenues à erand'peine par le lierre qui les enlace, quelques motifs 15 one de sculpture finement travaillés dans les encorbellements des portes et des fenêtres et où domine le marbre de Sam- pans, et dans la cour d'honneur, une colonnade en pierre polie surmontée de chapiteaux renaissance dont les côtés intérieurs sont encore bien conservés. Des quatre tours, deux existaient il v a peu de temps encore et donnaient au touriste l'illusion plus complète de l’ancien château-fort. Aujourd’hui il n’en reste plus qu'une seule et nous ne dou- tons pas que les travaux entrepris par son nouveau proprié- taire, M. Druhen, ne conservent à notre pays ce dernier vestige d’une de nos plus puissantes forteresses féodales et l’un de nos plus précieux souvenirs archéologiques dont les photographies actuelles ne veuvent malheureusement nous donner qu'une bien faible idée de son ancienne importance et de sa grandeur passée. Rapports du duc de Randan avec la Municipalité. Malgré le faste somptueux dont le due de Randan entou- rait son existence et l’accroissement des dépenses qui en ré- sultait pour la ville de Besançon, les rapports entre le duc et la Municipalité restèrent empreints d’une grande courtoi- Sie voisine de la Corcialité. C'est peine en’eret de temps à autre, le magistrat ose élever de timides observa- tions. C’est ainsi que lorsque le duc fut nommé pour comman- der dans la province, en 1741, il exigea que toutes les glaces de lPhôtel du gouvernement fussent achetées et installées aux frais de la ville. C'était là une forte dépense que celle- ci hésitait à accepter, en faisant - valoir la modicité de son budget et les dépenses toujours croissantes nécessitées par sa situation de chef-lieu de la province et de ville de guerre (), (1) « Sous l’ancien régime, il était d'usage que les bourgeois des places fortes devaient le logement aux militaires de la garnison. Les villes qui Fa — 92355 — mais le duc passa outre et nous trouvons dans l’inventaire dressé après son décès, un certain nombre d'objets mobi- liers, et parmi eux, beaucoup de glaces avec leurs trumeaux qui n’entrèrent pas en ligne de compte et furent restituées à la ville (1). Lorsque Louis XV, à son retour de Metz, où il venait d’être si dangereusement malade, traversait la France aux acclamations unanimes de son peuple, qui l'avait surnommé le « Bien Aimé », dût s'arrêter à Vesoul, le duc lui présenta six Compagnies très richement équipées et magnifiquement armées (2). [Il reçut, à leur endroit, un compliment flatteur que suivit de près le grade de lieutenant-général. Pendant assez longtemps, la ville hésita à solder la dépense de cette coûteuse intervention, mais elle dut céder à la fin à l’in- jonction qui lui était faite : le duc était grand et voulait faire grand, : voulaient exonérer de cette charge leurs habitants devaient construire à leurs frais des casernes, les meubler et les entretenir. » (Besançon et ses environs, par À. CASrAN, nouvelle édition, complétée et mise à Jour par L. PINGAUD.) Besançon n’échappait donc pas à la règle générale, et on retrouve au- Jourd'hui encore, dans toutes les casernes de la ville, d'anciennes plaques de cheminée portant au centre les armes de Besançon, avec la date de leur fabrication. Ces plaques, qui n’ont plus leur raison d’être, les cheminées ayant disparu des casernes, sont utilisées comme dessous de poêles pour protéger les parquets. Aujourd'hui, les villes font parfois des sacrifices pécuniaires énormes pour posséder des troupes qu'elles considèrent comme une source de revenus, et l'Etat bénéficie, comme autrefois, de cette situa- lion, en accordant ce qu'on lui demande quand cela est compatible avec les intérêts de la défense nationale et le service militaire. (1) «… Les appartements manquaient de glaces : la municipalité, mal- gré ses résistances, paya cet embellissement deux mille sept cent quatre- vingt livres. » (Mon Vieux Besançon, nar G. COINDRE.) (2) « Les compagnies bourgeoises faisaient honneur à la ville lorsqu'elles défilérent, au mois d'octobre, devant le roi Louis XV à son passage à Ve- soul. Equipées de neuf, leur tenue était un habit de drap de Lodève écar- late, à parements de panne noire et brandebourgs aux couleurs noire, Jaune et rouge. On leur avait adjoint trois hautbois et un basson, dont les instruments étaient drapés de volants en camelot rouge. » (G&, COINDRE, Mon Vieux Besançon. — 236 — Plus tard, en 1759, la ville reçoit la duchesse de la Tré- mouille, fille du due de Randan, venue à Besançon avec la duchesse sa mère. La municipalité, nous dit Castan dans ses Notes sur l’histoire municipale de Besancon, soupait d’ordi- naire à l’hôtel de ville quand une réception de ce genre avait lieu, mais la misère des temps et l’épuisement de la caisse ne le permettaient pas. On se contenta d'offrir à ces dames des gâteaux et des confitures sèches (D. Plus tard encore, en 1766, la pauvreté de la ville et les économies que lon cherchait à réaliser empéchèrent de faire aboutir le projet du gouvernement, éminemment hygiénique pourtant, d'augmenter le nombre des lits dans les ca- sernes, afin que chaque soldat ait son lit et que les hommes ne soient plus obligés de coucher deux à deux (2). Les ins- tances du duc de Randan restèrent sans succès [lest vraide dire qu'à cette époque c'était, Comme nous le savons, à la ville qu'incombait le soin de meubler les casernes en grande partie et les dépenses de ce chef s'étaient accrues singuliè= rement depuis la conquête. En revanche, nous allons voir comment le duc savait par- fois, quand il le voulait, conseiller et même au besoin im- poser des économies. Le 6 janvier 1768, il est créé maréchal de France, tout en conservant le commandement militaire de la province. Les conseillers municipaux, qui se faisaient les interprètes de la ville entière, voulurent célébrer cet évenement en grande pompe. Il s'agissait de donner un bal et d'organiser des ré- Jouissances publiques dont le souvenir fût resté. Le duc s’y Opposa en raison € de la chereté des vivres et de la rigueur de l'hiver ». En même temps, il faisait distribuer aux pauvres de la ville 400 mesures de blé, dont les curés de (1) CASTAN, Histoire municipale de Besançon. (2) Cette coutume a persisté Jusqu'à la Révolution. Seule, l'expression camarade de lit a subsisté pour indiquer le voisin de lit, Se D a RS Be RES Po de 2. FRS 1704-1773 FE Y £chaAz puc DE RANDAN Le Mar à RLMUITRTEE Ci SR Societé d’'Emulation du Doubs, 1902. | MON VON RES TL EN AU, — 9237 — chaque paroisse furent chargés de faire la répartition, et 6,000 livres de sa cassette particulière aux pauvres de ses terres, que son intendant, le sieur Isabey, reçut l’ordre de verser. Quant à la municipalité, malgré la défense qui lui en avait été faite, elle fit illuminer néanmoins devant l'hôtel de ville et l'hôtel du commandement. Entre temps, le duc de Randan s’occupait des affaires de la province, dont le gouverneur, qui n’y venait que rare- ment (1), lui avait laissé toute la charge ; mais 1lne le faisait, que d’une façon très irrégulière, en raison de ses absences nombreuses et de longue durée de Besançon Aussi son pre- mier soin avait-il été de pourvoir son neveu, le vicomte de Lorges, de la survivance de lPemploi de lieutenant-général en Franche-Comté et quand ce dernier mourut, ce fut son propre frère, le duc de Lorges, Louis de Durfort, qui lui fut associé pour commander la province, et qui à la mort du maréchal, survenue en 1773, réunit sous son nom les terres de Randan et de Lorges et le remplaça effectivement et no- minativement dans tous ses titres et dignités. Il est même question dans les chroniques d’un vin d'honneur offert par la municipalité au duc de Lorges, venu pour commander à Besançon en l'absence du duc de Randan, son frère. Les questions militaires semblaient pourtant l'intéresser davantage et primaient toutes les autres à ses veux, car tout en lui rappelant sa jeunesse, qui s'était passée dans les camps, elles devenaient pour lui l’occasion de fêtes magni- fiques et d’invitations nombreuses dont il était si prodigue. À cette époque, en effet, les parades militaires, les re- vues, les exercices et même ce que nous appelons aujour- . d'hui les grandes manœuvres, étaient à l’ordre du jour. Cest ainsi qu'au printemps de Pannée 1751, eut lieu le si- (l) Cest ce qui explique pourquoi le due de Randan est souvent, par 5 G } 6 Sa . Four É erreur, appelé du titre de gorverneur, bien qu'il n’ait été réellement que leutenant-général au gouvernement de Franche-Comté. — 238 — mulacre d’un siège qui fut, paraît-il, très intéressant. On avait construit au polygone un fort en miniature muni de toutes ses défenses. Le duc de Randan vint en personne en commander l’attaque, et, pour cette manœuvre, le régiment de Tressel et six compagnies de la milice avaient reçu l’ordre de venir se joindre à la garnison de la place. Ces ma- nœuvres ne différaient de celles d’aujourd’hui qu’en ce qu’elles servaient le plus souvent de prétexte à de grandes réjouissances et à des fêtes sans égales. Toute la noblesse des environs se faisait un devoir d’v assister, les dames suivaient à cheval ou en carrosse comme s’il se füt agi d’une chasse à courre, et le soir était généralement réservé à des dîners de gala, des réceptions brillantes ou des bals improvisés. En 1752, le comte d’Argenson, alors ministre de la guerre, voulut réglementer ces manœuvres et imstitua des camps d'instruction, dont six furent créés l’année suivante. La ville de Gray en vit un s'installer sur les bords de la Saône. Une instruction royale réglementait l'administration et la disei- pline de ces camps, comme par exemple : « l'obligation pour tous les officiers, y compris les colonels, de camper avec leur régiment; l’interdiction faite aux officiers de chasser, de jouer aux jeux de hasard, etc. Leurs tables seront servies sans luxe ni recherche, et dans les haltes, il ne devra être servi que des viandes froides sans aucun ragoût ni autre des- sert que du fromage ». Ces instructions n'étaient pas précisément suivies à la lettre, car la chronique nous apprend que chaque soir M. de Randan recevait plus de cent personnes à sa table, M. de Beaumont soixante, etc. Ces diners se prolongeaient fort tard et duraient une partie de la nuit. Les camps d'instruction de- vinrent des camps de plaisance et il est peut-être difficile aujourd’hui de nous faire une idée du faste qui régnait à cette époque où chacun se disputait les imvitations de ces illustres personnages, à la table desquels c'était un grand honneur d’être admis. — 090 Le camp d'instruction de Gray fut done commandé par le duc de Randan, ayant sous ses ordres le comte de Graulle, commandant la cavalerie, le marquis de Montconseil, com- mandant l'infanterie et enfin son propre neveu, le comte de Lorges. Ces manœuvres durèrent du 1er au 30 septembre. Les pre- miers Jours furent employés à l'installation et à Porganisation des troupes. Le 4 septembre, le duc en passa la revue et à ce propos écrit au ministre qu'il a trouvé toutes les troupes belles et bien tenues. « Les régiments d'Alsace ont cependant, dit-il, amené beaucoup de malades, mais j'espère que Île changement d'air et le beau temps les rétabliront complète- ment. Les troupes témoignent bonne volonté et le début me donne tout lieu d'espérer que vos instructions seront parfai- tement remplies ». Plus loi, il expose le programme qu'il compte appliquer. « Messieurs les inspecteurs vont d’abord exercer séparément les troupes jusqu’à ce qu'elles soient en état d’être rassem- blées. Je compte qu’elles pourront lêtre dans quelques jours et que, dans les premiers jours de la semaine prochaine, nous commencerons à faire alternativeraent avec les exercicesetles _ évolutions, les manœuvres générales que j'ai prejetées et qui seront très instructives dans les terrains que j'ai reconnus ». Les exercices continuèrent alors en suivant une progres- sion marquée. Le 10, il y eut un « fourrage ». Le duc de Randan en rend compte au ministre de la façon suivante : € J’ai fait avant-hier, Monsieur, un fourrage dont vous verrez ci-joint le détail et la carte. Je ne peux donner assez d’éloges à l'infanterie. Toutes les manœuvres ont été exécutées avec la plus grande précision La cavalerie témoigne également bonne volonté, mais n’est pas aussi instruite. Je vais lui faire faire un exercice général, etc. ». On voit de suite que c’est un ancien colonel de cavalerie qui parle et qui sait reconnaître les moindres fautes d’une arme dans laquelle il a brillamment servi. — 9240 — Le 14 septembre eut lieu une manœuvre à double action. Le parti de l’attaque était commandé par le comte de Lorges et celui de la défense par le marquis de Montconseil qui oc- cupait, en avant de Gray, les deux côtés de la route qui s’é- tend de Gray à Dole. Toutes les instructions générales et de détail furent données par le duc de Randan, qui rappelle entre autres les prescriptions du ministre qu'il est expres- sément défendu à « tous soldats d’avoir aucune balle ni plomb ou moule pour en couler, de cueillir aucuns fruits, herbages ni légumes...; de couper aucun arbre fruitier ou autre, ni aucune haie, ni d'entrer dans les vignes, etc. ». L'action se déroula entre Champvans et Gray; il y eut des attaques, des combats d'infanterie, charges de cavalerie, re- traites, etc. Tout avait été prévu pour la bonne instruction de tous. Le 16, les troupes décampèrent, passèrent la Saône et vinrent occuper les hauteurs en arrière et au nord de la ville de Gray, où les exercices continuèrent comme dans la pre- mière période. Il y eut, notamment, « un fourrage » le 22 septembre et une manœuvre générale le 24, à laquelle toutes les troupes, divisées en deux armées, l’une française, l’autre anglaise, prirent part. Malgré cela, leur nombre n’était pas très élevé en raison de la diminution progressive des effectifs par le fait des malades, aussi le duc de Randan s appliqua-t-1l surtout «à renfermer dans ce simulacre de combat plusieurs diffé- rents mouvements d'exercices et à v faire pratiquer les diffé- rents feux prescrits par les nouvelles instructions ». La dislocation eut lieu à partr du 29 septembre et les troupes regagnèrent leurs garnisons respectives (1). (1) Les camps d'instruction réunis en 1753 étaient au nombre de six : en Hainaut, à Aymeries-sur-Sambre; en Champagne, à Villers près Maiziè- res ; dans le pays Messin, sous Sarrelouis; en Alsace, à Erstin; en Franche- Comté. près de Gray, et en Languedoc, à Beaucaire. — Leur but était, en dehors de l'instruction à donner aux troupes, de masquer les mouvements NOM S + Ces grands rassemblements de troupes, qui avaient pour but l'instruction militaire, n'étaient pas les seuls en honneur à cette époque, les revues et les parades étaient fréquentes. C'est ainsi que la pose de la première pierre d’une caserne ou d’un fort servait de prétexte à des solennités militaires ou à des réjouissances nombreuses, auxqueiles le peuple, qui a toujours aimé les fêtes publiques, prenait une large part. En 1741, on décide de construire un nouveau pavillon mi- litaire sur la place des casernes, du côté de Bregille (1), Le 10 août, jour fixé pour la cérémonie, le maréchal donna l’ordre aux compagnies bourgeoises de prendre les armes avec drapeaux et fanfares. Les troupes se réunissent sur la place, où le duc se rend à cheval, suivi d’une brillante es- corte, tout en s'étant fait attendre très longtemps. À son ar- rivée, il reçoit les compliments de la municipalité et passe la revue des troupes, qu'il fait ranger ensuite en demi-cercle autour d’un fossé préparé à lPavance et où devait être posée la première pierre. Le manuscrit de l’avocat Grimont, qui nous donne les détails qui vont suivre, nous apprend que le maréchal descendit alors dans le fossé. IT se revêtit d’un ta- blier de maçon, on lui présenta une truelle et du mortier sur deux plats bassins d’argent et ce fut au son des violons, des hautbois, des timbales et des trompeltes et au bruit des boîtes à mitralle, que l’on faisait éclater sans interruption du haut des remparts, que le maréchal posa et scella Ia pre- mière pierre de la caserne. Cette solennité se termina par un défilé des troupes, auquel assistaient l'archevêque et son cha- pitre, les conseillers municipaux et tous les hauts fonction- naires de la ville. Puis, ce fut aux cris mille fois répétés de « Vive le maréchal », « Vive Monseigneur », que le duc fut ramené triomphalement à son hôtel, dans la rue de Cha- mars. et les rassemblements en cas d'hostilité imprévue. (Revue d'histoire rédi- gée à l'état-major de l’armée (section historique), année 1902. (1) Ce pavillon a été construit par Longin, architecte de la ville. Nous savons que la police de la ville était assurée à cette énoque par des militares qui, parfois, outrepassaient leurs droits et usaient trop largement de leurs prérogatives en fai- sant des arrestations qui, aux yeux des bourgeois. pouvaient paraitre arbitraires. Ce fut là souvent un objet de plaintes de la part du magistrat qui, après de nombreuses requêtes, ob- ünt que chaque patrouille fût accompagnée d’une personne de la ville. C’est ainsi que le duc, ayant donné l’ordre que les portes de la ville fussent fermées le soir en toute saison, l'hiver à cinq heures et demie et l’été à huit heures, ce dont les habitants étaient avertis par un coup de cloche, une heure avant la fermeture, la municipalité désigna un certain nombre de bourgeois qui, chaque jour, au nombre de six, devaient prendre la garde et accompagner les patrouilles dans toutes les rues de la ville. C’était un moyen de réprimer ainsi le zèle parfois excessif des soldats, tout en évitant les arrestations arbitraires dont nous venons de parler. En 1762, le duc donna l’ordre d'établir, en arrière du corps de garde de lhôtel de ville, une prison spéciale pour y rece- voir les maraudeurs arrêtés pendant la nuit et v enfermer les filles de mauvaise vie ainsi que les « carillonneurs », nous dit Castan, qui « essaieraient de faire violence à la garde ». C’est le premier essai dans notre pays de ce que l’on appelait déjà à cette époque « le violon », mot dort l’étymologie reste néanmoins très obscure (1). Le 6 janvier 1768, le duc de Randan est nommé maréchal de France, tout en conservant le commandement militaire de la province de Franche-Comté. Immédiatement la municipa- lité, en même temps qu'elle lui adressait ses compliments et (1) Quelques étymologistes supposent qu’à cette époque le local de la prison avait là forme oblongue d'une boîte à violon! Mais il nous parait plus simple d'admettre que, comme on ne peut pas danser sans violon, Ja po.ice offrait le violon à ceux qui chantaient et dansaient dans la rue, c'est- a-dire que l’on conduisait au poste ceux qui faisaient du tapage ou du scandale dans la rue, à des heures indues. ose ses félicitations pour la haute dignité dont il venait d’être in- vesti, donnait l’ordre d’illuminer et de pavoiser les maisons et les édifices publics, malgré Pavis qu’elle avait reçu du ma- réchal, comme nous l’avons déjà vu, de ne faire aucune dé- pense, « en raison de la chèreté des vivres et de la rigueur de l’hiver ». Peu de temps après, la municipalité eut l’occasion de se dédommager amplement : l'entrée solennelle du maréchal à Besançon devait être, en effet, l’occasion de grandes fêtes, qui eurent lieu le 22 juin suivant. Toutes les troupes étaient échelonnées le long des rues où devait passer le cortège; les maisons étaient décorées de feuillage, d’oriflammes et de dra- peaux aux armes du due auxquelles on avait ajouté l’insigne du maréchalat, deux bâtons croisés en sautoir; d'immenses transparents avaient été placés de distance en distance avec cette devise, que la municipalité avait eu le soin de dicter aux habitants : « Vive Monseigneur le maréchal de Lorges ». De grandes précautions avaient même été prises pour préve- nir les accidents; c’est ainsi que les rues pavées. avaient été recouvertes de paille pour éviter les glissades des chevaux. C'est à Château-Farine que le maréchal monta à cheval et, suivi d’une escorte brillante et nombreuse, il se dirigea sur Besançon En passant devant le polygone, le cortège est salué par de nombreux coups de canon qui se succèdent sans interruption, À l'entrée de la ville. le maire attendait avec les conseillers municipaux et les membres du parlement, tous en grand costume, robe de soie noire rehaussée de satin cramoisi. I] présenta au duc de Randan les clés de la cité sur un plateau d'argent. Le peuple fit alors retentir l’air de ses cris d’allé- gresse et de ses vivats prolongés, et c’est au milieu d’une double rangée de soldats, qui contenait à grand’peine la foule accourue de très loin, que le maréchal fit son entrée à Besançon, répondant par des saluts aimables à toutes ces ac- clamations. — 244 — Le cortège, qui se composait de vingt-quatre voitures, en tête desquelles marchaient celle de l'archevêque, celle du chapitre puis celle de la municipalité, qui avait renoncé à chevaucher à la portière du carrosse du maréchal. à la suite d’une aventure malheureuse survenue jadis à quelques-uns de ses membres, cavaliers improvisés (1), fit son entrée en ville, Sous un arc de triomphe magnifiquement décoré et se déroula ainsi à travers les rues jusqu à l’hôtel du commande- ment, où un nouvel are de triomphe était dressé. Les jeux et les amusements continuèrent alors pour les habitants : 11 v eut notamment des fontaines de vin installées sur plusieurs points de la ville, ce qui était alors une réjouis- sance très en honneur dans les fètes populaires, que n'ont remplacé que très imparfaitement nos fontaines lumineuses de ces dernières années et, le soir, il y eut grand bal public et 1llumination générale. La ville offrit également au due, en souvenir de son éléva- tion à la dignité de maréchal, un jeton d'argent dont nous trouvons la description dans un des annuaires pour le dépar- tement du Doubs. publié sous la direction de M. Gauthier. « Au droit sur un manteau dueal, avec deux bâtons de ma- réchal en sautoir, deux écus : Durfort de Lorges et Poitiers avec celte devise : Tutatur et Ornat. » « Au revers : sur un cartouche de style Louis XV décadent dans un ovale, les armes de Besançon. Au-dessus Utinam sur une banderole, À l’exergue : Civitas bisuntina 1768. » Pour larrivée de la maréchale, qui eut lieu un mois après, le 20 juillet, la réception fut beaucoup plus simple et il nv (1) « Le procureur monté nous rappelle que le corps municipal cavalea- dait aux représentations solennelles : les conseillers à cheval $taient coiffés d’un chapeau à ganse d’or, mais les bottes et éperons leur étaient interdits. Ces chevauchées n'étaient pas des plus sportives, et les cavaliers improvi- sés ayant plusieurs fois couru des dangers, un Jour spécialement aux por- üières du due de Durfort, on préféra, pour les députations, des carrosses. La commodité en est restée. » (Gaston CoINpRE, Mon Vieux Besançon.) Li] Re OUE eut ni illuminations ni réiouissances publiques, en raison du deuil dans lequel étaient plongées la monarchie et la nation par suite du décès de la reine. Le magistrat se contenta d'aller saluer Ja maréchale à son arrivée à la porte d’Arènes, qui était garnie de feuillage et d’écussons à ses armes et à celles de son mari. On lui offrit deux médaiiles d'or, du poids de vingt-cinq livres les deux, qui étaient gravées d’un côté aux armes de la duchesse et, de l'autre, à celles de la ville, avec deux bourses de jetons en argent, du poids de quarante sols. Il v en avait un cent dans chaque bourse et les bourses étaient de velours cra- moisi avec franges et broderies d’or. Nous venons de voir qu'en résumé les rapports entre le duc et la municipalité de Besançon furent toujours très courtois, malgré les intérêts souvent opposés qui étaient en présence. — La pénurie des deniers publics et l'impossibilité qui en résultat pour la ville de pouvoir répondre comme elle leût désiré aux exigences fastueuses du due de Randan furent les seules causes de dissensions passagères que, de côté et d'autre, une mutuelle bonne volonté sut aplanir avec tous les ménagements désirables. Puis, il faut bien le dire, les habi- tants amaient leur maréchal, dont le nom est resté longtemps populaire dans le pays, à cause précisément de la grandeur et de la somptuosité de son existence, qui éblouissaient tout le monde et dont chacun voulait tirer profit. Aussi ne sera-tl pas étonnant de constater tout à l’heure que sa mort fut un deuil publie pour la province et en particulier pour la ville de Besançon. Liaison du duc de Randan avec Mile de Chevigney. Le mariage du due de Randan avee Mlle de Poitiers n'avait été que ce qu'il était souvent à cette époque, l'alliance d’un grand nom avec une grande fortune, C'était avant tout ce que nous appelons aujourd’hui un mariage de raison où l’in- — 916 — clination n'avait dû avoir qu’une bien faible part, ce qui n’é- tait pas de nature, du reste, à apporter un frein à l'existence galante du maréchal. De ce mariage était née une fille, mariée en 1751 au duc de la Trémoille ; elle avait alors dix-sept à dix-huit ans et son mari quatorze à peine ; aussi la fit: on immédiatement rentrer dans son couvent après la cérémonie et elle ne put même pas « aller diner avec son mari ». (était là dans la vie réelle ce qu’on ne rencontre plus aujourd’hui que dans les scènes d’opérette. Cette séparation dura jusqu'à ce que le jeune duc eût atteint l’âge d'homme, et sa femme mourut bientôt après sans enfants, en 17692 (1). Des nombreuses aventures galuntes auxquelles fut mêlé le duc de Randan et qui furent le plus souvent banales et sans importance, le mieux est certainement de les passer sous Silence, mais il ne peut en être de même de la pas- sion que sut lui inspirer Mie de Chevigney, passion qui ré- sista au temps en se transformant doucement en un attache- ment durable et une liaison intime qui ne cessa qu’à la mort du maréchälren P773, él qui eut sur la provineetune in: fluence considérable. Cette influence fut telle que Mile de Chevigney mérite plutôt le titre de favorite que celui de maitresse, et nous devons reconnaître à sa louange qu’elle sut ne pas en abuser. M. de Beauséjour a bien voulu nous communiquer quel- ques notes intéressantes qu’il possède à ce sujet (), en même temps qu'il nous faisait admirer un très beau pastel (1) M. Gaston de Beauséjour, dans son discours de réception à l’'Acadé- mie des sciences, lettres et arts de Besancon, où il relate les derniers jours du château de Pesmes, nous parle d'un mariage analogue entre Mile de Choiseul, âgée de 1% ans, et son cousin, le fils du marquis de Choiseul La Baume, âgé de 17 ans, et qui se termina, après la cérémonie, par la réintégration, dans son couvent de l’abbaye au Bois, de la Jeune épouse. (2) Gaston DE BEAUSÉIOUR, Notes inédites sur la Franche-Comté. — DAT — représentant Mile de Chevigney, et que nous sommes heu- reux de pouvoir reproduire 1e1. Dans ce portrait, où la fraicheur le dispute à la grâce, on retrouve toutes les qualités de l’époque si bien synthétisées plus tard dans les compositions de Greuze : de grands veux, une petite bouche, des joues roses et rondes, un moelieux infini dans l’expression des traits, et enfin cet air à la fois innocent et mutin qui fait penser à une jeune pensionnaire échappée de son couvent, si ce n’était le décolleté voulu de la poitrine, qui montre des formes admirables. Nous avons eu la bonne fortune de retrouver un second portrait de Mlle de Chevigney, mais à un âge assez avancé, et nous devons à l’obligeance de Me Bressan, la proprié- taire actuelle du château de Chevigney, de pouvoir le mettre en comparaison avec le premier Ce sont bien les mêmes traits, mais épassis et parsemés de rides habilement dis- simulées. L’air est noble et grand, le regard assuré et tout l’ensemble de la physionomie révèle une femme forte, à vo- lonté bien arrètée et en quelque sorte sûre d'elle même et de son empire. Ce portrait n'a Jamais quitté le château de Chevigney, avec lequel il a été vendu par Mme de Boudeaux, héritière testamentaire de Mile de Chevignev. Cest un mé- daillon sur cuivre quin'est ni signé nidaté, placé dans un petit cadre ovale de style Louis XVI. en bois doré et sculp- té. Mir de Chevignev est revêtue d’une robe rouge grenait, légèrement échancrée sur la poitrine et garnie de fines den- telles. La tête est poudrée à frimas et recouverte en partie du voile à cornette dont la vogue était si grande à la fin du xvili® siècle (1). Mie Gabrielle de Chevignev était la fille cadette de Claude- (1) Il existait de Mie de Chevigney un autre portrait, où elle était repré- sentée en pied, assise près d’une table chargée de fruits, et qui est devenu la propriété de Mike de Résie, sa nièce, qui, frustrée de l'héritage de sa tante, put obtenir de Mme Boudeaux , l'héritière testamentaire, la permis- sion d’emporter ce portrait. Nous ne savons pas ce qu'il est devenu. — 248 — François d’Aubert, seigneur des deux Résies et chevalier à la chambre des comptes de Dole (D. C'était une fort belle personne, comme nous pouvons en juger par les deux portraits que nous reproduisons, et bien capable d’inspirer au due cette passion tenace que rien ne put effacer et dont les mœurs de l’époque, comme nous le Savons, paraissaient très bien s’accommoder. Avoir une mai- tresse n'avait alors rien de particulièrement déshonorant, et quel rigoriste eût pu blâmer un Si haut personnage qu'était le duc de Randan et un homme aussi puissant. Du reste, chacun espérait bien en tirer avantage et profit, car la dame de Chevigney, comme on l’appelait alors, était bien la personne la plus obligeante et la plus dévouée que l’on püt rencontrer ; aussi le nombre de ses obligés ne tarda-t-1l pas à devenir considérable. Possédant le cœur du due, elle savait très aimablement mettre à contribution le crédit dont elle jJouissait et dont la source n’était pourtant ni très honnête, ni très licite, pour obtenir de son illustre amant des faveurs et des grâces qui étaient acceptées avec reconnaissance et qui généralement étaient considérées comme bien méritées. Bien des gens dont cette « Pompadour au petit pied » ac- cueillait avec bonté les demandes et les placets, n’eurent qu'à se louer de son intervention et jamais elle n’abusa de sa situation de favorite pour exercer des rancunes ou pour nuire à qui que ce soit. C’est ce qui nous explique qu’à la mort du duc, Mile de Chevigney s'étant retirée à Besancon, dans un appartement de la Grande-Rue @), appartenant au sieur Pochet que l'annuaire de 1789 nous donne comme « receveur des épices du Parlement et négociant », son sa- lon continua à être, comme par le passé, le rendez-vous de (1) Le château de M. d’Aubert de Résie existe encore aujourd’hui au vil lage de la Grande-Résie, sur la route de Gray à Dole, et appartient à M. le comte de Sainte-Marie. (2) La maison porte aujourd'hui le n° 73 (G. CoiNbrE, Mon Vieux Be- sançon). — 249 — tout ce que la ville comptait de personnages marquants et connus. : Elle mourut à Chevigney, où elle s'était réfugiée dès le début de la Révolution, le 1er nivôse, an V de la République, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, au moment où venait de sombrer le régime qui avait vu son élévation et sa gran- deur (1). Son nom est resté dans le pays comme celui d’une per- sonne très charitable et qui n'avait profité de la haute situa- tion qui lui avait été dévolue dans le département des grâces et des faveurs que pour aider et rendre service à tous ceux qui l’approchaient. Malheureusement l'époque troublée pen- dant laquelle elle mourut ne permit pas qu'elle fût enterrée suivant sa Condition, et rien ne rappelle aujourd’hui lPen- droit exact où elle fut inhumée dans l’ancien cimetière qui entoure la petite église de Chevigney. Au dire des plus vieux habitants du village, qui tiennent ce renseignement de leurs parents, le corps de Mile de Chevigney fut déposé dans le passage qui se trouve entre le mur de clôture des (4) Voici, à titre de document, l'acte de décès de M1: de Chevigney, que nous avons retrouvé en compulsant les registres de l’état civil de la com- mune de Chevigney, et où les titres de noblesse sont naturellement sup- primés : « Aujourd'hui premier nivôse, an V de la République française une et indivisible, à huit heures du matin, par-devant moi Etienne Chavanne, agent municipal et officier public de la commune de Chevigney, chargé par la loi du 2 fructidor, autorisé pour constater les actes destinés à contrôler les naissances, mariages et décès des citoyens, ont comparu en la maison commune d'une part: Françoise Guychard, âgée de 52 ans, domiciliée en ladite commune, et Etienne Suchet, âgé de 60 ans, domicilié également en ladite commune, les deux domestiques de la citoyenne Gabrielle Aubert, lesquels m'ont déclaré que ladite Jeanne-Gabrielle Aubert était morte hier soir, à dix heures, en son domicile. D’après cette déclaration, Je me suis assuré du décès de ladite Jeanne-Gabrielle Aubert, et J'en ai dressé le pré- sent acte, que Françoise Guychard a signé avec moi, et Etienne Suchet à déclaré être illettré. » Fait en la maison commune de Chevigney les jour, mois et année que dessus. | » Signé : CHAVANNE, agent. GUYCHARD. » de] — 9250 — jardins du château et celui de la petite chapelle latérale adossée à l’église, qui lui était réservée, et dont la fenêtre est encore surmontée de son blason (1). Elle habitait, au moment de sa liaison avec le duc, sa terre de Chevigney, voisine de celle de Balançon, et il est probable que c’est dans une de ces nombreuses fêtes que le duc aimait à donner et auxquelles il invitait toute la no- blesse des environs, qu'il eut occasion de la voir et de s’é- prendre de ses charmes. Dès lors, chaque matin, un cour- rier à cheval () partit de Balançon pour porter à Chevigney, distant de trois à quatre lieues environ, les compliments et . les espérances du duc et en rapporter les réponses plus qu'encourageantes de Mlle de Chevigney. Bientôt cette liaison ne fut un secret pour personne et Mit de Chevigney ne quitta plus le duc, accompagnant dans tous ses déplacements, à Balançon, à Besançon ou à Paris. Chevigney reçut également, à maintes reprises, la visite de l’illustre amant et nous retrouvons dans les archives de M. G. de Beauséjour une pièce intéressante à cet égard, car elle est datée de Chevigney, du 5 novembre 1772, ce qui in- dique bien que le duc devait y résider assez souvent. « Les insolences des nommés Pierre Régnier et Etienne Foucault commises à notre égard, à la suite d’une plainte qui nous avait été portée pour un mouton tué par leurs chiens excités par leurs domestiques, exigent que nous leur fassions subir une correction de prison qui en arrête le cours. Le sieur Ménard, exempt de la maréchaussée du département de Pesmes, les y fera mettre et nous en rendra compte. » À Chevigney, le 5 novembre 1772. » Signé : Le maréchal duc DE LORGES. » (1) I existait une porte de communication entre le boulingrin, qui est aujourd'hui transfcrmé en verger, et cette chapelle, et ce serait exactement dans l'intervalle compris entre ces deux portes qu'aurait été inhumée Mie de Chevigney. (2) Renseignements recueillis dans le pays. nr Le duc, qui se rendait, comme on le voit, très souvent à Chevigney, fit construire un chemin tombant à angle droit sur la route de Pesmes à Gray et conduisant directement à Chevigneyé en vitant ainsi le long détour par la Grande-Résie. Il y fit planter une double rangée de noyers, qui n’ont dis- paru que depuis une vingtaine d'années. Cette allée superbe et magmfiquement ombragée portait le nom d’allée des noyers ou plus communément d’allée des soupirs, que cer- tains médisants lui avaient donné. Elle était dominée par un petit bois qui existe encore aujourd’hui, connu sous le nom de bois des amours, où l’on retrouve encore la trace de che- mins sablés s’enchevêtrant les uns dans les autres et formant un vrai labyrinthe. Là étaient élevés en cage une grande quantité d'oiseaux de toute espèce et tout y avait été aménagé et accommodé pour le plaisir. Nous retrouvons ici ce que nous avons déjà vu dans les jardins et le pare de Balançon, dont le maréchal de Belle-fsle nous à laissé une si curieuse description. Quant au château de Chevigney, c'était plutôt une demeure à l’aspect bourgeois, mais qui ne manquait pourtant pas d’une certaine élégance. Le perron à deux rampes est orné, encore aujourd’hui, de son toit à la chinoise et l’intérieur des cham- bres a subi très peu de modifications. On y retrouve à peu près intactes les boiseries de l’époque, mais privées de leurs peintures, que le temps et l'humidité avaient dégradées pro- gressivement et qui finirent par disparaitre. [l n’en reste que deux dans la chambre à coucher de Mlle de Chevigney, qui représentent, sous une forme allégorique, l’une la danse, l’autre la musique. Ce sont des grisailles sur toile qui, au point de vue de l'art, ne présentent rien de particulièrement intéressant (1), Du côté du jardin, les pièces sont au rez-de-chaussée, en raison de la différence de niveau du terrain et s'ouvrent par (1) Toutes les peintures existaient encore en 1835. — 292 — de grandes portes-fenêtres, dont deux ont été transformées en simples fenêtres. Le jardin et les vergers subsistent en- core, mais modifiés complètement et adaptés à de nouveaux usages, On ne trouve plus trace des cabinets de verdure, des longues allées de charmille ni du jet d’eau central, qui en faisait l’ornement, Nous ne savons pas comment la maréchale accueillit les infidélités de son mari et comment elle accepta la présence continuelle d’une rivale à côté d’elle, mais il y a eu de pen- ser qu’elle dut sans éclat en prendre son parti, étant donné l’état d'esprit qui régnait alors dans les mœurs et lesexemples … qui venaient de plus haut. Elle vécut, en effet, très effacée, oubliée à peu près, à tel point que quelques chroniqueurs relatent sa mort avant celle du due, auquel elle aurait légué sa fortune entière. Or, nous savons par l'inventaire fait après le décès du maréchal et classé aux archives qu'il n’en est rien, puisqu'il a été dressé en 1773 pour permettre précisé- ment à la duchesse de Randan d'exercer les reprises aux- quelles elle pouvait prétendre à la mort de son mari. Comme toutes les femmes qui aiment sincèrement ou dont l'empire ne repose que sur des bases éphémères, Mile de Chevigney fut extrêmement jalouse et ce n’est Jamais sans douleur ni sans inquiétude qu’elle voyait le duc jeter les yeux sur une autre femme. Une certaine visite qu'ils firent ensemble à Arbois, à une cousine de M!!° de Chevigney, M"° P..., est très instructive à cet égard. Il y eut, le soir de leur arrivée, un grand bal chez cette dame, auquel toute la noblesse des environs était con- viée et on profita de la circonstance pour présenter au duc les plus jolies personnes de la ville. Aussi quel ne fut pas son étonnement le lendemain quand, se promenant dans les rues d’Arbois, il rencontra une jeune personne de qualité qui n’a- vait pas assisté à la fête de la veille et dont la beauté lPim- pressionpa vivement. [Il s'arrêta longtemps à la contempler, lui adressa quelques paroles amicales et reprocha à Mme P... 44 2 de ne l’avoir pas invitée à la soirée de la veille, ce dont cette dernière se défendit de son mieux, pendant que Mlle de Che- vigney lançait à la jeune fille des regards courroucés qui l’obligeaient à rentrer précipitamment chez elle. Cette entrée à Arbois, au milieu d’une foule immense ac- courue de très loin pour saluer respectueusement le duc et sa maitresse, nous montre bien le peu de honte que lon at- tachait généralement à ce titre. Puis ce n’était pas un spec- tacle banal pour cette petite ville que l’arrivée de si hauts personnages, accompagnés d’une suite nombreuse et chacun admirait la beauté des carrosses conduits par des chevaux magnifiquement harnachés et le grand nombre de valets à la livrée éclatante. Le coup d’œil était vraiment admirable et ce fut une fête pour tous en même temps que cela reste pour nous un précieux document et un enseignement des mœurs de l’époque. Si nous avons parlé assez longuement de la liaison du ma- réchal de Randan avec Milk de Chevigney, c’est qu’elle eut sur les affaires de la province une influence considérable, influence qui persista même après la mort du maréchal et se continua jusqu'au début de la Révolution. Que de personnes haut placées ae lui devaient-elles pas leur avancement et la reconnaissance n’est pas une vertu assez banale pour qu’on la passe sous silence, même quand elle s'adresse à des per- sonnes dont le crédit peut paraître peu licite et certainement précaire. Mort du duc de Randan. — Inventaire de ses biens. Les excès de tout genre ne tardèrent pas à avoir raison de la robuste constitution du duc de Randan et il tomba, parait- il, dans une sorte de maladie de langueur qui, insensible- ment, le conduisit au tombeau. Plus que jamais, 1l fut entouré des soins assidus de son amie et les médecins lui ordon- nèrent des remèdes toniques et reconstituants, le séjour à la — 954 — campagne et des bains de rivière. C’est dans ce but qu'il fit construire à Malans (1), petit village voisin de Balançon, un joli chalet sur les bords de lOgnon, où 1l vint régulièrement passer des journées entières avec Mlle de Chevigney. Est-ce trep me hasarder en disant que le remède fut pire que le mal et que, lorsque le duc quitta le séjour enchanteur de Balan- con pour se rendre à Paris v suivre un traitement plus effi- cace et plus rationnel, 1l était déjà trop tard, et 1l ne tardait pas à succomber bientôt, dans le courant de l’année suivante, à Courbevoie, le 6 juin 4773. Pendant tout le cours de sa maladie, des prières publiques furent dites chaque Jour à son intention dans toutes les églises et chapelles de Besançon et, le 1°" juin 1773, S. Em. le cardinal de Choiseul envoyait à Paris un mandement spé- cial à ce sujet. Aussi allons-nous voir toutes les corporations se réunir pour demander à Dieu de rendre la santé au ma- réchal. | | Le 1° juin, ce sont les conseillers municipaux qui font cé- lébrer une messe solennelle à l’église des Cordeliers; le 2, c’est le corps des marchands et la maison du maréchal; le 3, ce sont les arquebusiers; le 4, le corps des perruquiers et des orfèvres; le 5, ces messieurs de l'état-major; le 6, les officiers des compagnies bourgeoises et les imprimeurs; le 8, les procureursrdu bailliage, etc., etc: “et ce nestique IE que l’on reçoit à Besançon la nouvelle de sa mort, survenue dans la nüit du 5 au 6 juin (2). Cette iongue énumération de gens de toutes les conditions, réunis dans une pensée commune d’affection et de recon- (4) Malans est situé sur la rive droite de l’'Ognon, qu'il fallait traverser pour se rendre au chalet. Le duc fit construire à cet effet un bac, qui sub- sistait encore il y a quelques années, et qui, pendant un siècle, a rendu de grands services aux habitants du village. Il est remplacé aujourd’hui par un superbe pont de pierre. (2) C’est le temps que mettaient les diligences à cette époque pour par- courir la distance de Paris à Besançon et apporter le courrier. ion naissance pour le maréchal, nous montre combien il était aimé et quelle grande affliction sa mort provoquait dans toutes les classes de la société. Il emportait dans la tombe les regrets de toute la province, des grands et des petits, nous dit l'avocat Grimont dans ses mémoires, et c’est le plus bel éloge que l’on puisse faire de lui ». L'inhumation devant avoir lieu à Chaillot, où se trouvait un caveau appartenant à la famille Randan, un grand service funèbre fut organisé, à la chapelle des Cordeliers, par les soins de la municipalité. Cest le chanoine Mareschal d’Au- deux qui fut choisi pour faire le panégvyrique du défunt; ce dont la municipalité le récompensa par un don de vaisselle d'argent marqué aux armes de la ville. Par son testament, le duc de Randan laissait à ses domes- tiques une pension viagère de 150, 250 ou 300 livres, suivant qu'ils avaient servi pendant dix, quinze ou vingt ans. Tous prirent immédiatement la livrée de deuil. Besançon et sur- tout Balançon, qui naguère étaient encore le théâtre de fêtes somptueuses, retombèrent dans le silence et dans l'oubli et ne conservèrent plus que quelques serviteurs et un con- clerge, gardien des scellés, que l’on avait apposés aussitôt que la nouvelle de la mort du maréchal s'était répandue. L’inventaire (1) des meubles, immeubles et actions nobi- haires du défunt commença le 93 juillet à Besançon pour se continuer ensuite à Balançon, où il ne se termina qu’à la fin de l’année, en raison du retard apporté par la mort imprévue de la duchesse de Lorges. Les tableaux de famille, les portraits, les bijoux, les effets personnels et certains objets d'art donnés en cadeau par les souverains ou la municipalité de Besançon, entre autres une tabatière en or, enrichie de diamants et ornée d’un portrait de Louis XV, offerte au duc par le roi, les jetons d’or et d’ar- gent aux armes du défunt, offerts par la ville, ne furent pas (2) Cet inventaire est classé aux Archives du département du Doubs. — 956 — inventoriés, mais partagés séance tenante à l’amiable, entre les différents membres de la famille. D'une façon générale, on peut dire que le mobilier du duc de Randan est celui d’un grand seigneur du xvuI* siècle. mais On nv trouve ni œuvres d'art remarquables ni tableaux de maîtres dignes d’être notés. On y voit surtout que tout y était disposé en vue des grandes réceptions, dont le maitre était si prodigue. C’est ainsi que largenterie de table, les cristaux, les mer- veilleuses faïences de Rouen et de Strasbourg et les fines por- celaines de la Chine et de Sant-Cioud y abondent en grande quantité. Les caves étaient de même particulièrement bien assorties en vins et liqueurs de toutes espèces et leur insuffisance avait même nécessité l'installation d’autres caves au palais Granvelle et au bastion d’Arènes, où le due possédait une sorte de maison de réception, dont une demoiselle Didier avait la garde. Les pièces de vin de Bourgogne et du Jura, classées par année de récolte, y sont très nombreuses. C’est par centaines que l’on compte les bouteilles de vin de Cham- pagne rosé ainsi que celles de vin de Chypre, de Syracuse, de Malaga, de Madère, etc., etc. Les vins de l’Ermitage et de Meursault, ainsi que le vin blanc d’Arbois, v figurent égale- ment avec honneur et en quantité respectable. Comme li- queurs, ce sont les ratafias à la fleur d'orange, aux cerises, aux coings qui dominent, ainsi que les vieilles eaux-de-vie sans dénomination d'origine. Les chevaux, au nombre de dix-sept, avaient été ramenés de Balançon à Besançon à la mort du duc. Ce chiffre n’a rien de bien extraordinaire quand on sait qu’il y en a eu jusqu’à soixante et que les immenses écuries de Besançon, que son prédécesseur avait obligé la municipalité à construire en face de l’hôtel du gouvernement, dans la partie de la ville occupée aujourd'hui par l'arsenal, étaient à peine suffisantes pour y loger sa cavalerie. — 257 — Les voitures de tout modèle sont également nombreuses. Ce sont des berlines recouvertes de velours d’'Utrecht, des calèches à quatre ou à six places, doublées de maroquin, des cabriolets garnis de velours cramoisi, des voitures légères de course, etc. ; enfin, une chaise à porteurs en vernis Mar- tin, aux armes du défunt. Quant aux meubles, ce sont surtout ceux en marqueterie et en bois de rapport, de rose ou d’amaranthe, qui ont eu tant de vogue dans la deuxième moitié du xvrire siècle, que l’on rencontre le plus souvent, ainsi que les bergères et les fauteuils en bois sculpté et doré, et un nombre considérable de paravents et d'écrans garnis en tapisserie. Dans le grand cabinet d'assemblée, nous trouvons des girandoles et des lustres de cristal taillé, des bras de lumière en cuivre ciselé et doré, une pendule en marqueterie d’é- caille et de cuivre sur son piédestal, seize fauteuils et cana- pés en bois sculpté, recouverts de moquette verte, vingt- quatre chaises assorties, trois chaises à la reine, garnies également de la même moquette et protégées par leurs sur- touts d’indienne, deux cabriolets et enfin quatre grands ta- bleaux représentant le Roi, la Reine, Monsieur et Madame la _ Dauphine défunts, « avec leurs bordures dorées ». Dans le petit cabinet d’assemblée, nous ne relevons d’in- téressant que le buste en marbre blanc du maréchal, avec son piédestal et sa console en bois doré. C’est très probable- ment la reproduction de ce buste que nous avons trouvée chez M. Bellevaux et que le duc avait dû offrir à son médecin ordinaire, M. Jeannot, en souvenir de ses soins dévoués. La bibliothèque n'offre rien de particulièrement intéres- sant. Ce sont les libraires Pierre-Etienne Fautet et Louis- Etienne Métoyen, installés à Besançon, qui sont chargés d'en faire l'inventaire et l’estimation. Les livres sur l’art mi- litaire que l’on s’apprête à v rencontrer sont relativement peu nombreux et, à côté des œuvres sérieuses de Boileau, Buffon, Voltaire, J.-J, Rousseau, de Mesdames de Sévigné et Des- — 9258 — houlières, on trouve une quantité de livres légers et badins, dont les titres seuls indiquent quelles étaient les lectures fa- vorites du maréchal. Ce sont : les Amours diverses, les En- chaînements de la fortune et de l’amour; les Recueils de lettres galantes, les ÆImitations des odes d’'Anacréon, les Belles solitaires, etc., etc. À Balançcon, à part les statues qui ornaient le pare et le boulingrin, et dont nous avons déjà eu l’occasion de parler, nous retrouvons, à peu de chose près, le même mobilier qu'à Besancon. Ici, l'inventaire devenait relativement facile, car toutes les chambres étaient numérotées et quelques-uns de ces numéros sont encore visibles aujourd’hui sur le cham- branle des portes. C’est ainsi que nous savons que la chambre du maréchal portait le numéro #7 et la chapelle le numéro 37. Les caves et les offices ne sont pas moins bien garnis ici qu'à Besançon : les vins choisis y abondent et la vaisselle d'argent, d’étain fin ou de faïence de prix s’y trouve en grande quantité. La chambre du duc est entièrement meublée et tendue en panne rouge et, à côté des tables, bureaux, commodes en marqueterie qui la garnissent, nous y trouvons des tableaux magiques, une longue-vue, une machine électrique, une machine pneumatique, ete. ; ee qui nous montre les tendances du maréchal à s'initier aux inventions nouvelles. Les vingt-huit logements d’amis, dont parle le maréchal de Belle-Isle, dans sa lettre sur Balançon, que nous avons reproduite, sont tous meublés d’une façon à peu près iden- tique, avec tout le luxe délicat et raffiné du xvirr siècle, mais sans nous montrer là plus qu'ailleurs une œuvre de grande valeur ou ayant un cachet particulier. La mort du duc de Randan, n'étaient l’affliction sincère et le deuil général qu'elle produisit, né devait pas amener de grands changements dans la province, car c’est son frère, M. le duc de Lorges qui, le 13 juin 1773, était nommé à sa — 259 — place au commandement supérieur, avec le grade de lieute- nant général et la survivance réservée à son gendre le duc de Saint-Quentin. Ces décisions étaient enregistrées dès le lendemain, 14 juin, au parlement de Besançon. Aussi le nom de Durtort ne devait-il pas encore disparaitre de notre pays et notre histoire locale n’a qu'à s’enorgueillir d’une famille qui, depuis la conquête de Louis XIV jusqu’à la Révolution, a donné successivement à Besançon un arche- vêque, des gouverneurs, des maréchaux, des lieutenants généraux et dont plusieurs de ses membres, sous les titres divers de duc de Duras, duc de Lorges, duc de Randan., ont occupé en Franche-Cointé les situations les plus élevées et exercé les plus hauts commandements militaires. N. B. — Un accident survenu pendant le tirage des pho- tographies ne nous a pas permis de reproduire le buste du maréchal. PES FOUILLES DE CHATELNEUF-EN-VENNES Par M. l’abbé Hermann DRUOT MEMBRE CORRESPONDANT Séance du 15 mars 1902 Au débouché du Col des Ages, qui met en communication le plateau de Vercel et l’ancien Val d’Ahon avec le Val de Vennes, aux abords de Loray et de Flangebouche, le haut moyen-âge avait élevé une forteresse longtemps célèbre, le château de Vennes, relié avec le défilé lui-même par la tour de Montalo. Plus tard, au xt1° siècle, ce système défensif, qui proté- geait le vieux chemin gaulois, passage des plus fréquentés de la montagne, fut complété. On éleva à l’E., au-dessus de la source du Dessoubre, un nouveau château, Châtelneuf-en- Vennes, tandis qu’au S., sur la lisière extrême des terres du prieuré de Morteau, fut bâtie, à côté du Bélieu, dans la pa- roisse du Bizot, la forteresse de Réaumont. Châtelneuf, étroit manoir perché sur un roe, où le pied de l’homme pouvait seul parvenir, remplit, sans grand effort, son rôle de sentinelle du côté de l’étroite vallée qui conduit à sSaint-Hippolvte. Après avoir changé souvent de maître, il appartenait, en 1630, à la maison de Rye, une des plus il. lustres du pays, qui avait recueilli le nom et écartelait les armes de la maison de Varambon. Quand la Guerre de Trente Ans éclata, dont une période devait être si néfaste pour la Franche-Comté tout entière, Châtelneuf, tel un vétéran mutilé préposé à la garde d’un poste secondaire, ne devait jouer aucun rôle important. On y 9 — entassa, comme dans un abri presque sûr, les meubles les plus précieux des retrahants d’alentour, puis, sous la garde de quelques paysans armés, on attendit. Dès 1636, la Franche-Comté, attaquée dans sa capitale, Dole, avait connu les pillages et les massacres de troupes régulières françaises commandées par un prince du sang ; en 1637, Weymar la traversa, marchant sur l'Alsace; en 1638, du côté des frontières de Bourgogne, du Bassigny, de Bresse, l'invasion ravagea ses plaines. En 1639, ce fut le tour des montagnes. « L'année 1639 est la plus funeste et tragique que la Bour- gongne ayt eu, car elle a esté toute dans le feu, le sang et la peste, et sans secours d'aucune part. Les montagnes seules restoient entières, le surplus du pays estoit désolé et encor la mortalité du bestail avoit affligé les montagnes et les di- vers logemens, levées et passages les avoient affaiblies et despeuplées en plusieurs endrois.…. » Le ciel qui à coustume de donner de longs hyvers à noz montagnes, et leur fournir de grands remparts de neige, re- tira sa main cette année, si qu'aux mois de Janvier et février noz montagnes furent sans neige, avec un air doux et serein. Weymar se servit de cet advantage, et sans attendre la sai- son du printemps ordinaire entra dans noz montagnes par l’abbaye de Monthenoiïst qu’il surprist, et dez icelle prit Mor- teaux par le flanc, tandis que pour néant ils gardoient le front de leur vallée et ne pensoient point au pas de Montbe- _noist, d'autant qu'il estoit plus reculé... » (1) En lisant ces quelques lignes empruntées au pittoresque chroniqueur qui, le premier, a raconté la désolation de la Franche-Comté envahie par les armées franco-suédoises, on comprendra quand et comment Châtelneuf-en-Vennes fut pillé et incendié, Wevymar, maitre de Saint-Hippolyte, où 1l était arrivé par (1) GIRARDOT DE NOZEROY, Histoire de Dix Ans. 1 069 Délémont et Saint-Ursanne les premiers jours de janvier 1639, s’engagea immédiatement, en profitant d’une tempé- rature exceptionnelle, dans la vallée du Dessoubre et re- monta vers Consolation. Au bruit de ses fanfares, de ses canons, de sa cavalerie, l’épouvante fut au comble, et les quelques défenseurs du château durent s’enfuir sans essayer la résistance devant un torrent d’envahisseurs. Le 12 janvier, Weymar était à Saint-Hippolyte; le 13, la ville était prise ; dans la nuit du 14 au 15, Morteau était en- vahi. Ce fut dans l’espace qui s’écoula entre ces deux dates que Châtelneuf fut enlevé par les coureurs et l'avant garde du duc, préparant la marche sur Montbenoît par Gilley, le sac de Morteau et celui de Pontarlier. Tel est, reconstitué sans doute possible, le drame lugubre qui livra à l’incendie la résidence des comtes de la Roche en montagne, des Va- rambon et des Rye, dont les ruines ont sommeillé pendant près de trois siècles avant d’être explorées par les fouilles que nous allons raconter (1). Une crête rocheuse d’à peine vingt mètres de largeur à son maximum d’étranglement et dominant d’une gigantesque paroi verticale la source du Dessoubre qui jaillit à sa base du côté Nord. À l’endroit le plus étroit de cette crête, un rec- tangle de pelouse unie, encadré de talus vagues, dont la diree- tion générale fait deviner des substructions rectilignes mais où l'œil, dans le chaos des pierres moussues et des buisson- nets, ne découvre aucun vestige régulier de maçonnerie. Tel était, à l'automne de 1897, l'aspect de l’emplacement de Châ- telneuf-en-Vennes. (1) L'abbé Devoille dans un roman, M. l'abbé Narbey dans ses Hautes Montagnes du Doubs, ont évoqué tous deux, avec beaucoup d’imagina- ion, les souvenirs de Châtelneuf-en-Vennes, Inutile de dire que l’histoire vraie n'a rien de commun avec ces deux ouvrages. — 265 — À la suite de promenades en ce lieu, qu'une immémoriale tradition appelait le Château, les professeurs du Séminaire de Consolation, plus d’une fois déjà, avaient rêvé de fouilles. Mais le résultat semblait d'avance devoir ne pas répondre aux difficultés et à la longueur de l’entreprise. L’exécution ne fut done jamais sérieusement projetée. Nous sommes au jeudi 16 décembre 1897, Par une fraîche et claire après-midi, je conduis les enfants au Château. Une association d'idées, bien naturelle en cet endroit, me fait ra- conter à mes Jeunes amis une visite que J'avais faite aux ruines de Carthage. Rêvent-ils des trouvailles analogues à celles du P. Delattre? — Plus d’un gratte le sol avec son bâ- ton. Au bout d’un instant : « Monsieur, voici des murs ! » C'était vrai; en mainte place apparaissaient de menus restes de maçonnerie régulière. La genèse de nos travaux se devine ; du désir au dessein on passe vite : « Venons donc travailler tous au Château à notre première sortie », continuaient ces enfants. Le lendemain 17, on nous octrova le congé de la sant Ni- colas. Tous les élèves s’armèrent, qui d’un pie, qui d’une pioche, qui d’un levier, qui d’un morceau quelconque de fer, qui d’un bâton, et nous primes d'assaut les sentiers. Ce fut un travail enfantin et parfaitement désordonné; mais, le soir, quelques notables vestiges de murs étaient mis à nu : (Sous tous ces bourrelets, pensais-je, il y a donc de la maçonnerie : or, tous ces bourrelets sont reliés ensemble. Je vais, c'est sûr, découvrir ainsi le plan de la partie essentielle de Châtel- neuf ». Il fut dès lors arrêté que les fouilles seraient métho- diquement entreprises et menées jusqu’au bout. Nous n’es- périons point, il est vrai, trouver d'objets mobiliers. Il fallait s'organiser et fournir le maximum de résultats avec le minimum de dépenses, La grande ressource était le concours gratuit et libre des élèves : que ferait-on aux jours de la désertion”? L'illusion eût été ridicule de compter sur une fidélité de plusieurs mois. [ls venaient d’abord nombreux, — 264 — trente, quarante; mais chaque nouvelle promenade était marquée par un déchet, et je vovais clairement approcher le jour où une demi-douzaine à peine consentiraient, moyen- nant mille encouragements, à mener doucement, bien dou- cement, une œuvre coûteuse, pénible, interminable. J'avais compté sans les trouvailles : elles fixèrent les bonnes volontés et les ranimèrent chaque fois. Je pus ainsi constituer une troupe de volontaires qui, à peu près tous, bien qu'à plusieurs reprises la liberté leur fût rendue, demeu- rérent fidèles au poste et, une fois chaque semaine pendant l'hiver, tous les jours de promenade pendant l'été, fournirent une besogne dont la perspective eût effrayé les plus mâles travailleurs. On ne soupçonne pas de loin de pareilles difficultés ni une pareille ardeur ! Je me souviens comme si c'était hier, de ces bises froides qui nous flagellaient le visage, de cette neige fine et glacée, de ces pluies opiniâtres, de ces averses torrentielles, de ces jours embrasés de juin. Je revois mes porteurs de caisses, mains et visages gelés, se blottir une seconde dans les coins, en attendant que leur charge fût re- faite: mes porteurs de sellettes, tabliers et pantalons couverts de boue et pleins d’eau, regarder avec effroi l’horrible mor- tier qu'il fallait soulever: mes piqueurs s’épuiser à casser d’imperceptibles miettes autour des blocs dureis par Phiver; mes petits piocheurs, les mains bleuies et sales, lâcher un instant l'outil et battre la semelle pour se réchauffer les pieds. En dépit de tout, pas une fois le courage ne tomba. À plusieurs reprises, quand le temps faisait trop mauvais vi- sage : « Mes enfants, disais-je, aujourd’hui c’est ad libitum, viennent ceux qui veulent! » EL Je les avais presque tous. Aussi la besogne allait bon train; qu’on en juge par un chiffre : fin Juillet, nous mesurions exactement le volume des pièces évidées, et nous trouvions au minimuin 960 mètres cubes. Par conséquent, en moins de huit mois, dans nos seuls jours de congé trois petites heures chaque fois, 560 mètres TRS — 9265 — cubes de matériaux serrés, donc plus de mille voitures de ma- tériaux disjoints avaient été transportés à bras d'élèves, par une chaussée en plan très rapide, jusqu’au bord du vallon qui se tord au Sud, derrière le Château, et précipités dans le lit du torrent. Veut-on se figurer exactement notre façon de travailler ? Mes dix-huit fidèles sont là, debout sur la crête, en tabliers gris et bleus. Chacun est armé, les petits de pioches et de sellettes en bois, les grands de pics ou de caisses à bras, Toute la bande descend au pied des vieux murs dans la fosse remuée avant-hier. En avant!... Deux grands garçons lèvent les pics longs et lourds, puis, vigoureusement, les abattent dans le réseau des racines, sous les pierres énormes, sur le bloc compact de la terre gelée ou de la chaux durcie. Il faut bien que tout cède ; les petits piocheurs, inclinés sur leurs paniers, y entassent les morceaux arrachés. Quatre vaillants bras soulèvent les sellettes, remplissent les caisses, et les couples de porteurs, manches retroussées, muscles tendus, escaladent la chaussée sous leur charge pesante et font dé- gringoler dans le val du Bief la cascade de moellons. Oh! le plaisir de contempler le grandissime galop des grosses pierres, le trot tumultueux des cailloux, les glissades du gra- vier, et d'entendre ce ramage! À intervalles inégaux, mais fréquents, un cri retentit ; les piqueurs regardent, les piocheurs se redressent, les porteurs s'arrêtent ou reviennent vite; on a trouvé quelque chose. Chacun accourt pour voir, chacur a vu, et le vieux marteau, la vieille marmite, la vieille épée vont rejoindre dans un coin de mur la kyrielle des ferrailles. Ce soir, tous auront leur portion de butin à descendre au séminaire, et ce ne sera pas le moins intéressant du spectacle, que ce chapelet de bons- hommes, joyeux et sales, dévalant de là haut avec leurs vieilles chaines, leurs vieilles piques, leurs vieux chandeliers, leurs vieux chaudrons,. Comme nous l’avons dit, le Dessoubre nait au pied d’une 18 — 9266 — gigantesque roche dont la paroi verticale court de l’ouest à l’est : le château des sires de Varambon était construit juste au dessus de la source, sur la crête rocheuse et étroite, entre la vallée de Consolation au nord et la gorge resserrée, sau- vage, du Val du Bief au sud. À en juger par les bourrelets de terrain dont chacun re- couvre un mur, le castel s'élevait autour d’une courintérieure, à peu près carrée, en deux ailes de bâtiments perpendicu- laires aux bords de la crête: c’est une partie de l'aile ocei- dentale, la partie adjacente à la cour, que nous avons fouillée. Nous y avons découvert deux pièces contiguëes munies de trois portes, de cinq fenêtres meurtrières dont quatre au sud, et avoisinées d’une tour ronde à langle occidental. Quand nous disons deux pièces nous indiquons les divisions de construction mises en évidence par les vestiges de mur: il n’est pas invraisemblable que des séparations en boïs aient multiplié davantage les pièces ou chambres. Un four était adossé au mur au milieu et dominait une platine énorme, haute de plus d’un mètre, pesante d’au moins.cent cinquante kilog., dépourvue de tout cachet tant artistique qu’héraldi- que, et marquée de la date 1557. Nous devions trouver dans un autre Coin, mais entraînée loin de sa place, une seconde platine, petite et plus insignifiante encore. En avant de la grosse platine, done sous la cheminée, un dallage retrouvé intact, fait de pierres de deux ou trois décimètres de long ; derrière, dans l’autre pièce, un pavage plus menu mais sur une étendue plus grande. Partout ailleurs nos pics allaient sans résistance au roc vif: des débris notables de charpentes, retrouvées à l’état de charbon, y attestaient la présence d’un plancher détruit. La hauteur des restes de murs varie de deux à quatre mètres, leur épaisseur de 1 m. 25 à 1 m. 80; la lar- geur des pièces déblayées, de 6 m. à 6 m. 20 ; leur longueur est de 14 mètres. La construction a été faite avec le calcaire de la région; çà et là, un cube de tuf noyé dans le reste de la maçonnerie. Le ciment s’effrite sans peine et n’a pas la con- es CE CNE FERA — 967 — sistance de celui qu’on trouve en de nombreux châteaux. Le bas des murs a été plus que le reste rougi et caleiné par l’in- tense chaleur de l'incendie ; presque partout sous les dé- combres écroulés s’est durcie, enveloppant les objets en mé- tal qu’on en retire avec peine, une couche résistante de chaux. C’est seulement à quelques pieds de profondeur, au des- sous d’une couche de terre végétale mêlée de racines et de pierrailles, et au cœur même du sable, de la chaux et du charbon, que les trouvailles commençaient. Nous fimes les premières dès notre quatrième congé : une faux, une large et longue scie, des casse-noisettes, des entraves, avec l’une des deux boucles fermant à clef, puis, en paquets dans un trou de mur, plusieurs milliers de clous forgés, sans tête, et de forme pyramidale. À partir de ce moment chaque journée de travail nous donna nombre d'objets : le soir du 5 avril nous en recueillimes plus de quatre-vingts. [n’y aurait pas d'intérêt spécial pour le lecteur à suivre nos fouilles pas à pas ; les découvertes se faisaient sans pro- gression bien marquée : dans une pièce comme dans l'autre, à la fin de l’été comme au début de lhiver, nos trouvailles avaient sensiblement la même valeur et d’ailleurs une foule d'objets se répétaient presque à chaque semaine. Les pre- mières monnaies, découvertes le 8 mars, marquent seules le point de départ d’une période où les surprises agréables allaient se multiplier. Mais ce détail excepté, la marche du travail a été seule progressive : l'intérêt des trouvailles s’est maintenu sans s’accentuer. En dehors done de quelques dates clairsemées et marquées par la mise au jour d’un bibelot moins banal il serait fastidieux de lire l'histoire chronologique de nos découvertes, C’est surtout par leur ensemble, en formant comme une sorte d’encyclopédie de l'outillage des paysans dans nos montagnes, au début du xvi° siècle, que les objets trouvés sont intéressants, Très peu d’entre eux pris isolément mé- — 9268 — ritent une description détaillée. Mais il est curieux de cons- tater par un coup d’œil global sur cette multitude d’instru- ments de travail et d’ustensiles de ménage que les choses n’ont pas varié beaucoup et que, loin de toujours s’améliorer, plus d’une, de nos jours, n’a ni la même solidité ni la même élégance. Inutile de faire remarquer que l’étain n'ayant pu résister à la chaleur de l’incendie, le cuivre et le fer seuls ont gardé leur forme ; encore plus d’un objet en cuivre a-t-il partiellement fondu, par exemple d’élégantes marmites et des monnaies. Pourquoi dans ce château d'aussi nombreux objets de physionomie paysanne ? — Nous en avons recueilli plus de cinq cents. C’est apparemment que Châtelneuf, au passage des Suédois, servit de refuge aux habitants du voisinage de Guyans-Vennes surtout et de Grand-Chaux : chacun de ceux qui s’y retirèrent y emporta avec son petit pécule le néces- saire de son outillage. Il dut s’y entasser une multitude de malles ou coffrets comme l’attestent les 133 serrures et les 200 paumelles ou charnières recueillies. Sans doute aussi qu'un certain nombre d'objets du culte y furent déposés : on n’explique guère autrement la présence dans les débris d’un instrument de paix et de plusieurs croix processionnelles. Ne pourrait-on aussi rapporter au culte les vestiges carboni- sés où l’œil suit sans peine à travers la trame brûlée du fil un délicat et riche brochage d’argent ?... Mais il en reste si peu qu’on ne saurait conclure. C’est, en résumé, surtout un mobilier paysan qui nous est tombé sous la main. L’incendie a consumé le bois et la corne des outils et n’en a laissé que le métal ; encore le travail souterrain de l'humidité a-t-il mordu profondément et dé- formé surtout les objets plus menus comme les couteaux, les pinces, les casse-noisettes. Pourtant ce qui reste se peut désigner en général nettement. [Il n’est pas jusqu’à des pa- quets de lentilles ou de grains d’avoine carbonisés et re- trouvés abondants sur de vieilles serpes, sur des restes de — 969 — poutrelles, qui n’aient conservé, la couleur en moins, leur exacte physionomie. Les objets trouvés en plus grand nombre sont les gonds, les pentures et les verrous : deux à trois cents gonds et pentures n’est point un chiffre exagéré. Nous avons dit tout à l'heure qu’on les explique par les nombreuses caisses ou malles qu’apportèrent les réfugiés du château. Les serrures c’est naturel — sont moins nombreuses : cent trente trois exactement, et il est probable que très peu nous ont échap- pé. Toutes intéressantes par leur variété, elles sont — sauf deux ou trois, sauf une surtout, où l'artiste a multiplié les combinaisons -— très simples de mécanisme. Aucune d’ail- leurs n'offre de cachet esthétique. Nous aurions dû retrouver un nombre égal de clefs ; nous n’en avons recueilli que cimquante-cinq. Beaucoup, les plus petites surtout, ont passé inaperçues dans les décombres remués. Ce qui intéresse dans les clefs, plus encore peut- être que dans les serrures, c’est absence totale d’uniformité entre deux quelconques d’entre elles. La fabrication ac- tuelle, en répétant sans une variante le même type des mil- liers de fois, donne l'impression d’une inépuisable monoto- nie ; jadis l’ouvrier mettait un peu d’agréable fantaisie dans chaque objet isolé qu'il produisait. Des clefs trouvées à Châtelneuf en sont un exemple. l’une d'elles a plus que de la fantaisie et atteint presque à l’art : les artisans d'autrefois étaient souvent des artistes. La même fantaisie agréable se retrouve dans tous les ob- jets qui la pouvaient comporter ; il faut signaler à cet égard dix-sept casse-noisettes dont aucun ne ressemble au voisin et dont plusieurs représentent des mâchoires d'animaux, des têtes de reptiles. La moitié au moins de nos soixante-deux couteaux sont de lame et de manche élégants, au mouve- ment gracieux ; le feu a anéanti les détails d’ornementation des manches : il en reste cependant ici ou là de pauvres vestiges, par exemples les petits carrés de nacre qui fai- 0 saient, avec de petits carrés de bois, un damier minuscule autour de la tige de métal. L’unique grelot retrouvé était vêtu d’une sorte de gracieux rinceau en relief. Un fer à gauffres ne porte à l’intérieur que des rayures enfantines traversées d’une maladroite fleur de lys. Les deux chandeliers, que l’on peut voir au Musée de Besançon, dans la vitrine affectée aux fouilles de Notre- Dame de Consolation, sont intéressants et de style ; la série bien comprise des nœuds aigus qui en décorent la tige les distingue tout à fait des chandeliers qui font aujourd’hui partie des mobiliers populaires. Üne des plus sensationnelles trouvailles est, sans contre- dit, celle des crémaillères, torses ou rectilignes, grêles ou énormes, et des marmites à la panse diversement, mais tou- jours gracieusement arrondie et aux lèvres non moins gra- cieusement renversées. Deux ou trois en cuivre qui eussent été vraisemblablement les plus jolies sont aux trois quarts fondues et réduites en une masse informe. Tant marmites que chaudrons, nous en avons retrouvé vingt-deux. Voilà qui témoigne d’un groupement d’humbles foyers dans lenceinte de Châtelneuf au moment de l’invasion des Suédois. Puisque nous parlons de foyer, il nous faut signaler trois chenets dont l’un, artistique, figurant une belle tête de chien, et, avec les landiers, les broches démesurément longues, qui pouvaient facilement empaler un mouton ou un veau. Parmi ce que j'appellerai les objets de ménage ou de mé- tier, je ne vois, en dehors de deux socs de charrue au profil de gracieuses carênes, plus rien qui exprime un souci d'art. Tout y est d’un dessin ferme, de fabrication excel- lente et tend à l’emploi pratique. Nous nous contenterons donc d’énumérer six ciseaux de couture, cinq clochettes en cuivre pareilles à celles qu'aujourd'hui encore portent les troupeaux de nos montagnes, cinq pelles, sept pics, sept scies, huit tridents, sept binettes et crocs, neuf ciseaux à tondre les moutons, neuf enclumes à faux (dont la partie 2 om trempée n’était pas oblongue et mince comme à présent, mais carrée), neuf tenailles, dix chevilles de voitures, dix gros coins en fer munis d’anneaux pour harponner et enle- ver les sapins, onze limes, onze pinces très diverses de grandeur, douze grandes poèles à frire, quatorze faux, dix- sept chaines dont plusieurs très longues — l’une de quatre mètres et demi — feraient aisément leur ancien office, dix- sept ciseaux d’ébéniste, dix-huit racloirs, dix-neuf serpes presque toutes d’une courbe plus allongée, moins circulaire que les serpes actuelles, vingt-cinq vrilles, vingt-cinq mar- teaux, trente-deux haches, etc. Tous ces objets n'auraient pas du tout, aux yeux non prévenus, la physionomie d’ob- jets presque trois fois séculaires ; ils sont d’une étonnante . ressemblance d'aspect avec nos objets actuels. Examinés plus en détail, ils frappent par Je ne sais quoi de plus solide en même temps que de plus varié. Des ouvriers du val du Dessoubre, employés journellement au charroi des sapins, ont estimé supérieures, sous le double rapport de la forme et du métal aux comailles d'aujourd'hui, les coins en fer dont nous parlons plus haut et qui servaient à l'enlèvement des bois. Pour compléter la liste des humbles objets de ménage ou de métier que nous avons découverts, il faut ajouter aux précédents : deux balances ou romaines, un fer à friser, une roulette à gaufrer, deux petites lampes en cuivre faites d’un disque évidé avec queue en anneau et bec pointu pour la mèche, différents tournevis, dont l’un, grâce à une série de formes rayonnant au bout de la même tige, pouvait résoudre les difficultés les plus diverses ; des marques à feu, impri- mant un dessin d'étoile, sauf une, qui exprime un écusson avec les lettres P V au-dessus d’une croix ; deux pierres à aiguiser, de longues pinces de forgeron, un étui en os, un godet de cuivre ayant peut-être servi d'unité de poids, un petit rouleau de fil de laiton, deux chapelets, l’un de six dizaines, au grain noir, banal et uni; des débris de marbre — 972 — blanc, de verre à moitié fondu où apparait un reste de des- sin ; divers ossements, dont pas un d’humain, etc., etc. Les objets suivants ont plus de caractère : une sorte de bracelets (deux exemplaires) faits de mailles souples et fines de cuivre et terminés d’agrafes rectangulaires où s’épa- nouissent d’élégants fleurons ; une demi-douzaine d’autres agrafes de cuivre en forme de rosaces ; un ove en verre très fin qui s’est délicatement irisé dans le sol et des flancs du- quel monte une fragile banderole verte ; deux pipes enfin, apparemment inusagées, en terre blanche, l’une ne gardant que le fond du foyer, l’autre, quasi intégrale, faite d’un tuyau uni et d’une Chimère à cornes de bélier, à gueule ou- verte, qui constitue le fourneau et sous laquelle. dans un talon évidé, apparaît une petite couronne avec linscription D. V. Comme objets de culte, il y a d’intéressant, en dehors des débris d’étoffe carbonisée que nous avons dit, d’abord un bras de croix en bronze, trouvé le 24 mai; il se termine en fleur de lis et porte au bout opposé, au centre donc de la croix, une inscription en couronne autour d’un agneau paseal. Ensuite, trouvée, le 26 mai, une autre croix processionnelle du xvre siècle (voir la planche), avec terminaisons en fleurs de lis et, à la naissance des fleurs, de gros cabochons en verre que la chaleur a craquelés. Enfin et surtout, un instru- ment de paix, en cuivre, style italien du xvIe siècle, haut d'à peine quinze centimètres, portant en bas-relief une pteta de dessin remarquable et d'expression très vivante. Ce dernier objet est sans contredit la plus précieuse de nos trouvailles. On le peut voir au Musée de Besançon. Le feu a particulièrement ravagé et déformé les vestiges d'armes que nous avons recueillis. Nous ne possédons qu'une partie de casque : on y voit une fleur de lis repous- sée. Voici quatre épées tordues et rongées, trois sans gardes : cinq gardes sont retrouvées seules, toutes très dif- férentes d'aspect, l’une, torse et spécialement intéressante. — 973 — Voici encore six piques, quatre canons de pistolets, deux canons de fusils ou mousquets, treize batteries d’armes à feu, cinq dessus de poires à poudre, cinq moules à balles, trois balles, trois éperons, dont deux en jolies rosaces étoi- lées. Des cinq menottes ou entraves, trois sont complètes: ce sont de solides et courtes chaînes terminées par deux larges bracelets de fer dont l’un porte un robuste cadenas ; les clés en sont perdues. Les premières monnaies ne furent trouvées que le 8 mars. Inutile de dire que cette découverte nous remplit d’un sin- gulier enthousiasme. La première fois, nous crûmes qu'il s'agissait de boutons : petits disques vert-de-grisés collés en un lingot par un commencement de fusion, leur vue nous surprit seulement. On regarda de plus près, on aperçut des lettres. des embryons d’effigies, de dates : « Des sous, voici des sous ! » Et il v en avait 195. Une bribe d’étoffe carboni- sée, sans doute le sachet qui les renfermait, y était encore attenante. Le soir du 19 mars, pour la troisième fois, le bienheureux cri : « Des sous, voici des sous ! », C'était à l'angle du four et de la platine ; nos enfants, endimanchés, plongeaient leurs mains jusqu’au blanc poignet dans le sable gris où grouil- laient les piécettes verdâtres : quatre cent treize ce jour-là, quel rêve! Le soir du 5 avril, nous en aviôns recueilli plus de huit cents. Mais la moitié totalement illisibles ! Quatre cents res- taient qu’on pouvait lire, partiellement au moins. En voici de minuscules avec la croix de Lorraine, de plus grandes, presque deux cent cinquante, aux armes de Besançon, les autres aux armes de Bourgogne, à peu près toutes à l’effigie de Charles-Quint. Elles courent de 1570 à 1637. Deux ans après cette dernière date, les Suédois féroces, revenus du sud de la Comté, anéantissaient Châtelneuf, qui couvrait pour deux cent soixante ans du manteau de ses ruines l’hum- ble bourse des serviteurs et des soldats d'autrefois. — 9274 — Liste des types de monnaies trouvées aux fouilles de Châtelneuf. France-Béarn, Louis XIII : Une jolie pièce d'argent. Monnaie flamande. Bruxelles, 1622 : Demi-teston. Monnaies lorraines : Blanc, demi-blanc. Armes de Bourgogne et de Dole : 1622, 1623. Dole. — Deux gros, 1422. Dole. — Un gros (bâton noueux), 1622. Dole. — Un demi-gros (bâton noueux), 1588. Dole. — Carolus : 1593, 1594, 1595, 1596, 1599, et une série de dates illisibles. Besançon. — Double-gros; 1623, 1624. Besançon. — D'un côté effigie de Charles-Quint, de l’autre deux colonnes encadrant un B, 1623. Besançon. — Demi-carolus. Besançon. — Carolus : 1564, 1577, 1571, 1572, 1580, 1581, 1584, 1588, 1589, 1599, 1591, 1599, 1593, 1594, 1595, 1596, 460°, 1603, 1617, 1611, 1619, 1613, 1614, 1615, 1616, 1617, 1618, 1619, 1690, 1699, 1693, 1636, 1637. On nous permettra d'ajouter à ces humbles notes le nom des admirables enfants qui sacrifièrent, un an durant, tous leurs congés à l’œuvre pénible des fouilles : Léon Bourgeois, Joseph Love, Joseph Simon, Georges Chénier, Roger Chénier, Louis Huot, Gustave Perrin, Au- guste Vaugne, François Dufay, Léon Faradon, Louis Froide- vaux, Edouard Jeannin, Alix Renaud, Henri Amiotte-Petit, Henri Martin, Francis Boillin, Joseph Frantzen, Just Faivre. MER Cette seconde période de fouilles s'est effectuée sous la direction de M. l'abbé Verchot, professeur à Consolation, auquel nous devons ce second rapport. En 1902, au moyen d’une double subvention du Musée ar- chéologique de Besançon devenu dépositaire d’une partie des — 975 — trouvailles de M. l’abbé H. Druot, et de la Société d’Emulation du Doubs, les « fouilles » de Chatelneuf ont été reprises sui- vant un plan nouveau, après quatre années de délaissement absolu, pendant lesquelles les murailles des appartements découverts par M. Druot, furent sérieusement endommagées par les pluies et la gelée. Le premier directeur n'avait pas de données précises à sa disposition pour le guider dans son travail ; 1l « attaqua la butte la plus en vue, etil eut la main heureuse. On sait la quantité d'objets, parfois très intéres- sants, que ses recherches amenèrent au jour. Dans la suite, on à pensé qu'il v aurait peut-être quelque intérêt à recons- ütuer le vieux manoir des seigneurs de Varambon, autant du moins que le permettent les ruines accumulées par le gel et l'incendie. C'était là un travail énorme qui demandait assuré- ment beaucoup de temps, mais qui pouvait amener quelque découverte curieuse ou importante pour histoire locale. Dans ces conditions, on a voulu, pour faciliter les recherches pos- térieures, déblayer en premier lieu les abords du château, de façon à retrouver les chemins et les portes qui permettent d'entrer dans les appartements. IT fallait des «travailleurs » d’une patience à toute épreuve et d’un « détachement » peu ordinaire, pour exécuter ces travaux particulièrement péni- bles, où l’on est rarement stimulé par une découverte quel- conque. Songez donc, ne rencontrer jamais sous le pic si lourd ni monnaies, ni armes, ni outils, comme les anciens travailleurs de M. Druot ; toujours remuer des pierres et des troncs d'arbres sans aucun résultat appréciable, quelle dé- cevante perspective pour des enfants! Malgré cela, une équipe de vingt ouvriers a pu être constituée, et depuis deux années, personne n'a manqué au rendez-vous du mardi et du jeudi, malgré la neige ou la pluie. Aussi, à celte heure, les travaux ont donné quelques ré- sultats appréciables. Peu d'objets, il est vrai, se sont ajoutés à ceux que M. Druot avait si bien groupés dans son premier musée ; 1l fallait s’y attendre. Par contre, la disposition du — 276 — château commence à devenir manifeste. Nos efforts se sont portés en premier lieu sur le puits, dont l’orifice était visible dans un coin de la € haulte cour ». Nous espérions, en le vi- dant, faire quelque découverte intéressante : dans la préci- pitation de la fuite, les assiégés auraient pu y jeter quelque objet précieux pour les reprendre plus tard. Nous en avons extrait seulement des pierres de taille et des débris d’osse- ments ou d'objets en cuivre, plus une garde d'épée. Bientôt le fond de la citerne apparaissait à une profondeur de deux mètres, et par là croulait la légende fort accréditée dans le pays, d’après laquelle le puits communique avec le Des- soubre, dont la source se trouve à plus de cinquante mètres au-dessous. Comme on la fait remarquer, il était cependant plus raisonnable de supposer que les habitants du château pouvaient se procurerde l’eau très facilement au moyen d’une corde et d’une poulie, puisqu'ils se trouvaient exactement au- dessus de la source en question; dès lors, à quoi bon creuser un puits de cinquante mètres de profondeur dans le roc vif? De là, les équipes se sont transportées sur emplacement Ouest du Château, au-dessus du Val noir, où coule le ruis- seau qui alimente la Scie Dessus. Les premiers travaux ont amené la découverte d’une manière de tourelle, profonde de 4 mètres, reposant sur le rocher au-dessous de la porte d’en- trée du Château, avec un escalier très primitif, creusé dans le roc, qui permet d’y descendre. La destination de cette cons- truction, très bien conservée d’ailleurs nous échappe com- plètement Par la suite, nous avons pu déblayer entièrement la partie du Château qui regarde le Nord-Ouest et le Nord : d’abord l'emplacement du pont-levis, et la « basse » cour, placée au-dessus de la tranchée, qui fait face au plateau de Grand-Chaux. Cette cour assez longue, étroite, s'étend de l’o- ratoire au Val noir. Pour Pétablir, on a taillé le rocher de fa con à constiluer une surface parfaitement plane qu'on a re- couvert d’une sorte de ciment, où entre du sable de tuf comme élément principal. Au milieu de la cour, sur le bord FOUILLES DE CHATELNEUF-EN-VENNES — 9277 — même de la tranchée, se trouve un gros rocher dans lequel des escaliers ont été creusés. De ce rocher un pont donnait accès à la porte d'entrée principale, dont emplacement est très visible au-dessus de Ja tourelle dont on a parlé plus haut. Cette porte est elle-même dominée par une plate-forme tail- lée à pic de main d'homme, sur laquelle se trouvait le donjon qui s'étend jusqu'aux salles découvertes par M. Druot, au Sud, le long du rempart naturel qui domine la source du Des- soubre. De la porte, un sentier pour les mulets, protégé au Sud-Ouest par une haute muraille très épaisse, conduit au donjon et à la «cour haulle », d’où l’on se dirigeait à gauche vers les habitations communes et à droite vers le logement des seigneurs encore inexploré. Si le plan général est facile à saisir, la destination précise des parties mises à nu est en- core difficile à établir, par le fait qu'on distingue nettement plusieurs constructions successives. De plus, des passages, des portes ont été murés, des bases de tourelles comblées avec du sable de tuf. Sur bien des points, on doit se conten- ter de probabilités. _ Les travaux ont amené la découverte de quantité d’osse- ments d'animaux de forte taille, dans une salle sise au dessus du Val noir, de fragments de vases et de verre, de serpes et de menus objets de fer. [ls ont eu lieu sur une longueur de 920 mètres environ. L'année prochaine, nous entrerons par une porte en ogive en pierre jaune taillée, dite de Morteau, dans un appartement dont l’emplacement est visible au Nord des premières salles. Nous rechercherons ensuite la disposition du donjon et, ce point fixé, nous aborderons le saillant Sud, où était l’habitation seisneuriale. Puisse notre œuvre bien. modeste apporter un petit surcroît d'intérêt au site de Con- solation, Cet mériter d’être appréciée des touristes et des ar- chéologues! ÉDOUARD GRENIER (1819-1901) Par M. Jules GAUTHIER SECRÉTAIRE DÉCENNAL Séance publique du 18 décembre 1902 lé L'ENFANCE D’UN POÈTE O famille, Ô foyer où s’alluma mon âme! Quel Franc-Comtois ne connaît Baume, un des sites les plus pittoresques et les plus riants qu’anime le Doubs, alors que, grossi des eaux du Cuisancin, il roule, argentés et limpides, ses flots vers Esnans, Deluz et Besançon. Le paysage qu'il traverse est charmant; laissant sur sa gauche les hauteurs demi boisées et jadis couvertes d’un riche vignoble qu’on nomme Gondé et la vallée étroite de Pont-les-Moulins d’où le Cuisancin débouche, venant du Lomont, la rivière fait tourner à droite les roues du vieux moulin de Cour, trans- formé par une industrie récente, passe en vue de la ville retranchée au bas de hautes collines, séparée à l’ouest par tout un cirque de prairies du gai village de Champvans, puis, sous un grand pont flanqué du roc et des ruines d’un vieux château, précipite en murmurant sa course impé- tueuse : telle la Loue à Vuillafans ! La petite ville encadrée d’un frais décor d'arbres fruitiers = 979 — et de vignes, s’espace et s’étage à la base d’une montagne où grimpe et serpente la route se dirigeant vers Rouge- mont. Le haut clocher pointu de son église et le dôme de la vieille abbaye qui fut son berceau, la dominent ; Champvans, le Château, et par delà les cimes de Gondé et de Châtard sont tout son horizon. L'ancien régime n°v a perdu que ses personnages ; les cha- noinesses ont disparu et seul le secret de certaines confi- tures conserve leur tradition dans les vieilles demeures qu’elles habitaient ; un sous-préfet à remplacé le subdélégué, le tribunal a succédé, et dans le même hôtel, au vieux baïl- hage et les logis à poivrières, les maisons surplombantes, à tourelles et à viorbes, y sont restés debout comme témoins des âges écoulés. C’est dans cette humble et jolie petite viile qu'est né, le 20 juin 1819, Edouard Grenier, dans une vieille habitation qu’on peut voir encore, à l'angle droit de la rue qui descend de la gare, presque en face du clocher de l’église paroissiale. C'était la maison de Simon Barbier, maire de Baume, l’aïieul maternel de lenfant dont le père, Jean-Pierre Gre- nier, occupait à Montbéliard les fonctions de receveur des finances. Les Grenier comme les Barbier étaient des nou- veaux venus dans la bourgeoisie locale, mais leur honora- bilité comme leur fortune leur donnaient une situation ex- ceptionnelle : leur parenté était très nombreuse. Tandis qu'on laissait aux grands-parents, pour égaver leur foyer tranquille, un premier berceau, celui de Jules Grenier, l’ainé de deux ans du petit Edouard, le nouveau-né prit avec sa mère le chemin de Montbéliard, où se passa sa première enfance. « J'ai quatre ans, Je m'éveille ; la bonne Tinon me porte dans la chambre de ma mère. On m'habille ; j'ai une robe de mérinos rouge et des souliers de cabron jaune, je me trouve superbe !... Au jardin, il y a des müûriers à fruits rouges, une grande allée, des arbres et des fleurs ; mais au milieu, il y a du sable et j’v ramasse des cailloux étranges et des pierres précieuses. Au fond, une porte basse donne sur un chemin qui conduit à la rivière ; tout cela est mer- veilleux, et depuis, je n'ai rien vu de pareil au monde !.. » J'ai grandi, je n’ai plus de robes comme les petites filles, je porte des pantalons et des souliers noirs comme papa, je vais avoir sept ans, je suis déjà un enfant terrible : je grimpe aux arbres, Je fais la chasse aux papillons et aux nids. Je suis devenu sauvage, volontaire et dominateur. J'ai un esclave : Charlie qui madmire, Charlie, le fils du cloutier voisin ; je commande une bande de gamins avec qui j'entre- prends des expéditions lointaines dans tous les coins de la ville, jusqu'à la Citadelle !... » lon d'enfants, amour-propre qui naît, colères qui s’é- veillent : pas d'école. la mère d'Edouard lui enseigne à lire, son père à écrire et tout se passe en famille ; quelles joies, quand par un soir d'hiver le receveur particulier rentre de la chasse les favoris saupoudrés de verglas, le carmier rempli de bécassines, de canards, de poules d’eau, et que tout ce gibier aux plumes luisantes s'étale : quand au Vieux-Chä- teau des montreurs de lanterne ane ou d'ombres chi- noises jouent le Pont Cassé et même Tartufe, mais oui, Tartufe, de Molière, un monsieur qui se cache sous une table ! En grandissant le cœur s’éveiile ; à sept ans, Edouard Grenier aime et soupire. Elle avait deux ans de plus que lui. Etait-elle belle? plus tard, il jugea que non. Durant longtemps il l’'admira, faisant avec Marie d’interminables parties de jonchets (un jeu qu'on ne pratique plus guère). «Un charme lenveloppait tout entière, son regard, son sou- rire, le moindre de ses gestes m'enchantait et me faisait une atmosphère de délices. » Toute une vocation de ten- dresse s’éveillait pour lui par linnocente coquetterie d’une petite fille blonde et douce, tranquille et raisonnable, dont l'influence transforma un garçonnet turbulent en soupirant RE | nn précoce, et je comprends le sentiment qui, soixante ans après, dictait au vieillard ces lignes reconnaissantes : « Cher Montbéliard! que de souvenirs, d'impressions premières inoubliables il m'a laissées, je n’en finirais pas si je voulais tout dire, et, je le sens bien, cela ne peut intéresser que Moi... » Le château de Montbéliard et ses tours s’estompent et disparaissent dans les brumes de lAllan, Edouard Grenier est devenu un collégien et a pris, comme Jules son frère aîné, le chemin de Fontenay-aux-Roses. Pour comprendre cette décision il faut tenir compte de l'influence et des conseils d’un ami fidèle de la famille, le député Clément, de Baume, dont l'initiative procura à nombre de ses jeunes compa- triotes l’accès des grandes écoles ou des grandes adminis- trations. C’était un dur sacrifice pour une mère de se séparer d’un enfant qui ne l'avait Jamais quitté ; le sacrifice fut plus rude encore pour le bambin de dix ans, partant avec un mince bagage à la conquête de l'avenir. Les roses de Fontenay, le parc et ses bosquets, tout cela donnait un air riant à.la cage, mais blotti dans son coin, meurtri et attristé par les brimades, qui dans tout collège attendent traditionnellement les nouveaux, le pauvre oisil- lon venu de Baume, pleurait le doux nid déserté. Il fut long à s’habituer à la discipline et au travail, nouveau pour lui, se créa peu de camarades, vécut de souvenirs ou d’espoirs et, petit à petit, de labeur et de résignation. Parmi les maîtres de Fontenay-aux-Roses, il en était un dont le nom et la réputation avait déterminé le choix de ce collège, qui eut de longues années de célébrité et fut consi- déré comme la Sainte-Barbe des Champs. Il se nommait H. Ordinaire, et était de Besançon. « Il avait composé une grammaire latine d’après une méthode qui abrégeait fort l’étude de cette langue. C'était un petit homme sec et osseux, très dur au physique comme au 49 moral. I] avait mventé aussi une façon de nous inculquer sa méthode qui était touchante, c’est le cas de le dire. Il se ser- vait d’une tabatière d'argent pour priser, mais il s’en servait encore autrement. Aux examens, quand on lui répondait mal, la tabatière entrait en jeu en même temps que son pied. Le pied, fortement chaussé, frappait la jambe du mal- heureux élève, tandis que la tabatière attaquait les côtes ou la tête. Cette méthode-là n’était pas bien nouvelle, mais elle aidait puissamment à l'intelligence de l’autre. » Les impressions pénibles du début de Fontenay-aux- Roses, corrigées à la longue par de bonnes camaraderies et par l'intérêt qu'Edouard Grenier finit par prendre à ses étu- des, s’effacèrent peu à peu, grâce aux vacances qui lui firent entrevoir la mer à Saint-Valery avec ses spectacles gracieux et émouvants, ailleurs d’autres paysages, et le ramenèrent enfin, en 1829, à Baume, pour y embrasser une petite sœur née depuis peu et dont son frère et lui se disputèrent l’affec- tion, en la portant, en la promenant, comme une délicieuse petite poupée. | | Sa première communion en 1831, préparée par l’évêque du Maroc, l'abbé Guillon, aumônier de Fontenay, son entrée au grand collège, une grave maladie dont Jules Grenier faillit mourir, furent les grands événements de cet internat de Fontenay-aux-Roses qui dura jusqu'à 1834, c'est-à-dire jusqu'à la rhétorique, et dont la sortie constitua pour Pes- prit indépendant du jeune Baumoiïs une véritable délivrance. Les parents décidèrent, à sa grande joie, que tandis que son ainé resterait à Paris pour se préparer à l'Ecole polvtech- nique, sous la direction de son cousin Ebelmen, qui venait d'y entrer premier, Edouard irait à Besançon faire au col- lège royal sa philosophie, en externe libre, c’est-à-dire en grand garçon. Un voyage en Suisse, où les conduisit leur grand-père, ménagea la transition aussi agréable qu’inespérée entre la prison et la liberté. « Voir les lacs, les montagnes, les gla- — 283 — ciers, quelle joie pour des prisonniers comme nous et des imaginations de quinze ans... « L'automne s’écoula et s’inclina sensiblement vers l’h1- ver. Il y eut encore de belles journées, l’été de la Saint- Martin comme l’on dit, et c’est précisément l’époque où la Franche-Comté est dans toute sa beauté. L'été, le paysage est trop vert et d’un vert un peu crû. L’arrière-saison avec ses teintes variées, son ciel adouci, ses vapeurs bleuâtres, prête à nos montagnes un caractère plus fin, plus poétique en les revêtant d’une grâce, d’une distinction, d’une no- blesse qu’elles n'ont pas dans le robuste éclat de leur ver- dure printanière... « Cest ici le lieu de dire quelques mots de notre vieille maison, elle doit remonter à trois siècles et fut, dit-on, bâtie par MM. de Lasnans, libres barons d’Empire. « Malgré ses dimensions restreintes, rien ne lui manque comme dépendances : double cour en forme de douves, ni jardins en terrasse. Le jardin qui domine la maison est un vrai jardin de curé. « Des carrés de légumes entourés d'arbres fruitiers, de quenouilles, qu'au printemps, quand leurs branches ploient sous des fleurs épanouies, mon père comparait volontiers à des processions de jeunes filles. « Des pierres moussues bordent les allées, une Por le au fond avec une treille en berceau que j'y fis planter pour me rappeler l'Italie ; on le voit, c’est la simplicité même. clellqu'lest, c'est le heuïque j'aime le plus au monde. Mon grand-père m'y a porté dans ses bras, je m’v suis pro- mené avec ma mère, j y ai joué avec ma sœur, pleuré avec mon frère. » Et cette vieille demeure et tous les cœurs qui battaient à Vunisson pour entourer l'enfant de leurs tendresses, dont il avait été sevré si longtemps dans la geôle de Fontenay- aux-Roses, il fallut s’en séparer, en gagnant Besançon et son collège le 15 novembre 1834. On établit le philosophe = OS — chez un professeur du collège qui demeurait dans une vieille maison du Chapitre, entre la maison Talbert et l'hôtel Hugon d’Augicourt. « Il v restait même, remontant au moins à 4789, un chanoine grand, mince, avec les ailes de pigeon poudrées, la culotte noire, les bas de soie. Il jouait du violon et rien que de vieux airs qui, le soir, me por- taient à la mélancolie. | « On v accédait par une étroite porte cintrée; de ses vieilles et étroites fenètres à meneaux, la vue était superbe et s’étendait sur une grande partie de la ville, avec les belles lignes du mont de Bregille comme lointain et tout un groupe de grands et beaux arbres pour premier plan. « Chaque jour en descendant du Chapitre, pour me ren- dre au collège, je passais sous la Porte Noire. L'arc mutilé reste un monument de fière allure. Sur la face qui regarde Saint-Jean, dans un enfoncement obscur qui forme niche, se dresse en haut-relief une charmante figure de Vénus. La déesse sort de l’onde amère, ses pieds reposent sur une conque, une draperie voltige autour de son torse ; les siècles l’ont décapitée, mais ce beau corps garde néanmoins je ne sais quelle grâce divine et voluptueuse qui charme le re- gard et fera toujours rêver un artiste et un poète. — Et jen . révais ! « Tous les matins et tous les soirs, malgré toute ma phi- losophie, je saluais du cœur et des yeux la Mère des amours, c'est peut-être à elle que je dois ma prédilection pour la sculpture. « La classe de philosophie se composait d'une soixantaine d'élèves. J'étais le plus jeune et, quoique arrivé six semai- nes après les autres, je n'en fus pas moins le premier lors de la composition et j'eus le prix de Pâques, à mon grand étonnement je l'avoue. Cela donnera une piètre idée de la classe et de la philosophie qu'on y enseignait. Son profes- seur était pourtant un homme de mérite, à figure fine ; il se nommait M. Bénard et traduisit Hegel. Métier on — 285 — « Je ne me liai avec personne et sauf Louis Grenier et Louis Barbier, mes deux cousins, qui étaient de ma classe, sauf Darlay, fils du professeur chez lequel je logeais et qui partageait ma chambre, je ne fis pas d’amitiés nouvelles. » Et l’année s’écoula, terminée par la consécration du bac- calauréat qui valut au vamqueur d’amples vacances, parta- gées avec son frère. | « Nous passâmes ces vacances comme on les passe à l’âge de l'adolescence, à courir dans les bois, à grimper dans les rochers, à rêver au bord des rivières ou dans les combes de notre pays agreste, à lire, à causer, à dessiner. Notre père était un pêcheur et un chasseur émérite; il ne nous transmit ce double talent que d’une façon bien imparfaite. Nous allions cependant quelquefois pêcher avec lui. La chasse, qui du reste plaisait peu à notre mère, ne nous avait pas entrainés come 1} est d'ordinaire à cet âge ; nous étions _ trop rêveurs ! Que de fois suis-je sorti le fusil sur l’épaule et un livre dans ma poche pour une chasse lointaine. Au premier buisson je m’asseyais contre un arbre, J’ouvrais mon livre et adieu les lièvres et les perdreaux ! Pétais parti pour les régions éthérées de lillusion et du rêve. » Les vacances finirent et au lieu de gagner l'Allemagne, Edouard Grenier et son frère vinrent à Besançon, l’un pour y travailler son examen de Polytechnique, lPautre, c’est-à- dire Edouard, pour y apprendre la procédure chez lavoué Lonchamp. Ils demeuraient ensemble, au n° 51 de la Grande- Rue, vis-à-vis une vieille maison dont la devise : Fac bene ne timeas semblait leur dicter le devoir : au coin de la rue Saint Antoine et de la rue des Chambrettes, la maison à tourelle abritait leur pension. Orientés l’un vers l’art, l’autre vers la littérature. chacun des deux frères avala, huit mois durant, l’amer breuvage que la volonté paternelle leur ver- sait, et cela, dans l’intérêt d’une carrière que ni l’un ni l’au- tre ne devait suivre : l’été suivant, tous deux l'avaient Jetée aux orties, Julés ne parvenait pas à entrer à Polytechnique, — 286 — la procédure n’était pas la Muse qui devait entrainer Edouard. Et une fois encore le conseil de famille tenu à Baume aiguilla sur une autre voie les wagons qui portaient Jules et Edouard et leur fortune, celui de Jules vers l'Ecole cen- trale ou l'architecture, celui d'Edouard vers l’Aïlemagne, c'est-à-dire vers l'inconnu. Leur mère avait une amie mariée à Stuttgard; elle pré- para linstallation d'Edouard, et toute la famille, sauf son père retenu par ses fonctions et sa grand’mère par ses in- firmités, l’accompagna par Strasbourg et Baden, à Stuttgard, où la caravane débarqua le 24 septembre 1836. « Nous passämes à Montbéliard où nous ne vimes pas Mie Marie qui venait de se marier ». Le premier amour d’enfant était, hélas! frappé à mort. S'il est un pays d'Allemagne où, même après des déchire- ments inoubliables, le cœur français puisse battre sans haine et sans révolte, où une commune sympathie puisse naître et provoquer de part et d'autre une mutuelle confiance, c’est le Wurtemberg, c’est la Souabe, un pays hospitalier, dont les mœurs patriarcales survivent et résistent encore à la corruption. Malgré les transformations accomplies en un demi-siècle, je l'ai connu tel encore qu’'Edouard Grenier le découvrit à l'extrême début de sa jeunesse, et Je comprends son en- thousiasme d’y avoir pénétré et vécu. Quelle jolie ville bâtie en amphithéâtre au pied de hautes collines, amorce des Alpes de la Forêt-Noire, sur les flancs desquelles montent des vignes et des forêts de pins parfu- mées, couronnées par les hauteurs du Bopser et de Deger- loch. Tous les palais de Stuttgard sont intéressants : le Vieux Château, dont les tours massives ont le même profil que celles de Montbéliard, la Résidence royale avec ses colon- nades, ses fontaines, ses grands bassins et son parc qui va — 287 — jusqu'à Cannstatt retrouver le Neckar; Rosenstein, la Villa royale et le caprice oriental de la Wilhelma. Et partout, dans les musées, les bibliothèques, comme dans les magasins ou les intérieurs bourgeois, quel aimable accueil pour l’étran- ger, pour le Français surtout, car on n’a pas oublié là-bas ni le passage ni le séjour des Bonaparte ou des d'Orléans et l’on s’y souvient que la plume magique du vainqueur d'Iéna a signé le décret qui créa le royaume de Wurtemberg. L’amie de Mme Grenier, Mme Koch, et ses deux aimables jeunes filles eurent vite acclimaté Edouard Grenier, confié aux bons soins d’un docteur en théologie, M. Ostertag, un pasteur surnuméraire, farci de grec, de latin, voire d’hébreu, qui s’évertuait en bon scholar à initier aux beautés de la lit- térature et aux rudesses de la langue allemande tout un lot de jeunes Anglais et Suisses. M. Ostertag, grand, froid, si- lencieux, nonchalant, avait bien l'allure d’un prédicant; ïl était de la secte rigide des mômiers ou piétistes, ce dont se ressentait la sévérité de son enseignement. Grâce à la com- position de la pension, l'anglais était la langue dominante ; l'étudiant venu de Baume se plia au courant, mordit à la fois aux deux dialectes et se familiarisa avec eux. Plus que les le- cons du docteur, la lecture et la traduction à coup de diction- naire et d'efforts personnels de Schiller, de Gœthe, de Les- sing, firent ce miracle si difficile à réaliser chez nous autres Français, de faire pénétrer le jeune bachelier dans le génie tudesque ; et tout lui devint facile désormais grâce à la volonté inflexible de sortir victorieux de l’entreprise. Cette influence de la littérature allemande sur sa vocation poétique ne fut pas moindre que la connaissance de l'allemand courant, écrit ou parlé, ne le fut pour ses succès futurs dans la carrière di- plomatique ; sa famille avait été bien inspirée en l’envoyant à Stuttgard. Dans ses excursions journalières dans les grandes forêts, dans les parcs royaux aux mystérieux ombrages, dans les villages, les petites villes si curieuses qui avoisinent la petite — 288 — capitale et sont pleines encore des souvenirs de Schiller, d'Uhland et de Schubart, des chefs-d’œuvre de ces tailleurs d'images qui ont enfanté tant de merveilles d’'Ulm à Esslin- gen, à Heïlbronn ou à Tubingen, Edouard Grenier rapportait d’heureuses impressions et tout un trésor de sensations nou- velles. Il était arrivé à Stuttgard à la chute des fruits du mar- ronnier; quand les marrons commencèrent, en 1837, à sortir de leurs coques épineuses, un sentiment poignant le fit son- ger au départ. Son frère Jules le vint chercher et ce fut une douloureuse séparation d'avec les objets inanimés et les autres, car aussi bien les gracieuses filles de Mme Koch qui, avec leur mère, avaient suppléé les tendresses du foyer, que ses camarades de la pension Ostertag, les chênes du Bopser ou les bosquets de la Silberburg, tout cela s’était partagé son âme et avait pris dans son cœur d'enfant une place qui leur resta à jamais conquise. L’année passée à Stuttgard, il le déclarait encore à ses derniers jours, fut pour Edouard Grenier l’une des plus belles et des plus heureuses de sa vie; il en sortait plein de sève et d'enthousiasme, avec les illusions généreuses, sans lesquelles, entre l’enfance et la jeunesse, il y aurait tout un désert aride et morne à traverser. | Il en sortait sûr de cette vocation de poète dont son oreille avait perçu, bien faibles encore, les voix indécises, dans le collège de Fontenay-aux-Roses, et dont, sans guide et sans conseil, il avait presque enfant encore, réussi à affirmer la vérité et la puissance, par des ébauches de drames en vers qui, sans être le fruit d’une inspiration sublime, révélaient du moins, sous une ardeur juvénile, de réelles qualités de style et une aimable facilité. Et maintenant nous avons épuisé dans ces courtes et simples pages ce que nous savions, ce qu'Edouard Grenier a retenu, a écrit, nous a raconté de son enfance. Les bienfaits de ses parents, les heures de bonheur plus nombreuses que celles de tristesse, les tendresses mater- 80 nelles y tiennent une large place, et l’attachement au pays, à la vieille demeure où tous sont nés, où quelques-uns déjà sont morts, s’y affirme à chaque pas. Flétri par l’âge, l'enfant, après avoir salué cette vieille mai- son dans une pièce vibrante d'émotion et superbe de facture : O famille, 6 foyer où s’alluma mon âme...,vy reviendra comme l’oiseau blessé retourne au nid, pour s’v coucher et y mourir. Mais à l'heure où sonnent ses vingt ans et où nous arrê- tons ce récit des premiers pas de sa vie, il en sort heureux encore, amoureux de l'existence, allant conquérir à Paris le ravon de gloire qui sourit à ses espérances, serrant sur sa poitrme, comme un talisman, tous les souvenirs joyeux et tristes qu'il a retracés dans ces vers : Tu m'as laissé d’abord aux rives ignorées Où le Doubs clair étend ses nappes azurées Parmi les rocs à pic, les prés verts et les bois. _ C'est là que s’éveillant pour la première fois - Ton âme vit au seuil de cette vie amère Cet ange souriant qu'on appelle une mère. Ta mère ! à souvenir! ineffable trésor, Le seul qu’en vieillissant le temps augmente encor ! Age heureux où l’enfant fort de son innocence Est encore dans l’Eden et croit à sa puissance Et, quoique né d'hier, s’imagine immortel! Il a, comme Jacob, sa pierre de Béthel, Et du ciel à la terre, il voit la nuit, sans trèves, Des anges descendant l’échelle de ses rêves. Age heureux! seul heureux! quand au bord du sillon, Il suffit d’une fleur, d’un nid, d’un papillon Pour faire déborder notre âme comme un vase! As-tu donc oublié Fontenay et ses roses, Et la geôle lettrée aux vieux maîtres moroses Où l’enfant enfermé dans un cercle de fer A l’âge du bonheur comprit enfin l’enfer? — 290 — Adieu la liberté, l’essor du premier âge Et dans les prés en fleurs le gai vagabondage! Adieu le foyer paternel où le jour Passait libre et joyeux sous des regards d'amour. Adieu ta mère! adieu ses baisers, ses caresses, Et ta petite amie et ses calmes tendresses Et tes jeux innocents avec elle au jardin. — Puis ce n’est plus le Doubs à la teinte azurée Ni la France. À présent c’est une autre contrée, : Le ciel n’a pas changé c’est le mème soleil, La même terre aussi, pourtant rien n’est pareil. Cest le Rhin, le Neckar, la sombre Forêt-Noire, L'Allemagne rêéveuse… Jours d'étude et de paix, d’ardente poésie Dont chaque heure, apportant sa coupe d'ambroisie, T’enivrait de bonheur, de génie et d'amour! Enavantiien avant —- Cest Paris maintenant, le monde et ses orages Cest la vie à vingt ans avec tous ses mirages Ses rêves de grandeur, ses folles passions !... FLORA SÉQUANLE EXSICCATA ° OU HERBIER DE LA FLORE DE FRANCHE-COMTÉ PUBLIÉ Par M. X VENDRELY AXE 4° Liste du 21° fascicule. Collaborateurs pour ce fascicule : MM. BRUNARD, CARDOT, RÉMOND, J. STRICH, X. VENDRELY, (OZANON, SALTEL). Abrév. : D—=Doubs, S—=Haute-Saône, J— Jura, V= Vosges, A—=Ain, Sb=Haute-Savoie. 1005. Isopyrum thalictroides L. A. 1047. Lathyrus sphæricus Retz. G10 bis Hutchinsia petraeaR.Br, A. 1018. Orobus tuberosus L. 1006. Cardamine pratensis L forma 1019. Prunus erythrocalyx $. ru- S. bella Clav. S. 1007. Alyssum Beugesiacum J. F. 1020. Potentilla rupestris L. A. À. 1021. Alchemilla (vulgaris) strigu- 1001. Pulsatilla rubra Lam. A: 584 ter Pyrola minor L. S. 1002. Ranunculus peltatus Schrank. 1013. Silene oleracea Bor. S. S. 101%. Lychnis flos cuculli L. S. 1005. _ Thora L. A. 1015. Cerastium pallens Sch. S$. 1004. Caltha palustris L. S. 1016. Genista sagittalis L, S. A. S. 1008. Draba muralis L,. A, losa Bus. SE À. (Thlaspi arenarium Jord. Avevr.) 1022. Crataegus monogyna Jacq., 15 ter Helianthemum pulverulen- v. Kyrtostyla Beck. S. tum D. C. A. 1093. Saxifraga aizoidea I. A. 1009. Viola hirta L. 5 1024. Heracleum Alpinum L., f. Ju- 1010. — subtilis Jord. S. ranum (rent. A. AO1L. Viola subincisa Bor. S. 1025. Anthriscus Cerefolium Hffm. 1012. — stagnina Kit. A. SC: — 9292 — 1026. Asperula trinervia Lam. A. 1027. Galium verum L. S 1028. Knautia arvensis Koch. S. 909bis — intermediaBruegg.S. 1029. Chrysanthemum Parthenium Pêers: S. 81 ter Bellidiastrum Alpinum Mich. 1030 Centaurea Lugdunensis Jord. “ 1031. Taraxacum officinale Wigg.sS. 1032. Hieracium Auricula L. S 1033. Vaccinium Myrtllus L. $S. 980 bis Arctostaphylos officinalis W. A 1034. Pinguicula Alpina L. À 1035. Utricularia minor L. A 1036. Menyanthes trifoliata L. $S. 1037. Convolvulus arvensis L. S. 1038. Lycium vulgare Dun. De. 1039. Echium vulgare L. S 942 bis Pulmonaria vulgaris Dum. 1040. Borrago officinalis L. S 1041. Linaria minor Desv. S. 1042. Veronica serpyllifolia L. S. 1043. Melampyrum nemorosum L. A. 1044. Glechoma hederacea L. S. 1045. Galeobdolon luteum Huds,s. 1046. Lamium album L. S 1047. — amplexicaule L. S. 1048. Ajuga reptans L. S. 1049. Plantago media L. S 1050. — lanceolata L. S 018 bis Littorella lacustris L. S. 1051. Chenopodium bonus Henri- eus L. S. 1052. Polygonum avieulare L., for- ma. S. 1053. Rumex Acetosella L. Se 1054. Daphne Mezereum L. 1055. Euphorbia palustris L. 1056. — Peplus L. 1057. —- Cyparissias L. 1058. — Amygdaloides 1059. Ulmus montana Sm. 1060. Salix aurita L. 1061. Juniperus communis L. 1062. Tulipa Celsiana DC. 1063. Erythronium dens canis L, A. 1064. Allium Schœnoprasum L.var. LE DPI PIE TE Alpinuin Koch. A. 135 bis Leucoium vernum LL. A. 4065. Orchis sambueina L. À. 1066. — Traunstemeri Saut. S. 142 bis Ophrys aranifera Huds. A. 1067. Gladiolus palustris Gaud. A. 1068. Sisyrimchium mueronatum Mich. A. 1069. Iris pseudo-Acorus L. S. 1070. Typha minima L. he 1071. Scirpus lacustris L. S. 1072. — sylvaticus L S . 678 bis Rhynchospora alba Vahl. A. 1073. Carex brizoides L. S. 1074. — leporina L. S. 4075. — polyrhiza Wallr. D. 4076. — hrevicollis DC. A. 1077. — Baldingera arundina- cea Kth. S. B. (Echinochloa eruciformis Rchb- cuit.) 1078. Anthoxanthum odoratum L. S. 1079. Milium effusum L. S. 1080. Arrhenatherum elatius Gaud. S. 700 bis Selaginella spinulosa A. Br. AU og er 20 Notes sur quelques espèces. Nous avons le plaisir de publier dans ce fascicule un cer- tain nombre de plantes jurassiques intéressantes, recueillies dans le département de l'Ain, par M. Brunard, instituteur à Ambléon, qui a bien voulu ajouter les quelques notes dont nous faisons suivre quelques-unes. 1001. Pulsatilla rubra Lam. — Plante, plutôt méridionale, qui remonte, en colonies abondantes, sur tous les coteaux secs et calcaires des bords du Rhône, exposés au midi, et sur les coteaux de l'Ain, — à Villieu. 1003. Ranunculus Thora L.— Cette plante des hauts som mets Jurassiens est venue s'implanter au sommet du Grand- Colombier, 1534 m. d'altitude, à l'exposition du couchant, où M. Brunard l’a découverte en 1898: c’est la station la plus méridionale de l'Ain. 1005. Isopyrum thalictroides L, — Pigneux-le-Franc. 610 bis. Hutchinsia petraea KR. Br. — Loves. 1007. Alissum Beugesiacum Jord, et Fourr. — Mollard-de- Don. 1008. Draba muralis L. — Virieu-le-Grand. 15 ter. L'espèce publiée sous ce numéro, provenant du Pont-de-Chazey et envoyée sous le nom d’Helianthemum pilosum Pers., ne serait pour M. Foucaud, à qui je l’ai com- muniquée, que À, pulverulentum, DC (= polifolium à an- gustifolium Koch.). 4012. Viola stagnina Kit. — Connue au marais des Echets (d’où proviennent les échantillons), retrouvée aux marais de Colliard et aux bords du lac d’Ambléon, ce qui indique qu’elle doit être plus disséminée qu’on ne l’a notée jusqu’à ce jour. 1017. Laihyrus sphæricus Retz. — Ambléon. 1020. Potentilla rupestris L. — Id 1035. Utriculuria minor L. — Id. 105%. Daphne Mezereum L.-- Id. — 294 — 1093. Saxifraga aizoidea L. — Bellegarde. 1026. Asperula lrinervia Lam. — Le Mollard-de-Don. 81 ter. Bellidiastrum Alpinum Mich. — Le Grand-Colom- bier. 1043. Melampyrum nemorosum L. (M. violaceum Lam.). — Id. 086 bis. Arctostaphylos officinalis Wimm.-Gr. — (Arbutus uva ursi L. — Sothonod. 1034. Pinguicula albiflora Reus. (P. Alpina L.). — Id. 1063. Erythronium dens canis L.(Æ. bulbosuim Saint-Lag.). — Id. 1065. Orchis sambucina L. — Id. 1064. Allium Schoenoprasum var. Alpinum Koch. — Brenod. 1024. Heracleum Alpinum L,. £. Juranum Genty. — N'a que deux stations dans l'Ain : forêts de sapins du col de la Ro- chette (où ont été récoltés les échantillons) et de Planachet, à 4100 m. d'altitude ; toutes deux exposées au couchant. 1030. Centaurea Lugdunensis Jord. — Quatre stations dans l’Ain : 4° la Pape, sur les bords du Rhône, à faible alti- tude ; 2° aux Monts-d’Ain, près de Nantua, à 1000 m. d’alti- tude ; 3° au Reculet; 4° sur le plateau de Retord ‘prairies dé- calcifiées de la Croix-Jean-Jacques, à 1200 m. d'altitude), d’où proviennent nos échantillons. 1062. Tulipa Celsiana, DC. — N’a que la seule station : les pelouses rocheuses du sommet du Grand-Colombier, à 1534 m. d'altitude, exposition du levant. 1067. Gladiolus palustris Gaud. — Colliard. 1070. Typha minima Hoppe. - Cordon. 1068. Sisyrinchium mucronatum Mich. (S. Bermudiunum v. boréule, de Boissieu). — Occupe une station de quelques centaines de pieds, dans un pré marécageux, à Passin, parmi les jones et les carex, à 2 kilomètres de toute habitation. — 9295 — s° Plantes nouveiles pour la Haute-Saône. 1002. Ranunculus peltatus Schrank. — Champagnev. 4010. Viola subtilis Jord. — Id. 1011. V. subincisa Bor. — Id. 1013. Stulene oleracea Bor. — Id. 1015. Cerastium pallens Sch. — Id. 1019. Prunus erythrocalyx ($. rubella) Clav. — Id. 1021. Alchemilla (vulgaris) strigulosa Bus. — Id. 1022. Cratæqus monogyna Jacq. var. Kyrtostyla Bech. - Id. 41966. Orchis Traunsteineri Saut. — Id. 942 bis. Pulmonaria vulgaris Dum. — Amance. 918 bis. Liltorella lacustris L. — Etang Rosbeck, com- mune de Belonchamp, canton de Melisey. Ranunceulus penicillatus Hiern. — Chagey (V. Rouv et Fouc- Fl. de Fr., 1;p. 69: A0 Localités nouvelles. a. Département du Doubs. Ranunceulus aconitifolius L.— Bois du Petit-Frêne, près _de Saône (Paillot). Rapistrum Linnæanuin Boiss. — Fort de Palante, août 1883, a disparu des environs de la gare de Besançon (P.). Isnardia palustris L. — Saint-Vit, Antorpe (P.). Doryenium suffruticosum Vill. — FI. Seq., 709. Cette es- pèce est nommée D. Jurunum, par Rouy, Fl. Fr., V, p. 136. Knautia dipsacifoliu Host. — Laissey (P.). Solidago longifotia Schrad. — C’est le nom que Paillot (manuscrit) donne à l'espèce nommée Æ. villosa Pursh. in HI Seqg VI p. 129. Helminthia echioides Gaertn. — Besançon (Montoille) (P. 1883). 906 22 Les localités indiquées ci-dessus se trouvent mentionnées (manuscrites) sur un exemplaire du VI fasc. du Fl. Sequa- niæ, provenant de Paillot. Carex polyrhiza Wallr. — FI. Seq. 1066, rec. à Dung, par JStrich b. Département de la Haute-Saône. Monotropa hypopithys L. — Bois de Miellin (D' Poulet). Evonymus Europæus L, — Champagney (K. V.). FI. Seq., 806. Trifolium Bertrandi Rouy (T. medium >< rubens Bertr.). — Neuvelle-les. Scey (Bt); Rouy, FIL. de Fr., V, p. 195. Amelanchier vulgaris Mnch. — Un échantillon m’a été en- voyé autrefois, dans une lettre, de Faucogney, par M. Jo- lyet; a été publié sous le n° 622 El: Seq., de Besancon: Rubus Sehleicheri Weihe. — Champagney. bois du Ravant DSP ROUGES AUERCEARR MI SAT. é Rosa Vendrelyana Humn. Nouv. Supp. Catal. PI. env. Luxeuil, p. 400; FI. Seq. exsiccata, 713, de Dambenoït. — Est nommé R. stylosa € lancevlata, Rouy, in R. et Cam, HIFde re NE ip 2824 Anthriscus alpestris Wimm. — FI, Seq , 797, de la forêt de la Prêle au Col du Stalon. Cette espèce. est nommée A. Cicutaria; Duby, in vR et Cam, BI Rr° VE ps 07 Angelica. — Une plante que je prenais pour À. montana et qui se trouve à Champagnev, le long du Rahin (rivière) (et non ravin), a été nommée À. sylveslris L. var. grosse- dentata, dans Rouv et Camus, FI. de Fr., VE, p. 402. Knautia intermedia Bruegg. — FI. Seq., 909, de la Houil- lère de Ronchamp; 909 bis, de Champagney (X. V.). Chenopodium bonus Henricus L. : Champagnev (X. V ). El Seq 1091, | ; Scilla bifolia L. — Plancher-les-Mines, à Malbranche (Dr Poulet). Scheuchzeria palustris L. — Etang Billiaux, à Lantenot es (X. V.) (oublié dans F1. Seq., VI, p. 142 (Paiïllot). Publié dans FI. Seq. exs. n° 668, de la Montagne de Ternuay. Potamogeton crispus L. — Vu à Chemilly (X. V.). Juncus squarrosus L. — Champagnev : Noies-d’Enfer CNE). Rhynchospora fusca Roem. Sch. — FI. Seq., VI, p. 143, oublié de : la Montagney de Fresse : X. V. (Paillot). Publié Fi. Seq., 679, de la Tourbière de la Pile, à Saint-Germain. Scirpus lacustris L. — FI. Seq., 1071, de l'étang Rosbeck, près Melisey. Scirpus cæspitosus L. — FI. Seq., 676 et bis; Ballon de Servance : plateau du sommet et Tourbière de Bravoure. Carex elongata L. — Chagey (X. V.). Carex filiformis L. — Etang Billaux, près Lantenot (X. V.). 1006. Cardamine pratensis L. — De Champagney, forme à étudier. 41052. Polygonum aviculare Li. — Id. Nota. Les espèces marquées A) Thlaspi arenarium Jord., de l’Aveyron, et B) Echinochloa eruciformis Rchb., Cult., n’appartiennent pas à la Flore de Fr.-Comté (PI. d’abord des- tinées à l’Herbier Billot, et restées sans emploi). »° Description d'une espèce. Les descriptions de quelques espèces publiées dans le FT. Sequaniæ, étant difficile à se procurer, je les donnerai lorsque j'aurai l'occasion de les avoir. M. Foucaud ayant bien voulu me donner celle de l’Artemisia Verlotorum Lam., publiée El: Seq., n° 635, la voici : Artemisia Verlotorum Lamotte, in Mém. Assoc. frane., congrès de Clermont-Ferrand, 1876, p. 511. — A. umbrosa Ver]. Cat. gr. Jard. bot. de Grenoble, p.12, et Exsic. dauph., n° 825, non Turz. Souche peu épaisse, donnant naissance à un grand nombre de rameaux souterrains, minces, souvent très longs, termi- 20 — 9298 — nés par un bourgeon, garnis d’écailles très éloignées, rudi- ments de feuilles avortées. Tiges de 80 cent. à 2 m. de haut, cylindriques, fortement striées, simples ou rameuses, vertes ou rougeâtres lorsquelles sont exposées au soleil. Feuilles vertes et glabres en dessus, blanchâtres-tomenteuses en des- sous; les inférieures bipinnatifides ; les moyennes pinnati- fides, à 5 à 9 segments entiers; les supérieures trifides ou simplement entières, lancéolées, aiguës, toutes à lobes lan- céolés aigus. [nflorescence tantôt en épi simple. penché au sommet, tantôt en panicule formée d’un grand nombre de petits rameaux inégaux. Capitules tous sessiles et isolés à laisselle d’une bractée, un peu plus gros que ceux de PAr- temisia vulgaris, d'abord oblongs, puis subarrondis ; écailles de l’involucre ovales-oblongues, obtuses, étroitement sea- rieuses sur les bords, d’un vert cendré ou rougeâtre, légè- ‘rement tomenteuses, puis glabres. Fleurs à corolle rou- geàtre, glabre, à tube allongé, non glanduleux. Akènes... 6° Revue de quelques ouvrages concernant Ia Flore de Franche-Comté, parus depuis la publication de Ia « Fiore de la chaine ijurassique », de Ch. Grenier (1864). 1° Contejean {C.). Enumération de la Flore de Montbéliard, 3° supplément (1876) et Revue de la Flore de Montbéliard (1892). 20 F, Renauld (R.). Aperçu phytostatique sur le départe- ment de la Haute-Saône (1873). 3° Parmentier (P.). FI. nouv. de la chaîne jurass. et dela Haute-Saône (1895). 4° Paillot. Vendrely, etc. (V.). Flora Sequaniæ, notices: VI, PI. nouvelles du Doubs et de la Haute Saône (1879 et s.). 90 V. Humnicki (H.). Catalogue des pl. vascul. des envir. de Luxeuil (1876) et suppléments (1877, 1883), p. 1-105. 6° R. Maire (M.). F1. Graylaise ou Catal. des pl. de larron- — 299 — dissement de Grav (1894, et contributions à l’étude de la F1, de la Haute-Saône (1896 et s.) Ranunceulus hederacens L. — C. Revue, p. 57. — La loca- lité Ronchamp ne doit pas m'être attribuée, (Je n’ai jamais ee’ cetie esp. an.) Corydalis cava Schw. — R,, p.74. — La plante de Chariez de l’Herbier Thiout est le C. solida Sm. Sinapis cheiranthus Koch. — R., p. 75: CG. R., p. 66. — M. Jolyet, dans une liste de plantes envoyée en juillet 1869, notait qu'il avait vu quelques pieds de Brassica ochroleuca Soy. W.(—= Erucustrum Pollichii Schp, ou Diplotaæis brac- teata G. G.), sur les rochers bordant la route à droite au delà de la papeterie de Plancher-Bas. Je n'ai pas trouvé l'espèce susdite à cette station, mais S. cheiranthus Koch (Br. cheir. Vill.), que j'ai publié dans le FI. seq. exs., n° 406. Kirschleger, FI. d’Als., [, p. 58, dit que ces deux espèces ont quelque ressemblance et M. Jolyet a pu s’y tromper. Con- tejean (5° suppl. p. 40, et Revue de la FI. de Montb., p. 66) ajoute à tort à S. cheiranthus la loc. de Champagney que je n'ai pas indiquée. P., p. 21, l'indique dans la Haute-Saône, zone vosgienne, rare, mais sans localité. Turritis gtabra L. (Arabis perfoliata Lam.). — R. p. 77: CG. Revue, p. 62. Renauld l'indique à Plancher-les-Mines et à Champagney : Contejean ; et Contejean à Plancher-les- Mines ! et à Champagney : Renauld. — La loc. de Plancher- les-Mines doit être attribuée à Contej., et celle de Champa- gney a été indiquée par moi à Renauld dans la liste que je lui ai envoyée le 10 févr. 1872. Raphanus Raphanistrum L.— P., p. 21. Caractères à cor- riger : les fruits non renflés se séparant en articles. Viola Riviniana Rchb. — P., p. 33. Se trouve aussi dans la Haute-Saône. Voir Fi. Seq. exs., n° 171 bis : de Chiampa- gney. — 300 — Viola Sudetica Huds. — P , p. 34. Lisez Violette des Su- dètes. Du reste ne vient pas en Suède. Dianthus deltoides L. — R., p. 90. P., p. 37. Indiqué à Plancher-les-Mines, d’après Thiout et Contejean, dans le Ca- tal : Renauld. Contejean n’en fait pas mention dans sa Revue. La plante de l’herbier Thiout est bien cette espèce représen- tée par un échantillon pris äans ceux de Bavoux (de Neuhof- fen, Bas-Rhin), également dans son Herbier. Kirschléger l'indique dans la vallée de la Haute-Moselle, à Saint-Maurice et au Thillot (d’après Mougeot). Quoique n'ayant pas été trouvée par le D' Poulet et par moi, cette espèce est à re- chercher à cette localité, d'autant plus que R. Maire (Contrib. à la FI. de la Haute-Saône) l’indique à Faucogney (également dans la zone vosgienne), trouvé par G. Bonati. Alsine tenuifohia y viscida. — P., p. 41. Reproduction de Gr. FI. juran. — À viscosa. Stellaria mediu.Vill. — P., p.43. Lisez feuilles plus petites que dans l’espèce précédente. Hypericum lineolatum. — P., p. 49. Sous-espèce de per- for. et non d’hirsutum. Oxalis stmieta ER "p.108 023 Suppl ere p. 84. Cette plante est dans l’herbier Thiout, de Fougerolles, et non de Vy-les-Lure, et aucune plante de cette dernière lo- calité ne figure dans son Herbier. Il est donc probable qu’il n'y a pas herborisé. Par contre, dans la Phytostatique de M. Renauld, deux espèces sont indiquées à cette localité par M. Jolyet (Lythrum hyssopifolia et Stachys Germanica). Il est probable que cette localité doit être attribuée aussi à Jo- lyet ; à vérifier. Ulex Europæus L. — R., p. 104. Dans une liste de plantes du canton de Champagney et de Saint-Remy et environs, envoyée à M. Renauld, en février 1872, j'ai indiqué cette: plante à Menoux, où je lai récoltée en 1853: (etant élève à Saint-Remy). On la disait semée par un Mariste venant de Bordeaux. Je l’ai publié en 189,6 de cette localité dans le FI. OA Seq. exs., sous le n° 773, recueilli le 25 mai 1890. M Re- nauld l'indique à Menoux, Lure (Jolvet) et à Champagnev (Jolvet). Dans F1. Seq., Notices. VI, p. 119, j'ai dit qu’il n'existe pas à Champagnev et qu’on a dû prendre ponr lui le Genista Ger- manica, qui est assez fréquent dans les bois fouillies, au nord de Champagney. R. Maire (Contribut à l'étude de la F1. de la Haute-Saône. 3° fasc., p.14) publie une lettre de M. Jo- lyet à M. Renauld, 6 novembre 1883, ainsi conçue : « M. V. parait croire que j'ai pris le G. Germanica pour l’Ajone, dans les environs de Champagney ; il se trompe : l’Ajonc se trou- vait dans une fouillie et je l’ai fait voir à plusieurs personnes au moment où l’on en a semé sur les talus du chemin de fer près de Ronchamp. Quelques pieds d’Ajone ont persisté sur ces talus et se vovaient encore il y a deux ou trois ans. Je m'assurerai si l’Ajonc des fouillies existe encore. Il y en avait plusieurs pieds tout près de la maison la plus haute (comme altitude) de Champagnev, près du sentier qui mène au Mont de Vanne. La maison Canet dont parle M. Jolvet m'est bien connue, et c’est précisément dans les fouillies qui là touchent au nord que j'ai trouvé le G. Germanica, mais je n’y ai pas vu l'Ulex Europacus, et je serais heureux de l’y constater et de Voir que je me suis trompé, et non M. Jolvet (ce qui du reste n'a pas une importance capitale et peut arriver à tous les débutants dans l'étude de la botanique, d'autant plus qu’il v a peu de différence dans les caractères des deux genres, le calice étant formé de sépales distincts jusqu’à la base dans l’Ulex, et tubuleux à deux lèvres dans Genista Germanica qui est épineux de même que l'Ulex. Le G. Germanica a été publié de Champagney dans le FI. seq. exs., n° 498. Je sais que l’ÙU. Europaeus a été semé dans le remblai au-dessous de la gare de Ronchamp, où je lai aperçu il v a longtemps en passant en chemin de fer ; mais je ne l’ai plus vu ces dernières années. En M. Jolyet (dans une liste envoyée le 7 juillet 1869) l’indi- quait seulement dans le bois de la Cuisinière, à Lure. Loca- lité aussi à vérifier. L’Herbier Thiout contient des exemplai- res de Ü. Europaeus, de Menoux et de Grattery, et non de Beaujeu et Mercey. Ulex nanus Sm. — R., p. 104. Se trouve dans l’Herbier Thiout, de Chassev-les-Scey et Ferrières (et non de Menoux, localité qui doit être supprimée). Na été publié AI SEd exs., n° 616, de Scev-sur-Saône, bois du Chanoine, rec. par Madiot. — C. Revue, p. 8, mentionne cette espèce décou- verte à Menoux, près de Lure. Thiout ne l’a pas trouvée à Menoux, mais dans les localités indiquées ci-dessus. De plus, Menoux, canton d’Amance, et les autres localités se trouvent dans l’arrondissement de Vesoul, et par conséquent cette plante n'appartient pas à la circonscription de la Flore de Montbéliard, de M. Contejean. Trigonella :multiflora Humm. — P., p. 57. M. Parmentier ne donne qu'une localité et y ajoute mon nom. Cest une erreur : les localités doivent être attribuées à V. Humnicki. Voir El. Seq., Notices, VI, p. 119, où sont reproduites les indications d’Humnicki et où je formule mon appréciation sur cette plante en disant : qu’elle paraît être une monstruo- sité de Medicago Lupulina (Vendr.). Aujourd’hui, je puis ajouter que c’est la variété unguiculata Ser in DC. Prodr., 9, p. 1479, L'abbé Grandclément ma envoyé, en 4802 de Saint-Remy, un échantillon sous le nom de Trigonella, qui doit être la même plante que celle d’'Humnicki et que j'ai nommée dans mon Herbier M. Lupulina var. vivipara. Trifolium scabrum L.— R., p. 108. Dans la liste envoyée à M. Renauld, ja localité de Faverney était attribuée au Dr Berher (d’'Épinal), qui a publié cette espèce dans les Exsic. de la Soc. vogéso-rhénane. Rubus divers. —- FI. seq. VI, p. 122 et s. M. Paillot a mis pour tous les Rubus que j'ai indiqués : haies à Champagney, — 303 — ce qui n’est vrai que pour quelques-uns, la plupart se trouvant dans les bois. ([ndication reproduite P., p. 73 et s.). Potentilla alpestris Hall. — KR., p.119 (1873). Indiqué déjà à cette localité {B. Girom.) par Parisot : PI. des environs de Belfort (1859). Parisot et Pourchot (Notice sur la fl. des env. de Belfort, p. 40) ajoutent le Ballon de Servance. Comarum palustre L. — R., 120. C., 95. La localité de Champagnev où se trouve aussi cette plante, n’est pas indi- quée: Agrimonia Eupatoria L. sp., 643. — P., p. 92, reproduit À. Eupatorium comme Grenier FI jurass. Epilobium. Analvse des Genres. — P., p. 92, au lieu de fl. jaune, lisez fl. blanche ; p. 94, réunir E. obscurum et E. virgatum. Myriophyllum spicatum L. -- M. cat., p. 38. Leffond, au heu de Vendrely, lisez Thiout (herbier). … Hermaria hirsuta L. —R., p. 132. C., RON p.108. Champagney (Thiout). Je ne l’ai pas encore trouvé et n'existe pas dans lHerb. Thiout de cette localité, mais de Chassevy-les-Scey, d’'Ovanches et de Saint-Albin. Thiout n’a jamais herborisé à Champagney et aucune espèce de son herbier ne porte l’indication de cette localité. À rechercher et à constater. J'ai reçu de Madiot, recueillis à Saint-Albin, sous le nom d’Herniaria hirsuta, des échantillons de Polycarpon tetra- phyllum L. À revoir cette localité. Corrigiola lhittoralis L.— R., p.132. Après : Plancher-Bas, Plancher-les-Mines, Champagnev, lisez : Contejean (Enum., p. 78 (1884) au lieu de Jolvet. Scleranthus perennis L. — CO. Rev., p. 103. Au lieu de Rahin à Champagney, lisez : le Rhien (hameau de Ronchamp), près de Champagne. Herniaria glabra L. — R., p. 132. Les localités Plancher- Bas, Champagney, ont été indiquées dans Contejean, Enu- 9e e) Suppl: -p1412%et — 304 — mer., p 70 (1854); celle de Ternuay doit être attribuée à Thiout. Telephium Imperati L — P ,p. 101 Arbois (rochers de Gilly). Signalé à cette local., avant Hétier par Ant. Dumont. (Moir Gren., FI. ch. jurass.). Ribes done L —R., p 135. Dans la liste envoyée par M. Jolyet il l'indique à la forêt de Saint-Antoine (Plancher- les-Mines), et non dans la vallée du Rahin jusqu’à DR gnev. Je ne l’ai pas encore vu à Champagnev. Saæifraga Aizoon Jacq. — R., p. 137. Après B de Giro- magny, ajoutez: Parisot FI env. Belfort (1859). Parisot et | Pourchot (1882) ajoutent (p 48) Ballon de Servance. Dans Renauld, Phytostatique, lisez : Tourbière ou vallée du Roselv {X. V )au lieu de «les Arrachis », pour les espèces suivantes : p 199 Angelica Pyrenæa, p.180 Vaccinium uli- ginosum, p.220 Sanguisorba officinalis, p.253 Juncus squar- rosus et p. 260 Carex pauciflora. Chærophyllum hirsutum L. — KR ,p 145. C'est le C. C1- cutaria Vill. publié FI. Seq.exs., n° 798, de Champagney Aster brumalis Nees. — R., p 158. La pl. de Champa- gney a été publiée, FI. seq. exs. n° 77. Les autres localités sont douteuses et à vérifier. Tanacetum vulgare L. — R., p. 160. Après les localités au leu de Vendrely-mettez 40 /Enum, pps) publié dans le" AlSeq exs., no 916 de Champasneye comme échappé de jardins et je lai récolté au Ban de Cham- pagney et à la Neuvelle, dans les mêmes conditions. Matricaria chamomilla L. — R., p. 161. Reporter la localité d’'Échavanne (V.), à l'espèce suivante : M.1inodora L. Helminthia echioides Gaertn. — R., p. 171. Au lieu de Vendrely, mettez Grandclément! Anagallis tenella L. — R., p. 183. Indiqué avec doute à la tourbière du Rosely, où je ne l’ai pas encore trouvé. Peut- être par confusion avec Oxycoccos, qui y existe. À rechercher et à vérifier. — 305 — Primula vulg off. Nob. et Primula vulg.> = ; Ke Ds ne Re ee ‘ PTS TE ie nr Sa nes dr Vér r D eAS QU 3, NE : … & + t de, - = RES RS RTE SORT u | ——— es à SA LT RAR PE 2e dem Re M NET ae * UE S TR ne pr PE 2 . & Se ST nn PR EE ave Eee ” Ê SR PE he, te er - Er +, np y ne ue a à < ve “A _n Ses INT vs de ser, nn = « L e— ES - un, . + , “#2 re ex Tes re, SE Le Rvnss ve = + AS + - . > ru DEL - vs —… * - : TE à Tongs ge SE an à og à A de « = a ones = < SA 0 aigu L Rs de « - x - Tv LT IR me SR NT SL. A PNR R nt mn D se ge Ne D VS ne eg page me 2 are es QUES Loet à RQ TRE RS PE jeun ee dre È vu .. > " Le » ne Ps ee se Ve, Sage, ue “ re ue er RN ou --r RS der Lots TRE ne: à her re us RL Ve gare : Me Le FRA TRS « ét Ne EE ne ame re ee CR Le ar, 2 ee en TE LES pc EReg D'hage nse Ru. 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