OL TT: è ce à te DCE | DT TD ETS NN ht ue SRE Ne ae ; Y r : NS Se sen er-atme nes, — ES en SV #, 5 LES à En te = : » | RS mul ne Re x Does ee ren ù Durs S sw à Sets LR | 2. CRE à AS Ê Sa k à ï ‘ SNA LES Sa * RE ame < à hs ; à ENT dx … VE ASS | w DANCE CES RON TAN TE DA Sen ae nr à NE NN E >” Em AN ANNX » Ÿ PQ é De pale Ses ea. v% > . Vans D à * Se Re à Rs k GUTC sou “ = E Ë 2 ? ie ÿ MÉMOIRES SOCIÈTÉ D'ÉMULATION EE BOURBS HUITIÈME SÉRIE TROISIÈME VOLUME BESANCON IMPRIMERIE DODIVERS ET Ci Grande-Rue, 87 es 1909 = . MÉMOIRES SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DE DOUBS MÉMOIRES DE LA SOCIETE D'EMULATION DL D Oo UBS HUITIÈME SÉRIE TROISIÈME. VOLUME 1908 BESANCON o IMPRIMERIE DODIVERS ET Ci Grande-Rue, 87 1909 MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DO BOUSS 19208 PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES 3 se—— Séance du 25 janvier 1908. PRÉSIDENCE : DE M: EE: ROUGET: Sont présents : BUREAU : MM. Rouget, président élu pour 1908; D' Bourdin, vice-président ; Georges Gazier, secrétaire ; Alf. Varssier, vice- secrétaire. MEMBRES : MM. Bonnet, D'S Girardot et Ledoux, Kirchner, -_Mauvillier, Pingaud et Thuriet. Le Secrétaire donne lecture d’une lettre de M. Leclerc, pré- _sident sortant qui regrette que son état de santé l’empêche de procéder à lPinstallation du nouveau bureau. Il aurait voulu remercier ses confrères de lhonneur qu'ils lui ont fait en l’ap- pelant à présider leur réunions, et ses collaborateurs du bureau de leur sympathique et dévoué concours. Il aurait été heureux également de souhaiter la bienvenue au nouveau président M. Rouget, et d'assurer son successeur de tout son concours et de son affectueux dévouement. À ST ee En prenant le fauteuil de la présidence M. Rouget prononce l’allocution suivante : « Messieurs, vous me permettrez de consacrer mes pre- mières paroles à un remerciement. Je remplis un devoir de gra- titude en vous remerciant d’avoir bien voulu m’élever à la pré- sidence de votre Société. Ce n’est pas à moi que revenait l’hon- neur d'occuper cette place, d’autres avaient plus de droits à vos suffrages. Mais vous avez accordé à la bonne volonté l'avancement qui se donne ordinairement au choix. Je crains pour vous que vous n'ayez a le rreoretter Jene mebrassuie qu’en voyant à mes côtés d’érudits et de savants collègues qui, j'en ai la conviction, ne refuseront pas d’être au besoin mes ouides autorisés. Leur présence au bureau vous est un sûr garant que la Société d'Emulation, toujours inspirée du même esprit, poursuivra Son œuvre avec non moins de zèle et d’ardeur dans l’avenir que par le passé. Sans leur appui, quaurais-je à vous apporter personnellement, sinon mes insuffisances et mes faiblesses ? » Mon seul titre à votre confiance, c’est d’être un auditeur attentif de vos séances et un lecteur très assidu de vos travaux. L'histoire locale offre pour moi un charme et un intérêt tout particuliers. Volontiers je dirais d'elle avec M. Jullian : « Loin d’être un commérage rétrospectif, un pur bavardage érudit, elle est peut être la seule qui soit une résurrection. » J’ajouterai qu'entre toutes les œuvres de l’esprit elle est une de celles qui éveillent le plus ma curiosité et qui l’occupent le plus forte- ment. Enfin je l’aime aussi parce qu’elle peut rendre de nota- bles services à ceux qui, comme moi, s'occupent de l’éducation de la jeunesse. Instituteurs de tous degrés, n’avons-nous pas le droit et le devoir d'apprendre à nos élèves ce qu'ont fait leurs ancêtres et Comment, avant eux sur le sol natal, ils ont travaillé, souffert, aimé, vécu toute leur vie ? » La collection de vos mémoires offre de précieuses res- sources aux maîtres désireux d’entrer dans cette voie. Je souhaite que les instituteurs frane-comtois n'hésitent pas à s’en servir pour rendre bon nombre de leurs leçons plus sai- sissables, plus vivantes, plus vraiment instructives. Avec un peu d'initiative il leur serait relativement facile d'utiliser, outre — VII — les études historiques, si nombreuses et si variées qui s’y ren- contrent, les travaux scientifiques qui y occupent une fort belle place, qui montrent combien, dans notre région surtout, la nature est. riche et féconde en enseignements. [ls fourniraient ainsi à leurs enfants des raisons pour mieux aimer le pays qui est le leur, pour s’y plaire davantage. Je voudrais même les voir étudier la flore ou la géologie de leur viliage, réunir des renseignements sur nos patois avant qu'ils ne périssent ou bien encore recueillir les souvenirs historiques se rapportant à leur,commune, inventorier les archives et documents qu'ils peuvent avoir sous la main, consigner sur le papier le résultat de leurs recherches, qui, si modeste fût-il, ne saurait manquer d’intéresser tôt ou tard des spécialistes aptes à en tirer parti. Ce sont ces goûts et ces dispositions que je m'efforce d’é- veiller ou de développer, dans la mesure du possible, chez les élèves maîtres de l'Ecole normale de Besançon, trop heureux, si par des efforts de ce genre, je parviens à mériter au moins en partie le grand honneur qu’il vous a plu de me faire, et dont je vous exprime encore une fois ma profonde reconnaissance ». M. Rouget termine son allocution en remerciant M. Leclerc, président sortant, du zèle et du dévouement qu’il a apportés dans l’exercice de ses fonctions. Il rappelle la distinction avec laquelle il a présidé nos séances et les lectures qu’il nous a faites de son vibrant drame historique en vers intitulé Diane de France. M. Rouget exprime les sentiments unanimes de la Société en adressant un souvenir ému à la mémoire de M. le D' Cornet, décédé le 23 janvier 1908. M. le Dr Bourdin doit lire dans une prochaine séance une notice sur notre regretté confrère. M. le D' Ledoux communique à la Société trois lettres de _ Victor Considérant à M. Victor Thelmier, controleur des postes à Besançon. La première lettre est datée de 1898 à l’époque où Considérant était à l'Ecole Polytechnique. Considérant y exprime ses regrets du manque de liberté laissé aux élèves de cette école ; néanmoins ses camarades font de la politique, reçoivent en cachette le Courrier et le Constitutionnel et ne dissimulent pas leurs aspirations vers une monarchie libérale. Cette lettre — NII — intéressera ceux qui connaissent le rôle des polytechniciens pendant la Révolution de 1830. — En 1830, Considérant est à Metz à l'Ecole d'application. [l raconte la vie mondaine qu’il est obligé de mener, dansant tous les soirs en ville ; chaque semaine il est obligé d'assister à un bal organisé à l'Hôtel de ville et à la Préfecture. — Enfin la dernière lettre de Considérant, datée de Metz (1832), montre le peu de goût qu'il a pour le métier militaire. [l regrette de voir close l’ère des expéditions mili- taires et ne voit dans son métier que l'obligation de passer périodiquement des revues de linge et de chaussure. Il aspire à une vie indépendante et libre et laisse entendre qu’il ne res- tera pas longtemps dans l’armée. M. le Dr Bourdin analyse et commente la traduction que M. E. Monot, professeur au lycée de Lons-le-Saunier, vient de donner de la Descriptio Burgundiæ de Gilbert Cousin. IL fait ressortir le grand mérite de cette traduction, œuvre d’un pro- fesseur initié à toutes les finesses de la langue latine. M. Monot a enrichi son travail d’un commentaire historique et littéraire plein d’érudition ; tous les Comtois qui s'intéressent à l’histoire de leur petite patrie doivent avoir dans leur bibliothèque ce document précieux sur la Franche-Comté. Le Secrétaire donne lecture des lettres de remerciements adressées à la Société par MM. À. Pointelin, Ch. Grandmougin, général Langlois et Revillout, élus membres honoraires à la dernière séance. Le Secrétaire annonce que le Congrès des Sociétés savantes aura lieu cette année à Paris du 21 au 25 avril. ESt Elu: Membre correspondant : M. le D' GROSPERRIN, à Pont-de-Roide, présenté par MM. Er- nest Courbet et D' Girardot. Le Président, Le Secrétaire, E. ROUGET. GEORGES GAZIER. Séance du 22 février 1908. PRÉSIDENCE DE M':E- ROUGET. Sont présents : BUREAU : MM. Rouget, président ; Leclerc et D: Bourdin, vice- présidents ; Georges Gazier, secrétaire. MEMBRES : MM. L. Druhen, D'S (irardot, Heitz, Nargaud et Ledoux, Nardin. M. le Président fait part de la mort de M. Grüter, médecin- dentiste qui faisait partie de la Société depuis 1880 et fait l’éloge de cet éminent praticien qui s’est toujours intéressé à nos tra- vaux, M. Grüter est mort à Besançon le 21 février 1908. M. le D: Bourdin, en quelques pages émues, retrace à grands traits. la vie toute de travail et de dévouement de son ami le docteur Cornet, un des plus anciens membres de la Société d’'Emulation, décédé à Besançon le 23 janvier dernier. Il nous le montre, après de brillantes études faites à Besançon et à Paris, revenant s'installer aux Chaprais, où son savoir, son activité et sa grande bonté lui acquirent rapidement une légitime noto- riété, et où il laisse aujourd’hui un grand vide que l’on aura peine à combler. M. Georges Gazier communique une lettre de M. Eugène Tastu, datée de 1893, relatant les derniers moments et la mort de Rouget de l'Isle à Choisy-le-Roy. M. E. Tastu, fils de Mme Amable Tastu, l'écrivain bien connu, était le petit-fils de M. Voïart qui reçut chez lui en 1830 l’auteur de la Marseillaise et l’abrita sous son toit Jusqu'à sa mort. Lui-même veilla l’illustre moribond à son heure dernière et assista à ses obsè- ques. Eug. Tastu rappelle dans sa lettre la scène émouvante qui se produisit alors, quand, devant la tombe ouverte, les ouvriers de Choisy-le-Roy entonnèrent la Marseillaise. Il complète sur certains points les récits déjà connus et le témoignage de ce témoin oculaire à une valeur toute particulière. Estélu.: Membre correspondant : M. Edouard MEINER, industriel, maire de l’Isle-sur-le-Doubs, présenté par MM. Vaissier et Sandoz. Le Président, Le Secrétaire, E. ROUGET. GEORGES GAZIER. Séance du 21 mars 190$. PRÉSIDENCE DE MER OUGETS Sont présents : BUREAU : MM. Rouget, président; D'S Bourdin et Leclerc, vice-présidents ; Fauquignon, trésorier ; Georges Gazier, secré- taire ; Alf. Vaissier, vice-secrétaire. MEMBRES : MM. Frédéric Bataille, D' Baudin, Léon Druhen, D's Girardot, Ledoux et Magnin, Mairot. ; M. le D' Magnin fait part à la Société de la mort de M. Ven- drely, ancien pharmacien à Champagney, qui appartenait à notre Société depuis 1869, et avait publié dans nos Mémoires des tra- vaux de botanique appréciés. M. Pingaud communique deux documents extraits des Archi- ves Nationales, qui contiennent d’intéressants renseignements sur les départements du Doubs et de la Haute-Saône au com- mencemenrt du premier Empire, en 1805. Une notice sur leurs auteurs le sénateur d’Aboville et le préfet Jean de Bry y a été jointe par leur éditeur; elle en précise le caractère et permet d'en apprécier à première vue l'autorité. M. le D' Baudin rend compte d’un mémoire manuscrit pré- senté à la Société par M. L. Borne, instituteur à Boussières sur la Dépopulation des Campagnes. Après avoir rendu hommage aux qualités de ee travail consciencieux, qui pourrait faire l’objet d’une plaquette de vulgarisation à l’usage de la classe agricole, M. le Dr Baudin montre comment, dans chaque village, on pour- rait faire une étude plus scientifique encore de cette question. Les instituteurs, s'inspirant des travaux de M. Arsène Dumont sur la dépopulation, feraient notamment œuvre utile en recher- chant ce que sont devenus par exemple les descendants des paysans qui ont émigré vers les villes, comptant y trouver une vie plus faeile et plus rémunératrice. Comme M. Dumont Pa constaté par des statistiques dans le Cavaldos, ils verraient Sans doute que la plupart de.:ces familles qui désertent les campagnes tombent très rapidement dans une misère affreuse, dont lPaboutissement est une mort douloureuse dans un lit d’hô- pital. Au contraire la statistique démontre que la plupart des paysans meurent dans leur lit à-un âge avancé. Au reste, M. le D: Baudin constate que le mouvement d’émigration des cam- pagnes vers-lés villes tend. à s'arrêter à -l’heure actuelle; la principale cause de ce fait est qu'aujourd'hui beaucoup d’indus- triels préfèrent construire leurs usines en dehors des villes. M. le Dr Magnin demande à la Société de vouloir bien renvoyer à la prochaine séance sa communication annoncée sur Charles Nodier, naturaliste. En attendant il résume brièvement les sources qu'ila consultées et les résultats nouveaux auxquels est arrivé. Parmi les sources, il cite particulièrement les passages qu’il a relevés dans plusieurs publications de Nodier ou concernant Nodier, — les manuscrits. de la correspondance de Nodier avec Weiss contenant un certain nombre de passages omis ou inexactement relevés par le copiste de leur éditeur, — les œuvres selentifiques publiées ou manuscrites de Nodier, notam- ment un curieux petit volume manuscrit de la Bibliothèque de Besançon contenant les Descriptions d'insectes nouveaux pour la Franche-Comté faites par Nodier en 1797. Les résultats nouveaux se rapportent à la durée de la période de sa vie pendant laquelle Nodier s’est occupé d'histoire natu- relle, à la nature de ses récherches, à ‘leur importance, soit en entomologie, soit en botanique, à son rôle comme professeur er ONE d'histoire naturelle. M. Magnin signale particulièrement les ouvrages inédits qu'il n’a pas voulu ou pu publier : les Des- criptions d'insectes citées plus haut (1797) ; — Les Harmonies de l’Entomologie et de la Botanique écrites en 1811; — Le Museum entomologicum ou Description des coléoptères du Jura et des Alpes composé à Quintigny en 1811 et 1812 et qu'il devait publier pendant l'hiver 1812-1813, ouvrages passés sous silence par les biographes de Nodier. M. Magnin se propose enfin d'étudier l'influence des études scientifiques de Nodier sur ses œuvres littéraires, ses descrip- tions, son style, elc. Le Président, Le Secrétaire, H'UROUGCETS GEORGES GAZIER, Séance du 23 mai 1908. PRÉSIDENCE DEMI BR ODIC ET: Sont présents : BUREAU : MM. Rouget, président; D'S Bourdin et Leclerc, vice-présidents ; Georges Gazier, secrétaire ; Alf. Vaissier, vice- secrétaire. MEMBRES : MM. Berdellé, Dayet, Léon Druhen, Kirchner, Dr Vaissier, Vernier. M. le président Rouget exprime les regrets de la Société au sujet du décès de M. Heuri Chapoy, avocat et écrivain comtois des plus distingués, mort à Paris le 10 mai, et qui faisait par- tie de la Société depuis 33 ans. M. le Dr Magnin donne de nouveaux renseignements sur Charles Nodier qui complètent ceux de sa communication pré- cédente. Il parle particulièrement des relations de Ch. Nodier et de Girod de Chantrans, faisant connaître leur nature, leur ori- no RSS gine, le séjour à Novillars en 1794, l'interruption de ces rela- tions ; puis il signale les collections entomologiques de Girod- Chantrans utilisées par Nodier, collections dont il fait l’histoire. M. Magnin donne ensuite des renseignements nouveaux iné- dits sur Luczot, ingénieur des Ponts et Chaussées, ami et collaborateur de Nodier et sur les recherches de ce savant concernant l’entomologie. M. Magnin étudie ensuite les ouvrages scientifiques de Nodier, insistant sur certaines œuvres peu connues, sur ses observa- tions sur les rotifères ou animaux ressuscitants, observations faites vers 1800 et racontées par Alex. Dumas, et sur ses tra- vaux restés manuscrits. M. Magnin termine par des considérations sur le rôle scien- üfique de Nodier et montre qu'il a été plus qu’un collection- neur, qu’un amateur. Il a fait œuvre véritable de naturaliste par ses recherches analytiques et synthétiques par les descriptions d'insectes qu'il a laissées, les classifications qu’il à élaborées, le cours d'histoire naturelle qu'il a professé pendant plusieurs années, M. Magnin conclut qu'il serait utile de rééditer les œuvres scientifiques de Nodier, en les complétant par celles de ses recherches inédites qu’on a pu retrouver. M. A. Kirchner présente un certain nombre d'observations phénologiques faites par lui à Besançon et dans les environs de 1894 à 1907. M. Kirchner a relevé avec le plus grand soin les dates exactes de la floraison des arbres fruitiers, de celle de l’épine noire, du lilas, de l’aubépine, les dates de la feuil- laison des arbres. [Il a marqué les jours du commencement de la fenaison, de la moisson et des vendanges dans notre région pendant toute cette période. Enfin ses observations ont porté également sur les dates d'arrivée et de départ des hirondelles de fenêtre, du coucou.et des martimets. M. Kirchnèr, compare ses propres observations avec celles faites il y a cent ans par le D' Marchant et constate leur grande analogie. Reprenant la fameuse question de l'emplacement de lAlesia des Commentaires de César, M. Léon Druhen montre que toutes les fouilles exécutées à Alise-Sainte Reine n'ont servi qu'à démontrer que c’est à tort que l’on a voulu identifier ce vil- — XIV — lage de Bourgogne avec le dernier asile de l'indépendance gau- loise. La question à été tranchée trop vite sous Napoléon HI par le « fait du prince ».M. Léon Druhen après une étude appro- fondie de tout ce qui a été publié sur la question, notamment par Delacroix, Quicherat et Aug. Castan qui ont soutenu bril- lamment la cause d’Alaise, estime que c’est bien à Alaise en Franche-Comté que Vercingétorix a soutenu son siège héroiï- que. En tous cas la question n’est pas encore tranchée et mé- rite d’être à nouveau étudiée de très près. M. le Dr Magnin communique alors une circulaire d’un comité qui vient de se former à Paris sous la présidence de M. G. Colomb, le savant botaniste de la Sorbonne, et de M. Noël Amaudru, avec le concours d’un certain nombre d’érudits et d’'historiens, et qui a précisément pour objet l'étude approfondie et Sans parti pris de la question d’Alesia. La Société d’'Emula- tion vote une subvention de 100 francs à ce comité pour contri- buer à ces recherches dignes d’intéresser tous les Comtois. Est élu : Membre résidant : M. Gaston COINDRE, artiste peintre et dessinateur, présenté par MM. le Dr Ledoux et L. Pingaud. Le Président, Le Secrétaire, FR OUCEL: GEORGES GAZIER. Séance du 2% juin 1908. PRÉSIDENCE DE M. A. LECLERC, Vice-Président. Sont présents : BUREAU : MM. Leclerc et Dr Bourdin, vice-présidents ; Georges Garier, secrétaire; Vaissier, vice-secrétaire. — XV — MEMBRES : MM. le chanoine Rossignot, Cellard, Dayet, Kirch- ner, Dr Ledoux, Pingaud. M. Leclerc, vice-président, exprime les regrets de la Société au sujet du décès de M. Koller, ancien conseiller municipal et conseiller d'arrondissement de Besançon, qui appartenait à la Société d’Emulation du Doubs depuis 42 ans, et il adresse à sa famille des condoléances émues. M. M. TFhuriet, avocat général, ht la seconde partie d’une étude consacrée aux Discours de rentrée au Parlemeni et à la Cour d’appel de Besançon. M. Thuriet insiste particulièrement sur ceux de Ces discours qui ont trait à l’histoire du droit en Franche-Comté où à la biographie d'anciens parlementaires ou magistrats de la province. C’est pour lui une occasion de faire revivre devant nous les Gattinara, les Boyvin, les Brun ou les Nicolas, types des magistrats de Pancien régime qui se distin- guerent par leurs talents ou leurs vertus. Les temps modernes nous montrent en Perreciot, Proudhon, Curasson, Courvoisier et d'autres encore des jurisconsultes dignes &e leurs ancêtres. C'était dans la grande salle du Palais de Justice, dont M. Cot- tignies a fait l’histoire en 1899, salle qui fut terminée en 1903, l’année Même où un décret supprimait-les discours de rentrée, qu'avaient lieu les séancés solennelles dont M. Thuriet évoque le souvenir. M. André Dayet présente une satire latine ecclésiastique fort spirituelle composée à Besançon en 1753, mise dans la bouche de Jacquemard, qui tourne en ridicule un prêtre pourvu de nom- breux et gros bénéfices. Certains passages décrivant un festin copieux, et où les vins du crû coulèrent à flots, font songer au repas ridicule de Boïleau et au Pantagruel du joyeux curé de Meudon. M. Dayet montre ensuite divers diplômes émanant de la franc-maçonnerie de Besançon et de la société secrète des Char- bonniers fondée en cette ville, diplômes qui datent de la fin . du xvrtie siècle et de l’époque de la Restauration. M. le D' Bourdin rend compte de l'ouvrage du médecin-prin- en CN Des cipal Challan de Belval sur le capitaine de vaisseau Rolland, l’ancien défenseur de Besançon en 1870-71. Après avoir rappelé les brillantes étapes de la carrière de cet officier de marine sorti de lPEcole navale en. 1836, et la part qu'il prit aux expéditions de Crimée et du Mexique, M. Bour- din insiste surtout sur le rôle qu'il joua dans notre ville durant la guerre franco-allemande. On se rappelle encore lPétat lamen- table dans lequel se trouvait notre garnison, sans approvision- nements, sans vivres, Sans munitions et encombrée de soldats qui n'étaient qu'en partie habillés et armés. Par son inlassable activité, le général Rolland sut faire face à la situation et déploya dans son commandement une énergie et une vigueur restées légendaires à Besançon. L'Orlando furioso,. comme on Pappelait, avait juré dans une réunion tenue chez le comman- dant Olivier, de s’enfermer dans la citadelle avec ses officiers et de la faire sauter plutôt que de la rendre aux Allemands. L'attaque ne s’est pas produite heureusement, mais Bésançon devint un vaste camp retranché qui servit de point d'appui à Bourbaki dans sa marche en avant pour débloquer Belfort et de soutien pendant sa malheureuse retraite. Le Dr Bourdin rend un hommage mérité à ceux de nos com- patriotes qui, comme le maire M. Fernier, le lieutenant-colonel de Vezet, commandant les mobiles du Doubs, le brave câpitaine Huot dont les Allemands avaient mis la tête à prix, et tant d’autres encore, apportèrent au général le secours de leur intel- ligence et de leur foi patriotique. Relevé de son commandement le 16 mars 1871, le général emporta les sympathies et les regrets d’une population qui avait su apprécier sa valeur. Le conseil municipal lui décerna par acclamation le titre de citoyen de Besançon, faible témoi- gnage de reconnaissance envers cet homme qui nous avait évité les horreurs de l'invasion, et qui, suivant le due d’Aumale «avait fait peur aux Allemands ». La mort du général;/survenue le 30-mai dernier, donne une actualité plus grande encore à ce livre qui vient à son heure pour nous remémorer la bravoure et l’énergie de celui qui, comme le disait Ch. Viancin, dans de beaux vers, est resté bison- tin parie cœur. — XVII — Je suis né Marseillais, a-t-il dit, mais d'honneur Je reste Bisontin pour toujours par le cœur. Le Secrétaire rappelle aux membres de la Société que le Congrès de l'Association frane-comtoise aura lieu le 4 août à Salins et qu'il s'annonce déjà comme devant réunir un grand nombre de membres des sociétés savantes de la province. Le Président, Le Secrétaire, À. LECLERC. GEORGES GAZIER. Séance du 22 juillet 1908. PRÉSIDENCE DE M. E. RoOUGEr. Sont présents : BUREAU : MM. Rouget, président; Leclerc et D' Bourdin, vice-présidents ; (reorges (razier, Secrétaire ; Vaissier, vice- secrétaire. MEMBRES : MM. Bouton, Dayet, Léon Druhen, Lambert, Savoye. M. Maurice Lambert fait une communication sur le sceau d’un roi de basoche conservé à la Bibliothèque de Besançon. Il s’agit d’un sceau-matrice qui, déjà il y a un siècle, parais- sait singulier et unique en son genre. Large de 92 millimètres, il représente un roi assis sur un trône et tenant un Sceptre fleurdelisé : de chaque côté de ce personnage sont deux grosses fleurs de lis; sous ses pieds, un cartouche porte la date de 1545. La légende est : ANTHONIUS PRIMUS BURGONDIE JUVEN- TUTIS ET BAZOCHIE REX OPTIMUS. Ce sceau à appartenu jadis à la famille Chifflet. Il fut l’objet en 1808 et 1809 d’une vive polémique entre plusieurs savants : les uns prétendaient reconnaître dans le personnage qui y est — XVII — représenté la figure du roi François Ie et soutenaient que ce sceau était celui d’un roi de la basoche parisienne ; si ce roi, disaient-ils, avait pris aussi le titre de roi de la jeunesse de Bourgogne, c’est parce que les basochiens jouaient la comédie à l’Hôtel de Bourgogne. D’autres, au contraire, prétendaient qu'il s'agissait du seeau d’un roi de basoche de Bourgogne. M. Lambert, ayant trouvé récemment à Dijon un médaillon de même type que Ce sceau, s’est proposé. de résoudre à son tour le petit problème historique que soulève cette pièce sigil- lographique. En s’autorisant des travaux qui ont été faits depuis un siècle sur lhistoire de la basoche parisienne et des baso- ches provinciales, M. Lambert estime que le sceau est bour- guignon et non parisien. Son principal argument est qu’un roi de la basoche de Paris n’aurait certainement pas fait précéder son titre de celui de chef de la jeunesse bourguignonne. La basoche parisienne était trop fière de ses privilèges pour admettre un pareil partage. Elle se flattait d’avoir été instituée par Philippe le Bel, et jusqu’à la Révolution, elle constitue l'unique juridiction civile et disciplinaire devant laquelle pou- vaient être traduits le clerc des procureurs et d’autres officiers du Parlement de Paris. Il y eut aussi des basoches auprès de . certains Parlements de province et notre sceau a dû être fait pour le roi d’une basoche qui fut instituée à Dijon en 1545, mais qui n’a pas laissé de trace dans l’histoire, parce que les jeunes gens dijonnais possédaient une autre société analogue, celle de l’Infanterie dijonnaise ou de la Mère folle qui fut très florissante au XVIe et au XVIIe siècle. A propos d'ouvrages récents, où il est question du général Lecourbe, M. le Dr Ledoux croit devoir protester à nouveau contre l'erreur traditionnelle qui fait naître l’illustre général à Ruffey (Jura). Comme l’a établi en 1877 M. Castan, à l’aide des registres provinciaux, Lecourbe est né à Besançon le 22 février 1759 et a été baptisé le lendemain en l’église de Sainte-Made- leine. Ruffey était le pays d’origine et de résidence de sa famille. Le Secrétaire donne lecture d’une étude de M. Longin sur Le séjour d'Anne de Gonzague en Franche-Comté, en 1641. On ignore généralement que la princesse Palatine, immorta- UD lisée par l’oraison funèbre de Bossuet, fut unie par un mariage secret, avec Henri de Lorraine, duc de Guise. Quand ce prince, mécontent de Richelieu qui s’opposait à son mariage, s'enfuit à Sedan conspirer avec le comte de Soissons contre le cardi- nal, Anne de Gonzague se mit en route pour le rejoindre et, attendant une occasion favorable, séjourna quelques mois à Dole puis à Gray. M. Longin nous raconte, à l’aide des docu- ments qu'il a pu découvrir, particulièrement à la Bibliothèque de Besançon, la vie que la princesse mena à Gray; c’est dans cette ville qu’elle apprit que Henri de Lorraine, oublieux de ses serments, se mariait une seconde fois. Peu après elle- même, consolée de la trahison du prince infidèle, épousait Pélecteur palatin. Sont élus : Membre résidant : M. le Dr Victor LIAUTEY, à St-Ferjeux, présenté par MM. les docteurs Bourdin et Ledoux. Membre correspondant : M. GERMAIN, juge au tribunal de Vesoul, présenté par MM. Thu- riet et Georges Gazier. Le Président, Le Secrétaire, E. ROUGET. GEORGES (GAZIER. Séance du 28 octobre 1908, PRÉSIDENCE DE M. EE. ROUGET. Sont présents : BUREAU : MM. Rouget, président ; Leclerc, vice-président ; Georges Gazier, secrétaire ; Vaissier, vice-secrétaire; Fauqui- gnon, trésorier. MemBres : MM. Georges Blondeau, Bouton, Ceilard, Dayet, Léon Druhen, D' Druhen, A. Grenier, Dr Ledoux, Savoye. M. le Dr Bourdin, souffrant, s’était fait excuser. M. Georges Gazier rend compte du 8e Congrès de l’Associa- tion franc-comtoise qui s’est tenu à Salins le 4 août dernier. Présidé par M: l'abbé Perrod, assisté de MM EC" Earmy de l'Académie française et Philippe Berger, sénateur, membre de l’Institut, il a obtenu le plus vif succès. MM. le Dr Ledoux, Cellard, Germain et Gazier, membres de la société, y ont fait diverses communications dans les sections dhistoire et d’ar- chéologie. Le Congrès a décidé de tenir sa prochaine réunion à Pontarlier en 1909, sous la présidence du D: Rollier ; M: Godard, professeur au lycée de Vesoul, a été élu secrétaire général. M. Georges Blondeau donne lecture des passages principaux de son travail sur Jean Jouard, seigneur d’Échevanne et de Gatey, président des Parlements de Franche-Comté et de Bour- gogne. Né à Gray, dans les premières années du xve siècle, Jean Jouard fit ses études à l’Université de Dole où il reçut les diplômes de docteur en lois et en décrets. En 1436, Jean IV de Vergy le nomme bailli de ses terres de Souvent, puis l’envoie à Bruxelles devant le Conseil ducal pour soutenir ses droits dans le procès de la succession de son oncle Antoine de Vergy. Remarqué par Philippe le Bon, il quitta le service des Vergy pour entrer au Conseil privé comme maître des requêtes en 1443. L’année suivante, la duchesse de Bourgogne emmena Jean Jouard à Châlons-sur-Marne pour traiter avec le roi de France des limites des deux royaumes. | | En 1451, Philippe le désigna parmi les ambassadeurs chargés avec Thiébaud de Neuchâtel de réprimer la sédition populaire bisontine suseitée par Boisot. J. Jouard siégea au procès cri- minel de Gray qui se termina par la condamnation à mort de plusieurs des séditieux, puis il fut nommé juge ducal à Besan- con. En 1459 il prit part à la rédaction des coutumes du duché de Bourgogne. Quatre ans après, le duc éleva Jean Jlouard à la dignité de chef du Conseil et président de ses parlements de Franche- NN Comté et de. Bourgogne, avec: la direction administrative ét judiciaire des deux provinces. À la mort de Philippe le Bon (1467), son fils Charles le Téméraire, lui conserva sa confiance. Après la défaite de Nancy et l’invasion de Louis XI, J. Jouard quitta le parti bourguignon pour suivre celui du roi de France. L'auteur recherche non pas des excuses mais des raisons à cette défection. Lors de la réorganisation des Parlements (janvier 1475), Jean Jouard fut nommé premier président puis chef de la nouvelle Chambre du Conseil. Le 24 juin 1477, une émeute ayant éclaté à Dijon, le président de Bourgogne descendit dans la rue pour calmer les séditieux : leur ehef Chrétiennot Vyon se jeta sur lui et le poignarda. La Société décide limpression dans ses Mémoires du travail de M. Blondeau. M. René Bouton raconte l’excursion faite le 5 août dernier par les congressistes de Salins à Alaise pour étudier sur place lun des côtés de la question d’Alesia. [l insiste principalement sur J'intérêt que présentent les débris gaulois du plateau de Cha- taillon. M. Léon Druhen répond à diverses objections faites par des congressistes de Salins à la thèse des historiens qui veulent identifier Alaise et Alesia. M. Druhen montre par divers exem- piles que leurs affirmations sur certains points sont sujettes à caution et enregistre leur aveu d’après lequel le village gau- lois -d'Alaise pouvait--Dien: exister à l’époque de ‘la conquête romaine. M. le président Rouget prend alors la parole pour bien déter- miner la position qu'entend prendre la Société d’Emulation du Doubs dans la question d’Alesia. La Société comprend parmi ses membres des partisans des diverses hypothèses présentées à ce sujet, mais ne peut oublier d'autre part le rôle important qu’elle à joué il y a 50 ans dans l'étude de ce problème histo- rique. Elle se contente donc aujourd'hui d'encourager tous ceux qui cherchent de bonne foi à déterminer le lieu précis où s’est jvrée la dernière bataille de indépendance gauloise. Par contre, un fait incontestable est l'existence autour dAlaise, sur le pla- C A DO Ur teau de Chataillon, à Myon et à Sarraz, de très importants débris d'habitations gauloises et d'innombrables éumauli, qui méritent d’être étudiés en eux-mêmes, indépendamment de la question d’Alesia. M. Bouton propose que la Société, profitant de ce qu'une coupe de bois va être faite incessamment dans les bois d’Alaise, fasse exécuter des fouilles sur ce plateau, ou du moins sauve de la destruction les débris subsistant du village gaulois de Cha- taillon, qui remonte aux temps préhistoriques. Ces fouilles appor- teraient sans doute une contribution utile aux études sur les origines de l’ancienne Gaule. La Société partage cette opinion, et sur les conseils de M. Alf. Grenier, décide d'adresser une demande de concession de fouilles à M. le Conservateur des forèts du Doubs. Gette concession assurerait à la Société le monopole des fouilles pour une durée de deux ans. Il est décidé d'autre part que tous les objets qui seraient trouvés au cours de ces fouilles seraient remis au musée archéologique de Besançon. Enfin la Société décide de nommer une commission chargée d'étudier les moyens pratiques d'exécution de ces fouilles. Cette commission sera composée, en dehors des membres du bureau, de MM. Bouton, Cellard, Léon et Maxime Druhen, Alf. Grenier et Savoye, et tiendra la Société au courant de ses travaux. EStélu: Membre correspondant M. E. Xavier GUICHARD, commissaire de police de Paris, chef de la brigade des recherches, présenté par MM. le D' Bourdin et Georges Gazier. Le Président, Le Secrétaire. E. ROUGET. GEORGES GAZIER. RAA ARLES Séance du 25 novembre 1908. PRÉSIDENCE DE M. LECLERC, Vice-Président. Sont présents : BUREAU : MM. Leclerc et D' Bourdin, vice-présidents ; Georges Gazier, secrétaire ; Alf. Vaissier, vice-secrétaire; Fauquignon, trésorier ; Maldiney, archiviste. MEMBRES : MM. le D' Baudin, Berdellé, René Bouton, Cellard, Lambert, D' Magnin, Maldiney, Montenoise, Thuriel, D' Vais- sier. Au moment où l’on se propose de renouveler les æecherches archéologiques dans le massif d’Alaise, M. Alf. Vaissier estime qu'il serait d'actualité de faire connaître un travail très docu- menté intitulé: La fin de la ferrure celtique, que vient de publier un franc-comtois, M. Joly, directeur de l’enseignement vétérinaire à l'Ecole de cavalerie de Saumur. Quelques pièces de maréchalerie, recueillies dans les fumuli assurément celtiques d’Alaise, avaient été présentées par les initiateurs des fouilles en 1858, comme des preuves décisives de la connaissance de la ferrüre à clous pour les pieds des chevaux, antérieurement aux Romains. Le médecin-vétérinaire Mégnin, né à Hérimoncourt (Doubs) en 1828, partisan convaincu de l'antiquité de la ferrure, avait fait de ces nouvelles trouvailies la base d’un enseignement dont il soutint les conclusions jusqu'à sa mort par de nombreux mémoires. « Enfant de Salins, et, dans le principe, plus enthou- siaste que tout autre dela découverte de la ferrure celtique dans son pays natal», M. Joly, après avoir soumis à une critique sérieuse les documents et les pièces de conviction mis en œuvre par son compatriote, est arrivé aujourd’hui à en combattre les conclusions. Il dévoile, en la qualifiant d’aberration sacrilège, _la faute commise pas Mégnin quand il introduisit dans l’analyse d’un rapport où Castan décrit la fouille du fumulus à char, dit du fourré de Sarraz, un élément qui n’y était pas, à savoir un fer mn VII à cheval. Puis, poursuivant ses investigations, 1l signale un certain nombre d'erreurs commises inconsciemment par les divers collaborateurs aux fouilles d’Alaise, tant sur la nature que sur la valeur de pièces archéologiques diversement et incorrec- tement figurées, dont les originaux conservés au musée de Besançon sont soumis à l’examen des membres de la Société. M. le D' Baudin rend compte d’un récent volume de M. Alfred Marquiset, intitulé : La duchesse de Fallary. Gette femme qui fut l'unedes maïtresses® du Résent \nemértescuère de retenir l'attention des historiens, car elle n'eut, dit M. Baudin, ni vices extraordinaires, ni vertus remarquables. M. Alf. Marquiset a su néanmoins, autour de cette figure falotte, faire revivre une par- tie de la société galante et vicieuse du xvirre siècle et son étude est d’une lecture agréable et pittoresque. M. René Bouton, secrétaire de la Commission d’Alaise, rend compte des premiers travaux de cette Commission. Une demande d'autorisation des fouilles dans le massif d’Alaise et les forêts environnantes a été adressée à M. le Conservateur des forêts de Besançon et aux maires des communes intéressées. La Com- mission à étudié les moyens d'obtenir des ressources pour les fouilles et demande à la Société le vote d’une subvention pour les premiers travaux. La Société d’'Emulation vote une subven- tion de 200 francs à cet effet. La Société fixe au jeudi 17 décembre la date de sa séance publique annuelle dont elle établit le programme. Est élu : Membre résidant : M. le D' CHARRIÈRE, Louis, présenté par MM. les docteurs Bourdin et Vaissier. Le Président, Le Secrétaire, À. LECLERC. Georges GAZIER. RNNV ES Seance du 16 décembre 1908. PRÉSIDENCE DE M. E. ROUGET. Sont présents : BUREAU : MM. Rouget, président; Leclerc et Dr Bourdin, vice- présidents; Georges Gazier, secrétaire ; Alf. Vaissier, vice-secré- taire; Fauquignon, trésorier ; Maldiney, archiviste. MEMBRES : MM. Perdellé, R. Bouton, Cellard, Dayet, Léon Druhen, D: Girardot, D' Ledoux, chanoine Rossignot, Thuriet, Savoye, Vernier. M. René Bouton lit la première partie d’un travail sur la posi- tion actuelle de la question d’Alaise. Après avoir en quelques mots rappelé quels évènements se sont déroulés en Gaule 8 ans avant notre ère, il nous raconte la querelle d’Alésia, en retraçant les phases de cette querelle: Alise Ste-Reine sur le mont Auxois, considérée pendant tout le Moyen-Age comme Ja véritable Alesia de César, la découverte d’Alaise par Dela- croix en 1855, les discussions passionnées qui s’élevèrent entre partisans et adversaires d’Alise, à partir de cette date jusqu’au jour où la thèse d’Alise, patronnée par Napoléon IT fut consa- crée solennellement par une statue colossale de Vercingétorix, due au sculpteur Millet, érigée sur le mont Auxois. À la suite de cette communication, M. Bouton donne connais- sance de plusieurs documents ayant rapport aux prochaines fouilles. La commune d’Alaise à voté une subvention de 100 fr. et a de plus accordé les autorisations les plus larges à la com- mission. M. {le maire de Myon autorise aussi les fouilles sur le territoire de cette commune. L'administration des forêts, de son côté, fait droit, dans les termes les plus bienveillants, à la demande qui lui a été adressée par la Société d’Emulation. Des remerciements sont votés par la Société à M. le maire d'Alaise, ainsi qu'à M. Grenier, inspecteur des forêts à esan” çon, dont l'intervention n’est point étrangère aux heureux résultats obtenus. Ts NAN La Société discute et vote le budget de 1909, présenté par M. le trésorier Fauquignon. Projet de budget pour l’année 1909, présenté par le Conseil d'administration de la Société. RECETTES. 4. Subvention du département du Doubs". 900 fr. 2, — de la ville de Besancon moe eee 400 3. Cotisations des membres résidants. : . . . . 890 4. —— — correspondants . . . 420 5. Droits de diplômes, recettes accidentelles . . : 100 6. Intérêts du capital en caisse et rentes . . . . 600 Total ee Re OT DÉPENSES. 1. Impressions. . . A A A A RE MN rs 2 OU 2. Frais de bureau, chataees éclairace elcw arr 150 J.Erais derséancepDubhqenMr ist MUR RE ALAIN 70 4. Traitement et indemnité de recouvrements à RASE AE APE RENANACE EE A AE M AN EURE" RSR pe tes 200 5. Crédit pour recherches scientifiques . . . . . 250 IROtAR ES RO One M. Fauquignon fait connaître que la capitalisation des revenus du legs Grenier permet actuellement l'achat d’un titre de rente de 1800 francs à 3 0/0. La Société décide, d’après son règlement élaboré précédemment, qw’il faut encore capitaliser les revenus jusqu’au 1 octobre, époque où le total de la fondation sera remis au pensionnaire désigné par la Société. Procédant à l’élection de son bureau pour l’année 1909, la Société nomme : Président annuel : M. le docteur BOURDIN, médecin-major en retraite. — XXVIL — Premier vice-président : M. ROUGET, directeur de l'Ecole nor- male d’instituteurs de Besançon. Deuxième vice-président : M. le chanoine ROSSIGNOT, curé de Sainte-Madeleine de Besançon. Vice-secrétaire : M. Alfred VAISSIER, conservateur du Musée archéologique. j Archivistes : MM. MALDINEY et René BOUTON. Est élu : Membre résidant : M. le Dr Eugène EEDOUX, à Besançon, présenté par MM. les Drs Bourdin et Nargaud. Le Président, Le Secrétaire, E. ROUGET. Georges GAZIER. Séance publique du 17 décembre 1908. PRÉSIDENCE DE M. E. ROUGET. Sont présents : BUREAU : M. E. ROUGET, ayant à sa droite M. GOUGEON, pre- mier président à la Cour d'appel de Besançon, et M. PADÉ, rec- teur de l’Académie de Besançon ; à sa gauche M. JAUDON, pro- cureur général près la Cour d'appel de Besançon, M. LAMBERT, président de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon, MM. les Drs CHAPOY et BOURDIN, MM. René BOUTON, FAUQUIGNON, Georges (GAZIER, secrétaire décennal, Alfred VAISSIER, vice-secrétaire. _ Dans la salle, remplie par une assistance nombreuse et hril- lante, Mme veuve CASTAN, MM. HUGUES, commandant ALLARD et TAVERNIER, membres de l’Académie de Besançon, MM. le docteur MARCEAU et le capitaine RIVET, membres de la Société — XXVII — d'histoire naturelle du Doubs, MM. Fr. BATAILLE, BERDELLÉ, BESANÇON, CELLARD, Léon DRUHEN, abbé DruoT, Alf. GRENIER, L. LEBRUN, Dr LEDOUX, chanoine ROSSIGNOT, membres de la Société. La séance, ouverte à deux heures est close après lecture des études suivantes : 1o La Société d' Emulation du Doubs en 1908, par M. E. Rou- GET, président annuel. 90 Le général Rolland, par M. le docteur BOURDIN, vice-pré- sident. 3° Coup de chaleur, poésie, par M. Ch. GRANDMOUGIN, membre honoraire. | 4° Les premiers ballons à Besançon, par M. Georges GAZIER, secrétaire décennal. 00 Pré tondu, conte en vers, Prière du forgeron, poésie, Sur la barque lègère, sonnet, par M. Fr. BATAILLE, membre rési- dant. Go L'état actuel de la question d’Alaise, par M. René BOUTON, membre correspondant. Le Président, Le Secrétaire, E. ROUGET. Georges GAZIER. MÉMOIRES. LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS EN 1908 Discours d'ouverture de la séance publique du jeudi 17 décembre Par M. ROUGET PRÉSIDENT ANNUEL MESDAMES, MESSIEURS, C'est un honneur périlleux que d’avoir à rendre compte des travaux annuels de la Société d'Emulation. La difficulté n’est pas seulement de réunir un moment les compétences les plus diverses pour mettre en relief l'intérêt des récentes études de nos savants bisontins ou franc-comtois et pour signaler quelques-uns des mérites, quelques-unes des qua- lités de leurs nouvelles productions, Comment oublier que vous attendez tous avec impatience les lectures inscrites au programme de cette séance et qui en sont la fête ? Je m’ef- forcerai de concilier le devoir qui m'est imposé avec ce sen- timent que je partage. Aussi bien n’est-ce qu’une sorte de procès-verbal de nos réunions mensuelles qu'il m'appartient de vous présenter. Mais auparavant je tiens à rendre un dernier hommage à la mémoire de nos confrères disparus. Depuis un an, notre Société a été frappée de coups dont la vive et profonde impression n’est pas près de s’effacer. La mort a tout d’abord atteint l’un de ceux qui sont chargés de la combattre : M. le D' Cornet. En des pages émues, l’un de nos vice-présidents, Î He M. le D' Bourdin, a montré avec éloquence la grande perte causée au quartier des Chaprais par la disparition imprévue de cet affable homme de bien, de ce travailleur acharné, instruit, expérimenté, qui a laissé dans le corps médical de notre vieille cité un vide difficile à combler. Notre dévoué premier vice-président, M. Leclerc, et moi avons eu le pénible devoir d’expriner les regrets de notre Compagnie au sujet du décès de plusieurs autres de ses membres : MM. Burin du Buisson, préfet honoraire, profondément attaché à la Franche-Comté ; Henri Chapoy, avocat et écri- vain comtois des plus distingués ; Vendrely, ancien pharma- cien à Champagney, auteur d'ouvrages de botanique appré- ciés ; Gruter, médecin-dentiste, excellent praticien, qui s’est toujours intéressé à nos travaux ;Miot, négociant, tout dévoué à notre œuvre ; Kohler, ancien conseiller municipal, ancien conseiller d'arrondissement, membre résidant de notre Société depuis quarante-deux ans : Pateu, entrepreneur, capitaine-adjudant-major au bataillon des sapeurs-pompiers, juge au tribunal de commerce, conseiller prudhomme, qui, par ses qualités de cœur et de caractère, avait su se concilier l'estime et la sympathie générales. [nterprètes des justes sen- timents de tous, nous avons essayé de dire quels souvenirs laisseront parmi nous ceux qui nous ont quittés — Enfin, l’un de nos plus illustres membres d'honneur, M. le général Rolland, est mort le 30 mai 1908. Dans un instant, une voix autorisée vous retracera la brillante carrière, la vie si bien remplie de l’ancien défenseur de Besançon en 1870-1871, de celui qui avait juré de s’enfermer dans notre citadelle avec ses officiers plutôt que de la rendre aux Allemands. La plupart des communications que nous avons entendues au cours de l’année se rapportent à l’histoire de notre région. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Propager la connaissance de l’histoire est, en effet, l’une des œuvres qui se recommandent le plus à notre Société. Chacun de nous, dans l'amour qu’il professe pour la patrie française, a con- La] — 4) — servé une affection plus intime pour le coin où il est né, où il est appelé à vivre, où du moins il aspire à retourner prendre sa retraite. L'histoire de cette petite patrie a toujours un attrait spécial. Nous voulons savoir quels effets particu- liers les grands événements historiques ont eus sur elle. Il y a là un goût qu’il ne faut pas développer au point d’é- touffer les sentiments généreux sous le particularisme, mais dont il est bon de tenir compte dans une certaine mesure. D'ailleurs, le culte voué à la grande patrie ne saurait nous empêcher, comme l'a reconnu un remarquable éducateur contemporain, « de chérir tendrement la petite et de com- mémorer avec un soin pieux la part qu'elle a prise aux souffrances, aux luttes, aux victoires nationales. » Un de nos jeunes confrères, doué d’une infatigable acti- vité, M. Léon Druhen, n’a pas craint de reprendre, malgré les difficultés de tous genres qu’elle offre, létude d’une question qui, il y à une cinquantaine d'années, avait beau- coup passionné le monde savant, et que la plupart des his- toriens considéraient comme définitivement réglée : la ques- tion de l'emplacement de l’antique Alesia. D’après lui, c’est à tort que l’on a voulu identifier Alise-Sainte-Reine avec le dernier asile de l'indépendance gauloise. Un examen attentif du texte des Commentaires de César, une étude critique des publications de Delacroix, Quicherat, Castan et autres ; une exploration minutieuse du plateau d’Alaise et de ses environs l’ont à peu près convaincu que c’est bien en Fran- che-Comté que s’est produit l’acte décisif de la résistance de la Gaule au peuple romain, Sa thèse, qui s’appuie sur certains faits incontestables, vaut assurément la peine d’être examinée. Sans doute, elle ne constitue jusqu'ici qu’une hypothèse vraisemblable, bien flatteuse pour notre patriotisme local. Mais cette hypothèse pourra devenir féconde. Elle aura tout au moins le mérite de stimuler l'activité des érudits, de les obliger à contrôler l'exactitude des conclusions auxquelles des recherches anté- Ds rieures les ont conduits. La science, il faut bien le dire, n’est jamais, en un sens, que relative et provisoire. C’est la condition même de sa grandeur et de son autorité de tou- jours s'offrir à la discussion. En histoire, en archéologie, comme dans les autres ordres de connaissances. nous devons avoir non seulement le courage de chercher la vérité, mais encore celui peut-être plus rare d'éprouver toutes nos con- ceptions, quelle que soit leur source, de les abandonner quand leur fausseté nous est démontrée, et de nous cons- truire à nous-mêmes, par un imcessant labeur, ce qu'un grand orateur a appelé « la maison de repos et d'espérance ». Bien plus, il n’v à pas de science, avouait récemment un maitre dont personne ne songera à récuser le témoignage, M. Seignobos, « il n’y a pas de science qui soit dans des condi- « Lions aussi mauvaises que l’histoire. Jamais d'observations « directes, toujours des faits disparus ; et même jamais de « faits complets, toujours des fragments dispersés, conser- « vés au hasard, des détritus du passé : l'historien fait un « métier de chiffonnier. Encore est-il obligé d'opérer sur « ces Imauvais matériaux par voie indirecte, en employant « le plus mauvais des raisonnements, le raisonnement par. « analogie (1). » Voilà pourquoi la Société d'Emulation du Doubs qui, sur la question de l'emplacement d’Alesia, compte parini ses membres des gens d'opinions contraires, est disposée à encourager tous Ceux qui, de bonne foi, s'efforcent de déterminer la topographie et la situation exactes du célèbre champ de bataille gallo-romain. Par ses soins, des fouilles méthodiques seront prochainement entreprises sur le pla- teau de Chataillon, à Myon et à Sarraz. Plusieurs vrais savants, parmi lesquels j'ai plaisir à citer notre obligeant confrère, M. Vaissier, l’éminent archéologue bisontin, se proposent de (1) Bulletin de la Société française de philosophie, VII: année, p. 207. HAS profiter de l’occasion pour faire l’épreuve des motifs. des raisons de diverse nature allégués par d’autres en faveur de leurs thèses ou de leurs argumentations, et pour dissiper les erreurs qu'ils peuvent avoir commises inconsciemment. M. Vaissier estime, en particulier, que les futures explora- tions permettront d’élucider la question encore controversée de savoir si la ferrure à clous pour les pieds des chevaux était connue avant l'établissement des Romains dans notre pays. — Vous aurez, du reste, Mesdames, Messieurs, le plaisir d'entendre tout à heure M. René Bouton vous exposer sous une forme agréable, le vieux, mais toujours nouveau problème soulevé par la description d’Alesia que César nous a laissée. Une communication, très documentée et fort intéressante, due à M. Blondeau, procureur de la République à Vesoul, sur « Jean Jouard, Seigneur d'Echevanne et de Gatev, Pré- sident des Parlements de Franche-Comté et de Bourgogne », nous offre le douloureux spectacle des misères, des désor- dres, des crimes de tous genres qu’entraînent à leur suite les guerres civiles ; des conflits de devoirs qu’elles suscitent, des luttes intérieures qu’elles produisent parfois chez les magis- trats les plus instruits, les plus honnêtes et les plus cons- Ciencieux. Get important travail jette en même temps un cer- tain Jour sur les relations du roi Louis XT avec ses voisins et avec la noblesse de son époque. Obligé à des ménagements tant que ses adversaires féodaux étaient dangereux, le rusé compère de Plessis-les-Tours savait prendre sa revanche en temps utile, provoquer les désertions des meilieurs servi- teurs ; il ne reculait ni devant les crimes, ni devant les per- fidies pour obtenir des résultats politiques. Jean Jouard en est un exemple frappant. Après avoir fidèlement servi Phi- lippe le Bon et son fils Charles le Téméraire, et rendu la justice en leur nom, il quitta, lors de la défaite du dernier, le parti bourguignon pour celui du roi de France, fut nommé Premier Président, puis chef de la nouvelle Chambre du oo Conseil en janvier 1477,/au moment de la réorganisation des Parlements. Mais il ne jouit pas longtemps des fruits d’une désertion dont on n’a pu découvrir les véritables raisons. Une émeute ayant éclaté à Dijon le 24 janvier 1477, il des- cendit dans la rue pour calmer les séditieux et fut poignardé par leur chef. Anne de Gonzague en Franche-Comté, tel est letitre d’une consciencieuse étude historique présentée à notre Société par M. Emile Longin, ancien magistrat, un des spécialistes qui connaissent le mieux le xvrr siècle. L'auteur de cette étude raconte, à l’aide de documents, pour la plupart inédits, trouvés par lui à la bibliothèque de Besançon et dans les Archives départementales du Doubs, un épisode presque inconnu de la vie de la Princesse Palatine, épisode que Bos- suet a passé sous silence, et pour/Cause, dans l’éloquente oraison funèbre où il a retracé l'existence agitée de celle qui fut sœur d’une reine de Pologne et belle-mère du fils du grand Condé. Née en 1616, Anne-Marie de Gonzague, seconde fille du duc de Nevers, avait été tout d’abord destinée au cloitre. A l’âge de vingt-un ans, son père étant mort, elle quitta le cou- vent pour entrer dans le monde, sans direction, sans conseil. Sa remarquable beauté, ses manières à la fois nobles et enga- geantes, son esprit délicat et ferme lui valurent de brillants succès dans une société où la galanterie tenait une grande place. Henri de Lorraine, duc de Guise, archevèque de Reims, c’est-à-dire pourvu, sans avoir reçu les ordres, de cet archevêché dès l’âge de quinze ans, personnage qui « avait la figure, l'air et les manières d’un héros de roman », assure certain mémorialiste de l’époque, mais dont les con- temporains disaient aussi : « c’est dommage qu’il soit fou », ne tarda pas à la rechercher, et déploya en son honneur tous ses dons de séduction. Rien ne fut épargné par lui pour la convaincre de sa passion. Elle ne resta pas insensible aux aveux dont elle était l’objet. Dans le courant de l’année 1638, 7 un de ces mariages secrets, si fréquents alors, consacra union de la fille du duc de Nevers et de Mantoue et d'un descendant de la maison de Guise. Mais trois ans plus tard, à la suite de démêlés avec Richelieu, qui refusait de lPauto- riser à quitter l’habit ecclésiastique et à disposer d’une partie de ses bénéfices en faveur de l’un de ses frères. le duc de Guise s’enfuit à Sedan pour conspirer, avec le comte de Soissons, contre le fameux cardinal. La princesse Anne, docile aux injonctions réitérées de celui qu’elle considérait comme son légitime époux, voulut le rejoindre. Elle quitta furüvement Nevers pour se diriger sur la Franche-Comté où elle ne parvint qu'après bien des péripéties. Là, attendant une occasion favorable à son voyage, elle séjourna, de juin à décembre 1641, à Dole, puis à Gray. Dans cette dernière ville, où elle avait été reçue avec de grands honneurs, elle apprit bientôt qu'Henri de Lorraine, « oublieux, dit M. Lon- gin, de la foi qu'il Jui avait jurée devant Dieu, et comptant pour rien les nœuds sacrés qui les unissaient », venait d’épouser publiquement à Bruxelles la veuve du comte de Bossu. En 1645, Anne de Gonzague, consolée de la trahison du prince infidèle, devenait elle-même la femme de lElecteur palatin. Cest d’une noble dame galante et de son mari, l’un des pires aventuriers du XvIrIe siècle, que nous à entretenus un lettré déhcat, M. le Dr Baudin, dans l’élégant, original et très pénétrant compte-rendu d’un récent ouvrage de notre com- patriote, M. Alfred Marquiset, intitulé: La Duchesse de Fallary (1697-1782). On sait qu'à peu d’exceptions près les femmes du xvrI° siècle sont plus grandes par le cœur que par le caractère. Peut-être est-ce pour cela qu’on les aime invinciblement., [l n’en va pourtant pas ainsi de l’héroïne de M. Marquiset. Elle n’inspire guère que de lantipathie, sinon du mépris. « Avec des vertus singulièrement rares, dit M. Baudin, elle eut beaucoup de vices moyens, sans éclat. Incorporée vers 1720 dans l’escadron des dames de déshon- ep tue neur » dont S’était entouré le Régent, Philippe, duc d'Orléans, elle n'exerça jamais aucune influence politique. À partir de 1730, elle ne fut même plus autre chose qu'une plaideuse endurcie, une joueuse, une intrigante et une tenancière de tripot. Ce n’est done pas sa vie qui fait l'intérêt de l’œuvre de son biographe, mais bien les tableaux de mœurs, vrais, vivants et amusants ; les croquis des différents personnages que lon y rencontre, et parmi lesquels figure nécessairement le duc romain de Fallarv. Ce dernier était vraiment un bien vilain sire. Aussi, parlant de ce vil aventurier, M. Marquiset a-t-il pu écrire: «présenter la cause du mari, c’est prononcer l’acquittement de la femme ». Mais M. Baudin n'accepte pas un tel verdict. Non sans raison, il estime « que la mode dure un peu trop d’une indulgence outrée et systématique pour tous et pour tout », et que véritablement « on abuse un peu trop de la célèbre formule : tout comprendre, c’est tout par- donner ». Faut-il le dire? il en est souvent ainsi en France où les esprits, naturellement vifs et impatients, courent aux idées générales, sans prendre la peine de les vivifier par l'expérience des choses concrètes que donne le contact avec la réalité. Aujourd'hui, le Jacquemard de la Madeleine n’est plus, selon son érudit et spirituel historien, M. le chanoine Rossi- onot, « qu'un sonneur honoraire sur une cloche de bois ». Sa déchéance ne l’empêche pas toutefois de rester un per- sonnage très populaire à Besançon. Aussi avons-nous été heureux de voir l’un des nôtres nous rappeler un petit épi- sode de la carrière accidentée du carillonneur de Battant. Cest M. André Dayet qui s’est chargé de ce soin. Il nous à commuriqué une satire latine ecclésiastique, pleine de verve et d'esprit, composée vers 1753, mise dans la bouche de Jacquemard, qui tourne enridicule un prêtre pourvu de nom- breux bénéfices. Certain passage décrivant un festin copieux où les vins du crû coulèrent à flots font penser au repas ridi- cule de Boileau et au Pantagruel du joyeux curé de Meudon. Conte J'ai maintenant à vous entretenir de divers travaux se rap- portant à l’histoire contemporaine de notre pays. M. Pingaud, l'éminent professeur de l’Université de Be- sançon, nous a lu, en les accompagnant d’une notice et d’un commentaire instructifs, deux documents, extraits des Archives nationales, et renfermant de curieux renseigne- ments sur l’état de la Franche-Comté au commencement du premier Empire. Ce sont des rapports adressés à l’'Adminis- tion centrale par le général d’Aboville, titulaire de la Séna- torerie dont le chef-lieu était Besançon, et par l’ancien con- ventionnel Jean de Bry, alors préfet du Doubs. Les notes de ce dernier, dit excellemment M. Pingaud, « sont parti- culièrement remarquables, fourmillent de faits, et de vues personnelles suggérées par ces faits. » M. le D' Ledoux père, toujours préoccupé de recueillir les différents souvenirs se rattachant à la vie des célébrités bisontines ou franc-comtoises, a été conduit par l’examen d'ouvrages récents à s'occuper d’une question non encore tranchée définitivement. [l s’agit de déterminer le lieu exact de la naissance du général Lecourbe, que les uns placent à Ruffev, dans le Jura, les autres à Besançon. S'il est vrai, affirme M. Ledoux, que Ruffey est le pays d’origme et de résidence de sa famille, il est non moins vrai que, d’après les registres de l’état-civil et de la paroisse, cet homme de guerre est né à Besançon le 22 février 1759 et a été baptisé le lendemain en l’église de Sainte-Madeleine. En dépouillant la correspondance du poëte baumois Edouard Grenier, notre aimable et perspicace secrétaire décennal, M. Georges Gazier, a découvert une lettre de M. Eugène Tastu, fils de Mme Amable Tastu, Pécrivain bien connu, relatant les derniers moments et la mort de Rouget de l'Isle. Il a bien voulu nous donner connaissance de cette lettre qui contient des détails inédits sur la fin du Tyrtée français et sur le convoi qui aecompagna ses restes dans le cimetière de Choisy-le-Roi. M. Tastu rappelle en particulier la scène émouvante qui se produisit quand, devant la tombe ouverte, les ouvriers de la localité entonnèrent La Marseillaise. Près d'un demi-siècle devait s’écouler sans que l’on enten- dit les échos répéter l’hymne sacré. Vers 1878 seulement, l'ombre de Rouget de l'Isle sortit victorieuse de son tom- beau et les accents qu’il avait créés retentirent de toutes parts. Un magistrat, qui porte dignement un nom cher à plus d’un titre aux Francs-Comtois, M. l'avocat général Maurice Thuriet, nous a (donné lecture de la seconde partie de son étude sur les Discours de rentrée au Parlement et à la Cour de Besançon. L'histoire de cette tradition récemment dis- parue lui a fourni, écrit M. Gazier à qui — il ne m'en voudra pas — jemprunte cette analyse, « l’occasion de faire revivre devant nous les Gattinara, les Boivin, les Brun ou les Nico- las, types des magistrats de l’ancien régime qui se distin- guërent par leurs talents ou leurs vertus. Les temps moder- nes nous montrent en Perreciot, Proudhon, Courvoisier et d’autres encore, des jurisconsultes dignes de leurs maitres. C'était dans la grande salle du Palais de Justice, terminée en 1903, l’année même où un décret supprimait les discours de rentrée, qu'avaient lieu les séances solennelles dont M. Thuriet a évoqué le souvenir. » Diverses sciences auxiliaires de l’histoire rendent de pré- cieux services aux historiens. Parmi elies, il faut citer l’é- tude des sceaux, la sphragistique ou sigillographie, comme disent les initiés, qui a pris un développement rapide dans la seconde moitié du xix° siècle. Nous devons à M. Maurice Lambert, le nouveau président de l’Académie de Besançon, une communication des plus intéressantes relative à cette science. La bibliothèque de notre ville possède un sceau, ancienne propriété de la famille Chifflet, qui porte la date de 1545, représente un roi assis sur son trône et, tenant à la main un sceptre fleurdelisé. En 1808 et 1809, cet emblème a fait l’objet d’une vive polémique entre plusieurs savants. em pe Comme sa légende l'indique, il appartenait incontestable- ment à l’une des anciennes corporations urbaines appelées basoches. Mais à laquelle de ces confréries doit-on l’attri- buer ? Sur ce point, les opinions étaient fort différentes. Les uns prétendaient reconnaitre dans le type de la pièce la figure du roi François l°", et soutenaient que ce sceau était celui de la basoche parisienne ; d’autres, au contraire, assu- raient qu'il s'agissait d’un roi de la basoche de Bourgogne. À Ja suite d’une trouvaille comme en font seuls les amateurs éclairés et avisés, celle d’un médaillon du même type que le sceau objet de la discussion, puis d’investigations labo- rieuses, de recherches conduites avec beaucoup de méthode et d’ingéniosité, M. Lambert est parvenu à se convaincre et à convaincre ses auditeurs que la pièce est bourguignonne et non parisienne. Fidèle à ses origines et à ses traditions, la Société d'Emu- lation du Doubs accueille avec empressement les travaux de ceux de ses membres que leurs aptitudes et leurs goûts por- tent à s’occuper plus spécialement des sciences proprement dites. Elle a reçu en 1908 trois communications de ce genre. M. le Dr Magnin, doven de la Faculté des Sciences, dont il serait superflu de louer ici les savants ouvrages auxquels les juges les plus compétents ont rendu hommage, nous a donné, sur Charles Nodier naturaliste, une étude magistrale qui atteste de remarquables qualités d’observateur en même temps qu’une finesse d'esprit développée et un véritable don de divination. On a parfois reproché au charmant conteur franc-comtois, homme d'imagination vive et ardente, d’avoir mis de la fantaisie jusque dans l’entomologie. Le reproche ne paraît guère justifié. Nodier, affirme M. Magnin, a été plus qu’un collectionneur, qu'un amateur ; il a fait œuvre de naturaliste. La réédition de ses travaux scientifiques, com- plétée par la publication de celles de ses recherches inédites que l’on a pu retrouver, rendrait assurément des services réels. 1 Go = Un autre observateur très consciencieux et très expéri- menté, M. Kirchner, nous a présenté un travail étendu où sont consignées avec soin les dates exactes de la floraison et de la feuiliaison de bon nombre d'arbres ou arbustes, à Besancon et dans les environs, de 1894 à 1907. Y figurent également les dates d'arrivée et de départ des hirondelles de fenêtre, du coucou et des martinets. M. Kirchner a ainsi apporté à la météorologie de notre contrée une sérieuse con- tribution. Ses observations lui ont valu les éloges très flat- teurs de M. Cumisset-Carnot, l’auteur des fines et élégantes chroniques hebdomadaires, publiées par le journal Le Temps sous cette rubrique : la Vie à la campagne. Enfin, un mémoire déposé entre les mains de notre secré- taire décennal par M. Borne, instituteur à Boussières, sur la dépopulation des campagnes, a procuré à M. le D' Baudin l’occasion de mettre au Jour, à propos de ce délicat pro- blème, quelques pages judicieuses, fort intéressantes, con- tenant une foule d’utiles conseils. Les directeurs de nos écoles rurales, comme bien d’autres personnes d'ailleurs, trouve- raient grand profit à lire des réflexions aussi sensées, aussi probantes, écrites de main de maitre. M. Baudin montre comment dans chaque village on pourrait procéder à une étude scientifique de la question. S'inspirant des travaux de divers spécialistes, les instituteurs feraient notamment œuvre utile en recherchant ce que sont devenus, par exemple, les descendants des paysans qui ont émigré vers les villes avec l'espoir d'y trouver une vie plus facile et plus rémuné- ratrice. Comme M. Dumont l’a constaté par ses statistiques dans le Calvados, ils verraient sans doute que la plupart des familles qui désertent la campagne tombent rapidement dans une misère affreuse, dont l’aboutissement est une mort dou- loureuse dans un lit d'hôpital. Au contraire, la statistique démontre que la plupart des paysans meurent dans leur lit à un âge avancé. Le mouvement d’émigration des campagnes vers les villes tend d’ailleurs, suivant M. Baudin, à s'arrêter à l’heure actuelle par suite de ce fait que beaucoup d’indus- triels préfèrent construire leurs usines en dehors des villes. La partie la plus longue et la plus difficile de ma tâche est terminée. Il ne me reste plus, Mesdames, Messieurs, qu'à vous annoncer que la pension triennale de 1800 francs, fondée par les frères Grenier, nos généreux bienfaiteurs, sera accor- dée, pour la première fois, en 1909, au concours, au jeune franc-comtois qui donnera le plus d'espérance sérieuse dans la carrière des lettres, des sciences ou des arts ; — à men- tionner nos rapports de bonne confraternité avec l'Académie de Besançon qui, toujours courtoise, à bien voulu faire au président de l’Emulation l'honneur de le convier à sa séance et à son banquet de janvier ; — enfin, à vous dire quelques mots du Congrès de l'Association franc-comtoise. Fondée par notre Société en 1899, cette Association qui, selon l’heureuse expression de l’un de mes distingués pré- décesseurs, M. Francey, dont nous déplorons encore la fin prématurée, « groupe en un étroit faisceau toutes les sociétés savantes de notre ancienne et chère province », a tenu ses pacifiques assises cette année le 4 août à Salins, sous la pré- sidence de M. l’abbé Perrod, connu par ses travaux d’his- toire, assisté de MM. Etienne Lamy, de l’Académie française, et Philippe Berger, sénateur, membre de l’Institut. La réu- nion à obtenu un légitime succès. Plusieurs de nos confrères : MM. Cellard, Gazier, Germain, le docteur Ledoux y ont fait des communications applaudies dans les sections d'histoire et d'archéologie. L’an prochain, le Congrès siègera à Pontar- her : il sera présidé par M. le Dr Rollier. Ces assemblées régionales tendent à devenir chez nous une sorte d'institution. Elles offrent à la fois des avantages et des agréments, Non seulement elles constituent un puis- sant instrument de travail, mais encore elles fournissent à tous ceux qui s'intéressent aux études historiques et scienti- fiques une excellente occasion de faire où de renouveler connaissance, On y rencontre d'anciens camarades, des otre confrères avec lesquels on échange des idées ; on visite les monuments, les musées, les établissements industriels de la ville où l’on reçoit l’hospitalité ; parfois, comme à Salins, des lieux historiques voisins : finalement la science et l’érudition y trouvent toujours leur compte. Ne ferait-on que se prome- ner, cela délasserait, et en rentrant chez soi on aurait l'esprit plus dispos pour se remettre à la besogne. Tel est, Mesdames, Messieurs, le résumé de l’ensemble de nos travaux pendant l’année 1908. Ces travaux présentent, vous le voyez, une grande variété. Ce qui en fait l’unité, c’est que leurs auteurs, malgré la diversité des routes où ils mar- chent, ont une même passion: celle de l’exactitude et de la vérité. À quelque tâche qu'ils se soient voués, ils estiment que dans le vaste domaine de la science et de l’histoire, il n’y à place nulle part pour l’à peu près; ils n’admettent pas qu’il y ait, en pareille matière, de détail sans importance. L’impartialité, le désintéressement sont en outre pour eux les premières des vertus. Sans doute, tous ont leurs sympa- thies. Ils ne craignent même pas de les montrer s’il y a lieu. Mais tous aussi s’inclinent devant des faits dûment établis ou . devant des documents authentiques et précis. On ne saurait légitimement demander davantage à des savants, à des érudits ou à des historiens. Sociét 4 (e d’'Emulation du Doubs, 1908. Buste populaire du GÉNÉRAL ROLLAND qui se vendait a Besançon après la Guerre Par A. BEVALET. (Coll. du D' Bourpix.) LE GENERAL ROLLAND D'APRÈS M. LE MÉDECIN PRINCIPAL CHALLAN DE BELVAL PAR Le Docteur FE. BOURDIN PRÉSIDENT Séance publique du 17 décembre 1908. M. le docteur Challan de Belval, médecin principal de l’armée, a fait hommage à la Société d’Emulation, d'un ouvrage important sur le capitaine de vaisseau Rolland, plus connu sous le nom de général Rolland, le commandant de la 7° division militaire et l’ancien gouverneur de la place de Besançon, pendant la guerre de 1870-1871 (D, La mort récente du général, donne en l’accentuant encore, un caractère tout particulier d'actualité à cette publication, qui n’est en réalité qu’un long panégyrique élogieux et jus- tifié de celui qui fut, à un moment donné, l’âme de la défense de notre cité et le gardien de nos libertés, Nul plus que son auteur n’était mieux à même d’entre- prendre cette intéressante étude et de la mener à bonne fin. Retiré à Marseille auprès du général dont il était devenu le confident et l’ami, le Dr Challan de Belval a su bien mettre en relief cette mâle figure de l’année terrible, dont l'énergie communicative et le remarquable sang-froid nous ont peut- (1) Le capitaine de vaisseau Rolland, général commandant la 7° division militaire et la place de Besançon en 1870-1871, par le D' Challan de Belval. Marseille, 1908. ip être épargné, comme il nous le dit dans sa préface, « les épreuves du bombardement et les horreurs de l'invasion ». Déjà, l’active propagande de ses anciens compagnons d'armes nous a valu ce magnifique portrait de grandeur naturelle, que nous devons au talent d’un de nos plus jeunes artistes bisontins, M. Tirode et qui fait face dans cette belle salle de notre hôtel de ville à celui d’un autre défenseur de la Place, l’héroïque Marulaz (1), 1842" 1871 hr. -MDeux dates) deux invasions nas aussi, deux chapitres glorieux de notre histoire locale, dans lesquels s’est retrempée et rajeunie la vieille devise de nos pères : Comtois, rends-toi : moi, nenni mu for ! L'ouvrage est divisé en deux parties. La première, for- cément écourtée, se rapporte à l’enfance du général, à son entrée à l’école navale et présente un résumé succinet de sa carrière comme officier de marine, jusqu'au moment où le grade de général de division à titre provisoire allait lui être conféré après nos premiers désastres. Né à Marseille en 1821, le jeune Rolland après de bonnes études faites au lycée de cette ville est reçu à l’école navale en 1836, d’où il sort en 1839, après trois années passées sur l’'Orion, un des aînés du Borda, avec le grade d’aspirant de 2° classe. I] avait alors dix-huit ans. Je passerai sous silence les différentes étapes de notre jeune marin, ses croisières multiples, pour en arriver aux campagnes de guerre, qui allaient donner au futur comman- dant de la place de Besançon, cette énergie communicative et cet ascendant moral qui le désignèrent plus tard à lat- tention éclairée de Gambetta. En Crimée, bien que chevalier de la Légion d'honneur depuis quelques mois seulement, il reçoit la rosette d’officier (1) La remise solennelle de ce tableau à la ville a eu lieu le 29 novem- bre 1907. Le général y est représenté en tenue d'officier de marine, dans un paysage de neige sur les hauteurs de Montfaucon, entouré de soldats qui mettent cette position en état de défense. ART Et plutôt que d'admettre l’une ou l’autre de ces explica- tions, je préférerais être condamné à avaler le mont Poupet lui-même, Poupet tout entier, sauf pourtant l’étymologie _ (1) Un auteur facétieux publiait dans la Revue anecdotique, sur le inême thème : Un pas de clerc du Président Clerc ou la question d’A4- daise réduile à une question de charcuterie. LOS dont voudrait gravement l’assaisonner M. le président : Pou rapide ; pet montagne. » Clerc, à son tour, reprenait la plume et pubhait une Réponse à la note incomplète de Delacroix. Quicherat, vers le même temps, écrivait sa Conclusion pour Alaise, tandis que Delacroix dans Aluise à la barre de l’'Institul, appelait de la sentence rendue par l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Alors, les Eduens désespérant de vaincre seuls héroïque entêtement des Séquanes appelèrent, comme autrefois, César à leur aide. Un homimne présidait alors aux destinées de la France; et cet homme, l'esprit hanté de rêves belliqueux, préludait en écrivant l'histoire de Jules César, à ces pages funestes qu'il devait, peu d'années après, écrire en lettres de sang dans notre propre histoire. Les tendances de l’empereur étaient bien connues. Son oncle illustre ayant admis, quoique à regret, l'identification d'Alesia avec Alise, cette opinion devait être tenue pour un axiôme indiscutable. Napoléon IIT voulait trouver Alesia à Alise : tout de suite le monde officiel épousa le mème souci avec une servilité unanime, La politique faisait son entrée dans la question d’Alesia : désormais, ceux qui demeurèrent partisans d’Alaise en Comté furent suspects d’hostilité au régime. Il faut l'avouer, d’ailleurs, les francs-comtois n’aimaient pas l'Empire ; Qui- cherat, en particulier, passait non sans raison pour un fer- vent républicain. À sa conviction première se mêla dès lors un plaisir délicat : celui d’être désagréable, en la manifestant, au représentant d'un régime abhorré. | Les Eduens avaient donc pour eux la force, les Séquanes gardaient leurs convictions, mais que pouvaient des convic- tions contre une volonté d’empereur ? On mit tout en œuvre pour arriver au triomphe de la thèse bourguignonne. Sous la direction du commandant Nr baron Stoffel,une commission officielle, dite de la Topographie des Gaules, entreprit dans la plaine des Laumes et sur les collines voisines des recherches gigantesques : le pays d'Alaise fut complètement écarté du programme. Soldats du génie, manœuvres civils remuèrent durant de longs mois le sol autour d’Alise ; ils mirent enfin au jour des traces de fossés, des trous de loup, des armes qu’on répartit au petit bonheur entre César et Vercingétorix. Alise triomphait avec Napoléon et l’histoire de Jules César. Et cependant Alaise ne désarmait point, Quicherat ne s’avouait pas vaincu, Sarrette et Delacroix bataillaient tou- jours ; même après l'apparition du livre fameux — en 1866 — ils discutèrent encore (l), Seuls, Desjardins et Martin finis- saient par venir à résipiscence, tandis que désormais, Castan se désintéressait de la question. Bientôt le gigantesque Vercingétorix, œuvre de Millet, se dressait à la pointe du mont Auxois, comme pour attester l’identité du site avec celui décrit par César. La première campagne avait pris fin. Les chefs Séquanes étaient vaincus, sinon convaincus. « J’attendrai, écrivait encore le colonel Sarrette en 1867, jusques au jour du réveil de la victime, car il me paraît qu’on n'a pas tué notre chère Alaise » (2). Quicherat ne tardait pas à mourir. Delacroix vécut avec ses convictions de longues années encore, il les emporta dans la tombe. Certes la DÉCOUVERTE D’ALAISE contient des inexactitudes, Plusieurs ont été reconnues par Delacroix et rectifiées dans les éditions successives de ses ouvrages ; d’autres sont impu- tables à l’état de la science archéologique en 1850. (1) Alesia et l’histoire de Jules César, par DELACRGIX. Memoires de la Société d’'Emulation du Doubs, année 1866, p. 451. (2) Lettres inédites, Le Vercingétorix au Mont Auxois lui-même témoigne des erreurs profondes que les savants officiels prenaient alors pour des vérités. Toutes les pièces de son armement sont antérieures d’au moins deux siècles à la guerre des Gaules (1). Ce guerrier symbolique — O ironie ! — est vêtu d’ana- chronismes. Si Delacroix s’est trompé, du moins n’a-t-il point coulé ses illusions en bronze. Comtois robuste, aux traits accentués, à lPabord sympa- thique, Delacroix ne fut pas un cerveau banal. On le com- battit, on l’aida, mais nul parmi les curieux d'histoire ne resta indifférent à ses travaux. Sous le buste élevé à sa mémoire par la commune d’Alaise avec le concours de la Société d’Emulation, et inauguré le 9 août 1885 sur la place de ce village, on a pu en toute jus- tice graver ces mots : | SA DÉCOUVERTE ARCHÉOLOGIQUE D'ALAISE À FAIT REVIVRE EN FRANCE LE CULTE DES SOUVENIRS DE L’ANCIENNE GAULE. Glorieuse épitaphe pour un apôtre ! X x # Quarante ans ont passé depuis cés temps héroïques dont nous venons d’esquisser l’histoire et voilà qu'uri souffle guerrier anime de nouveau les âmes. (1) Discours prononcé par M. Salomon Reinach au premier congrès d’Alise-Sainte-Reine. — Mémoires de la Société historique de Semur, année 1905. 59 On croyait morte la question d’Alesia, elle n’était qu’en- dormie, elle se réveille. | Napoléon n’est plus là pour imposer sa volonté souve- raine: ui aussi eut son Alesia; lui aussi fut le vaincu des Germains. Une coalition nouvelle se forme contre Alise ; Alaise ne se trouve point comme jadis au premier rang. Elle a reçu trop d’estocades : ses blessures ne sont pas toutes cicatrisées, mais assez d’autres bataillons tentent l’assaut du Mont AUXOIS. TE y à, parmi ces troupes, des vétérans, de jeunes recrues et même des francs-tireurs, indépendants de tout drapeau. Le plus redoutable de ces derniers paraît être un Jeune offi- cier, M. Paul Azan, ancien croyant d'Alise dont la foi chan- cela, puis s’évanouit, le jour où Stoïfel, trop brutalement, voulut lui imposer un dogme dont les fondements ne sem- blaient point exactement scientifiques. fzernore à déjà porté et recu-des coups. Aduze entre en ligne pour la première fois. La thèse d’Izernore est contemporaine, ou peu s’en faut, de celle d’Alaise. Maissiat dans son Jules César en Gaule, et Gravot dans son Etude sur l'Alesia de César, soutinrent les premiers qu'Izérnore était Alesia, Leur digne émule est aujourd'hui M. Bérard, sénateur de l’Ain. M. Bonneau conduit les partisans d’Aluze. M. Noël Amaudru, publiciste, attend impatiemment qu'A- laise, ayant repris ses forces, puisse rentrer dans la mêlée ; Enfin le comité parisien ALESIA s'efforce de grouper les colonnes d'attaque sous le commandement suprême du spi- rituel M. Colomb, généralissime. _ On demande la révision du procès trop rapidement jugé par l’empereur ; on reproche à ce dernier d’avoir tranché le nœud gordien, au lieu de le dénouer : on parle d'abus d’auto- rité ; on remet tout en question et l’on prétend battre en brèche les argumentsles plus décisifs des Alésiens modernes. Eux, cependant, pas plus qu'autrefois, ne veulent, sans résistance, laisser arracher à l’Auxois sa couronne séculaire : ils affectent de dédaigner les attaques menées contre eux, mais, tout de même, la défense s'organise sous les auspices dela Société des sciences historiques de Semur. Cette société compte dans son sein des érudits fort distingués, en même temps que des plus affables. Citons M. le Dr Simon, son pré- sident, M. Matruchot, directeur du PRO ALESrA, M. Pernet, ancien lieutenant de Stoffel. — Sous la bannière que tiennent d’une main ferme MM. Jullian et Matruchot, se rangent des gens fort influents, tels, par exemple, que M. Doumergue, des compagnies et des associations puissantes, comme la Compagnie des chemins de fer P.-L.-M. et le T.-C.-F. Si donc l'attaque est rude, la défense ne peut manquer d’être énergique. Au début de cette nouvelle campagne, il peut sembler intéressant d'exposer à très grands traits les thèses des adversaires en présence ; mais d’abord il importe de remettre sous les veux du lecteur les textes fondamentaux «en la matière. . La phrase capitale de César, celle qui propose l'énigme est la suivante : Quum Cœsar in Sequanos per extremos Lingo- num fines iter faceret, quo facilius subsidium Provinciæ ferri posset, circiter millia passuum X ab Romanis, trinis castris Vercingetorix consedit. Cette phrase paraît claire : elle seule peut nous indiquer approximativement en quel lieu se donna la bataille décisive qui précéda le blocus d’Alesia. Lorsque nous serons fixés sur ce point, rien de plus facile que de trouver la situation d'Alesia. On n’a pas oublié, en effet, qu'après cette bataille, Gaulois et Romains se dirigèrent sur Alesia, et y parvinrent les premiers pendant la nuit, les seconds dans la Journée du lendemain. Entre le lieu du combat et l’oppidum, la distance ne doit pas dépasser trente à trente-cinq kilomètres qui représentent, au temps de la guerre des Gaules, l'étape d’une — O1 — très forte journée. En décrivant, sur une carte, avec pour centre le champ de bataille, une circonférence de trente- cinq kilomètres de rayon, on doit tomber fort près du point à découvrir : Et de même, si l’on admet par analogie avec de nombreux textes, que le trinis castris de César doit se rendre par en trois étapes, Comme nous savons par cet auteur lui-même la position où se trouvait antérieurement le chef gaulois: Bibracte, nous pouvons, en prenant le mont Beuvray comme centre et traçant vers le Nord et l'Est, un arc de cercle de soixante-quinze à quatre-vingts kilomètres de rayon, tomber très près du lieu où se donna cette bataille. Mais doit-on traduire frintis castris par en trois étapes? ne faut-il pas dire en trois camps? Les deux opinions sont sou- tenables et voici déjà une incertitude. Comment, d'autre part, interpréter le Quum Cœsar in Sequanositer faceret ? Est-ce : Comme César se dirigeuit vers la Séquanie, ou : Comme César passait en Séquanie? Le rapprochement du texte de César avec ceux de Plutarque et Dion Cassius autoriserait cette interprétation, Deuxième incertitude. , Per extremos Lingonum fines signifie-tA1l : par l'extrémité du pays lingon, où : à travers l'extrême frontière des Lin- gons ? Troisième incertitude. En se combinant l’une avec l’autre, chacune prête déjà à un nombre respectable d'hypothèses. Mais ce n'est pas tout. Jusqu'où s’étendait la Séquanie ? Quelle était, vers le midi, la frontière du pays lingon ? Nou- velles obscurités : chaque auteur les éclaircit à sa manière. Peu importent les frontières Nord, Est et Sud de la Séqua- nie. Elles sont d’ailleurs fixées par César; mais celles de l'Ouest? Pour Delacroix. la Saône était la commune fron- tière des Eduens et des Séquanes, jusqu’au pavs des Arver- nes, avant César, jusqu'aux Ambarres seulement, à partir du jour où ils devinrent, avec leurs voisins les Séquanes, — 62 — clients des Eduens. Pour Napoléon IIT, Eduens et Séquanes avaient des territoires sur les deux rives du cours d’eau. Nous pensons que la même rivière, dans son cours supé- rieur, servait aussi de frontière commune aux Séquanes et aux Lingons, toutefois rien n’est moins certain. Les Lingons habitaient le pays de Langres, mais de leurs frontières orientale et méridionale, nous ignorons tout. Si, à défaut d’autres documents, on s’en tient aux anciennes limites des diocèses, on peut admettre avec Rossignol que ces frontières, vers le sud, « commencent près de Saint- Florentin, suivent l’Armançon, la Brenne, lOuche, et vont enfin toucher la Séquanie. » Cette assimilation n’est d’ailleurs pas admise — il s’en faut — par tous les auteurs. On le voit, les difficultés préliminaires sont nombreuses et variées. Négligeons-les cependant, et voyons quelle doit être la topographie d’Alesia. Alesia, nous dit César, occupait le sommet d’une haute colline. La position était si élevée qu'on n’en pouvait venir à bout que par un siège. Deux cours d’eau, de deux côtés, bai- gnaent les racines de la colline. Devant, une plaine de trois mille pas s’étendait en longueur; de tous autres côtés, des collines de hauteur égale, séparées de lui par un médiocre espace, ceignaient l’oppidum. Tel sera le type auquel devra répondre le site d’Alesia. [1 faut ajouter qu'au nord se trouvera une colline, en dehors, par son sommet, des lignes romaines dont le développement atteindra pourtant 21 kilomètres; que, dans une direction inverse, à quinze cents mètres des mêmes lignes, se dres- sera une autre colline d'assez vaste superficie pour abriter une armée de deux cent quarante mille hommes; qu’enfin la colline piédestal de l’oppidum présentera, orientée au soleil levant, une pente assez peu inclinée pour que Vercin- gétorix ait pu, au début du siège, y établir et y fortifier ses. troupes. PAR Examinons, à présent, les concurrentes et d’abord la place assiégée: Alise en Auxois. Le Mont Auxois est une montagne isolée, d'accès difficile, surtout à l'Est, au Nord et au Sud. La surface du plateau qui le couronne est de quatre-vingt-dix-sept hectares; l'Ose et l’'Oserain coulent dans leurs vallées, au nord et au sud. La Brenne qui reçoit ces deux ruisseaux, dessine avec eux dans la plaine des Laumes, un quadrilatère dont le quatrième côté n’est autre que la montagne célèbre. Tout autour de cette montagne, sauf du côté de la plaine, sont des collines de hauteur égale : le Mont Druaut et la colline de Flavigny au sud. le mont Plévenel à l’est, les collines de Grésigny et le mont Réa, qui encadrent au nord le Rabutin, affluent de lOsSe. Les collines de Venarey et de Mussy-la-Fosse se voient de l’autre côté de la Brenne. Le village d’Alise s’élève sur le flanc occidental du mont Auxois., Cette montagne semble répondre au texte de César: _ on peut couper dans la vaste plaine des Laumes, un mor- ceau long de trois mille pas: la colline du nord sera le mont Réa, la colline extérieure celle de Mussy-la-Fosse ou celle de Venarev. Les fouilles pratiquées sur l’ordre de Napoléon IF, ont été fructueuses, Outre le fossé à fond de cuve dont César avait couvert ses travailleurs, on a retrouvé deux lignes d’in- vestissement comprenant chacune deux fossés accolés, Ces lignes sont, dans la plaine, distantes d'environ deux cents mètres et parallèles, mais au sortir de cette plaine elles dévient. L’une passe à flanc de coteau sur le Réa, escalade la colline de Grésigny, coupe la vallée de lOse, la pointe du mont Plevenel et la vallée de lOserain, escalade encore le mont Druaut et regagne enfin, par la pente occidentale de cette montagne, la plaine des Laumes. L'autre reste en terrain plat et côtoie la ceinture de collines. Sa direction la forcerait de couper deux fois lOse, deux fois lPOserain et ue une fois le Rabutin, mais, dit-ou, elle s’interrompt peu avant et peu après le pissage de ces ruisseaux. Cependant on aurait découvert au bord de l’Ose les soubassements d’une digue destinée à dériver le cours de cette rivière dans l’un des fossés de la contrevallation. On aurait également retrouvé les vestiges des camps romains, placés dans les situations opportunes, 2n locis opportunis. Ceux d'infanterie occupent les sommets, en dedans de la circonvallation. Ils sont, en outre, protégés par un système spécial de fossés ; ceux de cavalerie se trouvent dans la plaine et en dehors des lignes ; leur défense se compose de quelques fossés triangulaires sans profondeur. On croit avoir également repéré l’empla- cement des vingt-trois redoutes qui complétaient le système de surveillance : il paraît démontré, toutefois, que celle découverte au sommet du Réa n’est point attribuable à César. En plusieurs endroits, les fouilles ont mis au jour des trous de loup, forés dans la roche où creusés dans l’argile. Ces trous de loup sont accouplés, notamment aux environs du camp À, assis au flane occidental du mont Druant. Chaque trou est à trois mètres du voisin; chaque couple est à quinze mètres du précédent. Ces défenses, chose bizarre, se trouvent à l’intérieur des lignes. Enfin le sol a rendu encore, dans la plaine des Laumes, quelques pointes de fer semblant répondre aux stimuli de César, un très beau vase d’argent finement orné ; des armes nombreuses et parfaitement conservées : armes de bronze, armes de fer, armes gauloises, armes romaines, boulets de pierre, carreaux de balistes, umbos de boucliers ; des mon- naies, romaines ou gauloises, en très grand nombre — plus de six cents — ont été découvertes sous les umbos de bou- chers, aucune n’est postérieure à l’an 52. Ces résultats n’ont pas convaincu les adversaires d’Alise. Le mont Auxois — ils accordent — futaux temps celtiques, un oppidum et un oppidum plusieurs fois assiégé. Mais ils — 65 — n admettent pas que les vestiges découverts soient ceux des travaux de César. Ces monnaies, ces armes, trouvées au dernier moment par tes ouvriers de Stotfel, ne leur disent rien qui vaille ; ils en contestent l'authenticité. Découvrir de telles preuves lorsque le Maître voulait qu’elles fussent découvertes, n’était-ce pas une flatterie des plus délicates ? et puis les paysans goùtent tant de plaisir à berner les archéologues !... En outre les camps ne sont pas de forme classique; les iossés ne sont conformes aux descriptions des commentaires, ni en profondeur, ni en largeur ; les deux lignes au lieu de seize et vingt et un kilomètres n'en ont respectivement que onze et seize ; le plateau du mont Auxois ne saurait donner asile à cent soixante-dix mille êtres humains : le camp placé . à mi-côte du Réa se fût trouvé dans une position exécrable. Or, pour lasseoir au sommet de la colline, il eût suffi d’al- longer un peu la ligne de circonvallation : c'était facile, et César n'était point homme à risquer la sécurité d’un camp _ pour économiser deux kilomètres de travaux ; la topographie de lAuxois se prête mal aux opérations du siège et de la défense (1); en outre ilest difficile de situer la grande bataille qui précéda la retraite de Vercingétorix (2). Le fait est que les partisans d’Alise ne sont point d'accord sur le champ de cette bataille: les uns le placent à Perri- gnv (3), d’autres à Dijon. Pour Napoléon TTL il se trouve sur la Vingeanne, pour M. Rossignol à Montbard (%. Enfin (1) Delacroix en 1862 énumérait 64 conditions topographiques néces- saires à l'application des textes de César. Quatre étaient communes, d’après Jui, à Alise et à Alaise. Les autres ne se retrouvent point à Alise. — Alaise et le Moniteur. Besançon. Bulle, 1862, gd in-8. ‘2) Consulter notamment : Léon GALLOTTI, capitaine d'état-major : Etudes sur les travaux du Siège d’Alesia. Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 1865. (3) Spectateur militaire, 15 sept. 1839. 4) « Si j'ai choisi un point un peu plus près d’Alise, avoue-t-1l ingénu- ment, c’est qu'après une grande bataille qui na pas du commencer de _ de) TU G ie M. Vialay indique Moutiers-Saint-Jean, à dix-neuf kilomètres environ d’Alise (1). Cette diversité d'opinions fait la joie des anti-Alisiens. [ls remarquent enfin qu'Alise, aux temps anciens, s'appelait Alesia, et son territoire, le pagus Alisiensis ou alsensis ; une inscription celtique découverte en 1839 porte ALISIIA, un vase de bronze trouvé plus tard à Marsannay ALISANA, On ne rencontre nulle part Alesia. On a, même au début, longuement discuté sur ce point. Rossignol prétendait que le d'Alesia devait être assimilé, comme prononciation à l’n grec; cette lettre auraït eu le même son que notre à et César écrivant Alesia aurait pro- noncé Alisi. Les nouveaux défenseurs du mont Auxois tirent leurs arguments de la linguistique. : Mais combien la linguistique est dangereuse! elle fournit des armes à tous les parts. Les soldats du même camp arri- vent, par elle, à se contredire. L'abbé Meunier, dans la Revue du Nivernais (septembre 1908) écrit les lignes suivantes : « Alise Sainte-Reine est bien Alesia, et cela pour deux rai- sons péremptoires : d'abord Alesia à fait phonétiquement Alise, comme Decetia Decise, ceresia cerise, camisia chemise, et non Alaise; et ensuite parce qu'Alise est sur le mont Auxois, et que ce mot veut dire : Le mont Alésien. » Donc, pour l’abbé Meunier, Alise s'appelait autrefois Alesia. Par contre, le docteur Verneau, de Dijon, exhume un texte de Consentius, grammairien du 11° siècle, où se trouve une autre explication : Alesia se serait toujours appelée Alisia. Les Gaulois avaient un accent tellement particulier qu'ils prononçatent les i comme les e. César, trompé par cet accent, bonne heure, Vercingétorix aurait peut être eu de la peine à gagner immédiatement cette place près de laquelle il avait très certainement choisi le lieu du combat pour s’y réfugier au besoin. » (1) Bulletin de la Société des sciences historiques de Semur, année 1905, pp. 203 et suivantes. pe aurait écrit Alesia pour Alisia et négligé de rectifier plus Pad | Delacroix, s’il vivait encore, s’emparerait bien vite de l’ar- gument, et démontrerait sans peine qu’un accent aussi déplo- rable n’a pu être que notre célèbre accent franc-comtois. Mais soyons moins exclusif: les Eduens modernes, sous ce rapport, n’ont rien à envier aux Séquanes. Passons maintenant aux assaillants, mais d’abord une remarque préliminaire. L’érudit qui recherche le théâtre ignoré d’un évènement historique peut suivre son auteur ou le tirer après soi. Qui- cherat et Desjardins employèrent la première méthode ; Delacroix prétend l'avoir employée de même. Elle exige beaucoup de circonspection, car il importe de traduire et non d’interprêter : un mot incompris peut jeter le chercheur dans une fausse voie, dont il s’obstinera, — la croyant bonne — à ne plus sortir. Hypnotisé par le nom d’Alaise, par les traces de retranche- ments relevés autour du massif, par les noms belliqueux et les très nombreux tumulus épars dans toute la région, Delacroix voulait qu'Alaise fut Alesia. Dès lors il ne suivit plus César, il le précéda. Au lieu de s'arrêter là où s’éteignait le flam- beau et de marcher ensuite à tâtons comme un aveugle, il poussa de l'avant, tirant après lui son guide. Certes il était de bonne fui; on excuse son imprudence, née d’un enthousiasme d’inventeur, mais cette imprudence a pu l’égarer. Dire : Alesia est Alaise, il faut y conduire les armées gauloise et romaine, c’est promettre plus qu’on n’est certain de pouvoir tenir, et comme 1l est très humain de vouloir envers et contre tout tenir ses promesses, on S’ex- pose à prendre pour la vérité des illusions : on ne voit plus les invraisemblances, on fait parcourir, d’une étape, à des armées fatiguées de combattre quarante ou cinquante kilo- mètres en pays accidenté, bien qu’elles trainent avec elles des chariots et des bagages, bien qu’elles soient obligées de Mere franchir plusieurs cours d’eau en combattant l’une pour barceler son ennemie, l’autre pour couvrir sa retraite ; on se trouve entrainé à se forger des arguments scabreux en traduisant tout de travers les idylles d’Ausone, on campe César sur le Mont Mahoux, à douze kilomètres de son champ de bataille, et les camps romains au pourtour d’Amancey, très loin des lignes qu'ils devaient défendre. Du moins nos compatriotes avant de précéder César avaient commencé par le suivre : il n’en va pas de même de MM. Bonneau, Gravot et Bérard. Eux, dès le début, tirent par la main les stratèges qui regimbent et veulent absolu- ment les faire passer dans les chemins qu'ils mdiquent. Ils posent d’abord un principe : Alesia est [zernore. Alesia est Aluze. puis déduisent la conséquence : Donc César et Vercingétorix ont suivi la route d'Izernore. Donc ils ont pris le chemin d’Aluze. Ceci posé, ils vous démontrent victorieusement à laide d'arguments très spécieux, MM. Gravot et Bérard, que les belligérants ont rallié fzernore, M. Bonneau, qu'ils se sont rendus à Aluze. Vercingétorix, nous le concéderons à ces Messieurs, eut sans doute le plus grand tort de ne pas choisir comme refuge suprème l’oppidum que chacun d'eux patronne; mais ce héros ne pouvait cependant se faire assiéger dans tous les lieux où une colline élevée précédée d’une plaine est accolée par deux cours d’eau. Il s’est rendu où le destin avait marqué l'endroit de sa chute et cet endroit, seul le texte de César permettra de le découvrir. Afin d'arriver plus vite à notre Alaise, donnons seulement des systèmes présentés une très large vue d'ensemble. IZERNORE. — Les deux rivières d’Izernore sont le Fossard — 69 — et l'Anconnans. M. Gravot, au siècle dernier, reconnaissait près de ce bourg des fossés, des bases de tours et un oppi- dum inexpugnable : le plateau du Fossard. La superficie de ce plateau ne permettant pas d'y loger un fort contingent (1), M. Gravot se tirait d'affaire en déclarant tout net que César avait menti : menti lorsqu'il prétendait avoir fait route vers la Séquanie par les frontières lingonnes (2), menti lorsqu'il évaluait à 80,000 hommes linfanterie de Vercingétorix, menti lorsqu'il parlait de l’armée de secours. Vercingétorix, au dire de M. Gravot n'avait pas d’infan- terie du tout. Sans attendre la concentration de ses troupes de pied 1l était parti en avant « au triple galop de ses che- vaux » pour couper la route à son adversaire. Battu à Bagé, près de Mâcon, au bord de la Saône, il s'était enfermé dans Alesia avec sa cavalerie forte de quinze mille hommes. Après un combat malheureux sous les murs de la place, il « ren- voya les chevaux sous la conduite d’un ou deux mille hom- mes et garda les treize ou quatorze mille autres cavaliers ainsi devenus fantassins ». Quant à la formidable armée de secours c’est une invention de César. La diversion exté- rieure fut uniquement le fait des contingents pédestres — une soixantaine de mille hommes, — convoqués antérieure- ment et amenés enfin devant l’oppidum par les conducteurs de chevaux échappés à César. César ment, affirme crüment Gravot. Monsieur Bérard emploie un langage plus parlemeptaire, une tactique plus moderne. D’après lui, c’est au hameau de Corliège, près d’Orgelet (Jura) que Vercingétorix croyant anéantir César lui tendit une embuscade. « Ce terrain est couvert de fumuli, en le fouillant on y a trouvé, avec de nombreux ossements, des (1) La superficie de ce plateau est de moins d’un kilomètre carré. À. GRAvVOT. Etude sur l’Alesia de César, p.19. Paris, Le Chevalier, 1862. (2) « Ce texte (Cüm Cesar, etc.) est tout à fait indigne de foi ». M Chose armures, un anneau de chevalier romain, des débris de culrasse, des armes brisées (1). On y a même trouvé quel- ques plumes d'une aigle romaine. Après sa défaite, le chef gaulois aurait gagné [zernore. M. Bérard abandonne l'hypothèse de Gravot. Il lui faut en effet un plateau d’une vaste superficie et non plus un malheu- reux carré d’un kilomètre. Arrière donc le plateau du Fos- sard ! foin de ce petit ruisseau! Le plateau de M. Bérard est le plateau d’Izernore lui-même ; ses cours d’eau sont l’Oignin et l’Anconnans. Si on lui objecte que sa colline parait bien peu élevée, simplement il vous répond « qu'avec les fortifications d'alors elle devait donner une sensation de hauteur plus grande » (2). Si on insiste, remarquant la pente douce par laquelle son plateau vient mourir au nord, il vous annonce que « la nature à été là, travaillée et transfigurée par César lui-même... Avant ces travaux la colline se dres- sait de ce côté comme à l’est et à l’ouest. » M Bérard, comme on voit, nest point à court doreu- ments. Signalons-en un, notamment, qui nous semble avoir: du poids : Le côté oriental du plateau d’fzernore est le plus accessible à l'ennemi : on comprend dès lors pourquoi Ver- cingétorix y aurait au début rangé ses troupes en les cou- vrant d’un fossé et d’une muraille de pierres sèches. Là se serait donné le premier combat du siège, combat prouvé par les ossements nombreux que recèle encore le terrain. Nous reconnaissons volontiers qu’[zernore déferd par sa situation une route de la province, celle qui emprunterait la perte du Rhône pour traverser ce fleuve, mais Vercingétorix au lieu de fuir après son échec a-t-il voulu réellement, comme Île pensait Maissiat, et comme le croit M.:Bérard fermer encore la route du Sud à son adversaire, l'immobi- À (4) Alex. BÉraRD. Alesia. Revue d'Europe et d'Amérique, juillet 1908, 1,2 P: 49, (2) Ibid. p. 47. liser pour donner à la Gaule armée le temps de venir écraser les légions ? Rien de moins certain. Et puis comment arne- ner les adversaires à Orgelet, sans donner une entorse au texte fameux : Cum Cesar...7? M: Bérard'se garde avec raison dé tenir Ce texte pour mensonger, mais il faut voir par quels efforts il tente d’a- mener les belligérants du côté de son Alesia. Il étire la malheureuse frontière des Lingons comme si elle était en caoutchouc : il la fait passer en plein pays éduen « vers Dijon, Beaune ou Seurre ». N'est-ce point un peu de la fan- jaisie Ve. ALUZE (Saône-et-Loire). — M. Bonneau est un poète. Sa prose respire un enthousiasme échevelé; l'âme de Michelet écrit par sa plume : Ecoutez l’énumération de ses chapitres, et dites si leurs titres dépareraient un feuilleton de Dumas ou un roman de Victor Hugo: COMMENT J'ALBRETROUVÉ ALESIA: —. LES DEUX GAÛULES. — L'AGONIE ET LE PACTE. — D’OU VENAIT L'HOMME ROUGE. — PRISE DES SEPT BASTILLES. — UN MAUVAIS COIN. — LE CENTRE DIT NON !. — OU SOMMES-NOUS ? — BATAILLE D'E- CUTIGNY. — LE DERNIER REFUGE. — LA CAGE. — LES SEPT CONTRE ALUZE. — LES CENT HEURES. —: DEUX MILLE ANS APRÈS, — SONNETS ALÉSIENS. M. Bonneau est de plus un éduen fort gourmand : il ne lui suffit pas de trouver à Autun et à Aluze les célèbres oppidum de Bibracte et d’Alesia, il revendique encore pour sa province le champ de bataille des Helvètes qu'il place à Charmoy, et celui de Vercingétorix qu’il trouve à Ecutigny. Il dépouiile Alise au profit d’Aluze, mais lui donne une compensation Les Hignes de fossés retrouvées au pied du Mont Auxois lui inspirent cette ingénieuse hypothèse : César a opéré sa jonction avec Labiénus ; il ajourne sa retraite vers le Sud ét se fortifie quelque. part. -« En quel Le a lieu ? Il né le dit point, mais ce lieu doit être sur sa ligne de retraite : il doit être bien situé; il doit enfin garder quel- ques traces d’un séjour de plus d’un mois qu'y firent plus de cinquante mille hommes. Or justement se trouve, non loin de Semur près de la plaine des Laumes, une colline entre deux vallées où se découvre tout un ensemble de for- tifications romaines : César a dû se tenir là, adossé aux Lin- gons et aux Rêmes ses ravitailleurs, suspendu sur Bibracte, où ses partisans activement travaillés pouvaient le rappeler d’une heure à l’autre et à trois ou quatre marches seulement de la vallée de la Saône, s’il était forcé de se retirer enfin vers le Sud, Ce lieu s'appelle Alise en Auxois. César fit sous Alise un essai de ces travaux qu'il devait bientôt porter sous Aluze à leur perfection. » (D), César, on le voit, a fait autour d’Alise une répétition géné- rale du drame-qui/sallait qouer. ‘devant Nluze Par malheur il ignorait encore à ce moment et s'il v aurait un drame et quel en serait le décor. Si les partisans d’Alise-Sainte-Reine sont mal contents de l’os qu’on leur jette à ronger, s'ils prétendent avoir eu chez eux le vrai drame et non seulement sa parodie, M. Bonneau les écarte brutalement: «leur thèse est un tissu d’énormités bâties sur des suppositions si gratuites et si vaines que le premier venu peut les tordre et les aplatir toutes sans se piquer les mains à un mot de César » (2). Pour M. Bonneau, César, loin de fuir vers la Province, passe à quelques lieues de Bibracte « provoquant et trom- pettes sonnantes » dans l'espoir d’exaspérer son ennemi, de l’amener à une bataille décisive. Ce calcul n’est point trompé: Vercingétorix se lance en avant. Battu à Ecutigny, près de: Cussy-la-Colonne 6), il se réfugie à Aluze, un oppidum très (1) Etienne BonnEaAU. Siège d’Aluze par Jules César, x 48. (2) Tbid., p. 58. (3) Ce village prendrait son nom d’un monument commémoratif élevé: par les vainqueurs. A vaste, suffisant au logement des hommes de Vercingétorix et des Mandubiens, à l’hébergeage des provisions, au pâtu- rage même des bestiaux. M. Bonneau — lui aussi! — retrouve la plaine de trois mille pas; chose excellente, cette plaine est en dehors des lignes d'investissement. Sur seize kilomètres de développe- ment on verrait encore les vestiges des travaux romains. Le sol de la région, est-il besoin de le dire, rend force ruines, ossements et débris. Les deux cours d’eau existent, ils s’ap- pellent la Dheune et le Giroux. La Dheune côtoie la plaine de 3000 pas. Le Giroux apparait au sud-est de l’oppidum. Malheureusement 1l apparait pour disparaître aussitôt : son cours ne dépasse pas quelques centaines de mètres ; il se perd bientôt dans un gouffre souterrain. «— Que la Dheune pardonne et la Cozanne oublie! Le Giroux garde au cœur le remords acharné De ces heures d’opprobre, où, serf, il s’est trainé Dans les fossés fangeux des hommes d'Italie. Savez-vous un pays où soit bien abolie La mémoire du Tibre et du monde enchaîné ? J'y veux fuir ! — Le sol s'ouvre, il rentre à peine né Dans la terre, et l’œil perd sa trace ensevelie. Ecoutez ! tout joyeux, au fond d’un val lointain, l’évadé reparait, et rit, et se promène, Affranchi de la Louve,et roi de son destin. Mais, — O Rome, jusqu'où ne va pas ton domaine ? — IL bondit, sans la voir, sous une arche romaine, 1l court, sans s’en douter, près d’un temple latin. 4) On le voit, M. Bonneau présente sa thèse sous une forme originale . M. Bonneau se plaint d’avoir été traité de « virtuose » dédai- (1) Ibid., p. 119. ee gneusement, par ses compatriotes les Alisiens ; qu’il cesse de S’affliger et de tenir ce mot pour une injure : être un vir- tuose de la parole n’est point donné à tout le monde. Si Aluze ne remporte pas le prix du tournoi, du moins gardera-t-elle la gloire d'avoir inspiré M. Bonneau. Alise ? [zernore ? Novalaise? Aluze? Combe Julienne, près d'Alais (Gard)?(1) Allerey? (2) Alaise? Lequel de ces pays est l’Alesia des commentaires ? Aucun peut-être | Les noms, les étymologies, les assonnances ne signifient pas grand’ chose ; donc tout site placé dans la direction visée par César et dans les conditions topographiques indiquées par lui, peut se mettre sur les rangs. Les ruines même n’ont pas grande importance. Lorsqu'une ville avait résisté aux Romains, généralement ils la livraient à lPincendié ; si elle les avait repoussés, comme (Gergovie, ou fait trembler, comme Alesia, cette ville disparaissait à jamais. César vain- queur, après avoir réparti entre ses soldats les survivants du désastre, à exception des Eduens et des Arvernes, détruisit Alesia de fond en comble, par le feu Alexiam flammis adæquavilt (3). L'emplacement de Bibracte, et celui de Gergovie sont restés ignorés Jusqu'au milieu du xIx® siècle, tant leur sol même avait gardé peu de vestiges. Deux nouvelles métropoles : Augustodunum et Augustonemetum s'étaient dressées, dans la plaine, à plusieurs lieues des plateaux montagneux où les cités proscrites s’enfermaient jadis en leurs murailles. Nous ignorons à quelles villes gallo-romaines profitèrent les dépouilles d’'Uxellodunum et d’Alesia, mais il est permis de croire qu'Alesia pas plus qu'Uxellodunum ne se releva sur le sol maudit où la fortune de César avait un instant chancelé. ch Cité par Chaudon dans son Dictionnaire de géographie ancienne. 2) Cité par M Ponsard. E ) Florus. Qu'on trouve auprès d’Alaise, d’Aluze, d'Izernore, de Novalaise, etc., ce qu’on a trouvé dans la plaine des Laumes : des traces de fossés, des camps, des armes, des monnaies et des cadavres, cela prouvera que ces régions ont servi de champs de bataille, que les villes fortes, dominant leurs vallées subirent des sièges, cela ne prouvera pas qu elles soient Alesia. « Des évènements à peu près semblables se sont passés dans des temps et dans des lieux différents, écrivait Quiche- rat (1). Si la terre laisse sortir de son sein les témoignages matériels de l’un, qu'on prenne garde de les prendre pour les témoignages d’un autre. Le meilleur préservatif contre les illusions de ce genre est d’avoir sans cesse présente à l'esprit l’idée des lacunes sans nombre qu'il Y a dans lhis- toire en général, et en particulier dans la nôtre. Que savons- nous de la Gaule, avant et après César? Où est le récit des guerres que coûta l’acquisition de la province romaine ? de celles qu'Auguste eut à pacifier? de celles. dont le pays ne cessa plus d’être le théâtre depuis Commode jusqu’à Clovis ? Cette dernière période surtout donne à supposer l'infini, en _ fait de catastrophes. Pendant trois siècles les légions révol- tées, les usurpateurs, les bagaudes, les barbares se sont déchainés à l’envi sur notre territoire; des batailles ont été _ données, des villes assiégées, prises, détruites, si bien que, lorsqu'on voit apparaître des vestiges d'opérations militaires, toutes les probabilités sont pour qu ils : se rapportent à des faits inconnus. » Mais quittons l’incertain pour le certain : laissons pen- dante la question d’Alesia. Posons la question d’Alaise. * x» Le massif d'Alaise, vu de la plaine, apparait comme un (1) La question d’Alaise en Normandie, — Mémoires de la Société d'E- imulation du Doubs, 1866, p. 348. TG réduit fortement armé par la nature. L’impression reste la même de quelque côté qu'on l’observe, car une véritable ceinture montagneuse l’enserre de toutes parts, Au nord, le versant des Mouniots, les escarpements du Chateleys, étroit promontoire de Chataillon en défendent l’approche ; à lorient c'est le Chataillon encore, sur sa plus grande longueur ; au midi, d’autres montagnes s'étendent ininterrompues jusqu’à l’étroit défilé de la Languetine, commandé vers l'occident par les collines du grand camp Baron. Ces dernières col- lines semblent accessibles de l’extérieur, mais à l’intérieur elles se dressent comme des murailles au-dessus du Pré de lOve et de la vallée du Todeure, Le val du Todeure sert de limite aux massifs d’Alaise et du Mont Poupet. Si Pon suit le cours de cette aimable rwière, on arrive en peu de temps à la cascade grandiose connue sous le nom de Gour de Conche. Le Todeure, grossi de quel- ques modestes filets d’eau, bondit et écume parmi les quar- tiers de roc, passe au pied de falaises géantes, qu'il use de son flot rapide, et court se réfugier dans Pétroite mais char- imante vallée qui l’amènera, parmi les roches surplombantes et les forêts ombreuses, jusqu’à la plaine de Mvon. Dès qu’il aborde cette plaine — à l'fle-de-Bataille — le Todeure aux nombreux méandres, voit décroîitre ses eaux ; bientôt son lit apparait, desséché, comme un fossé vide: le ruisseau court vers le Lison, tout proche, par suél que voie souterraine. Les Mouniots, les petites etles grandes Montfordes, rejoi- gnent les collines du Sud et ferment l’enceinte. Les Mou- niots, surtout, longue arête horizontale, dominent la plaine de Mvon à l'instar d’une véritable muraille. Resserrée entre les derniers ressauts du Peu et les pre- mières pentes de Charfoinge, la plaine à cet endroit n’a guère plus de cent mètres en largeur. Charfoinge, friche au sol pierreux couverte de broussailles, s'étend jusqu’au pied des Mouniots, escalade les dernières TR. pentes des Montfordes. Le chemin de Mvon à Alaise, par un défilé qu'on appelle en Brà, se glisse entre les deux Inontagnes. Vu de l'extérieur, le massif d’Alaise apparaît comme un cratère immense, aux contours irréguliers, aux versants abrupts vers l’orient et difficilement accessibles partout ail- leurs. Pénétrons au cœur de ce massif, le décor change. A l'occident, les Mouniots barrent l'horizon de leur masse puissante, mais depuis leur racine un plateau monte vers Pest, accidenté, tourmenté, coupé de collines et de vallées qui se croisent et se mêlent un peu dans tous les sens. Une chaine à peu près continue prend ce plateau en écharpe du sud-ouest au nord-est, séparant ainsi les territoires d’Alaise et de Saraz. Saraz, adossé aux collines du Fourré, plonge de très haut, par dessus la rivière, dans la combe d’Eternoz, Alaise domine le massif, mais est à son tour dominé par deux collines boisées : la Chénée et Chataillon, D'étroites combes descendent au Lison, suivant les con- vulsions du terrain, vers le nord. Vers l'Orient au contraire, il semble qu'une coupure _ brusque ait séparé nettement le massif du plateau voisin. Les bords de cette coupure se répondent sur toute sa longueur, Au fond, liseré d’étroites prairies ou bordé de vertes forêts, la claire et poissonneuse rivière serpente en jabottant sur son lit de blancs galets. Partout des forêts de chênes, de hêtres ou des sapins énormes. L'aspect du pays est étrangement sauvage : pas d'êtres vivants sur les chemins, aucune de ces fermes blanches qui meublent d'ordinaire la solitude de nos paysages comtois ; les deux villages, pauvres d'habitants, se dissimulent derrière teurs forêts et leurs collines. On ne voit partout que fourrés, broussailles, rocs arides ou friches infestées de genévriers.Les oiseaux même font silence. Cette terre semble porter un deuil. pros Cest que tout le pavs n’est qu’une immense nécropole. Regardez : parmi les fourrés et les taillis, à droite, à gauche, partout, ces légers renflements, couverts de mousse; ces renflements sont des tumulus. Là nos ancêtres lointains, guerriers ou laboureurs, hommes, femmes, enfants, dorment leur sommeil séculaire. I} faut, pour recéler tant de tombeaux, que ce territoire ait été Jadis habité par des populations nombreuses. Enfonçons-nous dans la forêt, descendons ex Br, fouillons le sol de l’étroite prairie qui S’arrondit au pied des Petites Montfordes. Nos devanciers l’ont fait déjà. Castan pensa y découvrir des restes de fossés pleins de cendres, des pieux, brûlés par le temps, des vases brisés, fleurant encore la résine ; archéologie moderne explique mieux le sens de ces trouvailles : il n’y eut point là de fossés, ni d'incendie, mais des cabanes celtiques à demi énfouies sous terre ; les cendres viennent de leurs foyers ; les pieux restent de leur char- pente : les poteries sont les débris d'ustensiles domestiques. Ici donc se dressait un village; 1c1 naquirent, vécurent et. pensèrent quelques-uns de ces morts abrités maintenant sous le dôme des forêts. Allons ailleurs, gravissons les pentes du Nord-Est, traver- sons l’énorme fossé naturel qui sépare Chataillon des vallées environnantes ; atteignons ce promontoire étroit et rocheux; suivons ces ornières profondes, empreintes dans le sol. Un large rempart nous arrête : la main de l’homme se recon- nait là. Ce rempart coupe nettement le passage, isolant un plateau peu large que défendent à droite le précipice du Lison, à gauche des escarpements inabordables. Pénétrons plus avant : un second rempart se dresse encore, parallèle au premier, construit comme lui d'énormes pierres sèches ; et le long de ces remparts des murailles écroulées encerclent des espaces étroits, dessinent des enceintes cir- culaires. Partout, sous les arbres clairsemés, de nombreux débris 0 2 apparaissent et l’on distingue encore au pied des roches sur- plombantes qui bordent les escarpements, d’autres restes de murailles : ces creux de roche furent des demeures. Plus loin, vers le nord, des remparts semblables aux pre- miers ferment aussi de ce côté l'accès de cette forteresse. C’est le donjon du massif, l'endroit inaccessible où, repous- sés par un envabhisseur victorieux, les habitants se retiraient pour tenter la suprême résistance. Mais à quelle époque ces vestiges singuliers appartiennent- ils ? Est-ce au moyen-âge ? Est-ce à la période celtique? est- ce à des temps plus reculés encore ? On ne l’a jamaisrecherché. Delacroix et ses collaborateurs signalèrent à peine le village de Chataillon, dont l’existence ne cadrait point avec leur système. Ils négligèrent les mar- delles des Petites Montfordes et méconnurent les fonds de cabane, en Bré, car tout ce qui n’était point fossés, redoutes ou murailles, tout ce qui se présentait comme antérieur ou postérieur au siège d’Alesia, manquait pour eux d'intérêt : ils ouvrirent les tumulus non pour en étudier le contenu, nais pour y chercher des arguments vainqueurs ; à défaut d'armes et d’armures, ils exhumèrent des ornements fémi- _ nins qu'ils transformèrent en insignes guerriers et en débris de cuirasses. Les morceaux de poterie, les fragments de verre, les ferrailles probablement peu anciennes trouvés dans le murger du Chateleys, devinrent pour eux les emblè- mes du druide forgeron, les vases rituels employés par lui dans les sacrifices. Les archéologues modernes ont dispersé d’un souffle ces fantômes qu’une imagination de poète avait enfantés, mais l'énigme des tombeaux, des villages, des remparts massifs reste encore inexpliquée. Quelles populations vécurent là? à quelle race apparte- naient-elles? quels évènements les implantèrent ? à quel moment du monde, à quel point de la série des siècles ? quels cataclysmes les dispersèrent” toutes ces questions restent D sans réponses, car l’histoire, d'ordinaire propice aux curieux, nenregistra point les évènements des temps barbares, et ces morts appartiennent, pour la plupart, à des époques si reculées qu'ils sont antérieurs à sa naissance elle-même. Nous savons seulement par quelques fouilles heureuses qu'ils se sont succédés, sur le massif, dès les temps de la pierre polie, jusqu'aux premiers siècles de notre ère. Et cela se conçoit. Lorsque la propriété s’acquérait par la conquête, lorsque les hommes pouvaient craindre à chaque instant la guerre, ils se réfugiaient, pour vivre et mourir, dans les lieux hauts que la nature tutélaire semblait avoir créés pour servir de refuge. Le massif est une de ces forteresses ; outre la ceinture des monts qui le vrotègent, il est encore défendu par une double ligne d’eau : le Lison et le Todeure, et nous avons vu que l’industrie humaine avait transformé le plateau de Chatallon en un réduit inexpugnable. Riche en sources, facile à défendre, très vaste, couvert de forêts, l’oppidum, même après le départ ou la ruine de ses premiers habitants, dut servir d'asile aux populations des régions voisines lorsqu'un fléau, guerre ou peste, leur fai- sait quitter le plat pays. Que d'évènements se sont passés là, dont nous ne savons rien ! Le silence obstiné de lhistoire pique notre curiosité : nous ne craignons plus l’obscurité, mais nous la détestons encore: nous donnerions beaucoup pour entendre l’un de ces morts, qui dorment là sous les frondaisons verdoyantes, nous raconter sa vie d'autrefois, nous citer un fait, nous donner une date. Ah ! qui nous permettra de relier l’histoire à la préhistoire ? qui portera le flambeau dans la nuit des âges et nous guidera parmi leurs dédales ? Mais pourquoi n'interrogerions-nous pas la terre elle- même ? Pourquoi ne questionnerions-nous pas les tombeaux? ETS En nul autre pays ne se rencontre peut-être un tel ensemble de curiosités archéologiques ; les cabordes et les remparts de Chataillon, les fonds de cabanes, les mardelles signalés aux Petites Montfordes, les voies celtiques maintes fois aper- ques tant au Pré de lOve que dans la Languetine et sur Cha- taillon, les tombelles éparses dans les forêts, les gros tumu- lus de Saraz, est-ce que tout cela n'offre pas un champ d’études plein de promesses, digne de tenter la curiosité, d’inspirer l’activité d’archéologues attentifs ? Le Congrès de Salins émettait, voilà quelques mois, un vœu en faveur du classement des cabordes, la Société d'Emu- lation est allée plus loin : elle se propose d'explorer métho- diquement tout le massif, de repérer les anciennes voies, d'interroger les vieilles pierres, d’épier le secret des forêts, enfin de recueillir pieusement les enseignements des tom- beaux : pour cet objet, elle a mis au monde une commission des fouilles. Il n’est plus question, pour l'instant, d'Alesia, de César et de Vercingétorix : il s’agit simplement d’Alaise. Nous ne voulons point imposer à ce pays un rôle déterminé, nous lui demandons au contraire quel rôle il a joué au cours des âges, Nous enregisirerons ses réponses fidèlement, sans parti pris, sans idées préconçues, avec toujours au cœur l'espoir de retrouver les débris de ce lien fragile quiunissait nos pères à leurs ancêtres lointains, les Gaulois du temps de César aux Celtes des temps plus reculés, et ceux-là même aux Aryens, venus de l'Orient, à l’aube du monde, pour semer jusqu’en nos contrées lointaines les premiers hommes, avec leur civi- hsation naissante. Les habitants de Myon, de Saraz et d’Alaise attendent avec impatience e commencement de nos travaux : leur concours enthousiate ne nous manquera pas: nous comptons sur l’appui bienveillant de l'Etat, sur celui des sociétés comtoises ; nous ne pouvons, hélas, ressusciter Castan, mais si lâme des morts, comme beaucoup le pensent, fréquente les lieux (E DES ru qu’ils ont préférés, son âme, invisible et présente, voltigera là-haut sur le massif autour des travailleurs : elle encoura- gera leurs efforts, guidera leurs recherches et triomphera de leurs triomphes. La thèse qu'aujourd'hui nous reprenons est justement celle imaginée en dernière analvse par Castan : son exemple nous animera, nous nous placerons sous son patronage. Et puis nous appellerons à nous toutes les bonnes volon- tés. La France est riche de savants archéologues et d’émi- nents historiens : sans doute ils auront plaisir à contrôler nos trouvailles, à explorer notre champ d’études. Voilà certes, pensez-vous, une belle tâche et d'excellentes dispositions, mais pour fouiller, il faut de l'argent. Et vous vous indignez, en secret, que notre commission n’ait point encore songé à solliciter votre générosité. Rassurez-vous ! Elle est encore très jeune, cette pauvre commission : elle s’est contentée jusqu'ici du lait de sa bonne mère, la Société d’Emulation ; mais elle sent croître son appétit en même temps que ses forces. Comme elle ne peut, en ce moment travailler des bras, elle travaille de la tête : elle organise pour secouer l’engourdissement de lhiver et charmer ses loisirs... une petite souscription. Certes votre approbation, l’intérêt que vous témoignez à ses travaux futurs, sont pour elle de précieux encourage- ments ; j'ose dire cependant qu’un encouragement plus subs- tantiel est nécessaire pour que ces travaux se poursuivent. Les sociétés savantes ne sont pas riches, mais toujours, quand il fut nécessaire, notre terre produisit d’intelligents Mécènes. Les Bourguignons avaient besoin de vingt mille francs pour exhumer, au Mont Auxois, leur ville gallo-romaine : les vingt mille francs se sont trouvés comme par enchantement. Nous nous contenterons d’une somme plus modeste, et nous restituerons une ville gauloise ou plusieurs villages gaulois au massif d’Alaise : nous croirions faire injure à nos compa- triotes en doutant de leur libéralité. AeNE ue Ils seront heureux, par leur obole, de contribuer à une œuvre dont le but est éminemment noble, patriotique et désintéressé, puisqu'il s’agit de restituer à notre province aimée l’un des fleurons de sa couronne, en établissant que si elle renonce pour l'instant à se considérer comme le tom- beau des libertés gauloises, elle en fut, du moins, le berceau. COUP DE CHALEUR Par M. Ch. GRANDMOUGIN MEMBRE FONORAIRE Séance publique du 17 décembre 1908. Dieu ! l’on se croirait au midi Tant le soleil est en colère ! Chacun chez soi reste engourdi Dans la torpeur caniculaire. Blanches et désertes au loin Les routes sont de la poussière Et les prés, tondus de leur foin, Tous nus, sont grillés de lumière. Des sentiers bruns le sol se fend, Les arbres dorment, rimmobiles Et de pauvres herbes débiles Sont mortes dans l’air étouffant. Mais le blé prend une odeur fine Sous la vive chaleur du jour, Une odeur de bonne farine Et de pain chaud sortant du four ; Gràce à la rude canicule Voilà des moissons d’or bruni Qui boivent jusqu’au crépuseule Tous les feux du Ciel infini ! Les sauterelles sont en joie Elles vibrent au ras du sol, Ou rapides, croisent leur vol Dans l'air aveuglant qui flamboie. as Seul un gros Chien, ayant trop chaud, Souffle dans la cour de la ferme, Ouvre la gueule et la referme... Pour la rouvrir tout aussitôt ! Mangé des puces et des mouches, Fidèle il garde le foyer, … Mais malgré ses regards farouches N’a plus la force d’abovyer. Or, les papillons sont en fête Quand le chien est dans la douleur, Et dans les luzernes en fleur Leur essaim à peine s’arrête _ Légers et comme fous d’espoirs On les voit monter et descendre, Les rouges avec des points noirs, Et les petits d’un bleu de cendre, Et les blancs qui, flottant dans l'air Nous semblent de la neige en vie Et ceux dont Paile tout unie À des tons frais de soufre clair ! On les voit fuir et se poursuivre ; La chaleur les rend amoureux L'été qui flambe est tout pour eux Et la lumière les enivre! Des mouches aux tons verts et bleus S’arrêtent un moment, superbes, Sur des fleurs ou sur des brins d'herbes - Comme des bijoux fabuleux ; Puis elles repartent, errantes, À travers l’espace brûlant ; Des vibrations transparentes S'échappent du sol en tremblant, FOR Mais là haut, seule dans les vignes, Une aïeule brave l’été Et promène son dos voûté À travers les ceps rectilignes ; Dans un tranquille mouvement Taillant les branches inutiles, Elle travaille obstinément ; Fière de ses coteaux fertiles, Grave, ne pensant presque à rien, Sans rêve dans ce paysage, Elle a borné son âme sage, À la culture de son bien. Elle a deux amours en ce monde Ses descendants, tous grands et forts, Et sa terre, toujours féconde, La terre où dormira son corps! Pendant ce temps insectes roses, Papillons bleus, papillons blancs, Sauterelles aux courtes poses Et petits moineaux insolents Pillent le sol qui les vit naître, Luzernes, friches et moissons, Et dans l’air chaud qui les pénètre Font bruire ailes et chansons ! Enivrés de l’heure fugace, Ne sachant pas qu’ils périront, Ils vont et viennent dans l’espace, En zigzag, en oblique, en rond ! Et moi, triste je leurenvie Deux bonheurs qu’ils ont sans effort, Savourer pleinement la vie Ignorer pleinement la mort ! LA PRIÉRE DU FORGERON POÈME INÉDIT Par M. Frédéric BATAILLE Membre résidant Séance publique du 17 décembre 1908. Debout dans la clarté, vers l’ardente fournaise Où rougit lentement la barre de métal, Le forgeron pensif prélude à la genèse De Poutil rédempteur ou du glaive brutal. Bientôt la masse informe, à sa main asservie, Obéit au vouloir du cerveau créateur Et devient instrument où de mort ou de vie, — Le noble fer qui fonde ou le fer destructeur. Et quand s’achève enfin l'ouvrage, vierge encore, Il s'assure qu'il est solide et bien forgé, Que son nom fièrement l’illustre et le décore, Et que, pour le parfaire, il n’a rien négligé. Il le porte au grand jour, à la belle lumière, Pour en voir, le: reflet radieux et vermeiïl, Piusille lève en l’air;et voici là prière Que, de son cœur fervent, il adresse au soleil : «0. Père de la vie; Ô toi, Source féconde Des forces, Roi de l’aube et des champs éthérés, Chaleur qui fais le sang et la sève du monde, Hlumine mon front de tes rayons sacrés ! nn Que « Bénis l’œuvre de l’homme, éclaire sa pensée ! Après le bon labour, fais germer le bon grain ; Brüûle l’ivraie immonde et la haine insensée ! Fais luire en nos fovers ton sourire serein ! « Cest le printemps: l’oiseau chante, la fleur embhaume : Verse la paix aux nids, verse la joie aux cœurs ! L'atelier est en fête, on danse sous le chaume : Que règne l’amour seul sous tes baisers vainqueurs ! « Que la bêche et le soc, l'outil et la machine, Aux champs comme aux cités, entonnant sous les cieux L’hymne,saint du travail, à ta clarté divine Endorment les berceaux d’un rythme harmonieux ! « Et si, conduite un jour au meurtre par le crime, La Guerre infâme allait endeuiller nos maisons, Décimer et broyer les peuples qu’on opprime, Te faire horreur, à toi qui mûris les moissons, « Qu'un Dieu surgisse, armé de la dernière épée, Pour venger à jamais épouses, mères, Sœurs, Et, délivrant la terre encor de sang trempée, La brise dans le sein des derniers oppresseurs ! » Saint-Claude, le 13 décembre 1908. PRE TON D EU CONTE INÉDIT Par M. Frédéric BATAILLE Membre résidant Séance publique du 17 décembre 1908. A mon ami Charles Abram. Qu'on le raconte en vers ou qu'on le dise en prose, Qu'il vienne d'Angleterre ou d’Espagne, la chose Importe peu ; mon conte est toujours de saison Et mieux qu'un prêche lourd peut servir de leçon. Ecoutez-le : jugez, en y mettant du vôtre, Lequel de mes héros avait le plus raison, Ou si, par aventure, ils avaient tort l’un l’autre. Revenant de la foire après la fenaison, Jean le fermier, avec Pierreite, sa fermière, Cheminaient dans un pré le long de la rivière. L’herbe en était rasée et le sol presque nu Semblait un tapis fauve au soleil étendu. Devant ce beau travail i’homme un instant s'arrête Et dit : « Voilà ce qui s'appelle un pré fauché ! Jamais encor je n'en ai vu de mieux léché. — Mais non, lui réplique Pierrette, Cela s'appelle un pré tondu. » Le mari fait semblant de n'avoir entendu. « Je dis que c’est un pré tondu, hein ? reprend-elle. — Non, c’est un pré fauché. — Non, c’est tondu » La ritournelle Allait continuer, mais lui, changeant de ton, Pour convaincre sa femme il lève son bäton Et lui donne céans une franche volée. « Tondu ! tondu ! tondu ! hurle-t-elle affolée. — Fauché ! te dis-je — Non, tondu!... Je dis : ton-du. » Hors de lui, le fermier. qui n’a plus répondu, La saisit tout à coup et lui plonge la tête Dans la rivière, « Eh bien ! dit-il, répète, — 90 — Vas-tu répéter cette fois Qu'il est tondu, ce pré ? » Lors, élevant deux doigts Au dessus du courant qui lui ferme la bouche, Dans un effort suprême et d'un geste éperdu, Elle imite un tondeur.., Notre homme, confondu, La retire en disant: « Parbleu, c'est moi qui louche ; Elle à le dernier mot, malgré la forte douche : Oui, je vois maintenant que c'est un pré tondu. » Ce conte peu galant comme un conte exagère. an était un brutal de battre sa moitié, Pour une bagatelle on peut dire légere ; Pierrette était un ange et non une mégère : Comme à vous, tout à l’heure elle m'a fait pitié. Mais il nous montre aussi que pour un mot futile On se prend de querelle aux champs comme à la ville. Si votre femme, un jour, mérite une leçon, Usez des moyens doux, ce sera plus habile ; Même quand elle à tort, la meilleure façon De la rendre aimable et docile, C'est, croyez-moi, de lui donner toujours raison. Saint-Glaude, le 22’septembre 1908. P2 SUR LA BARQUE LÉGÈRE Sonnet inédit Par M. Frédéric BATAILEE Membre résidant Séance publique du 17 décembre 1908. Sur la barque légère et douce de ton rêve, Tu descends en chantant le fleuve bleu des jours, Et tes yeux pleins d’aurore, en suivant ses détours, Cherchent plus loin, là-bas, les fleurs d’une autre grève. L'espoir berce ton âme en des transports sans trêve, Et sans voir le bonheur enfermé dans son cours, Tu laisses fuir sa rive et passer les amours, Carta jeunesse lgnore, enfant,-que l'heure est brève. Mais bientôt tes regards, incertains et voilés Par les prochains frimas, se tournant en arrière, Voudront revoir le lieu des avrils envolés. Arrête un peu ta barque en l’île printanière ; Cueille au moins une rose et garde ses parfums Pour embaumer demain tes souvenirs défunts ! Saint-Claude, 15 février 1908. UNE NOUVELLE TRADUCTION DE EA FRANCHE-COMME de GILBERT COUSIN Par M. E. MONOT PROFESSEUR DE PREMIÈRE AU LYCÉE DE LONS-LE-SAUNIER COMPTE-RENDU PAR LE Dr BOURDIN PRÉSIDENT Séance du ?25 janvier 1908. M. E. Monot, professeur de première au lycée de Lons-le- Saunier, vient de nous donner une nouvelle traduction de l’œuvre de Gilbert Cousin de Nozeroy, la description de la Haute-Bourgogne, connue sous le nom de Comté. Déjà en 1863, le D' À. Chereau avait fait, sous les auspices de la Société d'Emulation du Jura, une publication analogue, mais le travail de M. Monot n’est ni une copie, ni une répé- tition. Il appartenait, en effet, à un professeur de rhétorique, initié à toutes les finesses de la langue latine, de nous donner une traduction absolument conforme au texte pour éviter les erreurs d'interprétation qu’on relève dans Chereau dont le langage fleuri et imagé s’écarte assez souvent du mot à mot, au point de faire parfois dévier le sens de la phrase et la rendre inexacte. Mais ce qui distingue plus particulièrement l’étude de M. Monot, c’est toute cette série de notes et de commen: taires dont il lPaccompagne qui, en facilitant la lecture de se] Er. l'histoire du comté de Bourgogne, en rendent l'intelligence et l’explication plus faciles. L'auteur a peut-être tort de s'en excuser dans sa préface. « J'ai, dit-il, ajouté à mon travail des notes nombreuses, trop nombreuses peut-être et il est possible que, comme Chereau, je sois tombé dans l’excès, mais dans un excès contraire au sien, » Nous estimons pour notre part que c'est là précisément ce qui rend originale et intéressante l’étude de M. Monot, car les commentaires dont il accompagne sa traduction sont le fruit d’un travail considérable et de patientes recher- ches qui lui donnent un grand prix. Ces notes, en effet, forment un résumé suceimet et très bien présenté des mille documents épars dans nos archives et dans nos bibliothè- ques et qui, tout en étant à la portée du public, sont trop disséminés pour pouvoir être consultés facilement. Elles épargnent au lecteur des recherches interminables et nous devons savoir gré à l’érudit professeur du lycée de Lons- le-Saunier d'avoir mis ainsi l’ouvrage de Gilbert Cousin à la portée de tous ceux qui s'intéressent à notre vieille his- toire comtoise. Disciple favori d'Erasme, un des plus puissants génies littéraires du xvi* siècle, qu'il avait rencontré à Fribourg, Gilbert Cousin voulut consacrer à sa patrie un monument durable et parmi les innombrables travaux qui sortirent de sa plume à cette époque et portèrent sa renommée aux quatre coins de l'Europe littéraire, il convient de citer plus particulièrement sa description du comté de Bourgogne. Deux éditions de cet ouvrage parurent successivement, l'une en 1552 et l’autre en 1562. Cette dernière fait partie de la collection où Gilbert Cousin avait réuni les meilleures de ses nombreuses productions sous le titre de : Opera mul- tifard argumenti, lectu et jucunda et omnis generis profes- soribus, veluti grammaticis, oratoribus, poelis, philosophis, medicis, jureconsullis, ipseque theologis, apprime utilia. ce Ce L'édition de 1562 est la plus complète. Elle nous donne avec un portrait de l’auteur qu'a popularisé le ciseau du sculpteur bisontin J.-B. Maire et l'emblème modeste qu'il s'était choisi, un serpent et une colombe dont l’enlacement forme ses initiales G et C, avec la devise simplicitas pru- dens, prudentia simplex, les vues très curieuses de Nozeroy, Pontarlier, La Rivière, Dole, Poligny, Bletterans et Salins. C'est celle qu'a traduite M. Monot sans oublier pourtant de nous donner les variantes de la première édition dont il met entre [ | les passages qui ont disparu dans la seconde et entre < > les additions nouvelles. L'ouvrage de G. Cousin écrit sous forme de lettres adres- sées à son fidèle ami Hugues Babet de Saint-Hippolyte, débute par la description de Besançon, l’ancienne Chryso- polis, dont la raison étymologique lui échappe. Puis vient une longue énumération des princes de l'Eglise qui se sont succédés à Besançon depuis les S. S. Antide, Nicet, Claude, Désiré et Donat, pour arriver enfin à ce fameux Claude de Labaume, un de ses élèves qu'il avait accompagné en Italie et qui dès l’âge de 13 ans avait été élu archevêque, grâce à l'appui de l’empereur. [l est bon d’ajouter comme correctif que le Chapitre lui adjoignit François Bonvalot, l’oncle maternel du cardinal Granvelle comme administrateur de son diocèse jusqu’à sa 25° année. Bien lui en prit du reste, car à peine âgé de 20 ans, au moment où G. Cousin parlait de lui comme d’un jeune homme « d’une nature chaste, aussi admirable par sa grande beauté physique que remar- quable par léclat et la vivacité de son esprit », le jeune prélat « s'habillait comme les laïques, allait au bal, menait grand train et avait des dettes. » | M. Monot relève dans cette nomenclature de nombreuses erreurs dont la plupart avaient déjà été signalées par Dunod et par Chifflet qui regardent &. Cousin comme entaché d’hé- résie, enfin par les érudits auteurs de la Vie des Saints de | Franche Comté, dont il nous donne dans ses notes de nom- En QE breux extraits, mettant aussi au point ce qu’il y a de confus et d’incomplet dans les descriptions du chanoine de Noze- TOY. De là, Gilbert Cousin, toujours avec ce style ampoulé et excessif que nous lui connaissons, avec «ses éternels super- latifs à la Cicéron », suivant l’heureuse expression de M. Monot, passe rapidement en revue LE MAGISTRAT et les différentes manières de rendre la justice dans la cité impé- riale, avec l’Official ou officier de l'archevêque qui dictait ses arrêts dans un palais voisin de la cathédrale et le juge de la Kégalie, dont le dernier siège occupait cette maison sise au coin de la rüe des Granges et de la rue de la Bou- teille, qu’un dessin, reproduit dans les mémoires de l’Aca- démie, nous a fait connaitre. Gilbert Cousin nous parle ensuite du fameux collège de Besançon fondé par Nicolas Perrenot et non pas Antoine (le cardinal), comme le fait très justement remarquer son tra- ducteur et où furent appelés pour enseigner les plus émi- nents professeurs, Parmi eux, il convient de citer notam- ment l’illustre François Richardot de Morey (Haute-Saône), devenu évêque d'Arras, qui sut si bien «allier la piété et la science, suivant l'opinion de l’historien du comté de Bourgogne, qu’on ne sait dans laquelle des deux il se dis- tingua le plus des autres hommes et dont je ne peux pas, ajoute-t-il, vanter davantage la gloire et les vertus, dans la crainte de les rendre odieuses et suspectes, puisque Je suis son client et son ami ». . Mais nous voici à Nozeroy, le pays natal de l’auteur, «place remarquable, écrit-il, par sa situation, la beauté de ses édi- fices, la politesse de ses mœurs et le marché le plus fré- quenté qu'il y ait dans toute la Bourgogne ». Son admira- tion égale ici celle de Gollut quand il parle de Pesmes, «sa doulce patrie, ville du plus dou aer et de la plus belle asiéte qu'il y ait en Bourgogne ! » C’est pourquoi il faut excuser Gilbert Cousin, car, comme op nous le dit M. Monot dans sa préface, «il aimait la petite patrie, il en a conté la beauté et la gloire et il faut pour ce motif lui pardonner bien des choses ». Le chanoine de Nozerovy, réclame du reste la même indulgence de son cor- respondant, en lui avouant naïvement qu'il n’y à rien «pour lui de plus charmant et de plus illustre que sa patrie ». Sur l’étymologie du nom de Nozeroy, Gilbert Cousin en donne deux: l’une qui peut paraître très acceptable, celle qui le fait dériver de nux, nucis, Nozereth, Nozeray, etc... et une autre bien fantaisiste comme le fait remarquer M. Monot, qui rappelle Nazareth, la ville de Galilée, en souvenir de lexpédition de Jérusalem, à laquelle le prince Louis de Chalon avait pris part. L'auteur décrit alors longuement ses maisons toutes en pierre, son château, résidence habituelle des princes d'Orange, avec ses défenses extérieures, ses fossés, ses courtines, ses murs d'enceinte hérissés de bombardes, qui lancent « des boulets de pierre de 330 livres », son collège, ses hospices, son éclise, etc... Puis il énumére en détail les noms/de tous les chanoines, parmi lesquels il se donne comme « né de Claude Cousin et de Jeanne Daguet, le mercredi 21 jan- vier 4506, vers 6 heures du matin ». Il continue enfin par la description des portes de la ville, des rues pavées de pierres. des quatre citernes et des trois fontaines qui lali- mentent, puis il termine en donnant une longue nomencla- ture des personnages les plus illustres de la cité, qu'on irait sans intérêt si son traducteur n'avait pris soin dans ses notes de nous en donner des biographies bien complètes, qui offrent un attrait de plus à l’ouvrage de Gilbert Cousin, ainsi annoté et commenté. De Nozerov, notre vieil historien franc-comtois passe à ses environs qu'il va nous décrire plus rapidement, mais toujours avec la même admiration «pour s’attirer, dit-il, non seulement la reconnaissance de ses contemporains, mais en- core de la postérité, puisque tous les auteurs, tant grecs — 97 — que latins, par une fatalité inexplicable, n’ont pas abordé le sujet ». Voici le Doubs et la Loue, aux cours sinueux, arrosant nombre de villes et donnant à leurs riverains des poissons appréciés. À ce propos, M. Monot pense que le chanoine Suchet a eu le tort de reprocher à G, Cousin d’avoir oublié de mentionner les deux principales espèces, la truite et l’oimbre et d’avoir traduit aurata par dorade, poisson de mer, ce que M. Suchet, pourtant, ne pouvait pas ignorer | Du reste le mot aurata pris dans son sens général doit se traduire par poisson doré et peut, par conséquent, s’appli- quer indistinctement à différentes espèces, parmi lesquelles la truite saumonée figure au premier rang. De la source du Doubs, G. Cousin nous conduit dans toute la vallée qu'il arrose et nous décrit minutieusement les villes qu'on y rencontre, Pontarlier, Morteau, St-Hippolyte, Mont- béliard. Clerval, Dole, etc... Le monastère du mont Sainte-Marie retient aussi son atten- tion, en raison du monument des princes d'Orange, comtes de Chalon, dont il établit la généalogie depuis 1266 et où l’on constate des différences assez notables avec le manus- crit de la bibliothèque de Besançon (Fonds Chifflet, vol. D), que M. Monot a relevées consciencieusement. Nous voici maintenant à Pontarlier, dont G. Cousin donne une de ces étymologies fantaisistes pons prope arcem, dont il semble avoir le secret et que son traducteur ne manque pas de souligner. Puis, c’est la description de Joux avec sa forteresse inex- pugnable, de Saint-Hippolvte, le pays natal de son cner Babet, de Sirod, Chateau-Vilain, Champagnole, Orgelet, Arbois, « riche en vins de longue garde », Dole, « la ville des bienfaisantes études et la nourrice du droit », patrie des plus grandes illustrations de la province, parmi lesquelles il convient de citer Jean d’Andelot, premier écuyer de Char- les-Quint, blessé à Pavie de la main même de François I‘ et 7 92 qui fut enterré avec son frère Pierre, l’abbé de Bellevaux, dans leur chapelle de l’église de Pesmes, où existe encore leur monument funéraire, une des merveilles artistiques de la Renaissance en Franche-Comté. Plus loin, nous rencontrons Acey, avec son abbave célèbre fondée en 1130, d’où un moine facétieux écrivait au pape Martin V: « Inter Dolum et Pessimum, ponitur Acetum » : Entre Dole et Pesmes se trouve Acey, ou bien : entre le dol et le pis, se trouve le vinaigre. c’est-à-dire le monas- ière, où 1l mourrait bientôt de faim, si on ne lui donnait pas la charité, autre calembour faisant allusion au riche couvent des environs de Gray. Des bords de lOgnon, Gilbert Cousin revient à Polhgny, décrit Château-Châlon, aux vins célèbres, Baume, Sellières, Bletterans, Lons-le-Saunier, Salins, Ornans, la patrie des Granvelle, Cléron, Quingey, etc..., villes dont il parle tou- Jours avec la même emphase et le même orgueil de la petite patrie. Gilbert Cousin arrive ainsi à la fin de sa lettre et recon- nait qu'il a « tout effleuré en courant comme un chien qui boit dans le Nil », c’est-à-dire craignant de se faire happer par un crocodile. | Ses craintes étaient justifiées, car c’est à Besançon qu'il regrettait de n'avoir chanté que sur «un petit chalumeau », qu’il vint en prison terminer. quelques années plus tard, cette vie toute de travail et de dévouement à son pays. L'histoire du Comté de Bourgogne présente bien des erreurs et de nombreuses lacunes, mais telle qu’elle est, elle nous fournit des détails tellement intéressants sur nos villes et nos bourgs comtois au XvI° siècle, que nous devons être reconnaissants à M. Monot de la fidèle traduction qu'il nous en a donnée. Puis, il faut bien le reconnaitre, le traducteur a su, dans les notes nombreuses qui accompagnent son ouvrage, mettre au point bien des sujets effleurés seulement par Gilbert 1.99 Cousin et souvent dénaturés, car notre vieil historien com- tois ne décrivait pas seulement des choses vues, mais se faisait aussi l’écho de mille racontars plus ou moins authen- tiques et qui, passant de bouche en bouche, arrivaient à lui de plus en plus dénaturés. Ajoutons enfin que sans faire des recherches souvent très longues et toujours difficiles, nous avons sous la main toute une série de biographies des nombreux personnages que Gilbert Cousin ne fait que citer et qui pour la plupart res- teraient dans loubli, sans le soin qu’a pris M. Monot de nous les faire connaître par des renseignements puisés aux meilleures sources. Les vieux auteurs comtois, Gollut, Dunod, Chifflet, sont souvent appelés en témoignage, sans compter nos savants modernes, Castan, le chanoine Suchet, SJ. Gauthier, E. Lon- gin, de Lurion, Gazier, etc..., à la compétence desquels le traducteur a souvent recours et dont il nous donne, dans un aperçu suceinet et bien étudié, le résumé des observations scientifiques et des recherches historiques. Le livre de M. Monot figurera avec honneur dans toutes les bibliothèques comtoises, à côté de son aîné, celui du Dr Chereau qu'il Complète très heureusement. Il sera un précieux guide bibliographique et historique pour tous ceux qui, à l'instar de Gilbert Cousin et de son éminent traduc- teur, ont innés dans leur âme, le culte de la petite patrie et l'amour du clocher (1). (1) La Franche-Comté au milieu du X VIe siècle ou Description de la Haute-Bourgogne, connue sous le nom de Comté par Gilbert Cousin de Nozeroy (1552 et 1562). — Traduction nouvelle par E. Mono, professeur de première au lycée de Lons-le-Saunier. 1 vol.in-8’, Lons-le-Saunier, 1907. À LA RECHERCHE DE L'ORIGINE DE A FERRURE.A CEOUS RAPPORT SUR UN TRAVAIL DE M. G. JOLY Vétérinaire-Major Directeur de l’Enseignement vétérinaire a l'Ecole de cavalerie de Saumur Par M. Alfred VAISSIER CONSERVATEUR DU MUSÉE D’ARCHÉOLOGIE DE BESANCON Séance du 25 novembre 1908. La fin de la ferrure celtique: tel est le titre d’un récent travail que nous adresse un franc-comtois, M. JOLY, vétéri- naire-major, directeur de l’enseignement vétérinaire à l'Ecole de cavalerie de Saumur. Il est peu de questions archéologiques d’origine qui aient donné lieu, depuis 50 ans, à plus de controverses que celle de la ferrure à clous pour les pieds des chevaux; aussi ce gracieux envoi est d'autant plus intéressant pour nous qu'il nous est présenté, cette fois, de la-pari d'un véri- table spécialiste comme la suite complémentaire et critique de plusieurs publications franc-comtoises antérieures com- prises dans nos Mémoires (1). Malheureusement celles-ci, (1) À. DELACROIxX. Mémoires de la Société d'émulation du Doubs, 1803, 1864. ; À. CasTAN, Id., 1858, 1860, 1861, 1863. QuIQUEREY, Id., 1864-1868. J. QuicHERAT, 1d., 1874. « Reproduction d’un Rapport au Comité des Sociétés savantes en 1873 ». — 101 — soumises à l’inévitable révision de la science moderne, vont avoir à subir le contre-coup de sérieuses critiques, en raison de l’emploi malencontreux d’un document publié à l’occasion des anciennes fouilles d’Alaise en 1858 et 1860, Pour faire apprécier l’opportunité de rectifications dont lPex- position est assez délicate, un coup d'œil d'ensemble sur le passé s'impose. Il y a un demi-siècle {et même antérieurement), des his- toriens très autorisés refusaient à la période classique ro- maine la connaissance de la ferrure à clous. Que se passa-t-il donc, il y a Cinquante ans, pour qu aus- sitôt se produisit un enseignement absolument contraire ? — On n'avait cependant pas cessé de recueillir dans les ruines de nombreux établissements de l’époque gallo- romaine des témoignages de ferrure de ce genre, à Aven- che et à Besançon en particulier. Là, aussi bien qu'ailleurs, au-delà de ces petits fers à rives ondulées par suite de l’étam- _ pure ovalaire pour loger les six clous à tête dite en clé de violon, la série de formes plus anciennes s’arrêtait, absolu- ment close dans les collections, et l’on ne reconnaissait, groupés dans le même gisement, aucun indice de transition entre ces types bien connus et les chaussures de chevaux dites hipposandales. À partir de 1856 se succèdent chez nous les publications : 4° de larchitecte bisontin Alphonse Delacroix qui, avec quelque vraisemblance, soutenait l’origine gallo-romaine des fers ondulés, mais était assez mal avisé pour y joindre une protestation contre l'attribution aux chevaux des chaus- sures de fer dites hipposandales pour les réserver aux onglons des bœufs : 2° de l’archéologue suisse Quiquerez qui apportait en témoi- gnage d’une antiquité anté-romaine des fers trouvés dans la profondeur de très vieilles tourbières ; (00 3° d'Auguste Castan, l’habile et éloquent défenseur des investigations et des propositions de ses amis; 4° enfin du professeur de l'Ecole des chartes, Jules Qui- cherat, l’ami commun, dont les convictions sur la question . s’accentuèrent surtout à la suite de certaines trouvailles pen- dant les fouilles d'Alaise auxquelles il avait en partie assisté. Dans un débat mémorable, en 1866, ce dernier n'hésite plus à attribuer aux Gaulois, antérieurement aux Romains, la feriure à clous. En 1873, il reprend la même: thèse et, tout en reconnaissant qu'il n'avait pas réussi, sept ans aupa- ravant, à convaincre ses contradicteurs, il donne à son travail cette conclusion dernière : « Malgré lantiquité » du ferrage, cette pratique ne prit d'extension, même » dans les pays qui l'avaient vu naître qu’à l’époque où » son introduction dans les armées de lempire grec est » constatée par les textes, c’est-à-dire au x° siècle ». . Quicherat ne tenait aucun compte de la très judicieuse observation de son ancien contradicteur Duplessis : » Est-il possible d'admettre (s’écriait ce dernier) que les » Gaulois, dont la cavalerie était partout renommée, aient » connu et Journellement employé la ferrure à clous et » qu'ils soient parvenus à cacher cette industrie à leurs » vainqueurs ; ou que ceux-ci négligeant d'utiliser un art » qui aurait pu cependant leur être d'un si grand secours... » aient consenti à s’en passer... lorsque les peuples de la » Gaule... auraient pendant cinq siècles continué seuls à » s’en servir? Une telle Supposition est inadmissible; elle » n’est pas vraisemblable; et cependant les preuves sont » là qui nous enseignent, à n’en pouvoir douter, que jusqu’au » commencement du v° siècle, les Romains n’ont jamais » employé les fers à clous. Ces preuves sont des textes, » des monuments, des sculptures ». À dire vrai, ces preuves étaient plutôt des témoignages — 103 — négatifs, mais préférables à des sculptures d’une antiquité suspecté ou peut-être même truquées. | Aujourd'hui, après un long temps de silence, voici un des plus récents contradicteurs de la thèse de Quicherat, et non pas le premier venu mais un spécialiste, qui arrive pour mettre en évidence, non seulement l’action trop in- fluente de l’éminent professeur (qu’il évite, du reste, de nom- mer), mais surtout celle d’un autre propagateur de sa doc- trine qui se permit d’altérer un document en y introduisant un élément vicié lui-même d’une erreur commise par un des collaborateurs de Castan et de Delacroix. L'auteur, archéologue de circonstance, accusé d’un pareil méfait, et contre lequel M. Joly s’élève avec une indignation assez rudement exprimée, est aussi un franc-comtois, le médecin-vétérinaire à l'artillerie de la garde Mégnin, né en 4828 à Hérimoncourt (Doubs), auteur de plusieurs ouvrages estimés avant trait à l’histoire naturelle (botanique et ento- mologie), et de nombreux mémoires où 1l soutint jusqu’à sa mort (1905) l’origine celtique de la ferrure, c’est-à dire en pleine époque du druidisme, 1ve et ve siècles avant J.-C. Laissons ici la parole à M. Joly: « Au concours de 1865 entre les vétérinaires militaires, Mégnin envoya un volumineux mémoire sur la maréchalerie française, où son Histoire oceupe la place d'honneur, La découverte de la ferrure celtique y joue le rôle capital et les iembres de la Commission d'hygiène hippique lui donnent la consécration officielle que voici: — D’après les discussions soulevées au dernier Congrès archéologique de Paris, l'ori- gine celtique de la ferrure ne ferait l'ombre d’un doute pour personne si les tumulus dans lesquels ont été trouvés des fers ou des fragments de fers ondulés et plats étaient recon- nus parfaitement celtiques. Eh bien, l’auteur a accumulé tant de preuves pour rendre évidente cette origine que nous 2 104 n’hésitons pas à admetire qu'il est dans le vrai. — Et le vété- rinaire de l’arüllerie de la garde Mégnin obtint la plus haute récompense du ministère de la guerre (médaille d’or et publication du mémoire). » Les données mises à jour par Mégnin furent inmédiate- ment acceptées par toute la vétérinaire. À l'Ecole de maré- chalerie de Saumur la ferrure celtique fut toujours entourée d’un grand respect et je dois avouer que moi, enfant de Salins, qui parcourus le plateau d'Alaise avec les Commen- tatres de César sous le bras, qui fus nourri de l'admiration franc-comtoise pour les travaux de Castan et de ses collègues de la Société d'Emulation de Besançon en 1865, je dois avouer que je fus enthousiaste plus que tout autre de la ferrure cel- tique, retrouvée dans le sol de mon pays natal et des travaux de Mégnin qui la révélèrent à ma protession. » À l'Exposition rétrospective de maréchalerie instituée lors de l'Exposition universelle de 1889, la ferrure celtique eut une place d'honneur... Rien ne manque donc plus en France à sa consécration... Depuis Duplessis, en 1865, per- sonne n’a osé émettre le moindre doute sur sa réalité. » À l’étranger sa fortune n’est guère moins brillante. . » En Allemagne cependant elle fut accueille avec plus de réserve, et Zeppelius va jusqu’à dire que les fers ondulés dessinés par Mégnin, Quiquerey et Fleming ont été importés en France et en Suisse par les Huns et les Hongrois. » Quels sont donc les faits qui, malgré les plus expresses réserves du Congrès archéologique de Paris, ont tellement enthousiasmé les membres de la commission d'hygiène hip- pique de 1865, et, depuis, toute la vétérinaire mondiale ? » M. Joly nous apprend que Mégnin, sans avoir pris chaleu- reusement parti dans la fameuse question qui divisait les his- toriens entre ÂAlise Sainte Reine en Auxois et Alaise, pres de Salins, reconnaissait : | « Que la querelle avait eu de précieux résultats pour Par- — 105 — chéologie ; de part et d'autre on avait fouillé le sol, et fait renaître en quelque sorte de leurs cendres deux bourgades parfaitement celtiques qui ont rendu de nombreux spécimens de l’industrie de ieurs anciens habitants ;: à Alaise surtout, où certainement (!) a été livrée une grande bataille dont l’his- toire n’a gardé aucun souvenir et où les tombeaux des ouerriers gaulois se comptent par milliers, ete. » Nous allons donner, continuait Mégnin, d’après le compte- rendu de M. Castan, archiviste paléographe de Besançon, le contenu d’une de ces tombelles ouvertes en 1858 : » (I s'agit ici du tumulus à char dit du fourré à Sarraz {massif d’Alaise) dont le mobilier se rapporte à l’époque de Halstatt. ve ou vie siècle avant J.-C.), « Au dessus de deux squelettes accouplés, dont l’un était » muni d’une courte épée à fourreau de bronze (c'était sans » doute l’essedarius et le guerrier combattant) et qu’entou- » raient sur le pourtour sept autres squelettes, on a trouvé » les principales ferrures d’un essedum, savoir : huit boîtes » cylindriques en fer avec leurs clous encore adhérents ayant » servi de garnitures à des bouts d’essieu et quatre cercles » aussi en fer à peu près entiers, etc... Enfin, à côté des » restes d’un cheval, deux morceaux d’un fer à cheval en _» bronze fortement usé en pince. » _ Larelation de Castan (1), fait remarquer M. Joly, occupe huit pages in &, et ce n’est nullement le texte que Mégnin a guillemetté dans son livre comme s’il était celui de Castan où aucun fer ne figure (2). Que peut-on s’imaginer au sujet de cette étrange interpo- lation ? — Un ferrage en bronze est, d’après ce que m'en a (4) À. CASTAN. Mém., de la Soc. d'Emul. du Doubs, 1858, p. 389 et s. _ (2) Cette falsilication de textes, avec figures, à été reproduite par vingt livres français, anglais, italiens et allemands (Comm. par M. Joly). — 106 — affirmé M. Joly. une chose inouïe dans la maréchalerie, et ce n’est qu'après une longue investigation qu'il a fini par décou- vrir que Mégnin est allé chercher la mention de ces frag- ments étranges dans un ouvrage du capitaine Bial sur les chemins, habitations et oppidum de la Gaule au temps de César, où il a trouvé (page 246) (1) ce passage : « Deux moiliés de fers à 6 trous, en bronze, rencontrés à une profondeur considérable dans le sous-sol de Besançon. — Ce sont ces demi fers de Besançon, considérés comme gallo-romains, que Mégnin a introduits, par Je ne sais quelle aberration sacrilège, s'écrie M. Joly, dans le tumulus à char d’Alaise pour y servir de principales pièces à conviction, en faveur de l'existence de la ferrure celtique. » Ajoutons, ce qui mettra un comble à cette singulière addi- tion, signalée par notre critique, que nous lui avons appris que ces deux fragments conservés au musée de Besançon, ne sont pas en bronze, mais bien en fer, de belle fabrication antique et de même style. Une légère teinte verdâtre ainsi qu’un modelé gras et arrondi, jouant à S’v méprendre l’aspect d’un objet fondu, expliquent comment, à la suite d’un examen superficiel, la qualification erronée a pu se produire. Il n’est pas douteux que presque aussitôt la vraie nature du métal fut reconnue (2) et que l’on ne jugea pas à propos de faire de cette bévue l’objet d’une rectification. Nous connaissons de longue date ces deux branches de fers différents, à bords ondulés, pour les avoir dessinées et gravées, il y a 48 ans, et placées, d’après l'instruction du capi- taine Bial, dans la planche in-folio qui accompagne son livre, au milieu des boîtes de roues du tumulus de Sarraz. Ce mélange de pièces de provenances diverses est parfois (1) P. Brian. Mém. de la Soc. d’Emul. du Doubs, 1862. (2) « Ce métal est d’une extrême ductilité et d’une pâte très blanche », a dit Delacroix pour l’ensemble des fers des rues de Vesontio (1863). — 107 — dangereux ; on en voit ici la preuve et en même:temps, l’explication d’une double erreur qui s’est perpétuée jusqu’à présent sans qu'on Y ait pris garde. Mais passons — « Castan dit pourtant avoir trouvé des fers à cheval à Alaise », reprend M. Joly. Nous allons voir, de concert avec M. Joly, ce qu’il faut retenir des rares trou- vailles d’Alaise proposées comme décisives en faveur de la ferrure celtique. _— En premier lieu, au plateau des Chateleys. — [ne s'agit pas alors d’un vrai tumulus de sépulture, mais d’une sorte de can, amoncellement de pierres, de terre ét de cendres où l’on recueillit une grande quantité d’ossements d’ani- maux divers et un certain nombre d'objets d’un âge parais- sant postérieur à celui de l’ensemble des sépultures d’Alaise : à ne citer que le large orifice d’un gros vase à anse, une mignonne boucle de petite courroie, des limes ou poinçons, un très gros marteau de forgeron et enfin... le quart d’un fer à cheval (de facture très ancienne assurément), pourvu de deux étampures avec un de ses clous engagé dans celle qui ésbentière (PF IL, -4). C’est à l’occasion de cette fouille que l'imagination de nos zélés investigateurs ne pouvait manquer de se donner car- _rière. Ils estimèrent avoir découvert, sur une partie plane du rocher environné de cendres, la place d’un foyer sacré, la pierre du sacrifice, le sanctuaire du pontife-forgeron d’Alaise. « Tout ceci, observa Duplessis, l'adversaire de Quicherat, n'est qu’une fiction romantique qui pouvait sourire à l’imagi nation d'un archéologue né poète, mais ne pouvait aider à la preuve sérieuse de la maréchalerie celtique. » Que divers dessinateurs, Mégnin compris, eussent repro- duit peu fidèlement le quart de fer des Chateleys, cette pièce intéressante n’en montre pas moins très suffisam- ment accentuée l’ondulation de son bord extérieur en correspondance avec l’étampure. Toutefois celle-ci, pratiquée en carré allongé, ainsi que la tête aplatie du clou écrasée — 108 — par l'usure, trahissent l’une et l’autre un caractère de fabri- cation d'époque plutôt secondaire. Parmi les objets découverts dans une fouille suivante au Pré de l’Oye, il serait de moindre profit pour la ferrure celtique de prendre au sérieux un fragment de fer, pla- quette assez mince, trop élargie, sans forme franchement contournée et sans trace de trous, où l’on a cru entrevoir une portion de fer à cheval. Quiconque examinera la figure dont on a fait l'honneur à cette ferraille insignifiante (voir Méëm. de la Société d’'Emul., 1859-1860 et Revue archéal., T. 38). ne lui trouvera d'autre intérêt que celui d'avoir été comprise par J. Quicherat comme constituant, avec le quart de fer dés Chateleys, plus le clou (PI. IF, b) à tête en clé de violon, du Chalelet du Mt Bergeret, le groupe des spéei- mens de ferrure présumée celtique trouvés à Alaise ! (1), Quelque sommaire que soit ici la désignation de Quicherat — quin’avait en vue qu’une simple énumération — par cette indication de deux moitiés, le professeur ne faisait certaine- ment pas allusion aux deux moiliés de fers introduits par Mégnin dans le tumulus de Sarraz, et sur lesquelles régna toujours chez nous un silence absolu, pendant que plus de vingt ouvrages français ou étrangers en multipliaient la men- tion et la reproduction par des figures ! La recherche persévérante par Delacroix de pièces de fer- rure ancienne, nous à procuré un groupe important de fers de chevaux de provenance d’Alaise et de ses environs (?) dont il est inutile de faire état en raison de leur caractère (4) J. QuicHEerAT. Mém. de la Soc. d’'Emul. du Doubs, 4e série, t. IX, 1874, p. 497: « Deux moitiés de fers trouvées dans deux tumulus situés aux deux extrémités du territoire d’Alaise ». (2) Mégnin a écrit en 1865 que « le Musée de Besançon, est, sans con- ) tredit le plus riche en spécimens de la ferrure celtique gallo-romaine et » du Moyen-àge... Plus de cent pièces de maréchalerie figurent dans ce » Masée : ce sont les fers trouvés dans les différents « tumulus » d’A- » laise au nombre d’une vingtaine (!) ceux trouvés dans le sous-sol de » ville de Besançon, à Montbéliard, à Mandeure, etc... » C2 — 109 — nullement ancien au degré voulu. Il ne saurait en tre de même du quart de fer des Chateleys (1). Cette pièce dont Pauthencité est garantie par la présence aux fouilles de Jules Quicherat suffirait-elle à elle seule pour mettre en échec la fin proposée de la ferrure cellique ? Après avoir désencombré le terrain du faux apport de Mégnin, M. Joly, en présence de cet unique obstacle, oppose les faits suivants énumérés comme conclusion : À « Pendant ce temps, les archéologues franc-comtois aban- donnaient l'opinion de Castan sur la ferrure celtique. » Les tumulus celtiques ont continué à être explorés à travers toute la France, et, comme dans ceux déjà cités par Duplessis : oppidum gaulois près de Montpellier, tumulus celtiques d'Algérie, du Morbihan, du Finistère, de Cham- pagne, etc.….., jamais on n’y a rencontré de fers à cheval. » De nouvelles fouilles entreprises à Alise-Samnte-Reine se continuent incessamment et, bien qu’en ait écrit Goyau, aucun vieux fer à cheval. aucun instrument de marécha- lerie n’ont été trouvés dans les fouilles d’Alise-Sainte-Reine. On n’a recueilli que des hipposandales et, peut-être, un étrier d’une forme particulière (Cf, Espérandieu, directeur des fouilles, à la date du 2 juin 1908). | _» Pompéi fut détruite plus d’un siècle après la conquête de la Gaule par les Romains. Or, à la date du 20 juin 1908, aucun indice de connaissance de la ferrure à clous n’a été relevé sur les nombreux documents hippologiques recueillis dans la ville ensevelie. =) CONELUSION. — La ferrure celtique, née en France: en 1865, est le produit exclusif de l'imagination de ses inven- teurs ; les documents qu’ils apportaient à l'appui de leurs dires sont controuvés. Geux qui furent greffés sur cette base fragile s’écroulent avec eux. Il faut dépasser la prise d’Alesia -(4) Voir PL IL a. de trois ou quatre siècles pour voir apparaître des faits sérieux concernant l’apparition, en Gaule, des premiers fers à clous. » x MY Tout en félicitant notre critique de son ardente campagne contre la ferrure celtique et très désireuxe que delfuturs travaux nous apportent l'entière confirmation de sa con- clusion, sachons lui gré de nous avoir si bien renseignés sur des particularités locales qui, sans son intervention, ris- quaient de tomber dans Poubli. Il était essentiel que notre Société fut avertie de l'état de la question au moment d’une reprise projetée des recherches archéologiques dans ce milieu si intéressant, au point de vue celtique, du territoire d’Alaise. Depuis longtemps déjà (voir Mém. de la Soc. d'Emul. 5° série, T. VIII, p. 310) cette vieille légende de grandes batailles à Alaise, dont l’hisloire n’a pas gardé le souvenir, ne compte pius parmi nous de chauds partisans. La rareté des armes, la prédominance des objets mieux appropriés à des parures de femmes qu'aux costumes de combattants, nous avaient appris que la multitude des tombelles ne témoignait que de l'existence, dans les localités environ- nantes, d'une nombreuse population, occupant de vastes champs de sépultures régulières. On ne saurait dire ce que pourront révéler le voisinage de très anciennes habitauons, mais il est à prévoir que les tombes refuseront; conime par le passé, le moindre témoignage en faveur de la ferrure cel- tique. Nous n'avions pas trop présumé des connaissances et des aptitudes spéciales de M. Joly, puisque nous lisons, deux mois après, dans le Recueil de médecine militaire vétéri- naîre (30 oct 1908), le résumé de ses observations, lors d’une visite au petit musée d’Alise-Sainte-Reine, à la suite de son 1 — passage à Besançon. Il a remarqué combien les hipposandales y représentant seules la ferrure des chevaux, sont supé- rieures comme fabrication à celles de la région de Vesontio. Elles sont beaucoup plus légères et sans crochet à la talon- nière, ce dernier remplacé par deux rivets, points d'attache certains de courroies disparues. « Voilà donc, s’il ne s’abuse, dit notre critique, la forme la plus récente des hipposandales nationales. Il ne saurait trop s'élever contre les assertions de nos modernes maréchaux celtiques sur l’absence d'usure à la face inférieure des hip- posandales et sur l’utilisation fantaisiste qu'ils destinaient à ces chaussures hippiques. [l suffit d’aller examiner, en Îles retournant, les hipposandales des musées français pour constater l’usure de leur plaque ou de ses appendices infé- rieurs, décelant leur utilisation évidente (PI, IV, «, b). A Alise, une hipposandale est tellement amincie en avant qu’elle a perdu sa pince. » Nous crayons pouvoir confirmer cette observation en citant un groupe conservé au musée de Besançon où, sous l’indica- tion d’une même localité, Colombier-Chatelot, village situé près de la grande voie romaine de Besançon à Mandeure, sont rangées neuf talonnières à crochet d’une fabrication gros- sière mais semblables, détachées et mises au rebut par suite de l’usure de toute la partie antérieure. Une dixième pièce, complète, est jointe à ces fragments (PI. IV, a). On a recueilli de pareils débris dans des stations très voisines et sur la voie romaine à Colombier-Fontaine et à Voillans (Velatodurum), Au même musée de Besançon, les particularités imédites d’une pièce d’un intérêt exceptionnel ne devaient pas échapper à l'expertise éveillée du directeur de l’enseignement de l'Ecole de Saumur. Il s’agit d’une hipposandale à anse (nous dirions à bride métallique faisant corps), destinée par sa courbure à enserrer le devant du sabot (type du même 10 genre que celle figurée au milieu d’une planche du Bulletin monumental en 1840, p. 474, t. VI, mais où la bride est plate et plus grossière). Sous la plaque de sole est soudé un fer sans trous et parfaitement tourné (voir PI. LE, e) (). « Je considère ce fer, m'écrit M. Jolv, comme le plus ancien fer authentique actuellement connu; c’est une des meilleures preuves de l’indigénat de la ferrure à clous, et une semblable ferrure ne se trouve dans aucune nécropole authentique de nos envahisseurs. » Elle n'existait certainement pas lors de la destruction d’Alise et de Vesontio par les barbares aux v° et vif siècles. Les premiers fers à clous enfouis à Besancon avec des ruines gallo-romaines n’ont pu l'être que lors des destructions de 136 et à plus forte raison de 911. Et c'est de cette comparai- son des ruines d’Alise non réédifiée et de Vesontio réédifiée que découlent les documents les plus certains de la date et du lieu de l’origine de la ferrure à clous Cette conclusion que j'ai formulée avant de connaître l'opinion de M. S. Reinach se trouve être la conclusion de son article mulomedicus (Dict. des aut. grecq. et rom.) (2) et qui garde toute priorité en Vespèce. Nos forgerons appliquaient déjà des fers et des crampons (PI. IV, b) sous leurs hipposandales : fout natu- (4) Dans la pl. ITf un second spécimen qui à conservé son crochet, mais sans empreinte ou trace de fer sous la sole. Ces deux pièces proviennent de Mandeure ou de ses environs. Cette hipposandale est lithographiée dans l'album de larchitecte Morel-Macler, Antiquités de Mandeure, 1847, à la pl. Vet porte cette mention : Objet trouvé dans la voie. (2) S. REINACH. Art. Mulomedicus. Dict. des Antiquités grerques et romaines : « Les anciens ont quelquefois chaussé leurs chevaux; ils ne paraissent pas les avoir jamais ferré. L'emploi des chevaux dans les pays difficiles, surtout en Occident, a donné naissance à un type de chaus- sure métallique mobile, hipposandale, qui s’attachait avec des courroies ; plus tard l’idée est venue, dans les mêmes régions, de substituer le clou à l’attache et il en résulté l’usage de la ferrure qui, aujourd’hui encore, est loin d’être admise dans tous les pays où l'on emploie des animaux de trait ou de selle. » Société d'Emulation du Doubs, 1908. jet EI a) Quart de fer du cairn des Chateleys | Alaise); grandeur nature, sous un second eclairage. (b) Clou de fer du cairn du Chatelet du Mont Bergeret. c) Hipposandale à anse avec fer soude sous la sole Mandeure, voie romaine). Société d'Emulation du Doubs, 1908. PE TH. Hipposandale à anse ; vue de côté. Hipposandale à anse ; face inférieure (Mandeure, voie romaine). Société d'Emulation du Doubs, 1908. PEINE - \ a) Hipposandale commune ; face inférieure. + F0 D no b) Hipposandale à crampons pyramidaux (Valentigney, près Mandeure). dis — rellement ils:se sont servis de crampons (clous à tête en clé de violon) pour fixer et cramponner d’un seul coup le fer sur le sabot » (Extrait d’une lettre de M. Joly). «Nous devons complètement renoncer à la ferrure celtique, à la ferrure gallo-romaine... et même aux opinions corres- pondantes de chercheurs autorisés comine Castan ou de grands savants comme Quicherat, qui répudieraient certai- nement en 1908 leurs dires de 1860. » I faut enfin renoncer à écrire sur l’histoire de la maré- chalerie avant de s’être préalablement documenté auprès des archéologues modernes et dans les musées de nos antiquités nationales. » Nous reproduisons avec plaisir ces derniers passages d'une lettre de M. Joly en les joignant aux considérations finales de sa brochure. Avec la préoccupation d’un cher- cheur en quête d'un point de repère très sûr, révélant l’état d'une industrie à un moment donné, il insiste sur l’ensei- gnement que l’on peut tirer des fouilles méthodiques d’Alise- sainte-Reine. J'ajouterai que nous possédons en Franche- Comté, une Pompéi, détruite peut-être vers les mêmes temps, qui nous offre, en dépit des persistantes dilapidations modernes, un champ analogue d'observation. Dans les ruines de cette ville gallo-romaine, si riche au moment de son em- brasement complet et dont le nom même (Æpamanduodu- rum), ainsi que nombre de sculptures dont le caractère rappelle le séjour d'importants corps de troupes et sans doute de cavalerie, que de renseignements précis ne -pourrait-on pas tirer d’une enquête bien conduite sur l'in- dustrie qui intéresse MM. les officiers vétérinaires? Ils y apprendraient, non sans surprise, que nous conservons, de Mandeure, les fragments d’une grande inscription sur marbre blanc, en caractères de la plus belle époque, où, malgré les difficultés de linterprétation essayée par Auguste Castan, te) +14 — on entrevoit le cursus honorum d'un de leurs prédécesseurs dans une ville de ancienne Gaule(). La primeure de publication d’un document — lPhipposan- dale au fer soudé sous la sole, — pour la première fois mis en valeur, appartenait, sans aucun doute, à M. Joly ; grâce à sa très large et bienveillante autorisation, nous avons pu faire exécuter en photogravure, pour la Société d'Emula- tion, les excellents clichés, pris au musée, sous les yeux de M. Morisot, vétérinaire-major à Besançon, par M. Leroux, l'habile photographe «amateur à qui nous adressons toutes nos félicitations. | (1) Auguste CASTAN. Revue archéologique, t. XLIE, p.271. Planche VIII (1882). (prœfecto, fab) RVM iprœfec CTO STRAT (orum) (HIT viro locorum publ.) ICORUM (persequendorum. tribuno mili) TVM LEG (ionis VI {seætae) (victricis pia fidelis) CVR (atori) Castan ne s'abusait pas sur la valeur de cette ingénieuse interprétation. Mais il eut certainement approuvé l'usage tout spécial et très limité que nous en faisons aujourd’hui. a : b (a) Quart de fer du cairn des Chateleys (_ÆZlaise) ; | grandeur nature. (h) Clou de fer du cairn du Chotelet du Mont Bergeret, \ OBSERVATIONS SUR LES SOURCES INTERMITTENTES DES INECOIN ES: J UE À Par Ant. MAGNIN Les fontaines intermittentes ou périodiques constituent un phénomène naturel qui a, de tout temps, excité la curio- sité, provoqué les observations et donné lieu à des hypo- thèses sur leur nature et leur fonctionnement (1). Dans le cours de mes explorations des Monts-Jura, J'ai eu l’occasion d'observer les plus remarquables de celles de ces sources qui y ont été signalées, c’est-à-dire : 1° La Fontaine-Ronde du Touillon, qui se trouve près de Pontarlier (Doubs) ; 2° La fontaine intermittente du Moulinet, à Syam, près Champagnole (Jura) ; _ 30 La série des sources continues, intermittentes et pério- diques de Noire-Combe, hameau de Cinquétral, près Saint- Claude (Jura) ; 4° La fontaine des Merveilles, près de l’abbaye de Haute- Combe, dans le Mont-du-Chat (Savoie). (4) Voy. notamment ASTRUC, Mém. pour l'histoire du Languedoc, 1740, 2e partie, p. 381 et suiv. ; Encyclopédie, art. de DESMARETS, t. VIT, 1797, p. 9%; on y trouve mentionnés tous les exemples de fontaines intermit- tentes signalés depuis Pline. — 116 — Je résume les observations faites à chacune de ces sources, en suivant l’ordre géographique ci-dessus, c’est-à-dire en allant du N.au S. du massif, du département du Doubs à celui de la Savoie. (Ce travail a été présenté à la Société d'Emulation du Doubs dans les séances des 11 février et 14 mars 1899 ; voy. Mém. Soc. d'Emul. du Doubs, 7° série, t. IV, 1899, procès- verbaux, p. VII, VIII et XI; l'impression en a été retardée jusqu'à ce jour (avril 1909) dans l'espoir, malheureuse- ment irréalisé, de pouvoir compléter ies observations faites à cette époque (1896-1898). FONTAINE PÉRIODIQUE DU TOUILLON OU FONTAINE-RONDE PRÈS PONTARLIER (Doubs). Cette fontaine est située au sud de Pontarlier (départe- ment du Doubs), sur le territoire de Touillon-et-Loutelet (1), dans la cluse de Combe-Noire (2), que suit le chemin de fer de Pontarlier à Vallorbes et Lausanne, à l’altitude d'environ 960 mètres 6), entre les stations du Frambourg et des Hôpi- taux-Neufs, à peu près à égale distance, soit 5 kil. 1/2 de chacune de ces deux localités. Elle sourd, actuellement, à la base du flanc occidental du vallon, au pied du talus du chemin de fer, à gauche de la hgne allant de Pontarlier à Vallorbes, à l’extrémité d’une prairie marécageuse, en plusieurs endroits d’un bassin arti- ficiel demi-circulaire, de 8 m. de diamètre, limité par une petite chaussée établie, en 1827, par les soins du Préfet du Doubs (4). (Voy. fig. 1 et 6). (4) Les recherches que M. Bourdin à entreprises au moment des eme bellissements qu'il a fait exécuter à Fontaine-Ronde lui ont prouvé que, contrairement à l'opinion reçue, cette source est située à la limite des communes du Touillon, de Montperreux et des Hôpitaux-Vieux, mais sur- tout sur ces deux dernières (Communication de M. Bourdin, fév. 1909) ; la source la plus élevée dont parlent les anciens auteurs, mais qui a été probablement comblée par l’établissement du chemin de fer, en 1874, pouvait seule se trouver véritablement sur le territoire de la commune du Touillon; voy. fig. 1, C. (2) M. Bourdin me fait observer que cette vallée s'appelle ordinairement la Combe, purement et simplement. (3) D'après les courbes de niveau des minutes de l’Etat-Major, au 1/40,000:. (4) Le Comte de Milon, ainsi que le rappelle l'inscription gravée sur une pierre à l’extrémité de l’enceinte du bassin. Deux pierres placées à proximité de la source portent, en elfet, des inscriptions se rapportant à cette fontaine curieuse. — 118 — Avant cet arrangement et la construction plus récente de la voie ferrée, la source sortait par plusieurs orifices ou bas- sins distincts, placés à des hauteurs différentes, l’un de 6 m. de diamètre, où se produisent les intermittences propre- rent dites ; l’autre, situé un peu plus bas, présentant un écoulement constant avec des intumescences périodiques ; ces deux bassins subsistent seuls, un peu modifiés dans leur forme et leurs dimensions ; les autres orifices ont disparu à la suite des travaux indiqués plus haut, notamment de l’éta- blissement du chemin de fer. $ 1er. — Historique. De nombreuses descriptions ont déjà été publiées de cette fontaine curieuse ; mais les unes sont inexactes, les autres sont, pour la plupart, incomplètes ou ne relèvent que quel- La première placée sur la route, à l'entrée du chemin qui conduit à la source, porte sur une de ses faces : FONTAINE INTERMITTENTE CHANTÉE PAR A. DEMESMAY ANCIEN DÉPUTÉ DU DouBs ET DÉCRITE PAR E. GiroD BIBLIOTHÉCAIRE DE PONTARLIER 1806. Sur l’autre, placée à l'extrémité de l’hémicycle qui entoure une partie de la source, on lit : Mr ue Cte DE MILON PRÉFET DU DOUBS M' LE Bon DACLIN SOUS-PRÉFET 1827. 149 = ques-unes des variations nombreuses que les intermiltences r présentent dans leur durée et leur intensité. ee Abe e | EE PEN TZ LEE /N IE — /; 2) == V4 = ù É=e E 222 Ca ee = = lc De à 1 { e Fra. {. — Combs et Source de Fontaine-Ronde (Esquisse): a, Source; b, ruissean qui s’en écoule ; €, e, route de Pontarlier aux Hôpitaux ; d, f, chemin de fer Pontarlier-Vallorbes ; g, chemin de Montperreux. — A, commune de Montperreux ; B, commune des Hopitaux-Vieux ; C, commune du Touillon. [o La description la plus ancienne que je connaisse est celle de COURVOISIER, médecin de Pontarlier, en 1690 (1) ; elle est relatée en ces termes dans l’ouvrage de PIGANIOL DE LA FORCE (2). Elle nait dans un Heu pierreux ; et comme elle jette par deux endroits séparés, elle S’est fait deux bassins, dont la figure lui à fait donner le nom de Fontaine-Ronde. Dans le premier, qui est le plus élevé et-qui a environ sept pas de long sur six de large, le flux et le retlux de la fontaine paraissent davan- tage, et il semble qu'une pierre aiguë, qui est au milieu, y soit ({) COURVOISIER, Bon-[gnace, a été médecin de lPhôpital de Pontarlier en 1687, 1688..., 1690..., 1700..., 1708 ; je le vois habiter Besançon en 4717 (Arch. de Pontarlier, pp. 9, 10, 11, 12, 47, 50, 108.) (2) PIGANIOL DE LA ForcE, Nouv. descript. de la France, 2 éd.. 1742, t. VEIT, p. 480 ; 3e éd.,1754, t. XITE, p. 126-198 (Je n'ai pas pu consulter la 1e), — Jean-Aimar Piganiol de là Force, géographe, né en Auvergne en 1673 : + à Paris, 1753. 00 mise exprès pour mieux faire remarquer les mouvements de l’eau lorsqu'elle monte et qu’elle descend. Quand le flux com- mence, on entend au-dedans de la fontaine comme un bouil- lonnement et l’on voit sortir de l’eau de tous côtés, qui, for- mant plusieurs petites boules, s'élève toujours peu à peu jusqu’à la hauteur d’un grand pied. Alors s'étant répandue dans toute la capacité du premier bassin, elle regorge un peu à côté du second, où l’on voit de même qu’elle croît avec tant d’abon- dance, que ce regorgement des deux sources en Ss’uuissant fait un ruisseau considérable. Quand le reflux se fait, l’eau des- cend petit à petit, et à peu près en aussi peu de temps qu’elle monte. La période du flux et du reflux dure en tout un peu moins d’un demi-quart d'heure, et le repos qui est entre Îles deux ne dure qu'environ deux minutes. La descente de l’eau est si évidente que la fontaine tarit presque entièrement. Cependant l’un des reflux est régulièrement toujours différent de l’autre, en ce que la fontaine tarit presque entièrement une fois et qu’une autre fois il reste un peu d’eau dans le bassin ; ce qui continue toujours alternativement, et à même propor- tion, sans augmenter ni diminuer. Vers la fin du reflux, et lors- qu’il ne reste presque plus d’eau à rentrer, on entend un petit bruit. Quoiqu'on observe ces mouvements réguliers dans le second bassin, le reflux y est beaucoup moindre, car il y reste toujours assez d’eau pour entretenir le ruisseau qu'il produit. Dans le premier bassin, le flux et le reflux sont beaucoup plus remarquables ; et à moins que l’eau de la pluie ne les trouble ou que les neiges fondues ne l’inondent, ils y paraissent tou- jours aussi sensiblement qu’on Pa dit. En résumé : période de 9 minutes ; haut. max. de l’eau, f> pied; flux — reflux: repos. de 2/.:mimules diflérenees entre deux périodes consécutives, dans la quantité du débit, avec alternances régulières ; phénomènes de bouillonne- ment au début du flux et à la fin du reflux. (Vov. fig. 2, D. 20 PIGANIOL n’a rien ajouté à cette description, qui a, du reste, été reproduite ou résumée par la plupart des auteurs qui ont parlé des sources intermittentes, dans le xvirr° siècle, par exemple : : — 121 — 30 ASTRUC.(1), — dans list. nat. du Languedoc, 1740, 2° partie, chap. XIT, parägr. xIx, p. 381 : D'une fontaine périodique sur Le chemin du village de Touillon à Pon- tarlier, en Franche-Comté, — reproduit exactement la des- cription de Piganiol ; Astruc v ajoute les remarques sui- vantes : « J'avoue que ce qu'on dit de l’inégalité alternative des intermissions de cette fontaine me parait suspect et que je crois qu'il serait nécessaire de le vérifier de nouveau. Si ce fait se trouvait vrai, on serait forcé de supposer dans l'intérieur de cette fontaine un mécanisme plus compliqué que celui qu’en suppose pour les fontaines périodiques ordi- naires. » On verra plus loin que ces irrégularités peuvent être encore plus considérables que Courvoisier ne lavait observé. 40 DESsMARETS (2), dans l'Encyclopédie, t. VIE, 1757, p.100: Simple résumé de la description de Piganiol. 5e RomaiN-JoLy(3), dans la Franche Comté ancienne et moderne, 1779, p. 23, résume aussi la description précé- dente. 6° Droz, l'historien de Pontarlier (4), qui étudia la source de Fontaine-Ronde vers le milieu du xvie siècle et y fit faire des travaux en 1757, est le second auteur qui donne une description originale des phénomènes qu’elle présente, description qui mérite d’être reproduite &). La Fontaine-Ronde forme aussi un ruisseau intarissable ; son (4) AsTrUuC (Jean), médecin, né à Sauve (Bas-Languedoc) 168% ; + Paris, 1766. (2) DESMARETS (Nicolas), physicien et géologue, né à Soulaines (Aisne), en 1795; Paris, 1815. (3) Jouy (le P. Joseph-Romain), capucin de Pontarlier, né à Saint-Claude en 1715; + Paris, 1805. (4) Droz (François-Nicolas-Eugène , avocat, né à Pontarlier, le # février 4735 : + à Saint-Claude, le 13 octobre 1803. (5) Mémoires pour servir à l’hist. de la ville de Pontarlier. Besançon, Daclin, 1760, p. 237 ; Réimprimé en 1840, Pontarlier, p 195. 1 intermittence périodique et momentanée mérite bien une des- cription un peu étendue; c’est à mi-chemin de Pontarlier aux Hôpitaux qu'on trouve ce phénomène; au milieu d’un vallon fort étroit, formé par deux chaines de montagnes, dirigées de septentrion au midi, qui ne laissent en plusieurs endroits de place que pour ce ruisseau de Fontaine-Ronde et le chemin, sont trois sources. L’inférieure fournit de l’eau sans interrup- tion dans un bassin rond assez étendu; la supérieure, fort petite, rend peu d’eau dans la sécheresse, et celle du milieu, où se fait le jeu, coule et tarit cinq fois dans une heure. On y voit l’eau sourdre à travers un sable fin et quelques graviers, bouillonnant avec un murmure, qui augmente à mesure que l’eau s'élève dans son bassin d'environ 10 pouces, pendant 5 ou 6 minutes, puis décroissant pendant 3 ou 4 minutes. Elle est entièrement tarie durant un même espace, pour recommencer ensuite ; à cette seule différence qu’un certain temps elle est exactement régulière dans ses périodes et tarit chaque fois au point de laisser sécher le sable aux rayons du soleil, tandis que dans des saisons pluvieuses, il y aura des alternatives où le sable sera desséché une fois, qu’il y restera quelque peu d’eau à la crue suivante; et même qu’elle sera dans les inon- dations, confondue avec la fontaine inférieure, qui se ressent ainsi des qualités de sa voisine; car dans le temps de la crue de celle-ci on s’aperçoit aussi d’une augmentation dans lPinfé- rieure, avec un bouillonnement semblable à celui que font les bulles d'air qui s'élèvent dans l’eau qui est mise sur le feu. J'avais d’abord rangé la Fontaine-Ronde parmi les inter- mittentes simples et régulières, mais ces variétés que j'ai observées en différentes saisons et différentes années: doivent la mettre au rang des intermittentes composées. Quant à sa cause, on ne peut douter que ce ne soit le jeu du siphon. La montagne au pied de laquelle elle se trouve est remplie de carrières de tufs. L’eau s’y est formée des canaux dans cette pierre mollasse et percée, à vingt pas de la fontaine est un enfoncement de terre que je fis débarrasser en 1757 jusqu'au oravier ; les grandes pluies de cette année le lavèrent et jy ai dès lors entendu et fait remarquer à plusieurs personnes un bruit souterrain à l'instant que l’eau cesse de croître dans la = 493 fontaine, semblable à celui que l'air fait pour S’insinuer dans une cuve que l’on vide lorsque le liquide est au bas. On y entend aussi Peau retomber dans un réservoir ; cela arrive pré- cisément lorsque les colonnes d’eau doivent se rompre dans les branches du siphon et qu'il doit se faire un combat ‘entre parer leau, il ya-donc Heu de penser-que dans: Pintérieur de la montagne est un grand réservoir, accompagné de plu- sieurs autres de moindre capacité, qui tous se vident par des canaux en forme de siphon, plus gros que ceux qui abreuvent les réservoirs ; au moyen de quoi l’on expliquera facilement l’intermittence et toutes ses variétés. En résumé, période de 12 min. pour une intermittence de 10 pouces ; durée du flux, 5 à 6 min. ; du reflux, 3 à 4 min. ; du repos, 3 à 4 min. ; bouillonnement et bruit augmentant à mesure que Peau s'élève; tarissement complet dans les intervalles. (Vov. fig. 2, IT). is il 1! #, Men. 4 RE AGUN RO Gi SS LOL F1G. 2. — Graphique des observations de : [, CourvoisiER (1690) ; IT, DRrozZ (1760) ; * bouillonnement. 7 Un manuscrit conservé à la Bibliothèque de Besançon, intitulé : Mémotr'e pour servir à l’histoire naturelle de la province, particulièrement des ville et bailliage de Pon- tarlier, et que j'ai cru devoir attribuer à BaRBAUD (1) et placer à la date de 1763, c’est-à-dire à la même époque que (1) Voy. ma note dans Cat. général des msc. des biblioth. de France, & XXXIII, 1897, (vol. de Besançon), p. 257, n° 440, et add, p. 1013. AUX 2 la publication de l'ouvrage de DRroz, consacre plusieurs pages à la description de Fontaine-Ronde (f 48 vo à f° 50 v°) : du fatras plus ou moins poétique qui constitue la plus grande partie de ce paragraphe, j’extrais cependant quelques faits qui paraissent observés avec plus de précision et d’exac- titude ! D’après Barbaud, les sources de Fontaine-Ronde for- ment plusieurs bassins placés à des hauteurs différentes ; dans les plus petits, situés les plus bas, les intermittences se manifestent en tout temps ; dans les bassins les plus élevés, couverts de gazon, les intermittences n’ont lieu qu'après les pluies ; enfin, dans les saisons extrêmement pluvieuses, on voit l’eau murmurer, non seulement dans les 2 endroits, mais dans 7 ou 8. En temps ordinaire, l’eau s'élève seule- ment dans les petits bassins |les plus inférieurs) ; elle met 7 à 8 minutes pour se hausser et se retirer ; ce flux et ce reflux paraissent 7 fois dans 62 ou 63 minutes, soit 161 à 162 fois par jour; à la hauteur maximum du flux, l’eau atteint 4 pouces 1 à 4 lignes de profondeur dans le petit bassin le plus haut (du groupe inférieur), à 5 pouces 1 à 5 lignes dans le bassin le plus bas ; quand lintumescence cesse, le 1er bas- sin est à sec, le second garde 1/2 pouce à 2 pouces d’eau dans sa partie inférieure. En résumé: période régulière de 9 min. (intumescence 7 min., repos 2 min), variations dans le débit non dans la durée de la période. (Voy. fig. 3, I, IE). 8e Dans son Tableau géographique... de la nation fran- caise, Paris, 1791, p. 210, Couépic (1) donne une déscription assez fantaisiste, du moins dans les termes, de la Fontaine- Ronde : « On y admire, dit-il, une fontaine qui a des vomis- sements de 2 minutes et non pas un flux et un reflux comme quelques voyageurs l'ont dit. Les eaux qui en sortent n’y rentrent plus ; ainsi point de reflux À chaque 2 ou 3 minutes, (1) CouÉpic (P. du), agronome, né à Loudéac en Bretagne ; voy. QUÉRARD, France littér., p. 632. 4108 Je vomissement se renouvelle et quelquefois il a des accès plus forts : et alors il rend une plus grande quantité d’eau. On ignore la cause de ce phénomène qui se manifeste jour- nellement sans qu'il survienne de variations bien impor- tantes dans le plus ou moins d'espace du temps et dans Ja quantité des éjaculations. » 90 LAVALLÉE (1), après avoir émis cette singulière opinion que les mouvements de la source suivent les mouvements du soleil (!}, ajoute quelques renseignements intéressants, paraissant bien observés et concernant un type d'intermit- tences non mentionné dans les auteurs antérieurs : Cette fontaine éprouve, dit-il, un flux et reflux très marqué, suivant le plus ou moins de sécheresse de la saison. Ce flux se fait sentir à mesure que le soleil monte sur l’horizon et le reflux dans la même proportion, quand il descend vers son couchant. Son bassin est plat et le fond en est tapissé d’un sable très fin et très net. Il peut avoir 25 pieds de diamètre L’eau monte d’abord de 3 pouces 1/2 en 3 minutes et s’échappant alors par les bords du bassin forme un petit ruisseau. Elle continue encore à monter à peu près autant, mais en bouillonnant, et le ruisseau devient à proportion plus considérable. Arrivée à cette hauteur, elle met la moitié moins de temps pour décroître, c'est-à-dire qu’en 3 minutes, elle descend de 6 pouces. Toute l’eau qui reste dans le bassin filtre dans le sable et la fontaine reste à sec un peu plus d’une minute, ensuite le flux recom- mence et toujours de même successivement. Cet effet varie _ cependant un peu suivant les saisons @). En résumé, période de 10 min. (flux 6 min., reflux 3 min., repos T min.) ; hauteur de l’eau 7 pouces {19 cent.); bouillon- (1) LavALLÉE (Joseph), marquis de Bois Robert ; né à Dieppe en 1747; 2 Londres 1816. — Voyage dans les départements de France, 1792 ; dépt du Doubs, p. 24. (2) Voy. aussi la curieuse note dans laquelle Lavallée relève les erreurs de Couédic (14, p. 32.) — 196 — nements vers le milieu du flux; assèchement complet du bassin entre chaque intumescence. 1] OR LRC RET DD GE OA REC FIG, 3. — Graphique des observations de BARBAUD (1763) : I (eaux moyennes); IT (eaux fortes); — IIT, LAVALLÉE (1792). 7 Cn Mn EE | | PNELE CEE nb TRE RER HMS We) 15 20 25 30 39 40 F1G. 4. — Graphique des observations de GIROD-CHANTRANS, dre série, 5 Mer NS (0 15 20 25 30 D 240 FIG. 5. — Graphique des observations de GIROD-CHANTRANS, 2° série, 100 Le naturaliste jurassien, GIROD DE CHANTRANS (D) a fait, le premier, des observations suivies et détaillées sur le régime de Fontaine-Ronde et ses variations ; il a noté exac- tement les différentes durées du flux, du reflux et de la période totale ; les variations de hauteur de l’eau à chaque (1) GIROD DE CHANTRANS (Justin), né à Besançon, en 1750, 1 en 1841 ; Géographie physique du Doubs, 1810, t. L, p. 32. one intumescence ; 1l a constaté très nettement la variabilité des périodes sucessives, du moins dans certains états de la fon- taine, et ce fait important qu'une pluie de trois heures a régularisé sensiblement les intumescences ; mais ces obser- vations ne s'appliquent encore qu’à un cas tout à fait parti- Culier du régime de lä source ; en voici le tabeau : Première série ; 9 observations de 8 à 9 heures ; temp. de air: 44%1/4 R.; — temp. de l'eau: 5° 2/3 R. HAUTEUR . REFLUX (1) FLUX (2 TOTAL (3) ae 1e 2 min. 30 see. | 3 min. 30 sec. | 6 min. Om054 m/m Fe D 5 — 7 — 0 040 — TT: 3 — 30 — | 2. — 30 — 6 — 0 029 — De Vo 1 Dis 0 DIS D. D D NO Oh — 0: 081. VI. D — 2 — 4 — 0 027 — VII. 4 — 30 — | 2 — 3 — 30 $6c.| O 031 — VIII. 3 — 30 — | 5 — 30 — 9 — O0 O81 — EX 3 — À — 8 — O O8I — 50 min. 30 sec. (Pluie violente). Deuxième série; de midi à À h. 20 min. 1F DM à 6 min. 9 min. 0% 094 m/m Ike 4 — D — 9 — 0 094 — III 3 — D — 8 — O O8 — IV. 2 — 30 sec | 5 — 7 —3085.| O0 081 — NE 2 — 30 — | 6 — 8 — — | O0 092 — VI SES D — 930 sec. 8 — — | O 094 — VII ee Due à =. || 01004 = VIII D 6 — 9 — O 094 — X 3 — 920 — | 6 — 9 — 920 | O 094 — Th.16min. 505$. . (1) Temps employé à descendre. (2 Id. à monter. (3) Durée de la période. — 128 — 11° Il en est de même des observations de DüUrRocHET (1), faites par ce savant à Fontaine-Ronde en 18926, et dont il rendit compte, la même année, à l’Académie des Sciences (2) ; l’illustre physicien remarque d’abord que cette source est une fontaine périodique, c'est-à-dire à écoulement continu avec 2nlumescences périodiques ; il note quelques-unes des variations qu’il a constatées dans sa période, soit en durée (période de 6 et de 4 minutes), soit comme débit : mais son observation la plus importante consiste dans la nature du gaz qui se dégage au moment des intumescences et qu’il à reconnu être de l’acide carbonique. Dutrochet explique enfin le mécanisme de la fontaine par un afflux périodique de ce gaz et non par une application de la théorie des siphons ; en somme Dutrochet n'avait aussi observé qu’un état parti- culier de la fontaine, caractérisé par la périodicité, la régu- larité et la brieveté de la période 12° Ed. Girop 8), dans son ouvrage avant pour titre: Pur Monts et par Vaux (Pontarlier, 1858, p. 69), ajoute quelques renseignements intéressants aux deseriptions pré- cédentes. C’est à la droite de la route de Pontarlier à Jougne, à 10 kil. de Pontarlier, sur le territoire de la commune de Touillon et Lou- telet, à l'extrémité d’un pré marécageux, qu'est située la Fon- taine-Ronde. Ce pré est resserré entre deux collines, de nature calcaire, dont l’uné donne naissance à trois sources abondantes dans leur ensemble, qui coulent sur un terrain en pente de 12 m.. de longueur, sur 5 à 6 de largeur: leur litrest formé de sable très fin et parsemé de cailloux ferrugineux d’une (1) DurrocHET (René-Joachim-Henri), né en Poitou, en 1776 ; + à Paris, en 1847; célèbre physicien et physiologiste. (2) La communicatien de Dutrochet est reproduite dans diverses publi- cations, notamment dans l'Annuaire du Doubs, pour 1827, p. 171 et suiv.; on trouvera cette note importante en Appendice à la fin de ce paragraphe. (3) Girop (Claude-Edouard-Laurent,, bibliothécaire de Pontarlier, né à Pontarlier, le 10 avril 1806 ; + à Lyon, vers 1888. ’ Société d'Emulation du Doubs, 1908. PIN de FONTAINE-RONDE (Am:nagements d'Octobre 1908). Vue d'ensemble ; borne de la route. Vue plus détaillée de la source; borne de l'hémicycle. (Cliches A. Borei). 7190 > couleur rougeâtre. La source supérieure ne donne qu'un petit volume d’eau et n'offre rien de curieux ; l’inférieure fournit de l’eau constamment, et a creusé, avec le temps, une espèce de bassin arrondi. La source intermédiaire est celle qui attire les voyageurs dans ce lieu. Elle jaillit alternativement de 6 en 6 minutes environ. Et à propos du bruit qui accompagne les intumescences, cet observateur rappelle qu’il est produit par le dégagement du gaz carbonique. Ce bruit que l’on entend effectivement à chaque nouvelle intumescence de la fontaine, et qui cesse en même temps que commencé la retraite de l’eau, la science lui donne pour cause un dégagement de gaz qui, traversant une cavité remplie d’eau en partie, où il était comprimé, s'échappe tumultueusement lorsque sa force élastique s’est accumulée contre l'obstacle, elVient; à son tour, par sa pression sur le réservoir qui ali- mente la fontaine, faire monter l’eau jusqu'à la source sapé- rieure; ce serait le dégagement périodique du gaz qui déter- minerait la périodicité de la fontaine. Ce raisonnement est le plus généralement adopté jusqu'ici; il explique le phénomène d’une manière fort naturelle. Ce n’est pas précisément au siège de la source même que ce bruit est perceptible. À 13 pas de la fontaine, au pied de la montagne, on remarque une ouverture, en partie fermée par des cailloux, dans laquelle est versé le trop plein des eaux pendant l'hiver. Si l’on prête l'oreille près de cette ouver- ture, elle perçoit le murmure de ce bouillonnement souter- rain et prolongé, dû certainement à un dégagement de gaz. Si maintenant l’on demande d’où provient et comment se forme ce gaz acide carbonique, on répondra d’abord que ces émana- tions à la Fontaine-Ronde sont incontestables, et qu’il est éga- lement incontestable que l’eau qui s’en écoule en contient en dissolution ; car elle précipite Peau de chaux avec laquelle on Ia met en contact. Quant à la formation de l'acide carbonique dans les cavités souterraines, c’est un fait généralement observé, mais la cause de sa production est encore un problème à résoudre. ) — 150 — Nous ne trouvons pas traces d'observations originales sur les caractères des périodes, leurs variations, ete, 130 Il en est de même dans les différents Guides (Joanne, etc.)\, dans les diverses géographies du département et de la région; ces ouvrages se bornent à résumer les rensei- ments donnés par les auteurs antérieurs, 14° Les observations de M. Cyrille CLERC, directeur des écoles de Pontarlier, publiées dans les Simples notes... parues en 1897, apportent un certain nombre de constata- tions faites avec exactitude; M. Clerc à observé, comme nous Pavions fait auparavant, les variations des intermit- tences suivant que la source est abondante, que son débit est moyen ou très faible. Nous les utilisons dans la 2° partie de celte étude: $ 2. — Description de l’état actuel des sources. Depuis les travaux exécutés en 1827, sous l’administra- tion du comte de Milon, préfet du Doubs, et à la suite des changements que lPétablissement de la voie ferrée de Pon- tarlier à Lausanne, en 1874, a apportés à cette partie du vallon de Combe-noire, les sources de Fontaine Ronde sortent au pied du talus de la voie, dans un hémyeicle de 8 im. de rayon, qui termine la chaussée construite en 1827 ; cette chaussée, protégée par un revêtement de pierres de taille, aboutit à la route de Pontarlier en traversant les parties marécageuses du vallon et permet d'arriver facile- ment à la source en hiver et en temps pluvieux (1. La fontaine intermittente proprement dite, celle qui cor- respond à la source intermédiaire des descriptions de Girod, Droz et Barbaud, à la source principale ou plus élevée des descriptions de Piganiol et de Courvoisier, jaillit dans un (1) Le sentier dallé a été relevé en 1867, par les soins de M. Bourdin, ingénieur des Ponts et Chaussées à Pontarlier. — 151 — petit bassin triangulaire irrégulier, dont la base curviligne, d’une longueur de 3 m.50 environ, est formée par le bord même de l’hémicycle; le fond est t'ipissé de sable et de gravier ; les bords sont limités par de grosses pierres ; c’est dans ce premier bassin que se manifestent les intermit- tences, particulièrement nettes en eaux moyennes, toutes les 8 à 10 minutes environ. (TT LOT 1 LUC Ur [41 li 4 M1} 1 /} F1G. 6. — Plan de la source de Fontaine-Ronde (esquisse) : &, bassin principal à intumescences ; b, bassin secondaire ; e, source tarie ; _ d, Source continue ; e, chemin de fer ; f, borne avec inscription de 1827. Au bassin principal fait suite un ruisseau qui se dilate, après un parcours de 4 à 5 m., en un second bassin moins bien délimité que le premier, et où aboutissent le petit ruis- seau dune source ordinairement tarie et une source con- tinue ; ce bassin inférieur est mentionné dans toutes les descriptions anciennes (Courvoisier, Droz, Barbaud, etc.), et ne parait pas avoir subi de changements depuis lors. On y observe un écoulement continu, auquel s’ajoutent des phénomènes intermittents, coïncidant avec les intumescen- ces du premier bassin, mais de nature variable, consistant tantôt en véritables intumescences, tantôt en un dégage- — 152 — ment de bulles, ou en un simple bruit de bouillonnement. Tous ces phénomènes, aussi bien ceux qui se manifestent dans le premier bassin que ceux qui surviennent dans le bassin inférieur, varient suivant les saisons ou plutôt sui- vant le débit des sources. I. -- Lorsque les eaux sont très fortes, par exemple après plusieurs jours de pluie, les deux bassins, même le supé- rieur, donnent un écoulement abondant qui ne parait subir aucune variation, du moins pendant quelques heures; j'ai observé ce régime dans la matinée du 13 novembre 1894; depuis 40 h. 15 min. jusqu’à 10 h. 50 min., le bassin supé- rieur est resté plein d’eau et un mètre gradué, plongé près de son bord, a marqué, pendant tout ce temps, une hauteur invariable de 0"32; on ne percevait ni bruit, m bulles, ni bouillonnements ; toutes les sources, la supérieure comme linférieure, étaient devenues une fontaine continue. Aucun des auteurs qui ont cependant noté des variations produites par les changements dans le débit de la source, comme Cour- voisier, Droz, etc., n’a signalé cette particularité; Barbaud l’a peut-être constatée ; mais sa description n’est pas assez claire pour qu’on puisse Paffirmer : «si les pluies sont abon- dantes, dit-il, les eaux jaillissent partout ». IT. En très busses eaux, ainsi que je lai observé le 16 février 1896, le bassin supérieur ne présente aucun écoulement, ni continu, ni intermittent, pas même un dégagement de bulles ; mais, un peu plus bas, à 3 ou 4 m. au-dessous, dans le ruis- seau et au commencement du second bassin, l'eau sortait entre les graviers et les pierres, d’une façon continue, sans varialion apparente de volume, en laissant dégager des bulles de gaz, accompagnées de bruit, de bouillonnements, surve- nant toutes les 15 ou 20 minutes, ou à un intervalle plus considérable, peut-être multiple de ces durées; je les ai notés, en effet, 213. h.39-min 30 sec. 91h. 39/min. 50 Sec, 3 h. 40 min. 15 sec., 3 h. 41 min. 15 sec. et à plusieurs autres intervalles que je n’a malheureusement pas chronographiés. — 133 — Cet était particulier de la source n’est pas mentionné dans les auteurs cités plus haut. IIT. C’est en eaux moyennes que les mtumescences ou les intermittences se manifestent nettement, surtout dans Île bassin supérieur : le phénomène présente la plus grande netteté quand le débit de cette source étant faible et ne don- nant pas naissance à un écoulement continu, le bassin se vide entièrement entre chaque remplissage ; si l’on arrive au moment où le bassin est à sec, on voit au bout de peu de temps l’eau apparaître entre les graviers, recouvrir bientôt tout le fond du bassin, s’élever pendant 3 ou 4 minutes, redescendre pendant un même espace de temps et s’écouler en laissant le gravier à sec pendant 1 ou 2 minutes. Lorsque le débit est un peu plus fort, les intermittences sont rempla- cées par des intumescences gonflant périodiquement, avec le même rythme ou un rythme analogue, un écoulement con- tinu plus ou moins abondant. Mais quel que soit le régime, les intumescences ou les intermittences ne sont jamais d'une régularité absolue, soit comme durée totale ou partielle des diverses parties de la période, soit comme quantité d’eau rejetée ; le plus fréquem- ment, la période est de 6 à 8 minutes, se décomposant par exemple, pour celle de 6 min., en une intumescence de 3 min. (flux) et un reflux de 3 min. (dont À min. de repos), — et pour celle de 8 min., en un flux de # min., un abaisse- ment de 2 à 2 min. 1,2 et un repos de À min. 1/2 ; dans ces conditions, l'eau s’élève ordinairement de 20 à 30 centim. dans le bassin supérieur. C’est à ce type que se rapportent les observations de Courvoisier, de Dutrochet (en partie) ; je l’ai noté le 12 juillet 1897. On trouve, du reste, dans les descriptions du phénomène données par les divers auteurs qui ont parlé de Fontaine- Ronde, des différences assez considérables, soit entre elles, soit avec les types que nous venons d'établir ; d'autre part, _ nos constatations et celles de quelques autres observateurs 134 — ont permis de relever de grandes irrégularités suivant les saisons, et suivant le régime sec ou pluvieux des jours pré- cédant les observations. Pour COURVOISIER, la période est de 6 à 7 min. : flux = reflux; repos, 2 min.; hauteur maxima de: Peau, À pied (3.3 cin.). Pour DRoz, la période qui est de 12 min., se décompose en flux — 5-6 min., reflux — 2 à 4 min. ; repos de 3-4 min. ; hauteur maxima de l’eau, 10 pouces (27 em.). Pour BARBAUD: période. 9 min. flux = reflux, Soi Mas min. , hauteur de l’eau, {1-14 cm. | D'après.LAVALLÉE, la période de 10 min. comprend : flux dé 6 imin-retlux + min repos MIN MAATENREUS 6-7 pouces (18-19 cm }). Ces observateurs n’ont fait ordinairement qu’un petit nombre de constatations. GIROD DE CHANTRANS, le premier, a décrit les variations de la période, dans la même journée et pour des périodes consécutives ; 1l a, de plus, observé ce fait intéressant de la régularisation des périodes à la suite d’une pluie abon- dante. : Mes observations et celles de M. Clerc ont rencontré sou- vent de semblables irrégularités ; mais si on peut les consta- ter dans des périodes consécutives d'une même journée, ou de la même heure, elles me paraissent souvent sous la dépen- dance des variations du débit des sources, c’est-à-dire de l'abondance plus ou moins grande des eaux sauvages qui s'ajoutent au débit normal de la fontaine. En voici des exemples étudiés dans l’ordre des variations d'intensité du débit. 1° En eaux frès fortes, les intumescences sont noyées dans la masse d'eau de l'écoulement continu. 20 En eaux fortes, on commence à distinguer des intu- nmescences, mais elles sont irrégulières et il est difficile d'y — 139 — séparer les diverses parties de la période. (Voy. observation du 30 sept. 1896, de M. Clerc.) fin à 10 15 20 25 30 35 40 45 Fi. 7. — Intumescences en eaux très fortes (CLERC, 30 sept. 1896). 30 En eaux moyennes, les périodes paraissent se régula- riser ; voy. par exemple : GIROD-CHANTRANS. 2 série —= période de 7 m. 30 s. à 9 m. 90 &., surtout 8 à 9 m.; même hauteur —9cm. 2, 9 cm, 4. (Voy. fe Meo) CLErcC, 7 oct. 1896 — périodes de 8 m. 30 s. à 10 m. 30 s., sur- tout 9 m. à 10 m.; même hauteur de l’eau = 23 à 24 cm (voy. fig.8), voy. aussi observation faite le 6.janvier 1898 (fig. 11). MAGNIN, 12-juillet 1897 = période de 7 min. ; hauteur, 13 cm. Nov ee. 91 TT.* Ô 25 Ca ANA 15 DAAVEAV AREA AU Mn. 10 20 30 40 50 60 70 FiG. 8. — Intumescences en eaux moyennes (CLERC, 7 oct. 1890). 4 En eaux faibles, on observe des variations considé- rables dans la durée des périodes et la hauteur de leau par Exemple : — 130 — GIROD-CHANTRANS, l'e série — périodes variant de 3 à 9 m. ; hauteur de l’eau variant de 1 em. 3 à 8 em. 1. DUTROCHET = périodes de 4 min., 6 m., etc. IL. Min. 3 10 15 (6) 1 10 15 re. 9: Intumescences en eaux abondantes, [| ; — en eaux peu abondantes, [IT (Observations personnelles des 14 mai 1894 et 12 juillet 1597.) 9° En eaux très fuibles, les périodes paraissent plus régu- hères, comme le montre le graphique ci-dessous de M. CLERC (13 mai 1896) ; la source devient véritablement interimit- tente (au moins en apparence), le bassin se vidant complète- ment dans l'intervalle. [O nin 5 10 15 20 Z 5 30 So FIG 10 — Intumescences en eaux très basses (CLERC, 13 mai 186; * bouillonnement. 60 Enfin, en eaux tout à fait basses, il y a absence com- plète des, internmittences;1le-bassin resteusec, Veau ne s’écoulant plus que dans la profondeur du gravier ; les phé- nomènes d’intermittence peuvent cependant se manifester encore par le dégagement de bulles de gaz, survenant à intervalles plus ou moins réguliers et remplaçant les intu- — 137 — mescences qui ne peuvent arriver à la surface, par suite du débit trop faible de la source ; nous avons observé plusieurs fois cet état de Fontaine-Ronde, notamment le 16 fév. 1896. Comme exemple de variations dans les périodes consécu- tives, nous pouvons citer une observation très intéressante faite par M. Clerc, le 6 janvier 1898 (inédite) et dont nous donnons linterprétation suivante. 11 15 Cm RARES ELA RENALONN FNSPAR Ur US NENIER ie SEULE LAN Min 5 10 15 20 25 3Q 351: 40 4] F1G. 11. — Intumescences en eaux moyennes (CLERC, 6 janv. 1898) : à, dépression partageant deux périodes confluentes en une seule. a 7 Comme le montre le diagramme ci-dessus, la courbe se laisse facilement décomposer en 5 périodes de 8 min. 1/2 ou 9 min. ; les 2 premières sont confluentes en une période de 17 à 13 min., mais qu’une légère dépression dans son milieu sépare en 2 moitiés égales (a); cette dépression s’accentue entre la 2% et la 3e période ; plus encore entre la 3e et la 4s ; enfin ia 5 est complètement séparée par 2 asséchements du sol et constitue donc une véritable intermittence : elle est du reste remarquable par la rapidité du flux et le volume de l’eau rejetée, la hauteur atteignant 15 em. 1/2, au lieu de 10 à 11 cm, des périodes précédentes ; ici, il n’y a pas de variations dans le rythme, qui est toujours de 81/2 ou 9 min., mais dans l'intensité de chaque intumescence. Plusieurs phénomènes accessoires intéressants accom- pagnent les intumescences, les intermittences et leur dis- HAHTION: — 138 — Le principal, celui qui éveille de suite Pattention, est un bruit souterrain d’abord, puis de bouillonnement plus rap- proché, qu’on entend à divers moments de la période ; e’est ensuite la sortie de bulles de gaz, qui se manifeste en mêine temps ou à d’autres moments. Le bouillonnement et la sortie des bulles ont été notés par la plupart des observateurs. COURVOISIER à constaté un bouillonnement précédent le flux : on entend d’abord un bruit profond, puis les bulles apparaissent; un petit bruit s’observe aussi à la fin du reflux ; — Droz note un bouillon- nement, un murmure, se produisant en même temps que l'eau monte ; — BARBAUD, GIROD-CHANTRANS les signalent aussi: — dans les observations de M. CLERC, on voit le bouillonnement survenir soit 1 min., soit 2 min, soit de 3 Min. 19 S.à 5.min. après la crue, cesser 1/2 min. avant le maximum, puis reprendre 1 min. 1/2 après (soit peu après le-commencement du reflux) et.se loire entendre encore après 2 min. 1/2 (soit | min. avant la fin de l’intumescence). J'ai aussi noté l’apparition du bouillonnement un peu avant le début de l’intumescence et un dégagement abondant de bulles à la fin du reflux Le bruit souterrain est quelquetois si fort qu’on peut l'entendre à une certaine distance ; M. Clerc rapporte qu'en 18956, il avait effravé les habitants du hameau de Chapelle-Mijoux, voisin de Fontaine-Ronde. En résumé, le bouillonnement qui se produit lors des intumescences, dans le bassin supérieur : 1° commence un peu Avant le début, augmente avec cette intumescence, continue pendant le flux et cesse un peu avant la fin; — 2 il se produit, en même temps, dans la parte inférieure, siège d’un écoulement continu ; — 4 il s’observe seul, dans celte dernière partie, quand les intumescences n’ont plus lieu dans le bassin supérieur, c’est-à-dire en temps de sécheresse : — 4° enfin le bouillonnement disparait comple- tement en grandes eaux, c’est-à-dire en même temps que les intumescences. 280 Nous pouvons dire de suite que ces particularités du déga- gement des bulles de gaz semblent confirmer le rôle que Dutrochet attribue au gaz carbonique dans le mécanisme des intumescences. Nous étudierons, du reste, les diverses explications qui en ont été données dans la dernière partie de ce mémoire; mais il convient cependant de donner de suite les renseignements géologiques et hydrologiques qui complèteront la description de Fontaine-Ronde. 23. — Origine de la Source. Le vallon. dé la Combe (ou Combe-Noire). est encaissé entre deux falaises des terrains jurassique et crétacé infé- rieur, dont les assises presque horizontales au niveau de la source sont en Stratification renversée ; on observe, en effet, du sommet de la falaise à la base : le Jurassique supérieur, Kimméridgien et Portlandien, J°, J6, le Purbeck et le Valan- ginien CV. Fig. 12, — Coupe géologique de la Combe de Fontaine-Ronde : _J°, Kimméridgien ; 367, Portlandien et Purbeckien ; Cv, Valanginien. — _&, source intermittente ; b, chemin de fer; ce, chemin de Montperreux : d, route de Pontarlier aux Hôpitaux. On pourrait croire qu’on a là un exemple de nappe de — 140 — recouvrement; mais M. FouRNIER à montré (l) que cette disposition était due à un reploiement de couches tel « que les deux flancs jurassiques se couchent jusqu'à l'horizontale et viennent se toucher au-dessus des couches infra-cré- tacées ». La coupe ei dessous, extraite de la note de M. Fournier, fait bien comprendre cette interprétation. FIG. 13. —- Coupe géologique de la région, d’après M. FOURNIER : mêmes notations. L’eau réunie dans la combe située à l'Ouest, au niveau des marnes du Purbeck, descend par des fissures du Valangi- nien dans des réservoirs où s’accumule en même temps le gaz carbonique ; lorsque la tension de ce gaz devient assez forte pour amorcer le siphon, l’eau contenue dans le réser- voir s’AJoute à celles de la source continue et des eaux sau- vages en temps de pluie, et des intumescences se produisent dans la source principale, en même temps que des bulles de gaz se dégagent en divers points des sources et du ruis- seau superficiel, jalonnant ainsi le cours du ruisseau souter- rain, qui persiste seul lorsque les eaux sont basses. Nous crovons devoir donner en appendice la note de Dutro- chet qui complètera ces renseignements. (1) Etude sur la tectonique du Jura franc-comtois, dans Bull. Soc. géolog. de Fr.(%es ),t. I, p. 99; voy aussi Soc. Hist. nat. du Douës, nos M1903;-p 23: Observation de M. Dutrochet, membre correspondant de l’Académie royale des sciences, publiée en 1826. La fontaine périodique appelée la Fontaine-Ronde est située à une lieue et demie de Pontarlier, sur le bord de la route de cette ville à Jougne. Cette fontaine, qui est fort abondante, n’a point de bassin, à proprement parler, L'eau qu’elle verse sort entre les pierres d’une plage caillouteuse inclinée, laquelle a quinze pas de longueur sur six à huit de largeur. La partie la plus déclive de cette plage verse l’éau sans interruption : la partie la plus élevée ne verse de l’eau que de six en six minutes. Ainsi cette fontaine n’est point intermittente; elle est simple- ment périodique, puisqu'elle offre un écoulement continuel avec des intumescences périodiques. Les fontaines de ce genre ne sont pas très rares, et le phénomène qu’elles présentent, a, dans tous-les temps, attiré l’attention-.des curieux et sollicité les méditations des physiciens. Hiéron d'Alexandrie le premier, donna une explication plausible de l’intermittence des fontaines, en supposant dans l’intérieur de la terre des réservoirs d’eau munis de syphons naturels. Les physiciens qui sont venus depuis ont généralement adopté cette explication qui, dans la plupart des cas, rend bien raison du phénomène dont il est ici question. Lorsqu'il existe des intermittences inégales dans leur durée ou des intumescences qui varient dans leur élévation, et que ces inégalités se reproduisent périodiquement avec régularité, on explique cela en supposant l’existence de plusieurs réservoirs inégaux, munis chacun d'un syphon. Tout cela est possible, et Part peut produire par ces moyens des effets semblables à ceux que présente la nature, ce qui semble justifier l’hypothèse émise pour les expliquer. Cependant, quelque plausible que soit cette explication, on ne doit pas perdre de vue que ce n’est qu'une hypothèse : la nature peut avoir d’autres moyens que ceux que nous supposons pour produire lintermittence des fontaines. L'étude attentive que j'ai faite de la Fontaine-Ronde m'en a fourni la preuve. Cette fontaine, ainsi que je l'ai dit plus haut, offre une intu- mescence dont la durée est d'environ trois minutes, etun abais- 192 sement d’une durée semblable ; en sorte que la période de la fontaine est d'environ six minutes. Dans plusieurs visites que je fis à cette fontaine, je remarquai que les abaissements de l’eau n'étaient pas toujours égaux entre eux : ordinairement la partie la plus élevée de la plage caïllouteuse qui verse l’eau reste complètement à sec lors de Pabaissement ; cependant il arrivait quelquefois que cet abaissement de l’eau n'allait pas Jusqu'à mettre les cailloux complètement à découvert. Ces ano- malies n’offraient aucune régularité dans leur retour. Il me parut difficile de les concilier avec la régularité périodique que doit nécessairement amener le jeu d’un ou de plusieurs syphons. Lorsque l’intermittence d’une fontaine est due à l’action d’un syphon, cela provient nécessairement de ce que le syphon vide le réservoir avec lequel il communique en moins de temps que le courant affluent n’en met à remplir ce même réservoir. Sile volume du courant affluent vient à augmenter, le réservoir se trouvant plus promptement rempli, lintermittence sera de moindre durée, et l’écoulement du syphon sera plus long. Enfin, si le courant affluent amène dans le réservoir autant d’eau que le Syphon peut en transmettre, l’action de ce syphon sera sans interruption, et la fontaine cessant d’être intermittente, devien- dra continue. Dans l'hypothèse de l'existence d’un syphon laug- mentation de l’eau affluente dans le réservoir doit constamment augmenter la durée des écoulements, en diminuant celle des intermittences jusqu’à ce que ces dernières disparaissent tout à fait : jamais il ne peut arriver, dans cette hypothèse, que la durée de l’écoulement ou de l’intumescence, et la durée de l’in- termittence ou de l’abaissement, éprouvent simultanément une diminution. Or c’est cependant ce que j'ai observé dans le Jeu de la Fontaine-Ronde; son intermittence dure ordinairement trois minutes, et elle reste autant de temps à S’abaisser. Un jour, j'ai trouvé que l'intumescence durait seulement deux minutes et que l’abaissement n’avait que la même durée. La période de la fontaine se trouvait ce jour-là réduite à quatre: minutes, au lieu de six minutes qui est la période la plus ordi- naire et qui était celle que j'avais observée précédemment. Cependant la quantité de l’eau versée ne me paraissait pas avoir varié depuis la dernière fois que je l'avais visitée. — 1435 — Cette période de quatre minutes se maintint constamment pendant une heure de temps que j’employai à l’observer. Cette observation me prouva de la manière la plus évidente que la périodicité des inturmescences de cette fontaine n’est point due à l’action d’un syphon. Quelle est donc la cause de ce phéno- mène ? Li l'observation peut nous offrir quelques lumières. Lors de l’intumescence de la fontaine, une grande quantité de gaz sort avec l’eau des entrailles de la terre, et les bulles nombreuses de ce gaz en se dégageant de l’eau lui donnent l'apparence d’une sorte de bouillonnement. J'ai recueilli une quantité de ce gaz suffisante pour le sou- mettre à l’analyse, et j'ai trouvé que c'était de lacide carbo- nique pur. | Ce gaz développé dans les entrailles de la terre n’arrive que périodiquement dans les conduits souterrains qui transmettent l’eau de la fontaine, puisque son dégagement au dehors n’est que périodique, bien que l'écoulement de la fontaine soit conti- nuel. En effet, pendant la période de l’abaissement, la fontaine continue de couler, et même avec assez d’abondance, sans qu'il s'y dégage une seule bulle de gaz : cependant, lorsque la période de l’intumescence arrive, les bulles de gaz sortent de tous les endroits par lesquels l’eau sourdit, et la partie de la fontaine qui est le siège de l’écoulement perpétuel verse alors du gaz comme toutes les autres parties. Gette observation prouve que le gaz acide carbonique n’est point constamment mêlé avec l’eau de la fontaine dans les conduits souterrains, mais que ce gaz ne paraît que périodiquement dans ces conduits. Nous chercherons tout à l'heure quelle peut être la cause de cet afflux périodique du gaz acide carbonique dans les conduits souterrains de la fon- taine; en attendant, nous sommes autorisés à considérer cet afflux périodique du gaz comme la cause de l’intumescence pério- dique de l’eau de la fontaine. On conçoit en effet que l’arrivée du gaz dans les conduits souterrains que remplit déjà Peau, doit expulser celle-ci en quantité proportionnelle au volume du gaz affluent ; alors lintumescence de la fontaine se manifeste à la surface du sol. Lorsque le gaz cesse d’affluer et s’est complète- ment dégagé, l’eau s'abaisse et prend le cours continu qu’aurait nr constamment la fontaine sans lafflux périodique du gaz qui cause l’intumescence de ses eaux. Au pied de la montagne, et à quinze pas environ de la fon- taine, setrouve une ouverture en partie bouchée par des cailloux, par laquelle la fontaine verse le superflu de ses eaux pendant l’hiver, lorsque son abondance est extrème Pendant tout le reste de l’année, cette ouverture ne verse point d’eau. Si l'on prête l’oreille auprès de cette ouverture, on éntend un bouillon- nement souterrain très considérable, lequel dure tout le temps de l’intumescence de la fontaine : on n'entend aueun bruit pen- dant la période de labaissement. Ge bouillonnement souterrain est dû, d'une manière très évidente, à un dégagement considé- rable de gaz, lequel fait en sortant d’une cavité remplie d’eau, cette sorte de bruit que tout le monde connaît ; ce bruit que fait entendre par exemple une bouteille pleine d'air, lorsqu'étant plongée dans l’eau, ce liquide chasse, en s’y introduisant, l'air qu'elle contenait. Cette nouvelle observation prouve que tout le gaz qui cause l’intamescence de la fontaine ne se dégage pas avec son eau à l1 surface de la terre, mais qu’une grande partie du dégagement de ce gaz s'opère au-dessous de la surface du sol, et qu’il s'échappe par des conduits qui lui sont propres, et très probablement par l'ouverture dont il vient d'être ques- tion. Cette quantité de gaz expulsé périodiquement rend parfai- tement raison de l’intumescence périodique de la fontaine. Recherchons actuellement quelle peut être la cause de cette émission périodique de gaz acide carbonique. Bornons-nous ei au fait démontré de la production souterraine du gaz acide car- bonique, sans rechercher quelle est la cause de cette produc- tion. Le gaz développé dans les profondeurs de la terre doit tendre à remplir les cavités qu’il rencontre et à en chasser l’eau avec une force qui sera en raison de sa force élastique, et celle-ci sera en raison Ge Son accumulation : cette dernière sera l’effet natu- rel de la continuité de la cause du développement de ce gaz, à la sortie duquel un obstacle serait opposé. Or, supposons qu'une cavité souterraine d’une assez grande étendue soit remplie de gaz, et que la sortie de ce dernier ne puisse s'effectuer que par une ouverture d'une largeur médiocre, laquelle s’ouvrirait laté- he ralement dans le conduit d’un courant d’eau souterrain : le gaz sera coëércé dans la cavité qui lui sert de réservoir par l’obstacle qu'opposera à sa sortie la colonne d’eau du canal souterrain, tant en raison de sa pesanteur qu'en raison du mouvement qui l'anime, mouvement dont la direction coupera à angle droit la direction du mouvement que tend à prendre le gaz pour péné- trer dans le canal conducteur de Peau. Cette résistance que le gaz éprouvera à sa libre sortie sera la cause de son accumula- tion dans son réservoir, puisque la cause qui produit ce gaz est sans cesse agissante. Lorsque, par le fait de Son accumulation, le gaz aura acquis une force élastique suffisante, il surmontera l'obstacle que la colonne d’eau oppose à sa sortie, et alors le mouvement de réaction élastique Communiqué à toute la masse du gaz contenu dans le réservoir en fera pénétrer de suite une grande quantité dans le canal conducteur de l’eau, et ce liquide, gonflé par cet afflux, sera chassé avec force vers la terminaison du canal, c’est-à-dire vers la superficie du sol; là, par consé- quent, se manifestera une intumescence de l’eau, accompagnée _dela sortie d’une grande quantité de gaz. La réaction élastique du réservoir de gaz étant terminée par le fait de son évacuation partielle, l’eau du courant souterrain reprend son rôle d’obstacle dirigé contre la sortie du gaz dont la force expansive a éprouvé de la diminution ; alors cesse à la surface du sol l'apparition du gaz et l’intumescence de l’eau, double phénomène dont la lai- son constante n’est évidemment antre que celle qui lie une cause à son effet. _ Le dégagement du gaz acide carbonique qui Sort mêlé à l’eau de la source de la Fontaine-Ronde, annonçait que Peau de cette _ fontaine devait tenir en dissolution une certaine quantité d’acide carbonique. Effectivement, j'ai trouvé que cette eau précipitait fortement l’eau de chaux ; mais elle ne rougit pas la teinture de tournesol ; ce qui prouve que la quantité d'acide carbonique qu'elle tient en dissolution n’est pas très considérable. Ainsi il parait que le méiange de l’eau avec le gaz acide carbonique ne s'opère qu'à peu de distance de l'endroit où leau de la fontaine se produit à la Surface du sol. Si Peau parcourait un grand trajet dans ses canaux souterrains, en chariant avec elle du gaz acide carbonique, elle ne tarderait pas à s’en saturer. Au reste, la 10 = Fontaine ronde n’est pas la seule dans laquelle j'ai constaté la présence d’une quantité assez notable d'acide carbonique en dissolution ; l’eau de presque toutes les fontaines de la chaine du Jura précipite fortement l’eau de chaux ; elle cesse de pro- duire cet effet quand on la fait chauffer légèrement, parce que la chaleur lui fait perdre l’acide carbonique libre qu'elle tenait en dissolution: elle continue alors de conserver seulement la portion d'acide carbonique à l’aide duquel elle tient du carbo- nate calcaire en dissolution. Je n’entreprendrai point de déterminer à quelle cause tient cette quantité d'acide car onique que contiennent les eaux du Jura, mais ce fait me paraît très digne d’attention. Par les soins de M. Bourdin, conservateur des forêts en retraite, secrétaire général de Ia Société forestière de Franche-Comté, et grâce aux subventions de cette Société et des communes voisines, la partie du vallon où sort Fon- taine-Ronde a été l’objet d'importantes améliorations : pro- tection contre le bétail par uue clôture en fil de fer ; planta- tions d’arbres ; curage du bassin de la source ; pose de trois bancs rustiques, etc.; ces aménagements ont élé exécutés dans le courant de l’automne 1908. Voy. Soc. forestière, Bull. n° {, mars 1909, p. 54. Les photogravures placées en tête de ce Mémoire, que je dois à l’obligeance de M. A. Borel, de Pontarlier, montrent l’importance de ces changements et combien ils ont modifié l’aspect de la source et la descrip- tion que nous en avons donnée. (Note ajoutée pendant l'impression.) IT FONTAINE INTERMITTENTE DU MOULINET, PRÈS SYAM (Jura). Lorsqu'on parcourt la contrée pittoresque qui s’étend entre Champagnole et Samt-Laurent-en Grandvaux, après avoir traversé l’Ain sur le hardi viaduc de Svam, du haut de la voie ferrée placée à une grande hauteur sur le flanc du plateau du Vaudioux, on aperçoit dans le fond de la vallée, d'abord les forges et le village de Syam, puis le confluent de la Laime et de la Saine qui descendent, la premiere des environs de Saint-Laurent, la deuxième, des montagnes de Foncine-le-Haut ; c’est au voisinage de ce confluent, au pied de la colline qui domine Svam à lEst, à 1 klilom. 1/2 envi- ron au Sud de ce village, que se trouve la source intermit- tente dite Fontaine du Moulinet. Mi, lu y ù ROULE S "fs (a 264 De 1 2. FiG. 14. — Source du Mouiinet et ses environs: J5, Portlandien ; agl., Ste, source intermittente. alluvions anciennes ; a ?, alluvions récentes ; Pour y arriver depuis Syam, on prend d’abord le chemin de la Billaude ; on le quitte, au bout d’environ dix minutes de marche, avant qu'il traverse la Saine, pour continuer sur — 148 — la rive droite de la rivière, jusqu'au ruisseau d'écoulement de la source; on remonte ce ruisseau en suivant un joli sentier sous bois, bordé par des canaux d'irrigation qui distribuent l’eau de la source à des prés verdoyants dont la belle coloration contraste avec la teinte roussäire des prairies voisines. La source du Moulinet sort, à laltitude d'environ 545 m., au pied d’une colline portlandienne, dans des éboulis, au contact des alluvions glaciaires qui forment la terrasse sur laquelle est établi le chemin de Syam el qui s'élève de ue ques mètres seulement au-dessus de la plaine d’alluvions modernes formant le fond du vallon où coulent les deux rivières. Falaise Port{an d.S F1G. 15 — Coup: géologique passant par la source du Moulinet : . al, alluvions anciennes ; a?, alluvions récentes. Son bassin polygonal, de 2 à 5 m. de diamètre, bordé de gros blocs de pierres alignés en forme de margelle, est gracieusement ombragé par un bois de Chênes,.de Frênes, de Coudriers, où croissent, sous des buissons d’Aubépine et de Groseillers sauvages, quelques plantes intéressantes, comme l’Asarum europæum et le Pulmonaria ovalis. On trouve la description de cette source et des phéno- mènes qu’elle présente, dans plusieurs ouvrages, notam- ment dans les suivants : 19 ROMAIN-JoLY, déjà cité à propos de Fontaine-Ronde (1), (1) Voy. plus haut, p 121. 149 — décrit en ces termes la source du Moulinet et ses intermit- tences (1). Un demi-quart de lieu au-dessus du confluent des deux moindres rivières, presque au bord de la Sene, vis-à-vis une pointe de rocher qui sépare son lit de celui de lPAyme, on rencontre une fontaine qui a quelque analogie avec le flux et le reflux de l'Océan, au pied d’une montagne qu s'élève en amphithéâtre. Elle sort de cinq à six endroits sur la même esplanade, parmi des cailloux, autour desquels on voit l’eau monter tout à coup jusqu’à la hauteur d’un pouce et demi; et elle s’abaisse ensuite insensiblement. Ces accroissements arrivent de demie en demie heure. f’en ai vu lrois consécutifs. Il me semble qu’on en doit chercher la raison dans le mélange souterrain de deux sources; l’une forme un ruisseau ordinaire, qui ne tarit point; l’autre laugmente périodiquement. Si vous ôtiez les communications, le lit de la rivière serait alternative- ment à sec et rempli d’eau, comme on le voit à Noire-Combe, dont nous parlerons plus bas. 20 Plus tard, LEQUINIO (2) lui consacre quelques lignes : après avoir signalé cette source comme ayant une intermit- tence de 7 minutes, «on la voit, dit-il, croître, et décroitre alternativement dans cet espace de temps d’une manière assez uniforme, à moins que l’abondance des pluies ne change Îles cavités souterraines par lesquelles elle coule, alors les intermittences sont à peine sensibles: mais une fois dégagée de cette réplétion accidentelle, elle remontre son cours intermittent et léger ». 30 Sur le plan cadastral de la commune de Syam, exécuté _ en 1823, le géomètre a inscrit la mention suivante : « Fon- taine intermittente dont la période est de 13 min.; 9 min. _ pour monter, 3 pour descendre, À tranquille ». 4 Rousser et MorEAU en font plus tard, la descrip- (1) Op. cit, p. 58 (2) Voyage dans le Jura, an IX, p 226. == 10 tion suivante (l) : (« Dans le lieudit au Moulinet, près du con- fluent de la Sène et de Lemme, est une fontaine intermit- tente qui sort de 5 à 6 endroits parmi les cailloux autour desquels on voit monter l’eau tout à coup, de 10 minutes en 10 minutes, jusqu à la hauteur de 3 centimètres et s’abais- ser ensuite insensiblement. Lorsque la source est rendue plus abondante par les pluies, les intermittences cessent ». o0 Les descriptions qu’on trouve dans les Guides et les autres ouvrages géographiques ou pittoresques sont des résumés des descriptions qui précèdent et ne contiennent aucun renseignement nouveau. | 60 Le savant géologue de Lons-le-Saunier, M. L A. GiRrAR- DOT, à fait, en 1865, des observations sur la fontaine inter- mittente de Syam qu'il n’a malheureusement pas publiées ; d’après ses souvenirs, la montée de Peau aurait été de 7 min. et la descente de #4, ou peut-être de 3 minutes d'écoulement en très basses eaux et 4 minutes d’assèchement complet ? J Lors de ma visite, le 7 octobre 1897,-à°6-n° 12"°du matin, les eaux étaient fortes ; le bassin était plein d’eau et un ruisseau abondant s’en échappait constamment ; mais les intumescences périodiques étaient cependant assez appré- ciables ; voici le tableau des mesures prises, avec un mètre placé dans l’eau, de 6 h. 42 à 7 h. 13 min. Min. Sec. Haut. Min. Sec. Haut. | Min. Sec. Haut. | Min. Sec. Haut. 49/2 01920 47 O0 90 47 50 24 27 | 49 30 25.2 nd A) 091 (PASSE 40 25 5/, 10) 0) 1040, 99 00 1 I0N0S Sa 0e 0 20 18 152893 DOI ED EDR 27 AOÛ 18 20/1295 0) A 27 1082577 46 30. 94 DR 40 95 20-25 E 401,93 30 2% 50907 SDMEM20 4599 JON DA AU 0095010 40 26 50:21 AO DATE 1022025 502558 99 0790) 45 NAS 20055 5100026 (1) Dictionnaire géographique, historique et statistique des communes du Jura, t. VI, p. 39. Min. Sec. Haut. Min. Sec. Haut. | Min. Sec. Haut. | Min. Sec. Haut. me Te RÉ a ne s. 7130: 2180 1 100 26:1 DORA IR NS do 2220 40 29.8 20: 25.9 SO O8ES 20 26 50 29.5 ae 20.1 570% 298.4 201001 SU 2905 40% 96.9 20 198 40; 96:92 10° 99% SOMM26:3 30: 98 50126: 920 929.8 0: 320.5 40 97.8 00.964 20 :99:7 10909 00222 7;:0:| 10-2905 40% 995 JO 20 9001975 20965 50117993 3) 15:20:39 TOMATE 30% 90 9 0 929 40 ‘926.5 20 197.3 40 26.1 10 29 20:0120:9 SU 27 50 2 96:2 920: 28.8 Sn 06.20. 1 A0°:%96 7 4 60/2029 30 98.75 1081905 90 95 10 26.5 40 98.8 20 26.8 99220: 94 20::792640 DUO SON O7 40 = 9835 SUEM90:S 10 "0.* 98.4 AD 27.9 20-7295 40 26.9 10 98.3 H0:27:5 20:95 501097 20409879 410%: 197.8 40295 19 Due 027.1 30 98 TO 2805 502495: 4 1029792 40 98 2071920 JED 0935 0009075 SON MMOTES 30 9297 >: 40- :94 30: 927:.4 ÉLO 07 SE 40 29 90::.:9%:9 A0: 9755 40 :27 50 928.9 30 248 DU0MMITAC 20020675 0 99 40 24.9 6079717 30:: 95.5 10 29 90 7.95 102528 40 94.8 20): 29 1520 S92%),7 20 2879 50 9% SDACDOES 1022095 3 29 12009525 40 99 20:95 40. 29.5 10 23 DON-90.9 901-795 451299 5), DO0IE 90:0:.:929 40259559 50 - .99 2/3 30:1949 10: 28:8 D0S095:8 HO 40. 924.5 DD 98 7 DOM 95 4 10° 995 DORLIIATS 30. 28.0 10:77,95%5 20 30 493:}107,.:95 Ces observations, transformées en courbe, donnent le gra- phique suivant : Omin 3) 10 15 £0 25 lFr& 16. — Graphique des intumescences de la source du Moulinet. — 1952 — Soit, en moyenne, une période de 12 min. 30s , dont 8 min 30 s. pour la montée et 4 min. pour la descente, avec une intumescence d'environ 3 cent. à 3 cent. 1/2 d’eau; noter qu'on n'observe ni dégagement de bulles, ni bruit d'aucune sorte ; l’eau s’élève insensiblement et diminue de même. La température de l’eau était de 9%5, celle de l'air étant descen- due le matin à 2°, Comparaison des observations faites par : R.-JOLY LEQUINIO CADASTRE ROUSSET GRARDUT| on MAGNI | Durée de la période.! 30 min | 7 min 13 min.| 10 min 11-13 m.,12 m. 30 5. Montée sue Mel Or Re | 7 min. | 8 — — DeScentelerre te te PS ue OS CE LABS EME Repos..-( RE D | 3 _. Hauteur | deleau nil. VE. Mer 3-3 cu 1/2 } De ce tableau il ressort que, de même qu'à Fontane- Ronde, le régime de la fontaine, la durée de la periode et de ses diverses parties, les internittences (en basses eaux et l'intensité des intumescences (en eaux moyennes et fortes), varient avec le débit de la source ; mais ici on ne peut attri- buer ces variations à un dégagement gazeux. [IT * SOURCES DE NOIRE-COMBE, PRÈS CINQUÉTRAU (Jura. Dans la vallée de la Bienne, à 7-8 kilom. au N. de Saint- Claude, en face de la Rixouse, une terrasse, élevée d'environ 135 mètres au-dessus du fond de la vallée, se détache du flanc de la montagne de Cinquétral et porte, presque sur ses bords, les maisons du hameau de Koirecombe ; cette terrasse, dirigée comme la vallée du N.au S., se termine à l'O. par un à pic de 11 m. 50 et des pentes escarpées formés par le Portlandien, le Ptérocérien, le Virgulien et le Rauracien (1). “hi ‘14, Ÿ F1G, 17, — Esquisse de la région de Noirecombe : &, Sources ; b, ha- meau de Noirecombe ; €, la Bienne ; d, Cinquétral ; e, Valfin-lès-Saint- Claude. Près du sommet de cette paroi verticale, à 4 m. environ au dessous du bord de la terrasse, s'ouvre une longue mais étroite excavation, sorte d'abri sous roche, creusée dans les (4) D’après la carte de l'E.M., l'altitude de cette terrasse, vers le village _ de Noïrecombe; est de 587 mètres. ne marnes et les calcaires marneux du Ptérocérien ; la base forme une corniche dominant le reste de l’escarpement ; on y arrive par deux sentiers placés à ses extrémités et on peut la suivre assez facilement malgré sa faible largeur. ler Bienne < ESC Fia. 18. — [: Esquisse dun: coups géologique de l’escarpement de Noirecombe: J5, Rauracien ; J#, Astartien ; J5, Kimméridgien ; J6, Port- landien ; a!, glaciaire, — If, Détails de la corniche aux sources. Dans l’excavation s'ouvrent huit sources ou orifices, éche- lonnés du N. au S.. à peu près au même niveau, au-dessous du plafond portlandien, groupés dans 4 compartiments secon- daires (A, B, GC, D), aux distances et avec les dimensions représentées dans le schéma ei-dessous : 0 in ir TITTITIIIITTTTT 721 C. CTP TT III IT. TC A 7 TITTIÎITTIIITIIT. 777 7 MIT I PI TT AM I DE re ce 8. FIG. 19, — Abri sous roche et compartiments des sources : &, corni- che portlandienne ; b, abri dans Kimméridgien, avec talus et orifices des sources ; c, plateforme (corniche inférieure) ; — Compartiments : À, avec les sources 1, IT; — B, sources ITE, IV, V; — C, sources VI et VIT; — D, source VITT. — 155 — Ces sources sont les unes presque constamment taries (et V); d’autres sont continues sans variation (VITE) ou continues avec intumescences périodiques en eaux assez abondantes (IT et VII), ou bien intermittentes en eaux moyennes et taries en basses eaux (ET, IV et VIT) ; avant de passer à la description des diverses particularités qu'elles présentent, je reproduis ce que ROMAIN-JOLY, -- un des rares auteurs où j'ai trouvé mention de ces sources (l), — en dit au milieu du ‘siècle dernier (op. eît., p. 65). Représentez-vous une montagne au levant de la rivière, qui est escarpée depuis les deux tiers de sa hauteur jusqu'au som- met. C’est dans cette escarpe que l’on va voir trois cavernes, dans l’une desquelles il y a une source abondante, mais dont le cours n’a rien de particulier. Chacune des deux autres con- tient deux fontaines, dont les intermissions sont sensibles, sans être régulières. Elles sortent d’un bassin qui s'enfonce dans le rocher. J'ai vu lintermission durer quatre minutes ; l'écoulement qui la suivit en dura trois; il y eut ensuite un quart.d’heure d'intervalle, pendant lequel on entendait un bour- donnement semblable à celui qui annonce l’écoulement des eaux, sans qu'il en arrivât. Il parut enfin et se soutint dix minutes. Dans la seconde caverne, la fontaine qui donne de Peau la première est au Midi; celle du Nord est plus tardive et moins abondante. La troisième caverne est moins profonde que les deux autres, qui se ressemblent parfaitement. Les deux fontaines y sont à la distance de trois pieds l’une de Pautre, comme dans la seconde, mais elles sont plus sujettes à des variations, et l'une tarit quelquefois tout à fait. [paraît que c’est un siphon naturel qui produit ce nhénomène. La première source dont parle Romain-Jolv est évidem- ment la source continue n° VITE de notre notation ; celles de Ja 2e caverne sont les n°% VI et VII (groupe C), et enfin les (} Voy. plus haut, p. 191. — 156 — sources variables de la 38 sont les TIT, IV et IT de nos pre- miers groupes B et A. Rousser (l) reproduit textuellement la description de Romain-Jolv et y ajoute : « D’autres pensent que c’est le dégagement périodique du gaz qui cause la périodicité de la fontaine ». C’est évidemment la conclusion du Mémoire de Dutrochet sur Fontaine-Ronde qui a suggéré cette addition à l’auteur du Dictionnaire des communes du Jura. Les intumescences des sources IT et VIT et les intermit- tences des sources ILE, IV et VI ne se manifestent que si les pluies ont donné à ces sources un débit suffisant ; en basses eaux, on n'observe aucun écoulement aux sources EE, [IV et VI, aucunes variations dans le débit des sources [IT et VIT; c'est l’état dans lequel nous les avons trouvées lors de notre première visite, le 20 octobre 1897, et c’est aussi la mal- chance qui est arrivée à plusieurs observateurs ; mais, grâce a.la surveillance exercée par MT Cochon, inspecteur des forêts à Saint-Claude, et à son obligeant avis, j'ai pu obser- ver, le 18 décembre 1897, les sources dans leur état de fonctionnement complet ; M.J. Cochon m'a non seulement adé dans létude de ces sources si intéressantes, mais a bien voulu faire des observations complémentaires qui me permettent de donner une description satisfaisante des phé- nomènes remarquables que ces sources présentent. $ 1er. — Description des Sources. Nous allons examiner successivement les huit sources échelonnées du N. au S., dans les quatre compartiments (A, B, C, D) de l’abri sous roche. Cet abri est constitué par une corniche portlandienne (Jf) (1) Dict. des comm. du Jura, ouvrage cité, voy. plus haut, p. 149-1450. — 157 — formant le toit de l'abri au-dessus des excavations : elle est garnie de Tilleuls, de Frênes, de buissons de Noisetier, Cor- nouiller sanguin, Prunelier, Viorne mancienne, Erable, Sycomore, Aubépine, etc.: les parois verticales sont cou- vertes d’Anomodon viticulosus. Sous la corniche, le fond des excavations est formé par un talus (marnes et calcaires marneux du Ptérocérien J°, plus ou moins mouillé et tapissé de mousses aquatiques ou des terrains humides ; on y observe aussi Geranium Robertia- num, Saxifraga rotundifolia, Prenanthes muralis, Asple- nium Trichomanes, Cyslopteris fragilis, Marchantia, Endo- carpon minialum, elc. Premier compartiment {A} : c’est une excavation peu profonde, qui renferme les 2 sources I et IT ; leurs orifices sont à 455 au-dessous du sol et leurs axes placés à 6" lun de l’autre: ces orifices ont 1 in. de longueur et une hau- teur de:0"50 (pour. D; et':de: 0025 (pour Il}. Le premier (1) ne donne Jamais d’eau ; le sol placé au-dessous est du reste see et couvert de plantes xérophiles. La source IT à un écou- tement continu, régulier en basses eaux (par ex. lors de notre visite du 20 octobre 1897), avec des intumescences en eaux movennes (ex. notre visite du 18 décembre 1897), Le 2° compartiment (B), séparé du précédent par un pilier, renterime les trois sources IT; FEV, V'le milieu de la source [IT étant à 6 mètres du milieu de la source IT du compartiment précédent. Les orifices de ces sources fIT, -EV, V sont situées à 405 au-dessous du sol, par conséquent un peu plus haut que ceux du 1° compartiment ; le talus est couvert de mousses aquatiques ou des terrains humides. Les sources IIL et IV sont assez rapprochées l’une de l’autre, à une distance de 0"55 d’axe en axe; elles ont, -toutés les deux, 0"90 de longueur et 0M10 de hauteur ; ce sont des sources intermittentes ne donnant aucun écoule- ment en basses eaux (par ex. le 20 octobre 1897), mais avant un écoulement périodique en eaux movennes (par ex. — 158 — 18 décembre 1897) ; nous avons observé des écoulements de 3 à 4 miIn., séparés par des arrêts de 7 à 8 min., soit une période de 1f à 12 min.:; on rencontre, du reste, d'assez notables variations, par ex. des confluences de deux écou- lements (13 min.) et des périodes accidentelles de 16 à 17 min. l'écoulement de ces deux orifices se fait au même moment, mais à la source [IT il commence un peu plus tôt (5 secondes) et finit un peu plus tard (35 secondes) qu’à la source IV. | La source V, placée à 0"70 de la précédente et ayant 05 de long sur 0"20 de haut, est ordinairement à sec ; elle ne donnerait de l’eau qu’en temps de saisons très pluvieuses ? Le 3° compartiment ne contient aucun orifice. Dans le 4° compartiment (C}, on observe deux sources intermittentes (VI et VIT) ou continues avec intumescences, suivant le régime pluvial. Leurs orifices sont placés à la même hauteur que ceux du groupe précédent, soit à 405 au-dessous du sol. Le 1°" (source VT) est situé à 534 m. du milieu de la source V ; il a la forme d'un triangle isocèle, à base supérieure, et de On920rde cotés Me 2°, placé 25150 du précédent (daxeren axe}, est en forme de = avant 0"50 de longueur, 0m25 de hauteur à son extrémité septentrionale et 0"30 à son extrémité méridionale. En basses eaux, ces deux orifices ne laissent échapper qu'un léger suintement ou un très faible écoulement ; les parois et les mousses plus où moins aquatiques (Cinclido- tus, etc.) qui les recouvrent sont simplement mouillées (cf. 20 octobre 1897; ; en saison pluvieuse, la petite source VI donne un écoulement intermittent qui était, le 18 déc. 1897, de 5 min. 35 s., avec arrêt de 5 min. #5 s., soit une période de 11 min. 20 s, ; à la grosse source VIT, l’écoulement con- tinu présentait des intumescences périodiques d’une durée égale ou un peu plus longue, par exemple, intumescence 6 min. 151s:, arrêt 5 min42°s.=\pémodes Hemin-5106% 0 mais 1l y a aussi d'assez nombreuses variations, notamment des confluenèes de 2 intumescences ; ex. intumescence de M écoulémentde VI— 10 à 11 min. ; arrêt de 5 à 6 min. ; période, 16 min. [’écoulement ou les intumescences des 2 sources se font aussi en même temps, avec cette partücularité que le début de l’écoulement de la source VI se fait environ 1 min. en nétard'eur le ‘début dé l’intumescence de la source: VIE, la fin paraît avoir lieu an même moment. Le dernier compartiment (D) contient la source VII, continue, constante, sans variations apparentes, dont les eaux abondantes servent de lavoir et à l'alimentation du hameau, Son orifice est-placé à:17 m. du milieu de Ja source VIT ; il a la forme d’un parallélogramme de 080 de long. sur O0"90 de hauteur ; sur les parois, Endocurpon miniatum, Marchantia polymorpha. $ 29. — Détail des observations. Voici le détail des diverses observations utilisées dans cette étude : 1° Description de RoMAIN-JoLy : Période se décomposant ainsi : arrêt, 4 min. : écoulement, 3 min. ; — arrêt 1/4 d'heure d'heure (avec bourdonnement)(1) ; écoulement de 10 min. 20 Le garde-forestier X., le 12 octobre 1897 : eaux moyen- nes ; sources [, V, VI sans écoulement ; — source II, écou- lement continu avec des intumescences synchrones avec les intermittences de la source VIT; écoulement lou intu- mescences) 4-5 min.; arrêt, 12 min.; — sources [IT-IV, intermittences ; flux, 4-5 min. ; arrêt, 7-8 min. (1) Correspondant probablement à 2 périodes avortées, l’eau étant trop basse pour atteindre l'orifice de la sortie. — 160 — 3° Observations personnelles du 20 octobre 1897, avec MM. J. Cocxon et SORNAY : eaux basses; écoulement con- tinu, sans intumescence, de la source IT; pas d'écoulement aux SOUrCES LITE, IV VW /ésensuintement a 414source LS écoulement très faible, continu, sans intumescence, de la source VIT; — étude topographique. géologique et bota- nique de l’abri sous roche, des compartiments, des orifices ; températures des sources. | 40 Observations personnelles, le 18 décembre 1897, avec MM. J. COCHON, SORNAY, les gardes-forestiers, etc. ; consta- tations concernant : | La source II : température, 7°8 (midi à midi 1/2) ; écoule- ment continu, présentant des intumescences d’une durée de 6 à 7 min.; un bassin arlficiel, établi au pied du talus et retenant les eaux, dont on chronométrait les variations de hauteur, a permis d'établir le diagramme ci-dessous : F1G. 20. — Graphique des intumescences de la source II. Les sources III et IV: écoulements intermittents, avec arrêt complet dans les intervalles : les flux se produisant en même temps et pour les deux sources et pour la source IE, avec les légères différences suivantes : la source [IT commence — 161 — plus tôt et finit plus tard que la source IV ; la source III commence %5 sec. après source [IT ; la source [IV commence 5 sec. après source [IT et s'arrête 35 sec. avant cette der- nière ; température, 708 (midi-midi 1/2); diagramme des écoulements d’après les variations de hauteur de l'eau dans un bassin artificiel. | La source IV: écoulement intermittent ; par ex. arrêt com - plet à notre arrivée, c’est-à-dire à 4 h. 17 min. jusqu’à 1 h. 21 min. 4 sec. ; commencement de l’écoulement, qui dure de 21 min. 45 sec. à 24 min. 40 sec , soit 3 min. 55 sec. : arrêt complet de 24 min. 40 sec. à 32 min. 24 sec. soit 7 min. 44 sec. ; par conséquent, période de 11 min. 39 sec. ; l'écoulement commence toujours plusieurs secondes après celui de la source IT : température, 78 (1 heure). 24 ÉÉMNES 62 41 44:47 © 508 SI 7m, F1G. 21. — Graphique des intermittences de la source IV. La source VI : intermittence avec arrêt complet ; période, min. 20 sec. La source VIT: source continue avec intumescences, de 11 min. 20 sec. ou 16 min. ; température, 7085 (à midi 1/92) : synchronisme avec sources IV et IT. (Voy. fig. 22.) Lu source VIIT: continue ; constante, sans variations appa- rentes ; température, 8005 (midi 1/2). 5° Observations de M. J. Cochon, 18 janvier 1898 : pas Al — 162 — d'écoulement aux sources I, ITT, IV, V; suintement aux ori- fices VI et VIT; source continue VIT. 20 fl | 30 3 2 34 36 38 F0) 42 4 & LG sim F1G. 22. — Graphique des intermittences de la source VII. 6° Observations de M. J. Cochon, 5 novembre 1898 : toutes les sources donnent {sauf celles toujours à sec I, V); M. Cochon en profite pour relever exactement le synchro- nisme de leur écoulement ; en voici le tableau : ( Commit. D 3h 39m 3h 39% » » Wine ) Gb im She ) ) {Commt. 4h 5m |4h Sm30s 4h Su 305 4h 8m 30s/4h En LFin....)4h 17m80s 4h 46m |4h 16m 4h {6m |4h 17m 30: {Commt. 4h 24m | 4h 94m 80s 4h Dm 30 4h 24m 30s/ 4h 24m x ( Fin.. .|4h 30m 105) 4h 95m.30s,4 95m 305) 4h 95m 30514h 90m 5s ÉCOULEMENT | ds La U 1) AaerESee ts TARIT TARIT TARIT TARIT Commt.| 4h 49m 205 » » » 4h 49m 305 | Fin. ..)4h 47m 30s » Di » 4h 47m 305 , (Commt.|4h 53m [4h 54m |4h5im (4h 54m |4h 53m ( Fin....|4h 56m 4h 56m 30s/4h 56m 30° 4h 56m 3051 4h 56m Commt.|4h 57m 805] 4h 57m 305|4h 57m 30s]4h 57m 305] 4h 57m 305 Rinseplinon ObSeRéEs ARR ne AR ee CLÉ ‘) — 163 — Cette dernière période, caractérisée par un jet plus abon- dant queles précédents dans toutes les sources, après un arrêt très court ; mais la nuit survenue n’a pas permis d’a- chever l’observation. 83. — Comparaison des sources et de leurs périodes; conclusions. L'étude et la comparaison de ces diverses observations, sutfisamment concordantes, nous permettent de signaler les parücularités extrêmement remarquables de cet ensemble de sources. 1° C’est d’abord la diversité de régime de ces sources, les unes continues sans variation périodique (VIIF), ou con- Hinuestavec-intumescences (LE, VI, VII), — pour ces deux dernières, l'écoulement ordinaire n’est souvent qu’un simple suintement; — d’autres véritablement Intermittentes (LT, IV) ou habituellement taries ([, V). y 20 Le synchronisme remarquable des intumescences et _des intermittences des sources périodiques, que le tableau ci-dessous reproduit avec la plus grande évidence.(Voy. à la page suivante). On y reconnait de suite deux groupes : A, les sources les plus éloignées, Il et VIT, manifestement synchrones, avec leurs périodes communes de 11 min.,12 min., 12 min. 305., ele: B, le groupe des sources intermédiaires IE, TV, VI, bien synchrones entre elles (par ex. périodes communes de _ 7 min. 30 sec.), mais dont l'écoulement a une durée moindre que celui des sources du premier groupe, commençant plus tard et finissant quelquefois plus tôt. 30 La conclusion qu'on en peut déjà tirer est que ces sources font partie d’un même système de siphon, chaque orifice étant l’exutoire de canaux s’ouvrant à des hauteurs 1104 — différentes dans un réservoir commun où intermittente. se rend la source £ Fr = ll L 1 AT il HAUT ICT mi il Deere ee SNL EE FE ; RETIENS F1G. 23. — Synchronisme des variations de l’écoulement des diverses sources : 1°, Observation du 42 oct. 1897 (Garde forestier); 2°, Obser- vation du 48 déc. 1897 (personnelle !) ; 3, Observations du 5 nov. 1898 séries B à G, voy. tableau de la p. 162. J. COCHON) : (M. — 165 — 49 Quant à la source continue VIIT, elle appartient à un autre système que les cinq premières (et même les sept, en y comprenant les sources I et V, ordinairement taries) ; elle présente, en effet, d'assez nombreuses différences : A, elle est continue, sans variations périodiques apparentes ; — B, sa température est plus élevée ; nous l'avons en effet trouvée de 805, tandis que celle des autres sources n’était que de 708 ; — C, enfin elle diffère encore par sa composi- tion chimique ; tandis que les autres sources renferment de 0 gr. 155 à 0,160 de carbonate de chaux (déterminé par le procédé de Weit) — soit source II —0,154, source IV —0,161, source VII — 0,155, — la source VIII n’en donne que 0 gr. 132 ; la différence est assez forte pour faire admettre une différence d’origine. — 166 — IV SOURCE DES MERVEILLES. PRÈS HAUTECOMBE (Savoie). La Fontaine intermittente d’'Hautecombe, comme on la nomme ordinarement dans le pays et dans les Guides, appelée encore Fontaine des Merveilles, est située dans le Mont-du-Chat, sur la commune de Saint-Pierre-de-Curtille (Savoie), à, 1/kilüm., au N° de célèbre abbaventerraute combe., à l’alutude de 29/°m. On trouve cette fontaine déjà décrite dans l’ouvrage de Papire Masson (1), (mort en 1611); cet auteur, qui l’a obser- vée une heure, chaque jour, pendant 14 mois, dit quelle coule et cesse de couler deux fois par heure ; que ses écou- lements sont toujours précédés d’un grand bruit; enfin que son eau abondante sert à faire aller un moulin avant de tom- ber dans le lac du Bourget. Vidi ego, apud Altam-Cumbam in Sabaudià Monasterium ingens Ordinis Cisterciensis, Fontem, quam Mirabilium vocant, quâlibet horà bis fluere et bis siccare solitum ; et cum fluere incipit, ingenti murmure sonoque erumpere, ac statim mole- trinam agere, antequam in subjectum lacum Burgitem influat. In cujus fontis margine quatuordecim menses assedi quotidiè unà horà, ut oblectandi animi causà rem tam mirabilem tamque stupendam contemplarer. Cette description se retrouve dans BierTIUS et dans Ber- nard VAREN (2). Une description un peu différente en a été donnée par (1) Descriptio Franciæ per Flumina, publié en 1618 (après sa mort), cité par ASTRUC, Mém. pour l’hist. nat, du Languedoc, 1740, p. 393, 398. (2) Géographie universelle, in-12, 1650, Amsterdam, chap. XVII, pro- pos. XVIII. — 167 — le P. MizLiET-D'ESCHALLES (1) ; pour cet auteur, l'écoule- ment de la Source des Merveilles peut ne pas avoir lieu tous les Jours: il manque complètement dans les saisons sèches, et c’est ce qui explique pourquoi beaucoup de per- sonnes l'ont attendu en vain pendant plusieurs jours sans le voir ; il l’a: observé une fois faire 12 apparitions en 1 heure, une autre fois 11 dans le temps d’un repos; cette irrégularité est l’origine de ce proverbe que la fontaine ne coule pas devant les personnes avant une conduite irrégu- hière et de mauvaises mœurs; mais il n’a rien remarqué de particulier à noter à ce sujet, les périodes, dans cette cir- constance, avant été égales et de même durée (2) que les autres de la même journée. On trouvera dans les Guides de courtes descriptions de la fontaine : un Guide à l’ubbaye de Hautecombe, publié en 1897, donne, p. 97, les résultats des observations faites par urmelisieux de ce couvent, le. 12-juillet 1876 : de 7 h. 50 à midi, soit dans l’espace de 4 heures, il constata 24 intu- mescences, un peu moins de 6 par heure, ce qui donne une période moyenne de 10 minutes environ; ces intumes- cences, ainsi que les arrêts les séparant, étaient très irré- gulières, comme le montre le graphique ci-après. (1) Cursus mathematicus, 1674, 3 vol. fol ; partie De fontibus natu- ralibus et fluminibus, propos. xv, où il parle avec détails de deux fon- taines périodiques de Savoie, celle des Merveilles et celle de Puygros, à 2 milles de Chambéry. (2) &{, Hic fons non semper fluit, nec singulis diebus ; dum enim est aridior anni tempestas, onmnino deficit ; IL. Ita plurimi ad aliquot dies ejus fluxum expectarunt, nec tamen viderunt ; [TE Aliquandd intra horam duodecies fluit, ut semel experti sumus ; intereà dum pranderemus unde- cies aquam dedit ; IV. Ex hac irregularitate emanavit hoc proverbium, ut dicatur-nunquam fluere coram illegitimis et spurtis ; V. In eo nihil aliud notatu dignum animadverti; vices enim, ut plurimum, eodem die sunt æquales et æqualia tempora. » Ÿ vu a 10 20 30 ri : 30 Ga er RE < | FiG. 24. Graphique des variations de la source des Merveilles (Observations anonymes du 12 juillet 1876). 14 ARS se Description de la source et de ses périodes. La source des Merveilles est placée sur une terrasse hori- zontale d’alluvions glaciaires, reposant sur les calcaires urgo- niens, à 60 m. au-dessus du lac du Bourget; à côté de la route bordée d’une ligne de Müûriers blancs, on remarque une belle Châtaigneraie, dont la croissance remarquable s’ex- : — 169 — plique par la nature spéciale du sol des alluvions glaciaires alpines ; quelques Châtaigniers atteignent 3 m. 14, 3 m. 75 de circonférence à 1 m. du sol. La source sort à la base de la falaise rocheuse formée par les assises plongeantes de l’Urgonien, dans une fente verti- cale, large de O0 m. 40 et haute de 0 m. 80. E Fig. 25. — Esquisse d’une coupe géologique passant par la source des Merveilles et le plateau de Hautecombe : a, falaise urgonienne ; b, terrasse de la source (alluvions glaciaires) ; c, terrasse de l’Abbave de Hautecombe ; d, ruisseau d'écoulement de la source ; e, allée de chataigniers ; f, chemin. _ L'eau est reçue dans un bassin d'environ 6 m. sur 4 m. de dimension, et 0 m. 50 de profondeur, bordé de grosses pierres plates ; elle s'écoule ensuite par un ruisseau, dans une petite dépression marécageuse, aboutissant à un ancien réservoir aujourd’hui transformé en marais. Le 30 septembre 1897, jour de mon exploration, la source avait un faible écoulement continu, présentant des intumes- cences très nettes, toutes les 6 ou 7 minutes, intumescences d'une durée variable, 1 min. 30 sec., 1 min. 40 sec., séparées par des intervalles de 5 à 5 min. 1/2. Le’ bruit de bouillonnement, signaié déjà par Papire Mas- son, se produisait 2 min. 1/2 à 3 min. avant le début, ou = Ho 2 min. 4/4 après la fin de l’infumescence ; il paraissait surve- nir quand l’eau atteignait un certain niveau dans le bassin. La température de l’eau à été trouvée de 1004 (à 10 h. du matin). celle de lair étant de 1809, 26 ed a nee @ ©] mes E— me OS — De = Ve) ©] a = —— = en (nes _ 2930 ER Dep = — nul = Es | one Sie SE ns es D eo —— | En NE SNS = — = ae = na SN EE RUE - Zac ET à Ds nt 2 Et RE RS [= — SR Tr MONS = TE se Uy ne 4, DES NE SUIS à F- = RATINGS FiG 26. — Esquisse d’un plan de la source des Merveilles et de ses alentours : I, Environs de la Source : à, source ; b, vallon marécageux et ruisseau d'écoulement de la source ; €, chataigneraie; d, chemin. — Il, Plan de la Source: e, falaise urgonienne; a, fente par où les eaux arrivent dans le bassin. Mes observations ont été faites de 8 h. 10 à 8 h. 28 du matin et de ? h. 18 à ! h. 35 de Paprès-midi ; en voiciles détails et les diagrammes qui les résument. A. De 8 h. 10 à 8 h. 28 du matin : Min. Sec. Haut. | Min. Se. Haut. |Min. Se. Haut. | Min. Sec. Haut. 10 16 14 80/196.97/ 40614019 20541819 ll 15 40 98 rallt Dh AS 10 20 EE É0229 bouillt AY 9 1 13 1510526299 Ar a Sn 4107 20% 122 12250, 40 10,28 a) 10 20 25 27 13 11 15227 54 15 on US, commt| 25 26 RS EE 2 370 09610rallé 1949 Se IS) AÙ 15 45 2,97.28 15.16 45 24 19250010 21 29 17.18 DO 28 9000419 00mme 1528 0m 19:20:16 29 DO IE MS OT ME c 14 21222 10% 91 Do ES 26 50 10 comm: DE LS UE 50) 20 16.479830 7280 Et De TL he 48e à 1h Min. Sec. Min. See. Haut. LS ..' houillt? 30 18.8boui!| AO 18.4 45 18 SDS AE ST O O2 NOE=-47 10: 106:.9 He l0:S 20107 95:.-40-6 SOUMIS 9) 407% AO 16.4 45-1072 Jar lO JDD 15.5 de 19 30 16 commt LE TENNIS HU 19 59:20 DHOE 929 ÊTRE 102% 15590 20220 8 259775 30 929 rallt DD DÛ 40 30.5rallt A5 A3 50. 31.5rallt Do L.S DD DES. 4 fin: 10 30.8 15 - 30.4 25099.5 2061209 Do JS.) 22 40 DO (@p) (=) 10 15 nt Jo de l’après-midi : Haut. 28 27.4 27 26. QT 1O Qt O 1O CO OI D CO Ÿ NS) EE © 1O > = Or 0 © oullit ee «O Es OTRI CO HR CO = "1 & OT SI CO © Ut 00 & © Min. 26 28 Haut. | Min. Sec. — 29 40 15.3 45 15 50 14.9 55) AA. 30 0 14.6 3) 1475 10 14.4 15 14.3 20 1 HS TS) 25 15.4 30 14:39 59 14.9 40 44 2 45 14.2 50 144.5çomt) 31 00 15 5 16 10 1 19:35 15 920 20 PH | 95 29r5 30 24 39 2949 40 926 5 45 D 50 29 rallt 55 30 32 À 30.5 ralit 10 31 rallt 20 S1:5 30 3455 40 31.4 50 So ll Fo 10 9! 30 30.4 40 29.5 50 29.4 34 0 29 10 28:5 20 .9 > comm __ Dansles observations de la série À, on constate trois intu- mescences de 17 à 18 centimètres, la 1re de À min. 40 sec, Ou 1 min. 50 sec., la 2° de 1 min. 30 sec., la 3° de 1 min. 40 ._ sec., séparées par des interruptions de 4 min. 30 et 7 min.95, — 172 — repos de 4 min. #5, 5 min. 50 ; bouillonnement, 2 min. 35 : 2 min. 33 (de 8 h. 49 min. 48 à 8 h. 52 min., 20 sec }). Dans la série B, deux intumescences de 16 cm. 8, et 17 em.3; toutes deux de Î min. 30 sec., séparées par une interruption de 6 min. 35 sec. et 7 min.; repos, 5 min. 25 et 5 min. 2; le bouillonnement s’est produit 3 min. 10 sec., et 3 min. avant le début des intumescences. 0) ë 10 15 min (o] 5 10 15 pau F1G. 27. — Graphique des intermittences de la source des Merveilles 130 sept. 1897) : À, de 8h10 à 8h98 mat. ; B, 1h18 à 1h35 ap. midi. : De l’ensemble de mes observations et de celles citées dans l'historique, la fontaine des Merveilles est une source pério- dique, à intermittences ou à intumescences, suivant les sai- sons sèches ou pluvieuses : intermittences et intumescences très variables, comme durée, comme intensité, soit dans la même journée (cf. diagramme de 1876), soit dans les journées consécutives. On peut, du reste, Pobserver complètement tarie pendant plusieurs journées, en temps de sécheresse, ou don- ner un écoulement abondant, sans intusmescences.apprécia- bles, à la fin de l’hiver et en saison pluvieuse. [C’est l’état observé en ce moment même (29 mars 1909) par M. LUNEAU, inspecteur-adjoint des forêts à Chambéry, qui a bien voulu me donner quelques renseignements complémentaires sur cette source : « La fontaine, me dit-il, est loin d’être inter- mittente : elle coule à gros bouillons, d’une manière inin- terrompue, et le bassin est entièrement rempli. » [Note ajoutée pendant l’impression).] — 173 — On observe, aussi, dans cette fontaine, quelques phé- noménes comparables à ceux constatés à la Fontaine-Ronde {(vov. plus haut, p.138), notamment les bruits précédant les intumescences (et les intermittences ?), le bouillonnement produit par la sortie de bulles de gaz ? ; mais la nature de ce gaz n’a pas été déterminée; est-ce de l’anhydride carbonique, comme à Fontaine Ronde, ou des bulles d'air? C’est une recherche à faire. En tout cas, ce dégagement de gaz n’a pas ici la même importance qu'à Fontaine-Ronde ; il parait un phénomène tout à fait accessoire. [Ge phénomène exige de nouvelles observations ; il n’est pas certain que ce bruit soit dû à une sortie de bulles de gaz ? d’après mes souvenirs, il serait plutôt comparable au bruit de glouglou que l’eau fait en sortant d’une cavité ou en y rentrant : il surviendrait, du reste, vers la fin du reflux, à une même hauteur de l’eau dans le bassin ? /Note ajoutée pendant l'impression). | — 174 — OBSERVATIONS GÉNÉRALES Les mesures prises dans les bassins naturels ou artificiels des sources étudiées dans ce mémoire, de même que les graphiques qui les résument, ne donnent pas une idée exacte des variations du débit des sources ; les variations de hauteur de Peau dans ces bassins, ainsi mesurées, dépen- dent, non seulement de la quantité d'eau rejetée par la source, mais encore de la hauteur et de la nature du bar- rage. qui laisse écouler l’eau plus où moins vite suivant les dimensions des orifices que ces barrages présentent à des hauteurs différentes. Il faudrait pouvoir recevoir l’eau dans des bassins étanches munis d’un flotteur dont les variations de hauteur, inscrites par un lihimnographe, donneraient une représentation exacte des variations du débit de la source. En attendant de pouvoir faire ces constatations, nôus ter- minons ici cette première partie, purement descriptive, ren- voyant à plus tard une deuxième partie, où nous pourrons discuter les théories diverses qui ont été données des phé- nomènes curieux, mais si complexes, présentées par les sources intermittentes du Jura. FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE F1G. 1. — Fontaine-Ronde (Combe et source de). 2. — Graphique des observations de Courvoisier et de Droz. 93. — Id. de Barbaud et de Lavallée. . 4, o. — Id. de Girod-Chantrans . 6. — Plan de la source de Fontaine-Ronde . 7. — Intumescences en eaux abondantes (Clerc). 8. -— [d. en eaux moyennes (Clerc). 9. — Id. (Observations personnelles) 10. — Id. en eaux très basses (Clerc) 11. — Id. en eaux moyennes (Clerc), , 12. — Coupe géologique de la Combe, , 13. — Id, de la région (Fournier). à : 1%. — Source du Moulinet et ses environs . , 15. — Coupe géologique de la région . , 16. — Graphique des intumescences . , ,. 17. — Noirecombe ; esquisse de la région. i8. — Coupe géologique de la région . . , 19. — Plan des compartiments des sources. . . , 20. — Graphique des intumescences de la source IF. 2e Id. id. cle IV 22, — Id. id. id VTT. 23. — Synchronisme des diverses sources . 24. — Source des Merveilles ; graphique. 95. — Coupe géologique des environs . 26. — Plan de la source . . . . . 27. — Graphique des intumescences. : TABLE DES FIGURES p::149 p. 123 p. 126 p. 126 p: 151 p. 135 p:, 135 p.156 p. 136 p.. 137 pa 159 p. 140 p. 447 p. 148 pe T5 1 p. 153 D::154 p'#67 p. 160 p. 161 p. 162 p. 164 p. 168 pr 41069 p. 170 p. 172 ho TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION ETS ERA NON ET TENTE ES I. Fontaine du Touillon (Doubs) : Généralités . . . e . « . . 0 W7e) 1. Historique : Courvoisier, Astruc, Droz, Barbaud, Couédic, Lavallée, Girod-Chantrans, Dutrochet, ÉdGirod RENE rer . Description de l'état actuel des sources. : Variations suivant le débit. . , . Bruits ; builes de gaz, sa nature . EQ (o) 3. Origine de la source . , C2 Appendice : Mémoire de Dutrochet . . . . ,. Il. Fontaine du Moulinet (Jura) : Généralités ; situation, origine . HISTOrIQUE SES bre" Observations personnelles et III. Fontaine de Noirecombe (Jura) : Généralités HnStorique.s en Cu ee CCR S 1. Description des sources, S/2 Détail des observations PP EC $ 3. Comparaison des sources et de leurs périodes. IV. Fontaine des Merveilles (Savoie) : Généralités ; Historique . . . Description de la source et de ses périodes , OBSERVATIONS CÉNÉRALES 00 Er ON RENE PR CESR P- P. P. LES DISCOURS DE RENTRÉE AU PALAIS DE JUSTICE DE BESANÇON PAR MAURICE THURIET _ AVOCAT GÉNÉRAL MEMBRE RÉSIDANT Séance du ?8-jquin 1908. Le discours solennel qui, à la rentrée d'automne, signalait dans chaque cour d’appel la reprise des travaux judiciaires, a été supprimé par un décret en date du 10 juillet 1903, et depuis lors le monde du Palais se remet à la besogne mo- destement et sans bruit. L’audience de rentrée subsiste encore, mais les autorités du chef-lieu n’y sont plus con- viées ; un membre du parquet se borne à faire l'éloge des magistrats décédés ou mis à la retraite dans les douze mois précédents, après quoi le Premier Président déclare ouverte l’année judiciaire. Pour justifier la suppression de la harangue, on à mis en avant un motif d'économie: les frais d’impres- Sion qui étaient à la charge des cours d’appel, c’est-à-dire de l'Etat, s’élevaient chaque année à 4,000 francs environ ; . le budget se trouve allègé, mais de bien peu. D'autre part, on a tenu compte des doléances de quelques orateurs du parquet qui volontiers se plaignaient de n'avoir plus à traiter qu'une matière épuisée et de venir trop tard) comme si le progrès des mœurs et le perpétuel enfantement des lois ne fournissaient pas toujours de nouveaux sujets oratoires. Mais la raison principale de l'abolition d’un des plus vieux usages du Palais tient à des considérations d’un autre ordre : l'appareil quelque peu suranné de la cérémonie de rentrée n'était plus en harmonie avec la simplicité des mœurs démo- 12 — 178 — cratiques ni avec le caractère purement utihtaire que revêtent de nos jours les fonctions judiciaires. A l'instant où cette tradition va rejoindre dans le passé les autres débris de l’appareil pompeux des Parlements, la pensée m'est venue de lui consacrer une notice nécrolo- gique et plus spécialement d'évoquer le souvenir des dis- cours de rentrée qui ont été prononcés au Palais de justice de Besançon. Il est déjà très difficile de retrouver le texte de ces harangues ; 1l peut v avoir quelque intérêt à en dres- ser la liste désormais close, avant que la pierre tumulaire de l’oubli ne soit scellée sur ces travaux de lesprit, dont beaucoup ne sont pas sans mérite. L'origine du discours de rentrée est très ancienne ; elle se confond avec celle des Parlements eux-mêmes. Un auteur du dix-septième siècle, La Rocheflavyn, rapporte qu’en l'an 1369 le cardinal de Beauvais, chancelier de France « com- mença l'ouverture du Parlement de Paris par ce thême : Quaerite justitium. Ce que pareillement ont encore depuis fait et continué d’autres » (1). À l’origine c'était le Premier Président. et quelquefois, à Paris, le Chancelier, chefde là justice, qui prononçait le discours public; plus tard cette : tâche fut toujours confiée à un membre du parquet. L'ora- teur avait en tout temps pour mission de tracer aux magis- trats et gens de robe le tableau de leurs devoirs et de les rappeler au sentiment de la justice et de la vertu que le continuel spectacle des chicanes et des défaillances humaines pouvait à la longue altérer, crovait-on, même dans les cons- ciences les plus droites et les plus honnêtes. En raison de son but moralisateur, le discours de rentrée prit le nom de remon- trance (2). Les remontrances sont antérieures de plus d'un (1) DE LA RoOcuErLAVYN. Treize livres des Parlements de France. (2) L'utilité des remontrances était exposée dans une harangue pro- noncée en 1581, devant le Parlement de Paris et citée par La Rochella- Vyn : « Les procès n'être autre chose que des ulcères et fluxions corrompues — 179 — siècle aux mercuriales avec lesquelles on les à souvent con- fondues. [nstituées en 1493 par Charles VITE, les assemblées mercuriales, ainsi appelées parce qu'elles se tenaient le mer- credi, étaient dans le principe des juridictions de cen- sure, «€ créées dans un but de discipline judiciaire, pour Ja réglementation des mœurs, la modération des épices ou salaires et autres choses concernant l'honneur et la dignité des juges » (1). Peu à peu les orateurs chargés de rapporter au Parlement les fautes disciplinaires s'accoutumèrent à des développements pompeux; les discours de mercuriale finirent par avoir beaucoup de ressemblance avec les discours de rentrée et la dénomination des premiers fut appliquée indif- féremment aux seconds. Les remontrances aussi bien que les mereuriales s’inspi- raient dans le fond comme dans la forme des idées et du goût de chaque époque ; religieuses et naïves au moven-âge, dog- matiques et rudes au xvIe siècle, pédantesques et boursou- flées au xvir, philosophiques et fleuries au xXvir, elles deviennent documentaires et précises au xiIXe. On peut qui descendent au Palais de toutes parts pour y recevoir guérison, étant engendrés ou d'une colère précipitée ou d’une envie obstinée ou d'une avarice injuste ou de quelque autre passion ou perturbation d'esprit : il est impossible que, maniant de jour en jour telles et si dangereuses dro- gues, la fumée et contagion ne nous montent peu-à-peu à la tête, de telle sorte qu’elle corrompe ou pour le moins altère notre habitude saine et bonne disposition première. Et tout ainsi qu’au temps de la contagion les plus avisés, avant que sortir en publie, prennent et font prendre à leurs domestiques des préservatifs, ainsi il est vraisemblable que nos inajeurs, considérant les mauvais passages par où nous avons à passer Journelle- ment, prudemment et sagement ont mis en usage qu'outre la lecture des ordonnances, il se fit une remontrance et discours adressé aux advocats, procureurs et autres officiers et ministres de Ia Cour, touchant l’excel- lence et grandeur de notre profession et de leurs états et du devoir qu'ils y doivent-apporter, afin que chacun en prenant sa part et la gardant soi- gneusement en son esprit, cela lui serve de préservatif et synderesse pour conserver son âme pure et nette des souillures et corruptions àu milieu desquelles nous cheminons journellement. » (1) Ordonnance de Louis XIII, art. 79. — 180 — mesurer les progrès faits en cent cinquante ans dans les mœæurs et dans le langage rien qu’en comparant les remon- trances adressées par le chancelier Michel de L’Hospital au Parlement de Rouen en 1563 ou au Parlement de Bordeaux en 1566 avec les célèbres mercuriales de d’Aguesseau. Celles-ci sont restées longtemps comme les modèles du genre, bien que l'abus des métaphores y dissimule sou- vent le vague des idées et qu'on y trouve plus de rétho- rique fleurie que de véritable éloquence. Le Parlement de Dole qui sous bien des rapports se dis- ünguait des Parlements français avait-1l adopté l'usage des remontrances? Les historiens de cette compagnie, Ferdi- dinand de Lampinet et Courchetet ne signalent nulle part qu’un discours d’apparat ait Jamais été prononcé à l’occasion de la rentrée. Cela n’a rien d'étonnant car les membres de ce parlement, d’ailleurs peu nombreux, étaient absorbés par des attributions multiples et plus accoutumés à agir et à lutter qu'à discourir. Mais ce qui est certain c’est que la reprise de leurs travaux était marquée par une cérémonie qui avait la plus grande analogie avec les assemblées mer- curiales. Chaque année, à la rentrée de la Saint-Martin, le Parlement avait coutume de faire comparaître les baillis, lieutenants généraux, avocats et procureurs fiscaux de toute la Comité, afin dit une ordonnance « d’être bien et dûment informé de l’état de notre pays, de nos vassaux et sujets en icelur et de ce quil y 2 d'excès de faute ou de nome velleté et du devoir que chacun officier respectivement au- rait rendu à sa charge afin d’après ladite Cour y ordon- ner » (1), Ainsi s’exercait le droit de surveillance du Par- lement sur les juridictions inférieures ; la rentrée avait donc (1) PETREMAND. Ordonnances, art. 4, 6, 7, 312, 330, 339, 361, 1008, LU1S, 1472. — 181 — un caractère moins pompeux mais plus utile que dans les autres cours souveraines, Après l'annexion définitive de la Franche-Comté à la France et le transfèrement du Parlement à Besançon, cette Compa- gnie fut soumise aux mêmes règlements que les autres par- lements de France et dut en adopter assez vite les usages. Ensuite de lédit de translation, le Premier Président Jobelot se présenta aux portes de la ville le 8 novembre 1676; il fut complimenté par les gouverneurs et conduit à son hôtel où bientôt tous Les magistrats s’assemblaient et décidaient d’en- voyer une délégation à M. le maréchal de Duras pour lui annoncer que la rentrée se ferait le lendemain de la Saint- Martin dans les locaux de la maison de ville mis par lettres patentes du Roi à la disposition du Parlement. Le lendemain 9 novembre, la Compagnie faisait choix de l’église Saint- Pierre pour la célébration de la messe de rentrée, priait Par- chevêque de la célébrer et de la faire chanter en musique. Il est vraisemblable que des harangues furent prononcées lors de l'installation du Parlement dans l’édifice d'Hugues Sambin, mais je n'ai pu en retrouver trace aux archives. fl faut arriver à l’année 1691 pour voir apparaître la première mention d’un discours de rentrée. Louis XIV venait d’ordon- ner la translation de l’Université dans la nouvelle capitale de Franche-Comté ; le Parlement s'était réjoui de cette mesure et ne prévoyait pas alors les conflits de préséance qui allaient bientôt se produire avec le recteur. A la rentrée de novembre l'avocat général Doroz fit l'apologie des doctes facultés notam- ment de la Faculté de droit qu'avait illustrée l’enseignement _ de Dumoulin (1). Des discours de rentrée prononcés au xvin* siècle, un très petit nombre nous a été conservé. À en juger d’après le peu (l) Dumoulin en Franche-Comté, par L. HUGUENEY. Dijon, impr. Barbier, 1903. — 182 — qui reste, il n°v a pas lieu de regretter beaucoup leur dispa- rition. Les sujets en étaient peu variés au fond comme dans la forme ; l'apologie du roi et de la famille régnante y occu- pait la plus grande place. [l était rare qu'on y risquât la critique d’une imperfection de la loi ou qu’on y proposât quelque réforme. On s'attachait plus volontiers à tracer aux magistrats des règles.de vie et des préceptes relatifs à l’exer- cice de leurs fonctions: en cela, on s’efforçait d’imiter d'Aguesseau. Cest ainsi que l'avocat général Rochet de Frasne, qui était un grand admirateur du Chancelier, recoin- mandait aux magistrats, à l'exemple de ce dernier, d’appro- fondir la Jurisprudence et de se défier du demi-savoir : « Ce qui, disait 11 à Paudience de rentrée de 1746, s’oppose le plus à la discussion et à l'examen, ce sont les connaissances superficielles : trop faibles pour s'élever constamment vers la vérité, trop présomptueuses pour apercevoir l'erreur qui les séduit, elles laissent l'esprit dans un excès de confiance plus dangereux qu'une ignorance utile, » De Frasne avait non seulement une réputation d’orateur, mais il s’adonnait à des travaux littéraires et écrivait pour l’Académie des disserta- üons et des notices biographiques. Parmi les gens du roi, on cite encore comme ayant acquis une certaine notoriété dans l’exercice de la parole publique Gabriel Boisot, qui fut procureur général, puis premier président ; Jean Bacquet, Jean Joseph et Théophile Doroz : mais aucun de leurs dis- cours n’est parvenu jusqu'à nous. On ne retrouve pas davan- tage les harangues qui furent prononcées le 16 novembre 1761, date mémorable dans l’histoire du Parlement de Besançon. C’est le jour où après trois ans d’exil, trente magistrats remon- taient sur le siège d’où ils avaient été chassés pour avoir refusé l'enregistrement de lédit royal établissant un nouveau vingtième. [ls avaient été disgrâciés pour avoir soutenu la cause du peuple ; le peuple reconnaissant leur fit une récep- tion qui eut les allures d’un triomphe. Les réjouissances durèrent six semaines. Une chronique du temps les décrit — 1835 — avec complaisance (1) : « les cavalcades couraient toutes les nuits les rues. et malgré la rigueur de la saison, on ne faisait que danser sur toutes les places. » L'ancien premier prési- dent de Bovynes, qui S’était rendu odieux par son arrogance envers les justiciables et par son servilisme envers le pou- voir et que l’opinion rendait responsable de la proscription de ses collègues, avait été tellement lardé d’épigrammes et ndiculisé par les chansons qu'il avait dû démissionner. Il était remplacé par M. Perreney de Grosbois, magistrat de valeur et homme de bien, dont la réception eut lieu le même jour que la réinstallation des exilés. « Le lundi était le jour des grandes joies, écrit un témoin, c'était celui de la rentrée de ces messieurs au Palais et de la réception de M. le Pre- nier. Pendant la séance qui dura depuis neuf heures jusqu’à midi trois quarts, la place Saint-Pierre, les cours du Palais, la salle des Pas-Perdus, celle du Peron et généralement toutes étaient jonchées de monde qu'on étouffait dans la foule et de la fumée de la poudre. Tous les honoraires et autres conseillers, les chevaliers d'honneur y étaient ; lors- qu'on sortit, à la vue seule de ces messieurs les exilés, cha- cun criait vivat et battait des mains (2. » Si ce témoin avait pu pénétrer dans la grande salle, il nous aurait rendu compte de la cérémonie qui s’v déroula quatre heures durant. A défaut des discours officiels, nous retrouvons, ce qui les vaut bien sans doute, les allocutions dont les diverses corpora- tions de la ville saluèrent les exilés et le compliment naïf des pettes filles de la rue Saint-Vincent. « Messieurs, dit l’une d'elles, le rapport que nous avons à votre retour nous oblige aujourd’hui à vous donner des bouquets, mais où trouver (4) Manuscrit de Grimont, à la Bibliothèque de Besançon. (2) Lettre adressée de Besancon le 20 novembre 1761 au sieur Lepaige, avocat au Parlement de Paris qui avait soutenu la cause des exilés et collectionné un grand nombre de documents relatifs à cette crise, notam- _ ment les mémoires et doléances des autres Parlements. Cette collection . est la propriété de M. Gazier, professeur à la Sorbonne. — 184 — des fleurs qui soient dignes de vous, et d’ailleurs n'étant point dans la saison. Je me trompe, je çait des jardins sans couleurs qui produisent des fleurs en toute saison ; vous êtes ces jardins, vos vertus sont des fleurs, j'en compose des bou- quets pour vous en faire des dons. » Les blanchisseuses s’exprimèrent en vers : Joignez, peuple chrétien, vos prières aux nôtres. À nos trente seigneurs nous voudrions servir, Mais comme ils sont sans tache, ils n’ont rien à blanchir. : Nous prierons Dieu pour eux et laverons pour d’autres. De même les servantes : Ces vierges viennent tard présenter leurs honneurs, Ainsi que celles-là dont parle l’Evangile ; Sages sont celles-ci; pour leur trente seigneurs, Leurs cœurs, quoiqu'enflammés, seront toujours pleins d'huile. Aigris par leurs souffrances et grisés par leur triomphe, les exilés, en remontant sur leurs sièges, continuèrent la résistance à l'égard du pouvoir royal. D'ailleurs tous les Par- lements étaient devenus des foyers d'opposition et chaque nouvel édit de finances nécessitait un lit de justice. Le chan- celier de Maupeou assura l’omnipotence à la Couronne en brisant les Parlements. À Besançon, ce coup d'Etat se fit en deux actes. Le pre- mier acte eut lieu le 5 avril 1771. La veille étaient arrivés les commissaires royaux : le duc de Lorges et M. de Bas- tard. Dès quatre heures du matin, ils avaient dépêché chez chaque magistrat l’ordre de se rendre, le même jour, à huit heures, à la Grand’Chambre, pour y entendre les prescrip- tions du roi, «avec défense d’opiner et de parler ». Les troupes de la garnison étaient consignées et le Palais entouré d’artilleurs et de grenadiers. À l'angle droit de la grande salle se dressait le lit de justice, sorte de trône à coussins — 185 — violets, surmonté d’un baldaquin de même couleur. Le maréchal duc de Lorges v prit place, assisié de M. de Bas- tard. À côté du lit de justice et un peu plus bas, le fauteuil du Premier Président De Grosbois demeura vide. Ce haut magistrat, dont on craignait la résistance, avait reçu la veille une lettre de cachet lui ordonnant de se retirer dans ses terres. Celui dont on allait faire son successeur, le Prési- dent à mortier Chiflet, présidait la séance ; les autres parle- mentaires s’assirent sur les banquettes fleurdelvsées qui régnaient le long des murs, les unes hautes, les autres plus basses, suivant l’ancienneté des titulaires. Le maréchal, assis et couvert, commença par reprocher au Parlement les termes et la publication de son arrêt du 16 juillet précédent, qui contenait une virulente protestation contre les réformes du Chancelier ; puis il fit donner lecture par le greffier des lettres patentes cassant et annulant cet arrêté. En vain quel- ques conseillers réclamèrent-ils «tumultueusement» le droit de délibérer ; les commissaires rovaux firent tenir à cha- cun des magistrats l’ordre du roi portant défense de pro- tester. Puis, préludant à la lecture de l’édit qui supprimait d’une façon générale les charges et privilèges des officiers du Parlement et en réduisait le nombre de soixante à qua- rante-six, le duc de Lorges prononça : « La distribution gra- tuite de la justice et la réduction dans le nombre des magis- trats ont dans tous les temps donné lieu aux sollicitations les plus vives auprès du trône ; les ordonnances attestent le vœu de la nation et du monarque; si des circonstances ont empêché nos rois de signaler par ce bienfait leur amour pour leurs sujets, le moment marqué par la bonté et la sagesse de Sa Majesté pour l’exécution d'un projet aussi im- portant est enfin arrivé. » Malgré l'opposition de quelques magistrats, notamment du conseiller Bourgon, l’édit de sup- pression du Parlement fut transcrit par le greffier. A l’issue de cette séance, que par opposition aux audiences de ren- _ trée on pourrait appeler audience de sortie, vingt-huit par- — 186 — lementaires considérés comme irréductiblement hostiles à la politique du Chancelier, reçurent l’ordre de quitter Besançon et de se retirer aux lieux quileur étaient assignés par lettres de cachet. Trois jours après, le 8 août, dans le même décor, eut lieu la seconde scène : l’installation du nouveau Parlement, épuré et rajeuni, composé à grand’peine de quelques membres de l’ancienne magistrature ou de leurs fils et de jeunes avocats. Sur les quarante-sièges, cinq restaient sans titulaires. Le maréchal duc de Lorges, en habit de cérémonie, ouvrit la séance par cette allocution : « Je regarde comme une époque tres flatteuse dans ma vie linstallation dont le roi me fait l’honneur de me charger, d’un Parlement composé de membres aussi respectables ; M. de Bastard vous exprimera les volontés de Sa Majesté. » M. de Bastard, qui avait été Premier Président du Parlement de Toulouse et était devenu conseiller d'Etat, était en robe de satin noir, rabat plissé et bonnet carré : « Le roi, dit-il, vous rappelle aux fonctions de la magistrature. L’interrupüon momentanée qu’elles ont éprouvée n'altère ni leur éclat ni leur stabilité. Le choix du souverain, répandu sur un plus petit nombre, est plus hono- rable et plus flatteur. La distribution gratuite de la justice répond à la pureté de vos intentions et à la noblesse de votre ininistère. Vos pénibles travaux n’auront désormais d'autre tribut que celui de la vénération et de la reconnaissance, seule récompense digne des magistrats qui composent cette auguste Compagnie. » Il fut ensuite donné lecture de l’édit en vingt-trois arti- cles qui organisait le nouveau Parlement, fixait les condi- tions d'aptitude et les traitements deses divers membres (D), (1) Pour être nommé conseiller, i! fallait être âgé de 25 ans accomplis et justifier de cinq années d’exercice de la profession d’avocat. Les trai- tements étaient fixés à 12,000 livres pour le premier président, à 6,000 livres pour les quatre présidents et le procureur général, à 2,400 livres pour les conseillers et les deux avocats généraux, à 1,000 livres pour les deux subs- tituts du procureur général. — 187 — En Franche-Comté comme ailleurs, le Parlement Maupeou fut impopulaire. C'était cependant une heureuse réforme que ceile qui supprimait la vénalité des offices et posait le prin- cipe de la gratuité de la justice en supprimant les épices ; mais le peuple la tenait pour suspecte parce qu’elle émanait du pouvoir royal et qu'elle était faite contre une magistra- ture qui, dans ses remontrances, s’inspirait des intérêts publics. Aussi lorsque Louis XVI, par un de ses premiers actes d'autorité eut redemandé les sceaux à Maupeou et rétabli les Parlements dans leur ancien état, le retour des magistrats exilés fut célébré à Besançon avec le même enthousiasme qu'en 1761. Les manifestations d’allégresse auxquelles la ville entière se livra durant plusieurs jours sont longuement décrites par Pavocat Grimont dans son journal (1). Le vendredi 7 avril 1775, jour fixé pour la ren- trée au Palais, la foule était si compacte dans les rues que les magistrats purent à grand’peine se rendre du domicile du Premier Président (2) à la Grand’Chambre, au milieu des acclamations du peuple. Grimont nous a conservé le pro- cès-verbal de ce qui s’est passé à la séance solennelle, s'il en fût, où le marquis de Saint-Simon, lieutenant-général des armées du roi, commandant en son Comté de Bourgogne, et M. Feydeau de Marville, conseiller d'Etat, procédèrent, en vertu d’une mission spéciale de Sa Majesté, à la réinstalla- üon du Parlement. Les deux commissaires royaux prirent successivement la parole et après avoir fait l'éloge du jeune souverain, se félicitèrent d’avoir été € choisis pour rendre à leurs fonctions des magistrats qui, ne pouvant plus donner au peuple des leçons de justice, lui donnaient des exemples de soumission et d’obéissance. » (Discours de M. de Saint- Simon). [l fut ensuite donné lecture de l’édit portant réta- = (1) Manuscrit Grimont. À la Bibliothèque de la ville de Besançon, t. I. (2) L'hôtel de Grosbois, construit en 1761 était situé rue des Cordeliers, actuellement rue Girod de Chantrans. Il à été annexé au Lycée de gar- . CONS. — 188 — blissement du Parlement. Puis le Premier Président Perre- ney de Grosbois cüargea les représentants du souverain de lui transmettre les remerciements de la Compagnie recons- tituée dans son ancien état, « regrettant, dit-il, de n’avoir pas le précieux avantage dont ont joui les magistrats de la capitale, de pouvoir dans le moment même faire entendre à Sa Majesté la vive expression de notre reconnaissance, de notre zèle, de notre amour, de notre soumission, » En même temps, il engageait ses collègues à ne pas garder dans leurs cœurs l’amertume de Pexil et à se consacrer sans arrière-pensée aux devoirs de leur charge : « Pourrions- nous, Messieurs, remplir fidèlement ces devoirs sacrés s'il nous restait le plus léger soupçon du souvenir du passé. N'oublions jamais ces mots sortis de la propre bouche de Sa Majesté : Je veux ensevelir dans l'oubli tout ce qui s’est passé ». Après le Premier Président, M. Desbiez, premier avocat général, parla. Voulant élever son éloquence à la hauteur de la circonstance, il débute par un pompeux exorde où il com- pare ie retour des parlementaires à la réapparition du soleil après la tempête: « Si jamais, s’écrie-t-1il, la nature parait intéressante et belle, c’est à la suite de ces longs orages où les éléments déchainés semblaient Ia trainer aux pieds du tombeau. Qu'’alors l’astre qui répand la chaleur et la lumière vienne à lancer ses rayons sur la terre, tout s’embellit : on dirait que l’Univers sort une seconde fois des mains du créa- teur. Tel est le spectacle attendrissant que nous offre aujour- d’hui la magistrature. Le bandeau de Thémis s'était changé contre le crêpe de la douleur », etc... Nous faisons grâce du reste du morceau. Un peu plus loin, Louis XVI est dépeint en ce style boursouflé : « Un prince qui, dans l’âge de Mar- cellus nous offre toutes les vertus de Trajan, qui unit la bonté de Henri IV à la sagesse de Charles V; qui voulant guérir à la fois toutes les plaies de l'Etat, a su confier les différentes parties de l'administration à des hommes qu'un — 189 — peuple libre eut choisi pour ses modérateurs, à des hommes dont les grandes qualités feront douter à nos neveux si notre siècle n’a pas réalisé les prodiges de ces temps où les Dieux venaient veiller sur les troupeaux d’un roi. » Ce discours tout empreint du faux goût de lPépoque se termine sur ces accents lyriques : « Heureuse Franche-Comté de voir toutes ces vertus (celles des magistrats) se réunir en ce moment et former un faisceau que rien ne pourra séparer. Oui, Messieurs, rien ne saurait vous diviser ; c’est pour tou- jours que la paix et la justice se sont embrassées... En vain l’âge et l’infirmité s’appesantissent sur mon existence et s’en disputent les débris. Ce jour glorieux renouvelle mon Etre... Quelques jours après cette séance solennelle, le 27 avril 1775 à la première audience de la grande Chambre qui sui- vit les vacances de Pâques, lavocat général Bergeret célé- brait à son tour la restauration du Parlement. Bergeret était un orateur fort apprécié au Palais: son style est moins ampoulé que celui de Desbiez, mais encore trop fleuri; il s'efforce d’être simple, mais la métaphore s'impose et le domine. [| commence par reconnaitre humblement que la joie populaire qui a salué le retour des exilés en dit plus que toute sa prose : « Que ne pouvons-nous, s’écrie-t-il, donner à nos expressions la force et l’énergie des acclamations publiques, des transports de lallégresse universelle, mais, nous lavouons sans peine, la voix d’un peuple heureux et content est infiniment pius éloquente que tous nos discours. Elle seule est capable de louer dignement un bon roi. » L’orateur ne se croit pas pour autant dégagé de l'obligation de faire Péloge du souverain, il le fait même copieusement, puis il adresse un tribut de regrets à trois conseillers décé- dés en exil: Belin d’Augicourt, Varin d'Ainvelle et Parret de Moyron. Le doyen du Parlement, Talbert de Nancray, qui avait encouru trois proscriptions, avait perdu la vue au cours de la dernière. Bergeret loue ce magistrat « dont la constance — 190 — souvent éprouvée et toujours inébranlable montre quelle était la trempe de son cœur, dont le courage s'élance encore au-delà des organes dont il est privé et le ramène dans la carrière pour y donner de nouvelles preuves de son zèle et de son amour pour la justice. » C’est encore par une emphase ridicule et orgueilleuse que se caractérise le discours de rentrée de 1778, que M. Esti- gnard a retrouvé, sans nous dire où, et dontil cite ce début : « Qu'il est imposant, qu’il est intéressant le spectacle offert aux yeux du public dans cette assemblée où la justice remonte sur son trône, où ses ministres sont réunis pour prononcer ses oracles et exercer la plus auguste des fonc- tions » Tout le discours est dans ce style, assure M. Esti- gnard (E) à qui on ne saurait en vouloir de n'avoir pas pro- longé la citation. Les Affiches de Franche-Comté, petit journal d'annonces qui constituait à lui seul toute la presse locale, dans les der- nières années de l’ancienne monarchie, rendait compte en ces termes de la rentrée judiciaire dans son numéro du 16 novembre 1781 : « Lundi dernier, 12 du mois. la rentrée du Parlement se fit avec les cérémonies d'usage et un nom- breux concours de personnes de tous les ordres. M. Pavocat général marquis de Tallenay prononça une harangue sur l'Amour de lu Vérilé ; ensuite M. le président de Courbou- zon mit sous les yeux de sa compagnie les distinctions parti- culières qui font le lustre et ia gloire du Parlement et qui lui sont acquises par le zèle que cette Cour à montré-dans tous les temps pour le maintien de la police et de l'autorité des souverains, pour représenter à ces souverains la situation et les besoins des peuples, pour affermir la tranquillité de ces peuples et coopérer à leur bonheur. Les sentiments que la naissance de M£' le Dauphin, la bienfaisance et les vertus de notre auguste monarque ont fait naître dans tous les cœurs (1) Le Parlement de Franche-Comté, tome If, p: 312. 410 furent développés dans ces discours avec autant d’éloquence que de vérité » (1). Les discours solennels, de même que les adresses au roi exprimaient toujours le plus respectueux lovalisme pour la personne du monarque, tandis que les arrêtés qui refusaient d'enregistrer certains édits royaux affectaient de considérer le roi comme trompé par ses ministres, à qui les critiques les plus virulentes n'étaient pas ménagées. En 1788, Lamoi- gnon tenta de renouveler le coup d'Etat de Maupeou et de briser les Parlements. Les 8 et { mai, à Besançon les scènes de 1771 se renouvelèrent ; le palais de justice fut de nouveau occupé militairement ; on revit deux commissaires rovaux, le maréchal de Vaux, commandant de la province et l’inten- dant Caumartin Saint-Ange, porteurs de lettres de cachet, faisant enregistrer de force de nouveaux édits et mettant d'office le Parlement en vacances. Mais la royauté affaiblie n était plus de taille à soutenir la lutte: elle céda sous la pression de l’opinion en annonçant la convocation des Etats généraux et en rétablissant les Parlements. À Besancon, la rentrée des magislrats, qui eut lieu le lundi 20 octobre, fut l'occasion d’un nouveau triomphe, « On fit des discours et force compliments, dit M. Estignard ; il y eut des réceptions, des diners, des soupers, des messes en musique, des illumi- nations, des feux d'artifice. La plupart des maisons étaient ornées de transparents avec des inscriptions en l'honneur de la magistrature et du roi » 2). Des discours qui furent pro- (4) Les Affiches de Franche-Comlé ne donnaient pas habituellement le compte-rendu des audiences de rentrée. Cependant, outre le numéro de cette feuille que nous venons de citer, celui du 17 novembre 1780 contient aussi la mention suivante : « La rentrée du Parlement s’est faite lundi 43 de ce mois, avec les cérémonies accoutumées, après la messe solennelle du Saint-Esprit, célébrée à la chapelle du Palais et à laquelle ont assisté MM. les Présidents en robes rouges et fourrures, MM. les conseillers et gens du roi en robes rouges et chaperons fourrés ; ensuite de laquelle les harangues, la prestation de serment, etc., comme à l'ordinaire. » (2) Le Parlement de Franche-Comté, tome Il, p. 60. M. Estignard — 192 — noncés au Palais à l’occasion de cette dernière restauration du Parlement, si voisine de sa fin, il n’est fait aucune mention particulière ; selon toute apparence on y réédita avec quelques variantes l’éloge de la bonté et de la justice du roi qui avait été le thème des harangues de 1775, en des circonstances analogues. Cette rentrée fut la dernière ; le 3 novembre 1789 un décret de l’Assemblée constituante décidait que les Parlements res- teraient en vacances jusqu’à nouvel ordre ; leur suppression était votée le 16 août suivant et ils passaient ainsi, selon l'expression de Mirabeau, de l’agonie à la mort. Le 30 sep- tembre 1790 ja municipalité faisait fermer les salles d'audience et apposer les scellés sur les portes du greffe. Cette mesure fut accomplie au nulieu de l’indifférence générale, la magis- trature ayant en quelques mois perdu toute sa popularité en luttant sourdement contre les Etats généraux. Les scellés apposés au Palais furent levés le 23 novembre 1790, jour où le Conseil général de la commune procéda à lPinstallation du tribunal de district, chargé de juger les affaires civiles. Ce tribunal se composait de trois juges élus par le suffrage universel : Monniotte, Nicolin et Brenot. En pré- sence du procureur de la commune et de son substitut, le maire Nodier « fit l’ouverture de la séance par un discours éloquent, prononcé, avec dignité, qui fut suivi d’un autre dis- cours non moins patriotique de M. le Procureur de la com- mune », puis les trois juges prêtèrent le serment voulu par la loi 1). | parle de ces réjouissances d’après une brochure du temps intitulée : « Récit de ce qui s'est passé à l'occasion de la rentrée du-Parlement ». Cet opuscule de 27 pages faisait partie de la bibliothèque du Chapitre (Révolutions de Franche-Comté, volume {°r) ; 1l avait disparu avec beaucoup d’autres lorsque l'administrateur des Domaines constitué séquestre des établisse- ments ecclésiastiques, supprimés par la loi sur la séparation des églises et de Etat a pris en charge cette bibliothèque. (1) Procès-verbal inséré au registre des actes importants du Tribunal (Archives du Greffe de la Cour d'appel). — 19 — L'installation du tribunal criminel, qui eut lieu le 23 jan- vier 1792, fut encore plus solennelle, comme on en peut juger par le procès-verbal (l : « Le Conseil général de la comrnune, précédé des sergents de ville et accompagné de M. Nodier, Président du tribunal criminel, MM. Nicolin, Monnot et Lacour, juges ; MM. Quiriot, accusateur public, et Berthet, greffier, s'est rendu au Palais par le portique de la Maison commune, bordé de deux côtés d’une double haie da gardes nationales commandées à cet effet et suivi d’une multitude de citoyens de tous les états. empressés de voir la cérémonie auguste qui devait se faire, Arrivé dans la chambre des audiences publiques, le Conseil général de la commune y a pris séance sur les hauts bancs des deux côtés du Trône. M. le Procureur de la commune et son substitut se sont placés dans le parquet sur les banes destinés aux . gens du Roy, le secrétaire greffier s’est placé au devant de la table qu'occupait ci-devant le greffier en chef du Parle- ment. » Le maire de la ville, avocat Louvot, qui devait être plus tard Premier Président de la Cour de Besançon, puis con- _seiller à la Cour de cassation, prit la parole et félicita le Pré- sident élu « d’avoir puisé l’amour de la liberté et le goût des connaissances utiles dans une congrégation (2) fameuse autant par la liberté de son régime que par linstruction de ses membres, d’avoir consacré tous les instants d’une vie laborieuse à l’étude pénible de Ia loi et à la défense des inté- rèts de ses concitovens »; puis il demanda au tribunal « de ne consulter que sa conscience, de se souvenir qu'absoudre par faiblesse un coupable était une lâcheté et que condamner un innocent par prévention était un forfait ». Après ce discours, que le procès-verbal qualifie de patrio- (1) Idem. (2) Nodier avait été professeur au collège de Lyon, appartenant à la Congrégation de lOratoire. 1h tique, M. le Procureur de la commune requit la prestation de serment de M. le Président, de l’accusateur public et du greffier (1). La même cérémonie se reproduisit le 5 pluviôse an [H, lors de linstallation d’un nouveau tribunal criminel réorga- nisé par arrêté des représentants du peuple Pelletier, Seves- tre et Calès (2), La tradition des discours de rentrée était si vivace qu’elle survécut à la disparition des Parlements et qu'aussitôt après la périoïe révolutionnaire, elle reparut avec les nouvelles institutions judiciaires. La loi du 27 ventôse an VIII créait les tribunaux d’arron- dissement et 29 tribunaux d'appel, dont un à Besançon. L'installation des juridictions du département du Doubs eut liea solennellement dans notre ville le 50 messidor an VITE. Les autorités civiles et militaires avaient été convoquées pour trois heures et demie à lPHôtel de la Préfecture ; au bruit des salves d'artillerie, elles se rendirent en cortège au Palais de Justice, où une députation des différents tribunaux vint recevoir le préfet et le conduisit dans la grande salle du Palais. Après l’exécution d’une symphonie, le préfet prit la parole et exposa les principes constitutifs de l’ordre judiciaire nouveau. Après lui, et en l’absence du citoyen Lescot, Président du tribunal d'appel, le juge Spicrenoël parla des devoirs des magistrats, de leurs travaux et de Pimpartalité qui doit présider à leurs décisions. Puis le (LD) Les juges du Tribunal eriminel étaient pris par roulement dans les Tribunaux du distriet et n'avaient pas à prêter serment à nouveau. (2) Cet arrêté, en date du 29 nivôse an II était ainsi conçu : « Considé- rant qu'il importe de réorganiser le Tribunal criminel du département du Doubs. arrêtons que ce Tribunal sera composé du citoyen Rougnon de Besançon, actuellement juge du Tribunal de district de Vesoul ; 2° du citoyen Guillemet, qui remplira les fonctions d’accusateur publie ; æ de trois nouveaux juges qui seront pris dans les Tribunaux de district, con- forimément à la loi. Ee — 195 — Commissaire du gouvernement près Île nouveau tribunal d'appel, le citoyen Gros, prononça un discours dans lequel il critiquait sévèrement les abus du régime précédent. Il purla « des temps malheureux où quelques tribunaux deve- naient les instruments de l’arbitraire et l’arène des passions personnelles, où l’égarement révolutionnaire el l’esprit de faction s’occupaient à déconsidérer les institutions judiciaires et à ôter les attributions des tribunaux réguliers pour les donner à des Commissions tyvranniques », L’orateur décia- rait, en terminant, «€ qu'autant 1l aurait mis de fermeté à refuser d'être l'agent d’un gouvernement tyrannique, autant il se glorifiait d'avoir obtenu le choix d’un gouvernement juste et fort, dont le succès et le génie de Bonaparte venaient d'assurer la solidité et d'illustrer l'administration (D ». L'Empire établi, le senatus-consulte du 28 floréal an XII obligea les diverses juridictions à prêter le serment d’obéis- sance à la Constitution et de fidélité à l'Empereur. Cette for- malité donna heu, le 22 prairial, à une cérémonie dans laquelle Ie Procureur général prononça une harangue qui n'est qu'une longue adulation à légard du souverain. Par la loi du 20 avril 1810. les Cours impériales furent constituées dans les villes qui possédaient déjà des tribu- naux d'appel. C’est le 15 juin 1811 que fut installée officiel- lement la Cour impériale de Besançon. Le sénateur comte d'Aboville, grand-officier de la Légion d'honneur, fut nommé, par un décret spécial du 19 mai précédent, pour présider à cette solennité. « Ayant été prévenu, rapporte le procés-verbal, par M, le Premier Président et M. ie Procu- reur général, que les membres de la Cour se trouveraient réunis au Palais de Justice, M. le sénateur s’y est rendu, accompagné de M. le baron de Marulaz, grand officier de la Légion d'honneur, commandant en chef de la division mili- (1) Archives de lu Cour d'appel. Registres des actes importants, tome Î. — 196 — taire, de M. le baron de Bry, préfet du département du Doubs, de MM. les officiers supérieurs et de tous les fonc- tionnaires civils et militaires, ayant pour garde d'honneur les élèves du Lycée de Besançon. Le cortège s’est avancé au milieu d’une double haie formée par la garde nationale et les troupes de la garnison, depuis l’hôtel de M. le séna- teur jusqu’au Palais de Justice. M. le comte d’Aboville étant arrivé au bas du grand escalier, a été reçu par une députa- tion de la Cour composée de MM. les Présidents Garnier et de Camus, de MM. les conseillers Violand, Bonnot, de Chaillot et de Chiflet, ainsi que de M. Alviset, substitut du Procureur général, et conduit dans la salle où la Cour était réunie. Après s’y être reposé, M. le sénateur, avant à sa droite M. le Premier Président, à sa gauche M. le Procureur wénéral; et suivis de vtoute ta Cour impériale, s’est rendu avec le même cortège dans Péglise Saint-Pierre, qui avait été préparée pour y célébrer une messe du Saint-Esprit. La place entre le Palais de Justice et cette église était occupée par un bataillon carré de près de 6,000 hommes. Le cortège l’a traversé au bruit d’une musique militaire et brillante (sie) (1). » Le cortège étant rentré dans la grande salle du Palais de justice, le comte d’Aboville ordonne au greffier de faire appel nominal des magistrats qui doivent composer la Cour. On y voit figurer six membres de l’ancien Parlement : Camus, Chaillot, Chifflet, Varin d’Ainvelle, Lebas de Bouclans et Boulignev. Après quelques paroles de M. d’Aboville, le Pro- cureur général Bouvier prononce un discours qui débute par un éloge dithyrambique de l'Empereur à qui la nation doit, dit-il, être reconnaissante « d’avoir élevé le monument des lois civiles sur un plan uniforme, dégagé de la multiplicité des coutumes et de la diversité des jurisprudences. » Après (1) Archives de la Cour d’appel. Registres des actes importants, tome I. — 197 — avoir loué convenablement le général comte d’Aboville ainsi que ses ancêtres, l’orateur ajoute : « Je ne doute pas que les anciens parlemeniaires qu'il a plu à Sa Majesté d'associer aux anciens membres de la Cour d'appel ne s’empressent de signaler leur dévouement pour un monarque qui veut bien leur offrir cette occasion de faire revivre dans leurs personnes et dans leurs descendants des noms chers à la magistrature de l’ancienne province. » La séance se termina par un dernier discours du Premier Président Louvot qui ne fit qu'ajouter un couplet nouveau au concert d'adulations à l'adresse du Trône. Tandis que la loi même qui instituait les cours impériales remettait en vigueur les anciennes assemblées mereuriales (1) un décret postérieur rendit obligatoire laudience et le dis- cours de rentrée (2). Le Procureur général ou l’un des mem- bres de son parquet, délégué par lui, était tenu de pronon- cer un discours (sur un sujet convenable à la circonstance » ; il devait tracer aux avocats et aux avoués le tableau de leurs devoirs et exprimer ses regrets sur les pertes que la magis- trature et le barreau avaient pu faire dans le cours de l'année. C'était la résurrection des anciennes remontrances. Depuis 1811 jusqu'en 1902, les prescriptions de ce décret ont été régulièrement observées dans notre Cour, sauf en 1848 et en 1870. Le discours inaugural était prononcé devant le Premier Présidentetles Chambres réunies, dans la grande (1) Art. 8 de la loi du 20 avril 1810 : « Toutes les Chambres de la Cour impériale se réuniront en la chambre du conseil le premier mercredi d’a- pres la rentrée : le procureur général ou un avocat général en son nom, prononcera un discours sur la manière dont la justice aura été rendue dans l’étendue du ressort pendant la précédente année ; il remarquera les abus qui auraient pu se glisser dans l’administration en cette partie ; il fera les réquisitions qu’il jugera convenables, d’après les dispositions des lois. La Cour sera tenue de délibérer sur ces réquisitions et le Procureur général enverra au Grand Juge copie de son discours et des arrêts qui seront intervenus. ; 9) Articles 33. 34 et 35 du décret du 6 juillet 1810. — 1985 — salle du Palais, en présence des diverses juridictions de la ville, tribunal civil, tribunal de commerce, juges de paix et des hauts fonctionnaires, de larchevêque et des généraux spécialement convoqués. Jusqu'en 1883, l'audience solennelle était précédée d’une messe dite du Saint-Esprit ou messe rouge, célébrée tantôt dans la salle des Pas-Perdus, tantôt à l’église Saint-Pierre. | Les procès-verbaux des audiences de rentrée de TSI à 1817 se bornent à mentionner que des discours « analogues à la circonstance » ont été prononcés par un magistrat du Parquetret” aussi par le Premier Président: cemestAque partir de 1818 que le sujet de ces discours se trouve indiqué. Jusque vers le milieu du siècle, les harangues n'offrent pas une grande variété ni un grand intérêt ; elles paraissent ins- pirées des anciennes remontrances et plus particulièrement de celles de d’Aguesseau ; elles dépeignent les vertus et les qualités diverses que doit avoir le magistrat. Tantôt c'est l’impartialité, tantôt l'équité, ou bien c’est la fermeté, ou bien c’est la modération que l’orateur a le plus particulièrement en vue et qui fait l’objet de ses développements. Quelquefois il préconise la nécessité de l’étude pour le juge ou vante l'esprit de corps de la magistrature. Quelqu'un s’enhardit jusqu’à parler de l’ambition. [l y en a qui s’aventurent sur le terrain de la politique et c'est toujours pour célébrer les beautés du régime établi 1), À signaler dans cet ordre d'idées (1) Les bouleversements politiques mettaient alors le lovalisme des magistrats à de rudes épreuves. Après le premier retour des Bourbons, la Cour, dont tous les membres avaient été nommés par l'Empereur, décide par délibération du 93 avril 181%, d'envoyer une grande députation à Paris pour assurer de son dévoûment S. M. le Roi et les princes de la famille royale. « L'Empire, est-il dit dans cette délibération, n’était qu'un despotisme féroce, plus dévorant encore que la longue et sanguinaire anarchie qui l’avait précédée. » Le 17 mars 1815, Napoléon débarque à Antibes. La Cour de Besançon qui n’a pas foi dans son succès envoie une adresse de fidélité et de respect à Louis XVIIT. Le 27 mars, l'Empereur est rentré aux Tuileries, et les mêmes magis- — 199 — le discours prononcé à la rentrée de 1830 (D. M. Lerouge, qui jusqu'alors avocat au barreau de Dijon venait d’être nommé Procureur général à Besançon, traita de la probité politique. Ïl fit l'apologie du nouveau régime qui constituait à ses yeux l'idéal de l'honnêteté gouvernementale et se livra à un véritable réquisitoire contre les anciens ministres de Charles X. Il est à remarquer que jusqu'en 1832. le Premier Président de notre Cour avait lhabitude de prendre la parole à Pau- dience de rentrée après l’orateur du parquet et de dévelop- per lui aussi un thème relatif aux devoirs ou aux fonctions des magistrats. Cet usage qui avait été constamment suivi par MM. Dumont de la Terrade, Lebas de Bouclans et Chif- flet, bien qu'aucun texte législatif ne les y oblgeât, fut délaissé sous la présidence de M. Alviset. En 18248, il n'y eut ni audience solennelle ni discours de rentrée ; mais dès l’année suivante la tradition était reprise avec un éclat imaccoutumé. Les magistrats, plemement ras- surés sur les intentions du gouvernement à leur égard, pré- trats ont le front de lui écrire: « Au moment où V. M. rentre dans la capitale aux acclamations du peuple et de l'armée, la Cour Impériale de Besançon s’empresse de lui exprimer les sentiments qu'elle a foujours professés. .. » Enfin, le 11 juillet 1815, nouvelle adresse au Roi dans laquelle nous lisons : « La Cour a du hésiler, si, en votre absence elle continuerait d'administrer la justice à Vos sujets de son ressort, mais le danger de voir ce soin confié à des mains moins fidèles a dû triompher de son hésitation. » Ce sont les mêmes signatures qui figurent au bas de ces documents quil est curieux de rapprocher. (Registres des Actes importants de la Cour). _ (F) Après la Révolution de 1830, le personnel de la Cour de Besançon fut en partie renouvelé : le Premier Président Chifflet donna sa démis- sion ; le Procureur général Clere fut remplacé; MM. de Bonnechose, avocat général; de Boursières, Babev, Durand de Gevigney, Crestin d'Oussières et Prudhomme, conseillers ; MM. Barberot et Ruffier d'Epe- noux, conseillers auditeurs refusèrent de prêter le serment de fidélité au roi Louis-Philippe et d'obéissance à la Charte. Ge serment fut prêté par les autres magistrats le 14 septembre 1830. — 000 — tèrent le serment professionnel, ainsi que les greffiers et les avocats, suivant une formule nouvelle dégagée de toute idée de fidélité envers le chef de l'Etat. Le Procureur général Loiseau qui avait quelques jours avant prêté le même serment à Paris, avec les délégués des autres Cours d'appel. entre les mains du Président de la République, prononcea le dis- cours de rentrée et*parla des”évènements récents \u moment, dit-1l, où l’ordre commence à renaitre dans la cité, où la raison et le von sens reprennent leur légitime empire dans la direction des affaires politiques, la magistrature fran- çaise sort de la Révolution plus puissante et plus forte des épreuves mêmes qu’elle a traversées. [l y à huit jours le principe de linamovibihité recevait une sanction nouvelle, en présence du premier magistrat de la République, sous les veux des grands corps de l'Etat, dans l'antique palais du roi justicier. [l était utile de laisser une autorité permanente au milieu des fluctuations politiques. Les pouvoirs se succè- dent et se renouvellent ; il n’y a qu'une puissance qui se survive en quelque sorte à elle-même : c’est la Justice repré- sentée par ses légitimes organes. La République ne s’est pas bornée à maintenir les institutions judiciaires; elle les a fortifiées par la consécration qu’elle vient de leur donner. » Après la harangue de M. Loiseau, le Premier Président Alviset, revenant pour une fois à l’usage suivi jusqu’en 1839, prit la parole à son tour et traita de l'inamovibilité de la magistrature. À partir de 1850, les discours de rentrée offrent plus d'ori- ginalité et de variété ; leur stvle se dépouille de l’emphase et des métaphores pour devenir plus simple et plus précis : ils prennent les allures de véritables dissertations sur des points de législation, de philosophie ou d'histoire. Si jai pu en dresser la liste entière, il ne m'a été possible de les retrouver tous : la Bibliothèque municipale et même les archives de la Cour n’en possédent qu’une collection fort — 201 — incomplète. Mon intention n'a d'ailleurs jamais été de les tous analyser, Devant une masse aussi nombreuse et aussi variée d’opuscules de valeur inégale, il est nécessaire de procéder par sélection. On peut ‘les classer en trois caté- gories, suivant qu'ils traitent de questions d'ordre législatif ou juridique, de sujets philosophiques ou littéraires, où d'é- tudes sur les institutions ou les hommes de notre province. Je passerai très rapidement sur le premier groupe. qui est le plus nombreux, mais qui ne peut guère intéresser que les juristes, Tantôt c’est un des rouages de notre organisa- tion Judiciaire qui est examiné et décrit dans son fonction- nement (1), tantôt c’est une réforme législative qui est préco- nisée (2); d’autres fois, c’est une ioi nouvelle qui est passée au crible de la critique et étudiée dans ses conséquences et sa portée sociale (3) ; ce sont enfin des excursions dans l'em- pire des législations étrangères (4), Les sujets purement philosophiques ou littéraires ont été rarement traités : Six discours seulement peuvent figurer (1) Du pouvoir discrétionnaire du Président des Assises ‘1863. M. Julhiet). — De l’origine et de l’organisation du ministère public (1865. M. Ber- trand). — Privilège de l’ordre des avocats (1886. M. Masse). (2) De la récidive et des moyens de la réprimer (1878. M. Bourbeau). — Des mesures législatives à prendre à l'égard des aliénés dits criminels (1882. M. Dayras). — De la réforme du notariat (1884. M. Valler). — De la législation des aliénés (1889. M. Cottignies). (3) La libération conditionnelle (1888. M. Blache). — Les syndicats professionnels (1891. M. Bohin). — De la conciliation et de l’arbitrage professionnel (1894. M. Martin). (4) Etude sur le code civil français et le code italien (1874. M. Tour- nver) — Etude sur le code pénal de la République et canton de Neuchatel (1883. M. Blache), — Le Cone pénal italien 11890. M. Masse). — Le patronage des détenus libérés en Suisse (1893. M. Blache). dans cette seconde catégorie, encore se rattachent-ils pres- que tous par quelque côté au domaine du droit. Au lende- main de l'Année terrible, le Procureur général Varambon parla de «l'Idée de patrie ». Il montra comment s'était déve- loppée la notion de la patrie, dont le germe réside dans l'amour inné de l’homme pour le sol qui l’a vu naître, com- ment les grands évènements de l’histoire, les conquêtes de Rome, les invasions barbares, le christianisme et la féodalité avaient influé sur la constitution des nationalités, comment enfin, sous l’empire des doctrines épicuriennes, 1Î v eut une crise du patriotisme analogue à celle dont nous sommes les témoins attristés, « car ce n'est pas d'aujourd'hui, dit-il, que la patrie à été niée. » — En 1880, M. Edouard Besson, un magistrat letitré, qui fut secrétaure décennal de notre Société d'Emulation, produisit un essai sur lPéloquence judiciaire au xvine siècle. I fit remarquer que, si sous Louis XEV, la palme de léloquence revenait incontestablement aux ora- teurs sacrés, elle passait, sous ses successeurs, aux orateurs du barreau, aux Cochin et aux Gerbier, ainsi qu'aux éerivains que l’ardeur des polémiques amenait à prendre parti dans les grands débats Judiciaires. Sous ce dernier point de vue, l’histoire de l'éloquence judiciaire dans la seconde moitié du xviri* siècle se confond avec celle de Ia littérature elle- même : c'est Voltaire qui plaide pour le chevalier de Ha Barre, pour les Calas, les Sirven, les Monthaillv et pour les serfs du Haut Jura: c'est Beaumarchais qui dans lPaffaire Goezman « attaque toute une magistrature, tout un système de législation et même de gouvernement » : c’est Mirabeau qui « lorsque de graves intérêts le firent descendre dans l’arène judiciaire, y parut de suite en maître (D», — [’avo- ———— (1) Dans un procès qu'il soutint contre sa femme devant le Parlement d'Aix avant 1789, Mirabeau remporta un grand triomphe oratoire, dont son père le marquis, qui n'était pas tendre pour lui, rendait compte en ces termes : « Malgré la garde triplée, portes, barrières. fenêtres, tout a été envahi et enfoncé par la foule hébétée. Il y en avait jusque sur les — 203 — cat général Morillot, en 1882, dans son discours sur Thémis ou les divinilés de la justice en Grèce, étonna ses auditeurs par une connaissance approfondie de la mythologie, de la littérature et de la langue de l'antique Hellade. Cette étude, qui est presque une thèse de doctorat ès lettres, est une des plus originales et des plus savantes de toutes celles que nous passons en revue. — En 1899, M. Allain, fortement épris de latinité, produisait sur Pline le Jeune avocat, un travail qu'il a développé plus tard dans un ouvrage en trois tomes. — En 1901, M. Kuntz signalait dans l’œuvre de La Fontaine les épigrammes dont le fabuliste criblait les magis- irats et ironie souvent amère de ses critiques sur la justice de son temps. — Enfin j’eus moi-même l’honneur de clore la liste des discours de rentrée par une étude sur Victor Hugo législateur et juriste. C'était en 1902, l’année où la ville natale du poète célébra avec éclat son centenaire. J’at hâte d'aborder, avec l'intention de m'y arrêter plus longuement, la série des discours qui ont trait à Phistoire de la Franche-Comté, aux anciennes institutions judiciaires locales et aux biographies de jurisconsultes et de magistrats comtois. Les Coutumes et ordonnances de Franche-Comté ont fait l’objet. en 1853, du discours de l'avocat général Alviset, qui était fils d'un Premier Président et qui mourut Président de Chambre à la Cour. L'auteur a rappelé que les coutumes qui constituaient d’abord le droit non écrit de la province ont été codifiées par lé Parlement de Dole et promulguées devant toits pour le voir, sinon pour l'entendre, et c'est dommage que tous ne l’entendissent pas; car il a tant parlé, tant hurlé, tant rugi que la cri- niére du lion était blanche d'écumne et distillait la sueur... Son avocat adverse (Portalis) qu’il a fallu emporter évanoui et foudroyé hors de là salle n’a plus relevé du lit depuis le terrible plaidoyer de cinq heures dont il le terrassa. (Lettre du marquis de Mirabeau à sa fille Mn° du Saillant, _ dans les Mémoires de Mirabeau). les Etats assemblés à Salins le 2 février 1459. M. Alviset n’a guère parlé que des coutumes relatives au droit public ; encore l’a-t-il fait sommairement, s'étant écarté du thème qu'il avait choisi pour se livrer à des digressions sur le rôle du Parlement. Les ordonnances qui sanctionnaient la coutume mainte- naient les franchises de la province vis-à-vis du souverain ; celui-ci ne pouvait exiger aucun impôt, aucun tribut. Quand les Etats se réunissaient, ils lui votaient librement un don, variant de 15,000 à 200,000 francs. Les impôts communaux étaient établis par assemblée générale des habitants réunis au son de la cloche ; ils étaient répartis par trois commis- saires choisis dans la même assemblée parmi les plus riches, les plus pauvres et ceux de moyenne fortune ; cette répar- tition devait se faire proportionnellement à la fortune de chacun, « le fort portant le faible selon les moyens et facultés de chacun des cotisés ». — Les communes élisaient leurs représentants chaque année le dernier jour de décembre, mais ceux-ci n'avaient pas le droit d'établir ni de percevoir les impositions. Ce qu'il y a peut-être de plus remarquable dans la cou- tume de Franche-Comté, ce sont les mesures édictées pour la protection des indigents et inspirées par un véritable sen- tinent de solidarité sociale : les procès des pauvres sont examinés et Jugés avant tous autres ; défense est faite de pratiquer des saisies immobilières pour dettes minimes et d'acheter des procès contre pauvres et simples gens n’avant moyen de se défendre ; lassistance judiciaire existe, car la production d’un certificat d’indigence dispense un plaideur de consigner frais et amendes. — Aux temps de calamités publiques, chaque commune devait pourvoir à la subsistance de ses pauvres ; les valides étaient occupés chez des arti- sans où à des travaux publics, les autres étaient secourus. En compensation des sacrifices que la communauté s’impo- sait en temps de disette en faveur des journaliers, elle s’ar- — 9205 — rogeait le droit de taxer leur salaire, de même que les den- rées et les objets fabriqués, Une sorte d'assurance mutuelle était ainsi réalisée entre les habitants d'une même commune. M Estignard qui, dans son discours de 1867, a traité de la mainmorte, a fait ressortir la dure condition des serfs et en particulier de ceux qui vivaient sous la dépendance de l’abbaye de Saint-Claude. Obligation pour le mainmortable de vivre sur le meix, c’est-à-dire sur le fonds qui lui à été concédé, sous peine de perdre sa possession: interdiction d’aliéner sans l’agrément du seisneur qui, en cas de vente. prélève le quart ou le tiers du prix; incapacité de trans- mettre par donation ou par testament, sinon en faveur d'un communier vivant sur le même fonds, telles étaient les prin- cipales servitudes résultant de la mainmorte. M. Estignard a rappelé le procès célèbre intenté par les serfs du Haut Jura contre le chapitre de Saint-Claude, qui avait succédé à Pabbaye. On sait que le patriarche de Fernev s'était cons- titué l’intrépide défenseur de ses malheureux Voisins, pre- nant vingt fois en leur faveur sa plume alerte et mordante ; encourageant le zèle de Christin, leur avocat, qu’il fortifiait de ses conseils et de ses espérances ; sollicitant la bienveil- lance des ministres et des juges ; imtriguant de tous côtés en faveur des pauvres montagnards ; émouvant le publie par «d'hnmortels pamphlets où il traçait le sombre tableau de leurs misères. Le procès. fut perdu devant le Parlement, mais gagné devant l’opinion. Deux ans après larrêt du 18 août 17795, qui déclarait maintenir le chapitre de Saint- Claude dans la possession du droit de mainmorte, un édit de Eouis XVI venait abolir cette odieuse servitude. Le caractère très particulier des anciennes institutions Judiciaires de la ville de Besançon attira l'attention de M. ie Procureur général Blanc qui en présenta le tableau à Pau- - dience de rentrée de 1865. Ce magistrat n'a guère con- — 906 — sulté que les ouvrages de d’Auxiron et de Dunod qui pèchent par quelques erreurs et quelques lacunes; son discours ne pouvait donc donner qu'un aperçu sommaire et incomplet de ce que fut l’organisation judiciaire de Besançon avant sa réunion à l'Espagne puis à la France. Ville libre sous la protection de l’empereur d'Allemagne, Besançon avait une justice bizarre et compliquée. On y comptait trois juridictions principales, la Vicomté, la Réga- he et la Mairie auxquelles une quatrième, celle des gou- verneurs, ne tarda pas à imposer son contrôle et son au- torité. La plus ancienne de ces juridictions, celle qui sub- sista la dernière, jusqu’à la Révolution, était là Vicomte. Elle émanait des suzerains, dues et comtes de Bourgogne ; elle constituait une propriété féodale qui fut transmise sue- cessivement par voie d’hérédité à la maison de Chalon, à celle d'Orange, puis au prince d’'Isenghien. En 1789, c'était la nièce et l'héritier de ce prince, la comtesse de Lauraguais qui était encore titulaire à titre de fief du droit de haute, movenne et basse justice dans la ville de Besançon - La Régalie était la juridiction de l'archevêque qui, en qualité de prince d’'Empire avait reçu lui aussi du souverain, comme fief, le droit de justice sur la ville. épiscopale. — Une troi- sième juridiction, dont M. Blanc n'a point parlé, était la Mairie où Cour de Mairie. Sur son origine, d'Auxiron et Castan se sont trouvés en désaccord: le premier pense que le Maire était à l'origine le hHeutenant du Vicomte, dont il avait fini par se rendre indépendant ; le second estime, avec plus de raison semble-t-il, que le Maire fut institué par l'archevêque Hugues [7 pour rendre justice aux habitants du bourg. Mais l'autorité de ces trois juridictions ordinaires qui éma- naient toutes de la suzeraineté, était singulièrement limi- tée par celle des gouverneurs qui émanait de la commune et constituait pour les habitants un rare et important privi- lège auquel ils étaient jalousement attachés, qu’ils considé- = 0 — raient comme le gage le plus précieux de leurs libertés civiques et qu'ils défendirent dans des luttes mémorables tant contre la maison de Chalon que contre l'archevêque. Ce privilège, plusieurs fois confirmé par l'autorité impériale consistait dans le droit qu'avait tout citoyen, lorsqu'il plai- dait comme demandeur ou comme défendeur, soit au eivil, soit au criminel, devant un des trois juges de la cité, de demander son renvoi devant ses pairs, c'est-à-dire les co-gouverneurs. Ceux-ci avaient également le droit de réclamer d'office l'examen de toute cause pendante devant l’un quelconque des tribunaux ordinaires, mais ils devaient prononcer la sentence en présence du juge saisi et dans son auditoire. Dans les affaires importantes, les gouverneurs s’adjoignaient les notables élus chaque année par les sept quartiers de la ville. Dans tous les cas, leurs discussions étaient souveraines et ne pouvaient être portées en appel, même devant l'Empereur (1). À côté de ces juridictions principales, 11 y avait encore des juges d'attribution particulière et à compétence limitée : c'étaient l’officialité, jugeant les causes ecclésiastiques, les chanoines de Saint-Jean, de Saint-Etienne et de la Made- leine, l'abbé de Saint-Vincent et le prieur de Saint-Paul. Ce dernier exerçait en matière criminelle une vraie siné- cure, grâce au droit d’asile qui faisait du clos Saint-Paul le refuge inviolable de tous les criminels et malandrins de la cité (2), — M. Blanc a omis de mentionner le tribunal de lInquisition qui n'eut, il est vrai, qu'une existence éphé- mère à Besançon et qui, maintenu sous le contrôle des gou- verneurs, ne put commettre les excès qui l’ont rendu si odieux dans d’autres contrées. (1) La juridiction des gouverneurs de Besançon a été étudiée d’une facon très complète dans une savante thèse de doctorat de M. Ed. Molines (Dijon. Nourry 1907). (2) Ce droit d’asile était devenu un tel danger pour la Ville que sur la plainte des gouverneurs, l'Empereur Maximilien le déclara aboli, en 1503. — 9208 — La conquête française apporta des changements profonds dans le régime de la justice à Besançon: la judicature des gouverneurs fut supprimée; déjà la Régalie n'existait plus depuis la réunion à l'Espagne; la Vicomté subsista, mais on créa à côté d'elle un nouveau magistrat et un baillage royal. Au dessus de ces trois tribunaux subalternes, dont les com- pétences mal définies s’enchevêtraient souvent, le Parle- ment installé à Besancon le 12 novernbre 1676 exerça la juridiction souveraine. : M. Blanc na) pas eu de peine à faire ressoruries, vices de cette organisation judiciaire à laquelle nos pères se mon- traient pourtant très attachés : conflits perpétuels entre tri- bunaux, lenteur des procédures, arbitraire du juge, inéga- lité dans la répression, abus de la torture, méconnaissance des droits de la défense, cruauté des peines, tel était le bilan de cette très imparfaite justice. Le Parlement de Dole; par le rôletconsidérable, qualha joué dans Phisioire de notre province, par la valeur des magistrats qui l’ont illustré, offrait à ceux qui cherchaient des sujets de discours une mine d’une incomparable richesse. M. Poignand nous à fait en 1861 lhistorique de cette com- pagnie qui par ses origines, ses usages et ses attributions se distinguait sensiblement des Parlements de France. C'était primitivement une sorte de Conseil que les comtes et ducs de Bourgogne appelaient à délibérer sur les affaires du pays ; …d n’était ni fixe ni permanent: le prince le con- voquait où et quand il jugeait bon, à Gray, à Salins, à Baume où à Dole, laissant passer quelquefois plusieurs années sans le réunir. En 1422, le duc Philippe-le-Bon rénditele Parlement sédentaine/ a Dole etui donna care sistance et autorité en l'assemblant régulièrement chaque année. Lorsque la Franche-Comté passa sous le sceptre de la maison d'Autriche et qu'elle ne connut plus guère ses souverains que de nom, le Parlement prit la plus grande — 209 — part au gouvernement de la prôvince, traitant de toutes les affaires, non seulement des causes litigieuses, mais de tout ce qui avait trait à lPadministration et à la poli- tique. Par lettres patentes du 93 janvier 1509, Margue- rite d'Autriche ordonnait que le Parlement de Dole gére- rait les affaires de la province conjointement avec le gou- verneur. En outre cette compagnie eut à jouer un rôle inilitaire vraiment étonnant; elle se couvrit de gloire en 1635 en repoussant des murs de Dole l'armée française qui tentait pour la première fois la conquête de la Franche- Comté. Richelieu s'était flatté d’avoir facilement raison de «ces parlementaires à longue robe qui, disait-il avec mé- pris, n'avalent jamais figuré que dans les parades des pro- cessions » (1) et qui étaient « plus habitués au bruit des chicaneurs qu'à celui du canon » (2): mais ils surent si bien approvisionner la place, forüfier les remparts, manier le mousquet et exalter les courages qu'après quatre-vingts jours d’un siège imfructueux, trois assauts et un long bom- bardement, Condé, le grand Condé fut contraint d’aban- donner ses retranchements et de repasser la Saône. Mrente-trois ans plus tard, il est vrai, le Parlement fit preuve d'autant de faiblesse qu'il avait montré d’intrépidité. Les circonstances et les hommes étaient changés : le peuple avait souffert, le Parlement avait été humilié, le découra- sement était partout. Dole ouvrit ses portes presque sans résistance. Le Parlement de Dole se composait d’un président, de deux chevaliers d'honneur appartenant à la noblesse, de deux maitres des requêtes, de douze conseillers, d’un pro- cureur général, de deux avocats généraux et d’un greffier. Les charges n'étaient point vénales comme en France; le (1) GIRARDOT DE BEAUCHEMIN. Histoire de dix ans du comté de Bour- gogne. 2) De CHamPpvans, p. 14. — 210 — souverain nommait les magistrats sur la présentation de la compagnie. Les membres du Parlement étaient tenus en haute estime à la cour d’Espagne; ils ne sortaient de ce docte corps que pour entrer dans les ambassades ou dans les conseils du roi: Claude de Boisset préside en 1529 les états de l’Artois et devient chef de cabinet de l’archidu- chesse Marguerite, Claude Berreur entre au conseil des Flandres, Nicolas Perrenot dans celui de Empire, Antoine Brun dans celui de Madrid. Outre ces diplomates, le Par- lement de Dole compta dans son sein des jurisconsultes comme.Grivel, Pétremand, Saint-Mauris, Boguet, Terrier et des historiens comme Boyvin, Petrey de Champvans. Girardot de Beauchemin, Lampinet et Gollut,. L'avocat général Poignand donna une suite et un pendant à cette étude sur le Parlement de Dole en traitant dans son discours de 1869 du Parlement de Besançon. Le sujet est bien vaste pour le cadre étroit d’une harangue de rentrée : quelques pages ne peuvent suffire à retracer les résistances mémorables des magistrats comtois aux exactions de la cou- ronne, leurs luttes au nom du droit et des intérêts du peuple contre un pouvoir armé de la force et des lettres de cachet, leurs exils fréquents suivis de retours triomphaux, Depuis que M. Estignard à écrit deux volumes sur le Par- lement de Franche-Comté, l'étude un peu sommaire de M. Poignand à perdu tout intérêt: mais si l’on songe que ce dernier prononça son discours aux côtés de M.:Estignard, alors avocat général, il est permis de supposer que c’est en écoutant son collègue que celui-ci conçut la première idée de son important ouvrage, Une dizaine de discours de rentrée sont consacrés à des portraits de magistrats ou de jurisconsultes comtois ; la gale- rie est intéressante à parcourir et il Convient de s'arrêter quelques instants devant chaque figure. Voici d’abord quatre — 211 — grands parlementaires de Dole: Gatinara, Boyvin, Antoine Brun et Augustin Nicolas. Mercurin de Gatinara, dont M. Huart a retracé en 1875 la carrière glorieuse et accidentée, était né au château d’Arbo- rio, près de Verceil (Piémont); il se disait d’origine com- toise (1). Il fut successivement professeur de droit à Dole, conseiller intime de Marguerite d'Autriche, président du Par- lement, puis chancelier royal, enfin évêque et cardinal. Son biographe nous le montre mêlé aux principaux événements qui ont marqué les trente premières années du xvre siècle, qui est celui des grands caractères Dans la lutte qu'il entre- prend à la tête du Parlement contre une noblesse turbutente que dirige Guillaume de Vergy, maréchal de Bourgogne, Gatinara finit par succomber ; il descend de son siège avec dignité, mais pour remonter plus haut. Il devient grand chancelier de Charles-Quint, alors roi de Castille et d’Ara- gon ; sa puissance grandit avec celle de son souverain, mais il renonce volontairement à ses hautes fonctions quand celui- ci, Méconnaissant ses sages avis, commet la faute de mettre en hberté le prisonnier de Pavie sans exiger préalablement exécution du traité de Madrid (1526). À 60 ans, Gatinara entre dans les ordres et, s’élevant d'emblée aux plus hautes dignités ecclésiastiques, devient évêque et cardinal (1529). En cette qualité il réconcilie le pape et l’empereur et se fait Partisan de la paix des Dames qui, au dire de Granvelle, est son chef-d'œuvre. Quand il mourut à Inspruck le 5 juin 1530, Charles-Quint suivit son cercueil. Le président Boyvin, dont M. Alviset (2) a mis er lumiere la mâle figure, est digne d’être comparé aux Lhospital et aux Mathieu Molé par sa droiture, sa grandeur d'âme et son (1) Duxop. Totne IE, p. 16%. (2) Avant M. Alviset, Courchetet avait raconté la vie de Boyvin dans son flistoire manuscrite du Parlement. Lolo a héroïsme, Vivant dans des temps troublés et obligé de faire face à tous les fléaux: guerre, peste, famine, il sut élever son âme à la hauteur des calamités qui fondaient sur la pro- vince. Il fut le héros de la défense de Dole en 1635 comme il en fut ensuite l'historien. «J'ai vu ce qui s’est passé et J'y ai pris ma bonne part, écrit-il en toute vérité, n’y avant endroit où je ne me sois trouvé au mépris des balles, du canon et des mousquetades, comme tout le monde sçait (1) ». À peine les Français ont-ils levé le siège que la peste et la famine s'installent à leur place et plus facilement qu'eux pénètrent dans la ville. Bovvin, pendant que tous les membres de sa compagnie sont € morts ou languissants », trouve encore le temps et le courage de tenir tête à la fois aux prétentions de la souveraineté espagnole qui, non contente de délaisser la Comté cherche à lui confisquer ses franchises, et aux con- voitises de la France avec laquelle il négocie, moyennant un lourd tribut de 350,000 livres, une neutralité précaire qu’il appelle € un peu de repos plâtré et de sommeil mquiété ». Après avoir mentionné les travaux du président Boyvin en histoire, en jurisprudence et en poésie latine M. Alviset con- elut: «€ Son nom personnifie le souvenir de lPhéroïsme d'une petite province abandonnée à elle-même vis-à-vis de Riche- lieu et supportant dix années d'épreuves, de combats, de sacrifices avec une constance immuable. [l a vécu au milieu des incendies, des épidémies plus meurtrières que la guerre, il a été enfermé dans les villes assiégées et reclus dans celles que la peste désolait ; sa personne a été exposée au feu des assauts, sa famille à été décimée autour de lui par les fléaux ; les bombes effondraient sa maison de ville pendant que les flainmes dévoraient son asile des champs ; ses enfants étaient sans héritage et lui-même sans ressources et cependant sa sérénité ne s’est jamais démentie. C’est dans ce milieu qu'il étudiait, qu'il écrivait, qu'il rendait la justice. » (1: Boyvix. Siège de Dole. — 213 — M. Poignand, en 1864, fit la biographie d'Antoine Brun, contemporain et Coheeue de Boyvin. Comme procureur général au Parlement de Dole, Brun prit une part active, lui aussi, à la défense de cette ville ; mais son habileté politique nest pas inférieure à sa valeur guerrière. Philippe IV. le nomme membre de son conseil privé en 1659 et l'envoie comme plénipotentiaire au Congrès de Munster où 11 a comme principal antagoniste Abel Servien, le délégué de la France : Brun y joua un rôle prépondérant, attesté par les nombreuses lettres qu'il reçut de souverains, darchidues, de cardinaux, d’électeurs, de prélats de tous pays et de tous rangs. Cette précieuse correspondance est conservée dans les archives de la famille de Scev de Brun où M. Poignand s’est docu- menté. L'auteur justifie Brun du reproche que lui faisait Mazarin de vouloir là continuation des hostilités entre la . France et l'Espagne. Brun est en effet qualifié d'ami de la paix par plus d’un puissant personnage el il apparait bien comme un pacifiste lorsqu'il écrit ces lignes : «€ La guerre ne se fait qu'à la sueur et à la substance du peuple qui gémit sous les lauriers et qui est accablé de la gloire du trône. Toutes les victoires où l’on aspire ne doivent avoir pour but que la paix, mais pendant qu’on les gagne, la paix est une déesse voilée qui pleure la perte de ses enfants. » D’après son biographe, Brun fut le promoteur du projet de mariage de l’infante Marie-Thérèse avec Louis XIV. Cette union qui, dans la pensée du diplomate devait cimenter une . entente cordiale entre l'Espagne et la France. fut comme on le sait d’abord repoussée par Mazarin, puis réalisée quelques années plus tard. Envoyé par Philippe IV comme ambassa- deur à la Have, Brun mourut dans cette ville à la fin de 1653. Grâce aux documents inédits qui lui ont été communiqués, M. Poignand a pu tracer de son héros un portrait original. esquissé en ces quelques traits : CDoué d’une humeur accom- modante et d'une conversation agréable, également habile à parler et à écrire en latin, en espagnol et en français, versé dans la littérature, dans le droit et dans l'histoire, Brun avait par la variété de ses connaissances et de ses relations une facilité incomparable pour tout entendre, tout savoir, tout dire et au besoin pour tout cacher. » Dans son étude sur Augustin Nicolas, maitre des requètes au Parlement de Dole, M. Legrix (1876) s'est inspiré d’un travail de M. Pingaud sur le mème personnage, publié dix ans auparavant dans les Annales franc-comtoises. M. Pingaud avait remarqué qu'Augustin Nicolas, bien qu'ayant vécu au xvH° siècle, se rattache au xvr parles aventures de son existence mouvementée, tandis que par la bardiesse de ses idées philosophiques il semble appartenir au xvii° siècle. Né à Besançon en 1622, Nicolas acquit le grade de docteur et devint notaire, mais, suivant l'expres- sion de Chifflet (1), « sa plume était trop élégante pour ne servir qu'à coucher les contrats ». Bien qu'honoré du mandat de co-gouverneur, il quitte Besançon et les paisibles fonc- tions de tabellion pour prendre du service dans Parmée espa. gnole ; 1l fait plusieurs campagnes en lialie, assiste en 1647, à Naples, à la révolte de Masaniello qu’il a chantée dans un poème en langue italienne. À Rome, 1l devient secrétaire du cardinal Trivulce ; de retour en Espagne il est chargé par le duc de Lorraine, Charles IV, retenu prisonnier à Tolède, de plaider sa cause à la cour de Philippe [IV ; il se montre si insi- nuant et si habile près du ministre Louis de Haro que celui- ei songe àfse l’attacher et le charge de diverses missions à l’étranger, En récompense de ses services, Nicolas est nommé le 12 mars 1659 conseiller maître des requêtes à Dole. Cette nomination avait été faite sans l'avis préalable du Parlement qui par trois fois refusa d'installer Nicolas. I fallut trois lettres de jussion du roi pour qu'après sept ans d'attente Nicolas put enfin prendre possession de son siège en 1666. Pour jus- (1) Mémoires de Jules Chifflet, tome V. — 215 — üfier sa résistance, le Parlement invoquait des motifs assez curieux : Nicolas était considéré comme de trop basse con- dition : 1l était notaire, ce qui aux veux de Messieurs les par- lernentaires est un des arts les plus bas, les notaires étant ésclaves et valets publics. Il a été, il est vrai, élu co-gouver- neur, Mais C'était Çau temps d’une élection tumultuaire en laquelle le peuple, ayant démis tous les anciens et les plus honnêtes gens qui tenoient la dite magistrature, y remplaça de personnes de toutes étoffes que lon avait ramassées à cet effet ». Enfin le Parlement rappelait que laïeul du nou- veau magistrat, Pierre Nicolas, dit Guyon, avait été condamné à mort et pendu à Besançon, devant les halles, le 30 juil- let 1575 pour avoir pris une part active au coup de main tenté par les protestants contre la ville. Augustin Nicolas qui devait tout à | Espagne fut le premier à labandonner et à faire sa soumission à Condé en 1668. Son panégyriste le loue sans réserve de son attitude qui cependant a été sévèrement jugée par ses contemporains et qui implique, il faut bien le reconnaitre, par trop d'ingrati- tude et d’abaissement. Après le traité d’Aix-la-Chapelle, le peuple laccusa de trahison et il fut obligé de s'enfuir de Besançon, poursuivi par les clumeurs des femmes de Baitant, EI v rentra en 1676 avec le Parlement et siégea sur les fleurs de Iys jusqu'à sa mort survenue en 1695. Ce que M. Legrix ne nous dit pas, c’est que ses compatriotes ne lui avaient point pardonné sa soumission trop empressée à la France et qu'on lui décochait des épigrammes sanglantes où son hono- rabilité de magistrat était fort maltraitée, On allait jusqu'à dire que sil savait s'exprimer en quatre langues mille mains pour exercer sa rapacité : il avait ») Nicolaïus jacet hic qui linguas ut loqueretur Quattuor, ut raperet mille manus habuit. . Nicolas avait senti la nécessité de justifier sa conduite et celle — 216 — du Parlement dans un écrit intitulé « Discours et relation véritable sur le succès des armes de la France dans le comté de Bourgogne en 1668 ». D’après lui, la province à été endormie par la ruse des Français dans une confiance trom- peuse, puis attaquée par surprise et il conclut : « Ge n’esi pas un crime d’avoir été trompé. » L'œuvre principale d’Augustin Nicolas, celle qui doit faire oublier ses faiblesses et lui valoir la reconnaissance de la pos- térité est sa dissertation contre la torture (1). Plus d'un siècle avant que cette odieuse institution fut abolie et à une époque où elle était considérée partous comme une mesure d’instrue- tion fort légitime, il fallait une certaine hauteur de vues et quelque courage pour en dénoncer publiquement les vices et les abus. Je ne suivrai pas M. Legrix dans l'analyse de cette œuvre; je n’en citerai qu'une phrase : © Il faut haïr le crime, dit Nicolas, mais non l'accusé qui peut n'être pas cou- pable ; et même après qu'il est convaineu, il ne faut pas le traiter avec passion, mais avec justice » Montesquieu ou Beccaria n'auraient pas mieux dit, mais pour Pavoir dit avant eux, Nicolas n'en a que plus de mérite. À l'exception d’Augustin Nicolas, aucun membre du Par- lement de Besançon n’a eu sa biographie dans un discours de rentrée. C'est que, depuis la conquête francaise, si cette compagnie s'est accrue en nombre, elle a diminué en auto- rité; la taille de ses magistrats s’est abaissée et on y cher-. cherait vainement au xviu® siècle de grandes et austères figures comme celles des Gatinara et des Boyvin. Cependant Jobelot mériterait d’être tiré de l’oubli, lui qui siégea pen- dant 22 ans à Dole comme avocat général ou conseiller et (1) Le titre exact de cet ouvrage publié en 1681 est le suivant : « Si la lorture est un moven sûr à vérifier les crimes secrets, dissertation morale et juridique par laquelle il est amplement traité des abus qui se com- mettent partout en l'instruction des procès criminels, et particulièrement en la recherche des sortilèges, » ON ai 27 ans à Besancon comme Premier Président et eut en ceite qualité la tâche délicate d’accoutumer sa com pagnie à la aou- velle situation qui lui était créée par Louis XIV. Il serait curieux d'étudier à un point de-vue. différent, la carrière d’arriviste de ce Bourgeois de Boyvnes qui cumula, chose inouïe, les fonctions d’intendant de la province avec celles de Premier Président, qui fut cause de l’exil de trente parle- inentares et qui se rendit tellement impopulaire qu'il dût se démettre de ses doubles fonctions. Deux jurisconsultes comtois du XviHe siècle, un crimina liste, Muvart de Vouglans ; un civiliste, Perreciot, ont été dépeints, le premier par M. Edouard Besson, à lPaudience de rentrée de 1887, le second par M. Darche, en 1868. De Vouglans, né à Moirans Jura) en 1715 fut successive- mentavocat à Paris, conseiller au Parlement Maupeou et membre du grand conseil. Il était très versé dans lPétude du droit criminel, mais ce n’était point un esprit réformateur et il forme avec Augustin Nicolas un contraste frappant. Nicolas était un précurseur de Beccaria dont Muvart de Vouglans fut l'adversaire. À l'apparition du Traité des délits et des peines, ce dernier publia une réfutation indignée de ce qu'il considé- rait comme l’œuvre d’un fou ou du moins d’un illuminé (D), I n'hésitait pas à dénoncer l’œuvre subversive aux rigueurs du pouvoir et, pour démontrer linsanité des propositions qui y sont contenues, il en citait un certain nombre dont la plupart sont devenues les axiomes du droit moderne. « Que penser, disait-il, d’un auteur qui ose avouer, entre autres choses, qu'on doit abolir la torture ? » Voltaire le fustigea d'importance ; il écrivait à Beccaria : « À peine eûtes-vous instruit l'Europe par votre excellent livre sur les délits et les peines qu'un homme, qui se dit jurisconsulte, écrivit contre (1) La réfutation des principes hasardés dans le Trailé des délits et des peines (Paris, 1766, n° 12). = Oise vous en France. Vous aviez soutenu la cause de l'humanité et il fut l'avocat de la barbarie. C'est peut-être ce qui a préparé la catastrophe du jeune chevalier de la Barre âgé de dix-neuf ans et du fils du président d'Etallonde, qui n’en avait pas dix-huit. » M. Besson énumère les divers ouvrages de Muyart de Vouglans qui constituent lies meilleurs commentaires de notre ancienne législation pénale ; leur auteur n'a eu qu'un tort, c’est de la considérer comme parfaite et comme intan- gible, à la veille de la Révolution qui allait en ruiner lPédi- fice vermoulu. Claude-Joseph Perreciot, dont le père était aotaire à Rou- lans, naquit dans cette commune en 1728. Il fit ses études de droit à Besançon et $S’v fit inscrire au barreau, qui comp- tait alors 111 avocats. S’étant marié à Baume. il acheta dans cette ville en 1753 une charge de procureur du roi à la mai- trise des eaux el forêts, démissionna en 1763 et fut succes- sivement élu conseiller du magistrat, échevim, puis maire. Dans son étude sur Perreciot, M. Darche donne d’intéres- sants renseignements sur ce qu'étaent alors les charges municipales dans la ville de Baume. Le maire, qui s’appe- lait pompeusement vicomte mayeur capitaine n'était pas seulement chef administratif et militaire de la commune, mais avait en outre droit de justice en matière civile comme en imnatière criminelle, Dans ces fonctions, Perreciot rendit d’éminents services aux habitants, surtout pendant la farine qui, en 1770, désola la région, L'année d’après, un édit ayant établi la vénalité des offi- ces municipaux, moyen que la rovauté emplovait souvent alors pour combler les vides du Trésor, Perreciot abandonna la mairie et se consacra entièrement au barreau et à l'étude de l’histoire pour laquelle il s'était passionné dans sa jeu- nesse, en véritable « bénédictin laïque », collectionnant les documents et les chartes. Depuis dix ans, il prenait part 0 ou chaque année aux concours ouverts par l'Acadérmie de Besan- con € dont il devint en quelque sorte le lauréat ordinaire » ébauplui ouvrit ses rangs en 1771. Son;érudition était si notoire qu'avant d’avoir rien publié et sans être sorti de sa pelte ville il était entré en rélauons: avec tout ce que. la France comptait alors d’historiens et de savants. [l mettait généreusement à leur disposition les trésors qu'il avait accu- mulés, écrivant à l’un d'eux: «si je puis quelque chose pour votre service, vous êtes le maitre de disposer de tout ce qui in appartient. Je suis d'autant moins jaloux de mes recherches que Je ne me propose pas de jamais rien faire imprimer et que je n'ai eu pour but, en ramassant beaucoup de chartes, que de m'imstruire et d’obliger les savants ». On l’attire à Paris, on cherche à l’y retenir en lui promet- tant la première place vacante à l’Académie des Inscriptions, il refuse modestement préférant reprendre à baume sa vie calme et laborieuse, Cependant en 17892, il accepte à Besan- con le poste de conseiller trésorier des finances et il se _ décide quatre ans après à publier son grand ouvrage: Traité de l’état civil des personnes et de lu condition des terres dans les Giules, dès les teinps celliques jusqu'à la reéduc- tion. des coutumes. M. Darche à fait de cette œuvre une critique raisonnée dont je citerai seulement la conclu- sion : « Ce n’est pas une étude composée des opinions de divers auteurs, artistement rapprochées par un écrivain habile, une marqueterie d’érudition. C’est une œuvre créée, un monument historique. [l ne doit qu'à lui-même ses mé- brises comme ses découvertes, ses raisonnements erronés comme ses démonstrations victorieuses, S'il s’est trompé par endroits, il a le plus souvent fait preuve d’une rare perspicacité et d’une logique rigoureuse, en donnant à de nombreux problèmes historiques des solutions qui ont été respectées par les travaux de ses successeurs et qu'il faut considérer conime définitivement acquises à l’histoire ». Perreciot a laissé en outre un grand nombre de disser- Sr tations manuscrites sur les sujets les plus variés ; elles sont réunies en quatre volumes in-folio que possède la biblio- thèque de Besançon. | | Avant toujours dans ses œuvres combattu la féodalité et réclamé des réformes, Perreciot prit une part active aux pre- miers mouvements de la Révolution. Elu député suppléant du tiers-état à l’Assemblée constituante, il devient en 1790 membre de la municipalité de Besançon, puis du Conseil général du Doubs, mais son espril pondéré s accommodait mal de la tournure violente que prenaient les évènements ; il se retira bientôt dans les paisibles fonctions de juge de paix à Roulans auxquelles il fut élu par lPunanimité des habitants du canton. En butte à une accusation de modé- rantisme, 1l est brutalement destitué, puis jeté en prison et ne doit son salut qu'à la réaction thermidorienne. Tant de secousses hâtèrent sa fin: il s’éteignit le 12 février 1798. Le procureur général Loiseau continua la galerie des juris- consultes comtois en traçant successivement les portraits: de Proudhon, de Courvoisier et de Curasson. En Proudhon. il a loué la science du professeur et les vertus de l’homme privé. Né à Chasnans le {er février 1758, Proudhon était venu terminer à Besançon des études latines commencées sous la direction d'un maître de village. Destiné par sa famille à l’état ecclésiastique, il suivit d’abord les cours du séminaire; en même temps il assistait aux leçons des maitres de l’Université où la législation avait alors, dans les Cour- voisier père et les Seguin d'éminents interprètes. Proudhon se sentit attiré par une invincible vocation vers l'étude du droit à laquelle il consacra le labeur « d’une jeunesse forte et austère » et les ressources d’un jugement droit et d’un esprit profond. [| avait acquis une telle notoriété au moment de ‘la Révolution qu'en 1789 il fut élu juge par cinq dis tricts ; 11 opta pour Pontarlier. Si les électeurs faisuent tous jours de pareils choix, il faudrait sans hésitation adopter le 00 principe de la magistrature élective. Après le 9 thermidor, Proudhon devient juge, puis président de section au tri- bunal de Besançon, mais il quitte bientôt les fonctions judi- ciaires pour occuper la chaire de législation à l’école cen- trale du Doubs. Son enseignement y eut un tel succès, l’atta- chement réciproque du maître et des élèves était tel que lorsque Pécole centrale fut supprimée il continua gratuite- ment son cours pendant quatre ans, Le Jour où la ville de Dijon vit créer à son profit une faculté de droit, au détri- ment de Besançon qui perdait la sienne, Proudhon quitta avec peine ses amis, ses élèves, sa petite patrie comtoise pour occuper une chaire dans la cité bourguignonne. Investi aussitôt des fonctions de doven, il les conserva jusqu'à sa mort survenue le 20 novembre 1838, alors qu’il venait d'at- teindre sa 81e année. En 1815, le gouvernement de la Res- tauration l’ayant rendu responsable des manifestations tumul- tueuses d'étudiants enthousiastes de PEmpire, Favait frappé d'une suspension qui dura dix-huit mois. Son collègue Toul- lier, doyen de la Faculté de: Rennes, eut le même sort et pour le même motif. Cette commune disgrâce fit naître entre les deux éminents jurisconsultes une amitié réciproque qu’en- tretint une correspondance suivie, pleine de sensibilité et d'abandon et parsemée de conseils et d’appréciations sur leurs études et leurs travaux. Sans s'être jamais vus, ces deux hommes d'élite se sont intimement pénétrés. Voici en quels termes d’une simplicité touchante Proudhon décri- vait à son ami les joies de son intérieur : € quant à ma situation de famille, je suis marié, J'ai quatre enfants, une fille et trois garçons, jesne sus nierche:-ni, pauvre: Ma fille n’est point mariée et ne parait point y penser; Famour de Dieu, la piété filiale, les soins du ménage semblent l’oc- euper exclusivement; elle m'aide à corriger mes épreuves, en quoi elle vaque avec une finesse remarquable. Mon fils ainé est gr'adué, même docteur en droit. Le puiné suit en ce moment les cours de lécole pour en faire autant, quant — 2922 — au cadet, il est élève de marine... Tous mes enfants se com- portent très bien, tous sont mes amis intimes et ont la doci- lité la plus respectueuse à mon égard comme à légard de leur mère, et j'ai pour épouse lune des femmes les plus respectables qui existent ! » M. Loiseau à formulé des appréciations judicieuses sur les divers ouvrages de Proudhon, en particulier sur son fameux « Traité de l'Usufruit ». Il a porté sur le professeur le juge- ment suivant: € Esprit méditatifet un peu lent, moins fécond que solide, il n’était pas né pour les rudes travaux de lim- provisation ; inhabile à assouplir ses théories aux nécessités du fait, il fût resté au barreau, avec une science peu com- mune, dans un rang inférieur; sa parole était languissante et trahissait Paccent du pays natal. Proudhon avait néan- moins comme professeur d’éminentes qualités, la rectitude du jugement, la sûreté des méthodes: il excellait dans l'art d'exposer avec simplicité, mais d’une manière frappante, les principes les plus abstraits et d'en déduire avec une inflexible logique une série de conséquences étroitement enchaïinées. Son cours était une douce familiarité et 11 consentait même à être trivial s’il devait gagner en clarté et en exactitude ». Après le maitre, voici l'élève. Curasson, à qui M. Loiseau a consacré le discours de rentrée en 1860, était fils de main- mortables du Jura. Né à Neublans en 1770, orphelin à six ans, il fut élevé par charité à la maitrise de Dole, puis au séminaire, Il allait entrer dans les ordres quand la Révo- lution éclata. « La liberté le laissait sans ressources », mais grâce à son instruction, à sa puissance de travail et de vo- lonté, il parvint au milieu de mille vicissitudes à surmonter les difficultés de l'existence ; il devient successivement secré- taire de mairie à Ferrières, précepteur, infirmier militaire: entre temps, il suit les cours de l’école centrale du Doubs où Proudhon le distingue, l’encourage et lui révèle sa voca- tion «en lui disant avec la calme autorité de sa parole : = 0 Vous serez avocat ». On sait à quel point la prédiction s’est réalisée : Curasson fut une des gloires du barreau de Besan- con. « Pendant trente années, dit son panégvriste, son nom est mêlé intimement à l'histoire judiciaire de cette province. Chargé des plus graves intérêts, inspirant une confiance ab paraissait si désireux de se débarrasser, basé sur les usurpa- tions de ses prédécesseurs, avait été l’obstacle principal au développement lent, mais assuré, des libertés communales. Grâce aux efforts persévérants du peuple, la commune de Besançon s'était établie fortement et bravait les foudres de la puissance ecclésiastique, sa rivale. Une lutte de trois siècles venait d'entrer dans une période aiguë et de pro- voquer, à l’instigation des gens d'église, un mouvement insur- rectionnel contre les gouverneurs. Cinq ans auparavant, un acte arbitraire de ces derniers avait soulevé contre eux l’opinion publique et jeté la ville dans un cruel embarras Vers la fin de l’année 1444, le bruit avait couru que les écorcheurs, qui s'étaient emparés du comté de Ferrette et de Montbéliard (1), se disposaient à marcher sur Besançon. Loin de calmer cette crainte sans fondement, les gouverneurs avaient entretenu l’agitation en faisant mettre la ville en état de défense et, sous prétexte d'en assurer la sécurité, profité des circonstances pour se venger de l’archevêque. Dans une délibération secrète du 99 mai 1445 (2), ils avaient décidé la démolition du château de Bregille, situé au delà du Doubs, en face des remparts, que les archevêques de Besançon avaient fait construire au xIHIe siècle sur les rumes d’une ancienne abbaye. À un mot d'ordre donné par les agents du Conseil de Ville, le peuple bisontin se rua sur Bregille et trois jours lui suffirent, du 3 au 6 juin 1445, pour démolir et livrer aux flammes le château, la chapelle et les maisons du village. Le chapitre effrayé prévint en hâte l'archevêque, en rési- dence d'été à Gy. De retour à Besançon, Quentin Ménard, d'abord trompé par les assurances des gouverneurs, leur pardonna ; mais bientôt, averti de leur perfidie, il entra (1) Voyez supra. (2) Archives municipales de Besançon, série BB, registre n° 3. Cette délibération, truquée après coup, ne fut inscrite au registre qu'à la date du 5 juin 1445, au moment où la pioche des démolisseurs faisait son œuvre. a OS dans un violent courroux et se plaignit au pape. Il exigeait que la ville rebâtit à ses frais le château et le village; les gouverneurs n'offraient qu'une indemnité. Les pourparlers trainant en longueur, l'archevêque jeta l’interdit sur la ville et se retira à Gv avec sa cour (22 janvier 1448). Dès le début des difficultés, le corps municipal avait saisi de ses doléances le duc de Bourgogne et l'Empereur; de nombreuses ambas- sades leur furent envoyées, ainsi qu’à Rome. Philippe-le- Bon jugea le moment propice pour terminer la question liti- gieuse dont il avait chargé Jean Jouard. Il frappa purement et simplement l’archevêque de ses droits réguliers, mit ses biens sous séquestre et ordonna à son frère Albert de les administrer. Cette décision obligea Quentin Ménard à ren- trer avec sa cour à Besançon (15 juin 1450) et à accepter l’arbitrage du président de Bourgogne, Etienne Arménier, pour mettre fin à ses différends avec la cité. Celui-ci désigna Jean de Thoraise, Jean Chapuis, Jean Carondelet et Regnaud Cheneveulle pour vaquer à l'estimation des dégâts com- mis à Bregille. Les experts ayant fixé l'indemnité due à l'archevêque à 3,896 francs, les gouverneurs se virent dans la nécessité de voter le 20 juillet 1450, la-levée d’une taxe Sur là ville entière, en wW/comprenantemeème les plus pauvres (1). De sourds murmures ne tardèrent pas à s'élever dans le peuple. On disait, avec raison, que les gouverneurs et les riches, responsables de l'incendie et de la ruine de Bregille, devaient seuls en payer l'indemnité. La taille perçue avec rigueur par Jean d’Arbois et Hugot Berthy, porta l’exaspé- ration à son comble. Sous l'inspiration d’un « bapteur d’or » Jean Boisot, une vaste association populaire se forma et cha- cun de ses membres fit le serment solennel de s’entre-aider (4) Voir un récit de ces évènements dans Ed. CLERC. Essai sur l’histoire de Franche-Comté, tome Il, p. 475 et suivantes. — Casran. Notes sur l’histoire municipale de Besançon, p. 6 à 8. nc F4 — 275 — et de ne rien payer de l’impôt. Le 19 décembre 1450, Boisot à la tête de cinq à six cents habitants des bannières de Saint- Quentin, Arènes et Battant, se porta à l'hôtel de ville et déposa une requête sur le bureau des gouverneurs. Ceux-ci accep- tèrent l'élection de six représentants dans chaque bannière pour établir un répartement équitable de la taxe de Bregille, apurer les comptes du trésorier de la ville et contrôler leur gestion antérieure. Dans leur réunion du 22 janvier 1451, les élus des bannières, contrairement à l’avis de Boisot, déci- dèrent de maintenir leur confiance aux gouverneurs. Déçu dans ses espérances, le fougueux « orbatteur » en référa à ses conseils, Guillaume de Moustier, abbé de Bellevaux, Pierre Salomon, official de Besançon, Guillaume Chaulmon- det, curé de Saint-Pierre et Pierre Benoit, notaire, ainsi qu'aux autres gens d'église qui, par rancune contre les gouverneurs, avaient pris le parti du peuple. Un mouve- ment insurrectionnel fut préparé en silence. Dans la matinée du lundi 1% février 1451, le tocsin de l’église Saint-Pierre assemble, sur la place, les habitants au nombre de 5 à 6.000. Boisot les harangue et leur fait renou- veler le serment de solidarité. Le Président Etienne Armé- nier, qui partait à cheval pour se rendre au Parlement de Dole, est arrêté et obligé de mettre pied à terre. Le peuple le conduit dans la salle de la mairie où les gouverneurs effrayés sont contraints de garantir personnellement le paie- ment de l’indemnité de Bregille et d’abolir les gabelles. Huit jours après, le peuple envahit de nouveau l'hôtel de ville. expulseles gouverneurs et les remplace par quatorze citoyens Choisis parmi les amis de Boisot. Il force les portes des archives municipales, s'empare des chartes et privilèges de la ville dont plusieurs étaient munis de sceaux en or, et jette dans une fosse le secrétaire de la ville, Jean Rebours. À peine installé, le gouvernement révolutionnaire fit sai- sir et vendre à l’encan les biens des principaux gouverneurs qui avaient pris la fuite ; leurs maisons furent bientôt mises — 276 — au pillage. Chaque nuit, les séditieux faisaient le guet dans la ville, allumaient des feux dans les carrefours et tendaient des chaines dans les rues. Ces excès indisposèrent le peuple contre Boisot, qui fut destitué de ses fonctions de gouver- neur. Pour opérer une diversion le batteur d’or sut, avec habileté, accuser les trois notables Henry Lallement, Hugue- nin Perrot et Otherin Maillefert de trahir la ville. Pris à partie dans la Grand’rue par Boisot, harcelés et menacés par la populace, ils durent chercher un asile à l’hospice du Saint- Esprit. Dès lors, la puissance de Boisot ne connut plus de borne. Cependant les anciens gouverneurs exilés s'étaient réunis à Salins puis à Dole ; par la voix de l’un d’eux, Viard d’Achey et l’intermédiaire du Parlement, ils avaient adressé leurs doléances au duc de Bourgogne (1), Philippe-le-Bon commit alors le maréchal de Bourgogne, Thiébaud de Neuchatel, Etienne Arménier, Jean Jouard, Jacques de Chassev et d’au- tres gens du conseil pour apaiser la sédition (2). Cette com- mission, à laquelle se joignirent les baillis d'Amont, d’Aval et de Dole, se réunit à Gray et décida de se transporter à Besançon, pour tenter une médiation. Lorsque les séditieux virent que le maréchal n’était accompagné que d’une suite de cent écuyers et valets à cheval, ils le laissèrent entrer dans la ville et parurent accepter un acte de soumission, qui fut rédigé par deux notaires du duc. Après avoir séjourné six jours à Besançon 6), Thiébaud de Neuchatel et les commissaires se disposaient à quitter la ville, quand le peuple apprit qu’Otherin Maillefert et Nicolas de Velotte, ancien trésorier de la ville, allaient partir avec eux. Aussitôt l’effervescence recommença; Boisot réunit la population aux abords du pont de Battant, criant que le (1) Archives dép. du Doubs, série B, n° 329. (2) Arch. dép. de la Côte-d'Or. Recueil de Peincedé, tome I, p. 758. (3) Quittance par Thiébaud de Neuchâtel. Dom PLANCHER, tome IV, preuve 163, page 211. — 277 — maréchal voulait emmener le trésorier pour le dispenser de rendre compte des deniers publics que celui-ci avait effecti- vement dilapidés. Quand la compagnie du maréchal parut, la foule se dirigea vers les portes de Charmont, Battant et Arènes, pour empêcher la sortie. Si le maréchal et sa suite, dans laquelle se trouvait Jean Jouard, étaient passés par cette dernière porte, ils auraient été inévitablement massacrés par la populace qui s’v trouvait nombreuse et armée. Le cortège se dirigea heureusement vers la porte Charmont. Thiébaud de Neuchatel en tête et à cheval, tenant Maillefert par la main, se frayait difficilement avec son épée, un passage à travers les rangs pressés de la foule hurlante. Il avait à peine franchi les murs, qu'une grêle de pierres s’abattit sur lui. L’uned’elles, lancée par Jean Varin, tomba sur l’un de ses éperons et le brisa ; la troupe des cavaliers put cependant franchir la porte et s'éloigner rapidement sur la route de Dole. Dès qu’il fut arrivé dans cette ville, le maréchal envova son écuyer Antoine de Laviron dans les Flandres, pour annoncer au duc l’injure faite à ses représentants, par la _ population bisontine, Les commissaires se rendirent à Châ- tillon, près de Besancon, pour tenter un dernier accommode- ment avec les séditieux, mais ceux-ci, enhardis par la fuite du maréchal, répondirent qu’ils considéraient comme nulle la soumission qu'ils avaient signée. [ls jetèrent en prison les notaires qui l’avaient rédigée et qui refusaient de leur en livrer le « protocole » pour le détruire. Bien plus, ils envovè- rent une ambassade au dauphin, pour lui demander protec- tion et Boisot ne cacha point son dessein d'abandonner le parti de Bourgogne pour suivre celui du roi de France. Devant cette résistance, le Président Arménier, Jean Jouart _ et les commissaires durent en référer au duc et se retirer. Pendant ce temps, Thiébaud de Neuchaiel s'était rendu à Salins, où il avait convoqué les anciens gouverneurs et les _ notables. exilés de Besançon. Il leur fit connaître que son maitre, déjà en possession de la régalie, prenait désormais — 9278 — en main le protectorat de.leur ville. fl s’engageait à restaurer leur autorité et à châtier les coupables, mais à la condition que le duc et ses successeurs percevraient désormais la moitié des gabelles et des amendes, avec le pouvoir d'établir dans la cité un juge. et un capitaine. Placés entre leurs inté- rêts, leurs ressentiments et la sauvegarde des libertés publiques de leur patrie, les exilés hésitèrent d’abord, mais leur ambition lemporta et ils acceptèrent les propositions du maréchal. Aussitôt celui-ci manda aux baillis de Dijon, Châlon, Mâcon et de la Montagne de lui envoyer « ce qu’ils pourroient de gens d'armes, ainsi le firent » (1). Il lança en même temps plusieurs chevaucheurs et écuvyers, Jacot de Blamont, Lié- baut de Voisey, Etienne de Rosière, Thibaud de Laissey, Simon d'Oussans et Etienne Chenevière, en Bourgogne, en Allemagne et en Lorraine pour réunir d'urgence des hommes de guerre. _ Le 3 septembre 1451, Thiébaut de Neuchatel se présenta devant Besançon avec 1.590 combattants. [l amenait avec lui le Président Arménier, Messire Jean Jouard, Jacques de Chassey, Jean Chapuis, Jean Ruffy, Martin Gauthiot, Guil- laume Bourrelier, greffier du Parlement, les procureurs des bailliages d’Amont et d’Aval, Guillaume Thevenet, Mongin Coutault, Jean Nardin, prévôt de Gray, Jean de Molesmes et Alart de la Porte, secrétaires du duc. Ces personnages étaient munis d'une commission spéciale de Philippe-le-Bon, leur ordonnant d'attaquer la ville de vive force, si elle résis- tait, de s'emparer des séditieux, d'instruire leur procès et de rétablir en leurs fonctions les anciens gouverneurs. Boisot essaya d'organiser la résistance, mais la population bisontine décimée par « très grand pestilance et mortalité » ne le suivit point et ouvrit les portes de la ville. L’orbateur se sentit perdu, mais il eut le courage de tenir tête, jusqu’au bout, à (1) Quittance par Thiébaud de Neuchâtel. Voyez la note supra. 0 l'orage qu'il avait déchainé, laissant ses amis Parandier, Marquiot, le curé Chaulmondet et le notaire Benoit, chercher leur salut dans la fuite. Le maréchal et sa troupe s’établirent à Besançon sans résistance ; les nouveaux gouverneurs furent destitués et Boisot jeté dans les prisons de la régalie, d’où quelques amis essayèrent vainement de l’arracher. Dèsle 10 septembre 1451, les cloches de l’église Saint-Pierre assemblèrent le peuple sur la place, et les anciens gouverneurs, pour la plupart ren- trés à Besançon, se réunirent à l’hôtel de ville. Alors Jean Jouard, en présence du maréchal, donna lecture du traité signé à Salins par les notables exilés. Ceux-ci consternés, furent contraints de reconnaître leurs signatures et de les fatifier, sous forme de lettre d'association entre le duc de Bourgogne et la cité de Besançon. Get acte, porté à la con- naissance des 1.500 citoyens assemblés, fut juré, la mort dans l’âme et on y attacha le grand sceau de la ville impé- riale, déchue désormais d’une partie de ses libertés. Les bisontins s’aperçurent, mais trop tard, que la faute de leurs gouvernants venait de les livrer au duc de Bourgogne. « Les plus sages » écrit un de nos meilleurs historiens franc-com- tois (D disaient avec tristesse que, dans les dissentions de famille, le pire remède est d’appeler l’étranger ». Le lendemain, 11 septembre 1451, Thiebaud de Neuchatel se transporta, avec les commissaires du duc, à Gray pour instruire le procès des séditieux. Il avait choisi cette ville, de préférence à Besançon, dans la crainte d’un nouveau sou- lèvement populaire et à cause de la peste. L'enquête com- mença le même jour en présence du maréchal, de Jean Jouard et de la plupart des commis dénommés plus haut. Jean Boi- sot, à qui l'otficial avait recommandé, dans sa prison, de ne pas dévoiler le rôle joué dans la sédition par les gens d'église, (4) Président Ed. CLERC. Essai sur l’histoire de la Franche-Comté, some IT, p. 484. — 280 — fut aussi réservé que peu explicite, dans son premier inter- rogatoire du matin. L’après-midi, 1l fut mis à la torture, ses. pieds ayant été attachés à deux boucles contre un mur et ses mains fixées à une autre boucle du mur opposé, les juges « le feirent ung po (un peu ! tirer sans Iy donner boire point deau » (1). Il fit alors des aveux complets, raconta comment il avait, sur les conseils de l’abbé de Bellevaux, « bareté et commehu » le peuple bisontin, fait destituerles gouverneurs et vendu leurs biens, enfin médité l'assassinat du maréchal et de sa suite. Son garde du corps, Jean Tavernot, qui n’a- vait pas voulu suivre Curteiller dans sa fuite, parla du ser- ment que les conjurés avait fait de suivre Boisot jusqu à la mort. Les autres inculpés ne firent aucune résistance pour reconnaître leur coopération dans l’émeute, seul le riche pelletier Vauchier Donzel, qui avait successivement trahi les deux partis, plaida son innocence. De nombreux témoins furent entendus pour établir, dans les détails, les évènements qui s'étaient déroulés à Besançon au cours des huit mois précédents. L'enquête, écrite par Lambert Avarichier, fut … close le 18 septembre et le jugement prononcé le même Jour : Jean Boisot, Jean Tavernot, Girard Plançon et Guyot de Montmahoux, dit Billetorte, furent condamnés à la peine capitale ; Antoine Parandier, Otherin Marquiot, Jean d’Apre- mont et Jean Couteiller, au bannissement perpétuel ; enfin Vaulchier Donzel, Guillaume Potot, Huguenin Anney et vingt autres des nouveaux gouverneurs et des plus compro- mis parmi les séditieux furent frappés d’amendes, suivant leur fortune et leur culpabilité. Les condamnés à mort furent décapités à Gray. Le 28 septembre, le maréchal et les gens du conseil ordonnèrent au prévôt Jean Nardin de se trans- : (1) Enquête commencée à Gray le 4 septembre 1451 par devant Thiébaud -de Neuchâtel, maréchal de Bourgogne, Jean Jouard, maistre des requestes du duc de Bourgogne, etc... à l’occasion de plusieurs commocions, cons- pirations, etc. Registre des délibérations de la commune de Besançon. Arch. municipales de Besançon, série BB. registre 9, fol. 4 à 112. — 281 — porter, ainsi que « l’exécuteur de la haute Justice » à Besan- con, avec les. têtes des suppliciés; de suspendre celle de Jean Boisot à un orme planté devant sa maison et de placer les trois autres têtes « au plus haut de la porte de la cité, appelée la porte de Charmont » (1), Le maréchal, après avoir assouvi son impitoyable ven- geance, revint à Besançon pour surveiller l'exécution du iraiié passé avec les gouverneurs et recevoir une somme de 8,000 livres sur les amendes versées par les condamnés pour l’entretien de ses troupes et le paiement des salaires dus aux commissaires du duc (2). Il institua Henry Lale- nent, l’un des notables exilés, comme juge « de par Mon- seigneur le duc et comte de Bourgogne », et Guiot Robert, en qualité de receveur des gabelles ; ceux-ci prétèrent ser- ment le 27 septembre 1451 (5), Les gouverneurs bisontins ne virent pas sans déplaisir l'autorité ducale substituée à la leur dans l’administration de leur cité, fière depuis des siècles de ses libertés et de ses franchises. Des difficultés ne tardèrent point à s'élever, au cours desquelles Henry Lalement fut naturellement enclin à sacrifier les intérêts du duc. Mais le maréchal, toujours en Franche-Comté, veillait ; 1l obtint la destitution du juge et la nomination à sa place de Jean Jouard, dont il avait appré- cié la fermeté lors du procès de Boisot à Grav. Le 20 juin 1459, il exigea qu’un règlement fut conclu entre lui et les gouverneurs, afin de fixer les conditions auxquelles le duc de Bourgogne prendrait part, à l’avenir, à l’administration de la justice dans la cité bisontine. Le lendemain, il assista en personne, devant le corps municipal, à l'installation du (1) Lettre du maréchal à Jean Nardin, Arch. communales de Besançon. ‘Ed, CLEerc. Op. citato, tome IT, pages 482 et 483, à la note. (2) Jean Jouard reçut pour sa part 24 francs, par mandement du maré- chal du 20 juillet 1451. Arch. dép. de la Côte-d'Or. série B, 1720, fol. 102. (3) Arch. municipales de Besançon. Registre n° 5 des délibérations de la commune, fol. 198, série BB. 18 — 282 — nouveau juge et de Jean Poinçot comme procureur du duc de Bourgogne). Le 5 juillet suivant (2), Jean Jouard commit pour son « lieutenant » Pierre des Potots l’ancien, mais il ne continua pas moins à habiter Besancon. Bientôt tout danger de peste et d’émeute étant écarté, il décida de faire venir auprès de lui sa femme. Jean Jouard avait épousé, à une date qui n’est pas con- nue, Nicole, troisième enfant d’Estevenin de Faletans, damoiseau, châtelain d’Arguel et lieutenant des vicomté et mairie de Besançon pour le prince d'Orange, et de Jeanne, fille de Thiébaut de la Rochelle chevalier et seigneur de Neuchâtel (3). Par ce mariage, il était devenu le beau-frère de son petit-cousin, Jean Marmier (4), seigneur de Gatey et d'Echevannes, qui avait épousé Simone, cinquième enfant d’Estevin de Faletans et de Jeanne de la Rochelle. Jean Mar- mier, qui était également conseiller du due de Bourgogne, succéda à Jean Jouard dans son office de juge ducal en 1467. Dès l’arrivée à Besançon de Nicole de Faletans, les gou- verneurs de la cité décidèrent de lui offrir un présent en nature, suivant l’usage de l’époque, afin de lui souhaiter la bienvenue et de se concilier les bonnes grâces du nouveau juge ducal. Le 7 novembre 1459, Jean d’'Arbois lui fit remettre, au nom de la ville, « deux poinçons de vin, un blanc, l’autre vermeil et deux anées, l’une de froment, l’autre d’avoine (5). » Jean Jouard sut remplir ses délicates missions avec sagesse et modération, tout en sauvegardant scrupuleuse- ment les intérêts du duc. Par ce moyen, 1l réussit à gagner (1) Ibidem, même registre, fol. 189. (2) Ibidem, même registre, fol. 195. (3) Archives de la maison de Faletans. (4; Fils d'Antoine Marmier et de Claudine de l’'Estrat, petit-fils de Pierre Marmier et d'Anne de Damas, lequel était lui-même fils de Charles Marmier et de Jacqueline Jouard. Voyez supir'a, chapitre premier, mêmes références. (5) Arch. municip. de Besançon, 5° registre des délibérations, fol. 265. FN À Cu la confiance et l’estime des gouverneurs et de la population bisontine, qui n’hésitèrent pas, dans deux circonstances, à recourir à ses services et à l’influence de sa situation. La guerre de Cent ans allait prendre fin et la paix était rétablie temporairement entre le duc de Bourgogne et le roi de France ; la Normandie, reconquise sur les Anglais, 1l ne restait plus en la possession des envahisseurs que la Guienne. Charles VIT y avait envoyé une première expédi- tion, dans laquelle facques de Chabannes et Joachim Rouault, anciens chefs de bandes d’Ecorcheurs (1), étaient chacun à la tête d’une armée. De brillants succès valurent, au pre- mier, le titre de grand maitre d'hôtel du roi, et, au second, celui de connétable de Bordeaux (2), et se terminèrent par le traité conclu en cette ville le 12 juin 1451. Mais la paix ayant été rompue quelques mois plus tard par les Gascons, le roi de France se vit dans la nécessité de préparer une nouvelle campagne (3). Au printemps de l’année 1452, il réunit le grand conseil de ses vassaux et des nobles du royaume et leur demanda des levées de troupes. Le duc de Bourgogne s’empressa d'envoyer depuis la Hollande quinze beaux navires de guerre, qui cinglèrent vers le golfe de Gascogne afin d’em- pêcher l'arrivée des renforts anglais (4. Quelques mois après, Charles VIT envoyait à Châtillon, près de Besançon, un sergent pour convoquer les nobles bourguignons. Ceux-ci, peu soucieux de servir sous les ordres de ces aventuriers, dont les bandes avaient pillé leur pays huit ans auparavant et qu’ils avaient dû chasser l'épée à la main, refusèrent net. Ils chargèrent Jean Jouard, : « maistre des requetes du conseil du duc et juge à Besan- (1) Voyez supra, aux années 1444 et 1445. (2) Jean CHARTIER. Histoire de Charles VII, p. 462 à #72. (3) PEriT-DuTAILLIS. Histoire de France, sous la direction de Lavisse, tome #, II, p. 110. (4) MarmiEU px Coucy. Histoire de Charles VII, p. GIL. où çon », de faire valoir leurs droits. Ce dernier se présenta seul devant l’envoyé du roi et lui fit voir l’article du traité d'Arras qui exemptait le comté de Bourgogne de toute levée de troupes et de milices pour le service du royaume de France. [l soutint habilement les privilèges de ses compa- triotes, tandis que son collègue Pierre Baudot soutenait ceux de la noblesse du duché ; les envoyés royaux, d’un côté comme de l’autre, durent se retirer sans obtenir satisfac- tion (L), | Après avoir obligé les nobles franc-comtois, Jean Jouard s'empressa de rendre service aux citoyens de Besançon. Thiébaud de Neuchâtel avait laissé dans cette ville une troupe de cavaliers pour assurer la tranquillité publique et empêcher un nouveau soulèvement populaire. La présence de ces étrangers froissait les sentiments intimes de la popu- lation ; de plus, l'embarras des finances municipales, les ravages de la peste et les excès commis durant la sédition, rendaient plus pénible l'impôt levé pour leur entretien. Sous prétexte de demander au duc le transfert à Besançon de l’Université de Dole, le Conseil de ville décida d'envoyer en Flandre deux gouverneurs, Jacques. Motuchet et Prenre Nalot, mais ceux-ci se récusèrent. La ville estima alors que Jean Jouard et Léonard des Potots, fils de son heutenant, pourraient mieux réussir à cause de leurs relations à la cour ducale. Elle leur offrit cette mission, qu'ils acceptèrent, et par délibérations des 9 et 23 janvier 1453, vota au maitre des requêtes cent écus d’or pour son voyage (2). Jean Jouard partit le premier, pour Dijon, mandé par. lettres « des président et messieurs du conseil et des comp- tes ». Un procès était pendant devant le Conseil ducal, entre le procureur du duc, la duchesse de Bourgogne, dame de (1) Garmin et BESSON. Histoire de la ville de Gray. Nouvelle édition de Ch. Godard, p. 170 et note manuscrite de cet auteur. — Arch. dép. de la Côte-d'Or, série B, n° 1725. (2) Arch. municip. de Besançon, série BB, 5° registre, fol. 292 et 300. — 285 — Chaussin, et « plusieurs gens d'église, nobles et autres gens des terres et chastellenies de Chaulcins et de la Perrière, à cause du terrier fait pour mond. seigneur en icelles chastel- lenies par maistre Bernard Noiseux, conseillier de mond. seigneur et commis de par lui a fere ». Isabelle de Portugal porta son choix sur son baiïlli de Chaussin, mieux à même que personne pour trancher ce différend. Jean Jouard s’em- pressa de « besoingner et procéder sommerement » ; arrivé à Dijon le 22 janvier 1453, il rendit son jugement le 7 février suivant (1). Le même jour, Léonard des Potots avait quitté Besançon et rejoint Jean Jouard à Dijon; de là tous deux partirent pour les Flandres. [ls étaient de retour au milieu du mois de mai suivant, sans avoir obtenu gain de cause pour le trans- fert de l'Université, Tous leurs efforts s'étaient portés sur la question de « remission de la guarde » imposée à la cité bisontine par Thiébaud de Neuchâtel. Grâce à l’interven- tion de Jean Jouard auprès du maréchal, celui-ci ordonna le licenciement et le retrait complet des troupes. Jean Jouard et Léonard des Potots rentrèrent à Besançon, où ils recueillirent l'hommage de la reconnaissance des habitants (2). Le juge ducal rapportait de Flandre des instruc- tions de son maitre relatives à un différend déjà ancien entre lui et le chapitre de Besançon. Dès le 27 avril 1446, le duc et la duchesse avaient écrit aux riches prélats de leur verser un subside de trente écus d’or pour l’embellissement de la Chartreuse de Champmol, près Dijon. Une réclamation nou- velle de la duchesse, transmise par l'intermédiaire de Jean de Poupet, le 17 octobre 1453, était restée sans résultat. Jean Jouard avait mission de terminer l'affaire. _ À la suite de longs pourparlers entre le doyen et le juge (1) Mandement des gens du conseil et des comptes qui lui alloue 30 fr. sur «ses gaiges et vacquacion ». — Arch. dép. de la Côte-d'Or, série B, n° 1795, fo 75 vo et 76. - (2; Arch. municip. de Besançon, série BB, registre 5, fol. 307 et 349, 086 À ducal, le chapitre métropolitain prit, à la date du 27 mars 1454, une délibération accordant à la duchesse, à titre de transaction, vingt-cinq écus d’or. Puis. afin de manifester au conseiller leur gratitude pour ses démarches et peut-être aussi pour la répression de la récente sédition, les chanoines lui allouèrent le surplus de la créance, c’est-à-dire cinq écus d’or (1). Jean Jouard accepta et ne tarda pas à quitter Besançon pour s'installer à Dijon. Le duc Philippe, de plus en plus satisfait des services de son maître des requêtes, avait décidé de lui donner au sein du Conseil dueal une place prépondérante dans l’administration des affaires publiques. À la suite du célèbre vœu du faisan (2), Philippe-le-Bon, entrainant à sa suite la noblesse bourguignonne, partit en guerre contre les Turcs, laissant le gouvernement des deux Bourgognes à la duchesse et aux gens de son conseil. La nouvelle croisade échoua devant le mauvais vouloir de Pem- pereur d'Allemagne. Triste et à peine remis d’une grave maladie le duc de Bourgogne regagnait ses Etats, en tra- versant les monts du Jura. Pour le distraire, Guillaume de Vaudrey, baïlli d'Aval, lui fit visiter le château de Joux, dont le propriétaire, Guillaume de Vienne, sire de Saint-Georges, joveux dissipateur de sa fortune, lui fit les honneurs. Ce der- nier poussa la prodigalité jusqu’à offrir à son suzerain le chà- teau et la seigneurie (3). Le duc refusa le don, mais il con- sentit à un achat; le prix fut fixé à 22 000 livres et l'acte passé sur le champ par deux notaires de Pontarlier. Or, il fallait rembourser les nombreux créanciers du sire de Saint- Georges et le duc avait d'autant moins d'argent, que les frais de son voyage en Allemagne n'étaient pas encore payés. Ce fut, comme toujours, le bon peuple de Bourgogne qui (1) Arch. dép. du Doubs. Délibérations capitulaires, série G, n° 181, registre, fol. 138 vo. (2) Mémoires d'Olivier de la Marche, et 11: volume des documents inédits de la Franche-Comté, p. 441. (3) Ed. CLErRC. Essai sur l’histoire de la Franche-Comté, t. II. p. 4% (Vol op fut pressuré et le bailli d'Aval, négociateur de l'acquisition de Joux, chargé de trouver les fonds pour en acquitter le prix. Le 6 septembre 1454, Guillaume de Vaudrevy, Jean Jouard et Jean Vurry reçurent du duc une lettre datée de Nevers (1), dans laquelle il leur était ordonné de convoquer les États gé- néraux du comté, le 20 du même mois à Dole. Le bailli d’Aval et les deux maîtres des requêtes savaient d'avance que les Etats ne refuseraient pas de voter les sub- sides nécessaires pour la malencontreuse croisade. Ils ré- servèrent cet objet pour les dernières sessions des Etats qui devaient se tenir à Salins les 25 octobre et 6 décembre et à Dole le 20 de ce dernier mois (2). Mais, prévoyant une résistance pour l'affaire de Joux, ils la posèrent hardiment à la première réunion, qui se tint à Dole le 20 septembre 1454, et réclamèrent le vote d’un aide de 24,000 livres, « Notre irès redoubté seigneur se moque, dirent les députés en grande émotion et colère, qu'il achète des châteaux à son compte ! » La sagesse de ce raisonnement n’arrêta point les adrotts conseillers du duc, habitués aux arguties du Palais. [ls firent répondre par leur maitre: «Jai fait gran- dement le bien du pays de Bourgogne, la place de Joux est assise en frontière, dangereuse et de grande conséquence, et bien estoit-elle sans moi avanturée de tomber en mains étrangères ». Les députés des Etats firent entendre des mur- mures, mais bien à contre-cœur il est vrai, 1ls votèrent 4,000 livres (3). Ce nouveau succès ne fit qu'’augmenter la faveur dont Jean Jouard jouissait déjà auprès du duc. Gelui-ci ne crut pas devoir mettre à l’épreuve la fidélité de son conseiller (4) Arch. dép. du Doubs, série B, 356. (2) Ed. CLERC. Histoire des Etats Généraux et des libertés publiques en Franche-Comté, tome II, p. 117, note. (3) Ed. CLERc. Ibidem, p.119 et Essai sur l’histoire de Franche-Comté, tome IF, p. 500. — 9288 — «ans l'exécution de ses sinistres projets de vengeance contre Jean de Granson. L’infortuné sire de Pesmes était le propre cousin de Jean de Vergy, auquel Jouard devait son élévation et l’origine de sa fortune. Le duc, poussé par le chancelier Folin, trouva sans peine dans le président Gérard de Plaine, le juge soumis à sa volonté cruelle et dans Jean Nardin, ue de Gray, l'exécuteur impitoyable de son ressenti- ment (1), Quoique les pièces du procès d’Autun et de la som- bre a de Salins (décembre 1455) aient été détruites par des mains intéressées, il est hors de doute que Jean Jouard resta étranger à ce Jugement inique, que la raison d'Etat ne saurait justifier. Durant les deux années suivantes, 1456 et 1457, les mem- bres du conseil ducal et de la chambre des comptes se retirè- rent à Auxonne à cause de la peste @). C’est là qu’ils reçurent une importante mission de la part du duc. En plusieurs circonstances, les Etats Généraux de Bour- gogne et de Franche-Comté avaient manifesté le désir de voir réunies et fixées par des textes définitifs les coutumes du comté et du duché de Bourgogne, afin de faciliter le règlement des procès (3), Le duc v vit une occasion d’accor- der quelques satisfactions aux représentants de ses sujets, fatigués de ses demandes d’argent continuelles. En même temps, il fortifiait les atiributions judiciaires du Parlement et l’autorité morale de son conseil privé, auquel ressortis- sait l'appel des causes concernant les nobles. « Remon- trez, » dit-il, «les graves inconvéniens et involutions des procès qui survenoient journellement entre noz subjectz à l’occasion de ce que les coutumes générales et locales de notre pays n’estoient rédigées par escript ». [l donna l’ordre à « maistre Gérard de Plaine, chief du conseil et président (1) Gaston DE BEAUSÉJOUR et Ch. GobARD. Jean de Granson et la fe d’une famille féodale Notes manuscrites des auteurs. (2) Arch. dép. de la Côte-d'Or, série B, 1725 et 1737 (3) Arch. dép. de la Côte-d'Or, série B, 1739. 27 229 des parlemens de Bourgogne » de réunir à Dijon, pour le duché, une commission composée « des gens de son con- seil » et des trois représentants des Etats auxquels il adjoignit plusieurs prélats, jurisconsultes et hommes de loi. Jean Jouard, toujours juge à Besançon en même temps que con- seiller ducal et son ami « maistre Jehan Jacquelin gouver- neur de la chancellerie de Bourgogne, » en firent partie de droit (1). Le travail considérable auquel était appelée la commission dura plusieurs mois ; il aboutit à la codification d’un grand nombre de coutumes, rédigées avec méthode et clarté, Cou- ronné de succès, il reçut l'approbation du duc par ses lettres patentes datées de Bruxelles du 27 août 1459. Ce document, portant la signature du prince, fut contresigné par un certain nombre des commissaires, notamment par Jean Jouard et Jean Jacquelin (2). La rédaction des coutumes de Franche-Comté, ordonnée par lettre du 11 mars 1458 (n. s.) fut confiée à sept com- missaires, au nombre desquels figure Jean Carondelet maitre des requêtes, successeur de Jean Jouard, en 1468, après Jean Marmier, dans l'office de juge à Besançon et plus tard chancelier de Bourgogne. Klle reçut également l’approba- tion du duc, par édit du 28 décembre 1459 (3). (1) Avec Pierre Baudot, licencié en loi, Pierre Brandin, maitre des requêtes et Geoffroy de Choisy, bailli d'Auxois, remplaçant le premier écuyer et baïlli de Chalon, Guillaume de Percv. Les députés des Etats furent : 1° Ferry de Cluny. maitre des requêtes et official d’Autun, rem- placé par Jean de Vandenesse, doyen de Vergy; 2° Jean de Baufremont, seigneur de Mirebeau, chambellan du duc; et 3 Jean George, maitre des requêtes. Fu (2) Coutumes de Bourgogne. Edition de Claude Davost, alias de Troyes (1518). (3) GozLur. Edition Duvernoy, p. 1186. — Abhé RicHarp. Etude sur le droit co‘tumier en Franche-Comté. — 290 — III. Jean Jouard nommé chef du Conseil ducal et président des Parlements, 1463. — Son Livre d heures. — Premier procès de Chalon, 1464. — Ligue du Bien public, 1465. — Bannis- sement de Hugues de Chalon, 1466. — Mort de Philippe- le-Bon et avêènement de Charles-le-Téméraire, 1467. — Deuxième procès de Chalon, 1468-1469. Les services rendus par Jean Jouard à la cause ducale attirèrent sur lui l'attention de Philippe-le-Bon, qui résolut de le placer à la tête de son Conseil, au sein duquel le Gray- lois brillait depuis vingt ans par l'éclat de son imtelligence et la fermeté de son caractère. De ce fait, le conseiller était appelé, lors de chaque session temporaire, à la présidence des Parlements du duché et du comté de Bourgogne. Ces deux charges, généralement remplies jusqu'alors par le même personnage, avaient été successivement occupées depuis un demi-siècle par des bourguignons et des comtois distingués : Guy Arménier et son fils Etienne avaient l’un après l’autre conservé cette dignité jusqu'à leurs déces, arrivés pour le premier en 1430 et pour le second en 1452. Girard de Plaine, qui vint ensuite, s'était attiré la haine des nobles par la condamnation inique de Jean de Granson, sei- gneur de Pesmes, en 1455. Sept ans plus tard, les instances de ceux ci amenèrent la déposition du terrible président ; 1l fut « subrogé » par un simple licencié en lois, Jean de Pré- sentevillers (1). Le duc comprit qu’il fallait un homme émi- nent pour rehausser éclat de ce poste important. Son choix ne pouvait être plus heureux en se fixant sur l’un de ses plus fidèles conseillers. Nous ne possédons pas les lettres d'institution de Jean (1) Manuscrit de la Bibliothèque de Besançon, n° 85 — 291 — Jouard comme chef du Conseil et président des Parle- ments (1). Mais celui-ci a pris soin de nous en indiquer la date exacte en inscrivant de sa main cette éphéméride dans le calendrier de son livre d'heures, à la date du 24 juin : Hac die ego Jo[annes] Jourdi fui ordinatuls] presidens bur- gundie. On lit également dans la marge : Hac die fui per Dominum Philippum ducem burgundie Bruxellis ordinu- tus presidens burgundie et in suis manibus feci juramentum anno dornini M.LXITT. Il en résulte que ces lettres patentes furent données à Bruxelles le 24 juin 1463 et que peu après Jean Jouard prêta le serment de fidélité entre les mains du duc lui-même. Faut-il admettre que, dans les mêmes cir- constances, Philippe-le-Bon conféra la noblesse au chef du Conseil, président des Parlements? Certains auteurs (?) pensent que Jean Jouard fut l'objet d’un anoblissement spé- cial, Nous n’en avons pas la preuve et nous ne le pensons pas. Déjà au milieu du xv+ siècle, certaines hautes fonctions judiciaires et administratives, notamment celle de conseiller ducal, donnuient par elles-mêmes à leurs titulaires les pri- vilèges de la noblesse 6), Ce n’est qu’à partir de 1473 que Jean Jouard eut le titre de seigneur d’'Echevannes, maisil est probable que dès 1463 il pouvait prendre celui de « cheva- lier en armes » porté généralement par les bourgeois ano- blis du fait de leurs fonctions (#. Ce qui est certain, c’est qu'à cette époque Jean Jouard choisit des armoiries par- (1) La plupart des auteurs qui les citent, ont donné des dates erronées : Mémoires pour servir à l’histoire de France et de Bourgogne, p. 190, GATIN et BESSON. Histoire de Gray, p. 91, et Ed. CLERC. Essai sur l’his- toire de Franche-Comté, p. 541, indiquent l’année 1464, — R. DE LURION. Nobiliaire de Franche-Comté, l'année 1471. — GoLLur et le manuscrit de Bouligné, 1472. Enfin ParLior, Le Parlement de Bourgogne, 1476 seulement. (2) GATIN et BESSON. Op. cit. (3) Arch. dép. de la Côte-d'Or, série B. 11. 494. Rôles de marcs de Dijon, les conseillers du due sont exempts de l'impôt. (#) PaLLioT. Le Parlement de Bourgogne, p. 40 et 41. — 992 — lantes, destinées à rappeler l’origine de sa famille, les Chouard. Elles sont: d'azur à la fusce d’or, accompagnée de trois choux d’or pommés et tigés de même, posés deux et un, Nous en avons la preuve par l’écu qui figure dans la vignette de son livre d'heures, dont le président de Bour- gogne fit la commande quelques années après son élévation à cette haute magistrature (1464 à 1466). Ce précieux manuscrit, plus intéressant par ses enlumi- nures que par son texte, est parvenu jusqu'à nous (1). Sa reliure de peau fauve, fut exécutée par les ordres de Jean Jouard, pour renfermer deux livres de prières. Le premier est un missel normand avec l'ordinaire de la messe et les prières de chacune des fêtes de l’année, dont plusieurs, mentionnées au calendrier, sont propres au diocèse de Fouen. L’enluminure des onze grandes lettres majuscules etles deux miniatures à pleine page représentant la Vierge- Mère et la scène du Calvaire, affectent la caractéristique de la décoration des manuscrits du xIv® siècle. C’est un livre de prières que Jean Jouard tenait probablement de sa famille, originaire des provinces septentrionales, ou dont il avait fait l'acquisition d’un personnage resté inconnu. Le second livre est un psautier à l'usage du diocèse de Langres, sous l’administration duquel se trouvait en grande partie le duché de Bourgogne ; il est précédé d’un calendrier des fêtes du diocèse de Besançon. Commandé spécialement par Jean Jouard pour ses dévotions personnelles, il est richement enluminé. Douze grandes majuscules, dont la première surtout est remarquable, ornent les marges de leurs jambages fleuris et filigranés. Une vignette, aux trois quarts d’une page, garnie de longs panaches décorés de fleurs et de feuillages, présente un réel intérêt historique et (!) I fait partie du fonds de l’abbaye de Faverney, à la Bibliothèque municipale de Vesoul, n° 13 du catalogue. — Catologue général des bibliothèques publiques de France. Départements, tome VI, pages 407 et suiv. ; art. de J. GAUTHIER. nn — 2935 — artistique. Sur un fond de mosaïque aux couleurs éclatantes, on voit saint Mamès, patron de l’église de Langres, rete- nant avec les mains ses entrailles qui s’échappent de son ventre entre-ouvert. À sa gauche se dresse le lion du désert, compagnon fidèle du jeune anachorète. À sa droite est agenouillé un personnage, drapé dans les plis d’une robe écarlate à collet d’'hermine, avec une escarcelle dorée à la ceinture. Ce magistrat en prières est Jean Jouard dans son costume de président du Parlement. Suivant l'usage des miniateurs du moyen-âge, le peintre a représenté le pro- priétaire du livre qui lui en a fait la commande. Ce dernier, par dérogation au même usage, le montre aux genoux non pas du saint dont il porte le prénom, mais du patron de sa tille unique Mamette, non encore légitimée à cette époque. . Au milieu des ornements du cadre figure l’écu de Jean Jouard, dans lequel le dessinateur, peu versé en héraldique, a remplacé les choux pommés des armoiries parlantes par trois pommes d'or. Plusieurs feuilles de parchemin ména- gées entre le texte du missel et celui du psautier, ainsi qu'à la fin de ce dernier, sont couverts de l'écriture du président de Bourgogne. Ce sont des prières et des recettes contre diverses maladies, dont l’une pour les maux de reins, est due à la science ingénieuse de « M° Jehan Jacquelin », son aini et collègue du Conseil ducal (D. Dès son retour de Bruxelles, Jean Jouard s'installa défi- nitivement à Dijon et se mit à l’œuvre avec cette activité et ce dévouement à la chose publique dont il avait déjà donné des preuves. Comme chef du Conseil, il soutint vaillamment tout le poids du gouvernement du duché et du comté par délégation du duc. Le principe de la centralisation des ser- (1) Voir la description complète de ce manuscrit par l’auteur de ces lignes, avec une reproduction de la vignette : Le livre d’heures de Jean Jouard, président des Parlements de Franche-Comté et Bourgogne. Mémoires de la Société d'Agriculture, lettres, sciences et arts de la Haute- Saône, année 1908. or vices, organisée par Phihippe-le-Bon, faisait converger sur Jui la direction de toutes les affaires concernant la politi- que, l'administration, les finances, les universités, les bail- liages, la réunion des Etats-Généraux et même la défense du pays. Président des Parlements, dont les sessions se tenaient maintenant avec régularité et à dates fixes dans les villes de Beaune, Saint-Laurent et Dole, il se réserva la connaissance des causes tant civiles que criminelles les plus importantes. Dans lintervalle des sessions, il jugeait les procès urgents, rendait des sentences provisionnelles et assurait l’exécution des arrêts des Parlements (1). Ses « gaiges » étaient de trois cents francs par an (2), non com- pris les « cent sols » par jour que le président des Parle- ments touchait comme indemnité durant chacune des ses- sions. Le duc lui alloua en plus une pension annuelle de deux cents francs!3). Ces diverses allocations furent plus tard fondues en un traitement unique de douze cents livres par an. Vouloir suivre dans les détails la lourde tâche de Jean Jouard, serait essayer d’énumérer toutes les questions de justice et d'administration dont à la fois un président de cour d'appel et un préfet de notre époque ont à s'occuper journellement. La rareté des documents, à quatre siècles de distance, rend impossible un travail qui risquerait d’être fastidieux et monotone. Nous en avons réuni un assez grand nombre cependant, dans lesquels Jean Jouard a laissé la trace de son activité au travail. Nous en citerons les plus (1) En 1465, il autorisa l'érection de fourches patibulaires à St-Seine Arch. dép. de la Côte-d'Or, B, 5940, et nomma Henri Proudhon, rece- veur provisoire de la seigneurie de Fouvent. Même dépôt B, #739. (2) Arch. dép. de la Côte-d'Or, B, 4513, compte de 1469 à 1470 ; « À noblé homme et saige messire Jehan Jouard, chief du conseil et président, etc... pour ses gaiges dud. office qui sont de trois cens frans par an...» (3) Mémoire pour servir à l'histoire de France et de Bourgogne. Etat des maisons et officiers des ducs de Bourgogne, p.190. Arch. dép. de la Côte-d'Or, compte d’Arnolet Macheco, série B, 4513 et 451%, fol. 49, — 295 — importants, laissant aux érudits le soin de compléter notre modeste ouvrage. Au cours de leurs recherches dans les documents de cette époque intéressante de notre histoire locale, ils ne manqueront pas de trouver fréquemment quel- que parchemin revêtu d’une signature compliquée, aux longs jambages soigneusement entrelacés, avec un paraphe majestueux ; c’est une trace de l’œuvre administrative ou judiciaire de l’ancien bailli de Fouvent : Johannes Joardi mandavit. Une des premières questions judiciaires dans lesquelles le nouveau président ait eu à intervenir, est celle relative aux démèlés entre les officiers du duc et les habitants d’Aigle- pierre et Marnoz au sujet de l'usage de « muires perdues de la sauluerie de Salins » en août, septembre et octobre 1464. La sentence intervenue dans ce procès nous est restée inconnue (1), Bientôt le Président de Bourgogne fut appelé à s'occuper d’un des procès les plus retentissants du xv° siècle et qui exerça, à diverses reprises, une importance considérable sur la politique des dues de Bourgogne, en raison de la person- nalité des plaideurs, héritiers de la puissante maison de Cha- lon. Le riche prince d'Orange, Louis [IT de Chalon-Arlav, que nous avons vu prêter de l'argent à son duc, sur la demande de Jean Jouard (2), était mort dans son superbe château de Nozeroy le 3 décembre 1463. IL laissait, de son premier mariage avec Jeanne de Montbéliard, un fils, Guillaume, d’un caractère impétueux et d’une intelligence bornée, à qui reve- nat, par droit d'ainesse le titre de prince d'Orange. La seconde princesse de Chalon-Arlay, Eléonore d’Armagnac, (1) Arch. dép. du Doubs, série B, 465. Lettres-patentes du duc données à Hesdin le 12 août 1464, commettant « Messire Jehan Johard, chief du conseil et président des parlements de Bourgogne ». La procédure s'arrête le 25 octobre 1464. (2) Voyez supra, mission de Nozeroy, 1444. — 9296 — avait donné à son vieil époux quatre enfants, deux fils, Louis, depuis seigneur de Chatelguyon, et Hugues, qu'on appelait M. d'Orbe, et deux filles, Philippe et Jeanne, que le vieillard paraissait ignorer pour reporter sur ses deux jeunes fils toute sa tendresse. L'année avant son décès, le 8 septembre 1462, Louis I de Chalon avait, en présence de plusieurs de ses vassaux, liés au secret par serment, fait écrire ses dispositions testa- mentaires, Il laissait à son fils aîné la principauté d'Orange et la Lerre d’Arlay qu'il lui avait déjà assurées par son contrat de mariage avec Catherine de Bretagne en 1442, léguait des rentes à ses filles et partageait ses seigneuries entre ses deux fils, Louis et Hugues. Le sieur de Chatelguyon était, en outre, institué légataire universel (1). Sentant sa fin prochaine, le vieux prince avait rappelé en hâte Louis, son fils préféré, qui était en Flandre avec le comte de Charolais et repoussant Guillaume, avait confié son précieux trésor à son fidèle échanson, Pierre de Jougne. Il avait été convenu que, pour l’arracher aux convoitises de Guillaume, tout cet or, si patiemment accumulé par la sage administration paternelle, serait mis en lieu sûr. Le 2 décem- bre, Pierre de Jougne quittait en secret le château de Noze- roy avec le plus jeune fils du prince, Hugues, âgé de 13 ans et, accompagnés de quelques domestiques conduisant deux mulets chargés de lourds coffres cerclés de fer, ils gagnaient les hautes montagnes du Jura. Après plusieurs jours d’une marche pénible, les voyageurs arrivaient à Orbe, où le trésor fut déposé au couvent des Clarisses, en attendant son départ définitif pour le pays d’Armagnac (2). Le prince de Chalon avait à peine fermé les yeux que Guillaume d'Orange se présenta au château. de Nozeroy, en (1) Arch. dép. du Doubs. Fonds de Chalon. (2) Voir le récit complet de ces événements dans le Président CLERC : Essai sur l’histoire de Franche-Comté, tome IL, p. 518 et suivantes — 297 — héritier et parla hautement en maître. Furieux d'apprendre le. départ de son frère Hugues avec le trésor de la tour de plomb, il offrit, dès le 4 décembre 1463 à Louis de Chalon de partager la succession paternelle par moitié. Celui-ci refusa de traiter aucune affaire d'intérêt avant l’inhumation de son père. Aussitôt après les splendides funérailles de Mont Sainte-Marie (14 décembre) Guillaume renouvela ses propositions. Louis de Chalon refusa encore, arguant de son état de minorité et de l'absence de son conseil ; il ajouta que son père avait fait un testament et qu’il entendait en récla- mer l'exécution. Huit jours après, il quitta le château pour se retirer dans la maison de Guillaume de Nozeroy, ancien ser- viteur de sa famille (1). Bientôt après, les héritiers furent convoqués par l’official de Besançon, pour assister à l’ouver- ture et à la publication du testament du prince Louis. Charles de Neuchatel, administrateur de l’église de Besançon, s’y opposa et obtint de lPofficial le renvoi de cette formalité au mois de septembre suivant. Le président Clere (2), à ce propos, accuse Jean Jouard d'être intervenu en faveur du prince d'Orange, qui avait intérêt à ce que le testament restât inconnu le plus longtemps possible ; cependant aucune pièce du dossier ne permet une pareille supposition. On v voit seulement que l'affaire ayant été portée devant le Parlement le 3 février 1464, Jean Jouard la renvoya, comme tout procès entre nobles, devant le grand conseil du duc. Malgré la protestation de Louis de Chalon, dictée par son ami Quentin de la Baulme, le conseil, par deux arrêts rendus à Bruxelles les 28 mars et 6 avril 1464, se déclara régulièrement saisi de la procédure. Au mépris de (4) Les différents actes cités plus haut et ceux qui suivront concernant le procès sont réunis aux Arch. dép. du Doubs. Fonds de Chalon, titres généraux, série E, n° 1350 en plusieurs liasses et figurent à l'inventaire général, manuscrit de ce fonds important dressé par le marquis DE Mon- Nier père, vers 4730 (10 volumes in-folio). (2) Essai sur l’histoire de la Franche-Comté, tome II, p. 310. 19 — 1298 — ces décisions, Louis de Chalon, par le fait d'Humbert du Ver- noy, son curateur, présenta requête à François de Menthon, baïlli d’Aval ; celui-ci, dans son jugement du 4 mai suivant, ne put que décliner sa compétence. Le 30 mai 1464, le grand conseil, après avoir ordonné l’ouverture du testament, rendit un arrêt provisionnel accordant la possession des biens suc- cessoraux au seigneur de Chatelguyon et renvoya les parties à se pourvoir sur le fond devant « messire Jean Jouard, doc- teur en lois, conseiller, chef du conseil et autres commis- saires ». Malgré lopposition du prince d'Orange, les panon- ceaux furent apposés dans toutes les seigneuries des Chalon (21, 29, 23, 24, 95, 26, 27 juin, 2, 3, 8 et 9 juillet 1464). À la suite d’un nouvel arrêt d'incompétence (2 juillet 1464) du parlement de Dole, le grand conseil ducal, réuni à Hes- din, rendit sa sentence le 5 septembre 1464. [l ordonna, en principe, que le procès de succession serait discontinué, sauf information, par commissaires commis, des faits relevés par les parties l'une contre l’autre. Par provision, une pension de 7,000 livres fut accordée à Louis et Hugues de Chalon, sur les revenus de Saint-Laurent-la-Roche, Sellières et autres seigneuries, ainsi que sur la rente appartenant aux Chalon sur l’un des puits à muire de la saline de Salins. Cette décision provisoire ne terminait pas le litige ; elle ne pouvait pas non plus ramener la paix dans cette famille désu- nie, Cependant le hasard de la guerre se plut à réunir sous les mêmes drapeaux les deux frères ennemis, oubliant pour un instant la procédure et les grimoires des procureurs. À cette époque, le jeune et fougueux comte de Charolais, rani- mant les anciennes haïines de la maison de Bourgogne contre le roi de France, apaisées par son vieux père, venait de prendre la tête de la coalition, connue sous le nom de Ligue du Bien Public. Guillaume et Louis de Chalon s’enrôlèrent tous deux dans l’armée bourguignonne, conduite par le comte Charles, les ducs de Nemours, de Berry et de Calabre. Pour faire face — 299 — aux frais de cette campagne, Philippe-le-Bon avait donné l’ordre à Jean Jouard, président de Bourgogne, de réunir les Etats du Charolais pour voter, à l'exemple de ceux du duché et du comté, les subsides nécessaires (1). Au lendemain de la bataille indécise de Montléry (16 juillet 1465), les princes se présentèrent devant Paris, que Louis XI venait imprudem- ment de quitter et sommèrent la Ville de leur ouvrir ses portes. Encouragés à la résistance par le maréchal Joachim Rouault (2), les Parisiens envoyèrent aux seigneurs coalisés, réunis à Saint-Maur, une députation conduite par Guillaume Chartier (3), évêque de Paris. Au nombre des délégués choisis dans le Parlement, l’Université, l'Eglise et le Corps de ville (4), figurait Jean Choart ou Chouard, licencié en décret et en loi, lieutenant de la prévôté de Paris. Devant l’imminence du péril, les députés parurent fléchir et consentirent à laisser le duc de Berry entrer dans la capitale. Mais Louis XI, averti (D Arch. dép. de la Côte-d'Or, série B, n° 11. 720. (2) Fils de Jean Rouault, seigneur de Boismenart et de Jeanne du Bellay, il était marié à Françoise de Volvin. L'ancien chef d’une bande d’écor- cheurs (Voyez supra, année 1445), avait élé, à la suite de ses succès en Guienne (Voyez supra, année 1452), nommé conseiller et chambellan du roi, puis maréchal de France en 1461. Disgracié et banni en 1476, il mourut le 7 août 1478, Mémoires de Philippe de Commuynes, édition Bernard de Mandrot, tone I, p. 16 et 17, note. (3) Né en 1447, mort le 14 mai 1472. [1 ne réussit jamais à rentrer dans les bonnes grâces de Louis X[I. (4) Cétaient : pour le corps de ville, Jean CGhoart, « maitre Pierre Hallé, advocat au Parlement et Arnaud Luiller, changeur, de Paris, pour Véglise de Paris, maistre Thomas de Courcelles, doien de Paris, maistre Jean de l’Olive, docteur en théologie et maistre Eustache Luiller aussi advocat en lad court de Parlement, et pour lad. court de Parlement, mais- ire Jean le Boullenger, maistre Jean le Scellier, archidiacre de Brie, et maitre Jacques Fournier, et pour l'Université maistre Jaques Juing pour la faculté des arts, maistre Jehan Luiller pour théologie, maistre Jehan de Montigny pour décret, et maistre Enguerrand de Parenté pour médecine. » — Journal de Jean de Roye, connu sous le nom de Chronique scan- daleuse. Edition Bernard de Mandrot, tome I, p. 88 et 89. — 900 — du danger qui menaçait sa couronne, rentra à Paris le 23 août 1465, quelques jours après une nouvelle réunion, tenue à Beauté, entre les princes et la délégation parisienne (1). Mécontent de la lâcheté des ambassadeurs et particulièrement de la faiblesse de l’évêque Chartier, il les disgracia tous et les dépouilla de leurs charges. Cinq d’entre eux furent en outre exilés, notamment le lieutenant du Chatelet, Jean Choart (2). Trompé par une ressemblance curieuse de nom et de pré- nom, Crestin (8) à vu dans le récit de cet évènement, relaté aux annales de Paradin (4), un épisode de la vie du seigneur d'Échevannes, conseiller du duc de Bourgogne. C’est là une erreur facile à réfuter: Jean Choart ou Chouart, simple licencié en loi, lieutenant civil de la prévôté de Paris, depuis le 11 septembre 1461, était seigneur d’'Epinay-sur-Seine 6) alors que Jean Jouard de Gray, docteur en loi, occupait déjà à cette époque le poste de conseiller-maitre des requêtes de Philippe-le-Bon ; deux ans après (1463) il était président des Parlements de Franche-Comté et Bourgogne. Enfin, nous verrons que ce n’est qu'en 1477 qu'il quitta la cause du duc pour servir celle du roi de France. Ce rapprochement de noms ne manque pas cependant d'intérêt pour nous. Il donne la preuve que la famille Chouart, en quittant la Flandre, avait laissé une de ses branches dans l'Ile de France tandis que (1) Le duc de Berry logea à la maison royale de Beauté-sur-Marne, avoisinant le bois de Vincennes, non loin de St-Maur-les-Fossés. — Mé- moires de Philippe de Commynes, éd. MANDRroT, tome I, p. 56, note. (2) Chronique scandaleuse, éd. MANDROT, tome I, p. 96 et Commynes, éd. Mandrot, p. 63. (3) Recherches historiques sur la ville de Gray, p. 311. La nouvelle édition de l’Histoire de la ville de Gray de GATIN et BESSON, reproduit, page 170, la même erreur d’après Crestin. (4) Annales de Bourgogne, par Guillaume PARADIN DE CUISAUEX, 1566, livre IIT, p. 902. (5) Chronique scandaleuse, loco citato, p. 88 et 89. — Jean Choart épousa Jeanne LE CLERC et mourut en 1483. Archives nationales, XL 1490, fol. 333 ; Bibliothèque nationale, pièces originales, vol. 755, dossiers Choart et Sanval III, 362. — 90! — les autres venaient s'établir en Bourgogne. Le hasard des évènements fit que chez elle, comme pour plusieurs autres familles franc-comtoises, des gens portant le même nom et unis par les liens du sang, se trouvèrent dans deux camps ennemis. C'était le cas pour les Chalon. Dès le mois de mai 1464, Hugues de Chalon et son gouverneur, Pierre de Jougne, étaient allés demander asile au roi de France, qui s'était empressé de faire saisir les biens de la succession du prince, situés en Dauphiné. « Je me suis allé rendre au roi » disait le jeune seigneur d’'Orbe, « et mon frère à Monsieur de Bourgogne, nous verrons lequel aura meilleur quar- tier. » Avec l'argent emporté du château de Nozeroy, il avait levé une petite troupe de Savoisiens, d’Allemands et de Vaudois, et s'était avancé sur Granson, Orbe et Jougne (9 août 1465) qu'il n'avait pas réussi à emporter. Cette rébellion avait donné à son frère ainé et à ses ennemis des armes terribles contre lui et attiré sur sa tête les foudres du duc de Bourgogne. Sur la plainte du prince d'Orange, Philippe-le-Bon avait, dès le 6 septembre 1464, par lettres patentes données à Hesdin, cominis Jean, seigneur de Rupt, bailli d’Amont, pour procéder à une enquête sur les détournements com- _ mis au château de Nozeroy par Hugues de Chalon, deux jours avant la mort du vieux prince. Le bailli délégua son lieute- nant, Jean Marmier, maître des requêtes et beau-frère de Jean Jouard, pour y procéder. Cette enquête, commencée à Besançon le 1er décembre 1464, continuée à Quingey, au prieuré du Grandvaux. à Orgelet, Montaigu, Salins et Cham- pagnole, se termina à Nozerov le 15 janvier 1465. Elle cons- titue le document le plus intéressant de cette longue procé- dure ; on y voit vivre et se mouvoir les hôtes du château de Nozeroy durant les derniers mois de la vie du prince, les _ intrigues se former autour de son lit de mort, la fuite de — 902 — Pierre de Jougne avec son jeune seigneur, enfin les pénibles évènements qui suivirent le décès U). Le 21 janvier 1465, un arrêt du Parlement de Dole, rendu par Jean Jouard, « conseillier chief du conseil, président et chambellan du duc », ordonna à Hugues de Chalon de com- paraitre devant lui. Sur son défaut, un arrêt du grand Con- seil de Bruxelles (18 mai 1465), ordonna la confiscation de la moitié des 7,000 francs de pension qui lui avait été allouée le 2 juillet précédent. Le 18 juin 1465, le duc nomma Antoine de Rye, doyen de la Sainte-Chapelle de Dijon, Guillaume de Vandenesse, maitre des requêtes, Alexandre de Verreux, doyen de la collégiale d’Arbois, et Jean Marmier, conseiller, pour conti- nuer l'instruction de là procédure, et le 28 juillet suivant, de nouvelles lettres, datées de Bruxelles, ordonnèrent à Jean de Salins, seigneur de Villers-Robert et de Nevy, bailli de Dole, de procéder à une enquête sur les faits de rébellion à main armée commis par Hugues de Chalon contre Grand- son, Orbe et Jougne. Le bailli se transporta à Jougne le 24 août 1465, puis à Orbe et enfin à Grandson le 26. L’en- quête établit surabondamment la culpabilité du jeune sei- gneur révolté ; dès lors sa condamnation était certaine. Assigné devant le Parlement de Dole, il ne parut point ; à la demande du comte de Charolais, ami de son frère Louis, un sursis lui fut accordé, mais il fit encore défaut. Le 17 mai 1466, le Parlement, réuni en séance solennelle sous la pré- sidence de Jean Jouard, assisté de Jean de Salins, Etienne de Saint-Seine, Jean de Présentevillers et Antoine de Loisy, tous conseillers, prononça contre Hugues de Chalon la peine du bannissement perpétuel et la confiscation de ses biens (2). (1) Arch. dép. du Doubs. Fonds de Chalon. Titres généraux, série E, n° 1530, première liasse. (2) Ed. CLERC. Æssai sur l’histoire de la Franche-Comté, tome II, p. b4l et la note. — Arch. dép. du Doubs. Fonds de Chalon. L’original — 503 — Ce jugement, qui portait un coup terrible à la féodalité, marque l’achèvement complet de l’œuvre entreprise par les dues de Bourgogne contre les grands vassaux. Dès lors, grâce à la fermeté du Grand Conseil et du Parlement, le duc parle en maître ; encore un effort et les villes turbulentes du Nord, comme les nobles bourguignons, baisseront la tête devant lui. _ La dernière et brillante campagne de Philippe-le-Bon dans les Flandres, avec le sac de Dinant et la soumission des Liégeois, amena la paix. Louis XI en profita pour soulever des difficultés au sujet de l'exécution du fameux traité de Conflans. Durant l'automne de 1466, on s’attendait à une nouvelle incursion en Bourgogne des troupes françaises. Force fut donc «aux bonnes villes » de maintenir sous les armes les gens de guerre licenciés de l’armée des Flandres. La présence de ces soldats indisciplinés et sans chefs, donna lieu à de multiples réclamations des habitants chez les- quels ils étaient cantonnés. Jean Jouard et plusieurs conseil- lers durent faire à cet égard de nombreuses démarches pour lesquelles ils reçurent des indemnités qui figurent aux comptes de cette année, rendus par Pierre Marriot, mayeur de Dijon et receveur pour le Dijonnais (1). Dès lors, on pouvait espérer de longues années de repos et de paix ; mais un grave évenement vint tout à coup charger le ciel de sombres nuages. Courbé sous le poids des ans, le vieux duc Philippe s’étei- gnit à Bruges le 15 juin 1467. Mandé en toute hâte, le comte de Charolais était arrivé assez tôt pour recueillir le dernier SbUpir. de son. père. Deux Jours après, :le, nouveau due Charles, que la postérité a surnommé tour à tour le Hardi, de ce titre n'existe plus; il est mentionné dans « l'inventaire des titres généraux de la maison de Chalon concernant les édits et déclarations des souverains du Comté de Bourgogne, grâces, rémissions et autres » et coté G, no 38, (1) Archives dép. de la Côte-d'Or, série B, n° 4511. — 904 — le Terrible et plus exactement le Téméraire, notifia le déces de son père et son avènement aux représentants de ses Etats et aux souverains d'Europe. La lettre à ses « amez et féaulx, Messire Jean Joard, président äes Parlements de Bourgogne, et autres gens du conseil et des comptes à Dijon », est du 17 juin 1467 (1). Et comme, suivant la cou- tume encore usitée de nos Jours dans les pays orientaux, tous les fonctionnaires se trouvaient, de par le décès de leur souverain, révoqués de leurs offices, le duc pria en même temps Jean Jouard de les inviter à continuer, jusqu'à nouvel ordre de sa part, leur administration. Cette confirmation officielle des pouvoirs ne se fit pas attendre ; reçue par Jean Jouard le 26 juin suivant, elle fut de suite et par ses soins portée à la connaissance des fonctionnaires bourgui- gnons (2). L’avènement du nouveau duc n’était pas, pour les deux _Bourgognes, un présage de paix et de prospérité. Son éter- nel et astucieux ennemi, le roi de France, cherchait déjà un prétexte pour rompre le traité signé à Conflans le 5 octobre 1465. Il se plaignait hautement que le duc de Bourgogne, en notifiant à la cour de France le décès de son père, ait négligé à dessein de lui donner le titre de souverain et ne paraisse pas disposé à lui faire hommage des terres qu'il tenait en fief de la couronne. Pour faire naître des diffi- cultés, Louis XI favorisait par ses intrigues le méconténte- ment des Gantois et fomentait la révolte des habitants de Liège. En même temps, les officiers royaux renouvelaient leurs incursions dans le pays langrois et sur les frontières de Bourgogne. Dès l’automne de 1467, le duc Charles adressa des mande- ments à ses baillis de Bourgogne pour ordonner la levée des troupes destinées à la guerre des Flandres, qu'il allait (1) Dom PrancHEr. Tome LV, preuves, 197, n° 1,p. 252. (2) Ibidem, preuves, 197, n°3. — 305 — diriger en personne. On mit peu d’empressement à répondre aux désirs du prince. Les nobles adressèrent inutilement leurs remontrances, signalant le danger qu'’allait courir, en leur absence, la province menacée par les gens du roi. Bientôt l’audace de ceux-ci ne connut plus de bornes ; cer- tains d’entre eux ne craignaient pas de s’avancer en armes jusqu'à Cuisey-les-Montfangeon pour vendanger les vignes de cette seigneurie, appartenant à Guillaume de Cicon. Déjà «ils se vantaient d'aller assiéger Thil-le-Châtel et la place de Fouvent ». Devant l’imminence du danger et en l’absence du maréchal de Bourgogne, les nobles s’assemblèrent à Gray le 22 août 1467 et prirent la résolution d'écrire aux gens du Conseil à Dijon pour les prier de mettre le duc au courant de cette situation fâcheuse Jean Jouard se souvint du temps où il n’était que simple bailli de cette terre de Fouvent, qu’une fois déjà, en 1444, il avait réussi à soustraire aux entreprises des envahisseurs et sut encore une fois témoigner sa reconnaissance aux Vergy. Il manda, au nom du duc, aux baillis d’'Aval et de … Dole, « de faire mettre sus en armes les féaulx, vassaux et subjects esd. bailliages, qui ont accoutumé d'eux armer, pour eulx emplover à la garde desd. places ». Puis, dans une lettre datée de Mirebeau-sur-Bèze, du 26 septembre 1467, il supplia le duc de laisser ces troupes sur les fron- tières de Bourgogne(1l). Par le même courrier, il se plaignait que, au mépris des traités avec le roi de France, le Parle- ment de Paris persistât à se saisir des appels des sentences rendues par les diverses juridictions du duché, dont la con- naissance appartenait aux Parlements de Bourgogne. Cüarles le Téméraire, occupé en ce moment au siège de Saultron, ne répondit point immédiatement, mais au lende- main de son entrée triomphale à Liège, 14 novembre 1467, il écrivit de son hôtel du faubourg Saint-Nicolas, à Jean (1) Dom PLANCHER. Tome IV, preuve 204. uen Jouard et à ses conseillers, pour les prier deremercier « ses vassaux de Bourgogne de leur levée d'armes », dont il n’a- vait pu ( pour la conclusion de la guerre, attendre bonne- ment la venue » en Flandres. Il ordonnait en même temps le licenciement des troupes, ainsi que des prières et des réjouissances pour fêter le succès de ses armes. Le prési- dent Jouard, qui s'était retiré avec le Conseil et la Chambre des comptes à Talant, à cause de la peste qui régnait à Dijon (1), s'empressa de transmettre cette heureuse nouvelle à tous les baillis de Bourgogne et de Franche-Comté par une lettre du 24 novembre 1467 (2). L'année suivante, 6 mai 1468, le président de Bourgogne réunit une commission pour traiter avec les officiers du duc de Savoie la question du cours du sel 3) : puis il s’occupa de nouveau du fameux procès de ia succession de Chalon, qui venait d'entrer dans une nouvelle phase. Depuis l’arrêt provisoire du grand Conseil, du 5 do 1463, rendu définitif par l'approbation du due, donnée à Bruxelles le 16 juin 1465, la procédure avait trainé en lon- gueur Jusqu'à la mort de Philippe-le-Bon. Les parties, appointées en preuves, par arrêt du même Conseil en date du 2 août 1466, avaient laissé Alexandre de Verreux et Jean Marmier procéder à une nouvelle enquête à Salins, Lons- le -Saunier et Bletterans du 22 novembre au 3 décembre 1466. Le prince d'Orange, qui avait été jusqu'alors un pro- cédurier aussi actif qu'acharné, sentait sa cause devenir plus mauvaise au fur et à mesure que la faveur de son frère auprès du comte de Charolais devenait plus grande. La mort du vieux duc calma son ardeur, tandis que Louis de (1) Arch dép. de la Côte-d'Or, série B, n° 1761. (2) Dom PLANCHER. Ibidem. (3) Cette commission présidée par Jean Jouard, était composée de Léo- nard Mouchet, seigneur d'Avilley, Girard Margolet, Jean de Chavirey, Jean de Laule, conseillers et Pierre Patornav, clere de la saunerie de Salins. Arch. dép. du Doubs, série B, n° 187. — 307 — Chalon, reprenant courage, de défendeur au procès jusqu’à l'avènement du duc Charles, devint hardiment demandeur. Résumant tous ses griefs devant le grand Conseil qui, disait-il hautement, « avait refusé du vivant du feu duc de lui rendre justice », il demanda à prendre possession « de la chevance entière du feu prince son père». À l’audience du 22 août 1468. le seigneur de Chatelguyon se présenta en personne ; le prince d'Orange se fit représenter par Jean d'Arguel, son fils. Joignant le possessoire, au sujet duquel on s'était battu précédemment, au pétitoire, le grand Conseil «en considération des grands services rendus aux armées » durant la guerre du Bien Public par les deux frères Guil- laume et Louis. pensa que la pension de 7,000 livres allouée précédemment n’était pas suffisante. Il décida, puisque Je troisième fils, Hugues de Chalon, était banni et privé de ses biens, que chacun des frères ainés aurait la moitié des reve- nus de la succession jusqu’au partage. Puis il rendit la déci- sion suivante qui étonna tout le monde mais qui, en réalité, n'avait d'autre but que de sauvegarder les intérêts du sei- … gneur d'Orbe, en faveur duquel on pouvait déjà espérer une mesure de clémence de la part du duc: « Toute la che- vance du feu prince d'Orange, en nos pays, tant meubles qu'immeubles, lettres, titres, cartulaires, seigneuries et appartenances, seront sequestrés et mis en notre main et gouvernés par nos commis, au profit de celles des parties à qui il appartiendra (D, » Des lettres patentes données au Quesnoy le même jour (22 août 1468) désignèrent Jean Jouard président du Parle- ment et Jean Jacquelin, gouverneur de la chancellerie, pour procéder à cette mesure. Sans attendre la signification de Parrêt, sur un mandat signé de Jean Jouard le 9 octobre 1468, (1) Les pièces de cette partie du procès se trouvent également aux À7- chives départementales du Doubs. Fonds général de Chalon, série E, n° 1530, liasse n° 2. — 908 — les deux commissaires rendirent à Dole, le 26 octobre sui- vant, une ordonnance de sequestre sur tous les biens de Chalon, avec défense aux parties de s'entremettre, à peine d’une amende de 200 mares d’or. Cette ordonnance fut immé- diatement signifiée par des huissiers aux officiers, receveurs etamodiataires de toutes les seigneuries de Chalon. Le même jour, le procureur du prince Guillaume forma opposition à celte procédure, d’une rapidité inconnue à cette époque, et Guillaume lui-même interjeta appel les 30 octobre et 16 no- vembre suivants. Le président de Bourgogne et le chancelier passèrent outre et nommèrent Pierre Varnier, secrétaire et greffier au Par- lement de Dole, pour procéder à l'inventaire des biens de la succession. Varnier commença ses opérations par le chä- teau de Nozeroy, le 14 novembre 1468, puis se rendit à Arlay où il procéda du 28 novembre au 1°" décembre; de là 1] passa à Saint-Laurent la Roche, Chavannes et Cuisaux, les 3, 4, 5 et 7 décembre 1468. Nous n’avons pas la relation de la suite de son voyage. Ce volumineux inventaire, dans lequel figurent plusieurs dépositions de témoins, est un docu- ment des plus intéressants, quoiqu’incomplet ; il donne un aperçu de l’importance de la succession laissée par le vieux prince Louis (1). En apprenant ces évènements, Guillaume de Chalon s’a- dressa aussitôt au président du Parlement de Dole (2 décem- bre 1468) pour se plaindre que, nonobstant son appel, le greffier Varnier avait fait « fracturer les verrous et les portes du château d’Arlay, rompre les coffres et les buffets, pour procéder à linventaire des meubles et effets y restant, » Jean Jouard se contenta de lui donner acte de sa récla- mation. Le 2 mai 1469, les deux commissaires firent signi- fier à tous les receveurs des seigneuries de Chalon d’avoir, (1) On y voit notamment la description de la chambre rouge au château d'Arlay, appelée chambre d'Arras. — 309 — en exécution des lettres patentes données par le duc à Hes- din le 14 avril précédent, à verser à Louis de Chalon la moi- tié des revenus de toutes les seigneuries, sauf de celle d’Arlay. Pendant ce temps, Hugues de Chalon rentré en grâce au- près du duc de Bourgogne par l'intervention de son frère Louis, commençait contre le prince d'Orange, tant devant « le bailliage que le sénat (parlement) de Chambéry et le grand conseil du duc de Savoie à Verceil » une instance en réintégration des biens délaissés par son père et situés dans les états du duc de Savoie (13 décembre 1468). Guillaume d'Orange, furieux de toutes ces décisions de justice où il succombait sans relâche, résolut de se venger. Ïl lança son bâtard, Etienne (1), à la tête d’une troupe armée, sur les seigneuries d’Orbe et de Jougne, avec mission de chasser les officiers institués par les séquestres et de s’em- parer des revenus. Aussitôt Hugues de Chalon s’adressa au Téméraire, pour se plaindre des exactions commises sur ses terres. Le duc, par-lettres datées à Hesdin du 16 août 1469, prescrivit à son « amé et féal chief du conseil et prési- dent des parlements de Bourgogne » de rétablir l’ordre et _Pautorité des officiers chargés de lPexécution du séquestre. Le 1° septembre suivant, étant à Dole, Jean Jouard manda «au premier huissier desd, parlements » de signifier les ordres du duc et fit chasser de Jougne le bâtard de Chalon (2). Désormais, le souci des affaires publiques ne permettant plus au président de Bourgogne de s'occuper du procès de Chalon, il fit nommer à sa place Antoine de Montjeu, conseiller et chambellan du due, qui, avec Jean Jacquelin, continua la procédure. Celle-ci aboutit à un arrêt du Par- (1) Il ne faut pas le confondre avec Jacques, fils naturel du prince Louis de Chalon-Arlay IT. Ed. CLERGC. Essai sur l'histoire de la Franche-Comté, tome Il, p. 521 et la note. (2) Ce titre se trouve aux Archives du Doubs, série E, n° 774 (classe- ment provisoire) et non au fonds de Chalon. 0e lement de Malines, en date du 28 mai 1474, qui, consacrant les terrnes du testament du prince Louis de Chalon-Arlay IT, partagea les seigneuries et les biens de la succession con- formément aux dernières volontés du père de famille. La procédure n’en continua pas moins ; il fallut que le destin envoyât dans la tombe les trois frères ennemis, pour mettre fin à leurs querelles (1. Jean de Chalon-Arlay IV, fils de Guillaume d'Orange, que nous retrouverons plus tard, resta seul héritier de ce nom illustre, dont le dernier représentant, son fils, le fameux Philibert de Chalon, mourut sans postérité, au siège de Flo- rence en 1530. (1) Guillaume d'Orange, après une captivité en France, mourut en 1475. Louis de Chalon, seigneur de Chatelguyon, mourut à la bataille de Grand- son en 1476 et Hugues de Chalon en 1490. — 311 — IV. Lettre de Jean Jouard aux Etats-Généraux, 1471. — Réta- blissement de la recette générale de Bourgogne. — Jean Jouard devient seigneur d'Echevannes et de Gatey, 1472. — Légitimation de sa fille Mamette, 1472. — Réformes à l’Uni- versité de Dole, 1472. — Entrée de Charles-le-Téméraire à Dijon, 1474. — Services rendus à la ville de Dijon par Jean Jouard et don de la ville, 1475. — Mort du duc Charles. — Louis XI fait envahir le duché, 1477. L'état de guerre continuelle, dans lequel le due Charles avait tenu ses sujets durant les premières années de son règne, Joint à son luxe prodigieux, devait amener rapide- ment l’embarras de ses finances. Déjà, il avait exigé des Etats _ Généraux, soit en Flandre, soit en Bourgogne, de lourds sacrifices, pour faire face aux frais de ses expéditions. La paix rétablie en novembre 1467, ne pouvait être qu’une paix armée, car, en France, Charles VIT avait créé des armées permanentes à solde fixe et assurée: son fils avait maintenu cette solide organisation. Le duc de Bourgogne ne pouvait, pour lutter contre son puissant rival, se dispenser d’établir des milices ou « bandes d'ordonnances », créées et entrete- nues sur le même pied. Cette mesure fut prise dans les premiers mois de l’année 1470; pour en payer les frais, le duc exigea 120,000 couronnes des Etats de Flandre et frappa la Franche-Comté de l’impôt le plus impopulaire : la gabelle. Les Etats protestèrent, mais ils ne purent obtenir qu'une vague promesse de décharge pour lavenir. Dès l’année suivante, sous prétexte que les ennemis ont envahi le duché et le comté de Bourgogne, Charles-le-Témé- raire réclame une aide à percevoir même sur les gens d’é- glise et les nobles jusqu'alors exempts de tout impôt. Le 3 mai 1471, les membres du conseil ducal s'adressent aux Etats réunis à Dijon, depuis le 28 avril, et leur réclament 20,000 livres que ceux-ci n’osent refuser (1). Ils ont en effet reçu, comme les Etats d’outre-Saône, réunis le 28 mai et ceux de Franche-Comté assemblés le lendemain, une lettre presque menaçante de Jean Jouard : « Si la chose cheoit en rupture » écrit le chef du conseil, « ou estoit mise à grand délai, vous pouvez assez savoir que mond. seigneur ne lau- roit pas pour agréable et ne seroit de vous content (2) ». Les Etats durent s’incliner, mais cette fois, leur voix s’éleva avec force contre le désordre des finances, et parvint jus- qu'aux oreilles du duc. Ils réclamaient la réorganisation de l'administration financière des deux provinces et le rétablis- sement de la charge de receveur général, abolie depuis plu- sieurs années. En 1457, la comptabilité de Jean de Visen avait été sou- mise à un examen minutieux de la chambre des comptes, qui avait adressé au duc un mémoire établissant les malver- sations commises par le receveur général (3). Aussitôt, celui- ciet « son clerc Guillaume Rat » avaient pris la fuite, em- portant avec eux des sommes considérables, prélevées sur le dernier aide voté par les Etats généraux (4), Les biens de Jean de Visen, situés dans le bailliage d’A val furent saisis et vendus au profit du trésor, mais ne suffirent point à combler le déficit @), Depuis cette époque la charge était restée va- cante ; certaines recettes étaient sans titulaire, d’autres occu- pées par des agents prévaricateurs. En vain, le duc Philippe, 1) Dom PLANCHER. Tome IV, p. 236. (2) Ed. CLenc. Histoire des Etats Généraux, tome [, p. 141 et 142. (3) Arch. dép. de la Côte-d'Or, série B, n° 11.719, et Arch. du Nord, BAGUE à (4) Le reliquat trouvé dans la caisse, avait été employé de l’avis du Pré- sident de Bourgogne, Girard de Plaine et de l’abbé de Citeaux à divers paiements. Tbidem, série B, n° 4517. Fe (5) Ibidem, série B, n° 1741. — 313 — par lettres-patentes (1) données à Anvers le 21 septembre 1497 avait-il nommé des commissaires qui « narration faite des désordres qui sont tant en l'administration de la justice que des finances » devaient punir les coupables, Parmi ces commissaires se trouvait Jean Jouard alors maitre des requêtes et juge à Besançon. Cette mesure ne produisit aucun résultat. C'était le désordre le plus complet. Cédant à la demande des Etats, Charles le Téméraire tenta d'y remédier et nomina le 30 septembre 1473, une conmmis- sion composée de « messire Jean Jouard, seigneur d’'Eche- vannes, chef du Conseil de monseigneur le duc et président de ses Parlements de Bourgogne, Philippe Pot, seigneur de la Roche [Nolay] chambellan, Guillaume de Clugny (2), proto- polaire du Saint-Siège apostolique, maitre des requêtes de l'hôtel et l’un des commis sur les domaines et finances, Claude de Dinteville aussi chanoine (6) et Jacques Poncelot aussi maître des requêtes, enfin Michel de Changy, seigneur de Chissev, conseiller ducal ». Cette commission, à laquelle se joignirent « Messieurs des comptes » de Dijon, décida le «rétablissement de la recepte générale » des duché et comté de Bourgogne et « létablissement des receptes particu- lères »et de receveurs de chatellenies. Le travail de la commission dura plusieurs mois ; Jean Jouard, concurremment avee un ou plusieurs commissaires, signa de nombreuses lettres d'institution, toutes ratifiées par le duc dont plusieurs sont parvenues jusqu’à nous (#). (l) Arch. dép. du Nord, série B, 2028 et Mémoires pour sercir à _ l’histoire de France et de Bourgogne. Etat des maisons et officiers des ducs de Bourgogne, p. 225, note. (2) Frère de Ferry de Clugny, évêque de Tournay, président du conseil de Malines. GARNIER, Analecta Divionensia, tome I, p. 158, note. (3) Mémoire pour servir à l’histoire de France et de Bourgogne. Etat des maisons et officiers des ducs de Bourgogne, p. 260, note. (4) C’est ainsi que furent nommés : Jean d’Veure, chatelain d'Avallon Arch. dép. de la Côte-d'Or, série B, n° 2993; Martin Besançon, rece- veur à Beiune, /bidem, série B, n° 3224; Philibert Doyen, pour Montcenis 20 — 914 — Les recettes particulières comprirent « le vicomté d’Au- xonne » dont « noble Jean Chancin, gouverneur de la pré- vôté » de cette ville fut nommé receveur (1) « les comtés de Mascon (Mâcon), Charrolois » avec Jean de Lestaghe comme receveur (2), « Auxerrois et autres provinces des apparte- nances de Bourgogne » 6). Le receveur général de la trésorerie, nommé par Jean Jouard, fut son ami Jean Vurry, maitre des requêtes du con- seil, qui avait été précédemment auditeur des comptes d’An- toine batard de Bourgogne, à Auxonne. Ses lettres de com- mission (4, datées du 28 octobre 1473 et confirmées par le duc le 45 février suivant, lui imposèrenti l'obligation de résider à Dijon « proche de la chambre des comptes », 1l prêta ser- ment le 12 novembre 1473. Ce choix n’était pas plus heureux que celui de Jean de Visen, son prédécesseur. Il est établi que le nouveau receveur général, parent de Gollut (5) ne songea qu’à amasser une gosse fortune ; les comptes qu'il a laissés portent la trace de la plus folle dilapidation des finances de Bourgogne (6), “i l’on peut reprocher à Jean Jouard d’avoir, dans cette circonstance, cédé aux sollicitations de l'amitié, du moins ne faut-il pas oublier que ce choix avait été agréé et Semur en Brionnais, Jbidem, n° 5377 ; Jean Arnault, chatelain de Novers, lbidem, n° 5547; Jean Chancin, écuyer, receveur de Pontailler, 3 février 1474, ibidem, n° 5664 ; Jean Odenin, pour les châtellenies de Cuisery et Sagy, avec leurs grueries, Ibidem, n° 4401 ; Jean Grenier, receveur de Glennes et du grenier à sel de Bourbon Lancy. Ibideïn, n° 4879 ; Guillaume Gorgedey, au même office pour la châtellenie de La Colonne, celle de Courtevaux et le grenier à sel de Brancion, Ibidem, no 5019; Lyon Germinet, chatelain de St-Seine-sur-Vingeanne le 5 fé- vrier 1474, ibidem, n° 59%4 ; Etienne Millot, receveur x Saulx-le-Due, Ibidem, n° 6141 ; Huguenin Quentin, à Argilly, Zbidem, n° 2206. (1) Arch. dép. de la Côte-d’Or, série B, n° 2916. (2) Ibidem, série B, n° 1770. (3) GoLLur. Mémoires historiques de la république séquanaise. Edition Duvernoy, p. 1244. | (4) Arch. dép. de la Côte-d’Or, série B, n° 1773. (5) Up. cit. Notes, page XIV et texte p. 1244. (6) Arch. dép. de la Côte-d'Or, série B, nombreux comptes. — 315 — à l'avance par le duc, toujours disposé à récompenser le zèle de ses gens du conseil et des comptes, qui lui procuraient de l'argent. Jean Jouard avait été l’un des premiers privilégiés ; après avoir obtenu l'élévation de ses appointements à 1,200 livres par an, il fut l’objet de deux faveurs spéciales du Témé- raire. Dans les lettres patentes du 30 septembre 1473, plus haut relatées, l’ancien bailli de Fouvent parait pour la première fois avec le titre de seigneur d'Echevannes ; trois ans après il y ajoutera celui de seigneur de Gatey. Si, comme nous l'avons dit, le Président de Bourgogne ne reçut point un anoblissement spécial, 1l est naturel de penser que son amour-propre ait désiré voir sa noblesse de robe rehaussée par l’éclat d’un titre féodal. Sans en avoir la preuve authen- tique, nous pensons que Jean Jouard sollicita et obtint sans peine du duc Charles des lettres l’autorisant à « posséder un fief. » Il lui suffisait donc de devenir légitimement proprié- _ taire d’une seigneurie, pour avoir le droit d'en porter le ütre; son choix se porta sur celles d’Echevannes et de Gatey, situées dans les environs de Gray, sa ville natale. Il est établi d'autre part que ces seigneuries étaient depuis un siècle dans le domaine des Marmier et possédées alors par Jean Marmier, conseiller du duc, beau-frère de Jean Jouard. Comment expliquer que les maris des deux sœurs Nicole et Simone de Faletans aient porté en même temps, le même titre de seigneur d’'Echevannes et de Gatey ? Cette explication nous est fournie par un document provenant des archives de la famille de Marmier (1), On y voit que l’empe- reur Maximilien, époux de Marie de Bourgogne «confirma par lettres données à Fribourg le 4 août 1498, la concession que le duc Charles (le Téméraire) son beau-père, avoit fait à (4) Inventaire des titres produits par François Philippe, marquis de Marmier, pour son admission à la Confrérie de St-Georges. — Copie aux Archives dép du Doubs, liasses non classées. — 316 — Messire Jean Marmier et à Messire Jean Jouard, président de Bourgogne, de cent vingt journeaux de terres au joignant de leur terre d’Echevannes ». Dès lors, on peut en déduire que Jean Marmier, seul propriétaire de la seigneurie d’'Eche- vannes, céda, vers 1479, à Jean Jouard une part indivise de ses droits sur cette seigneurie puis vraisemblablement sur celle de Gatey. De cette manière les deux beaux-frères s’en trouvèrent co-propriétaires par indivis, avec le titre de co- seigneurs. S'il nous est permis d'émettre une hypothèse sur les raisons de cet arrangement de famille, nous proposerons d’y voir une compensation accordée à Nicole de Faletans par sa sœur Simone. Cette dernière, en effet avait été la seule des enfants d'Estevenin de Faletans qui fut avantagée, dans le testament de son oncle Jean de la Rochelle (), par un legs de 400 livres de rentes assignées sur diverses seigneu- ries, le 5 janvier 1460, Peu après l’octroi de ce don généreux, Jean Jouard obtint du duc Charles une autre faveur, plusieurs fois accordée au chancelier Rolin et à de nombreux dignitaires civils et ecclé- siastiques de la cour de Bourgogne, par Philippe-le-Bon, qui de son côté ne connaissait pas exactement le nombre de ses bâtards. De son mariage avec Nicole de Faletans, Jean Jouard n'eut pas d'enfant. De ses relations avec « Elisabeth Vaud, pucelle lors non mariée » tandis qu'il était juge ducal à Besançon, une fille était née le 28 novembre 1459 @), qui fut appelée Mamette. Privé des joies de la paternité légitime, le conseiller avait reporté sur elle toute sa tendresse el pourvu à son éducation. A l’âge de treize ans, Mameite était une Jeune personne «bien morigenée, de bonne vie et conversa- (1) Ibidem et Preuves fournies pour une entrée au chapitre de Remire- mont, même dépôt. (2) Cette date, ainsi que l'heure de la naissance (circa horam sextam ante meridiem) sont inscrits de la main même de Jean Jouard au calendrier de son livre d'heures. Voyez supi'a, chap. IT. — 317 — cion et a grant désir de bien faire » son père résolut de la reconnaitre et Nicole de Faletans la reçut avec empresse- ment au foyer familial ‘!. Cédant à la prière de son « amé et féal chief du conseil et président des parlemens de Bourgoi- gne » le duc, par lettres données à Abbeville en décembre 1472, enregistrées à la cour des comptes de Dijon (2), accorda à Mamette le bénéfice de la légitimation, c’est-à-dire qu’elle « soit receue à tous et réputée doresnavant pour personne légitime ainsi comme selle estoit de loyal mariage. » Charles fit en outre remise à la jeune fille de tous droits de chancelle- rie, en considération des bons services de son père. L’année suivante (1473) le Président de Bourgogne fut chargé par le duc d'apporter des réformes à l’Université de Dole. Par son testament, Philippe-le-Bon avait légué 10,000 livres à l’Université réinstallée par ses soins, afin, disait-il de lui donner une splendeur égale à celle de Louvain. Charles- le-Téméraire, toujours à court d’argent s'était peu soucié d'exécuter ce legs, comme la plupart des dernières volontés de son père. Les murmures des universitaires étant parve- nus jusqu’à lui, il saisit le premier prétexte pour leur rappe- ler qu’il était leur seigneur et maître. Depuis cinquante ans, les étudiants dolois avaient l’habi- tude d’élire tous les six mois leur recteur ainsi que les offi- ciers qui, avec les professeurs, formaient le conseil de la com- pagnie. Ce conseil avait la direction de l'Université et la prérogative de présenter à l'agrément du duc les candidats aux chaires enseignantes. À propos des élections de 1475, Charles ordonna au chef de son conseil de faire sentir Le poids de son autorité. Jean Jouard pour ne point entraver ies études et arrêter l'ère de prospérité dans laquelle se trouvait le pre- (1) Elle fut très vraisemblablement la marraine de son cousin Mamès, fils de Jean Marmier et de Simone de Faletans, qui devint secrétaire de Maximilien. (2) Arch. dép. de la Côte-d'Or, série B, 11.196. — 918 — nier corps enseignant de la province, se contenta de prendre la plus bénigne des mesures. [Il décida que les élections des officiers du conseil universitaire ne se feraient plus à l’avenir, qu’une fois l'an, que le recteur resterait en fonctions durant l’année entière et ne serait pas rééligible (1). Cette mesure fut accueillie avec défaveur et considérée comme une atteinte aux privilèges dont l'Université avait toujours joui, sous la sauvegarde des comtes-ducs. Les premières mesures prises par Charles-le-Téméraire depuis son avènement, la guerre des Flandres et les demandes d'argent aux Etats généraux avaient profondément indisposé contre lui ses sujets de Bourgogne. Le duc voulut, par sa présence rétablir son prestige et réchauffer l'enthousiasme populaire. Il fit annoncer sa prochaine arrivée, pour prendre possession officielle de ses Etats. Le Téméraire revenait d'Allemagne, où il avait essayé d’éblouir l’empereur Frédéric par sa magnificence et le faste des gens de sa suite. Ayant échoué dans son projet de se faire couronner roi de Bour- gogne, il avait quitté Trèves le 30 novembre 1473. Par Nancy, il gagna Auxonne où il entra solennellement le 18 janvier 1474 au soir, entouré d’un nombreux cortège où figurait notamment Jean Jouard (@). Il passa la journée du 20 janvier F474 au château de Rouvres, résidence préférée de ses ancêtres et coucha le lendemain soir, vendredi, dans la forteresse de Perrigny, distante d’une lieue de Dijon, chez le seigneur de Beauchamp 6). Dès le 19 décembre précédent, il avait envoyé Guillaume de Tarnay, écuyer et maréchal des (1) LABBEY DE BILLY. Histoire de l’Université du Comté de Bour- gogne, p. 28. : (2) Jules Garrnikr. Entrée solennelle de Charles-le-Téméraire à Auœonne (Bulletin des travaux historiques et scientifiques, 1902, p. 312).-— La ville d'Auxonne fit divers cadeaux aux officiers du duc. Jean Jouard n'en reçut point. probablement sur son refus d’en accepter. (3) Guillaume Rolin, fils aîné du chancelier, — Henri CHABEUF. Gharles- le-Téméraire à Dijon. — Mémoires de la Société bourguignonne de géographie et d'histoire, tome XVIIT, 1902, p. 269. Pr: } — 319 — logis de son hôtel (1), dans la capitale du duché et la ville s'était empressée de faire des préparatifs magnifiques. Le vicomte-maïeur et les échevins avaient fait dresser, dans divers carrefours de la cité, neuf « échafauds » ou loges, dont les charpentes étaient dissimulées par des étoffes aux cou- leurs éclatantes et par du feuillage ; les façades des maisons étaient recouvertes de tapisseries, de guirlandes et d’ori- flammes. Quelques jours auparavant, Guillaume Hugonet, grand chancelier du duc), Antoine de Luxembourg (3), gouver- neur du duché, « messire Jean Jouard, président du Parle- ment », ainsi que les membres du Conseil et de la Chambre des comptes, s'étaient réunis. [ls avaient lancé, par la voix d’un héraut d'armes, une proclamation fixant l'itinéraire et la composition du cortège, réglant l’ordre des préséances ainsi que le programme des diverses cérémonies. Malheureusement, la pluie étant venue à tomber dans la matinée du samedi, il fallut « descendre les tapisseries dont estoient tendus les logis, les mectre seichier et esgouter », et par crainte « d’endommager les habiz et ornements », la solennité de l’entrée du duc fut remise au lendemain diman- che (4). ._ Le 23 janvier 1474, dès le matin, le vicomte-mayeur Jacques Bonne, fit assembler devant son hôtel de la rue Saint-Jean les échevins de la ville. Ce premier groupe, auquel se joignirent les députés des « bonnes villes » du Comté et du Duché, se mit en marche et arriva à Perrigny. (4) Lettre datée de St-Nicolas de Varangeville. GARNIER. Correspondance de la mairie de Dijon, Analecta Divionensia, tome I, p. 131. (2) Seigneur de Vitteaux, Saillant et Epoisses, nommé maréchal de Bourgogne le 22 mars 1471, périt avec le sire de Tremblecourt, sous les yeux de Marguerite de Bourgogne, dans un soulèvement des Gantois. DE BArRANTE. Histoire des ducs de Bourgogne. (3) Comte de Roussi, fils de Louis de Luxembourg, connétable de France, ‘4) H. CHaABEur Loco citato et Dom PLANCHER, tome IV, p. 420 et sui- vantes. — 320 — Le duc les recut, entouré de sa cour, et Etienne Ber- bisey, lieutenant du maïeur, fit la harangue de circons- tance. À la suite de ce cortège et de celui des nobles, conduits par le gouverneur, se présentèrent « le chancelier, le prési- dent des Parlements, le bailli de Dijon, les gens du conseil et des comptes et autres officiers de mond. seigneur », qui le saluèrent. Toute cette foule de personnages se forma alors en longue procession pour reprendre le chemin de la ville, suivie du duc et de sa brillante escorte. Le clergé de Saint-Bénigne l’arrêta à la porte d'Ouche pour baiser les reliques, et l'entrée triomphale eut lieu à travers les rues pavoisées de Dijon. Jamais les Dijonnais, habitués cependant au faste de Philippe-le-Bon, n'avaient assisté à une chevau- chée aussi magnifique. Leurs yeux émerveillés se portaient sur les seigneurs de la cour, revêtus d’armures étincelantes, sur les habits de velours violet des échevins, les robes rouges recouvertes d’hermine des membres du Conseil ducal et sur les riches ornements sacerdotaux des prélats et des ecclésiastiques. Le duc, revêtu d’une « manteline » char- gée de perles et de pierres précieuses, était monté sur un superbe « genet d'Espagne », et au-dessus « de sa très noble personne, ung pale (dais) de drap d’or » était porté par quatre jeunes chevaliers. | Cette magnificence ne réussit point cependant à échauffer l'enthousiasme populaire. Les Bourguignons n’ignoraient pas que ce seraient eux qui en payeraient les frais et que bientôt de nouveaux impôts, plus lourds que jamais, vien- draient les accabler. Après avoir fait ses dévotions à Saint-Benigne, passé à son doigt anneau de Philippe-le-Hardi, signe d'alliance avec son duché de Bourgogne, et prêté de faciles serments pour la sauvegarde des privilèges de la ville, le Téméraire prit la tête de la procession et se rendit à la Sainte-Chapelle. Enfin, sans doute fatigué de ces longues cérémonies, «il se retira, Sp dit le chroniqueur (1), joyeusement en son hostel », mais peu flatté de l’accueil, empreint d’une courtoisie purement officielle, que lui avaient réservé ses sujets. Le lendemain, après une messe à Saint-Benigne, eut lieu dans la grande salle du palais ducal un splendide festin, auquel assista Jean Jouard avec les conseillers du duc, les députés des villes et la noblesse. C’est en présence de ces hauts personnages, qu’à l'issue du repas, le duc prononça ce trop fameux et maladroit discours, dans lequel il laissa percer sa mauvaise humeur de n'avoir pas été sacré roi à Trêves, et attribua son échec aux sourdes intrigues du roi de France. Le 8 février suivant eurent lieu les obsèques solennelles de Philippe-le-Bon et d'Isabelle de Portugal, père et mère du duc Charles (2). Des Flandres, les corps avaient été trans- portés au prieuré de Saint-Appolinaire (3) en attendant leur translation à la chartreuse de Champmol, le Saint-Denis des ducs de Bourgogne. Le maïeur, Jean Jouard et les conseil- iers du duc réglèrent également les détails du cérémonial, dans lequel les députés de Besançon reçurent une place d'honneur. L’archevêque de Besançon, Charles de Neuchä- tel, marcha avec le cardinal Rolin à la tête de douze aubés et des hauts dignitaires du clergé. Le duc, à cheval, suivit les chars funèbres, recouverts de draps d’or, depuis Saint- Appolinaire jusqu'à la Sainte-Chapelle. Enfin le jeudi 10 février 1474, le cortège prit la route de Champmol où, après de longues cérémonies religieuses, les restes du duc et de la duchesse furent déposés dans les (1) Mongin Lacorne, bourgeois et échevin de Dijon, qui reçut 12 francs pour prix de son travail. — Mémoires de la Soriété bourguignonne, tome XVIII, 1902. p. 335. (2) Décédés le premier à Bruges, comme il est dit plus haut, le 15 juin 1467 et la seconde à Bruxelles le 17 décembre 1472. (3) Situé à quatre kilomètres de Dijon. — 922 — caveaux de l’église conventuelle, à côté de ceux de Jean- sans- Peur et de Philippe-le-Hardi (1). Charles-le-Téméraire demeura huit jours encore à Dijon, retenu par la maladie, puis il se rendit à Dole pour l’ouver- ture de la séance du Parlement de Franche-Comté, fixée au 21 février 1474, mais qui ne s’ouvrit effectivement que le 28. Jean Jouard y suivit son maitre et y séjourna, tandis que le duc continuait son voyage en visitant les principales villes du Comté de Bourgogne. La prorogation des trêves con- clues à Senlis entre ses ambassadeurs et le roi de France, lui permit quelques jours après de se créer une popularité éphémère et de calmer momentanément l’émotion de ses sujets. Le 22 mars 1474, il adressait de Vesoul une lettre « à son très cher et féal conseiller et président des Parle- ments, Messire Jean Joard », pour lui faire savoir la bonne nouvelle. Dès le 24 mars suivant, le seigneur d’'Echevannes s’empressait de la porter, par voie de proclamation, à la con- naissance du balli de Dijon. « son très cher seigneur et spécial ami 2 », et à tous les baillis des provinces bourgui- anonnes. L'effet produit ne fut pas celui qu'on attendait. Les Etats Généraux réclamaient l'abolition des gabelles établies sur le sel en 1471, et dont l'imposition ne devait pas, suivant la promesse du duc, dépasser une année. Pour gagner du temps, Charles-le-Téméraire, par lettres datées de Luxeuil du 28 mars 1474. ordonna aux membres de son Conseil d’assembler les Etats Provinciaux à Dole et nomma des commissaires pour y discuter cette question des gabelles. Les députés du prince furent : le président des Parlements, (1) Jules GAUTHIER. Entrée solennelle de Charles-le-Téméraire à Auxonne (18 janvier 1474). Cérémonie des obsèques de Philippe-le-Bon et d'Isabelle de Portugal, ensevelis aux Chartreux de Dijon (7-12 fé- . vrier 1474). — Bulletin du comité des travaux historiques et scienti- fiques, année 1902, p. 302 à 322. (2) Dom PLANCHER. Tome IV, preuve 247. — 923 — Jean Jouard, avec Jean de Dinteville, seigneur d'Echenay, Henri de Chissey, tous deux conseillers-chambellans du due, et Jean de la Grange, maître des requêtes. Ceux-ci com- parurent le 29 avril 4474. à Dole, devant l’assemblée des représentants du comté et du duché de Bourgogne, présidée par l'archevêque de Besançon, Charles de Neuchâtel. La discussion fut vive, animée, violente, dit Edouard Clerc ; les commissaires virent qu'ils n'arriveraient pas à con- vaincre des esprits aussi décidés. [ls déclarèrent, en termes modérés et bienveillants, qu’ils en refèreraient au prince. Les Etats ne voulurent rien entendre ; après avoir voté les 100,000 francs de subsides annuels, leur dernier mot fut aussi net que résolu : Accorder davantage est chose insup- portable, voire impossible (1), Devant cette résistance opiniâtre, le duc sut faire taire ’emportement de son caractère ; sur l’avis de ses conseil- lérs 1lfeignit de céder et par une nouvelle lettre, datée de Luxeuil, du 45 juin 1474, il proclama l’abolition des gabelles dans le comté de Bourgogne. Aussitôt «les bonnes villes » du duché ne manquèrent pas de réclamer la même faveur. Leurs députés, réunis à Dijon par le maïeur Jacques Bonne, décidèrent de se rendre à Dole pour négocier avec les com- missaires du duc. Mais, quand il fallut partir les députés de Beaune et de Chalon trouvèrent des excuses pour se dis- penser de cette corvée (2). Seuls, les conseillers et échevins de Dijon eurent le courage d'affronter la colère du duc et, prirent la route de Dole (août 1474). Ils y rencontrèrent Jean Jouard, Jean de Dinteville, Henri de Chissey et Jean de la Grange, qui s’y trouvaient encore. Grâce à l’interven- ton du président des Parlements, ils obtinrent gain de cause et s’en retournèrent satisfaits, pour quelque temps (4) Ed. CLerc. Histoire des Etats généraux en Franche Comté, t. 1, p. 151 et Archives municipales de Dijon. (2) GARNIER. A nalecta Divionensia, tome [. Correspondance de la mai- rie de Dijon, p. LxIt et LxHIT et aux preuves, lettres 83, 84, 85, 86, 87. — 924 — seulement, car deux mois après les gabelles étaient réta- blies dans les deux provinces. Malgré cette inconstance de leur duc, les Bourguignons n’en restèrent pas moins reconnaissants à Jean Jouard de son intervention. Afin de lui témoigner leur reconnaissance, le conseil des échevins et le maïeur de la ville de Dijon avaient décidé de lui offrir une coupe en argent doré. Le président des parlements refusa ce cadeau magnifique, qui aurait obéré les finances municipales, appauvries par les exigences con- tinuelles du duc. Par une délibération du 22 mars 1475 (1), le conseil communal persista dans son idée et offrit, à la place d’argenterie « six muys de bon vin et six émines davenne » (d'avoine), présent analogue à celui fait naguère à Nicole de Faletans par la ville de Besançon. Jean Jouard, qui n'avait plus de raison pour refuser ce présent en nature, accepta. L'occasion, pour lui, de rendre de nouveaux services à la ville ne se fit d’ailleurs pas attendre. Les trèves conclues avec le roi de France, qui devaient se prolonger jusqu’au 15 avril 1475, n'étaient pas encore expi- rées, que les troupes françaises violaient les frontières du duché, tandis que les Suisses et les Allemands, poussés par les agents royaux, envahissaient le comté de Bourgogne @). Les maïeur et échevins de Dijon, voyant leur ville menacée, écrivirent à Guillaume Rolin, seigneur de Beauchamp, leur capitaine, pour l’inviter à quitter l’armée du duc, toujours retenue sous les murs de Nuysse et à venir à leur secours (@). Leurs instances restèrent sans résultat ; Jean Jouard, comme chef du conseil, dut intervenir personnellement, pour insis- ter auprès du fils du chancelier (#. Celui-ci accourut et trouva à Dijon Antoine bâtard de Bourgogne qui, revenu de Naples (1) Arch. municipales de Dijon, série B, 16%, fol 18 v°. (2) Prise de Pontarlier le 2 avril 1475. (3) Joseph GARNIER. Correspondance de la marie de Dijon, lettre du 45 juin 1475, p. 163. (4) Ibidem, lettre du 10 juillet 1475, p. 164, 165. — 325 — avec des troupes italiennes, s’y était arrêté à la prière des gens du conseil et de la Chambre des comptes. Leurs forces réunies parvinrent à repousser les Français (1). | Afin de faire face aux frais de la guerre, le maire de Dijon ordonna la levée d’un impôt de « 70 émines de bled et 70 queues de vin ». Les gens d'église ayant refusé de payer, le débat fut porté devant le Conseil ducal, qui les v contrar- gnit (2). Ces ressources bientôt épuisées, le désaccord s’éleva entre les milices communales commandées par Roln et Îles troupes du batard. Celui-ci voulait conduire les gens de guerre en Lorraine où le duc Charles venait de porter son armée, Rolin refusa. Antoine de Bourgogne se plaignit au président Jouard qui convoqua le 3 septembre 4475 le con- _seil de ville (Get l’invita à faire des remontrances au seigneur de Beauchamp. Celui-ci tout en se plaignant, à son tour, de la pénurie de vivres et d'argent dans laquelle la mairie le lais- sait, consentit à obéir au batard et à le suivre, mais sur les terres de Bourgogne seulement. Le conflit se termina par l’ordre donné le 24 septembre 1475 par Antoine de Bour- gogne, de conduire les milices communales « à lentour de Gray et de Gy » pour repousser une nouvelle invasion des Suisses. Rolin pava de la perte de sa capitainerie de Dijon, sa désobéissance ; le duc nomma à sa place Philippe de Civry (#. Dès lors, la belle période de la carrière de Jean Jouard touche à sa fin. Impuissant à mettre un frein aux entreprises extravagantes et aux folles dépenses de son maître, consta- tant que ses sages avis et ceux des autres conseillers sont méconnus et dédaignés il assiste en témoin impassible et atiristé à la ruine et à la chute, désormais inévitable, de la _maison de Bourgogne. | (1) Jbidem, p. LxXHH et LxXIX. (2) Ibidem, p. LxvH, note et Arch. municipales de Dijon, B, 16%, regis- tre des délibérations, fo 42. (3) Ibidem, p. 171. (4) GARNIER. Ibidem, p. LXX. — 926 — Après les journées désasireuses de Granson et de Morat (2 mars et 22 juin 1476) « vaincu, désespéré, fuyant à travers le Jura, mais incapable de plier devant la fortune () » le Téméraire s’obstinait à tenter encore le sort des armes. Au mois de novembre il va jouer sa dernière carte en Lorraine, dans une campagne entreprise au cœur de l'hiver. La déroute de ses dernières troupes est assurée par la trahison de Campo-Basso sous les murs de Nancy et le 5 janvier 1477 on retrouve dans la glace de l'étang Saint-Jean le cadavre dépouillé et défiguré de Charles-le-Terrible duc et comte de Bourgogne. Trois jours après la bataille de Nancy, Louis XIE apprit à Tours la défaite de son ennemi et malgré l'incertitude où l'on . se trouvait alors, au sujet de la mort de celui-ci, il ne put rete- nir les débordements de sa joie. Aussitôt son plan est arrêté avec l’habileté et la ruse qui lui sont habituelles. Le 9 jan- vier 1477, il écrit au Magistrat des principales villes du duché de Bourgogue. Sa lettre est un modèle d’hypocrisie et de mensonge : il ne sait pas encore si le duc « son beaul-frère » est « prinse ou mort, que Dieu ne veuille ! » il déclare:que sa fille est « sa parente et fillolle » il veut « garder son droit ». Mais en même temps 1l rappelle à tous les bourguignons qu'ils sont sujets « de la coronne et du royaulme » et leur intime l’ordre suivant : « à nulle main ne soubs autre ne vous mectés fors en la nostre » (2), Tandis que le roi de France se porte avec son armée vers les Flandres, il envoie en Bourgogne « un triumvirat tout puissant qui doit agir en son nom ». Ce sont : Georges de la Trémouille, baron de Craon « homme actif, ambitieux, d’une dureté inflexible et d’une avidité sans borne », confident du roi, c’est lui qui annoncera bientôt officiellement au roi la mort (1) Ed. CLErc. Histoire des Etats généraux dans Mémoires de la Suciété d'Emulation du Jura, 1876, p. 167. (24) GARNIER. Correspondance de la mairie de Dijon, tome Î, preuves no 115. — 327 — du due Charles ; Charles d'Amboise, gouverneur de Cham- pagne, chargé d’une mission militaire; enfin Jean [V de Cha- lon, prince d'Orange, qui, après la perte de son procès contre ses deux oncles s'était jeté dans le parti du roi et avait reçu de celui-ci la promesse d’une prompte réparation de l’injus- ice dont il se prétendait victime. Les trois émissaires royaux, auxquels vinrent se joindre Guy Bernard, évêque de Langres et une députation du Par- lement de Paris se rendirent à Dijon et présentèrent aux membres de la chambre des comptes et au Magistrat la lettre de Louis X[. Etienne Berbisey, le nouveau vicomte-maïeur, réunit aussitôt les habitants au cloitre des Jacobins (13 jan- vier 1477). Au milieu du trouble et de l'incertitude, on réso- lut d'envoyer un courrier à Nancy pour savoir officiellement si le duc était mort ou prisonnier. Quant aux gens du conseil et de la Chambre des comptes, leur premier souci fut d’en- voyer immédiatement à Gand « le chevaucheur Rensrd Tour- teaul » (L\ pour informer la princesse Marie de l'intervention du roi de France. Bientôt l’armée royale, forte de 6,000 hommes, vint camper aux portes de Dijon. En raison de la gravité des évènements Jean Jouard n’hésita pas à remplir les devoirs que lui impo- sait sa haute situation. Dès le 16 janvier il convoqua d'ur- gence la noblesse, le clergé et les représentants des « bonnes villes » pour délibérer, lors du retour des courriers de Nancy, sur les décisions à prendre (2). En attendant, Louis XI multipliait ses lettres (19, 20 et 24 janvier) aux Dijonnais, leur offrant le pardon de « toutes les offenses que les bourguignons, nos sujets » disait-il « peu- vent avoir à l'encontre de nous » ; il garantissait les privi- lèges des villes et répandait l’or à pleines mains. (1) Comptes de Jean de Vurry, 1477, fol. 233, aux Archives dép. de la Côte-d'Or. (2; Registres des délibérations de Dijon, 18 janvier 1476, v.s. on Pendant ce temps, ses commissaires en Bourgogne n’épar- gnaient rien « pour rallier au gouvernement royal les chefs influents des trois ordres ». Quelques jours leur suffirent pour réussir complètement dans leur ténébreuse entreprise. Le vicomte-maïeur, tous les conseillers de la Chambre des comptes, les membres du Conseil ducal eux-mêmes, enfin leur Chef et Président des Parlements, tous entraïinés ensem- ble, quittèrent la cause de l’infortunée Marie de Bourgogne, pour suivre le parti du roi de France. — 329 — v. Jean Jouard abandonne le parti de Marie de Bourgogne pour se rallier à celui du roi de France. — Motifs de cette défection. — IL est chargé de recevoir la soumission du Gomté à Louis XI. — Il est nommé Premier Président des Parlements des comté et duché de Bourgogne. — Emeute à Dijon. — Assassinat de Jean Jouard.— Janvier à Juin 1477. La défection éclatante de Jean Jouard constitue pour son biographe un des problèmes de conscience les plus angois- sants. Comment expliquer cette félonie de la part d’un homme au caractère droit, à l'esprit intègre, élevé par la générosité des ducs de Bourgogne au sommet de la hié- rarchie administrative et judiciaire de son pays? Peut-on trouver une excuse en faveur de ce magistrat comblé de _ faveurs et honoré de la confiance absolue de ceux-ci, aban- donnant la cause ducale au moment où la couronne chan- celle sur la tête d’une jeune fille de vingt ans? Plusieurs causes ont été proposées par les historiens : leur invraisemblance ne nous à point permis de les accepter, Faut-il admettre avec le naïf abbé de Courtépée (1), que les juristes du conseil et de la chambre des comptes s’in- clinèrent devant les principes du droit féodal, développés par les émissaires royaux? Cela n’est pas possible. On remarquera tout d’abord que les états de Charles le Témé- raire étaient composés de la réunion de plusieurs contrées régies par des lois spéciales n’admettant pas la loi salique. L’Artois, la Flandre, l’Auxerrois, le Mâconnais et la Franche- Comté étaient arrivés à la couronne de Bourgogne par des alliances avec des princesses, qui les avaient apportées en (1) Description générale et particulière du duché de Bourgogne, pré- cédée de l'abrégé historique de cette province, tome I, p.218 et 219. 91 En dot. C'étaient des « fiefs féminins » à l'égard desquels les droits de Marie de Bourgogne ne pouvaient être mis en doute. Cependant Louis XI les fit envahir, au mépris des trèves conclues. Quant au duché de Bourgogne, on sait que c'est précisément comme héritier, par les femmes, de Philippe de Rouvre, que le roi Jean en avait réclamé et obtenu l'annexion à la couronne de France. Quand celui ci le donna à son fils Philippe-le-Hardi, premier duc de la dernière race, ce fut non point à titre d’apanage, mais de bien patrimonial transmissible à tous ses HEMtErS « mâles et femelles ». Au surplus, Louis XI s'inquiétait peu des questions de droit ; s’il se crut obligé plus tard de faire compulser les chartes, titres et papiers des archives ducales, c'était sur- tout pour donner un semblant de raison à sa main-mise sur les états de la riche héritière. Des jurisconsultes éclai- rés comme Jean Jouard et ses collègues ne pouvaient se faire illusion sur la valeur de tels arguments, La fallacieuse promesse d’un mariage entre Marie de Bourgogne et le Dauphin, encore enfant, ne dut pas davantage influer sur leur détermination. Ils savaient depuis longtemps ce que valait la parole du roi de France ! Il parait étrange de lire sous la plume de l’érudit M. J. Garnier (1) que « l'intérêt général du pays (bourguignon) était d'accord avec l’intérêt politique de la France » et « que les Bourguignons se souvenaient toujours d’avoir fait partie intégrante du royaume ». L'histoire d’un siècle de luttes entre les maisons de France et de Bourgogne donnent à cette assertion un démenti d'autant plus éclatant que jamais les ducs n'avaient trouvé chez leurs sujets le moindre mo- ment de défaillance. À la vérité les deux Bourgognes étaient appauvries par les guerres du Téméraire et les désordres (1) Analecta HUM, tome I. « Corr espondance de }a mairie de Dijon », p. LXXVI. de ses finances, mais elles luttèrent avec courage contre les armées royales et ce n'était pas le souvenir récent des écorcheurs, à la tête desquels on avait vu l’ancien Dauphin Louis, qui était de nature à faire oublier les années floris- santes du règne de Philippe-le-Bon. M. Rossignol(l) n'hésite pas à donner pour cause à ce revirement l'achat à poids d’or des consciences. Il se fait ainsi l’écho du sentiment populaire qui mêla dans une répro- bation unanime tous « les gros » c’est-à-dire ceux qui « s’é- taient vendus au roi pour d'énormes pensions, renégats avides qui se couvraient d’or et favorisaient la cause royale ». Nous lui abandonnons sans peine Jean Vurry, receveur géné- ral, dont les comptes sont la preuve la plus éclatante de ses prévarications, Phihbert de Hochberg et le débauché de Ven- toux. Berbisey le vicomte-mayeur de Dijon, ainsi que les con- seillers Jean Jacquelin et Baudot ne sont pas à l'abri de tout soupçon. Mais en ce qui concerne Jean Jouard, rien ne per- met de lui supposer une âme aussi basse et vénale. Son nom figure dans deux articles des comptes de Jean Vurry. Il reçut d'une part 92 francs pour son voyage à Auxonne et en Franche-Comté comme député du roi pour recevoir la sou- mission de ce pays. D'autre part le trésor lui versa 200 livres pour les recherches qu'il fit aux archives ducales à l'effet d'établir les droits du roi de France sur le duché de Bour- gogne. Ces deux versements paraissent donc justifiés. Nous savons aussi qu’à cette époque il était déjà propriétaire des deux petites seigneuries d'EÉchevannes et de Gatey et que la fortune de sa femme, jointe aux émoluments de sa charge lui donnait une situation des plus indépendantes. Enfin sa fortune personnelle n’avait rien de scandaleux puisque nous verrons bientôt sa veuve obligée d'accepter une pension du roi de France, pour pouvoir tenir son rang. Peut-être pourrait-on, à la rigueur, penser que les pro- (1) Histoire de la Bourgogne pendant la période monarchique, p. 92. ne messes engageantes des envoyés royaux le firent céder aux sollicitations de son entourage notamment de ses amis Ber- bisey, Jacquelin et Vurry”? Il est possible que les conseillers du Parlement de Paris, compagnons de La Trémoille, aient donné au président du Parlement, de la part de Louis XI, l'assurance formelle de conserver ses hautes fonctions, sous le nouveau gouvernement. Peut-être procéda-t-on par inti- midation et Jean Jouard eut-il à craindre le sort de l’infor- tuné Oudart de Bussy, conseiller de Malines, décapité à Lens par ordre du roi, et dont la tête, coiffée de son bonnet écar- late fourré d’hermine, était encore exposée sur la place d'Hesdin ? Toutes ces suppositions, qui auraient pour excuse la fai- blesse du cœur humain, surtout chez un vieillard, ne repo- sent sur aucun document authentique. Les mémoires du temps sont muets à cet égard; mais ce qui est certain, c’est que Jean Jouard avait devant les yeux un exemple à imitér, de sages conseils à suivre. Il se trouvait alors, dans sa propre famille, un magistrat occupant une situation moins en vue que la sienne, dont la fermeté de caractère ne sut faiblir ni devant les promesses, n1 devant les menaces : c'était Jean Marmier, son beau-frère. Au milieu du danger, le conseiller ducal fit preuve du courage le plus généreux. Il se rangea hautement et fièrement du côté de l’orpheline et resta fidèle au lion de Bourgogne. Menacé de voir ses biens confisqués, obligé de fuir en exil, dépouillé par Louis XI de ses seigneuries de Gatey et d’Echevannes, Jean Marmier resta inébranlable. La franchise de sa conduite forme le plus étrange contraste avec l'attitude troublée, hésitante, puis nettement hostile de l’infidèle président de Bourgogne. Pour nous qui avons étudié le caractère positif de Jean Jouard, une seule explication paraît concluante : la raison d'Etat imposée par la marche des évènements. La mort, encore incertaine, mais tenue comme très pro- bable du dernier duc, plaçait la couronne de Bourgogne sur — 333 — la tête de sa fille Marie, âgée de 19 ans, « jeune et désolée _ pucelle » dit Gollut. Eloignée dans les Flandres, sans conseil, sans soutien et sans argent, elle était à la merci des nom- breux prétendants qui se disputaient sa main. Quel prince d'Europe réussirait à l’obtenir et à régner sur ses impor- tants états? On l’ignorait. Dans tous les cas, la Bourgogne allait encore une fois changer de maître et probablement passer sous la domination étrangère. La raison comimandait-elle de suivre le sort incertain de la riche héritière ? II fallait alors s'attendre à de nouvelles et longues luttes avec le roi de France, qui convoitait depuis longtemps le duché et le comté. Déjà l’une de ces pro- vinces, ruinée et dépeuplée est foulée par le pied de l’en- vahisseur. Le découragement se met dans les âmes; la mort tragique du Téméraire apparaît comme un coup fatal à l’inéluctable destinée. Le moment semble venu pour la Bourgogne de devenir, après la Champagne, la Normandie et la Guienne, partie intégrante du grand royaume de France. Lutter avec succès est impossible, Jean Jouard songe à épargner à son pays de nouvelles et inutiles souf- frances ; 1l cédera. Pour juger un homme et « sentir l’esprit d’un temps qui n’est plus, a dit un éminent écrivain (1), une lente étude et des soins affectueux sont nécessaires ». Il faut se faire con- -temporain de ces évènements et, pour y arriver, faire abstraction de toute espèce de contingence, des progrès de la science, de l’évolution des idées et du changement des mœurs. | Le biographe de Jean Jouard doit, durant tout son travail de recherches, endosser la robe écarlate et coiffer le bonnet d'hermine du président des Parlements. Il doit vivre par la pensée dans son hôtel de Dijon, au milieu des magistrats, des conseillers et des bourgeois du xv® siècle. Puis, s’il veut (4) Anatole FRANCE. La Vie de Jeanne d’Are, tome I, préface, p. Lxxv. — 334 — donner à ses lecteurs une impression exacte de ce qu'il a ressenti, il doit, en prenant la plume, « retrouver toutes ses ressources intellectuelles pour embrasser l’ensemble des évènements et découvrir l’enchainement des effets et des causes » qui ont déterminé le chef du Conseil à agir. Au début de cet intéressant xve siècle, le mot de patrie n'existait pas. Vers la fin du xiIv°, l’idée « d'unité nationale et d’intégrité du territoire » telle que nous la concevons aujourd'hui, venait à peine d’éclore, encore très confuse, dans les luttes de la guerre de Cent ans et le dévouement sublime de Jeanne la Lorraine. Le sentiment que l’on portait au cœur était un amour du sol natal, bien distinct de l’idée de dévouement au gouver- nement qui le régissait. On naissait sujet d’un prince ou d’un seigneur. auquel le hasard de la guerre ou d'une alliance avait donné la souveraineté du pays. Qu'une querelle vienne à s'élever entre lui et ses voisins ou qu'il marie sa fille, aussitôt ses sujets passaient sous la domination d’un autre seigneur, sans que ces derniers soient consultés ou songent à s’y opposer. On servait le nouveau maitre avec aatant de dévouement que le précédent, par obéissance. De fréquents changements de gouvernements donnaient à ce dévouement et à cette obéissance un caractère spécial. Les uns suivaient le seigneur à la guerre et se battaient à ses côlés, non pas pour conserver intact le sol des ancêtres, puisqu'ils ne pos- sédaient rien. mais il fallait vivre. Si le soldat était assez bien payé, il ne songeait pas à déserter ; mais que la solde vienne à faire défaut, il passait de suite dans le camp ennemi. Ceux auxquels le seigneur avait délégué une portion de son autorité et de ses pouvoirs administratifs le servaient, moins par dévouement que pour en être rémunérés. S'il plaisait au maître de se passer de leurs services ou qu’eux-mêmes n'aient pas à se louer de lui, on se quittait sans scrupule et souvent même sans ressentiment. De telles mœurs nous paraissent choquantes. Si nos NE es vieilles grand’mères voyaient avec quelle facilité nos domes- tiques nous quittent aujourd’hui, entrainés par l’appât d’une légère augmentation de salaire, elles s’écrieraient : O tem- pora, o mores ! De leur temps, le domestique vivait et mou- rait auprès de ses maîtres, souvent mal payé, mais il avait sa place au foyer familial. Maintenant, il loue son dévoue- ment et ses services au plus offrant et nous ne songeons pas à taxer de trahison son manque de fidélité. Les biographes de Philippe de Commines n’ont pas réussi à discerner les causes pour lesquelles l’auteur des Mémoires quitta le parti de Bourgogne pour servir celui du roi. Nous les avons recherchées en ce qui concerne Jean Jouard, nous avons essayé de les expliquer, mais non d’y trouver une excuse ; nous laissons au lecteur le soin de juger l’homme, non en lui-même, mais eu égard aux difficultés des circons- tances. Quoiqu'il en soit, il ne saurait faire de doute que dès avant le retour des courriers de Nancy et de Gand, le chef du Conseil avait déjà pris la résolution de servir la cause du roi de France. Répondant au mémoire présenté par Claude de Toulonjeon, au nom des nobles bourguignons, qui demandaient la réunion des Etats dans une ville des bords de la Saône, désireux d'échapper à l’influence des partisans du roi, Jean Jouard avait opposé un refus formel et invité les représentants des trois états à venir à Dijon. Un grand nombre se dispensèrent de paraître à la session, qui s’ouvrit le 25 janvier 1477 (1). Les débats durèrent quatre jours et- furent animés. Le prince d'Orange donna lecture des lettres royales ainsi que des nouvelles rassurantes et pacifiques de Louis XI à l'égard de «sa filhiole ». Les émissaires royaux promirent tout ce qu'on leur demanda : le mariage du Dau- _phin avec l’héritière du duc de Bourgogne, l’'amnistie géné- rale et le maintien de toutes les franchises. Les députés des (1) Rossi@xoL. Histoire de la Bourgogne, p. 33 et 34. — 3936 — Etats, après avoir résisté, fait des réserves, finirent par céder (1). | Sur ces entrefaites, Renard Tourteaul arriva des Flan- dres. Il rapportait le message de Marie de Bourgogne, rédigé à la hâte dès le 923 janvier par son Conseil privé. Dans ce document, adressé aux « Président, gouverneur de la Chan- cellerie et gens des comptes », la princesse protestait contre les sommations que lui avait faites le roi de lui © rendre le duché de Bourgogne et la garde de la Comté ». Recommandez- moi, disait-elle en terminant, « aux prélats, nobles et villes de par là, auxquels je prie qu’ils retiennent toujours en leurs … courages la foy de Bourgogne, quand ores ils seroient con- traints de parler autrement (2). » Jean Jouard eut-il Connaissance de cette lettre avant le vote des Etats ? On l’ignore. Il est probable que la commu- nication de ce document aux députés aurait ranimé leur courage et assuré leur fidélité à la cause de Bourgogne. Dans tous les cas, si le vote était acquis, les Etats n'étaient pas dissous quand leur Président le reçut, et le traité, lon- guement discuté entre eux et le sire de Craon, n’était pas encore signé, Le chef du Conseil, sourd aux supplications de lorpheline, persista dans la détermination qu'il avait prise ; 1l eut Ja faiblesse de conserver ce document secret, assumant ainsi devant l'histoire la plus lourde responsa- bilité. Aussitôt que les Etats eurent voté des remerciements au roi, tous les officiers du Conseil se répandirent dans le duché pour recevoir la soumission des villes. évêque de Langres courut à Bar-sur-Seine, Jean Vurry sur la Saône, Jaquelin, Guillaume Cheval, procureur du bailliage de Dijon, Guy de Fraisans, notaire, et nombre de seigneurs gagnés à la cause royale, parcoururent le Charollais, PAuxerrois, le (1) Baruze. Manuscrits de la Bibliothèque nationale, 9675 à. (2) Dom PLANCHER, tome IV, preuves, page CCCLXWY. — 93937 — Mâconnais et les territoires enclavés, pendant vingt-trois jours entiers. Jean Jouard, muni d’une commission signée de la Trémoille et de Charles d’'Amboise (1), se chargea de Saint-Jean-de-Losne et de Saint-Aubin, puis il courut à Dole. Il reçut pour ses peines, le 47 mars 1447, « au prix de quatre francs par jour, quatre vins douze frans, monnoye de Bourgoigne ». Grâce à la rapidité de ces mouvements, ces quelques jours suffirent pour soumettre la plus grande partie du duché à l’obéissance du roi de France. Il restait la Comté, dont les Etats se réunirent à Dole, sous la présidence du Chef du Conseil, le 18 février 1477. Les propositions de Louis XI furent mal accueillies par le Clergé et le Tiers-Etat. Là encore, Jean Jouard supprima la dépêche de Marie de Bour- gogne et dans cette occasion, sa faute est sans excuse. Grâce à son influence et à celle des amis du prince d'O- _ range, les Etats consentirent à signer l'acte par lequel ils confiaient au roi de France la garde de la province au profit de la princesse Marie. Aussitôt Dole, Salins et Gray ouvri- rent leurs portes aux troupes françaises et arborèrent l’éten- dard fleurdelysé. Jean Jouard s’empressa de retourner à Dijon, où Pappe- lait une nouvelle « commission » royale. La revendication de « Mademoiselle de Bourgogne », désormais Imutile depuis la signature du traité par les députés des Etats, venait d’être rendue publique et les protestations s’élevaient de toute part. Louis XI, pour lequel « le droit n’était pas une arme sur laquelle il eut l'habitude de compter beaucoup », était cependant désireux de cacher sa spoliation sous les appa- rences de la justice. Avec sa duplicité habituelle, il donna l’ordre aux conseillers et gens des comptes de rechercher dans les archives ducales « les titres et lettres pouvant ser- (4) Pour la première fois, Jean Jouard est qualifié dans ce titre, seigneur de Gatey. Arch. dép. de la Côte-d'Or, série B, n° 1778, fol. 246. — 998 — vir pour où contre » les prétentions de la couronne. Jean Jouard, à raison de sa haute situation judiciaire, fut spécia- lement chargé de diriger ces travaux (1). Dans les premiers jours du mois de mars 1477, il adressa au roi de France tous ces titres et papiers, qui établissaient les droits indiscutables de la fille de Charles-le-Téméraire. Cependant le roi ne se déclara point convaincu ; tandis qu’une longue discussion s’engageait entre les juristes des deux partis et sans en attendre la solution, il prit les mesures nécessaires pour organiser l'administration des deux provinces bourgui- gnonnes réunies au rovaume. Dès le 24 février 1477 (2), au mépris de ses engagements avec Jean de Chalon, il avait nommé La Trémoille gouver - neur de toute la Bourgogne. Celui-ci avait prêté mmmédiate- ment le serment de fidélité au roi entre les mains de Charles d’Amboise et du Président de Bourgogne. Il le renouvela à Dijon, avec une solennité imposante, le 6 mars, en pré- sence de la Chambre des comptes et des seigneurs de la Province (6). Quelques jours apres, Jean Jouard reçut à son tour la récompense promise par le roi pour prix de sa défection. Dans les articles du traité présenté par les Etats, ceux-ci avaient demandé le maintien des privilèges et létablisse- ment « pour le duché, comté de Charrolois, baronnie de Novers et terres enclavées, une cour souveraine, avec la mêine autorité que celle de Paris et pareïllement d’entrete- nir les Parlements de Dole et de Saint-Laurens, pour les. comtés de Bourgogne et les terres d’oultre-Saônñe » (4). Par lettres datées d'Arras au mois de mars 1477, Louis XI (1) Il reçut comme salaire 200 livres, ainsi qu'il résulte des comptes de Jean Vurry, fol. 250. Voir Recueil de Peincedé aux Archives dép. de la Côte-d'Or, tome XXIL, p. 855. (2) Registre de la Chambre des comptes, fol. XV et XxXvHI. (3) RossIGNoL. Op. citalo. p. 60 (4) PaALLTOT. Tbidem, p. 23. — 399 — ordonna la création de cette Cour souveraine, qui « se tien- droit trois mois par chacun an, à scavoir, octobre, novembre et décernbre; qu'elle siégeroit une année à Beaune et à Saint-Laurens pour le duché, comté d’Auxonne et terres d'outre-Saône, et l’année suivante à Dole pour le comté (1) ». À l'encontre des anciens Parlements, la Cour souveraine cessait d’avoir des attributions administratives ; son rôle, désormais purement judiciaire, devait s'étendre aux appels des causes civiles et criminelles émanées des juridictions inférieures. De nouvelles lettres patentes, datées aussi d’Ar- ras le 18 du même mois de mars, organisèrent le personnel, en créant les offices suivants : Un président, deux cheva- liers, douze conseillers, deux avocats du roi et un procu- reur fiscal, enfin un greffier dans chacune des deux pro- vinces et cinq huissiers. Le roi de France restitua à cette Cour le titre ancien de Parlement et plaga à sa tête Jean Jouard, avec le titre de Premier Président des Parlements des comté et duché de Bourgogne (2, Cette réorganisation, dans laquelle on reconnait la main de l’ancien conseiller ducal, ne semble pas avoir plu aux Dijonnais, qui revendiquaient pour leur ville le titre de capi- tale du duché et aspiraient à obtenir le siège du Parlement. Les évènements troxblés que l’on traversait alors aidèrent encore à retarder l'installation de la nouvelle Cour. En effet, la Franche-Comté, à l'appel des nobles restés fidèles à la cause bourguignonne, venait de se soulever. Les Dolois, furieux d'apprendre que la décision des Etats géné- raux avait été surprise par ruse, s’armèrent, et au son du tocsin, chassèrent les soldats de Louis XI au cri de : « Vive Mademoiselle ! » Saint-Jean-de-Losne, Vesoul, Rochefort, Gy et plusieurs villes comtoises arborèrent l’étendard aux (1) Dom PLANCHER. (2) Ses gages furent maintenus à la somme annuelle de 1200 livres tournois. Arch. dép de la Côte-d'Or, série B, n° 1781, fol. 55 et 506. — 340 — lions de Bourgogne. Le seigneur de Craon dut se rejeter dans Gray, seule garnison restée au pouvoir des Français ; de là 1l dirigea ses troupes sur Vesoul, défendu par Guil- laume de Vaudrey. Grâce à une ruse de guerre qui sauva la ville menacée d’un assaut, les assiégés purent, dans la nuit du 17 mars 1477, surprendre les ennemis dans leur sommeil et les metire en déroute” Ha /Mrémole dur Sehreurenn Gray. Le prince d'Orange, blessé dans son amour-propre et ses espérances, n'avait pas hésité à quitter le parti du roi pour rentrer dans les rangs bourguignons. Il avait écrit à la prin- cesse Marie pour mettre son épée à ses pieds et sans atten-. dre d’être nommé par elle gouvernenr des deux provinces, il s'était enfermé dans Gy avec une troupe de soldats à sa solde. De là il adressa, de concert avec Jean de Clèves, parent de la jeune duchesse, aux mayeurs et échevins de Dijon, une lettre destinée à provoquer dans le duché le même soulèvement que dans le comté. La Chambre des comptes et le magistrat n’osèrent pas supprimer cette nouvelle dépê- che ; ils en firent dresser deux copies, dont l’une fut adres- sée à La Trémoille et l’autre aux magistrats de Beaune et de Chalon. Une pareille duplicité mécontenta les « bonnes villes » et empêcha une action commune contre l'ennemi ; connue du public, elle suscita de sourdes récriminations et bientôt des menaces ouvertes contre les hauts fonctionnaires et le vicomte-mayeur., Ceux-ci Commençaient à être inquiets de l'agitation populaire ; ils sollicitèrent de Georges de Craon. le retour des seigneurs de la Palud et de Commarin avec leurs troupes, que le gouverneur avait appelés à son aide pour une seconde campagne en Franche Comté. La Trémoille se décida, en conséquence à quitter Gray le 13 avril 1477; il se jeta sur quelques petites places occupées par les Bour- guignons, Marnay, Balançon, Ougnevy et Pesmes, battant la campagne, ravageant tout sur son passage et semant partout la terreur. Mais les troupes du prince d'Orange réussirent à — D41 — entraver ses incursions et à l'empêcher de se porter sur le Charollais, qui venait à son tour de se soulever. Louis XI, en apprenant l’insuccès de La Trémoille et les troubles survenus dans le duché renonça provisoirement à installer le nouveau parlement. Il décida de rétablir à Dijon Fancienne Chambre du conseil, qui avait rendu tant de ser- vices aux précédents ducs, pour « entendre et vacquer ez affaires desd. pays (Bourgogne et Franche-Comté) en toutes choses concernant le bien et entretenement d'iceulx pays et de la chose publique » et afin d'assurer dans les deux pro- vinces l'unité administrative et judiciaire. Sur la demande des députés des Etats et par lettres patentes données à l’ab- baye de la Victoire (1), au mois de mai 1477, le roi créa cette Chambre du conseil, et nomma Jean Jouard chef de son conseil, avec pouvoir d’en choisir les membres parmi les maitres des requêtes, conseillers et officiers résidant à Dijon (2. Dans ce titre Louis XI appelle Jean Jouard « che- valier » son « amé et féal conseiller président, de ses pal:- leinents de Bourgogne ». Ce fut le dernier et suprême triomphe de l’ambitieux gray. lois, car la roche tarpéienne n’est pas loin du Capitole ! Un évènement tragique ne tarda point à lui enlever le profit de son attachement à son nouveau maître. | La Trémoille avait dû quitter, en hâte, les rives de la Saône pour répriner une première émeute populaire, éclatée à Dijon le 2 juin 1477: il s'était ensuite porté au devant d’une armée de Suisses et d’Allemands réunis sous les ordres de Jean de Chalon. La rencontre sur le pont de Pin- les-Magny resta indécise, mais fut interprétée comme un succès par les deux partis. Georges de Craon, la rage au (1) Abbaye augustine fondée dans le voisinage de Senlis, par Philippe- Auguste, en reconnaissance de la victoire de Bouvines. — CHARAVAY. Lettres de Louis XI, p.38. So es Sr {2) Voir le texte in extenso dans le #° volume du continuateur de Dom PLANCHER (preuve 274), pages 374 et 375. sine cœur, mit le feu à Gy et aux bourgs environnants, Pesmes et Marnay, puis il réduisit en cendres la ville de Cuiseaux. À la lueur de ces incendies, le peuple de Dijon leva pour la deuxième fois l’étendard de la révolte. L’agitation populaire prit naissance à l’occasion des élec- tions municipales, fomentée par un homme que la ruine de sa fortune et ses démêlés avec la Justice avaient jeté dans le part des mécontents : Chrétiennot Vyon, issu d’une famille bourgeoise de Dijon, alliée aux Berbisev, et riche marchand épicier de la rue Saint-Nicolas. : Une première fois, il avait eu maille à partir avec la juri- diction municipale au sujet d’un jeune apprenti, Jean Perru- chot, qui s'était « retiré dans son hostel » pour échapper à l'autorité de son tuteur Bernard Perruchot. Vyon dut rendre le pupille à sa famille (}. Bientôt Chrétiennot Vyon s'était trouvé mêlé à une affaire des plus délicates. Une jolie dijonnaise, Claire Berbisey, femme de Jean de Molème, secrétaire du duc de Bourgogne, se consolait dans les bras d’un riche marchand de la ville, Jean Mercier dit Douhet, de l'absence de son mari, retenu dans les Flandres. Douhet ayant été évincé des bonnes grâces de la dame apprit par Jeanne Saignant, maîtresse des étuves Saint-Philibert, qu'il avait été remplacé par un jeune écuver et jura de se venger. Durant une nuit de mai 1464, en com- pagnie de son ami Chrétiennot Vyon, il s’introduisit, à l'aide d’une clef qu'il avait conservée, dans l'hôtel de Molème. Nouveaux troubadours, les deux marchaads donnèrent une aubade à la belle, avec lintention de voir paraitre l’amant et de lui faire un mauvais parti. L'affaire fit grand scandale, en raison des personnalités mises en cause. La famille du mayeur Berbisey la présenta comme une tentative d'assas- sinat et le mari trompé mit la justice en mouvement. Vyon arrêté, fit des aveux complets ; Douhet prit la fuite en Lor- (1) Archives municipales de Dijon, série B, n° 162. 4) [2] Ro raine, Le procès engagé au Pariement de Paris, fut renvoyé à la justice municipale de Dijon, pour excès. Malgré les ins- tances de Philippe-le-Bon, qui avait pris en main l’honneur dé con secrétaire, le procès ne fut jugé qu'un an après (avril 1465). La Saignant fut condamnée à être noyée dans l’Ouche et exécutée, Douhet vit prononcer contre lui la peine du bannissement et Chrétiennot Vyon, celle de quelques mois d'emprisonnement (1), Discrédité désormais aux yeux de ses concitoyens, le mar- chand épicier s’aperçut que ses affaires périclitaient rapide- ment. Bientôt, ses créanciers ne pouvant arracher le moindre denier à ce débiteur insolvable, durent recourir à la vieille arme de lexcommunication pour dettes. L’'interdit, lancé par l’évêque de Langres, fut rendu exécutoire en Parlement, au moyen d’un appointement signé de Jean Jouard lui- même (2). Dès lors, Chrétiennot Vyon voua une haine terrible au _ mayeur Berbisey ainsi qu'au président de Bourgogne et n’attendit qu’une occasion favorable pour assouvir sa ven- geance. Obligé de se retirer à Gevrey (3), il ne cessa d’entre- tenir des relations avec les adversaires du parti qui s'était rallié à la cause royale. Un soulèvement populaire ayant été _ comploté pour le jour du renouvellement des officiers municipaux, Vyon rentra secrètement à Dijon et se cacha dans le faubourg Saint-Nicolas. Le 24 juin 1477, les Dijonnais réunis dans le cimetière de Saint-Benigne, réélurent Etienne Berbisey, l’ancien vicomte- mayeur, au grand mécontentement des « gens de petit état Le lendemain, à la faveur du tumulte produit par les céré- monies d'installation (#4, et le bail des fermes de la ville, les (1) J GARNIER. Analecta divionensia, tome I. « Correspondance de la mairie de Dijon », p. XLIx et suiv. . (2) Arch. municipales de Dijon, série B. — C. 21. (3) Rôles des marcs de la ville de Dijon, 1475. 1bidem. (4) Après la remise solennelle au nouveau mavyeur des Evangiles et des — 914 — conjurés purent se concerter. Dans l'après-midi du 26 juin, tandis que les mayeur et échevins étaient réunis aux Corde- liers, avec les membres de la Chambre des comptes et Jean Jouard, on vit tout à coup déboucher de la porte Saint-Nico- las, une troupe d’'homines du peuple armés de piques et de bâtons, qui envahit la ville aux cris de: Vive Bourgogne, à bas les Gros ! A leur tête se dressait Chrétiennot Vyon, dans une robe de gris blanc, accompagné d’un héraut aux armes ducales. = Nous laissons ici la plume au distingué J. Garnier, qui a fait de la scène tragique qui va suivre, un tableau saisissant d'horreur et de vérité: « À peine les conjurés eurent-ils pénétré dans la rue, qu’ils » contraignirent les gardiens de la tour Saint-Nicolas de leur » en livrer les clefs. Ils déchirèrent la bannière royale qui » flottait au sommet, brisèrent la hampe, et, portant devant » eux ces débris comme un trophée, ils s’enfoncèrent dans » la ville en appelant leurs partisans aux armes. Allons, » criaient-ils, allons chercher les maitres échevins qui gou- » vernent la ville et qui se cachent aux Cordeliers. C'était en » effet le projet de Vyon, qui espérait mettre la main sur tous » les hommes du gouvernement qui y étaient assemblés, et » paralyser ainsi toute résistance ; mais lalarme avait été » donnée : tous s'étaient dispersés, et quand Chrétiennot » arriva sur la place, 1l se trouva en présence de Jean Jouard, > président de Bourgogne, lequel confiant dans son âge, ses » services et la grande influence que lui donnait sa position, u » avait voulu seul faire tête à l’orage. Jean Jouard avait autant, » et plus que le prince d'Orange, contribué à la réduction des » deux Bourgognes sous l’obéissance de Louis XI. C'était sceaux de la commune, il était conduit en grande pompe à Notre-Dame, où il prêtait serment. De là, il se rendait aux prisons et aux portes de la ville, pour ôter et remeitre aux portiers leurs clefs et leurs baguettes. Puis il était installé au siège du tribunal des Echevins. — ROSSIGNOL. -Opere citalo, p. 91 et 92. É HE: 4 ki. — 349 — » l’un des hommes les plus compromis vis-à-vis des partisans » de Marie » et à qui, dit M. Rossignol, l’on reprochait la résistance de Gray, sa patrie, la seule des villes franc-com- toises qui n’eût pas encore chassé les garnisons de la Tré- moille (1), « Quand ceux-ci (les gens du parti bourguignon) étaient représentés » continue M. J. Garnier, « par un homme aussi » farouche que Vyon, tout était à craindre Vyon somma le » président de reconnaitre Marie de Bourgogne; Joard, au contraire, lui enjoignit, ainsi qu’à ses partisans, de mettre » bas les armes et de se disperser. Vaines paroles auxquelles » ni les uns ni les autres n’étatent disposés à céder. Les » têtes se montèrent, et comme le président, pour sortir de > la presse, était parvenu à gagner l'hôtel du scelleur de » Langres (2), les insurgés l'y suivirent, et Vyon, exaspéré = ÿ » de ne pouvoir vaincre sa résistance, le frappa de son poiï- » gnard (3). » Jean Jouard blessé à mort, fut transporté dans une chambre à Pétage de la maison, où 1l expira aussitôt. Plusieurs conju- és vinrent contempler leur victime. L'un d'eux « Jehan Galet bonnetier, natif de Vescles en Savoie, » ne craignit pas d’arracher du cadavre encore chaud, Pécharpe de velours enroulée autour du cou du président et rattachant le chape- peron à « une esguillecte de soye » sur lépaule. Il emporta ce trophée et le montra à ses compagnons (#), (4) Histoire de la Bourgogne pendant la période monarchique. Conquête de la Bourgogne, p. 9L. (2) Chargé de la rédaction des actes de la juridiction épiscopale, 1l _ était en même temps vicaire général et archidiacre de Dijon. Gette maison est située au n° 14 de la rue St-Pierre, qui a conservé son nom. — Henri _ CHABEur. Charles-le-Téméraire à Dijon, dans Mémoires de la Société bourguignonne de yéographie et d'histoire, tome XVIII, 1902, p. 145 et 146, et J. GARNIER. Op. cit., p. LXXXVI, note. (3) J. GARNIER. Îbidem, p. LXXXV et LXXXVI. (4) Arch. dép, de la Côte-d'Or. Procès criminels, liasse de 1476 et 1477, interrogatoire de Jean Galet le 18 août 1477. — 946 — Ce crime commis, les émeutiers pillèrent la maison du scelleur et celle de Jean Vurry trésorier général, puis, se répandant dans la ville s'emparèrent de la « Maison au Singe » qui servait d'hôtel de ville(l et proclamèrent le gouverne- ment de la princesse Marie. (1) Cette maison occupait l'emplacement des n°° 36, 38 et 40 de la rue Chabot-Charny. Chatiment des meurtriers de Jean Jouard.— Pension accordée par le roi à sa veuve. — La famille et les biens de Jean Jouard après son décès. — Légende grayloise concernant Jean Jouard. — Conclusion. À l'annonce de ce soulèvement populaire, Guillaume de Vaudrey accourut à Dijon avec une troupe de cavaliers et prit le commandement de la ville. Durant trois jours l’anar- chie fut complète, mais les royalistes, grâce à la fermeté d'Etienne Berbisey, réussirent à rétablir l’ordre et forcèrent Vaudrev à se retirer, laissant entre leurs mains Chrétiennot Vyon et ses complices (1). _ Michel de Changy, seigneur de Chissey, chevalier d’hon- neur du Parlement ® et les « gens des comptes » écrivirent au roi de France pour lui faire part de ces évènements. _ Louis XI répondit d'Arras le 6 juillet 1477 G), aux maire et échevins de Dijon, pour les remercier « de tout cueur » de leurs « bonnes leautez (loyauté) et volontez » durant l’é- meute. [l témuigna son regret de « laccident nouvellement survenu à feu » le président de Bourgogne et ajouta : (Veuil- lez mectre peine et labeur de mectre la ville en bonne seu- reté et faisant faire pugnissions et justice de celui qui a tué (1) La ville versa 200 florins pour indemniser Etienne Berbisey des « extrêmes peines, travaux, diligences et labeurs » qu'il avait supportés à l’occasion de « la commocion faite par les gens de petit état, qu'il parvint à apaisier ». Arch. communales de Dijon, série B, n° 165. (2) Avait un des premiers suivi le parti du roi. Ancien conseiller et _ chambellan du duc Charles, il avait été maintenu au Conseil royal de Dijon et nommé chevalier d'honneur du nouveau Parlement. — J. GARNIER. Correspondance de la mairie de Dijon, p. 212, note. {3) Lettres de Louis XI publiées dans les Mémoires de la Société de l'Histoire de France, par Joseph VAESEN et Etienne CHARAVAY, tome VI, p. 205. — 9348 — nostre président et des autres le plustost que faire pour- rez (D). La justice municipale à qui les assassins avaient été livrés, fit diligence (2). Le procès avant été instruit et terminé vers le milieu du mois d'août, Chrétiennot Vyon et quatre de ses com- plices, notamment Etienne Billart dit Billerot et Jean Galet, furent condamnés à « estre pendus et souffrir mort au gibet de Dijon ». Le mardi 26 août 1477, le prévôt « Jehan Henry alias Boursot » exécuta la sentence 8); Chrétiennot Vyon fut décapité et son corps, mis en quartiers fut exposé sur des gibeteaux aux portes principales de la ville (4. D’autres, moins compromis furent condamnés au bannissement. | Louis XI, dont une des plus grandes qualités était la recon- naissance, n'avait pas attendu la punition des coupables, pour reconnaitre les services de son président de Bourgogne. Afin de réparer, dans la mesure du possible, le préjudice causé à sa famille par la main du criminel, 1l décida de lui allouer une pension égale au traitement dont jouissait de son vivant le chef du conseil. Par lettres patentes, données à Arras le 10 juillet 1477, il accorda à « dame Nicole de Faletans, vesve de feu messire Jean Jouard, à son vivant chevalier et président de la cour du Parlement de Bourgogne, la somme de douze cens livres tournois, à icelle prendre et avoir chascun an sa vie durant des deniers de ses finances de son duché de Bourgogne ». Ces lettres ayant été vérifiées par la cour des comptes le 26 juillet suivant, le sénéchal de Normandie Jean Blosset, seigneur de Saint-Pierre, nouvelle-. ment promu gouverneur de Bourgogne, en fit l’ordonnance- (L) Voir le texte de la même lettre et la réponse des échevins dans : J. GARNIER. Correspondance de la mairie de Dijon, p. 212, 213, 214. et 215. | (2) Archives municipales de Dijon, série B, n° 165. Registre des déli- bérations. | (3) Archives dép. de la Côte-d'Or, Procès criminels, 1477. (4) Jbidem, « Compte de la fortifieation », 1474-1479. — 9349 — ment « à commencer au premier jour d’aoust prochainement venant (1 », Nicole de Faletans profitera-t-elle de cette largesse royale, et pendant combien de temps”? Nous lignorons ; nos recher- ches dans les comptes de la recette générale et dans ceux du bailliage de Dijon de 1477 à 1482 n’ont amené la décou- verte d'aucune mention ou quittance de paiement, relative aux arrérages de cette rente. Que devinrent la malheureuse veuve du président de Bour- gogne et sa fille, alors âgée de dix-huit ans ? Nous ne pou- vons le dire d’une façon certaine, ni même affirmer que celle- ei survécut à son père. Les notes du président de Conbouwdne ) disent que « la fille dæprésident Jouard fut la grand’mère de Hugues Mar- mier » le célèbre président du Parlement de Franche-Comté. C’est là une erreur facile à réfuter. Hugues Marmier était fils de Jean Marmier et de Simone de Faletans, sœur de Nicole. Mamette Jouard ne pouvait donc être la belle-mère de sa tante, ou plus exactement de la sœur de sa mère adoptive. D'ailleurs nous savons que Jean I Marmier, beau- frère de Jean Jouard était fils d'Antoine Marmier et de Clau- _dine de l’Estrat (3). Le manuscrit du conseiller Lampinet (* se rapproche davantage de la vraisemblance. On y Ut: Hugues Marmier était fils de Mamès Marmier et de N. fille héritière du président Jouard seigneur d’Echevannes. La première par- tie du renseignement est erronée, pour les raisons indi- (1) Arch. dép. de la Côte-d'Or, série B, n° #18, fol. 25 v°. Jean Jacque- lin avait été nommé premier président par lettres-patentes du roi, données aussi à Arras le 6 juillet précédent. Arch. dép. de la Côle-d’'Or, B, 1781. (2) Manuscrit n° 72, de la Bibliothèque municipale de Besançon, p. 421. (3) Preuves de noblesse produites par François-Philippe, marquis de Marmier, pour être admis à la confrérie de Saint-Georges (Arch. dép. du Doubs), loco cilato. _ (4) Bibliothèque de Besançon. Manuscrit. — 390 — quées plus haut : Hugues Marmier était non pas le fils, mais l’un des frères de Mamès Marmier. Mamette Jouard épousa-t-elle son cousin germain Mamès Marmier ? Nous n’en possédons aucune preuve directe ; nous savons que ce dernier fut marié à Jeanne Prévost, mais il est possible qu'il ait eu une première femme et que celle-ei soit la fille du président Jouard. Un argument en faveur de cette hypothèse peut être, dans une certaine mesure, déduit des termes de deux lettres patentes données par Marie de Bour- gogne et son époux, Maximilien d'Autriche (1), le 23 mars 1479, que nous analvserons plus loin. Dans tous les cas, ces mêmes lettres patentes nous appren- nent que la succession de Jean Jouard ne fut acceptée que sous bénéfice d'inventaire et c’est là ure nouvelle preuve de son désintéressement. Par le fait des guerres qui suivirent sa mort et qui soumirent le comté de Bourgogne tantôt à la domination de Louis XI et tantôt à celle de Maximilien et de Marie, les biens de Jean Jouard subirent un sort particuliè- rement dur. Dès 1477, le duché de Bourgogne fut définitivement annexé au royaume de France, mais après la défaite de Salazard à Gray (29 septembre) et la levée du siège de Dole (er octobre) le comté tout entier demeura au pouvoir de la fille du Témé- raire. Louis XI, qui n’en prenait pas moins le titre de comte de Bourgogne, se vengea cruellement des comtois restés fidèles à sa filleule. L'un des premiers frappés fut Jean Marmier, dont il fit confisquer les terres d’Echevannes et de Gatey, sans tenir compte que ces seigneuries apparte- naient par indivis au conseiller de la duchesse et à lhoirie du vieux président tué à son service. Il en fit don à Guil- laume de Vergy qui, fait prisonnier devant Arras le 4 mai 1477, venait de céder aux larmes de sa mère, Paule de Mio- lans, et de recouvrer la liberté en quittant le parti bourgui- (1) Mariés à Gand, le 18 août 1477. — 391 — gnon, pour prêter serment de fidélité au roi de France. Le mandement des « généraux conseillers du roy sur le fait et gouvernement de ses finances es pays duché et Comté de Bourgogne, au balli de Dijon, concernant la donation des terres d’Echevannes et de Gatey est du 13 juin 1478 (D », De leur côté Marie de Bourgogne et Maximilien usant de représailles, firent confisquer tous les biens situés au bailliage d'Amont, provenant de l’hoirie du défunt président de Bour- gogne (2). Cette situation anormale devait amener des complications et des difficultés, surtout en raison des troubles d’alors, et lon comprend aussi pour quels motifs la succession de Jean Jouard resta en déshérence. Cependant les Marmier, co-seigneurs d’Echevannes et de Gatey, avaient intérêt à chasser les intrus ; ils firent les _ premières démarches. Dès les premiers mois de l’année 1478, Mamès Marmier s’adressa au comte et à la comtesse de Bourgogne. Dans sa double requête, il se dit « filz de Jehan Marmier, licencié en loix, et parent prouchain et héri- üer de Messire Jean Joard, jadiz président de Bourgoingne ». Afin d'éclairer, autant que possible, la marche des évè- nements postérieurs au décès du Président Jouard, il est nécessaire de se demander de quel droit Mamès Marmier put prendre ces deux qualités. Proche parent de Jean Jouard, il ne létait en aucune façon, puisqu'il n’était que le neveu, par sa mère, de Nicole de Faletans, c’est-à-dire un étranger quant aux liens du sang par rapport au mari de cette dernière. Il était encore moins son héritier, puisqu'il n'existait entre lui et le défunt aucun lien successoral, même dans la ligne des collatéraux. (4) André Du CHESN&. Histoire généalogique de la maison de Vergy, tome VII, p. 298 et preuves, p, 333. (2; Voir le protocole des deux lettres-patentes ci-après analysées, et Arch. dép. du Nord, Compte de Louis Quarré, receveur général, chap. XIT, série B, n°2194. — 9392 — Dira-t-on qu'il pouvait être son héritier testamentaire ? non, car les titres n’en font point mention. On pourrait supposer que Mamette Jouard étant décédée avant son père, le Président de Bourgogne aurait institué Nicole de Faletans pour sa légataire universelle, laquelle, mourant à son tour, aurait transmis aux Marmier. ses parents, les biens de la succession de Jean Jouard. À défaut de titres c’est là, il faut bien le reconnaitre, une hypothèse échafaudée sur des présomptions peu sérieuses. La seule qui s'appuie sur les termes mêmes des actes du 95 mars 1479, est la suivante : Mamès Marmier à pu épouser en pre- mières noces Mamette Jouard, et du fait de sa femme se dire légitimement « proche parent et héritier du Président de Bourgogne ». La découverte d’une pièce d’archives authentique et probante pourra seule donner raison aux notes de Lampinet citées plus haut. Quoiqu'il en soit, dans sa première requête, Mamès Mar- mier relate le désir qu’il a d'accepter « l’hoirie et succes- sion par bénéfice dinventoire et soubz les privilèges et relief- mens d’iceluy » (le défunt président Jouard). Le suppliant ajoute que s'il n’a pas fait cette acceptation dans les délais imparts par la coutume, c’est qu'il à craint qu’en raison de la confiscation de ces biens et leur attribution à Girard Robot d’Auxonne, « cette acceptation ne lui fust onéreuse ». Il supplie les souverains de «le relever du laps de temps encouru depuis le décez dud. deffunct oultre et plus avant que le droict ne dispose en adicion de hoirie par bénéfice d’inventoire ». Maximilien et Marie répondirent par des lettres patentes données (1) à Anvers le « 23 mars 1478, avant pasques » (1479 n.s.) adressées aux conseillers des Parlements de Bourgogne ainsi qu'aux baillis d’Amont et d’Aval. [ls ordon- (1) Archives générales du royaume de Belgigue, Bruxelles. (Collection des Chartes d'audience), n° 110. — 9393 — nèrent de « baillier et délivrer tous lesdiz biens meubles et immeubles dudit deffunct au suppliant pour en jovr et user plainement et paisiblement », à seule charge de faire inven- taire et de « baillier bonne et souffisant caucion ». La deuxième requête de Mamès Marmier expose qu’au moment où il a « cuidé apprehender lesd, biens (provenant de la succession Jouard) comme à luy appartenant, il a trouvé unz nommé Girard Robot d’Auxonne, soulz ombre de certain don qu’il se dit avoir et à titre de confiscation, qui s’est intruiz et bouté esdits biens sans sen vouloir departir », Par de nouvelles lettres patentes(l) données aussi à Anvers le même jour que les précédentes (25 mars 1479), Maximilien et Marie de Bourgogne donnent mainlevée de Ia confiscation opérée par leurs ordres sur les biens de « feu messire Jehan Joard, jadiz président de Bourgoingne » et annulent le don fait par eux à Girard Robot (2). [ls ordonnent au bail d’'Amont d'instruire le procès et de transmettre le dossier de la procédure au Parlement de Dole « pour v estre jJugié, décidé et déterminé à fin dehue », et contrain- dre s’il y a lieu Robot à la restitution. Les archives du Parlement de Franche-Comté correspon- dantes à cette époque ayant été pour la plupart détruites, il ne nous est pas possible de mentionner la date de la déci- sion intervenue, mais ses conséquences ne sont pas dou- teuses. De gré ou de force, Girard Robot restitua les terres d'Echevannes et de Gatey. Cependant ces deux seigueuries n’en demeuraient pas _ moins sous le coup de la confiscation opérée par Louis XI au profit de Guillaume de Vergv. Mamès Marmier ne pouvait alors songer à en demander (1) Archives générales du royaume de Belgique. {Chartes d'audience), n° 107. (2) C'est dans son logis, à Auxonne, que Charles le Téméraire était des- cendu lors de son entrée solennelle dans la ville, le 18 janvier 1474. Vovez supra. Ca) 04 — (2 mainlevée au roi de France. L'armée française, commandée par Charles d’Amboise, avait, dès le printemps de l'année 1479, envahi le comté de Bourgogne. Le 25 mai, après un siège facilité par la trahison, Dole était prise d'assaut et livrée aux flammes ; bientôt Gray, Vesoul et Besançon tom- baient au pouvoir des Français et au mois d'octobre la Franche-Comté, comme le duché, passait de la domination bourguignonne à celle du roi de France. La mort de Marie de Bourgogne (27 mars 1481) et je traité d'Arras (janvier 1483), amenèrent une paix provisoire. Le comté de Bourgogne fit parte de la dot de Marguerite d'Autriche, fille de l’empereur, fiancée au Dauphin de France. Mais Charles VIIT ayant succédé à son père (31 août 1483) et renvové sa fiancée à Maximilien, la Franche-Comté retourna à l’Autriche (1). | C’est sans doute vers cette époque que Guillaume de Vergy restitua aux Marmier les terres d'Echevannes et de Gatev, mais sous réserve d'hommage pour cette dernière. Dès avant l’avènement de Louis XIT (8 avril 1489), Vergy avait quitté définitivement le parti français pour rentrer dans les rangs bourguignons. Par acte du 5 juillet 1498 (2), le nouveau maréchal de Bourgogne déclara abolie la reprise du fief qui Jui avait été faite, pour la terre de Gatey, par Mamès Marmier, au nom de son père, et reconnut qu'elle était de franc-alleu. | Des lettres-patentes de Maximilien, données à Fribourg le 4 août 1498, confirmèrent au profit de Mamès Marmier et de ses frères, la concession que Charles-le-Téméraire avait (1) Il existe aux Archives départementales de La Côte-d'Or, B, n° 359 et Peincedé, tome XVI, p. 201 des lettres de Jean de Baudricourt, gou- verneur de Bourgogne du 29 novembre 1486 portant don à Julien de la Haye, écuyer, et à Charles Paniet des biens confisqués au bailliage d’A- mont sur Jean Marmier Nous avouons ne pouvoir expliquer une nouvelle confiscation faite par le roi de France, à cette époque. (2) Archives de la famille de Marmier, au château de Ray-sur-Saône. faite au profit de Jean Marmier, leur père, et de messire Jean Jouard, Président de Bourgogne, de cent vingt jour- naux de terre au joignant de leur terre d’Echevannes (1). Enfin le 16 juillet 1507, l’empereur d'Autriche accorda à Mamès Marmier, devenu son secrétaire, la confirmation d’un droit d'usage dans les bois de Velesmes, près d'Echevannes, consenti par le duc Jean-sans-Peur à son ancêtre Huguenin Marmier, le 20 avril 1409 (2). À la mort de Jean Marmier, la terre de Gatey fut attribuée à son fils ainé Hugues Marmier et celle d’Echevannes resta à Mamès. Le fils de ce dernier la laissa, par testament, à son oncle Hugues, qui devint ainsi propriétaire des deux seigneuries. Après le décès du Président de Bourgogne, sa veuve, Anne de Poligny, fit, le 28 avril 1576, un partage entre ses enfants : la terre de Gatey alla à Simon Marmier, sieur de Moissev, et celle d'Echevannes à Jean IT Marmier, qui continua à porter le titre de sieur de Gatey @). Un siècle après, ces deux seigneuries, par suite d’alliances, sortirent de la famille Marmier et bientôt l’on oublia que Jean Jouard en avait été l’un des co-propriétaires. Aujourd’hui le nom du Premier Président du Parlement de Bourgogne est peu connu: sa renommée a pâl devant celle de Hugues Marmier, de Boutechoux et surtout de Jean Boivin ; mais son souvenir est cependant resté vivace parmi ses concitoyens. On n’a jamais ignoré qu'il mourut dans une émeute à Dijon, mais, remarque curieuse, on à oublié que ce fut pour la cause royale, et sa mémoire a bénéficié de la fidélité de son beau-frère à la couronne ducale. Depuis la conquête de la Franche-Comté, il n’y avait plus de raisons, … pour les Comtois devenus français, de tenir rigueur au Pré- (4) Voyez supra, chapitre IV. Preuves fournies par le marquis de Marmier _ pour entrer dans la confrérie de St-Georges, cote 45. Arch. dép. du Doubs, liasses non classées. (2) Ibidem, même inventaire, cote 46. (3) Ibidem, cote 28. — 356 — sident de Bourgogne de sa coupable inconstance. C’est ainsi que les historiens de Gray, après avoir réédité la confusion de Paradin entre le lieutenant du Chatelet et le président des parlements bourguignons, passent sous silence les évène- ments qui ont précédé la fin tragique de ce dernier. Peu à peu les Graylois, très fiers de leur compatriote, ont associé son nom aux gloires du pays, et, grâce au recul du temps, Jean Jouard à fini par devenir, dans la légende, avec les Vaudrey et le capitaine des Bois, l’un des héros de la lutte pour lPindépendance de la Franche-Comté ! Un curieux article de la vieille Revue de la Franche- Comté (1) le fait figurer parmi les principaux acteurs des évènements qui amenèrent la délivrance de Gray, la surprise des troupes royales et la fuite du malheureux Salazar, le 29 septembre 1478, Après avoir raconté les péripéties de l'ambassade du dra- pier Louis du Carouge et de laubergiste Huguenin Mou- reaux, députés par les gravlois opprimés aux habitants de Besançon pour leur demander du secours contre les français, l'écrivain continue : « Le chef du parti bourguignon, à Gray, » était messire Jean Joard, seigneur d'Echevannes, lequel » avait été président du parlement de Dole en 1478 (?). Depuis, » ce seigneur ayant été chassé de Paris par le roi Louis de. » Valois, à cause de sa fidélité à la maison de Bourgogne, 1l » S’était retiré à Gray, sa ville natale, et c'était sur son con- » seil que les bourgeois avaient résolu de se défaire de leur » garnison française et de leur gouverneur Sallazar. Messire » Jean Joard n'eut pas plutôt appris le retour de du Carouge » et de Moureaux. qu'il les fit venir chez lui et assembla le » plus secrètement qu'il put, dans la cave de son hôtel es » principaux habitants de la ville... On décida que le mot qui » servirait pour l'attaque et pour le ralliement serait : Notre (1) Année 1841, p. 18 à 70, extrait d'un ouvrage inédit de Clovis Guyornaud. — 991 — » Dame! Bourgogne au lion !... Quand le conseil de la bour- » geoisie eut tout réglé et décidé, le seigneur d’Echevannes » écrivit aux frères de Vaudrey et à Jean de la Grange qu’ils » fissent bon devoir »... On jurerait que l’écrivain a sous les yeux l’original de la missive! Dans la nuit du 98 au 29 sep- tembre 1478, les Bourguignons pénètrent dans la ville par la porte d’Apremont ayant à leur tête le capitaine des Bois. « Messire Jean Joard » poursuit le barde graylois, « lui » montra le couvent des Cordeliers où il y avait un grand » nombre de soldats de Sallazar.. et ies bourgeois de Gray, » avant à leur tête le vieux seigneur d’'Echevannes, vinrent mettre le feu aux maisons de la ville qui étaient habitées » par les Français ». NA 2 Ce récit merveilleux, dû à la plume d’un chroniqueur à l'esprit par trop romanesque, n'a qu'un tort : au moment où il place Jean Jouard dans la cave de son hôtel et où il nous le montre avec une torche incendiaire à la main, 11 V avait quinze mois que le Président de Bourgogne était tombé sous le fer homicide de Chrétiennot Vyon ! — Si nos recherches n'ont pas d'autre utilité, du moins avons-nous la satisfaction de pouvoir, sur ce point, rétablir la vérité historique. _ Tellés furent, dans leurs grandes lignes, la vie, la carrière et la destinée du cinquième des présidents, actuellement con- nus, des Parlements des comté et duché de Bourgogne. _ Sorti des rangs modestes de la bourgeoisie, il s’éleva à la _ plus haute magistrature de son pays. Les qualités que nous avons rencontrées chez lui sont les qualités dominantes de notre race franc-comtoise : la fermeté du caractère, l'élévation des idées, l'opiniâtreté au travail, la probité professionnelle et le désintéressement. _ Le lecteur jugera avec indulgence la faiblesse du cœur humain : il ne se montrera pas plus sévère, nous l’espérons, nn SU pour le chef du Conseil ducal que ne le fut la fille de Charles le Terrible qui, la première, avait le droit de punir et qui a pardonné. Comme les habitants de Gray, il se souviendra, moins de l’infidélité de Jean Jouard à la cause de ses ducs, que des services éminents rendus à notre province, par Île Président de Bourgogne. JEAN-BAPTISTE CONSIDERANT de Salins (O7 be )7) Lecture faite au Congrès de l’Association franc-comtoise à Salins, le 4 août 1908. Par M. Georges GAZIER CONSERVATEUR DE LA BIBLIOTHÈQUE DE BESANCON À la nouvelle de la mort de Jean-Baptiste Considérant, Charles Weiss, bibliothécaire de Besançon, écrivait dans ses Mémoires, à la date du 27 avril 1827 : « Salins vient d’éprou- ver une grande perte par la mort de M. Considérant. Biblio- thécaire de cette ville et ancien professeur d’humanités, c'était un de ces hommes qui devraient avoir un Plutarque pour hisiorien. Je ne puis le comparer qu’à un héros de l’an- tiquité. S'il eût vécu sur un théâtre digne de lui, il aurait dépassé la réputation des plus grands citoyens de la France. A des formes athlétiques, il joignait la figure de l’Apollon du _ Belvédère. Je n’ai jamais vu un homme plus éloquent quand il parlait, animé par un de ces sentiments généreux dont le foyer était dans son cœur. » Le même jugement, plus enthousiaste encore, se trouve exprimé dans le discours prononcé sur la tombe de Consi- _ dérant par l’ex-oratorien Racle, qui compare son ami suc- _cessivement à tous les héros de l’antiquité, évoquant tour à tour la mémoire d’Aristide, de Socrate, de Pémosthène, de Mutius Scévola, de Fabricius, de Régulus et de Caton, et qui conclut en s’écriant : « Enfin c'était un homme d’un autre siècle, un géant parmi des pygmées. » — 360 — Un autre orateur, le docteur Broye, terminait son oraison funèbre par ces mots: « dans cent ans peut-être nos des- cendants viendront encore chercher l'endroit où tu vas désormais reposer, et des larmes couleront de nouveau. » Les articles nécrologiques étaient écrits sur le même ton. Les Tablettes franc-comtoises (n° du 6 mai 1827), puis l’Académie de Besançon [année 1828, p. 50), exprimèrent en termes émus leurs regrets de la perte d’un homme qu'ils regardaient comme l’un des plus illustres enfants de la Comté. Toute la population de Salins tint à honneur de suivre son convoi funèbre et, peu après, une souscription, ouverte parmi ses concitoyens, permettait d'élever sur sa tombe le monument que l’on voit aujourd’hui au milieu du cimetière. Ce fut, dit-on, le premier monument funéraire élevé ainsi dans la province par souscription nationale. Sur la stèle, on qualifie Considérant « homme de bien par excellence, aimé, estimé et pleuré de tous. » Et cependant combien sont-ils aujourd’hui Ceux qui con- naissent même de nom Jean-Baptiste Considérant ? Son fils Victor est connu de quelques-uns qui se sont intéressés au disciple de Fourier, au chef ardent de l’école phalansté- rienne, mort oublié en 1895. Bien peu se doutent que le père eut de son temps autant, sinon plus de notoriété que le fils, du moins dans son pays natal. J.-B. Considérant ne fut pas, comme le disaient ses com- patriotes, un héros de Plutarque, mais :l fut doué d’une vive intelligence et surtout d'un cœur exquis : il fut capable de dévouement et d’abnégation poussés jusqu'au sacrifice, et 1l eut du caractère. Il fut donc au xIx* siècle, 1l serait sans doute encore à notre époque une exception, et à ce titre 1} … mérite que, dans un congrès qui réunit les sociétés savantes comtoises à Salins, sa mémoire soit évoquée en quelques mots. | Je voudrais donc essayer de faire revivre quelques traits — 361 — de cette physionomie originale et essentiellement sympa- thique, en m'attachant à montrer surtout par quels côtés son fils Victor a pu subir l’influence paternelle. Ma tâche sera facilitée par quelques notes manuscrites de Weiss conservées à la Bibliothèque de Besançon et sur- tout par les 116 lettres écrites par J.-B. Considérant à Victor Thelmier de 1812 à 1827, lettres que M. le docteur Ledoux, avec son inépuisable et coutumière obligeance, à bien voulu me communiquer et donner ensuite à la Bibliothèque de Be- sançon. Considérant se montre dans cette correspondance dans toute la belle simplicité de son âme, parlant à son vieil ami, de tout et de tous, à cœur ouvert. Jean-Baptiste Considérant, né à Salins le 25 novembre 1774, était le fils ainé de Nicolas Considérant, chef de cuite aux salines de Salins, qui eut’après lui quatre autres enfants, deux garçons et deux filles. Ïl fit ses études au collège de sa ville natale et montra un goût très particulier pour les études classiques : cependant s'il approfondit les langues anciennes, il ne négligea pas les modernes et savait, nous dit-on, lPanglais, l'italien et Pespagnol, Jeune homme quand éclata la Révolution, sa place était aux armées qui luttaient pour la patrie contre l’Europe coa- lisée. IT entra donc dans un bataillon des volontaires du Jura et ne tarda pas à y obtenir par l'élection les galons de quartier-maître. Ses biographes nous disent qu’il se signala _ dés lors dans maints combats, sans spécifier à quelles cam- pagnes il prit part. Il servit en tous cas avec distinction, car quand il quitta l’armée, ses chefs voulurent lui faire obtenir une pension ; il refusa, quoique sans fortune, allé- guant qu'il n’était pas resté assez longtemps aux armées € 23 So À pour mériter cette faveur et qu’elle serait donnée avec plus de justice à quelque soldat blessé. Peu après, en 1798, il repartait pour l’armée, mais ce fut pour défendre des camarades traduits devant un conseil de guerre à Rome, pour avoir dénoncé ies dilapidations exer- cées au détriment des vaincus par les généraux de l’armée d'Italie, notamment par Masséna. Considérant plaida leur cause avec tant de chaleur que ces officiers furent acquittés et que le commandement de l’armée fut retiré à Masséna pour un temps. Considérant reprit encore du service au moment de la guerre d Espagne. Le général Mouthon le prit comme secré- taire aide-de camp, mais 1l ne voulut pas rester longtemps dans ce poste, révolté de l'injustice de cette guerre faite à un peuple soulevé pour conserver son indépendance. C’est à cette époque que l’Université, nouvellement fondée par Napoléon, offrit à Considérant une situation plus en rapport avec ses goûts. Le premier recteur de lAcadérnie de Besançon, J.-J. Ordinaire, l'appela auprès de lui comme secrétaire de cette Académie qu’il s'agissait d'organiser. : Mais notre Salinois avait, même à Besançon, [a nostalgie de sa ville natale, et il sollicita un poste de professeur à Salins, En 1812 ses vœux furent exaucés et 1l fut nommé professeur d'humanités au collège. À cette date commence la correspondance de Considérant avec Thelmier, employé, puis receveur et inspecteur des postes, avec qui il s'était lié intimement à Besançon. Les lettres qu'il écrivit dès lors à son ami Jusqu'à sa mort (la dernière est datée du 19 avril 1827 et il mourut le 27 du même mois) nous permettent de connaitre ses opinions inti- nes, Grâce à elles, il nous est äonné aussi de comprendre l’état d'esprit d’un universitaire sous la première Restaura- tion, et comme cet universitaire est le père et le premier maître de Victor Considérant, cet état d'esprit est double- ment intéressant à étudier. — 363 — Au point de vue politique, il est difficile de classer J.-B. Considérant dans un parti aux limites bien précises. C'était ce qu'on appelait alors un libéral. Or, on sait combien ce mot a de significations diverses et, suivant les époques, peut s'appliquer à des hommes d'opinions complètement opposées. Un libéral de la Restauration était voltairien, hbre-penseur et ennemi du clergé : ce sont les catholiques qui s’intitulent aujourd’hui libéraux. Souvent, un « libéral » n'aime la liberté et ne la réclame à cor et à cri que parce que, son parti étant vaincu, il se trouve dans lopposition et n'a plus de part aux profits du pouvoir. Parfois alors ce hbéral est en réalité un autoritaire et un sectaire qui, le jour où il redeviendrait le maître, opprimerait ses adversaires et se soucierait peu de la liberté d'autrui. Le vrai hHbéral qui, en tous temps et en toutes circonstances s'oppose aux excès de l'autorité et défend les opprimés quels qu’ils soient, est fort rare. Dans son beau livre sur le ZLibéralisme, M. Faguet a dit n'en connaître qu'un de cette espèce, lui- même, encore ajoutait-il finement, qu’il n’en était pas- bien sûr. Il exagérait un peu — oh bien peu ! — sur le petit nombre des élus libéraux, mais ce qu’il disait d'autre part, à savoir que le vrai hhéral ne peut rester attaché longtemps à aucun parti politique est indiscutable. Celui-ci a vite fait de constater, en effet, que parmi ceux dont il partage les opinions, il Y en à peu qui se laissent guider uniquement _par les idées pures, en dehors de toute préoccupation per- sonnelle, et il reprend sans tarder son indépendance. Considérant est à ce point de vue le vrai type du libéral. Il avait d’abord été séduit par les généreux principes de 1789 et avait cru que le règne de la philosophie et de la sagesse allait commencer. Les massacres de septembre et ne. la Terreur lui ravirent ses illusions. Puis, après les hontes du Directoire, il espéra un moment en Bonaparte : il ne tarda pas à considérer avec horreur le despotisme de Napo- léon. Le retour des Bourbons et l’octroi de la charte lui donnèrent quelques espérances : il constata bientôt que rien n’était changé, que, sous des étiquettes diverses, les maitres du pouvoir ne cherchaient qu’à satisfaire des inté- rêts de part, oublieux des intérêts généraux de la France. Dès lors, il ne crut plus guère dans la vertu de tel ou tel gouvernement : déjà à lafin de 1815 il était désabusé, Il écrivait à Thelmier le 14 septembre : « Platon, un jour, mon cher camarade, faisait un beau discours à ses disciples ; il leur parlait de l’âge d’or, de l'harmonie universelle, de l'empire des lois, des bienfaits de l'égalité, de l'excellence des mœurs, de lPaccord de la vertu et des arts, de la perfectibilité intellectuelle et politique de l'espèce humaine, et autres belles choses tirées de sa Répu- blique. Quand il eut fini, un des auditeurs lui dit avec un sourire narquois : « Et puis, vous vous éveillates ». Mon cher Platon, je désire bien du fond de mon cœur que vos philan- thropiques espérances ne soient pas des rêves. Moi aussi J'ai vu comme vous, MOI aussi j'ai cru que le patriotisme, l’ordre, la justice, l'humanité finiraient par étouffer toutes les petites passions, el que tout Français irait puiser le feu sacré à ce foyer régénérateur. L'expérience de vingt ans pen- dant lesquels les divers partis ont eu successivement le dessus, et se sont successivement souillés de tous les excès. et de tous les crimes que le vaincu reprochait au vainqueur, m'a irrévocablement détrompé. Nous tournerons dans le labyrinthe du vice et de l’ignorance, victimes de tous les genres de fanatisme et de despotisme : nous descendrons de bolge en bolge comme dans lenfer du Dante. À chaque cercle, les ténèbres s’épaissiront, les supplices deviendront plus cruels, le spectacle plus désastreux jusqu’à ce qu'é- puisés, effrayés, meurtris de chaînes, déchirés de fouets, — 305 — nous . nous reposions dans le calme de l’esclavage et le silence de l’abrutissement (1). » | Cependant, si les évènements déçurent ses espérances, Considérant ne voulait pas, comme tant d’autres, chercher un remède dans le retour au passé et il gardait sa foi dans l'avenir. Son ami Theimier était ce que nous appellerions aujourd’hui un réactionnaire et, un peu pour pousser à bout son ani, exaltait volontiers les siècles disparus et dénigrait le temps présent. Considérant consacre plusieurs lettres véhémentes, autant qu’éloquentes, à réfuter ces théories. Il rappelle à son ami toutes les injustices, tous les crimes des temps anciens et modernes depuis les invasions barbares jusqu'aux massacres de la Terreur blanche, et montre qu’en somme son époque, malgré toutes ses misères, est encore supérieure, parce qu'elle a plus de respect de la personnalité humaine et plus de souci d’atténuer les inégalités sociales : « Malgré vos hypocrites regrets sur le temps où l'on pou- vait aller passer la soirée au sabbat, festoyé par les sorcières des quatre parties du monde et par la meilleure compagnie de l'enfer, où un magnanime châtelain qui ne savait ni lire ni écrire, pouvait courir sus à tous ses vassaux et dépuceler toutes ses vassales, où un honnête inquisiteur pour la foi vous faisait fesser et même rôtir publiquement si vous étiez accusé d’avoir proféré des paroles mal sonnantes et sentant l’hérésie, d’avoir embrassé votre commère, omis votre prière du soir, et surtout mangé du lard le vendredi ; où Galilée languissait dans les cachots pour avoir démontré le mouve- ment de la terre, où l’on rompait le chevalier de Labarre qui avait ri à la barbe d’une procession de capucins, où l’on était embastillé à perpétuité si l’on avait eu le malheur de déplaire à la catin du valet de chambre d’un homme en place, où, où, où, etc.,etc., etc. (si je voulais je n’en finirais point), malgré, dis-je, vos regrets sur ce bon vieux et respectable (1) Lettre de Considérant à Thelmier, 1% septembre 1815, — 966 — temps, Je n’en serai Jamais idolâtre et je me sens à cet égard de grandes dispositions à l’impénitence, à moins que l'on ne remette au feu les fers pointus avec lesquels on trouait poli- ment et chrétiennement la langue des incrédules (D. » A maintes reprises, Considérant revient sur cette com- paraison du présent et du passé. Sans doute son réquisitoire contre l’ancien temps nous paraît aujourd'hui sur certains points trop poussé au noir, parce que nous connaissons mieux les siècles qui ont précédé le nôtre, et que, d'autre part, depuis cent vingt ans, nous n'avons pas encore trouvé, malgré tous nos efforts, les moyens de concilier dans un équilibre parfait la liberté individuelle et les néces- sités de la vie des hommes en société” Et puis ajoutons aussi que nous avons entendu si souvent depuis cette époque un pareil langage dans la bouche d'innombrables Homais, qu'il nous semble aujourd’hui un peu ridicule. Chez J.-B, Considérant, en tous cas, la sincérité et la loyauté sont parfaites : c’est un homme qui hait l'injustice et songe au bonheur de ses semblables et non à ses intérêts person- nels, et Cela fait quon le lit avec respect él sympathie, même quand on ne partage pas toutes ses opinions. Ecoutons-le encore, en 1816, faire le procès de l’ancien rébime « Vous me permettrez de vous dire que le feu de votre artllerie antique ne peut atteindre que lapologiste déclaré des travers et des crimes de la Révolution. Or, comme les Robespierre, les Marat, les Carrier, les Bonaparte ont été, dès le principe, des monstres à mes yeux, que ma pairie, déchirant ses entrailles dans le délire de la licence et les convulsions de la démagogie, m'offrait le spectacle le plus déplorable, que les brigands acharnés contre les vertus et les arts, dressant des échafauds pour les premiers et étouf- fant les autres sous des ruines, m'inspiraient l’horreur et (1) J.-B Considérant à V. Thelmier, 2 décembre 1815. — 9307 — le dégoût, vous conviendrez que cette façon de penser et de voir n’est nullement propre à me mériter une place parmi les sanguinaires admirateurs, (si toutefois il peut en exister). de ces désastreuses époques. Avec tout cela, mon cher camarade, je n’en suis pas plus convaincu de la préémi- nenee des siècles d’ignorance, ou, si vous le voulez, des âges antérieurs au nôtre. » Ce n'étaient certainement pas des philosophes que ces chefs des Huns, des Goths, des Vandales, des Francs, d'Alains qui, le fer et la flamme à la main, parcouraient l'Europe, l'Asie, l’Afrique, exterminant Îles nations et cou- vrant la terre de cendres. Mahomet et les califes ses succes- seurs ne sortaient pas de l’école de Socrate et d'Aristote, et les. épouvantables catastrophes de cette histoire font frémir et par l’universalité des massacres et par l'atrocité des sup- plices. Les crimes, les ravages des Gengis, des Tamerlan, des Mahomet IT ne seront jamais imputés aux lumières et au progrès des principes sociaux. Voulez-vous passer en revue les guerres de religion, les rivalités des empereurs, des rois de France, d’Angieterre, d'Espagne”? Voulez-vous y joindre les bouleversements, les calamités suscitées par la rabbia papale ? Voulez-vous vous arrêter un moment sur la découverte, la conquête et la civilisation de l'Amérique ? Ce n'étaient ni des Washington, ni des Paine, ni des Fran- klin, ni des Jefferson qui exterminaient la moitié d’un con- ünent, qui faisaient déchirer par les dents de leurs chiens et les raains des bourreaux, qui novaient, qui pendaient, qui enterraient tout vivants dans les mines quinze millions d'hommes. Accusera-t-on Montaigne, L'Hopital, Amvot, d'avoir allumé et fomenté les discordes civiles de leur temps, d'avoir attisé les brandons et justifié les fureurs de la Sainte Ligue, d’avoir organisé la Saint-Barthélemy ? était-ce pour la cause de lhumanité, de la morale, de la liberté que le sang à inondé pendant 800 ans l'Espagne et la Grande-Bre- tagne ? Les massacres d'Irlande, des Vaudois, de Nimes, de — 368 — Toulouse étaient-ils dirigés et exécutés par des penseurs et des réformateurs, et la Révocation de l’Edit de Nantes, et les dragonnades, et les exécutions militaires et Judiciaires des Cévennes, et les emprisonnements, les exils pour la Bulle Unigenitus, et les interminables et malheureuses guerres du règne de Louis XIV, et l’épuisement total du royaume à l’époque du décès de ce monarque, et les fatales opérations financières de la Régence, et la France vendue à l'Angleterre par l’infâme Dubois, et les Saturnales du Palais- Royal et les crapuleuses débauches de Louis XV, encore des etc., etc., etc., mettra-t-on tout cela sur le compte de la philosophie ? Non, mais en revanche on peut lui faire honneur de ces constitutions libérales que l’ascendant de l’opinion a forcé les chefs des nations d'établir et de res- pecter, de Pabolition des mainmortes et autres servages qui plaçaient l’espèce humaine au-dessous de la condition des troupeaux, de la renonciation au honteux trafic des noirs, cette source de scélératesse, de brigandage, de désespoir, ce nec plus ultra de la férocité et de la corruption du des- potisme, de toutes les formes conservatrices de la liberté individuelle, de la propriété, de l’industrie, de lextinction du brasier de linquisition, des brigues qui compriment le fanatisme, enfin du libre exercice de cette précieuse faculté de penser, etc., etc. Plus les peuples seront éclairés, plus le contrat qui les lie à leur gouvernement sera respecté. Ce n’est que dans la fange de l’ignorance et de la perversité que les ambitieux et les agitateurs rassemblent les éléments des révolutions et trouvent des instruments et des agents d’attentats. Ce n’était pas les apôtres de la raison, formée à l'école des Malesherbes, des Turgot, des Rousseau, des Raynal, des Helvétius qui égorgeaient au 2 septembre. Oui, me direz-vous, vous citez pourtant des siècles éclairés ; ils ne l’étaient point assez. Quand les lumières seront géné- rales, quaud elles auront pénétré dans toutes les classes de la société, les Bonaparte et leurs adhérents ne seront plus à | | — 309 — craindre. Un bon roi pourra se passer de gardes, et la phi- losophie veillant sur le tombeau des préjugés, des vices, des travers, des prétentions, des passions malfaisantes et perturbatrices, les empêchera bien de ressuseiter (1). » Même quand Considérant s’indigne et flétrit ses adver- saires, on retrouve vite en lui la bonté naturelle de l’homme incapable de faire le moindre mal à un individu, fut-il son pire ennemi. [l reconnait lui-même que ses plus violentes colères ne durent pas : tout de suite, il redevient « doux et traitable comme un novice de la Compagnie de Jésus ». « Je ne saurais voir souffrir, ajoute-t-il, même mes ennemis et jexposerais ma vie pour sauver celle de tel homme à qui je l’aurais arrachée de bon cœur auparavant, dans lPaccès de lindignation (2) ». I n’a aucune haine contre les personnes, mais il à hor- reur de toutes les formes du despotisme., Le favoritisme qui _ fui la plaie de son époque — comme hélas ! de celles qui ont Suivi — l'exaspère surtout: il a pris au pied de la lettre les admirables principes de la Déclaration des droits de l’homme, et nous le voyons dans la lettre suivante réclamer avec éner- gie contre la violation de l’article VI de cette déclaration qui _ proclame que Tous les citoyens sont accessibles à loutes digni- tés, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents : _« Vous connaissez mes principes. J’abhorre également le despotisme autocratique, le despotisme démagogique. Les partisans de Bonaparte me sont aussi odieux que ceux de Robespierre. Je déteste les massacres de 93 et ceux de 1815. Je ne supporte pas plus les jacobins à bonnet rouge que les jacobins à talon rouge, ces derniers même me paraissent plus dégoûtants. Je demande qu’une loi sage, égale, fon- damentale et enfin respectée, nous délivre des uns et des ) J.-B Considérant à Thehnier, id. 1816. ) J.-B. Considérant à V. Thelmier, 2 décembre 1815. — 310 — autres, que l’homme recouvre sa dignité, reprenne sa place dans le corps social, exerce paisiblement son intelligence et son industrie, connaisse et respecte tous ses devoirs, qu'il ne nous arrive pas de telle ou telle caste des êtres qui, malgré leur ignorance, leur corruption, leurs travers, se guindent impudemment au-dessus de tous les intérêts, de toutes les lois, qui apportent tout en naissant leurs brevets de ministre, de général, de préfet, d’archevêque, etc., qui se déclarent les maîtres, les chefs, les dispensateurs, titres qui, je Pai toujours pensé, doivent être achetés par de grands services, de grandes vertus, de grands talents, quelque part que ie sort les ait logés (D) ». Considérant est un élève convaincu de Rousseau : opti-. miste, 1l croit en la bonté native de l’homme dépravé par la civilisation. [l est persuadé que le développement de Pins- truction, la diffusion plus grande des lumières, linfluence de la philosophie, vont régénérer peu à peu l’humanité et il se complait dans ses rèves qu’il aime à se figurer avoir été ceux de Platon et de Fénelon. « Malgré l'indignation qui me tient heu aujourd’hui de force vitale, je ne puis sortir de mes rêves platoniques et. féneloniques. Non, mon cher camarade, je ne crierai jamais que l’espèce humaine est destinée à rouler sans fin dans un cercle ténébreux de barbarie, d’autocratisme et de supersti- tion, sous le fouet de quelques êtres à qui il plaît de puiser dans leur stupide frénésie le type des lois de Punivers, La raison doit avoir un jour raison ; le génie du Bien doit en définitive l’emporter sur celui du Mal. Les chefs des nations reconnaîtront qu'il vaut mieux, et pour leur dignité et pour leur sûreté, être à la tête d’un peuple que d’une ménagerie, que l'intérêt et le bien être de tous sont une base plus large et plus inébranlable que linsatiable cupidité de quelques satel- lites. Voilà l’idée, ou le songe comme il vous semblera bon (4) J.-B. Considérant à Thelmier, 92 mai 1822. boat a EE de l’appeler, dont je ne me départirai jamais, dut-on m’oppo- ser le pal ottoman ou le bûcher catholique (D ». Comme tant d’universitaires de son temps, il n’a plus con- fiance dans l'influence bienfaisante de la religion qu'il voit presque exclusivement à travers certains de ses ministres, alors égarés dans une politique militante peu conforme aux principes de l'Evangile. Du moins il la respecte en elle-même, étant anticlérical, ce qui alors ne signifiait nullement anti- religieux. Mais, pour lui, seule la philosophie (et par là 1 entend surtout les doctrines de Socrate, de Platon, de Mon- tesquieu et de Turgot), peut ramener l'ordre dans la société et procurer le bonheur des individus. Ne reconnait-on pas là quelques-uns des principes qui ont dirigé Pardeur géné- reuse de Victor Considérant, qui, comme son père, jugeait trop souvent les autres par lui-même, et dont lesprit uto- pique voulut réaliser les rêves très nobles de Fourier ? Les colères de Considérant contre le clergé d'alors, sur- tout contre les jésuites, tiennent un peu à des considéra- tons personnelles, Tout le monde est d'accord aujourd’hui pour reconnaître, qu'après le retour des Bourbons, le parti politique que les historiens contemporains appellent le parti prêtre, fit tous ses efforts pour imposer ses convictions à autrui, avec l’aide de la force gouvernementale. On vit trop alors l’inconvénient qu’il y a à vouloir confondre le royaume de Dieu et le royaume de César, à mêler la religion et la poli- _ tique. C'est l’époque des missions, que la Congrégation envoie par toute la France, l’époque où les ultras au pouvoir, ultra- royalistes et ultramontains, veulent abolir toute trace de l’œuvre de la Révolution et, n'ayant rien appris ni rien oublié (4) J -B: Considérant à V Thelmier, 25 avril 1824. — 372 — cepuis trente ans, tentent de ramener notre patrie à l’ancien récime. Pour atteindre ce but, le clersé cherche 2rmetine avant tout la main sur l’éducation de la jeunesse et engage contre l’Université napoléonienne suspecte de Hbéralisme une guerre à mort Le petit collège de Salins ne fut pas à Pabri de la tempête. Dès 1814 les lettres de Considérant nous montrent les petites persécutions dirigées contre les instituteurs et les professeurs qui refusent de se plier aux ordres de la Congré- gation (1), Personnellement Considérant était lié avec le rec- teur de l’Académie de Besançon, Ordinaire, et cela le mit à l'abri pendant quelque temps. I profita même de ses rela- tions d'amitié avec le chef de l’Académie pour prendre la défense d'instituteurs qu'il jugeait injustement persécutés, ou de collègues menacés de disgrâces ou victimes de passe- droits. Le principal du collège était un ancien oratorien émi- nent, qui avait été curé constitutionnel de Salins, le père Racle, dont tous appréciaient les talents d’éducateur et les vertus. Grâce à lui, jusqu’en 1822, le collège de Salins goûte, comme le dit Considérant lui-même, les douceurs de la paix. Ses lettres durant cette période sont en général de ton assez modéré : elles sont surtout curieuses en ce qu’elles nous permettent de pénétrer dans la vie intime d’un profes- seur de petit collège sous la Restauration. Cette situation fort peu rémunérée exigeail beaucoup d’abnégation : le 3 oc- tobre 1816, Considérant parle de son traitement de professeur d’'humanités à 750 francs ! Une lettre du 26 novembre 1814, pleine de bonne humeur et d'esprit, en dit long sur cette misère du corps enseignant, Le général prince de Bourmont, que Louis XVIIT venait d'appeler au commandement de la (1) Voir notamment la lettre du 28 septembre 1814, racontant les per- sécutions subies par un professeur du collège d'Orgelet pour avoir dit que le pape ne pouvait détrôner les rois. Heureusement le principal du collège, M. Pidoux, prit fait et cause pour son subordonné et le sauva de la dis- grâce. — Cf. également les lettres des 25 novembre 1815, 24 décembre 1816, 29 juillet 1817 5 février er 20 mars 1818, etc. PRES | $ 0 17e division militaire à Besançon, était venu à Salins dans une tournée militaire Toutes les autorités devaient aller lui pré- senter leurs hommages, mais pour cela chacun était obligé de revêtir l’habit à la française exigé dans toutes les cérémo- nies de ce genre. Considérant prêta son habit à un collègue qui en manquait, mais il en eut besoin ensuite pour lui-même. Laissons-lui le soin de raconter ses malheurs à ce sujet : « Nous possédons dans notre enceinte M. le général de Bourmont. N'est-ce point celui à l'évasion duquel a contri- bué une dame de notre connaissance ? et si c’est bien le même, à son retour à Besançon, a-t-il fail à cette même dame une visite de gratitude”? Je le suppose ainsi d’après tout ce que j'entends raconter de son caractère et de ses vertus ; et dans ce cas je souffre encore davantage de ne pouvoir aller lui présenter mes respects avec mes confrères. Vous savez, mon camarade, que je ne suis pas enfroqué et que je n'ai à ma disposition qu'un san benito à la française : or apprenez l’épouvantable catastrophe arrivée au susdit san benilo. Mon cher Bouillier était obligé de paraitre en costume devant le prince : je lui envoyai mon unique et solennel habit. Averti que nous aurions aussi des visites d’autorités, je l'ai réclamé. Ce paquet bien enveloppé, bien recouvert de toile cirée est remis ès mains d’un bourreau de commissionnaire, qui Pa fait servir de point d'appui à une caisse énorme, dans une voiture de gros bagage ! Un des angles de la caisse, aidé par les cahots d’une route de 10 lieues, a fait sur ce paquet réprouvé l'effet de lime et de vrille, si bien que l'enveloppe et _ lPétoffe ont été froissées, râpées, écorchées, percées et que le plus antique juste au corps du plaideur le plus ruiné est quelque chose de moins déplorable que l’accoutrement noir de M. le Professeur. Et me voilà en chartre privée, avec de plus justes motifs encore qu'Epaninondas, car je suis sans espoir d'aller me dessiner de longtemps devant un buste brodé() ». (1) J.-B. Considérant à Thelmier, 26 novembre 1814. — 314 — Heureusement Considérant trouva bientôt un sauveur « Je l’ai pourtant vu notre brave général, mon cher cama- rade. J’ai trouvé dans ma détresse, car Dieu läissa-t-1l jamais ses enfants au besoin ? Aux petits des oiseaux il donne leur pâture Et d’un habit troué, peut réparer l’injure, J'ai trouvé; dis-je, un tailleur plein de foi et d’audace qui a tenté la correction de mon san-benilo, et, au moyen d’un Œ rapporté assez promptement, je n’ai pas hésité de me mettre à la queue des robes de mes confrères (1). » En 1821, Considérant fut nommé professeur de rhétorique au Collège : cet avancement, qu’il ne désirait pas (@), lui don- nait pour mission de préparer des jeunes gens au baccalauréat. Or il n’était pas bachelier lui-même. l'autorité académique et son ami, le recteur Ordinaire, crurent alors lui faire plaisir en lui octroyant sans examen honoris causa ce diplôme, que venait de conquérir son fils aîné : nous allons voir de quelle manière notre professeur accueillit ce qu’on lui présentait comme une grande faveur : cette lettre est utile à connaître car elle nous fait voir à découvert le caractère de cet homme modeste et sans autre ambition que celle d'accomplir fidè- lement ses devoirs professionnels, « Mon bon et cher inspecteur m'adresse un brevet de bachelier. Je reste immobile de surprise. Je crois que c’est un quiproquo, et que l’on envoie au père ce qui a été sollicité pour le fils. Point du tout : ce sont mes prénoms, mon âge, mes prétendus services. J’y trouve que c'est moi qui le: réclame !!! Veut-on me faire devenir fou ? par quelle vio- lence, par quelle perfidie, par quel crime ai-je pu autoriser qui que ce soit à me Jouer une pièce aussi odieuse, aussi infâme ? J’ai rempli les fonctions de secrétaire de l'Académie, (1) J.-B, Considérant à Thelmier, 15 décembre 1814, (2) Cf. sa lettre à Thelmier du 4er novembre 1821. 1915 j'ai été dix ans professeur d’humanités, je suis forcé cette année à enseigner la rhétorique, et l’on me décerne comime récompense un diplôme que le dernier des grimauds, tout bégayant, tout poudreux, tout frais émoulu du collège acquiert avec une admirable facilité ! | » Mon premier mouvement a été de l’enterrer dans le brasier de mon poêle. Une réflexion m'a retenu, et la voici. Si c'est une facétie fiscale des bureaux de l’Université, je lui renverrai ce témoignage de sa bienveillance, en place du prix qu'elle y attache, -et je lui démontrerai que je ne lai point réclamé et que même je ne pouvais pas le réclamer sans m'avilir. Si cependant, parce que mon fils à eu la fan- taisie du baccalauréat, je dois y passer aussi, j’étendrai ce bonheur à toute ma maison, car je jouis de faire des heureux, et je mettrai à la quête du magique parchemin ma femme, mes deux filles et ma servante. » Pardonnez mon bavardage, mon cher camarade, je suis bouffi d’indignation. Un brevet de bachelier ! à moi qui ne donnerais pas une obole de toutes les décorations des Deux- Mondes, depuis les crachats jusqu'aux scapulaires, on m'in- flige un brevet de bachelier ! Je n’y pensai de ma vie; on a l’impudeur d'y tracer qu’on l'accorde à mes réclamations ! Que ces messieurs me disent franchement : nous fouillons dans toutes les poches, nous avons arrêté qu'il serait extrait de la tienne une somme de 60 francs, envoie-la, ou sinon... je préférerais cent fois cette formule de grande route au détour hypocrite et fallacieux par lequel on arrive au même résultat. Définitivement si c’est une politesse, je m’y refuse, et l’on ne peut contraindre un homme à en recevoir malgré lui. Si c’est un emprunt forcé, qu’on ne déguise ni la chose, ni le mot. Je sais qu’on doit obéir à la force. » Le diner qui a interrompu ma lettre n’a pas calmé ma colère. Je ne me réconcilie nullement avec les honneurs que lon me défère sur le cuir d’une pauvre chèvre. Donnez- moi, mon cher camarade, votre instruction. J’en ai besoim — 9376 — pour répondre à la lettre à la fois officielle, amicale et flat- teuse de mon cher Désiré (1). Dans le premier instant, vous étiez le seul que je puisse prendre pour confident des ora- geuses impressions qu'un machiavélique cadeau avait exci- tées en moi. [l me dit, cel estimable ami, qu'il a demandé pour rnoi des titres plus convenables. Au nom de Dieu, qu'il ne demande donc jamais rien pour moi qui ne veux rien, qui ne désire rien. Un titre quel qu'il soit peut-il me donner du bon sens, du caractère, de l'honneur”? Qu'il ne me ruine pas par amitié. fgnore-t-il que tout être qui veut payer des titres en est chamarré, et que je suis, moi, dans limpossi- bilité d'acheter cette misère (2) ? » . Considérant allait bientôt avoir d’autres sujets bien plus sérieux de plaintes. À partir de cette même année 1822, com- mence en effet une vive campagne contre le collège de Salins, dont lesprit était jugé en haut lieu trop libéral. On sait qu'en 1821, l'ordonnance du 27 février plaçait les collèges sous la surveillance des évêques « afin, disait-elle, d'assurer une direction religieuse et morale à la jeunesse naturellement disposée à se laisser séduire par des théories en apparence cénéreuses et nobles », et l’année suivante, la Congrégation triomphait tout à fait en faisant élever à la dignité de Grand- Maitre de l'Université son candidat, l'abbé de Frayssinous, évêque d’Hermopolis. Les lettres de Considérant nous montrent dès lors la trans- formation rapide du collège de Salins. » Notre pauvre collège, écrit-il le 28 octobre 1822, qui jusqu'iciavait goûté les douceurs de la paix, comme la Sante : Chapelle du Lutrin, quoique l’on ne s’y engraissât pas dans une sainte et longue oisiveté, va donc payer son tribut à la discorde ». (1) Désiré Ordinaire :1773-1847), alors inspecteur de l'Académie de Besan. con, nommé en 1824 recteur de l’Académie de Strasbourg. Il était le frère du recteur de l'Académie de Besancon. J.-J. Ordinaire (1780-1843). (2' J-B. Considérant à Thelmier, 8 février 4892. — 311 — Un nouveau professeur de philosophie est nommé, un ecclésiastique ultramontain, qui remplace bientôt comme principal le père Racle. Et ce nouveau principal n’a qu’une idée, c’est de faire disparaître l’un après l’autre tous les pro- fesseurs imbus des idées libérales pour les remplacer par des prêtres ultramontains. Comme le dit Considérant, il veut faire peu à peu du collège un petit séminaire. Alors tous les moyens sont bons pour décourager les maîtres qui ne sont point dans les idées du jour. Dès 1824, Considérant est dénoncé aux autorités univer- sitaires comme un jacobin et un impie. | « Enfin, mon cher camarade, écrit-il à Thelmier le 27 no- vembre 1826, mes pressentiments se vérifient et j’ai obtenu les honneurs de la dénonciation. Monsieur notre digne prin- cipal s'est fait charrier à Besançon pour instruire le nouveau recteur que j'étais un jacobin, que j’enseignais l’impiété, que je m’opposais à toutes les réformes. Le jacobinisme et la tribune d’incrédulité ne méritent pas de réponse : mes concitoyens et mes écoliers sont là, Quant à mon puissant veto, Je ne sais en quoi il consiste, si ce n’est à soutenir les intérêts et le système de l’Université, dans mon petit cercle. d'action, contre les calamnies, l'hypocrisie et les empiète- ments des révérends Pères. Les réformes de leur fougueux émissaire sont l'expulsion de tous les professeurs actuels pour les remplacer par des séminaristes passés à la fière et marqués de son sceau. C’est ce qu’il a déclaré à ses mal- heureux écoliers de philosophie pour les engager à endosser la soutane. [l leur présente nos places comme un accessoire de vocation, un supplément aux inspirations du Saint-Esprit, ou plutôt, comme Anmibal, du haut des Alpes, montrait à ses soldats le butin de lItalie. On ne peut plus se dissi- muler à présent, et je l’avais deviné dès son entrée, que ce petit Torquemada nous a été envoyé pour désorganiser et pour détruire. Croyez-vous que l’intention de nos cheîfs soit de nous sacrifier en holocauste devant le Mammon de 24 — 978 — Loyola, de laisser convertir en petit séminaire — et l’on sait ce que c’est dans notre pays — un des plus importants col- lèges de larrondissement ; enfin de laisser expulser d’an- ciens, et j'ose le dire, respectables professeurs, par des petits intrigants sans vertus, sans talents, sans autre mérite que celui de l’impudence, sans autre titre que celui de stupides et mensongères délations. » Considérant lutta encore pendant deux ans contre ses adversaires, appuyé sur lPaffection profonde de ses élèves et de ses compatriotes. [l semble même qu’en 1825 une cir. constance douloureuse, où 1l se conduisit en héros, eut dû lui assurer dans sa petite ville natale une vieillesse tranquille et honorée. Alors éclate ce terrible incendie dont on n’a pas perdu la mémoire et qui détruisit les trois quarts de Salins. Dans une lettre à Thelmier, datée du 3 août 1825, Considé- rant raconte cette catastrophe, dont il retrace toute l’hor- reur (1). Mais si Considérant y exalte le dévouement dont firent preuve en cette circonstance et ses élèves, et son fils ainé Gustave, qui devint plus tard professeur de mathéma- tiques à Saumur, il se tait sur son propre rôle. Il ne dit pas comment, abandonnant deux maisons qui lui appartenaient en propre et qui constituaient à peu près tout son patri- moine, il porta tous ses efforts pour assurer, avec l’aide de ses élèves, la conservation du collège et deb la bibliothèque, dont il était le conservateur. Ce sont là, hélas, des services que la haine politique oublie. Peu de temps après, ses ennemis triomphaient et réussissaient à le chasser de sa chaire de Salins pour le faire . nommer professeur à 150 lieues de là, dans un collège du Midi, à Sarlat. Il aimait trop sa ville natale pour accepter un tel exil. Dès 1816, il écrivait à Thelmier : « Je ne sors plus de mon trou et je veux être enterré dans mon cime- (1) M. L. Pingaud à publié cette lettre dans les Annales franc-com- toises, 1904, T. XVI, p. 219 — 379 — tière. Je tiens aux ossements de mes ancêtres comme un sauvage américain. » Il refusa donc, et considéré comme démissionnaire, il fut mis en congé et remplacé dans sa chaire. Mais ce coup fut trop rude pour Ii ; dès lors, bien qu'il fut encore jeune (il n'avait que 53 ans), il ne cessa de dépérir et, le 27 avril 1827, il rendait le dernier soupir. Cependant ses compatriotes sentirent alors la perte qu'ils faisaient d’un aussi honnête et courageux citoyen et les éloges hyperboliques qu’ils adressèrent à sa mémoire sont du moins de touchants témoignages qu'ils savaient honorer le caractère et le talent (1), Dans la correspondance avec Thelmier, dont nous venons de donner quelques extraits, 1l est peu question de Victor Considérant. Son père parle souvent du frère aïiné de celui-ci, Gustave, qu'il appelle Bonhomme et qui se destinait à la car- rière de l’enseignement. Par contre, le nom de Victor encore très jeune (né en 1808, il n'avait que 19 ans à la mort de son pére) n'apparait que très rarement, sauf en 1814, où cet enfant, âgé de 6 ans, eut une maladie grave qui le mit aux portes du tombeau. Alors Paffection paternelle se traduisit en des termes touchants, dont on aura une idée par les lignes (1) A l'Académie de Besançon, le secrétaire perpétuel, M. Genisset, professeur à la Faculté, fit en ces termes son éloge funèbre à la séance publique du 28 janvier 1828 : «M. Considérant, profondément versé dans la littérature nationale et étrangère, mais doué surtout de l’âme là plus honnête et la plus sensible et du plus beau caractère, a senti la pointe de l'injustice pénétrer jusqu'à son cœur, Lui, qui n'avait jamais fait de mal à personne, dont la simpli- eité et la candeur semblaient dérober à tous les yeux le secret d’une supé- riorité qu'il cachait à lui-même, n’a pu désarmer l'envie ; elle à répandu sur ses jours une insupportable amertume. Il à suceombé, comme la plante robuste dont une larve souterraine ou l’insecte rongeur a dissipé la sève, en attaquant sa tige par l'organe délicat qui l'unit à sa racine. Il à succombé ! mais un élan général de douleur, un gémissement profond et unanime s'est élevé sur sa tombe, et le deuil public a vengé sa mémoire. » Fait curieux, ce discours fut prononcé en présence de labbé Calmels, recteur de l'Académie universitaire et membre de l’Académie de Besan- con, auteur responsable de la disgrâce de Considérant ! — 380 — suivantes où J.-B. Considérant fait savoir à son ami que son fils est sauvé : « Mon brave et cher camarade, la mort a lâché sa proie, mais nous n avons encore qu’une pauvre petite momie, qui a bien plutôt la livrée de l’autre monde que l'air de celui-ci. C’est après trois semaines de transports, de délire, d’acca- blement, d'angoisses qu'il s’est retrouvé au nombre des vivants, ce malheureux Victor. Quelques rayons de vie jouent déjà dans ses yeux, un soupçon de sourire glisse sur ses lèvres décolorées. Que de pas rétrogrades il a été obligé de faire pour regagner cette misérable vallée. S'il ne doit pas y être plus heureux que moi, il a eu bien tort. (1) » Victor Considérant ne devait pas plus que son père goûter ici-bas le parfait bonheur : c’est le sort de tous ceux qui se penchant sur les misères de leurs semblables, consacrent leur vie à l'amélioration de leur sort : ils ne recueillent sou- vent, en échange de leurs peines et de leur dévouement, que contradictions et ingratitudes. Mais il n’eut pas tort de vivre, car ce sont des hommes comme lui qui peu à peu contribuent à rendre l’humanité meilleure. Juste et bon, c’est de son père, le modeste professeur de Salins. qu’il avait hérité ces belles qualités qui ont fait sa renommée, et quiconque voudra étudier et bien connaitre le célèbre sociologue, devra tout d’abord consulter la correspondance de Jean-Baptiste Con- sidérant, qui a légué à Victor le meilleur de lui-même. (1) Considérant à Thelmier, 17 mai 1814. VICTOR CONSIDERANT TROIS LETTRES INÉDITES. — NOTES SUR SA JEUNESSE Lecture faite au Congrès de l'Association franc-comtoise, tenu à Salins le 4 août 1908. Par M. le Dr Emile LEDOUX MEMBRE RÉSIDANT Parmi les Comtois qui attirèrent l’attention sur leur pro- vince au xIx° siècle, trois G’entre eux obtinrent une noto- riété retentissante par leurs conceptions nouvelles d’organi- sation sociale et leur ardeur à répandre leurs rêves de réformes humanitaires : Charles Fourier, Victor Considérant, Pierre-Joseph Proudhon sont nés à Besançon et à Salins en 1772, 1808 et 1809, et on sait combien leurs théories et leurs polémiques inquiétèrent, passionnèrent leurs contempo- rains, provoquent encore curiosité et discussion. D'où vient que tant de projets de rénovation de la société sur des bases, d’après leurs auteurs, plus équitables et plus généreuses, furent inventés par des fils de la Franche- Comté ? Un jour, celui qui sera tenté d'éclairer la question de la genèse du socialisme, devra commencer icison enquête et y recueillir des témoignages sur le caractère de ses fon- dateurs dès leur enfance. J’apporte trois documents sur Victor Considérant, trois lettres inédites (1), datées de 1820, 1830, 1839, alors que polytechnicien, élève de l'Ecole de Metz, lieutenant du génie, (1) À la Bibliothèque de la ville de Besançon. — 9302 — séduit et dominé par l’idéalisme de Fourier, il se sent entrainé vers son apostolat. On jugera que cette courte cor- respondance révèle déjà les qualités du futur phalanstérien. À peine a-t-il franchi sa vingtième année que nous le vovons indépendant, libéral, désintéressé, indifférent aux avan- tages de sa situation d’officier, militaire peu diseipliné, enrôlé dans le parti d'opposition contre le gouvernement de la Restauration, puis contre celui de la monarchie de Juil- let, préféré cependant au précédent. Dès lors, on peut pré- voir la ténacité indomptable de celui qui ne se laissera jamais abattre par l'insuccès au cours de ses expériences pour le triomphe de principes suggérés par un pur senti- ment de philanthropie. L'occasion de publier ces pages est propice, puisqu'elles sont présentées aux compatriotes de Victor Considérant en son anniversaire séculaire (1), : Victor-Prosper Considérant est né à Salins le 12 octobre 1808, de Jean-Baptiste, âgé de 36 ans, exerçant la profes- sion d’imprimeur et de bibliothéquaire (sic), et de dame Suzanne Courbe, propriétaire, âgée de 36 ans, mariés (2). Cet acte est muet sur la désignation de la maison où Vic- tor vint au monde, et des recherches récemment effectuées n'ont pu nous renseigner sur ce point. On sait que son père occupait deux immeubles pour y loger sa famille, ses ate- liers d'imprimerie, de reliure et de librairie : lun, propriété du ménage Considérant-Courbe, était situé dans la rue d’Or- gemont, entre la petite place de la Fourmandaise et le Col- (1) Au Congrès de l'Association franc-comtoise, à Salins, le 4 août 1908. (2) D’après l'acte enregistré à l’Etat-civil de Salins, Jean-Baptiste (plus tard professeur de rhétorique) ne fit pas mentionner qu’il avait été officier du génie. Ont signé cette déclaration de naissance les témoins Charles Dominique Dupuis, domicilié à Saisenay (village à 4 kil. de Salins) officier pensionné, membre de la Légion d'honneur. âgé de 40 ans, oncle de l’en- fant, et Francis-Philippe Perrey, domicilié à Salins, propriétaire, âgé de 28 ans ; le maire de Salins, Mourcet. — 383 — lège, là où est maintenant la maison Martineau ; l’autre était à l'emplacement actuel de la maison Garnier, entre la grande rue du Bourg-Dessus et le quai des Cordeliers. Ces deux maisons ont été reconstruites après le désastreux incendie de Salins, le 27 juillet 1825. On croit, mais sans pouvoir appuyer cette tradition sur un argument documen- taire, que Victor vit le jour dans la maison de la rue d’Or- gemont, celle que Jean-Baptiste abandonna aux ravages du feu pour aller protéger contre la flamme la bibhothèque municipale, installée au collège (1), Du jeune âge de Victor, nous ne savons guère que ce qu’en à écrit parfois son père, relatant à son ami Thelmier quelques soucis suscités par des maladies de l'enfant (2). Après avoir achevé ses classes d’humanités au collège de Salins, Victor Considérant, qui venait de recevoir son diplôme de bachelier (G), arriva à Besançon à l’automne de 1824, pour suivre au Collège royal(4) le cours de mathéma- tiques supérieures du professeur Delly (5). « Charmant gar- con, ouvert, affectueux, à l'intelligence facile (6) », il fut accueilli par des amis du professeur de rhétorique de Salins : (1) Lors de cette catastrophe Victor était à Besançon. (2) Dans une abondante correspondance (1812-1827), à la Bibliothèque de Besançon ; on v trouve une lettre sur l'incendie de Salins. _{8) Devant ja Faculté des lettres de Besançon, le candidat avait subi l'examen le 24 août 1824. Les professeurs Astier, doyen, Génisset, Bour- gon et Fargeaud lui avaient donné ces notes: en grec (interrogation sur Homère), suffisantes ; en latin (interrogation sur Horace), bonnes ; en rhétorique, bonnes ; en histoire et géographie, assez bonnes ; en philoso- phie, bonnes ; en éléments de sciences, assez bonnes. (4) Le proviseur était un Salinois, l'abbé Perruche, qui fut inspecteur de l'Université. (5) Voir sur Delly, une notice, dans l’Histoire du Collège de Besançon, par DRoz, tome II, p. 347 et une autre par le D' E. DELACROIX, dans les Mémoires de la Société d’Emulation du Doubs, 1841, p. 68. (6) Victor Considérant; sa vie, son œuvre, par Mme CoIGneT (1 vol. in-8, Paris, Félix Alcan, 1895, p. 2). — 384 — Madame Clarisse Vigoureux(l), la famille Delacroix (2), les Thelmier (3). L'élève du collège de Besançon (# employa deux années à préparer le concours d'admission à la grande Ecole natio- nale, En 1895, il avait obtenu les accessits de physique et de chimie (5) et n’avait manqué que de peu de points le rang de classement qui l’aurait fait entrer à Polytechnique (voir sa lettre du 21 février 1830). En 18926, il remporte le premier accessit d’algèbre et est reçu à l’Ecole. IL avait dix-huit ans. (1) Disciple de Fourier, auteur des Paroles de Providence (1 vol. in-8, Besançon, Deiss, et Paris, Bossange père, 1834). Voir sur Clarisse Vigou- reux, le livre de sa cousine et amie, Mm° C. CGIGNET, Victor Considérant, p. 11 et 12). Mne Vigoureux, née Gauthier, habitait à Besançon, dans sa maison située Grande-Rue, n° 26, et devint la belle-mère de V. Considérant. (2) Son chef, inspecteur des Contributions, avait épousé Mlte Rolier, de Salins ; leurs fils furent Alphonse Delacroix, architecte et archéologue, Albert et Emile, médecins distingués qui restèrent toujours en intime sympathie avec leur camarade Victor. (3) Claude-Victor Thelmier, contrôleur des postes, à Besançon, lié d'a- mitié avec Jean-Baptiste Considérant, était né et mourut à Besancon à 79 ans, le 13 février 1850, après avoir pris sa retraite dans la fonction d’inspecteur. Bienveillant, instruit, épris de littérature, il était en commerce épistolaire avec Marc, de la Société des Antiquaires de France, Francis Wey, etc … En 1824, le bureau de poste était installé au n° 8 de la rue Neuve (Charles Nodier), et c'était là sans doute qu’'habitait le contrôleur, là où le jeune Considérant s’est souvent amusé. (4) Il eut pour conidisciples Lambert et Courcelle, plus tard ingénieurs en chef des Ponts et Chaussées, de Chamberet, colonel du génie, Tamisier, capitaine d’artillerie et général de la garde nationale de Paris en 1870-71. Dans les autres hautes classes étaient E. Bretillot, Ch. Grand, Ch. Grenier, E. Delacroix qui occupèrent des situations fort honorables à Besançon, et P.-J. Proudhon. Celui-ci disait le 3 mars 1842 (Correspondance, t. LE, p. 23) n’avoir Jamais eu avec Considérant la moindre relation. (5) Le professeur qui donnait cet enseignement était Fargeaud. Le palmarès signale Victor Considérant comme externe. Dans quelle famille celui-ci fut-il mis en pension? Mne C. COIGNET (ouvr. cit., p. 12) dit « qu'il trouve naturellement la maison de Mme Vigoureux ouverte, et y passe tous ses jours de sortie » — 382 — En 1827 et 1898, à la fin de chacune des années d’études, il recoit ces notes d'examen : En analyse de mécanique . . 14 — 14 GÉOMÉLIE Se) se 13 — 16 BVSIQUE NES nn Ci eee 15 — 16 (CAE RE RE ES 19 — 17 Composition française . . . . 12 — 12 ADDICALION EE.) du ut 14 — 16 En résumé, l'élève se maintenait dans une assez bonne moyenne. Si nous ne connaissons pas son classement d’ad- mission, nous le trouvons le 57° sur 1427 à son passage en seconde année et le 69 sur 193 à la sortie. Il entre alors (1er octobre 1828) dans l’arme du génie, avec le n° 21 sur 32 sous-lieutenants-élèves envoyés à l'Ecole d'application de Metz (1). Voici les trois lettres inédites de Victor Considérant, reconnaissant à Theimier et à sa femme de leur gentille bienveillance. Quoiqu'il fut dans sa jeunesse aussi avare de lettres qu’il se montra plus tard publiciste prodigue, qu'il avouait alors être fort paresseux à prendre la plume, il s’est rappelé quelquefois au souvenir de ses correspondants bisontins. À cette circonstance nous devons l’occasion de ces autographes. Paris, 31 mai 18928. MON CHER MONSIEUR, Sije ne vous ai pas encore écrit, la raison de mon silence n’est pas de l’oubli.Je craignais, je vous l’avoue, de vous ennuyer un peu par les riens que je peux vous conter : notre vie est si (1) Nous devons ces renseignements à la parfaite obligeance de M. le commandant Pinet, bibliothécaire de l'Ecole polytechnique. Nous le prions d'agréer notre remerciement. Voir les pages sur Victor Considérant dans Ecrivains et Penseurs polytechniciens, par le Ct PINET (1 vol in-12, Paris, Chapelot, 1902). — 386 — monotone, un jour est si semblable à l’autre que la vie est ici de l’immobilité, et vous savez que l’immobilité n’inspire guère. Qui me délivrera de ces sots réglements ! m’écriai-je souvent dans ma fureur contre la discipline et le bruit despotique de nos tambours ! Aussi c’est bien dur pour un enfant de la liberté d’être en prison à vingt ans quand jusqu’à dix-huit il a couru à Sa guise à la campagne, à la ville, dans les rues, voire même sur les toits Cette dernière circonstance amusait beaucoup Madame Thelmier Ah! maintenant les temps sont changés; mais patience ; celui qu’elle arma autrefois chevalier avec un sabre de fer blanc et un fusil de bois recevra dans quatre mois ses épaulettes et son épée. Il est devenu grand depuis le temps qu’il vous rappelle. Mais il est toujours aussi enfant, et ces hochets qui ne sont qu’un peu plus brillants, un peu plus grands, lui font toujours le même plaisir. À cela près cependant que ce n’est pas Madame Thelmier qui les donne. Nous faisons à force de la politique ici. Tous les jours nous recevons des journaux en contrebande, bien entendu. C’est le Constitutionnel avec le Courrier et le Courrier avec le Constitu- tionnel. Nous traitons de la paix et de la guerre, nous battons les Tures, nous rossons leurs bons amis les Anglais, nous dis- cutons les lois qu'on propose à ceux qui nous représentent, : etc.., et si vous me permettez une réflexion sérieuse, je vous dirai que jeunes gens pleins de feu, il est vrai, nous sommes tous attachés au gouvernement représentatif, nous voulons une monarchie avec des institutions, mais bien franches et en har- monie avec une nation grande et libérale. Si donc ces principes sont ceux des libéraux de vingt ans, il est bien évident que les Opinions d’une génération moins nouvelle ne peuvent avoir cette couleur plus foncée dont les rétrogrades parlent si souvent et dont l'expression hypocrisée de la peur leur est bien et dûment appliquée. ; | Nous importons, par contrebande encore, quelques romans qui font avec la politique, les discussions et les plaisanteries, des diversions avec le calcul intégral et autres sciences très peu fécondes en jouissances, du moins pour le commun des martyrs. Vous savez que nous sortons le dimanche ; le mercredi nous D'Or SL — 981 — faisons aussi une courte apparition dans les rues de Paris. Ce temps de liberté est si court (sans compter les consignes qui enlèvent tout quelquefois et notamment la moitié de mon diman- che de demain), ce temps est si court que nous ne pouvons connaître Paris. Cependant je n’y aurai pas fait un séjour de deux ans sans y prendre quelques idées à travers les grilles de ma prison et, somme totale, ce temps ne sera pas tout à fait perdu. Je crois que vous avez vu ma mère (4) dernièrement. Je vous prie de lui envoyer la lettre qui accompagne celle-ci et je vous remercie pour tous les petits ennuis de ce genre que je vous ai déjà donnés et ceux que je vous donnerai encore. Veuillez présenter mes hommages à Madame Thelmier et agréer tous deux mon témoignage de reconnaissance pour l’in- térêt que vous avez toujours manifesté au fils de votre ancien ami. Cest mon plus beau titre. Victor CONSIDÉRANT. Metz, 21 février 1830. MON CHER MONSIEUR, Il ne faut pas m'en vouloir trop pour avoir tant tardé à vous écrire. Il faut que ce soit une chose bien difficile pour nous autres de Metz que faire une lettre, car tous mes camarades disent comme moi qu’ils sont toujours bien loin d’être au cou- rant de leurs correspondances. Dernièrement la mère d'un élève lassée d'attendre toujours a écrit à notre général et la prié d’ordonner à son fils de lui donner de ses nouvelles : cet élève cependant aime sa mère autant qu’il est possible. Je n’ai jamais réduit maman à cette extrémité, mais je l’ai souvent fait attendre ; à vrai dire on me le rend bien; si je n'avais pas reçu des nouvelles d’un de mes amis, je serais en ce moment très inquiet de ma famille et je ne conçois pas mon frère de tenir si longtemps silence. (1) Son père était mort le 27 avril 1827. — 988 — Nous avons ici à travailler beaucoup. Nous voyons une foule de choses, mais la plupart du temps nous n’allons pas plus loin que les principes. Ce sont les cours de fortification permanente et les dessins relatifs qui nous occupent le plus. La journée jusqu’à cinq heures nous est entièrement prise Il y a de rigueur six heures de travail graphique dans les salles et ensuite des exercices, des manœuvres ou des leçons d'équitation. Nous avons une heure pour notre déjeuner. Cest maintenant de onze heures à midi. Nous dinons à cinq heures. Nos soirées, quand elles ne sont pas absorbées par des arrêts, se passent ordinairement dans le monde et quelquefois à travailler. Si l’on voulait être vraiment au courant, il faudrait chaque jour prendre encore deux heures de cette pauvre soirée ; mais vous devez penser que générale- ment on ne pousse pas le fanatisme jusque là. Il n’y a pas de viile en France, je crois, où l’on danse plus qu'à Metz pendant l'hiver. C’est un coup de feu terrible : il y a chaque jour, deux, trois quelquefois quatre bals et soirées dan- santes ; aussi nous arrive-t-il souvent de danser dans plusieurs maisons le même soir. Nous avons outre cette foule de bals particuliers, la préfecture chaque jeudi, et chaque samedi le bal de l’hôtel de ville où sont réunies toutes les Sociétés. Ceux-ci sont les plus beaux: les salles sont immenses et, quand il y a tout autour des deux grands salons un double cordon de dames, le coup d’œil est magnifique. Le nombre des officiers est toujours très considé- rable et la variété des uniformes ajoute encore à l'effet de l’en- semble. Les officiers du génie et de l’artillerie et les élèves fourmil- lent dans tous les salons: la différence est grande pour les autres corps. Cette grande masse d'hommes dans tous les bals fait qu’il est extrêmement rare qu’une dame fasse tapisserie, aussi toutes les étrangères sont enchantées. Tout cela cependant, mon cher Monsieur, ne m'empêche pas de trouver détestable la vie que je mène et d'appeler sa fin de tous mes vœux. “ie | On m'a prédit, il y a déjà longtemps, que je ne serais jamais heureux et content; jusqu'à présent la prédiction s’est bien — 389 — réalisée ; mais je veux espérer lui donner un démenti un jour. Au fait, je suis un malheureux : quand je vois mes camarades de l’année précédente partir sour Alger (1), quand je pense à combien peu il a tenu que je ne sois de eette promotion là, il me semble qu'un sort jaloux a été jeté sur moi. Voilà qu'on est revenu de Morée @) et toutes mes espérances ont été détruites. L'affaire d'Alger durera peu ; ce n’est pas pour nous; et vous verrez que si l’on se bat plus tard, ce sera dans une cause qui me sera répugnante. Je trouve mon absence bien longue. Deux ans sans voir ma mère et toutes les personnes qui m’aiment sous le ciel de Fran- che-Comté, c’est trop. En suivant la pente naturelle je dois attendre près de onze mois avant d’'emrasser Madame Thelmier et vous. Ce sera pour moi un beau jour où j'irai vous demander à diner et je vous promets gaieté et contentement d'avance. Joffre à Madame Thelmier les hommages et l’affection de lex- petit Victor et vous embrasse l’un et l’autre de tout mon cœur. Victor CONSIDÉRANT. Lettre non datée, timbrée de Metz, 14 décembre 1832. MON CHER MONSIEUR, Cest bien mal à moi, n'est-ce pas, de ne pas vous avoir écrit depuis si longtemps que je vous ai quitté. Je vous l'avais pro- mis et je le désirais. Mais des évènements sont survenus qui ur’ont fait ma vie un peu vagabonde et toutes mes correspon- dances se sont presque arrêtées. J'ai été souvent plusieurs mois sans écrire à ma pauvre vieille mère et, pour vous donner un exemple, il y a vingt-deux mois que je dois une lettre à un (1) L'expédition d'Alger avait été décidée le 7 février et la flotte trans- portant les troupes mit à la voile à Toulon le 25 mai. (2) Après la victoire de Navarin, une armée française sous les ordres du maréchal Maison fit campagne en Morée pour l’aflranchissement des Grecs, en 1828. — 390 — de mes amis de cœur avec qui j'étais jusqu'alors en correspon- dance fort active. C'est bien mal ,; mais il ne faudrait pas m'en vouloir et me croire, pour cela, oublieux et insouciant de l’ancienne amitié. Il faut me pardonner cette paresse maudite, cette habitude de toujours remettre au lendemain et puis encore au lendemain les choses qu'il serait bon de faire le jour même. Vous avez peut-être su, qu’à la suite du congé pendant lequel je vous ai vu un instant, je suis arrivé à mon régiment 4), d’où j'avais bientôt après été éloigné pour cause d'adhésion à Pacte d’Association nationale @). Cette adhésion ne doit pas vous étonner de ma part. Vous connaissez assez le cœur de votre jeune arai pour savoir quelles pensées ont présidé à cette action. Muni de mon congé sans solde, je me suis mis à donner à Paris des leçons de mathématiques ® et cette époque d'indépendance à été une des plus gaies de ma vie. Vous figu- rez-vous votre jeune fou juché sous une impériale de diligence avec un de ses amis, et partant pour Paris n’ayant d’autres ressources qu'une centaine de francs dans sa poche, plus joyeux. (1) 2° régiment du Génie, à Metz. (2) « Le ministère Casimir Périer, du 13 mars 1831, s’attaquait aux associations qui avaient la prétention de remplir des lacunes dans l’action du gouvernement et spécialement à l’Association nationale créée à Metz, puis à Paris, sous prétexte de combattre les Bourbons. Il interdit à tous les fonctionnaires d’en faire partie, et, pour l'exemple, destitua quelques personnages importants comme Alexandre Delaborde, aide de camp du roi, et le général Lamarque, commandant supérieur des départements de l'Ouest. » (Histoire générale, par LAVissE et RAMBAUD, t. X, p. 380). Le ministre de la guerre était le maréchal Soult. « I s’était formé une Asso- ciation nationale ayant pour objet de créer des moyens de résistance contre le rétablissement des Bourbons. Casimir Périer frappa de révocation les fonctionnaires qui avaient adhéré à l'Association. » (Histoire des français, par Th. LAVALLÉE, continuée-par Fr. Locr, 19% édition, t. V, p. 415. (3) Dans l'institution Barbet (voir le Vieux Salins, par G. CoiNpRx). Barbet, de Pagnoz, près Salins, élève très estimé du père Considérant, avait repris la maison d'éducation du fils du conventionnel Brissot et la mit en haute réputation. Bien des Salinois et Comtois qui firent connaitre leur nom, Pasteur, le général Cler, s’y étaient préparés à admission dans les grandes écoles. Barbet avait été le correspondant de Victor Considé- rant pendant son séjour à Polytechnique. — J9! — plus rieur dans cette occurrence que s’il avait reçu la couronne citoyenne qu’environne d’un si brillant, si éblouissant, si étour- dissant, si suffocant éclat la gracieuse et sublime tête de Louis- Philippe, l’élu du peuple souverain qui meurt de faim sur tous les points de la riche France. Quel bonheur, en eftet, de ne pas savoir Ce qu'ou va devenir, de se dire : me voilà enfin livré à mes propres forces ; je n’ai plus pour me soutenir ce bâton solide qu’on appelle un état; je suis déshérité de mon gouver- nement paternel ; à moi done, à moi avec mes vingt-deux ans, à moi tout seul ; de par tous les saints qui me protègent, je réponds bien que je m'en tirerai. Et en effet, quelque temps après mon arrivée j'étais péda- gogue. Je me faisais des appointements et j'avais une vie char- mante, vie d'artiste au milieu d'artistes, vie que je me repens bien d’avoir abandonnée, lorsque le bénai Maréchal Soult a jugé à propos de nous réintégrer. Car, au milieu de ce système de couardise politique, il ne me convient pas d’être militaire et traîner de garnison en garnison comme un cadavre décrépi. pour faire des appels et des revues de linge et de chaussure. Il me faut uné vie indépendante et libre, errante ou station- naire à ma volonté. Je ne conçois pas qu'on se croie attaché à son élat comme un serf à la glèbe, et probablement je retour- nerai un jour à cette vie comme une abeille renfermée dans sa ruche retourne à ses fleurs au printemps. Vous devez probablement voir bientôt mon frère ©. Il va venir me rejoindre et passer une année avec moi. Je serai son professeur et j'espère le rendre fort en mathématiques. Il pourra alors espérer mieux que sa mauvaise place de professeur de sixième au collège de Salins. Quoiqu'il en soit de ses travaux avec moi, ce me sera un grand bonheur de l'avoir ; il y a si longtemps qu'il ne m'est arrivé de passer une année entière avec quelqu'un de ma famille. Du reste, quelles que soient ma vie et ma position dans l’avenir, je ne veux pas vous oublier et je veux aussi vous écrire un peu moins rarement que je ne l'ai fait par le passé. Ne m’en veuillez (1) Le frère ainé de Victor, dit Bonhomme, est mort à Vendôme après y avoir terminé sa carrière de professeur commencée au collège de Salins. — 9392 — pas trop, je vous prie, de ce long silence et croyez bien à tous les vœux que je fais pour votre bonheur. Dites à Madame Thel- mier que je l’embrasse de tout mon cæur et que j'attends avec impatience le moment où je mangerai une côte de melon qu’elle m’offrira elle-même. Victor CONSIDÉRANT. Je causais dernièrement de Besançon chez le général Soye() qui commande la place ici. Il m'a dit être de votre connais- sance et j'ai eu du plaisir à m’entretenir de vous avec quelqu'un qui vous connaît. Madame Soye me charge de la rappeler au souvenir de madame Thelmier et vous prie, si vous voyez mademoiselle Morel, de lui dire qu’on se porte bien dans sa famille de Metz. Les dernières années de jeunesse vont justifier les craintes du père écrivant à son ami Thelmier le 10 décembre 1826 : « Victor m'a griffonné deux mots qui peignent bien le trouble et la confusion d’une jeune tête jetée dans un tourbillon tout nouveau pour elle... que Dieu daigne dissiper les vapeurs qui offusquent ces cervelles-là ! » et aussi aveu de Victor, en 1830, qu’on lui a prédit qu’il ne sera jamais heureux et content. L’évènement confirma ces prévisions jusqu’au terme d’une longue existence (2). Après sa réintégration succédant à l'indisponibilité pour adhésion à la ligue nationale, Considérant, « voyant de plus en plus dans la doctrine de Fourier le salut du monde, vou- lant se vouer tout entier à la répandre (3) », ne cessera de chercher à S’affranchir des obligations militaires et de deman- ‘1) Le général Soye (Jean-Louis), né à Phalsbourg, volontaire de 1791, ayant servi au 26° régiment d'infanterie légère, aux chasseurs et aux gre- nadiers de la garde, maréchal de camp, commandant la place de Metz, puis le département de la Creuse, mort en 1833. Il avait été en garnison à Besançon. (2) Il mourut le 27 décembre 1893. (3) Mme C. CoIGNET (ouvr. cit., p. 19). — 3935 — der des congés. Il avait même envoyé une première fois sa démission et le ministre Soult avait répondu: « Le corps d'état-major a besoin de bons officiers comme vous. Je n’ac- cepte pas votre démission; mais je vous accorde un congé illimité. Si vous ne réussissez pas dans vos plans de réforme. vous viendrez reprendre dans l’armée le rang qui vous appartient (1) ». Le sous-lieutenant du 12 janvier 1831 était promu lieutenant le 20 mai 1832 (il était au 2° régiment et ünt garnison à Metz et à Montpellier), puis capitame le 20 mai 1834. Il fut alors attaché à la direction de Besan- çon. Il rompit enfin tous ses liens avec l’armée en démis- sionnant le 16 août 1836. Pendant toute cette période, V. Considérant avait publié (2) le Phalanstère, revue remplacée peu après par la Réforme industrielle et la Phalange. Le premier volume de son ou- vrage fondamental, la Destinée sociale, avait paru en 1834. Enfin 1l épousait Mademoiselle Julie-Joséphine Vigoureux. En parfaite communauté d’aspirations, d’espérances avec son mari, elle se montra ardente comme lui à propager ja doctrine et admirable de courage et de dévouement au mi- lieu des péripéties et des désastres de l’école phalansté- rienne en Europe et en Amérique. « Rarement deux êtres se comprirent mieux et restèrent si constamment attachés l'un à l’autre, et la mort seule put les séparer (3) ». « Julie Vigoureux, qui l’a épousé par amour, n’a pas la beauté fière et fine de sa mère. C'est un type bien comtois, les pom- mettes un peu saillantes, les traits un peu forts, pas très réguliers, mais elle est grande, svelte, de tournure élé- (1) Cette lettre a été publiée par Eugène de Mirecourt dans Victor Con- sidérant (les Contemporains, 1858). (2) A l'Ecole Polytechnique et à celle de Metz, Considérant s’était efforcé de vulgariser les doctrines de Fourier en les exposant dans des confé- rences où il conviait ses camarades. (3) Jules Marcou: « Notice biographique sur Victor Considérant », dans le Salinois, 1894 25 — 9394 — gante, ses beaux cheveux blonds donnent de la douceur à sa tête énergique. La physionomie est très intéressante. On y lit l'intelligence, la droiture, la force, la bonté, et elle a tout cela, elle en fera la preuve. Dans cette existence longue et tourmentée, loin d’entraver l’œuvre de son mari par une personnalité absorbante et jalouse, compagne fidèle, vaillante et pleine d’abnégation, elle ne cesse, à ses côtés, de s’v dévouer discrètement (1) ». Rapprochons de ce portrait celui de Victor Considérant à la même époque : « Physiquement grand, mince et souple, il possède l’éloquence naturelle des attitudes, la grâce des mouvements. Ses traits sont accentués et délicats, son. regard lumineux, son sourire plein de bonté et de dou- ceur, D’abondants cheveux chatains, portés longs, selon la mode du jour, ombragent cette tête en même temps noble et charmante (2) ». : Démission militaire et mariage marquaient la fin de la jeunesse de celui qui allait se donner tout entier à son œuvre de paix sociale. « Si Victor Considérant a poursuivi une chimère dans le mécanisme enchanté qui devait à ses yeux la résoudre, cette chimère est généreuse et grande; il y a cru de toute son âme, il s’y est dévoué de toutes ses forces ; 1l y a sacrifié tous ses intérêts. C’est un chevalier de l’idéal (3) ». À ce titre Considérant a mérité l’hommage que lui rendit sa ville natale quand elle lui éleva le 4 août 1901 ce monument sur lequel on a gravé: Il consacra sa vie à la cause du peuple. (1) Mme C. CoIGnET (ouvr. cit., p. 26). La grosse forturie de la famille Vigoureux fut engloutie peu après le mariage dans la faillite de l'oncle de Julie, le maître de forges Gauthier. (2) Mme C. CoIGNET (ouvr. cit., p. 93). (3) Id., p. 99 et 100. LA DUCHESSE DE FALLARY ALFRED MARQUISET COMPTE RENDU PAR M. LE DOCTEUR L. BAUDIN MEMBRE RÉSIDANT Séance du 25 novembre 1908. Notre compatriote M. Alfred Marquiset vient de consa- crer un volume de 300 pages à «la duchesse de Fallary (1697-1782) », d’après des documents inédits. Va pour la duchesse de Fallary. Mais pourquoi la duchesse de Fallary plutôt que telle ou telle des mille ou dix mille dames galantes dont les aventures plus ou moins scanda- _leuses défrayèrent la chronique légère des mémorialistes et la verve des chansonniers et des gazetiers d'alors ? Avec des vertus singulièrement rares, elle eut beaucoup de vices moyens, sans éclat, et tout l'intérêt public de sa vie put se résumer dans cette phrase lapidaire empruntée à la Gazette de Hollande du temps, et complétée et assaisonnée par notre auteur avec l’esprit dont il est coutumier: Monsieur le Régent est mort, en odeur de volupté, dans les bras de son confesseur ordinaire. Dans ses Mémoires, Saint-Simon, dont la concision est pourtant le moindre défaut, consacre tout juste quelques _ lignes à cet évènement, et, subsidiairement, à l'héroïne de M. Alfred Marquiset : « Nangis, qui voulait être premier » écuyer, m'avait succédé chez le duc d'Orléans, et, expé- » dié en bref, le fut par madame Falari, aventurière fort — 996 — » jolie, qui avait épousé un autre aventurier, frère de la » duchesse de Béthune. C'était une des maïtresses de ce » malheureux prince. Son sac était fait pour aller travailler » chez le roi, et il causa près d’une heure avec elle en atten- » dant celle du roi. Comme elle était tout proche, assis près » d'elle, chacun dans un fauteuil, il se laissa tomber de côté » sur elle, et onques depuis n'eut pas le moindre rayon de » connaissance, pas la plus légère apparence. » La Falari effrayée au point qu'on peut imaginer, cria » au secours de toute sa force, et redoubla ses cris. Voyant » que personne ne répondait, elle appuya comme elle put » ce pauvre prince sur les deux bras contigus des deux » fauteuils, courut dans le grand cabinet, dans la chambre, » dans les antichambres sans trouver qui que ce soit, entin » dans la cour et dans la galerie basse.... Enfin la Falari » amena du monde, mais point de secours, qu’elle envoya » chercher par qui elle trouva sous la main... » Dès que le secours fut assuré, la Falari se sauva et » gagna Paris au plus vite », mouvement naturel, juge M. Marquiset, « chez une jeune femme qui s'aperçoit sou- » dain que, dans son dernier mot ou son dernier baiser, elle » à donné l’extrême-onction. » Présentée au Régent en novembre 1720 par madame de Prie et par madame de Sabran, elle n'avait pas tardé à être incorporée dans l’escadron de ses dames de déshon- neur. Mais elle ne fut jamais pour lui qu'une maîtresse intermittente : dès le mois de décembre suivant, le Régent revenait à la Parabère ; le 10 janvier 1721, affirme Marais, eile était « tout-à-fait renvoyée ». Cependant, durant trois ans, et, on vient de le voir, jusqu’à l’heure de la mort du prince, elle resta dans son intimité, l’amusant par les sail- lies de son esprit plus qu’elle ne le captivait par les grâces, appréciables, de sa personne: « ils se voyaient souvent, » nous dit M. À. Marquiset, se quittaient avec soulagement, » et se retrouvaient avec satisfaction ». Bien que serviable — 397 — aux siens et à ses amis, elle fit preuve, pour elle-même, d'un certain désintéressement, auquel le Régent était peu habitué: une rente de 2,000 francs, le titre honorifique de dame d'honneur de l’infante d’Espagne, fiancée du petit roi, avec, comme épingle, les droits de méage de la ville de Nantes, soit un capital de 150.000 francs, représentent la totalité de ses petits bénéfices d’amante et d’amie du maître de la France d'alors. C'était, à coup sûr, pour ce dernier, s’en tirer à bon compte. Pendant les premières années qui suivirent la mort du Régent, madame de Fallary mène une vie quelque peu dé- semparée, terne et retirée; elle disparaît des fêtes de la cour, bien que ce fut son amie madame de Prie qui régnât sous le nom du duc de Bourbon. Elle continue sa vie ga- lante, certes, mais en conservant quelque apparence : par- mi ses amis plus ou moins intimes, on trouve Richelieu, Lévis, Girardin de Vauvray, Ricome de la Frigarède, le mar- quis de Souvré, plus tard le cardinal de Rohan, dont elle partage les faveurs avec ses meilleurs amies, mesdames de . Tessin, d’Alluys, de la Fontaine-Martel. Et, en même temps, amour de largent lui venant avec l’âge, elle commence à cultiver la chicane, et se révèle l’intraitable, l’infatigable pro- cédurière qu’elle demeura jusqu’à sa mort, plaidant à propos de tout et contre tous, contre ses beaux-frères, contre les de Chaulnes, contre ses propres frères, pour lesquels cependant elle était restée longtemps la sœur com- patissante, bénévole et charitable, laissant couler pour eux entre ses doigts l’argent qu’elle venait d'enlever d'autre part de haute lutte. Il est douteux que la chicane ait jamais enrichi personne : . madame de Fallary, bien que jamais découragée, bien qu’in- corrigible, dut reconnaitre que, dans son cas, en particu- her, elle menait tout droit à la ruine. Elle dut chercher une autre source de revenus: elle joua, ou, plutôt, elle donna à jouer, C'était la rage du temps. Elle organisa chez elle — 398 — des parties de pharaon, de biribi, de brelan perpétuel, de lansquenet, et, de son salon fit un tripot. « Un tripot, » explique Mercier dans son Tableau de Paris, est accordé » par protection à une femme de qualité pour rétablir sa » fortune ; tous frais faits, elle recueille 400 livres (environ) » chaque séance, compte avec ses valets et partage avec ses » protecteurs; on use pour dix louis de cartes, la ferme » S'en trouve bien, et l’on dit quil\y=a des, choses qual » faut tolérer ». Joli métier! mais si commode et si productif! Et puis, notre duchesse se trouvait en nombreuse et en bonne compa- gnie : tripot aussi chez mesdames de Monasterolle, de Mel- fort, de Polignac, de Saint-Priest, de Curzay, de Marchain- ville, de Nesle, de Boutteville, de Morvilliers, de Nayves, etc., etc. Tripot encore à l'hôtel de Gesvres ; tripot à l’hôtel de Soissons. En vain le roi fait rendre ordonnances sur ordonnances interdisant les jeux de hasard chez quelque personne que ce fut: 5 ans, 10 ans, 15 ans, 20 ans après, on retrouve encore et toujours les mêmes tripots et leurs mêmes tenancières, et M. de Chevrier continue à écrire, dans son « Colporteur : » « Ces femmes n’ont d’autre occu- » pation que de donner à jouer; telles sont aujourd’hui la » vicomtesse de P., la marquise de M., et l’éternelle du= » chesse de Phal., qui n’a plus pour elle qu’une table de » pharaon et le souvenir des plaisirs qu’elle goûta avec le » duc d'Orléans ». Ancienne femme galante, vielle plaideuse et joueuse, in- trigante et tenancière de tripot, la duchesse de Fallary s'éteint doucement, en juillet 1882, à l’âge de 85 ans. Ses obsèques furent simples, et elle fut vite oubliée. Parmi celles que M. A. Marquiset appelle « les élues de » volupté du siècle galant », la duchesse de Fallary, conclut notre auteur, « figura, avec sa double nature d’amoureuse » et de procédurière, sans réclamer les circonstances atté- » nuantes, tout en demandant pourtant à l’histoire, qui dési- — 399 — » rera la juger, de remettre son jugement à quinzaine ». J'ai bien peur que l’histoire, même après l’enquête nouvelle de M. À. Marquiset, ne continue à ignorer le sujet, le trouvant bien peu digne d'elle: ne de minimis curat..... Le rôle social où politique, mondain même de madame de Fallary apparaît nul; d’autre part, rien, chezelle, n’attire, nin’émeut; vulgaires, ses aventures et ses mésaventures n’excitent ni l'intérêt, ni la compassion ; son esprit consistait en les saillies plutôt vulgaires d’une « bonne fille », exubérante de santé et de gaieté, mais dont aucune n’a été jugée digne d’être conservée, et quant à sa beauté, elle s’effaçait au milieu de tant d’autres beautés plus parfaites! En résumé, d’un bout à l’autre de sa longue existence, en tout et pour tout, d’une médiocrité et d’une banalité à peine distinguées, désespé- rantes ! Oh! l’auteur étonnant, Qui de tant de héros va choisir Childebrand ! Je sais bien, — Sainte-Beuve l’a dit et répété, — qu’ «il nv a » pas de limite assignabie à la curiosité dans tout ce qui » touche à l’histoire ; » mais, en vérité, dans l'espèce, l'héroïne _ touche si peu à l’histoire ! Sans doute, dans l'effort de M. A. Marquiset, il faut tenir grand compte de son ambition de révéler au public des documents nouveaux. inédits, et aussi du plaisir qu’il a eu lui-même à les rechercher et à les dé- couvrir : il a, comme tant d’autres, sacrifié à l’actuelle manie d’exhumer les vieilles écritures comme on exhume les vieilles étoffes. Il n’est évidemment pas de ces auteurs qui, dans les fables, s’attachent surtout à la morale; et peut-être aurait-il profit à méditer et à appliquer cette maxime d’un autre de _ nos compatriotes, l’éminent académicien, M. Etienne Lamy : trouver est bien, choisir est mieux. Au surplus, qu’on ne s’y trompe pas, M. Alfred Marquiset ne s’y est pas trompé lui-même lorsqu'il a inserit comme — 400 — titre de son travail ces simples mots: «la duchesse de Fallary ». En réalité, il ne s’est jamais fait d'illusion sur la valeur et sur le succès de son entreprise, consistant à faire revivre et à donner corps à cette ombre falote : esprit essen- tiellement libre et primesautier, ardent et personnel, il ne pouvait se résigner longtemps, pour satisfaire à une curio- sité désintéressée de biographe, à un pur rôle d’archiviste, exact. sûr et sobre. que ne pouvaient soutenir nul enthou- siasme, nulle sympathie pour son sujet. Il en sent parfai- tement le vide, la pauvreté, et, bien vite il s’en évade, sans paraître même s’en douter et avec une habileté telle qu'à peine le lecteur s’en aperçoit, et la biographie de son héroïne n’est plus, au fond, que prétexte à toute une série de tableaux, pittoresques et vivants, de cette société galante, bigarrée et trémulante du xvire siècle, tableaux rappelant ceux mis à la mode par les Goncourt, spirituels, chatovants, miroitants, où l’on va contempler le passé comme dans les projections de quelque lanterne magique perfectionnée. Dès les pre- mières pages, on est captivé, et l’on va, sans pouvoir s’en détacher, jusqu’au bout du volume, écrit tout entier de ce style alerte, pimpant, aux saillies parfois un peu crues, mais toujours spirituelles et mordantes, bien personnel à notre auteur. Cest merveille de voir avec quelle aisance, avec quelle gracieuse insolence, il multiplie les silhouettes les plus osées, les anecdotes du réalisme le plus risqué, sans être à aucun moment obligé de recourir au latin ; on a souri et l’on est désarmé. Non rarement son talent se hausse aux tableaux de mæœurs,— combien vrais, et vivants, et amusants !'tels ceux «du mariage au commencement du xvire siècle », — des «soupers du Palais-Royal », — des « modes sous la Ré- gence », — de « la société de Mn° de Fallary », avec sa con- clusion impayable : « Voilà le monde de la duchesse. Elle » ne sy rendait plus avec l’œil pétillant et la figure épanouie » des jours regrettés de la Régence; elle emportait un — AO — » masque sévère, qu'elle s’empressait, d’ailleurs, de dépo- » ser à la porte. Sa licence austère et sa vertu de bâtons de » chaise étaient bien affirmées, et un malveillant l’eût vul- » gairement, mais justement définie : La décente... de la » Courtille ! » Et de quelle pointe gamine, spirituelle et mordante sont enlevés les croquis des innombrables personnages qui, dans l'évocation de ces divers tableaux, s’agitent à tous les plans de la scène, auteurs principaux ou simples comparses ! Parmi ceux du tout premier plan, à côté de la duchesse et peut-être même avant elle, il serait injuste ne ne pas faire une place à part à son mari, un aventurier « excentrique et canaille » qui, sans plus de scrupules que de jalousie, voya- geait à travers l’Europe « avec un bagage d’escroqueries, de » faux, de scandales et d’abjections ». C’est une curieuse odyssée que celle de ce François Gorge d’Entraigues, duc de Falary : continuellement en instance d’échafaud ou de potence, pour le public il apparut toujours, nous dit M. A. Marquiset, comme un bandit de haut vol. Son histoire, pour être malpropre, n’est certes point banale ei l'emporte singu- lièrement en intérêt sur celle de sa compagne, l'héroïne de M. À. Marquiset. D'une noblesse d’origine douteuse, de date extrêmement fraiche en tout cas, mais suffisamment dorée, Pierre-Fran- cois Gorge d’Entraigues était né en 1665, alors que son père, «tantôt à Paris, tantôt dans sa terre de la Chapelie-en-Brie, » coulait les jours paisibles auxquels donnent droit ici-bas » l'intrigue et la prévarication récompensées ». Après une orageuse et triste adolescence, il embrasse le parti des armes et sert dans la première compagnie des mousque- taires, juste le temps de se faire faire prisonnier de guerre et envoyer à. Utrecht, où il se mit à mener grande vie... à crédit, dépensant en dix mois dix mille pistoles, dont 1l n'avait pas le premier écu. Rentré en France, il manifeste la ferme intention de se faire religieux ; mais, tandis qu'il — À02 — se rendait à l’abbaye de Paris, il change d’avis et entre au séminaire d Issy, dépendant de Saint-Sulpice ; il y demeure 45 mois : ci 26,000 livres de dettes; puis il vient à Saint- Sulpice, mais ne tarde pas à délaisser ses bancs pour se livrer exclusivement à la fréquentation des académies d’é- quitation. Rappelé par son père, il se retire à Claix, en Sain- tonge, où, des biens de sa mère, une petite propriété lui était tombée en partage. Après huit mois de séjour, il y devait 10,000 écus, et pour échapper à ses créanciers, rega- gnait au plus vite Paris, où il voulait se faire capucin, lors- qu’il s'aperçut tout à coup que le mariage lattirait invinei- blement. De fait, quelques mois après, le sacripant, par un coup de fortune inespéré épousait Louise-Marie-Thérèse de Brichanteau de Nangis, fille du marquis décédé brigadier des armées du roi; en même temps, son père Gorge lui donnait, avec le comté de Meillan et la baronnie de Charen- ton. 150,000 livres. Trois ans après, il avait tout dévoré ; il devait 50,000 écus, et sa femme mourait dans sa première couche, nou sans soupçon de violence. | Après une si malheureuse tentative matrimoniale, il était naturel que le triste sire éprouvât de nouveau le besoin de se faire capuein, et il se trouva à Saint-Victor un digne et naïf religieux, le P. Gourdon, pour reconnaître qu'il avait « la vocation ». À quoi notre homme répond tout aussitôt que, décidément, cela ne faisait pont son affaire et qu'il allait épouser une parente de Madame de Maintenon, Made- inoiselle de Murée. Heureusement pour elle, les négocia- tions ne purent aboutir et le comte de Meillan s’en fut à Rome, non sans avoir soutiré 17,000 écus à son'‘père et en avoir emprunté 40,000 autres de divers côtés Quelles effron- teries déploya-t-il à Rome ? Comment arriva-t-il à gagner la confiance du pape? Toujours est-il que Clément XI lui accorda la dignité de prince romain et le titre de duc de Falary. | C'est vers cette époque que, rentrant en France, le nou- — À63 — veau duc rencontra Mademoiselle Thérèse-Marie d Harau- court, la future duchesse de Fallary : « Blonde aux yeux » bleus, à la bouche rieuse, au visage mobile et éveillé, » d’une tournure élégante et souple, d’un caractère où se » devinait la folie charmante, d’un esprit malicieux sans » méchanceté, d’une liberté de gamin que tempérait un ar » de hauteur, elle avait dans sa grâce les audaces propres à » séduire un pareil aventurier. Il réfléchit un peu, très » peu, seulement le temps d'apprendre qu’elle avait en dot » 20,000 écus romains, 10,000 livres de meubles et hardes »Aet1b,000de bijoux »...°et il-Fépousa. La lune de miel fut courte : trois semaines après, devant la meute de ses créanciers, il filait, dégoûté de la France, en Italie, puis en Espagne, laissant partout son sillage de dettes, avec le sou- venir de tous ses vices lâches et crapuleux, hors et même contre nature. Une incarcération temporaire dans la cita- delle de Monjuich le soustrait aux griffes de l’Inquisition espagnole, qui ne badinait pas en la matière, et à une mort ignominieuse certaine, on le laisse s'échapper : il reparait en France, le temps d’escroquer à sa femme le peu d’argent qu’il lui restait, puis il regagne l'Espagne d’où on l’expulse, puis le Portugal, où il subit le même sort, Sur ces entrefaites, il apprend la « bonne fortune » de sa femme, sa situation auprès du Régent, et accourt pour en tirer profit; mais dès son arrivée à Paris, il est cueilli et écroué à la Bastille, puis transféré au fort de Joux où, grâce à son cousin, le duc de Lévis, qui commandait alors en Franche-Comté, il trouve quelques adoucissements à sa détention ; il en profite pour s'évader en Suisse. Bientôt repris, il est banni par les conseillers de Berne et disparaît avec un jeune religieux, que l’on retrouve quelques jours après, assassiné dans la montagne. Cependant 1l gagne Vienne, où il trouve moyen de se faire recevoir par l'Empe- reur et recommence à fairé des dupes ; peu après on le retrouve à Dresde, puis en Flandre, puis dans les Pays-Bas, — 40% — toujours suspect et toujours poursuivi pour ses dettes criardes, pour ses escroqueries et pour son vice contre nature ; à Liège, il subit une nouvelle incarcération ; puis. de là, comme de partout, on l’envoie se faire pendre ailleurs. Le voici de nouveau à Rome, où Benoît XIII lPaccueille et lui confirme son titre de duc de Falary. En 1727, après de nouvelles pérégrinations et d'innombrables escroqueries, on le retrouve colonel d’un régiment de dragons polonais, avec lequel il entre au service du grand-duc de Mecklembourg- Schwerin, Charles-Léopold. Mais la carrière des armes n’est décidément point son fait ;1l entre dans la diplomatie et Charles-Léopold le charge, pour Rome. d’une mission dans laquelle il échoue d’ailleurs piteusement (1730) ; en retournant à Schwerin, il s'arrête à Nuremberg, où il mène une vie si crapuleuse qu'on le jette en prison, où on le garde durant six mois. Puis le voici à Leipzig, toujours mendiant et escroc, réduit aux pires extré- mités ; avec un secours de 50 louis d’or d’Auguste [IT de Pologne, il est poliment prié de passer en Saxe, où ses anciens créanciers de Dresde l’accueillent à bras ouverts et s’empressent de le faire incarcérer durant trois mois. Après avoir en vain essayé de trahir Charles-Léopold auprès de son frère Christian-Louis, et de vendre des plans et des secrets au prix de cent florins, il vient se remettre aux pieds de Charles-Léopold, qui était vraiment un incurable ingénu, car peu de temps après notre duc, promu de nouveau à la dignité d’ambassadeur, s’acheminait vers Riga, chargé d’une mission auprès de l’impératrice Anne de Russie. Mais celle- ci déploya l'énergie qui avait manqué à tant de souverains ; elle considéra comme une injure l’envoi d’un ambassadeur tel que ce forban, le fit arrêter à son arrivée à Riga, con- duire à la forteresse de Saint-Alexandre Newski, puis trans- férer et garder à la stabole allemande de Moscou et finale- ment jeter dans un cul de basse fosse où, le 10 septembre 1740, « il rendit son âme à qui de droit ». — À05 — Certes, le personnage est vilain, et l’on est tenté d’être de l'avis de M. À. Marquiset : « présenter la cause du mari, » c’est prononcer d'avance l’acquittement de la femme ». Mais, tout bien examiné, le personnage de la femme n’est pes bien joli non plus, et si l’on veut bien réfléchir que la duchesse de Fallary n’a guère été plus de trois semaines en pouvoir de mari et qu’elle a toujours, par ailleurs, trouvé auprès de ses parents ou des amis de sa famille et de la famille de son mari, de sages conseillers et d’efficaces pro- tecteurs, on sera tenté de lui laisser une large part de res- ponsabilité dans la conduite de son existence d’aventurière et de femme galante sans scrupules comme sans vergogne. Je ne puis m'empêcher de trouver que la mode dure un peu trop d’une indulgence outrée et systématique pour tous et pour tout ; on abuse un peu de la célèbre formule : tout comprendre, c’est tout pardonner... Et Dieu sait si les réha- bilitations, même les plus inattendues, vont leur train ! Si M. À. Marquiset n’a pas osé entreprendre nettement celle de son héroïne, il a du moins demandé la révision de son procès et plaidé d'avance les circonstances atténuantes. En revanche, il a nettement essayé la réhabilitation du Régent Philippe, due d'Orléans, qu’il nous peint, avec quelque appa- rence de raison, intelligent, probe et franc, valeureux, sceptique mais tolérant, clément à ses ennemis et dévoué à ses amis, patriote enfin, en même temps qu’adroit poli- tique. La cause est défendable, malgré bien des ombres à ce tableau. Il n'en est plus de même lorsqu'il s’agit de l’abbé-cardinal Dubois, ou encore du système de Law, qui aurait « amélioré la fortune de la France ! » De même, il ne manquera pas d’esprits chagrins et moroses pour regretter ’amoralité dont témoignent, de la part de lauteur, nombre de ses tableaux ou de ses croquis de personnages. Mais, au fait, est-ce bien le rôle de l'historien, du mémorialiste, du biographe, du peintre de mœurs, de moraliser et de pré- cher, d’absoudre ou de condamner”? Il y a là un problème Se que l’auteur ne s’est même pas donné la peine de se poser ou que, en tout cas, il s’est empressé de résoudre par la négative. Il n’en reste pas moins qu’il à écrit un livre sin- cère, spirituel, vivant et prenant, dont, sans doute, la mère ne permettra pas la lecture à sa fille, mais qu’on parcourt et qu’on achève d’un trait avec plaisir, intéressé, sinon ému, et réjoui, sinon édifié, et auquel on revient volontiers. Et cela est déjà bien quelque chose. LA COUTUME ANCIENNE DE BESANCON ET SON COMMENTATEUR CLAUDE-FRANÇOIS D'ORIVAL SELTGNEU'R DE VORGES Par M. PIDANCET AVOCAT A LA COUR D'APPEL MEMBRE RÉSIDANT Séance du.10: février 1907: Généralités sur le droit coutumier en Franche- Comté et à Besancon. Le professeur de législation à l'Ecole centrale de Besançon durant la Révolution, le célèbre jurisconsulte Proudhon dont le buste de bronze a été érigé, il y a quelques années, dans la cour de la Faculté de droit de Dijon, parle en ces termes, dans la Préface de son cours, des anciennes Coutumes de Franche-Comté: « En ce qui concerne l’ancienne coutume du pays où nous écrivons, ainsi que les édits et ordonnances, le peu qui reste encore en usage de ces lois réprouvéss par le génie de la liberté, ne permet pas de consacrer ici un temps utile à retracer l’histoire de cette législation expirante. » Si l’on conçoit qu’un professeur de droit, à une époque où, sous une poussée énergique, l’ancienne société s’effondrait, n'ait plus voulu attirer l'attention des étudiants sur des textes à la veille de disparaitre de la pratique, il n’en est pas moins vrai qu'il serait d’une haute ingratitude pour nous de laisser — 08 — dans un éternel oubli la loi de nos ancêtres et les savants jurisconsultes dont les précieux commentaires ont facilité pour leurs contemporains l’étude des textes qui formaient la législation si variée des anciennes provinces de notre pays. La France avant 1789, on le sait, était partagée en pays de droit coutumier et pays de droit écrit. La ligne de démar- cation est impossible à établir géographiquement d’une façon. bien exacte : on peut toutefois dire d’une manière générale et en négligeant diverses exceptions que le Nord, le Centre, le Nord-Ouest et le Nord-Est de l’ancienne France recon- naissaient comme droit commun, en matière civile, La cou- tume locale, tandis que les provinces méridionales se ratta- chaient au droit écrit, et, par cette expression droit écrit, il faut entendre les textes du droit romain que nos aïeux esti- maient être avant tout la lex sceripta. La rédaction des coutumes locales eut lieu assez tard dans les diverses provinces de France. On en trouve quelques- unes déjà fixées par l'écriture au xI1Ie et au xIve siècles, mais le cas est rare : le plus souvent, même à cette époque, le juge, dans le doute, doit, pour établir un point des usages, procéder à une enquête par tourbes, per turbas, et interro- ger ce que nous appellerions maintenant une troupe d’habi- tants, une multitude (turba) pour éclairer sa religion sur la lo1 à suivre. Au xv'siècle un mouvement général se dessine, et, de toutes parts, on recherche et on rédige les usages ayant force de loi. La Comté de Bourgogne ne reste point étrangère à ce mouvement. À l'instar de ce qui se passait en France où, dès avril 1453, le roi Charles VIT prescrivait par une ordon- nance (ordonnance dite de Môntils-les-Tours) la rédaction des Coutumes, notre province possède, elle aussi, un recueil des Coutumes fait en l’an 1459 par sept commissaires que le duc Philippe, de qui relevait la Comté, avait chargés de ce travail. — 408 — La cité de Besançon vivait sous l'empire des usages de la Franche-Comté pour une notable partie de sa législation civile; mais, sur certains points, les anciens Bisontins, jaloux de la quasi-imdépendance que posséda leur ville jus- qu'au xvire siècle, revendiquèrent constamment l’application des usages spéciaux de la localité qui leur furent particuliers aussi longtemps que vécut le droit coutumier. C’est l'examen de ces anciens usages qui forme l’objet de ce travail. Le D'Orival et son Recueil. En 1721 paraissait à Besançon un ouvrage intitulé Comment- taire sur les usages et coutumes de Besançon dont lPauteur était l'avocat Claude-François d’Orival sur lequel il nous reste peu d'indications biographiques. Nous savons qu’il était fils d’un conseiller au Parlement et qu’il devint maire de Besançon en 1702. Il dut, comme les avocats de son époque, écrire beaucoup, puisque dans chaque procès un peu impor- tant l’avocat rédigeait un mémoire destiné à faire connaitre l’objet du débat et les arguments qui militaient en faveur de son client. Le style de d’Orival parut à ses contemporains si parfait qu’ils n'hésitèrent pas à lui décerner le titre de Plume d’or qui est encore venu jusqu’à nous. Il eût été intéressant de retrouver quelques-uns de ces savants mémoires pour avoir une idée de la manière dont d'Orival exposait ses affaires devant le Parlement. Ces docu- ments ont malheureusement disparu avec les dossiers qui les renfermaient et il est douteux qu’on puisse en retrouver quelques-uns. La seule particularité que nous avons pu recueillir sur d’Orival concerne le rôle qu’il joua dans un grand procès intenté à la ville de Besançon au sujet de la forêt de Chailluz. La propriété de cette importante forêt avait été contestée au nom du roi de France en 1701 par M. Perrot, alors Grand 26 10 à Maitre des Eaux et Forêts. Le ütre le plus ancien que déte- nait la commune de Besançon était une délimitation avec le souverain de Bourgogne de l'an 1442. Cette délimitation, semble-t-il, était suffisante, et la reconnaissance des droits de la ville découlait forcément d’un tel acte. Pourtant le Grand Maître des Eaux et Forêts, loin de s’incliner, allait extrêmement loin et prétendait « qu’il falloit produire des tiltres de concession, tous autres n'étant d'aucune considé- ration. » L'affaire s’engagea vivement : à un certain moment, la Maitrise des Eaux et Forêts ne parlait de rien moins que de commencer le morcellement de la forêt en procédant à l’ad- judication de 40 arpents de cette belle parcelle du domaine communal. On rapporta même aux membres du conseil qu’un sieur L’Abondance demeurant au fort Griffon offrait 17 livres de l’arpent. C’est alors qu'on songea à charger Claude-François d’Ori- val de examen des titres de la cité. Il s’occupa activement de cette mission, et nous voyons qu'enfin, à la date du 19 août 1705, fut rendu par la Chambre souveraine des Eaux et Forêts de Besançon un arrêt par lequel lx ville gagnait son procès. La délibération municipale de cette date porte cetie men- tion : « Et comme Monsieur Claude-François d’Orival a beau- coup travaillé dans ce procès pour le maintien des droits de la Ville, 1l a été délibéré qu’on lui fera présent d’une pièce de vaisselle aux armes de la Ville, en valeur de deux cents livres et douze pains de sucre à Madame son épouse. » Le registre des délibérations de 1701 nous apprend encore que d'Orival rédigea à cette époque un mémoire dans l'inté- rêt du commerce des villes de Franche-Comté. Enfin, à la date du TT mars 1705, nous voyons les magistrats munici- paux lui donner raison au sujet d’une réclamation qu'il avait formée contre les pâtres de la ville qui conduisaient, après la récolte des foins et jusqu'au jour de la Saint-Georges NM (23 avril), leurs bestiaux dans ses prés des Grands et Petits Pendeurs, au territoire de Montfaucon. Conformément aux termes de sa requête, il est décidé que tous pâtres ne pour- ront faire pâturer sur ses prés entre l’Annonciation de Notre-Dame (25 mars) et la perception des premiers fruits. Cette solution était conforme à la règle fixée par les édits de la province. Les rédactions antérieures à celle de d’'Orival. Si nous revenons à la coutume de Besançon, nous voyons que d’Orival nous apprend qu'il faut arriver jusqu’en lan 1583 pour trouver un recueil contenant quelques usages de la cité. C'était l’œuvre de Gauthiot Simon, seigneur d’An- Cier, &« homme noble et de distinction », nous déclare le commentateur. Gauthiot n'avait pas eu seulement en vue cette partie du droit bisontin, car son travail comprend encore les Ordon- nances de police et celles qui concernent les arts et métiers. Plus tard, en 1676, les magistrats bisontins firent 1mpri- mer une Pratique Judiciaire de ce qui devait être observé à Besançon. tant à l'égard de l’Ancien Territoire que du nou- veau. La signification de cette expression « Nouveau Terri- toire » nous est fournie par un évènement qui s'était produit en 166%. Au xvire siècle, Besançon n'avait pu conserver la liberté presque absolue dont la cité avait joui sous les empereurs d'Allemagne. L'Empire en avait cédé à l'Espagne le pro- tectorat en échange de la forteresse de Frankenthal. Notre ville avait réussi à obtenir comme compensation de son annexion, un agrandissement du territoire de la cité au point de vue judiciaire. Cent villages ressortirent à un tri- bunal d'appel, composé de cinq juges, établi à Besançon, pour les affaires civiles seulement de ce territoire. — 412 — Ce fut le résultat d’un traité passé entre le souverain espa- gnol, représenté par le marquis de Castel-Rodrigo, et la municipalité bisontine, le 29 septembre 1664. Les cent villages annexés comprenaient l’arrondissement actuel de Besançon presque en entier et quelques com- munes de ce qui constitue l’arrondissement de Baume-les- Dames. La loi applicable au « Territoire Nouveau » était formée par les « coutumes, ordonnances et édits du comté de Bour- oogne ». Disons en passant qu’en ce qui concernait les cent villages, pour que l’appel fut possible, il était nécessaire que l’objet en litige eut une valeur de cinquante livres. Pour les citoyens de Besançon et anciens sujets de cette cité, ils ne changeaient pas de législation, mais s'ils continuaient à être jugés par les magistrats urbains, ceux-ci ne statuaient en dernier ressort que sur une valeur inférieure à deux cents livres. D'Orival nous apprend que les avocats qui furent chargés de rédiger la Pratique judiciaire de 1676, dont nous avons parlé plus haut avant la digression relative au « Nouveau Territoire », se contentèrent de « régler un stil » (c'est-à- dire un ensemble de règles de procédure) et d’y insérer quelques usages de la cité. Les notes sur l'Histoire municipale de Besancon, de Castan, indiquent que le registre des délibérations prises en 4708 renferme la transcription d’un cahier intitulé « Estat des coutumes et observances locales de la ville de Besan- çon ». Nous étant reporté au texte, nous avons pu voir que la transcription avait eu comme but d'empêcher la dispari- tion d’un recueil des coutumes bisontines conservé à l'Hôtel de Ville. Le vicomte-mayeur, consulté par un plaideur sur un point particulier de notre coutume, avait jugé bon, tout en délivrant un acte de notoriété sur l’objet de la contesta- tion qui intéressait ce plaideur, de faire faire une copie générale du cahier contenant déjà nos usages, copie que, — 413 — pour plus de sûreté, on inséra au registre officiel des déli- bérations. Cette copie diffère du recueil de Gauthiot d'Ancier, qui est beaucoup moins étendu. De qui sont les additions impor- tantes que renferme le registre ? On ne peut sur ce point que se livrer à des conjectures. Il est permis de penser que le cahier ne fut pas l’œuvre d’un jour, mais qu’il eut comme rédacteurs les divers magistrats qui se succédèrent à l'Hôtel de Ville. Aucun document positif ne peut faire la lumière à cet égard, et 1l faut bien le reconnaître d’ailleurs, la ques- tion n'aurait plus pour nous aucun intérêt. En ce qui concerne le Commentaire paru en 1721, d’Ori- val nous apprend qu’il fut rédigé par lui d’après « les ordres de Messieurs les vicomte-mayeur, lieutenant-général de police, échevins et conseillers de cette cité ». Il prend soin de nous affirmer que son recueil est le seul complet et nous annonce qu’il a consulté, afin de ne rien omettre, les journaux de la cité, divers mémoires d’anciens avocats et la jurisprudence du Parlement de la province. La préface du Recueil. La préface du Commentaire n'est pas la partie la moins curieuse de l’ouvrage. Elle nous fait apercevoir en Claude- François d’Orival, l’un de ces anciens Bisontins du xvir‘ siècle et du commencement du xvHiI° siècle pour lesquels leur cité, ancienne ville libre, qui jadis s’était gouvernée comme les Républiques antiques, a un passé glorieux et une impor- tance qui ne le cède à aucune. Quelles ne sont pas aux yeux de d’Orival les perfections de sa ville? Bâtie par les compa- gnons d’Enée, 430 ans avant Rome, elle donne naissance à Brennus « capitoine général des Séquanois », à Pompilius «qui fut général des légions romaines », etc. Il n’est pas jusqu’à « Dom Ramon et Henry de Limbourg, les deux pre- — 14 — miers rois de Galice et de Portugal » qui n’aient été « Bison- ünois ». Notre auteur n’est guère plus embarrassé lorsqu'il s’agit d'établir l’étymologie de Besançon qui ne proviendrait de rien moins que de Bisuntina Sylva parce qu'un bison, «animal qui à une corne au milieu du front », fut trouvé dans la forêt qui primitivement occupait l’emplacement de la ville gauloise. Cette érudition aujourd’hui fait sourire. Les allégations de d'Orival ne sont généralement appuyées d'aucune preuve, et le seul souci de lécrivain semble avoir été de glorifier sa ville et de la faire considérer comme la mère d'une pléiade d'hommes fameux. | Remarquons toutefois que cet ancien maire de Besançon écrivait à une époque où la critique historique n'existait pour ainsi dire pas, et où la discussion des sources commen- çait seulement à naître. D’Orival était de la vieille école, ce dont il ne faut pas lui en vouloir. Par suite, et puisqu'il s’agit d’un jurisconsulte, nous n'accepterons ses affirma- tions que sous bénéfice d'inventaire, pour employer le lan- gage de la loi. Examen de l'ouvrage de d’Orival. Si maintenant nous jetons un coup d'œil d'ensemble sur le Commentaire nous voyons que la méthode d'explication de l’auteur est très simple et ressemble à celle de la plu- part des commentateurs des coutumes. En tête de ses expli- cations il rapporte d’abord le texte de l’article et le fait suivre de quelques détails sur son origine qu’il recherche presque toujours dans le droit romain. Ensuite 1! compare l’usage bisontin à celui qui est suivi dans le comté de Bourgogne. Il suppose toujours connu le texte du Coutumier de Franche- Comté, car 1l ne le donne jamais, se contentant de lPanaly- ser. Pour terminer il fournit quelques références d'auteurs — A5 — ayant commenté des textes semblables : les auteurs cités sont Boguet sur la Coutume de la Comté de Bourgogne, Chassaneu, sur celle du duché de Bourgogne, Dumoulin, Coquille, Henry, Tiraqueau, Lebrun, Ferrière, Brodeau sur Louet, Ricard, Brillon, Chopin, Ferron, etc. On peut dire d’une manière générale qu’il n’ignore aucun des juriscon- sultes français qui, jusqu’à lui, se sont occupés du droit coutumier dans leurs écrits. Son style est clair, et peut- être trouverait-on que son Commentaire est pour nous un peu concis ; mais, ce que nous prenons pour un défaut doit tenir à ce fait que son livre était surtout composé pour des magistrats ou des avocats de l’époque, avant une connais- sance approfondie du droit coutumier et auxquels il n’était, par conséquent, utile que de signaler les particularités dignes de remarque de nos usages bisontins. x X x Claude-François d’Orival a divisé son travail en huit titres contenant en tout 80 articles. Voici l'indication de cette division : TITRE Ï. — De l’EÉstat des personnes (4 articles). TiTRE II. — Des Droits apparienant aux gens mariés (21 ar- ticles). | TITRE HI. — Des successions (3 articles). TITRE IV. — Des Retraits (9 articles). Tire V. — Des Cens et Rentes (7 articles). TITRE VI. — Des Prescriptions (10 articles). TITRE VII. — Des Saisies mobilières et Arréèts (13 articles). TITRE VITE. — Des Décrets et Saisies réelles (13 articles). Sans reproduire le texte du Coutumier de Besançon et sans vouloir fournir des détails aussi étendus que ceux du Commentaire de 1721 nous croyons toutefois qu'il est néces- saire de noter les particularités dignes de remarque de l’an- — AIG — + cienne législation bisontine. Cette législation avait son ori- ginalité qui mérite qu'on la mette en lumière. L'article premier du Titre I débute par une déciaration : « On ne souffre point de main-morte dans les Ville, ancien Territoire et banlieue de Besançon ». Le main-mortable, l’ancien serf, dont le seigneur héritait par le droit spécial d’échüûüte dans certains cas, n'existait donc pas à Besançon. Le servage, dans la province de Comté, s’établissait d'ordinaire de deux manières principales : 1° on devenait serf par la naissance lorsqu'on naissait de parents en état de servage ; 20 on pouvait aussi. en recevant d’un seigneur une terre avec contrat d’accensement, devenir serf et par suite main- mortable. La cité de Besançon prohibe de telles stipulations, car les Bisontins sont tous des sujets libres. L'homme de mainmorte pourra quelquefois S’enfuir de la seloneurie Sur laquelle 1] se trouve; Silent eurle terne toire de Besançon et s’il est revendiqué dans l’an et jour à compter « depuis sa résidence actuelle et fixe », il sera ren- voyé à son seigneur. C’est là une des applications du droit de possession. La liberté de l’être humain se possède, dans l’ancien droit, comme la terre elle-même est possédée aujourd’hui par la détention en qualité de propriétaire durant l’an et jour (art. 23 du Code de procédure civile). Le livre de Gauthiot d’Ancier prend même soin de décider que la possession de la liberté, pour produire effet à Besançon, doit avoir lieu sans fraude, qu’il est nécessaire que. le main- mortable réfugié dans les murs de la cité ait été soumis aux obligations des citoyens, c’est-à-dire au guet et à la garde et qu'il ait payé les subsides auxquels les Bisontins sont astreints. C’est bien là une condition analogue à celle qu'exige notre législateur lorsqu'il décide que la possession a de la terre, pour avoir une valeur juridique, doit avoir été publique, paisible et à titre de propriétaire. Quelquefois la liberté s’acquiert instantanément par le seul séjour à Besançon : le seigneur ne peut revendiquer Ja fille, sa sujette, qui vient de se marier avec un citoyen de Besançon ; il en est de même de tout ecclésiastique né mainmortable qui résidera sur le territoire de la commune pour la desserte d’un bénéfice. _ Ce droit d’asile accordé aux malheureux mainmortables dut vraisemblablement faire accroitre la population de Besançon et contribuer à sa prospérité, Le Coutumier de Besançon aborde ensuite la situation des personnes libres et donne quelques détails sur les mi- neurs et les gens mariés. Le droit bisontin a sur ce point un caractère spécial : il fortifie l'autorité du père de famille, Le mineur ne peut, tout d’abord, passer un contrat de cons- titution de rente, d'achat, d'échange, de donation ou tout autre sans qu'il soit nul. La nullité en est perpétuelle. Aujourd’hui, avec le Code civil, cette nullité ne serait que de dix ans à partir de la majorité (art. 1304 du Code civil). L'autorité du père de famille subsiste même après le mariage ; le texte dit, en effet : « le mariage n’émancipe pas les fils ni les filles de famille (article premier du titre ID ». Cependant on pourra par contrat de mariage émanciper le mineur. Si l’on déclare simplement en termes généraux qu’on se soumet à la Coutume du Comté de Bourgogne, il ne résulte de cette stipulation que l'émancipation de la femme seulement. À défaut de contrat de mariage, il n’y a pas de commu- nauté de biens entre les époux. On tombe donc sous lem- pire du droit écrit, et le régime dotal est la règle, comme dansles pays du Midi de la France. rte Pour les successions, notre cité s’écartait encore des dis- positions spéciales aux régions environnantes pour se rattacher à la législation du Midi: le droit écrit devenait la règle. Cette règle était formulée par la Novelle 118 de Justinien publiée en l’an 540 de l’ère chrétienne. Aux termes de la Novelle, les parents les plus proches en degré succèdent au défunt; il y a trois sortes de parents venant à défaut les uns des autres : les descendants, les ascendants, les collatéraux. Il n’y avait donc pas à Besançon à distinguer entre les meubles et les immeubles, les biens paternels et maternels, les propres et les acquêts, ainsi qu’on le faisait dans la France Coutumière, où la complication était extrême à cet égard. | Le contrat de mariage peut avoir une influence sur le droit successoral, car les époux mariés avec adoption des Coutumes et usages du Comté de Bourgogne auront leur succession réglée par la Coutume de Comté. Le titre [IV de la Coutume bisontine codifié par d’'Orival, nous transporte dans la matère des Retraits. &« Le retrait, dit Dalloz dans sa définition de ce mot, est la faculté accor- dée, en certaines circonstances particulières, à une per- | sonne de se faire subroger à la place de l’acheteur d’une chose en remboursant à cet acheteur le prix principal et loyaux coûts de l’achat. » Notre Coutume commence par prohiber le retrait féodal ou droit pour le seigneur de reprendre un fief de sa mou- vance, lorsqu'il a été aliéné par le vassal. À Besançon, tous les fonds sont depuis fort longtemps des fonds hbres, ou — 419 — francs-alleus ; il est, par suite, logique de n'accorder aucune application au droit féodal. On ne peut non plus faire une convention pour organiser le droit de retrait au profit du premier propriétaire, en d’autres termes, pour permettre au premier propriétaire d’évincer tous les acquéreurs de son acquéreur. La Coutume bisontine organise aussi de façon spéciale le retrait lignager ou faculté qu'avait le parent du vendeur de reprendre à un acquéreur le bien de son parent, après la mort de ce dernier, et cela à la seule condition de: rem- bourser le prix d'acquisition. « La Coutume du Comté de Bourgogne, dit d’Orival, admet indistinctement au retrait toute sorte de parens, soit que le fond vendu vienne de leur estoc ou ligne ou non ». La Coutume de Besançon, au contraire, veut que le retrait lignager soit conforme à son étymologie : il faut donc que le parent qui exerce le retrait soit de la même ligne que celui qui à aliéné le bien. Le retrait lignager est soumis à diverses A d Celui qui exerce le retrait (le retravant), doit agir « dans l’an et jour à compter depuis la possession réelle prise par lae- uéreur ». En'parent mème éloigné; peut exercer le retrait, mais dans ce cas les parents plus rapprochés peuvent écarter ce premier attrayant en agissant dans les cinquante jours du premier acte de poursuite et en se substituant à ce premier poursuivant. Nous passons sur diverses dispositions relatives au cas de vente de plusieurs fonds par un même acte et au cas de biens vendus par expropriation forcée ; ces dispositions n’ont aucun intérêt. X X _# Avec le titre V nous trouvons une matière importante sous l’ancien régime: c’est celle des cens et des rentes, qui — 4920 — formaient les principales formes des exploitations de biens fonciers ou des placements d'argent. « Le cens, dit Boutaric (Traité des droits seigneuriaux, Toulouse, 1775), est le devoir ou la redevance due au sei- gneur qui, possédant noblement un fonds en abandonne la dominité utile et n’en retient que la directe ». Donner à cens un immeuble consiste par suite dans le fait d'abandonner cet immeuble à une personne qui en jouira, le cultivera, mais toutefois n’en sera pas propriétaire et paiera régulièrement une redevance. La personne qui détiendra immeuble en aura le domaine ou « la dominité utile », puisqu'elle jouira de l'immeuble et en percevra les fruits ; elle pourra même aliéner cette « dominilé utile », mais à. charge de payer les lods au propriétaire qui aura retenu le domaine direct ou plus simplement « la directe ». «Les Lods, nous fait savoir d’Orival, sont dans le contrat censuel ce que les coutumes appellent en maüère de Fief Quint et Requint. Laudinia, du mot latin Laudarer, louer, approuver; car en effet, ce droit n’est autre chose que le prix de lapprobation où du consentement que donne le sei- oneur direct au changement de main; les iods sont dus de droit commun et par la propre nature du bail à cens ». À Besançon la personne qui stipule un cens à son profit peut aussi insérer dans l’acte de cession le droit de lods et une amende de trois sols etevenans, s’il y a défaut de paiement du cens ou dissimulation d’une aliénation par le censitaire. Le livre de Gauthiot d’Ancier permettait même de faire payer « soixante sols d’amende pour les lods recelés ». La loi bisontine prohibe le droit que le bailleur à cens se réserverait de succéder au censitaire en certains cas « parce que ces sortes de conventions qui approchent de la main-morte ont paru odieuses dans une ville qui a toujours tâché de conserver son ancienne liberté ». Les lods réservés aux bailleurs en cas d’aliénation par vente sont du douzième du prix. Re. — AD — Notons encore cette règle toute spéciale à la coutume de Besançon (article 6 du titre V): « on ne peut stipuler par contrat de bail à cens ny autre, de planter dans l’ancien territoire et la banlieue de Besançon du plan, appelé com- munément du Gamé ou Gamet, et il n’est pas permis aux citoyens et résidens dans lesdites ville, ancien territoire et banlieue d’y en planter, à peine d’être arraché et d'amende arbitraire ». Il ne faut pas oublier que les anciennes vignes de la cité formaient la principale richesse des Bisontins et qu’elles étaient emplantées surtout de Pineau noir ou blanc. Elles fournissaient donc un vin excellent, auquel la substitution du Gamé ou Gamet eût fait perdre sa vieille réputation bien établie. On voulait conserver la marque et on protégea les meilleurs plants ; mais il est aussi permis de penser que la plantation d’un cépage ordinaire, à fort rendement, tel que le « Gamé » eût donné naissance à une concurrence redou- table qu'auraent faite les propriétaires des nouveaux plants aux détenteurs des anciennes vignes. Ces derniers, qui vrai- semblablement avaient voix à l'Hôtel de Ville et au Parle- ment, se défendirent et firent édicter la prohibition, assez injuste à notre sens, puisqu'elle condamnait le vigneron à cultiver des ceps d’un très maigre rendement. Pour colorer leur résistance à l’introducüon de lodieux « Gamé » nos ancêtres estimaient ou tout au moins fei- gnaient de croire que cette variété de vigne n’est pas saine et que son vin pouvait donner la lèpre. Continuant notre étude nous abordons les règles spéciales à la prescription qui forment le titre VI du Commentaire de d’Orival. La coutume du Comté de Bourgogne décidait que les arré- rages des cens, des redevances diverses et des rentes se no prescrivaient par cinq ans ; à Besançon, le débiteur de ces sortes de prestations n’était libéré que par l’expiration du laps de trente ans. Les salaires des serviteurs ou autres de cette nature ne se prescrivaient que par cinq ans (art. 7). Nous apprenons en passant que les dettes pour fourni- tures de marchandises ou « les parties d’apoticaire », avant l’an 1700, ne se prescrivaient que par trente ans. Depuis 1700 la prescription était réduite à un an. k K # Avec le titre VIe que nous venons d'analyser se terminent. les règles spéciales de la législation civile ; mais le corollaire nécessaire de toute la loi se trouve dans la manière d’in- tenter les poursuites, d'exécuter les jugements. D'’Orival, adoptant un ordre logique, a consacré les derniers titres (VIL et VIII) de son travail aux voies d'exécution. * x La première voie d'exécution est la saisie mobilière que d’Orival distingue assez peu de la saisie-arrêt. Les Bison- ins avaient autrefois en cette matière un privilège tout par- ticulier, celui « de barrer et arrêter eux-mêmes, sous le ministère des huissiers ou sergens, tant dans la cité que dans son ancien territoire les effets de leurs débiteurs, laquelle barre ou saisie durait vingt-quatre heures; mais cet usage qui est justifié par plusieurs mémoires des an-. ciens avocats et par les journaux de la cité, a été aboli par l'ordonnance de 1667 ». Toutefois pour restreindre cette faculté, il avait déjà été déclaré, par édit du 29 octobre 1651, que pendant le temps des foires on ne pouvait saisir les effets des étrangers. Ce genre de saisie ne s’appliquait pas aux biens des — 495 — citoyens pour lesquels il fallait, avec raison, une procédure plus régulière. Le maire ou son lieutenant pouvait donner lautorisation de faire la saisie-arrêt sur toutes sommes dues (art. 3). En cas de délit ou même de quasi-délit, celui qui se pré- tend lésé peut faire saisir, arrêter et incarcérer son prétendu débiteur en se constituant prisonnier avec lui. Le plaignant peut sortir de prison en fournissant caution pour les domma- ges-intérêts que pourra lui réclamer le prétendu débiteur si la plainte n’est pas reconnue fondée. De son côté le prétendu débiteur peut faire lever l’écrou en fournissant caution (art. 4). La saisie brandon ou saisie des récoltes est encore l’une des voies d'exécution qu’on rencontre aujourd’hui. Dans le Code de procédure civile, le législateur de 1806, pour proté- ger le débiteur n’a permis ce genre de saisie que « dans les six semaines qui précèderont l’époque ordinaire de la matu- rité des fruits ». D’Orival nous apprend qu’à Besançon ce genre de saisie ne peut être pratiqué en ce qui concerne les fruits de la vigne qu'après le jour de saint Jean-Baptiste (24 juin). Cet usage est fondé sur l'incertitude de la récolte. Les fruits saisis avant la date plus haut indiquée se vendraient sur pied à vil prix. En ce qui concerne les fruits des terrains autres que les | vignes ils pourraient être saisis avant le jour de la saint Jean- Baptiste. La saisie, quelle que soit sa forme, est suivie d’une vente, après laquelle a lieu la distribution des deniers. L'ordre dans lequel peuvent se présenter les créanciers pour toucher le produit de la vente est le suivant : 1° frais de justice ; 2° frais funéraires ; 3° frais de dernière maladie ; 4° gages de la der- nière année pour les serviteurs et domestiques ; 5° salaires dus à l’ouvrier qui a cultivé le fonds la dernière année. Le créancier saisissant arrive ensuite par privilège. En cas de | banqueroute ou de faillite ce privilège du premier saisissant n’existe pas. On peut conjecturer que d’Orival, d’après les 2 07 ne explications qu’il fournit, assimilerait à la faillite la déconfi- ture des non-commercants. Le créancier saisissant arrivera au même rang que le créancier hypothécaire, s’il existe des hypothèques sur les meubles. À cette époque, en effet, les meubles peuvent être hypothéqués, contrairement à ce qu'a déclaré le législateur du Code civil. x *X + Si le débiteur a des fonds de terre, le créancier pourra recourir à la saisie immobilière appelée dans le livre de Gau- thiot d'Ancier la « pratique des décrets ». Ce livre contient : quelques règles originales qu'il est bon de remettre en lumière. Le créancier doit tout d’abord obtenir de l’un des juges des trois justices (régalie, vicomté ou mairie) des lettres exécutoires aux meubles et héritages. À cet effet il jure tout d’abord que « réalement la somme ou rente et arrérages par lui prétendus sont dehus et que rien ne lui a esté payé n1 à aultre pour lui... lequel serment sera imseript au papier de la justice. » ; On ne peut saisir pour une faible somme: « deffendons que pour petite somme à lui dehue ou pour un ou deux termes d’arrérages échus lon ne puisse prendre plusieurs héritages de bonne et grande valeur car ce serait deshériter le pauvre homme. » Si le créancier a obtenu les « lettres exécutoires », il doit d’abord mettre le débiteur en demeure de fournir du mobilier en quantité suffisante pour payer le montant de la somme réclamée. À cet effet le sergent choisi par le créancier doit faire « quatre diligences » aux biens meubles «entre les- quelles il y aura toujours trois jours ». « Et si lesd. sergents, en faisant lesd. diligences, obtien- nent aucuns meubles desd. Debteurs, seront tenus mettre en leur relation ce qu’obtenus en auront, et lesquels meubles 2295 seront commis au vendage par le juge... et crier diligemment et sans frauldes aux Rondes de Saint-Quantin, au devant lhostel de ville ou au Pillory... le prix d’iceulx porté aux juges (sic) lequel prendra huit engrognes pour sa distribu- tion, et pour les sergens qui auront prins et criés les meu- bles quatre blancs et pour le scribe avant escript l’acte deux blancs. » Si le débiteur n’a pas fourni quantité suffisante de mobi- lier, on passe à la saisie immobilière, qui constitue une véri- table main-mise sur la propriété puisque le sergent en appréhende une parcelle. Il se rend sur: place et. doit « prendre les eschantillons de bois ou de terre. » Le livre donne ce détail que le bois que le sergent enlèvera sera extrait de la porte de la maison. Le débiteur est ensuite ajourné devant le juge : le sergent exhibe les échantillons;-et le magistrat ordonne par jugement qu’il sera procédé à la vente. Celle-ci est précédée de publi- cations aux trois places de Saint-Quentin, de l'Hôtel de Ville et du Pilori. Le mode d'attache des affiches est prévu : elles doivent être maintenues « avec des clous ou soie ferme, » Après les criées toute personne a le droit de faire connaitre qu’elle se porte enchérisseur ;: son enchère est reçue par le sergent qui la communique au scribe de la cour. La criée a lieu « les jours de samedi seulement » parce que c’est Jour de marché. : La première criée faite, le nom de l’amateur qui a mis une enchère est signifié au débiteur. Il y aura trois criées : entre chacune d’elles il devra s’écou- ler un délai de un mois franc ou de deux mois francs. À chaque instant le débiteur peut faire opposition à la pro- cédure qui est dirigée contre Ilui: cependant, après la troisième criée, il devra prêter serment qu'il n’a pas eu con- naissance des actes de poursuite immobilière. Les créanciers autres que le saisissant peuvent obtenir un 27 — 426 — quatrième et un cinquième édit (probablement une quatrième et une cinquième criée). Le tarif des émoluments relatifs aux actes est fixé par le livre de Gauthiot. «Chaque sergent a droit pour criée, affiches, relations, édits à quatre blancs ; pour la prise des échantillons il perce- vra aussi quatre blancs, « si c’est en la cité » ; s’il s’est trans- porté en dehors des murs il aura « six blancs ou trois sols selon la distance des lieux. » Le juge reçoit les droits suivants : « pour scel d’une lettre exécutoire, huit engrognes ; pour chaque édit, deux engro- gnes, pour le jugement interlocutoire, huit engrognes, pour le jugement définitif, trois sous. » Si, de la vieille procédure relatée dans le livre de Gauthiot nous passons à la saisie immobilière telle qu’elle est prati- quée au temps de d’Orival, nous voyons qu'on a encore coutume d'exiger que le saisissant ne procède point pour le recouvrement d’une somme trop faible ; il faut done pour saisir immobilièrement être créancier pour une somme ou valeur d’au moins cinquante francs, monnaie ancienne, qui formaient 13 livres, 6 sols, 8 deniers, au commencement du XVIIIe siècle. Le débiteur est également sommé d’avoir à fournir des meubles suffisants pour empêcher la saisie de ses immeu- bles. | Cette sommation sera nécessaire, mais dans la Coutume du Comté de Bourgogne, on était plus strict qu'à Besançon : le créancier saisissant devait d’abord faire saisir les meubles et ilne pouvait exproprier les immeubles que s'il n’avait point été couvert par la vente du mobilier. Le débiteur peut payer son créancier et interrompre les poursuites Jusqu'au jour de ladjudication. Dans le comté de Bourgogne, on le favorise davantage et il peut tout annuler par le paiement de sa dette jusqu’au jour de la dis- tribution des deniers provenant de l'adjudication sur saisie. — 427 — La codification de d’Orival donne encore quelques règles sur la surenchère et la distribution du prix de l’immeuble exproprié. La surenchère ou « tiercement », n’est pas facilitée, car « le tiercement est la moitié du prix, c’est-à-dire que si le prix est de 2,000 livres, celuy qui veut tiercer doit y ajouter 4,000 livres (art. 8) ». Les frais d’expropriation se prélèvent sur le prix des biens vendus. Dans le Comté de Bourgogne, au contraire, chaque créancier colloqué fournit moitié des frais « au sol la INre ». Les caractères particuliers de l’ancienne Coutunie de Besancon. Après avoir examiné ce que contenalent de plus remar- quable les 80 articles de notre vieille coutume, si nous chercuons à en déterminer les caractères propres, nous voyons que le droit bisontin constituait dans beaucoup de cas un progrès très réel sur la législation de la province. L’abolition de la mainmorte, ainsi que celle du-droit d'é- chûüte qui en était la conséquence, tendait à la suppression d'un privilège au profit de la noblesse, privilège qui depuis longtemps ne se comprenait plus dans lPancienne France. Une terre infertile, en friche, avait pu être, dans des temps très anciens, donnée, moyennant redevance annuelle, à une famille de cultivateurs ; sur cette terre des générations de travailleurs avaient peiné, fait des amendements, élevé des constructions coûteuses, et pourtant aucun des mem- bres de cette famille, malgré la valeur du travail incorporé au sol, ne pouvait disposer au profit d’un étranger de sa part dans la plus-value constituée par les améliorations. Il y avait mieux : le père lui-même ne pouvait rien transmettre à l'enfant qui ne vivait pas à sa communion. Il y avait là — 498 — une injustice évidente. La famille de celui qui avait concédé originairement le sol n’eût dû, en saine logique et en vertu du principe que nul ne doit s'enrichir aux dépens d'autrui, pouvoir reprendre que le sol et tenir compte au légataire du possesseur ou à son fils, des transformations avantageuses réalisées. Mais on allait plus loin encore : la coutume franc-comtoise décidait que les meubles eux-mêmes créés de toutes pièces par le mainmortable ou acquis par lui, ne pouvaient être transmis à un tiers ou à un enfant ne demeu- rant pas sur la seigneurie. L'homme de mainmorte, dans les villes et villages de notre contrée, ne pouvait se soustraire lui-même à son seigneur qu’en lui abandonnant «ses meix et héritages mainmortables », c’est-à-dire tous ses immeu-. bles et la tierce partie de ses meubles dans un eas (si le seigneur est en tort), les deux autres tiers dans lPautre cas (si le seigneur n’est pas en tort). Ces règles iniques appe- laient évidemment une réforme, car le seigneur était avan- tagé d’une manière trop frappante ; aussi l’on conçoit la réaction qui se produisit contre un tel état de choses. Besan- con tout au moins, de temps presque immémorial, avait échappé à un semblable servage. | Dans la matière des sUCCESSIONS, les Bisontins, en se réfé- rant aux Novelles de J'ustinien, amélioraient la situation du père, de la mère et de tous autres ascendants. Si l’on s’en était tenu, en effet, à la coutume de la Comté, les père et mère venant à la succession de leurs enfants, n’eussent hérité que des meubles, acquêts et donations par eux faites ; les mêmes principes eussent été appliqués aux autres ascendants ; de la sorte, au cas où le défunt eût possédé. des immeubles qu’il n’eût point acquis par son travail mais qui, par exemple, lui avaient été donnés ou légués par un tiers ou un parent, il s’en serait suivi que les père, mère, aieul, aïeule, n’en eussent pas hérité et que, bien au con- traire, ces biens fussent passés à des collatéraux. même fort éloignés. Etait-ce juste ? Etait-ce conforme à l’affection 499 présumée du défunt ? Certainement non. Nos ancêtres bisontins, en refusant de se soumettre à la règle adoptée par la Coutume de la Comté, revenaient au principe fort juste de l'affection comme guide de la dévolution des biens, et par là se rattachaient à un système que le Code civil adoptera plus tard. Là encore nous trouvons un progrès. La matière des retraits monire que dans notre cité on avait une tendance à restreindre la faculté de retrait, qui constituait une formidable entrave apportée par l’ancien régime à la circulation des biens. Favoriser à outrance la conservation des mêmes immeubles dans les mêmes familles, peut aboutir à un appauvrissement du pays si ceux qui conservent les biens sont ou des personnes arriérées ou des personnes qui, ayant trop de biens fonds, ne peuvent les exploiter. On aboutit, en exagérant l’idée de conservation, à créer les grands domaines et à forcer le propriétaire à affermer, ce qui est bien le pire mode de cul- ture ; | Le pouvoir du père de famille, nous l'avons déjà remar- qué, est fortifié par la Coutume bisontine, tandis que la ten- dance moderne est plutôt à son affaiblissement. Est-ce un bien ? est-ce un mal? Il y a là une question que nous n’avons pas à juger 1c1. Les vieux Bisontins n’admettent qu'à regret qu’on invo- que la prescription. Les longs délais (30 ans) qu'ils accor- daient anciennement aux marchands pour exercer leurs poursuites ne sont en harmonie qu'avec les formes d’un négoce primitif, où les transactions peu importantes sont, en outre peu nombreuses. C’est à juste titre que Louis XIV abrogea de semblables coutumes, qui compliquaient les règlements de compte et les éternisaient. _ Dans la matière des saisies, nous avons pu voir que la conquête de la ville par Louis XIV fit encore disparaitre un régime plutôt arbitraire en usage à Besançon, celui d’après — 430 — lequel un citoyen de la ville pouvait lui-même faire oppo- sition sur les effets de son débiteur étranger sans le minis- tère d’huissiers ou de sergents. Une saisie que tout citoven pouvait faire lui-même, pour quelque cause que ce fût, devait mettre au comble l'insécurité des forains qui avaient des meubles ou des créances dans notre ville ; cette mesure arrivait à ce résultat d’éloigner les étrangers et de paralyser les transactions. Son abrogation était donc néces- saire, car généralisée et admise pour chaque ville, une telle faculté eût rendu le commerce pour ainsi dire impossible. La poursuite en expropriation immobilière est, à juste titre, limitée par le Coutumier bisontin, qui ne la permet, dans les derniers temps, que pour une somme minima assez importante pour l’époque, cinquante francs, qui, à l'heure actuelle, représenteraient cinq à six fois autant. Cette limi- tation forçait le créancier à se venger sur les meubles. De la sorte nos ancêtres mettaient, en certains cas, à abri d’un créancier exigeant, la terre qui était pour eux le principal instrument de travail, puisque la population bisontine était surtout composée de vignerons et de cultivateurs. Nous ne prolongerons pas davantage ces observations générales, car nous n'avons eu pour objet que d'attirer l'attention sur les points saillants du droit bisontin qui dis- parut, comme d’ailleurs tout le droit coutumier, dans le mou- vement révolutionnaire, L'unité de législation était un désir de tous les grands esprits du xXvIrre siècle, et nous ne pou- vons que nous réjouir de ce que, commencée durant la période de transition qui prend son origine en 1789, cette réforme fut réalisée par ces grands monuments juridiques qui se nomment le Code civil, le Code de commerce, le Code de procédure civile, etc. Il nous a paru toutefois bon de faire revivre le passé et de démontrer que: les. vieux Bisontins avaient déjà souci de la perfection en législation, qu'ils avaient réalisé des améliorations assez considérables — ÀA31 — et que leurs tribunaux, même à des époques reculées, appli- quaient, en matière civile tout au moins (car en matière pénale il y aurait beaucoup à dire), des lois plus parfaites déjà que celles qui régissaient le territoire de la France. L’antique fierté des « Besançonnois », revendiquant avec chaleur lapplication de leur coutume, n’est donc point pour nous surprendre. Elle avait sa raison d’être, et une étude approfondie des textes ne peut que justifier l’obstination de nos anciens concitoyens. FREMAROQTES SUR LA MIGRATION DES HIRONDELLES DE FENÊTRE (Chelidon urbica L.) Par M. A. KIRCHNER MEMBRE RÉSIDANT Séance du 20 mars 1909. Mon travail se compose de deux parties distinctes. La première est relative aux observations que j'ai faites ici- même à Besançon (voir Mémoires de la Société, vol. 1907, p. 306-369), ainsi qu'aux conclusions que j’ai été amené à en tirer. Ces dernières ont été communiquées par moi à M. Cunisset-Carnot, qui les a approuvées et qui les a repro- duites dans le journal le Temps (voir les n° des 43 et 27 octobre 1908). Dans la seconde partie, J'ai essayé d'exposer dans son ensemble le phénomène de la migration des hirondelles, en m'appuyant sur plusieurs observations récentes qui ont été rapportées par divers journaux, entre autres par le Temps et par l’Illustration. | L. Recherches sur la cause déterminante du départ de nos hirondelles de fenêtre. Tout le monde sait combien le départ de nos hirondelles varie suivant les années ; les dates extrêmes sont comprises entre mi-septembre et fin octobre. Mais la cause de ces variations n'a Jamais été bien élucidée. — 433 — Beaucoup de personnes admettent que les hirondelles ont la prescience du temps, c’est-à-dire qu’elles prévoient ou sentent à l’avance si l’automne sera beau ou pluvieux, si les froids de lhiver seront précoces ou tardifs. Il n’en est rien cependant; et il suffit de comparer les dates des départs avec. les observations météorologiques pour s’apercevoir qu’il n y a aucune corrélation entre les deux phénomènes. D'ailleurs, comment les hirondelles pourraient-elles prévoir le temps plusieurs semaines à l’avance, alors que l’homme, malgré toute son intelligence, malgré tous ses instruments, malgré le télégraphe même, est absolument incapable de le prévoir plus de 48 heures à l'avance ? (1). On ne peut pas davantage invoquer le manque de nourri- ture, c’est-à-dire la diminution graduelle ou la disparition totale des insectes. Des observations répétées m'ont en effet prouvé que les insectes ne commençaient à disparaitre le plus souvent que longtemps après le départ des hirondelles (1 mois en moyenne, excepté toutefois s’il survenait une longue période de pluies). Au reste, mes observations ne sont pas isolées; elles se trouvent confirmées dans une lettre adressée en octobre dernier à M, Cunisset-Carnot par un de ses correspondants qui habite Venise (en Italie), lettre dans laquelle ce correspondant lui signalait que les hirondelles avaient abandonné la ville des doges dès la fin de juillet, tandis que les moustiques n'avaient point cessé de dévorer les habitants pendant les mois d'août et de sep- tembre. Il faut donc chercher une autre cause que les deux pré- cédentes pour expliquer ces variations. Après 15 années d'observations suivies, je crois être parvenu à serrer le pro- blème de plus-près, de façon à pouvoir en donner une solu- (1) Considérez aussi les cigognes, qui arrivent en Suisse et en Allema- gne dans la seconde moitié de février, c'est-à-dire avant la fin de l'hiver, et qui en repartent dès la mi-août. — 134 — tion à la fois rationnelle et conforme aux faits. Comme je l’ai déjà signalé dans mes observations phénologiques, le nombre des hirondelles, loin d'augmenter vers la fin de l’été, décroît quelquefois sensiblement à partir de la fin de juillet ou du commencement d'août Plus les chaleurs de juillet seront fortes et prolongées, plus une partie de nos hirondelles nous quittera de bonne heure Ce fait concorde avec l’observation du correspondant de Venise, que je viens de relater. Or ces hirondelles qui s’en vont si tôt, ce sont les anciennes, les vieilles ; dès que leur dernière nichée est élevée, elles considèrent leur tâche comme accomplie, et, délaissant leurs -nids, elles se rassemblent pour partir. Il m'a été d'autant plus facile de le constater l’an dernier que, par une très rare exception, elles n’ont fait qu’une seule couvée. D’habitude elles en font deux par an; alors les divers départs, se suivant de près, sont malaisés à distin- guer ; la date moyenne peut en être fixée autour du 30 sep- tembre. Une autre année, exceptionnelle aussi, m'avait déjà mis sur la bonne voie : c’est l’année 1905; elle est remar- quable à cause du départ si tardif de nos hirondelles, malgré un mois d'octobre froid et brumeux, et aussi parce que, cette année-là, elles firent trois couvées ; c’est précisément la dernière qui demeura si longtemps dans nos pays et qui se laissa surprendre par le froid, surtout en Suisse et en Alsace. J'en ai conclu dès ce moment que les hirondelles n’éprou- vaient pasle besoin de voyager avant d'être adultes et que linstinct de migration ne s’éveillait pas en elles avant un certain terme. Aussi, presque chaque automne, en reste-t-il quelques-unes par ci par là, trop jeunes ou trop faibles pour partir, qui sont alors condamnées impitoyablement à périr de’ faim-etéde/troidAIhest enr ettet très diriellenrdenlèn faire passer l’hiver dans nos contrées (1). Pour y réussir, ü (1) A l'inverse des cigognes, qui se laissent facilement domestiquer et supportent parfaitement notre climat en hiver. — 435 — faut pouvoir les loger dans une grande serre chauffée 1) et se donner la peine de les nourrir en attachant tous les jours, délicatement, à des fils suspendus, de petits mor- ceaux de viande crue, semblables à des mouches qui vole- raient dans l'air : car les hirondelles ne touchent point à la nourriture qu'on dépose sur une assiette. Une autre constatation intéressante, c’est que leurs départs ne s'effectuent pas partout de la même manière : dans beaucoup de villes elles se fractionnent en bandes plus ou moins nombreuses ; dans d’autres, au contraire, elles se rassemblent chaque automne sur le même édifice pour partir ensemble (par rang d'âge). Je me souviens que cela se pas- sait ainsi à Strasbourg, avant le bombardement de 1870 ; le faîte du vaste toit de l’ancien Temple Neuf leur servait alors de lieu de réunion ; là, chaque année, en août et en septembre, pendant plusieurs jours de suite, parfois pendant plus d’une semaine, on pouvait voir se rassembler tous les soirs, en longue file serrée, les cigognes d’abord, puis, à deux reprises successives, les hirondelles de fenêtre. 1905 Départ des anciennes hirondelles: :...1....2..+:mi-septembre. — des jeunes des premières couvées. . . fin septembre. — des jeunes de la dernière couvée. . . . 27 octobre. 19085 Déparbdes anciennes hirondelles: &:..,. :1 .: comt août. — des jeunes hirondellés.. .-. ::.:. ..::-22 septembre. REMARQUE. — La régularité des départs chez d'autres espèces, teiles que les martinets et les cigognes, tient à ce que ces oiseaux ne font, en général, qu'une seule couvée par an. (1) Comme il y en a dans l’ouest de la France, en Belgique et en Angle- terre. Ce sont quelquefois de véritables salles vitrées, attenantes à la maison d'habitation et communiquant avec elle. — 436 — If ÿ Aperçus nouveaux sur la migration des hirondelles de fenêtre. En abordant le phénomène plus général de la migration des hirondelles, je dois avouer que nous sommes encore très imparfaitement documentés, malgré les renseignements fournis par quelques voyageurs dans ces cinquante der- nières années. Cependant nous en savons plus long que du temps de Linné et de Buffon. Peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt de comparer nos connaissances actuelles avec celles que l’antiquité nous a léguées sur ce sujet. Hérodote rapporte qu’en Ethiopie il y a des hirondelles toute l’année (IT, 22). Mais il ne spécifie pas lesquelles. Aris- tote, traitant de la migration des oiseaux, a écrit : « Beaucoup d'oiseaux se cachent; tous ne s’en vont pas dans des con- trées chaudes, comme quelques-uns le croient, par exemple les milans et les hirondelles (yeAièdoves). Quand les hiron- delles sont voisines des lieux où elles ont l'habitude de séjourner, elles y retournent (s. ent. en automne) ; celles qui en sont plus éloignées, n’émigrent pas, mais se cachent. On a trouvé en effet dans des cavités (1) des quantités d’hiron- delles, toutes dépouillées de plumes. On a vu aussi des mi- ans sortir de pareils endroits, dans la saison où ils paraissent pour la première fois... La cigogne, le merle, la tourterelle, l’alouette se cachent également. La tourterelle est l’oiseau dont on peut l’affirmer avec le plus de certitude... Parmi les ramiers, 1l en est qui se cachent, d’autres ne le font pas, (1) év dyyerouw : Gaza à traduit in angustiis convallium; Scaliger a traduit in cavernis. Le terme grec est imprécis. [Il peut s'entendre évi- demment de cavités plus ou moins grandes: trous dans le sol, creux d'arbres, fentes de rochers, grottes, cavernes. — ÀAST — mais s’en vont en même temps que les hirondelles. La grive et l’étourneau sont de ceux qui se cachent...» (Histoire des Animaux, I. VIIL, ch. 16). Il est évident que dans ce passage Aristote a surtout en vue les hirondelles de cheminée. On a beaucoup discuté au sujet des trois espèces qu'il a citées: la chélidôn, l'apous ou kupsélos, et la drépanis. Les naturalistes sont aujourd'hui d'accord pour reconnaître dans la première notre hirondelle de cheminée (hirundo rustica L.) et dans la troisièrne notre martinet des Alpes (cypselus melba L.) Il n’y a de désaccord sérieux que sur la seconde espèce, et ce désaccord tient à ce qu'Aristote en a donné une description confuse et con- tradictoire : si l’on s’en tient uniquement à l'indication des pattes velues (tarses emplumés), on peut l’assimiler au mar- tinet noir ; mais tout le reste de la description, la petitesse de l’oiseau, la construction de son nid, répond plutôt à la cotyle de rivage (cotyle ripuriæ L.). J’en conclus qu’Aristote n'a connu, ou du moins qu'il n’a pu observer par lui-même, ni le martinet noir (cypselus apus L.), ni l’hirondelle de fenêtre (chelidon urbica L.), tous les deux si caractéris- tiques pourtant par leurs mœurs ; autrement, il les aurait certainement décrits avec plus de précision et de détails. Peut-être ne fréquentaient-ils pas la Grèce dans lPantiquité ; il serait d'autant plus important de bien savoir comment ces deux espèces y sont représentées de nos jours. Pendant longtemps les migrations des hirondelles sont restées un secret pour les savants. Au xvi* siècle encore, quelques auteurs se refusaient à y croire, préférant admettre qu’elles passaient l'hiver cachées dans des trous et plongées dans un sommeilléthargique. On en rapporte divers exemples, qui paraissent authentiques, surtout pour l’hirondelle de che- minée et la cotyle de rivage (voir Brehin, Oiseaux, vol. T, p 523-5926). Passons maintenant à notre époque. Pour ma part, j'ignore entièrement comment le phénomène se présente en Amé- — 438 — rique (aux Etats-Unis et dans l'Argentine), ainsi qu’en Asie (dans la Sibérie, la Chine, l'Inde), n'étant pas parvenu à me documenter sur ces contrées. En Europe, un des grands pas- Sages, c'est le détroit de Gibraltar, il a été observé avec soin par les Anglais, plutôt pour ce qui concerne les arri- vées au printemps que les départs en automne. On ÿ a noté les dates des passages, le nombre et la valeur des bandes. Mais ce n’est assurément pas le seul; j'ai acquis la convic- tion qu'il devait y avoir également des passages importants de la Sicile en Tunisie, tout le long du Bosphore et de l’Ar- chipel grec, enfin à travers le Caucase. En voici une preuve. Les récits des voyageurs nous ont appris que de grandes bandes d'hirondelles s’abattent fréquemment, en octobre, sur les mâts des navires, au sortir de la mer Rouge. On s’imagine communément qu'elles viennent en droite ligne de France ou d'ftalie ; c'est là, à mon avis, une erreur de juge- ment dont il serait facile de s’apercevoir avec un peu d’atten- tion. Car, pour moi, ce sont des hirondelles qui viennent de PAsie mineure et de la Palestine, et qui, ayant négligé de passer en Egvpte par l’isthme de Suez, se trouvent arrêtées dans Arabie méridionale par l’océan Indien. Force leur est alors d’obliquer à droite et de franchir la mer Rouge. Ce qui les accable dans cette traversée, ce n’est pas la longueur du trajet. mais la lourde chaleur qui règne encore dans ces parages à ce moment de l’année. Débarquées sur la terre d'Afrique, elles se réfugient sur les plateaux élevés de l’Abys- sinie (ancienne Ethiopie), pour de là peut-être, à travers la région des grands lacs, descendre jusqu'à la Zambésia et au Transvaal, leurs pays d’hivernage. Cette opinion, qui n’est pas nouvelle touchant les martinets, demande néanmoins à être vérifiée pour les hirondelles de fenêtre. Sans vouloir juger par analogie, je citerai une observation récente, relative aux cigognes. Un professeur d'une ville de l'Allemagne orien- tale a eu la bonne idée, dans le courant de l'été 1907, de poser es anneaux de cuivre avec inscription du lieu et de la date 42, — 4 === aux pieds de plusieurs cigognes. Or, dès le printemps de 1908, il apprenait qu'une de ces cigognes avait été tuée sur les bords du Zambèse par un chasseur angiais (v. le Temps). Et. l’on croyait jusqu'à présent que nos cigognes hivernaient en Egypte ! Nous ignorons de même comment s’opère le retour des hirondelles et leur répartition à travers l'Europe. Il est pro- bable que celles qui franchissent les Pyrénées se répandent en France, dans les Pavs-Bas et lesiles Britanniques ; celles qui remontent l'Italie, occupent sans doute la Suisse, le Tyrol autrichien, l'Allemagne, le Danemark, la Suède; quant à celles qui viennent de Egypte par l’Asie mineure, elles doi- vent se répartir d'une part dans les iles de lArchipel grec, d'autre part à travers la péninsule balkanique jusque dans la Hongrie, la Prusse orientale et la Pologne Il me paraît enfin très vraisemblable que les bandes qui arrivent les premières dans le midi de l’Europe, sont celles qui remontent le plus loin vers le nord ; au départ, ce sont au contraire celles du midi qui repartent les premières. Les principales questions à résoudre sont les suivantes : Rencontre-t-on en hiver (de décembre à février) des hiron- delles, des martinets, des cigognes, entre les deux tropiques ? — En voit-on, soit en hiver, soit en été, dans le nord de l'Afrique (Maroc, Algérie, Tunisie), en Egypte, en Grèce ? — Les hirondelles de notre région (Alsace, Franche-Comté), du Lyonnais, de la Provence, arrivent-elies et repartent-elles par l’ftalie ou par l'Espagne ? On admet généralement, sans trop de preuves, que les anciennes hirondelles retournent chaque année au même endroit, on va jusqu’à dire au même nid. Cependant le nombre des hirondelles, qui séjournent en été dans notre ville, varie, parfois, considérablement d’une année à l’autre : ainsi, lan dernier, c’est à peine si le tiers des nids à été occupé. Pour ce qui concerne les jeunes, j'ai eu récemment connaissance d’une observation curieuse, qui vient. d'être 20 signalée par M. Forel à la Société helvétique des sciences. Il s’agit d’une hirondelle de Barcelone (Espagne), qui aurait niché l’année suivante, dans le courant. de l'été 1908, à Lucerne (Suisse). Voir l’Illustration de décembre 1908. Qu'il me soit permis de terminer cette notice par une observation personnelle, qui ne rentre qu'indirectement dans le cadre de mon sujet, car elle se rapporte aux marti- nets, mais qui explique fort bien pourquoi nos hirondelles n’ont eu qu'une seule nichée l’année dernière. C'était un dimanche, le 24 mai 1908 : il tombait une pluie froide et continue; la veille 1l avait même neigé; la température était descendue au-dessous de + 7 degrés (maximum de la jour- née), quand tout à coup, à 4 heures du soir, un groupe nom- breux de martinets, affolés par le mauvais temps, vint se réfugier par les fenêtres ouvertes dans le logement de M. P..., sis à Besançon au second étage du vieux Saint- Esprit. Les pauvres oiseaux étaient iransis de froid et affa- més ; ils se laissaient prendre à la main sans résistance. On les réchauffa en les enveloppant de coton, on leur donna à boire un peu de lait ; après une heure environ, ils purent de nouveau s'envoler. Le fait s’est reproduit sur une moindre échelle dans d’autres maisons de notre ville. Un nombre inconnu de martinets noirs ont péri ce jour-là. LA Société d'Emulations du Doubs, 1908. PIS VIE GEORGES SIRE MEMBRE CORRESPONDANT DE L'INSTITUT ANCIEN PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ D’'ÉMULATION DU DOUBS 1826 - 1906 GEORGES SIRE MEMBRE CORRESPONDANT DE. L'INSTITUT ANCIEN PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS Par Ant. MAGNIN MEMBRE RÉSIDANT Séance: du 17,.janvier 1907, La vie de G. Sire, cette belle existence si simple et cepen- dant si remplie, est un exemple de ce qu'une intelligence remarquable peut produire de bon et d’utile, dans la science et dans la vie sociale ou privée, malgré les difficultés du début, les entraves que des conditions modestes de famille peuvent apporter à son premier développement: G. Sire a été d’abord un autodidacte et le savant fut bien véritable- nent le fils de ses œuvres. LS X * Etienne-Georges SIRE est né à Besançon le 4 juin 1896 ; son père était un menuisier, habitant la rue Ronchaux, et il ne semble pas qu’il ait pu faire suivre à son enfant les cours de l’enseignement secondaire. Le premier renseignement précis que nous avons pu recueillir nous le montre apprenti sculpteur, à Paris, dans un petit atelier où travaillait aussi un autre jeune apprenti, qui devait devenir plus tard un maitre : Carpeaux; Sire doit probablement à cet apprentissage, l’habileté manuelle qui lui permit, dans le cours de ses recherches, de construire avec 28 0 une si grande perfection les modèles de ses expériences de mécanique, véritables chefs-d’œuvre d'élégance et de préci- SION. Cependant sa vocation scientifique paraît s’être révélée de bonne heure ; à 19 ans, il entre comme préparateur de phy- sique à la Faculté des Sciences de Besançon, au moment de sa création, en 1845; il y fut donc le premier préparateur, de même que son maître PERSON en fut le premier profes- seur de physique (1). C’est pendant l’exercice de ces fonctions que Sire fait les études nécessaires pour obtenir les grades universitaires de bachelier ès-lettres (1850), de bachelier ès- sciences (1852, 1853) et enfin de licencié ès-sciences (1855). Sire remplit les fonctions de préparateur de Person, dont il était l'élève favori, pendant 10 ans, du 24 mars 1845 au 5 janvier 1856; il s’y fit remarquer par «une intelligence peu commune » (Person) et une très grande habileté : « c’é- tait alors, nous dit M. Vaissier (2), un grand et bel adoles- cent sous le tablier d’apparileur, préparant avec une häbileté remarquable les expériences du professeur. » Mais, en rem- plissant ces fonctions modestes et absorbantes, il trouvait encore le temps de faire des recherches personnelles, un certain nombre de communications de physique et de météo- rologie, publiées dans les Mémoires de notre Société, ou présentées à l’Académie des Sciences, datent, en effet, de cette première période; on peut citer particulièrement ses notes sur la Force attractive el répulsive des aimants (1845), — l’Eclipse de soleil de 1851, — les Phénomènes présentés par certains liquides à la surface d’un éther (1853), et sur- tout celles qui montrent déjà son esprit inventif et son talent de constructeur : notes sur un Appareil pouvant servir à (1) PERSON (Charles-Cléophas), né à Mussy-l'Evêque (Aube), en 1801 ; + à Nice, en 188% ; professeur de physique à la Faculté des Sciences de Besançon, depuis sa fondation (16 fév. 1845), jusqu’à sa retraite (16 oct.1856); il avait succédé, comme doyen, à Sainte-Claire-Deville, le 30 janv. 1851. (2) Allocution prononcée aux funérailles de G. Sire le 16 septembre 1906. EU — démontrer la rotation de la terre {1852), — sur un Appureil simple propre à montrer.de quoi dépend la pression exercée par les liquides sur le fond des vases (1852), — sur un Gazo- mètre à écoulement constant (1854). Enfin, après avoir publié en 1852 une note sur un Météore qui a sévi aux environs «de Besancon (1), Sire condensait les observations météorologi- ques qu'il avait faites à la Faculté, pendant dix ans, de 1846 à 1854, dans un Résumé publié en 1855. Après son départ de la Faculté des Sciences, G. Sire s’éta- blit à Besançon, comme essayeur du commerce, de 1855 à 1864 ; entre temps, il professe la physique, la chimie et l’his- toire naturelle à l'Ecole industrielle de la Chaux-de-Fonds (1856-1860) ; puis, en 1864, il est nommé directeur de l’EÆcole municipale d’'horlogerie de Besancon. Dans cette seconde période de sa vie, Sire produit une série de travaux scientifiques du plus grand intérêt. [l conti- nue d’abord ses recherches de physique notamment d’'hydros- tatique, en publiant des notes Sur un nouvel appareil d'hy- drostatique (1864), — Sur quatre méthodes nouvelles pour la détermination expérimentale du principe d’'Archimède (1864) ; puis des observations Sur des formes cristallines de la neige (1863), — sur un Mode particulier de formation des bulles (1862) et sur la Forme globulaire des liquides; ces der- nières recherches lui servirent de Thèse pour le doctorat ès-sciences physiques, qu'il soutint devant la Faculté des Sciences de Besançon, le 20 juillet 1863 (2). (1) I s’agit d'une trombe qui avait parcouru, le 17 septembre 1852, entre 7 et 8 h. du soir, à l'Ouest de Besançon, un territoire qui parait être un véritable lieu d'élection de ces météores ; une trombe semblable y avait déjà été observée le 23 mai 1800 et une autre s’y manifesta encore le 43 juillet 1887. (Voy. notre Climatologie du Doubs, 1893, p. 21. (2) G. SIRE est le deuxième docteur ès-sciences reçu par la Faculté de he Mais ses travaux les plus importants concernent les Mou- vements relatifs : Sire avait déjà communiqué à l’Académie des Sciences, en 1852, une première note concernant un appareil pouvant servir à démontrer la rotation de la terre (1); il reprend la question et publie, de 1855 à 1862, quatre notes ou mémoires sur ce sujet: Sur La tendance des axes de rota- tion au parallélisme (1855), — et Sur son application à la détermination expérimentale de la rotation terrestre (1857); — Appareil montrant les effets dus à la composition des rotations (1859) (?); — Mém. sur le Polytrone et quelques autres appareils servant à l’étude des mouvements de rota- {io (1862) Nous verrons plus loin l'importance de ces recherches. À l'Ecole d’horlogerie, Sire se montra un directeur éclairé et bienveillant, aidé dans sa tâche par des qualités qu’on trouve rarement réunies, celles du savant et du praticien ; ses connaissances spéciales lui permettaient en eflet, de s'occuper des problèmes les plus compliqués de la chrono- métrie, taille des échappements, réglage électrique des horloges, etc. (3). L’horlogerie bisontine et son Ecole furent dignement représentées à l'Exposition universelle de 1867, Besançon, depuis sa fondation (1845) ; le premier est le naturaliste CONTEJEAN (1859) ; puis vinrent TRUCHOT (chimie, 1868) ; CHEVILLIET (mathématiques, 1870) ; Henry, (géologie, 1877) ; PAUCHON, (physique, 1880); Roux (bota- nique. 1900). (1) Get appareil consistait en une roue qu'il avait fait construire par un horloger, en 1851, et dont l’axe, sous l'influence du mouvement de la terre, s’orientait comme une aiguille aimantée, sans déclinaison. (2) Cet instrument permet de montrer avec une grande simplicité com- ment l’axe du corps tournant tend toujours à se placer dans le plan du méridien, quand il est seulement mobile autour de la verticale du lieu. En second lieu, si l’on rend l'axe du corps mobile seulement dans le plan du méridien, il se place parallèlement à celui de la terre, ce qui permet de déterminer approximativement la latitude. Enfin, une disposition particu- lière de l'instrument fournit une représentation mécanique de la translation parallèle de l’axe de la terre dans l’espace (Cf. BouTroux, loc. cit., p. 8.) (3, Voy. DE CHARDONNET, Soc. d’'Emul. du Doubs, 1891, p. 11. — 449 — et Sire donna de cette exposition, à la Société d'Emulation du Doubs en 1870, un compte-rendu rempli d’aperçus inté- ressants. | Sire se préparait du reste aux nouvelles fonctions qu’il allait occuper en donnant, au concours ouvert par le canton de Neuchâtel, en 1865, un mémoire sur le Contrôle et le titre des matières d’or et d'argent : ce mémoire obtenait un prix de 500 francs. La troisième période de la vie de G. Sire se passe entière- ment à la Garantie de Besançon, où il remplit les fonctions délicates d’Essayeur de l'Etat depuis 1870 jusqu’à sa mort. Ces fonctions exigent & autant d'autorité morale que de science pratique)» ; Sire s’y occupe « à perfectionner les essais réglementaires en faisant disparaître les causes d’erreurs et les pertes de temps (l) » ; à cette préoccupation se rapportent déjà le premier mémoire de 1865 que nous venons de citer, à propos du concours de Neuchâtel, puis ses diverses notes sur des appareils nouveaux : Pipette à capacité variable pour l'essai des matières d'argent pur la voie humide (1872) ; — Appareil à niveau constant pour l'essai des ma- tières d'argent par la voie humide (1873), — et ses Obser- vutions sur la prise d'essai pour la délermination du titre des ouvrages d'argent (1874). Sire continuait aussi ses recherches de physique et d’hy- drostatique et le perfectionnement des appareils de démons- tration, comme le prouvent les communications suivantes : Nouvelle disposition de l’hygromètre à cheveu (1872); — Démonstration nouvelle du principe d’Archimède (1874) ; — Nouvel appureil de démonstration du paradoxe hydrostu- tique de Pascal (1877). (4) Voy. DE CHARDONNET, loc. cit. he Il n’oubliait pas la Wétéorologie, dont il s'était occupé si activement au début de sa carrière, et publiait des notes sur un Voluménomètre et son application à la mesure appro- chée de la hauteur barométrique (1873); -— Station méléo- rologique portative (1881), « groupement heureux de divers instruments d'observation à l'usage des alpinistes et des voyageurs (1) ». Sire reprenait enfin l'étude des Mouvements relatifs, qui lui avait donné déjà de si brillants résultats ; il imaginait le Dévioscope, appareil qui donne directement le rapport qui existe entre la vitesse angulaire de la terre et celle d’un horizon quelconque autour de la verticale du lieu ; cet ins- trument ingénieux faisait lobjet de communications à la Société d'Emulation du Doubs (1880), à la Société française de physique, au Journal de mathématiques de M. Résal et au journal la Nature (1881). C'était le couronnement de ses recherches sur ce sujet difficile ; tel fut du reste le sentiment de l’Académie des Sciences qui, dans la séance du 6 février 1882, sur le rapport. de Tresca, décernait à Sire le prix Montyon Le texte de ce rapport résume bien l’œuvre de notre savant compatriote. Séance publique annuelle de l’'Acadëmie des Sciences. (6 février 1882). Présidée par M. WURTZ. Prix Montyon. (Commission : MM. PaiLzcips, ROLLAND, RÉSAL, BRESSE ; TRESCA, rapporteur). La Commission du prix de mécanique de la fondation Mon- tyon a été d'avis, cette année, qu'il y avait lieu de le répartir (1) Cf. DE CHARDONNET, loc. cit. = = entre deux mérites de nature très différente, entre M. Armen- gaud père et M. G. Sire. M. Sire, docteur ès-scientes, ancien directeur de l'Ecole d'horlogerie de Besançon, n’a cessé depuis vingt-cinq ans de s'occuper d’une des questions de mécanique théorique et expé- rimentale qui ont le plus exercé la sagacité des physiciens. Son premier travail à ce sujet date de 1857 ; il est consacré à létude de la tendance des axes de rotation au parallélisme et à son application à la détermination expérimentale de la rota- tion terrestre. Ses recherches, presque contemporaines de la mémorable expérience de Foucault, ont cependant été dirigées de toute autre façon, vers la construction d'appareils de démonstration se suffisant en quelque sorte à eux-mêmes, sur la table de l'observateur, et mettant en évidence la vérité dans une foule de problèmes des mouvements relatifs qui, surtout quand il s’agit de rotation, sont pour la plupart d'un effet si imprévu. Le Polytrope de M. Sire, en 1862, son Pendule gyroscopique, et enfin son Dévioscope qui date de cette année même (1889), mettent en évidence des résultats d’un grand intérêt scienti- fique, et l’on sait combien la théorie des mouvements relatifs a servi au progrès de nos connaissances mécaniques dans les questions les plus délicates. Pour ces motifs, la Commission propose à l’Académie : d’en- courager M. Armengaud père et M. G. Sire en partageant entre eux le prix de mécanique de l’année 1882. Cette proposition est adoptée par l’Académie. … Pour compléter cette appréciation, rappelons ce que nous disions ici-même à l’occasion de son décès (1) : «Les recherches les plus originales de G. Sire concer- nent le problème des mouvements relatifs ; pour les mettre en évidence, il imagine divers appareils remarquables par leur ingéniosité, le polyscope, le pendule gyroscopique, le (4) Rapport annuel lu à la séance publique du 20 déc 4906 (Mém. Soc. Emul. Doubs, 1906, p. 5.. > joe dévioscope ; une de leurs applications les plus curieuses mérite d’être signalée. » Tout le monde connait, au moins de nom, la mémorable expérience de Foucault, inscrivant, avec un pendule de 67 mètres installé sous la coupole du Panthéon, le mouve- ment de rotation de la terre ; c’est une expérience coûteuse, difficile à installer ; Sire, avec son dévioscope, petit appa- reil portatif, tale Jouet, la répète sur sa table de travail, et non seulement pour une localité, comme Paris, mais pour tous les degrés du méridien, pour tous les points de la sur- face du globe. » Sire construisait encore, en 1891, le Gyroscope alternatif à mouvements réciproques; aussi l’Académie des Sciences consacrait-elle, la mème année, l'importance de ses recher- ches et de ses travaux scientifiques en le nommant Membre correspondant dans la Section de mécanique par 40 voix sur 45 votants (séance du 9 mars 1891); c'était la récom- pense de 40 ans de labeur sur un sujet difficile. Les services que Sire avait rendus dans les nombreuses fonctions remplies avec tant de zèle et de compétence, étaient de même reconnus par la croix de Chevalier de la Légion d'honneur, qui lui était décernée le 4er janvier 1896, à Poecasion du Centenaire de l’Institut. Depuis 1883, la production scientifique de G. Sire s'était ralentie; nous trouvons cependant à signaler, outre le Gyroscope alternatif rappelé plus haut (1891), des Recher- ches sur 3 types nouveaux d'hygromètres à condensation (1885), une Notice sur le physicien Péclet (1887) et deux études intéressantes données, la même année 1887, à l'Aca- démie de Besancon : le Darwinisme et la Pluralité des mondes habités. * x # L'historique contenu dans les paragraphes précédents montre quelle est la nature et l’importance de l’œuvre scien- O0 tifique de Sire ; l’énumération complète de ses nombreuses publications, — que nous donnons à la fin de cette notice, — ne comprend pas moins de 46 numéros ; mais plusieurs ayant paru,. plus ou moins modifiés, dans des recueils dif- férents, le nombre total des notes, articles, mémoires, etc., publiés par G. Sire Société le. et ul d Lire et du Fe ment de Maine-et-Loire; Angers. Manche. Société nationale académique ; Cherbourg Société des sciences naturelles de Cherbourg . 1898 1857 1906 1898 1895 1866 1891 1851 1890 1854 610 Marne. Société d'agriculture, commerce, sciences et arts du dé- partement de la Marne; Châlons-sur-Marne. Marne (Haute-). Société historique et archéologique de Langres. Meurthe-et-Moselle. Société d'archéologie lorraine, à Nancy . Société des sciences de Nancy . Meuse. Société philomathique de Verdun, . Morbihan. Société polymathique du Morbihan ; Vannes. . Nord. Société d’émulation de Roubaix. . Oise. Société historique de Compiègne. Pyrénées (Basses-). Société des sciences, lettres et arts de Pau. . Pyrénées Orientales. Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées- Orientales; Perpignan. Rhône. Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon . Annales de l’Université de Lyon, quai Claude-Bernard, 18. Société d'agriculture, sciences et industrie; quai Saint- Antoine, 80, Eyoms re ; Rss Société littéraire, historique et ee de Fe Saône-et-Loire. Société éduenne ; Autun. 1856 1874 1804 1895 1886 1873 1856 1860 1896 1850 1856 1846 oi Société d'histoire naturelle d’Autun . . ; see Société d'histoire et d'archéologie de Chalon-sur- Saône. Société des sciences naturelles de Saône-et-Loire ; Cha- lon-sur-Saône . à ï Aie 5: AA Académie des sciences, belles: laine et arts de Mécon Société d'histoire naturelle de Mâcon. Saône (Haute-). Société grayloise d’'émulation ; Gray . . . : Société d'agriculture, lettres, sciences et arts de 1 nue. Saone: VeSoul.--2,.1.. 1 PR No lihne Se Ps Société d'encouragement à l cuire: Vesoul. Sarthe. société d’agricult., sciences et arts de la Sarthe; Le Mans. Société historique et archéologique du Maine ; Le Mans . Savoie. Académie de Savoie; Chambéry . 4 Société savoisienne d histoire et d'archéologie; Che Société d'histoire naturelle ; Chambéry. . Savoie (Haute-). Société Florimontane ; Annecy. Seine. Association pour l’encouragement des études grecques en France; rue de Lille, 44, VITe, Paris . . Bibliothèque de l’Institut de France; Paris . Bibliothèque Mazarine ; Paris . ER ne Bibliothèque du Migée ni able à du Boca derot Paris . ; - Bibliothèque de js oun. de r Université) : pare : Musée Guimet; avenue du Trocadéro, 30, Paris. Polybiblion ; rue Saint-Simon, 4 et 5, Paris . Revue épigraphique, à la librairie E. Leroux, rue En: parte -28, Paris. 1888 1857 1877 1902 1896 1898 1861 1881 1869 1879 1869 1898 1895 1871 1878 1872 1869 1885 1893 1880 1894 1900 — 912 — Revue des études historiques ; Paris. Société des Antiquaires de France; Paris . : Société d'anthropologie ; rue de l Hole de Médecine, 15 Société botanique de France ; rue de Grenelle, 24. Société d'histoire de Paris et de l’Ile de France . Société philomathique ; à la Sorbonne . Société française de physique ; rue de Rennes, LA. Société de Saint-Jean, rue d’Ulm, 27 . Société de secours des amis des sciences. Société de Spéléolosie nue dé lle 3% ee Société zoologique de France ; rue Serpente, 98. Seine-Inférieure. Société havraise d’études diverses; le Havre . ; Académie des sciences, belles- (eitres ettariSide ee , Commission départementale des antiquités de la Seine- Inférieure: Rouen: ï : ; Société libre d’émulation de LL ee Fo. Ron. Seine-et-Marne Bibliothèque de lEcole d'application de l’artillerie et qu génie, à Fontainebleau. Seine-et-Oise. Bibliothèque du Musée national de Saint-Germain-en- Laye . . PT ee : 0 ; at Société des sciences Dore nr et arts ; Ver- sailles. Re : : : : : Société des sciences les el Pédale L Séines et- Oise; Versailles. Somme Société d’émulation d’'Abbeville. À Société des Antiquaires de Picardie ; ne Vienne. Société des Antiquaires de l'Ouest; Poitiers. 1877 1867 1883 1883 188: 1830 1887 1906 1858 1897 1880 1891 1879 1869 1880 1871 18067 joue Vienne (Haute-). Société archéolog. et historique du Limousin; Limoges. Vosges. Société d’émulation du département des Vosges ; Epinal. Société philomathique vosgienne ; Saint-Dié. Yonne. Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne; AU ONLE Ne 47e ALGÉRIE. Société historique algérienne; Alger . . ALLEMAGNE. Académie impériale et royale des sciences (kaïis. kœnigl. Akad. der Wissenschaîften) ; Berlin Société botanique de la province de Dane Due (Botan. Verein der Provinz Brandenburg) ; Berlin . Société des sciences naturelles (Naturwissenschaftlicher Verein) ; Bremen AR M Me M IT Société des sciences A de le de noue en Brisgau (Bade) Société des sciences eclles et de : He Hesse (Oberhessische Gesellschaft für Natur und Heil- kunde) ; Giessen (Hesse). ‘ : Lune Société historique et D oblique | à la Bibliothèque de : l’Université) ; Heidelberg (Bade) . s Société royale physico-économique (kœnigliche re lisch-ækonomische Gesellschaft); Kœnigsherg (Prusse). Académie royale des sciences (kœænigl. baier. Akademie der Wissenschaften); Munich (Bavière) . à Bibliothèque de l’Université de Tubingen (Wurtemberg) . ALSACGE-LORRAINE Société d'histoire naturelle de Colmar. Société d'histoire naturelle de Metz. . 1852 1853 1876 1852 1870 — 914 — Bibliothèque de la Ville de Strasbourg. Re Société des sciences, agriculture. et arts de da, Basse- Alsace ; Strasbourg ANGLETERRE. Bibliothèque du British Museum ; à la librairie Dulau et Gie, 37, Soho square, Londres . A on Bibliothèque du British Museum (natural history) pour la revue Ornis, bulletin du Comité ornithologique inter- national ; Londres. ke Société liéraire et losou tique tar Y . philoso- phieal Society); Manchester . . AUTRICHE. Institut impérial et royal de géologie de l’empire d’Au- triche (Kaiserlich-kœniglich-geologische Reichsanstalt) ; AVC RRRERS AL PAR E : Muséum impérial et do d Histo atreNE de Tien BELGIQUE. Académie royale d'archéologie ; rue du Transvaal, 53; Anvers . ; RS Académie royale de Déléiquet Dh cle A Société d'archéologie ; rue Ravenstein, 11, no Société des Bollandistes ; boulevard militaire, 775, Bruxel- les . De Re Société géologique de Beige. Le . ITALIE. Académie des sciences, lettres et arts de Modène . R. Deputazione sovra gli studi di storia patria; Torino. . LUXEMBOURG. Société des sciences naturelles du grand-duché de Luxem- bourg ; Luxembourg NORVÈGE. Université royale de Christiania . 1904 1880 1887 1900 [359 1855 1889 1885 1808 1891 1888 1376 1879 1884 1854 1877 PORTUGAL. Commission des travaux géologiques du Portugal ; rua do Arco a Jesu, 113, Lisbonne . SUÈDE * Académie royale suédoise des sciences; Stockholm . Kungl. vitterhets, historie och antikvitets Akademien ; Stockholm. : : The geological Institution of 1e Done Sity of Ie ; SUISSE. Societé dés sciences naturelles - Bâle. … . Société des sciences naturelles ; Berne. Institut national de Genève. RERO Société d'histoire et d'archéologie ; Ce. É Société d'histoire de la Suisse et Lausanne . Société vaudoise des sciences naturelles ; M. Heurioud, rue du Bourg, 28, Lausanne . Société neuchateloise de géographie : No Société neuchateloise des sciences naturelles; Neuchatel. Société jurassienne d’émulation ; Porrentruy . Musée national suisse (Anzeiger für schweizerische Alter- tumskunde), Neue Folge, 1, Zurich. UE Société des Antiquaires (à la Bibl. de la Ville); Zurich. . Société générale d'histoire suisse (à la Bibl. de la Ville de Berne) ; Zurich. é Société des sciences naturelles ; Zurich : AMÉRIQUE DU NORD. Natural history Society ; Boston (Massachussetts). Lloyd Library ; Cincinnati (Ohio). ae ele Geolog. and natural history Survey; Madison (Masconsin). Natural history Society; Milwaukee (Wisconsin) . . , . Geographical Society of Philadelphia (Pennsylvania) . Academy of St-Louis (Missouri). . Botanical Garden ; Saint-Louis (Missouri). . — 916 — Smithsonian Institution of Washington. . United States geological Survey; Washington. Geologico Instituto ; Mexico. . . AMÉRIQUE DU SUD. Musée national; Montevideo. . 1869 1883 1909 1901 CURE ÉTABLISSEMENTS PUBLICS DE FRANCHE-COMTE (27) Recevant les Mémoires. Bibliothèque de la Ville de Besançon. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. "El. Id. Id. Id. populaire de Besançon. de l’Université de Besançon. de l’Ecole de médecine de Besançon. du Chapitre métropolitain de Besançon. du Séminaire de Besançon. de l'Ecole normale d’instituteurs de Besançon. de l'Ecole normale d’institutrices de Besançon. du Lycée de jeunes filles de Besançon. de l'Ecole d'artillerie de Besançon. du Cercle militaire de Besançon. de la ville de Montbéliard (Doubs). de la ville de Pontarlier (Doubs). de la ville de Baume-les-Dames (Doubs). de la ville de Vesoul (Hte-Saône). de la ville de Gray (Hte-Saône). de la ville de Lure (Haute-Saône). de la ville de Luxeuil (Hte-Saône). de la ville de Lons-le-Saunier (Jura. de la ville de Dole (Jura). de la ville de Poligny (Jura). de la ville de Salins (Jura). de la ville d’Arbois (Jura). de la-ville de Saint-Claude (Jura). Archives départementales du Doubs ; Besançon. Id. . de la Haute-Saône; Vesoul, ld. du Jura; Lons-le-Saunier. TABLE DES MATIÈRES DU VOLUME PROCÈS-VERBAUX. Allocution de M” ROUGET, président entrant... 14... P. VI Les Lettres de Victor Considérant à Victor Thelmier, par M. le Dr'Emile LEDOUX: 6 RAR EN Are Re Sa Doi La traduction de la Descriptio Burgundiæ de Gilbert Cousin, par E. Monot, par M: le D' BOURDIN........... Notice sur M=Gruüuter par M ROUGER 4 Enr I D D Notice sur M. le docteur Cornet, par M. le D' BOURDIN .... p. IX Lettre de E. Tastu relative à . de l'fsle, par M. Georges CARE RENE ae AA DT ES ee p. IX Notice sur M. Vendrely, par N ie D'ÉMNGNTIN, ARR TRES p. x La Franche-Comté en 1805, par M. L. PINGAUD ,.......... px Rapport sur un mémoire de M. L. Borne sur la Dépopulation des campagnes, par M.'le Dr BAUDIN...... ne Dax Charles Nodier, naturaliste, par M. le Dr MAGNIN .... ..... . PP. XI et XII Notice sur M. Heu. Chaboy Par MAROUGET "100 A D II - Observations phénologiques faites à Besançon, de 189% à 1907, Dar ME AC RIRCANER EN ANR PP A EP PUR Re Re p. XII La question d'Alesra par MLéon DRUREN.....: 60 p. xHI Notice sur M. Koïler, par M. LECLERC ...... M maso p. XV Les discours de ice au Parlement et à la ce ni appel de Besancon par MPEMPADEAURIENR EP 0 2 DA AE SU A p. XV Une satire latine ecclésiastique à Be on en 1758, par M. À. DANET SR Ne AR CRM ER NE de IS JS VD EN Compte- end de l’ouvrage de M. Chaillan de Belval sur le sénéral Rolland; par MAIe DA BOURDIN ere bre Dave Le sceau d'un roi de basoche de la Bibliothèque de Besançon, PAC MEN EM ER PEN ARE NA ren nee Des eat p. XVII La naissance du général Lecourbe à Besançon, par M. le Dr'Emile LEDOUX SNS ER ER en RARE pe XVII Anne de Gonzague en Franche-Comté, en 16#1, par M. E. LONGINS SAT A EN EE ae ne on . P. XVIII Le VIII Congrès de l'Association franc-comtoise à die par MGeéorses GAZIER 40e hr Pere 882 Dr EX Jean Jouard, président des Parlements de Franche-Comté ci dé Bourgogne, par M: G. BLONDEAU. :...,. A Re D p. XX Alaise et Alesia, par M. Léon DRGUHEN ........ see se DO — 919 — La question d’Alesia et la Société d'Emulation du Doubs, par Er RODÉ TERRE ARR SR CS CO CE p. Hessouilles d'Alaise par M: BOUTON 004.0, 0 cl. P. La fin de la ferrure celtique, par M. Alf. VAISSIER.....,..... P. Compte-rendu de l'ouvrage de M. Alfred Marquiset : La duchesse de Fal:dry,-par:-M.le:D° BÂAUDIN..:.::2,.. 4:20 p. Subvention à la Commission des fouilles d’Alaise........... P. La position actuelle de la question d’Alaise, par M.R. BOUTON. p. Budeetibour LannéemO0 SERRE RE Se nant P. Hléchon du bureau: pour l'année 1909..,.:,..:%.4 mi... : p. Séance publique du 17 décembre 1908..........,...:5,.,, P. MÉMOIRES. La Société d'Emulation du Doubs en 1908 : dis- cours d'ouverture de la séance publique du jeudi 417 décembre 1908, par M. RoOUGET, président SE PR Le de ame nith à Van Le général Rolland, d’après M. le médecin princi- pal Challan de Belval, par M. le docteur E. Bour- DIN (1 planche). ET M Ne ae NRA Cd Les premiers ballons à Besançon, par 1 M. (Georges CAR Re UN nn Leminidin La Question dAlesia et la Question d bac par M. R. BOUTON. ne den ati Me Coup de chaleur noel par +. Ch. GRANDMOUGIN. La Prière du Forgeron [poème inédit]; — Pré tondu [conte inédit] ; — Sur la barque légère [Sonnet médit], par M. Frédéric BATAILLE ...:. Une nouvelle traduction de la Franche-Comté de Gilbert Cousin, par M. E. Monot [Compte-rendu], par M. le docteur BOURDIN. ...:..:42. RTE À la recherche de l’origine de la ferrure à clous ; Rapport sur un travail de M. G. Joly, par M. Alfred VAISSIER (3 planches)... Observations sur les sources intermittentes des Monts-Jura, par M, Ant. MAGNIN (1 planche). XXI XXII XXIII XXIV XXIV XXV XXVI XXVI XXVII pue p.… 15 pr 91 p.143 pb #87 per Dino p. 100 pis = 50 = Les Discours de rentrée au Palais de Justice de Besancon, par M=Maurice FRURIET. 0. Une satire ecclésiastique à Besançon en 1753, par MSANUrÉ DAVERI AP EUR NE DA CNERRRet Ee Jean Jouurd, seigneur d'Echevannes et de Gatey, président des Parlements des comté et duché de Bourgogne, par M. G. BLONDEAU. ....... : Jean-Buptiste Considérant, de Salins (1771 4897), par M. Georges GAZIER. en Victor Considérant ; Trois lettres inédites; Notes sur sa jeunesse, par M. le docteur Emile LEDOUX. La duchesse de Fallary, par M. Alfred Marquiset [Compte rendu], par M. le docteur L. BAUDIN. . La Coutume ancienne de Besançon et son commen- tateur Claude-François d’'Orival, seigneur de Vorgess par: MOPIDANCERES eee nn Remarques sur la migration des hirondelles de fenêtre (chelidon urbica L.), par M. A. KIRCHNER. Georges Sire, membre correspondant de l’Institut, ancien président de la Société d'Emulation du Doubs, par M. Ant. MAGNIN (1 portrait)........ Le sceau d’un roi de basoche, conservé à la Biblio- thèque de Besancon, par M. Maurice LAMBERT CHÉphanché) ent RU Eee A she Erratum ! ; Sur un vers de quatorze pieds dans mon conte : & Pré tondu », par M. Frédéric BATAILLE. Membres de la Société décédés en 1908-1909......,.........., Sociétés correspondantes te nee M dl ueeneu te Etablissements publics recevant les Mémoires...,...,..,,.,,.. p. ete) = 441 459 y — 9921 — ERRATA La Question d'Alaise et la Question d'Alesia (M. R. BOUTON) : Page 66. Au lieu de Docteur Verneau, lire Docteur Vercoutre. — T4. Avant. Alexiam suppléer. — 31. Au lieu de jabottant, lire jabotant. — 80 Au lieu de succédés, lire succédé. Observations sur les sources iatermittentes des Monts-Jura (Ant. Page 127 ; — 1952, — 152, — 164; 167, =. 168, 168. = 119. — Vo: — 16, MAGNIN) : effacer le double trait au dessous de « Première série ». ligne 12 ; corriger : «un mètre (ou tige graduée) ». — dernière ; lire : chronométrés. — 15, lire: hauteur du flux (au lieu de l'eau). tableau : ombrer légèrement l'écoulement de la source VIE, dans les intervalles des intumescences, (comme pour la source Il), sauf dans l'intervalle D. ligne 15 : ajouter « en 1886, p. 60-61 » ; corriger : #4 h. 10 min. légende de la fig. 24; ajouter : « **bruits de glouglou. » 169 ; à propos des Chataigniers indiqués sur le plateau de la source intermittente, il est utile de préciser qu'on y observe à la fois des Chataigners et des Marronniers ; les plus gros de ces arbres sont des Marronniers. légende de la fig. 27 ; aj. : “bruit de bouillonnement. pour le bruit de bouillonnement ou de glouglou. il est ainsi noté très exactement dans les observations anonvmes du 12 juillet 1876 (voy. Guide à Hautecombe, 1886, p. 61), qui confirment les réserves que J'ai faites dans le dernier paragraphe de cette page. « Très abondante reprise, — diminution subite, — faibles glouglous, — augmentation, — affaiblissement bien marqué, — augmentation immédiate, — nouvel affaiblissement, — nou- veaux glouglous, — cessation. » 3° Pendant une intermittence qui fut également de 8 minutes, l'observateur entendit une vingtaine de glouglous qui ne furent ni précédés ni suivis d'aucun écoulement. ligne 17: lire : Fontaines de Noirecombe. BESANCON. ne . xSTO Fe Extraits des statuts et du règlement de la Société d'Emulation du Doubs, fondée à Besançon le 1‘ juillet 1840. Décret impérial du 22 avril 1863 : « La Société d'Emulation du Doubs, à Besancon, est reconnue comme établissement d'utilité publique... » : Art. ler des statuts : « Son but est de concourir activement aux progrès des sciences et des arts, et, pour en faciliter le développe- ment, de coopérer à la formation des collections DRE et d’é- diter les travaux utiles de ses membres. » Elle encourage DEC REN les FES relatives à la Franche- Comté. » Art. 13 des siatuts : « La Société pourvoit à ses dépenses au moyen : » 1° D’une cotisation annuelle payable par chacun de ses membres résidants et par chacun de ses membres correspondants; elle est exigible dès l’année même de leur admission. » 20 De la somme de deux francs payable par les membres rési- dants et correspondants au moment de la remise du diplôme. … » Art. 17 du règlement : « La cotisation annuelle est fixée à dix francs pour les membres résidants et à six francs pour les membres correspondants. » Art. 93 des statuts : « Les sociétaires ont la latitude de se libérer de leur cotisation annuelle en versant un capital dans la caisse de la Société. » La somme exigée est de cent francs pour les membres rési- dants et de soixante francs pour les correspondants... » Art. 15 des statuts : « Tout membre qui aura cessé de payer sa cotisation pendant plus d’une année, pourra être considéré comme démissionnaire par le conseil d'administration. » Art. 6 du règlement : « Les séances ordinaires se tiennent le se- cond samedi de chaque mois... » Art. 9 du règlement : « La Société publie, chaque année... un bulletin de ses travaux, sous le titre de Mémoires... » ss Art. 13 du règlement : « Le bulletin est remis gratuitement : Dis À chacun des membres honoraires, résidants et corres- poudants de la Société... » # Adresse du Trésorier de La Société : M. le TRÉSORIER de la Societe d’'Emulation du Doubs, Palais Granvelle, à Besancon. 5 RENE RL LTAUSS ni “ii PUR x} LA 4 # 1%: : 2 ré ’ PP AA SE) #2 + &* #1 F h 2, x fé VE Æ 1) $ # : ’ L- [AA ! , < LA LEE DS DIT E! fALI LORS d : ] L# PL 4 6.2 PEL 7 er { CEE 2 RÉAL # Er Æ Î ur ous hs + Q + » n Cane LU un L 4 tt. 4 Sabre Le La à Le Te... 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