2 d :. DEEE AS, D MES 14, OS Han ra ES F \ 5. ne 2 ‘ D. Ÿ MÉMOIRES : LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DÉPARTEMENT DU DOUBS, CCAIRI TS — TROISIÈME SÉRIE. — SEPTIÈME VOLUME. 1862. CA CNLORND TS S BESANCON, IMPRIMERIE DE DODIVERS ET C®, Grande-Rue, 42. : MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ D’ÉMULATION DU DÉPARTEMENT DU DOUBS. MÉMOIRES LA SOCIÉTÉ D’ÉMULATION DU DÉPARTEMENT DU DOUBS, TROISIÈME SÉRIE. — SEPTIÈME VOLUME. 1862. BESANCON, [MPRIMERIE DE DODIVERS ET Ce, Grande-Rue, 42. 1864. - MÉMOIRES LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DÉPARTEMENT DU DOUBS. PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES. Séance du 11 janvier 1862. PRÉSIDENCE DE M. GRENIER. Nembres présents : Bureau : MM. Grenier, président sortant, élu premier vice- président ; Jacques, trésorier élu; Bavoux, secrétaire décennal; Truchot, vice-secrétaire réélu ; Castan, archiviste réélu. Memeres RÉsipanTs : MM. Arbey, Bial, Blondon, Courlet deVregille, d’Aubonne, de Boulot, Delacroix (Alphonse), Dé- trey (Francis), Frayon, Machard, Renaud (Louis), Rollot et Vézian. Le secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance du 12 décembre 1861, dont la rédaction est adoptée. . M. Grenier, président sortant, procède à l'installation du nouveau conseil d'administration, et exprime, à cette occasion, le regret que des devoirs impérieux n'aient pas permis à MM. Boysson d’Ecole et de Fraguier d'assister à la séance. Le secrétaire présente un mémoire géologique sur le Jura Graylois, qui est soumis à la Société par M. Etallon, membre correspondant. & Une commission composée de MM. Vézian, Carlet et Courlet de Vregille est chargée d'examiner ce travail. L'assemblée vote ensuite l'impression d’une note de M. Emile ‘Delacroix sur les eaux ferrugineuses de Luxeuil. Le secrétaire communique également une lettre de M. Mar- Ihioux, chef de division à la préfecture du Cantal. M. Marlhioux demande communication de ce que notre Société a publié sur la question d'Alesia, son intention étant de prendre part au dé- bat en faveur d’Alaise. L’archiviste est prié de satisfaire à cette demande. M. le président annonce que Mgr. le cardinal, membre hono- raire de notre société, désire recevoir personnellement le titre de membre résidant. L'assemblée accueillant ce vœu, décide que Mgr Césaire Ma- thieu, cardinal-ærchevêque de Besançon, sera inscrit au nombre des membres résidants. Le nom d’un candidat au titre de membre correspondant est déposé sur le bureau. La société procède ensuite, au sujet des candidats précédem- ment proposés, à un scrutin secret, à la suite duquel M. le pré- sident proclame : Membres résidauts : MM. Barsaup (Charles), négociant ; BourGEau, pharmacien ; Caxez, employé à la préfecture ; Dupuy, négociant; Eruis (Léon), garde général des forêts ; GaurrRe, directeur des postes ; Membre correspondant: M. Lamserr, médecin inspecteur des eaux de Guillon (Doubs). L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. Besançoo, le 11 janvier 1862. Le Secrétaire, signé V. Bavoux. Vu et approuvé : Le Vice-Président, signé GRENIER. ne — Séance du 8 février 1862. PRÉSIDENCE DE M. Boysson D'ÉCOLE. Membres présents : BUREAU : MM. Boysson d’Ecole, président; Jacques, trésorier; Castan, archiviste ; Bavoux, secrétaire. Mure résipanrs : MM. Blondon, Chapot, Constantin, Courlet de Vregille, d’'Estocquois, Frayon, Gaudot, Renaud (Louis), Sére et Vézian. | Le secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance du 41 janvier dernier, dont la rédaction est adoptée. M. Castan lit le rapport suivant, au nom de la commission nommée le 42 décembre dernier. « Messieurs, « Dans son travail sur Uxellodunum, dont vous avez vôté l’impression le 16 décembre 1858, M. Bial avait su tirer, de la comparaison attentive du massif d’Alaise et du Puy d'Ussolud, une curieuse esquisse de l’oppidum celtique à l’époque de la conquête des Gaules. « Une étude plus approfondie de l’Alesia séquane et de ses principaux similaires a permis à M. Bial de donner à sa pre- mière ébauche du corps et de la couleur: Rassemblant, avec conscience et savoir, tous les documents qui ont trait à son su- jet, il vous présente cette fois un tableau complet de la disposi- tion topographique et de l'organisation intérieure des centres de population de l’ancienne Gaule. M. Bial n’est pas seulement un patient invesigateur ; il possède en outre les-qualités qui font l'écrivain distingué et le critique sagace. Sa minutieuse analyse du Châtaillon d’Alaise lui a suggéré des inductions neuves et plausibles sur le système de groupement des habitations dans les oppidum. « Indépendamment de sa valeur scientifique qui est considé- rable, l’œuvre de M. Bial a un intérêt tout particulier pour la Société d'Emulation, puisqu'elle achève de démontrer que le massif d’Alaise est le plus remarquable type d’oppidum dont puisse s’enorgueillir la France. = Nes 1e __ « Pour ces motifs, votre commission à l'honneur de vous pro- poser d'admettre dans vos mémoires le Chdtaillon d’Alaise par M. Bial, travail devant former environ cinq feuilles d’im- pression et être accompagné de quatre planches exécutées, d’a- près les dessins de l’auteur, par un de nos habiles confrères. « Le second ouvrage de M. Bial est intitulé : Travaux mili- taires de César devant Alesia. C’est une étude technique sur la poliorcétique romaine à l’époque de César. L'auteur y examine et discute les opinions qui se sont produites au sujet des diffé- rents moyens employés par César pour bloquer Alesia. Il sup- pute ensuite le temps et les ressources dont il aurait fallu dis- poser pour exécuter, comme le veulent les partisans d’Alise, la série complète de ces ouvrages sur tout le pourtour de l’oppi- dum. M. Bial juge que, dans les conditions où se trouvait César, l'hypothèse d’une double couronne continue de travaux est in- admissible. Mais l'impossibilité n’atteint que le système d’Alise, qui place les parties belligérantes dans un pays découvert et dé- pourvu d’accidents sérieux; elle tombe au contraire devant le sol tourmenté d’Alaise, où la nature avait tellement disposé les choses que les opérations de l’attaque ne portaient que sur un nombre de points assez restreint. « Votre commission a compris l'importance d’un pareil argu- ment au point de vue de la défense de l’Alésia franc-comtoise. Elle croit aller au devant de vos désirs en vous proposant l’im- pression du savant mémoire où cet argument est déduit des considérations historiques et stratégiques du meilleur aloi. « Les Travaux de César devant Alesia formeront à peu près deux feuilles d'impressions; quelques dessins, exécutés par l’au- teur, aideront à l'intelligence du texte. «M. Bial ayant manifesté l'intention d'ajouter quelques notes à ses mémoires, votre Commission a cru devoir lui remettre ses manuscrits, qui ne peuvent que s'améliorer entre ses mains. « Besançon, le 7 février 1862. « Jusr Vuizzerer; E. DELACROIx ; A. CasTAN. » L'assemblée accueille les propositions de la Commission. Elle vote également, sur la proposition de MM. Vézian, Car- let et Courlet de Vregille, l'impression du mémoire présenté par M. Etallon à la séance du 14 janvier. NUE DE Le Secrétaire communique une seconde lettre de M. Mar- Ihioux, qui désire avoir des renseignements sur l’étymologie exacte du nom de Verodunum. M. d’Estocquois pense que ce nom vient des mots celtiques Ver,rivière,et dun, montagne. Il connaît quelques localités aux- quelles s'applique parfaitement cette explication; mais il lui paraîtrait utile de faire des recherches plus étendues avant de se prononcer formellement. M. Castan est prié de répondre à M. Marlhioux et de lui me ner les renseignements qui sont à sa disposition. Les noms de deux candidats au litre de membres correspon- dants sont déposés sur le bureau. L'assemblée procède ensuite à un scrutin secret, à la suite duquel M. le Président proclame Membre résidant : M. Decoumors (Charles), directeur de l’usine de la Butte, banlieue de Besançon. s L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. Besançon, le 8 février 1862. | Le Secrétaire, signé V. Bavoux. Vu et approuvé : Le Président, signé Boysson n’Ecoze. Séance du 8 mars 1862. PRÉSIDENCE DE M. GRENIER. Membres présents : Bureau : MM. Grenier, vice-président; Jacques, trésorier; Bavcux, secrétaire; Truchot, vice-secrétaire; Castan, archi- viste. Memgres RÉsIDANTS : MM. Arbey, Bial, Constantin, Courlet de Vregille, d'Estocquois, Frayon, Gaudot, Renaud (Louis), Rollot et Vézian. Le secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance du 8 février dernier, dont la rédaction est adoptée. RE — M. Vézian fait part à la Société de la mort de M, Etallon, qui a laissé de nombreux et savants travaux sur la paléontologie jurassique.. Un autre décès, celui de M. Michalet, botaniste distingué, est annoncé par M. Grenier. L'assemblée se montre sensible à la perte de nos deux con- frères et charge son secrétaire d'exprimer ses regrets à leurs familles. La Société prie, à cette occasion, M. Vézian de faire des dé- marches pour enrichir nos collections des fossiles-types qui ont été décrits par M. Etallon. M. d'Estocquois communique une Note sur le coefficient de contraction de la veine liquide. Cette noté sera insérée dans les publications de la Société. L'assemblée vote ensuite: | 4° L'achat des squelettes d’un cheval et d’un mulet, ainsi que celui des vases destinés à leur macération ; 2 L'achat des Acta societatis regiæ Upsaliensis, années 1740 à 1750 ; 3° L'achat de quelques parties ou livraisons d’ouyrages qui sont incomplets dans notre bibliothèque ; 4° La souscription à l'Histoire naturelle du Jura, par MM. Michalet et frère Ogérien ; 5° L'abonnement pour 1862 à la Revue archéologique, Le nom d’un candidat au titre de membre correspondant est déposé sur le bureau. L'assemblée procède ensuite, sur les présentations faites à la précédente séance, à un scrutin secret, à la suite duquel M. le président proclame NMicmbres correspondants : MM. Berten (Abel), imprimeur-lithographe, à Lure (Haute-Saône) ; Boisson (Joseph), pharmacien à Lure. L'ordre du Jour étant épuisé, la séance est levée. Besançon, le 8 mars 1869. _ Le Secrétaire, signé V. Bavoux. Vu et approuvé : Le Vice-Président, signé GRENIER. Séance du 12 avril 1862. PRÉSIDENCE DE M. Boysson Dp’Ecozr. Membres présents : Bureau : MM. Boysson d’Ecole, président; Grenier, vice- président; Jacques, trésorier, Bavoux, secrétaire; Truchot, vice-secrétaire; Castan, archiviste. Meweres RésipANTS : MM. Arbey, Bial, Constantin, Courlet de Vregille, Détrey (Francis), de Boulot, Hory, Reboul et Renaud (Louis). MEMBRE CORRESPONDANT : M. Déy. Le secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance du 8 mars dernier, dont la rédaction est adoptée. M. le président communique deux lettres du congrès des dé- légués des Sociétés savantes : l’une invite notre Société à se faire représenter à la session qui s'ouvrira à Paris, le 22 avril courant; l’autre ouvre une souscription pour décerner une mé- daille à M. de Caumont. Sur le premier point, l'assemblée désigne M. Bial pour la représenter au congrès, et charge son président de donner des délégations aux autres membres de la Société qui désireraient assister à cette réunion. Sur le second point, elle décide qu’elle souscrit pour 10 fr. à la médaille de M. de Caumont. Lecture est donnée d’une circulaire de S. Exec. M. le Ministre de l’’Instruction publique et des cultes, qui offre à la Société la médaille commémorative de la distribution des prix faite, en 1861, aux Sociétés savantes. M Bial:est prié de retirer cette médaille lors de son voyage à Paris. M: Truchot dépose une note sur l'influence de létecriéité sur les veines liquides. Cetravail est remis à une commission composée de MM. Re- boul, rapporteur, d'Estocquois et Gouillaud. Le nom d’un candidat au titre de membre correspondant est déposé sur le bureau. Re NL L'assemblée procède ensuite, sur la présentation faite à la précédente séance, à un scrutin secret, à la suite duquel M. le président proclame Membre corrcspondané : M. Vigize (Emile), libraire-éditeur, à Lyon. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. Besançon, le 12 avril 1862. Le Secrétaire, signé V. Bavoux. Vu et approuvé : Le Président, signé Boysson D'EGoze. Séance du 40 mai 1862. PRÉSIDENCE DE M. GRENIER. Membres présents : Bureau : MM. Grenier, vice-président; Jacques, trésorier; Bavoux, secrétaire; Truchot, vice-secrétaire; Castan, archi- viste. MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Arbey, Bertrand, Blondon, Cons- tantin, Delacroix (Alphonse), d’Estocquois, Gaudot, Lebon, Renaud (Louis) et Vézian. MEMBRE CORRESPONDANT : M. Déy. Le secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance du 42 avril dernier, dont la rédaction est adoptée. M. le président annonce que, sur la demande de M"° veuve Guillin, le conseil d'administration a été convoqué avant la séance pour procéder à l’examen des œufs que M. Guillin avait fait placer sous le cachet de la Société, le 9 mars 4861. Ont répondu à cette convocation, MM. Grenier, Jacques, Truchot et Bavoux. M. Grenier a préalablement soumis à l’examen trois œufs qui avaient figuré à l'exposition de 1860 et sont restés entre ses mains depuis cette époque. L'âge de ces œufs, si on ne remonte qu’à l'ouverture de l'exposition {juin 4860), serait donc de vingt- trois mois; mais, d’après les explications de M. Bavoux, ilserait en réalité de vingt-huit mois. Re Le premier était parfaitement translucide; l’intérieur avait une belle nuance et n'offrait aucune odeur. Cuït au miroir, son goût était un peu fort et analogue à celui des œufs de quinze jours. Le second, qui présentait les mêmes caractères, a été battu en neige, mais ne s’est pris que d’une manière un peu incom- plète. Quant au troisième, l'examen par transparence a fail recon- naître, ce que l’ouverture a démontré, qu'il s'était desséché, mais sans offrir aucune trace de l’odeur fétide que développent toujours les œufs pourris. L'épreuve a ensuite porté sur dix des seize œufs déposés par M. Guillin. Sur ce nombre, sept ont été reconnus bien translucides, par- faitement beaux à l’intérieur et sans aucune odeur. L'un, por- tant la date de décembre 1860, a été cuit au miroir et a présenté le goût un peu fort des œufs de quinze jours. Deux autres, datés de février 4861, se sont battus en neige de la façon la plus complète. Trois, portant les dates de janvier et février 1861, ont été mis à l’eau bouillante, mais ne se sont pochés que d’une façon incomplète. Enfin, le septième, daté de janvier 1861, était le seul fécondé de la collection. Dégusté cru, il a offert, comme les autres, le goût des œufs de quinze jours. Quant aux trois derniers, datés de février 1861, l’un était tout 'à fait opaque et les autres offraient quelques taches sur la coquille. L'ouverture à fait reconnaître que le contenu avait pris une teinte brunâtre et tendait évidemment à se dessécher, comme cela a eu lieu pour un des œufs apportés par M. Grenier. Tous trois n’offraient également aucune odeur de pourri. * M. Truchot fait observer que les œufs déposés par M. Guillin étaient placés dans la salle de la bibliothèque de la Société, par conséquent dans un local tout à fait défavorable. Cette salle, située au premier étage, reçoit les rayons du soleil et s'échauffe au point que, l'été dernier, elle accusait plus de 40 degrés de température. En hiver, au contraire, elle est excessivement froide. M. Grenier ajoute que la commission a constaté que le jaune des œufs, au lieu de rester au centre, s’était déplacé pour venir au-dessus du blanc ct s'appuyer à la partie supérieure de la — x do coquille à laquelle il adhérait. Ce déplacement s'explique natu- rellement par les lois générales de la physique, le jaune étant plus léger.qne le blanc. Cette particularité, digne d'attention, a bien pu nuire au succès du pochage tentés sur trois des œufs essayés. Il est d’ailleurs à remarquer que le pochage ne réussit pas toujours, même sur des œufs réputés très frais. Un autre fait qui a frappé la commission, c’est que le goût accusé par la dégustation n'existait absolument, que dans le jaune, tandis que le blanc n'avait ni goût ni odeur. Or, chacun sait que le blanc est la partie importante de l'œuf, en raison des nombreux usages auxquels il est employé à l’exclusion.du jaune. Les quatre œufs. détériorés offrent encore un témoignage en faveur du procédé Guillin. Leur dessiccation plus ou! moins avancée, sans dégagement de gaz ni d’odeur fétide, indique que la préparation empêche tout-à-fait l'accès de l’air extérieur et les. soustrait ainsi à la fermentation putride. M. Gremier ajoute qu’il a essayé presque. tous les autres, pro- cédés indiqués pour la conservation des œufs, et:que tous, sans exception, rendaient, en peu de jours, le blanc impropre à être battu à neige. Il'en conclut donc, avec la commission, que le procédé Guillin est:très bon et supérieur à la plupart des autres, par la propriété qu'il possède de ne pas altérer le blanc dé l’œuf qui, onle répète, est la partie importante pour la cuisine, pour la confiserie et pour un assez grand nombre de préparations médicales, La commission pense aussi que, placés dans un local plus convenable, les œufs auraient donné des résultats plus avanta- geux. Elle doit également ajouter que leur conservation a été portée à une période bien supérieure à. celle qu’exige la pra- tique, puisque le manque d'œufs frais ne se fait sentir que pen- dant quatre ou cinq mois consécutifs chaque année. Après cette. communication, l'assemblée décide qu'il sera remis à M"° veuve Guillin des extraits de nos procès-verbaux en Ce qui concerne les recherches de notre regrettable confrère. M. Vézian, en examinant plusieurs fossiles recueillis, par - M. Steiner près de Baume-les-Dames, en a remarqué quelques- uns qui paraissent appartenir au terrain néocomien, mais qui sont.en, trop mauvais élat pour fournir.une conclusion certaine. La présence de ce terrain, à Baume, si elle était bien constatée, lui paraîtrait d’une haute importance géologique, car il y verrait un trait-d’union entre les bassins néocomiens de la Haute-Saône et ceux de la Suisse. Ce premier jalon servirait sans doute à démontrer que ces bassins, jusqu'ici réputés sans communica- tion, appartenaient à une seule et même mer. M. le président donne lecture des questions mises au concours pour 1863 par la Société archéologique et historique du Li- mousin La Société neuchâteloise des sciences naturelles, par l’entre- mise de M. Jaccard, l’un de nos membres correspondants, de- mande à entrer en relations ayec notre Société. Cette demande est accueillie avec empressement. Le secrétaire donne lecture d’une lettre de M. Tarnier, natu- raliste à Dijon, qui offre de nous céder chaque année, au prix de vingt francs, les Annales de la Société. entomologique de France. Cette offre, qui nous permet de continuer une collection com- mencée avec le concours de M. Bruand, est acceptée. M. Castan lit le rapport.de la commission instituée le 9 mars 1861 pour faire des recherches archéologiques au bois Néron. Il présente en même temps un instrument de fer trouvé dans ces fouilles, instrument qui doit être le falx muralis des soldats romains. L'assemblée décide l'impression du rapport. Les noms de deux candidats au titre de membre correspon- dant sont déposés sur le bureau. À la Suite d’un scrutin secret, M. le président proclame Membre correspondant: M. Barraer (Armand), homme de lettres, à Paris. M. le président annonce que la Société, d’horticulture du Doubs fait, en ce moment, des démarches pour obtenir, la créa- tion d’un jardin botanique, horticole et agricole à Besançon. Les terrains seraient achetés, au nom de la ville et avec son concours, au moyen d’une émission d’ obligations de 100 francs remboursables par annuités, mais sans intérêt. L'assemblée voit avee een revenir sur une question dont là Société d'Emulation s’est déjà occupée les 9 juin et 14 juillet 1860. Elle constate également que l'emplacement désigné par — XI — elle est celui sur lequel se porte le choix de la Société d’horti- culture. M. Grenier est prié de donner à cette dernière l'assurance du concours de la Société d’Emulation pour le succès de cette utile institution. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. Besançon, le 10 mai 1862. Le Secrétaire, signé V. Bavoux. Vu et approuvé : Le Vice-Président, signé GRENIER. Séance du 14 juin 1862. PRÉSIDENCE DE M. GRENIER. Membres présents : da Bureau : MM. Grenier, vice-président ; Jacques, trésorier; Bavoux, secrétaire; Truchot, vice-secrétaire; Castan, archi- viste. Meueres RésiDaANTs : MM. Bertrand, Bial, Blondon, Cons- tantin, Delacroix (Alphonse), d’Estocquois, Détrey (Francis), Dodivers, Renaud (Louis), Rollot, Sire, Vézian et Voirin. Le secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance du 10 mai dernier, dont la rédaction est adoptée. M. Delacroix ayant l'intention de faire une notice biogra- phique sur notre regrettable confrère, M. Bruand, M. le prési- dent exprime le vœu qu’elle soit faite au nom de la Société. L'assemblée, accédant à ce vœu, charge officiellement M. Dela- croix de la rédaction de cette notice. IT est ensuite décidé que des relations d'échanges seront éta- blies avec la Société d'agriculture de Compiègne, qui nous a écrit à cet effet le 3 mai dernier Lecture est donnée de deux circulaires de la Société d’agri- culture, sciences et arts de Poligny, qui convoque les géologues à un congrès géologique et paléontologique et demande une souscription pour des fouilles à opérer aux environs de Poligny. LME M. Blondon propose de voter une somme de 50 francs, mais l’assemblée ne partage pas cet avis et pense qu'il est préférable de réserver nos faibles ressources pour exécuter des fouilles dans notre département. M. Vézian demande l'impression d’un mémoire de M. Sire, sur la cohésion. Cette proposition est accueillie sous la réserve que le travail sera soumis à une commission composée de MM. Reynaud- Ducreux, Reboul et Vézian. Il est ensuite voté une somme de’ 50 francs pour l’érection d’une tombe à M. Etallon, qui a enrichi nos recueils de nom- breux travaux paléontologiques. M. Vézian annonce qu'il s’est transporté à Baume pour véri- fier les terrains dont il a entretenu la Société dans la précédente séance. Son excursion lui a démontré que le gisement signalé n'appartient nullement au néocomien, mais bien au kellovien. M. Bial rend compte de sa mission au Congrès des Sociétés savantes. Il a fait un rapport sur les travaux de notre compa- gnie en insistant particulièrement sur nos recherches archéolo- giques. Il est fondé à croire que le Congrès en a apprécié l’im- portance et la bonne direction. Des remerciements sont adressés à M. Bial. M. le président annonce que la municipalité va être saïsie du projet de la Société d’horticulture, au sujet de la création d’un jardin botanique. Il pense donc que le moment est venu de déterminer la nature et l'étendue du concours que fournira la Société d'Emulation. Il rappelle que les terrains seront achetés au nom de la ville, que la dépense sera couverte par une émis- sion d'obligations remboursables en vingt ans sans intérêt, enfin que le remboursement sera effectué par les fonds des Sociétés et sous la garantie de la ville, qui y coopérera sans doute pour une part. Sur la proposition de M. Blondon, il est décidé que l'examen de cette question sera renvoyé à la prochaine séance, pour laquelle il y aura une mention spéciale dans les bulletins de convocation. Les noms de trois candidats au titre de membres correspon- dants sont déposés sur le bureau. Puis il est procédé à un scru- tin, à la suite duquel M. le président proclame — XIV — Membres correspondants : MM. Favre (Alphonse), professeur à Genève (Suisse) ; Derarorte, médecin du Corps législatif, inspecteur- adjoint des eaux de Luxeuil. | L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. Besançon, le 44 juin 4862. Le Secrétaire, signé V. Bavoux. . Vu et approuvé : Le Vice-Président, signé GRENIER. Séance du 12 juillet 1862. PRÉSIDENCE DE M. GRENIER. Membres présents : Bureau : MM. Boysson d’Ecole, président (‘); Grenier, vice- président; Jacques, trésorier; Bavoux, secrétaire; Castan, ar- chiviste. Memgres RÉSIDANTS : MM. Arbey, Bertrand, Bial, Blondon, Chanoit, Constantin, Courlet de Vregille, Delacroix (AI- phonse,, Ethis (Edmond), Ethis (Ernest), Ethis (Léon), Mar- chal, Renaud (Louis), Rollot, Sire et Vézian. Le secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance du 44 juin dernier, dont la rédaction est adoptée. A cette occasion, M. le président fait observer qu’on à omis, en: parlant de M. Etallon, de mentionner les nombreux fossiles dont il a enrichi nos collections, fossiles d’autant plus importants qu'ils représentent les types des espèces décrites par ce savant naturaliste. M. le président annonce qu'il vient de rencontrer un fort bel exemplaire de l’ouvrage de Vésale, et propose à la Société d’en faire l'acquisition pour la Bibliothèque de la Ville. Cette proposition est accueillie. 1) M. Boysson d’Ecole, arrivé vers le milieu de la séance ,:a refusé le fauteuil qui lui a été offert par M. le vice-président. — XV — L'ordre du jour appelle la délibération relative à la création du jardin botanique. M. le président fait abserver qu'il sérait peut-être prématuré de prendre une décision définitive sur le projet dont il a été question aux séances des 10 mai et 414 juin derniers. Un autre projet beaucoup moins dispendicux, puisqu'il n’y aurait pas de terrains à acheter, paraît être en ce moment à l'étude. La ville aurait, en effet, lui a-t-on assuré, l'intention de combler le canal et le bassin de Chamars, de démolir le rempart intérieur et de rehausser le sol de la promenade pour la mettre à l'abri des inondations. Si ce projet se réalise, on aurait un vaste terrain très propre à la création du jardin botanique. L'assemblée se range à l'opinion émise par M. le président, ét donne à son conseil d'administration de pleins pouvoirs pour discuter, avec la ville et, au besoin, avec le génie militaire, les conditions propres à assurer la réalisation d’un vœu déjà exprimé plusieurs fois. Elle décide également que, pour y arriver, elle pourra s'imposer, sur Ses budgets annuels, une contribution de 300 à 500 francs. Le nom.d’'un candidat au titre de membre résidant est déposé sur le bureau. Les présentations faites à la précédente séance font l’objet d’un scrutin secret, à la suite duquel M. le président procläme Membres correspondants : MM. Courarur (Aristide), notaire à Lure (Haute-Saône) : Quézer (Lucien), docteur en médecine à Hérimon- court (Doubs); Corpier (Jules-Joseph}, employé des douanes à Vil- lers-le-Lac (Doubs). L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. Besançon, le 12 juillet 1862. Le Secrétaire, signé V. Bavoux. Vu el approuvé : Le Vice-Président, signé GRENIER. se , AMI Séance du 9 août 1862. PRÉSIDENCE DE M. CHAUVIN. Membres présentés : Bureau : MM. Chauvin, chargé de la présidence ; Jacques, trésorier; Bavoux, secrétaire; Castan, archiviste. Meusres RÉsipants : MM. 4rbey, Bial, d'Estocquois, Détrey (Francis), Ducret, Frayon, Gaudot et Hory. En l'absence du président et des vice-présidents, M. Chauvin veut bien, sur les instances de l’assemblée, se charger de pré- sider la réunion. | Le secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance du 12 juillet dernier, dont la rédaction est adoptée. Il est décidé qu’il sera acheté, au nom de la Société, un exemplaire de la carte géologique de la terre, par M. Marcou. M. le président donne lecture de la lettre suivante qui lui a été adressée par M. le préfet : « Besançon, le 93 juillet 1862. « Monsieur le Président, « J'ai l'honneur de vous informer que, conformément à mon « avis et à celui de M. le Recteur de l’Académie, et d’après le « vœu du Comité des travaux historiques et des Sociétés sa- « vantes, M. le Ministre de l’Instruction publique et des cultes « est disposé à soumettre au Conseil d'Etat la demande en re- « connaissance d'utilité publique formée par la Société d'Emu- « lation du Doubs. € Mais, au préalable, Son Excellence désire que vous fassiez « insérer dans les statuts que M. l’Inspecteur d’Académie de € Besançon sera membre de droit de la Société et fera partie de « la commission de publication. « Je vous prie de vouloir bien m'adresser 150 exemplaires « des statuts ainsi modifiés, que je m'empresserai de trans- « mettre à Son Excellence, afin qu’elle soit à même de les sou- « mettre au Conseil d'Etat avec le dossier de l'affaire. « Agréez, etc. « Le Préfet, signé PAsTOUREAU. » — XVI — M. le président fait remarquer qu'il y a urgence à adopter sans retard les changements demandés et qu’on ne peut, sans compromettre le succès désiré, se conformer aux dispositions de l’article 35 des statuts. Au reste, ajoute-t-il, la Société, en demandant à être reconnue établissement d'utilité publique (voir le procès-verbal du 43 juillet 1861), s’est implicitement engagée à introduire dans ses statuts tous les LUS que l’autorité compétente réclamerait. k L'assemblée déclare, à l’unanimité, qu’il y a urgence à prendre une décision immédiate et adopte successivement les modifications suivantes portant sur les articles 2, 3, 4 et 20 des statuts. « Art. 2. La Société se compose de membres résidants, de « membres correspondants, en nombre illimité, et de membres « honoraires dont le nombre ne pourra excéder vingt-quatre. « Art. 3. Sont de droit membres honoraires : « Le Préfet du département ; « L’Archevêque du diocèse ; « Le Général commandant la division militaire ; « Le Premier Président de la Cour impériale ; « Le Procureur impérial près la même Cour ; « Le Recteur de l’Académie ; « Le Maire de la Ville; « L’Inspecteur d'Académie. « Art. 4. Les membres honoraires et les membres résidants « ont seuls voix délibérative. — Les membres résidants sont « seuls éligibles aux fonctions conférées par la Société. « Les membres correspondants ont droit d'assister aux séances « de la Société et de prendre part à ses délibérations avec voix « consultative. « Art 20. Aucun mémoire ne sera admis au bulletin si l’im- « pression n’en a été votée par la Société, soit spontanément, « soit sur le rapyort d'une commission nommée par le bureau « et dont M. l'Inspecteur d'Académie fera toujours partie de « droit. L'ensemble de ces modifications est ensuite adopté à l’una- nimité. Le conseil d'administration est chargé de transmettre, le plus b — xYI — tôt possible, les exemplaires des nouveaux statuts demandés par M. le préfet. Sur la proposition de M. Castan, la Société décide : 4° qu’une somme de cent francs sera mise à la disposition de la commis- sion des fouilles d’Alaise; 2° que M. Bial fera désormais partie de cette commission, dont il a jusqu'ici partagé tous les travaux. M. d’Estocquois fait un rapport favorable sur le mémoire présenté par M. Sire à la séance du 44 juin dernier. L'assemblée décide en conséquence que ce mémoire sera imprimé par la Société. Il est ensuite procédé à un scrutin secret, à la suite duquel M. le président proclame Biembre résidant : M. Sarrazin, fils, propriétaire de mines à Laissey (Doubs). L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. Besançon, le 9 août 1862. Le Secrétaire, signé V. Bavoux. Vu et approuvé : Le Président désigné d'office, signé CHauvix. Séance du 8 novembre 1869. PRÉSIDENCE DE M. GRENIER. Membres présents : Bureau : MM. Grenier, vice-président; Jacques, trésorier : Castan, archiviste ; Bavoux, secrétaire. Memgres RÉSIDANTS : MM. Bial, Carlct, Détrey (Francis), Girod (Victor), Lebon, Louys, Montenoise, Noiret, Percerot, Rollot et Vézian. Le secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance du 9 août dernier, dont la rédaction est adoptée. M. le président communique le programme de la Société en commandite fondée sous le nom d'Union des Arts de Marseille, ainsi qu’une lettre par laquelle cette Société demande à entrer en relations-avec nous. CHER L'assemblée pense qu'il est utile, avant d'accueillir la de- mande, de connaître les travaux de cette Société, qui paraît avoir assez peu d’affinité avec la nôtre. M. le président donne ensuite lecture du projet de budget préparé, pour 1863, par le conseil d'administration. M. Girod propose d'ouvrir un crédit de 100 francs sous le titre de subvention pour la création d'un musée d’horlogerie, dont quelques éléments curieux existent déjà au milieu des collections archéologiques de la ville. Cette proposition est accueillie et constitue la seule modifica- tion qui soit demandée dans le budget, dont tous les articles sont successivement adoptés. Un vote d'ensemble arrête ce budget de la manière suivante : RECETTES PRÉSUMÉES. Excédant de recettes au 31 décembre 1862. . . . .. 800 fr. dé Etap ent Rush 400 SUDMERUONS * :, . 4 . du département. . . .. 200 de MINT TULS EE AES.D. 300 Cotisations des membres EL PA a AU correspondants . . . . . 800 Droits de diplôme, recettes accidentelles . . . . . . . 40 Total des recettes . . . 4,740 fr. DÉPENSES. Impressions, gravures, lithographies. . . . . . . . . 3,000 fr. Fournitures de bureau, ports de lettres et d’autres DLL 2 NUS EMA EEn UT ES RES 150 Indemnités aux personnes chargées de l’entretien de la salle et des courses de la Société . . . . . . .. 200 LIL SEEN 300 Panenendeherbier . . : . + . . 0. : 7... 50 HDépeuses pour l'archéologie "ce. : . on . . . 300 Subvention pour la création d’un musée d’horlogerie. 100 Achat d’autres objets de collection. . . . . . . . . . 300 Reliure de livres, achat de matériel . . . . . . . . . 100 Dépenses diverses et imprévues . . . . . . . . . . . 109 Total des dépenses . . . 4,600fr. Cotisations rachetées (capital inaliénable) . . . . .. 120 fr. Excédant des recettes sur les dépenses. 140 hr _- L'assemblée reprend ensuite la proposition de M. Girod, et décide : 4° que les achats porteront sur des pièces d’horlogerie ancienne, remarquables par le travail ou par quelque souvenir historique ; 2° que ces pièces seront provisoirement déposées au Musée archéologique; 3° qu'il sera écrit au Conseil muni- eipal pour le prier de s’associer au projet de la Société; 4° que M. Victor Girod sera chargé de l’emploi des fonds et des dé- marches à faire dans l'intérêt du Musée à créer. Sur la proposition de M. le président, l’assemblée décide: 4° que le restant du crédit de l’aréhéologie sera mis à la dispo- sition de la commission des fouilles d’Alaise; 2° qu’un crédit extraordinaire de 150 francs sera prélevé sur les fonds dispo- nibles ct destiné à solder une partie des acquisitions faites par M. le conservateur du Musée archéologique. M. Vézian demande qu’une allocation de 150 francs, prise sur le crédit des objets de collection, soit affectée à des fouilles géologiques dans les tranchées du chemin de fer. Gelte proposition est mise aux voix et adoptée. Le nom d’un candidat au titre de membre résidant est déposé sur le bureau. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. Besançon, le 8 novembre 1862. Le Secrétaire, signé V. Bavoux. Vu et approuvé : Le Vice-Président, signé GRENIER. Séance du 6 décembre 1862. PRÉSIDENCE DE M. Bovsson D’Ecozes. Membres présents : Bureau : MM. Boysson d'Ecole, président; Grenier, vice- président; Jacques, trésorier; Bavoux, secrétaire; Truchot, vice-secrétaire ; Castan, archiviste. MeuBres RÉSIDANTS : MM. Arbey, Belot, Bial, Bourcheriette, Chauvin, Constantin, Courlet de Vregille, Détrey (Francis), = AXE = Dodivers, Ducret, Gaudot, Girod (Victor), Percerot, Sire el Vézian. Le secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance du 8 novembre dernier, dont la rédaction est adoptée. La Société académique de Saint-Quentin ayant envoyé un volume de ses publications, il est décidé qu’elle sera inserite au nombre des Sociétés correspondantes. Lecture est donnée d’une circulaire de la Société des sciences de l'Yonne, annonçant un concours ouvert pour l’année 1863. Le sujet mis au concours est l'éloge historique du maréchal Davout. M. Vézian exprime la crainte d’éprouver, de la part de l’ad- ministration du chemin de fer, des difficultés au sujet des fouilles géologiques pour lesquelles un crédit lui a été alloué à notre dernière réunion. Il demande, en conséquence, à n’être pas limité sur le lieu où devront s’opérer ces fouilles. L'assemblée, accédant au vœu de M. Vézian, décide qu'il lui sera laissé toute latitude à cet égard. IL est ensuite arrêté que les élections pour le renouvellement du conseil d'administration se feront le 48 décembre courant, et que le banquet annuel de la Société aura lieu le même jour. Le montant de la souscription à ce banquet est fixé à 40 fr. Les noms de quatre candidats au titre de membres résidants sont déposés sur le bureau. L'assemblée procède ensuite à un scrutin secret, à la suite duquel M. le président proclame Membre résidant : M. Furvre (Adolphe), docteur en médecine, à Besançon. L'ordre du jour élant épuisé, la séance est levée. Besançon, le 6 décembre 1862. Le Secrétaire, signé V. Bavoux. Vu et approuvé : Le Président, signé Boysson p'ECoLe. Er. ©. 11 Pine Séance du 18 décembre 1862. PRÉSIDENCE DE M. Boysson n’Ecozr. Wembres présents : Bureau : MM. Boysson d’Ecole, président; Grenier et de Fraguier, vice-présidents; Jacques, trésorier; Bavoux, secré- taire; Truchot, vice-secrétaire; Castan, archivisie. Memgres RÉsIDANTS : MM. Arbey, Arnal, Belot, Bertrand, Bial, Bourcheriette, Bourdy ('), Bouttey, Bretegnier, Bretillot (Maurice), Bretillot (Paul), Carlet, Chaix-Bourbon (!), Chanoit, Constantin, Courlet de Vregille, Coutenot, Détrey (Francis), Diétrich, Dodivers, Ducret, Ethis (Edmond), Ethis (Ernest), Ethis (Léon), Fachard, Faivre, Fouin ('), Gaudot, Girod (Vic- tor), Huart, Lancrenon, Lebon, Montenoise, Noiret, Pétey, Proudhon (Léon), Ravier, Richardey, Sire, Travelet, Truche- lut, Valluet, Varaigne, Vaucheret et Veil-Picard. Le secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance du 6 décembre courant, dont la rédaction est adoptée. L'assemblée procède à un scrutin secret, à la suite duquel M. le président proclame Membres résidants : MM. Barpey (Antoine), dessinateur; Bourpy (Pierre), essayeur du commerce; CHaix-Bour8on (Auguste), peintre ; Fouix (Auguste), mécanicien. M. Castan lit une partie du rapport sur les fouilles archéolo- giques faites, pendant l’année, aux environs d’Alaise. La suite de ce rapport sera lue à la prochaine réunion. M. Bial présente un résumé du rapport sur les opérations de la commission chargée d'organiser l'exposition de 4860. L'assemblée décide l'impression de ce rapport; elle vote en même temps des remerciements à M. Bretillot, qui a déployé un zèle et un dévouement incessants dans les fonctions de tré- sorier de la commission. (?) Ces trois membres ne sont entrés en séance qu'après avoir été pro- clamés membres de la Société. 5 — XXI — , Cinq candidats sont proposés pour faire partie de la Société : un comme membre honoraire, trois comme résidants et un comme correspondant. L'assemblée procède ensuite, conformément à l’article 44 des statuts, à l'élection des membres du conseil d'administration pour l’année 1863. Le dépouillement des six scrutins successifs donne les résul- tats suivants : Pour le président, 50 votants : M. Vézian, 50 voix. * Pour le premier vice-président, 48 votants : M. Proudhon (Léon), 43 voix; M Boysson d’Ecole, 2 voix; M. Bruchon, 3 v. Pour le deuxième vice-président, #8 votants : M. Boysson d’'Ecole, 39 voix; M. Grenier, 3 voix; M. Varaigne, 3 voix; M. de Fraguier, 2 voix, M. Huart, À voix. Pour le trésorier, 48 votants : M. Jacques, 47 voix; M. Arbey, À voix. Pour le vice-secrétaire, 46 votants : M. Truchot, 42 voix; M. Ducat, 2 voix; M. Castan, 1 voix; M. Varaigne, À voix. Pour l’archiviste, 49 votants : M. Castan, 47 voix; M. Truchot, 1 voix; M. Varaigne, 4 voix. En conséquence, sont proclamés comme ayant obtenu l’una- nimité ou la presque unanimité des suffrages : Président, M. VÉzrAN ; Premier vice-président, M. Proupaon (Léon); Deuxième vice-président, M. Boysson n’ECOLE ; Trésorier, M. JACQUES ; Vice-secrétaire, M. Trucnor; Archiviste, M. Casrax. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. Besançon, le 18 décembre 1862. Le Secrétaire, signé V. Bavoux. Vu et approuvé : Le Président, signé Boysson Dp'ECOLE. À la suite de la séance du 18 décembre 1862, a eu lieu le banquet annuel de la Société. Re RENE Se Au dessert, M. Boysson d’Ecole s'est levé et a prononcé le discours suivant : Messieurs, J'ai lu quelque part qu'autrefois les Parthes lançaient, en fuyant, leurs traits les plus meurtriers. Je veux me garder, en descendant du fauteuil où m'’avaient fait asseoir vos bienveillantes sympathies, de prendre congé de vous à la façon des Parthes, et si, pour me conformer à l'usage établi et pour la satisfaction de votre légitime amour-propre de Société savante, je dois passer en revue les travaux qui, en prenant place dans votre bulletin de 4862, vont ajouter de nouvelles richesses à votre trésor, rassurez-vous, Messieurs, je ne veux pas perdre de vue qu’en entrant ici vous avez déposé vos bon- nets de docteurs à la porte, et me rappelant qu’en ce moment vous êtes plus épicuriens que savants, je n’attristerai pas votre digestion par d'inutiles et fastidieux détails. Vous avez reçu, dès le mois de janvier dernier, un manuscrit de M. Etallon, l’un de vos membres correspondants, Etudes paléontologiques sur le Jura graylois. Cet important travail donne la mesure de ce qu'on aurait pu attendre encore de son auteur, si une mort prématurée n’était venue l’enlever à la science et à ses amis. M. Emile Delacroix, dans ses Recherches sur les eaux ferru- gineuses de Luxeuil, a fourni une nouvelle preuve du dévoue- ment éclairé qu’il sait apporter dans l'exercice d’un art qui est sa constante préoccupation. Âlaise, cette arène ouverte par l’un des membres les plus ingénieux de votre société à la discussion d'une des questions les plus intéressantes de notre histoire, a fourni à M. le capi- taine Bial l’occasion de résumer dans une savante dissertation les Travaux militaires de César devant Alesia. Le même auteur vous a donné une description pleine d'intérêt du Châtaillon d'Alaise. M. d’Estocquois, le savant professeur de la Faculté des sciences, et M. Truchot, qui vous est déjà connu par d’excel- lents travaux, ont produit : le premier, une Note sur le coefji- — XXV — cient de contraction de la veine liquide; le second, un Mémoire sur l'influence de l'électricité sur les veines liquides. Un autre savant estimé, M. Sire, a présenté un Mémoire sur la cohésion, fort apprécié par les hommes compétents. Enfin, Messieurs, vous voudrez tous lire un intéressant rap- port de M. Castan, sur les fouilles exécutées, pour le compte de la Société, au Bois-Néron. Vous retrouverez dans cette notice les qualités qui se font remarquer dans tout ce qui sort de la plume de l’auteur. Qu'il me soit permis, en terminant, de rappeler ici que par différentes délibérations vous avez émis le vœu de la création à Besançon d’un jardin botanique et de la fondation d’un musée d'horlogerie. Il vous appartenait, Messieurs, de prendre cette double iniliative, et un jour ce ne sera pas une des moindres gloires de la Société d'Emulation que d’avoir contribué à doter la eité de deux établissements dont le premier est le complé- ment indispensable des autres établissements scientifiques qu’elle possède déjà; dont le second avait sa place marquée à côté de la grande et belle industrie que la ville de Besançon a si vail- lamment conquise sur l'étranger. Le rapide tableau que je viens de mettre sous vos yeux, Messieurs, a dû suflire pour montrer que l’année qui vient de s’écouler n’a pas été stérile pour notre Société. Vous avez donné des preuves nouvelles d’une vitalité qui ne pouvait manquer de vous concilier toutes les sympathies; aussi M. le préfet, avec cette bienveillance éclairée qui le caractérise, n’a-t-1il pas hésité à prendre en main vos intérêts, et, par une lettre du 23 juillet dernier, il vous a annoncé que, d'accord avec M. le recteur, il venait de donner un avis favorable à la demande en reconnais- sance d'utilité publique formée par vous. Un vœu conforme à cet avis a été émis par le comité des travaux historiques et des Sociétés savantes, et vous ne tarderez pas, je l'espère, à rece- voir vos titres de noblesse de M. le ministre de l'instruction publique, dont la haute sollicitude ne fait jamais défaut à tout ce qui est vraiment bon et utile. Je bois à la Société d'Emulation ! M. Vézian a pris la parole en qualité de nouveau président et s’est exprimé ainsi : nn © Qi ie Messieurs, La Société d'Emulation se compose de plus de 400 membres; fondée en 1840, elle compte 22 années d'existence. Depuis sa création, elle re cesse de publier des mémoires du plus haut intérêt; elle a créé et enrichi un musée d'histoire naturelle; elle a prêté son concours et son patronage à un grand nombre d'entreprises utiles ou honorables pour le pays; enfin, et je vais mentionner son plus beau titre de gloire, elle a eu l’ambi- tion d'entreprendre et le bonheur de mener à bonne fin une Exposition universelle. Elle attend d’un jour à l’autre le décret qui la déclarera Société d'utilité publique; ce décret, tout en reconnaissant les services qu’elle a rendus, lui permettra de remplir avec plus d’efficacité la mission qu’elle s’est imposée. J'ai voulu vous rappeler en peu de mots l'importance de la Société d'Emulation pour vous montrer combien je me sentais honoré d’être appelé à la présider. Je ne négligerai rien, Mes- sieurs, pour me montrer digne de la preuve de confiance que vous m'avez donnée. Vos suffrages auraient pu se porter sur une personne dont la présence au fauteuil de la présidence eût jeté plus d’éclat sur la Société; je prends l'engagement de vous convaincre que vous ne pouviez pas choisir de président plus” dévoué aux intérêts de la Société que celui que vous avez daigné élire aujourd’hui. Permettez-moi, Messieurs, d’inaugurer mes fonctions en vous entretenant un instant du but de notre mission. Le but de la Société, d’après l’article premier de ses statuts, est de concourir activement aux progrès des sciences et des arts, et d'encourager principalement les études relatives à la Franche-Comté. Ce serait vous faire un compliment de mauvais goût que de vous dire que vous êtes une société de savants; mais vous for- mez une société scientifique par le but et par l’esprit qui règne parmi vous; rien de plus, rien de moins. La Société d'Emula- tion appelle dans son sein non-seulement les hommes instruits, mais aussi les personnes de bonne volonté qui admirent instinc- tivement les découvertes modernes ou qui sont reconnaissantes à la science des améliorations qu’elle apporte dans notre exis- tence. De même, la Société des amis des Beaux-Arts groupe — CAVIL autour d’elle, avec les hommes qui savent manier la palette et le ciseau, ceux qu'une statue de Pradier, une symphonie de Beethoven ou un paysage de Calame ne trouvent pas insensibles. Je ne prétends pas pourtant limiter votre sphère d’action ; rien de ce qui s’accomplit dans ce pays, rien de ce qui peut tourner à son utilité et à sa gloire ne doit vous trouver indiffé- rents. Mais nos ressources sont bornées, et ce serait en faire un mauvais usage que de les disperser au hasard. Besançon pos- sède d’autres sociétés qui peuvent alléger votre tâche. Vous encouragerez les savants dont la Franche-Comté est la patrie, quelle que soit la nature de leurs recherches, vous accucillerez les travaux des hommes qui, quel que soit leur lieu de naissance, prendront votre pays pour sujet de leurs investigations. Et parmi les sciences qui seront l’objet de vos prédilections, se placeront l’archéologie, l’histoire natdrelle et la géologie, parce que ces sciences ont, dans la Franche-Comté, un vaste et fertile domaine à exploiter. Peu de contrées offrent autant d'intérêt que les environs de Besançon sous le rapport des études géologiques. Cette vallée du Doubs, si profonde et si accidentée, est comme un livre dont la nature nous tourne successivement les feuillets pour nous permettre d'y lire quelques pages de l’histoire de ja terre et de porter un regard curieux dans la constitution de notre planète. Le Jura bisontin est une des terres classiques de la géologie ; en m'appelant à la présidence, vous avez voulu encourager celui qui, parmi vous, était officiellement chargé de l’enseigne- ment de cette science. Je ferai tous mes efforts pour éveiller, en Franche-Comté, le goût des études géologiques. Les per- sonnes qui voudront bien m’accompagner dans mes excursions, seront pour moi plutôt des collaborateurs que des élèves. Dans mon élection de président de la Société d’Emulation, il y à quelque chose qui me touche encore plus que l'honneur qui en résulte pour moi. Ce banquet, Messieurs, est une fête de famille : je puis donc vous faire une confidence. Lorsque, il y a trois ans, je fus appelé à Besançon, j'y arrivai dans des circons- tances qui produisirent sur moi une pénible impression. La neige couvrait tout le pays, et je ne trouvai pas chez les Francs- Comtois l'expansion méridionale à laquelle j'étais habitué. Un serrement de cœur me saisit, et je craignis que le séjour de la — XXVII D — Franche-Comté ne fut pour moi un véritable exil. Mais quand le printemps parut, je pus suivre le cours du Doubs, parcourir les montagnes du Jura, admirer les forêts qui recouvrent ses plateaux. Je fus bientôt réconcilié avec le pays; restait à me réconcilier avec les habitants. Peu à peu, je découvris en eux des qualités de cœur que je n'avais pas d’abord aperçues. Plu- sieurs personnes, dont quelques-unes se trouvent ici et que je remercie dans toute l’effusion de mon âme, me prodiguèrent des témoignages de sympathie : j'entrevis la possibilité de nouer des relations amicales qui feraient pour moi, de la Franche- Comté, une seconde patrie. Aujourd'hui, Messieurs, vous m'accordez le droit de cité; vous me faites citoyen de Besançon. Je m'’efforcerai de me rendre digne de votre bon accueil: si Je ne suis pas Franc- Comtois de naissance, je le serai par le cœur. Je bois, Messieurs, à la prospérité de la Société d'Emulation du Doubs et à l’union de tous ses membres. Puis M. Girod a remercié, au nom des fabricants d’horlogerie, Ja Société d'Emulation et l'administration municipale de l’intérêt qu’elles n'ont-cessé de témoigner à cette industrie, notamment par la création d’une école d’horlogerie. M. Vézian ayant remercié M. le préfet, M. le premier prési- dent et M. le procureur général d’avoir bien voulu honorer le banquet de leur présence, M. Blanc s’est levé pour exprimer combien les représentants de l'autorité avaient lieu d’être touchés de la franche hospitalité dont ils étaient l’objet, et féliciter la Société d’allier ainsi le respect de la constitution au goût des scionces et des arts. ATAISE ET LE MONITEUR. Par M. A. DEIACROIX. Séance du 12 décembre L86GI. « Mais est-il vrai que Vercin£étorix s’etaitrenfermé, avec 80,000 hommes, dans la ville, (Alise en Auxois).quisesit d'une médiocre étendue ? » (NAPOLÉON en) OPINIONS DU MONITEUR. Le Moniteur universel avait débuté, dans la question d’Alesia, par publier une série de chaleureux articles en faveur d’Alaise. Vint le remarquable mémoire dans lequel M. le duc d’Aumale concluait, quoiqu’avec réserve, pour Alise. La réaction fut ex- trème dans ce sens. Le Moniteur lui-même se montra dès lors pour Alise-Alisiia contre Alaise-Alesia, pour la Brenne contre le Doubs. On ne le vit plus enregistrer que des publications con- traires à ce qui semblait avoir été ses premières opinions. Le 6 et le 7 août 1861, il reproduisait un mémoire ayant pour titre : € ETUDE SUR L'EMPLACEMENT D'ÂLESIA, PAR LE BARON STOFFEL, CAPITAINE AU 15° RÉGIMENT D'ARTILLERIE, Ÿ Mémoire terminé par un nota dans lequel la direction du journal se prononce, avec l’auteur, contre Alaise, dans les termes suivants : « Il est nécessaire, pour apprécier à sa juste valeur le ira- vail qu'on vient de lire, de faire observer que l’auteur est arrivé à ses conclusions, indépendaminent des résultats si re- marquables qui sont dus aux fouilles conçues et ordonnées par S. M. l'Empereur, et exécutées dans la plaine des Laumes et sur le plateau du mont Auxois, sous la direction de la Com- mission de la carte des Gaules. - Pt De » Ces résultats sont venus confirmer de tout point le bien jugé de M. le baron Stoffel, et justifier les appréciations que, dans deux circonstances, l’Académie des inscriptions et belles- lettres de l’Institut impérial de France avait été appelée à émettre sur le véritable emplacement d’Alesia. » Les conclusions du mémoire sont pour Alise. Alaise aurait donc contre elle aujourd’hui, aussi ouvertement que possible, le Moniteur universel, ajouté aux Commissions de la carte des Gaules et de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. C’est beaucoup. Ce serait bien plus encore, à mes yeux, si, derrière cette ordonnance imposante de grands noms, je ne me laissais pas aller à entrevoir chaque fois un nombre assez restreint d’in- dividualités, toujours le même, puissant par son autorité propre et par ses positions au sein des corps savants, susceptible néan- moins d’être compté. Mais cent écrits ont déjà conclu contre Alaise, et nos convic- tions n’ont pas été ébranlées ; Des fouilles ont été pratiquées sur le territoire d’Alise-en- Auxois, et nous avons applaudi à la sagesse des ordres de l’Em- pereur ; Lorsque les découvertes ont été prématurément proclamées décisives en faveur d’Alise-Alisiia, nous sommes allés avec con- fiance en trouver de non moins décisives dans le sens contraire, près d’Alaise- Alesia. Le mémoire de M. le baron Stoffel, un des meilleurs qui aient paru en faveur d’Alise, œuvre d’un esprit clair et précis, ne change pas davantage notre opinion sur le véritable état des choses. Il nous a inspiré, au contraire, plus de confiance en notre cause et un vif désir de répondre, auquel, pour ma part, J'obéis en ce moment. Sommes-nous donc rebelles à la raison ? Pour affranchir tout d'abord d’un pareil soupçon la discussion dans laquelle nous allons entrer, je commencerai par rappeler ici un précédent sans réplique et resté néanmoins trop peu connu. Il UN PRÉCÉDENT POUR ALAISE. Le massif d’Alaise était, il y a six ans, pour le petit nombre même de ceux qui le connaissaient, un grand bois d’un accès difficile, mais rien de plus. Il n’en était pas de même d’Alise-en-Auxois. On croyait géné- ralement, je croyais fermement aussi, Alise munie de documents de toute sorte portant écrits ces mots : ALesia, ManDuBur. Ayant eu occasion d'étudier la Guerre des Gaules et de sou- mettre mes lectures à un genre de contrôle, bon ou mauvais, que je crois bon et qui m'est familier, je crus voir une erreur géographique relativement à la position d’Alesia. J’eus bien- tôt la témérité de l'indiquer vers un de ces rares passages du Jura, sur lesquels se plaçaient jadis tout naturellement les forte- resses, près des deux vieux forts de Sainte-Anne et de Belin. J’en vins bientôt à rapprocher du mot Alaise celui d’Alesia, et j'attri- buai le nom de Mandubiens aux habitants des montagnes du Doubs (Dubis). L'idée était à peine émise qu'il y eut, à Besançon même, deux partis parmi les archéologues, l’un pour l’ancienne, l’autre pour la nouvelle attribution. Ce fut, dans l’origine, une sorte de défi. L'inexpérience était grande de part et d’autre, à cette époque où nul ne connaissait encore les preuves qu'il pour- rait recueillir, mais où chacun espérait en rencontrer. Plein de foi, je niai, avant toute vérification, qu’il pôt y avoir et qu'il y eût en Auxois des inscriptions portant les noms de Mandubii et d'Alesia ; je contractai en même temps, envers mes contradic- teurs, l'obligation de retrouver : Dans nos vieux manuscrits, un nom latin d’Alaise qui fût Alesia ; , Sur le massif d’Alaise et au pourtour, des traces de bataille et de retranchements ; Dans ce sol inexploré, des armes et des objets celtiques ; Dan$ des auteurs anciens, autres que César, la confirmation du sens que je prétendais donner au texte des Commentaires. Je me mis à l’œuvre. Ayant, avec l’aide d'amis remplis d’un zèle éclairé, et contre l'attente des contradicteurs, fourni les 2e HG preuves convenues, j'attendais des partisans d’Alise-Sainte-Reine le résultat de leurs recherches sur cette localité. Il avait suffi d’y chercher les preuves pour qu’elles eussent disparu. Il était donc indubitable que les partisans d’Alaise ne pouvaient plus s’être trompés. L’Alesia des Commentaires avait sa place entre le Taudeure et le Lison. Ces faits sont peu connus et mériteraient de l'être des archéo- logues qui s'occupent d’Alesia. Ils expliquent ce que l’on appel- lera, si l’on veut, notre enthousiasme dans la cause d’Alaïise, ce que nous appellerons, nous, notre confiance dans l'exactitude de l'inventaire dont nous avons été obligés de faire la production. Après avoir, dès le début, tiré des Commentaires seuls une in- terprétation qui nous a conduits sur un point auquel nul ne son- geait auparavant, et sur lequel se sont montrés ensuite une Alesia et un immense champ de bataille de l'époque de César, nous n’admettons plus que l’on puisse écarter de la discussion des circonstances préliminaires de cette importance, qui sont néces- sairement un argument décisif en notre faveur. M. E. Desjardins a eu, le premier, le tort involontaire d'agir autrement, faute de données sur ce point. Je ne ferai donc pas à nos adversaires, je ferai à M. Stoffel, moins qu’à tout autre, le reproche d’avoir attiré la discussion hors d’un terrain où tout d’abord nous étions maîtres. Je constaterai seulement que nous tenons à ne pas priver notre cause d’un argument irrésistible. C’est notre droit. De grandes concessions nous ont été faites depuis quelque temps; mais on a pu voir, par les publications les plus récentes de MM. P. Bial et J. Quicherat, qu’en retour nous n'avons cédé et ne cédons rien. Il ne nous suffit pas qu’Alaise soit enfin dé- clarée une Alesia quelconque, ni que l’on consente, un peu tard, à reconnaître l'existence de nos champs de bataille. Nous main- tenons que les vingt-cinq à trente mille de nos fumulus, tous du même âge, — je ne parle pas ici des cimetières de l’urbs, anté- rieurs et postérieurs à César — sont le monument certain des luttes de Vercingétorix et de Vergasillaune contre les Romains. Cela dit, je me sens plus libre pour parler de l'excellent tra- vail de M. Stoffel. Il me pardonnera plus volontiers de ne pas me rendre à ses conclusions, et de les combattre, au contraire, avec une vivacité plus grande que je ne l’eusse désiré, pénétré comme je le suis d'estime pour son mérite évident. — III ALAISE ET ALISE DISCUTÉES. NE A notre avis, dit M. Stoffel, la question peut et doit être traitée plus simplement. Voici de quelle manière : > Nous prendrons le récit de César à partir du moment où l’armée romaine arrive devant Alesia (livre VIT, chapitre 68); nous suivrons ce récit chapitre par chapitre, phrase par phrase, et nous verrons à en faire l'application tant à Alise-Sainte-Reine qu'à Alaise près Salins. Dans cet examen comparatif, il se présentera certainement un des quatre cas suivants : » 1° Cas. Le récit des Commentaires conviendra également bien aux deux localités. » 2° Cas. Ce récit ne conviendra à aucune d’elles. » 3° Cas. Il s’appliquera mieux à l’une des localités qu’à l’autre. » 4 Cas. Il conviendra à l’une des localités, et il sera impossible de l'appliquer, dans toutes ses parties, à l’autre localité. » La question, réduite à des termes aussi simples, deviendrait, selon moi, insoluble. La France, le monde entier sont couverts de montagnes baignées à droite et à gauche de cours d’eau, et qui représenteraient, aussi bien qu’Alaise et Alise, le tableau sommaire laissé par les Commentaires. Le Puy-d’'Ussolud (Uxel- lodunum), sur les bords de la Dordogne, entre la Tourmente et la Sourdoire, serait une parfaite Alesia. On trouverait celle-ci partout. IL faut donc que des conditions d’un autre ordre nous aient menés d’abord devant les terrains à examiner. Ce n’est pas à partir du chapitre 8 du VIT livre qu'il faut suivre les Com- mentaires phrase par phrase, mais dès la première page du pre- mier livre. Il faut voir la politique romaine préparant, en vue de la conquête des Gaules, son entrée dans la Séquanie, faire d’une part alliance avec les Eduens, ennemis de cette contrée, et d’autre part stipendier Arioviste, chef d’une armée germaine permanente qui combattait du côté des Séquanais. Il faut voir César, entré dans le Jura comme un protecteur, s’empresser de démembrer la Séquanie’en donnant aux Eduens les Ambarres, aux Rémois la part qu'ils pouvaient convoiter, c’est-à-dire un coin de la Saône pour les Lingons, afin que l’une et l’autre tribu prissent concurremment dans les Gaules l'importance dont jouis- Te sait auparavant la nation dépouillée {!). Il faut rapprocher de ces faits, pour en comprendre le secret, le dire de Strabon expli- quant que la Séquanie est la clef de toutes les grandes invasions qui ont eu lieu sur la terre italienne (?). Il faut, dès que l’on touche au VIT livre, se rendre compte de la feinte de César contre le pays des Arvernes, et de son voyage précipité vers les deux légions qu'il a mises en garnison chez les Lingons. Ce point du pays lingon d’où la guerre véritable com- mencera, nous l’avons nommé ailleurs, c’est Amagétobrie, dont la citadelle est Amange, dont la Saône alimente les ports, où sont les gués ; Amange le point militaire le plus important de toute la grande rivière, Amange qui montre encore aujourd’hui la profonde enceinte de son arx gallo-romaine, les fossés de son urbs creusés plus bas que le niveau des eaux et, dit-on, dallés dans le fond comme s'ils avaient dû servir de port. De ce pays, marqué de sépultures celtiques et romaines, partira César pour entrer en campagne; c’est là qu’il reviendra de Gergovie, vaincu (victus aufugit). N'ayant plus alors pour lui que les Rémois, les Lingons et les Germains, séparé de l'Italie et de la Province par la Séquanie, qu’aura-t-il à faire? A rompre cette barrière. Aussi Dion Cassius dira-t-il que César, dans son mouvement, fut enveloppé avec toute son armée par Vercingétorix chez les Séquanais (èv Enxovavoïc); c’est donc dans un lieu proche du point auquel s'appliquent l’èv Enxovavots de Dion Cassius, et l’iter faceret in Sequanos de César, que doit se trouver Alesia, cité re- ligieuse en tous temps, oppidum aux époques de grande guerre. Elle est assise sur celui des passages naturels de la rive occi- dentale du Jura, qui est le plus praticable pour des armées. Un système différent a été établi par nos adversaires pour conduire César devant Alise en Auxois ; mais Alise leur était connue, et les préjugés en sa faveur régnaïent chez eux quand ils ont créé leur argumentation. Notre Alesia, au contraire, je le répète, nous était inconnue quand notre plan de campagne a () Cæs., Bell. Gall., lib. VI, cap. xn. (2) « Tépay dE rod "Apapoc oixoüstv où Enxoavoi, Ouaponor xai toïs ‘Pw- uatous ëx moXAoù yeyovôtes xal Toïs Aidoborc * Üte pds l'eppavodc rposeywpouy rolduS xuTa Tac EpOdOUS AÜTHY TOC Êni TAV Iraliav, xal ÉmEdElxVUYTO Ye où TV Tuxouoav OUvapiv, GAÂX Ka HOLWWVODVTES aÜTOIS ÉTOIOUV LEYHROUS, xai dprorauevor pixpobc. » (ETPABQNOE l'awy., 616. À, xep. y.) — 9 — été fait, et c’est lui qui nous a montré l’oppidum avec le chemin par lequel y sont venues les armées. Or, tout cela doit précéder l'examen du chap. 8 du VIT livre. Que la comparaison entre le relief d’Alaise et celui d’Alise ait ensuite, je le suppose, pour résultat de prouver même une par- faite ressemblance des deux localités, peu importe. Alise vien- drait à produire, mieux qu’'Alaise, un portrait intelligible, au premier coup d’œil, de l’Alesia de César, nos convictions n’en seraient pas ébranlées. Dans ce genre d’argumentation même, nous aurons, nonobstant toutes les apparences con- traires, le dessus. En effet, le pays d’Alaise, seul, renfermera tous les accidents particuliers de configuration du sol qui ont motivé et qui expliquent les opérations les moins croyables au- paravant du récit de César. Napoléon [*", qui douta devant Alise de la sincérité des Commentaires, Vacca Berlinghieri, qui traita léurs assertions de fabuleuses quant à l’affaire d’Alesia, eussent trouvé dans le Jura ce qu’ils cherchaient en vain dans l’Auxois. Après ce préambule long, mais nécessaire, et tout en rappe- lant les réserves que j'ai dû faire, j'arrive à examiner la compa- raison d’Alaise et d’Alise. Je suivrai pas à pas l’ordre établi par M. Stoffel : « Le massif d'Alaise, d’une part, le mont Auxois, de l’autre, sont-ils tels, de leur nature, qu'une armée romaine n'ait pu tenter de les emporter d'assaut ? » Il n’y a aucun doute pour Alaise. Le massif, sur tout son pour- tour, a des escarpements tels qu’il n’est accessible nulle part. sauts: Le mont Auxoiïis, avec ses flancs brusquement coupés par une ceinture de rochers, est inabordable sur tous les points... Vercingétorix, s’il s’est retiré sur le mont Auxois, occupait ainsi une position inexpugnable..….. » Je passe, mais je reviendrai sur ce point. « Deuxième phrase. — Cujus collis radices duo, duabus ex parti- bus, flumina subluebant. » Deux rivières baignaient, de deux côtés, le pied de la colline. » .…. Le Lison... coule... dans une véritable crevasse de cent à cent cinquante mètres de profondeur. Or, nous le demandons, un écrivain d’un style aussi clair que l’est César, eût-il dit d’un cours -d’eau présentant ce caractère, qu'il baigne le pied de la colline (su- one 10 bluit radices)? Rien, du côté du Lison, ne peut s’appeler le pied de la colline ou du massif, et le verbe subluere ne saurait convenir à une rivière encaissée enfre deux murs à pic de plus de cent mètres de haut. S'araLé La condition pour les deux cours d’eau de couler de deux eôtés de la colline n’est pas remplie à Alaise : car le Todeure et le Lison entourent le massif de trois côtés. NS La deuxième phrase du chapitre 69, rapportée au mont Auxois. est d’une rigoureuse exactitude, et... s'applique très mal au pays d’Alaise. » Nous répondrons que les rochers de la citadelle de Besançon plongent aussi dans le Doubs avec rapidité et de plus de cent mètres de hauteur, comme le massif d’Alaise sur le Lison, et que déjà les mots : radices montis avaient été Rs par César à cette première description. Nous ajouterons, relativement aux deux cours d’eau d’Alaise, que, comme pour compenser ce qui, dans la pensée de M. Stoffel, paraîtrait avoir été une insuflisance de la description de César, Strabon complète celle-ci en disant d’Alesia : .... mepreyouévnv...… rotayoïs; voi (1), entourée {cènctam) par deux cours d’eau. « Troisième phrase. — Ante id oppidum planities circiter mallia passuwum 111 in longiludinem patebat : reliquis ex omnibus partibus colles, mediocri interjecto spatio, pari altitudinis fastigio, oppidum cingebant. » En avant de l'oppidum s'étendait une plaine d'environ trois mille pas de longueur : sur tous les autres points des collines peu éloignées et d’une égale hauteur entouraient l’oppidum. D MER La phrase latine éveille chez tout lecteur attentif l'idée d’une suite de collines peu distantes de celle d’Alesia, et formant autour de celle-ci (excepté du côté de la plaine) une ceinture d’une élévation égale dans toutes ses parties. Or, le pays qui avoisine Alaise ne répond en rien à cette idée. Les montagnes et les plateaux qu’on y trouve occupent les positions les plus irrégulières autour du massif, et César ne leur eût certainement pas appliqué le mot cingere. Il n’eût pas surtout dit que tous les sommets avaient la même élévation ; car il y a de l’un à l’autre des différences de hau- teur de près de deux cents mètres. » Je m’arrête ici. César dit, pour exprimer la séparation qui existe entre la colline d’Alesia et les collines voisines : mediocri 1) lewy., 66). À, x. 6. = NM. = interjecto spatio. M. Stoffel a exprimé la sensation que lui avait fait éprouver la vue de la vallée du Lison en l’appelant «une véritable crevasse de cent à cent cinquante mètres de profondeur. » Il est difficile de mieux traduire que par cette description le mediocri interjecto spatio de César. En rendant, au contraire, Ce passage par les mots suivants qu’on vient de lire dans la troisième phrase de M. Stoffel : collines peu éloignées, l’auteur donne un tableau défiguré. L'expression de crevasse à, pour elle, de corriger encore un autre défaut de la traduction de M. Stoffel. Elle peint l'égalité de hauteur des bords de chaque côté du mediocri interjecto spatio, égalité relative constante sur chaque section de la vallée, lors même que les profondeurs de celle-ci varieraient. Or, c’est ce qui arrive pour Âlaise. À chaque bord de la crevasse du pour- tour correspond successivement , tantôt à cent mètres, tantôt à cent cinquante mètres de hauteur, un bord de même niveau. Et c'est ce que César, avec la justesse habituelle de son style, rend par cette forme : pari altitudinis fastigio. Le mot pari em- porte avec lui l’idée de comparaison qui naît à la vue des hauteurs toujours égales de chaque point du massif d’Alesia relativement au point correspondant du dehors, comme sur les bords d’une crevasse, et non le sentiment d’un niveau uniforme de la partie supérieure de toute une contrée. Dans ce dernier cas, le mot propre ne serait pas pari, mais quelque chose comme æquo. Æquo altitudinis fastigio, pourrait être traduit alors par d’égale hauteur et s'appliquer au pays de l’Auxois; pari altitudinis fastigio est, au contraire, la peinture du pays d’Alaise, et la condamnation de celui d’Alise. Je n'ai rien à dire de la plaine de trois mille pas /planities), puisque M. Stoffel nous accorde que les bords du Taudeure pré- sentent ce caractère relativement à la contrée environnante. César a rendu la même pensée en disant ailleurs de la plaine qu'elle est intermissa collibus. Cette expression serait inap- plicable à la plaine des Laumes, soit qu’attribuant au mot intermissa le sens habituel, on dise, avec M. Artaud : wne Plaine... entrecoupée de collines, soit que cherchant dans la décomposition du mot un sens primitif et inusité, on fasse de intermissa collibus l'équivalent de missa inter colles. La plaine des Laumes, malheureusement pour le système d’Alise, Le fa est bordée d’autres plaines ou de vallées autant que de collines, ce qui n'existe pas pour la plaine du Taudeure ; puis celle-ci se trouve sillonnée d'accidents locaux qui justifieraient la traduc- tion de M. Artaud, et qui ne se trouvent pas dans la plaine bai- gnée par l’Ose, l’Oserain et la Brenne. Je terminerai l'examen de la troisième phrase, en priant M. Stoffel de remarquer combien l'expression oppidum cinge- bant est juste à Alaise; combien peu à Alise, où n’existe pas ce caractère d’un cercle non discontinu de collines décrit par César et par Strabon. Le texte de César, dans tout ce passage, est donc encore en faveur d’Alaise et contre Alise. « Quatrième phrase. — Sub muro, que pars collis ad orientem solem spectabat, hunc omnem locum copiæ Gallorum compleverant, fossamque et maceriam sex in altitudinem pedum præduxerant. » Sous les muruilles, les troupes gauloises occupaient toute la partie de la colline qui regardait le levant, et elles s'étaient fortifiées sur leur front par un fossé et un mur en pierres sèches de six pieds de haut. » Les partisans d'Alaise ne sont pas d'accord sur l'emplacement qu'il faut assigner au camp gaulois... » Pour le mont Auxois, il ne saurait y avoir qu’une opinion : les troupes gauloises... bordaient le plateau en certains endroits où les escarpements sont le moins prononcés et fermaient l’oppidum vers l’orient. » Dans un pays comme celui d’Alaise, où il suftit d'étudier pour trouver, nos désaccords ne durent pas. A l’ouest du massif règne la chaîne des Petites-Montfordes, haute de cent mètres au-dessus de la partie de la plaine qui s’étend à ses pieds. Au premier mo- ment, dominés encore par d'anciennes préventions, nous avions mal appliqué le sens du passage des Commentaires et négligé de l’attribuer au revers oriental des Petites-Montfordes. La dé- couvertes de murgers, mis récemment à nu par des coupes de bois et qui dessinent la ligne de défense contre les approches de la plaine, dissipèrent tous les doutes. Les débris de la muraille de six pieds se voient dans de longs vestiges d'ouvrages cyclo- péens qui règnent à peu près horizontalement au-dessus de Brâ et à micôte des Petites-Montfordes, et qui sont eux-mêmes en retrait d’un murger de terre et de pierrailles. À ces murgers se e , relie un autre débris du même genre qui se dirige en montant vers la crête des Petites-Montfordes. Celui-ci traverse oblique- ment leur flanc occidental, laissant le flanc oriental joint à l’op- pidum et aux Mouniots, qui sont ici la citadelle, l’arx, impossible à trouver à Alise. Le revers des Petites-Montfordes , tourné au soleil levant, est donc l'emplacement des camps gaulois à Alaise ; les pentes et le sommet des Mouniots, continuation des Petites-Montfordes, de- vaient être occupés de la même manière. Quant à ce qui concerne l'emplacement à donner aux camps gaulois à Alise, en dehors de la partie inabordable du mont Auxois, je m'empresse d'admettre les données de M. Stoffel, pour en tirer parti plus tard contre ses conclusions. « Cinquième phrase. — Ejus munitionis que ab Romanis institue- batur, circuitus x1 maillia passuum tenebat. » Le développement des ouvrages que les Romains construisirent élait de 11,000 pas (16,290 mètres). » Remarquons qu’au point où nous en sommes du récit de César, il n’est pas encore question de la contrevallation proprement dite, qu’il décrit avec tant de détails aux chapitres 72 et 73. La phrase ci-dessus et la suivante font comprendre que César, dès son arrivée devant Alesia, établit ses camps dans des lieux convenables, oppor- tunis locis, la plupart sur des hauteurs, et qu’il fit construire vingt- trois forts sur une circonférence de 11,000 pas. » .….. Constatons en passant que ni le massif d’Alaise, ni le mont Auxois n’ont à la base un développement de plus de 11,000 pas. Le premier a de 15 à 17 kilomètres, le second de 7 à 8 kilomètres. » Constatons, au contraire, tout d’abord que le chiffre de 11,000 pas, représenté par 16,290 mètres, ne diffère en rien de celui de 16 à 17 kilomètres donné par M. Stoffel au pourtour d’Alaise, et qu'il n’y a pas lieu à discussion entre nous sur ce point. Disons ensuite que l'expression latine instituebatur ne doit pas être traduite par construisirent. Instituebatur est à l'im- parfait et non au passé. Les partisans d’Alaise ont besoin que le texte des Commentaires ne soit corrigé par les traducteurs sur aucun joint. Aussi l'erreur est-elle grande de croire que César ait « fait construire vingt-trois forts, SUR UNE CIRCONFÉRENCE DE ONZE ET MILLE Pas. » Nous allons de suite montrer que les castellum furent construits près des camps, dans les mêmes lieux opportuns. « Sixième phrase. — Castra opportunis locis erant posita, ibique castella.... (sic). » Elle ne donne lieu à aucune remarque. » Nous sommes, ainsi qu’on vient de le voir, en désaccord ici avec l’auteur, et nous commencerons par compléter la phrase latine qu’il convient de montrer en son entier : & IBIQUE castella xxnT facta, quibus in castellis interdiu stationes disponebantur, ne qua subito eruptio fieret : hœc eadem noctu excubitoribus ac firmis prœæsidiis tenebantur ; phrase que M. Artaud traduit de la sorte : «On y avait élevé vingt-trois redoutes. Là des postes étaient placés pendant le Jour pour empêcher toute attaque subite ; de fortes garnisons et des sentinelles veillaient toute la nuit. » Cette espèce de groupe, incontestable, des camps et des vingt- trois castellum établis en lieux opportuns (opportunis locis), avait donc une place (r8rque) à côté d’Alesia et non autour d’Alesia, et ne représente n1 une circonférence de vingt-trois forts, n1 la contrevallation de onze mille pas dont il a été déjà parlé. C’est toute autre chose. Jbique s'applique seulement à la partie de la circonférence où étaient les camps. [l y aura plus loin une parte de la circonférenee que l’on verra complétement hbre. Les traces de camps et de castellum que nous connaissons près d’Alaise « en lieux opportuns » confirment notre interprétation. Les passages que nous allons voir surgir des Commentaires ajouteront encore à la force des documents fournis par les lieux. « Opere instituto, fit equestre prælium in ea planitie, quam inter- missam collibus 111 mullia passuum in longitudinem patere supra demonstravimus. Summa vi ab utrisque... » Pendant les travaux, il y eut un combat de cavalerie dans cette plaine de trois mille pas de longueur et entourée de collines, comme nous l’avos dit plus haut. On combattit de part et d'autre... > À cette citation, M. Stoffel ajoute la note suivante : « Les traducteurs rendent à tort le mot INTERMISSA par ENTRE- COUPÉE, au lieu de ENTOURÉE, » us M me J'ai à présenter d’abord plus d’une observation. Nous avons lu, on se le rappelle, à la cinquième phrase : ejus munitionis quæ ab Romanis instituebatur, avec cette traduction : le développement des ouvrages que les Romaïns CONSTRUISIRENT était de onze mille pas. Nous voyons mainte- nant à la septième phrase : OPERE INSTITUTO traduit par ces mots : PENDANT LES TRAVAUX. [l y a ici une nouvelle interversion des temps du verbe instituere dans la traduction. Admettons , pour un moment, avec M. Stoffel, qu'il s'agisse uniquement de l'enceinte de onze mille pas, etqu'instituere veuille dire construire, Instituebatur aurait trait au moment où les travaux sont en état de construction ; Instituto signifierait : Ayant été construit. Ces deux traductions sont parfaitement contraires à celles de construisirent (instituebatur) et de pendant les travaux (opere instituto); mais il n’est pas permis à M. Stoffel de ne pas ad- mettre notre rectification provisoire, et voici les conséquences auxquelles elle mènera. Si l’enceinte de onze mille pas a déjà été construite, si elle existe, comment, par rapport à elle, aura lieu le combat de ca- valerie (equestre prælium) dans la plaine de trois mille pas? Il va se trouver forcément qu’une partie de celle-ci aura été enve- loppée avec Alesia dans la contrevallation, pour le besoin d'un combat de cavalerie accusé par les Commentaires du côté de l'oppidum, et qu’une autre partie de cette même plaine sera restée en dehors de l’enceinte pour donner place, plus tard, à une nouvelle grande bataille de cavalerie livrée cette seconde fois depuis l'extérieur. Il faudra que, dans la plaine de trois mille pas, on ait pu tailler deux terrains complétement distincts pour deux champs de bataille différents, l’un en dedans, l’autre en dehors des lignes romaines, et, de plus, l'emplacement de ces lignes. Cela fait, mon imagination refuse de se figurer les quinze mille cavaliers gaulois ayant attendu naïvement, pour se battre dans la plaine, le moment où les Romains y auraient eu achevé leur enceinte (opere instituto), et César, de son côté, acceptant ou livrant une pareille bataille sur le terrain compris entre ses lignes et celles des Gaulois, engageant ainsi dans une étroite prison BR Nr ses légions et sa cavalerie. Le motif d’une pareille entreprise ne se voit pas; les circonstances seraient folles, le résultat nul. Partisans d’Alaise ou d’Alise, nous repousserions tous égale- ment, je n'en doute pas, ces conséquences de la restitution qui vient d’être faite du sens des mots instituebatur. et instituto. Or, il y a une autre interprétation, qui est la vraie, et que la connaissance des lieux a donnée aux partisans d’Alaise. Les mots instituebatur et instituto ne devaient pas être ap- pliqués à une seule et même circonstance, celle de la contreval- lation de onze mille pas. Celle-ci n'existe point encore sur tout le pourtour d’Alesia ; elle est à cet état que représente l'expression instituebatur. Quant au sens à donner à opere instituto, il ne faut pas oublier qu’il suit immédiatement — la division des Com- mentaires par chapitres est moderne — cette phrase : castra op- portunis locis erant posita, IBIQUE castella xx... , et que, se rapportant à elle, il indique l’achèvement des travaux décrits par elle seulement, comme appartenant au groupe des camps et des castellum. Cette rigoureuse exactitude de traduction ne convient pas à Alise, — il en doit être ainsi — et s'applique, au contraire, à merveille aux moindres détails du pays d’Alaise. ‘De la contrevallation de onze mille pas, il n’existe donc encore, avant la bataille de la cavalerie, que ce qui résulte de la position occupée par les camps et les castellum : un commencement de blocus occupant, dans notre système, toute la partie accessible à César, tout, excepté le côté du haut Jura, qua erat nostrum opus intermissum. La première partie de l’enceinte se trouvait faite par la naturé. M. Stoffel l’a représentée comme étant une cre- vasse. Des castellum, placés sur les défauts peu nombreux de cet escarpement continu le complétèrent, et la contrevallation, par une mesure aussi simple, se trouva parachevée sur plus de la moitié du pourtour. Restait à poursuivre les travaux sur la plaine de trois mille pas, une plaine presque fortifiée elle-même aussi par la nature {intermissa collibus). La cavalerie gauloise y barrait le passage unique du haut Jura. S'emparer de cette plaine était une entreprise rude, mais nécessaire, que César mit à exé- cution le moment venu, c’est-à-dire après l'achèvement des camps et des vingt-trois castellum. Les péripéties de la batäille que va décrire César sont nées de = MT la disposition des lieux et particulièrement de celle de la plaine du Taudeure. Le récit de César est complet pour nous et chez nous, tandis que le système d’Alise réduit M. Stoffel à dire : « Le texte nous laisse ignorer les détails. » Ce même système avait inspiré à Napoléon [° les incertitudes que nous avons déjà si- gnalées : « Il est difficile de faire des observations purement mi- litaires sur un texte aussi bref et sur des armées de natures aussi différentes. » Eh bien ! à force d’avoir lu et relu les Commen- taires, vu et revu leur terrain, les partisans d’Alaise en sont venus à trouver le récit de César parfaitement net et ses opéra- tions militaires analogues à celles qui se pratiqueraient de nos jours, abstraction faite de la grande portée des projectiles actuels. Ils expliquent par la nécessité de franchir une pente courte, continue, un peu roide et située au nord de la plaine devant les camps et les castelluin de Myon, le laborantibus nostris du com- mencement du combat. Ils comprennent l'utilité de cette pre- mière opération qui prépare à la cavalerie germaine le moyen d’entrer avec plus d'avantage en bataille (Cæsar Germanos sub- mittit). Au mouvement de la cavalerie germaine succède naturelle- ment, selon nous, celui des légions qui viennent occuper le haut de la petite pente, et se tiennent là pour protéger les Germains contre le danger d’être coupés par l’infanterie gauloise des Mou- niots (legionesque pro castris constituit, ne qua subito irruptio ab hostium peditatu fiat). Alors les Germains peuvent s’avancer avec moins de crainte (præsidio legionum addito, nostris animus augetur) ; car toute leur gauche était occupée par les Gaulois, et en poursuivant la cavalerie ennemie, ils avaient à passer devant l’entrée principale de l’oppidum, Brä. « Hostes in fugam conjecti, se ipsi multitudine impediunt atque angustioribus portis relictis coarctantur. >» Les Gaulois, culbutés et repoussés, s’embarrassent eux-mêmes par leur nom- bre et s’entassent aux portes trop étroites que l’on a laissées dans la muraille de six pieds de haut. À cette vue, les Germains deviennent plus ardents et chargent Jusque contre les retranchements. Le carnage est grand. Quel- ques-uns des cavaliers gaulois, abandonnant leurs chevaux, tentent de traverser le fossé et de franchir le mur de pierres 2 NN CR sèches : « Tunc (ermani acrius usque ad munitiones sequun- tur : fit magna cœdes. Nonnulli, relictis equis, fossam transire et maceriam transcendere conantur. » Il est évident que cette dernière image ne suppose pas les 45,000 cavaliers gaulois anéantis entièrement devant les portes et les escadrons germains remplissant le vide laissé par la des- truction. Elle présente seulement l'incident du passage devant les portes. Ta masse de la cavalerie continuait pendant ce temps à être poussée vers le fond de la plaine, et le danger se renou- velait, pour les Germains, d’être coupés depuis Brâ. Aussi César dit-il de suite : « Les légions qu'il avait placées au dehors du vallum reçurent l’ordre de s’avancer encore un peu : Paulum legiones Cœsar, quas pro vallo constituerat, promoveri jubet.» Si j'ai tenu à rétablir ici tous ces détails de bataille que M. Stoffel , contrairement à ses engagements, a passés à peu près sous silence, c’est qu’ils servent la cause d’Alaise à laquelle ils appartiennent, et demeurent réellement inexplicables sur le terrain d’Alise, d’où ils ne sont pas nés. M. Stoffel s’est contenté de dire : CARE Si l’on cherche à se rendre compte de ce combat , tant à Alise qu’à Alaise, on n’est arrêté par aucune difliculté sérieuse. Les adversaires d’Alise prétendent, il est vrai, que cet engagement est inintelligible au Mont-Auxois, et voici la raison qu'ils en donnent. La plaine des Laumes, disent-ils, étant située à l’opposite de la par- tie orientale de la colline où, d’après le texte, campaient les troupes de Vercingétorix, il s'ensuit que la cavalerie gauloise, pour se rendre sur le champ de bataille, et pour rentrer dans le camp après sa défaite, aurait dû défiler dans un long espace devant les lignes ro- maines, et cela sans que César eût fait d’autre mouvement que d'avancer un peu ses légions : Paulum legiones Cœsar, quas pro vallo constituerat, promoveri jubet. Ils considèrent cela comme inadmissible , et ils en font une objection contre le mont Auxois. Nous ne la trouvons pas fondée. A notre avis, c’est tirer une con- séquence trop grave d'un fait (le combat de cavalerie) DONT LE TEXTE NOUS LAISSE IGNORER LES DÉTAILS. Remarquons d’ailleurs qu'au mont Auxois, la cavalerie gauloise, après sa défaite, se serait forcément retirée par l’un ou l’autre des vallons de l’Ose ou de l’Oserain, peut-être par tous les deux à la fois; qu’elle aurait pu franchir l’espace compris entre la plaine des Laumes et le camp gaulois en dix ou quinze minutes, pendant lesquelles il eût été difficile que César lui coupât la retraite avec ses légions. Il ne faut pas oublier, en effet, que celles-ci étaient campées sur le sommet = HO — : des hauteurs environnantes, d’où il leur eût fallu un certain temps pour descendre dans les vallons. César, très probablement, se sera borné à faire avancer son infanterie jusqu’au bord des crètes. » Je ne blâmerai pas trop haut la dernière partie de ce passage. Car s’il renferme un non-sens, je ne puis nier que j'ai commis exactement la même faute à cette époque du début où, commen- çant seulement à étudier la question d’Alesia, j'étais plus novice encore en cette matière que ne l’est certainement aujourd’hui l’auteur dont je combats les conclusions. En effet, celui-ci hésite sur tout ce qui concerne la bataille de cavalerie. On l’a vu même s’abriter prudemment sous l'autorité du doute exprimé par Na- poléon [*, contre la possibilité d'interpréter les Commentaires devant Alise, Si le système d’Alise explique, aux yeux de M. Stoffel, pour- quoi les légions romaines n’ont pas coupé la retraite de la cava- lerie gauloise, il n’explique pas pourquoi César n’a pas fait des- cendre ses légions des hauteurs un peu plus tôt, durant le com- bat, en prévision de cette retraite. Et si cette descente offrait tant de difficultés, on ne comprend plus dès lors l’inertie de l’infan- terie gauloise dans une lutte que la cavalerie serait allée, depuis le camp de Vercingétorix , livrer sur la plaine des Laumes. On comprend bien moins encore cette fin du récit de la bataille : « Non minus, qui intra munitiones erant, Gall perturbantur : veniri ad se confestim existimantes, ad arma conclamant : nonnulli perterriti in oppidum irrumpunt. Vercingetorix jubet portas claudi, ne castra nudentur, Multis interfectis, compluribus equis captis, Germani sese recipiunt. » « Ceux même d’entre les Gaulois qui étaient derrière les retran- chements s’effraient et, croyant qu'on vient à eux, ils crient aux armes ; quelques-uns se jettent tout tremblants dans la ville. Vercin- gétorix fait fermer les portes de peur que le camp ne soit abandonné. Les Germains se retirèrent après avoir tué beaucoup de monde et pris un grand nombre de chevaux (trad. Artaud). » Rien, dans ce passage, qui ne soit rationel s’il s’agit d’Alaise ; rien qui ne soit invraisemblable autrement. Le système d’Alise n'avait laissé aucun sens à ces deux mouvements des légions : 1°... legionesque pro castris constituit ; 2... paulum legiones quas pro vallo constituerat, promoveri jubet; et il aboutit à faire que le nonnulli perterriti s'applique à des brutes, et non plus à des hommes effrayés. Re Je sais qu’Alise ayant été une petite ville à l'époque romaine et même jusqu’à nos jours, les tumulus des morts de la première bataille ont pu, s'ils ont jamais existé, avoir été détruits par la culture. Quant à Alaise, sa planities intermissa collibus est restée couverte de morts sur la presque totalité de sa longueur de trois mille pas. Vers le point que nous indiquons comme le terme de la poursuite des Germains, de grands tumulus ont rendu les ossements des hommes, ceux des chevaux, et avec eux des armes celtiques. Cet argument, on en conviendra, est loin de détruire ceux qui précèdent. « Chapitre LXXTI. » Vercingétorix renvoie toute sa cavalerie. Dispositions qu’il prend pour ménager les vivres. Il fait rentrer dans l’oppidum les troupes, qui toutes étaient campées en avant des murailles. » L'auteur, en écrivant ces mots, a naturellement évité de poser le pied sur des charbons ardents qui se trouvaient devant lui. 1] paraît n'avoir pas lu entièrement cette phrase du chap. zxxr : «Vercingetorix, priusquam munitiones ab Romanis perfician- tur, consilium capit, omnem ab se equitatum noctu dimittere,; » puis celle-ci : « his datis mandatis, QUA ERAT NOSTRUM OPUS INTERMISSUM, secunda vigilia, silentio equitatum dimaittit; » phrases que nous traduisons ainsi : « Vercingétorix, avant que les travaux des Romains soient à leur terme, résout de renvoyer de nuit toute sa cavalerie. » … Après ces instructions, il fait partir sa cavalerie en silence, à la seconde veille, par le côté où notre œuvre (l'enceinte) n’existe pas encore. » Nous disons à M. Stoffel : Ou César « fit construire vingt-trois forts, sur une circon- férence de 11,000 pas, » ainsi que vous l’avez dit, et il ne reste plus un opus intermissum par lequel 15,000 cavaliers pourront s'échapper, de nuit, en quelques heures ; Ou — c'est notre avis — le blocus existe sur ùn seul côté, et il en reste un autre libre. S'il est libre, c’est que César n’a pas pu l’occuper. Si César n’a pas pu l’occuper, c’est qu'il y avait à cela un obstacle. Nous vous le montrerons près d’Alaise; cher- chez-le autour d’Alise. Il n’y est pas dans la disposition des col- lines que vous vous êtes plu à nous montrer toutes si bien nive- ne he == lées que «leur élévation est la même partout, à 25 mètres près.» Il n’y serait pas davantage dans la résistance de ces Gaulois, que vous êtes obligé de déclarer pris d’une terreur panique à la seule vue des légions rangées au delà de toute une vallée, devant leur camp habituel. Un obstacle aux travaux de César, 1l n’y en avait point de possible à Alise. Dira-t-on que l’opus intermissum fut un des intervalles de deux castellum, intervalles qui pouvaient être dans cette hypo- thèse d’Alise de six à sept cent mètres? Nous prendrons la liberté de faire à cet égard de nouvelles questions : Quelle est la distance à laquelle des sentinelles devraient se tenir, de nuit, pour ne pas entendre les pas de quinze mille che- vaux opérant leur passage en quelques heures? Suffirait-t-1l de 200 mètres? Essayez. Et si, par hasard, un vent violent fût venu à éloigner d’un des castellum de votre enceinte le bruit des pas, le castellum voisin n’eût-il pas entendu encore mieux ? Il faut en convenir, de même que le système d’Alise comporte l'exécution immédiate et complète du blocus de l’oppidum par César, de même aussi il ne s’accommode nullement de cette sortie de 15,000 cavaliers gaulois, partis de nuït et sans avoir été entendus des postes ennemis. Et cependant le récit de cette circonstance se lit dans les Com- mentaires de telle façon qu’il soit impossible de douter. À Alaise seule, le fait, sa conception et son exécution étaient possibles. Là se trouvent un chaînon du Jura infranchissable ailleurs qu’au point où est réfugiée la cavalerie gauloise, et une voie ouverte qu'il était impossible à César de tourner. Là s’é- lèvent dans l’air des bruits de cascades du Taudeure qui devaient se confondre avec ceux des pas des chevaux. Là il n’était possible aux Romains ni de savoir de suite par des transfuges, ni de voir, ni d'entendre, ni d'empêcher. Que l’on rie, si l’on veut, de nos traditions! Celle qui, dans le pays d’Alaise, nous montre une foule silencieuse s’écoulant à minuit vers le Camp-Baron, marque l’endroit même où passèrent les cavaliers de Vercingétorix. Nous avons vu jusqu'ici l’exécution des opérations prélimi- naires : du campement de l’armée romaine, du blocus d’Alesia du côté où des castellum pouvaient suffire, de la prise de pos- = 90% = session de la plaine. Voici maintenant l'exécution véritable des - lignes d’enceinte ; car Vercingétorix, désespérant de pouvoir s'y opposer, a fait rentrer toutes ses troupes du dehors pour les mettre plus en sûreté dans l’intérieur de l’oppidum. Cd « Chapitres LXXITI et LXXTITII. » Première phrase. — Quibus rebus cognitis ex perfugis et captivis, Cœsar hœc genera munitions instituit.... « César, instruit de ces choses par les transfuges et Les prisonniers, établit le genre de retranchement suvant.… » Cette phrase a donné lieu, contre le mont Auxois, à une ob- jection que nous devons relater. On a dit que les mots quibus rebus se rapportent à toutes les choses faites par Vercingétorix et signa- lées à la fin du chapitre 71; entre autres, par conséquent, à la rentrée des troupes gauloises dans l’oppidum. Or, ajoute-t-on, il n’était pas besoin du rapport des transfuges et des prisonniers pour que César connût ce dernier événement; car de toutes les hauteurs qui environnent le mont Auxois, l'armée romaine en eût été té- moin. Poser celte objection, c’est, à notre avis, trop s’acharner sur le texte d’une phrase. Si Alesia a été le mont Auxois, on ne peut pas nier que le récit de César ne comporte une incorrection, car il est bien vrai que la rentrée des troupes gauloises dans l’oppidum eût été vue de l’armée romaine presque tout entière; mais nous préférons croire ici, chez César, à une négligence de narration, due uniquement à la concision de son style. » Ainsi donc, pour la neuvième fois, et en ce moment de l’aveu de M. Stoffel, le texte des Commentaires ne peut pas s'appliquer à Alise. Comme, dans le système d’Alaise, César ne pouvait pas, si ce n’est par des transfuges et des prisonniers, savoir ce qui se pas- sait, soit au levant, soit au sud des Petites-Montfordes, nous ju- geons, nous, que le texte des Commentaires est exempt d'erreur, et refusons de croire à cette prétendue « négligence de narration," due uniquement à la concision du style de César. » Selon nous, les Gaulois voyant que la perte de la plaine allait entraîner celle des Camp-Baron et du passage du Jura, quittent avec raison ces points pour se retirer dans l’oppidum, c’est-à-dire, relativement à la plaine, derrière la ligne dessinée par les Mouniots, les Montfordes et les hautes roches qui prolongent celles-ci vers le sud. C’est là que se trouve Alaise, ayant derrière elle le Chatail- THE og" lon et les Châteleys, toute la erète de la crevasse dont il a été parlé précédemment. Entrant aussi dans l’examen du tracé de contrevallation à éta- blir soit à Alaise, soit à Alise, M: Stoffel conclut que la dimen- sion de onze mille pas était convenable pour cette dernière, contrairement à l'opinion des nôtres. « Cette puérile objection, dit l’auteur, a été faite par des personnes étrangères à l’art mili- taire. » La forme de cette argumentation qui consiste à déclarer avant tout ses adversaires incompétents, manque un peu de gé- nérosité et appelle des représailles. Abandonnant toute la partie de cette question de contrevallation, pour l'intelligence de la- quelle il ne serait pas inutile, je le reconnais volontiers, d’avoir étudié l’art militaire, je m'en tiendrai à un seul point dont l’exa- men exigera simplement du bon sens, et mettra en déroute com- plète le système d’Alise. | César dit en parlant de ses trois fossés de contrevallation : « Quarum interioren, CAMPESTRIBUS AC DEMISSIS LOCIS, aqua ex flumine derivata complevit. » — « Celui qui était intérieur, creusé dans La plaine et dans un terrain bas, fut rempli d’eau au moyen de rigoles faites à la rivière (tr. Artaud). » M. Stoffel traduit campestribus ac demissis locis, par les endroits unis et bas. Or, étant donnés une plaine unie comme celle des Laumes, et des lieux bas comme le fond des deux vallées de l’Ose et de l'Ose- rain, où le niveau de l’eau existera moyennement dans du sable à 1",50 de profondeur, peut-on creuser, à sec, des fossés ayant une hauteur plus grande que 1",50? N'’est-il pas certain qu'un fossé plus profond y sera inondé ? Eh bien, dans l’hypothèse d’une contrevallation de onze mille pas autour d’Alise, non-seulement les trois fossés de cet ouvrage, mais encore ceux de la circonvallation traverseront l’Oée, l'O- serain et la plaine des Laumes. Tous, de la même manière et en même temps, d’après les dimensions de profondeur indiquées par César, y seront inondés. Cependant, au sujet de ces fossés que nous supposons en ce moment avoir pu être creusés ainsi sous l’eau, César dit avoir été obligé de dériver un cours d’eau pour inonder le fossé intérieur (quarwm interiorem). Devant Ale, le général eût eu à se préoccuper de la difficulté de creuser des fossés malgré l’eau, etnon d’un procédé pour inonder l’un de ae VE ses ouvrages dans les lieux bas. Leterrain décrit par les Commen- taires n’est donc point celui des Laumes, de l’Ose et de l’Oserain. Il faut nécessairement chercher ailleurs un sol qui soit sec au moins à deux mètres. de profondeur et dominé par un cours d’eau dont la dérivation ait été possible. Ces conditions, nous les trouvons devant Alaise. Bien plus, nous indiquons le lieu de la prise d’eau, Bellague, où un castellum encore conservé pres- que intact gardait la source dérivée. « Chapitres LXXV, LXXVI, LXX VII, LXX VIIL. » Ces chapitres ne donnent lieu à aucune remarque dans la ques- tion qui nous occupe. » Je ne puis cependant passer ici sous silence une phrase du discours de Critognat, haranguant les chefs gaulois et leur disant : « Si vous ignorez le sort des nations lointaines, regardez près de vous ; voyez cette partie de la Gaule qu’ils ont réduite en Province. » — Le texte latin dit mieux : « Respicite finitimam Galliam ; » httéralement : « Retournez-vous pour voir la Gaule limitrophe. Or, ce n’est pas la Gaule du mont Auxois ou des Eduens qui était contiguë à celle des Allobroges, mais bien la Gaule séquanaise {quum Sequanos a provincria nostra Rhodanus divideret.. Bell. Gall., lib. [, cap. xxx). « Chapitre LXXIX. » César y raconte l’arrivée de l’armée de secours qui, dit-il, vint occuper une colline extérieure, collis exlerior. On peut voir ici combien César, malgré son style toujours si clair, est souvent obs- cur dans son récit, car l’épithète de EXTERIOR, qui suit le mot cor- Lis, ne précise en rien l'emplacement de la colline par rapport à l’oppidum. » Au Mont-Auxois, l’armée de secours ne pourrait avoir campé que sur les hauteurs de Grignon, celles de Venarey et le plateau de Mussy. » À Alaise, on peut supposer qu’elle aurait campé sur les hau- teurs situées à l’ouest du Todeure. : » Dans l’un et dans l’antre cas, les troupes gauloises ont pu s’é- tablir à mille pas des retranchements romains, et la cavalerie gau- loise a pu descendre dans la plaine de trois mille pas, comme l'exige le texte. Il faut pourtant se dire qu’à Alaise les hauteurs situées à l’ouest du Todeure sont escarpées et d’un accès bien difficile pour que le mouvement de cavalerie ait pu s’exécuter facilement. » Le. 96 = Toujours le même reproche d’obscurité adressé au texte des Commentaires lorsqu'il condamne Alise et indique Alaise ! Dans le système d'Alise, trois collines distinctement séparées l’une de l’autre, sont indiquées comme ayant pu remplir le rôle de colline extérieure, tandis qu’une seule devrait répondre à l'image présentée par César. La première est celle de Mussy, dont l'hypothèse éloignera la possibilité que les camps de Reginus et de Rebilus aient pu exister sur les pentes de Réa sans être vus par les Gaulois, eir- constance qui deviendra cependant une condition nécessaire. On conviendra sans peine aussi que César n'aurait pas laissé à la disposition de l'ennemi, au-dessus de ses retranchements, la pointe de la Croix-de-Mussy qui les eût dominés de si près et qu'il eût été si facile de garder. La seconde, celle de Venarey, n’est qu’un petit mamelon accessible de toute part. Reste donc le plateau de Grignon. Il répond aux nécessités de la cozzis ExTERIOR, si l’on suppose les collines de Réa, de Mussy et de Venarey occupées par les Romains; et nous croyons voir au travers des incertitudes du Moniteur, trouvant « César obscur dans son récit, » que la troisième montagne, pourvue d’une surface suffisante, sera seule avouée par nos adversaires obligés de déclarer leur choix. Mais en échappant ainsi à cer- taines. impossibihtés, ils vont bientôt en soulever d’autres non moins évidentes. Il n’y a pas d'incertitude possible sur l'application à faire de ces mots collis exterior, lorsqu'il s’agit de notre Alesia. La colline que nous montrons comme devant répondre à l’épithète exterior, a seule ce caractère relativement aux lieux occupés déjà par les Romains et les Gaulois. Elle règne à l'horizon et le ferme entièrement du côté de l’arrivée de l’armée de secours. Au devant de cette colline et à une hauteur moindre, sont des crètes qui bordent immédiatement la plaine et dont la présence est nécessaire pour l'intelligence d’un mouvement opéré et en avant de la colline et au-dessus de la plaine, durant la première attaque des lignes romaines par la cavalerie gauloise : « Pedes- tresque copias paulum ab eo loco abditas, in locis superioribus constituunt. » — « L'infanterie gauloise s'établit et se cache à peu de distance de cette plaine en des lieux qui la dominent. » ns DR 2 Il faut donc qu’il y ait eu des lieux plus élevés que la plaine (superioribus locis); qu'au-delà de ces lieux se trouve la colline extérieure d’où sont sorties la cavalerie fequitatu ex castris educto) et l'infanterie {pedestresque copias... constituunt ); il faut que ces mêmes lieux soient propres à cacher (abditas) une grande armée et qu'ils indiquent le but et l’utilité de cette mesure. Lorsque la cavalerie gauloise descend dans la plaine et la couvre sur les trois mille pas de longueur, elle pourrait être coupée si, comme à Alaise, il n’existe pour elle qu’un côté acces- sible, — la disposition de ces lieux a échappé à l'attention de M. Stoffel — côté qu'il fallait garder. Pourquoi ces troupes d’in- fanterie se tinrent-elles cachées ? Parce qu’en vue d’une attaque probable de la part des postes romains du Peu-de-Myon, les Gaulois espéraient sans doute surprendre l’ennemi avec avan- tage dans ce mouvement. Mais à cette ruse de guerre César en avait opposé une autre du même genre, qui eut plus de succès et que nous indiquent les Stratagèmes de Polyen. Prévoyant la démonstration que la cavalerie gauloise vien- drait faire dans la plaine , César avait, dès la nuit précédente, divisé en deux parts un corps de trois mille Germains et avait caché chacune d'elle à l’un des points opposés. Lorsque les cavaliers gaulois se furent encombrés par leur nombre dans l’espace étroit et long qui leur avait été laissé ouvert, les esca- drons germains sortirent de leurs embuscades secrètes et, pre- nant l'ennemi de deux côtés, augmentèrent encore l’entassement des combattants; puis, après s’être réunis eux-mêmes en une seule masse, acquirent, par une dernière charge générale, une victoire longtemps disputée. Le récit de Polyen suppose une plaine munie en quelque sorte de coulisses comme une scène théâtrale. Ces coulisses, elles sont devant Alaise où, à droite et à gauche du Plan, se trouvent la prairie, longue, étroite, cachée entre deux escarpements, que l’on appelle l’Ile-de-Bataille, et le rentrant de Myon où, dit la tra- dition, 11 y eut un camp de cavalerie. Ces particularités si nombreuses ne peuvent avoir coexisté que sur le lieu qui les a fait naître; elles étaient toutes matérielle- ment impossibles dans le pays d’Alise, où la plaine unie des Laumes et les côtes voisines, égales entre elles de niveau, sont es 0% — dépourvues des accidents nécessaires. M. Stoffel a regardé trop sommairement le tableau, et n’en a pas vu le sujet. Il termine cet article en disant : « Le chapitre 79 contient cette phrase : « Erat ex oppido Alesia despectus in campum.— De l’oppidum d’Alesia la vue s’étendait sur la plaine. » Cette condition peut être regardée comme remplie à Alaise. Elle l’est bien mieux au mont Auxoiïs. » Nous dirions oui, avec l’auteur, si l’idée despectus in campum, httéralement vue du haut en bas sur le champ de bataille, ne ne s’appliquait pas exactement à l'aspect du Plan-de-Myon depuis les hauteurs d’Alaise ; tandis que la disposition des lieux devant Alise, d’où la plaine s’en va fuyant de toute sa longueur, et à l'extrémité de laquelle se serait trouvée l’armée gauloise de se- cours, inspire à M. Stoffel cette image d’un lointain : la vue s’é- tendait sur la plaine. Or, c'était de très près — les Commentaires le veulent — que la bataille était vue de tous les Gaulois, et de ceux de l’intérieur, et de ceux du dehors, « ef ii, qui munitio- nibus continebantur, et i qui ad auxilium convenerant » ; de si près que nul trait de courage ou de lâcheté ne pouvait être inconnu « neque recte ac turpiter factum celari poterat. » Nous répéterons encore dans cette circonstance que l’auteur n'a pas examiné la question sous toutes ses faces. Car César ajoute à ce qui vient d’être dit, ces paroles : « Concurritur his auxiliis visis : fit gratulatio inter eos atque omnium animi ad lœtitiam excitantur. — A l& vue de ces secours, on s’em- presse, on se félicite, on est plein de joie. » C'est-à-dire que la nouvelle de l’arrivée du secours a été donnée par la vue seule de la cavalerie dans la plaine. Or, devant Alise, serait-il possible que l’armée de secours n’eût pas été vue depuis l’'oppidum, avant même d’être descendue de ces collines du voisinage, aux som- mités égales de hauteur, et aux pentes longues et régulières ? Devant Alaise, au contraire, la disposition de ces superioribus locis, où l'infanterie gauloise a pu rester cachée, explique com- ment, avant de descendre des crètes par les pentes de Riaitte et le passage de Malcartier, la cavalerie gauloise n’avait pas été vue. « Chapitre LXXX. » Ce chapitre consiste dans le récit du double combat que l’armée romaine eut à soutenir... Il renferme la phrase suivante, qui est ee d'une grande importance dans l'examen que nous faisons : « Erat ex omnibus castris, que undique jugum tenebant despectus.— De tous les camps qui, de toutes parts, occupaient le sommet des hauteurs on avait vue sur la plaine. » C’est la première fois qu'il est dit dans les Commentaires que tous les camps (excepté, bien entendu, ceux de la plaine) occupaient le sommet des hauteurs autour de l'oppi- dum. À Alise, cette condition permet de se représenter très exac- tement l'emplacement des camps romains. De plus, de toutes les hauteurs situées autour du mont Auxois, on découvre la plaine des Laumes. Ce qui satisfait aux exigences du texte. »Ilest, au contraire, impossible d'appliquer cette condition au pays d’Alaise. » Nous tirons du même texte des conclusions absolument con- traires. L'erreur dans laquelle s’est engagé M. Stoffel provient de ce qu'il a fait sa traduction du latin sur le mont Auxois, ou sur le massif d’Alaise, tandis que César a parlé du champ de bataille (eampum), qu’il vient d’y appeler les yeux du lecteur et qu’il va les reporter de là sur les gradins de l’amphithéâtre d’où l’on re- garde l’arène. Cela posé, traduisons aussi complétement, sinon aussi littéra- lement que possible le texte latin : « On avait, de tous les camps qui couronnaïient l'enceinte continue, une vue de haut en bas. » Remarquons d’abord que rien , dans le texte, n’autor'se l’au- teur à faire cette réflexion : « excepté, bien entendu, ceux (les camps) de la plaine. » Plaçons le lecteur sur les bords du Taudeure et non sur le mont Auxois. [l aura au levant, sur le premier plan, des gradins, les camps même de la plaine, à cause de la pente à cinq pour cent de Charfoinge ; plus à gauche les Mouniots /mu- nitiones) ; plus à droite les Camps-Baron ; par dessus le centre, les Petites - Montfordes, puis les Grandes-Montfordes. Se re- tournant ensuite du côté du Plan (planities), où sont accumulés principalement les combattants, il aura à sa droite le mont Ber- geret qui, pour l'œil, est la continuation des Mouniots, les hau- teurs de Myon qui semblent liées au Bergeret, le camp romain du Peu, l'entrée du Plan depuis la colline extérieure, enfin la longue crète de Malcartier sur laquelle s'étendent toutes les troupes d'infanterie gauloise et qui règne jusqu'aux Camps-Baron. Sur tout ce pourtour d’une plaine de 3,000 pas, entièrement en- = 0 3- caissée et dont les rivières entrent et sortent par des canaux étroits et biais, nul point de l’amphithéâtre ne présente au regard une solution de continuité. C’est bien un jugum, une chaîne de montagne qui forme l'anneau, et c'est bien de partout fundique) que des spectateurs voient le combat dans la plaine. Transportez maintenant le lecteur, non sur le mont Auxois, d’où vous conviendrez que César n’a pas pu assister au combat, mais sur les rives de la Brenne, vers le bord de la plaine des Laumes où, dans le système d’Alise, dût avoir lieu l'affaire. L'espace laissé libre aux combattants est ce coin de 500 mètres de profondeur qui gît au pied des pentes de la collis exterior. Ce n’est plus toute la plaine que César rappelle en disant : « quam in longitudinem 1 millia passuum patere demonstravinmus. Les calculs ont été établis par M. Quicherat sur une base incon- testable et, je le crois, incontestée. Par rapport à ce champ de bataille, quel sera l'horizon? Au nord-ouest, la plaine devient celle de la Brenne, large au plus étroit de 1,500 mètres et qui se continue indéfiniment, De l’autre côté, la ligne d’horizon s'a- baisse sur trois ou quatre vallées. Est-ce qu’une pareille alter- nance de monts, de dépressions et de vallées aurait inspiré à César une idée compatible avec l'emploi du mot jugum ? Nous avons refusé d’excepter du nombre des camps d’où la vue plongeait sur le champ de bataille, ceux de la plaine, que nous plaçons à Charfoinge ; mais nous entendons, contrairement à M. Stoffel, appliquer l' on : premièrement aux camps de la Colline extérieure, secondement aux camps de Rebilus et de Reginus. Nos motifs nous sont fournis par César lui-même. En effet, il nous a représenté les camps gaulois vidés de leur cava- lerie et de leur infanterie, et celle-ci embusquée toute entière sur des hauteurs qui dominent la plaine. Or, cette infanterie a pu voir le combat depuis le lieu où elle stationnait, et non depuis les camps où elle n’était plus. Quant à ce qui concerne Reginus et Rebilus, dont il sera de nouveau question plus loin, leurs camps ne pouvaient être vus, ni depuis les lieux occupés par les Gaulois, ni depuis Alesia. Leur emplacement /situs) ne sera indiqué aux Gaulois que par le moyen de gens connaissant le pays {locorum peritos), « par des éclaireurs, » dit ailleurs le Moniteur lui-même. Vergasil- laune, selon Plutarque, s'emparera de ces camps,sans que Ver- mu RÉ ue cingétorix s'aperçoive de l'attaque. Aïnsi placés hors des regards, les camps de Reginus et de Rebilus ne devaient donc pas être au nombre de ceux qui virent la bataille de la plaine. Nous sommes ainsi d'accord avec M. Stoffel pour reconnaître que, relativement à Alaise, l'expression ex omnibus castris ne . comprend pas les camps gaulois de la colline extérieure, et les camps romains de Reginus et de Rebilus. Mais nous prétendons qu'il en doit être ainsi, et, de plus, que la disposition du sol doit motiver de pareilles circonstances, si l'on veut que le texte des Commentaires soit applicable en tous les points. Nous sommes également d'accord avec l’auteur en ce que, dans l'hypothèse d’Alise, il y aurait lieu de rayer du nombre des spectateurs ayant eu place sur l’amphithéâtre les camps de la plaine. Mais cette objection, faite contre Alise, est impossible contre Alaise ainsi qu'on vient de le voir. En résumé, sur l'interprétation de ex omnibus castris, M. Stof- fel, après avoir, de sa propre autorité, éliminé du nombre des spectateurs le principal des camps romains et avoir admis, contre le sens évident des Commentaires, la nécessité de la présence de deux autres camps romains et gaulois, a formulé, tout naturellement, les conclusions les plus erronées. Nous avons détruit son objection contre Alaise, et nous laissons sub- sister, sans cependant y attacher une grande importance, son objection contre Alise. « Chapitres LXXXI et LXXXII. » Ces deux chapitres ont rapport à l'attaque de nuit qui fut tentée par l’armée de secours contre les retranchements de la plaine (cam- pestres munitiones), attaque que l’armée investie ne seconda que fai- blement,. » L'auteur borne ainsi au simple énoncé d’une réflexion l’exa- men de deux chapitres entiers concernant des opérations de guerre, essentiellement subordonnées à la disposition des lieux devant Alesia. Il marche de plus en plus par enjambées et s’en tient à des à peu pro auxquels ni sa bonne volonté, n1 celle du lecteur ne pourront s’éclairer. M. Stoffel aurait dû ne pas négliger de dise que, dans le système d’Alise, où les Gaulois de l’intérieur étaient libres de donner beaucoup d'extension à leur attaque des lignes romaines, On la faiblesse du mouvement décrit par les Commentaires reste inintelligible. Il aurait dû ajouter que, dans l'hypothèse d’Alaise, réduit par la disposition exceptionnelle des lieux à lancer des troupes uniquement dans le passage relativement étroit de Brä, devant lequel César avait accumulé ses moyens de défense, Ver- cingétorix ne pouvait qu'aboutir à un effort stérile. La conclu- sion, pour le lecteur, eût été en faveur d’Alaise et contre Alise. Nous avons à relever encore deux autres passages des cha- pitres 81 et 83, dont l'examen aura le même résultat. Je lis dans la description de l'attaque de nuit, que les Gaulois de l’armée de secours s’approchèrent en silence des retranche- ments de la plaine, puis tout à coup poussèrent un grand cri pour avertir de leur présence Vercingétorix enfermé dans Alesia. La plaine, au devant d’Alise, aurait sa longueur de 3,000 pas dirigée du mont Auxois vers la collis exterior ; cette distance, dit le Moniteur, mesure environ 4,500 mètres. Or, comme les retranchements attaqués se trouvent, d’après le chapitre 79 des Commentaires, à 4,000 pas, ou environ 1,500 mètres, de la colline extérieure ; comme, de ces 4,500 mètres, 500 seulement appartiendraient à la plaine des Laumes, il suit de là que le cri des Gaulois s'élevait à quatre kilomètres du lieu où il devait être entendu, à quatre kilomètres, plus la longeur de la pente du mont Auxois. Qu'il n’y ait pas dans cette circonstance une impossibilité absolue, je le confesse. Mais que les Gaulois aient osé compter, pour leur expédition de nuit, sur une chance aussi aléatoire, et que, depuis le mont Auxois, on ait pu reconnaître à pareille distance, sans l’aide des yeux, par delà les camps d'Antoine et de Trebonius, le sens de ce bruit lointain, on ne le pensera pas. Ils ne le penseront pas surtout, à moins de se con- tredire, ceux des premiers défenseurs d’Alise qui nièrent la possibilité d'entendre depuis les Mouniots le cri poussé sur les bords du Taudeure, à un kilomètre et demi de distance. On voit que le terrain d’Alise ne se prête nullement à cette seène du cri, si bien décrite par César, si naturelle dans le pays d’Alaise. Dans ce même combat, les Gaulois eurent à craindre que, le jour venant à paraître, les Romains des camps situés sur les hauteurs n’entreprissent de les couper (veriti ne ab latere aperto ex superioribus castris eruptione circumvenirentur). Cette erainte n'eût pas été motivée dans le système d’Alise, puisque 51H80 Se là l’espace à parcourir pour rentrer dans les camps de la colline extérieure n’eût pas élé de plus de 41,500 mètres, et que les Romains auraient eu, pour menacer celte retraite, à franchir d’abord plusieurs kilomètres sans que leur marche fut masquée. Devant Alaise, les Romains du Peu-de-Myon auraient com- mencé le mouvement pendant l’arrivée des troupes des Champs- de Guerre, de Saint-Loup et du Camp-de-Mine. « Chapitre LXXXTII. » Ce chapitre et les suivants sont de tous les plus importants dans l'étude de l'emplacement d’Alesia. Seuls ils suffiraient pour résou- dre la question. On y lit : «Erat a septentrionibus collis, quem prop- ter amplitudinem circuitus opere cireumplecti non potuerant nostri, necessarioque pœne iniquo loco et leniter declivi castra fecerant. » — « Au nord était une colline que nous n'avions pu comprendre dans l'enceinte des travaux, à cause de son grand circuit, et nous avions élé forcés d'établir les camps dans un lieu presque désavantageux el sur un terrain légèrement en pente. » On a vu l’auteur, dès l’origine, laisser glisser entre ses doigts, sans s'être aperçu du coulage, les dix-neuf vingtièmes du texte des chapitres touchés par lui. Il est arrivé ainsi à une Alesia et à un siége de fantaisie tracés comme au compas sur du papier, la cité au centre, les lignes de contrevallation et de cir- convallation, irréprochables de netteté, renfermant entre elles toutes les troupes romaines. Lui-même, il raisonne toujours depuis le mont-Auxois, et rapporte toutes les orientations à ce site. «... Superiorum castrorum situs munitionesque cognos- cunt. Erat a septentrionibus collis... » À son point de vue, 1l ne s’agit pas ici du nord par rapport à ces camps et à ces forti- fications dont parle en ce moment César. Non : celui-ci aurait voulu dire « qu'au nord de l’oppidum on avait été forcé d’éta- blir les camps en un lieu presque désavantageux et sur un terrain légèrement en pente. » A ce genre d'erreur contre lequel nous avons déjà suffisam- ment prémuni le lecteur, vient se joindre une autre cause de profond désaccord entre l’auteur et nous. C’est qu'il nous attri- bue gratuitement, relativement au plateau d'Amancey, au camp Cassar, aux vingt-trois castellum et aux præsidium, un système qui n’est pas le nôtre, qui est « monstrueux » pour nous comme pour lui, el que nous n’avons pas à défendre. Suivant nous, N CARE: EReA César s’est emparé du plateau d’Amancey, un immense Gibraltar, dont la défense semblait peu coûteuse, qui est séparé d’Alaise par la erevasse du Lison seulement, qui élait utile aux Romains pour les abriter dès le premier jour, qui devait les protéger plus tard, par son étendue, contre tout danger d’être enveloppés à leur tour. Ce plateau règne au levant d’Alaise. Le Camp-Cassar n'était qu’un point, un point extrême parmi ceux qu’avaient occupés les troupes de Reginus et de Rebilus; il avait pour objet de garder l’avenue du double promontoire de Chassagne et de Cléron, lequel, par rapport au plateau, se trouve être une colline au nord, a septentrionibus, et où nous montrons le lieu du passage de Vergasillaune, dont il va être bientôt question. Nous aurions pu nous en tenir, quant à ce chapitre, à repro- duire pour la seconde fois une simple observation que voici, qui est capitale, el qui prive de corps tout le système du Moniteur : c’est que les retranchements romains, d’après l'affirmation de César, s’étendaient jusqu'à mille pas de la colline extérieure {non longius M passibus ab nostris munitionibus, » et consé- quemment, dans le système d’Alise, devraient être cherchés à un kilomètre et demi des hauteurs de Grignon, bien au delà des sommets de Réa et de Ménétreux. Le texte des Commentaires proteste donc contre la supposition de ces camps de Réa, qui, au lieu d’occuper des sommets forcément disponibles, auraient été placés de la manière la moins rationnelle sur le versant de la montagne. Mais nous n’en avons pas fini avec ces camps et les événements qui les accompagnent. Les impossibilités les plus manifestes vont s’accumuler sur le système du mont Auxois, là où ses partisans paraissent ne pas même en soupçonner. « Au nord du mont Auxois, dit donc le Moniteur, un contrefort s’ayance entre le ruisseau du Rabutin et la Brenne. Sa direction générale est du nord-est au sud-ouest, depuis Bussy-le-Grand jus- qu’à un mamelon qui le termine au sud-ouest et qu’on nomme le Réa. A partir de ce mamelon, situé à deux kilomètres du village d’Alise, la crète du contrefort s’éloigne de plus en plus du mont Auxois vers le nord-est. Ce contrefort satisfait complétement aux exigences du texte des Commentaires; car, 1° il est au nord du mont Auxois, et, 2 (dans l'hypothèse où Alesia serait Alise), César ne pouvait pas faire suivre à sa circonvallation la crète du contrefort, vu que ses travaux auraient eu un développement démesuré en s’éloignant beaucoup trop de l’oppidum. Il était donc nécessaire 3 = RAA que la circonvallation cessât quelque part de suivre le sommet des hauteurs pour se continuer sur leurs pentes méridionales. On peut supposer que la circonvallation, après s'être élevée de la plaine des Laumes sur le Réa et avoir suivi les crètes jusqu’au point mar- qué À sur le plan (le plan de M. Stoffel), se prolongeait ensuite dans la direction de Grésigny. Il en résulte qu’elle serait dominée de A à Grésigny. La disposition des lieux se concilie donc parfaitement avec le texte du chapitre 83. » Avant de poursuivre la citation, je relèverai d’abord ce fait, devenu incontestable, que César, dans l’hypothèse d’Alise, eût dû occuper au moins la partie méridionale du plateau sur Méné- treux. Comment dès lors admettre que le plus grand général de l'antiquité ne l'ait pas fait et qu'il commette une ineptie dont aucun officier de nos jours ne voudrait qu’on le crût capable? César, il est vrai, signale un défaut de ses ouvrages, mais un défaut qu'il dit n’avoir pu éviter. En eût-il été ainsi dans la cir- constance locale qui nous occupe? Nullement. Pour joindre à la circonvallation la partie utile du plateau sur Ménétreux, il suffi- sait de porter la longueur de l’enceinte à 22 kilomètres au lieu de 21. Croit-on que César eût eonsenti, ayant conçu un projet dont l'exécution exigeait l'emploi d’une circonvallation de 22 kilomètres, à rogner ce compte d’un kilomètre , lorsque de celui-ci dépendait essentiellement le sort des autres ? Ces dimen- sions d'ouvrages paraissent excessives, inacceptables, j'en con- viens, du moment que la nature n’en a pas fait, comme à Alaise, la moitié des frais. Mieux eût valu, et c’est ainsi que les choses seraient arrivées dans le cas d’Alise, restreindre, au contraire, l'étendue des lignes et laisser Réa tout entier en dehors, que d'aller, sans y être forcé, chercher un danger injustifiable. La circonvallation, en deça de Réa, se fût trouvée dans des con- ditions analogues à celles de la plaine des Laumes. Le choix du site de Réa n’était donc pas nécessaire, et ne répond nullement au necessario de César, à cette localité qu'il avait été indispen- sable d'occuper malgré ses défauts. Parmi les inadvertances que M. Stoffel a commises dans sa marche accélérée, et qui ont dû faire dévier le sens remarqua- blement droit de cet auteur, je signalerai ce passage : « Après avoir raconté que, sur la hauteur située AU NORD DE L'OPPIDUM, On avait été forcé d'établir les camps... l’historien (César) ajoute... » Le. JU. Or, nulle part les Commentaires ne renferment ces mots : Au NORD DE L'OPPIDUM. » La suite du chapitre 83, dit M. Stoffel en continuant, nous ap- prend que les Gaulois furent instruits par des éclaireurs de la mau- vaise disposition des camps romains sur la pente de la hauteur du nord , et qu’ils résolurent de les attaquer. Vergasillaunus, à la tête de 60,000 hommes d'élite, leva son camp vers sept heures du soir, et arriva-un peu avant le jour derrière la montagne « post montem » où il cacha son armée. Si l’on veut expliquer cette marche de Ver- gasillaunus dans le pays d’Alise, on voit que l’armée gauloise aurait mis neuf ou dix heures (de 7 heures du soir à 4 ou 5 heures du matin) pour se rendre des hauteurs de Grignon et de Venarey der- rière le contrefort situé au nord du mont Auxois. On peut supposer qu'après être descendue dans la vallée de la Brenne, à l’est de Grignon, elle a suivi cette vallée jusqu’à Fain-les-Montbard, où elle a tourné à droite pour prendre la vallée d’Eringes dont elle a gagné la partie supérieure. » On a prétendu que ce trajet n’exige pas neuf à dix heures de marche, et qu'il est possible de le faire en deux heures. Cette re- marque n'est pas sérieuse: l° parce que les 248,000 hommes de l’armée de secours occupant une très grande étendue de terrain, on ignore de quel point des hauteurs de Grignon et de Venarey les 60,000 hommes de Vergasillaunus sont partis; et 2 parce qu’une armée gauloise, surtout de nuit, marchait sans nul doute avec une extrême lenteur. »- Ces explications correspondent à la phrase suivante des Commentaires: « Ille (Vergasillaunus), ex castris prima vigilia egressus, prope confecto sub lucem itinere, post montem se occultavit ; militesque ex nocturno labore sese reficere jussit. » — « Vergasillaunus sortit du camp à la prenvièee veille, et ar- riva presque au point du jour. Il se cacha derrière la mon- tagne; ses soldats se reposèrent des fatiques de la nuit (trad. Artaud). » Rectifions d’abord deux inexactitudes. 1° César ne dit pas que « les Gaulois furent instruits par des éclaireurs, » ainsi que cela se serait peut-être passé à Alise, vu la facilité de faire explorer les lieux depuis Grignon, ou même de les examiner directement soit du mamelon de Venarey, soit depuis les hauteurs de Grignon. « Locorum peritos adhibent : ab his superiorum castrorum situs munitionesque cognos- cunt. » — « Ils consultent les gens qui connaissent le pays et a Apr. s'informent du site et du genre de défense de nos forts supé- rieurs (trad. Artaud). » Dans le système d’Alaise, l'emploi d’é- claireurs eût été même insuffisant; ils se seraient infaillible- ment égarés. Il fallait avant tout des renseignements que pou- Vaient seuls donner des hommes habitués aux labyrinthes du pourtour d’'Amancey {locorum peritos) ; et on a recours à ces gens (adhibent). 2° Deux mois à peu près se sont passés depuis que l’armée romaine a moissonné sur les bords de la Loire. On était donc à la fin de septembre ou au commencement d'octobre. Prima vigilia indique conséquemment ici la sixième heure du soir, et prope sub lucem, un peu avant six heures du matin. En tout, le temps de la marche de nuit a duré onze à douze heures, et non pas neuf à dix heures seulement. Fallût-il admettre le chiffre donné par M. Stoffel, il n’en subsisterait pas moins, contrairement à l’opinion de l’auteur, que la marche fut longue et fatigante; car César ajoute ce renseignement essentiel : «€ Milites ex nocturno labore sese reficere jussit. » — «II ordonna que ses soldats se reposassent des fatigques de la nuit.» Ce repos nécessaire dura presque jusqu’à midi « quum jam meridies appropinquaret, » et il avait été prévu d'avance, car le reste de l’armée de secours concerta l'heure de son mouve- ment avec celle des troupes de Vergasillaune. Quel est donc le parcours que, dans le système d’Alise, l'armée gauloise dût accomplir pour aller se cacher derrière la montagne, c’est-à- \ dire, selon nos contradicteurs, dans la vallée du Rabutin, à huit kilomètres de Grignon, mesure prise en ligne droite; à douze ou quinze kilomètres, si l’on admet le détour supposé par M. Stoffel, au travers d’un pays complétement exempt de difficultés? « Une grmée gauloise, dit l'auteur pour corriger de telles invraisemblances , surtout de nuit, marchait sans nul doute avec une extréme lenteur.» La lenteur de la marche et la brièveté du parcours n’expliquent guère, on en conviendra, la nécessité absolue d’un repos de six heures. Un tel besoin dénote évidemment une marche plus longue et plus fatigante, surtout de la part de troupes habituées à marcher, puisque la cavalerie de Vercingétorix avait pu, en un mois, les recruter et les ramener des points extrêmes de la Gaule. C’étaient bien des . hommes de la même race que ceux du général Bosquet, par- or PRE “ne courant de même un espace de 42 à 15 kilomètres pour arriver à la bataille d’Inkermann, presqu’au pas de course. All fallu six heures de repos aux troupes, dans cette dernière circons- tance, avant d'attaquer les Russes? Ceux-ci, eux-mêmes, après avoir fait de nuit, pour atteindre Traktir, un voyage encore plus considérable, ont-ils pris du repos avant de monter à l'at- taque des lignes françaises ? Tout ce qui concerne les circonstances de la dernière journée d'Alesia va, dans l'hypothèse d’Alise, devenir de plus en plus monstrueux d'invraisemblances. Nos contradicteurs n'ont Ja- mais jugé convenable de s'arrêter sur ces points ; nous agirons autrement, puisque l’on nous y force. C'est uniquement, on en conviendra, pour satisfaire à la double condition de la marche de nuit et du repos derrière la montagne, que les partisans d’Alise conduisent les Gaulois dans la vallée du Rabutin où ils n'avaient que faire. Le post montem trouvait plus naturellement sa place dans les dépressions d’'E- ringe; mais glors il ne restait plus d'explication de la marche de nuit, réduite ainsi au parcours de cinq à six kilomètres. S'ils n’eussent pas été liés par la nécessité de tenir compte, si peu que ce fût, de cette double condition, comme les parti- sans d’Alise nous montreraient la facilité de combiner, depuis les hauteurs de Venarey et de Grignon, l'attaque de Réa! Plus de renseignements à demander aux gens connaissant le pays (locorum peritos); plus de marche de 10 à 12 heures à entre- prendre de nuit; plus d'utilité à gravir le plateau sur Ménétreux pour redescendre dans ce vallon du Rabutin, à descendre dans le vallon du Rabutin pour remonter au plateau sur Ménétreux après six heures de repos! La distance à parcourir depuis la plaine des Laumes, point principal de l’attaque des lignes ro- maines par l’armée de secours , jusqu'au dessus de Réa, n’est pas de plus de deux kilomètres ; elle n’est pas plus considérable que celle qu'il eût fallu pour revenir des bords du Rabutin au théâtre marqué d'avance de la grande lutte. Vergasillaune n’a pas à séparer un seul moment ses soixante mille hommes du gros de l’armée gauloise. L'opération, facile à concevoir, est des plus simples à exécuter. | Mais le passage des Commentaires, qui s’oppose à une combi- naison si convenable au système d’Alise, subsiste, et place ce ER APRES dernier dans une autre impasse encore que nous allons si- gnaler. Le vallon du Rabutin est greffé sur celui de l’Ose. Il s’étend de là jusqu’à quatre kilomètres de distance, non compris les deux petites branches latérales qui naissent où il finit et dont il n’y a pas lieu de s’occuper. Les crètes qui le dominent sont espacées d’un kilomètre et demi vers son débouché, et de moins d’un kilomètre à l’extrémité opposée, près de Bussy-le-Grand. Les pentes diffèrent peu de celles du mont Auxois. L’axe du vallon est ainsi disposé qu’étant lui-même presqu’en ligne droite, il se prolonge directement sur le point où la plaine des Laumes et la pente du mont Auxois viennent se confondre. Avant l'existence du village de Grésigny, toutes les sentinelles de la prétendue contrevallation appartenant au lieu dont je parle, tous les soldats romains de la circonvallation au passage du Rabutin, eussent eu en vue le vallon à peu près dans son entier. Du plateau de Grésigny, l'œil plonge sur lui. On le domine du regard depuis le monticule de Réa, comme depuis la plate-forme de l’arc-de-triomphe de l’Etoile on dominerait la grande avenue des Champs-Elysées. Le vallon n’est pas seulement un creux ouvert aux on des Romains, il est en même temps, par sa disposition au pied des hauteurs que les légions occupent, sous la puissance de celles-ci. Eh bien, c’est dans une telle souricière que, faute de mieux, les partisans d’Alise sont réduits à envoyer les soixante mille hommes de Vergasillaune. C’est dans ce -lieu si complétement fouillé par les regards ennemis qu’on suppose tant de Gaulois se reposant, sans être vus ni inquiétés, depuis le point du jour jusque vers midi {post montem se occultavit). Ils y eussent été en sûreté à la manière des prisonniers dans la cour d’une prison, et cachés comme croit l'être l’enfant qui couvre sa figure de sa robe. Le pays du mont Auxoiïs satisfait donc de moins en moins aux exigences des Commentaires. « Pour appliquer au pays d’Alaise, dit M. Stoffel, la marche de Vergasillaunus, il faut le faire partir des hauteurs situées à l’ouest du Todeure et l’amener en neuf heures environ vers Camp-Cassar dérobé à la vue des Romains. Il est difficile de se rendre exacte- ment compte du chemin qu’il aurait suivi; mais il est certain qu’il | a. 2. aurait eu à passer deux fois la Loue et à exécuter une marche de 25 à 30 kilomètres, le tout en neuf heures de nuit. Il n’est pas pro- bable qu’une armée gauloise ait résolu ce problème. » Disons de nouveau : onze à douze heures, ou tout au moins dix à douze heures, au lieu de neuf heures. Ajoutons, il est vrai, que pour opérer le trajet attribué par les partisans d’Alaise aux soixante mille hommes de Vergasillaune, 11 faut, non pas visiter le pays en simple éclaireur, mais être renseigné par des hommes locorum periti, ce qui n’est pas encore arrivé, je le sais, à un seul de nos adversaires. La Loue est ici une rivière rapide, conséquemment peu profonde partout où il n’y a pas de bar- rages ou de creux accidentels. Les gens du pays la traversent, dans ce cas, sans barque et sans autre inconvénient que celui de se mouiller les pieds, inconvénient jadis peu sensible pour des jambes gauloises habituellement nues. Dans notre système, la marche de nuit indiquée par les Commentaires était indis- pensable. La distance à parcourir dut être de 15 à 20 kilomètres et non de 25 à 30 kilomètres, ainsi que l’a pensé à tort M. de Stoffel, qui paraît ne pas connaître cette partie du pays. Le lieu du repos se trouve entièrement hors des regards des Romains, et les Gaulois ne peuvent pas y être coupés ou emprisonnés par l’ennemi. Les endroits par où les Gaulois ont gravi sur le plateau sont peu nombreux, et, vu l’immense longueur des escarpements par lesquels il fallait trouver de très rares inter- ruptions, on ne peut avoir aucun doute sur le choix des passages. Les tumulus, à partir de là jusqu’à la Côte-Bataille où est le Camp-Cassar, et du Camp-Cassar au Camp-de-Mine, sont de plus en plus abondants, et leur présence ne laisserait d’ailleurs aucune incertitude sur la ligne du trajet. Enfin la disposition des lieux fait comprendre que l’opération de Vergasillaune de- vait être imprévue; que ce fut une surprise sagement combinée, bien exécutée; que les Romains purent être mis un moment à deux doigts de leur perte sans avoir mérité des reproches de maladresse, que le désastre des Gaulois commença certaine- ment du moment que la confusion du combat les priva du se- cours des guides, secours indispensable sur le labyrinthe du plateau d'Amancey, et dont les Romains, qui connaissaient la contrée, n'avaient pas besoin. La nuit survenant, les 60,000 hommes restaient à la merci de César. — 0 — Nous venons de voir déjà combien M. Stoffel a eu raison d'annoncer que le chapitre 83 et les suivants « suffiraient pour résoudre la question. » Je continue l’examen. « Chapitres LXXXIV, LXXXV, LXXX VI, LXXX VII, LXXX VIII. » Passons au récit de la dernière et grande bataille qui fut suivie de la reddition d’Alesia. L'épisode principal de cette bataille est l’attaque des 60,000 hommes de Vergasillaunus contre la partie de la circonvallation qui était dominée et où commandaient Reginus et Rebilus. Les Gaulois, investis dans l’oppidum, sortirent pour se- conder cette attaque et le combat fut général sur la double ligne. » Rappelons ici que César ne parle pas d’une partie de la cir- convallation qui serait dominée, mais de castrum situés sur des hauteurs. Disons encore que les Gaulois, investis dans l’oppidum, loin de sortir pour seconder cette attaque , ne la connurent pas d’a- bord ; Plutarque signale même ce fait comme remarquable. Ils allèrent seconder le mouvement du reste de l’armée de secours contre un point de la circonvallation et de la contrevallation qui était l'objet naturel de leurs efforts, qui se trouvait dans la plaine (campestribus locis), et que César distinguera des autres ouvrages par ces mots : propter amplitudinem munitionum, c’est-à-dire à cause de la grande importance des ouvrages. Disons enfin que M. Stoffel s’est trompé en voyant dans les Commentaires le récit d’un « combat général sur la double ligne. » Cela se fût passé ainsi à Alise; mais comme Alise n’est pas Alesia, les choses eurent lieu autrement. [Il y eut, César le veut: attaque simultanée des ouvrages de la plaine par la masse de l’armée gauloise du dehors et par les troupes du dedans ; assaut donné dans le même temps à des camps situés sur les hauteurs et, selon Plutarque, hors des regards des assiégés. Cela dit, je me hâte de relever un mot d’une grande impor- tance lorsqu'il s’agit de confronter le mont Auxois et le massif d’Alaise avec l’image laissée par les Commentaires. César décrit ainsi l’affaire qui se passe dans la plaine pendant l'attaque des camps : « Eodemque tempore equitatus ad campestres munitiones accedere, etreliquæ copiæ sese pro castris ostendere cœperunt. » Vercingetorix, Ex ARCE ÂLESIÆ suos conspicatus, ex oppido 2 M egreditur ;. a castris longurios, musculos, falces, reliquaque, quæ eruptioniscausa paraverat, profert. » — «En même temps (vers midi), la cavalerie s’approcha des retranchements de la plaine , et le reste des troupes gauloises se mit à prendre posi- tion en avant des camps (de la colline extérieure). Vercingétorix, DU HAUT DE LA CITADELLE D'AÂLESIA, aperçoit ses compatriotes ; il sort de l’oppidum, faisant emporter hors des camps les longues perches, les abris, les faux et tout ce qu'il avait en outre préparé en vue d'opérer la trouée pour son évasion. » La ciTaneLce D'Azesra, dont il est fait mention pour la pre- mière fois, se trouve être ici, comme dans nos places de guerre modernes, autre chose que la place proprement dite. L'oppi- dum, Alesia, renfermait aussi l’urbs (perspecto urbis situ), et des camps {a castris longurios...). Dans l'hypothèse d’Alise, l'arx serait simplement une des extrémités de la plate-forme qui couronne tout le mont Auxois, et dont Le reste eût été occupé par l’urbs et les castrum. À Alaise, au contraire, l’arx est une montagne dont la plate-forme est aussi grande, à elle seule, que celle de tout le mont Auxois. Elle domine la plaine et céuvre de ce côté l'approche du massif (ante id oppidum planities circi- ter millia passuum mm patebat). Son nom, les Mouniots {muni- tiones) en indique la destination. Son aspect, distinct pour l’œil, inspirait naturellement à l’auteur des Commentaires le mot arx, auquel est attaché l’idée d’une forteresse en lieu élevé. Il ne pouvait pas se faire que Vercingétorix, ayant à défendre le massif d’Alaise, ne prît pas pour son poste cette haute et longue forteresse ; il ne pouvait pas se faire que César ne se dît pas : Vercingétorix voit de là haut la cavalerie qui envahit la plaine ; il ne pouvait pas se faire qu'ayant à parler dans la même phrase du lieu où était le général gaulois et de ces castrum établis sur d’autres parties de l’oppidum, César n’employât pas pour son indication l’expression ex arce Alesiæ. Bien plus, l’ordre donné par Vercingétorix exigea des mouvements de troupes, qui, par rapport à la partie de la circonvallation où se trouve le mont Bergeret, ne pouvaient pas rester inaperçus des Romains. Ainsi s'explique, dans le système d’Alaise, un passage évidemment écrit pour cette localité. Mais dès qu'il s’agit de faire du mont Auxois l’Alesia de César, tous ces détails deviennent superflus, ou ne peuvent être accueillis qu'avec des corrections. Dans cette circonstance, en effet, où est, sur la plate-forme si régulière du mont Auxois, le lieu qui fut nécessairement la citadelle? Il y a une entrée vers le mont Plevenel, d'autres à l'extrémité opposée, sur Alise-Sainte-Reine. Quel point choisir utilement? À quelle marque le distinguera- t-on du dehors d’une manière si claire que César doive dire, sans y être amené par la nécessité d’une argumentation et fout à fait spontanément : Vercingétorix était là. M. Stoffel a donc passé sous silence Ex ARCE ALESIÆ, comme précédemment, déjà sous l'influence du système d’Alise, il avait dû corriger un peu la traduction de « ante oppidum », devant l’oppidum, par ces mots : « En avant de l’oppidum, » mais en ajoutant aussitôt : « d’un côté de l’oppidum, parce que le mot ante, qui précède celui d’oppidum dans le texte, ne précise pas l'emplacement de la plaine par rapport à la colline d’Alesia. » Pour nous, ex arce Alesiæ signifie qu'il y eut une citadelle d’Alesia. Nous cherchons en vain sur le mont Auxois la hauteur distincte, exceptionnelle à laquelle l'ennemi reconnaîtra de loin une véritable citadelle. Nous en montrons une au devant d’A- laise qui s’appelle les Mouniots et qui présente son front à la plaine située ante oppidum. « On lit, continue M. Stoffel, au chapitre 85, première phrase : « Cœsar idoneum locum nactus, quid quaque in parte geratur co- gnoscit, laborantibus auxilium submittit. » — César qui, placé en un lieu convenable, apprend (connaît, est informé de) ce qui se passe de toutes parts, envoie successivement des secours aux plus pressés... » La rectification proposée par M. Stoffel, quant au vrai sens de cognoscit, mérite d’être prise en considération par les parti- sans d’Alaise comme par ceux d’Alise. Là ne gisent pas les diffi- cultés. Cependant il a eu tort de traduire par ces mots : de toutes parts, le quaque in parte, qui s'applique uniquement à la double attaque des retranchements de la plame, soit par les Gaulois du dehors, soit par ceux du dedans. Cette faute de l’auteur ne lui appartient pas en propre. Elle provient de la manière vicieuse dont les Commentaires ont été coupés par chapitres. Celui (qui porte le n° LXXXV devrait commencer seulement un peu plus — 43 — loin, à la phrase : Maxime ad superiores munitiones, dont il n’est pas encore question ici. Pour le moment, il s’agit de la plaine; César n’en est pas encore à Dies de ce qui se passe ail- leurs : his rebus cognitis. « La phrase : « INIQUUM loci ad declivitatem fastigium magnum habet momentum , >» phrase difficile à bien traduire, mais dont le sens se comprend et montre de quelle importance il était pour les Gaulois de Vergasillaunus d'occuper des hauteurs d’où ils domi- naient les ouvrages romains. » Si on lit avec attention le récit de la bataille, on est frappé de l’activité déployée par César et de la promptitude des mouvements. Il envoie des renforts tantôt sur un point, tantôt sur un autre. Lui- même se transporte successivement aux endroits les plus menacés; car le récit dit coup sur coup : 1pse adit reliquos. Il va lui-même trouver les autres (chapitre 86). 2° Postremo ipse, quum vehementrius pugnaretur, integros subsidio adducit. Comme l’action devenait plus vive, il s’y rend lui-même avec des troupes fraiches (chapitre 87). 30 Restitulo prælio ac repulsis hostibus, eo, quo Labienum miserat, contendit. Le combat rétabli et les ennemis repoussés, il se dirige vers l’endroit où il avait envoyé Labienus (chapitre 87). César pa- rait donc successivement sur différents points d’abord, puis aux lieux escarpés (prœærupta loca), puis enfin à l'attaque de Vergasil- launus. » Ces épisodes rapides düné bataille commencée après midi (voir au chapitre 83) ne se comprennent nullement autour d’Alaise et sur le plateau d’Amancey. Comment y expliquer ces secours tirés des postes voisins (ex proximis prœæsidüs), et le mouvement de ca- valerie qui décida de la victoire? Comment cette cavalerie a-t-elle pu gravir les pentes escarpées du plateau d'Amancey ? Quel chemin a-t-ellé suivi pour venir tomber sur les derrières des Gaulois vers Camp-Cassar? Les partisans d’Alaise ne répondent pas à ces ques- tions, et ils avouent qu’il y a là quelques difficultés de détail qui demandent à être éclaircies. Nous leur ferons observer que ces prétendues difficultés de détail constituent de véritables ORNE bilités devant lesquelles doit tomber la cause qu’ils soutiennent. Les tableaux qui viennent d’être donnés ne représentent ni les Commentaires, ni le pays d’Alaise, ni l’état de la question chez nous. C’est un bouquet de fleurs choisies pour l'agrément de l'œil, et non l’herbier qui fera connaître la flore des lieux. Il n’est pas exact de dire qu’il y ait aucune question à laquelle nous ne répondions pas, et que nous ayons fait l’aveu de diffi- cultés à éclaircir. Nous craignons, au contraire, que, privés des moyens de publicité mis avec profusion à la disposition des cos M on partisans d’Alise, nous n’ayons été ni compris dans les premiers temps du débat, ni même lus depuis quelques années. Nous re- grettons, en outre, que M. Stoffel n’ait peut-être pas encore suffisamment vu les lieux dont il a parlé et qu'il n’ait certaine- ment pas visité la rive droite du Lison. Nous allons d’abord donner réponse aux deux questions positives qu’il nous adresse, puis nous reprendrons la discussion. 1° « Comment y expliquer (autour d'Alaise et sur le plateau d’A- mancey) ces secours tirés des postes voisins, eæ proæimis præst- diis ? » Notre réponse sera la répétition de ce que nous avons déjà dit plus haut : Là où se trouvaient les camps des hauteurs étaient aussi les vingt-trois castelluim. Là étaient donc les præsidium nécessaires pour garder l’armée romaine. « Castra opportunis locis erant posita, 1BiQuUE castella xxim facta. » (Voy. p. 14.) Le système d’une contrevallation et d’une circonvallation renfermant, contre le dire des Commentaires, les castrum, les castellum et probablement aussi les prœæsidium, se trouve de nouveau condamné ici. 20 « .….. Et le mouvement de cavalerie qui décida de la victoire ? Comment cette cavalerie a-t-elle pu gravir les pentes escarpées du plateau d'Amancey? Quel chemin a-t-elle suivi pour venir tomber sur les derrières des Gaulois vers Camp-Cassar ? » C’est vers le Fonds-de-la-Victoire, et non vers Camp-Cassar, que nous avons jusqu'ici conduit la cavalerie germaine. Nous n'avons jamais varié sur ce point. S'il eût fallu que la cavalerie prît à dos Camp-Cassar, elle eût dû suivre le même chemin que Vergasillaune, chemin très certainement gardé par les Gaulois, et le voyage eût été, au moins de cette manière, impossible. Nous rejetons done loin de nous le reproche d’avoir conçu de pareilles naïvetés. Pour aller de Myon, où la tradition et le sentiment général placent le camp de cavalerie, jusque sur le plateau d’Amancey, la nature s’est chargée de ménager, par le mont Bergcret, une voie large, à pentes faciles, que des charriots chargés suivent à la montée depuis le Lison, d’un développement régulier autour d’Alaise, exempte d’escarpements, passant par les terrains qu’oc- cupent une partie des camps supérieurs et des vingt - trois ET castellum. Ce chemin est une sorte de miracle au milieu des roches abruptes de la contrée, soit. César, plus heureux que les défenseurs du système d’Alise, a su le trouver dès le premier jour. Moyennant que des arbres fussent préalablement extirpés de Myon au plateau d'Amancey, sur vingt-cinq à trente mètres de large, je suis certain que M. le capitaine Stoffel n’hésiterait pas à franchir lui-même cet espace avec une batterie d'artillerie, sans se croire obligé, par-aucune difficulté particulière, d’inter- rompre le galop des chevaux. La -distance à parcourir de Myon jusque sur les derrières des Gaulois étant de dix à douze kilo- mètres, les Germains ne durent pas y employer plus d’une heure dans le cas le moins favorable. Revenons maintenant sur nos pas. « Iniquum loci ad declivitatem fastigium magnum habet momentum, » phrase difficile à bien traduire, dit M. Stoffel, qui, par mégarde, a créé la difficulté en substituant iniquum à exi- guum. Cette phrase, selon l’auteur, «montre de quelle importance il était pour les Gaulois de Vergasillaunus d'occuper des hauteurs d’où ils dominaient les ouvrages romains. » Nous demanderons, nous, comment les Gaulois auraient à se préoccuper de l’impor- tance d’une position qui ne leur serait pas disputée, puisque, dans le système d’Alise, les troupes romaines sont derrière la circonvallation ; ou comment César aurait à parler avec tant d'inquiétude d'un point qu'il eût été dans ses combinaisons de laisser au dehors. Rétablissons les faits. César a dit ailleurs d’un camp de Rebilus et de Reginus qu’il était assis sur un terrain légèrement en pente {leniter declivi); il dit maintenant du même lieu que cette pente légère atteignait un faîte peu marqué (exiguum fastigium), laissé en dehors par nécessité, et dont il met le peu d'importance naturelle en comparaison avec la gra- vité de la circonstance résultant de la surprise tentée par Verga- sillaune. La possession de ce faîte donne accès contre les camps supérieurs et les castellum des hauteurs. Aussi arrive-t-il un fait que n’a pas remarqué M. Stoffel, et que l'occupation du plateau d’Amancey par les Romains explique parfaitement. Labienus est envoyé à la défense de ces camps ; il n'y peut pas réussir et se jette au dehors, où il trouve TRENTE-NEUF conoRTEs que le hasard lui amène et qui viennent de quitter les præsidium voisins «coactis undequadraginta cohortibus, quas ex proximis præ- = ED — sidiis sors oBruzir. Nous demandons à M. Stoffel comment, dans l'hypothèse d’Alise, les soixante mille hommes de Verga- sillaune occupant la crète du plateau sur Ménétreux et triom- phant de la résistance des Romains abrités par leurs remparts, César a pu concevoir l’idée de calculer le cas où Labienus serait obligé de se replier au dehors de la circonvallation, et consé- quemment de traverser, en gravissant la côte, la masse victo- rieuse des Gaulois? Nous demandons comment une pareille opé- ration pouvait être exécutée ? Nous demanderons où étaient ces præsidia voisins du plateau sur Ménétreux, d’où seraient sorties d’elles-mêmes trente-neuf cohortes, six à huit légions? Nous de- manderons enfin quelle opération de guerre aurait pu äéterminer la réunion de trente à quarante mille Romains à la fois sur le plateau de Ménétreux, que Labienus trouverait là, par hasard, hors de la circonvallation. Si, toujours dans l’hypothèse d’Alise, Labienus avait pu opérer cette incroyable sortie et attemdre le sommet du Ménétreux, les Gaulois restés aux retranchements se fussent trouvés, ou emprisonnés entre ces lignes et l’armée de Labienus, ou maîtres de se répandre entre la circonvaliation et la contrevallation. Dans ce cas, ils n’auraient eu aucune peine à concentrer avec succès dans la plaine des Laumes les efforts des assiégés et ceux de leurs 480,000 compagnons descendus de la colline extérieure. Rien de tout cela n’est arrivé. Si, au contraire, Labienus, trop faible pour se défendre sur ses retranchements, a été miraculeusement assez fort pour atta- quer depuis ces mêmes retranchements toute la ligne gauloise et pour la pousser de bas en haut jusque sur la montagne, com- ment, devenu vainqueur dans le cas le plus difficile et maître dé- sormais de continuer le combat à égalité d'avantage de posi- tion, s'arrête-t-il dans la poursuite pour attendre le secours de César ? Or, nous allons voir que durant ce temps César avait déjà fort à faire ailleurs. Les assiégés qui étaient descendus à la vue de l'attaque des retranchements de la plaine, certainement pour la seconder, sentant que les ouvrages sont trop résistants de-ce côté, les quittent et vont entreprendre l'attaque des lieux escarpés (prærupta loca), en montant {ex ascensu). Le lieu désigné par M. Stoffel pour cette attaque n’est plus celui que d’autres parti- sans d’Alise avaient choisi d’abord comme méritant, par ses PT roches escarpées, une qualification spéciale : il s’agit maintenant du mont Plevenel, où il n’est pas impossible de constater la pré- sence de quelques petits escarpements. Les assiégés s’éloignent donc de ces camps de Réa, contre lesquels les Gaulois du dehors . ont un plem succès. Loin que cette vue les détermine à tenter le moindre effort pour seconder ce mouvement si favorable à leurs désirs, ils s’en vont, d’après le plan de M. Stoffel, du côté dia- métralement opposé, vers un point qu’ils n’ont jamais eu jus- qu'alors l’idée d’attaquer, que nulle circonstance nouvelle n'a désigné à leur attention, où la circonvallation se trouve hors de la portée de l’armée de secours, et dont la défense ne paraît pas avoir été diminuée par des emprunts de troupes. César lui-même, entre la défense du Réa et celle du Plevenel, préfère s'occuper de celle-ci, et, partant à la suite de Brutus et de Fabius, laisse à son lieutenant Labienus le soin de sauver comme il le pourra le camp envahi de Reginus et de Rebilus, « avec permission, s’il se sent trop faible, d’aller au besoin livrer bataille en rase cam- pagne. » Ainsi, suivant le Moniteur, Vercingétorix s'éloigne des siens qui triomphent à son profit, et César des siens qui succombent, l’un et l’autre pour chercher ailleurs une lutte improvisée et sans but. Est-ce que rien de tout cela peut être admissible ? M. Stoffel ne paraît pas non plus s'être préoccupé, relative- _ ment à cette affaire du mont Plevenel, d’une conséquence qui en découlerait et qui indiquerait le peu de solidité de l'hypothèse. La voici : Il y avait certainement des troupes préposées à la garde du mont Plevenel. À celles-ci viennent se joindre 6 cohortes com- mandées par Brutus, 7 qu'’amène Fabius, 4 avec lesquelles arrive enfin César, en tout 17 au moins. Voilà pour un côté. Or, de l’autre, Labienus en a réuni 6 à celles de Reginus et de Rebilus qui ont eux-mêmes deux légions, ou si l’on veut 20 cohortes : puis le lieutenant sortant des lignes romaines, ainsi qu’il en avait reçu l’autorisation, trouvera sur le plateau de Ménétreux 39 co- hortes « quas sors obtulit », que le hasard amène là. Ceci ferait encore 65 cohortes, dont le nombre, ajouté à celui de 17 des troupes occupées au mont Plevenel, produirait un total de 81 cohortes. Or, comme César, ce fait n'est pas contesté, avait à sa dispositions 4 0 légions ou 100 cohortes, il suit de l’état des choses = LS créé par l'hypothèse de M. Stoffel, qu’un moment il ne resta pas plus de 49 cohortes pour garder les retranchements et les camps romains sur toute partie autre que le mont Plevenel, sur près de 37 kilomètres de développement total des lignes : un légion- naire pour 3 mètres. C’est à la pelle qu'il faudrait remuer, tant elles sont nom- breuses, les impossibilités qu’engendre l'application au pays d’Alise des opérations de la dernière journée. Ce serait à fatiguer le lecteur le plus résolu. Néanmoins M. Stoffel termine simplement ce chapitre en ces termes : « Comme on le voit, le récit de la bataille s’explique facilement dans l’Auxois et l’on n’est arrêté par aucune difficulté. On a mis en doute que les 60,000 hommes commandés par Vergasillaune aient pu Combattre entre le Réa et Grésigny, sur une étendue de 2,500 mètres seulement. Mais si l’on songe que les Gaulois se battaient en désordre, et pour ainsi dire tumultueusement, on trouvera que le champ de bataille était assez vaste pour la lutte. » Avant de terminer aussi le même chapitre, j'aurai encore à mettre en vue d'autres conséquences du système de M. Stoftel. Mais, d’abord, dussé-je, pour ma part, mériter de nouveau le reproche d’incompétence en faisant, sans être militaire, un calcul qui exigerait des connaissances spéciales, j’essaierai d’é- tablir, tant cela est facile ! le détail, heure par heure, des opéra- tions de guerre de la dernière journée, à mon point de vue. Il y eut quatre affaires distinctes : celle de la plaine; celle de l'attaque des camps supérieurs; celle des prœrupta loca; enfin la grande bataille près des camps supérieurs. 1"e Affaire. Midi. — La cavalerie et l'infanterie de l’armée de secours sortent de leurs camps. Le Plan de la plaine se remplit de cavaliers gaulois. Les assiégés descendent aussitôt d’Alaise en Brä. 2 Affaire. Même heure. — Vergasillaune est sur les promon- toires du nord. À heure. — Il atteint Côte-Bataille et enlève Camp-Cassar. À heure 3/4. — Il attaque Camp-de-Mine. Les cohortes des castelluin et des camps débordés par Ver- gasillaune se replient entre Déservillers et Eternoz. Æ. 4. 3 heures. — Vercingétorix, averti, dit Plutarque, par les cris des Mandubiens , qu'une grande affaire se passe du côté des camps supérieurs, s’est hâté de quitter la plaine. Il marche droit vers Camp-de-Mine par les prærupta loca où se trouve le pas- sage qui monte de la Foye à la Fontaine-de-Brut. Il renverse les obstacles, chasse devant lui les Romains préposés à la garde des lieux, puis les 6 cohortes de Brutus, enfin les 7 de Fabius, lesquelles reculent sur les hauteurs d’Eternoz. Il s'empare du pla- teau des Gaules. César arrive alors avec de nouvelles troupes et rejette les assiégés sur le Lison. 4 heures. — César monte du plateau des Champs-de-Guerre sur le plateau d’Amancey, par les pentes d’Eternoz. La cavalerie germaine prend la rampe du Mont-Bergeret, s'élève sur la côte qui sépare Lisine de Doulaise , laisse les Gaules à droite, atteint Saint-Loup, tourne le nord de Camp-de-Mine. 5 heures. — Labienus, venu avec 6 cohortes, en a réuni 39, hors des camps, entre Eternoz et Déservillers; il est rejoint par César. Vergasillaune attaque au même moment l’armée ro- maine ; et les cavaliers germains ont achevé leur marche qui les a portés derrière les Gaulois. 6 heures 1/2. — La nuit est venue. Vainqueurs ou vaincus, les soldats de Vergasillaune sont à la merci de César, retenus, au-dessus d’un labyrinthe inextricable de précipices qu’ils ne connaissent pas et sans communications possibles avec le reste de l’armée de secours. Ils seront tués ou pris. Cela dit, le moment est venu de se demander comment, du- rant ce dernier combat, les assiégés ne profitèrent pas des cir- constances pour renouveler leurs tentatives de percer les lignes _romaines. Labienus disposait de 39 cohortes que le hasard lui avait pro- curées. César en amène encore #, indépendamment de toute sa cavalerie; le nombre des cohortes engagées dans la bataille se trouve être d’au moins 43. Mais les præsidium du voisinage (ex proximis præsidiis) sont dégarnis de 33 cohortes sur les 39 reformées par Labienus; en sorte que quinze à vingt mille hommes ont été enlevés à une seule partie de l'immense ligne d'enceinte. Ce côté reste ainsi sans défense. L'occasion se re- nouvelle donc ici pour les assiégés de n’avoir plus à lutter que 4 PR 0e contre une garde trop faible. Dans le système d’Alise, l’occa- sion est d'autant meilleure que Vergasillaune occupe César sur le plateau de Ménétreux, et que 180,000 hommes de l’armée de secours sont restés disponibles pour agir contre les retran- chements. M. Stoffel, militaire instruit, mais que son premier coup d’œil sur Alise tient fasciné, n'a-t-il pas oublié d’exa= miner la question à ce point de vue? Le système adopté par Jui ayant exigé que les ouvrages fussent exécutés entièrement sur les 37,000 mètres, exige aussi que la garde ait lieu sur le même développement. Là, point de défenses naturelles qui tien- nent lieu de soldats. Qu’auraient eu donc à faire les assiégés devant la partie des lignes réduite, faute de monde, à la valeur d’un fil d’araignée? A s’en aller chacun comme bon lui eût semblé. Comprendra-t-on maintenant l'utilité de notre crevasse du Lison, à laquelle nous ajouterons, nous, celles des Vaux-Mou- rands, de la Langutine et du Taudeure ? Comprendra-t-on pour- quoi César a parlé à tant de reprises de la forme et de la longueur de cette plaine de trois mille pas qui était réellement le seul lieu à fortifier de la manière décrite par les Commentaires, le seul endroit difficile à défendre ? Comprendra-t-on que ces accidents du territoire d’Alaise, si peu commodes pour les visiteurs, ont cependant commandé tous les événements? Comprendra-t-on que, sans avoir été ni brutes, ni lâches, les troupes gauloises de l’armée de secours et celles du dedans purent rester néanmoins paralysées entre ces retranchements de la plaine, gardés par les vingt cohortes d'Antoine et de Trebonius et par cette espèce de crevasse continue {mediocri interjecto spatio) de 8,000 pas, lesquels, avec les 3,000 de la plaine, forment le développement de 11,000 pas du pourtour d’Alaise ? Franchir, en un point où il était mal gardé, ce fossé naturel d'enceinte, que César a si bien indiqué par le mediocri interjecto spatio, ce n’était pas une entreprise impossible pour un homme seul et vigoureux. Vercingétorix, selon Plutarque, s’il n’eût tenu qu’à son propre salut, eût pu la tenter; elle était impra- ticable pour une foule. Le dire de Plutarque — il n’est pas inutile de le rappeler en passant — serait un non-sens dans l'hypothèse d’une contrevallation complétement bâtie, telle que l'exige le système d’un siége du mont Auxois. ME GR ee Une dernière observation avant de quitter ce chapitre. Nous supposons pour le moment, avec M. Stoffel, qu’Alise soit Alesia et que les prærupta loca aient été le mont Plevenel. Celui- e1 est un faîte étroit, dont la pointe regarde le mont Auxois et dont la masse forme avec celle de ce dernier une seule et même montagne. Mêmes pentes, mêmes couronnements de quelques roches abruptes. Il ne serait ni plus ni moins difficile de donner l'assaut au mont Plevenel qu’au mont Auxois. Vercingétorix, néanmoins, l’aurait tenté, et César décrit ainsi l'affaire : « Les Gaulois chassent par une grèle de traits les Romains qui com- battaient du haut des tours. Ils comblent les fossés de terre et de fascines et se fraient un passage : avec des faux ils détruisent le rempart et le parapet. » Voilà donc les Romains chassés des tours et la contrevallation détruite. C’était là le plus difficile. On doit ainsi considérer les Gaulois comme maîtres du mont Ple- venel. Cependant Brutus et Fabius accourent,; César vient en- suite, et — le système d’Alise l'exige — reprend le mont Pleve- nel, absolument comme nous prétendons, nous autres, qu'il eût certainement pris le mont Auxois, si Alesia s’y fut trouvée. Le raisonnement de M. Stoffel dans cette circonstance nous donne gain de cause contre l'identité d’Alise avec l’imprenable Alesia de César. Du reste, la même question va se représenter plus loin sous les mêmes faces. « Les chapitres 89 et 90, qui terminent le 7° livre des Commen- taires, n’ont donné lieu qu’à une seule observation. Elle a trait à la première phrase du chapitre 90, laquelle est ainsi conçue : « His - ebus confectis, in Æduos proficiscitur. » Ces choses terminées, il se rend chez les Eduens. Quelques partisans du mont Auxois ayant attribué aux Eduens les Mandubiens pour clients, on leur a répondu que la phrase ci-dessus tournait contre eux, parce que César n’au- rait pas dit qu'après la prise d’Alesia, il partit pour se rendre chez les Eduens, s’il se trouvait déjà chez eux. On a ajouté que la phrase s'entend beaucoup mieux si les Mandubiens sont en Séquanie. Mais cette discussion roule sur une simple conjecture ; car il:n’y a pas un seul auteur ancien qui mentionne les Mandubiens comme clients des Eduens. Il est donc évident que la phrase dont il s’agit ne peut jeter aucune lumière sur la question de l'emplacement d’Alesia. » Je serai bref sur ce point, que M. Stoffel n’a pas esquivé comme d’autres partisans d’Alise l'avaient fait, mais qu’il paraît ne. JO es. cependant n’avoir pas voulu examiner de très près. J'aurai seulement à rappeler : que les Eduens touchaïent les Lingons et les Séquanais, sans intermédiaires ; qu’ainsi les Mandubiens n’é- tant pas Eduens devaient être une partie, ou du pays lingon, ou du pays séquanais; que la bataille de cavalerie dans laquelle fut vaincu Vercingétorix avant de se retirer à Alesia, ayant eu lieu en Séquanie, suivant l'affirmation positive de l'historien Dion Cassius, c’est dans la Séquanie apparemment, et non dans l’an- cien pays lingon, qu'il convient de chercher l’oppidum des Mandubiens. Il serait sage d’agir ainsi, même quand nous ne montrerions pas dans le département du Doubs ces immenses champs de bataille gaulois et romains par la nature des armes et par les vestiges de retranchements, au milieu desquels s’est conservé intact le nom d’Alesia. « Ici, poursuit M. Stoffel, se termine dans les Commentaires le récit de l’épisode d’Alesia; mais, avant de résumer notre travail, il nous reste à parler du mont Auxois ; car bien des personnes ont cru devoir conclure de son exiguité que l’oppidum d'Alise-Sainte- Reine n’a pu être sur la colline d’Alise-Sainte-Reine. La question à résoudre est celle-ci : Le mont Auxois a-t-il une étendue suff- sante pour avoir pu contenir 80,000 hommes d'infanterie gauloise, la population mandubienne qu’on estime à 10,000 âmes, le nom- breux bétail (pecus magna, chapitre 71), les fourrages, les bagages, les chantiers de machines, etc...., nécessaires à l’armée investie ? La question est importante ; car s’il était prouvé que la surface du mont Auxois est insuffisante, il s’en suivrait que, malgré la con- cordance du texte et des lieux, on ne pourrait pas placer Alesia à Alise, et tout au plus serait-il possible de supposer que César a exagéré le nombre des Gaulois enfermés dans l’oppidum. » La question n’est pas posée sur des bases admissibles ; car le nombre des Mandubiens enfermés dans Alesia, au lieu d’être de 10,000, se trouve avoir été de 90,000, d'après Plutarque, le seul auteur ancien qui ait donné le chiffre total des assiégés. Ceux-ci — le chiffre est confirmé sommairement par Strabon — étaient 170,000, y compris les 80,000 soldats amenés par Vercingétorix, M. Stoffel va donc se donner une peine inutile en cherchant à établir comment 90,000 âmes ont pu, au besoin, tenir sur le mont Auxois, tandis qu’il faut y loger une foule deux fois plus considérable. D'un autre côté, il n’est pas permis de dire, même avec ré- TT serve, que César pourrait avoir « exagéré le nombre des Gaulois enfermés dans l’oppidum » ; car Plutarque et Strabon ont con- trôlé les chiffres à l'honneur des Commentaires. Tout ceci ayant déjà été mis suffisamment hors de doute par les discussions antérieures et, notamment, par les recherches de M. j. Quicherat, devrait enfin avoir pris rang parmi les faits acquis et connus. Néanmoins nous ne refuserons pas de com- battre l'opinion de M. Stoffel, même sur le terrain tel qu'il va le préparer. Admettons, contrairement à la vérité, que le nombre total des assiégés ait été de 90,000 âmes seulement, et lisons : « Nous regrettons de ne pas avoir eu le temps de lever le plan du mont Auxoïis, parce que les auteurs modernes ne s'accordent nullement sur son étendue. Mais nous ne croyons pas être loin de la vérité en donnant au plateau supérieur de la montagne une étendue de 960 mille mètres carrés. Il faut remarquer ensuite qu'il existe au-dessous du plateau, sur la plus grande partie du pourtour, des ressauts de terrain, fortement terrassés, qui sont parfaitement disposés pour que des hommes ou du bétail puissent y Camper. Sur la face sud de la colline, par exemple, et au-dessous de la ceinture de roches, s’étend une pente qui finit à un ressaut de terrain sur lequel passe la route de Flavigny à Alise et qui a jusqu'à 200 mètres de largeur. Il y a plusieurs ressauts du même genre, quoique d’une moindre importance, sur la face septentrio- nale. Si l’on estime à 50 mille mètres carrés la surface de toutes ces terrasses, on trouve, en les ajoutant à celle du plateau supé- rieur, un total de 1,460,000 mètres carrés, dont les Gaulois ont pu disposer. Admettons maintenant que le quart de cette étendue ait été nécessaire pour loger la population mandubienne, lestr oUpeaux, les bagages, etc., et il restera une surface de 1,100 mille mètres carrés pour le campement des 80,000 hommes de Vercingétorix. Cela fait par homme près de 14 mètres carrés. C’est environ ce qui revenait à un soldat romain dans le campement d’une armée con- sulaire; car on sait qu’une telle armée, forte de 30,000 hommes, campait dans un carré de 650 mètres de côté. » On doit reconnaître que l’armée gauloise était fort à l’étroit sur le mont Auxois, surtout pour y séjourner pendant plusieurs se- maines. Aussi peut-on présumer qu'elle a souffert du défaut d’es- pace; mais il n’est pas moins vrai que le mont Auxois est assez vaste pour avoir pu contenir l’armée gauloise, même si elle comp- tait 80,000 hommes et tout ce que les Commentaires obligent d'y placer. C’est ce que nous voulions prouver. » . Par homme près de quatorze mètres carrés. C’est environ ce qui revenait à un soldat romain dans le campement d’une = SR -— armée consulaire. » Et cependant M. Stoffel reconnaît qu'avec cet espace l’armée gauloise était fort à l’étroit. C’est qu’en effet une armée consulaire même n'aurait peut-être pas survécu à l'infection pestilentielle résultant d’un mois et demi de siége dans un campement où il eût fallu, comme à Alesia, garder ses morts etses immondices. Comment dès lors eût pu résister l’armée gau- loise, souffrant de la famine et mêlée à la masse des cadavres de la population mandubienne morte de misère? M. Stoffel ne s’est pas tout à fait dissimulé la difficulté, et sa conscience n’a cédé qu'avec peine dans cette circonstance en faveur du mont Auxois; car il présente sa conclusion sous cette forme qui indique l’état d’un esprit plus résolu que convaincu : « Mais il n'est pas moins vrai que le mont Auxois est assez vaste... » J'aurais pu me contenter sur ce point de dire que le raisonne- ment de M. Stoffel repose seulement sur le bénéfice d’une simple erreur d’addition faite par lui-même et à son profit : 1,460,000 mètres carrés donnés comme la somme des deux chiffres 960,000 et 50,000. Mais j'admettrai volontiers que l'erreur se trouve dans les sommes partielles de l’addition et non dans le total. Peu nous importe que la surface donnée au mont Auxois et à ses terrasses soit de 101 hectares ou de 146. Je le répète, le texte de Plutarque rend les partisans d’Alaise trop forts contre le système du mont Auxois, pour que nous nous arrétions plus longtemps sur ce chapitre. S'il est douteux pour tous qu'avec une population de 10,000 Mandubiens et de grands troupeaux, le mont Auxois ait pu recevoir en outre 80,000 soldats, l’improbabi- lité est encore bien autrement évidente si ce nombre de 10,000 doit être remplacé par celui de 90,000 avec une quantité pro- portionnée de bétail. Mais en cherchant sur la plateau du mont Auxois et sur les ressauts de ses pentes la place nécessaire pour loger les assiégés, M. Stoffel vient de saper par la base l'édifice qu’il avait construit. Rejetons un coup d’œil en arrière. Les adversaires du système d’Alise avaient dit que le mont Auxois n'offrait pas aux Gaulois un abri suffisant contre les troupes romaines, et que César, loin d'entreprendre l’investisse- ment d’une pareille localité, y eût livré bataille à Vercimgétorix. Selon nous, les pentes de la montagne sont très douces, facile- ment praticables pour la charrue et à plus forte raison pour des bec Mira armées. César avait accompagné les Gaulois jusque devant Alesia en les combattant depuis la veille. Pour être plus alerte que l’en- nemi encombré de bagages, il avait eu le soin de laisser tous les siens derrière lui. S'il se fût agi : pour les Gaulois d'atteindre le le mont Auxois, pour César de les en empêcher, les Romains eussent eu le temps de choisir leurs positions, d'occuper la hau- teur avant l'ennemi ; bien plus, ils eussent saisi l'occasion d’é- craser celui-ci à sa descente dans les vallons de la Brenne et de l’Oserain. Car les accidents naturels qui, en Séquanie, expli- quent la retraite en bon ordre des Gaulois depuis le mont Co- lombin jusqu'au massif d'Alaise, par le gué rocheux du Doubs à Routelle, et par les chemins de Jules César dans la dépression du Lomont, n’ont rien d’analogue en Auxois, où tous les pla- teaux sont de même hauteur et les vallons doucement ondulés, où les armées pouvaient se mouvoir l’une à côté de l’autre, chacune selon son agilité. Quelque circonstance inexplicable eût-elle permis à Vercingétorix d'arriver avec ses impedimentum sur le mont Auxois avant que son ennemi, beaucoup plus libre dans ses mouvements, eût pu s’y opposer ? Enfin ces Gaulois se fussent-ils installés sur la hauteur d’Alise-Sainte-Reine , nous prétendrions encore qu'il y eût eu opportunité pour César de leur livrer bataille et non de les investir. C’est à cette prétention que M. Stoffel a déjà répondu en disant : - « La nature et la hauteur des escarpements ont surtout fixé notre attention, et nous affirmons que le mont Auxois, avec ses flancs brusquement coupés par une ceinture de rochers, est inabordable sur tous les points. On doit dire, pour être rigoureux, que l'accès est possible par la pointe orientale de la colline, où des pentes douces descendent vers le col qui la sépare du mont Plevenel. Mais cette partie accessible est si peu étendue qu'une armée ne pourrait y tenter un assaut. Vercingétorix, s’ils’est retiré sur le mont Auxois, occupait ainsi une position inexpugnable, où il ne pouvait être ré- duit que par la famine. » Cette hauteur inexpugnable est, il faut le rappeler, le « pla- teau supérieur de la montagne, d’une étendue de 960,000 mètres CaTTÉS. » : Or, selon l’auteur, en dessous du plateau supérieur, en dehors de la « ceinture de rochers, sous les murailles, les troupes gau- loises occupaient toute la partie de la colliné qui regardait le Ts RTE levant... », et qui n'était pas « l’oppidum proprement dit. » L’infanterie et la cavalerie gauloises s'étaient arrêtées en dehors de la position imexpugnable. Voilà le thème du Moniteur. Nous avions donc raison de dire que si Alise eût été Alesia, César aurait trouvé l’armée gauloise campée dans une position telle qu'il eût dà l’attaquer et non l’investir. Mais reprenons encore sous une autre forme les données de M. Stoffel. En conséquence de ce que le plateau supérieur de 960,000 mètres carrés ne pouvait évidemment pas avoir contenu durant un mois et demi une foule de 90,000 âmes — nous disons, nous, de 170,000 âmes , — l’auteur fait remarquer « qu'il existe au- dessous du plateau, sur la plus grande partie du pourtour, des ressauts de terrains » où durent s'établir aussi la population et l’armée, lorsque celle-ci quitta son camp situé sous la muraille pour rentrer dans l’oppidum. Dans cette seconde circonstance même, « la ceinture de ro- ches » ne protégeait donc pas l’armée de Vercingétorix contre une attaque de vive force. Prétendra-t-on qu'en dessous du couronnement de roches du mont Auxois les pentes ne sont pas accessibles à des ar- mées? Nous rappellerons ce passage où M. Stoffel dit de la ca- valerie gauloise à propos des mêmes lieux : « Elle aurait pu franchir l'espace compris entre la plaine des Laumes et le camp gaulois en dix ou quinze minutes. » Ainsi, d’abord, il est re- connu que ces pentes peuvent être parcourues dans le sens horizontal avec la plus grande rapidité. Voyons si dans l’autre sens la difficulté s’accroîtrait outre mesure. César a dit du lieu où furent placés les camps de Reginus et de Rebilus, qu’il-était légèrement incliné {leniter declivi) ; puis M. Stoffel trouva que cette expression s’appliquait aux pentes de Réa. Or, les pentes de Réa étant, comme toutes celles de la contrée, à très peu de chose près les mêmes que celles du mont Auxois, ces dernières méritent donc aussi la qualification de leniter declivi. Conséquemment, s’il est admissible qu'il y ait eu sur les flancs de Réa et du plateau de Ménétreux, du côté de Grésigny, des camps, une ligne de circonvallation à mi-côte, une défense de bas en haut de la part des Romains, une attaque de haut en bas de la part des Gaulois, enfin une irruption de ER ee Labienus au travers de ceux-ci, dans de telles conditions, pour atteindre le sommet de la montagne, on devra convenir que des opérations analogues auraient pu, à plus forte raison, être entreprises par César sur les revers du mont Auxois. Si les Commentaires racontent, au contraire, que l’armée gauloise, retirée dans Alesia, fut à l'abri d'une attaque de vive force ou d’un siége, et qu'il fallut se résigner à l’investir, c’est qu'elle ne s'était pas réfugiée sur des pentes douces (leniter declivi) el conséquemmeut sous la muraille d’Alise-Sainte-Reine; c’est qu’elle avait trouvé dans une autre Alesia, même en dessous de la ville, un campement naturellement inexpugnable, des Mouniots capables d'inspirer à César ces expressions : « wé, nisi obsidione, expugnari non posse videretur. » Nous ne terminerons pas ces observations sans dire aux par- tisans d’Alise-Sainte-Reine : Quand il faut prouver que l’armée de Vercingétorix ne pou- vait pas être attaquée de vive force, vous nous montrez une ceinture de rochers, au dehors de laquelle étaient placés les camps gaulois ; Quand il faut prouver que, l'infanterie gauloise voulant enfin se retirer dans l’oppidum, la place enveloppée par la ceinture de rochers n’eût pas été suffisante, vous oubliez encore cette limite et vous nous représentez les assiégés débordant, sur 90,000 mètres carrés, le pourtour ; ce qui, de rechef, rend inu- tile l'escarpement du plateau supérieur. Le rôle de votre ceinture de rochers, à moins que vous ne l’ayez supposée garnie d'arüllerie moderne, se réduisait donc, en face de César, au rôle d’un simple épouvantail. Il n’en reste rien de sérieux. | > « Résumé. — Notre manière de procéder a consisté à suivre le récit de César, chapitre par chapitre et phrase par phrase, à partir du moment où l’armée romaine arriva devant Alesia, et à examiner comparativement comment il se concilie avec la disposition des lieux dans chacune des localités rivales, Alise-Sainte-Reine et Alaise près Salins. Cette étude comparative nous a conduit à la conclusion suivan{e : » . Non, le résumé qui va suivre ne sera pas le résultat d’une manière de procéder aussi exacte que se l’était proposé l’auteur. RE Aucun texte ne se lit plus couramment que celui de César; aucun n’a besoin d’être relu un plus grand nombre de fois. Il ne livre ce qu'il renferme qu’en proportion de la multiplicité des lectures. M. Stoffel, quelque grand mérite que je doive re- connaître chez lui, en est encore, je crois l’avoir déja dit, à l'illusion de ces premières lectures auxquelles se sont arrêtés les partisans d’Alise-Sainte-Reine les plus distingués. Ce qui va suivre sera un tableau des premières impressions de l’auteur, et non le résultat de recherches opérées phrase à phrase. « Le récit des Commentaires s'applique dans son ensemble et dans tous ses détails au mont Auxois. Ce même récit, dans certaines de ses parties, se comprend moins bien quand on cherche à l'appliquer au pays d’Alaise; dans d’autres parties, il est difficile de le faire cadrer avec la disposition des lieux; dans d’autres, enfin, ilya impossibilité de l’appliquer. » Cette conclusion mène forcément à cette autre : l’Alesia.de Cé- sar est le mont Auxois et non pas le pays d’Alaise. » Toutes les objections qu’on a élevées contre le mont Auxois peuvent se résumer Comme il suit : » 1° Le mont Auxois est accessible, et les Romains, au lieu de l’investir, l’auraient pris d'assaut. » 2 Il coule quatre cours d’eau dans les environs du mont Auxoïis, etles Commentaires n’en mentionnent que deux. » 8° La plaine des Laumes a trois lieues, et non trois mille pas; elle n’est pas seule. » 4° Le premier combat de cavalerie ne se comprend pas, parce que la cavalerie gauloise, après sa défaite, aurait eu à passer devant toutes les lignes romaines. » 5° La phrase : « Quibus rebus cognitis, etc... », chapitre 72, ne se comprend pas au mont Auxois dans l'application. » 6° César aurait investi le mont Auxois au moyen d’une contre- vallation beaucoup moindre que 11,000 pas. » 7 César entend désigner un lieu très tourmenté, coupé de précipices (prærupta loca). » 8° Les 60,000 Gaulois qui ont attaqué la montée du nord n’ont pas pu combattre entre le Réa et Grésigny. » 9 Le mont Auxois n’a pas pu contenir les 80,000 hommes de Vercingétorix, plus les Mandubiens, le bétail, les bagages, etc. » Nous avons examiné ces objections l’une après l’autre, et nous avons reconnu que les unes sont sans valeur, et que les autres ne supportent pas une discussion loyale et éclairée. » Nous avons pour les opinions de M. Stoffel plus d’égards qu'il ne semble en accorder à celles des partisans d’Alaise. — 59 — Néanmoins, bien que l’auteur ait été conduit par une série d'erreurs à une conclusion inadmissible, je trouve, pour ma part, qu'en général sa « discussion a été loyale et éclairée. » Je la suivrai avec intérêt jusqu’au bout : « Pour ce qui concerne les difficultés auxquelles a donné lieu l'application du texte au pays d’Alaise, nous les classerons comme il suit : » Objections légères. — 1° Il faut admettre que collis peut signi- fier un massif composé de plusieurs sommets. » 2° La description contenue au Chapitre 69 s'applique très mal à Alaise. » 3° Difficulté qu'aurait eu la cavalerie de l’armée de secours à descendre dans la plaine. » « Objections graves. — 1° La phrase du chapitre 69 : « Cujus collis radices due, duabus ex partibus, flumina subluebant », ne sau- rait s'appliquer au Lison qui coule dans un précipice. » 2° Les lignes r romaines étaient continues; ce qu’on n’admet pas "à Alaise. » 3 Difficulté pour comprendre la marche des 60,000 hommes de Vergasillaunus. » On à vu que ces prétendues difficultés, les graves comme les légères, répondaient sans exception à des nécessités locales ré- clamées par le texte bien compris des Commentaires. « Impossibilités. -— 1° La phrase du chapitre 80 : « Erat ex omni- bus castris, quæ summum undique jugum tenebant, despectus » n’a aucun sens à Alaise. » C'est précisément ce que nous avons eu le regret d’être obligé de dire relativement à Alise-Sainte-Reine. « 2° La phrase du chapitre 83 : « Erat a septentrionibus collis, quem... » ne peut pas s'appliquer à Alaise, où l’on veut que la col- line dont il s’agit soit le plateau d'Amancey. » Non. Nous voulons que la colline dont il s’agit soit, non pas le plateau d’Amancey, mais une colline au nord des camps de Reginus et de Rebilus et conséquemment au nord du plateau d’Amancey. « 3° Impossibilité d'admettre, comme le veulent les partisans d’Alaise, que deux légions aient campé à plusieurs lieues en dehors des lignes romaines. » Nous partageons l'avis de M. Stoffel. Aussi n'est-ce pas nous — qui avons imaginé cette combinaison monstrueuse ; j’ai déjà dit ailleurs qu’elle appartenait à nos adversaires. « 4 Le récit de la dernière bataille, dans son ensemble et dans ses détails, est incompréhensible au pays d’Alaise. » Nous avons, au contraire, prétendu que cette dernière ba- taille, regardée jusqu'à ce jour comme incompréhensible dans le pays de l’Auxois, ne pouvait être expliquée que par les acci- dents et les dispositions extraordinaires du plateau d’Amancey. Il est fâcheux, je le répète, que M. Stoffel n'ait pas connu cette dernière localité et qu'il ait si peu vu le massif d’Alaise. « Dans le courant de notre {ravail, nous avons discuté les diverses objections qui viennent d'être énumérées. Nous n’insistons que sur les dernières qui constituent de véritables impossibilités à ce qu’A- lesia ait été à Alaise, en Franche-Comté. Elles suffisent pour que toute personne impartiale et sensée reconnaisse définitivement que l’'Alesia des Commentaires n’est autre que le mont Auxois. » Quoique les lignes écrites de ma main ne soient pas destinées à jouir d’une ‘publicité comparable à celle du Moniteur, je ne désespère pas néanmoins qu’elles ne tombent sous les yeux de quelque personne « IMPARTIALE ET SENSÉE >», désireuse d’une : € DISCUSSION LOYALE ET ÉCLAIRÉE. » Je vais donc mettre mainte- nant sous les yeux de mon lecteur l'exposé de toutes les condi- tions que m'a semblé devoir remplir véritablement le choix du site d’Alesia, et auxquelles va satisfaire sur tous les points notre Alaise. IV CONCLUSIONS" POUR 'ALAISE: 4° Comme la grande stratégie était déjà, dans l'antiquité, ce qu'elle est aujourd’hui, nous maintenons que César, disposant, d'une part, des Rémois et des Lingons restés fidèles, ainsi que des Germains ses alliés, et, d'autre part, de la Province, avait pour base d'opération, contre l'ouest de la Gaule, toute la fron- tière de l’est et, derrière celle-ci, le contact de la Germanie et de l'Italie. Cette base se trouvant coupée en deux par le Jura soulevé, il fallait y reprendre possession d’un passage et rétablir = eh les communications au travers de la Séquanie. C’est là ce qu'’in- diquait assez directement César lorsqu'il écrivait : « Quum Cœsar in Sequanos per extremos Lingonum fines iter face- 2° César ayant, dès sa première campagne des Gaules, accru la puissance des Eduens et des Rémois au détriment des Séqua- nais qui dominaient auparavant sur la Saône, la possession des passages’de cette rivière, à la hauteur des Lingons, avait certai- nement été donnée à ces derniers dont la fortune suivait celle des Rémois. César était donc resté maître de la Saône des Lingons. 3° C'était déjà du pays lingon que César avait commencé les opérations réelles de la septième campagne : « Nactus recentem equitatum... in Lingones contendit, ubi 11 legiones hiema- bant..… Eo quum pervenisset, ad reliquas legiones mittit, priusque in unum locum omnes cogit, quam...» César a donc dû conserver, dans le pays lingon et sur la Saône, une position à l'abri de la vengeance des Séquanais et de la révolte des Eduens : Qut, si quid etiam de sua salute ab Æduis iniretur consilii..... » Nous indiquons pour celte position Amange sur le premier gué de la Saône, et la presqu'île dont ce point fut l’arxæ à lé poque romaine. Parti d'Amange, l’ancienne Amagetobria, pour les grandes opérations de la septième campagne, César y revient après ses revers ; et c’est ensuite au départ de ce point stratégique si im- portant que s'applique le « quum Cæsar in Sequanos... » 4° Dans la Séquanie même, ëv Enxovavois, — Dion Cassius le dit positivement — eut lieu, par une conséquence naturelle, le mouvement de Vercingétorix qui vint se mettre en travers de la marche des Romains, et le combat de cavalerie qui força les Gaulois à reculer sur Alesia. Plutarque confirme le dire de Dion Cassius, en racontant que César traversa le pays des Lin- gons pour se saisir de celui des Séquanais : «.. Bouépevos pastor The Emxovav®v, ... » 5° La route militaire du pays lingon sur Genève, tête de la Province romaine, est par le pays d’Alaise. Cette voie, à partir de la Saône, rencontre ces circonstances remarquables : À quinze kilomètres d’Amenge {cèrciter millia passuum x ms (OR ab Romanis) et en avant de la rivière de l'Ognon fusque ad fumen), le premier chaïnon jurassien couronné par la pelouse de Colombin, à laquelle est attachée la tradition de la bataille de cavalerie que gagna Jules César sur nos ancêtres gaulois; À seize kilomètres de l’Ognon, les gués solides du Doubs, faciles à défendre et à traverser, mais non sans quelque perte (circiter tribus millibus hostium ex novissimo agmine inter- fectis), et dont les rives portent des noms qui en indiquent l’im- portance militaire : Bataille, Champ-de-Guerre, à Tombes, Ile-de-Bataille ; Au-delà du Doubs, et dans la direction donnée vers Alaise par de vieilles routes gauloises appelées Chemins de Jules Cé- sar, — il ne faut pas les confondre avec une chaussée voisine et du même nom — l'interruption large et inattendue de la grande chaîne du Lomont à Lombard ; Enfin, à une nouvelle distance de seize kilomètres depuis le Doubs, conséquemment à trente-deux kilomètres de l'Ognon, le massif d’Alaise gardant celui des accès naturels du premier plateau du Jura qui présentait le plus d'avantages à une armée. Cet état de choses explique comment, en deux marches, qui furent deux journées de combat, l’armée gauloise put se retirer sur Âlesia, sans que les Romains parvinssent soit à la déborder, soit à l'empêcher d'autre manière d’atteindre son but. IL donne une raison à la retraite de Vercingétorix sur Alesia, et aux efforts de César pour atteindre les mêmes lieux avant que les Gaulois eussent eu le temps de les garnir entièrement de défenseurs. 6° César, en arrivant devant Alesia, où les Gaulois étaient montés avec tous leurs bagages, vit que ni la ville (urbs), ni à plus forte raison l’armée, ne pouvaient être attaquées de vive force à cause de la hauteur de l’oppidum. Le pourtour du massif qui renfermait Alesia et l'armée gauloise domine partout, de cent mètres au moins, le pied de la montagne. 184 seb 100,000 hommes pourraient-ils bloquer une place par des lignes de contrevallation et se mettre en sûreté contre les attaques de 400,000 hommes derrière sa circonvallation ? » Cette impossibilité signalée par Napoléon I°' ne doit pas exister devant la véritable Alesia. Pour que le problème, ainsi posé, puisse être résolu aflirmativement, il faut donc : Je bris Premièrement, que le lieu assiégé soit, tout entier, inexpu- gnable. — M. Stoffel convient que celui d’Alaise a, « sur tout son pourtour, des escarpements tels qu'il n’est accessible nulle part » ; Secondement, que les assiégés aient pu entreprendre des sor- ties, non pas de partout à la fois, ni même de la majeure partie du pourtour, mais seulement de certains points exceptionnels et par des issues bien déterminées qu'il ait suffi à l'ennemi de clore pour rendre le blocus parfait. — Alaise a six et, tout au plus, sept portes, dont une seule véritablement propre à des sorties de troupes en bon ordre; Troisièmement, que, de son côté, De eue ait trouvé, dès le premier jour, un lieu de campement naturellement défendu contre un assiégé puissant. — Cette convenance a été remplie au profit de César par l’ensemble des hauteurs de Myon et de l’ex- trémité occidentale du plateau d’Amancey ; Quatrièmement, qu’une armée de secours n’ait pas pu venir bloquer aussi l’assiégeant lui-même. — Le développement co- lossal du pourtour du plateau d’Amancey, partout inattaquable, et séparé du massif d’Alaise par une simple crevasse, remplit cette condition. Il eût fallu, pour bloquer César sur le plateau d’Amancey, toutes les forces de la Gaule, nécessité que Vercin- gétorix exprima du reste par ces mots : « Omnmesque, qui per ætatem arma ferre possint.... » — « Amenez à notre aide tout ce qui est en âge de porter les armes. » Ces quatre conditions réunies par la nature sur le pays d’A- laise ne peuvent pas, quelque grand que soit le hasard, se re- produire toutes, exactement, ailleurs. Cette circonstance, unique, particularise le lieu où il est permis de chercher Alesia. Il expli- que le désaccord de César racontant.ce qu'il a fait, et de Napo- léon jugeant, à vue d’Alise-Ste-Reine, l’entreprise impraticable. 8° La montagne occupée par Alesia ne peut pas être un tertre unique ; elle doit être, au contraire, une colline multiple, un massif accidenté, et fournir à l'exigence des Commentaires : La hauteur {colle summo), où l’on apercevra l’urbs ; La citadelle {arx), dans laquelle Vercingétorix établira le siége du commandement, « ex arce Alesiæ » ; Une hauteur inexpugnable, gardant l’abord de l’oppidum proprement dit, à l’orient de laquelle campera l'infanterie gau- ds UN Sue loise, tandis que du côté tourné vers l'ennemi sera construit le mur de la défense. Cette hauteur doït être nécessairement à un niveau plus bas que l’urbs : « Sub muro quæ pars collis ad orientem solem spectabat.... » Or, en regardant le massif d’Alaise depuis les hauteurs de Myon par lesquelles il était arrivé, César apercevait au delà d’une plaine : Le front menaçant des Mouniots, arx ; Les Petites-Montfordes, faisant suite aux Mouniots et séparées à peine de ceux-ci par un col qui constitue l'entrée de l'oppidum ; au revers opposé de la colline, celui de l’est, sont les camps gaulois; sur le revers vu, un peu en dessous de la crète, sera construit le mur de six pieds de hauteur, avec des blocs bruts, comme à Gergovie {ex grandibus saxis). Puis, par dessus les Mouniots et les Petites-Monfordes, il entre- verra encore : les sommités de l’oppidum , la Chaïnée au flanc de laquelle sont les principales habitations gauloises de maçon- -nerie dite cyclopéenne, les Grandes-Monfordes, les roches des Ségougnis et des Guierches, hauteurs couronnées toutes de plateaux. 9° Alesia doit être assez vaste pour renfermer réellement, outre l’espace donné d’abord aux premiers campements de l’in- fanterie gauloise, celui qui sera nécessaire ensuite à 170,000 âmes et aux nombreux troupeaux des Mandubiens {cujus magna erat ab Mandubiis compulsa copria). — Alaise a une surface quinze fois grande comme celle du plateau d’Alise-Sainte-Reine, plus de quinze cents hectares. 19° Il faut deux rivières, chacune sur un côté du massif. — Le Lison et le Taudeure remplissent cette condition ; mais l’un des côtés, celui du Lison, étant curviligne, ia forme du pays répond ainsi et au texte de César, et encore à celui de Strabon, qui emploie l'expression mepiexouévny (cinctam), « entourée par deux rivières. » 14° Ainsi que le demandent expressément les Commentaires, devant le massif d’Alaise s'étend une plaine, celle de Myon. Elle est au pied des Mouniots et des Petites-Montfordes , entre les- quels s'élève la pente de Brà, qui est la principale avenue de l’oppidum. Ici, ante oppidum signifie bien devant l’oppidum, et non, comme cela est nécessaire pour Alise-Sainte-Reine, à PR. es côté de l'oppidum. La plaine a les 3,000 pas exigés, 4,500 mètres environ de longueur, que l’en mesure depuis les Camps-Baron, au sud, jusqu’au mont Bergeret, au nord. 12 Cette plaine est intermissa collibus, soit que le mot in- termissa signifie , selon l’acception ordinaire, entrecoupée, soit qu'il indique comment cette plaine accidentée se trouve complé- tement cernée et dominée par un rempart de montagnes haut de cent mètres. 13° Partout où il ne regarde pas la plaine, le massif d’Alaise fait face à des hauteurs à peu près continues, dont il est séparé par un espace étroit {mediocri interjecto spatio), et qui corres- pondent, faîte pour faîte, aux hauteurs d’Alaise {pari altitudinis fastigio). 14 Nous avons déjà dit où et comment se firent les premiers campements de l'infanterie gauloise, sur le revers oriental de ia chaîne qui règne à l’est de la plaine de Myÿon. Le mur de six pieds fermait le haut de Brà et s’étendait à droite et à gauche, ainsi que l’indiquent ses traces sur le revers occidental des Mou- niots et des Petites-Montfordes : «.. quæ pars collis ad orientem solem spectabat, hunc omnem locum copiæ Gallorum comple- verant, fossamque et maceriam sex in allitudinem pedum præduxerant. » 15° Le projet de contrevallation (instituebatur) des Romains devait comprendre une enceinte de 11,000 pas, « ou de 16,290 mètres. » M. Stoffel convient que le pourtour du massif d’Alaise a «16 à 17 kilomètres, » ce qui revient au même. Cette con- formité de mesure indique le lieu sur lequel elle a été prise. 46 Mais avant d'établir sa contrevallation, César s’est mis d’abord lui-même en sûreté : « Castra opportunis locis erant posita, IBIQUE castella xxx facta....» Ces camps et ces vingt- trois castellum forment double emploi avec une partie seulement de la contrevallation. Ils occupaient ensemble (181Que) le Peu- de-Myon, le plateau des Champs-de-Guerre de Refranche et de Coulans, et le plateau d'Amancey, où l’un des points extrêmes de la ligne était Camp-Cassar. 17° Après cet établissement (opere instituto) des camps et des vingt-trois castellum, César chasse de la plaine la cavalerie gauloise et se met ainsi en mesure de pouvoir exécuter la contre- 5 — vallation sur cette longueur de 3,000 pas qui est le principal objet de ses préoccupations, la nature lui ayant livré les travaux presque complets sur le reste de l’enceinte. L'ordre de succession de ces diverses entreprises était dicté par les nécessités du pays d’Alaise. Les détails du combat de cavalerie répondent de même rigoureusement à des exigences locales. 18° Avant d’être investi, Vercingétorix renvoie de nuit sa cavalerie, sans qu’elle soit vue ni entendue de l’ennemi, opéra- tion radicalement impossible ailleurs qu’à Alaise, où elle est motivée par la disposition particulière du terrain. 19% Vercingétorix fait ensuite quitter à l'infanterie gauloise les postes extérieurs, désormais inutiles à la garde des passages par où la cavalerie s’est retirée; tout son monde rentre dans l'intérieur de l’oppidum. César n’apprend cette retraite que par des transfuges et des prisonniers; ce qui indique parfaitement l'existence sur le massif d’une haute vallée communiquant avec les passages abandonnés et à l’abri de la vue des Romains; ce qui écarte complétement aussi la supposition d’un tertre unique sur lequel Alesia et ses abords fussent restés exposés aux regards de tous. 20° Maître enfin de la plaine de 3,000 pas, qui ne lui est plus disputée, César commence par établir, contre les assiégés, un fossé de vingt pieds qui protégera l'exécution des autres ouvrages, puis deux fossés d’une largeur moindre. Il inonde celui qui est entre deux, qui n’est conséquemment pas le fossé du vallum, en dérivant un des cours d’eau. L’inondation ne se fait cependant que dans la plaine et dans les lieux bas (campestribus ac demissis). Ces ouvrages sont ceux de la contrevallation ; la circonvallation est exécutée ensuite sur le même plan. Pour que César dise avoir mené de l’eau dans l’un des fossés {quarum interiorem.…), il faut que les autres soient restés secs; pour que ces derniers soient restés secs, il faut que la fouille, dans toute sa profondeur, n'ait pas atteint l’eau; pour qu’elle n’ait pas atteint l’eau, il faut que le niveau des rivières soit encore plus bas que le fond des lieux bas de la plaine : il faut donc que, sous ce fond même des lieux bas de la plaine, le cours d’eau ait été souterrain. Cette condition exceptionnelle, spéciale, existe devant Alaise. À la tête de la plaine de Myon, le Taudeure tombe d’une haute cascade qui fait suite à une série de cascatelles. Plus loin, l’eau — 67 — | s’engouffre, laisse son lit à sec, si ce n’est après de fortes pluies, et ne se remontre plus même au point où ce lit atteint le Lison. L'opération de César s'explique donc par ces deux circonstances que présente le Taudeure : un point de départ élevé, un cours souterrain sous les lieux bas. 24° Quoique César ne dise pas avoir dérivé aussi l’eau pour ses camps de la plaine, on sait avec quel soin il s’appropriait les sources voisines de ses campements. Or, au-dessus de la plaine, se trouve le principal affluent du Taudeure, la source de Bellague. Elle a été fortifiée par des mains romames, et munie d’un grand castellum dont les fossés et la contrescarpe sont admirablement conservés. Ces ouvrages, vu leur situation dans un lieu presqu'inabordable, n’auraient pas de sens s’ils n'avaient dû servir aux besoins des camps de Char- foinge durant le blocus d’Alaise. 22° Un discours de Critognat indique deux Gaules parmi toutes les autres Gaules : la Province ffinitimam Galliam), et celle où est Alesia, toutes deux limitrophes; la Province et la “Séquanie se trouvent respectivement dans cette condition. Si M. Stoffel n'avait pas accordé qu’Alesia, même dans l'hypothèse d’Alise-Sainte-Reine, n’était pas chez les Eduens, nous ajoute- rions à notre argument cet autre du même genre : c’est que César, voulant désigner l'endroit où l’armée de secours se for- ._mait et qui devait être hors de sa portée, dit : « Hæc in Æduo- rum finibus recensebantur » ; puis : « At ii, qui Alesiæ obside- bantur..…, inscii quid in Æduis gereretur.…. » César parle ici des Eduens comme d’un pays dans lequel ne se trouvent pas les assiégés. : 23° De toute la Gaule arrive une armée de secours forte de 248,000 hommes. Elle campe sur la colline extérieure. Cetie indication si simple serait absurde partout ailleurs qu’à Alaise, où la plaine se trouve ante oppidum et où, au delà de la plaine, lhorizon est complétement fermé, pour les assiégeants comme pour les assiégés, par une colline, celle des Bois-Goulets et des Gaux, située du seul côté par où devaient arriver les Gaulois. 24° Quant à la colline extérieure, elle doit, en premier lieu, satisfaire à la condition de régner à, mille pas des Romains; la colline des Bois-Goulets et des Gaux est à cette distance du Peu-de-Myon. Elle doit aussi,-et cette condition provient encore , — 68 — d’une circonstance locale particulière au pays d’Alaise, être pré- cédée d’un rang appartenant au même massif, mais distinct d’elle, de manière à être considéré plus tard comme partie du jugum d'enceinte de la plaine, et non comme colis exterior. Ce rang devra avoir une telle importance que l'immense infan- terie gauloise puisse, dans un moment donné, s’y embusquer, rester cachée quoiqu’en un lieu élevé, et de là voir et protéger la cavalerie descendue dans la plaine. Or, les crètes de la som- mité de Malcartier et de Riaitte répondent à ces exigences du texte latin. Elles présentent à la cavalerie deux larges passages, exempts d’escarpements et dont les pentes sont accessibles na- turellement même aux voitures chargées : « Equitatu ex castris educto, omnem eam planitiem, quam in longitudinem x millia passuuïn patere demonstravimus, complent. » Au-dessus du Plan où la cavalerie a pu se développer sur 3,000 pas, de Riaitte jusqu’à Myon, était donc l'infanterie : « ... pedestresque copias paulum ab eo loco abditas in locis superioribus constituunt. » La cachette propre à une si grande armée avait pour centre une petite plaine, large de cent mètres au plus, longue d'environ un kilomètre et qui suit, constamment flanquée de deux parapets naturels, l’étroite sommité de la montagne. On y voit, sur quel- ques points du bord qui regarde Alaise, le murger provenant d’une muraille en pierres brutes. D'autres crètes peu élevées masquaient le reste des troupes. 25° Le stratagème, décrit par Polyen, qui consistait à faire attaquer la cavalerie gauloise par les escadrons germains, divisés en deux parts dès la nuit précédente et postés dans deux embus- cades, ne peut avoir eu lieu que dans une plaine accidentée four- nissant, comme celle de Myon, les cachettes nécessaires. 26° La phrase : « Erat ex oppido Alesia despectus in cam- pum » peut être regardée, selon M. Stoffel, comme applicable à Alaise. Mais César ajoute : « concurritur his auxiliis visis, » c'est-à-dire que l'apparition de la cavalerie gauloise dans la plaine est présentée comme ayant été, pour les assiégés, le pre- mier avertissement de la présence de l’armée de secours. Il fallait donc que de l’oppidum Alesia on n’eût rien pu voir aupa- ravant de l'infanterie gauloise sortant de ses camps. Le pays d'Alaise répond à cette nécessité. Les crètes de Malcartier déro- bèrent jusqu'au dernier moment aux assiégés la vue des leurs, | | er GO et la descente de la cavalerie dans la plaine produisit le coup de théâtre décrit par les Commentaires. 27° Les Gaulois de l'extérieur, ceux de l’intérieur et les Ro- mains voyaient tous le combat livré à cette cavalerie, d'assez près pour que nul trait de courage ou de lâcheté ne pat rester inconnu. Il fallait donc que la plaine, longue de trois mille pas, fût étroite dans l’autre sens, et que la partie la moins large exis- tât précisément entre les assiégés et l'infanterie de l’armée de secours. C’est ce que l’on voit devant le massif d’Alaise ; une distance de deux kilomètres environ le sépare des crètes de Malcartier, au pied desquelles avait lieu la bataille. Un plus grand éloignement eût rendu les détails du tableau impercep- tibles. 28 « Erat ex omnibus castris, quæ undique jugum tenebant, despectus.. » Cette image est celle d’une arène, au centre d’un amphithéâtre de montagnes qui forme un jugum, c’est-à-dire une chaîne continue occupée toute entière par des camps. Or, du Plan de Myon, qui fait partie de la planities où l’on combat, l’œil voit partout uniformément, sans nulle interruption apparente de l’amphithéâtre, même aux trouées du Taudeure et du Lison, une chaîne continue, un jugum. L'horizon est oc- cupé, sans discontinuité : par l'infanterie de l’armée de secours, établie sur la longue sommité de Riaitte et de Malcartier ; par les camps romains du Peu-de-Myon et de Bergeret; par les camps d'Antoine et de Trebonius, étalés sur la grande pente de Charfoinge; au-dessus de ceux-ci par les troupes des Mouniots, de Brâ et des Petites-Montfordes; plus haut encore par les Gau- lois des camps de l’intérieur, retirés sur les Grandes-Montfordes, les Ségougnis et Guierche; enfin, de Guierche à Riaitte, par les Romains des Camps-Baron. Pas un point de l'horizon qui ne contribue à former le jugum, pas un point qui ne soit garni de soldats. Parmi tant de troupes amenées sur la terre d’Alaise, celles de Reginus et de Rebilus, seules, n’eurent aucune part à la vue du combat, et cela devait être, car elles étaient elles-mêmes, par leurs positions, invisibles pour les Gaulois de l’intérieur et de l'extérieur. 23 L'armée de secours, ayant entrepris d'attaquer, à minuit, les retranchements romains de la plaine, s’approche en silence; PURE puis elle signale tout à coup sa présence par un grand cri, au- quel les assiégés répondent. Pour qu’un pareil bruit soit entendu, la distance peut encore être assez considérable; pour qu'il soit compris de suite et sans convention préalablement faite, il faut au plus qu’il ait eu à franchir, par dessus les camps romains, la faible distance qui règne du Plan-de-Myon aux Mouniots. 30° Les Gaulois envoyés à l'attaque de nuit avaient un flanc à découvert. N'ayant pas réussi, ils se retirèrent avant le jour pour échapper à ce danger : « Ne ab latere aperto ex superio- rioribus castris eruptione cireumvenirentur. » Il y avait donc un point avancé, occupé par les Romains et qui débordait le flanc des Gaulois, lorsque ceux-ci s’approchaient de la circon- vallation. Or, tel est, devant Alaise, le rôle que dut jouer cons- tamment le Peu-de-Myon par rapport aux Gaulois descendus sur le Plan. 31° Les Gaulois, sentant l’impuissance de leurs efforts contre la circonvallation de la plaine, songent à essayer une attaque contre les camps situés sur les hauteurs {superiorum castro- rum). Mais ils ne connaissent ni les positions de ces camps, ni leur genre de défense. [ls font venir des gens qui puissent les renseigner {locorum peritos); après quoi ils peuvent envoyer des. éclaireurs {exploratores). La reconnaissance des lieux oc- cupés sur le plateau d’Amancey par la majeure partie des camps et des vingt-trois castellum de César, offrait lès difficultés signa- lées par les Commentaires. 32° Au nd de ces excellentes positions fopportunis locis), se trouvait ue colline que l’extrême développement de son pla- teau n'avait pas permis de comprendre dans la défense des vingt-trois castellum : « Erat a septentrionibus collis, quem, propter amplitudinem circuitus, opere circumplecti non potue- rant nostri. » Il y a, au nord du plateau d'Amancey et des camps, plusieurs promontoires, dont le plus étendu est le double promontoire de Chassagne et de Cléron. Si nous avions tenu à présenter une solution plus vraisemblable que vraie, nous au- rions indiqué le promontoire de Lizine, qui est très rapproché d’Alaise, et où les fwmulus abondent; mais il nous a semblé que ceux-ci devaient provenir de ces attaques antérieures, aux- quelles César était exposé en pays ennemi durant ses travaux, et qu'il signale indirectement par cette seule phrase du chapitre Ce AE LXXIV : « Neu cum periculo ex castris egredi cogantur. » — « Voulant encore épargner à ses soldats le danger de sortir des camps. » La connaissance que nous avons du pays nous oblige à désigner comme le point {necessarioque) sur lequel va se faire l'attaque de Vergasillaune, la Côte-Bataille, à l'entrée du double promontoire; elle est au nord des « superiorum castro- rum situs munitionesque. » 33° A cette entrée de la colline du nord le terrain doit être : « pœne iniquo loco, ac leniter declivi. » C’est exactement dans cette position que l'on voit Camp-Cassar sur ses Champs-Cassar et sa Côte-Bataille. La pelouse s’élève encore un peu plus haut que Camp-Cassar. On s'explique ce choix d’un lieu légèrement dominé, par le besoin de ne pas se priver du voisinage de la source unique du Faye. 34° Ainsi placé en un lieu séparé de l'enceinte d’Alesia, ce camp pourra être attaqué sans que, selon le dire de Plutarque, les assiégés et les assiégeants puissent s’en apercevoir. Camp- Cassar, situé à un myriamètre du Lison, remplit cette condition. Le rôle des troupes de Reginus et de Rebilus était celui de camps d'observation, chargés de garder les abords des hauteurs (superiorum castrorum), opération analogue à ce qui s’est passé récemment devant Sébastopol, et de protéger les communica- tions du côté de la Germanie et des Lingons. Le Camp-Cassar, ainsi que les autres, appartenait au système des vingt-trois cas- tellum : « Quibus in castellis interdiu stationes disponebantur, ne qua subito eruptio fieret : hæc eadem noctu excubitoribus ac firmis præsidiis tenebantur. » 35° L’attaque projetée par les chefs gaulois devait être une surprise. Soixante mille hommes d'élite partent au commence- ment de la soirée et arrivent avant le jour derrière la colline. L’axe du parcours, selon nous, fut, à partir des Gaulières de _ Bartherans, la ligne de Rouhe, de Rurey, de Cademène et de Scey. La marche avait été de dix à douze heures, et le trajet de quinze à vingt kilomètres. 36° Vergasillaune, qui commandait la marche, fit cacher ses troupes derrière la montagne : « post montem se occultavit.» La rive gauche de la Loue, au pied des bancs de roche de Chassagne et de Cléron, dérobait complétement les soixante ‘4 is mille hommes de Vergasillaune aux regards des sentinelles de Camp-Cassar et de tous les castellum préposés à la défense des entrées du plateau. 37° Ordre est donné aux Gaulois de se reposer jusqu’à midi des fatigues de la nuit. Cet ordre signifie que la marche de la nuit a été moins lente encore que longue et fatigante, et que Vergasillaune a prévu une marche non moins rude pour le reste de la journée : « Militesque ex nocturno labore sese reficere jussit. » Le repos de six heures était nécessaire dans le système d’A- laise, en raison des hauteurs franchies durant la nuit et à franchir pendant la journée; 1l était convenablement calculé pour la dis- tance à parcourir encore durant la lutte projetée. 38° Vers midi, Vergasillaune se met en mouvement dans la direction du camp dont il vient d’être parlé : «Ad ea castra, quæ supra demonstravimus, contendit. » À la même heure, la cava- lerie gauloise se répandait dans la plaine, et l'infanterie, s’avan- çant hors des camps, se montrait aussi. Cette fausse attaque trompe d’abord les assiégés et les assiégeants. 39° Vercingétorix, de la citadelle d’Alesia {ex arce Alesiw), aperçoit les siens. EH les voit depuis les Mouniots qui font face à la plaine. 40° « À castris longurios, musculos, reliquaque, quæ erup- tionis causa paraverat, profert. » Les Gaulois avaient coutume, ainsi que l’a dit César relativement au siége de Gergovie, de camper toujours séparément et par tribu, chacune de celles-ei prenant possession d’une sommité. Le massif d’Alaise répond au texte des Commentaires, de- mandant, sinon la possibilité d’un pareil état de choses, du moins une Citadelle et en outre des camps dans l’oppidum. Vercingétorix descend en Brâ. 44° On combat à la contrevallation et à la circonvallation de la plaine {ad campestres munitiones). Les Romains y concen- trent tous leurs efforts; néanmoins : « multum ad terrendos nostros valuit clamor, qui post terqum pugnantibus extitit. » La plaine de Myon, par sa médiocre largeur, par le jugum qui l’entourait et la rendait sonore, par sa surface un peu bom- bée qui empêchait les hommes de se voir de la contrevallation à M Le la circonvallation, rend parfaitement compte de la puissance des cris, de leur effet réciproque sur les deux lignes romaines et de l'inquiétude inspirée aux uns par l'incertitude du sort des autres. 42° « Cœsar idoneum locum nactus, quid quaque in parte geratur, cognoscit, laborantibus auxilium submittit. » — « César choisit un lieu d’où il sait tout ce qui se passe’sur l’une et l’autre ligne et d’où il envoie des secours à ceux qui faiblissent. » Le mont Bergeret satisfait à ces conditions. De là César sait et voit ce qui se passe, et tire des camps supérieurs qui sont à sa gauche les secours nécessaires. 43° Mais César apprend ce qui a lieu dans les parages de Reginus et de Rebilus. Les troupes romaines y sont en péril : « Maxime ad superiores munitiones laboratur....…. His rebus cognitis, Cœsar Labienum cum cohortibus vi subsidio laboran- tibus maittit. » César a donc dégarni en partie la rive droite du Lison, d’a- bord pour jeter des secours dans la plaine, ensuite pour en envoyer à Camp-Cassar. Le poste qu'il a choisi, entre la plaine, d’une part, le plateau des Champs-de-Guerre et celui d’Amancey, d'autre part, est merveilleusement propre à ces transmissions d'ordres et à ces exécutions de mouvements : facilité de circula- tion, sécurité du parcours contre les attaques des assiégés. 44 Mais Plutarque nous dit que les Mandubiens ont vu passer des armes gauloises ensanglantées — peut-être des témoignages envoyés à César avec la nouvelle du combat, —et que, par leurs cris, ils ont été les premiers à avertir Vercingétorix. Rien encore dans cette scène qui ne s'explique par le « mediocri interjecto spatio, » existant d’un bord à l’autre de la crevasse du Lison. 45° Les assiégés cessent de suite leur attaque infructueuse contre les retranchements de la plaine, et se hâtent de se reporter du côté opposé, vers les prærupta loca qu'ils franchissent : « ex ascensu tentant. » A Alaise seule, il était possible d'opérer à temps ce mouve- ment rapide qui mettait les Gaulois en face d’un obstacle réputé infranchissable, mais qui avait dû être dégarni momentanément au profit de la plaine. De Brâ à la fontaine de Brut, la distance est moitié moindre que la longueur du circuit nécessaire à Bru- tus, puis à Fabius, pour gagner le plateau des Champs-de- Guerre, que les Gaulois ont envahi. Le passage principal au La | aie travers des prœrupta loca, a lieu par la pente qué suit le sentier d'Alaise à Eternoz. H a environ cent mètres de largeur. 46° « Postremo ipse, quum vehementius pugnaretur, inte- gros subsidio adducit. » César vient au secours de Brutus et de Fabius, qui n’ont pu résister. D’après la disposition des lieux devant Alaise, les Gaulois ont dû atteindre la hauteur des Gaules, Brutus et Fabius avoir con- tinué la résistance jusque sur le plateau d’Amancey. César, venant à l'ennemi, se trouve par la force des choses l’avoir pris de flanc. Il rejette les assiégés sur le Lison. 47° Labienus voyant, de son côté, le camp de Reginus et de Rebilus pris et les præsidium voisins débordés, recueille trente- neuf cohortes « quas ex proximis præsidiis deductas sors ob- tulit. » Voilà donc, sur un point unique, les vingt cohortes des deux légions de Reginus et de Rebilus repoussées par Vergasil- laune, les six cohortes de Brutus et les sept de Fabius repous- sées dans l’autre sens des prœrupta loca, réunies, par le HASARD, aux six de Labienus : en tout effectivement trente-neuf cohortes, groupées en rase campagne, et néanmoins entre le camp de la colline du nord et les prœrupta loca. : Où trouver, ailleurs que sur le plateau d’Amancey, le con- cours de tant de circonstances exceptionnelles conformes aux exigences des Commentaires ? Et ce qui n’est pas moins excep- tionnellement propre à cette localité, c’est que ni les assiégés une fois rejetés dans la place, ni les 180,000 hommes restants de l’armée de secours ne purent venir prendre part à l'affaire qui allait se décider et à laquelle leur aide eût été si utile. Les assiégés étaient séparés du champ de bataille par la crevasse du Lison dont les prœrupta loca étaient cette fois mieux garnis. L'armée de secours eût été obligée, pour arriver, de prendre à son tour ce long chemin qu'avait suivi le corps de Vergasillaune; la cavalerie elle-même ne serait pas arrivée de jour au lieu de la lutte. Le combat sera donc livré en champ clos, entre des bar- rières infranchissables pour les tiers. ( 48° Mais le trajet que ne pouvait exécuter la cavalerie gauloise n'offrait aucune difficulté à la cavalerie germaine qui put quitter Myon, passer par le mont Bergeret, les Tâtres, Saint-Loup et la direction d’Amancey par le nord du Camp-de-Mine , tandis que César, quittant le rang des Champs-de-Guerre, montait sur le haut = US de plateau par les pentes d’Eternoz et le chemin au sud du Camp- de-Mine, suivi des cohortes et de la cavalerie qu’il venait d’em- ployer contre les assiégés. 49° Les Gaulois de Vergasillaune aperçoivent, depuis les hau- teurs, César lui-même qui monte par des lieux « declivia ac devexa. » Nous avons indiqué le chemin d’Eternoz ; il se continue, avec le même caractère de vallon, sur le plateau, jusqu'aux Fonds- de-la-Victoire. 50° Les Gaulois attaquent César ; le cri de guerre est poussé des deux côtés et on l’entend se reproduire sur les retranche- ments. Toutes les fortifications en retentissent. Il ne faut pas oublier que les deux armées se trouvent sur une partie de ces lieux fopportunis locis) où étaient les camps et les vingt-trois castellum. Les positions les plus voisines abandon- nées par les Romains durent être d’abord et promptement re- prises à l’arrivée de César : « Excipit rursus ex vallo atque omnibus munitionibus clamor.» Le cri parti du vallum et de toutes les fortifications des opportuna loca put même s'étendre de proche en proche jusqu’à tous les autres ouvrages du blocus. Nous indiquons comme point de départ du cri sur les retranche- ments, le Camp-de-Mine. 51° « Repente post tergum equitatus cernitur. » Tout à coup la cavalerie germaine, tournant sur la droite, prend les Gaulois à dos. J'expliquerai ce mouvement en représentant les Romains au pied des pentes de Déservillers jusqu’au castellum du Couar, les Gaulois ayant Amancey et Flagey derrière eux; les Germains paraissent de ce dernier côté. 52° « Cohortes aliæ appropinquant. » De nouvelles cohortes s’approchent. Il faut tous les obstacles naturels du pays d’Alaise pour que les assiégés et l’armée de secours, séparés forcément du champ de bataille, n’aient pas pu empêcher même que de nouvelles cohortes fussent envoyées sur le lieu de la lutte. 53° « Pauci, ex tamto numero, se incolumes in castra reci- piunt. » Les Gaulois sont battus et prennent la fuite. Peu d’entre eux, sur un si grand nombre, purent regagner sains et saufs les camps de la colline extérieure. ER Serait-il possible que 60,000 hommes mis en fuite se fussent laissé prendre ou tuer, s’il ne s’était pas trouvé, pour empêcher leur retraite, un obstacle infranchissable. Nous montrons le pourtour du plateau d’Amancey, bordé de 150 kilomètres de dé- veloppement de roches, et dont on ne saurait aujourd’hui dé- couvrir les rares issues que par l'indication des chemins. 54 « Conspicati ex oppido cædem et fugam suorum.…. » Les assiégés découvrent depuis l’oppidum le carnage et la fuite des leurs. Comme la bataille a lieu sur les hauteurs, elle ne peut être vue que d’un point non moins élevé de l’oppidum et sans qu'il y ait d’obstacle intermédiaire. Or, du plateau central et méridional du massif d’Alaise, on est au niveau du champ de bataille /pari altitudinis fastigio) ; on voit de là ces lieux declivia ac devexa où les Gaulois ont livré le combat, les pentes sur lesquelles ils ont été rejetés. 99° L'armée de secours, aussitôt qu’elle apprend ce désastre (hac re audita) lève ses camps et bat en retraite. Ainsi : de l’oppidum, on a vu la déroute de Vergasillaune (conspicati) ; des camps de la colline extérieure, on n’a pu que l’apprendre, on ne l’a pas vue faudita). Le pays d’Alaise répond à la double condition qui produisit ce résultat : l’oppidum entre le champ de bataille de Vergasil- laune et celui de la plaine. Récapitulons, du levant au couchant, cette série de lieux qui viennent d’être passés en revue : la rive gauche de la Loue der- rière Chassagne {post montem) ; Camp-Cassar et Côte-Bataille ; le champ de bataille du Bois-Jésar et des Fonds-de-la-Victoire ; Camp de-Mine et les Gaules; le plateau des Champs-de-Guerre sur les prærupta loca ; l'oppidum, avec l’urbs et l'arx, Alaise et les Mouniots ; l'entrée de l’oppidum, en Brâ; la plaine de trois mille pas; la crète qui domine le Plan et précède la colline exté- rieure; enfin cette dernière qui ferme l’horizon à mille pas des retranchements romains. Vergasillaune était donc assez peu éloi- gné de l’oppidum pour que l’on vît sa défaite, et trop éloigné du reste de l’armée extérieure pour que, même des hauteurs des Bois-Goulets, on put apercevoir la déroute du plateau d’A- mancey. Cette disposition relative de la plaine et des camps, les uns d’un côté d’Alaise, l’autre d’un côté opposé, et que démontrent es AE ne si nettement les Commentaires, est-elle en contradiction avec ce qui nous reste des anciens auteurs sur le même fait? Non. Au contraire, Dion Cassius, en son livre XL, rapporte que les Man- dubiens chassés, restèrent emprisonnés entre la ville et les camps romains; et Plutarque, dans son César (chapitre xxvr), ajoute à ce renseignement que l’attaque des camps avait été connue des Mandubiens d’abord, avant de l'être de Vercingétorix engagé dans les luttes de la plaine. La distinction entre le lieu où régnait la plaine et celui où se trouvaient les camps a donc été formellement établie par ces auteurs. Elle confirme le sens du rapprochement que je viens de faire des mots conspicati et hac re audita. 56° « Quod nisi crebris subsidiis ac totius diei labore milites fuissent defessi, omnes hostium copiæ deleri potuissent. » Quelque grandes qu'eussent été les fatigues de toute cette jour- née de six heures de combats et de marches continuelles, si César se fût trouvé près de l’armée de secours, au moment de la confusion inséparable du départ précipité de tant d'hommes, nul doute qu'il ne les eût encore attaqués. Mais le besoin indis- pensable de faire reposer les troupes répondait au long espace qu'il y aurait eu encore à parcourir pour rejoindre l'ennemi, dont on était séparé par le massif de l’oppidum. Ce besoin fut tel qu’à minuit seulement la cavalerie put entreprendre la marche qui devait la conduire à une dernière lutte avec les fuyards. Les mots «nisi... fuissent defessi » corroborent ce qui a été dit dans l'article précédent sur la position du champ de bataille de Ver- gasillaune par rapport à la colline extérieure, et donnent rai- son, une fois de plus, au pays d’Alaise. 57° Les fatigues si grandes de la journée n’ont pas dû néan- moins exiger un déploiement surnaturel des forces humaines. À cela le pays d’Alaise a répondu en donnant, d’un champ de bataille à l’autre , un itinéraire tel qu'il n'y eut pas de contre- marches et que la longueur totale du parcours fut pour César, comme pour ses troupes, de dix à douze kilomètres au plus. 58° Alesia tombe au pouvoir des Romains. C’est dans le pays éduen, voisin de la Séquanie et des Lingons, qu'avait été formée l'armée de secours; c’est vers ce lieu de rassemblement que César se dirige après la victoire : « in Æduos proficiscitur. » Nous avions fait ce raisonnement : si César se fût trouvé déjà =. re dans le pays des Eduens, il n’eût pas eu à dire qu’il y alla; donc il n’y était pas. Notre manière de voir, assez bien accueillie maintenant sous ce premier rapport, laisse à déterminer chez quel peuple, les Eduens écartés, il faut chercher les Mandubiens. Entre les Eduens, les Lingons et les Séquanais, il n’y a pas de place pour un quatrième peuple; cela résulte de tous ceux des passages des Commentaires où deux de ces noms sont prononcés en même temps. Reste donc à examiner lesquels, des Séquanais, ou des Lingons, avaient chez eux la plus ancienne métropole religieuse des Gaules. Strabon, à propos des Arvernes, dans une phrase peu explicite il est vrai, semble donner la solution : Ce ’Alnotay rôokv Mavôov6iwy, EGvous opépou Toïs ’Apovépyotc.……. » — « Alesia, ville des Mandubiens, pays voisin des Arvernes. » Aux yeux de tous, la contiguité des Mandubiens et des Arvernes est un fait matériellement inexact. Mais la partie influente d’un pays est quelquefois prise dans le langage pour le tout. On dit aujourd'hui, dans certaines circonstances, Piémontais au lieu d’'Italiens, et, par suite, le Piémont est considéré actuellement comme voisin du patrimoine de saint Pierre. Ainsi a-t-il dû ar- river du pays où était Alesia, qu'il ait été lingon ou séquanais. Mais comme la nécessité d'appliquer l'expression Édvoue éuépou écarte encore l’un des deux peuples, il ne reste plus en définitive que la Séquanie qui puisse avoir été à la fois qualifiée de man- dubienne et de voisine des Arvernes. Cette conjecture est corro- borée par la considération d’un fait important et qui, bien connu de Strabon, l’a certainement inspiré, c’est qu'avant l’arrivée de César dans les Gaules, Arvernes et Séquanais avaient formé ensemble une grande confédération contre les peuplades dont les Eduens étaient les chefs. Le motif séculaire de ces querelles et de ces alliances était la prétention de dominer sur les rivières pour la perception des péages. Ainsi, appartenant en quelque sorte à la même division territoriale, n'ayant pas encore été séparés les uns des autres par le don fait ultérieurement aux Eduens, au détriment de la Séquanie, du pays des Ambarres (partem finitimi agri), Arvernes et Séquanais étaient respec- tivement éuépou. Ce qui achève de préciser l’époque à laquelle s'est reporté Strabon pour tracer son tableau de la Gaule, c’est cette phrase bien significative : « Parmi les peuples qui habitent entre la Seine et la Loire, les uns confinent aux — T9 — Séquanais, les autres aux Arvernes. » — « T&v è peraëd éûv@v rod Te Enxodva ai Tod Aetynpos oi Ev vois Enxoavoïs, où dè toic ‘Apovéovotc Ôpopodot. » M. Stoffel n’a donc fait qu'un pas en admettant, pour l’inter- prétation de in Æduos proficiscitur, que les Mandubiens pou- vaient n'être pas Eduens. Un second pas aurait dû le conduire à placer les Mandubiens en Séquanie. 59° Florus nous apprend que César fit brûler et anéantir Alesia : « Alexiam.. flammis adæquawit [!).» Ainsi ce n’était pas assez que les vieillards et les enfants des Mandubiens eussent été chassés de leurs propres demeures, abandonnés aux Romains qui ne voulurent pas les recevoir en captivité, privés de tous leurs vivres, puis destinés à servir eux-mêmes de pâture à leurs hôtes affamés, il fallait encore qu’Alesia disparût du nombre des villes. Cet acte impitoyable, le lendemain de la reddition, et alors que César restituait généreusement aux Eduens et aux Arvernes , chefs de la dernière révolte, leurs prisonniers, serait inexplicable, si l’on ne savait pas qu'il existait dans la Gaule un groupe de deux peuples considérés par Rome comme des enne- mis naturels, envers lesquels elle n’était pas tenue d’être humaine et juste. La Séquanie et l'Helvétie formaient ce groupe. « Populi romani inimicos (?), » dit César des Helvétiens, pour excuser la victoire déloyale qu’il remporta sur eux au passage de la Saône. « Adventu Cœsaris facta commutatione rerum...….. Sequani principatum dimiserant. » — « L'arrivée de César changea les choses, dit-il simplement ailleurs des'Séquanais , et ceux-ci perdirent leur prépondérance (?). » Quant au motif pour lequel César, venu en Séquanie comme protecteur, s’était empressé de la démémbrer, il a été donné suffisamment par ces mots de Strabon : «... oi Enxoavot, Giépopor..…. rois ‘Pwpatorc Èx moÂoù yeyovo_ reg... » — « les Séquanais, peuple devenu depuis longtemps l’en- nemi des Romaïins.» Aussi, quoique située dans la zône où les légions romaines hivernèrent après la destruction d’Alesia, et dont César cherchait à ramener à lui les esprits, la Séquanie fut- elle traitée tout autrement que les Eduens et les Arvernes; à elle, (2) Epilome, lib. III, cap. x. (?) De Bell. Gall., lib. I, cap. x. (8) De Bell. Gall., lib. VE, cap, xt. LE, Me se les prisonniers ne furent pas rendus. Tacite, au livre XI de ses Annales, exprime à quel point vivait encore, du temps de l’'Empe- reur Claude, cette antique haine. Il prononce le nom d’Alesia sans en indiquer l'emplacement; mais — ce qui est caractéris- tique — 1l accole ce souvenir à celui de la destruction de Rome par Brennus, et il fait de ces deux mémorables circonstances, le double motif de l’implacable inimitié du Sénat contre une partie de la Gaule chevelue. Les Eduens sont exceptés de cette réprobation héréditaire, parce que leur alliance remonte aux plus anciens temps et que, seuls parmi les Gaulois, ils se quali- fient de frères du peuple romain : « Datum id fœderi antiquo, et quia sol Gallorum fraternitatis nomen cum populo romano usurpant. » Or, si l'on recherche en quelles circonstances les Séquanais avaient pu « devenir depuis si longtemps Les ennemis des Romains, » eux dont le nom, pas plus que celui des Helvé- tiens, ne figure dans l’histoire entre ceux des anciens envahis- seurs de l'Italie, et dont cependant « Le concours rendait for- midables les expéditions des Germains sur ce pays, > on ren- contre les exploits multipliés des Sénones qui, dit une tradition bisontine immémoriale, prirent leur chef à Besançon, qui, du moins, n'auraient pas franchi le Jura sans le consentement des Séquanais, qui, après la destruction de Rome, puis après leur propre décadence sur la terre italienne, se retirèrent en Helvétie d’où ils continuèrent leurs excursions. On commence dès lors à comprendre le sens du passage de Tacite. Ce n’est plus la partie éduenne de la Gaule chevelue qui réveille chez les sénateurs, dans le même souvenir, les cruelles images de Rome détruite « avec son capitole et sa citadelle » (qui, capitolio el arce romana manibus eorwm prostralis..…), et de la guerre d’Âlesia (quorum aviproavique, hostilium nationum duces, exercitus nostros ferro vique ceciderint, divum Julium apud Alesiam obsederint.) Tout cela indique le pays qui fut, à la fois, du cou- rant sénone et de la Gaule chevelue, qui fut en conséquence hel- vétien ou séquanais, et autorise à y chercher Alesia. Lingone, Alesia eût reçu de César une indemnité et des fa- veurs; éduenne, elle eût certainement obtenu le pardon accordé aux prisonniers éduens ; séquanaise ou helvétienne, elle devait périr. L'Alesia que César a détruite, sans même donner l’excuse "0 le d’une nécessité de guerre, et le lendemain de la reddition, cette Alesia, qui ne peut pas être en Helvétie, doit être en Séquanie. 60° Dans le pays où se trouvait Alesia, peuvent exister encore des traces du nom des Mandubiens. Elles sont dans le mot Doubs ({Dubis), et dans celui de Man- deure (Epo-Manpuo-durum, Manoura, Castrum Manporum), une des principales cités antiques des bords du Doubs. Pierre de Saint-Julien, historien bourguignon du xvi* siècle, avait eu raison de reconnaître dans la construction du mot Handubii le nom du fleuve Dubis, et le tort d'en tirer cette conséquence, que les habitants de l’Auxois étaient des colons venus des bords du Doubs. Les seules traces survivantes du nom des Mandubai sont donc restées à la place qui leur est naturelle, dans l’ancien pays et le département actuel du Doubs. 64° Le nom d’Alesia fut trop célèbre et trop vénéré des Gau- loïs pour avoir été oublié avant les ténèbres historiques du moyen-âge ; il est trop simple de prononcialion pour avoir pu subir des transformations considérables. Il doit s’être conservé au moins dans les actes latins des archives paroissiales du pays. Or, Alaise est la dérivation la plus exacte de ce que les latins ont appelé Alesia et Alexia, les Grecs ’AXesta, ’Anota et ’Adauoia. Le nécrologe de l’abbaye SainttPaul de Besançon cite : « Altare de Azesna et altare de Myon. » Celui de Saint-Anatoile de Salins, extrait en 1390 « ex antiquis libris et regestris dicte ecclesie», mentionne : « Girardus de Aresta, Henricus de Aresra, heredes Henrici de Aresra. » Enfin, comme pour prouver la persistance de la forme latine dans le pays même d’Alaise, le registre des naissances de celle paroisse, au seizièmé siècle, exploré dans les archives de Myon par M..A. Caslan, a montré des centaines d'exemples du mot Azezra (!). () « Sequitur regestrum puerorum baptizatorum locorum parro- chialium de Myone ac de Azezra, de quibus locis est rector et curatus Nycolaus de Joulx. » Reginaldus, filius Claudii Bordy, dicti Moyne, de Axezra, et Nycete, ejus uxoris, baptizatus fuit die vigesima octava mensis decembris, anno quo supra (1567); cujus patrinus fuit Reginaldus 6 = po Sur un fragment de poterie gallo-romaine trouvé à Alaise, on avait lu de suite ÂLesr, puis des savants affeetèrent de décla- rer ce mot en partie illisible. Leur sera-t-il encore permis de douter, soit de l’estampille, soit des écrits où le mot A/esia désigne Alaise, devant le nombre toujours croissant des témoi- gnages ? Alaise-Alesia du Doubs, vers laquelle nous avons conduit les armées de César et de Vercingétori*, n’est donc plus une Alesia contestable; elle est la seule qui porte exactement ce nom, et la seule qui paraisse l'avoir porté aussi dans les temps anciens. 62° S'il existe, autour de l’Alesia de César et de Vercingétorix, quelques points où la disposition extérieure du sol n’ait pas été changée depuis l’époque du siége, on doit retrouver en ces Heux des traces encore apparentes de retranchements romains el même gaulois. Nous montrons notamment comme intact, c'est-à-dire comme exceptionnel parmi tous les autres ouvrages par sa conserva- Bordy, et matrina Dyonisia Vigoureux, omnes dicti loci de’ALEzrA. » Joannes, filius Remigii Vigoureux, de AcezrA, et Cecillie, ejus uxoris, baptizatus fuit die vigesima tertia mensis augustii, anno Domini millesimo quingentesimo septuagesimo tertio; cujus patri- nus fuit Joannes Guillemin, et matrina Pierreta, filia Claudii Bordy, dictus le Clerc, omnes de AxLEzrA. » Dyonisius, filius Joannis Guillemin, de AzezrA et Joanne, ejus uxoris, baptizatus fuit die penultima mensis februarii, anno Domini millesimo quingentesimo septuagesimo quinto; cujus patrinus fuit Dyonisius Bernard, de Capella, ALEzIA commorans, et matrina Hugoneta, filia deffuncti Petri Perceval, de ALEZzIA. » Franciscus, filius Dyonisii Guillemin, de AzeziA, et Anatholie, ejus uxoris, baptizatus fuit die quinta novembris, anno Domini millesimo sexcentesimo quinto; cujus patrinus fuit Franciscus Bou- verans, et matrina Ludovica, filia Hugonini Bordy, omnes de ALEZIA. » Les actes ci-dessus, consignés dans un manuscrit petit in-folio, avec couverture en parchemin portant ce titre : « Registres de la paroisse de Myon des annès 1567 jusqu'à celle de 1653, » appartenant à la commune de Myon, ont été extraits par nous, archiviste-paléographe, inspecteur des archives communales du Doubs, qui en certifions l'authenticité. Besançon, le 16 novembre 1861. (Signé) À. CASTAN. 2 PT tion, et comme indubitablement romain, le castellum de Bel- lague. Nous montrons comme indubitablement gaulois, les restes du mur en grosses roches brutes de Br, lequel est semblable aux maçonneries cyclopéennes des plus grandes habitations antiques d’Alaise. 63° Sur les lieux restés incultes depuis le passage de César et de Vercingétorix, devront apparaître : D'une part, des môles de terre abritant la cendre des morts, selon l’usage des anciennes armées romaines ; D'autre part, les inhumations celtiques élevées sur le lieu où tomba le guerrier gaulois. Le pays d’AÂlaise présente les uns et les autres de ces monu- ments : les premiers, plus rares, car un môle renfermait les restes, réduits en poussière, d'une grande quantité de soldats à la fois; les derniers, en foule, car les mottes funéraires des Gaulois ne recèlent parfois qu’un seul squelette. L'entrée du massif d’Alaise, en Brâ, est garnie de fumaulus. Il y en a des milliers dans la plaine où furent livrés tant de combats ; il y en a des milliers sur le plateau des Champs-de- Guerre et sur les Gaules, au delà des prærupta loca; il y en a des milliers sur le plateau d’Amancey, où succombèrent les troupes de Vergasillaune. On voit les twmulus sur la route que suivirent les Gaulois pour venir à Alaise; on les voit comme traces du départ de l’armée de secours. Leur nombre dépasse l’imagination. 64° Les armes que l’on trouvera sur les champs de bataille devront être, les unes gauloises, les autres romaines. Le hasard seul a mis en nos mains, dans le pays d’Alaise, des armes ou des objets provenant évidemment des troupes ro- maines. Nous avons recueilli cependant, soit dans la terre des tumulus, soit sous le sol des lieux de combat, des fers de lance et de javelot, peut-être même de pilum, et jusqu’à des styles de bronze. Ces armes romaines sont rares. Elles ne se sont jamais trouvées jusqu’à ce jour en contact avec des monnaies impé- riales, mais elles gisent le plus souvent à côté d’objets incontes- tablement celtiques. J’invoque à cet égard le témoignage de toutes les personnes, sans exception, qui ont exhumé du sol quelqu'un de ces objets, et je proteste contre les affirmations == © date d'écrivains qui ont parlé sur cette matière comme s'ils avaient assisté aux fouilles. [ls sont unanimes, et ceux qui ont tenu la pioche, et ceux qui ont élé présents aux recherches, et ceux qui ont été chargés de rédiger les mémoires sur les découvertes {!). Quant aux objets celtiques, ils sont nombreux autour d’Alaise, et l’on sait où les chercher. Les guerriers gaulois reposent sous des tertres apparents, et quelques - uns d’entre eux ont gardé soit des armes, soit d’autres objets personnels qui n’ont pas été tout à fait détruits par le temps. L'âge relauf de ces an- tiquités à été donné par une circonstance qui s’est montrée plu- sieurs fois, qui se reproduira certainement encore, qui le met hors de doute et que je ne puis me dispenser de rappeler. Cer- tains tumulus du massif renferment deux sortes de sépultures bien distinctes et superposées. Dans la couche extérieure et en quelque sorte dans l’épiderme de ces fumulus, on trouve, à vingt ou trente centimètres au plus de profondeur, des cendres mêlées d’ossements brûlés, des fioles lacrymatoires, de la poterie gallo-romaine et des pièces de monnaie à effigie d'Empereur. Le tumulus a donc servi quelquefois de lieu de sépulture à l’é- poque de la domination romaine. En dessous de la couche exté- rieure, à un niveau plus bas, règne la sépulture gauloise, facile à reconnaître aux dalles qui supportent les ossements du mort, aux pierres brutes disposées en cercle et déterminant la base du monument. On trouve alors, entre autres objets caractéris- tiques, la hachette de pierre symbolique, les dents de sanglier percées, les pendants d'oreille creux en bronze mince, les ar- milles, les bracelets d’if ou de bronze, les poteries à peine cuites, enfin les armes peu pesantes, tout cela orné avec recherche au moyen de combinaisons très variées de lignes, mais religieuse- ment dépourvu de figures représentant les hommes, les animaux et les végétaux (?). - @) Voyez : J. QuICHERAT, Conclusion pour Alaise dans La question d'A- lesia; Cu. VARAIGNE, Quelques nouveaux documents archéologiques sur Alaise; J. VuiLzerer, Les tumulus d'Alaise, de Cademène et d’Amancey:; CUINET, curé d’Amancey, Questions résolues affirmativement en faveur d’A- laise; À. CaAsraw, Les tombelles celtiques du massif d’Alaise, Les tombelles celliques el romaines d'Alaise, Les tombelles et les ruines du massif et du pourtour d'Alaise, trois rapports faits à la Société d'Emulation du Doubs, au nom de la Commission des fouilles d’Alaise. (2) Voir les premier et troisième ra,ports de M. Castän. ds SE y Parmi ces objets celtiques, il en est qui proviennent d’un mo- dèle uniforme et comme de la même fabrique, qui sont done contemporains. Un coup d'œil jeté, à ce point de vue, sur la collection du musée archéologique de Besançon où ils sont réu- nis, fait de suite reconnaître que tous les champs de bataille du pourtour d’Alaise et du plateau d’Amancey appartiennent réellement à une même date. * Ces champs de bataille, tous de même date, antérieurs à l’'Em- pire et produisant néanmoins quelques armes romaines, accusent donc d’une manière précise l’époque de la conquête des Gaules. Des soixante-quatre conditions, la plupart complexes, qui viennent d’être énumérées et auxquelles doit satisfaire la véri- table Alesia, il n’en est aucune qu’Alaise-Alesia ne remplisse. Celle-ci répond à soixante d’entre elles à l'exclusion d’Alise- Alisia. Alaise et Alise concordent en commun dans quatre cas, etencore d’une manière imparfaite en ce qui concerne cette der- nière. Aïnsi, par exemple; Alise jouit, de concert avec Alaise et beaucoup d’autres localités de la France, d’un nom qui dut évidemment avoir partout le même sens, mais qui, dans l’anti- quité, fut prononcé, en Auxois Alisiia, sur les montagnes du Doubs A/esia. Le massif d’Alaise est élevé; le tertre d’Alise l’est aussi. Il y a, autour du mont Auxois, l’Ose, l'Oserain et la Brenne, trois rivières en tout, et à plus forte raison deux comme au pays d'Alaise. : Près d’Alise s'étend une planities, de 3,000 pas si l’on veut, puisque, sur l’immense longueur de la plaine arrosée par la Brenne , il est toujours possible de prélever en imagination un morceau de 4,500 mètres seulement d’étendue. En dehors de ces quatre circonstances, il n’y a rien à chercher à Alise qui puisse répondre, même de loin, aux Commentaires. On y rencontrera des noms inséparables de ces antiques ci- metères de l’Occident qui furent les Champs-Eliséens à l’époque où l’on jugeait les morts. Mais ces grands monuments de la uature, que l’on s'attend à voir dans celui d’entre les Champs- Eliséens auquel les Gaulois accordèrent le titre de leur métropole religieuse et dont la pensée planait sur les fables mystérieuses RL VE rapportées de l'Occident, ces monuments, dignes d’être appelés portes des enfers, sont autour de Réa du pays d’Alaise, et non dans l’Auxois. Alise ne répond ni aux exigences des Commentaires ni à l’idée qu’on peut se faire d’une métropole religieuse de toutes les Gaules. Peut-être un jour quelque heureux hasard nous rendra-t-il le fragment perdu de Tite-Live sur Alesia, ou d’autres anciens dé- bris de ce genre encore égarés. L'ouvrage, entre tous, que nous aimerions à voir reparaître est un poème épique de Varro- Atacinus. Gaulois et néanmoins le plus grand poëte de son temps , 1l fut le contemporain de César et chanta la Guerre de Séquanie, Bellum Sequanicuin. Nous sommes persuadés que le sujet ne fut ni la bataille d’Amagétobrie — cela n’eût pas intéressé Rome, — ni la défaite d’Arioviste à la trouée entre les Vosges et le Jura, — ce n’est pas là ce qui valut à César le sur- nom de Divin. « Circa Alesiam vero, dit Velleius-Patereulus, tantæ res gesitæ, quantas audere vix hominis, perficere, pœne nullius, nisi der fuerit. » — « Mais autour d’Alesia, il y eut de si grandes choses qu'un homme pourrait à peine les tenter et qu'un dieu seul pourrait les accomplir.» Ges choses, à nos yeux, étant celles de Colombin et d’Alaise, forment — il n’y a plus lieu de s’en étonner — le sujet du De bello Sequanico; elles seules furent dignes de Varron et de son public. j MIRAGES DU MONT AUXOTS. Je me suis souvent demandé comment des personnes pour- vues, ainsi que le veut M. Stoffel dont j'emprunte ici les expres- sions, de bon sens, d’impartialité et de loyauté, pouvaient encore conclure du côté d’Alise, Alaise ayant été signalée depuis six ans. Cette singularité me paraît cependant explicable. Voici comment : Dans un seul chapitre des Commentaires, se trouvent réunies en quelques lignes les quatre conditions auxquelles le pays de l’Auxois satisfait, ou semble satisfaire, en commun avec =. 4. Æ Alaise-Alesia. Il suffit de descendre du chemin de fer à la gare des Laumes, de faire une courte promenade sur le mont Auxois, d'ouvrir les Commentaires, liv. VIT, chap. zxix, d’y lire ceci : « Alesia..…..; in colle summo, admodum edito loco...; duo flu- mina.….; planities….; » puis de regarder Alise, sa colline, l'Ose et l'Oserain, la plaine des Laumes, pour être convaincu que l’on respire au sein de la véritable Alesia. L'illusion est faite en moins d'une heure, illusion utile, du reste, auprès des corps savants. Mais il faut se borner là; car, au mont Auxois, moins on regarde et plus on est convaincu. C’est ainsi que, des deux opinions sur Alesia rapportées par le Moniteur de 1861, l’une du très savant Procureur général près la Cour de cassation, l’autre de mon consciencieux contradicteur, la plus favorable au système d’Alise-Alisiia, ne sera pas celle qu'a produite l’étude la plus longue. La première est l'expression d’une confiance absolue dans la tradition créée au rx° siècle par le moine Herric. Nous avons vu la seconde s’abriter d’abord , dans un cas embarrassant, sous l'autorité de Napoléon L®' pour dire : € QU'IL EST DIFFICILE DE FAIRE DES OBSERVATIONS MILITAIRES SUR UN TEXTE AUSSI BREF » ; puis avouer dans un autre Cas : (QUE SI AÂLESIA A ÉTÉ LE MONT AUXOIS, ON NE PEUT PAS NIER QUE LE RÉCIT DE CÉSAR NE COMPORTE UNE INCORRECTION. » Si, enfin, M. Stoffel ne se rend pas alors à l’évidence de son propre rai- sonnement, C'est & QU’IL PRÉFÈRE CROIRE, CHEZ CÉSAR, A UNE NÉ- GLIGENCE DE NARRATION DUE UNIQUEMENT A LA CONCISION DE SON syLe. » On le voit, la foi dans Alise en même temps que dans les Commentaires est le résultat d’un examen de prime-saul ; la foi dans Alise ne se conserve que si l’on cesse d’en avoir une dans les Commentaires. Un jour viendra où la Commission elle-même de la carte des Gaules, qui compte tant de savants archéologues dans son sein, trouvera enfin quelques heures de plus à consacrer au texte des Commentaires ; elle laissera alors tomber l'argument erroné qu'au premier coup d'œil elle a cru devoir tirer, en faveur du mont Auxois, de la double découverte d’un prétendu glaive de légionnaire et de stimulus de César. I n’est pas inutile de noter ici ces deux faits qui ont eu un grand retentissement, et qui enseignent comment des savants de la plus haute valeur, en comptant beaucoup les uns sur les autres, et en accordant _ chacun trop peu de temps à l’examen, peuvent cependant mettre le pied en pleine erreur dans un moment de surprise. Le glaive trouvé au mont Auxois est une épée gauloise, en tout semblable à d’autres épées sorties des champs de bataille de l'Helvétie et publiées par un des hommes les plus experts en cette matière, M. Troyon, de Lausanne. Aussi n’a-t-elle aucun de ces caractères si connus du glaive romain, long moyenne- ment de 50 centimètres, à la pointe en langue de carpe, à la forte garde en croix, à la poignée surmontée d’un pommeau. Elle est à double tranchant; mais sa pointe est presque ronde, sa poi- gnée ne porte ni garde ni pommeau, sa longueur est de 73 cen- timètres. Les stimulus produits pourraient être ceux de César, s’il était vrai qu'Alise-Alisiia fût l’Alesia de Vercingétorix; si, au con- traire, l’oppidum des Commentaires se trouve ailleurs, les ob- jets trouvés ne sont plus que de ces hamus ferreus encore en usage pour armer le haut des portes de cour et de jardin et dont la forme plus ou moins terrifiante dépend de l'imagination du propriétaire. Or, il arrive ici que, dans le cas même où Alise serait admise pour Alesia, il deviendrait encore impossible d’at- tribuer au fait de César les stimulus découverts. En effet, de ces ferrements, au nombre de six en tout, il y en a cinq qui sont hameçonnés, et un autre qui, à peu près fruste, ne peut être qu’un clou informe, comme on en trouve dans le sol aux abords des vieilles villes. Quant aux premiers, — qu'on veuille bi enle remarquer — ils proviennent, non pas de la position arbitraire- ment assignée aux retranchements romains, mais des décombres d'habitations gallo-romaines détruites plusieurs siècles après la guerre d’Alesia. Cette circonstance, loyalement notée par les savants directeurs des fouilles du mont Auxois, se trouve consi- gnée en ces termes dans la Revue archéologique du mois de juillet 1861 : « Le n° 19 (le clou) a été trouvé dans la plaine des Laumes, en avant des fossés découverts par la Commission. Cette pointe , dont la forme primitive était semblable à la pointe n° 20, est brisée au coude et tordue à son extrémité supérieure. » Le n° 20 a été trouvé, non plus dans la plaine, mais sur le mont Auxois, avec cinq autres semblables, sous les fondations d’une très ancienne construction. On ne puet, ce nous semble, s’empêche” de voir dans ces pointes les stimuli dont parle César. » NO Le passage que nous citons est sans nom d'auteur; mais il appartient au journal de M. Maury, le plus vigilant adversaire d’Alaise. C’est donc un aveu irrécusable de la défense d’Alise (1). La facilité de se fourvoyer sur le compte du mont Auxois pro- vient enfin de ce que trop souvent les partisans d’Alise s’atta- chent à combattre, dans le système d’Alaise, quelques erreurs qui se sont inévitablement produites au début de la question. Le travail de M. Stoffel, quoique publié récemment dans le Moniteur, a lui-même été écrit depuis trop longtemps et sur des données trop anciennes; il n’est plus au niveau des con- naissances acquises en faveur d’Alaise, ce dont, pour ma part, j'éprouve un vif regret. L'auteur, mieux informé, eût abouti à d'autres conclusions. Maintenant, M. Stoffel ne peut plus être, à moins de posséder une vertu vraiment exceptionnelle, qu’un lutteur de plus ajouté au parti d’Alise, et il ne se rendra qu’a- vec lui. VI NOS ESPÉRANCES. Pour hâter cette solution désirée, nous faisons, mes amis et moi, tous les efforts dont nous sommes capables. Aux trois mé- moires déjà publiés par M. Castan, au nom de la Commission des fouilles d’Alaise, va succéder le quatrième, qui décrira les vestiges de fossés récemment découverts chez nous et les objets caractéristiques rencontrés dans ces fouilles. M. Paul Bial, en raison de sa compétence, continue à recueillir les mille élé- ments nécessaires pour reconstruire le blocus d’Alaise, comme s’il était à faire aujourd’hui, sauf à tenir compte de la différence de portée des projectiles, ce travail donnera leur sens vrai à toutes les traces de retranchements, et aux longs murgers qui abondent au travers des contrées tumulaires de notre antique Alesia. MM. J. Quicherat, Houbigant et le vicomte Chiflet () L'erreur accréditée par la Commission de la carte des Gaules, au sujet du glaive et des stimulus, a été relevée déjà par M. Castan, dans son dernier mémoire sur les fouilles d’Alaise, et discutée avec le plus grand soin. i AN res sauront témoigner à leur tour de ce qu’ils ont vu surgir des fouilles exécutées durant ce dernier automne. La question serait bien près d'aboutir, si les partisans d’A- lise en Auxois voulaient accepter, sur leur système, le juge- ment d’un homme qui fut impartial — la mort l’a depuis long- temps enlevé à la France, — et qui fut compétent, car il est réputé le plus grand capitaine des temps modernes. Je veux parler de Napoléon I*'. L'Empereur croyait, comme tous les hommes de son temps, à Alise; il l'avait vue, il la regardait comme le théâtre incontesté des antiques luttes de César contre les Gaulois. Néanmoins, lorsqu’avec l'expérience acquise par la série la plus inouïe de grands événements, et avec la clairvoyance que donne la solitude, le captif de Sainte-Hélène se fut mis à étudier une dernière fois dans les Commentaires le réeit de la guerre d’Alesia, un doute traversa son esprit et il dicta cette phrase : « MAIS EST-IL VRAI QUE VERCINGÉTORIX S'ÉTAIT RENFERMÉ, AVEC 80,000 HOMMES, DANS LA VILLE, QUI EST D'UNE MÉDIOCRE ÉTENDUE...? » Quel eût donc été le sentiment de l’auguste critique si, dans ce moment de réaction contre son auteur favori, il eût entendu dire : On vient de découvrir que cette ville, d’une médiocre étendue, s'appelle Alisiia et non Alesia ; de plus, que les habi- tants du pays portaient le nom d’Alisienses, au lieu de celui de Mandubii. Au contraire, le seul point de la France auquel les archives locales aient conservé à travers les âges le nom d’4- lesia, ce point existe sur un massif inexpugnable d’une lieue de surface, au centre de plusieurs lieues carrées de tumulus gaulois entremélés de sépultures militaires romaines; ce pays possède encore des débris de murailles cyclopéennes à côté de beaux retranchements comme les faisait César. Cette A esia est placée entre la Province romaine et les Lingons, dans une région adossée à la Germanie et à l'Italie. Quoique assez directement indiquée par Plutarque, par Dion Cassius et par des érudits étrangers, elle était restée jusqu’à ce jour complétement perdue pour les savants, au plus épais des forêts du Doubs, avec ses champs de bataille et jusqu’à son registre paroissial conservant religieusement écrit un nom sur lequel nul regard d’érudit ne s'était arrêté. ss M Certes, il serait difficile de croire que de pareils renseigne- ments n’eussent pas dissipé, au détriment du système d’Alise, le doute formulé par Napoléon. J'ai terminé. Puisse cet écrit avoir la vie aussi dure, sinon meilleure chance, que son devancier, Alaise à la barre de l’Ins- titut. J'avais, dans ce dernier opuscule, essayé de rétablir la valeur et surtout la sincérité des textes invoqués par les partisans d’Alaise, contrairement aux erreurs émises avec la garantie et au nom de l’Académie de Dijon. Ici, j'avais à discuter un con- sciencieux travail sur les faits,ce qui exigeait de ma part un autre genre de réponse et de plus sérieux efforts. Depuis six années, le système d’Alise a pour lui les plus forts bataillons ; et pourtant chacune de ses attaques est marquée par la perte de quelqu’une de ses meilleures armes, tandis que chaque fois le système contraire en acquiert de nouvelles. Nous avons vu M. le duc d'Aumale descendre dans la lice contre nous et finir par associer une réserve à ses conclusions. Nous n’avons eu pour nous ni l’appui de l’Institut, ni les fa- veurs de la Commission des antiquités de la France, ni l’assen- timent de la Commission de la carte des Gaules. Bien plus, nous étions condamnés par « les appréciations que, dans deux cir- constances, l’Académie des inscriptions cet belles-lettres de l’Institut impérial de France avait été appelée à émettre sur le véritable emplacement d’Alesia. » Et, néanmoins, au sujet de ce coin des montagnes du Doubs, où l’on niait, en 4857, qu'il y eût rien à chercher, ni traces d’habitations celtiques, ni fumu- lus, ni armes, ni champs de guerre, ni une colline où sont les Petites-Montfordes, ni une plaine sur les rives du Taudeure, ni même cette petite rivière et son nom que l’on disait également fabuleux , le Moniteur de 1861 en est déjà venu à dire, au nom du système opposé au nôtre : « Quelle est la grande bataille qui s'est livrée sur les plateaux d’Alaise et d’Amancey ? Quel est le choc formidable, ignoré de l’histoire, dont a été témoin ce sol tout couvert de ruines, de retranchements, de vestiges de cas- tramélations, et où les tumulus se comptent par milliers ? Les fouilles opérées jusqu’à ce jour et dont les produits composent en grande partie le musée des antiquités de Besançon, n’ont pas encore permis de résoudre la question. » E. 700 On contestait, en 1857, jusqu'à la possibilité que le nom d’A- laise eût jamais été, en latin, Alesia; et voilà qu’au mois d’oc- tobre 14861, comme pour affirmer l'exactitude de la lecture de ce mot sur le tesson de poterie antique, et la sincérité des vieux manuscrits de l’abbaye Saint-Paul et de la collégiale de Saint- Anatoile de Salins, reparaît, sous la poussière des archives de Myon, un registre paroissial qui répète plus de cent fois de suite ALEZTA. En même temps que le nom d’ALarse-Aresra revenait ainsi à la vie dans les parages du Doubs, on voyait se rétablir d’une manière non moins authentique celui d’'Arrss-Arisna. Si les habitants de l’ancien pagus des Alisienses ne consentent pas encore à redevenir, en outre, les Brannovii des bords de la Brenne, ils ont du moins renoncé à la vieille prétention d’avoir été des Mandubii venus des bords du Doubs, et perdu toute espèce de preuves que ce dernier nom ait jamais été accolé à celui d’Alise. | Pourquoi cette persistance du hasard à produire des docu- ments en notre faveur ? Pourquoi de telles différences d’appré- ciations sur Alaise en 1857 et en 1861, de la part des très puis- sants, mais non moins savants défenseurs du système d’Alise ? C'est que les partisans d’Alaise, sans cesse proclamés vaincus, toujours debout, ont simplement raison. ERRATA. Page 46, ligne 11, au lieu de : six à huit légions, lisez : trois à quatre légions. Même page, ligne 13, au lieu de : {rente à quarante mille Romains, lisez: quinze à vingt mille Romains. F AV, TS 4 \ CE + AZ NE VE AZ « AS - Planche J . CRODUIS D'ALISE SREINE et de ses environs. 80,000 ds < À + L 1 Kilométre. = 1 RSS —=— F \ = G (4 — EN \ A f à ee à mt | LE NE 7° A): VA UGLIOU)ET 1° E Lai (par dun) © à CU Pa d10// La5328 gà > AT) 2770ff \ Hpdon un RER SAIT -JU0A277 à. “y A WA arus 1195 sed 359 Ê € ; SSIAP E AUUI 31199 sed sou mD 99 InoL ‘wjon sp PurD) 1& > FF PR mme 2/72 2/77 E 8 ADATA © ‘ e u1q ne de) PR UE 222207 0 7 auuaS1EH)O ne ) PL \ AT \ FE 24772207 V7 Li \ 09094 62 \ Aeuuoyuey a LS 92401 0, S à \ NS 7 x ! Ga A AINVAÔ3S 10 3u43n9 À \ © ET SP \ : cy PLUS 1) LUS He” AE) Pope À — U 2UOS DT ; nez par pp TU VOSIT NP 2270 f! “#0 SNI T V S sue j "2 UE 2e RER PT 0e / TN KO a : \ pe Per | = ni) LL 2e EU ei ; . a) nr $ x LINEAR tail o À = E / 1 \ È È S: AISTIV +. < < ; { 1 >: Ma pd: «) Ca SAVNUO Ours ST , NES & VUE a € xD D es et Jo 1 SSLS S x FX A F LES RS 4) "7 = S © VOA] PR 2 1° x LA + + nn RE A H090 /3p 2202 [Ex : = . LAPS EC TES FT FT UN ee * = x = 2 + PA Gad: dé o à R, nous aurons une quan- tité ‘LA s Ce calcul donne R?" (sa—1, (R (ll mo — mie AT Aer anlo after En divisant les 2 membres de l'équation précédente par *R£, on aura | R° k DURE CU ———. 11 CAPE & 3° + .... RE t sera donné par l'intégration d’une équation linéaire. Il sera inutile de calculer &, puisque ses dérivées seules entrent dans les expressions des vitesses. La = MA — Pour R — constante, et pour R — az + b, l'équation pour- rait généralement s'intégrer. Dans tous les cas, on peut s'arrêter au 2° terme de +, en exprimant les limites du reste ainsi qu'il a été dit. L'équation (2) se réduit alors à ET rR? Il ne reste plus qu’à déterminer la valeur inconnue de k ou de la dépense. On aura Prenons pour la constante Z une valeur de t!!' convenablement choisie. On aura pour tous les points du liquide dé __k dz TR? ER: É OR IL. Soit un liquide homogène dont la densité est 4. Soient LPO la pression, | V..... la fonction des forces, c’est-à-dire la fonction dont les dérivées par rapport à æ y z sont les composantes de l'accélération, S'udoue la fonction dont les dérivées par rapport à x y z sont les composantes de la vitesse. La fonction + doit satisfaire à l'équation (SJAUN. ANU. pare (SE) (4 La seule force est la pesanteur ; l’axe des z est vertical, les z positifs comptés en sens inverse de la pesanteur. Le plan æy est le plan de l’orifice. Le liquide étant entretenu à une hauteur constante À au dessus de l'orifice, + ne varie pas avec Le temps. n=2+1y d? __ d? x d« dr r 1 _ | ( de ) { TS == —— _ — n (User Linie p+= {( Je 95 — M3 — La pression atmosphérique a la même valeur À à la surface supérieure et à l’orifice du vase. Soit V, la vitesse en un point de la surface supérieure; on aura pour ce point Par suite V, aura la AGDE valeur en tous les points de la sur- face supérieure. À l’orifice du vase, À sera aussi la valeur de la pression pour la surface extérieure de la veine. M. Poncelet a remarqué qu'il est tout à fait inexact d'admettre pour les parties intérieures de la veine liquide la même pression que pour les parties exté- rieures ; il ne sera fait ici aucune supposition de ce genre. Soit e le rayon de l’orifice, « l'angle que fait avec l’axe des z, à l’o- rifice, la tangente au méridien de la paroi. Nous aurons en un point de l’orifice Dies 2 R= 6 dR AE lang «. La constante / est une valeur de 2k dR De correspondante à une valeur de z comprise entre o et z,. Mais puisqu'il s’agit d’un point du plan æy, z, peut être pris égal à 0. Alors on a 2k tang « L= — Enmhé 2 Pour un point de la circonférence de l'orifice (ET de % az 7 mp de = ktanga« dr substituant dans Po e (4), OU — 9 A+ — HT (1 + sang? a) = Retranchant fra (5), on a. 2 ma (+ tango) — Vit= 2gh. — M4 — Si l’on néglige V.*, on aura k — cos axp?V2gh. Dans l’hypothèsé du parallélisme des trarichés re V2gh serait la dépense théorique. Cette dépense devrait être multipliée par un coefficient pour avoir la dépense réelle. D’après la théo- rie exposée plus haut, la valeur de ce coefficient est cos &. WT. En supposant que l'axe du vase s'éloigne à l'infini, on peut déduire des considérations précédentes la valeur du coefficient de contraction pour un orifice rectangulaire horizontal, la con- traction de la veine ayant lieu sur un des côtés du rectangle seulement. Il paraît préférable de résoudre directement la ques- tion par des calculs analogues à ceux des deux premières par- ties, mais plus simples. Ils conduisent à trouver le coefficient de contraction égal au tosinus de l’angle que font avec la verticale les filets plus extérieurs de la veine. Supposons les coordonnées rectangulaires et l’axe des z ver- tical. Prenons pour axe des y le côté du rectangle opposé à celui suivant lequel la contraction a lieu, et pour axe des x un des cotés perpendiculaires à celui-'à. Admettons que le mouvement est le même dans tous les plans perpendiculaires à l’axe des y, et que le liquide n’a aucune vitesse dans le sens des y. Le vase d’où le liquide s'écoule a son orifice dans le plan xy, il a pour parois le plan æz, le plan yz, le plan parallèle aux æz mené à une distance b, et une surface cylindrique dont les géné- ratrices sont parallèles aux y, et dont la ue droite a pour équation x = X X étant une fonction donnée de z. L'é équation de continuité se réduit à +58 _ te la densité étant égale à x né däns l’équâtion de continuité LA — A5 — p = À4o + À: © + 4, at +... 4e A... étant des fonctions de z seulement. On trouvera À. A, tone À d’A, Pn— 2.3 dz° à re ie "7 (@n—1)j2n ds ( A an Asti = — PR TONER nee 2 2n(2n 41) ‘dr On peut prendre pour 4, et 4, des fonctions arbitraires de s. ; d D ps us Dans la question qui nous occupe, _ doit, d’après la forme du “4 E vase, être nul pour «+ — 0, quel que soit z, Donc 4, et toutes ses dérivées sont nuls, et l’on posera p = À, + À, à° + À, xt +... Je vais démontrer qu’en s’arrêtant à un certain terme, les dé- rivées de cette expression représentent, avec une approximation déterminée, les composantes de la vitesse du liquide pour les valeurs de z comprises entre o et une valeur positive z4. Supposons que l’on s'arrête au terme en &?". Soit M la plus grande et m la plus petite des valeurs de 44, z variant de o à 3. Soit & une constante. Posons p —= Ào + À: x + ..... + pr? gi — As + À, T° + ENS de + Mx°° pa = Ao + À, a? + ..... + ma. On aura LEE —— de des QU pour tous les points de l’espace ; et pour x = o seulement de __d: d?, dm dr de Appelons » la vitesse parallèle aux x qui serait déterminée par la condition d’être o pour x — 0, et de satisfaire pour les autres points du vase à l'équation de continuité — 116 — Substituons +, au lieu de + dans le premier membre de l’équa- tion d'@ + de ne RS et rappelons-nous que l’on a À d°A sn M nr tendon nous trouverons d’a do CHENE dz de z — 0 à z — z,. donc on aura dans les mêmes limites d {dm L(e HT +) = > 0. On trouverait pour les mêmes points L(e—e)= ca NE TS héao Le. Ra 9 SHC ND HE XIe eh us Ablupif CHEMINS, HABITATIONS ET OPPIDUM DE LA GAULE AU TEMPS DE CÉSAR PAR PAUL BIAL Ancien élève de l'Ecole Polytechnique, Capitaine d'artillerie, Professeur à l'Ecole impériale d'artillerie de Besancon. © patria, o divum domus.... et ivclyta bello {Æwetn., lib, J[,vers, 243-040" “- Séances des 12 décembre 1861 et S février 1862. 11 ei ci) aa ÉTMA JAÏ4 YA ge Le sm dE mb sera rit D ho. Fe oil A MONSIEUR HASE MEMBRE DE L'INSTITUT, CONSERVATEUR-ADMINISTRATEUR DES MANUSCRITS A LA BIBLIOTHÈQUE IMPÉRIALE, PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES LETTRES, PRÉSIDENT DE L'ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, COMMANDEUR DE LA LÉGION D'HONNEUR, ETC., ETC. Monsieur , Vous avez favorisé mes études et encouragé mes premiers travaux. Pour achever vos bienfaits, vous avez consenti à illustrer de votre nom ce modeste ouvrage dont vous acceptez la dédicace. Tant de droits acquis par vous à ma reconnaissance me seront des titres de recommandation devant le monde savant : aussi Je m’empresse de les publier, dans l’espérance que l’on voudra bien tirer de la valeur inestimable du protecleur, quelque bonne opinion du protégé. Veuillez agréer, Monsieur, l'hommage de mon respect. PAUL BIAL. Besancon, le 20 mai 1862. sud is je, Es j RBLCIGAIT é sf AE a tir PRÉFACE. Je commence par payer une dette de reconnaissance en remerciant la Société d'Emulation du Doubs d’avoir accueilli ce livre avec bienveillance et d’en avoir voté l'impression. Ce sentiment me fait lui rendre un compte fidèle de la manière dont le travail a été conçu, des transformations qu’il a subies. Un homme considérable par sa haute position in- dustrielle, par une grande fortune libéralement con- sacrée aux progrès des sciences, par ses travaux archéo- logiques personnels, M. Peigné-Delacourt, vint, en 1860, visiter l'Exposition universelle de Besançon, et profita de son passage en Franche-Comté pour faire une courte exploration à Afaise. M. Alphonse Delacroix et moi lui servimes de guides. Parmi les nombreux objets sur lesquels nous appelâmes son attention, il en est deux qui le frappèrent particulièrement : le chemin creux de la Languetine et les ruines de Châtaillon ; sur- tout Chätaillon où, sur la crête sourcilleuse d’un con- trefort du massi’ d’Alaise, les bois recèlent un ensemble curieux d'habitations et de retranchements de l’époque celtique. C’est l’image la mieux conservée d’un quartier mi de ville gauloise : spectacle singulier qui émeut qui-: conque sait le comprendre. Aussi M. Peigné-Delacourt ne put-il s'empêcher d'exprimer son impression avec une vivacité tout à fait parisienne, en s’écriant : « C’est vraiment la rue Saint-Honoré des Celtes ! » Sachant avec quelle auguste bonté Sa MayesTé en- courage et protége toutes les recherches, M. Peigné- Delacourt prétendit qu'un fait archéologique de cette importance devait être signalé à l’Emrereur. Il fut con- venu que je ferais un lever de Châtaillon, que j'en des- sinerais un plan à une grande échelle; que ce plan accompagné d’une légende serait présenté par M. Pei- gné-Delacourt à Sa MAJESTÉ. J'exécutai ce lever en novembre 1860. Mais, pour rendre mon travail plus présentable, j'eus l’idée de transformer la légende convenue en une courte notice. Je commencçai aussitôt des études à ce sujet. Mais, comme le mieux est l'ennemi du bien, dès que j’eus engagé ma notice dans l’engrenage des études celtiques, elle s’allongea au point de devenir un gros mémoire. Alors elle fut trop étendue pour pouvoir être mise, dans une audience, sous les yeux de l'Empereur ; d’ail- leurs les recherches avaient pris trop de temps : l’oc- casion favorable était passée. C’est alors que j'apportai à la Société d'Emulation du Doubs mon travail intitulé : Chätaillon d'Alaise, étude sur les habitatons, les villes et les oppidum cel- hiques. | —. 4197, — Mon mémoire n’était pas au bout de ses aventures. On allait l’imprimer, lorsque des documents nouveaux me permirent de donner plus de développement à cer- taines parties les plus importantes. L'ouvrage prit ainsi un caractère tout à fait général. Ce ne fut plus une monographie de l’oppidum d’Alaise, mais bien une véritable étude sur les chemins, les habitations et les oppidum de la Gaule indépendante. Il fallut dès lors modifier son titre, qui semblait indiquer un travail spécial sur Alaise au point de vue de la Question D'ALesrA, tandis que cette intéressante question n’est traitée ici que d’une manière indirecte et accessoire. Voilà comment mon Chaätaillon d'Alaise, annoncé depuis longtemps dans diverses publications anté- rieures (1), paraît enfin sous un titre nouveau. Les nombreuses recherches que j'ai faites à l’occa- sion de cet ouvrage ne sont point perdues pour moi. J’ai amassé ainsi les matériaux d’un livre plus considé- rable, c’est-à-dire d’un tableau de la civilisation propre de la Gaule, aussi fini que le permettent nos connais- sances actuelles en géographie historique, en philologie et en archéologie. Le titre de cet ouvrage sera : Histoire de la civilisation celtique. J'en ai déjà écrit une bonne partie, mais je ne le publierai que plus tard, et voici pourquoi : SA Masesré L'Empereur NAPOLÉON III compose une Vie de César, impatiemment désirée du (1) CË. Pauz Bac, La vérité sur Alise-Sainte-Reine, Paris, Gar- nier frères; Besançon, Bulle, 1861, in-&. — 128 — monde savant; Elle a fait exécuter en vue de son tra- vail, sur divers points de la France, de la Suisse et de l'Angleterre, des fouilles habilement dirigées par l'un de ses officiers d'ordonnance, mon camarade, M. le baron Stoffel, chef d’escadron d'artillerie. Pénétré des sentiments les plus profonds de dévouement et de res- pect envers le Souverain, je crois de mon devoir d’at- tendre que le livre, de Sa Masesté ait paru. Je trouverai dans ce retard l'avantage de pouvoir puiser à cette source nouvelle et si excellente les renseignements les plus abondants, les vues les plus sûres et les plus éle- vées touchant l’état de la Gaule au moment de la con- quête romaine. CHEMINS, HABITATIONS ET OPPIDUM DE LA GAULE AU TEMPS DE CÉSAR. LIVRE PREMIER. LES CHEMINS CELTIQUES. CHAPITRE PREMIER. LA LANGUETINE D'ALAISE. Itinéraire d’Alaise. — Le chemin creux de la Languetine.— Il est le type des chemins celtiques. — L'examen des caractères qui le distinguent fournira une règle pour reconnaître les chemins celtiques. — Utilité de cette règle pour la détermination des chemins, des habitations et des oppidum de la Gaule au temps de César. — L'étude connexe de ces trois ordres de faits forme l’objet de cet ouvrage, Il n’est pas donné à tout le monde de visiter Alaise avec plaisir et avec fruit; c’est le privilège de l’artiste et de l’archéo- logue. Il ne suffit pas, en effet, d'y apporter la curiosité d’un touriste; il faut encore certaines dispositions morales et un motif d'étude. L'artiste qui aime la nature dans ses formes les plus sévères doit venir à Alaise : d'épaisses forêts, de hautes roches, des cascades de rivières, de vastes cavernes promettent à son pinceau les jouissances les plus variées. Si l’on est versé dans la science de nos antiquités nationales, qu'on soit homme à cher- cher, dans les solitudes des bois, les vestiges épars d’une ville gauloise longtemps oubliée, Alaise ouvrira tout un horizon de ruines et de champs de bataille encombrés de tombelles et de castramétations. —. 130. — Muni de ces disposition, arrivez par le chemin de fer à Salins, achetez-y une blouse, des guêtres et un bon bâton contre les ronces et les serpents; prenez du jarret pour quatre jours d’ex- plorations à pied, et gravissez résolument les pentes du mont Poupet, au moment où son dôme se colore aux rayons du soleil levant. Une heure de marche conduit à la maison de chasse du comte de Pourtalès, cachée dans un frais bouquet d'arbres, au fond d’une haute vallée. On se trouve devant le Massir n'Ararse. Ce n’est pas son côté le plus imposant, mais non plus le moins curieux. Un peu sur la gauche, s'ouvre le défilé de La LanGue- TINE, dont le rôle antique semble bien marqué par le nom de Bois de la Porte, attribué aux pentes sourcilleuses qui s'élèvent en face : on dirait que ce nom demeure pour indiquer que ce passage fut toujours la porte principale d’Alaise. C’est, à la vérité, un assez vilain coupe-gorge : sur notre tête, un ruban de ciel; à droite et à gauche, deux murailles de rochers ; à nos pieds, la largeur d’un étroit ravin dont le fond fut autrefois emprunté par un chemin aujourd'hui rectifié lant bien que mal, plus mal entretenu encore. 41 faut nous arrêter précisément sur les endroits où la voie primitive se sépare des parties rectifiées, pour étudier l’intéressante découverte qu’y ont faite nos savants amis, MM. Azpnonse DeLacroix, JuLes Quicnerar et Aucusre Casran (!). Ils cherchaient les traces du chemin antique d’Alaise. Ayant écarté les ronces et sauté au fond du ravin, ils se trouvèrent dans une tranchée, ouverte à travers le roc vif, conservée sur une longueur d'environ trente mètres, profonde de deux, et d’une largeur variant, de bas en haut, de 1",20 à 4",75 (2). Le fond a été façonné er gradins par les pieds des chevaux qui, usant toujours la roche aux mêmes endroits, y ont, pour ainsi dire, modelé leurs empreintes. Ce singulier escalier est bordé d’or- nières s’enfonçant de trenle-cinq à quarante centimètres au- dessous du fond actuel, larges de quatre à cinq, et provenant () A. DeLAcRoIx, Bullelin archéologique pour 1857, dans les Mémoires de La Societé d'Emulation du Doubs, 3° série, tom. II. — J. QUIGHERAT, Conclusion pour Alaise dans la question d'Alesia. (2) Voyez planche I, fig. 1 et 2, et planche V. — A8 — de l’usure du rocher par le passage indéfiniment répété des charriots. La largeur de la voie entre les milieux des jantes est de 4, 466. Les deux parois latérales de la tranchée sont sil- lonnées d’écorchements continus, résultant du frottement des moyeux, et présentent un ou deux ressauts manifestant que le sol du chemin a été étagé, dans la succession des âges, à des profondeurs de plus en plus grandes. Ainsi se trouve confirmé ce fait vraiment extraordinaire, que c’est le temps et l'usage qui ont produit, non-seulement les gradins et les ornières, mais encore l’excavation du chemin elle-même. Voilà, certes, un bien vieux chemin. Les archéologues les plus compétents qui l'ont visité (!) n’hésitent pas à le faire re- monter à une époque antérieure à la conquête romaine, à dé- clarer que c’est un véritable chemin celtique. Il ne s’agit donc plus ici seulement de constater la haute antiquité de cette voie de la Languetine d’Alaise, mais encore d'expliquer les motifs propres à justifier ce grand âge, pour faire ressortir, de l’exa- men d’un exemple si remarquable, les caractères distinctifs des chemins celtiques et une règle pour les reconnaître. En déterminant cette règle, j'aurai pénétré dans mon sujet beaucoup plus avant qu’il ne semble d’abord. Ce sujet comprend les chemins, les habitations et les oppidum de la Gaule indépen- dante. Comme tous les effets extérieurs d’une civilisation sont liés par un caractère commun qui tient au fond même de cette civilisation, le chemin, la maison, la cité participent en même temps de l’état de barbarie ou du développement industriel d’un peuple : ces trois termes sont connexes, leur étude doit l'être aussi. Figurons-nous done qu'il arrive un moment où l’on pourra déterminer sur le terrain et tracer sur une carte le réseau des principales voies qui sillonnaient la Gaule à l’époque de son indépendance; ces routes se croiseront en des points impor- tants, rayonneront en étoiles des centres les plus considérables : c’est évidemment en ces endroits qu'il faudra rechercher les habitations et les oppidum celtiques. Alors, quel puissant moyen d'investigation l’on aura, dans cet ensemble de chemins, pour () Jde citerai entre autres, outre MM. QuicHERaT, A. DELACRoIx et CASTAN, MM. Henri MARTIN, E. Tunor, PE&IGNÉ-DELAcOURT, Boupsor, EMILE DELACROIX. — 4132 — découvrir une foule de lieux nommés ou indiqués par César, par divers autres auteurs anciens, et dont l’attribution est encore controversée ! Ce sera aussi une règle de vérification pour les emplacements déjà reconnus ou acceptés. Les chemins celtiques nous conduiront donc très sûrement aux habitations et aux oppidum celtiques. Nos connaissances sur ces trois ordres de faits sont, il est vrai, trop peu avancées pour qu'on puisse, dès aujourd'hui, dessiner une carte quelque peu complète des routes, des habi- tations et des villes de la Gaule indépendante. Je ne puis, consé- quemment, en présenter ici qu’une ébauche très imparfaite. Sous cette réserve, mon étude a pour but de remplir l’objet suivant dont le développement se divise en trois parties, savoir : Etablir les caractères intrinsèques essentiels des chemins de la haute antiquité; vérifier ces caractères au moyen des rares données que l’histoire fournit sur cette matière; décrire les routes gauloises déjà découvertes; esquisser le réseau de ces chemins, tout incomplet qu'il doive être, en montrant dans quelles directions il faudra chercher ceux qu'indiquent les opérations militaires rapportées dans les auteurs anciens et particulièrement dans les Commentaires de César. Voilà pour les chemins. Caractériser nettement la nature des habitations de la Gaule ; reconstituer, au moyen des documents historiques et des dé- couvertes de l’archéologie, les cavernes et les mardelles cel- tiques, les demeures lacustres, les cabanes ou x156n de Dion Cassius et les œdificium de César. Voilà pour les habitations. Déterminer l’organisation intérieure des bourgades, des villes et des oppidum celtiques ; donner leur physionomie, en dépei- gnant leurs places d’assemblées, leurs sanctuaires, leurs cime- tières, leurs fortifications ; décrire les oppidum d'Angleterre et de France dont il reste encore des vestiges; enfin placer, sur la carte du réseau des routes gauloises, les principaux oppidum de la Gaule au temps de César. Voilà pour les villes et forte- resses celtiques. Assurément, sur plusieurs parties de ce vaste programme, je ne donnerai, en quelque sorte, que le fil qui pourra désormais guider les archéologues dans leurs recherches sur ces diverses matières et rattacher leurs découvertes au corps de doctrine — 133 — dont j'essaie de dessiner la charpente; mais c’est déjà servir la science que de fixer un plan aux investigations à venir et de marquer, par quelques jalons bien placés, la marche à suivre pour en remplir convenablement le cadre (!). @) Le savant Dulaure a publié, il y a quarante ans environ, dans le tome deuxième des Mémoires de la Sociélé des antiquaires de France, une étude très étendue sur les habitations et les oppidum de la Gaule indé- pendante. Ce mémoire fit scandale, parce que l’auteur y soutenait une opinion qui choquait les idées reçues, mais qui n'avait que le tort d’être exagérée et incomplète. Il prétendait qu’en dehors de la Province ro- maine, il n'y avait point de villes dans la Gaule, que nul oppidum celtique n'était habité. Dulaure fut combattu par de Golbéry avec une exagération tout opposée, et avec plus de modération par M. de Caumont, dans le tome premier de son Cours d'antiquités monumentales. M. Frédéric Troyon, dans son livre original et savant sur les Habita- tions lacustres, ne traite guère que de ce dernier genre d'habitations cel- tiques. Quelques auteurs de moindre importance ont aussi écrit sur les oppidum celtiques ; mais ils n’ont apporté aucune lumière nouvelle sur cette ques- tion, au sujet de laquelle les opinions demeurent jusqu’à ce jour partagées entre le sentiment de Dulaure, celui de Golbéry et le moyen terme dé- veloppé par M. de Caumont. On remarquera, en outre, qu’il n'existe aucun traité sur les chemins celtiques : on ne trouve là-dessus que des renseignements épars dans quelques livres anglais d'archéologie, dans la notice sur Noviodunum Suessionum, de M. Peigné-Delacourt, et dans le livre si intéressant que mon savant ami, M. Alphonse Delacroix, a publié sous le titre d’Alaise et Séquanie. J'ai tenu à faire constater ainsi, en commencant, l’état actuel des questions que j'’aborde, afin que l’on apprécie convenablement, d’une part, quels sont les éléments nombreux que mon livre doit aux maîtres qui m'ont précédé; d'autre part, quels sont les résultats nouveaux que mes observations personnelles apportent pour jeter quelque jour sur ces obscures et difficiles questions. — 134 — CHAPITRE DEUXIÈME. RÈGLE POUR RECONNAITRE LES CHEMINS CELYIQUES. 11 faut d’abord établir une règle pour reconnaître les chemins celtiques et, à cet effet, se bien rendre compte rationnellement de ce que dut être un chemin de la haute antiquité. — Teinps primordiaux : Point de che- mins, mais seulement quelques sentiers à peine frayés à travers les forêts vierges. — Age de moyenne civilisation : Commencement de l’a- griculture ; invention de la charrue et du charriot; le sentier devient un chemin, mais sans irdustrie et seulement par l'usage. — Caractères du chemin primitif qui résulte de ce mode de création. — Point de tracé régulier, mais une application simple et adroite à la configuration du sol. — Passages naturels. — Empreintes profondes marquant un usage continué pendant une longue suite de sièclos. — Age de grande civili- sation : Ouverture de grandes voies créées par l’industrie. — Elles abordent les obstacles naturels et les surmontent. — Nombre de che- mins primitifs sont abandonnés ou rectifiés. — Les rectifications appar- tenant à une époque connue indiquent l’âge relatif des chemins recti- fiés. — Les très vieux chemins abandonnés, dont la direction ne peut expliquer actuellement le.long usage, remontent à l’âge précédent et, en France ou en Angleterre, sont celtiques. — Aulres caractères indi- rects : Le passage d’un chemin par l'emplacement d’un oppidum cel- tique. — Le voisinage de monuments celtiques, tels que dolmens, pierres levées, tumulus, etc. — Suivre à la piste les chemins gaulois au moyen des lieux-dits, des traditions orales des traditions écrites dans les chartes, et, s’il est possible, au moyen de l’histoire. — Règle générale pour reconnaître les chemins celtiques. Le point de départ et le fondement des recherches à faire touchant le système des routes de la Gaule indépendante, c’est l’art de reconnaître un chemin celtique. Je conviens que la chose ne paraît pas toujours aisée : 1l y a nombre de mauvais chemins creux, étroits, embarrassés de broussailles, qui vien- nent de toutes les époques. Néanmoins, malgré cette confusion apparente des caractères et des temps, il est possible de découvrir certaines marques propres à distinguer les vrais chemins de l’époque celtique. Pour être à même d'apprécier ces marques caractéristiques dans l’exemple choisi de la Languetine d’Alaise, il faut d’abord — 135 — se bien rendre compte rationnellement de ce que devait et pou- vait être un chemin de la haute antiquité. Prenons la Gaule et même l'Italie et la Grèce à cette époque primordiale qui, échappant à l’histoire positive, n'appartient guère qu'au domaine de la spéculation philosophique et de la poésie. Figurons-nous, en quelque sorte, les tribus sauvages de l'Amérique du Nord transportées dans les clairières des chênaies de l’Europe. La forêt et le pâturage, la chasse, la guerre partout, voilà le singulier tableau de cet âge. Quelques rares sentiers, à peine frayés, serpentent dans les vastes prairies ou bien percent, en étroites galeries, les massifs fourrés des bois. Ils suffisent à la circulation capricieuse des hommes, des bestiaux errant à l'aventure, et, plustard, au passage des bêtes de somme. Le charriot manquant encore, l’homme, le bœuf, Le cheval sont condamnés à porter intégralement toute charge (‘). Cependant les germes des premières sociétés se développent; l’agriculture tend à fixer les hommes, à les attacher au sol; la charrue et le charriot se trouvent inventés, le chemin est ouvert. Dès lors, le rôle du môteur fut singulièrement simplifié : il n’eut plus qu’à vaincre le frottement de l’essieu dans les moyeux et la résistance opposée par les aspérités du sol au roulement des roues. L'homme put ainsi transporter ses récoltes du champ à la cabane, faire des provisions, échanger l’excédant de ses res- sources contre des objets qui lui manquaiïent; l’appât du gain l’excita au travail, aiguisa son génie inventif; l’industrie et le commerce prirent naissance. C'était une révolution véritable, et l’on voit poindre l’aube de la civilisation. (2) HEsion., Opera et dies, L. — Homer. Odyss., lib. IX, vers. 109, 112- 115.— ÆscuyL., Prometheus. — PLATo, De legibus, lib. IIT. — STRABO, Geograph., lib. XII1, c. 1. — Ovin., Metamorph., lib. I. — VirGir., Georgic., lib. L. — LucRET, De natura rerum.— PLin., Hist.nat., lib. VII, Cap ILVII. — « Tods oÙv npwrous Tv avÜponmwy undevos Tv mpds Bioy XONSÉLEY Ebpngévou ÉmiTévuwS dudyerv, yuuvodc LÈv éc0ñroc dvruc, oixfoewc dE ka nupoc het, Toopñs d’népou mavreA@c lavevvoñtrouc. Kai y&p Tv GUYXOUIONY Tic dypiac TOO dyvodvrac, Undemiav Tv LAPTOV Eic Tac évoetac moteicôar mapdleouv 10 xai moAodc aÙtov &TédvoDAr xaTY ToÛc XEMLGvac did Te To Vüyos al TAv ondviv The Toopâc. "Ex Oë rod xat' dXyov ÜTo the meipac Oudacxouévouc ele Te Tà omAAQUX HUTAPEUVEL ÉV TO LEMLOVL, Xi TOV aprov Toùc oukdrrechar duvauévouc dmoribechou Yvwobévroc DÈ ToÙ Tupôc, x TOY EAAWY TOY ppnoiuwy xaTd puxpdv xal Thc Téyvac edpe0Y- vai xa Talk Ta Ouvaeva TÔv xotvdY Boy woyeñoa. » (DIoDOR. SICUL., lib. [, cap. vtr.) 4 — 4136 — Que cette révolution se soit produite, en Occident, au sein de populations autochthones, ou qu’elle y ait été apportée par les invasions de races ayant atteint déjà un état social relativement avancé, elle fut lente à s’accomplir. Les sociétés naissantes étaient trop faibles, les instruments de travail trop imparfaits pour qu'il vint même la pensée de construire des routes faciles et tracées dans des vues d'intérêt général. Les premiers sentiers continuèrent à servir et devinrent des chemins; il s’ouvrit d’autres voies, mais toujours sans industrie. La configuration du sol et la sagacité du bouvier durent seules déterminer la direction des chemins. Il était naturel et plus facile, dans l’état des lieux, de passer par tel endroit : un premier charriot franchit le passage, d’autres l’imitèrent, et la voie se créa ainsi successi- vement par l'usage. De ce que le chemin primitif fut un chemin naturel, suivi d’instinct et formé sans industrie, il résulte qu’il dut éviter autant que possible les plaines et les vallées marécageuses, se prolonger particulièrement sur les plateaux. Pour franchir les pentes, il dut préférer aux gorges encombrées d’éboulements marneux, la croupe raide, mais sèche, d’un contrefort de mon- tagne ou le lit d'un torrent qui lui prêtait un fond de roche ou de gravier. Point d’alignement, afin de pouvoir se plier aux moindres mouvements du terrain, mais un sentiment général de la ligne droite, tant que des obstacles infranchissables ne s’y opposaient pas. Les rivières, les monts escarpés commandant parfois l’endroit du passage, le chemin se détournait vers les gués, vers les brèches ouvertes naturellement daus les rochers, vers les cols des hautes montagnes. Ces points de passage naturels et pour ainsi dire obligés durent nécessairement prendre une physionomie particulière, importante à reconnaître. Sur les plateaux, dans les plaines, partout où il y avait de l’espace et de l’aisance, le chemin se déployait en plusieurs branches selon le caprice des conducteurs de charriots ou les besoins du dégagement. C'était en ces en- droits que devaient se faire les croisements de voitures : les conducteurs, s’apercevant de loin, se hêlaient pour s’avertir de choisir ehacun sa voie, en se laissant réciproquement à gauche. Aussi chaque branche de cet arbre de chemins, étant peu fati- guée par un usage ainsi divisé, se marquait faiblement et a dû n- Chemins celtiques. AVaissier.del à lith. lup: Yalluet J! LA LANGUETINE (Alaise| — 137 — le plus souvent être effacée par le temps. Mais, dans les passages difficiles, la voie était unique, large seulement de la voie rou- lière d’un chariot. Là, il fallait que le cheval marchôt dans les pas du cheval, que la roue suivit l'ornière de la roue. À la longue, le passage dut se creuser en une tranchée profonde, singulièrement marquée par des ressauts superposés du fond et par des ornières fortement entaillées dans la roche. Voilà un caractère capital pour reconnaître les chemins de la haute anti- quité; mais, pour qu'il ait toute sa valeur, il faut qu'en ces pas- sages, comme à la Languetine d’Alaise, les effets d'usure soient si puissants, qu'on ne puisse hésiter à les attribuer à un usage plus de vingt fois séculaire. Que, dans un pays accidenté, l’on découvre, suivant une même direction, une série de passages ainsi caractérisés par de fortes empreintes, on pourra sûrement, au moyen de pareils jalons, rétablir le tracé d’un chemin primitif. La civilsation continuant à marcher, que devinrent ces pre- mières voies ? Leur perfectionnement a-t-il suivi les progrès des arts? Perfectionner les chemins primitifs, c'était leur donner un tracé plus direct, plus avantageux, en égaliser, consolider le sol par la construction de chaussées avec des matériaux résis- tants; en un mot, changer à fond leur nature. C'était là un travail qui dépassait les forces d'une civilisation moyenne. Considérez, en effet, l’état des chemins de l’Europe il y a trois siècles, que dis-je? il y a cent ans à peine. La France des dix-septième et dix-huitième siècles, qui était alors le pays le plus avancé sous tous les rapports, ne possédait que quelques grandes routes dues au génie de Sully. La plupart de ses villes ne pouvaient être abordées que par de mauvais chemins à ornières (!). Vous juge- rez d’après cela combien l’indolence et la routine, le défaut de concert entre les populations voisines, l'absence d'une direction supérieure, ont dû s'opposer, de tout temps, au progrès des chemins. Vous en conclurez que les chemins primitifs demeu- rèrent les seuls en usage jusqu’au moment où, par quelque grand coup, par la conquête, suivant l’histoire, s’ouvrit une ère de grande civilisation matérielle, remarquable surtout par le () RicæarD LOvELL EDGEwWORTH, Essai sur la construction des routes et des voitures. 12 di — 138 — développement des pouvoirs publics, de l'administration, de l’é- conomie politique. Durant cette période , il se produisit un changement capital dans le système des chemins. Les routes furent alors tracées avec prévoyance, dans des vues d'intérêt général. C’est le propre d’une époque supérieure en industrie d'aborder les difficultés et de les résoudre. L'art jette des ponts sur les fleuves, coupe les rochers, traverse les montagnes, pour marcher droit à un but; l'exécution répond au tracé : le piéton, le cavalier et le chariot circulent dès lors rapidement sur des chaussées larges, faciles et solides. La transformation de l’état social et politique ayant détruit certains centres de population et en ayant créé d’autres, des voies nouvelles se substituèrent aux directions anciennes. Nombre de chemins furent abandonnés et se perdirent dans les broussailles, dans les fourrés des bois. D’autres, convenant encore par leur direction générale, furent rectifiés et, dans leurs parties conservées, furent élargis, aplanis, consolidés par un pavé ou un empierrement. Il résulte de ces deux faits deux caractères indirects très propres à faire reconnaître, dans cer- tains cas, la haute antiquité d'un chemin. Par exemple, voici une grande route pavée, appartenant à une époque de grande civilisation bien connue, au temps de l’Empire romain, je suppose. Elle suit la direction générale d’un chemin creux, à ornières profondes, dont on retrouve les tronçons partout où le trajet paraît avoir été rectifié : 1c1 c’est un détour autrefois commandé par des marécages que la culture a plus tard desséchés ; là c’est une déviation considérable, aux abords d’une rivière, pour aller chercher un gué qu’un pont construit dans la suite à fait abandonner. Ces rectifications, d'une époque précise, indiquent l’âge relatif du chemin creux : il est clair qu’il existait avant la voie romaine qui en emprunta la direction et qu’il remonte à l’âge précédent. Il en est de même des chemins abandonnés que l’on découvre sous les ronces, dans les solitudes des bois. En voici un por- tant les marques d’un service considérable et prolongé, et cependant il ne se dirige vers aucun centre de population qui justifie un tel usage : si l’on cherche où il pouvait aller dans les siècles précédents, au moyen-âge, cette direction singulière — 439 — demeure inexpliquée; il faut donc remonter jusqu’à l’époque où la création des grandes routes et des villes romaines fit délaisser les chemins de la haute antiquité. Ce chemin perdu appartient donc à l’époque celtique. Je me suis laissé aller à nommer l’époque romaine, à préciser l'attribution des vieux chemins creux à l’époque celtique. Mais chacun a déjà compris que, pour les contrées qui composaient la GRANDE GauLe, l’époque appelée de moyenne civilisation, ce sont les trois ou quatre siècles qui ont précédé la conquête ro- maine; que la révolution qui transforma la face de ces divers pays, c’est cette conquête même et l’avénement de l'Empire. Il faut donc reconnaître qu’en France et en Angleterre, les chemins creux fortement marqués par l’usage, ceux que rectifie parfois une voie romaine ou que le progrès social a fait abandonner, sont des CHEMINS CELTIQUES (!). En outre de ces caractères directs et indirects, il en est d’autres, de l’ordre de ces derniers, qui peuvent nous guider dans la recherche des voies celtiques. Q’un vieux chemin mène droit à l'emplacement bien reconnu d’un oppidum gaulois ou d’un sanctuaire druidique, vous n'hésitez pas à dire : C’est un chemin celtique. C’est le cas de la Languetine d’Alaise. On voit que si les oppidum de la Gaule indépendante peuvent être dé- couverts ou confirmés dans leur attribution géographique au moyen des chemins celtiques, réciproquement ces derniers fe- çoivent des premiers le même service. Qu'un autre vieux chemin soit jalonné par des monuments gaulois, par des dol-mens, par des men-hirs ou des gwyons (*), qui se dressent de distance en distance sur son passage, c’est encore un chemin celtique. Voici maintenant une antique voie qui conduit à une source (2) Pour éviter toute confusion, je dois préciser le sens que j'attribue, dans tout le cours de cet ouvrage, à cette qualification de celtique. J'ap- pelle celtiques, les chemins, les habitations, les villes et les oppidum ap- partenant aux Gaules cisalpine et transalpine, aux îles de Bretagne et d'Erin, antérieurement à la conquête romaine. C’est une indication de . région et d'époque et nullement de race. (?) On appelle groyon, une aiguille de pierre, naturelle mais appropriée de main d'homme, se dressant sur le flanc d’une montagne, au bord d’un chemin. On trouvera, dans le cours de cet ouvrage, des explications sur les dol-mens, les men-hirs et les gwyons. — 4140 — réputée pour ses propriétés médicinales, surtout merveilleuses, et consacrée à l’un des saints primitifs du christianisme ou à quelque saint local dont le nom est bizarre et la légende sin- gulière : la source fut, on le devine, fréquentée et révérée par les populations de la Gaule païenne ; au culte celtique, l'Eglise a substitué une consécration chrétienne; le chemin est celtique. Enfin, en voici un dernier, qui, partout où il franchit un défilé, un pas facile à défendre, est bordé, ‘en avant de l'obstacle, de nombreux tumulus. Ces tombelles indiquent un champ de ba- taille : le passage a été attaqué et défendu. A quelle époque ? Nul ne le sait. Combien, dans les pays de montagne, il y a de ces champs de bataille sans nom! Si l’on ouvre ces tumulus, qu'ils rendent des armes, des objets appartenant d’une manière certaine à l’époque celtique, le chemin, tant disputé par des Gaulois, est incontestablement un chemin celtique. Mais tous les événements qu'ont vu les vieux chemins de la Gaule rie sont pas demeurés sans nom. Tantôt c’est un lieu-dit qui révèle les noms des personnages importants d’un drame inconnu, des noms de peuples qui ont combattu , ou seulement la nature d’un événement, l'impression qu'il produisit. Tantôt c'est un surnom, une insulte jetée de village à village qui est l’écho incompris de très antiques haines. Aüïlleurs c’est une légende, forme travestie d’un récit historique, interpolée des gloses de tous les siècles successifs. Ces éléments divers, sou- vent menteurs, ilest vrai, étant analysés avec prudence par une saine critique, peuvent fournir d’utiles indications pour suivre à la piste les chemins celtiques à travers les forêts et les champs cultivés. Ces lieux-dits, ces traditions acquièrent une grande valeur lorsqu'ils sont consignés dans des chartes, et que l’on peut étu- dier, dans des textes authentiques, leurs altérations et transfor- mations successives d’âge en âge jusqu’à une époque reculée. Enfin l’histoire elle-même fournit, dans le récit des circonstances des événements, certaines données précieuses pour déterminer les directions des voies les plus suivies aux époques princi- pales. [!) : () Quelle importance faut-il attacher aux lieux-dits et aux traditions locales? On m'a reproché, à propos de ce que j'en ai écrit dans mon | — Ai — La foi que l’on doit avoir dans chacun des caractères particu liers que je viens d’énumérer dépend, on le conçoit, de la valeur plus ou moins prononcée des traits qui le composent. Un carac- tère isolé doit nous laisser dans le doute, quand il est faiblement marqué; s’il l’est, au contraire, fortement, il est décisif. L'ac- cord de plusieurs caractères même médiocres peut, das certains cas, produire une certitude suffisante. Celle-ci est complète jus- qu’à l'évidence, lorsque tous les caractères se trouvent réunis au plus haut degré, comme dans la Languetine d’Alaise. En résumé, pour rechercher les chemins celtiques d’une contrée, voici la marche qu'il faut suivre : Etudier d’abord à fond l’histoire du pays; induire de cette mémoire sur Urellodunum (Besançon, Bulle, 1859), de leur attribuer une valeur déraisonnable. « De tout temps, en archéologie, disais-je, on a fait quelque cas des lieux-dits; mais ils n'étaient, pour ainsi dire, admis qu’à titre de rensei- gnements, et non point comme preuves décisives. Notre savant ami, M. Alphonse Delacroix, avec une audace d'imagination trop critiquée et non assez louée, a créé, au moyen des lieux-dits, une méthode d’investi- gation vraiment origiuale, pleine de périls, sans doute, mais féconde en résultats. Relever les noms de tous les villages, des hameaux, des habi- tations isolées, des rochers, des champs, des chemins, des haies, d'un tas de pierres, du moindre accident de terrain, bâtir sur l'interprétation de ces-noms l’hypothèse complète du fait historique à établir: ensuite, par les preuves ordinaires de l'archéologie, par la discussion des textes, par les vestiges laissés sur le sol, par des fouilles, DÉMONTRER LA RÉALITÉ DE CETTE CONCEPTION; telle est la voie qui a conduit M. Delacroix à la dé- couverte (de l'attribution de l’Alesia de César à Alaise) qui le rend jus- tement célèbre. » Je n’ai à changer dans ce passage qu’un seul mot, celui de « preuves décisives, » qui va au delà de ma pensée. Les lieux-dits constituent rare- ment par eux-mêmes une preuve historique décisive. J’admets la plus grande hardiesse dans leur emploi comme procédé d'investigation, le flair du chasseur dominant toute règle, lorsque l’on bat les bois et les brous- sailles ; mais je recommande une grande réserve dans l'usage qu'on en peut faire comme preuves. Dans ce dernier cas, il faut, suivant le conseil et à l'exemple de M. Auguste Castan (voir ses remarquables rapports sur les fouilles d'Alaise, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 3° série, années 1858, 1859 et 1861), remonter, au moyen de chartes, s’il est possible, à l’origine de chaque lieu dit : tous doivent être passés au crible d’une critique rigoureuse. 11 faut ensuite se servir de ceux dont la valeur a été ainsi constatée, de la même manière que les médecins se servent des signes diagnostiques pour reconnaître une maladie. Tel est l'esprit de la méthode que j'ai recommandée, non point comme étant la seule bonne, mais parce qu’elle est, lorsqu'on l’emploie avec sa- gesse et bon sens, véritablement scientifique. — 4142 — étude détaillée la direction probable des voies les plus impor- tantes aux époques successives. Entrer dans les villages, dans les fermes, dans les plus humbles chaumières; s'asseoir devant le foyer, à la veillée, et recueillir les lieux-dits, les vieilles légendes, non point d’une seule bouche, mais de plusieurs, pour obtenir d’utiles variantes. Consulter les atlas cadastraux de chaque commune, les archives, s’'ilyena; dans le cas contraire, rechercher dans les dépôts publics des villes voisines les chartes qui concernent la région dont il s’agit. Ainsi muni de documents préparatoires, entrer en campagne, battre les bois et les broussailles, à la chasse des vieux chemins creux remarquables par les caractères suivants : absence totale d'art; une direction d’instinct se pliant adroïtement aux acci- dents du sol; dans certains passages naturels, les empreintes très profondes d’une formation successive par un usage de plu- sieurs milliers d'années. Obsefver, dans l’occasion, si une voie romaine n’a point em- prunté la direction générale d'un chemin celtique. Relever avec soin les chemins perdus au milieu des bois, ceux qui tendent vers un oppidum gaulois, vers une source ou un sanctuaire vé- néré par les Celtes, ou qui traversent les vestiges de monuments, de champs de bataille de l’époque celtique. Noter sur une carte les lieux et les tronçons de chemins qui présentent ces divers caractères. Contrôler les uns par les autres tous ces éléments variés; les passer au creuset d’une cri- tique sévère. Ainsi guidé dans ses recherches par l’histoire et la tradition, affermi dans ses résultats par l’observation et une analyse rigoureuse, on tracera sans hésitation, d’un trait continu, les directions jalonnées sur sa carte. Telle est la règle générale à suivre pour reconnaître les che- mins celtiques. | — 143 — CHAPITRE TROISIÈME. HISTOIRE SOMMAIRE DES CHEMINS DE L'ANTIQUITÉ. / Premier âge de civilisation des Celtes et des Pélasges. — Ils connaissent la maison, la charrue, le chariot et le chemin. — Grandes lignes d'in- vasions naturelles. — Trois directions capitales indiquées par l’histoire : au nord et sur le centre de l'Europe, par la marche des Kimris et des Teutons, les expéditions gauloises vers l'Orient et les invasions des barbares du cinquième siècle ; — au midi, par les mouvements pélas- giques et la descente des Etrusques en Italie. — Continuation de cette dernière ligne, d’ftalie en Espagne, marquée par les établissements des Sicanes et des Ligures. — Autre continuation à travers les Alpes Grées et Pennines, signalée par l'invasion des Boïes et des Lingons en Italie, formellement caractérisée par César, et se dirigeant par deux embran- chements principaux vers la Gaule centrale et vers les côtes de l'Océan et l’île de Bretagne. — La connaissance confuse de ces communications primitives forme le fond des traditions grecques sur les Hyperboréens et les Argonautes. — Vestiges de ces voies primitives : quelques pierres levées, des tumulus, des noms de lieux et de peuples semés tout le long de leurs directions. — Caractere essentiel de ces lignes d'invasion. — Sigovèse et Bellovèse ou le chemin des oiseaux: — Le combat d'Hercule et de Cyenus et le chemin des temps héroïques. — Etat physique de la Gaule au temps de la conquête romaine; ses grandes voies naturelles, d'après Diodore de Sicile et Strabon. — Introduction de la civilisation orientale daris la Gaule. — Hercule et les Phéniciens : le premier grand chemin pavé en Occident. — Origine des routes pavées en Italie. — Les Romains les introduisent dans la Gaule transalpine, dans la Germanie et l’île de Bretagne. — Comparaison du chemin celtique avec la voie romaine et avec les diverses espèces de chemins de l’époque gallo-ro- maine. — Ce que devinrent les chemins celtiques sous l’empire romain et au moyen-âge. — L'histoire vérifie la règle donnée pour reconnaître les chemins celtiques. “ Nous avons établi par le raisonnement une règle pour recon- naître les chemins celtiques ; il faut vérifier, au moyen de l’his- toire et de l'observation, les caractères qu’elle indique et les préceptes qu’elle formule. Commençons par l’histoire. Elle ne précise, on le conçoit, aucun détail sur les chemins de la haute antiquité. Ce n’est que par la critique de quelques récits, par le rapprochement de cer- tains faits, que l’on parvient à faire jaillir un peu de lumière sur cette matière obscure. — A14kE — Avec les philosophes et les poëtes, nous avons placé à l’origine des temps un état social inférieur, au sein duquel se serait pro- duit un commencement de civilisation marqué par l'invention de la charrue, du chariot et par l'établissement du chemin. Il y a lieu de se demander si l’on peut assigner une époque où les populations de l'Europe auraient passé par cette phase originelle et fixer une date à cette première métamorphose. Les plus an- ciennes traditions, les résultats les mieux établis de la philologie moderne tendent à démontrer que cet état rudimentaire ne fut jamais, sur le solde l'Occident, celui des peuples ayant un nom dans l'histoire, et ne peut être attribué qu’à des races disparues sous les flots d’invasions inconnues. Lorsque les tribus celtiques et pélasgiques arrivèrent en Eu- rope, elles y apportèrent un certain degré de civilisation pris à un foyer commun avec les Aryas de l’Inde et de la Perse. Cette communauté d’origine et d’état social entre toutes les nations appartenant à la grande famille indo-européenne ou japétique, dont l’Arye, « cette terre sainte des premiers âges, paraît avoir été le berceau, » est clairement manifestée par l’analogie, entre les idiomes occidentaux et le sanscrit ou le zend, des termes exprimant les idées, les usages, les besoins essentiels de cette civilisation primordiale (!). () Le grec, le latin, les idiomes celtiques, les langues teutoniques et slaves sont liés par une étroite parenté avec le sanscrit et le zend, qui furent les langues sacrées des Brahmanes de l’Inde et des Mages de la Perse. Toutes ces langues paraissent dérivées d’une langue mère, parlée dans l’Arye primitive et qui a disparu. Cette Arye, « cette terre sainte des premiers âges, » comue l'appelle M. Henri Martin, qui domine les antiques traditions de l'Inde et de la Perse, était située sur les plateaux du Turkestan et de la grande Boukharie, vers l’Oxus et l'Iaxarte. L'ordre chronologique suivant lequel les nations indo-européennes ont quitté les plaines de la haute-Asie paraît être le suivant : 19 Les Celtes (Gaëls et Cimmériens ou Kimris) et les Pélasge: (Latins et Hellènes) ; 20 les Teu- tons ; 80 les Slaves. Le bénédictin breton D. Pezron a le premier deviné que les Gaulois devaient être venus de la Bactriane. Suivant l’ethnographie biblique, ils descendent d’Askhenaz, l’un des fils de Gomer, fils de Japhet. _(Uf. D, PEzroN, De l'antiquité de La nation et de la langue des Celtes, 1708; — A. Kuan, Zur œltesten Geschichte der Indogermanischen Vœlker, ap. WEe8sERr, /ndische Studien, I ; — ADOLPHE PicTET, Les origines indo-euro- péennes ou les Aryas primitifs, Essai de paléontologie linguistique, 1re part.; — MommMsEN, Rœmische Geschichte, t. I, pp. 12-13; — ALFRED MAURY, Histoire des religions de la Grèce antique, t. 1, pp. 7-8; — HENRI MARTIN, Histoire de France, 4e édit., t. I, p. 2 et suiv.). — 18 — Tous ces peuples connaissaient déjà l’élève des bestiaux et les services des animaux domestiques (). Ils travaillaient les métaux et s’en fabriquaient des armes et des objets de parure (?). Ils labouraient la terre (*). () BÉTAIL : en sanscrit, paçu; — en latin, pecus; — en grec, rüv; — en vieux prussien, pecku; — en goth, faihu. BŒur : en sanscrit, go, gas (taureau et vache) ; — en latin, bos; — en grec, Boùc;— en zend, gaô (vache); — en ancien allemand, chuo (vache); — en anglo-saxon, cü (vache); — en scandinave, kü (vache); — en anglais, cow:— enirlandais, bo; — en cymrique. bu; — en armoricain, bû; — en cornique, buch. Le latin vucca reproduit le zend vakhsha (bœuf). CHEVAL : en sanscrit, açva: — en zend, açpa; — en grec, inxoc et lxxoc; — en latin, equus; — en valaque, epa (jument); — en goth, aïhva (dans aihvalundi) ; — en celtique, epo (en comp. dans Eporedia, Eporedorix, Epomanduodurum, Eponina) ; — en irlandais, echw, ebol (poulain) ; — en cymrique; osw (Cf. açva). CHIEN : en sanscrit, çvan et runa ; — en grec, xÿwv; — en latin, canis; — en goth, hund (h aspirée pour c); — en irlandais, cu; — en armori- cain, ki. Porc : en sanscerit. su-kara : — en grec, ouc, dc; — enlatin, sus; — en ancien allemand, sû; — en irlandais, suig. BREBIS, MOUTON : en sanscrit, avi;— en latin, ovis; —en grec. üéc (oFuc), — en ombrien, ovs; — en goth, avis; — en irlandais, avi; — en slavon, ovtza. Etc., etc. Cf. À. Kuan, op. cit. — A. PicTET, op. cit. — J. GRIMM, Geschichle der deutsch. sprach. 6 (2) MÉTAL : uéraldov, melallum , viennent peut-être du sancrit matal- likä (excellent). OR : en sanscrit, harana ; — en zend, zara; — en grec, xeUoos (xp COr- respond au har sanserit). — Autre groupe : «ÿpoy, aurum ; — en irlandais, 6r; — en cymrique awr;— en armoricain, aour ;— en albanais, «r;— etc. ARGENT : en sanscrit, rag'ata (rudjata) et arguna ; — en zend, eresata ; — en arménien, ardzath; — en latin, argentum; — en grec, &pyüprov; — en albanais, ergent : — en irlandais, airgeat; — en cymrique; ariant; — en cornique, argans ; — en armorivain, archanl. CUIVRE, AIRAIN : en sanscrit, ayas, ara; — en latin, æs; — en grec, &onc (fer) : — en irlandais, iris. Erain : en sanscrit, hasttra; — en grec, xacottepoc. — Stannum est d’o- rigine celtique. Fer : les Aryas, les Celtes et les Pélasges paraissent n'avoir pas connu le fer à l'époque de leur séparation, car, en sanscrit. le fer est désigné par ayas, comme l’airain. On a d’ailleurs quelque peine à rattacher au sanscrit le ctônpos grec, le ferrum latin, l'isarn germanique et celtique (Isarno- durum, porte de fer), l'haiarn cymrique. (Cf. A. KUEN, op. cit. — A. PICTET, op. cit. — BENFEY, Grierhisch. Wurzellexicon, t. 1, p. 466. — H. Moxin, Monuments des anciens idiomes gaulois, Besancon, 1861.) () Mommsen (Ræmische Geschichte, t. I, p. 15) a fait remarquer que les mots qui se rapportent à la vie agricole existent avec le même sens en latin — 146 — Ils attelaient des bœufs et des chevaux à des chariots (‘) qui roulaient en criant dans le lit du torrent (?). Enfin, quoique nomades, ils savaient construire des habita- tions fixes et les grouper en bourgades (*). et en grec, mais qu'on ne les trouve plus avec leur sens particulier dans le sanscrit, Exemples : ager, &yp6c; — aro, aratrum, &p6w, &potpov; — ligo, Xayaivw ; — horlus, y6ptoc ;— hordeum, xp0%;— ricer, xéyxpoc;— milium, pehivn ; — vinum, oivoc (Fosvoc); — oliva, ëkuia. (Cf. ALFRED MAURY, Histoire des religions de La Grèce antique, t. 1, p. 9;. Je pense néanmoins que les Pélasges et les Celtes, à leur arrivée en Europe, se nourrissaient. de grain et labouraient la terre. 11 serait trop long de développer ici tous les motifs de cette opinion, je me contente d'iudiquer sommairement les suivants : CHARRUE : racine sanscrite, ar (lædere), d'où ara, airain, le métal qui blesse, fend, déchire, arus, blessure, et dr, alène, tranchet, outil pour percer, fendre, déchirer : comparez avec ces mots les mots grecs àp6w, &potpoy, les latins aro, aratrum , les irlandais ar (laboureur), arach (soc de charrue), l’armoricain arar (charrue). MEuLE (pour moudre le grain): racine sanscrite, malana (frotter et moudre), d’où le latin mola, le grec uÜk…n, l’ancien haut allemand muli, l’islandais meile, le gallois melin, le tchèque mlyn, le lithuanien malunas. Les traditions irlandaises, suivant M. Henri Martin (Histoire de France, 4° éd., t. I, p.3), affirment que les Némèdes. fils de Neimheidh, cette tige mystérieuse de la race gauloise, pratiquaient l’agriculture. Il est vrai que les traditions grecques semblent dire le contraire : ainsi Diodore de Sicile fait apprendre aux Celtes par Hercule, c'est-à-dire par les Phéniciens, à labourer la terre; mais cela est invraisemblable, car le seigle et le fro- ment, céréales particulièrement gauloises, n'étaient pas cultivés en Phé- nicie. @) Jou : en sanscrit; jugam ; — en grec, Evy6v; — en latin, jugum ; — en allemand, Joch: — en irlandais, iau. EssIEu : le sanscrit akshas se reproduit daus le latin axis, dans le grec &EWY, &uaëx. CHaR : au sanscrit c’ar (khar) et k'arb (kharb), aller, doivent assurément être comparés : le celtique carpentum, le gaëlique irlandais carbad, en vieil irlandais carpat (in Glossar. Corm. ap. O'Don., p. 151. Cf. ZEuss, Grammatica celtica, p.87), le celtique carrus (CæsAR, Bell. Gall., passim), l’irlandais carr, d’où carrata, carrada, charretée, dans le même idiome, le latin currus. — Autre groupe : Char, en sanscrit, rat’a (ratha); — en cel- tique, rheda ; — en irlandais, riad ; — eu haut vieux allemand, raida. (Cf. les mots latins rota et roltare.) () CHEMIN, LIT DE RUISSEAU : en sanscrit, rodha (lit de ruisseau et ri- vière) ; — en persan, rüd, rôd (rivière) ; — en irlandais, rodh (chemin) ; — en cymrique, rhawd (chemin). Cf. les mots français route et roder. (8) Maison : en sanscrit d'ama (dhama) ; — en grec, d6moc; — en latin, domus ; — en slave, dom; — en irlandais, daimh. DEMEURE : en sanscrit, dkäya ; — en irlandais, achaidh. PORTE : en sanscrit, dvér, dvdra ; — en grec, 60pa; — en latin, fores; — 141 — Ainsi donc, quelque profondément que l’on creuse dans les couches historiques, on trouve, en Europe, la maison, la char- rue, le chariot, le chemin. Mais ce chemin, il faut bien le com- prendre, c'était, ainsi que l’indiquent certains rapprochements philologiques (‘), le lit du torrent, le chemin du talweg et du col, franchissant la montagne par une coche entaillée natu- rellement dans le rocher (?) : c'était, en un mot, le chemin pri- mitif tel que nous l’avons décrit. L'histoire nous montre ces premiers chemins, frayés et battus par les émigrations successives, se liant bout à bout suivant la configuration du continent, et formant des voies de communi- cation continues entre l'Orient et l'Occident. Trois lignes capitales d’invasion sont tracées à grands traits par la nature à la surface de l’Europe. Si le niveau de l’Océan montait de quelques mètres, une immense écharpe d’eau unirait le Pont-Euxin aux mers septentrionales ; un bras de mer péné- trerait vers l'Occident par la vallée du Danube et semblerait vouloir communiquer avec un autre bras remontant le cours du Rhin jusqu’au pied des Alpes; un golfe, dessiné par la vallée de la Save, s'ouvrirait dans la direction de la mer Adriatique, qui baignerait aussi, à travers les plaines du Pô, la base orientale de ces mêmes montagnes. C’est là l’image des trois courants de nations qui ont envahi l'Occident. L'histoire les indique non moins bien que la nature. D'abord la vaste mer de pâturages qui a pour rivages le Cau- case, l'Oural et les Karpathes, était parcourue sans cesse et en tout sens, de l'Euxin à la Baltique, par la charrette en été, par le traîneau en hiver. C'était la voie du Nord, tout le long de laquelle , au septième siècle avant notre ère, les Cimmériens, — en goth, dauro ; — en ancien haut allemand, turi ; — en irlandais, doras; — en celtique, dorum (isarnodorum). BouRG, VILLE : comparez le sanscrit veça, le grec olxoc, le latin vicus, le zend viç, l'armoricain gwig; — le sanscrit puri, le grec mél, etc. (:) Voir la note 2 de la page précédente. (*) Comparez le sanscrit dara, vallée, caverne ; — le sanscrit dardara, montagne abrupte ; — le persan darah, vallée, défilé, col ; — le sanscrit dala, fissure, entaille, passage; — le slave doli, dolina, id. ; — l’irlandais dal, dail, id.; — le cymrique dol, id.; — le gothique dals ; — l’anglo-saxon dalr ; — l’ancien allemand tal (tal-ueg, le chemin de la vallée, de la noue entre deux pentes, le chemin du ravin). — 18 — Cimbres ou Kimris, déployaient leur longue ligne de bataille (!). Leur aile droite, poursuivant cette direction, côtoya les plages de [a mer Morte, de la mer Glaciale, de la mer Brumeuse !{?) et se répandit dans la Gaule septentrionale et occidentale, jusque dans l’île de Bretagne (*). La masse principale des Kimris s’engagea sur la voie cen- trale du Danube, à travers la forêt Hercynie, « dans laquelle on marchait soixante jours sans en trouver la fin (*). » Elle dé- boucha sur le Rhin et rejoignit, par les passages naturels des Vosges et des Ardennes, les tribus de même race qui l'avaient devancée. C’est suivant cette voie centrale du Danube et de la forêt Her- cynie, que les populations gaëliques, refoulées par l'invasion des Kimris, réagirent en envoyant l’émigration de Sigovèse (?) Les Grecs les appelaient Kmwweptor. (Cf. HERODoOT., Histor., lib. IV, C. XI. — EPHORUS ap. STRABON. Geograph. lib. V, c. 1V. — HoMERuS ap. STRABON., lib. [, ce. 1, 11, et lib. LIT, «. 11. — PLUTARCH., in Marium. — Diopor. Sicu., lib. V, c. xxxIM. — Arpian., Bell. Illyr., p. 58. edit. H. Steph., 1592.) — « Kmeotoucs tobs Kiu6pouc ôvouacdvrwy t&v ‘Elf voY.» (STRABON. Geog., lib. VIT, c. 11). — Les historiens latins les nom- maient Cimbri. — les peuples de race cymrique (Armoricains et Gallois) s'appellent eux-mêmes Cymris ou, suivant l'orthographe adoptée, Kimris (prononcez Keumreu). (?) En cymrique : la mer Morte (la Baltique), Môr-Marousis; — la mer Glaciale (le golfe de Finlande), Môr-Chroinn ; — la mer Brumeuse (la mer d'Allemagne), Mr, Vôr ou Fôr-Tawkh.— « Philemon Morimarusam (Môr- Marousis) a Cimbris vocari, hoc est morluum mare, usque ad promonto- rium Rubeas. ultra deinde Cronium (Môr-Chroinn). » ( PLiN., Hist. nat. lib. TV, cap. xxvi1.) (8) Avant l'invasion des clans cymriques des Bretons, cette ile se nom- mait Albion. (Cf. Trioed of ynys Prydain, ap. OWEN Jones, Myvyrian Archaïology of Wales, t. II.) — Suivant les Triades, les Kimris étaient conduits par Hu-Gadarn, Hu-le-Puissant, qui a été, en quelque sorte, le Moïse des Celtes. [ls venaient du pays de Haf, c’est-à-dire du pays de l'été, nommé Deffrobani, « du côté où est aujourd’hui Constantinople, » ajoute une glose très ancienne. (*) HENRI MARTIN, Histoire de France. 4° édit., t. 1, p.14. ? — « Hujus Hercyniæ silvæ, quæ supra demonstrata est, latitudo, novem dierum iter expedito patet.……. Neque quisquam est hujus Germaniæ, qui se aut adisse ad initium ejus silvæ dicat, cum dierum iter sexaginta pro- cesserit, aut quo ex loco oriatur, acceperit. » (CæsAR. Bell. Gall., lib. VI, c. xxv.) — La Forêt-Noire n’est qu’un faible débris de l'antique forêt Hercynie. (Cf. ALFRED MAuRY, Des grandes forèts de la Gaule et de l'an- cienne France.) — 149 — vers l’Illyrie (‘). Environ trois siècles après, la horde des Volkes Tectosages prit le même chemin (?). Enfin, c’est par les deux lignes du nord et du centre que les peuples teutoniques ont, pendant six siècles, envahi l'Occident, et que les Huns ont fait leurs terribles irruptions (*}. La troisième ligne d’invasion, celle de l’Adriatique , mettait en communication les bords de l’Euxin et le nord de la Grèce avec l’Italie septentrionale. Elle fut la voie par laquelle les mi- grations pélasgiques durent se produire (*). Ce qui l'indique, (:) « Sigoveso sortibns dati Hercynii saltus. » (Tir. Lrv., 1. V, c. xxxIV. — « Illyricas sinus penetravit.…. in Pannonia consedit. » (JUSTIN. Histor., lib. XXIV, c. iv.) (?) AMÉDÉE TuHiERRY, Histoire des Gaulois, t. 1, Introduction, pp. lv, Ixvj, 129 et suiv. — HENRI MARTIN, Histoire de France, 4° éd., t, I, p. 23. — Cf. Jusrin., Histor., lib. XXIV, c. 1V; — STRABON. Geog., lib. IV, c.r; — Pozys., lib. II, ©. vi. (#) Les Huns passèrent le Rhin, vers la fin de février 451, très proba- blement auprès de l'embouchure du Necker. (*) Des considérations philologiques tendent à démontrer que ce n’est point par mer, mäis par la voie de terre et le nord de la péninsule que les Pélasges sont descendus primitivement en Italie. Remarquez les rap- prochements de mots qui suivent : BARQUE, EMBARCATION : en sanscrit, nuûüs; — en latin, navis, — en grec, vœUc. ESQuIr : en sanscrit, plava; — en grec, rhoïov; — en ancien haut alle- mand, pfluoch, fluoch, ploh. RAME : en sanserit, aritram; — en grec, épetruoc; — en latin, remus. Les tribus pélasgiques, lorsqu'elles pénétrèrent en Grèce et en Italie, se servaient déjà d'embarcations qu'ils conduisaient à la rame, puisque les mots propres à cet usage ont une origine commune dans le sanscrit, le latin et le grec. Mais les mots velum (de vehere), malus, antennæ, se rapportant à la navigation à voiles. sont exclusivement latins : cela in- dique que ces agrès sont latins d'origine, et que les populations italiennes ne les ont pas recus de Péiasges venus de la Grèce par mer. (Cf. G.-F. GROTEFEND, Rudimenta linguæ umbricæ ; — AUFRECHT et À. KIRCHOFF, Die umbrischen Sprachdenkmahler, Berlin, 1849; — Ta. MOMMSEN, Die unter-italischen Dialekte, Leipzig, 1850, et Ræmisch. Geschichte, t. T, p.15.) Pour l’histoire si confuse des Pélasges, Cf. FRÉRET, Observalions sur l'origine et l'ancienne histoire des premiers habitants de la Grèce; — NiE- BUHR, Histoire romaine (trad. de Golbéry), t. I, pass.; — D’ECKSTEIN, Queslions relatives aux antiquités des peuples sémiliques ; — ERNST CURTIUS, Die Ioner vor der ionischen Wanderung, Berlin, 1855; — W.-G. SOLDAN, Ueber die Karer und Leleger, ap. Rheiniches Museum fur Philologie (3° an- née, 1835); — HoEcK, Kreta, t. II ; — Orrr. MULLER, Orchomenos und die Minyer, et Die Dorier ; — GERHARD, Ueber Griechenland Volkstæmme und Stammgotthciten, ap. Mémoires de l’Académie de Berlin, 1853, p. 469 ; — — 4150 — c'est qu'on attribue aux Pélasges les premiers fondements de * Pola, de Trieste, d'Aquilée, de Spina et d'Hadria (!). La tradition touchant Anténor et les Henètes ou Vénètes, dont Tite-Live, Virgile et Strabon se sont faits les interprètes, semble aussi l'indiquer. Elle nous montre ce peuple, mède d’origine, échelonnant, après la guerre de Troie, ses établissements le long de notre troisième ligne, en Paphlagonie, en Illyrie, et en Italie, dans la contrée qui en reçut son nom (?). Autre indication du même genre : dans le cours du onzième siècle avant notre ère, les Rasènes, Tyrrhéniens ou Etrusques, peuple pélasgique originaire aussi de l’Asie-Mineure, descen- dirent dans la péninsule italique par les Alpes Rhétiennes (*). S.-F:-W. HOFFMANN, Griechenland und die Griechen in Alterthum: — TH. MOMMSEN, op. cit.; — ALFRED Maury, Hisloire des religions de la Grèce antique, t. 1, p. 2 et suiv.; — etc., etc. @) CLuver. Jialiu antiqua, t. 1, pass.; — WALCKENAER, Géographie an- cienne, historique et comparée des Gaules cisalpine el transalpine, t. 1, c.r. — D'après deux inscriptions en caractères étrusques trouvées à Hadria, cette ville aurait été fondée, au moins six siècles avant Rome, en l’an 1376 avant J.-C. C’est l’époque à laquelle Denys d’Halicarnasse fait arriver les Pélasges aux embouchures du PÔô. (Cf. Carzr, Delle antichità italiche, t. I, p. 17; — BAccHiI, Osservazioni sopra un teatro. Tavol. V et VII; — WALCKENAER, loc. cit.) (2) « Casibus deinde variis Antenorem cum multitudine Henetum, qui seditione ex Paphlagonia pulsi, et sedes et ducem , rege Pylæmene ad Trojam amisso, quærebant, venisse in intimum maris Hadriatici sinum : Euganeis que, qui inter mare Alpesque incolebant pulsis, Henetos Tro- janosque eas tenuisse terras. » (Tir. Liv. lib. I, cap. 1. — Cf. lib. V, Cap. XXXIIL.) — « Antenor potuit, mediis elapsus Achivis, Ilyricos penetrare sinus, atque intima tutus Regaa Liburnorum, et fontem superare Timavi… Hic tamen ille urbem Patavi sedesque locavit Teucrorum, et genti nomen dedit... » (ViRGIL. Æneid. lib. I, vers. 246-252.) — « Tèv uèv oùv ’Avrhvopa nai tobc maièac LETà TOY TEPIYEVOLÉVEOY Every sic Tv Oodxnv meptowbñvar, xaueïbev draneoeiv els Ty ÀEYopÉvnv xarà Tûv ’Adplav ‘Evetixv. » (STRABON. Geog. lib. XIII, c. 1. — Cf. lib V, c. 1.) — Cf. Pozys. 1. 11, c. 111; — MARTIAL. lib. IV, Epigr. 24; — Sion. APOLL. Paneg. Anthem., vers. 189. — Celte émigration des Hénètes aurait eu lieu en 1270 avant J.-C., suivant Larcher (Chronol. d'Hérodote, t. VIT, p. 581); 1181 ans avant notre ère suivant le P. Petau (Doct. temp. t, IT, p. 292), et suivant Simpson (Chronicon., édit. Wesseling, p. 338). (“) Les Etrusques traversèrent l'Isombrie comme un terrent, dit M. Am. Thierry, franchirent l’Apennin et envahirent l'Ombrie maritime. — A5 — Cette troisième ligne, franchissant les Apennins et les Alpes, se prolongeait dans deux directions principales. La première, descendant du col de Tende, conduisait en Es- pagne par le littoral de la Méditerranée et les ports orientaux des Pyrénées. Suivez, avec M. Amédée Thierry, les mouvements des Sicanes et des Ligures sur cette direction (‘). Les Sicanes étaient Pélasges; on. le croit du moins : leur retour d'Espagne en ltalie ne semble-t-il pas indiquer la continuation d’un mou- vement pélasgique alternatif se faisant sentir jusqu’à l'extrémité méridionale et occidentale de l'Europe ? Une fois qu'ils s’y furent constitués, ils poursuivirent avec persévérance l’expropriation des Ombres auxquels ils enlevèrent.l'Ombrie circumpa- dane. C’est de cette conquête méthodique qu'il s’agit dans les passages suivants deTite-Live et de Pline, qu'il faut convenablement interpréter : « Ii (Tusci) in utrumque mare vergentes incoluere urbibus duodenis terras, prius cis Apenninum, ad inferum mare; postea trans Apenninum totidem, quot capifa originis erant, coloniis missis; quæ trans Padum omnia loca, excepto Venetorum angulo, qui sinum circumcolunt maris, usque ad Alpes, tenuere. Alpinis quoque ea gentibus hand dubie origo est, maximè Rœætis.» (Tit. Liv. lib. V, e. xxx.) — « Trecenta eorum oppida Tusci debellasse reperiuntur. (PLIN. Histor, nal. lib. T11, e. xix.) —- Cluvier établit d’abord les Etrusques dans l’Etrurie cireumpadane : « Hi igitur antiquæ illius Hetruriæ cireumpadannæ fuere fines; ex quibus postea in novam inter Apenninum et mare inferum Hetruriam totidem colonias deduxerunt (/talia antiqua. lib. IT, p. 434). » — Au reste, l'origine des Etrusques ou Tyrrhéniens ou Rasènes, est un des problèmes historiques qui ont le plus exercé la sagacité des savants. M. Am. Thierry adopte l'opinion de Heyne : « Ce peuple, dit-il (Histoire des Gaulois, t. [, p. 14, note), ne reconnaissait pour son nom national que celui de Rhasena, en ajoutant l’article, Ta-Rhasena, d'où les Grecs probablement ont fait Tyr- seni, Tyrrheni. On ignore d’où dérivait celui d'Etrusques que les Latins leur donnaient, » Suivant la chronologie adoptée par cet historien, l'in- vasion des Etrusques en ltalie aurait eu lieu dans le cours du onzième siècle avant Jésus-Christ. — Cf. NIEBUHR, Histoire romaine (traduct. de Golbéry), t. 1, passim; — JAMES MiLLINGEN, On the lute discovery of ancient monuments in various parts of Etruria ; — O.MuLLER, Die Elrusker. (2) « Etxavot &nd toù Etxavod norauod Toù ëv ’Iénplo Ümd AtyÜwy &vaa- ravres. « (THucyD1p. lib. VI, c. 11). Cf. Servius, ad Æneid. lib. VIL; — EPpuor. ap. STRABON, lib. V1; — Pæixisr. ap Diopor. SicuL. lib. V ; — Dionys. HaLicARN. lib. I et Il ; — Prin. Hist. nat, lib. ITE, c. 1x. Suivant les calculs de Fréret (OEuvres complètes, t. IV, p. 200), les Sicanes ou Sicules furent chassés de l'Italie et passèrent dans l’île qui a pris leur nom vers la fin du quinzième siècle avant notre ère. De quelle antiquité est leur établissement en Espagne et leur retour en Italie? Les Ligures, peuple de la montagne, Lli-gor, en langue basque ou eusca- rienne, étaient appelés Ligures par les Latins et Aryvec parles Grecs. — 152 — La seconde direction partait du val d’Aoste et pénétrait dans la vallée du Rhône par les passes des Alpes Grées et Pen- nines (!) Elle envoyait vers l’intérieur de la Gaule plusieurs em- branchements dont le principal suiveit les terrasses longitudi- nales du Jura séquanais, gagnait le plateau lingon, atteignait les bords de la mer Brumeuse et l’île de Bretagne. C'était le vrai chemin du nord de l'Italie au centre et au nord de la Gaule. Tite-Live nous apprend que les Boïes et les Lingons prirent cette route pour envahir l'Italie (?). C'était sans doute celle des marchands italiotes et grecs allant chercher aux îles Cassité- rides l’étain, l'un des deux éléments du bronze, qui était alors le métal indispensable à tous les besoins de la vie (*). Le carac- tère commercial de cette voie se continua jusqu’au temps de César, qui nous confirme que « les marchands avaient coutume de la prendre pour transporter leurs marchandises avec beau- coup de temps et de danger » {{). Il fallait que le commerce primitif eût le cœur ddtie par l'appât du gain et triplement cuirassé (*), pour oser entreprendre — « Auyvoruw, mé Atyowv this duorunñc I6epiacs Eyyds ua Tnc Taprnosoÿ mAnsiov. oi oixodvrec, Alyuecxahodvtas, » (STEPHAN. ByZANT.. Ve Atyuorivi.) PPT ....... Celtarum manu Crebrisque dudüm præliis..……. Ligures.. pulsi, ut sœpè fors aliquos agit, Venêre in ista quæ per horrenteis tenent Plermque domos. » (FEST. AVIEN. Ora marilim., vers. 132 et seq.) Cf. AMÉDÉE THIERRY, Histoire des Gaulois, t. I, pp.8et 9. () Alpes Graiæ , du celtique craig, roche, et non point du latin graius : c'est donc à tort que ce nom d'Alpes Grées a été transformé en celui d’Alpes Grecques, et qu’on voudrait y voir un souvenir des émigrations helléniques primitives dans la haute Italie et la Gaule. (2) « Pennino deinde Boii Lingonesque transgressi. » (Tir. Liv. lib. V, Cap. Ill.) (8) «..…. oùte vacouc oïôa Kacowepiôac éoûcac, Èx Tv Ô xaToitepoc AULTV DOTOeeecee EE écydrnc (Edpwmnc) d'ov 6 te xaooitepos AUIV gotT& xai TÔ fhextpov. » (HERODOT. Histor. lib. [IT; c. cxv.) (4) «Cum in Italiam proficisceretur Cæsar, Sergium Galbam cum le- gione duodecimä et parte equitatus in Nantuates, Veragros, Sedunosque misit, qui a finibus Allobrogum, et lacu Lemano, et flumine Rhodano, ad summas Alpes pertinent. Causa mittendi fuit, quod per Alpes, quù magno cum periculo magnisque portoriis mercatores ire consueverant, pa- tefieri volebat. » (Bell. Gall. lib. III, c. 1.) (5) « [li robur et æs triplex Circa pectus erat.. . » (HORAT., lib. 1, Od 111.) — 153 — ces voyages au long cours à travers le continent. Que notre pensée suive le mercier portant la balle, la caravane de cavaliers et de chariots, tout le long de sentiers sans gîles et sans fin. Dans les solitudes herbeuses où erre la horde, dans les sombres forêts que le barbare dispute à la bête fauve, que de périls, que d'aventures! Aussi, au retour, que de récits merveilleux, variés de bouche en bouche et bientôt transformés en légendes! Ainsi s'expliquent, par une tradition oblitérée et confuse des communi- cations primitives entre l'Orient et l'Occident, les fables grecques touchant les Hyperboréens et les Argonautes. Sans entrer ici dans une analyse délicate pour séparer ce qu'il y a de réel de ce qui est de pure imagination dans ces traditions, je n’en aborderai que le côté qui regarde le sujet qui nous occupe. Il faut d’abord rejeter parmi les contes poétiques cet Eldo- rado situé au delà de l'Aquilon où vivait un peuple fortuné, immortel, mystérieux, qui, à mesure que les anciens connurent mieux le Nord et l'Occident, fut reculé par delà l'Océan. Pline et Pomponius Mela le transportent sous le pôle, dans la région où le soleil, se levant au printemps et se couchant en automne, _éclaire un Jour de six mois après une nuit de même durée ("}. On entrevoit néanmoins sous cette fable une réalité historique; mais laquelle? La légende d’Abaris l’hyperboréen semble ré- pondre. Au temps des premiers aœdes grecs, des Orphée, des Linus, des Musée et des Eumolpe, un poëte du Nord, Abaris, ayant chanté le voyage d’Apollon au pays des Hyperboréens, le dieu le sacra son grand-prêtre. Cet homme divin, porté dans les airs sur une flêche, fit alors le tour de la terre en répandant ses prophéties (?). Cet Abaris ne serait-il pas la personnification de (?) « Pone eos monte (Riphæos), ultraque Aquilonem, gens felix (si credimus) quos Hyperboreos appellavere, annoso degit ævo, fabulosis celebrata.miraculis, 1bi credunt esse cardines mundi, extremique siderum ambitus, semestri luce, et üna die solis aversi : non ut imperiti dixere, ab æquinoctis verno in autumnum » {PLIN., Histor. nat, lib IV, ce xxvi). — Mela connaît mieux que Pline les phénomènes astronomiques des ré- gions polaires : « [n Asiatico litore primi yperborei, super Aquilonem Rhipæosque montes sub ipso siderum cardine jacent : ubi sol non quo- tidie, ut nobis, sed primum verno æquinoetio exortus, autuninali demum occidit : et ide sex mensibus dies, et tolideñ aliis nox usque continua est. » (Pomp. MELA, De situ Orbis, lib. 111, ce. v.) () Herop., Hist. lib. IV, c. xxxvi.— Pausan., 1. 11, c. xr11. — Dion. 13 — 154 — la race et du bardisme celtiques promenant, de l'Asie au bout de l’Europe, la vie patriarcale et le culte de Belen (1)? D'autres circonstances appuient cetle attribution. Ainsi, la demeure des Hyperboréens est vague : elle suit la marche des Kimris. Avec Aristée de Proconnèse et Hérodote, on la placerait au nord-est de l’Euxin et plus loin que la région Ouralienne où l'or se ramasse avec abondance (?). Ensuite elle s’étendrait, par delà le massif alpestre de l'Europe centraié ei occidentale connu des anciens sous la dénomination mal déterminée de monts Riphées, tout le long des rivages des mers septentrionales (*). Enfin, avec Hécatée et Diodore de Sicile convenablement in- terprété, nous la trouverions dans l’île de Bretagne, devenué la terre sainte des Kimris, le sanctuaire du culte de l’Apollon cel- tique (‘). SicuL., lib. I, ec. xLvIT. — JuLIAN. IMPER., ad S. P.Q. Atheniensem, inter ejusd. opera, Lipsiæ, 1696. p. 269 u. () L’Apollon celtique, « Belen, le guerrier aux cheveux d’or, le brillant Héol aux rayons de flamme, le roi du soleil qui réchauffe le cœur des braves, qui fait croître le blé, la vigne et les plantes salutaires au corps de l’homme affaibli par la souffrance. » (HENR1 MARTIN, Hist. de France, 4° édit., t. [, p. 53.) « (2) « Quidam eos in prima parte Asiæ littorum posuere, non in Europä, quia sunt ibi simili consuetudine, et situ, Attacorum nomine. Alii medios fecere eos inter utrumque solem, Antipodum oceasum exorientemque nostrum : quod fieri nullo modo potest, tam vasto mari interveniente. » (Puin., Hist, nat., lib. IV, c. xxvi.) — «'Eon Où ’Apioréñc 6 KaüotpoGtou &vhp ITpouxovvñatoc, motéwv rex, &nuxéobat èc ’omndovac potéolaunoc yevouevoc, ’Icondovev d’Üneporréer ’Aptsuacmodc &vèpas pouvagbæluouc, dnèg dE Toûtwy Tobc YpuTopÜ}uxac verac, Tourwv dE Todc ‘Yneméopéouc xathuovrasc ëri Odhacoxv. » (HERODOT., Histor., lib. IV, ce. xit1.) — Aristée de Proconnèse avait composé un poëme épique en trois chants, les Arismaspies, sur la guerre des Arismaspes et des Griffons. Longin (Du sublime, X) en a rapporté six vers; Tretzès (Chil., VIT, p.53, en a conservé six autres. Aristée vivait vers 580 av. J.-C. — « IMpùs dé dpurou tic Edpomns moG tu mhstotos ypuods palverar ÉwV. » (HeroDoT., Histor., lib. 11, ce. cxvr.) d (E)« Ynepéopéouc xarhuovtac éni Békacoav. » (HERODOT., loc. cit. suprà.) — Cf. Pausan., lib. I, ce. xxx1; lib. V,c. var; Ub. X, ©. v;— ORPHEI Poem., Argonaut., v. 1079-1020 ; — Cyrizz., Contra Julian., 1. IV, édit. Lips., p. 134. (#) « Tôv yéo Tac malade pubohoyias avayéypapétwv “Exataïoc ua rivec tepol paotv èv totc dvrirépav the Kedruxñs Témous xaTd Tov "Qxeavov eivar vioov oùx éAdtruw Tec Lixelac TaÜtTnv DTAPYELV HEV XATX TAC APpXTOUC, xarotxeïofar Dè und Toy ovoualouévwy ‘Ynepéopéwy àrd Toù Top ‘pwTrépw Aetobat The Bopeiou vos... MuBoñoyodaotr d’éy aûtn TAv AntTo YEVOvÉva" + — 155 — * La réalité historique des Hyperboréens et leur identité avec les Celtes nomades étant admises, les traditions qui se rappor- tent aux premiers s'accordent à démontrer l'existence de rela- tions de commerce et de religion très anciennes entre les races celtiques et grecques. Les offrandes primitivement apportées chaque année à Délos par deux jeunes filles hyperboréennes, les légendes d’Argé et d’Opis, d'Hyperoché et de Laodicée, sont des images gracieuses et poétiques de cette antique communion religieuse des deux peuples (‘). Mais le point capital où je veux en venir, c'est que la marche qu'Hérodote fait suivre à ces présents, transmis dans la suite de peuple à peuple jusqu’à Délos, retrace notre ligne du Nord et sa communication par le Danube et la Save avec l’Adriatique. Des régions cimmériennes, les offrandés, enveloppées dans de la paille, descendaient en Scythie, c’est-à-dire dans les con- trées danubiennes. Voilà l'indication de la ligne du Nord (?). Ensuite, -« des Scvthes, elles passaient successivement d'un peuple à un autre, en allant toujours vers le couchant jusqu’à la mer Adriatique, » d'où, tournant vers le midi, elles étaient remises aux Dodoniens et apportées à travers l'Helladeet l'Eubée aux Téniens qui les déposaient à Délos. Voilà, certes, le chemin du Danube à l’Adriatique nettement marqué (®). Les traditions sur les Argonautes fournissent des indications pareilles. | D'abord, il faut y voir le souvenir des relations primitives dL0 xal Tov "An6hlw pékota Toy &Akwy Dev map” aûroïs tiuäcôat. » (DIoD, SICUL., lib. IT, c. xLvii. — Cf. Sopaoc., ap. STRAB. Geog. lib. VIE, c. 11.) () HeroDor., Histor. lib. 1V, c. xxxIu et XXxXV. — Pomr. MELA, De situ Orbis, lib. LIL, c. v. (2) « HoXAG Gë re mAeïota mepi adrév Aflior Aéyouor, pémevor ip ÉvOedE- mévo Ev xandun nupov € ‘Ynep6opéwy pepoueva dmuvéeobar ëc Exvlac. » (HEropor., Histor., lib. IV, c. xxx111.) "CARTER dno dÈ ExvOéwV On dexopévouc œiet ToÙc TANGLOYWPOUG ÉKATTOUS xopilerviadré vo mods Scméonc ÉxaoTaTw mt TÔv "Adcinv, ÉvOedtTev dE tods MEcauGpinv npomeuTopeva rowtrous Awdwvatous ‘EXvwY dénechat....….... Pnvéouc dE êc Añhov. » (HERODOT , ffist., lib. IV, c. xxx111.) — « (Hyperborei) sacris operati, maximè Apollinis : quorum primitias Delon misisse, initio per virgines suas, deinde per populos, subirde tradentes ulterioribus, morem que eum diu, et douec vitio gentium te- meratu3 est, servasse referuntur, » (Pompon. MELA, loc. cit.) — Cf. PausAN,, lib. I, c. xxxI. — 456 — entre les Grecs, les Pélasges du Caucase ou de la Colchide et les Cimmériens des rives de l’Euxin (1). Secondement, la communication entre ces rivages et ceux du Nord se montre dans la version adoptée par Timéé et Scymnus de Chio, rapportée par Diodore, suivant laquelle les Argonautes auraient remonté le Tanaïs, tiré leur vaisseau à secet l’auraient porté dans un autre fleuve se jetant dans l'Océan, pour revenir, en s'éloignant des régions situées sous l’'Ourse et laissant tou- jours la terre à gauche, par le détroit de Gadès, dans la mer Méditerranée (?). La ligne du Danube à l’Adriatique est celle que les Argonau- tiques retracent le mieux. C’élait une opinion singulièrement répandue dans toute l'antiquité, que le Pont-Euxin communi- quait avec cette mer. Cela est répété à l'envi dans Scylax de Caryande, Théopompe, Timagèle, Apollonius de Rhodes, dans le Periple du Pont-Euxin, dans Cornelius Nepos, Pomponius Mela, qui avait copié Hipparque et fut lui-même copié par " Paul Diacre et Isidore de Séville (*). Cette croyance avait pris un corps, était devenue un fait historique. En effet, d’après ces divers auteurs et particulièrement suivant Apollonius de Rhodes, Valerius Flaccus et Pline (‘), des colonies de Colches () Cf. Srrag., Geog., lib. I, c. 1; — Dion. Sic., lib. IV, c. xLI-XL vit. (2, « OÙx ôAyor Yap TV TE GpYNLWV GUYYEYPAPÉWV KA TUV HLETAYEVEO- tépuv, v êott xai Tiuouos, pusi tobs ’Apyovautas pet Tv Toù Dépouc dprayay rubouévous bn’ Aifrou mpoxatet}ñefar vauoi To otôpa Toù [ovrou, noûErv émirehécacôar rapadoËov xa pvñuns &étav. Avamkeuoavras ap abrodc Ôta Toù Tavéiôos motauod ÊTi TAs HNYES, KAÏ ATX TOTOV TUVX TV VAÜv dtEAxUGavTAc, xaÛ” étépou Taduwv morauod Tv ‘pUoiv Éxovroc eiç Tov /Queavoyv xatamhedoar moùc Tv Otharrav: and dÈ Tv Gpxtwv ÊTi Tnv dut xopuoËTvaL tv yAv Éxovrac &E ebwvÜpewv, xa mAnsiov yevopévouc l'adetpwy eic Tv xa0” uâs Péhartav eionkedca. » [Diopor. SicuL., 1. 1V, c. Lvi.) — Cf. ORPHEI Peom., Argonaulica. (8) ScyLax CARYAND., Peripl, inter Gevgraph. minores, édit. Gaïl. t. I, p. 6. — ARISTOTEL , vel aurtor libri Mirabil. Auscult., p. 1190. — Aristote, ilest vrai, dit le contraire dans sa Meteorolog., 1. 1, ce xin — THEvupomp., ap. STRABON., lib, VIT. — TiMAGET., èv x@ mpwtw nepi Auëvwv ap. Schol. APOLLON. RHop. ad lib. IV, v 259-284. — Auctor Peripli l’onti Euxini, ap. Geograph. min ,t. 1, pp. 11 et 12. — Corneutus NEpos, ap. Prin, Hist. nat,, lib. TL, cap. xx1t, édit. Lemaire. — P. MELA, De Orbis situ, lib. IT, cap. 11. — PauLus Diac., Langobardic. Rer. lib. II, Re XUI. — Îsipor. HispaL., Origin., lib. x1v. (#) « Quam (fstriam) cognominatam a flumine Istro, in Adriam effluente e Danubio amne, eodemque Istro, adversum Padi fauces, contrario eorum — 157 — et d'Argonautes, c’est-à-dire de Pélasges asiatiques et de Grecs, remontèrent le Danube, arrivèrent par la Save dans l'Istrie et de là descendirent par terre dans la mer Adriatique, à Nauport qui aurait tiré son nom de l'événement. Et même quelques auteurs anciens, notamment Apollonius de Rhodes, font aux Argonautes remonter l'Eridan, franchir les montagnes et pénétrer dans la Gaule transalpine par la route qui, traver- sant le pays des Ligures, en face des îles Stæchades, aboutissait aux rives du Rhône (!). Mais en voilà bien assez pour faire ressortir des vieilles tra- ditions de la Grèce-les voies continentales suivant lesquelles les Grecs et les Celtes ont poursuivi, en Occident, leurs relations religieuses et commerciales antérieurement à l'époque où la crilique moderne fait arriver par mer les colonies helléniques dans la Gaule (?). Il semble que les peuples qui ont frayé, battu ces grandes lignes de communication européennes aient dû laisser, sur leur parcours, des vestiges nombreux de leur passage. Il en reste, sans doute, mais en petit nombre. Les pas des anciennes généra- tions se sont le plus souvent perdus dans les forêts. Que sont devenues les forêts elles-mèmes? Cependant l’histoire, l’archéo- — percussu mari interjecto dulcescente, plerique dixêre falso, et Nepos etiam Padi accola. Nullus enim ex Danubio amnis in mare Adriaticum effunditur. Deceptos credo, quoniam Argo navis flumine in mare Adria- ticeum descendit, non procul Tergeste, nec jam constat quo flumine. Hu- meris transvectam Alpes, diligentiores tradunt. Subiisse autem [stro, dein Savo, dein Nauporto, cui nomen ex ea causa est, inter Æmonam Alpesque exorienti.» ( PLIN. ist, nat., lib. 111, cap. xx11 ) — Cf. ApoOLL. Raop., Argonauticon, 1. 1V, v. 282 et seq.; — Jusrin., Philipp., lib XXXII, C. 111; — STRAB., lib. V ; — Diopor. SicuL., L. IV, €. Lvi ; — IsiD , Oig., lib. IX, c. 11; — PisanD. ap. Zozym., lib V,c. xxix; — LycopHRON et TzETzÈS ap. CLUVER , Italia antique, t. 1, p. 221 ; — EUSTATH , in Odyss , lib. XII. — Larcher, dans sa traduction d'Hérodote, place ce voyage des Argonautes 1350 ans av. J.-C.; le P. Petau, 1263; Edward Simpson, 1260. (2) APOLLON. RHop., Argonaulicon, lib. IV, vers. 627 et seq. (2) Il y avait encore d’autres traditions, dont ce n’est point ici le lieu de vérifier la valeur, touchant les relations entre la Grèce et la Gaule dans une antiquité reculée : entre autres, la légende des travaux d'Hercule en Occident, sur laquelle je reviendrai plus loin; le voyage d'Ulysse aux bords du Rhin, où il aurait fondé Asciburgrum (Asbourg), fait rapporté dans Tacite ( De Morib. German., cap. 11); l'établissement de colonies troyennes au centre de la Gaule, chez les Arvernes, mentionné par le poête Lucain (Pharsual., lib. I, vers. 427-4928). — 4158 — logie et la philologie ont observé et recueilli, comme indication de ces lignes, quelques pierres levées, des tumulus, des noms de lieux et de nations tout à fait significatifs. Les coutumes primordiales des peuples confirment la valeur de ces indications, et d’abord des pierres dressées ou amon- celées sur le bord des vieux chemins. C'était l'usage de consa- crer ainsi un passage rendu mémorable par quelque événement. Suivant la Bible, lorsque les Hébreux traversèrent le Jour- dain et entrèrent dans la Terre Promise, Josué, chef de l’émi- gration israélite, fit ramasser et dresser au milieu du fleuve douze pierres, une par tribu, pour perpétuer le souvenir de ce grand fait national (!). De même, Hérodote rapporte que Darius, voulant laisser sur les bords de l’Artiscus un monument de son expédition de Scythie, fit délimiter un certain espace de terrain dans lequel il ordonna que chaque soldat Jetât, en passant, une pierre. L’exé- cution de cet ordre forma de vastes amas de pierres, très éle- vés, que les Perses laissèrent derrière eux en poursuivant leur route (?). C'était encore une coutume des premiers âges de jeter, en passant, une pierre sur le corps du voyageur tombé au bord du chemin. C'était aussi de la même manière que les armées hono- raient les dépouilles mortelles des guerriers moissonnés dans les combats. Ce pieux usage s’est continué jusqu'en des temps relativement peu anciens. Témoin le tumulus que l’armée de Germanicus, traversant la forêt de Teutobourg, éleva sur les ossements blanchis des légions de Varus (*). Témoiïn encore le tumulus de Kewe des légendes d’Attila. Dans la bataille légen- daire de Tarnok-Welg, un capitaine des Huns, Kewe, de la race (1) « Tehosrhoua dressa douze pierres au milieu du Tardène, à l’endroit où se trouvaient les pieds des Cohenime porteurs de l’Arche d'alliance ; et elles y restèrent jusqu'à ce jour.» (Josué, ch. 1v, ÿ 9; t. VI de la tra- .duction de $. Cahen..) (2) « Aupetoc dE évhedrev 6puneiz dnixeto En’ &\AoOV ToTaudv T@ oÙùvoux Aptioxoc cri, ds d1ù ’Obpuséwy ‘péer. Emi toùtov dà toy morapov. dmx6- pevoc émoinse Totovde" anodééas ywpiov Tÿ.oTparih éxéheve TmévTa AvOpa AÜov Eva mapeËrovra tilévar ês td amodedeyuévoy Toùto ywptoy. ‘Qc dÈ Taita ñ otputu émetélece, évOadta xoAwvOUS Leydhouc Ty Môwy xaTalToV arh- Âavve rnv otparuhv. » (HERODOT., Histor.. lib. IV, c. xcu1.) () Tacir., Annal., lib. I, c. Lx, LXI, LxXII.. — 159 — de Zémein, était resté parmi les morts. Les Huns s’en étant aperçus dans leur fuite, revinrent sur leurs pas et ensevelirent au bord du grand chemin le corps du héros, sur lequel ils édi- fièrent une pyramide de pierres, « à la manière des Huns, » ajoute la tradition (). Combien il serait utile de relever mieux qu'on ne l’a fait jus- qu’à présent ces monuments grossiers, pierres levées ou amon- celées et tumulus, répandus en traînées éparses sur la surface de l’ancien continent; de fouiller ces tombelles pour les restituer, par une classification des objets qu’elles recèlent, aux races et aux époques auxquelles elles appartiennent; de lier par un trait continu ceux de ces vestiges divers qui se conviennent, de ma- nière à suivre les pistes des migrations de peuples et à ressusciter du sol, autant que possible, la géographie de la vie errante primitive | | | L'histoire nous invite à chercher le long des voies de la haute antiquité des monuments d’un autre genre qui parlent bien mieux encore. Par exemple, dans ses migrations et nombreuses expéditions militaires, la race gauloise a semé une foule de noms de lieux et de peuples, appartenant à sa langue propre et attestant le rôle considérable que cette race a joué dans le monde antique. Il semblerait même que la vie et le mouvement en Europe aient été d’abord principalement celtiques, puisque les trois grandes artères de cette première circulation de l’huma- nité en Occident portent sur tout leur parcours des diénomina- tions presque exclusivement gauloises. Aux deux extrémités de ces lignes, en Asie et dans la Gaule, une singulière similitude de noms de fleuves, de montagnes, de contrées et de nations marque les points de départ et d’ar- rivée de la race. On reconnaît que ces ressemblances ne sau- raient être fortuites, dès que l’on considère leur nombre et que @) « Le canton prit dès lors le nom de Keue-Hasa (la demeure, la sé- _pulture de Kewe), qu'il conserva chez les Hongrois. Cette pyramide sé- pulerale, où doit un jour reposer Attila, commence la consécration d’un petit territoire qui deviendra. à mesure que les événements se dévelop- peront, le champ sacré de la Hongrie et réunira successivement dans ses limites la capitale païenne des Huns, Sicambrie, la capitale chrétienne des Hongrois, Albe-Royale, et les trois sépultures d’Attila, d'Arpad et de saint Elienne. » (AMÉDÉE THiIERRY, Légendes d’Attila, dans la Revue des Deux Mondes, année 1855.) — 460 — l’on analyse, suivant les règles d’une philologie sévère, les traits qui rattachent tous ces noms aux langues celtiques. Je me borne ici à quelques exemples (*). Le Cyrus (Kour) asiatique et le Carus {Cher) gaulois repro- duisent un même mot celtique signifiant rivière, torrent (?). L’Araxe, l’Arragus, l'Arragon, affluents du Cyrus, l'Arago des Pyrénées, peut-être encore l’Arrow du comté de Sligo, rappellent, par la rapidité de leur cours et la belle cataracte de ce dernier, les mots irlandais arach, arrach, force, arrachta, fort, impétueux. Au celtique tôr, qui signifie montagne, se rattachent assuré- ment les noms des Taurins de la Cisalpine, des Taures cimmé- riens et du Mont Taurus. La dénomination d’Alpes, indiquée par les anciens comme gauloise et signifiant hautes montagnes, engendra celle des deux A/banies du Caucase et de l’Ecosse (*). Comparez particulièrement l’Iron des Ossètes, l’Zran de la Perse avec l'Erin irlandaise ; l’Ibérie d'Asie avec l’Ibérie d'Es- pagne et l’Hibernie : car, suivant M. Adolphe Pictet, c’est un fait très remarquable que l'existence dans la région caucasienne d’une Albanie liée à une Ibérie, comme l’Albainn britannique l’est à l’Hibernie (*). (\ ADOLPBE PICTET, Les Origines indo-européennes ou les Aryas primitifs, dre part. — Baron ROGET DE BELLOGLET, Ethnogénie gauloise, 1re part., pp. 13-17. (2) En erse, caor, rivière, torrent; — en cymrique, rarng, id; — en irlandais, rar ou cor signifie tour, méandre; carach signifie qui serpente et vient de raraim, coraim, errer, faire des détours (en sanserit «’ar, aller, errer). — On ne saurait admettre l’étymologie donnée par Ammien Mar- cellin (lib. X ILE, 6. vi), qui fait venir le nom du fleuve de celui de Cyrus, roi des Perses. (Cf. A. PICTET, op. cit.). () « Gallorum lingua alti montes 4/pes vocantur. » (SERVIUS, Ad Georgic., lib Ill, v. 474). — En cymrique, alp, rocher sourcilleux ; — en erse, alp, hauteur, montagne; — en irlandais, ailp, grosse masse, alb, montagne. (CF. Isipor. HispaL , Origin., Lib. XIV, cap. vit; — EUSTATH., in Dion., lib. V. c. cexcv; — ZEuss, Gramm. rellica p.78: -— CHALMERS, Caledon., tom. I, p. 64; — A. PICTET, op. cit.; — ROGET DE BELLOGUET, op. cit., pp. 96-97.) (t) M. Adolphe Pictet, dans son beau livre des Origines indo-euro- péennes, rapproche les noms d’/beria, d'Hibernia (’lépvn, ‘ovepvia) de celui d’Arya, et leur attribue pour étymologie Jbh-Er. L'irlandais ibh, tribu, pays, correspond au sanserit ibha, famille, état de maison. et, par extension, tribu, pays. L'irlandais Er, Eri a tout à fait le même sens que — 4161 — Voilà donc deux jalons celtiques plantés aux extrémités de nos lignes. Suivons maintenant chacune d'elles à la trace des noms gaulois. De l’Euxin aux mers septentrionales, nous rencontrons les Cimmériens et les Taures de Crimée; l’Alaunus, montagne sar- mate qui rappelle l’Alauna de la Gaule (!); les Ombrônes de Sarmatie , qui sans doute répondent au cri de guerre Amhra! Amhra ! comme les Ambrons de l’Helvétie et les Ombres d'I- talie (?). Nous nous embarquons ensuite, avec la même hésita- tion qu'Hérodote (*), il est vrai, sur un Eridan se jetant dans la mer boréale, au bord de laquelle se ramasse l’ambre. Nous tou- chons l'île d’Abalus (‘) qui ne nous offre peut-être pas l’agré- ment des pomnuers d’Aballo (*); mais nous sommes en plein le sanscrit Arya : comme adjectif, il signifie noble, grand, bon; comme substantif, guerrier, héros. M. Pictet fait cependant observer que la com- position d’/bh-FEr ne suit pas la règle sanscerite qui exigerait Er-ibh, Aryébha, au lieu d'Ibhärya, mais qu’elle est conforme au génie irlandais, comme dans les mots analogues composés avec tir, pays : Tirgall, Tircomal. 2) Alauna, Alaunium, dans la Lyonnaise, aujourd'hui Lannion-sur- Mer. — « ’Ahauvoi (pop. Noricus), ’Alauvoc (fluv. Brit.), ’Ahauv& (oppid. Britaun.) ap. Ptolem. » (ZEUSS, Grammalica cellica, p.38.) (?) Textes prouvant la nationalité gauloise des Ombres : « Bocchus ab- solvit Gallorum veterum propaginem Umbros esse, » (SoLin., Polyhist,, ©. VIII.) — «< Sanè Umbros Gallorum veterum propaginem esse M. Anto- nius refert. » (SERVIUS, ad Æneid., lib. XII, vers. 753.) — « Umbri, Italiæ genus est, sed Gallorum veterum propago. » (1sibor. HispAL., Origin., lib. IX, cap. 11.) — M. Roget de Belloguet ( Ethnogénie gauloise, 1"° part., pag. 13) compare les Ambrones, Umbranice, les Umbranotes où Umbri (Cisalp.), noms gaulois, avec Ambrodax (Arie), Ambrodat (Parthie), Ombria (Mésopot.), Ombrônes (Sarmat.,, et avec les Umbræ et les Umbrittæ ou Gumbrillæ (Bis-ambrilæ) de l'Inde. (8) « oùre, yap Éywye évôéxouar Hptdavôv xakéeoôar mpôc Bap6dpov rota- pôv éxdt06vra éç ÜdAacoav Tv Tpôç Bopénv &veuov, am” ÜTEU Tù HAEXTPOV gorräv Àoyos éorti. » (HERODOT., Histor , lib. ILE. cap. cxv ) — Les notions qu'Hérodote possédait sur le Nord et l'Occident étaient si confuses, que cet historien doutait de l’existence de l’Eridan, des îies Cassitérides, de l'Océan même. -- L’étymologie d'Eridan est incontestablement celtique : Er-dan, de la particule intensive er et de dän, courageux, hardi, impé- tueux. Ce nom paraît avoir été, dans la baute antiquité, un nom générique des fleuves occidentaux, applicable à la Vistule, à l’Elbe, au Rhin, au Rhône et au Po. à (#) «....,insulam.... Abalum..... » (PYTHEAS ap. PLIN., Hislor. nat., lib. XXXVIL, c. x1.) * (5) Aball”, aujourd'hui Avallon. Ce nom vient du gaëlique 4ball, pomme; en cymrique, ufall, (Cf. ZEUSS. op. cit., pp. 156, 731, 794.) — II faut sans doute rapporter à la même racine le nom de l'ile d'Avalon, où eut lieu, en 1189, la prétendue découverte du tombeau d'Arthur, — 11h02 — monde celtique : la Chersonèse cimbrique, le Cimbrisheim des îles danoises, l'Esthonie, toutes les mers jusqu’à l’île de Bre- tagne tiennent leurs noms des Kimris {!). Voilà pour la ligne du Nord. Sur celle du centre, sans m'arrêter aux Boïes et aux Alaunes du Norique, et à quelques noms évidemment gaulois, tels que Bregetio, Arrabo, Arrabona, Carnutum, Boïodurum, éche- lonnés le long du Danube, je signale le nom de ce fleuve et celui de la forêt Hercynie qui ombrage ses bords et sa source : le fleuve, les Celtes l’ont nommé l’Impétucux (?), et la forêt, la Très-Haute (?). Une chaîne de noms gaulois lie le nord de la Grèce à l’Ita- lie (*) : les Carnes, les Taurisques, les Scordisques, les Iapodes, l’Albanie illyrienne en sont les principaux chaïînons (*). Il faut ('} Les côtes de la Baltique étaient très anciennement habitées par une série de peuples dont les noms nous révèlent l’origine celtique : c'étaient, entre autres, les Estiens, ou Esloniens, les Venèdes, les Lemorii. Du temps de Tacite { De moribus Gérman., c. xLv), les Estiens parlaient encore la même langue que les Bretons, c'est-à-dire le cymrique. Pour ce qui est des dénominations celtiques des mers septentrionales, nous rappelons les noms de Môr-Marousis, Môr-Chroinn et de Môr, Vôr ou Fér-Tautkh. (2) Dänubius, Danuvius, de l’irlandais dän, däna, courageux, hardi, impétueux. — « Diversæ originis videtur dänatu (audacia : cesu daänatu dom, gl. quamvis andacissimè) Sg. 904, et hodiern. hibern. gaelic. adj. däna, dan (fortis, intrepidus, audax) et subst daänach, dänadas audaria), ex quo ob fortem, citatum cursum facile interpretationem invenerit Dâ- nubius.... » (ZEUSS, Gramm. celltie., p. 994.) — « Dänuvius ist von dänu abgeleitet … Zeuss.. hat den Namen durch das ir. däna, gæl. dan (fortis, audax, intrepidus) bereits érklært. » (GLück, Die bei Caius Julius Casar vorkomimenden kellischen Namen in ihrer Echtheit festgestellt und erlœæutert, p. 92.) ($) Hercynia, Ercunia, de la particule intensive er, et du substantif cun, en cymrique, cwn, hauteur. (Cf. ZEuss, op. cit., pp. vit et 867; — GLÜCK, .Op- cit., pp. 10-12.) (4) &« Aourn d’éori tñç Edpornc à évrôc "otpou xai thc xux}w Baldrenc, dpéauévn &nd roù puyoù Toù ’Adpratixoù, éypt To ‘lepod orouatoc toù "lotpou, êv n éotv h te EX ai Ta Tv Maxedovwv ai T@v ’Enetpwr&v Eôvn ai Tà Ünèp ToUtwv moûc Tv ‘Asrpov xaûñzovra xai mods TV Ép’ exdTepa Bdhatrav, Tv te "Aôpraruxny xai Ty Iloyruhv, moûc pEy Tv Adpratixnv Tù AAvouwd, mpûc dè Tv étépav éypt IIoomovtidoc xai EAeomévrou ra Opaxua %a el viva Toûtaus Gvauépuxrar Exvôtua ÿ Keïrimä. » (STRABO, Geog., lb. VII, cv) (5) « DE GALLEIS CARNEIS. » ({nscript. è Fast. ap. CLUVER., Italia antiqua; t. I, p.169.) — Ce nom vient de rarn, rocher. — « Taurisci, Scordisei (gentes gallicæ ). » .ZEUSS, op. cit., p.775). — « Toùç Exopôioxous Tañdrus...,.. Tevpiotas xai Taupioxous, xai Tobtouc — 4163 — aussi noter le nom de la Save dont le cours sert de tracé à cette troisième ligne (‘). Tel.est l'accord de l’histoire, des traditions, des monuments et de la géographie pour indiquer la direction et marquer les ca- ractères des grandes voies de communication de l’Europe primi- tive. [Insistons encore sur ce que l’histoire peut nous apprendre du principal de ces caractères , c’est-à-dire de l'absence d’in- dustrie dans la formation et l’usage des premiers grands che- mins.! En effet, qui avait tracé ces directions capitales ? Qui guidait les hordes nomades dans leurs étapes séculaires? La nature et l'instinct gouvernaient alors souverainement les hommes. J'ai déjà fait saisir la part considérable qu’eut la con- figuration du continent dans la marche des courants de peuples; mais cette influence n’agit pas seule. Les hommes, observant les phénomènes célestes et le vol des oiseaux, croyaient y recon- naître des ordres de route donnés par les Dieux. Ainsi l’on di- rait que le mouvement diurne des astres ait imprimé aux popu- lations. errantes une impulsion vers les lieux où le soleil se couche et:où l'imagination plaçait le séjour des âmes bienheu- reuses (?). De même, à l’imitation des oiseaux qui, à l'approche de l’hiver, s’assemblent et partent par compagnies vers de plus douces régions, des hordes se formaient et suivaient au loin ces guides aériens et divins. Dans Tite-Live, la double émigration Daïdrac.» (STRABO , Geogr., lib. VIT, c. 11.) — «oi Auxo xatanmoheuñouvrec Boïoucs xai Tavpisxouc Eûvn Kedïrum. » (Lib. VII, cap. v.) — Cf. PoLys., lib. II, cap. ur. — « ’lanodwv, Kedriuxod Te Ga ai TAUptxod Ébvouc..... Ô d’OnAouds Keïtwxoc. » (Ibid.) (2) Les mots sanscerits sava, eau, drava, thême simple de dravanti, ri- vière, rapprochés par M. Pictet, l’un de l’irlandais sua, rivière, l’autre dé l'irlandais drean, fort impétueux, semblent indiquer les étymologies du Savus et du Dravus de la Pannonie celtique. (Cf. A. PicrET, op. cit.) (2) « Téy d'éonepiwv dv0pév na Thv eddaupoviav époaviter... évradba yàp ai Toù ZepÜpou mvoai. évradôa DË xai T0 HAUorov motet medtov 6 roumths… « &AAG o’ëç HAüotov meètov ua netpara Yains » dfdvaror tmérhouciv, 601 Éavbdc ‘Padduavôuc, ù » Th Rep pniorn Buorà médet [évôpwmorctv| » OÙ viperôc, OUT” Go yeumwv moAÛs, [note mor” Ou6pos,] » GW aiei Zepüporo kyunvetovtac Gta » WLENXVOS GVINGL.... » (STRABO., Geog., lib. , c. 1; lib. IIT, c. 11. — HOoMER., Odyss., lib. IV, vers. 563 et seq. Cf. Iliad, lib. VIII. vers. 485.) — 164 — de Sigovèse et de Bellovèse manifeste ce genre de conduite : les deux bandes de Gaëls allèrent où décida le vol des oiseaux. Un essaim d'oiseaux de la forêt Noire, des aigles sans doute, gui- dèrent Sigovèse sur le sombre chemin du Danube; des oiseaux des doux climats, des hirondelles peut-être, conduisirent Bello- vèse dans la riante Italie (‘). Ainsi se choisissaient les lignes d'invasion ; ainsi se frayaient-elles. £ M. Alphonse Delacroix m'a fait observer qu’une autre légende des temps héroïques, le combat d’Hercule et de Cycnus, dans le Bouclier d'Hercule, poëme attribué à Hésiode, semble retracer, par les circonstances du récit, les caractères principaux du che- min du premier âge. La rencontre des deux héros a lieu dans un bois sacré d’Apollon, sur la route qui mène à Trachine. Arès, la guerre farouche, et Cycnus, son fils, montent un même char traîné par deux vigoureux coursiers, Hercule, la force en personne (?), s’avance, en sens contraire, sur un char à deux chevaux conduit par Iolaüs. Dans leur marche précipitée , les coursiers font voler des tourbillons de poussière; les chars, par leur roulement heurté sur le sol rocailleux, produisent un fracas épouvantable (*). Les chevaux hennissants arrivent front à front dans la plaine : — « Lâche Cycnus! s’écrie alors Hercule, pour- quoi diriger tes rapides coursiers contre des hommes endurcis par le travail et la souffrance ? Détourne ton char du chemin et cède-moi la voie... » (*). — Mais le belliqueux Cycnus ne veut pas, docile à la parole d'Hercule, détourner ses chevaux. Les deux héros s’élancent à terre, et le sol en tremble, comme 4) « Hic (Ambigatus) magno natu ipse jam, exonerare prægravante turba regnum cupiens, Bellovesum ac Sigovésum, sororis filios, impigros juvenes, missurum se esse, in quas Dii dedissent auguriis sedes, ostendit.… Tum Sigoveso sortibus dati Hercynii saltus : Belloveso haud paullù lætio- rem in ltaliam viam Dii dabant. » (Tir. Laiv., lib. V, c. xxxiv.) (2) « Bin ’HpaxAnin » (HESi0D., Seulum Herculis, passim.) (e) CES XBova O’Éxtunoy wuéec {not VOGGOVTES YNANOL, KOVI GP UPLOEÔNEL HXOTTOMÉVN MAEXTOÏOLV Üp” GOUAGL Ha TOO ITTwV..... "Apuata d'euTointata Lai AvTUyES ApapaGLC Ov InTwy ieuévoy. » (HEsI09., Scutum Herculis, vers. 61-65.) () « GAAG RUpÈË Eye dippov ÈdEoOOV DO xeXE Bou gixe Tapèé iéva. » (HEsiop., Scutum Herculis, vers. 352-353.) d — 165 — si deux rochers tombaient du haut de la montagne (‘}. Les chars sont rangés pour donner carrière au combat. Cycaus y perd la vie, et Arès, son père, accouru pour le venger, tombe cruelle- ment frappé. Analysons rapidement cette scène qui, malgré que le théâtre en soit placé dans la Grèce, reproduit vraiment, comme allure et comme couleur, une aventure de la vie celtique. Toutes les circonstances du récit conviennent à ce rapprochement. C'est d’abord la manière de voyager et de combattre des héros de la Gaule. Au rapport de Diodore de Sicile, les Gaulois montaient, dans leurs courses et dans les batailles, des chars à deux che- vaux : chaque voiture portait un conducteur et un guerrier com- battant. A la guerre, lorsque deux chars ennemis se trouvaient en présence, les guerriers se lançaient le saunium, sautaient à terre et combattaient à l’épée (?). Cet historien attribue la même coutume aux Bretons : « C’est, dit-il, une race indigène d'hommes ayant conservé les mœurs primitives, se servant, à la guerre, de chars, comme la tradition raconte que s’en ser- vaient les héros grecs au siége de Troie (*). » Strabon, César et Tacite s'accordent avec Diodore sur cette coutume gauloise (). E) « ‘Qc d’ôT àp” dbnAñc xopuvis Opeos eydouo Tétpa anobpooxwatv, ÈT LAMMAGS dE TÉTWOL.... » (HEsiop., Scutum Herculis, vers. 374-2375.) (*) « Ev ÔÈ taic 6dowmopiars xal Tai päyatc yp@vtai suvwpiouv, Éxovtos md Gouatos Avioyov xai TapabdgTnv. ATAVTHVTES DÈ Toic ÈPITTEUOUVOLV Ëv Tois nohËpotç cauvidbouat Tobs Évavtiouc, xai xaTabdytes Tv md ToÙ Élpous cuvioravra päynv » (Diopor. SicuL., lib. V, c. XxIX.) — J'ai mis en pré- sence deux chariots, tandis que le texte grec dit : « lorsqu'ils se trouvent en présence d’un ennemi à cheval... » Mais je ne suis pas sorti de l'esprit de l'historien. (5) « Karoueïv ÔË paor Tv Beetravixnv adTéyBova YÉvn ai TÉv Tahadv Blov raic aywyais Ouarnpouvræ. "Apuaot LÈV yap xaTd TOÙS HoÉOUS YpGvTou, xalérep où makaoi tüv ‘EAfvwv fpwes ëv T@ Topo moléuw xEppñodau mapaësdovrar. » (Diopor. Sicur., lib. V, cap. xxI.) (#) « mods GÈ Todc moképouc énnvas pp@vrar Tà méov, xafärep ka Toy Ketüv Évior. » (STRABO.. Geog,, lib. IV, c. v.) — «At barbari, consilio Romanorum cognito, præmisso equitatu et esse- dariis, quo plerumque genere in præ iis uti consueverunt.. » (Bell. Gall., lib LV, c. xxiv.) — « Genus hoc est ex essedis pugnæ : primd per omnes partes perequitant, et tela conjiciunt, atque ipso terrore equorum, et stre- pitu rotarum, ordines plerumque perturbant; et cum se inter equitum turmas insinuavere , ex essedis desiliunt, et pedibus præliantur. Aurigæ interim paulum e prælio excedunt... » (Bell. Gall., lib. 1V, c. xxxut). — 4166 — Voilà pour la couleur de la légende. C'est, ensuite, à la descente de deux côtes opposées, le chemin non pavé d’où s'élèvent des tourbillons de poussière : chemin raboteux produisant les cahots retentissants des chars; chemin creux ne permettant le croise- ment des voitures que dans la plaine, et, par là, très propre à inspirer aux deux héros, qui s’aperçoivent de loin, la pensée de combattre pour l'honneur de ne se point céder la voie. En vérité, il me semble bien reconnaître, dans ces caractères réu- nis, le chemin primitif et, sur ce chemin, un trait frappant des mœurs héroïques de la Gaule tout autant que de la Grèce. Ce trait, emprunté à la palette du vieil Hésiode, achive de caractériser les chemins de l’âge nomade et légendaire. J’entre maintenant dans une époque plus connue, dans une région mieux circonscrite : Je vais rechercher ce que devinrent les chemins primitifs dans la Gaule transalpine, lorsque, la vie errante ayant à peu près cessé dans ce pays, une civilisation propre s’y fut développée. Représentons-nous bien l'aspect de la Gaule deux siècles avant notre ère et jusqu’au temps de César. Ce qui nous frappe tout d’abord dans sa physionomie, ce n’est pas une riche dorure de moissons, mais l'immense nappe de verdure de ses forêts, de ses pâturages et de ses marais. Les lieux découverts n’y manquent pas, on en rencontre souvent dans les récits de César {!) ; les cultures y sont développées, assez perfectionnées même (?), et donnent, au dire de Strabon, un air riant aux coteaux qui bordent les rivières (*) : mais la forêt domine, et son empire possède le sol davantage à mesure qu’on s’avance dans les régions montagneuses de l’est et du centre, dans les — « Venerant ed sagittarii ex Rutenis, equites ex Gallia cum multis carris magnisque impedimentis, ut fert gallica consuetudo. » ( Bell. civil, lib. I, c. Li) — » Quædam nationes et curru præliantur : honestior auriga, clientes propugnant. » (TaciT., Agricol., cap. x11.) () « Campestria loca. » (Bell. Gall. passim.) (?) Puin., Hist. nal. passim. (8) « by GE pépovrat Ywplwv, medla Éoti Tà mAeïora xai yewhopiar,.…. mode Yo adrodc éxpéper kaproc à NapBwvitis dnaca, oÙonep à ‘Irakia..…… ñ d'aXN nca oîrov pépet mod xai xéyyxpov al Pahavoy xal Booxiuata mavroiu, &pyov Dadric oÙdév, TANV el rt Ékeot xexwAUTOL xal Ôpumots. » (STRABO., Geog., lib. IV, c. 1.) — 167 — contrées extrèmes du nord et de l’ouest (*); il est à peu près absolu dans l’île de Bretagne (°). | L'état social était en harmonie avec l'aspect du pays. On sait que l'organisation primordiale de la société celtique avait été celle des kenedls ou clans (*) : la population étant ainsi dissé-, minée, des sentiers, des chemins s'étaient ouverts de proche en proche, de l'habitation à l'habitation, au champ, au pâturage, à la forêt, de bourgade à bourgade; ils avaient formé à la longue un réseau de communications locales instinctivement appliqué à la configuration du sol et suffisant à son imparfaite exploitation. Mais, à l’époque que je considère maintenant, une certaine civi- lisation avait transformé quelques agglomérations en villes, créé entre ces centres des relations suivies; 1l y avait des mar- chés, des assemblées d'état et même des assemblées générales : tout cela suppose déjà un ensemble de communications em- brassant le pays entier. Effectivement, il s'était créé, dans la Gaule, des grands chemins, disons plutôt des chapelets de che- mins locaux enfilés bout à bout dans une même direction. On voit que ce commencement des routes gauloises est, comme celui des lignes européennes, la reproduction fidèle de l’origine des chemins primitifs telle que l’analyse rationnelle nous l'avait enseignée. Quelques-unes de ces voies gauloises étaient devenues des lignes commerciales importantes. J’ai déjà indiqué celle qui conduisait d'Italie aux côtes de l'Océan. Diodore de Sicile en fait connaître une autre suivant laquelle on transportait à dos de cheval l’étain de Bretagne, de ces mêmes rivages de l'Océan à ceux de la Méditerranée. Ce portage était de trente jours (‘). @, Cæsar, Bell. Gall., lib. IE, cap. xv; lib. TL, cap. xxvur et xx1x. — STRABO, Geog., lib. IV, c.111, — ALFRED MAURY, Les grandes forêts de La Gaule et de l'anrienne France. (2, STRABO, Geog., lib. IV, c. v. — Cæsar, Bell. Gall., lib. IV, c.xxix ; lb. V, c. xiv. | . (9) Clan, tribu : de kenedlu, engendrer, en cymrique gallois et armo- ricain. (?) «Mode dE tal (xacotrepoc) x rc Boerravuws vhoov dtaxoulterat mods TAvixaravru pb xemmévnv Tadatiav, a dd ts ecoyelou Kekrixic 89° Uno ÜTÔ TOY EUTOpwV dy rar mapd Todc Macocakuwrac. » (Diopor.Sicue., lib. V, Cap. XXXVHI.) — « Tù dè teheutaiov neln Où Ts Fahatiac nopeutévres fuépac De TPIXOVTA KUTAYOUOLY ÈRL TOV ITTwyY Ta poprix Tpôc Tv ÉxGOÀNV TOÙ “Podavoÿ rotauod. » (lib. V, C. XXII.) — 168 — Très anciennement déjà le mouvement commercial de la Gaule avait été facilité par la navigation fluviale, ainsi que le démontrent les luttes entre les Séquancs et les Edues au sujet des péages de la Saône [‘); mais ce furent les marchands de Massalia ( Marseille) qui lui donnèrent son plus grand dévelop- pement. Le Rhône, par sa direction et le nombre de ses affluents, était destiné à devenir la principale artère de ce mouvement commercial (?). Les Massaliotes avaient de bonne heure préféré, pour aller chercher l’étain de Bretagne, cette voie au trajet ma- ritime par le détroit de Gadès, trop long et gêné par la concur- rence des colonies carthaginoises. Ils se rendaient donc à travers la Gaule aux embouchures du Rhin, de la Seine, de la Loire, de la Garonne (*), où la marine bretonne et plus tard l’armori- caine (*) apportaient ce métal si estimé, ainsi que du cuivre, du fer, des pelleteries, des chiens de chasse, et d'où elles rempor- taient, en échange, des toiles, des étoffes de laine, des objets de quincaillerie et des bijoux {*). Le long du chemin, ils trafiquaient avec les Gaulois de l’intérieur (). () « ‘AXN éméreve Tv ExOpav à Tod morauod Épuc Toù duetpyovroc adToc, éxatépou Toù Ébvouc louov dérodvroc elvar Tôy "Apapa, nai ÉAUTS TPOOMHELV Ta dtxywytxà TÉAN. » (STRABO., Geog., 1. IV, c. 111.) — Cf. CÆSAR., Bull. Gall., Bb. 1, € xxxr; TD FI, C-XIT.) (P) « à mèv ye “Podavôc mov te Ever Tdv avémhodv xal ey@dotc popréoic ka Eri no)Àà Léon Thc xwpas dix To Tobc Épminrovras eic aÙTèv morapobc ÙTAp- xEtv mAwTods xai OLadéyeobar Tov péprov mheïotov……. ÉyeL OÈ TL TAEOVÉATNALE mpôc roùto Ô ‘Poôxvoc xai Yap no ayO0Ev ÉcTi cÜppouc, onep EtpnTa, xai cuvantel npôs Tv Aetépav OahaTrav xpeltrw tThc ÉxTÔS OÜoaV, tal DIX HP dréberor thc EVOQUUVENTATNS TOY TAÛTN...… ô ‘Poôavoc, peyioroç te dv xa mAEïotov ävérhouv Éxwv, ëx ToAAGY rAnpoÿpevoc ‘pEuGTwY..... » (STRABO., Geog., lib. 1V, c. 1. — Cf. Dionor. SicuL., lib. V, c. xxv.) (5) « Térrapa d’éoti diépuata, où xp&vTat cuvAÔwE Ènl Tv vhoov Êx The Anelpou, Ta and Tov ÉxGOXGY TV moTau@v, To te ‘Phvou xai Toù Enxodva xai To Aciynpoc xai [rod] l'apoüva. » (STRABO., Geog , lib. IV, c. v)) (+) « Hujus civitatis est longè amplissima auctoritas omnis oræ maritimæ regionum earum, quèd et naves habent Veneti plurimas, quibus in Bri tanniam navigare consueverunt, et scientiâ atque usu nauticarum rerum cæteros antecedunt; et in magno impetu maris, atque aperto, paucis por- tubus interjectis, quos tenent ipsi, omnes fere, qui eodem mari uti con- sueverunt, habent vectigales. » (CÆsAR., Bell. Gall., lib. III, cap. var. — Cf. SrRABO., Geog., lib. IV, c. 1.) (5) STRABO, Geog., lib. IV, c. v. — Diopor. SicuL., lib. V, c. xx. (5) AMÉDÉE THIERRY, Histoire des Gaulois, t. Il, pp. 152-154. + — 169 — Précisons, à l’aide de Strabon, les quatre lignes commer- ciales qui divergeaient en éventail de la vallée du Rhône vers l'Océan. Ligne du Rhin : Après avoir remonté le Rhône, la Saône et le Doubs, les marchandises gagnaïient par un portage de terre le haut Rhin (!). Ligne de la Seine : Un portage pareil transbordait aussi les marchandises de la Saône sur la Seine, et celle-ci les descen- dait à travers le pays des Lexoves et des Calètes dans l'Océan britannique (?). Ligne de la Loire : Le Rhône communiquait de la même manière avec la Loire. Mais Strabon fait observer que, comme le Rhône était, à la remontée, d'une navigation pénible et péril- leuse pour les frêles bateaux gaulois, le commerce préférait suivre une route de terre menant directement des côtes de la Méditerranée à la haute Loire , en traversant les Cévennes (*). Les principaux comptoirs de la Gaule échelonnés le long du cours de ce fleuve démontrent que cette ligne était la plus fré- quentée de toutes. Ligne de la Garonne : On remontait l’Aude jusqu’à Nar- bonne; on gagnait par un portage de terre la Garonne qui conduisait dans l'Océan Atlantique. C'était la voie la plus courte, mais la moins avantageuse au commerce, parce qu'elle ne se prêtait pas au trafic avec l’intérieur (*). Cette organisation des communications terrestres et fluviales de la Gaule n'était point l’œuvre propre des marchands massa- (2) «.…, 6 à "Apap éxdéyetor 4al 6 AodBic 6 Ets TodToy ÉL6GAAWY...» (STRAB., Geog.. lib. IV, cap. 1.) (2) « sito nelevterar péyot ToÙ Enxodva motauod, xavteuñey ROÔn xaTapé- pero els TOv wxeavov xai Touc Anéo6touc xai Kahétouc, x DE TOUT etc Tv Bperravxnv ÉAdtTov h Auepñotos dpôuoc éctiv. » (STRAB., Geog., 1. IV, c. 1.) (?) mémei d'éotiv 0Ëdc xai ducavéamhouc 6 ‘Podavoc, tiva T@v evted0ev vop- téuy meledetar u&ddoy Taic Gomauélatc, box Eic ’Apovépvouc mouiletrar ua tûy Aclynoæ motauov, xaimep toù ‘Poûavod xai Toûtou mAnstélovroc ëx pépouc AN à o0ùc med ob xai où moÂdD, mepl oxTaxosious aTadtouc, ÉTÉYETAL LÀ PATAGÔQL T@ avémA® dix To nmeleteoar ‘pov évredbev Ô’0 Aeiyne edpuoc éxdéyeror. ‘pet DE Ex Toy Keupévoy eis Toy ’Qxeavov. » (STRAB., Geograph , lib. IV, cap. 1.) (*) « x dE Népôwvos ävamheïrar pèv ëni puxpov T@ ‘Atant, meleustar dE mAËOV Emi Tôv l'apouvay motau6v, xai Toùb” Ocov éxTaxociwv À} ÉnTaxociwv oradiwv: ‘per dÈ 0 l'apobvas eic TOv wxeavov. » (STRAB., Geog., lib. IV, c.1.) 14 — 170 — liotes; j'ai dit qu’ils en avaient seulement profité et développé le caractère commercial. Ces lignes, véritablement gauloises, étaient remarquables entre tous les chemins primitifs par leur application à la configuration du pays. Cet heureux emploi des communications naturelles de la Gaule avait frappé les anciens et excité leur admiration. « Tout ce pays, dit Strabon, est arrosé par des fleuves descendant des Alpes, des Cévennes, des Pyré- nées et se jetant les uns dans l'Océan, les autres dans la Médi- terranée... [ls sont pour la plupart navigables... Ce qui mérite surtout d’être remarqué, c'est la parfaite correspondance qui règne entré ces divers cantons, par les fleuves qui les arrosent et par les deux mers dans lesquelles ces fleuves se déchargent: correspondance qui constitue en grande partie l'excellence du pays, par la facilité qu’elle donne aux habitants de communi- quer les uns avec les autres et de se procurer mutuellement tous les secours et toutes les choses nécessaires à la vie... Une si heureuse disposition des lieux, par cela même qu’elle semble être l'ouvrage d’un être intelligent plutôt que l'effet du hasard, suffirait pour prouver la Providence [!). » J'admire moi-même la Providence dans la constitution phy- sique de la Gaule, qui fera toujours du peuple habitant ce pays privilégié la puissance la mieux faite du monde. Je reconnais le bon sens gaulois dans l’usage de ces dons providentiels en ce qui concerne les voies de communication; mais je n’exagère rien : Ces chemins, si naturellement dirigés, étaient de très mauvais chemins. C'étaient encore les chemins primitifs. La Gaule n'était pas devenue un pays ouvert : point de circulation fréquente ni rapide; malgré l’usage répandu des charriots, la () «"Araca LÈv oÙv Soriv aÜtn noTaOTs XuTappUTOS À Ywpa, TO LÈv èx Tv "Alrewy xatapenonévorc, Totc d’èx Toù Keuuévou ai ts Iupñvync, 4ai toc MÈv ais TAv nuérépav Üahattrav. dv v DE oépovtrat Ywotwv... YEwAOgIAL, dtppoc Éyouvar r\wbToUs... » — « &Erov d'évrl névrwv Énionuhvacbat ré... tAY poloyiav Tic yopas mods Te Todc notamodc xai Tav OdhaTrov Tv Tr’ ÉMTÔS ôpotwc xat Tnv évroc" eÜpor yhp v tic miornsac oùx Eldytotov mépos To” dTÉPYOY TAG TOY TORWV perne, XÉyw dE TO Ts ypelac émimhérecdor Tüs ToÙ Blou perd ‘pasrévnc dnaor, Tpèc éravTac a Ta woehetas dvetobar wo, ualiota DE vÜv, Avixa GYovtTec cHoXnV ATÔ TOY ÉTAWV ÉPYACOVTAL TAY YWOKV ênimeGe, xai to ç Blouc xaTacrxeudtovtTat TOMTULOUS" DOTE ÊT TOY TOLOUTUY Av TÔ Th mpovoiac Épyov émmaprupeiobai Tic &v ÜOËELEV, OÙY OTWG ÉTUYEV, AN Wc àv ET ÀoyiouOŸ TLVOS DLaxEULÉVWY THY TOTWV. » (STRABO.. Geog., lib. IV, cap. 1.) = AM — plupart des transports se faisaient à dos de cheval ou de mulet; et même le commerce de l’intérieur, ne vivant que par le col- partage, se personnifiait toujours dans le mercier cheminant pé- niblement, la balle sur le dos, dans un labyrinthe de ravins aux- quels souvent il laissait, en y périssant, une légende ou un nom. D'ailleurs une lecture attentive des Commentaires nous montre que les chemins de la Gaule avaient conservé, au temps de César, leur état primitif. Comment en douter pour la Bel- gique, où les marchands n'avaient presque pas d'accès (1)? Les âpres montagnes du centre, dont les chênaies et les châtai- gneraies immenses avaient yalu à cette région le nom de Cel- tique (?), ne se laissaient traverser que par quelques passages, fermés dans la mauvaise saison. Ce n'est pas sans un sentiment mal déguisé d’orgueil que César raconte qu’au commencement de la septième campagne, il franchit les Cévennes, en plein hiver, à travers six pieds de neige, pour tomber chez les Ar- vernes se croyant gardés, comme par un rempart inexpugnable, derrière ces montagnes où ils ne çConnaissaient, à cette époque de l’année, aucun sentier praticable pour un seul pié- ton (*). Môme caractère dans la région de l’est : l’armée de César, au moment de marcher de Vesontio (Besançon) contre Arioviste, colora sa peur des Germains d’une inquiétude motivée sur l'étendue des forêts, les difficultés des chemins et du trans- port des subsistances (‘). Effectivement, César dut faire un très (2) « Horum omnium fortissimi sunt Belgæ, proptereà qudd à eultu atque humanitate Provinciæ longissimè absunt; minimèque ad eos mer- catores sæpè commeant, atque ea, quæ ad effeminandos animos pertinent, important. » (Cæsar, Bell. Gall., lib. E, €. 1.) @) « Ipsorum linguâ Celtæ, nostra Galli appellantur. » {Cxæsar, Bell. Gall, DD. 1, c. 1.) — Cellæ, Keïrot, du gaëelique Koclte (coelte), forêt. (3) « Etsi mons Cebeana, qui Arvernos ab Helviis diseludit, durissimo tempore anni, altissimà nive iter impediebat; tamen discussà nive sex in altitudinem pedum, atque ita. viis patefactis, summo militum labore ad fines Arvernorum pervenit : quibus oppressis inopinantibus, quôd sic se Cebennâ, ut muro, munitos existimabant, ac ne singulari quidem homini unquam eo tempore anni semitæ patuerant.» (CÆSsAR, Bell. Gall., lib. VII, Cap. VII.) (4) « Tantus subitd timor omnen exercitum occupavit. ut non medio- eriter Omnium mentes animosque perturbaret. .... Qui se ex his minus timidos existimari volebant, non se hostem vereri, sed angustias itineris, et magnitudinem silvarum, quæ inter eos et Ariovistum intercederent, apt rem frumentariam, ut satis commodè supportari posset, timere dice- bant, » (Cæsar; Bell. Gall, Lib. I, c, xxxIx.) = MN = long détour pour trouver une route moins périlleuse; et cepen- dant la Séquanie ne passait pas pour un pays perdu, mais, au contraire, pour l’un des meilleurs, sinon le meilleur, de toute la Gaule (!) ë Rien, en vérité, ne nous montre mieux l'énergie du génie de César que cette juste appréciation de la nature des chemins sur lesquels il a fait marcher et manœuvrer, pendant huit ans, ses légions avec une vivacité extraordinaire. Avant lui, ces diffi- cultés avaient arrtté les progrès de Rome dans la Gaule trans- alpine. Suivant Lucain, les Romains, en pénétrant dans ce pays, avaient éprouvé ce sentiment religieux qu’inspire à tout homme la sombre majesté des bois (?), cette terreur qui saisit le cœur des premiers Européens entrant dans les forêts vierges de l'Amérique. Strabon exprime-aussi formellement cette im- pression. Pour démontrer que les expéditions militaires ten- tées dans les pays lointains et mal connus sont généralement malheureuses, il s'exprime ainsi : « Laissons de côté les exem- ples anciens; la dernière campagne des Romains contre les Parthes suffit, je pense, pour établir cette vérité. 1l en est de même de celles qui ont été entreprises contre les Germains et les Celtes, alors que, vivant en barbares dans les marais, les bois déserts et sans routes, ils étaient défendus par la nature, en imposaient sur les distances, dérobaient les communica- tions, les vivres et toute ressource à un agresseur connaissant mal le pays (). » Telle est l’idée générale que l’on doit se faire de la Gaule au moment de la conquête romaine. Elle présente les caractères propres à toute demi-civilisation : à côté de certains éléments sociaux passablement développés, d’autres demeurent dans l’en- fance, notamment les chemins. (2) «.. tertiamque partem agri Sequani, qui esset optimus totius Galliæ, » (CÆsAR, Bell. Gall., lib. I, c. xxx1.) ($) « Sed fortes tremuere manus, motique verenda Majestate loci, si robora sacra ferirent In sua credebant redituras membra secures. » (Lucan., Pharsal., lib. III, vers. 397 et seq.) (5) « Egoac dÈ tà malad, tv vèv Pœuatwv sTpateiav émi Iapôvæo us Provoy fyoüpat TOUTUWV exp piov wc d'aûtws tv Émi l'epuavouc xai KeAtotüc, êv ÉAeot xai Opuuotc aôdrous épnpiats TE TOTOUAHOUVTWV TOY Bapédpwv xa Tà ÉYYd: TP 90 motoÿvrwy Toïs dyvooÿst xai Tac ÉDODS ÉTIXPUTTOLÉVEY Hœ rùs edmopias Tpophs Te «ai T@v SAwv. » (STRABO., Geog., lib. I, c. 1.) — 173 — Cependant, comme exception, il y aurait eu dans la Gaule méridionale, dès une très haute antiquité, une grande route ouverte par industrie et pavée, s’il faut ajouter foi aux tradi- tions grecques touchant les travaux d'Hercule en Occident. Ces traditions, il est vrai, sont fort obscures : il n’est pas aisé de voir clair dans l'arbre touffu de la généalogie mythologique d’'Hercule. Un syncrétisme, antérieur à l'histoire écrite, a fondu en un seul personnage une fiction naturaliste commune à tous les peuples d’origine aryenne (‘), un héros thébain dont l’exis- tence est peut-être historique et qui devint la personnification de la race dorienne (?), enfin deux divinités phéniciénne ct égyptienne (*). Comment discerner, parmi les travaux divers attribués au dieu, ceux qui appartiennent à l’une ou à l’autre de ces origines ? Essayons néanmoins une telle analyse pour la légende qui fait ouvrir à Hercule la grande route d’ RE sn en Italie par le col de Tende. Hercule, après avoir délivré les Tbères de leurs tyrans et confié leur gouvernement aux notables du pays, rassembla son armée et passa dans la Celtique, où il mit un terme aux brigan- dages et aux meurtres qui s’y commettaient sur les étrangers. Un grand nombre de guerriers de différentes nations se joigni- rent à lui (‘). Comme il s’avançait dans la vallée du Rhône, Albion et Ligur, enfants de Neptune, l’assaillirent à l’improviste. Le com- bat fut acharné. Le destin avait ordonné que l’armée d’'Hercule () Cf. PRELLER, Griechische Mythelog., t. IT; — ALFRED Maury, His- toire des religions de la Grèce antique, t. T, p. 525 et suiv. (2) Orrrien MuLrer, Die Dorier, 2e édit., t. I, p. 342 et suiv. (5) « Kattor tv mahatwy xai Aoyiwy &vôp@v ox "Ounpoc, oùyx “Hotoôoc, oùx Apythoyos, où Fetoaxvdpoc, où Etnoiyopos, oùx ’AXxuav, où [Tivôæpos, Aiyurrtiou Écyov À6yoy ‘Hpaxdéouc, n Dotvxoc, &AV Éva ToùTov loact RAVTES “Hpaxiéa Tov Boworrov 6u2d xai ’Apyetov. » (PLUTARGH., De Herodol. mali- gnilate, C. XIV.) La plus grande confusion régnait dans l'esprit des anciens au sujet d'Hercule : Diodore de Sicile distingue trois Hercule, Cicéron six, et Varron jusqu’à quarante-trois. , (*) « ‘O d'oùv ‘Tipaxlñc Tôv uèv Tôfpwv mapédwne Tv Baouhelav rois &piotors TGV évropio, adToc O’avValaEDY TAy Dovatv Aa AUTAVTATA ec Tv Kedrixñv ai näcav ëre0wv, xatéAUoE Èv TS suvibets rapavopiac xaù éevoxroviac, moAXOŸ d rmAG0oUS avÜporwy x mavroc ÉBVOUS ExovoiwÇ cus- tpateüovros…. » (Diopor. SicuL., lib, IV, c. xix. — Cf. Dionys, Hauic., lib. [, cap. xur.) = NE — épuiserait ses flèchés ét ne pourrait arracher du sol des pierrès pour s’en faire des armes : elle allait succomber. Mais Jupiter, touché des périls de son fils, lui envoya du ciel une pluie de cailloux dont les rivages de la mer sont encore tout couverts. Muni de ces pierres, Hercule terrassà l’armée de Ligur ({). Il poursuit alors ses exploits et ses bienfaits : il bâtit des villes, il détruit dans son repaire Tauriske, le brigand des mon- tagnes, qui ravage la plaine, désole les routes et entrave les travaux civilisateurs du dieu (?) Enfin, Hercule se dirigea sur l'Italie. Prenant son chemin par lés Alpes, il fit construire à travers les passages les plus difficiles de ces montagnes une route praticable pour une armée el pour les voitures qui marchent à sa suite (5). : Dans Eschyle, Prométhée révèle d'avance ces combats et ces (a) « Néeus 0 AtyÜwY sic àTAp6NTOY cToaTÉv, EVE? où uaync, cts” où, xai Godpoc nep dv uéuVer mérowrar yép ce xai Békn Aneïv EvTaÙ0”* éAeoGar 0 où Tiv” Ex yatac Abov Éterc, émet tüé Y@p06 iott wa)0xzoc. lüwv d’aunyxavodvraé 6 Leds otxrepet, vEpéNnv d'OTOTYÈY VIPAÔL YOYYÜWY TÉTPWV Ünookioy Ooët Y0GV, oïs Etetta où Baby dtwoe ‘paèlws AlyUV oTpatov. » (ÆSscaYLus, Prometheus, ap. S'TRABON. Geog., 1.1V, c:4.) — « Alioquin litus ignobile est, lapideum, ut vocant; in quo Herculem contra Albionà et Bergion, Neptuni liberos, dimicant: nm cum tela défe- cissent, ab invotato Jove adjutum imbre lapidum ferurt. » {P, MELA, De situ Orbis. lib. Il, c. v.) — Cf. Apozropor., De Diis, lib. II ; — TZETZzES, in Lycophr. Alexanar.; — EusTATH., ad Dionys. Periegrt. — T| serait diffi- cile de ne pas reconnaître, àvee M: Amédée Thierry (Histoire des Gunlois, t. 1, p. 23), dans ces détails mythologiques, le récit d'un combat livré par des montagnards de la côte aux colons étrangers, dans les champs de lä Crau, plaine immense, couverte de cailloux, s'étendant près du Rhône. entre la ville d'Arles et la mer. — Crau dérive du gaëlique cr4ig, roche, pierre, caillou. (). Dropor. SicuL:, loc: cit: — Dionys: Haric., loc. cit: — STEPHAN. ByzanT., Vo Neuauococ. — « Tauriscus. » AMMIAN. MARCELLIN:. lib* XV, c.ix) — Caton (in Pun., Hist. nal., Gb. L[IE, 0. xx) place dans les Alpes une grande confédération de peuples tauriskes. ( Cf. AMÉDÉE THiERRY, Gp. éit., t. 1. p. 24, — Pour l’étymologie dé ce nom de Tanuriske, nous rappelons le mot celtique t6r, taowr, déjà mentionné. (3)-« ‘O à ‘Hpaxhñc x the Kerue mogelav ént Tv Irahtav mœotoÿmwevos xai dtebtoy Thv dpeuvav Tv uaTa T6 "AÂTEL, HÜOMOUNGE TAV TPAYUTNTA TC O0 OÙ Hu To ÔVOGATOY, bote dUvacbar éTparormédors Aa Tai: THOV ÜROCUYIWV ATAT- xeuvaïc Bésuroy etvar. » (Diopor. SicüL., loc.cit, — CF. DIONys. HALICARN , loc. eit.) MU travaux à Hercule sur le point de partir du Caucase pour les Hespérides (‘). Ce trait du père de la tragédie grecque prouve la haute antiquité de la légende ; l'intervention de Prométhée et l'indication du Caucase comme point de départ des courses d’Hercule, en marquent l’origine pélasgique. Cependant la cri- tique moderne en a enlevé l'attribution à l'Hercule thébain, parce que, les colonies helléniques ne s’étant établies dans la Gaule que vers le septième siècle avant notre ère, aucune tra- dition se rapportant aux Grecs et à des événements antérieurs à cette époque n’aurait dû exister dans le pays. Mais ce motif d'exclusion tombe, si nous avons réussi à démontrer que des relations entre les Celtes et les Grecs n'ont pas cessé d'exister, par les voies de terre, depuis leur départ commun de l’Asie centrale. J'ai même fait ressortir particulièrement l'existence d’un mouvement pélasgique du Caucase au Danube, du Da- nube à l’Adriatique, de l’Adriatique aux Alpes, des Alpes aux Pyrénées. Bien plus, la marche d'Hercule d’Espagne en Italie coïncide exactement avec celle des Pélasges - Sicanes. Tous ces faits me semblent manifester ici, dans Hercule, la personnificalion de la race pélasgique en Occident : dès lors notre légende nous dirait que ce sont les Pélasges qui ont les premiers frayé cette antique communication d'Italie en Espagne. | Mais ne dit-elle que cela? Les historiens et les poëtes s’ac- cordent. à exprimer à ce sujet un vif sentiment de grands périls affrontés, d'énormes difficultés surmontées par le dieu. El fallut dompter des peuplades inhospitalières et féroces (?); il fallut percer les rochers. « Les dieux, s’écrie Silius [talicus, contem- plèrent avec admiration le héros de Tirynthe fendant les nuages, brisant les escarpements des montagnes (*). » Bien grands (2) «pnoi yov [oounôsde map” adr® (AicyvAg) xafnyoümevos ‘Hpaxdet Toy É60wy r@v amd Kavxdoov mpôç tas “Ecrepidus « nées ÔÈ Aryuwv, etc. » (SrRABO, Geog., lib. IV, c. 1.) (2) Dionor. Sicuz., loc. cit. (®) « Primus inexpertas adiit Tirynthius arces: Scindentem nubes, frangentemque ardua montis Spectarunt Superi, longisque ab origine seclis Intemerata gradu magnâ vi saxa domantem. » (Sirius Îrazicus, Punic., lib. II, v. 496-499.) — .,,,,,, bellis labor acrior, Alpes.» (Jd., lib. II, v. 92.) — 176 — furent aussi l’étonnement et l'admiration des populations bar- bares au milieu desquelles se passa l'événement qui a donné lieu à la légende, et dont le souvenir fut consacré, dans la suite, par des monuments (!). Il ne s’agit donc pas seulement d’un passage des Alpes, qui n’eût pas frappé les imaginations à ce point, car, dès les âges reculés, les hautes vallées de ces mon- tagnes ont été habitées ct leurs cols traversés. Mais il faut dis- tinguer, dans la tradition, la superposition de deux faits suc- cessifs : premièrement la voie primitive et naturelle très an- ciennement suivie, sinon frayée, par les Pélasges ; secondement l'ouverture et la construction, par industrie, sur cette même ligne, d’une grande route dans l’acception propre du mot. Ce qu'il y a de certain, c’est qu’à l’époque du passage d’An- nibal, cette grande route existait, et qu’elle n'était point l’œuvre des Romains : Polybe le dit expressément. Les Romains, d’a-- près cet historien, profitant de la commodité de cette voie pour transporter leurs armées-en Espagne, s'étaient contentés d’y poser des colonnes milliaires de huit stades en huit stâdes (?). Elle n’était point non plus, suivant M. Amédée Thierry, « l’ou- vrage des Massaliotes, qui, à cette époque, n'étaient encore ni riches ni puissants dans le pays, et qui d’ailleurs ne le furent jamais assez pour une entreprise aussi colossale (#). » Etaient-ce donc les Pélasges qui, la fréquentant dès la haute antiquité, en avaient fait un monument d'industrie? Les nom- breuses bâtisses qu'ils ont laissées en Asie-Mineure, en Grèce, en Îtalie, constructions singulières, gigantesques, vrais ou- vrages de Titans, dénoncent chez ce peuple l'existence de cités puissantes et fortement gouvernées; mais s'ils furent habiles à fortifier leurs villes, ils n’appliquèrent point leurs vigoureux efforts à construire, par industrie, des grands chemins. L’es- prit pélasgique pur ne paraît pas avoir été autre que l'esprit — Cf. lib. IT, v. 353 et seq.: — lib. IV, v. 4; lib. XI, v. 136, 218. — lib. XV, v. 605. — Cf. Vircis., Ænecid., lib VI, v. 831 ; -- Dion. Sicue., Joc. cit.; — Dioxys. Hazic., loc. cit. () « Incolæ id magis omnibus adseverant, quod etiam nos legimus in monumentis eorum incisum, Herculem ..» /AMMIAN. MARCELLIN., lib. XV, Cap. IX.) (?) AMÉDÉE THiERRy, Histoire des Gaulois, t. 1, p. 20. (8) « radra yèp vov Bebnuériorar, al ceonpelwtar xai uata otadtous buro dia ‘Pouaiov émuer@e. » (PoLvB., lib. 111, e. xxxix, édit. Didot.) — AIT — grec, qui, merveilleusement doué pour les arts, ne fut jamais tourné, comme celui des Romains, vers les grands travaux d'utilité publique. Les anciens l’ont reconnu, notamment Stra- bon (‘}. D'ailleurs il n’existe, que je sache, aucun vestige de grandes routes attribué aux Pélasges dans les pays où se dres- sent encore les ruines les plus nombreuses et les plus consi- dérables de leurs monuments. Il faut donc chercher d’autres auteurs à cette grande route d'Espagne. [l est naturel d’en faire honneur à un peuple célèbre dans l'antiquité par son génie industriel, commercial, et qui fut le véritable propagateur de la civilisation matérielle dans le monde antique : c’est nommer les Phéniciens. Que l'on suive les Phéniciens dans leurs établissements du littoral de la Méditerranée, depuis l'Egypte jusqu’au détroit de Gadès franchi par eux les premiers; ils fondèrent des colonies sur les côtes de l'Espagne, de la Gaule et de l'Italie: «trafiquant d'une main et combattant de l’autre, ils pénttrèrent dans l'inté- rieur pour exploiter les mines d’or et d'argent que recelaient alors, à fleur de terre, les Pyrénées, les Cévennes et les Alpes ; ils construisirent pour le service de cette exploitation, une route d’une hardiesse et d’une solidité merveilleuse, qui partait des Pyrénées orientales et allait descendre en Italie par le col de Tende (?). » On voit que les courses et les travaux d’Hercule en Occident sont également ceux du peuple phénicien person- .nifié dans son Melk- Karth, le roi de la ville, que Sankoniaton nous fait connaître comme la divinité poliade de Tyr. Les Grecs (A) se détruisant mutuellement, il reste la force — ue qui agit au point le plus bas du ménisque et en sens contraire de Ÿ, c’est-à-dire de bas en haut; c’est donc elle qui soutient le poids de la colonne liquide soulevée; soit À la hau- teur de cette colonne. La quantité étant l’action due à une courbure hémisphé- A ; 4 rique, il est visible que le double de cette quantité, ou o ; — M6 — exprimera la pression qu'exercerait sur l’air contenu üne sphère laminaire ou bulle creuse du diamètre D, et formée du même liquide Cette pression est donc capable de soutenir le liquide à une hauteur double de celle à laquelle 1l s'élève dans le tuhe capillaire; en d’autres termes, cette pression ferait équilibre au poids d’une colonne de même liquide d’une hauteur égale à 2h. Comme la pression exercée par une bulle est en raison inverse du diamètre de celle-ci, la hauteur de la colonne liquide soulevée qui ferait équilibre à la pression d’une bulle d’un diamètre , . 2h 148 quelconque D, sera égale à Tia et si l’on prend pour mesure de la pression la hauteur de la colonne d’eau pure à laquelle ee s 2hd elle ferait équilibre, cette pression deviendra 7 * Pour un liquide dont la densité sera 4. En résumé, si on désigne par P, la pression exercée par une sphère laminaire sur l’air qu’elle contient, on a l’expression générale 2hd pe [A] = dans laquelle d représente la densité du liquide qui constitue la lame, » la hauteur à laquelle ce liquide s'élève dans un tube capillaire de 4 millimètré de diamètre, et D le diamètre de la bulle. 4H 2hd On a donc les deux valeurs A et nd représentent toutes deux la pression exercée par une sphère laminaire du diamètre D, et par suite l'égalité IH _ 2hd ER de laquelle on tire hd = 2H; c’est-à-dire que le produit de la hauteur capillaire par la den- sité, est proportionnel à la cohésion du liquide. L’équation [A] indique done, que la pression exercée par une bulle sur le gaz emprisonné, est proportionnelle à la cohésion du liquide qui constitue la lame et en raison inverse du diamètre de la bulle. fr: rc its — ET — Dans le cas de l’eau pure, on a h — 30"; par suite, il vient Gomn D PI= Si donc on pouvait obtenir avec l’eau pure une bulle de 100 millimètres de diamètre, par exemple, l’air emprisonné éprou- verait une pression de 0"%,6; et, par conséquent, capable de faire équilibre à une colonne d’eau pure de même hauteur. Si la bulle n’avait que 10 millimètres de diamètre, la pression intérieure serait la même que celle d’une colonne d’eau de 6". Pour l’éther sulfurique, on a d = 0,715, et. h — 10"",2, à très peu près, d’après les expériences de M. Frankenheim (!}, d'où __ 14,6 ir A égalité de diamètre, la pression d’une bulle d’éther sulfurique serait donc 4 fois moindre que celle d'une bulle d’eau pure. On peut admettre que la pression produite par les bulles de savon diffère fort peu de celle qu’exerceraient des bulles de mêmes diamètres formées d’eau pure, si la solution savonneuse est faible; mais comme dans ce cas les bulles ont peu de durée, M. J. Plateau a vérifié expérimentalement les déductions précé- dentes en employant son liquide glycérique (?), qui donne des bulles d'une grande persistance. Ce savant s’est servi d'un procédé déjà employé par M. Henry, et qui consiste à souffler une bulle à l’une des extrémités d’un tube dont l’autre extrémité est terminée en U. C’est dans cette parüe qu'il versait une petile quantité d’eau pure dont la diffé- rence de niveau dans les deux branches lui donnait la mesure de la pression dans l’intérieur de la bulle. Cette différence de niveau, ainsi que le diamètre des bulles, étaient soigneusement déterminés à l’aide d’un cathétomètre, après qu’on s’était assuré que l'équilibre le plus parfait était établi. Le tableau suivant renferme les résultats de diverses mesures faites à l’aide du liquide glycérique entre + 18°,6 et 20° : P () Bibliothèque universelle, nouvelle série, tome 111, 1836. (2) Pour la préparation de ce liquide, voyez la 5e série des recherches de M. J. Plateau, Mémoires de l'Académie de Bruxelles, tome XXXIII, — AS — | DIAMÈTRES PRESSIONS PRODUITS ou ou ou | valeurs de D. valeurs de P. | valeurs de PD. Gala 7,55 3,00 22,65 10,37 2,17 22,50 10,55 2,13 22,47 23,35 0,98 22,88 26,44 0,83 24,94 27,58 0,83 22,89 46,60 0,48 92,31 47,47 0,48 22,78 47,85 0,43 20,97 48,10 0,55 26,45 En mettant de côté les deux derniers produits comme s’écar- tant beaucoup trop de la majorité, par suite de circonstances qui n'ont pas pu être bien appréciées, on trouve pour la moyenne des autres produits 22,56, ou simplement 22,6. Comme les mesures ont été prises entre des limites assez dis- tantes , les résultats sont suffisants pour établir la constance du produit PD, lequel est égal à 22,6 pour le liquide glycérique. Mais la formule [A] a permis à M. Plateau de faire une se- conde vérification, car on tire de cette formule 2hd =D: or, ce physicien a trouvé pour le liquide glycérique d = 1,1065, ot h — 10"%,018, on en déduit 2hd —"29,17 ; nombre qui diffère fort peu de 22,56 trouvé précédemment, et qui permet de regarder l'égalité PD — 2hd comme vérifiée par l'expérience. Des considérations qui précèdent, j'ai déduit quelques expé- riences fort simples qui montrent, d’une manière palpable et indépendante de toute mesure directe, que la pression exercée = par une bulle est plus grande”quand le diamètre est plus petit. Si on imagine qu'à chacune des extrémités d’un tube recourbé on souffle une bulle, et que par une disposition quelconque on vienne à établir une communication entre les masses de gaz renfermées dans ces bulles, il est visible que l'équilibre n'aura pas lieu si le diamètre des bulles n’est pas le même; il y aura un excès de pression qui se transmettra de la plus petite bulle vers la plus grande et qui fera gonfler davantage celle-ci. Comme on prévoit que le volume total du gaz doit rester sensi- blement le même, l’augmentation de la grosse bulle se fera aux dépens de la plus petite, ce qui rendra la différence des pres- sions de plus en plus forte; par suite, le gonflement de la grosse bulle se fera d'autant plus rapidement que la différence des diamètres des bulles sera plus grande; ce que j'ai vérifié à l’aide de l'expérience suivante : Deux tubes de laiton, 4 et B (fig. 1), en forme de =, sont mastiqués à un robinet R qui sert à interrompre ou à établir à volonté la communication entre les deux tubes. Les extrémités a, bet a!, b! de chacun de ces tubes, sont ouvertes; seulement pour éviter toute action chimique de la part- du métal sur le liquide glycérique, il est bon que les extrémités b, b! soient munies d’un bout de tube de verre dont le bord est adouci à la lampe d’émailleur, et le tout est établi sur un support fixe. Le robinet R étant fermé, on plonge, par exemple, l'extrémité b dans le liquide glycérique, ou, ce qui est préférable, on ap- proche de cette extrémité une capsule contenant ce liquide, et par l'ouverture a, on souffle une bulle de grosseur moyenne, puis on ferme l'ouverture avec une petite boule de cire molle. On fait la même opération avec le tube a’, b!', en ayant soin de souffler une bulle moins volumineuse que la précédente ; on laisse le tout en repos afin de constater que les deux bulles con- servent leur volume primitif, et l’on ouvre ensuite le robinet. Si les diamètres des bulles sont peu différents l’un de l’autre, il s'écoule environ une ou deux minutes sans qu’on puisse rien apprécier relativement au changement de volume des bulles; mais dès qu'il devient appréciable, la variation de volume croît très vite, et l’on voit la plus petite bulle qui diminue à mesure que la plus grande se gonfle davantage. Quand la petite bulle n'a plus que deux ou trois centimètres'de diamètre, on est frappé in on de la rapidité du phénomène qui produit bientôt l'extinction de cette bulle, et l’air qu'elle renfermait est alors passé entière- ment dans la plus grande. On réalise, de cette façon, le fait cu- rieux d’une bulle de savon gonflée par une autre bulle. On rend cette expérience intéressante, en s’arrangeant pour souffler les bulles concentriquement l’une à l’autre; dans ce but, j'ai imaginé la dispositon suivante : Un tube de verre AB (fig. 2), de 8 à 10 millimètres de diamètre porte une tubu- lure latérale C, à laquelle est mastiqué un robinet à trois voies D. Dans l’intérieur de ce tube, existe un tube plus petit EF, mobile à frottement doux dans un bouchon 4, qui ferme la partie supérieure du large tube, et dans un petit anneau H; de sorte qu’en élevant ou abaissant le tube EF il reste toujours dans l'axe de AB, en laissant un espace vide annulaire. La partie supérieure de EF est reliée à la tubulure Z par un petit tube en caoutchouc. En introduisant un léger courant d’air par la tubulure K, il est évident que par une manœuvre convenable du robinet on pourra souffler des bulles à l’aide des deux orifices E et B, lorsqu'on les aura alternativement plongés dans le liquide glycérique. Pour opérer convenablement, on commence par abaisser l'extrémité E au-dessous de l’orifice B, et on la plonge dans du liquide glycérique ; on remonte ensuite cette extrémité au-des- sus de l’orifice B, que l’on plonge à son tour dans le même liquide. Le robinet étant tourné pour établir la communi- cation XCB, on souffle une bulle d’un diamètre moyen avec le gros tube, et on ferme la communication. On descend ensuite le tube EF, de façon que l'extrémité E, arrive en E’, et si on tourne le robinet pour faire passer le courant d’air par KIFE!, il est clair qu’on soufflera une bulle à l’intérieur de la précédente. En déplaçant l'extrémité E’, on peut disposer les deux bulles concentriquement l’une à l’autre. Ainsi disposé, cet appareil fournit les deux résultats suivants : 49 Si l’on tourne le robinet (fig. 3) de manière à mettre en communication les deux tubulures Z et C, on établit, par le fait, une communication entre les masses gazeuses des deux bulles, et comme la pression dans la bulle intérieure est plus grande, l'air qu’elle contient s'échappe par le canal E’FICB, ct vient combler le vide que cette bulle tend à faire en se contrac- = 421 — tant; de sorte que le diamètre de la bulle extérieure n'éprouve pas de changement appréciable. 2° Si l’on établit une communication entre les tubulures Let K (fig. 4), alors c’est l'air de la bulle intérieure qui est seul en communication avec l'atmosphère et qui s'écoule par le canal E/FIK, et, les deux bulles diminuent simultanément de diamètre, attendu que le volume de l’air dans l'intervalle concentrique reste sensiblement constant; c'est le volume de la bulle primitivement soufflée avec le gros tube, bulle qui est reproduite lorsque la bulle intérieure est anéantie. Parmi les résultats intéressants qu’on peut déduire de la formule [A], j'indiquerai les suivants : 1° On sait que le diamètre moyen des sphérules des nuages a été trouvé de 0,02; si on admet que ces sphérules sont creuses et pleines d’air, la formule en question indique que cet air doit éprouver, de la part de l'enveloppe aqueuse, une pression d’en- viron + d’atmosphère. 2° Simon, de Metz (Ann. de Chimie et de Physique, 3° série tome 32, page 14) dit, qu'indépendamment de la pression atmosphérique et de la colonne liquide qui les compriment, les bulles gazeuses au sein des liquides doivent éprouver des pressions dues à la force adhésive des molécules de ces derniers. Suivant ce physicien, la pression serait d'autant plus grande que les bulles sont plus petites, et pourrait aller à plusieurs atmosphères pour des particules gazeuses très divisées; de sorte que, en supposant un diamètre de 0"®,0001 à des bulles d'acide carbonique mêlées à l’eau, la compression serait assez forte pour faire passer ce corps de l'état gazeux à l’état liquide. Or, le gaz acide carbonique se liquifiant à 0° sous une pression de 36 atmosphères, si l’on calcule, d'après la formule [AT, le diamètre que devraient avoir les bulles de ce gaz dans l’eau pour que la pression due aux molécules environnantes fut de 36 atmosphères, on trouve 0®",00016, à très peu près. Si le diamètre des bulles était seulement de 0®»,0001, la pression serait de 58 atmosphères; l'acide carbonique serait donc liquéfié comme l’a avancé Simon, de Metz. Sans m'arrêler davantage sur les effets dus à la cohésion propre des corps solides et des corps liquides, je passe aux — 49 — phénomènes qui résultent de l’action mutuelle des molécules des corps dans ces deux états. L'expérience montre qu’une attraction s'exerce entre les molécules des solides et celles des liquides, car la surface: libre de ces derniers près des parois solides qui les limitent ou les renferment offre une courbure différente, suivant que les parois sont mouillées ou non. Dans le premier cas, le liquide adhère à la paroi et s’élève dans son voisinage au-dessus du niveau général; dans le second cas, on observe, au contraire , une dépression. Il existe des conditions où il n’y a, ni ascension, ni dépression dans le voisinage de la paroi. Ainsi, lorsqu'on plonge dans l'eau une lame d’acier poli, le niveau reste horizontal jusqu’au contact de la lame. La même chose s’observe entre le verre et le mercure lorsque ce dernier contient une certaine dose d'oxyde. C’est le professeur Casbois, de Metz, qui en 1780 a signalé le premier cette propriété du mercure. Il l’attribuait à l'extrême sécheresse du métal bouilli, et il admettait que si ce métal présente le plus souvent des ménisques convexes au contact du verre, c’est que ce dernier est généralement revêtu d’une couche d'humidité. Cette manière de voir a été renversée par Dulong, qui a constaté : que la forme du ménisque n’était pas due à l’état hygrométrique du verre, mais bien à la plus ou moins grande quantité d'oxyde contenu dans le mercure; qu'avec du mercure pur et parfaitement sec, le ménisque est toujours convexe; qu'une légère quantité d'oxyde en dissolution dans le mercure, diminue sensiblement la convexité; que cette convexité devient nulle pour une dose d'oxyde plus forte; qu’enfin, la dépression se change en une ascension si la propor- tion d'oxyde est encore plus grande ; le mercure mouille alors le verre, ce qui arrive lorsque ce métal a bouilli longtemps au contact de l'air. [l résulte de cette explication, que dans le voisinage d’une même paroi, la surface d’un liquide, dont la cohésion propre est modifiée, peut présenter des courbures différentes. Mais sachant que le même corps est mouillé par certains liquides, et pas par d’autres, il était intéressant de rechercher les conditions qui favorisaicnt l’une ou l’autre de ces circons- tances. Clairaut (Théorie de la figure de la terre, 1808, page 123), — 493 — est le premier qui se soit occupé de cette question, et il est arrivé à cette conséquence remarquable, qu’un corps solide est mouillé, toutes les fois que l'attraction du liquide pour lui- même est plus petite que le double de l'attraction du solide pour le liquide. Pour expliquer ce qui détermine la concavité ou la convexité d’un liquide au contact d’une paroi solide, fLaplace (Supplément au dixième livre de la Mécanique Céleste, page 438 et suiv.), compare l'attraction réciproque du solide et du liquide àil’attrac- tion du liquide sur lui-même. Il suppose, en outre, que ces attractions suivent la même loi des distances, tant pour les moléeules du solide que pour celles du liquide, et qu’elles ne diffèrent que par leur intensité à la même distance. Cela posé, si w et w/ représentent ces intensités, il trouve que la courbure sera nulle, si «! = 2? w, ou si l'intensité de la force attractive de la matière de la paroi est la moitié de celle du liquide. Donc, quand la quantité 2 © — w' est nulle, la surface du liquide reste horizontale dans toute son étendue. Si elle est positive, ou ©’ o® > rÉ la surface est concave; enfin, si elle est négative, ou / œ O << CE la surface devient convexe. Mais Poisson fait remarquer que les démonstrations de Clairaut et de Laplace ne sont pas rigoureuses, parce que ces géomètres ont omis dans leurs calculs une circonstance physique dont la considération est essentielle, c’est-à-dire la variation rapide de densité que le liquide éprouve près de sa surface libre, et contre la paroi solide; 1l en résulte, que dans la quantité 2 « — w/, les deux termes sont en erreur, parce que Laplace a négligé la compression du liquide près de la paroi, dans le premier, et qu’il ne tient pas compte de la variation de la den- sité près de la surface libre, dans le second (°). (2) Si Laplace n’a pas tenu compte dans”ses calculs de ces variations de densité, ce n’est pas qu'il les ait méconnues, car en indiquant les causes qui peuvent occasionner des anomalies dans les phénomènes ca- pillaires, il fait mention de l’action des hiquides sur eux-mêmes. Il cite notamment l’action de l’eau sur elle-même, qui lui semble beaucoup moindre que son action sur la lumière, mais qui est extrêmement grande relativement à l’action capillaire. — 94 — Poisson fait observer que la variation rapide de densité dans la couche superficielle doit être de grandeur finie, mais absolu- ment insensible, d’après l'hypothèse qu’on fait du peu d’étendue de la sphère d’activité moléculaire. Cela est confirmé par une expérience de M. Gay-Lussac. Ayant réduit un corps en pous- sière très fine, il a trouvé sa pesanteur spécifique sensiblement la même avant et après cette opération; d'où 1l faut conclure que l'épaisseur de la couche dilatée qui termine chacune des parcelles de poussière, est insensible eu égard à leurs dimen- sions {Nouvelle théorie de l’action capillaire, note, page 6.) Les résultats auxquels Laplace est arrivé sur les causes qui déterminent la courbure des liquides près des parois solides, sont extrêmement simples, et, en tenant compte des restrictions « En effet, dit-il, si dans une masse indéfinie d'eau stagnante on ima- gine un canal intérieur infiniment étroit, dont les parois soient infini- ment minces et dont les extrémités aboutissent à la surface de l’eau; les couches liquides du canal, placées à une distance sensible au-dessous de cette surface, éprouveront, par l’action de l’eau vers l’une des extrémités, une pression Z, qui sera balancée par une pression égale et contraire, produite par l’action de l’eau vers l’autre extrémité. Chaque couche du liquide intérieur est donc comprimée par ces deux forces opposées. À la surface du liquide, cette compression est évidemment nulle : elle croît avec une extrême rapidité depuis cette surface , et devient constante à la plus petite distance sensible au-dessous. Ces grandes variations. de compression/peuvent faire varier sensib!e- ment la densité des couches d’un liquide’ très près de sa surface; et, dans les mélanges de deux liquides, tels que l'alcool et l'eau, elles peuvent faire varier non-seulement la densité des couches liquides extrêmement voisines de la surface, mais encore la proportion des deux liquides que renferment ces couches et les’ lames liquides adhérentes aux parois des tubes. Ces variations n'ont aucune influence sur la réfraction qui, lorsque le rayon lumineux est parvenu à une distance sensible au-dessous de la surface, est la même que si la nature et la densité du liquide n'éprou- vaient aucun changement; mais elles peuvent avoir sur les phénomènes capillaires une influence très sensible que semblent indiquer plusieurs : . expériences de M. Gay-Lussac sur l élévation de divers mélanges d'alcool et d’eau dans les tubes capillaires. Une lame d’eau isolée, et d'une épaisseur plus petite que le rayon de la sphère d'activité sensible de ses molécules, éprouvant donc une rom- pression beaucoup moindre qu'une pareille lame située au milieu d’une masse considérable de ce liquide, il est naturel d’en conclure que sa den- sité est très -inférieure à la densité de cette masse. Est-il invraisemblable de supposer que c'est le cas de l’enveloppe acqueuse des vapeurs vésicu- laires, qui par là seraient plus légères, et dans un état moyen entre l'état liquide et celui de vapeurs? (Mécanique Céleste, 1845. Supplément au livre dixième, page 548.) — 495 — de Poisson, je les crois susceptibles d'expliquer beaucoup de phénomènes, notamment ceux qui forment l’objet de cette étude, en faisant la réserve toutefois, que s’ils ne sont pas l’ex- pression rigoureuse des faits, ils sont une évaluation très approximative du rapport des intensités des attractions qui sont en Jeu. Il ne faut pas perdre de vue que, lorsque la cohésion s'exerce entre des particules identiques situées à des distances insensibles, son intensité est considérable, mais pour peu que la distance augmente, cette intensité diminue rapidement, et suivant une loi qui n’est pas connue. Or, les effets de la cohésion devenant insensibles à des distances sensibles, ils peuvent être modifiés ou annulés par des causes complétement inappréciables à nos moyens d'observation. Toutefois on peut se convaincre, que de toutes les causes antagonistes de la cohésion, la plus efficace et la plus connue, c’est l'élévation de la température. C’est elle qui en faisant varier les distances intermoléculaires, modifie les effets de la cohésion ou les annulent. Dans ce qui suit, on verra la chaleur donner lieu à des phénomènes diversement interprétés,. mais que je suis conduit à regarder comme n'étant que des modifications appor- tées par le calorique dans les attractions-moléculaires ; attendu, que si la chaleur modifie la cohésion, une même variation de de température ne la modifie pas au même degré dans les différents corps ; et, par suite, que tout changement dans la température des corps modifie nécessairement le rapport des cohésions. Cette étude est divisée en trois parties. Dans la première et la deuxième j'examine les circonstances qui peuvent déterminer la forme globulaire des liquides sur les surfaces chaudes, solides ou liquides ; et dans la troisième j’étudie, comme cas particulier, l'influence de cette forme globulaire sur la température et l’évaporation de l’eau. — 496 — . PREMIÈRE PARTIE. Forme globulaire des liquides sur les surfaces chaudes. Chacun sait que quelques liquides ne mouillent pas certains solides à la température ordinaire, mais ces liquides sont peu nombreux, c'est-à-dire que si l’eau et les dissolutions salines ne mouillent pas le noir de fumée, par exemple, il n’en est pas de même des alcools, des éthers, des acides et de beaucoup d'autres fluides. Or, ces mêmes liquides qui mouillent la plu- part des corps solides aux températures ordinaires, ne les mouillent plus lorsque ces derniers sont portés à une tempéra- ture suffisamment haute, mais beaucoup moindre cependant qu'on ne le croit généralement. L'expérience apprend, en effet, que si on verse une certaine quantité d’eau dans une capsule métallique chauffée à 200 degrés, la capsule n’est pas mouillée ; l’eau prend une forme arrondie sur son contour, comme quand on la dépose à.froid sur une couche de noir de fumée. Presque tous les liquides, et quelques solides, comme l’iode, le camphre, etc., prennent une disposition analogue, pourvu que le tempé- rature de la capsule soit suffisamment élevée. Celte disposition particulière des liquides sur les surfaces chaudes, que je désigne sous le nom de forme globulaire, semble avoir été étudiée primitivement par Eller, puis par Leidenfrost, Klaproth, Rumfort.…, et plus spécialement de nos jours, par MM. Baudrimont, Laurent, Person, Boutigny, Belli, Kramer, Zantedeschi.. Lorsqu'un Ets repose sur une ee chaude et ne la mouille pas, il n’y a pas de contact apparent entre le liquide et la surface. MM. Person et Boutigny ont presque simultanément signalé ce fait, qu’on distinguait nettement la flamme d'une bougie, à travers l'intervalle qui sépare le sphéroïde liquide, de la capsule. MM. Warkmann, Poggendorff.… ont constaté qu’un — 127 — courant électrique ne peut passer entre le globule et le vase métallique. Toutefois ce résultat semblerait dépendre de la quantité de liquide employée, car M. Buff (Ann. de Chimie et de Physique, 3° série, tome XLVIIT, page 195) a reconnu que le contact avait lieu dans certains cas. Le courant électrique ne passe pas, quand la goutte est petite, mais lorsqu'on met environ 300 grammes d’eau dans la capsule, le contact est accusé par une déviation plus ou moins grande de l'aiguille d'un galva- nomètre. 150 grammes d'eau suffisent lorsqu'on rend l’eau légèrement acide à l’aide d’une goutte d'acide sulfurique. . Jusqu'à ce jour, trois hypothèses ont été émises pour rendre compte de la forme globulaire des liquides sur les surfaces très échauffées. 1° L'hypothèse de la tension de la vapeur. — M. Person s'est particulièrement attaché à justifier par l’expérience, que le liquide était séparé de la paroi solide échauffée, et maintenu à une certaine distance de cette paroi, par une couche de vapeur élastique. En introduisant à travers le globule, et jusqu’au fond du vase, ia pointe cffilée d’un petit manomètre formé d’un tube de verre recourbé en U, il a constamment reconnu que la len- sion de la vapeur était égale au poids d’une colonne de même liquide, ayant pour hauteur l'épaisseur du globule. À cette ma- nière de voir se rattachent les travaux de M. Baudrimont. 2° L'hypothèse d'une force répulsive. — M. Boutigny, adop- tant une idée émise par Mussenbroeck, admet l’existence d’une force répulsive particulière émanant de la surface échauffée, et s'exerçant entre cette surface et le liquide. Pour mettre en évidence l’action de cette force répulsive, M. Boutigny prend une capsule métallique percée de trous, ou mieux, une espèce de petit panier formé d’un fil de platine roulé en spirale creuse, et qu'il chauffe fortement. Dans ce tamis d'une nouvelle espèce, les liquides ne passent pas à travers les spires, qui sont cepen- dant assez espacées pour laisser passer les mêmes liquides à froid. M. Zantedeschi semble adopter cette seconde hypothèse. 3° L'hypothèse des forces moléculaires modifiées. — Enfin, quelques physiciens regardent ces phénomènes comme étant simplement le résultat de changements plus ou moins grands dans les forces moléculaires. La paroi suffisamment échauffée — 4928 — n'étant plus mouillée par le liquide, le contact entre ces corps serait alors très imparfait, ce qui expliquerait la lenteur avec laquelle la chaleur se communique de l’un à l’autre. Cette hy- pothèse n’admet pas une séparation complète, c'est du moins l'opinion de Rumfort, de Klaproth, de M. Laurent, à laquelle semble se rallier M. Buff. Les considérations suivantes, et l’ensemble des faits qui constituent cette étude, me déterminent à adopter cette dernière hypothèse. L'expérience de la capsule trouée ou de la spirale, ne me paraît pas une preuve irréfutable de l’existence d’une force répulsive. En effet, ayant construit une capsule avec une toile métallique de laiton, dont les parues pleines comparées aux vides étaient dans le rapport de 8 à 100, j'ai pu impunément verser de l’eau froide dans cette capsule, après avoir enduit ses fils d’une couche de noir de fumée. Comme l’eau ne s'échappe pas à travers les mailles de la toile, et qu’elle y prend la forme globulaire, même dans le voisinage de zéro, on ne saurait invoquer, ni la tension de la vapeur, ni l’existence d’une force répulsive; mais rien ne s'oppose à admettre que les actions moléculaires réciproques sont telles, que l’attraction du liquide pour lui-même est plus grande que le double de l'attraction du noir de fumée pour l’eau. Ce rapport existerait pour beaucoup d’autres liquides, puisqu’un grand nombre de dissolutions sa- lines, ou alcalines, n’ont également pas passé à travers les mailles de la toile métallique précitée. Que l’on opère dans une capsule pleine, ou formée d’une toile métallique enfumée, les liquides dont il vient d’être question s’y rassemblent en sphéroïdes, et ne paraissent pas mouiller le noir de fumée; mais en faisant passer un courant électrique à travers le système, j'ai pu me convaincre qu’un léger contact avait lieu en quelques points, mais qui doivent être peu nom- breux et forts petits. La surface inférieure des sphéroïdes qui reposent sur une toile métallique enfumée prend une disposition particulière due à ce que certaines molécules reposent par des points très petits sur les fils de la toile, tandis que les molécules qui correspondent aux vides, adhèrent à celles qui s'appuient sur les parties pleines, en vertu de la cohésion du liquide pour lui- même; il se forme des espèces d’arc-boutants qui soutiennent — 199 — les molécules supérieures. Lorsque la quantité de liquide est grande, les parties correspondantes aux vides sont très convexes, ainsi que je m'en suis assuré, par un examen direct sur une cap- sule en toile métallique enfumée dans laquelle j'avais versé 150 grammes d’eau, et par l'empreinte qu’en a conservé une couche d'allage fusible de d’Arcet. La convexité du liquide dans les mailles augmente avec la charge, et quand la hauteur du liquide est telle, que la pression exercée par les ménisques convexes dans ces vides ne peut plus faire équilibre à la pression de haut en bas, alors il y a écoulement, mais par quelques mailles seulement. Si on laisse tomber, ou si on dépose doucement une goutte d’un liquide bouillant sur une surface froide, celle-ci est géné- ralement mouillée, bien qu’on puisse admettre que cette goutte soit entourée d'une couche saturée de sa propre vapeur; cela tient à ce que cette vapeur est condensée de suite, puisque la surface solide est supposée froide. Si, au contraire, cette der- nière est préalablement chauffée, la condensation de la vapeur qui entoure la goutte n’a pas lieu, ou peut n’avoir lieu qu’en partie, alors le mouillage ne se fait pas, par suite de la vapeur interposée, et parce que la chaleur, tout en changeant les dis- tances moléculaires de la surface solide, change aussi le rapport des attractions réciproques. Il est évident que la couche de va- peur inlerposée, quelque mince qu’elle soit, concourt aussi à la modification du rapport des cohésions en agrandissant la dis- tance. L'expérience avec la spirale peut alors s'expliquer, en admettant que l’élévation de la température diminue graduelle- ment l'attraction des spires pour le liquide, et qu’il existe une température à laquelle le rapport des cohésions qui produit le non contact est atteint; à ce moment le liquide ne peut plus mouiller les spires, et la suspension de la masse liquide dans les intervalles vides n’est plus qu’un effet de capillarité, comme avec la toile enfumée, disposition qui laisse une libre circulation aux vapeurs. Pour qu’une surface ne soit pas mouillée par un liquide, il faut qu’elle soit préalablement portée à une certaine tempéra- ture, variable avec la nature et la quantité du liquide, mais il faut, en outre, que la couche extérieure de ce liquide soit mo- difiée par une atmosphère de vapeur et d’air. Si le liquide est — 430 — froid et sa quantité petite, 1l emprunte presque instantanément au corps chaud, le chaleur nécessaire à la production d’une couche de vapeur suffisamment épaisse à sa surface, et il prend. facilement le forme globulaire. Si la quantité de liquide est plus forte, on entend, au moment du dépôt, un bruissement très distinct, qui dénote, que des contacts partiels ont lieu entre le liquide et la surface chaude, mais le liquide n’en prend pas moins la forme globulaire après un temps très court; tandis que si, Sans précaution, on verse une trop grande quantité de liquide à la fois, il y a contact complet, la chaleur de la surface chaude passe rapidement dans l’intérieur du liquide, et il se produit une ébullition tumultueuse. On déduit de ce qui précède, et l'expérience le confirme, que, quelle que soit la quantité de chaleur que l’on donne à une capsule contenant à froid un liquide qui la mouille, jamais on ne peut obtenir la séparation de ces deux corps. Tout l'excès de chaleur est absorbé par le liquide qui ne tarde pas à bouillir, et, quelquefois ce n’est qu’à la fin d’une violente ébullition que des gouttelettes lancées verticalement retombent sur la capsule, et ne la mouillent pas, parce que pendant leur projection ces goutteleites se sont entourées d’une atmosphère de vapeur, en même temps que la vaporisalion presque totale du liquide a permis à la capsule d'atteindre une température plus élevée. Il ne suffit donc pas que les surfaces solides soient portées à de hautes températures pour qu’elles ne soient pas mouillées, il faut, en outre, que la couche extérieure des liquides soit mo- difiée par un mélange d’air et de vapeur; circonstance qui se vérifie à l'égard des liquides reposant les uns sur les autres. Cette manière de voir est conforme aux récentes expériences de M. Ch. Drion, sur l'influence de la chaleur dans les phéno- mènes capillaires. M. Wolf en s’occupant du même sujet (Ann. de Chimie et de Physique, 3° série, tome 49), était arrivé à ce résultat, qu'une élévation de température suffisante intervertissait la courbure du ménisque; en d’autres termes, si ce dernier est concave à la température ordinaire, il pouvait devenir successivement plan, puis convexe, à mesure qu’on approche du point de vaporisation totale. Or, en répétant ces expériences, M. Ch. Drion (Ann. de Chimie et de Physique, 3° série, tome 56, page 221) a reconnu, que la forme convexe —, 431 -- signalée n’était qu'une illusion d'optique due à une lunette d'un trop fort grossissement employée par M. Wolf. En opérant sur l'éther sulfurique, l’éther chlorhydrique et l'acide sulfureux, . Drion a constamment vu le ménisque rigoureusement plan au moment où le liquide se convertit entièrement en vapeur, mais que jusqu'à ce moment la courbure demeure concave tout en diminuant à mesure que la température s'élève. Il a également reconnu, que si quelquefois l'ascension semblait se changer en dépression, cela était dû à l'inégalité de la tempé- rature, et à l'énorme dilatation des liquides volatils aux tempé- ratures voisines de leur vaporisation totale (1). D'après M. Boutigny, l’éther sulfurique peut prendre la forme globulaire sur une capsule chauffée à 61° seulement. Il est alors bien étonnant (si toutefois il existe une force répul- sive émanant des surfaces chaudes) que cette force ne se manifeste pas à l'égard du même liquide, de la part d’une paroi portée à une température trois fois plus élevée. Cette force répulsive ne devrait-elle pas chasser le liquide à une certaine distance de la paroi, et déterminer la forme globulaire de celui-ci dont la surface libre serait alors fortement convexe? Or, dans les expériences qui viennent d’être citées, cette surface n’est que plane, même à la dernière limite de température. On serait tenté de dire que la force répulsive ne pouvait pro- duire son effet ordinaire à cause de la forte prezsion qui existait au-dessus du liquide, dans les appareils employés par M. Wolf, et par M. Drion; mais l'argument serait sans valeur, puisque quelques physiciens ont recours à celte force répulsive pour expliquer la fameuse expérience de Perkins qui vit l’eau, dans des cylindres de bronze portés au rouge refuser de passer à travers une fente faite accidentellement à la partie inférieure, malgré le poids du liquide et une pression intérieure d’environ 20 atmosphères. La vraie raison de la forme plane du liquide dans les expériences de MM. Wolf et Drion, c’est que la cause qui modifie le rapport des cohésions, cette couche adhérente à la surface des liquides dont il a été précédemment question, ne peut pas se former dans les circonstances où l’on s’est (:) Cette vaporisation totale a lieu à 1900 pour l’éther sulfurique, à 184° pour l’éther chlorhydrique, et à 157° pour l'acide sulfureux. — 432 — placé, c’est-à-dire en chauffant graduellement à partir de la température où le mouillage est complet. Il en est tout avtre- ment si le tube est préalablement chauffé à une température suffisante, la surface libre du liquide est fortement convexe. Comme le liquide ne touche plus les parois, la pression s'exerce sur toutes ses parties, et ne tend nullement, par conséquent, à le faire passer par les petites ouvertures qu’on peut pratiquer dans l'enceinte, ce qui ôte à l'expérience de Perkins le merveil- leux qu'on lui trouve d'ordinaire. L'intervention de la vapeur est évidente dans ces sortes d’ex- périences : mais j'espère qu’il ressortira plus loin, que la tension de la vapeur, quand elle agit, est moins la cause du non contact entre les liquides et les surfaces chaudes, qu’une circonstance qui agrandit l'intervalle préalablement établi. — 433 — DEUXIÈME PARTIE. Cas des liquides superposés. Quelques liquides qui aux températures ordinaires se mouil- lent et se mélangent, peuvent dans certaines circonstances ne : pas se mouiller ; quoique très rapprochés, ils restent complè- tement séparés, ainsi que Bellani l’a remarqué dès 1808. M. Pelouze a constaté qu’une goutte d’eau surnageait à la surface de l'essence de térébenthine chauffée à 150 degrés environ, malgré la différence de densité. D’après M. Boutigny, l’eau, l'alcool et l’éther se maintiennent sur de l’acide sulfu- rique presque bouillant ; et avec quelques précautions on peut, suivant M. Choron, faire prendre la forme globulaire, à de l'éther projeté sur de l’eau, du mercure, de l'huile, de l’acide nitrique fumant, pris à la température de 54° au moins. On peut même empiler plusieurs liquides les uns sur les autres. La manière la plus simple de montrer cette superposition des liquides sous forme globulaire, consiste à chauffer une capsule plate, et à y déposer une certaine quantité d’eau pure qui ne la mouille pas. La masse d’eau doit former un sphéroïde aplati dont la surface ait assez d’étendue pour permettre d’y plonger aisément un anneau mince en platine pp’ (fig. 5). Cet anneau doit reposer par quelques points seulement sur la capsule, et son bord supérieur dépasser faiblement la surface du sphéroïde. La capillarité forme à l’intérieur de l’anneau une sorte de cap- sule d’eau, dans laquelle on peut déposer divers liquides, de l'éther sulfurique, par exemple, qui s’y rassemble immédiate- ment en un globule arrondi. On peut, si l’on veut, déposer d’abord de l'alcool sur la capsule, puis de l’éther sulfurique sur l'alcool. En enflammant ces deux liquides la séparation ne cesse pas d'exister, et on obtient deux flammes qui diffèrent, comme l’on sait, par leur pouvoir éclairant. Il n’est pas rare de voir flotter des gouttelettes sur la surface EE — d’un liquide de même nature, à diverses températures. On ob- serve cc phénomène dans une foule de circonstances qu'il est inutile de rapporter; mais surtout sur les liquides volatils. Les faits que je viens de citer indiquent qu’une cause ana- logue à celle qui empêche le contact entre les liquides et les surface chaudes, existe aussi à l’égard des liquides entre eux, du moins pendant un certain temps. Ils semblent indiquer aussi qu'une température de 50 à 60 degrés est au moins nécessaire ; mais j'ai constaté que le non contact entre quelques liquides peut avoir lieu à des températures plus basses, soit qu'il s'agisse de liquides différents, ou de liquides de même nature. Pour vérifier ce qu’on vient de lire, le procédé le plus simple est de prendre un tube de verre, de À à 2 centimètres de dia- mètre, de 6 à 8 centimètres de longueur et fermé par une de ses extrémilés. On le remplit à moitié d'alcool ordinaire, par exemple, et l’on dépose, à l'aide d’une pipette, une goutte du même liquide sur la surface du ménisque concave. En opérant convenablement, la goutte se maintient isolée de la surface sous-jacente, malgré le mouvement oscillatoire qu’elle peut prendre dans les premiers instants. Cette goutte reste ainsi surnageante plus ou moins de temps, et quelques instants avant qu’elle ne se confonde avec le bain, on remarque à sa surface des mouvements irréguliers, analogues à ceux qui sillonnent les bulles de savon un peu avant qu’elles ne crèvent. Il arrive souvent que la goutte, en s’évanouissant, donne naissance à une goutte plus petite, d’une sphéricité parfaite, et en général d’une plus grande persistance. En opérant comme il vient d’être dit, la surface du bain n’a pas besoin d’être en repos, car le tube peut être lenu à la main, on peut le transporter sans abréger beaucoup la suspension des gouttes. L'alcool absolu, l’acool méthylique, l’acide acétique cristallisable, et les éthers sulfu- rique, nitrique, chlorhydrique donnent des résultats identiques. Lorsqu'une goutte liquide repose ainsi sur une surface éga- lement liquide, cette dernière est plus ou moins déprimée sui- vant le volume et la densité de la goutte surnageante; ct, pour peu qu’il y ait une variation de température dans le liquide sous-jacent, les corpuscules qui peuvent s’y trouver en suspen- sion indiquent, par leurs mouvements, qu'il se produit des courants ayant la direction des flèches de lafig. 6. — 435 — Sil’on chauffe modérément le tube au bain-marie, les effets ci-dessus ont plus de durée, il est aussi très facile de produire la suspension des gouttes sur des liquides de nature différente. Ainsi, l’éther sulfurique reste flottant sur de l’alcool ordinaire chauffé à 40 degrés, bien que ces deux liquides se mélangent en toutes proportions. Une goutte d'éther reste flottante sur l'éther à 34° seulement; la durée de la suspension varie de 8 à 15 minutes, malgré un mouvement continuel de la goutte qui se déplace dans tous les sens, et sans qu’il en résulte une variation de volume appréciable. Si on dépose une goutte d’éther sulfurique sur de l’alcool à la température de 60”, le mouvement de la goutte est tellement rapide et brusque, que dans la plupart des cas elle se brise contre les parois du tube. Cette dernière expérience est plus intéressante quand on opère dans un vase plus large, par exemple dans un petit ballon de verre, de 4 à 5 centimètres de diamètre, rempli à moilié d'alcool. La goutte d’éther y prend une vitesse très grande, ses mouvements se réfléchissent contre les parois du ballon, c'est exactement le cas d’une bille lancée sur un billard circulaire. Rarement la goutte disparaît en se confondant avec le bain, presque toujours elle se brise contre le ballon, tant sa translation est rapide. Ces mouvements sont évidemment dus à une réaction exercée dans une même direction par les vapeurs qui se forment à la surface des deux liquides. Sur de l'essence de térébenthine chauffée à 60°, une goutte d’eau distillée reste surnageante, et en prenant quelques pré- cautions cette goutte peut être tellement volumineuse qu’elle plonge aux trois quarts dans l’essence. Les cas de superposition que je viens de citer, et auxquels je pourrais en ajouter heaucoup d’autres, me conduisent à ad- mettre que la séparation des liquides semblables, ou de nature différente, est due au rapport des cohésions, modifié par la couche de vapeur adhérente à la surface de chacun d'eux, si les liquides sont tous deux volatils, ou à la surface du liquide le plus volatil, si l’autre ne fournit pas de vapeur appréciable aux températures ordinaires. On conçoit facilement, que quand on opère dans un espace presque fermé, une couche de vapeur adhérente à la sur- face du liquide ne tarde pas à se former, et que la goutte — 436 — qu'on y dépose ne se confond avec cette surface qu'autant qu’une solution de continuité se produit dans la couche de va- peur. Il semble tout d’abord que cette solution de continuité pourrait être le résultat d'une condensation de la vapeur à la surface de la goutte, soit que celle-ci soit plus froide, soit qu’elle ait pour la vapeur du bain une certaine affinité, ou réci- proquement; mais on verra bientôt que la couche de vapeur résiste à l’action des liquides qui ont cependant pour elle une forte action dissolvante, ou tout au moins, que si cette dissolu- tion a lieu, la couche de vapeur se régénère avec une grande rapidité. Par couche de vapeur adhérente, j'entends ici, une lame excessivement mince d'air saturé de vapeur qui est en contact avec la surface libre des liquides. Lorsqu'une solution de continuité est produite, elle nécessite un certain temps pour disparaître, ce que l’on juge à l’impossi- bilité de faire surnager des gouttes, si l'on ne met pas un inter- valle de une à deux minutes entre chaque expérience. On con- çoit, d’ailleurs, que la réparation se fait d'autant plus promptement que le liquide qui forme la capsule est plus volatil. L’uniformité de la couche de vapeur peut être altérée, par des particules so- lides flottantes dans l'air ambiant et qui se déposent sur le bain, ou par des corpuscules en suspension dans la masse liquide que les courants intérieurs amènent parfois jusqu'à l'extrême sur- face. Il est donc important d'opérer avec des tiquides parfaite- ment limpides, et de les soustraire à la poussière. Afin de mettre davantage en évidence l'influence de la couche de vapeur adhérente à la surface des liquides, j'ai fait fait l’expé- rience suivante : deux tubes semblables de verre, À et B (fig. 7), contenant chacun de l’éther sulfurique, sont chauffés au bain- marie à la température de 34° centigrades environ. Dans le tube 4, et sur la surface du liquide, j'établis une petite capsule d'argent très mince, ayant la même courbure que le ménisque du liquide dans les tubes. La petite capsule est retenue par un crochet sur le bord du tube, ce qui la maintient à une hauteur fixe, mais en contact avec le liquide. Cette disposition prise, j'attends quelques minutes afin de laisser les espaces se saturer de vapeur, puis je dépose doucement une goutte d’éther sur la capsule métallique, qui est toujours instantanément mouillée, tandis qu’une goutte identique projetée sur la surface — 437 — liquide du tube B, y reste flottante fort longtemps. C’est donc bien une couche de vapeur adhérente à la surface de l’éther, et qui n'existe pas à la surface de la capsule métallique, qui mo- difie le rapport des cohésions des liquides en regard et déter- mine leur séparation. Cette manière de voir, qu’on peut très bien généraliser, explique des faits en faveur desquels on ne saurait invoquer, ni une force répulsive, ni la tension des vapeurs, vu les basses températures auxquelles ces faits se produisent. Grossissement des gouttes. — En général, on voit les gouttes flottantes éprouver une diminution de volume, quoique, pour quelques liquides, il soit difficile de reco naître si cette dimi- nution a réellement lieu; mais en cherchant à varier ce genre d'expériences, j’ai trouvé que les gouttes de certains liquides augmentaient de volume dans de fortes proportions pendan toute la durée de l'expérience. Voici dans quelles circonstances : Lorsque dans un des tubes de l'appareil représenté fig. 7, et contenant de l’éther sulfurique ordinaire porté à la température de 34°, on laisse tomber une goutte d’acide acétique cristalli- sable, cette goutte reste flottante à la surface de l’éther; mais loin de diminuer de volume, elle grossit, au contraire, rapide- ment, de façon à acquérir, le plus souvent, un volume six fois plus grand que son volume primitif. Cette expérience et les sui- vantes réussissent d’autant mieux que la température du bain est plus uniforme, ce qu’on obtient facilement en plaçant, sui- vant les circonstances, la faible flamme d’une veilleuse à des distances variables du bain-marie. En opérant avec d’autres acides, l'acide azotique et l'acide sulfurique monohydraté sont les seuls avec lesquels j'aie obtenu le grossissement des gouttes, et c’est l’acide azotique qui, jusqu’à présent, m'a semblé manifester le phénomène au plus haut degré. Les gouttes acides étaient projetées sur l’éther à l’aide d’une pipette effilée, et leur diamètre moyen était de 2"",14, ainsi qu'il résulte de mesures micrométriques. Ayant déterminé le volume primitif de ces gouttes, et lorsqu'elles avaient atteint leur-maximum de grosseur, j'ai trouvé que le rapport du volume primitif au volume final était en moyenne : — 438 — De 1 à 3 pour l’acide sulfurique monohydraté ; 1 à 5 pour l'acide acétique cristallisable; 4 à 12 pour l’acide azotique. Si l’on intervertit l’ordre des liquides, c’est-à-dire si l’on pro- jette successivement sur les acides précités, chauffés à 40° en- viron, une goutte d’éther sulfurique, cette goutte roule vivement à la surface des acides, dimi_ue rapidement de volume et s’é- vanouit. Pendant leur grossissement, les gouttes se déplacent conti- nuellement, et il se produit parfois une rotation très régulière. J'ai cru remarquer que les déplacements ont lieu tant que le grossissement s'effectue, et qu'ils cessent en même temps que lui, on est averti que le maximum de grosseur est atteint lorsque les gouttes sont immobiles; et si la température est bien cons- tante, il n’est pas rare de voir des gouttes d'acide acétique flotter pendant 20 à 25 minutes. Quand les gouttes sont immobiles, on observe des anneaux colorés à leur partie supérieure sur toute la surface d’un segment sphérique dont la hauteur m'a semblé être le liers du diamètre des gouttes. Ces couleurs sont très vives et parfaitement visibles à l'œil nu, surtout quand on opère avec l'acide azotique. Elles se manifestent également quand on opère avec des liquides de même nature, et n'apparaissent, en général, que dans les ins- tants qui précèdent l’évanouissement des goulles. Je ne suis pas encore fixé sur la cause qui produit le grossis- sement des gouttes acides; mais c’est un fait très-curieux qu'un transport de matière aussi considérable puisse s'effectuer dans un temps si court, à travers un intervalle qu’on peut regarder comme très-petit. C’est une preuve bien convaincante de la persistance de la couche de vapeur adhérente à la surface des liquides. Pour compléter cette étude, il me reste à indiquer l'influence du non contact sur la température et la vaporisation de l'eau déposée sur les surfaces chaudes. | — 439 — TROISIÈME PARTIE. re / Température de l’eau qui ne mouille pas les surfaces chaudes sur lesquelles elle repose. Un fait qui a frappé tous les observateurs qui se sont occupés de ce genre de phénomènes, c’est que les liquides semblent ne pas pouvoir bouillir lorsqu'ils reposent sur les surfaces très chaudes. La température est, en général, peu différente de celle de l’ébullition de ces liquides; et, suivant M. Boutigny, cette température serait constante pour l’eau, et de 96°,5, quelle que soit ia lempérature de la surface. Cependant M. Person {!) dit avoir obtenu l’ébullition de l’eau dans de petits creusets sur la lampe à alcool, et dans de grands creusets à la forge; mais l’ébullition qu'on obtient ainsi est différente de l’ébullition ordinaire, par l'aspect du liquide, et par le temps de la vaporisation qui n’est pas le même. D'après le même physicien, la température du liquide dépendrait de celle de la surface, car un petit morceau d’alliage, fusible à 95°, plongé dans l’eau sous forme globulaire, fond ou ne fond pas suivant qu'on chauffe plus ou moins la surface. Avec de très petits thermomètres, M. Person a trouvé, 84° pour la limite inférieure, et plus de 100 degrés pour la limite supérieure. L'eau acquiert la température de 100 degrés lorsque la tempé- rature d'une capsule est de 360 degrés environ, et que celle-ci est presque entièrement couverte d'eau. La plupart des savants qui ont déterminé la température des liquides reposant sur les surfaces chaudes, ne sont pas d'accord sur ce point, c’est ainsi, que MM. Laurent, Legrand, Kramer, Belli, Peltier, Baudrimont, etc..…, ont indiqué des chiffres très différents de ceux fixés par M. Boutigny. | 1) Comples rendus de l’Académie des Sciences, tome XV, page 494. — 10 — Tout récemment, M. de Luca (‘}, en déposant de l'iodure d'amidon bleu dans une capsule chauffée, a vu cet iodure rester bleu jusqu’à la fin de l’expérience. Comme l’iodure d’amidon se décolore complétement à 80°, et que la décoloration com- mence même à 50°, 1l en conclut, que non-seulement la tempé- rature du composé n’atteint pas 80°, mais qu’elle pourrait même être au-dessous de 50°. A cet argument, M. Boutigny répond (?), qu’on ne saurait rien conclure de la décoloration de l’iodure d'amidon qui semble dépendre de la quantité d’iode, puisque de l’iodure d'amidon contenant d'iode, peut être porté jusqu’à l’ébullition sans se décolorer. Il persiste dans le chiffre de 962,5 qui aurait été ré- cemment confirmé par M. Sudre. En se servant du thermomètre à calories imaginé par MM. Favre et Silbermann, M. Sudre aurait constaté qu’un gramme d’eau abandonne toujours dans ces circonstances 97,4 calories; d’où il tire la conclusion, que si les expériences de M. de Luca sont fondées, il faudrait admettre que l'eau, sous forme globulaire, possède une chaleur spécifique deux fois plus élevée que celle qu’on lui connaît dans les conditions ordinaires ({*). Les citations précédentes montrent qu’il règne encore une grande incertitude sur la température que peuvent atteindre les liquides déposés sur les surfaces chaudes, ou du moins, qu’en indiquant cette température on n’a pas assez spécifié les diverses conditions dans lesquelles ces liquides étaient placés; ces con- ditions étant de plusieurs sortes, il importe de les énumérer. Lorsqu'un liquide volatil est déposé dans un vase ou sur une surface assez chaude, il prend une forme arrondie bien connue, et on sait, d’après les expériences de M. Buff {page 12), qu'il y a une séparation complète ou incomplète suivant la quantité du liquide. Si cette quantité est telle qu'il n’y ait aucun contact avec la surface chaude dont le degré de chaleur est supposé uniforme, le liquide ne tarde pas à acquérir une température () Comptes rendus de l’Académie des Sciences. tome LI, page 141. (*) Id., tome LIL, page 91. (*) Id., tome LI, page 1092. — AM — qui résulte de l'équilibre qui s'établit entre la quantité de cha- leur emportée par la vapeur qui se forme et la chaleur reçue de la part de la surface chaude sous-jacente : or, quelle que soit la température de cette dernière, elle ne peut, par voie de rayon- nement, communiquer au liquide autant de chaleur que celui-ci pourrait en recevoir par conductibilité dans le cas du contact; en d’autres termes, il semble que dans ces circonstances la tem- pérature du liquide ne puisse jamais atteindre celle de son point d'ébullition ordinaire. Cela aurait lieu, en effet, s’il n’y avait pas une cause qui exerce une influence très manifeste sur la température d’ébullition, cette cause est la forme globulaire du liquide. On verra, par la suite, que l'influence de la forme globu- laire, dans ces circonstances, n’est pas d’un ordre de grandeur plus élevé que l'influence des vases, c'est-à-dire qu’elle ne sau- rait retarder le point d’ébullition que de 4 degré, environ. On entrevoit alors comment un liquide peut atteindre et même dé- passer la température de son point d’ébullition dans les vases métalliques sans offrir les caractères de l’ébullition ordinaire. En tout cas, si à la limite de température du liquide on admet que celui-ci entre en ébullition, ce phénomène ne saurait avoir une bien grande intensité, car il demande une quantité de chaleur que le seul rayonnement des surfaces ne pourrait communiquer; mais il y a la vapeur qui, à une température relativement peu élevée, donne déjà 80 fois plus de chaleur que le rayonnement, et qui pourrait expliquer, à la rigueur, la pro- duction de ce phénomène. Toutefois dans les conditions où on admet que l’ébullition a lieu, la quantité de vapeur formée diffère notablement de celle produite dans l’ébullition ordi- naire. Suivant M. Person, elle est 5 fois moindre dans le premier cas que dans le second, pour une certaine tempé- rature (1). Mais peut-on réellement considérer comme une ébullition, l'agitation tumultueuse qu’on observe quand une certaine masse d’eau est versée dans un creuset porté à une température élevée ? Lorsqu'une quantité d’eau un peu notable repose sur une surface chaude, il se produit une évaporation sur toute la surface de la masse liquide, et chacun admettra que c’est du (1) Comptes rendus de l'Académie des Sciences, tome XV, page 494. 31 — 449 — côté de la paroi échauffée que la production de la vapeur est la plus abondante; or, la quantité de vapeur produite en cet endroit ne peut pas toujours s’écouler, au fur et à mesure de sa forma- tion, par l'intervalle qui existe entre le liquide et la paroi échauffée. C’est ce qui arrive quand on opère dans des capsules très plates ; on voit que la vapeur soulève le liquide en certains endroits, et vient percer à la surface supérieure sous forme de bulles. L'issue offerte à la vapeur n'étant pas suffisante, celle-ci se trouve nécessairement un peu comprimée, et pour s'échap- per elle soulève le liquide sous forme de bulles dans des cas, ou le chasse de côté, dans d’autres cas; en un mot, elle détermine les oscillations brusques, ou les vibrations régulières que le liquide offre très souvent. C’est à cette circonstance qu'il faut attribuer la dépression manométrique observée dans les expé- riences de M. Person, citées page 23; mais j'ai déjà fait remar- quer que la tension de la vapeur, dans ce cas, est moins la cause du non contact, qu’une circonstance tendant à agrandir l'intervalle qui existe préalablement entre les deux corps. D'un autre côté, il est rationnel d'admettre que la quantité de vapeur qui se forme du côté de la paroi échauffée augmente avec la température de cette dernière, et qu’il est peu probable que l'intervalle croisse proportionnellement avec cette tempéra- ture; dès lors, le phénomène dont il vient d’être question doit se manifester avec d’autant plus d'énergie que la température est plus élevée. La vapeur qui s'échappe à travers le liquide est fortement surchauffée, et il n’est pas supposable qu’elle puisse : ainsi s’écouler sans changer la température de la couche liquide. Le raisonnement indique qu’il doit y avoir augmenta- tion de chaleur, à moins que la quantité de calorique introduite ne soit compensée par une évaporation plus rapide à la surfacé supérieure du liquide. Dans le but de vérifier l'influence des jets de vapeur, et de la forme globulaire, j'ai déterminé la température de l’eau, dans diverses conditions, en employant la méthode des mélanges, procédé déjà adopté par M. Baudrimont pour des recherches analogues; seulement ce physicien a opéré sur des quantités de liquide tellement minimes, qu’il est permis d'élever quelques doutes sur les résultats ainsi obtenus : aussi les températures trouvées par M. Baudrimont sont elles regardées comme beau- sit 1 — 43 — coup trop faibles. Afin d’éviter des inconvénients du même genre, j ai opéré sur des masses d’eau relativement considé- rables ; ces quantités ont, en effet, varié de 50 à 170 grammes. Le calorimètre dont j'ai fait usage est celui qui fait partie de l'appareil imaginé par M. Regnault pour déterminer la chaleur spécifique des solides et des liquides entre 0 et 100 degrés, par la méthode des mélanges, apparéil qui appartient à la Faculté des sciences de Besançon. Ce calorimètre est en laiton, et à double enveloppe pour amoindrir et rendre plus uniformes les causes de refroidissement et de réchauffement pendant les expériences. Le vase intérieur est cylindrique ; il a 0",13 de diamètre, et autant de hauteur. Il pése, vec son agitateur également en laiton, 143 grammes. En adoptant 0,094, pour la chaleur spé- cifique du laiton, l'équivalent en eau de ce calorimètre est, 143 >< 0,094 — 135,44. Le thermomètre qui sert à mesurer la température du calori- mètre est divisé en cinquièmes de degré, et chacune des divisions est encore assez grande pour être facilement subdivisée, par la pensée, en 5 parties ; ce thermomètre permet donc de déterminer ; tail he la température à 9 de degré près. L’équivalent en eau, du 5 mercure et de la partie de la tige du thermomètre qui plongeaient dans le mélange, était sensiblement de 18,6; ce qui donne 15 grammes pour l'équivalent en eau du calorimètre complet ; en versant dans ce vase 1185 grammes d’eau réelle, on avait une masse équivalant à 4200 grammes d’eau. Cette quantité a été rendue constante dans toutes les expé- riences qui suivent. La capsule dont je me suis servi est en bronze, à fond presque plan, de 0, 15 de diamètre et de 0", 06 de hauteur. Elle était chauffée sur un bon feu de charbon de bois, et lorsqu'elle avait atteint une température convenable, on y versait une quantité d’eau distillée préalablement portée à 90° environ. On laissait -s’écouler quelques instants pour permettre à la température de devenir uniforme dans toute la masse liquide, puis l’eau était lestement versée dans le calorimètre dont la température était mesurée quelques secondes avant. L’uniformité de température de l’eau dans la capsule était ra- pidement atteinte, ce que j'ai constaté, en versant l’eau chaude — hhk — dans le calorimètre immédiatement après son introduction dans la capsule, ou en laissant s’écouler au moins une minute; la température de l’eau a été trouvée sensiblement la même, ce qu’il faut attribuer à l’agitation tumultueuse causée par une foule de bulles de vapeur qui partent du fond de la capsule et qui viennent crever avec force à la partie supérieure du liquide. Le mélange atteignait sa température maximum 20 secondes environ après l'introduction de l’eau chaude; le mélange était constamment agité à partir de cette introduction. Pour éviter la perte ou le gain de chaleur pendant les expé- riences, j'ai employé la méthode de compensation de Rumfort, c’est-à-dire que la température ambiante, rendue aussi uniforme que possible, a toujours été prise pour la moyenne des tempé- ratures initiale et finale du calorimètre. Tant que cette condition est remplie, on peut admettre qu’il y a une compensation assez rigoureuse, à cause de la courte durée de chaque expérience ; seulement comme il est admis, en général, que la première moitié de la variation de température est plus rapidement franchie que la seconde moitié, une expérience préalable m’a démontré que la perte de chaleur qui pouvait se faire pendant cette seconde moitié, était largement compensée par la chaleur rayonnée par la capsule, pendant les 2 à 3 secondes de temps que nécessitait l'introduction de l’eau chaude. La lecture du thermomètre du calorimètre, dont le zéro a été déterminé avec soin, se faisait à l'aidé d’une lunette montée sur un petit cathétomètre. La même lunette permettait de lire un autre thermomètre placé dans le voisinage du calorimètre, et destiné à indiquer la température ambiante. | La quantité d’eau chaude introduite était déterminée en pesant le calorimètre avant et après chaque expérience. Toutes les pesées ont été faites avec d'excellents poids de Fortin; les lectures ont été le plus souvent vérifiées par deux personnes différentes, de sorte qu'aucune précaution n'a été négligée pour obtenir les valeurs numériques avec la plus grande exactitude. Ceci posé, soient : — 445 — M la masse d’eau totale du calorimètre ; & sa température initiale; t' la température finale du mélange; m le poids de l’eau chaude introduite ; T la température de cette eau. : En supposant uniforme et égale à l'unité la chaleur spécifique de l’eau entre 0 et 100 degrés, on a l’équation M(t—1)=m(T—t); d'où M(#—t)+me m == Quelques expériences, dont les résultats sont consignés dans le tableau ci-dessous, ont été faites en chauffant la capsule à diverses températures au-dessous du rouge; tandis que pour celles marquées d’un astérisque, la capsule a été portée au rouge sombre avant d’y verser de l’eau. Les valeurs numériques de douze expériences faites dans les conditions qui viennent . d’être indiquées, sont les suivantes : Numéros des M L t' m FE expériences. I 4200 8°. | 44°,44 | 48°,74 | A106. | 98,38 IT id. i0°,20 | 490,45 | A41 98,17 LIT id. - 119,20 | 14,88 53 982,20 IV id. 9,56 | 15°,54 | ‘87 98°,02 (%) V id. 9,75 | 20,57 | 165,5 | 99°,02 VI id. 10°,86 | 145°,55 68 98°,43 (*) VII id. 10°,60 | 20°,08 145,9 98°,42 VE | - id. 9,60 | 20°,05 | 159,2 | 98°,82 (*) IX id. | 40°,20 | 20°,08 | 151 98°,60 ) X id. 10°,82 | 21,89 | 472,9 | 98,72 (*) XI id. 10°,57 | 20°,35 150,2 98°,48 (*) XII id. 90,64 | 17°,55 117 98°,98 — Ài6 — ; Pendant la durée des expériences ci-dessus, la température de l’eau bouillante a été plusieurs fois déterminée à l’aide d’un excellent thermomètre hypsométrique de M. Regnault, cons- truit par Bunten. Cette température d’ébullition a varié entre 99°,35, et 99°,05. La même température déduite de la pression atmosphérique, n’a différé que de quelques centièmes avec les chiffres précédents. L'inspection des nombres du tableau ci-dessus montre que la température de l’eau à l’état globulaire, dans les conditions précédemment indiquées, est très voisine de celle du point d'é- bullition, indépendante de la quantité de cette eau et de la lem- pérature de la capsule. En effet, la moyenne de douze expériences est de 98°,52, c'est-à-dire 0,9 de degré au-dessous de la température d’ébul- lition de l’eau dans un vase métallique; mais si l’on tient compte de certaines pertes de chaleur, il est permis de penser que la température de l’eau dans la capsule était plus élevée que ne l'indique l'expérience. En fait, il est hors de doute qu’une petite quantité d’eau était vaporisée pendant le temps qu’on introduisait l’eau chaude dans le calorimètre, introduction que l’on devait faire avec quelques précautions afin d'éviter les projections ; or, la chaleur absorbée par la vapeur était nécessairement empruntée à l’eau versée sous forme de jet, et au moment où elle ne recevait plus de chaleur de la part de la capsule, ce qui devait faire baisser la température de cette eau avant son arrivée dans le calorimètre. Admettons que la température du liquide ait été, dans la capsule, égale à eelle de l’ébullition ordinaire, et qu’elle ait baissé de À degré par la vaporisation produite à la surface de 140 grammes d’eau versée. Cet abaissement correspondrait à 140 D per ? AAA 537 08',261 d’eau vaporisée ; 537 étant la chaleur latente de la vapeur d’eau vers 100°. Assurément, dans de telles circonstances, la vaporisation de 4/1 de gramme d’eau n'offre rien d’exagéré, et elle suflirait, comme on le voit, à faire baisser de 1°, la température initiale de 140 grammes d’eau. Supposons, si l’on veut, que l’évaporation est moitié moindre ; elle occasionnerait alors un abaissement — AT — de 41/2 degré dans la température de l’eau, celle-ci serait, par ce fait, de 1/2 degré seulement au-dessous de la température _de l’ébullition ordinaire. Ce résultat est parfaitement admissible si l’on met en ligne de compte le non contact du liquide et de la capsule, et les bulles de vapeur qui tendent à élever la température de l’eau au point d'ébullition, d’une part, mais qui peuvent très-bien ne pas l'y maintenir d'une manière constante parce qu’elles produisent, d’autre part, une évaporation plus abondante qui tend à faire baisser la température. La production des bulles de vapeur et la vaporisation n’offrant rien de constant, les résultats fournis par l’expérience ne peuvent présenter rien d’uniforme. L'influence des bulles de vapeur étant manifeste, il était permis de supposer qu'en les supprimant, c’est-à-dire en empêchant ces bulles de traverser la couche d’eau, celle-ci atteindrait une température moins élevée. C’est ce que j'ai vérifié, en perçant le fond de la capsule de bronze d’un grand nombre de trous de 4/2 millimètre de diamètre, en premier lieu, et de un milli- mètre, ensuite, Exactement comme dans les expériences avec la capsule pleine, l’eau a été préalablement chauffée, et n’a été versée dans la capsule, que quand celle-ci avait atteint une température suffisante. Les résultats obtenus à l’aide de la capsule ainsi percée sont consignés dans le tableau suivant, où les notations ont la même signification que dans le tableau de la page 43. Numéros | / Différences de T J à la He . 4 : be température expériences. d’ébullition. gr. gr. I 1200 | 9°,66 | 15°,75 | 94 | 949,59 IT id. | 10°,45 | 46°,50 | 96 | 95°,87 II id. | 90,67 | 450,44 | 88 | 94,12 IV id. | 40°,70 | 46°,83 | 97 | 92,66 Y id. | 400,38 | 18,18 |120 | 96°,18 QUI id. | 440,35 | 190,26 |126 | 94°,59 — 48 — Pendant ces expériences la température d'ébullition de l’eau a été de 99°,35. Les chiffres de ce dernier tableau, comparés à ceux du tableau de la page 43, mettent bien en évidence l'influence des bulles de vapeur, c’est-à-dire que celles-ci étant en partie supprimées, la température de l’eau est notablement plus basse que précé- demment. Je dis que les bulles de vapeur n’ont été qu’en partie supprimées, cela est vrai, car je n’ai pu arriver à la suppression complète, en opérant sur une centaine de grammes d’eau comme je l’ai fait. Lorsque le fond de la capsule a été perforé d’un grand nombre de trous de 1/2 millimètre de diamètre, les bulles de vapeur, quoique beaucoup plus rares, avaient néan- moins une très grande influence, et c’est dans le but de ré- duire encore cette dernière que la moitié des trous ont été portés à un millimètre de diamètre. Les bulles de vapeur, bien que considérablement réduites, n’ont cependant pas été annulées tout à fait. Il aurait fallu, pour cela, agrandir le resto des trous; mais alors on serait tombé dans un grand inconvé- nient, parce que sous la charge et les agitations du liquide, une multitude de gouttelettes d’eau passaient en dessous de la capsule sous la forme d’une pluie très fine ; la quantité d’eau, déjà très notable, qui s’échappait ainsi aurait, sans nul doute, été aug- mentée, et les expériences seraient devenues impraticables. Les résultats obtenus avec la capsule percée montrent ce que je voulais prouver, à savoir, que l’eau peut prendre la forme globulaire sur des surfaces plus ou moins chaudes, et acquérir des températures très diverses. Seulement, quand on opère avec une capsule percée, on est forcément obligé d’avoir une tempé- rature élevée, afin d'obtenir une forme globulaire du liquide sans contact avec la surface échauffée. Pour cette raison, la capsule trouée a toujours été portée préalablement au rouge sombre, ce qui fait que les valeurs de T, du dernier tableau, ne diffèrent pas autant qu’elles le devraient de celles du tableau précèdent, si, avec une aussi grande quantité d’eau on pouvait chauffer moins la capsule, et surtout, si l'on pouvait empêcher complétement les bulles de vapeur de traverser le liquide. J'ai tenu à opérer avec des masses d'eau un peu grandes, car c'est avec elles que les effets sont les plus marqués, que les _À — 449 — diverses influences sont les plus faciles à apprécier (!). Il en est tout autrement quand on emploie de petites quantités de cé liquide; ce dernier reste la plupart du temps immobile, ou ne présente, suivant la forme des vases, que des mouvements vibratoires peu intenses; alors les causes qui peuvent faire varier la température ne sont pas aussi faciles à discerner. Aïnsi, il m'est souvent arrivé de déposer une faible quantité d’eau distillée dans une capsule de bronze bien poli, chauffée à 3 ou 400 degrés, et de voir cette eau ainsi que la capsule perdre lentement leur chaleur, et les températures de ces deux corps devenir assez basses pour qu'au moment du contact il n'y ait aucun crépitement, aucun indice d’ébullition. Assurément, dans ces circonstances, la température de la capsule descend au- dessous de 100”, et par suite, la température de l’eau doit être relativement beaucoup plus basse. Sans attacher à ce fait parti- culier (qui se produit cependant assez fréquemment) plus d’im- portance qu’il n’en comporte, il n’en est pas moins vrai que la Cause qui empêche le mouillage du bronze à d’aussi basses températures ne peut être attribuée, ni à une force répulsive, ni à la force élastique de la vapeur. Je suis donc loin de regarder les résultats obtenus avec la capsule trouée comme une limite inférieure approchée de la température de l’eau sur les surfaces chaudes. On ne peut assi- gner à cette température aucune limite inférieure fixe, attendu qu’elle dépend, je lé répète, de plusieurs causes qui tantôt agissent isolément, tantôt simultanément, si bien que la tem- pérature est aussi, tantôt plus basse, tantôt plus élevée. Il me semble également impossible de pouvoir assigner une limite supérieure constante. On se rappelle qu’en opérant avec, la capsule non percée, j'ai constaté que la température de l’eau atteignait sensiblement celle de l’ébullition du même liquide dans les vases métalliques; et si cette température a été trouvée () Je prépare depuis quelque temps des appareils pour opérer sur plusieurs litres d’eau à l’état globulaire; mais les lenteurs de semblables expériences me forcent à les ajourner. {Ces appareils, et la plupart de ceux qui sont décrits dans ce travail. je les dois au concours bienveillant et généreux de M. Minary, Ingénieur des Forges de Franche-Comté, à qui je suis heureux de donner ici un témoignage de ma vive reconnais- sance. — 450 — un peu plus basse, il en faut rapporter la cause à la grande sur- face d’évaporation du liquide disposé en nappe mince, et où la forme globulaire n'avait guère d'influence que sur le pourtour. Ayant donc reconnu que des bulles de vapeur traversant une couche peu épaisse de liquide en élevait la température presqu’à celle de l’ébullition, je n’hésitai pas à admettre que si l'on s’ar- rangeait pour que ces bulles traversassent une plus grande hau- teur d’eau, tout en rendant la surface de vaporisation plus petite, on obtiendrait une élévation de température plus grande encore. La masse liquide étant plus rassemblée, la forme globulaire devrait aussi avoir un effet plus marqué. J'ai vérifié ces prévisions en opérant dans un creuset de fonte du poids de 2 kilogrammes, ayant 0”, 195 de hauteur, et 0", 08 de largeur; l’épaisseur moyenne des parois étant de 0", 042. L'intérieur de ce creuset a été tourné et rodé avec soin, de façon à avoir une surface exempte d'aspérités, et c’est dans cet inté- rieur qu'on versait de l’eau chaude lorsque le creuset avait atteint une température de 7 à 800 degrés. Comme dans les expériences avec la capsule, on laissait s’écouler un temps assez long pour permettre à la température de l’eau de devenir uniforme; puis, à un moment donné, le creuset était saisi par son milieu à l’aide d’une pince à mâchoires demi-circulaires, et l’on versait son contenu dans le calorimètre. J'ai, de cette façon, obtenu les résultats suivants : me mme Numéros Excès de T7 ! gur la ee M £ à o T température expériences. d'ébullition. 8° gr, I 1200 | 90,25 115°,46188 |100°,14! + 0°,74 IT id. 99,40 | 16°,28 | 98,6 | 100°. >» | —E 0°,60 III id. |10°,95 | 14°,40 | 48,9 | 100°,29 | —E 0°,89 IV id. |44°. » | 17,20 | 89,6 | 100°,23| —L 0°,83 Y id. | 190,25 | 47,84 | 81,5 |100°,15 | ?E 00,75 Moyenne "21.24 100°,16 . L'influence des bulles de vapeur et de la forme globulaire est donc bien manifeste, puisque dans les expériences ci-dessus on — 451 — trouve que la température de l’eau est, en moyenne, 3/4 de degré plus élevée que celle de l’ébullition ordinaire dans un vase mé- tallique. En effet, la température de l’eau bouillante, déterminée directement pendant ces expériences, a été trouvée de 999,4. Lorsque de l’eau est versée dans le creuset précédemment décrit, porté à une température suffisamment élevée, cette eau reste calme pendant quelques instants, mais elle ne tarde pas à être violemment agitée par les bulles de vapeur qui la traversent directement, et surtout par celles qui‘se fraient un passage contre les parois du creuset. Cette agitation donne lieu à des projections très abondantes quand la quantité d’eau est un peu forte. Ces projections sont, du reste, d’une toute autre nature que celles qui résultent de la plus violente ébullition ordinaire; elles sont presque nulles quand la quantité de liquide est faible; l'influence de la forme globulaire est alors plus évidente. En effet, la partie inférieure du creuset employé étant sensi- blement hémisphérique, si on y verse une petite quantité d’eau, elle prend une forme qui approche beaucoup d'une sphère; et il était à présumer que, dans ce cas, la cohésion du liquide pour lui-même serait plus efficace, et qu'elle opposerait une plus grande résistance à la transformation en vapeur. C’est dans le but de vérifier cette hypothèse, que j'ai entrepris une série d'expériences avec de petites quantités d’eau versées au fond du creuset, en opérant, d’ailleurs, exactement comme dans les expériences qui précèdent. Les résultats sont les suivants : Numéros Excès de T 1 sur la re M : à d T température expérences| d'ébullition. 1 |a200 112,20 144,22 31 | 100,35 | -- 40,25 IT id. | 440,60 | 440,74 | &% | 400°,37 | —- 4°,27 II | id. | 10°,62 | 42,23 92 | 100,05 | —- 0°,95 IV id. | 490,43 | 44,74 | 32,5 | 100°. » | —L 0°,90 Y id. | 120,50 | 45°,12 | 37 | 100°,40 | -L 4°,00 VI id. | 449,07 | 15°,60 | 24,7 | 100°,20 | -L 40,10 VII | id. | 440,67 | 440,49 | 38,5 | 100°,43 | — 4°,03 TRE — Pendant cette série d'expériences, la hauteur barométrique, réduite à 0, était de 736 millimètres (‘), ce qui donne, d’après les tables de M. Regnault, 99°,1, pour la température d’ébulli- tion de l’eau. Ainsi, dans les conditions où je me su's placé, la forme glo- bulaire exerce une action bien marquée sur la température de l’eau. Cette action semble être du même ordre de grandeur que celle exercée par les vases de verre sur le point d’ébullition des liquides, puisque dans ces dernières expériences l’eau a atteint 4° de plus que sa température d’ébullition ordinaire. Je n’ai pas cru devoir opérer sur des masses liquides plus petites, dans la crainte de manquer de précision; mais les ré- sultats précédents permettent de croire que si l’on pouvait se procurer des sphères parfaites et exemptes d’agitations, on ob- tiendrait probablement des retards plus grands. On se rapprocherait alors des récentes expériences de M. Du- four (?), dans lesquelles les retards observés, bien que déjà très grands, seraient plus grands encore, si, au lieu de flotter au milieu d’un liquide suspenseur de même densité qui leur cède sa chaleur par conductibilité , les sphères étaient isolées ou entourées d’une atmosphère de leur propre vapeur, comme cela a lieu pour de petites gouttelettes d’eau sur les surfaces incandescentes , et dans lesquelles on ne remarque des traces d’ébullition qu'aux plus hautes températures, ainsi que l’a constaté M. Person (*). Je pense que les expériences ci-dessus fournissent des preuves suffisantes qu’il ne saurait exister, pour l’eau, aucune limite su- ‘ périeure et inférieure fixes, et à plus forte raison de température constante, inférieure de quelques degrés à la température d’é- bullition ordinaire, comme quelques physiciens persistent à le croire. La température dépend de la manière dont agissent les deux causes physiques spéciales que j'ai cherché à mettre en évidence, c’est-à-dire les bulles ou jets de vapeur, et la forme globulaire du liquide. (:) Le laboratoire, où ont été faites ces expériences, est situé à 245 mètres environ au-dessus du niveau de la mer. (2) Archives des sciences physiques et naturelles de Genève, nouvelle pé- riode, tome douzième, page 210. (?) Comptes rendus de l'Acadèmie des Sciences, tome XV. cd — 453 — L'action de cette dernière est variable avec la disposition du liquide; elle est d'autant plus prononcée que la masse fluide présente moins de surface. Elle dépend aussi du poli de la paroi chaude, et tend à disparaître à mesure que cette paroi se couvre d’aspérités. L'influence de la forme globulaire est beau- coup moindre, toutes choses égales d’ailleurs, avec une surface oxydée, qu'avec une surface franchement métallique et polie. Les aspérités ont l'inconvénient de favoriser des contacts par- tiels qui altèrent l’uniformité de la température du liquide. Je dois dire, avant d'aborder un autre fait physique dépen- dant du non contact des liquides avec les surfaces sur lesquelles ils sont déposés, qu’en me bornant à spécifier les faits présentés par l’eau distillée, j'ai la conviction que les faits analogues ob- Servés avec les autres liquides volatils résultent des mêmes causes. Lenteur d'évaporation de l’eau sur les surfaces qu'elle ne mouille pas. Klaproth, à la suite d'expériences irrégulières, a annoncé que l’évaporation est d'autant plus rapide que le métal est plus refroidi, ce qui est une erreur, car il est bien constaté aujour- d’hui que l’évaporation des liquides, sous forme globulaire, augmente avec la température. M. Boutigny conclut de ses expériences que l’évaporation de l’eau est 50 fois plus lente que dans l’ébullition ordinaire. Suivant M. Person [‘), la vaporisation ne serait pas aussi lente qu’on le croit généralement; car en entretenant à 1000 de- grés les parois d’un creuset, on peut y vaporiser une quantité d’eau double de celle qui se vaporiserait dans un creuset iden- tique, en admettant que la vaporisation s’y fasse comme dans la meilleure chaudière. Evidemment, ce résultat ne peut s’expli- quer par la chaleur rayonnante seule, qui restituerait au liquide la chaleur qu'il perd à chaque instant; aussi M. Person fait-il remarquer que les fluides élastiques, vers 200 degrés, donnent déjà 80 fois plus de chaleur que le rayonnement. D’après ce physicien, c’est vers 900 degrés, environ, que l'égalité de vaporisation s'établit. Mais si on étudie la vaporisation de l’eau à des températures beaucoup plus basses, il est notoire qu’elle se fait avec une grande lenteur. Dans l'étude de cette question, on a jusqu’à présent comparé les temps de vaporisation en entretenant le liquide en ébullition d’un côté, et en plaçant, d’un autre côté, une quantité égale de même liquide sur. une surface plus ou moins échauffée, et produisant la vaporisation totale du liquide dans ces deux cir- constances. Dans la dernière, la vaporisation comparée à la première présente une grande durée, et l’on a voulu y voir une propriété particulière résultant d’un nouvel état physique du () Comptes rendus de l’Académie des Sciences, tome XV. — 455 — liquide, tandis que c’est tout simplement une conséquence na- turelle du non contact entre le liquide et la surface sous-jacente. Pour justifier cette assertion, j'ai entrepris quelques expé- riences qui ont consisté : à déterminer l’évaporation de deux quantités égales d’eau dans deux vases de même forme, mais sans attendre l’évaporation totale du liquide, pour des raisons que Jj'indiquerai plus loin. Toutes les conditions physiques de l’évaporation ont été rendues identiques à l'égard des deux masses liquides, à la seule différence que l’une de ces masses mouillait le vase qui la contenait, tandis que l’autre masse en était aussi isolée que possible. Dans deux parallélipipèdes de bronze, de 55 millimètres de côté et de 9 millimètres d'épaisseur, j'ai fait creuser deux cavités égales de 50 millimètres de diamètre, de façon à constituer deux capsules parfaitement semblables. Ces capsules étaient déposées, l’une contre l’autre, sur un socle de fer de 0",22 de longueur, de 0,06 de largeur, et de 0",02 d'épaisseur. La surface supé- rieure de ce socle a été parfaitement adoucie pour rendre le contact entre celui-ci et les capsules aussi intime que possible, afin d'obtenir une parfaite égalité de température de ces der- nières, L'intérieur de l’une d'elles était soigneusement endui, d’une couche de noir de fumée destinée à empêcher le contact et à déterminer une forme globulaire du liquide. Cinq grammes d’eau pure étaientexactement versés dans chaque capsule, dont la cavité est telle, que les surfaces d’évaporation des deux masses d’eau étaient sensiblement égales. Avec cette disposition, j'ai opéré de PEU manières. En premier lieu, j'ai laissé l’évaporation se faire spontanément, en abandonnant le système précédent dans une chambre assez vaste, et où cette évaporation s’est effectuée plus où moins rapi- dement, suivant les conditions atmosphériques. Après un temps qui à varié d’une expérience à l’autre, les deux capsules étaient pesées avec soin ; la différence de poids présentée Bar chaçune d’elles représentait l’eau évaporée. 48 * En désignant par Cn, la quantité d’eau évaporée dans la cap- sule métallique, par Ce, la quantité d’eau évaporée dans la cap- sule enfumée pendant le même temps, huit expériences m'ont . donné les valeurs suivantes : — 456 — Numéros ‘Temps Température Cs des de Cm expériences. l'évaporation. D Ar Ce heures. | I 37 18° 1,3 I 48 170,9 1 27 III 93 19° 1,37 . 7 20° 1,41 ue 20 199,4 1,49 VI 18 20° 1,39 VII 24 19,4 1,31 VIII 15 ige 1,28 Ces expériences montrent que dans le même temps l’évapo- ration spontanée est loujours plus rapide dans la capsule métal- lique que dans la capsule enfumée. Elles offrent une irrégularité qu'il faut attribuer aux variations assez grandes qui se sont produites dans les circonstances atmosphériques, à cause de la lenteur de chaque opération, vu que À gramme d’eau exigeait de 20 à 30 heures pour s’évaporer. Quand l’évaporation dure aussi longtemps, la différence, bien que très évidente, ne peut être bien grande, attendu que les conditions des deux masses d’eau ne sont pas aussi différentes qu’elles le paraîssent au pre- mier abord. En effet, l’eau qui a la forme globulaire, ne touchant pour ainsi dire pas à la couche de noir de fumée, ne reçoit pas autant de chaleur de la part de cette dernière que l’autre masse liquide en reçoit par son contact avec le métal de la capsule, ce qui rend l’évaporation plus forte dans ce dernier cas; mais la durée de l'expérience étant longue, les deux masses d’eau reçoivent de la chaleur qui émane des corps environnants; or, la chaleur reçue par l’eau de la capsule métallique qui a sa surface miroi- tante est alors moindre que celle absorbée par l’eau de la cap- sule enfumée , dont la surface se recouvre au bout de quelques heures, quelques précautions que l’on prenne, d’une pellicule presque imperceptible de noir de fumée qui -augmente son — 457 — pouvoir absorbant.. Cette circonstance tend done à rendre la différence d'évaporation moins grande; mais quelle qu'ait été son action dans les expériences ci-dessus, l’influence du non contact n’en ressort pas moins. En second lieu, j'ai cherché à activer l’évaporation sans élever la température, en plaçant le système des deux capsules sous une cloche de verre renfermant un vase à large ouverture contenant de l'acide sulfurique concentré (fig. 8). J'ai alors obtenu les valeurs suivantes : | | Numéros Température =|*| des moyenne expériences. I 49° 2,1 Il 199,3 1,95 - JIT 20°,2 2,3 IV 199,5 2,4 Y 20°,8 2,3 VI 18°,7 2,1 VII 18,2 2,1 qui semblent établir que la différence d'évaporation croît avee la rapidité de ce phénomène. Enfin, en dernier lieu, j'ai activé davantage l’évaporation en portant à des températures graduellement croissantes le socle de fer supportant les deux capsules, d’une part, et en faisant le vide dans la cloche, d’autre part. J'ai, de cette façon, évaporé de plus fortes quantités d’eau, en peu de temps, mais en prenant la précaution de ne jamais faire bouillir le liquide de la capsule métallique afin d'éviter les projections. Ces expériences ont donné :- — 458 — RE —— Em Numéros Temps des de Ga Ce se llexpériences. PS Ce s minutes: | Br. gr, CR € I 60 1,8 0,6 3,00 | IT 30 2,4 0,5 4,80 II 16 4,1 0,7 »,806 IV 10 £,9 0,5 8,40 Y 9 4,4 0,42 10,47 VI 6 4,1 0,36 11,39 Elles prouvent qu’en réañité, la différence d'évaporation de l’eau dans les deux capsules augmente avec l'intensité de ce phénomène. Cette différence augmente aussi avec la tempéra- ture, et l’on se rapproche alors beaucoup de ce qui a lieu dans le cas des surfaces fortement chauffées, quand on opère sous la pression atmosphérique. Toutefois, il existe, entre les'deux genres d'expériences, des circonstances qui s'opposent à ce qu'il y ait une similitude complète. En effet, dans la capsule enfumée, le liquide n’est pas aussi _ bien isolé du métal que si ce dernier était très chaud, puisque ‘l'eau touche le noir de fumée par quelques points ; or, si faible que soit ce contact, il doit favoriser le passage par pr EE d'une pelite quantité de calorique, et, par conséquent, activer l’évaporation. D'un autre côté, 1l existe, au bout de peu de temps, une inégalité assez sensible dans les surfaces d’évaporation, bien que l'égalité soit à l’origine aussi parfaite que possible; il arrive un moment où la surface d’évaporation de l’eau sous forme globulaire est la plus grande, puisque la masse liquide dans la capsule enfumée diminue fort peu; par suite, l’'évapo- ration est plus grande qu’elle ne devrait être dans-cette dernière. Il n’en est pas de même quand on opère avec des capsules fortement chauffées sous la pression atmosphérique. Si, dans ces circonstances, on a observé que la vaporisation de l’eau était 50 fois moindre que dans le cas de l’eau bouillante, c’est qu'on entretenait le liquide en ébullition dans l'une des capsules, LA — 459 — tandis que dans l’autre, le liquide restait à une température peut- être plus basse que celle de l'ébullition. Il n'est pas inutile de remarquer aussi que la vaporisation se faisait dans des capsules dont les températures étaient très diffé- rentes, et surtout si l'on poussait l'expérience jusqu’à la vapo- risation totale, les surfaces d’évaporation devaient offrir les plus grandes inégalités ; circonstances qui concouraient à aug- menter la différence des temps. Mais la part de ces anomalies étant faite, si on reconnaît qu’en opérant ainsi que je l'ai dit plus haut, la différence de l’évaporation est plutôt diminuée, et qu'elle est, au contraire, augmentée quand on opère avec les surfaces très chaudes, il est permis de conclure de l'identité des effets, l'identité de la cause. L Dans les expériences d’évaporation dans le vide ci-dessus rapportées ,{ l'influence de la forme globulaire du liquide est aussi très appréciable, en ce sens, que si l’air estassez raréfié dans la cloche pour produire une violente ébullition de l’eau de la capsule métallique, on ne remarque aucun indice de ce phé- nomène sur le liquide de la capsule enfumée. En résumé, cette lenteur de l’évaporation n'offre rien de sur- prenant, et pour l'expliquer, il n’est pas nécessaire d’invoquer des propriétés et des forces nouvelles. C'est une conséquence naturelle de la séparation qui existe entre le liquide et le corps qui le supporte. Que cette séparation soit produite par un corps non mouillable, ou par une atmosphère gazeuse qui change le rapport des cohésions, le résultat est le même, à l'intensité près. Dès l'instant qu’il n’y a pas de contact, le liquide prend la forme globulaire qui résulte de son attraction pour lui-même, et la chaleur qui émane du corps sous-jacent ne lui arrive plus qu’en faible quantité. Une partie de cette chaleur traverse le liquide sans l’échauffer , une autre s’y réfléchit, et enfin une dernière portion échaufe la surface la plus voisine du corps chaud. On a vu que c'était là que la vaporisation avait le plus d’intensité,fc’est là aussi qu'il doit y avoir une absorption de chaleur assez forte pour maintenir le liquide à une température un peu plus faible que celle de son point d’ébullition, tant, bien entendu, que la surface sous-jacente n’est pas très chaude; mais si la tempéra- ture”atteint 900 degrés , la chaleur transmise au liquide par la — À60 — Yapeur surchauffée est égale à celle que ce liquide recevrait par conductibilité dans le cas de l’ébullition ordinaire, et c’est alors que l’évaporation peut avoir la même intensité, conformément à l'observation de M. Person. — 46 —. CONCLUSIONS. Les recherches que je viens de rapporter me semblent établir les faits suivants : 1° La cohésion dans les corps solides et les corps liquides n’est pas modifiée au même degré par le calorique, c'est-à-dire que le rapport des cohésions est changé lorsqu'on fait éprouver à ces corps la même variation de température. 2° On peut admettre, comme très approximatives, les dé- monstrations de Clairaut et de Laplace, c’est-à-dire, que si w représente l'attraction d'un solide sur les molécules d’un liquide dont l'attraction pour lui-même est représentée par w’, le solide : | c/ est mouillé toutes les fois que w est plus grand que er 3° L’élévation de température modifie le rapport précédent, et tend, de plus en plus, à en annuler les cffets ordinaires; c’est ainsi que cesse le mouillage des solides par les liquides, d'où résulte la forme globulaire de ces derniers. 4° Cette forme globulaire ne saurait constituer un quatrième état des corps (l’état sphéroïdal de M. Boutigny), car autre- ment l’eau et la plupart des dissolutions salines sur Île noir de fumée; le mercure sur des surfaces de verre, de fer ou de platine, devraient jouir de propriétés physiques nouvelles que jusqu'iei on n’a pas constatées. 5° On ne peut regarder comme des propriétés nouvelles, la faible température, et la lenteur d’évaporation des liquides sur les surfaces chaudes; attendu que ces faits sont des conséquences naturelles de la manière dontla chaleur se distribue dans le sys- tème, par suite, cette température ne saurait être constante, car elle dépend à chaque instant; 1° de la manière dont la vapeur se dégage par rapport à la masse du liquide ; 2 de la forme globulaire de ce dernier. nn UD — Il n’est donc pas nécessaire de recourir à aucune hypothèse nouvelle pour expliquer la classe de phénomènes qui forment l’objet de ces recherches, ils s'expliquent facilement à l’aide des principes actuellement consacrés en physique. Persister à voir dans ces phénomènes le résultat d’un nouvel état physique des corps, c’est chercher à entourer la science d'accessoires qui n’en constituent nullement le fond et sont incapables de la faire progresser. EXPOSITION UNIVERSELLE DE. BESANCON EN 1860, Compte-rendu du Trésorier général et clôture des travaux de la Commission. {Extrait du registre des délibérations de Ja Commission.) Séance du 1% décembre 1862. PRÉSIDENCE DE M. PROUDHON. Membres présents : M. Proupuox, Adjoint, délégué, du Maire de la Ville, Président; M. Brenizzor, Trésorier général ; M. Biar, Secrélaire général; M. Casran, Secrétaire général ad- Joint; MM. Bourrey, Cuarpuis, DeLcacroix, DEMOLOMBE, Ducar, FRANCESCHI, GÉRARD, GIROD, GRENIER, LANCRE- NON, SAINT-EVE, DE VEZET, VUILLERET et WEBER. La séance est ouverte à deux heures un quart. Le procès-verbal de la séance du 2 février 1861 est let adopté. L'ordre du jour appelle un rapport de M. Bretillot, Trésorier général, sur la gestion financière de l’Expo- sition. Ce rapport, remis dès le mois de mai dernier à M. le Maire, a dû passer préalablement sous les yeux du Conseil municipal, circonstance qui explique le retard de la communication qui va en êlre faite à la Commission de l'Exposition. M. Bretillot donne lecture de son mémoire, qui est ainsi CONÇU : | — 164 — « Monsieur le Maire, » Je puis enfin rendre à la Commission de l'Exposition le compte général des recettes et des dépenses auxquelles a donné lieu l'Exposition universelle faite en 1860, dans la ville de Be- sançon, des produits de l’art, de l'agriculture et de l’industrie. Le premier article de dépense date du 22 décembre 1859, et le dernier paiement a été effectué le 22 avril 1862. Plus de deux années ont été nécessaires pour liquider l'exercice financier de cette importante entreprise, qui a excité à juste titre l'attention et l'intérêt de la Franche-Comté, des départements voisins et des pays limitrophes. » Ainsi qu’il résulte des comptes successivement remis par la maison de banque Bretillot et C'°, les 31 décembre 1860, 31 dé- cembre 1861 et 30 avril 4862, la dépense totale s'est élevée à Ja somme de 224,313 fr. 72 c., qui se subdivise et se répartit dans les chapitres suivants : Frais généraux et frais divers . . . . . . . . . 12,101° 05 Impressions, publications et affiches. . . . . . 12,880 95 Constructions dans le bâtiment de la halle et aux abords'de;ce batiments 0. ct 0e 87,403 25 Appropriations intérieures, décoration, vitrines et matériel servant à l'exposition des produits. 22,475 45 Etablissement d'un jardin devant les bâtiments. 10,177 30 . Frais de transport des produits . . . . . . .. 17,656 88 Personnel, police, préposés, manœuvres. . . . 25,616 05 Fêtes, musique dans le jardin . . . . . . . . . 14,508 90 Récompenses, achat de lots pour la loterie . . 21,494 19 Total .1..:..:924319 79 » Ce chiffre de la dépense a été couvert par les recettes et recouvrements suivants : Subventions et allocations de la Ville de Besan- COR SUN dE LA MSN ERA ANT 2 Ve .. 44,026! » Subventions de corps, de sociétés savantes et de diverses personnes . . ."!OHIaUUARE I, SON 5,799 65 Produit de la souscription des actions, à 5 fr. l’une, donnant droit au tirage de la loterie et A reporter . . . 49,825" 65 — 165 — Report . . 49,825 65 à l'entrée gratuite pour les titulaires d’au moins cinq d’entre elles. . . . . . : . . . . 54,539 920 Produit des droits d'entrée, du dépôt des cannes, de la location des chaises dans le jardin, des remises faites par le limonadier et le restau- RNCUED AVE RNONE AUTO tE FR RD de à 107,508 85 Produit de la location des échoppes qui entou- HIONPLE JARDIN RE, anses beulhou18,906 :85 Produit de la revente du matériel . . : . . . . 2,024 45 Remboursements opérés sur les frais de trans - DOM BOT PR PAR Tr p Ep à 3,005 38 Intérêts des fonds versés chez le banquier et remboursements à imputer sur les frais gé- ONGUN 4: CIO eo old Ge tu 1,601 54 Remboursements afférant à l’article des récom- penses et achats de lots . . . . . . . . . . . 443 05 Remboursements afférant à l'article fête et mu- SO ent n RENE LEE CENTS sage E58 75 Somme égale . . . 224,313 72 » Les recettes provenant du produit des actions souscrites et des droits d'entrée témoignent du nombre et de l’'empressement ‘ des personnes qui ont visité l'Exposition pendant les quatre mois où elle a été ouverte. Ce concours de visiteurs a été d'autant plus remarquable que, durant ces quatre mois, des pluies presque continuelles, une température froide et peu agréable, n'ont cessé de faire obstacle aux déplacements et aux voyages. Il n’est pas téméraire d'affirmer que si le soleil et la chaleur de 1861 avaient favorisé l'Exposition de 1860, les recettes auraient été suffisantes pour réduire à une somme minime les alloca- tions que l’Administration et le Conseil municipal de Besançon ont bien voulu accorder à l’entreprise, si elles ne les avaient pas rendues inutiles. » La charge que les finances de la Ville ont supportée, s'est trouvée d’ailleurs atténuée par les appropriations et réparations qui ont ét’ faites dans le bâtiment de la halle et qui ont occa- sionné à l'Exposition une dépense d'environ 45,000 fr. Cette dépense a modifié et heureusement complété l'ordonnance et la disposition intérieure de la partie centrale du bâtiment. Quel- — 466 — ques matériaux de construction ont, en outre, été laissés par l'Exposition à l'Administration municipale, qui en a fait emploi ; leur valeur était approximativement de 4,000 fr. » Ayant été plutôt témoin qu’acteur dans le travail très sérieux qu'ont nécessité l’organisation et la tenue de l'Exposition, il peut m'être permis de rendre témoignage du zèle intelligent, de l’ardeur soutenue qu'y ont apporté les membres actifs de la Commission qui éomposaient le secrétariat général, ou qui, sous les titres d’ordonnateurs, de membres des Comités de l’agriculture, de l’industrie générale, de l'horlogerie et des beaux-arts, s'étaient chargés de faire exécuter les travaux de construction et d’appropriation, de recevoir les produits, de les mettre en place, de diriger et faire agir le personnel nombreux qu'ils occupaient, de veiller à l'observation des règlements. Si l'Exposition, dans son ensemble et ses détails, a intéressé et satisfait les visiteurs du dehors aussi bien que les habitants de Besançon, si on a transformé en un lieu agréable et avenant des emplacements qui ne semblaient pas susceptibles de ce genre de séduction et d’attrait, si l'ordre n’a cessé de présider à tout ce qui a été fait, si les produits exposés n’ont pas subi de détériorations et ont été rendus à leurs propriétaires en état con- venable, la plus grande part du mérite revient cerlainement à ceux de nos collègues qui, avec un dévouement absolu, ont donné leur temps, mis leur intelligence, leur expérience des hommes et des affaires au service de la tâche qu'ils avaient acceptée. C’est la première fois, je pense, qu’à Besançon une œuvre considérable et compliquée a été entreprise et poursuivie par l’action commune de personnes agissant sous le mobile. d’un intérêt général à satisfarre, d’un devoir à remplir. Elles ne se sont laissé effrayer ni par l'étendue de la tâche, n1.par les conséquences de la responsabilité qui pesait sur elles. Elles ont résolûment conduit à bonne fin ce qu’elles s'étaient proposé de faire, la Commission entière délibérant et décidant, la partie active de.ses membres faisant exécuter ce qui avait été décidé. Je suis heureux, pour ce qui me concerne, d’avoir pris part à cette œuvre commune. L'idée, sans doute, était venue d’ail- leurs. Nos voisins du duché de Bourgogne nous avaient devan- cés dans l'exécution. Mais ici l'opération était plus compliquée, plus difficile, le succès plus douteux. —. Ai: — » L'exemple donné par les membres de la Commission n'en devient que plus décisif. Dans notre France, où, à côté d’une initiative individuelle si générale et si féconde, on.remarque tant d’hésitation et de timidité pour les œuvres qui ne peuvent être faites qu'en associant l’action de plusieurs, il est bon que des exemples de ce genre prouvent que, lorsque nous le vou- drons, nous saurons conduire et mener à bien ce que nous aurons entrepris dans un but d'utilité générale. » Ces réflexions peuvent paraître n’être pas à leur place dans le compté-rendu d’un exercice financier. Elles n'y sont cepen- dant pas aussi étrangères qu’on pourrait le eroire. Le succès financier dépendait de la manière dont l'opération serait dirigée et poursuivie jusqu’à sa fin. Personne ne le voyait mieux que le Trésorier, qui revient à son rôle de comptable en priant M. le Maire de soumettre à la Commission de l'Exposition les comptes qu'il lui a remis. Ces comptes devront être vérifiés et examinés par elle, suivant le mode qu’elle jugera convenir. Je tiens à sa disposition les pièces comptables, au nombre de près de huit, cents, les registres de souscription des actions et les documents restés en ma possession, qui justifient les recettes et les dépenses effectuées. Après cet examen, je prierai la Com- mission de me donner, s’il y a lieu, décharge de ma gestion. » Besançon, le 7 mai 1862. » Le Trésorier général, Signé L. BRETILLOT. » La Commission, délibérant sur la proposition qui termine lé rapport de M. Bretillot, déclare, à l'unani- mité, que la parfaite exactitude des comptes partiels qui lui ont été soumis, non moins que sa confiance absolue dans la haute capacité et l’exquise droiture de son Trésorier général,.la dispensent de vérifier le compte définitif de l’entreprise. Elle s’empresse, en consé- quence, de donner complète décharge de la gestion financière de l’Exposilion, tant à M. le Trésorier général personnellement qu’à la maison de banque Bretillotet C°. Délibérant ensuite sur l’ensemble du rapport, la Commission accueille ce document comme un inté- St = ressant résumé de l’histoire de son œuvre : aussi juge- t-elle indispensable d’en assurer la conservation par toutes les voies de publicité qui pourront lui être ou- vertes. À cet effet, l’impression du présent procès-verbal sera demandée à la Société d'Emulation du Doubs et aux journaux la Franche-Comté et l'Union franc-comtoise. La Commission croit également remplir un devoir en votant des remerciements et des félicitations una- nimes à M. le Trésorier général, qui, dans l’accom- plissement de son laborieux mandat, a fourni une preuve nouvelle des rares et éminentes qualités qui le distinguent. | | M. Victor Girod, parlant au nom du Comité de l’hor- logerie, fait ressortir les heureux effets de l'Exposition en ce qui concerne la principale industrie de la Ville. La manifestation de 1860, en ouvrant à la fabrique des débouchés nouveaux, a, ce qui vaut mieux encore, dé- truit pour toujours les préjugés injustes qui discrédi- taient l'horlogerie bisontine. Depuis deux ans, le chiffre des affaires de cette industrie s’est ‘considérablement accru , ct les produits de notre fabrique jouissent ac- tuellement d’une notoriété universelle. Cette communication est accueillie avec le plus vif intérêt. Après quoi, la Commission, considérant sa tâche comme terminée, prononce sa dissolution. La séance est levée à trois heures. L'Adjoint au Maire, Président, Le Secrétaire général adjoint, Signé L. ProupxoN. Signé A. CasrTan. Pour extrait conforme : Le Secrétaire général de l'Exposition de 1860, Signé Pauz BraL. NOTICE SUR THÉOPHILE BRUAND Par M. A. DELACROIX. Séance du 14 février 18683. Messieurs, C’est un pieux devoir, mais c’est une douce tâche aussi que d'écrire, pour la Société d’Emulation du Doubs, la biographie de Théophile Bruand; car nul ne iaissa derrière lui, à ses con- frères comme à tous ses concitoyens, le souvenir d’une vie mieux remplie de ce qui peut rendre un noble cœur cher à la fois aux arts, aux sciences et aux lettres. Bruand, né à Besançon, le 5 mars 1808, de Jean-Jacques Bruand et de Marguerite de Jouffroy d’Uzelie, tenait de son père le goût des sciences naturelles, de l'archéologie et des collections. Il reçut de sa mère l’amour des belles choses et la possession de l'héritage élégant du baron de Jouffroy d’Uzelle, qui fut l’un des hôtes les plus brillants du palais Grandvelle, à l’époque de Louis XVI. | La nature fut prodigue envers Bruand plus encore que la fortune. Doué d’une finesse d'esprit remarquable, en même temps que d’une réunion exceptionnelle d'avantages physiques, il excella, jeune encore, à la salle d'armes non moins que dans l'atelier de peinture, aux exercices les plus violents de la chasse comme au milieu des plus douces causerie du salon, dans les concerts où l’on applaudissait à son admirable voix de ténor, comme dans les études du cabinet où rien ne pouvait lasser sa patience. Son intimité fut recherchée des artistes, des littérateurs et des savants. Il pouvait ainsi aspirer à la vie la plus brillante, quelle que fût la direction qu’il eût prise ; il se contenta de rester sur le sol natal, d’y gérer avec soin ses domaines et de consacrer toutes ses précieuses aptitudes à se faire un modeste intérieur d’où émanait, pour le bien de sa famille, de ses amis et de son — 470 — pays, qu’il adorait, une source inépuisable de gaieté, d’esprit et de services rendus sous toutes les formes. Les suffrages de ses concitoyens le portèrent de bonne heure au Conseil municipal de Besançon, et l’y maintinrent durant tout le reste de sa vie active, qui fut encore de vingt-deux ans. A l'exception d’un petit nombre de toiles peintes, sur lesquelles il sut représenter avec beaucoup de fidélité et un vif sentiment de la nature quelques frais paysages de nos contrées, Bruand n'eut peut-être cependant rien produit qui fût digne de sa mé- moire , si la fondation de notre Société ne lui eût fourni l’occa- sion de faire ses preuves par des œuvres durables. L’avénement scientifique de notre ami et la naissance de la Société étant connexes , il n’est pas hors de propos que l’une soit rappelée ici en même temps que l’autre. Un jour qu'un de nos honorables confrères, M. l'ingénieur Boudsot, venait de témoigner ses regrets de ce qu'il n’existait pas à Besançon un centre pour la réunion de tous les hommes d'étude, le docteur E. Delacroix, mon frère, conçut un plan de société, en rédigea la charte sous le titre de Société libre d'E- mulation du Doubs, et alla recueillir à domicile les signatures suivantes : À. Boudsot, Martin, Grenier, Bruand, Eugène De- mesmay, L. Jeannez, Edouard Clere, Louis Roy, A. Delacroix, Beauthias, Th. Belamy, Alph. Marquiset, C. Convers, Reynaud- Ducreux, C. Roncaglio, Vivier, J. Trémolières, Delly, Droz, Jules Crestin, E. Bretillot, E. Delacroix. Chaudement accueilli, malgré cette espèce d'improvisation, par ceux-là surtout auxquels il devait plus tard ses principaux éléments de fortune, cet acte daté du 1° juillet 4840, donnait aux signataires le üitre de Membres fondateurs, et leur imposait moralement l'obligation de produire chaque année des œuvres suflisantes pour la publication d’un volume de quatre à cinq cents pages. Néanmoins l’entreprise était considérable pour un début. Elle parut même bientôt devoir dépasser les forces et la constance des travailleurs ; et il fut un moment de crise où Bruand ne perdant pas courage ,! finit par remplir réellement à lui seul presque toutes les fonctions administratives de la So- ciété et sut la maintenir ainsi debout jusqu’à ce qu’elle eût acquis une vitalité assurée. : Quant à la part que chaque fondateur dut prendre dans l'étude — EU — à des sciences, Bruand avait choïsi de suite le domaine des lépi- doptères. Ce choix allait être plus utile qu'envié. En effet, derrière les gentilles couleurs des papillons et surtout des lépi- doptères microscopiques, l’inexpérience naïve du public, en apparence le plus sérieux, l'empêche de voir le monstre auquel le cultivateur abandonne, sans le savoir, en tribut annuel, la plus grande partie des récoltes et souvent des récoltes entières. Pour le cultivateur, l’histoire naturelle qui devrait être l’objet de ses préoccupations, n'existe pas encore. Ayant à défendre ‘son bien contre des milliers d'espèces d'insectes, il épargne à peine les oiïsillons nés pour les détruire, et il se fait un jeu d’exterminer la chauve-souris qui en est le plus utile chasseur. Il met à prix les têtes du serpent et de la chouette qui, dans les lieux éloignés des habitations, sont les plus utiles auxiliaires de l'homme pour la destruction des souris, et devraient être con- sidérés à ce titre comme les protecteurs des fruits et des mois- sons. On citerait cent exemples de ce suicide perpétuel de la- griculture. C’est qu'en effet il a été donné à l’homme, dans un mtérêt d'équilibre général, de repousser involontairement les êtres destinés à travailler à son profit. Il ne-peut devenir fort contre. cette influence que par l'instruction. Elle seule lui ap- prendrait à dominer de fatals instincts, à ne pas méconnaître les êtres qui sont ses amis, nonobstant des répugnances naturelles, et à lutter contre ses véritables ennemis, par un meilleur emploi de son intelligence. Bruand ne s’abusa pas sur les inconvénients inhérents à:son rôle dans l’état actuel de l'ignorance publique en fait d'histoire naturelle ; mais il sut les braver en raison de l'utilité réelle de ses travaux auxquels il se livra toujours avec ardeur..……. Après avoir préludé dans les Mémoires de la Société par trois séries de notices : en 1841, Sur quelques lépidoptères très rares ou nouveaux dans le département du Doubs; en 1842, Sur quelques espèces nounmelles de lépidoptères; et, en 1844, Sur quelques chenilles inédites et peu connues, il se trouvait, dès l'année 1845, en état de jeter un coup d'œil rétrospectif sur le catalogue de Girod de Chantrans, qui réduisait à 172 espèces, généralement communes, les lépidoptères du département du “Doubs, et de publier à son tour, sur la même contrée, un autre catalogue en disant : — 412 — « Toutes les espèces que contient ce catalogue ont été prises par moi, à l'exception d’une quinzaine au plus, et cependant le hasard seul peut faire tomber sous la main telle espèce rare dont on ne rencontre guère qu'un exemplaire en huit ou dix ans. » D'ici à quelques années, ce nombre s’augmentera encore probablement d'une centaine d'espèces, peut-être davantage (surtout parmi les micros), mais dès à présent la Franche-Comté peut passer pour une des contrées les plus riches en lépidoptères. » Pour recueillir ces 4,600 insectes, j'ai fait bien des courses fatigantes! J’ai dû bien souvent braver la pluie et un soleil brûlant, endurer ja faim et la soif; il a fallu de nombreuses investigations, des soins minutieux pour découvrir les mœurs de ces petites créatures et peindre leurs états divers; il a fallu de longues heures de travail difficile pour constater l'identité d’un grand nombre d'entre elles, dont la petitesse semble devoir désespérer les yeux et la patience du naturaliste, et défier la loupe par la délicatesse et la ténuité de leurs organes. » Je suis loin de regretter toutes ces peines; car il y a dans l'étude des sciences naturelles un charme qui est la récompense de celui qui s’y livre. » Et puis, quelles relations précieuses cette étude ne m’a-t-elle pas procurées! Ces correspondances si altrayantes avec des personnes affables, studieuses et instruites, les encouragements nombreux que je recevais d'hommes éminents dans diverses sciences, me dédommageaient largement des sarcasmes des ignorants. » Une science qui a occupé les Linné, les Réaumur, les Degeer n'a pas besoin de défenseur. » Mais, si J'avais à me justifier auprès des personnes qui re- gardent cette étude comme futile, je leur dirais : Ceci est une page du livre de la nature, et aucune page de ce livre n'est futile, car c’est le livre de Dieu. » L'ouvrage d’où sont extraites ces paroles qui expriment si nettement la valeur et les tribulations de l’œuvre à laquelle Bruand s'était consacré, fut publié dans les Mémoires de notre Société, sous ce titre : Catalogue systématique et synonymique des LÉPIDOPTÈRES du département du Doubs. — T3 — Deux ans plus tard, le bulletin de la Société renfermait encore un nouvel ouvrage non moins important, intitulé : Catalogue systématique et synonymique des Microzéprno- PTÈRES du département du Doubs. Cette publication fut bientôt suivie d'une autre œuvre qui ne saurait être trop louée : Monographie des LÉéPIDOPTÈRES NUISIBLES à l’agriculture et à l’économie domestique. Ce dernier ouvrage est précédé d’un avant-propos, dans lequel l’auteur rappelle combien les mœurs des espèces de lépidoptères les plus nuisibles sont encore peu connues, et combien il im- porterait cependant à la richesse publique de porter la lumière dans l’étude de ces animaux qui ravagent les forêts, les champs et les vergers. Il y a des iépidoptères partout. « C’est un pa- pillon, écrit Bruand, qui détruit le saule; c’est un papillon qui mine le pied des peupliers; ce sont des papillons qui attaquent la vigne, les fleurs des arbres fruitiers, les épis dans les champs, le blé dans les greniers, les tapis, les fourrures, le lard, les abeilles, enfin une foule d’objets qui nous sont utiles ou néces- saires. » En montrant le mal, Bruand affirmait qu’à côté de luiily a, toujours un remède et il le signalait. Nul n'était devenu plus capable, en effet, de s'acquitter d’une pareille tâche; car nul n'avait avant lui poussé aussi loin l’investigation dans l’étude des mœurs si variées des lépidoptères. Il publia encore, en 1852, dans les Mémoires de la Société, un Essai monographique sur la tribu des Psychides. Des planches gravées et coloriées sont réparties dans ces di- verses publications. Elles ont été faites sur les dessins coloriés de Bruand qui, leur appliquant son talent de peintre et sa science de naturaliste, fit preuve d’un mérite extraordinaire. Les repro- _ductions qu'il a laissées des chenilles, des chrysalides, des pa- pillons et de tout ce qui les concerne, sont des chefs-d’œuvre d’art en même temps que d’exactitude : réunion nécessaire, car c’est à des différences presque imperceptibles que l’on distingue des espèces destinées à porter le ravage sur les choses les plus dissemblables. « Le talent de Bruand comme peintre d'histoire naturelle, 34 — Th — disent les Annales de la Société entomologique, ne fut pas dé- passé en France. » Puisque j'ai parlé de la Société entomologique de France, le. moment est venu de signaler aussi les œuvres de Bruand, qu’elle a publiées dans ses Annales. Je citerai ces publications dans leur ordre : Description de la chenille de l’Eriopus pteridis, 1841, page 37-40 ; Description de la chenille de la Gnophos variegata, 1843, p. 249-9251 ; Description de lépidoptères nouveaux, 1846, p. 201-205 ; Description de la Nephopterix angustella, 1846, p. 289-292. Note sur divers lépidoptères, 1848, p. 39-46 ; | Deux mots de réponse à M. Guënée, à propos des noctuelles Batis et Derasa, 1850, p. 89-100 ; Observations sur la classification adoptée par M. Herrich- Schæffer, et suivie par M. Delaharpe, dans son catalogue des phalènes suisses, 1851, p. 51-59; Note sur des lépidoptères recueillis à la Grande-Chartreuse, 4857, p. 106-109; Note sur une tinéide constituant un genre nouveau, 1858, up 111-118; Observations sur divers lépidoptères, description d'espèces nouvelles propres à la faune française, etc., 1858, p. 459 484; Classification des tinéides et examen des caractères et de leur importance relative, d'après la méthode naturelle, 1857, page 807-826; 1858, p. 601-602. La Société entomologique de France a témoigné l'estime qu’elle accordait à Bruand, en le nommant président d'honneur dans la séance tenue à Besançon, au mois de juin 1860. Cette faveur était méritée. Car celui qui en était l'objet n'avait pas seulement augmenté le nombre des lépidoptères connus et mul- tiplié les observations sur les mœurs de ces insectes, il avait en outre introduit d'importantes réformes dans les classifications, et su innover tout en rappelant les entomologistes modernes aux grands principes posés par les anciens maîtres. « La meil- ‘ leure classification, disait-il, sera celle qui reposera sur l’en- semble des caractères subordonnés, en ayant égard à ce principe de Linné et de Fabricius : Un bon caractère doit autant que _— 475 — possible pouvoir ébre facilement vérifié; puis sans oublier que tel caractère qui est très important dans un groupe peut le devenir beaucoup moins duns un autre. Cette grande collection de lépidoptères que Bruand avait for- mée avec lant de soins et d'intelligence, et qu'il avait accrue des lépidoptères de toute l'Europe, est devenue par la munificence de son auteur, la propriété de la Société d'Emulation. Elle est déposée au Musée d'histoire naturelie dont elle est un des plus précieux trésors. Tel fut Bruand comme entomologiste. Les services qu'il ren- dit à la cullure par ses travaux ne restèrent pas sans prix aux yeux des plus distingués parmi les agronomes, car il reçut, le 12 mars 1850, de la Société nationale et centrale d'agriculture, une médaille d'argent. En 4856, il lui en était décerné une autre par la Société d’hortliculture du Rhône. Quoiqu'il ne consacrät pas autant de soins à l'archéologie, il seconda néanmoins, toujours avec le plus vif intérêt, les travaux de ses collègues dans cette voie, et il y fit lui-même d’utiles découvertes. Ce fut lui qui, portant dans l'opération des fouilles de tumulus celliques l'esprit d'observation et de minulieuse exaclitude, auquel il dut tant de suceès, reconnut le premier comment, ce qué l’on appelait auparavant des vases de bois fossile, était en réalité des bracelets d’archer pass's autour du poignet. [l publia dans les Mémoires de la Société, en 1847, une Note sur quelques-uns des objets provenant des fouilles d'Amancey, avec deux planches de dessins. Les connaissances de Bruand, sous le rapport des antiquités, le firent appeler au nombre des membres de la Commission municipale du Musée d'archéologie. Son habileté dans les arts du dessin l'avait de même fait placer parmi les membres de la Commission du, Musée de peinture. | Ainsi, dans trois Musées à la fois, Bruand eut à marquer son passage par des services rendus à ses concitoyens. Grâce à sa vigoureuse constitution, Bruand semblait pouvoir compter sur de longs jours. 11 n’en a pas été ainsi. À vingt-deux ans, il avait épousé sa cousine germaine, M'e Sophie Cèdre, qui devint mère d’une belle et nombreuse famille, et le rendit longtemps heureux. La perte de cette excel — 416 — lente femme fut pour lui un coup terrible. Ses amis ne tardèrent pas à s’apercevoir que la vivacité de ses idées s'était ralentie. Une série de légères congestions au cerveau, dont il n'avait pas d’abord conscience, accrut graduellement le mal. Il voulut se réfugier dans un second mariage, en épousant Mie Esparbié, femme d’un grand mérite, et retrouva près d’elle quelques mois de consolation promptement effacés par un nouveau deuil. Attristé et s’affaiblissant de plus en plus, il continua néanmoins, comme par un reste d'habitude, à étudier, à marcher, à voyager même. Enfin, le 3 août 18614, il s’éteignit à Strasbourg, chez M. Guyot, son gendre et notre honorable confrère. Sa famille le fit inhumer à Besançon. Il avait vécu cinquante-trois ans et demi. LA BATAILLE DE VESONTIO ET SES VESTIGES: RAPPORT Fait à la Société d'Emulation du Doubs, au nom de la Commission chargée de diriger les fouilles de Bois-Néron, Par M. Auguste CASTAN., - Séance du 10 mai 1862. Messieurs, C'était en l’an 68 de notre ère. La Gaule, conquise depuis plus d’un siècle, avait accepté les bienfaits de la civilisation romaine, sans abdiquer le souvenir de ses libertés perdues ni la conscience de son importance présente. Les exactions, les cruautés, les débauches et les inepties de Néron l’épuisaient et l’humiliaient tout ensemble. Entraîné par le sentiment public, surexcité par les horreurs dont il venait d’être témoin dans Rome, le sénateur aquitain C. Julius Vindex, que recomman- daient à la fois son origine royale, sa brillante carrière militaire, son « enthousiasme pour toutes les belles choses, » appela la Gaule à l'insurrection et proclama empereur le vieux Sulpicius Galba, général des légions d’Espagne. Vindex gouvernait lui- même la Lugdunaise avec le titre de propréteur. A la voix de ce vertueux patriote, le midi, l’est et le centre de la Gaule se soulèvent ; cent mille combattants sont bientôt acquis à l’insur- rection. Cependant les légions de la Germanie supérieure, que com- mandait le brave et intègre Verginius Rufus, n’admettaient pas — 78 — qu’un «préteur mécontent » et cent mille Gaulois s’arrogeassent le droit d'imposer ‘un maître à l'Empire. Avant que les con- fédérés eussent eu le temps de s'organiser, elles entrèrent brusquement sur le territoire des Séquanes, amenant avec elles de nombreux volontaires belges et huit cohorles de cavalerie batave. Vesontio leur ferma ses portes. Rufus commençait le siége de celte place, lorsque Vindex se présenta pour la dé- fendre. Les deux généraux parlementèrent et finirent par s’en- tendre; ils négligèrent malheureusement d’instruire leurs soldats des conditions du traité. Il avait été convenu que Vindex entre- rait dans la ville avec ses troupes. Le mouvement qu’il fit pour s’y rendre fut interprété par les légions comme une manœuvre hostile. Les Gaulois, attaqués à lPimproviste, se rassemblèrent et firent résistance. Il s'ensuivit une affreuse mêlée qui coùta la vie à vingt mille Gaulois. Vindex, désespéré, se donna la mort. Par une de ces inconséquences si naturelles aux masses, les légions victorieuses foulèrent aux pieds les images de Néron et proclamèrent empereur leur général. Verginius refusa la pourpre. Peu de temps après arrivait, avec la nouvelle de la mort de Néron, un décret du Sénat romain qui sanetionnait l'avènement de Galba. Le nouveau prince se montra prodigue de récompenses envers les cités gauloises qui avaient pris part à l'insurrection. Les Séquanes, les Edues et les Arvernes, qui avaient supporté presque tout le poids de la lutte, reçurent de fructueux priviléges, des exemptions de tribut et des ateroisse- . ments de territoire, au détriment des peuplades voisines restées . fidèles à Néron (1). Vesontio fut doté d’un municipe indépendant, et consacra le souvenir de cette précieuse concession par une médaille portant au droit l'effigie de Galba et au revers les mots : MVN. VISONTIVM (?). Moins d'un an après, Vitellius, successivement vainqueur de Galba et d’Othon, renvoyait en Germanie les cohortes bataves (} Voir, au sujet de ce qui précède : SuETOnN., Nero, €. xL, Galba ©. IX; FLav dJos., Bell. judaic., lib. IV, c. xxvr; PLETARCH., Galba; TaciT., Fist. Nb. I, c. var, LI, Lxv; Dico Cass., Exrerpta, et lib. LXIII, ‘ap. Seriplor, rer. francie., 1, pp. 524, 525 et 530. — Cf. Amédée THIERRY, Hist. des Gaulois, 11, pp. 372-385; Henri MarTix, Histoire de Frances 3e édit., 1, pp. 198-200. () H. Gozrzit Thesaurus rei antiquariæ, p. 152; J.-J. CHiFFLETIN Ve- . sontio, l* pars, p. 101, mu HN qui s’attribuaient tout l'honneur du combat de Vesontio, laissait -égorger par ses soldats trois chefs gaulois qui avaient combattu pour Vindex, et offrait, en plein Champ-de-Mars, des sacrifices aux mânes de Néron (! . La bataille de Vesontio, par ses conséquences capitales et son influence immédiate sur les destinées de notre ville, se recommandait à l’attention des historiens franc-comtois. On est surpris cependant de l'indifférence de nos érudits locaux à l'égard de cet événement. Deux seulement parmi les anciens, le jésuite Prost, dans son Histoire manuscrite de Besançon (?), et le bénédictin Berthod, dans sa Dissertation sur les différentes positions de la méme ville *), ont essayé.d’en fixer le théâtre ; ils le montrent dans la plaine de Saint Ferjeux, qui s'étend à l’ouest de Besançon et commence à 4 kilomètre de ses murailles. Cette faible distance s'accorde mal avec le seul texte antique qui préeise le lieu de l'engagement. Dion Cassius dit, en effet, que Vindex vint camper non loin (où ré’p‘ow) de la ville assiégée dans l’hypothèse de la plaine de Saint-Ferjeux, l'historien grec aurait dit quelque chose d'équivalent à notre expression sous les murs. D'ailleurs, Vindex, arrivant des environs de Lugdunum, eût commis une insigne maladresse en franchissant le Doubs pour venir sonder les dispositions du général ennemi : il eût ainsi gratuitement placé un obstacle sérieux entre son camp et sa ligne obligée de retraite en cas d'insuccès. De son côté, Ver- ginius Rufus n'avait pu manquer de prévoir que le parti de l'insurrection volerait au secours des Séquanes : il avait dû, en conséquence, masser une grande partie de ses troupes sur le rideau de collines qui s'étend derrière notre citadelle, afin de barrer à ses adversaires le côté de l’oppidum par lequel en- (2) « Cohortes Batayorum... superbe agebant...; ablatam Neroni [taliam, ‘atque. omnem belli fortunam in ipsorum manu sitan jactantes.» (Tacir, Hist., lib. IT, cap. xxvi.) — « Cohortes Batavorum.... in Germaniam re- missæ.. » (Id., {bid., €. Lxix ) — « Concionante Vitellio, postulantur ad supplicium Asiaticus et Flavius et Rufinus, duces Galliarum, quod pro Vindice bellassent. » (1d., /bid., ec. xciv) — « Lætum fœdissimo cuique, apud bonos invidiæ fuit, quod, exstructis in campo Martio aris, inferias Neroni fecisset. » (Id., Ibid., c. xcv.) : (2) Manuscrit de la bibliothèque de Besancon, p. 263. (8) Mémoires et documents inédits pour servir à l'histoire de la Franche- Comté, I, pp. 241-242. — 180 — traient les routes du midi de la Gaule. Il ne faut pas oublier, enfin, qu'à l’époque dont il s’agit, comme au temps de César, Vesontio était contenu tout entier dans la presqu'île formée par le Doubs; que, dès lors, l’arrière-front de notre moderne cita- delle, défendu par une simple muraille {!), était le seul point de l’oppidum qu’on pût aborder sans avoir à franchir le fleuve sous les traits de l’assiégé : circonstance qui n’était pas indiffé- rente à une armée accourue à la hâte et forcément dépourvue de matériel de siége. Tout se réunit donc pour mettre hors de cause la plaine de Saint-Ferjeux, et pour indiquer la partie méridionale du pourtour de notre oppidum comme le théâtre de la bataille de Vesontio. Depuis D. Berthod, qui écrivait en 1764, il faut arriver jus- qu’à M. Alphonse Delacroix pour rencontrer une nouvelle ten- tative d'attribution du champ de bataille qui nous occupe. Notre éminent confrère va vous exposer lui-même son in- terprétation géographique de la rencontre de Verginius et de Vindex : « Besançon, dit Alaise et Séquanie (?), se prononçait pour Galba ; les deux chefs s’acheminèrent, l’un du midi, l’autre du nord, vers cette ville. Verginius Rufus arriva le premier avec les légions, les Belges et les Bataves. Les portes se fermèrent à son approche. La place élant de nature à défier un siége comme un assaut, les Romains occupèrent, derrière la citadelle, les hauteurs du premier plateau du Jura où aboutissent les voies militaires de la Germanie et de l'Italie. Le centre obligé de cette position, à cause de l’eau, est Fontains. Il y a là deux sources ; celle du bas, qui est plus accessible que l’autre, alimente le fossé d’une redoute carrée d’où s'étendent, sur la colline de Bois-Nouveau, de longues lignes de campement. » Venu par le sud-ouest du Jura, et devancé, Vindex s'arrête () « Hune {montem) murus circumdatus arcem efficit, et cum oppido conjungit. » (CÆs., Bell. Gall., lib. I, ce. xxxvin.) Ce mur, désigné sous le nom de murus antiquus dans un diplôme impérial de 1042 et dans une bulle de 1120, n'a été complétement détruit qu'après la prise de Besancon par Louis XIV, en 1668. — Cf. D. BerrTaop, Dissertation sur les diffe- rentes positions de Besancon, dans les Mémoires el documents inédits pour servir à l'histoire de la Franche-Comté, 11, pp. 251-256. () Alaise et Séquanie, par À. DELAcRoIx, Besancon, 1860, gr. in-8, pp. 180-181. — 481 — sur le même plateau, entre Fontains et la Loue, à une heure de distance de la citadelle, dont il est séparé par les camps romains. Il n’a jamais douté des dispositions secrètes de Verginius Rufus; et après un échange de lettres, il l'amène à un entretien sans nul témoin. » On croit que le général romain fut convaincu. Vindex, étant retourné près des siens, les rapprochait, peut-être pour prendre position dans la cluse de Pugey, où l’eau, qui manquait sur le lieu de la halte, se trouve aussi abondante qu'à Fontains. La cluse a pour unique entrée une porte naturellement taillée dans le rocher. Üne route y passe, qui descend à Besançon. Lorsque les légions, ne sachant rien de la délibération des chefs, et massées sur les pentes dans lesquelles est percée la porte, voient venir droit à elles les Gaulois, elles croient à une attaque ouverte et à l'intention de forcer le passage pour entrer dans la place. Rien ne les sépare de l’ennemi; elles se ruent sur lui spontanément, ayant tout l'avantage des pentes et celui d’avoir été reposées. Quoique surpris dans le désordre d’une marche sans défiance, le Gaulois résiste avec énergie. Les Champs du Débat, au-devant de l'entrée disputée, se couvrent de morts. Tout l’espace qui s’appellera longtemps le Cimetière de Pugey (*), les contrées de la Malepierre, des Champs-Latins et de Bois- Néron {?) deviennent un lieu de carnage. Une dernière charge de cavalerie des huit cohortes bataves attachées à la quatorzième légion, renverse les Arvernes et les Edues de l’armée gauloise ; la lutte est terminée ainsi au profit des Romains, » (ES LDC CERTES residentes in CIMITERIO (de Pugey) placitum generale non debent nec generali placito debent justificari. » (Charte du milieu du x1e siècle, citée dans les Origines de la commune de Besancon, par Auguste CASTAN, Mémoires de la Sosièté d'Emulation du Doubs, 3e série, Ile vol., p 257, note 1.) (2) Cette localité n’est qu'un hameau dépendant de la commune de Pugey. Les anciens litres l’appellent alternativement Bois-Néron et Bois- Noiron. La carte de Cassini écrit Bois-Noront; celle de Querret, Bonoiron ; l'Annuaire du Doubs pour 1847, Bois-Noiront. Les habitants du pays disent en patois, {ou B6-Noiron, et en français le Bois-Néron. Un géo- mètre du cadastre, trompé par un mauvais plaisant, a créé la ridicule dénomination de Bonnet-Rond, qu’a reproduite la Carte de l'état-major. (A. DELACRoIX et A. CASTAN, Guide de l'étranger à Besançon et en Franche- Comlé, Besancon, Bulle, 1860, in-12 p. 64.) — Quant à la différence entre les formes Néron et Noiron, elle est nulle au point de vue du sens; elle tient uniquement à certaines variantes d'orthographe et de prononciation A ES Postérieurement à la publication d’Alaise et Séquanie, plu- sieurs d’entre nous ontexploré, sous la conduite de M. Delacroix, le champ de carnage qui a son centre au Bois-Néron. Partis de la redoute romaine de Fontains et allant vers le sud-ouest, nous avons pu déterminer la marche de la bataille, au moyen des lignes de tumulus. Ceux-ci, qui commencent aux environs de Fontains, tapissent une zone de près d’un kilomètre de large sur une longueur d'environ quatre kilomètres. Très abondam- ment semés sur les plis de terrain qui avoisinent les Champs- Latins et plongent dans les Champs du Débat, leurs rangs s'é- claircissent sur le coteau de La Roqueline, qu’ils traversent en écharpe pour redevenir très serrés dans les friches des Granges- du-Sapin et des Granges-Mathieu, lesquelles confinent aux escarpements de la Loue. C’est, croyons-nous, dans la direc- tion de ces pentes abruptes qu’eut lieu la poussée des cavaliers bataves qui assura aux légions de Verginius le gain de la journée. Au-dessous du hameau de Bois-Néron et au pied du versant septentrional du bois de Za Roqueline, existe un communal en friche , appelé les Combes, qui est couvert de fumulus. En ce lieu, considéré à priori par M Delacroix comme le point de halte de l’armée de Vindex, règne une muraille en pierres sèches, effondrée sur elle-même et réduite à un bourrelet d’en- viron 40 centimètres de saillie et moyennement large de 4",20. Ce bourrelet court d'abord en ligne horizontale, décrit ensuite une légère courbe autour d’une combe, puis se redresse pour prendre une direction perpendiculaire à son premier parcours. A ses deux extrémités, ilest brusquement coupé par le défriche- ment; son développement actuel est de 325 mètres de longueur. Les rapports de physionomie et de dimensions de ce bourrelct avec les vestiges de même nature que présente l’oppidum d’A- laise, ne nous permirent pas d'y voir autre chose que les restes d’un retranchement d’origine gauloise. qui différencient les dialectes de notre vieux langage. « Noiron, dit Ro- QUEFORT (Glossaire de La langre romane, 11, p.241), nom propre d'homme, l'empereur Néron, Nero. » Un village des environs de Gray (Haute- Saône), appelé encore aujourd'hui Noiron, a également tiré son vocable du type latin Nero; on en à la preuve dans le passage suivant d’une charte du douzième siècle : « ...... villa quæ dicitur Neronis, juxta Gradiacum castrum . … Signum..…. Hugonis de Nerone. » {Chronicon Besrense, ap D'ACHERY, Spicilegium, édit, in-fol., 1723, Il, p. 440.) SK - Ein Gun RS NEO VI “il 1 nn” 2 nd NOUAN 6i04 ; 7 : | =") 241, 2 Lez ALT | 7 01) N BATAILLE, Direction des routes vers Besançon. mm Lignes de castramétations. 2-2 Tumulus. *m0001 AN04 ‘COQ 2P 209 PARTIE PRINCIPALE DU CHAMP DE — 484 — CAMP DE LA MOTTE, A FONTAINS: AU CAMP DE LA ROQUELINF, À BOIS-NÉRON. VESTES * VE ROUTEŸ ANTIQUE is 0 a 7 pen 1 ° x qi a : ï à =: de + Æ ||° e se me ie sé HAN ANS | | Va | e & (= Echelle de 0,01, pour 25,00. — 485 — Ces diverses constatations vous semblèrent intéressantes : sur notre proposition, vous voulûtes bien ordonner la fouille de quelques-unes des sépultures de Bois-Néron, et confier ce soin à une Commission composée de MM. Bial, A. Delacroix, J. Tournier, Vuilleret et de l’auteur de ce rapport. Disposant de faibles ressources et d’un nombre limité de jours, nous avons dû nous borner à une exploration sommaire de chacun des principaux groupes de tombelles. Le groupe des Granges-du-Sapin, situé à l'extrémité sud- ouest de notre champ de bataille, ne nous a pas arrêtés plus d’un jour. Les tumulus, qui y sont fort nombreux, ne dépassent guère 6 mètres de diamètre ; la pierraille qui en forme le prin- cipal élément est d’une nature extrêmement gelive. Les intem- péries des saisons ont donc eu libre carrière dans ces frêles monuments : aussi n’en avons-nous pas obtenu la moindre trace de dépôt funèbre. Les deux groupes des Combes et du pli de terrain qui com- mande les Champs-Latins ont présenté de meilleures conditions. Construits avec de la terre prise sur place et avec de grosses laves mordant les unes sur les autres en manière de toiture, ces tumulus atteignent généralement 7 mètre de diamètre. | Quelques-uns, en très petit nombre, excèdent ces dimensions, et ceux-là seulement ont pu lutter avec succès contre les élé- ments destructeurs. Sur six {umulus fouillés au-dessus des Champs-Latins, dans le voisinage d’une habitation dite Chez-l’Homme, deux seule- ment ont été productifs. Le premier, possédant un diamètre de 12 mètres, a fourni l’ossature d’un homme de grande taille, ayant eu les bras étendus et la tête située au nord-ouest; plus une dent molaire de cheval. Le second, présentant 7 mètres de diamètre, n'avait conservé qu’une petite côte humaine, rencontrée vers l’ouest. Ces deux tumulus ne contenaient pas le moindre débris de poterie. Û Six tombelles ont été démolies au communal des Combes, tant en dedans qu’en dehors de la castramétation que nous y avons signalée. Une seule de ces sépultures a été stérile. Trois d’entre elles, qui montraient un même diamètre de sa. SD = 3 mètres, ont donné : la première, une dent incisive el la tête d’uu radius de sanglier, avec quelques parcelles d’ossements humains ; la seconde, un fragment d'os de cuisse; la troisième, une esquille d’ossement et un morceau de poterie rougeâtre sur ses deux faces, mais offrant à l’intérieur une pâte noirâtre, cel- luleuse, remplie de petits grains de mica, et néanmoins assez solidement liée. Nous attaquâmes ensuite un fumulus plus important, qui mesurait 42 mètres en diamètre. Construit malheureusement avec des laves de grandes dimensions, les animaux rongeurs avaient pu s’y introduire et y bouleverser l'ordonnance de l'inhumation. Toutes les régions de la tombelle ont livré des ossements fort détériorés, parmi lesquels notre savant confrère, M. le docteur Emile Delacroix, a reconnu le squelette d’un homme, puis une portion d'humérus et deux dents de bœuf. Signalons également un morceau de pierre à aiguiser les faux, ‘ taillée en forme de tablette, ainsi que les fragments épars d’un grossier petit vase dont la pâte, extrêmement celluleuse, a reçu une cuisson assez égale. La dernière sépulture qu'il nous reste à décrire atteignait 10 mètres en diamètre. Sensiblement désorganisée, mais à un moindre degré que la précédente, nous avons pu reconnaître que les cinq ou six individus qu'elle abritait avaient eu tous leurs têtes appuyées contre une énorme dalle occupant le centre du fond de l'édifice. A côté des ossements humains, ont surgi des os de cheval, de chien et de sanglier, ainsi qu'une quantité relativement considérable de débris d’une poterie très celluleuse, bien que passablement résistante, et tellement pourvue de mica qu’elle semble avoir été pétrie avec des granits désagrégés. Auprès du squelette qui gisait à l’est de la tombelle, nous avons recueilli la partie supérieure d’une petite lamelle arrondie en silex blanc, qui présente sur une de ses faces une arête vive déterminée par deux cassures en biseau. Sur la pierre centrale, contre laquelle buttaient les crânes de nos cadavres, reposait une hachette en phyllade, sorte de grès grisâtre et très fin dans lequel on taille les pierres à repasser. Cet instrument est long de 12 centimètres; son tranchant, qui a conservé toute sa fran- chise, a 5 centimètres d’épanouissement. Vous vous rappelez, Messieurs, que deux tumulus du pays mm ST — d’Alaise ont fourni des lamelles de silex blanc et des hacheties de marbre |!), occupant, dans leurs monuments respectifs, une position analogue à celle où nous les retrouvons aujourd'hui. Les couteaux et les hachettes d’Alaise côtoyaient des ornements de bronze mince et des armes de fer, toutes pièces appartenant à une époque où les instruments en pierre n'avaient plus aucun usage pratique. Ce voisinage fort significatif, non moins que les proportions exiguës des lamelles et des hachettes alaisiennes, nous avait fait attribuer à ces derniers objets une signification purement hiératique. « J'ai vu tant de fois, dit un de nos plus érudits confrères, la hache celtique sortir des tumulus avec une forme ou des dimensions qui exeluaient l’idée d’un instru- ment propre aux usages de la vie, que je la considérerais volon- tiers, lorsqu'elle se rencontre dans les sépultures, comme un symbole qui caractérise un certain rite funèbre des Gaulois. Il y a plus; quand je vois la dernière forme à laquelle est arrivée la hache celtique par suite de ses perfectionnements successifs, et que cette forme faisait de l'instrument, lorsqu'il était emman- ché, l’équivalent exact de l’ascia romaine, je suis tenté de con- clure que la fameuse formule des tombeaux gallo-romains dédiés sub ascia ne désignail pas autre chose qu'une particularité du rite funèbre conservée des anciens temps (?}. » Cette interpré- tation semble décisive à M. Henri Martin {*); nous l’adoptons, à notre tour, pour expliquer la présence d’une hachette et d’une Jlamelle aussi rudimentaires comme dimensions que fragiles comme matière, dans une sépulture dont les poteries portent l'empreinte du tour et offrent une égalité relative d'épaisseur et de cuisson, qui indique une toute autre période que l’âge de la pierre. | Concurremment avec nos recherches sépulcrales, nous avons entrepris l'exploration du retranchement en pierres sèches qui _ = ee —— (@) Les Tombelles celtiques du massif d'Alaise; Les Tombelles celtiques et romaines d'Alaise; Les Tombelles et les ruines du massif ét du pourtour d’'Alaise, par Auguste CASTAN, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 3° série, IlLe vol. (1858), pp. 399 et 570, pl. 11, fig. 20, pl. iv, fig. 12; Ve vol. (1859-60), pp. 413 et 414, pl. 1, fig. 7. (®) J. QuicaErarT, Rapport au Comité impérial des travaux historiques, dans la Revue des Soriètés savantes, 2° série, VII (1862), p. 321. (8) Henri MarTiN, Les Antiquités irlanduises, nctes de voyage (extrait de la Revue nationale), Paris, 1863, in-80, p. 26. — 488 — partage le communal des Combes. Quelques tranchées faites en travers du bourrelet nous avaient procuré des ossements d’hom- mes et de chevaux, des fragments de poterie celtique, lorsque la pioche d’un de nos travailleurs rencontra, sous les décombres de la paroi septentrionale de l’antique muraille, un instrument en fer d’une admirable conservation. Cet outil, long de 60 cen- timètres, se compose d’un vigoureux grappin, au talon arrondi et relié, au moyen d’une tige rendue octogonale par quatre chanfreinements, à une longue douille soudée à chaud. La per- fection du travail de forge de cette pièce, l’habile calcul de ses proportions, tout démontre qu’elle n’est point le produit d’une fabrication isolée et arbitraire : un œil exercé y reconnaît sans peine la reproduction d’un type réglementaire et savamment étudié. Ces considérations excluent toute idée d'attribution cel- tique. Si l’on remarque, d’autre part, que notre trou- vaille a été faite sous les ruines d’un ouvrage qui, par son mode de construction et les poteries qui en ont été extraites, présente une physionomie essentielle ment gauloise, l’objet qui nous occupe devra être restitué à l’unique peuple de l'antiquité qui ait ren- versé les murailles de la nation celtique, c’est-à-dire aux Romains. La destination de notre grappin est déjà nettement indiquée par sa forme caractéristique et les circons- tances de sa découverte; elle est, en outre, affirmée par des texles antiques. Lors du siége de Tyr par Alexandre, la défense employa, pour ruiner les tra- vaux d’approche de l'ennemi, des mains de fer, que l’historien Quinte-Curce appelle, tour à tour, harpago et falx. Au moyen de cet instrument, les plongeurs tyriens attiraient à eux les branches débordantes des arbres sur lesquels reposait la jetée d'Alexandre, et ces arbres, en s’écroulant, entraïînaient à leur suite dans la mer des quantités énormes de matériaux (!). Dans a étre Ferreæ quôque manus (harpagonas vocant), quas operibus hostium injicerent,... præparabantur. » — « ... Falcibus palmites arbo- rum eminentium ad se trahentes : quæ ubi sequutæ erant, plera secum in profundum dabant; tum levatos onere stipites truncosque arborum haud ægre moliebantur : deinde totum opus, quod stipitibus fueral ianixum, fundamento lapso, sequebatur, » (Q. Curr., Lib. IV, c. et ur.) — A89 — sa campagne maritime contre les Vénètes, César se servit, pour démâter les vaisseaux ennemis, d’un genre de falx fixé au bout d’une longue perche, et analogue, dit-il, comme forme à la falx muralis ('). Dès la cinquième campagne de César, les Gaulois surent fabriquer la falx muralis (?), et l’'employèrent plus d'une fois avec succès, notamment au siége d’Alesia (#), pour démolir les parapets et tirer à bas les palissades des Ro- mains. Cette machine de guerre « est appelée falx, dit Végèce, parce qu'elle est recourbée de manière à arracher les pierres d’une muraille (‘). » Ces témoignages achèvent d'édifier une conviction qui avait pris naissance dans nos esprits au moment même de la découverte. Nous n’hésilerons donc pas à présenter notre grappin comme le premier exemplaire connu (*) de cette falxz muralis dont le nom se reproduit si fréquemment dans les récits des guerres de l'antiquité. En résumé : Les tumulus du pays de Bois - Néron sont des sépultures de combat : leur nombre, qui s’élève à plusieurs milliers, leur disposition irrégulière, tout concourt à le démontrer. Ces sépultures sont conçues suivant le rite funéraire des Gaulois. Identiques à celles d’Alaise comme plan de construction, elles en diffèrent, à l'exception d’une seule, par la rareté ou même la privation absolue de poteries, non moins que par l’absence d'armes et d’objets de parure autour des corps inhumés : deux particularités qui dénoncent une époque où l'on commençait à oublier les pratiques religieuses de la Gaule indépendante. () « Una erat magno usui res præparata a nostris, falces præacutæ, insertæ affixæque longuriis, non absimili forma muralium falcium. » (CÆSs., Bell. Gall., lib. LIT, c. x1v.) (3) « . Falces testitudinesque, quas iidem eaptivi done El parare ac facere cœperunt. » (Id. Ibid., lib. V, c. xLn.) (*) « Vercingetorix.... a castris.... falces reliquaque, quæ eruptionis causa paraverat, profert.» — «.… Falcibus vallum ac loricam rescindunt.» (Ed., Jbid., lib. VIT, c. LXXXIV et LXXXvI.) (‘) « Falx vocatur, ab eo quod incurvata est, ut de muro extrahat lapi- des.» (F1. VEGET., De re militari, lib. IV, c. x1v.) (*) Depuis la lecture de ce travail, M. Vuilleret a acquis, pour le musée archéologique de Besancon, une nouvelle falx, qui, sous un volume un peu moindre, reproduit exactement celle qui nous occupe. Ce second exemplaire est sorti des ruines de Mandeure, l'ancien Epomanduodurum. 34 | = = _ La redoute de Fontains est, à n’en pas douter, un ouvrage romain : sa forme, légèrement oblongue, s'éloigne également de la formule du carré parfait décrite par Polybe et du procédé, mis en pratique sous Trajan, qui consistait à arrondir les angies de la castramétation. La muraille du communal des Combes est bien un retran- chement militaire, construit par des mains gauloises et ruiné suivant une méthode familière aux légions romaines. Ces résultats, intéressants par eux-mêmes, apportent un sérieux appui à l'attribution de M. A. Delacroix, qui avait déjà pour elle les vraisemblances topographiques, les déductions stratégiques et la tradition locale conservée par les lieux-dits. Nous ne terminerons pas sans Consigner ici l'expression d’une vive reconnaissance envers notre excellent confrère, M. Justin Tournier, qui, non content de prendre une part active aux travaux de la Commission, a voulu nous donner, dans sa charmante villa du Châlet-d’Arguel, une hospitalité cordiale et franche, dont vos délégués conserveront le plus agréable souvenir. TABLE DES ARTICLES CONTENUS DANS CE VOLUME. PROCÈS-VERBAUX. Procès-verbaux des séances. va ARE OEM I Castan, Rapport sur deux . aux de M. A PR de GRENIER, Bavoux, Jacques et TrucHOT, Expériences sur la conservation des œufs par le procédé Guillin. .. ......., Viii-x VÉzian, Indice de la présence du terrain néocomien à MAUR IeS= DAMES. ut don soon e Dos co vs pie des 0e 0e X-XI Projet de création d'un jardin botanique à Besançon...... XI-XV Modifications aux statuts demandées par l'autorité supé- rieure et votées d'urgence en vue de la reconnaissance de la Compagnie comme Société d'utilité publique... xvi-xvint Votes relatifs à la création d’un musée d’horlogerie.. ... xXIxX-xx Boysson-D'EcoLe, VÉZIAN et Girop, Discours pro- noncés au banquet annuel de 1862. ............. XXIII-XXVIII MÉMOIRES. A DErAGROIx, ÂAlaise et le Moniteur... .......... ......:.. il E. Decacroix, Notice sur les fouilles faites, en 1857 et 1858, aux sources ferrugineuses de Luxeuil........... 93 Tu. n’Esrocquois, Mémoire sur le een de un ÎLE LE. MENÉS NN (OR RRRRE Re E 107 P. Brar, Chemins, habitations et DORE de la Gaule au onnsite César (le parte)... ou. 121 G. SiRE, Etude sur la forme globulaire des liquides........ 409 L. BReriLLoT, Rapport sur l'Exposition universelle de Be- sancon en 1860 ; — Procès-verbal de clôture des travaux de la Commission chargée de diriger cette entreprise ....... 463 A. Deracroix, Notice sur Théophile Bruand............... 469 A. Casran, La bataille de Vesontio et ses vestiges; rapport Dies fouilles de Bois-Néron.......,....0.:....,... 497 BESANCON, IMPRIMERIE DODIVERS ET cie, GRANDE-RUE, “4. nñareia0ag EU EN as FU Dhs 4 Frs Ame he E , HG PR ECE inv mire an. Me» none. 5 ù 77 & ue sig NA0 TINTETE LUE & aa 2930 ro Fou DAT à sul. # ss AUDE Li OA 2 24 geo NE Ho Gel à #Ù na: ri 4 &l dote Fo SAN EE VAN LE AM à | ME ne : | NES LPARHe: red É« ste HÉTÉL LUE NA PT EUR Lo mSQUe situe (- 26 90h49 asile x 4 ii | ONAASLISRTONTE HI où aUT 19. 3905 QT 'h ue her LUXE se -depilthue CUMETV FE bDivoZ umo CHU cr 2 Fi foBolot'i 2 een 4ub noide)13 à A FM + EN or Hs R hs Ress ALP TRE 478 DONS Mis FIRE Ë “rs ia | RES Fe Fa Fra sean + 2 $ Fr: das PRERRE LS SOU a(u Ci mr siolé à Lo #T TGL as ,201i8t Buifiuol cal age SoHo, A we RAR EE au a stars A NE OEM | Hosuao sb asbisifions ous ation 2101008 à to. 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Jacques, rue du Clos, 32, à Besançon. Les Membres qui changeraient de domicile sont priés d’en donner avis pour ne pas éprouver de retard dans l'envoi des publications. >) (@) G | & SC. DURE AVIS. \, 1 +,