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k

MÉMOIRES

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DE FOUQUET

SlîlUNTESDANT DES IINANCKS

pâiiis. - i^p. ««iiio.x nxc.o\ I.T roui-, .mi ii'Lnnitrii. I

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MÉMOIRES

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DE FOUQUET

SURINTENDANT DES FINANCES

D APRÈS SES LETTRES ET DES PIÈCES INÉDITES

A LA BIPLIOTIIÈQUK IMPÉRIALh

Vv. c A CHÉRUEL

IMAPtCTEVR r.ill».tAL OC I. ' I H » T R D CT N PUBLIQOK

TOME PREMIEK

PARIS

CIIAllPENTIER, ÉDITEUR

SA. QUAI DR l.'£C0L(:

Tmis droHf rê«crTés.

L

PRÉFACE

Le surintendant des finances Nicolas Fouqiiet a joué un grand rôle pendant la première partie du règne de Louis XIV. Auxiliaire zélé de Mazarin à Tépoque de la Fronde, habile plus tard à fournir de l'argent à un rni- nislre avide, qui avait plusieurs armées à entrelenir el qui voulait pour lui-même amasser des trésors, il suflil pendant plus de dix ans à cette lourde tâche. Cependant les Mémoires du temps et les historiens modernes ne parlent guère que de la catastrophe de Nicolas Fouquet. Les causes de Télévation de ce personnage, ses relations avec Mazarin, les services qu'il lui rendit pendant la Fronde, n'ont jamais été complètement exposés. Le travail remarquable que M. P. Clément a placé en tète

a

Il PItÉFACE.

de SOU Histoire de Colbevt n'embrasse que la disgrâce de Fouquctet les causes qui l'ont amenée. Il en est de même des Mémoires sur madame de Sévûjné^ par M. VVal- ckenaer ; on n'y trouve que le procès du surintendant *. Je me propose de remonter plus haut et d'exposer toute la vie de Nicolas Fouquet, en m'appuya nt sur des docu- ments d'une authenticité incontestable.

L'abbé Fouquet, frère du surintendant, est encore moins connu. On le voit, à la vérité, dans les Mémoires du dix-septième siècle, jouer les personnages les plus divers : serviteur dévoué de Mazarin, il lutte contre le prince de Condé et le cardinal de Betz ; il brave toas les dangers pour assurer le triomphe de la royauté sur la Fronde; plus tard, il dispose de la police et delà Bastille; mais sa puissance est occulte; il se plaît dans les menées souterraines, et les Mémoires du temps signalent surtout son insolence et le scandale de ses mœurs, qui finirent par le compromettre gravement,

M. (!e Rover, aujourd'hui premier vico-président du Sénat, a aussi traite du procès de Fouquet dans un savant discours de rt^nfrée à la Cour de cassation. H. Sainte-Beuve, dans une de ses ingénieuses Cameriudu Lundi t. V), a touché tous les points importants de la biographie de Fou- quet avec sa sagacité ordinaire; mais il n'a pu que les eflleurer. M. Feuil- let de Conches dans un ouvrage récent [Causeries d'un curieux, etc.) ne parle que de la cassette du surintendant. J'ai trouvé dans ce livre de précieux documents, et, quoique mon travail lût presque tenniné lorsque M. Feuillet de Gondios a publié le sien, j'en ai profité en indiquant tou- jours la source je puisais.

PHÉFACE. m

sans que le cardinal Mazarin, auquel il avait rendu de grands services, ail jamais consenti à le disgracier. Toutefois son importance fut amoindrie, tandis que celle du surintendant grandissait chaque jour et arri- vait à l'efTacer entièrement.

Je me hâte de déclarer qu'aucun des deux frères n'a laissé de Mémoires historiques. On ne saurait, en eflel, désigner sous ce titre les Défenses^ que Nicolas Fou- quet composa à Toceasion du procès qui lui fut intenté <»n 1661 , et qui ne forment pas moins de quatorze vo- lumes. Mais il reste du surintendant et de son frère Tabbé un grand nombre de lettres, qui ont été écrites au moment môme les événements s'accom- plissaient, et qui ont plus d'autorité historique que n'en pourraient avoir des œuvres composées à loisir et destinées trop souvent à tromper la postérité. Je me suis surtout servi de ces documents* pour faire con- naître le rôle politique des deux Fouquel.

J'ai adopté le titre de Mémoires, parce que cet ou- vrage, qui embrasse la vie privée aussi bien que la vie |)ublique de Nicolas Fouquet et de son frère l'abbé, ne

* les lettres ci uutres i)UH:es publiées daiiB le corj>s de l'ouvrage ont siil)i quelques modifications pour rorthogrraphe, afin d éviter des iirégu- larités qui auraient paru choiiuaiites. U n'eu est pas de même des textes cités en note ou à l'Appendice : ils ont été i*eproduils avec le caraclêiv de lëiMMjue et d'api'és le texte même de l'écrivain.

IV PnÉFACE.

saurait avoir la gravité de Hiistoire. il descend dans des détails domestiques qui sont nécessaires lorsque Ton veut étudier à fond le caractère et les passions d'un homme, mais que Ton doit négliger dans les tableaux et les récils d'un intérêt plus général. Enfin le titre de Mémoires me permet de laisser le plus souvent la parole aux contemporains. Mazarin, qui a joué dans ces temps le principal rôle, révèle dans ses lettres aux Fouquet bien des détails secrets et des causes ca* chées. N'est-il pas juste, d'ailleurs, d'entendre la dé- fense de ce ministre que les frondeurs ont si obstiné- ment poursuivi? Les Mémoires de cette époque ne sont souvent qu'une continuation des Mazarinadesy une suite spirituelle et piquante des pamphlets destinés à verser Todieux et le ridicule sur le cardinal et sur la reine Anne d'Autriche. Les lettres de Mazarin, écrites sous l'impression même des événements, ont bien plus d'au- torité que ces souvenirs rétrospectifs, destinés à satis- faire avant tout la vanité de l'auteur et à exagérer les proportions de son rôle.

Je suis loin cependant de contester l'utilité des Mé- moires pour retracer les événements de cette époque, et j*en ai fait un usage continuel. Aucune période de notre histoire n'a été plus féconde en écrits de cette nature. Plusieurs de ces ouvrages réunissent le mérite du style

PRÉFACE. V

à l'intérêt historique, le charme de la narration à Tau- thenticité des faits, lattrait romanesque et dramatique de la vie privée à la grandeur des événements publics. Avant et pendant la Fronde, chaque parti, chaque nuance ménie de parti, a son historien. La Châtre écrit pour gloritier la cabale des Importants; la cour et Anne d'Au- triche trouvent leur apologiste dans madame de Motte- ville; la Rochefoucauld et Pierre Lenet soutiennent de leur plume le parti des Princes, qu'ils avaient défendu de leur épée et éclairé de leurs conseils; le parlement a pour lui, quoique avec des nuances distinctes, Orner Talon, Olivier d'Ormesson, VHistoire du temps et le Journal de la Fronde. Priolo, d'abord attaché au duc do Longueville, se laisse gagner par Mazarin, et écrit, dans rintérét du ministre, son histoire latine des pre- mières années de Louis XIV, histoire qui ressemble souvent à des Mémoires par le rôle qu y joue l'auteur et le soin avec lequel il se met en scène *. Guî*Patin ex- prime les sentiments de la bourgeoisie frondeuse. Le cardinal de Retz et mademoiselle de Montpensier no représentent guère qu'eux-mêmes, leur esprit, leur

« B. PrioH, ab exceuu Ijudavm À///, de rebui Gallicis hutariarum Hbri XII, ICOO. Priolo raconlr, entre autres avenlures il a fijnirê, ses négocialions avec le duc de Ix>ngucviUe et son voyage en Norman- die» où il accompagna Mazarin, qui allait délivrer les Pnnces.

n PRÉFACE.

vanité, leurs intrigues, leur héroïsme romanesque ci théitral. Parmi ces Mémoires, dont il serait facile d'aug- menter la liste, quelques-uns sont considérés comme des œuvres éminentes pour Téclat pittoresque du stylo, M vivacité des tableaux et la peinture des caractères.

Les Mémoires inédits m'ont aussi fourni quelques traits pour l'histoire des deuxFouquet. Je citerai, enti*e autres, deux journaux, Tun de Dubuisson-Aubenay, l'autre anonyme. Le premier s'étend de 1648 à 1652* ; il a été écrit par un gentilhomme attaché au secrétaire d*Ëtat Duplessis^uénégaud, et par conséquent ennemi de la Fronde. On y trouve sur cette époque de trou- bles et d anarchie des particularités que l'on cher- cherait vainement ailleurs*. Le second est également écrit par un adversaire des frondeurs; il s'étend de 1648 h 1659, et ma aussi fourni pour l'histoire des deux frères des renseignements nouveaux et aulhen- tiques.

En comparant ces Mémoires, dont les auteurs ont suivi des intérêts et des partis opposés, on arrive sou- vent à découvrir la vérité; mais, quant aux mobiles se- crets qui ont fait agir les personnages, il est difficile de les pénétrer, à moins qu'eux-mêmes n'aient pris soin

* Il est conserv(5 à la lUhl. Mazarine, n* 1765.

Voy. Mémoiren ntr Fouqitet, 1. 1, p. 65 pt 156.

PRÉFACE. vil

(le nous les révéler dans des lettres confidentielles. C'est ce qui donne un si grand intérêt à la corres- pondance de Mazarin avec Nicolas Fouquet et avec son frère. Les événements de la Fronde, qui, dans les Mé- moires de Retz et de la plupart des contemporains, sont présentés sous un jour défavorable au ministre, appa- raissent sous un tout autre aspect dans les lettres du cardinal. La biographie de Nicolas Fouquet et celle de son frère est trop étroitement liée à Thistoire de la Fronde pour que je n'aie pas insisté sur cette époque, en faisant ressortir l'importance des services que les deux frères rendirent alors à la cause royale.

Pour la période suivante, celle Nicolas Fouquet, devenu surintendant, administre les finances, abuse de son pouvoir et s'attire une disgrâce méritée, j'ai fait également usage des Mémoires publiés et des docu- ments manuscrits. La Muse historique de Loret sert à fixer les dates, et les lettres de Gui-Patin fournissent quelques indications précieuses. On trouve encore, pour l'histoire de Fouquet pendant cette époque, des faits à recueillir dans les Mémoires de mademoiselle de Montpensier, de madame de Motteville, de Conrart, de Montglat, de Bussy-Rabutin, de madame de la Fayetle, du marquis de la Fare; mais ce sont des traits dispersés. Les Mémoires réellomenl importants pour celte partie de l'histoire do

VIII PRÉFACE.

touquet sont ceux de Gourvilie, de l'abbé de Choisy et du jeune Briennc. Gourvilie, un des principaux commis de Fouquet, insiste tout spécialement sur le caractère et le rôle du surintendant. Mais il veut trop souvent se mettre en scène, et s'attribue une importance qui est démentie par des documents plus authentiques. J*ai.pris soin de signaler les passages entaches de ce défaut. L abbé de Choisy, élevé à la cour par une mère qui fut mêlée à toutes les intrigues du temps, avait dix-huit ans à Tépoque de la chute de Fouquet. Il a vu et entretenu les personnages qu'il met en scène; il a beaucoup af^ris par les courtisans qui fréquentaient la maison de sa mère. Son oncle, l'abbé de Belesbat, passait pour un des familiers du surintendant, et la calomnie lui a at* tribué une des lettres les plus honteuses que Ion tit circuler comme tirées de la cassette de Fouquet. Le té- moignage de Tabbé de Choisy mérite donc d'être re- cueilli pour tout ce qui louche au ministère et i\ la ca- tastrophe de Fouquet.

Quant au jeune Brienne, il était secrétaire d'État en survivance à l'époque de la disgrâce du surinten- dant. Sans doute, son esprit romanesque diminue l'au- torité de ses Mémoires. L'éditeur en a d'ailleurs rajeuni le style au point d'en changer la physionomie et de rem- placer la marche un peu Imînante de la prose du dix-sep-

PRËFAGK. IX

liéme siècle par des allures sautillantes et légères qui mettent en défiance. Cependant le fond n a pas été altéré. J'ai eu sous les yeux le manuscrit provenant du cardi- nal de Brienne; il n'y a de différences, entre ce ma- nuscrit et les Mémoires publiés, que pour le style. Tou- tefois le caractère du jeune Brienne, ses aventures, son goût pour les détails singuliers et pour la mise en scène, suffisent à le rendre suspect. On peut, heureusement, contrôler son témoignage par le récit officiel de l'arres- tation de Fouquet, qu'a rédigé Foucault, greffier de la Chambre de justice instituée en 1661, et par la lettre même Louis XIY retrace à sa mère toutes les circon- stances de cet événement.

Les papiers trouvés dans la cassette de Fouquet et conservés à la Bibliothèque impériale fournissent aussi des renseignements précieux et authentiques pour les dernières années de son ministère. Depuis plus de dix ans, je me suis occupé de ces correspondances. J'en de- vais l'indication à M. Claude, dont le savoir et l'obli- geance sont connus de tous ceux qui font des recherches dans les manuscrits de la Bibliothèque impériale. J*ai cité depuis longtemps les papiers de Fouquet ^ dans pli:- sieurs articles du Joumal gétiéral de rviatruction pu-

* Ces papiers, qui forment la vc^rilable cassette de Fouquet, ont l'U» conservés par Baluze, bihliothck^iré de Colbert.

K PRÉFACE.

bliqw^ dans mon Histoire de r administration numar- chiqiu en France, et dans l'édition que j'ai donnée des Mémoires de mademoiselle de Montpensier. Postérieure- ment à mes recherches, lattention de plusieurs écri- vains s'est portée sur la cassette de Fouquet. M. Dreyss, dans son édition des Mémoires de Louis XIV; M. Marcou, dans son Étude sur Pellisson, et tout récemment M. Feuillet de Couches, dans ses Causeries d'un curittix^ on^nt tiré plusieurs documents. M. Feuillet de Couches surtout a signalé l'intérêt de cetle cassette et en a dé- chiffré quelques énigmes. Lui-même, du reste, a re- connu, en tenues obligeants, que j'avais déjà étudié ces correspondances. J'ai profité plus d'une fois de ses travaux en indiquant les emprunts que je lui ai faits. Quant à l'interprétation de quelques pièces, je diffère d'avis avec lui, j'ai donné mes raisons, tout en rendant pleine justice à son ingénieuse sagacité.

Une des principales difficultés, lorsqu'on cherche à diViiifTrer les lettres que renferme cette cassette, con- siste à retrouver les noms des correspondants de Fou- (|uet . Bien peu de lettres sont signées ; souvent môme les noms des personnas et des lieux sont déguisés, et ({uelquefois les correspondants ont poussé la précau- tion jusqu'à se senir d'une main étrangère. Comment s'étonner que lo lecteur hésite au milieu de tant de

PRÉFACE «»

(lifficuHés et ne puisse reconnaître tous les auteurs de ces lettres? Bour celles mc>mes l'on met un nom, il est difficile de ne pas avouer qu'il y a toujours une part d'hypothèse dans les interprétations. Une autre difficulté résulte de l'absence de dates : tous ces papiers . ont été jetés péle-méle dans la cassette, et jamais on n'a cherché à les soumettre à un ordre chronologique. Je l'ai tenté pour les pièces dont j'ai fait usage dans le rorps de ces Mémoires, et, au lieu d'exposer dans éon ensemble tout ce que contient la cassette de Fouquet, j'en ai successivement tiré les lettres qui établissaient les relations du surintendant avec les personnes in- fluentes de la cour et de la ville. Il y a bien des ré- vélations honteuses sur les mœurs du temps, et l'on éprouve d'abord de la répugnance à étaler de pareils scandales. A quoi bon exhumer ces misères et ces tur- piludes? Ne vaudrait-il pas mieux laiss^T de semblables documents dormir dans la poussière ils sont ense- velis depuis plusieurs siècles?

Je n'aurais pas hésité à suivre ce parti, si Nicolas Fouquet n'appartenait pas à l'histoire. On ne peut con- naître et apprécier la vie publique du surintendant qu'en fouillant dans sa vie privée et en y cherchant les causes sécrétas de ses dilapidations. L'histoire n'instruit pas seulement en retraçant des vertus, mais en mon-

m PRËFACIl.

trant les conséquences des fautes et des vices. Raconter la vie d'un homme que de rares talents, une conduite habile, le dévouement à la cause royale, avaient élevé aux plus hautes dignités, puis le montrer enivré par la grandeur et la passion, oubliant ce qu'il doit à la France et ù lui-même, et précipité de vice en vice et d'abime en abime jusqu'à ce que la main de la justice s'appesan- tisse sur lui et le jette dans un cachot, il expiera peadant dix-neuf ans ses fautes et ses crimes, n'est-ce pas un des plus utiles enseignements de l'histoire? D'ailleurs, en insistant sur la parlie réellement impor- tante de cette correspondance, il sera facile d'éviter certains détails qui blesseraient la morale et n'auraient que peu d'intérêt pour l'élude des caractères et des évé- nements historiques.

Relativement au procès de Fouquet, on a aussi des documents d'une authenticité incontestable. Ce procès a été retracé dans tous ses détails par le greffier de la Chambre de justice, Foucault, dont le Journal inédit fait partie des manuscrits de la Bibliothèque impériale ; c'est un simple procès-verbal , mais très-complet. Le Journal d'Olivier d'Ormesson, que j'ai publié dans la collection des Documents inédiU relatifs à l'histoire de France^ a un autre caractère. Il peint la physionomie des séances plu- tôt qu'il lie raconte les incidents du procès. Olivier d'Or-

PRÉFACE. iiii

inesson, un des juges de Fouquet et un des magistrats les plus intègres du dix-septième siècle, a une grande autorité lorsqu'il dépose devant la postérité. Madame de Sévigné a puisé dans ses entretiens les détails qu'elle a animés et colorés de son style si vif et si brillant. Cepen- dant il n'est pas inutile, en entendant Olivier d*Ormes- son, qui est Torgane du parti de la magistrature, de com- parer à son témoignage celui de C!olbert. Ce ministre poursuivait Fouquet avec une passion qui a nui à sa cause; mais il avait pour lui la justice. J'ai cité quelques passages d'un Mémoire adressé au roi par Colbert, le contrôleur général blâme le premier président, Guil- laume de Lamoignon. J ai rapproché ces autorités op- posées, et, tout en signalant les dilapidations du surin- tendant, j'ai cherché ù montrer comment l'opinion publique, touchée de ses malheurs et émue par les plaintes de la Fontaine et de Pellisson, s'était déclarée pour le ministre déchu et persécuté.

Ces Mémoires se divisent naturellement en quati'e parties, comme la vie même de Nicolas Fouquet. Jusqu'au mois de janvier 1653, il fut, avec son frère, l'auxiliaire le plus actif de Mazarin. Après la Fronde, les deux frères eurent part aux récompenses : Nicolas Fouquet devint surintendant des finances avec Abel Servicn. L'abbé son frère eut la direction de la

Mv l'UÉtACfe:.

police : sou l'oie fut alors très-imporlunt; mais son audace, son insolence et le scandale de ses inœui's, finirent par le compromettre. De son côté, le surinten- dant commença à abuser de son ci'édit et à prodiguer en plaisirs et en fêtes l'argent de TÉfat. Cependant la pré- sence de son collègue Servien le contint jusqu'en 1659. Mais, après la mort de Servien (17 février), le surin- tendant s'abandonna sans frein à ses passions. A cette époque, il semble atteint de démence, vere lymphaUis, comme dit un contemporain ^ Bâtiments somptueux, fortifications de Belle-Ile, traités scandaleux avec les fermiers de l'impôt, folles prodigalités pour les filles de la reine, tentatives pour succéder à Mazarin dans la puissance suprême et tenir le roi dans sa dé- pendance, voilà le spectacle que présente l'administra- tion de Fouquet, parvenu au comble de la puissance et entraîné par des passions effrénées. La période de 1659 à 1661 marque à la fois Tapogée de sa grandeur et le commencement de sa ruine. Arrêté le 5 septembre 1661 , il est ti*ainé de prison en prison et enfin traduit devant un tribunal composé en partie de ses ennemis» Pendant trois ans, son sort est en suspens et sa vie menacée;

* (!d îkuit les tenues dont se sert le conseiller d'Élal de la Fosse en |iariant de Fouquet dans le Mémoire qu'il adresse au chancelier Séfeniier; Voy. ce Mémoire à l'Appendice du tome I•^

rUÉFACE. XV

c'esl alors que, par une compassion iialurelle pour le iiialheur, Topinion lui redevient favorable el applaudit à Tarrel qui le sauve du dernier supplice. Prisonnier à Pignerol, Fouquel disparaît de la scène et expie dans une longue et obscure détention les erreurs el les fau- tes de sa vie publique el privée. Ainsi, au début, acti- vité, énergie, habileté, dévouement à la cause royale ; après la Fronde, en 1053, récompense de ses service?:^ et enivTement du succès; de 1659 à lOtil, prodigalités insensées et ambition criminelle; enlin, de iUOl a 1680, expiation : tel est le résumé de la vie de Nicolas Fouquet; tel est aussi le plan de ces Mémoires.

MÉMOIRES

SUR

NICOLAS FOUQUET

SURINTENDAM DES FINANCES

ET scn

SON FRÈRE L'ABBÉ FOUQUET

CHAPITRE PREMIER

- 1615-1650 -

Famille de Nicolas Fouquct. Il devienl maître des requêtes (1635). Il est intendant dans Tarméc du nord de la France et ensuite dans la généralité de Grenoble. Sa disgrûce en 1644. Il est de nouveau nommé inixîndant en 1047. S<m rôle pendant la première Fronde en 10 i8 et 1649. Il achète la charge de procureur général au par- lement de Paris (1650), et en prend possession au mois de novembre delà même année. Puissance du parlement de Paris à cette époque. Caractère du premier président Matliieu Mole et d'autres magistrats du parlement. Rôle difficile de Nicolas Fouquet. Défauts du parle- ment considéré comme corps polititiue. Contraste avec la conduite habile de Mazarin. Nicolas Fouquet s'attache à ce dernier et lui reste fidèle pendant toute la Fronde.

Nicolas Fouquet naquit en 1015; il était le troisième lils de François Fouquet, conseiller du roi en ses con- seils, et de Marie Maupeou . Les Fouquet, dont le nom I. 1

3 MËMOIUES

s'écrivait alors Foucquet\ étaient originaires de Bre- tagne. Celait une famille de négociants nantais. Le commerce des îles lointaines, déjà en pleine vigueur au seizième siècle, avait développer chez les Fouquet un génie hardi, aventureux, fécond en ressources. Il sem- ble que la ruse, la souplesse, l'esprit ambitieux et par- fois téméraire que déployèrent le surintendant et son frère, l'abbé Fouquet, étaient une tradition de famille. Leur père, François Fouquet, après avoir été conseiller au parlement de Rennes, acheta une charge au parle- ment de Paris, el fut successivement conseiller, maître des requêtes et enfin conseiller d'Etat. U remplit plusieurs fois d'importantes fonctions et fut pendant quelque temps ambassadeur en Suisse*. On a pi'é- lendu qu'il fut un des juges du maréchal de Marillac, et qu'il s'honora par l'indépendance et la fermeté dont il fil preuve dans ce procès'. Cette opinion n'est pas fon- dée; on a le nom des juges du maréchal de Marillac* el le proccs-verbal des séances de la chambre de justice qui le condamna : François Fouquet n'y figure pas. Ce qui

* (kî mol signifie, dit-on, écureuil ddiis la lant;ue bretonne.

* Ces détails sont tirés de Tépitaphe pravêe sur le tombeau de Fran- çois Fouquet . Ce tombeau était placé dans la chapelle des Dames de la Visitation, rue Saint-Antoine. Nicolas Fouquet fut enterré dans la môme diapelle.

^ J'insiste sur c^ point p.ircc que l'erreur se trouve dans l'ouvrage justement estimé de M. P. Qément [Histoire de Coibert).

* Le père Griffet a donné dans son Histoire de l/mis XIII [\.\l, p. 2*2 i; le nom des jupes dti marédial de Marillac. 11 existe d'ailleui-s dans les papiers de la famille d'Argenson [Bibl. imp. du Ijouvre, ms. F. 325, t. XVni, fol. 100 «t sq.), une relation de ce procès rédigée par un d'Ai- genson qui était procureur général de la coumiission. Il n'y est pas ques- tion de François Fouquet.

SUR NICOLAS FOUQUET (leisieso) 5

est vrai, c'est que ce conseiller d'Étal fut procureur général d'une chambre de justice instituée, en 1631, pour poursuivre les financiers, et siégeant à TArsenaP. Du côté maternel, Nicolas Fouquet descendait d'une ancienne famille parlementaire, celle des Maupeou, qui a obtenu, au dix-huitième siècle, une triste célébrité, mais qui n'était encore connue, au dix-septième siècle, que par des traditions de vertus domestiques. Marie Maupeou, mère des Fouquet dont nous nous occupons, contraste par la simplicité et la pureté de sa vie avec l'éclat et la corruption de ses fils. Tandis qu'ils abu- saient des plus hautes dignités pour y étaler leur faste et leure vices, elle prodiguait des secours aux misères qu'avait multipliées la Fronde. Il ne faut pas oublier, en effet, que pendant celte époque si agitée par les fac- tions, on vit se déployer, à côté d'effroyables souf- frances, une ardente charité, féconde en établissements de bienfaisance. C'est aloi*s que saint Vincent de Paul, que Ton appelait M. Vincent de la Mission, établit à Saint-Lazare des prêtres chargés de prêcher l'Évangile dans les campagnes et institua les sœurs de la Charité. Il fut secondé par madame Legras (Louise de Marillac), veuve d'un secrétaire des commandements de Marie de Médicis et première supérieure de ces sœurs de la Cha- rité ou sœurs grises, qui ne tardèrent pas à se répandre dans toute la France pour soigner les malades et in- struire les jeunes filles pauvres. Madame de Miramion, si connue par l'audacieuse tentative deBussy-Rabutin,

' Ce fait est oonslatû par les papiers des d'Argeuisoni cités plus haut.

4 MÈMUIKES

fonda, vers le niènie temps, la maison de Sainte-Pélagie, qui offrait un asile aux femmes et aux filles perverties. Marie Maupeou a sa place parmi ces saintes femmes, qui se dévouaient au soulagement de la misère et de la souf- france. Elle ne donna à ses fils que des exemples de vertu, qui malheureusement furent peu suivis.

Dou^e enfants, six fils et six filles, naquirent du ma- riage de François Fouquet et de Marie Maupeou. Toutes les filles furent religieuses. Des six fils, trois furent d'é- glise, deux de robe, et un troisième d*épée. L'aîné, François Fouquet, devint archevêque de Narbonne et survécut à la disgrâce du surintendant. Le second, Ba- sile Fouquet, est connu sous le nom d'abbé Fouquet , parce qu'il était abbé commendataire de Barbeau ^ Le troisième fut le surintendant, Nicolas Fouquet, qui dé- buta par des fonctions de magistrature. Le quatrième, Yves, appartenait aussi à la robe; il eut une charge de conseiller au parlement de Paris; mais il mourut jeune et sans postérité. Le cinquième, Louis, entra dans rÉglisc et fut, dans la suite, évoque d'Agde. Enfin, le sixième, Gilles, fut premier écuyer de la petite écurie du roi et s'allia à la noble famille des marquis d'Au- mont. Ces détails seront utiles pour suivre les vicissi- tudes de la famille Fou(iuet, et comprendre la biogra- phie du surintendant : voilà pourquoi nous les avons rappelés dès le commencement de ces mémoires. Nicolas Fouquet, dont nous nous occupons spéciale-

Barbeau, Bar!)ol ou Barbeaux (départcincnl de Seine-et-Marne), était une abbaye d'boinmes de l'ordre do Citeaux, qui valait 20,000 livres de rente.

SUR NICOLAS FOUQUET (leis-ie^o) 5

menl, entra dans la magistrature à vingt ans (1635), en qualité de maître des reqiuMes. C*étail précisément l'é- poque où Richelieu venait de donner une organisation fixe et permanente au corps des intendants * : tantôt ils accompagnaient les armées, avec mission de pourvoir aux approvisionnements, de rendre la justice et de sur- veiller la gestion financière; tantôt ils administraient une circonscription lerritoriale appelée généralité. Ni- colas Fouquel fut d'pbord nommé intendant de Tar- mée qui défendait la frontière septentrionale de la France*. L'année suivante, il administrait la généralité de Grenoble ; mais, à la suite d'une révolte qu'il n'avait su ni prévenir ni réprimer, il fut rappelé à Paris'. Maza- rin ne le laissa pas longtemps inacti'f : il avait apprécié l'esprit vif et souple du jeune magistrat, sa finesse pour pénétrer les hommes, ses grâces insinuanles pour se las concilier. Il espérait tirer parti, même de l'ambition de Nicolas Fouquet. En 1647, il l'attacha do nouveau, en qualité d'intendant, à l'armée que commandaient Gas- sion et Rantzau. Il nous reste, de la correspondance que Nicolas Fouquet entretint alors avec Mazarin, un rapport adressé par l'intendant au ministre sur quelques dés- ordres survenus dans l'armée*. 11 s'y montre plus in-

* On trouvera dans mon Histoire de r administration monarchique en France, (t. I, p. 291 cl suiv.), les détuils relatifs à Torganisation des intendants par Richelieu.

* Ce fait est établi par une lettre de Mazarin à Foucpiet en date du 15 jamier 1645.

* Journal d'Olimer d'Ormsson, t. I, p. 190, !2(M) et 201. Cet ouvrage fait partie de la collection dos Documents inédits relatifs à V histoire de France,

* Voy. ce rapport à l'Appendice

0 MEMOIRES

dulgent que sévère el disposé à tempérer la violence de Gassion. Ce fut encore Fouquet qui annonça au cardinal la mort de ce maréchal ^

Lorsque la Fronde éclata, en 1648, Nicolas Fouquet resta dévoué à Mazarin. Le cardinal le chargea, pendant la première guerre civile, d'approvisionner larmée royale. Mazarin écrivait sur ses carnets, en décembre 1648 •, au moment il prenait toutes les mesures pour assiéger Paris : « Envoyer Fouquet en Brie, avec ordre d'y Caire de grands magasins de blé pour la subsistance de l'armée. » On voit, en effet, Fouquet, établi à Lagny, lever des contributions de blé et d'avoine sur les paysans de la Brie et de l'Ile-de-France'. Il fut aussi chargé par Mazarin de percevoir des taxes sur les riches habitants de Paris, sous prélexle de sauver du feu leurs châteaux et leurs maisons de campagne ^ On a encore Tarrét du conseil du roi qui confiait celte périlleuse mission à Nico- las Fouquet, ainsi que le rôle des taxes, rédigé à la suite de l'arrêt '. Le Parlement s'émut de ces contributions forcées qui frappaient surtout les magistrats; il défendit de les payer, et enjoignit à Nicolas Fouquet d'apporter au greffe de la cour la commission qui lui ordonnait de

* Vov. la réponse de Mazarin à Nicolas Fouquet en date du 30 septembre 1647. '

* Carnet XI, fol. 85. Les carnets de Mazarin font partie des inanuscnts delà Bib. imp. F. Bnluze.

^Journal d'Olivier dOrmeuon, t. l, p. 080, 681. Yoy. aussi les lettres de Fouquet à Mazarin consenées aux archives des affaires étran- irêres, Fiukce^ t. (iXXIl.

* Journal d Olivier dVrmesson. Ibidem.

* Ces jiièces se trouvent dans le Choix de Mazarinades, publit^ par M. Morean poiu* la Socit^té d'hint. de France, t. I, p. 208.

SUR NICOLAS FOUQUET (isuv-ieso) . 7

les lever, sous peine d'interdiction de son office do maitre des requôtes*. La correspondance de Fouquet prouve que ces menaces ne Tintimidèrent point, et qu'il aima mieux obéir au roi qu'au parlement.

Son dévouement fut récompensé lorsque Mazarin eut triomphé de la Fronde parlementaire. Fouquet fut alors appelé à des fonctions analogues à celles d'intendant de rile-de-France *. Après l'arrestation des princes, en jan- vier 1650, il accompagna le roi, qui se rendit en Nor^ mandie pour prévenir la révolte que la duchesse de Longueville s'efforçait d'y exciter'^. Au retour des voyages de la cour, qui avait parcouru, après la Nor- mandie, la Bourgogne, le Poitou et la Guienne, Nicolas Fouquet acheta, avec l'agrément du cardinal Mazarin, la charge de procureur général au parlement de Paris. Les dates sont fixées par le passage suivant du Journal de Diibuisson-Aubenay : « Ce soir, 10 octobre 1650, M. le duc d'Orléans retourne de Limours à Paris, et M. Fouquet, maître des requêtes, le va prier pour l'a- gréer en la charge de procureur général, dont M. Mé- liand lui a fait sa démission, acceptée en cour, moyen- nant sa charge de maitre des requêtes, estimée plus de cinquante mille écus, par le fils dudit sieur Méliand, de longtemps conseiller en parlement, et cent mille écus

* Journal d'Olivier dVrmesson^ 1. 1, p. 081.

*llndem,^.SO\.

5 « Les sieurs Fouquet et de la Margruerie tous deux maislres des re- questcs, vont à la suite de la cour. » Journal de Dubuisêon-Aubenayy à la date du i*' février 1650. Voy. sur ce journal , ([ui fait partie des ma- nuscrits de la bibliotliëque Mazarine, mon Introduction en tète du pre- mier volume du Journal d'Olivier d'Ormeiuton.

8 MÉMOIRES

de plus en argent, desquels cent mille écus la reine a fait expédier un brevet de réserve, ou sûreté, audit sieur Fouquet, au cas qu'il vint à mourir dans ladite charge. » Ce fut le 28 novembre 1650, à la rentrée du parle- ment, que Nicolas Fouquet porla, pour la première fois, la parole-en qualité de procureur général*. Cette posi- tion lui donnait une haute influence dans un corps puis- sant et généralement hostile à Mazarin. Fouquet n'en usa que dans Tintérôt de son protecteur, auquel il se montra aussi fidèle dans la mauvaise fortune que dans les jours de prospérité. Il lui fallut une grande souplesse pour contenir et diriger une assemblée infatuée de ses privilèges, qui se croyait supérieure aux états géné- raux *, et qui joignait à l'administration de la justice le contrôle des affaires politiques et do^ attributions très- étendues et très-importantes en matière de police et de finances. Plus de deux cents magistrats siégeaient dans les huit chambres du parlement. Il y avait cinq cham- bres des enquêtes, composées généralement des jeunes conseillers; deux chambres des requêtes; et, enfin, la grand'chambre, qui était formée des plus anciens con- seillers ecclésiastiques et laïques, magistrats d'une ex- périence consommée et d'une grande autorité judiciaire. C'était que siégeaient les présidents h mortier. Les

' Môme journal, à la date du 1" dt^cembrc i650.

'^ « M. do Mesmcs a dit que les parlements tenoienl un ranjr au-des$nis des étals généraux, étant comme médiateurs entre le peuple et le roi. > Journal d'Olivier dVrmesson, 1. 1, p. 01)8. Le Journal de Dulntisson-Au- benay confirme ce fait : a lie président de Mesnies a dit que le parle- ment ne députe et n'assiste jamais aux états généraux, qtU lui sont in- férieurs. »

SUR NICOLAS FOUQUET Im^iaio) 9

membres du parlement n'étaient pas seulement inamo- vibles, ils étaient propriétaires de leurs charges. Lors- qu'ils avaient payé au trésor un droit nommé paillette y ils pouvaient les transmettre à leurs fils. Ainsi s'étaient for- mées les familles parlementaires qui ont été l'honneur de l'ancienne magistrature. Les noms des Mole, des Potier, des Talon, desLamoignon, desdeHarlay, des deMesmes, réveillent des idées de science, de vertu et de courage civil ; mais Tunion de ces magistrats pouvait devenir redoutable à la royauté. La vaste circonscription ter- ritoriale qu*embrassait le parlement de Paris ajoutait encore à sa puissance. Sa juridiction comprenait l'Ile- de-France, la Picardie, l'Orléanais, la Touraine, l'Anjou, le Maine, le Poitou, l'Angoumois, la Champagne, le Bourbonnais, le Berry, le Lyonnais, le Forez, le Beaujo- lais et l'Auvergne ^

En 1650, le parlement de Paris avait à sa tôte le pre- mier président Mathieu Mole, qui est resté le type du magistrat honnête et ferme. Ce n'était pas, comme l'a dit le cardinal de Retz, un homme tout d'une pièce; Mathieu Mole avait beaucoup d'habileté politique et sa- vait parfaitement que les affaires de finance, de police, et, en général, de gouvernemeilt, ne se dirigent pas,* comme ladministration de la justice, d'après des maximes absolues. Il usait de tempéraments suivant les

* On peut consulter sur le parlement de Paris les Mémoires dVtner Talon et de Mathieu Mole, le Journal d'Olivier d'Ormesson, le Journal du parlement, V Histoire du temps, les Treize Parlements de France, par la Roche Flavin, les Éloges des premiers présidents du parlement de Paris, par l'Hennite, les Présidents à mortier du parlement de Paris. par Blanchard, etc.

10 51ËM01RES

circonstances, se ménageait entre la cour et le parle- ment, faisait entendre à la première des vérités hardies et un langage énergique sans rompre avec elle, et résistait aux entraînements factieux des jeunes conseil- lers, tout en maintenant Tautorité de sa compagnie. Toutefois, si Mathieu Mole n'avait eu que ce manège politique, il eût pu passer pour un homme habile, mais il n'eût jamais mérité la réputation de grand magistral que lui a confirmée la postérité. C'est à son courage pen- dant la Fronde qu'il a sa gloire. Un de ses adver- saires, le cardinal de Retz, Ta caractérisé en ces termes : « Si ce n'était pas une espèce de blasphème de dire qu'il y a quelqu'un dans notre siècle de plus intrépide que le grand Gustave et M. le Prince*, je dirais que c'a été M. Mole, premier président. »

Autour du premier président se groupaient d'autres magistrats éminents par l'esprit et par le caractère : le président Henri de Mesmes était un des principaux. 11 appartenait à une famille éminente, et son frère, Claude de Mesmes, comte d'Avaux, avait été un des négociateurs de la paix de Westphalie. Le cardinal de Retz, qui ne pardonnait pas au président de Mesmes de s'ùtre opposé à ce qu'il siégeât et eût voix délibéralivc dans le parle- ment, l'accuse de lâcheté devant le peuple, et de ser- vilité à l'égard de la cour ; il le montre tremblant comme la feuille en présence de l'émeute qui gronde aux portes du parlement. Mais dans des récils plus impartiaux et

' (iuslavtvAdolphc, roi do SiuhIo, cl I/)uis do BoiiH>on. prince de Coiidô.

SU^R NICOLAS FOUQUET (lois isso) Il

plus véridiques, le président deMesmes nous apparaît sous un tout autre aspect. A la journée des barricades, lorsque le peuple entoure, avec des cris de fureur, le parlement, qui ne ramène pas Broussel, et veut le forcer à rentrer dans le Palais-Royal, Henri de Mesmes ne s*(»n- fuit pas comme d'autres membres du parlement ; il reste auprès de Mathieu MoIé ^ il le conseille, le dirige même au moment du danger. Inaccessible aux séductions du pouvoir •, dont il blâme sévèrement les excès', honnête et ferme, il marche, comme le premier président, dans un sentier étroit et difficile, entre les Mazarins et les •Frondeurs. Il s'élève avec une indignation éloquente contre le coadjuteur Paul de Gondi et les généraux de la Fronde, qui repoussent le héraut d'armes envoyé par le roi, et reçoivent un prétendu ambassadeur de l'ar- chiduc Léopold \ Il ne tremble pas comme la feuille en présence de la populace qui pousse des cris de mort ; au contraire, loi*sque le coadjuteur et le duc de Beau- fort refusent d'aller apaiser ce peuple qu'ils ont soulevé et dont peut-être ils ne sont plus maîtres, le président de Mesmes veut affronter le danger et présenter sa poi- trine aux coups des séditieux *. Prudence, habileté, courage civil, amour du devoir et du bien public, telles sont les qualités par lesquelles brille ce magistrat.

Le parquet, ou, comme on disait alors, les gens du rot, se distinguaient aussi par le talent et les vertus. Le

Journal éTOlivier d'Ormessan, t. ï, p. 563, 666. « llndem, p. 433.

'* IMdem, p. 439, 410.

* Ibidem, p. 673 et 676, texte et notes. 5 llfidem, p. 708, 709 et 710,

13 UEMOIUES

parquet comprenait, outre le procureur général et son substitut, deux avocats généraux. Il suffira de citer les noms d'Omer Talon et de Jérôme Bignon, qui remplis- saient alors les fonctions d'avocats généraux, pour rap- peler Téloquence parlementaire dans tout son éclat, aussi bien que Tintégrité et la science de l'ancienne ma- gistrature. Ces avocats généraux savaient, comme Ma- thieu Mole, défendre les privilèges du parlement, et cependant ménager l'autorité royale, tout en lui faisant entendre d'utiles conseils. Nicolas Fouquet, que ses fonc- tions de procureur général plaçaient au-dessus des avocats généraux, était loin d'avoir dans le parlement la même* autorité que les Talon et les Bignon. Plus homme d'af- faires que de robe, d'un génie souple et fécond en expé- dients, sans principes bien arrêtés, il convenait mieux à Mazarin que d'anciens et austères magistrats. Mais il lui fallut du temps, de la souplesse et des manœuvres ha- biles pour se faire des partisans dans ce grand corps, dont tous les membres n'étaient pas des Mole et des Talon. Il y avait bien des misères et des bassesses ca- chées sous la robe parlementaire : nous en aurons plus d'une fois la preuve. Ceux mêmes qui étaient sincères dans leur opposition à la cour manquaient souvent de lumières et d'intelligence politique.

Le type des magistrats populaires, qu'on appelait alors les pères de la patrie^ était Pierre Broussel, homme honnête et simple, qui, dans la bonté de son cœur, trouvait des mouvements d'éloquence sympathiques au peuple; mais il n'avait aucune expérience des afiaires politiques, et était persuadé que l'intérêt de la France

suit NICOLAS FOUQUET (icis-i ao 13

exigeait des déclamations violentes et continuelles contre la cour et les traitants. Dans les premiers temps de la Fronde, Broussel fut le héros du peuple. Ce fut au cri de vive Broussel ! que s'élevèrent les barricades, et son retour dans Paris fut un triomplie ; mais le vide de ce tribun ne tarda pas à paraître. Retz, qui le faisait agir, s'en moquait. Peu à peu les factions s'en firent un jouet. Les partisans de la paix lui soufRaient leurs con- seils pacifiques par son neveu Boucherat*. Le bon- homme, comme l'appellent les mémoires du temps, en vint à ne plus comprendre ses avis ', et à voter contre la Fronde en croyant la soutenir. Bien d'autres ora-^ teurs parlementaires donnaient le triste spectacle de déclamations la violence le disputait au ridicule.

Lorsque l'on veut se faire une idée de Tinfatuation et de l'aveuglement du parlement à cette époque, il faut lire les pamphlets qui furent inspirés par les passions de ce corps. Je me bornerai à citer quelques extraits de l'Histoire du temps ^^ un des principaux ouvrages com- posés en rhonneurdu parlement. L'auteur débute ainsi : « La France, opprimée par la violence du ministère, rendait les derniers soupirs lorsque les compagnies sou- veraines \ animées par le seul intérêt public, firent un dernier effort pour reprendre rautorilé légitime que la

« Journal d'Olivier d'Ommon, t. L p. 6CJ.

^Ibidem, p. 719 et 720.

^ Vûici le titre complet : Histoire du temps, ou tféritable rédt de ce qui s est passé dam le parlement depuis le mois d'août 1647 jusques au mais de novembre 1648 (Paris, 1649). Cet ouvrage a été attribué à un conseiller au Parlement nommé Portail.

n y avait à Paris trois cours souveraines, outre le parlement, savoir : la Chambre des comptes, la Cour des aides et le Grand Conseil.

Il MÉMOIRES

même violence leur avait fait perdre depuis quelques années. » Après une énuméralion des griefs de la na- tion contre le cardinal Mazarin, lauteur rappelle les premiers troubles de la Fronde et le commencement de l'opposition du parlement. Cette assemblée est, à ses yeux, un véritable sénat romain, qui repousse avec indi- gnation les faveurs de la royauté, lorsqu'elle tente de séparer le parlement des autres cours souveraines, en l'exemptant de Timpdt que devaient payer les magistrats pour avoir la propriété de leurs charges. « Messieurs* de la Grand'Chambre dirent qu'ils ne croyaient pas qu'il y eût personne dans la compagnie qui eût été si lâche de s'assembler tant de fois pour son intérêt particulier, et que c'était le mal général du royaume qui les affligeait sensiblement et qui les avait portés à faire aujourd'hui un dernier effort, et partant, si leur dessein demeurait imparfait, ils n'avaient qu'à abandonner leui-s personnes en proie à leurs ennemis, aussi bien que leurs fortunes particulières ; que l'intérêt de leurs charges n'était point à présent considérable, et que si, dans cette occasion, ils en désiraient maintenir l'autorité, ce n'était pas pour leur utilité particulière, mais plutôt pour l'avantage pu- blic*. »

Après la Grand'Chambre, Tauteur nous montre -les Enquêtes « opinant avec autant de confiance et de liberté que faisaient autrefois les sénateurs dans l'an- cienne Rome. Les désordres de l'Étal, les voleries, la corruption et l'anéantissement des lois les plus saintes

^ Uiêlaire du Umpê, p. 81-89.

SUR NICOLAS FOUQUET (teis-teso) 15

et les plus inviolables, tout cela fut magnifiquement ex- pliqué ^ » Broussel est le héros de cet écrivain, comme il était l'idole du peuple. Lorsqu'il arrive à l'arrestation de ce conseiller dans la journée du 26 août 1648, This- torien s'exalte et apostrophe emphatiquement le lec- teur : « C'est ici, cher lecteur, que tu dois suspendre et arrêter ton esprit ; c'est sur ce héros que tu dois jeter les yeux. Il est beaucoup plus illustre que ceux de l'an- tiquité, quand même tu prendrais pour vérités les fables qu'on a inventées pour les rendre plus célèbres. » On ne s'étonne plus, après cette apothéose de Broussel, de voir le Parlement transformé en Hercule, qui a terrassé « les monstres qui se repaissent du sang des peuples et de leur substance. »

Entre les parlements, trop souvent égarés par la pas- sion, et l'habile politique de Mazarin, les esprits fins et pénétrants comme Fouquet ne pouvaient pas hési- ter. Mazarin, depuis son entrée au ministère, avait suivi les traces de Richelieu et continué ses succès. En quel- ques années, il avait obtenu de brillants résultats : la maison d'Autriche avait été vaincue à Rpcroi, Fribourg, Nordlingen et Lens. Turenne menaçait l'Empereur jus- que dans ses États héréditaires. Le Roussillon, l'Artois et l'Alsace conquis, le Portugal délivré, la Cat^dogne envahie, la Suède triomphante, la Hongrie détachée de l'Autriche, l'Italie secouant le joug de l'Espagne, enfin l'Empire triomphant de l'Empereur, tels étaient les fruits de cette glorieuse politique. Mazarin aurait voulu assurer à la France ses limites naturelles. Ou en trouve

' Watoire du tempe, p. 83.

16 IIEMOIUES

la preuve dans les instructions qu il donna aux négocia- teurs français et aux intendants des armées. « L'acquisi- tion des Pays-Bas, écrivait-il aux plénipotentiaires fran- çais do Munster *, formerait à la ville de Paris un boulevard inexpugnable, et ce serait alors véritablement que Ton pourrait l'appeler le cœur de la France, et qu'il serait placé dans l'endroit le plus sûr du royaume. L'on en aurait étendu la fix)ntiere jusqu'à la Hollande, et, du côté de l'Allemagne, qui est celui d'où l'on peut aussi beaucoup craindre, jusqu'au Rhin, par la rétention de la Lorraine et de T Alsace, et par la possession du Luxem- bourg et de la comté de Bourgogne (Franche-Comté) . » En môme temps Mazarin voulait assurer à la France la barrière des Alpes par l'acquisition de la Savoie et du comté de Nice*.

La réalisation de ces vastes desseins ne pouvait s'ac- complir sans des sacrifices pécuniaires qui excitaient les murmures de la nation. Mazarin, qui connaissait peu les détails de l'administration intérieure, avait con- fié le maniement des finances à un Italien, Particelli Emery, ministre fécond en inventions fiscales, entouré de partisans avides, qui pressuraient le peuple et éta- laient un faste insolent. Quiconque a parcouru les mé- moires de la Fronde connaît les Montauron, lesBordier, les La Ilailliére, les Bretonvilliers et tant d'autres trai- tants', qui étaient les grands spéculateur de cette

* Négociations relatives à la succession d'Espagne par M. Migiict, 1. 1, p. 178.

Voy. les preuves de dernier projet à TAppendice.

^ Voy. le Catalogue des partisans dans le Choix des Mazarinades, pu- blTé par la Société d'histoire de France, I. I, p. 113.

SUR NICOLAS FOUQUET vicis-ieso; 17

époque. Ils prenaient à ferme les iiTip(Ms el en détour- naient une partie considérable à leur profit. On conçoit que des magistrats honnêtes se soient indignés de ces vols et aient tenté de les réprimer; mais, dans leur zèle aveugle, ils allaient jusqu'à priver l'État des ressources sans lesquelles il ne pouvait continuer la lutte glorieuse qu'il soutenait contre la maison d'Autriche, et assurer le succès des négociations de Munster. C'est surtout à la Fronde qu'il faut allrihuer le résultat incomplet du congrès de Westphalie et la continuation de la guerre contre l'Espagne.

Rien ne nous porle à ci'oire que Kicolas Fouquet ait hésité entre Mazarin et le parlement, el qu'il se soit déterminé à s'attacher au cai'dinal par des considérations générales d'intérêt public. Il est plus probable que cet homme d'un esprit vif et facile, mais avide de pouvoir et de richesses, peu délicat d'ailleurs sur les moyens, n'éprouva aucun scrupule en se donnant à un minislit» qui tenait surtout h trouver des agents dociles et fé- conds en ressources. Sans nous faire illusion sur les causes qui déterminèrent le procuieur général à s'at- tacher à Mazarin, nous ne pouvons qu'a])plaudir à la fidélité avec laquelle il le servit dans la mauvaise comme dans la bonne fortune.

CHAI'ITnE II

Mazariii sort de France (mai's 1651) ; son décourajceniout. Servicosi que lui l'cndirenl en celte circonstance Nicolas et Basile Fouquet. Caractère de vx* dernier. Il brave les dangci*s iK)ur se rcndi^e prt's du cardinal '^avril-mai 1651). Le pi*ocuivur général, Nicolas Fouquet, s'oppose à la saisie des nuîuMes de Mazarin. Efforts des Fouquet. |M)ur rompre la coalition des deux Frondes. l^ y réussissent (juin 1051). Tentatives pour gagner à la cause d<» Mazarin quelques membres du parllMuent. Négociations de l'abbé Fouquet avin: le duc de Bouillon et Turenne son frère , qui se rallient à la cause myale (décembre 1651). Mazarin rentre en France et rejoint la cour (jan- vier 1652). Turenne prend le conunandement de >on armée (février 1652). Dispositions de la bourgeoisie dillfTentcs de celles du parle- ment. — Inlluence des renliei-s dans Paris. Rôle du coadjuteur Paul de Gondi ; il est uonmié cardinal (février 1652). Efforts inu- tiles de l'abbé Fouquet pour gagner Gaston d'Orléans. Négocia- tions avec Cbavigny. Importance du nMe de ce dernier pendant la Fronde.

Au commencement de l'année 1(551, Mazarin sem- blait perdu. Le pari i de l'ancienne Fronde s'était uni avec la faction des princes et avait contraint le cardinal à s*exiler. Mazarin fut loin de montrer, dans ces cir- constances, la décision et l'habileté dont quelques écri- vains modernes lui font honneur. Ils supposent que le cardinal, contraint de qnitUir le pouvoir et de s'éloign(»r de la coui', alla délivrei* le prince de Condé, alors en-

MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET lesi-icM' 19

fermiyau Havre, pour le lancer au milieu des factions comme un brandon de discorde, et qu'après cet acte audacieux il sortit tranquillement de France et laissa les deux Frondes se détruire mutuellement, bien sûr de proliter de leurs fautes et d'asseoir solidement son au- torité sur les ruines des (actions. Les lettres de Mazarin sont loin de nous le montrer aussi ferme dans sa poli- tique et aussi confiant dans l'avenir. Il semble, au con- traire, avoir perdu courage ; il se plaint de ses amis et de ses serviteurs les plus dévoués : de Le Tellier, de Servien, de de Lyonne. 11 doute même de la reine, et se croit obligé d adressera Brienne une longue apologie de son ministère ^

Au moment Mazarin semblait s'abandonner lui- mémo, le procureur général et son frère l'abbé Fouquet ne cessaient de soutenir son parti, le premier avec une prudente habileté, le second avec une ardeur et une décision qui contribuèrent puissamment à relever le courage du cardinal.

Basile Fouquet, que nous voyons paraître ici comme un des principaux agents de Mazarin, avait été destiné à l'état ecclésiastique; mais il ne fut jamais prêtre, et le litre d'abbé, qui est resté attachée son nom, indique simplement qu'il avait obtenu des bénéfices d'Église, dont il touchait le revenu, sans remplir aucune fonc- tion sacerdotale. Activité, souplesse d'esprit, fécondité de ressources, intrépidité dans la lutte, zèle et ardeur

' Oii trouvera la preuve de toutes ces assertions dans la correspon- dance du cardinal Mazarin, qui doit faire partie de la collection de>* Documents inédilB relatifs à Itlittoire de France.

20 MÉMOIRES

poussés jusqu'à la lémérilé, telles furent les qualités que déploya d'aboi'd l'abbé Fouquet. Après la victoire, ses vices apparurent et le rendirent odieux ; ambitieux, avide, insolent, s'abandonnanl aux plaisirs avec une scandaleuse (effronterie, il provoqua la haine publique et contribua à la chute de son frère. Mais nous ne sommes encore qu'à l'époque il servit Mazarin avec un zèle ardent et s'en lit un protecteur qui, jusqu'à sa mort, couvrit les vices de Tabbé de sa toute-puissante amitié.

Mazarin avait quitté la France, en mar*s 1651. Dès le mois d'avril, l'abbé Fouquet se rendait près de lui, chargé des promesses et des conseils de ses amis ; il tra- versait, pour parvenir jusqu'au cardinal, les postes des frondeurs et bravait tous les périls. « J'ai su, lui écri- vait Mazarin^ le danger que vous aviez couru. Je serai toujours ravi de vous voir; mais, au nom de Dieu, ne vous exposez plus à de semblables hasards. Vous eûtes grand tort de vous séparer de la troupe; il n'importait pas d'arriver deux jours plus tut ou plus tard, pourvu que vous le fissiez en sûreté. » Dans cette même lettre, le cardinal ex[)rimait sa recomiaissance pour Nicolas Fouquet, qui, en sa (pialité de procureur général, avait fait lever l'arrêt de saisie de ses meubles : « Je remercie de tout mon -cœur le procurem* général, touchant la main-levée de la saisie. Je n'en serai jamais ingrat. Je le prie de continu(îr ; car je n'ai qui que ce soit qui me donne aucun secours, et, faute de cela, l'innocence

* I.cltre du cardinal Mazarin à TablH* Fouquet, eu date du 10 ma 1051.

sua NICOLAS FOUQUET (i651-imî; 2|

court grand risque d\Hre opprimée. Si le procureur général croyait qu'il fallût faire quelque présent à quel- qu'un qui soil capable de fairo quelque chose à mon avantage, j'en suis d'accord, et vous en pourrez parler àdeLyonne*, qui donnera là-dessus des ordres. »

I/abbé Fouquet avait [rouvé le cardinal découragé; Mazarin critiquait avec îimerlume tout ce que Ton avait fait depuis son dépari et surtout l'échange des gouvernements qui assurait a Condé de si grands avantages. En effet, ce prince venait d'obtenir pour lui le gouvernement de Guienne, qui le mettait en relation avec l'Espagne, et pour son frère, le prince de Conti, la Provence, qui était en communiciition par terre et par mer avec la Savoie, la Sardaigne, Naples et le duché de Milan'. On avait laissé à" Condé, en Bour- gogne et en Champagne, des places fortes d'une grande importance. Ses partist\ns étaient pourvus de gouverne- ments dans le centre du royaume : Damville^ avait le Limousin; Montausier, l'Angoumois et la Saintonge; le duc de Rohan, TAnjou; Henri de Gramont, comte de Toulongeon, le Béarn*,ctc. Ainsi, le prince de Condé devenait, par lui ou par ses amis, maître d'une grande partie du royaume. Chavigny, un des plus dangereux adversaires de Mazarin, rentrait au ministère. En un

* llugiicsdc Lyonno était secrétaire du cardinal. W fut. apn's sa mort, secrétaire d'État chargé des affaires éliangêres de KMil à 1()7i, époque de sa mort. .

* I>ettre de Mazarin à Hugues de Lyonne (mai 1051) dans le rwueil des Jjettres du cardinal Mazarin, publié par M. Ravenel pour la Socit'té d'histoire de France, p. 69.

* François-Christophe de Lévis, duc de Damville.

* Lettre de Mazaiin à de Lyonne, //>/(/., p. 70.

n MEMOIUES

mot, le cardinal voyait ses ennemis s'élever au plus haut point de la puissance, pendant qu'on le laissait dans l'oubli.

L'abbé Fouquet, qui avait plus de zèle que de pru- dence, ne manqua pas de rapporter à de Lyonne les plaintes du cardinal; il paraît même qu'il les exagéra, si l'on en croit une lettre de Mazarin en date du 18 mai^ : « Vous avez tiré de l'abbé Fouquet, écrivait le cardinal à de Lyonne, beaucoup de choses que je n'ai pas dites, et, le croyant homme d'honneur, je m'as- sure qu'il tombera d'accord de la vérité. Il a pourtant eu tort de vous rapporter mémo ce que je lui dis en parti- culier et justement ému comme j'étais, reconnaissant que son voyage n'avait pour but que de retirer de moi ce qui était nécessdire pour achever votre affaire, et que l'on était fort en repos du mauvais état des miennes. M. Fouquet a eu d'autant plus de tort que je le priai de ne le faire pas, et qu'il me le promit; mais n'importe. Je suis bien aise que vous ayez su tout ce que j'avais sur le cœur. » Ces derniers mots prouvent que, si l'abbé Fouquet avait été indiscret en dévoilant les pensées se- crètes et intimes de Mazarin, il n'avait guère altéré la vérité. Du reste, cette impétuosité de caractère, qui lui lit commettre tant de fautes par la suite, était la source de ses qualités. 11 contirma de servir le cardinal avec la môme ardeur, mais en la tempérant par plus de circon-* spection ,

De concert avec le procureur général, son frère,

* Lettre de Mazarin à de Lyonne. i!/id., p 81.

SUR NICOLAS FOUQUET (icsi-iest) 23

l'abbé Fouquet ne négligea rien pour gagner des par- tisans à Mazarin et surtout pour rompre le faisceau re- doutable que formaient le parti des princes et la vieille Fronde réunis. A la tète de celle-ci était le coadjuteur de Tarchevéque de Paris, Paul de Gondi, si connu par son ambition et par ses intrigues. Il élait blessé de la liauteur du prince de Condé et des petits maîtres\ qui composaient la nouvelle Fronde. L abbé Fouquet sut habilement envenimer les haines. Il fit agir près du

coadjuteur une des héroïnes do la vieille Fronde, la du- chesse de Chevreuse, qui ne pouvait pardonner au prince de Condé d'avoir rompu le mariage projeté de sa fille, Charlotte de Lorraine, avec le prince de Conli. Les ressentiments de la duchesse de Chevreuse furent adroitement aigris par l'abbé Fouquet, et cette femme hautaine et ambitieuse, implacable dans ses haines, parvint à briser le lien qui unissait les ennemis de Ma- zarin et qui faisait leur force. C'était .là un service ca- pital, et le cardinal, du fond de son exil, chargea Fabbé Fouquet d'en témoigner sa reconnaissance à la du- chesse * : « Je vous prie de remercier de la bonne ma- nière la dame qui a déclaré ce que vous me mandez à M. le coadjuteur, et de lui dire qu'en quelque lieu et for- lune que je puisse être, je serai son trés-humble servi- teur. » Mazarin tint parole à la duchesse de Chevreuse,

' On sait que l'on désignait sous ce nom los Boiilcvillc, les Chabot, les Jarzé, etc., en un mot toute la jeunesse brillante et insolente qui faisait cortège au iirince de Condé et imitait ses vices plus encore que son cou- rage.

* Lettre de Mazarin à Tabbê Fouquet en date du 18 juin i051.

U MEMOIUES

qui, de son côté, se montra aussi fidùle dans ses alla- chemcnls qu'ardente dans ses haines.

Le procureur général et son frère réussirent à gagner à Mazarin quelques pailisans dans le parlement de Paris. L'avocat général. Orner Talon, qui y avait une grande autorité comme magistrat et comme orateur, se rallia au parti du cardinal. « Je vous prie, écrivait Mazarin à Tabbé Fouquet*, de remercier Talon de ma part, n'y ayant rien de si agréable (jue la manière dont il se conduit i\ mon égard. » Le concours de ce magisiral servit puis- samment la politique de Nicolas Fouquet, qui, en prtv sence d'une compagnie hostile au cardinal, était obligé à des ménagements et à des précautions infinies.

Son frère, au contraire, marchait hardiment dans sa voie et bravait les ennemis que lui suscitait l'ardeur de son zèle pour le cardinal. Mazarin se crut obligé de lui recommander la prudence. « Au nom de Dieu, lui écri- vai(-il *, ménagez-vous davantage; car je serais au dés- espoir, si, à cause de moi, il vous arrivait la moindre chose qui vous fut préjudiciabh». » Mais la modération n'était pas dans la nature de l'abbé Fouquet. 11 ne ces- sait de souffler la discorde entre les deux Frondes et de susciter des advei*saires au prince de Condé. Plus accou- tumé aux luttes des champs de bataille qu'aux attaques parlementaires, le prince finit par se hisser de cette guerre de la Grand'Chambre, l'audace du coadjuteur, soutenue de l'astuce dos Fouquet et de bon noml)re d'épées, balanç-ait sa fortune. Il sortit de Paris (sep-

« IxMtrc du i juillet 1051.

* LeUrc do Mazarin à l'aljljr Fouquc! en date du 15 aoiV 1651 .

SUU NICOLAS FOUQUET (lesi-iftst 25

tembre 1651) el alla chercher dans les provinces un champ de bataille qni convenait mieux à son génie.

Ainsi la rupture des deux Froîides était consommée. Il s'agissait maintenant de gagner dans la bourgeoisie et l'armée les hommes les plus influents, afin de préparer le retour et la domination de Mazarin dans Paris. Ce fut encore en grande parlie l'œuvre de Nicolas et de Basile Fouquet. Ils s'assurèrent, par l'influence de madame de Brégy*, du maréchal de rilôpital, gouverneur de Paris*, et s'efforcèrent d'attirer au parti du cardinal le premier président Mathieu Mole et son fils, le président de Champlàtreux', qui avaient longtemps soutenu la c^use du prince de Condé. Ils y réussirent complète- ment, et, dans la suite, ces magistrats firent partie du parlement de Pontoise, que la cour opposa au parle- ment de Paris. De toutes les conquêtes, ménagées par les habiles négociations des deux frères, la plus impor- tante de beaucoup fut celle qui donna à Mazarin et au roi le duc de Bouillon et son frère le maréchal de Tu- renne. Elle coûta cher à la France. Les Bouillon ne s'étaient engagés dans la Fronde que pour obtenir une compensation de la principauté de Sedan, dont Biche- lieu les avait dépouillés. Le cardinal, qui connaissait l'esprit rusé et avide des princesde la maison de Bouillon , s'en défia jusqu'au dernier moment et chargea Tabbé Fouquet, comme son agent le plus habile, de sonder

* Charlotte Sauinaisc do Chazan, mariOc à Léonor de Flessollos. auiito de Brcjiry. Elle était femme de chambre de la reine

* Lettre de Mazarin à l'abbé Fouquet, en date du 15 décembre 1051. ' Ibidem.

W MÉMOIRES

leurs projets. « Je vous prie de reconnaître bien et dans le dernier secret, lui écrivait-il le 22 décembre 1651 , si je puis faire un état assuré de M. de Bouillon et de son frère. »

Mazarin revient avec beaucoup plus d'insistance sur le même sujet, dans une lettre du 26 décembre ; elle prouve qu'il tenait surtout à gagner le maréchal de Tu- renne, dont Tépée valait une armée entière. « Pour M. de Turenne, écrivait-il à TabbéFouquet, il sait les- time et la tendresse que j'ai eues pour lui, et il a appris de beaucoup d'endroits et de gens qui, encore qu'ils soient de mes amis, ne le voudraient pas tromper, que je suis toujours le même, nonobstant tout ce qui s'est passé, lalTectionquej'avaispourlui ayantjeté de trop profondes racines pour pouvoir être arrachée par de semblables accidents. J'ai écrit déjà fortement à la cour, afin qu l'on trouve moyen de ne pas laisser inutile un homme de sa considération, et j'espère qu'il sera satisfait sur ce point-là. Il est injuste de se plaindre de ce que j'ai préféré d'autres à lui pour la levée et le commande- ment des troupes qui m'accompagnent. Il peut bien croire que j'aurais tenu à beaucoup d'honneur et d'avan- tage qu'il eût voulu venir, ainsi que je l'en aurais con- juré, si j'eusse cru qu'il en eût eu la moindre pensée ; mais j'ai pensé que ce sérail trop de hardiesse et même impudence de m'adresser pour une affaire de cette na- ture à une personne avec qui je n'avais aucune liaison. Du reste, il voit l'état je suis. Si ma fortune devient meilleure, j'ose répondre qu'il s'en ressentim, étant ré- solu de chercher toutes les occasions de faire quelque

.SUR NICOLAS FOUQUET [lesi-iest- 27

chose de solide pour lui et de Tobliger par ce moyen à ('»lre de mes amis sans aucune réser\e. » Peu de temps après, le cardinal rentra en France (décembre 1651) à la tête d'une petite armée ; Turenne devait en prendre le commandement, mais il était encore retenu dans Paris, d'où il ne parvint à s'échapper qu a la lin de jan- vier 1652.

A la nouvelle de l'entrée de Mazarin en France, la fureur de ses ennemis éclata avec une violence qui ne connut plus de bornes. Le parlement mil sa tête à prix et ordonna de prélever sur la vente de sa bibliothèque la somme qui serait payée au meurtrier. Deux conseil- lers furent envoyés à Pont-sur-Yonne, pour l'arrêter; mais l'un prit la fuite, et l'autre, nommé Bitaut, fut fait prisonnier. Il faillit payer les folies des Frondeurs, (c J'avais résolu d'abord, écrivait Mazarin à l'abbé Fou- quet*, de renvoyer Bilaut généreusement; mais per- sonne ne s'est trouvé de cet avis, et tout le monde a conclu qu'on devait le retenir et lui insinuer que, si les diligences continuelles que font quantité de conseil- lers du parlement et autres, en suite du dernier arrêt, pour me faire assassiner, produisent seulement la moin- dre tentative contre ma vie, la sienne ne sera guère en sûreté et que je n'aurai pas assez de pouvoir pour retenir le zèle et la main de tant de personnes à qui ma con- servation est chère. Je serai bien aise, néanmoins, de savoir vos sentiments là-dessus. » Et plus loin : « 11 fau- drait aussi faire connaître adroitement à M. le président LcCoigneux et aux autres parents que Bitaut a dans le

Ldlrc du 11 janvier 1052.

% MÉMOIRES

parlement, qui sont en grand nombre, qu'ils ont grand intérêt de faire en sorte qu'on remédie à l'arrêt qui a été donné pour m'assassiner, à cause du risque que leur parent en peut courir. Il ne sera pas mal, à mon avis, de répandre le bruit que mes amis ne se pourront pas em- pécber de consigner de l'argent pour le donner à ceux qui entreprendront contre quantilé de conseillers du parlement ce qu'il a ordonné que l'on entreprendrait contre ma vie. Car, à vous dire le vrai, je vois les choses réduites en tels termes contre moi par les factieux du parlement, que le seul moyen de les accommoder et do les pousser à l'extrémité est de leur faire voir que je suis encore plus en état de leur faire du mal qu'eux (\e m'en causer. »

Tout en employant les menaces pour intimider le parlement, Mazarin faisait agir sous main le procureur général, Nicolas Fouquet, qui détachait de la Fronde quelques-uns des principaux membres de la magistra- ture. Ainsi le président de Novion, qui appartenait à la puissante famille des Potier, se déclara pour la cause royale'. Le président Perrot suivit son exemple. Le conseiller Ménardeau, qui s'était signalé dans la pre- mière Fronde par sa violence contre Mazarin, se montra un de ses partisans dévoués. Cependant la majorité des membres du parlement et surtout les jeunes conseillers des enquêtes étaient toujoui*s hostiles au cardinal. Il n'en était pas de même de la bourgeoisie.

* Voy. les Mémoires du cardinal de Betz, êdit. Cliarpcnlier, t. Hî, p. 509. Les assertions de RiMz sont coniinnées par les lettres de Ma- znrin à l'abbé Foucpiet.

SUH NICOLAS FOIIOUKT (lesi-icsi; 29

L'abbé Fouquet, de concert avec le prévôt des mar- chands, qui était le véritable chef de la bourgeoisie pa- risienne, parvint à gagner à la cause royale les princi- paux conseillers de l'Hôtel de Ville. Ce serait, du reste, une erreur de croire que cette assemblée ail partagé pendant la Fronde les passions du parlement. Tandis que les magistrats, dirigés surtout par l'intérêt person- nel, proscrivaient le cardinal, les rentiers, qui formaient une classe nombreuse et influente dans Paris, se voyaient menacés dans leur fortune et tentaient de résister à Ten- trainement des factions. Les Registres de rUôtel de Ville de Paris pendant la Fronde ^ attestent que les bourgeois qui composaient le conseil de la cité n'étaient pas dis- posés à courir les risques d'une guerre civile pour satis- faire l'ambition de quelques intrigants. 11 avait fallu, pour les entraîner dans la première lutte (1648-1649), avoir recoui*s à la terreur. Lorsqu'on 1649 le président de Novion se rendit à l'Hôtel de Ville pour y faire exé- cuter les ordres du Parlement, « il déclara à la com- pagnie qu'il fallait aller droit en besogne dans les affaires présentes et que le premier qui bronchei*ait serait jeté par les fenêtres*. » La bonne bourgeoisie, forcée de courber la tétc sous le joug, n'avait pas renoncé à ces sentiments de modération et n'attendait qu'une occa- sion pour les manifester. L'abbé Fouquet, qui connais- sait bien ses dispositions, insistait vivemefit auprès de

' Cet ouvrajyc, public par la Société de l'histoire de France, a été édile vi annoté par MM. Leroux rie Lincy et Douët d'Ai'cq.

negiêtres de l'Hôtel de Ville, t. I. p. 98. Le Journal d'Olivier dOr- me$son (t. I, p. 616) coniimic les détails donnés par les Uegistres de VUùtel de Ville, et trop souvent oubliés par les historiens de la Fronde.

50 MÉMOIRES

Mazarin pour que Ton ménageât cette classe honnête el pacifique et que l'on en fît un auxiliaire du pouvoir.

Le payement régulier des rentes (chose fort rarc à cette époque) devait contribuer phis qu'aucune autre mesure à gagner les Parisiens. Aussi Tabbé Fouquet s occupa-t-il tout spécialement de celte affaire : « Pour les rentes, lui écrivait Mazarin \ Sa Majesté donne plus de créance à ce que vous mandez de la part de madame de Chevreuse et de M. le coadjuleur qu'à toutes les autres letties qui sont venues de Paris, lesquellas, quoique de plus fraîche date, ne représentent pas 1 émo- tion des esprits aussi grande ni les affaii*es en si mauvais état que vous faites. Le roi a donc résolu de rétablir les choses comme elles étaient, et l'on envoie l'arrêt sur la mirmte que M. d'Aligre en a dressée. J'ai emporté la chose et je crois que vous ne manquerez pas de la bien faire valoir, atîn que j'en acquière qutJque mérite en- vers ceux qui y sont intéressés. » Et ailleui's : « Par les nouvelles que nous avons do Paris, il paraît que Ton a satisfaction de ce qui s'est fait touchant les rentes, el effectivement je n'omets aucuns soins pour empêcher que le payement n*en soit discontinué, dont il ne sera pas mauvais que Ton informe le public, comme vous avez déjà fait. »

Le peuple élait plus difficile à gagner que la bour- geoisie. L'homme qui en disposait réellement était Paul d(» Gondi. Il avait su, pendant la j)remiùre Fronde, tour à tour scmlever el contenir la populace, sur laquelle l(*s

* Lettre de Muzaiiii ù l'atjljc Fouquet, en date du 51 janvier 1G53.

SUU NICOLAS FOUOUKT Uesi-i^si 51

curés, qui lui étaient dévoués, exerçaient la plus grande influence. Depuis qu'il s était rallié à la cour, il lavait calmée, et en même temps avait arrêté la plume des pamphlétaires qu'il avait si longtemps employés à verser l'odieux et le ridicule sur Mazarifi. Le coadjuteur atten- dait la récompense des services qu'il venait de rendre à la cour et se tenait dans une prudente réserve. Le retour de Mazarin Tavait irrité; mais il n'osait éclater, tant qu'il n'aurait pas le chapeau de cardinal, qu'on lui avait promis. Mazarin cherchait à le retenir dans son parti, comme l'attestent ses lettres; mais, en môme temps, il lui demandait de donner des preuves de son dévoue- ment pour la cause royale : « II faut, disait-il dans une lettre à I*ahbé Fouquet, que M. le coadjuteur prenne des résolutions pour agir, et il me semble qu'ayant le roi de son côté, étant assuré que j'entreprendrai tout har- diment pour l'appuyer, avec quantité d'amis que lui et M. le surintendant (duc de la Vieuville) ont dans Paris, et agissant de concert avec le prévôt des marchands et M. le maréchal de l'Hôpital, qui est fort zélé pour le service du roi, il se peut mettre en état de rompre aisé- ment toutes les mesures des ennemis. »

En même temps, le cardinal lui envoyait de l'argent par l'abbé Fouquet; mais il voulait qu'il le distribuât dans les couvents et en œuvres charitables, afin de ga- gner le peuple. « Je vous ai déjà prié, écrivait-il à l'abbé Fouquet, d'avancer six mille livres pour les lits et autres dépenses de cette nature qu'il faudrait faire à Paris (ît dont vous tiJcherez d'obliger M. le coadjuteur à prendre la direction. Je vous adresserai au premier jour une

32 MËMOIUES

lettre de change payable à \ue, qui fera fonds pour em- ployer encore tant à distribuer dans les religions (cou- venls) que pour les autres dépenses que M. le coadju- teur jugera à propos de faire selon les conjectures, si on se remet à lui de faire parler par les voies qu'il jugera les meilleures au curé de Saiîil-Paul et aux autres per- sonnes qu'il croira capables de servir le roi. »

L'abbé Fouquet pressa, en effet, le cardinal de Retz de se déclarer, et il le lit avec une vivacité dont le car- dinal se plaint dans ses mémoires. Il n'y peint pas l'abbé vsous des couleurs favorables ^ : « Il était dans ce temps-là fort jeune; mais il avait un certain air d'emporté et de fou qui ne me revenait pas. Je le vis deux ou trois fois sur la brune, chez Lefévre de la Barre, qui était lils du prévôt des marchands et son ami, sous prétexte de con- » férer avec lui poui* rompre les cabales que M. le Prince faisait pour se reiKire maître du peuple. Noire commerce ne dura pas longttîmps, et parce que, de mon côté, j'en tirai d'abord les éclaircissements qui ju'étaient néces- saires, et parce que lui, du sien, se lassa bientôt de con- versations qui n'allaient à rien. Il voulait, dés le premier moment, que je fusse Mazmin sans réserve comme lui; il ne concevait pas qu'il fût à propt^s de garder des me- sures. »

Les lenteurs calculées du cardinal de Retz inspiraient de l'inquiétude à Mazarin. Il recevait des avis contre Paul deGondi, et, au milieu même de ses protestations d'amitié, on sent percer une certaine détîaîice. « Pour

Màimrem de Hetz, «•tlii. ChariMMiild', l. IV, j». i'2.

SUR NICOLAS FOUQUET (icsi-iwx) 55

M. le coadjuteur, écrivait-il encore à Tabbé Fouquel, je suis incapable de croire qu'il manque jamais à la moindre chose de ce qu'il a promis; et, de plus, quand ce sei^ait une personne qui se conduirait par le motif de ses inté- rêts particuliers, je connais fort bien qu'ils ne lui con- seilleraient pas le contraire, puisqu'il lui est sans doute bien plus avantageux d'être dans ceux de liCurs Majestés et dans une parfaite amitié avec moi que de consentir à un nouvel accommodement avec M. le Prince, lequel personne ne croit qu'il durât plus que les autres. Ces pourquoi, quelque chose que l'on me puisse mander au contraire, elle ne fera point d'impression, et je jugerai toujours favorablement de ses sentiments. »

Malgré ses déclarations, Mazarin était d'autant plus porté à la défiance envers le coadjuteur que lui-même montrait peu de sincérité dans sa conduite à son égard. 11 avait espéré paralyser ses disposions hostiles par la promesse du chapeau de cardinal, et, en même temps, il agissait à Rome pour empêcher le pape de le nommer*; mais les combinaisons de ce politique furent trompées. Le pape Innocent X, qui n'aimait pas Mazarin, saisit la première occasion de nommer Paul de Gondi cardinal. Ce fut le 19 février 1652 qu'eut lieu la proclamation, et dix jours après, le coadjuteur en recevait la nouvelle. Il se prétendit affranchi de toute reconnaissance envers le ministre qui, disait-il, avait chargé l'ambassadeur de France à Rome de s'opposer au dernier moment à sa nomination, et, au lieu de seconder franchement la cause

* Voy. les Mémoires du cardinal de Retz^ môme édit., t. UI, p. 322, 336, 338.

54 Mi^MOIUES

royale, il tenta de constituer un tiers parti, qui repous- sait également Mazarin et le prince de Condé. Le duc d'Orléans, Gîiston, devait en être le chef nominal*.

Ce prince, mobile dans ses affections, inconstant dans ses projets, et dont la faiblesse salit toute la vie, hésitait entre ses divers conseillers. La cour ne cessait de lui faire des avances*, et Tabbé Fouquel travaillait, par ordre de Mazarin, à gagner son entourage. Il finît par mettre dans les intérêts du cardinal La Mothe-Gou- las, secrétaire des commandements du prince, Choisy, son chancelier, la duchesse de Chevreuse, qui avait une grande influence sur Gaston d*Orléans, el même la femme de ce prince, Marguerite de LoiTaine*. Grùco aux efforts des familiers de Gaston, l'influence du coadjuteur sur le prince fut paralysée. La jalousie avait surtout prise sur le duc d'Orléans, et on ne manqua pas de l'aigrir contre le prince de Condé, en lui rappe- lant ses victoires et sa hauteur. Aussi, Mademoiselle, fille de Gaston, s'efîorça-t-elle vainement de Tentraîner à Orléans et à la tête des armées ; elle put à peine ob- tenir la permission d'aller elle-même défendre Tapanago de son père *. Tout ce qu'il fallut de souplesse el d'ha- bileté pour former, autour d'un prince ombrageux

* Voy. Mémoirendu cardinal de Retz, ibidem, p. 350.

* On trouve dans les lotiras do Mazarin dos détails sur les missions de lluvipny et de Damville, envoyés par la cour près du duc d'Oi-lôans. Le cardinal de Retz ]iarle longuement, dans ses Mémoires, drs efTorls du duc de Diunville pour entraîner Gaston.

* Lettres de Mazarin à l'ablié Fouquet, des mois de janvier el février 1G52.

* Voy. les Mémoires de mademoiaelle de Montpensier, édil. (^har|»tMi- lier, t. \i p. 545 et suiv.

SUR NICOLAS FOUQUET (ifsi-iest) 55

comme Gaston, un cercle d'intrigues mystérieusement lissucs et de plus en plus serrées, ne peut s'apprécier que par la lecture des lettres deMazarin. Outre le coad- juteur, il fallait combattre un des politiques les plus ha- biles de cette époque, le comte deChavigny. Ce person- nage travaillait alors à unir le duc d'Orléans et le prince de Condé, pour chasser de France le cardinal Mazarin. Comme Chavigny fut un des adversaires les plus ard«;nls et les plus habiles de ce ministre, il est nécessaire d'in- sister sur le rôle qu'il joua pendant la Fronde, Il faut, pour le retracer, revenir sur le passé et exposer des in- trigues qui se rattachent à l'histoire des premiers troubles.

CHAPITRE III

Rôle de Cbavigny pendant la Fronde : son ambition ; il est emprisonné, puis exile en iC48. Intrigii(*s de Chavipny et de Claude de Saint- Simon pour renverser Mazarin (16 i9). Erreur du duc de Saint-Simon, auteur des Mémoires, relativement aux relations de sou père avec Clia- vitrny. Claude de Saint-Simon cherche à s'appuyer sur le prince de Coudé pour enlever le pouvoir à Mazarin. Mémoire rédigé par Clia- vigny dans ce but. Mazarin parvient à déjouer les iutrijmes de ses ennemis. Arrestation et emprisonnement du prince de Coudé (iG50). Chavigiiy et Saint-Shnon s'éloignent de Paris.

Léon LeBouthillicr, comte de Chavigiiy, avait été un (les principaux secrétaires d'État sous Richelieu'. Le cardinal avait pour lui une bonté toute paternelle, qui excita plus d'une fois la verve satirique des courtisans. Chavigny avait été un des amis et des protecteurs de Mazarin, à l'époque ce dernier s'introduisit à la cour de France, et il croyait avoir des droits à sa reconnais- sance. Plus tard, il fut désigné par Louis XIII pour être un des membres inamovibles du conseil de régence ; mais, lorsque le parlement eut cassé le testament de

« Voy. la Correspondance, de Richelieu dans les Documents inédits rela- tifs à l'histoire de France. Un grand nombre de lettres de Richelieu sont adressées à Chavigny.

MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET 37

Louis XIII, Mazarin, qui redoutait Tambition de Cha- vigiiy, le rendit suspect à la reine et le tint dans une position secondaire. Chavigny n'avait alors que trente ans et n'était pas disposé à se contenter de ce rôle su- balterne, après avoir eu, sous le ministère de Riche- lieu, le maniement des affaires les plus importantes et les plus délicates : ambitieux avec les apparences du désintéressement et de la modération philoso- phique, incapable d'occuper le premier rang, et trop orgueilleux pour se contenter du second , il perdit, en misérables intrigues, d'heureuses et brillantes qua- lités.

Cependant, comme il joignait la prudence à l'ambi- tion, il dissimula quelque temps ses projets. Il crut le moment arrivé, en 1648; le parlement était menaçant, la bourgeoisie murmurait contre les impôts, le clergé était agité par le coadjuteur et les grands aspiraient à une révolution, dans Tespérance de ressaisir le pouvoir que leur avait enlevé Richelieu. En présence de ces dangers et au premier bruit des mouvements popu- laires, Chavigny, affectant un zèle ardent pour Tauto- rité royale, poussa aux mesures extrêmes. Ce fut lui surtout qui conseilla l'arrestation de Broussel et de quelques autres membres du parlement *. Ce coup d'Étal provoqua l'émeute connue sous le nom de Journée des barricades^ et la cour, passant de la colère à la peur, recula devant le parlement et rendit les prisonniers. Quant à Chavigny, dont la politique perfide n'avait pas

* Mazarin l'en acciisr formellemenl dans ses Carnets.

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échappé à Mazarin, il fut arrôté dans le château de Vîn- ccnnes*,dont il était gouverneur (septemhre 1648), puis transféré au Havre et enfin exilé dans une de ses terres loin de Paris.

Ce fut qu un autre ambitieux, également mécon- tent de la cour et impatient de son exil en Guienne, vint larracheràla modération philosophique dont Chavigny affectait de masquer ses regrets. Le duc de Saint-Simon, ancien favori de Louis XIII et son premier écuyer', avait été relégué, dés 1657, dans son gouvernement de Rlaye ; il avait vainement tenté de reprendre quelque influence après la mort de Richelieu, et s'était vu forcé de vivre loin de la cour, sans se résigner jamais à cette espèce d'exil . Il attendait du temps et des circonstances une occasion de se venger de Mazarin, et de reparaître avec éclat sur le théâtre de ses anciens succès. Attaché a la maison de Condé et sûr de Tappui de son chef, il se décida à quitter Rlaye et à se r(»ndre à la cour, lorsque la paix de Rueil (mars 1649) eut donné une nouvelle importance au prince vainqueur de la Fi'onde. Saint- Simon espérait devenir son conseiller intime et s'en servir pour renverser Mazarin. Chavigny, dont il con- naissait rexpérience et Thabileté, lui devait être un utile auxiliaire pour arriver à ses fins. Avant de partir de Rlaye pour se rendre à Paris, Saint-Simon lui écrivit une lettre datée du 51 mars 1649, dans laquelle se

* Voy. sur la coiuluito do Chaviprny on août ot soptombrc 1048, la note tl«» la pap:o584 du 1. 1 du Journal d'Olivier d'Ormesson.

* Claudo do Saint-Simon, dont il s'aj,Ml ici. os! lo p«TO do l'autour dos Mônioiros.

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trouve le passage suivant* . « Je n'ajouterai aucune chose aux fidèles assurances que je vous donnai, étant chez vous, de tous mes services. Je vous les répète de tout mon cœur, vous suppliant d'avoir pour agréable que j'en dise autant à madame votre femme avec tous les respects que je lui ai voués. »

Le ton de cette lettre et de celles que nous citerons plus loin donnent un démenti éclatant au duc de Saint- Simon, l'auteur des Mémoires si connus sur le règne de Louis XIV. Il prétend* qu'à la mort de Louis XIÎI, en 1645, Chavigny enleva, par une fraude indigne, la charge de grand écuyer à son père, Claude de Saint- Simon, pour la donner au comte d'Harcourt, « A cette nouvelle, ajoute-t-il, on peut juger de l'indignation de mon père; la reine lui étoittrop respectable, et Chavigny trop vil; il envoya appeler le comte d'ilarcourt.» Si l'on ajoutait foi à ces assertions, il faudrait admettre que le duc Claude de Saint-Simon rompit, dès 1643, toute espèce de relations avec un homme qu'il jugeait trop vil pour assouvir sur lui sa vengeance. Loin de là, nous le verrons, dans des lettres autographes écrites en 1649, traiter Chavigny de frère j et déclarer qu'il est à lui avec passion. Je n'insisterai pas davantage sur cette erreur manifeste du duc de Saint-Simon, l'auteur des Mé-

moires'.

Otte Icllre est autographe comme toulcs celles de Claude de Saint- Simon qui sont citées dans ce chapitre.

* Mémoires de Sami-Simon (édil. Hachette, in-8»), t. I, p 63.

'• Si l'on voulait rechercher une explication à ces praves erreurs de Saint-Simon, il faudrait d'abord reconnaître que l'iluteur des Mémoires n'a pas connu Chavigny. mort près (!e vinjft ans avant sa naissance, et

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Claude de Saint-Simon fil lentement le voyage Blaye a Paris, voulant laisser aux événements et aux hommes le soin de se dessiner. Une visita pas Chavigny, comme il en avait d'abord formé le projet; mais il ne cessait de lui réitérer, dans seslelli'cs, ses assurances de dévouement, a Vous honorant au point que je fais, lui écrivait-il le 22 juin 1649, je ne veux perdre aucune occasion de vous rendre mes services, et croyez, s'il vous plaît, qu'il y a en moi pour vous une passion bien fidèle, étant fort attaché à tous vos intérêts. » Dans la suite de cette lettre, Claude de Saint-Simon parle à Cha- vigny de son influence auprès du prince de Condé et lui promet d'en user en sa faveur. « J'ai tout accès au- près de M. le Prince, lui écrit-il, et je suis en posses- sion de lui parler fort librement de tout. Le temps nous sommes me fera prendre encore plus de liberté, et, s'il y a quelque chose à lui dire qui vous regarde ou autrement, préférez-moi à tout autre. Je vous promets grand secret; je brûle les billets, si vous n'aimez mieux

qu'tkîrivant longtemps après ers ôvôiioinciits. il ne les a racontés quo d'après les convei'sations de sou père. Ce denïier, (ïiii se vantait d'avoir rendu de grands services à Anne d'Autriche pendant la Fnnide (Voy. Blé- moires de Saint-Simon, tWrf.,:p. 7i et 7 5), fut cependant tenu jusqu'à la fin de sa vie dans inie sorte de disgi*àce : on avait saisi à la mort de Chavigny les lettres que Saint-Simon lui adi*essait, et elles furent mises sous les yeux de Mazarin, qui y était fort maltraité. De la disgrâce de Claude de Saint-Simon; de aussi probablement son ressentiment contre Chavi- gny, qu'il accusa d'avoir liMé ses lettres et qu'il traita comme un traître devant son (ils. L'auteur des Mémoires, infidèle en cela aux règles de cri- tique historique qu'il proclame bien haut, accepta sans discussion toutes les accusations de son père et les a consijinées dans ses écrits. Cet exemple seul suffirait pour prouver (ju'on ne doit œnsulter qu'avec beau- coup de ciixxinspection les Mt^moirett de Saini-Simon.

LR NICOLAS FOUQUET 41

que je les renvoie. Si vous avez agréable de m'envoyer un chiffre pour parler du monde sans nommer, cela me semblerait bien. En un mot, je vous conjure d'ordonner franchement sur le fondement que, si j'avais ïhojineiir (iêtre votre propre frère^ je ne pourrais pas être à vous phis passionnément que j'y suis. »

Arrivé à la cour, qui résidait alors à Compiégne (août 1649), le duc de Saint-Simon y trouva une ample matière pour exercer Tactivité de son esprit. Le prince de Condé, qui venait de réduire Paris révolté, se plai- gnait de l'ingratitude de la reine et du cardinal. De son côté, Mazarin, las de la hauteur et des prétentions du prince, se rapprochait de la maison de Vendôme, cher- chait à gagner le duc de Beaufort, un des membres les plus influents de celle famille, comblait de faveurs les duchesses de Montbazon et de Chevreuse, et négociait le mariage d'une de ses nièces, Laura Mancini, avec le duc de Mercœur, frère aîné du duc de Beaufort. Sainl-Simon ne tarda pas â être au courant de ces intrigues de cour, et il en rendait compte à Chavigny dans une lettre du i 4 août 1 649 :

« J'ai différé, lui disait-il, à vous écrire de ce monde- ci, à cause que les choses m'y paraissent assez incertaines et obscures pour embarrasser un gazelicr qui veut être fidèle et assuré. La résolution est prise, il y a déjà quel- ques jours, de ramener le roi à Paris ^ Ce n'a pas été sans peine que l'on y a fait consentir les plus intéressés, M. le Prince ayant employé toute sa force pour le per-

La cour rentra à Paris \o 18 août 164U.

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suader. C'est mercredi ou jeudi sans faute le jour du départ par le chemin de Scnlis. L on travaille encore pour faire venir M. de Beaufort ; mesdames de Montba2on et de Chevreuse y font les derniers efforts. Je tiens qu'ils ne seront pas inutiles et qu'il se laissera vaincre à la fin par les dames. La première a obtenu l'abbaye de Ven- dôme pour son fils, de six mille ecus de rente. L'autre a elé très-bien reçue et caressée de toute la cour jus- qu'au point que l'on croit dessein d'alliance de sa fille * avec le sieur de Mancini ; mais l'ûge est fort dispropor- tionné, et la fille y témoigne grande aversion. Madame la Princesse' est arrivée depuis deux jours, fort cares- sée en toutes manières. Le roi et la reine furent au- devant d'elles. La famille de Condé se réunit fort et par le mouvement du chef. »

Ce fut sur cette famille et sur son chef que Saint- Simon fonda ses principales espérances pour la ruine do Mazarin etTavénement dcChavignyau i)ouvoir. Il y tra- vailla avec une ardeur qui ne se démentit pas jusqu'à la catastrophe. En moins d'un mois, il avait fait de grands progrès, si Ton en croit la lettre suivante, qu'il adressait à Chavigny àla date du 6 septembre' : « Vous êtes h souhait dans la famille de M. le Prince, et, si ses désirs étaient suivis, votus seriez ou vous méritez^ dans la place oU je vous souhaite toujours. Cela peut impor-

* Mademoiselle de Che>Tense. dont il est souvent question dans les Mt'moires du cardinal de Retz.

'('Jaire-(îU*mencede Maillé-Drézê, fennne du prince (je Condé.

^ Dans cette lettre tous les noms sont indiqués par d»^ cliilTi*es;inais. C4Mnme le cliiffre est traduit, je me suis bomi' à donner la traduction.

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tuner un philosophe * ; mais je n ai pu m'en retenir. La plus grande nouvelle est le mariage de M. de Mercœur, conclu et arrêté avec la nièce aînée de M. le cardinal. Ce n'est pas une bagatelle, et vous Tavez toujours jugée chose importante. Aussi est-elle ressentie par M. le Prince ; il en est très-piqué, ayant fait entendre, il y a quelque temps, nettement son aversion à cette affaire. Le cardinal Mazarin est découvert pour le moindre des hommes, avec ses mauvaises qualités manifestes à un chacun, et il est méprisé au dernier degré*. Les plus sages sont persuadés de sa perte par diverses raisons; cela va au moins ou au plus de temps. Les tireurs d'ho- roscopes sont fort de cet avis. »

Chavigny, provoqué par les instances du duc de Saint- Simon, sortit enfin de cette indifférence philosophique, il affectait de s'enfermer. Il écrivit un manifeste, il résumait avec habileté et vigueur les principales ac- cusations contre la politique intérieure et extérieure du cardinal. Destiné à être communiqué à des hommes graves, ce document n'a nullement le ton grossier des pamphlets connus sous le nom de mazarinades; c'est une véritable accusation politique. Comme on voulait gagner des hommes sincèrement religieux, qui, sans rien entendre au gouvernement des États, n'avaient cessé de combattre Richelieu et Mazarin, Chavigny en- veloppa son attaque de formules dévoles. Il y montrait

On a déjà parlé de la modération philosophique qu'affectait Cha- vipiy.

Ccsletli^es ilc Claude Saint-Simon toml)èrcnt, comme je lai d/jà dit. entre les mains de Mazarin, e! c'est dans les papieiN du cardinal cpie j»* les ai trouvées.

44 MÉMOIRES

partout la main de la Providence, châtiant la France, et faisait de Mazarin un flrau de Dieu. On ne doit pas, d'ailleurs, oublier que Chavigny affectait une grande dévotion et était lié avec le parti janséniste. Je citerai quelques passages de ce manifeste, qui me paraît la plus sérieuse attaque qu'un contemporain ait dirigée contre le cardinal Mazarin. 11 commence ainsi :

« F^es maux qui sont à présent dans la France et la ruine épouvantable dans laquelle ils la vont plonger, selon toutes les apparences, ne me permettent pas de me taire, et je me sens obligé de rompre le silence que j'avais résolu de garder toute ma vie, parce qu'il me semble qu'il serait criminel, el que je trahirais ma pa- trie, si je ne l'avertissais du misérable état auquel elle est et si je ne lui découvrais tout ce que je connais de la grand(uir de son mal. Après que la reine eut violé le serment qu'elle avait fait sur les sainls Evangiles, en présence du parlement, des princes du sang et de tous les grands du royaume, d'observer exactement la vo- lonté du défunt n)i son mari portée par sa déclaration, et que le parlement même eut autorisé une si manifeste infidélité, que l'interprétation de quelques hypocrites ne peut jamaisexcuser devant Dieu ni devant les hommes qui ont tant soit peu d'honneur et d'intelligence, Dieu ne fit pas éclater la colère qu'un éclat si étrange lui de- vait avoir fait naître. Il réserva la punition qu'il en devait faire dans le temps, et elle n'interrompit point le cours de sa miséricorde dont la France ressentait les effet^s depuis longues années. 11 se servit de M. le Prince, encore jeune et sans expérience, pour nous

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faire gagner la bataille de Rocroi, dont on le doit nom- mer véritablement le Dieu, parceque, s'iln'eùt aveuglé les Espagnols, ils ne la pouvaient pas vraisemblable- ment perdre; il nous fit prendre Thionville presque en même temps, et, jusqu'en 1648, il nous a donné quan- tité d'autres avantages, sous la conduite de M. le Prince et de M. le duc d'Orléans, dont la cause apparemment doit être référée à la piété du roi Louis XIII, à qui Dieu continuait ses récompenses, ou à quelque autre cause qu'il ne nous est pas permis de pénétrer. »

Chavigny montre ensuite Mazarin s'emparant de la contîance de la reine, grâce aux intrigues de l'Anglais Montaigu, qui avait eu jadis le maniement des affaires du duc de Buckingham prés de cette princesse. Il re- présente le cardinal comme « un esprit inconstant et variable, timide, ambitieux, envieux, plein de soupçons et de défiances, sans ordre et sans régie jusque dans sa maison, voulant faire le métier de tout le monde, ne s appliquant dans le sien qu'aux choses qu'il ne devrait pas faire, sans secret, sans aucune fermeté ni fidélité pour ses amis, sans foi et sans parole, avare, pipeur dans le jeu, fripon jusque dans les moindres choses. » Apré^ cette sortie violente, il rappelle toutes les fautes du car- dinal : le gouvernement du Languedoc et de la citadelle de Montpellier donnés au duc d'Orléans, ceux de Cham- pagne et de Stenay au prince de Condé; sa conduite avec l'abbé de La Rivière, qu'il a comblé d'argent et de biens d'église; son manque de prévoyance #t d'habileté à l'époque de l'élection du pape Innocent X; ses fautes dans l'expédition d'Italie et pendant le siège d'Orbi-

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icllo ; enfin la mauvaise direction donnée aux négocia- tions pour la paix de Westphalie. Clmvigny, qui connais- sait à fond la politique extérieure et l'avait dirigée sous le cardinal de Richelieu, insistait particulièrement sur ce point ;

« Je ne veux ])as examiner, disait-il, si le cardinal Mazarin a voulu faire la paix ou non; la discussion en serait trop longue. Je dirai seulement que, s'il n'a jamais eu dessein de la faire, il a été trés-mal liabile de ne pas connaître qu'elle seule pouvait affermir son établisse- ment dans l'État et le rendre nécessaire et considérable à tous ceux à qui il était obligé de faire la cour pendant la guerre. S'il avait résolu de la faire, faut-il avouer que c'est le plus présomptueux et le plus incapable de tous les hommes par les voies dont il s'est servi? Le sieur d'Avaux avait été destiné, dés le temps du défunt roi, pour cette négociation, et il avait si bien réussi dans toutes les précédentes dont il avait été chargé, qu'il n'osa pas lui ôter celle-ci d'entre les mains; mais le car- dinal Mazarin, craignant qu'il n'augmentât la gloire qu'il avait déjà acquise dans ses emplois par celle que lui don- nerait la conclusion d'un traité si important, et sa jalousie et sa faiblesse lui persuadant que cela irait à la diminution de celle cju'il voulait prendre, il fit inconti- nent nommer le sieur Servien pour lui être adjoint en cette ambassade. Ce n'est pas cpril ne le connût pour un esprit assez incompatible (insociable) et naturellement infidèle; q«'il ne sût qu'étant procureur général dans le parlement de Dauphiné, ses débauches avaient con- traint le duc de Lesdiguières de lui donner des coups de

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bâton cl que lui-môme n*eût contribué ù lo faire chasser de la cour au temps du défunt roi ; mais il lui fallait un semblable sujet pour être un exécuteur aveugle de ses ordres, et il avait besoin d*un oncle du sieur Lyonne * pour mettre en usage toute la mauvaise politique que son petit sens lui suggérait*. Le sieur Servien n'avait garde de manquer à se brouiller d'abord avec le sieur d'Avaux. 11 savait trop bien que c'était le premier pas qu'il devait faire pour plaire au cardinal, et que c'était le véritable moyen pour être son confident dans cette négociation. Cette division a fait assez d'éclat pour n'être ignorée de personne, et les suites en ont été assez funestes pour être à jamais conservées dans la mémoire des Français^, qui ne sont que trop éclaircis qu'elle a été le principal obstacle à la conclusion de la paix géné- rale qui était en nos mains.

u Le cardinal favorisait secrètement le sieur Senien, quoiqu'il affectât souvent de paraître juge équitable entre lui et le sieur d'Avaux. Il faisait tenir des conseils en sa présence pour juger leurs différends, et le sieur Lyonne, qui recevait toutes les dépêches de Munster, ajustait si bien toutes les écritures, que le sieur d'Avaux y avail toujours du désavantage. Le but du cardinal était de le

* Hugues de Lyonne, dont ou a dt'-jà parlé plus haut, était neveu d'Abel Senien.

* Il est inutile do relever la partialité de pareilles appréciations. J'ai signalé plus haut (p. 15 et 16) les services rendus par Mazarin dans la politique extérieure.

*0n peut consulter sur ce sujet VHûtoire de la paix de Wesphaiie par le père Bougeant. On y trouvera de curieui détails sur la lutte de d'Avaux et de Servien.

4S MÉMOIRES

faire revenir, parce qu'il ne voulait pas qu*il eût part au traité de la paix. Mais son irrésolution naturelle, le respect qu'il portait au président de Mesmes*, et le peu d'apparence qu'il y avait de donner un si rude et si in- fâme chûliment à un homme à qui on ne pouvait re- procher d'autre faute que de n'être pas d'accord avec le sieur Servien, qui voulait en toute manière être brouillé avec lui, lui faisait toujours difiérer Texécution de ce dessein.

« Cependant personne ne peut ignorer que, pendant le séjour que le sieur d'Avaux a fait à Munster, le car- dinal n'ait pu faire la paix également glorieuse et avan- tageuse à cet État ; qu'il ne se soit vanté plusieurs fois publiquement qu'il en était le maître; qu'il ne l'ail promise, tantôt dans un mois, tantôt dans six semaines, et qu'il n'ait dit qu'il voulait que la reine lui fit couper le cou, s'il ne la lui faisait avoir quand elle voudrait. Ce discours seul est capable de le faire passer pour le plus vain et le moins judicieux de tous les hommes; car il ne lui pouvait produire aucun avantage en faisant la paix, et, ne la faisant pas, il le mettait infailliblement dans le décri nous Tavons vu depuis et le chargeait d'un crime dont il ne peut éviter la punition que pour un temps, et qui lui est sans doute résenée quand il cessera d'être l'instrument de la justice de Dieu contre ceux qu'il veut châtier. »

Rendre Mazarin seul responsable de la continuation de la guerre, c'était faire retomber sur lui tout l'odieux

* On a vu plus haut que Claude d'Avaux étail fi"érc du président Henri de Mesmcs.

SUR MCOLAS FOUQUET 49

des calamités auxquelles la France était eu proie, de l'aggi^avation des impôts et des troubles qui en étaient résultés. Insistant sur ce grief, Chavigny citait des par- ticularités que sa position lui avait fait connaître el qu'il tournait contre Mazarin. Puis il rappelait la con- duite du cardinal à Tégard du prince de Condé et sou désir de le faire périr dans la guerre de Catalogne : « Le siège de Lerida ayant été levé, le cardinal Mazarin embarqua M, le Prince en Catalogne pour attaquer de nouveau cette place. Ce fut alors que, dans les conver- sations secrètes qu'il eut avec la reine, il Tobligea de donner les derniers éloges à son adresse, en lui faisant connaître qu'il avait fait tomber M. le Prince dans le piège; que, s'il prenait Lerida, le roi en tirerait beau- coup d'avantages, cette ville, qui donne rentrée libre dans r Aragon, lui devant infailliblement demeurer entre les mains, comme tout le reste des autres que l'article des conquêtes lui donnait; s'il la manquait, il y perdrait ou sa réputation, ou plus apparemment la vie qu'une telle disgrâce lui ferait mépriser par déses- poir. Ce qui ne serait pas moins utile à l'État, non-seu- lement que la possession de Lerida, mais que la paix présente même, quelque avantageuse qu elle pût être, parce que les Espagnols, perdant par la mort de ce prince toutes leurs espérances de voir des brouilleries dans rÉbt, ne pourraient s'empècber de nous offrir en- suite les conditions que nous voudrions. »

De pareilles attaques étaient bien propres à exaspérer le prince de Condé, qui n'était d'ailleurs que trop dis- posé à s'unir aux ennemis du ministre. 11 se rapprocha

I. 4

50 MÉXIOIUES

(le Beauforl, du coadjiitcur Paul de Gondi et de la vieille Fronde pour renverser cet Italien, dont on dévoilait hautement les fautes el les lurpiludiîs, et dont un homme d'État tel que Chavigny signalait rincapacité. Livré à lu raillerie du peuple par des pamphlets chaque jour plus violents, au mépris des hommes sérieux par un ancien ministre élève de Richelieu, à la haine de tous par le cri public, Mazarin semblait perdu. C'est surtout dans une pareille crise qu'il faut admirer la prodigieuse ha- bileté de ce joueur intrépide, qui ne désespéra jamais des parties les plus compromises. Son premier soin fut de rompre l'union de Coudé et des Frondeurs. Pour y parvenir, il signa une déclaration par laquelle il s'en- gageait à prendre l'avis de ce prince dans toutes les af- faires importantes*. Il écrivit sur ses Carnets* les phrases suivantes, qui devaient probablement être développées dans une conversation avec Coudé ou avec quelqu'un de ses amis : « Je tiens pour mes meilleurs amis ceux qui le sont de M. le Prince. Je me séparerai des miens s'ils lui déplaisent, et je ne j^onge qu'à le servir en tout et par- tout avec une résignation sans exemple, le tout pour l'assurer qu'il n'a serviteur plus cordial, ferme et sûr que moi, et afin qu'ayant tout à souhait, il agisse pour relever l'autorité du roi. Ce qui est fort faisid)le, s'il s'y veut employer el y travailler de la bonne sorte conjoin- tement avec moi. » Tout ce que le prince de Coudé réclamait lui fut ac-

' Otle déclaralioii a été publiée dans les Mémoires do Pierre Leiiet p. 20* ct205(édit. Micliaud el l'oujuulal ''Carnet XHI, p. 77.

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cordé immédiatement : le duc de Longueville eut le Pont-de-rArclie et le prince de Conli la promesse d'un chapeau de cardinal. Mazarin annonça la résolution d'enfermer ses nièces dans un couvent*, afin que le prince de Condé n'eût plus à se plaindre des projels de mariage entre Laura Mancini et le duc de Mercœur. Enfin le cardinal, après toutes ces concessions, alla souper avec le prince de Condé, et il eut à supporter les railleries insultantes des joe/i/5-maWr^s, qui formaient le cortège ordinaire de Condé*. Les courtisans, qui avaient compté sur ce prince pour renverser Mazarin, ne prenaient pas au sérieux cette apparente réconcilia- tion. On le voit par une lettre de Saint-Simon à Chavigny, en date du 17 septembre 1649 :

« L'accommodement s'est fait hier et a été déclaré aujourd'hui par l'entremivse de M. le duc d'Orléans; le Pont- de-r Arche est accordé. M. le Prince en a remercié ce matin la reine et lui a fait de nouvelles protestations de service et d'obéissance, assurant Sa Majesté qu'il n'aurait pas été moins ferme et moins fidèle dans son devoir, quand bien même il n aurait pas reçu cette grâce de sa bonté. Monsieur ensuite a commandé à M.lePrince de lui donner à souper, et il a fait entendre qu'il y mt^ nerait M, le cardinal, et, à Theure que je tiens la plume, ils sont à table avec peu d'allégresse. C'est une récon- ciliation en apparence, dont beaucoup de gens sont pré- sentement en peine, mais je vous puis assurer qu elle

* Caniel XHÎ, p. 76.

Mémoires de Pierre Leiict, édit. cit., p. 11)».

bt MÉMOIRES

irosl point cordiale du côlo du faubourg ^ Mazarin esl (înlarné, cl sa ruiiio est résolue d'une telle façon, qu'il faudra des miracles pour sa conservation. Ce sera dou- cement, sîinseni[)Ioyer aucun moyen violent. Faites votre ('om|de là-dessus; vous êtes fort sur le lapis et très-fort dans 1(; cœur de toute la maison de M. le Prince; je n'oublierai aucune chose pour vous rendre toute sorte de s(;r\ices. Vous devez écrire à M. le Prince, sur cette occasion, une lettre pleine (raffection et d espérance que s(;s soins et sa conduite remettront l'État dans le bon- luîur. J'oflre de rendre votre lettre; si vous voulez dire davantage dans la nn'enne, je puis la foire voir. Ma pas- sion |)(>ur vcdre scîrvice est siuis rései've; ordonnez fran- chement. Le raccommodement fera quelques dupes. » La dupe dans cette affaire, ce fut le duc de Saint- Simon, tout hahihï qu'il se piquait d'iMre. Mazarin, en s'humilianl devant Coudé et en achetant si cher son pardon, n'avait qu'un but : semer des défiances entre les d(Mix Frondes, prouver aux princes de la maison de Vendùme, aucoadjuteur,à madame de Chevreuse, qu'ils iKi pouvaient compter sur Condé ; isoler ainsi peu à peu le [M-iiicc^ et ensuite frap[)er cet ennemi désarmé. 11 marcha à son but par les voies souterraines, qu'il préfé- rait, mais il y marcha sûrement et résolument. D'ail- leurs Condé lyi fournissait des armes [mr ses impru- dences. Il ne faut pasoublierqu àcetle époque le prince, naturellement hautain et ambitieux, était dans toute rivresse de sa fortune. Vainqueur à Ilocroi, à Fribourg,

* C'wt-à-dire du côté du prince de Condé, cjui avait son hôtel au lau- Ijoui'î: Saint-Germain

SUR NICOLAS FOUQUET ft3

à Nordiingen et à Lcns, il venait encore de triompher de la Fronde parlementaire et de ramener le roi dans Paris. Bien loin de se faire pardonner sa gloire en la couvrant de modération, il affectait pour ses adversaires le plus insolent dédain. Ses airs méprisants, son ton ar- rogant, lui avaient fait de nombreux ennemis. Les petits- maîtres^ qui l'entouraient, les Bouteville, les Chabot, les Jarzé, imitaient et exagéraient sa hauleur dédai- gneuse et traitaient avec mépris les gens de robe et de plume qui avaient soutenu la première Fronde. Les parlementaires s*en irritèrent, et les grands eux-mêmes ne supportèrent pas longtemps une pareille arrogance. La vieille haine des maisons de Lorraine et de Condé se réveilla et fut soigneusement fomentée. Comme au temps de la cabale des Importants, madame de Longueville, réconciliée avec son frère le prince de Condé, eut pour ennemis madame de Chevreuse, les princes lorrains et la maison de Vendôme.

Mazarin sut habilement profiter de ces divisions qu'il avait semées. Ses Carnets attestent qu'il se rapprocha de la maison de Vendôme et finit par s'unir étroitement avec elle. On y lit* : «M. de Vendôme, après m'avoir parlé de ses affaires ce matin, m'a dit que jamais les choses n'avaient été en meilleure disposition pour retirer M. de Beaufort et le donner à la reine entièrement; que le président de Bellièvre et le coadjuteur y étaient tout à fait résolus en haine de madame de Montbazon, qui vou- lait mettre tout en confusion pour ses intérêts particu-

« Carnet Xni, p. 41.

oi BIÈVOIRES

liers. w A partir de ce moment, les relations entre Mazarin et la vieille Fronde devinrent chaque jour plus étroites. I/abbé Ondedei, un des parents et des confidents intimes du cardinal, eut des entrevues avec le marquis de La Boulaye, qui avait été un des plus ardents Frondeurs. Madame de Chevreuse et le duc de Beaufort promirent à Mazarin de le soutenir dans sa lutte contre Condé. Beau* fort montrait autant de zèle pour son nouvel allié qu'il en avait déployé antérieurement dans Tintérét de la Fronde. « La moindre chose qu'il promet dans cette liaison d amitié, écrivait Mazarin \ c'est de calmer le royaume et de mettre aux pieds de la reine les parle- ments et les peuples, et de faire avoir autant d'amour pour moi qu'on a de haine. »

Cependant, au milieu des succès de sa politique tor- tueuse, Mazarin redoutait toujours Chavigny. Il suivait avec inquiétude les menées de ce rival dangereux, qui s'était rendu en Brie et de avait de fréquentes en- trevues avec les Frondeurs, tels que Fontrailles et le pré- sident Viole. « On m'assure, écrit Mazarin sur ses Car- nets*, que M. de Chavigny a été deux heures à Paris et qu'il a vu M. le Prince. » Et un peu plus loin' : « Cha- vigny reçoit le monde avec grande parade et a vu M. le Prince. » Mazarin craignait que ce conseiller, plus ha- bile que les petitS'maîlreSj n'arrêtât le prince sur la pente fatale son orgueil l'entraînait et ne renouât les relations entre la Fronde parlementaire et le parti des

< Canict Xni, p. 10. 17. * Ibidem, p. 18. ^ Ibidem, p. 4'.

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princes; enfin, comme il l'écrivait sur ses Carnets* : « ne fît mille choses préjudiciables au service du roi et au mien. » Malheureusement pour le prince de Condé, il cédait à des conseils moins prudents que ceux de Cha- vigny et séparait de plus en plus sa cause de celle des Frondeurs. Saint-Simon, écho du parti des petits-maîtres^ affectait aussi de dédaigner la vieille Fronde. Il écrivait à Chavigny, le 27 novembre : « On vous conseille de fré- quenter le moins que vous le pourrez le pape des Fron- deurs' et les autres de cette nature. »

En même temps que Condé rompait avec Beaufort et avec le coadjuteur, il poussait aux dernières extrémités Anne d'Autriche et Mazarin par de nouvelles insolences. Il se rendit coupable de Tinsulte la plus grave envers une femme et une reine; il prétendit lui imposer un amant, et choisit pour ce rôle un des petits-maîtres^ le marquis de Jarzé '. Cet outrage porta le désespoir dans l'àme d'Anne d'Autriche*, et Mazarin se hâta de prendre les dernières mesures avec les chefs de la Fronde pour frapper un coup décisif; il gagna Retz par la promesse du chapeau de cardinal, Vendôme et Beaufort par celle de lamirauté. Madame de Chevreuse lui répondit du faible Gaston d'Orléans.

Si l'on en croit le» Carnets de Mazarin*, il était temps

* Carnet XHI, p. 95.

' n s'agit probablement, dans ce passape, de Paul de Gondi.

* Carnet XIII, j). 95. et Mtfmoireu de madame de Motteviile, à l'année 1049.

* Camet XIV. p. 1 .

* md.. p. 79

MÉMOIRES

que ce ministre en finît avec Condc. Les gentilshommes dévoués à ce prince se réunissaient en foule à Paris, et tout annonçait une lutte formidable. Mazarin prévint le coup : le 18 janvier 1650, il fit arrêter au Louvre le prince de Coudé, son frère le prince de Conti et sonbeau- frére le duc de Longuevillc. Cel acte de vigueur dispersa la faction des princes ; leurs partisans les plus dévoués se retirèrent dans les provinces et y renouvelèrent la guerre civile. Quant à Chavigny, gardant toujours son rôle de pliilosophe, il se retira dans ses terres et attendit que la délivrance des princes (1651) lui fournit une occasion de renouer ses intrigues. Le duc de Saint-Simon, qui voyait toutes ses prévisions démenties, se hâta de rega- gner son gouvernement de Blaye et écrivit à Mazarin pour lui offrir son épée. Le ministre ne fut pas dupe de ces démonstrations tardives, et Ton voit assez par la lettre qu'il répondit au duc de Saint-Simon, le 26 fé- vrier 1650, que la fuite précipitée de ce personnage avait inspiré au ministre de justes soupçons. « Vous pouviez, lui écrivait Mazarin, changer la (orme de ce départ et particulièrement dans la conjoncture présente, il a donné matière au peuple de faire diverses spécu- lations et de craindre de mauvaises suites de la sortie de la cour d'une personne de votre qualité, sans avoir pris congé de Leurs Majestés. » Telle fut Tissue de l'in- trigue ourdie en 1649 par Saint-Simon et Chavigny. Le premier s'était promplement rallié, comme on vient de le voir, au parti le plus forl^ Le second ne tarda pas à

* Le duc de Saint-Simon , auteur des Mémoires, présenle son père comme un modèle de fidélité pendant la Fronde {édit. Ilacliettc, t. I.

SI:R NICOLAS FOUQUET r»7

reparaître sur la scène, nous le retrouvons dirigeant la politique du parti des princes et considéré avec raison comme Tûme de leurs conseils.

p. 73). Il ignore complètement, ou du moins passe sous silence les in- trigues que nous venons de rclracer d'aprc's les documents les plus au- thentiques. Quant à la conduite de Claude de Saint-Sunon à Rlaye, il n'est pas de notre sujet de la raconter; mais on- trouvera dans les Mé- moires de Pierre Lenet et du duc de La Rochefoucauld dos détails précis et circonstanciés qui permettront de contrôler les assertions de Saint- Simon.

CHAPITRE IV

Retour do Cliavipny à Paris on 1031 ; il rntro dans le ministèi*e formé cil avril 16^1 et est attaque^ par le cardinal de Retz. Courte dur^ de ce ministère. Chavipny entame des négociations avec Mazarin (janvier 1 ()52) par rinternirdiairc de Falxîrt et de Tabbë Foucfuet. ArriviV des troupe» espagnoles à Paris (5 mars 1G52). Fêles et fomentes. Pris<» d'Angers par l'armée ixjyale (7 mars). Violences du parti des pnni'(»s dans Paris. Émeute du 25 mars. Inquiétude de Mazarin. L'al>bé Fouquet fait aflicher des placards contre Condé. ArriviV» de Condé ji Tarmée (!•' avril). Combat de Dlcncau (6 avril). Condé vient à Paris (M avril). Il se rend au parlement ( 12 aM'il). Pai*oles (pie lui adres.<?e le président Le Bailleul. Le procureur général Foucpiet attaiiue le manii'cstc du prince de Condé (17 avril). Les priiict^ sont mal accueillis h la chambre des comptes et à la cour drs aides (22 et 25 avril). Dispositions peu favorables de l'Hôtel de Ville. Arrestation de l'abbé Fouquet (24 avril). Les campagnes sontdésub'es par les troupes des deux partis. Destruction des bureaux d'entrée. Plaintes du prévôt des marchands adressées au parlement ("20 a>TiI). Les princi^ l'oifés de négocier avec la cour (28 avril). État misérable de Paris. On engage le peuple à secouer le joug des princes.

Ce fui après le premier exil de Mazarin, en 1651 , que Chavigny fut rappelé de Touraine à Paris. Il entra dans le ministère réorganisé sous l'influence du prince de Condé, au mois d'avril 1651, et y fut considéré comme le principal défenseur de ses intérêts dans le conseil *.

Voy. les Mémoires de Montglat. Pien*e I^enet, Retz, etc., h la date d'aM'il HMA.

MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET (issi-iens) 59

Le coadjuteur, qui aurait voulu y faire prédominer le parti du duc d'Orléans, dont il était alors le conseiller intime, attaqua Chavigny dans un pamphlet intitulé : Les Contre-temps du sieur de Chavigny^ premier ministre de M. le Prince \ « Il fallait, disait Retz, que Chavigny quittât la solitude pour aller porter le flambeau de la division dans la maison royale, pour servir d'un nou- veau prétexte et d'une nouvelle cause à la division de la reine et de S. A. R., et pour conférer tous les jours sur ce sujet avec toutes les créatures du cardinal Mazarin. Quel contre-temps à un homme établi de se venir jeter dans la tempête, sur une mer pleine de périls et d'é- cueils, agitée encore par les vents et par les orages, et dont les mouvements incertains ne pouvaient qu'être évités par un esprit tant soit peu judicieux ; d'avoir pré- tendu de se vouloir rendre maître, dans un temps il n'y avait personne au monde qui pût pénétrer elle devait tomber; d'avoir espéré la confiance au moment que l'on ne pouvait judicieusement fixer aucun dessein pour les choses même les plus faciles; d'avoir cru que le cardinal la lui confiait de bonne foi dans un État ses amis les plus assurés lui étaient suspects ; de s'être imaginé de pouvoir perdre "Monsieur et tous ses servi- teurs par la liaison de la reine et de M. le Prince, qu'un homme sage eût bien connu ne pouvoir être de durée de la manière qu'elle s'était faite! Il ne faut que jeter les yeux sur cette conduite pour la considérer avec pitié. »

* VjC pamphlet a été réimprimé à la fin fin t. III dos Mémoireu du car- diual de hetz (édit. Cliarponi irr) .

60 MÉMOIRES

Le coadjutcur donne lui-môme un démenti à son pré- tendu mépris pour Chavigny, par Tâprcté avec laquelle il poursuit ce rival redoutable. Il avait raison, cepen- dant, lorsqu'il déclarait que Talliance de la reine el de Condé ne serait pas longue, et qu*avec elle tomberait le ministère de Chavigny. 11 ne dura que quelques mois. Lorsque le prince de Condé s'éloigna de Paris pour aller en Guienne allumer la guerre civile (septembre 1051 ), Chavigny se retira dans ses terres; mais il n'y resta pas longtemps en repos. Dès le mois de janvier 1652, il fit faire des ouvertures à Mazarin par l'intermédiaire de l'abbé Fouquet; en môme temps il se servait deFabert, gouverneur de Sedan, pour correspondre avec le cardi- nal. Il lui promettait l'appui du prince de Condé, et même celui du duc d'Orléans, sur lequel il se flattail d'exercer une grande influence. Mazarin, qui connais- sait à fond Chavigny, ne lui témoigna qu'une médiociv confiance : « Je vous ai déjà mandé, répondait-il à l'abbé Fouquet le 51 janvier 1652, que je n'avais d'animosité contre personne. Si M. de Chavigny fait connaître évi- demment qu'il veut se mettre dans le bon chemin, et que pour cet effet il porte S. A. R. (Gaston d'Orléans) à prendre les résolutions qu'elle doit pour le service du roi et pour le bien de l'État, il se peut assurer qu'il n'aura pas sujet de se plaindre de moi ; mais il faut des effets et non pas des paroles. »

Chavigny s'en tint aux paroles, et le cardinal Mazarin, tout en négociant avec lui, démêlait parfaitement le but de cet ambitieux. Il écrivait un peu plus tard à l'abbé Fou- quet : « Il me semble que M. de Chavigny est le grand

SUR MCOLâS FOUQUET [icsi-mi) 61

conseiller de Son Altesse Royale, à qui assurément il fait croire qu'il sera en mauvais état s'il ne se déclare et ne fait des démonstrations éclatantes et positives pour M. le Prince, parce que autremcnl ledit prince, étaul maître de l'armée, et voyant qu'il ne peut se prévaloir de l'assistance et de Tamitié de Son Altesse Royale, s accommodera avantageusement avec la cour. Il ne faut pas douter que cette appréhension ne soit capable de porter Son Altesse Royale à tout ce qu'on lui conseillera à l'avantage de M. le Prince, nonobslunt la jalousie et même Taversion qu'il a contre lui. » Et plus loin : « M. de Chavigny, avec ses adhérents, gagne pays fu- rieusement, et avec l'assistance de M. le Prince il vien- dra à bout de tout : ce qui ne peut être que trés-préjudi- ciable à Leurs Majestés, à M. le cardinal de Retz et à moi. Car je ne m'arrête nullement à tous les bruits que l'on fait courir, avec tant d'artifice, que M. le cardinal de Retz est d'accord avec M. de Chavigny, et (ju'il s'est accommodé par son moyen avec M. le Prince, sachant fort bien qu'il est incapable par mille raisons d'une chose de celle nature. »

Le parti des princes devenait, en effet, chaque jour plus menaçant. Pendant que le caixlinal de Retz, qui avait enfin la pourpre romaine, s'enfermait dans sa cathédrale et affectait de se retirer du monde, on voyait arriver à Paris des troupes recrutées dans les Pays-Bas espagnols et conduiles par le duc de Nemoui's et par le baron de Clinchamp *. Ce fut le 5 mars 1652 que le duc

* Bernardin de Bourqueville, baron do Clincliunip

U2 MËMOIBES

de Nemours entra dans Paris. Une lettre datée de ce jour en avertissait Mazarin. « M. de Nemours, lui écrivail-on, est arrive ici cette après-dinée, accompagné de quatrt» cents chevaux, y compris ce que l'on avait envoyé au- devant de lui; il a traversé toule la ville en cet équi- page, et est allé descendre au palais d'Orléans (au Luxembourg). »

L'arrivée de ces renforts exalta les espérances des Frondeui'S. Suivant l'usage du temps, on mêla les fêles et la danse à l'apjiareil militaire. « En considé- ration de M. de Clinchamp et de tous ses officiei's, dil mademoiselle de Montpensier dans ses Mémoires \ Monsieur voulut que Ton lit une grande assemblée chez moi, le jour de la mi-caréme, à quoi j'obéis vo- lontiers. 11 y eut un ballet assez joli : ce que M. de Clin- champ admira moins que la beauté des dames de France, aussi bien que tous les colonels. Car pour lui, quoiqu'il servît le roi d'Espagne, il était Français, de la frontière de Lorraine. Il avait élé, de jeimesse, nourri en cette coui*, et M. de Lorraine l'avait en- gagé au service des Espagnols. 11 me vint voir sou- vent, et me témoignait qu'il n'eiit rien souhaité avec plus de passion que de me voir maîtresse des Pays-Bas. Je tournais ce discours en raillerie, ne le connaissant pas assez pour pouvoir prendre cela autrement, comme j'ai fait depuis. Avant qu'il partit d'ici , M. de Ne- mours et lui me prièrent qu'ils pussent voir encore danser chez moi une fois avant de partir. Je lui donnai

* T. lU, p. 542, ôdil. Charpentier.

SUR NICOLAS FOUQUET >ak8 mt] 63

encore un bal, mais il fut plus petit que Taulre. » Au milieu de ces fôtes et de la joie que l'arrivée de CCS auxiliaires causait aux Frondeurs, ils apprirent avec effroi que larmée royale venait de s'emparer d'Angers (7 mars) et poursuivait ses succès aux bords de la Loire. « Von est, depuis cette nouvelle, fort étonné au Luxem- bourg, écrivait à Mazarin un de ses partisans. L'on y a fait monter les deux canons tirés de la Bastille, et on dit aux spectateurs que c'est contre les Mazarins. L'on croit (piils y demeureront pour la garde du Luxembourg. Quelques capitaines de la ville, sur un avis supposé qu'on voulait enlever Son Altesse Royale, ont été s'offrir avec leurs compagnies. Les bien intentionnés s'étonnent de la conduite du chancelier \ qui s'est venu fourrer à Paris pour donner des conseils, avec Cbavigny et Tu- beuf ', à M. le duc d'Orléans contre le service du roi, el que les trois qui ont le plus vécu des bienfaits du roi soient aujourd'hui ses plus grands ennemis. Le passage des Espagnols nous le confirme à l'égard du premier. Plusieurs ont trouvé à redire que Ton n'ait pas pourvu à ce passiige de la Seine par les Espagnols, et que les gouverneurs de Champagne et de Picardie n'aient pas fait plus de diligence pour s'y opposer. Mais on excuse M. dElbeuf, (jui est assez occupé à faire danser des bal- lets et à se poudrer. A Paris, les affaires sont en tel état, qu'on n'oserait y crier la lettre du roi à M. le maréchal

« Pierre Séjruier, dont !e prendre duc de Sully, avait livré le passafcc de la Seine, près de Mantes, à Tannée espagnole. C'est un tait (jne douze ans plus lai*d NicolaK Fouquet iMp[)ellera à Séguior, devenu son juge.

* Jacques Tubcuf, pn'^sident de la chambre des comptes.

6i MÉMOIRES

de rilôpilal', d'autant que les Frondeurs licuncnl la prise d'Angers pour fausse, quoiqu'elle soil très-assurée. Un colporteur a même, ce matin, été maltraité pour celn. Il y a aussi quelques joure qu'un Suisse, qui parut laril à la cavalcade de la majorité, pensa être trés-mallraité pour avoir blâmé un colporteur qui criait je ne sais quel pamphlet contre Son Éminence. »

Ainsi Paris commençait à être le théâtre de violences par lesquelles les Frondeurs espéraient effrayer les par- tisans de Mazarin, entraîner les indécis et triompher enfln du cardinal. Cependant l'irrésolution de Gaston les inquiétait. « L'on voit l'esprit de M. le duc d'Orléans plus embarrassé que jamais, écrivait un des agents d(î Mazarin. Chavigny et Croissy * disent bien que Son Al- tesse Royale ne fait pas tout ce qu'elle peut, parce qu'elle n'agit pas selon leui*s sentiments. Ces messieui*s-là ne manquent pas d'animer l'esprit de M. le Prince. Toute leur visée est maintenant de le rendre maître de toutes les troupes : ils disposent tout pour cela. Son Altesse Royale en a très-grande défiance. » La duchesse de Che- vreuse, fidèle à la cause royale, contribuait à rendre plus indécis le duc d'Orléans. Chavigny, désespérant enfin d'entraîner Gaston, appela à Paris le prince de Condé, qui était encore en Guienne, et, en attendant que le prince pût arriver, il ne cessait d'exciter la populace contre les Mazarins. A la fin de mars et au commence- ment d'avril, il se forma sur le pont Neuf des rassemble-

* Lettre par laquelle le roi annonçait la prise d'Angers au mai'éclial de rilôpital, gouverneur de Paris. "Conseiller au parlement, connu sous le nom de Fouiiuel-Croissy.

SUR MCOLAS FOUQUET ;mak£-aviiiH6m) 65

incnts de Frondciii's, qui se liNrèrent à d'odieux excès '. Us arrêtaient les carrosses, faisaient descendre les per- sonnes qui s'y trouvaient, hommes ou femmes, et les forçaient de crier : Vive le roi! point de Mazarin! mal- traitant ceux qui refusaient, et menaçant de les jeter à la Seine. Quelquefois môme la populace, à laquelle se joi- gnaient des voleurs et des misérables de la pire espèce, pillait et brisait les ciurosses. La maréchale d'Ornano, tante et mère adoptive de madame de Rieux-Elbeuf, fut forcée de s'enfuir à pied avec ses gens. Madame Paget, femme d'un maître des requêtes, crut se soustraire aux mauvais traitements en disant qu'elle était femme d'un conseiller du parlement. «Tant mieux! s'écrièrent quel- ques-uns des séditieux; ils sont cause de notre misère. Il faut tous les jeter à la Seine. » Madame Paget ne s'é- chappa qu'avec peine de leurs mains. 11 en fut de même de madame La Grange-Le-Roy et de sa nièce, la jeune et belle madame de Montchal. Elles eurent à subir les in- sultes et même les coups de la populace.

Pendant près de trois heuies, le pont Neuf fut le théâtre de scènes de cette nature (2 avril). Vers cinq heures, bruit se répandit dans cette foule qu'un des leurs avait été blessé par les gens de l'hôtel de Nevers '

' Mémoires d'Orner -Talon et du cardinal de Hetz, à la date du 25 mars. Les détails qu(> nous donnons sont tiivs du Journal de Du- bnigson-Aubenay, qui est l)raucoup plus circonstancié (jue les mémoires Comme Dnl»uisson-Aul)enav était attaché à l'imtel do Nevci*s et v lialii'ail, son récit inspire la plus grande confiance. Il plaœ cette émeute au *i avril

* L'hùtel de Nevei*s était situé .«ur remplacement (iu'occui>ent mainte- nant la Monnaie et la rue Guénégaud. Il était lial)ité à cette éjH>que pur a femme du secrétaire d*Etat, Djplessis-Guénégaud.

I 5

66 MEMOIRES

et y était enfermé. Aussitôt la multitude se précipila vers l'hôtel, criant qu il fallait tout piller et brûler. Ils commencèrent à attaquer les portes et les murailles à coups de hache et de marteau, et ils les auraient brisées sans l'arrivée d'une vingtaine de gardes du duc d'Or- léans, qui vinrent au secours de madame Duplessis- Guénégaud et la délivrèrent. Ces scènes de violence se renouvelaient chaque jour. Le lendemain 3 avril, de nouveaux attroupements se formèrent sur le pont Neuf. Le carrosse de mademoiselle de Guise fut arrêté près de la Samaritaine. Elle se tira de ce danger grâce à la pru- dence de son écuyer La Chapelle, et vint au Luxembouig, elle pai la en princesse outragée au duc et à la du- chesse d'Orléans. On envoya quelques compagnies de milices bourgeoises pour dissiper la foule, mais elles ne parvinrent pas à rétablir l'ordre. Les orfèvres et autres marchands qui habitaient en grand nombre dans le quartier du Palais de Justice fermèrent leurs maisons, et pendant près de trois mois tout commerce resta sus- pendu.

Ces excès servaient la cause du roi et dégoûtaient la bourgeoisie delà Fronde. Mazarin recommandait à l'abbé touquet de protiter de ces dispositions. « Il serait bon, lui écrivait-il, de faire afficher des placards contre M. le Prince, qui disent particulièrement qu'il veut empèclun' le retour du^roi à Paris, et jeter, par ce moyen, les habi- tants dans une dernière ruine. S'il est nécessaire de distribuei' quelque argent, je vous prie de le faire, et on le rendra ponctuellement. >> L'abbé Fouquet s'acquitta de cette tûche avec le zèle et l'ardeur ([u'il poitail dans

SUR NICOLAS FOUQUET ^avril 185î] 07

toutes les affaires. Un placard qu'il fit afficher, et dont une partie seulement nous a été conservée *, montrait l'armée des princes affamant Paris, appelant les Espa- gnols, et livrant les campagnes à une soldatesque effré- née. L'abbé Fouquet représentait Condé faisant de la Guienne le théâtre de la guerre, la plongeant dans la plus profonde misère, puis l'abandonnant, lorsque les barri- cades élevées à Agen lui ont prouvé que les Gascons ne veulent pas se soumettre à son joug. « Il est venu alors comme un désespéré vers Paris, ajoutait le placard, pour tâcher d'y exciter la même révolte, le désordre et la division du royaume étant le fondement unique de sa puissance. »

A l'époque l'abbé Fouquet s'efforçait ainsi de sou- lever les passions jmpulaires contre Condé, ce prince avait déjà quitté la Guienne, et, par une; marche rapide et liardie à travers des pmvinces qu'occupaient les troupes royales, il était venu se mettre à la tête de l'ar- mée des Frondeurs*. 11 annonça sa présence par un de ces succès éclatants qui le* rendaient si jxïpulaire : le maréchal d'Hocquincourt avait dispei*sé ses quartiers. Condé les enleva à Bléneau (1" avril) et tailla en pièces une parlie de l'armée royale. Sans l'habileté de Tu- renne, la cour, qui était à Gicn, serait tombée entre; les mains de Condé. Après ce combat, qui fut plus brillant que décisif, Condé se rendit à Paris, il espérait rem-

' Bihl. iiup., iniks. f. Gîùj^'iiièrcs, 2709, fol. 50.

* Voy. les Mémoires de Gourvilie, à l-i date d'avril 1652. Le récit do Gounillc est d'uutnni plus curieux (|u'il lut dans cette expédition le conipat^uou et le guide de Condé.

68 MÉMOIRES

porter des avantages aussi rapides et briser toutes les résistances. Il y fit son entrée le H avril, et ne tarda pas à reconnaître que la situation était difficile. Le duc d'Or- léans, qui laccueillit en apparence avec empressement, était désolé de se voir éclipsé par un rival aussi supé- rieur. Le coadjuteur, toujours hostile à Condé, excitait la jalousie de Gaston. Le parlement était divisé. Les ren- tiers cl la bonne bourgeoisie gémissaient dés violences du parti des princes. Condé n avait entièrement à sa disposition que la populace : l'éclat de son nom, l'argent qu'il distribuait, ses défauts mêmes, avaient séduit les classes inférieures. La figure de Condé, telle que la re- trace un contemporain, devait frapper vivement les ima- ginations déjà éblouies de sa gloire : « M. le Prince, dit Bussy-Rabutin, avait les yeux vifs, le nez aquilin et serré, les joues creuses et décharnées, la forme du visage lon- gue, la physionomie d'un aigle. » Des soldats déguisés se mêlaient au peuple, entretenaient son enthousiasme pour le héros de la France, et Texcitaient à des actes de fureur et au massacre des Mazarins. Pendant plusieui's mois (avril-juillet 1652), Paris fut dominé par cette dangereuse faction. Il n'y eut plus de sécurité pour les suspects ; mais les excès mômes de la nouvelle Fronde finirent par la perdre.

Le prince de Condé ne se porta pas d'abord aux vio- lences que lui conseillaient son caractère et sa position comme chef de parti. 11 commença par s'adresser au pai- lement : il s'y rendit avec le duc d'Orléans (12 avril). Peu s'en fallut que le parlement ne lui fermât ses portes. Les présidents Le Bailleul, de Novion, de Mesmes et Le Coi-

SUR NICOLAS FOUQUET >vbil len) 6Q

gneux s'étaient assemblés avec le procureur général Fouquet, pour aviser aux moyens de repousser un prince qui avait été reconmi criminel de lèse-majesté par décla- ration royale enregistrée au parlement de Paris*. Ne se trouvant pas assez forls pour frapper ce coup décisif, ils voulurent du moins lui prouver que sa conduite était sévèrement blâmée par le parlement. Lorsque le prince eut pris séance avec le duc d'Orléans, le président Le Bailleul, qui, en l'absence du premier président Ma- thieu Mole *, dirigeait les délibérations, manifesta en termes énergiques sa désapprobation de la conduite du prince, et dit qu'il n'eût pas voulu le voir siéger au parlement sous le coup d'une accusation de Irse-ma- jesté et les mains encore teintes du sang des troupes royales*. Les partisans des princes cherchèrent à étouf- fer, par leurs murmures, la voix du président Le Bail- leul ; mais le blâme n'en avait pas moins porté coup, et quelques jours après (17 avril) le procureur général Nicolas Fouquet se sentit assez fort pour venir attaquer en plein parlement le manifeste publié par le prince. Condé y avouait qu'il avait fait des liaisons dedaus et dehors le royaume jwur sa conseiDation. C'était procla- mer hautement son traité avec l'Espagne, ennemie de la France. Le parlement ne pouvait s'associer à une pa- reille déclaration sans approuver l'alliance avec des puissances en lutte ouverte ccmtre la nation. Il recula de- vant un acte aussi manifestement criminel, et le prince

* Mémoires d'Omer-Taloti (édit. Michaud et Poujoulat), p. 479.

* Mathieu Mole accompagnait le roi en qualité de garde des sci>am. ^ Mémoires dVmer-Talon, ibidem, p. 475.

70 MÉMOIRES

fut obligé de consentir à rayer de sa déclaration les mots incriminés par Fouquet *.

Cet échec fut suivi de plusieurs autres, qui prou- vèrent que le parti des princes n'avait pas de racines profondes dans les grands corps de l'État. Le 22 avril, le duc d'Orléans et le prince de Condé se présentèrent à la chambre des comptes; mais tous les présidents, à l'ex- ception d'un seul, qui était intendant de la maison du prince de Condé, se retirèrent, prétendant qu'on no devait pas accorder aux princes la place qu'ils voulaient occuper au-dessus d'eux '. A la cour des aides, le pre- mier président Amelot rappela en face au prince do Condé la déclaration royale qui l'avait flétri comme cri- minel de lèse-majesté, et qui avait été enregistrée au parlement. Il lui reprocha d'avoir récemment combattu l'armée royale et fait battre le tambour dans Paris pour lever des troupes contre le roi avec les deniers provenant de l'Espagne". Condé, surpris d'une attaque aussi vivo, demanda au premier président s'il parlait au nom do sa compagnie. Amelot répondit qu'en la place qu'il occu- pait il avait le droit de dire son avis, et n'avait jamais été démenti par la cour des aides. Le prince fut réduit, pour se justifier, à nier les actes qu'on lui reprochait et qui n'étaient cependant que trop consultés ^

A rilôtel de Ville, le maréchal de l'Hôpital, gouver-

* Mémoires dVitter-Talon , p. 470, « Itndem, p. 477.

^ Ibidem. Le discours du premier président Amelot a éU; pu))liô «îniis \cs Mémoires de Conrart (édit. Micliaudet Poujoulat], p. 541.

* Mémoires d'Omer-Tahn, p. 478.

SUR NICOLAS FOUOUET ^avuil icsî; 7i

ncur de Paris, et lo prrvôl des marchands, le conseiller Lefèvre, ne se niontrèrenlpasphis favorables à la faction des princes. Nous avons vu que l'abbé Fouquet avait de- puis longtemps gagné ces deux personnages à la cause royale. Tout ce que les princes purent en obtenir, ainsi que des cours souveraines \ fut d'envoyer au roi des députations pour demander Téloignement du cardinal Mazariii ; mais ces démonstrations, imposées par Tin- Irigue et la violence, ne trompaient personne. Les princes voyaient toute autorité légale leur échapper. En même temps on apprenait que l'armée royale s'avançait vers Paris. Les partisans de la cour et du cardinal s'agi- taient. L'hôtel de Chevreuse était le centre de mysté- rieuses conférences pour ouvrir au roi les portes de sa ca- pitale. Le marquis de Noirmoutiers, et surtout Laigues, partirent de Paris le 24 avril, chargés des instructions du parti royaliste, et les portèrent à la cour. De son côté, l'abbé Fouquet se dirigea vers Corbeil, Mazarin venait d'arriver; mais il fut arrêté sur le chemin et conduit à l'hôtel de Condé'. On saisit sur lui une battre en partie chiffrée, qui donnait avis au roi et au cardinal qu'on leur ouvrirait à une lieure déterminée les portes Sainl- llonoré et de la Conférence. La première s'élevait à l'angle formé maintenant par les rues Saiiit-IIonoré et SaintHorentin; la seconde, entre la Seine et l'extrémité du jardin des Tuileries; elle tirait son nom d'une con-

* On donnait co nom aux juridictions sans appel, coinino colle du par- Icinont, do la cliainbro des comptes et do la cour di*s aid^'S.

* Cet hùtol était situé sur roniplacx»niont i|u'oe^Mipc maintenant 10- déon. Les rues de (loiulé et de Monsiem'-lc-Priiuc en indiquent les limites et en rappelh-nt le souv(»nir.

12 MEMOIRES

férence qu'y avaient tenue les royalistes et les ligueurs sous le règne de Henri IV. L'abbé Fouquet, vivement pressé de questions, répondit avec une fermeté qui ne déplut pas au prince de Condé. On ne put jamais arra- cher de lui le nom de celui qui avait écrit celte lettre. Les soupçons se portèrent sur plusieurs personnes, et principalement sur le procureur général. Enfin, vers le soir, l'abbé Fouquet fut reconduit chez son frère dans un carrosse de la maison de Condé. Il resta pendant près d'un mois prisonnier sur parole *, sans discontinuer ses relations avec le cardinal Mazarin.

Les princes prirent à la hâte des mesures pour arrêter les troupes royales qui s'avançaient. Tous les passages qui conduisaient à Paris furent interceptés, et les ponts de Saint-Maur, de Charenton et de Lagny coupés *. Les campagnes, ravagées par les deux partis, présentaient l'aspect le plus déplorable. Les paysans effrayés se réfu- giaient à Paris, annonçant que les châteaux étaient brû- lés, les champs dévastés, les troupeaux enlevés. Les bureaux d'octroi furent détruits par cette foule épouvan- tée et probablement aussi par les factieux, qui, en toute révolte, se signalaient d'al>ord par des violences contre les maltôtiers ou percepteurs d'impôts. Vainement le

* Mémoires d'Omer-Talon (25 avril 1052); le fait de l'arrestation de Fou- quet y est mentionné sans détails, et place à la date dw 25. Les cir- constances que je viens de rappeler sont lirêes du journal inédit de l)u- buisson-Aubenay, qui donne la date du 24 a\Til. M. Walkenaër. dans s(s Mémoires si intéressants sur madame de Sévigné, a eu tort de placer l'arrestation de l'abbé Fouquet après la mort de mademoiselle de Clie- >Teuse. qui n'a eu lieu qu'en novembre 1052.

» Mémoires d'Omer-Tnlon, p. 478

SUR .NICOLAS FOUQUET avril wsfj 73

prévôt des marchands envoya les archers de la ville pour contenir la multitude soulevée. Les archers furent eux- mêmes maltraités par la populace.

Le lendemain (20 avril) le prévôt des marchands porta plainte au parlement et s'éleva avec force contre la cx)nduite des princes, première cause de ce désordre. On voulut étouffer sa voix; maisTavocat général Talon, s'adressantau duc d'Orléans, lui représenta la nécessite d'ouvrir les passages pour faciliter l'appi^ovisionnement de Paris. Enfin les princes furent obligés d'entamer des négociations avec la cour. Le duc de Rohan, Chavigny et Goulas furent désignés pour aller négocier à Saint Germain, et s'y rendirent le 28 avril. Kn résumé, les embarras et les difllcultés se compliquaient : les princi- paux corps blâmaient la conduite de Condé, la famine devenait menaçante, les campagnes étaient désolées, et, après un éclat formidable et une entrée triomphale, le prince de Condé se voyait réduit à tout remettre en né- gociation.

Quant au peuple, il commençait à soufl^rir des excès auxquels on l'avait poussé. « Pauvre peuple! lui disait un des écrivains royalistes du temps ', pauvre peuple! qui t'exposes journellement à la famine en faveur d'une ingrate grandeur, dont tu as éprouvé si souvent l'incon- stance ou l'infidélité! use d(» ta raison ou de ton expé- rienc(î; ne crois plus ces supérieurs intéressés ou cor- rompus qui l'engagent à les servir pour se dégager de leurs téméraires entreprises. Ne vois-tu pas bien que le

* L'Esprit de paix, dans le Choix de* Mmarinades, t. Il, p. 1^70.

74 MËMOIUES

Parlement se dégage le plus adroitement qu'il peu! d'une liaison qu'il avoue avoir mal faite, et que les mieux sensés pratiquent sourdement leur accommodement pour se libérer de la punition qui pend sur la léte des malheureux ou des coupables, et dont la faiblesse ou l'indifférence des princes ne les tirera jamais? Demande la paix pour jouir ou du fruit de ton travail et de tes peines, ou du bien de tes pères. Demande h; roi pour lassurance et le sacré gage de cette paix, la prompte punition des coupables et des interrupteurs de la paix qui ne veulent que la confusion pour pêcher en eau trouble, et se rendre importants et redoutables à tes dépens. »

L'auteur évitait adroitement de se déclarer en faveur de Mazarin, dont le nom seul soulevait la haine popu- laire ; mais il montrait dans l'ambition et l'avidité des princes la cause principale des troubles et de la misci(î publique. « Si le roi ne leur accorde pas ce qu'ils de- mandent aux dépens des peuples, et si l'on ne donne pas à M. le Prince le meilleur revenu du royaume, poui* l'indemniser de la dépense qu'il a faite pour te ruiner, aux dépens de t(»s rentes et des gages des officiers ' ; si Ton ne fait pas Marchin ' maréchal de France, ce lâche déserteur de la Catalogne; si Ton ne satisfait pas ma- dame de Montbazon, les chères délices de ce grand gé- nie le duc de Beaufort ; si l'on ne contente pas le mar- quis de la Boulaye ; enfin, si le roi ne souffre pas le

' C'osl-â-dire dos titulaires d'officos; on désijniait surtout par co no;n los ma^nstrats. * Marchin, ou Marsin, ('tait un des généraux dévouc's si Condé.

SUR NICOLAS FOUQUET (avril lesr 75

partage de son État pour contenter tous c-eux qui se sont jetés dans leurs intért^fs, Ton verra à l'instant des me- naces de rétablissement d'une tyrannie. L'on se vante de faire des assassinats en pleine rue; Ton promet à la canaille des billets pour piller les maisons, exposer chacun à ses ennemis particuliers, et ceux qui ont du bien à Tavarice des filous. Il est temps que tu y donnes ordre et promptement. Aussi bien la misère de tant de pauvres paysans qui ont amené leurs bestiaux va te don- ner la peste, qui n'épargnera ni les grands ni les petits, et qui aura bientôt rendu Paris désert, et désolé la face de cette grande ville, le séjour dos rois et Tornement de l'État. »

Il y a, dans cet écrit, des vérités adroitement et for- tement présentées; l'ambition des princos, la misère du peuple et la nécessité de la paix y sont bien peintes. Les négociations qui suivirent prouvèrent combien étaient justes les prévisions de l'auteur; les princes les firent échouer par leurs prétentions excessives, et il fallut plusieurs mois de guerres, d'excès et de calamités de toutes sortes pour que le parti de la paix l'emportât en- fin et chassAl de Paris le duc d'Orléans et le prince de Condé, avec leur cortège d'ambitieux et d'intrigants.

CHAPITRE V

AVRIL-MAI 1652-

Négociations dos princes avec la cour : Rohnn, Chaviprny et Goulas à Saint-Gcnnain (28-29 avnl). Prétentions des princes et de leuis députi's. Mauvais succès de ces néjfociafions. Mêcontenfemenl do (k)ndé, du parlement cl du cardinal de Retz. Mission secrète de Gourville (mai 1652); propositions dont il est chargé. Mazarin refuse de les accepter; lettre conlidentielle du cardinal à Talibé Fouquri (5 mai). Madame de Châtillon continue de négocier au nom de Condé ; caractère de cette dame ; elle S(^ fait donner par Giridé la rre de Merlou. Mazarin profite de touUs ces négociations et divise de plus en plus ses ennemis. Ixî prévôt des marchan .s c>t maltraité par la populace. La bourgeoisie prend les armes (5 mai). Défaite de l'année des princes à Étampes (5 mai) . Le parlement envoie le pro- cureur général, Nicolas Fouquet, ù Saint-Germain. llai'angue qu'il adresse au n)i. Nouvelle mission de Fouquet à Saint-Gennain (10-14 mai). Relation qu'il en fait au parlement (16 mai). Les princes rompent les négociations avec la cour et reprennent les armes.

Lesdcpulésdes princes, Rohaii,Cliavignycl Goulas, se rendirent à Saint-Germain le 28 avril. Nous connaissons Chavigny : c'était le vrai dépositaire des secrels du prince de Condé* Les deux autres n'eurent qu'un rôle secon- daire. Le duc de Rolian, désigné pendant longtemps sous le nom de Chabot, avait fait sa fortune en épousanl riiéritière de la maison de Rohan. Il venait d'essuyer à Angers un échec, qui avait terminé tristement une

MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET (avril-mai lest; 77

expédition commencée sous d'heureux auspices. On di- sait de lui, à celle occasion, « qu'il avait débuté en Rohan et fini en Chabot. » Quant à Lamothe-Goulas, secrétaire des conunandements de Monsieur, il semblait chargé plus spécialement de représenter les intérêts de Gaston. Mais la correspondance secrète de Mazarin avec Tabbé Fouquet prouve que Goulas était vendu à la cour et servait auprès du duc d'Orléans les intérêts du cardinal.

On avait défendu aux négociateurs de traiter direc- tement avec Mazarin ; mais à peine les conférences fu- renl-elles commencées, que le cardinal intervint el y joua le principal rôle. Il excellait dans Tart de diviser ses ennemis, de nouer des intrigues et de semer des défiances. En cette ciiconstance, il fut servi merveil- leusement par les prétentions exorbitantes des princes* et de leurs députés. Chavigny demanda, avant tout, ré- tablissement d'un conseil qui aurait dirigé les affaires publiques et annulé l'autorité de la régente. 11 espérait avoir le premier rang en rabsencc de Mazarin, dont les princes exigaient l'éloignemenl. L'établissement de ce conseil fut le point sur lequel Chavigny insista particulièrement*. Quant aux intérêts particuliers de Condé et de ses partisans, il parut disposé à les sacri- fier. Le prince demandait, entre autres choses, à être chargé d'aller négocier la paix avec les Espagnols; mais, comme il était notoire qu'il avait des intelligences et

* Mémoires de la Rochefoucauld, de madame de Motteville et de Reti. de . à la date d'avril 1652.

* Mémoires de madame de Motteville^ à l'année 1G52 (avril; .

78 MÉMOIRES

même un traité avec ces ennemis de la France, cette condition fut rejetée.

Les négociateurs revinrent à Paris des le 29 avril, sans avoir rien conclu. Condé accusa Chavigny de n'avoir pas soutenu sa cause avec assez de zèle et lui relira sa confiance. De son côté, le parlement se plaignit de n'a- voir pas été admis aux négociations \ et ordonna au pro- cureur général, Nicolas Fouquet, de se rendre à Saint- Germain pour demander au roi de recevoir une dépu- tation de la compagnie. Enfin le cardinal de Retz, qui était également irrité d'avoir été laissé de côté par les princes, fit répandre, par les pamphlétaires dont il dis- posait, des écrits satiriques Ion dévoilait l'ambition de Condé et le peu de souci qu'il avait de l'intérêt pu- blic \

Condé n'en cohtinua pas moins ses négociations se- crètes avec la cour; nmis, au lieu de choisir des députés d'un rang élevé, il employa Gourville, qui était attaché au duc de la Rochefoucauld et dont le rang subalterne semblait mieux convenir à une négociation mysté- rieuse'. Esprit fin, délié, insinuant, Gourville était par- faitement propre à lutter contre le génie rusé du car- dinal et à démêler ses véritables senlimenls. Il était

* Voy. les Mémoires d Orner-Talon, à la dalo de mai 1652.

* Mémoires du cardinal de Hetz, ù l'année i652 ; voy., panni ces pam- phlets, les Intrigues de la paix, écrit attribue à Gui Joli, un des parti- sans dévoués de Paul de Gon(ii ; le Vraisemblable sur la conduile de Mgr le cardinal de Retz; le vrai et le faux du prince de Condé et du cardinal de Retz.

* Voy., sur la négociation de Gourville, les Mémoires de la Rochefou- cauld et de madame de MoltevUle. Gourville lui-même n'en dit que ({uel- ques mots dans ses Mémoires.

SUR ^NICOLAS FOUQUET (avril-mai lesi) 79

chargé de presser Mazarin de donner une réponse posi- tive à une série de demandes que Condé posait comme ultimatum. Ce prince voulait être chargé d'aller né- gocier la paix avec les Espagnols, et obtenir pour tous ( eux qui Tavaient servi dans sa lutte contre la royauté le rétablissement dans leurs charges et dignités. La Guienne, qui s'était déclarée pour la Fronde, devait être délivrée d'une partie des impôts. 11 réclamait pour son frère, le prince de Conti, le gouvernement de Provence; pour le duc de Nemours, celui d'Auvergne; pour le président Viole, une charge de président à mortier; pour la Rochefoucauld, un brevet semblable à celui du duc de Bouillon et du prince de Guéménée ; pour Marsin et du Dognon, le titre de marécliaux de France; pour M. de Montespan, des lettres de duc; pour le duc de Rohaii, le gouvernement d'Angers; pour M. de la Force, le gouvernement de Bergeiac; enfin, pour le chevalier de Sillery, un brevet de Tordre du Saint-Es- prit. Si le cardinal acceptait ces conditions et consentait à s'éloigner pour quelque temps, Condé promettait de se séparer de la Fronde, de ménager un prompt retour du ministre et de le soutenir contre ses ennemis.

Mazarin ne repoussa pas tout d'abord les ouvertures du prince ; son génie et son intérêt le portaient égale- ment à négocier. Mais ses Ictti-os confidentielles prou- vent qu'il n'était nullement disposé à accepter de pa- reilles conditions. Quoiciue l'abbé Fouquet fût toujours prisonnier, le cardinal trouvait moyen de lui faire par- venir ses ordres et ses confidences. Il lui écrivait le 5 mai : « Ce que je vous puis dire sur les propositions

80 MÉMOIRES

que Ton fait pour raccommodement, c'est qu'il y a beaucoup de choses captieuses. Car entre nous on veut commencer par mon éloignement, et, dans la consti- tution présente des choses, j'ai sujet de croire que, si j'étais une fois éloigné, on formerait des obstacles à mon retour, qu'il serait plus difficile de \aincre. De plus, M. le Prince insistant à vouloir être employé pour la paix générale, s'il réussissait dans cette négociation, il lui serait fort aisé d'imprimer dans l'esprit des peu- ples que c'a été l'effet de mon 'éloignement et de ses soms, et que, s'il n'avait pas traité avec les Espagnols et pris les armes pour forcer le roi à donner les mains à la paix, je l'aurais toujours éloignée, de sorte qu'au lieu que les Français ont de l'horreur de la liaison qu'il a faite avec les ennemis de cette couronne et de sa ré- bellion, ils croiraient qu'il a pris la meilleure voie pour terminer la guerre étrangère et le considéreraient comme Fauteur du repos et du bien public. C'est pour- quoi le roi ne saurait jamais donner les mains à cette condition, d'autant plus qu'il n'y a guère d'apparence qu'il fasse son confident et son plénipotentiaire une per- sonne qui a de si grands engagements avec ses enne- mis, et qui a encore les armes à la main contre Sa Ma- jesté. »

Cependant Mazarin continua toujours d'amuser le prince de Condé par des négociations. Après Gourville^ ce fut madame de Chàtillon qui fut chargée de les con- tinuer au nom du prince. « Elle crut, dit la Rochefou- cauld ', qu'un si grand bien que celui de la paix devait

I Mémoires, éd t. Michaud et Poujoulat, p. 478.

SUR NICOLAS FOUQUET [aviul-mai 16S2 81

itre Touvrage de sa beauté. » Comme il sera souvent question de cette dame dans nos mémoires, il est né- cessaire de rappeler ici son origine. Elisabeth-Angélique de Montmorency-Bouleville était une des beautés les plus renommées de la cour d'Anne d'Autriche; elle avait débuté dans le monde par une aventure roma- nesque. Elle s'était laissé enlever par le duc de Coligny, en 1645 *, et elle Tavait épousé malgré lopposition du duc de Châtillon, père du ravisseur. Coligny, qui, après la mort de son père, avait pris le titre de duc de Châ- tillon, fut tué en 1649 (8 février), dans la guerre de la première Fronde. « Sa femme, dit madame de Motte- ville *, fit toutes les façons que les dames qui s'aiment trop pour aimer beaucoup les autres ont accoutumé de faire en de telles occasions. » Ce fut alors que les galan- teries de madame de Châtillon firent un éclat dont les mémoires contemporains sont remplis. Nous n'avons pas à nous en occuper. Il suffira de dire, avec madame de Motteville, « que cette dame était belle, galante et ambitieuse, autant que hardie à entreprendre et à tout hasarder pour satisfaire ses passions ; artificieuse pour c^ïcher les mauvaises aventures qui lui arrivaient, autant qu'elle était habile à se parer de celles qui étaient à son avantage. Sans la douceur du ministre, elle aurait sans doute succombé dans quelques-unes; mais, par ces mêmes voies, elle trouvait toujours le moyen de se faire valoir auprès de lui, et d'en tirer des grâces qui ont fait

* Voy. sur cet enlèvement les Mémoires de madame de Motteville. ' Mémoires de madame de Motteville, à l'anntV IGiO.

I. 0

82 MÉMOIRES

murmurer contre lui celles de notre sexe qui élaiori! plus modérées. Le don delabeaulé cl de l'agrément, qu'elle possédait au souverain degré, la rendait aimabie aux yeux de tous. 11 était môme difficile aux particn- liers d'échapper aux charmes de ses flatteries; car eUe savait obliger de bonne grûce et joindre au nom de Montmorency une civilité extrême qui l'aurait rendue digne d'une estime tout extraordinaire, si on avait pu ne pas voir en toutes ses paroles, ses sentiments et ses actions, un caractère de déguisement et des façons al- feclées qui déplaisent toujours aux pei'sonnes qui aiment la sincérité. »

Dans les négociations entamées avec Mazarin, ma- dame de Chàtillon était excitée par le désir de s'at- tacher un héros tel que le prince» de Condé, el anssi par sa haine contre la duchesse de Longucville \ u L'émulation, dit la Rochefoucauld, que hi beauté et la galanterie produisent souvent parmi les dames avaient amsé une aigreur extrême entre madame de Longucville et madame de Chûtillon. Elles avaient longtemps caché leurs sentiments; mais enfin ils parurent avec éclat de part et d'autre, et madamiî de Chûtillon ne borna pas seulement sa victoire à obli- ger M. de Nemours de rompre la liaison qu'il avait avec madame de Longucville, elle voulut ôter aussi à ma- dame de Longucville la connaissance des affaiies el disposer seule de la conduite et des intérêts de M. le

* Voy. [t'a Mémoires de madame de Moiteville et de la Hocfiefoucouid. :• raiinér 1652.

SUR NICOLAS FOUQUET (a\tiii.-)iai lesi) 83

Prince. » Le duc de la Rochefoucauld explique ensuite qu'il fut, dans cetle affaire, un des principaux intermé- diaires entre madame de Châtillon, le prince de Condé et le duc de Nemours ; qu'il les unit dans un môme in- térût et porta le prince de Coude à donner à la duchesse la terre de Merlou *, qui valait plus de dix mille écus de rente. On \oil que madame de Châtillon n'agissait pas par un amour désintéressé des princes et de la paix. En général, ce qui domine dans la conduite de cette noble dame, ce n'est pas la générosité ; elle se montra tou- jours âpre au gain et subordonna toutes ses passions à l'avarice. Munie d'un pouvoir illimité des princes, elle se rendit à la cour. Mazarin la flatta et la combla d'espé- rances. Peut-être môme parvint-il à en faire une des auxi- liaires de sa politique ; la conduite équivoque de madame de Châtillon a donné lieu de suspecter sa bonne foi.

Ce qui est certain, c'est que le cardinal tirait des avantages solides de toutes ces négociations : il gagnait du temps, augmentait les soupçons des cabales oppo- sées, et il amusait le prince de Condé par l'espémnce d'un traité, pendant qu'on lui enlevait la Guienne et qu'on prenait ses places. L'armée du roi, commandée par Turenne et d'Hocquincourt, tenait la campagne;

* Lo bourg (le Merlou, Marlou ou Mdli), osl situé sur le Theraiu, à peu de distance de (IK'iTuont-cn-Bcauvaisis (Oise). Lorel piirle de ce don dana sa Gazelle ou Muse hislorique, du 12 mai 1052 :

Monsieur le prince...

A donné d'un cœur niagnaninic.

A c«tte beauté rarissime

Sa riche maison de Merlou,

Terre propre à chasser le lou,

Et qui vaut de valeur présente

Plus de dix mille écus de rente.

84 MÉMOIRES

celle des princes, au contraire, était forcée de se retirer dans Élampes. A Paris, le parlement se séparait de plus en plus de Condé, et la bourgeoisie commençait à prendre les armes pour mettre un terme à l'anarchie qu'entre- tenaient les factieux. II était temps que les bons citoyens montrassent quelque énergie pour repousser les dangers qui les menaçaient : le prévôt des marchands, qui s'était rendu auprès du duc d'Orléans, pour pourvoir de c-oncert avec lui à Tapprovisionnement de la ville, avait failli être égorgé. La populace l'accabla d'injures et le poursuivit jusque dans le palais du Luxembourg, qu'habitait le prince. Gaston d'Orléans, sous prétexte de protéger le prévôt et deux échevins qui l'accompagnaient, les re- conduisit dans la cour du palais étaient rassemblés cinq ou six mille factieux, et dit à haute voix : « Je ne veux pas qu'il leur soit fait aucune injure céans*. » C'était les livrer à la fureur populaire dès qu'ils auraient franchi le seuil du palais. Aussi furent-ils poursuivis par les factieux, qui les auraient mis en pièces, s'ils n'eussent trouvé asile dans une maison de la rue de Tournon. « Cette insulte, faite au prévôt des marchands, étonna tous les honnêtes gens, même du parti des princes *. » Ainsi parle un grave magistrat, organe des hommes modérés. Le maréchal de l'Hôpital, gouverneur de Paris, le conseil de ville, les quarteniers et colo- nels, vinrent demander justice au parlement contre l'attentat dont le chef de la bourgeoisie parisienne avait

* Métnoiret d Orner-Talon, ibid.y p. 479. Voy. aussi les Mémoires de Gui Joli, Und., p. 73, et surtout ceux de Conrart, p. 544, 599.

* Omer-Talon, ibid.. p. 480.

SUR NICOLAS FOUQUET (avril-mai lesi) 85

failli Mrc victime. Le parlemenl montra peu crénergie pour rétablir Tordre et contenir les faclieux; aussi les bourgeois adoptèrent-ils la résolution dese protéger eux- mêmes. Us se firent donner l'ordre par le roi de pren- dre les armes et occupèrent aussitôt les portes et tous les postes qui pouvaient assurer la tranquillité de Paris (5 mai).

Pendant que le crédit des princes déclinait à Paris, leur armée, surprise par Turenne près d'Étampes (5 mai), essuyait une sanglante défaite. Le maréchal la força de s enfermer dans cette ville, l'y tint assiégée et conçut l'espérance de la détruire entièrement. Le parlement, qui avait été blessé de ce que les princes avaient négocié avec la cour sans sa participation, vou- lut alors prendre l'initiative de la paix, et avant tout éloigner les troupes qui dévastaient les environs de Paris. Le procureur général reçut ordre de se rendre à Saint-Germain et de retracer au roi les doléances de sa bonne ville. Nous avons la harangue que Nicolas Fou- quet prononça dans cette circonstance*. Elle est d'un style plus net et plus clair que celui des discours ordi- naires de la magistrature à cette époque. C'est un spé- cimen que je crois unique du talent oratoire de Nicolas Fouquet', et c'est ce qui me détermine à la publier textuellement :

* La minute wrilo do sa main so trouve dans un manuscrit do la Bib. imp.. F. Gaijrniôres, n- 27U9, fol. 2% sq

* Omcr-Talon, qui se faisait de réioquencc parlementaire une idée qu'il nous serait diflicilo d'adopter, dit dans ses MtWnoires [Ibid , p. 485-, c que le talent du procureur général (Nicolas Fouquel) n'était pas d'ûlre

86 NÉMOinES

« Sire,

« Voire parlement de Paris m*a envoyé vers Votre Majesté pour la supplier très-humblement de vouloir accorder un jour à ses députés et à ceux des autres compagnies pour faire les remontrances qui ont été or- données sur la conjoncture des affaires présentes, et sur la cause des mouvements dont TÉtat est misérable- ment agité. Outre plus, Sire, j'ai été chargé de faire entendre à Votre Majesté l'extrémité de la misère à la- quelle sont réduits la plupart de vos sujets. Les crimes et les excès des gens de guerre n'ont plus de bornes ; les meurtres, les violements, les incendies et les sacrilèges ne passent plus que pour des actions ordinaires ; on ne» se cache plus pour les commettre, et les auteurs en font vanité. Les troupes de Votre Majesté, Sire, vivent aujour- d'hui dans une telle licence et un tel désordre, qu'elles n'ont point de honte d'abandonner leurs quartiers, môme pour aller piller ceux de vos sujets qui se trouvent sans résistance. Les soldats forcent les maisons des ec- clésiastiques, des gentilshommes et de vos principaux officiers, en plein jour, à la vue de leurs chefs, sans crainte d'être conruis et sans appréhension d'être punis. Les pau\Tes habitants de la campagne, misérablement pillés, outragés et massacrés, viennent tous les jours demander justice à votre parlement, et votre parlement, dans l'impuissance de la leur rendre, la demande à Votre Majesté pour eux.

« Je n'entreprends point, Sire, de représenter à Votre

cHégant ; mais, ajoutc-t-il, il était fort bon négccintcur, o\ capable dos liahiludos du cal>i)iot dans Icsquollt-s il avait été nouiri. »

SUR NICOLAS FODQUET fAvniL-MAi lesi 87

Majosté le grand préjudice qu'apportera celle désolation publique il vos affaires et l'avantage qu'en doivent tirer les ennemis, voyant les lois les plus saintes publique- ment violées, l'impunité des crimes solidement établie, la source de vos finances tarie, les affections des peuples altérées et votre autorité méprisée. Je viens seulement convier Votre Majesté, w^ire, au nom de son parlement et de tous ses sujets, de se laisser loucher de pitié par les cris de son pauvre peuple, d'écouter les plaintes et les gémissements des veuves et des orphelins, et de vou- loir conserver ce qui reste et qui a pu échapper à la fu- rie de ces barbares qui ne respirent que le sang et le carnage des innocents, et qui n'ont aucun sentiment d'humanité. Sire, le mal est grand et pressîuit ; mais il n'est pas sans remède, si Votre» Majesté s'y daigne ap- pliquer sérieusement. C'est un soin digne d(î sîï géné- rosité et de l'affection paternelle qu'elle doit à ses sujets.

« Faites, Sire, faites connaître la tendresse de votre bon naturel dans le commencement de votre régne, et que la compassion que vous aurez de tant de misérables attire les bénédictions célestes sur les premières années de votre majorité*, qui seront sans doute suivies d'un grand nombre d'autres beaucoup plus heureuses, si les souhaits et les vœux de votre parlement et de tous vos bons sujets sont exaucés.

« Qu'il plaise à Votre Majesté, Sire, en attendant ce grand et seul remède à nos malheurs présents, que de-

* La niajoriti» de Um'ii^ X!V avai! élé pi-oclamcV au parlcinnit W 7 si-p- teiiihro ir»r>i.

88 MÉMOIRES

manderont au premier jour toutes les compagnies de votre bonne ville de Paris, faire vivre au moins les gens de guerre en quelque sorte de discipline, faire observer les ordonnances, contenir les soldats et leurs officiel^ dans les quartiers, punir les criminels et enfin obliger les chefs et commandants, sans distinction des per- sonnes, à livrer les coupables à la justice pour être châ- tiés, ou demeurer responsables, en leurs propres et privés noms, de tous les désordres qui auront été com- mis. Ce sont les très-humbles supplications que votre parlement de Paris fait à Votre Majesté par ma bouche. »

Ces remontrances ayant produit peu d'effet, le par- lement renvoya les gens du roi à Saint-Germain, était Louis XIV, et les chargea de demander expressément que les troupes fussent éloignées à dix lieues au moins de Paris*. Au retour de cette mission, Nicolas Fouquet en rendit compte au parlement. La relation, écrite en- tièrement de sa main, est parvenue jusqu'à nous* :

« Nous partîmes vendredi au soir (10 mai), M. Ci- gnon et moi, pour aller à Saint-Germain, en exécution de l'arrêt rendu le même soir, et arrivâmes fort tard. Nous ne pûmes voir M. le garde des sceaux'^, qu'il no fût près d'onze heures, au retour du conseil. Dés ce soir- nous fîmes entendre à mondit sieur le garde des sceaux le sujet de notre voyage et l'intention de la com-

« Mémoires WOrner-Talon, édit. Michaud etPoujoulat, p. 480.

* Elle se trouve dans les manuscrits de la Bibl. Imp., F. Gaipnières, n- 2799, fol. 289, 3(H. On voit par les Mémoires dVmer-Talon, ibid., I'. 485, que Fouquet, lit celte relation le 16 mai.

* Mathieu Mole, qui cumulait cette charge avec celle de premier prési- dent du parlement de Paris. ,

SUR NICOLAS FOUQUET (avril-mai i«i; 89

pagnie pour réloigncment des gens de guerre, et par- ce que nous avions appris, depuis notre arrivée, qu'il y avait eu des troupes commandées pour faire, cette nuit môme, Y attaque du pont de Saint-Cloud *, nous fimes nos efforts pour faire changer cette résolution, dans Tappréhension que nous eûmes que les affaires ne se portassent dans Taigreur à cette occasion. Nous ne pûmes obtenir, pour ce soir, ce que nous demandions, pour ce qu'il était trop tard, et que l'on nous dit la chose engagée et peut-ôtre faite; mais on nous fit espé- rer de surseoir ce qui resterait.

« Le lendemain nous eûmes notre audience entre trois et quatre heures apriVs midi, et nous fûmes con- duits à la chambre du sieur Duplessis*, secrétaire d'État, par le sieur Saintot, maître des cérémonies, et de dans le cabinet du roi, dans lequel nous fûmes introduits par ledit sieur Duplessis. Dans le cabinet, le roi était assis et la reine à côté. M. le duc d'Anjou' y était, M. le garde des sceaux, M. le prince Thomas *, MM. de Bouillon, de Villeroy, du Plessis-Praslin, Servien, M. le surinten- dant*, les quatre secrétaire d'État®. Nous nous appro- châmes du roi et lui fimes entendre en peu de mots le sujet pour lequel nous étions envoyés, suppliâmes Sa Majesté de vouloir délivrer sa bonne ville de Paris de

* Ces mots sont soiilipms dans le manuscrit.

' Duplessis-Guciiégaud, un dts quatre secrétaires d'État. ^ Le duc d'Anjou était Philippe de France, frère du roi. l\ porta dans la suite le nom de duc d'Orléans.

* Le prince Thomas de Savoie-Caripnan.

* Duc de la Vieu ville.

^ ÏÀis quatre secrétaires dÉtat étaient alors Michel le Tellier. Loménie de Brienne, Duplessis-Guénégaud et Phelypeaux de la Vrilliére.

00 MÉMOIRES

Topprcssion en laquelle elle se trouvait réduile par le séjour des troupes dans son voisinage, d'avoir la bonlù de les éloigner de dix lieues à la ronde au moins, et par ce moyen faciliter le passage des vivres, la liberlé du commerce et rétablir Tabondance nécessaire à un si grand peuple; que le parlement demandait seulement l'exécution des paroles portées, au nom de Sa Majesté, par M. le maréchal de l'Hôpital, puisque l'occasion pour laquelle lesdites troupes s'étaient approchées cessait au moyen de la déclaration faite le jour précédent par M. le Prince en rassemblée des chambres du parlement, tan! au nom de M. le duc d'Orléans qu'au sien, de retirer en même temps les troupes sur lesquelles ils ont pou- voir; que pour le surplus de ce qui nous était ordonné touchant la pacification des troubles de son royaume, la cause et les remèdes, nous ne pouvions rien ajoutei* aux remontrances faites depuis peu par les députés du parlement, dont nous étions chargés de demander la réponse, et supplier Sa Majesté de la vouloir rendre au plus lot.

a Le roi nous dit que M. le garde des sceaux nous fe- rait entendre sa volonté; lequel incontinent nous dit que le roi était dans Tintention de donner à sa bonne ville de Paris, et à l'intercession du parlement, toute la satisfaction que Ton pouvait attendre pour Téloignemcnt des gens de guerre, lesquels ne s'en fussent point ap- prochés si les autres troupes ne se fussent saisi des pas- sages, n'eussent empêché le commerce ordinaire, pris des prisonniers, obligé d'avoir des passe-ports pour ve- nir trouver le roi; qu'il ne tiendrait pas à Sa Majesté

SDR NICOLAS FOUQUET lAvnii.-îiAi test) 91

que Ton no fît cesser tous ces actes d'hostilité dans Pa- ris et dans les dix lieues à la ronde, et que Tabondance, la paix et la tranquillité ne fussent rétablies. Néanmoins, a\'ant que nous rendre la réponse précise, puisque Sa Majeslé apprenait, par l'arrôtdu parlement, que le ma- réchal de rilôpital et un député, de la part de M. le duc d'Orléans, devaient venir pour le môme sujet, que Sa Majesté enverrait Tordre audit sieur maréchal et un passe-port, le nom en blanc, pour celui que Monsieur voudrait nommer, et cependant que nous eussions h demeurer jusqu'à leur arrivée; que Ton avait eu regret que TafTaire de Saint-Cloud fût engagée avant notre ar- rivée ; mais que, si nous étions venus par le chemin or- dinaire, nous avions pu voir filer les troupes qui étaient commandées depuis longtemps, et que, pour ce qui restait à exécuter, le roi ferait surseoir l'exécution des ordi^es qui étaient donnés.

« Le roi fit souvenir ensuite M. le garde des sceaux de parler de madame de Bouillon*, lequel nous dit que Sa Majesté trouvait étrange qu'elle fût retenue prison- nière et qu'on eût souffert qu'une personne de sa con- dition, sortant de la ville sous la foi des passe-ports, fût maltraitée comme elle avait été. Nous répondîmes au roi que cette affaire n'était point de notre connaissance, et que le parlement n'y avait point de part; mais que, puisqu'il plaisait au roi nous l'ordonner, nous en ferions rapport à la compagnie.

« Nous fûmes invités de grand nombre de personnes

* Voy. (I.uis 1rs Mémoires de Conrart (p. 5i8, nlil. Mii-liaud et Wm- joulaT l«»»î insultes aiixquclh.'s la <lucliosso do lUniilloii avail 6U^ vxyïOsCH}.

MÉMOIRES

de qualité et de la plupart de ceux que nous avons nom- més, qui composent le conseil du roi, lesquels voulu- rent rendre leurs respects et leurs civilités au parle- ment en nos personnes. Nous passâmes ainsi le samedi et le dimanche matin, attendant M. le maréchal de l'Hôpital, lequel n'arriva qu'environ le midi avec le sieur comte de Béthune, envoyé par M. le duc d'Orléans, et vinrent ensemble sur les trois heures, par ordre du roi, chez M. le garde des sceaux, nous avions dîné, pour conférer avec mondit sieur le garde des sceaux, M. de Bouillon, M. le maréchal de Villeroy, les sieurs le Tellier et Duplessis-Guénégaud, secrétaires des com- mandements du roi, lesquels avaient eu ordre pareil- lement de s'y trouver.

a Après que nous eûmes de nouveau fait entendre le contenu en TaiTÔt de la cour et la supplication que nous étions chargés de faire au roi, d'éloigner toutes les troupes dix lieues à la ronde de Paris, et que M. le ma- réchal eut insisté à la môme proposition, le comte de Béthune fit entendre qu'il avait charge de M. le duc d'Orléans et de M. le Prince d'assurer le roi qu'aussitôt que les troupes seraient retirées ils feraient aussi reti- rer celles qu'ils avaient dans Paris et aux environs, en leur donnant les passe-ports et escortes nécessaires poui* aller en sûreté à Ètampcs. A quoi il fut répondu par M. le garde des sceaux que c'était une condition non velle dont M. le Prince n'avait point parlé dans le Par- lement ; qu'il était juste de donner à ces troupes passe- ports et escorte; mais de les conduire à Étampes, il n'é- tait pas raisonnable, puisque c'était une place attaquée

SUR NICOLAS FOUQUET (avril-mai leii) 93

OU qui le serait dans peu de jours, et que, s il voulait dire le nombre d'hommes pour l'exprimer dans les passe-ports, on aviserait, suivant la quantité des troupes, du lieu elles seraient conduites. A quoi le comte de Béthune ayant reparti qu'il n'avait aucune connaissance du nombre d'hommes, et qu'il ne le pouvait apprendre sans aller à Paris, ou y envoyer un exprès, et que d'ail- leurs son ordre portait ce qu'il avait déjà dit pour Étampes et qu'il ne pouvait s'en relâcher en aucune manière, M. le garde des sceaux dit (ju'il en ferait son rapport au roi pour connaître sa volonté.

« Le lendemain matin, mardi, nous fûmes avertis que le roi nous donnerait audience à l'issue de son dî- ner, et sur les trois heures nous fûmes conduits dans le cabinet du roi, en la même manière, et étaient les mômes personnes que la première fois. Le roi nous dit que nous verrions son intention dans un écrit qu'il nous mit entre les mains, et ensuite, après avoir pris congé de Sa Majesté, nous partîmes le même jour et vînmes coucher en cette ville. » La réponse remise aux députés contenait, en substance, que l'armée royale s'éloignerait à dix lieues de Paris, pourvu que le duc d'Orléans et le prince de Condé éloignassent de même leurs troupes. (Juant aux questions qui conct^rnaient la pacification générale du royaume, le parlement de- vait envoyer à Saint-Germain deux présidents et deux conseillers qui entendraient la volonté du roi ^

Ces négociations, conduites sans bonne foi et sans

« Mémoires d'Omer-Talon, ibid,. p. 48i.

94 MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET (avril-mai 165i

amour sincère de la paix, n'étaient destinées qu'à amu- ser et à gagner les magistrats. Elles couvraient des con- férences plus sérieuses, le procureur général trai- tait directement avec Mazarin. Nicolas Fouquet y obtint qu on s'occupât de l'échange de son frère, qui était toujours prisonnier des princes. Le cardinal écrivit le 12 mai à l'abbé Fouquet : « Le roi trouvera bon de vous échanger avec une personne de qualité et de votre profession. 11 faudrait que ce fut madame de Pui- sieux* qui le lit proposer à M. le Prince, et il semble qu'il n'y aurait aucune raison pour rompre cet échange. » En effet, l'abbé Fouquet ne tarda pas à être mis en li- berté. Les lettres du cardinal attestent aussi que la cour était très-disposée à accueillir et à flatter les députés du parlement. 11 devenait chaque jour plus facile de ramener les principaux membres de ce grand coi'ps,

fatigué de la tyrannie des princes et des violences <le leur faction. Quant au duc d'Orléans et au prince de Condé, ils parurent indignés des négociations de la cour avec le parlement, rompirent toutes les conférences et ixîprirent les armes'.

^ Charlotte de Valcnçay, niaivjuise de l*uisiciix ou Tisiciix. Ell(; ('tait veu\e depuis ICiO et mourut en 1077, à quatre-vingls ans. Saint-Siiuon l'a caractmsi'c en quelques lîfcnes : « C'était une femme souverainement glorieuse, que la dis^TÛce n'avait pu abattre, ( t qui H'ap|)elait jamais son Irère le conseiller d'Etat que : mon frère ie bâtard. On ne peut avoir plus d'esprit tpi'(»lle m avait, .-t, (pioique impérieux, plus tourné à l'iiilrigUL'. >•

* Mémoires dVmer-Taion, ibid., p. 48 i, 485.

CHAPITRE M

- MAI -JUIN 1052 -

r^mdi* s'empare de lu ville de Sainl-Donis (Il mai), qui < si l»ienlôl reprise par l'ai'inée royale ( 13 mai , . les priiu^es s'adresstnit an duc de Lorraine, tpii s'avance jus([u La^nyà la têle d'une jM^tile année. SonaiTivre à Paris (!•' juin). (îaraclèro de ce duc et de ses troupes. Frivolité apparente du duc de Lorraine. Ses temporisations affectées. Il néj^'ocie avec la cour par l'intermédiaire de Fuadame de Clicvreuse et de l'abbé Fouquel. Intiniili' de l'abbé Fouipiet avec niadenioisolle de Clievreuse. Lettre de l'ablM; Fouquet à Mazarin i juin) sur les néffociations de madame de Clievreuse avec le duc de Loiraine. Lettre d«' Mazarin à madame de Clievreusi- (5 juin\ Traité sijjné avec h' duc de Lorraine iG jniFi). Part (ju y a la princess^^* de Gué- méFiée (.Vnne de HobaFi). Le duc de Lorraine seloij^iK^ de Paris. Misèiv d«; c<?tte ville. Proce.*s'îij)n de la cbAsse de sainte Genc>iêve (Il juin). (k)nduite du prince de Condé à celte occasioFi. Mur- mures (ît meFiaœs coFitre le [)aF'lemcnt . Violences exercé(»s conlF'e les conseillers (21 juin). Mazarin encoui'a^'C l'alibé Fompiel à exciter lo peuple contre le parl-ment. Tunuiltc du 25 juin. Dan^^er que courlle procureur jrénéi'al Nicolas F«)uquet. Les deux années se rap- procbcnt d<»Pari<.

Les troupes royales, campées à Saint-Germain, s'é- taient avancées jusqu'au pont de Saint-Cloud, dans l'espérance de s'en emparer sans résistance. A cette nouvelle, Condé se hûla de se porter vei*s le bois de Bou- logne, et les Parisiens le suivirent en grand nombre'.

* Mémoires de Conrart (édit. Mirbaud el Pouj(.ulat), p. 551.

96 MÉIdOIRES

Mais déjà les troupes royales s'étaient retirées, sur un ordre venu de Saint-Germain. Condé, voulant profiler de Tardeur des soldats et des bourgeois qui Tavaienl accompagné, les mena à Saint-Denis, qui n'était dé- fendu que par un petit nombre de Suisses. Cette ville fut enlevée sans difficulté (11 mai); mais deux jours après un des généraux de Tarmée royale, Miossens, qui devint plus tard le maréchal d'Albret, la reprit aussi aisément. La bourgeoisie parisienne sortit pour le combattre, mais à la première charge de la cavalerie ennemie elle tourna le dos*. On ne fit que rire à Paris de cette expédition, et les bourgeois qui jouaient au sol- dat devinrent Tobjet de railleries, dont Loret s'est fait l'écho dans sa Muse historique du 19 mai :

...Étant dans leurs familles Avec leurs femmes et leurs filles, Ils ne disaient parmi les pots Que mots de guen'c à tous propos : Bombarde, canon, coulcuM'iue, Demi-lune, rempart, courtine... Et d'autres tels mots triomphants, Qui faisaient peur à leui^ enfants.

Avec de pareils soldats, Condé ne pouvait espérer sou- tenir son ancienne gloire militaire. Quant à sa véri- table armée, elle était bloquée à Étampes et vivement pressée par Turenne. Dans cette situation critique, il s'adressa à un prince étranger, Charles IV, duc de Lorraine, beau frère du duc d'Orléans. Charles do Lor- raine, dépouillé depuis longtemps de ses États par Ri- chelieu, menait la vie errante d'un aventurier à la tète

^ Journal de Dubuisson-Aubenay, à la date du 13 mai 1C52.

SUR NICOLAS FOUQUET (mai-ju» issi) U7

d'une petite armée, composée de vieux et bons soldats. Il s'empressa de répondre à l'appel des princes, s'avança jusqu'à Lagny,àla tête de huit cents hommes*, y fit cam- per ses troupes, et se rendit lui-même à Paris (1" juin). Il trouva sur la route le duc d'Orléans et le prince de Condé, qui étaient venus jus(|u'au Bourgetpour le rece- voir. A Paris, le peuple manifesta la joie la plus vive de Tarrivée de ce belliqueux auxiliaire. Sur le pont neuf, ce n'étaient que mousquetades en Thonneur des Lor- rains*. Le bon peuple de Paris ne se doutait guère du caractère des alliés qu'il fêlait. Le duc de Lorraine, ha- bitué depuis longues années à la vie des camps, allichait dans sa conduite et dans ses paroles un cynisme effronté. Il cachait, sous une légèreté moqueuse, l'ambition et l'avidité d'un chef de mercenaires; se jouait de sa pa- role et négociait avec Mazarin en même temps qu'avec les princes. Ses soldats, habitués aux horreurs de la guerre de Trente-Ans, étaient des pillards impitoyables', et il ne fallut pas longtemps au peuple des campagnes pour en faire la triste expérience.

Quant au duc, on prit d'abord ses façons brusques et libres pour la franchise originale d'un soldat. Les dames surtout s'y laissèrent séduire*. Le duc de Lor- raine logea au palais du Luxembourg, qu'habitaient son beau-frère et sa sœur, Gaston d'Orléans et Marguerite de Lorraine. Après quelques jours donnés aux plaisirs,

* Mémoires du cardinal de Betz, à l aniici» 1G52.

* Journal de Dubuisson-Aubenay, à la datt» du !•' juin.

* Mémoires de Conrart, p. 557 (tklit. Michaiid rf Poujoulal;.

* Yoy. les Mémoires de mademoiselle de Montpensier, à rainiêe 1652. Los Mémoires de Conrart ({>. 557) {larlcul du cynisiiio <!u duc du Lorraine.

I. 7

U8 MÉMOIRES

les princes voulurent aller au secours d'Étanipes ; mais leur allié prenait tout sur un ton de raillerie, chantait et se mettait à danser, « de sorte, dit mademoiselle de Montpensier^, que Ton était contraint de rire.» Le duc d'Orléans Tayant envoyé chercher un jour que le cardi- nal de Retz éîait dans son cabinet, et voulant lui parlei* d'aflaires, il répondit : « Avec les prêtres, il faut prier Dieu; que Ton me donne un chapelet*. » Quelque temps après arrivèrent mesdames de Chevreuse et de Montba- zon, renommées par leur beauté et leur galanterie. Comme on tenta encore de parler de choses sérieuses, le duc de Lorraine prit une guitare, et leur dit : « Dan- sons, mesdames; cela vous convient mieux que de i)ar- 1er d'affaires *. » Pour échapper aux instances de ma- demoiselle de Montpensier, il affectait un amour i)as- sionné pour madame de Frontenac, une des maréchales de camp de la princesse.

Cette apparence de frivolité couvrait, comme nous Tavons dit, beaucoup de finesse, d'astuce et même de duplicité. Le duc de Lorraine n'avait pas tardé à voir était la force réelle. Du côté des princes, il n'y avait que divisions. Gaston d'Orléans était jaloux du prince de Condé; la duchesse d'Orléans détestait sa belle-fille, mademoiselle de Montpensier, et servait le parti de la cour. Au contraire, la cause royale, dirigée par Mazarin, présentait plus d'unité dans les vues, et des espérances

' Mémoire» de mademoiselle de Montpeiuner, êdit. Cliurpeiilier, 1. W. p. 75.

* Ibidem, p. 7G.--Voy. 'àn^^sAX^a^ Mémoires de Conrart (édit. Michaud ci Poujoulal), p. 557.

Mémoires de mademoiselle de Monivcusier. p. 70, 77.

SDH NICOLAS FOUQUëT ^mai-jh.n ic5i, 00

plus solides. La personne qui servit, dans cette circon- stance, à gagner complètement Charles IV fut madame de Chevreuse; depuis près d*une année, elle s'était ral- liée à la cause royale et la servait avec zèle et habileté. Elle était entourée dcMazarins; Laigues, qui la gouver- nait à cette époque \ était dévoué au cardinal, et labbé Fouquet, qui s'était introduit dans son intimité, exerçidt un grand empire sur mademoiselle de Chevreuse, Char- lotte de Lorraine*. Madame de Chevreuse obtint d'abord que le duc, bien loin de marcher en toute hâte au secours d'Étampes, traînerait en longueur. Dés le 4 juin, l'abbé Fouquet en avertit Mazarin : « Madame de Chevreuse a tiré parole de M. de Lorraine qu'il serait six jours dans sa marche; quaprès-demain il styournerait tout le jour, et qu'aujourd'hui il ne ferait partir de Lagny que la moitié de son armée, quoiqu'il lui fût aisé de faire par- tir le tout. Si dans Tinlervalle on pouvait achever Taf- faire d'Étampes (s'en emparer), il en serait ravi, car il est tout à fait dans les intérêts de la reine. Mais, si on ne le peut en ce temps-là, il pense qu'il sera aisé de faire une proposition pour la paix générale de concert avec lui, et il s'engage à servir la reine comme elle le pourra souhaiter. Madame de Chevreuse dit qu'il serait bon que

* Le jcuiio Brieiinc [Mémoires publiés par M. BaiTÎèi'o, l. H, p. 178) dit que Laigues était le mari de conscience de madame de Clievreuse. Voy. aussi l'ouvrage de M. Cousin, intitulé : Madame de Chevreuse.

* Retz, qui ne connaissait que tro]) les mystères de l'hôtel de Ciir- vreuse, le dit positivement [Mémoires, édit. CliariK.>ntier, t. IV, p. 1^ et 14) : « Elle devint amoureuse de l'abbé Fouquet au [wiiit de ré|>ousiT s'il eût voulu. » Comme nous l'avons déjà dit, l'abbé Fouquet n'était pas prêtre, et les portraits de Naiiteuil lui doiment une physionomie vive et spirituelle, ({ui explique si*s succès auprès des dames du plus haut rang.

iUe MÉMOIRES

la reine l'en remerciât par écril. Elle pense que, si Ton envoyait Laigues avec une résolution certaine sur Vie et Moyenvic (places que réclamait le duc de Lorraine), on aurait contentement; il est nécessaire de donner une réponse précise au plus tôt. Il faut que Voire Éminence, si elle veut songeràcette afi'aire, fasse témoigner à M. de Lorraine qu'elle servira ses enfants. C'est toutson désir. Il serait bon que Votre Éminence écrivit à madame de Chevreuse pour la remercier. Elle a gagné deux jours sur l'esprit de M. de Lorraine. » Cette lettre confiden- tielle prouve que le cardinal de Retz, qui parle dans ses Mémoires de la négociation de madame de Chevreuse *, n'en connaissait pas les détails. Il est vrai qu'il avoue qu'à cette époque il ne fréquentait plus guère l'hôtel de Chevreuse, et il laisse percer, malgré lui, son dépit de n'avoir été « du secret ni de la mère ni de la fille*. » Mazarin s'empressa de profiter de l'ouverture de labbé Fouquet, et la lettre qu'il adressa à madame de Chevreuse prouve quel cas il faisait de ses services : « Le sieur de Laigues, lui écrivait-il le 5 juin, vous dira toutes choses pour ce qui regarde les affaires générales. A quoi je n'ajouterai rien ; mais je ne puis m'empôcher de vous témoigner moi-même par ces lignes la satisfac- tion que j'ai de tout ce (jue vous avez fait avec M. de Lorraine. Je n'ai point douté que vous ne lissiez plus d'impression que personne sur son esprit; je suis ravi de vous voir entièrement disposée pour le service du roi, et pour mon intérêt particulier. J'espère une bonne

* Mémoires du cardinal de lietz, l. IV, p. 29 et ZO (êdit. Cliarpeiilicr;.

* liHdem, p. 30.

t ;-.••. .*

SUR NICOLAS FOUQUET (mai-juin lesi) iOl

suite de cette négociation, et qu'elle se terminera avec beaucoup de gloire et d'avantage pour M. de Lorraine, îivec le rétablissement du repos de la France, et peut- être de toute la chrétienté. Je vous prie de rassurer bien expressément delà continuation de mon estime et de mon amitié, et de le remercier, de ma part, de tous les sentiments qu'il vous a déclaré si obligeamment avoir pour moi. »

L ancien garde des sceaux, Châteauneuf, qui était toujours resté en relation avec madame de Chevrcuse, fut chargé de régler les conditions du traité avec le duc de Lorraine. Tout fut terminé dés le lendemain G juin, et, le môme jour, Châteauneuf écrivait à la reine : « M. de Lorraine est venu céans sur les dix heures, et nous sommes convenus des articles que j'envoie à Votre Majesté; ils sont à peu près selon l'intention de Sa Ma- jesté et le pouvoir qu'Elle m'a donné. L'armée, qui est devant Étampes, peut tout tenter jusqu'à mardi, quatre heures du matin ; cîu*, encore que le jour du lundi * soit exprimé dans le traité, j'ai retiré de M. de Lorraine un écrit particulier que ce mot de lundi s'entend tout le jour, et il suffit que l'armée se retire le mardi à quatre heures du matin ; ainsi elle a le lundi tout en- tier. Je n'ai fait la suspension d'armes que pour dix jours; et, si l'armée des princes sort d'Étampes, celle de Votre Majesté la peut suivre toujours ù quatre lieues près. Si elle est suivie, elle est perdue en l'état qu'elle est, et, cela cédé, M. de Lorraine obligera les princes à

' Ï/O lundi était le 10 jnin.

102 MÉMOIRES

se soumettre à telles conditions qu'il plaira à Votre Ma- jesté. Aussitôt que le siège d'Étampes sera levé, M. de Lorraine fait état d aller saluer Vos Majestés, et leur proposer son entremise pour la paix d'Espagne et celle des princes. Après quoi, dit-il, il suppliera Vos Majestés de lui donner la sienne et le recevoir à votre service envers tous, excepté les Espagnols. Il m'a dit que jus- qu'ici ni Monsieur ni M. le Prince ne savaient rien de ces articles ; qu'il voulait sortir de Paris, et que de son camp il leur en donnerait part. Je doute de cela, et la suite nous le fera connaître. J'ai promis d'ici à demain, qui est le 7, de lui donner la ratification des articles, si Votre Majesté les a agréables. »

Ainsi, les conditions arrêtées étaient : 1*" la levée du siège dËtampes qui devait avoir lieu le 10 juin ; 2* une suspension d'armes de dix jours, pendant laquelle les armées resteraient à une distance d'au moins quatre lieues l'une de l'autre ; ^ la retraite du duc de Lorraine, qui devait s'effectuer en quinze jours, par une route déterminée à l'avance, et sans qu'il fût inquiété par les troupes royales. Les conditions furent exécutées au grand étonnement des Frondeurs, qui s'aperçurent trop tard qu'ils avaient été joués par le duc de Lorraine. « Tout Paris, dit mademoiselle de Montpensier *, était dans des déchaînements horribles contre les Lorrains ; personne ne s'osait dire de cette nation de peur d'être noyé. »

Outre la duchesse de Chevreuse, la cour avait em-

* Mémoires, t. H, p. 82 (édit. Charpentier V Voy. Mémoires de Con- rart. p. r»00 fôdit. Mirbaudot Poiijoulnt).

SUR NICOLAS FOUQUET MAi-jriMcsî 105

ployé dans cette négociation une autre dame également renommée pour sa beauté et sa galanterie, f/était ma- dame de Guéménée (Anne deRohan), que les Mémoires de Retz font parfaitement connaître. L'abbé Fouquet en- tretenait aussi des relations avec cette dame, et ce fut sans doute lui qui la détermina à servir la cour. On ca- cha à madame de Chevreuse cette nouvelle intrigue ; mais elle est parfaitement constatée par les lettres de Mazarin. Il écrivait le 9 juin à Tabbé Fouquet : « Je vous fais seulement ces trois mots pour vous dire dans la dernière confidence que M. de Lorraine m'a écrit, et a fait dire à la reine que madame la princesse de Gué- ménée a fort bien agi, et comme une personne tout à fait servante de Sa Majesté et de mes amies particulières. La reine serait bien aise qu'elle pût trouver quelque prétexte de venir ici pour y être en même temps que M. de Lorraine, qui y sera demain, au moins à ce qu'il m'a promis. Je recevrai beaucoup de joie d'avoir Thon- neur de l'entretenir. Sur tout, je vous prie, si elle veut prendre cette peine, qu'elle fasse la chose en sorte que madame de Chevreuse ne puisse point pénétrer qu'on l'ait invitée d'ici à y venir, et le secret en ceci est fort important. »

Tout réussit, comme le cardinal Tavait espéré, et le duc de Lorraine, après avoir fait quelques démonstra- tions pour secourir Étampes, s'éloigna de Paris, laissant les campagnes désolées. Mazarin a bien soin, dans ses lettres, de rejeter ces calamités sur les princes. Il écri- vait à l'abbé Fouquet : « Vous aurez déjà su, je m'ar- sure, i\ Paris, ce qui s'est passé avec M. de liorraine, et

104 MÉMOIRES

avec combien de sincérité on a procédé avec lui, puis- que M. de Turenne pouvant lui faire courir grand ris- que, comme lui-môme et le roi d'Angleterre* l'avoue- ront, il a préféré à cet avantage Texécution des ordres de la cour, qui lui défendaient d'attaquer ledit sieur duc; mais il demanda qu'il voulût rompre son pont, séparer ses troupes d'avec celles des princes et se retirer à la frontière, comme il s'est engagé de faire. 11 ne parle point de venir à la cour; mais il assure qu'il est plus résolu que jamais d'achever son accommodement particulier, étant bien persuadé de l'avantage qu'il y trouvera, et que l'on veut traiter à la cour de bonne foi. Les environs de Paris ne perdront pas à son éloi- gnement, et il sera bon de faire valoir que j'y ai con- tribué. »

La misère des campagnes fut en effet un peu allégée par le départ du duc de Lorraine; mais la situation de Paris était toujours déplorable. Le nombre des pauvres s'y accroissait d'une manière effrayante. On eut recours, dans ces calamités, a sainte Geneviève, patronne de la capitale. La châsse de cette sainte fut promenée dans la ville le H juin avec un cérémonial dont les Mémoires du temps nous ont laissé une ample description*. Le prévôt des marchands demanda et obtint, pour celte

* Charles II qui s'était retire en France. On voit par les Mémoires de mademoiselle de Moutpensier et de madame de Motteville, que le roi d'Angleterre lut employé dans les négociations avec le duc de Lon'aine.

Voy. enire autres dans le Choix des Mazarinades (t. II, p. 367) la pièce intitulée : L ordre et la cérémonie qui se doit observer, tant en la descente de la châsse de sainte Geneviève qu'en la procession d'i- celle, etc.

SUR NICOLAS FOUQUET (mai-jupc lesi) 105

procession, Tautorisation du chapitre de Notre-Dame et des religieux de Sainte-Gcneviôve, puis s*adressa au par- lement, qui fixa Tépoque de la cérémonie. Aprèsun jeûne de trois jours, les religibux de Sainte-Geneviève des- cendirent la châsse à une heure après minuit. Le lieu- tenant civil d'Aubray, le lieutenant criminel, le lieute- nant particulier et le procureur du roi ^ la prirent en leur garde, en répondirent à la communauté, et se tinrent pendant la procession autour de la châsse. La marche était ouverte par les quatre ordres de religieux mendiants, savoir : les cordeliers ou francisciiins, les jacobins ou dominicains, les augustins et les carmas. Venait ensuite le clergé des principales paroisses subor- données à Notre-Dame, avec les châsses célèbres de saint Magloire, saint Médéric ou saint Merry, de saint Landry, sainte Avoie, sainte Opportune, saint Marcel, et enfin la châsse de sainte Geneviève portée par des bourgeois de Paris. L'abbé de Sainle-Geneviève et les religieux, pieds nus, marchaient à la droite de la châsse. A gauche se trouvait le clergé de Notre-Dame. Le par- lement suivait ; on y remarquait les présidents de Bail- leul, de Nesmond, de Maisons, de Mesmcs et leCoi- gneux. Le maréchal de Tllôpital, gouverneur de Paris, marchait entre les deux premiers présidents. Le par- quet, composé du procureur général, Nicolas Fouquet, et des avocats généraux, Bignon et Talon, figura aussi à cette cérémonie, ainsi que la chambre des comptes,

* Ces quatro magistrats ôtaiont ofllcicrs du Châtolet, c'cst-à-clirp qu'ils remplissaient des officias do judicatiiro au tribunal do ce nom.

106 MËMOIUES

la cour des aides, le prévôt des marchands, les échevins et le conseil de ville.

« Pendant celte pieuse action, dit madame de Motte- ville*, M. le Prince, pour gagner le peuple et se faire roi des halles aussi bien que le duc de Beaufort, se tint dans les rues et parmi la populace, tandis que le duc d'Orléans et tout le monde était aux fenêtres pour voir passer la procession. Quand les châsses vinrent à passer, M. le Prince courut à toutes avec une humble et appa- rente dévotion, faisant baiser son chapelet et faisant toutes les grimaces que les bonnes femmes ont accou- tumé de faire. Mais, quand celle de Sainte-Geneviève vint à passer, alors comme un forcené, après s'être mis à genoux dans la rue, il courut se jeter entre les prêtres; et, baisant cent fois cette sainte châsse, il fit baiser encore son chapelet et se retira avec lapplaudis- sement du peuple. Ils criaient tous après lui, disant : « Ah ! le bon prince^ et quil est dévot ! » Le duc de Beau- fort, que M. le Prince avait associé à cette feinte dévo- tion, en fit de même, et tous deux reçurent de grandes bénédictions, qui, n'étant pas accompagnées de celles du ciel, leur devaient être funestes sur la terre. Cette action parut étrange à tous ceux qui la virent. 11 fut aisé d'en deviner le motif qui n'était pas obligeant pour le roi ; mais il ne lui fit pas grand mal. »

Le peuple de Paris avait été un instant distrait de sa misère par ces cérémonies religieuses; mais, comme il n'en recevait aucun soulagement, il commença à écln-

« Mifmoirfs. î\ Tannée 1652.

SUR NICOLAS FOUQUET >u-jrix icsi 107

ter en murmures, à entourer le parlement et à le menacer. Vainement le 18 juin on tint une grande assem- blée où Ton appela toutes les communautés ecclésiasti- ques, pour tâcher de soulager les pauvres, dont la mul- titude s'accroissait chaque jour K Les secours étaient impuissants pour remédier à tant de maux, et le parle- ment devenait de plus en plus impopulaire. C'était la conséquence inévitable de la fausse position d'un corps qui proscrivait le cardinal Mazarin et repoussait en même temps l'alliance des princes qui voulaient Ten- trainer à la guerre civile. II était attaqué par les deux partis extrêmes. Le 21 juin, la salle du Pa- lais fut envahie par la populace ; les uns criaient : Point de Mazarin ! les autres : La paix ' ! Les seconds étaient, disait-on, des émissaires de l'abbé Fouquet. De- puis qu'il avait recouvré la liberté, l'abbé se montrait plus ardent que jamais pour la cause de Mazarin. 11 avait recruté parmi la populace un grand nombre de gens de sac et de corde, qu'il lançait contre le parlement. Toutes les boutiques qui entouraient le Palais se fermèrent au milieu de ce tumulte, le commerce qui souffrait de- puis longtemps fut ruiné, et la bourgeoisie commença h se joindre avec énergie à ceux que l'abbé Fouquet payait pour demander la paix. Le parlement, menacé tout à la fois par les partisans des princes et par les émissaires de l'abbé Fouquet, n'avait pas de défenseurs capables d'opposer la force à la force. Lorsque les cf)n-

* Voy. les Mémoires d' Orner-Talon, à la date du 18 juin 1052 •Onirr-Talon, tW(f., p. 401. l'-dit. Midiaud ot Ponjoulat. Mémoirfi de Conrart, ibid., p. H\\.

106 HÉMOIRES

seillers sortirent de cette séance du 21 juin, ils furent violemment assaillis ^ Le mùme jour, le duc de Beau- fort réunit sa faction, Taprès-dînée, à la place [loyale, et promit de donner une liste des Mazarins^ dont les mai- sons devaient être livrées au pillage '.

Tel était, en juin 1652, le spectacle que présentait Paris, misère profonde et irrémédiable, pillages, vio- lences, tyrannie des factions, impuissance des modé- rés '. Le parlement vint demander appui au duc d'Or- léans; mais, en sortant du Luxembourg, le président de Longueil, un des chefs de la députation, fut attaqué, injurié et poursuivi à coups de pierre*. 11 fut contraint de se réfugier dans une maison le prince de Condé alla le délivrer. Le cardinal Mazarin, dont le parlement avait mis la tête à prix, n'était pas fûché de voir ce corps réduit à une aussi déplorable condition. 11 écrivait, lo 21 juin, à l'abbé Fouquet : « J'ai reçu votre billet d'hier, que j'ai lu au roi et à la reine. Leurs Majestés ont une entière satisfaction des diligences que vous faites pour fomenter la disposition qui commence à paraître, dans l'esprit du peuple, de demander hautement la paix. Je n'ai pas manqué de leur faire valoir le zèle avec lequel M. le procureur général, M. le prévôt des marchands, M. Villayer, M. de la Barre (fils du prévôt des mar- chands), s'y emploient aussi. Je ne fais point réponse à madame de Chevreuse, parce que n'ayant point de

* Orner-Talon, Mémoires, h la date du 18 juin 1652.

* Omcr-Talon, iMd.; Coiu'art, Mémoires, p. 501.

* Les Mémoires de Conrart donnent les d(>tails les plus cuiieux et Irs pliLS circonstanciés sur l'anarchie qui répnait alors dans Paris.

* Orner-Talon, ibid., p. 492.

SUR NICOLAS FOUQIIET (mai-jui!* i«5i) 109

chiffre avec elle, je ne le pourrais faire par cette voie, qui n'est point tout à fiât sure, sans courir risque que cela lui préjudiciât dans cette conjoncture ; mais vous lui pourrez dire que j'ai lu sa lettre à la reine, quia tout le ressentiment imaginable de la manière dont elle agit. Sa Majesté désire qu'elle demeure à Paris, parce que sa présence et ses soins peuvent ôtre utiles, en diverses rencontres, au bien des affaires; et pour les menaces que lui fait M. le Prince, je pense qu'elle n'en a pas grande peur, n'y ayant guère d'apparence qu'elles soient suivies d'aucun effet. J'ai la même opinion à votre égard et des autres personnes qui lui sont suspectes. « On continue toujours de parler d'accommodement ; mais il n'est pas près d'être conclu, les princes insis- tant sur des conditions plus préjudiciables au roi que la continuation de la guerre, quand môme les armes de Sa Majesté auraient de mauvais succès. C'est pour- quoi vous devez continuer, ce que vous avez commencé, de distribuer de largent pour faire crier à la paix et d'afficher des placards, parce que cela excitant le peuple pourra rendre les princes plus traitables et faciliter l'ac- commodement, et vous pouvez bien croire que, s'il était en l'état que l'on vous a dit, je vous en aurais mandé quelque chose. 11 serait bon de débaucher les cavaliers de l'armée des princes. Si vous savez quelqu'un propre pour cela, vous l'y pourrez envoyer avec quel- que argent. Je serais bien aise de pouvoir, par ce moyen, remplir bientôt mes compagnies de gendarmes et de chevau-légers. » En terminant, Mazarin recom- mandait encore à l'abbé Fouquet de continuer à distri-

110 MÉMOIUES

buer de Targent pour exciter le peuple à demander la paix à grands cris. Basile Fouquet ne manqua pas de suivre les instructions du cardinal.

De son côté, le duc de Bcaufort ameuta la canaille, qui, le 25 juin, entoura le parlement, fit entendre des cris de menace et de mort, et, malgré la protection des milices bourgeoises, insulta les conseillers au moment ils sortirent du Palais. « 11 n'y eut pas un seul con- seiller, dit Omer-Talon ^, qui, étant reconnu pour tel (car plusieurs étaient travestis), ne souffrît injures, ma- lédictions, coups de poing ou coups de pieds ou de bâ- ton, et qui ne fût traité comme un coquin. Quatre de messieurs les présidents furent attaqués de coups de fusil, coups de pierre, coups de hallebarde, et, s'ils ne furent pas blessés, c'est une espèce de merveille, parce que ceux qui étaient à leurs côté ou derrière eux fu- rent tués avec fureur, toutes les fenêtres et les toits des maisons étant pleins de personnes qui criaient qu'il fallait tout tuer et assommer ; et tout ce peuple ainsi ému ne savait ce qu'il désirait ni ce qu'il voulait de- mander, sinon qu'il voulait la paix ou que l'on fit l'u- nion avec les princes. » Les compagnies de la milice bourgeoise en vinrent elles-mêmes aux mains sous un prétexte frivole, et, comme une de ces compagnies était commandée par le conseiller Ménardeau-Champré, on fit à cette occasion une Mazarinade sous le titre de Guerre des Ménardeaux V

< Mémoires f ihid., p. 492.— Comparer les Mémoires de Cmrart, {). 564.

* La guerre des Ménardeaux, ou la fameuse bataille de la rue Neuve-

Saint-Louis, donnée entre quelques brigades de la compagnie de la milice

sua NICOLAS FOOQUET ^mai-jui:* m%) 111

Le procureur général, Nicolas Fouquet, courut un sérieux danger dans cette émeute. On tira sur le car- rosse où il se trouvait. Mazarin, qui était alors à Melun, écrivait le lendemain, 26 juin, à Tabbé Fouquet : «Par le péril qu'a couru M. votre frère, parce qu'il était dans votre carrosse et par les autres circonstances que vous me marquez, je suis dans des transes continuelles de ce qui vous peut arriver, et, quoique vos soins soient plus utiles que jamais dans les conjonctures présentes, je ne puis m'empêcher de vous conjurer de vous ménager un peu et de donner quelques limites à votre zèle, en sorte qu'il ne vous fasse pas exposer à des dangers trop évi- dents. On suivra lavis de s'approcher le plus qu'on pourra de Paris, et cette approche, jointe aux forces du roi, à la bonne disposition qui commence à paraître dans les esprits à Paris, et aux diligences que les ser- viteurs du roi feront de leur côté, y pourra peut-être causer une révolution favorable aux affaires de Sa Ma- jesté. » L armée royale, commandée par Turenne, se rapprocha, en effet, de Paris, et vint camper à Saint- Denis. Les princes, de leur côté, amenèrent à Saint- Cloud les troupes qui avaient été assiégées dans Étam- pes, et auxquelles le traité conclu avec le duc de Lorraine avait rendu la liberté. Il était impossible que ces deux armées, ainsi rapprochées, n'en vinssent pas bientôt aux mains. On touchait à la crise définitive de cette lutte acharnée, mêlée d'incidents burlesques et de scènes sanglantes.

de Paris, le 25 juin 1652, avec Vapolôgie deê vainqueun et toraUm /k- nèbre des martSf en tien façon de burlesque, par un disciple de Scarrou.

CHAPITRE VII

JUILLET 1652

Marche de l'armée des princes sous les murs de Paris (2 juillet). Avis donné par Nicolas Fouquet. L'armée des princes est attaquée par Turenne. Escarmouches au lieu dit la Nouvelle France et aux Récollets. Combat de la porte Saint-Antome. Danger du prince de Gondé et de son armée. Il est sauvé par mademoiselle de Montpen- sier. La paille adoptée comme signe déraillement des Frondeurs. Assemblée générale de l'Hôtel de Ville (4 juillet). Tentative d'incen- die. — Résistance des archers de la ville. Meurire de plusieui^ conseillers. L'Hôtel de Ville esc envahi et pillé. Le duc de Beau- fort éloigne la populace et déUvre les conseillers. Mademoiselle de Montpensier sauve le prévôt des marchands. Tyrannie des prmces dans Pai'is. Élection d'un nouveau prévôt des marchands (6 juillet). Condamnation et supplice do quelques-uns des séditieux. Négo- ciations du parlement avec la cour. Le roi amionce l'intention d'é- loigner le cardinal Mazarm (11 juillet). Opposition de Condé aux propositions de la cour (13 juillet). Il continue de négocier secrè- tement avec Mazarin. Rôle de Nicolas Fouquet et de son frère pen- dant cette crise.

L*arinée royale, établie à Saint-Denis, était plus forte que celle des princes. Turenne se prépara à les attaquer dansSaint-Cloud, et fit jeter un pont sur la Seine; mais Condé, reconnaissant qu'il ne pourrait résister aux troupes royales dans la position qu'il occupait, résolut de gagner à la hâte Charenton. Il décampa dans la nuit du 1*' au 2 juillet, et se présenta à la porte Saint-Ho-

MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET (juilikt i?5i) H3

noré et à la poric de la Conférence, dont nous avons indiqué plus haut la situation * . Il espérait faire traverser Paris à son armée et gagner en sûreté le poste de Cha- renton ; mais les gardes des portes Saint-IIonoré et de la Conférence, qui étaient dévoués au maréchal de Tllô- pital et au prévôt des marchands, refusèrent de les ou- vrir, et il fallut que l'armée des princes longeût les murs et les fossés de la ville depuis la porte Saint-lIonoré jusqu'à la porte Saint-Antoine. A cette époque, Paris était entouré d une enceinte fortifiée et baslionnée, que couvrait un large fossé creusé sur l'emplacement s'élèvent maintenant les boulevards. Huit portes s'ou- vraient dans la partie de l'enceinte située sur la rive droite dp la Seine. C'étaient les portes de la Conférence, Saint-IIonoré, Richelieu, Montmartre, Saint-Denis, Saint- Martin, du Temple et Saint-Antoine. Les terrains qui s'étendaient au delà des fortifications étaient en partie occupés par des villages, comme ceux du Roule et de la Ville-l'Évéque, en partie cultivés. Il y avait beaucoup de monastères dans cet espace. En s'en tenant aux principaux, on peut citer, à Montmartre, une abbaye de femmes; à Saint-Lazare, un ancien monastère, saint Vincent de Paul venait d'établir les prêtres de la mis- sion; au faubourg Saint-Martin, les Récollets'; enfin, dans le faubourg Saint-Antoine, Tabbaye de Saint-Antoine des-Champs, le couvent des chanoinesses régulières de Saint-Augustin, et celui des religieuses de Picpus.

« Voy. p. 7l-7'2.

* Le couvent des Uéoolleb, qui est devenu un hôpital, avait donné bon nom à la rue des Hécoîlets, qui s'appelle niainlenant rueBichat.

114 BIÉMOIKES

Il fallait que l'armée des princes parcourût ce vaste espace en présence de troupes supérieures en nombre, aux attaques desquelles elle prêtait flanc. Aussi le prince de Condé et le duc d'Orléans s'ef- forcèrent - ils à plusieurs reprises d'obtenir du con- seil de ville que l'on livrât passage à leur armée à travers Paris; mais les magistrats municipaux avaient donné parole au roi de tenir les portes fermées, et ils persistèrent dans leur résolution. La plus grande partie de la nuit s'écoula dans ces négociations, pendant que Farmée des princes campait au cours de la Reine. Ce fut seulement à l'approche du jour qu'elle se mit en marche à travers la Ville-l'Évéque pour longer l'en- ceinte septentrionale de Paris et aller rejoindre Cha- renton. Le procureur général, Nicolas Fouquet, qui avait été informé des demandes des princes et du refus des magistrats municipaux, se hâta de prévenir le car- dinal : « On donne avis important et pressé, écrivait-il, que l'armée des princes a passé sous la porte Saint- llonoré, au pied de la sentinelle, par le milieu du Cours, et a défdé par la Ville-l'Évôque et va tout autour des faubourgs gagner Charenton. Ils ont sept pièces de ca- non que l'on a comptées, et marchent dans le plus grand désordre du monde, les troupes et les équipages pêle-mêle, en sorte que cinq cents chevaux, envoyés en diligence, peuvent tout défaire aisément, si l'on veut. Cependant on amuse le roi avec peu de gens que l'on fait paraître. 11 faut se hâter : ils ont deux délités à passer : pourvu qu'on parle promptemenl, on y sera assez iôV.)>

' L*avis n'est pas signé; moisit est écrit de la main de Nicolas Fou-

SUU NICOLAS FOUQUET juLLhT losi, 115

Turenne n'était pas homme à négliger une pareille occasion. Il fit avancer immédiatement une partie de son armée dans les terrains alors inhabités, qui s'éten- daient entre les hauteurs de Montmartre et la porte Saint-Martin *. Cet espace, désigné sous le nom de Nou- velle France^ était compris entre les rues actuelles de Saint-Lazare, des Martyrs, du Faubourg-Poissonnière et la place Saint-Georges. Ce fut que la cavalerie de Turenne assaillit Tarrière-garde de l'armée des princes. Celle-ci ne put soutenir le choc et se réfugia au couvent des Récollets. Il y eut une nouvelle lutte, qui se termina encore à l'avantage de l'armée royale. Les vaincus tentèrent vainement de se réfugier dans la ville par la porte Saint-Martin. On leur en refusa l'entrée. Ils atteignirent enfin le faubourg Saint-Antoine, tou- jours harcelés par la cavalerie de Turenne. Ce fut seu- lement à neuf heures que l'armée des princes parvint à se retrancher dans le faubourg Saint-Antoine, à l'aide des fossés et des barricades qui avaient servi aux habi- tants pour repousser les pillards du duc de Lorraine.

Le prince de Condé, ayant distribué les postes à ses soldats et occupé les maisons qui dominaient les barri- cades, tint l'armée royale en échec de neuf heures du matin à quatre heures (2 juillet), mais ce ne fut pas sans essuyer des pertes cruelles. A la place Saint- An- toine aboutissaient trois rues principales, celles du Fau-

quet. On voit par les Mémoires de Turenne que ce lut pur suite do l'avih donné à la cour que ce général lit avancer son année.

* Ces détails sont tirés du récit d'un partisan de Maiarin^ conservé dam les papiers du cardinal.

116 MÉMOIRES

bourg Saint-Antoine, de Charonne et deCharenton. Cha- cune d'elles était coupée par des barricades que se dis- putèrent les deux armées. Sur les flancs de la place s'élevaient la porte Saint-Antoine et les hautes tours de la Bastille, garnies de canons qui pouvaient fou- droyer tout le quartier. La porte Saint-Antoine était gardée par des bourgeois, qui étaient dévoués à la cour et avaient promis de ne pas recevoir 1 armée des princes. Turenne, qui avait déjà si maltraité les troupes de Condé dans leur retraite précipitée de la porte Saint - Martin à la porte Saint-Antoine \ espérait les écraser dans ce dernier combat, et il est probable qu'il y eût réussi, si les bourgeois eussent exécuté leurs promesses. Le roi s'était avancé sur les hauteurs de Charonne pour assister au triomphe de son armée, et pressait Turenne d'engager la bataille. Ce général aurait voulu attendre l'arrivée de son artillerie et d'un renfort de trois mille hommes, que devait lui amener le maréchal de la Ferté ; mais l'impatience du jeune Louis XIV ne lui permit pas de différer l'attaque '. Turenne enleva successivement les trois barricades de la rue de Charonne, de la rue du Faubourg-Saint-Antoine et de la rue de Charenton ; mais le prince de Condé, qui se multipliait dans le danger et se portait sur tous les points menacés, fit payer cher cet avantage à l'armée royale : Saint-Mégrin, Nan- touillet, le jeune Mancini, neveu de Mazarin, et un

. * Voy. Mémoires de Turenne à l'année 1652.

* Mémoires de Turenne, ilnd., p. 4i4 (édit. Micliaud et Poujoulal). On voit par les Mémoires de Conrart {Ibid., p. 506] que le mai*éclial de Turenne, ancien général de la Fronde, n'était pas à l'abri des soupçons de la cour.

SUR NICOLAS FOUQUET (joillet m%] 141

grand nombre d'autres officiers furent tués ou blessés dangereusement. Du côté des princes, les ducs de Ne- mours et de la Rochefoucauld furent obligés de quitter le champ de bataille. Le prince de Condé lui-même, rejeté an pied de la porte Saint-Antoine, était dans un état pitoyable. Il avait, dit Mademoiselle* qui le vit en ce moment, deux doigts de poussière sur le visage, ses cheveux tout môles; son collet et sa chemise étaient pleins de sang, quoiqu'il n'eût pas été blessé ; sa cui- rasse était toute pleine de coups, et il portait son épée à la main, ayant perdu le fourreau. »

La situation des princes devenait de plus en plus cri- tique : Turenne avait enfin été rejoint par son artillerie et par les troupes du maréchal de la Ferté. Il se prépa- rait à envoyer deux détachements pour attaquer Condé en flanc, en même temps qu'il marcherait droit sur lui et l'écraserait au pied des nuirailles de Paris. A ce mo- ment, la porte Saint-Antoine s'ouvrit et le canon de la Bastille tira sur l'armée royale. Le prince de Condé et ses troupes trouvèrent un asile dans Paris, et Turenne fut obligé de battre en retraite devant une artillerie qui foudroyait son armée. Ce changement fut l'œuvre de mademoiselle de Montpensicr, fille de Gaston d'Orléans. Vivement émue du danger des princes, elle avait arra- ché à Gaston une lettre qui enjoignait au gouverneur de Paris et au prévôt des marchands de lui obéir. Elle se rendit aussitôt à l'Hôtel de Ville, et, à force d'instances et de menaces, elle contraignit le maréchal de l'Hôpital

' Mémoires de mademoiselle de Monlpensier (t^dit. Charpentier;, I. H, p. 90.

118 MÉXOIRES

et le conseil de ville à lui donner un plein pouvoir pour faire ouvrir les portes de Paris à Tarmée des princes. Mademoiselle de Montpensier alla immédia- tement à la porte Saint-Antoine, et força la garde bourgeoise à laisser passer les bagages et les blessés de Condé. De elle courut à la Bastille, dont le gou- verneur la Louvière, fils du frondeur Pierre Broussel, avait aussi reçu un ordre du duc d'Orléans qui lui enjoignait d'obéir à sa fille. La princesse, montant sur les tours de la Bastille, fit pointer les canons contre Tarmée royale. Ce fut alors qu'elle remarqua le mouve- ment que faisaient les troupes de Turcnne pour enve- lopper Condé, deux détachements se dirigeant, Tun par Popincourl et l'autre du côté de Reuilly , tandis que le maréchal, avec le gros de son armée, marchait vers la porte Saint-Antoine. Mademoiselle de Montpensier se hâta d'avertir le prince *, et Condé ordonna à ses troupes de rentrer dans Paris, pendant que le canon de la Bas- tille protégeait sa retraite. L'armée des princ^îs traversa Paris, et alla par le pont Neuf prendre ses quartiers au delà des faubourgs Saint-Jacques et Saint-Victor. Les bourgeois témoins" de celte retraite virent avec éton- nemcnt le drapeau rouge d'Espagne flotter dans l'ar- mée des princes, mêlé aux écharpes bleues des fron- deurs '.

Le combat de la porte Saint- Antoine, qui aurait pu être décisif, ne servit qu'à irriter les deux partis. L'armée royale, qui avait laissé jusqu'alors les vivres en-

* Mémoires de mademoiselle de Montpemier, ibid., p. lOlK

* Dubuij!Son-Aii})eiiHy, Journal, à la datp du 2 juillet.

SUR NICOLAS FOUQUET ijoiuET icsj) 119

trer daiîs Paris, commença à intercepter les communica- tions avec la campagne et à affamer les habitants de la capitale. De leur côté, les princes étaient décidés à en- traîner la bourgeoisie ou à la livrer à la fureur de la populace. Dès le 4 juillet, les Parisiens furent forcés de porter à leurs chapeaux un signe distinctif, s'ils ne voulaient pas être poursuivis comme Mazarins. C'était un bouquet de paille *. On convoqua pour le même jour une assemblée générale des bourgeois à THôtel de Ville. Elle se composait du gouverneur de Paris, du prévôt des marchands, des conseillers de la ville, et d'un grand nombre de notables élus dans chaque quartier '. On devait y proposer l'union de la ville avec les princes et tenter d'entraîner Paris dans la guerre contre l'autorité royale. Rien ne fut négUgôpour effrayer la bonne bourgeoisie, qui répugnait à prendre un parti aussi violent. Dès le matin, la place de Grève était remplie d'une populace excitée par les factieux, qui lui distribuaient de l'argent. Plus de huit cents sol- dats travestis s'étaient môles à la multitude et contri- buaient à entretenir et à augmenter son exaltation *. Lorsque tous les députés furent réunis, et que le duc

* Journal de Dubuisson-Aubenay, à la date du i juillet. Cet usage vint, dit-on, de ce que les soldats de l'année des princes avaient porté, pen- dant le combat de la porte Saint-Martin, de la paille à leurs chapeaux pour se distinguer des troupes i-oyales.

Voy. sui* ces élections les Mémoires de Conrart. [Ibid., p. 567.)

' Registres des délibérations de l'Hôtel de Ville, pendant la Fronde. Mémoires de Conrart. (Ibid., p. 568 . Mcit véritable de tout ce qui s'est passé à l'Uôtel de Ville louchant l'union de Messieurs de ville et du parlement avec Messieurs les princes pour la destruction du cardinal Mazarin, dans le Choix des Masarinades, t. H, p. 379.

1SM) MÉMOIRES

d'Orléans et le prince de Condé furent arrivés, on donna lecture d'une lettre du roi qui se plaignait que les bourgeois eussent ouvert les portes de Paris à l'armée des princes. A cette occasion, le procureur du roi en rilôlel de Ville prit la parole, et dit qu'il fallait en- voyer une députation au roi pour le supplier de revenir en sa bonne ville de Paris. Les partisans des princes tentèrent d'éloufîer par leurs clameurs les paroles du procureur de la ville ; mais une notable partie de l'as- semblée parut disposée à se ranger à son avis. Alors le duc d'Orléans et le prince de Condé sortirent de la salle du conseil, et arrivés sur la place de Grève : « Ces gens-là, dirent-ils *, ne veulent rien faire pour nous; ce sont tous Mazarins. » La populace n'attendait que ce signal pour se porter aux derniers excès.

Il était six heures du soir lorsque les factieux com- mencèrent à tirer dans les fenêtres de l'Hôtel de Ville ; et, comme les coups, dirigés de bas en haut, ne blessaient personne et se perdaient dans les plafonds, les soldats déguisés qui s'étaient joints au peuple occupèrent les maisons de la place de Grève, l'on avait d'avance percé des meurtrières, et de ils tirèrent dans la salle des délibérations*. D'autres séditieux entassèrent aux portes de Fllôtel de Ville des matières enflammables, et y mirent le feu. En peu de temps la fumée et la flamme enveloppèrent les bâtiments. Dans c^tte extrémité, quel- ques députés jetèrent par les fenî'tres des bulletins qui annonçaient que l'union avec les princes était conclue.

< Conrart, ibid,, p. 507. «/W(/.,p.5Cî).

SUR NICOLAS FOUQUET (juillet lest] 121

D autres, connus pour frondeurs, sortirent de THôtel de Ville et tentèrent de haranguer le peuple; mais ils s'a- dressaient à une foule ivre de vin * et de fureur, qui ne distinguait plus amis ni ennemis. Miron, maître de la chambre des comptes, fut une des premières victimes. A peine eut-il franchi les degrés de l'Hôtel de Ville qu'il fut assailli à coups de baïonnette et de poignard. Il tenta vainement de se faire connaître pour un des chefs du parti des princes; il fut tué sur place *. Le conseiller Ferrand de Janvry eut le môme sort. Le président Char- ton, un de ceux qui s'étaient le plus signalés dans la première Fronde, fut accablé de coups. On peut juger, par le sort des frondeurs, du traitement qu'essuyèrent les conseillers de ville qui étaient connus pour adver- saires des princes. Le maître des requêtes Legras et plusieurs autres furent assassinés au moment ils cherchaient à s'échapper sous un déguisement.

Cependant les gardes du maréchal de Tllôpital et les archers de la ville, ayant élevé des barricades intérieu- res, réussirent pendant longtemps à empêcher les sé- ditieux de pénétrer dans l'Hôtel de Ville. Ils en tuèrent môme un certain nombre, mais le manque de muni- tions ne leur permit pas de prolonger cette résistance. Le maréchal de l'Hôpital, qui était une des victimes dé- signées à la vengeance du peuple, réussit à s'enfuir

* Conrart, ibid. « Ct^ p<Mis-là, dit Conrart, avaient défoncé plus de cinquante niuids de vin «lont ils s'éloient enivres. »

* rx)nrart, ibid., p. 57i. Voy., dans le Choix des Mazarinadfs (t. H, p. 383), ia liste générale de tous les morts et blessés, tant Mazarins que bourgeois de Paris, à la généreuse résolution faite à V Hôtel de Ville pour la destruction entière des Mazarins, etc.

122 MÉMOIRES

déguisé. Le prévôt des marchands et les conseillers se cachèrent dans des réduits obscurs, et à la faveur de la nuit trouvèrent moyen de se dérober à la fureur de la populace. Les voleurs, qui s'étaient mêlés à la foule, étaient plus occupés à piller qu'à tuer. 11 y en eut même qui consentirent, moyennant finance, à sauver quelques- uns des conseillers. Conrart en cite plusieurs exemples. Le Journal inédit de Dubuisson-Aubenay raconte que le président de Guénégaud promit dix pisloles à des sé- ditieux qui prirent son chapeau, son manteau et son pourpoint de taffetas rayé, et, après l'avoir couvert de haillons, le firent sortir de THôtel de Ville; mais, au car- refour formé par les rues de la Coutellerie, Jean-Pain- Mollet, Jean-de-rÉpine, ils furent arrêtés par une bar- ricade et un corps de garde. Le président fut tiraillé entre deux bandes, qui se le disputaient et mena- çaient de le mettre en pièces. Les gardiens de la bar- ricade l'emportèrent enfin, et le conduisirent à la Monnaie'. Là, il obtint qu'on le déposât chez un bour- geois; mais il fallut payer à ses sauveurs cent livres. Le conseiller Doujat, et bien d'autres, achetèrent de même leur salut.

Le pillage de l'Hôtel de Ville se prolongea jusqu'à onze heures. Vainement on pressait le duc d'Orléans et le prince de Condé d aller au secours des conseillers qu'on égorgeait, et dont plusieurs étaient de leur parti. Ni les meurtrae ni Tincendie de l'Hôtel de Ville ne pa- rurent les toucher. Ils répondaient avec indifférence

Riift actucllo (le la Monnaie , à roxirémité soptcntrionalc du pont Neuf.

SUR NICOLAS FOUQIET [mu.v.T icsi, 123

qu'ils n'y pouvaient rien. Enfin ils se décidèrent, sur les onze heures du soir, à envoyer le duc de Beaufort, qui était le plus populaire des princes. Il ordonna de tirer des pièces de vin de l'Hôtel de Ville, de les rouler à rextrémité de la place de Grève, et de les livrer à la foule pour la récompenser de ses exploits. Pendant qu'elle achevait de senivrer, il lit sortir de Tllôtel de Ville la plupart de ceux qui y étaient enfermés ^ Beaufort fut rejoint par mademoiselle deMonlpensier, fille de Gaston d'Orléans. Cette princesse n'arriva qu'après minuit, et lorsque tout était calmé*. Elle se borna à délivrer le prévôt des marchands, qui promit de donner sa démis- sion.

Ce massacre de l'Hôtel de Ville fut, suivant l'expres- sion de Mademoiselle^, « le coup de massue du parti des princes; il ôta la confiance aux mieux intentionnés, intimida les plus hardis, ralentit le zèle de ceux qui en avaient le plus. » Vainement les princes cherchèrent à rejeter ces violences sur la fureur aveugle du peuple. Leur complicité n'était que trop évidente. La présence de leurs soldats au milieu de l'émeute démentait toutes leurs dénégations. On avait vu peu avant l'attaque de l'Hôtel de Ville un bateau rempli de leurs hommes aborder à la place de Grève*. Un conseiller de ville, nommé de Bourges, osa dire en face au duc d'Orléans

qu'il avait reconnu parmi les séditieux des soldats du

«

* Journal de Dubuisson-Auhenay, à la date du 4 juillol 1052.

' Mémoires de mademoiselle de Mont pensier (édit. Cliarponlior), t. U, p. 121 i'X suiv. ■* Ibidem, p. 128.

* Journal de Dubuinson-Aubenay, à la date du 4 juillet 1052.

124 MÉMOIRES

régiment de Languedoc, qui appartenait à ce prince, et entre autres le major*. Un autre conseiller, nommé Poncet, avait donné cent louis au trompette du régi- ment de Valois, qui, moyennant cette rançon, consen- tît à le sauver*.

Le résultat seul eût suffi pour prouver que les princes étaient les auteurs du massacre de l'Hôtel de Ville : ils avaient voulu régner par la terreur, et contraindre le parlement et l'Hôtel de Ville à se déclarer hautement pour eux. Ils y réussirent; mais ces corps n'étaient plus% que Tombre d'eux-mêmes. Tous les présidents à mortier étaient sortis de Paris, ainsi que k procureur général, Ni- colas Fouquet. Les deux avocats généraux, Talon etBi- gnon, n allaient plus au Palais'. On était réduit à faire présider le parlement par le vieux conseiller Broussel. L'Hôtel de Ville n'était pas moins complètement désor- ganisé : dès le 6 juillet, on avait élu un nouveau prévôt des marchands, et le choix était encore tombé sur Brous- sel, qui était un in^rument docile et aveugle des pas- sions des princes. Quant aux véritables représentants de la bourgeoisie, ils s'abstenaient de paraître aux as-

« Dubuisson-Aubenay, iTr.'rf.— Conrart, rappelant le môinc fail [Mémoires, p. 577), dit que c'étaient df s soldats du régiment de Valois.

Dubuisson-Aiil)enay, ibid,

* Voy. les Mémoires (TOmer-Talon, p. 501. a Quant à moi, je n'ai par- ticipé ni de mon suffrage ni de ma présence à tout ce qui s'est fait de- puis le i" juillet, m'étant dispensé d'aller au Palais, sachant bien que toute sorte de résistance et de contradiction était inutile ; que la iorcc était supérieure, et que l'on pouvait intimider, violenter et contraindre les suffrages à faire toutes choses sans rien excepter... M. le procureur générai n'a pas été non plus au Palais parce qu'il était sorti de Paris, ni M. Bignon, lequel était incommodé aussi bien que moi. »

SUR NICOLAS FOUQUET (juillet «si 125

semblées. Enfin la division ne tarda pas à se mettre dans le parti victorieux. Le duc d'Orléans n avait ja- mais montré la même violence que le prince de Condé, et il était jaloux de sa puissance. Il écoulait volontiers les conseils du cardinal de Retz, ennemi implacable de Condé et de Chavigny, et la cour espérait par son in- fluence gagner le duc d'Orléans, ou du moins le séparer de ses alliés. Mazarin écrivait, le 8 juillet, à Fabbé Fou- quet : « On persiste ici dans la résolution de ne point exécuter la proposition que l'on a faite*, que l'on ne sache auparavant si M. le cardinal de Retz y voudra con- tribuer. C'est pourquoi il faut le faire expliquer là-dessus sans perte de temps. Car, si l'on sait qu'il n'y ait aucune assistance à* espérer de ce côté-là, ce sera alors qu'on vous fera savoir précisément ce qu'il y aura à faire. J'attendrai de vos nouvelles aujourd'hui, et je vous prie que je les reçoive le plus tôt qu'il se pourra. Je suis en grande inquiétude de vous voir exposé au dan- ger où vous êtes, et je vous conjure de me croire tou- jours le môme à votre égard. » Un second billet de Ma- zarin, adressé le môme jour à Tabbé Fouquet, insistait encore sur ce point : « Je souhaite que M. le cardinal de Retz puisse réussir dans Taffaire qu'on lui propose, qui ne lui serait pas moins glorieuse qu'utile à Sa Ma- jesté dans les conjonctures présentes. Si vous convenez de l'exécution, je vous prie de m'en informer en toute diligence, afin que nous prenions là-dessus nos mesures de notre côté. Je m'assure que le cardinal de Retz se

' Il s'agissait probablement de livrer au roi une des portes de Paris.

126 MÉMOIRES

fiera assez à vous pour vous en parler librement, et, en cas que cela ne fût pas, il faudrait que vous lui en fis- siez parler par quelque personne à qui il ne fil point scrupule de s'ouvrir. »

Ce projet, que nous ne connaissons que par des indi- cations vagues et énigmatiques, ne se réalisa pas. Quant aux princes, ils parurent dans les premiers temps dis- posés à agir de concert et à sacrifier leurs divisions et leurs passions personnelles aux intérêts généraux de leur parti. Comme Topinion publique s'élevait avec force contre le massacre de l'Hôtel de Ville, ils vou- lurent lui donner satisfaction en abandonnant à la jus- tice quelques-uns des séditieux. On en arrêta deux qui s'étaient présentés chez un marchand quincaillier de la rue de la Ferronnerie, nommé Gervaise, pour récla- mer l'argent qu'il leur avait promis au moment du danger. Ils furent condamnés à être pendus et exécutés immédiatement ^

Malgré cet acte de vigueur, la confiance ne se ré- tablit pas dans Paris. Chaque jour, on apprenait que des gens de condition, que les membres les plus notables de la bourgeoisie et du parlement avaient quitté la ville et s'étaient retirés près du roi* En même temps la cour annonçait Tintention d'éloigner le cardinal Mazarin et d'enlever ainsi atix factieux tout prétexte pour persister dans leur rébellion *. Dès que cette résolution fut arrê- tée, le garde des sceaux, Mathieu Mole, manda les dé-

* Yoy., pour les détails, le Journal de Duàumon'Aubenay'\jui\\eii(j^2,).

* Ibùi., à la date du 11 juillet. Voy. aussi les Mémoires d'Omer-Te- loH, à la même date.

SUR NICOLAS FOUQUET (juiLLtT im] 127

pûtes du parlement qui s'étaient rendus à Saint-Denis pour négocier, leur en donna avis, et leur recommanda de l'annoncer au parlement et aux princes. Ces derniers furent invités en même temps à envoyer immédiate- ment des députés à Saint-Denis pour que la paix pilt être signée et le calme rétabli dans le royaume \

Cette nouvelle répandit la joie dans Paris; mais le prince de Condé n'y vit qu'un piège tendu à son parti. Il se persuada que Mazarin, d'accord avec la duchesse de Chevreuse et le cardinal de Retz, voulait faire entrer au ministère le marquis de Chàteauneuf et le maréchal de Villeroy, ses ennemis'. Aussi s'éleva-t-il avec force contre les propositions de la cour, lorsque le parlement fut appelé a en délibérer le 15 juillet. Il demanda qu'a- vant tout le cardinal sortît de France, et le parlement fut obligé de se plier à la volonté impérieuse des princes. « Si les gens de bien, dit Omer-Talon^, eussent été en liberté de dire leur sentiment comme deux mois auparavant, le parlement et la ville eussent embrassé la proposition de la cour et eussent obligé M. le Prince de s'y accommoder; mais les actions de violence ayant porté la frayeur et l'étonnement dans tous les esprits, M. le Prince était devenu maître dans Paris avec une autorité despotique, conforme à son humeur. »

En s'opposant au traité du parlement avec la cour, Condé laissait Chavigny poursuivre en son nom des né* gociations Fintérôt personnel du prince l'emportait

' Omcr-Talon, ibid., à la date du il juillet.

* Ibidem.

^ Ibidem, à la date du 15 juillet.

128 MÉMOIRES

de beaucoup sur l'intérêt public. Il s'engageait à réta- blir Mazarin au bout de trois mois, pourvu que ses par- tisans obtinssent les récompenses qu'il avait stipulées antérieurement *. Mais cette dernière condition excitait rindignation de tous ceux qui s'étaient dévoués pour la cause royale; ils ne pouvaient souffrir que les rebelles fussent récompensés, de préférence aux fidèles servi- teurs du roi*. Enfin Mazarin aurait voulu employer son exil de trois mois à conclure la paix avec l'Espagne, tandis que Condé prétendait se réserver cette impor- tante négociation ^. Nous avons déjà exposé les motifs qui déterminaient Mazarin à ne pas laisser à son adver- saire Thonneur du traité de paix *. Ainsi tout restait en suspens.

Dans ces circonstances, le procureur général, Nicolas Fouquet, qui s'était retiré près du roi presque aussitôt après le massacre de Tllôtel de Ville, fut un des conseil- lers les plus actifs et les plus intelligents du cardinal. Il insista fortement pour qu'une ordonnance royale transférât le parlement dans une autre ville. Ce serait, disait-il, enlever aux frondeurs l'appui du premier corps de l'État et frapper de nullité les actes des conseillers restés à Paris. Ils ne seraient plus, s'ils persistaient dans leur opposition, qu'une troupe de factieux sans autorité légale. Nicolas Fouquet n'insistait pas moins vivement pour que la cour refusât de reconnaître la

Voy. plus haut, p. 79.

* Mémoires d* Orner-Talon, ibid. ' Ibidem.

«Voy. plus haut, p. 79-80.

SUR NICOLAS FOUQUET ^juillet lest 129

nouvelle municipalité établie à THôtel de Ville. Il n'y aurait plus alors que deux camps : d'un côté, le roi avec la majesté de l'autorité souveraine, que les fron- deurs n'osaient pas rejeter ouvertement ; et, de l'autre, des princes rebelles soutenus par une troupe de fac- tieux. Le Mémoire dans lequel le procureur général développe ces idées est parvenu jusqu'à nous et prouve que Nicolas Fouquet contribua à donner à la politique du cardinal une direction plus ferme et plus intelligente.

Quant à l'abbé Fouquet, forcé de se tenir caché dans Paris, régnait tyranniquementja faction des princes, il ne cessait d'entretenir des relations avec le cardinal, comme les lettres de Mazarin l'attestent*. Souvent même il bravait tous les périls pour se rendre près du cardinal et lui porter les avis et les propositions de ses partisans. Ainsi les deux frères persistaient dans le rôle qu'ils avaient habilement rempli depuis le commence- ment de la Fronde ; ils restèrent les soutiens zélés et énergiques d'une cause qui semblait alors gravement compromise.

* Voy. plus haut. p. 125.

9

CHAPITRE Vm

- JUILLET - AOUT 1652.

Méinoii'c adressé par Mcolas Fouquctau cardinal Mazarin sur la conduite que la cour doit tenir (14 juillet] : il exi)ose le danger de la situation et la nécessité de prtMidrc des mesures pour annuler les actes du parlc- itient et de l'Hôtel de Ville, dominés par la faction des princes. Il propose de publier un manifeste au nom du roi pour montrer la niau - vaise foi des princes, qui, après avoir demandé et obtenu l'éloi^nie- ment de Mazarin, refusent de déposer les annes et appellent les eime- mis dans Tintérieur de la France. Il faut exiger que les princes envoient immédiatement leurs députés à Saint-Denis pour traiter avec la cour, et en attendant retenii* dans celte ville les députés du parle- ment. — Nécessité de transférer le parlement hors de Paris et moyen de gagner une partie de ses membres. Faute que l'on a commise en ne s'opposant pas à la réception de Rohan-Chabot en qualité de duc et pair par le parlement. Lettre de Nicolas Fouquet, en date du 15 juillet : il explique pourquoi les députés du parlement ne peuvent se rendre à Saint-Denis. Nécessité d'envoyer promptement des ordres au parlement et de prendre une décision pour ou contre le départ du cardinal Mazarin. Indication des moyens à employer pour faire venir à Pontoiseun certain nombre de conseillers du parlement. Arrêts du conseil du roi, en date du 18 juillet et du 51 du même mois, qui annulent les élections de l'Hôtel de Ville et transfèrent le parlomeni de Paris à Ponloise. Projet de déclaration contre ceux qui n'oluil- i*ont pas aux ordres du roi. Lettre de Nicolas Foucjuet à ses substi- tuts pour les mander à Pontoisc. ('circulaire du même aux divei's parlements de France. Pamphlets publiés à Paris contre la transln- tion du parlement. Le parlement de Pontolse s'ouvre le 7 août 105*2. et demande l'éloigncment de Mazarin.

Le 14 juillet, Nicolas Fouquel, qui se trouvait alors à Argeuteuil avec \es députés du parleineul de Paris,

t

> :• * ••• : :

MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET (juillkt-aout mi, 131

adressa au cardinal un Mémoire sur la conduite à tenir avec le parlement et les frondeurs. Il était informé de ce qui s'était passé la veille à la séance du parlement ; il savait que la majorité de ce corps était disposée à voler l'union avec les princes; que Ton proposerait de nom- mer le duc d'Orléans lieutenant général du royaume et le prince de Condé généralissime des armées, enfin d'é- tablir un conseil de gouvernement. Il fallait se hâter de frapper de nullité de pareils actes, qui eussent détruit l'autorité royale. Ce fut dans ce but qu'il rédigea son Mémoire, et l'envoya à un des familiers de Mazarin en lui recommandant de le mettre sous les yeux du cardi- nal. Nicolas Fouquet commençait par exposer le danger de la situation : « La plupart de ceux qui sont à la cour, disail-il, aussi bien que ceux de Paris, voyant toutes les affaires dans l'irrésolution et dans l'incerti- tude, se ménagent des deux côtés, ne sachant pas ce que les affaires deviendront ; ce qui ne serait pas ainsi si les résolutions étaient certaines et assurées de façon ou d'autre; et alors les sentiments du roi agiraient avec plus de vigueur. Nous apprenons de Paris que, nonob- stant la réponse du roi, il y eut hier plusieurs avis dans le parlement à faire l'union du parlement avec les princes et les peuples, et d'écrire à tous les autres par- lements et à toutes les villes. Nous savons que l'on propose de faire un garde des sceaux, et qu'il y a des gens de condition qui désirent cet emploi. Le nouveau prévôt des marchands * ordonne des fortifications et des

< Un a vu j)lus haut (|uc ce prévôt étail Vienv Brousi«l.

132 MÉMOIRES

levées, et peut-être au premier jour parlera-l-on oe faire un régent et de déclarer le roi prisonnier. Toutes les négociations et irrésolutions fortifient ce parti, et il est certain que, tant qu'on flatte les peuples, on les aigrit, et ils croient qu'on les appréhende, de sorte qu'il est nécessaire ou de s'accommoder avec M. le Prince en prenant des sûretés pour le retour *, et ce bien promp- tement, ou bien d'agir avec vigueur, et que chacun sache que le roi veut devenir le maître et rétablir son autorité.

« Les plus intelligents mandent que le calme est maintenant dans Paris pour ce qu'ils ont tout ce qui leur fait besoin, et que les auteurs des séditions sont les maîtres et feront ce qu'il leur plaira.

« La journée de mardi ' est à craindre, et, si on n'est pas d'accord, il est à propos de prévenir les résolutions qui se prendront ce jour-là par un parlement et un corps de ville, qui demeurent toujours dans l'approbation du roi*, puisqu'il n'a encore rien paru de contraire. Si l'on veut donc se déterminer, il faut dresser une lettre de cachet en forme de manifeste pour faire connaître aux ha- bitants de Paris et àtoutesles villes des provinces le juste sujet que le roi a de se plaindre des princes et de ceux de leur parti, lesquels ayant témoigné ne désirer autre

Il s'agrit ici du retour du cardinal Mazarin. Ce passage confirme ce que nous savons aussi par les Mémoires contemporains, que Condé négo- ciait avec la cour et songeait à conclure avec elle un traité particulier.

Le parlement devait se réunir le mardi 16 juillet, et on craignait que l'union avec les princes n'y fût proclamée.

5 C'est-à-dire que l'on considère toujoui*s le pai'leraent et le corps do ville comme légalement constitués tant qu'il n'a paru aucune ordon- nance du ix)i ammlant \c\iV6 actes.

SUR NICOLAS FOUQUET {miLLET-AorT test) 133

chose jusqu'à présent qu'une assurance de l'éloignement de M. le cardinal Mazarin, dans la pensée qu'ils avaient que le roi ne se relâcherait pas et n'accorderait pas à ses sujets une demande de cette qualité ; néanmoins Sa Majesté ayant voulu donner celte marque de sa bonté et de son affection à ses peuples pour faire cesser les pré- textes, les princes ne veulent plus exécuter ce qu'ils ont promis; au contraire, ils ont pris de nouvelles liaisons îivec les ennemis qu'ils attirent au dedans du royaume *, et veulent que le roi ait entièrement exécuté de sa pari ce qu'ils souhaitent avanl que se mettre en devoir de donner aucun ordre pour l'exécution de leurs paroles. Ce qui fait assez connaître leurs intentions; partant il faut exhorter à la fidélité et à secourir le roi.

a Si on envoie un écrit de cette qualité pour préve- nir les lettres circulaires qui seront écrites au premier jour, il n'en faut pas faire l'adresse au corps de ville de Paris pour ne le pas approuver ; au contraire, il est bon d'exagérer ce qui s'est passé dans Paris pour parvenir à ce changement *. On peut aussi adresser au parlement

* Les Hémoires conlemporains prouvent, en effet, qu'à cette époque même les princes traitaient avec les Espagnols et les appelaient à leur secours. On lit dans le Journal de Dubuisstm-Aubenay^ à la date du 11 juil- let 1652 : « Grand bruit de par les partisans des princes que l'avant- garde de l'archiduc, venant pour les secourir, est à Beauvais. Courrier pour cela aposté au palais d'Orléans (au Luxembourg), et lettres supposées de toutes parts. Autres du sieur de la Roque, capitaine des gardes du prince de Condé, portant qu'il y a vingt mille hommes près d'entrer des Pays-Bas en France. Autres des gens des Pays-Bas à leurs correspondants à Paris que le comte de Fuensaldagne est à Valencicnnes avec grosses troupes, et grand attirail comme pour faire im siège ou de la Bassée ou de Dunkerque. »

' L'administration municipale avait été changée à Pans le 6 juillet, comme on l'a vu plus haut, à la suite des scènes de violence du 4 juillet.

134 )1ÉM0IRES

quelque chose de semblable, et, dès à présent, faire réponse aux députés par écrit, conforme à ce que des- sus, et leur dire que le roi écrira à son parlement ; qu'ils aient au premier jour, toutes choses cessantes, à obliger les princes de députer vers le roi, suivant ce qu'il leur a été mandé; autrement, ledit jour passé, que tous les ofûciers dudit parlement qui restent à Paris aient à se rendre près de Sa Majesté pour y recevoir ses ordres, et délibérer en sa présence sur le refus fait par les princes.

(c Pour cet effet, il faut faire des défenses aux dépu- tés * de retourner à Paris et de désemparer la cour, et prendre garde particulièrement que les présidents ne s'y en retournent pas ', pour ce qu'il est de la dernière importance qu'il n'y ait point de présidents, si l'on veut établir le parlement ailleurs : ce qui est absolu- ment nécessaire pour conserver l'autorité du roi ; au- trement, il ne faut pas douter que tous les peuples no suivent à la fin un parti, le parlement de Paris, le corps de ville et les princes du sang seront unis. Mais, s'il s'établit un autre parlement, les affaires seront bien balancées, et l'autorité du roi soutenue dans les pro- vinces. Ceux de la cour qui ont des grâces à espérer, et qui se ménagent avec le parlement pour le besoin qu'ils en ont, ne reconnaîtront plus pour parlement que celui qui sera autorisé par le roi,^ seront tous les

* Fouquet parle des députés du parlement qui s'étaient rendus à Saint- DenLs pour traiter avec la cour.

' Le président de Nesmond était chef de cette députa tien. On a mi plus haut que les autres présidents à mortier avaient quitté Paris.

SUR NICOLAS FOUQUET (joiixet-aout jess) 155

présidents et le procureur général, qui sont ceux qui font le corps.

« Dans cette pensée, avant que le roi s'éloigne et que la difficulté des chemins s'augmente, il faudrait, sans perte de temps, que chacun travaillât à même des- sein, et obliger ceux qui sont à la cour d'écrire à leurs amis : M. le garde des sceaux *, à son fils*, son gendre* et à ceux sur qui il a pouvoir ; M. de Villeroy, à M. Sève *; M. Servien, à M. Fraguier'^; M. le Tellier, à d'autres; M. Perrot, à M. Bénard®, et à d'autres de sa chambre; M. de Bragelonne', à son beau-frère; Bonneau', à son fils* et à son neveu; Richebourg, des gabelles, à son fils et à son gendre; écrire à Ménardeau" pour lui et

* Le garde des sceaux était alors Mathieu Mole, qui était en même temps premier président du parlement.

' Jean-Édouard Mole, appelé ordinairement le président de Ghamplft- treux.

' La fille aînée de Matliieu Mole avait épousé Jean Mole, son cousin, qui était président dans la cinquième chambre des enquêtes du parlement.

* Conseiller de la grand'chambre du parlement de Paris. Il avait un frère lieutenant général du présidial de Lyon, ville dont le maréchal de Villeroy était gouverneur.

' Conseiller de la première chambre des enquêtes. l\ est ainsi caracté- risé dans le Tableau du parlement : « Bon homme, un peu patelin, bien intentionné, appliqué au métier ; est capable d'ouverture; un peu faible et vacillant; sans intérêt. Son frère le jésuite et les dévots oîfl crédit auprès de lui; est fort ami de M. le président de Bailleul. »

^ Conseiller de la quatrième chambre des enquêtes.

'^ 11 y avait un Bragelonne président de la deuxième chambre des en- quêtes; son beau-frère se nommait de Marie.

^ Ce Bonneau était un des fermiers des gabelles. Voyez le Catalogue deR partisaiu dans le Ckoix des Mazarinades, 1. 1, p. 1 18.

^ Bonneau fils était conseiller de la cinquième chambre des enquêtes.

'0 Ménardeau-Champré est mentionné dans le Tableau du parlement comme conseiller de la grand'chambre, avec l'appréciation suivante « Très-capable, ferme, opiniâtre, silr. intéres»^ et dévoué à la cour. » Il

156 MÉMOIRES

son frère. Un mot à MM. Sévin*, ThibeuP, Prévost', Doujal* et autres, qui ne sont retenus que par le calme présent et Tespérance d'un prompt accommodement ; M. de Verthamont% qui est à la cour, à son frère et d'autres, ses parents.

c< Enfin, il n'y a personne qui n'ait pouvoir sur quel- qu'un, et cette affaire mérite une application prompte, et il ne faut pas douter qu'en deux fois vingt-quatre heures on n'en fasse sortir grand nombre, lesquels, dès le premier jour que l'on voudra, avec M. le garde des sceaux, les ducs et pairs que l'on pourra avoir, les conseillers d'honneur, quatre maîtres des requêtes, fe- ront un corps lrèsKX)nsidérable, lequel sera établi par le roi môme au lieu il sera, et, après quelques jours, le nombre augmentant, sera envoyé dans telle ville qui sera concertée; ils ne s'appliqueront qu'au service du

ne faudrait pas attacher au mot intéressé le sens qu'on lui donnerait aujourd'hui et qui ferait accuser ce conseiller d'avarice. l\ indique une disposition opposée à celle qui a été marquée plus haut, pour le con- seiller Fraguier, par ces mots : sans intérêt^ c'est-à-dire n'obéissant pas à un autre sentiment que celui de la justice.

' Sévin était également conseiller de la grand'chambre : a Habile homme, sûr quand il promet, intéressé, de nul crédit et de nulle estime dans sa compagnie, aime la débauche, p etc. (Tableau du parlement.)

* Également conseiller de la grand'chambre : < A une grande défé- rence à M. Sévin, (pii le peut engager à tout; est intéressé comme lui. » (Ibid)

* Conseiller-clerc de la grand'chambre : o Très-habile, très-fier, » etc. (Ibid.)

* Conseiller de la grand'chambre : a A de l'extérieur et est peu de chose au fond; faible, timide, dévoué entièrement à la cour, inté- ressé, » etc. (Ibid.)

' François de Verthamont, conseiller d'État. Il est l'auteur du Diaire ou Journal du voyage du chancelier Seguier en Normandie, publié par M. Floquet. (Rouen, 1842. 1 vol. in-8*.)

SUR NICOLAS FOUQUET (joiu.et-aoot lest) 137

roi, et, étant unis dans une même volonté et dans le parti légitime, ils serviront très-utilement.

« C*est noire avis, auquel vous êtes conjuré de faire réponse prompte ; autrement, si Ton ne prend cette ré- solution de bonne sorte, ou qu'on ne s'accommode promptement, chacun, se croyant inutile, s'en va chez soi, et ceux de Paris se porteront tous dans les intérêts des plus forts.

« Renvoyez-moi ce Mémoire et la réponse, laquelle je vous ferai rendre, si vous le voulez.

« Il est étrange qu'hier tous les opposants à M. de Rohan* firent défaut, et que le roi n'ait pas fait former une opposition par mon substitut*; que M. de Bouillon n'ait pas fait trouver un avocat qui ait plaidé trois heures durant sur la prééminence de Château-Thierry et de ses autres terres ^ ; que tous les autres gens de la cour n'aient pas le cœur de traverser par la chicane une affaire, laquelle est contre le service du roi présente- ment et contre leur intérêt pour ce que les princes l'af- fectionnent. Il sera reçu demain, si on n'y donne or- dre avant l'entrée du Palais*.

ce Mandez-moi des nouvelles des armées, si vous en savez ; de Lorraine * et d'Espagne, et du lieu le roi

* Rohan-Chabot, un des partisans du prince de Gondé, demandait que le parlement enregistrât ses lettres de duc et pair.

' Le substitut du procureur général se nommait Beschefer. Il en est souvent question dans les Mémoires d'Omer-Talan.

* Les lettres patentes pour l'érection de Château-Thierry enj duché n'avaient pas encore été enregistrées par le parlement.

^ Le duc de Rohan fut reçu le 15 juillet. Ainsi le Mémoire de Nicolas Fouquet est bien du 14 juillet, comme nous l'avons indiqué plus haut.

' Le duc de Lorraine se préparait à rentrer en France pour soutenir le parti des princes.

138 MÉMOIRES

doit venir, si c'est chose qui soit résolue et que Ton veuille bien dire; de§ nouvelles de la santé de M. do Mancini *; assurez Son Éminence de mon service. »

Le lendemain, 15 juillet, Nicolas Fouquet, répondant à un des familiers du cardinal Mazarin, insistait encore sur les mômes idées. « J*ai reçu, lui écrivait-iP, voire billet fort tard ; nos Messieurs* étaient dispersés et en- gagés en divers lieux, en sorte qu'il s'est passé du temps à les rejoindre. Us n'ont pas cru pouvoir aller ce soir à Saint-Denis, pour ce qu'il n'y a point ici d'escorle et qa'il eût fallu bien du temps d'en envoyer quérir une à l'armée, qiii est à quatre grandes lieues d'ici, et qu'il n'y a point de sûreté; mais la principale raison est qu'ils croient qu'il est impossible d'aller sans être vus, et d'être vus sans être suivis tout le jour et la nuit même de diverses personnes qui les voudront retenir à souper et à coucher, chacun sachant bien qu'ils n'ont jK)int de gîte. Outre qu'y étant allés avant-hier et ayant dit publiquement qu'ils retournaient chet eux et ne voulaient pas demeurer à coucher, il est impossible que le soupçon ne tombât sur eux, et ce à la veille d'une réponse au parlement. D'ailleurs, l'entrée dans la maison deM. le cardinal* étant exposée à la vue des députésqui observent tout, ils les auraient fait observer toute la nuit.

' Paul Mancini, neveu du cardinal Mazarin, avait été blessé au combat de la porte Saint-Antoine et mourut des suites de cette blessure.

* Cette lettre est autographe.

^ n s'agit toujours des membres du parlement qui négociaient avec la cour.

* Le nom du cardinal dn Mazarin est désigné par nn diiffrc dans l'ori- ginal.

SUR NICOLAS FOUOUET Vu i.et-aout mi) 139

et, en l'état sont les affaires, ces Messieurs estiment que le service qu'ils pourraient rendre dans une telle conférence ne serait pas si grand que le préjudice qu'ils apporteraient, et aux affaires publiques, et aux leurs en particulier, si la chose était découverte, comme ils n'en doutent pas. M. de Champlâtreux, d'ailleurs, ayant mandé qu'il viendrait les voir cette après-dînée, ou de- main matin, sur un billet qu'ils lui avaient écrit, ils ne savent quel prétexte ils pourraient avoir pour un chan- gement si subit, et cent autres raisons qui leur font croire le secret impossible.

« Nous estimons que les ordres sont à présent don- nés au parlement. S'ils ne le sont pas, et que Ton eût dessein d'avoir leur avis là-dessus, ils n'en peuvent prendre d'autre que celui que je vous ai mandé, qui est d'envoyer au parlement, dès la pointe du jour, une lettre de cachet du roi pour leur faire savoir les inten- tions de Sa Majesté, lesquelles intentions doivent être réglées sur la résolution à laquelle on se déterminera : ce qu'il faut faire présentement, parce qu'en tempori- sant et en négociant, tout périra inévitablement.

c< Si l'on croit quefM. le cardinal puisse demeurer et que les forces du roi soient capables de résister à celles des ennemis, il faut retrancher toute espérance de paix et d'accommodement, atin que chacun prenne son parti et que le roi appuie son autorité de tout ce qui y pourra contribuer ; et, en ce cas, il faut que la lettre de cachet porte la juste indignation du roi du refus qui a été fait (le faire venir des députés de la part des princes, et mander tout le reste du parlement. Si, au contraire,

140 MÉMOIRES

M. le cardinal est dans le doute de pouvoir résister et qu'il ait quelque pensée de se retirer, il faut dès au- jourd'hui, plutôt que demain, s accorder avec M. le Prince solidement, pour ce que, dans peu de jours, il ne le pourra peut-être plus ou refusera les assurances du retour de M. le cardinal, et, les peuples devenant inso- lents, M. le Prince n'en sera plus le maître. En un mot, il n'y a personne en tout le royaume de tous ceux qui ne sont point intéressés en cette affaire qui ne dise la même chose : prendre une résolution certaine; il vaut mieux qu elle ne soit pas si bonne, pourvu qu'elle soit certaine, et que chacun sache sur quel fondement il a à travailler.

« Sitôt que nous aurons des nouvelles de ce qui aura été fait demain au parlement, nous vous manderons nos sentiments là-dessus. Cependant nous nous reposons dans Tassurance que nous serons avertis du temps du départ et de la marche du roi.

a Si mon frère* est de retour, que M. le cardinal nous renvoie bien instruit de ses intentions; nous con- férerons avec lui de tout ce qui se peut faire,

a J'écrirai à mes gens, dès ce soir, pour ce que vous me mandez; mais ce ne peut être que pour après-de- main au plus tôt, encore si les lettres ne se perdent point. Je suis en peine d'un paquet envoyé pour cet effet.

« J'ai regret de Tétat vous me mandez M. Man- cini.

* L'abbé Fouquet était toujours, comme on le voit, l'agent le plus actif du parti, Tintennédiaire entre le cardinal et ses partisans.

SUR NICOLAS POUQUET (juillet-août less) Ul

« II est nécessaire que M. le garde des sceaux mande ici MM. les maîtres des requêtes du quartier du conseil*, pour venir faire leur quartier à la suite du roi, et que Ton transfère la juridiction des requêtes de THôtel * au même lieu sera le parlement.

« Il faut travailler à faire sortir le plus grand nombre qu'il se pourra des officiers du parlement. M. Saintot* peut presser M . son frère ; Bonneau peut écrire à son fils ; M. Jeannin *, à ses beaux-frères. Il faut écrire à M. Prévost, sa présence étant plus nécessaire que tout ce qu'il peut faire à Paris. II faut faire donner fonds de six mille li- vres au moins, par Tordre de M. de Guénégaud, pour ceux qui voudront partir ; ensuite de quoi ledit de Gué- négaud' viendra; M. et madame de Turenne écriront à M. de Saint-Martin ; M. Guitaut% à Verthamont; M. le garde des sceaux, à ses amis et à son gendre,

* Les maîtres des requêtes servaient par quartier de trois mois au .011- seil d'État, ils faisaient rapport des affaires litigieuses.

' Les requêtes de l'IIôtel du roi étaient un tiibunal particulier, les maîtres des requêtes prononçaient souverainement, avec le grand prévôt, sur les causes qui concernaient les officiers de l'hôtel du roi et autres affaires qui ressortissaient à cette juridiction.

' Saintot, ou Sainctot, était attaché à la cour comme maitre des céré- monies. U avait un frère conseiller-clerc de la grand'chambre.

* Jeannin de Castille, trésorier des parties casuelies.

' Il y avait plusieurs membres de cette famille attachés au parlement ou à la cour : Henri de Guénégaud, seigneur du Plessis et de Plancy, comte de Montbrison, etc., était secrétaire d'État depuis 1643. Son frère, Claude de Guénégaud, était trésorier de l'épargne. Il s'agit ici du second.

' Saint-Martin était conseiller de la troisième chambre des enquêtes. Il est ainsi caractérisé dans le Tableau du parlement : c Bel esprit, savant, fort en jurisprudence, fort en belles-lettres, retient néanmoins un peu de récole; est estimé dans sa chambre; est de la religion prétendue réformée ; est attaché à M. de Turenne. »

^ François de Comminges. capitaine des gardes de la reine.

142 MÉMOIRES

M. le Tellier, à Catinat^ et à Marie*; le Boultz, mailie des requêtes, à Metz'; M. de la Vrillière, à Phélypeaux \ et en Touraine, à quelques-uns de condition. Ilfaut adres- ser das lettres du roi pour faire donner à Dutronchet et Bonneau-Rebcl, et en tirer réponse; àBourges, à M. Fni- guier. Son Emincnee peut faire écrire à M. Godart^ et à M Bénard. Si M. de Belliùvre* veut, M. Servin^ viendra ; s'il est bien intentionné, il faut qu il en donne cette preuve. M. Servin peut faire venir M. deBauque-

mare*. Si Gargan* est bien avec la cour, il faut qu il envoie son neveu deLarche*°; et M. de laBasinièrc*^, Voysin. Il faut faire écrire à M. Baillif, maître des comp- tes, qu*il fasse venir un de ses gendres, M. le Prêtre ou

* Conseiller de la grand'chambre : « Homme d'honneur, très-capable, hors d'intérêts, a ur c grande probité et une grande créance dans lu grand'chambrc. » (Tableau du parlement de Paris.)

* Conseiller de la seconde chambre des enquêtes, bcau-rrérc du prési- dent de Bragelonne.

5 Conseiller de la cinquième chambre des enquêtes.

* i onseiller de la socbnde chambre des enquêtes et neveu du secrétaiio d'Etat Phélypeaux de la Vrillière.

* Godart Petit-Marais était conseiller de la quatrième chambre dc8 enquêtes : « Bel esprit, intelligent ; a beau débit ; prenant néanmoins des avis tout particuliers; fort intéressé; donnant à la cour, d etc. (Ta- blean du parlement.)

® Pomponne de Bellièvre, qui succéda à Mathieu Mole dans la char^^e de premier président du parlement de Paris. Ce j)iésident se tenait alor> à l'écart sous prétexte de maladie et était suspect à la cour.

' Conseiller de la première chambre des enquêtes.

** Conseiller de la cinquième chambre des enquêtes.

° Un des financiers de cette époque ; il est mentionné dans le Catalogui' des partisariS.

Cons iller de la première chamlire des requêtes : « De j,^énie uiédiu- cre et de peu de vigueur ; n'a pas de civdit dans sa chambre; a épousé une (iii-fian. M (Tableau du Parlement.)

" Trésoîicr derÉpargiiC.

SUR NICOLAS FOUQUET (juillet-août im, 113

M. Lallement. Savoir du marquis de Mortemart s'il pourrait tenter Foucaut \ en lui promettant toutes les choses qui le peuvent toucher. M. Ménardeau avait pro- mis son frère. Écrire à M. de Bellejambe" de faire venir son lîls. Lefebvre la Barre ' a pouvoir sur le Vasseur * et sur Vassan *. Le marquis de la Vieuville pourrait écrire à Malo'; M. le grand prévôt', àNevelet^ son beau- frère. Mais il faut parler à tous ces gens-là avec chaleur et s'y appliquer fortement, et faire achever de donner aux présents les mille francs promis, même à Breti- niôres et à Bordier *^, et aux autres qui restent à payer, et avoir ici un intendant des finances pour veiller h tout. »

' Foucaut, ou Foucault, était conseiller de la première chambre des requêtes du Palais. Il est ainsi caractérisé dans le Tableau du parlement : <r llonnôtc homme, de bon esprit, hardi, capable de service, s'appliquaut û sa charge et la faisant bien, ne laisse pas d'aimer le plaisir et le diver- tissement. »

' HiérosmeLemaistre, sieur de Bellejambe ou Bellejame, était conseiller d'Etat.

5 Fils de l'ancien prévôt des marchands.

* Conseiller de la quatrième chambre des enquêtes. 5 Conseiller de la même chambre.

<* Fils du duc de la Vieuville, surintendant des finances.

* Conseiller de la cinquième chambre des enquêtes.

^ Le grand prévôt était alors le marquis de Sourches, dont le fils a laissé des Mémoires.

^ De la cinquième chambre des enquêtes : « Prêche la justice, parlant toujours de règle et de discipline, affectant de la politesse, ne faisant nullement sa charge, j> etc. (Tableau du parlement.)

*^ On trouve dans le Catalogue des partisans un Bordier, sieur du Raincy, qui s'était fait bâtir en ce lieu un magnifique chùteau. Il est attaqué avec violence dans les Mazarinades ; on lit dans un de ces pamphlets : « Un Bordier, tirant son illustre naissance d'un chandelier de Paris, a dé|)ensé plus de trois cent mille écus à bâtir sa maison du Raincy, par une inso- lence sans exemple, mais qui mériterait, pour l'exemple, qu'on le logeât

144 MÉMOIRES

Nicolas Fouquet mettait, comme on le voit, un zèle ardent à organiser ce parlement qui devait paralyser rinfluence des magistrats restés à Paris. C'est certaine- ment à son influence qu'il faut attribuer les deux me- sures que la cour adopta presque immédiatement : la première fut un arrêt du conseil du roi, en date du 18 juillet, qui annulait Télection du prévôt des mar- chands faite dix jours auparavant, et maintenait dans sa dignité Tancien prévôt Lefèvre, alors absent de Paris. Le 31 juillet, un nouvel arrêt du conseil du roi or- donna la translation du parlement de Paris à Pon- toise, la cour s'était rendue. Il fut enjoint à tous les membres de ce corps de se transporter au lieu fixé, sous peine d'interdiction et de- privation de leurs charges. En même temps la chambre des comptes, la cour dc<s aides et le grand conseil étaient transférés à Manies. Tous ces actes de vigueur annonçaient l'intention de relever Taulorité royale. Mais c'était peu de rendre des ordonnances ; il fallait en assurer l'exécution, sur- tout en ce qui concernait le parlement. Ce fut encore Nicolas Fouquet qui s'en occupa. Il rédigea un projet de déclaration pour contraindre le parlement à obéir,

à Montfaucon, qui en est tout proche.» On sail qu'à Montfaucon s'élevait le gibet principal de Paris. Ce fut le fils de ce Bordier qui se rendit au par- lement de Pontoise, comme le prouve la Mazarinade intitulée le Parle- ment burlesque de Pantoise :

Ce deuxième au nei boutonné, Kl de rubis damasquiné» Est de Bordier la gênilure. Et d'un chandelier la facture. Son père fut de tous métiers Et parmi les maletôtiers A tenu la première place.

SUR NICOLAS FOllQUËT iJuiLLET-AutT I6&2j 145

adressa à ses substituts une lettre dans le même sens, et écrivit à tous les parlements du royaume pour leur faire part des ordres du roi.

Le projet de déclaration, écrit tout entier de la main du procureur général, porte « que le roi avait eu des- sein de tirer son parlement de l'oppression en laquelle il s* est trouvé à Paris depuis quelque temps ; que, pour cet effet, Sa Majesté avait envoyé ses lettres de transla- tion du parlement en la ville de Pontoise, portant in- terdiction de toutes fonctions et exercice de leurs char- ges en la ville de Paris et injonction de cesser toutes délibérations; que lesdites lettres patentes, après avoir été communiquées par le substitut du procureur gé- néral du roi aux principaux de la compagnie, auraient été par lui portées sur le bureau de la Grand'Chambre, toutes les chambres étant assemblées, lequel leur avait fait entendre la teneur desdites lettres et la volonté du roi '. Sur quoi, au lieu de déférer et cesser leurs délibé- rations, ils auraient pris les voix, et, sans porter aucun respect aux ordres de Sa Majesté, auraient arrêté que les lettres du roi ne seraient point lues, et même aucuns d'entre eux auraient été si téméraires de maltraiter et emprisonner des colporteurs qui vendaient des copies imprimées de ladite translation, pour ôter au peuple la connaissance des intentions de Sa Majesté; que non- seulement ils ont continué leurs fonctions en la ma- nière accoutumée, mais ont fait défense aux échevins de la ville de déférer aux ordres du roi, et ont été assiîz

' (:<>iii|»:iiT/ lt»îs Mémoires & Orner-Talon, à raïuitr lOôîJ.

I. lu

lia MÉMoinEs

oses de casser 1 établissement du parleinenl lmi la ville de Pontoise, quoiqu'il eût été fait par le roi en personne; auraient annulé les arrêts du parlement légitime, et se se- raient portés jusques à cet excès d'avoir dressé des actes qu'ils qualifient du nom d'arrêts contre ceux des offi- ciers et fidèles serviteurs du roi qui ont témoigné leur obéissance et tiennent le parlement par ses ordres, ne se voulant pas contenter d'être dans la rébellion et fé- lonie, mais voulant intimider les autres et les empê- cher de demeurer fidèles, et ce par un mépris et une désobéissance punissables.

« A ces causes, leur enjoindre de se rendre dans trois jours^ pour tous délais, en ladite ville de Pontoise, sa- tisfaire à la déclaration du dernier juillet, autrement et a faute de ce faire, ledit temps passé, que ceux qui con- tinueront la fonction et exercice de leurs charges dans Paris et assisteront aux assemblées tenues par lesdits officiers du parlement, sous quelque prétexte que ce puisse être, seront déclarés traîtres et rebelles au roi, leur procès fait et parfait suivant la rigueur des ordon- nances, leurs biens acquis et confisqués au roi, les dr- niei's en provenant appliqués au payement des gens de guerre, les maisons rasées, les bois abattus et les offices supprimés, sans qu'ils puissent revivre, pour quelque cause et occasion que ce soit, en faveur d'eux, leurs ré- signataires, leurs veuves ou héritiers.

« Et parce qu'il ne serait pas raisonnable que ceux qui ont obtenu des survivances fussent punis de la faute qu'ils n'auraient pas commise, enjoint à eux de se rendre pareillement dans trois jours en ladite ville de

SUR MCOLAS FOUQUEÎ ijULUT-Aott im' 147

Poiitoise, pour y exercer les charges èsquelles ils ont été reçus au défaut de ceux qui les possèdent à présent; au- lieincnt les survivances seront révoquées et les ol'fices supprimés. Et, attendu la difficulté de faire la signiliai- lion à chacun des intéressés, en particulier, de ladite dé- claration, ordonne que la publication qui en sera faite et les affiches qui en sei-ont mises en cette ville de Pon- toisc seniront comme significations faites à leur propre personne. »

En même temps, Nicolas Fouquet écrivait à ses suh- slituts pour les engager à se rendre à Pontoise. Le ton de sa lettre * était plus modéré : « Messieurs, leur di- sait-il, le wi ayant voulu transférer le parlement hoi-s (le Paris, je crois qu'en qualité de son procui-eur gé- néral, je suis plus obligé de suivre ses ordres et exécu- ter ses commandements qu'aucun de ses officiers et de ses sujets, et comme vous êtes tous obligés de demeurer unis dans ce même dessein et dans une même intention de vous conformer à tout ce que ma charge exige de moi, j*espére qu'il n'y aura aucun de vous qui veuille ni desservir le roi en lui désobéissant ni me désobliger en prenant une conduite contraire à la mienne. C'est la i^ison pour laquelle j'ai cru à propos de vous informer que mon intention est de demeurer ferme dans la fidé- lité que je dois an roi; faire ma charge dans le parle- ment au lieu il lui a plu de l'élablir par sa deiniére déclaration, et de vous convier d'y venir rendre le sei- vice que vous devez auprès de moi. Ceux qui y vien-

lis MÉMOIUËS

dront me feront plaisir. Je ne suis pas si déraisonnable que je prétende appeler ceux qui, par des raisons do- mestiques, auraient peine à quitter leur famille si promptement sans en recevoir de l'incommodité. Je laisse cela en la liberté de chacun, et n*y puis trouver à redire; mais, au moins, je souhaite que ceux qui de- meureront à Paris n'aillent plus au Palais et ne fassent plus de fonctions de substituts. Autrement j'aurais sujet de me plaindre d'eux, et ils auraient regret de me l'avoir donné. »

Un manifeste royal, en forme de lettres patentes, fut adressé à tous les parlements de France et leur (it con- naître les motifs de la translation du parlement de Paris à Pontoise. Nicolas Fouquet y joignit la circulaire sui- vante aux procureurs généraux : « Vous apprendrez, par les lettres patentes du roi, dont copie est ci-jointe, les raisons qui ont obligé le roi de transférer son parle- ment de Paris en une autre ville, lesquelles je n'entre- prends point de vous répéter; seulement vous dirai-je que les violences y ont été si grandes contre ceux qui se sont montrés inébranlables dans la fidélité qu'ils doi- vent au roi, que la plupart ont été obligés, il y a déjà longtemps, d'abandonner leui's maisons et se retirer hors la ville. Pour moi, j'ai suivi leur exemple en con- séquence des ordres que j'en ai reçjus du roi, lesquels ceux qui ont l'honneur de posséder les charges que nous avons sont tenus d'écouter avec plus de respect et plus exactement que tous les autres. Je vous supplie de vou- loir présenter à votre compagnie en diligence lesdi tes lel- fres patentes et Tenregist rement de ces lettres en noire

SUn NICOLAS FOUQUKT. ji-iiikt-aoit ma

parlemoni, ot vouloir vous on procurer el envoyer la réponse au plus tôt, la chose étant de très-grande im- portance pour le service du roi et pour établir le calme et la tranquillité dans le royaume; à quoi nous allons nous appliquer avec soin autant que la fonction de nos charges le peut permettre. J'espère que vous en verrez bientôt des effets, si messieurs de votre compagnie veu- lent s'unir et concourir avec nous dans le même des- sein. »

Les frondeurs ne se dissimulèrent pas la portée d'un acte qui allait frapper d'illégalité toutes les mesures du parlement de Paris. Ils éclatèrent en menaces el firent pleuvoir les pamphlets contre le parlement de Pon- toise. Le Mercure de cow\ le Parlement burlesque de Pantoise^ la Satire du parlement de Poutoise, etc., s'ef- forcèrent de verser le ridicule sur les magistrats qui avaient obéi aux ordres de la cour. Mais la violence mémo des attaques atteste l'inquiétude que leur inspirait cetle assemblée. On voit aussi, par les noms cités dans les ma- zarinades, que Nicolas Fouquet ne s'était pas trompé en désignant les membres du parlement qui céderaient aux sollicitations des partisans de la cause royale. Le premier président, Mathieu Mole, les présidents à mor- tier de Novion et le Coigneux, l'évéque de Noyon, pair ecclésiastique, les maréchaux de l'Hôpilal et de Villeroy, pairs laïcs, plusieurs conseillers de la Grand'Chambre, le.s présidents des enquêtes Perrot et de Bragelonne, les conseillers de Sève, Lefèvre, Tambonneau, de la Barre, Ménardeau, etc., enfin les maîtres des requêtes qui étaient de quartier auprès du roi, se réunirent le 7 aoûl

iaO MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET (juillet-août 16m)

en audience solennelle, et, après avoir entendu la dé- claration du roi que leur apporta le procureur général Nicolas Fouquet, ils se constituèrent comme véritable et seul parlement de Paris. Le lendemain, jeudi, ils ré- solurent, de concert avec le cardinal Mazarin, d'adresser au roi de très-humbles remontrances pour demander Téloignement de ce ministre*. Elles furent faites par le président de Novion, et le roi, qui ne paraissait plus céder à des séditieux, mais déférer aux doléances de sujets dociles, promit de prendre Tavis de son conseil. Ce fut à la suite de ces délibérations que Mazarin, s'éloi- gnant pour la seconde fois, enleva tout prétexte à ceux qui prétendaient ne combattre que lautorité odieuse d'un ministre étranger et affectaient un respect hypo- crite pour le pouvoir royal.

^ Mémoires d' Orner-Talon, en date du 8 août 1 G&i.

CHAPITRE IX

-JUILLET-SEPTEMBRE 1052-

}/} duc d'Orléans est dc^claré liculGiiant pc^nrral du i^oynumc et le prince de Condé pénéralissiuie des années (20 juillet}. G>nseil étahli par les princes ; disputes de prt^éance ; duel de Nemours et de Beaufort ;30 juillet); querelle de Condé et du comte de Rieux (31 juillet^ Désordres commis par les troupes des princes. Mécontentement de la bourgeoisie parisienne; assemblées aux halles et au cimetière des Innocents (20 août! . Mazarin s'éloigne pour quelque temps; sa cor- respondance avec les deux Fouquet. Chavigny négocie avec la cour au nom des princes. Inquiétude que le cardinal de Retz inspire à Mazarin. Retz se rend à la cour (0 septembre), et veut traiter avec la i*einc au nom du duc d'Orléans. Il n'y réussit pas. L'abbé Fou(|uet excite la bourgeoisie parisienne et négocie avec Chavigny. Assemblée des bourgeois au Palais-Royal (24 septembre); ils se dé- clarent antifrondem's. Conférence de l'abbé Fouquet avec Coulas (20 septembre). Il part pour la cour. On intercepte une lettre de l'nbbé Fouquet adressée au secrétaire d'État le Tellier.

En présence des ordres précis et de laltitude décidée do la cour, les princes n'avaient plus qu'à déposer les armes ou à déclarer ouvertement la guerre au roi. Ils n'hésitèrent pas à prendre ce dernier parti. Le parle- ment el la bourgeoisie, terrifiés par les dernières vio- lences, les suivirent pendant quelque temps et parurent adhérer à toutes leurs résolutions. Dès le 20 juillet, le duc d'Orléans fut proclamé lieutenant général du

152 MÉMOIRES

roy«iiime par arrôt du parloment ^ le princo de Cond('* fut en même temps nommé généralissime des armées. « Ceux qui ne furent pas de l'avis de l'arrêt, ajoute Orner-Talon, reconnurent, en sortant de la Grand- Chambre, qu'il était bien heureux que leur avis n'eu! pas été suivi, parce que toutes choses étaient disposées pour la violence. » Le premier soin du régent fut d'or- ganiser un conseil de gouvernement, devaient sié- ger, avec les deux princes, le chancelier Pierre Séguier; le duc de Nemours, prince de la maison de Savoie; le duc de Beaufort, qui fut bientôt nommé gouverneur de Paris ; le prince de Tarente, de la maison de la Tré- mouille ; leducdeRohan, le prince de Guéménée et plu- sieurs autres. A peine établi, ce conseil donna lieu à des querelles de préséance et à des scènes sanglantes. Le duc de Nemours provoqua le duc de Beaufort, son beau-frère, contre lequel il nourrissait une haine invé- térée. Le duel eut lieu le 50 juillet, et Nemours y fut tué*. Le lendemain, le comte de Rieux, second fils du duc d'Elbeuf, ayant disputé la préséance au prince de Tarente, Condé intervint avec sa hauteur ordinaire, e(, sur un mot blessant du comte de Rieux, il lui donna un soufflet. Le comte riposta par un coup, qui n'atteignit Condé qu'à l'épaule'. Au moment le prince saisissait une épée, les témoins de cette scène, et entre autres le duc de Rohan, se jetèrent entre lui et le comte do

* Mémoires d'Omer-Talon, p. î>00 Mit. Michaud ot Pmijoulal;.

* Voy. sur ce duel les Mémoires du temps et particuU^i'emcnt ceux de mademoLselle de Monlpensier (édit. Cliarpenlier, t. H, p. 132 et suiv.)

' Voy. le Journal de Dubumon-Aubemay et les Mémoires du temps qui racontent tous les détails de cette scène.

SUR Nir.OLAS FOrOIîET .JUiii.F.r-8FPTFM«Rr. m?^ ir>3

Rieux. Ce dernier fut arrélé et conduit à In Bastille par ordre du duc d'Orléans.

Ces luttes scandaleuses déconsidéraient le parti des princes, et en même temps les excès de leurs troupes le rendaient odieux. Depuis le combat du faubourg Saint-Antoine, elles campaient au faubourg Saint-Victor et pillaient les villages voisins. Sur les plaintes des ha- bitants^, les princes les éloignèrent, et on les dirigea vers Corbeil. Mais lorsque les habitants de cette ville appri- rent l'approche des bandes de pillards, ils coupèrent leur pont et leur fermèrent le passage. Il fallut ramener la petite armée des princes à Saint-Cloud, d'où elle con- tinua de dévaster les campagnes. Plus tard, on voulut de nouveau l'établir dans les faubourgs Saint-Victor et Saint-Marceau; mais les habitants se barricadèrent et les repoussèrent *. Pendant que les troupes des princes se livraient à ces désordres, les ennemis pénétraient dans le nord de la France et menaçaient las villes de Grave- lineset de Dunkerque, anciennes conquêtes du duc d'Or- léans et du prince de Condé. Ainsi les chefs de la Fronde sacrifiaient à leur ambition le repos, l'intérêt et l'hon- neur de la France.

Il était impossible que la bourgeoisie honnête et éclai- rée ne gémît pas d'une pareille oppression, surtout lors- qu'il fallut payer les taxes établies par le conseil des princes. Elle commençait à murmurer, et, dès qu'on

* Cps soldats étaient cousus d*or et d*argent de leurs pillages , rlir Diilmisson-Aiibonay, à la date du 21) juillet.

^ Ibid., à la date du 50 août. On peut comparer les Mémoires de mademoiselle de Montpensieriïbid., p. 149 et suivants.)

154 MÊN0IUE8

fut certain que le cardinal Mazarîn élaif parti, elle se rassembla au cimetière des Innocents et sous les piliers des halles pour délibérer sur la situation présente et y porter remède. Les Parisiens résolurent d'envoyer des députations au duc d'Orléans pour le prier d'éloigner ses troupes de la capitale, et décidèrent qu'ils s'adresse- raient directement au roi pour le supplier de revenir dans sa bonne ville de Paris*. Le parlement exprima le même vœu, et les princes déclarèrent qu'ils étaient dis- posés à s'y rendre, pourvu que la retraite du cardinal Mazarin fût sans apparence de retour. Ils espéraient, grâce à cette restriction, éluder les instances des Pa- risiens. Mais les partisans de la cause royale avaient repris courage, et ils ne cessèrent depuis cette époque de manifester leurs sentiments avec énergie. Nous re- trouvons toujours à leur tête les deux Fouquet.

Mazarin, qui s'acheminait lentement vers l'exil, écrivait, de Reims, à Tabbé Fouquet (27 août) : « Je vous remercie de tout mon cœur de la continuation de vos soins et de votre affection. Je vous prie d'assurer aussi M. le procureur général que j'ai une parfaite con- naissance de la manière dont il agit. Vous lui mande- rez qu'il faut que lui et les autres du parlement porteni les choses hautement et avec plus de vigueur que ja- mais, comme il a été concerté, parce que ceux de Paris n'oublieront rien pour affaiblir leurs résolutions ou mettre de la sédition entre eux, n'ayant plus d'aulre ressource; car sans cela il faudra bien qu'à la fin ils se

* Journal de DithMinxim-Atibeuau, à In dato du 20 août.

SUR NICOLAS FOUQUBT (jdillet-skptkiidre icst) 155

mettent à la raison. 11 faudrait tâcher de taire en sorte que les conseillers du parlement qui est à Pontoîse ne désemparent point, et d'y en faire venir d'autres. Je crois qu'il serait bon d'y envoyer quelques-uns des maî- tres des requêtes qui sont auprès du roi, n'étant pas malaisé, ce me semble, d'en faire venir d'îTutres do Paris en leur place, et ainsi l'on remédiera à l'inconvé- nient que vous me marquez du petit nombre de mem- bres du parlement. » En terminant, Mazarin recomman- dait à l'abbé Fouquet de veiller à l'union et au concert de tousses amis. « Je vous prie, lui disait-il, de faire mes compliments à madame et à mademoiselle de Chevreuse, et surtout de contribuer en tout ce qui dépendra de vos soins pour tenir tous mes amis bien unis ensemble, par- ticulièrement M. Servien et M. le Tellier ' avec M. le pro- cureur général, afin qu'ils agissent de concert en tout ce qui regarde le parlement et les propositions d'accom- modement qui pourraient être faites. »

Les princes, voyant que la bourgeoisie, le parlement et le clergé étaient disposés à envoyer des députât ion s au roi pour le supplier de rentrer à Paris, annoncèrent l'intention de prendre part à cette démarche, et firent demander des passe-ports pour le maréchal d'Etampes, le comte de Fiesque et la Mothe-Goulas, qui devaient se rendre à Compiégnc» était la cour -. Leur demande

* Abel Scnieii et Midiel lo Tellier étaient, en ra!>sence de Mazarin, les deux minûitres qui avaient la principale intluenco; mais les Mémoires du cardinal de Retz prouvent que Mazarin ne cessù'il di; faire suneiller ces souê-minitttres, comme il les appelle, par ses allfidés. elentiv aulnes par Zongo Ondedei et par labW Fouquet.

* Joitmal de Dubumon-Aubenay, à la date du 27 aoni.

i:»fi >IKM()1RES

fut rojoléc, ex)mnio ils .s*y nltcndaicnt. Aussi avaiont-ils adopté d'autres mesures. Us appelaient on France des auxiliaires allemands que leur amena le duc Charles de Lorraine. Mécontent de la cour qui ne lui avait pas rendu ses États et toujours avide de pillage, le duc do Lorraine vint de nouveau apporter aux princes un se- cours aussi odieux et aussi inutile que le premier. Los troupes des princes rivalisaient de violences avec les Lorrains. Elles envahirent et pillèrent les faubourgs Saint-Germain, Saint-Jacques et Saint-Marceau. Elles se répandirent ensuite sur les deux rives de la Soino, aux faubourgs Saint-Victor et Saint-Antoine, et conti- nuèrent à vivre aux dépens des habitants.

Les bourgeois, irrités de la conduite des princes, so réunirent alors en plus grand nombre et avec plus do hardiesse. « A quoi bon, disaient-ils*, tant de délais? Que n'allons-nous trouver le roi et le prier de venir en sa bonne ville de Paris? » Les plus intrépides déclaréroni aux frondeurs qu'ils étaient disposés à demander au roi des troupes pour chasser les bandes de pillards (|ui rava- geaient Paris et les environs.

En même temps on recevait de tous côtés de mau- vaises nouvelles pour le parti des princes : Montrond (Cher), une de leurs principales forteresses, élait pris. Le chancelier , qui pendant quelque temps avait suivi le parti des frondeurs, et le président de Mesmes,

* Dubuisson-Aiiboncy, h la dalo du 50 août. Aucun autre contempo- rain ne donne des dcMails aussi complets sur l'état déplorable de Paris à cette époque. Je ne fais que reproduire presque texluollcment cejoiini.il d'un témoin oculaire.

SUR NICOLAS FOUQUëT ^juiLLLT-stPTtHuiL iauj 157

étaient allés rejoindre le parlement de Pontoise, dont rautorité commençait à s'établir. Enfin, les politiques du parti des princes reconnaissaient qu'il fallait son- ger à se réconcilier avec la cour. A leur tôte était Chavigny. « Je vous dirai, dans la dernière confidence, écrivait Mazarin à Tabbé Fouquet le 5 septembre, que M. de Chavigny m'a fait savoir, par le moyen de M. Fa- berJ, que M. Goulas se devait aboucher avec vous, et, comme vous ne m'en mandez rien, cela me met en peine. Il faudrait vous conduire dans cette conférence, selon ce que vous diraient MM. Servien et le Tellier, et je serais d'autant plus aise que les affaires passassent par les mains de M. Goulas, que je le sais très -homme d'honneur et extrêmement des amis de M. le procureur général. Vous pouvez aller à Pontoise, et vous m'obli- gerez de dire à M. le procureur général que j'ai la der- nière confiance en lui sans aucune réser\e. »

Le lendemain, 6 septembre, Mazarin écrivait au pro- cureur général, Nicolas Fouquet, les lettres suivantes, qui attestent à quel point il comptait sur lui : « Je vous suis très-obligé du soin que vous avez voulu prendre de m'informer de ce qui s'est passé à Pontoise de- puis mon départ, et de ce que vous avez appris du côté de Paris. Je n'ai pas écrit une lettre à M. votre frère que je ne Taie prié de vous bien assurer de mon amitié, et que je me confie de tout en vous sans aucune réserve. Je vous confirme la même chose, et j'ose vous dire que, si vous pouviez voir là-dessus mes véritables senti- menls, vous en seiiez assurément foit satisfait.

« C'est un mal que le nombre de ceux qui com|)Osent

ir>8 MÊMOIRKS

le parlciiieiil ^ soit si pelit; mais coinmc l'on me maille (le Compiègnc que l'on y envoyait les maîtres des re- quêtes qui étaient auprès du roi , que je crois que M. de Mesmes et sou fils partaient pour le même effet et en très-bonne disposition de servir le roi, et que d'autres conseillers devaient sortir de Paris pour s'y rendre, je nf assure qu'à présent la compagnie sera bien aug- mentée.

(( Je ne vois pas que de la cour on ail inclination à permctti'cà M. de Longueil d*y aller sans tout le reste de la famille, parce que, s'il y était^il semble que cela pourrait empocher en quelque façon que Ton n'agit contre ses proches. Néanmoins, je vous prie d'en mander votre sentiment à MM. Servien et le Tellier aussi bien que toutes les pensées qui vous viendront dans l'esprit sur d'autres matières, parce que je sais qu'à la cour on y déférera extrêmement.

« Je sais ce que vous a mandé M. Goulas; c'est une pei'sonne pour qui j'ai estime et affection, et que je crois fort homme d'honneur et bien intentionné. Mais je veux bien vous dire qu'il semble qu'il use d'une manière de menaces dans son écrit, et qu'elles sont fort super- Hues à mon égard. Car je vous jure devant Dieu que je me confinerais avec joie en Canada, si je croyais que cela pût établir la tranquillité du royaume, et que l'on se trompe fort si ou croit que le désir de mon retour puisse contribuer en aucune façon à me faire faire un pas de plus ou de moins en ce que je ne croirai pas être du service du roi.

' H b'agil loujoui>:flu parlement de Poiilois^.'.

SUH NICOLAS FOUQlJET juiutr-si itkmbiu: wsï, 159

« J'ai trouvé très-judicieux et bien conçu ce que vous me mandez sur le refus qu'on a fait des passe-ports*, cl je ne crois pas que la seconde fois il y eût un incon- vénient de les accorder conditionnés comme vous le marquiez et avec les mêmes précautions, c'esl-à-dire de ne souffrir les députés traiter avec personne, et de leur imposer silence, s*ils voulaient parler d'autre chose au roi que de remercîments et des offres d'exécuter ce que Sa Majesté désirait. Mais à présent qu elle s'est encore plus engagée à ce refus, je crois que Ton y doit persis- ter, parce que l'on ne pourrait pas retourner en arrière, sans que cela fut imputé à faiblesse.

« Je vous dirai de plus sur ce sujet, dans la dernière confidence, que M. de Chavigny m'a fait savoir, par le moyen de M. Fabiîrt, que l'on était fort porté à Paris à l'accommodement, et que M. Goulas se devait aboucher avec M. votre frère, qui néanmoins ne m'en a rien écril: de sorte qu'en ce cas il n'est plus besoin de députation, et il nous est bien plus avantageux que lés choses s(» passent par celte voie, parce que, si cette conférence ne produit rien de bon pour nous, il sera fort aisé à Leurs Majestés de dire qu'elles n'en ont eu aucune con- naissance, en cas que les princes en voulussent tirer avantage en la publiant, et il n'en serait pas de même d'une députation publique, il ne se passerait rien que (out le monde ne sût.

<i Je vous prie de faire mes recommandations à mes amis de delà, et particulièrement à ceux qui sont du grand secret, et surtout à M. le Coigneux, de qui, a

' Domaiidt's par les princes |)our Icui's députes .Voyez ci-dessus» p. 155

160 MÉNOIHES

VOUS parler franchement, je vous dirai que la manière me plaît au dernier point, et que je prétends, à quel- que prix que ce soit, qu'il soit mon ami de la bonne sorte.

(( Il est impossible que le cardinal de Retz ne remue quelque chose en tout ceci ; il faut bien prendre garde à lui; car assurément il n'a rien de bon dans Tâme^ni pour le roi, ni pour TÉtal, ni pour moi. J'en îii écrit au long à MM. Semen et leTellier, et je vous conjure aussi de n'oublier rien de votre côté pour rompre ses desseins, en cas que vous les puissiez pénétrer.

«{ Je vous prie aussi de voir si, par le moyen des amis que vous avez à Paris, on pourrait adroitement, même en y employant quelque argent, ramener les esprits à mon égard, puisqu'ils commencent déjà à être mal sa- tisfaits des princes, et qu'il y a apparence qu'ils le seront toujoui*s de plus en plus. »

Une seconde lettre, du même jour, montre quelles étaient, à ce moment, les inquiétudes du cardinal. Il re- doutait surtout le marquis deChâteauneufet le cardinal de Retz; il connaissait leur habileté, leur ambition et leurs intrigues. « Je vous fais ce mot à part, écrivait-il à Nicolas Fouquet, pour vous dire qu'il est faux que M. le Prince ait envoyé vei's moi, comme M. de Châteauncuf a assuré, s'il ne veut entendre ce que M. de Chavigny a écrit à M. Fabert. J'eusse été de votre avis à l'égard de la proposition que ledit Chàteauneuf avait faite d'en- voyer une personne de confiance en secret à Paris ; air, comme vous dites, on aurait pu tout désavouer, si l'in tén^t du roi Yoù\ ainsi requis. Mais, si l'abbé Fonquel a

SIR NICOLAS FOUUUET .icilli.t-skpteiibue irss 101

VU Goulas, ce sera la même chose, et beaucoup mieux, puisque ledit Châteauneuf ne sera pas même de Taf- l'aire.

« Je vous conjure de vous appliquer à rompre, par toutes sortes de voies, les desseins du cardinal de Uetz, et de croire comme un article de foi, que, non- obstant toutes les belles choses qu'il fera et les protes- tations de sa passion au service de la reine et de vouloir me servir sincèrement et de pousser M. le Prince, il n'a ' rien de bon dans l'âme, ni pour TÉtat, ni pour la reine, ni pour moi. Il faut donc bien garder les dehors et em- pêcher qu'il ne s'introduise et qu'il ne puisse jouer en apparence, ni à la cour ni à Paris, le pei^onnage de serviteur du roi bien intentionné; car il est incapable de l'être jamais en effet. Vous n'aurez pas grand'peine avec la reine sur ce sujet; car elle le connaît trop bien pour s'y lier jamais.

« Si par les artifices du cardinal de Retz ou autre- ment, il s'élevait quelque orage contre moi à Paris, comme de parler au roi contre mon relour, ou choses semblables, je crois qu'on pourrait faire en sorte que toute la maison du roi, y comprenant les officiers des gardes françaises et suisses, ceux des gaides du corps et des chevau-légers el gendarmes, parlât avec grand res- pect au contraire, disant avoir jugé à propos de dire en ce rencontre leurs sentiments à Sa Majesté, alin qu'elle siH qu'ils étaient tous prêts à périr pour soutenir son autorité en une affaire de cette importance, dans laquelle la cabale et Tartifice agissaient pour des intérêts parti- culiers et non pas pour le motif de son service. Celte 1. Il

i&l MËMOIUES

proposition esl indigeste, et j'espère qu'on ne sera piis obligé d'en venir ; mais je vous dis en confidence mes pensées, alin que vous y fassiez réflexion en cas de be- soin, sans en parler à qui que ce soit qu'à la reine.

« Peut-être c'est un soupçon mal fondé; mais je doute que MM. d'Épernon et de Caudale tireront de longue à faire une réponse définitive sur le mariage', et que, donnant toujours de bonnes paroles, ils tâcheront ce- pendant de tirer tous les avantages qu'ils pourront. C'est pourquoi je crois qu'il ne leur en faut accorder aucun, mais tenir les choses en suspens, et se conduire en sorte quils connaissent qu'on ne veut rien faire qu'on ne voie auparavant la résolution qu'ils prendront sur ledit mariage, et il ne serait pas mal que vous en dissiez un mot comme de vous à M. de Miossens -. »

On voil, par ces lettres, que Mazarin était vivement préoccupé des intrigues du cardinal de Uetz, et (ju'il cherchait à les déjouer. En effet, cet ancien chef de la Fronde, toujours ambitieux et prêt à profiter des cir- constances, voyait le parti des princes en décadence, et la bourgeoisie avide de paix, mais encore hostile à Maza- rin; il espéra que le tiers parti, qu'il avait tenté plu- sieurs fois d'établir, pourrait enfin triompher*. Sous

* Il s'agissail du iiiariap> du duc do Ciindalc, tils du duc d KjMfniuii. avirc uiiL* iiimMlu cunliual Mazariu.

* (>isar-IMiél»us, wmilo de Miossens, qui devint dans la suili; uuuVHliai de France et lut désigné wnis le nom de nnuédial d'Albrel.

Vuy. Mémoires du cardinal de Helz, I. IV, p. 7'i et sui\. «dil. Cliar- IK'nlier). i\v\/. met sur le cinuplc delà Providence les inspirai i<uis de s<»u ambition : a La ri-ovidence de Dieu, ciui, par de secrets ressorts, incon- nus à «eux iiiAni(*s ipi'il I'»mI agir. dis|M)se les moyens fH»ur leur lin. se

SUR NICOLAS FUUUUET juLLti-shmimuE ims, 163

prétexte d'aller recevoir la baretle, ou bonnet de cai*»- dinal, des mains du roi, il résolut de se rendre en grande pompe à Compiègne, quliabitaîent aloi-s Louis XIV et la reine Anne. L'abbé Fouquel s'opposa avec beaucoup d'énergie à ce que la cour reçût cet am- bitieux. C'est Retz lui-même qui nous l'apprend, k L'abbé Fouquet, dit-il', revenait à la charge, et soutenait que les intelligences qu'il avait dans Paris y rétablii*aienl le i-oi au premier jour, sans qu'il en eût obligation à des gens <iui ne proposaient de l'y remettre que pour être plus en état de s'y maintenir eux-mêmes contre lui. » Ce témoignage d'un ennemi ne laisse aucun doute sur le zèle que mettait l'abbé Fou([uet à soutenir les inté- rêts de Mazarin. Il dut céder en cette occasion, et, le 9 septembre, le cardinal de Retz partit en grande pompe pour Compiègne. Il dit lui-même, dans ses Mé- moires *, qu'il avait dans son cortège prés de deux cents gentilshommes et cinquanic gardes du duc d'Orléans. Les députés du chapitre de Notre-Dame, les curés de Paris et des congrégations religieuses, telles que ccîlles de Saint-Victor, Sainte-Geneviève, Saint-Germain des Prés, Saint-Martin des Champs, le suivaient et remplis- soient vingt-huit carrosses à six chevaux '.

Le H septembre, M. de Berlise, introducteur des ambassadeurs, vint prendre dans un carrosse du roi le camérier du pape et le cardinal de Retz. Il les conduisit

•*<M*vil (l(S oxluu'talioiis «le a!^ inissicui>i pmir mo porUM* ù cliaiigt'r iiiii «Mtiiiluitc, > oie.

hlèmoire» du cardinal de lU'tz, ih'ul.. j». S*i.

* Ibid., p. H3.

^ Journal de Dubtiissofè-Aubetuiy, à la daic* du 9 si^piciiibic.

164 MEMOIRES.

au cliàteau de Compiègne, le roi remit au cardinal le bonnet rouge. Le cardinal prononça ensuite une haran- gue, qu il a eu soin de nous conserver*. Il y retraçait les maux de la France : « Nous voyons, disait-il, nos campagnes ravagées, nos villes désertes, nos maisons abandonnées, nos temples violés, nos autels profanés. » Pour mettre un terme à ces malheurs, il exhortait le roi à rentrer dans sa bonne ville de Paris, et à imiter les exemples de clémence que lui avait donnés son aïeul Henri IV. Le roi manifesta, dans sa réponse, des dispo- sitions bienveillantes pour les Parisiens, mais en se te- nant dans de vagues généralités.

Après ces pompeuses cérémonies et ces discouis d'apparat, qui étaientbons pour amuser la foule, le car- dinal de Retz voulut entrer dans le secret des affaires*. Il promit, au nom du duc d'Orléans, que Gaston se sé- parerait du prince de Condé et signerait la paix de bonne foi, pourvu que Condé conservât ses gouvernements. On Técouta; mais on ne prit pas au sérieux ses propositions. Lui-môme avoue que Tabbé Fouquet, qui se trouvait alors à Compiègne avec la mission d'éclairer toutes ses démarches, se moquait de la dépense qu'il faisait \ a II est vrai, ajoute Retz, qu'elle fut immense pour le peu de temps (pi'il dura. Je tenais sept tables servies en môme temps, et j'y dépensais huit cents écus par jour. » Le cardinal prétend qu'il fut dédommagé de ces dépenses exc:?ssives et des railleries de la cour par l'accueil (|u'il

* Mémmes de lielz. ihid.. |i. St-Ol.

* Ihid., |). 93.

^ iOid,, p. iOJ.

SUR NICOLAS FOUQUET >illf.t wîrTEiihBF. i«8i* 105

reçut à Paris. Ce qui est certain, c'est que sa négocia- tion échoua complètement. L^abbé Fouquet, au con- traire, réussit à provoquer dans Paris une manifestation énergique en faveur de la cause royale. Quant à Tintri- gue secrète qu'il avait nouée avec Chavigny et.Goulas, il la poursuivit mystérieusement jusqu'au jour il de- vint inutile de dissimuler les projets et les forces du parti de la cour.

Le but principal de celte négociation était de séparer le duc d'Orléans du prince de Condé, Mazarin était per- suadé que le second ne voulait pas sincèrement la paix. « M. le Prince, écrivait-il à Tabbé Fouquet le 24 sep- tembre, n a veine qui tende à l'accommodement, en- trant en de nouveaux engagements et se liant tous les jours de plus en plus avec les Espagnols. Quoi qu'il en soit, il importe d'en être éclairci promptement et de fa- çon ou d'autre, pour prendre résolution là-dessus. J'ai écrit au long à M. le Tellier sur ce sujet, et comme l'on vous aura donné connaissance de tout pour vous former la réponse que vous avez eue à faire à Paris, je n'ai rien à ajouter sur cette matière. C'est à ceux qui agissent sur les lieux par ordre de Leurs Majestés à y mettre la dernière main. Surtout la diligence est néces- saire, et il ne faut plus faire de renvoi vers moi pour cet effet.

« 11 faut cultiver soigneusement les bonnes intentions de M. Coulas et s'en prévaloir pour détacher Son Altesse Royale de M. le Prince, en cas que M. le Prince no veuille point la paix. 11 faudra aussi se souvenir en son temps do ce qu'il propose pour lo cardinal do Retz. Ce-

KWi MËMOIRRS

pendant je VOUS prie de l'assurer de la bonne manière de mon amitié et de mon estime.

« r/est bien fait d'insinuer à M. de Chavigny qu'il ne sera pas épargné, si M. le Prince commence une fois à maltraiter, les serviteurs du roi en leurs biens. Au reste, je ne sais quel sujet nouveau il peut avoir de me haïr depuis les protestations qu'il me fit du contraire à Saint-Germain *, et qu'il m'a confirmées par diverses voies.

a La reine a grande raison d'être satisfaite de M. le procureur général. Je ne vous puis celer l'inquiétude ([ue j'ai de voir que vous me mandez qu'il mérite bien qu'on prenne quelque soin de le ménager; car si cela re- garde la confiance, je pense que M. le Tellier n'en use point autrement avec lui qu'il ferait avec moi-même. El pour l'affection, je ne cède à personne, c^mme je crois qu'il est enlièrement de mes amis.

« Ce que vous m'écrivez à l'égard de madame la Pa- latine* est superflu. S'il est besoin qu'elle agisse, vous n'avez qu'à rx)nférer avec M. Servien et M. le Tellier de ce qu'elle aura à faire, et après, sur un mot de la reine, je vous assure qu'elle fera tout ce qu'on voudra sans hé- siter. Ce qui est d'autant plus vrai que je puis vous dire eonfidemment qu'elle n'est pas trop satisfaite du cardi- nal de Retz. »

1^1 fin delà lettre de Mazarin est surtout remarquable.

' Voy. plus haut, p. 70, W m^^m'ialions doRohaii, CJiavipiiyot (loiilas •1 SaiiiMiorniain-on-Lavt».

* Aiino de Gonza^nio, princosso palatine. (> passajjo prouve ciMuliion Metz so f!i)mpo, dans ses Méntoires. I(>i*s(pril cilo à la «laie de sep- ie»n!»n* lObS'i prinees^je fialaline eounne dévouc^e à ses inl«'*n'^l>.

sur; NICOLAS FOUQUET JOiri.KT-sEm:vBRr icm 107

Elle prouve (jiril avait lo cœur plus français que ces princes qui iaissîiient les Espagnols sVmparer deGrave- lines et de Dunkerque. Apres avoir parlé de la difficulté de secourir Barcelone, qui était encore au pouvoir des Français, il ajoutait : « Je vous avoue que je suis fort touché de voir que, nonobstant toutes les peines que j ai prises, la Catalogne se perd, et le roi en souffre un préjudice qu'on ne saurait réparer en des siècles en- tiers. »

Le jour même Mazarin écrivail cette lettre, 24 sep- tembre, quatre ou cincj cents bourgeois, dirigés par M. le Prévost, chanoine de Notre-Dame de Paris et conseiller clercde la Grand'Chambre, se réunirent au Palais-RovaL et, plaçant à leurs chapeaux des morceaux de papier au lieu de la paille des frondeurs, annoncèrent Tinten- tion de rappeler le roi dans Paris, malgré les princes *. f^ duc d'Orléans envoya le maréchal d'Êtampespour ron- naîlrele butde cette réunion. Les bourgeois ne le dissi- mulèrent pas, et quelques-uns même, poussant des crisde menace et de provocation, s'écrièrent : La paille est rom- ime. Point (le princes; vive le roi, notre seul souverain^! \je maréchal d'Étampes, bien loin de pouvoir réprimer ce mouvement royaliste, fut obligé de prendre le signe du parti et de rompre la paille. L'abbé Fouquet n*avait pas manqué de se trouver à cette assemblée. « Dès quej*y fus, écrivait-il au secrétaire d'État le Tellier, les Imnr-

' Voy. le Journal de Dubumm-Mtbenay, à la «lalo du 'ii s<»pliMnhn'; *A Its Mt^/noirex de mademoiselle de Montpenxier. du pt^re lierlhod. de iietz, i*U'., à la iiH'iiH'dalc.

Journal de Duhumon-Auhenaif. il»i<l.

168 MÉMOIRES

geois, qui étaient réunis en grand nombre, sont venus à moi a\cc la dernière joie, me demandant ce qu'ils avaient à faire et quel ordre il yavail pour eux. Ils vou- laient aller au palais d'Orléans * et exciter des séditions par les rues. Je n'ai pas cru que l'affaire se dût mal em- "barquer; j'ai pensé qu'il était nécessaire que j'en- voyasse en diligence demander les hommes de comman- dement que Ton voulait mettre à leur tête. Il ne faut pas perdre un moment de temps pour les envoyer. Le ma- réchal d'Étampes passa ; ils l'ont obligé à prendre du papier, dont il a été assez embarrassé, et sur ce que je lui ai dit qu'il en verrait bien d'autres, il m'a répondu qu'il ne fallait point faire de rodomontades, et qu'il fal- lait conclure la paix.

c< M. le duc d'Orléans a souhaité de me voir; j'ai été ime bonne heure avec lui; j'ai trouvé seulement qu'il a un peu insisté sur les troupes*, disant qu'il ne voulait que sortir honorablement de cette affaire. Je lui ai dit que, quand môme on les accorderait, elles seraient cas- sées au premier jour. Il a ajouté que, si l'on en réfor-r mait d'autres, il consentait que celles-là le fussent aussi. Il m'a dit qu'il n'était point d'avis que l'on mît par un article séparé, que M. de Beaufort sortirait cIj» Paris; qu'il lui ferait faire ce qu'il trouverait juste; que, pour le parlement, il serait bien aise que la réu- nion'' se fît de manière qu'elle ne blessât point l'autorité

^ I^ dnc d'Orléans, coninio on l'a «léjà vn, liabilnil \o Lnxoml»onrp.

* C'ost-à-diro sur la ronsonation rios Ironpos dont so coni|)osall lar- nu'o dos princes.

"' Il s'apissait do rônnir on nn soni corps los donx parlornonls siôtronnt à Paris ot àPonloiso.

^ SUR NICOLAS FOUQUET jriLLET-sKPTKïiimK lesî ICO

(lu roi ; mais qiril somit bien aise que le parlement ne fût pas mal satisfait de lui. Et par-dessus, M. de Chavigny m'a assuré que, quand M. le Prince ne s*accommoderait point, Monsieur s'accommoderait. J'ai vu qu'il vou- lait i^tre médiateur entre la cour et M. le Prince, ayant voulu entrer dans le détail de tous les articles. Nous aurons contentement, pourvu qu'il ne vienne point de faux jours à travers qui détournent M. le duc d'Or- léans. Tous les amis de M. le Prinœ approuvent les propositions de la manière dont la cour souhaite qu'elles passent. J'espère une trêve dès demain. Il y a une chose que M. de Chavigny me propose : c'est que M. le duc d'Orléans aurait peine à consentir que M. le cardinal fiU nommé dans l'amnistie; qu'il était bon que l'on (\assiU tous les arrêts qui ont été donnés, et que M. cardinal fût justifié par une déclaration particulière, et la raison de cela est qu'il fallait que Monsieur reçrti l'amnistie, et qu'il aimait mieux solliciter secrètement la justification.

« Autant ([ue je puis conjecturer, les affaires réussi- ront bien. Peut-être demaridera-t-on quelque argent pour le rétablissement de Taillebourg *. Quant à Jarzé *, n'ayant ordre de rien accorder, je me tiendrai ferme là-dessus. M. de Broussel s'est démis de la prévùté des marchands et s'en est repenti deux heures après, et, sur ce repentir, M. le duc d'Orléans demanda à M. de

* Mo forlnrcsso. qui nppaWnmit an |iriiu*i' do Taronlo. avait ôlô ras<V|)ar ordro do la cour.

Reno du IMossis do la noclio-Pitlioinor. ini d«s polifs-maîiro-ï altacliôs à Coiidô.

170 MEMOIUES

Chavigny ro qu'il avait à faire. H lui répondil : // s en est démis^ sans vous en parler; parlez-lui en^ sans le ré- tablir. Si les affaires s'échauffent un peu, c'est un homme que je vois bien qu'on pourra accabler.

'i Le cardinal de Retz fut hier deux heures avec M. do Lorraine, et lui fit espérer de grands avantages, s'il se voulait lier avec lui, et dit en même temps qu'il a fait avertir les têtes de papier (c'est ainsi que l'on nomme la nouvelle union), qu'il gouvernait tout à la cour, et qu'ils ne réussiraient jamais s'ils ne le demandaient pour leur chef. Sur ce, la plupart me sont venus demander avis ; je leur ai dit qu'il était bon d'avoir des gens de guerre à leur tête; qu'il fallait faire beaucoup de civilités au cardinal de Retz, et même, s'il a des amis, lui de- mander secoui^s; mais que, pour suivre ses ordres, cela n'était pas nécessaire. Demain, à dix heures du malin, j'aurai la dernière résolution de toutes choses. M. Prince, si la paix ne se conclut point, ne voyant plus de sûreté pour lui dans Paris, emmènera son armée. Il esl nécessaire que l'on nous envoie des placards imprimés.»

Le lendemain, 26 septembre, l'abbé Fouquet, api'ès être resté trois heures en conférence avec Goulas et avoir pris les derniers arrangements, se mil en route pour rejoindre la cour*.

Le parti royaliste introduirait dans Paris une centaine d'hommes résolus, soldats déguisés, qui devaient st»

* Rolz se pardolm'n do parler de cette ciironstaiicedans ses Mémoires. Il prétend (I. IV, p. 117, édil. Cliarpeiilier), que cette asseinhlée n eiii aucune importance et (fue ces « têtes Oe papier furent \\\m^ cMinnir on hue les masques. >.

* Dubui^son-Anhenay. Journal, à la dal«* du ^2(» septembre.

SITU NICOLAS FmiQlIKT jnu.KT-sn'TFVBHF ler.? 171

porter aux dorniôros violences contre les frondeurs ob- s1ini!^s*. Si Ton ajoult> à ces négociations et i\ ces agita- tions intérieures les sucres de Tannée de Turenne cam- pée h Villeneuve-Sainl-Geôrges, rapproche de la cour, qui s*ctablit à Pontoise, la maladie et le découragement du prince de Condé, on comprendra que la Fronde ex- pirait, et qu'il ne >s'agissait plus que de lui porter les derniers coups. Un incident en relarda la ruine. La lettre de Tabbé Fouquet, que nous venons de citer, fut interceptée % et le duc d'Orléans, pour ne pas rom- pre ouvertement avec le prince de Condé, suspendit pendant quelque temps les négociations avec Mazarin.

* Voy. Mt^moires de mademoixeUe de Montpemier^ t. \\. p. 17U-1X0 wlil. Clinr|>fîiitior . « /W</..1>. 17"

CHAPITRE X

OCTOBRE 1052 ~

I/ahlM^ Fouquct solislino à œnlimier U's négociations avec los pi'incos.

Sa passion pour la duclM^«î<* de Châtillon. Mazarin l'avorli! vai- uonionl qiio lo prince de Condi' ne vent pas traiter sénensenienl ave».' la cour 5 octobre . Il lui c<>nseille de s'attacher à séparer le duc d'Orléans de(>>ndé. 1/intén^t véritable du roi conseille de repouss<M' les demandes de ce dernier. Mazarin revient avec plus d'insistance sur les inêines idéis ;0 octobre'; il sait positivement (fue Condé (sl entrt» dans de nouveaux engajreinenls avec les Espagrnols et leur a pro- mis de ne pas traiter avec la France. Madame de Qiàtillon est éga- lement dé'vour'e aux Espaj^nols, Plaintes de Mazarin sur la pmlon- ^'alion de son exil; il espère <pie le procureur j^énéral, Nic^das Kou- «piel, délenninera le parlement dePontoise à proclamer son in nocencj'.

ïl enpape rablM* Fouquct .'i profiter de la rupture entre le prince de Coudé et Cbavi'my jKïm* assurer le succès des néjfociations avet" le duc d'Orléans. Violence de Condé envers Cbavigny; maladi(> et moil de ce dernier li octobre). Erreurs de Saint-Simon dans le l'éril de ces faits. Attaques dirijjécs à la cour contre l'ablM» Fouquel; ou lui enlève la direction d<s négociations avec les princes. Le procu- reur-général, Nicolas Fouquet, se plaint vivement à M.tzarin delà con- duite des ministres (pii enlom'ent la reine et île la rupture des négo- ciations. — Il pense que l'on devrait profiter de la l)onne disposition des Parisiens pour ramener le i*oi dans son Louvre. Le parlement siégeant à Pontoise est tout entier de cet avis, et c'est en son nom qu e- crit le procureur général.

Lorsque l*abbé Fouquet, qui s était rendu à Coinpiè- gne avec les dernières conditions des princes, fut de retour à Paris, il trouva le dur d'Orléans plus froid. Les

NËNOIRES SUR MCOLAS FOUQUËT ih.tobiu: les) 173

princes exigeaient de nouvelles garanties, et il était fa- cile de reconnaître que le traité était ajourné. Cepen- dant Tabbé, qui portait dans la conduite des alTaires plus d'ardeur que de prudence, ne se découragea jnis. Il était d'ailleurs entraîné dans cette circonstance par un autre sentiment. La duchesse de Châtillon, qui élait tou- jours chargée de soutenir les intérêts de (londé, avait un charme irrésistible pour l'abbé Foiuiuet, et cette passion ne lui laissait plus toute sa liberté d'esprit pour discerner la vérité. Mazarin lui répétait vainement que le prince de Condéiie voulait pas truitei* sérieusement ^ et qu'il en donnait aux Espagnols des assurances posi- . tives. « n est aisé à voir, lui écrivait-il encore le 5 octo- bre, que M. le Prince se moque de nous et n'a nulle envie de conclure. Vous vous étiez très-bien conduit à l'égard de S. A. R. {Gaston d'Orléans), et vous aviez mis les choses au point que nous pouvions souhaiter, pour nous assurer de S. A. R., de ceux qui étaient de la confé- rence et des autres, en cas que M. le Prince ne se frtt pas satisfait des conditions que vous lui portiez, comme son Altesse Royale et les autres vous témoignent de cit)ire qu'il le devrait être. Mais je crains que le mal- heur de votre dépêche, (juia été interceptée, n'empécluî que nous ne recevions j)as du côté de S. A. R. tous les avantages que nous pouvions raisonnablement attendre. « Je veux croire néanmoins que Ton trouvera (juelque expédient pour toutrépiirer, (îlque vous n'oublierez rien auprès de M. deChoisy* et de M. Goulas, qui lémoi-

' M. (le C.lioisy élait cliaiicrlicr du (hic d'Orh'aiis. Son lils. l'ahlK* de 'lli >isv, a laissi? lU^ >l(Mii<»irps sur \o iV'i:iii» do F.oni»j XFV

174 MEMOIRES

giieiit avoir I)oiiiie intention et qui sont intéressés ù la chose, afin qu'ils pi-essent S. A. R. à ne marchander plus en cette occasion de se séparer de M. le Prince, qui fait voir clairement n'avoir autre but que la continua- tion de la guerre; et ce serait le plus grand service que vous puissiez rendre à TÉlat.

« Pour ce qui est de M. le Prince, quand il serait au- tant de l'avantage du service du roi, comme il y est tout à fait opposé, qu*on lui accordât tout ce qu'il demande, ce relâchement serait attribué à l'impatience que j'au- rais de mon retour, puisque déjà l'on dit qu'il nie le fera acheter par rétablissement de la fortune de tous ses amis; mais cela ne me mettrait guère en peine, car si M. le Prince avait une véritable envie de s'accommo- der, et que Tintérôt du roi obligeât Sa Majesté à consen- tir à toutes les choses qu'il demande, je serais le pre- mier à prcîndre la hai-diesse de les conseiller à Sa Majesté. Il me serait aisé de faire voir (jue ce n'aurait pas été pai' le motif de mon retour à la cour, puisque je ne bougemis pas d'ici ' ou de Sedan.

« J'écris au long à M. le Tellier sur toutes les choses que vous avez rapportées. C'est pourquoi je ne vous fais pas une longue lettre, vous priant seulement de m'aimer toujours et de croire que vous n'aurez jamais meilleui" ami que moi, et d'assuixîr M. votre frère de la même chose. »

Le 9 octobre, Mazarin revenait avec une nouvelle in- sistance sur rinipossibililé de se lier au prince de

' Ma/ariii était aloi's daii:> lapctilc viil<' de Uodilloii.

SUK MOULAS FOUQUET .(nrnmuL Uis 175

('oiidé : « Je suis suipiis de voir que vous n'ayez pas en- core reconnu que M. le Piince ne vent point d*acconi- niodenient, et que toutes les vétilles aux(]nelles il s'ar- rête sont des prétextes qu'il prend et non pas la véritable cause qui reHq)éche de conclure, ce qui est si viai qn(» si on pouvait, sîuis exposer à un dernier mépris l'au- rité du l'oi, lui accorder non-S(»ulenient les choses aux- quelles il insiste, mais même d'autres pour ses intérêts ou ceux de ses amis, je mettrais ma vi(» qu*il ne s'ac- commoderait point, et je ne liasaiderais point grande chose, sachant dans quel (Migagement il est encore de nouveau avec l(»s Espagnols par des promesses posili- ves que Saint-Agonlin ^ a fait de sa part an roi d'Ks- pagne, (îtpar c(»lles (|u'il a fail faii*e au comte de Kuen- sîddagne, lecpicl n*a jamais été plus assuré qu'il ne Tf^sl à préseni de M. le Princt». (Juehpn» chose qu'on lui puisse oO'rir, il ne conclura rien qu'au ]»réalal)le le roi d'Espagne n'ait reijn les salisfactions qu'il souhaili» pour la |)aix générah». Et connru» il y a divers(*s personnes à Paris du parti de M. le Prince cpii savent ce (pie dessus, je d'oyats qu'il vousaurail élé aisé d(» l'apprendre.

« Je vous dirai encore, dans la d(Tniéi'e confidence, (pie les Espagnols se tiennent aussi assurés de madame de Chatillon qu'ils le s(Mit de M. \r Prince, et que Vi(d(î (ît Croissy * savent cela encore mi(Mix que moi. Je vous conjun» de n'en parler à qui qui» ce soil : car vous

' ('.'('Inil iiii «h's :i;:niK»lf' r.i)ii(ir> (i:iiis m'^^ in'^MuialiMii^ hmv rK>pi<;:iii'. ciMiiiiic lui h' \oil par les MvmoireH dr l'Icrn* \.v\\v\.

- \aV pi't'siikMit Viol»' ri (!roi>5\-Koiu|iu'l rla'uMil iiinnUic^ du |>-irk'iiit'iil "i «li'NoiH"^ au paili «les priiircs.

17t) MEMOIIIES

savez à quel poinl je me fie eu vous, mais croyez ([u'il n'y a rien de si vrai ([ue ce que je vous dis.

<c Vous vous souviendrez bien qu'à Sedan vous me té- moignâtes que vous croyiez que M. le Prince s'acconi- inoderaii à de bien moindres conditions que celles que vous lui avez portées, et peut-être qu'en ce temps ma- dame de Cliatillon avait d'autres idées que celles qu'elle a présentement.

« Hier au soir, j'ai eu nouvelle que le gouverneui* dv Cliarlemont avait dit que' M. le Prince avait dépéché au comte de Fuensaldagne, depuis que vous traitiez avec lui, pour l'avertir de ne s'alarmer pas, quelque chose qu'il entendît dire de son accommodement, à cause des conditions avantageuses qu'on lui offrait, et qu'il fût bien assuré qu'il tiendrait la parole qu'il lui avait don- née; mais qu'il était obligé de se conduire d'une C(»r- taine façon, afin d'entretenir les peuples de l'union avec S. A. R., leur faisant toujours croire qu'il avait passion de s'accommoder, et se servant de divers prétextes pour ne le faire pas.

« Pour ce qui est de la peur dans laquelle vous étiez, par la tendresse que vous avez pour moi, que la délihé ration que l'on devait faire dans le conseil du roi ne me lit tort, vous n'en devez poinl avoir d'inquiétude; car je vous assure que je n'en ai pas la moindre, quelque chose ([ue l'on y puisse résoudre, tant je suis persuadé que rien n'est capable de faire accommoder présente- ment M. le Prince.

« Au reste, si l'on trouve que j'aie jamais promis des lettres de duc i\ madame de ChAtillon et le rétablisse-

SUR NICOLAS FOl'UtlET mToBUk i6:«i 177

ment des Ibiliiîcations deTaillebourg', je veux passer pour un infâme, n'ayant jamais dit autre chose, àTégaitl du prince de Tarcnte, si ce n est que le roi ferait exa- miner favorablement ses raisons pour le rang qu'il pré- tend ; et que pour les dommages qui avaient été faits en sa maison, M. le Prince pourrait donner telle somme que l)on lui semblerait sur celle que le roi lui accor- derait. »

Dans la suite de cette lettre, Mazarin se plaint vive- ment de la prolongation de son exil, qui, d'après les promesses qu'on lui avait faites, ïie devait durer que peu de temps. Il aurait voulu que son innocence fiH proclamée par le parlement de Pontoisc. L'on sent pei-cer dans cette partie de sa déi)éclie l'impatience et l'inquiétude. « Je suis assuré, écrivait-il, de divers parle- ments qui n'attendent que de recevoir la déclaration de mon innocence pour rectifier les affaires. Il me sem- ble que je me suis conduit en sorte, depuis ma retraite de la cour, que je n'ai pas démérité des bonnes intentions que les principaux du parlement de Pontoise, qui sa- vent le secret, avaient pour moi. Je devais être éloigné de la cour un mois, sans sortir du royaume. Cependant, il y en a tantôt deux que je suis parti, et trente-six jours que je suis en une petite chambre de ce château de Bouillon, sans que j'aie encore dit un seul mot, quoi- que vous sachiez que ce n'est qu'un trou, et que j'y suis exposé aux incuries du temps. Il ne m'est pas même possible de me parer du vent et de la pluie; mais comme

* Il s'agissait ici i\v> coixlilioiis (iiio k' paili dos priiicts i-êclaiiiait en (aviMir (lu prince do Taiviilo, coninio on l'a vu plus haut. p. 109.

I. 12

«78 MÉMOIRES

je me fie autant en M. voire frère qu'en moi-mùme, je m'assure qu'il n'oubliera rien pour surmonter tous les obstacles que l'on pourra faire à ma justification, étant ce me semble assez raisonnable qu'un homme qui a toujours été innocent cesse d'être criminel.

« Je suis en peine si vous avez reçu ma dépêche du 24 du passé, dont vous ne n^avez rien mandé. Je m'as- sure que si vous voyez quelque chose qui n'aille pas bien pour mes intérêts, vous m'en avertirez avec Taf- fection que vous m'avez toujours témoignée, et que vous et M. votre frère profiterez auprès de MM. de Chavigny et Goulas de la mauvaise intention de M. le Prince pour les obliger à porter S. A. R. à se réunir avec Leurs Ma- jestés, à quoi vous servira beaucoup la brouillerie (juc vous me mandez être entre M. le Prince et M. de Cha- vigny. »

La colère de Condé conti^e Chavigny, à laquelle Ma- zarin fait allusion dans cette lettre, devint fatale à Tam- bitieux négociateur. Le prince était malade, comme on Ta dit plus haut. Chavigny alla le visiter ; mais il en fut très-mal reçu. Condé s'emporta avec sa violence ordi- naire ; ses paroles furent si amères et probablement si vraies dans leur rudesse, qu'elles émurent profondé- ment Chavigny; il fut saisi de la fièvre, et en rentrant chez lui, il se mit au lit pour ne plusse relever. Le car- dinal de Retz alla le voir, mais Chavigny ne le reconnut pas. Il en fut de même du prince de Condé. Ce dernier étant dans la chambre expirait Chavigny : Ce fut che% moiy dit-il, que le mal lui prit, // est rraf, répli- qua la duchesse d'Aiguillon, il est vraiy moiisieur^ ce

SUR NICOLAS FOUQUET ^octodhl ku 170

fut chez vous qu'il prit le mal; ce fut chez vous^ en effet. Son ton et son geste, ajoute Conrart*, faisaient assez entendre sa pensée.

Ainsi se termina, à l'âge de quarante-quatre ans, une vie empoisonnée par Tambition. Chavigny, au milieu des richesses, afîectait une indifférence philosophique pour les honneurs et môme le rigorisme religieux; mais il ne sut jamais ni se résigner au repos ni saisir le pouvoir qu'il poursuivait avec une ardeur passiormée. Il espéra d'abord arriver à la direction des affaires par le testament de Louis XIII ; mais il se vit annulé dans le conseil par Mazarin. 11 tenta ensuite de faire une cabale dans le palais du duc d'Orléans et de dominer ce prince ; mais il fut supplanté par l'abbé de la Rivière. Il voulut profiter des désordres de la cour et du parlement pour devenir leur arbitre, et s'élever au premier rang dans le conseil; il en fut puni par la prison cl l'exil. L'intri- gue qu'il noua en 1649, avec le duc de Saint-Simon et le prince de Condé*, n'aboutit qu'à l'arrestation des princes. Lorsque le cardinal eut quitté la France en 1651, Chavigny revint à Paris et entra au ministère, mais ce fut pour quelques mois seulement ; il ne lit qu'y semer la discorde et y recueillir l'exil. Enfin sa der- nière négociation fut une de ces menées souterraines il chercha à tromper tout le monde : Mazarin, en lui promettant de le réconcilier à la fois avec le duc d'Or- léans et avecCcmdé: les deux princes, en s'en servant

On peut compariT sur lu uiori doCliavijruy \vsMi'moirt'sde Cotirari, (te Monglat e\ du cardinal de Uetz.

* Voy. plus hiiut, p. 30 et suiv.

180 MÉMOIRES

pour parvenir au pouvoir. Mais sa politique égoïste liit enfin démasquée, et il péril victime de son ambition.

Saint-Simon, le grand peintre du dix-septième siècle, a saisi avec sa vigueur ordinaire les principaux traits de cette physionomie, mais en mêlant le vrai et le faux : « Il est difficile, dit-il *, d'avoir un peu lu des histoires et des Mémoires de Louis XIII, et de la minorité du roi son fils, sans y avoir vu M. de Chavigny faire d'étranges personnages auprès du roi, du cardinal de Richelieu, des deux reines, de Gaston, à qui, bien que secrétaire d*État, il ne fut donné pour chancelier, malgré ce prince, que pour être son espion domestique. 11 ne se conduisit pas plus honnêtement, après la mort du roi, avec les principaux personnages, avec la reine, avec le cardinal Mazarin, avec M. le Prince, père et fils*, avec la Fronde, avec le parlement, et ne fut fidèle à pas un des partis qu'autant que son intérêt Ty engagea. Sa ca- tastrophe ne le corrigea point. Ramassé par M. le Prince, il le trompa enfin, et il fut découvert au moment qu'il s'y attendait le moins. M. le Prince, outré de la perfidie d'un homme qu'il avait tiré d'une situation perdue, éclata et l'envoya chercher. Chavigny, averti de la co- lère de M. le Prince dont il connaissait l'impétuosité, fit le malade et s'enferma chez lui; mais M. le Prince, outré contre lui, ne tàta point de cette nouvelle dupe-

* Mémoires de Saint Simon, édit. Hachello, in-««, 1. 1. p. G4-65.

« Henri de Dourbon, prince de Condê, ol Louis de Bourbon, duc d'En- 'ghien, qui, après la mort de son \)èrv, prit le nom de prince de Coudé, ou simplement de A/, le Prince. C'est ce dernier qui est connu danî^ riiistoire sous le nom de grand Gondé.

SUR NICOLAS FOUQUET (octobiik lesi] 181

rie, et partit de l'hôtel de Condé, suivi de Télile de cette florissante jeunesse de la cour qui s*élait attachée à lui, et dont il était peu dont les pères, ou eux-mêmes , n'eussent éprouvé ce que Chavigny savait faire, et qui ne s'étaient pas épargnés à échauffer M. le Prince. Il arriva, ainsi escorté, chez Chavigny, à qui il dit ce qui l'amenait, et qui, se voyant mis au clair, n'eut recoui^s qu'au pardon. Mais M. le Prince, qui n'était pas venu chez lui pour le lui accorder, lui reprocha ses trahisons sans ménagement, et l'insulta par les termes et les in- jures les plus outrageants. Les menaces les plus mépri- santes et les plus fâcheuses comblèrent ce torrent de colère, et Chavigny de rage et du plus violent déses- poir. M. le Prince sortit après s'être soulagé de la sorte en si bonne compagnie. Chavigny, perdu de tous côtés, se vit ruiné, perdu sans ressoures et hors d'état de pou- voir se venger. La fièvre le prit le jour même et l'em- porta trois jours après. » Toute cette mise en scène est dramatique et fait honneur à l'imagination de Saint- Simon; m^s une grande partie est de pure invention. La visite de"^ Condé à Chavigny, le cortège qui l'entoure et qui l'excite à la vengeance, tout cela a été imaginé par Saint-Simon, comme le prouvent les récits contem- porains de Monglat, de Conrart et du cardinal de Retz *. La mort de Cliavigny ne suspendit pas les négocia- tions. Goulas continuait de traiter au nom du duc d'Or- léans, et madame de Châtillon défendait les intérêts du prince de Condé avec d'autant plus de succès, que l'abbé

* J'ai déjà indiqué i)liis haut, p. 50, not*» 3, la causr di» la liaiiir d^ Saijil-Siinon. on pinlôt do son pôro. contre Chavijniy.

182 MEMOIRES

Fouquet, épris d'une folle passion, n'était plus en état de discerner les pièges qu'elle lui tendait. Les ennemis de l'abbé ne tardèrent pas à s'en apercevoir. La violence de son caractère, ses imprudences et son avidité lui avaient suscité, même à la cour, de nombreux adver- saires. Parmi eux se plaçait le secrétaire d^État, Michel le Tellier. D'un caractère froid et réservé, d'apparence modeste, habile à dominer ses passions et à deviner celles des autres, le Tellier s'était maintenu auprès do la reine à force de zèle, d'application à ses devoirs, de finesse d'esprit et d'obséquiosité de caraclére. L'abbé Fouquet, avec ses emportements et. ses passions impé- tueuses, n'avait pas les sympathies «le ce secrétaire d'État. Mazarin, qui les dominait et savait se servir de la finesse de le Tellier comme de l'ardeur de l'abbé Fouquet, les avait mainterms en bonne harmonie. Mais, depuis réloignement du cardinal, le Tellier avait fait ressortir dans le conseil du roi les fautes de l'abbé Fou- quet et sa passion aveugle pour madame de Chàtillon. Ce fut d'après son avis que la reine enleva à l'abbé la direction des négociations, qui se continuaient avec le duc d'Orléans, et le remplaça par le conseiller d'État, Etienne d'Aligre, grave personnage, qui devint chance- lier de France après la mort de Séguier.

L'abbé Fouquet et son frère le procureur général fu- rent profondément blessés de cette espèce de disgrâce. Le procureur général surtout le prit sur un ton assez haut. Il accusa le conseil du roi d'avoir rompu les né- gociations et empêché ainsi le retour du cardinal en France. 11 évilait de parler do la disgrâce de son frère,

SUU NICOLAS FOIIQUET Ioctophe I65i 185

mais il déplorait la faute de ceux qui s'opposaient au ré- tablissement de la paix. Dans cette lettre, le procureur général avait soin de ne pas parler en son nom, mais au nom du parlement réuni à Pontoise *.

a J'ai grand déplaisir, écrivait Nicolas Fouquct à Ma- zarin, de voir les serviteurs de Voire Kininence déchus de Tespérance qu'ils avaient eue de la voir présente- ment rentrer dans Tautorité avec l'agrément et salisfac- tion de tous les peuples, du consentement des princes et du parlement et dans la réjouissance d une paix si universellement souhaitée. Cependant je ne sais par quel malheur ou mauvaise conduite on a rendu toutes ces lionnes dispositions inutiles, et il semble qu'on prend à tâche de les ruiner, en sorte qu'elles ne puissent plus être rétablies. Votre Éminence aura appris les articles qui étaient en contestation, les tempéraments dont on convenait, et je ne puis croire qu'elle n'y eût donné les mains. L'article de la cour des aides *, étant remis à six mois, était un lien nécessaire, au moins pendant ce temps, entre Votre Eminence et M. le Prince ; autrement il eût rendu c(;tte condition inutile, aussi bien que celle des troupes et la plupart des autres qui sont remises à un autre temps; il eût eu l'obligation à Votre Éminence d'avoir terminé l'afTinre avec confiance de part et d'au- tre, et on eût pu prendre des mesures secrètes contre les ennemis communs. Cependant les peuples, lassi'S d'une si longue guerre, se fussent remis en leur devoir,

* OtlcloHroaiilojrrîii»liosi'lrouvr 'lan-. lis Mss.dolalM. F. (îaijrnièrp.- Il» Tm, 2λ« rt siiiv.

* Il avait «"h' (fuislioii «h» lasnpprrs^ioii ilo Q^^Wf* cour.

1K4 «LVOIhCS

lin» flf oii|K^ m; httrà'u'MÏ S4''|«ai^9es, rautorité du roi rêta- U\ié% M/fi âffiî |>luf» avancif, \V4re Éminence bien confir- mht ; ifl ou reiiv<;rMf tout saas que personne puisse en

« Si ïm firiui's du roi étaient de beaucoup supérieures liiu autieM, que ie dur. de Ixirraine fût détaché des Es- |hi|^uoIh, qu*il y eiH f*spérance promple d'une paix au di«lioi*N et que le roi n*eiH plus qu*à réduire les rebelles, j'iuuiiiN i*Hlinié qu'il vaudrait mieux encore souffrir un |HMi et iiiire une [uiix plus ferme et plus durable, en lu liiiMiuit phiM honorable; mais, après avoir négligé les lionneN diNpoNitions de Paris et avoir coulé tout ce temps liivorahle niuis en profiter, avoir laissé fortifier leurs ar- nii^oh de r«»lles des Kspa^i^nols qui sont prèles à entrer, i»l di^|H^rir h\s n^Mres, persuader le^ peuples que ceux lin l'onsoil du mi ne veulent |>oint de paix, et se rendre (Mijounllnii plus dinieiles quand la guerre est plus mal iÛMV d Minlenir^ e'esl un nùst>nnement que peu deper- >onne> |HMi\enl iNMuprendre.

<< Pour faiiv «Vhouor ooHe affaire, on s'est servi du piVle\lodosni\iv exacloment un mol tiré des lettres de \ot»v Kminoutv, ^jm'i/ ft^lloit comm^fmqufr crtU affaire i«K iN^iwril. ot tv pivtoxte \^ fain* naître de nouveaux oUnI^u U^. 1 ,1 ji^iKnisie euln* tvu\ du ctHiseîl le dessein do plniv À Kl ivuu\ »m d\i\iMr jJus de part au ssecrel lox nnx «)iv U^ ,iun>^. feixMU t«^iiouis èrhouer toutes lo\ )M\\)vvMthNnN mn si^:\\T)t n^nn><^ piMir y ^tr? dcMîliê- uN^^> A nKMn> *;u *^Î),"n saunii i^nlnwmcftt rwwïues au-

SUR NICOLAS FOIÎQIIET ;octobre lesii 185

son àinc qui ne juge raccommodement nécessaire, et qui n'y eût donné les mains, si la chose avait élé con- duite par son ordre et de sa participation. Ceux de notre compagnie, qui son! les plus fermes et les mieux in- tentionnés, sont dans cette môme pensée et ont grand regret de voir échapper une occasion si favorable du retour de Votre Éminence et de voir cesser les trou- bles. 11 y a des temps il faut perdre quelque chose pour en sauver davantage. La conjoncture du souhail que faisaient les peuples de Paris de revoir le roi élait si avantageuse, (ju'il est à craindre que les mêmes choses accordées dans un autre temps ne soient pas reçues avec une même joie, après que les peuples animés au- ront repris leur ancienne rage. La lettre, qui fut sur- prise au valet de mon frère, avait laissé une défiance dans l'esprit des chefs du parti contraire, laquelle étant cultivée après l'accommodement terminé, les aurait empêchés de jamais se lejoindre. En un mot, pour ne point ennuyer Votre Éminence sur cet article, je suis persuadé que les affaires de deçà n'iront pas bien qu'il n'y ait une personne qui décide avec ])lein pouvoir des affaires de cette qualité; mais, d'une autre part, il est à craindre que le retour de Votre Éminence ne fasse (|uel- «pie méchant effet, si Ton n'est d'accord, ou si nos forces ne sont supérieures, ou si le roi ne se rend maître de Paris, auquel cas Paris est si fatigué, qu'il ne remuera plus pour quelque cause (|ue ce puisse être.

« Pour se rendre maître de Paris, il n'y a aucun des serviteurs du roi, ni dedans, ni dehors, qui ne soit d'ac- cord qu'il n'y a qu'à le vouloir, et que, si le roi envoie

186 MEMOIRES

demander deux des portes aux habitants pour être gar- dées par son régiment des gardes, et qu*il aille ensuite dans le Louvre, que tout Paris ne se déclare d'une si grande hauteur, et que les princes seront contraints do s'enfuir. Il est certain que, dès le premier jour, les or- dres du roi seront exécutés par tous. Les officiers légi- times seront rétablis en leurs fonctions ; les portes se- ront fermées aux ennemis ; Tamnistie sera publiée telle que Votre Éminence le peut souhaiter, et notre compa- gnie * réunie dans le Louvre en présence du roi. La joie en sera si universelle, les acclamations publiques si hautes, qu'il n'y a aucun homme assez hardi pour y trouver à redire, et j'estime, que cette justification de Votre Éminence dans Paris par la compagnie réunie est plus honorable et plus avantageuse que tout ce que l'on peut penser. J'ose dire à Votre Éminence qu'il n'y a qu'une action de cette qualité qui puisse lout bien rétablir, et qu'elle est si facile et si indubita- ble, qu'il n'y a point de gens qui osent la contrarier, si ce n'est par jalousie. L'armée des princes étant décam- pée favorisera le passage du roi. On fortifiera les gardes des aulres troupes, le roi, demeurant maître de deux portes qu'il ne faut plus jamais quitter, ira cl viendra comme il lui plaira. La Bastille n'oserait refuser d'obéir en donnant quelque médiocre récompense ', et, dans cette première joie, en prenant bien ses avantages, le

' Le parleiiiont quii'tail divisé, parlio à Pouloiso, partie à Paris. * liO piuvcrneur (le la Bastille étail, cominoon l'a vu plus haut, un fmn- ilcnv. la liOuvicVe. lils <lu e/)nseillrr. Pierre Bmussel.

SUR NICOLAS FOIQUET octoerf ims' 187

roi peut tout co qu'il voudra. La conjoncture de la ma- liîdie de M. le Prince est favorable. Il n*y faut pas per- dre un moment. Ni les Lorrains ni les Espagnols ne s'engageront point dans Paris, et bientôt vous aurez la paix, ou du moins la guerre au dehors.

« Je supplie Votre Éminence et la conjure de consi- dérer que ce que j'écris n'est point intéressé ; que tous ceux qui n'ont point de jalousie les uns contre les au- tres pour traverser leurs avis ou se prévaloir du désor- dre sont tous dans ce sentiment. Tous ceux de notre compagnie, après s'être bien éclaircis du dedans de Paris dont chacun reçoit par jour plusieurs lettres, sont tous dans la même pensée. MM. les présidents de No- vion, le Coigneux, de Mesmes, M. Ménardeau, mon frère, et cintj ou six autres conseillers, et généralement tous conviennent d'un même principe. Nous savons tout ce qui se dit au contraire; nous savons les senti- ments de ceux du conseil, et, après tout bien examiné, nous convenons tous, sans aucune contradiction, qu'il faut promptement, ou l'accommodement en quelque manière que ce soit, comme il est proposé, ou le voyage du roi prompt à Paris, et nous croyons la chose si cer- taine, que nous irons tous avec le roi et donnerons les. arrêts que l'on voudra dans le Louvre. Tous ceux qui restent un peu bien intentionnés se joindront à nous, et les autres, auteurs du mal, n'osant y paraître, le roi sera maître des délibérations. Ce que j'écris à Votre Émi- nence est au nom de tous ces Messieurs, qui m'ont chargé de vous écrire, et qui vous écriraient aussi s'ils avaient un chiffre. Nous supplions Votre Éminence de

188 :UËIIOIRES SUR NICOLAS rOTQUET (ottobrf. test).

nous faire savoir une réponse prompte, les moments étant précieux en cette occasion, o

Il y a, dans toute cette lettre, un ton de vigueur et de fermeté qui atteste que les Fouquet avaient le sen- timent de leur importance et des services qu'ils ren- daient au cardinal. On y sent en même temps l'auto- rité d'un parti triomphant, qui croit pouvoir rame- ner le roi dans son Louvre et qui s'indigne de retards pusillanimes. Mazarin était le principal auteur de ces délais, parce qu'il aurait voulu accompagner Louis XIV dans sa rentrée solennelle à Paris. Mais, n'osant pas dé- couvrir le fond de sa pensée, il s'attacha, dans sa ré- ponse à Nicolas Fouquet, à expliquer et à justifier la rupture des négociations avec le*s princes.

CHAPITRE XI

OCTOBRE 1652 -

lii(|tiiétiidc ({110 les divisions du parti royaliste inspirent à Mazarin. Dans sa rê|N)nsc au procureur {^rcnéral (12 octobre], il montre que le prince de Condù n'a jamais traité avec sincérité et que n'espérant pas conclure la paix avec lui. il a jlû en référer au conseil du i-oi. Il est dis|M)sé, quant à lui, à demeurer exilé toute sa vie si le service du roi lexijfe, et appi'ouve le pmjet de ramener le i*oi à Pans. Peu de sincérité de cette lettre. Mazaiin est plus explicite avec l'ablié Fou- c|uet : il exprime le désir devoir continuer les négociations particulières avec Goulas, et souliaitc que l'on détermine le duc d'Orléans à se re- tirer dans son apanage. Mazarin souliaitc vivement entrer à Paris avec le roi ; il va se rendre à Sedan et se tenir prêt à rejoindre la cour, dès qu'il sera nécessaire. Inquiétude que lui inspirent le cardinal de Retz et ses relations avec l'hôtel de Chevreuse. L'abbé Fouquet re- çoit d'un des œnOdents de Mazarin des renseignements sur les causes de sa disgrâa?. Il conserve toute la confiance du cardinal, qui le charge de liâler son retour, au moment la cour se rapproche de Paris. Départ de Gondé et du duc de Lorraine 13 octobre). Entrée du n»i à Paris ;!2I octobre).

Mazarin voyait avec peine la division se mettre dans le parti royaliste au moment son triomphe sem- blait assuré. Il se hâta d'écrire au procureur général et à Tabbé Fouquet pour les apaiser. 11 parla au pre- mier avec les ménagements qu'exigeait la dignité d'un magistral, interprète des opinions et des vœux du par- lement iîdcle. Quant à Tabbé Fouquet, il s'efforçait de

190 MÉMOIRES

lui ouvrir les yeux et de lui prouver qu'il était dupe de madame de Châtillon, mais il évitait de blesser la va- nité d'un partisan aussi dévoué. C'est seulement dans la lettre d'un confident du ministre que l'on trouve loule sa pensée. Ce dernier plaisante l'abbé Fouquetsur rinfluencc qu'exercent les beaux yeux de madame de Chatillon, et, en même temps, il lui fait entendre que c'est le secrétaire d'État le Tellicr qui l'a desservi prés de la reine, et lui a fait enlever la direction de la négo- ciation avec les princes. Le ton de ces trois lettres marque bien les nuances et fait connaître les intrigues secrètes qui s'agitaient à la cour en l'absence du au di- nal. Voici d'abord la lettre que Mazarin écrit au procu- reur général, Nicolas Fouquet, en réponse à ses plaintes :

« Je vous suis trés-obligé des bons avis que vous me donnez de concert avec MM. les présidents, auxquels je vous prie d'en faire mes remercîmenls, et de les assu- rer que je conserverai toujoui*s une particulière recon- naissance de l'affection qu'ils me témoignent. Il n'y aurait rien de plus fort ni de plus judicieux que le rai- sonnement que vous faites touchant raccommodement avec les princes, si le principal fondement sur lequel vous l'établissez pouvait subsister; mais vous présuppo- sez que M. le Prince donnerait volontiers les mains à raccommodement, et il n'y a rien de si certain que ja- mais il n'en a été plus éloigné qu'à présent et n'a rlé plus persuadé de pouvoir aisément faire réussir ses des- seins, étant pour cet effet entré en de nouveaux engage- ments avec les Espagnols^ qui sont si étroits et si précis,

SUR NICOLAS FOUOUET ucroua ics2, 191

(jue, quand même il lui viendrait des pensées de s'ac- commoder, il ne passerait pas outre, qu'au préalable il ne leur eût fait donner satisfaction par la paix générale, comme il est porté par son traité, et comme depuis peu il en a fait faire des promesses positives de sa part à don Louis de Haro par Saint-Agoulin, qui est en Espagne, et à Fuensaldagne par Saint-Romain et par d'autres qu'il lui a dépêchés après lui, le priant de ne concevoir au- cun soupçon du contraire sur le bruit des négociations qui seraient sur le tapis, auxquelles il était obligé de prêter l'oreille, pour ne s'attirer pas la haine des peu- ples et pour ne donner pas sujet à M. le duc d'Orléans de se séparer de lui. C'est la pure vérité que je vous dis, et je n'ai pas eu grande peine à me coniirrner dans cette créance», après avoir vu le refus qu'il a fait des marques si extraordinaires de la bonté du roi, que M. l'abbé Fouquet lui avait portées; de sorte que ce n'est pas le plus ou le moins des conditions du traité qui en arrête la conclusion, mais le défaut de volonté en M. le Prince.

« Je demeure d'accord de ce que vous dites que, pour rétablir l'autorité royale, paciiier le dedans du royaume et faire cesser les maux que la guerre civile fait souffrir, le roi se devrait beaucoup relûcher, et vous voyez bien aussi à quel point on l'a fait, puisque toute la cour en a murmuré jusqu'à dire que je faisais bon marché de l'intérêt du roi, parce que cela servait au mien particulier. Enfin, il est assez vraisemblable (|ue, si M. le Prince avait eu la moindre disposition ù s'accommoder, il ne 8e serait pas arrêté de le faire pour

192 )1ËM0IRES

la suppression de la couî' des aides et pour procurer plus ou moins d'avantages au comte du Daugnion.

« En outre, il faut considérer que M. le duc d'Orléans, qui témoigne une si grande passion de faire son accom- modement avec M. le Prince, est tombé d'accord qu'on lui accorde plus de grâces qu'on ne devait. En dernier lieu, S. A. R. et M. de Lorraine se sont laissés enlendre sur ce sujet à diverses personnes, qu'on n'avait pas grand soin à la cour de ménager la dignité du roi, et vous aurez même su que M. de Châteauneuf a publié partout qu'il avait offert de faire conclure l'accommo- dement à des conditions bien plus honorables et plus avantageuses pour Sa Majesté que celles qu'on a envoyées à M. le Prince par M. votre frère.

« il est vrai que, lorsque j'ai vu que tout ce qui se traitait avec M. le Prince était public, tant à Paris qu'à la cour, et qu'il n'y avait pas grande appai'ence de rien conclure, j'écrivis que j'estimais du service du roi que l'on examinât celte affaire dans le conseil, afin de ne demeurer pas seul garant de Tévénement, et qu'on ne donnât pas sujet à ceux dudit conseil qui n'étaient pas de ve secret, de blâmer également la conduite qu'on aurait tenue, soit que la chose réussît ou ne réussit pas.

ce Vous me dites que mon retour à la cour dans la condition présente des affaires pourrait peut-être faire un méchant eflet. Cependant, lorsque j'en partis, Ton ne présupposait pas que les princes se dussent accom- moder; mais au contraire que, mon éloignement n'em- pêchant pas que la guerre ne continuât, les peuples se

dessillant les yeux coîinaîtraient à la lin que je n'étais que le prétexte et non pas la cause des maux qu'on leur faisait souffrir; ce qui étant, je pourrais m'en retour- ner auprès de Leurs Majestés avec toute sorte de raison et de bienséance, et avec Tapplaudissement de tout le monde. Cependant, sur le point de mon retour, je vous puis assurer avec sincérité que je n'en ai nulle déman- geaison, et que, si je croyais que ma demeure pour toute ma vie en ce lieu pût, en quelque façon, contri- buer au service du roi et au bonheur de ses sujets, je l'y établirais avec plaisir, sans que personne m'en pût empêcher. Mais j ose dire, sans aucune préoccupation et sans autre égard que celui du bien de TEtat, que ma présence à la cour peut être encore plus utile, les mou- vements présents continuant, que s'ils étaient apaisés, et je me flatte dans la créance que les intérêts de MM. les présidents, les vôtres et ceux de tout le parlement se rencontrent dans cette pensée.

« Pour ce qui est de nos forces, je vous assure (ju'elles ne sont pas si peu considérables, que nous soyons en état de beaucoup appréhender les ennemis, et qu'elles augmenteront tous les jours, en sorte que je ne crois pas qu'il nous soit fort mal aisé de les empê- cher de prendre des quartiers d'hiver en France. Si l'accommodement se fait avec M. le duc d'Orléans, comme il y a grande apparence, tout ii'a à souhait, et, quand il y aurait des difficultés, je m'assure que Son Altesse Royale voyant le roi s'approcher de Paris en ré- solution d'y entrer, elle ne l'empêcherait pas de passer outre.

1. 13

194 MEMOIRES

« Par les avis que je reçois, je vois que la disposilioii de la ville de Pai'is est aussi bonne qu'elle a jamais été ; que le roi est en étal d'en profiler, et que tout le inonde s'applique à la cour, afin que Sa Majesté le puisse faiie avec une entière sûreté. Sur quoi j'ai écrit comme je devais, étant de votre avis qu'un semblable coup peu( extrêmement contribuer à rétablir l'autorité du roi et mettre ses affaires en tel état, que, (|uand il sera con- traint à continuer la guerre étrangère et domestique, ayant Paris de son côté, il en ait plus de moyen et de fa- cilité.

« Je crois que ce que vous me dites de faire la réu- nion du parlement dans le Louvre est en cas qu'il ne se tlt point d'accommodement. Car cela étant, il seniit bien plus avantageux, et pour le roi, et pour vous au- tres, Messieurs', que les officiers qui sont à Paris sor- tissent pour tenir quelques séances à Pontoise. A quoi j'estime d'autant plus qu'ils consentiraient, que M. de Besançon m*a assuré de la part de M. de Nesmond que, si le roi les mandait pour aller à Saint-Germain, ils y obéiraient très- volontiers. Je lui ai fait réponse là-dessus que je ne me mêlais de rien; mais que, s'il avait quel- que chose à proposer, il se devait adresser ou à vous ou à quelqu'un des ministres du roi. »

Cette lettre, destinée à être montrée aux membres du parlement siégeant à Pontoise, est loin d'exprimer toute la pensée de Mazarin : il glisse rapidement sur son désir de rentrer à Paris avec la cour, et il ne parle que de l'in-

Nom que Ton doimait d'ordinaire aux iiieiubres du imiieiiieiii >

SUU NICOLAS FOUQl'ET Ioctobul mi 195

léret public dans une circonstance .où il était dirigé avant tout par son intérêt personnel. Quant à la disgrâce de l'abbé Fouquet, il s'en tait aussi bien que le procureur général, quoiqu'elle lïU la véritable cause du ton de dignité offensée qu'on remarque dans la première pallie de la lettre de ce dernici*. Mazarin se borne à ex- pliquer pourquoi il a soumettre la question de la paix au conseil du roi. Avec Tabbé Fouquet, le cardinal est beaucoup plus explicite : il ne craint pas d'aborder le point délicat. Il montre à son confident qu'il s'est trompé sur les dispositions de Condé et de madame de Châtillon; mais il conserve l'espoir qu'il pourra diriger, par l'intermédiaire de Goulas, une négociation séparée avec le duc d'Orléans et le déterminer à se retirer dans son apanage de Blois. Enfin Mazarin insiste sur son vif désir de rentrer à Paris avec le roi. « J'avais eu quelque chagrin, lui écrit-il, de ce que vous n'étiez plus re- tourné à Paris, et qu'on riit employé un autre que vous en la négociation avec Son Altesse Royale ; mais je vois que les choses continuent toujtmrs à se traiter par l'in- telligence qui est entre votre frère et M. Goulas. Je m'assure (jue l'affaire ne changera point de face et que vous aurez l'un et l'autre la principale part à la conclu- sion, à laquelle il me semble que l'opiniâtreté de M. le Prince, la bonne intention de M. Goulas et beaucoup d'autres raisons contribuent extrêmement.

« J'attends cependant avec impatience des nouvelles de ce qui se devait dire en la conférence qui devait être faite, si l'accommodement se peut faire avec Son Altesse lloyale en la manière que vous me l'écrivez, et qu'elle

196 MËNUIKËS

demeure d'accord de s'en aller dans son apanage. C'est tout ce que nous saurions souhaiter, et ce serait un grand malheur s'il demeurait à Paris gouverné pai- M. le cardinal de Retz, M. de Châteauneuf et autres de cette cabale-là, puisque, par ce séjour, nous serions ex- posés aux même^ inconvénients Ton est tombé par le passé.

« Je vous remercie du conseil que vous me doiniez de m*app rocher, et du désir que vous témoignez que je sois en état de pouvoir accompagner le roi à Paris. Je vous avoue confidemmenl que c'est une chose que je souhaiterais, et pour la dignité de Leurs Majestés, et pour ma réputation, et pour l'avantage qu'en relireronl messieurs du parlement de Paris qui est à Pontoise, par le concert avec lequel on agirait en toutes choses, et surtout par l'intelligence que j'aurais avec M. votre frère, duquel je ferai toujours une estime particulière, et je m'y lie à un tel point que je n'oublierai rien, afin qu'il soit toute ma vie un de mes plus intimes amis.

« Je fais donc état de partir un de ces jours pour aller à Sedan. Je ne m'avancerai pas plus avant, mais je me tiendrai prêt pour me rendre en diligence à la cour, aussitôt que l'on le jugera nécessaire, et comme vous avez bien pris d'autres peines pour moi, je massure que vous ne refuserez pas de prendre encore celle de m'écrire toujours quand vous îiurez quelque chose d'im- portant à me faire savoir sur ces sujels ou sur tel autre que ce puisse être .

« J'avais oublié de vous dire que je sais de source certaine que le cardinal de Retz est dans le dernier bien

SUR NICOLAS FOUQllET octobkk mi 197

avec M. de Lorraine, de façon que, s'il est vrai, comme tout le monde dil, que celui-ci ait tout pouvoir sur l'es- prit de M. le Prince, il ne faut pas douter qu'il ne vienne à bout de seconder ledit cardinal, dans la pensée que, pendant que lui et M. le Prince tiendront la campagne avec les ennemis, ils auront Son Altesse Koyale de leur cùU'y le laissant entre les mains du cardinal de Retz, qui paraît agir de concert en toutes choses avec madame de Chevreuse. »

Cette insinuation contre madame de Chevreuse, qui avait pendant quelque temps soutenu énergiquement Mazarin, n'est pas la seule que Ton trouve dans les lettres du cardinal. Les Mémoires de Retz parlent aussi de tentatives de rapprocluîment qui eurent lieu à cette époque entre lui et l'hôtel de Chevreuse': mais il ajoute qu'il ne s'y prêta pas. Ce (jui est certain, c'est que les pamphlets du temps signalèrent ce rap- prochement des chefs de la vieille Fronde et la confor- mité de leur génie. Une des mazarinades, intitulée la Vérité^ insiste sur ce point : « On examine la conduite de la duchesse de Chevi*euse ; on n'y rencontre jamais qu'une importune suite de souplesses qui s'engagent in- sensiblement l'une après l'autre, et dont elle ne se dé- gage jamais. On examine l'économie du cardinal de Retz, et la même confusion la rend désagréable. La pre- mière ne vit que par les tempêtes qu'elle a soulevées: point d'ordre, point de calme, point d'économie dans sa conduite. Le cardinal de Retz ne se brouille pas

* Voy. Mémoires lie Hetz iédir. Charponlier), I. IV, p. 148.

im MEMOIRES

moins. Sa concluilc n'es! nutro chose qu'une suite (\v souplesses entrelacées les unes avec les autres; il no finit jamais, parce que, en sortant d'un abîme, il tombe dans un autre. Il a l'intrigue inépuisable. »

L'abbé Fouquet, initié à tous les secrets de l'IicMel do Chevreuse, savait à quoi s'en tenir sur les avances que Ton faisait de ce côté au cardinal de Retz. On voulait amener Paul de Gondi à conclure un traité qui Téloi- gnât de Paris et du duc d'Orléans qu'il gouvernait. Co qui inquiétait davantage Fabbé Fouquet, c'était le parti qui se formait à la cour contre lui, et cjui déjà lui avait infligé une sorte de disgnke. Un de ses amis, (jui avait suivi le cardinal dans son exil, lui donna sur co point d'utiles renseignements. Nous ne pouvons affirmer quel était cet ami qui garde l'anonyme. 11 est probable cependant que c'était un des secrétaires intimes de Maza- rin, Roussereau ou Roze. Le premier est peu connu ;.lo second, qui devint après la mort de Mazarin, secrétaire de Louis XIV et qui tint la plume^ comme on disait alors, avait un esprit piquant, libre et hardi pour un homme de cour. Il sut tenir tête aux Condé '. Je pense que la lettre suivante est de lui. Ce qui est certain, c'est qu'elle fait bien connaître la situation de Fabbé Fou- quet à cette époque, les accusations de ses ennemis, les espérances ambitieuses qu'ils lui prêtaient, et Festimo qu'en faisait Mazarin.

« Je ne m'étais pas trompé, cpiand jo vous ai écrit que vous ne manqueriez pas d'euvienx qui tâcheraient do

\Mémoireii de Saint-Simon, {édif. llailiolto). iii-«, t. UI. p. '^ otsuix. i)ii Inuivora Haiis ns Méiiioiros b«*atirotip <l(Mi(^tails sur Hozo.

SUR NICOLAS FOUQUET (octorre test; 1W)

censurer voire conduite pour vous discréditer. Diverses personnes de la cour ont écrit contre vous, vous accu- sant particulièrement d'être contraire à l'affaire de Pa- ris \ soit parce qu'on ne vous en avait pas donné part dans le commencement, ou parce que vous aviez si fort dans l'esprit l'accommodement de M. le Prince, par le- quel même on marque que vous prétendiez vous élever à la pourpre, que vous ne pouviez goûter aucune autre voie que l'on voulût prendre pour avancer le service du roi. On a été jusqu'à dire que, quelque esprit qu'eût madame de Châtillon, ses yeux sont encore plus élo- quents que sa bouche, et qu'il n'y a point de raisons qui ne cèdent à leur force. Enfin, ils concluaient que tout le monde connaissant à présent clairement que M. le Prince ne veut point de paix, la passion que vous témoigniez était une marque, ou de peu de clairvoyance, ou d'opiniâtreté, ou de préoccupation. Mais je vous puis assurer sans déguisement que tout ceci ne vous a point nui auprès du patron, el que vous y êtes mieux que ja- mais. Je vous supplie cependant de tenir ce que dessus secret, parce qu'il serait bien difiicile, si vous en té- moigniez quelque chose, qu'on ne se doutât que c'est moi c[ui vous en ai averti, M. le Tellier étant un de ceux qui vous a porté le plus de charité.

« Aussitôt que Son Éminence vit que l'on vous avait substitué M. d'AIigre, elle me témoigna en être fort fâ- chée. Je lui dis que, si on pouvait vous accuser de quel-

* Il s'apil probahloinwit du coup (\e inain qui devait livrer Paris au i'(U. On a vu, au contraire (p. 170', que rabï>é Kouquet en était un des firinripaux iustijLrateurs.

^.

200 MÉMOIRES

que chose, ce ne saurait (Mre que de n'avoir peut-ùtre pas assez d'expérience pour las grandes affaires. Il me répliqua que vous aviez assez de capacité, et que vous étiez connu pour un homme d'honneur; que tout le monde, par cette raison, se fierait en vous, et que vous étiez plus propre qu'aucun autre à cette négociation, outre que Goulas étant un de vos amis, il serait phis aise de traiter avec vous qu'avec aucun autre; enfin, qu'en toutes façons, il ne faisait aucune comparaison de M. d'Aligre avec vous, et qu'il était piarri de ce choix. Ce qu'il m'a encore confirmé ce matin dans son lii, o\ m'a chargé de vous le mander, ne voulant pas vous en écrire lui-même.

a Je vous supplie de nous faire retourner bientôt à Paris en quelque façon que ce soit, car ce n'est que que je peux rétablir ma santé, qui est encore languis- sante. Il n'y a point de nouvelles de la cour dont je sois si curieux et si impatient, que de savoir comment je suis en l'honneur de votre bienveillance: car n'avant reçu aucune marque de votre souvenir depuis votre dé- part, je ne sais point si vous ne m'avez point disgracié, quoique je sois plus que jamais votre très-humble ser- viteur. »

Les lettres de Mazarin à l'abbé. Fouquet prouvent également qu'il avait conservé toute la confiance du car- dinal. C'est à lui que Mazarin s'en remet du soin de ga- gner les Parisiens pour préparer sa rentrée dans la ca- pitale en même temps qu'aura lieu celle du roi. « Leurs Majestés, lui écrivait-il le 17 octobre, s'approchent de Paris avec un dessein formé d'y entrer. Je vois que

SUR NICOLAS KOUQUET (k:tui«uk lesi 201

c'esl une résoliiHon prise et qui ne peut ^tre que très- utile ; mais je vous dirai confidemment que j'aurais sou- haité pour la dignité du roi, pour Tintent niénne dos Parisiens, pour celui du parlement qui est à Pontoise, et particulièrement des amis que j'ai dans celte compa- gnie, et pour ma propre réputation*, que l'on eiit fait en sorte que j'eusse eu Thonneur d*y accompagner Leurs Majestés. A quoi ce me semble on n'aurait pas trouvé d'obstacle. Si les choses étaient encore en cet état, comme je le, crois, que cela se pût faire, je me promets que vous y contribueriez en tout ce qui dépen- drait de vous pour me donner cette nouvelle marque de votre amitié. »

Mazarin n'obtint pas la satisfaction (ju'il désirait si vivement; mais du moins la victoire du parti royaliste fut complète. Condé, abandonné depuis longtemps par le duc d'Orléans , avait quitté Paris en même temps que le duc de Lorraine (i5 octobre). La cour était venue s'établir à Saint-Germain, elle avait reçu des dépu- tations des bourgeois pour presser le roi de rentrer dans Paris. Déjà le maréchal de l'Hôpital avait été rétabli dans la dignité de gouverneur, et l'ancien prévôt des mar- chands, le conseiller Lefèvre, était rentré en fonctions (17-19 octobre). Cependant Mazarin, qui suivait les mouvements des partis et (|ui recevait sans cesse les avis les plus détaillés, était loin d'être sans inquiétude. La présence du cardinal de Retz à Paris et l'influence

* Mazarin a déjà manifesté son désir prosqiu» dans 1rs niéiucs termes. So n'ai pas supprimé la répétition, parco qu'ollo mo semble caracté- ristique.

202 MÉMOIRES

qu'il exerçait sur le duc d'Orléans le préoccupaient vi- vement. « On m'assure, écrivait-il à l'abbé Fouquet (17 octobre), que madame de Chevreuse et le cardinal de Retz sont dans la meilleure intelligence; que beau- coup de personnes sont de cette inlrigue, et qu'assuré- ment il y a sur le tapis quelque chose qui doit bicnl(M éclater. Je vous prie de dire au fidèle^ d'y prendre bien garde et de tâcher de pénétrer ce qui en est par le moyen qu'il a, puisqu'il n'y en peut avoir de meilleur*. C'est, à mon avis, la chose à laquelle on doit le plus s'appliquer dans l'état présent des affaires. Je vous prie d'en parler à la reine, et il serait bon aussi de savoir de la Palatine ce que le cardinal de Retz se promet \ On dit qu'il est raccommodé avec M. le Prince par le moyen du duc de Lorraine, et que tous les deux contribuent à le rendre maître de l'esprit de Son Altesse Royale. Je no le crois pas tout à fait; maison doit tout appréhender du naturel des gens à qui nous avons affaire. »

Ce qui paraît certain, au milieu des intrigues com- pliquées de cette époque, c'est que Retz ne négli<ïen rien pour s'emparer de l'esprit du duc d'Orléans* et lui inspirer des résolutions énergiques. Tout ce qu'il pul obtenir du prince fut de rester au Luxembourg et d'y al-

* Jo siipi>osc quo le fidèle ost rabb<* Fouqiiot liii-inèmr. Toutos cov lollres sont on grande parlie chiffréos, ot los noms (lé^njis('«s (Irnianiôrr à démiiter roux qui les auraient intorcopléos.

* Il est pmbalilonioul question ici des relations de labbc^ Fou(|uol avec niadenioisello doCliovrouse, dont on a parlé plus haut. p. 99.

^ Nouvelle preuve que lo cardinal de Retz était joué par Aune do Gtni - •/a^nie, dans laquelle il mettait la plus pTan<ie confiance.

^ Mémoires du cardinal de lietz, t. fV, p. 154 et sniv. «édil. Ohm- pont ier .

su H NICOLAS FOUOIÎKT octoduf icsi lOT»

tendre Tarrivée du roi. Gaston, qui avail eu un si triste rôle pendant la Fronde, ne pouvait compter ni sur le peuple ni sur l'armée. A la première injonction, il se retira à Blois. Louis XIV fit son entrée à Paris le 21 oc- tobre au milieu des acclamations qui saluaient le retour de l'ordre et de la paix, après avoir trop souvent retenti en l'honneur des factions et même des armées étran- gères ^ Le lendemain, le roi tint au Louvre un lit de justice et fit lire quatre déclarations. F^ar la première, il accordait l'amnistie ; la seconde rétablissait le parle- ment à Paris ; la troisième exilait un certain nombre de frondeurs et défendait au parlement de se mêler des affaires publiques. Enfin, par la quatrième, le roi insti- tuait une chambre des vacations.

« lis 011 firon! pn^sqiio aillant (Ifriii^roinoiit pour M. de liOrraiiio, » «lisait Tiircnno le jour iiu>nio do roiilréo du mi îi Paris. [Mémoiren de Hetz,\. IV. p. 1.-I-1.72

CHAPITRE XII

- OCTOnnE-DÉCEMBRE 1652

L'flb))é Fonquet est cliargé par Mnzarin de jirêparor son irlour à l'aris. et de soutenir ses intércMs auprès de la reine Anne d'Autriche '21 «x*- fobre). îiécessité de punir les chefs de la révolte et surtout de faire sortir de Paris le cardinal de Retz. L'ahln^ Fouqurt doit insister sur ce point auprès du pi*ocui*eur prénéral son frère. Mazarin conseille d'envoyer Retz en ambassade à Rome. Il engajfe l'ablnî Fouquet à se. tenir en prarde contre les violences de Retz, qui a juré de se venger de lui. Nouvelles instances de Mazarin auprès des deux Fouquet pour qu'ils disposent les esjjrits en sa faveur, et que Uni» arrêts du par- lement contre lui soient annulés par une déclaration royale. Zèle de l'abbé Foucpiel et du jmicureur général pour ruiner les ennemis de )l<i%arin, et particulièrement 4e canlinal de Retz. Négociations avec ce prélat ; elles sont i-ompues. Lutte de l'abbé Foucpiet contre Retz; il lui tient tète partout et propose de lui enlever l'autorité épiscopale dans Paris. AiTf station du cardinal de Retz .19 <lé(!embre . I/abbé Fouquet en avertit le premier Mazarin; mine du parti de la Fronde. Senices rendus par les deux Fouquet. Leur avidité et leui' ambition. Pi*oinesses de Mazarin.

Le jour niêrnc le roi rentrait à Paris (21 oclobre), Mazarin écrivait à Tabbé Fouquet : « Prenez bien garde que Ton formera des difficultés pour empocher ou au moins pour retarder mon retour, particulièrement après que les Parisiens seront satisfaits par celui du roi en leur ville. Le cardinal de Retz ne sera pas un do ceux qui y travailleront le moins. Je vous prie de n'ou-

MÉMOIRES S UK NICOLAS FOUQUËT octuduk-uéumuhk 143s 205

blier rien pour inspirer de plus en plus aux liabilanls des sentiments favorables pour moi. En quoi je m'as- sure que vous serez bien secondé par ceux (jui ont agi pour le service du roi à Paris dans ces dernières ren- contres, et notamment par M. de Pradelle*. En casque quelque chose n'aille pas bien à mon égard, dites-le hardiment à la reine, et proposez les expédients que vous jugerez à propos pour y remédier. » Ainsi c'est Tabbé Fouquet qui devient l'intermédiaire entre la reine et Mazarin exilé.

Le 24 octobre, le cardinal, (jui venait de recevoir la nouvelle de l'entrée de Louis XIV à Paris, insiste sur les mesures nécessaires pour assurer le triomphe de la cause royale. « Je suis ravi, écrivait-il à l'abbé Fouquet, de la manière en laquelle le roi est entré à Paris, et de la résolution qu'on a prise d'en faire sortir les factieux; mais j'ai bien peur que quelques-ims d'entre eux, ou par l'entremise de leurs amis à la cour, ou autrement, ne trouvent moyen d'en éluder l'exécution. C'est pour- quoi, je vous prie de nouveau, de dire à la reine confi- demment de ma part qu'il faut faire avec hauteur et fermeté ce qui a été arrêté là-dessus, parce que si on souffrait que quelques-uns de ces chefs d'émeute, comme Broussel ou autres, restassent à Paris, ce serait V laisser une semence de révolte, et cette tolérance se- rail réputée une manifeste faiblesse, parce que l'on verrait qu'en même temps que l'on punit quelques se-

* Cet of(ici(M', (jui servait dans les j:aitles-lVançaises, avait élê, dès la lin de soptoiiibi"C, un dcspiiiicipaiix éinissairt»s de Mazarin et de T abbé Fouquet.

300 MÉMOIKES

diticux, 011 en épargne les chefs principaux. Il n'y a personne qui puisse être avec raison d'autre avis que (îelui je vois que vous êtes, et j'en ai beaucoup de sa- tisfaction, in'assurant que c'est aussi le sentiment de M. votre frère.»

Parmi les chefs de la sédition que Mazarin craignail que Ton n'épargnât, le cardinal de Relz était toujours au premier rang. Il insiste sur ce pointavec l'abbé Fou- quet, comme avec le procureur général. « Je crois, écrivait-il à l'abbé Fouquet, qu'il est impossible ([ue le l'epos et l'obéissance envers le roi puissent s'ajusler avec le séjour du cardinal de Retz à Paris. Il donnera des méfiances et embarrassera, autant qu'il pourra, l'esprit de S. A. R. pour l'empêcher de s'accommoder et de sortir de Paris*, et, en cas qu'elle y soit contrainte, il n'oubliera rien, alin qu'elle ne s'en éloigne pas, et fera de continuelles cabales pour le faire revenir et pour troubler les affaires plus qu'elles n'ont jamais été. Je vous prie donc de dire à M. le procureur général qu'il faut s'appliquer sérieusement à ceci, comme à la chose, qui, à mon avis, est la plus importante. Il n'y a personne qui le connaisse mieux que vous, et vous savez si j'ai rien négligé pour l'obliger à être de mes amis, et que toutes mes diligences et ses paroles n'ont abouti à rien, parce que le fonds de la probité n'y est pas. Si on le pouvait envoyer à Rome, comme il Fa fait offrir lui- môme, par la princesse Palatine', d'y aller quand le roi

* A colle é|KKiue le duc d'OrléaiLs avail déjà quille Paris. Mazarin ucii avail pas encore revu la nouvelle.

* Relz pi'élend que les olli'es vinreni de la c<»ur, el que ce fui Servieu

SUR MOULAS FOUQIET .octobkl-ulclmbiœ mi :>07

voudrait, ce serait un grand coup; mais je ne cjois pas qu'il s'y résolve jamais de son gré. Je vous prie d'en conférer avec M. votre frère, et de dire après à la reine de ma part tout ce que vous aurez jugé à propos sur ce sujet.

« Comme vous êtes des témoins irréprochables de lout ce qui s'est passé entre lui et moi, et que vous sa- vez son peu de foi et ses mauvaises intentions, je sais qu'il vous appréhende fort, et que sur ce que vous mar- quiez quelque chose à son désavantage dans votre lettre qui a été interœptée *, il a dit qu'il se vengerait de vous. A quoi je vous conjure de prendre bien garde; car c'est un homme dont l'humeur et la conduite vous doivent faire croire que, s'il en avait la facilité, il le ferait en- core plutôt qu'il ne le dit. »

La présence du cardinal de Retz à Paris était la prin- cipale cause qui s'opposait à l'entrée de Mazarin dans cette ville. De sa haine violente contre un adversaire qui l'empêchait de réaliser le plus arden^de ses désire. Toutes ses lettres recommandent d'user de sévérité en- vers les ennemis, et, en môme temps, on y voit percer l'impatience de revenir à Paris. Après avoir remercié l'abbé Fouquet d'avoir réchauffé en sa faveur le zèle du prévôt des marchands nouvellement rétabli : « C'est une occasion, lui disait-il, en laquelle tous les bons serviteurs du roi doivent faire les derniers efforts pour relever son autorité, étant certain que Ton fera plus de

qui \c6 lui lil au uoui «le la reine. ^Mtfmoires, l. IV, p. 155-150, êdil. Oliarpcutier./

* Voy. plus haut, p. MO.

ms MÉ>I01UES

chemin maintenant en un jour que l'on ne saurait faire dans un autre temps en six mois, et j'ai été bien aise de voir par votre lettre que vous n'approuviez pas certaines tendresses que Ton avait pour des gens attachés au parti des princes, parce qu'il est certain qu'elles ne sont pas de saison, et il sera très à propos, après que vous en aurez concerté avec M. votre frère, que vous ])reniez occasion d'en parler souvent à la reine, lui di- sant que je vous en ai chargé et prenant garde que per- sonne n'en ait connaissance. »

Mazarin écrivait dans le môme sens au procureur gé- néral. « J'attends, lui disait-il, les ordres de la cour pour être informé de la volonté de Leurs Majestés, et Ton m'a déjà mandé que l'on était sur le point de me les en- voyer. J'avais estimé que, dans la bonne disposition était la ville de Paris, Ton aurait bien pu me donner des ordres afin que je m'avançasse en diligence pour avoir l'honneur d'y accompagner le roi, puisque cela se pouvait sans inconvénient, et même qu'il aurait été avantageux pour la réputation de Sa Majesté. Mais je veux croire que ce que l'on a fait a été pour le mieux, et que l'on aura eu en cela des raisons que je ne puis peut-être savoir ici.

« J'attends avec impatience la déclaration *, (jue vous avez pris la peine de dresser avec M. Servien et M. le Coigneux, dont je vous suis fort obligé ; ce n'est pas que j'aie besoin de la voir pour être persuadé que ce sera une pièce achevée. Je suis ravi de voir la vigueur

- D(>cliU'aliuii rovuie r('C()iuiais.saiit l'inuoceiice do Maz.iiiii cl cuij^ullt Ions les aiTÙls rendus coiili-e lui.

SDH NICOLAS FOUQUET locTuuHb-iiÉtEHiiUE less; 200

et la fermeté avec laquelle on agit : c'est le moyen le plus sur et le plus prompt pour rétablir Tautorité du roi et rendre ses succès heureux. Sans avoir su vos sen- timents sur les autres choses dont vous m'écrivez, les miens s'y étaient rencontrés tout conformes. Sur quoi je me remets à vous entretenir plus particulièrement à mon retour. Pour ce qui est de M. de Lyonne *, je suis toujours dans les mêmes dispositions pour lui que je vous ai témoignées et que je lui ai fait savoir à lui- même devant que partir de Pontoise.

« Vous verrez ce que j'écris à M. votre frère, qui par- lera fortement à la reine de ma part sur toutes les choses dans lesquelles il pouiTait y avoir difficuKé, et que vous jugerez absolument nécessaires pour le ser- vice du roi.

« Enfin, je suis assuré que vous ne vous endormirez pas à présent que l'on peut agir dans Paris avec espé- rance de bon succès. Je me tourmente continuellement pour fortifier notre armée. J'ai déjà assemblé plus de six cents chevaux, et j'espère que, dans dix jours, il y en aura plus de mille*. Vous jugerez bien que ce n'est pas un petit renfort dans le temps nous sommes, et qu'il pourra être employé utilement pour empêcher que tous nos ennemis unis ensemble ne viennent à bout du dessein qu'ils ont de prendre des (luarliers d'hiver en

' Nicola» Fouquct, qui calait, dés cctle êpoc|ue, ami particulier «l'iiu- gues do Lyonne, insistait, {lour qu'il Tût ra]){»elé à la cour et redevint secrétaire de la ivine.

* Lu lettre de Hazarin esl du t2& octobre, et il se iii*éi»arait à aller re- joindre Turenne, qui connnandait Tannée royale dans le nord de la Franco.

1. U

210 > MËMOIUES

France. Le comte de Fuensaldagne devait pour c^l etTcl ùtre hier à Montcornet^ pour faire aujourd'hui la jonc- tion avec M. le Prince * et M. de Lorraine ; mais j'espère avec beaucoup de fondement qu'ils n'auront pas en cela . le bon marche qu'ils se sont proposé.

« Il faut seulement que les bons serviteurs que le roi a dans le parlement songent de bonne heure à des moyens de faire avoir quelque somme au roi, sans qu'ils soient à la charge du peuple; car avec cela j'ose vous répondre que les affaires se rétabliront, et bientôt.

« Je vous prie d'assurer M. le président le Coigncux mon estime et de mon amitié, et de lui dire que je n'oublierai rien pour l'obliger à me conserver la sienne. Je m'assure que vous et lui ferez tout ce qu'il faul, alin que les officiers qui étaient à Pontoise tiennent le haut du pavé dans la compagnie, à présent que la réunion est faite; en quoi ils peuvent être assurés qu'ils seront bien appuyés du côté de la cour. C'est tout ce que je vous dirai par cette lettre, attendant avec grande impa- tience de vous pouvoir entretenir plus au long suj* toutes choses. »

Les deux frères agirent en cette circonstance avec la vigueur que leur re(X)mmandait Mazarin. L'abbé sui- tout montra la décision et l'impétuosité de son carac- tère dans la lutte qu'il engagea contre le cardinal de Retz. Il trouvait en lui un adversaire redoutable, ha- bile à s'entourer d'hommes résolus, comme les Fon-

* Près de Méziêi-cs, dans le dépaitcincnl des Ardcniies.

* Le prince de Cundé s'ètai! dirigé d'al)Oitl vei-s 8oiss^)ns. iM nvail pii- ensuite Clifttenu-Porcien et Rctiiel.

SUR NICOLAS FÛUQUËT (UCTUkHt-DÉCKMBHK 1652. 211

Irailles, les Montrésor el tanl d'autres nourris dans les intrigues de la Fronde et habitués à manier l'épée. Retz avait d*ailleui*s conservé un grand ascendant sur le clergé de Paris, malgré le scandale de ses mœurs. Une partie du peuple lui était dévouée. Il se tenait enfermé dans Tarcheveché, à l'ombre des tours de Notre-Dame, dans un asile dont il profanait le caraclère sacré *. Sa renommée semblait encore doubler ses forces, et il fal- lait, pour s'attaquer à un pareil homme, le caractère énergique et téméraire de Tabbé Fouquet. Cet abbé était depuis longtemps le rival en amour du cardinal de Retz : il lui avait disputé madame de Guéménée et enlevé mademoiselle de Chevreuse. Il était alors excité par cette jeune fille, qui, si Ion en croit les Mémoires de Retz, haïssait ce dernier autant qu'elle l'avait aimé. Cependant, avant d'en venir aux dernières extrémi- tés, on tenta de traiter avec le cardinal. La reine avait fait sonder ses dispositions par madame de Chevreuse et par la princesse palatine, Anne de Gonzague. Retz ré- pondit, si on l'en croit, aux avances de la première avec une froide politesse. Quant à la Palatine, il avait plus de confiance en elle, et il ne refusa pas d'entrer en négociation. Il prétend même que la cour était si pressée de traiter, qu'on lui envoya un des secrétaires d'État, Abel Servien, celui-là même qui avait négocié la paix de Wcslphalie. On lui aurait offert, outre l'ambas-

* Kelz di»iii! « (|u'il était la (roisicine tour de rËgli>e de l^aris, et »i cliéri du peuple »|ue »i l'on vouloit eiilrcpi'endrc c<>iitrc lui, il prendi*oit tes amies |>oui' le luellrc en libellé. » Lettre de Mazariii au ]iaiM! puur expliquer les niolifh de rarreslation de Uelz. [Mémoires de Hetz. t. IV. p 1 49, édit. (iliarjK'iilier.)

212 BIÉMOIRES

sade de Rome et l'intendance des affaires du roi en Italie, le payement de la plus grande partie de ses dettes. En un mot, comme il le dit lui-même \ on vou- lait lui faire un pont d or pour ([u'il sorlit de Paris et laissât la place libre au cardinal Mazarin. Ces offres magnifiques tentèrent un instant la vanité de Retz ; mais il aurait, dit-il, regardé comme une lâcheté de sa- crifier à son avantage personnel les inléix^tsdc ses amis, de Brissac, d'Argenteuil, de Monlrésor, de Fontrailles et de tant d'autres frondeurs, qui avaient couru sa for- tune et devaient partager son sort.

il ne faut croire qu'avec circonspection ces Mémoires de Retz, si spirituels, si piquants, mais composés long- temps après les événements pour amuser madame de Caumartin et faire ressortir l'héroïsme de l'auteur. Toutefois les lettres de Mazarin attestent à quel point il était préoccupé de la présence de Retz à Paris, de ses cabales, de son audace à tenter un coup de main. On a vu qu'il exhortait l'abbé Fouquet à se tenir sur ses gar- des, et qu'il croyait Retz capable de se porter aux der- nières extrémités*. Aussi l'abbé Fouquet prenait-il ses précautions ; il avait à ses ordres des hommes de sac et de corde', de véritables coupe-jarrets, et le cardinal de Retz prétend qu'il tenta plusieurs fois de le faire assassiner*. Ce qui est certain, c'est qu'après la rupture

* Mémoires de Retz, ibid., p. 150.

Voy. plus haut, p. 207.

' (lo sont les termes inôincs qu'emploie Gourvillc en parlant tlo satel- lites de l'ablKi Fouquet.

Mémoires, U)id., p. 15G, 159 et 101.

SUR NICOLAS FOUQUET (octoiire-décfmbre mt 215

des négociations, l'abbé Fouquet redevint le principal antagoniste de Retz. Il lui tint tête partout il le ren- contra : « Vous connaissant comme je fais, lui écrivait Mazarin à la date du 21 novembre, je m*imagine de quel ton vous aurez parlé à M. le cardinal de Retz chez la personne vous Tavez vu, et je ne doute point qu'étant aussi bien informé que vous Têtes, de quelle sorte les choses se sont passées, vous ne lui en ayez dit librement vos sentiments; je compterai cela parmi tant d'autres choses de celle nature que vous faites pour Tamour de moi, et dont je ne perdrai jamais le sou- venir. »

Le cardinal de Retz ne se vante pas de la scène à la- quelle fait allusion Mazarin, et qui eut probablement lieu à rhôtel de Chevreuse. La fille de madame de Che- vreuse, la jeune Charlotte de Lorraine, dont les amours ont été si outrageusement profanés par Retz, venait d'être enlevée par une fièvre maligne (7 novembre). Le cardinal rapporte qu'il visita madame de Chevreuse pendant la maladie de sa fille *, et c'est probablement dans cette circonstance qu'il se trouva en présence de l'abbé Fouquet.

Comme Retz tirait sa principale force du caractère épi- scopal dont il était revêtu et des fonctions (jue lui laissait remplir l'archevêque de Paris, son oncle, l'abbé Fou- quet conseilla au cardinal Mazarin de se servir du vieux Gondi pour enlever au coadjuteur toute autorité sur le clergé. « J'ai fait réflexion, lui répondit Mazarin, à

* Mémoires, ibiil., p 119.

iM4 MÉMOIRES

ce que VOUS me mandâtes dernièrement, que Ton pour- rait obliger M. Tarchevêque de Paris h faire luie décla- ration publique qu'il ne prétend point que le cardinal de Retz fasse aucune fonction d archevêque, et qu'il dé- fend à tous ceux de son diocèse de le reconnaître, et comme ce serait ôter au cardinal de Retz les principales armes dont il prétend se servir pour pouvoir demeurer à Paris, je crois, si la reine le jugeait à propos, qu'on ne doit rien oublier pour faire réussir cet expédient. Je vous prie d'y travailler sans perte de temps, après en avoir reçu les ordres de Sa Majesté. » L'abbé Fouquet fit sans doute, avec son zèle ordinaire, des démarches pour assurer le succès d'une mesure qu'il avait sug- gérée, et que rendait plus facile la jalousie de l'arche- vêque de Paris envers son neveu. En cas de succès, l'abbé Fouquet eût pu devenir vicaire général et admi- nistrateur du diocèse de Paris*. Peut-être entrevoyait-il déjà la pourpre romaine, dont lui avait malicieusement parlé un de ses correspondants? Quoi qu'il en soit, il ne fut pas nécessaire d'employer contre Retz Tautorité ar- chiépiscopale : il se laissa aveugler et tomba dans lo piège que lui tendaient ses ennemis.

Le roi avait donné Tordre de l'arrêter. Pradelle*, un des officiers de Tabbé Fouquet, était spécialement chargé de veiller à toutes les démarches de Retz et d'exécuter cet ordre. En cas de résistance, il devait le tuer. Il en avait commandement exprès, écrit de In

* Une lettre de M<i7arin, en date du 2 déceniln'e, prouve qu'il en lut sîc^rieusemenl question. Voy. plus loin, p. 210. ' Voy. ci-des.<îus. p. 205.

SUR NICOLAS FOUQUET octobrr-dkcf.hbre isss' âlu

mt^iii de Louis XIV \ La difficultc; était d'attirer le car- dinal hors de rarchevôché, il s*obstinait à rester en- fermé sous la garde d'un bon nombre de gentilshommes d'un dévouement à toute épreuve. Il fallut user de ruse pour le faire sortir de sa forteresse : une des femmes (|ui avaient le plus de crédit sur Retz le décida. La du- chesse de Lesdiguières, dans laquelle il avait une pleine confiance et qu'il croyait bien instruite des projets de la cour, le pressa de se rendre au Louvre, en lui disant que, s'il pouvait y aller en sûreté, la bienséance exigeait qu'il s'y présentât. Hetz objecta qu'il ne pouvait le faire avec sûreté. « N'y a-l-il, reprit madame de Lesdi- guières, que cette considération qui vous arrête? » Sur la réponse affirmative du cardinal, elle ajouta : « Al- lez-y demain ; car nous savons le dessous des cartes *. » Sur cette affirmation d'une personne qu'il croyait sin- cère et bien avertie, le prélat oublia sa prudence or- dinaire, et, pour un homme réputé habile, fit une faute étrange. A peine eut-il mis le pied au Louvre, le 19 dé- cembre 1652, qu'il fut arrêté par le capitaine des gardes Villequier, transféré immédiatement à Vincennes sous bonne escorte et enfermé dans le château.

Ce fut l'abbé Fouquel, qui, le premier, avertit Maza- rin de ce coup décisif. La réponse du cardinal est cu- rieuse ; il s'eflbrce de dissimuler sa joie, et affecte des regrets hypocrites. « C'est votre courrier, écrit-il à l'abbé Fouquet (24 décembre), c'est votre courrier qui m'a apporté le premier la nouvelle que le cardinal de

* Voy. le texto de ccl ordre dans \os M/moires de ï\etz, ibid., p. IfiO).

* Mi^moiresde Fietz. t. lY. p. 104

«216 MÉMOIRES

Retz avait été arrêté par ordre de Leurs Majestés. Je suis marri que sa conduite les ail obligées à prendre cette résolution contre un cardinal, et, à la vérité, il paraît assez par les offres avantageuses qu'ils avaient eu la bonté de lui faire pour l'envoyer à Rome, dissimulant tout ce qu'il avait recommencé à faire contre leur ser- vice, qu'elles s'y sont portées avec grande répugnance, mais enfin je n'ai rien à dire à ce qu'elles font pour le bien de l'État. »

Le cardinal de Retz s'était persuadé qu'à la première nouvelle de son arrestation les Parisiens prendraient les armes; mais personne ne bougea. Quelques-uns de ses partisans, et entre autres le marquis de Château-Re- naud \ cherchèrent vainement à soulever les quartiers dont les habitante paraissaient dévoués à Retz ; ils trou- vèrent, dit le cardinal lui-même', les femmes dans les larmes, et les hommes dans l'inaction et la fraveur. Retz et ses partisans se ti'ompaienl d'époque; ils se croyaient encore au temps on l'on élevait des barricades pourBrousseP et pourquelquesconseillersdu parlement, tandis que le peuple de Paris, corrigé par une rude ex- périence, était las de ces agitations factieuses et aspirait au repos. Restait la cour de Rome, qui pouvait s'irriter de l'arrestation d'un prince de TÉglise. Mazarin se chargea de Tapaiser. Il écrivit au pape pour lui faire connaître les motifs de cette mesure. « Le cardi- nal de Retz, lui disait-il, se laissant emporter à son

« Mémoiret de Befz, I. IV. p. 107. « Ibid., p. 168. 5 Ihid

SUR NICOLAS FOUQIIBT focroBRE-n^CKVBRF i«5t 217

naturel, qui est très-iîer, a fait vanité do ne rien crain- dre et Ta publié. Comme si la dignité, de laquelle il est redevable au roi, le rendait indépendant de son auto- rité, et qu'il lui fût permis de violer le respect que sa sujétion établit, ainsi que les lois les plus saintes de la monarchie, il s'est exempté de venir au Louvre, et en n déclaré les raisons qu'il avait : que c'était un lieu il pouvait être arrêté; qu'ailleurs il était en sûreté, » etc. Après avoir rappelé tout ce que la cour avait fait pour gagner le cardinal de Retz, Mazarin montrait en lui un rebelle obstiné, que le roi avait justement puni de ses crimes envers l'État.

L'arrestation du cardinal de Retz fut le coup de mort pour la Fronde. Depuis cette époque, le parlement, déjà abattu, rentra décidément dans le devoir. La bonne bourgeoisie manifesta hautement ses sentiments, et les voix qui tentèrent de protester furent facilement étouf- fées. Le rôle des deux Fouquet avait été, dans ces cir- constances, utile et honorable. Ils n'avaient pas dévié un instant de la voie qu'ils s'étaient tracée. L'un avait, par un mélange d'adresse et de fermeté, calmé les es- prits des membres du parlement, ramené les moins passionnés, défendu habilement les intérêts du cardi- nal, et, lorsque la crise fut parvenue à son dernier pé- riode, il avait donné des conseils énergiques pour sé- parer les magistrats lidèles d'une assemblée de factieux. La translation du parlement à Pontoise avait été son œuvre. L'autre, audacieux jusqu'à la témérité, avait bravé tous les dangers pour porter au cardinal les con- seils et les encouragements de ses partisans fidèles; il

1\H MÉMOIRRS

avnif tenu ti^fe, dans Paris, aux Froiidoni^s oxallés, «;a- gné une partie des bourgeois, \\\M jusqu'à la dernière extrémité contre la faction des princes, et en même temps négocié avec une persévérance et une habileté qui ne se démentirent qu'au moment sa passion pour madame de ChAtillon commença à Taveugler. Enfin, le principal ennemi de Mazarin avait trouvé dans l'abbé Fouquet un rival aussi décidé, aussi violent, aussi té- méraire que lui, et, malgré des dédains affectés, on voit percer, dans les Mémoires de Retz, trop de haine contre cet adversaire pour (ju'il ne l'ait pas jugé redoutable.

Mazarin proclamait hautement les services des deux frères. Il écrivait à Tabbé Fouquet, le 25 décembre : « Je ne puis assez louer Tapplic^ition avec laquelle vous eml)rassez toutes les occiïsions d'agir pour le ser\icc du roi, sans que la considération des ennemis que vous pouvez vous mettre sur les bras soit capable de vous re- froidir ; mais ce n'est pas par des paroles qu'il faut té- moigner le gré que Ton vous en doit savoir, vous étant obligé au point que je suis des marques d'amitié que vous me donnez tous les jours sans aucune réserve. » Les services de l'abbé Fouquet n'étaient pas désintéres- sés. Dès le mois d'octobre, il avait sollicité pour son frère le cordon bleu que laissait vacant la mort de Cha- vigny. La dignité de trésorier de l'ordre du Saint-Es- prit, dont Chavigny était investi, donnait, en effet, le droit de porter cet insigne qu'ambitionnaient les personnages du plus haut rang*. Mazarin ne pui, en

* Los Mémoires de Saint-Simon attostont que la nohlosso voyait avoc imli^natioii dos parvonus jMirH'r los insipiosile Innlrodu Saint-Espril.

SUR NICOLAS FOUQUET ocTOBnK-nÉcF.iiBRE w.ti 219.

eeffe circonstance, cédor aux instances de Tahbé Fou- (|uet; mais son refus est exprimé en des termes qui de- vaient consoler l'abbé et lui faire concevoir pour Tavenir de hautes espérances. « J'ai beaucoup de déplaisir, lui écrivait-il, de ne pouvoir m*employer pour faire avoir la charge de trésorier de Tordre h M. le procureur gé- néral; mais vous le pouvez assurer sur ma parole qu'en quelque autre occasion je le servirai aussi solideuient, souhaitant avec passion de l'obliger à être toujours de mes meilleurs amis, comme je veux éjtre toute ma vie des siens. »

L'abbé Fouquet, déjà pourvu d'une riche abbaye, sol- licitait, quoiqu'il ne fût pas prêtre, un grand vicariat de l'église de Paris. Mazarin avait d'abord hésité à ap- puyer cette demande; mais ensuite il y vit un moyen d'opposer, dans le clergé même de Notre-Dame, un ri- val au cardinal de Retz, qui n'était pas encore arrêté à cette époque, et il répondit à l'abbé Fouquet : « Bien que je vous aie mandé que je remettrais à mon retour i\ parler à la reine pour le grand vicariat que vous de- mandez, ayant néanmoins depuis fait réflexion que la chose pourrait presser, et qu'étant nécessaire d'en éta- blir un vous pourriez être prévenu, j'écris à Sa Majesté pour la supplier de vous faire donner cette commission, croyant qu'un homme qui n'est pas prêtre ne laisse pas d'eu pouvoir faire la fonction. Je vous adresse ma lettre pour Sa Majesté, afin que vous la lui rendiez vous- même, et je vous prie de croire que j'aurai toujours beaucoup de plaisir de pouvoir contribuer à ce que vous souhaiterez. »

^

22.0 MÉMOIRES

Les deux frères avaient des vues encore plus ambi- tieuses. Us savaient qu'ils avaient des adversaires dans le conseil du roi : ils aspiraient, sinon à les écarter, du moins à y faire entrer leurs amis pour balancer le crédit des anciens ministres. Michel le Tellier avait, dans une circonstance récente, témoigné à l'abbé Fou- quet des charités (je cite le mot môme de la lettre attri- buée àRoze)\ dont le vindicatif abbé lui gardait ran- cune. N'espérant pas faire disgracier Michel le Tellier, les deux frères travaillèrent à introduire dans le con- seil du roi Hugues de Lyonne, avec lequel ils étaient en liaison intime. Ils y mirent une insistance qui fatigua le cardinal, malgré ses dispositions favorables pour de Lyonne ; il voulait, en effet, ne s'occuper de cette af- faire qu'après son retour à la cour. « Je suis surpris, éerivait-il à Tabbé Fouquet, de ce que vous me marquez que M. le procureur général ne comprend rien à ce que je lui ai écrit touchant de Lyonne, puisqu'il me semble m'ètre assez bien expliqué en lui disant, comme je le lui réitère encore, que je suis toujours dans les mêmes sentiments que j'ai fait témoigner au sieur de Lyonne même, et comme je sais qu'il en est fort satis- fait, je crois, par conséquent, que le procureur général le doit être aussi. Après tout, il faudrait que j'eusse perdu tout crédit auprès de Leurs Majestés, si je ne ve- nais à bout de résoudre le retour de M. de Lyonne à la cour. Je crois pourtant très à propos qu'on ne sache pas, pour son avantage môme, que j'ai cette intention.

' Voy. pl'is haut, p. 199.

SUR NICOLAS FOUQUET ,uctubuk-iȎcenbue te^ij 2tKl

Je ne fais point de réponse plus particulière à M. le procureur général, parce que, comme nous nous re- verrons bientôt, je remets tout à la vive voix, vous priant seulement de le remercier de ma part de toutes les marques qu'il me donne de son amitié, et de lui dire que je suis ravi de le voir si appliqué à tout ce qui peut rétablir Tautorité du roi au point elle doit être. »

CHAPITRE XllI

- J\.NV1EU-FÉVR1EU 1653

llazurii) Icnc iiiir pclilc année et délivre la Chainpagne. Il se joint à Tui'enne. État de Paiis cii son absence. Divisions entre ses par- tisans. — Lettre de leTellier à Mazarui. La place de surintendant devient vacante 2 janvier". Nicolas Fouquet demande cette place. Ha pour compétiteur .Vbel Servien, qui est vivenient appuyé iku* plusieurs partisans de Mazarin et par la Chambre des comptes. Lettre adressée en cette cii'constancc à Mazaiin par son inlcMidant J. lî.Colberl. L'abl)é Fouquet soutient son frère et se plaint vivement de le Tellier. Réconciliation apparente imposée par Mnzarin. Ue- tour du cai'dinalà Paris ^3 février). Il fait nonuner ;8 février) deux surintendants, Senien et Fouquet.

Le cardinal avait attendu, pour rentrer dans Paris, que le parti de la Fronde fût entièrement abattu; mais cependant il n'était pas resté inactif. Il avait rassemblé une petite armée, comme on Ta vu plus haut \ et avait réussi à la porter à quatre mille hommes. Il s'était alors avancé jusqu'à Saint-Dizier, et s'était présenté comme le libérateur de la Champagne, que le prince de Condé menaçait à la tête d'une armée espagnole. Puis, ayant rejoint le maréchal de Tureniie, il avait repris avec lui une partie des places dont les Espagnols s'é-

* Voy. ci-dessus, p. 400

MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET jaxvikr-fkviuek ic»; 2«3

laient rendus maîtres, cl entre aiitresBar-le-Duc, Ligiiy, Chàteau-Porcien. Ces conquiHes, accomplies pendant rhiver (décembre 1G52 février 1050), avaient pré- paré à Mazarin un retour glorieux. Il rentra à Paris, le ô février, et sa modération seule empêcha la cour de déployer en son honneur un faste royal.

Pendant l'absence du cardinal, ses partisans s'étaient de plus en plusdivisés. Le Tellier se plaignait des attaques (|ue l'on dirigeait contre lui et dont les Fouquet étaient probablement les principaux auleurs. « J'ai appris, écri- vait ce ministre à Mazarin, dès le l®" janvier 1655, par le bruit commun, qu'il s'est formé ici une cabale pour me déchirer auprès de Votre Éminence; ce qui m'a été confirmé par les discours (ju'un des associés a tenus assez imprudemment à plusieurs personnes, marquant le détail de ce (jui a été écrit de concert sur ce sujet-là; et d'autant ({ue j'ai eu appréhension que, si je iaisais témoigner à Votre Éminence que j'en eusse connais- sance, vous n'eussiez quelque inquiétude du soupç^on que vous prendriez que cela peut nuire à l'exécution des choses qui étaient à faire ici pour l'avancement du service du roi, je me suis fait violence et me suis abstenu de vous en écrire. Mais à présent qu'il n'y a plus rien à faire, que Votre Éminence a reconnu par expérience que rien n'est capable de retarder à mon égard ce qui est de mon devoir, et que j'appréhende que mes enne- mis me fassent un nouveau crime de mon silence, j'ai pensé que Votre Éminence n'aurait point désagréable (jue je me défendisse des écritures de ces messieui^s, el que je la suppliasse de tout mon cœur, comme je fais

234 MÉMOIRES

très-huinblenienl, de n'ajouter aucune foi ù tout ce qu'ils ont pu dire du écrire sur ce qui me regarde, qu'elle ne m'ait fait l'honneur de m'entendre, me fai- sant en cela la même justice qu'elle a fait au moindre du i-oyaume en toutes occasions; ce que j'estime d'au- tant plus de sa bonté que je suis très-passionné- ment, » etc.

Une des causes qui faisaient éclater les jalousies et les haines entre les partisans du cardinal était la lutte pour la place de surintendant, qui était devenue va- cante par la mort du duc de la Vieuville (2 janvier \ 653) . Cette charge, qui donnait la direction du trésor public^ à une époque de désordre et d'anarchie dans l'adminis- tration financière, excitait les convoitises les plus ar- dentes. C'était le suiîntendant qui traitait avec les fer- miers des impôts et partageait trop souvent avec eux les énormes bénéfices qu'ils faisaient dans leurs avances à l'État. C'était lui qui donnait des assignations ou man- dats sur le trésor public. Comme ces mandats étaient assignés sur un fonds spécial, et que ce fonds était quel- quefois épuisé, il fallait obtenir du surintendant qu'il désignât une autre branche des revenus publics pour le payement des billets de l'épargne, ou, comme on disait alors, qu'il les réassignât. En un mot, cette charge ren- dait faciles les spéculations scandaleuses et les honteux trafics, dont les d'Émery, les Maisons, les d'Ettiat, les Bullion, n'avaient que trop donné l'exemple.

Les compétiteurs furent nombreux, et un des princi- paux fut le procureur général, Nicolas Fouquet. Dès le lendemain de la mort du surintendant la Vieuville, il

s un NICOLAS FOUQUET (MxviEK-rtvuitR 1655} 225

écrivait à Mazarin * : « J'attendais avec impatience le re- tour de Votre Éminence pour l'entretenir à fond de tout ce que j'ai connu de la cause des désordres passés et des remèdes; mais, comme la mauvaise administration des finances est une des principales raisons du décri des affaire^ publiques, la mort de M. le surintendant et la nécessité de remplir sa place m'obligent d'expliquer à Votre Éminence par celle-ci, ce que je m'étais résolu de lui proposer de bouche à son arrivée, et lui dire l'importance qu'il y a de choisir des personnes de pro- bité connue, de crédit dans le public et de fidélité in- violable pour Votre Éminence. J'oserais lui dire que, dans l'application que j'ai eue en m'informant des moyens de faire cesser les maux présents et d'en éviter de plus grands à Tavenir, j'ai trouvé que le tout dé- pendait de la volonté des surintendants; peut-être ne serais-je pas inutile au roi et à Votre Éminence si elle avaît agréable de m'y employer. J'ai examiné les moyens d'y réussir. Je sais que ma charge' n'est point incompatible, et plusieurs de mes amis qui m'ont donné cette pensée m'ont offert d'y faire des efforts pour le service du roi assez considérabjes pour n'être pas né- gligés, de sorte que c'est à Votre Éminence à juger de la capacité que dix-huit années de service dans le con- seil, en qualité de maître des requêtes et en divers em- plois, me peuvent avoir acquise ; et pour l'affection et la

> Celte lettre, datée du 2 janvier 1655, est auto^^raplie et eu partie rliifirée.

^ La chai'ge de procui*cur général que Mcolas» Fouquct avait adietée cil 1650.

I. 15

336 MEMOIRES

fidélité à votre service, je me flatte de la pensée que Votre Éminence est persuadée qu*il n'y a personne dans le royaume à qui je code. Mon frère en sera caution, el je suis assuré qu'il ne voudrait pas en donner sa parole à Votre Éminence, quelque intérêt qu'il ait en ce qui me touche, s'il ne voyait clair, et dans me» intentions et dans la conduite que j'ai tenue jusqucs ici, et si nous n'avions parlé à fond des intérêts de Votre Éminence dans cette rencontre ; et je puis lui protester de nou- veau qu'elle ne sera jamais trompée quand elle fera un fondement solide sur nous, puisque personne au monde n'a plus de zèle et de passion pour les avantages el la gloire de Votre Éminence. Je la supplie que persornic au monde n'entende parler de cette affaire qu'elle ne soit conclue*. »

Malgré la reconnaissance de Mazarin pour les services que lui avait rendus le procureur général, il liésila entre les divers candidats à la surintendance. Un jour- nal inédit de l'époque * énumère les personnages qui prétendaient à cette charge : « M. le président de Mai- sons se fondait sur l'injure qu'il avait reçue d'en avoir été ôté. M. Servien alléguait ses longs et fidèles ser- vices. MM. les marécfiaux de l'Hôpital et de Villeroy ajoutèrent aux leurs quantité de raisons particuli('Tes et de bienséance. M. de Bordeaux, intendant des finan- ces, se mettait aussi sur les rangs et prétendait y avoir bonne part. M. Fouquet même, procureur général au

A la suite d«? celte letli-e, il s'eii trouve une, éj,'aleiuenl autographe, lie l'abbé Fouquet, (juise porte caution pour son frère.

* Bibl. inip. Ms. S. F. n" 1238, C [bw, f 321.

SUR NICOLAS FOUQUET (jamieh-févkieu lusj %i7

l>arleincnt, n'y renonçait pas, ni quelques autres en- core. »

Parmi ces candidats un' des plus autorisés était Abel Servien, qui avait rendu d*éminents services dans la diplomatie et pendant la Fronde. Il se plaignait de n'en avoir pas été récompensé, dans une lettre qu'il adres- sait à Mazarin, dès le 1" janvier 1653 * : « Pour moi, je ne manquerai jamais à mon devoir, quoi qu'il arrive; mais l'exemple du traitement que je reçois (chacun voyant comme je scre) pourra refroidir beaucoup de gens. Je n'ose pas dire à Son Éminence tout ce que j'ai dans l'àmc sur ce sujet, et combien je serais malheu- reux si ceux qui ont plus de crédit que moi sur l'es- prit de la reine pouvaient empêcher que mes services ne tussent agréables à Sa Majesté. Son Éminence sait bien que le plus grand de tous les déplaisirs est de ser- vir y no aijradir^. Je ne laisserai pas d'avoir la pa- tience qu'elle m'ordonne; car, outre qu'elle ne peut pas être bien longue à un homme de soixante uns, il ne serait pas bienséant d'en manquer à cet âge. Je suis le seul du royaume qui, depuis vingt ans, sois allé en rétrogradant, et qui, même dans un temps tout le inonde s'avance et s'établit avec tant de facilité, n'aie ni charge ni aucun établissement solide, apriîs trente-six ans de fidèles services, et, si je l'ose dire, assez consi- dérables pour un homme de ma condition. »

Un des partisans dévoués de Mazarin insistait vive- ment en faveur de Servien; après avoir signalé les vices

' Lellre uutogi*aplie eu partie chinVêe. * Senir et non agréer.

228 BIÉMOIRES

de l'administration iinancièrc et les qualités nécessaires dans un surintendant, il continuait ainsi : «Je sais qu'il est rare de trouver un homme avec ces belles qua- lités; mais, si je ne craignais moi-même de passer pour intéressé, j'en nommerais un qui pomiant ne m'a ja- mais fait ni mal ni bien, et je pourrais bien jurer avec vérité que j'en espère si peu, qu'il y a plus d'un mois que je ne l'ai vu ni ne suis entré dans sa maison. Votre Éminence se le peut déjà imaginer, c'est M. Servien, qui a déjà la voix publique et pour qui je sais qu'on a fait publiquement en cette rencontre des vœux dans la chambre àcp comptes et à la cour des aides; mais on ajoute qu'il-*ne les aura pas, parce qu'il ne fera point d'offres*. Je sais aussi qu'il se défend d'y prétendre; mais, quand môme il n'en voudrait pas, les plus sensés que j'entende discourir disent qu'ils ne voient pas com- ment étant si homme de bien, si capable et si avant dans les affaires. Votre Éminence peut se dispenseï* de les lui offrir. » Ce môme correspondant parlait d'un des coni- pétiteui*s dans des termes qui me paraissent désigner Nicolas Fouquet : « Pourquoi, disait-il, les deux plus im- portantes charges entre les mains d'un seul homme, charges auxquelles pour parvenir et se rendre néces- saire, au lieu d'agir avec vigueur, il a fait mille tours de souplesse? Je ne saurais oublier les paroles que je lui entendis proférer dans le Palais-Royal un peu avant la sortie de Votre Éminence de Paris, que les pienes qui enfetmaient les princes sélèuevaient contre ceux qui les

' n s'agit d'offres pécuniaires; à celte époque, les cliai'ges de iiuuiico b'uchetaienl coininc les chai'ges de judicalurc.

SUR NICOLAS FOUQUET (janvifr-f^vrifr kbs; !2^

avaient emprisonnés. Deux charges si importantes à un seul font (ort aux plus habiles qui n'en ont point et qui Font mérité, et j'ose dire que la gloire, la vanité et la corruption n'ont jamais été ainsi en vue, et que, si on pouvait encore monter plus haut, on ne serait pas con- tent. » L'accusation de cumul semble désigner Fouquet qui était déjà procureur général, et le trait de la fin est sans doute une allusion à sa devise Quù non ascendant (jusqu'où ne monterai-je pas)? Quant aux paroles qu'on hii prête, il n'est pas impossible que le procureur géné- ral les ait prononcées dans une de ces harangues où, parlant au nom du parlement, il était obligé d'adopter son langage.

Malgré les instances des divers partis, Mazarin hési- tait toujours, et, sans contester le mérite de Servien, il prétendait qu'il était peu propre à l'administration des finances. « C'est un grand malheur pour moi, écrivait Servien à l'un des confidents de Mazarin, que Son Éminence, qui a vu de tout temps des emplois plus pé- nibles que celui-là réussir assez heureusement entre mes mains, juge le soin des finances trop laborieux pour moi. Cela veut dire qu'elle ne méjuge pas capable de grand'chose, n'y ayant point de charge il faille moins de travail, et l'exercice de celle-ci consistant plus à avoir de la prévoyance, de la fermeté et de la probité qu'à être laborieux, dont il ne faut point d'autres prou- ves que l'exemple de M. de BuUion, qui l'a fort bien faite de son temps, quoiqu'il n'en ait jamais su le dé- tail, qu'il ne le travaillât presque jamais et qu'une des principales parties lui manquât, qui est la probité;

i30 NEMOlhES

M. d'Efiîat ^ n'avait pas aussi beaucoup d'application aux affaires et travaillait fort peu. M. d'Émery el M. do Mai- sons donnèrent plus de leur temps aux intrigues de la cour, à Tentretien des dames, aux festins, au jeu el aux autres plaisirs cju'au travail des affaires dont ils se repo- saient sur des inférieurs, et, pour vous dire le vrai, il faut conclure qu'un homme qui n'est pas capable de faire la charge de surintendant est indigne pour jamais de toutes les grandes charges du royaume, il faut nécessairement apporter plus de travail et d'assiduitcî qu'en celle-là. »

Au milieu de toutes les sollicitations qui assiégeaient Mazarin, et qui étaient si manifestement intéressées, on aime à entendre la voix d'un homme alors obscur, mais destiné à réparer les fautes des surintendants, ses prédé- cesseurs* J. B. Colbert, simple intendant de Mazarin, lui écrivait le 4 janvier 1653 : « La reine me fit hier rhonneur de me demander si M. le surintendant défunt avait fait de si grandes affaires pour Votre Éminence et de telle nature, que, pour les tenir secrètes, elle fût obli- gée de laisser les affaires en l'état qu'elles étaient, sans donner l'autorité aux directeurs*, afin de la conserver à M. de Bordeaux. Je fis réponse à Sa Majesté qu'il ne s'était passé aucune affaire, dont je ne fisse le rapport à Sa Majesté en présence de deux mille personnes. Elle me dit qu'elle le croyait, mais que M. Ondedei *, avec la prin-

* Le maréchal d'Effiat, aussi bien qiieM. de BiilUon, avait été surin- tendant des finances sous le règne de Louis XUI.

* Les directeurs des flnances étaient alors MM. d'Aligre el de Moranpis. 5 Zongo Ondedei, évêque de Fréjus, était un des parents de Mazarin,

SUK NICOLAS FOUQDET 'janvikr-pévrter less^ 231

casse Palalino, lui avaient voulu persuader le contraire. Je ne ferais pas ce discours à Votre Éminence, s'il n'a- vait été fait par la reine même, de qui Votre Éminence le peut savoir, et je crois être obligé en conscience de lui faire rapport d'un discours de cette nature. Je la supplie seulement que pereonne ne voie ma lettre.

«Pour ce qui est de rétablissement* à faire, Votre Eminence voit et connaît fort bien tous les sujets qui en sont dignes, et je voudrais que personne ne se mêlât de lui donner son avis sur cette matière délicate. Ma raison est que je vois peu d'avis qui ne soient fort inté- ressés, et je le connais si bien, que, crainte que, si j'en disais quelque mot à Votre Éminence, le mien ne fût mis au rang des autres, j'aime mieux m'en taire tout à fait, joint que je crois certainement que Votre Éminence choisira beaucoup mieux, quand elle aura l'esprit libre et débarrassé de tous les avis et de tous les rapports de personnes intéressées ù proposer et à exclure. Je ne puis pourtant m'empécher de lui dire ces deux mots : qu'elle se donne de garde de ceux qui sont d'esprit à sacrifier et à donner beaucoup aux subalternes pour avoir plus de facilité de tromper le principal. C'est en deux mots le désordre du temps passé, qui est celui de tous qui peut apporter le plus de préjudice aux affaires de Son Éminence et à TÉtat. »

L'abbé Fouquet fut dans cette lutte Fauxiliaire le plus dévoué du procureur général. Il s'était rendu auprès de Mazarin et avait tenté, mais en vain, d'emporter la nominatioo immédiate de son frère. Cet échec

Colbert vont parler de la nomination à Ift placo de surintendant.

232 MËMOmES

donna plus de hardiesse à ses ennemis, cl surtout au secrétaire d'État le Tellîer. De retour à Paris, Tabbé Fouquet se vit attaqué par Tenvie et la calomnie; il s'en plaignit vivement à Mazarin : « Je suis obligé, lui écri- vait-il, de rendre compte à Votre Éminence de la civi- lité que la reine m'a faite depuis mon retour. Je ne sais si Votre Éminence aurait eu la bonté pour moi de lui en écrire quelque chose, ou si ce sera une suite de la poli- tique de M. le Tellier qui, pour rendre un méchant service à mon frère, dans le temps qu'il a besoin de la reine, ne lui aurait point dit du bien de moi et du mal de lui, pour témoigner que c'est la vérité seule qui le fait parler de cette uianière-là et non pas l'animosité qu'il a contre moi, puisque môme il a contribué au bon traitement que l'on me fait.

« Quoi qu'il en soit, je tiens que c'est un piège, parce que j'ai appris qu'il a dit à beaucoup de gens que je m'étais offert de poignarder le cardinal de Retz; que j'étais un étourdi et beaucoup d'autres choses que Ton m'a dit que l'on ne me voulait pas dire. Je nommerai les personnes qui m'ont fait ces rapports, à Votre Émi- nence, qui sait bien que je lui ai dit simplement ce qui nous avait brouillés et que je me suis abstenu de dire beaucoup de choses, lesquelles j'ai peur que Votre Émi- nence ne trouve mauvais que je lui aie tenues secrètes. On a même fait courir un bruit de ma prison, afin de pouvoir engager plus de personnes à parler contre moi, et ce bruit a été fondé sur ce qu'on disait que, Votre Éminence m'ayant refusé la surintendance pour mon frère, je m'étais emporté à dire des choses peu resper-

SUR NICOLAS FOUQUET (jAnviEn-FÉmEii lewl 235

tueuses à Votre Éminence, qui peut se ressouvenir du respect avec lequel j'en ai usé, et que cette calomnie se détruit d'elle-même.

« Tout cela m'a obligé de prier la reine de comman- der à M. le Tellier de s'abstenir de semblables discours, parce qu'ayant beaucoup de respect pour elle, et sachant à quel point Sa Majesté' le considérait, je ne doutais point que je ne fisse une chose qui lui serait fort désa- gréable, si je venais à faire des manifestes pour me dé- fendre; mais que, si cela continuait, je serais obligé do pousser les choses à toute extrémité contre M. le Tellier, ne voyant pas un seul liomme qui ne me dise quelque chose do nouveau qu'il a avancé contre moi ; ce qui no m'a pas empêché de le voir avec toute la civilité possible et de lui rendre moi-même votre lettre. L'assurance qu'il dit avoir delà surintendance l'a rendu plus fier que jamais; ce qui n'empêchera pas que je ne vive avec lui de la manière que vous m'ordonnez.» Mazarin réussit, on effet, à rétablir une concorde, au moins apparente, entre ses partisans. L'abbé Fouquet lui répondait le 20 janvier : «J'écrirai à M. le Tellier de la manière dont Votre Éminence me commande, et même je vois que, depuis que la reine lui a parlé, il ne me revient plus ancime chose qu'il ait dite. Au contraire, il alfocto do paraître sans crédit et dit qu'il ne se mêle do rien: il n'est pas malaisé de voir la cause du changement.

« Vendredi dernier, les rentiers firent be^iucoup do bruit à rentrée de MM. du parlement, et même on ap- pelèrent quelques-uns Povtoisiens *. Il y va do si pou do

' Allusion an parloinont do Pontoiso.

23i MKMOIBES

chose pour les satisfaire que l'on ne saurait croire qu'il n'y ait un peu de connivence de la part de ceux <|ui manient les finances. Feu M. de la Vieuville leur donnait quatre-vingt-huit mille livres par semaine ; on leur en offre cinquante, et le prévôt des marchands se faisait fort de les apaiser pour soixante-huit. La présence de» Votre Éminence serait absolument nécessaire; cai', pour peu qu'elle leur fît donner en une rencontre pa- reille , elle s acquerrait leur bonne volonté , et' Ton aurait châtié fort aisément les cabalistes^ desquels le parti augmentant, il y a des gens qui croient que Votre Éminence ne reviendra pas et qu'ils auront toute Tau- torité.

« J'ai donné avis à la reine que M. de Brissac ' était 5 Paris; elle a donné ordre pour Tarrôter. Je crois que M. de Gauville a écrit à Votre Éminence qu'un gendanne de M. le Prince, qui est ici, donnerait avis de ceux qui viendraient de sa part. On arrêta l'autre jour un valet de Guitaut', à qui Ton ne trouva rien d'important. Après demain, quelques gens du marquis deSillery doi- vent revenir pour emmener sa vaisselle. On a donné ordre pour tout arrêter, nonobstant qu'un desdits gens ait un passe-port. Ce que la reine a trouvé fort mau- vais, ayant découvert qu'une dame, que je ne nomme point, était dans les intérêts de M. le Prince.

« On tâche de répandre parmi le peuple que Voln» Éminence retarde pour faire ses préparatifs pour emme- ner le roi hors de Paris, et je ne vois aucun des servi-

* Un des partisans du cardinal do Rptz.

* Lo (iuitaut dont il s'agit était attaché an parti du prince do Condé.

SUR NICOLAS FOllQUET jawvikk-févrif.r inss 255

leurs de M. le cardinal qui no soit persuadé que sa pré- sence est ici absolument nécessaire. »

Rappelé avec tant d'insistance par ses partisans les plus dévoués, Mazarin revint enfin à Paris, le 3 février, et un de ses premiers actes fut la nomination à la surin- tendance. 11 partagea cette charge entre Servien et Ni- colas Fouquet'. Ce dernier reçut en même temps le titre de ministre d'État. Les mémoires du temps attestent que la nomination de Nicolas Fouquet, qui restait toujours procureur général, fût loin d'obtenir la même appi*o- bation que celle de Servien '. A la suite de ces mesures, le cardinal, voulant donner quelque satisfaction aux

liOret annonce ainsi celte nomination dans sa Mu:(e historique du s IV'vrier 1G50 :

On étoit encor attendant Qu^«roil le surintendant, Cetie charge, nulant que pas une, Etant une nre fortune; Mais il faut beaucoup endurer Pour y pouvoir longtemps duror ; Et quoiqu'elle soit épineuse. Presque autant que pécunieuse. Plusieurs pour elle s'intriguans, Klle n'est jamais sans briguans. La brigtie est pourtant terminée ; Car j'ai su cette matinée (Et toute la cour en convient) Qu'elle est pour monsieur de Servient Qu'on peut nommer, sans ilatlerie Dn ornement de la patrie, Tant il possède abondamment De lumière et de jugement : Mais, comme la charge est pesante Pour le moins autant qu'importante. Afin de soulnger ses soins. On hii donne quelques adjoints. Savoir messieurs Fouquet. d'Alis;re. Dont l'esprit est doux et non tign-, Moran;;is, Mrnardeau, Bordeaux, Tous gens qu'im tient :issez loy.uix. Et serviteurs du roi leur mailn' Autant qu'on le sauroit être.

* liibl. inip. Mss. S. F. 12.'»8 C Mit), f^Sri'i.

236 )1EM0IHES

candidats évincés, mnltiplia les charges de finances. 11 adjoignit aux deux surintendants trois directeurs des finances, un contrôleur général et huit intendants. « Leurs appointements, dit Fauteur du journal que j'ai déjà cité \ et les gratifications ordinaires qu'ils rece- vaient ne consommaient guère moins à\m million de livres par an. »

La commission donnée par le roi aux surintendants, en date du 8 lévrier 1655, ne subordonne point Fou- quel à Servien, comme Ta prétendu un historien dont l'exactitude ordinaire s*est trouvée ici en défaut *. Los

* Journal ms. ibidem.

* Histoire de la France pendant le mitiistère de Mazarin, par M. Bazin, t. IV, p. 309 ledit. in-i8 . On trouve le texte de la commission royale dans un manus. de la Bibl. imp., des 500 de Colbert, n*> 235. Comme il s'est élevé quelque doute sur ce point, je publierai ici en note le texte môme de la conmiis.«iion : « Locis, par la t^ftce de Dieu, roy de Franco et de Navarre, à nos amcz et féaux les sieui's comte Servien, marquis ûo Boisdauphin et de Sablé, commandeur et surintendant des fmances do nos ordres, Tun de nos ministres d'Estat, et Foucquet, conseiller en nostre conseil d'Est at et nostre procuifiu* général en nostre cour de parlement de Paris, salut : Si la probité et la science sont les vertus nécessaires pour parvenir à la promotion des grandes charges, et si elles demand^iu de longues expériences pour s'en acquitter avec la fidélité et le lM)n ordre que les affaires requièrent, il nous a semblé ne pouvoir faire un meilleur choix que de vos personnes pour exercer celle de surintendant de nos finances, qui est à présent vacdnte par la mort du .sieur duc Hr la Vicuville; les grands emplois qui vous ont incessamment occupés de- dans et dehors le royaulme poiu' le bien de cet Estât, les preuves que vous avez tousjoui's données de vostre zèle et expéiience pour en sousle- nirles intérétset la grandeur, nous confirment dans cette créance, et nous font espérer que vous vous acquitterez si dignement de cette importante administration, que le public n'aura pas moins de sujet d'en estre satis- faict que nous. Noo», poiu* ces causes et autres grandes considérations à ce nous mouvant, nous vous avoas constitués, ordonnés et élallis, consti- tuons, ordonnons et établissons par ces présentes, signées de nostre main, pour faire et exercer la charge de surintendants de nos fmances, avec un plein et entier pouvoir d'en ordonner et de les administrer ainsy qu'en

SUR NICOLAS FOUQUET (jAxviKa-rÉVBiEK i«U; 237

trésoriers de l'épargne avaient ordre d'obéir à l'un comme à l'autre. Cependant un ambitieux comme le procureur général, ne pouvait être entièrement satisfait d'une décision qui lui donnait un collègue que son âge et l'opinion publique plaçaient au-dessus de lui. Il voyait dans Servien un surveillant attentif et sévère, qui défen- drait énergiquement les intérêts du trésor public. Mais la prudence de Nicolas Fouquet égalait son ambition, et elle lui imposait la plus grande réserve en présence d'un pareil collègue. S'effacer et attendre que les em- barras financiers le rendissent nécessaire à Mazarin et

>os consciences vous jugerez esU'e uc'cessaire jK)ur le bien de nosti'c ser- vice, comme aussy pour jouir de iadictc charge aux mesmes honneui's, autorités, prérogatives, prééminences, fonctions, eslatset appointemens tels et semblables qu'en a joui ledict feu sieur de la Vieuville, et les autres qui l'ont précédé en cette charge, sans que de ladicte administra- tion vous soyez tenus d'en rendre raison à noslre Chambre des comptes, ni ailleui^ qu'à nostre personne; nous vous avons, de nosti*e grâce siHÎciale, pleine puissance et autorité i*oyale, relevés et dispensés, rele- vons et dispensons par ces dictes présentes, de ce faire, et vous avons donné et donnons plein pouvoir, autorité et mandement spécial. Maxuovb et ordonnons aux trésoriei*s de nostre espargne présens et à venir et autres nos ofliciei"s des fmances et comptables généralement quelconriues qu'il appartiendra, qu'en ce faisant ils vous oliéisscnt et entendent dili- gennnent aux choses conceimant lesdictes charges; deffendons aux sus- dicts comptables d'acquitter aucunes parties de dons ou autrement (|uelsconques acquits qui leur en soient expédiés, s'ils ne sont visés et accompagnés de vos ordomiances pailiculiéres, ainsy (ju'il a tousjoui's esté practiqué et observé. Mandons auxdicts trésoriei's de nostre espar- gne de vous payer, chacun en l'annexe son exercice, les estats, pensions et appohitemens qui vous seront ordonnés, et que nous voulons estrc passés et alloués en la des|)ensc de leurs comptes par nos ainez et féaux les gens de nos comptes a Paris, auxquels nous mandons ainsy le faire sans difficulté; car tel est nosti'e plaisir. Donné à Paris, le huitième jour de lévrier, l'an de grâce 1055, et de nostre règne le dixième, signé LOUIS, et plus bas : p\b le Rot, de Guékégauu, et scellé du grand sceau de cii*c jaune. »

238 MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET ijANviKu-tÉviuhu 16.^

l'appelassent au principal i*ôlc, telle fut sa tactique; elle réussit complélement. H était d'ailleurs soutenu par son frère, qui restait toujours le confident le plus intime et le plus dévoué de Mazarin.

CHAPITRE XIV

-i655 -

\Ui\v i\v\'ii\i\n\ Kouqmrlù lelU.' épocjui'; il cht cliargi; sans lifiv ollicii»! «lo diriger la police; iiiéiiioin; qu'il udrosse à Mazanii sur rétat de Paris. Il d(HM)Uvn^ h; complot do Hertaut et 1U(h>us cuutrc la \ie do Maza- nii, les lait an-t^ter, suncille leur procès et presse leur condauuiatiou *2r» st^pltunl)i*e-ll octobiv . L'ablié Fouquel accuse d'avoir voulu taire assassiuer le prince de (londé; il s<! dbicul|)C. Il ne cesse de veiller sur le parti fmndeur, et instiuit le cai^linal des déniarclies de niadeinoiselli! de Mont|>ensier cl des relations du cardinal de Rctx nviT le prince de (>>ndê. Attitude du parlement de Paris : s<;r- vices qu'y rend le pi'ocureur général, Nicolas Fouquet. L'ahbé Fou- fpiet obtient, de rilôtcl de Ville de Pains, de l'argent et des vêtements |)our l'armée myale. Ilépii^ssion des factieux et disjH'i'sioii des assemblées séditieuses. L'abl)é Fouquet ré{K)ndaux attaques de ses ennemis. Mazarin l'assure de son amitié.

L'abbé Fouquet ne s'était pas oublié dans la distri- bution des faveurs. Comblé de bénéfices ecclésiastiques, il fut chargé, sans titre officiel, de la police secrète et de la direction de la Bastille. Sa position auprès de Ma- zarin rappelle celle du P. Joseph auprès de Richelieu. Le célèbre capucin n'avait pas plus de titre officiel que l'abbé Fouquet, et cependant les affaires les plus consi- déi'ables de la France et de l'Europe passaient par ses mains. Avec moins de grandeur, Tabbé Fouquet fut

240 MÉMOIHES

une sorte de ininislre de la police, chargé tout spéeia- lemenl de veiller à la sûreté du cardinal cl de déjouer les complots que les factions vaincues ne manquèrent pas de tramer contre lui.

Un mémoire (ju'il rédigea pour Mazarjn fait con- naître la situation des affaires. 11 les divise en trois chefs, pour me servir de ses expressions. « Le premier, dit Tabbé, regarde le parlement qui se vanic d'éclaler, si la chambre de justice n'est révoquée, pour la révo- cation de laquelle le premier président a éciit en coui-, à ce qu'ils disent. Ils se promettent d'y faire joiiidie tous les autres parlements et espèrent élre protégés pai* les mécontents qui ne sont pas en petit nombre. Le se- cond regarde l'état de la religion qui commence à se bi'ouiller ouvertement, chacun prenant parti, el cela de la même manière que les choses se passènuit en France, lorsque l'hérésie de Calvin fut condamnée; à quoi il se- rait très à pmpos de remédier. Si Son Éminence m'or- donnait d'en conférer avec M. le chancelier, qui es! fort intelligent et très-zélé, l'on pourrait trouver des remèdes à ce mal, qui deviendra grand, s'il est né- gligé; bien entendu toutefois qu'après avoir trouvé les expédients, on les communiquerait à Son Éminence sans Tordre de laquelle rien ne serait exécuté. Le troi- sième concerne l'état du peuple que l'on suscite par toutes sortes de voies en semant dans les esprits de tn»-pernicieuses opinions sur la conduite des affaires, sur Téloignement du roi, sur son éducation et sa ma- nière de vivre particulière. Il arrive ici tous les jours des gens de M. le Prince, surtout depuis que M. le

SUR MCOLAS FOUQUET [us3 241

priiiee de Conli et madame de Longueville ont liberté d'y envoyer qui bon leur semble. » Ainsi, veiller sur le parlement et sur les débris des factions, déjouer les complots tramés par les partisans de Retz et du prince de Condé, tel fut le rôle de Tabbé Fouquel à une époque les passions étaient encore frémissantes, et la Kronde menaçait de renaître de ses ruines.

Tant que la cour habita Paris, le parlement et la bour- geoisie furent paisibles. On n'eut guère à s'occuper que des complots qui menaçaient la vie du ministre. Des émissaires de Condé furent arrêtés et accusés d'avoir voulu attenter à la vie du cardinal. On avait vu récemment un exemple de leur audace. Ils s'étaient îivancés jusqu'à Grosbois, pris de Paris, et avaient en- levé le directeur des posles, nommé Barin. Ils l'emme- nèrent à Damvilliers, et il n'obtint sa délivrance qu'en payant une forte somme d'argent. Il était donc néces- saire d'avoir une police qui prévînt et déconcertât de semblables attentats, ce fut surtout la mission de l'abbé Fouquet. Des lettres interceptées le mirent sur la trace d'un projet d'assassinat contre le cardinal. Il en découvrit habilement les auteurs, dont l'un, grand mai- Ire des eaux et forêts de Bourgogne, se nonmmit Chris- tophe Bertaut, et l'autre était un aventurier appelé Ri- cous ou Ricousse, qu'on regardait comme un émissaire du prince de Condé et de madame de Châtillon. L'abbé Fouquet se chargea de les faire arrêter. « Ricous, écri- vait-il à Mazarin le 16 septembre 1655, est en cette ville (Paris), et s'en ira à Merlou*, s'il peut échapper.

' Terre qui appurtouuil û inaduiiie de Giàtillon.

I. 10

242 MÉMOIRES

S'il plail à Volrt' Éininence de donner à du Moucliet, ehcvau-léger, qui s'est foil bien conduit et avec alTec- tion, huit des gardes de Voire Éminencc, il ira demain, à la pointe du jour, à Pierrefitte*, qui est un passage, où, indubitablement, donnera Ricous. Mouchet le con- naît. J'ai des espions en dix endroits pour l'attraper, el, voyant qu'il y va du service de Votre Éminence, je ne fais autre chose qu'y travailler jour et nuit, et j'ose dirc^ avec assez de risque, puisque, étant découvert, on n'en veut plus qu'à moi. »

Ricous fui, en effet, arrêté ainsi que Berlaul, et lous deux jugés par une cliambre de justice, qui fui établie à l'Arsenal el que présida le chancelier Ségui(»r. L'uhhé Fouquet ne cessa de diriger celle alfaire, connue l'ai- lestenl ses lettres à Mazarin. « J'envoie à Votre Emi- nence, lui écrivit-il le 23 septembre, le sieur du Mou- <;het, qui a fort bien sei*vi dans la prise de Ricous, el par qui l'avis esl venu du lieu il étail. Je l'ai fait con- duire à Saint-Magloire, qui est une prison de laquelle nous sommes assurés, pour de être mené à Vincennes. M. de Breteuil l'a interrogé; il dit qu'il croit que c'est madame de Châtillon qui Ta fait prendre, et dit que les offi'cs qu'il a faites de donner de l'argent au nonmié du Cliesne ont été pour éprouver sa fidélité, et pour voir si, par argent, il pouvait se fier en lui et s'en servir, dés- avouant tout autre dessein. Je ne sais pas ce qu'il dira quand on lui confrontera les lettres qu'il a écrites.

« Je n'écris point celle-ci de ma main, étant bien aise

' Il y ]i Ix'aucoup de lii'ujt <lêsi^iés siouscc nom; il s'aj^it iciili? l'ieirc- litto dans V\ dêparteiiieiit de l'Oi»c anxMidiiweiiieiil de Beauvui^i) .

SUU NICOLAS FOUQUET i«5s, 345

qu'il ne paraisse point que je nie mêle de choses qui ne sont pas de ma profession, à laquelle je ne prendrai point garde, quand il ira du service de Votre Éminence, quoique j'aie appris, depuis votre départ, qu'il y avait des gens auprès d'elle qui m'y avaient rendu méchant office, dont je n'ai point trouvé d'autres raisons, sinon que, la surintendance ne leur valant pas ce qu'elle avait fait autrefois, ils veulent rétablir leurs amis et nous dé- Iruire, (»n commençant par moi et finissant par mon li-ére, ou nous obliger d'acheter leur protection.

« Le nommé Bertaut ne veut point répondre, même au Chàtelet; on prendra le parti de lui faire son procès ( omme à un muet.

« M. d'igby \ sachant que madame de CliAtillon se plaignait du sieur de Cambiac *, que M. d'Amiens a pré- senté à la reine, et qui a promis de n'être plus dans des intérêts contraires à ceux du roi, Ta pris dans le che- min de Pontoise et mené à Merlou pour l'obliger à de- mander pai'don à ladite dame, qui la fait relâcher; on dit qu'elle a la petite vérole et la fièvre continue.

« Je prie derechef Votre Éminence que je ne sois pas nommé dans cette affaire. Le sieur du Mouchet lui fait la même prière pour lui. »

Une seconde lettre du même jour contenait de nou- veaux détails sur le procès instruit par la uhambre de justice. « M. de Nangis, écrivait l'abbé Fouquel, s'en allant demander l'agrément de Votre Eiriinence pour le

* Mylord d'Ighy ou Dijrby pa^isail pour ôlro à celle cpocjuc l'iimanl de luadame de Chàtilloii.

* 11 est déi»i((iié aillcui*» wm le iioui d'abbé de Cambiac.

244 MEMOIRES

régiineiit do Picardie, du prix duquel jai Irouvé, à mon j*etour, qu'il était convenu à vingt et deux mille ùcus, j'ai été bien aise de prendre celte occasion pour l'endre compte à Votre Éminence de ce qui se passe à la chambre de justice. MM. de la Marguerie et Méliand, commissaii'es députés pour instruire le procès de Ber- taut, furent hier à la Bastille, et, n osant faire venii* Bcrtaul, lui firent entendre la lecture de la commission du roi et Tarrét de la chambre. Kertaut demeura for! surpris, et, après avoir fait relire plusieurs foi- ladite commission, il dit qu'il ne voulait point recoiuiaître les deux commissaires pour ses juges; que cela était con traire aux ordoimances et déclarations de Sa Mnjesté, el qu'il éUiit appelant au parlement des procédures faites par le lieutenant civil, et signa ce qu'il dit. Demain ma- lin, la chambre s'assemble, Ion donnera arrêt que Bertaut sera tenu de répondre, sinon qu'on procédera contre lui comme contre un muet. Aussitôt les deux connnissaires retourneront à la Bastille signifier ledil arrêt à Bertaut, et, s'il ïh; répond point, on le jug(»ra connue muet ^ »

L'abbé Fouquet ne cessait de hàler la procédure, le- vant les difficultés qu'elle pourrait présenter, stimulant le zèle des juges, et s'occupant de la confiscation des biens des accusés, dont l'un, Bertaut, avait une fortune» considérable. 11 écrivait le 5 octobi-e à Mazarin : « L'in- terrogatoire d(îs criminels est achevé. Bertaut, qui, aj)rés

* n est reinaniuuble que dix uns plus taitl une autre cliuuibre de jus- tice, siégeant ùrAi*scnul, pmcéda de même contre Nicolas Fouquet, (]u refusait de ivpondre.

SUn NICOLAS KOUQUET lea 245

les protestations, s'était résolu de répondre et l'avait fait, demeurait d'accord qu'il était à M. le Prince, dé- niait pourtant la lettre que les maîtres à écrire ont dit être de lui. Quand on Ta confmnté à Ricous et à du Chesne, qui lui ont sou (enu qu'il leur avait donné de l'ar- gent, il n'a plus voulu répondre, et ses parents ont pré- senté une requéle. Dans une lellre de Ricous, il y a un article il semble envelopper M. le Prince. Je ne sais par quel motif on ne s'est point éclairci de la vérité. Je m'en vas m'appliquer à voir comment on pourra ré- parer la faute ^ Mercredi au plus tard le procès criminel sera jugé; il n'y a plus qu'à en faire le rapport qui ne saurait durer deux matinées. 11 semit bon de songer à la confiscation de ceux qui ont quelque chose. Les juges ont méchante opinion de l'affaire pour les crimi- nels. »

Le lendemain, 0 octobre, le procureur général, Ni- colas Fouquet, annonça ù Mazarin que Tinstruction du procès était achevée, et que les accusés allaient compa- raître devant la chambre : « Hier, après midi, toute la procédure contre Hertaut fut achevée, et, quoiqu'il ertt répondu à l'interrogatoire qui lui avait été fait le jour précédent, si est-ce que, lorsqu'il fut question hier au matin de le confronter avec Ricous et du Chesne, ledit lierlant s'avisa de ne vouloir point prêter le serment el de ne point répondre, croyant parla se garantir. Celte con- frontation ne lui a passans doute été fort agréable, d'autant

* Im» prince do Coiid** no pouvait t^trc iu^v. que par \o parloinont oi 1rs ducs et paii-s. S'il avail clô irnpli(|ur ilans cplli» afTairc, il oîi\ fallu la porter au parlomcnt.

SIfl MÉMOIRES

que lesdilsRiconseldii Chesne sont toujours demeurés fermes dans ce qu'ils disent contre Bertaut touchant Tassassinai. Aussitôt que toute la procédure eût été hier achevée, qui fut environ les quatre heures du soir, M. de la Marguerie m'envoya le procès, comme c'est la coutume et la forme, afin que je prisse dos ccmclusions définitives. J'ai gardé le procès pondant la nuit dernière, que j'ai travaillé à le voir, et ce matin je l'ai rendu audit sieur de la Marguerie tout en état, ne restant plus que le rapport. Sur les dix heures du matin cejourd'hui, on s'est assemblé et on y a travaillé jusques à midi ol demi. Domain, on s'assemble, dès huit heures du matin, pour examiner le procès, et mercredi sans doule on entendra les accusés dans la chambre, et dans le mémo temps les juges opineront. Ce procès est toul à fait bion instruit, ot la preuve est bien établie. 11 ne reste quo l'opinion des juges. »

Comme le zèle de quelques-uns dos commissaires paraissait moins vif au moment de prononcer la con- damnation, l'abbé Fouquet se chargea de les stimu- ler. « Je verrai aujourd'hui, écrivait-il à Mazarin lo 10 octobre, M. de la Marguerie, de la part de Votre Émi- nence. Il semble qu'il se refroidisse un peu, à eo quo m'ont dit deux ou trois de la chambre. » Dès lo lende- main, 11 octobre, la condamnation était prononcée, ot l'abbé Fouquet, en l'annonçant à Mazarin, lui transmol- tait le résumé des aveux arrachés par la torture aux deux condamnés : « J'envoie à Votre Éminenco la dépo- sition que Bertaut ot Ricous ont faite quand on leur n donné la question. Celui qui me parait le plus ohar^^é

SUn iMCOlAS FOIÎQUET ims 447

dedans la suite do l'affaire est le nommé Cambiac, qui, depuis le commencement jusques à la fin, est fort chargé. Madame de Châtillon et le président Larcher le sont aussi, en ce qu'il dit que, Frarin devant assassiner M. le Prince, ils se sont entretenus de quelque dessein contre Votre Éminence, de qui on attend ici les ordres de ce qu'il y a à faire, et si elle juge que Ton doive dé- créter contre eux et continuer Taffaire. Pour moi, je me donnerai l'honneur de lui aller rendre mes respects au premier jour.

« Pour la confiscation do Bertaut, Votre Éminence n a qu'à commander à un secrétaire d'État d'expédier le don en blanc, c'est-à-dire le don des biens, sans spé- cifier la charge qu'il faudra songer à faire supprimer pour la faire après revivre, à cause des créanciers qui feraient opposition au sceau, si Ton donnait les biens. J'expliquerai ce détail à Votre Éminence. Celui quia fait prendre Bertaut me commanda de dire à Votre Émi- nence qu'il lui devait quatre mille livres qu'il demande à présent et promet de grands services. Votre Éminence me commanda de les lui promettre,

« Il serait bon que Votre Éminence fit écrire un mot de remercîment à MM. le chancelier, garde des sceaux *, aux rapporteurs, et à M. de Breleuil, et que ce dernier lut chargé de voir tous les autres juges de sa part en qualité d'homme du roi à la Chambre.

« Comme je finis ma lettre, des gens que j'avais en- voyés pour tenir la main à l'exécution sont revenus.

\.o paille «les sceaux élail loiijoui's Mathieu Mole.

248 MÉMOIRES

Tout s'est pass(î fort doucement. Los lettres onl été l)rû- lées par la main du bourreau, et les criminels on! été étranglés avant que d'être roués. »

Ces exécutions sanglantes, et le rôle qu'y avait joué Jabbé Fouquet, le signalaient à la vengeance du parti ennemi ; il ne Tignorait pas et se tint sur ses gardes. Ses espions l'avertissaient de toutes les démarches do Condé. On prétendit même qu'il avait voulu faire as- sassiner ce prince; l'accusation s'accrédita tellement, que l'abbé Fouquet fut obligé de se justifier auprès du cardinal : « J'ai su, lui écrivait-il le 2 octobre, que Ion avait fait entendre à Votre Eminence que j'avais donné un billet au nommé Lebrun *; et que cela donnait lieu à M. le Prince de se plaindre de vous et au peuple do parler. Je supplie trés-humblement Votre Éminenco do croire que je ne suis pas imprudent jusques au point do confier un billet à un fripon qui trahit son maître, o\ pour un sujet sur lequel Votre Éminenco a toujours dit qu'elle ne voulait rien entendre. Il est aisé de former la bouche aux gens qui parlent autrement qu'ils no de- vraient. Votre Eminence n'a qu'à faire dire à ^f. lo Prince qu'elle ne croit point que j'aie écrit; mais que, s'il se trouve un billet de ma main, comme il en a voulu faire courir le bruit, Votre Éminenco me remottrji entre ses mains, et que, n'ayant jamais entendu par moi aucune proposition sur ce sujet, elle no prend point d'intérêt à la vengeance qu'il en fera; et je puis assuroi* Votre Éminenco que si, après la parole que je lui on

* CVtait un clos espions qnr l'îihbé Foiiqnol ontrolonnil niipiVs du princo «lo Oomlô.

SUR NICOLAS FOUQl'ET ;i6te 249

donne, il so trouve quelque chose conlre M. le Prince écrit de ma main, ou que j'aie jamais vu ce baron de Veillac, à qui M. le Prince a dit que j'avais parlé, je suis prêt de m'aller mettre entre ses mains; ce que je ferais dés aujourd'hui, si je croyais que Voire Éminenco ne me fît pas l'honneur d'ajouter foi à ce que je lui mande.

« Votre Éminenee se souviendra, s il lui plaît, que, de ces sortes de gens, je n'en ai jamais vu que deux, le premier desquels a servi à découvrir récriture de Ber- taut, et, par ce moyen, détourner un homme d'entre- prendre contre la personne de Votre Éminenee; et de l'on est venu à la connaissance de tout le reste. A l'é- gard de celui-là, si ma conduite a été mauvaise, c'a été en ce que je me suis mis vingt fois en danger d'être as- sassiné, me trouvant seul en des lieux écartés; mais, quoi qu'il en puisse arriver, quand je croirai que Votre Kminence affectionnera quelque chose, je risquerai tout pour en venir à bout.

« Pour Lehrun, il s'adressa à M. d'Aurillac, qui est major du régiment d'infanterie de Votre Kminence. Au- rillacle mena à M. d(»Besemaux\ par qui je reçus l'ordre (le Votre. Éminenee de l'entendre. D'Aurillac me dit que, les amis de M. le Prince étant sur le point d'eutrepren- <lre sur Marcoussis, Lebrun en avait fait avertir Son Al- tesse Royale; ce qui fit que l'on prit un peu plus de créance en lui, la créance n'allant pas à lui rien con- fier, mais à l'entendre et à lui donner de quoi subsister.

(ionvornoiir <li* l:i Rastillo.

350 MEMOIRES

Il s*olTrit do se remettre entre les mains du roi tonlos les lois qu'il donnerait un avis jusques à ce qu'il fût exécuté, et fit un écrit que j'ai, par lequel il dit que, pour chaque e4i\alier qu'il fera défaire, il demande une pistole, et un écu par fantassin, et il me dit qu'il était nécessaire que M. de Beaujeu, qui commandait sur la frontière, lui don- nât quelques ca val iei-s pour l'avertir de tout. Je lui dis que j'en écrirais; mais je ne lui donnai aucune lellre |)Our cela. Il fit d'autres propositions qui furent rebutées, et je lui répétai mille fois, en différentes visites, que l'on n'y voulait point songer. Voilà ma conduite sur ce sujet. Si M. le Prince ne m'aime pas, pour ce qu'il me croit à Votre Éminence autant que j'y suis, et qu'il apprend que de temps en temps on a découvert quelque chose de ses mauvais desseins, je ne crois pas que cela me doive être imputé à blâme par Votre Éminence, laquelle je crois me fera bien la justice de ne pas donner lieu à tons les méchants offices que l'on me voudrait rendre là- dessus, ne doutant pas que beaucoup de gens ne m'ac- cusent d'imprudence et de commettre Votre Éminence mal à propos. Je le répète encore à Votre Éminence : je la supplie de m'envoyer pieds et poings liés à M. le» Prince, si tout ce que l'on a dit là-dessus n'est faux.

« J'écris une lettre à un des officiers de l'armée dr M. le Prince et le prie de la lui faire voir. J'en ai donné des copies ici à mes amis, et, si les amis de M. Prince contiinient ici de soutenir que j'ai donné un billet à Lebrun, je supplie Votre Éminence de trouvtM- l)on que je ne le souffre pas. »

Mazarin lui-même avait été impliqué dans cette accu-

SUR NICOLAS FOUOUET i«5.v 2M

sation (le lontative d'assassinaf contre le prince de Condé. Il écrivait, à celle occasion, à l'abbé Fouquel : « Tout le monde doit être assez persuadé que je ne suis pas un grand assassinateur^'ei mes ennemis mêmes me peuvent faire la justice de le croire ainsi. Avec tout cela, le vous assure que j'ai un trés-sensible déplaisir qu'on publie que l'homme que le prince de Condé a fait ar- rêter a déclaré qu'il était envoyé auprès de lui par mon ordre pour lui faire du mal. Le temps qui protège la vé- rité découvrira celle-ci à la confusion dos imposteurs, et, s'il n'arrive audit prince autre mal que celui que je lui ferai par de semblables moyens, il vivra longtemps. 11 ne liendra qu'à lui de faire, s'il veut, avec moi, trêve d'assassinats, et vous tomberez bien d'accord que je ne perdrai rien dans la conclusion de ce traité. »

Quant aux mesures préventives et à la police vigi- lanfe de Tabbé Fouquet, elles obtinrent de Mazarin Tas- senliment le plus complet. « Il ne faut rien épargner, lui écrivait-il, pour découvrir les correspondants de M. 1(^ Prince à Paris, étant certain qu'il y en a beaucoup qui lui écrivent et qui y demeurent pour quelque mau- vais dessein, à ce que vous avez pu assez connaître dans les papiers que M. d'Amiens m'a envoyés. La meilleure diligence est celle que vous faites de faire visiler les ca- baret^s et chambres garnies, et il le faut continuer. » Il ajoutait dans une aufre letlre : « Le capitaine Claude aurait pu découvrir tous les desseins de ceux qui se ca- chent dans Paris, s'il eilt éfé pris, et surtout la per- sonne qui a écrit la dernière letlre que vous savez. C'est pourtant un très-grand avantage que celui que l'on re-

!252 ^MÉMOIRES

çoit de l'épouvante des méchîints^ qui son! relancés pai' vos soins, en sorte qu'ils n'osent pas s'arrêter long- temps dans Paris. Je vous en ai en mon particulier grande obligation. » *

L'ancien parti de la Fronde s'était d'abord contenté de faire des vœux pour le prince de Condé ; mais à peine Mazarin fut-il parti pour l'armée, emmenant le jeune Louis XIV, que les agitations recommencèrent. On crai- gnit même l'arrivée à Paris de mademoiselle de Mont- pensier. Tandis que son père, Gaston d'Orléans, avait, suivant son usage, sacrifié ses partisans et ceux mêmes qu'il avait entraînés dans la révolte, sa fdle étail restée en relation avec le prince de Condé ^ Elle avait le cœur trop noble pour abandonner ses amis, et l'esprit trop romanesque pour ne pas tenter de nouvelles aventnrc^s. L'abbé Fouquet, qui entretenait des espions dans les phis illustres familles, apprit que Mademoiselle avait envoyé un gentilhomme à madame d'Épernon pour la prier de se trouver à Hrie-Comte-Robert *. « Aussitôt, écrit-il à Mas^rin le 30 septembre, j'y ai envoyé un gcMi- tilliomme de mes amis et le sieur du Moucliet, l'un, pour la suivre et l'observer, l'autre, pour me dire c(» qu'il aura appris. Je crois qu'on ne veut point l'arrêter: mais, si Ion prenait cette pensée, il n'y a qu'un officier des gardes du corps qui le puisse». La seule cavalerie

* Mémoires de mademoiseUe de Montpensierj i. H. 11.255-250 (ôdii. Cliaiiviilior).

* Madoinoisollr ne parle pas de ce fail dans ses Mémoires; mais il païaîi bien (îonstalé; cVtail jiar lo duc d'É|XMTion Ini-niAuie qiioralihé Foii(|im'1 élail instruit dos desseins de la pnnresse.

SUH NICOLAS FOUQUET less 255

que Tou a ici, ce sont les gardes du marécliai de l'Hô- pital et ceux de Voire Émiuence, qui sont eu Brie avec leschevau-légers; encore ceux-là sont fort éloignés. Il est nécessaire, si elle venait ici déguisée, que Ton ait des ordres de ce qu'il y a à faire. » Quelques jours après, les craintes que cette dénonciation avait données à l'abbé Fouquet étaient dissipées, ou du moins ajournées. Il écrivait le 50 octobre à Mazarin : « La demoiselle, qui devaitaller à Brie-Comte-Hobert, s'est contentée d'y en- voyer un relais. Elle avaif écrit de sa main une lettre à madame d'Épernon, mais elle a dit à Monsieur qu'elle l'avait brûlée. Madame de Brégy me donna hier avis que la même demoiselle avait dessein de venir en cette ville; qu'elle voulait encore attendre quinze jours, el que le lieu secret elle prendrait ses relais était chez 31. dii Ghemin, trésorier de ladite demoiselle, qui est à moitié chemiti entre le logis de M. de Chavigny, elle <^st, et Brie-Comte-Bobcit, el (jue ledit sieur du Chemin élail celui qui faisait tenir toutes ses lettres. Je ne me suis expliqué à madame de Brégy ni de ce que m'avail dit M. d'Épernon, ni à lui de ce que m'avait dit madame de Brég)', de qui l'on pourrait avoir des avis, beaucoup de gens s'adressant à elle; elle servirai! fort bien, si cîUe voulait présentement.

« M. d'Epernon m'a dit ce matin que M. de Lusignan était un homme dangereux, qu'il n'était point d'avis qu'on le laissât ici, et- qu'il ne savait point s'il avait pris l'amnistie.

« L'abbé Hoquette m'est venu dire qu'il avait appris que Votre Êminence le tenait suspect; qu'il venait of-

2^4 MEMOIRES

frir (le se mettre en cachot s'il avait eu aucune corres- pondance avec M. le Prince depuis qu'il était ^orti de Paris contre le service du roi; qu'il avait toute son at- tache à M. le prince de Conti, duquel il donnerait pai écrit l'assurance qu'il se dégagerait, s'il faisait jamais rien contre le service. »

Ces avis, qui venaient de sources diverses et souveni de grands personnages, prouvent quelles étaient l'activité et rinfluence de labbé Fouquet. 11 ne cessait d'exercer une surveillance active sur Retz, qui avait conservé de nombreux partisans à Paris et dans l'armée des prin- ces, a Je juge, écrivait-il à Mazarin, par une lettre (jue j'ai reçue d'un lieu secret et qui m'est tout à fait assuré, que le cardinal de Retz a des nouvelles, et qu'un honune est allé de sa part à Charleville et à Méziéres. L'on ne m'a point nommé l'homme; mais l'on me donne avis do prendre garde à moi, parce que celui qui y est allé a dil que j'étais celui contre qui il était le plus animé. Il (le cardinal de Retz) donne avis à MM. les gouverneui-s, ses amis, ([u'il ne quittera point sa coadjutorerie et n'ii-ii point à Rome. J'écris pour savoir le nom de celui cpii a passé, et je pourrais môme peut-être bien le faire ar- rêter au retour, si Votre Éminence le trouvait bon. » L'abbé Fouquet s'alarmait des sentiments de pitié qu'ex- primaient les soldats chargés de veiller sur Retz. « M. de Pradelle, écrivait-il encore à Mazarin le 28 septembre, m'a dit que les gardes du corps témoignent avoir grande compassion du cardinal de Retz, et, quand ils parlent de lui, ils disent le pauvre M, le cardinal de Retz^ et que cela vient de ce qu'on ne leur donne pas un denier. Il

SDK NICOLAS FOUQUET I6s% 255

prie pourlant qu*oii ne le cite pas là-dessus. » Mazariii répondit immédiatement (29 septembre) à l'abbé Fou- quet : « Vous pourrez dire confidemment à MM. les surintendants ce que vous me marquez, que vous a dil Pradelle touchant les gardes du corps qui compatissent si fort à M. le cardinal de Retz, afin qu'ils donnent or- dre à leur payement. »

Le parlement avait été si récemment abattu qu'il n o- sait guère murmurer. Plusieurs de ses membres éUiient encore exilés ; le procureur général et son frère veil- laient sur les autres. Le nom du cardinal Mazarin, qui naguère encore soulevait des tempêtes dans la Grand*- Chambre, « y a retenti avec le respect qu'on lui doit, écrivait Colbert à Mazarin dès le 10 mai. M. le procureur général dans sa harangue, M. le président le Coigiieuxel M. Ménardeau ont fortement parlé et fait valoir les suf- frages de Votre Éminence en faveur de la compagnie. » l*eu de temps après, le parlement enregistra sans oppci- sition les lettres patentes qui donnaient à Mazarin les gouvernements de la Hochelle, d'Artois, d'Alsace, etc., et l'autorité de sénéchal dans ces contrées, avec dis- pense d'information de vie et de mœurs et de prêter serment en pei'sonne, ce qui ne s'était jamais vu en pa- reille matière*. « Votre Éminence, ajoutait Colbert, a été servie en celte occasion, comme elle devait l'élit! par M. le premier président, M. le procureur général et M. Ménai*deau, qui en a été rapporteur. »

Loi*squ*au mois de septembre on établit une chambre

* Lcltiv de (ifiUHTt H Maz»riii en date dti 2G jiiillot 1C55<

256 MÉMOIRES

de justice à l'Ai-scnal pour juger Berlaul et Ricous, il y eut quelques murmures parmi les magistrats contre» œ tribunal exceptionnel. Le président de Maisons se si- gnala entre tous et chercha à former une cabale. Mais il n'y avait alors de conseillei^s réunis que les membres de la chambre des vacations, et ils n'osèrent agir en corps. « Jusque présent, écrivait le procureur général le 6 oc- tobre, la chambre des vacations n'a rien fait contre la commission de l'Arsenal. Il y a eu, il est vrai, des re- quêtes répandues au nom de cette chambre ; mais elles sont l'œuvre de quelques particuliei*s. » Ainsi, dans une question qui le touchait directement et en présenct! d'ujie juridiction exceptioimelle, le parlement gardait le silence.

L'Hôtel de Ville n'était pas seulement docile; il se montrait empressé à fournir de l'argent et des véle- ment.s pour l'armée et à venir en aide au trésor public, (iétait encore l'abbé Fouquel (|ui avait négocié celte* af- faiœ avec le prévôt des marchands et le gouverneur de Paris. « Je crois, écrivait-il à Mazarin le 25 septembre, que Votre Éminencc n'a pas sujet d'ôtre mal satisfaite du ce que la ville a accordé au roi, ni de la précaution que j'avais prise, qu'il ne fallait point qu'elle donnât à con- dition de le reprendre sur les cinquante mille écus; elle en prie seulement le roi, de sorte que la chose est en la disposition de Votre Tîminence, aussi bien que d'avoir de l'argent au lieu d'habits, et M. le maréchal de IHôpital m'a dit que l'on pouvait tirer la somme (juc je lui ai dite, de douze mille écus, que l'on aimait autant que ce que la ville avait îiccordé, de sorte que, si Votre

SUR NICOLAS FOUQUET (iws) 267

Emiiience le trouve à propos, il faudrait écrire à M. de l'Hôpital que, les justaucorps ne pouvant peut-être être prêts au temps auquel il est nécessaire de les avoir, la difficulté de les transporter par la saison qui commence d'être mauvaise, fait que le roi se contente du tiere des habits, c est-à-dire de cinq cents justaucorps, bas^ie- chausses et paires de souliers; et que, pour ce qu'ils lui ont donné, qu'il l'estime à douze mille écus et plus, et qu il leur laisse quatre mille écus pour ce tiers, et que la ville lui envoie huit mille écus. M. le maréchal de l'Hôpital et moi croyons qu'il vaut mieux d'en user de la sorte que de demander le tout en argent, outre que l'on pourra encore représenter qu'il y a des draps à Châlons et à Reims, l'on en fera faire. J'attends les ordres de Votre Éminence là-dessus. Ce que l'on fera ici servira d'exemple aux autres villes ; mais il ne faut pas laisser traiter la ville avec des marchands, si l'on veut de l'argent. »

Quelques factieux tentèrent encore d'agiter Paris; mais ils rencontraient une vive résistance et une sévère répressiofi. « On fait ici force cabales, .écrivait l'abbé FouquetàMazarin, pour les rentes de l'Hôtel de Ville; on distribue des libelles, on vole, et même hier au soir (10 septembre! 653) on lira das coups de pistolet dans des cari*osses sans demander la bourse. Je puis assurer Votre Éminence que je ne manque pas ici d'occupa- tion. » Mazarin approuvait fort cette activité. « Il faut, répondait-il à l'abbé Fouquet, réprimer la licence avec laquelle on recommence à parler, à publier des libelles séditieux et à faire de nouvelles assemblées, et en public

I. 17

:S58 MËMOIKES

et en particulier, contre le service du roi ; il i'iuit fairr en sorte que Ton soit délivré de toute inquiétude du côté de Paris pendant labsence de Sa Nfajesté, et procé- der avec la dernière sévérité contre ceux qui s'en vou- draient prévaloir pour exciter de nouveaux troubles. »

L'abbé Fouquet ne manqua pas d'énergie poui' étouf- fer la Fronde renaissante. 11 annonçait à Mazarin la répression des troubles en même temps que leui* com- mencement* : «L'absence du roi avait ameuté quelques séditieux, dont le nombre s'augmentait au Luxem- bourg. Jai envoyé force gens pour les observer; s'en étant aperçus, ils se sont dispersés avec frayeur. Ils se réduisent à quelques libelles, qu'ils prétendent faire imprimer an premier jour contre Votre Éminence. J'en découvrirai les auteurs, et même j'espère en fain» ar- rêter quelqu'un. »

Ainsi tous les détails de la police et de la sûreté gé- nérale étaient abandonnés par Mazarin à l'abbé Fou- quet. Le cardinal lui écrivait encore» le 27 novembi"e : « Si on peut trouver la femme qui parla si insolemment dans l'égliMî Sainte-Elisabeth, on fera bien de la mettre aux Petit(»s-Maisons. Vous ferez ce que Je vous écrivais par ma lettre ci-jointe touchant M. de Lusignan. Il est certain que ça toujours été un fort méchant homme ; mais il ne faut pas donner matière de dire qu'on le re- cherche à présent pour les choses passées. Il faut qu'il paraisse clairement qu'il n'est arrêté que pour ce qu'il a fait depuis l'amnistie, et, en cas qu'il ne se trouve pa^

' 1/ctlre (lu '23 s<epleinbre 1655.

SUR NICOLAS FOUQUE ttss 250

coupable, le roi veut qu'il soit relâché. Il est vrai que. j'ai promis à M. le premier président* de m'employer auprès du roi pour obtenir de Sa Majesté le retour de M. de Thou *, et vous lui pouvez confirmer que, à notre retour à Paris, je ferai en cela ce qu'il désirera; mais il se souviendra aussi que lui et les autres amis dudit sieur de Thou devaient l'obliger à tenir dorénavant une con- duite contraire à celle qu'il a tenue jusqu'ici. Je crois qu'il serait fort à propos de faire faire le procès aux payeurs des rentes qui se sont le plus signalés dans la révolte qu'ils ont voulu émouvoir dernièrement. »

Les fonctions que l'abbé Fouquet remplissait avec un zèle si dévoué lui gagnaient de plus en plus la confiance de Mazarin, mais elles excitaient contre lui l'envie et la haine. Il n'ignorait pas que les accusations de ses enne- mis parvenaient jusqu'au cardinal. Il chargea un de ses agents, qui se rendait auprès de Mazarin, de le dé- fendre, et lui remit un mémoire pour ea justification : « Le sieur Mouchet * m'obligera de dire à Son Éminenee que je l'ai chargé de lui faire entendre que je lui de- mande la grâce de m'avertir de ce qu'on lui dira contre moi, afin quej*aie lieu de me justifier ou d'avouer ce qu'on aura dit; ce que je ferai toujours avec grande sin- cérité, et ferai voir si je lai dit ou fait, à quelle inten- tion je l'ai pu faire, qui ne peut jamais être que bonne,

* Pomponne de Bellièvre venait do remplacer Matthieu Mole, coimnc plumier président du parlement de Paris.

* tn des c[uatre membres du parlement qui avaient été exilés on octobre 1652.

' n a été question plusieurs fois de Moucbet ou du Mouchet, (|ui était Un chovau4éger) dont Tabbé Fou(iuet se servait pour les coups de mahi .

260 MÉMOIRES

et, pour deuxième faveur, je supplie Son Éminence (1 avoir la bonté de demander pour moi la môme grâce au roi et à la reine, parce que, sans cela, je ne saurais m'appliquer à aucune sorte d'affaire, et je m'en retire- rais tout à fait, mon honneur m'étan! préférable à toute autre chose.

« Que si Son Éminence entrait dans le détail de ce qu'on dit contre moi, le sieur du Mouchet lui dira seu- lement deux choses : la première, que Ton a promis de faire entendre à Son Éminence que, pour me rendre nécessaire, j'étais bien aise de brouiller les affaires el de les multiplier. Sur quoi il lui faudra faire observer que, si je me veux éclaircir avec Son Éminence sur cela, ce n'est pas que je craigne qu'on le persuade à mon préjudice ; car il sait par expérience que ce que je fais tend plutôt à éclaircir les affaires et à les terminer qu'à les embi'ouiller et à les nmltiplier ; mais c'est afin que Son Éminence connaisse que ceux qui lui pailenf sont instruits par la cabale, comme nous l'avons re- marqué dans nos dépêches.

« La deuxième, qu'on doit insinuer adroitement dans son esprit que je me fais de fête, que je me vante des services que j'ai rendus à Paris, à Bordeaux, etc. ; que j'ai de l'ambition. A quoi je réponds (|ue je me contente de servir quand l'occasion s'en présente, laissant à Son Éminence à juger avec Leurs Majestés du mérite de mes services, et me souciant fort peu cpi'ils viennent à la connaissance des autres. Si j'étais homme à me vanter de ce que je fais, je n'aurais pas conservé, comme j'ai tait, le secret dans toutes les affaires que j'ai maniées,

SUR NICOLAS FOUQUET (less 261

et notre commerce n'aurait pas manqué d'être décou- vert, depuis un an qu'il a commencé et qu'il continue sans interruption.

« Enfin le sieur du Mouchet me fera plaisir, pour conclusion, de dire à Son Êminence que je n'ai jamais été ni ne veux jamais être à personne, ni dépendre de qui que ce soit au monde que de Leurs Majestés et de Son Êminence. Je sens bien que par je m'attire l'envie de plusieurs ; mais c'est de quoi je ne me mets guère en peine. »

Mazarin se borna à répondre quelques mots de sa main pour prouver à Tabbé Fouquet qu'il appréciait ses services et qu'il le soutiendrait contre ses ennemis : « Je vous prie de vous mettre l'esprit en repos ; car vous êtes trop bien assuré pour que vos ennemis mêmes puissent avoir mauvaise opinion de vous, nonobstant tous les ar- tifices dont on pourra user pour faire soupçoimer quelque chose à votre préjudice. En tout cas, mon amitié ne vous manquera en aucuii temps. »

CHAPITRE XV

1653-1654 -

Administration financière pendant les années 1653 et 1654 racontée par Nicolas Fouqnet. Règlement qui détermine les fonctions de chacun des surintendants. Erreurs du récit de Fouqnet. Embarras finan- ciers pendant l'année 1653, prouvés par la correspondance de Maza- rin et de Ck)lbert. Le cardinal Mazarin se fait traitant et fourni.sseur des armées, sous nn nom supposé. Les surintendants se montrent d'abord assez difficiles, et Colbert s'en plaint. Fouqnet profite d'nno absence de Servien (octobre 1655) pour régler les affaires d'après les désii-s du cardinal. Mazarin exige que les deux surintendants vivent en paix.

Les plus grands embarras de cette époque venaient de la détresse des finances : il fallait pour\'oir à la guerre et à l'entretien des armées, et réparer le mal causé par les troubles des cinq dernières années. C'est alors sur- tout que des financiers intégres et habiles eussent été né- cessaires. Malheureusement Ser\'ien, homme supérieur dans les négociations, était peu versé dans ces matières, et quant à Fouquet, il appliqua tous ses soins à trouver l'argent que demandait le cardinal, sans s'inquiéter de grever l'avenir par les intérêts énormes qu'il fallait payer aux traitants. Lui-même, il prit part à ces prêts usuraires, et entra dans la voie déplorable qui devait

MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUËT ,i6»-i6Si) 363

le conduire à sa perte. Toutefois, il sut pendant long- temps dissimuler ses dilapidations. Il avait beaucoup de ménagements à garder en présence d'un collègue, qui, par son âge et sa réputation, tenait le premier rang. S'ef- facer et attendre que les embarras financiers le fissent re- chercher par Mazarin, tel fut le plan de conduite qu'il adopta et suivit fidèlement en 4655. Si Ton en croyait lapologie que Nicolas Fouquet a publiée sous le nom de Défenses \ il n'aurait pas agi ainsi par calcul, mais par ordre du cardinal. Dans la partie de ses Défenses^ il raconte son administration pendant les années 1653 et 1654, le surintendant prend le ton de l'histoire, et on voit (ju'il aspire à tracer de véritables Mémoires, mais il manque souvent de sincérité.

« Dans cette première année 1653, dit-il *, M. Servien, par ordre de M. le cardinal, agissait seul, réglait les af- faires de toute nature. Je lui disais bien ma pensée ; mais il en usait comme il lui plaisait, ne faisait à mon égard autre chose que m'envoyer les expéditions qu'il avait signées, pour y mettre mon nom, suivant les ordres que j'en avais reçus de M. le cardinal, qui ne s'adressait alors qu'audit sieur SerVien, mon ancien, d'une grande réputation pour la variété et l'importance des emplois par il avait déjà passé.

« Nous eûmes plusieurs différends ensemble, ledit sieur Servien et moi. Il se fâcha que j'eusse écrit de ma main un fonds sur une ordonnance. Nous portâmes nos différends l'un et l'autre à M. le cardinal pour les régler,

* Je mp scnirai do lïMilion de 1605. à la Sphère (14 vol. in-18). Défende*, t. \\. p. 61 pt suiv.

264 MÉMOIRE

et fûmes ouïs ensemble par lui. Ledit sieur Sorvien sou- tenait devoir écrire les fonds fout seul. Je disais, au contraire, que ce n'était pas une prérogative de4'ancien, et que cela devait être fait sans affectation ' par lui, ou moi, ou M. Hervart, selon les occasions, comme avaient fait les précédents surintendants.

« M. le cardinal, prévenu par le sieur Colberl, auquel ledit sieur Hervart faisait de grands biens pour avoir sa protection, régla que, puisque nous ne pouvions nous accorder, nous n'écririons les fonds ni Tun ni Tautre, et que ce serait ledit sieur Hervart, qui les mettrait tous de sa main. Son Éminence le considérant comme un homme de son secret domestique.

« M. Servien porta ce règlement avec beaucoup d'im- patience; il alléguait toujours audit sieur cardinal que M. Her\'art, auquel il était de grandes sommes pour d'anciennes assignations, ayant seul la connaissance des fonds par son registre et écrivant les assignations de sa main sur les ordonnances et billets, était maître de toutes les finances, écrivant fort mal, lui étant facile, après avoir mis un fonds qui ne valait rien en notre pré- sence, et que nos signatures étaient apposées, de le changer, les billets se rompant à l'épargne, et n'y ayant plus de preuve que par son registre. D'ailleurs il l'accu- sait de beaucoup de choses dont il rapportait des cii- constances particulières, et disait que ce règlement était comme entre un maître et son secrétaire, lequel vou- drait prétendre que, à cause qu'il écrit quelquefois des

* C'esl-à-<lire sans altribution spéciale.

SUK NICOLAS FOUQUET (tess-im 265

lettres, le maître ne poun^ait plus écrire de sa main. Cela demeura en cette forme pendant toute Tan- née 1654. »

Si Ton en croit Fouquet, les ressources financières étaient loin de manquer à cette époque * : « Ces deux années, dit-il, on ne manqua pas d'argent; les gens d'affaires payaient ponctuellement et faisaient volon- tiers des prêts et des avances. D'autres particuliers mêmes, en leur donnant des fonds à 1 5 pour 100 d'inté- rêt, ou avec des billets de remboursement de vieilles dettes au lieu d'intérêts, fournissaient des sommes con- sidérables. La raison de cette facilité provenait du ra- idis des monnaies, les pistoles ayant été réduites de douze livres à dix, l'argent blanc à proportion, et la ré- duction ne s'en faisant que peu à peu en divers termes, de trois mois en trois mois ; tous ceux qui voulaient éviter la perte apportaient leur argent avant le terme ou le prêtaient aux traitants de leur connaissance. Ainsi tout le monde avait alors du crédit. Cela dura dix-buit mois et plus, à cause de quelque prolongation du der- nier terme. On atteignit par ce moyen la fin de se[)- tembre 1654.

« Celte facilité fit consommer par avance le fonds des deux années suivantes, 1655 et 1656, et toutes les af- faires dont on avait pu s'aviser. Son Éminence fit payer beaucoup d'assignations des années précédentes, qui n'avaient pu être acquittées depuis les désordres de 1649.

' Défenses^ ibidem^ p. 63 cl siiiv.

266 MEMOIRES

«( Les troupes prirent leur quartier d'hiver dans le cœur du royaume pendant ces deux années 1655 et 1654, et avaient ruiné dans leurs logements tout le plat pays des meilleures généralités. « Le mois de septembre arrivant, il fallait s assurer des fonds pour diverses dépenses pressées, dont le plus grand effort pendant la guerre tombait sur les derniers .mois de Tannée et les premiers de la suivante. Les re- ceveurs généraux avaient fait leurs plaintes publiques de la désolation de leurs généralités et de la perte sans ressource, si on continuait à y mettre des troupes. Les fermiers des gabelles pour les provinces d'impôt repré- sentaient la même chose; les uns et les autres avaient traité des années suivantes , à condition d'en être exemptés, avaient fait leurs promesses pour 1655 et 1656, et les promesses étaient déjà consommées en dé- penses du passé, par la facilité d'en trouver de l'argent. « Les monnaies étant réduites à leur prix, le crédit manqua tout à coup ; la raison qui l'avait fait trouver cessant, les particuliers auxquels on avait racheté des rentes et payé des dettes, comme il est notoire qu'on faisait de toutes parts, se trouvant chargés de leurs de- niers, pour éviter la perte de l'intérêt et d'un sixième de leur bien par cette diminution d'espèces, les avaient donnés, quoique avec crainte, aux gens d'affaires. Mais, faisant réflexion sur la banquei'oute de 1648, aus- sitôt que le prix des monnaies fut fixé, ils ne songeaient plus qu'à les retirer. On se trouva lors en grande» per- plexité; la saison pressait, et de loger encore les troupes dans les provinces pour y consommer les tailles, c'était

SUR NICOLAS FOUQUET [itsi-im] 207

épuiser les provinces, tout révolter et faire une seconde banqueroute aux gens d'affaires, qui avaient avancé les deniers des tailles et payé d'autres sommes pour l'exemption de ce logement.

a Personne ne voulait faire des avances sur 1657, les termes du remboursement étant trop éloignés. D'ail- leurs le crédit était c^ssé, et la parole de M. Servien n'était pas fort bien établie, plusieurs se plaignant qu'il y avait manqué.

a Nous fûmes mandés par M. le cardinal, MM. Servien, Hervart et moi, priés de nous engager chacun en notre particulier et faire les efforts que nous pourrions. M. le cardinal emprunta aussi en son nom, et nous limes tous quelque somme, qui fut bientôt consommée, à cause de la multiplicité des dépenses, tant ordinaires qu'extra- ordinaires, qui s'accumulaient tous les jours. On de- meura tout d'un coup à sec et notre crédit épuisé ; les gardes françaises criaient, les Suisses voulaient se re- tirer, la maison du roi ne voulait plus fournir.

« M. le cardinal proposa plusieurs fois de toucher aux rentes et faire une banqueroute nouvelle; mais il n'osait. On voyait l'orage tout prêt à fondre et tout dis- posé à un nouveau bouleversement. 11 fil tous ses efforts pour persuader aux uns et aux autres de patienter ; il parla aux gens d'affaires lui même, menaça de leur ôter leurs assignations, les fit assembler pour aviser en- semble ce qui se pourrait, et tout cela ne produisit rien, sinon que plus on paraissait alarmé, plus on publiait le mal, et plus les bourses se fermaienl. Le sieur Colbert ne demandait pas les finances alors, et, quand il les eût

268 MÉMOIRES

eues, lui qui veut son compte et sa sûreté partout, y eût été bien empêclié. II se réservait pour la paix, quand il n'y aurait rien à risquer.

« Les choses demeurèrent ainsi jusqu'à la fin de no- vembre, tout étant à la veille d'une confusion plus grande que jamais. En décembre 1654, le sieur cardinal me prit en particulier, et me dit que M. Servien ne ré- pondait nullement à son attente en cette charge; me demanda si je la pourrais exercer seul, et me conjura de l'assister et lui dire mon avis, et qu'il ne me dissi- mulait pas qu'il croyait tout perdu, ne voyant aucuTi fonds certain de deux ans et peu de personnes en pou- voir et en volonté de pi-éter sur des fonds éloignés ; que les moyens extraordinaires étaient pour la plupart épuisés et les succès trop incertains pour y faire quelque fondement, et qu'ayant à prendre des mesures pour de grands desseins de guerre qu'il méditait au printemps, c'était une chose cruelle de n'avoir devant soi aucun fonds assuré, et n'en avoir aucun pour l'avenir. Je lui remis l'esprit, lui disant que je ne jugeais pas les choses si désespérées ni la subsistance de l'État impossible; que je ne m'y étais pas appliqué parce qu'il ne m'avait pas semblé le désirer, et qu'il connaissait l'hu- meur de M. Servien, qui ne s'accommodait pas volon- tiers aux pensées d'autrui ; mais que je n'estimais pas bonne la conduite qu'on avait tenue jusqu'alors, et qu'il n'y avait meilleur moyen pour subsister que d'en prendre une toute opposée ; qu*il fallait ne manquer jamais de parole pour quelque intérêt que ce fût, mais ramener les personnes à la raison par douceur et de leur

SUK NICOLAS FOUQUET [im-im) 269

consenlement; ne menacer jamais de banqueroute el uc parler de celle de 1648 qu'en cas de besoin, et pour la détester comme la cause des désordres de l'Étal, afin qu'il ne pût tomber en la pensée qu'on fût capable d'en faire une seconde ; ne toucher jamais aux rentes ni aux gages el n*en pas laisser prendre le soupçon, atin que la tranquillité et l'affection , qui sont une autre source de crédit, ne fussent jamais altérées; ne point tant parler de taxes sur les gens d'affaires, les flatter el, au lieu de leur disputer des intérêts et profits légitimes, leur faire des gratifications et indemnités de bonne foi quand ils avaient secouru à propos, et que le principal secret, en un mot, était de leur donner à gagner, étant la seule raison qui fait que l'on veut bien courir quelque risque ; mais surtout de s'établir la réputation d'une sûreté de parole si inviolable, qu'on ne croit pas même courir aucun danger.

« Je le convainquis de tant de choses sur cette ma- tière, que, après y avoir bien médité quelques jours, il me dit que j'avais raison, el me pria instamment de prendre soin de tout, et qu'il dirait à M. Servien de me laisser agir. Je lui lis entendre qu'il serait importuné (le nos différends tous les jours, et qu'il nous donnât par écril ce que tious avions chacun à faire, alin que les fautes de l'un ne fussent pas imputées à l'autre; ce qui fut fait. Le règlement est du 24 décembre 1654. » Par cet arrêté, Servien était chargé exclusivement des dé- penses, et Fouquet des recettes ; ce dernier traitait seul avec les fermiers des impôts el les financiers qui fai- saient des prêts à l'État. Ainsi toute la partie délicate

270 MEMOIRES

du système financier était exclusivement attribuée à Kouquet. Voici le passage du règlement qui délei'mine les fonctions qui lui étaient réservées : « Il pourvoira au recouvrement des fonds et des sommes de deniers qui devront être portés à Tépargne, et, à cet effet, ledit sieur Fouquet fera compter les fermiers et traitants, leur al- louant en dépense tout ce qu'ils auront payé en v(?rlu des quittances et billets de l'épargne, expédiés à leur décharge sur les ordres desdits sieurs surintendants. Il arrêtera aussi tous les traités, prêts et avances, exami- nera les propositions de toutes les affaires qui se pré- senteront, fera que les édits, déclarations et arrêts né- cessaires soient dressés, et en fera poursuivre l'einegis- trement partout besoin sera. » Ainsi Fouquet était seul chargé de fournir les sommes dont Senien réglait l'emploi.

« Après ce règlement signé, ajoute Fouquet*, ce n'é- tait pas tout : il fallait de Fargent. L'état des affaires que j'ai représenté ci-devant ne permettait pas d'en espérer. M. le cardinal me dit des choses si extraordinaires que je ne serais pas cru si je les rapportais ; mais sans exa- géi-ation, il me parla comme n'espérant son salut que de moi et n'ayant d'autre ressource à sa fortune et à son ministère que mon zèle au service du roi, mon af- fection et ma reconnaissance pour lui en son particu- lier, mes soins et mes engagements personnels et de tous mes amis, m'offrant aussi quand je voudrais, m'au- toriser, de la part du roi, pour tout ce que je voudrais

* be'feiues, t. U. p* 71.

SUU MCOLAS FOUUUET ifsj-iesi 271

faire, et me laissant maître absolu (raccorder telles re- mises, donner lels intérêts et telles gratifiaitions qu'il me plairait, et généralement faire tout ce que je juge- rais à propos, pourvu qu'on tirûl les sommes indispen- sablement nécessaires, dont il me donnerait des étals par chacun an, moyennant quoi il consentait que je lisse du reste comme je l'entendrais. Ce son! choses vé- ritables, dites en présence d'aucunes personnes, répé- tées en plusieurs de ses lettres, écrites par MM. Rousse- reau ou Roze, ses secrétaires, (pii ne peuvent être ignorées de MM. de Lyonne, le Tellier et Colberl, (;t de M. de Fr(»jus*, si constantes et si publiques que, quand même on ne voudra pas me l'eprèsenter mes lettres, personne n'en pourra douter.

« Peu de jours après % il m'envoya Tétat général des sommes dont il voulait que je fisse le fonds en argent comptant par chacun mois, pour la guerre, les vais- seaux, les galéi'es, l'artillerie, les fortifications, et un autre état ]>our toucher pareillement en argent coiii|)- taiil d'autres sommes par mois pour les dépenses des and)assa(leurs, pensions étrangéi'es, ligues de^ Suisses, jeu et divertissement du roi, balleis, comédies, deuil de la cour, renouvellement de meubles, vaisselle et choses semblables; de toutes lesquelles dépenses il se char- geait à forfail en gros, sans entrer avec moi «lans le dé- tail de chacune. 11 voulait que les sommes en fussent payées manuellement îi ceux qu'il commettait pour cet effet, argent comptant, aux termes portés par lesdits

> L'(';YÙ(iue do FrôjusfMnil ÏAm\;o Oiidcdci, paront du cardiiiid MaziU'iii. Dtffenies, t. Il, p. 72-73,

272 MÉMOIRES

états, sans vouloir prendre d'assignations, observer les formes ni faire expédier les ordonnances et quittances des parties prenantes, le tout ou la plupart se recevant par des commis sur des récépissés et promesses de tenii- compte et fournir décharges, ou sur des ordonnances de comptant, lesdites décharges ne se rapportant que longtemps après, et quelques-unes point du tout. »

Le récit de Fouquet sur son administration financière jKîndant les années 1655 et 1654 ne peut être admis sans examen. 11 importe de rechercher la part de la vérité et celle de l'invention, en s'appuyant sur des documents qui n'ont pas été fabriqués après coup dans l'intérêt d'une cause. Telle est, par exemple, la correspondance de Mazarin et de Colbert. II en résulte, si je ne me trompe, que plusieurs des assertions du surintendant sont inexactes. Ainsi, en 1653, les finances, bien loin d'avoir été dans un état prospère, comme le prétend Fouquel, étaient si misérables que, dans les besoins les plus pressants, on ne pouvait trouvc^r à l'épargne la somme de cent mille livres. Il fallait, pour se la procu- rer, engager les pierreries du cardinal et emprunter à (les partisans, qui s'indemnisaient ensuite liugement aux dépens du trésor public. Quant à Fouquet, s'il parut d'abord s'effacer devant son collègue Servien, c'était pour se faire rechercher. Servien était probe, mais brusque et dur; ses manières éloignaient les gens d'affaires, que séduisait l'affabilité de Fouquet. Servien n'entendait rien à cet art dangereux de procurer des ressources à l'Etat, en engageant l'avenir et en livrant ù vil prix les fermes des impôts pour un grand nombrtî

SUR NICOLAS FOUQUET (lesy-iew 275

d'années. Fouquet le laissa aux prises avec le cardinal, qui se lassa bientôt de sa roideur ; puis, profilant d'une absence de Servien, il montra la souplesse et la fécon- dité de son génie financier. Voilà ce qui résulte des lettres de Mazarin à Colbert; ce dernier était alors chargé de Tadministration des biens du cardinal, et il lui servait d'intermédiaire dans ses relations avec les surintendants. C'est à Colbert que Mazarin ouvre son cœur et dévoile ses pensées les plus secrètes, avouant même ses défauts ' et se laissant gourmander par son confident*.

Au sortir de la Fronde, les gouverneui's de villes et de provinces se regardaient encore comme indépen- dants, et il fallut plus d'une fois acheter leur soumis- sion. L'un de ces gouverneurs, Manicamp, refusait de rendre la Fére-Champenoise, place d'une haute impor- tance à une époque la frontière septentrionale de la France était menacée par une armée espagnole. 11 fallut, pour le décider à ouvrir les portes de la ville à l'armée royale, que Mazarin lui promit une somme con-

* Mazarin ('crivait à Colbert le 16 oclobre 1655 . « J'ai cinquante ans; j'ai eu plus de nécessités que je n'en ai à cotie heure, et il n'a pas élé en mon pouvoir de nietire mes afrnires en Um état. 11 faut que vous sup- pléiez où je mauipie, et que vous ne pi*étendiez pas exi^rcr de moi cer- tains soins qu'il ne m'est pas possible de donner à mes intéi*èls paili- culiei's, (pie je suis en possession, il y a longtemps, et par mon naturel et par l'habitude, de négliger pour les affaires publiques. »

' Colbert repi-ochait surtout à Mazarin sa facilité à faire des promesse^^ d'argent : a La ciunpagne dernière, lui écrivait-il le 7 juin 4654, Votre Eminence a fait deux promesses de 2i, 000 livres chacune (je la conjure, s'il SI' peut, de n'en point faire celle-ci) : l'une à M. le maréchal d'Est l'ces pour M. de Manicamp, l'autre à M. de Bordeaux. Pour celle-ci, j'(*spère ({ue Votre Enmiincncc la i*ctirera. »

I. 18

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sidéi'abie. Il écrivait à cette occasion à CoIIjcH, le 18 juillet 1655 : « Pour avoir la Fère et leuir la pan>Ie que j'ai donnée par le moyen de M. le maréchal d'Es- trées, il faut payer cent cinquante mille livres, et, afin d'achever cette affaire, sans qu'il puisse être exposé à aucun inconvénient, il faudrait que ladite somme lut prèle dans tout le jour du dimanche prochain. J'en écris un mol à MM. les surintendants, et je vous prie, en leur rendant le billet, de les conjurer de ma part à faire un effort en cette rencontre, pour leur faciliter \v moyen de la trouver; mais, en cas qu'il ne leur fût pos- sible de la faire ou en tout ou en partie, je vous prie de prendre d'autres mesures et vous employer en soi-le, soit m engageant mes pieiTeries, soit en vous préva- lant de l'argent que j'ai à Lyon, que cette sonune puisse être prête dans le temps marqué ci-dessus, et nous fe- rons nos diligences, afin que les louis soient reçus à douze livres. Celle affaire est si importante iK)ur le roi et si bonne pour moi, que je m'assure que vous n'ou- blierez rien pour la faire réussir. »

Il ajouUiit encore à la fin de la lettre : « Je vous fais ce mol à part pour vous dire que, en cas que MM. les surintendants, à qui vous ferez voir la lettre ci-joinle, ne se disposent à envoyer les cent mille livres, je désire que vous n'oubliiez rien pour m'envoyer en toute dili- gence ce que vous j)ourrez, vous senant [K)ur cela des expédients que je vous écrivis et d'autres que vous ju- gerez à propos ; mais je ne doulc pas que MM. les surin- tendants ne fassent rim[)ossil)le en celte rencontrée Vous vous souviendrez aussi de leur dire que, outre les cent

SUR NICOLAS FOUQUET (iw»-16m; 275

iriille livres, vous en chercherez cinquante mille pour acquitter les lettres que je tirerai sur vous pour payer ceux qui les auront prêtées, afin que mesdits sieurs les surintendants fassent un fonds pour cela. Il sera bon de. dire à la reine de les presser, en cas qu'il en soit besoin, (»t que Sa Majesté croie que nous faisons une bonne af- faire et très-importante pour le service du roi. »

Le lendemain, nouvelle lettre de Mazarin plus pres- sante. « L'affaire est très-délicate, écrivait-il à Colbert le 19 juillet, à cause du peu de confiance qu'on peut prendre en Manicamp, si le roi s'éloigne une fois de ces quartiers-ci sans qu'elle soit achevée, d'autant plus que les ennemis ne sont pas trop loin, le prince de Ligne se ti'ouvant avec un corps à portée pour se pouvoir jeter dans la Fère en une marche. Tout le monde a été d avis, et moi plus que personne, de conseiller le roi à faire mettre toutes pièces en œuvre pour obliger Manicamp à sortir de la Fère dès aujourd'hui avec sa garnison. El, comme j'avais écrit à M. le maréchal d'Kstrées qu'on ne prétendait pas cela de Manicamp, qu'il n'eût sa récom- pense, soit par le moyen du gouvernement de Saint- Quentin avec quelque argent, soit en l'équivalent, qui serait de cinquante mille écus au moins, j'ai dépéché audit Manicamp cette nuit un gentilhomme qu'il avait envoyé ici i)Our faire quantité de demandes et [»rendre lem|)s à remettre la place, et j'ai déclaré de la jKirt du roi et en la présence de Sa Majesté audit gentilhomme, à M. de Braîicas, avec qui il élait venu, et à M. le maré- chal d'Eslrées, à qui il était adressé, que le roi voulait coucher ce soir à la Fère; qu'il n'y voulait trouver au-

276 MÉMOIRES

cune garnison; que dès aujourd'hui on donnerait ici à Ja personne que ledit Manicamp nommerait la somme de cinquante mille écus en argent comptant; qu'il . pourrait entrer dans Chauny, s'il voulait, pour y com- mander dès à présent, et avec permission de récompen- ser le gouvernement de son argent, en cas qu'il ne pût pas traiter de celui de Saint-Quentin, qui sont les choses qu'on lui avait promises; que je ferais une ohligation particulière à M. le maréchal d'EsIrées pour la somme de vingt-deux mille six cents livres, payables dans cette année pour le remboursement de quatre mille écus que Manicamp, entrant à la Fère, paya pour la récompense du lieutenant de roi, dont il a l'assignation dans le Soissonnais, et pour dix mille six cents livres (|ui lui sont dues par sa place, et que MM. les surintendants eurent dernièrement ordre du roi de payer; que M. le maréchal d'Estrées, ayant mes promesses, lui ferait la sienne de ladite somme en son propre et privé nom, et qu'au surplus le roi ne voulait pas lui accorder aucune des autres choses qu'il demandait, ni différer seulement jusqu'à demain son entrée dans la Fère.

« En suite de quoi Sa Majesté ordonna, en la présence dudit gentilhomme de Manicamp, cpie les maréchaux des logis allassent faire son logement à la Fére, et que les gardes partissent dés le lendemain pour s'y en allei*, comme il a été exécuté.

« L'on avait déjà dépêché dés hier à l'armée pour lu faire évacuer, et nous croyons qu'elle pourra étrcî le soii- à Marie, et ayant aussi fait arrêter M. de Bar, qui a mille chevaux auprès de Saint-Quentin, nous avons, pai-

SUR NICOLAS FOUQUET (i8o-ic54) 277

ce moyen, pris les précautions nécessaires pour faire obéir le roi par force, en cas que Manicamp refusât de le faire volontairement.

« Je vous mande tout le détail de cette affaire, afin que vous en informiez la reine et MM. les surintendants, les conjurant, de ma part, le plus pressamment qufe vous pourrez de faire un effort pour nous assister en ce ren- contre, en quoi vous contribuerez ce qui pourra dé- pendre de vous, leur donnant même mes pierreries, afin q'u 'ils puissent trouver de l'argent dessus, ainsi que je vous écrivis hier plus particulièrement. Vous direz aussi à MM. les surintendants que j'emploie au payement de la somme qu'on doit donner à Manicamp les vingt-deux mille écus qu'ils ont envoyés par un commis de M. de la Bazinière, les deux mille louis qu'ils firent donner au roi parGirardin, les mille louis que vous me donnâtes en partant avec cinq mille que j'avais encore dans ma cassefte, et que, pour le surplus, je travaille avec M. le Tellier pour voir si on le pourra trouver parmi ceux qui sont à la suite de la cour, et déjà je me suis assuré de plus de quinze cents louis par MM. de Villeroy, de Ro- quelaure, de Créqui et de Beringhen, et, s'il me manque quelque chose pour parfaire la somme, je tâcherai de le faire contenter d'une lettre que je lui donnerai sur vous, payable à vue, dont M. le maréchal d'Estrées lui répondra.

« Cependant la vérité est que, le soir après payement, il n'y aura plus un sou à la cour, non-seulement pour donner à l'armée ce que MM. les surintendants avaient envoyé, mais même pour subsister. C'est pourquoi je

S78 MÉMOIRKS

VOUS prie, sans perdre un moment de temps, de presser MM. les surintendants de nous envoyer \m prompi se- cours au moins de cent mille francs, et, s'ils veulent mes pierreries pour avoir plus de facilité de trouver cette somme sur-le-champ, vous les leur donnerez. Avec cetto k)mme on pourvoira à ce qui sera nécessaire pour les travaux et pour Thopital, pour faire quelque gratifi- cation aux principaux officiers des régiments auxquels on Ta promis à Paris et pour donner lieu au roi (rem- ployer deux mille pistoles, comme il avait résolu de faire, aussi bien que pour rendre une partie de ce que j aurai emprunté aux personnes ci-dessus, qui en au- ront besoin pour leur subsistance. En cas qu'on ne jnll pas trouver à Tinstant ladite somme entière, il faudrait au moins en envoyer demain la moitié droit à la Fère, et, le jour suivant, le reste; et on pourrait prendie quelques gardes de la reine pour en assurer la voiture», n'oubliant pas de recommander à ceux qui en seront chargés de marcher avec toute la diligence possible, vous priant d assister de votre cùté MM. les surinten- dants en tout ce que vous pourrez, afin que Ton gagne des moments dans Texécution de ce que dessus. »

Mazarin s élait chargé, pour cette même année 1655, de la fourniture du pain de munition à l'armée de Champagne. Il se faisait traitant sous un nom supposé, et espérait réaliser des bénéfices considérables; mais pour cela il avait besoin de la connivence des surinten- dants. Il rencontra d'abord une résistance qu'on ne peut attribuer qu'à la rigide probité do Servien. Col- bert s'en plaignit vivement : « Le malheureux pain de

SUR NICOLAS FOUQUET ften-iesi 279

munition de Champagne, écrivaii-il à Mazarin, nous va accabler par la dépense des mois de mai, juin, juillet, que l'on doit demander dans peu de jours, sans avoir moyen d*en fournir. Votre Éminence s*est toujours voulu charger de la sollicitation de cette affaire. Je voudrais bien qu'elle se voulût charger aussi du payement. » Le lendemain, Colbert revenait encore sur cette affaire : a Au nom de Dieu, je conjure Votre Éminence de me permettre d'écrire à M. de Faberl que MM. les gouver- neurs des places frontières députent ici pour presser MM. les surintendants de pourvoir à leur pain pour les cinq mois qui restent de cette année, et d'en avertir aussi mesdits sieurs les surintendants. Votre Éminence doit bien connaître que cette affaire ne lui peut être qu'à charge ; et, par ainsi, le plus tôt que nous pourrons nous en défaire, ce ne sera que le mieux, bien entendu qu'il ne faut pas se déclarer de ce dessein qu'après avoir eu les assignations, pour prendre les meilleures pour remboursement de ce que nous avons avancé. »

Enfin, le 26 juillet, il écrivait encore sur celte matière avec une nouvelle insistance, et, en se plaignant des sur- intendants, qui ne voulaient pas satisfaire à toutes las exigences du cardinal : « Je conjure une seconde fois Votre Eminence de me permettre de déclarer à MM. des finances qu'elle ne pourvoira plus au pain de Cham- pagne, et d'écrire la même chose sur la frontière, afin que nous sortions une fois pour toutes de cette sollici- tude. Votre Éminence se peut tenir quitte dos remercî- menls qu'elle avait dessein de faire à MM. les surinten- dants. Il est vrai que les cinq cent mille écus de

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remboursement sont assignés sur la généralité de Paris pour 1654. L*on vient à bout avec force de tout ce qwo Ton demande à longs jours, à la charge que ce que Ton donne se trouvera diverti * à point nommé. Pour tout ce que l'on demande comptant, Ion vous donne des traites de l'élection d'Issoudun, de Coquerel et autres de môme nature, que Ion n'oserait avoir offert au demie?* homme du royaume. »

Mazarin, en répondant à c^tte lettre le '25 juillet, se rx)ntentait de dire : « Je serai à Paris dans trois ou quatre jours; je verrai avec vous de quelle manière Ton en devra user. » Il paraît que, dans ces conférences avec les suiintendants, Mazarin trouva plus de souplesse chez Fouquet ; car ce dernier devint, dès lors, le principal confident du cardinal pour les questions luiancière^s. Une lettre de Mazarin à Tabbé Fouquet, du 30 septem- bre 1653, en fournit une preuve, en même temps qu'elle constate la détresse des finances : « Je vous fais ce mol à part, écrivait le cardinal, pour vous dire que j'ai été surpris au dernier point lorsque j'ai vu, par la dé- pêche que je viens de recevoir de MM. les surintendants, qu'ils retranchent deux millions de la somme qu'ils avaient tant de fois promise pour le quartier d'hiver des troupes; et, ce qui augmente mon déplaisir, c'est que, nonobstant que deux termes soient déjà échus, on n'ait pas envoyé un sou pour commencer à donner aux troupes de quoi subsister, entrant en quartier. J'ai écrit à ces messieurs les surintendants, me plaignant extrêmement

* C'esl-à-dii*e dépensa, employé à d'autres usages.

SUR NICOLAS FOUQUET (tess-iesv 281

de ce qu'ils aient changé pour la somme et pour le temps, et, comme M. le procureur général m'a parlé si positivement sur cette affaire, et que vous m'en avez écrit en termes trés-précis de sa part, je vous ai voulu faire part de mon déplaisir, afin que M. le procureur général en ait connaissance, étant persuadé qu'il n'ou- bliera rien pour y remédier, puisque, sans exagération, il n'y a rien de si important. Je serai le premier à opi- ner qu'il faut renvoyer les troupes, si on ne leur envoie de quoi s'entretenir et se fortifier sur la frontière. Le plus grand inconvénient de tous, c'est que le roi manque de forces pour rétablir son autorité et contraindre les ennemis à la [mix. » 11 résulte de cette lettre que, dès 1653, Nicolas Fouquet était celui des surintendants dans lequel Mazarin avait le plus de confiance. Il la justifia en lui fournissant les fonds qu'il désirait. Ck* fut pen- dant une absence de Servien, qui avait été mandé par le cardinal au commencement d'octobre, que l'affaire fut conduite par Fouquet avec la dextérité dont plus lard il donna tant de preuves. A cette occasion, un des confidents du cardinal écrivait à Colbert le 12 octobre * : (( Vous pourrez dire à M. le procureur général qu'il n'a pas perdu son temps durant qu'il a été seul. Il le peut connaître par la lettre que Son Éminence vous écrit, outre ce qu'elle lui mande à lui-même. » Mazaiin par- lait dans le même sens à l'abbé Fouquet : «Je suis trés- obligé à M. le procureur général de la manière dont il en use et pour ce qui regarde le service du roi et pour

» B. I. Mss F. Bahize.

282 MÉMOIRES

mes intérêts particuliers. Je l'en remercie par la lellre que je lui écris ; mais je vous prie de lui témoigner en- core le ressentiment que j'en ai- »

Quelques jours après, le cardinal exprimait son con- tentement dans une lettre à Colbert en date du 16 oc- tobre : « Je vous dirai que je suis très-aise de voir que vous avez mis en l)on état les affaires que vous pour- suiviez auprès de MM. les surintendants, ne doutant pas que M. Servien ne concoure à ce qui a été fait par M. le procureur général. » Le 10 novembre, Mazarin, écrivant à Tabbé Fouquet, parle encore de son frère en termes qui prouvent qu'il était satisfait de sa conduite : « Je vous prie, lui disait-iP, d'assurer M. le procureur gé- néral de mon amitié et service, et lui dire qu'il importe extrêmement que je sache au plus tôt si les deux termes des quartiers d'hiver sont prêts, comme on m'a promis et comme j'en ai assuré toutes les troupes de la part du roi. »

Enfin un des confidents de Mazarin disciit le 18 no- vembre 1655 à l'abbé Fouquet : « Il (le cardinal Maza- rin) m'a fort demandé comment MM. les surintendants vivaient ensemble, et m'a dit qu'il fallait qu'ils se missent tous deux dans l'esprit de ne se pouvoir pas dé- truire l'un l'autre. Je ne puis pas vous mander tout détail de cette conversation, mais j'y ai fait mon devoir: et, voyant qu'il penchait un peu à croire que vous seriez celui qui vous accommoderiez le moins bien avec M. Servien, je l'en ai détrompé et lui ai dit qu'il ne se

B. ï. F. Gaifmièi-os, n' 2799. 107.

SUR NICOLAS FOUQUËT (less-ieBv) 285

pouvait rien ajouter aux avances que vous aviez faites pour bien vivre avec lui; que j'étais assuré qu'elles étaient sincères et que vous ne commenceriez pas le premier à rompre. » Il résulte de toutes ces lettres que, bien loin de s'effacer devant son collègue, Fouquet de- venait peu à peu le personnage principal dans Tadmi- nistration des deniers publics. Mazarin avait reconnu en lui le financier peu scrupuleux et fécond en expé- dients, dont il avait besoin pour fournir aux dépenses de TElat et élever sa propre fortune. Les deux Fouquet lui rendaient d'ailleurs d'autres services, Nicolas comme procui'eur général, et Tabbé comme chargé de Tadmi- nistralion de la police.

CHAPITRE XVI

Élat de la Franco en 1654 : elle est inenac<*e à l'extérieur et Irouhlée à l'intérieur. Le surintendant Nicolas Fouijuet fournit de l'arfrent pour l'entretien de rarniée : création de quatre nouveaux intendants des finances. Translation du cardinal de Retz de Vincennes au cliilteau de Nantes (SOmai-s;. Son évasion (8 aortt). Son projrl audacieux; il ne peut l'exécuter. Agitation à Paris à la nouvelle de cette éva- sion. — Te Deum chanté par ordre du chapitre; lihelh's publit^; Ma- zarin (^t pendu en eftipie. I/ahbé Fouqucl lui donne avis de lelat de PîU'is. Tramiuillité de Mazarin. I^es chanoines et les curés les plus factieux sont mandés à Péronne. Lettre de Mazarin à l'abhé Fouquel en date du 24 aoilt.^ur les mesures adoptées. Victoire rem- portée par l'armée lrançai.se le 25 août. Mazarin s'empresse dr l'aïuioncer à labb*^ Fouquet. Il ne témoigne que du mépris pour les manifestations turbulentes de Paris. Fuite de Retz, qui se retire en Espagne, puis à Rome. La coiu' revient à Paris 5 septembres. Nouveau règlement pour les députés des rentiers qui sont nommés par le mi sur une liste présentée par le prévtU des marchands, les 1^:110- vins et les conseillers de ville. Nicolas Fouquet achète les principaux nuMnbrcs du parlement.

L*année 1654 fut une des plus critiques pour Maza- rin. L'invasion du prince de Condé dans l'Artois à la tôte d'une armée espagnole, et la fuite du cardinal de Retz, menacèrent en môme temps la sécurité des frontières et la tranquillité intérieure. Le surintendant

MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET [im] 285

Nicolas Fouquet fournit l'argent nécessaire pour opposer à Condé une armée victorieuse. De son côté, l'abbé Fouquet travailla avec succès à réprimer les mouve- ments séditieux.

Dans la détresse du trésor royal, Nicolas Fouquet eut recours à une mesure trop souvent employée sous l'an- cienne monarchie. Il créa de nouvelles charges et les vendit aux plus offrants. On ajouta quatre nouveaux in- tendants des finances aux huit qui avaient été établis l'année précédente^ : le premier nommé fut un maître des requêtes, appelé Paget. Les autres charges furent laissées au choix des surintendants, à condition qu'ils tireraient de chacun des nouveaux intendants une somme de deux cent mille francs. C'était toujours Fou- quet qui, dans ces affaires, avait le principal rôle. Ma- zarin, qui s'était rendu à Sedan, écrivait le il juillet à l'abhé Fouquet : « Je suis fort obligé à M. votre frère des pensées qu'il a pour faciliter le remboursement des cinquante mille écus que j'ai avancés aux officiers de l'armée, et je vous prie de l'en remercier. Je m'étonne que M. Servien ne lui ait encore rien dit des in- tendants. Loi'sque j'ai écrit sur cette matière, ça tou- jours été en commun. L'on envoie à présent la com- mission pour M. Paget et une autre en blanc, que les surintendants pourront remplir de (juehjue personne qui se trouvera capable [)our cela et qui doimera les deux cent mille livres en argent comptant. Quand cc»s deux charges seront remplies, on se défera plus aisé-

' Vuy. plus haut, p. 25C.

286 MÈSlOIKEh

ment des deux autres, pour lesquelles il sera aisé de faire expédier les commissions, et on pourra songer en- suite à les faire ériger en titres d'offices en finançant, ce qui pourra être une affaire qui produira quelque bonne somme. »

Les surintendants vendirent les ti-ois charges laissées à leur disposition aux sieurs Boisiéve, Houssel et Brisa- cier*. Le premier était un avocat au conseil, qui avail pris part aux traités pour la fourniture des vivres. Uousset avait été trésorier des parties casuelles, c'esl-à- dire chargé de recevoir l'argent que vei'saient au ti'ésor les magistrats pour devenir propriétaires de leurs char- ges. Enfin Brisacier avait été successivement connu is du comte de Brienne, secrétaire dÉlat chargé des af- faires étrangères, puis maître à la Chambre des comptes. Ce fut grâce aux huit cent mille livres que produisit la vente de ces charges que Mazarin put entretenir l'armée avec laquelle il tint tôte aux Espagnols.

En même temps que le surintendant fournissait des fonds pour conlinuer la guerre, l'abbé Fouquet veillai! à la sûreté intérieure. « J*ai toule la reconnaissance possible, lui écrivait Mazarin le 7 août, de l'amitié <}ue vous continuez de me témoigner, et vous croirez bien que je ne suis pas sans inquiétude des mauvais desseins que Ton a contre vous, dont j'espère néanmoins que vous saurez bien vous garantir. J'ai été bien aise de voir ce que M. le procureur général m'a écrit sur l'arrêt (|ue le parlement a donné touchant les syndics. On considé-

' Journal inédit de 1648 a 1657, Bibl. iiiip. ms. ii^ 1238, D [bU , 1^ 170- 171.

SUR iMCOLAS FOUOUëT isu 287

reia toujours pailiculièrenieut on ces inaticreirlù Tavis (le M. le premier président et le sien. Je vous envoie le billet pour la résignation de Tabbaye de Noailles. Je vous adresse aussi la réponse que je fais à M. révéc|ue d'Avranches et la lettre de cachet poui* la préséance du sieur de Boisiève sur le sieur Housset, me remettant du surplus à la vive voix de votre secrétaire. Je vous envoie la lettre ci-jointe pour M. de Sève, que le roi a choisi |H)ur remplir la charge de prévôt des marchands. Il ne le sait pas encore, et je vous adresse cette letlre, afin que, la recevant de votre main, cela l'oblige de lier une plus étroite amitié avec M. le procureur général et NOUS. Je lui mande qu'il tienne la chose secrèle jusqu'à ce qu'on lui rende une lettre du roi qui la déclare |)ubliquement ; ce (jui sera dans deux jours au plus lard. »

VeiN celte époque, la fuite du cardinal de Uelz vint fournir aux deux Irères une nouvelle occasion de si- gnaler leur zélé. Cette ciise fut une des [)lus dange- reuses que le cardinal eu! à travei*ser depuis la Fronde. Uetz avait conservé de nombreux amis, dont le dévoue- ment éclata suilout à loccasion de son emprisonne- ment à Vincennes. MM. de Caumartinet d'Hacqueville se signalèrent entre les plus ardents. Le clergé de Paris ne cessa de faire des prières publiques pour la déli- vrance du cardinal de Relz\ pendant que le nonce adressait au roi des remontrances en sa faveur*, et

* Mémoires du cardinal de Retz. l. IV. p. 173. Uàid.. p. 180

288 MÉMOIRES

que ses gardes mêmes s'attendrissaient sur son sort^ Plusieurs d'entre eux se laissèrent gagner et remet- taient à Retz des billets de ses amis*. Il était parfai- tement au courant de la situation de Paris et de l'armée des princes. Les gouverneurs de Méziéres, de Charlc- ville et de la forteresse appelée le mont Olympe (non loin de Charleville) promettaient de le soutenir. Les curés de Paris, à l'exception d'un seul, le curé deSaint-Bar- thélemy, lui étaient dévoués, et, dès que l'archevêché de Paris devint vacant par la mort de son oncle(20 mars 1654), il en prit possession par procureur.

L'agitation que les partisans du cardinal de Retz en- tretenaient dans le royaume inquiétait Mazarin. 11 en- tama avec lui une négociation, par l'intermédiaire du premier président de Belliévre, pour obtenir sa démission de l'archevêché de Paris. A cette condition, il lui pro- mettait la liberté et de riches bénéfices. L'abbé Fouquet s'opposa énergiquement à ce projet^, et, n'ayant pu en détourner Mazarin, il employa un des gardiens de Retz pour l'empêcher de donner sa démission. C'était ce même Pradelle, qui était plus à l'abbé Fouquet qu'à Mazarin, et qui savait que son protecteur ne voulait en aucune manière la liberté de Retz*. Ce dernier, après avoir quelque temps hésité, se décida enfin par cette considération qu'une démission donnée au donjon de Vincennesne l'engageail à rien. Rassuré par cette res-

* Voy. plus haut, p. 25 i.

* Mémoires de lietz, ibiil., p. 177 etsuiv '-Ibid.y p. 195.

* Ibidem.

SUR NICOLAS FOUyUET ,1854) 289

triction mentale, Retz accepta les conditions imposées, sortit de Vincennes le 50 mars 1(354, et fut confié à la garde du maréchal de la Meilleraye, qui le conduisit au château de Nantes pour y demeurer prisonnier en atten- dant que sa démission eût été acceptée par le pape*. Mais Innocent X ayant refusé son approbation au traité, la cîiptivité de Retz se prolongea jusqu'au moment où, se- condé par des amis dévoués, il parvint à s'échapper du château de Nantes (8 août 1654).

I/intention de Retz était de se rendre directement à Paris, de s'y faire installer comme archevêque dans la cathédrale, et de braver plus audacieusement que jamais l'autorité du roi et du ministre. Les circon- stances semblaient favorables : Mazarin, emmenant avec lui le roi et la cour, avait quitté Paris pour se rendre à l'iimiée. L'Artois était envalii par le prince de Condé à la tète de trente-deux mille hommes et d'une formidable artillerie; la ville d'Arras était assié- gée. Les gouverneurs de Mézières, de Charlevillc et du Mont-Olympe n'attendaient qu'une occasion pour se déclarer. Quant à Paris, les dispositions de la popula- tion encourageaient le cardinal de Retz. Le chapitre de Notre-Dame était si dévoué à son archevêque qu'à la première nouvelle de l'évasion de ce prélat, il fit chanter un Te Deum solennel. Servien, en l'annonçant à Mazarin le 14 août, manifestait son indignation contre un pareil attentat : « Son Éminence, lui écri- vait-il, apprendra de divers endroits laction insolente

' Mémoires de Ilelz, t. IV. p. lîiC-2(H).

I. 19

21)0 MÉMOIRES

du chapitre de Noire-Dame, qui a fait chanter un Te Deum et sonner la grosse cloche aussitôt qu'il a su l'é- vasion du cardinal de Retz. Si cette entreprise, laite pour déplaire au roi dans sa ville capitale, demeure sans punition éclatante, elle donnera une très-mau- vaise opinion de Tautorité royale à Paris, tant dedans le royaume qu'aux pays étrangers. »

Un accident empeclia le cardinal de Uelz de donner suite à Taudacieux projet de se rendre à Paris pour ex- citer l'ardeur de ses partisans et rallumer la guerre ci- vile. Il se démit Pépaule en tombant de cheval et fut obligé d'aller se faire soigner en Bretagne dans les do- maines de sa famille^ Il se rendit chez le duc de Relz, à Machecoul (Loire-Inférieure).

Ces événements enlevèrent à l'évasion du cardinal de Retz une partie de sa gravité; cependant elle fournit Poccasion à tous les factieux de s'agiter et de troubler Paris, les curés par leurs prédications, et le parlement par des assemblées dont le tumulte rappelait les dés- ordres de la Fronde ; enfin sous le nom des rentiers, les anciens Frondeurs reparurent, attaquèrent le gouverne- ment et menacèrent Mazarin. Il y eut des placards affi- chés, des libelles publiés, et même on éleva des potences le cardinal fut pendu en effigie. L'abbé Fouquet s'em- pressa d'en donner avis à Mazarin; mais le ministre ne s'émut guère de ces vaines agitations. Sa conduite et celle de ses partisans inonti^èrent combien depuis deux ans l'autorité royale s'était affermie. Les opérations mi-

* On litnivera tiuis U*n drlails Hc «:ell(» l'iillc Hans lo toiiir IV drs Wr- iimrefi de Heiz.

SUR NICOLAS FOUOUET imv 291

litaircs ne furent point suspendues, et les succès bril- lants remportés par Turenne contribuèrent à calmer les esprits et à rétablir l'ordre dans Paris.

L'abbé Fouquet et le procureur général s'y étaient activement employés. Dans une lettre du 19 août, ils avaient fait connaître à Mazarin la situation de Paris et les mesures à prendre : saisir tous les revenus du c^ir- dinal, chasser du chapitre les factieux et les emprison- ner, s'opposer énergiquement à ce que le prélat démis- sionnaire fût reconnu en qualité d'archevêque de Paris, et s'adresser, pour le remplacer, à l'archevêque de Lyon comme primat des Gaules, enfin fournir au maréchal de la Meilleraye, gouverneur de Bretagne, les ressources nécessaires pour s'emparer de Relz ou le forcer à quitter la Bretagne. Le cardinal approuva ces mesures, a Leurs Majestés, ajoutait-il, ont été très-aises des personnes qui ont été arrêtées par la diligence du procureur gé- néral. »

Les curés et les chanoines les plus compromis furent mandés à Péronne, était la cour. Ils furent exilés en divers lieux, et Mazarin témoignait contre eux, dans ses lettres à l'abbé Fouquet, une vive indignation; il . paraissait d'abord disposé à traiter en criminels tous ceux qui avaient été d'avis de chanter le Te Deum^ et attaquait surtout le curé de Saint-Paul, au- quel il attribuait des intentions coupables. « Je sais de scienœ certaine, écrivait-il le 24 août à Tabbé Fou- (piet, qu'il esl le plus ambitieux des hommes. Il a pré- tendu être évèque, et, par cette raison, a caché quel- que temps le jansénisme qu'il avait dans le cœur et a

lÈlOIRES

Élit ostentation d être ennemi du cardinal de Retz : mais, n'ayant pas été élevé à cette ifismité, il n'a rien oublié poar témoigner si>n chagrin, allumant le feu pailout et se signalant en tout ce iju'il pouvait croire iiui déplai- rait au roi. Lon ma écrit que c'est lui qui a fait la ré- ponse au nom des curés à la lettre que le cardinal de» Reti leur a écrite. Die est fort imprudente, ef je m'as- sure que M. le pnn'ureur général et vous lavez jugée de même.

« Vous ne me mandez pas, ni M. le chancelier non plus, qu'on ait rien fait contre le curé de Sainl-Merri, qui assurément est le plus coupable de tous, n'y ayant rien de plus séditieux et de plus grand mépris pour le roi que ce qu'il a dit dans son prOme, et d'autant plus qu'il a eu linsolence de le faire aprî*s lt»s défenses du roi. Je vous prie de me faire savoir quelle l'ésolution ou prendra là-dessus.

« On ne manquera p;is de fain* connaitn* à Rome rintention du cardinal de Retz dans les reti^anchements que ses prétendus >*icaires ont faits des deux mots si i.»ssenliels, apostolique et romaine: et, au surplus, ou- bliant de prier ]K>ur la reine et voulant qu'on prie pour le prince de (londé, qui est de la maison it>yale, ils se contredisent, n'étant pas possible de demander à Dieu des lx)ns succès pour le roi contre ses ennemis, et le prier aussi pour M. le prince de Condé, puisque ledit prince travaille autant pour la prise d'Arras que le roi pour Tempécher.

« J'ai reçu le papier de M. rarchevéque de Toulouse ';

' Pierre de Slarca, auteui* du traité Deconeardia iocerdoîn et imperii.

SUR NICOLAS FOUQUET lew 295

je VOUS prie de l'en remercier de ma part et de l'as- surer du secret. Au surplus, il y aui-a temps de ré- soudre ce qu'il y aura à faire, et, pour moi, je crois que l'expédient contenu dans cette lettre est le meil- leur.

« Vous avez été bien averli que le cardinal de Retz enverrait ici ; car à Tinstant que je reçus votre lettre, il arriva un gentilhomme de sa part, avec des lettres pour le roi et M. de Brienne, auquel il s'adressa; mais il a refusé de les recevoir et lui a dit qu'il était bien hardi de se présenter ici après ce que ledit cardinal a fait, et que Sa Majesté n'entendrait parler de lui que loi^qu'il serait prisonnier à Nantes. On fera ce qu'il faut à Ma- checoul, et on donne à M. le maréchal de la Meilleraye toutes les troupes, officiers d'artillerie, canons, vais- seaux, galères, petits bûtiments, et généralement (ont ce qu'il pourra désirer pour pousser l'affaire à bout, et c'est, à mon avis, le langage qu'il faut tenir au cardinal de Uetz pour l'obliger à prendre les résolutions aux- quelles il témoigne être si contraire.

« Je suis très-aise de ce qui s'est passé au parlement, et je n'ai pas manqué de faire valoir auprès de Leurs Majestés l'adresse et la sage conduite de M. le premier président. Usera bon de savoir quelle réponse il faudra faire à la lettre qu'il écrira au roi; bien entendu que Sa Majesté n'accordera pas de procéder à cette députalion des syndics, que les brouillons el malintentionnés pour- suivent sous le nom et le prétexte des rentiers, qui n'ont

On l'avait consulté protiaMnncnt sur \o moyen d'annulor raulorilé ar chiépiscopalc de Retz.

39i MÉMOIRES

rion à sonliaifer, élanl payés avec ponctualité, et le nn voulant que cela conliiuie toujours sans que, par quel- que accident que ce puisse (^fre, il y [)uisse avoir le moindre changement. Je vous dirai aussi que le roi est si résolu à empêchei' la continuation du parlement pen- dant les vacations, (pi'il n'y a moyen duquel Sîî Majesté ne se serve pour Tempécher.

« Je ifai pîis manqué de faire remarquer à Leui^ Ma- jestés Futilité que leur service ressent de gagner temps en l'afTaire du parlement . On songe sérieusement aux précautions pour rassemblée générale du clergé, et j'espère que tout ira bien. J'envoie les nouvelles du siège d'Arras à M. le chancelier, qui en fera part au con- seil. Je vous prie de les dire à M. le président de ma part. En un mot, ce qu'il y a d'essentiel, c'est cpie, de- main jeudi, Saint-Louis, en donnera aux lignes, avec les trois armées composées de dix-sept mille hommes de pied, onze mille chevaux, quatre mille officiei's et c(» qui sortira d'Arras pour le même effet, qui fera bien son devoir. Le succès est entre les mains de Dieu, et \o nn a à gagner beaucoup sans hasarder qu'Arras.

« Je vous prie d'assurer M. procureur général de mon amitié, ainsi que je suis persuadé que vous l'êtes entièrement. »

L'cittaque que Mazarin annonçait pour le '25 août réussit complètement, et les Espagnols furent forcés de lever le siège d'Arras. Cette victoire adoucit le cardinal et la cour. Les curés, qui avaient été mandés à V('- ronne, furent traités avec plus de mépris (jue de sévé- rité. « On renverra, écrivait Mazarin à l'abbé Fouquet,

SUR NICOLAS FOUQUET i«54 205

le curé de Saint-Côme \ et le chanoine qui a fait chau- ler le Te Deum à l'IIôtel-Dieu; ciw on a bien reconnu qu'ils n'ont pas péché par malice. Joly *, étant le plus coupable de tous, Leurs Majestés ont été surprises qu'il n'ait pas accompagné les autres chanoines. Pour le curé de Saint -Paul, je suis trés-aisc qu'il veuille changer de conduite et bien servir le roi à l'avenir, et je le serai encore davantage si je vois qu'il tienne parole. On me mande que Vassé tient de très-méchants discoure sur le sujet du cardinal de l!etz, de qui il est parent. Je vous prie de vous en informer et m'en faire savoir la vérité. Je ne m'étonne pas de ce que Pontcarré dit. Il seraitbon que M. le premier président en eût connaissance comme d'une chose que je vous ai écrite; car c'est un esprit qui ne fera jamais bien à Paris. J'ai su que le président Lottin a fait rage dans la dernière assemblée du parle- ment, ayant ouvert l'avis de continuer le parlement pour faire et établir les députés des rentes.

« Il ne faut pas s'étonner de la liberté avec laquelh^ vous me dites que l'on parle à Paris; car cela arrive ton- j<»urs quand le parlement s'assemble et témoigne mau- vaise volonté, et quand des personnes de qualité font connaître d'être disposées au remuement. Je suis per- suadé que chacun modérera ses passions, voyant contre» leur attente les bénédictions qu'il plaît à Dieu de veiser

* Cette église était située dans la rue de* CordeOers, qui porte main- tenant le nom de rue de l'École de Médecine. Il y avait pi*ès de Tégiise Saint-Côme l'école de Chirurgie.

* Chanoine de la cathédrale de Paris, que r(m accusait d'avoir com- posé un liljelle contre le cardinal Mazarin sous le titre de : l'éducation du roi.

296 MÉMOIRES

sur le roi par tant d'importants et gl(»ricux succès qu'il fait remporter à ses armes, et que l'on voudra bien at- tendre d'autres occasions moins favorables pour mon- trer leur venin ; mais conime ce serait une grande imprudence de prétendre à force de victoires et de conquêtes contenir un chacun dans son devoir, il est absolument nécessaire que le roi donne ordre à ses aCTaires, en sorte que, quelque événement qu'aient ses desseins et ceux des ennemis, il ne soit pas exposé i\ éprouver la mauvaise volonté dos malintentionnés do son royaume.

« Je me réjouis avec vous, et M. le procureur gé- néral, de l'avantage que le roi a remporté à An as, qui est assez décisif. Vous en avez reçu le premier la nou- velle; je vous prie de faire mes compliments là- dessus à M. le premier président et Tassurer toujours de mon amitié et de la passion que j'ai de lui en donner des marques. Les potences, les libelles, les méfiances parmi les rentiers , les remuements de noblesse et choses semblables, sont des armes avec lesquelles com- bat d'ordinaire le cardmal de Retz ; mais, à mon avis, elles seront faibles pour résister à celles avec lesquelles on l'attaque et ses principaux fauteurs. El pour moi je vous dirai ce que le duc de Savoie et le duc d'Ossono dirent, quand ils eurent avis d'avoir été, l'un pendu à Gènes et l'autre à Venise, que, pourvu que l'original se portât bien, ils no se mettaient point en peine de ce qui arriverait à l'efligie. Soyez en repos sur ce que l'on fera à Machecoul ; le roi en sera absolument maître. Je ferai partir au plus toi de mes gardes. »

SUR NICOLAS FOUQUET icw^ 207

En effet, le duc de Refz, n'osant lutter contre la royauté, engagea le cardinal, auquel il avait donn^» asile, à s'enfuir à Belle-lsle, il ne passa que peu de temps; de il gagna TEspagne, et enfin Rome. Ainsi s'évanouirenl les dangers qui avaient menacé Ma- zarin : d'un côté, les Espagnols étaient vaincus et l'Artois délivré; de l'autre, Rel7 n'était plus qu'un fugitif qui allait demander asile au saint-siége. Ses biens étaient mis sous le séquestre, et on excitait ses créanciers, qui étaient nombreux, à le poursuivre. L'abbé Fouquet se signala, si l'on eu croit Retz\ par son ardeur à piller les biens de l'arcbevéché et à en faire un usage scanda- leux. 11 eûl voulu aller encore plus loin et enlever à Retz la dignité archiépiscopale, dont il prétendait qu'il avait donné sa démission. 11 est probable qu'il re[)rit aloi*s ses projets de vicariat général*; mais le vieux Gondi était mort et le chapitre peu disposé à se prêter aux vues ambitieuses de l'abbé Fouquet. 11 fallut se contenter d'avoir éloigné de France un prélat turbulent. Mazarin confia à de Lyonne la mission d'aller déjouer à Rome les intrigues de Retz ; il était surtout chargé de le représen- ter comme un prolecteur des jansénistes, que condam- nait le saint-siége. « Il est certain, écrivait Mazarin à de Lyonne, qu'il n'y a pas un plus grand janséniste que le prétendu vicaire du cardinal de Retz. Il fait du pis qu'il peut, remue ciel et terre pour cabaler dans Paris et exécute avcniglément tout ce qui lui est suggéré par les adhérents du cardinal de R(»tz; mais il se tient si

Mt^moires du cardinal de Hetz, ibid., t. IV, p 349.

Voy. plus haul, p. 210.

«9X >IEM01RES

bien radié quo Ton ne peut savoii* il (»sf . On a p(»nr- lant assuré que le nonce Ta retiré chez lui ; ce qui se- l'ait une chose étrange que le ministre du pape devînl le protecteur du jansénisme et un exécuteur des atten- tats du cardinal de Retz. Sa Sainteté a fait au cardinal de Relz une réponse digne de sa prudence, quand elle lui a dit qu'elle tenait sa croyance en suspens et que le temps réclaircirait delà vérité; après quoi elle ferait justice fort exactement. Mais ce n'est pas ce que cherche ledit cardinal, n'y ayant rien qui lui soit plus conlraiiï» que la vérité et la justice. »

Après la défaite des Espagnols et la fuite de Retz, il ne restait plus de dangers sérieux. Le parhunent et les i*entiers, qui s'étaient agités, n'avaient pas réussi à sou- lever la population parisienne. Cependant la cour étant iwenue à Paris, Mazarin s'occupa, de concert avec les surintendants , à terminer l'affaire des rentiers. Us avaient antérieurement des syndics, dont les assemblées et les représentations violentes avaient été une (h»s ciiuses des agitations de Paris; on supprima ce syndi- cat électif, et on y substitua des commissaires des i-entes choisis par le roi sur une liste de notables que forme- raient le |)révôt des marchands, les échevins et autres officiers do l'IIcMel de Ville. Une assemblée, convoquée le 15 septembie, procéda à la formation de cette liste de candidats*. On y remarquait des magistrats d'une pi*obité et d'une capacité reconnues, comme Catinat, conseiller au parlement et père du célèbre maréchal , et

* JniinKil inédit <h> 16iX à 1(357. ms. Biljl. iiiip.. n* 1258 '^iV. D f* '210- 211

SUR NICOLAS FOUQUET i«5i; 299

Bossii-le-Jau, maitro do la chambre des coinples. La liste des coininissaires fut définilivemenf amH^e par le roi, et, au lieu d'asseuiblées lumultueusas qui inquié- laieut les reniieiN et faisaient de l'HcMel de Ville un fover de séditions, on n'eut plus qu'un conseil de bourgeois honniHes el expérimentés, qui se l'enfiTmérent dans leurs attnbutions et ne transformèrent pas les questions de finances en affaires politiques.

Quanl au parlement, l'opposition qui s'y était mani- festée» fit comprendre de plus en plus au procureur fré- néral la nécessité de s'y créer de nombreux partisans. Nicolas Fouquet préférait la douceur à la violence, et trésor royal, dont il disposait, était un moyen puissant de séduction: il l'employa avec succès. Un des hommes qui le servirent le mieux en cette circonstance fut Gourville, qui, depuis peu de temps, s'était attaché à son service*. Après avoir appartenu au duc de la Roch(»- foucauld el au prince de Condé, Gourville était de- venu un des agents les plus dévoués du surintendant Fouquet. Homme d'action et d'intrigue, peu scrupuleux sur les moyens, habile à pénétrer hîs cai*actères, à en saisir le faible et à les diriger, Gourville convenait par- faitement |)our celte œuvre de corruption. On diessji une liste des conseillers qui, dans chaque chambre, avaient le principal crédit et entraînaient leui^ col- lègues. Gourvilh» en vit quehpies-uns et fit sonder les autres par leui-s parents ou leurs amis. Il leur offrait, de la part du surintendant,- une gratification de cinq cents

* Mémoires de Gourville. édil. Mi(!li;uHl pt PdujoDlnt . p. 517.

300 MÉMOIRES SUU MCOLAS FOUQUET (lesi

écus,el leur fil espérer dos avantages plus considérables pour lavenir. Ce trafic, que Gourville raconte comme la chose la plus naturelle *, ne paraît pas avoir excilé les scrupules des vénérables membres du parlement.

Quelquefois la gratification prenait une forme plus délicate, quand il s'agissait de personnages plus impor- tants ou plus scrupuleux. Ainsi Fouquet, voulant gagner le président le Coigneux, Gourville lui dit qu'il allait quelquefois à la chasse avec lui et qu*il trouverai! bien moyen de lui parler et de le prendre. En effet, comme le président Le Coigneux l'entretenait des con- structions qu'il faisait faire à sa maison de campagne vi des dépenses qu'elles entraînaient, Gourvilh» lui dit qu'il fallait faire en sorte que le surintendant TaidAt à achever une terrasse qu'il avait commencée. Deux jours après il lui apporta deux mille écus de la part do Fouque!, et lui fit espérer d'autres présents par la suite. Peu de temps après, il se présenta une affaire au par- lement, où l'appui (lu président le Coigneux fut éner- gique et efficace*.

* Mémoires de CiOnrviUe(êôi{. Micliaud ci Poujonlat. . ;'i raniu'clOrii. - Ibidem.

CHAPITRE XVII

I«o5-1657

Dcrilicis acUs d'oppti'iitioii parloiiionlaiiv à l'occasion del'oiiro^isti'ciiHMit dï'dits bui-^aux ^20 iiiai-s i655 . Les cHlils sont vivcinoiil attaqués <laiis une waiicc du 0 avril. Ix)uis XiV impose silence au parlement ;15 avril'. Vaines dok'anc(?s de ce corps. Nicolas Fouqnet fait nonnner (înillamne de Larnoi^non premier président du parlement de Paris. Notes sur Un niendires decec(»r|»s rédi^^ées vei-s 1657. Op- ]M)sition pi'olonpée des partisans du cardinal de Kefz. Elïoris tentés en faveur du connnerc*\ Mémoire remis à Fouqut^l sur ce sujet. (lolliert propose aussi s<»s vues sur les moyens de ranimer l'industrie et le («innnerci?. Zèle de Fouquet [)our la marine et le conmierce. Mesures tavoraldes au connnera* et aux cohuiies. Fouquet a de nou- veau recours à d(; fàclicux «-xpr-dients jwur fournir aux déi>cnst>s de la pueri'e.

Le parleinciil, en partie gagné par Nicolas Fouqnel, ^ tenta cep(»ii(iant, en 1655, une dernière lutte; mais elle» tourna à sa confusion, et, depuis cette époque, on peut le considérer comme définitivement vaincu. Le surin- tendant avait fait enregistrer dans un lit de justice, en [Hvsence du roi, le 20 mars 1655, plusieurs édits bur- saux portant création dtî nouveaux offices, aliénation <le droits du domaine, marque ou timbi'e du papier et tlu parchemin destinés aux actes notariés, etc. Malgré l'appareil solennel déployé dans ce lit de justice, le par-

302 MËMOIHES

Icinent murmura. L'avocat général Uij^aion s'éleva avec énergie contre l'édil du timbre; il dil « que celui qui avait osé donner l'avis de mettre la nuiin dans le sanc- tuaire de la justice, en voulant imposer un dmil hon- teux et inouï sur les actes les plus légilimes el les plus nécessaires à la suielé publique, était digne du dernier supplice ; mais entin que la France espérait que Sa Ma- jesté, à l'exemple de son aïeul, c^ grand et incompa- rable monarque Henri IV, prendrait un jour elle-niémc le soin de ses affaires et apporterait un tempérament si doux et si convenable aux maux de son Ét^t, que son nom et son règne en seraient à jamais en vénéititioii très-particulière dans toute l'étendue de son empire *. » Les autres compagnies souveraines, comme la cham- bre des comptes et la cour des aides, devaient aussi en- registrer les édits bursaux ; elles ne firent pas un um]- leur accueil à ceux qui vinrent les présenter au noni du roi. Philippe» de? France, irére de Louis XIV, remplit cette mission à la chambre des comptes. il entendit un orateur qui, dans le langage souvent bizarre de l'époque, compara les édits bursaux aux poisons de Médée, « dont la composition était si subtile et si dan- gereuse, que, pour ne pas en être atteinte elle-même, cetti» fameuse sorcière était contrainte* «l'en détourner

le visage lorsqu'elle y travaillait. »

Le parlement, toujours plus puissant et plus hardi que les autres cours, ne s'en tint pas à cette opposition d(» pandes. Il prétendit qu'il avait le droit de soumettre

' .Iniii'UMl iiis. lie |tli8 !i 1657, cilô pins luiiil. f ^IT»

SUR NICOLAS FOUQUET (iôm^ïcst; 305

aune discussion régulière les édils qu'il avait été con- trainl d'enregistrer en présence du roi, sans pouvoir les examiner. Cette prétenlion, qui serait juste et na- turelle dans une assemblée représenlant réellement la nation, était exorbitante de la part d'un corps judiciaire dont les membres nommés par le roi n'avaient ni mission ni autorité politiques. L'inscription d'un édit sur leui*s registres était une simple formalité dans l'oii- gine, une notification de la loi au parlement, afin qu'il en fit l'application. Peu à peu les cours souveraines s'étaient arrogé le droit d'accorder ou de refuser c^et enregistrement, et il avait fallu, jx)ur les réduii-e au si- lence, que les rois vinssent tenir un lit de justice, ils paraissaient dans tout l'éclat de leur souveraineté et imiK)saient l'obéissance. Annuler un enregistrement exigé par l'autorité royale, c'était placer le parlement au-dessus du roi et transférer la souveraineté dans la Grand'Chambre. Voilà œ qu'avait tenté la Fronde sans oser l'avouer, et ce que les magistrats entreprenaient de nouveau en proposant de déclarer nulles et non ave- nues les ordonnances enregistrées en présence du roi.

Louis XrV, alors âgé de dix-sept ans, était à Vincim- nes, il chassait. Il apprit que le parlement s'était réuni le 9 avril ol avait soumis à un nouvel examen les édits qu'il avait fait enregistrer le 20 mai's. Ces édits furent vivement attaqués et mal défendus. Le chance- lier, Pierre Séguier, n'aimait pas le surintendant Fou- quel; il déclara qu'il n'avait eu aucune connaissance des ordomiances, et(»n r(»j(»la toute la res|K»nsabiIité sur h; surintendant. Matthieu Mole, qui était aloi-s garde des

304 MÉMOIRES

sceaux, ne se montra pas plus disposé à défendre le mi- nistère. Il déclara qu'il n'avait vu ces édits qu'en les scellant le jour môme on les avait portés au parle- ment. Les membres du conseil du roi déclinaient aussi toute responsabilité dans cette affaire. Il fallait, ou se soumettre au parlement et accepter sa tutelle, ou briser cette résistance. Le jeune Louis XIV n'aimait pas le par- lement, dont l'opposition avait agité les premières an- nées de son règne. On se rappelle qu'à Tàge de dix ans il avait dit, en apprenant la victoire deLens : « I^ par- lement sera bien mécontent, » Depuis cette époque, son pouvoir s'était affermi et son caractère s'était déve- loppé. 11 était assez fort pour imp()S(»r l'obéissance et était décidé à user de son pouvoir. Averti que le parle- ments'était réuni de nouveau le 15 avril, il partit subi- tement de Vincennes dans son costume de cliasse avec un justaucorps rouge, un cha|)eau j^ais et de grosses bottes*, et se rendit droit au parlement. Il y montra le visage sévère et imposant que lui donnent déjà les portraits de cette ép(»que,et y tint le langage d'un niaî- tre. S'adressant aux magistrats : « Chacun sîiit, leur dit-il, combien vos assemblées ont excité de troubles dans mon État, et combien de dangereux effets elles y ont produits. J'ai appris que vous prétendiez encore les continuer, sous prétexte de délibérer sur les édits qui naguère ont été lus et publiés en ma présence. Je suis verni tout exprès pour vous en défendn; la continua- tion (il montrait en même temps du doigt les chambres

* Voy. Mémoires de Monglat, à ruiiiiée 1655. Moiiljrlal. niailro delà garde-robe, décrit avcj (xaclitudc le ciisliimc du mi.

SUR NICOLAS FOUQUET (less-ies-'j 305

des enquêtes, dont la turbulence était connue), ainsi que je le fais absolument, et à vous, monsieur le premier président (et il montrait aussi du doigt le premier pré- sident, Pomponne de Bellièvre), de les souffrir, ni de les accorder, quelque instance qu'en puissent faire les Enquêtes *. »

Pas un seul membre du parlement n'osa prendre la parole, et le roi, se levant immédiatement, sortit de rassemblée, se rendit au Louvre, et de à Vincennes, oîi l'attendait le cardinal Mazarin. Cette scène fut un coup de foudre pour le parlement; il en resta accablé. Ses doléances prouvèrent sa faiblesse; il se plaignit du costunie insolite du roi, qui avait semblé vou- loir insulter le parlement eii y paraissant en habit de chasse. On ajoutait même qu'il avait un fouet à la main, et, qu'aux remontrances du premier président qui lui parlait de l'intérêt de l'État, il avait répondu : « L'État, c'est moi. » Ces détails sont de pure invention. Il n'y eut point de remontrances du premier président. Mais, quoique dépouillée des incidents dramatiques qui se sont gravés dans les esprits et que répètent la plupart des histoires, la scène que nous venons de rappeler produisit son effet et réduisit le parlement au silence.

Ce fut seulement quelques jours après que le premier président alla trouver le cardinal Mazarin à Vhicennes et lui lit part des doléances de la compagnie, il lui re- présenta qu'elle était dans une consternation profonde d'avoir encouiii l'indignation du roi, qui s'était mani-

1 Yoy. le Juurnal ins. de 1648 à 1057, cité plus haut, 320 et suiv. 1. 20

306 MÉMOIRES

feslée non-seulement par ses paroles, mais par son cos- tume insolite et son arrivée imprévue. Le cardinal ré- pondit par des généralités et protesta des intentions bienveillantes de Louis XIV; il promit même que, daris quelques mois, le j)arlement pourrait s assembler pour faire des remontrances. Mais cette concession païut trop considérable aux secrétaires d'EUit et aux surinten- dants, et elle fut retirée. Vainement les Enquêtes conti- nuèrent de demander l'assemblée des chambres avec leur turbulence ordinaire ; le premier président l(».s prévint « qu'il y avait des carrosses préparés pour en- lever ceux d'entre eux qui feraient irruption dans la Grand'Chambre contrairement aux ordres du roi. » Cette menace suflil pour arrêter les plus ardents. La Fronde était définitivement vaincue. Il n'en paraissait de loin en loin qu'un fantôme, que faisait évanouir le premier regard un peu sévère ([e Louis XIV.

Nicolas Fouquet, quif comme» surintendant et procu- reur général, avait un double intérêt à l'apaisement du parlement, ne cessa d'y travailler. Lorsque le premier président de Bellièvre mourut, la cour voulut avoir à la tête de ce corps un magistrat qui n'eût point d'engage- ments avec la Fronde, et qui n'appartînt même pas aux anciennes familles parlementaires. Fouquet recom- manda un maître des requêtes, Guillaume do Lamoi- gnon, qui est devenu la tige d'une maison célèbre dans la magistrature. Elle lui a sa première illustration, et peut-être la plus éclatante. Lamoignon sut concilier, dans la haute position qu'il occupa, ses devoirs envers le parlement et la soumission à l'autorité royale. Fou-

SUR NICOLAS FOUQUET fieas-iesT) 307

(liiet se vantait avec raison du choix qu'il avait inspiré : u M. le premier préadent de Lamoignon, écrivait-il dans son trop fameux projet, m'a obligation tout en- tière du poste qu*il occupe, auquel il ne serait jamais paiwenu, quelque mérite qu'il ait, si je ne lui en avais donné le dessein, si je ne Tavais cultivé et pris la con- duite de tout avec des soins incroyables. »

Lamoignon n'était pas seulement un magistrat ha- bile et intègre, il aimait les lettres, et il ne cessa d'en donner des preuves îusqu'à la fin de sa vie. Boileau lui a dédié une de ses compositions les plus ingénieuses. Ce poète était, avec Racine, un des hôtes les plus assidus du château de Bâville, Lamoignon réunissait l'élite des beaux esprits. A Paris, l'hôtel du premier président était également le rendez-vous d'écrivains distingués et quelquefois même brillants, qui venaient y donner lecture de travaux littéraires. L'abbé Fleury y parlai! d'Hérodote et de Platon; Pellisson y disser- tait sur le Tasse. Le P. Rapin et Bourdaloue s'y ren- contraient avec les Arnauld et le sceptique Gui Patin. Ce fut une gloire pour Fouquet d'avoir donné au parle- ment un chef aussi éminent.

Quant aux anciens frondeurs, le procureur général ne cessa de les surveiller. Des notes rapides et peu bien- veillantes furent rédigées vers celle époque sous son in- spiration et signalèrent le caractère elles relations decha- ([ue membre du parlement en indiquant le moyen de s'en emparer et de le dominera Je me bornerai à quelques

* La date de ces noies peut se déterminer approxiinativeiiient par les pei-soniiapes qui y figurent. Elles sont postérieures à la nomination du

308 NÉXOIRES

extraits relatifs aux conseillers frondeurs. Le président Viole est caraclérisé comme « un esprit actif, inquiet, entreprenant, fougueux, vindicatif, dévoué auxinléi*ets du prince de Condé;. il s'est vu, ajoute Fauteur de la note, Tun des chefs de la Fronde, et avec grand crédil dans le parlement. Le dépit d'avoir été exclu de la charge de chancelier de la reine la emporlé; il a donné tout à l'ambition. » Le président Charton, un de ceux pour lesquels on avait fait des barricades, n'est pas mieux traité : « Esprit brusque, turbulent, qui se [)ique d'intelligence, de capacité el de juslice; il veut de grandes déférences et de grands honneurs, el se rend facilement; songe néanmoins à ses intérêts ; s'élait em- barrassé au canal de Loire * ; a été grand frondeur; a sa brigue dans sa chambre, en laquelle il trouve de l'es- time, s'y comportant bien pour l'expédition des afi'aiies. Sa femme a pouvoir sur lui. M. de Périgny, son pareiil, est fort bien avec lui. »

Ces notes pouvaient ser>'ir, comme on le voit, à diri- ger le surintendant dans les gratifications qu'il fai- sait distribuer aux conseillers et dans les divers moyens qu'if employait pour s'en faire des créatures. L'argent du trésor et les menaces du roi réussirent à corrompre ou à intimider rassemblée, et, de ce côté, la victoire fut complète. Les partisans du cardinal de Relz se soumi-

pi*ciiiier présidoiil Guillaume de Lamoignon, qui eul lieu eu 1657, et unie- rieun?s ;i la disgrâce de Fouquct, qui est de 1061. C'est dans cet iuter- valle, à l'époque Fouquet était cncoi"e pmcurcur général, quelles ont été rédigées. On en trouve une parlie dans le t. II de la Correspondance administrative sous Louis XIV. ' il faudrait peut-être lire de lunng.

SUR NICOLAS FOUQIIET (t65»-i857) 3<M>

renl moins facilement. Leurs murmures et leur oppo- sition agitèrent l'assemblée du clergé en 1657*. Ils répandaient des libelles contre Mazarin.« Il faut n'épar- gner rien, écrivait le cardinal à Colbert, pour découvrir et châtier les écrivains, les imprimeurs et ceux qui dé- livrent les pièces. Parlez-en à MM. le chancelier et le procureur général. » Le moyen qu'adoptèrent ces ma- gistrats fut décisit; on soumit tous les ouvrages à la censure préalable du chancelier ', et, quant aux libelles clandestins, on en poursuivit les auteurs et les impri- meurs avec une rigueur impitoyable.

Le surintendant profita des moments de calme qui suivirent tant d'agitations pour s'occuper du commerce et de lar navigation. Enrichir la France par l'industrie et le trafic, c'était le meilleur moyen d'assurer au gouver- nement les ressources pécuniaires qu'il se procurait trop souvent par des ventes d'offices de judicature, par des traités onéreux avec des financiers ou par l'aliéna- tion du domaine et des impôts. 11 semble que Fouquet ait eu quelques velléités de sortir de ce désordre et de donner au commerce une impulsion nouvelle. Un mé- moire qu'on lui remit vers cette époque constate le fâ- cheux état de la France au point de vue commercial et industriel. Quant aux causes et aux remèdes qu'il indi- que, on peut en contester l'efficacité; mais il n'en reste pas moins établi que le surintendant s'occupait alors de ces questions.

* Voy. une lettre de Colbert à Mazanii en date du iC mai 1C57.

* Ane. lais flranç.,\. "^yil, p 370.

MO MÉMOIRES

« Le plus grand avantage, dît l'auteur do ce mé- moire *, que les États puissent avoir, est celui que le négoce leur produit. Le royaume de France, qui, par la Providence de Dieu, abonde en tout ce qui est néces- saire pour Tutilité de la vie par sa fertilité, reçoit en- core de très-grandes richesses par un eiïet merveilleux de l'adresse et de Tindustrie de ceux qui Thabitent el par le cx)mmerce qu'ils ont avec le reste du monde. Ce qui se fait par le moyen des grandes et célèbres fabriques de toutes sortes de marchandises qu'ils dispersent dans tous les pays étrangers, attirant ainsi de grandes quan- tités d'or et d'argent. C'est pourquoi les rois de France ont donné de si belles prérogatives à ceux qui se soni employés au négoce, et c'est un trésor que l'on doit garder chèrement, puisque c'est par lui que Sa Majesté reçoit de grandes assistances dans le besoin de ses su- jets. On ne doit donc rien oublier, non-seulement pour le maintenir, mais encore pour l'augmenter. On voil pourtant que, depuis cinq ou six années, il est exlré- mement diminué, de telle sorte que les diverses fabri- ques qu'il y a dans le royaume sont presque anéanties. Ceux qui n'ont pas pénétré dans le fond des choses en ont attribué la cause aux guerres, aux subsides et aux logements des troupes dans les provinces, mais on n'a pas trouvé la véritable raison. Il n'y en a point d'aulre que le transport de l'or et de l'argent hors du royaume*, qui se fait par plusieurs voies, et la privation de celui qui venait de l'étranger.

' Ce Mémoire, manuscrit, se trouve dans les papiers de Fouquet oon- senï* à la Bibl. imp., F. Bahize.

SUR NICOLAS FODQUET (i6B5-i6S7j 311

« Pour connaître l)ien cette raison, il faut considérer que, depuis quelques années, ce qui faisait venir Toret l'argent en France a manqué, qui était la vente des blés hors du royaume du côlé de la mer Méditerranée, en Catalogne et en Italie, et le transport des marchan- dises fabriquées dans les pi'ovinces de Languedoc et Dauphiné, qu'on portait au Levant et dans toute l'éten- due des États de Turquie. La vente des blés ne subsiste plus, d'autant que le pays de Catalogne étant paisible, les récoltes s'y font avec facilité et abondance. L'Italie lire des blés de Sicile et d'autres pays ils sont à beau- coup moindre prix qu'en France, et c'est ce qui fait que le Languedoc et Arles, qui sont des pays qui n'abon- dent qu'en cela, ne trouvent pas à les débiter, et sont, par ce moyen, privés de l'argent qui venait de toutes parts. On a vu, les trois dernières années, que la re- cette a été très-petite, et pourtant les blés ont été à un prix fort bas. Par suite, le pays de Provence et de Lan- guedoc a été privé depuis quelques années de recevoir de l'argent étranger.

« On n'en a pas non plus reçu de la vente des marchan- dises, d'où on avait coutume de tirer des sommes très- considérables, parce que le commerce qui se faisait ordi- nairement des marchandises de France en Levant a été changé et détruit par le transport de l'or et de l'argent, qu'on a inventé en le transformant en des basses mon- naies d'argent, sur lesquelles on espère quelque plus-va- lue en les portant auxdits pays du Levant, de sorte qu'on a abandonné le transport des marchandises et qu'on ne porte plus que de l'argent efTectif. C'est ce qui a causé

512 MÉMOIRES

et cause, même à présent, la perte et la (l(»slrnction des fabriques du royaume par plusieurs raisons : la pre- mière, parce que les marchands abandonnent les fabri- ques, ne trouvant plus le débit de leui-s inarcliaiidises, et ensuite parce que la France est épuisée d'argent pour la fabrication de ces basses monnaies qui consistent en pièces de cinq sous. Faute de billon étranger, on re- fond, pour les fabriquer, dans les hôtels des monnaies, tous les écus blancs et les autres espèces d'argent. Comme ces pièces de cinq sous passent avec un bénéfice un peu considérable au Levant, on y en porte quantité sans espoir de retour. Mais le profit n'est qu'apparent, car les marchandises qu'on reçoit en échange sont aug- mentées à proportion, ce qui est contraire au commerce et Ta détruit. Antérieurement, l'on ne portait que des marchandises de fabriques françaises, lesquelles, par la quantité des étoffes qu'elles produisaient, doimaient à gagner à tous ceux qui habitaient les provinces. A pré- sent, ils sont pour la plupart réduits, faute de cela, à la mendicité, ledit trafic des pièces de cinq sous n'étant avantageux que pour certaines personnes, qui ont in. telligence et commerce avec les maîtres des monnaies. Ceux-ci, pour gagner un petit intérêt, causent en France une disette d'argent qui ne pourra de longtemps se réparer, et cela est même cause que l'on ne voit point en ces provinces de petites espèces, faute de quoi le public souffre beaucoup.

a Par la rétention de ces petites espèces dans le royaume, les sujets de Sa Majesté trouveraient un sou- lagement extrême en ce que les négociants seraient obli-

SUR NICOLAS FOUQUET (less-iesT) 5i3

gés do faire valoir les fabriques abandonnées et de les remettre en état, et, par ce moyen, les pauvres et au- tres personnes qui sont maintenant oisives auraient de quoi s'occuper et profiter. Chacun pourrait jouir de la- vantage de ces basses monnaies, dont on est entière- ment privé par le lucre de trois ou quatre pour cent que les maîtres des monnaies perçoivent de ceux qui font ce transport. Ce qui est contraire à la volonté de Sa Ma- jesté, qui n'en a permis la fîibrique que pour le soula- gement de son peuple et pour la facilité du commerce dans son royaume, par suite des humbles remontrances qui lui ont été faites. Et cependant on n'en jouit aucu- ment dans les provinces obligées à ne travailler absolu- ment que pour ceux qui pratiquent le transport de ces pièces, sans que personne autre puisse en avoir. Ce transport est contraire aux ordonnances du roi, qui le défendent sous des peines trés-sévères ; il porte un no- table préjudice au public. Nous donnons cet avis afin que Sa xMajesté, en étant informée, ordonne ce qui sera de son bon plaisir. »

Colbert s'occupait, de son côté, des moyens de rani- mer le commerce. Le mémoire qu'il remit à Mazarin atteste des vues plus justes et plus élevées. Liberté et sécurité, voilà pour Colbert les deux causes principales de la prospérité commerciale. Pour assurer la liberté, il réclamait des relations faciles avec l'étranger et la suppression des entraves qui gênaient le transport des marchandises à Tintérieur du royaume. Quant à la sé- curité, elle était menacée à cette époque par des pirates qu'il était de Fintérél commun des peuples civilisi»s

314 MÉMOIRES

de faire disparaître ^ «Bien que Tabondance, disail Colbert, dont il a plu à Dieu de douer la plupart des provinces de ce royaume, semble le pouvoir mettre en état de se suffire à lui-même, néanmoins la Provi- dence a posé la France en telle situation, que sa propre fertilité lui serait inutile et souvent à charge et incom- mode sans le bénéfice du commerce, qui porte d'une province à l'autre et chez les étrangers ce dont les uns et les autres peuvent avoir besoin pour en attirer à soi toute l'utilité. »

Après avoir rappelé les effets désastreux des troubles civils, Colbert continue ainsi : « Pour remettre le com- merce, il y a deux choses nécessaires : la sûreté et la li- berté. La sûreté dépend d'une mutuelle correspondance à empêcher les pirates et courses des particuliers, qui, au lieu de s'appliquer en leur navigation à l'honnête exercice du commerce, rompent avec violence le lien de la société civile par lequel les nations se secourent les unes les autres en leurs nécessités. Cette sûreté ne se peut établir que par des défenses respectives, dans les deux États de France et d'Angleterre', de faiie des prises sur les marchands des nations. » Colbert conseil- lait à Mazarin de permettre aux Anglais d'introduire et de vendre leurs draps en France, à condition qu'ils ou-

* Ce Mémoire a étô publié par M. Guizot dans son Histoire de la Répu- blique d'Angleterre, t. I, p. 45i-457. U pense que ce Mémoire est do 1650; maùî il est évident, d'après la manière dont l'auleur parle d(s ti'oublcs de la Fronde, qu'il s'agit d'événements déjà anciens.

11 s'agissait surtout, dans ce Mémoire, d'établir des i-oialions de com- merce entre la France et l'Angleterre.

SUR NICOLAS FOUQUET (im5-im7, 315

vriraient leurs ports aux vins français. Ainsi, bien loin «rêtre, comme on Ta prétendu, un partisan exclusif et absolu du système prohibitif, il réclamait, dans une sage mesure, la liberté du commerce.

Pour rintérieur, Colbert demandait également la suppression des entraves imposées par la routine, ou par des intérêts privés, à la libre circulation des mar- chandises. Quelques passages de ces lettres à Mazarin suffisent pour le prouver : « Il est très-important, lui écrivait-il, de remédier aux défenses faites par M. do Roannez, de son autorité privée, de porter des blés de Poitou en Aunis, pour avoir lieu de donner ses passe- ports et d'en tirer un profit considérable. Ce qui ne doit point être souffert, ni pour le service du roi, ni pour l'avantage particulier de Votre Éminenco, attendu que ces défenses troublent entièrement le commerce de ces gouvernements \ et qu'elles rendent nuls les passe-ports du roi que l'on distribue à la Rochelle. Il faut, pour empêcher cette intrigue, une lettre du roi audit sieur de Roannez, pour lui en défendre la continuation et lui ordonner de laisser la liberté du commerce aux sujets de Sa Majesté. » Et ailleurs : « Votre Eminence a su que do Vendôme * avait envoyé les deux vaisseaux de Neu- chèse à l'embouchure des rivières de Sèvre et de Cha- rente pour faire payer les droits doubles à toutes les marchandises qui en sortent; ce qui ruine entièrement

* Colbort veut parler dos gouvernements d' Aunis et do Sainlonge, qui np|inrtonnieut à Mazarin.

* Le duc do Vendôme était grand amiral do France o( avait sous ses ordres l'amiral do Neuchèso.

516 MÉMOIRES

le commerce, et particulièrement celui du sol, s'il n'y est promptemenl remédié. »

Ces désordres prouvent que tout était à créer pour les relations commerciales. Le surintendant Fouquet, dans les attributions duquel rentrait cette branche d'admi- nistration, se fait honneur, dans ses Défenses \ du zélo qu'il montra pour le commerce, et rappelle que son père s était déjà signalé dans les conseils tenus sous Ri- chelieu pour les affaires de cette nature : « Tant que mon père a vécu, dit-il, tout le détail des embarque- ments s'est fait par ses soins; tout se résolvait en des assemblées tenues chez lui. Il y avait des compagnies pour le Canada, Saint-Christophe et les autres îles, pour Madagascar, pour le Sénégal, le cap Vert, le cap Nord et autres lieux. Par son application, plu^de vingt mille personnes avaient fait des colonies volontaires et des établissements à Thonneur de la France, si avantageux à notre nation que, si les étrangers qui nous ont suc- cédé n'avaient point pris à tâche de tout ruiner pour do légers intérêts, c'eût été une chose très-considérable dans la suite. Depuis la mort de mon père, M. le cardi- nal de Richelieu m'a continué dans cette commission. Je lui ai rendu compte des affaires, conjointement avec M. d'Aligre, à qui mon père avait aussi procuré cet em- ploi. Sitôt que j'ai pu en jeter des semences dans l'es- prit de M. le cardinal Mazarin, je l'ai fait. Dans les der- niers temps*, il avait tellement approuvé les pensées do

* T. ni, p. 349 et suiv.

* Fouquot parle ici des temps qui ont suivi la Fronde, et surtout des années 1657 h 1661.

SUR NICOLAS FOUOUET (lesjt-ies-) 317

mer et de compagnies de commerce, qu'il m'avait chargé de m'en instruire davantage et d'y travailler. »

Le recueil des ordonnances de cette époque prouve, en effet, que, le gouvernement s'occupa du commerce et des colonies. Il accorda des encouragements aux ar- mateurs qui équipaient des vaisseaux pour les deux Amériques ^ Une compagnie du Nord fut organisée avec privilège exclusif pour exploiter le trafic des huiles de baleine *. Afin de protéger le commerce français, on préleva un droit de cinquante sous par tonneau sur les navires étrangers'*. Diverses ordonnances prescrivirent l'établissement de manufactures de bas de soie * et de la Halle aux vins*, le dessèchement des marais'; enfin la rédaction d'un terrier ou cadastre du royaume ', qui aurait permis de faire une répartition plus équitable de l'impôt. On s'occupa aussi de creuser de nouveaux ca- naux et de donner plus d'activité à l'administralion des postes ^

Malheureusement les mesures destinées à multiplier et accélérer les communications, à rendre l'industrie plus féconde et le commerce plus actif, ne pouvaient avoir de résultats immédiats pour augmenter la richesse du pays et les ressources du trésor. Mazarin était pres-

* Ane. lois fi-anç., i. XVU, j». 349. F(»rboiiiiais, Uecherches sur les finances, t. I, p. 2(59-270.

* Mémoires de Jean WiU, dcnixièiiie parlu;, cbap. vi. '* Foihoiinais, ibid., 1 I, p. 270.

* Ane. lois franc., t. WII, p. ol9. 5//;frf.,p. 328.

8 IMd.

f laid., p. 309.

« Md.

518 MÉMOIRES

saut, et Fouquel, chargé de fournir de l'argent pour les armées et pour tous les services publics, voyait le trésor épuisé, les revenus de plusieurs années engagés à des traitants; en un mot, la détresse d'un côté, des besoins urgents de Fautre. Il s'engageii de plus en plus dans les spéculations funestes qui devaient le conduire à sa perte. Pour se défendre, il alléguait les ordres de Ma- zarin et la nécessité. « Rien de ce qui a été fait, dit-il dans ses Défenses^ ne l'a été que par ordre de M. le cai- dinal. Je maintiens que ce que mes accusa toui-s appellent confusion a été le salut de l'État. Après une baiiqne- ix)ute qui avait produit la guerre civile et ôté le crédil au roi, il n'y avait que l'espérance du gain, les remises, les intérêts, les facilités, les gratifications faites à ceux qui avaient du crédit et de l'argent, qui pussent les obliger de faire des prêts au roi et qui pussent faiie avancer les sommes et les secours nécessaires. Cet expé- dient fut proposé à M. le cardinal comme le seul el sou- verain remède, après qu'il eut étudié et tenté inutile- ment tous les autres. 11 fut accepté, autorisé et approuvé par Son Éminence. »

Et ailleurs* : « Pendant une longue guerre, l'argent était le salut de l'État; donc, s'il a fallu, pour avoir de l'urgent pendant la guerre, faire les choses qu'on ap- pelle aujourd'hui désordre et confusion, j'ai eu raison de dire que ce que Ton appelle désordre et confusion était en ce temps-là le salut de rÉtat. » Sans doute

' Défenses, l. Hl, p. 20-tit. * md., i. IV, p. 53.

SUR NICOLAS FOUQUET {iwi-mi) 3J9

rhistoire ne peut absoudre Fouquet, parce qu'il a dé- féré aux exigences de Mazarin; cependant, pour être complètement équitable envers lui, il faut entendre ses justifications et les rapprocher des textes qui les con- firment ou les démentent.

CHAPITRE XVIII

- 1650-1657

Éloges lionnes ù radministration financière de Fou(]uet par Mazaiin (Ktôti). liC surintendanl se plaint des cxijronces de Mazarin et de Colberl. Les letires de Mazarin à('oIbert pendant Tannée 1057 pronvent. que le cardinal et son intendant insistaient sans cess<î auprès de Fouquet pour en obtenir de l'argent. Mazarin i>rt!'- lève des pots-de-vin sur les inarcliés. Fonds secrets, ou oi'donnanœs décomptant. Mazarin fait payer par le surintendant ses dettes «le jeu. Sommes énonues accunmlées eu huit ans par Mazarin. Moyens ((n'employait Fouquet pour tromper Senien. Gonniven<e de son commis Delonnc. Dilapidations de Fou<iuet.

Fouquet invoquait avec raison le témoignage favo- rable que Mazarin avait rendu à son administration li- nancière. 11 suffit, pour s en convaincre, de parcouiir les lettres du cardinal. 11 écrivait, le 24 juillet 1650, à l'abbé Fouquet : « J'ai été surpris de l'eflort que M. le procureur général a fait, et je reconnais de plus en plus qu'il fait bon d'avoir des amis si zélés et eflfectifs comme lui et vous. Je suis fort touché de la manière dont il eu a usé, et, quoique je lui fasse mes remerci- ments, je vous prie de les lui vouloir faire encore de ma part. 11 eût été bon de laisser à Paris une partie de la somme qu'il a envoyée ici ; car il y faut faire plu-

MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET (lese-iesT) 32)

sieurs dépenses pour les chevaux et pour les autres choses que le sieur Colbert doit acheter, et quelque chose pour Tartillerie, et je doute qu'on trouve à point nommé ce qui peut être néciîssaire pour cela. »

Fouquet n avait pas seulement à pourvoh' aux besoins des armées ; il fallait encore satisfaire aux exigences de Mazarin et de son intendant Colbert. 11 s*en plaint dans ses Défenses ' , et des documents authentiques confirment ses assertions : « Sans mon crédit, sans mon affection et sans les risques que j'ai courus, dont j'avais entre mes papiei^s mille témoignages authentiques, par les lettres de M. le cardinal, les affaires n'auraient pas réussi comme elles ont fait, et le succès en aurait été bien plus avantageux si le sieur Colbert n'avait pas eu soin d'amasser des trésors d'argent comptant et de les mettre hoi*s du commerce dans les lieux ils se sont trouvés après la mort de Son Éminence, sans qu'il ait paru aucune dette et sans ce qu'on n'a pas encore di- vulgué. C'est ce qu'on doit appeler mauvaise disposition quand il se trouve que tout l'État s'appauvrit et qu'un étnuiger seul met des millions à couvert dedans et de- hors le royaume, abusant de son autorité absolue, et non pas en accuser un subalterne, qui n'agit que sous ses oidres, qui se trouve sans biens, qui tâche de sou- tenir le crédit par politique, se sentant intérieuremtînl é[)uisé et consommé par un supérieur insatiable. »

11 y a dans ce passage (et il serait facile d'en cilcr plusieurs semblables) une double accusation : la pre- mière contre Mazarin, qui enleva au trésor public les » T. m, p. 29.

I. '21

3S2 MÉMOIRES

millions dont il enrichit sa famille, et la seconde contre Colbert, qui, pour assurer au cardinal cette immense fortune, exerçait sur le surintendant une oppression ly- raimique. Nous avons déjà vu que CoU)ert était l'inten- dant et rhomme de confiance de Mazarin, qui lui avait remis le soin de ses affaires. Colbert ne songea, pen- dant Tépoque qui nous occupe, qu'à les faire prospérer, même aux dépens de TEtat. Mazarin s'était fait traitant sous des noms supposés ; il avançait des fonds qu'il se faisait rembourser, et il est certain qu*il en tirait, comme tous les financiers, des bénéfices énormes, quoi- qu'il affirme qu'il ne demandât pas d'intérêts. Mazarin se chargeait aussi de la fourniture des vivres pour les armées, et réalisait des sommes considérables par ces spéculations. Fouquet eut le tort de se prêter aux cou- pables exigences du ministre ; mais il faut reconnaitrt; que la faute ne retombe pas sur lui seul. L'histoire se- rait injuste si elle ne signalait pas les dilapidations d'un premier ministre tout-puissant.

La correspondance de Mazarin avec Colbert prouve que Fouquet essayait quelquefois de résister. Le 23 mai 1657, Colbert écrivait au cardinal : «Je ne manquerai pas de proposer à M. le procureur géné- ral d'assigner les trois rx»nt seize mille livres pour une année de Brisach* sur l'aliénation des rentes sur les entrées; ce que je ne doute point qu'il n'ac- cepte, puisque cela le déchargera d'un grand argent qu'il serait obligé de donner. J'ajouterai à cela que je

* C'pst-à-(lirc |>our eiitrcUîiûr pendaiil une aiiiiét; la garnison de Bri- sadi, dunt le gouvenieincnt appartenait à Mazarin.

SUR NICOLAS FOUUUET itsA-iay, 323

(rouvais qu(> Votre Érriincncc avait dans sa maison assez <le bien sur le roi ^ » Nazarin lui répondait en marge : « Il serait bien mieux d'avoir de l'argent comptant ; mais, au défaut de cela, une renie siîr les entrées ne sera pas mauvaise, pai-ce que même on la pourra vendre. Sou- venez-vous seulement que, pour cela, M. le procureur général ne laissera pas de donner le resie en argent comptant , ainsi qu'il a promis faire depuis long- temps. »

Fou(|uet, sims refuser positivement les rentes, mon- trait la difficulté d'en procurer immédiatement. «J'ai pailé à M. le procureur général, écrivait Colbert à Ma- zarin le 24 mai de la même année, pour me donner des rentes, en déduisant les cinquante mille livres d'ar- gent comptant qu'il a promises, il y a si longtemps. Il m'a dit qu'il payerait dans peu de jours les cinquante mille livres; mais que, pour les rentes, il aurait beau- coup de peine à en pouvoir donner, pour ce qu elles étaient distribuées entièrement ; qu'il allait néanmoins travailler à en retirer [K)ur la plus grande somme qu'il lui serait possible. »

Colbert voyait avec peine le cardinal s'engager dans les entreprises de fournitures pour, l'armée. Après avoir parlé d'autres affaires analogues, il ajoutait : « J'oserais dire la même chose du pain de munition 'de l'armée

Dans lo Iniigage de cette époque, on appelait bietis sur le roi, les aliénations de domaines royaux ou participation î.ux fermes d'im])6tA que certains parliculiei's obtenaient. Tellt^ étaient les rentes sur les l'Uln-es ou octms, dcnU il estqu<'stion dans ce passade

^ Il y u dans le tente pain de munion; mais c'est sau» doute une ubix^ viation pour munition

324 MÉMOIRES

de Catalogne, qui assurément doruiera du déplaisir à Votre Éminence. L'armée sera mal servip, le ménage sera peu considérable, et, par-dessus tout, il coûtera une infinité d'argent à Votre Éminence. Quand j'ai ouï |)arler de ce dessein, je croyais que le fonds de celte fourniture se payeiait par mois, comme les autres dé- penses de la guerre; mais M. le procureur général nj'ayant dit qu'il lui était impossible de donner autre chose que des assignations, et que Votre Éminence \w lui avait demandé que cela, je commence à connaître que nous avancerons la plus grande partie de cette fourniture, et peut-être tout entière, avant que nous puissions recevoir aucune chose. Le recouvrement d(»s assignations ne se peut faire ensuite (|u'avec quelque mauvais effet, étant impossible d'empêcher que le nom de Votre Éminence ne paraisse point, et que ceux sur qui on est assigné ne le publieiit partout, parce qu'ils en tirent quelque considération. Par exemple, M. le procureur général m'ayant dit qu'il assignerait cett(» dépense sur une fabrique de menue monnaie que l'on va faire dans tout le royaume, il est impossibh^ d'em- pècher que les traitants ne connaissent que ces assigna- tions auront été données pour le remboursement de Votre Éminence, et qu'ils ne disent ensuite, dans toutes les provinces, que cette fabrique est pour elle. »

Mazarin, dans sa réponse à Colbert, insiste toujours |)Our être payé, surtout en argent comptant : « Vous dir<;z à M. le procureur général qu'il m'avait fait espérer de ne donner pas seulement de bonnes assignations [)our le pain de Catalogne, mais aussi une partie en argent

SUU NICOLAS FOUQUET wsviesT; 3i5

comptant, puisque les garnisons ont été entretenues jusqu'à présent et que l'on a fourni du pain à Tarmée il y a déjà quelque temps. Je vous prie de lui en parler et de le presser là-dessus, lui faisant connaître que, lors môme que l'on dépense le tiers davantage dans la four- niture du pain pour celle de Catalogne, MM. les surin- tendants ne se sont jamais défendus de donner à l'avance une somme d'argent comptant. »

Quant à la part qu'il prenait aux marchés avec les traitants, Mazarin indique un moyen facile de la dissi- muler : « On peut remédier à cet inconvénient en faisant paraître le nom d'Albert ou tel autre que vous jugerez à propos, étant absolument nécessaire que mon nom no paraisse pas. »

Le cardinal mettait la plus vive insistance pour pres- ser le remboursement de ses avances. Il écrivait encore à Colbert le 12 juin 1657 : « M. le procureur général m'a mandé qu'il avait ajusté avec vous diverses choses tendant à me rembourser, et M. l'abbé Fouquet, qui me rendit sa lettre, me confirma la môme chose de vive voix. Je serais bien aise de savoir ce que c'est; et ce- pendnnt je vous dirai que, par le retour du môme abbé, j'ai fort pressé le procureur général de me tenir la pa- role qu'il m'a donnée de me sortir des avances que j'ai faites depuis l'année passée, élant plus qu'équitable de le faire, au môme temps que, parla quantité d'affaires qu^on a faites en dernier lieu, lui, procureur général, sort de tous les engagements il était entré pour le service du roi, avec une différence que je n'ai jamais lire un sol d'intérêt de tous les miens. Je vous prie de

326 MÉMOIKES

parler en celte conlormiti^ et presser pour l(*s deux cent mille écus qu'on a envoyés ou qu'on doit envoyer en Allemagne. II m'a écrit aussi qu'il emploierait Contarini et Cenami * dans la fabrique des petites monnaies, et l'abbé a ajouté qu'on avait ménagé en général un dona- lif *, duquel je pourrais disposer. Vous vous informerez donc de la chose, et vous saurez aussi de Cenami si la compagnie qui veut entreprendre la chose fera le dona- tif dont il m'a autrefois parlé. »

La correspondance de Mazarin et de Colbert est rem- plie de détails de c>etle nature 11 s'agit toujours des avances faites par le cardinal et de ses instances pour en être remboursé. Je me bornerai à une dernière citation. Colbert écrivait au cardinal le 22 juin : « M. le procu- reur général m'a dit qu'il faisait état de donner sur une affaire qu'il avait proposée à Votre Éminence, qui ro- gîirde les intendances des iinances, trois cent mille livres pour le roi de Suède, le remboursement de ce qui reste à Votre Éminence de l'année dernière et les cent mille livres du pain de Piémont. Pour la garnison de Brisach, il m'a dit que, toutes les rentes étant engagée.s, il n'en avait pu retirer que pour vingt-deux mille cinq cents livres de rentes, faisant cent cinquante mille livres en principal, et qu'il me ferait payer cinquante mille livres d'argent comptant. »

< Banquiers italiens auxquels Mazarin uvail conlir une partie de sa Tortunc.

* C'est 04; que l'on appelle vulgaircnieul un pot -de-vin.' Le cardinal en pi*élevait sur les marchés passés avec les traitants. Sa coiTesfM)!!- dance "e laisse aucun doute à cet éjrard.

SUR NICOLAS FOUQUET (less-iss? 327

Ces conditions ne satisfont pas encore Mazarin. Il ré- pond à Colbert : « Vous pourrez dire à M. le procureur général qu'il eût été bon que j'eusse été remboursé de ces dernières avances sur des affaires faites, et non pas sur celles qu'il projette de faire; et il me semble que, sans présomption, je pourrais être considéré comme les autres, qui ont fait des avances et qui ont été rembour- sés sur les dernières affaires qu'on a faites et qui sont payés des intérêts jusques au dernier sol, pendant que je ne sais pas ce que c'est que d'avoir un denier d'inté- rêt. »

Outre ces entreprises de fournitures pour les armées et les avances faites à l'État, il y avait des fonds secrets dans lesquels Mazarin puisait à pleines mains; on les ap- pelait alors ordonnances de comptant. Le roi, ou plutôt le ministre» écrivait sur l'ordonnance de payement : o Je sais le motif de cette dépense. » On en dérobait, autant que possible, le contenu à Servien ; quoique ce ministre fut spécialement chargé des dépenses, c'était Fouquel qui en avait le secret. Mazarin écrivait à Colbeil, le 20 mai 1657 : « Je vous envoie une ordonnance de comptant de trois cent mille livres, de laquelle vous vous servirez auprès de M. Servien, comme M. le pro- cureur général vous dira, prenant garde que autre per- sonne que lui n'en ait connaissance. Cette ordonnance regarde en partie M. le Tellier*; mais vous prendrez tel prétexte avec M. Servien que vous concerterez avec ledit sieur procureur général, afin qu'il paraisse que

* Michel le Tellicr était secrétaire d'Étal et chargé du département de la j;nenv.

528 MÉMOIRES

cela regarde lesalïaires générales plus que les particu- lières (les personnes que le roi a résolu de gratifier. »

Dans la même lettre, le cardinal insistait encore pour le payement de diverses sommes, et entre aulres de celles qu'il avait perdues au jeu ; c'était toujours à Ni- colas Fouquet que Colbert devait s'adresser pour obtenir les remboursements. « Je crois, écrivait Mazaiin à son intendant, que cette lettre vous arrivera plutôt que le maréchal de Gramont, qui vous présentera deux billets de ma part et plusieurs ordonnances, destiuelles vous recevrez ci-joint un mémoire que le sieur de Yillacerf ' a fait. Un des billets est pour payer huit mille et tant de livres qu'il m'a gagnées, et vous reprendrez c(îtle somme sur le fonds que je vous ai mandé. L'autre est pour parler de ma part, à M. le procureur général, pour faire acquitter les ordonnances qui regardent le maréchal sur le courant de ce mois e\ du pro- chain, » etc.

Fouquet, contraint d'obéir aux exigences du cardi- nal, a voulu lui faire supporter la plus grande pail de la responsabilité de son administration. « Chneun sait, dit-il dans ses Défenses, que, durant ma suiintendance, défunt M. le ciirdinal Mazarin, en qualité de prenîier ministre, gouvernait absolument, avec la permission et sous l'autorité du ix)i, toutes les affaires de Franr(» et même celles de finances, de manière que l'on peut dire avec vérité qu'il était le premier et principal or(l(»nna-

* Villacrrf rtail un dos intondanis du cardinal, roninic nons lap pr.^nnont \o*i Mt^ino/res de Gourville.

SUR NICOLAS FOUQUET i6S6-i«r-: 529

leur, et que je n'agissais que sous ses ordres, et que œux qui ont eu quelque part dans la direction des fi- nances, du vivant dudit sieur cardinal, savent et peu- vent certifier que le détail des trois quarts de la fonc- tion de surintendant, et la recelte et dépense des de- niers les plus clairs du royaume, se faisaient en son hôtel et sur ses ordres par le ministère dudit sieur Col- bert, de Ondedeï, Roze, Ronssereau, Villacerf, le Bas*, Berryer, Picon-, et autres qui agissaient sous lui dans les affaires.»

Dans un autre passage de ses Défenses^ ^ Fouquet in- dique quel fut pour Mazarin le résultat de cette admi- nistration, dont il était l'arbitre souverain : « L'extrême nécessité dudit sieur cardinal Mazarin, en 1653, est pu- blique; son extrême richesse depuis ce temps-là paraît en partie par les mariages de ses nièces, par la lecture (U\ ce mystérieux testament que l'on a tenu caché jus- qu'à présent, contre tout ordre et raison, par autorité absolue. » Les mariages dont parle Fouquet avaient placé les nièces de Mazarin dans les maisons de Condé, (le Modéne, de Savoie-Carignan, de La Meilleraye, etc. tjuant à son testament, on a évalué à plus de trois cents millions de notre monnaie les sommesque Mazarin avait îireumulées en huit ans.

Kii faisant les affaires du cardinal, le surintendant ne négligeait pas les siennes, (lolbert, qui, dès cette époque, surveillait sa conduite, nous apprend rommeni

* Vi\ (h^ commis (II* 0»ll)ort.

^ Idem.

»T. II. p. 2.V

57iO MEMOIRES

Fouquet trompait la vigilance do son collègue Servien. Il accuse surtout un commis de Servien, nommé De- lorme, d'avoir été complice de Fouquet, mais en cou- vrant habilement sa connivence sous le masque de Top- position. Delorme répétait à Servien, dit Colbort*, « qu'il devait toujours être en garde contre les actes d'un esprit entreprenant et de grande cabale, et ne laissait pas de lui faire faire tout ce que le sieur Fou- quet désirait. La première affaire considérable qu'il fit par celte intrigue fut la ferme générait^ des gabelles. Deux compagnies se présent^enl pour cette gmnde ferme : la première, celle du vSieur Cusot, qui était plus agréable à M. Servien, et celle du sieur Girardin, qui était accommodé surtout avec Fouquet. Dès la première direction *, l'on parla de cette affaire, avant que M. Servien se fiU prononcé, le sieur Fouquet se dé(!lar;i pour Cusot, dit que cette ferme ne pouvait être mieux régie que par lui et qu'il la lui voulait donner. Delorme exagéra le déplaisir que M. Seivien recevrait de cette déclaration du sieur Fouquet, en lui faisant connaîtrt* que, s'il ne s'opposait fortement aux commencements, l'autre s'attirerait toute l'autorité ; il le fit ainsi ré- soudre à donner l'exclusion à Cusot et à faire tomb(M' la ferme à Girardin.

« Cette déclaration connue, Fouquet s'y oppose forte- ment et veut toujours que Cusot soit préféré. Loi^scpK»

^ Mémoire de Colbert à Louis XIV, nianns. do la Bihl. imp.. S. F., ir 5995, f* 5. Go Mémoiro a éu» piiblic' on paiiio par M. Pioire Clôinoiil daas son Histoire de Colhert, oi pins complet oinoni par M. Jonttloan.

* Consoil (lo Unancos.

SUR NICOLAS FOUQU.ET i«s«-iM7 331

ces contrariétés furent assez ressenties pour en faire une affaire considérable entre les deux surintendants, le sieur de Lyonne, neveu du sieur Servien, qui s'était accommodé avec le sieui* Fouquct pour jouer un rôle en cette comédie, est proposé par Delorme pour s'en- tremettre de l'accommodement, dans lequel le sieur Servien avait la satisfaction de donner la ferme au sieur Girardin, qui était l'homme de Fouquet; mais aussi le sieur Servien fit une affaire considérable pour le sieur Fouquet, pour le récompenser de ce qu'il s'était re- lâché, et lui délaissa une gratification considérable |)our sa favorable entremise. Le sieur Delorme, qui avait donné un conseil dont le succès avait été si avanta- geux, devint le confident et le patron jus([ue-là qu'après que cette comédie fut entièrement finie par le partage (les fonctions de la surintendance, le sieur Servien le mena lui-même chez le sieur Fouquet, le conjurant in- stamment de le prendre pour son commis, et le lui re- commanda comme le plus fidèle ami qu'il eût jamais eu. »

Il est difficile de supposer que Colbert ait complète- ment inventé les faits dans un Mémoire destiné à Louis XIV ; mais, lors même qu'on l'admettrait, il existe contre le surintendant d'autres accusations dont il ne s est pas lavé. Ainsi, il est constant qu'il prélevait sur les fermes des impôts des pensions considérables. Pour n'en citer que quelques-unes, il recevait des fermiers des aides* cent quarante mille livres par an. Deux des

* On appelait aides les impôts établis sur lo vin. les Imissons et on tfêiiéral sur los denrées.

332 MEMOIHES

commis de Fouquet, en exigeant des fermiers qu'ils payassent cette pension au surintendant, y ajoutèrent pour eux-mômes une somme de vingt mille livres. Les fermiers qui se soumettaient à ces conditions s'en ven- geaient sur le peuple, et c'était lui qui, en dernière analyse, portait tout le fardeau. Les fermiers des ga- belles, ou de rimpôt sur le sel, payaient à Fouquel une pension annuelle de cent vingt mille livres; ceux du convoi de Bordeaux \ cinquante mille, etc. Fouquet di- sait, il est vrai, pour sa défense, qu'une partie» de ees pensions était destinée au cardinal Mazarin, qui n'(Mi donnait jamais de reçus. Le fait est constant, diaprés les lettres que nous avons citées; mais il n'en reste pas moins établi que le surintendant participait à ces profits illicites.

Il est également constaté par les pièces du procès que Fouquet, comme Mazarin, prenait à f(»rme des impots sous des noms supposés ; ainsi il avait la ferme des oc- trois, les péages, ou douanes, appelés parisis^ l'impôt sur les sucres et les cires de Rouen, etc. Enfin il se ser- vait des sommes énormes qu'il dérobait ainsi au trésor pour faire des avances à l'État, toujours sous de faux noms, et il se les faisait rembourser avec des intérêts

* Lo convoi de Bordeaujc ù\m\ un impôt s])êcial qu'oii levait, û Hoi- doaux, sur les laissons lranspoilé(»s par mer. Il tirait son nom do ce qno piimilivemenl les népœiaiits de Bordeaux étaient oblipt's de faire escor- ter les naviixs de eommerre par des bâtiments armés en {ruenr. el payaient une taxe pour les frais de ce amvoi ou esoxïrte. Dans la suite, les rois .«^e chargèrent de faire escorter h^ navires de commerce, et \^o\\v subvenir aux dépenses, établirent une ferme spéciale de cet impôt, «pii conserva le nom de convoi de Bordeaux.

SUR NICOLAS FOUQUET (iw-ws-; 333

usuraires. Ce qui rend encore plus odieuses ces dilapi- dations, c'est l'usage qu'en faisaient le surintendant et son Irùre l'abbé Fouquet ; elles servaient h payer Icui's débaucbes, leurs palais somptueux et les fort iliciit ions qu'ils élevaient pour se mettre à l'abri de la vengeance royale.

CHAPITRE XIX

- ltkV5-1657

L'ablx! Foiiqucl tlisjMw dr la police. Aiiccdoto niamltr à cosuj»*! |»iu GourvilU*. Passion do l'abbé Fouqiiel |>oiu' madanuMJe CbAlillon. Portrait de colli» dame. Son avidité. Elle ««'enfuit à Bruxelh's après l'exécution de Beilhaut et lUcous. Puis elle reNient en Fi*ance et conspire avec le inai*échal d'Ilocquincourt pour livrer Hain el IN'-- ronne à Condé et aux Espa^niols. Lettre de la duchesse de Cbâ- tillon à ce sujet (17 octobre i655;; elle est inlerceptét; La ducliess<^ de (Uiâtillon est arn'ttie et conliée à la pardc de l'abbé Fompiel. Fun'ui*s jalous4»s de ce dernier. Scène violente qu'il lail à la du- cheîss*.' d<» Ctiâtillon '1656). Kuptur(> entre l'abbé Fouquet el ma- dame de (îhâtillon. ^- Dt'^sespoir de l'ablK». 11 lente de se n^îoncilier avec la duchesse, mais .sans succès. Fin de madame de ChâtilUni.

Tant que la lutte contre la Fronde fut sérieusi;, le surintendant et son frère» Tabbé Fouquet, rcstèrenl unis : ils avaient à combattre des ennemis implacables, et ils savaient que de leur union dép(»ndait leur force. Mais, lorsque la victoire fut assurée, et qu'il ne s'agit plus que de partager les dépouilles, les liens de famille et d'amitié se relAchùrent. L'abbé Fouquol ne larda pas à S4»-lfisser emporter par ses passions el devint pour son frère un obstacle el un danger. Nous sommes en- core loin de la calastropbe; mais déjà les deux frères

MÉMOIRES SUU MGOLAS FOUQUET (i65s-i65T) ÔÔ5

sonl entraînés vers l'abime par une ambition et des pas- sions qu'ils ne savent plus dominer. Basile Fouquet, qui n'avait jamais montré la même prudence que le surintendant f porta dans reiercice du pouvoir une vio- lence et un arbitraire qui le compromirent, en même temps qu'il soulevait des haines violentes par le scan- dale de ses amours.

L'abbé Fouquet avail été comblé de faveurs par Ma- zarin. Le cardinal avait ajouté à son pouvoir occulte des dignités et des titres qui en faisaient presque un grand seigneur. L'abbé avait acheté, dès 1654, la survivance (le la charge de procureur général au parlement de Paris, qu'exerçait son frère, et devenait ainsi un des chefs de ce grand corps de magistrature, quoiqu'il n'eûl été antérieurement que conseiller au parlement de Metz, et cela pendant six semaines seulement ^ Peu de temps après il acheta la charge de chancelier de Tordre du Saint-Esprit, et porta, au grand scandale de la noblesse, le cordon bleu, qui était réservé aux princes et aux [)er- sonnages les plus éminents par le rang et la naissance ^ Enfin, à une époque la liberté individuelle n'était garantie par aucune loi, l'homme qui dirigeait la police et disposait de la Bastille était investi d'une puissance redoutable. On en trouve une preuve dans l'anecdote suivante.

Gourville, un des commis de Nicolas Fouquet, avait été mis à la Bastille pour avoir mécontenté Mazarin. Il

' Journal inédit de l&i8 à 1657. ins. de la Bibl. iinp., n' l'i58 h ,lnê . f*231

M^irf., 1*332.

556 MÉMOIRES

n'en sortit que grâce à Tabbé Fouquel. « Sachant, dit-il*, que M. l'abbé Fouquet était fort employé pai* M. le cardinal pour faire mettre des gens à la Bastille, et qu'il en faisait aussi beaucoup sortir, je tournai toutes mes pensées verscecôté-là. A cepropos, je me sou- viens d'un procureur, homme d'esprit et grand railleur, qu'il y avait fait mettre. Comme nous nous promenions un jour ensemble, il entra un homme dans la cour, qui, y trouvant un lévrier, en fut surpris, et demanda pourquoi il était là. Le procureur répondit avec un air goguenard : « Monsieur, c'est qu'il a mordu le chien « de M. Tabbé Fouquet. » Je fis proposer de parler à M. le surintendant, et de voir avec M. son frère si, en parlant de temps à autre à M. le cardinal, comme il avait coutume, des autres prisonniers, il ne pourrail pas trouver moyen de me faire sortir. Cela réussit si bien, que, M. le cardinal devant partir, deux ou trois jours après, pour aller à la Fère, iM. Tabbé Fouquet lui porla la liste de tous les prisonniers de la Bastille, comme il faisait de temps en temps, il ordonna la sortie de trois, dont je fus un. »

Armé de cette autorité arbitraire, l'abbé Fouquet ne sut pas en user dans l'intérêt, je ne dis pas de la justice (ce serait trop demander à de pareils caractères) , mais dans l'intérêt véritable de son élévation et de la grandeur de sa famille. 11 se compromit par de folles amours et par de téméraires rivalités avec les plus grands seigneui*s. Nous avons déjà vu quelle était l'au-

1 Mémoires de Gourville «'dit. Michand et Ponjoulai , ji. 518.

SUR NICOLAS FOUQUKT UbM-iesT Ô57

(lace de 1 abbé Fouquet : il s'était attaqué aux plus grandes dames, et, entre autres, à mademoiselle de Clievreuse^, puis à la duchesse de Châtillon. Celle-ci, issue de l'illustre famille des Montmorency, alliée aux Coligny, parente de Condé, était une des beautés les plus célèbres delà cour de la reine Anne. Elle avait dé- buté, ainsi que nous l'avons dit antérieurement ', par des aventures romanesques, et s'était bientôt rendue fameuse par ses intrigues et ses amours. Elle avait ce- pendant une réputation de bel esprit et figurait au nombre des précietises^ à une époque Molière n'avait pas encore rendu ce titre ridicule. C'est d'elle que le poète Segrais a dit :

Obligeante, civile et surtout précieuse, Qui serait le brutal qui ne l'aimerait pas?

L'éloge s'accorde avec le témoignage de madame de Motteville, qui, comme nous l'avons vu plus haut', n'est pas partiale en faveur de madame de Chàtillon.

Le portrait de cette dame figure dans la galerie que nous a laissée mademoiselle de Montpensier \ Il estflatté, sinon au pliysique, du moins au moral. Quel qu en soit l'auteur (car il est peu probable, malgré le titre, qu'il ait été composé par madame de Chàtillon elle-même), il

' Voy. ci-desr>us, p. IMK

^ Voy. p. 81.

'' Voy. p. 8î-8*2.

* Portrait de madame la duchesse de ChàtUiou peint par elle-même, (îello manie do portraits était si généralement répandue, qu'un savant evé(|ue, Huet, lit aîlui de quelques religieuses de son diocèse. On les trouve dans la collection de portraits de mademois(>lle de Monti>ensier.

I. ti-i

338 MÉMOIRES

est bon de le rapprocher des autres jugements que nous ont laissés les contemporains sur cette femme célèbre. C'est madame de Châtillon elle-même qui parle : « Le peu de justice et de lidélitc que je trouve dans le monde fait que je ne puis m'en remettre à personne du soin dr faire mon portrait, de sorte que je veux moi-même vous le donner le plus au naturel qu'il me sera possible» et dans la plus grande naïveté qui fut jamais. C'est pour- quoi je puis dire que j'ai la taille des plus belles et des mieux faites qui se puisse voir. Il n'y a rien de si libre et de si aisé. Ma démarche est tout à fait agréable, et, en toutes mes actions, j'ai un air infiniment spirituel. Mon visage est un ovale des plus parfaits, selon toutes les régies; mon front est un peu élevé, ce qui sert à la régularité de l'ovale. Mes yeux sont bruns, fort brillants et bien fendus * ; le regard en est fort doux et plein de feu et d'esprit. J'ai le nez assez bien fait % et, pour la bouche, je puis dire que je Tai non-seulement belle (ît bien colorée, mais infiniment.agréable par mille petites façons qu'on ne peut voir en nulle autre bouche. J'ai les dents fort belles et bien l'angées. J*ai un fort joli petit menton. Je n'ai pas le teint trèvS-clair; mes cheveux sont d'un châtain clair et tout à fait lustrés. Ma gorge est plus belle que laide. Pour les bras et les mains, je ne m'en pique pas ; mais, pour la peau, je l'ai fort douce

* Bussy-Rabutin dit également dnns V Histoire amoureiue des Gaule* : <t Elle avait les yeux noirs et vifs. » Mais il ajoute, ce qui n'est plus dac- cord avec le portrait, le (iront petit.

a Le nez bien, la bouche i^ugc, petite et relevée, le tcini comme il lui plaisait, mais d'ordinaire elle le voulait afoir blanc cl rouge. » Dusëv^ Rabutin, ibid.

SUtt NICOLAS FOUQUET (lôss-ies-; 339

et fort déliée. On ne peut voir la jambe ni la cuisse mieux laites que je l'ai, ni le pied mieux tourné.

« J*ai l'humeur naturellement fort enjouée et un peu railleuse; mais je corrige cette inclination par la crainte de déplaire. J'ai beaucoup d'esprit, et j'entre agréable- ment dans les conversations. J'ai le ton de la voix tout à fait agréable et Tair fort modeste. Je suis fort sincère * et n'ai pas manqué à mes amis. Je n'ai pas un esprit de bagatelle ni de mille petites malices contre le prochain. J'aime la gloire et les belles actions. J'ai du cœur et de lambition. Je suis fort sensible au bien et au mal; je ne me suis pourtant jamais vengée de celui qu'on m'a fait, quoique ce soit assez mon inclination ; mais je me suis retenue pour Tamour de moi-même. J'ai l'humeur fort douce et prends mon plaisir à servir mes amis, et ne crains rien tant que les petits démêlés des ruelles, qui d'ordinaire ne vont qu'à des choses de rien. C'est à peu près de cette sorte que je me trouve faite en ma per- sonne et en mon humeur, et je suis tellement satisfaite de Tune et de l'autre, que je ne porte envie à qui que ce soit. Ce qui fait que je laisse à mes amis, ou à mes ennemis, le soin de chercher mes défauts. »

Il n'y a d'incontestable, dans ce portrait de madame de Châtillon, que Téloge de sa beauté. A trente ans (c'é- tait l'âge de la duchesse de Châtillon en 1656), elle en avait conservé tout l'éclat, et le relevait par la richesse de sa parure. Mademoiselle de Montpensier, qui ne l'ai- mait pas, est forcée d'en convenir. Elle la vit à cette

* Nous avons vu cjue l'indulgente madame de Motleville dit précisé* nient le contraire.

540 .MEMOIRES

époque iriènie au château de Chilly : « Rien, dit-elle ', n'était plus pompeux que madame de Ciiàlillon; elle; avait un liabit de taffetas aurore, tout brodé d'un cor- donnet d'argent. Elle était plus blanche et plus incai- nate que je ne Tai jamais vue, avait plus de diamants aux oreilles, aux doigts, aux bras; enfui, elle était dans une dernière magniticence. » Le jeune Louis XIV iw fut pas insensible aux charmes de la duchesse ; la cour le remarqua, etBenscrade en fit un couplet :

Cliâtillon, guidez vos ap|)as Pour une autre conciuôte. Si vous ê!es prôtc. fiC roi ne l'est pas. .\vec vous il cause; Mais, mais, en vérité, Pour votre beauté Il faut bien autre chose Qu'une minorité.

Un autre roi, mais un roi exilé, se rangea aussi parmi les adorateurs de madame de Châtillon : Charles 11 , roi d'Angleterre, qui habitait alors la France. Un des seigneurs attachés aux Stuarts possédait prés de Merloii une maison de campagne Charles II allait souvent chasser. Le jeune prince visita madame de Châtillon, et se laissa prendre facilement à sa beauté et à sa coquet- terie. Mademoiselle de Montpensier prétend, dans ses Mémoires*, que la duchesse aurait voulu se faire épouser par le roi d'Angleterre, et (jue déjà ses gens la berçaient de cette espérance. Une de ses femmes de

' Mémoires de mademoiselle de Montpensier édit. Charpentier, l. II. p. 437-438. * T. n, ibid.

SUR NICOLAS FOUQUET Iuss-icst} 341

chambre lui aurait dit en la coiffant : « Vous seriez une belle reine! «Mais Henriette de France, veuve de Char- les r, rompit cette intrigue.

L'abbé Fouquet osa devenir le rival des rois ; il con- naissait la duchesse de Châtillon depuis longtemps, et c'était surtout en négociant avec elle, en 1652 *, qu'il avait commencé à s'éprendre d'une passion qui troubla la netteté de son jugement. La duchesse de Chàtillon, qui avait besoin do Tabbé, employa avec lui ces manèges de coquetterie féminine qui lui avaient tant de fois réussi. Nemours, Beaufort, Condé, les Anglais Craf et Digby, pour ne citer que les plus connus', avaient subi le pouvoir de ses charmes. Quant à la duchesse, elle n'avait guère ressenti les passions qu'elle faisait éprou- ver; elle paraît n'avoir été sincèrement attachée qu'à un seul amant, le duc de Nemours. Pour le prince do Condé, le duc de Beaufort, le maréchal dllocqu incourt,

* Voy. plus haut, p. 173. M. Walkenaer, dans son intéressant oinrafro sur madame de Sê\ijiné (t. I, p. 43), fait remonter les ivlations de l'abbé Fouquet et de madame de Cliâtiilon jusqu'à l'épocpie l'abbé fut pri- sonnier dans l'bôlel de Condé (avril lti52; voy. p. 71), et il ajoute que la prison de l'abbé Fouquet fut postérieure à la mort de mademoiselle do Chevreuse, qui n'eut lieu qu'en novembre 1652. Je ne m'arrêterais pas à relrvor ces contradictions si l'ouvrage de M. Walkenaer ne jouissait d'une réputation méritée de science et d'exactitude.

* Les Mémoires de M'**, qui font partie des collections de mémoires sur riiisloire de France, donnent In^aucoup de détails sur les amours de la ducbesse de Cliâtiilon; mais cette compilation informe mérite {>eu de confiance. On ne saurait non plus ajouter foi aux Amottrs des Gaulex de Bussy-Rabutin. Mais les mémoires véridiques, tels que ceux de mademoi- s<'lle de Montpensier et de rtiadamo de Motteville, suffisent pour faire connaître la duchesse de Châtillon. Les lettres de l'abbé Fouquet et celles de Mazarin servent à compléter les renseignements authentiques sur une pnrtie de la ne de cette dame. Je ne parle pas des Mémoires de madame de ChâtiUmt; c'est une œuvre apocryphe composée par Senac de Meilhan.

342 MÉMOIRES

elle fut bien aise de les traîner à son char comme un ornement, et surtout d'en tirer des présents considéra- bles; car ce qui flétrit le plus cette conduite scanda- leuse d'une Montmorency, alliée à lant d'illustres fa- milles, c'est son avidité. Elle s'était fait donner par le prince de Condé la terre de Merlou*, et, lorsqu'elle se résigna à encourager les galanteries de l'abbé Fou- quet, ce fut pour profiter de sa puissance et s'enrichir de ses présents.

Il ne faudrait pas, du reste, se représenter Tabbé Fouquet avec les traits sérieux el le costume austère que son titre rappelle. Les deux belles gravures de Nan- teuil, qui sont à peu près de l'époque qui nous occupe, lui prêtent une physionomie séduisante. L'œil est fin et doux; l'ensemble du visage respire la jeunesse et l'es- prit. Ces portraits sont loin de justifier l'assertion do Bussy-Rabutin, qui prétend que l'abbé Fouquet avait la mine basse. Ce mot s'applique mieux au caractère qu'à la figure de l'abbé. Quoique Basile Fouquet eut alors phis de quarante ans, il ne porte pas cet âge dans la gravure de Nanteuil. Son costume est celui des gens de cour. Rien n'y rappelle l'homme d'Église; il porte le cordon bleu qui était réservé aux seigneurs de la plus baute noblesse. L'abbé Fouquet venait, en effet, d'ache- ter, comme nous l'avons dit, la charge de chancelier de l'ordre du Saint-Esprit, qui lui donnait le droit d'en porter les insignes '. Mais ce ne furent pas ces avantages

* Voy. pla<i haut, p. '83.

ajournai inédit de 10i8 à 1657, ins. de In lUlil. iiiip. l'i.'S bin), E. ï/aulour anonyme, qui est loin d'ôtre un Frondeur, s iudi^nie do voir

SUR NICOLAS FOUQUET iiws-Mun) 545

extérieurs qui louchèrent madame de Châlillon; elle vit dans Tabbc Fouquet, frère du surintendant et favori du cardinal Mazarin, un homme qui pouvait puiser dans le trésor public et lui donner part au trafic des impôts qui servait à enrichir le surintendant et ses créatures. La duchesse de Châtillon sacrifia à cette hon- teuse considération son nom et son rang, sa fidélité même au parti qu'elle avait embrassé et jusqu'à la vie des malheureux qu'elle avait excités à conspirer contre Mazarin *. Elle subit les fureurs jalouses de Tabbé Fou- quet, pour augmenter les trésors qu'elle ne cessa d'accu- muler jusqu'à la fin de sa vie.

Quant à l'abbé, il fut tourmenté pendant plusieurs années par la passion que lui inspirait cette femme ar- tificieuse ; toute sa politique eut alors pour but de l'a- mener de Merlou à Paris et de la mettre entre ses mains. Madame de Châtillon avait été impliquée dans la conspi- ration deBertautet Ricous; mais on ne l'arrêta point à cette époque, soit qu'elle eût trahi ses complices, soit que Mazarin, qui connaissait la passion de l'abbé

VMAh* Fouquet s'élever aussi haul : « 11 fui malaisé de ne pas s'étonner ({uc ledit sieur abbé Fouquet eiU voulu porter son ambition si haut que (le donner 400,000 livres d'arfrent comptant de la charge de chan- celier et garde des sceaux des ordres du roi, dont M. Senien était pourvu. Il n'en fit pourtant aucun scrupule et en prêta le senncnt entre les mains (h» Sa Majesté, le 11 de ce mois dr décembre 1656, se souciant fort peu de tout<^ les conséquences que ses ennemis en |K>urraient tirer. » Ot auteur anonyme exprime probablement la véritable opinion de» œnteni- porains.

* Mademoiselle de Montpensier l'en ac(Mise dans ses Ménioires (t. Il, p. 458 de l'édition (Uiarpentier . « On disait que c'était elle (la duclic^'ie de (lliîktillon) qui avait tout découvert h l'abl>é Fouquet dans l'affaire de res doux liommc*s n)u<'*s. n

544 MÉMOIRES

Fouquet, vouhlt la ménager. Après Texécution de Ber- laut cl Ricous, vers la fin d'octobre ou le commen- cement de novembre 1653, l'abbé Fouquet écrivait au cardinal : « La dernière exécution faite sur la [jiersonne des deux pestes d'État qui furent pris naguère, était non-seulement nécessaire pour couper racine aux en- treprises de la nature de celle dont ils ont été convain- cus, mais elle parle si haut en faveur de Tautorité royale, qu'il ne s'est rien fait de plus utile et qui aille plus loin que cette justice. Ce n'est pas tout néanmoins: car il est certain que, tant que madame de Châtillon de- meurera où elle est (c'est-à-dire à Merlou), il y aura toujours des intrigues entre elle et M. le Prince, lequel conserve de secrètes intelligences dans sa maison, est le rendez-vous secret et l'entrepôt de ceux qui voni et viennent vers M. le Prince, qui a auprès de lui un Ricous, frère de celui qui a été exécuté, et dont la femme, qui est Écossaise et se nomme Foularton, es! domestique de ladite dame et sert for! à tous leurs mystères, w

Mazarin répondit à l'abbé Fouquet le 10 novembre : « Pour madame de Châtillon, j'ai fait différer l'ordre du roi, afin qu'elle eût le temps de le donner à ses af- faires; mais, comme on juge absobiment nécessaire de l'éloigner, en sorte qu'elle ne puisse avoir facilité dans le commerce avec Paris et le prince de Condé, je ne pourrai pas empêcher qu'on ne lui envoie dans trois ou quatre jours l'ordre de s'éloigner. Cependant je suis très-aise qu'elle ait écrit, comme vous me mandez. » Si Ton en croyait Russy-Rabutin, l'abbé Fouquet aurait

SUR NICOLAS FOUQU ET (1855-1657' 345

profité de la terreur qu'il avait su inspirer à la du- chesse de Chàtillon, impliquée dans un crime capital, pour Tenlever et la tenir cachée pendant quelque temps. Ce rom^, auquel des écrivains modernes ont attaché trop d'importance*, est complètement démenti par les lottres de Mazarin à l'abbé Fouquet. Elles prouvent que la duchesse de Chàldlon s'enfuit, en effet, de Merlou, mais pour se rendre en Belgique auprès de Condé. Ma- zarin écrivait le 18 novembre à son confident : « Lo voyage de madame de Châtillon à Bruxelles ne sera pas de grande réputation pour elle. Vous savez de quelle uïanière j'en ai usé à son égard, et je vous puis dire avec sincérité que c'a plutôt été par votre considération (|ue par aucun autre motif. »

Madame de Châtillon ne tarda pas à rentrer en France, elle continua ses étranges relations avec Condé, avec Fabbé Fouquet et avec plusieurs autres personnages. Parmi les amants qu'elle prenait pour donner des alliés à Condé, on trouve le maréchal d'Hoc- quincourt, gouverneur de Péronne. A celte époque, les gouverneurs étaient à peu près indépendants, et déjà, pendant la Fronde, d'Hocquincourt avait promis de li- vrer Péronne aux rebelles par amour pour madame de Montbazon. Tout le monde connaît son billet : Péronne est à la belle des belles. La duchesse de Châtillon n'eut pas moins depuissancesurlui que madame de Montbazon. Elle arracha au maréchal la promesse de livreraii prince de Condé Péronne et Ham, qui lui appartenaient. Mazarin

' Knlro anirrs M. Walkonaor dans loinrapo sur madaiiir (]o Sr'vipné «•il»' pins lianl.

Si({ MÉMOIRES

fui instruit des intrigues de madame de Chûtillon, et il est probable que ce fut son agent ordinaire, l'abbé Fou- quet, qui les découvrit; c'est du moins dans ses papiers que se trouve la lettre adressée par madame ^e Cha- tillon à Condé, lettre qui fut interceptée et fournit une preuve positive du complot :

« Vasal est arrivé, écrivait-elle à Condé le 17 oc- tobre 1655*, comme j'étais à la cour, et je suis partie le lendemain pour vous faire réponse avec toute la di- ligence que vous désirez; ce qui est nécessaire pour vous avertir que l'on a grand'peur que vous ne fassiez quelque chose avec la bonne compagnie que vous avez. Mais, comme je suis persuadée que vous ne vous y épargnerez pas, je ne vous dirai rien pour vous faire voir le besoin que vous en avez et la facilité que vons y trouverez. Vous êtes assez éclairé sur toutes choses pour qu'il ne soit pas à propos de dire seulement un pauvre mot sur ce chapitre, si bien que je le vais finir pour vous parler d'un autre. Je ne puis comprendre que vous ne me remerciiez pas d'un présent de senteur que je vous ai envoyé il y a plus d'un mois. Dame ! il était si beau et si bon que je ne suis pas consolable que vous ne layez point reçu. C'était un homme de Chavagnac qui vous le portait, et, comme il avait assurément ordre de voir Marsin, j'appréhende, selon ce que Bouteville*

* CctU;letli*cso trouve dans un manus. de la Bibl. iinp. F. Gai^nièrcs, u* 2799, r»' 306 et 507, au milieu de lettres et de billeis dt's deux Fou- quel. Elle est en partie chiflrt^e, et on y tixinve certaines indications ajou- tées uniquement pour dérouler le lecteur. Je les ai supprimées.

* Ce Bouteville, frèie de la duchesse de CliAtillon, d<*vinl le uiaréciial duc de IiUxemlx>urîr.

SUR NICOLAS FOUQUET [im-iwj] 547

me mande qu'il en use avec vous, qu'il n'ait renvoyé l'homme sans vous le faire voir, afin de détourner son ' maître de vous aller trouver. Mais enfin je vous man- dais quej avais vu M. le maréchal d'IIocquincourt, qui m'avait dit des choses dont on pouvait faire son profit ; c'est, en un mot, que vous fassiez en sorte que Fuen- sîddagne lui envoie un homme de créance pour traiter avec lui sur le bruit qui court qu'il est mal avec la cour, et, pour peu que l'on soit raisonnable, il y a toute apparence que l'on fera affaire; mais, afin que Fuen- saldagne soit sans soupçon, nous avons jugé à propos que vous disiez que le maréchal n'est point assez de vos amis pour que l'affaire se fasse par vous. Néanmoins vous ne manquerez pas de vous entendre avec le maré- chal d'Hocquincourt ; je l'ai fait jurer plus de mille fois, el je ne doute point que l'on ne soit dans la dernière peine de ne rien voir de ce que l'on attendait sur cela. M. de Duras ira faire un tour à Merlou pour voir le ma- réchal d'Hocquincourt et l'encourager en cas qu'il frtl changé, sur ce qu'il n'a point ouï parler de Fuensal- dagne. Je lui en expliquerai la cause, et vous donnerez ordre pour que cette aventure soit réparée au plus tôt. J'envoie pour cela un nouveau courrier en diligence.

« Je vous jure que je me fais un effort furieux de ne vous point parler des choses sur lesquelles vous parais- sez la plus aimable créature du monde, et je prétends vous faire voir par que je préfère votre intérêt au mien dans toutes les aventures, parce que j'en trouve un assez complet dans celle aflaire. Mon frère * m'en

lïonri de Moiitmorency-Routovillo, rloiil iPa é\6 qiioslion à In papfi

548 MEMOIRES

parle encore; mais je ne vous en dirai rien pour celte fois, ayant trop d'impatience que vous receviez cello lettre-ci. Enfin, mon cousin, je vous dirai seulement, en passant, que j'ai fait par avance tout ce que vous me mandez que vous désirez que je fasse cl que je pens(* sur ce que je vois. J'ai peur que je n'aille jusqu'au poini vous dites que vous voulez que

De la même ardeur que je brille pour elle. Elle hriile pour moi.

« Adieu, mon cousin, je pense que je suis folle ; mais (!'est parce que vous iHes trôs-éloigné et que vous me faites pitié, car, sans cela, je conserverais toujours mon bon sens et la gravité que Dieu m'a donnée. »

L'abbé Fouquet, excité par la jalousie et par l'inlérrl de rÉlat, poussa Mazarin à faire arrêter madame de Châtillon. Livrer Ham et Péronne à Condé et aux Es|>a- gnols, c'était livrer la frontière septentrionale de la France et menacer Paris ; il fallait pourvoir à ce danger par de promptes mesures. La duchesse de Chàlillon fui arrêtée 5 Merlou, transférée à Paris et confiée à la garde de Tabbé Fouquet, « ce qui, écrivait madame de Sé- vigné \ parut plaisant à tout le monde. » La cour entra ensuite en négociation avec le maréchal d'Hocquincouit pour l'empêcher de recevoir l'ennemi dans Péronne. H en coûta au trésor deux cent mille écus; moyennant

prênklenle. Il avait suivi pendant la Fronde lu fortune de ('oiuN'» ol par- la};eait aloi^sa vie d'exil et d'aventures.

* lietlre de madame de Sévijmé à Bussy-Rabutin, en date du 25 no- vembre 1655 : « On dit que madame de Cbâtillon est diez l'abbé Fou- quet, Cela paraît plaisant à tout le monde. »

SUU NICOLAS FOUQUET (lesi-iw-; 349

cette somme, le maréchal livra les deux places au roi. Le gouvernement de Péronne fut laissé au marquis d'Hocquincourt, fils du maréchal, et celui de Hani donné à l'ahbé Fouquet, en récompense des bons ser- vices que sa police vigilante avait rendus à la Fi*ance. L'abbé atteignait en même temps un autre but qu'il poursuivait depuis longtemps : il était chargé de la garde de la duchesse de Chàtillon. Mais, à peine par- venu au comble de ses vœux, il commença à éprouver les inquiétudes et les tourments de la jalousie. Les ruses et la coquetterie de la duchesse de Chàtillon le met- taient au désespoir. Il voyait bien que, tout en accep- tant ses présents, elle se moquait de lui* et continuait son commerce de lettres avec le prince de Condé. La jalousie de l'abbé allait souvent jusqu'à la fureur; il voulut même s'empoisonner, si l'on en croit Bussy-Ra- bulin. Ce qui est plus certain, c'est qu'il s'emporta jus- qu'à faire à la duchesse de Chûtillon des scènes vio- lentes dont la cour et la ville étaient scandalisées. En voici une, entre autres, que raconte mademoiselle de Monipensier.

L'abbé Fouquet s'était absenté de Paris; la duchesse de Chûtillon en profita pour reprendre des lettres (ju'elle avait eu l'imprudence de lui confier. Comme elle était connue des gens de Tabbé Fouquet et consi- dérée connue la maîtresse du logis, elle pénéti-a dans

* Nous ne suivixHis pas Uussy-Rubutin dans tous les détails qu'il doune sur les vusi^ de la duchesse de (!!hàtilIou et les infortunes trop nièrilées de l'ablK* Fouquet . (l'est du l'Oman ou tout au moins de la chi'onique scandaleuse; nous nous eu tenons aux l'uiU aulhentiques.

350 MÉMOIKES

8011 cabiiicl, ouvrit les cassettes qui renfermaient se» papiers et s'en empara. A son retour, l'abbé Fouquet entra en fureur, et, se rendant chez la duchesse, il éclata en reproches et lui dit tout ce que la colère et la passion lui suggérèrent de plus violent. H brisa môni(» les miroirs à coups de pied et la menaça d'envoyer saisir ses meubles et ses pierreries, qu'il prétendait lui avoir donnés. Madame de Châtillon, qui avait tout à craindre de l'emportement de l'abbé, fut obligée de faire dé- fendre sa maison et ensuite de se réfugier chez madame de Saint-Chaumont *. « Jamais affaire n'a fait tant de» bruit que celle-là, ajoute mademoiselle dcMontpensiei*. C'est une étrange chose que la différence des temps î Si l'on avait dit à l'amiral de Coligny : « La femme de « votre petit-fils sera maltraitée par l'abbé Fouquet, » il ne l'aurait pas cru, et il n'était rmlle mention de ce nom-là de son temps, non plus que du temps des con- nétables de Montmorency et du brave Bonteville, père de madame de Châtillon '. »

Cette scène violente entraîna une rupture, qui mit l'abbé Fouquet au désespoir. Il chercha par tous les moyens à renouer ses relations avec madame de Châ- tillon. Il n'avait plus la ressource des affaires politiques, la duchesse ne donnant alors aucune prise de ce côté. 11 fit intervenir la religion et se servit de sa mère, dont

* Mémoires de tnademotselle de Montpensier, éclit. CliarpcMitior, I. \U. p. *225-22G.

* La duchesse de Clifttillon calait de la branche do Moii!inoiviu;y-Hoi:- Icville. Son père élait François de Montnioroncy-Boiitovillo, (|ui fnl arrêté el exécuté sous Louis XUI, poui* s'être battu en duel sur la plac»* lloyale, en plein jour.

SUK',N1C0LAS FOUUUET [ussr-mi) 351

la simplicité l'ut dupe des fourberies de l'abbé. Appre- nant que la duchesse de Cliàtillon était au couvent de la Miséricorde du faubourg Saint-Germain \ il s'y rendit avec sa mère. Lorsque madame de Châtillon lapervut, elle dit à madame de Brienne, qui raccompagnai! : « Ali ! que vois-je? Uuoi ! cet homme devant moi « ! » Mais la mère Madeleine, supérieure de la communauté, gagnée par la mère de l'abbé Fouquet, et ne voyant dans cette scène de comédie (ju'une œuvre charitable, suppliait madame de Châtillon de mettre ses ressentiments aux pieds du crucifix. « Au nom de Jésus-Christ, lui disait- elle, regardez-le en pitié. » Madame Fouquet joignait ses instances à celles de la mère Madeleine, et leurs prières finirent, si l'on en croit mademoiselle de Mont- pensier, par triompher des ressentiments de la duchesse de Châtillon. a Ce fut, comme dit la princesse, une farce admirable. »

Cependant, depuis cette époque, la réconciliation ne fut jamais complète, et, lorsque mademoiselle de Mont- pensier revint à Paris en 1658, elle fut encore témoin d'une scène assez ridicule entre la duchesse de Châtillon et l'abbé Fouquet. Un soir que la princesse élait à lu foire Saint-Germain^ avec Monsieur, frère de Louis XIV, qu'accompa{inaient la princesse Palatine, Anne de Gon- zague, et d'autres dames de la cour, la duchesse de Châtillon vint les rejoindre. Peu de temps après, l'abbé

* Le couvent des Filles de la Miséricorde était situé nie du Vieux- Colombier. ^ Mémoires de mademoUelle de Montpensiert t. Ul, p '22G-2'i7 '' Celte l'oire se tenait aloi*s me de Toiirnon.

352 MÉMOIRES

Fouquet arriva; aussitôt madame de Chàlilloii dil à Monsieur : « Permettez-moi de m(»ttre un masque; j'ai li-oid au front'. » Elle se couvrit le visage d'un de ces légers masques de velours que Tusage permettait aux femmes de porter; elle le garda tant qu'elle fut en pré- sence de Tabbé Fouquet. Comme le prince et ces dames visitaient diverses boutiques de la rue de Tournon, ils furent plusieurs fois séparés. Dès que la duchesse de Chàtillon se trouvait dans un lieu n'était point l'abbé Fouquet, elle ôtait son masque et le remettait dès qu'il paraissait. De son côté, l'abbé affectait pour la duchesse un dédain qu'il était loûi d'avoir. « Il y eut hier comédie au Fjouvre, écrivait Olympe Mancini le 20 août 1058* ; Mademoiselle y était, ainsi que madame de Chàtillon, l'abbé Fouquet aussi, lequel dit toujours qu'il ne se soucie point de la belle, et môme il s'en moqua tout hier soir. Mais je crois que tout ce qu'il en fait, ce n'est que par colère, et je jurerais qu'ils se raccommode- ront. »

Repoussé par madame de Châtillon, l'abbé Fouquet ne tarda pas à porter ailleurs ses volages amours. Il s'attacha à une des beautés célèbres de cette époque, à madame d'Olonne, et devint le rival des Marsillac, des Caudale, des Guiche, en un mot de toute la brillante jeunesse de la cour. Quant à la duchesse de (Châ- tillon, Ioi*squ'elle vit les adorateurs s'éloigner d'elle, elle songea à faire un(» fin et épousa un prince alle-

' Mtfmoirett de mademoùtellede Montpensier, i. Ul, |». "2*25. * Cette leltre a êlê publiée dans le Bulletin de la Société de l Histoire de France, t. I, deuxième partie, p. 163.

SUR NICOLAS FOUQUET (icss-ig&t) 553

mand, Christian-Louis, duc de Mccklembourg. Depuis celle époque, elle s'occupa surtout de satisfaire sa pas- sion dominante, celle des richesses; elle entassa de Tor, de l'argent, des meubles précieux, des pierreries. Ce- pendant elle conserva longtemps des restes de beauté, et madame de Sévigné, parlant d un voyage qu'elle fit, en 1678, à Tarmée de son frère le maréchal-duc de Luxembourg, la compare à Armide au milieu des guer- riers'. Saint-Simon, qui nous fait assister à la fin de toutes les grandeurs du dix-septième siècle, a retracé les derniei'S moments de Henriette de Montmorency-Boute- ville, qui mourut sans aucun retour vers des sentiments plus élevés*. Enfin madame de Sévigné s'est chargée dt» son oraison funèbre. Annonçant la mort de la duchesse de Mecklembourg à madame de Grignan : « Comment peut-on, dit-elle', garder tant d'or, tant d'argent, tant de meubles, tant de pierreries, au milieu de Textréme misère des pauvres, dont on était accablé dans les der- niers temps? Mais comment peut-on vouloir paraître aux yeux du monde, de ce monde dont on veut l'estime et l'approbation au delà du tombeau, comment veut-on lui paraître la plus avare personne du monde, avare pour les pauvres, avare pour ses domestiques, à qui elle ne laisse rien ; avare pour elle-même, puisqu'elle se lais- sait quasi mourir de faim, et, en mourant, lorsqu'elle ne peut plus cacher cette horrible passion, paraître aux yeux du public l'avarice même ! »

* Lettre du 12 octobre 1678.

* Mémoires de SmutSimon, édit. Hachclte, in-», t. 1* p- 233 3 Lettre du 3 lévrier 1695.

CHAPITRE XX

1657 -

Faiiiillc de Nicolas Fouciuel. Il êiK)iise ou preiiiicri»s ikkm's Marie Foiir- diê, eleii seciH ides noces Marie-Madeleine de ('.astillc-Villeiiiareuil. Positions êlevt*es occupées par ses frères François, Louis et (îillrs. Mariage de la lille aînée de Fouquet avec le marquis de Cliarost (lï fé- vrier 1657). Projet rédigé par Fou<iuet |)our se inetire à l'abri do la vengeance de Mii/arin. llam et Concarneau sont <lésignés. dans la pi*eniiôre rédaction du pi"ojet, connue les places foiles doivent si' retirer les amis de Fouquet. Ilùle important qu'il donne à la mar- quise du IM<»î«is-R<»lliére. Caracière de celte fenune. Elle marie sa fille au duc de Créqui. Madame d'Asserac est citée éjiralement dans le projet de Fouqurl. Elle achète pour le surintendant le duché de Penthièvre. Uôle assigné à l'abbé Fouquet et à la famille du surintendant. Altitude que devaient prendre les gouvernt^urs amis lie Fouquet. Pei-sonnages sur lesquels il comptait à la cour el dans le parlement : le duc de la Rochefoucauld et son lits, le prince de Mai-sillac. Aniauld d'Andilly, Achille de Harlay. Il a\ait gagné l'amiral de Neuchi*se et un marin nonuné Guinan. l/Cs frères et k»s amis du surintendant devaient entretenir l'agitation dan> les parlement:» et le clergé. Mesures à prendre dans le cas Fouquet serait mis en jugement. Répon.se de Fouquet à l'occasion du projet li*ouvé à Saint-Mandé. Il en reconnaît l'authenticité. Il veut acheter une diargc de secrétaire d'État. Travaux exécutés à Vaux-le-Vicomle, près de Melun. Fouquet se laisse eni\Ter par la flatterie.

Nicolas Fouquet n'imita pas d abord la fougue el les emportements de son frère l'abbé. Il s'était toujours montré plus prudent et plus modéré que lui. A 1 époque

t I

MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET (i657 355

nous sommes parvenus, sa conduite est celle d'un ambitieux qui marche vers son but avec une habile circonspection. Il prépare de loin sa puissance, se fait des amis et des partisans de haut rang, étend ses do maines, et s'efforce de poser solidement les bases de sa fortune. Il avait épousé, en premières noces, Marie Four- ché, dame de Quehillac, qui lui avait apporté une dot assez considérable. On l'évalue à trois ou quatre cent mille livres, dans un mémoire dont Tauteur s attache à diminuer la fortune de Fouquet, afin de rendre ses di- lapidations plus frappantes*. Marie Fourché mourut bien- tôt, laissant une fille qui devint plus tard marquise, puis duchesse de Charost.

Vers 1650, époque il acheta la charge de procu- reur général au parlement de Paris, Nicolas Fouquet épousa, en secondes noces, Marie-Madeleine de Cas- tille-Villemareuil, fille unique de François de Castille, qui fut successivement maître des requêtes et président d'une des chambres des enquêtes au parlement de Paris. Fouquet eut, dit-on, de ce second mariage, quatre ou cinq cent mille livres •. Les Castille étaient une famille de marchands réputés fort riches, et qui avaient contracté de grandes alliances. Le président Jeannin, ministre de Henri IV et négociateur célèbre', avait marié sa fille à Pierre Castille, qui, de marchand de soie, était devenu

* Ce mémoire du conseiller d'État de la Fosse est adressé au chancelier Séguier et se trouve dans les papiers de ce dernier, t. XXXII, 1^ 145 et suiv. Bîbl. imp.. nis. Saint-Germain fr., n'709.

^ Ilfid.

^ Les Négociation du président Jeemnm font partie de toutes les ool- iections de mémoires relatifs à rhistoire de France

556 MENOIKES

receveur du clergé. Nicolas Jeaniiiii-de-Caslille et Marie-Madeleine de Castille-Villeinareuil étaient les des- cendants de ce Pierre Castille; le premier devint mar- quis de Montdejeu et trésorier de l'épargne; la seconde épousa Nicolas Fouquet.

La femme du surintendant resta dans l'ombre tant que son mari fut riche et puissant; mais, après sa dis> grâce, elle montra un courage et un dévouement qui honorent sa mémoire. Elle s'effonja, de concert avecla mère de Fouquet, d'exciter la pitié des juges et de dés- armer la colère du roi. Ces deux femmes se tenaient presque chaque jour à la porte de TArsenal, siégeait la chambre de justice, et présentaient des requêtes en laveur de laccusé ^ Après la condamnation du surinten- dant, sa femme s'enferma avec lui dans la forteresse de Pignei-ol», et y resta jusqu'à la mort de Nicolas Fouquet. Elle lui survécut trente-six aijs, entourée du respect que méritaient ses vertus. « Elle mourut à Paris, en 1716, dit Saint-Simon*, dans une grande piété, dans une grande retraite et dans un exercice continuel de bonnes œuvres pendant toute sa vie. » La mère et la femme de Fouquet contrastaient par leurs qualités simples et modestes avec le reste de la famille.

Nicolas Fouquet avait alors deux frères évoques : Faîne, François, avait longtemps occupé Tévôché d'Agdc; mais la faveur croissante de sa famille le porta, en 1656,

Ou Irouve la preuve de ces fa il s dans le tome U du Journal d Olivier d'OrmesMH, sout racoulés les principaux évêueuicuts du procès de Fouquet.

*Mt^moires. ddif. Hachette, in-8, t. XîV. p. 112.

SUR NICOLAS FOUQDET (les: 357

H la coadjutorerie de rarchevôché de Narbonne. Il as- sura trente mille livres de rente, en bénéfices d Église, au neveu de rarchevèque, et obtint ainsi le titre de coadjuteur de Narbonne V En même temps il résigna son évéché d'Agde en faveur de son frère cadet, Louis Fouquet, qui avait été récemment pourvu d'une charge de conseiller au parlement de Paris. Enfin un troisième frère du surintendant, Gilles, entra dans la maison du roi, et finit par devenir premier écuyer de la grande écu; rie. Son mariage avec la fille unique du marquis d'Au- mont releva la famille un peu roturière des Fouquet*. Le marquis d'Aumont se démit, en faveur de son gendre, du gouvernement de Touraine et des châteaux forts qui en dépendaient.

Nicolas Fouquet était, par son crédit, le principal au- teur de celte rapide forlune de sa famille. On trouva môme, dans ces papiers, la preuve que le trésor public avait payé les dignités et les alliances des Fouquet. Le surintendant aspirait à un mariage brillant pour la fille unique qu'il avait eue de son premier mariage, et il y parvint. Elle épousa, le 12 février 1657 ^, le fils aîné du comte de Charost, gouverneur de Calais et capitaine des gardes du roi. Pour acheter cette alliance illjislre, Nicolas Fouquet avait donné six cent mille livres de dot a sa fille*, et avait fait rembourser au comte de Charost cinq cent mille livres qui lui étaient dues pour d'an-

« Journal im^ditdo 1648 à 1657. BiJil.imp., ins.. 1258 [bis], E, f»' 231-232. « Défense», t. Ilî. p. 317-318, et 302-363. '• Journal uis. rilô plus liaul, ibid., t* 259. * Ibidem.

558 MÉMOIRES

ciens services. On célébra ces noces avec une pompai extraordinaire.

Les Charost étaient une branche de la maison de Bé- thune, à laquelle la France avait Sully, ministre de Henri IV. Le comte de Charost avait rendu de grands services au cardinal de Richelieu et rempli sous son administration des fonctions importantes. Il resta en faveur sous le ministère de Mazarin, et s'en montra digne par sa fidélité et son dévouement à la cause royale. En mariant son fils à la fille du surintendant, il s'assura le payement d'anciennes dettes que la couronne avait contractées envers lui, et se prépara de nouvelles fa- veurs aux dépens du trésor public.

La Gazette en vers de loret ne manqua pas de célé- brer ce mariage. On lit dans la lettre qui porte la date du 17 février 1657:

I^ fils du comte de Gharaut ', Jeune seigneur qui Iteaucoup vaut. Avec une allégresse extrême Se maria ce jour-là mùme A mademoiselle Fouquet, Que Dieu préserve de hoquet ; Car; outre qu'elle est très-bien née. Et de plasieui*s dons ornée, Diverses gens m'ont raconté Que c'est un trésor de l)onté, Et qu'elle est fort spirituelle; Mais aussi de qui tiendrait-elle? Puisqu'on peut dire avec raiFon Qu'elle est fille d'une maison Qui paraît une pépinière De sagesse, sens et Inmjére :

* On prononçait ainsi le nom de Charost.

SUR NICOLAS FOUQUET (imt 3r»9

Témoin son oncle paternol *. Digno d'un bonheur étemol, Par roxccllence naturelle De son âme tout h fait belle ; Témoin aussi son cher papa, Dont l'esprit jamais ne chopa Dans ces deux charges d'importance Qu'il exerce en servant la France. Enfin c'est un rare trésor.

Malgré les progrès de sa puissance et de ses ri- chesses, le surintendant n'était pas sans inquiétude. Le cardinal Mazarin connaissait son ambition et prêtait To- reille à ses ennem is . Nicolas Fouquet se tint sur ses gardes , songea à se préparer un asile en cas de disgrâce, el rédigea en 1657 le fameux. projet qui fut trouvé à Saint-Mandé. Dans un long préambule* il expliquait le motif de ses craintes : la défiance du cardinal contre tous les hommes puissants, les inimitiés que lui, Fou- quet, s'est attirées comme surintendant, et que les fonc- tions de son frère Tabbé ont encore aggravées, enfin la persuasion que Mazarin ne les attaquera que s'il croit pouvoir les ruiner et les perdre complètement. « Il faut donc, ajoute-t-il, craindre tout et le prévoir, afin que, si je me trouvais hors de la liberté de m'en pouvoir ex- pliquer, on eût recours à ce papier pour y chercher les remèdes qu'on ne poun^ait trouver ailleurs. »

Le surintendant voulait avant tout s'assurer une place forte il pût braver la colère du cardinal. Depuis

* îi'abbé Fouquet.

On trouvera à l'Appendice le loxtc même du projet. Il a été publié on grande partie | ar M. P. Clément dans son Histoire de Colbert,

p. il Ot su IV.

^60 MÉMOIRES

Richelieu, les principaux ministres" avaient eu leur ville de refuge. Richelieu s'était fait donner le Ilavro et avait fortifié cette place, dont le gouverneur ella gar- nison ne dépendaient que de lui. Mazarin était maîtro de Brouage. Le surintendant songea d'abord à Concar- neau et à Ham. La première de ces villes était un petit port de Bretagne que, dés 1656, Tabbé Fouquet avait acheté avec largent fourni par le surintendant. Les deux frères s'étaient efforcés de donner une certaine importance à Concarneau, et y avaient fait construire un grand vaisseau du port de huit cents tonneaux, au- quel ils donnèrent le nom de VÉmreuiV. Quant à la forteresse de Ham, elle avait été donnée à l'abbé Fou- quet, en récompense des services qu'il avait rendus en découvrant les projets de la duchesse de Chûlillon sur Péronne et en les disant échouer". Dans la première rédaction du projet de résistance, que Nicolas Fouquet écrivit de sa main en 1657*, il désigna Ham et Concar- neau comme les places fortes ses amis devaient se retirer s'il était disgracié.

Ce projet, sur lequel il est nécessaire d'insister, so divise en deux parties. Dans l'une, le surintendant prévoit le cas il serait seulement arrêté, et dans l'autre celui on le mettrait en jugement. La pre- mière précaution à prendre, si on l'arrêtait, serait de

* Défenses, t. UI. p. 547. Le no:ii do Foiicqnct. comme nous l'avons remarqué plus liant, signifie ^curm/. <>l animal fipirait dans les amies des Fouquet.

' Voy. plus haut. p. ôiO.

' I/aiilhenlicité de ce projet est inconlestable. el Fouquet hii-môme n'a jamais élev<^ aucun doute sur ce point.

SUn NICOLAS FOUQUBT (leîn 561

voilier à la sùrelé dos forteresses; et, pour cela, on de- vrail s'adresser à madame du Plessîs-Bellièro, « à qui je me tie de tout, ajoute Fouquet, et pour qui je n'ai ja- mais eu aucun secret ni aucune réserve. Elle connaît mes véritables amis, et il y en a peut-être qui auraient honte de manquer aux choses qui seraient proposées pour moi de sa part. »

Madame du Plessis-Bellière, que nous trouvons ici pour la première fois, reviendra trop souvent dans l'histoire de Fouquet pour que nous n'en parlions pas avec quelques détails. Suzanne de Bruc était veuve de- puis trois ans du marquis du Plessis-Bellière, lieute- nant général des armées du roi, brave et habile offi- cier qui n'avait jamais manqué à la fidélité pendant les années de troubles et de révolte qu'il avait traver- sées. Sa veuve était, de l'avis de tous les contemporains, une femme d'esprit et de tète. Elle s'empara complète- ment de Nicolas Fouquet, et les Mémoires du temps font assez, connaître la nature des relations qui exis- taient entre eux. On lui prête même une lettre* qui la ferait descendre au rang de basse et ignoble entremet- teuse. Il est difficile de concilier ces faits avec les ami- tiés illustres que conserva madame du Plessis-Bellière. Madame de Sévigné ne cessa de témoigner la plus vive affection à l'amie dévouée de Fouquet*. Simon-Arnauld de Pomponne et madame de Motteville lui écrivaient'.

* Cette lettre a été publiée dans les Mémoireg de Conrart, p. 614, édit. Michaud et Poujoulat. - Voy. entre autres les lettres du 9 décembre 1664 et du 29 a>Til 1672 ^ On trouve dans les papiei's de Fouquet 'ms. de la BiM. imp. F. Ra-

rm MEMOIRES

Saint-Simon hii-mûme, on annonçant la morl de la mar- quise du Plessis-Bollièrc, n'en parle qu'avec un senti- ment de respect et de sympathie ^ Il est remarquable que, dans les lettres qui sont parvenues jusqu'à nous, on ne trouve qu'un seul billet qui puisse faire soup- çonner la vertu de madame du Plessis-Bellière; elle ne s'occupe le plus souvent que de questions d'intérêt. Ambitieuse, elle visait pour sa fille à un mariage brillant, et pour elle-mômeàla place de gouvernante des enfants de France. Cette dernière charge fut donnée à madame de Montausier, si célèbre par son bel esprit, son rôle de précieuse à l'hôtel de Rambouillet et sa renommée de vertu, il y avait plus d'apparat que d'austérité réelle. Madame du Plessis-Bellière réussit mieux dans les projets d'alliance pour sa fille. F.e surintendant, qui lui avait assuré de riches pensions sur les fermes d'im-

lu7.c) une lettre aiitograplie de madamo de MoUevill»^ à madame du Plessis-Bellière. Elle lui demande un service auprès de Fouquet : o Dans la confiance que j'ai en vostre bonté, Madame, je vous supplie très-hum- blement de me faire la grftce de dire de ma part à M. le surintendant que je le conjure de ne rien accorder aux habitants de Montereau, que premièrement je ne lui fasse voir ce tjue j'ai à lui demander et ce que je puis prétendre de sa protection avec justice et sans que personne s'en puisse plaindre. Je vous supplie, Madame, de lui dire cela le plus tost que vous pouri'ez, et que cette grâce que je lui demande, quoiqu'elle soit dans l'ordre, sera pourtant comptée par moi pour fort grande et je lui en serai infiniment redevable. »

' Mémoires, édit. Hachette, in-8, t. IV, p. 435. Annonçant sa mort, arrivée en 1705, il ajoute : « Madame du Plessis-Bellière, la meilleure ot la plus fidèle amie de M. Fouquet, qui .souffrit la prison poiu* lui et beau- coup de traitements HUcheux, à l'épreuve desquels .son espi*it et .sa fidélité furent toujours. Elle conserva sa tète, sa santé, de la réputation, dt»s amis jw^'à la dernière vieillesse, et mourut à Pai'is chez la maréchale deCréqni, sa fille, avec hqupllo olli» demeuroit à Paiis. »

SUR NICOLAS FOUQUET [i%%i 505

pots*, contribua sans donte par ses largesses à faciliter le mariage de Catherine dn Plessii^Bellière avec Fran- çois de Créqui, qui devint dans la suite maréchal de France et un des plus grands seigneurs du royaume. Ce qui est certain, c'est que Fouquet donna plus tard deux cent mille livres pour assurer à François de Cré- qui la charge de général des galères de France, en même temps qu'il ménageait au fils de madame du Plessis-Bel- lière celle de vice-amiral des flottes de TOcéan, que possédait le commandeur de Neuchèse. Ce dernier était aussi un des obligés de Fouquet ; il avait reçu du surin- tendant l'argent nécessaire pour payer sa charge, et avait promis de s'en démettre en faveur du fils de la marquise du Plessis-Belliére '. On voit combien de mo- tifs cette femme ambitieuse avait pour être dévouée au surintendant. Elle ne manqua pas, du reste, à la recon- naissance et s'honora par son dévouement pour Fou- quet disgracié. Le surintendant avait raison de compter sur le zèle de cette amie pour stimuler ses partisans dans le cas il serait arrêté.

Madame du Plessis-Bellière devait s'entendre immé- diatement avec les gouverneurs de Ham et Concarnau, et munir ces places de troupes et de vivres, afin de ré- sister à une attaque. Fouquet comptait particulièrement sur le gouverneur de Concarnau, nommé Deslandes, « dont je connais, disait-il, le cœur, l'expérience et la fidélité. 11 faudrait lui donner avis de mon emprisonne- ment et ordre de ne rien faire d'éclat en sa province,

* C<^s faits sont constatés par le procès de Fouquet.

* On on trouva la prenvp dans les japiors do Foiiquot.

30i MÉMOIRES

no point parler et se tenir en repos, crainte que d'en user autrernent ne donnât occasion de nous pousser; mais il pourrait, sans dire mot, fortifier sa place d'hommes of de munitions de toutes sortes, retirer les vaisseaux qu'il aurait à la mer, et tenir toutes choses en bon état, acheter des chevaux et autres choses pour s'en servir, quand il serait temps. »

Une autre femme, que nous trouvons aussi pour la première fois dans l'histoire de Fouquet, madame d'As- serac, devait, aussitôt après avoir reçu la nouvelle de l'arrestation, venir à Paris pour s'entendre avec ma- dame du Plessis-Bellière. Qu'était cette dame d'As- serac? Quelles étaient ses relations avec Fouquet? Pé- lagie de Rieux, marquise d'Asserac, possédait en Bre- tagne de vastes domaines qui touchaient à ceux de Fou- quet. Les papiers du surintendant renferment plusieurs lettres de cette dame*, qui prouvent que, dévouée h Fouquet, elle avait su concilier son affection avec ses devoirs, et qu'elle faisait mentir le proverbe : Jamaifi svrintmdant na trouvé de cruelle. Dès le mois d'août 1656, elle lui écrivait une lettre d'affaires*. La seconde

' Crs lettres sont autograplics et consonnes dans les manu5H;rits do la Bibl. imp. F. Baluzc. * Voici In texte de celte lettre :

« Monsieur. <r Du moment j'ai vu par voire lettre que mes signes n'étoiont l)ons h rien, j'envoyai une chaloupe trouver M. d'Asserac pour avoir do lui ce que vous souhaitez. Je vous enveirai un couiTier exprès porter ce qui en viendra, et je crois que je le sui>Tai d'assez près, n'ayant plus qu'A vendre pour cent mille francs de terre pour faire la somme qu'il faut (pie je porte. Cependant, monsieur, je vous supplie de croire que j'ai toute la reconnoissance que je dois des bontés que vous avez pour moi. Je suis peiNuadée que vous me les continuerez jusqu'au bout, vous connoissant

Sun MCOLAS FOUQUET m.) 565

letlrc atteste que Pélagie de Uieux avait su résister â Fouquet sans i-ompre avec lui : « De ma vie, lui écri- vait-elle, je n'éprouvai si bien la force que j'ai sur moi- même que je fis avant-hier. Il ne s'en fallait rien qu'elle ne me manquât quand je vous quittai, et je me simrai bon gré toute ma vie de Tavoir su garder jusques au bout. Enfin, monsieur, voyez les desseins que le chan- gement des vôtres m'a fait prendre : ils sont de tra- vailler toute ma vie à vous le faire reprocher a vous- même, et si pendant tout ce temps il s'en trouve un vous soyez en situation de faire un discernement juste des gens, vous pourrez voir que les moindres obligations font chez moi ce que les plus grandes, ailleui*s, ont peine d'y établir. Voyez si mon ressentiment esl à craindre *. » Le marquis d'Asserac mourut en 1657, ainsi que le prouve la Gazette de Loret la date du 'iU septembre) :

D'Asscrivt;, ce brave niaixiuis, Qui par )x)nliciir s'était acquis Une épouse de haut lignage, Et dont l'esprit et le visage EnfluMinieraient les plus glacés, Est décédé ces jours passés ;

au^si généreux que vous êtes et étant fort sûre que jamais ma conduite ne m'en rendra indigne, et que je serai toute ma vie très-sincèrement, a Monsieur,

G Voire Irès-Iiumble et obéissante servante, a Pélagie de Rieux. i>

Au dos on lit

* Au dos :

Monsieur, Monsieur le Procureur généi al.

Monsieur. Moitêieur le buriulenitaut.

566 MEMOIRES

Diuit sadife éiwiisc éplorée

Dans un couvent s'est retiii^o

Pour y soupirer à loisir,

Touchant son présent déplaisir.

I*uis, quand ses yeux poui'vus do charme?

Aui*ont. de quantité de larmes,

Fait sacrifice à son éiHuix,

On la reverra paimi nous

Avec ses appas ordinaires ;

Car ayant de j^'andes affaires

Pour réguler sa noble maison.

Ce ne serait {las la raison

Qu'une veuve si renommée

Demeurât longtemps enfermée.

La marquise d'Asserac resta l'amie de Fouquel et continua de lui donner d'utiles conseils, comme on le voit par la lettre suivante : « Je m'aperçois que Tamitié dans mon cœur ne peut perdre ses droits, et vous ne sauriez croire Timpatience que je sentis de vous man- der ce qui m'est revenu par deux personnes de qualité et de croyance, c'est que Toncle d'une personne qui est votre proche alliée, et ce que vous avez d'ennemis dans le parlement, et force autres même, font une espùce de ligue et entreprennent de vous mettre mal dans les es- prits de celles qui ne vont pas au voyage, et, pour y parvenir, cherchent jusques aux choses les plus parti- culières, et même dans votre famille. Songez-y; ne né- gligez rien. L'envie est d'ordinaire l'ombre des grandes fortunes : plus la vôtre s'élèvera, plus l'effort de vos ennemis et leur haine seront grands. Je m'admire de vous faire ici une espèce de discours instructif. J'en re- tranche ce que je puis, et je vous assure qu'il ne vous parait que ce que je ne puis retenir. 11 eût été mieux de vous écrire seulement ce que j'ai appris, et de finir

SUR NICOLAS FOUQUET ^1637, 367

comme je \ais faire, en vous assurant que je serai toute ma vie dans vos intérêts sans empressement de vous le dire, à moins qu'il n'y aille de vous servir. »

Telle était cette dame d'Asserac, amie dévouée, qui avait su résister aux dangereuses séductions du surin- tendant. Ces lettres, que nous reproduisons dans toute leur simplicité et leur vérité, attestent que Fouquet avait une puissance sympathique qui lui gagnait des âmes élevées et généreuses, et que lui-même, malgré la faiblesse de son cœur et Tentrainement de ses passions, savait comprendre la vertu et ses nobles instincts. Ainsi s'explique le dévouement des amis nombreux qui restèrent fidèles à son infortune. Madame d'Asserac ser- vit Fouquet avec beaucoup de zèle dans les acquisitions qu'il fit en Bretagne \ Ce fut sous son nom qu'il acheta, du financier Boislève, le duché de Penthièvre, qui avait pour ville principale Guingamp (département des Côtes- du-Nord). Le prix était fixé à un million neuf cent mille livres. Madame d'Asserac, qui, à la mort de son mari, était criblée de dettes*, n'aurait pu faire pour elle- même une pareille acquisition, et Fouquet devint sous son nom propriétaire d'un duché qui étendait son in- fiuence dans le nord de la Bretagne. Madame d'Asserac possédait Tlle-Dieu, sur les côtes de cette province, et Fouquet recommande, dans son projet, qu'elle ait soin de mettre cette île en état de défense, et d'y réunir des

* Yoy. i»our la preuve de ces i'aiU un Mémoire du coiiisciller d'État de la FosMî, à l'Appendice. ' Ce sont les termes mêmes du Mémoire du conseiller d'Etal .

ôm MÉMOIRES

vaisseaux pour porter des secours partout il sérail nécessaire.

L'abbé Fouquct ne joue, dans ce plan de résistance, qu'un rôle secondaire. Son frère, qui n'avait pas encore rompu avec lui, commençait à s'en défier. En recom- mandant à ses amis de s'adresser à l'abbé Fouquet et de le laisser agir, il ajoute : « pourvu qu'il conserve pour moi l'amitié à laquelle il est obligé et dont je ne puis douter. » La famille du surintendant, sa mère, sa femme, ses frèi'es, son gendre, devaient se réunir pour obtenir parleurs instances qu'on lui laissât une partie de ses gens qu'il désigne nominativement. Fouquet les en- gageait à faire tous leurs efforts pour se mettre en relation avec lui et entretenir un commerce régulier, soit par le moyen d'autres prisonniers, soit en gagnant ses gardiens. Ils devaient en môme temps voir sous main tous ceux que la reconnaissance obligeait d'être dans ses intérêts. C'est toujours à madame du Plessis-Bel- liére que Fouquet leur recommande de s'adresseï*.

Après avoir consacré trois mois à se reconnaître et à s'entendre, les amis de Fouquet devaient commencer à prendre une attitude menaçante : le comte de Charost, dont le fils avait épousé sa fille, se retirerait à Calais, dont il était gouverneur, mettrait la place et la garni- son en bon état, et si son fils, le marquis de Charosl, n'était point de service auprès du roi, le retenait sou- vent sa charge de capitaine des gardes, il s'enfermerait aussi à Calais avec son père et y mèneiait sii femme, fille du surintendant. C'était surtout cette jeune femme qui devait stimuler le zèle de son mari et de son beau-

bUR NICOLAS FOUQUET (kot) 360

père en faveur de Fouquet. « Il faudrait, ajoutait-il, que madame du Plessis-Bellière lui rappelât en cette occasion toutes les obligations qu'elle ma, et Thonneur qu'elle peut acquérir en tenant monsieur son beau-père et son mari dans mes intérêts, x^

Fouquet énumérait ensuite les gouverneurs qui de- vraient, à l'exemple du comte de Charost, s'enfermer dans leurs places et s'y préparer à une résistance ar- mée. Il citait, entre autres, MM. de Bar, de Créqui et de Feuquières, De Bar, gouverneur d'Amiens, avait été chargé par Mazarin, de veiller à la garde des princes enfermés au Havre en 1650. Il avait conservé de gran- des intelligences dans cette place, ainsi que dans Hesdin et Arras. On espérait obtenir, par son concours, que MM. de Bellebrune, gouverneur de Hesdin, et Monldt- jeu, gouverneur d'Arras, s'enfermassent aussi dans leurs forteresses et y prissent une attitude capable d'in- timider Mazarin. Fabert, gouverneur de Sedan, était trop dévoué au cardinal pour que l'on se flattât de l'en détacher. Mais le marquis de Créqui lui rappellerait la parole formelle qu'il avait donnée à Fouquet et à lui- même, de soutenir les intérêts du surintendant. Si Fa- bert persistait dans les mêmes sentiments, on lui de- manderait d'écrire, en son nom et au nom de tous les gouverneurs indiqués ci-dessus, une lettre pressante au cardinal Mazarin pour obtenir la liberté de Fouquet, en s'engageant à lui servir de caution.

Les amis du surintendant ne devaient pas se servir de la poste pour leui-s communications, mais envoyer des agents, sur le dévouement desquels on pût compter. Lan- I 3i

370 MKMOIUES

gladeetGourvilleéUiient désignés connue les principuiix auxiliairesdeinadameduPlessis-Belliérepourdonnerdeîs ordres et organiser la résistance. Ils ne restei*aient pas à Paris, maisanraient soin de se nietlrc on sûreté, en hu-<- santà Paris des personnes dévouées. A la cour, MM. de la Rochefoucauld, de Marsillac et de Bournonville pour- raient être d'utiles alliés, « J'ai beaucoup de confiance en M. de la Rochefoucauld, écrit Fouquet, (»t en sa capa- cité. Il m'adonne des paroles si précises d'être dans nieî> intérêts, bonne ou mauvais*» fortune, envers et contre tous, que, comme il est homme d'honneur et recon- naissant de la manière que j*ai tenue avec lui, et des services que j'ai eu intention de lui rendre, je suis as- suré que lui et M. de Mai'sillac ne me manqueront pas. » C'était Gourville, autrefois attaché au duc de la Roche- foucauld, qui avait fait sa liaison avec le surintendant. Le futur auteur des Maximes, fidèle à ses principes égoïstes, avait profité de la faveur et des prodigalités de Fouquet; mais il témoigna peu de sympathie pour son malheur. On vit alors combien étaient vrais les traits sous lesquels la Rochefoucauld lui-même s'était peint * : « Je suis peu sensible à la pitié, et je voudi*ais ne Ty être point du tout. Cependant, il n'est rien que je ne fisse pour le soulagement d'une personne afiligée, et je croîs effectivement que Ion doit tout faire jusqu'à lui témoigner même beaucoup de compassion de son mal, car les misérables sont si sots, que cela leur fait le plus grand bien du monde; mais je tiens aussi qu'il faut se

' Voy. le porirait de la Roclicioucauld (leiiit par lui-iiièmC) duiis lu t,^Blcrie des Portraits de Mademoiselle. Ce portrait est de IGdO^

SUR MCOLAS FOUQUET ic57 571

coiilenter d'en témoigner el se garder bien soigneuse- ment d'en avoir. C'est une passion qui n*est bonne à rien au dedans d'une âme bien faite, qui ne sert qu'à affaiblir le cœur et qu'on doit laisser au peuple. » Cette Ihéorie de Tégoïsme réel et de la sensibilité en paroles s'affiche ici avec un cynisme qui révolte; mais les con- temporains de la Rochefoucauld, qui ne lisaient pas au fond de son cœur, se laissaient prendre à ses belles pa- roles, à ses semblants d'affection et de dévouement. Telle fut sans doute la cause de l'illusion de Fouquel dans ses relations avec le duc.

Quant au prince de Marsillac/fils de la Rochefou- cauld, il présentait avec son père le contraste le plus complet. Il avait l'esprit aussi fermé et aussi terne que le duc l'avait ouvert et brillant, et ce fut, si Ton en croit Saint-Simon *, la cause principale de sa faveur au- près de Louis XIV. Le roi était fatigué des beaux-esprits dont sa cour était remplie. Il préféra Marsillac, qui, bien loin de l'importuner par son éclat comme les Can- dale, les Guiche, les Vardes, subissait son ascendant avec toute la docilité et la bassesse d'un courtisan. 11 fut bientôt de toutes les parties du roi. Le surinten- dant ne pouvait pas plus compter sur Marsillac que sur son père, et Gourville avait raison de lui dire, lorsqu'il lui montra son projet, que, parmi les personnes qu'il citait comme ses amis, plusieurs ne seraient fidèles qu'à sa fortune.

Tels ne furent pas les Arnauld, que Fouquet énu-

< Mémaireit édit. Uaclielte, in-8, t. XI, p. 37.

3.2 MEMOIRES

mère aussi parmi ses amis les plus dévoues. Il cilc particulièrement Arnauld d^Andilly, qui, depuis plu- sieurs années, s'était retiré à Port-Royal des Champs. Ce personnage, longtemps mêlé aux affaires politi- ques, semblait y avoir renoncé complètement pour la vie solitaire. Cependant, malgré sa piélé, il con- serva toujours quelques relations dans le monde et à la cour ; il aimait à obliger ses amis, et il est pro- bable qu'il en recommanda quelques-uns au sur- intendant, et qu'il le remercia de ses services par des protestations de dévouement. Ce qui est cer- tain, c'est que le solitaire de Port-Royal et sa famille restèrent fidèles à Fouquet après sa disgrâce. C'est à Simon Arnauld de Pomponne, fils d'Arnauld d'An- dilly, que sont adressées les lettres si touchantes de madame de Sévigné sur le procès de Fouquet. Le jeune Arnauld avait même été exilé à l'époque de l'ar- restation du surintendant. Ce qui fait supposer que des relations intimes existaient entre lui et Fouquet. Plus tard, lorsque Olivier d'Ormesson eut contribué, par son rapport, à sauver la vie du surintendant, Arnauld d'An- dilly lui en exprima sa joie et sa reconnaissance avec effusion. Ce vieillard de quatre-vingts ans avait con- servé toute la vivacité de cœur de la jeunesse. Madame de Sévigné lui présenta, à Livry, le rapporteur du procès de Fouquet. « Il me fit mille embrassades, dit Olivier d'Ormesson dans son Journal^ avec des témoignages d'estime et d'amitié les plus obligeants du monde ; il se porte bien et agit avec un feu admirable. »

Parmi les membres du parlement sur lesquels Fou-

Slin NICOLAS FOIÎQUET (i«7) ,"75

(jiiot croyait pouvoir compter, on trouve MM. rie Harlay, Maupeou, Miron cl Chanut. Le premier, qui lui suc- céda comme procureur généi'al du parlement, poitait un nom illustre dans la magistrature; il en était digne par retendue, les lumières et la sagacité de son esprit ; mais, à en croire le témoignage suspect de Saint- Simon \ il aurait déshonoré son nom par la bassesse de son ciiractére : « Issu de grands magistrats, Harlay en eut toute la gravité, qu'il outra en cynique; il en affecta le désintéressement et la modestie, qu'il déshonora. Tune, par sa conduite, Tautre, par un orgueil ralfmé mais extrême, qui, malgré lui, sautait aux yeux. Il se piqua surtout de probité et de justice, dont le masque loniba bientôt. Entre Pierre et Jacques, il conser>'ait la plus exacte droiture; mais, dès qu'il apercevait un in- térêt ou une Faveur à ménager, tout aussitôt il était vendu. » Si l'on s'en rapportait à Saint-Simon*, Fou- quet aurait été encore moins heureux dans le choix de ses amis au parlement qu'en fait de grands seigneui^s et de courtisans.

Les marins lui furent plus dévoués. Comme la Breta- gne, sur laquelle le surintendant fondait ses principales espérances, est surtout accessible par mer, il avait eu soin de s'assurer des Hottes et des amiraux. Il cite sur- tout, dans son projet, l'amiral de Neuchcse : « Il est

* Mémoire» de fiaint-Simon, tWIit. Hachette, in-8, 1. 1, p. lil et suiv.

- La partialité du portrait tracé par Saint-Simon <st trop frappante I)oiir {pi1I soit nécessaire d'insister sur ce point. On sait d'ailleurs que lo duc de Saint-Simon avait eu contre lui Achille de Harlay dans un pro. ces qu'il soutenait contre le maréchal de Luxeml)0ur|?; cette circonstance suffit pour expliquer son ressi'ntiment.

Ô7i MEMOIRES

bon, dit-il, que mes amis soient avertis que M. le com- mandeur de Neuchèse me doit le rétablissement de sa fortune ; que sa charge de vice-amiral a été payée des deniers que je lui ai donnés par la main de madame du Plessis, et que jamais un homme n a donné des paroles plus formelles que lui d'être dans mes intérêts en tout temps, sans distinction et sans réserve, envers et contre tous. 11 est important que quoiqu'un d'entre eux lui parle et voie la situation de son esprit, non pas qu'il fût à propos qu'il se déclarât immédiatement pour moi; car, de ce moment, il serait tout à fait incapable de me ser- vir. Mais, comme les principaux établissements sur les- quels je me fonde sont maritimes, il est bien assuré que, le commandement des vaisseaux tombant en ses

mains, il pourrait nous servir bien utilement en ne fai- sant rien, et, lorsqu'il serait en mer, trouvant des dif- ficultés qui ne manquent jamais quand on veut. »

Fouquet avait aussi gagné un marin expérimenté, nommé Guinan \ homme de conseil, d^entreprise et d'exécution, disent les pièces du procès. Il comptait sur lui pour mettre Concarnau et le Havre en étal de dé- fense : « H faudrait que M. Guinan, lequel a beaucoup connaissance de la mer et auquel je me fie, contribuAt à munir toutes nos places de choses nécessaires et d'hommes qui seraient levés par les ordres de Gourville ou des gens ci-dessus nommés. C'est pourquoi il serait important qu'il fût averti en diligence de se mettre en

llrsl appoir Guinan dmis Kv: Dt^frnitrx, On tronvi* :iilloiii*s la forme (muant on Quittant.

SUR NICOLAS FOUQDET (lesT ^ 575

bon état el de se rendre à Concarnau ou au Havre ; ce dernier serait le meilleur. »

Fouquet connaissait la puissance de l'argent et n'avait pas négligé d'en amasser pour être en état d'équiper des vaisseaux et de s'assurer des défenseurs. Il savait aussi quel parti on pouvait tirer des parlements, du clergé et des nations étrangères. Il avait songé à tous ces moyens d'agitation, de résistance et de guerre. Son frère, Louis Fouquet, nommé depuis peu de temps à l'évéché d'Agde, avait été pendant longtemps conseiller au parlement de Paris; il y avajt des amis. Le surinten- dant lui recommandait de les faire agir à l'occasion des levées d'impôts, et de susciter au ministre des embarras qui le rendraient plus timide et plus disposé à traiter. Le clergé, les jansénistes et les partisans du cardinal de Retz étaient nombreux, formait, comme les parle- ments, un corps puissant et peu docile. Deux des frères de Fouquet y occupaient de hautes fonctions, François, comme coadjuteur de Narbonne, Louis, comme évéquo d'Agde. Leur mission devait être d'exciter le clergé à s'unir à la noblesse pour demander les états généraux, ou, s'ils ne le pouvaient, de convoquer des conciles na- tionaux en des lieux éloignés des garnisons, « et là, ajoute Fouquet, on pourrait proposer mille matières délicates. » Enfin les troubles des derniers temps n'avaient que trop montré quelles forces les factieux pouvaient tirer de l'étranger. Bordeaux avait reçu une fjarnison espagnole, el plus d'une fois les princes avaient appelé on France le duc de Lorraine. Fouquet n'oubliait pas de parler « des secours qu'on pouvait

370 ).ÉMOinES

tirer dos autres royaumes et Ktals, » et désignail la personne qui devait se charger de négocier avec eux.

Telle était la première partie du plan. Fouquet n'y prévoyait que le cas il serait arrélé; mais, si Ton allait plus loin et qu'on voulût lui faire son procès, des mesures plus énergiques devaient être adoptées; les gouverneurs s'empareraient des deniers publics et lan- ceraient leurs garnisons sur les routes pour inlercepter les communications entre le pouvoir central et les pro- vinces. Le capitaine Guinan armerait en brûlots et cor- saires tous les navires qu'il pourrait saisir sur la Seine entre le Havre et Rouen. Les amis de Fouquet feraient les plus grands efforts pour s'emparer de quelque per- sonnage considérable, tel que le secrétaire d'État le Tel- lier, qui servirait d'otage pour le surintendant. En même temps, ils se concerteraient pour enlever le rap- porteur du procès et tous les papiers. Quant aux meu- bles et argenterie du surintendant, on aurait eu soin, dès l'origine, de les mettre en sûreté dans des maisons religieuses. La guerre des pamphlets, qui avait été si redoutable entre les mains des frondeurs, ne devait pas être négligée. Fouquet désignait Pellisson comme une des plumes les plus habiles et les plus sûres de son parti. Enfin, il comptait que le parlement de Paris, di- rigé par un premier président qui lui devait sa charge \ ne souffrirait pas qu'un de ses principaux officiers, son procureur général, fût livré à une commission judi-

* Voy. plus haut, p. 507.

SUn NICOLAS FOUQUET [nr,] .177

ciaire, en violation des privilèges de ce corps. Il y avait, dans celte dernière pjirtie du projet, un véritable plan de guerre civile. L'armement des corsaires, la saisie des recettes, les hostilités des garnisons, pouvaient être hau- tement qualifiés d'attentats à la sûreté publique et de crimes de lèse-majesté.

Fouquet n a jamais nié la réalité de ce projet. Il dit d abord, dans ses Défenses^ qu'il n'avait voulu que se mettre à l'abri du mauvais vouloir de Mazarin sans conspirer contre le roi. « Il pourrait y avoir, dit-il', des personnes qui soutiendraient que, le nom du roi n'étant point en tout ce discours, s'agissant seulement de repousser la violence et se garantir d'une oppression dernière faite par un homme, qui n'était point le maître légitime, contre un sujet du roi qui l'avait servi et ser- vait encore avec honneur et courage, hasardant tout pour la gloire de son souverain et le bien de son Etat, on aurait pi très-légitimement employer toutes voies pour empêcher cette injustice, et d'autant plus à mon égard qu'il ast notoire qu'on ne me la voulait faire que par la jalousie de M. le cardinal, qui, abusant de son crédit et de l'amitié du roi, ne rendait jamais de témoi- gnage à la vérité, dissimulant les services des particu- liers, s'appropriant l'honneur de tous les bons événe- ments où il ava't le moins contribué, se déchargeant de ses propres fautes, et ôtant à tout le monde l'accès au- près de Sa Majesté, pour empêcher que la vérité ne lui fût connue.

* Défenses, t. U, p. 19 et suiv

Ô78 MEMOIRES

« Ixîdît sieur cardinal était gouverné lui-même par Colbert, son domestique, lequel, sous prétexte d'amas- ser des trésors à son maître, s'était emparé de son cœur et de son esprit, et le portait à me détruire pour pro- fiter de mon emploi, lui inspirant une avarice insatiable et m'accablanl avec une insupportable dureté de de- mandes continuelles, auxquelles je ne pouvais subve- nir, le tout pour flatter son maître et pour me faire suc- rx)mber, sans considérer le besoin de l'État et la ruine des peuples, et sans se pouvoir satisfaire de quarante ou cinquante millions, dont M. le cardinal et les siens se sont trouvés enrichis, sans aucune dette, depuis le mois de février 1655, que j'entrai dans les afTaires.

« On pourrait, dis-je, soutenir que, ne faisant rien contre le roi, ne cherchant aucun secoui-s chez les en- nemis de l'État, il était facile d'en trouver en 1657 et 1658, lorsque ce papier a été écrit, ce ne serait pas un crime d'avoir exécuté la plus grande partie du con- tenu en ce projet et d'avoir garanti sa vie, en faisant peur audit sieur cardinal par ce moyen, puisque toute voie de se sauver d'une pareille injustice est naturelle et doit en quelque façon recevoir excuse. »

Fouquet ne présente cette explication que sous forme de doute : On pounait dire. Pour lui, il s'attache sur- tout (et ce fut le parti qu'adoptèrent ses amis) à soutenir qu'il n'a jamais sérieusement songé à l'exécution de ce projet ; qu'il avait jeté quelques pensées sur le papier dans un moment d'inquiétude et d'irriUition, mais sans y attacher d'importance*. Ce papier, abandonné dans un

SUR NICOLAS FOUOUET (im) 570

coin de sa maison de Saint-Mandé, ne pouvait devenir, selon le surintendant et ses amis, un chef sérieux d'ac- cusation. Nous reviendrons plus tard sur ces allégations de Fouquet. Ce qu'il importe de constater en ce mo- ment, c'est que le projet était bien authentique, et que, pendant plusieurs années, le surintendant ne cessa de se préparer à la résistance et de prodiguer l'argent pour étendre ses domaines et se concilier de nouveaux par- tisans. II avait eu soin, en fournissant à Bussy-Rabutin une partie de l'argent nécessaire pour acheter la charge de mestre de camp général de la cavalerie, de stipuler qu'il pourrait, au bout de f rois ans, racheter cette charge nu même prix. Il la destinait à un de ses gendres MI voulait même acquérir la charge de secrétaire d'Étal des affaires étrangères, et fit offrir deux millions quatre cent mille livres à Henri-Louis de Loménie, comte de Brienne, qui en avait la survivance*. La négociation

* Mémoires de Bussy-Babutin (êdit. Charpentier], t. H, p. 49-50, et 84-86.

* Ce fait ne se trouve pas dans les Mémoires de Henri-lAmis del/nnénie de Brienne j publiés par M. F. Barrière; mais dans des Mémoires inédits le jeune Brienne raconte ses voyages en Allemagne, en Hollande, en Danemark, Suède, Laponie, Prusse, Pologne, Italie. Voici le passage il est question de l'offre de Fouquet . Brienne était alors en Courlande, on lui offre la fille du duc, et la princesse elle-mAme agrée le projet de mariage. « Ënfm, dit Tauteur, pour rompre le discours, qui toutefois ne pouvoit me déplaire, mais qui membarrassoil pourra'être trop avan- tageux, je m'avisai de dire en souriant : Ma foi, je perdrois trop à ce marché. Jeserois prince, il est vrai, sans principauté; mais je ne seroisplns aussi secrétaire d'État de Sa Majesté très-chrétienne, le roi mon maître Et savez-vous, belle et généreuse infante, que ma charge vaut mieux que toute la Courlande, en y joignant la Samogiiie? Et je crois que cela <Hoil \Tai à la lettre, puisqu'en ce temps j'aurois pu en avoir deux mil- lions quatre cent mille li\Tes de M. Fouquet. » l,ps Mémoires, d'où ce passage est extrait sont autographes.

5H0 ]aÊ)IOIRRS

échoua, mais les acquisitions do domaines sous îles noms supposés continueront cl no servirent qu'fi aug- menter la jalousie cjorxtre le surintendant.

A la même époque, Fouquet faisait exécuter des tra- vaux considérables à son château de Vaux-le- Vicomto, prés de Melun, et, comme on commençait à se plaindre des sommes énormes qu'il y prodiguait, il recomman- dait à ses agents d user de prudence. Le 8 février 1657, il écrivait à Couiiois, qui avait Tintendance de Vaux : « Un gentilhomme du voisinage, qui s'appelle Villeves- sin \ a dit à la reine qu'il a été ces jours-ci à Vaux, et qu'il a compté à Tatelier neuf cents hommes, llfaudniit, pour empêcher cela autant'qull se pourra, exécuter le dessein qu'on avait fait de mettre des portières et de tenir les portes fermées. Je serais bien aise que vous avanciez tous les ouvrages le plus que vous pourrez avant la saison tout le monde va à la campagne, et qu'il y ait en vue le moins de gens qu'il se pourra ensem- ble *. » D'autres billets relatifs aux travaux exécutés à Vaux et à Saint-Mandé prouvent que Fouquet cherchait à dissimuler les immenses dépenses qu'il faisait dans ses domaines. Elles auraient trop manifestement révélé ses dilapidations. Mais en même temps la vanité le portait à étaler son luxe aux yeux de la cour. En novembre i 657 , il reçut à Saint-Mandé le roi et le cardinal Mazarin. La Gazette de Lorel, du 17 novembre, parle de la visite faite à Fouquet par ces hôtes illustres :

* Il faudrait lire, je crois, Villesavin.

- Ciié par M. Pierre Clément, nut. deColbert. p. 30.

SUR NICOLAS FOIQUET [mi] 381

Notre 1*01, dimanche au malin,

Jour et fête de Saint-Mailin,

Étant suivi de l'Éininence

Et d'autres gens de conséqucucc,

Ayant ouï messe et prié' Dieu,

Fut voir cet agréable lieu,

Qui Saint-Mandé, sans faute nulle.

Se qualifie et s'intitule,

le Seigneur de la maison <,

Dont, avec justice et raison,

On fait cas, par toute la France,

Bien moins pour sa surintendance,

Ni pour sa charge au parlement,

Que pour son grand entendement,

Où, dis-je, cet homme notable,

(^t honmie toujours honorable,

Reçut admirablement bien

Ce ivi très-sage et très-chrétien,

Qui très-content témoigna d'être,

Tant de ce logis que du maitro.

Vainement quelques amis tentèrent par leurs con- seils (1 arrêter Fouquet dans la roule dangereuse il s'égarait. La flatterie étouffait leur voix. Le surinten- dant y était tellement sensible, qu'il s'en laissait enivrer. C'est ce que déclare formellement Gourville * : « M. Fouquet aimait fort les louanges et n'y était pas même délicat. Un jour, partant de Vaux pour aller à Fontainebleau, et m'ayant fait metti*e dans son car- rosse avec madame du Plessis-Bellière, M. le comte de Brancas et M. de Grave, ses plus grands louangeurs, il leur contait comment il s'était tiré d'affaire avec M. le cardinal sur un petit démêlé qu'il avait eu avec lui,

» Lorei a mis en note : M. Fouquet. surintetidant des financer et prth- nn'fHf général au parlement.

^ Mémoires (te (kmrville, édil. Michaud ot Poujoulul. p. 588.

j82 MÉMUIKËS SUK NICOLAS FOIQIET kst

dont il était fort applaudi, et je inc souviens que, pivcî- séiiieiiteii iiiontaut la montagne dans la ibiél, je lui dis qu*il était à ci^ndre que la facilité qu il trouvait à réparer les fautes qu*il pouvait faire ne lui donnât lieu d'en hasarder de nouvelles, ei? qui pourrait peut-iHre un jour lui attirer quelqui^ disgrâce avec M. le cardinal. Je m*aperçus que cela causa un petit moment de silence^ et que madame du Plessis changea de propos ; ce qui lit IHîut-étre que personne ne répondit rien à ce que je ve- nais de dire. »

CHAPITRE XXI

- i658

lUi|»tiii'c entre le suriiitciiduiil el r^oii tji*ère l'utilx* Kuiujuel. Ce der- nier clierclie à inspiivr hu surintendant des sou|>çons contre Gourville. Conduite in.solentc de l'abbé Fouquet, qui s'altirc le blâme de Mu/u- riii. Relations de l'abbé Fouquet avec mademoiselle de Monlpensier; (>llo le tniite d('>daigneuscment. L'abbé Fouquet s'attaclie ù madame d'Olonne. Sa conduite jx^rfide â l'égard du prince de Mai'sillac. Mazaiin s'i;loigne de l'abbé Fouquet et se fie de plus en plus à Col- iHM't, Maladie de Nicolas Fouquet, juin 1658. Le sui*intendant achète Belle-lie et en veut faire sa forteresse dans le cas il serait attaqué. Fortifications de Belle-Ile. Engagement de Deslandes envere Nicolas Foucpiet. (ie dernier s'empai-e des gouvernements de Guérande, du Ooisic el du Mont-Saint-Micbelsouslenom de la mar- quise d'Asserac. Nicolas Fouquet continue de s'occuper, jusqu'en 1601 , de son plan de résistance : ses relations avec l'amiral de Neuchi>sc. Il achète, pour le marquis de Créqui, la charge de général de» galères. Possessions du surintendant Fouquet en .\mérique.

A l'époque le surintendant écrivit la première ré- daction de son projet de résistance, il était parfaitement d'accord avec son frère Tabbé Fouquet. La place de llam, qui dépendait de ce dernier, était citée comme la forteresse du parti. Mais, dans les premiers moisde 1658, les deux frères, qui suivaient chacun avec impétuosité les entraînements de leurs passions, commencèrent a se diviser. L abbé Fouquet s'efforça d'enlever au surin-

j84 Mémoires

tendant un de Ses serviteurs les plus liabiles et les plus dévoués, Gourville, qui, après avoir passé de la maison de la Rochefoucauld dans celle de Condé, s était enfin attaché à Nicolas Fouquet. L'abbé machina toute une histoire*, et, pour qu'elle obtint plus de créance, il la tu transmettre au surintendant comme une révélation de confesseur, consentie par le pénitent. Il fit choix, dans ce but, d'un jésuite qu'il crut être bien aise de faire sa cour, et lui envoya un des émissaires dont il disposait sous prétexte de se confesser à lui. A la fin de sa confession, le prétendu pénitent pria le jésuite de vouloir bien l'éclairer sur un cas de conscience. Il lui dit que, étant venu un jour pour parler à Gourville et étant entré dans sa chambre comme il venait d'en sor- tir, il eut peur, l'ayant entendu revenir, d'être surpris, et s'était caché derrière un rideau. Gourville était aloi's entré avec un autre homme qui lui demanda un entretien secret. Les portes fermées, cet homme dit qu'une grande cabale s'était formée contre le surintendant et proposa à Gourville d'y entrer. L'entretien continua, mais à voix basse, de telle sorte que l'individu caché derrière le ri- deau n*en put saisir que quelques mots sans suite.

Le jésuite déclara au prétendu pénitent qu'il le croyait obligé, en conscience, d'avertir le surintendant du danger qu'il courait, et se chargea, à sa prière, de prévenir lui-même Fouquet, et, si la chose était néces- siiire, de lui faire connaître Tauleur cette révélation. Ce dernier laissa l'indication de sa demeure, pour

' Mémoires ûe ikurviUe, p. 544 ri suiv., |êdil. Micliaud et l'oujoulal.

SUn NICOLAS FOUQUET [im 385

qu on pût le retrouver au besoin. Le surintendant, averti parle confesseur et inquiet comme tous les ambitieux, lit venir le pénitent et l'interrogea. L'émissaire de Tabbé ré- péta,avec une apparence de bonne foi et de naïveté, la le- çon qui lui avait été dictée. Fouquet lui demanda s'il pour- rait reconnaître la personne qui avait fait ces confidences à Goui'ville. Le pénitent répondit qu il Tavait vue à peine; mais que cependant il pourrait la reconnaître si elle se présentait à lui. Le surintendant fit aussitôt appeler Vatel, son maître d'hôtel, dans lequel il avait une pleine confiance, et lui ordonna de conduire cet homme au Louvre, afin qu'il vît tous ceux qui entreraient et tâchât de reconnaître le confident de Gourville.

Pendant trois jours consécutifs, Vatel conduisit notre homme au Louvre. Ce fut seulement le troisième jour que, ayant aperçu le duc de la Rochefoucauld, qui s'appuyait sur un bâton, le pénitent déclara que c'était la personne qu'il avait vue chez Gourville; qu'il se sou- venait que, pendant l'entrelien, il avait laissé tomber son bâton, et que Gourville l'avait ramassé. Le person- nage était bien choisi. Ancien maître de Gourville, la Kuchefoucaukl avait conservé sur lui de l'ascendant. Aussi la fabl(», quoique assez grossière, ne laissa pas àv produire de l'effet. Gourville remarqua une certaine froideur chez surinlendanl, et ce ne fut que long- temps après qu'il en connut la cause par une conversa- tion où Vatel lui raconta tous ces détails.

L'abbé Fouquet chercha encore à priver le surinten- dant du crédit sans lequel il n'aurait pu trouver de l'argent et satisfaire aux exigences souvent tyranniques

I. 25

386 ]dÉMÛlRES

deMazarin. Il gagna Delorme, qui avait déjà trahi Ser- vien ', et, comme ce commis avait des relations avecles principaux financiers, Tabbé se persuada que, par sa connivence, il enlèverait à son frère des ressources sans lesquelles le gouvernement devenait impossible. Mais son plan fut découvert, et Gourville parvint à le dé- jouer *. 11 conseilla au surintendant de s'adresser à Her- vart, qui, après avoir amassé une fortune énorme, était devenu contrôleur général des finances. Hervart con- sentit à faire au surintendant des avances considéi*a- blés, et d'autres banquiers suivirent son exemple. Loi's- que le surintendant se fut ainsi assuré des ressources suffisantes, il fit connaître aux financiers habitués à traiter avec Delorme qu'ils eussent h s'adresser désor- mais à Gourville, s'ils voulaient continuer un trafic qui les enrichissait. Delorme fut aussitôt abandonne par les traitants et chassé par Fouquet.

Une autre intrigue de labbé ne réussit pas mieux. Bussy-Rabutin avait acheté, comme nous Tavons vu plus haut, la charge de mestre de camp général avec largent que lui avait prêté le surintendant, à condition qu'il la lui revendrait dans trois ans au prix convenu; mais Bussy prétendit que le surintendant ne lui avait pas payé ses appointements et ne lui faisait pas obtenir la compensation qu'il lui avait promise. L'abbé Fouquet, instruit de ces démêlés entre Bussy et le surintendant^ excita le premier à porter plainte au cardinal ; mais

* Voy. plus liaul, p. 350.

* Mémoireê de Gourmlle^ p. 524.

SUR NICOLAS FOUQUET [m^ 3S7

l'affaire n'eut pas de suites ^ Ainsi toutes les tentatives de l'abbé pour renverser son frère tournèrent à sa honte. Cependant il conserva encore pendant quelque temps du crédit auprès de Mazarin ; mais, à la longue, sa conduite compromit le cardinal, qui, sans le disgracier entière- ment, lui retira sa confiance et toute influence dans le gouvernement.

I/abbé Fouquet s'était lié avec un des seigneurs les plus brillants et les plus corrompus de cette époque, François-René du Bec, marquis de Yardes. Ce courtisan recherchait en mariage madcmoii^elle de Nicolaï à cause (le sa grande fortune, et préteiidait l'emporter de haute lutte. Les Nicolaï, alliés aux principales familles Av la robe, se montrèrent peu favorables à Vardes. Les Molé- Champlalreux les soutinrent, et, comme on redoutait les audacieuses entreprises de Vardes, on mena made- moiselle de Nicolaï chez le président de Champlûtreux, dont l'hôtel paraissait un asile inviolable. Vardes, irrité, s'en plaignit à l'abbé Fouquet, qui disposait encore de la puissance occulte de la police. L'abbé se concerta avec un autre seigneur, aussi brillant et aussi présomp- tueux que Vardes, le duc de Caudale, fils du duc d'Eper- non. Caudale était colonel des gardes françaises. 11 leur fit prendre les armes. Les gardes partirent de leur quartier, tambour battant, et vinrent entourer l'hôtel du président de Champlâtreux, qui était situé sur la place Royale. C'était à cette époque le quartier le plus brillant et le plus fréquenté de Paris; on peut juger du bruit

' Mémoires de biuêy-Rabulin^ édit. Cliuipentior, t. H. p. 86-87.

Ô88 MÉMOIRES

que fit ce mouvement de troupes. La magistrature tout entière prit parti pour le président de Cliamplàtreux. Le cardinal, averti, s*empressa d'envoyer Tordre de ra- mener les troupes dans Feur quartier, et adressa de sé- vères reproches à Tabbé Fouquet. Ce fut un cri général contre les insolences de cet abbé, qui aurait mérité d'être plus rudement châtié *.

Il ne tarda pas à recevoir une nouvelle le(;^n de ma- demoiselle de Montpensier, qui revint à la cour en 1 657 . Elle connaissait à peine Tabbé Fouquet, quoique depuis longtemps il Teùt entourée de ses espions. Dès 1655, il sui'veillait ses démarches*. Parmi les femmes qui avaient suivi Mademoiselle dans son exil de Saint-Fargeau, quelques-unes entretenaient des relations avecTabbé. De ce nombre était madame deFiesque'*. Lorsque la prin- cesse se fut réconciliée avec Wazarin et eut permission de revenir à la cour, Tabbé Fouquet fut le seul des con- fidents du cardinal qui ne vînt pas la visiter. Il se per- mit même de critiquer la conduite de mademoiselle de Montpensier à l'égard de la comtesse de Fiesque. Dans la suite, il envoya à la princesse Tévéque d'Amiens et duc de Bournonville pour s'excuser, alléguant qu'on avait voulu lui rendre de mauvais offices*, et qu'il n'avait pas tenu les propos qu'on lui prétait. Madenioi selle répondit avec hauteur et dédain, déclarant qu'élit» ne savait ce qu'on voulait lui dire. « Si l'abbé Fouquet,

' Mémoires de mademoiselle de MotUpensier, éd. CluMpemiiM-. l. II. I». 463.

* Voy. |iliis haul, p. ^25*2-^253.

^ Mémoires de mademoiselle de MotUpensier, t. in,ii. l;). */Wrf.. p. m

SUR NICOLAS FOUQUET (less. 589

ajouta-l-elle, m'a manqué de respect, je suis bien fâchée que tout le monde le sache et que je Tignore ; mais, comme on me connaît assez fière et assez prompte, on aura voulu me cacher ce qu'il a fait, sachant que je ne suis pas personne à le souffrir. Tout ce que j'ai à vous dire, c'est que je ne me soucie pas de voir l'abbé Kouquet. S'il a manqué au respect qu'il me doit, direc- tement ou indirectement, M. le cardinal m'en fera rai- son \ »

Comme on le voit, la princesse le prenait de haut avec cet abbé Fouquet qu'elle connaissait à peine de nom, et qui prétendait lutter contre une personne de son rang. Vainement les ambassadeurs envoyés par l'abbé voulurent faire comprendre à mademoiselle de Montpensier que Basile Fouquet était un personnage considérable *, qui pouvait rendre de grands services à ses amis; elle leur répondit avec sa hauteur ordinaire : « Je suis d'une qualité à ne pas chercher les ministres subalternes. J'irai toujours droit à M. le cardinal, et ne me soucie guère de votre abbé Fouquet. J'ai fort mé- chante opinion d'un ministre, on d'un homme qui veut passer pour tel, et qui fait sa capitale amie de la com- tesse de Fiesque. »

Cependant Mademoiselle consentit à recevoir l'abbé Fouquet^, présenté par l'évéque de Coulances et le duc de la Rochefoucauld. Il s'excusa, en rejetant sur ses en- nemis les bruils qu'on avait répandus, et prétendit

' W moires de mademoùteNe de Mmtpewner, t. III, p. 87. - Ibidem, ''laid., p. 88-91.

390 MÉMOIRES

qu'on lui imputait des idées et des paroles auxquelles il n'avait jamais songé. La princesse reçut sa justification avec dédain, et elle ne manqua pas de s'en vanter devant la petite cour qui Tentourait : « L'abbé Fouquet, disait- elle ironiquement, est un grand seigneur pour menacer les gens d'insulte ! il n'y a personne qui en mérite tant que lui K »

Malgré ces leçons réitérées, l'abbé Fouquel n'en con- tinua pas moins de rivaliser avec les plus grands sei- gneurs. Repoussé par la duchesse de Châtillon, il s'at- tacha à madame d'Olonne, qui était alors une des beautés les plus renommées et les plus compromises do la cour. Fille aînée du baron de la Loupe, longtemps célèbre pour sa vertu comme pour sa beauté, comp- tée au nombre des précieuses, et des habituées de l'hôtel de Rambouillet, Henriette-Catherine d'Angennos ne résista pas à l'influence d'une cour corrompue, et ce fut une des personnes qui gardèrent le moins de re- tenue dans le vice et l'emportement des passions. Le duc de Caudale, le marquis de Sillery, de la famille des Brulart de Puysieux, le comte de Guiche, fils du maré- chal de Gramont, le prince de Marsillac, fils du duc d la Rochefoucauld, se disputaient l'amour de madame d'Olonne. C'étaient, avec Yardes, les jeunes seigneurs les plus renommés, vers 1658, pour leur éclat et leurs galanteries. L'abbé Fouquet, ne pouvant lutter avec eux, s'efforça de les diviser. Sa nature, jalouse et envieuse, tournait de plus en plus à Faigreur et à la bassesse.

' Mémoirea de mademmeffe de Moutpetwer. p. 01 .

SOR NICOLAS FOUQUET (wm) 391

Rlessé par le prince de Marsillac, il chercha à s'en ven- ger en se faisant livrer les lettres qu'il avait écrites à madame d'Olonne '. Lorsqu'il les eut entre les mains, il voulut s'en servir pour rompre le mariage projeté entre Marsillac et sa cousine, mademoiselle deLiancourt, que Ton élevait dans la pieuse retraite de Port-Royal. Ce mariage, sur lequel la maison de la Rochefoucauld comptait pour relever sa fortune, dépendait surtout du vieux duc de Liancourt. L'abbé eut soin de lui faire par- venir les lettres de Marsillac à madame d'Olonne ; mais, bien loin de s'en indigner, le duc de Liancourt répondit que l'on ne rompait pas un mariage pour quelques ga- lanteries. « Pour moi, qui ai été galant, ajouta-t-il % j'en estime davantage Marsillac de l'être, et je suis bien aise de voir qu'il écrit aussi bien que cela. Je doutais qu'il eût autant d'esprit, et je vous assure que cette affaire avancera la sienne. » En effet, le mariage se fit quelque temps après *.

L'abbé Fouquet ne continua pas moins de poursuivre de sa haine le prince de Marsillac. Il montra au car- dinal Mazarin quelques lettres de ce courtisan, il manquait de respect au roi et à la reine mère. Appre- nant que Marsillac disait partout que, sans la considé- ration qu'il avait pour le procureur général, il ferait donner des coups de bûton à son frère *, l'abbé chercha à armer contre lui quelques-uns des spadassins qu'il

* Mémoires de mademmelle de Montpensier, t. II î, p. 357. *IbUi., p. 358.

^ J en n ne-Françoise du Plessis-Liancoin't fut mariée à François de la Hocliefoncauld, le 13 novembre 1059.

* Mémoires de mademoiseUe ie Montpensier, ibid.. p. 305.

392 1 MÉMOIRES

entretenait à ses gages. Il choisit un des officiers des gardes de Mazarin, nommé Biscara, et le chargea do faire une insulte publique au prince de Marsillac. Biscara affecta de ne pas saluer le prince au cours de la Reine, qui était alors la promenade la plus fréquentée. Il le rencontra quelques jours après au Louvre et passa encore sans le saluer. Cette affectation fut remarquée, et Mar- sillac, s'adressant à Biscara, lui demanda pourquoi il en usait ainsi. « Parce que cela me plaît, » fut la seule ré- ponse qu'il obtint du spadassin. Marsillac s*emporta, lui dit que, s'il était dans un autre lieu, il lui appren- drait le respect qu'il lui devait, et ajouta force mena- ces. Celte scène fit craindre un plus grand scandale, el on mit à la Bastille Marsillac et Biscara, le premier, sous la surveillance d'un exempt ou officier des gardes, et Tautre d'un simple garde, pour marquer la différence de rang*. La conduite de Tabbé Fouquet, qui avait ex- cité cette querelle, fut universellement blâmée; le cardinal Mazarin comprit de plus en plus que l'abbé Fouquet, après avoir été un serviteur dévoué et utile dans les époques de troubles et d'agitation, devenait un courtisan dangereuxet compromettant dans les temps de calme et do régularité, et il lui enleva peu à peu la direction des affaires de police, dont il lui avait laissé jusqu'alors le maniement.

Ce futColbertqui devint en tout et pour toutl'hommede confiance deMazarin. Lecardinal avaitéprouvé sa fidélité el son dévouement dans Tadministration de son immense

' Mi^moires de mademoiselle de Monipensier, t. IH. p. 265.

SUR NICOLAS FOUQUET (leas) 390

fortune ; il l'employa pour les affaires publiques avec le môme succès. Colberl était en tout Topposé de Fouquet. Froid, impassible, vir marmoreuSj comme Tappelle Gui- Patin, il savait dominer ses passions; travailleur infati- gable, dur à lui-même et aux autres, il ne poursuivait qu'un but et y appliquait toutes les forces de son esprit. Mazarin avait su reconnaître les qualités de son inten- dant. Ce fut lui qu'il employa pour toutes les affaires délicates, comme le prouve sa correspondance pendant les dernières années de sa vie. Il le chargeait de sur- veiller les partisans du cardinal de Retz, les pamphlé- taires, tous ceux en un mot qui cherchaient à ranimer la Fronde. C'était jadis la mission de labbéi Fouquet, que Colbert avait complètement remplacé dans la con- fiance intime du cardinal.

Dès le 16 mai 1657, Colbert rendait compte à Mazarin de ses conférences avec le chancelier sur l'assemblée du clefgé et sur l'agitation janséniste. « M. le chancelier m\i dit que les jansénistes avaient échauffé beaucoup d'esprits dans le parlement contre la dernière bulle du pape et les lettres d'adresse qui y devaient être portées; qu'il ne croyait pas que l'enregistrement en pût passer à présent; mais, quand on serait assuré qu'il dût pas- ser, qu'il n'était point d'avis de le hasarder, de crainte que, dans une assemblée des chambres, les amis du car- dinal de Retz ne profitassent de cette occasionpour brouil- ler. » Mazarin, toujours inquiet des menées des Fron- (leui*s, recommandaità Colbert de veiller sur les pamphlé- taires que Retz avait à ses ordres : « Je vous pri(» de dire a toutes les personnes qu'il faudra faire la guerre aux

504 MEMOIHES

imprimeurs et lâcher de pum'r quelqu'un des faiseurs de libelles ; car autrement cette escarmouche durera longtemps, et il n'y a rien qui débauche tant les esprits que ces écrits factieux. On m'assure que le dessein du cardinal de Retz, de ses adhérents, et particulièrement des jansénistes, est d'en jeter toutes les semaines, et qu'ils ont résolu de les envoyer toutes les semaines par les ordinaires (les courriers) à Paris. Il faul faire une exacte diligence pour se saisir de ces libelles, quand ils viendront, étant aisé de connaître les paquets qui en seront chargés. Il faut s'appliquer à cela et n'épargner rien pour découvrir et châtier les écrivains, les impri- meurs et ceux qui délivrent les pièces. Parlez-en à MM. le chancelier et le procureur général, en sorte qu'ils reconnais^sent qu'il y faut travailler de la bonne manière. » Ces citations suffisent pour prouver que le rùle de Tabbé Fouquet était maintenant rempli par Colbert, qui y déployait le même zèle et la môme vigi- lance avec plus de conscience et d'honnêteté.

Quant au surintendant son frère, qui avait rompu avec l'abbé aussi bien que Mazarin, une maladie dange- reuse l'avait tenu pendant quelque temps éloigné des affaires. La Gazette de Loret, à la date du 29 juin, parle de son rét'tblissement en mêfne temps qu'elle signale lo danger qu'il avait couru :

.... Monsieur Fouquet, Ce prand omcincnt du pai-qnct. Dout la personne tant pris4M». Pour ♦'^Ire lois indis|)os«»e Hun danpei*eux mal de t'ôti'. Klait presque à rextréniil»'';

SUR NICOLAS FOUOUET [im] r.ori

Bl<iis, comme cet homme notable Est bienfaisant el charitable. On a tant prié Dieu pour hii. Qu'il se porte mieux aujourd'hui.

Après sa guérison, le surintendant songea à rem- placer la forteresse de Ham, qui dépendait de son frère, par une place qui lui appartiendrait et qui pourrait lui servir d'asile. Il obtint du cardinal la permission d'acheter Belle-Ile, sur les côtes de Bretagne. Mazarin avait vu avec inquiétude cet ancien domaine de la mai- son de Retz occupé quelque temps par Paul de Gondî après sa fuite du château de Nantes. Il aimait mieux , qu'il fût entre les mains de Nicolas Fouquet, dont il connaissait et partageait les dilapidations, mais dont la fidélité ne lui était pas encore suspecte. En consé- quence, il n'hésita pas à autoriser le surintendant à aciieter, en 1658, l'île et forteresse de Belle-Ile*. Il lui fit expédier, le 20 août 1658, un brevet qui portait que la terre et marquisat de Belle-Ile, étant dans une situa- tion forte et indépendante, il importait que cette place ne tombât pas au pouvoir de personnes suspectes. Par ce motif, le roi, qui avait pleine confiance dans la fidé- lité de Nicolas Fouquet, lui permettait d'acheter Belle- Ile, et même Ty engageait. Toutefois, comme il impor- tail de ne pas divulguer les dépenses du surintendant, la vente se fit sous un nom supposé. Le contrat, qui est du 5 septembre 1658, porte que le sieur Floriot, secré- taire du roi, devient acquéreur de Belle-Ile, moyennant une somme de treize cent mille livres, dont quatre cent

* Déreiixes. t. HI. p. 327

596 MEMOIRES

mille seront payées comptant, ef le reste à divers créanciers indiqués par Tacle '.

Une fois en possession de Belle-Ile, Nicolas Fouquet se fil délivrer une déclaration par le sieur de Moiitafe> Ion, commandant de la garnison de celte place, qui s'engageait à ne la remeltre qu'entre les mains de ma- dame du Plcssis-Bellière et de M. de Créqui, son gen- dre '. C'est alors que le surintendant modifia son projet de résistance, substitua Belle-Ile à Ilam et au Havre, et effaça partout le nom de son frère. Mais il n'en con- tinua que plus activement de préparer ses moyens de défense en fortifiant Belle-Ile et en s'emparanl de toute la puissance navale de la France. Ce fui à Belle-Ile qu'il recommanda à ses amis de se rassembler; ce fut que le rapitaineGuinan dut réunir une petite Hotte, armer des corsaires et des brûlots. La Bretagne, Fouquet avait dc'vjà Concarnau, Guingamp et le duclié de Penthiévre, allait devenir son fief et presque son royaume. Il lui im- portail d'en défendre les abords. Au-si le voyons-nous, pendant les années 1658, 1659 et 1660, s'emparer des gouvernements du Mont-Sainl-Michel, du Croisic et de Guérande, exiger de nouveaux engagements des gou- verneurs et se préparer à une lutte sérieuse en cas d'attaque.

Ce fut en 1658 que Deslandes, gouverneur de Concar- nau, un des liommes sur lesquels Fouquet comptait le plus, lui remit un engagement par écrit conçu en ces termes : « Je promets et donne ma foi à M. le procureni*

' Défenaes, p. 351. * IMd., t.Ul,|». 3r»S.

SUR NICOLAS FOUQUET ^less 597

général, surintendant des finances de France et ministre d'État, de n'être jamais à autre personne qu'à lui, au- quel je me donne et m'attache du dernier attachement que je puis avoir, et lui promets de le servir générale- ment contre toutes sortes de personnes sans exception, et de n'obéir à personne qu'à lui, et même de n'avoir aucun commerce avec ceux qu'il me défendra, et de lui rendre la place de Concarnau qu'il m'a confiée, toulesles fois qu'il me l'ordonnera, ou à telle autre personne qu'il lui plaira, de quelque qualité et condition qu'il puisse être, sans excepter dans le monde un seul. Pour assu- rance de quoi, je donne avec ma foi le présent billet écrit et signé de ma main, de ma propre volonté, sans qu'il l'ait même désiré, ayant la bonté de se fier à ma parole qui lui est assurée, comme le doit un bon serviteur à son maître. Fait à Paris le 2 juin 1658'. »

(juant aux gouvernements de Guérande, du Croisic et du mont Saint-Michel, Fouquet les avait fait donnera la marquise d'Asserac, qui les tenait au nom de son fils nïineur*. On a vu plus haut' quel était le dévouement de cette dame pour Fouquet. D'ailleurs, il avait eu la |)récaution, conune l'établit un acte du 20 février 1659, d'exiger de madame d'Asserac une résignation en blanc (lu gouvernement du mont Saint-Michel \ et il pouvait en investir qui bon lui semblerait. Belle-Ile se trouvait ainsi couverte par des gouvernements voisins, dont dis-

' Dtffensen, l. \\\. p. 209. M. J'. CUmiil'iiI a publié ilr nuuvoaii Ij IcxU* lie ce billet dans son Uiift de Cotàert, p. 39. - têtues, ibid., p. 314 K r>l5. » P. 304-3()7. Dtffetueë, ibid., p. 5ir>-ÔIO.

308 MEMOIRES

posait le surintendant. Quant à cette place, Fouquel la fortifia avec le plus grand soin. Un mémoire écrit de sa main * indiquait les fonderies de amons, les corps de garde, les écuries, les bastions, les fossés, les ponts, les magasins, hôpitaux, logements pour les soldats, etc., qu'on devait y établir. Il lit acheter des vaisseaux et des canons en Hollande*, et, pendant plusieurs années, des ingénieurs travaillèrent à faire de Belle-Ile une ci- tadelle redoutable.

Comme cette place ne pouvait être attaquée que par mer, il était du plus haut intérêt pour Fouquet de s'em- parer des forces navales de la France. L'amiral dcNeu- chése lui devait sa charge, comme lui-même a pris soin de le rappeler dans son projet ', et il lui resta iîdèle jus- qu'au dernier moment. On en trouve la preuve dans des lettres d'agents que Fouquet entretenait à Bordeaux *. L'un d'eux écrivait de cette \ille, le 29 août 1061, peu de jours avant Tarrestation de Fouquet : « J'ai rendu à M. le commandeur de Neucliùse la lettre que monseigneur le surintendant lui écrit. Nous avons pris des mesures, pour ce qui regarde le service de mon- seigneur. Assurément, il ne peut pas être plus zélé qu'il l'est pour le service de monseigneur. »

Ce même agent de Fouquet était chargé de faire à Bordeaux des achats de poudre, de biscuit, de chanvre pour Belle-Ile, et on voit par les lettres qu'il adresse

* Défenses, l. \\\, p. 543.

* Ibid., p. 547.

=* Voy. p. 373-374.

^ O's Jcttres autographes !»OMt coiieervccii û la Bibl. iiup. duiiB leb pa»^ piers de Fouquel. F. Baliir.»;.

SUR NICOLAS FOUQUëT (isss) 590

au surintendant que Tamiral de Neuchèsc lui donnait toutes les facilités possibles pour l'acquisition et rem- barquement de ces munitions. Il écrivait à Fouquet, le 29 août 1661 : « J'ai rendu votre lettre à M. le com- mandeur de Neuchèse ; il Ta reçue avec respect en me marquant les obligations^ qu'il vous a et son attache- ment pour vos intérêts. Sur le moment, il envoya quérir M. Lanot, lieutenant de l'amirauté, et lui dit la considé- i-ation qu'il avait pour moi, et que, pour les choses que je voudrais embarquer, il me fût favorable en tout ce qu il pourrait. 11 lui répondit que M. l'amiral l'aurait pour agréable, et que, pour cet effet, il lui en écri- rait pour lui en faire donner l'ordre.

« Nous sommes demeurés d'accord qu'il m'écrirait une lettre, par il me prierait de lui faire faire de la poudre de bombe, et de faire empiète de chanvre et faire faire du biscuit ; c'est à peu près ce qui est néces- ' saire à Belle-Ile. Je lui ai dit le prix de tout ; il m'a dit qu*il vous en écrirait pour vous faire voir ce que les choses coûteront pour son armement. Le quintal de poudre nous coûte cinquante et une livres, aussi est-elle faite fidèlement; le boulet sept livres douze sous. Le chanvre coûte à cette heure dix-huit livres dix sous, et jusques à dix-neuf livres» Pour le biscuit, cela dépend du prix du blé.

« Si vous jugez à propos que je reste ici pour votre service, je crois, monseigneur, que ce ne serait pas mal que, pour les choses qu'il faut faire pour les arme- ments des vaisseaux, les ordres du roi me fussent en- voyés*

400 MEMOIRES

« Je suis fort connu en cette ville depuis la guerre, et, voyant le séjour que j'y fais, ils en tirent mille conséquences et ne savent à quoi l'attribuer; tantôt ils croient que le roi veut établir la gabelle en ce pays el autres choses, el que je suis votre correspondant. U est vrai que cela est dit sourdement; ils ne s'en osent ex- pliquer à moi. S'ils m'en veulent parler, je les ren- verrai bien loin. Ils sont mortifiés étrangement.

« Je disais bien, monseigneur, que vous triomplieriez de vos ennemis, et que vous fouleriez à vos pieds Ten- vie. Tous les bruits qui ont couru se sont si fort dissi- pés, que Ton ne parle que de votre génie, du crédit que vous avez sur l'esprit du roi; vous êtes trop juste, et vous aimez trop l'Etat pour que Dieu ne bénisse pas toutes vos affaires. » 11 est assez curieux de se rappeler que, huit jours plus tard, Fouquet était arrêté. Mais ce qui résulte surtout de cette lettre, c'est que le surintendant continuait de fortifier Belle-Ile en 1661 et avait sous sa main les forces navales de la France.

Le général des galères était à cette époque le mar- (|uis de (]réqui, gendre de madame du Plessis-Bellièi-e. ("était le surintendant qui avait payé les deux cent mille livres que 'cette charge avait coûté*. L'affaire n'avait été terminée qu'en 1601 après de longues né- gociations, dans lesquelles Fouquet avait mis une vive insistance pour déterminer le marquis de Richelieu à se désister de ses prétentions. La correspondance intime du surintendant prouve que les sacrifices d'ar-

^ Ui'/'ensesJhi(i.,p.ùbl.

SUR NICOLAS FOUQUET (ism) 401

gent n*avaient pas suffi pour obtenir le consentement de Richelieu. Il avait fallu avoir recours à nnade- moiselle de la Motte, une des filles d'honneur de la reine, qui avait grand crédit sur ce personnage. Fou- quet, une fois en possession de celte charge pour un homnne qui dépendait de lui, eut à sa disposition les Hottes de la Méditerranée en nnônne temps qu'il était maître de celles de TOcéan par Tamiral de Neuchèse. Ainsi, de 1657 à 1661, il n'avait cessé de poursuivre l'exécution de son plan de résistance et de continuer, par la fortification des places de sûreté et par l'équipe- ment des flottes, de se mettre en état de tenir tête au premier ministre et môme au roi. On ne peut dire, avec ses amis, et comme il l'a sans cesse répété dans ses Dé- feiiseSj que le projet trouvé à Saint-Mandé était le résultat d'une inquiétude momentanée, et qu'il avait été aban- donné aussitôt après avoir été imaginé. On voit, au con- traire, que, pendant quatre années, au milieu des pré- occupations les plus diverses, Fouquet s'occupa sans cesse de l'exécution de ce plan. Il le modifie après sa rupture avec son frère ; il remplace Ham et le Havre par Belle-Ile, dont il vient de faire l'acquisition. Il accu- mule dans cette place les moyens de résistance : canons, vaisseaux, soldats dévoués. Il a soin de placer les gou- vernements qui l'entourent entre des mains fidèles, pendant que les amiraux de Neuchèse et de Créqui lui répondent des flottes de l'Océan et de la Méditerranée, Enfin Fouquet, étendant ses vues et ses posses- sions jusqu'en Amérique, il pouvait se ménager un asile plus assuré, y achetait File de Sainte-Lucie, que

I. 36

402 MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET (i6w)

Ton appelait alors Saintc-Alouzie ^ Il obtint le titre de vice-roi d'Amérique*, qui lui donnait dans ces contrées la disposition des forces de la France et joi- gnait à ses immenses richesses un droit de souverai- neté. Si l'on ajoute à cette vaste puissance maritime les gouvernements dont il disposait dans Tintérieur du royaume, on comprend que son ambition n*ait plus connu de bornes. Sa devise : Quo non ascendant? {]usqu ne monterai-je pas?) exprime le fond de sa pensée. Ses amis, enluiparlantdeUcUe-lle, l'appelaient ^o?i royaume; et, en réalité, les mesures prises par le surintendant n'allaient a rien moins qu'à former un État dans TËtat. Mais il était trop prudent pour démasquer ses pro jets, et, en même temps qu'il préparait sa résistance, il cherchait à se donner de nouveaux appuis près de Louis XrV.

' Dé/enses, i.lll, p. 358. * Ibid., p. 354.

CHAPITRE XXII

1658-1659 -

Négociât ioius pour le mariage du roi avec une priua'sse de lu inaiMii (le Savoie. Foiiqucl envoie à Turin mademoiselle de Treseson, nièce de mmlame du Plessis-Bellière, pour s'emparer de l'esprit de la prin- cesse Nai'gucrile de Savoie. Mademoiselle de Treseson aiTÏve à Turin. Sa e4)iTespondance avec Fouquet. ^ Elle fait connaître le caractère de Qirislinc de France, duchesse de Sa\x)ie, de sa lille Marguerite et de sou fils Charles- Emmanuel. —Entrevue des cours de France et de Savoie îi Lycm (novemhre-décenibf'e 1058). Cause de la rupture du ma- riage projeté. Mademoiselle de Tix?seson reste à la cour de Savoie, elle de\ient madame de Cavour. La princesse Marguerite ê]K)usc le duc de Panne.

On songeait sérieusement, en 1658, à marier le jeune roi à une princesse de Savoie, Marguerite, sœur du duc Charles-Emmanuel. Les deux cours de France et de Sa- voie devaient se rencontrer à Lyon pour Tentrevue de Louis XIV et de la princesse Marguerite. Fouquet, in- formé de ces projets, tenta de s'emparer de la future reine de France, en plaçant près d elle une personne qui lui fût dévouée. L'exécution de ce projet exigeait une grande habileté pour s'insinuer dans les bonnes grâces de la princesse et de sa mère ; il fallait dissimuler l'ambition du surintendant, tout en promettant son appui pour la réalisation des projets de mariage, en*

404 MÉMOIRES

cliainer doucement par la reconnaissance la maison de Savoie à la cause de Fouquet, et se servir de la futui'c l'élue dans Tintérét de sa puissance.

Le surintendant confiait de préférence a ses mai- tresses la conduite des affaires de cette nature. Madame du Plessis-Bellière était devenue le plus actif auxiliaire de ses projets ambitieux. C*était à elle que Fouquet, dans le plan dont nous avons parlé, remettait la direc- tion de tous ses amis. Ce fut elle encoii; qui se chargea démener Tintrigue de la cour de Savoie. Elle avait ap- pelé près d'elle une jeune Bretonne, sa nièce, made- moiselle de Treseson, dont Tesprit était vif et délié et les principes peu austères. Fouquet avait exercé sur la jeune Treseson une séduction qui ne s'explique pas seu- lement par la richesse et la puissance du surintendant, mais qui tenait encore aux charmes de son esprit. Ce fut elle qui fut choisie pour se rendre à la cour de Sa- voie et y jouer un rôle qui exigeait autant de finesse que de dévouement ^

Elle partit au mois d'août 1658 pour se rendre à Tu- rin. Une première lettre qu'elle écrivit à Fouquet est datée de Grenoble, et n'exprime que les regrets de

* Les lettres de mademoiselle de Treseson sont conservées à la Biblio- tlièquc impériale. L'interprétation pitisentc des diflûcultés qui tiennent à un s>'stème alors foil usité pour dépriiiser les noms des pcrsoimages el des villes; Fouquet s'apiiellc M, le Baron; mademoiselle de Treseson, made- moiselle de Bel-Air; madame du Plessis-Bellière, madame du Byer; le roi Louis XIV, ilf . le Préêident; la duchesse de Savoie, madame Aubert; le cardinal Maiarin, M. le Conseiller; le duc de Savoie, M. DucUm; sa aœur Marguerite, mademoiselle le Roy, etc. J'ai fait disparaître ces^ pseudonymes dans les lettres (|ue je publie ; ils no seniraicnt «lu'à dé- router et fatiguer le lecteur.

SUR NICOLAS FOUQUET {ie»-tm) >I05

réloignement : Je reçus hier en arrivant ici une lettre fie vous qui m'y attendait. Je ne vous ferai point de compliment sur la peine que vous avez eue à récrire, et vous dirai librement qu'il est bien juste que vous pre- niez quelque soin de me consoler pendant mon voyage, puisque vous êtes cause que je le fais avec bien de la mélancolie. Si le petit cabinet m'est assez fidèle pour vous faire souvenir de moi, je lui promets d'augmenter Tamitié que j'avais pour lui, et de redoubler mes souhaits pour le voir bientôt. Je vous conjure de conti- nuer d'en faire pour mon retour, et de croire que vous ne me sauriez procurer rien de plus agréable que l'hon- neur de vous voir. »

Cette lettre en dit assez sur les relations antérieures de Fouquet et de mademoiselle de Treseson, et sur l'étrange ambassadeur qui allait représenter les intérêts du surintendant à la cour de Savoie.

Mademoiselle de Treseson arriva à la cour de Savoie au mois d'août 1058, et y fut présentée comme parente du comte de Rrulon, qui y avait de nombreuses et puis- santes relations. Elle n'avait qu'une beauté médiocre, mais, avec de Tesprit et les recommandations secrètes du surintendant, elle s'insinua promptement dans les bonnes grâces de la duchesse douairière de Savoie, Christine de France, que l'on appelait habituellement Madame Royale ; elle devint une de ses tilles d'honneur. Dès le mois de septembre suivant, elle écrivait à Fou- quet : « U'on me témoigne ici autant d'amitié qu'à mon arrivée, et je trouve môme qu'elle s'augmente tous les jours. Je vous mande ceci afin de vous faire voir une'

i06 MÉMOIRES

marque de celle que Madame Royale et la princesse Mar- guerite ont pour vous, en témoignant une estime très- particulière pour une personne que vous avez -eu la bonté de leur recommander. » Et plus loin : a Madame Royale m'a entretenue plus d'une heure aujourd'hui de tous les intérêts de sa famille. Les caresses qu'elle me lait donnent de Tenvie sans causer du soupçon ; car 1 on est assez accoutumé à lui voir une amitié particulière. » Le soupçon que redoutait mademoiselle de Treseson, et qu'eJle s'efforçait d'éloigner, était celui de sa liaison avec Fouquèt et de la mission qu'elle avait reçue «lu surintendant pour lui gagner la cour de Savoie. Elle réussit quelque temps à bien dissimuler son rôle, et elle profita de cet intervalle pour s'emparer des trois per- sonnes qu'il était le plus important de lier à la cause du surintendant : la duchesse douairière de Savoie, la princesse Marguerite et le jeune duc de Savoie Charles- Emmanuel.

La duchesse douairière était Christine de France, fille de Henri IV, et n^enle de Savoie depuis plus de vingt ans. Elle avait alors cinquante ans, et conservait encore des restes de son ancienne beauté. Mademoiselle do Montpensier, qui la vit vers la même époque et qui ne la juge pas avec bienveillance, convient qu'elle avait un air de grandeur : « 11 paraît qu'elle a été belle, dit-elle dans ses Mémoires *; mais elle est plus vieille qu'on ne l'est d ordinaire à son âge. Elle me parut ressembler à mon père (Gaston d'Orléans, lîls de Henri IV). /nais plus

» Éilit. rjiai-penlior, t. ÎII. p. 7*m

SUR NICOLAS FOUQUET (i658-im»; 407

cassée, quoiqii elle fit tout ce qu'elle pût, par son ajus- tement, pour soutenir son reste de beauté. Elle a la taille gâtée, mais cela ne Tempéche pas d'avoir bonne mine et Tair d'une grande dame. » Madame Royale dé- sirait ardemment le mariage de sa fille Marguerite avec Louis XIV, et, comme toutes les personnes qu entraine la passion, elle trahissait ses sentiments avec une fran- chise imprudente, se livrait aveuglément à ceux qui flattaient ses projets, et recherchait tous les auxiliaires qui pouvaient concourir à leur réalisation. Il n est donc pas étonnant qu'elle ait témoigné une bienveillance particulière à la jeune Treseson, nièce de madame du Plessis-Bellière, et protégée du surintendant. Le 11 oc- tobre 1658, mademoiselle de Treseson écrivait à Fou- quet : « Madame Royale m'a dit qu'elle était assurée du voyage du roi à Lyon (c'était que devait avoir lieu l'entrevue des deux cours). J'ai encore recommandé le secret avec un grand soin, et Ton me promet de le bien garder. Je mange toujours avec Madame Royale, et deux fois elle a porté la santé de nos communs amis de Paris. Je lui ai dit que je le leur manderais, mais en môme temps je l'ai suppliée de ne leur plus faire cet honneur si publiquement, car je crois cela tout à fait propre à faire soupçonner quelque chose ici. Vo is ne devez pas douter que je n'apporte tous mes soins pour empêcher qu'il n'arrive aucun accident. »

Ainsi c'était la jeune Bretonne qui donnait des leçons de prudence dans cette cour frivole. En même temps qu'elle entretenait et contenait tout à la fois les espé- rances do la duchesse douairière, et qu'elle s'insinuait

408 MÉMOIRES

dans les bonnes grAces de sa fdle Marguerite^ elle jouait vis-à-vis du jeune duc Charles-Emmanuel im rôle diffi- cile. Dans toute la fougue de Tàge, et peu maître de ses passions, ce prince de vingt-quatre ans se montra em- pressé près de mademoiselle de Treseson. Quoique cetfe jeune fille fût plus spirituelle que jolie S elle sut lui inspirer une passion utile à ses projets *, mais elle n'ac- cueillit ses galanteries qu'en plaisantant, et le tint à distance sans rompre avec lui. Tout ce manège de di- plomatie et d'intrigue féminine est clairement exposé dans une letre que, le 25 octobre 1658, elle écrivait à Fouquet. Elle y repousse les soupçons que le surinten- dant avait laissé percer à Toccasion des relations de mademoiselle de Treseson et du duc de Savoie :

a Si Tamitié que j'ai pour vous ne se trouvait pas of- fensée par les reproches que vous me faites, j'y aurais pris bien du plaisir, et j'aurais appris avec quelque sen- timent de joie l'inquiétude vous êtes de savoir ce qui se passe ici, puisque assurément ce n'est point une marque que vous ayez de l'indifférence pour moi ; mais, quoique j'en fasse ce jugement, qui ne m'est point désa- gréable, je ne puis m'empècher de m'aflliger extrême- ment que vous en ayez fait de moi un si injuste et si désavantageux ; car je vous assure que ce n'est point manque de confiance, ni par aucune préoccupation de

* C'est ce qu'en dit mademoiselle de Montpcnsier : « Je lui trouvai de l'esprit plus que de la beauté. » {lùid,, p. 317.)

'a Elle montra à la rcino une de ses filles, nommée Treseson, qui est Françofcje, delà pro>*ince do Bretagne, dont M. de Savoie étoit amoureux. « [Wid,, p. 511.)

SUR NICOLAS FOUOUET dess-iei» 409

ce, côté-ci, que j'ai manqué à vous écrire cent petites choses que j'ai cru des bagatelles pour vous et que j'ai fait scrupule de vous mander, de crainte de vous impor- tuner dans les grandes occupations vous êtes tous les jours; mais enfin, puisque je vois que vous avez pour moi une bonté que je n'avais osé espérer, quoique j'aie toujours désiré la continuation de votre amitié plus que toutes les choses du monde, je vous dirai qu'il ne se passe rien entre M. de Savoie et moi qui soit désavan- tageux ni pour vous ni pour moi. J'ai trouvé le moyen de m'en faire craindre et de m'en faire estimer malgré lui. J'ai toujours pris en raillant ce qu'il m'a dit de plus sérieux. 11 me parle autant qu'il peut par Tordre de Ma- dame Royale, qui est bien aise que j'aie quelque crédit auprès de lui, parce que je ne suis ni brouillonne ni ambitieuse, et que je ne lui inspire que de la douceur et de la complaisance. Tout le monde est le confident de M. de Savoie. Vous pouvez juger de si je m'y fie en nulle façon. Jusqu'ici il ne s'est rien passé de particu- lier entre nous, et Ton a toujours su nos conversations et nos querelles, quand nous en avons. Cette dernière chose arrive assez souvent : j'ai été une fois huit jours sans lui parler, parce qu'il avait dit quelque chose de trop libre devant moi. Pendant ce temps-là, il en passa trois dans une maison de campagne, et manda à Ma- dame Royale qu'il ne reviendrait point auprès d'elle que je ne lui eusse pardonné. Depuis, il ne lui est pas arrivé de retomber dans une pareille faute. Toutes les galanteries qu'il peut faire, il les fait pour moi, comme de musique, de collations et de promenades à cheval.

410 MÉMOIRES

Il me prête toujours ses plus beaux chevaux et m'a fait faire deux équipages fort riches.

« Je connais bien que toutes ces clioses ne seraient pas tout à fait propres à faire trouver un établissement en ce pays-ci. Aussi je vous assure que, sans l'affaire que vous savez, je les empêcherais absolument ; mais je vous avoue que, dans cette pensée, je ne m'applique qu'à sauver ma réputation aussi bien comme j'ai sauvé mon cœur, qui, je vous assure, est toujours aussi fidèle comme je vous ai promis.

« Pour ce qui regarde la princesse Marguerite, M. do Savoie lui témoigne beaucoup d'amitié et lui parle sou- vent de celle qu'il a pour moi, et même une fois il l'a obligée de m'envoyer prier d'aller la voir à son apparte- ment, où je l'ai trouvée avec la musique et une colla- tion. Il l'a même priée, quand elle serait ma maltresse \ de m'obliger à me souvenir de lui. La princesse Mar- guerite me témoigna beaucoup de complaisimce et même do grands respects. Ce n'est pas une personne qui soit beaucoup familière; elle me parle toutefois bien souvent du voyage que nous allons faire mardi '. Elle a grand'peur qu'il ne roussisse pas c^mme nous le souhai- tons *.

* Marguerite de Savoie devanl (on le supposait du moim^) devenir reine de France, mademoiselle de Trescson l'aurait accompagnée en Franco, comme fille d'honneur.

- Il s'agit du voyage de Lyon, les cours de France et de Savoie «lo- vaient so rencontrer

^ Mademoiselle de Montpensier attribue les mdmes pressentiments ù Marguerite de Savoie : « L'on disoit que Madame Royale avoit fait ce voyage contre l'avis de sa fille, qui la pria, à Chambëry, de la laisser, vi de no l'exposer point à un refus. » Mémoires, ibid., p. 518.^

SUR NICOLAS FOUQUET (tess-icsB^ 4M

« Mandes-moi, s il vous plait, de quelle manière je dois continuer de vous écrire lieu nous allons, et soyez persuadé que mes discours ni mes actions ne se- ront jamais contraires à Tamitié que je vous ai témoi- gnée. Personne ne parait mon ennemi dans ce pays, et j'en attribue l'obligation n Tamitié de Madame Royale et à celle de M. de Savoie. 11 y a ici deux ou trois per- sonnes avec lesquelles j'ai fait une espèce d'amitié, afin de les obliger de m'avertir de tout ce qui se dit moi, et je les ai priées de ne me pardonner rien. Madame Royale m'a donné depuis peu des boucles de diamants *. J'ai su depuis huit jours que les perles dentelle m'avait fait présent venaient de M. de Savoie, qui avait obligé Madame Royale à me les donner comme venant d'elle. Je vous assure que la reconnaissance que j'ai de tous c^s soins ne va pas au delà de ce qu'elle doit aller.

'i Je ne crois pas que je puisse écrire à madame du Plessis; car l'ordinaire (le courrier) est près de partir. Si vous voulez m'obliger extrêmement, vous lui conseil- lerez, comme de vous-même, de m'envoyer une jupe comme on les porte, sans or ni argent. L'on ne trouve ici quoi que ce puisse être. Je vous demande pardon de cette commission, et vous rends mille remerciments des effets que j'ai reçus de votre part. Je les ai presque tous donnés à la princesse Marguerite. Adieu, je vous de-

* Mademoiselle de Monipensior parle aussi des présents que la du- chesse de Savuie avait faits à uiadeinoiselle de Treseson : « Elle (made- moiselle de Treseson) me conta que Madame Royale lui avoit donné des perles, des pendants d'oreilles qu'elle avoit, assez raisonnables. » {IM..

p. 317.;

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mande pardon de vous avoir donné sujet de penser que je ne vous aime pas plus que toutes les personnes du monde. Si le mariage que vous savez s'accorde, je vous supplierai de prendre la peine d'écrire à Madame Royalo, afin qu*elie me donne à la pnncesse Marguerite. »

Malgré les explications plus ou moins vraies de made- moiselle de Treseson, la voix publique la proclamait maîtresse du duc de Savoie. Fouquet en était informé, et lui adressa des reproches auxquels elle répondait : « Sans que je m'imagine ' que ce n'est que pour me faire la guerre que vous me mandez que vous me soupçonnez de vous manguer de parole, je vous ferais bien des reproches d'avoir cette mauvaise opinion de moi, et je vous assure que j'aurais raison de vous en faire; car je vous promets que le souvenir du petit ca- binet touche plus mon esprit que toutes les choses que peut faire M. de Savoie pour témoigner qu'il m'aime. Je ne me laisse point éblouir au faux éclat, et tous les grands divertissements de ce lieu-ci ne m'empêchent point de souhaiter très-ardemment do revoir celui que je vous ai nommé. »

Madame Royale et ses filles partirent enfin pour Lyon dans les premiers jours de novembre, et mademoiselle de Treseson les accompagna. Le duc de Savoie ne les rejoignit que plus tard. Mademoiselle de Treseson écri- vit à Fouquet pendant le voyage, et dans celte lettre elle insiste particulièrement sur le caractère de Margue- rite de Savoie, que jusqu'alors elle avait laissé dans

' Vieille loumurp, pour «i je ne m'imaginainque...

SUR NICOLAS KOUQUËT (tt5s.i«w 415

l*oinbre. Elle trouvait en elle la pmdence qui manquait à sa mère : « C'est, disait-elle, la plus discrète et la plus secrète personne du monde, et en laquelle on peut se fier. Pour de grandes confiances («te), elle n*en a jamais eu pour personne que pour une femme qu'elle aime depuis dix ans. De la civilité et de la douceur, elle en a pour tout le monde, et beaucoup pour moi, à laquelle elle a dit des choses fort obligeantes touchant les af- faires présentes, et le compliment que je lui ai fait pour lui témoigner Tenyie que j'ai d'avoir Thonneur d'être à elle en a été fort bien reçu. » Plus loin mademoiselle de Treseson insiste encore sur le même sujet : « 11 faut que je revienne à la princesse Marguerite, et que je vous fasse encore quelque réponse sur son chapitre. Je ne la crois pas assez hardie pour oser résister en rien à M. le cardinal ; mais elle aimera toujours ceux à qui elle aura promis Tamitié, et ne manquera jamais de reconnais- sance pour les personnes qui l'auront obligée. Elle a beaucoup de bonté, une fort grande douceur, mais beaucoup de timidité. Voilà ce que'je crois de plus im- portant à vous faire savoir, et j'aurais grande honte de vous écrire si mal, si je ne pouvais m'excuser de l'in- commodité que j'ai d'écrire sur le bord des grands précipices je passe, qui me donnent bien de la frayeur. »

Ainsi les trois principaux personnages de la cour de Savoie, Madame Royale, la princesse Marguerite et le jeune duc Charles-Emmanuel, avaient été étudiés et ca- ractérisés par mademoiselle de Treseson dès les pre- miers temps de son séjour à la cour de Turin. Elle avait

414 MÉMOIRES

complètement gagné la duchesse douairière, et s'effor- çait de modérer et de diriger son ardeur, qui pouvait tout compromettre. La princesse Marguerite montrait plus de réserve et de finesse ; mais elle ne pensait pas qu'on trouvât en elle un appui assez ferme pour résis- ter à Mazarin. Quant au jeune duc, il était étourdi, im- pétueux; mais mademoiselle de Treseson se vantait de le dominer et de le conduire, sans céder à ses passions. Un sétonne, en lisant ces appréciations, de ne pas trouver un mot sur les qualités ou les défauts physiques des personnages. Rien n'eût été plus naturel en parlant de la future reine de France: mademoiselle de Treseson avait Tobserver avec la finesse et la curiosité natu- relles à son sexe et à son âge. Une autre femme, par- lant des mêmes personnages, supplée au silence de la jeune Bretonne. Mademoiselle de Montpensier, qui as- sista cette année même (lôfiS) à lentrevue des deux cours dans la ville de Lyon, n'a pas négligé le portrait physique des princes et princesses de la maison de Sa- voie. Nous avons déjà vu comment elle avait tracé à gi-ands traits la physionomie de Madame Royale, son air de grandeur, ses ressemblances de famille, et aussi sa caducité prématurée, a Pour la princesse Marguerite, dit-elle ailleurs', elle est petite; mais elle a la taille assez jolie, à ne bouger de place; car, quand elle marche, elle parait avoir les hanches grosses, et même quelque chose qui ne va pas tout droit. Elle a la tète trop grosse pour sa taille ; mais cela parait moins par

' Mémoireê, Und., p. 315 et miiv.

SUR NICOLAS FOUQUET ;i6:>8-i659) 415

devant que par derrière, quoique ce soit une chose fort disproportionnée. Elle a les yeux beaux et grands, le nez gros, la bouche point belle, et le teint fort olivâtre, et cependant avec tout cela elle ne déplaît point. Elle a beaucoup de douceur, quoiqu'elle 'ait Tair fier. 'Elle a infiniment d'esprit, adroit, fin, et il y a paru à sa con- duite. » Enfin le duc Charles-Emmanuel est aussi dé- peint en quelques lignes ^ : a On le trouva fort bien fait ; il est de moyenne taille, mais il Ta la plus fine, déliée et agréable, la tête belle, le visage long, mais les yeux beaux, grands et fins, le nez fort grand, la bouche de même ; mais il a le ris agréable, la mine fière, un air vif en toutes ses actions, brusque à parler. 11 avait fort bonne mine. »

Ce fut le 28 novembre 1658 que la duchesse de Savoie et ses filles arrivèrent à Lyon. La cour de France y était depuis plusieurs jours, et elle s'empressa d'aller au- devant de Madame Royale. Le roi, Anne d'Autriche, mademoiselle de Montpensier, le maréchal de Villeroy el madame de Noailles se trouvaient dans le même car- rosse, et les Mémoires de mademoiselle de Montpensier retracent un tableau fidèle de tout ce qui se passa en cette circonstance*. La cour de Savoie cherchait ù éblouir les yeux par la pompe de ses livrées et la ma- gnificence de son train. La roule était couverte d'équi- pages aux armes de Savoie, avec housses de velours noir et cramoisi. Les pages de Madame Royale, ses gardes avec casaques noires galonnées d'or et d'argent, quàn-

Métuoircê, tùtU., p. 507. "^ Ihid., p. 513.

416 MÉMOIRES

tilé de carrosses à six chevaux, précédaient la princesse, et annonçaient ses prétentions à étaler un faste royal. Au moment même les cours allaient se rencontrer, Anne d'Autriche laissait percer son peu de sympathie pour le mariage projeté ; mais elle s'y résignait dans la pensée qu'il agréait à son fils. « Si je pouvais avoir Tln- fante, disait-elle, je serais au comble de la joie; mais, ne le pouvant pas, j'aimerai tout ce qui plaira au roi. J'avoue que j'ai bien de l'impatience de savoir comment il trouvera la princesse Marguerite. » Louis XIV n'était pas moins impatient ; il monta à cheval à l'approche des princesses et alla au-devant d'elles, puis revint au galop, mit pied à terre, et, s'adressant à la reine avec la mine la plus gaie du monde et la plus satisfaite : a Elle est plus petite que madame la maréchale de Villeroi, lui dit-il, mais elle a la taille la plus jolie du monde; elle a le teint... » 11 hésita un instant ; enfin il ajouta : «olivâtre; mais cela lui sied bien. Elle- a de beaux yeux; enfin elle me plaît. »

A ce moment, les princesses de Savoie arrivèrent. Madame Royale descendit de carrosse, salua la reine, lui baisa les mains, et chercha à la gagner par ses ma- nières caressantes. Lorsqu'elle lui eut présenté ses filles, toutes les princesses montèrent dans la voiture royale, et firent ainsi leur entrée à Lyon. Le roi se plaça auprès de la princesse Marguerite, et l'on remarqua la vivacité et la familiarité de leur convei'sation. 11 entre- tint la princesse de ses mousquetaires, de ses gen- darmes, de ses chevau-légers, du régiment des gardes, du nombre de ses troupes, de ceux qui les comman-

SUK NICOLAS FOUQUET (lesîJ-iese) 417

daient, de leur service, etc. C'étaient ses sujets favo- ris. Puis ils parlèrent des plaisirs de Paris et de Turin, et, pendant toute cette entrevue, la princesse montra une grande aisance et un certain abandon. Quant à la duchesse douairière, elle fatigua la reine et la cour par Texagéralion et la prolixité de ses compliments. Cepen- dant les dispositions paraissaient jusqu'alors favorables au mariage projeté ; mais, lorsque la reine se fut sé- parée de la duchesse de Savoie, Mazarin la suivit dans son cabinet, et lui annonça qu'il lui apportait une nou- velle à laquelle elle ne s'attendait pas. « Est-ce que le roi mon frère m'envoie offrir l'Infante? s'écria la reine; c'est la chose du monde à laquelle je m'attends le moins. Oui, madame, c'est cela, » lui répondit le cardinal. En môme temps il lui remit une lettre de Phi- lippe rV, par laquelle il mandait à la reine sa sœur qu'il souhaitait la paix et le mariage de sa fdle avec le roi de France. Le roi d'Espagne, inquiet de l'alliance étroite qui se préparait entre la France et la Savoie, avait en- voyé à Lyon don Antonio Pimentelli, qui s'y introduisit secrètement le jour même les princesses y faisaient leur entrée solennelle, et remit à Mazarin la lettre de Philippe IV.

Quoique la reine et le ministre se défiassent de la sincérité des Espagnols, ils ne montrèrent plus, depuis ce moment, le môme empressement pour la coui* de Savoie. Lorsque le duc Charles-Emmanuel arriva, le V décembre, il fut accueilli froidement par les princes français, que blessèrent ses prétentions à la préséance; il ne passa à Lyon que peu de jours, et quitta la France

I. 21

UK MÉMOIRES

en lui jetant cet adieu : « Adieu, France, pour jamais: je te quitte sans regret. » Il y avait eu cependant un bal brillant donné en son honneur; mais on remarqua que le roi, qui, le premier jour, avait témoigné tant de joie à la vue de la princesse Marguerite, affectait de ne plus lui parler. Mademoiselle de Treseson, qui ne cessa d'assister aux fûtes et aux entrevues, commençait à perdre l'espérance de voir se réaliser le mariage. Pour comble de malheur, sa parenté avec madame du Plessis- Belliore, qu'elle avait cachée si soigneusement, était reconnue et divulguée par plusieurs seigneurs de la cour de France. Les vues secrètes de Fouquet allaient se découvrir. Mademoiselle de Treseson l'avertit, le 3 décembre, de ces fâcheux incidents :

« Encore que je sache, lui écrivait-elle, que M. de Lyonne et d'autres personnes vous informent de toutes les choses qui se passent ici, je ne veux pas manquer à vous rendre compte aussi bien comme eux de l'état des choses de ce pays-ci. Je vous dirai donc que je ne trouve pas qu'elles aillent trop bien, et nous n'en avons pas l'espérance que nous en avions le premier jour. La prin- ceSvSe n'a pas déplu au roi ; mais M. le cardinal veut traîner les choses en longueur. M. de Lyonne a fait au- jourd'hui parler à S. A. R. *, et lui a fait savoir qu'il était dans son ûitérét; car, jusqu'à cette heure, il n'avaîl point voulu qu'on eût dit son nom. Mais S. A. R. n'est pas tout à fait persuadée, et elhî m'a dit aujourd'hui que M. (le Lyonne devait faire un voyuge en Espagne

' Chrisline (ie France, ducliciiso douairièi'o de Savoie.

SUU NICOLAS FOl'UUET less-iese; 419

pour négocier l'autre mariage*. J'ai dit loiU ce que j ai pu pour lempùcher d'avoir celte opinion, et l'ai assurée qu il eût fallu que vous eussiez été trompé le premier.

« J'ai voulu savoir aussi si M. de Savoie avait quelque disposition à épouser une nièce du cardinal. Je crois qu'avec Pignerol il y pourrait consentir.

« Il faut que je.vous dise que je suis assez embarras- sée avec les compliments que tout le monde me vient faire sur l'honneur que j'ai d'être nièce de madame du Plessis. Le maréchal de Cléiambault a dit partout qu'il avait fort connu ma mère; que madame du Plessis et elle étaient sœurs. Je ne dis là-dessus ni oui ni non, et réponds seulement que c'est M. de Brulon qui m'a pla- cée dans cette cour. En vérité, il était bien difficile que l'on pût cacher la parenté ; car il n'y a personne qui ait été dans mon pays qui ne la sache. »

La situation ne s'améliora pas les jours suivants, et la duchesse douairière commença à se plaindre avec viva- cité. On l'apaisa par des promesses et par un écrit attes- tant que le roi épouserait la princesse Marguerite, si le mariage avec l'Infante n'avait pas lieu. Ce fut le 6 dé- cembre que se passa cette scène, don! mademoiselle de Treseson se hâta d'informer Fouquet : « Je m'imagine, lui écrivait-elle, que toutes les lettres que Ion vous écril aujourd'hui vous apprennent les mêmes nouvelles, c'esl-à-dire que la chose que vous savez est si éloignée, qu'on la croit rompue. Cependant Madame Royale m'a dil ce soir à son coucher qu'elle avait, ce jour, retiré

« Le iiianat,'e ile Louis XIV avec riiifaiile Mnrio-Théi-èse, (ille de Phi- lippe IV.

420 MÉMOIRES

un écrit par lec^uel on s'engageait que, si avant le mois de mai le roi n'épousait pas l'infante d'Espagne, il épou- serait la princesse Marguerite. M. le cardinal s'est mis plusieurs fois en colère de ce que Madame Royale vou- lait une écriture; mais enfm, elle Ta pourtant obtenue. Je ne crois pas qu'il arrive d'autres changements avant dimanche, qui est le jour de notre départ. Je ne vous saurais témoigner Taflliction je suis de penser que rhonneur de vous voir est si reculé pour moi ; en vé- rité, je repasse les montagnes avec un déplaisir que rien ne peut soulager, et ce qui l'augmente extrême- ment, c'est que tout le monde sait ma parenté avec ma- dame du Plessis, quoique je ne l'aie avouée à personne. Par malheur il s'est trouvé ici mille gens qui en avaient une parfaite connaissance. Cela me cause un chagrin et une inquiétude qu'il n'est pas en mon pouvoir de vous témoigner; mais, si toutes les choses se tournent de fa- çon à vous faire tort, je vous supplie de n'avoir aucune ccmsidération pour mon avantage, et de me sacrifier entièrement à vos intérêts. Je vous réponds que je n'en murmurerai pas, et que je me tiendrais tout à fait heu- reuse de pouvoir, même par la perte de ma vie, vous témoigner que l'on n'a jamais eu plus de reconnais- sance et de respect que je n'en ai pour vous. »

La princesse Marguerite montra beaucoup plus de calme et de dignité que sa mère, au milieu de ces péri- péties qui renvei'saienl ses espérances de fortune et de grandeur. « On ne lui vit point de changement, dit ma- demoiselle de Montpensicr * ; elle fut toujoui*s dans une

" Miftttoires, ibid., p. 323.

SUR NICOLAS FOUQUET fi«M-i«si>, 421

tranquillité admirable, et agit dans cette affaire comme si c'avait été celle d'ime autre; et pourtant elle en était touchée comme elle le devait, ayant autant de cœur que Ton en pouvait avoir. » Enfin, le dimanche 8 décembre, la duchesse de Savoie et ses filles quittèrent Lyon pour regagner Turin, n'emportant qu'ime bien faible espé- rance de voir se renouer un jour les négociations ma- trimoniales. Mademoiselle deTreseson, qui avait compté revenir à Paris comme fille d'honneur de la jeune reine, n'était pas la moins attristée de cette mésaventure; son chagrin perce dans toutes ses lettres. Elle écrivait à Fouquet le 13 décembre : a L'on ne peut pas être plus affligée que je la suis, et jamais absence n'a paru plus ennuyeuse * que la vôtre me la parait. Toutefois, malgré l'extrême envie que j'ai d'avoir l'honneur de vous voir, je vous supplie de ne songer pas à me le faire recevoir, s'il y a le moindre danger pour vous. »

Le séjour de mademoiselle de Treseson à la cour de Savoie se prolongea encore près d'une année, et pen- dant cet intervalle elle continua d'avertir Fouquet de tout ce qui se passait d'important et de lui transmettre les communications de la duchesse. Ainsi, lorsqu'en fé- vrier 1659 Fouquet fut nommé seul surintendant des finances après la mort de Servien, mademoiselle de Treseson lui écrivit : « Madame Royale vous assure qu'elle prend beaucoup de part à la nouvelle preuve que vous avez reçue de l'estime du roi et de M. le car- dinal, et je vous assure qu'elle témoigne pour vous plus

* On sait qiiolle était an dix-soptième siècle la force des mois ennui et ennuyeuse.

m MÉMOIRES

de reconnaissance que vous ne «sauriez imaginer. Lt princesse Marguerite est toujours de son humeur ordi- naire, c'est-à-dire douce et mélancolique. »

Les projets de mariage pour le duc de Savoie préoc- cupaient alors la duchesse douairière. Jusqu'à cette époque elle avait exercé la plénitude du pouvoir et tenu son fils en tutelle; elle craignait une alliance qui lui aurait donné une rivale. Il avait été plusieurs fois ques- tion de marier le jeune duc avec mademoiselle de Mont- pensier; mais le caractère hautain et Tesprit roma- nesque de cetle princesse la faisaient redouter de Christine de France. « On a mandé à Madame Royale, écrivait mademoiselle de Treseson le 22 mars 1659, que Mademoiselle a prié la reine de la proposer à S. A. R. de Savoie pour sa belle-fille, et que Ton lui a répondu qu'il y avait déjà des propositions pour mademoiselle de Valois sa sœur*, qui seraient assurément approuvées de part et d'autre. L'on a encore mandé que la première (mademoiselle de Montpensier) faisait ici de grandes li- béralités pour se faire des créatures, mais qu'elle me craignait*. Je ne suis pas trop fâchée de cetle dernière chose ; car cela n'a pas fait un méchant effet auprès de Madame Royale, qui me témoigne toujours ses bontés ordinaires. Elle craint fort Mademoiselle et soupçonne

* Françoise tic France, fille de Gaston d'Orléans el de Margiierile de Lon'aine, fut en effet mariée, le 4 mais 1065, avec le duc de Savoie Charles-Emmanuel.

* Mademoiselle dit dans ses Mémoires [ibid., p. 360) que mademoiselle de Treseson fut la prïncipale cause du mariape de sa sœur avec le duc de Savoie. Elle parie avec un ressentiment assez visible de la jeune Bretonne, quelle traite de <t maUrcssede M. de Savoie. »

SUR NICOLAS FOUQUET (im-im] 42.1

qu'elle n'ait intelligence avec M. de Savoie; mais d'ici nous n'en saurions rien découvrir, car il est le plus ar- tificieux des hommes. »

A ces inquiétudes s'en joignaient de plus vives sur la résolution définitive qu'allait prendre la cour de France. « L'on est ici dans de grandes impatiences, écrivait mademoiselle de Treseson le 4 avril, d'apprendre les nouvelles que doit apporter le courrier qui est allé en Espagne. Madame Royale et la princesse Marguerite ne parlent dans leur particulier que de la crainte et de l'espérance qu'elles ont de cette affaire. La première iest bien plus forte que l'autre. » Mademoiselle de Treseson écrivait encore le 1 8 avril : « Pour la princesse Mar- guerite, elle est toujours mélancolique à son ordinaire, et même encore plus; elle dit qu'elle ne pense déjà plus au roi; mais, pour moi, je suis persuadée qu'elle y pense plus que jamais. » Enfin, au commencement de mai, on apprit que les projets de mariage étaient défi- nitivement rompus. Mademoiselle de Treseson l'annon- çait à Fouquet dans une lettre du 5 mai : « Madame Royale m'a ordonné de vous faire savoir qu'elle est dans la plus grande arfliction du monde du mauvais succès de ses desseins. L'on a su qu'on n'en devait plus avoir de ce côté-là. Vous pouvez aisément juger le cha- grin où tout le monde est ici. >> Le 20 mai elle insistait sur le même sujet : « L'on est ici fort irrité contre M. le cardinal, qui ne s'est pas contenté de n'avoir pîis servi la princesse Marguerite; il a mandé à Madame Royale qu'elle s'était méfiée de lui et avait voulu traiter en secret avec les ennemis, de sorte qu'elle appréhende

42i MÉMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET (itss-issa)

fort quft les intérêts de M. de Savoie ne soient pas bien conservés dans les articles de la paix *. Ils feroni partir bientôt une personne de qualité pour aller en prendre soin. » Apres des protestations de dévouement pour Fouquet el de son vif désir de retourner en France, mademoiselle de Treseson ajoutait : « Je crois vous de- voir dire que la pei*sonne à qui Madame Royale a f>ensé pour moi est de la plus grande qualité et aura un jour plus de cent mille livres de renie. »

La jeune Bretonne ne s'était pas oubliée, et cette phrase, jetée au milieu d'une lettre, prouve qu'elle songeait à ses intérêts autant qu'à ceux de Fouquet. Les services qu'elle avait rendus, et que la conscience du lecteur saura qualifier, furent récompensés par une grande alliance ; mademoiselle de Treseson devint com- tesse de Cavour*. Quant à la princesse Marguerite, elle épousa, en 1660, le duc de Parme. « On fut fort étonné, dit mademoiselle de Montpensier ', que, après avoir pu épouser le roi, elle voulût d'un petit souverain d'Italie. Cela ne répondait point à la manière dont elle avait soutenu la rupture de son mariage. »

* La paix des Pyrénées se négociait à cette épotiue, cl fut signtk^ le 7 îiovembre 1659.

* Mémoires de mademmelle de Montpetmer, ilnd.j III, 500. 5 Ibid., p. 452.

CHAPITRE XXIII

Fo\i(|uot protecteur des lettres et des ai1s. État de la litlêrature après la Fronde. Fouquet donne une pi>nsion à Pieire Corneille. Re- rnei*cîment en vers que lui adresse Pierre Corneille. Repi'ésen talion d'OEdipe (1659). Thomas ('«orneille reçoit aussi des gi*atificationsde Fouquet. Pellisson s'attache à Fouquet. Il le met en relation avec mademoiselle de Scudéry et les précieuses. Caractère de cette littérature. I/Cttres de mademoiselle (?c Scudérv à Pellisson. Elle y montre S(»n alTeclion pour Pellisson et son attachement pour Fou- quet. — .\utros poètes encouragés par le surintendant, Boisrobcrt, Gombauld, Hesnaull, i.oret, Scarron. Lettre attribuée à madame Scarron; elle est apo<n'ypho. Lettres de madame Scarron à madame Fouipiet .

Au milieu des soucis de la politique, Fouquet n'ou- bliait pas les lettres et les arls; c'est son plus beau titre. Du reste, s*il fut un Mécène pour les poètes et les peintres, ils le lui ont bien rendu parla fidélité qu'ils lui témoignèrent dans sa disgrâce. Ils contribuèrent plus que personne à cette réaction de Topinion publique qui a sauvé Fouquet et s*est perpétuée jusqu'à nos jours, malgré les preuves accablantes de ses dilapidations. Le surintendant avait l'esprit cultivé et ingénieux; il ai- mait la société des gens de lettres, et, lorsqu'il les pro- tégeait, c'était avec un sentiment de délicatesse et de libéralité que les vrais poètes et les vrais artistes ap-

iiO MÉMOIRES

préciaiont encore plus que les pensions et les faveurs. « M. Pellisson m'a fait l'honneur de se donner à moi, » répondait Fouquet à ceux qui le félicitaient d'avoir at- taché à sa fortune ce bel esprit, qui était, vers 1G59, un des arbitres du goût. Les femmes que recherchait le surinlendant se distinguaient presque toutes autant par l'esprit que par la beauté. Madame du Plcssis-Bellière, madame d'Asserac, mademoiselle de Treseson, écrivaient avec une purelè et une élégance rares à cette époque, même parmi les femmes de cour. Le surintendant ap- préciait l'esprit de madame de Sévigné. N'ayant pu en faire sa maîtresse, il en fit une de ses amies les plus dé- vouées. Il gardait ses lettres dans sa mystérieuse cas- sette, quoique les billets que lui adressait madame de Sévigné ne fussent remplis que de détails d'affaires et de bruits de cour. Il les aimait pour leur tour vif, na- turel, piquant. '

A l'époque de la grande puissance de Fouquet, en 1659, les lettres étaient dans un triste état. Corneille vieillissait, et, depuis l'échec de Pertharite^ en 1653, il s'élait éloigné du théâtre. Scarron et les poètes bouf- fons de son école avaient gâté le goût public ; la Fronde les avait mis à la mode. On applaudissait à leurs gros- sières plaisanteries et au travestissement burlesque des œuvres les plus sublimes. Ces débauches d'esprit avaient amené, dans quelques cercles d'élite, une réaction qui eut aussi ses excès. Les précieuses affectaient un lan- gage et des sentiments raffinés, et, si quelques-unes s'arrêtaient à la limite du ridicule, d'autres s'y précipi- taient et compromettaient la littératui'e par un genre

SUR NICOLAS FOUQIÎET 427

faux et maniéré. régnaient mademoiselle de Scudér^- et ses romans, que la raison sévère de Boileau a con- damnés à tout jamais, et qu'une critique paradoxale tenterait vainement de faire revivre. Il y avait bien, à C(Mé des poètes vieillis, des bouffons et des précieuses, une école d'un genre tout autrement élevé et sévère : Técole de Port-Royal. Elle venait de produire les Pro- vinciales et préparait les Pensées; mais ces solitaires, qui fuyaient le monde et ses dangers, n'attendaient ni ne sollicitaient les faveurs du surintendant. C'était dans la méditation des vérités chrétiennes et dans l'élude des écrivains de l'antiquité que s'était formé leur génie. Il en était de même de Rossuet, qui commençait à briller dans la chaire chrétienne.

Le mérite de Fouquet fut de chercher partout le ta- lent et de l'encourager ; il ramena Corneille au théâtre et s'efforça de réveiller son génie. Il oublia les plates injures de Scarron et secourut sa vieillesse. Pellisson, qui vivait dans l'intimité du surintendant, était l'ami des précieuses el faisait le charme des samedis de ma- demoiselle de Scudéry. Le surintendant entretenait avec Port-Roval des relations amicales : témoin Arnauld d'An- dilly el son fils, Simon de Pomponne. Enfin il eut le mérite de discerner et de stimuler des génies naissants, comme Molière et la Fontaine. Les Fâcheux de Molière furent représentés à Vaux avec un prologue de Pellis- son, et, quant à la Fontaine, encouragé par la munifi- cence de Fouquet, il s'attacha à lui avec toute l'ardeur de son âme candide. Après avoir assisté à tant de mi- sères et d'intrigues, il n'est pas sans intérêt de s'arrêler

i28 MÉMOIRES

un inslant sur un spectacle plus digne de mùinoire, ce- lui de la puissance et de la richesse sollicitant ot ré- compensant le génie.

Pierre Corneille fut un des premiers poètes auxquels s adressa Fouquet. Agé de plus de cinquante ans et dé- couragé par son dernier échec, le poète avait aban- donné le théâtre. Les misérables pièces de Scarron et de son école avaient détrôné le Cid, Horace^ Cinnaj Po- lyeucte. Le surintendant fit un acte honorable en rele- vant Corneille de son découragement et en rengageant à rentrer dans la carrière dramatique. Il lui donna une pension, probablement dès 1657. Ce fut vers cette époque que Corneille lui adressa une pièce de vers \ il lui promet de répondre à son appel. Voici quelques passages de cette pièce, Ton trouve des traces du génie de lauteur du Cid ;

Oui, géntk^ux appui de tout notre Parnasse, Tu me rends ma vigueur lorsque tu me fais grâce. Et je veux bien apprendre à tout notre avenir (}uc tes regards bénins ont su me rajeunir.

Je sens le môme feu, je sens la même audace Qui fit plaindre le Cid, qui fit combattre Horace. Et je me trouve encor la main qui crayonna I/ftme du grand Pompée et l'esprit de Cinna. ClioisLS-moi seulement quelque nom dans l'histoire Pour qui tu veuilles place au temple de la Gloire, Quelque nom favori qu'il te plaise arracher A la nuit de la tombe, aux cendres du bûcher. Soit qu'il faille ternir ceux d'Énée et d'Achille

' Ces vers n'ont été imprimés qu'en tête de la tragédie d'OEdipe, pu- bliée on 1650; mais ils paraissent antérieurs. Le poète demande au surin- tendant de lui désigner les noms qu'il veut immortaliser, et ce fut alors que Fou(|uet lui proposa trois sujets de tragédie.

SUR NICOLAS FOUQUET 429

Par un noble attentat sur Homère et Virgile, Soit qu'il faille obscurcir par un dernier effort Ceux que j*ai sur la scène affranchis de la mort; Tu me verras le même, et je te ferai dire, Si jamais pleinement ta grande àme m'inspii*e, Que dix lustres et plus n'ont pas tout emporté Cet assemblage heureux de force et de clarté, Ces prestiges secrets de l'aimable imposture. Qu'à lenvi m'ont prêtés et l'art et la nature. N'attends pas toutefois que j'ose m'onhardir, Ou jusqu'à te dépeindre, ou jusqu'à t'applaudir. Ce serait présumer que d'une seule vue J'aurais mi de ton cœur la plus vaste étendue. Qu'un moment suffirait à mes débiles yeux Pour démêler en toi ces dons brillants des cieux. De qui l'inépuisable et perçante lumière, Sitôt que tu parais, fait baisser la paupière. J'ai déjà vu beaucoup en ce moment heureux. Je t'ai vu magnanime, affable, généreux, £t ce qu'on voit à peine après dix ans d'excuses, Je t'ai vu tout à coup libéral pour les Muses.

llàte-toi cependant de rendre un vol sublime Au génie amorti que ta bonté ranime, Et dont l'impatience attend pour s? l)orner Tout ce que tes faveure lui vendirent ordonner.

Ce remercîment atteste que Corneille avait reçu de Fouquet une faveur signalée, comme il le dit lui-mùme, et qu'il avait promis au surintendant de traiter le sujet de tragédie que ce dernier lui indiquerait. Fouquet lui en proposa trois et lui laissa le choix. Corneille préféra OEdipe^ et fit représenter cette pièce en 1659. « Chacun sait, dit-il dans VAvis au lecteur publié en tête de cette tragédie, que ce grand ministre n*est pas moins le sur- intendant des belles-lettres que des finances; que sa maison est aussi ouverte aux gens d*esprit qu'aux gens d'affaires, et que, soit à Paris, soit à la campagne, c'est

430 MÉ.\i01UES

dans les bibliothèques ' qu'on allend ces précieux mo- ments qu'il dérobe aux occupations qui 1 accablent, pour en gratifier ceux qui ont quelque talent d*écrii*e avec succès. Ces vérités sont connues de tout le monde : mais tout le monde ne sait pas que sa bonté s'est éten- due jusqu'à ressusciter les Musas ensevelies dans un long silence, et qui étaient comme mortes au monde, puisque le monde les avait oubliées. C'est donc à moi à le publier apr('is qu'il a daigné m y faire revivre si avan- tageusement, non que de j'ose prendre l'occasion de faire ses éloges. Nos dernières années ont produit peu de livres considérables, ou pour la profondeur de la doctrine, ou pour la pompe et la netteté de l'expression, ou pour les agréments et la justesse de l'art, dont les auteurs ne se soient mis sous une protection si glo- rieuse, et ne lui aient rendu les hommages que nous devons tous à ce concert éclatant et merveilleux de rares qualités et de vertus extraoïd inaires, qui laissent une admiration continuelle à ceux qui ont le bonheur de l'approcher. Les téméraires efforts que j'y pourrais faire après eux ne serviraient qu'à montrer combien je suis au-dessous d'eux. La matière est inépuisable, mais nos esprits sont bornés, et, au lieu de travailler à la gloire de mon protecteur, je ne travaillerais qu'à ma honte. Je me contenterai de vous dire simplement que.

' Oii voit l'galcinonl , par un passijrc tics |x»t*sics (Je la Fontaine, que* nons ciUTons au diapitro suixant, (fuc c'(^tait dans la bibliothèquo do Saint-Maïuié qu'il attendait une audience de Fou(|uet, et que cette biblio- thèque était renq)Iie de curio:<itéi» réunies ù fprands frais de toutes les parties du inonde.

Slin NICOLAS FOUQUET 131

si le public a reçu quelque salisl'aclion de ce poème \ et s'il en reçoit encore de ceux de cette nature et de ma façon qui pourront le suivre, c'est à lui qu'il en doit im- puter le tout, puisque, sans ses commandemenlsje n'au- rais jamais fait Œdipe ^ et que celte tragédie a plu assez au roi pour me faire recevoir de véritables et solides marques de son approbation, je veux dire ses libéra- lités, que j'ose nommer des ordres tacites, mais pres- sants, de consacrer aux divertissements de Sa Majesté œ que l'âge et les vieux travaux m'ont laissé d'esprit et de vigueur *. » C'est à ce réveil du poêle, provoqué par ' Fouquet, que la postérité doit Sertorius et Otlion^,

' L'Œdipe de Corneille eut, en eiTel, un succès qui ne sVst pas vsou- lenu. Voici ce qu'en dit Loret dans sa lettre du 25 janvier 1659 :

Monsieur de Corneille Tainé Depuis peu de temps a donné A ceux de l'hùlel de Bourgogne Son dernier ouvrage, ou besogne. Ouvrage grand et signalêi Qui l'(F4ipe est intitule ; Ouvrage, dis-je, dramatique, N.iis si tendre et si pathétique. Que, sans se sentir émouvoir, On nu peut l'entendre ou le voir. Jamais pièce de celle sorte N'eut l'éloculion si forte: Jamais, dit-<in, dans l'univers. On n'entendit de si beaux vers.

Je n'y fus point, nuis on m'a dit Qu'incessamment on entendit Exalter cette tragédie. Si merveilleuse et si hardie, El que le* gens d'entendement Lui donnoient, par un jugement Fort sincère effort équitable, Le beau titre d'imit.ible.

^ (>)rneille répèle les mêmes cliosos, presque dans les mêmes termes, dans son Examen d'QEdipe.

^ Sertorius parut en 1062 et Othon en 1664. est curieux de voir à quel point la iiaine altéra daius la suite les actes les plus honorables de Fouquet et chercha à s'en faire des armes contre lui. L'alj}>ê d'Auhignar accuse le surintendant d'avoir prodigué les trésors de l'Éiat |N)ur rame'

432 MÉMOIUES

Thomas Corneille eut aussi pari aux bienfaits de Foii- quet. Il lui dédia une de ses tragédies et s occupa du su- jet de Camma^ un des trois canevas proposés par Fouquet à Pierre Corneille*. Traitée par un génie tel que Pierre Corneille, cette pièce aurait pu exciter les émotions de terreur et de pitié que recherche surtout la poésie dramatique. Camma avait vu son époux assassiné par un rival qui ambitionnait sa main; elle feignit, pour assurer sa vengeance, de se rendre aux désirs du meur- trier. Arrivée au pied de Tau tel leur hymen devait être consacré, elle lui présenta une coupe comme sym- bole d'union; hiais la coupe était empoisonnée, et le meurtrier y but la mort. Ce sujet tragique, qui n'est pas sans analogie avec celui de Mérope, fut traité faiblement par Thomas Corneille. Du reste (et c'est ce que nous voulons surtout faire ressortir), la générosité de Fou- quet envers les poètes même médiocres est constatée par la dédicace que Thomas Corneille a placée en léte de sa tragédie de la Mort de Commode. Il y parle à plu- sieurs reprises des o généreuses marques d'estime » cl des « bienfaits » qu'il a reçus de Fouquet; il lui dit : « Je voulais m'offrir et vous m'avez attiré. » Enfin il vante sa générosité sans exemple et le parfait discernement qu'il sait faire de toutes choses \

ncr Corneille aux a jeux «le la scène, » et celui-ci de n'avoir répondu à (le si folles prodigalités (jue jïar un ouvrage coniiiosé uniquement jwur diminuer a les tendresses et le ri»spect que nous devons à nos ix)is.

* Fontenelle indique dans la Vie de Corneille deux des sujets propoî^is par le surintendant [Œdipe et Camma ) ; mais il ne cite pas le Iroisiêiue.

* Je dois les indications sur les relations de Tlionias Corneille avec Fou- quet à un de mes amis, M. Delzons. professeur de Tllnivcrsité, qui joint

SUR MCOLAS FOUQUET. 455

Parmi les beaux esprits de cette époque, un de ceux qui eut le plus à se louer de Fouquet fut Pellisson ^ à Castres, en 1624, Paul Pellisson-Fontanicr suivit d'abord la carrière du barreau et publia un ouvrage de jurisprudence. Plus tard, il vint s'établir à Paris et se lia avec Conrart et d'autres gens de lettres ; ce fut alors qu'il composa son Histoire de r Académie française, qui lui valut rhonneur d'être nommé membre surnumé- raire de la docte compagnie. 11 connut vers le môme temps mademoiselle de Scudéry, qui élait dans tout l'éclat de sa gloire littéraire. Pellisson devint bien- tôt l'àme des samedis de la Sapho moderne. On y faisait des madrigaux ; on y raffinait la langue au point de la rendre inintelligible. Cette littérature, il faut bien l'avouer, n'a pas une grande portée. L'hôtel de Ram- bouillet, où les précieuses s'étaient jadis réunies autour de Catherine de Vivonne et de sa iîlle, Julie d'Angennes, avait épuré la langue et inspiré le goût et le sentiment des beautés délicates. Malgré le tour d'esprit un peu recherché et maniéré des Voiture et des Benserade, il y avait eu un travail utile. Les nouvelles précieuses qui, après la Fronde, se groupèrent autour de made- moiselle de Scudéry, n'eurent qu'un mérite : ce fut de faire pénétrer dans les classes bourgeoises ce goût du fin, du délicat, du recherché, qui avait été jusqu'alors le partage de l'aristocratie. Le titre de précieuse donnai

à un goiit délicat une connaissance approfondie de la poésie du dix- scj)liènie siècle.

* Voy. l'Élude ëttr PdlUioii, par M. llarcou, 1 vol. in-8 (Paris. 1859, chez Didier et Durand).

.1 28

151 MÉMOIRES

un brevet de distinction, comme on dit aujourd'hui, et tout ce qu'il y avait de beaux esprits et de femmes élégantes ambitionna Thonneur d'aller le recevoir des mains de mademoiselle de Scudéry et de Pellisson.

Parmi les pei*sonnes qui assistaient aux samedis, ou voit surtout figurer des bourgeoises, entre autres ma- dame Cornuel, si connue par ses bons mots, et ses deux belleîî-filles , mesdemoiselles Legendre et Marguerite Cornuel*. Madame du Plessis-Belliùre, qui était d'un i*ang plus élevé, étîiit aussi en relation avec mademoi- selle de Scudéry. C'était Pellisson, comme nous rap- prennent ses lettres, qui avait conduit son amie chez madame du Plessis-Bellière. Dès le 2 novembre 1656, il écrivait à 'mademoiselle Legendre* : « J'ai trouvé toute la civilité du monde en madame du Plessis-Belliéi*e. M. l'abbé de Bruc, sou frère, avant qu'il allât en Bre- tagne, où il est, m'avait proposé de lui mener notix» amie*. Il me sera tout à fait aisé de le faire quand il sera de retour, parce que j'ai assez de familiarité avec lui; mais avant cela même, puisque vous le jugez à pix)po8, bien loin d'en éviter l'occasion ou de la négli- ger, je la rechercherai avec soin, quoique je me pré- sente plus rarement aux lieux il faut aller pour cela, par la crainte de jouer ce personnage d'importun dont

Voy. sur ces personnes les Historiettes de Tallemant des Héaux, et lu Société franc, au dix-septième siècle, par M. Cousin^ t. U, p- !2i4 et suiv.

* Cette lettre est citée damla Société franc, au dix-septième siècle, etc. 1. II, p. 475. Elle pi'ouve que ce ne fut pas chez mademoiselle de ScudcH'v «lue Pellisson fit la connaissance de madame du Plessis-Bellière, coniiiiu on l'a répi'té dans plusieurs ouvrages. C'est lui, au contraire, qui mène son amie chez la parente du surintendant.

'* Mademoiselle d<.' Scudéry.

SUR NICOLAS FOUQUET. 455

VOUS parlez si agréablemenl, et que vous ne sauriez pourtant jouer quand vous le voudriez. Cependant, ma- demoiselle, vous savez bien que je ne suis qu'à vingl pas de M. le procureur général *; je dois ajouter que je connais assez particulièrement la plupart de ses com- mis. S'il y a quelque chose je puisse êlre employé dans l'affaire secrète dont vous me parlez, vous n'avez qu'à ordonner, et je vous assure qu'elle ne sera pas moins secrète pour me l'avoir communiquée. »

Pellisson se lia de plus en plus avec madame du Plessis-Bellière, et cette femme, dont tous les contem- porains ont vanté l'esprit, fut charmée de celui de l'ami de mademoiselle de Scudéry. Elle les fit connaître tous deux au surintendant, qui s'empressa de se les attacher par des pensions. Pellisson paya la dette de mademoi- selle de Scudéry par un Remerdmètit du siècle à M. le snrmtendant Fonquet^ et bientôt il en adressa un nou- veau en son nom '. C'est Apollon qui parle par la voix de Pellisson, et dans un langage qui rappelle celui de la Carte de Tendre^ dressée par les précieuses, il fait travei^ser au poète le royaume des allégories, la région des hyperboles, des anachronismes, des prophéties, pour arriver enfin au pays des bienfaits et de la recon- naissance. Là s'élèvent des colonnes de marbre avec des chapiteaux de bronze et des inscriptions en lettres d'or. On y lit « les noms d'Auguste, de Mécène, de Fran- çois I", de Henri III, de Louis le Juste et du grand Ar-

' Nicolas Fouquct avait aloi-s son liôlcl rue du Temple. * TallciiiaiU, Hutoriette», 413-414; }ii!iVco\iy Étude êur Pellisson, p. 171 «i suiv.

436 MÉMOIRES

inand *. Fouquet y a sa place marquée par la reconnais- sance. Dans ce pays imaginaire, Apollon mouli'c au poiUc des remcrcîmenls de toute espèce, rcmcrcimenls de refus, remercîments intéressés, remerciments am- bitieux. Il y a çà et quelques traits satiriques qui relèvent la fadeur de l'allégorie. Enfin Pellissou trouve les remerciments de cœur; c'étaient ceux qu'il cherchait et qu'il adresse à ?on bienfaiteur.

A partir de 1656, Pellisson devint un des principaux commis de fouquet; mais les soucis des affaires ne le détournèrent jamais complètement de la littérature. Devenu maître de la chambre des comptes de Montpel- lier, en 1659, il continua de s'occuper de vers et de fi- nances. Fouquet l'employait à traiter avec les fermiei's des impôts et à corriger les billets galanls qu'il écri- vait *. Mais Pellisson, et c'est son principal titre à nos yeux, était l'intermédiaire entre Fouquet et les gens de lettres; c'était par lui que Boisrobert, Loret, Scarron, Gombauld, Hesnaull et d'autres étaient signalés au sur-

* Armand du Plessis, cardinal de Richelieu.

* Ontrouvodans les m<s. Conrart, in-f», t. XI. p. 155. un billet aUribuê à Fouquet avec cette indication : l^eUre du iieur Fouquet à une dame, corrigée de la mam de Pellisson. Mais ces prétendues lettres de Fouquet sont pour la plupart apocryphes. (>î billet, que les cou l.eui])orains pré- tendent adressé à mademoiselle de la Valliêre, n'a rien de remarquable. En voici le texte d'après Conrart : a Puisque je t'als mon unique plaisir de vous aimer, vous ne devez pas douter que je ne fass<' toute ma joie de vous satisfaire. J'aurais pouitant souhaité que l'afTaire que vous avez désirée fût venue purement do moi ; mais je vois bien qu'il faut qu'il y ait toujours (pielque cliose qui trouble ma félicité, et j'avoue, ma chère demoiselle, qu'elle serait trop grande, si la fortune ne Taccompagpiait quelquefois de quelque traverse. Vous m'avez aujourd'hui causé mille tentations en parlant au roi; mais je me soucie fort peu de ses affaires, ftourvu que Ihs nôtres aillent bien. >

SUR NICOLAS FOCQUET. 437

in(cndan(, qui ne fut jamais insensible à leur misère. La position officielle de Pellisson auprès du surinten- dant n'interrompit point ses relations avec mademoi- selle de Scudéry. Quoique défiguré par la petite véroî(\ et célèbre pour sa laideur, il avait inspiré à Sapho (c'était le nom de mademoiselle de Scudéry parmi les précieuses) une passion dont elle ne se défendait pas. Dans des vers, Pellisson était désigné sous le nom d*Acante, Sapho s'adressait à lui en ces termes :

Enfin, Acaute, il se faut rendre; Votre esprit a charmé le mien. Je vous fais citoyen de Tendre ', Mais de grâce n'en dites rien.

Les amours de Pellisson et de mademoiselle de Scu-

* La carte du pays de Tendre, telle que raadenioisello de Scudéry l'a donnée dans la Clélie, mérite d'être citt'e. Elle suffît pour donner une idée de cette littérature tSics^ précieuses : « La premièic ville située au bas de la carte du pays de Tendre est Nouvelle-Amitié. Comme on peut avoir de la tendresse par trois causes différentes, ou par une grande estime, ou pnr reconnoissance, ou par inclination, on y a établi trois villes de Tendre sur trois rivières, (|ui portent trois noms, et on a fait aussi trois routes dilTérentes pour y aller, si bien que connne on dit Cumes sur la mer d'Ionie et Cumes sur la mer TviThène, on dit aussi Tendre-sur-In- clinntion, Tendre-sur-Eslime et Tendre-sur-Reconnoisfonce. VAi\Hii\dant comme Clélie a présujiposé que la tendresse qui naît par inclination n'a l)esoin de rien autre diose pour «Hre ce qu'elle est, elle n'a mis nul vil- lage le long de ses rives pour aller de Nouvelle-Amilié k Tendre. Mais pour aller à Tendre-sur-Estime, il n'en est pas de même ; car Clélie a ngénieusement mis autant de villages qu'il y a de petites et de grandes choses qui peuvent contrïbuer à faire naître par estijue cette tendresse dont elle entend parler. En efi'et, vous voyez que de Nouvelle-AnUtié on passe à un lieu qu'on appelle Grand-Esprit, parce que c'est ce qui com- mence ordinairement l'estime. Ensuite, vous voyez ces agréables villages de Jolis-Vers, de Billet-Galant et de Billet-Doux, qui sont les opérations ïes plus ordinaires <hi grand esprit dans le commencement d'ime amitié.

458 MÉMOIRES

déry donnèrent Heu à des chansons et à des épi- gramnies, Ton n'oubliait pas les allusions à la I«ii- deur de Pellisson :

L'amour met tout sous son empire, Et ce n'est pas une chanson ; Sapho même soupire Pour le docte Pellisson. Eh hien! eh bien, qu'en voulez-vous dire? N'est-il pas joli garçon?

Les vers que Tamour pour mademoiselle de Scudéry inspira à Pellisson ne s*élèvenl g:uère au-dessus du nié-

Ensuite, pour faire un plus grand progrès dans celle amitié, vous voyez Sincérité, Graud-Cœur, Probité y Générosité. Respect, Exactitude et Bonté, qui est tout comme Tendre. Après cela il faut retourner à yott- relie-Amitié, pour voir par quelle route on \-a de à Tendre-sur- Récon- naissance. Voyez donc, je vous prie, comment il faut aller de Noutfelh'^ Amitié à Complaisance, ens4iite à ce petit village qui se nomme Soumis- sion, et qui en touche un autre fort agréable qtii se nomme PetUs-Soins. De il faut passer par Assiduité, et à un autre village qui s'appeHe Em~ pressetnent, puis à Grands-Services, et pour marquer qu'il y a peu do gens qui en rendent de tels, ce village est plus petit que les autres. En- suite i! faut passer à Sensibilité, Api-ès, il faut, pour arriver à Tendre, passer par Tendresse. Ensuite il faut aller à Obéissance, cl pour arriver enfin l'on veut aller, il faut passer à Constante-Amitié. Mais comme il n'y a pas de chemin l'on ne puisse s'égarer, Clélie a fait que si ceux qui vont à Nouvelle- Amitié prenaient un peu plus à droite ou un peu plus à gauche, ils s'égareroient aussi. Car, si au partir <'e Grand-Esprit on alloit à négligence, qu'ensuite, continuant cet égarement, on allât à Iné- galité, de à Tiédeur, à Ugèreté et à Oubli, au lieu de se trouver à Tendre-éur-Estime, on se trouveroit au lac d'Indifférence, qui, par s€*s eaux tranquilles, représente sans doute fort juste la chose dont il porte le nom en cet endroit. De l'autre côté, si, au partir de Kouvelle-Amitie', on prenoit un peu trop à gauche, et qu'on allât à Indiscrétion, à Perfidie, à Orgueil, à Médisance ou à Méchanceté, au lieu de se trouver à Tendre- sur-Reconnoissance , on se trouveroit à la Mer-d' Inimitié, tous les vais- seaux font naufrage. La rivière d'Inclination se jette dans une mer qu'on appelle la mer Dangereuse, et ensuite au delà de cette mer, c'est ce que noiu; appelons terres inconnues, parce qu'en eflet nous ne savons point ce qu'il va. » [Clélie, édit. de 1660, in-« t. I. p. 39î) et suiv.)

SUR NICOLAS FOUQUET. 459

(liocrc. La recherche du bel esprit les gâte presque tou- jours. Cependant, on trouve çà et quelques traits heureux. Il fait ainsi parler les fleurs qu'il lui envoie le jour de sa fête :

A la plus belle des journées, Nous arrivons sèches, fanées ; Mais n en soyez point en courroux. Par nous prétendons vous plaire : N'entendez-vous point ce mystère? Ainsi Ton sèche loin de vous.

Sapho, de son côté, écrivait à Pellisson. Les papiers doFouquet* renferment des lettres que mademoiselle de Scudéry adressait à Pellisson pendant son voyage à Nantes, il accompagnait le surintendant. Elles méri- tent d'ôlre conservées, parce qu'elles expriment avec vé- rité et (chose extraordinaire pour une précieuse), avec naturel, Taflection de mademoiselle de Scudéry pour Pellisson. On y trouve en môme temps quelques détails sur le surintendant et sur la société de gens de lettres au milieu de laquelle vivait mademoiselle de Scudéry. La cour était alors à Fontainebleau ; mademoiselle de Scudéry revenait d'une propriété appelée les Pressoirs^ et était inquiète du silence prolongé de Pellisson. La première lettre est datée de vendredi à six heures du matin* : « Je pars dans un quart d'heure pour Paris. Je ne pus m'embarquer hier, parce qu'il fit un temps ef- froyable, de sorte que je prends le carrosse de M. de

Ms.s. de la Bibl. iinp., F. Baluze. Ces leltres ont été publiées, mais ncomplétcment, par H. Marcou, dans son Étude iur Pellmon. * Celte lettre est probablement des premiers jours de .septembre IGGl .

I i

410 MÉMOIRES

Prémonl*, qui me le donne de fort bonne grâce. Je laisse la petite Marianne à M. Pineau avec la sienne, et je suis si mal de ma tête que j'en perds patience. Peut- être que quelques remèdes me soulageront. Je vous en écrirai demain plus au long, et je ne vous écris aujour- d'hui que pour vous demander de vos nouvelles et pour vous prier de m'envoyer un billet pour M. Longuet, qui lui témoigne que vous affectionnez l'affaire de M. Pi- neau ; car, comme vous ne lui écrivîtes pas en lui en- voyant les lettres dont il s'agit, il ne s'est pas pressé de le faire. Je vous demande pardon; mais je ne puis re- fuser cela à ceux qui m'en prient. Adieu, jusqu'à de- main. Souvenez-vous de moi, plaignez-moi et m'aimez toujours. Je ne puis vous dire que cela aujourd'hui. J'en pense bien davantage. »

Le lendemain, mademoiselle de Scudérv écrivit de Paris à Pellisson : « J'arrivai hier fort tard ici après avoir laissé le pauvre M. Jacquinot et madame sa femme en larmes. Sincèrement, je leur suis bien obligée de l'amitié qu'ils m'ont témoignée en partant. Je prétendais vous écrire une longue lettre aujourd'hui; mais, quoique je n'aie fait savoir mon arrivée à personne, j'ai été acca- blée de monde, et le comte Tott*, qui va arriver, sera cause que je ne vous dirai pas tout ce que je voudrais. Ma santé est toujours de même. Deslis vient d'être re- prise de la fièvre pour la troisième fois. Madame de

Il est question dans les Mémoires de Huet d'un Jacques Graindorgt» de Prémont, qui se faisait remarquer par ses éludes sur les antiquitt'-s romaines et la numismatique. Je ne sais si c'est celui dont parle made- moiselle de Scudérv.

* Le comte Toit ou du Tôt était ambassadeur de Suède en France. Il

SUR NICOLAS FOUQIIET. 441

Caen * vous baise mille fois les mains. Mademoiselle Bo- quel' et madame du Val en font autanl. Je commence déjà, malgré les caresses de mes amies et de mes amis, de regretter les Pressoirs ' du temps que vous y ve- niez.

« Au reste, Texil de mademoiselle de la Motte * fait grand bruit ici ; mais comme je sais qu'on vous a mandé cette histoire, je ne vous en dis rien. On dit que M. le surintendant doit laisser revenir le roi et aller de Bre-

étnit amvë à Fontainebleau au mois de juillet. Loret en parle ainsi dans *ta Gazette ou MusehUtorique, du 31 juillet 1661 :

Le grand comto Tôt, qui no cède A pas un des grands de Suède En ce que doit avoir d'honneur Tout brave et généreux seigneur* r/est>i-dire en esprit, courage, Grdce, politesse et lignage. Lundi dernier, jour assez beau, Arriva dans Fontainebleau, Saivi d'une nunilireuse presse De gens de cour et de noblesse, r>esquels tous il fut escorté P.ir ordre de Sa Majesté.

* Maric-Éléonore de Rohan, aliLessc de la Sainle-Trinité d.^ Caen. Elle figure paiini los précieuses de cette ('poriue. Voyez son portrait pein! par elle-môme dans la galerie des Portraits de Mademoiselte.

^ Il est question d'une demoiselle Boquot et de sa sœur dans lo Dic- tionnaire des Précieuses de Somaize : u BélLse (mademoiselle Boquet et sa sœur sont deux précieuses âgées qui jouent fort bien du luth, et qui ont une grande habitude à toucher les instruments. Elles logent aussi au quaj'tier de TÉolie au Blarais), qui est le lieu les précieuses font le plus de bruit. »

' Il m'est impossible de déterminer avec précision la position de cette maison de campagne. Elle parait avoir été située sur les bords de la Semé et à peu de distance de Fontainebleau.

II s'agit ici de mademoiselle tle la Motte d'Argencourt, qui venait d'être expulsée de la cour. Voy. les Mémoires de madame de Mottevitle, à fannée 1661, ainsi qu;? les Mémoires de la Fore et ceux du jeune Bi*ienne. On a souvei.t confondu cette fille d'honneur de la reine avec mademoiselle de la Molhe-IIoudancoiui, qui fut un instant recherch('»e par liOuis XIV.

442 MÉMOIRES

tagne à Belle-Ile. Je crois qu'il serait bien qu'il y soit le moins qu'il poulrra, afin d'ôter à ses ennemis la liberté de dire qu'il ne s'arrête que pour fortifier Belle-Ile. L'intérêt particulier que je prends à ce qui le regarde m'oblige de vous parler ainsi. On dit fort ici, dans le monde de Paris, qu'il est mieux que personne dans l'es- prit du roi. Fontainebleau est si désert que l'herbe com- mence de croître dans la cour de l'ovale. M. Ménage u été ici, qui vous baise mille fois les mains. Si je ne crai- gnais pas de vous fâcher, je vous dirais que madame V. M. (votre mère) dit et fait de si étranges choses tons les jours, que l'imagination ne peut aller jusque-là, et tout le monde vous plaint d'avoir à essuyer une ma- nière d'agir si injuste et si déraisonnable. Pour moi, je souffre tout cela avec plaisir, puisque c'est pour l'amour d'une personne qui me tient lieu de toutes choses. Je ne vous en dirais rien, si la chose n'allait à l'extrémité, o! si je ne jugeais pas qu'il est bon qu'en général vous sa- chiez son injustice. Ne vous en fâchez pourtant pas; car cela ne tombe ni sur vous ni sur moi. A votre retour, je vous dirai un compliment que les dames de la Rivière me firent en suite de quelque chose que madame V. M. (votre mère) avait dit. Mais, après tout, il faut laisser dire à cette personne ce qu'il lui plaira, et s'en mettre l'esprit en repos. Madame Delorme* me fait des caresses inouïes, et madame de Beringhen aussi. Je ne sais ce qu'elles veulent de moi. Kn voilà plus que je ne pen- sais, et cependant ce n'est pas tout ce que je voudrais

« Femme d'un des commis du «airintondant.

SDR NICOLAS FOUQUET. 4i5

VOUS dire. Souvenez-vous de moi, je vous en prie. Man- dez-moi quand vous reviendrez, et m'écrivez un pauvre petit mot pour me consoler de votre absence qui m'est la plus rude du monde. »

Enfin, ne recevant pas de réponse de Pellisson, ma- demoiselle de Scudéry lui adresse une troisième lettre le 7 septembre, deux joui*s après son arrestation : « Voici la troisième fois que je vous écris, sans avoir en- tendu de vos nouvelles depuis mon départ des Pres- soirs. Il me semble pourtant que vous pouviez m'écrire un pauvre petit billet de deux lignes seulement pour me tirer de l'inquiétude votre silence me met ; car enfin il y a douze jours que vous êtes parti. Je ne vous demande point de longue lettre; je ne veux qu'un mot qui me dise comment vous vous portez. Car, pour peu que je sache que vous vivez, je présupposerai que vous m'aimez toujours, et qu'il vous souvient de moi autant que je me souviens de vous. J'aurais quatre mille choses à vous dire de différentes manières ; mais il faut les garder pour votre retour.

c( M. de Méringat \ qui est à Paris, vous baise les mains. M. de la Mothe-le-Vayer en fait autant et m'a chargée de vous donner un petit livre de sa façon que je vous garde. M. Nublé m'a promis la harangue que lit M. le premier président de la chambre des comptes'.

* On trouve dnns les papiers de Conrart à la bibliollièque de l'Arsenal l. \I, in-l", p. 187) un portrait do M. Méringat on Mérigrnat, écri! par

hii-niôme.

* Nicolas de Nicolaï fui premier président de la chambre dos comptes. •!o mars lOÔO à février 1686.

4H MÉMOIRES

lorsque Monsieur * fut porter des édits à sa compagnie. Ce discours est fort hardi ; on le loue fort à Paris, et Ton en fait grand bruit partout. Si je Tai devant que de fermer mon paquet, je vous l'enverrai.

« On dit toujours que M. le surintendant va droit à être premier ministre, et ceux mômes qui le craignent commencent à dire que cela pourrait bien être.

« On travaille à raccommodement de mademoiselle de la Motte. Madame la comtesse de la Suze ' a enfin été démariée, de sorte que c'est tout de bon qu'elle est ma-

* Philippe de France, frère de L mis XIV.

Henriette de Coligni, comtesse de la Suzo, née en 1618, morte en 1671. Madeinoiselle de Scudéry en a fait un éloge pompeux dans la CléUf. Hésiode, endormi sur le Parnasse, voit en songe les Muses, et Calliopo lui montre les poètes qui naîtront dans la suite des âges. A rœcasion d'Henriette de Coligni, la Muse s'exprime ainsi : « Regarde celte feniiiio qui t'apparoîl : elle a, comme tu vois, la taille de Pallas et sa Ijcauté, el je ne sais quoi de doux, de langui^^sant et de passionné, qui ressemble assez à cet air charmant que les peintres donnent à Vénus. Cette illiLstre personne sera d'une si grande naissance, qu'elle ne vtnra pi*eï>quo que le&mais<ms royales au-dessus de la sieniie. Sache qu'elle naîtra encore avec plus d'esprit que de beauté, quoiqu'elle doive, comme tu vois, pos- séder mille channes. Elle aura mênïe une l>onté généreuse qui la rendra digne de toutes les louangrs, sans te parler de tant d'autres admiralilos qualités que le ciel lui prodiguera. Apprends sei'lement qu'elle te fei-a des élégies si belles, si pleines de passion, et si précisément du caractère qu'elles doivent avoir, quelle surpassera tous ceux qui l'aui-ont prr'cédé.» et tous ceux qui la voudront suivre. » Henriette de (loligni (ut mariée, en 1643, à Thomas Hamilton, comte d'IIadington ou Adingloii. et devint veuve peu de temps après. Elle épousa en secondes noces le comte de la Suze, qui était calviniste. Henriette de Coligni, petite-fllie de l'amiral de Coligni, était delà même religion; mais, en 1655, elle se fit catholique.

« alin, disait la reine Clirlsline, de ne voir son mari ni dans ce monde ni dans l'autre. » Elle demanda, enetTet, la rupture de son mariage avec le comte de la Suze, et l'obtint en 1061. C'est à cet événement que made- moiselle de Scudéry fait allusion dans la lettre à Pellisson. On a. «^ous le nom de madame de la Suze, des recueils de vers qui ne justifient pas les éloges des contemporains.

Sun NICOLAS FOUQUET. 445

dame la comles-e d'Adinglon. Au reste, on dit hier chez une personne de qualité et du monde, que madame du Picssis-Bellière pourrait bien épouser M. le duc de Vil- lars, et quelle sera gouvernante de M. le dauphin. Mais on parle parmi tout cela de Belle-Ile, de sorte qu'il est assez bon de se précautionner contre tout ce que Ton peut dire. Je vous mande tout ce que je sais; vous en ferez ce qu'il vous plaira.

« Au reste, j'ai été bien surprise de trouver ici, à mon retour, enlre les mains de plusieurs personnes, les vers que M. le surintendant fit pour répondre aux vô- Ires; car j'en faisais un grand secret. Lambert les a donnés à madame de Toisy et à ma belle-sœur, et il leur a dit qu'il a eu commandement d'y faire un air, et en effet il en a fait un. On montre aussi une contre- réponse que vous avez faite, qui n'est point de ma con- naissance.

« On a fait quatre vilains vers pour l'aventure de ma- demoiselle de la Motte, que madsime de Beauvais^ a fait chasser. C'est le bon M. de la Mothe qui me les a dits. Il y a une vilaine parole; mais n'importe I ce n'est pas moi qui Ty ai mise :

Ami, sais-tu quelque nouvelle De ce qui se passe à la cour? On y dit que la inaq.... A chasse la fille d'amour.

<( Tout le monde blâme M. le marquis de Richelieu '.

* Catherine Bélier, femme de chamhre de la reine Amie d'Autriche. '* Il était l'amant de mademoiselle de la Motte d'Argencourt, comme on le voit par les Ucmoires du jeune Brionne.

446 MEMOIRES

« Adieu, en voilà Irop. Pour vous, j'ajouterai cepen- dant que madame voire mère a dit à M. Ménage des choses qui vous épouvanteraient, si vous le saviez, tant elles sont déraisonnables, emportées et hors de toute raison. Aussi Boisrobort fait-il une comédie de toutes ces belles conversations. Je ne vous en aurais rien dît si plusieurs personnes ne m'étaient venues dire que j'étais obligée de vous avertir d'une partie de la vérité. Par- donnez-le-moi, et croyez que, pour ce qui me regarde, je sacrifie toutes choses à votre plaisir, pounu que vous me conserviez toujours votre affection. Vous le devez, et je vous en conjure par la plus sincère, par la plus ten- dre et la plus iidèle amitié du monde. C'est tout ce que je puis vous dire de si loin. Bonsoir; écrivez-moi un mot, car votre silence me tue.

a Mille amitiés à M. de la Bastide et à M. du Mas \ Donnez, s'il vousplaît,au premier, une lettre que M. Pi- neau lui écrit. Madame de Caen vous baise les mains, elle vous a envoyé une lettre pour M. le surintendant. Le pauvreM. de Montpellier vous prie toujours de ne l'ou- blier pas, quand. vous serez de retour, et dit que, s'il y a quelqu'un dans sa compagnie qui ne plaise pas, on n'a qu'à le lui dire. Ce pauvre homme me promet des mer- veilles; mais, comme vous le savez, je ne vous demande jamais que ce que vous devez et que cj qui vous plaît. » Ces lettres font regretter que mademoiselle de Scu- déry ait si souvent cherché l'esprit au lieu de suivre sa première inspiration. Le ton en est vif et les sentiments

* ItOiuoiid du Mas était, connue lu Bastide, un dcsconimivde FoiiqtiH

SUU NICOLAS FOUQUET. 417

vrais. LalTectioii pour Pellisson et pour le surintendant s'y peint naturellement, et en mùme temps on y trouve des conseils de prudence, qui malheureusement n'a- vaient pas été suivis.

Parmi les personnes que cite mademoiselle de Scu- déry, on remarque Boisrobert, qui avait figuré, dès le temps du cardinal de Richelieu, au nombre des poêles delà cour. Il sollicita et obtint des secours de Fouquet. SesÉpttres en vers ' sont remplies d'éloges intéressés, le poète mendie les faveurs du surintendant et de ses commis. Gombauld, qui avait paru avec honneur dans les réunions littéraires de 1* hôtel de Rambouillet, mon- tra plus de dignité; ayant obtenu le payement de sa pension, il se borna à dédier à Fouquet sa pièce des Da- naides en 1658. Le traducteur de la Phavsale^ Bré- beuf, fut aussi encouragé par la générosité du surin- tendant. Le poète Ilesnault, qui plus tard s'honora par sa fidélité à Fouquet malheureux et lança contre Col- bert un sonnet resté célèbre, touchait une pension pour des vers moins dignes de récompense, Ilesnault était épicurien et affichait hautement son matérialisme. Il continuait la tradition des Théophile et d'autres poètes libertins, qui devaient trouver dans Chaulieu et dans la société du Temple de trop fidèles imitateurs. Le gazetier Loret était habitué à tendre la main à tous les minis- tres; il ne manqua pas de solliciter les bienfaits du surintendant et en obtint une pension. Scarron, vieux et infirme, assiégeait Fouquet de placets; il l'appelait son

' Paris, \mh

448 MËMOIUES

(jénéreux^ son adorable maitre^ cl se qualifiait de son humble valet. Malgré le souvenir encore récent des ma- zarinades, Scarron obtint de Fouquel une pension et de fréquentes gratifications. On a prétendu que madame Scarron, qui élail alors dans tout l'éclat de la beauté et bien loin des brillantes destinées que lui réservait la fortune, ne fut pas étrangère aux libéralités de Fou- quel. On cite une prétendue lettre de celle dame au surintendant^; mais celle pièce n'a aucune autlienti- cilé, et si j'y fais allusion, c'est que la calomnie se ré- pète encore tous les jours, et altribue ce honteux billet à celle qui devait être madame de Maintenon. Le surin- tendant, il faut le proclamer à sa louange, n'avait pas besoin de pareils motifs pour secourir un poète qui im- plorait son secours.

On connaît, d'ailleurs, par les lettres mêmes de ma- dame Scarron ', ses relations avec la famille Fouquet ; elles furent toujours pleines de convenance et de di- gnité. C'est à madame Fouquet que madame Scarron

* Cette nièce se trouve dans les mss. deConrart à la Bibl. de TArseiial (t. \\y in-i^, p. 151), avec d'autres billeti-i dont nous examinerons rau- Ihenticitc loi'squ'il sera question de la cassette de Fouquet. La tran- scription est dcrépociuc de (k)nrart, mais c'est une main plus moderne qui, en haine de madame de Maintenon, a attribué ce billet à madame Scar- ron : a Je hais le pêclu', mais je hais encore plus la pauvreté. J'ai reçu «!e vous dix mille écus; si vous voulez encore en apporter dix mille dans deux joui's, je verrai ce que j'aurai à faire; je ne vous défends p;ïs d'es- pérer. » (^m*ai't dit, dans une note, qu'il croit ce billet écrit par madame de la Baulme. Les ennemis mêmes de madame de Maintenon ne lui ont jamais refusé une certaine pruderie de style qui contraste avec le Ion de ce billet.

' Je re^'ette de ne pas pouvoir donner le texte des lettres de madame Scan'on d'après l'édition que prépare M. Lavallée. Je n'ai à ma disposi- tion (pie celle de la Dcaumelle.

SUK NICOLAS FOUQUET. 4i9

adresse ses lettres. Elle lui écrivait le 25 mai 1658 pour la remercier d'un service qu'elle venait de rece- voir du surintendant : « Madame, je ne vous importu- nerai plus de Taffaire des déchargeurs : elle est heu- reusement terminée par la protection de ce héros, auquel nous devons tout et que vous avez le plaisir d'aimer. Le prévôt des marchands a entendu raison, dès qu'il a entendu le grand nom de M. Fouquet. Je vous supplie, niadame, de trouver bon que j'aille vous en remercier à Vaux. Madame de Vassé m'a assurée que vous me continuez vos bontés, et que vous ne me trou- veriez pas de trop dans ces allées, l'on pense avec tant de raison, l'on badine avec tant de grâce. »

Madame Fouquet goûta l'esprit et l'amabilité de ma- dame Scarron, au point de vouloir la retenir auprès d'elle. Celte faveur eût été dangereuse, et madame Scarron l'éluda avec un tact et une habileté qui répon- dent à toutes les calomnies. Elle écrivit à madame Fou- quet * : « Madame, les obligations que je vous ai ne m'ont pas permis d'hésiter sur la proposition que ma- dame Ilonneau m'a faite de votre part : elle m'est si glorieuse, je suis si dégoûtée de ma situation présente, j'ai tant de vénération pour votre pei'sonne, que je n'au- rais pas balancé un instant, quand même la reconnais- sance que je vous dois ne m'aurait point parlé. Mais, madame, M. Scarron, quoique votre redevable et très- humble serviteur, ne peut y consentir. Mes instances no l'ont point fléchi : mes raisons ne l'ont point per-

Celle It'llro porle la date du 18 janvier 1060.

I. 5U

i

450 MËNOIUKS SUH MCOLAS FOUQUKT.

suadé. Il vous conjure de m'aimer moins, ou de iiren donner des marques qui coûtent moins à l'amitié qu'il a pour moi. Lisez sa requête, madame, et pardonnez-en la vivacité à un mari, qui n a d'autre ressource contre Tennui, d*autre consolation dans tous ses maux qu'une femme qu'il aime. J'ai dit à madame Bonneau que, si vous vouliez abréger le terme, j'aurais peut-être son consentement; mais je vois qu'il est inutile de m'en flatter, et que j'avais trop présumé de mon pouvoir. Je vous prie, madame, de me continuer votre protection : personne ne vous est plus attaché que moi, et ma re- connaissance ne finira qu'avec ma vie. »

CHAPITRE XXIV

Four|uct cncoura^'C Molière cl la Fontaine. Ce dernier lui ofli*e sou IK)ëme d'Adonis. Il reçoit une pension de Fouquet à condition do lui payer une redevance politique. Enj^aj^eraent que prend la Fon- taine dans son Épttreà Pelliêson (1659). 11 s'acquitte du premier tenue de la redevance par une ballade adressée à madame Fouquet Juillet 1050). Quittance en vers donnée par Pellisson. Ballade adressée, eu octobre 1659, à Fouquet pour le payement du second tcnne. Ballade sur la paix des Pyrénées (décenibre 1659). Insou- ciance et indépendance de la Fontaine; il se plaint dans une épllre en vei-s de n'avoir pas été reçu par le surintendant. Fouquet écoute les plaintes de la Fontaine et sa requête en faveur de sa ville natale (Château-Thierry). La redevance poétique, à laquelle s'était engagé la Fontaine, lui devient onéreuse. Fouquet ne lui continue pas moins sa pension. Songe de Vaux, poëme entrepris par la Fontaine et rosté inachevé. .\rlisles protégés et encouragés par Fouquet.

A Texceptioii de Pierre Corneille, les poêles que nous avons vus jusqu'à présent encouragés par Fouquet n'intéressent guère la postérité ; mais on trouve, sur la liste de ceux qui reçurent ses bienfaits, deux noms qui demandent grâce pour lui : Molière et la Fontaine. Le premier venait de se fixer à Paris avec sa troupe, jus* qu'alors nomade, et commençait, dans le Défit amou- reux et dans les Prédeu^ses ridicules^ à opposer le vrai comique aux bouffonneries de Scarron. Il est probable que, dès cette époque, il fut encouragé par Fouquet, pour lequel nous le verrons bientôt composer la pièce

45'i MÉMOIKES

des Fâcheux. Quant à la Fontaine, il était venu à Paris vers 1658, appelé par son oncle Jannart, substitut du procureur général. Ce fut Jannart qui le présenta à Fouquet, et le lui recommanda comme un bel esprit*. La Fontaine avait déjà publié une traduction de VEu- nuque de Térence et composé un poëme A^Adonis^ qu'il olïrit 5 Fouquet avec une dédicace en vers :

Fouquel, Tunique but des faveurs d'Uranie.

Digue objet de mes chants, vaste et noble génie.

Qui seul peux embrasser tant de soins à la fois.

Honneur (!u nom public, défenseur de nos lois;

Toi dont l'âme s'élève au-dessus du vulgaire,

Qui coiuiais les l)eaux-arts, qui sais ce qui doit plaii*e.

Et de qui le pouvoir, quoique peu limité,

Par le rare mérite est encor surmonté,

Vois de bon œil cet œuvre, et consens pour ma gloire

Qu'avec toi l'on le place au temple de Mémoire :

Par toi je me promets un éternel renom ;

Mes vers ne mounx)nt point, assistés de ton nom.

Ne les dédaigne pas, et lis cette aventure

Dont pour te divertir j'ai tracé la peinture.

LWdoms ne manque pas de mérite. Des idées gra- cieuses, rendues en vers ingénieux, annonçaient déjà un véritable poète. C'est dans Y Adonis que se trouve ce vers si souvent cité :

Et la grâce plus lielle citcor (|ue la beauté.

En 1659, Fouquet accorda à la Fontaine une pension annuelle de mille francs, à condition qu'il lui enver- rait une pièce de vers pour le payement de chaque

* Voy. VHistoire de la vie et des ouvrage» de J. de la Fontaine, par M. Walckenaer (l vol. iii-8. Pans, 1854 .

SUU NICOLAS FOUQUET 45,'

quartier. La Fontaine souscrivit à cet engagement dans une pièce adressée à Pellisson; il était alors dans toute l'ardeur de Tenthousiasme pour un surintendant aussi spirituel que généreux, qui encourageait avec une grâce délicate et se disait l'obligé de ceux qu'il enrichissait. Il aimait Pellisson, par lequel passaient les dons de Fouquet ; aussi se montre-t-il d'abord tout de feu pour s'acquitter de ses engagements.

Je vous l'avoue, et c'est la vérité, Que monseigneur * n'a que trop mérité La peujiiion qu'il veut que je lui donne. En bonne foi, je ne connais personne A qui Phébus s'engageât aujourd'hui Do la donner plus volontiers qu'à lui ; Son souvenir qui me comble de joie Sera payé lout en belle monnoie De madrigaux, d ou>Tages ayant cour.>. Cela s'enlend, sans manquer de deux jours Aux termes pris, ainsi que je l'ospère. ' Otle monnoie est sans doute légère. Et maintenant peu la savent priser; Mais c'est un fonds qu'on ne peut épuiser. Plût aux destins, amis de cet empire. Que de l'épargne on en pût autant dire ! J'offre ce fonds avec affection; (lar, après tout, quelle autre pension Aux demi-dieux pourrait être assim^»*? Pour acquitter celle-ci chaque année, n me faudra (^uati'e termes égaux : A la Saint-Jean, je promets madrigaux Courts et troussés, et de taille mignonne . Longue lecture en été n'est pas bonne ; Le chef d'octobre aura son tour api'ès ;

* On donnait le titre de Monseigneur au surintendant. Voy. la Dédicace on tète de VOEdipe de P. Corneille.

* C'était le nom que l'on donnait alors au trésor public.

^ Pour assignée. On appelait alors assignation» les mandats sur le trésor.

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454 MÉMOIRES

Ma muse alors prétend se mettre en frais. Notre héros, si le beau temps ne change. De menus vers aura pleine vendange. Ne dites point que c'est menu présent ; Car menus vers sont en vogue à présent. Vienne l'an neuf, ballade est destinée : Qui rit ce jour, il rit toute l'année. Or la ballade a cela, ce dit-on. Qu'elle fait rire, ou no vaut un bouton. Pâques, jour saint, veut autre poésie : J'enverrai lors, si Dieu me prêle vie; Pour achever toute la pension. Quelque sonnet plein de dévotion : Ce terme-là pourrait ôli'^ le pire. On me voit peu sur tels sujets écrire; Mais tout au moins je serai diligent. Et si j'y manque, envoyez un sergent ; Faites saisir, sans aucune remise. Stances, rondeaux, et \evs de toute guise ; Ce sont nos biens : les doctes nourrissons N'amassent rien, si ce n'est des chansons.

Ne pouvant donc présenter autre chose, Qu'à son plaisir le héros en dispose. Vous lui direz qu'un peu de son esprit Me viendrait bien pour polir chaque écrit. Quoi qu'il en soit, je me fais fort de quatre; Et je prétends, sans un seul en rabattre, Qu'au bout de l'an le compte y soit entier : Deux en six mois, un par cliaque quartier. Pom* sûreté, j'oblige par promesse Le bien que j'ai sur le bord du Permesse, Même au besoin notre ami Pellisson Me pleigera ^ d'un couplet de chanson. Chanson de lui tient lieu de longue épître ; Car il en est sur un autre chapitre. Bien nous en prend ; nul de nous n'est f^ché Qu'il soit ailleurs jour et nuit empêché

A mon égard, je juge nécessaire

De n'avoir plus sur les bras qu'une affaire.

* Mo servira de garant, de caution.

SUR NICOLAS FOUQIIET. 455

C'est celle-ci : j'ai donc intention De retrancher toute autre pension, Celle d'Iris même ' ; c'est tout vous dire; Elle aura beau me conjurer d'ôcru'e, En lui payant, pour ses menus plaisirs. Par an trois cent soixante et cinq soupirs C'est un par jour, la somme est assez grande). Jo n'entends point après qu'elle demande Lettre ni vers, protestant de bon cœur Hue tout sera gardé pour monseigneur.

La Fontaine était sincère lorsqu'il prenait cet enga- gement, et il l'exécuta d'abord avec scrupule. La pre- mière échéance de la rente qu'il devait au surintendant tombait au mois de juillet 1659; il paya exactement et largement sa dette. Ce fut à madame Fouquet, femme du surintendant, qu'il adressa sa ballade :

Comme je vois monseigneur votre époux Moins de loisir qu'homme ({ui soit en France. Au lieu de lui, puis-je payer à vous? Serait-ce assez d'avoir votre quittance? Oui, je le crois; rien ne tient en balance Sur ce point mon esprit soucieux. Je voudrais bien fah*e un don précieux ; Mais si mes vers ont l'Honneur de vous plaire. Sur ce papier promenez vos beaux yeux. En puissiez-vous dans cent ans autant faire !

Je viens de Vaux, sachant bien que sur tous Les Muses font en ce lieu résidence ; Si leur ai dit, en ployant les genoux, Mes vers voudraient faire la révérence A deux soleils de votre connaissance,

^ Quelle est la personne désignée sous le nom d'Iris? Il n'est pas facile de suivre les volages amours de la Fontaine. Il est probable cependant qu'il s'agit ici de Claudine Colletet, qui se piquait elle-même de poésie. Voy. VHUtaire de la vie et des ouvrages de J. de la Fontaine, par M. Walc- kenaer.

ih» MESIOinES

Oui sont plus beaux, plus clairs, plus mdirnx Que celui-là qui lopc dans les cioux. Partant, vous faut a^ir dans cette affairr. Non par aaïuit. mais de tout votre mieux. En puissiez-vous dans ceiil ans autant faire î

l/une des neuf m'a dit d'un ton fort doux (Et c'est Clio, j'en ai quelque croyance) : Espérez bien de ses yeux et de nous. J'ai cru la Muse; et sur cette assurance J'ai fait ces vers, tout rempli d'espérance. t'iOmmandez donc, en termes gracieux, Que, sans tarder, d'un soin ofUcieux, Celui des Ris qu'avez pour secrétaire M'en expédie un acquit glorieux. En puissiez-vous dans cent ans autant faire !

E .N y O I

Reine des cœui"s, objet délicieux. Que suit l'enfant qu'on adore en des lieux Nommés Paplios. Amatlionte et Cythère, Vous (pii cliarniez les hommes et les dieux. En puissiez-vous dans cent ans autant faire î

Ce fut Pellisson qui donna la quillanco du quarlior de rente payt» par la Fontaine. Il la fil en vers et en double expédition ; Tune est une quittance publique par-do\ant notaire, et Tautre une quittance sous seing privt*. Voici la première :

Par-devant moi, sur Parnasse notaire.

Se présenta la reine des beautés

Et des vertus le parfait exemplaire,

t)ui lut ces vers, puis les ayant comptés.

Pest'^s. revus, approuvés et vantés.

Pour le passé voulut s'en satisfaire ;

Se résen-ant le tribut ordinaire,

Pour l'avenir, aux termes arrêtés.

Muses de Vaux, et vous leur secrétaii-e.

Voilà l'acquit tel que vous souhaitez.

En puissiez-vous dans cent ans autant faire !

SUR NICOLAS FOUQUKT. 457

La qiiillaiico sous seing privé continue ces jeux d'es- prit :

De mes deux yeux, ou de mes deux soleils, Jai lu vos vers, qu'on trouve sans pareils, Et qui n'ont rien qui ne me doive plaire. Je vous liens quitte et promets vous fournir De quoi partout vous le faire tenir, Pour le passé, mais non pour l'avenir. En puissiez-vous dans cent ans autant faire!

Le second terme, celui d'octobre, commence à peser à la Fontaine. Il aimait a\ec délices le sommeil et la paresse; il ne rimait qu'à ses heures et sur des sujets de son choix. La contrainte lui était odieuse ; il me semble qu'elle se trahit dans la ballade qu'il adressa à Fouquet pour son nouveau payement. Il y a toujours de la tinesse et de la malice ; mais, si je ne me trompe, on y sent Tefforl :

Trois fois dix vers, et puis cinq d'ajoutés, '

Sans point d'abus, c'est ma tâche complète; Mais le mal est qu'ils ne sont pas comptés ; Par quelque bout il faut <iue jem'y metto. Puis, que jamais ballade jo promette ! Diissé-je entrer au fin fond d'une tour. Nenni. ma foi, car je suis déjà court; Si que je crains que n'ayez rien du nôtre; Quand il s'agit de mettre une œuvre au jour. Promettre est un, et tenir est un autre.

Sur ce refrain, de grâce, permettez Que je vous conie en vers une sornette. Colin, venant des Universités, Promit un jour cent francs à Guillemctte. De quatre-vingts il trompa la fillette, Qui, de dépit, lui dit, pour faire court : Vous y viendrez cuire dans notre four ! Colin répond, faisant le bon apôtre :

458 MÉMOIRES

Ne vous fAchez, belle, car en amour Promettre est un, et tenir est un aulre

Sans y penser, j'ai vingt vers ajustés. Et la besogne est plus qu'à demi faite. Cherchons-en treize encor de tous côtés, Pul« ma ballade est entière et parfaite. Pour faire tant que l'ayez toute nette. Je suis en eau, tant que j'ai l'esprit lourd ; Et n'ai rien fait, si par quelque bon tour Je ne fabrique encore un vers en ôtre ; Car vous pourriez me dire à votre tour . Promettre est un, et tenir est un autre.

ENVOI

0 vous, rhonneur de ce mortel séjour, Ce n'ebt pas d'hui que ce proverbe court ; On ne l'a fait de mon temps ni du vôtre : Trop bien savez qu'en langage de cour Promettre est un, et tenir est un autre.

Dans rintervalle entre le second el le troisième terme, un événement politique d'une haute importance vint fournir au poêle l'inspiration qui commençait à lui manquer. La paix des Pyrénées fut signée le 7 no- vembre 1659. La Fontaine s'empressa de la chanter, et paya son terme de décembre par la ballade suivante :

Dame Bellone, ayant plie bagage. Est en Suède avec Mars son amant. Laissons-les ; ce n'est pas grand dommage : Tout bon Français s'en console aisément. n'en battrai ma femme assurément. Car que me chaut si le Nord s'entrepille, Et si Bellone est mal avec la cour? J'aime mieux voir Vénus et sa famille, Les Jeux, les Ris, les Grâces et l'Amour.

Le .seul espoir restait pour tout potage ; Nous en vivioas, encor bien maigrement.

SIR NICOLAS FOUQUET. 450

I/)rsqu'en traités Jules * ayant fait rage. A chassé Mars, ce mauvais garnement. Avecque nous, si l'almanach ne ment, Les Castillans n'auront plus de castille'; Môme au printemps on doit, de leur séjour. Nous envoyer avec certaine fille * Les Jeux, les Ris, les Grâces et l'Amour.

On sait qu'elle est d'un très-puissant lignage. Pleine d'esprit, d'un entretien charmant, Prudente, accorte, et surtout belle et sage, Et l'Empereur y pense aucunemcnl ; Mais ce n'est pas un morceau d'Allemand. Car en attraits sa personne fourmille; Et ce jeune astre, aussi beau que le jour. A pour sa dot, outre un métal qui brille, Les Jeux, les Ris, les Grftces et 1 Amour.

ENVOI

Prince amoureux de dame si gentille. Si lu veux faire à la France un bon tour. Avec l'Infante enlève à la Castillc Les Jeux, les Ris, les Grâces et l'Amour,

A cette ballade, la Fontaine joignit un madrigal pour la reine, comme au terme précédent il avait ajouté à la ballade pour Fouquet un madrigal sur le mariage de mademoiselle d'Aumont et de M. de Mezicre. Ainsi, pendant Tannée, le poëte paya sa rente assez largement; mais, comme nous lavons dit, tout travail obligé lui devenait un fardeau intolérable. Dormir, songer, pro- mener çà et ses rêveries et ses amours volages, rimer quelque conte emprunté à Boccace, à TArioste ou à Ma-

* Jules Mazarin, qui venait de conclure la paix des Pyrénées.

* Ce mot s'employait alors dans le sens de débat et querelle. Marie-Thérèse dWutriche, que Louis XIV épousa à Saint-Jean de

Luz, le 9 juin 1660.

M

460 MËMUIKËS

chiavel, voilà ce qui plaisait an poète. Pellisson, son ami, avait soin de faire valoir au surintendant ses moindres œuvres et d* excuser ses retards. Il vantait avec raison la candeur naïve de Tépitaphe que venait de se composer la Fontaine, et qui peint si bien son in- différence pour la richesse :

Jean s en alla comme il élait venu. Mangea le fonds avec le revenu. Tint les trésors cliose peu nécessaire; Quant à son temps, bien sut le dispenser : Deux parts en lit, dont il soûlait passer L'une à donnir, et l'autre à ne rien faire.

Ce rêveur, qui mangeait si légèrement son fonds, n'aurait pas longtemps porté la chaîne d'un poète de cour. On sent à chaque instant dans ses vers la liberté du vrai génie qui se révolte contre l'apparence de la domesticité. Au milieu de tous ces poètes faméliques qui imploraient les bienfaits du surintendant, on aime rindépendance de la Fontaine. En veut-on une nou- velle preuve? Il avait attendu à Saint-Mandé une au- dience de Fouquet sans être admis, et, quoiqu'il fût entouré de cette riche bibliothèque qu'admirait Cor- neille *, quoiqu'il pût contempler les curiosités que Fou- quet avait tirées; à grands frais de l'Orient et surtout de rÉgypte, il s'impatienta, s'irrita et se plaignit de co manque d'égards dans une épître au surintendant :

Dussé-je une fois vous déplaire, Seigneur, je ne me saurais taire

* Voy. plus haul.

SUR NICOLAS FOUQUET. 461

Celui qui, plein d'affection, Vous promet une pension, Hicn payable et bien assinéc*, A tous les quai*tici*s de l'année ; Qui pour tenir ce qu'il promet Va souvent au saci'é sommet, El, n'épargnant aucune peine, Y dort après tout d'une baleine Huit ou dix heures règlement Pour l'amour de vous sculemenl , J 'entends à la bonne mesure. Et de cela je vous assure ; ('.elui-là, dis-je, a contre vous Un juste sujet de courroux.

L'autre jour, étant en affaire Et le jugeant peu nécessaire, Vous ne daignâtes recevoir Le tribut qu'il croit vous devoir D'une profonde révérence. Il fallut prendre patience, Attendre une heure, et puis partir. J'eus le cœur gi*os, sans vous menlir. Un demi- jour, pas davantage. Car enfm, ce serait dommage Que, prenant trop mon intérêt. Vous en crussiez plus qu'il n'en est. Conmie on ne doit tromper pei'soime, Et que votre âme est tendre et bonne, Vous m'iriez plaindre un peu trop fori. Si, vous mandant mon déconfoil. Je ne contais au vrai l'histoire ; Peut-être même iriez-vous ci'oii'e Que je souliaite le trépas Cent fois le jour : ce qui n'est pab.

Je me console, et vous excuse : Car, après tout, on en abuse; On se bat à qui vous aura. Je crois qu'il vous arrivera

* C'est-à-dn^e assignée sur un bon fonds. On a vu plus haut que les* surintendants donnaient quelquefois des assignations, ou mandats de I)ayement, sur des fonds déjà épuisés.

462 MEMOIRES

(Uiose dont aux courts jours se plaignent Moines d'Orbais, et surtout craignent : C'est qu'à la fin vous n'aurez pas Loisir de prendre tos repas. Le roi, TEtat, votre patrie, Partagent toute votre vie; I Rien n'est pour vous, tout est pour eux.

Don Dicul que l'on est malheureux Quand on est si grand personnage ! Seigneur, vous êtes bon et sage. Et je serais trop familier, Si je faisais le conseiller. A jouir i)ourtant de vous-même Vous auriez un plaisir extrômt» : Renvoyez donc en certains temps Tous les traites, tous les traitants. Les requêtes, les ordonnances. Le parlement et les finances. Le vain munnui*e des frondeurs, Mais, plus que tous, les demandeurs. La cour, la paix*, le mariage. Et la. dépense du voyage, Qui rend nos coffres épuises El nos guerriers les bras croisi's. Renvoyez, dlvje, cette troupe. Qu'on ne vit jamais sur la croupe Du mont les savantes sœurs Tiennent l)OUtique de douceurs, Tant que pour les amants des Muse» Votre Suisse n'ait point d'excuses, Et moins pour moi que pour pas un. Je ne serai pas importun : Je prendrai votre heure et la micime. Si je vois qu'on vous entretienne, J attendra fort paisiblement En ce superbe appartement, l'on a fait d'étrange terre. Depuis peu, venir à grand'eri'C (Non sans travail et quelque frais' Des rois Cephrim et Kiopès Le cercueil, la tombe ou la bière :

* Il s'agit toujours de la paix des Pyrénées, qui fut suivie du mariage du roi avec l'infante d'Espagne;

SUR MCOLAS FUUQUtT. 4ô3

Pour les rois, ils sont en poussière. C'est que j'en voulais venir. U me fallut entretenir Avec ces monuments antiques, Pendant qu'aux affaires publiques Vous donniez tout votre loisir. CiCrtcs. j'y pris un grand plaisir. Vous seinble-t-il pas que l'image D'un assez galant personnage Seil à cos tombeaux d'ornement? Pour vous on parler franchement. Je ne puis m'empêcher d'en rire. Messire Orus, rac inis-je à dire. Vous nous rendez tout ébahis : Les enfants de votre pays Ont, ce me semble, des bavetti»» Que je trouve plaisamment faites. On m'eût expliqué tout cela ; Mais il fallut partir de Sajis entendre l'allégorie.

Je quittai donc la galerie, Fort content, parmi mon chagrin. De Kiopès et de Cephrim, D'Orus et de tout son lignage, Et de maint autre personnage. Puissent ceux d'Egypte en ces lieux. Fussent-ils rois, fussent-iU dieux. Sans violence et sans contrainte. Se reposer dessus leur plinthe Jus^iues au bout du genre humain ! Ils ont fait assez de chemin Pour des pei*sonnes de leur taille.

£t vous, seigneur, pour qui travaille Le temps qui peut tout consumer. Vous que s'efforce de charmer L'antiquité qu'on idolâtre, Pour qui le dieu de Gléopàtre, Sous nos murs enfin abordé, Vient de Memphis à Saint-Mandé. Puissiez-vous voir ces belles diose> Pendant mille moissons de roses ! Mille moissons, c'est un peu trop} Car nos ans s'en vont au galopi

464 MÉMOIRES

Jamais à petites jouniées. Hélas ! les belles destinées Ne devraient aller que le pas. Mais quoi i le ciel ne le veut pas. Toute âme illustre s'en console, Et pendant que l'ûpe s'envole, Tâche d'aaiuérir un renom Qui fait encor vivre le nom Quand le héros n'est plus que cendre. Témoin celui qu'eut AlexandiT Et celui du fils d'Osiris Qui va revivre dans Paris.

Fouquet acceptait de bonne grûce les boutades du poëte et lui pardonnait ses impatiences. Lui-inômc n'avait que trop besoin d'indulgence, hélas! et, tundis i\\n\ la Fontaine le croyait absorbé par les affaires, il éLiit tout entier aux plaisirs. C'est du moins ce que dit un contemporain, Tabbé de Choisy : « 11 se chargeait de tout, et prétendait être premier ministre sans perdre un instant de ses plaisirs. Il faisait semblant de travailler seul dans son cabinet de Saint-Mandé, et, pendant que toute la cour, prévenue de sa future grandeur, était dans son antichambre, louant à haute voix le travail infatigable de ce grand homme, il descendait par un escalier dérobé dans un petit jardin ses nymphes, que je nommerais bien si je voulais, et même les mieux cachées, lui venaient tenir compagnie au prix de Tor, » Les lettres que nous citerons dans la suite ne prou- vent que trop la vérité de ce qu'avance Tabbé de Choisv. C'est à Saint-Mandé que Fouquet recevait ordinairement mademoiselle de Menneville, une des tilles de la reine les plus renommées par sa beauté. Les lettres de Ten- tremetteusc, qui transmettait les messages et Targent de

SIK NICOLAS FUUQUET. 4tt5

Fouqiiel, sont encore conservées à la bibliothèque impé- riale, et attestent les prodigalilés du surintendant et l'illusion de ceux qui le croyaient, comme la Fontaine, tout occupé des affaires publiques.

En condamnant les folles dépenses du surintendant, on ne peut s'empêcher de louer sa générosité et sa déli- catesse envers un poëte comme la Fontaine. H lui lais- sait toute liberté de se plaindre et n'en prétait pas moins une oreille favorable à ses requêtes en faveur de ses compatriotes. Le pont de Château-Thierry, la Fcmtaine était né, avait été emporté pendant l'hiver de 1051). Le poêle s'adressa aussitôt à Fouquet :

haiis cet écril, noire* pauvre cilc Par moi, scig^neiir, Iniinhlt'iiHMit \ous sup[»li(.^ Disant «piaprès le pénultiênic été L'hiver sunini avec grande i'urie. Monceaux de neij^e et gros i antions de pluie Dont maint ruisseau. crois.*<anl stdâtiMnenl, Traita tH)s pont^ liien |)eu courloi^ement . Si vous voulrz (|u'on les puisse refaire, De bons moyens j'en sais certainement . Largent surtout est chose néc^^ssaire.

Or. d'en avoir, c'est la dilliculté; La ville en est de longtemps dégarnie. Ou y lerait-iui? Vice n'est [)auvrelé; Mais cependant, si Ton n'y remédie. Chaussée et |M)nt s en vont à la voirie. Depuis dix ans, nous ne savons comment. La Mirne l'ait dcîs siennes tellement, Que c'(»sl pitié de la voir en colère. l*our sopjwser à sihi dél)ordement , L'arj^ent surtout est chose nécessaire.

' Vieux nr.»t «pii signiliail l'aliondance et l'impétuosité. On dis^iil que l'j sang coulait d'une blessure ù gros randonn.

I. 30

400 UÈMOIRES

Si, (ii'iDUiidez coinbiei! en vériU* l/œuvre eu i*c(iuiert, tant que soil acuuiiplio Dix iiiillc mis eu argent bien compté. C'est justement ce de quoi l'on vous prii». Mais (|ue le pnnce en doinie mie partie. Le tout, s'il vent, j'ai bon conscnlenieiit De i'agr«''er, sans craindre aucunement. S'il ne le veut, afin d y satisfaire, Aux êclievins on dira francliemenl : Largeiit surtout esl cliose nécessaii-e.

KfJVOl.

l'our ce vous plaise ordonner promptenieiit Nous èti*e fait des fonds suffisamment , (lar vous savez, sei}(neur, qu'en toute alTairc. Pn>cès, négoce, hymen, ou bâtiment, L'argent surtout est chose nécessniix'.

La veiiiCdu poëlc (Mail féconde lorsqu'il irécoutaif qtic sou cœur ou la reconnaissance ; mais, quand il fal- lait payer sa rente, le travail impo.sé lui redevenait pé- nible. Au premier terme de 1660, il se contenta d'un dizain pour madame Fouquet et de madrigaux adressés au roi. Foin* être courtes, les pièces n'étaient pas meil- leures; on y sent encore plus que dans la ballade à Fouquet la contrainte et l'ennui d'un débiteur pressé' par son créancier*. Le surintendant, qui était homme de goiit, fut peu satisfait, cl, ne voulant pas blesser la Fontaine en parlant de la qualité des vers, il ne se plai- gnit que du petit nombre. La Fontaine, piqué du re- proche, répondit par un dizain plein de charme et qui eflacait bien des vers faibles et négligés :

' Je renvoie le hH:teur d ces pièces qui se tixmvent danv toutes les êdi« tions complet*^ de la Fontaine.

SUH NICOLAS FOUQUET. 407

lixiis iiiadriffuux. iv nesl pas voti*e coiiipli».

Et ccst le mien : que sert de vous flatter?.

Dix fois le jour au Parnasse je monte,

Et n'iMi saurais |»lus de trois ajuster.

Bien vous dirai (|u*au nombre s'arrôler

N'eî^l pas le mieux, seigneur, et voici cunnnc:

Quand ils sont bons, en ce cas tout | rud'lioinme

I/es prend au poids au lieu de les compti'r ;

Sont -lis mêi'hanls, tant moindre en est lasonnne.

Et tant plutôt on s'en doit contenter.

Depuis ce iiiomcnt, Fouquel, reconuaissaiil à quelle nature de poêle il avail affaire, ne le pressa plus pour le payement de sa rente, et lui rendit sa liberté en lui continuant sa pension. La Fontaine, que cette généro- sité touchait, et qui avait pour Fouquet une atîection sincère, entreprit de chanter les merveilles de Vaux, il commença, sous le nom de Songe de Vaux^ une œuvre dont il n'a écrit que des fragments. 11 y évoquait la peinture, Tarchitccture, tous les arts qui avaient con- tribué à embellir cette splendide demeure. Mais, mal- gré ses efforts et sa bonne volonté, il ne put achever ce |)oC*me, destiné a célébrer son bienraiteur. Dans les fragments qui en restent, on ne peut admirer que quelques vers. Tel est surlout ce tableau de la Nuit :

Voyez l'autnî plafond on la Nuit est tracée. Cette divinité, dijfuc de vos autels, Et (pii, même en dormant, fait du bien aux mortels. Par de calmes vajMîin's mollement soutenue. La tête sur son bras, et son bras sur la nue, Laisse tomber d«^ fleui-s et ne les répan I pas ; Fleurs ipie les seuls Zéphyrs font voler sur leui*spas. (ies pavots qu'ici-bas |M)ur leur suc on l'enommc, Tout fraîchement cueillis dans les jardins du Somn:e. Sont moitié dons les airs et moitié dans sa main;

&C8 MEMOlHEi^

Nuis!»4>ii i>lu> (|ue toute autre utile au ^eiii*e liuniaiii ! Qu'elle est belle à mes yeux, cette Nuit endormie!

Un sent ici que le poète cliante un des biens qu'il ap- préciait le plus, ce sommeil, qui fajt oublier ù riioiiinie les soucis, les inquiétudes, les agitations du monde; mais, considérés dans leur ensemble, les fmgments in- achevés du Songe de Faux sont bien inférieui*s à V Adonis. La Fontaine n'a jamais pu forcer son génie. La prospérité etleslibéralités du surintendant Tout moins bien inspiré que son malheur. C'est pour Fouquet déchu et ac<.nisé que hi Fontaine a trouvé dans son cœur d'admirables ac- cents. Avoir inspiré une telle affeclion à ce libre v\ poétique génie, avoir compris el respecté son indépen- dance, c'est pour Fouquet une gloire immortelle. Son nom esl resté lié à celui de la Fontaine, et c'est au poêle que le surintendant a du surtout la sympathie de kl postérité.

Les artistes trouvèrent aussi dans Fouquet un protec- teur éclairé. Le Poussin, qui vivait à Rome, fut encou- ragé par ses bienfaits. Mais le Brun, son peinti*e fa- vori, fut chargé d'orner de fresques le château de Vaux. 11 s'en acquitta admirablement et ne fut pas inoins cliarmé du goût et de la borme grâce de Fouquet que de sa munificence. Il lui resta fidèle après son mallieur, et exprima plusieurs fois à Olivier d'Ormes- son, le rapporteur du j)rocès de Fouquet, sa sympathie pour l'accusé. Il voulut même faire le portrait du ma- gistrat intègre qui avait contribué à sauver la vie du surintendant. (juoi(iue Colhert continuât de lui confier de grands travaux d'art, il se plaignait de sa dureté

SUR NICOLAS FOUQUET. 460

(c'est ainsi qu'il qiialifiail la sévère économie du con- trôleur général des finances). Peut-être aussi le non- veau ministre n'avail-il pas, au même degré que Fou- quet, le goût des aris et cette appréciation délicate des chefs-d'œuvre, qui est la plus précieuse récompense du génie. D'autres arlistes, tels que Levau, Le Nôtre, furent aussi encouragés par l'Ouquet. Le premier dirigea la construction du château, dont on louait les belles pro- portions: le second dessina les jardins et le parc de Vaux, dont les perspectives étaient admirées des con- temporains. On apercevait du perron une multitude de fontaines jaillissantes qui charmaient la vue. Au centre était une vaste pièce d'eau entourée de grands jiar- lerres, et de chaque côté des cascades ménagées avec art. D'innombrables statues s'élevaient de toutes parts et lançaient des jets d'eau, qui, frappés parla lumière et agités par les vents, formaient mille tableaux en- chanteurs. La Fontaine, dans le Songe de Vaux, a cherché à exprimer ces effets de l'art :

I/oan s.» croise, se joint. s*<H^arle, se renconhe. Se rompt, se préiripile au Iravci's des l'ocliei's. Kt fait comme alamlii(*s distiller leiii's plaiiclieis.

Ailleurs il fait parler le génie qui a présitlé à la disposition de ces eaux :

Je donne au lupiide cristal Plus de cent former difTér»Mites. El le mets tantùt en canal, Tantôt en heauti^î jaillissantes.

On W' voit sfuivenl par dejrr/'S Toml>er à Ilots précipit«'s.

170 MEMOIRES sua NICOLAS FOUQUET.

Siu" des glacis je fais qu'il roule Et qu'il l ouilloune en d'autres lieux. Parfois il dort, parfois il coule. Et toujours il rharnie les yeux.

Sur les vastes bassins de Vaux llollaieiil do |>otifes barques poinles et dorées, qui conduisaient clans le grand canal. Le Nôtre avait déployé dans c<» pan* toutes les merveilles de son art, et Versailles n'a fait plus tard qu'en imiter les magnificences.

APPENDICE

si:r i.k xom et les armes de fouquet.

On lit dans le tomo Xlll (P* -428) dos manuscrits de Conrart le passage suivant : « Lorsque Fourquel estoil surintendant des finances t'\ procureur général au Parhjmenl, le Brun, célèbre peintre, qui faisoit tous les dessins de Vaux, les rapportoit presque tous aux armes de la famille des Foucquet qui sont un écureuil (cette famille* est venue de Bretagne, l'on appelle un écureuil un Foucquet), et princîipalemenl au mol : Qiio non ascendet ? qu'on Itii avoit donné j)our ame de la devise qu'il avoit choisie de ce mesmc écureuil de ses armes. Quelqu'un qui ne Pauuoit pas fit représenter un gibet fort haut avec l'écureuil qui y grimpoit et le mesme mot : Quo non (iscendet? Mais depuis sa disgrâce et pendant qu'on lui faisoit son procès, on feignit que Técureuil estoit par terre entr» trois lézards d*un costé et une couleuvre de l'autre (ce sont les armes de

* Ces manuscrits sont conservés à la Bibl. de l'Arsenal. Il y a deux collec- tions, l'une in*4*, Tautre in-f^. U est question ici de la collection in-f^.

472 APPENDICE.

Mil. le Tellier et Colbert) avec co mot : Quo fugiani ? Ce qui fui troiivé heureusement imaginé. »

D'après d'autres t»crivains, c'i^t dans le patois aiigeviii qu'un l'cnreuil s'api)elle un Foticnuet.

Il

RXPPORT aDRRSSK PAR FOUQUET, INTENnANT DE I. ARMFE hV NORI», AU CAR- DINAL 1IA7.ARI?!*.

( \nn. 10i7, voy. ri-ilessiis, p. 5..

Tout le» monde d«»mt'ure d'acconi qiioM.Ie man^schal de Gassion s'est emporté mal à propos à baltiv le capitaine du réj^iineiit iU* S<m Altesse Royale outraj^eusement, comme il a fait. Ce capitaine iNtoit dt» jianle. M. le mareschal avoit défendu de laisser aller |K»r- sdiine au fourra^^c. Néantmoins étant sorti et ayant rencoutrt' plu- sieurs ^K'rsonnes qui estoient sorties de la ligne en une clianMtc appartenant à M. de la Feuillad(>, il vint au capitaine de ^rcU» t»t eu . furie le battit de telle sorte (pi'il lui laissa tout le visaj;e iuar(|n<* de coups. On dit que ceux (pli estoiiMit sortis de la ligne estoient liasses par ailleui's (jue par (îstoit c«'t odlicier. Il est vrai cpi'à fonre de prières des gens de M. de la Feuillade, il avoit laiss»» passer sii cliarctte, croyant cpie ce fnst une grâce» qiii se pust accorder à. un oflicier principal; mais jamais M. le mareschal ne voulut ««sctuiler d'excuses.

Tout le monde a blasmé ce pnH'édé et a cru (pie M. le uian^soli;i| devoit renvoy(T en i»rison. ou m(\sme le frapp4»r d'un coup dV»|H>e, ou lui tirer son pistolet, s'il croyoit tpi'il eust failli, encoiv cpi'il (»ust mieux fait de ne pass(»r ])as à cette extrémité. Je n'ay jK)iiit s<;u (pril ait mis b> capitaine on arrest enht» les mains (hi lieutenant eolonel. Ce (pie je sais est (pie tout le réginu»nt vouloit s'tMi aller, et

(lerapporl autographe se troti\e à la Bibl. iinp., ins. F. Ciaijfniéres, n* i"îi!».

APPENDICE. 475

que les ofilcit'rs avoient desjà desfait leurs teules, indignés de ce mauvais traitement. Ce que M. de Vieuxpont empescha, mais il ne put eiupesclier que chacun ne parlast avec grande lil)erté. M. de Brancas trouva les ofliciers du réyimeut de cmalerie de Son Allesse (jui faisoi(Mit la mesuie cliose et se plaij^ioient de ce que M. le niares- (tlial n'avoit pas considéré un corps qui portoit le nom de Son Altesse: mais ledit sieur de Brancas les apaisa fort bien.

Le lendemain, M. de la Feuillade lit tous ses efforts auprès de M. le mareschal et le résolut à faire quel(|ue sorte de satisfaction au corps du régiment et dire qu'il estoit fasclié de ce qui estoit arrivé; qu'il estinioit le corps et respectoit le nom (ju'il jiorloit : mais il disoit tousjom^ que cet ofticier lui avoit manqué res|)ect, n*avoit pas osié son chapeau et lui a\oit présenté la piipie; ce que ])»'rsonne néanlmoins n'a vu, que lui. M. de la Feuillade lit tout ci? qu'il put pour faire que le corps se contentast de celte satisfac- tion, et V envoya Vieux|)ont et Brancus leur en parler, mais inutile- ment. Voilà les choses esloienl demeurées.

Le sieur de Montigny, capitaine aux gardes, estant mort, Vieux- pont s'informa de M. de Palluau estoit M. le mareschal, et sur c(» (|u'on lui dit quil esloit sur le chemin de Béthune, il partit, disant <|u'il alloit lui demander congé d'aUer courre la campagne ; mais ne l'ayant point rencontré, il i)assa outre et renvoya prier M. l'inten- dant par le major du régiment de dire à M. le mareschal qu'il le prioit de Texcu-er s'il estoit parti sans congé: mais (jue n'ayant pu le rencontrer et estant avancé sur le <'hemin, il avoit c^ru qu'il ne trouveroit pas mauvais qu'il le continuast, alin d'avoir quelcpie avance sur les autres; ce ijui fut fait. MakM. le mareschal dit qu'il en es<!riroit à la cour et s'en plaindroit, et que, s'il revenoit à l'ar- mée, il le feroit arresler. Voilà tout ceque j'en ai sçu. Vieuxiiont a l'U tort; car M. le mareschal a acconlé le congé à tous h's autres; mais pour l'autre affaire, je s<;ais qu'il n'y a pas failli et estoit affligé de l'obstination du corps, ayant peur, disoit-il à M. de La Feuillade, que cela ne nuisist à sesalTaires particulières.

474 APPENDICE.

111

I.KTTRK OK MA/ARIN A FOIÎQL'KT * .

MonsitMir,

Jp viens dt» nvovoir voslr»* lellre de hier, parle courrier que vous iif avez (1é]>eselié. Vous )>oiivez juger i»ar la qualitt^ de la nou- velle (|U(* vous iifavez nmndé<\ quelle est rafflidion qu'elle m'a causé, autant (tour ralTeelit»n et la tendresse que j\iy pour M. le nia- reselial de fiascion, que iKiur le préjudice que le siTvice du roY))etit scMiffrir de cet accident. Vous avez fort bien fait de ne pas perdre un moment de tein)>s à vous rendre à Tarmée. G^|)endant je vous prieifassisler de vos lions cc»nseils, et de tout ce qui dépendra fJk* vostre diligence, à pn'*senl que M. le comte de Rantsau est malade. et de conférer tousjours avec M. de Paluau sur ce qui se doit et peut faire de mieux pour le service du roi. et de me croire, etr.

lY

PROJET DE MA/ARl.N DE FAIRE ROI DE KAPLBS tîN PHI!(CE DR LA KAirOX

r»F (;avoik et d'assirkr a i.a frange i.a frontière des ai.pks.

Le cardinal Mazarin est surtout remarquable )>;ir la sui^ériorité de son génie diplomatique; pendant dix-huit ans, à travers toutes les vicissitudes de la foilune, il poursuit les projets de Richelieu pour

' )(8nusç. de i? Bibl. Mazarine. n* 1719. t. lU, 403. recto.

APPENDICE. 475

réunir à la France FAIsac»* ot lo Roussillon. Les traités de Westphalie et (les Pyrénées, qui donnèrent à la France sa fmntière naturelle au norti et au sud, sont trop connus pour y insister. On sait aussi que Mazarin, dépassant la |K?nsée même di» Richelieu, voulut faire de la B^'l^que une province française. « l/acquisition desPays-B;»s*, écri- vait-il aux pléniiK)tentiaires françiiis d(»Muns!er*, fonneroit à la ville de Paris un l>oulevanl im^xpugnahle, et ce seroit alors véritablement (jue Ton pourrait l'îijïjïeler le cœur de la France, el qu*il seroit placé dansTi^udmitlepIussùrdu royaume. I/on en auroit étendu la fron- tière jusqu'à la Hollande, el du côté de TAllemagne, qui est celui d*où Ton peut aussi beaucoup craindre, jusqu'au Rbin, jiar la réten- tion de la Lorraine oi de TAIsace, et par la possession du Luxem- bourg et de la comté de Bourgogne (Franch<»-(^iOmté). »

Ce que Ton sait moins, c est que Mazarin voulut aussi doiuier à la Francis la barrière dt»s Alpes, (»t que ce projet se rattachait à sa poli- tique générale sur Pitalie. Ce pays était depuis Charles-Quint sous la domination de la maison d'Autriche. Les I>eux-Sicilc*s et le Milanais étaient gouvernés par des vice- rois espagnols, et la plupart d(»s petits souverains d'iUdie, Toscane, Parme et Plaisance, Modène, les papes eux-mêmes, recevaient le mot d'ordre de Madrid. Henri IV et Richelieu avaient lutté contre cette prépondérance de rF^spagne en Italie. Ils avaient gagné la maison de Savoie, et c'était une princesse française, Christine, tille de Henri lY, qui régnait à Turin, au nom de son fils mineur, à l'époque Mazarin succéda à Richelieu.

Les historiens modernes ont reproché à Mazarin de n'avoir pas profité des mouvements d(^ rilalie iM)ur soustraih? celte conti'ée à la domination espagnol*. Ils ont accu!^é le c^irdinal italien de n'avoir songé qu'à son influence jiersonnelle dans les États pontificaux. Il voulait, disent-ils, que son frère, Michel Mazarhi, devînt aussi car- dinal, et voilà pourquoi il fit la malheureuse campagne d'Orbi- lello (1646). M. Henri Martin (et je le cite comme un des plus autori- sés paniii nos historiens modernes), s' appuyant sur un écrivain du dix-septième siècle, Montglat. soutient que, si Richelieu ertt été

* U s'agit ici des Pays-Bas espaipiols, qui coiTespondent, à peu prés, au royaume actuel de Belgique.

- Voy. les yéffocintiomt rrlalirrs à ta sMccf^Htan é'E»pagiit, par )!. Mi^net» t. I, p.* 178.

47C APPENDICE.

vivant, la révolte de Naples eût eu une bien plus grande suite. « Ma»- rin, ajoulc-t-il*, j)enlit tout pour avoir tout voiiJu réglera ioisir dans le cabinet, au lieu do se contenter de suivre la fortune. Anne d'Autriche s'était, prétend-on, retrouvée un peu lilspagnole en voyant sa maison si près de sa ruine, et avait dit que, si les >'a)>olitnins vou- laient pour roi le duc crAnjou, son second fils, elle les soutiendrait de tonte sa puissance, mais qu'elle aimait mieux ^'aples entre les mains de sou frère ({ue du duc de Guise. G; mot impoliliqiie de la reine mère semblerait excuser jusqu'à un certain (M>int Mazarin. qui ne pouvait rien (jue par Anne, et le déclian;er de la rt^s))onsaliililé d'une grande faute. »

M. Henri Martin ne fait ici que reproduire li»s reproches plusieurs fois adressés à Mazarin par les contemporains ou par d<*s historiens modernes. C(»tte jKirtiede son ouvrage a été acceptée sans contesta- tion, et a reçu la sanction des suffrages les plus imposants. On peut donc œnsidérer cette critique de la politique de Mazarin et d*Anne d'Autriche, relativement à Tltalie, comme généralement approuvée. Cependant elle s'évanouit lorsqu'on étudie les pièces authentiques émanées du ministre et de la reine, et si)écialement les instructions données au chef de l'expédition de 1G4G. Mazarin, qui connaissait parfaitement la situation d(; l'Italie, voulait enlever Naples aux Espa- gnols, placer sur le trône des Deux-Siciles un prince de la maison de Savoie, Thomas de Carignan ; mais il demandait pour la France des garanties, entre autres plusieurs ports en Italie et l'cihandon de la àSavoie à la France, dans le cas la branche de Sa voie-Car ignan viendrait à succéder au Piémont, et à ivunir Xaples et le nord de rUalie sous une même domination, (les projets de Mazarin, qui sem- blent uni» divination de la politi(|ue modemi» de la France, devaient al»outir à un double résultat : assurer à la France ses fronti«*res naturelles des Alpes et lui donner la principale influence en Italie. En exposant et» ])ltUi d'apn-s li»s pièces originales, nous rectifierons une erreur de l'histoire, et nous fournirons une preuve de plus du «•énie diplomatique de Mazarin.

A ])eine entn'; au ministère, le cardinal poursuivit avec unenixlenr infatigable les |>lans de son prédécesseur sur l'Italie. Il envoya son

* lîtKittire tir France, éiiil., ». XII, p. i'-Vi cl suiv.

Al»PEM)ICt. 177

î>cTi*êtiiiiv, Iliigiu's (11* LyuniM», quia ôté dans la suite un ilfs ministres les plus éniinents de Louis XIV, visiter les petits princes italiens. De Lyonne s'arri^ta suilout à Parme on régnaient les Farnèse, à Modène soumise à la maison d'Esté, et à Florence les Médicis ne brillaient plus que jKir le souvenir de leurs ancêtres. U travailla à réconcilier ces princes et la république de Venist^ avec le pape Urlmin YIU. Le traité fut signé en 1614, sous la médiation de la France, (|ui prit dés lors une forte situation dar.s l'Italie centi*ale, en même temps qu'elU^ opiwstùt dans le noi*d la puissance du Piémont à celle des gouver- iieui*s espagnols de 3lilan. h\ corre,spondance de Mazarin avec d'Ai- i-ues-lionnes, (jui re[)résent;iit la France à Turin, atteste avec quel /él(» et quel succès le cardinal entretint et resserra Talliance entir les deux régentes de France et de Savoie.

Mallieureusement le succès de cette babile |H>lilique fut compromis par la mort du pape Urbain Vlll (Barberini), arrivée on 16i3. lient pour successeur InncK'ent X (Pampbilio), qui se déclara ouvertement en favem* de TEspiigue. Le nouveau pape laissa sans pasteurs les éj^lises de Portugal et de Catalogne, parce (jue ces deux pays étaient en jiuerre avec Pliilippe IV. Dans une promotion de buit caixlinaux (|ui eut lieu au commencement de son pontificat, il ne nomma que des ennemis de la France. Ct»tte partialité d'Innocent X menaçait de rendre aux Espagnols la supériorité dans les aflaires dltalie. Mazarin se bâta d'envover à Rouï*" M. de (irémonville, ambassadeur de France à Venisj», afin de tenter de ramener le pape à de meilleurs senti- ments. Grémonville essaya d'aboixl de gagner innocent X, et lit pressentir que le n)i accorderait «piehpie présent au neveu du i)on- tile. « Sans medoimer le loisir d'acbever, ajoute Tambassiideur * , il me demanda si Sa Majesté désiroit donner quelque abbaye à son neveu. Je ne crus pas devoir dilîérer d'offrir une cliosequi étoit de- mandée avec tant d'avidité. Je lui ex])li(|uai l:i pensée de Sa Majc»sté en faveur du cardinal Pampliilio, exagérant le plus que je pus la grandeur du bienfiiit et la grâce dont on raccompagnoit. Alors le visage du saint-péie se rasséréna et sembla rajeunir de dix ans, et son él<Kjuence redoubla i»our mieux faire ses remeRÎments, en di- sant : Vous avez, été les premier s à nous gratifier.

' La coiTei>i>unUaiic« de cel ambassadeur fait partie des inanusuib de la Uibl. iinp.

m APPENDICK.

Mais liiiioceiit X, api*ès avoir accepté puiir son iie\cu Taliliïiye de Corbie, (pii valait vin^l-ciiMi mille livix»s <K» rente, ne se soiicia plus (les réclamations de la Fi'ancc. 11 éluda les demandes relatives an Portugal, à la Catalo^nii> et à Tarclievêque de Trêves, dont la FraiRt* prenait la défense contre la maison dWutriclie. Bien |>lus, liaiis si IKU'tialité jwur FEspagne, il assura rimpunité aux coupe-jarrets dont cette puissance se servait pour intimider ses ennemis, et laissa sms vengeance Pattentat c^>miius contn» un député du clerj^éde Por- tugal, vieillard respectable qui s'était mis sous la protcxrtioii de la France. « Comme il revenoit de la Madona del Popolo, écrivait Grê- nionvUle en mars 1645, panni tout le peuple de Rome qui veiKiit de voir passer une cavalvade des ambassadeurs extraordinaires d(* Lucques, il l'ut attaqué par cinquante bandits uaiwlitains ou doiues- tiques de Pambiissadeur d'Espagne, les([uels, à coups d'arquebuse et (Pépée, se ruèrent sur son carrosse, tuèrent un gentilliomme qui étoit avec lui, blessèrent grièvement son cocher, et, ayant tiré s»ur lui trois coups dont ils ))ensoient Pavoir tué, le laissèrent sur la |>lare sans que néanmoins il ait été blessé. Ensuite ces assassins se reti- rèrent effrontément, à la Iwrbe des sbires, dans palais de Paiii- liasstideur d'Espagne. »

Grémonville, décidé à obtenir satisfaction ou à rompre avec luno* cent X, lui demanda audience sur-le-cliamp et lit entendre les plaintes les plus énergiques. « Dés le lendemain, lui dit-il, on sauroit s*il s»eroit fiape ou non, c'est-à-dire s'il vouloit régner avec autorité ou se rendre honteusement le capelan des Espagnols. Grémonville exigeait que, duns les vingt-quatre heures, l'ambassadeur d^Espagno livrât les assassins ou sortit des États pontificaux. En cas de refus, il menaçait de (juilter lui-même Rome avec tous les Français. ïnnoc«»nt X tergi- versa, et Pamlnssadeur, reconnaissant (|ue la force seule pourniit ramener le [)ape à' de meilleures dispositions pour la France, quitta Rome vers la lin d'avril 1045.

Ce fut alors (jue Mazarin résolut de iwrler un coup décisif pour conserver et étendre rinflueiice de la France en Italie. Il lit équi|ier une flotte à Toulon et en donna le comnumdement à Pamind de Bréié. avec ordre d'aller atlariuer les présides de Toscane. On désigiuiit sous ce nom plusieui*s villes que les Espagnols possédaient daiu« ritalie centrale, et au moyen desquelles ils essayaient de maintenir ce pays sous leur domination, pendant que le duché de Milan et le

APPENDICE. AIM

roviiunie de Naples leur assiu'aienllaïKJSsessioii des deux exlivinilés septeiitrioiialo et méridionale. Le Ixit avoué de rexpédiliou frauçai.se était Taltaque de ces villes; niais il y avait d'autres des.seiiis ])his seerels et (jui furent conduits avec un pn)fond mystère.

Maziuûn avait fait étudier pal* de Lyonne et luir sesaj^ents en Italie la Mtuatiun de tout le pays et imrticulièrement celle du royaume de Naples. Un mémoire, (|u'on lui remit vers 1645, parle de Tinitiition profonde qui se manifestait dans cette contrée et faisait présager une I évolution. On y remaniuait (pie les Napolitains avaient été systéiiia- ti(|ueinent exclus du gouveniement de toutes les places, et qu'il> aspirai(?nl à secouer le joug de FEsiwgiie; mais en même temps Ton ajouLût qu'ils n'étaient pas disposés à remplacer cette domination par celle de la France. La vivacité françîiise les effrayait et provoquait leur jalousie*. Ce qu'il leur fallait, c'était un roi italien, choisi hoi-s de leur pays, poui* éviter les rivalités naturelles aux grandes familles napolitaines. Le mémoire se terminait imr Tindiciition de plusieurs points de la côte l'on pouvait débar(|ner en toute sécurité, et surprendre les places qui n'étaient pa^ surfisamment munies de vivres ni de garnisons.

Ainsi renseigné sur la vraie situation de Naples, Mazarin ivsolutde choisir, pour occuper le trône de ce pjiys, un prince italien dévoué à la France, d'une puissance médiocre et lioi*s d'état de se soutenir ))ar lui-même contre TEspagne. l^e prince Thomas de Carignaii, d'une hranche cadette de la maison de Savoie, réunissait ces conditions. A]»rés avoii' été pendant plusieurs années l'allié et prescpie le servi- teur de l'Espagne, il s'était attaché, dés le temps de Louis XIII et de Hichelieu, à l'alliance de la France, et Mazarin comptait sur son dévouement, h'ailleurs il se réservait de prendre ses précautions avec lui et de s'assurer, au cœur même de l'Italie, de places fortes (|ui rendraient le pape plus im^KU'tial et tiendraient le nouveau roi dans une demi-servitude. KnliiKpi'évoyanl le c^is le prince Thomas de Carignan viendrait, par la mort de son neveu, à hériter du Pié- mont et à réunir Naples i*l Turin sous un même sceptre, il demaii-

' lis oui éprouvé, dil l'auteur du Mémoire, que les François ne peuvent oublier leur nature libre el leur familiarité trop grande dans la pratique de leurs femmes, et la conversation qu'on ne leur peut ùter, point si sensible aux régnicoles el à toute l'Italie, que la moindre chose en cela les offense en honneur el la réputation. »

i

m Al»l'ENDICE.

(lait hi Savoie |H)ur la France, e( )H)rtait juMiifaux liiiiitt's iiatiirelk*> (l(*s Al|K»s les Iroiiliêres du royaume.

(.e. fui craprès ces principes (jue fui préparé un projet dt» Irailé secret ' entre le un de France et le prince Thomas. Coiniue cr'esl un dmiinient entièrement inconnu, je le donnerai textuelleiufiit en abrégeant (fuelcjnes formules et en rajeunissant légên»nrieiit le style : « Sa Majesté cédera, pour elle et ses successeurs rois, à M. le prince Thomas et à sis descendants, les droits de la «-ouronne de France sur le royaume de Naples, et en fera une plus ampU* renonciation en faveur de M. le prince Thomas et de ses descendants, aux condition> ci-après déclarées. Moyennant ce, M. h' prhice Thomas s\ibligera de rwonnaître le ^aint'sié<;e ajM)stoli(|ue comme ont l'ait h*s nus de xNaples, et Ton estime qu'il sera même avantaj^eux d'y ajciiiter (piel- (jues mar(jues de plus grand respect envei-s l'Église, alin que ie> papt*s, trouvant en ce changement un ti*aitement plus avantageux que celui qu'ils reçoivent des Kspagnols, ils n'aient pas sujet tie se rendre favorables à leurs desseins, y ayant toutes sortes d'a|>|Kirt*nce (prils n'omettront rien pour engager Sa Sainteté œntre et*lui (pii les aura chassés du rciyaume de Naples.

Lv prince Thomas c édera au roi la rade et la place de (iaëte en la mer de ToscîUie, et un autre jMut et place eil la mer Adt*iati(|ue. ou en quelque autre endroit, ainsi (ju'il en sei a convenu avin- lui. atinde faire comiaîtr.' à tout le monde que la reine régente ne s\^l pas liAh'e d'abandonntM' les «Iroits du roi son tils siuis en tirer iv- compense et utilité, et, en outre, i»our avoir moyen d'assister M. le prince Thomas sans en être empêché, quand même il y aurait un parti puissant formé contre lui dans royaume de Naples. Lîi «^u- nison de ces deux postes sera entretenue par la France en la inanièii* (|ui sera convenue.

« M. le prince Tlimnas fera ligue offensive et défensive avec Sa Majesté et prom(»tlra, de sa part, de l'assister envei*s et contre tous, soit contre les ennemis de TÉtat au delioi*s. soit contre les factieux au dedans, s'il arrivait queh{ue soulèvement dans le royaume. Kii cas de gutîrrc ccnilr.* cpii (|ue ce soit ou de trouble dans le royaume.

* L'iiilontioii <ie (ciiir le U'ailé' i>ecret élait si formeUe, qu'il élail recoin- iiianiiv à l'iiiteiiUanl de l'année, auquel on remit le document chiffré, « de le •lécliifTrcr lui-niênie sans la parUcipation de qui que ce soit. »

APPENDICE. 481

M. le priiice Tliomas, étaiil roi de Naples, assistera Sa Majesté d^uii nombre de vaisseaux, de galères et de troupes» qu'il entretiendra à ses dépens tant que la guerre étrangère ou intestine durera. L'on conviendra de ce nombre de vaisseaux et galères, et il s'obligera de les fournir et entretenir et de les unir aux armes de Sa Majesté, soit pour la défense de ses États, soit pour quelque entreprise qu'elle veuille faire.

« M. le prince Thomas, étant établi en la possession du royaume de Naples, laissera à la disposition de Sa Mzgesté une des principau- tés, duchés ou autre État notable, de ceux qui sont tenus présente- ment par les Espagnols ou par leurs vassaux et sujets qui ^uivront leur parti et sur lesquels il y aura justice de les coniisquer. Sa Ma- jesté en disposera en faveur de telle personne cpie bon lui semblera, à condition de reconnaître le roi de Naples en la même manière i\\ii\ se fait i\ présent.

« Non-seulement on conservera à M. le duc de Panne tout ce qui lui appartient dans le royaume de Naples, mais se conduisant conmie un l'espère d'un prince qui fait profession d'être ami de la couronne de Fnmce, Sa Majesté lui promet tous les avantages |>ossibles. L'on en usera de la même sorte envers M. le duc de Modéne, et Ion h()uvei*a moyen avec le temps de le faire payer de ce qui lui Cbl du dans le royaume de Naples par le roi d'Espagne, tant jiour le douaire de sa grand'mère que^K)ur lesi)ensions échues, ou bien on lui don- nera (pielque État pour son dédommagement. On laissera jouir le roi de Pologne des revenus qu'il a dans le royaume de Naples, et semblablement le pnnce de Mona(*o, alin de décharger Sa Majesté de ce qu'elle est obligée de lui donner de son domaine dans le royaume.

0 M. le prince Thomas remettra à la disposition de Sa Majesté la part qu'il a eue pour lui et les siens de feu madame la comtesse de Soissons, à la charge de récompenser madame la princesse sa femme en autres choses».

« Le prince Thomas ou ses descendants venant à succéder au duché de Savoie et à la principauté de Piémont, a|)rés leur établisse- ment en la possession du royaume de NapU^s, il cédera à Sa Majesté pour elle et ses successeui-s le duché de Savoie et tout ce qui est en

' La princesse de Cariguaii, feiiiiiie du )iriiice îliuiiias de Savoie, clait bœur du comte Louis de ifoissons, tué à la bataille de U Alarfée, en 16il.

I. 51

482 APPENDICE.

tieçà des monts proche de la France, en récompense de PassistaïKe que Sa Majeslé lui aura donnée pour la conquête du royaume de .Naples et de la cession qu'elle lui aura laite des droits qu'elle y pré- tend. Pour la conservation du Piémont et de tout ce qui ap|)artieiHlra «•n ce cas-là au prince Thomas dans la Lombardie, Sa Majesté pro- mettra de Passister en la manière dont il sera convenu, en î>orte qu'il les possède paisiblement et siirement.»

Ce projet de traité, qui est revêtu de la signatui'i; du roi et du contre-seing du ministre le Tellier, ne devait être ratiliê (ju'a]»i*é5 la prise d'Orbitello, une des villes (jue PEspagne possédait sur laitite de Toscane. Le siège lut entrepris au mois de mai 1646; umis la uioH de Pamirnl de Brezé tué dans une bataille navale, les maladies quj «lécimérent l'année française, le retard des secours qu'on lui en- voyait, firent échouer Pexpcidition. Mazarin, qui y attiichait la plus haute importance, ordonna immédiatement l'équipement d'une nou- velle flotte. Malgré Pétai déplorable des linances, les p^êparJti^^ lurent jwussés avec vigueur. Quelques mois après réehec d'OHii- leljo, une autre ville de Toscane, Piombino, tombait aux mains d4î> Françids; le pape intimidé proclamait cardinal le frère de lilazarin et s'engageait à garder une stricte neutralité entre la Fi-nnce et PE.r.p;igue. Ce fut tout ce que put obtenir le cardinal. La révolte (jui se préparait depuis longtemps à Naples éclata, il est vrai, comme Mazaiin Pavait prévu; mais ce fut un mouvement populaire, pro- voiiué par des passions avi^ugles, mal dirigé par le pécheur Masa- nielli). et bientôt étouffé par les intrigues espagnoles.

Li)i*sque le feu se ralluma l'aimée suivante, la présence du duc de Guise sembla donner un chef plus habile à la révolte ; mais Mazarin avait peu de conliance dans ce héros de roman; d'ailleurs la Fronde ( ommençait. et l'opposition aveugle du parlement i*efusait au mi- nistre les ressources nécessaires pour continuer une gnerre loin- laine. Le duc de Guise, abandonné à ses propres forces, ne taixla |iiis à succomber.

Si donc les plans de Mazarin sur Pltalie ne furent qu 'in i parlai te- ment réalisés, ce n'est | as à lui, mais à ses adversaires, qu'il faut l'imputer; la gloire (h; les avoir convus lui reste tout entièi-e. Avoir marqué avec tant de justesse le but auquel devait Undiv la France. lui avoir assigné ses hinites naturelles et réalisé en ^>artie ces prévi- sions, c'est un litre que rien ne saurait effacer. On pourra accuser

APPENDICE. 485

Muziiriii de iiiisiTal)les intrigues, dévoiler les i'iiiblesses de son e^u'ac- lère et les vices de son cœur; on abaisseni i^honiine, mais Pliistoire impartiale ne saurait méconnaître la sui)ériorité du ministre. Le Roussillon, T Artois et TAIsace conquis, le Portuj^al délivré, la Cata- logne envahie, la Suéde triomphante, la Hongrie détachée de TAu- triclie, l'Italie se soulevant contre FEspagne, enfin TEmpire triom- phant de 1 Empereur, sont la réponse la plus éloquente à tous les pamphlets des frondeurs.

V

MEHUIHE ADRESSÉ AU CHANCELIER SEGUIER SUR FOUQUET PAR LE CONSEILLER

d'État de la fosse * (6 octobre 1()6I).

M. Fouqtiet père n'estoit iH>int riche; il avoit é|)ousé dame Blarie deMaupeou, qui avoit du bien; mais ledit Foucpiet l'ayant prédécédée, c'esl-à-dire étant mort avant elle, et laissé de leur mariage dix ou douze enfants, six mâles et cniq à six filles, tous ces enfants n'ont jusques à présent recueilli que la suatession bien modique de leur IHTe, leur mère astant encore vivante et jouissant de son bien, tel- lement que Ton ne peut pas penser que M. Nicolas Fouquet, (ils puisné desdits sieur Fouquet et dainedeMau|)eou, ait encore recueilil de ses anceslres plus de trente ou quarante mille livres.

Aussi trouve-t-on parmi les papiei*s inventoriés dans sa maison de Saint-Mandé i\\n\ dès Tépoque qu'il estoil maistrc des re(juestes et devîuil (ju'il lust procureur général au parlement de Paris, il estoit débiteur à diverses pei^sonnes de plusieurs sommes montant appa- renunent à plus de six vingt mille livres. D'où il faut inférer que, traitant environ Tan 1650 de ladite chai'ge de procureur général pour le prix de (|uatre cent mille livres, il lui a fallu emprunter plus de deux cent mille livres, et que partant en ladite année il a *isié débiteur de plus de trois cent mille livres, encore qu'il ail n-

* bibl. imp., inss. F. Saint-Germain tt., n* 709, t. \\\\\, t* lia. Autographe. Le conseiller de la Fosse était un des commissaires chargés de faire rinveii- taire des papiers de Saint-Mandé.

484 APPENDICE.

tiré de sa charge de niaislre des requestes cinquiiiite-H:iiiq ou soixaiitt' mille escus, suivant le prix de ce temps-là.

Il est vrai que le dit Nicolas Fouquet jouissoit pour lors du bien de sa première et défunte femme, que Ton dit avoir valu en principal trois ou quatre cent mille livres. Mais ayant esté fait surtnteiidaiit des tinanc^s dés le commencement de Taimée 1653, il maria inconti- nent * sa lille, de sa première femme, au marquis de Charrost, à la- quelle lille il laissa non-seulement tout le bien de sa mère, niai^ encore il lui bailla du sien et sur sa succession à eschoir deux cent mille livres, qu'il peut dire avoir pris sur le bien desa seconde femme qu'il espousa environ Tan 1 650, et en mesme temps qu'il fut fait procureur général, et que l'on dit lui avoir apporté quatre ou diK| cent mille livres.

Depuis Tan 1655 (|u'il a esté appelé à la surintendance des iinances, vere lymphatus est en despenses inlinies et sans exemple, d'acquisi- tions, de bastiments, d'achats de meubles, de li\Tes, de tables, d'en- tretiens de gens de guerre, de dons à hommes et feiinnes et généra- lement en toute sorte de luxe. Pour se maintenir en quoy, dans la prévoyance qu'il a eue que sa conduite le pourroit disgracier et destruire, il a dressé une instruction ou autrement un agenda qui S'est trouvé cscril de sa niîiin entre ses papiers dans un cabinet appelé secret par ses domestiques, par lequel agenda il ordonne ù ses amis et aflidés y nommés ce qu'il faudra qu'ils fassent au cas qu'on lui veuille faire son i)rocés, sçiivoir et en sommaire, que plusieurs d'entre eux, gouverneurs de places frontières, se jettent dans leurs places ; que le vice-amiral se saisisse des vaisseaux qu'il pourra et se rende maislre«le la mer, et que tous fassent connoistre qu'ils entreront dans une rébellion ouverte, si l'on ne le met en liheilé, et à l'extrémité que Ton cherche un homme d'entreprise et capable d'exécuter un gi-and coup : ce qui est répété, et mesme il s'est trouvé panni ses papiers, et dans le mesme cabinet secret s'est trouvé le dit agenda, un crayon ou hnage d'un demi-coi'ps d'homme tirant sur Tàge, ayant la barlM} ronde et le côté percé et rougi comme s'il y portoit du sang avec un poignaid ou cousteau sans estrc tenu de pcrsomie, ayant la l)ointe rougie ou sanglante tournée vers le coslé i>ercé, comme si elle n'en faisoit qu(î sortir, ces mots ou subscription estant an bas dt» cette ligure : Explicanli prxmium dabitur, le dit crayon ou image

' Le mariage n'eut lieu qu'en lt>57. Voy. p. o5T.

APPENDICE. 485

ostant frippé el ayant sur les quatre coins de son revers de la colle stMJiée, comme si elle a voit esté collée et afiichée en quelque endroit d*où elle auroit esté tirée et arrachée. L'on ne veut point donner à ceci d'interprétation sinistre pour le présent, mais bien veut-on mar- quer que cela mérite un interrofialoire. Le j^rcffier de la conunission a envoyé le dit crayon à M. Colbert.

Nous trouvons de plus parmi les dits papiers et diuis le dit cabinet secret une promesse signée de tous les intéressés dans la ferme des •^'abelles faite pour neuf années à commencer en iG5<), par laquelle les dits intéressés promettent à une personne, dont le nom est en blanc, pour s'estre départi d'un cinquième qu'il avoit eu la dite ferme, six vingt mille livres par chacune année, dont la premièn» est payée à l'avance, ainsy que porte leur promesse, et dans la marge d'icelle sont les re(;us de la dite somme pour les années 1657, 165S i*t 1059. Dans les mesmes papiers et dans le mesme cabinet secret s'est aussi trouvée une pièce qui marque et porte que le Roy ayant imposé cinq sous pour chacun muid de vin vendu en gros en la ville de Rouen, six deniers sur chacune livre de sucre et six deniers sur chacune livre de cire entrant es ports et havres de Normandie, avtHt le parisis des dits droits, par t'xiit du 26 octobre 1657, et qu'Est ienne Remy s'estant rendu adjudicataire des (h ts droits pour les deux tiers, verse et transporte, non-seulement incontinent, mais mesme à l'avance, sçavoir est, le 13 du dit mois d'octobre 1657, les deux tiers des dits droits à M. Fouquel, surintendant, pour la somme de 400,000 livres que le dit papier ou acte porte avoir esté imyée comptant.

Par les pièces inventoriées, le dit Fouquet se trouve possesseur de l)eaucoup 'de droits sur le Roy; ce fjui peut avoir donné lieu à ses excessives dépenses et à ses présents immenses, comme de 200,000 fr. à M. deCréqui, 200,000 fr. au marquis de Richelieu (cet article peut t^tre approuvé), à une dame qui le remercie de ce qu'elle a acquis dans Paris une maison de ses bienfaits. Une autre le remercie de ce . bu'il luy a baillé 30,000 hvres el luy mande que n'ayant pas de perles pour aller au grand bal, s'il veut achever la grâce, il l'obligera ; une autre le remercie de 4,000 livres. Il a baillé pour une seule fois 32,000 livres à M. de Clérambault; U bailloit 1,600 livres de gages au poêle Scarron, et il a mis 1 ,200 livres dans la loterie de madame I de Beau, etc.

4

4S(i APPENDICE.

Pour Belle- Iî>Ic\ Paaiuisilioii en est reprocliahle, ol encore plus les hastimeuls et fortilicalions qui s'y font, la garnison qui s'y enln^ lient, Tachât des autres isles de la mer de Bretagne, roinmc risK»- Dieu, et les autres places fortes et maritimes de la #lite proviniv. comme Concarnau. le Croisic,Ancenis, Pimpol, etc., la constniclion des ports et forteresses (jui se font à Belle-lsle, et le grand nombn' d'artillerie, poudre et munitions de guerre et de Ixiucho qui s'y mettent, toutes les acquisitions, bastinienls et enuneuhlonients tic Vaux (dont je ne sais rien que par ouy-dire). la bihliothèc|ue de Saint - Mandé compostée de 7,000 volumes in-l*, de 8,000 in-ocU)Yo et d * plus de 12,000 iu-V.

Le dit sieur Fouquet a ac(|uis en ^ OUI le marquisat (rAsserac, par décret fait sur le manjuis d'Assenic. Du depuis la dimic d'Assemc, veuve du dit marquis, parente de M. Fouquet et portant le mesine nom que lui *, retira le dit marquisat piir retirait lii;naf;er, et après tMle récliangea avec le sieur Boisiève pour le durlié de Pentliièviv, et ensuite la diU* dame passa un acte ou contre-lettre avec le dit sieur Boisiève, par laquelle il est déclaré qif encore ([u'ils aient convenu d'un eschange, par elle lui laisse son marquisat d'Assenu* et au- tres terres pour le dit duché de Penthièvre, néantmoins la vérité est (pie les parti<'s n'ont point entendu que le dit sieur do Boisiève n»- linst le ilit marquisat d'Asserac, et qu'il ne doit retenir que telles et telles autres terres pour le prix et somme d'environ 900,000 livres, et i)our le restant du prix convenu à h somme de 1,900,000 livres ])our le dit duché de Penthièvre, la dite dame le lui doit payer dans un certain temps.

Voilà comment Boisiève est dépossédé du dit duché, qui tombe pour 1,900,000 livres entre les mains de la dite dame, laquelle estant dés devant le décès de son mari, avenu sur la fin de 1657, criblée de dettes (comme il est notoire), ne sera jamais présumée avoir esté capable de faire une si chère acquisition pour elle; mais bien est-il aisé de présumer que cette dame estant et paroissant, par une infmité de papiers de nostre inventaire, la confidente et agente ordinaire et familière du dit sieur Fouquet pour les grandes affaires qu'il avoit en Bretagne; que cette dame, dis-je, n*a fait la dite acquisition que pour le dit sieur Fouquet, qui vraisenihlable-

* Il semble qu'il y a ici erreur. La marquise d'As«erac ét.^it de la maison dp Mieux, et signait I'ki.agif. pe Rieux. Voy. p. o04>3<>P>.

APPENDICE. 481

ment est deuieurê seigneur d^Asserac, de Penlhièvre, aussi bien que de Belle-Isle, que quelques-uns de ses flatteurs, en luy escri- vant, appellent son royaume, des autres terres susdites et de beau- coup de droits sur les terres du Roy en la dite province.

Il s'est encore trouvé dans un autre cabinet, en façon de garde- meubles, une liasse contenant les estats des coniple.*; du domestique du dit sieur Fouquet, que ses commis luy ont rendus pour les an- nées 1655, i0r)4, 165;), 1656 et une partie de 1658, par il s'aperçoit qu'il se melloil en soin de faire chercher des billets des particuliers pour en former la n»cette (et croira-t-on que ces billets lui cousiassent autant qu'il en retiroit?) et Von voit une recelle et une despense prodigieuses pesle-mesiées de plusieurs choses re- procliables.

Que s'il s'est comporté de celte sorte, tandis qu'il a eu un com- pagnon habile et son ancien dans la direction des finances, que doit-ce estre des autres comptes semblables pour les années 1659 * et 1660, que nous n'avons point trouvés, et pendant lequel temps il a esté seul dans la dite direction? Bon Dieu! quelle profusion dans une saison les peuples esloient accablés des charges que la né- cessité de la guerre exigeoit d'eux! Bon Dieu! quelle impudence' Bon Dieu! quel aveuglement! Hélas! en eust esté réduite la pauvre France, si Dieu n'eust ouvert les yeux et touché le cœur du Roy pour y mettre ordre!

Je ne parle point des meubles, ustensiles, qui ne sont pas ici Saint-Mandé) fort considérables. Nous n'y trouvons ni or, ni ar- gent, ni pierreries, ni mesme vaisselle d'argent, qu*en fort petit nombre, le surplus ayant été porté à Vaux lors du grand festin, à ce que les serviteurs nous disent. Quant aux jardins, il y a deux cents grands orangers, quelques statues et force plantes de noms à moi nconnus et barbares, dont j'ai pourtant dressé l'inventaire par l'or- gane de deux jardiniers allemands, l'un d'icy et l'autre mandé à cette fin du jardin royal.

J'escris ceci en gros et à la haste, de quoy indubitablement M. Colbert aura esté informé par ceux avec lesquels je travaille*; mais, quoy qu'il en soit, voicy le sommaire de l'alTaire et rélixir de

* Abel Servion étart mort au mois de février 1659.

' L'inventaire était fait à Saint-Mandé par les conseillers d'État de Lauion et Je la Fosse, et le mattre des requêtes Poncet.

i

488 APPENDICE.

nostre inventaire divisé en liasses dont les principales sont celles qui regardent les affaires du Roy, la conduite du dit sieur Fouquet, Tisle de Belle-lsle, circonstances et despendanccs, et Tintérest des créanciers ou de la succession, lesquelles liasses nous avons distin- guées et paraphées, de telle sorte que dans demain j'espère que nous pourrons finir nostre commission et sortir d'icy, ayant reçu une lettre de mondit sieur Colbert qui nous fait espérer d'heure h autre un ordre pour la seureté des papiers et de cotte maison.

Lorsque j*ai commencé à mettre la plume sur ce papier, je pen- sois ne faire qu'un mémoire et l'accompagner d'une lettre meslêe des respects dont je suis si estroitement obligé; mais escrivant à la dérobée, et ayant meslé quelques termes qui ressentent la lettre missive, je suis contraint de la présenter ainsy au meilleur et au plus indulgent de tous les bienfaiteurs, et qui accordera facilement le pardon que je luy demande très-humblement de ma trop grande liberté.

Son très-humble, très-obéissant et très-obligé serviteur,

LA FOSSE.

De Saint-Mandè. le (\ octobre 1661 .

Vf

PROJET TRODVK A SAlNT-MAtfné.

Tn manuscrit de la Bibliothèque impériale (des 500 de Colbert, n' 235 C, P 86 et suivants), contient le texte du projet trouvé à Saint-Mandé. 11 est précédé des lignes suivantes extraites du procès- verbal des commissaires de la chambre de justice, chargés d'inter- roger Fouquet * : Nous avons représenté au respondant six demy- feuilles de papier pliées par la moitié avec un quart de feuillet, le toul escrit enlièreriient de toules parts avec diverses niliires au-

* F* 85 ilu même manuscrit.

APPENDICE. 489

dessus corrigées*, duquel escril ensuit la copie figurée. » Suit la co- pie, qui n'est pas un fac-similé, mais qui reproduit les corrections.

Copie figurée de V escril trouvé dam le cabinet appelé secret de la maison de monsieur Foucquet, à Saint-Mandé.

L'esprit de S. E. susceptible naturellement de toule mauvaise impression contre qui que ce soit, et particulièrement contre ceux qui sont en un poste considérable et en quelque estime dans le monde, son naturel deffianl et jaloux, les dissentions et inimitiez (ju'il a semée3 avec un soin et un artifice incroiable dans Tesprit de tous ceux qui ont quelque part dans les affaires de FEstat, et le peu de reconnoissance qu'il a des services receus quand il ne croit plus avoir besoin de ceux qui les lui ont rendus, donnant lieu à chacun de Tappréhender, à quoy ont donné plus de lieu en mon particulier, et le plaisir qu'il témoigne trop souvent et trop ouvertement prendre H escouter ceux qui luy ont parlé contre moy, auxquels il donne tout accez et toute créance, sans considérer la qualité des gens , Finté- rest qui les pousse et le tort qu'il se fait à luy-mesme, de décréditer un surintendant qui a tousjours une infinité d'ennemis que luy attire inévitablement un employ, lequel ne conciste qu'à prendre le bien des particuliers pour le service du Roy, outre la haine et Tenvye qui suivent ordinairement les finances. D'ailleurs les com- missions qu'il a données à mon frère ' contre M. le Prince et les siens, contre le cardinal de Retz et tous ceux que S. E. a voulu persécuter, ne pouvant qu'il ne nous ait attiré un nombre d'ennemis considérables qui ' attendent l'occasion de nous perdre, et travail- lent sans discontinuation près de S. E. mesme, connoissant son foible à luy mettre dans l'esprit des defîiances et soubçons mal fondez. Ces choses, dis-je, et les connoissances particulières qu'il a données à un grand nombre de personnes de sa mauvaise volonté, m'en faisant craindre avec raison les effets, puisque le pouvoir

* (i'est-à-dire avec des corrections en interligne. Ces corrections ont été mises en note dans notre reproduction du projet.

' Fouquet a ajouté en interligne dans la rédaction de 1658: à wum frèreFAkH^ qui a'eit engagé peut-fstre trop légèrement, fuisqu'U n'a pas de titre pour eela, contre Jf. le Prince.

' AddiUon de 1658 en interligne : qui confondent toute ta ftmiUe et atten- dent, etc.

i

APPENDICE.

ithéàa qo'il a «or 1^ n^ «t b reine la j rtcodcDt fadicr toat ce qn'it feut entreprendre; et oonsidéraDt que U timidité naturelle qui piv- tkmiintr en Iny n^ luy p^nnettra jamais d'entreprendre de m'e<4oi- ^fT simplement, ce r|a'îl anroît ex<êtiitê <Wjâ s'il n'aroit pft> ee4r relenn par l'appréhentirm dr quelque YÎsueor en mon frtêre r:»hbi' - et en mov, un Ijon nornlire d'anii> que I un a terris en tontes co-^- <iion*> , r|uek|ae intellîirence que l'eipênenGe m*a donnée dans les afîair^'^, une diar^e rrmsidérahle dan> le paritment. d^ places fortes, icnipé»^ par nous ou no> proches *, et des alKaiices assez adranla- jçeojies. outre la ditmité de mes deux frères dans TÉglise. Ces consi- dérai if »fi> qui paroissent fortes d'im costé à me retenir dans le poste oii je SUIS, d*un autre ne peuvent permettre que j*en sorte sans que Ton tente tout d'un c/Hip de nous accabler et de. nous perdre: pour ce que, par la connoissance que j'ay de ses pensées et dont je l'ay ouï fiarler en d*autres occasions, il ne se résoudra jamais d«^ nous poaHs«^' s'il peut croire que nrus en reviendrons, et qull poiu- nii estre «'xposé au ressentiment de gens qu^Q estime hardis et courageux.

Il faut donc craindre tout et le prévoir, afm que si je ii:e trouvoiN liors de la lilierté de men pouvoir explioqiier, lors on eust recours à ce |iapier pour y chercher l(*s remèdes qu'on ne pourroit trouver ailleui-s, et c|ue ceux de mes amis qui auront esté advertis d'y avoir recoiir-> sçachent qui sont ceux ausquels ils peuvent prendre con- fiance.

Premièrement, si j'estois mis en prison et que mon frère Pabbè n'y fiist pas, il faudroit suivre son advis et le laisser faire, s*il estoit en estât d'agir et qu'il conservast [loiir nioy l'amitié qirU est obligé [d'avoir], et dont je ne puis douter '. Si nous estions toas deux pri- sonniers, et (\\U' Ton eiist la liberté de nous parler, nous donneron>

* Fouquet a effacé, on 1658, ces mots en mon frère F allé et y a suttstilué m meit frère».

* [se mot prochfH a éié effacé en 1658 et remplacé par tmit.

' Kouqurt a effacé toute cette phrase, depuis : el que mon frère Vabbé «'y fnnl pM, et y a sulMtitué la suivante en 1G58 : el que mcn ftère PakM,qni g e$t 4ivi»é dun» le» dernier» temps d'avec moy mal à propox, n'y fu*t pa» el qt^on le Uimeti en liberté, H faudrait doubler qu'il rwtl exié gagné contre mof, el il serait plu» à craindre en cela qu'aucun autre. Ce»t pourquoi le premier ordre neroil iTem advertir un chacun, e»tre *ur »e» garde» et ok»frrer na conduite.

APPENDICE. 491

r^ncore les ordres de *, tels qu il Jes faudroil suivre, et ainsi cette instruction demeureroit inutile, et ne pourroit servir qu'en cas que je fusse resserré, et ne peusse avoir commerce avec mes véritables nniis.

La première chose donc qu'il faudroit tenter seroit que ma mère, ma fifMnme, ceux de mes frères qui seroient en liberté, le marquis de Cliarost et mes autres pare.ns proches, fissent par prières et sollici- tations tout ce qu'ils pourmient, premièrement pour me faire avoir un valet avec moy, et ce valet, s'ils en avoient le choix, seroit Valel ; si on ne pouvoit rolitenir. on tenteroit pour Longchamps, sinon pour Courtois ou la Vallée».

Quelques jours après l'avoir obtenu, on feroit instances pour mon cuisinier, et on laisseroit entendre que je ne mange pas, et que Ton ne doit pas refuser cette satisfaction à moins d'avoir quelque mauvais dessein.

Ensuite un demanderoit des li\Tes, peniiission de me parler de mes affaires domestiques qui dépérissent, ce dont j'ai seul connois- sance. On tascheroit de m'envoyer Bruant *. Peu de temps après on diroit qiuî je suis malade, et on tascheroit d'obtenir que Pecquet mon médecin ordinaire,vinst demeurer avec moi et s'enfermer dans la prison.

On feroit tous les efforts d'avoir commerce par le moyen des au- tres prisonniers, s*il y en avoit au mesme lieu, ou en gagnant les gardes; ce qui se fait toiyours avec "un peu de temps, d'argent et d'application.

Il faudroit laisser passer deux ou trois mois dans ces premières poursuites, sans qu'il parût autre chose que des sollicitations de pa- rents proches, et saas qu'aucun autre de nos amis fist paroistre de mécontentement qui pust avoir des suites, si on se contentoit de nous tenir resserrés, sans faire autn» perstMîution.

Mais né^intmoins cependant il faudroit voir tous ceux (|ue l'al- liance», l'amitié et la reconnoissance obligent d'estre dans nos inté-

* Cette phrase a été remplacée par la suivante : Si j'estais donc pritotniêr et que Fan euti la liberté de me parler, je donneray les ordres de là, elc.

* ^ote ajoutée par les commissaires : Ce la Vallée est le palet de clutmbre qui sert M. Fouquetà Vincennes.

' Bruant des Carrières, un des principaux commis de Fouquet.

* Le sieur Pecquet, médecin, est auprès de Fouquet depuis sa détention. note des cotHtnitsaireM,)

492 APPENDICE.

resls, pour s'en assurer et les engager de plus en plus à savoir d'eux jusqu'où ils voudroient aller.

Madame du Plessis-Bellière, à qui je me fie de tout, et pour qui je n'ai jamais eu aucun secret ni aucune réserve, seroit cello qu'il fau- droit cx)nsulter sur toutes choses, et suivre ses ordres si elle esloil en liberté, et rnesme la prier de se mettre en lieu seur.

Elle connoist mes véritables amis, et peut-estre qu'il y en a qui auroîent honte de manquer aux choses qui seroient propos<*e$ ponr moi de sa part.

Quand on auroit bien pris ses mesures, qu'il se fust passé environ ce temps de trois mois à obtenir de petits soulagements dans m;i prison, le premier pas seroit de faire que M. le comte de Charost allast à Calais; qu'il mist sa garnison en bon estât; qu'il fist travailler à réparer sa place et s'y linst sans en partir pour quoi que ce fust. Si le marquis de Charost n'estoit point en quartier de sa charge de ca- pitaine des gardes, il se retireroit aussi à Calais avec M. son père el y meneroit ma fille, laquelle il faudroit que madame du Plesi^is fist souvenir, en cette occasion, de toutes les obligations qu'elle m'a, de l'honneur qu elle peut acquérir en tenant par ses caresses, par ses prières et sa conduite son beau-père et son mari dans mes intérests. sans qu'il entrast en aucun tempérament là-dessus.

Si M. de Bar, qui est homme de grand mérite, qui a beaucoup d'honneur et de fidélité, qui a eu la mesme protection autrefois que nous et qui m*a donné des paroles formelles de son amitié, vouloit aussi se tenir dans la citadelle d'Amiens, et y mettre un peu de monde extraordinaire et de munitions, sans rien faire iiêantnioins que de confirmer M. le comte de Charost et s'assurer encore de ses amis et du crédit qu'il m'a dit avoir sur M. de Bellebrune, gouverneur de Hesdin ^ et sur M. de Mondejeu, gouverneur d'Arras. (La phrase est ainsi coupée dans le manuscrit.)

Je ne doute point que madame du Plessis-Bellière n'obtinst de M. de Bar tout ce que dessus, et à plus forte raison de M. le marquis de Créquy, que je souhaiterois faire le mesme personnage et se tenir dans sa place.

Je suis assuré que M. le marquis de Feuquières feroit le mesme au moindre mot qu'on luy en diroit.

* Olle phrase, qu'il m'a dit aroir sur M. de Bellebruue, gouvernent de iieAdtn. été rayée et remplacée par celle-ci : qnUl a iw le commandent dn Hnrre.

APPENDICE. 495

M. le marquis de Créquy pourroil l'aire souvenir M. Fabert de^ paroles fonTielles qu'il m'a données et à luy par escrist d'estre dans mes inlérests, et la marque qu'il faudroit luy en demander, s'il per- sistoil en œtte volonté, sei'oit que luy et M. de Fal)ert escrivissent à Son Emincnce en ma faveur fort pressamment pour obtenir ma li- berté ; qu'il promist d'eslre ma caution de ne rien entreprendre, et s'il ne pouvoit rien obtenir, qu'il insinuast que tous les gouverneurs ci-dessus nommés donneroient aussi leur parole pour moy. Et en cas que M. de Fiibert ne voulust pas pousser l'affaire et s'engager si avant, M. le marquis de Créquy pourruit agir et faire des efforts en son nom et [au nom] de tous lesdits gouverneurs par lettres, et se tenant clans leurs places.

Peut-estre M. d'Kstradès ne refuseroit pas aussi une première ten- tative.

Je n'ay point dit cy-dessus la première cbose de toutes par il faudroit commencer, mais fort secrettement, qui seroit d'envoyer au moment de nostrc détention les gentilshommes de nos amis et qui sont assurez, comme du Fresne, La Garde, Devanx, Bellegarde et ve\x\ dont ils voudroienl respondre, pour se jetter sansesclat dansHam*.

M. le chevalier de Maupeou pourroit donner des sergens assure/ et y faire Hier quelques soldats tant de si» compagnie que de celles d<î ses amis -.

Et connne il y a grande appiuena^ que le premier efl'ort seroi' contre Ilam s, que l'on Uischeroit de surprendre, et que M. le mar- quis dHocquincourt même, qui est voisin, iwurroit observer ce qui s'y ixïsse pour en donner avisa la cour, il faudroit dès les premiei's moments que M. le marquis de Crécjuy envoyast des hommes le plus (|u'il pourroit, sans faire néantmoins rien mal à propos*.

* Celte phrase a été modifiée dans la seconde rédaction, depuis comme du Frfune jusqu'à dan» Ham, et remplacée par la suivante : éanti ItellitU^ M, de Brancas, auquel je me confie entièrement, auroit la principale conduite de tout arec madame du Plessia.

* Les derniers mots de la phrase, depuis tant de ml compagnie, ont été sup> primés.

' La seconde rédaction porte en interligne : Bellule et Concarnau, au lieu de Ilam qui a été cirucé.

* Cette phrase, depuis : et que M. le marquis dHocquincourt, a été bilTée et remplacée par celle-ci : el que M. le marenchal de la Ueilleruye, quoi- qu'il m'ait donné parole d'entre dans mes intéresit envers et contre tous en pré- st'Hcede M. de Brancas et de madame du Plessis, n'en userait peut-estre pêê trop

i

494 APPENDICE.

Que Ik'vaux y iiiist des cavaliei^, et en un mot que la pkice lu:»! munie de tout*.

Il faudmit pour cet effet envoyer un homme en dili^enc^e à 0»n- ciirnau trouver Deslandes, dont je connois le cœur, rexpérieiici» «îl la fidélité, iM)ur luy donner advis de mon emprisonueiiient et oniii» de ne rien faire d'esrlal en sii province ; ne |)ouil jiarler t;t s<? UMiir en repos, crainte que d*en user autrement ne donnasl occasion de nous faire nostre procès et nous pousser ; mais il pouri'oît, sans diix» mot, forlilier sa place d'lioumu>s, de munitions i\v toutes sc»rtes, retirer les vaisseaux qu'il auroità la mer, et tenir toutes les affaires en bon estât, acheter des clievaux et autres choses, pour s'en senir quand il seroit temps.

Il faudroit aussi dépesclier un courrier à madame la luarquise d'Asserac, et la prier de donner les ordres à l'Isle-Dieu qu'elle jii^çe- roit à propos pour exécuter ce qu'elle manderoit do Paris elle viendroit conférer avec madame du Plessis.

Ce qu'elle pourroit faire seroit de faire venir quelques vaisseaux à risle-Dieu*, pour porter des hommes et des munitions il seroit l)esoin, à Concarnau ou à Tombelaiue*, et faire les choses qui lui seroienl dites et qu'elle pourroit mieux exécuter (|ue d'autres, pour et; qu'elle a du cœur, de TaffetHion, du pouvoir, et que l'on s'y doibt entièrement lier, et qu'elle ne seroit pas suspecte. C'est pounjuoy il faudroit qu'elle observast une grande modération dans ses pa- roles.

Il seroit imiM)rlant cpie du Fresne fusl advcrty de se tenir à Tom- helaine *, y mettre le nombre d'hommes, d'armes, et de munitions et

bien, a fauitroit attvertir Deslamlfs de prendre des hommex le plu» qu'il pourrait, snm faire nêantmoins rien de mal à propos. On doit se rappeler que le marquis ti'IIocquincoui t avait remplacé le maréchal, son père, comme gouverneur de Péronne, que le maréchal de la Meillerayc était gouverneur de Bretagne, et Deslandes, gouverneur de Concarneau. La substitution de Belle-Isle à Haïti a rendu ces changements nécessaires dans la suite du projet.

' Ce paragraphe a été complètement supprimé.

- II y avait, dans la première rédaction, an Cro'ml (auj. Croisic.'.

"^ Tombolaine est une petite lie située prés du mont Saint-Michel. Daii;^ la seconde rédaction, Fouquet a remplacé à Concarnau et Ttnnbelaine par ce^ mots : faire accommoder Saint-Michel et Tombetaine.

* Fouquet a remplacé ce membre de phrase par le suivant : // seroil impor- tant que ceux qui commandent dans Saint-Michel et Tombetaine Boient adrrrtiti de s'y tenir.

APPENDICE. iU5

vivjos Jiéccbsaires, et ie plus iniporUmt e^t d'y laire des l'ours et y niotlre de la farine, afin de n'avoir pas besoin d*aller ailleurs cher- cher des vivres, ledit heu de Tonibelaine pouvant estre de grande utilité coniine il sera dit cy-après.

Si madame du Plessis se trouvoit obligée de sortir de Paris, il fau- droit, après avoir donné ordre à son mesnage qu elle allast dcUiî> rîibl)aye du Pont-aux-Dames s*enrenncr quelque temps* pour y conférer et donner les ordres aux gens dont on se voudroit servir.

Prendre garde surtout à w \mni escrire aucune chose im|H)rtiuite par la poste, mais envoyer partout des hommes exprés, soit ci»valiei*s, ou gens de pied, on religieux.

Le Père des Champs-Neufs ifa pas tout le secret et toute la disciii- tion néa»ssaire'; mais je suis tout à fait certain de son alïiHrtion, et il pomToil estre employé à (juelque chose de ce conunerce de letli-es par des jésuites de maison en maison.

Ceux du conseil descpiels il se faudroit servir sur tous les autres, ccîseroientM. de Brancas, MM. de Langlade et de Gourville, lescjuels assurément m'ayant beaucoup d'oliligation^, et ayant esprouvé leur conduite (;t leur fidélité en diverses rencontres, et leur avîuil confié le secret de toutes mes aflaires, ils sont plus capables d'agir que d'autres, et de s'assurer des amis qu'ils connoissent obligés à ne me pas abandonner.

J'ay beaucoup de confiance en raflection de M. le duc de la Uoclie- l'oucauld et en sa capacité ; il m'a donné des paroles si précises (festre daiis mes intérests en boime ou mauvaise fortune, envers et contre tous, cpie comme il est h(Mnme d'honneur et recomioissant la manière dont j'ay vescu avec luy et des services que j'ay eu Tinten- lion de luy rendre, je suis persuadé (|ue lui et M. de Marsillac ne me UKURiueroient pas à jamais.

Je dis la mesme chose de M. le duc de Bournonviile, letjuel as* seui-ément seroit capable de bien agir en diverses rencontres, oi je

' Dans la seconde iiklaction ces niuli», Utins fabhaye du Pont-aux-DamcB, ont t'iê bilfts cl renriplacés par celte plira^e : qu'clie allast n'enfermer qnelqve lempa daHH ta citadelle d'Amcim on de Verdun.

* Cette phrase i été ainsi modifiée : n'a pas de Ivy-meime toute ta circoiuprc- tioH Hécessairr.

^ Fouquet a changé ainsi cette phrase : M. de Braucas, MM. de Isanfflale rt de Gouri'Ule m* ont beaucoup tToltligation.

4% APPENDICE.

lie doute pas qu'il ne portast avec chaleur toutes les (paroles que Ton voudroit au roy, à la reyne et à M. le cardinal, pour obtenir nia lii)erté et représenter les soins que j'ay pris de contenir dans le de- voir un grand nombre d'amis que j'ay, qui peut-estre se seroient esclia])pés.

M. le duc de Boumonville pourroit encore agir sons main au par- lement prés de ses amis pour me les conserver et eiTipes<*her qu'il ne se fist rien à mon préjudice.

On peut confier à M. de Boumonville toutes choses sur sa parole.

Je ne serois pas d'advis néantmoins que le parlemeut s'assemblast pour nie redemander avec trop de chaleur, mais tout au plus une l'ois ou deux par bienséance, pour dire qu'il en faut supplier le roy, et il seroit très-important que de cela mes amis en fussent advertis au plus tost, particuhèreinent M. de Harlay, que j'estime mi des plus fidèles et des iiieillcurs amis que j'aye, et MM. de Maupeou, Miroii cl Jannart, de crainte que Ton ne prist le parti de dire que le roy vt»ul me faire mon procès et que cela ne mist l'affaire en pires termes.

Pour les alTaires qui jwurroient survenir de cette nature, lesdiL< sieurs de Harlay, de Maui>eou, Miron, Jannart et M. CIninutdevroieut estrc* consultez, estant très-c4ipid}les et fidèles.

llfaudroil que quelqu'un prist grand soin de bien eschauffer k*dit sieur Jannart, mon substitut, le piaillant d'honneur et de reçoit- noissance, pour ce que c'est un des plus agissans et des plus c<i|Kdi!o> hommes que je coimoisse en alTaires du palais.

Une chose importante est dadvertir mes aiiiisqui couimandeiil â liant \ à Goiicamau, à Tonibelaine, que les ordres de madame du Plessis doivent estre exécutés comme les miens.

M. Chanut me feroit un singulier plaisir de venir prejulre une chambre au logis sera ma femme pour lui donner coastMl en toute sa conduite et qu'elle y prenne créance entière et ne fasse rien sans son ad vis.

Une des chos(;s les plus nécessaires à observer est que M. L;ni- glade et M. de Gourviile sortent de Paris, se mettent en sûreté, fa^- sent sçavoir de leurs nouvelles à madame du Plessis, au marquis de Créiiuy, à M. de Brancas et autres, et qu'ils laissent à Paris quelque

' Ce mol a été effacé dans la sccoAde rédaction el remplacé par Briiisir,

APPENDICE. 407

homme de leur coimoissance capable d'exécuter quelque entreprise considérable, s'il en estoit besoin *.

Il est bon que mes amis soient advertis que M. le conunandeur de Neuf-€haise* me doibt le rétablissement de sa fortune; que sa charge de vice-admiral a esté payée des deniers que je luy ay donnés par les mains de madame du Plessis, et que jamais un homme n'a donné des paroles plus Tonnelles que luy d'estre dans mes intérests en tout temps, sans distinction et sans réserve envers et contre tous.

Qu'il est iuiportant que quelques-uns d'entre eux luy parlent el voient la situation de son esprit, non pas qu'il fust à propos qu'il se déclarast pour moy ; car de ce moment il seroit tout à fait inca- pable de me servir ; mais comme les principaux establtssements sur lesquels je me fonde sont maritimes, comme Belie-lsle, Goncarnau* le Havre et Calais, il est bien asseuré que le commandement des vais' seaux tombant entre ses mains, il pourroit nous servir bien utile- ment en ne faisant rien, et lorsqu'il seroit en mer trouvant des'dif- ticultez qui ne manquent jamais quand on veut.

11 faudroit que M. de Guinant, lequel a beaucoup de connoissancc de la mer et auquel je me iie,contribuast à munir toutes nos places des choses nécessaires et des honunes qui seroient levez par les oi- dres de Gourville, ou des gens cy-dessus nonmiez, et c'est pour- quoi il seroit important qu'il fusl adverty de se rendre Belle-lsie *.

Gomme l'argent seroit nécessaire pour toutes ces dépenses, je laisseray ordre au commandant de Beile-lsle d'eu domier autant qu'il en aura sur les ordres dt» madame du Plessis, de M. de Braiicas, de M. d'Agde*, ou de M. de Gourville; mais il le faut n\(»snager, et que mes iunis en empruntent partout pour n'en pas manquer.

M. d'Andilly est de mt»s amis et un pourroit syavoir de luy en quoy il peut servir; en tout cas, il eschauffera M. de Feuquières, qui sans doute agira bien.

M. d'Agde^ par sous main-conduira de grandes négociations, et dans le parlement sur d'autres sujets que le mien, et mesme par

* Ici commence la partiedu projet écrite en 1658, après racqui&ilion de Ltelle- Isle, et le nom de cette place se trouve dans le corps même de l'écrit.

' On écrit ordinairement Heuckène.

^ Fouquet avait ajouté: ou au Hapir; mais il a efiacc ces mots.

* le nom a été ajouté en interligne.

Louis Fouquet, alors coadjuteur de l'évéque d\4gde, était en même temps conseiller du parlement de Paris.

I. 5!2

\

4U8 Al*l>ENl)ICE.

iiien) atiiîs ai»ïseiirês iluiu» \es autres |)arkn lient:», «hi lie iiuiiiqui! jamais de matière, à roccasion des levées (impôts), de donner des arresis et troubler lt»s receptes ; ce qui fait que l'on n'est i>as sy liardy dans ces temps-là à pousser une violence, et ou ne veut pus avoir tant d*an'aircs à la l'ois.

Le clergé peut encore par son moyen, et de .M. de Narbonite', l'ouniir des occ^'isions d affaires en si grand nombre que Ton voudra, eu demandant les estais généraux avec la noblesse, ou des conciles nationaux, qu'ils pourroient convoquer d eux-mesmes en lieux esloi- gnez des troupes et y pix>poser mille matières délicates.

M. de la Salle, qui doibt avoir connoissance de tous les secours (|u\)n peut tirer par nos correspondances des autres royaumes et Kstats, y \ye\ii aussy estre employé et donner des assistances à nos plaa's.

Voilà Testât il faudroit mettre les choses, sans faire d^autres piis, si on se contentoit de me tenir prisonnier; mais si on passoil outre et que Ton voulust faire mon procez, il faudroit faire d'autres pas. Et après que tous les gouverneurs auroient escrit à S. Ém. pour demander ma liberté, avec termes pressans comme me> amis, s'ils n'obtenoient promptement Teffet de leur demande et que Ton coiitinuast à faire la moindre procédure, il faudroit en ce cas moiistrer leur bonne volonté, et commencer tout d'un coup, sous divers prétextes dc^ ce qui leur seroit deub, à arrester tous les de- niers des receptes, non-seuleinent de leui-s places, mais des lieux leurs garnisons pourroioni auirre, laire faire nouveau senueni à tous leurs blliciei'sct soldats, melire dehors tous les habitants ou soldats susiMîcls peu à peu, et publier un manifeste contre Toppn»»- sion et la violence du gouvernement.

C'est en ce cas Guinant pouri-oil avec ses ciiMj * Yaisseaux, s'as- seuraiiten diligence du plus grand nombre d'hommes qu'il pourroil, matelots et soldats, principalement estrangers, prendre tous les vais- feiMiux qu'il rencontreroit dans la rivière du Havre à Rouen, et par loule la coste, et mettre les uns pour biiislosls et des autres en faire des vîiiiseaux de guerre, en sorte qu'il auroil une petite armée assez considérable retraite en de bons ports, et y mèneroit toutes les

' François Fouquet, qui n'était encore en 1658 que coa^juteur de Tardie- vùque de Narbonne. * Fouquet a reinplûcé ses ânq par quelques.

APPENDICE. Wi

iiiaix;liuiiilis(^ doiil (in pourroil faire ai'gent, dont il i'audroil que les jçuuvemeui-s lussent advertis pour avoir créance en luy et luy don- ner rclraile et assistance.

Il est impossible, ces choses estant bien conduites, se joi^ant à tous les nial-contens par d'autres intéresls, que l'on ne list une atïairt^ assez forte pour tenir les choses longtemps en balance et en venir à une bonne composition , d'autant plus qu'on ne denianderoit que la liberté d'un homme qui donneroit des cautions de ne faire aucun mal.

Je ne dis point qu'il faudroit oster tous mes papiers, mon argent, ma vaisselle et les meubles plus considénibles de mes maisons de Pai'is, de Saint-Mandé, de chez M. Bruant, et les mettre dès le pre- mier jour à couvert dans une ou plusieurs maisons religieuses*, et s'asseui'er d'un procureur au parlement lidéle et zélé, qui jwurroit être donné par M. de Maupeou, le président de la première*.

Je crois que N. le chevalier de Maup(H)u occuperoit dans ce temps- quelque poste advantageux et agiroit comme on voudroit ; mais en tout cas il pourroit choisir à se retirer dans une des places sus- dites avec ses amis.

Une chose qu'il ne faudroit pas mancfuer de tenter sei-oitd'enle\e des plus considérables hommes du conseil, au mesme moment de la rupture, comme M. le Tellier ou quelques autivs de jios ennemis plus considénibles, et bien faire sa partie \)Our la retraite : ce qui n'est pas impossible.

Si on avoit des gens dans Paris assez liaitlis pour un coup consi- déi^le et ({uelqu'un de teste à les i onduire, si les choses veuoient à l'extrémité et i|ue le procès fust bien advancé, ce serait un coup enil)arrassant de prendre de force le rapporteur et les papiei's; ce que M. Jannartou autre de cette (|ualité |)ourroit bien indi({uer, par le moyen de petits grefliers que l'on peut gaigner, et c'c»st une clios** qui a peu estre pratiquée au procès de M. de Clienailles le plus aisé- ment du monde, oik, si les minutes eussent esté prises, il n'y avoit plus de preuves de rien.

M. Pellisson est un honnne d esprit et de fidélité auquel ou peur mit prendre créance et qui pourroit servir utilement à composer les

' Kuuquet a ajouté en inlei ligne et ekti M. 4e BournoèirUie, * Cest-à-dire ée la premitre chambre des enquttee.

i

500 APPENDICE.

maiiiresttfs et autres ouvrages dont on auroit besoin, et porter des paroles secrètes des uns aux autres.

Pour cet eiïct encore, mettre des imprimeurs en lieu seur; il y en aura un à Belle-lsle.

M. le premier président de Lamoignon, (|ui m'a Tobligation tout »>nlière du poste qu'il occupe, auquel il ne seroit jamais parvenu, quelque mérite qu'il ail, si je ne luy en avois donné le dessein, si je ne Pavois cultivé et pris la conduite de tout, avec des soins et appli- cations incroyables, m'a donné tant de paroles de reionnoissance et de mérite, répétées si souvent à M. Chanut, à M. de Langlade et à madame du Plessis-Guenegaud et antres, qut» je ne puis douter qu'il ne list les derniers efforts pour moy; ce qu'il peut faire eu plusieurs façons, en demandant Iny-mesme personnellement ma liberté, en se rendant caution , en faisant connoistre qu'il ne cessera point dVn parler tous les jours qu'il ne Tayt obtenu ; que c'est son affaire : qu'il (|uitteroit plustost sa charge que se départir de cette sollicitation, et faisant avec amitié et avec courage tout ce qu'il faut. Il est asseuiié (|u'il n'y a rien de si facile à luy que d'en venir à bout, pourveu qu'il ne se rebute pas, et que l'on puisse eslre persuadé qu'il aura le der- nier nu^'ontentement si on le refuse, (|u'il parle tous les jours sans relasc-he, et qu'il agisse comme je ferois pour un de mes amis en |>areille occasion et dans une place aussi importante et aussi as- seurée.

M. Amproux, frère de M. Delorme et c/)nseiller au parlement, est de mes amis; il m'a (fuelque obligation. Je ne doute point, estant homme d'honneur, c|u'il uo me serve avec affection et fidélité aux m*casions ; on s'y peut lier.

Son usage est et (sic) an {Kirlement * pour toutes choses, soit en attaquant ou en deffendant ; mesme on le peut consulter sur ce qu'il estimera qui pomToit eslre fait.

Il peut encore servir en Bn;tagne , il a des amis et des habi- tudes, soit pour la conservation de ce qui m'y appartient, ou |M)ur avoir des nouvelles.

Il peut encx)re sçaviiii' ce qui se passe et agir a\ec les gens de la

' La ))iii'ai»e u été. cupiêc textiiellemenl. Fouquel veut dire «ans (Juule qu^ M. Amproux connait bien les usages du parlement et y peut servir pour toutes choses.

APPENDICE. ÎM)1

religion I, <»l voir dans la maison crEstm* ce que Ton y ninchinp, ayant de jurandes habitudes aupi^s de M. l'évesque de Laon.

Madame la première présidente de la chambre des comptes de Bretajoift, qui est s(JDur de madami' du Plessis-Belliére et demeure à Hennés, a des parents et amis an parlement de Bretagne. Je Tay servie en ({iielqne (M'casion, et tant à cause de sa sœur que de mon chef je puis m'asseun^r qu'elle agira avec tidélité et afleclion en ce pays- là. On peut s'y confier pour ce qui regarderoit la Bretagne, on mos establissements me donnent des adl'aires; et il ne faut pas man- quer d'escrire ;i tous mes amis de ces quartiers-là de se réunir, et veiller qu'il ne se passe rien contre mes intérests pendant mon mal- heur.

M. de Cargret (de Kergroel), maistre des requestes, est homme de condition qui m'a promis et donné parole plusieurs fois de nie servir envers et contre tous. Il peut estre d'im grand usage, et pour ladite proviiH>e de Bretagne il a des ann's et des parens dont il m*a respondu, et dans le conseil, les jours que Ton apprendra qu'il g'y dolbt passer quelque chose, et dans le parlement il peut entrer quand on voudra, et parmy les maistres des requestes, si quel- que occagion venoit à les esmouvoir. M. de Harlay peut le faire agir.

M. Pouoquet, conseiller en Bretagne, est celuy de mes parents de cette province auquel j'ay eu plus de confiance, qui a eu la conduite de toutes mes affaires domestiques en ce pays, qui connoist mes amis et mes parens, et auquel on peut prendre créance pour ce quj seroit à faire de ce coslé-là; mesme scait Tanient à peu prés (pi'on y peut trouver. »

A la suite de la transcription du projet, on lit* :

« Et aurions interpellé le respondant de déclarer si lesdictes six dernières feuilles et demie sont escrites entièrement de sa main, mesme les ratures et corrections estant en icelles; à quoy le res- pondant, après avoir veu, leu et teneu à loisir chacune des dictes six feuilles et demie et tout autant que bon luy a semblé, a dit et dé- claré que Tescriture estant en icelles, mesme les ratures et correc- tions estant pareillement sur icelles, estre entièrement de sa main et les avoir escrites de Tescriture dont il >v sert ordinairement.

* 1.68 protestants.

* F* 94 du noAme volume.

I

dti APPE5ni«r

VII i:rf.iTi05« DE Mjio^XE ^AUsf9\ irrc riir<>l FT.

n*.iTab |as sous k>s yeux, kcsqui^ j'ai htiI le chapitre on il est rpie^lioii de irncbme Srarron. VMixn^fitie H, Feiiillel de Condies. iilitJilp (Uuurriei d'un curieux, eUr J ai trouvé dans ce lÎTre m ridie en pmrieux dficuments une nouvelle preuve de b rêsenv que inadauie Srarrou mellail dans ses relations avec Foucpiel. M. Feuillei de Conches cite (p. 514) le passade suivant des Souvr- nirx de madame de Caylus : « Je me souviens d'avoir ouï raconter (|ue madame Scarron étant un jour obligée d'aller parler à M. Foue* qiiet, elle alTecta d'y aller dans une si grande négligence que ses amis étaient luHiteux de l'y mener. Tout le monde sait ce «(u'étail .ilors M. Foucquel, et combien les plus huppées v\ li>s mieux chaus- sées clierchaient à lui plaire,

VIII

I.RTniE AUTOGliAPIie DK MADENOISBLLE DK TRESBSOIf A PA0QUET •.

J'ai indiqué dans une note (p. 404) que les noms étaient changés dans ces lettres de manière n dérouter le lecteur. Je donne ici le texte d*uiie de ces lettres avec les noms de convention :

« Si l'amitié que j'ai pour vous ne se trouvoit pas offensée par les refiroclies que vous me faitesj'aurois pris bien du plaisir à les lire et j'anmis appris avec quelque sentiment de joie l'inquiétude vous

* rapière de Fouquet, Uibl. imp., F. Ilaluze, t. Il, p. 249. \u dos: Mon^ewr momifyr If Prorureur général.

APPENDICE. 505

•Hi^ (le savoir ce qui se passe ici touclianl macleinoiselle de Bel-Atr (mademoiselle do Treseson), puis(|ue assurément ce n'est iK)ml nne marque que vous ayez de rindiffêrenct» pour elle; mais (|uoiquej\>n lasse ce jugement qui ne m'est point désagréable, je ne puis m'em- |>êclier de nf affliger extrêmement que vous en ayez fait un de moi si injuste et si désavantageux ; C4jr je vous assure cpie ce n'est poini manque de conliance ni par aucune pnH)ccupation de ce cùté-ici que j'ai manqué à vous écrire cent petites choses que j'ai cru des baga- telles pour vous et que j'ai fait scrupule de vous mander, de crainte de vous importuner dans les grandes occupations vous êtes tous les jours ; mais enfin puisque je vois que vous avez une bonté ])our moi (|ue je n'aurois osé espérer, quoique j'aie toujours désiré la conti- nuation de votre amitié plus que toutes les choses du monde, je vous dirai qu'il ne se passe rien entre mademoiselle de Bel-Aii' e^ M. du Clos (le duc de Savoie) qui soit désavantageux ni pour vous ni pour elle. Elle a trouvé le moyen de s'en faire craindre et de s'en faire estimer malgré lui. Elle a toujours pris en raillant ce qu'il hi^ a dit de plus sérieux. 11 lui parle tout autant qu'il le peut par Tordre de madame Auberl (Christine de France, dudiesse douairière de Savoie), qui est bien aise que cette demoiselle ait quelque crédit au- près de lui, parce qu'elle n'est ni brouillonne ni ambitieuse et ne lui inspire que de la douœur et de la complaisance, et sur toute chose elle en dépend entièrement, au moins pour ce qui reganle ce pays-ci. Tout le monde est confident de M. du Clos. Vous pouvez juger de si mademoiselle (i^ Bel-Air i>\ (le en nulle façon. Jusqu'ici il ne s'est point passé de chose particulière entre eux, et l'on a toujours su leurs conversations et leurs querelles, quand ils en onl. Celte der- nière chose arrive assez souvent : elle a été une fois huit jours sans lui parler, parce qu'il avoit dit quelque chose de trop libre devant elle. Pendant (*e temps-là, il en passa trois dans une maison de la campagne et manda à madame Aubert qu'il ne reviendroit point auprès d'elle que mademoiselle de Bel-Air ne lui eut pardonné. Du depuis il ne lui est pas arrivé de retomber dans une pareille faute. Toutes les galanteries qu'il peut fain» pour elle, il les fait, comme de musique, de collations et de pi-omenades à cheval. Il lui prête tou- jours ses plus beaux chevaux et lui a fait faire deux èc|uipages fort riches. Je connois bien que toutes ces choses ne seroient pas tout à fait

ê

504 APPENDICE.

propres à faire trouver uii établissement en ce pays-ci, aussi je vous assure que sans TafTaire que savez je les empècherois abscrfumenl: mais je vous avoue que, dans cette pensée, je ne m^applique qu*à sauver ma réputation, aussi bien conune j'ai sauvé mon coeur, qui, jp vous assure, est toujours aussi fidèle comme je vous Tai promis.

Pour ce qui regarde mademoiselle Le Roy(Mar^eriiede Savoie), M. du Clos lui témoigne beaucoup d'amitié et lui parie asses souvent de celle qu'il a pour mademoiselle de Bel- Air, et même une fois il Ta obligée d'envoyer prier cette fille d'aller la voir à son apparte- ment, où elle le trouva avec la musique et une coltation. Il Ta même priée, que quand elle S(*roit sa maîtresse, de l'obliger à se souvenir de lui. Mademoiselle Le Roy lui témoigne beaucoup de coroplaisanre et même de grands respects. Ce n'est pas une personne qui soit beau- coup familière ; elle me parle toutefois bien souvent du voyage que nous allons faire mardi. Elle a grande peur qu1l ne réussisse pas conune nous le souhaitons.

Mandez-moi, s'il vous plait, de quelle manière je dois continuer de vous écrire du lieu nous allons, et soyez persuiulé que mes discours ni mes actions ne seront jamais contraires k Tamitié que je vous ai témoignée. Personne ne parolt ennemi de mademoiselle dt Bêl'Air, et Ton ne lui a voulu faire aucune pièce. Elle en attribue l'obligation à l'amitié de madame Aubert et à celle de M. du Cloi, Il y a ici deux ou trois personnes avec lesquelles j'ai lait une espèce d'amitié, afin de les obliger à m'avertir de tout ce qui se dit de cette demoiselle et les ai priées de ne lui pardonner rien. Madame Aubert lui a donné depuis peu des boucles de diamants. J'ai su depuis huit jours que les perles, dont elle lui avoit fait un présent, venoient de M. du Clos, qui avoit obligé cette dame à les lui donner comme venant d'elle. Je vous assure que la reeonnoissance que j^ai de tous ces soins ne va point an delà de ce qu'elle doit aller.

Je ne crois pas que vous disiez de cette lettre ce que vous avei dit des petits billets que je vous ai écrits, et que vous ne croirei qu'elle vous soit écrite par manière d'acquit. Si elle vous ennuie, pronez-vous-en à vous-même ; car j'aime mieux qu'elle ait ce nud- heur-là que de n'éviter pas celui de vous donner .sujet de croire que je sois capable de vous oublier.

Je ne rrois pas que je puisse écrire ce voyage à madame du huer (madame du Plessis-Belliére), car l'ordinaire est près de partir. S>

ADDITIONS ET CORRECTIONS. 505

vous voidez m'ohli^er extrêmement, vous lui conseillerez comme de vous-même de menvoyer une jupe comme Ton les porte, sans or ni argent. I/on ne trouve ici quoi que ce puisse être. Je vous demande panlon de cette commission i^t vous rends mille renierciments des offels que j'ai reçus de votre part. Je les ai presque tous donnés :• mademoiselle le Boy. Adieu, je votis demande paixlon de vous avoir donné sujet de penser que j(» \w vous aime ])as plus que toutes les personnes du monde.

Si le mariage que savez s'accorde, je vous supplierai de prendre la peine d'écrire à madame Anberly afin (|u'elle donne mademoiselle de Bel' Air à mademoiselle le Roy. Je ne puis bien démêler vos lettres d'avec celles de madame du Ryer; mais, depuis que je suis arrivé**, je n'ai manqué que deux voyages à vous écrire à l'un chi à Tautre, |iarce (|ue j'eus peur (|ue les adresses ne fussent pas sûres. J'ai i-eçu toutes les vôIi'cs.j»

ADDITIONS ET COBBECTIONS

Préface, page ^. Il faut ajouter aux ouvrages relatifs au surintendant Pouquot, cités dans la préface, la Vie de Nicolas Fowfuet, par d'Auvigny, dans le tome V des Viet de» hammes iUtutre$,

Page 4. ligne 2i. Premier écuyer de la petite écurie, sez : Premier écuyer de la grande écurie . Page 6. h la fin de la note 1 . ajoutez : à VAfipendiee du tome t*. Page 7, titre courant, lisez 1615, au lieu de 1515.

ligue avanl-deruière, lire : pour le fUSy au lieu de : parle filé. Pa^e tl, note t, lisez 505, au lieu de 563. Pa<:o 26, ligne 16. lisez r que, au liai de : qu. Pafi^e 5'), ligue 10, lisez : ceêt, au lieu de : e'e4. Page 05, note 1 , ajoutez un point après mémoire» et avrii, 1, a fhume, lisez la femme.

Page 85. note 1. Vi^i : ^ 2% et amv.. au lieu de : f^ 296 sq

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-m» IMIIIOSS ET i:'»P.f.£CTIO^>

Pv^ 1%' ttM^ ^' «^ f^^ 1^' ■^''^ I- ^'"«^ te^n4iM»-.4»lk^atf« . >'.

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l'an;» fi», ligne 15, •'iC't b %irs?jle apré» le iiii'4 ^Êttwùnm.

f'a;re £#7. lisnie 7. ItAez . Cl pmr. ae lieu de : £l fvr ^nv.

Pa^ jM. li^nie 14, tmmml êe Imrt est pn*ir cmmI d!r hrime r\ iv«r £«««/ dir /iWJif . ertaune on l'a mp dan$ b note.

l'âge ^15. ligne 1^. ée Vemàême. lisez : Jf. ée Temièmt.

Fai» :%!. iMe t. V99. Mtmém 9 éétewért 16^ 1^ Ai 19 «rrt/ 1(71. li!V7 : r«f . l^l/rr ^M 19 nnl IG71

Pa^'e â64 . ti;.iie atant - dernière : Jammit gmimifmémit me Snmrm ée ermHle* 9s4 an vers de Boilean, Sël. vni. v. tt8.

Page {01. li^nie 11. au lieu de : /..rf memret prâeê far le SHrialem- àmmt m'êllûiemi à riru monu qu'à. etc.. 11*^2 : Les metaret fritet par le tmrÎMtemilant m'êilaiewl pas à maint qu'à. etc.

Paire i04. li^ene li. Tresestm, Xwn parlnut : Tréerum

Pifçe 451. note i. bemier ver« de la citati«>n de Lnref. au beii de: mM- tablé. livz : imimitûbU.

Pafce 4iO, ligne t** et noie I. au lieu de : Jaeqwet Graiméer§e ée Pr/- aiamt, flonl il eyt que«fion dans cette note, il faut lire : Ckarlet le Sart. âetffneur ée Préaiaat, gai fat éans xaile ekaaiMIam ée MamMiemr. ftère ée Ij^mis Xir.

Pa^e 441, note 5. Je n'avais pu dëteniiiner exactement hi position do< PreMMoirM. Toici de*i notr» qui viennent de M, .Aul^ergê. notaire à Fontaine- lileau. et qui donnent sur ce point les détail^ les plus complets : « L'hcMel f\e*i Prewoirs du Roy »t une maison aia<i noronu'-e à cause de deux preisrûrs H cuves «.ue l'on \oit dans un grand corps de Intiment situ«^ Hur le lM>nl de la rivit'TC de Seine, du côté de la Brie, à cinq quarts de lieue de Fontainebleau, et que les chiffres et devises de François !•' qno l'on y voit sur h s murs font attriliuerà ce roi. qui. chaasrnt. dit-on. dans la forêt un cerf qui pas.sa l'enu n l'endnMt est bàlie celte maisou, er ayant une soif extnHne, envoya dans une maison voisine demander du vin, qui lui parut si bon, qu'il acheta aussitôt cinquante arpens de letre et plus, de Vendroit d'oi'i on lui dit qu'il pmvenoil; les fit planter de nouvelles vignes choisies) dans les vignobles de France les plas exquis, et fit ba«tir ces cuves et pi-essoirs que l'on nomma Pressoirs du Roy.

ADDITIONS ET CORRECTIONS. r.07

« On conscrvo en celle ni.iisoi) le lit de la belle Gabrielle (I'EsIiVm's. <|ni y lofîeoit sonvent avec Henry. »

(Extrait de la Description historique de Fontainebleau. par i abbi» Gnilbert. Paris. 1751, 2 vol.; 1. 11, p. i44;j

« Olle maison les Prcssoii's du lloy) fut vendue [>ar Henry le Grand à Nicolas Jaccpiinol, son premier valet de chamlii'e, le dernier jour de titîcembre 1597. Depuis ce lem|)s-là, le sieur Jacquinot et ses descendanis en ont toujoui^s joui jusqu'au t!5 juin 173^2, époque à iaquclie Claude- Anne de Rreuillard de Coui^an, seul liéritier de défunte Marie- Anne .lar^piinot. veuve de Charles de Barvilie, vendit cette maison et les liéri- lag(»s qui en dépendaient à IMiilippe le Reboullet, trésorier de feu moii- seifîuein* le comte de Toulouse, qui y fit des dépenses considérables.

a Elle est passée ensuite dans la maison Dusaillan. et aujourd'hui (1857 ; elle appartient à M. le comte de Traversay. d

(Extrait de la Salamandre ou Histoire abrégée de Fontainebleau, par Mion, p. 14^1. Fontainebleau, 1857, 1 vol. in-1'2.)

« Aujourd'hui, les Pressoii"s sont une maison de campagne sur la rive droite de la Seine, dépendant de la commune de Samoreau, canton de Fontainebleau.

« Les Pressoii*s n'ont jamais appartenu à Fouquet. Ils étaient possédas nu temps de sa splendeur par la famille Jaa{uinot, ainsi qu'on l'a vu ciwlessus. Il a pu y venir, comme le témoigne mademoiselle de Scudéri. dans les voyages qu'il faisait à Fontainebleau avec la cour. Il existe au château de Fontainebleau un cor[)S d'hôtel, appelé la Surintendance des Finances, qui sen'ait au Ibgement exclusif du surintendant. \je nom de Fouquet, connue souvenir de c^lle destination, s'y l'attache particulière- ment. »

Page 45t2, ligne 7. En 1058, la Fontaine adressa à Fouquet une longue épitre dédicatoire pour lui offnrson poème Adonis^. « Votre esprit, lui disait-il, est doué de tant de lumières, et fait voir un goiU si exquis et si délicat pour tous nos ouvrages, particulièrement pour le bel art de célébrer les hommes qui vous ressemblent avec le langage des dieux, que \\c\i de personnes seroient capables de vous satisfaiiv. » Plus loin, la Fontaine, parlant des sentiments de tout ce qu'il y a d'honnêtes gens en France |)our Kou(|uet. dit : a Vous les contraignez par une douce violence de vous aimer.)» Il termine en rap|>elantavec quelle vivacité l'affection gé- nérale pour Fouquet avait éclaté à l'occasion de la maladie que le surin- tendant avait éprouvée en 1658- et dont nous avons parlé ci-dessus, p. 394-395.

* (F.wres de lu Fnntûitie, édit. Walckonapr, t. VI, p. SiO et siiiv. Paris, le-

PIX DO PREMIER VOLrilE.

TABLE DES MATIÈRES

PiiKFACL. Nt'cessiU^ d'uiio iHude complète sur la vie du suriiileudant Kouf|uet el de son Irére l'ablié. Souixies de cet ouvrajfp : utilité des lettres de Mazariii el des papiers de Fouquet conserves à la Biblio- thèque impériale. Division de la vie el des Mémoii*es de Fouquei en quatre parties i

CHAPirnE PREMIER (itis-iMO^

Famille di* Nicolas Fouquet. Il devient maître des requêtes {i«55^ Il est intendant dans l'année du nord de la France et ensuite dans la généralité de Grenoble. Sa disgrftcc en 1644. Il est de nouveau nommé intendant en 1647. Son rôle pendant la première Fronde en 1018 et 1649. 11 acbèti» la cliar^^e de procureur général au par- lement de Paiis ,1650^, et en prend possession an mois de novembre delà méine année. Puissance du parlement de Paris à cette époque. Caractèiv du pi*emier président Mathieu Mole et d'autres magistrats du parlement. Rôle diflicile de Nicolas Fouquet. Défauts du parle- ment considéré comme cor[)s politique. ConirasU* avec la conduite habile de Mazarin. Nicolas Fouquet s'attache à ce dernier et lui i-este lidèlc fiendant toute la Fronde 1

CHAPITRE II iMi-iMs)

Mazarin sort de France (niai-s 1651) ; son découragement. Service* que lui rendirent en cette rii-constance Nicolas et Basile Fouquet.

I

ilO ' TABLE DES MATIÈRES.

Caractère dv œ (It'rnior. Il brave Ips (Iuii{^m*i*s imuii* s«» iviicJiv pri> du cardinal! avril-mai 1651). Le pi*ociiiviir pênéral, Nicolas FoiiquH. s'opiKisc à la saisie d(*s meubles de Mazarin. Eflrort.s des Kouquel IKHU* n»m|»r(î la toalili )U des deux Fi'ondes. Ils y i*êii!ssi?i9<eiit (juin 1051^ Teulativesfiour gagner à la cause de Mazariii qudqurs membres du parlement. Négociations de l'abbé Fouqiict avec le duc i\v. Bouillon et TunMine sou frère , qui se rallient à la raiist» royale (déwmbre 1051). Mazarin rentre en France et rejoint la cour (jan- vier 1052). Turenno prend le comniajidemeut de ^on année (février 1052). Dbiposilions de la l.ourg(M>isie difréi*en1cs de celles du i»ai1«'- ment. Influence d(»s renlieis dans Paris. Kùle du coadjuletir Paul de (iondi ; il est nouuné cardinal (H'-vrier 1G52'. Efforts inu- tiles de l'abbé Fompiet pour ga^^ner Gaston d'Orlêiins. Nêgot-ia- lions avec (lliavigny. Inqmrlance du rôle de ce dernier |>ciidant la Fronde 18

CIIAPlTllE 111

Bôle de Cliavigny |»eiidant la Fronde : son ambition; il es>t.cinpriM»nné. puis exilé en 10i8. lntrigiM*s de Cliavigny et de Claude de Saint- Simon i)Our ivnvei-ser Mazaiin (1049). Erirur du duc de Saiiil-:>ini<ui. auteur d(?s Mémoires, ivlativement aux ivlations fie sou |h>iv av«x: Clia- vigny. — Claude de Saint-Simon dierclie à s'appuyer sur le jirimv de Coudé |M>ur enlever le |Miuvoir à Mazarin. MéiiM»ire l'édité par Clia- vigny dans ce but. Mazarin parvient à déjouer les iutrif:ues de h'> ennemis. Arrestation et emprisonnement du prince de Coudé (1U50).

Cliavigny et Saint-Simon s'éloignent de Paris 30

CHAPITRE lY IAS1-165S

Ketour de Cliavigny à Paris en 1051 ; il entre dans le miuislèiv formé en avril 1051 et est attacpié par le cardinal de Betz. Courte durée de ce ministère. (îliavigny entame des négociations avei': Mazarin

(janvier 1652) par l'intermédiaiit» de Fabert et de l'abln* Fouquei.

Arrivée des troupes espagnoles à Paris (5 mars 1652). F«>tes et émeutes. Prise d'Angers par l'arniée myale (7 mai-s). ^ Violences du parti des princes dans Paris. Éineute du 25 mai's. Inquiétude* de Mazarin. L'ablM» Fouquet fait allicber des placards contre Coudé.

Arriver de (joiulé à l'année (h' avril). Combat de Bieneau (0 avril). Condé vient à Paris (11 avril). Il se rend au pariemeii^

( 12 avril). Paioles «|ue lui adivssc le président le Bailleul. Li»

procureur général Fouquet attaque le manifeste du princi* de Condé (17 avril). Les prina^ sont mal accueillis à la cliambre des comptes et à la cour des aides ^22 et 25 avril). Dispositions peu favorables

de l'Hôtel de Ville. An*cstation de l'abbé Fouquet (24 avril). Us

campagnes sont d('*s )l(V*s par les troupes des deux partis. Deslnictioii

TABLE DES MATtËRËS. 511

dcî* huivaiix iltMihw. l'iaiiiles du pirvôl des iiiarcliaiids aili*eîisées au parlement (20 avril). Los princes foiVA»s de néj^'CK'Jer avec la coin- ('28 avril). État misérable de l*ai*is. On eugajre le peuple à sccouei- le joug lie» princes , 58

CHAPITRE V AvniL-MAi im

Nêfîocialions des ])rini'i>s avec, la cour : Kolian, CUavi^cny et Goulas à Sainl-Germain (28-49 avril). Prétentions des princes et de leui*s députt's. Mauvais succès de ces négociations. MéauilcMitement de (>)ndé, du j»arlenicnt et du (ordinal de Uelz. Mission secrêlc de (îourville (mai t652), propositions dont il esl chargé. Mazarin ixîfuse de l(»t> accepter; lettre confidentielle du cardinal à r«ibhé Fouquel (5 mai). Madame de Châtillon continue de négocier au nom de Vjondé ; caractère de cette dame ; elle se fait donner par Coudé la terre dt; Merlou. Mazarin profite de toutes ces négociations et divise de plus en plus ses ennemis. Le pnHôl des marcliau.'s est maltraité par la ]X)pulace. La lK>urgeoisie prend les armes (5 mai). Défaite de farméc des princes à Étampcs (5 mai). Le parlement envoie le pi'ocui'cur général, Nicolas Kouquet. à Saint-Gcnnain. Hai*angue •pi'il atli'esse au nn. Nouvel! mission de Fouquet à Saint-Ger- main (lO-li mai). Relation qu'il en fait au parlement (10 mai). Les princes rompent U^ négociations avec la cour et reprennent les annes 70

CHAPITRE VI MAI-JUIN i6ss;

Coudé .s empare de la ville de Saint-Denis (il mai), qui est bientôt re|>rise par l'armée royale(13 mai). Les])rincess'adn*ssent au duc de LoiTaine. ({ui savancejus<prà Lagnyù la lèle d'une i»elilcarmé<\ Sonarriv«''e à Paris (l*'.juin). Caractère de ce duc et de ses troupes. Frivolili» apparente du duc de IiOn*aine. Ses temporisai ions affectées. Il négocie avec la cour par l'intermédiaire de madame de Chevreusc e' de l'abbé Foucfuel. Intimité tie l'abb:* Fonqiiet avec mademoiselle de Clie>Teuse. I^Mtre de lablr Fouquet à Mazarin (4 juin) sur le» négociations de madame de (Chevreusc avec le duc de Loirainc. Ix'ttre dcî Mazarin à madame de Clievreus (5 juin . Traité signé avec le duc de Lorraine ^fl juin). Part (|u y a la princesse de G\u*~ menée (Anne de Roban). Le duc de Lorraine s'éloigne de Paris. Misère de cette villiv PiiK'ession de la châsse de sainte Geneviève 11 juin). Conduite du prince de (k)iKlé à cette occasion. > Mur- mures et menaces amlre le parlement. Violences exei-cé^cs contre le?» conseillers (21 juin). Mazarin encourage l'abbé Fouquet à exciter le IH'uple contre le pailcment. Tunudtc <lu 25 juin. Danger que court le |>rocurcur général Nicolas Fouifuet. Les deux années se rap- prochent de Paris 95

i

TABLS DES «ATlËREb.

CHAI'ITKE Vil (niun i«u)

SundH' dr l'amm' di'sprinEGK sou» W* murs de Paria (3 juillet), {hiiiiié fiar Nicolas Foih|upI. L'aiimSc dei priii<;rs rst uitarj Tuiniiir. Escarmouclira au Vint dil fa fiatitielle Ffvmce Ili-oollots. ComlMt de la porlo Saiiil-AiitiHiic Danger du pi

~ I JMidë cl de son armâr. ]l rst fau\é par Madenioisollc de If ÙM'. La paille adopiiic ciinunc signe de rallinnmit fks frond .WHnIilOe Kéiuiralc delHfttpl de Ville (t juillet]. Ttmaliic i die. R^iMan»- des archers de la ville. HeurD'e p uni)s«ill«n. i— L'HMd de Ville ost envahi d pille. Ln duc d Ibrt éloigne la populace el diïlivre Ira i-onseilln-s. liadenHi Xotilpcnsier naure le pn>vU det marchanda. TjTBiiiiic des doits Paris. Élection d'un iiouteau prevùt des tnarcliands ;6 ('«ndaiiiiiBtkin et supplie' de i|uelquoK-uns des wklilitnix. - uitions du pnrlemenl avec cour. Le roi annonce I iiiteni lui},-niT le cardinal Hazurin (H juthel], Opposition dp €oi propositioTiif de la cour [13 juillet). Il continue de iié^iocir lenuiit avu: Xaiariii. Rùle de Nicolas Fouquet el de son tri

CHAI'ITIIE Vlll HILICT-XHIT lUIl

Mi-itiiiire udrcssé purNicuIas Fouqucluu cardinal Haia ri n sur la i i|uulu uuurdoil tenir (14 juillet) : il ex[>o9c le danger de la siiu II) nécessita de prendre di-a mesui'e!' pour annuler les nctes di nient et de l'Hùtel de Ville, doinim's par la raclim de* prima propose de put)lier un maiiileite au luim du roi pour montrer vuisc loi des princes, c|ui, aprfe nvoir demandé et (ditenu l'i nient deHazarin. rcTusent de déposer les annes et sppellmt laK dans l'intéi-icur de la France. Il but exiger que les l'ut-oietil imiDédiateinent leurs députés !• Saint-Denis pour Imi la cour, et en attendant retenir dans cette ville les députés di nient. Nécessité de transTéiTr le parlement bort de Pari» ei lie jcngiier une partie de ses nieinlireï. Faute iiur l'o» a v en ne Ei'u|iposanl pas it la réception de Bolian-t^iahol i n qu duc et pair par lepariciucnt. Lettre de Nicolas Fouqiiel, eu 15 juillet : il expliiiue |>ouii|uoi les députéï du paiHeiiient ne ^ se rendre à Sainl-I>cnis. Nécc^nté d'envi>yer pmmplenn urdres au lurleinent et do prendre une décbtion poui- ou co ih'purt du cardinal Xaiarin. In'licatinii des moyens a einptoy r«ire<ienir t Pontoiieun certain nombre de conseillers du parleîi .trréis du conseil du roi, en date du 18 juillet et du 51 du inâtn qui .innulent les élections de l'HAtel de Ville el translèveiit le pai de Paii» A Pflitinise. Projet de déclaration contre ceui tjiù

TABLE DES MAliÈUES. 515

l'oiil |»;i.s uii\ oiilit^ du roi. Ia^Uiv do >H:ola.s louquel à si-s Md)bli- fnts |Muir lis iiiîuidei' ;i Poiiloise. ('iirciil:«iif du môiii*» aux div<M> liaiiemyiits de Fraiicf. l'aiiiphUMs publiiHi à Paris auUre lu lnuisl:i> lion du parlcHicnl. Le ]»arIi»niont di- l'oul«»isi* souvrc lo 7 aoùl I05'J. •'I doinando IVloi'riieuicul de Mazarin 150

<]HA1'1T1^E IX (JUU-LtT-SKITbMUUt 1 5i

L«' diu" ilOrloans rsl dôtlaiv liculruuiil ^'rurral du n»yaunir el le priiicr dr Condr ^cuêi-alis<%inH' dos ariuéos '20 juillet . Oousi'il élalili par 1rs princes; dis]Hit<s de pr<''s<'ancc' ; duel d<' Ncnioui's ol do BoauforI 30 juillor; querelle de (/ludê et du eonite de Bieux «31 juillet . D(Sordn^ coiiuuis par les troupes des prinets. Mécontentomeut de la l)ourg:eoi$iie parisienne; assendtlêes aux liailes el au ciuieliôre des Innocents 20 août . Mazariii s'éloijrne |K)ur(pielque temps; sa cor- respondance avec les deux Foucpiet. (Ihavipmy négocie avec la cour au nom des princes. Incpiiétude que le canlinal de Betz inspii'c a Mazarin. Belz s<' rend à la coui* :ll seplend>re , et veut traiter avec la reine au nom du duc d'Orléans. Il n'y réussit pas. L'abln.- Fuu<iuet excite la Iwurgcoisie parisienne el négocie avec Chhvigny. Assendilée des bomyeois au Palais-Boyal (24 septembivi; ils se dé- clai*ent antiCrondeui's. Conlërence de l'ablK* Fouqnel avec Coulas 20 seplendu'e,. Il part|)our la cour. On inleixeptc une lettre de l'abbé F'ouquet adress<'e au secrétaire d'Étal le Tellier 151

CIIAPITBE X (octobre mi

I/abbé Fouquet sojjstine à continuer les ué^tTociations avec les prince^.

Sa passion pour la duclu^se de Chàtillon. Mazarin l'avertit vai- nement que le prince» de (kmdé ne veut pas lrait(T sérieusement aNe*.: la cour 5 (H'iobre . Il lui con.»ieille de s'attacher à séjmrer le «lue d'Orléans de ('onde. L'intérêt véritalile du i*oi c^nsi-ille de iv|h>uss<'i- les demandes ûo ce dernier. Mazarin revient avec plus d'iiisi.s|an(-r MU' les mêmes idé«s 1) octobre; il sait |»r»sitivenient que <'iOii<lé «si «'utr«* dans i\o ncmveaux enjraf;«'menls avec les Espa^rnols et leur a \n'o- mis de ne pas traiter avec la France. Madame de (lliâtillon est éjja- lenient dé\oué(» aux Kspaj;iiols. Plaintifs de Mazarin sm* la pitiloii- ;,'^ation de sou exil; il espère que le pnicureur général, Nicolas Fou- quet. déterminera l(> parlement dePontois4* à (Miiclamer sou innoccna*.

Il engage l'ablM' Foutpiet à profiter de la rupture enti*e le prince de Cxtndé et (lliavigiiy |>oui* assurer le succès des négociations avec b- duc d'Orléans. Violence de ('x)ndé euvei*s (lliavigny; maladie et ukm-I de cv dernier II «n-tobre . Erreui*s de Saint*Simon dans le récit de ces faits. Attaques «lirigées à la cour eonti*e l'ablM'î Foutpiel; on lui enlève la direction des négociations avin*. les princi*s. lie pi*ocu- reur général. Nicolas Fouipiet, sc> plaint vivement à Mazarin de la c(ui- duite de^ ministres qui entoui*enl la i*eine et île la rupture des négo-

I.

35

I

:>li TABLb l>Eb HATlbRLS.

cialMuis. Il iHMiM! que l'oii devrait iM-otiler de lu lioiiiie di>|M»>itioii des l»aii>iei!s |HMir ramener le i-oi dans H»n Louvi-e. Le |>arleiiniil siéf,n*ant à IVniluisc est loul entier de cet a\is. er ces! en H»n iK»ni qii é- «ril le pi-ocunnir général ITti

CHAlMTRIi: XI octubki i«:>t,

lui|nif''lnd<' qne les divi>ioii> dn iKUli ntvalis'.e in>|nrenl à Ma/aeiii. Dans .sa n*poiise au procunnu' général 12 f»ctolH*e , il montre qiM* |i- |M'iiice de (loiidé n'a jamais traitélasec sincérité et que. n'espérant pa^ (XNidurc la paix avec lui, il a en référer au con:$eildu roi. Il esl dixfMMé. quant à lui, à demeurer exilé toute sa vie si le service du nn l'exige, et appmuve le pi*ojet de l'amener le l'oi à Paris. Peu cl»- sincérité de «'lie letli-e. Mazarin i^t plus explicite avw l'ablic Fou- quet : il exprinieledr-sir devoir ri)nlinuer les négociations pai*ticulîên -s avec (joulas, et souhaite que Ion détermine 1»» duc d'OHéans à se ir- lirer dans son apanage. Mazann souhaite vivement entrer à Pan> avec le roi; il va se i-endre à Sedan et se temr pivt à ivjoindre la cour, dès qu'il sera néC4'ssaire. Inquiétude (|ue lui in.<)Mi*ent lecaixliual dr Retz et ses relations avec l'hôlel de llhevreuse. L'ablx* Fouqiiet n»- coit d'un des confidents de Mazarin d«s i-enseigneinenlssur les caus«*s i\v sa disgi'âre. Il consene toute la confiance du cardinal, qiii lecliargi' de hâter sfui wtour, au moment la cour «» rap|H*oclic de Paris. Départ de fk)ndé et du duc de l/Oirnine 15 octobre . Knlrn* du mm a Paris (*i1 octobre"! 18*.»

CHAPITRE XII (0CT06BF.-i>£r.EMBRL 16S1

L'ablii' Fouquet i>st chargé par Nazaiin de prépai*cr son retour à Paris, et de .s<»uteiiir ses intérêts aupi*és de la reine Anne d'.Vutriche il uc- (obre;. Nécessité de punir les chefs de la révolte et surtout de faiix- sorlir de Pans le cardinal de Ret2. L'abbé Fouquet doit insister sur ce iwint auprès du pitHiureur général son frère. Mazarin conseille d'envoyer Retz en ambassade à Rome. Il engage l'abLté Fouquet <n se tenir en garde contre les violences de Ret2, qui a juré de se venger de lui. Nouvelles instances de Mazarbi auprès des deux Fouquet IKjur qu'ils disposent les esprits en sa faveur, et que les arrêts du par- lement conti*e lui soient aimulés pai* une déclaraliou i*oyale. Zèle de rabl»é Fouquet et du pi-ocui^eur général pour ruiner les emieiuis de Mazarin, et paiMiculièreinent le cardinal de Retz. Négocialîoiis avec ce prélat; elles sont rompues. Lutte de l'abbé Fouquet contre Retz; il lui tient tête partout et propose de lui enlever rautorité épiscopale dans Paris. Ai*n*stalion du cardinal de Retz (19 déceiubiv . L'abl)é Fouquet en avertit le premier Mazaiin; iniùie du parti de la Fixuide. Services rendus par les deux Fouquet. Leur avidité et leur ambition. Promess4*s de Mazarin ^tt)4

TABLE DES MATIÈRES. 515

r.llAPirRK Mil (jANVIfR-FKVUIKU Irt.-»)

Mnxariii I»>v<» nnr potilo année ol drlivrr la Champagne. Il se joint ù Tiirenne. Klaf «le Pai*is en son aljsence. Divisions entre ses par- tisans. — b'Itre de loTellier à Maxariii. place de stn-intendant de\ient vanuite '2 janvier . Nicolas Fonqnet demande cette place.

Il a |>our coniiwHiteur Abel Servien. (pii est vivement appnyé f»ar pliisieiii-s parli.sans île Mazarin et par la Chambre des comptes. Lt»th'(» adresH'e en celle circonstance à Maxarin par son intendant I. n.<Ion)ert. I/ahbé Fonqiiet soutient son fr^i*e et se plaint vivement de le Tellier. Réconciliation apparente impost'e par MazaHn. Re- tour <lu cardinal:! Paris 5 février). Il fait nonmier 8 février i\oii\ surintendants. Servien et P'ouquet 22*2

ilHAPlTRE XIV (16»

Rôle de Tabbé Fouquet à cette époque; il est chargé sans titre olficiel fie diriger la police; mémoire qu'il adresse à Mazarin sur l'étal de Paris.

Il découvre le complot de Rcrtaul et Ricous contre la vie de Maza- rin, les fait arrêter, surveille leur procès et presie leur condamnation

25 .septembre- 11 octobre . L'abln» Fouquet accus<!' d'avoir voulu faire as.sa.ssiner le prince de Condé; il se diKc.ulpe. Il ne cesse de veiller sur le parti frondeur, et instruit le cardinal des démaVches de mademoiselle de Montpeasier et des relations du cardinal de Rel/ avec le prince de Condé. Attitude du parlement de Paris : ser- vices qu'y rend le pi-ocureur général, Nicolas Fouquet. L'abbé Fou- quel obtient, de l'Hôtel de Ville de Paris, de l'argent cl des vêlements pour l'armée royale. Répression des factieux et dispersion des assemblées séditieuses. L'abbé Fouquet répond aux attaques de se^

ennemis. Mazarin l'a-ssun^ de son amitié 2S9

CHAPITRE XV (iM»-i650

Administration financière {lendant les années 1653 et 1654 racontent par Nicolas Fouquet. Règlement qui détermine les fonctions de chacun dessin-intendants. Envui'sdu récit de Fouquet. Embarras finan- ciers pendant l'aimée 1655, pnnivés par la coiirspondance de Maza- rin et de rA)lbert. Le caixlinal Mazarin .se fait traitant et fournûiseur dj's armées, sous un nom supposa». Les surintendants se montrent d'abord assez difficiles, et C^lliert s'en plahit. Fouquet profite d'une alisence de Servien (t»ctobre 1655: pour réglei' les affaires d'après les dr'sii'sdu rardiiiai. Mazarin exige que ItsdiMix surintendants viven* en paix 262

I

%#fî rmf.i ut* w^Tiffuf:*

l'îfii^n^iir '-^ ^'«firintf*n«(anr ^wîa*T*» F nunvf Immif «ii» f" :n:*mf vw- >nfr«»fi«i iir rianér . T^afiim t#» puirr»» :»•«!' 'aiit inii»n»iiiiir- ié**-

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/strva ^r p^Ufiii ^a ^flkn«. Latbr fo«if|ni»i bii lina»» jxih «ir*^ l .^.ir '1^ far». Tmnfuiliif» •*!» %»arii\. l>» .-iuiniHiK*^ •«. ^* ^^^Tr^ pinw fufSmwi ««t aiaMir« à ^««noiM^. LiiCrre *ii^ lasMin a rabU* f #tfW|RHt ^n 4cic« «fti )4 ifMit -Hvr BÊÊWnxf* a«i»plcc». Vituiier rewr- p«vrf^ par Tanaé^ iraiçMi^ b^ i5 j^mît. Maiaria «ewpn^^e «ir ^ itftfi9N^rt % V»têé 9mi0fnt^ Il np ynmÀ-suh <fne <in tuépr»* potir 1^ mwàê^^^iMm Xxttïn^tvie^ 4t P^rô Fiiife *le Rrtï, «fFii « rertn» ^t» fji^flfn^, p*m â lUfii#». rmir rrvi^nl à far» S «rpl^mU^ . VwrMao réflrl^mPYif pvNir ^ &tyndé9 At» rrtïtwT*, «|iii «oat thtmmrs par 1^ rw «ir rvfif' Me pnfM»«lée par \^ ^rv!%M de* inarciiaiiiK ks rdn^ vpfM H 1^ fti'iii <li»i»4^ %»lk \trf*tti ffnv^iH >4i«««» t^ pnncii>^n\ M#nmf<r^ *ln ^larVii^iH V-i

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CHAPITRK WllE i«s*-i<.î7)

f/lo^r^ doniiiVi U radminii«tr»fiati iïnuncwrc de Fouquet par Mazarin {\W4i). !/• MiviuU'nihnt w plaint de* Piiginces dp Mazarin et «|p <!<»llii'i'(. I^N iHffps dp Mnzarin à(Ioibcrt ppiidant Tannép 1657 proiivriil (\w U' rai'diiial pl M)n intendant in?<istai(*nl saint cesse .'iii)iri'»4 «II» F'MHfm'l fMHir PII olifpfiir de r.irjrpnl, Vaznrin pn^-

i

TABLE l)l!:S SIATJËKES. 517

lùvft dos pols-(l(»-vin sur le? inarcliés. Fonds secrets, ou ordonnances décomptant. Mazarin fait payer par le surintendant ses dettes de joii, Sommes énonnes accumulées en huit ans par Mazarin. Moyens qu'employait Fouquet j)our tromper Servi*>n. Coimivence

de son commis Delorme. Dilapidations de Fouquet 520

CHAPITRE XIX ic5s-if5-)

I/ahbc Fouquet dispose de la police. Anecdote racontée à ce sujet par Gounille. Passion de l'abbé Fou(|uet pour madame de Clifttillon. portrait de cette dame. Son avidité. Elle s'enfuit ù Biiixclles api'ès l'exécution de Berliuit et Bicous. Puis elle l'evient en France et conspire avec le maréchal d'IIocquincourt pour livrer llam et Pi»- ronne à Condé et aux Espapiols. Lettre de la duchesse do Chà- tillon à ce .sujet (17 octobre 1055 ; elle est interceptt'v. La duchesse de Chàtillon est arrêtée et confiée à la jrarde de l'abbé Fouquet. FuiYiirs jalouses de ce dernier. Sc^ne violente qu'il fait à la du- chesse de Chàtillon 'HJ56). Rupture entir labluî Fouquet et ma- dame de Cliàti lion. Di*sespoir de l'ablH'. Il tente de se récon- cilier avec la duchesse, mais sans sucuîés. Fin de madame de ('.hft- tillon r»5i

t'.IIAPITBE XX (1657)

Famille d<» Nicolas Fouquel. Il «'immisc en premièi-es noct»s Marie Four- ché, et en secoiuk»s noces Marie-Madeleine de Castille-Villeniareuil. P(»siti(»us élev»'»*» «H:cu|)étN par ses frêi*es François, Louis et GiHes. Mariage de la tille ahirr de Fouquet avec le uian|uis de (Iliarost 12 fé- vrier I057\ Pn>jet n'dip'* par Fouipiet pour se mettre à l'abri de la venj?eaiice de Mazarin. llam et C^oncanieau sont désijrnés. dans la pi*euii^re rédaction du projet, connue les places fortes doivent se retiii>r les amis de Fouquet. Bole impoilant qu'il donne à la mar- quise du Ple>»jis-li«*lliêre. Oaracîère de cette fennne. Elle marie >a fille au duc de (împii. Madame d'.\s.serac est cilt-e également dans le projet de Foucpict . Elle achète |K)ur le siu'inleudaut le duclu' de Penthiévro. Bôle assij^ui' à labbé FoucpieL et à la famille du surintendant. Attitude que devaient prendre les fçouverneui's ami^ de Fouquet. Pei-sonna^res sur lesquels il comptait à la cour et dan^ le parlement : le diH*. de la Hochefoucauld et son fils, le prince de Mai^illac, Arnauld d'Audilly, Achille de Ilarlay. Il avait K**^'né l'amiral de Neuch«''se et un marin nounné Guinan. l#es frêiM»s et Us amis du surintendant devaient entrotenir l'a^Mtation dans les parlements (^ le cler^fé. Mesures à prendre dans le cas Foucpiet serait lUis en jugement. Bé|H>nse de Fou((uet à r(x:casion du pntjet ti*ouvé à Saiul-Mandi'. Il en l'econnait l'authenticité. Il veut aoheUM* une «•liarjfe de .secrétaire d'Étal.— Travaux exéculé's à Vaux-le-Viconite. pivs lie Melun. Fouquet s<» lais.-ie enivi'er par la Batterie . . 554

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518 TABLE OES MATIÈRES.

CHAÎMTRE X\! (i^ss)

Hnpturc oulro le siiriiiloiidaiit el «m !à*èro l'alilH" Fouqiiot. Ce der- nior chei'clio à inspiror :ni surintondaiit drs soupçons contre Gonm'llr

Condii^o insolente de l'alkWî Fouquet. cpii s'aflire le blâme de Maza- rin. Relations de l'al»l)é Foutpiet avin; inademoiselle de Monlpeiisiei' elle le traite dédai«,menseinenl. I/ahW FoiKpiet s'nttache à inndamr dïHonne. Sa r-oudiiile iierfule à l'égard dn prince rie Mnrsillae. Mazarin s eloijrne de lablM» Fonquet et se fie de plus en \A\i< à t.«>j- l>ert. Maladie de Nicolas Fouqnet. juin 1658. I,e siirinteiidaut aclièle Belle-Ile et en veut faiiv sa forterc*sse dans le cas il serait attaqué. Fortifications de Belle-Ile, En^a^ment de Deslande> envers Nicolas Fompiel. r>«» dernier s'empan^ îles irouverneinents de (inérande. dn Ooisic (>t dn Monl-Saint-Michelsous le nom de la mar- quise d'Asserac. Nicolas Fonqnet continue de sVktcuimt, Jn.s4|iroii 1601.

(le son plan de résistance : ses relations avec Tamiral de NeiirlM»s«».

Il achète, pour le marqnis de Crétiui, la charjre de ^ênôral «le^ ^'alères. Possessions du surintendant Fouqnet en Am<M*ic|nfv . ?*K*

CHAPITRE XXII (1658-1659^

Négociations pour le mariage du roi avec une {irincesse de la niaî>Aii de Savoie. Fouqnet envoie à Turin inademoiselle dt» Treseson. onVe de mndame du Plessis-Bellière, |M)ur s emparer de l'esprit de la prin- cesse Mai'guerite de Savoie. Mademoiselle de Tn seson arrive à Turin.

Sa correspondance avec Foucfuet. Elle fait connaître le caractère de Christine de France, duchesse «le Savoie, de sa fille Mar^nierite et #le son fils Chaiies-Emmanuel.— Entrevue des coui*s de France et de Savoie •h Lyon (novemhi*e-décembre 165H). Cause de la nipture du ma- riage projeté. Mademoiselle de Treseson reste à la cour de Savoie. elle devient madame de Cavour. La prino>esse Nar/riiente épouse le duc de Panne ^-

CHAPITRE XXIII

Fouquet protecteur des lettres et «les arts. État de la littérature apn's

la Fronde. Fompiet donne une {tension à Pierre Corneille. Re-

mercîment en vers que lui adresse Pierre Corneille. R<'pi'és4Mitalion tl'OEdipe (1659). Thomas (>>rneille reçoit aussi des gratifications de Fouquet. Pellisson sattache à Fouquet. Il le met en relation avec mademoiselle de Scudéry el les précieuses. Carartèi*e de cette

lltléraliire. I^ettres de mademoiselle de Scudéry à Pellisson. Elle

y montre son alTeclion pour Pellisson et son attachement |>our Fou- quel. Autres poètes encouragée par le surintendant. Boisi*oh4>ri. (ioudmuld. Hesnault. Loret. Scairou. Lettre atlrihu(''e à madame Scarron; elle est apoci'vphe. lielln-s de madame Scaiix»n à madame Fou<)uet , 42r»