MÉMOIRES COURONNÉS EN 1826 ET 1827, PAR L'ACADÉMIE ROYALE DBS SCIENCES ET BELLES-LETTRES DE BRUXELLES. â.jOI,/^./,, MEMOIRES COURONNES PAR L'ACADÉMIE ROYALE SCIENCES ET BELLES-LETTRES DE BRUXELLES. TOME VI. BRUXELLES, M. HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE. 1827. / MÉMOIRE SUR LES CHANGEMENS QUE LA COTE D'ANVERS A BOULOGNE A SUBIS. TANT A L'INTÉRIEUR QU'A L'EXTÉRIEUR, DEPUIS LA CONQUÊTE DE CÉSAR JUSQU'A NOS JOURS, PAR M. BELPAIRE, AKCIEH ÉLÈVE DE l'ÉCOLE FOLYTECRHIQTTE. Vidi ego, quod fuerat quondam solidissima tellus, Esse fretum. Vidi factas ex .-cquore terras. OviD. Metamorph, , lib. xr. BRUXELLES, M. H AYEZ. IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE. 1827. »9it99990999itQ909Q99999999Q9999Q9999QQ9Q99999M9Qtt9009Q999M9909Q99Q9909W» INTRODUCTION. JLiA détermination des changemens que la terre a éprouvés est un sujet si intéressant , qu'il n'est point surprenant de le voir exciter la curiosité générale. Quoi , en effet , de plus philosophique que de chercher à connaître ce globe sur le- quel nous sommes placés , que de lire dans sa structure ce qu'il était dans les temps antérieurs , et de parvenir , par ce moyen, à la connaissance d'époques qui ont précédé l'histoire, et même la création de l'homme! Des bornes étroites circonscrivent , à la vérité , ces investigations j mais même le peu qu'il nous est permis de connaître des œuvres de la création nous en donne une idée si sublime, que nous nous sentons poussés par un désir toujours croissant à étendre nos connaissances en ce genre. — La persévérance de l'homme , et la force de son esprit , qui lui permet de tirer de faits connus des inductions propres à lui faire juger avec quelque certitude de faits inconnus , l'ont déjà con- « 4 INTRODUCTION. duit à de précieuses vérités en cette matière, comme en tant d'autres , et donnent lieu d'espérer qu'elles lui en feront découvrir de bien plus importantes encore. Il n'entre pas dans notre sujet de traiter des hautes ques- tions géologiques : notre tâche se borne à déterminer les révolutions éprouvées par une étendue de côte fort bornée j mais telle qu'elle est , elle ne se trouve point sans difficultés , et nous n'osons espérer de la remplir entièrement. Beau- coup d'hommes de mérite se sont occupés du même sujet, et il est difficile de dire quelque chose de neuf après eux 5 cependant , comme la plupart n'ont consulté que des écrits et des cartes, sans faire usage des observations que l'inspec- tion des lieux fournit, nous avons pensé qu'en nous atta- chant principalement à ces observations , nous parviendrions à des résultats qui ne seraient point sans intérêt. Il faut , sans doute , consulter tous , ou presque tous les auteurs qui ont écrit sur la même matière , chercher dans les vieilles chroniques et les anciennes chartres les phra- ses et les mots qui peuvent procurer quelque lumière ; mais ce travail , aussi pénible qu'il est en général peu productif de bonnes indications , ne peut se séparer de l'observation des localités. C'est en joignant les recherches géologiques et de géographie physique, aux recherches du premier genre , qu'on peut espérer et plus d'agrément et plus de fruit. En liant ces recherches , nous recueillerons le double avantage de pouvoir parler avec plus d'assurance de quel- ques points douteux de géographie ancienne ^ et de faire INTRODUCTION. 5 connaître la constitution physique des contrées dont nous aurons à traiter. Déjà , avant nous , le savant et laborieux abbé Mann avait suivi cette marche , et il nous a été bien agréable de voir nos observations confirmer celles de ce savant estimable. Heureux, si l'on trouve que notre travail n'est pas indigne du sien! La cote dont nous aurons à nous occuper appartient en grande partie à une suite de côtes semblables , qui s'é- tendent depuis au delà de Calais , jusqu'à l'extrémité du Jut- land. Partout , dans ce tractus , le rivage présente le même aspect : une grève d'une pente extrêmement douce, et par conséquent une mer peu profonde , parsemée de bancs ; des dunes plus ou moins élevées , plus ou moins larges , sépa- rant la mer de l'intérieur des terres 5 nulle part, le moindre vestige de rochers. Dans l'intérieur, et jusqu'à une distance plus ou moins grande des dunes , on rencontre , sur toute cette étendue, un pays de plaines presque entièrement plan , présentant partout des indices évidens du séjour de la mer, et en beaucoup d'endroits les preuves d'invasions récentes. Fort peu d'arbres s'offrent à la vue sur la partie la plus voisine de la mer 5 mais en revanche , on y trouve généralement de la tourbe , qui supplée au manque de bois de chauffage. La côte occidentale et septentrionale du grand bailliage d'Aalborg , le plus septentrional du Jutland , est formée par une lisière de dunes larges d'une à quatre lieues. Derrière ces dunes , dans la partie occidentale , il règne une bande 6 INTRODUCTION. de terrains de bruyères et de marais ('). On y trouve un grand nombre de lacs; presque tout le ci-devant Vend- Syssel ne forme qu'un marais couvert de beaucoup de petites élévations (=•). Le diocèse d'Aarhuns, au sud de celui d'Aalborg, ofFre également beaucoup de bruyères et de tourbe. Le bois y est tout aussi rare. On y voit partout de magnifiques prairies (^) ; ce qui annonce un sol vaseux, pro- duit sans doute par des inondations. Le Holstein , les côtes du Hanovre , celles des provinces septentrionales des Pays-Bas , offrent les mêmes caractères : des lacs , des marais , ou des indices de marais ayant an- ciennement existé 5 peu d'arbres et beaucoup de tourbières. a La Basse- Allemagne , v dit M. Coquebert de Montbret , dans un Mémoire rapporté à l'article Holstein, de l'Ency- clopédie méthodique, Dictionnaire de géographie physi- que, « est une vaste plaine de sable qui s'étend depuis le pied des montagnes du Hartz, jusqu'à la mer, dans une largeur de quarante à cinquante lieues... Toute cette éten- due de pays est à peu près de même nature... Le sol y est marécageux , faute de pente pour écouler les eaux que l'humidité du climat y amasse une grande partie de Fan- née ; circonstance qui a produit beaucoup de fonds de («) Nouvelles Annales des Voyages de M. Malte-Brun. De'cembre i8a3. (') Dict. Ge'og. Univ. Paris i823 , art. Aalborg. (J) Ibid. art.' Aarhuns. <> INTRODUCTION. 7 tourbières, les unes déjà desséchées par la nature, et les autres qui pourraient l'être, v L'Amstelland est entièrement bas et marécageux. On n'y voit que des tourbières ou des pâturages : les tourbières , après qu'on en a extrait la tourbe, forment des marais et des lacsj et les pâturages ne sont affranchis d'eau qu'au moyen de digues et de moulins à épuisement. Les branches innombrables du Rhin , de la Meuse et de l'Escaut , font assez connaître que la contrée que ces fleuves arrosent près de leurs embouchures, n'est point plus élevée. Au delà de l'Escaut, jusqu'au Cap Blanez, les mêmes circon- stances se présentent. L'on compte, dit l'abbé Mann (') ^ que dans la seule Flandre française , il y a plus de cent mille arpens de terre , et des plus riches de toute la France , dont le niveau est au-dessous des hautes marées. Les rues d'Ostende , suivant le même auteur , ne sont que d'environ un pied au-dessus des plus hautes marées de vives eaux ; celles de Dunkerque et de Gravelines sont près de trois pieds, et celles de Calais près de cinq pieds au-dessus de ces mêmes marées. Les plus hauts points de cette vaste et riche plaine de Calais, Dunkerque et S'-Omer, atteignent à peine, et dans les seuls environs de Bourbourg, la surface des grandes marées des syzygiesj (') Mém. de l'abbe Mann , inséré aux Mém. de l'Académie de Bruxelles , tom. I", pag. 143. 8 INTRODUCTION. et les terres les plus élevées , vers Gra vélines , Dunkerque et Furnes, sont ordinairement de trois pieds plus basses que le niveau de ces mêmes marées. Les plus hautes terres du Bas-Calaisis sont à quatre pieds et demi au-dessus de ce niveau , et celles qui sont le long de la rivière de l'Aa, de près de cinq pieds. Les basses terres du Calaisis , celles des environs de Bergues , et quel- ques-unes de l'ancienne châtellenie de Furnes , aux envi- rons de Loo, au fort de Rnock et à Merkhem, sont à huit et neuf pieds au-dessous des hautes marées de vives eaux. Celles aux environs d'Uxem sont d'un pied encore plus basses. Enfin , les moëres sont d'environ treize pieds au-dessous des hautes marées ('). D'après un nivellement , pris le 7 mai i8i6, les eaux des fossés qui bordent les terres près du village de Stalhille , en- tre Ostende et Bruges, étaient d'environ deux mètres plus basses que les eaux du canal , et de deux mètres trois quarts plus basses que le niveau des marées ordinaires des pleines ou nouvelles lunes. Il faut diminuer ce résultat d'environ un mètre pour avoir la surface du sol , qui n'en reste pas moins au-dessous du niveau delà haute marée. Les poldres , dans les environs d'Ostende , sont un peu plus élevés 5 mais ils dépassent à peine , et beaucoup n'atteignent même pas la hauteur des marées des syzygies. (.) Ibid. p. 144. KNTRODUCTIOiV. 9 Toute cette étendue de plaines est essentiellement com- posée d'un terrain sablonneux. Nous avons vu déjà que la Basse-Allemagne était ainsi constituée 5 il en est de même du Jutland (') , de la province d'Over-Yssel , de celle du Brabant septentrional, d'Anvers, des deux Flandres 5 et les départemens du Nord et du Pas-de-Calais , en France , présentent la continuation de ce terrain. Ces plaines sont bornées vers l'intérieur , et à des distances variables de la mer, par un terrain onduleux plus ou moins élevé, d'une nature différente, et interrompu de distance en distance par les vallées des fleuves qui portent leurs eaux de ce côté. Nous ne connaissons que trois fouilles importantes, faites dans cette étendue. Elles ont eu lieu à Amsterdam , à Dunkerque et à Calais , dans la vue de procurer de Teau potable à chacune de ces villes , sans que l'on ait réussi. Le puits d'Amsterdam fut commencé le 16 juillet i6o5, et fut poussé jusqu^à la profondeur de aSa pieds. On trouva dans cette fouille , suivant Des Roches (^) : Terre végétale , ou terre de jardin .... 7 '"'"'' Tourne ,3jiï.-j ^Hjïjol^j Glaise molle • [^jjo^ ,,1,9 •^^^'^^ ];./9irftïy • • • ^ ji) A REPORTER.' . ' . . ai'«9ijcir> 33e>J (') Mém. cité de M. de Monlbret. (>) Histoire anc. des Pays-Bas , p. 19. lo INTRODUCTION. Report. . . . . . . 33 •■'='"■ Terre 4 Argile lo Terre 4 Arène (') lo Argile bleue 2 Sable blanc 4 Terre sèche 5 Terre molle ...*.. i Arène i4 Arène mêlée d'argile. . . . . , . . . 5 Arène mêlée de coquilles marines et de poils ou de crin ( haar en zeeschelpen ) 4 Glaise mêlée en quelques endroits de poils d'animaux et coquilles marines 36 Glaise sans mélange 66 Sable mêlé de petits cailloux. . . . . . 5 Et enfin sable sans mélange 29 Total 232 La fouille faite à Dunkerque a produit un premier ordre de couches très-diversifiées entre elles, et formées d'un mélange confus de terres ou de sables de plusieurs sortes , entre-mêlés de cailloux , de silex , de grès et autres (') C'est sur cette couche de sable qu'est fondée la ville , au moyen de pi- lotis que l'on enfonce jusque là. INTRODUCTION. *f substances 5 et de fragmens de craie , rompus et usés par le frottement du roulis , ainsi qu'un grand amas de débris de végétaux , tels que des tronçons de chênes ^ ou des corps d'animaux , tels que les coquilles en partie dans leur état naturel , tirés les uns et les autres à peu près à la profon- deur de cent pieds. Toutes ces couches ont ensemble cent cinq pieds. Au dessous commence un autre ordre de cou- ches. On n^y a plus trouvé aucun corps étranger minéral , végétal ou animal. On n'y distingue, à proprement par- ler, qu'un seul banc de deux cents pieds d'épaisseur, presqu'homogène , formée d'une argile brune j d'un grain extrêmement fin et doux , dont certaines parties pétrifiées forment des noyaux extrêmement durs , approchant de la nature du silex, et en tout conformes à ceux qui se rencontrent dans les bancs argileux des mines de charbon du Hainaut ('). ny ^'m ty.; Le puits de Calais fut creusé en 1821 ; les couches de terres y ont été trouvées comme suit : Déblais , terres rapportées 5 "*""■ Sable mouvant , . , . . . 36 Sable gras ou terre glaise. . . ^ ^» . . 2 3 Marne blanche J f.- 5i Ou 345 '■"*^(" (') Encyc. mëth. Dict. de géog. phys. , art. Dunkerque , p. 690. (*) Note communiquée par M. Pigault de Beaupré , de Calais. »4 INTRODUCTION. Il règne dans ce bassin maritime , le long des côtes et des fleuves , une couche de glaise blanche plus ou moins épaisse et extrêmement productive , que l'on désigne sous le nom de marches dans le Holstein et la Basse- Allemagne , de pol- dres dans les Pays-Bas et de salines dans les départemens ■'j;;^ du Nord et du Pas-de-Calais. Sous cette couche se trouve ])resque toujours de la tourbe , dont le banc a ordinaire- ment de 3 et 4 pieds jusqu'à i5 et i6 pieds d'épaisseur; au dessous on trouve de la glaise bleue et ensuite le sable. I Une autre particularité remarquable, c'est la grande quantité d'arbres fossiles que Ton découvre dans tout ce bassin. On les trouve non-seulement dans les tourbières de la Basse- Allemagne (') et les provinces de Frise, de Hollande _, de Zélande et de la Flandre , mais encore dans les sables de la Campine (^) et dans les environs de Dun- kerque. La surface presque entièrement plane du bassin dont nous nous occupons , le sable blanc dont il est composé , les coquillages que l'on y découvre, rendent ce bassin si semblable au fond actuel de la mer qui le borde , que l'on ne peut douter que la mer n'ait , dans des temps antérieurs , mais pourtant assez récens , par rapport aux grandes révo- (') Mém. cité de M. de Montbret. (') Smallegang, Chron. van Zeel. , p. 6 et suiv. INTRODUCTION. |3 lutioQS du globe, couvert toute cette partie du continent. Les arbres fossiles qui s'y trouvent sont une autre preuve de ce séjour : les fleuves les auront portés à la mer, qui les aura ensuite rabattus sur la côte. Les fleuves de l'Amé- rique transportent de cette manière, encore aujourd'hui, une multitude d'arbres, qui souvent en interrompent la navigation. Dans les temps où l'Europe n'était pas plus civilisée que l'Amérique, et qu'elle était tout aussi boisée, nos fleuves, surtout ceux qiii, comme le Rhin, sortent de l'Allemagne , devaient présenter le même fait. M. Desmarets ('), en attribuant, comme nous, ces ar- bres fossiles au transport des fleuves, pense qu'ils y ont été apportés depuis la retraite de la mer et pendant les inondations des fleuves. S'il peut avoir raison, relative- ment à ceux de ces arbres qui se rencontrent dans les par- ties basses de la côte et au milieu des vases, il en est autrement de ceux qui se trouvent dans les parties moins basses , qui , comme l'a observé Eyndius (^) , n'étaient pas exposées aux débordemens des rivières. Ceux-là y ont évidemment été transportés pendant que la mer couvrait tout le pays. Nous ne nous arrêterons pas à réfuter l'opinion de ceux qui pensent que ces arbres ont été renversés et enfouis par (') Encyc. mëth. G^og. pliys. , art. Arbres fossiles , p. 733. (•) Voy. Smallegang , p. 6. ^ INTRODUCTION. quelque débordement considérable de la mer , comme leur paraît avoir été ce qu'ils nomment le déluge cimbrique. Déjà cette question a été traitée , par plusieurs savans , de manière à ne plus laisser aucun doute ('), et Ton doit généralement convenir aujourd'hui que , quant au déluge cimbrique , il n'a été qu'un de ces débordemens depuis lors si souvent renouvelés sur ces côtes. Ces débordemens de la mer ont produit , il est vrai , de très -grands changemens 5 mais leur effet ne s'est jamais étendu jusqu'aux limites de la plaine sablonneuse. La Cher- sonèse cimbrique, actuellement le Jutland, diminuée de plus de moitié depuis que les Romains l'ont connue 5 les îles de la Frise autrefois attachées au continent 5 les ruines que l'on retrouve sur la plage , et parmi lesquelles les plus remarquables sont celles du château de Britten 5 l'agrandis- sement du lac Flevo , et sa transformation dans le Zuiderzée 5 la formation du Dollaert et du Lauwerzéej l'élargissement des bouches de l'Escaut et peut-être la formation de nou- veaux bras 5 et enfin la disparition de beaucoup de villages , le long de la côte , tout dénote qu'autrefois , comme encore aujourd'hui , la mer a triomphé des digues que la nature ou l'art avaient opposées à sa violence. Mais n'exagérons point ses effets , et n'accordons point au déluge cimbrique une importance telle , que , si elle était réelle , aucun habitant de ces contrées n'aurait survécu , et que la migration de plu- (') Voyez l'art, cité de l'Encyclopédie ; Des Roches, et autres. INTRODUCTION. l5 sieurs centaines de mille hommes qui suivit cette inonda- tion eût été impossible. Les bords de la mer changent brusquement de nature à l'un et l'autre bout du bassin dont nous nous occupons. Tandis que la côte est basse et sablonneuse, et que l'on ne voit aucune apparence de rochers depuis le bas du Blanez jusqu'au cap Schagen, on ne trouve que falaises et rochers au delà des extrémités de cette ligne. Dans le Boulonnais , les roches sont généralement calcaires ; mais dans la Nor- wège , elles présentent partout le granit le plus dur. La nature calcaire des premières les expose aux atteintes con- tinuelles des flots qui changent constamment la disposition de ces côtes. Ce sont ces changemens , et ceux survenus sur une partie des côtes du bassin dont nous venons de donner une idée sommaire , que nous nous proposons de décrire dans ce Mé- moire. Afin d'y apporter plus de méthode , nous le divise- rons en chapitres. Dans le premier , nous décrirons l'état de ces côtes sous la domination des Romains 5 dans le second , nous entrerons dans les détails nécessaires pour établir avec exactitude leur état actuel 5 dans le troisième, nous ferons connaître les causes des changemens survenus sur ces mêmes côtes ; nous rapporterons dans le quatrième les preuves qui établissent la réalité des causes assignées dans le pré- cédent ; les inondations qui ont eu lieu sur ces côtes , feront l'objet du cinquième 5 les sixième, septième, huitième et neuvième , serviront à consigner en détail les changemens i6 INTRODUCTION. qu'elles ont produits ; enfin , dans le dixième , nous traite- rons de la position de quelques ports mentionnés par les anciens. MÉMOIRE SUR LES CHANGEMENS QUE LA COTE D'ANVERS A BOULOGNE A SUBIS, TANT A L-INTÉRIEDR QU'A L'EXTÉRIEUR, DEPUIS LA CONQUÊTE DE CÉSAR JUSQU'A NOS JOURS. CHAPITRE PREMIER. État ancien des côtes, depuis Anvers jusqvCà >[> j,;3^ floiui Boulogne. '^ -> stfdaobnc Lja Belgica et la Germania étaient presqu'entièrement inconnues aux anciens , avant que César et ses successeurs y eussent conduit les légions romaines. Ce n'est pas que les peuples qui bordaient la Méditerranée n'eussent des com- munications avec ceux du septentrion de l'Europe 5 mais ces communications , rares et simplement mercantiles , étaient })eu propres à procurer des notions étendues sur l'histoire des nations qui habitaient ces contrées, sur la situation géographique de leur pays , et sur les révolutions physiques de leurs côtes. Eratosthène, qui vivait aSo ans avant l'ère 3 i8 SUR LES CHANGEMENS chrétienne , ne connaissait les côtes de l'Europe au delà des colonnes d'Hercule, que par le récit du Marseillais Pythéas, qui disait avoir parcouru tous les pays maritimes de l'Europe, depuis le Tanais jusqu'à Thule , sous le cercle polaire. Les guerres et la domination des Romains dans les Gaules et la Germanie , répandirent un jour tout nouveau sur ces contrées _, et donnèrent naissance à plusieurs ouvrages conte- nant des détails sur la géographie de ces régions et sur les peuples qui les habitaient. Les Commentaires de César, le récit des voyages de Pline le naturaliste, la Germania de Tacite , la géographie de Strabon , celle de Ptolémée , les écrits historiques des Dion Cassius , des Ammien Marcellin , des Aurelius Victor et autres , sont des monumens précieux pour ceux qui veulent rechercher l'ancien état de ces pays. Toutefois , ces ouvrages ne répondent pas d'une manière tout - à - fait satisfaisante à l'attente de ceux qui les con- sultent , et ce qu'ils disent est rarement assez précis pour qu'on puisse en tirer des conclusions certaines. César, par exemple , est fort occupé à décrire ses batailles , et c'était son principal objet; niais il se met fort peu en peine de faire connaître d'une manière circonstanciée les pays qu'il par- court , ou de fixer leur position 5 ou , s'il dit quelques mots de la géographie physique de ces pays, c'est lorsque cela devient nécessaire à sa situation ou à celle de l'ennemi. En un mot. César écrit en guerrier et non en géographe. Les ouvrages de Pline et de Tacite contiennent plus de détails 5 DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 19 mais ils sont pourtant encore bien obscurs , lorsqu'il s'agit d'en tirer la position exacte de certains points de géographie ancienne. Aussi est-ce une entreprise fort difficile et d'un succès fort incertain , que celle de débrouiller dans les écrits an- ciens la situation géographique des peuples et des villes par eux décrits. La plus grande discordance règne pour l'ordi- naire entre les savans sur cette matière 5 et si aujourd'hui on paraît plus d'accord sur beaucoup de points douteux , c'est souvent moins à cause des lumières répandues sur ces points , que parce que , fatigué de ces recherches si peu pro- ductives , on s'abandonne davantage à l'opinion de quelques hommes supérieurs, que l'on suppose avoir fait tout ce qu'il était possible de faire avec des données aussi peu satisfai- santes. Nous n'avons point, heureusement, à nous occuper de discussions de ce genre; quoique l'on ne soit pas d'accord sur les limites qui , du temps des Romains , séparaient les peuples habitans des cotes qui font l'objet de ce Mémoire, on con- vient pourtant généralement que , sous la domination ro- maine^ ou du moins pendant une partie de ce temps, ces côtes étaient habitées soit par les Marins , soit par les Mé- napiens , soit par ces deux peuples conjointement. Or , les anciens nous représentent le pays de ces peuples comme se ressemblant et étant rempli de marais et de forêts. César dit , dans ses Commentaires , qu'ayant pacifié toute la Gaule, à l'exception des Morins et des Ménapiens, les (XW SUR LES CHANGEMENS seuls qui ne lui eussent jamais envoyé faire aucune propo- sition de paix , il marcha contre eux , espérant pouvoir finir cette guerre avant l'hiver , quoique l'été fût déjà fort avancé 5 mais ces peuples s'y prirent différemment des autres Gau- lois pour lui résister 5 car leur pays étant plein de forêts et de marais ( continentes silvas ac paludes ) , ils s'y reti- rèrent avec tout ce qu'ils avaient. César , parvenu à l'entrée de ces forêts , travailla à y faire percer un chemin 5 mais malgré Tincroyable célérité avec laquelle on avançait, ce travail ne put être terminé avant l'arrivée des pluies d'hi- ver, qui ne permirent pas à ses gens de demeurer plus longtemps sous leurs tentes ('). Plus loin (") , César rapporte que l'année suivante _, à son retour de la Bretagne, il envoya Labienus, son lieutenant, contre les Morins , et que les marais , où ils s'étaient retirés l'année précédente, ne pouvant alors les garantir, parce qu'ils étaient à sec , Labienus les fit presque tous prison- niers. Il ajoute que Titurius et Cotta , deux autres de ses lieutenans , qui avaient porté la guerre chez les Ménapiens _, retournèrent avec leurs légions, après avoir brûlé et saccagé leurs campagnes et tous leurs pays , parce que ce peuple s'était retiré dans les forêts les plus épaisses. Ailleurs (^) il dit encore que les Ménapiens , voisins des {') Caes. de Bell. Gall. , 1. 4 , c. 28. (') Ibid. , 1. 4 , c. 38. (3) Ibid. ,1.6, c. 5. DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. ai Eburoas , étaient défendus par de grandes forêts et de grands marais (^perpetuis plaudihus sihisque muniti) où , à une nouvelle approche de César , ils se retirèrent avec tout ce qu'ils avaient (m sihas paludesque confugiunt, suaque eodem conferuni). Cette fois , les troupes romaines parvin- rent jusqu'à eux, leur enlevèrent beaucoup d'hommes et de bestiaux , et réduisirent ce peuple à demander la paix. Strabon , au livre iv de sa géographie , dit que dans le pays des Morins et dans celui des Ménapiens , leurs voisins , le ciel est obscurci pendant la plus grande partie du jour , même dans les temps calmes et sereins , et que l'on n'y voit ordinairement le soleil briller que pendant trois à quatre heures vers le midi , ce qui ne peut convenir qu'à un pays entièrement humide et couvert de brouillards , en un mot , à un pays de forêts et de marais. Outre ces forêts et ces marais , les Ménapiens ou les Mo- rins avaient encore des îles où ils pouvaient également se réfugier. C'est ce qu'on peut inférer de ce que César , par- lant des Eburons proscrits , qu'il indique comme voisins des Ménapiens , dit que ceux qui étaient près de l'Océan , se cachèrent dans les îles que la mer formait dans son flux (') i^qui proximi Oceano fuerunt , ii in insulis sese occul- taverunt , quas œstus ejjicere consuerunt^. Nous examine- rons plus tard ce que pouvaient être ces îles. Tel était l'état de ce pays , lors de l'invasion romaine , (>) Cas. de BcU. Gall. , I. 6, c. 3i. iaa SUR LES CHANGEMENS comme le prouvent encore les autres historiens anciens qui ont parlé des guerres que les Romains y ont eues. Ammien Marcellin (') dit que César, après une guerre meurtrière de dix ans, selon le témoignage de Salluste, a joint à la ré- publique romaine^ par un pacte éternel, toutes les Gaules, à l'exception de celles qui étaient inaccessibles par les marais (omnes Gallias , nisi quœ paludibus invice Juere , ut Sallustio docetur auctore , post décennales helli mutuas clades j Cœsar societati nostrœ fœderïbus junxitœtemis). Dion Cassius (^) , en rapportant la première expédition de César contre les Morins et les Ménapiens , s'exprime ainsi : « Il tourna alors ses armes contre les Morins et leurs voisins les Ménapiens , s'imaginaut que le bruit de ses con- quêtes aurait tellement jeté la terreur parmi eux, qu'il les eût soumis sans difficulté. Il ne put cependant s'emparer d'aucun de leurs cantons; car ces peuples ne demeurant point dans des villes , mais dans des chaumières , cachèrent leurs efFets les plus précieux dans les forêts épaisses de leurs montagnes , et nuisirent plus aux armées romaines qu'ils n'en souffrirent. César essaya de percer jusqu'à ces retraites, en faisant abattre les forêts; mais considérant leur immense étendue , et voyant approcher l'hiver , il désespéra d'en ve- nir à bout, et renonça à son entreprise, w {Ipse {Cœsar) (') Ammianus Marcellinus , 1. i5. (') Dio Cassius, edit. Reimari. , Hamb. i^So, tom. i . 1. Sg, cap. 44' pag. 21 3. DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. a3 postea in Morinos eorumque finitimos Menapios arma convertit : quos et rerum egestanim fama territurum se et non magno cum négocia debellaturum arbitrabatur. Nullam tamen eorum partent subegit, Nam illi , quia non in urbibus , sed in tuguriis habitabant , rébus suis pretiosissimis in densissimas montium silvas colla- tis j plus damni invadentibus Romanis intulerunt , quant ah Us acceperunt. Cogitabat quident Cœsar ad ipsos montes , silva succisa^ subire : sed ab eorum magni- tudinent , ac quod hiems jam suberat desperata re , destitit,) Ces montagnes , dans le pays des Morins , ont embarrassé P^redius. Au lieu de densissimas montium silvas , il veut qu'on lise : in paludes densissimis silvis obsitas , et ad ipsas paludes au lieu de ad ipsos montes ^ et de Bast (') trouve cela plus conforme aux Commentaires de César et au sol des Morins et des Ménapiens. Quant à nous, qui sommes convaincus qu'il n'y avait point de forêts dans les marais , nous ne partageons pas l'opinion que la correction soit nécessaire. Nous ne voyons pas de difficulté à laisser subsister le passage de Dion Cassius tel qu'il se trouve. Cé- sar , suivant Des Roches (^) , a attaqué les Morins , dans l'expédition dont il s'agit , du coté de Hesdin et de S*-Paul. («) De Bast , Ântq. rom. et gaul., etc. , introduction. {') Des Roches, Hist. anc. des Pays-Bas , p. 3i6. ft4 . SUR LES CHANGEMENS Or , il y a de ce côté un assez bon nombre de petites mon- tagnes , la plupart encore entièrement recouvertes de bois , et il est très-apparent que c'est de celles-là que Dion a en- tendu parler. César a fort bien pu ne pas en faire mention , parce que ces montagnes ne sont pas d'une hauteur remar- quable , et qu'elles n'étaient pas de nature à ajouter quelque chose à la défense de ce peuple , qui se contentait de se ca- cher dans Vépaisseur des bois sans se faire aucun retranche- ment. Un pays aussi couvert de forêts et de marais ne devait être ni très-peuplé , ni beaucoup cultivé. Aussi avons-nous déjà vu que d'après Dion , les Morins et les Ménapiens nV vaient point de villes , mais habitaient des chaumières. Là se trouvaient, suivant Des Roches ('), ces champs déserts , ces atva vacua^ dont les auteurs latins font quelquefois men- tion, qui semblent avoir été à la disposition du premier occupant, ou que les empereurs romains distribuaient aux restes des peuples vaincus par eux en Germanie , et aux sol- dats vétérans dont ils voulaient récompenser les services. Au reste, comme l'observe encore Des Roches (^) , il faut supposer que l'assertion de Dion regarde les Morins du temps de César , dont il rapporte l'expédition contre ces peuples , et non pas ceux du temps de l'auteur, qui vivait au troisième (') Des Roches, Hist. anc. des Pays-Bas, p. 17. (') Ibid, p. 100. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. a5 siècle , sans quoi celui-ci serait en contradiction avec Ptolé- raée, plus ancien que lui, qui, décrivant la Gaule Belgique de son temps, c'est-à-dire, du second siècle de notre ère, attribue auxMorins la ville de Teruenna ^ qu'il appelle dis- tinctement mhi , urbs^ (') ville , et le port de Gessoriacum, qu'il appelle mi^^^ nom qui ne convient qu'à un port for- mant en même temps une ville. Nous venons de nommer Teruenna et le port de Gesso- riacum, comme s'étant trouvés dans le pays des Morins 5 il faut y ajouter, comme ayant aussi fait partie de ce ter- ritoire pendant la domination romaine, VIccius Portas^ Vulterior Portus , Lutto magus , Admllia , Minariacum , Castellum Morinorum et peut-être Marci. Excepté Teruenna qui est évidemment Terouenne , détruite par Charles-Quint, et Castellum qui paraît bien convenir à Cassel , la position des autres lieux n'est rien moins que certaine. Nous reviendrons plus tard sur ce sujet. Quant aux fleuves et rivières qui arrosent ces contrées , les anciens ne nous en disent presque rien. César nous parle à peine de l'Escaut, qu'il dit se jeter dans la Meuse {f). Ce passage de César, a paru à quelques personnes contenir une erreur, qu'elles attribuent à ce que ce général n'a jamais (<) Ptolemxus , 1. 2, cap. 9. (.) De Bel. Gai., 1, 6. cap. 33. 3 i., â6t .# SUR LES CHANGEMENS parcouru le pays où l'Escaut a son embouchure. D'autres croient au contraire que cette indication de César est exacte , et que l'Escaut se rendait à la Meuse par Berg-op-Zoom et Tolen 5 c'est aussi notre opinion. Ptolémée (') parle encore de Tahuda , fleuve dont il place l'embouchure à l'est de Gessoriacum naïïale ou Boulogne. La plupart des savans voient dans le Tahudœ Jluvii ostia, l'embouchure de l'Escaut 5 mais tout le monde n'est pas d'accord à cet égard, et l'auteur d'un Mémoire sur l'arron- dissement de Boulogne, M. Henry, pense que le Tahuda ^ est la rivière d'Aa. CHAPITRE DEUXIÈME. État actuel des Côtes entre uénvers et Boulogne. Les pays autrefois habités par les Morins et les Ména- piens , ont bien changé d'aspect depuis les Romains. La plus grande partie de ces yastes forêts, dont nous avons parlé dans le chapitre précédent , a été dans la suite des siècles , convertie en champs labourables , de manière qu'on n'en voit plus que les restes dans les bois de Nièpe , dans ceux (i) Claudius Ptolemaeus de Gallia, cap. 9, édit. Lugd. Batav. , 1618. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. a 7 de Boulogne , et dans ceux qui occupent les environs d'Ypres et de Poperingue, deTho^fiout et de Bruges. Que ce soient là véritablement les restes de ces forêts , c'est ce dont on ne peut douter lorsque, jetant les yeux sur une carte topo- graphique de ces contrées, on remarque que ces bois for- ment encore aujourd'hui une zone en-de-çà et au-de-là des montagnes dont parle Dion Cassius , dans le passage que nous avons rapporté au chapitre précédent, et qm par là se trouve en quelque sorte confirmé. Quant aux marais que les anciens ont trouvés dans ces pays, ils ont également disparu en grande partie. On n'en voit plus guère que dans les départemens du Nord et du Pas-de-Calais , du côté de Bergues , de Bourbourg , de Saint- Omer et d'Aire. Que sont devenus tous les autres? quel- ques-uns se sont desséchés , ou ont été desséchés par la main des hommes («); mais le plus grand nombre a eu un autre sort, ainsi que nous le verrons bientôt. Occupons-nous pour le moment de décrire plus particulièrement l'état ac- tuel des bords de la mer de ces mêmes pays. " En parcourant le voisinage de l'Escaut , depuis au-dessus (') Mirœus , Oper. Diplom. , tom. i, cap. 65, pag. 186, rapporte un di- plôme de Philippe d'Alsace de l'an 1 169 , où il est dit entre autres : Inter TVa- tenes et Bourbourg , palus quœdam limum inaccessibilem spatiosa latùudine diffuneUbat , et usibus sesè denegabat humants. Hujus Umosce pàludis illuviem feci sumptibus propriis , cum expensa multi sudoris , exhauriri , et ex ea sla- tum commodioris naturce quasi violenter extorquens , in terrant /rugijeram transformavi, " ■ s8 SUR LES CHANGEMENS d'Anvers jusqu'à son embouchure, et puis le voisinage de la côte, depuis cette embouchure jusque vers les hauteurs du Blanez, on trouve partout une couche plus ou moins épaisse de terre glaise ou vase grise , contrastant d'une ma- nière remarquable avec le sol environnant, qui, comme nous l'avons dit , est presque partout très-sablonneux. M Les dunes de la mer forment l'une des limites de cette bande de glaise. L'autre limite commence vers la Tête-de- Flandre, vis-à-vis d'Anvers, parcourt les bords du fleuve jusque vers le fort Callooj de là elle passe en-de-çà deHulst vers Roewacht , Overslag et Selsaet , près du Sas-de-Gand. Elle se dirige ensuite sur Assenede, Bouchoute, S'.-Lau- reyns , Ardenbourg , Middelbourg , Damme , Houthave , Stalhille 5 traverse le canal de Bruges à Ostende , près de ce dernier village ; passe à Ettelghem , Oudenbourg , Westkerk , Ghistelles , où la couche de glaise s'étend dans un petit golfe terrestre dirigé de l'ouest à Test, entre ce dernier endroit et Eerneghem. Après cela la ligne de démarcation revient sur Zevecol*e , Zande , Leke , Keyem , Beerst et Dixmude 5 mais avant d'arriver à Dixmude , la couche de glaise s'étend de nouveau dans un golfe terrestre assez profond , ayant la même direction que le premier, et dont les bords élevés, par- tant de Beerst , passent à Vladsloo , Bovenkerke , Werken , Handsame, Zarren, Eessene et Dixmude. C'est le bassin d'une petite rivière que l'on voit figurée dans les cartes de Sanderus, et qui prend sa source près d'Hooglede. Au-de-là de Dixmude , la limite que nous suivons rentre à' DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 29 de nouveau jusque vers Women et Merkem, et ressort vers Rnocke et Loo. De là elle se dirige vers Oeren , suit le canal de Loo jusqu'à quelque distance de Furnesj passe au canal de la Colme, qu'elle longe d'assez près jusque vers les hauteurs qui bordent le bassin de l'Aa et qui vont se terminer au Blanez. ^ Cette bande glaiseuse comprend , entre Furnes et Dun- kerque , les moeres dont nous parlerons plus tard 5 elle est d'ailleurs dentelée par les inégalités du terrain sablonneux , ainsi qu'on l'a déjà remarqué pour les golfes de Ghistelles et de Dixmude , et l'on observe un effet contraire à partir de Loo , d'où la limite que nous avons décrite va brusque- ment se diriger sur Furnes , en se rapprochant considéra- blement de la mer. Du côté de la mer , les mêmes circon- stances se font remarquer. Il existe au village de Clemskerkei entre Ostende et Blankenberg , un petit plateau de sable qui dépasse la couche de glaise de quelques pieds, et tient aux dunes en même temps qu'au terrî^in sablonneux dont elle formait une élévation. A Nieuport , on trouve une pe- tite colline de sable qui peut avoir 75 pieds de hauteur, et qui va se rattacher dans une direction oblique aux dunes de l'ouest du port. Cette colline fait également partie du terrain sablonneux, A Jucote, près de Dunkerque, se trouve une seconde rangée de dunes à environ deux lieues de la mer, quoique la couche de glaise se répande entre deux. C'est entre cette double rangée que passe le canal de Furnes à Dunkerque. -âo SUR LES CHANGEMENS Depuis Mardyk au-de-là de cette dernière ville, jusque vers Gravelinnes, les dunes sont fort basses et fort larges 5 et enfin, dans les environs de Calais, le terrain est extrême- ment sablonneux depuis les dunes jusqu'avant dans l'inté- rieur. Il existe aussi à l'ouest de Calais, sur la route de Boulogne , un banc considérable de galets , ou cailloux rou- lés et opaques 5 lequel ainsi que le terrain sablonneux qui se trouve à l'est , a une inclinaison vers l'intérieur du pays. Ce banc forme une lisière plus élevés que le sol environ- nant, large d'un quart de lieue à son origine vers l'ouest, et s'élargissant dans sa partie orientale ('). On a trouvé dans ce banc , en creusant le canal qui le traverse , des vases an- tiques et des vitrages , à la profondeur de quinze pieds. Ici la glaise se montre où finissent le banc de galets et le sable qui vient des dunes. Elle va jusqu'aux marais tourbeux qui s'étendent depuis Ardres jusqu'à la mer, un peu à l'ouest de Calais. Ces marais forment la limite apparente de la couche de glaise 5 mais à proprement parler , elle ne se termine qu'à leur bord occidental , puisqu'on la retrouve au-dessous de la tourbe qui les remplit , et qu'elle n'est arrêtée au-de-là que par le terrain argilleux jaunâtre qui vient des hauteurs. L'épaisseur de la couche de glaise est variable. Du coté d'Anvers , elle se réduit presqu'à rien. Vers le Sas-de-Gand , (') Essai hist. , topog. et statist. sur l'arrond. de Boulognc-sur-Mer , par M. Henry, Boulogne, 1810, p. 104. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 3i ou la trouve de trois à quatre pieds 5 le long de la côte de- puis l'Écluse jusque vers Gravelines, elle est de cinq à dix pieds selon les endroits , quelquefois plus , quelquefois moins. En général, elle est beaucoup moins épaisse à l'ouest de Dunkerque qu'à l'est 5 dans les moeres, la glaise a beaucoup de profondeur, tandis qu'à Loigne, près de Gravelines , elle n'a guère qu'un pied d'éjiaisseur. v. Presque toute cette bande de sol vaseux , est quelque peu plus basse que la haute marée , pendant les syzygies. Aussi n'est-elle abritée en beaucoup d'endroits contre les inon- dations de l'Escaut et de la mer , qu'au moyen de digues , qui sont surtout nombreuses le long du fleuve et autour des ports , et au moyen d'écluses qui permettent aux eaux supérieures de se jeter dans la mer, à marée basse, et empêchent l'eau de rentrer à marée haute. Ces écluses per- mettent aussi d'inonder les environs d'Ostende, de Nieu- port et de Dunkerque, et de rendre de cette manière l'ap- proche de ces villes difficile en cas de siège. Ces inondations s'étendent alors fort loin , surtout autour de Nieuport , où , en 1793, lors du dernier siège par les Français, l'eau de la mer se porta jusqu'à Loo et Dixmude, et remplit même tout le golfe qui a là son entrée, et qui va à plus de quatre lieues de la mer. Cette inondation fut néanmoins d'un fai- ble secours à cause de la hauteur de sable qui se trouve à l'ouest de Nieuport, et se rattache aux dunes ainsi que nous l'avons fait remarquer. : Au-dessous de la couche de glaise règne presque partout, K iJ SUR LES CHANGEMENS •jusque vers Dunkerque, une couche de tourbe , de l'épais- seur de trois à dix et quelquefois quinze pieds, reposant sur une vase bleue, ou sur du sable fin. Voici la composi- tion de cette tourbe dans les environs d'Ostende. La partie inférieure est une masse noire et compacte en- tremêlée de racines et de feuilles de jonc parfaitement con- servées. On nomme cette partie Ondermoere. La partie supérieure, qu'on appelle Boi>emoere , ne contient plus de jonc , mais une grande quantité de brins ligneux qui parais- sent être des racines de bruyère. Les couches les plus éle- vées sont encore d'une autre nature en beaucoup d'endroits, et ressemblent fort , lorsqu'elles sont séchées , à de la bouse de vache. Aussi désigne-t-on de ce nom cette espèce de tourbe. La partie inférieure ou V Ondermoere , est ordinairement la moitié ou les deux tiers de la couche totale. La partie supérieure se divise en se séchant en feuillets d'un ou deux millimètres , surtout celle que l'on nomme bouse de vache , entièrement formée d'une substance molle, qu'on reconnaît jîour être de la mousse. Le fond de V Ondermoere est sou- vent une substance plus légère et plus spongieuse que le reste, et on la néglige dans l'exploitation des tourbières, comme n'étant presque d'aucune utilité pour le chauffage. On voit souvent aussi, dans V Ondermoere^ des tâches rougeà- tres , qui ressemblent à des raisins dans un pouding 5 d'autres fois ce sont des couches assez étendues d'une substance fila-i menteuse et tenace, semblable à du chanvre en botte. DE LA COTE, D'ANVERS A DOULOGNE. 33 Excepté où se trouve cette matière filamenteuse, VOn- dermoere ne se divise pas par feuillets , comme le Boue- moere , mais se crevasse en tout sens par le dessèchement. UOndermoere se détache aussi fort bien du Boi^emoere. Entre deux se trouve souvent une légère couche de glaise, qui se rencontre aussi quelquefois dans l'épaisseur du Bovemoere. Le banc de tourbe présente fréquemment des crevasses verticales que, dans la Flandre, on nomme Aardscheen ^ parce qu'elles sont remplies de glaise. Elles ont depuis quel- ques lignes jusqu'à trois ou quatre pieds de largeur, et sont le résultat du retrait de la matière tourbeuse. Les paysans les attribuent à un cours d'eau ; mais ils ont évidemment tort, puisqu'elles sont aussi larges et quelquefois plus larges dans le fond qu'à la partie supérieure , et que quoiqu'elles soient ordinairement verticales, elles sont aussi quelquefois inclinées au banc, et même très - inclinées , surtout lors- qu'elles ont peu de largeur. Ces crevasses se terminent toujours en coin. Les cendres de la tourbe donnent du muriate de soude, ou sel ordinaire, que l'on en extrayait il y a plusieurs siècles dans les îles de la Zélande , par un lessivage avec l'eau de^ mer. Cette fabiication formait même alors une très-grande branche de commerce ; mais le sel de France ayant été in- troduit dans ce pays , elle n'a plus pu se soutenir. Dans ces dernières années, une fabrique pour l'extraction de la soude contenue dans ces cendres, s'étî^jt établie à Ostendej mais 5 34 SUR LES CHA.NGEMENS il paraît que le produit répondait mal aux frais de fabrica- tion , et elle a cessé de travailler. Il n'est point rare de rencontrer, ainsi que nous l'avons déjà dit, des arbr«s dans la tourbe. Ces arbres sont tou- jours au fond de la couche, et reposent sur le terrain qui sert d'appui à la tourbe même ; de là leurs branches s'élèvent plus ou moins dans la masse tourbeuse. Ce sont ordinaire- ment des chênes qui deviennent fort noirs et fort durs après leur extraction , et sont très-recherchés pour l'ébénis- terie. Les autres espèces sont le sapin et le hêtre. On re- marque assez généralement que ces arbres , qui sont tou- jours entiers , sont couchés dans une direction constante j la tête entre le sud et Test. La tourbe offre encore assez fréquemment, surtout dans les environs de Dixmude, des noisettes et de la semence de genêt. On y trouve aussi des objets d'art. DeBast, dans son recueil d'antiquités romaines et gauloises , en rapporte un grand nombre. Ce sont pour la plupart des vases plus ou moins grands , fort étroits par le haut et par le bas , et renflés par le milieu , ou des plats plus ou moins grands. Ces objets sont en terre cuite rouge , brune ou grise , quelque- fois enjolivés de dessins ou même de figures fort bien faites. De Bast donne le dessin d'un de ces vases, sur lequel on voit des femmes qui portent la main droite sur la tête , et quelques autres ornemens parfaitement bien achevés ('). (>) Recueil d'antiq. , tom. II, plan. io3 , pag. 35o. DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 35 Caylus, rapporte quelques fragmens de vases trouvés à Nîmes, qui sont de la même espèce, et l'on en a trouvé de semblables à Bordeaux ('). Les vases dont parle De Bast, ont été déterrés dans les tourbières d'Oost-Duyn- kerke, Schoore, Pieters-Capelle, Zevecote, Slype, Lef- finghe, Bredene, Clemskerke, Wenduyne, Meetkerke et Houthave. Un plat déterré à Wenduyne porte dans son milieu des caractères romains, apparemment le nom du fabricant. Nous sommes nous-mêmes en possession d'un reste de verre conique, qui a été trouvé à la profondeur de deux pieds dans la tourbe. Il est terminé par un bout de tige courbe dont le reste est cassé, nous pensons que c'est un de ces verres sans pied dont se servaient les anciens Frisons. Ce n'est pas ordinairement dans la tourbe même que sont les objets d'art, mais bien dans la glaise qui la re- couvre , et surtout immédiatement au-dessus de la tourbe. Lorsqu'on en découvre dans la tourbe, ce n'est jamais qu'à un ou deux pieds de profondeur , excepté au milieu de la vase qui remplit les crevasses dont nous avons parlé. Nous tenons de paysans employés à l'extraction de la tourbe , que l'on a déterré un squelette humain étendu sur la partie supérieure du banc au village de Clemskerke , et qu'on en a déterré un autre à Leffinghe. Ces mêmes paysans (') f^oyez l'ouvrage cit^, p. 298. 36 SUR LES CHANGEMENS nous ont appris que souvent les vases se rencontrent près de monceaux de cendres et de tisons à moitié brûlés. Une des tourbières de Manekensveere , près de Nieuport , a offert , il y a trois ou quatre ans , une singularité d'une autre espèce 5 c'est un navire chargé de meules de moulins à bras , enfoncé dans la tourbe d'environ cinq pieds , et s'é- levant d'autant dans la glaise qui le recouvrait encore de quatre à cinq pieds 5 il paraissait avoir été brûlé en partie. La plupart de ces meules ont servi à paver la cour de la ferme dont la tourbière dépendait , mais les plus lourdes et les plus profondes , sont restées dans le navire qu'on a recouvert de nouveau 5 leur séjour, en terre les avait en- tièrement ramollies. Dans la même commune, ou dans celle de Slype, qui est à côté, on a trouvé, presqu'au fond de la tourbe , un ossement que l'on a considéré comme un tibia humain, d'une grande dimension, mais qui apparem- ment a appartenu à quelque quadrupède. Plus près du sol , on a trouvé des pipes à fumer , à fort petites têtes et très- grosses queues , probablement des premiers temps de la fabrication de cet objet , et d'autres choses qui datent d'é- poques assez récentes. Nous avons dit que les dunes formaient une des limites de l'argile 5 mais cela n'est vrai qu'à quelques égards ; car on voit encore quelquefois sur la grève , de l'autre côté des dunes, des espaces de glaises plus ou moins étendus, qui paraissent bien être le prolongement de la couche inté- rieure. On trouve aussi presque généralement sur la grève , DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 87 en creusant plus ou moins avant dans le sable, la même couche tourbeuse que l'on observe en-de-çà des dunes. Les paysans en ont extrait une grande quantité en 1828 , entre Ostende et Nieuport. Quelquefois cette tourbe vient à nu j et alors ces endroits sont dangereux pour les chevaux et les voitures qui s'y engagent. Elle parait être également à nu plus avant en mer ; car à chaque tempête, les flots en jettent une grande quantité sur le rivage. Ce qui a lieu aussi bien dans l'île de Walcheren que sur la côte de la Flandre. Cette tourbe est absolument semblable à celle que l'on extrait en-de-çà des dunes. jjo anjci k!; Ce que nous venons de dire de la constitution des bords de la mer, ne peut s'appliquer dans toute son étendue qu'à la partie qui est entre Dunkerque et l'Escaut. Depuis cette dernière ville jusqu'au delà de Calais, on ne trouve plus de tourbe, mais seulement de la vase assise sur le terrain de sable. La tourbe se présente ensuite encore 5 mais dans un espace assez rétréci , formant une petite vallée marécageuse très-étroite , et s'étendant depuis Sangatte à l'ouest de Ca- lais, jusque vers Ardres. La tourbe de cette petite vallée est à une profondeur très-variable d'un pied à six ou huit pieds. L'épaisseur de la couche y varie également , et il n'est pas rare de voir dans la même pièce de terre , une couche de six pouces et une autre de six pieds, à côté. On regarde comme assez extraordinaire , que sous le petit pOnt du mou- lin à eau de Guines , la tourbe ait vingt-huit pieds d'épais- seur. Ce fait a été constaté par M. Vaissières , ingénieur des 38 ;i SUR LES CHANGEMENS ponts et chaussées à Calais, avant l'établissement de ee pont ('). t, Ces tourbières fournissent aussi, comme celles de la Flan- dre, des chênes énormes non taillés. On y a trouvé encore près d'Ardres un bateau chargé de grain , il était devenu tout noir et paraissait , comme celui de Mannekensveere , avoir été brûlé (»). Dès que l'on a passé Calais d'une lieue , la côte et la con- stitution du terrain changent entièrement. Au lieu d'une côte basse et d'un pays plat et uni , on trouve les falaises et un terrain plus ou moins sinueux rempli de roches, que Ton ne voit aucunement dans la région qu'on vient de quit- ter. Avant de pénétrer dans cette nouvelle contrée , arrêtons- nous un instant sur la première falaise où nous sommes arrivés , sur le cap Blanez , et jetons delà un regard général sur celle que nous avons parcourue , et celles qui se trou- vent au sud -est. En se plaçant comme nous venons de le faire , sur la fa- laise du Blanez , on se trouve à l'une des extrémités d'une arête qui s'étend vers Terrouenne, Renti, Azincourt, Avesne , Bapaume, Bohain, La Chapelle, jusqu'à Chimay et Mau- bert-Fontaine , où commence le bassin de la Meuse. Elle forme une ligne de séparation des eaux. Celles qui coulent (') Note communicpiée à l'auteur par M. Pigault de Beaupré de Calais. ,(') Idem. , .,..,,,... , .■ ., . DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 39 du côté des Pays -Bas , se dirigent toutes vers le nord ou nord-est, et celles qui coulent de l'autre coté de l'arête, se dirigent vers le sud-ouest , puis bientôt vers le nord-ouest. Cette arête est seulement interrompue et non terminée au Blanez ; au delà du Pas-de-Calais , on la retrouve de nou- veau vers Falkstone, où elle continue dans la même direc- tion que sur le continent, c'est-à-dire, nord-ouest et sud- est, jusque vers Glocester. Si Ton examine maintenant sur le continent le versant septentrional de cette arête, on en voit partir, dans une direction assez perpendiculaire plusieurs bassins , dont les principaux sont ceux de la Sambre , de l'Escaut et de la Lys. Ils sont séparés les uns des autres par d'autres arêtes beaucoup moins saillantes, formant aussi lignes de sépara- tion des eaux. Celle de ces lignes qui sépare le bassin de l'Escaut de celui de la Lys , part d'entre Aubigny et Hou- dain , passe à Lietard, Orchies, Tourcoing, Mouscron , Rolleghem , Belleghem , Boveghem , Tieghem , Worte- ghem, Wanneghem, Cruyslioutem , et va se perdre vers Gand. L'autre bord du bassin de la Lys , commence près de la source de cette rivière à Azincourt , passe à Fruges par leWinterberg , l'Ebbelghemberg , TUstemberg , le Catz- berg et les autres collines qui vont jusqu'au Remelbergj de là il passe à Messines et Wytschatte , Gelevelt et Zille- beke, Zonnebeke, Passchendale , Rosebeke, Hooglede et Glûtsj puis entre Lichtervelde et Coolscampj ensuite à Eegliem , et après se dirige au nord jusqu'au canal de Bruges /,o .: SUR LES CHANGEMENS à Gand , qu'il traverse un peu à droite de Beernem, et se perd au delà de Maldeghem. Ce bord a presque une di- rection droite du sud-ouest au nord- est, et s'approche constamment de la mer. A partir de la ligne que nous ve- nons de tracer , se trouve au nord-ouest le bassin maritime , sujet spécial de ce Mémoire, auquel les autres bassins viennent aboutir. En jetant maintenant nos regards au sud du Blanez ,nous voyons le Bas-Boulonois renfermé dans une chaîne crayeuse qui part du cap Grinez et va en courbe presque demi-cir- culaire jusqu'à Neufchâtel, à deux lieues environ du port d'Etaples ('). Le cap Blanez appartient à une autre chaîne dont nous venons de tracer la direction, et qui est égale- ment crayeuse. Le Blanez lui-même est une falaise crétacée , de 5200 mètres de longueur. Le bas de cette falaise, prise à la hauteur de la maison du guetteur, est éloigné de la plus grosse tour du château de Douvres de 18,266 toises, équivalentes à SSjSgo mètres j ainsi qu'il résulte d'une opéra- tion faite en 1 7 ^7 , par le sieur de Bois-Forest , sous les yeux du prince de Croy. Le même ingénieur a trouvé la hauteur du rez-de-chaussée de la maison du guetteur du Blanez , au-dessus de la basse-mer , de 83 toises , i pied , 1 1 pouces (161 mètres, 72 centimètres), et l'escarpement de la falaise »'•»..■■' (') Mem. Ge'olog. sur les terrains duBas-Boul. , par M. Garnier , j>. 6, Boui logne-sur-Mer. i8a3. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. /|i vis-à-vis de la même maison , de 65 toises, i j)ied, 6 lignes , ((27 mètres) ('). En descendant le Blanez du côté du midi , on trouve à mille mètres de distance, un vallon fort étroit, nommé le Cren - d'Écoles. Et à aSoo mèlres est le banc de roches, nommé les Quenocs , qui est très-dangereux. Au pied du Blanez commence l'anse dite de Wissant , dont la courbure offre un développement de 60,000 mètres , avec un enfon- cement de io5o mètres. En cet endroit, la côte est plate et bordée de dunes , derrière lesquelles sont des marais , dont le lit est de sable mélangé de terre noire compacte, de 4 mètres d'épaisseur , assis sur un banc de galets de 60 à 70 centimètres d'épaisseur, reposant sur un tuf mêlé de coquil- lages. Plusieurs ruisseaux ou Rus , comme on les nomme dans cet endroit , traversent les dunes , de distance en distance , pour aller se perdre dans la mer (^). Après l'anse de Wissant, la côte présente un escarpe- ment qui forme le cap Grinez , et dont la longueur déve- loppée est de 6600 mètres. Cet escarpement met à décou- vert l'intérieur de la falaise. On y remarque des bancs de })ierre dure et de tuf de différentes espèces, ayant depuis (■) Mém. cite de M. Henry , p. la/J. (>) Idem, p. ia5. /ia SUR LES CHANGEMENS trois décimètres d'épaisseur , jusqu'à un mètre et au delà('). Par l'opération faite en 1757 , le prince de Croy a trouvé que de la falaise du Grinez , à la falaise de Douvres , ce qui forme le détroit, il y a I7,73i toises; c'est l'endroit de France qui approche le plus près de l'Angleterre (^). La plage en avant est couverte de roches sur une grande partie de sa longueur, et l'on nomme cette lisière le banc des Epau- lards. Après le Grinez , la côte forme la baie d' Ambleteuse , dont le contour est bordé de dunes très-élevées. Ensuite , la côte devient de nouveau escarpée , jusqu'à l'embouchure du Wimereux. La portion suivante forme de nouveau une lisière de dunes. Puis , viennent d'autres falaises escar- pées où la nature a mis en évidence les preuves irrécusa- bles du bouleversement qui , sans doute , a détaché l'île bri- tannique du continent des Gaules. Ces falaises vont jusqu'au port de Boulogne , où la crête a 69 mètres au-dessus du niveau de la basse mer. Le vallon de la Liane,, qui suit, a 860 mètres d'ouverture : c'est sur cette rivière que se trouve le port de Boulogne. Depuis la pointe de Chatillon , au delà de la Liane , jus- qu'au cap d'Alpreck, la falaise est très-escarpée, sur une .(') Mëm. cité de M. Henry, p. 127. (') Idem, p. 121. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 43 longueur développée de 4200 mètres. Vers le milieu , on voit les restes d'une ancienne redoute placée sur le bord de la fa- laise , et dont la moitié est écroulée dans la mer. Près de là , est le vallon du Portel, en avant duquel s'étendit les roches de l'Heurt et de l'Inheurt. Au delà , la côte continue à offrir alternativement des roches et des dunes, que nous ne nous occuperons pas à décrire , attendu qu'elles sont hors des li- mites de notre sujet. Nous passerons maintenant à la des- cription de la grève et des bancs qui se trouvent en avant. La grève que l'on nomme estrand , dans ces pays , est la plage qui se trouve entre les dunes et la mer et que la mer recouvre, plus ou moins, à chaque marée. Elle va en pente fort douce, depuis les dunes jusque dans le bassin de la mer, et sa largeur est variable depuis cent, jusqu'à deux mille toises. Elle est formée presqu'exclusivement de sable et de débris de coquillages. Sa largeur totale se divise en deux ou trois légères ondulations qui forment autant de bancs parallèles à la direction des dunes , lorsque la marée est haute. Ses bords , dans le plat-pays , ne sont pas sujets à de petites et fréquentes sinuosités, mais ils suivent, sans presqu'aucune dentelure, la direction générale de la côte. Il n'en est plus de même au delà du Blanez , où la mer forme beaucoup d'enfoncemens plus ou moins considéra- bles. Les laisses des haute et basse marées , qui sont les lignes où la mer s'arrête en montant et en descendant , sont va- riables comme les marées mêmes. Ainsi le plus grand écartfr- /,/, SUR LES CHANGEMENS ment de ces lignes a lieu aux syzygies , c'est-à-dire aux nouvelles et pleines lunes. La laisse de haute mer arrive rarement jusqu'au pied des dunes, excepté par des tem- pêtes 5 et alors la mer y cause des brèches quelquefois très- considérables. Le sable de la partie de Vestrand^ qui est entre la laisse ordinaire de haute mer et les dunes , étant presque toujours hors de l'eau , devient sec et mouvant , et s'enlève facilement lorsque le veut est violent; au point que, quand lèvent a la mêmedirection c^xxeVestrand^on croirait celui-ci couvert d'une légère vapeur. C'est au moyen de ce vol de sable , que les dunes se forment et s^entretiennent , ainsi que nous le dirons plus tard. Au-devant et le long de cette côte, la mer est peu pro- fonde. En partant du Pas-de-Calais, elle est embarrassée de bancs nombreux , qui s'étendent à une distance d'autant plus considérable en mer, qu'on s'éloigne davantage du détroit, et qui y rendent la navigation extrêmement dan- gereuse. Tous sont formés d'un sable fin, gris et noir. Entre les bancs , le fond est généralement du sable mêlé de vase ('). Tous ces bancs vont eu divergeant à partir de la pointe de Blanez, jusque dans la rade de Dunkerque. Au delà, ils se dirigent assez parallèlement à la côte, jusqu'à l'embouchure de l'Escaut. On peut, en général, "■ fjHfi *">{) ^j.-.-- (') Descript. Nautiq. delà côte de France, etc. , par M. Be.nutemps-Beaupie , p. I et 2. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 45 . regarder leur direction comme indicative de celle des cou- rans. Disons maintenant quelque chose des eaux qui se rendent à la mer sur cette même côte; ce sont l'Escaut, le Zwin, les criques et les canaux qui forment les ports d'Ostende, de Nieuport, de Dunkerque et de Calais, l'Aa, qui a son embouchure à Gravelines , le Wimereux et la Liane. L'Escaut prend sa source en France , dans le département de TAisne , à une lieue un quart du Q^elet , monte au nord , passe à Cambrai et Bouchain , où il prend à gauche la Censé et au-dessus, à droite, la Selle; arrose Valencien- nes et la Rousselle , où il commence à être navigable ; passe à Condé; reçoit à droite l'Aisne et à gauche la Scarpe; après quoi il entre dans le Royaume des Pays-Bas ; passe à Tournay , à Oudenarde et à Gand , où il reçoit à gauche la Lys; il coule de là vers Termonde, et reçoit à droite la Dendre, plus bas, à gauche, la Durme, puis à droite, le Rupel, et arrive grossi par toutes ces eaux à Anvers, où sa largeur est de 4oo mètres , et sa profondeur de i6mètres('). Il continue son cours en s'élargissant et mêlant ses eaux à celles de la mer ; il se divise bientôt en deux branches , dont la plus occidentale, qui reçoit le nom de Hont, ou Escaut occidental , longe le Zuid-Beveland , et se jette dans la mer entre l'île de Walcheren et Cadzand. L'autre branche passe {') ^'yf« la Carte du cours de l'Escaut , par M. Beautemps-Ueunpré (1800). 4G . SUR LES CHANGEMENS à Bergen-op-Zoom, et forme l'Escaut oriental, qui longe l'autre côté du Zuid-Beveland , forme les îles de W olfers- dyk et de Noord-Beveland , et se jette dans la mer , entre les îles de Walcheren et de Schouwen. Un peu au-dessous de Bergen-op-Zoom , part un autre embranchement del 'Escaut , qui passe àTolen, et va joindre le Reeten. C'est, prétend-on, par là que l'Escaut se rendait à la Meuse du temps de Gésar. A proprement parler , l'Escaut cesse d'exister à quelques lieues au-dessous d'Anvers, et tout le reste doit être consi- déré comme des bras de mer 5 car il n'y a aucun rapport entre le fleuve et la masse d'eau qui baigne les îles de la Zélande. Ce sont , ainsi que les bras de la Meuse , d'énor- mes criques par où la mer se jette à chaque marée , dans l'intérieur des terres , et dans lesquelles l'Escaut et la Meuse trouvent une issue. La mer y offre, sur une vaste échelle , le spectacle des inondations journalières qui ont été autre- fois si fréquentes sur toute la côte de la mer du nord. Nous insisterons davantage sur cette considération dans un autre chapitre. A une petite distance de la bouche occidentale de l'Es- caut est le Zwin, qui va jusqu'au delà de l'Ecluse. C'est une autre crique qui communique par plusieurs rameaux à l'Escaut , et qui s'étendait autrefois jusqu'à Damme^ où elle formait un port considérable , ainsi que nous le dirons ail- leurs. Les ports d'Ostende , de Nieuport , de Dunkerque et de DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 47 Calais , sont encore les restes d'anciennes criques. Dans ce-r lui de JNiquport se rend une branche de l'Yperlée, qui prend sa source un peu au-dessus d'Ypres 5 cette petite ri- vière , que l'on a canalisée , est presqu'à sec en été et forme un torrent fort rapide qui inonde au loin les terres avoisinan- tes , pendant la saison pluvieuse. A trois lieues d'Ypres , au fort de Rnock , s'y jette l'Iser , qui prend sa source au mont Cassel. Près de Dixmude , l'Yperlée se divise en deux bran- ches , dont l'une continue à se diriger vers Nieuport et l'au- tre, par Oudenbourg, vers Bruges. Cette dernière a plusieurs embranchemens dont un se termine à Middelkerke dans les dunes. Ce sont d'anciennes criques communiquant avec cette rivière. L'Aa prend sa source sur les confins de l'ancien Boulon- nais et de l'Artois , et , après avoir parcouru le pied des col- lines qui servent de limites à l'Artois , va se rendre à St.- Omer, circule ensuite dans le plat-pays, où il se divise en deux bras. Le plus petit, vers la droite, se nomme Col- me et se rend à Bergues; celui qui coule vers la gauche, conserve le nom d'Aa et termine son cours à Gra vélines , au milieu des sables , où il forme un petit port auquel com- muniquent quelques criques d'une médiocre largeur , signes de débordemens antérieurs de la mer, et qu'actuellement les wateringues ou watergans entretiennent ,iiii,,*,i..- (') Nouveau Dict. d'Hist. Natur. , art. Tourbe. 5o -J SUR LES CHANGEMENS Les marais ayant existé plus bas que le niveau de la mer , il en résulte que, pendant le grand nombre de siècles qu'il a fallu à la couche de tourbe pour se former , il a dû y avoir entre ces marais et la mer quelque obstacle qui s'opposât à l'envahissement de cette dernière. Voici comment nous concevons que cela a pu se faire. .■Le bassin maritime dans lequel les marais étaient , et qui , comme on l'a vu , forme une plaine extrêmement unie , com- posée, au-dessous comme au delà des couches tourbeuse et vasseuse , d'une couche puissante de sable fin , offre des preu- ves nombreuses de l'ancien séjour de la mer dans son sein. Pendant ce séjour, le bord N.-O. aura formé une suite de bancs semblables à ceux qui sont aujourd'hui en avant de la cote. Un événement quelconque , dont on ne peut guère assigner la cause , aura fait baisser promptement le niveau de la mer de plusieurs pieds , de manière à mettre à sec les bancs dont il s'agit. Ces bancs étant ainsi asséchés , des du- nes s'y seront bientôt formées , qui en auront élevé encore les parties hautes , et fortifié la nouvelle barrière opposée à la mer. Celle-ci n'ayant plus d'accès dans le bassin , Feau de mer qui s'y trouvait se sera évaporée , et aura été rempla- cée en partie par les eaux pluviales qui y tombaient , et qui , se réunissant dans la partie inférieure, auront formé les marais dont parle César, lesquels ont produit la couche de tourbe. Mais la mer qui n'a qu'un faible effet sur les corps qui y sont entièrement submergés , en comparaison de celui qu'elle DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 5i exerce sur ceux qui se trouvent à sa surface, n'aura pas plutôt trouvé dans ses nouvelles limites un obstacle à sa violence , qu'elle aura commencé à les ronger. D'un autre côté , le vent de nord-ouest aura constamment fait avancer les dunes vers l'intérieur, en transportant le sable dans cette direction. Ces deux causes réunies auront , par la succession des temps , fait disparaître tout le plateau élevé 5 il ne sera plus resté que les dunes, qui, n'étant plus défendues par une grève assez haute j)our que la mer ne vînt pas à leur pied , lui auront bientôt livré passage. Ici commence une nouvelle époqiie pour la géographie physique de cette côte. La mer déchire les dunes en beau- coup d'endroits ^ elle se jette avec violence par ces ouvertu- res et se répand dans les terres , qu'elle couvre de plusieurs pieds d'eau. Dans sa furie , elle entraîne tout ce qu'elle ren- contre, renverse les pauvres habitations qui se trouvent le long de la côte, et précipite dans la plaine les hommes et les ustensiles de ménage. Mais bientôt la marée descendante vient mettre un terme à l'impétuosité de l'eau. Elle s'écoule par où elle était entrée , pour revenir encore à la marée suivante. Des villes situées à plusieurs lieues de la côte voient main- tenant deux fois par jour la mer arriver jusqu'à leurs murs. Les eaux , en se retirant , se creusent des lits , et les criques paraissent. Ces criques s'approfondissent considérablement par le courant continuel des marées montantes et descen- dantes, et des ports capables de contenir les plus grandes flottes de ces temps , existent en plusieurs endroits. HipHftî 5?i SUR LES CHANGEMENS Mais tout ce mouvement n'aura qu'une durée momenta- née. La mer porte en elle-même le remède au bouleverse- ment qu'elle vient de produire. En arrivant sur ces terres , ses eaux tenaient en suspension une grande quantité de vase apportée dans son sein par les rivières avoisinanles , et que les flots soulevaient 5 mais retrouvant ici le calme , elle la laisse se précipiter et former le premier feuillet d'une cou- che vaseuse. Chaque jour de nouvelles eaux viennent ap- porter un nouveau feuillet à cette couche, qui, avec le temps, acquerra une épaisseur de plusieurs pieds. , On conçoit en effet que , quelque mince que soit chaque feuillet, ces dépôts, renouvelés deux fois en vingt-quatre heures, doivent assez promptement exhausser le fond. On conçoit aussi que l'épaisseur de ces feuillets doit être plus grande en hiver , lorsque la mer est agitée , qu'en été , lors- qu'elle est tranquille; qu'ils doivent être d'autant plus épais que l'eau est plus profonde, puisque ^ s'il y a une certaine quantité de vase suspendue dans un pied d'eau , il y en aura deux fois autant dans deux pieds 5 qu'enfin l'é- paisseur du feuillet diminue à mesure qu'on s'éloigne de l'endroit par où la mer est entrée j car elle ne sera parvenue aux lieux les plus éloignés qu'après avoir abandonné en che- min une partie de la vase qu'elle chariait, outre que ces lieux , ordinairement plus élevés , auront été couverts d'une moindre quantité d'eau, et que d'ailleurs l'eau n'y sera ja- mais montée à la même hauteur qu'au lieu de l'irruption , puisque la marée ne restant qu'un quart d'heure à son plus DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 53 haut point , le niveau ne se sera établi qu'après que la marée s'était déjà retirée. Aussi remarque-t-on que le sol est plus élevé le long des dunes que plus avant dans l'intérieur ('). L'exhaussement du sol doit donc s'être fait dans un temps assez court, surtout dans le principe de l'invasion. Bientôt il sera arrivé que plusieurs parties de ce terrain n'auront plus été que légèrement couvertes dans les marées ordinai- res. Les criques ne recevant plus que peu d'eau , se seront à leur tour envasées. Les ouvertures mêmes par où elles com- muniquaient à la mer, se seront oblitérées par l'une ou l'autre cause, comme une tempête ou un vol de sable consi- dérable. Ce dernier effet a même pu se produire avant que le sol ne fût élevé à son niveau actuel ; de sorte que les scènes d'inondation ont dû, comme Thistoire nous l'apprend, se renouveler plusieurs fois , surtout dans les temps oùTindus- trie humaine était assez avancée pour réparer les effets des tempêtes , ou ajouter par des digues à l'effort naturel des dunes. Cependant, la mer et le vent n'ont point ^cessé leur action sur les dunes. Celles-ci ont continué à rentrer , tellement qu'une partie de la couche de glaise et de la couche tour- beuse qu'elles recouvrent , se sont montrées sur la grève et ont ensuite passé sous la mer, où elles son,t maintenant expo- sées à ses efforts. ''R'tîJ'ïb ?nBb isiJns'b v^^jiido ^.no'(0q i^iod «sd-.èiiièv 9JJ9D Tirrroiq >.3iijitl(")! .1') .(^J'iju ;»b -i'jr ) J'>Tr.{ ah ^.noily'ioM') [ ^'A) <"ni\) if.^n J'»(^ Mém. cite db l'abW Manrt, p.'^. '3 ÙO^ aVîjliiftnVl! 54 SUR LES CHANGEMENS {(f Tel est le tableau de la révolution opérée par l'épanche- ment de TOcéan sur ces terres , et des causes qui y ont donné lieu. Dans ce tableau, une seule chose est hypothétique, c'est ce qui concerne les temps antérieurs à l'invasion 5 car , quant aux effets de l'invasion même , ils sont trop patens , ils se renouvellent trop souvent encore sous nos yeux , ainsi que nous le ferons voir bientôt, pour qu'on puisse douter un instant de leur réalité. g^f ^gi; S'il n'est pas possible de s'assurer des véritables causes qui ont retenu la mer hors du bassin qui nous occupe, pour l'y faire revenir ensuite, il est au moins facile de faire voir combien celles que nous avons assignées sont probables , et combien elles sont d'accord avec la connaissance que l'on a des révolutions de la mer et de sa manière d'agir sur les cô- tes. C'est ce qui fera l'objet du chapitre suivant. ^^ ^ i'»4#^.fl 3 ^CHAPITRE QUATRIÈME. .•i, Preui^es à l'appui de ce qui est dit au chapitre ,ii.;j précédent. _.,. .. :,..f 1 Trop de monumens prouvent l'ancien séjour de l'Océan dans le Tractus qui borde la mer d'Allemagne , pour que nous soyons obligés d'entrer dans de grands détails afin de prouver cette vérité. Les bois pétrifiés qui portent encore les marques des perforations du taret (ver de mer) , et les bancs d'écaillés marines que l'on trouve à Alteren^ entre Gand et DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 55 Bruges , rendent cette vérité incontestable. Mais , à défaut d'autres preuves , la couche puissante de sable , parsemée çà et là à sa surface , d'ailleurs si unie , de quelques légères élé- vations en forme de bancs , ferait assez voir que ce terrain, absolument semblable à celui de la mer qui le borde, a été formé par elle , et que ce n'est que dans des temps assez ré- cens , par rapport aux grandes catastrophes qui ont boule- versé la terre, qu'elle s'est retirée de ces lieux, ^.j > /. ..l. ..>j Dans cette retraite , la mer a abandonné non-^séulémient les parties élevées du bassin , mais le bassin entier , y compris ce qui était à plus de vingt pieds au-dessous de son dernier ni- veau, et c'est ce qui se prouve par l'existence de la tourbe dans ces lieux, comme nous l'avons déjà fait remarquer. A la vérité , une opinion populaire qui règne généralement dans ces contrées , attribue la tourbe non pas à une végétation annuellement renouvelée, mais à une grande quantité de matière végétale amoncelée par la mer pendant un terrible débordement. Cette opinion ne peut soutenir l'examen : car , en premier lieu , on ne conçoit pas où la mer aurait été chercher cette quantité de matière végétale 5 puisqu'en sup- posant même que la terre en cet endroit eût été couverte d'arbres , encore cela n'aurait-il tout au plus servi qu'à former une couche continue de quelques pouces d'épaisseur. En se- cond lieu , les forêts que César trouva dans le pays des Morins et des Ménapiens, ne s'étendaient pas jusqu'aux bords de la mer, qui étaient remplis de marais. En troisième lieu, les ar- bres qui se rencontrent de distance en distance dans la tourbe, 56 SUR LES CHANGEMENS sont encore entiers et Lien conservés , et les moindres brins lignieux de bruyères ont encore la forme qu'ils avaient dans le principe ; donc ce n'est pas au moyen d'aibres que la tourbe- a été formée. Si la tourbe était le résultat d'une invasion de la mer qui aurait amassé dans les lieux bas les végétaux trouvés sur son passage , on ne verrait pas constamment les plan- tes et racines aquatiques par-dessous, et les plantes des prés et des bruyères par-dessus 5 on ne verrait pas la tourbe se séparer par feuillets 5 mais elle présenterait un mélange confus de toutes les matières qui la composent , et ne se sé- parerait pas mieux dans un sens que dans un autre j car c'est une règle générale que, lorsqu'une substance minérale se di- vise par couches , ces couches ont dû se former les unes après les autres. On ne peut pas prétendre non plus que la mer a déposé chaque jour une partie de cette matière végétale pour for- mer ainsi des couches successives 5 car cette matière , aban- donnée par la retraite des eaux, aurait été de nouveau sou- levée à cause de sa légèreté , à la marée suivante , et ainsi la tourbe n'aurait pas pu se former. Mais une réponse sans ré- plique, c'est qu'on ne trouve dans la tourbe aucune trace de plantes marines, qui devraient y être en grande abondance, si la mer avait formé cette tourbe , puisqu'elle jette constam- ment une grande quantité de ces plantes sur la grève, sur- tout pendant les tempêtes. Il est donc certain que la tourbe s'est accumulée peu à DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 5; peu et sans Tintermédiaire delà mer; donc avant que la mer fût revenue sur une partie de ces terres. C'est-à-dire qu'elle s'est accumulée là, comme elle s'accumule habituellement. Il est certain aussi qu'elle a commencé à se former dans un im- mense marais, puisque la partie inférieure du banc n'est compo sée que de joncs etd'autres plantes aquatiques. Ces plantes, par leur dépérissement annuel , ont insensiblement exhaussé le fond du marais qui a été transformé en un pré d'une égale éten- due , couvert d'eau seulement en hiver , sur lequel les roseaux ne croissaient plus , mais qui donnait une herbe abondante , dont les débris venaient encore chaque année ajouter une cou- che à la tourbe. C'est alors que ces plantes ligneuses ont com- mencé à paraître et ont crû en si grande quantité. Enfin, en beaucoup d'endroits , ainsi que cela a encore lieu tous les jours dans les prés qui ont long-temps porté de l'herbe , la mousse seule a couvert la terre et est à son tour venue con- tribuer à la formation de la tourbe. Si la tourbe est une substance entièrement étrangère à la mer, il est clair que cette dernière n'avait aucun accès aux lieux où elle se formait ; car les plantes d'eau douce ou des prés ne pourraient croître dans l'eau de mer. D'ailleurs , le fond pri- mitif du marais se trouvant 1 5 ou 20 pieds plus bas que la mer, celle-ci aurait empêché toute végétation en cet endroit, si elle y avait versé chaque jour i5 ou 20 pieds d'eau salée. La seule chose qu'elle eût pu faire c'eût été d'y apporter du sable ou de la vase. Il n'est guère possible de déterminer d'une manière satis 8 58 SUR LES CHANGEMENS faisante combien il a fallu de temps à la couche tourbeuse pour se former. L'accumulation de la tourbe ne s'opère pas partout également. Dans certains endroits, elle a lieu très- promptement. Par exemple , dans les environs d'Aire , les tourbières peuvent s'extraire tous les dix-huit ans , et la cou- che a alors 9 à lo pieds d'épaisseur. Ailleurs cette formation est infiniment plus lente. Ainsi à Tronchienne , près de Gand , où l'on trouve de temps en temps dans les tourbières des an- tiquités de la période romaine, on déterra, en i8ii ('), à six pieds de profondeur , un plat de terre cuite rouge , au milieu duquel on voit quelques caractères romains , et à peu près au même temps et au même endroit quelques médailles romaines du règne d'Auguste et d'Adrien. Il en résulte que depuis ce dernier empereur il ne s'est formé que six pieds de tourbe en ce lieu. On trouva, en 181 2 , dans les mêmes tourbières , mais à onze pieds de profondeur , une statue à^Anuhis^ en bois de chêne, ayant une tête de chien (=). Cette statue doit être bien antérieure à la période romaine , s'il faut en juger par la profondeur à laquelle on la décou- vrit 5 mais avant de tirer quelque conclusion à cet égard , il faudrait plus de données sur cet objet. Quant à la tourbe du bassin maritime , on conçoit qu'il a fallu d'abord un certain nombre d'années pour faire évaporer l'eau de mer qui y était (i) Sec. supp. au Rec. d'antiq. par De Bast , p. 2o3. (») Ibid. , p. 2o3. DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 5() restée après la retraite de l'Océan. En supposant qu'à partir du moment où la tourbe a paru, elle ait augmenté de l'épaisseur de deux millimètres par an , ce qui répond assez bien à l'épaisseur des feuillets de VOpermoere , ou tourbe supérieure, et en prenant la plus grande hauteur de la couche, c'est-à-dîre i5 ou i6 j)ieds de Flandre, ce qui fait à peu près 4 mètres 5 décimètres , on aura environ 2,25o ans pour le temps nécessaire à la formation de la couche. Il est remarquable qu'en supposant que la mer soit rentrée dans ce trac tus pendant , ou peu après la domination romaine, comme nous tâcherons de le faire voir dans la suite de ce Mé- moire, ce calcul nous reporte vers le temps auquel on fixe le déluge universel} de sorte qu'on seraitpeut-être en droit d'en conclure que la mer s'est retirée de ces terres par suite de ce déluge , qui a fort bien pu aussi rompre l'isthme qui joi- gnait l'Angleterre au continent. L'abbé Mann , dans son Mé- moire à l'Académie de Bruxelles (') , pense aussi que ces chan- gemens sont arrivés peu après le déluge , et en dedans des looo ou I200 ans qui ont suivi cet événement. Cet auteur ne nous ditpas sur quel fondement il établit cette conjecture. Nous avons supposé que la mer , malgré sa retraite , était restée à i5 ou 20 pieds et plus au-dessus du point le plus bas du bassin qui la borde. On pourrait faire une autre sup- position , et croire que la mer a d'abord baissé assez pour (>) Mém. de l'Acad. de Bruxell. , tom. I, p. 75. 66 SUR LES CHANGEMENS que le point le plus bas du bassin fût au-dessus de son ni- veau, et qu'ensuite elle s'est élevée de nouveau assez pour venir inonder une partie du bassin. Mais la possibilité de cette fluctuation n'est pas facile à concevoir; il faudrait que la mer eût d'abord baissé de 4© ou 5o pieds , pour re- monter ensuite de 20 à 3o , ce qui n'est guère probable. D'ailleurs, la mer aurait dû s'élever ainsi depuis les Romains, puisque nous avons vu que Tinvasion leur était postérieure. Or, comme l'a fort bien remarqué Lulofs (') , la mer n'a point changé sensiblement de niveau depuis ce temps. Tacite donne non-seulement à l'île des Bataves , le nom d'insulam inter- vada sitam , u/fé île située entre des eaux guéables 5 mais il dit ailleurs , que c'était une île basse et marécageuse , palustrem humilemque insulam. Si la mer était mainte- nant plus élevée de 20 ou 3o pieds, cette île qui, d'après des observations prises , ne se trouve aujourd'hui qu'à deux pieds au-dessus du jusant moyen, aurait donc été du temps de Tacite à une trentaine de pieds au-dessus du jusant moyen 5 de sorte qu'on n'aurait pas pu dire alors que l'île des Bataves était basse et marécageuse. Notre hypothèse exige , il est vrai , que la mer , dans sa retraite, ait mis à nu un plateau qui s'est interposé entre elle et le bassin qu'elle quittait 5 mais quoi de plus probable que (■) Aanmerk, over het rijzen der zee, enz. , in de P^erhand. van de Maat- schap. der wetens. Te Haarlem, I' deel, bl. 56 ; et Encyc. méth. géog, phys. , tom. I , p. 3i5, § ig. DE L/V COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 6i cela, lorsque l'on considère sur la carte, qu'en avant de la côte, se trouvent d'autres files de bancs rangés parallèlement au rivage? Qu'une nouvelle baisse de la mer ait lieu instan- tanément, et Ton verra se reproduire les mêmes effets que ceux que nous venons de décrire. )VO'. :/ .f : ■ Nous avons dit que la retraite de la mer s'était opérée instantanément, ou dans un court espace de temps. Voici ce qui nous porte à penser ainsi. S'il est certain que la mer a régné dans le bassin maritime dont nous nous occupons ^ s'il est certain que le fond de ce bassin était de 20 à 3o pieds plus bas que le niveau actuel de la mer 5 et que la mer, après s'être retirée, n'a pu être retenue hors de ce fond pendant un grand nombre de siècles, que par une côte élevée qui , elle-même , ne pouvait être comppsée que ''•^■^ de sable, terrain commun à la partie abandonnée et au lit actuel de la mer, il nous semble qu'il n'y a point de doute que la retraite n'ait eu lieu brusquement. Car, si la mer avait diminué insensiblement en découvrant petit à petit le faite du banc qui bordait le bassin , n'est-il pas plus que probable, qu'en exerçant sa violence contre la partie décou- verte , elle l'aurait enlevée à mesure que cette partie se serait présentée hors de l'eau 5 de la même manière que, par la suc- cession des temps , elle est parvenue à enlever le banc tout entier, et qu'ainsi elle n'aurait jamais cessé d'avoir commu- nication avec le bassin dont il s'agit ? Quelle a pu être la cause d'une si subite retraite? Si l'on pouvait se contenter de conjectures en cette matière, nous 62 SUR LES CHANGEMENS mi serions tentés de l'attribuer à la rupture de l'isthme , qui a existé entre la France et l'Angleterre, et nous appuierions des considérations suivantes cette supposition, que nous trouvons avoir déjà été formée par Verstegen , et combattue par EyndiuSj au moyen de raisons que l'on n'admettra certainement pas aujourd'hui ('), et que l'abbé Mann a reproduite dans le Mémoire que nous avons déjà cité plu- sieurs fois. Rien n'est plus propre à changer le niveau relatif des eaux que les courans. On peut s'assurer de cette vérité par l'inspection de ce qui arrive en avant d'une écluse qu'on lâche. On aperçoit Irès-visiblement la surface de l'eau pré- senter des courbures plus ou moins prononcées selon la force du courant. Il n'est donc pas impossible que le nou- veau courant venu de la Manche , en se combinant avec l'an- cien , qui arrive par le nord de l'Ecosse , ait fait baisser la mer sur nos côtes de quelques pieds. Cela est d'autant moins improbable que le flot venu de la Manche, et qui s'étend le long des côtes orientales de la mer d'Allemagne , depuis Calais jusqu'au Holstein et au Jutland, va toujours en di- minuant de hauteur en s'avançant vers le nord ; en sorte que les fortes marées qui montent à Calais de 20 pieds et à Douvres de 25, ne montent à Dunkerque que de 19 pieds et demi, à Nieuport de 17 pieds, à Ostende et l'Ecluse de (') Ployez Smallegang , Kron. van Zeel. , p. 3. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. jS3 i6 pieds, à Flessingue de i5, à Hellevoetsluis et au Texel de 1 2 , et sur la côte du Jutland seulement de 2 ou 3 pieds 5 tandis qu'elles sont de 20 à 25 pieds sur les côtes correspon- dantes de l'Angleterre ('). i^hnii Il résulte de ce phénomène singulier, qui paraît être l'effet du rétrécissement du passage entre Douvres et Wissant , et de la configuration des côtes de France et d'Angleterre (*), que le flot qui vient de la Manche , et qui est toujours plus élevé dans la partie méridionale du détroit, que dans la partie septentrionale (^) , exclut le flot qui arrive par le nord de l'Ecosse, quoique celui-ci surpasse le premier en hauteur. Or , avant la rupture de l'isthme de Calais , ce dernier cou- rant entrant par une direction sud-est dans la mer d'Alle- magne , qui se terminait en pointe vers cet isthme , devait s'y accumuler considérablement 5 comme cela a lieu dans le fond de tout golfe long et étroit, lorsque sa direction est aussi celle du courant. Ainsi les marées produites par ce courant , devaient être plus considérables encore que celles qui ont lieu sur les côtes d'Angleterre , le long desquelles il ne fait que glisser. Si donc on considère que les marées actuelles sur les côtes qui bordent la mer d'Allemagne à (t) f oyez Encyc. mëth., géog., phys. , art. Allemagne {mer d') , p. 292. — Descript. naut. de la côte de France , par M. Beautemps-Beauprë , Paris , an XII , p. 4. {■>) Essai Hist. , etc. , de Boulogne , par M. Henry , p. laa. (3) Ibid. 64 SUR LES CHÂNGEMENS l'orient , sont plus basses de quelques pieds , que celles des côtes correspondantes de l'Angleterre , et qu'avant la rup- ture de l'isthme, elles devaient être plus fortes de quelques pieds , on comprendra qu'avant la rupture , la mer a pu cou- vrir de grandes parties du continent, qui, lors de cette rup- ture , ont été subitement abandonnées. On objectera peut-être , que puisque les marées produites par le flux qui vient de la Manche , diminuent en hauteur à mesure qu'il s'avance, on doit en dire autant du flux ve- nant du nord. Mais cette raison d'analogie n'existe pas. En effet , le Pas-de-Calais , par son peu de profondeur et sur- tout son peu de largeur , ne livre passage qu'à une petite quantité d'eau, qui , en s'étendant sur une plus grande sur- face à mesure qu'elle avance , doit nécessairement perdre de sa hauteur; tandis qu'un effet tout contraire devait avoir lieu par rapport à l'autre flux, qui, arrivant sans obstacle par la large ouverture de la mer du Nord, s'élevait nécessairement davantage à mesure qu'il était plus resserré entre les bords de la mer d'Allemagne. »-!■ Que l'on ne s'étonne pas de nous voir supposer à la mer des niveaux différens selon les lieux ; car l'établissement des marées , si variable selon les divers points où on l'observe , ])rouve assez que nous sommes en droit de le faire. D^ail- leurs , des observations récentes prouvent incontestablement que la mer n'est pas partout au même niveau. Nous pourrions ajouter ici d'autres considérations en faveur de l'opinion que nous avons émise 5 mais comme les DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 65 données recueillies sur les marées , sont encore en trop petit nombre pour pouvoir en tirer quelque conséquence certaine, et que nous ne voulons pas attacher trop d'importance à une simple hypothèse , nous n'en dirons rien de plus , et nous nous contenterons de la presque certitude, ou du moins de la grande probabilité que les eaux se sont retirées brus- quement de cette partie de notre continent. La retraite de la mer une fois opérée , voyons comment la berge ou hauteur qu'elle avait mise à sec dans cette re- traite, a pu disparaître par l'effet de l'eau et du vent. Nous remarquerons d'abord, que puisqu'il existe des dunes le long de ces côtes , il a fallu qu'une partie assez considérable du banc asséché ait été entièrement abandonné par la merj car les dunes ne s'élèvent que par le vol du sable sec, et le sable ne sèche que quand il est resté pendant plusieurs jours entièrement hors de l'eau. Mais cette condition remplie, rien ne se forme plus vite que les dunes. Aussitôt que le vent souffle avec un peu de violence ^ tout le sable sec se met en mouvement avec une grande célérité , et vole tant qu'il trouve un obstacle ou de l'eau. S'il reH*cfhft"e un obstacle quelconque, comme une touffe d'hoyat (espèce de gra- minée , qui croît dans les sables secs de la mer , et s'élève à plus de deux pieds), il s'y arrête, s'y amoncelé et y forme le rudiment d'une dune, qui s'augmentera à la prochaine occasion, si la touffe d'hoyat a eu le temps de s'élever au-dessus du monticule, ou si d'autres pieds sont venus se fixer sur le premier, La nouvelle dune s'élè- 9 66 SUR LES CHANGEMENS vant constamment, acquerra avec le temps une hauteur assez considérable. La nature semble avoir pourvu spécialement à la forma- tion des dunes, en y faisant croître Vhoyat (arundo arenaria de Linnée). Cette plante infiniment précieuse , se multiplie à l'excès dans les sables les plus arides. Plus la chaleur et la sécheresse sont excessives , plus elle est verdoyante et plus elle croît. C'est dans l'air qu'elle puise , par l'effet d'un mé- canisme admirable , l'humidité dont elle manque souvent à ses racines 5 ses brins fendus s'ouvrent pendant la nuit _, et découvrent une moelle blanche divisée en rubans, dont tout leur intérieur est tapissé : cette masse d'épongés s'a- breuve de l'humidité de l'air et de la rosée. Le matin , ces brins se referment et redeviennent aussi ronds que des joncs. Les touffes de cette plante présentent aux sables un obstacle insurmontable. Trois forts pieds bien placés peuvent retenir et fixer beaucoup plus de sable , que le plus grand chariot n'en pourrait contenir. Plus l'hoyat reçoit fréquemment du sable nouveau, plus il pousse, ainsi que l'expérience le confirme journ^lfè»ement. Le sable en se buttant à mesure qu'il s'élève, augmente la végétation ('). Mais les dunes n'ayant aucune consistance réelle, se détruisent presqu'aussi facilement qu'elles se forment. Le passage fréquent des hommes ou des animaux , de manière (') Mém. cité de M. Henry , p. 189. DE L\ COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 67 à faire périr l'hoyat , va , au premier coup de vent , en enlever une grande partie. Si le vent est très-violent et qu'il s'engage entre deux dunes élevées , de manière à y tournoyer , on voit en peu d'instans la j)artie intermédiaire jusqu'au pied, s'élever en tourbillon, et être lancée en pluie de sable à une ou deux lieues. Le vent est si fort en cet endroit, dans ce moment, qu'on a peine à s'y tenir, et qu'on se sent comme soulevé. C'est une véritable trombe qui, d'une certaine distance, se présente comme une colonne de fumée. Ces brèches, quelque fréquentes et quelque apparentes qu'elles soient, ne peuvent pourtant pas être comparées pour l'effet , au vol que le vent de mer occasionne. Ce vol n'est guère sensible dans un court espace de temps, si les du- nes sont bien garnies d'hoyat , mais il le devient beaucoup au bout d'un certain nombre d'années. Par exemple, on aperçoit très-visiblement dans un intervalle de 20 à 3o ans , selon les lieux et le soin que l'on prend des plantations , que le bord intérieur des dunes avance dans les terres. Le sable ainsi enlevé par le vent, est toujours remplacé par celui que le même vent apporte de la grève , à moins que la mer ne se retire en déposant une couche de vase , comme à l'ouest de Dunkerque. On sent que le vent transportant ainsi constamment le sable du plateau laissé à nu, pour en former des dunes, a dû sans cesse le diminuer, surtout si les courans de la mer tendent aussi de leur côté à enlever le sable de la côte. G8 SDR LES CHANGEMENS plutôt que d'en apporter de nouveau, comme il paraît que c'est le cas depuis Nieuport jusqu'à l'Escaut et au delà. La mer paiviendra donc enfin au pied des dunes, et bientôt détruira en partie ce que le temps s'est plu à former. Au premier vent violent, agissant dans la direction du flux, et favorisé par une pleine ou nouvelle lune, la mer amoncelée sur la côte, va frapper avec fracas contre ces dunes, et à chaque vague, en enlèvera des parties considéra- bles que le courant emportera au loin. Alors ces collines disparaissent et semblent se fondre comme si elles étaient de sel. On a quelquefois vu, pendant les grandes marées, les du- nes être rongées ainsi sur une grande étendue et sur une pro- fondeur de plusieurs verges. Chaque année, entre Ostende et l'Escaut , elles le sont tellement , qu'elles se trouvent à pic. Il est vrai que le sable ainsi entraîné par les flots , revient en grande partie l'été suivant , mais la dune a été ébranlée , rhoyat déraciné, et le vent a chassé vers l'intérieur une partie de ce que la mer n'a pu atteindre. On comprend donc comment, à la longue, toute la hau- teur qui bordait la côte a pu être enlevée , et comment la mer a pu se frayer un chemin au travers des dunes , pour se jeter de nouveau dans une partie du bassin qu'elle avait abandonnée. Il ne reste plus qu'à faire voir comment la mer , en fai- sant invasion dans ce bassin , a apporté la couche de glaise que nous y trouvons. C'est ce qui sera extrêmement facile , DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 69 puisqu'il suffira de rapporter ce qui a lieu encore tous les jours en plusieurs endroits. Les circonstances locales différant d'un point à un autre dans l'étendue de nos côtes, quoique d'une manière peu sensible , on comprend facilement que la mer n'a point fait disparaître en une fois toute la chaîne de dunes , mais qu'elle s'est contentée de faire des trouées, tantôt sur un point, tantôt sur un autre. Par exemple , les dunes n'ayant pas partout la même hauteur, et encore bien moins une lar- geur constante 5 et d'un autre côté , la laisse de haute mer , s'approchant inégalement de leur pied , il est visible que les points , où les circonstances favorables à l'invasion concouraient , ont été les premiers franchis 5 tandis qu'une infinité d'autres sont restés long-temps encore intacts. La direction des courans aura surtout contribué à entamer tel point plutôt que tel autre, suivant qu'elle portait vers la terre ou au large. Cette marche de la nature a été nécessaire pour former la couche d'argile aussi promptement qu'elle l'a été j car sans cela, la mer se précipitant de tous les côtés à la fois dans le bassin , y aurait versé une quantité trop considérable d'eau , pour qu'elle put s'y calmer au point d'abandonner toute la vase qu'elle tenait suspendue. La mer aurait régné des deux côtés du plateau avec à peu près la même agitation 5 c'eût été presque comme avant sa retraite, et le fond n'aurait guère haussé. La mer s'est donc formé de simples ouvertures , dont la 70 SUR LES CHANGEMENS plupart se sont ensuite bouchées , et dont le Zwin , les ports d'Ostende, de Nieuport, de Dunkerque et de Calais, sont les seules qui soient restées, grâces aux soins que l'on prend à les entretenir. Ce qui s'opère autour de ces ports , donne la mesure de ce qui a eu lieu sur toute la côte. Ostende , par exemple , recevait autrefois à chaque marée une quantité énorme d'eau, qui inondait tout le pays , à plus de deux lieues des côtes , et s'étendait à droite et à gauche , jusqu'à ce qu'elle rencon- trât les eaux qui étaient entrées par d'autres ouvertures , comme le Zwin , près de l'Écluse, et celle qui existait dans ces temps au village de Middelkerke , à mi-chemin d'Os- tende à Nieuport. Cette eau entrait avec une très-grande violence et approfondissait ainsi considérablement ïe chenal. Elle sortait avec la même force , mais non sans avoir laissé beaucoup de vase sur les terres où elle avait coulé , et for- mait en se retirant de nombreuses criques _, qui affluaient les unes dans les autres , et venaient toutes se réunir au tronc commun. Beaucoup de ces criques se sont oblitérées depuis 5 mais on en conserve encore plusieurs qui se recon- naissent facilement à leurs replis multipliés , et qui servent maintenant à l'écoulement des eaux pluviales. L'eau de la mer près de nos côtes , est pendant une grande partie de l'année chargée de vase et d'un peu de sable , qu'elle n'abandonne que quand elle est tranquille. En se répandant dans l'intérieur, elle y portait cette vase qu'elle y laissait dé- poser, et qui ainsi exhaussait le fond sur lequel elle tombait. DE lA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 71 Cet ejdiaussement doit s'être opéré fort inégalement se- lon les localités et les temps, et il serait très-difficile de calculer le temps qu'il a fallu pour qu'il parvint à sa hau- teur actuelle. Les premiers feuillets de la couche ont dû , ainsi que nous l'avons déjà remarqué , être bien plus épais que les derniers, qui n'étaient que le produit d'une faible j)rofondeur d'eau. Ceux-ci ne se sont d'ailleurs formés qu'à des époques plus ou moins éloignées les unes des autres , et pendant les marées fortes, lorsque l'eau montait assez pour couvrir encore ce sol , qui déjà commençait à dépasser le niveau des marées faibles. CHAPITRE CINQUIÈME. Des Inondations qui ont eu lieu sur ces Côtes. , {>'• .. 'V Nous nous sommes bornés jusqu'à présent à considérer notre sujet d'une manière plus ou moins générale. Il con- vient maintenant de descendre dans les détails et de rap- porter ce que l'histoire a conservé de ces effets de la mer , aussi terribles que surprenans. Il est bien difficile de déterminer quand ont commencé ces inondations qui portent partout l'effroi et la mort , et où a eu lieu la première. Le cours des eaux intérieures , qui se dirigent généralement vers le nord, jusqu'à la mer Bal- tique , fait penser que le terrain va en s'abaissant de ce côté , et qu'ainsi les parties les plus septentrionales, auront été les 7a SUR LES CHA.ISGEMENS premières exposées : c'est aussi ce que tout confirme. L'in- spection des bords de la mer ne fait voir, à partir de l'Es- caut , que des îles et des golfes jusqu'à l'extrémité du Jutland 5 tandis qu'en-de-çà de l'Escaut, la côte est continue. Or, tout annonce que ces îles et ces golfes sont l'effet de la mer. La moindre élévation des marées en général , à mesure qu'on avance vers le nord, est une nouvelle cause de ravages 5 car , pendant les tempêtes , le vent , dont la force va en augmentant avec la latitude, y élève l'eau beaucoup plus haut au-dessus du niveau ordinaire, qu'il ne pourrait le faire si ce niveau était moins bas. L'histoire conduit à la même conclusion. Plus d'un siècle avant l'ère actuelle , les peuples du Jutland furent obligés , par les inondations fréquentes, de quitter leur pays et de chercher au loin un nouvel asile , qui leur fut partout re- fusé ('). C'est à ces inondations que l'on a donné le nom de déluge Cimbrique. Plusieurs auteurs modernes ont, à la vérité , pensé que ce déluge ne s'était pas borné au pays des Cimbres ; mais qu'il s'était étendu dans une grande par- tie des Pays-Bas , et avait compris dans le même désastre la Hollande , la Flandre et le Brabant ; que les arbres trouvés sous terre dans les marécages de la Hollande, dans les tour- bières d'Ostende et de Furnes , dans les marais immenses du Peelland et ailleurs , même jusque vers Cologne , appartieuT {') Florus , Rer. Rom. Epit. , lib. II [ , cap. III. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 78 nent à cette époque. Mais c'est une erreur , comme l'a fort bien établi Des Hoches ('). Ce déluge est certainement un événement remarquable , puisque, selon Plutarque, il a fourni à plus de 3oo,ooo hom- mes en état de porter les armes , et à une plus grande mul- titude de femmes et d'enfans , tant Cimbres qu'autres , l'oc- casion de quitter leurs habitations pour chercher ailleurs un lieu où ils pussent être à l'abri des fureurs de la mer, et que presque tous trouvèrent la mort dans les divers combats qu'ils eurent à soutenir en Espagne et en Italie. Mais qu'il ait , comme inondation , la même importance , voilà ce que nous ne pouvons admettre. Il nous semble que ce déluge n'a été rien de plus qu'un débordement considérable de la mer , tel qu'il y en a eu tant depuis 5 qu'il ne s'est pas étendu à une grande distance de la côte 5 qu'il ne s'est pas prolongé beaucoup au delà des limites que l'on assigne aux Cimbres , et que surtout il ne s'est pas fait sentir en deçà de l'Escaut , comme ce qu'on va lire servira à le prouver. Pline , qui a visité les côtes de la Gaule et de la Germanie vers l'an 78 de notre ère, a trouvé la mer envahissant une partie de ces côtes. Nous ne pouvons nous refuser au plai- sir de rapporter ici le tableau remarquable qu'il trace de cet effet de la mer. « L'Océan, dit-il, se répandant à grands flots sur les terres deux fois par jour, fait douter éternellement (1) Hist. Ane. des Pays-Bas Aiitr. , p. 1 3. 10 74 SUR LES CHANGEMENS si cette contrée est terre ou mer.... Les misérables habitans placent leurs cabanes sur des éminences , élevées en quel- ques endroits par la nature ^ en d'autres par la main des hommes , à une hauteur à laquelle les marées ne montent jamais. A voir ces habitations lorsque les flots les environ- nent , vous les prendriez pour autant de vaisseaux , qui vo- guent en pleine mer : quand les eaux se sont retirées , vous croii'iez voir des vaisseaux échoués ('). v Cette peinture est frappante de vérité 5 mais dans ce passage de Pline , il s'agit du pays des Cauches , peuple que l'on place généralement au delà des bouches du Rhin. Tacite lorsque, parlant de l'île des Bataves (2), il dit qu'elle est située entre des bas-fonds , semble également an- noncer un lieu visité par les marées 5 mais cette île encore se trouvait au delà de l'Escaut et entre les branches du Rhin. César , qui a connu plus spécialement les côtes en deçà de l'Escaut, ne dit nulle part formellement que la mer les franchît alors. Il paraît à la vérité annoncer quelque chose de semblable, lorsque , parlant des Éburons vaincus , il dit (3), que ceux qui étaient les plus voisins de l'Océan se réfugièrent dans les îles que le flux formait. Mais il n'indi- (') Plin. Hist. nat. , lib. i6, cap. I. (') Tacit. Hist. , lib. 4? cap. I2. (î) Caes. Comm. de Bell. Gall., lib. 6, cap. 3i. DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE, 75 que pas la position de ces îles, et s'il a eu raison de dire («) que l'Escaut se rendait dans la Meuse, il en résulte, suivant nous, que César dans ce passage n'a pas voulu parler, com- me le pense Des Roches (=») , des îles de la Zélande , qui n'étaient point formées alors. Il faut donc les placer plus au nord, ou bien admettre qu'il est parlé en cet endroit des bancs flamands. Des Roches (3) prétend que cette dernière hypothèse est inadmissible , et se fonde sur la profondeur de l'eau entre ces bancs , qui est telle que la mer ne baisse pas assez pour que l'on ait pu y aller à gué de la cote. Cette raison serait sans réplique si l'on était assuré que ces bancs fussent alors ce qu'ils sont aujourd'hui. Mais lorsqu'on sait combien leur état est variable , on s'abstient de prononcer à cet égard. Il est très-possible que depuis César, ces bancs se soient abais- sés et que l'espace qui les sépare se soit approfondi. Il y a plus , il est certain , par ce que l'on voit ailleurs , et notam- ment par les îles de la Zélande , et celles qui se trouvent en avant du Zuiderzée, que si ces bancs s'élevaient alors au-dessus de l'eau , ils ont dvi éprouver l'effet dévastateur des flots. D'ailleurs , tous les bancs ne sont pas séparés par de profondes gorges , et l'on voit par les excellentes cartes de M. Beautemps-Beaupré , que quelques-uns tiennent au (i) Caes. Comm. de Bell. Gall. , 6 , cap. 33. (') Hist. Ane. des Pays-Bas Autr. , liv. i , cap. 3, p. io5. (5) Ibid. ibJd. ^6 SUR LES CHANGEMENS rivage. Or , à basse marée ils sont couverts de fort peu d'eau et même ils assèchent en partie. Il ne faudrait donc pas les élever beaucoup pour les transformer en îles. On voit dans César (') que les Venètes et les autres peu- ples qui habitaient les côtes de la Manche , se tenaient dans de semblables îles , dont les communications avec la terre ferme étaient interrompues pendant les hautes marées. Toutes ces îles , à l'exception peut-être de S'-Malo , ayant disparu , pourquoi ne pourrait-on pas croire qu'en deçà du détroit , il existât aussi des îles que le temps a de même anéanties ? Quoiqu'il en soit , nous pensons qu'on peut tirer de Cé- sar même la preuve que ces îles ne se trouvaient pas en deçà des dunes, comme le croit Des Roches. César parle des nombreux marais qui remplissaient le pays des Morins et des Ménapiens. Or, on ne pourrait prendre pour marais des lieux que la mer couvrirait deux fois par jour de 5 à i5 pieds d'eau. Que ferait sur de pareils marais la sécheresse ou l'humidité de la saison ? Lorsque César abandonna la poursuite des Morins, c'est que l'approche de l'hiver avait amené des pluies abondantes qui rendaient ces lieux impra- ticables 5 et, si l'année suivante ^ Labienus, son lieutenant, trouva ces mêmes marais secs , c'est qu'on était alors vers la fin de l'été , avant la saison des pluies , lorsque les eaux (■) Caes. Comm. de Bell. Gall. , lib. 3 , cap. 9 et 12. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 77 pluviales de l'année précédente étaient entièrement évapo- rées. Si ces marais avaient été dus à la mer, ils auraient été j)lus dangereux au temps de l'expédition de Labienus qu'au temps de l'expédition de César, puisqu'au moment où Labienus réduisit les Morins , on approchait de l'équinoxe d'automne ('), temps où les marées sont les plus fortes. Mais ce qui prouve incontestablement que la mer n'avait ])oint franchi les dunes d'entre l'Escaut et Calais avant la domination romaine, c'est qu'on trouve, comme nous l'a- vons dit, dans la couche de glaise, contre et dans la tourbe, beaucoup d'objets d'art qui datent de cette époque. Les potteries fines qu'on y déterre sont trop bien travaillées , les figures qui se voient sur beaucoup d'entre elles ^ sont trop achevées , d'un dessin trop pur , pour qu'on puisse les attribuer à aucune autre époque que celle où les Romains introduisirent dans ces régions une partie de leur luxe avec leur puissance. D'ailleurs , les médailles romaines , quoi- qu'elles soient extrêmement rares dans ces lieux que la mer a couverts de ses eaux , apparemment parce qu'ils n'étaient point habités , et que les métaux n'ont pas pu , comme les objets plus légers , être chariés dans les marais lors des inon- dations 5 les médailles romaines, disons-nous, ne sont pas tout-à-fait étrangères à ces contrées , et donnent une date {•) Cas. Comm. de Bell. Gall. , lib. 4 , cap. 36. 78 SUR LES CHANGEMENS certaine , au delà de laquelle il ne faut point chercher l'é- poque de l'inondation qui les a couvertes de vase. Nous pensons donc que c'est pendant cette domination que la mer est venue pour la première fois , depuis sa retraite , se jeter sur ces terres. Pline semble indiquer clairement que de son temps l'Escaut se rendait directement à la mer, puis- qu'il énumère les peuples maritimes qui habitaient aux en- virons de ce fleuve ('). Or, du temps de César il se rendait dans la Meuse (2), ce changement s'est donc opéré pendant les i3o années qui se sont écoulées depuis César jusqu'à Pline. Peut-être la première inondation qui nous concerne, est-elle celle qui aura donné naissance au bras de l'Escaut dont Ptolémée, qui écrivit environ deux siècles après Cé- sar , fait mention sous le nom de Tabuda , et qu'il qualifie de nouvelle embouchure (^). La mer continuant à exercer sa puissance sur ces bords , les inondations se seront succédées en s'avançant toujours de plus en plus vers l'ouest, et ce n'est que pendant la der- nière moitié du troisième siècle qu'elle semble avoir atteint cette partie du continent qui forme maintenant l'île de Walcheren. C'est en effet ce que rendent probable les an- (■) A Scaldi incolunt extera Toxandripluribus nominibus. Deinde Menapii , Morini , Oromansaci juncLi pago qui Gessoriacus vocatur. Hist. nat. , lib. 4 1 cap. i^. (.) De Bell. Gall., lib. 6, cap. 33. (3) Ptoiem. Descript. orbis. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 79 tiquités et les médailles romaines que l'on a trouvées près de Domburg et de Westkapelle. Les statues et les bas-re- liefs de la déesse Néalennia que l'on y a découverts dans les débris d'un temple , annoncent un lieu habité par des gens riches, ce qui ne s'accorderait pas avec la situation d'une contrée inondée et dévastée par la mer au moment où l'on élevait ces statues. Ce n'aura été que plus tard que la mer aura fait invasion en ce lieu , et les médailles qu'on y a découvertes, et dont les plus récentes sont de Tétricus et datent de l'année 268 ('), font présumer que c'est peu après son règne que cet événement est arrivé. Suivant beaucoup d'auteurs, l'Escaut occidental a été creusé par l'Empereur Otton I , en l'an 949 , afin d'établir une démarcation entre l'Empire germanique et la France. Mais d'autres contestent que le canal d'Otton ait jamais été cette branche de l'Escaut. De cette dernière opinion sont entre autres Meyer, Marchand, Eyndius (2) et Des Ro- ches. Ce dernier donne deux raisons de son opinion (3). La première, c'est que déjà avant cette époque, Walcheren était une île séparée de la Flandre comme aujourd'hui. Il se fonde sur un passage d'Alcuin qui, dans la vie de S*-Willebrord , dit que cet homme apostolique parvint dans une île de l'O- céan nommée JValacrum {pervertit ad quamdam insu- (') Smallegange , Chron van Zeel. , p. 87, (>) Voyez Smalleg. , p. 43. (') Hist. Ane. des Pays-Bas , p. 179. 8o SUR LES CHANGEMENS lam Oceani TValacruvinominè) (i). La seconde c'est que, si l'empereur Otton a creusé un canal pour servir de fron- tière à son empire , ce canal n'a point dû exclure le terri- toire des quatre métiers , Axel , Hulst , Bouchante et Asse- nède, et qu'ainsi il a dû. se trouver non au nord de ces parties de son empire, mais bien au sud, ou au sud-ouest. Eyndius (2) dit aussi que les Annales Francorum font ma- nifestement foi de l'existence de Walcheren comme île , dès l'année 788, et que le Hont ou Escaut occidental est déjà mentionné dans les capitulaires de Charlemagne. L'opinion du creusement du Hont par l'Empereur Otton avait été vivement combattue dès 1727 , dans un mémoire intitulé : Déduction des droits des Etats de Zélande sur r Hoofdplaat dont parle De Bast (3). D'autres écrivains graves (4) l'ont également combattue. De Bast (5) fait voir que tout ce que l'histoire nous apprend du Fossé d' Otton est puisé dans la chronique de S*-Bavon, et que cette chro- nique ne parle que d^un château construit par TEmpereur Otton , sur les bords de la Lys , et ne dit pas un mot d'un («) Acta SS. ordin. S. Bened. , 1. 3 , p. 6ii. (') f^oyez Smalleg. , p. 43. (3) Recueil d'Ant. Rom. et Gaul. , p. 87. (4) TegeniiV. staat van Zeeland, i deel,bl. 5i6 — Ilem M. Tewater, dans sa préface sur les annales d'Utrecht , etc. — Kluit, Hist. Crit. Coram. Rol- land, et Zeeland., tom. I, pte. 2, p. iSgetseq. (5) Rec. d'ant. , etc. , p. 4^ et suiv. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 8i canal creusé par lui. Ce qui a induit quelques auteurs en erreur, c'est un passage de Duchesne^ (•) portant : Ànno 94 1 Otto impcrator de Scaldi fossato ante pontem S. Jacobi usqiie in mare extensum a nomine suo omnem pagum Ottingam vocavit , que De Bast traduit ainsi {^ : « L'empereur Otton, en 941, fit creuser devant le pont S' -Jacques un fossé depuis l'Escaut , et il appela de son nom tout le district^ jusqu'à la mer. v « J'avoue, ajoute De Bast, que la phrase est barbare et presqu'inintelligible 5 mais jamais on ne lui prêtera raisonnablement un sens qui favorise l'opinion que je combats, w D'ailleurs , comme De Bast le fait encore observer , Duchesne n'a pu puiser ce qu'il dit que dans la chronique de S'-Bavon , et cette chronique ne parle pas du prétendu fossé. Si quelque chose de semblable a existé , il faut le chercher dans les limites même de la ville de Gand , où l'on voit en- core , au rapport de De Bast , un canal venant de l'Escaut depuis le pont S'- Jacques jusque dans la Lys , qui , de temps immémorial , est appelé le Fossé d'Otton ( Otto Gracht). « Je crois , dit De Bast , qu'il a fait partie des fortifications établies par l'empereur Otton pour la défense du château neuf. Il est vrai , c'est toujours De Bast qui parle , que ce fossé n'était pas dans la propriété libre du monastère de (1) André Duchesne, Hist. Génér. de la Maison de Guines, preuves du li^ vre 2, p. ^1. Paris i63i. ' ' (') Rec. d'antiq. , etc. , p. ^i et suiv. I I 8 a SUR LES CHANGEMENS S*-Bavoii 5 mais Otton étant en guerre avec Arnould , comte de Flandre, au sujet des limites de Tempire, s'est peu em- barrassé sans doute de violer le territoire de son ennemi. C'est peut-être en cet endroit , dit encore le même auteur , qu'il faut chercher la source de toutes les chimères qu'on a avancées sur le Fossé d^ Otton. D'ailleurs, le passage de Du- chesne peut s'entendre dans ce sens que Y empereur Otton appela de son nom tout le district jusqu'à la mer, depuis l'Escaut , à l'endroit ( devant le pont S'-Jacques ) où il fit creuser un fossé, v II nous semble qu'on doit se rendre à de pareilles raisons, et ne plus chercher la Fosse ottonienne dans le Hont. Quelle que soit au reste l'opinion que Ton adopte à l'égard du canal d'Otton , et du passage de César qui est relatif à l'Escaut , et où , suivant plusieurs auteurs , il n'a pu que par ignorance des localités dire que cette rivière se jetait dans la Meuse, toujours est-il certain que les branches de l'Escaut ne sont point très-anciennes. La tourbe que l'on déterre dans les îles de la Zélande^ sur le bord même de ces bran- ches, dans leur lit, comme sur la grève ou l'estrand en avant des dunes, prouve jusqu'à l'évidence que la mer n'a point toujours eu accès en ces lieux , et que le marais im- mense dont nous avons parlé, n'était point interrompu par ces bras de mer. Mais il ne faut pas croire avec Vre- dius (•) que cet état de choses existât encore du temps de (■) Voyez sa carte de Flandre, Sigill. Comm. Fland. in initio. DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 83 Charles-le-Chauve , en 86i , et qu'alors les îles de la Zélande ne fussent encore que des élévations dans les marais. Alcuin , qui vivait à la fin du huitième siècle et au commencement du neuvième, parle, ainsi que nous l'avons dit, de l'île de Walcheren comme se trouvant dans la mer 5 et St.-Wil- lebrord qui , suivant lui , débarqua dans cette île , vivait au commencement du huitième. Ce sera sans doute vers la fin de la domination romaine que le Zwin de TÉcluse , les ports d'Ostende , de JXieuport et de Dunkerque se seront formés. Oudegherst (•) assure que Oudenbourg , village à une lieue et demie d'Ostende, et Rodenbourg , actuellement Aerdenbourg , étaient con- nus vers le milieu du cinquième siècle, pour deux villes maritimes de grand commerce. Si cela est exact, il en ré- sulte que la première de ces deux villes communiquait alors avec la mer par le port d'Ostende, et la seconde par le Zw^in. Suivant Marchant et Malbrancq, une voie romaine, ve- nant de Cassel et passant par Poperingue, se dirigeait par Merkhem et Eessene sur Bruges et Rodenbourg, et s'éten- dait jusqu'à Anvers. Ce chemin, que les gens du pays di- sent passer encore par Beerst et Coukelaere, devait nécessai- rement traverser le bassin qui se trouve entre Eessene et Beerst, et que nous avons décrit au chapitre second. Or, jusqu'au seizième siècle , et avant la construction de l'écluse nommée Duwels Horen dans le pays , située à trois quarts (■) Oudegherst, Annales de Flandre , tom. I, p. 6, Gand , 1789. 84 SUR LES CHANGEMENS de lieue de Nieuport et actuellement abandonnée, la mer visitait journellement ce bassin. Si donc l'existence d'une chaussée romaine en ces lieux est réelle , il en résultera une nouvelle preuve que la mer n'a franchi ses bords du côté de Nieuport que pendant ou depuis le séjour des Romains. Des irruptions telles que celles qui ont formé les ports d'Ostende et de Nieuport , et qui ont dû s'étendre sur une superficie de plusieurs lieues de long sur deux lieues de large , auraient eu les conséquences les plus funestes et au- raient coûté la vie à bien des milliers d'hommes , si ce pays avait été habité. Mais heureusement il était alors trop bas et trop marécageux pour être cultivé et habité. Aussi l'his- toire ne fait aucune mention de ces événemens , quoiqu'elle ait consigné les inondations survenues dans la Frise, infi- niment plus peuplée , pendant le quatrième et le cinquième siècles , temps vers lequel ces ports ont dû se former. Il y a pourtant eu quelques victimes de ces irruptions, comme l'attestent les squelettes trouvés aux environs d'Ostende, et qui auront apparemment appartenu à quelques pêcheurs des bords de la mer que les flots auront entraînés dans le marais. Une irruption non moins remarquable, est celle qui s'est fait jour dans le bassin particulier de l'Aa, ou plutôt dans toute la partie du tractus qui est au delà de Dunkerque. Ici encore la mer a déposé de la vase , mais en moindre quantité , ce qui vient de ce que le sol primitif se trouve plus élevé à Test de Dunkerque qu'à l'ouest. Il règne néanmoins le DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 85 long des hauteurs qui forment le tractus à l'ouest, un bassin plus profond qui s'étend depuis Calais jusque vers Saint- Omer. Il paraît avoir été creusé par les eaux de la mer qui se retiraient ])ar là à chaque basse marée. Les dépôts marins y sont en couches plus considérables, et le banc de galets dont nous avons fait mention plus haut , en fait partie. Diverses preuves font décider que la submersion de cette partie des côtes a encore eu lieu pendant et depuis la domination ro - maine. Marin-Bailleul , curé de Sangatte, vers l'année i635, rapporte, dans son Recueil volumineux d'antiquités sur la ville et port de Calais , chapitre 2 , un panégyrique de la ville de Terouane , qui donne à penser qu'il s'était conservé dans le pays quelques traditions d'un bouleversement com - me celui-ci. « Tout le pays, dit-il, souffrit tant par la mer qui se déborda et inonda beaucoup de lieux de la côte, que par la descente qu'y firent les Cimbres et les Saxons , les- quels quittèrent leur pays au bruit que la Gaule Belgique manquait d'habitans , montèrent sur la mer et s'établirent sur les côtes de la Gaule Belgique , alors presque sans culti- vateurs (i). V Or, Eutrope (2) a écrit que sous Dioclétien, Carausius fut envoyé à Boulogne et chargé de se rendre la mer libre le long de la Belgique et de TArmorique, que (') y oyez le Mëm. sur l'arrond. de Boul. , par M. Henry , p. 1 1. (") Hist. Rom. , tom. I , p. 659 , in collect. Script. Latin, veter. 86 SUR LES CHANGEMENS les Francs ainsi que les Saxons ravageaient par leurs pirate- ries. Carausius.... cum apud Bononiam per tractuni Belgicœ et Armoricœ. pacandum mare accepisset , quod Franci et Saxones infestahant. Il en résulte que ces ex- cursions des Saxons ont eu lieu à la fin du troisième siècle ou au commencement du quatrième j ce qui indiquerait aussi l'époque des inondations dont parle Marin-Bailleul. C'est à ces excursions des Saxons, auxquelles étaient exposées les côtes de la Gaule , et celles de la Grande-Bretagne qui regardent la Gaule , qu'était dû le nom de Littus Saxoni- cum donné par la notice de Fempire, rédigée au commen- cement du cinquième siècle sous l'empire d'Honorius ('). Dans un diplôme de l'année 1 1 56 , Louis VII , roi de France, appelle S'-Omer une ancienne ville élevée sur le bord de la mer à l'extrémité de la terre (^). Ortelius dit qu'il (i) Not. dign. Imp. apud Dom Bouquet , Recueil des Historiens de Gaules, tom. I , p. ^aS. (3) Ego Ludovicus, Dei gratta Francorum Rex. Evidens est rerum omnium in- constantia , tanto amplius mulalilia suhjiciens sibi , quanto magis ab incommu- tahili statu Dei recedere dignoscuntur. Quod , coiisideratione etpriorum memo- ria temporum , protulimus , quando Morinensis ecclesia quœ nunc frequentiore vocabulo Teruanensis dicitur , in magno constilit robore , antiqua civilas , secus marejimdata , orbis in extremo margine , et ideo a Régis visitatione paulo re- motior : unde guerris interdum surgenlibus obsistere non potuit , prœdonibus tani marinis quant terrestribus , et duplex suscipiens sujfragiuni , fere dissipata et in nihilum redacta est. In tanta ergo vastatione ecclesia Teruanensis , pauculas retinens possessiones , suis eliam destiluta est privilegiis , etc. , etc. Actum pu- bliée Parisiis anno ab incamatione Domini MCLVI. Regni vero mei XX". Ex- trait par Vredius des archives de la cathédrale d'Ypres. DE LA COTE, D'ANVERS  BOULOGNE. 87 ne faut qu'examiner les environs de S'-Omer , pour connaî- tre d'abord l'ancienne côte fort élevée , qui , pour ainsi dire , l'entoure, et que les connaissances locales prouvent évidem- ment que cette ville était un port de mer et que l'Océan y formait un golfe («). Les fouilles confirment ce qu'on vient de lire. En effet, au rapport de Jean ChiJJlet (*) , on a déterré souvent dans le voisinage de cette ville des ancres et d'autres objets de marine. Lors du creusement du canal des Pierrettes, de Calais à Ardres , on découvrit dans le banc de galets , près de Calais , des vases antiques et des vitrages à 1 5 pieds de profondeur. On a trouvé de même à diverses époques des traces visibles du séjour des Romains dans le Calaisis , telles que vases , tombeaux , autels votifs , phioles de verre , mé- dailles, poteries et autres objets, dont la plus grande partie , surtout la poterie rouge et noire , git dans la tourbe à 4 5 6 , 8 et 10 pieds de profondeur. Cet état de choses a duré plusieurs siècles dans le Calai- («) s. Audomari oppidum olim fuisse oceani portum atque sinum maris latissimum , vel prœalta litlora, quœipsam civitatem quasi cingunt, demonstrant aliaejue innumera argumenta et antiquitatis vesligia, tj/uce aperte terrant adjacen- tem salo mariçue subfuisse , vel nullo loquente , convincunt , necnon constans in hodiernum diemfama déclarât. ( Orlel. in Theat. Orbis.) (') Joan. Jac. Chijfletus de Porta Iccio, cap, '] , p. 4t'' Ortelii rationibus ad- dunt etiam incolœ , in lacis illis repertas anchoras , ostenduntque passim in illo tractu conchas marinas : Et i^aS. la 9° SUR LES CHANGEMENS se placer dans le comté d'Yorck, d'où il les transféra ensuite dans la province de Galles _, aux environs de Ross et Pembrock ('), où leurs descendans se font encore re- marquer aujourd'hui. D'autres émigrations eurent lieu dans le même siècle pour diverses parties de l'Allemagne (^) 5 d'après Helmade , auteur contemporain cité par De Bast , c'étaient principa- lement les malheureux exposés aux débordemens de la mer que les princes allemands engageaient le plus facile- ment à quitter leur pays pour se transporter en Allemagne. On remarque particulièrement dans ce siècle l'inondation du 16 février 1 164, nommée marée de S'*-Julienne , à cause du jour de cette sainte, et celle du i" novembre 1170, nommée première marée de la Toussaint 5 elles firent périr des milliers d'hommes et d'animaux tant en Hollande qu'en Frise. On prétend que la dernière noya les terres entre Texel , Medenblik et Stavoren , qui depuis sont restées sous l'eau 5 qu'elle a formé les îles du Texel et de Wieringen , qui Jusques là avaient fait partie du continent, et que le Zuider- zée , par l'élargissement des ouvertures qui le font commu- niquer avec la mer du Nord, s'est approfondi et étendu davantage (3). Mais on est en erreur quant à la formation (•) Rapin Toiras, Henri 1=', vol. I, p. 96. (^) Meyerus Annal. Fland. , 1. 5 , pag. 47» ««? annum 1 160 , et De Bast , Ant. Kom. et Gaul. , p. ^5 et suiv. , aux notes. (') Besch. der waterv. , p. i5 à 17. DE LA COTE, D'ANVEKS A BOULOGNE. 91 du Texel , qui est déjà désigné comme une île dans les écrits du neuvième siècle («). De 1172 à 1177, il ne se passa presque pas d'année sans inondation. Celle de 1177 est principalement remarquable en ce qu'elle donna naissance à ce golfe qui se trouve entre rOost-Frise et la province de Groningue, et qui est connu sous le nom de Dollaert (a). La mer , après ces nombreuses tempêtes , paraissait vou- loir respecter les côtes qu'elle avait jusques là si cruellement dévastées. Pendant près de trente ans , on n'eut point à dé- plorer de nouveaux malheurs 5 mais ce n'était qu'un calme trompeur , et après avoir préludé à de semblables calamités en Tan 1200, la mer vint de nouveau en 12 12 se jeter hors de son lit avec tant de fureur , qu'elle fit trouver la mort à une quantité effroyable d'hommes dans laNord-Hollande seule(3). Bien d'autres tempêtes suivirent celle-ci, et le treizième siè- cle en compte au moins trente-cinq, toutes funestes à la Frise, la Hollande , la Zélande , la Flandre et autres pays mariti- mes voisins. Ce fut surtout depuis la dix- neuvième année de ce siècle que les flots exercèrent leurs ravages sur ces côtes. L'inondation de 1221, coûta la vie à 4O5OO0 per- sonnes 5 celles de 1280 et 1242 à plus de 100,000 chacune; (') f^oyn un Mém. de Ypey dans les Verhandel. van de Maatsch. van Haar- lent , vol. I, p. 195. (») Besch.derwaterv. , p. ig. (') Beschr. der waterv. , p. ig. ga SUR LES CHANGEMENS celle de 1287 fit plus de 80,000 victimes dans la Frise seule. Presque toutes les autres provinces furent également mar- quées par la mort de milliers d'individus , tandis que la perte en bestiaux était incalculable ('). Le quatorzième siècle n'apporta guère moins de cala- mités. Le petit ouvrage de M. Muyt, que nous avons suivi , rapporte pendant ce siècle vingt- trois irruptions de la mer , qui ne paraissent point avoir porté la mort à autant de monde que celles du siècle précédent, mais qui pourtant ont ruiné beaucoup de villages dont elles renversèrent les églises^ les tours et les habitations, ou envahirent le ter- ritoire pour le changer en mer. C'est ce qui arriva prin- cipalement dans les années i336, i36i, 1372, i373, 1374? ^^1^1 1376 et 1377. Le flux de i395 élargit sensi- blement les ouvertures entre le Vlie et le ïexel. Ces ouver- tures s'élargirent ensuite encore tellement pendant la dernière année de ce siècle , que depuis lors on put arriver à Amster- dam et à Enkhuizen avec de grands navires, ce qui jus- ques là n'avait pas été possible (2). C'est au prix de malheurs sans nombre qui résultèrent parla suite de cet élargissement , qu'Amsterdam doit l'état florissant auquel il est parvenu dans les siècles suivans. Dans le quinzième siècle,, le 19 novembre 1^21 , eut lieu (') Beschrijv. der waterv, , p. 19. (j) Idem , p. 35. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. g'i cet horrible débordement de la Merwe qui inonda 72 villa- ges ou hameaux , dont plusieurs furent perdus sans retour ; forma le Biesbosch , coûta la vie à des milliers d'hom- mes, et réduisit à la mendicité les seigneurs les plus ri- ches, lorsqu'ils avaient échappé à la mort. Vingt-trois au- tres débordemens de la mer ou des rivières marquèrent ce siècle. On y vit comme dans le précédent ce malheur se répéter plusieurs années de suite, savoir depuis i4i5 jusqu'à i43o ('). Un effet bien remarquable du débordement de 1421 , s'il est réel, c'est le transport de la ville de Dordrecht et du sol .sur lequel elle est bâtie à une certaine distance de son ancien siège. Cette singularité se répéta plusieurs fois depuis sur d'autres jioints , et entr'autres pendant l'inondation du 3o avril i45i : une pâture près de la ville de Sneek, en Frise, sur laquelle paissaient des moutons et des porcs , fut en- traînée par le courant et resta arrêtée dans les débris d'une écluse que l'eau avait détruite (2). On ne peut expliquer ces transports qu'en supposant que le terrain aura glissé sur la tourbe qui se trouve dans ces lieux. C'est ainsi qu'en 1806 une partie des fortifications que l'on élevait alors à Ostende s'écroula en glissant sur la couche de tourbe qui était au-dessous. (') Beschr. der waierv. , p. ^o. (') Idem, p. 38 et 4i. 94 SUR LES CHANGEMENS On compte trente-deux débordemens survenus pendant ie seizième siècle. Une nouvelle série d'inondations rappro- chées , qui avait commencé à la fin du siècle précédent , et avait marqué les années 149^5 ^497 ^t i499 continua pen- dant les premières années de celui-ci, et se manifesta en i5o3, i5o8, i5o9, 1514, i5i6 et 1517. Pendant le débordement de i Sog de grandes parties de terre chargées de maisons , de bestiaux et d'hommes furent encore trans- portées , dans la Frise , d'un lieu dans un autre. Une pâture sur laquelle paissaient dix à douze vaches , fut charriée d'un bord à l'autre du Dollaert dans la province de Groningue , et vint s'attacher au Reiderland ^ après avoir traversé tout ce golfe sans perdre aucun de ses habitans ('). Les années i53o, i53i, i533 et i534 accablèrent les habitans des côtes de malheurs aussi considérables que rapprochés. Ces malheurs , après vingt-huit ans de repos , troublé seulement en i55i et iSSg, paraissent avoir repris avec la même force pendant les années 1 562 , 1 565 et 1 566, s'il faut en croire les médailles frappées en Zélande à ces époques (2). La tempête la plus affreuse de ce siècle fut celle du I" novembre 1570, qui ravagea toutes les côtes depuis Calais jusqu'en Norwège. Environ trois mille personnes perdirent la vie en Zélande , vingt mille environ dans la Frise , et près («) Besch. der waterv. , p. 45 et suiv. (3) Idem , p. 5 1 et suiv. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. gS de neuf mille dans la province de Groningue. Ailleurs , des villages entiers périrent avec tous leurs habitans , et l'on élève à plus de cent mille les victimes de ce déborde- ment. La mer était si haute qu'elle dépassait presque toutes les digues et les dunes. A Anvers , un navire chargé, de la longueur de cent-cinquante pieds , était à flot sur le quai. Gand était en partie inondé par l'Escaut , et toutes les villes piaritimes et les villages des bords de la mer ou des rivières souffrirent considérablement ('). On vit de nouveau, pen- dant cette tempête , flotter des parties de terre chargées de maisons et de bestiaux , ce qui eut surtout lieu dans les endroits marécageux (2). Pendant le dix-septième siècle, vingt-six inondations eurent lieu ^ quinze dans la première moitié et onze dans la seconde. Elles offrirent les mêmes scènes de désolation 5 des digues rompues, des arbres, des maisons et des tours renver- sés, beaucoup de monde et infiniment plus d'animaux domestiques noyés , et des pertes incalculables pour l'agri- culture et le commerce. Le 5 décembre i665 a été particulièrement noté. Déjà quelques jours auparavant un phénomène, que l'auteur que nous suivons ne décrit pas, s'était fait remarquer sur toute la côte , et pendant la tempête le vent du Nord-Ouest fut tel- (') Besch. der wat., p. 52 et suiv., fVagenaarS' deel, aS boek, bl, SaS en volg., et Van Meteren, ad ann. iS^o. (>) Idem. 96 SUR LES CHANGEMENS lement violent, que l'eau continua à monter deux ou trois heures après le temps ordinaire du flux , au point que l'on douta, si depuis huit siècles, rien de semblable s'était présenté ('). Le dix-huitième siècle ne compte que dix débordemens de la mer ; mais , en revanche , les rivières de la Hollande débordèrent cinq fois par les grandes pluies ou le dégel , depuis la soixantième jusqu'à la quatre-vingt-quatrième an- née de ce siècle 5 des dix débordemens de la mer^ sept eurent lieu dans la première moitié de ce siècle , et trois seu- lement dans la seconde; d'où Ton voit que ces malheurs diminuent progressivement. Le plus remarquable arriva le 25 décembre 17 17. L'eau, chassée depuis plusieurs jours de l'Océan dans la mer du Nord , par un vent violent de Sud-Ouest, faisait redouter quelque irruption par la hau- teur extraordinaire à laquelle elle était montée ; c'est ce qui arriva en effet , le vent ayant changé et soufflant avec fu- reur du Nord-Ouest. On calcule que plus de douze mille personnes y trouvèrent la mort, tant sur les côtes de la Hol- lande qu'ailleurs , et que près de 83,ooo têtes de bétail y périrent (2). Les débordemens de 1774 et de 1775 furent également redoutables , le premier tant j)ar la hauteur à la- quelle les eaux parvinrent, que parce qu'il eut lieu au mois de mai 5 l'histoire des inondations de la mer n'offrant peut- (') Beschr. der 'waten'. , p. 68. (') Idem. , p. ^^etsuiv. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 97 être que cet exemple et celui (jue fournit la tempête du j)remier juin ioo3 de débordemens arrivés dans cette sai- son de l'année. Le second étendit ses ravages dans le Bra- bant, la Zélande et les autres ])rovinces maritimes ou bordant le Zuiderzée. Les eaux de la mer s'élevèrent en beaucoup d'endroits au delà de la hauteur à laquelle elles étaient parvenues en 17 17. L'année suivante ne se passa ])as sans voir reproduire ces mêmes malheurs ('). Le dix-neuvième siècle ne compte encore que deux flux considérables de la mer, celui du mois de janvier 1808 et celui du 3 et 4 février de la présente année iSaS. Le pre- mier se fit principalement sentir sur les côtes de la Flandre et de la Zélande , où il causa de grands dommages à l'agri- culture 5 le second exerça ses ravages depuis le Pas-de- Galais jusqu'en Norwège et en Suède : ses effets désastreux «ont encore dans toutes les mémoires. CHAPITRE VI. Changemens survenus à F Escaut et aux îles qu'il renferme. Si nous ne nous sommes pas trompés sur la formation des îles de la Zélande , si véritablement l'Escaut tombait dans la Meuse du temps de César , il en résulte que ces îles font (i) Beschr. der -waterv. , p. 90 et suiy. j3 f)8 SUR LES CHANGEMENS partie de notre sujet, et que nous avons à faire connaître les changemens qu'elles ont éprouvés depuis leur formation. Ces changemens n'ont point été médiocres , et il est bien difficile, comme l'observe Reigersberg, dans sa Chronique de Zélande (')5 de les décrire avec exactitude, attendu leur multiplicité. La mer , dans le principe, aura couvert toutes les terres et formé une quantité innombrable de criques , ce qui aura, pour un temps plus ou moins long, rendu ce pays entièrement inhabitable. Mais le sédiment vaseux que la mer déposait constamment dans les lieux situés hors de l'atteinte des courans , où les eaux reprenaient plus ou moins de calme , aura assez promptement exhaussé les parties les plus élevées de ce pays inondé. Bientôt quelque peuple , chassé de ses possessions par un autre peuple, et forcé de chercher un asile dans quelque pays désert , comme on en voit plusieurs exemples rapportés par Jules-César , ou bien poussé par sa propre industrie , se sera emparé des îles nouvelles , qui offraient déjà à ses troupeaux une pâture abondante et très-recherchée surtout par les moutons. Mais ces terres étaient alors encore trop basses pour être entièrement à l'abri des marées. Il fallait donc songer à s'y mettre à couvert ainsi que ses troupeaux. Former des digues était chose impossible aux pauvres habitans de ces tristes lieux. De pareils travaux ne peuvent (') Voyez Smallegange, Kron. van ZeeL, p. 125. DE LA cote; D'ANVERS A BOULOGNE. 99 être exécutés que sous un gouvernement d'une certaine importance , et assez riche pour pouvoir , soit par lui-même , soit par des particuliers , à qui Ton concède les terres à des- sécher, faire la dépense considérable qu'ils exigent. Dans ces premiers temps , chacun devait songer à son propre salut, et chaque famille, à l'exemple de ce qui avait déjà été pratiqué ailleurs, ainsi que le rapporte Pline, se sera fait une petite élévation de terre , dépassant les plus hautes eaux , pour s'y réfugier en cas de danger. De là ces tertres que l'on retrouve encore en grand nombre dans les îles de la Zélande , notamment dans celles de Walcheren , de Schouwen et de Tergoes ('). Ces tertres ont souvent encore été visités par la mer , puisqu'on ne voit à leur pied aucune trace des creusemens qui ont été faits pour avoir la terre dont ils sont formés (2). Ce qui vient de ce que ces excava- tions ont été peu à peu remplies par le sédiment vaseux que la mer a continué à y apporter. Il n'est guère possible de fixer l'époque à laquelle a com- mencé la construction des digues. Boxhorn (3) croyait que les premiers endiguemens avaient été faits par les Danois ou Normands , lors de leur invasion dans ces îles , en 836. Mais Smallegange (4) combat victorieusement cette opinion, {') Smallegange , Aron. van Zeel., p. 4^ , ao8 et 3i4. (•) Ibid. , p. 3i5. (') Ibid. , p. igS. (*) Ibid. , p. 3i5. ,oo SUR LES CHANGEMENS et fait voir que ces îles étaient déjà alors régies par des prin- ces du pays , et conséquemment déjà à l'abri de la mer. Les anciennes chroniques de la Zélande affirment que dès l'an 833, les îles de Walcheren, de Schouwen et de Borsselen, étaient non-seulement abritées par des digues, mais même couvertes de villages. Quant aux îles de Duiveland, de Noord-Beveland , Wolfertsdyk , Zuid-Beveland et Tholen , elles n'ont été mises en sûreté contre les eaux qu'après l'an 85o (•). Quel que soit au reste le temps auquel a commencé la construction des premières digues , elles n'étaient apparem- ment pas bien fortes 5 car on n'aura d'abord endigué que les terres les plus élevées , et d'un autre côté les eaux qui en- tourent les îles de la Zélande n'étaient point alors aussi hautes qu'actuellement. Cette différence de hauteur a été remarquée par tous les auteurs qui ont écrit sur la Zélande, Eyndius, Reigei's- berge , Boxhorn et Smallegange (2). Tous donnent pour raison de cette différence, l'élargissement des bouches de l'Es- caut.En effet, cet élargissement est constant, et la conséquence a dû en être nécessairement l'élévation du niveau de l'eau 5 car on conçoit que , lorsque ces ouvertures étaient très-étroi- tes , elles ne pouvaient pas donner passage, pendant le temps (') Smallegangç , Kron. van Zeel. , p. 3i5. {■') Ibid. ,p. 3i5. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. loi du flux, à assez d'eau pour établir un même niveau de part et d'autre des bouches , et la chute a même dû être fort considérable dans le principe. Mais à mesure que, par l'effet même des eaux, ces ouvertures se sont agrandies, cette chute a dû diminuer , et il en est résulté que des ter- i"es auparavant à l'abri des inondations, y ont été de nouveau exposées. De là vient que l'île de Schouwen était déjà du temps de Smallegange (•) à trois pieds au-dessous des hau- tes marées même de mortes eaux. Cet auteur attribue cet effet à une seconde cause, l'affaissement du sol, qui, par la succession des temps , s'est affermi et comprimé. Mais nous ne pensons pas que cet affaissement soit bien sensi- ble, quoiqu'il puisse être pris en considération. Les digues que l'on élève contre les eaux des bouches de l'Escaut doivent être faites avec un soin tout particulier, i)our résister à la violence des vagues qui viennent se rom- ])re contre leurs bords , ou des courans qui minent leurs ]neds , sous la surface de l'eau. C'est surtout lorsque le fond est tourbeux que ce dernier danger est à redouter, parce qu'il cause , après un temps plus ou moins long , et souvent avant qu'on se soit aperçu du malheur dont on était me- nacé, un éboulement quelquefois considérable qui livre passage à l'eau. Pour éviter autant que possible la fréquence de ces mal- (■) Smallegange , p. /\3, 103 SUR LES CHANGEMENS heurs , on a soin de faire le pied des digues en terre glaise j la plus tenace qu'on puisse trouver. On donne une grande pente à la digue du côté de l'eau , afin de mieux affaiblir la puissance de la vague. On la recouvre encore de ce côté jusqu'à la hauteur ordinaire des marées , avec de la paille tournée en forme de corde, et qu'on applique sur la terre glaise au moyen d'un instrument particulier. La hauteur totale de ces digues dépasse les plus hautes marées. Elles sont larges à leur base de deux ou trois verges de quatorze pieds (i), et peuvent contenir deux voitures de front à leur sommet. Van Meteren (f) dit qu'il tient des dijkgraves de la Zélan- de , que les digues de cette province ont une étendue de qua- rante milles , de quatorze cents verges chacun , et que chaque verge de digue peut avoir coûté , l'une portant l'autre , dix livres de gros de Brabant , de sorte que l'ensemble des digues aurait coûté trois millions trois cents soixante mille florins de Brabant, et cela pour leur construction seule, indépen-, damment de leur entretien, qu'il n'est pas possible de calcu- ler aussi exactement , mais dont on peut se former une idée en songeant que suivant Reimer Telle , dans sa Description de la Zélande , chaque mesure de terre, de l'ile de Schou- wen , qui en contenait de son temps plus de 2 1 ,000 (3) , (') Smallegange , p. 2o3 et suiv. (') Hist. Belg. , p. 5i3. 1^) Smallegange, p. a56. DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. io3 |)ayait quatre florins et au delà par an pour cet entretien ('). Quelque soin que l'on ait mis à affranchir la Zélande des ravages de la mer , on n'a pu empêcher celle-ci de triom- pher souvent de tous les efforts qu'on lui oj)posait. D'un côté, les dunes ont constamment été rongées par le flux et transportées en arrière par le vol du sable ; de l'autre , les digues ont souvent cédé aux tempêtes , et livré passage à l'eau en furie qui engloutissait les habitations : suj- une grande étendue de terrain. ' • Les dunes des îles de Walcheren et de Schouwen , qui se trouvent opposées à l'Océan , reculent d'une manière très- marquée , et cela malgré la précaution que l'on a d'y plan- ter de riioyat et de fermer les ouvertures que le vent a for- mées (*). Dans la première de ces îles, les dunes reculaient tellement pendant le dix-septième siècle , que les débris du temple de la déesse Nehalennia , découverts en 1647 P''^* de Dombourg , sur le bord extrême des dunes du côté de la mer, se trouvaient en lôgS, lorsque Smallegange publiait son ouvrage sur ce pays , à deux cents verges en mer 5 ce qui fait près de trois verges ou quarante-deux pieds par année (^) , progression qui s'observe encore aujourd'hui en beaucoup d'endroits. Après la découverte du temple de Nehalennia , les du- , i;i >'i -'. 'y':,-^ , ■ ;;; '' ' Q jh->'. > (') Smallegange , p. ao3 et suiv. (■) Ibid. , p. a53. (>) Ibid. , p. 352. io4 SUR LES CHANGEMENS lies ont encore mis à découvert toute une rue traversée par deux autres. Ces ruines avaient égalejnent passé sous la mer du temps de Smallegange , et à cette époque on voyait sur Vestrand deux grandes pierres antiques qui auront dis- paru de même. L'ancieiane ville de West-Capelle a été abandonnée, et il a fallu que les habitans se plaçassent beaucoup plus en ar- rière 5 tellement que depuis, les pêcheurs jetaient leurs fi- lets sur les ruines de cette ville autrefois fameuse par son commerce et ses lois maritimes ('). Quelque mobiles que soient les dunes, on doit néan- moins les considérer comme la meilleure barrière contre la mer , précisément par cela qu'elles semblent céder à son effort, et reculer pour affaiblir un ennemi auquel on ne peut résister d'une autre manière. Il convient donc que rien ne gêne la retraite de ces digues naturelles , et qu'elles puis- sent se refaire tranquillement vers leur bord intérieur lors- qu'elles ont été entamées par leur bord extérieur. Si cette circonstance ne se rencontre pas , si la dune en reculant trouve un village dont les habitans lui défendent l'entrée , ou empêchent par un piétinement continuel Thoyat de croître , la dune s'affaiblit graduellement et bientôt dispa- raît entièrement. C'est ce qui est arrivé à West-Capelle, où la dune se ■) Reygersberge apud Smallegange , p. ai8et 638. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. io5 trouve interrompue sur une longueur de huit à neuf cents verges , et où l'on a été obligé de la remplacer par une forte digue et d'autres ouvrages très-considérables. Cette digue avait d'abord une largeur de onze verges et demie à sa base et deux verges à son sommet. Elle était haute de trente pieds et était défendue par diverses jetées placées en avant. En cet état, elle coûtait déjà, en iSaG, excessivement à entrete- nir ('). La mer l'ayant beaucoup endommagée en i632 , on lui donna dix-neuf verges et demie de largeur à la base , et vingt-huit pieds de hauteur. En 1642 , après de nouveaux dangers , elle fut encore en partie renforcée et portée à la lar- geur de trente-deux verges à la base , sur vingt-cinq pieds de hauteur , et une verge de largeur au sommet. Les autres par- ties ont été successivement renforcées en 1680 et i685 ^ et en 1687, on l'allongea de 70 verges, de sorte qu'elle en avait alors 890. Il aura sans doute fallu l'allonger encore plu- sieurs fois depuis , les mêmes causes agissant toujours, Smallegange , de qui nous prenons ces détails , fait un tableau terrible des conséquences qu'aurait, suivant lui , la rupture de cette digue. Il prétend que si elle manquait, l'ile de Walcheren serait anéantie, et bientôt avec elle celles de Zuidbeveland , deWolfartsdyk et de Noord-Beveland 5 que les îles de Schouwen et de Duiveland ne tiendraient point long-temps , et que les terres d'Overflakée et de Voorn sui- (') f^oyez Boxhorn , apud Smalleg. , p. 246. ,o6 SUR LES CHANGEMENS vraient de près. Alors la digue de la Meuse cédant à son tour, toute la province de Hollande passerait sous l'empire de la mer , sans que les fortes écluses construites à Amster- dam contre le Zuiderzée , fussent d'aucun secours. La mer ne s'arrêterait pas là , suivant Smallegange 5 mais continuant ses ravages , elle entraînerait encore la Frise dans le mal- heur commun, et envahirait ainsi les unes après les autres, toutes les terres basses des Pays-Bas ('). Smallegange , on le sent bien , ne trace ce tableau outré que pour intéresser toutes les provinces unies à l'entretien de la digue de West-Cappelle , dont le salut de l'île de Wal- cheren dépend en partie ^ et qui avait déjà coûté plus que si elle avait été entièrement construite en bronze 5 tant il faut d'efforts pour contrarier la marche de la nature. En- core linira-t-on par échouer j car quelque argent que l'on dépense à la digue de West-Cappelle, quelque soin que l'on mette à réparer les atteintes de la mer , encore faudra-t-il céder un jour à son pouvoir. Ne ferait-on pas plus sage- ment, au lieu de s'épuiser ainsi en efforts inutiles, d'aban- donner le village devant lequel elle est , d'établir une digue ordinaire à une certaine distance derrière, et de faire en sorte que la partie intermédiaire se remplît de sable , et que la solution de continuité qui existe dans la lisière des dunes, disparut par la formation de nouvelles collines qui iraient (') Smallegange, p. a5i. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 107 joindre les anciennes? Alors cette énorme digue deviendrait totalement superflue et serait remplacée par une barrière de sable qui ne demanderait annuellement que quelques pieds d'hoyat et du ménagement. Portons maintenant nos regards sur les nombreuses bran- ches que la mer forme autour de ces îles, et voyons quelles sont les vicissitudes auxquelles elles ont été exposées de ce côté. Ces eaux changent constamment de largeur 5 tantôt un banc se forme en un endroit , et en d'autres le lit devient plus profond 5 ici, la rive gagne, là, le courant la ronge d'une manière effrayante. Les plus grands ports , dont les anciennes chroniques fas- sent mention, dit Reygersberg (•), sont presqu'entièrement disparus par suite d'envasement , ainsi qu'on le voit dans l'île de Schouwren, près de Ziericzée et ailleurs. Au con- traire, là où l'on n'en connaissait pas antérieurement, ajoute-t-il, se trouvent maintenant les plus considéra- bles. C'est ce qui a lieu pour l'île de Walcheren, où l'on ne voit pas que passé 400 ans , il arrivât des navires de quelque importance. Steinbergen , qui n'existe plus , paraît aussi avoir été un port où se rendaient beaucoup de na- vires par le pertuis de Goerée , alors le plus profond 5 et les meilleurs passes de ce temps -là forment actuellement (■) jipud Smailegange , p. laS. io8 SUR LES CHANGEMENS le Oudetonge, Somersdyk, Middelhernisse et autres ter- res. On lit également que Dreischore , qui formait une île sé- parée , avait alors un excellent port par où sortaient les na- vires de Ziericzée. On lit encore que l'amiral de France s'avança avec sa flotte au travers de Noord-Gouwe jusqu'à Ziericzée , pour y assiéger le comte Gui. Au devant de Brou- wersliaven s'est formé une grande alluvion qui n'existait pas autrefois. Le Vliet , dans le Noord-Beveland était ancien- nement un port de pêcheurs très - fréquenté : il a égale- ment disparu pendant la première moitié du seizième siè- cle ('}. En général ces canaux doivent finir par s'oblitérer , et déjà c'est ce qui a commencé às'opérer depuis long-temps, comme nous venons de le voir. Les îles de Sonnemaere , de Duiveland et de Dreischoor, se trouvent maintenant réunies à l'île de Schouwen. La petite île de Poortvliet s'est jointe , ainsi que celle de Sint-Maertensdyk, à l'île de Tholen (=), et cette dernière se rapproche de celle de Schouw^en , par l'envasement du bras qui les sépare et qui ne peut plus recevoir les navires qui y passaient autrefois (^). L'île de Goerée tient maintenant à celle d'Overflakée 5 en sorte que (') Reygersberge , apud Smalleg. , p. laS et suiv. (') Smalleg'ange , p. 211. (3) Ibid. , p. 267. DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 109 les quinze ou seize îles que Guichardin comptait en Zé- lande se réduisaient à dix du temps de Smallegange ('). La raison de cette oblitération tient à la diminution des courans; et la force du courant est proportionnelle à la masse d'eau en mouvement et à la différence entre le ni- veau de la mer et celui des eaux intérieures. Or , à mesure que les terres se sont envasées , à mesure que l'on a , par des digues, empêché l'épanchement des eaux; à mesure encore que les ouvertures de la mer se sont élargies , les courans ont du s'affaiblir et la vase se déposer d'autant plus facilement. Nous pensons qu'avec le temps ces bras de mer se boucheront pour la plupart , TEscaut par lui-même four- nissant trop peu d'eau pour les tenir tous ouverts. Nous pensons qu'il arrivera en Zélande , ce qui est ar- rivé en Frise ^ où jusqu'au treizième siècle, il a existé un golfe d'une étendue considérable , sujet au flux et reflux de la mer, et qui depuis, a totalement disparu (2). Le Zuiderzée , quoique son niveau augmente d'une manière sensible, puisqu'il a constamment fallu rehausser les digues qui l'entourent , et qu'il porte maintenant des navires d'un tirant d'eau beaucoup plus grand que dans les siècles anté- rieurs , ce qui est du à l'élargissement progressif de l'ouver- (') Smallegange, p. aia. (') Kron. van Friesland, door broeder Pieter van 'fClooster Tliabor, p. 53 , F'so. no SUR LES CHANGEMENS ture entre Enkhuizen et Staveren^ le Zuiderzée , disons - nous , doit , d'après notre manière de voir , subir le même sort. Et ce qui prouve que nous ne nous trompons pas , c'est que déjà le fond de cette mer, à l'exception des bancs qu'elle renferme , est formé d'une vase profonde où l'ancre ne tient point. Dans la Meuse, la même révolution s'opère. Elle n'a plus cette embouchure immense, os immensum, que lui a connue Pline. L'île de Rosenburg , les terres de Zwindreclit , d'Yssel- monde , de Roon et de Portugal , les poldres de Stryen , les terres appelées Beyerlanden , et l'ile de Putten sont , sui- vant la remarque de Des Roches (') , nouvelles et successi- vement sorties du sein des ondes, a On n'y rencontre, dit-il , pas le moindre vestige de l'antiquité 5 tandis que ces vestiges se trouvent si fréquemment dans les terres plus reculées sur la droite, à Monster, à Flardingen, à Grave- zande, ou sur la gauche, à l'île de Goerée, et dans les îles de la Zélande. La première mention^ ajoute-t-il, qui soit faite de la plus ancienne de ces terres nouvelles , n'a point douze cents ans de date. » Il faudra bien du temps encore pour que les bras de mer de la Zélande disparaissent , et en attendant , ils continue- ront à exposer ces îles à de fréquentes inondations comme par le passé. Les chroniques de ce pays sont pleines des ré- (■) Hist. Ane. des Pays-Bas Autrich. ,p. 164. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. m cits de ces inondations. Nous allons en indiquer sommaire- ment les principales. Il est apparent que les tempêtes dont on a éprouvé les funestes eflets dans la Frise, depuis le quatrième siècle jusqu'au onzième, se seront aussi fait sentir en Zélande. Mais c'est principalement depuis le douzième siècle que la Zélande a eu beaucoup à souffrir des inondations , sur- tout à cause de la fréquence de ces malheurs. Mais à aucune époque elles n'ont été plus terribles , que pendant les cin- quante premières années du seizième siècle. Walcheren perdit pendant ce temps environ 98 mesures de terre. Le 5 novembre i53o, toute la partie est de l'île de Zuid-Beve- land , passa sous l'eau avec la ville de Reimerswale et vingt villages. Environ laSo mesures de terre furent perdues dans d'autres parties de Tile. Le Nord-Beveland a également beaucoup souffert pen- dant cette première moitié du seizième siècle 5 trois villages dans le voisinage de celui de Weel , ainsi que 700 mesures de ten-e furent anéantis , indépendamment de 1 1 ,000 me- sures que cette île perdit sur d'autres points. L'île de Wolfartsdyk contenait autrefois deux villages et une petite ville nommée de Piet , dont les clochers ont été long-temps visibles; mais tout cela a entièrement dis- paru. L'île de Schouwen a perdu depuis 147^ jusqu'en i556 et 1 559, les villages de Zuidkerke, de Brieskerke et de Sint- Jacobskerke , formant le tiers de l'île. Stai^enisse et beau- lia SUR LES CHANGEMENS coup d'autres terres, faisant ensemble 2 no mesures, ont disparu duDuiveland ('). Smallegange ^ qui nous fournit ces détails , attribue cette plus grande fréquence d'inondations à diverses cau- ses. D'abord à une plus grande quantité d'eau j ensuite à de plus grandes charges établies sur les terres , par le sou- verain du pays, ce qui empêchait de faire les sacrifices nécessaires pour Tentretien des digues 5 en troisième lieu , à une mauvaise administration : les places de dykgraves ou d'administrateurs des digues ne se donnant plus, comme auparavant, aux personnes les plus propres à les remplir, mais se louant au plus offrant ; une quatrième raison qu'il allègue était les continuelles contestations entre les villes et villages de chaque île, cherchant à se jeter les uns sur les autres les charges d'entretien, sans songer que tous étaient menacés du même danger , et que la mer , leur en- nemi commun, travaillait sans relâche à les faire repentir d'avoir perdu leur temps en querelles et en sollicitations près de la cour 5 enfin , une cinquième raison de ces inonda- tions , suivaiit Smallegange , était l'inconcevable insensibilité de quelques seigneurs de qui beaucoup de villes et villages de la Zélande dépendaient, et qui dans la vue d'égaler en luxe les premiers courtisans des princes de Bourgogne et d'Autriche , ne permettaient pas de distraire de leurs re- (') Smallegange , p. 197 et suiv. DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. îi3 venus de quoi pourvoir à la sûreté de leurs seigneuries. Les états de Zélande portèrent plainte à la cour , vers l'année i55o, de cet état de choses , représentant que déjà le tiers des terres avait disparu. Ils firent frapper en 1 562 une médaille avec cette légende : Domine salva nos^ perimus^ qui fait assez connaître le danger dans lequel ce pays se trouvait. Le souverain vint enfin à son secours , et diverses mesures furent prises par Charles-Quint et par son fils Phi- lippe , pour la réparation et l'entretien des digues. On soi- gna aussi les dunes qui se trouvaient à pic du côté de la mer, et que les marées des syzygies entamaient grande- ment. On les baissa jusqu'à une hauteur convenable et on transporta le sable du côté des terres. On prévint ensuite le vol du sable au moyen de murs de neuf à dix pieds de haut et en plantant partout du hoyat ('). Des pertes de terre aussi considérables que celles que nous venons de rapporter, semblent témoigner contre l'opi- nion que nous avons énoncée d'un envasement futur des bras de mer de la Zélande. Mais il faut faire attention que dans le même temps ces îles gagnaient d'un côté ce qu'elles perdaient d'un autre. Si l'île de Walcheren , par exemple , diminue du côté des dunes , elle augmente du côté opposé. De même , si l'ancien Arnemuyden a été envahi par la mer en i438, le nouveau s'en trouve abandonné, et desatterris- (') Smallegange , p. aoo et suiv. i5 ii4 SUR LES CHANGEMENS semens considérables y ont eu lieu (').Boxhorii (^) rapporte que tous les vieillards de cette ville se rappelaient d'avoir vu tout le commerce se porter vers ce port. Le courantétait si fort devant la ville , que les matelots n'osaient aborder les grands navires avec des canots , et le chenal était tellement profond que les navires de 600 tonneaux qui venaient à couler bas , disparaissaient de manière à ne laisser voir que le haut des mâts. Mais en peu de temps, tout changea en- tièrement de face, et le port se combla au point qu'en beau- coup d'endroits , on pouvait à peine se servir des plus pe- tites barques , et que l'on passait avec des voitures là où naguère se tenaient à flot les plus grands navires. Entre Arnemuyden et Vere , les terres qui avaient été enlevées par les eaux, ont été de nouveau rejetées par elles (3). Les mêmes vicissitudes se remarquent dans l'île de Schouwen , où la mer du côté de Bordendamme a éga- lement rendu les terres qu'elle avait antérieurement prises. Cette île a considérablement perdu du côté du village de Zuidkerke^ d'où les femmes qui faisaient là lessive, pou- vaient autrefois jeter facilement dans l'ile de Nord-Beveland les instrumens dont elles se servaient , tandis que mainte- nant ces îles sont séparées par un bras de mer considérable. (') Smallegange , p. 597. {') Ibid. , pag 6o3. {') Reygersberge , apud Smalleg. , p. ai8. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. ii5 D'un autre côté , au nord de Schouwen , de très-grands poldres ont pris la place d'une mer profonde. La même chose se remarque dans l'ile de Wolfartsdyk ; car elle a perdu la moitié de son territoire du côté qui regarde Wal- cheren, et s'est considérablement accrue à l'est, tandis qu'elle regagne de nouveau à l'ouest. Le Zuid-Beveland a souvent été inondé en partie et en- digué de nouveau. Quelques auteurs sont d'opinion qu'autre- fois le Noord-Beveland touchait pour ainsi dire au Duive- land, de manière que l'Escaut seul les séparait. Cette île fut inondée en 1288 et i3o4j et, suivant ces auteurs, elle est restée dix-sept ou vingt ans sous l'eau. Duiveland, en perdant beaucoup de terres du côté du sud et de l'ouest en a regagné autant du côté du nord et de l'est. — 11 n'en a pas été de même de l'île de Goerée , puisque de 2,400 mesures qu'elle contenait, elle en a perdu défini- tivement i,3oo. — Quanta l'île de Philipsland, elle a été endiguée par un bâtard du duc de Bourgogne, qui lui a donné son nom(i). On peut se faire une idée de ces atterrissemens en com- parant dans Smallegange (^) trois états des terres sujettes à l'impôt foncier. Le premier, qui est tiré d'une petite chronique écrite vers l'an 1480 , porte à 98,000 le nombre (') Smallegange, p. 218. (•) Ibid. , p. 3oo et suiv. 1 16 SUR LES CHANGEMENS de mesures imposées. Le second est tiré des registres des impôts pour l'an i5i3. L'étendue de la Zélande y est por- tée comme suit : Terres imposées. 92,424 mes. 276 verg. Terres non-imp. ^S^i65 — i47 — Total. . . . 140,590 — laS — Cet état, qui ne comprend pas Tholen ni Schakerloo , s'accorde avec le précédent , dans lequel ces îles sont com- prises pour 1000 mesures. Le troisième état est extrait d'un compte authentique du centième denier pour l'année i64i j auquel se trouvent joints tous les poldres endigués depuis 1641 jusques et y compris i643. D'après cet état , la Zélande contenait i83,35o mesures, d'où l'on voit que tout compensé, la Zélande gagne du terrain. D'ailleurs , les pertes ont été occasionnées principalement par l'élargissement des pertuis à la mer, qui a en même temps fait élargir les bras intérieurs. Mais cet élargissement arrivant à son terme , l'envasement doit s'ensuivre promptement , puisque plus il y a d'eau , plus il se dépose de vase. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 117 CHAPITRE VII. De la Rive gauche de VEscaut. Quittons maintenant les îles de la Zélande , et parcou- rons la terre ferme qui borde l'Escaut occidental. Ici encore nous aurons à décrire les mêmes scènes et à faire connaître les mêmes révolutions. Cette rive de l'Escaut occidental est bordée, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, d'une bande de terre glaise, plus ou moins large , plus ou moins épaisse , produite par les débordemens du fleuve et de la mer. La partie de cette bande qui est principalement due à la mer , s'étend depuis son embouchure jusques vers la Tête-de-Flandre , vis-à-vis d'Anvers. Là , ou un peu plus haut , elle se confond avec la couche produite par les eaux douces du fleuve dans ses débordemens d'hiver. Cette dernière bande accompagne l'Escaut à peu près dans toute sa longueur, en remontant : nous n'avons point à nous en occuper ici. L'autre est entre- coupée d'un grand nombre de criques, qui étaient bien plus nombreuses autrefois , mais qui depuis se sont envasées, ou ont été barrées par des digues. Cet envasement , dont les effets sont très -sensibles , confirme tout ce que nous avons dit au chap. V, sur la formation récente de cette branche de l'Escaut. Car, si les inondations qui ont apporté la couche de glaise qui se trouve ici , avaient commencé dans des temps très - reculés , depuis long - temps cet envasement se serait ii8 SUR LES CHA.NGEMENS complété 5 et l'on ne verrait plus de criques aujourd'hui. Mais faut-il penser avec quelques auteurs que la mer n'a- vait point visité les terres qui bordent cette rive avant la tempête furieuse que Meyer (i) dit avoir eu lieu le i6 novembre 1377 , et qu'une étiquette placée sur la carte géo- graphique de Gui, comte de Flandre, de l'année 1274, fixe au 12 novembre? Nous ne le croyons pas. Cette tem- pête causa l'inondation d'un grand nombre de villages et de villes , comme : De Piet , Biervliet , Willemyen-Clooster Bentelle , Rousselaere , Ysendyk , Hellemaere , Schoondyk Gaternisse , St. -Nicolaes , Ste.-Margriette , Osimanskerke depuis appelé Audemanskapelle, St.-Jan-in-de-Woestyne Ste.-Cathelyne , Hamen, Raukerk, Nieuvliet, Nivelle Henegersluis, Bouchante et Wilmerkerkj elle agrandit auss beaucoup le pertuis entre l'île de Walcheren et Cadzand , et aura contribué à donner une beaucoup plus grande pro- fondeur à l'Escaut occidental, et à en élever le niveau, ce qui lui aura permis de s'épandre plus fréquemment sur les terres adjacentes. Mais déjà alors la couche de glaise exis- tait 5 car autrement comment supposer qu'après la tempête les villages que nous venons de nommer eussent continué à être habités , pendant que la mer aurait versé autour de la plupart la masse d'eau nécessaire à la formation de cette couche de trois ou quatre pieds de glaise? Les noms de («) Annal. Fland., 1. i3 , p. i68. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. iig Biervliet et de Nieuvliet^ indiquent que déjà il y avait dans ces lieux des criques avant cette époque 5 et ceux de Ysendyk et de Schondyk , que déjà l'envasement s'était opéré assez pour que l'on pût former des endiguemens. C'est d'ailleurs ce que prouvent plusieurs Chartres , et entr'au- tres une de Marguerite, comtesse de Flandre, de l'année 1269 ('), dans laquelle cette princesse confirme l'abbaye de Cambron , dans la possession de beaucoup de parties de terre gagnées sur la mer et endiguées aux environs de Hulst, et au delà d'Ossenesse. Vrédius prétend (^) que le pays de Waes était encore enseveli sous l'océan, du temps de Charlemagne, ce que De Bast combat (3) , en disant que le grand nombre de mo- numens romains que l'on y a découverts en différens en- droits, montrent évidemment que ces lieux étaient déjà ha- bités, même pendant la période romaine. « Si le pays de Waes, au neuvième siècle , était encore sous les eaux de la mer, ajoute-t-il, comment expliquera-t-on le diplôme de Charles-le-Chauve, par lequel il donna en 870, aux moines de St. -Pierre le village de Tamise , situé au pays de Waes, où Sainte Amelberge finit ses jours? Or, continue-t-il , cette vierge mourut en 772, suivant les fastes belgiques. (■) Foyez Kluit. Hist. Com. Holl. et Zel. , tom. H p. 778 et Foppens , Dip. tom. III , p. 602. (•) Fland. Etlin. Hist. Com. Fland. , p. 34. (') Rec. d'ant. , etc. , p. 374. ,2o SUR LES CHANGEMENS Comment est-il fait mention de Tamise, sous le nom de Tamisich dans une chartre de donation en faveur de l'é- glise d'Utrecht de l'an 821 ? Il est cependant vraisemblable, c'est toujours De Bast qui parle , qu'il y eût en ces temps reculés au pays de Waes , comme presque partout ailleurs dans l'intérieur de la Flandre , beaucoup de marais , et que ce pays fût souvent exposé aux inondations de la mer et aux débordemens des rivières , mais non au point qu'une partie de ce pays fût encore couverte par l'océan, v Nous ne voyons , quant à nous , aucune difficulté à con- cilier ce que dit Vrédius , avec ce que De Bast allègue pour le combattre. Une partie du pays de Waes et les quatre mé- tiers ont fort bien pu ne point être inondés sous la période romaine et l'avoir été depuis ; toute la côte de la Flandre est dans ce cas. Il suffit donc de restreindre l'assertion de Vré- dius aux lieux qui portent les traces d'inondations de la mer. Tamise , que De Bast cite comme ayant existé déjà en 7'j2 , n'a dû en aucun temps être plus exposé aux inonda- tions de la mer qu'actuellement, et même il l'a été moins puisqu'il devait arriver moins d'eau dans cette partie déjà élevée de l'Escaut , avant que les embouchures de ce fleuve fussent devenues aussi larges qu'elles le sont aujourd'hui. Nous avons tracé au chap. II, la limite de la couche de glaise , et nous l'avons fait passer par la Tête-de-Flandre près d'Anvers , par le fort Calloo , par Koewacht dans les environs de Hulst , par Overslagh et Selsaete , près du Sas- de-Gand, d'où nous l'avons fait aller sur Assenede , Bou- DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. lai chante, St.-Laureyns , Ardenbourg, Middelbourg, I)ain- me , etc. En deçà de cette couche vers l'intérieur , le sol est entièrement sablonneux et ne porte point d'autres traces de la mer que celles que nous avons indiquées ailleurs , et qui annoncent, non un simple épanchement, mais un séjour constant, durant lequel les vagues toujours agitées, ne per- mirent point à la vase de se déposer. Il règne même à la lisière de cette couche une petite chaîne de monticules sa- blonneux, qui commence entre la Tête-de-Flandre et le fort Calloo , passe au devant de Melchen, de Beveren, Vracene et St.-Gilles , et se répand ensuite sur une plus grande lar- geur en arrière de Hulst dans les communes de Clinge et de Steekene. Au-delà , le terrain continue à être plus élevé , et le banc de sable, car c'en est un véritable, se dirige par Selsaete sur Maldeghem , et va se rattacher à la crête qui sé- pare le bassin maritime de celui de la Lys , et qui passe à ce village , comme nous avons vu au chap. II. Les monticules du pays de Waes sont fort bien indiqués dans la carte de Sanderus ('). Ce pays, à l'exception du bord des rivières, est en outre entièrement sablonneux et rempli de monti- cules de sable. Si Des Roches, (2) Vrédius (3) et beaucoup d'autres, avaient (') Sanderus , F'erheerl. Nederl. , II deel, IV boek. , bl. i4o. (') Voyez Hist. Ane. des Pays-Bas Âut. , p. iio h iia. (') Fland. Ethnie., p. 33 et 34. 16 1,2 SUR LES CHANGEMENS fait ces remarques géologiques, ils ne se seraient point avisés de supposer qu'autrefois la mer remontait jusqu'à Gand par un canal naturel , venant de l'endroit où fut bâti par la suite le Sas-de-Gand. En effet , ou bien ce canal devait être le lit de l'Escaut, qui alors se serait dirigé par là 5 ou bien, il était formé par les eaux que la mer jetait dans l'Escaut occidental. Or , la première supposition n'est pas admissi- ble , puisqu'au neuvième siècle , temps auquel ces auteurs rapportent l'existence de ce canal , et même un siècle avant, l'Escaut avait comme à présent, son cours par Anvers et non directement par le Sas-de-Gand, ou tout autre point entre Anvers et la mer 5 ce qui le prouve _, c'est que St.-Willebrord, qui vivait au commencement du huitième siècle, fait mention dans son testament à^ Anvers suri' Escaut. Rohingus^ dit-il, mihi condonavit^ vel tradidit ecclesiam aliquam, quœ est constnicta in Antverpo castello super fluvio Scalde ('). La seconde hypothèse , qui est celle des auteurs que nous combattons , n'est pas plus soutenable 5 car , ce canal n'au- rait pu être qu'un golfe , ou bien une crique creusée par les eaux que la mer répandait dans le pays. Mais , dans l'un et Tautre cas _, on devrait retrouver les traces de l'envase- ment qui aurait fait disparaître ce golfe ou cette crique , et c'est comme nous l'avons dit, ce qui n'existe pas. Loin de (i) Mirœus, Oper, Dipl,, tom. I, cap. 8, p. ii. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. laS là , la direction que l'on donne à ce canal naturel est tra- versée par le banc de sable que nous avons indiqué. Au reste, il faut le dire, cette opinion n'était pas fort judicieuse , examinée même indéj>endamment des considé- rations qu'offre le terrain. Elle se fondait sur ce que les Chartres du neuvième et du dixième siècle, nomment quel- ques fois Gand , portas Ganda, portus Gandus, portas Gandavus^ portus Gandensis ('), et sur ce que l'auteur anonyme qui écrivit au neuvième sièc\Q\e% Annales Franco- rum (^), après avoir rapporté le voyage queCharlemagne fit à Boulogne, pour y visiter la flotte qu'il avait fait préparer pour la sûreté des côtes de la Flandre, ajoute que ce monarque, venant jusqu'à l'Escaut à l'endroit appelé Gand , y vit les navires que l'on construisait dans ce lieu pour faire partie de la même flotte (^^). On pourrait répondre à l'argument tiré des Chartres que le mot portus , par lequel les anciens auteurs latins dési- gnaient un port de mer, n'avait pas toujours la même si- gnification pendant le moyen âge , et que dans la Belgique , une ville dont les habitans réunis en corps jouissaient à de (•) Foyez\es chartres citées par De Bast, Rec. des Antiq. Rom. et Gaul., p. 6. (*) Annal, Francor. ad ann. 8i i , apud Dom Bouquet, tom. V, p. 60 et 6i. (') Ipse autem interea propter classent, quant anno superiori Jieri imperavit, videndam ad Bononiam civitatem maritimam, ubi eœdem naves congregatoe erant , accessit,,,, inde ad Scaldim fluviunt veniens, in loco qui Gand vocatur, {alii legunt Gant) naves ad eamdem classent cedificatas aspexit. ja4 SUR LES CHANGEMENS certaines conditions , de privilèges communs , fut appelée port ou poort^ et en latin portas (') 5 que quoique ce que l'on appelle en Flandre poortery n'ait eu ses commencemens qu'au douzième siècle (^) 5 il est néanmoins probable que le mot poort avait été employé avant pour désigner une ville close. Mais en supposant que ce soit bien d'un port qu'il s'agisse dans ces Chartres , cela prouverait-il que la mer ve- nait s'étendre jusqu'à l'endroit où se trouve Gand On ne voit pas la moindre raison de le supposer. Gand ne pou- vait-il pas être un port quoique se trouvant simplement sur un fleuve. Où est placé le point d'un fleuve au-delà duquel il ne peut plus y avoir de port de mer? On ne peut évidemment pas établir de démarcation fixe à cet égard 5 et l'on doit convenir qu'autrefois comme aujourd'hui on a dû nommer port , tout lieu où commençaient et finissaient les voyages que les navires faisaient par mer (3). Déventer sur rissel, fut appelé port au moyen âge ('î), et aujourd'hui, Bordeaux, Rouen, Hambourg, Anvers, et tant d'autres villes ont le nom de port sans avoir d'autre communication avec la mer que par de grandes rivières. Ainsi, sans rien (') Meyerus , Flandricarum reriim , tom. IX , p. 44* ~~ Marchantius , Flandr. Descript. L. I., p. 55. — De Bast , Ant. Eom. et Gaul. , p. 8. (') De Bast, ibid. (') C'est ce que confirme pleinement la de'finition que le jurisconsulte Ulpien donne du mot Portus au Digeste , 1. 59 de verb. sign. Portas est locus conclu- sus , quo importantur merces , et inde exportantur. {!*) Lamb., L. II, de Bill. Cacs. ad anti. 882 : No rmanni tORTvm qui Fri- siaca lingua dicilur Taventari succendunt. DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. ra5 changer à l'état présent des choses , Gand a très-bien pu être port de mer sous Charlemagne. A ces raisons, De Bast (') en ajoute d'autres tout aussi péremptoires. Il trouve que ce prétendu port , communi- quant directement avec la mer , ne peut se placer au sud de la Lys^ puisqu'aloi'S cette rivière se serait jetée immédiate- ment dans le golfe qu'on suppose , et non dans l'Escaut. Or, les anciennes chartres mettent constamment le con- fluent de l'Escaut et de la Lys , à l'endroit où fut autrefois l'abbaye de St.-Bavon. Si l'on veut fixer la situation de ce port au nord de la Lys , les mêmes obstacles s'y opposent , puisque les anciens biographes de St.-Bavon , cités par De Bast, apprennent que ce saint, au septième siècle , se retira à Medendung (Mendonck) , où une rivière poissonneuse et agréable j)ar son doux murmure, rendait cet endroit un séjour cliarmant. Il n'est pas question ici , comme on voit d'un bras de mer, et suivant Perierus (2), c'est visiblement la Moere qu'on a voulu désigner. Or , cette rivière prend sa source principalement dans un ruisseau appelé Basse- Caelene ou Caele , dont les eaux coulent par Nevele , Mé- rendré , passent au moyen d'un siphon , sous le canal de Bruges à Gand , et de là se dirigent par Everghem et Lan- gerbrugge jusqu'à Rooden-Huyze , où la Caele perd son nom et prend celui de Moere ; puis elle arrose Mendonck , (') Rec. d'ant. Rom. et Gaul. , p. 8à i8. (') In arinol. adacta S. Bav., p. 354 > Antv. 1765. ia6 SUR LES CHANGEMENS et y est appelée Zuydlede , traverse, sous le nom de Durme^ Exaerde, Lokeren , Waesmunster , et se jette à Tliielrode dans l'Escaut. Voilà donc, dit De Bast, une rivière qui, sous différentes dénominations , coupe tout l'espace de ce prétendu golfe qui eût dû se terminer au port de Gand , et qui par-là même le rend absolument impossible. D'ailleurs, comme l'observe encore De Bast , si l'océan y avait formé un golfe, les plaines dans les environs de Gand auraient été journellement ravagées par l'effet du flux et du reflux; et c'est ce dont on ne voit aucune trace. En voilà bien assez, pensons-nous, pour qu'une pareille opi- nion ne se reproduise plus. Qu'on se pénètre bien d'une chose; c'est que partout où la mer , depuis sa première retraite du bassin qui borde la mer d'Allemagne , s'est montrée de nou- veau dans ce bassin, elle a toujours laissé comme trace de son séjour, un sédiment vaseux plus ou moins épais. Qu'on suive donc les limites de ce sédiment , et l'on aura une ligne que la mer n'a point franchie dans ses invasions. Lorsque l'on a voulu que Gand communiquât avec la mer autrement que par l'Escaut , il a fallu employer le se- cours de l'art. C'est ainsi que la Lieve , qui s'étend depuis Gand jusqu'à Damme où elle trouvait autrefois la mer, fut commencée en 1228, et reprise en laSi, du consente- ment de la comtesse Marguerite ('). Le creusement du canal qui va de Gand au Sas-de-Gand , fut autorisé par Charles- (i) Sanderus, F'erheerl. Nederl. 1735, \ deel , III boek, bl. 126. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 127 Quint, le 8 juillet 1 547; et cet ouvrage fut commencé depuis le fort Rouge (Roden-Huyze) , à travers les hauteurs de sable de Selsaete jusque dans la digue de mer nommée Joos-Hamer- lincx-Dyk. C'estlàque furent construites les grandes écluses auxquelles la petite ville du Sas-de-Gand doit son nom et son origine. Ensuite, on continua le canal jusqu'à Gand, en élargissant et en approfondissant quelques anciens ruisseaux et canaux. Les troubles des Pays-Bas , pendant le seizième siècle, ayant fermé cette issue aux Flamands, ils firent creuser en 161 3 le canal de Gand à Bruges j puis, auto- risés par décret du 7 janvier I75i, ils l'agrandirent et le rendirent assez profond pour porter des vaisseaux de mer ('). Il y a divers autres petits canaux dans les environs de l'Escaut 5 de ce nombre est celui d'Eecloo qui passe à Cluyse, Ertevelde, Sleydiughe et Lembeke, et va se joindre à laLieve; et le canal qui s'étend de Gand à Stekene, et de là à Hulst. Les lieux les plus remarquables sur la rive gauche de l'Escaut occidental sont : Hulst, Axel, Terneuse, le Sas- de-Gand, Philippine, Biervliet et Yzendyk. Aucune de ces petites villes ne paraît être fort ancienne. Hulst est cité , et suivant toute apparence pour la pre- mière fois , dans une chartre de Marguerite , comtesse de Flandre, datée de l'année 1270,, dans laquelle elle rap- pelle que Philippe d'Alsace avait pris cette ville sous (') DeBast, Rec. d'Ant. Rom. etGanl. , p. i^ aux noies. ia8 SUR LES CHANGEMENS sa protection ('.) En 1402 , Philippe-le-Bon confirma le privilège qui lui avait été accordé par son aïeul , de creuser un port à trois quarts de mille de là , pour com- muniquer avec l'océan. En i52'y, ce port fut curé par ordre de Charles -Quint 5 néanmoins il s'envasa tant par la suite, qu'en 1640, il devint entièrement inutile (^), San- derus (^) dit que les environs de la ville peuvent s'inonder, ce qui ferait croire qu'ils sont plus bas que l'Escaut , mais cela n'est sans doute possible que pendant les syzygies. — Une grande partie du territoire de cette ville fut enlevée à l'agriculture par les inondations de i5o6_, iS^o et autres an- nées 5 mais on Va. depuis endiguée de nouveau. Le plus grand des polders de ce territoire est celui de Namur , en- digué par Jean , Gouverneur de Namur , fils de Guy , comte de Flandre; ce poldre a une étendue de quinze cents boniers (4.) Hulst florissait vers le temps de Philippe-le- Bon , par la fabrication du sel qui était alors d'une grande importance dans ce pays (^). Axel était autrefois le chef-lieu d'un territoire beaucoup plus étendu qu actuellement. Suivant Malbrancq , il passait par cette ville et celle de Hulst une voie militaire qui allait (i) Sanderus, Verheerl. Ned, II deel, IV hoeh, bl. i^%. (») Ibid. bl. 143. (3) Ibid. (4) Ibid. bl. 143. (5) Ibid. hl. i44, DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. lag d'Osdborg à Anvers. Cette ville a été long-temps entourée de la mer et de flaques d'eau , restes d'anciennes inonda- tions. Toutefois, suivant Gramaye ("), il a toujours été pos- sible d'aller en ligne directe d'Axel à Terneuse. Les villages submergés par ces inondations sont Beoostenblye , Zuid- dorpe, Ertinge et Vrendike-Steeland. Le canal que l'on creuse en ce moment entre Gand et l'Escaut, et qui fera de cette dernière ville un port de mer , passe par Axel et va de cette ville à Terneuse. Il a donné lieu au dessèchement de beaucoup de terres inondées et rendra à Axel son ancien territoire. Il ne reste rien de bien important à dire des autres villes que nous avons nommées. Nous ajouterons seulement que dans le voisinage du Sas -de -Gand, les poldres ont été en partie endigués sous le gouvernement d'Albert et d'Isa- belle (3). Les endiguemeus antérieurs furent principalement l'ouvrage du chevalier Jérôme Lauryns, trésorier de Philippe- le-Bel. En 1497, il obtint les poldres du métier d'Ysendyk, ^'- acheta plusieurs autres contrées dans ces environs , qu'il af- franchit également de la mer. En 1570 , beaucoup de ces ter- res furent inondées de nouveau et peu à près endiguées une seconde fois (3). D'autres poldres ont été formés autour de Biervliet qui , du temps de Gramaye , était encore entière- ment entouré d'eau par suite de l'inondation de 1877 (4). (') Sandenis , bl. i44. (•) Ibid. bl. 145. (5) Ibid. bl. i46. (4) Ibid. ,3o SUR LES CHANGEMENS Au demeurant, toute la lisière de l'Escaut n'est composée que de poldres endigués à différentes époques, mais prin- cipalement depuis le commencement du seizième siècle. CHAPITRE VIII. De la Côte entre l'Embouchure de V Escaut et le Blanez. La côte entre la bouche la plus occidentale de l'Escaut et le Pas-de-Calais , n'a guère éprouvé moins de change- mens que les bords mêmes du fleuve. En partant de cette embouchure, nous trouvons d'abord Cadsandt, que des cri- ques , aujourd'hui en grande partie envasées ou barrées, traversent en tout sens, au point que ce territoire a long- temps été nommé l'île de Cadsandt. On y voyait autrefois , dit Sanderus ('), deux villes dont l'une tirait son nom de la rivière Hugo , et l'autre de la grande muraille , qui était vis-à-vis d'Ardenbourg , mais qui ont été l'une et l'autre détruites par la mer. Depuis Sanderus , la mer a continué sa double opération ; c'est-à-dire , qu'elle a exhaussé le sol intérieur par des inondations , et qu'elle a rongé ses bords par la force de ses flots. C'est ainsi que Wulpen , cité par Sanderus , comme une ville située sur le bord de la mer , a disparu des cartes modernes. Il en est de même de plusieurs villages également situés le long de la côte. (■) Sanderus , Verheerl. Ned., I deel, Wboek, bl. igg. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. i3i Le Gadsandt est borné à l'ouest par le Zwin , eau fa- meuse dans le moyen âge par sa largeur et sa profondeur, et les ramifications nombreuses dans lesquelles elle se par- tageait, et qui établissaient des communications entre beau- coup de lieux et la mer. Cette eau n'est autre chose qu'une fort grande crique due entièrement à une irruption de la mer, et qui aura lesortdes autres criques, celui de s'envaser et de disparaître, comme déjà cela a eu lieu pour plusieurs de ses branches. Quelques personnes , au rapport de Meyer , croient que sur cette eau se trouvait anciennement un port des Nerviens mis en feu par Arioviste. Cette opinion doit être rejetée, parla raison générale que nous avons déjà donnée, et qui est que les objets d'art trouvés dans les environs du Zwin ou de ses embouchures , attestent qu'il ne s'est formé que pendant ou après la période romaine. Le Zwin , comme l'Escaut occidental , est creusé dans la couche tourbeuse , dont la formation a indubitablement précédé celle de cette crique 5 la tourbe comme formation d'eau douce excluant nécessairement toute communication avec la mer. Aucun auteur ancien ne parle de cette eau, à moins qu'elle ne soit le Tabuda de Ptolémée. Nous la croyons moins ancienne , et il nous semble que si elle datait de cette époque j le port de Damme, qui formait une des branches du Zwin , n'aurait déjà plus en I2i3, été capable de con- tenir la flotte de Philippe -Auguste. Le port de cette petite ville , qui se trouve à une lieue et iSa SUR LES CHANGEMENS demie de Bruges, était dans le douzième et le treizième siècles et plus tard, un des plus beaux et des plus spacieux. L'historien Rigordus , contemporain de Philippe- Auguste , rapporte que ce monarque y plaça presque toute sa flotte, consistant en dix-sept cents vaisseaux ('). Un poëte du même siècle , Guillaume le Breton , dit que ce port , dont il parle avec emphase , pouvait embrasser la flotte entière (^). Vrédius (^) croit que les immenses prairies qui, dans les anciennes chartres de la ville, sont appelées les ma- rais de la Sueghe , de morasche voor Damme , geseyt de Sueghe, étaient le lieu où fut ce port. « En suivant les in- dications que donnent les terres visiblement rapportées , on voit , dit Des Roches (4) , qu'un lit assez profond et large faisait la communication de ce bassin avec le bras de mer (') Rex Philippus magnanimus , dimisso proposito eundi in Angliam , cum universo exercitu suo , divertit in Flandriam , et cepit Cassellum, Ypram et totam terram usque Brugias, Classis autem sua quant Gravaringis dimiserat secuta est eum per mare usque in portuni Jamosissimum qui dicitur Dam , distantem a Brugiis duobus miliarihus tantum... Portus licet esset mirœ amplitudinis eas capere non poterat , cum essent numéro mille seplingenta ( Rigord , apud Du- chesne , tom. V , p. 54). (>) Flatu propulsa seconda PoHum lœta subit , a Damno nomen habentem , Qui tant latus erat , tantœque quielis , ut omnes In se sujpceret noslras concludere naves : Quo vaille spaciosiis erat Dam nomine viens Lenijluis jucundus aquis , atque ubere gleba, Pj-oximitate maris, portuque situque saperbus, (3) Inprodomo, p. 37. (4) Histoire Ane. des Pays-Bas Autr. p. 109. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. i33 appelé het Smyn , qui formait et qui forme encore le port de rÉcluse. Je ne saurais mieux retracer la direction de ce vaste canal, ajoute-t-il, qu'en disant que la nature l'avait creusé entre cette ville et le village de Ste.-Anne-de-Mude, entre ceux de Houcke et de Lapscheure , et en approchant de Damme, entre Oostkerke et Vlienderhage 5 ainsi le canal que la main des hommes tira dans des temps postérieurs de Bruges à l'Écluse, et qui seul existe aujourd'hui , en suit précisément la direction , et perpétue le souvenir du pre- mier, qu'il remplace si mal. J'ai sous les yeux, ajoute Des Roches, la copie très-authentique d'une carte manuscrite de l'embouchure de l'Escaut et des terres qui avoisinent ce fleuve. On prétend qu'elle est de Tan 1288, date dont cependant je n'oserais garantir l'exactitude 5 moins ancienne de quelques années , encore offrirait-elle une preuve de la communication de l'océan avec le port de Damme 5 car, entre l'Écluse et Mude , on y trouve distinctement la spacieuse en- trée de l'ancien canal se dirigeant vers Damme , quoique cette ville même, à cause de son éloignement, n'ait pu trouver place sur cette carte. De plus , on voit sur l'un et l'autre bord les ensablemens qui avaient déjà rétréci de deux grands tiers le lit de ce beau canal 5 ensablemens qui, accrus dans la suite des temps , fermèrent entièrement l'entrée du port de Damme. Celui-ci ne recevant plus les eaux de l'océan , fut bientôt converti en ces marais que les anciens titres appellent de Sueghe , et dont l'industrie flamande a su former les beaux pâturages que nous voyons aujourd'hui en ces lieux. » .i34 SUR LES CHANGEMENS D'après Sanderus (*)^ Damme a été foncîe par les Fri- sons qui , en 1 1 89 , établirent une digue en ce lieu contre la trop grande fureur de l'eau, une violente irruption de la mer par le Zwin, arrivée en l'année 1180, ayant menacé Bruges d'inondation (2) 5 c'est de cette digue que vient le nom qu'ils donnèrent à la ville. Ce récit nous paraît véridique. Dans les premiers temps de l'irruption de la mer et de la formation du Zwin .^ toute la contrée voisine a dû se trouver sous l'eau. Ce n'est que long-temps après que les parties les plus élevées du sol se sont montrées au-dessus du niveau des marées ordinaires. Alors des gens industrieux et experts en ce genre de travaux , comme l'étaient les Frisons ou les Zé- landais , auront cherché à abriter totalement ces parties par des digues , afin de livrer à l'agriculture des terres qui , sur- tout les premières cinquante années de leur endiguement, sont les plus fertiles que l'on puisse voir. Les branches prin- cipales des criques seront seuls restés et auront formé des ports vastes et commodes. Mais bientôt ces ports eux-mê- mes auront disparu, car la profondeur des criques n'est entretenue principalement que par les eaux des inondations , et les inondations étant interrompues , ces criques s'envasent promptement. Aussi le port de Damme ne fut-il très -floris- sant que pendant les deux premiers siècles de son existence. Il était à cette époque le rendez-vous des commerçans de (') Verh. Ned. , I deel , VI boek, bl. igS. (°) Meyerus. Ann. FI. a. i i8o. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. i35 toutes les nations et la clef de la mer , selon l'expression des auteurs. Mais après le quatorzième siècle , cette prospérité diminua graduellement et disparut entièrement avec le port qui en était la cause. Une chartre du comte Ferrand et de la comtesse Jeanne, de l'an 1228 , en faveur deceux de Rodenbourg (aujourd'hui Ardenbourg) , semble indiquer qu'à cette époque les enva- semens commençaient déjà à changer l'état des lieux. Cette chartre affranchit les habitans d'Ardenbourg des droits de douanes que l'on percevait alors à Damme , et ajoute que , si par suite de quelque changement dans la nature des lieux ou interruption des eaux, ces droits se percevaient ailleurs, les habitans d'Ardenbourg n'en jouiraient pas moins de l'af- franchissement. Les ports autres que celui de Damme auquel le Zwin a donné naissance, sont celui d'Ardenbourg, d'Oostbourg et de l'Écluse. Ardenbourg était déjà connu sous le nom de Rodenbourg du temps de St.-Éloi, qui y fit construire une église. Son port a été fort fréquenté jusque vers la fin du quinzième siècle, époque à laquelle les navires étrangers ont cessé de remonter au-delà de l'Ecluse. Toutefois la communication avec la mer ne fut point entièrement inter- rompue , et le commerce s'y était même un peu rétabli en 1720, quand les Etats-Généraux eurent permis aux habi- tans de rouvrir leur port. Oostbourg reçut comme Ardenbourg la foi des mains de St.-Éloi. Son port fût comme les autres très-fréquenté pen- i36 SUR LES CHANGEMENS dant le treizième siècle et le suivant. Les terres qui avoisi- nent ce lieu s'inondaient encore à chaque marée , du temps de Sanderus. L'Écluse , située sur le tronc de toutes ces eaux , à l'en- droit où elles se joignent , ne paraît pas aussi ancienne que les autres villes que nous venons de décrire. Juste Lipse croyait pourtant que la chronique de Sigebert en faisait mention sous le nom Clausulœ ('), ce qui n'est point prou- vé. Cette ville qui, dans un traité de l'année 1 3 1 6 , rapporté par Leibnitz in codice juris gentîum , est désignée sous le nomde Lamensvliet , florissait dans le quinzième siècle. Le roi de France , Charles VI , y resta pendant plusieurs mois pour y faire armer une flotte considérable contre les Aur glais. En 1468 , il entra en ce port cent cinquante navires marchands en une marée , ce qui peut donner une idée du commerce considérable qui s'y faisait à cette époque (2). Mais déjà Taffluence des étrangers avait diminué et l'enva- sement ne permettait plus aux caraques , galères et autres gros navires de s'y rendre. Afin d'approfondir le port, Charles-le-Téméraire , par une sentence de l'année 1470 (^)j ordonna l'ouverture du poldre de Zwartegat. Cette mesure n'empêcha pas l'Ecluse de déchoir, et depuis long-temps (') Sanderus, ibid. bl. 202. (3) Ibid. bl. 203. (') Rapportée dans l'ouvrage ayant pour titre : Exposition des trois Etats de Flandres, p. 66, et suiv. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. iSy txjut commerce en a disparu. Il est à présumer que le Zwin disparaîtra bientôt de même. Depuis le Zwin jusqu'au port d'Ostende, la mer a cons- tamment beaucouj) gagné , et elle gagne encore considéra- blement chaque année. C'est sur cette côte que se trouvait Scharphout , qui en i334) fut englouti par l'océan. Les flots s'étant créé un che- min au travers des dunes , se précipitèrent avec tant de fu- reur snr cette ville, qu'ils la renversèrent de fond en comble, ainsi que son église. Les habitans furent contraints de se bâtir une autre ville à quelque distance de la première, et ils la nommèrent Blankenberg, à cause d'une dune blanche et élevée qui se trouvait à proximité ('). On voyait encore sur l'estrand , du temps de Sanderus , les restes de Scharp- hout, que la mer découvrait pendant les basses marées. Blankenberg aurait déjà essuyé le même sort , si l'on n'avait soin de défendre la ville par une digue en pierre à l'extérieur des dunes. La même irruption de la mer engloutit encore le village de Terstreepe ^ voisin d'Ostende (*), qui déjà avait été submergé une fois en l'année i laS Q''). En général , suivant Guichardin , la partie de la Flandre la plus proche de la mer était presqu'entièrement inondée (') Ibid. I deel, V ioei> hl. 209. (*) Ibid. I deel, VI hoek , hl. aia , et Bowens, Nauwkeurige Beschryving van Oos tende, 1 deel, hl. 11. (') Bowens , ibid. hl, 4. 18 i38 SUR LES CHANGEMENS vers ce temps ; ce qui lui fit donner le nom de Flandria JEstuaria , c'est-à-dire , couverte par le flux de la mer. Ceci est prouvé , ajoute Guichardin , par l'usage maintenu jusqu'en i34o , d'exprimer dans les actes de cens et les baux des terres de ces environs , la condition que si dans les dix ans la mer venait à inonder , couvrir et noyer les terres, le contrat serait invalide ( '). Ostende ne se conserve contre les efForts de la mer que par des travaux considérables , et en lui cédant de loin en loin quelques portions de son territoire. Cette ville n'était dans l'origine qu'un triste hameau de pêcheurs. En 8i4} Gobert de Steenland en fit don à l'abbaye de St.-Bertin (^). Il est probable que ce village avait été bâti par des pêcheurs à proximité de quelques criques pour y exercer leur indus- trie avec plus d'avantage, d'où l'on peut inférer que ces criques existaient déjà au neuvième siècle. On doit dire même qu'elles existaient au cinquième siècle , s'il est vrai , comme l'avance Oudegherst (3) , qu'Oudenbourg était vers le milieu de ce siècle un port très-considérable 5 cette ville n'ayant pu communiquer avec la mer autrement que par une crique. Ce qu'il y a de certain, c'est que les ramifi- cations de ces criques, dont on voit encore les traces, se sont (•) Guichardin, Description des Pays-Bas, tradurt,de De Belle-Forest ; An- vers, i582, p. 35g. (") Meyerus, p. ii. (') Oudegherst, Annales de Flandre, Gand, 1789, p, 6. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. iSg étendues jusqu'à Oudenbourg et Ghistelles , et que déjà au douzième siècle Philippe d'Alsace avait livré à l'agriculture les nouvelles terres formées autour des villages de Slype , LefRnghe, Steene et Onze-Lieve-Vrouvs' Rapelle ('). Ostende n'avait point de chenal avant quePhilippe-le-Bon eût permis, en ï44^? d'en creuser un (^). Celui-ci avait son embouchure à l'ouest de la ville, et la traversait parallèle- ment à la côte de l'ouest à l'est. Les dunes du côté de l'est ayant été rasées pour la défense de la ville, vers la fin du seizième siècle , la mer fit irruption de ce côté , inonda cha- que jour tout le pays à deux lieues autour d'Ostende , et forma un nouveau chenal bien plus considérable que l'an- cien (•^). Après le siège de 1601 à 1604, ce dernier fut to- talement abandonné , et Ton améliora le nouveau (4). Les terres inondées par le port d'Ostende , s'étant exhaus- sées peu à peu, on les endigua successivement j mais ces endiguemens ayant diminué la masse d'eau qui entrait et sortait à chaque marée par le port , on fut obligé à plusieurs reprises de laisser de nouveau l'eau entrer librement dans quelques poldres (5). Cette mesure eut chaque fois l'effet (■) Placards de Fland., UI" vol. p. 38. {') Le diplôme est du 27 déc. i445 , et se trouve au Rec. des Chart. d'Ost. , f° 34 , V". (') Van Meteren, p. 454 et suiv. , Hist. du siège d'Ost. Paris, 1604 , p. a, et Mëm. adressé aux États de Fland. , par Van Langeren , Brux. i65o, p. 4» (*) Bowens, I cleel , bl. io5. (') Ibid. I deel, bl. 127, II deel, bl. 3i , 87 en io6. H i4o SUR LES CIIANGEMENS désiré 5 le courant devint même tellement fort après ces di- verses tranchées, que Ton fut obligé en 1698 de refermer une partie des ouvertures faites dans les digues (i). Les poldres restés exposés aux inondations ayant continué à s'envaser, perdirent peu à peu l'influence qu'ils avaient sur le port , et devinrent sans utilité. Il fut alors résolu de les rendre une seconde fois à l'agriculture , ainsi que les terres qui ne l'avaient point encore été. La grande crique fut bar- rée à une petite distance de son embouchure, et l'on fit d'une partie de son lit, le bassin de retenue d'une écluse de chasse^ qu-e l'on établit dans la direction du port, et qui sert maintenant à lui conserver sa profondeur. Ce bel ou- vrage , qui fait le plus grand hourueur à M. l'ingénieur Raf- fenaud^ fut achevé en 18 10. Au-delà d'Ostende jusque vers INieuport, la mer con- tinue à ronger les côtes. Le fort Albert , élevé à une demi- lieue d'Ostende , lors du siège , se trouve presque entièrement sur l'estrand. Intérieurement , les dunes dépassent de beau- coup le hameau qui est attenant à ce fort , et sans une forte digue en pierres , la mer se serait depuis long-temps frayé un passage en cet endroit. Il deviendra indispensable avec le temps de démolir le hameau , et d'y provoquer la for- mation de nouvelles dunes. La dépense d'un tel ouvrage serait bien peu de chose, et mettrait en sûreté une grande (i) Bowens, I deel, bl. i66. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. »4i étendue de terres dont les liabitans sont exposés à perdre la vie à chaque tempête considérable. A une petite distance à l'ouest du fort Albert^ on voit une tour en ruine. C'était anciennement celle du village de Raversy, qui n'existe plus. Un peu plus loin est Middel- kerke , qui ])araît avoir été assez considérable autrefois , d'après les fondemens de maisons qu'on y trouve. L'une des branches de l'Yperlée se rendait à la mer en ce lieu j mais aujourd'hui, cette embouchure est fermée par les sables, et des dunes s'y sont élevées. Une singularité, c'est qu'à l'endroit même où cette embouchure a existé , s'est formée une jolie fontaine d'une eau excellente, qui sort du fond d'un petit bassin entouré de hautes dunes , et va se rendre dans l'ancien canal de l'Yperlée, en se dirigeant vers l'intérieur des terres. Cette fontaine ne tarit jamais , cependant elle ne paraît point avoir de rapport avec la mer, et est sans doute alimentée par les eaux de pluie qui pénètrent dans les dunes. Près de Nieuport , est Lombardzyde , autrefois port très- florissant, et actuellement village fort misérable. Le aS juin iii5, pendant la nuit, la mer, soulevée par une tempête violente détruisit la ville, ainsi que tous les lieux environnans. Un siècle plus tard, la mer amena tant de sable dans le chenal qu'il en fut presque bouché 5 ce qui obligea les habitans à vendre leur port à ceux de la nou' velle ville de Nieuport ('). (') Gramtnaye, Ant. Fland., p. lao. i42 SUR LES CHANGEMENS Suivant Sanderus (•), la petite ville de Loo , à deux lieues de Dixmude, a eu un port de mer près de Lombard- zyde. Dixmude, suivant le même auteur (^), a joui d'un pareil avantage au moyen d'un canal qui amenait le flux jusque sous les murs de cette ville, avant que Nieuport fût connu. La mer ayant eu accès dans tous ces lieux, puis- que Dixmude et Loo se trouvent à la lisière du banc de glaise, il n'y a rien qui doive surprendre dans ces assertions, et ce que nous avons dit de l'inondation lors du siège de Nieuport^ les confirme pleinement. Il devait se trouver dans ces lieux beaucoup de criques qui permettaient aux navires de mer de remonter à plusieurs lieues dans l'intérieur des terres. Le navire chargé de pierres meulières trouvé il y a trois ou quatre ans dans une tourbière à Manekensvere, près de Nieuport, et dont nous avons parlé au chap. II, en est une preuve. A partir de Nieuport, la mer cesse de gagner sur les terres , et au contraire elle perd sensiblement. Entre Furnes et Dunkerque, les dunes sont fort larges, ce qui dénote que la mer s'est retirée. C'est entre ces deux villes et le long de la côte que se trouvent les moeres ^ poldres d'une grande étendue, dont le sol , composé de la même glaise que le reste de la bande maritime , se trouve à plus de sept pieds au-dessous des {') Ferheerl. Nederl., III deel , I boek , bl. i3. (') Ibid. m deel, III boek, bl. 43. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. i43 terres environnantes (')5 de sorte qu'elles formaient autre- fois des lacs salés que l'on n'a asséchés qu'en les entourant d'une digue et au moyen de plusieurs moulins à épuisement. Au rapport deMirœus (=»), c'est Isabelle-Claire qui, en l'an- née 1624 et les suivantes, fit entreprendre ce dessèchement. C'est une erreur commune de croire que ces moeres soient les restes des anciens marais qui remplissaient ces contrées du temps des Romains. Le sol de ces moeres est évidem- ment formé du même sédiment de la mer, qui a été aban- donné sur toute la cote. Sous la couche de glaise, on en trouve une autre très-épaisse de vase bleue, et nulle part , comme nous nous en sommes assurés , on ne découvre de la tourbe , signe caractéristique de l'ancienne existence des marais. Il en résulte que ce lieu était autrefois constam- ment couvert de beaucoup d'eau et formait non un marais, mais un lac sans végétation. C'est au-delà des bords de ce lac que les marais commençaient, parce que le terrain étant plus élevé ne se trouvait pas couvert d'autant d'eau. Et en effet, nous y avons trouvé tout autour et presque à fleur de terre beaucoup de tourbe et même des arbres fossiles. La mer perd considérablement à l'ouest du port de Dun- kerque. De très-grandes étendues de terrain , situées entre les dunes et la mer, y sont actuellement en culture. La (') Report on the agricult. of Flanders , par M. RadclifT. Londres 1819, p. 3o. (') Oper. Diplom, tom. I, cap. 65, p. 186, nota 4. l44 -' SUE LES CHANGEMÈNS mer en est même si éloignée , qu'il suffit d'une petite digue pour les abriter des plus grandes marées. Il y a déjà long -temps que cette retraite de la mer a lieu à Dunkerque. Van Langeren, auteur d'un Mémoire adressé aux États de Flandre et imprimé à Bruxelles en i65o, y exprime la crainte qu'un banc nommé Ruggebanck , qui s'avançait continuellement vers le port depuis i6o4, n'en fermât entièrement l'entrée. Ce banc est en efFet placé en travers du port , et il est venu se rattacher à la plage ; mais le port n'en a éprouvé aucun désavantage , parce que l'on a eu soin de prolonger les jetées, ce quia maintenu le chenal dans une profondeur convenable. On vient d'achever dans ce port une écluse de chasse dont le bassin est pris sur une partie de la grève que la mer a délaissée. C'est un ouvrage d'une grande beautéj qui ajoutera à la réputation de M. l'in- génieur Bousquillon. Les ruines du fort Rishan , construit par Vauban , pré- cisément à la laisse de basse-mer , ont été trouvées , il y a plus de trente ans, par l'abbé Mann, à aSo et même 3oo toises de cette laisse de basse -mer (i). Le même savant dit encore qu'il a reconnu par lui-même que la laisse de basse-mer était de cent toises pour le moins plus éloignée de la tête du port de Nieuport qu'en 1759. Mais il est dans l'erreur lorsqu'il ajoute que l'on remarque à peu près la même (■) Voyez Mém. de l'Acad. de Bruxelles, tom. I, p. 94- DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. i45 chose sur toute la côte de la Flandre. Nous avons fait voir qu'au contraire depuis l'est du port de JNieuport, jusqu'à l'embouchure de l'Escaut et même jusqu'à l'extrémité du Jutland, la mer gagne constamment. Au-delà de Dunkerque, jusqu'aux falaises du Pas-de-Ca- lais, la mer continue à perdre. A Mardyk, les dunes s'a- vancent beaucoup dans les terres et sont très-basses , ce qui annonce que la mer s'éloigne. On voit d'ailleurs entre Ca- lais et Gravelines et en-deçà , des parties de terrains aban- donnés par la mer comme ceux que nous avons dit exister à Dunkerque. Ce sont les salines de Zanne qui datent de l'année 1710, et dont la superficie est de 84 hectares, les salines de Robelin ^ renfermées en 1770, grandes de 387 hectares et les salines de Taafàe 253 hectares , défrichées en 1 7 73 ( '). Il ne paraît cependant pas que la mer ait toujours perdu sur la partie plate du Calaisis , puisque d'après ce qu'on nous a assuré , il a été découvert à l'est du port de Calais , et à la laisse de basse-mer , des restes de maisons , de puits et autres ruines. Au rapport de Bucherius (2), on a trouvé à Mardyk des vestiges très-remarquables d'un chemin militaire qui partait d'Arras et finissait à ce port , après avoir passé par Esterre [Minariacum') et par Cassel, probablement Castellum Morinonim. (') Mém. sur l'arr. de Boulog. , par M. Henry, p. iS'j. (') Belg. Rom., 1. i6, p. 494. «9 i46 SUR LES CHANGEMENS Gravelines n'était avant le douzième siècle qu'un chétif village, nommé St.-Wilbrord. On ne voit nulle part que dans les temps antérieurs cet endroit fut l'abord d'aucun vaisseau 5 il n'est devenu accessible que depuis la construc- tion de recluse et du chenal, en 1740 ('). Tout annonce que de même le port de Calais ne date que depuis un petit nombre de siècles , car il ne paraît pas qu'il fut de quelque importance avant que les Anglais , en i347, en eussent fait le lieu de leurs embarquemens. Entre l'embouchure de l'Escaut et les hauteurs à l'ouest de Calais, les canaux sont au moins aussi multipliés que dans le voisinage du bord occidental de ce fleuve. Le peu d'élévation du sol l'expose à des inondations des eaux plu- viales qui souvent empêcheraient la culture de ces terres , si Ton n'avait paré à cet inconvénient désastreux en ouvrant des fossés plus ou moins grands que l'on nomme waterin- gues ou watergangs ^ pour servir à la décharge des eaux surabondantes du pays, et des canaux servant en même temps au transport des productions territoriales et commerciales. Nous avons indiqué le canal creusé entre Gand et Bru- ges : plusieurs autres partent de cette dernière ville. Celui qui conduit à l'Ecluse , en passant près de Damme , tire son origine , comme le remarque Sanderus , du bras de mer ou crique que formait autrefois le port de Damme. Mais cela (') Mémoire de M. Henry, p. 16. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 1/47 n'est vrai que pour une portion de ce canal , Bruges se trou- vant sur cette partie du sol sablonneux que la mer n'a pas couverte dans ses invasions. Ce canal n'était navigable que jusqu'à Damme et seulement de haute marée. En i56o on le fit à grands frais communiquer avec celui d'Ostende à Bruges , creusé vers ce temps. Ce dernier canal fut élargi de dix-huit pieds en i665. Il n'allait point encore à cette époque au-delà de Plasschen- dale, à cinq quarts de lieue d'Ostende. Ce fut en 167 1 que les écluses, que l'on y avait construites pour servir de communication entre le canal et la mer qui venait jusque là depuis son invasion à l'est du port d'Ostende , furent pla- cées à Slykens , près d'Ostende , et le canal continué jusqu'à ce dernier lieu sur une très-grande largeur j ce qui en a fait un des plus beaux de l'Europe. On commença, en 1640, le canal qui part de Dunker- que , passe par Furnes et Nieuport , et s'embranche à Plasschendale, dans celui de Bruges à Ostende. Cet ouvrage fut achevé Tannée suivante. En 1666, le marquis de Castel-Rodrigo ^ gouverneur des Pays-Bas espagnols , agréa le dessein que l'on avait de faire un canal de Bergues à Furnes (»). Quelques années après fut creusé celui de Dunkerque à Bourgbourg (2). Dans la partie de l'arrondissement de Boulogne qui se (') Hist. de Dunkerque, par Faniconnier, 1730, 1. 7 , p. 74- (•) Ibid. p. 75. i48 SUR LES CHANGEMENS trouve en-deçà des hauteurs du Blanez, les canaux et wa- tergans;s sont au nombre de seize, et présentent une longueur totale de 79,779 mètres, et une superficie de 8i3,438 mè- tres carrés (i). Le plus important de ces canaux est celui qui établit une communication entre Calais , St.-Omer et Dunkerque, par celui de cette dernière ville à Bourbourg. Il est en grande partie formé de la rivière d'Aa dont nous avons parlé dans un autre chapitre. On a construit depuis 1747 , à Tendroit où il est traversé par la rivière du Houlet , un pont à quatre branches , permettant la communication entre les quatre angles formés par le canal et la rivière. C'est un ouvrage fort curieux et extrêmement bien exécuté, qui, pour cette raison , a reçu le nom de Pont- s ans-pareil. CHAPITRE IX. Du Boulonnais. La côte du Boulonnais , à partir du Cap-Blanez , ne repré- sente guère que des falaises escarpées : elles sont composées entre Wissant et Etaples d'une succession de roches de différentes natures (2). A Wissant^ commence une chaîne (■) Mémoire cité de M. Henry, p. iSg. (j) Mém. géolog. sur les terres du Bas-Boul. , par M. Gamier, Boulogne-sur- Mer, i8a3 , p. 6. DE LA. COTE, D'ANVEKS A BOULOGNE. 149 crayeuse qui \a en courbe presque demi -circulaire jusqu'à Neuchâtel, à deux lieues environ du port d'Étaples('). Le Cap-Blanez est l'extrémité d'une autre chaîne crayeuse. On croirait que des côtes d'une telle nature ne sont que peu exposées aux ravages de la mer , et qu'elles doivent être actuellement dans le même état que passé dix -neuf siècles ; mais il n'eu est pas ainsi , et sans parler des bouleversemens qui ont eu lieu dans des temps très-anciens , et qui sont at- testés par la rupture des bancs de pierre mis à découvert le long de la falaise , par la manière confuse dont ils sont pla- cés les uns sur les autres , par l'inclinaison de leurs lits , qui s'enfoncent en quelques endroits jusqu'à 45 degrés au- dessous de l'horizon , et par divers autres indices (2) ^ il est hors de doute que les flots ont su entraîner les roches , com- me ils ont entraîné les dunes. Les pointes de Blanez et de Grinez se prolongeaient autrefois beaucoup plus qu'elles ne le font maintenant. Le Blanez qui n'a presque plus de saillie , s'avançait au- trefois à plus d'une lieue en mer. Malbrancq , prétend que sur ce prolongement^ et vis-à-vis du lieu où se trouve actuellement le village de Sangatte , il y avait un port et une ville que la mer a submergés. Cet historien des Mo- (') Mëm. g^log. sur les terres du Bas-Boul., par M. Garoier, Bonlognc- sur-Mer, i8a3, p. 5. (») Mém. sur l'arrond. de Boulog. , par M. Henry, p. 1 1. i5o SUR LES CHANGEMENS tins, mort en i653, ajoute (') que dans un voyage à Sangatte , il a vu un vieillard de io6 ans , qui lui a confirmé l'existence de ce port et de cette ville , en lui montrant une médaille d'environ une palme de grandeur, sur laquelle était la configuration ancienne du local. Paul Mérula , savant géographe hollandais , mort en 1607, qui avait aussi été sur les lieux , dit que par un temps cal- me , étant au sommet du Grinez (c'est du Blanez qu'il veut parler), il a vu au pied de la côte les traces du chemin de Terrouane , qui se continuait autrefois fort avant dans la mer , où le terrain a été submergé. Le géographe Sanson reconnaît aussi que de son temps le chemin dont parle Mérula se perdait en mer. Il dit vers la fin du chap. XII de sa dissertation : « Le chemin vert, que l'Apostre ( George l'Apostre auteur de Mémoires siu* les antiquités de Calais) appelle de LeuHngue, j'ai vu l'endroit où il se perd dans la mer au-dessus de Sangatte. Ceux du pays , ajoute-t-il , m'ont assuré que la mer a gagné sur ce chemin environ un quart de lieue , ce qui se voit , le temps étant beau et la mer calme. » Ce récit de Sanson confirme bien , comme l'observe M. Henry dans son essai sur l'arrondissement de Boulo- gne (2) , que Mérula confond le Blanez avec le Grinez 5 car (i) Malbrancq, de Morinis , 1. I , c. lo. (') Ibid. p. 7. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. i5i dans ce dernier endroit , il est impossible d'apercevoir un chemin au-dessus de Sangatte. Lambert, prêtre de la ville d'Ardres, qui écrivait au commencement du treizième siècle, dit qu'il est notoire que la ville de Sangatte était autrefois défendue par une forte- resse si élevée, que le sommet allait se perdre dans les nues («). Elle fut détruite en 882 par les Normands, et reconstruite en 1190 par Baudouin, comte de Gui- nes (»). La pointe du Grinez s'avançait de même beaucoup plus qu'elle ne le fait aujourd'hui. Les bancs de pierre nommés les Épaulards , qui portaient le massif détruit par la mer , et qui environnent le pied de la falaise, garantissent l'évi- dence de ce prolongement (3). M. Henry rapporte comme une autre preuve de ce fait , le passage suivant tiré d'un Mémoire de i65o : « A un quart de lieu de la rade de St. -Jean, est un cap qui se jette en la mer plus de deux lieux , comme nous le disent les géographes-hydrographes , et les mariniers nous confirment. » Wissant , qui n'est plus qu'un village enterré par les sa- bles fut , jusque vers le milieu du quatorzième siècle , un port des plus considérables de l'océan. C'est , d'après Du- (•) Ex Lambert ard. ap. D. Bouq. , tom. XIII , p. 439. (*) Mtfmoire cité de M. Heory , p. Sg. (') Ibid. p. 7. Ida SUR LES CHANGEMENS cange (■), l'endroit où de tout temps on s'est embarqué des Gaules pour l'Angleterre , et où l'on abordait d'Angleterre en France 5 et il prouve par plus de soixante citations d'au- teurs anciens et irréprochables, que depuis l'an Sôg jus- qu'en 1327, c'est à Wissant que se sont embarqués les princes , les prélats , les troupes , les pèlerins , les négo- cians , etc. , pour passer en Angleterre. En l'année 811^ l'empereur Charlemagne alla visiter la côte jusqu'à Wissant. Cette ville conservait encore alors de beaux restes de son ancienne célébrité (2). En 842 les Nor- mands détruisirent toutes les villes maritimes de cette con- trée , et aussi Wissant, que Louis d'Outremer, roi de France, fit rétablir en gSô. Le grand commerce de cette ville est constatée par plu- sieurs écrivains des siècles passés. Harinfle , rédacteur de la chronique de St.-Riquier, rapporte « qu'en l'année 1068, Géroin , abbé de ce monastère , se rendit au mois de février au port de Guizant^ qu'il s'y embarqua avec toute sa suite , composée de plus de cent personnes , tant .abbés que reli- gieux , et qu'il y avait à bord un grand nombre de militaires et de négocians qui désiraient aussi faire la traversée. ); Her- mann , religieux de Laon dit « qu'en Tannée 1 1 1 3 , des re- ligieux ou chanoines de son église se rendirent en Angleterre, (i) Dans une dissert, manusc. sur le Portas Tcius citée par M. Henry, p. i^, (') Mabillon, 1. 5i, c. 46. I DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. i53 jiour y amasser l'argent nécessaire à la reconstruction de ce temple qui venait d'être brûlé, et que le jour de St.-Marc ils s'embarquèrent de grand matin avec beaucoup de négo- cians de Flandre , qui allaient acheter des laines , emportant avec eux plus de 3oo marcs d'argent monnoyé. » Un Mémoire de i65o , cité par M. Henry , s'exprime ainsi au sujet de ce port : « Combien que cette ville-là ait été au- trefois très-grande et célèbre, à cause de ce qu'elle estoit fort peuplée , florissante et opulente ; c'estoit l'estopée et le lieu de décharge des laines que Ton apportoit d'Angleterre; et à présent il s'y en apporte encore , et là le roi notre sire a des bureaux pour y recevoir les droits d'entrée. » La dernière restauration de Wissant date de l'an i346, lorsqu'Édouard III , roi d'Angleterre , s'en rendit maître après la bataille de Crécy. Ce prince fit fortifier le port et la ville pour y déposer les approvisionnemens qu'il tirait d'Angleterre, et se procurer une ressource en cas de re- vers (') ; mais s'étant rendu maître de Calais , en i347 •, il en agrandit et fortifia considérablement le port , et ruina celui de Wissant (2). Ce qui a détruit ce port sans retour ce sont les sables qui sont venus le combler. Entraînés par les courans de (') Mëmoire cité de M. Henry , p. 91. (') Voyez l'abbé Fontcnu, dans une dissertation sur quelques camps connus en France sous le nom de camps de César , insérée dans le XIII"" vol. des Mé- moires de l'Acad. des ins. et belles-lettres de France. ,54 SUR LES CHANGEMENS flot dans l'anse de Wissant^ après que la proéminence du Cap-Grinez fut détruite, ces sables se déposèrent sur le ri- vage, et devenu mobiles après leur dessèchement, formè- rent à l'aide des vents une barre , parallèle au rivage de la baie et s'alignant avec la falaise du Grinez. Ces mêmes sables , arrêtés dans la partie orientale de l'anse , par les édifices de la ville de Wissant et par le pied du Blanez , s'accumulè- rent de ce côté au point de faire craindre l'ensablement total du territoire de Wissant. Les habitans effrayés plan- tèrent des hoyats , qui les fixèrent, en formant une lisière de dunes qui garantit d'abord tout ce qui se trouvait dans sa direction longitudinale. La saillie du Grinez , continuant à diminuer, procura aux sables un nouveau passage entre la terre et les dunes^ dont ils augmentèrent la largeur du côté de la baie. Ces nouveaux sables errans, dirigés sur la ville par les vents qui les avaient introduits , cheminèrent d'autant plus lestement , que le souffle qui les transportait se trouvait res- serré par les dunes et par le coteau de Tardinghem. La des- truction du port , par les Anglais , le défaut de vigilance , et le besoin de combustible ayant opéré la destruction d'une j)artie des hoyats qui couvraient les dunes , concoururent , de leur côté, à la ruine totale et à l'ensablement de la ville de Wissant. Les propriétaires construisirent de nouvelles maisons en arrière des sables 5 mais comme elles se trouvaient encore dans la direction des vents d'ouest , elles subirent le même sort que les anciennes. L'année 1788 vit disparaître 43 habitations dans une seule nuit. Un événement à peu DE LK COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. i55 près pareil arriva le 4 mars 1777. Maintenant les terres au- delà de Wissant sont couvertes, et les éables parvenus sur le territoire de Sombre , se dirigent sur celui A^Audem- bert('). Ambleteuse, sous la dénomination à^Arnflêdt ^itArah cité pour la première fois en l'année 606. Bede (*) rapporte qu'en cette année un religieux nommé Pierre, envoyé en Angleterre, en l'année 601 , par le pape Grégoire, pour y prêcher l'Évangile, fut noyé à son retour dans un golfe nommé Amjleat. Un manuscrit rapporté par M. Henry (3), dit que « vers Tan 606 , le port d'Ambleteuse était consi- dérable par le commerce qui s'y faisait , et parce que ce havre rendait les Français maîtres du Pas-de-Calais 5 qu'il était borné du côté de l'ouest d'une haute muraille flanquée de deux tours 5 qu'au nord il était couvert et défendu par un grand fort ; et à l'est par un fortin j qu'au sud il était fermé d'une jetée, v A la dénomination àH Amjleat succéda celle èH Amhlito^ linne (4). Cette ville ayant été détruite par les Normands , Renaud de Brie , comte de Boulogne , la rétablit et l'appela Ambleteuse (^). (") M«5moire de M. Henry , p. i88 à 190. (>} Bede Hist. angl. 1. i , c. 33. ()} Mémoire nitd de M. Henry , p. 91. (<) Chron. Frodoard. ap. D. Boiuf. t. VUI, p. 19a. (s) Mânoire de M. Henry , p. 91. i56 SUR LES CIIANGEMENS Les progrès des sables sont plus sensibles encore sur le territoire d'Ambleleuse que sur celui de Wissant. Cette côte qui se présente perpendiculairement à la direction des vents d'ouest, n'était pas encore fortement endommagée vers la fin du seizième siècle : les sables ne s'étendaient que sur trois ou quatre cents mètres de largeur, et n'a- vaient pénétré que faiblement dans le vallon de la Slacq. A cette époque , la négligence des propriétaires et déten- teurs des prés et héritages attenans à la rivière , occasionna une irruption qui intercepta les cours des eaux , et les fit refluer dans les prairies. Pour arrêter les progrès de l'ensablement il fut ordonné à plusieurs reprises, depuis 1608, de planter des hoyats. Ces travaux souvent interrompus , n'empêchèrent que mo- mentanément le sable de voyager. Enfin les malveillans ayant incendié les hoyats, en 1763^ on ne voit pas qu'il ait été fait depuis aucuns travaux pour contenir les sables •lans leur limites : aussi causèrent-ils de nouveau de fré- quens ravages. Ils firent sortir la rivière de son lit 5 celle-ci inonda toutes les prairies de la vallée , et les convertit en marais fangeux et pestilentiels , qui forcèrent les habitans de s'en éloigner. Ce ne fut qu'à force de dépenses et de peines que l'on parvint, en 1801 , à rendre ces lieux ha- bitables , en procurant aux eaux un écoulement convenable. Outre l'inondation des prairies de Slacq, occasionnée par la dévastation des hoyats , on a encore à regretter la perte d'une grande quantité de terrains précieux occupés par les DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. iS; sables. Déjà ils ont cheminé jusqu'au hameau de Roventem, sur la rive droite de la rivière, et ils couvrent les terres du hameau du Slacq. De l'autre, ils s'étendent jusqu'à Pisvert et jusqu'à la ferme de VParthe. A l'embouchure de Wimereux, les sables ont pénétré jusqu'à i5oo mètres dans le vallon 5 mais les travaux du fort et de la ville Wimereux peuvent leur fermer le i)assage. Boulogne a également éprouvé de grands changemens depuis les Romains. Le port était beaucoup plus vaste et plus étendu qu'actuellement , et allait jusqu'au pied de la montagne de la haute ville et dans le vallon des Tintelle- ries. Ce qui le prouve, c'est que vers le commencement du dix-septième siècle , on a découvert les fondemens de murs épais , dont les pierres étaient liées avec du ciment , sembla- ble à celui dont les Romains se servaient , et trois pierres de marbre formant archivoltes, ayant chacune 12 pieds de longueur et 7 pieds d'épaisseur («). En 1801 ^ lors de la démolition du massif à la droite, en sortant de la haute ville par la porte (^es Dunes , on a trouvé une série d'arcades au nombre de sept , et les fondemens de plusieurs autres , toutes dans le même alignement. La maçonnerie de ces ruines était fort ancienne et si dure que la mine seule fut en état de la détruire. Ces travaux enfouis dans la terre et enveloppés de portions de maçonneries des (') Malbrancq, de Morinis, 1. i , c. ii. i58 SUR LES CHANGEMENS anciennes fortifications de la place , n'avaient aucun rapport avec ces fortifications , et paraissent n'avoir pu être que le soubassement d'un monument triomphal , établi à la porte de Boulogne , sur le bord de la mer , et percé de manière à laisser un libre cours aux eaux des fossés larges et profonds qui environnaient la ville vers le temps de sa fondation. Il y a tout lieu de penser que ce sont les restes de l'arc érigé par le sénat de Rome à Tempereur Claude , dans le lieu de son embarquement pour l'Angleterre ('), La rade de Boulogne se trouvait dans un rentrant nommé actuellement l'anse de Boulogne , et comprise entre la pointe dite de la crèche au nord , et celle d'Alprech au sud- ouest. Ces parties saillantes se prolongeaient alors dans la mer , jusqu'à la distance de '] à. 800 mètres , comme il est aisé de s'en convaincre par l'inspection du local. Du côté nord , les débris de la pointe de la crèche sont restés sur les lieux , excepté la terre qui les unissait autre- fois : ils forment une chaîne de roches très - dangereuses pour les vaisseaux fourvoyés que la tempête amène dans ces parages. De l'autre côté les blocs de pierre qui bordent le pied de la falaise élevée di!Alprech^ et les rochers de V Heurt et de V Inheurt , sont aussi des témoins muets et irrécusables du prolongement de ce promontoire. L'entrée de l'ancien port de Boulogne se présentait à (■) Mémoire de M. Henry , p. 65. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 169 l'ouest-nord-ouest, et se trouvoit resserrée par deux poiates qui s'avançaient jusqu'à la ligne de basse -mer actuelle, à peu près. Celle au sud-est formait l'extrémité de la colline qu'on appelle aujourd'hui montagne d'Outreau. L'existence du prolongement de cette colline se trouve consignée dans plusieurs pièces authentiques répandues dans le pays. D'anciens mémoires sur la prise de Boulogne par les Anglais , en 1 5^5 , et le siège des Français pour la reprise de cette place , en ï 548 et 1 549 ? rapportent a que le roi Henri II d4pnna les ordres de faire un fort sur la pointe qui regarde la mer, du côté de celui de Mont- Plaisir... et ce fort qui contenait onze à douze mesures de terre en son enceinte , fut appelé fort de Châlillon , dont les restes , dit, l'écrivain , se voient encore à présent , la partie du côté de la mer qui regarde l'Angleterre , étant écroulée et tombée dans la falaise. Ce qui marque que le roi , ajoute le même écrit , y fit mettre quantité de canons et beaucoup de munitions c'est que, de temps en temps, par les ravages que causent les flots impétueux de la mer, qui fait écrouler des terres journellement , il se trouve des casemates et des lieux rem- plis de boulets de canon et beaucoup de munitions eu grand nombre, mises en terre par piles, du poids de 25 et 4© livres, n Ainsi en l'année i548, le bord de la falaise se trouvait plus rapproché vers la mer au moins de l'espace qu'occupait le fortChâtillon, dont il ne reste aucun vestige depuis long- temps; et cette étendue comme on vient de le voir, était de i6o SUR LES CHANGEMENS 1 1 à 12 mesures de terre. Cette superficie équivaut à 552,766 pieds 8 pouces carrés. Le côté du fort était donc de 124 toises , en supposant qu'il fût carré. On peut donc sans exagérer porter à 3oo mètres de longueur la portion de ter- rain emportée par la mer depuis l'an 1 55o , sur le rivage à la gauche du port de Boulogne ('). L'autre pointe, au nord-est du port, terminait la colline très-élevée sur laquelle fut bâti un phare qui est apparem- ment celui de Caïus Caligula, nommé par la suite tour d'Odre ou d'Ordre , et qui s'écroula en grande partie le 29 juillet i644- Suétone (2) dit que Caligula ayant fait ranger ses troupes en bataille et disposer ses machines de guerre le long du ri- vage , quoiqu'il ne se présentât aucun ennemi à combattre , donna tout à coup Tordre aux soldats de remplir leurs vê- temens de coquillages pour les porter au sénat et les dépo- ser dans le capitole comme le trophée de la victoire qu'il venait de remporter sur l'océan 5 et pour perpétuer le sou- venir de cet événement, il fit construire en cet endroit, une tour très-haute pour diriger pendant la nuit les vais- seaux qui navigueraient dans ces parages, v Les médailles de Caligula, trouvées dans les environs de la tour d'Ordre (^), semblent justifier l'opinion qui (i) Mémoire de M. Henry, p. 66 et 67. (') Suet. , C. , Cos. Cal. , c. , 46. (^) Mémoire de M. Henry, p. 68. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. i6i l'attribue à cet empereur. En construisant la jetée du Mu- soir^ à l'ouest du port, en 1739, entre autres médailles que l'on trouva, il y en avait une d'or qui fut envoyée au cabinet du roi de France. Elle portait pour légende : C. Cœsar , ^ug. Pont. m. tr. pot. Cos. III. Au revers la Constance, la Piété et la Fortune étaient représentées j»ar les trois sœurs de Caligula, désignées par leurs noms Agripina , Drusella et Julia. En l'année 174^ ? on trouva dans les débris de la tour, amoncelés au pied de la fa- laise , une statue d'Angerone , logée dans la maçonnerie même. Elle était représentée assise, suivant M. Henry (•), debout suivant le dessin qu'en donne De Bast, les che- veux tressés , le bras gauche replié derrière elle , et l'index de la main droit sur la bouche. Cette Angerone que le comte de Caylus reconnaît pour l'emblème du secret po- litique et religieux que la superstition faisait observer aux Romains, sous le nom de la déesse tutélaire de Rome, fut envoyée à M. de Maurepas (^). M. Henry, dans le Mémoire que nous avons souvent cité, pense que la for- fanterie de Caligula , le long du rivage , n'était qu'une feinte sous laquelle il cachait quelque projet qu'il ne put mettre à exécution , parce qu'il voulait se venger du sénat qui l'avait irrité en ne lui décernant que le petit triomphe 5 que l'amas de coquillage qu'il fit porter à Rome, n'était (') Mémoire de M. Heniy , p. 68. (') Ibid. , ibid. ai 102 SUR LES CHA.NGEMENS qu'une ofFrande dérisoire , et que ne voulant communiquer son dessein à personne , il enferma son secret avec Ange- rone , ou le silence , dans ce monument qu'il faisait ériger pour perpétuer le souvenir de son apparition dans cette contrée. Le plus grand nombre des auteurs qui ont écrit sur les antiquités romaines ont reconnu , dans la tour d'Ordre , le phare construit par Caligula. De ce nombre sont le géo- graphe Georges l'Apostre (')^ Montfaucon (2), Buché- rius (3) et De Bast (4). L'auteur anonyme du Mémoire de i65o, dont parle M. Henry, dit que a cette tour avait été construite fort loin , et plus d'un jet d'arc arrière du bord de la falaise, qui faisait le canal et l'embouchure du havre , afin que la mer ne la fit point tomber , à cause qu'elle n'était point fondée profond en terre , mais comme à rez-de-chaussée, v .. Un autre manuscrit dit « qu'en 1 545 , la montagne d'Ordre se prolongeait de 200 toises au-delà de la tour j qu'à cette époque, les Anglais l'environnèrent d'un fort, défendu par des tours carrées avec des logemens pour une garnison nombreuse 5 qu'il y avait une brasserie , un mou- lin , etc. V (') Mémoire de M. Henry, p. 68. (') Antiquités de'voilées supp. , tom. IV, p. i33. (') Belgium , p. 145. (4) Ant. Belg. et Gaul. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. i63 D'après ces témoignages , et d'autres , que rapporte M. Henry dans son Mémoire , il eçt bien démontré , que dans l'espace de deux siècles et* demi , la mer a dé- truit et emporté _, des deux côtés du port de Boulogne , une portion de terrain de 4oo mètres de longueur réduite 5 que d'après cela, elle a pu et même dû en détruire au moins autant pendant les dix -sept siècles antérieurs à ceux-là (»). Du pied de la colline d'Ordre et dans la direction du nord-ouest au sud-est, une petite île d'environ un quart de lieue s'étendait le long d'une autre pointe du même coteau qui s'enfonce dans le vallon. C'est sur cette île qu'habitaient les mariniers et ceux des Morins qui trafi- quaient dans la Bretagne. Cette peuplade composait une petite ville qui s'appelait Gesoriacum. A l'est de cette île , sur la partie saillante de la colline , Jules-César établit une nouvelle ville qui fut nommée Dononia , et qui est aujour- d'hui BoiUogne. C'est ce que nous ferons voir plus ample- ment au chapitre suivant. a N'allez pas comparer , dit Malbrancq (2) , l'état actuel de ce port avec ce qu'il était dans les temps reculés... Pour vous faire une idée de ce qu'il était anciennement , supposez le chenal débarrassé , tant au dehors qu'au dedans , de ces dunes de sables qui s'accumulent entre deux montagnes qui (') M dans un clin d'œil , nous avons vu disparaître des masses que l'on aurait cru indestructibles , et que l'instant d'après elles ont été remplacées par des sables mobiles prêts à porter le ravage dans le j)ort au moindre souffle des vents , il est bien permis de croire ce que rapportent des écrivains qui n'avaient aucun motif ni aucun intérêt à déguiser la vérité : et quand nos successeurs liront qu'à la place des sables qui s'élèvent aujourd'hui par-dessus la jetée du Pidon ou du Mâchicoulis ^ nous avons vu la mer s'étendre et envelopper cette même jetée 5 qu'après le reflux nous avons vu le rivage couvert des débris de la tour d'Ordre et des roches qui supportaient la falaise de 55 mètres de hauteur, sur laquelle cette tour se trouvait assise , sans doute ils seront tentés de reléguer ces vérités incontestables parmi les contes les plus grossiers et les plus ridicules, v Tout ce qu'on vient de lire fait voir que le port de Bou- logne était originairement l'un des meilleurs de l'océan. Il le serait encore si les Anglais, pendant l'occupation de i544 à i55o, n'avaient construit une digue en maçonnerie qui séparait le port en deux parties dans le «eus de sa longueur. La direction d'un pareil ouvrage, en portant le courant sur le pied du coteau de la tour d'Ordre , accéléra la ruine du («) Mémoire de M. Henry , p. 78. i66 SUR LES CHANGEMENS phare 5 et les sables, trouvant un appui sur les débris de la dunette, s'y accumulèrent peu à peu. La construction de la jeté de l'ouest, dite du Musoir^ sur ces débris, en Tannée 1789, facilita l'exhaussement des âables , au point qu^ils menacent toute la baie d'une invasion prochaine , si l'on ne les arrête dans leur marche rapide. Le vallon de la Liane , dont le cours est perpendiculaire à la direction du vent régnant , est néanmoins plus respecté par les sables que les vallons voisins. La nature avait pourvu à la conservation de cette baie , par la colline d'Outreau qui la couvre du côté de l'ouest. Faute de soins et de pré- voyance , on a laissé entamer cette digue préservatrice , et les sables ont pu entrer dans le vallon 5 mais sa direction opposée à celle du vent, porte les sables sur la rive orien- tale , vers l'embouchure, et ne leur donne accès dans l'intérieur que lorsque les vents nord-ouest régnent , ce qui n'est pas de longue durée ni même très- fréquent. Depuis l'endroit nommé la petite Garenne , près du hameau èiEquïhem , jusqu'à l'extrémité de l'arrondissement de Boulogne , les dunes s'étendent sur une largeur moyenne de trois mille mètres. Vers la fin du dix-septième siècle, ces dunes formaient seulement une lisière de peu de largeur, dont les sommités plantées d'hoyats concentraient les sa- bles , et les empêchaient de s'étendre sur les terres arables des environs. Pendant la guerre pour la succession d'Es- pagne, qui commença avec le dix -huitième siècle, les riverains des Garennes arrachèrent des hoyats pour leur DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 167 chaufiage et pour la nourriture de leurs bestiaux. Les vents qui soufflèrent ensuite avec violence , formèrent de ces sables mis à découvert une nouvelle chaîne de dunes au-delà de la première. Les propriétaires des terrains nou- vellement couverts , craignant pour le surplus de leurs propriétés , plantèrent d'hoyats les nouvelles dunes. Les riverains détruisirent cette plantation récente , et les sables cheminèrent de nouveau à l'aide des vents d'ouest. Plus alarmés qu'auparavant, les cultivateurs s'efforcèrent d'ar- rêter les sables, en leur opposant des haies vives en avant de leurs terrains contigus aux ensablemens ; mais ces faibles obstacles furent bientôt surmontés , et les sables se portèrent avec célérité sur la forêt d'Hardelot , dont ils couvrirent une portion jusqu'à la cime des arbres les plus hauts. Plu- sieurs fermes se trouvèrent ensevelies, et les sables se portèrent jusque sur les bords de la Liane, au-dessus de Boulogne, Sur le territoire de Comiers plusieurs maisons , quatre jardins et plusieurs hectares de terre labourable, furent ensablés le 10 juin 1784. Au-delà des limites de l'arrondissement de Boulogne jus- qu'à la Canche , la marche des sables est la même que celle que l'on vient de décrire , et l'on observe que les dunes oc- cupent plus de largeur à mesure que l'on s'avance de ce côté. On les voit s'introduire dans les endroits resserrés et enfilés par les vents d'ouest. Sur la rive droite de la Canche ils sont parvenus jusqu'à Étaples, et ont couvert entière- ment le village de Rombly. i^ SUR LES CHANGEMENS Enfin , de l'autre côté de la Canche , les sables occupent en largeur un espace de 7 à 800 mètres , et les terrains qu'ils couvrent maintenant étaient autrefois d'un grand rapport et garnis d'habitations. (') CHAPITRE X. Positions des ports connus des anciens sur la côte des Morins et des Ménapiens. Nous avons promis au chap. \" , de revenir sur la détermination des ports indiqués par les auteurs anciens, comme situés le long de la côte que nous explorons. C'est de quoi nous allons nous occuper actuellement. Nous avons réservé cet objet pour le dernier, parce que nous avons voulu que l'on fût d'abord bien persuadé des grands chan- gemens que cette côte a subis depuis les Romains, et que l'on pût juger du peu de certitude que l'on peut avoir mainte- nant sur telle ou telle position ancienne d'une partie quel- conque de cette côte •• aussi ne dirons-nous que fort peu de chose sur ce chapitre. On vient de voir que nous plaçons Gesoriacum et Bono- nia à Boulogne 5 il est facile de prouver qu'en cela nous avons raison. Il est d'abord hors de doute que Boulogne (') Mémoire cité par M. Henry , p. 191 à igS. DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 169 est l'ancienne Bononiaj or que Benonia et Gesoriacum fussent la même ville ou du moins deux villes contigues ,j c'est ce dont on a plusieurs preuves. Eumenius Pacatus qui , en l'an 809, prononça les pané- gyriques de Constantius Chlorus et de son fils Constantin- le-Grand, dit (') que Constance quittant le rivage de Ge- soriacum (geson'acense litus^^ entra dans l'océan, d'où il se rendit en Angleterre. Le même auteur , dans le panégy- rique de Constantin (2), se sert de l'expression Bononien- sis oppidi litus, pour désigner le port de Boulogne. Un an- cien auteur anonyme , qui a écrit les actions des mêmes Constance et Constantin , dit de celui - ci : « Il est venu près de son père Constance à Boulogne, que les Gaulois appe- laient autrefois Gesoriacum (3). v — Sur la carte tliéodo- sienne, dite de Peutinger, on lit : Gesogiago quod nunc Bononia / preuve évidente que ces deux noms désignaient le même lieu, et que déjà l'ancien nom s'oublait et s'al- térait. Mais ces deux noms désignent moins une même ville que deux villes contigues , ainsi que le prouve un passage de Florus (4), qui porte que l'empereur Auguste, après (') Panegyr. Eumenii, Constantio , c. i4 , in-4°> i° 'o > ?• '76, cum interp. Jacobi de la Baune. Venet. 1728. (•) Panegyr. Eumenii, Constantino, c. 5i , n"> i5 , p. ao4. (') Voyez le Recueil des Historiens des Gaules, par Dom. Bouquet , tom. I , p. 563. Ex excerptis auctoris ignoti ad ann. , chr. 3o6. (*) Luc. Ann. Scnec. Flor. Rer. Rom. 1. 4 > c- '2. aa fjo SUR LES CHANGEMENS avoir fait construire des ponts pour communiquer de l'une à Vautre de ces villes^ s'occupa de la restaura- tion de sa marine : Bononiam et Gesoriacum pontibus junxit , classibusque Jirmavit. D'anciens Mémoires vien- nent à Tappui de cette opinion , en nous apprenant qu'a- vant le douzième siècle, la partie de la basse-ville qui est bâtie aujourd'hui^ s'appelait alors Vile Saint-Lau- rent ('). C'est une question bien autrement difficile de déterminer la situation du Portus-Icius ou Itius. La position de cet endroit est un point de géographie ancienne , sur lequel il y a une si grande diversité d'opinions , qu'il n'y a point , dit Cellarius (^), de petit port maritime en Flandre ou dans le Boulonnais , où quelque auteur n'ait cru trouver le Portus- Icius. On fait facilement justice de celles de ces opinions qui placent ce port à Gand , Ostende , Bruges , l'Écluse ou autres lieux , ne répondant nullement à ce que Jules-César dit de ce port. Mais il n'en est pas moins embarrassant de décider où il se trouvait véritablement. Deux lieux se dis- putent principalement l'honneur d'avoir servi à l'embarque- ment de César 5 ce sont Wissant et Boulogne. Tous deux paraissent avoir droit à cet honneur, et les auteurs récens (») Mémoire de M. Henry , p. ^5. (») Cellarius, Ge'ographi. Aatiqu., 1. 2, c. 3, p. aSg, édit. Cantab. 1703. DE LA. COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 171 abandonnant toutes les autres opinions , ne se partagent j)lus qu'entre l'un ou l'autre. M. Henry, dans son Mémoire sur le Boulonnais , examine cette question dans les plus grands détails. Il passe d'abord en revue tout ce qui a été dit sur cette matière 5 ce qui a [)Our résultat de mettre hors de concours tout autre lieu que Calais , Wissant et Boulogne. S'occupant alors spécia- lement de ces trois villes , il réunit les degrés de probabilité qui se présentent pour l'une ou l'autre , et conclut que Wissant doit l'emporter de beaucoup sur Calais et Bou- logne 5 puisque de vingt-sept degrés de probabilité il s'en trouve seulement trois pour Boulogne , cinq pour Calais et dix-neuf pour "Wissant 5 d'après quoi , M. Henry n'hésite pas à dire que Wissant était le Portas- Jcius. D'autres auteurs se prononcent fortement en faveur de Boulogne. De ce nombre est De Bast , dans son Recueil d'antiquités romaines et gauloises ('). Cet auteur prétend que Ptolémée, en parcourant les côtes de la Gaule dans l'ordre naturel et régulier, place Boulogne un peu à l'est du Promontorium Jcium , et que cela détruit de fond en comble l'opinion de ceux qui ont voulu placer le Portus- Icius à Wissant^ ou à aucun autre endroit à l'est de Bou. logne. Mais cette difficulté n'a point arrêté M. Henry , qui prend pour le Promontorium Icium toute la côte depuis (1) Ant. Belg. et Gaul. , p. a6i et suit. 17» SUR LES CHANGEMENS la baie de Canche jusqu'au bassin de l'Aa, se fondant sur l'opinion du géographe Sanson , qui justifie, par un pas- sage de Mêla , liv. III , chap. VII , le sens étendu donné à l'expression promontorium. De Bast combat les autres ar- gumens que l'on allègue en faveur de Wissant , et en cela il ne fait que copier les Mémoires de l'abbé Mann , que nous avons cités plusieurs fois. Il finit par conclure , comme ce dernier , que Icius ne peut être que Boulogne. D'après cette opinion ce serait donc à Boulogne que viendraient se placer le Portus-Icius , Gosoriacum et Bo- nonia. Il faut encore y chercher le portus jEpatiaci , si l'on doit en croire M. Henry (') , qui se fonde sur ce que , d'après la notice de l'empire, rédigée au commencement du cin- quième siècle , sous l'empereur Honorius (') , une division de la flotte romaine , destinée à la défense de ces côtes , se tenait sous les ordres du tribun militaire des Nerviens, dans le port ^patiac , in porta ^patiaci , et que l'on a la certitude que Gesoriacum était le lieu où résidait le tribun commandant la flotte romaine 5 que cette certitude est acquise, 1° par la découverte faite le 7 mai 1769, près de Boulogne, d'un monument, dont une des inscriptions indique positivement que le tribun militaire , ayant le com- mandement de la marine romaine pour les expéditions contre la Bretagne, résidait en ces lieux. Une autre inscrip- (') Mémoire, de M. Henry, p. 8r. l^) ApudDom. Bouquet, Recueil des Historiens des Gaules , tom. I. o DE LA COTE, D'ANVERS A BOULOGNE. 173 lion de ce monument est conçue en ces termes : D. M. Q. Arrenio Verecundo. Tr." Cl* Dr.* Heredes. F.* C* (1)5 2° parce que nulle part dans la géographie ancienne, il n'est fait mention d'un endroit nommé >Epa- tiac , et que la difficulté consiste seulement dans la trans- formation de quatre lettres, faute assez commune parmi les copistes. Les auteurs des Acta Sanctor. Belg. (^) Bu- cherius (3) , Wastelein (4) , Adrien de Valois (5) , confon- dent également le portus Mpatiaci avec le portus Ge- soriacus. En adoptant cette opinion on accorde une place à ce portus ^patiaci^ que Des Roches (6) déclare ne savoir où chercher. Du moins s'y trouvera - 1 - il mieux qu'à Scharp- hout, où d'Anville a voulu le mettre. César , outre le Portus-Icius , parle encore dans ses commentaires d^deux autres, dont il désigne le premier sous la dénomination de port supérieur ou ultérieur, Portus citerior vel ulterior , et dont il indique l'autre en disant qu'il était un peu plus bas , paulo infra , que celui où il débarqua à son retour d'Angleterre. La position de ces deux ports est entièrement dépen- (•) Mémoire de M. Henry , p. ^5. (•) Act. Sanct. Belg. , tom. I , p. 878. (') Belg. Roman. , 1. 16, p. 495. (4) Description de la Gaule Belgique , p. 384» (s) Notitia Gai. , p. aSa. (^) Hist. anc. des Pays-Bas Aut. 174 SUR LES CHANGEMENS DE LA. COTE, ETC. dante de celle que l'on donne au Portus-Icius ^ le port supérieur ou ultérieur devant être , d'après César (') , à 8000 pas plus haut , et l'autre à une petite distance au-dessous. Il est encore à remarquer que César désigne par ultérieur tout ce qui se trouve au levant, et qu'il nomme inférieur tout ce qui est au couchant. D'après cela , ceux qui prennent Wis- sant pour Vlcius^ placent le port supérieur à Sangatte , et le port inférieur à Ambleteuse. Tandis que ceux qui veulent que Boulogne soit Icius , mettent le port supérieur à Am- bleteuse ou Wissant, et l'inférieur à Portel ou à Étaples. La notice de l'empire (^) parle encore de Marcis in littore Saxonica , où se trouvait un corps de cavalerie , sous les ordres du général de la seconde Belgique. Les vestiges d'un chemin militaire , trouvés à Mardi ck , font penser que cet endroit est celui que la notice nomme Marcis au lieu de Mardicis. C'est le sentiment de plusieurs savans (3V On voit en définitive qu'il règne une très-grande incer- titude sur la véritable position des ports cités par les anciens, comme se trouvant sur la côte qui fait le sujet de ce Mé- moire 5 et comme nous l'avons dit au commencement de ce chapitre, l'on n'a pas lieu de s'en étonner, lorsque l'on fait attention à tous les changemens qui s'y sont opérés et qui s'y opèrent encore chaque jour. (») Coes. Comm. Bell. GalL, 1. 4; c. aa. (a) Not. dign. Imp. , apud Dom. Bouquet , Rec. des Hist. des Gaules , tom. 1 , p. ia8. (3) De Bast , Rec. d'Ant. Rom. et Gaul. , p. 291. — «»9aB»«>«««»«»>*»»»>»»«»W»< CONCLUSION. Nous finissons ici ce Mémoire. Nous ne nous flattons pas d'avoir produit un ouvrage qui réponde entièrement à l'im- portance et à l'étendue de la question qui s'y trouve traitée. Un travail qui, comme celui-ci, dépend d'une quantité considérable d'observations et de faits , ne peut acquérir une certaine perfection que par une suite de recherches continuées pendant un assez grand nombre d'années. Mais tel qu'il est , nous espérons avoir satisfait , autant que faire se pouvait , à ce que Ton a eu droit d'attendre sur un sujet aussi difficile. Une chose , nous osons le penser , sera remarquée dans cet ouvrage, parce qu'elle est neuve, et qu'elle a con- duit à des résultats aussi certains qu'intéressans , c'est le parti que nous avons tiré de la couche de glaise qui règne le long de la mer et de l'Escaut , de celle de tourbe qui se trouve au-dessous , et du niveau de ces couches com- paré à celui de la mer. Les objets d'art , trouvés dans l'une et l'autre couche et entre deux, nous ont servi à dé- terminer approximativement l'époque à laquelle la mer est 176 CONCLUSION. revenue couvrir en partie les terres qui la bordent entre l'Escaut et le Pas-de-Calais , et qu'elle avait occupées un grand nombre de siècles auparavant. Nous avons tracé la limite de ces débordemens , et cette limite nous a fourni la solution d'une question importante ; celle de savoir si Gand a communiqué avec la mer par un golfe. Nous avons indiqué les principaux effets de ces débordemens , tels que la forma- tion des îles de la Zélande, et des ports depuis l'Escaut jusqu'à Calais , et la transformation d'un immense marais en des champs extrêmement fertiles. Enfin, en remarquant que les couches de glaise et de tourbe sont passées sous le lit actuel de la mer , nous avons été à même de déterminer jusqu'à un certain point, combien la mer avait gagné sur une partie de cette côte. C'est en suivant ces erremens, et en consultant en même temps les anciens écrits propres à répandre quelque jour sur les faits que l'on cherche, qu'on peut espérer d'arriver à de nouveaux résultats. Si cet essai est jugé favorablement , il sera pour nous un motif de pousser plus loin ces recher^ ches. rw. MÉMOIRE EN RÉPONSE A LA QUESTION PROPOSÉE PAR L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES ET BELLES-LETTRES DE BRUXELLES : En quels temps fes Corporations connûtes sous le nom de Métiers ( Nee- RINGEN EN Ambachten), JC sont-ellcs établies dans les provinces des Pays-Bas? Quels étaient les Droits j Privilèges et Attributions de ces corporations ? Et par quels moyens parvenait-on à y être reçu et à en devenir membre effectif? QCI A REMPORTÉ LE PRIX ÂV CONCOURS DE 1827. PAR M. PYCRE, AVOCAT a courtray. Poitiu conira infelicitatem est hominilias an. BRUXELLES, M. HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE. 1827 »9»99999999»99999999999»»999999M9999M9999999Q99QO9O9OMO«99Q909»99»«99» MÉMOIRE SUR LES CORPORATIONS CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. COUP D'OEIL HISTORIQUE. Lj 'homme, né avec des besoins qui l'assujettissent au tia- vail , devait être libre de choisir l'art ou le métier qui con- venait à sa situation , pour l'exercer suivant son génie , ses facultés ou ses besoins naturels. Aussi, chez la plupart des peuples libres, le droit de travailler n'était restreint par aucune loi , et les privilèges des corps d'arts et mé- tiers étaient inconnus dans les premiers temps de la ré- publique romaine. Telle serait demeurée la règle dans tous les temps, dans tous les pays, si toutes choses pouvaient être régies par le droit naturel ; mais dès la naissance des sociétés , les hommes ont été obligés de se former des lois positives , qui sont venues changer ou modifier leurs lois naturelles , et prescrire des règles à l'exercice de leur indus- trie , comme à leurs autres actions. 4 SUR LES CORPORATIONS Tel fut aussi le sort des arts mécaniques. Libres dans les premiers siècles, ils sont devenus plus tard l'objet de nombreuses associations, créées sous le nom de collèges ou corps d'arts et métiers , institués par des chartes , régis par des statuts et règlemens , à l'instar des communautés des villes , dont ils avaient imité l'organisation , et qui n'é- taient elles-mêmes que de petits modèles ou des simulacres de la république romaine : effigies parvœ et simulacrœ quœdam reipublicœ romanœ. Ces collèges éprouvèrent de singulières vicissitudes dans leur premier établissement. Ils furent tour à tour admis ou défendus , suivant les caprices ou les besoins du souverain. Le fondateur de Rome ^ qui confiait la fortune de la ville plutôt à la valeur militaire qu'aux progrès des arts , refusa d'admettre les artisans parmi les citoyens romains. Numa Pompilius , qui avait adouci les moeurs et fait vivre Rome dans la paix et le bonheur, permit aux artisans de faire partie du grand corps des citoyens j Tarquin-le-Superbe , dont l'orgueil porta envie à tous les corps de l'état , pro- hiba encore les collèges des métiers 5 mais son expulsion fut suivie bientôt du rétablissement de ces corporations et de leurs anciens droits , qui furent supprimés de nouveau sous l'autorité du Sénat ^ jusqu'à ce que le tribun Claudius , pour flatter le peuple, dont il tenait le tribunal, et par la haine qu'il porta aux nobles , dont il avait quitté l'ordre , vint rétablir tous les corps des artisans , dont il augmenta même le nombre. Mais César, devenu dictateur, les détruisit de CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 5 nouveau , croyant rendre par là son pouvoir plus stable. Auguste , s'étant assuré l'empire et la stabilité de son gou- vernement , replaça les corporations dans leur état primitif, et confirma leurs privilèges par un édit spécial. Mais telle l'ut la destinée bizarre de ces institutions : un tyran arrive et veut renverser tout ce qui peut porter obstacle à sa do- mination , et Néron , succédant à l'empire , détruisit tous les collèges d'arts et métiers que Rome possédait dans son sein. Enfin, ils furent encore rappelés à la vie, sous les empereurs Honorius et Théodose , puis maintenus et pro- tégés par plusieurs lois consignées dans le digeste et dans le code de Justinien ('). L'exposé qui précède prouve que ces corporations étaient en pleine vigueur sous les Romains : voyons comment elles y étaient organisées? D'abord, pour avoir une existence légale, chaque cor- j)oration avait besoin de l'institution du prince : elle prit alors le nom de collège licite : celles qui n'avaient pas été créées de cette manière , étaient considérées et traitées comme illicites 5 on en poursuivit rigoureusement la dissolution en vertu des lois, des sénatus-consultes et des constitu- tions; mais avec cette particularité, qu'après la dissolution du corps illicite , il lui était permis de partager, entre ses mem- bres, les biens et l'argent communs (^). (') Voyei Exercitationes Heineccii, de Coll. et Corpor. opificum, et Knob- baert ad jus civ. Gandav. R. i à lo, obs. 6, p. i48. (') L.i,Jf. quod cujttsc. univ, nom. agaC. et L. iet3 ,ff. de Colleg. et Corp. 6 SUR LES CORPORATrONS « Les deux plus communes espèces de communautés lici- tes,ditLoyseau('), sont celles des gens de lettres et des gens de métier : quant à ceux-ci , il n'y en avait anciennement à Rome que bien peu qui eussent droit de corps et com- munauté ^ savoir : Pistores ^ Boarii , Pecuarii^ et peu d'autres. ... 5 ils avaient plusieurs privilèges pour le ser- vice qu'ils rendaient à la grande ville , et étaient à peu près, comme sont à nous , les marchands et artisans privilégiés suivant la cour. ...» Plus tard leur nombre augmenta considérablement , et Alexandre Sévère institua à Rome des corporations pour presque tous les arts , leur donna des officiers pris dans leur sein, régla leurs fonctions ou attribu- tions et nomma leurs juges : corpora omnium omnino ar- iium instituit , iisque ex sese defensores dédit , et jussit ad quos judices pertineret ( ). Enfin elles furent gratifiées d'immunités et de divers privilèges , dont les principaux consistaient dans l'exemp- tion des nouvelles charges et du service militaire , sauf pour la garde des portes 5 et à pouvoir quitter la ville en cas de manque de vivres (^ ). (') Traité des offices, liv. 5, chap. 7, p. 475. (') Voyez Ferez, ad Cod., lib. 10, tit, 64 , et lih. 1 1 , tit. i4 et i5. (5) L. \, C. de privil. corp. Novel. 43. Godf. ad L. 2 , C. Theod. de priv. corp. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. rt 33. 12 SUR LES CORPORATIONS V worden , in 't koopen van hunne schoenen , leerzen , V goreelen , enz. , om waer in te voorzien^ zy geerne zou- V den stellen goede politie en maeken eene confrérie... y) Quelque louables que fussent ces motifs , ainsi que les in- tentions des princes qui les ont accueillis 5 ils devinrent bien- tôt un prétexte commun pour obtenir des privilèges , et les princes manquèrent le but qu'ils s'étaient proposé en créant des corps privilégiés dans les arts mécaniques. Il est toujours utile , sans doute , d'honorer et d'encourager les arts 5 mais non pas précisément par des privilèges et des exclusions : il ne faut à la prospérité des arts et de l'industrie, que li- berté et protection : l'émulation naîtra de la concurrence, et les progrès s'obtiennent par la liberté du génie et du talent. Mais est-ce encourager les arts , que d'en permettre Texer- cice seulement à un nombre limité de maîtres? que de rendre l'acquisition de la maîtrise aussi difficile que dispen- dieuse , par des stages de plusieurs années , des apprentissa- ges à faire, des rétributions à payer et des chefs-d'œuvre à exécuter , souvent au gré ou selon le caprice de ceux que l'envie ou la jalousie de métier rend intéressés à repous- ser le récipiendaire? Est-ce encourager les arts, que d'ad- mettre , dans certaines corporations , les seuls fils de maître 5 de leur accorder l'admission gratuite , même à titre d'héré- dité 5 tandis que ceux qui ne sont pas de la même famille , doivent acheter la permission de travailler pour leur compte , au prix d'un long travail , de grands sacrifices pécuniaires et par des preuves de capacité , que dans les fils de maître CONNUES SOUS LE NOM DE METIERS. i3 on suppose être un talent héréditaire ? Était-ce encourager l'industrie , que de défendre à d'autres citoyens que ceux d'une corj)oration , de prendre des ouvriers , même de fa- briquer et de vendre tels objets , telle étoffe ou marchan- dise ? Était - ce enfin encourager les arts , que d'écarter d'une ville les ouvrages et les étoffes des forains, et d'ac- corder aux seuls bourgeois d'une ville le privilège exclusif de les fabriquer et vendre , même dans une certaine distan- ce , qui formait un rayon ou banlieue privilégiée ? Nous ne saurions l'admettre. Tels étaient cependant les privilèges dont la plupart des anciens corps de métiers avaient été dotés au préjudice de la classe ouvrière. Ces privilèges n'é- taient qu'autant d'abus surpris à l'autorité , accrédités par le grand nombre d'intéressés à leur maintien , et perpétués par un aveugle usage, comme le sont tant d'autres abus. Parmi les privilèges injustes dont quelques , corpora- tions jouissaient, on peut citer celui d'exercer exclusive- ment tel métier ou profession dans une ville ou banlieue : c'est ainsi que les bourgeois de Gand étaient autorisés à exercer seuls toute espèce de métier dans le rayon d'une à trois lieues autour de cette ville (•). C'est ainsi, que, d'après un octroi de l'an 1 439 , accordé par Philippe-le-Bon , à la corporation des brasseurs à Audenarde , il était dé- fendu de brasser de la bière dans le rayon de deux lieues (■) Diericx, Mém. i8i4. t. I, p. 188, 194. i4 SUR LES CORPORATIONS de cette ville , et d'y vendre d'autres bières que celles bras- sées dans la ville et par un brasseur privilégié. Ces injustices sont criantes 5 mais la pensée est frappée de surprise , lorsqu'on voit , par exemple , que des villes , comme Anvers, sollicitent et obtiennent du prince, com- me Un privilège, des édits (') qui défendent aux habitans des villages circonvoisins d'y exercer aucun des métiers ou professions privilégiés, qu'on exerçait à Anvers 5 et ordon- nent , par mesure de destruction , de démolir les fours des boulangers, d'exécuter judiciairement les tisserans, maré- chaux-ferrans , charpentiers et autres gens de métier établis dans ces villages 5 parce qu'ils n'en avaient pas transplanté leurs ateliers, les établissemens de leurs pères, et parce qu'ils voulaient user librement du droit de travailler , dont Dieu fit la propriété de tout homme , lorsqu'en le créant , il lui donna des besoins, afin de lui rendre nécessaire la ressource du travail ! Quand Louis XV, roi de France, par son admira- ble édit de 1776, supprima dans sa capitale les juran- des , et par là même tous les privilèges abusifs des corps d'arts et métiers, on avait tenté de justifier ces corporations par le motif qu'elles avaient été créées pour le progrès des arts et le bien du public; mais le roi réfuta dans l'é- (') Édits des lo novembre i685 et 6 juin 1687, aux plac. deBrab. , part. 6, fo aSi et suiv. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. iS dit même cette objection : a Nous, dit-il, ne serons pas M arrêtés, dans cet acte de justice, par la crainte qu'une w foule d'artisans n'usent de la liberté rendue à tous , pour V exercer des métiers qu'ils ignorent, et que le public ne soit V inondé d'ouvrages mal fabriqués. La liberté n'a point pror^ V duit ces J'âc lieux effets , dans les lieux oit elle est établie » depuis long-temps. Les ouvriers des faubourgs et des au- u très lieux non privilégiés ne travaillent pas moins bien que » ceux de l'intérieur de Paris. Tout le monde sait d'ailleurs V combien la police des jurandes^ quant à ce qui concerne w la perfection des ouvrages , est illusoire , et que tous les V membres des communautés étant portés , par l'esprit du )) corps, à se soutenir les uns les autres, un particulier V qui se plaint, se voit presque toujours condamné, et se V lasse de poursuivre de tribunaux en tribunaux, une jus- V tice plus dispendieuse que l'objet de sa plainte, v Après avoir indiqué l'esprit et les motifs de la création de ces communautés, après avoir démontré que les princes avaient manqué leur but , voyons à fixer l'époque à laquelle elles se sont établies dans les Pays-Bas ? Lorsqu'après les désordres et l'anarchie, nés du régime féodal, les peuples de l'Europe eurent pris des mœurs ])lus douces, et que l'affranchissement des communes eût jnociiré la sûreté personnelle avec Texercice des droits poli- tiques aux citoyens, les arts et les sciences devenaient le principal objet des occupations et de l'industrie des habitans. La plupart s'y livraient par besoin , pour en tirer des moyens i6 SUR LES CORPORATIONS d'existence ; quelques-uns par goût ou par amusement : de là se sont formées cette foule de professions , qui composèrent plus tard Tensemble des arts libéraux et mécaniques. Ces derniers , devenus très-nombreux par l'accroissement de la population , et en même temps fort lucratifs , par la prospérité du commerce, dont les Pays - Bas jouis- saient à cette époque (') , les artisans avaient besoin d'une sûreté personnelle , et les arts , à leur tour , d'une organisation politique, qui leur donnât protection et encouragement. C'est ainsi qu'à l'imitation des vil- les , les personnes d'une même profession se réunirent en communautés particulières , et que les collèges des arts et métiers , déjà connus du temps des Romains , s'éta- blirent dans les Pays-Bas. Naissance des Corps de Métiers. Je rapporterai au commencement du i3^ siècle l'époque de la création des premiers corps d'arts et métiers , dont ensuite le nombre s'accrut et s'étendit prodigieusement , surtout durant les i4^ et i5* siècles. Des corporations, d'un genre différent, les avaient précé- dées, sous le nom de Gilden (confréries) : celles-ci^ d'une insti- (') Dès le douzième siècle , la Flandre était un des états le plus florissant de l'Europe. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 17 tution spécialement offensive et défensive , formaient une mi- lice nationale, dont le but était la sûreté des individus et des propriétés. Elles avaient des armes , des bannières , des statuts et règlemens, tenaient àla constitution des provinces, sous la protection de leurs princes , et jouissaient de grands privilèges, pour les fidèles services que, d'après le but de leur institution , elles rendaient au pays et à ses comtes, dans les guerres offensives ou défensives à soutenir tant à l'inté- rieur que chez l'étranger (»). Ce n'est pas de ces corps armés qu'il s'agit ici : ils étaient très- différens des corps d'arts et métiers , dont TAcadémie désire connaître la naissance , l'organisation , le régime et l'influence politique. Tâchons de répondre à son honorable attente. Flandre. — Gand. Le savant Sanderus , dans sa brillante description de la Flandre (^} , rappelle deux diplômes, l'un de l'an 1204, où les habitans de Gand sont déjà distingués en bourgeois et en arti- sans 5 l'autre de l'an 1 260, qui fait mention des corporations des tisserans (3) : d'où je conclus qu'en Flandre les tisserans étaient déjà érigés en corps de métier, vers le milieu du 1 3* siè- cle. Ce qui me confirme dans cette déduction , c'est que les {') Marchant., in Fland. descr. , lib. 1°,^. i5o. (') Fland. illust., t. I. lib. 3, p. i48. (') Aliitd item anni 1260 nominal Gildas textorum. i8 SUR LES CORPORATIONS Gantois, d'après un privilège très-ancien, pouvaient seuls exercer toute espèce de métiers dans le rayon d'une lieue de la ville, et qu'en 1296, ce rayon se trouvait déjà étendu à la distance de trois lieues , en faveur de leurs tisserans (■). Brugi es. Bruges , que Marie de Bourgogne , dans sa charte de 1477 , appelle la plus grande ville commerçante de tous les pays de sa domination, et ancienne en prwilége s, Tposséda.it autrefois d'anciennes chartes qui auraient sans doute con- staté l'antiquité de ses corporations 5 mais en 1280, les archives de la ville furent consumées par le feu avec la tour où les anciennes chartes étaient renfermées. Aussi , les plus anciens règlemens des corps de métiers de la ville de Bru- ges sont des années 1281, 1282, 1288 et 1284. Ils sont octroyés au nom du comte de Fandre et du magistrat de Bruges , et d'une longueur excessive. Beaucourt (^) rapporte un privilège que Guido, comte de Flandre , accorda en l'année 1 298 , à la corporation des francs -courtiers , qui existait déjà dans ladite ville 5 privi- lège qui leur fut confirmé par Marie de Bourgogne, le 12 avril i477- Lorsqu'en Tannée i323, Louis ^ comte de Flandre, ac- (') Diericx , Mémoires , t. I , page 188 , i8i4' (") Descrip. du comm. de Bruges, p. 67 et 68, édit. in-8° de 1775. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. jg cordait de nouveaux privilèges aux Brugeois , il ordonna que chaque corps de métier de la ville de l'Ecluse observerait les règleraens de ceux de Bruges 5 ce qui prouve que dans cette dernière ville , les corps de métiers étaient déjà com- plètement organisés auparavant ('). Ipres. En ia8o, la corporation des drapiers existait déjà dans la ville d'Ipres. Le comte Gui de Dampierre fit une belle ordonnance sur la draperie de cette ville , y fixa le salaire et les règles à suivre par les foulons , tondeurs et autres membres de cette communauté (^). De St. -Génois rappelle une quittance de l'année laSS, donnée par ledit comte aux drapiers et à la commune du Temple, à Ipres, d'une somme de 34oo liv. parisis et 100 marcs , à laquelle il les avait condamnés , pour les méfaits par eux commis envers la ville (3). Brabant. — Bruxelles. A Bruxelles , les corps de métiers avaient déjà leurs (<) Descript. du comm. de Bruges , p. ^o. (*) Oudegheerst , t. II , p. aog. (') Monum. anc. Flandre , t. I , vol. a , p. 728. ao SUR LES CORPORATIONS doyens , et ceux-ci partageaient déjà les fonctions du pou- voir municipal en l'an 12895 ^^^^^ ^^ ^^^ prouve une ordon- nance que le duc Jean rendit , la même année , pour les échevins, doyens et métiers de Bruxelles ('). Lorsqu'en i Sa i, Jean III, duc deBrabantet deLimbourg, créa les neuf nations de Bruxelles , il les composa de 294 doyens des métiers publics 5 ce qui prouve la préexistence de ces corporations , ainsi que leur organisation complète et antérieure (2). Loui^ain. A Louvain, les confréries dites du serment^ étaient des plus anciennes et des plus formidables des Pays-Bas. Il est dit dans une de leurs chartes, en date du 18 février i343, que les membres de ces confréries étaient admis dans les corps de métiers sans y payer le droit d'entrée 5 ce qui annonce que ces corporations étaient déjà en pleine vigueur à Louvain , avant la date de la charte précitée. Staline s. Le corps de métier des maréchaux-ferrans paraît être un des plus anciens , et avoir déjà existé à Malines dès l'année 1254, {•) Lovens, t. II, p. 10. (») Luister van Braband , épître dédicatoire. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. ai j)uisque Alzevédo ('), dans ses antiquités de cette ville, fait mention d'une corporation ou confrérie érigée en ia54sous les hospices de Saint-Eloi ,et dans laquelle on n'admettait que des maréchaux-J'errans. Les plus anciens comptes delà ville, qu'on ait trouvés dans la tour, maintenant démolie, et où il est fait mention des l'j principaux corps de métiers, sont de l'année i3oqj de sorte qu'à cette époque ils étaient déjà organisés. Hainaut. — Mons. En i3io, la draperie était déjà en grande activité dans la ville de Mons. Le comte Guillaume accorda à cette cor- poration une charte de règlement, avec des privilèges pour les membres de ce métier. (^). Namtjr. Dans cette province, les corporations paraissent avoir été établies plus tard que dans les autres provinces : ce n'est que vers l'année 1266 que la première confrérie armée , celle des archers , y fut instituée par le comte Gui j (') Mecheliche oudheden of Kronyhe van Mechelen , in-ii, te Loveti, by Jan Jacobs. {') Vinchant , Annal, de la province et comté d'Haynau , Mons , i684 > f° 3ao. aa SUR LES CORPORATIONS mais les collèges des métiers n'y ont été organisés que vers le i5* siècle. Gramaye, qui donne la description de l'ordre plébéien de la ville de Namur, rapporte que vers Tannée 1424, les collèges des métiers y concouraient à l'élection et à la composition du magistrat, et que les quatre chefs ou maîtres des métiers y donnaient leur assentiment avec les autres officiers municipaux, aux ordonnances que le comte de Namur accordait aux marchands, en la même année : « Unde comes assensu majoris , scabinorum , jura- V torum , et honorum hominum 4 opijîciorum , ait se leges V praescribere mercatoribus ('j. w L'époque de la création des premiers corps de métiers , que nous fixons au 1 3^ siècle , d'après les anciens documens déjà rapportés , coïncide d'ailleurs avec l'opinion des histo- riens qui ont traité cette question pour des pays voisins , où l'institution de ces corporations paraît être contemporaine avec celle des Pays-Bas 5 puisque ci et là elles ont suivi de près l'établissement des communes et de ces confréries d'armes, dont il a été déjà fait mention. Wagenaar, qui traite amplement des corporations des artisans et gens de métier de la ville d'Amsterdam , est d'avis que Ton ne peut fixer Vépoque de leur origine en Hollande, antérieure- ment au iS" siècle : « De soort van gilden.... waren » genoodschappen van koopluiden of handwerkluiden , » welker oorsprong , hier te lande , jiiet voor de (') Hist. de Namur, tom. II, sect. 19, f° 45. CONNUES SOUS LE NOM DE METIERS. a3 )) i3* eeuwe schynt geplaatst te konnen worden w («). En France , Louis IX fut le premier qui , vers le milieu (lu iS" siècle, réunit les artisans et gens de métier en cor- porations et leur donna des statuts et règlemens (2). Il est vrai que, suivant Heineccius (3)^ ces collèges paraissent avoir existé en Allemagne dès le 12" siècle 5 mais d'une part, le collège des vendeurs d'étoffes^ qu'il dit avoir été établi à Magdebourg , vers l'année 11 53, ne se rapporte pas aux Pays-Bas j et d'autre part , la corporation qu'il désigne pour y avoir existé dès l'année i iqS, n'avait point pour objet les arts ou métiers 5 c'était une confrérie d'armes Çunionem clypeatorum) j dont nous admettons également la préexis- tence dans les Pays-Bas. Ainsi, nous croyons avoir démontré que la naissance ou le premier établissement des collèges d'arts et métiers , dans la plupart des provinces belgiques , date du 1 3* siècle 5 nous ajoutei-ons que le nombre en augmenta considérablement, et que les principales villes des Pays-Bas en ont été pourvues pendant les deux siècles suivans. On pourrait en rapporter les preuves pour chaque ville en particulier 5 mais il suffira d'en citer une, et jechoisiraiàcette fin une ville dont les archives i («) fVagenaars heschrijvinge van Amsterdam , enz. , vol. Il , p. 43a. 4"* part. I" liv. , § a, édit. de i^65. (') Velly , Hist. de France , tom. V , p. 398. (') Exercitalio IX, § 9, p. 4ao. a 4 SUR LES CORPORATIONS sont très-bien conservées , et où j'ai pu avoir un libre accès pour consulter les chartes d'octroi de ses corporations. Voici l'ordre chronologique des chartes d'institution des principaux corps de métiers de la ville d'Audenarde : CORPORATIONS. DATES DES CHARTES. La draperie ou tissanderie .... 1828 Les boulangers ï33g Les bouchers i33g Les charpentiers , menuisiers . . . i34i Les grouwerkers i35i Les tanneurs , cordonniers , etc. . .1 355 Les brasseurs . i357 Les maçons i358 Les merciers, etc 1372 J'ai remarqué à peu près le même progrès et la même marche dans d'autres villes , et il est probable que la créa- tion et l'organisation de ces corporations ont été presque contemporaines dans tous les Pays-Bas. CONNUES SOUS LE NOM DE METIERS. aa CHAPITÏIÉ II. Droits , Privilèges et Attributions. Nous diviserons ce chapitre en deux parties : la première comprendra les droits réels, c'est-à-dire les privilèges et attri- butions dont les corps de métiers jouissaient comme corpo- rations ; la seconde indiquera les droits personnels attachés aux individus , en qualité de membres du collège. Mais com- me c'était par l'intermédiaire des chefs que les corps de métiers exerçaient la plupart de leurs droits et attributions , nous commencerons par donner une analise des diverses fonc- tions confiées à ces chefs , et des principaux privilèges exercés par eux. — Mais avant d'entamer cette partie principale de son travail , l'auteur avertit l'honorable Académie que pour atteindre le but de la question , il n'a pas cru devoir recou- rir aux archives de toutes les villes des provinces , ni même s'arrêter à ces détails minutieux et sans intérêt d'une foule de dispositions que renferment la plupart des règlemens de police de ces nombreuses corporations qui existaient jadis dans les Pays-Bas 5 outre l'impossibilité de compulser tant de documens disséminés , la plupart en désordre et couverts de poussière dans les greffes, où l'accès est souvent refusé et 4 a6 SUR LES CORPORATIONS toujours difficile , il en résulterait des longueurs, des redites et une certaine confusion , qui , sans présenter le moindre avantage, aurait l'inconvénient de rendre obscur et en- nuyeux un Mémoire qui doit se distinguer par la clarté et la précision : c'est pour éviter l'un et atteindre Vautre , que l'auteur se bornera à retracer les grandes règles , à re- produire les principes généraux qui ont présidé à l'organi- sation municipale et collégiale de ces institutions. C'est là ce qui tient plus particulièrement à ces considérations po- litiques , qui font connaître l'esprit public de l'époque , les progrès des lumières , la marche de la civilisation , la dé- pendance ou la liberté de ces corporations , qui alimen- taient la force du tiers-état 5 et enfin la situation décadente, stationnaire , ou progressive des arts et de l'industrie. PREMIÈRE PARTIE. Des Doyens et Jurés. Il n'eût pas suffi de créer des corporations , de leur donner une institution légale , avec des statuts réglementaires : une communauté sans chef ne saurait exister , d'après les prin- cipes du droit commun ; il fallait donc que chaque corps de métier eût un ou plusieurs officiers , tant pour représen- ter le corps , que pour défendre ses privilèges , entretenir le bon ordre, et faire exécuter ses lois de police et d'adminis- tration : ((. De jure romano singulis artiliciis unus rector CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 87 V sive decanus prœest, qui ea, quae ad artificium et ejus V usum spectant_, recte constituât et ordinet, ne quis V inde civitas detrimenti capiat ('). v Aussi , dans tous les Pays-Bas , on a préposé à tous les collèges d'arts et métiers des chefs ou officiers , choisis sou- vent dans leur sein , et nommés tantôt par le collège lui- même, tantôt par le magistrat de la ville. — Ces officiers portaient partout les noms de doyens , jurés , visiteurs : nous en ferons connaître l'autorité et les fonctions , sou- vent très-importantes , lorsqu'aux attributions relatives à leurs corporations , ils joignaient encore des fonctions de la magistrature municipale, judiciaire et de police. Dans la plupart des provinces , les corps de métiers par- ticipaient du pouvoir municipal ou administratif ^ et con- couraient à la composition des officiers de la magistrature , par l'intermédiaire de leurs doyens ou jurés : Pour le Brabant. A Bruxelles , en iSai , Jean III , duc de Lothier ^ Bra- bant , Limbourg , etc. , divisa la ville en neuf nations , composées de deux cent quatrevingt- quatorze doyens des métiers, pour concourir, avec le magistrat et le conseil mu- nicipal, à l'administration de cette ville. Le duc leur donna (■) Perèz , C. lib. 1 1 , tit. i4, n» a. 28 SUR LES CORPORATIONS des statuts et règlemens pour établir une parfaite harmonie entre les trois membres qui , dès lors , composèrent l'état ou le corps de la cité , tant pour la police que pour l'admi- nistration. Les neuf nations formèrent le troisième membre de ce corps municipal ('). Lorsqu'ensuite la ville de Bruxelles obtint l'homologation de ses coutumes , la participation des corps de métiers à la magistrature municipale y fut maintenue avec de nouvel- les attributions : le corps de la communauté demeura com- posé de trois membres ^ le troisième fut pris exclusivement parmi les nations , dont tous les corps de métiers de la ville faisaient partie. La nomination des bourgmestre et éche- vins fut proclamée en présence des doyens ou jurés des corps de métiers. Ces officiers , nommés tous les ans par le magistrat , parmi les candidats à lui présentés par les doyens sortans , s'assemblèrent à leur tour pour présenter , en vertu de leurs privilèges , des candidats choisis dans les nations et parmi lesquels on leur nomma un bourgmestre , des tréso- riers et des conseillers : c'étaient ces magistrats des artisans qui avaient la nomination du sous-doyen et des juges de la draperie , laquelle formait à Bruxelles une corporation con- sidérable, avec une judicature à part (2). Les Brabançons, tenant beaucoup à leur indigénat, avaient (') Luister van Braband. Epitre dédicatoire. (°) Coutumes de Bruxelles, articles i3, \^, 17, 18, 3i , 34 et 35. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 49 obtenu que pour être admissible à aucun de ces offices, il fallait être né en Brabant et de légitime mariage. Les attributions départies aux trésoriers , consistaient principalement à veiller à ce que les ordonnances relatives aux comestibles , marchandises , intérêts et avantages des métiers , fussent exécutées par les corporations , et à ce que les monopoles y fussent strictement réprimés. Pour mieux atteindre ce but, il fut nommé des inspecteurs de mé- tiers ctàUdMltes officiers, tous assermentés, spécialement char- gés de surveiller l'exécution des ordonnances sur le régime des corporations, et de dénoncer les infractions commises ('). L'art. 35 de la coutume de Bruxelles, attribue aux doyens ou jurés de ces corps de métiers la régie et l'administration des biens de leur communauté. Il existait déjà , pour cette ville , une charte de l'an iSaô qui plaçait dans les attributions de ces doyens tout le pou- voir judiciaire sur leurs corporations , dans les matières relatives à leurs professions : « Decani et prasfecti coUe- V giorum artiflcum , habent autoritatem judicandi de » rébus artis suae, ex diplomate anni iSaô (2). v ALouvain, il s'éleva des difficultés en l'année iSyS, entre la commune et les tribus , dont les corps de métiers fai- saient partie : à cette occasion Wenceslas , duc de Brabant, (') Coutumes de Bruxelles, articles a5 , 29 et 3o. (•) Chryst. , sur la Coût, de Brux. , art. 35. 3o SUR LES CORPORATIONS fit une nouvelle ordonnance pour l'organisation du magis- trat , dans lequel il fit entrer 2 1 conseillers jurés , dont dix à prendre parmi les membres des corps de métiers , réduits au même nombre, et ayant aussi le droit de choisir les jurés des nations : ceux-ci choisissaient le bourgmestre de la ville parmi les jurés des métiers ^ les doyens des con- fréries étaient élus parmi les tribus, et les doyens des cor- porations parmi les confréries 5 enfin, les trésoriers de la ville furent choisis parmi les suppôts des corps de métiers (O. Cette organisation fut changée par une ordonnance de Charles IT, en date du 17 décembre 1696 5 mais le privi- lège des corporations , de concourir à l'élection des officiers municipaux , d'en faire partie et d'en exercer les fonctions , leur fut maintenu {f). A Anvers, le magistrat ou sénat de la ville fut divisé en qua- tre membres , dont le dernier se composait des doyens des corps de métiers : il y eut douze conseillers , qu'on choisit chaque année parmi les plus notables et les plus capables des doyens des métiers , et dont les fonctions municipales consistaient à siéger une fois par semaine au sénat , à exer- cer avec les sénateurs diverses attributions relatives aux ré- clamations des habitans , à délibérer et décider les affaires de police et d'administration de la ville , et enfin à faire leur (') Lovens, t. I, p. 77 ; etMiraeus, t. II, p. 1027. (') Plac. de Brab. , vol. VI , p. 62 et suiv. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 3i rapport sur les murmures des suppôts de leurs corporations et tout ce qui pouvait concerner la tranquillité publique. Ces doyens étaient au nombre de 54 , tous choisis pour un an par le sénat de la ville, parmi les candidats à lui pré- sentés par chaque corps de métier : ils prêtaient le serment de fidélité et d'observer les statuts de la ville. Leurs fonc- tions, par rapport à leurs corporations, consistaient à con- férer avec leurs suppôts, sur les intérêts des arts et métiers ^ à veiller à ce que les récipiendaires fissent preuve de capa- cité et de fidélité , avant d'être admis dans la corporation j à maintenir le bon ordre , la concorde entre ses membres 5 à connaître des contestations élevées entre eux , les appaiser ; les protéger et défendre contre toute violence, et enfin à rendre compte de leur gestion ('). Province de Malines. D'après la coutume de la ville de Malines , les bourgeois représentent un des membres du corps municipal, et sont divisés en deux ordres , dont Tun comprend ceux qui n'exer- cent aucun métier, et l'autre ceux qui font partie de quel- que corps de métier , dont le nombre s'élevait à 44- Parmi ces corporations , il y en eut 1 7 qui portaient le nom de grands corps de métiers , et jouissaient du privilège (') Gramaye, lib. 3, cap. lo, p. a4* Guicciardin , tôt Belg. descr,,p. 171 et setf. 32 SUR LES CORPORATIONS d'envoyer leurs doyens aux séances du conseil municipal, pour prendre part aux délibérations sur les affaires majeu- res de la cité , et pour assister à l'examen de ses comptes. De ces 1 7 grandes corporations , il y en eut 6 qu'on nom- mait les principaux corps de métiers , jouissant d'une telle considération , que chaque année ils choisissaient parmi leurs membres six échevins pour faire partie du magistrat. C'é- taient les corps des boulangers , brasseurs , tisserans , bou- chers , tanneurs et poissonniers. Les autres corporations , d'un rang inférieur , avaient aussi leurs doyens , des statuts et ordonnances , mais ne faisaient point partie du corps municipal ('). En iSiQ, les six corporations principales obtinrent de Charles-Quint le privilège de choisir elles-mêmes , chaque année , et parmi leurs membres , leurs doyens 5 auxquels seuls seraient rendus les comptes de ces corporations (2). Il faut cependant faire remarquer que le magistrat de Malines était autorisé , par la coutume , à refuser l'admis- sion au serment des doyens élus par les corps de métiers , lorsqu'ils paraissaient n'avoir pas la capacité nécessaire pour maintenir leur corporation en bon ordre et police (3). (") Gramaye, Hist. urb. etprov. Mechl., lib, i , sect. lo^ p. 12. Guicciardin, Bel^. descript. pars. 1, v°. Machlinea, p. 807 , édit. in- 12 de i652. Hist. der prov. van Mech.,p. 5o — 53, édit. in- 12 , a" 1721. — Christ., ad tit. i ,art. 45, leg. Mechl., p. 117. {') Mechelsche Kron., doorR. Valerius, p. 78. (5) Coût, de Malines , tit. i , art. 45. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 33 Province de Flandre. Gand. Le régime politique des doyens des corps de mé- tiers , dans l'ancienne capitale de la Flandre , se partage en deux périodes : la première qui comprend tout l'intervalle depuis leur première création jusqu'à leur réforme en i54o, est assez remarquable par la grande autorité dont ces doyens étaient revêtus, la puissance de leurs corporations et les troubles qui en sont résultés. Marchantius donne la plus ancienne organisation de la magistrature de cette ville ('). Sanderus (2) rapporte qu'en l'année 1 34o , le peuple gan- tois fut divisé en trois tribus : les bourgeois , les artisans et les tisserans. C'est le fameux Jacques Artevelde , si connu dans l'histoire du pays , par ses talens politiques et ses ex- ploits militaires, qui créa, en i343, les doyens de cette ville. Il en choisit un parmi chacune des trois tribus. Le doyen des artisans présidait les Sa doyens des corps de mé- tiers , avec le titre dUarchi-doyen , dont les fonctions du- raient deux ans. Le doyen de la tissanderie n'était élu que pour un an,' et commandait les hommes des 28 quartiers de la ville, dont chacun avait un drapeau particulier. Les 52 doyens des corps de métiers étaient choisis et (') Marchant., in Fland. descript., lib. i" , p. 11 5. (') Gand. rer. , lib. a, cap. i, et Fland. M,, v. 1, lib. 3, p. 147. Meyer, Ahh. Fland. , lib. i&,J''Z\5. 5 34 SUR LES CORPORATIONS changés chaque année par le magistrat de la ville. Ils exer- çaient sur les suppôts de leurs corporations , toutes les fonc- tions de la juridiction ordinaire, en matière d'arts et mé- tiers, suivant leurs statuts et règlemens ('). Le titre d'archi-doyen fut confirmé par Philippe-le-Bon en 1425, et la création des doyens des corps de métiers fut maintenue par ses successeurs. Gliaque fois qu'il y eut des troubles dans la ville, les doyens des métiers , avertis par le tocsin , se rendirent sur la place publique avec les drapeaux et les suppôts de leurs corporations , pour réprimer le désordre et rétablir la tran- quillité. C'était une véritable garde nationale, dont l'orga- nisation avait des formes militaires et était aussi régulière que son rassemblement était prompt : elle mit souvent , en peu d'heures ^ aS à 3o mille combattans sur pied, dans la seule ville de Gand (2). Mais cette organisation populaire donna trop de pouvoir et de force à cette classe nombreuse de citoyens , pour ne pas manquer le but de son institution. Elle produisit bien- tôt des résultats funestes , qui amenèrent sa dissolution. La haine et la jalousie divisèrent les chefs de ces compagnies d'artisans , qui voulurent gouverner la cité et la république : l'arrogance s'empara des suppôts 5 l'esprit de domination s'introduisit dans les difFérens corps de métiers : chacun vou- (') Knobbaert , sur l'art. 8 , rub. 2, de la Coût, de Gand, n» 2. (*) Sanderus et Meyerus , loc. cit. CONNUES SOUS LE NOM DE METIERS. 35 lut être souverain 5 personne ne se soumit à l'obéissance; quand tous s'entendaient , c'était pour se révolter contre le prince ou la magistrature, et lorsqii£ l'anarchie, le désor- dre, l'arrogance et la pétulance furent parvenus au terme de leur maturité , ces corporations dominantes finirent , comme font presque toutes les démagogies , par les com- bats , le carnage et l'assassinat. Meyer, dans ses Annales de Flandre ('), rapporte plu- sieurs combats qui eurent lieu entre les tisserans , J'ou- lons et autres artisans de la ville de Gand, déjà organisés depuis long-temps en corporations, ayant leurs doyens, drapeaux , etc. Le doyen des petits métiers , et celui des tisserans perdirent la vie dans le combat du 27 mars 1345^ et dans celui de janvier i348, les tisserans s'étant rangés en bataille sur la place du Vendredi , drapeaux déployés , commencèrent l'attaque contre les corps des bouchers, foulons et autres, et perdirent dans cette journée leur doyen Gérard Denis, qui fut assassiné. M. Diericx a constaté dans ses Mémoires, que dès le commencement du i5' siècle, les bouchers^ comme tous les autres corps de métiers , avaient leur attirail de guerre , et qu'en \l\ol^^ ils faisaient construire une tente, dont il donne la dimension et l'entreprise (f). Les mêmes causes ont produit les mêmes effets dans d'au- (■) Liv. la , f° 146 , et liv. i3 , f» i54. (') Tom. II, i8i5, p. 146, 147. 36 SUR LES CORPORATIONS très villes dès Pays-Bas. La chronique de Flandre (') nous rappelle qu'en i477 5 ^^^ doyens et corporations de la ville de Bruges , étant informés que les corps de métiers de Gand , ayant pris les armes , avaient été rétablis dans leurs anciens privilèges , se décidèrent à user du même moyen pour reprendre les leurs : qu'en effet , les doyens convoquè- l'ent tous leurs suppôts dans les hôtels des corps de métiers , se mirent sous les armes avec leurs bannières , et employèrent la force et la violence pour se faire remettre, lire et expli- quer leurs anciens privilèges 5 ce qui leur fut accordé pour éviter les malheurs que ces rassemblemens armés et popu- laires auraient engendrés. La ville de Malines a éprouvé les mêmes excès par la puissance , l'orgueil et les séditions de ses corporations. Celle du lainage comptait au-delà de 8200 fabriques : « Unde ); inflatum porro et supra modum se efferens illud coUe- V gium, in eam tandem prorupit vesaniam, ut arma in )) reliquos omnes cives adsumserit , adeoque et manus V cum iis c on se me rit ^ eo pugne eventu , ut lanoriorum V complures ceciderint , et non insolentia tantum eorum V repressa sit , sed privilegiis quoque , etc. (^) v La ville de Tournay a été témoin , plus d'une fois , des excès commis sous le régime de cette multitude de chefs et de maîtres , qui voulaient jouir d'une liberté sans bornes pour (') Part. 2 , p. Sig , 53o et 532 , édit. de Wydts. (°) Guicciardin , v° Machlinia , pars i , p. Zo'] , édit. in- 1 2 , a> i652. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 37 gouverner en souverain. Dans cette ancienne cité , les arts et métiers avaient d'abord des doyens et des bannières : cel- les-ci furent supprimées comme des étendards de sédition et déposées dans un lieu de sûreté. Les gens de métier s'ar- ment, se rassemblent et vont réclamer avec menaces leurs anciennes bannières , qui leur sont rendues par le magistrat. Tous les métiers se réunissent alors en une seule corpora- tion, se choisissent des doyens et se donnent eux-mêmes des statuts, qu'ils envoient au roi Charles VII, dont ils obtiennent l'homologation en l'année 1424. Cette charte de leurs statuts leur rendit les bannières , et investit leurs doyens d'une autorité excessive. Voici comment s'exprime à ce sujet un savant historien de Tournay (') : « Ce rè- V glement fut le triomphe de la commune. En effet, V c'était porter le gouvernement populaire aussi loin qu'il V pouvait aller.... 5 ce n'est pas que la réunion des doyens )> en corps , ne fût utile et louable , et qu'il n'y eût même V d'excellentes choses dans leur règlement, eu égard à V la forme de l'ancien gouvernement 5 le mal ne vint que V de ce qu'il fut trop poussé : aussi vit-on bientôt les w funestes effets qu'on devait en attendre : le peuple , w qui se crut comme érigé en souverain, par l'autorité V excessive que ce règlement lui attribuait sous ses ban- » nières, s'éleva insolemment. N'y ayapt plus ni subor- (') Hist. delà ville et cité de Tournay, édit. in-4°, à La Haye, 1750, p. 583, par Poutrain. 38 SUR LES CORPORATIONS V dination, ni obéissance, la ville tomba dans une con- V fusion générale. Non-seulement le magistrat fut foulé V aux pieds 5 mais les bannières se divisèrent entre elles. )) La fin d'une sédition était le commencement d'une )) autre. Il y avait des combats dans tous les carrefours » de la ville , selon que les rencontres liaient la partie 5 les )) rues ne retentissaient que du cri de guerre..-. 5 le grand w champ de bataille était le marché.... 5 la scène était V souvent ensanglantée,... ;; et il en coûta la vie à des V prévôts, à des jurés, à des capitaines de milice pour le V roi, et à des grands-doyens..,.» Pai jugé à propos de rapporter ici les faits av€c les preu- ves de ces abus excessifs que ces corporations armées, ayant à leur tête des chefs investis de grands pouvoirs, avaient engendrés. Ces faits historiques peuvent servir à justifier la réforme que ces compagnies ont subie dans leurs bannières et dans l'autorité de leurs doyens : ils peuvent €tre utiles à se mettre en garde et à faire pressentir le danger qu'il y aurait pour le prince et la patrie , à les rétablir ja- mais. Aussi Charles - Quint de glorieuse mémoire , ce prince si instruit , si expérimenté dans l'art de gouverner , voulant assurer le repos à ses sujets , réforma cette institution des doyens , diminua.leur influence poKtique et populaire, sup- prima leurs bannières dans toutes les villes , et établit plu- sieurs ordonnances par lesquelles il réorganisa les collèges des arts mécaniques. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 3g La plus célèbre de ces ordonnances est celle de l'an i54o , pour la ville de Gand y connue sous le nom de Concession Caroline , et dont voici quelques dispositions (') : M Le magistrat commettra chaque année quelques bons citoyens, les uns comme Juges-inspecteurs , pour connaître des affaires comme par le passé , les autres comme Jurés et experts de la draperie , dont ils rédigeront les statuts , qu'ils présenteront à l'homologation du prince. (Art. a5. ) V Pour bonnes considérations , le prince abolit tous les doyens , même le membre et le doyenné des tisserans avec sa juridiction. ( Art. 68. ) V II n'y aura plus à Gand que 21 corps de métiers, no- minativement désignés dans cette ordonnance , avec le rang ou l'ordre que chacun doit suivre. ( Art. 69. ) V Les courtiers, cordiers, mesureurs de bled, potiers, fruitiers , porteurs de sac et brouetteurs , ne seront plus des corporations. ( Art. 70. ) V Pour remplacer les doyens supprimés , et remplir leur office , il sera établi , chaque année , et pour chacun des 2 1 'w corps de métiers, par le bailli et le magistrat, un bourgeois de la ville, n'exerçant aucun métier, avec le titre de chef de la corporation. C'est devant ce chef, assisté de deux jurés du métier , que les suppôts se présenteront pour concilier et terminer à l'amiable leurs différends entre eux 3 et si ce (■) Coût, de Gand , par De Ronghe, in-8° , p. 4^6 et suiv. 4o SUR LES CORPORATIONS chef ne peut les accorder , il en fera rapport au magistrat de la ville , qui y statuera sommairement. ( Art. 71.) V Outre ce chef, il sera créé deux jurés dans chaque cor- poration. Ils seront choisis par le chef et par les quatre der- niers jurés , présentés au bailli et au magistrat pour être acceptés ou refusés : s'ils sont acceptés , les jurés feront le serment entre les mains du chef 5 s'ils sont refusés , les chef et jurés en choisiront deux autres 5 et s'il y avait encore matièi'e à refus , les bailli et magistrat y pourvoiront. (Art. 72.) V La coutume de Gand , décrétée en 1 563 , maintint la sup- pression des doyens et compléta ce qui manquait à l'orga- nisation judiciaire des corporations. Elle établit d'abord cinq justices subalternes, dont deux pour la draperie , deux autres pour la boucherie , et la cin- quième pour les poissonniers. Ces petits tribunaux connais- saient respectivement de toutes les causes et dettes relatives aux draps , laines et draperies 5 aux ventes , prix et qualité des viandes, poissons et leurs accessoires ("). Enfin elle investit le bailli et le magistrat {^den heer en wet) du droit de nommer et de renouveler chaque année les offices des chefs des coi-ps de métiers et des foulons , les censeurs , sergens et autres ministériels , et de recevoir leur serment (^). (i) Rub. 2 , articles 3, 4 et 5. (") Rub. 2 , art. 8. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 4' Knobbaert, dans son Commentaire ('), observe que depuis l'ordonnance de 1 54o , les doyens des corps de métiers , à Gand, ne remplissent plus d'autre fonction que celle de compositeurs , pour éteindre les contestations élevées entre les membres, sans pouvoir les décider. 11 ajoute que ces compositeurs , créés dans chaque corporation, ont été choisis hors de leur sein , parce que l'envie s'empare plus facile- ment de l'esprit de ceux qui sont membres de la même com- pagnie , et qui exercent le même métier 5 il cite à ce sujet deux passages d'Aristote et de Cicéron , l'un disant : Similis inindet simili , si in hoc , in quo similis est , unus excedit alium (^), et l'autre : Invident homines maxime paribus aut injerioribus , cum se relictos sentiunt , illos autem dolent evolasse (3). Charles -Quint a donc agi en sage et prudent politique lorsque , pour conserver la tranquillité , il a établi auprès de chaque corps de métier, pour chefs, des hommes indé- j)endans par la fortune et qui, par l'estime ou la considé- ration dont ils jouissaient , exerçaient une grande influence sur l'esprit du peuple , dont ils arrêtaient souvent, par leur seule autorité , les excès et la pétulance. « Dans une émeute V populaire, disait Virgile, lorsque les esprits sont le plus V échauffés , lorsque la fureur qui transporte une populace (') Sur la G)ut. de Gand, Rub. 2 , ai-t. 8, n» 3. (") Arist. ,Lb. a. Rhét. (') De oralore. f>i. m 42 SUR LES CORPORATIONS }) mutinée lui met les armes à la main, que les pierres et y les tisons enflammés volent de toutes parts 5 si alors un }) homme respectable se présente à leurs yeux, on se tait, V on Vécoute et bientôt la sédition est apaisée (') » Ainsi, pendant cette longue période et jusqu'à leur sup- pression définitive, les doyens des corps d'arts et métiers de la ville de Gand n'ont été que des chefs indépendans , étrangers aux passions et aux jalousies de métier , n'ayant d'autres fonctions à remplir que celles d'un arbitre ou amia- ble conciliateur. Déjà du temps où Sandérus écrivit l'his- toire de Gand , il ne restait plus , dit-il , des anciens doyens , que le vain nom et l'ombre de leur dignité : on les avait remplacés par 22 chefs, choisis parmi les nobles, sans l'au- torité desquels il n'était permis à aucun collège de métier d'agir en justice. Et quant aux bannières dont chaque cor- poration était pourvue^ et avec lesquelles elles accompa- gnaient jadis le comte à la guerre , leur usage a été défendu par l'ordonnance Caroline. A Bruges , il y avait outre le bourgmestre et les éche- vinSj 12 conseillers municipaux, qm présidaient la fabrique de S*-Basile et les officiers des corps de métiers. Il y avait encore 6 chefs de quartier et 74 doyens des corporations. Chaque corporation avait son doyen particulier, qui en était le président , et plusieurs officiers qu'on nommait cen- (') Enéide, liv. i. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 43 seurs , experts, chargés dîaider leurs doyens, de rechercher, d'examiner les artisans qui contrevenaient aux lois et règle - mens de la corporation , et de les dénoncer aux doyens. Dans ces 7 4 doyens , il y en avait 9 qui , à raison de la grandeur ou de la plus grande considération de leur cor- poration , avaient le titre de grand-doyen (zwaer-deken). Les compagnies qui jouissaient de cette distinction étaient celles de St.-Jean j des tisserans , des bouchers ('), des charpentiers , des maréchaux , des cordonniers , des tail- leurs , des boulangers et des courtiers. Chacun de ces grands-doyens était gardien des clefs des archives de la ville , où Ton tenait renfermé le grand-scel de la cité. En 1477 5 ^®^ doyens des corps de métiers, avec les chefs de quartier, après avoir prêté leur serment à la comtesse Marie de Bourgogne, procédèrent à la nomination des nota- bles , qui , d'après les anciens usages , devaient renouveler le magistrat municipal, et dans lequel il entrait i3 conseil- lers, dont 8 furent choisis parmi les différens corps de métiers. Ces doyens , avec les chefs de quartier , intervenaient dans l'examen des comptes rendus pour les recettes et dépenses de la ville. En général, les fonctions des doyens et de leurs aides, se bornaient à la simple police sur les suppôts de leurs corpo- (') Le doyen de ce corps était en même temps le porte-étendard. 44 SUR LES CORPORATIONS rations , et à la judicature pour des causes relatives à leurs métiers ou professions : ainsi, ils avaient le droit de s'assem- bler dans les hôtels ou chapelles de leurs corps , d'y faire comparaître les prévenus , de connaître des délits et contra- ventions, et de prononcer contre les délinquans certaines corrections, peines ou amendes, selon les règlemens de la corporation , et eu égard à la gravité du délit ou à la con- sidération de la personne. Les jugemens furent prélus aux condamnés , qui devaient y obéir , sauf appel au magis- trat. Ce tribunal spécial pour la police de chaque corps de mé- tier avait le singulier avantage de débarrasser les échevins d'une infinité de contestations que ce grand nombre de cor- porations faisaient naître journellement, et qui sans cette institution auraient coûté au magistrat un temps précieux et beaucoup de tracasseries. Outre cette attribution commune à tous les doyens , cha- cun d'eux exerçait encore des fonctions particulières , rela- tives à la nature de la corporation qu'il présidait : ainsi , par exemple , le doyen de la corporation , dite de mueraers , pour la salubrité de la cité, était chargé de faire la visite et l'inspection de toutes les rues et places publiques , de faire enlever les boues et immondices , les arbres , bois , maté- riaux et tout ce qui pouvait gêner la libre circulation , nuire à la salubrité des habitans , ou offusquer l'aspect des édifices publics. Le doyen de cette corporation ressemblait en ceci aux œdiles de Rome : il faisait aussi son rapport et dénon- CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 45 çait ces contraventions à un tribunal particulier, nommé la Trésorerie ^ qui prononçait les peines et amendes (•). Province du Hainaiit. Tournay présente quelque chose de remarquable dans l'organisation de ses corporations. Tous les corps de métiers y étaient réunis en un seul collège. Cette confédération , qui se forma moins dans l'intérêt de l'industrie que dans la vue de réunir des forces armées , ne date que de l'an 1 4^4 : quoiqu'il y eût des corps d'arts et métiers avec leurs doyens long-temps avant cette époque 5 mais sans être confédérés. D'après un règlement de l'année 1424 7 accordé par le roi Charles VII , à la demande des artisans et gens de mé- tier de Tournay , cette classe du peuple y dominait. Elle exerçait par ses doyens une autorité souveraine. D'abord, chaque corps de métier eut un doyen et un sous-doyen , choisis parmi ses membres. Ces doyens réu- nis , créèrent ensuite un souverain-doyen , choisi parmi eux. Les doyens et sous-doyens avaient le droit de siéger au magistrat municipal , pour délibérer et donner leur avis sur les affaires de la commune. Ils réglaient et décidaient I(') Voir Damhouclers grootdadigheid derBrugsche slads-regering, édit. in-4°, p. 491 ^ 53 1. — Kronyke van VI. , 2 deel, f° 53a , t'dit dcjà citée. 46 SUR LES CORPORATIONS seuls les affaires relatives à leurs arts et métiers. Ils con- naissaient concurremment avec les autres collèges munici- paux , de toutes affaires majeures. Ils donnaient leur con- sentement au magistrat pour intenter des procès , ou faire des entreprises au nom de la ville. Ils avaient le droit d'intervenir dans la reddition des comptes , d^examiner les pièces comptables et l'emploi des deniers publics. Ils nommaient des élus , choisis dans leur sein , et char- gés de la comptabilité communale et de la surveillance des constructions. Ils étaient les juges de police de leurs corporations : ainsi , ils connaissaient des légers délits commis par leurs suppôts 5 mais par un abus bizarre , ils profitaient les amendes qu'eux- mêmes étaient chargés d'infliger, et celles constatées par leurs surveillans. Ils nommaient dans chaque corps et bannière des offi- ciers chargés de surveiller la police du travail , et la qualité des marchandises. Enfin ils étaient les législateurs absolus de leurs cor- porations 5 car seuls , ils pouvaient faire des règlemens , statuts et ordonnances pour leurs arts et métiers , les révo- quer, changer et modifier à discrétion. Cette courte analise prouve toute l'influence plébéienne qui avait présidé à la rédaction de ce règlement , et combien les doyens des corporations avaient subordonné le pouvoir municipal à l'ascendant du peuple. Il est surprenant qu'une CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 4? loi aussi imprégnée de démocratie , aussi avilissante à la magistrature publique, ait pu se soutenir pendant près d'un siècle 5 mais nous avons déjà signalé les troubles et les com- bats qui ont ensanglanté ce gouvernement , placé dans les arts mécaniques : c'était payer trop cher la conservation de ce régime politique , qui , né par la sédition et la révolte , expira par les mêmes excès. L'historien deTournay(') fait sur ce règlement de 1424 la remarque suivante : « Quoique le magistrat de Tournay » eût toujours été élu par le peuple, il ne laissait pas d'y » entrer des personnes de considération par la fortune et » le mérite , et des gens de qualité même , qui se faisaient w honneur d'y être appelés pour servir la patrie 5 mais de- V puis que ce règlement eut encore plus avili la magistra- )> ture , ils s'en étaient éloignés autant qu'ils avaient pu , et » le magistrat devint tout-à-fait roturier pendant l'espace w de 97 ans qu'il retint cette institution. Lorsque Charles- w Quint eut pris Tournay , en iSa i , il fut surpris d'appren- V dre que des artisans , qui ne savaient pas même lire ni V écrire , fussent à la tête des affaires d'une telle ville 5 et V sur les supplications qui en furent faites à l'empereur , il » abolit, par lettres du i4 février i52i, les ewardeurs ; )) ordonna qu'à l'avenir le magistrat serait élu , chaque an- V née, par des commissaires du prince.... 5 et à l'égard des (') Edit. in-4». , à La Haye , i^So, p. 583 et 584 «^^j^ "tée. 48 SUR LES CORPORATIONS V doyens et sous-doyens , il ordonna qu'ils n'auraient plus V aucune part aux affaires publiques , ni rien de commun V avec le magistrat , et les renferma dans la connaissance » V des affaires concernant Vexeivice de leurs arts et mé- w tiers.... w Ainsi j au régime turbulent créé par le roi Charles VII , succéda un régime d'ordre créé par l'empereur Charles- Quint , qui subsista l'espace de 1 46 ans , que la maison d'Au- triche régna sur cette ancienne cité de la Gaule-Belgique. C'est de cette dernière organisation qu'il nous reste à traiter : Le corps des doyens fut séparé du magistrat , éloigné des affaires publiques , et ses attributions furent limitées aux arts et métiers. Cependant l'empereur leur avait conservé le principal caractère de leur première institution , cette con- fédération qui , dégagée des bannières et du pouvoir , re- présentait les arts et l'industrie réunis comme la source de la prospérité publique. Leur influence même ne fut pas en- tièrement interdite 5 car la nouvelle réforme conserva aux doyens le privilège précieux de consentir les aides et subsides que le souverain demandait , soit par forme de don gratuit , soit pour quelqu'objet qui intéressât les corps de métiers. Le nombre des corporations fut maintenu à 36 , ayant en- semble 60 doyens et sous-doyens , dont l'élection fut confiée aux suppôts de chaque corps, et celle du grand- do yen , à tous les doyens réunis. Les attributions de ce cAe/* con- sistaient à tenir un siège de justice, dont la juridiction com- prenait la police , l'exercice , la discipline , la maîtiise des CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 49 arts et métiers 5 à faire les statuts et règlemens et à connaître de toutes les contestations qui en naissent , soit de corps à corps , ou de suppôt à supj)ot. Le chef-doyen avait un as- sesseur gradué , à titre de conseiller, un greffier et un procu- reur-syndic, nommés par les doyens. Il ne jugeait qu'en premier ressort : l'appel de ses jugemens se portait devant les prévôts et jurés. Ainsi, les doyens et leurs officiers formaient un collège de 124 dignitaires. La magnificence qu'ils déployaient dans le cérémonial extérieur méiuterait d'être gravée dans l'his- toire 5 je vais en rapporter la description. Lorsque le collège des doyens assistait aux cérémonies publiques , profanes ou sacrées , il formait une double file. Les doyens à la droite , les sous-doyens à la gauche, tous en robe courte d'écarlate, brodée de velour noir, tenant la barrette rouge d'une main et la bannière à l'autre; chaque doyen était précédé d'un valet portant une torche sous la livrée du métier. Cet appareil , dont la ville de Tournay seule offrait le spectacle périodi- que, avait quelque chose de si noble et de si imposant, qu'il porta sa renommée dans la Belgique et les pays voisins. En parlant de ses doyens , l'historien de Tournay les cite comme l'un des plus rares ornemens que possède aucune ville : « Rien, dit-il^ ne peut mieux exprimer cette anti- w quité gauloise et romaine , qui fait la gloire de Tournay. V On croirait voir, lorsqu'ils marchent en cérémonie, ce » grand nombre de sénateurs nerviens, dont parle César, V se reproduire pour étaler la noblesse et la grandeur de 7 So SUR LES CORPORATIONS V leur capitale... 5 que peut-on juger de ces corps réunis en » un collège , qui se soutient avec tant de dignité à Tour- )) nay? n'est-ce point une image sensible du gouvernement » gaulois et de l'institution romaine , qui se sont perpétués )} jusqu'aujourd'hui dans cette seule ville de la Gaule-Bel- gique (')? Suite des Droits , Privilèges et Attributions. Toute corporation instituée par le souverain jouissait , à l'exemple de la république , de certains privilèges 5 comme d'avoir des biens communs , une bourse commune , et un syndic pour gérer les affaires de la communauté. C'est la disposition expresse de la loi i", § i, ff. quod cujus. univ. nom. agatur. Mais comme la charte d'institution accordée par le prin- ce ne pouvait pas tout prévoir , ni même entrer dans le dé- tail des règles relatives à la police des métiers , à leur ser- vice intérieur ou domestique , etc., tous ces objets furent réglés par des statuts et des règlemens particuliers à chaque corporation. Établissons maintenant à qui appartenait la rédaction et la sanction de ces statuts réglementaires 5 quelles sont les variantes qu'on rencontre dans l'exercice de cette attribution , (') Édition in-4'', à La Haye, 1750, p. 586 et 791. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 5i et quels étaient les principaux abus qui, sous le nom de privilèges , ont été consacrés par ces règlemens. D'après les principes du droit romain , toute corporation licite avait le privilège de faire elle-même les statuts relatifs aux affaires de l'association 5 pourvu qu'ils ne fussent point contraires à ce qu'on appelait la/o/ publique , qui était celle des 12 tables, empruntée des lois de Solon et copiée par le jurisconsulte Gains , dans la loi 4 ff. de coll. et corpor. , où il dit : <( Sodales sunt qui ejusdem coUegii sunt.... 5 his autem V potestatem facit lex , pactionem quant velint sibi V Jerre ^ dum ne quid ex publica lege corrumpiant ('). w Ces statuts réglementaires valaient comme pactes, et étaient obligatoires sans avoir besoin de la confirmation du prince , qui, en instituant la corporation, était censé par là lui avoir concédé le droit de faire ses règlemens. Mais ce })rincipe du droit romain n'était plus admis depuis long^' temps : il était changé , ici par une charte de ville , là par un privilège ou édit du souverain , ailleurs par des coutumes homologuées 5 de sorte que c'était devenu une règle com- mune que ces statuts et règlemens devaient être rédigés ou homologués par les juges municipaux du lieu où la corpora- tion était établie. Ainsi, à Bruxelles, d'après les articles 89 et 40 de la coutume , c'était le magistrat municipal qui avait le droit de (1) Liv. 47 , tit. 21 , au digeste. 5a SUR LES CORPORATIONS faire toute espèce de règlement , d'ordonnance el de statuts , pour l'administration des cinq confréries et corps de métiers 5 d'y établir toutes les dispositions pénales qu'il trouvait con- venir 5 et il était spécialement défendu auxdites corporations et à tous autres collèges , ainsi qu'à leurs doyens et jurés , d'en rédiger aucun , sans le consentement du magistrat municipal. La coutume de Malines, renferme la même disposition. ( Art. 46. ) Celle de Gand charge le bailli et les échevins de nommer les doyens et officiers de tous les corps de métiers , ainsi que de la confection de leurs statuts et règlemens. ( Rub. 2 , art. 8. ) A Bruges, c'était encore le magistrat qui avait le droit de rédiger les statuts et les règlemens particuliers à chaque corps de métier ('). Le magistrat de la ville d'Ipres exerçait la même attribu- tion : c'est ce que prouve un de ses règlemens, en date du 16 décembre 1740 1 qui défend aux corps de métiers d'intenter des procès entre eux, autrement que par requête (2). Je crois enfin que c'était devenu un point de droit com- mun, dans tous les Pays-Bas, d'attribuer aux juges munici- paux la législation réglementaire et de police de leurs corps (") Damhouderj déjà cité, p. 534- (») Coût. d'Ipres , in-8° , p. 26 1 . CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 53 d'arts et métiers. J'ai lu un grand nombre de ces règlemens, tous émanés des bourgmestre et échevinsj et la jurispru- dence des arrêts, dont je vais rendre compte , ne laisse plus aucun doute sur ce point. C'est un fait assez connu par l'histoire , que lors du démen- brement des Pays-Bas , les villes et chàtellenies composant le territoire incorporé sous le nom de Pays-Bas-Français , sont passées à la domination des rois de France , en conser- vant leurs anciens privilèges ^ usages et coutumes belgiques. C'est ce qu'attestent des capitulations , des arrêts souverains et le refus soutenu du parlement de Flandre et du con- seil d'Artois, d'enregistrer les édits des rois de France, qui tendaient à porter atteinte à ces coutumes et privilèges an- ciens , parmi lesquels un des plus remarquables était que : les Juges municipaux des villes de l'ancienne Belgique aidaient ^ par concession des anciens souverains , le droit de créer des corps d'arts et métiers , de leur donner des statuts et de les interpréter ^ modifier ou abroger. Voici une série d'arrêts qui consacrent cet ancien privilège. En 1672, une contestation s'éleva entre les fripiers et d'autres ouvriers et marchands d'Arras : il y intervint le 2 1 février 1 673 , un arrêt du conseil , par lequel Sa Majesté , sans s'arrêtera celui du parlement de Paris, qui fut cassé et annulé , maintint le magistrat d'Arras dans ses droits et privilèges , et ordonna que les statuts des marchands se- raient exécutés , sans avoir besoin d'autre homologation que celle dudit magistrat. 54 SUR LES CORPORATIONS Un arrêt du i*' juin 1746 confirma le magistrat de St.-Omer dans le droit et privilège de faire des statuts et reglemens de police pour la direction des corps d'arts et métiers de cette ville ^ de les changer^ augmenter ou di- minuer ^ et ordonna que pareils statuts faits ou à faire par le magistrat de St. - Omer , seraient exécutés sans autre homologation ^ avec défense aux corps de métiers.... d'y contrevenir , sous peine d'amendes et de confiscation.... ; à l'effet de quoi les commis , établis par le magistrat pour maintenir l'exécution de ces statuts et reglemens , continue- raient leurs visites, etc. Par un autre arrêt , rendu sur une requête du magistrat de Dunkerke, le 12 avril 1747? Sa Majesté ordonna que les arrêts de son conseil, des 21 février 1678 et i*"^ juin 1746, recevraient leur exécution , et confirma le magistrat dans ses droits et privilèges défaire des statuts et reglemens de po- lice pour la direction des corps de métiers de ladite ville, et de les changer et modifier suii>ant Vexigeance des cas. En 177 1 , les tailleurs et les bouchers de Dunkei^ke furent troublés dans leurs droits de jurande .^ sous prétexte qu'ils n'avaient d'autres statuts que des juges municipaux. Le parlement de Paris prononça même contre les bouchers 5 mais ceux-ci et les tailleurs s'étant pourvus au conseil , il inter- vint le 9 et le 16 avril 1772 deux ariêts , qui , cassant celui du parlement , ont maintenu les corps de métiers dans leurs droits de jurande, et le roi confirma les statuts faits et à faire par le magistrat de Dunkerke. CONNUES SOUS LE NOM DE METIERS. 55 Vers la même époque, les officiers municipaux de Berghes- S'-Winox présentèrent au conseil une requête expositive: a Que c'était un point de droit public de la Flandre et de w l'Artois , que les corps des magistrats des villes avaient w le droit de donner des statuts aux communautés d'arts et » métiers , et de faire les règlemens nécessaires au bien du V commerce et de l'administration de chaque corps; que » cette prérogative leur avait été accordée par les souve- » rains 5 que la ville de Berghes y avait été confirmée par w différens titres qu'elle rapporte (•)5 que cependant on a V élevé sur ce droit des difficultés , qui ont été suivies par » des contraventions auxdits règlemens.... » Sur cette requête, il intervint le 2 mars 1772, un arrêt du conseil , qui ordonna que les dispositions de l'arrêt rendu le ï2 août 1747 î pour la ville de Dunkerke, seraient entiè- rement exécutées à l'égard de la ville et châtellenie de Berghes. Enfin le parlement de Flandre lui-même reconnut ce point de l'ancien droit belgique, par son arrêt du 23 avril 1779, dont le préambule est conçu en ces termes : « Sur le V réquisitoire du procureur-général du roi , contenant que » les échevins de la ville de Berghes , usant du droit qui , V sous l'autorité de leurs juges supérieurs , appartient aux V officiers municipaux des villes de Flandre , de porter (i) Lett. patentes de Phil. II, du mois de nov. i586. Coutume de Berghes , Rub. I , art. 9 , et diiTdrentes capitulations. 56 SUR LES CORPORATIONS V des statuts et règlemens de police pour la discipline et V V administration des dijférens corps de métiers, etc. (i) » Ainsi disparut le privilège, accordé par lai. 4, ff< de coll. et corp. , à toute corporation licite, de faire ses propres statuts sur les affaires de son association. Ce privilège, qui formait originaiiement un point de droit commun, fut restreint à quelques villes, où les corps de métiers l'avaient conservé ou obtenu de nouveau par une disposition expresse de leur charte d'octroi : c'est ainsi qu'à Tournay, sous le règlement de 14245/^5 doyens rédigeaient les lois et statuts de leurs corporations , et que par Tédit de Charles-Quint , de i Sa i , la confection des statuts et règle- mens relatifs à la police, l'exercice, la discipline et maîtrise des arts et métiers , fut confiée au grand-doyen , président de tous les corps de métiers réunis. Une question intéressante se présentait alors , pour savoir : quels statuts pouvait faire un corps de métier , qui avait conservé ce privilège? Chrystin, sur l'art. i3 delà coutume de Bruxelles, sou- tient que tous les statuts étaient valables , pourvu que le collège qui les avait faits fut licite 5 surtout alors , dit-il , qu'ils étaient approuvés par l'usage , qu'ils regardaient l'ad- ministration de la corporation et étaient créés pour ses affaires ou dans son intérêt privé. Le même auteur traite (j) Répert. de Jurisp. , t. III , p. 224 — 226. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 5y cette question dans son Commentaire sur la coutume de Malines (tit. i"', art. i et i3), et là il répond plus exacte- ment, en exceptant du droit indéfini de confectionner toute espèce de statut , les matières qui sentent le monopole , ou tendent au détriment soit de la république, soit de la communauté. Le savant Zypeus (') adopte également le principe, mais avec la même restriction. Voici son texte : a Possunt ergo, )> qui jus collegii habent, in iis statuere quae arti suae exer- V cendae idonea sunt, eamque in rem jurisdictione et cas- M tigatione modica uti in contumaces , dum ne aliquid ex V publica lege corrumpant.... ut si quid statuant de mono- V poliis, qucC damnât lex un. C. de monop. ,* de im- V moderatis commessationibus , niulctis in eas exigendis, V epulis adventiciis , inopibus , etsi peritis in coUegium non )) recipiendis , de opère alteri coramisso ab altero non im- V plendoj si décréta evulgent, quœ non à majori parte prae- )) sentium ordinata sunt. Qui omnes vocari debent si intra V professionem suam quidpiam ordinent , aut in alios qui )) de collegio non sint. v Un autre privilège dérivé du droit romain , et considéré comme un des caractères distinctifs d'une corporation licite , celui d'avoir des biens communs , a été maintenu aux corps de métiers \ mais les lois y ont attaché une formalité, pres- {') Judex , Magist. , etc. , lib. 3 , cap. a , f» 79. 5B SUR LES CORPORATIONS crite dans l'intérêt du commerce et de la conservation des biens dans les familles. C'était donc devenu une règle de droit public en Belgique (') : que nulle corporation civile ou religieuse ne pouvait acquérir^ aliéner, ou hypothé- quer des biens immeubles , qu'en vertu d'octroi du prince , ou du consentement du magistrat , suivant la distinction des lieux. Partout on appliquait aux corps de métiers les édits généraux rendus en matière d'acquisition et d'aliéna- tion par des main-mortes : « In proposita tamen matei^ia , V ecclesiam , civitatem , collegium, , swe aliud quodcumque V corpus , vel ecclesiasticum vel seculare , quod bonorum )) capax est, manum mortuam vulgo appellamus.... (=) » Mais les corps de métiers pouvaient-ils être institués hé- ritiers et recevoir des dons ou des legs par testament? — Sous le droit romain , ils pouvaient Tun et l'autre ( L. 12. , C. de hered. inst. ; 1. 20. , ff. , c?e reb. dub. 5 1. 9 , fF. , c?e mort, caus. don.^ Mais depuis que les édits et les coutumes sont devenus le droit commun des Pays-Bas , l'institution d'hé- ritier y a été défendue , et le privilège des corporations s'est trouvé restreint , en cette matière , à recevoir des dons et legs particuliers, par actes entre -vifs ou testamentaires, et sauf l'approbation du prince , s'il s'agissait de biens im- meubles. (>) Édits des 3i octobre 1294 et i5 septembre i^53. Joyeuse-entrée de Char- les-Quint, art. i4) addit. Coût, de Bruxelles, art. io3 et 142. (') Christ, ad Cons. Bruxell. , art. io3. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 5g Encore un privilège, non moins important, accordé aux corj)orations : il consistait à a^oir leurs propres Juges , in- vestis du pouvoir de décider , en premier ressort , toutes les contestations entre leurs supj)ôts , relatives aux arts et mé- tiers. C'était là un point de droit public , commun à toutes les provinces des Pays-Bas ('). Il y avait quelques villes qui en étaient exceptées , tantôt pour toutes leurs corporations , tantôt pour quelques-unes seulement 5 mais il fallait pour cela qu'il y eût dans la coutume ou dans un édit du souverain, ime disposition spéciale et dérogatoire au droit commun. Telle était à Bruxelles la disposition des art. 17 et 4o de la coutume; à Malines , celle de l'art. i3, tit. i". 5 à Gand, l'art. 7 1 de la Caroline de 1 54© , et les articles 3,4 et 5 , rub. 2 , de la coutume. Lorsque la contestation s'élevait entre le corps de métier et un de ses membres , et qu'elle était relative aux matières comprises dans leurs statuts , c'étaient encore les doyens ou jurés de la corporation même qui avaient, comme ju- ges , le privilège d'en connaître et de la décider : il en était de même , lorsque la contestation s'élevait entre un parti- culier et un artisan , à raison du métier ; mais hors de là , (•) Chryst. rar Malines, tit. 1, a. i3, n" 1. — Diplôme de l'an i3a6 accordé h Dnixelles. — Coutume d'Andenarde. Rub. i , art. 20. — Charte d'Octroi du 6 octobre 1574, art. 18. — Règlement pour Toumay de 14^4, art. ai. 6o SUR LES CORPORATIONS ils n'avaient point de juridiction : « Extra autem ea , quœ V pertinent ad artem, non habent jurisdictionem, et est V rationabile; quia non habent jurisdictionem simpliciter , V sed solum ratione ministerii vel professionis. (") w Un privilège non moins précieux ^ c'était celui en vertu duquel les doyens [ou autres chefs d'un corps de métier ne pouvaient être démis de leur office , qu'après avoir été entendus , et par sentence de juge compétent. La question de savoir si ces doyens exerçaient un office formé 5 un emploi publie , se présenta au conseil deBrabant , qui la résolut affirmativement par arrêt du 29 avril 171 1 , consacrant en même temps , pour tout le Brabant , le privi- lège dont il s'agit, en faveur de tous les offices (2). Les corporations étaient encore gratifiées d'autres privi- lèges , qu'elles exerçaient aussi par le ministère de leurs doyens ou jurés, tels étaient : de veiller au maintien de leurs sta- tuts et règlemens , d'en faire observer et exécuter les dispo- sitions , de constater les contraventions , de les dénoncer et faire punir par qui de droit 5 ^d'être gardiens ou déposi- taires des clefs des portes de la ville , en temps de paix 5 de régir et administrer les affaires , les biens , les intérêts communs du métier , à charge d'en rendre compte ( ^). (') Chryst. , sur Malines , tit. i" a. i3, n" \. (») Wynants, décis. 3o , f" 86. P) Coût, de Bruxelles , art 29, 3o, 35. — Coût. d'Alost Rub. 3 , art. 6. — Règle- ment pour Tournay de 1424» art. 23. — Damhoudei- Aé\a. cité , p. 525. — Guicciar- diti , sur Anvers , p. mihi 180. — Charte pour Renaix , de i574 , art. 20. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 6i C'était encore un privilège commun et réciproque à toute corporation , que les ouvriers d'un métier ne pou- vaient anticiper sur le travail ou la fabrication d'un autre métier. Un arrêt du parlement de Flandre ^ en date du 4 no- vembre 1702, l'a jugé ainsi entre les charpentiers et les menuisiers d'Ipres : Pinault (') rap})orte cet arrêt en ces termes : « Il est de la bonne police de ne pas souffrir que V les ouvriers d'un métier, entreprennent sur les ouvrages V propres à un autre métier. » DEUXIÈME PARTIE. Droits personnels. Les fabricans de tapis avaient le droit de défendre cette fabrication dans tout autre ville que celle où il existait un franc-corps de métier , et d'exclure de ce métier ceux qui n'étaient pas bourgeois de la ville franche où la tapisserie fut admise (2). La corporation des tisserans se trouvait gratifiée du pri- vilège que personne ne pouvait en devenir membre , qui ne fût pas bourgeois de la ville. Dans la corporation des orfèvres , le fils de maître était (•) Recueil des arrêts notables , t. III, p. 66. (') Édit du 16 mai i544 , plac. de FI. liv. i , f» 6n. 6a SUR LES CORPORATIONS préféré à tout autre aspirant , et la veuve d'un maître orfèvre succédait dans la maîtrise pour continuer le métier de son mari. Les orfèvres , admis et assermentés , avaient le privilège exclusif de confectionner et de vendre toute espèce d'ou- vrage d'or et d'argent. Il y avait des amendes jusqu'à 5o flo- rins pour chaque pièce vendue ou confectionnée par d'autres. On en exceptait les montres et quelques bijoux , et les ventes faites après décès ou par autorité de justice. — Chaque membre de cette corporation pouvait saisir ou dénoncer les ouvrages trouvés en contravention 5 et les doyens pouvaient se faire autoriser à ouvrir les armoires , coffres et autres lieux 5 faire toutes autres perquisitions et saisir les objets trouvés en fraude , en présence d'un officier de police (*). Les tanneurs ont obtenu le privilège de vendre des cuirs tannés dans toutes les villes des Pays-Bas, même avec exemption de droits : il fut défendu aux magistrats de faire des règlemens contraires à ce privilège (2). Divers corps de métiers avaient obtenu le privilège de travailler les dimanches et jours fériés, dans le ressort du diocèse de Gand : tels étaient les brasseurs, tanneurs, tis- serans, etc. (3) {*) Édits du i3 avril i55i , 20 octobre 1608 , i4 avril 161 2, 24 juillet i688, I g septembre i749' (») Décret du i3 mars i^S^ , aux plac. de FI. , liv. 4, f° 2066. (') Ordonn. de l'e'vêque Triest, du 12 juin 1621. CONNUES SOUS LE NOM DE ME'nERS. 63 A Anvers comme àMons, le privilège exclusif de vendre des tapis , appartenait aux maîtres du métier et aux cour- tiers ('). A Malines , les tanneurs avaient anciennement obtenu , comme les nobles, le grand privilège de la chasse : libéra venandi et aucupandi potestas. La même corporation et celle des bouchers excluaient de leurs métiers tous ceux qui n'étaient pas de leur tribu. Dans la même ville encore , on ne pouvait devenir mem- bre du corps des brasseurs que par droit de famille , ou en épousant la fille d'un brasseur. La corporation des lainiers y avait obtenu , par la cou- tume, le privilège de faire exercer par son doyen des visites domiciliaires et des perquisitions partout où l'on travaillait du lainage. Il y avait encore d'autres privilèges personnels : le prin- cipal consistait à conférer aux seuls membres de la corpo- ration , le droit exclusif de fabriquer ou de vendre dans la ville, les ouvrages, étoffes et marchandises qui faisaient l'objet de leur profession ou métier. Ainsi , par exemple , pour faire ou vendre des souliers , des habits , de la viande , du pain , du poisson , etc. , il fallait être agrégé à un corps de cordonniers , de tailleurs , de bouchers , de boulangers ou de poissonniers. (') Edit du i6 mai i544 , art. 58. 64 SUR LES CORPORATIONS Ainsi encore , le privilège des 'menuisiers consistait à faire tous ouvrages d'ornemens et de perfection , à l'exclusion des charpentiers , qui , à leur tour , étaient privilégiés pour les ouvrages simples et massifs, à l'exclusion des menui- siers. La qualité de collège licite ^ queFoctroi du prince ou du magistrat délégué imprimait à chaque corporation , opérait en faveur de chacun de ses membres le privilège de ne pas être personnellement tenu de ses dettes. C'est la disposition de la 1. 7 , § I , ff. , quod cujus. unii>. , qui décide expres- sément que les dettes actives et passives d'une corporation , ne sont pas celles de chaque membre en particulier : si quid universitati debetur^ singulis non debetur^ nec quod débet universitas , singuli debent. Il en était cependant autrement lorsque les deniers , quoi- que empruntés au nom du corps , n'avaient pas été em- ployés à son avantage : en ce cas , ceux qui avaient contracté la dette y étaient seuls obligés ('). Il y avait originairement certains collèges licites , dont les «lembres , à raison de la nature de leur ouvrage , avaient le privilège d'exemption des emplois publics : tels étaient^ à Rome^ les médecins des hôpitaux, les corps des maré- chaux , des mesureurs de blé , des architectes , des fondeurs et d'autres artisans qui remplissaient des états pénibles , ou (') L. 2'j , fF. , de reb cred. , si cert. pet. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 6$ qui avaient été érigés en corporations pour cause d'utilité j)ubHque ('). Ce privilège n'a point été maintenu dans les Pays-Bas. Les membres de ces compagnies devaient y remplir des emplois publics , comme les autres citoyens. Il y avait quel- ques exceptions : comme à Anvers , par exemple , où les doyens des métiers étaient tous exempts du service des gar- des-bourgeoises (2). Quelques villes avaient obtenu des privilèges particuliers pour leurs corporations : à Gand , tous les corps de métiers étaient exempts du meilleur catel, de toute servitude et des taxes municipales (^). Charles-Quint, par un décret du 10 avril i5i5, accorda aux Gantois , et nommément aux tisserans , foulons et meu- niers, le privilège d'exemption des taxes de main -morte par toute la Flandre (4). Suivant un autre édit du 5 juillet 1676, les descendans d'un gantois qui avait été admis ou qui avait exercé un office dans un des corps de métiers, étaient réputés comme bour- geios de la ville (^). (') L. 5, S 13, et 1. 6, ff. , de jure immunitatis, (*) Éditsdes 10 septembre 173$ et 5 février 1726. — PI. de Brab. , 6* part. , f" 270 et 271. Q) Goût, de Gand. Rub. 1 , art. 10. (<) Diericx , Mi'm. 1814» t. I,p. 194. (*) Plac. de Fland. , liv. 3 , f" 279. 66 SUR LES CORPORATIONS A Bruges , l'admission dans un de ces corps de métiers conférait le droit de bourgeoisie avec tous les privilèges at- tachés à cette civilité (i). D'après la coutume de Malines , les membres des corps de métiers y étaient exempts des offices de la bourgeoisie (=*). D'après le droit commun de la Flandre , toute corpora- tion avait un privilège de créance et une hypothèque tacite sur les biens de ses receveurs , administrateurs et sur leurs successions (3). Dans la plupart des villes des Pays-Bas , où il était géné- ralement d'usage de faire des processions à l'occasion de quelque fête de l'église ou de la cité , les corporations d'arts et métiers avaient le privilège d'y assister et d'y occuper même un rang distingué , soit en corps , soit par ses doyens et jurés. Il existait enfin un privilège d'honneur , uniquement créé pour encourager et récompenser le génie de l'industrie. Il consistait à libérer l'artiste le plus instruit dans son métier ou dans son art, des peines établies par les règlemens de police de sa corporation : Artifex peritissimus a statuti (') Décret du il\ septembre 1691 , à la suite de la Coût. , p. 106. (») Coutumes, tit. i , art. 43. (3) Coutumes de Bruges , t. XIX, a. 4- — du Franc, a. i43. — de Berghes-St.-Winox , R. 21 , a. 11. — de Broukburg. R. 18, a. 7. — de Belle. R. 9 , a. 3o. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 67 pœna liberandus. Damhouder , qui rapporte ce privilège , cite le cas arrivé à un ouvrier napolitain, d'un si grand mérite, qu'ayant été condamné à avoir la main coupée, il obtint une commutation de peine , à rai&on de l'élégance et de la grande utilité de son ouvrage (>). (') Sentent, sélect, prax. rer. crim. , verbo Ars , ëdit. 1646. 68 SUR LES CORPORATIONS CHAPITRE III. Mode et Conditions d'admissibilité aux Corps de Métiers. Il suit nécessairement de la nature de leurs statuts , que pour devenir membre de ces collèges , il fallait avant tout être sui juris , c'est-à-dire , majeur et capable de s'obliger^ car en y entrant on contractait certains engagemens , même pécuniaires , qu'il fallait remplir , en qualité de membre du métier. Cette première condition fut exigée , mais ne suffisait pas partout 5 car dans quelques villes on ne pouvait être mem- bre d'aucun corps de métier sans être bourgeois de la ville ('). Dans d'autres lieux , cette qualité n'était requise que pour certains métiers : ce fut ainsi que pour entrer dans la corporation soit des brasseurs , soit des tisserans , à Aude- narde, il fallait être bourgeois de la ville (^). (") Ord. de i54o, art. 78, pour Gand. Coût. deTermonde, Rub. 2, a. 5. Coût, de Roulers. Rub. 3 a. 4- Décret pour Bruges , du 24 septembre 1691 , préamb. Edit. du 16 mai i544 j pi- de FI. , liv. i , f" 61 1 , (') Octrois des années i357 et i544auxarch. d'Audenarde. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 69 Il y avait même des villes où l'on exigeait le domicile , comme une condition sans laquelle on ne pouvait y être reçu membre du corps des métiers ('). Après la qualité civile , prescrite par la coutume ou par la charte d'octroi , la i" condition imposée à tout aspirant, c'était de faire son stage comme apprenti ou compagnon , chez un maître du métier. La durée de ce stage était communément de deux années , pour les professions qu'on apprenait facilement , telles que de cordonnier^ tail- leur ^ maçon ^ boulanger^ boucher^ etc. 5 et de trois an- nées , j)our la tissanderie , la fabrication des tapis et quelques autres arts, dont l'apprentissage exigeait plus de perfection (*). Ces stages étaient accompagnés d'une autre condition, celle de payer des rétributions au profit des maîtres , à titre de salaire d'apprentissage , d'indemnité ou de droit" d'entrée. Ces taxes variaient selon les différentes chartes d'octroi et la qualité du métier. Il y avait même des octrois qui fixaient des prix différens , selon que l'apprenti était habitant de la ville ou étranger (3). Dans quelques corporations , l'apprenti devait payer un pot de vin et un salaire, aux doyens et jurés du métier. Tel était l'édit du 16 mai i544 sur les fabriques de tapis. (') Coût, de Berghen-S"-Winox. Rub. 5 , art. a. (») Chartes du 16 mai i544 c*6 octobre 1574. (3) Toutes les chartes d'octroi. 70 SUR LES CORPORATIONS Les apprentis ou compagnons ayant terminé leur stage et payé les taxes imposées à leurs, grades , pouvaient aspirer à la maîtrise 5 mais il leur restait de nouvelles diiEcultés à vaincre et encore des rétributions à payer. Dans quelques chartes , il était stipulé que pour devenir maître , l'ouvrier aspirant devait préalablement justifier qu'il avait satisfait son maître et achevé son ouvrage ('). Cette condition était à la fois raisonnable et juste. Mais en général , pour acquérir la maîtrise , l'aspirant devait faire preuve de capacité , en exécutant en présence des doyens et jurés du métier, quelque ouvrage nommé chef-d'œuvre : a Nullus quantumvis excellens magister V in urbe ad operam exercendam admittitur ut magister , V nisi in collegium exercitio suo proprium à coryphasis seu V decanis , aliisque ad quod hoc spectat , sit admissus : an- V tequam admissionem , probant quasi trophœum suce V capacitatis erigere tenetur ^ îdque postquam requisito V tempore sub quodam admisso ut 'vocant magistro ope- V ram de de rit (^). v La forme et la qualité du chef-d'œuvre étaient prescrites par les statuts , quelquefois laissées à la discrétion des officiers du corps , et variaient à l'infini. Nous en citerons quelques exemples. Le chef-d'œuvre d'un maître boulanger consistait souvent (') Octrois des i6 mai i544 et 6 octobre 1574. (') Chryst. sur la Coût, de Brux. , art. 8. CONNUES SOUS LE NOM DE METIERS. 71 à faire cuire ensemble trois différentes espèces de pain , dans un seul et même four. lue chef-d^ œuvre d'un maître maçon avait pour objet l'exé- cution d'un ouvrage difficile en maçonnerie, telle qu'une voûte croisée , une arcade au-dessus d'une porte ou fenêtre , etc. Les chefs-cCœuvre des tisserans . tailleurs , cordon- niers , etc. , étaient relatifs à leur art respectif 5 mais pour la forme et la perfection , ils étaient à l'arbitrage des doyens ou officiers du métier , qui conséquemment étaient les dis- pensateurs de la maîtrise de leurs corporations , d'où résul- tait un double abus : celui d'admettre trop facilement des aspirans mal instruits dans leur état , et par conséquent peu à craindre pour la concurrence; admission pour la- quelle les officiers examinateurs profitaient souvent le droit d'entrée 5 l'autre de repousser par jalousie ou intérêt de métier des sujets distingués , dont l'admission aurait pu nuire aux autres maîtres , par l'augmentation du nombre ou la supériorité du talent. Aussi abusa-l-on souvent de ce droit arbitraire , qu'on vendait fort cher , ou qu'on exerçait contrairement au but de l'institution : « Nemo hic polest » exercere aliquid artificium, nisi admissus per juratos ar- » tificii , qui magno vendunt illius exercitium ' prœsertim » his , qui artificium in hac civitate non didicerint , quos » non facile soient admittere ('). (') Chryst. ad Cons. Mechl.,tit. i , art. i3, n» 5. 7a SUR LES CORPORATIONS Les motifs pour lesquels on a soumis les aspirans à Texé- cution d'un ouvrage distingué , sont favorables aux arts et au bien public, c'est, dit Loyseau (') : a Parce qu'il git V beaucoup d'industrie dans les arts mécaniques , qu'on y V fait des maîtrises , après avoir fait épreuve publique V de sa suffisance^ qu'on appelle chej'-d'œuvre , et par icelui » être trouvé capable : chose très-bien instituée, tant afin w qv) aucun ne soit reçu maître qui ne sache fort bien son V métier, qiCafin aussi que les maîtres ne manquent ni V d^ apprentis , ni de compagnons pour les aider à leurs V oui^rages. v Après avoir fait preuve de talent, l'adepte n'était reçu membre et maître de la corporation qu'en payant encore un droit d'entrée ou de réception , dont le prix variait de ville à ville, même de métier à métier dans la même ville. L'esprit de corps et les privilèges introduits dans les écoles des arts et métiers , y avaient déjà pris racine et se mani- festaient jusques dans les admissions à la maîtrise et les prix à payer pour les réceptions. Dans quelques villes, les fils des maîtres jouissaient d'une double faveur : à l'égard de certaines professions on con- sidérait le talent de l'artisan comme héréditaire , puisque les fils de maître étaient dispensés d'en faire preuve ; tandis que dans d'autres professions le temps de leur apprentissage (') Traité des ordres , chap. 8. N" 49 et 5o, p. 8o. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 73 ou compagnonage ëtait moins long que celui des autres ouvriers 5 et là où les fils de maître n'étaient pas entièrement exempts des droits de réception et d'entrée , ils en payaient moins que les autres récipiendaires. Il est étonnant que ce privilège, à la fois absurde et in- juste, n'ait pas rencontré des réclamations de la part des ouvriers ou des magistrats , et qu'il ait pu se maintenir si longuement dans presque toutes les villes des Pays-Bas. Cependant ces abus furent corrigés , dans certaines villes , comme à Gand^ où le prix d'achat ou d'entrée, pour chaque membre des corps de métiers indistinctement, fut fixé à six florins d'or , applicable au profit de la corporation même , et sans aucun droit d'apprentissage ('). Dans la même ville , on ne pouvait acquérir la maîtrise dans la corporation des bateliers , que du consentement de Sa Majesté (3). Outre les droits d'entrée ou de réception, il y avait des métiers où l'on exigeait du récipiendaire une dette mor- tuaire, nommée dood-schuld , payable après son décès. Cette dette variait dans sa quotité , selon la qualité civile ^ du maître décédé (^). Mais elle avait un but utile et loua- ble : c'était pour couvrir les frais des funérailles, que la (■) Ordon. de i54o, art. ^S. (») Edit du i4 février i54o , plac. de Fland. , liv. 3 , f° 67a. 0 Charte de Marie de Bourgogne , du 3 février 1478 , pour la mercerie à Audenarde. 10 74 SUR LES CORPORATIONS confrérie payait alors de sa caisse , après la mort de chacun de ses membres : cérémonie à laquelle chacun s'empressait d'assister , comme pour rendre un dernier adieu , un pieux devoir , à l'amitié ou à la confraternité. Mais à qui profitaient toutes les autres taxes , dont la main de l'artisan se trouvait chargée ; et quel était l'emploi de cet argent? Tout était presque encore bigarrure et singularité dans cette partie réglementaire des anciennes corporations. Ce qu'il y avait de régulier et d'uniforme , c'est que les rétributions payées par les apprentis ou compagnons à titre d'apprentissage et d'enseignement, profitaient aux maîtres qui leur apprenaient le métier : c'était le juste salaire des peines , des soins qu'ils se donnaient pour l'instruction des ouvriers aspirans. Mais les droits d'examen et d'admission à la maîtrise étaient perçus presque partout par les doyens et jurés , qui tantôt les profitaient en tout ou partie à titre de pot-de- vin (wyn-geld)5 quelquefois les versaient dans la caisse de la corporation , pour être employés à acquitter les dé- penses de son administration. Il est vrai que l'esprit de bursalité s'était parfois emparé de ces corporations , dont les officiers dépensaient souvent en boisson et bonne chère, les deniers qui avaient coûté tant de peines à ces ouvriers, que leur pénible situation, la misère même recommandaient à la commisération et à la pitié du prochain 5 mais en revanche , il existait des corporations CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIEBS. 78 qui faisaient de ces rétributions un emploi bien louable et méritoire : on voit dans quelques chartes , à côté des devoirs à rendre au divin Créateur , prescrire des actes de piété et de charité envers des confrères que la pauvreté ou le mal- heur accompagnait dans la tombe 5 on voit dans ces chartes , ordonner que les fonds provenus des réceptions à la maî- trise . seront employés à servir Dieu et à l'acquittement des frais d'enterrement, de service funèbre, des confrères décédés insolvables. Comme la plupart de ces chartes se trouvent aux archives des villes , j'en citerai une que tout le monde pourra consulter , celle qui a été imprimée et publiée à la suite de la coutume de Renaix, p. 109 ; elle est de Philippe II et datée du 6 octobre i574' Après l'admission à la maîtrise , l'acte de réception et les noms du nouveau maître furent inscrits dans le registre- matricule de la corporation. Par cet acte , qu'il souscrivait avec les doyens et jurés, le récipiendaire se soumettait tant à la charte d'octroi, qu'aux statuts et règlemens de police de sa communauté j s'engageant à s'y conformer, à en rem- plir les devoirs et obligations. Dans quelques corps de mé- tiers cet engagement fut donné sous la foi du serment. Ainsi devenu membre effectif de sa compagnie, il devait subir toutes les charges et conditions imposées par les règle- mens , se soumettre à l'autorité , à la juridiction des doyens et officiers , et devenait passible des dettes , taxes , correc- tions , peines et amendes y prescrites. Tels étaient , en général , les moyens par lesquels on parve- 76 . SUR LES CORPORATIONS nait à être reçu membre effectif dans les corps des arts et mé- tiers des Pays-Bas : s'il en existait d'autres que je n'ai pu décou- vrir , c'est qu'ils étaient de circonstance ou de pure localité. Nous n'omettrons point de faire mention ici d'un enga- gement important , qu'originairement toute corporation instituée par les anciens princes, contractait envers eux : celui de suivre le duc ou le comte à la guerre, et de com- battre sous ses drapeaux pour la défense de la province. L'histoire de Flandre en donne plusieurs exemples et no- tamment en l'année i436, lors du siège de Calais, auqiiel presque tous les corps de métiers de cette province prirent part. Ceux de Gand, Bruges, Ipres, Courtray, Audenarde s'y distinguèrent : ils composaient avec les confréries dites gilden , une armée bourgeoise de 3o,ooo combattans. Le porte étendard des Brugeois , nommé Jean Mulaert , était de la corporation des poissonniers , et ce fut un maçon , appelé Jacques Zaghere, grand-doyen de la corporation des maçons de Gand, qui, sous prétexte de trahison, jeta le découragement parmi les assiégeans et excita les Gantois à cette honteuse retraite, qui fut la cause principale de la levée du siège , suivie de terribles dévastations de la part des assiégés. Avant de nous résumer, voyons comment ces corpo- rations ont cessé d'exister dans les Pays-Bas. Cette partie se rattache naturellement à la question , et semble devoir compléter la réponse , quoiqu'elle ne soit pas exprimée dans le Programme. CONNUES SOUS LE NOM DE MÉTIERS. 77 Le germe de leur destruction était déjà jeté dans un mémorable éditdu roi de France, du mois de février 1776, par lequel toutes les jurandes des corps d'arts et métiers furent supprimées à Paris. Les motifs , énergiquement ex- primés dans le préambule de cette loi, avaient une telle force de raison et de justice, qu'ils furent accueillis avec reconnaissance par l'opinion publique, qui provoqua bien- tôt l'émanation d'autres édits , par lesquels les communautés d'arts et métiers furent ou réformées ou supprimées dans toute le France. Cette législation éclairée d'un grand royaume semblait de nature à se communiquer plus loin 5 cependant le parlement de Flandre et le conseil d'Artois , attachés à tout ce qui tenait à leurs anciens usages belgiques , refusè- rent l'enregistrement de ces divers édits , pour s'en tenir à l'ancienne législation des Pays-Bas , dont cette portion de la France avait fait partie autrefois. Mais plus tard, la révolu- tion française éclata , et dans ces temps où tous les liens fu- rent rompus , toutes les institutions renversées , les corps d'arts et métiers avec leurs offices , biens et privilèges , se trouvèrent enveloppés dans la suppression générale de tous les corps politiques et privilégiés de l'ancienne monarchie , prononcée par les décrets des 1 mars et 14 juin 1791 , sui- vis d'un décret de confiscation de leurs biens meubles et immeubles , et tous publiés , exécutés , dans la Belgique , les deux premiers par un arrêté du 19 brumaire an IV , et l'autre en vertu d'un arrêté du 7 pluviôse an V. 78 SUR LES CORPORATIONS RÉSUMÉ. Nous sommes partis du droit naturel pour annoncer la liberté primitive des arts et de l'industrie , qui , après avoir existé dans cet état chez les peuples libres , et admis dans les premiers siècles de la république romaine, où les juran- des et miaîtrises étaient inconnues , ont été ensuite réunis en corporations^ lesquelles, ayant subi sous les Romains diverses vicissitudes, ont été enfin organisées en collèges li- cites avec une législation complète. En cherchant à connaître leur naissance dans les Pays- Bas , nous avons pris le i a""^ siècle pour l'époque de leur premier établissement , et les siècles suivans les ont vues s'accroître et prospérer. Nous avons prouvé que dès le i4™* siècle et pendant la période de leur domination , des trou- bles ou des révoltes avaient ensanglanté ces institutions , or- ganisées en forme de milice nationale et trop animées de l'esprit de guerre et de sédition , si contraire aux progrès des arts, jusqu'à ce qu'une sage réforme, opérée sous Charles- Quint , soit venue les faire rentrer dans l'ordre , le but et les limites de leur vocation. Examinant ensuite leur constitution , nous avons démon- tré qu'à l'instar des collèges d'arts des Romains , ces corpo- rations devaient être autorisées par octroi du prince 5 que leurs chartes d'institution leur donnaient des chefs asser- mentés, nommés parle magistrat ou par leurs pairs, et pres- crivaient les lois fondamentales de leur administration 5 CONNUES SOUS LE NOM DE METIERS. 79 enfin , que des statuts particuliers , des règlemens de police, approuvés par l'autorité , complétaient le régime intérieur de ces compagnies , dont l'esprit de corps , le monopole , l'intérêt privé , avaient trompé les premières vues du légis- lateur. Passant de là à l'énumération de leurs privilèges , nous en avons signalé les abus, et établi que les uns étaient réels , les autres personnels ; que les privilèges exclusifs sont contraires aux principes de la liberté et aux droits de pro- priété : nous ajouterons que de tous les privilèges-mono- poles , ceux des bouchers et boulangers sont les plus odieux : ils frappent le peuple dans sa substance , sur l'aliment de sa première nécessité 5 ils ont moins pour but la salubrité du pain et de la viande , que d'élever ces comestibles à un prix lucratif pour les vendeurs et onéreux pour le consomma- teur. Nous avons observé que les attributions , exercées par des chefs-officiers , et d'abord très-étendues dans quelques villes, y avaient été réduites aux simples fonctions d'un officier de paix et d'un inspecteur de corps 5 qu'ailleurs, en général , elles consistaient à participer au pouvoir municipal de la cité, à l'élection des officiers municipaux, à l'exercice d'une juridiction contentieuse et pénale, en matière d'arts et métiers 5 à veiller au maintien de leurs statuts, règlemens et tout ce qui tenait au bon ordre, au régime , à la police et discipline de la corporation. Parvenus aux moyens d'acquérir la maîtrise , nous en avons indiqué les différentes conditions, et rendant une 8o SUR LES CORPORATIONS, ETC. justice méritée à certaines dispositions conçues dans l'intérêt des arts et de la charité chrétienne , nous avons censuré ces impôts mis sur la main de l'ouvrier , et ces privilèges ou exemptions en faveur des tribus et des fils de maître, et cette autorité arbitraire des doyens, constitués juges absolus de la qualité ou perfection des chefs-d^œuvre : ces impôts , ces préférences , nous ont paru contraires aux maximes de justice et d'équité _, vexatoires pour l'artisan, et préjudicia- bles à l'émulation , indépendamment de l'inconvénient qu'ils ont d'apporter des restrictions nuisibles aux arts , et des entraves à l'industrie. Nous leur préférerions les avan- tages de la liberté des arts et métiers. A notre avis , cette liberté en est l'âme : il importe de donner un libre essor aux dispositions industrielles de tous les hommes : un apa- nage essentiel de cette liberté, c'est que tout citoyen , à quel- qu'ordre ou classe qu'il appartienne , ait la faculté d'éten- dre ses talens à l'exercice indépendant de la profession , de l'art ou du métier qui lui convient , sous la protection et la surveillance des lois. FJN- MÉMOIRE EN RÉPONSE A LA QUESTION PROPOSÉE PAR L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES ET BELLES-LETTRES DE BRUXELLES : Donner un précis historique de l'administration générale des Pays-Bas ^autrichiens j sous le règne de l'impératrice Marie-Thérèse; QUI A HEMPOETÉ LE FBIX AT7 COKCOVKS DE 1827. PAR M. Ch. STEUR, avocat a la cour royale de Bruxelles. For forros of govemmeot let fools conteat What e'er \% best administred, is best. (POU.) BRUXELLES, M. HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE. 1827 ^QQQQQ|m0|| AVANT-PROPOS. l^ET abrégé ou précis historique de l'administration géné- rale des Pays-Bas catholiques contient dix chapitres. — Dans le premier , l'auteur traite du personnel et des attributions des ministres et des hauts fonctionnaires de l'État 5 dans le second, il décrit l'administration politique et municipale des provinces; dans le troisième, il parle des domaines, des aides et des impôts publics. — Les quatre chapitres sui- vans sont consacrés à l'administration de la justice, à celle de la police , au clergé et à l'instruction publique. — Dans les huitième et neuvième chapitres , ses vues se portent sur le régime intérieur des campagnes , sur l'état militaire et ses juridictions. — Enfin, dans le dixième et dernier chapitre, l'auteur traite sommairement des institutions et des ré- formes salutaires introduites par Marie-Thérèse. Il eût été facile de multiplier ces divisions. Mais un pré- cis n'est que le résumé fidèle de ce qu'il y a de plus impor- tant dans l'histoire. Il y a plusieurs matières dont l'auteur IV AVANT-PROPOS. n'a pas cru devoir parler directement , ou parce qu'elles se liaient à d'autres plus essentielles , ou parce qu'elles étaient par elles-mêmes de peu d'importance. Le but qu'il s'est principalement proposé a été de faire connaître l'ensemble de notre ancien gouvernement , et de lier dans un traité concis toutes les branches de notre ancienne administration , comme il les a trouvées dans les documens législatifs de ces temps. Néanmoins , Tauteur est souvent entré dans des détails dont la connaissance était nécessaire pour faire mieux connaître le système en général. Les principes de notre ancienne administration ne sont guère connus aujourd'hui que par ceux qui en ont fait une étude particulière, ou par ceux qui, avant la révolution de 1-789, étaient à la tête des affaires. Le nombre de ces der- niers diminue de jour en jour. Pour Tauteur , qui est né depuis , l'histoire de l'ancienne administration est tout en- tière dans les lois , dans les institutions et dans les mœurs de ces temps. Cette étude offre ses difficultés : la diversité des institutions est un écueil de plus. Toutefois, il est heu- reux que cette variété de formes , cette inconstance de prin- cipes se bornent en général aux détails. Du reste , l'ordre administratif était simple, clair, uniforme 5 et pour peu que l'on fasse quelques progrès dans la connaissance des lois an- ciennes , on sent toute l'injustice d'une foule d'accusations dix igées dans le temps contre un ordre de choses qui , quoi- qu'entaché de plusieurs abus , était au fond excellent. Au- jourd'hui que la masse de la nation est dégagée des pré- AVANT-PROPOS. v ventions élevées naguère contre tout ce qui n'était pas à l'ordre du jour, le peuple Belge doit s'estimer heureux de voir son gouvernement revenir à des principes d'une saine administration, fondée sur les meilleures lois anciennes. Cette heureuse révolution nous a réconciliés avec les privi- lèges de nos ancêtres; et leur liberté politique et civile, ainsi que leur système municipal , moins l'intolérance et les abus de cette époque , ont rendu notre gouvernement un sujet d'envie pour nos voisins. Pour connaître aujourd'hui l'esprit de nos lois adminis- tratives , il est indispensable d'étudier les principes du gou- vernement ancien. C'est dans ses actes qu'on trouve la source d'une infinité d'institutions que l'ignorance accueille comme les fruits d'une création nouvelle. Pour dissiper cette erreur , il suffit de lire ce précis ; et l'on sera convaincu que nos législateurs , en puisant dans nos vieilles chartes , n'ont souvent changé que les noms d'anciennes institutions qu'une expérience de plusieurs siècles avait consacrées , et qu'une épreuve récente nous force à reprendre. En les décrivant , il n'a pas été permis à l'auteur, comme à nos représentans , d'en dénaturer les termes : l'on trouvera donc fréquemment dans ce précis, comme dans nos anciennes lois, les dénominations de villes fermées et de villes ou- vertes. Il est bon d'en avertir le lecteur, et d'entrer à cet égard dans quelques explications , si nous voulons éviter toute dif- ficulté dans l'application des lois particulières à ce genre de communautés. Une ville fermée est celle qui est entourée VI AVANT-PROPOS. de murailles ou de fossés, et dont les entrées sont garanties par des clôtures. Une ville ouverte n'avait ni portes , ni murailles, ni fossés 5 aujourd'hui on les appelle bourgs , pour les distinguer des communes ou des villages , avec les- quels ils sont d'ailleurs confondus sous tous les autres rap- ports. Mais sous l'ancien régime , la différence d'une ville fermée avec une ville ouverte était importante. Toute ville de la première classe avait un système particulier d'impo- sitions. Les autres faisaient à cet égard partie du plat-pays ou ressort rural. Entre les villes ouvertes et les communes proprement dites , il y avait aussi des différences impor- tantes. Les villes ouvertes avaient en général , comme les villes fermées , des magistrats municipaux , des ordonnan- ces spéciales de gouvernement et des coutumes locales qui leur étaient particulières. Les communes au contraire de- vaient se régir d'après des règlemens ou des lois adminis- tratives , exécutoires dans toute une province , un bailliage ou un pays 5 et suivre , dans la décision des affaires judiciai- res , la coutume de la ville qui formait le chef-lieu de leur ressort civil. L'auteur a dû maintenir cette dénomination 5 toutefois , comme il s'est souvent contenté d'écrire le nom de ville tout court, il faut que l'on sache qu'alors ce mot doit s'entendre d'une ville fermée. Quand, au contraire, il a pai-lé des villes ouvertes , il a eu soin d'ajouter chaque fois l'épithète qui les caractérise. Du reste, en parlant géné- ralement de tous les endroits d'une province , il s'est le plus souvent contenté d'écrire les villes et les communes . pour AVANT-PROPOS. vu désigner sans exception toutes les communautés existantes dans un ressort provincial. Une dernière observation con- cerne les dénominations de bailli^ de drossart^ demayeur^ d^écoutète et d^amman : ces noms désignent dans les différen- tes provinces un même fonctionnaire. L'auteur s'est donc cru autorisé à se servir de celui de bailli^ comme étant le plus généralement et le mieux connu. Il en est de même du mot d^échevin , qui s'applique aussi aux jurés dont parlent les règlemens et les coutumes de Nivelles ('). Si l'auteur ne peut se flatter d'avoir entièrement répondu à la question , il n'a du moins rien avancé dans son ouvrage qui ne soit fondé sur les lois et les règlemens administra- tifs , les ordonnances et les coutumes locales. Après avoir achevé son travail sur ces documens authen- tiques , il l'a conféré avec les écrits des auteurs qui ont traité partiellement les mêmes matières 5 et lorsqu'il ne s'est pas trouvé d'accord avec eux , il a indiqué la source où il a puisé avec le passage des auteurs qui semblait la contre- dire. A la vérité , ce moyen ne résout pas la difficulté • mais la nature de cet ouvrage répugnait à toute espèce de dis- sertation. Tout ce qu'il a été possible de faire, c'est d'indi- quer la seule voie par où il était possible de dissiper les doutes. L'auteur s'est également abstenu de toute réflexion • il a rapporté sans commentaire les faits tels qu'ils existaient (') Fqyez Plac. de Brabant , tom. IV , f» 3o4. VIII AVANT-PROPOS. sans désirer un ordre de choses plus parfait , persuadé que les savans sous les yeux desquels cet ouvrage est destiné à paraître , sauront suppléer à ces lacunes par la pensée , beau- coup mieux que Fauteur de ce court écrit n'aurait pu le faire. L'opinion d'un historien doit d'ailleurs fléchir devant la vérité 5 tout ce qu'il peut et doit rechercher dans un ou- vrage de ce genre , c'est la conformité entre les lois écrites et l'esprit qui a présidé à leur exécution 5 or , dans ce cas , tout dépend d'un fait. Une mauvaise institution peut quelque- fois produire d'heureux résultats 5 comme il se peut qu'une bonne loi produise un effet contraire. Mais quel que soit le sort des institutions humaines , les lois , sans les mœurs , la vertu , le patriotisme et l'honneur , ne sont que de vains noms 5 et c'est dans ce sens que l'on peut dire avec le poète : For Jbrms of government let fools contest Whal e'er is best administred , is best. MÉMOIRE SUK L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DES PAYS-BAS AUTRICHIENS, SOUS LE RÈGNE DE L'IMPÉRATRICE MARIE-THÉRÈSE. CHAPITRE PREMIER. Du Gouvemeur-Génëral , du Ministre Plénipotentiaire et du Secrétaire-d'État et de Guerre. — Du personnel et des attributions des Conseils-d'Etat , Privé et des Finances. — Des Finances de l'Etat en général. — Du Domaine. — Des Ai- des et des Subsides. — Des Droits d'Entrée et de Sortie , du Transit , etc. — Du Commerce et des Manufactures. — De la Chambre des Comptes et de ses attributions. — Des Loteries et de l'Administration des Postes. Du personnel et des attributions des Ministres et des hauts Fonctionnaires de VÉtat. IjE gouvernement des Pays-Bas autricliiens était, à l'épo- que où l'impératrice Marie - Thérèse prit les rênes de l'empire, une monarchie absolue, tempérée par des lois municipales très - populaires , et des privilèges politiques très-étendus. Ce gouvernement était composé d'un gouver- 2 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE neur-général représentant le souverain, d'un ministre plé- nipotentiaire, d'un secrétaire-fd'état et de guerre, de trois conseils souverains et d'une chambre des comptes. A la tête de l'administration générale se trouvait le re- présentant du prince souverain des Pays - Bas , nommé lieutenant-gouverneur et capitaine -général. Immédiate- sous ses ordres se trouvaient les officiers généraux , les gou- verneurs des places et autres officiers militaires 5 les minis- tres , présidens et conseillers des divers conseils 5 le trésorier général , les receveurs-généraux et autres fonctionnaires des départemens des finances. Tous ces dignitaires étaient te- nus d'exécuter les ordres qui leur étaient transmis de la part du chef de l'administration , de se rendre aux lieux désignés et d'y veiller avec zèle aux intérêts qui leur étaient confiés, sans pouvoir réclamer aucun secours ex- traordinaire ni augmentation de traitement ('). Dans les délibérations des conseils , les ministres émet- taient librement leur opinion pour ou contre la loi pro- jetée 5 mais il n'appartenait qu'au gouverneur-général, ou en son absence au ministre plénipotentiaire , d'en proclamer l'acceptation (a). Aucun projet de loi, aucune mesure ad- ministrative ne pouvaient être mis en discussion qu'après avoir été proposés par le gouverneur ou le ministre pléni- (') Constitution politique du i" septembre 1702, art. 58. Plac. de Flandre, tom. IV, fo 282. (") Loi du 29 mars 1718, art. 5. Plac. de Flandre , tom. IV , S" 238. DES PAYS-nAS AUTRICHIENS 3 potentiaire. Les conseils de gouvernement n'étaient point autorisés à s'assembler sans ordre supérieur , non plus qu'à se réunir à des heures qui n'eussent point été fixées d'avance. Tous les membres des conseils étaient à la no- mination du souverain, et le pouvoir exécutif, qui leur était exclusivement dévolu, s'exerçait au nom et sous la surveillance du gouverneur. Dans le conseil-privé, on discu- tait les questions qui intéressaient les prérogatives du sou- verain , les domaines de l'état , les provisions civiles et ec - clésiastiques , les collations de bénéfices , les dispenses et le droit de grâce («). Dans le conseil des finances , il n'était question que des lois sur les revenus de l'état, et des décisions sur les do- maines , les aides et les subsides , les droits d'accises , le commerce et les manufactures. Néanmoins , lorsqu'au sujet de ces matières, il se présentait des questions d'administra- tion générale , de police ou d'ordre public , ce conseil était tenu de renvoyer l'affaire à la délibération du conseil-privé , et de ne s'occuper de la question purement financière que lorsqu'elle était entièrement dégagée de toute contestation civile. C'est par ce motif que les réclamations des contri- buables ne pouvaient être adressées qu'au conseil-privé (*). Pendant l'absence du gouverneur-général , le ministre plé- (') Loi du 19 septembre ijaS, sur le rétablissement des trois conseils sou- verains, art. 1,4,5,9, i3 et ai. Plac. de Flandre, tom. IV, (" 243 et suiv. (•) Loi du 3i août 1682 , sur les aides et subsides, infine. Plat, de Flandre, tom. III , f" 1407. 4 SUR L'ADMINISTRATION GENERALE nipotentiaire exerçait , à quelques exceptions près , les mê- mes pouvoirs. Ces exceptions avaient rapport au droit de conférer des emplois ou des bénéfices , de faire grâce ou de convoquer les états des provinces. Mais ce qui manquait à cet égard à ses lettres patentes était suppléé par ses instruc- tions particulières 5 et le ministre ne manquait point d'user de ces prérogatives de la manière qu'il Tentendait. Les dé- pêches du gouvernement et les mémoires politiques, ainsi que les décrets législatifs et les ordres aux officiers supé- rieurs , étaient rédigés dans les bureaux du secrétaire-d'état et de guerre. Ce fonctionnaire présidait en outre à la rédac- tion de toutes les conférences des conseils de gouvernement , et n'était soumis dans l'exercice de ses fonctions qu'aux ordres du gouverneur-général ('). Le conseil-d'état était composé du gouverneur-général , ou en son absence du ministre plénipotentiaire , en qualité de président, des ministres de courte robe, de quatre mi- nistres de longue robe et de deux secrétaires (^). Les mi- nistres de courte robe étaient partagés en trois classes : la première comprenait tous ceux dont les emplois militaires ou politiques requéraient leur présence ailleurs que dans la capitale 5 ces fonctionnaires n'entraient au conseil-d'état , et (•) ^qyez Mémoires Hist. et Polit, du comte De Neny, tom. II, chap. 19, f° 107. (') Plac. du 29 mars 1718 , art. 3. Plac. de Flandre , tom. IV, f" a36. Plac. du 19 septembre 1726, art. i. Même recueil, tom. IV, f° 244* M- De Neny dans ses Mém. ci-dessus citds , chap. 16 , art. 4 > ne mentionne qu'un seul se- crétaire. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 5 n'y avaient voix consultative que lorsqu'ils se trouvaient au lieu où si(!^geait le gouvernement. La seconde classe des ministres à courte robe était formée de ceux qui assistaient régulièrement aux séances, et avaient la voix consultative selon leur rang et leur ancienneté. Dans la troisième classe , étaient compris tous les conseillers -d'état honoraires qui n'avaient ni rang d'ancienneté , ni exercice , ni gages. Du reste, ils jouissaient des mêmes distinctions honorifiques que les ministres en activité ('). Le grand-maître de la cour et le commandant-général des armées pouvaient être appelés au conseil-d'état, toutes les fois que leur présence était utile ou nécessaire. Un président, six conseillers de longue robe et trois se- crétaires, composaient le personnel du conseil-privé (^) 5 un trésorier-général , quatre conseillers et deux greffiers , celui du conseil des finances. Dans la discussion des projets de lois , les membres des conseils-d'état , privé et des finances , n'avaient que la voix consultative. Le gouverneur-général ou le ministre pléni- potentiaire décidait seul. Il en était de même du doyen ou plus ancien des conseillers de longue robe , lorsque , pendant l'absence du gouverneur et du ministre plénipotentiaire , il (') Plac. du 29 mars 1718 , art. 4- Plac. de Flandre , ton». 4» f° a38. (') Plac. du 19 septembre 1725, art. 5. Plac. de Flandre , tom. IV, P" a45. Le comte De Ncny, dans le chap. 16, art. 5 de ses Mémoires, porte le nom- bre descoDseillers de longue robe à sept. 6 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE présidait le conseil-d'état ('). Dans toutes les matières à pro- poser à ce conseil , l'initiative appartenait au gouverne- ment. Le conseil-d'état décidait de la guerre ou de la paix 5 connaissait des relations politiques du gouvernement avec les puissances étrangères^ et disposait des dignités ecclésiastiques ou civiles et des principaux emplois (^Y Mais ce conseil n'était plus dans ces derniers temps qu'un corps infiniment honorable, mais sans aucune influence j car les attributions de l'ancienne constitution avaient insen- siblement passées au conseil-privé ou à des jointes suprê- mes (3), de sorte qu'à l'époque de l'impératrice Marie- Thérèse , les places de membres de ce conseil ne pouvaient plus être regardées que comme des récompenses accordées par le souverain à d'anciens conseillers, qui avaient fidè- lement servi le gouvernement. Les attributions du conseil-privé pouvaient se réduire à six espèces , savoir : prérogatives du souverain , législation , administration générale de la justice, contentieux sur les privilèges en matière de finances , consulte en matière de (') Plac. du 29 mars 1718, art. 5. Plac. de Flandre, tom. IV, P> 238 et 243. (^) Mémoires hist. et polit, du comte De Neny , tom. II, f» Sa, chap. 16, art. 4' (9) On appelait /oîn^M, ces réunions extraordinaires formées de plusieurs per- sonnes domiciliées dans diverses provinces et tirées de différens conseils , corps ou collèges , à l'effet de discuter certaines affaires d'un intérêt général. Les abus qui , à différentes époques de notre histoire , étaient résultés de l'usage de ces assemblées , les avaient fait proscrire à plusieurs reprises , notamment par décret du 17 mars 1659. Plac. de Flandre, tom. III, f" 91. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 7 bénéfices ecclésiastiques et recours eu grâce ou en rémis- sion, tant en matière civile qu'en matière criminelle ('). Les doutes qui pouvaient s'élever sur le vrai sens des lois et des ordonnances étaient levés par le gouverneur- général , conjointement avec les membres du conseil-privé. L'inter- prétation donnée en ce cas avait force de loi , et son effet principal était de rétroagir en ce sens , que la loi interpréta- tive se reportait par ses résultats au jour de la promulga- tion de la loi interprétée. Toute municipalité avait le droit de publier des ordon- nances. Ces actes étaient obligatoires dans leur ressort , de même que les lois générales. Elles ne pouvaient néan- moins préjudicier à des privilèges ou ù des 'droits légale- ment acquis. Ceux qui se croyaient lésés par de telles pu- blications pouvaient porter directement leurs plaintes au gouverneur ou aux membres du conseil-privé (2). H en était de même des réclamations des châtellenies , des com- munes et des particuliers , au sujet de la loi de recrutement et des exemptions de service y mentionnées. En matière d'impôts , les lois avaient jadis prononcé et depuis maintenu une foule d'exemptions en faveur d'indi- vidus naturellement fort jaloux de leurs privilèges. Les difficultés à cet égard avaient été jusqu'à la fin du 17"' siè- cle du ressort des tribunaux ordinaires j mais le prince , par (') Plac. du ig septembre 1725 , art. 12. Plac. de Flandre , tom. IV , f'° 246. (') {lèglcment du 7 août 1754 » *rt. io3, Plac. de Flandre , tom. V , f» 44^. 8 , SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE un avis du conseil-privé, daté du 12 décembre 1682 , évo- qua toutes ces causes pour y faire droit par lui-même (>). Lorsqu'on matière de bénéfices ecclésiastiques il y avait con- testation sur la nature delà pension , c'était au conseil-privé et non aux juges ordinaires qu'on devait s'adresser : la raison en était que dans toute matière où il s'agissait des privilèges du prince, la compétence du conseil-privé était de droit (2). Les attributions du conseil des finances étaient parta- gées entre quatre départemens, dont le premier pour les domaines , le second pour les aides et les subsides , le troi- sième pour les accises et le quatrième pour le commerce et les manufactures (3). Le trésorier - général assignait à chacun des conseillers le département dont il entendait que les soins lui fussent confiés. Des Finances de VEtat en général. Dans l'ancien droit , le domaine royal s'entendait de tous les revenus que le souverain percevait à l'occasion des aides et des subsides , des impositions publiques et des droits perçus au profit de l'état. Au contraire, le patrimoine du prince ne consistait que dans les ressources qu'il tirait de ses propres biens , des rentes dont il était propriétaire et des (■) Plac. de Flandre , tom. IIL f" i4%' {») Jurisprudence des Pays-Bas autrichiens, par Dulaury, tom. I, f» 494- (') Plac. du 19 septembre 1725 , art. lù^. Plac. de Flandre, tom. IV, f° 246. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 9 revenus qui lui appartenaient en propre. Ce que nous appe- lons aujourd'hui contributions , subsides , portait alors le nom de domaine royal , et ce qui portait anciennement le nom de patrimoine du souverain , s'appelle aujourd'hui domaine privé du prince. Des revenus que produisait le domaine , les uns étaient fixes et permanens , les autres tem- poraires et sujets à varier selon les circonstances des temps. Du Domaine. Le produit des terres domaniales et les aides et subsides faisaient partie de la première classe. Dans la deuxième classe étaient le produit des amendes , les droits d'aubaine , de bâtardise et d'épaves , les tonlieux , les biens vacans , les biens confisqués , les trésors enfouis dans la terre , le produit des mines et le profit résultant de la fabrication des monnaies. Tout ce qui provenait de la perception de ces droits formait le système général des revenus de l'état. Le conseil des finances avait , sous l'inspection du gouver- neur-général , la régie et l'administration de tous ces do- maines ('). Le souverain n'avait pas le droit de les aliéner sans le consentement des états provinciaux j il n'en avait la suprême administration , avec la faculté d'en percevoir les revenus , que dans l'intérêt du pays et à la charge de (') Constitution du 19 septembre 1725 , art. ig. Plac. de Flandre, tom. IV, lo SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE faire rendre bonne et loyale justiceà ses sujets ('). Il pouvait néanmoins les donner en gage pour sûreté des emprunts qu'il avait faits , et à cette fin , concéder les revenus en nature , pourvu cependant que cette concession n'aggravât point la condition de ses sujets , soit en augmentant la quotité des impôts, soit en rendant leur perception plus onéreuse. Cette concession des revenus provinciaux pou- vait être faite en faveur d'un particulier , d'une compagnie ou d'une autre province. Le souverain dans ce cas se réser- vait ordinairement la nomination des employés destinés à les percevoir, et le droit de surveiller leur administration 5 quelquefois aussi il abandonnait ces soins à la province en faveur de qui la concession était faite , ne se réservant que le droit de réprimer tout acte d'administration qui aurait pu préjudicier à ses prérogatives souveraines (2). Des Aides et des Subsides. Les aides et les subsides , appelés en flamand beden en subsidien , étaient des secours accordés au prince pour sub- venir aux frais de la guerre. Dans l'origine , ces secours n'é- taient que temporaires. On les accordait dans un pressant besoin , comme dans le cas d'une guerre intérieure ou d'une (') Loi du 27 juin 1786, voyez le préambule. Plac. de Flandre , tom. IV, f" 2o53. (■) Loi du 27 juin 1786, art. 9 et 11. Plac. de Flandre, tom. IV, f" ao53 et suiv. DES PAYS-BAS AUTRTCniENS. 1 1 agression étrangère; mais le retour de ces besoins réels ou fictifs étant devenu très-fréquent, et l'état de plus en plus sujet à des dé])enses extraordinaires , ces secours ont fini par former un état permanent de contributions , dont le système actuel n'est à quelques changemens près qu'une image plus ou moins fidèle. Il était de l'essence en matière d'aides et de subsides d'exiger une parfaite égalité entre les contribuables 5 c'est-à- dire , que celui qui , à raison de ses moyens, ne pouvait payer que jusqu'à 10, ne fût pas forcé de payer autant que celui qui, à raison de ses ressources, pouvait être imposé jus- qu'à 20. Cette valeur imposable était calculée d'après un grand nombre de données différentes : ainsi , dans l'assiette des aides et des subsides , on prenait pour bases les revenus des accises perçus dans chaque ville sur la bière, sur le vin , etc. 5 la valeur productive des biens-fonds situés dans les villes et à la campagne 5 la valeur locative des terres , des bois , des viviers , des bruyères et des alluvions nouvelle- ment découvertes 5 le produit des dîmes 5 les frais occasion- nés par la réparation des digues 5 la hauteur des rentes, des droits seigneuriaux, des redevances irrédimibles ou rache- tables , perpétuelles ou viagères dont les biens étaient chargés ; la situation des villes au bord des routes et des rivières ; l'emplacement des communes à proximité des vil- les , des canaux et des passages ; la valeur locative des mai- sons et des moulins tant en ville qu'à la campagne; le dé- nombrement des individus subsistant du travail de leurs 12 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE mains et de ceux qui étaient entretenus aux frais des pro- vinces j en un mot^ toute valeur tant négative que produc- tive quelconque , était prise en considération pour fixer la portion proportionnelle à charge de chaque endroit dans la totalité des impôts de la province. Le souverain n'avait pas le droit de lever des aides et des subsides de sa seule autorité. Il était tenu d'en faire la de- mande aux états de chaque province ou aux magistrats des villes qui étaient en possession de les consentir ou de les refuser ('). Dans les provinces, la proposition des aides et des subsides ne pouvait se faire qu'aux états légalement constitués. Dans les villes ou les districts qui jouissaient de ce privilège , la proposition était faite en général par le bailli au collège de la ville, composé à cet effet du bourg- mestre, des échevins et des députés des différentes jus- tices , communes et localités qui , de tous temps , avaient eu le droit d'assister à ces assemblées (2). Les résolutions de- vaient être prises à la pluralité des voix , non individuelle- ment, mais collectivement^ c'est-à-dire, que toute justice ou commune , quoique représentée par plusieurs individus , ne formait dans l'ensemble des votes qu'une seule voix. Lorsqu'il y avait divergence d'opinion entre les représen- tans d'une seule commune , ils étaient censés avoir adopté («) Droit Belgique , Deghewiet , tom. I, f" 176, art. 2. (") Règlement pour le quartier et le pays d'Arckel,du 1 3 juillet i655, art. 1". Plac. de Brabant, tom. iV , f" 3i5. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. i3 l'opinion émise par la majorité de toutes les autres com- munes. Les subsides étant ainsi accordés, l'assemblée des états ou le collège des villes expédiait à chaque châtelle- nie le tableau de sa quote part , avec ordre d'en faire la ré- partition individuelle. L'acte de cette répartition devait être retourné à la même assemblée , quatorze jours après. Les magistrats ou les officiers des communautés convain- cus d'avoir réparti de plus fortes sommes que celles accor- dées, ou d'avoir par séduction ou faveur surchargé une classe de contribuables au profit d'une autre , étaient con- damnés à restituer l'excédant et à payer une amende égale à la somme restituée. Dès que les aides et les subsides demandés par le prince étaient accordés par les états , leur répartition se faisait dans toute la province d'après une quotisation légale tou- jours en vigueur. Cette loi , formée sur les ressources effec- tives de chaque endroit , sur la richesse de son territoire son industrie, son commerce, en un mot sur toutes les bases productives dont nous avons donné l'énumération plus haut, s'appelait \acte de transport de la province. Cet acte était invariable : ainsi , dès le moment que la quotité générale des aides et des subsides accordés était connue, il n'y avait pas d'endroit qui ne sût pour quelle somme il de- vait y contribuer 5 tout ce qui restait à faire aux magistrats était de répartir cette somme entre les différens contribua- bles , et d'assigner la part de chacun. Du principe que les aides et les subsides devenaient le i/, SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE patrimoine du prince , résultait la conséquence qu'il n'était plus au pouvoir des états d'accorder quelque diminution à des contribuables qui étaient tombés dans l'indigence 5 il fallut que ces derniers s'adressassent directement au conseil- privé ('). Ceux qui prétendaient être exempts des aides et des subsides , ou qui , en vertu d'anciens privilèges , croyaient pouvoir se dispenser d'acquitter leur quote part , n'étaient admis à faire valoir ces motifs d'exemption que pour autant qu'ils produisaient les titres où ces droits et ces privilèges étaient consignés (*). Néanmoins , les habitans ou les communautés qui , de temps immémorial , avaient été en possession paisible de pareilles exemptions, ne pouvaient être contraints au paiement de leur quote part (3). Les officiers préposés à la répartition des impôts étaient nommés en vertu des anciens usages; leurs fonctions ne duraient qu'une année, et avant d'entrer en exercice, ils juraient de respecter les droits et les privilèges des habitans. Il leur était défendu de transiger soit avec des particuliers , soit avec des corporations , dans le but de les soustraire à la répartition de Timpôt. Pour faciliter l'exercice de leurs fonctions , les échevins étaient tenus de remettre aux em- ployés nouvellement nommés , les anciens registres , conte- nant les noms et les prénoms des détenteurs des terres , la (') Loi du 3i août 1682, art. 5. Plac. de Flandre, tom. III, f° 1407. (') Loi du 23 août i55o , in fine. Plac. de Flandre , tom. III , f» 877. (') Décret du aS mars i65i. Plac. de Flandre , tom. III , f» 386. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. iS contenance et l'étendue des exploitations. Le registre de Tannée précédente servait à régler la répartition du nouvel impôt. Cela n'empêchait point que les fermiers, dont les exploitations avaient subi des retranchemens dans l'inter- valle, n'eussent le droit de demander à être dégrevés, pourvu qu'ils eussent fait connaître leurs successeurs avant la fin de la répartition. Toute répartition d'impôts devait être terminée dans la quinzaine , à dater de la réception de la loi financière. Ce délai pouvait , dans les circonstances extraordinaires , être abrégé; dans ce cas, la loi fixait elle-même le terme en- déans lequel la répartition serait faite. Ce travail étant ter- miné, on mettait la perception des impôts aux enchères. L'adjudication avait lieu à l'hôtel-de-ville , en présence du conseil municipal ('). Dans la huitaine à dater de cette adjudication, le fermier était tenu de fournir une caution solvable , à peine de réadjudication à ses frais , et d'être en outre tenu de tous dommages-intérêts. La prestation de cette caution avait lieu devant le magistrat de la résidence des fermiers, quel que fut d'ailleurs le lieu de l'adjudication de la ferme (*). Avant d'entrer en fonctions , les fermiers , leurs associés , directeurs , collecteurs , commis , visiteurs et (') Rbglement du 6 novembre 1734» art. 5o. Plac. de Flandre, tom. IV, f° ago. (*) Dt'eret dn 7 novembre 167 1 , in principio, Plac. de Flandre , tom. III , fo 1487. i6 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE autres employés préposés à la perception des droits , étaient tenus de prêter le serment, chacun en ce qui touchait ses obligations, d'observer les lois sur la matière, et de se conformer aux règlemens existans («). Tous les frais d'exé- cution étaient à la charge du fermier et de la caution , lorsque le retard du contribuable pouvait leur être impu- té. Ils étaient aussi tenus à titre de débiteurs solidaires du paiement du prix de leur adjudication, sans pouvoir invo- quer aucun bénéfice judiciaire. Le magistrat avait le droit de faire vendre, après deux publications et sans autres formalités , tous les biens-fonds du fermier , de la caution et des certificateurs 5 néanmoins ces derniers n'étaient tenus qu'en sous ordre , et après discussion préalable des biens du fermier et de la caution. En général, les adjudicataires des impôts étaient person- nellement responsables du reliquat de leurs prédécesseurs. A ce titre, ils étaient tenus d'en faire opérer la rentrée dans les trois mois au plus tard du compte rendu par ces der- niers. Ils étaient en outre obligés de prendre à leur charge , toujours aux conditions mentionnées dans leur contrat pri- mitif d'adjudication , la rentrée de tous les impôts décrétés pendant le terme de leur gestion. Les versemens qu'ils étaient tenus de faire dans la caisse du receveur-général devaient l'être à leurs frais , sans aucune indemnité. Enfin , (') Règlement du 28 mai 1704 » art. 4- Plac. de Flandre , tom. IV , f" 468. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 17 ils ne pouvaient sous aucun prétexte, ni en vertu d'aucune ordonnance , distraire les deniers publics de leur destina- tion légale , pour les faire servir à d'autres objets 5 le tout à peine de rejet de leur compte , d'être tenus de tous dom- mages-intérêts et soumis au paiement de l'amende fixée par les lois. Il était d'ailleurs défendu à tous seigneurs , tant ecclésiastiques que laïques , baillis , greffiers , échevins , ser- gens, leurs serviteurs, préposés ou parens jusqu'au dixième degré de computation canonique inclusivement , de se rendre personnellement adjudicataires de la ferme des impôts, à j)eine de nullité et de folle enchère à leurs frais. Ceux qui , pour se soustraire à l'effet de ces lois , étaient convaincus de s'être rendus adjudicataires par personnes interposées , pouvaient de plus être condamnés au bannissement et à la déportation ('). Des Droits d'Entrée et de Sortie , de Transit et autres. Le troisième département du conseil des domaines et des finances avait pour objet l'administration générale des droits d'entrée et de sortie, d'emmagasinage, du transit , des licences , du droit de passeport et de visite ; en un mot de tout ce que le fisc percevait sur les arrivages et le transport des marchandises tant étrangères que nationales. (') yoyez sur tout cela le règlement pour le ressort rural de la Flandre , du 3o juillet 167a , art. i4 et suiv. Plac. de Flandre , tom. III , f" 356, i8 SUR L'ADMINISTRATION, GÉNÉRALE Les tonlieux étaient des droits qui appartenaient au souve- rain et faisaient partie de ses domaines. Il ne lui fallait pas le concours des états des provinces poxir les établir , ou pour en augmenter la quotité 5 mais le commerce avait le droit de réclamer contre leur établissement ou leur aug- mentation, lorsque ses intérêts semblaient compromis ("). Tout ce qui regardait cette branche importante des revenus publics rentrait dans les attributions du conseil des finan- ces. C'était ce conseil qui délivrait aux employés de toute espèce les commissions en vertu desquelles ils exerçaient leurs fonctions j qui leur accordait les permis d'absence momentanée 5 donnait aux employés les dispenses néces- saires pour faire quelque commerce ou trafic , et ratifiait les transactions dont le montant excédait certaines som- mes (2). Ce conseil avait le droit de faire publier des ordon- nances 5 de régulariser la perception de ces impôts et de veiller à leurs conservation. Les ordonnances émanées de cette autorité avaient cela de particulier , qu'elles étaient dispensées des formalités ordinaires de la promulgation. Pour les rendre obligatoires, l'administration n'était tenue à d'autres soins que de les faire afficher aux bureaux respec- (■) Plac. et tarif sur les droits d'entrée et de sortie du 2 octobre i585 , in fine. Flac. de Flandre , tom. III , f° i4i7* De'cret sur l'égalité des droits en Flandre et en Brabant , du 6 février iGgS. Plac. de Flandre, tom. IV, f° ^^3. (') Règlement du i5 février 1738, art. 19 et 44- Plac. de Flandre, tom. IV, f° 73a. # DES PAYS-BAS AUTRICniET (5) Rëglem. du 1 5 février i^SS , art. 43 , 56 et 68. Plac. de Flandre , tom. IV, ^732. ao SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE états des parties contractantes 5 sauf toutefois la défense à laquelle les Provinces -Unies s'étaient soumises , de ne porter aux puissances en état de guerre avec l'Espagne aucune marchandise de contrebande ('). L'art. 6 du traité de la marine du 1 7 décembre 1 65o , entre les mêmes puis- sances , a défini les marchandises réputées de contrebande : c'était toutes les munitions offensives de guerre , telles que canons , armes à feu , sabres , piques , affûts , poudres , che- vaux , harnais et autres habillemens militaires. Du reste les munitions de bouche en avaient été formellement excep- tées , à moins qu'elles ne fussent destinées pour les places , forteresses ou villes en état de siège , ou cernées par les troupes espagnoles. D'après le même traité , les marchandises des Provinces - Unies n'étaient soumises , dans les états espagnols , qu'aux mêmes droits que celles des sujets catholiques (2). Il en était de même à l'égard des marchandises expédiées aux Provin- ces-Unies par des sujets espagnols. Les franchises qui de tous temps avaient existé dans l'un de ces pays en faveur des sujets de l'autre , furent mainte- nues sur le même pied 5 les péages imposés durant la guerre sur le Rhin et la Meuse demeurèrent supprimés 5 en un mot , il fut défendu de mettre aucun obstacle aux relations mercantilles des deux peuples , dont l'un à l'égard de l'autre (') Plac. de Flandre, tom. III, f» lagS et suiv. i^) Traité de Munster , art. 8 , Plac. de Flandre , tom. Ill , f" 1296. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. ai devait jouir en matière commerciale d'une égale protec- tion devant la loi. Pour d'autant mieux assurer l'exécution de ces stipulations , il fut créé une chambre de commerce composée de juges choisis en nombre égal parmi les sujets des deux puissances. Cette chambre, ainsi composée^ devait résider alternativement dans l'un et l'autre pays, et veil- ler à la stricte exécution des conventions écrites dans le traité (■). Toutes les contraventions commises parles sujets des deux puissances , étaient jugées sommairement par les juges de ce tribunal, et les condamnations prononcées par eux devaient s'exécuter par les juges ordinaires de l'endroit où la contravention avait été commise. Le commerce dans ses relations avec le gouvernement et les autorités locales , était représenté par des assemblées de notables négocians appelées chambres de commerce. Ces institutions , qui ne paraissent pas remonter à une époque fort ancienne, avaient pour objet le bien-être du commerce en général. Les membres de ces assemblées étaient tenus d'écouter les plaintes et les représentations des commerçans ; ils devaient y faire droit en s'adressant à l'au- torité qui pouvait redresser les griefs allégués , ou arrêter les abus dont on se plaignait. Ces associations éclairaient l'administration dans sa marche. Celle-ci ne faisait rien sans les avoir consultées , et déférait souvent aux représentations (') Arl. ai du traité de Munster. Plac. de Flandre , tom. III , f" lagS. aa SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE qu'elle en recevait, comme à l'opinioa de personnes qui ^ mieux que toutes autres, devaient être instruites des be- soins réels du commerce et de l'industrie ('). Les membres de ces associations contribuaient eux-mêmes aux frais de leurs assemblées (*). A cet effet , chaque marchand en gros était tenu de se faire inscrire sur le registre de la chambre , et de payer par année une certaine rétribution en argent. Les courtiers , dont la nomination formait un privilège de la chambre , étaient également tenus de verser une certaine somme dans sa caisse. Les pouvoirs dont les chambres de commerce étaient investies ne se bornaient point à des l'eprésentations passives. Elles étaient autorisées à poursui- vre leurs droits contre les corporations des villes et contre les états des provinces 5 mais pour pouvoir intenter des ac- tions judiciaires à charge des états , les chambres avaient besoin de l'autorisation du gouvernement. Cette autorisa- tion leur était encore nécessaire lorsqu'elles voulaient faire des emprunts d'espèces à charge de la communauté. Les impôts dont le commerce était chargé, se percevaient à l'entrée et à la sortie du pays , par les routes de terre et de mer. Les droits perçus à l'entrée s'appelaient tonlieux , lastgeld et droit de navigation. Les magistrats , et même en plusieurs cas, les corporations particulières _, faisaient (') Octroi et règlement du 3i octobre 1729. Plac de Flandre, tom. IV, f° 665 et suiv. (') Décret du 5 mai 1751. Plac. de Flandre , tom. V, f° 81 1. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. a3 percevoir en outre à l'entrée des villes , des droits particu- liers plus ou moins élevés. C'est ainsi qu'à Gand les toiles rayées , fabriquées dans d'autres villes des Pays-Bas , étaient sujettes à un droit nommé pondgeld {^^ ^ et qu'à Alost les grains et les semences étaient sujets à un droit de louche , en faveur des religieuses de l'hôpital (^). La multitude de ces impositions particulières, ne permet pas d'en faire l'é- numération : il suffit de savoir qu'elles étaient en général et partout perçues au profit des villes. L'autorité adminis- trative était en droit de publier des règlemens pour en régulariser la perception , mais il n'appartenait qu'au gou- vernement d'autoriser les villes à en établir de nouveaux. Avant le règne de l'impératrice Marie-Thérèse , les pro- duits des manufactures nationales n'étaient pas exempts de ces droits perçus à l'entrée de presque toutes les villes des Pays-Bas 5 mais cette princesse a, par différentes ordon- nances , introduit en faveur de l'industrie nationale une exemption que la nature des choses et la j ustice réclamaient avec instance (3). Le commerce et les manufactures fournissaient encore aux provinces tout ce qui provenait des amendes encourues , et des prises faites pour contraventions aux lois sur les douanes (') Décret du i3 mars 175a. Plac. de Flandre , tom. V, f» 681. (") Décret du vx mai 1761. Plac. de Flandre, tom. V, f» 701. C) Décrets des 1 3 mars 175a et a6 juin ijSS. Plac. de Flandre, tom. V, f» 68a et suiv. a4 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE et le transit. Voilà en substance les matières qui formaient l'ensemble des attributions du conseil des finances. De la Chambre des Comptes et de ses attributions. Le privilège d'avoir une chambre des comptes fut garanti à la province de Brabant dès le quinzième siècle, par un article formel du pacte juré entre le peuple et le souve- rain ('). Cette institution a existé jusqu'en 1702, indépen- damment d'une autre de la même nature érigée en Flandre : mais elles furent à cette époque réunies pour la première fois en une seule par l'art. [\o de la constitution de Philippe d'Anjou. Cet état de choses ne dura point 5 mais la réunion des deux chambres fut derechef ordonnée par le décret du 1 6 octobre 17 35, et elle a continué d'exister sur le même pied. La chambre des comptes siégeait à Bruxelles. Elle était composée d'un président, de quatre maîtres des comptes , de deux auditeurs et d'un greffier (2). Les membres de cette chambre étaient immédiatement aux ordres du gouverneur- général. Leurs attributions consistaient à entendre les comp- tes du trésorier-général ; à vérifier l'état des paiemens et des recettes avec les pièces à l'appui 5 ils régularisaient la note des frais de justice à charge de Sa Majesté 5 et en parti- culier de ceux faits pour la détention des coupables. La (') Voyez la Joyeuse Entrtie de Philippe-le-Bel, du 9 septembre 1494' s*^- *5. Plac. de Brabant , tom. I , f" 184. ^>) Constitution de 1702, art. ^\. Plac. de Flandre, tom. IV, f" aSo, • DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. a5 chambre avait dans cette occasion à s'assurer si la détention des prévenus ou des condamnés n'avait pas été prolongée au delà du terme iixé par la loi 5 elle faisait, en cas d'affir- mative , retomber ces frais sur ceux qui étaient convaincus d'être les auteurs de ces détentions illégales. La chambre des comptes surveillait spécialement l'admi- nistration des domaines de l'état. Elle donnait son avis sur les arrentemens de la direction des eaux et forêts 5 sur les octrois pour des concessions de moulins , et elle assistait au besoin par commissaires à la ferme des droits de pâturage dans les forêts domaniales. La chambre des comj)tes n'avait en tout cas qu'un pouvoir de contrôle, consistant à redres- ser les erreurs et à constater les infidélités. Les actes des fonctionnaires comptables n'étaient d'ail- leurs soumis à ses investigations que par suite du renvoi ordonné par le gouvernement. Tous les receveurs ou comp- tables publics ne devaient reconnaître d'autre autorité que leurs supérieurs immédiats. C'est ainsi que les receveurs des communes, pour satisfaire à leurs obligations, n'étaient te- nus annuellement de rendre leurs comptes qu'au magistral municipal, en présence d'un commissaire envoyé par le col- lège du chef-lieu 5 que les receveurs des chefs-lieux n'avaient d'autre devoir à remplir , que de rendre les leurs aux mêmes époques, à un membre du conseil des finances ('), et que {') Règlement du 6 octobre 1706 , art. 126 et 143. Plac. de Flandre , tom. W, a6 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE le receveur-général de la province ne rendait le sien , en pré- sence d'un contrôleur , qu'aux conseillers députés par le con- seil des finances (»). Les comptes de ces divers fonction- naires étant ainsi rendus , mis en écrit et soutenus des pièces à l'appui , étaient envoyés aux membres de la chambre des comptes , qui , après vérification de tous ces documens , en constataient l'exactitude ou les erreurs ; d'où il résulte que le conseil des finances veillait à la rentrée des deniers pu- blics , tandis que la chambre des comptes se bornait à sur- veiller la gestion des officiers comptables. Des Loteries et de V Administration des Postes. Les loteries , l'administration des postes et les pensions dues par l'état rentraient encore dans les attributions du département des finances , quant aux produits soit en ren- dages, soit en amendes et en confiscations , qui pouvaient en provenir , et aux sommes dont l'état était débiteur. Pour remédier aux abus inhérens à des établissemens tels que ceux de loteries clandestines , il avait été défendu dès les temps les plus reculés à tout individu ou corporation d'ériger quelque association de ce genre , sans une autorisation préalable du gouvernement. Cette défense , renouvelée de temps en temps, l'avait encore été en dernier lieu par (') Règlement du 6 octobre 1706, cité ci-dessus , art. i45. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 37 une ordonnance du a5 juin 1763. Cette loi prononçait à charge des contre venans , outre la confiscation des deniers recueillis en fraude, une amende de 1000 florins (i). Les états de la province de Brabant jouissaient seuls d« droit de pouvoir ériger de nouvelles loteries , et cela pour se rembourser , au moyen des deniers recueillis à leur pro- fit , des avances qu'ils avaient faites au souverain (»). L'administration des postes était sous la surveillance immédiate du gouvernement ; les relais établis sur les dif- lërentes routes de l'état devaient avoir au moins chacun six chevaux. Ceux qui étaient établis sur les routes très-fré- quentées étaient dans l'obligation d'en avoir davantage. Les maîtres de postes jouissaient d'un assez grand nom- bre de privilèges. Ils étaient exempts de monter la garde , de fournir des chevaux de monture ou de trait , de con- tribuer dans le subside pour l'entretien de la cour, de payer les contributions sous le nom d'aides et de subsides , au moins jusqu'à concurrence de 10 ou de i5 bonniers de terre, selon la coutume du lieu. Ils étaient affranchis du droit de 20""= denier et de foyer , d'accises , de tonlieux , de passage sur les rivières , et des rétributions perçues à la tra- versée des ponts. Néanmoins leur privilège ne s'étendait j>as aux droits de vaquelage , de mouture et autres impôts (,) Loi du a5 juin i^SG. Plac. de Flandre, tom. V, f* 1 165 et suiv. (») Loi du i"] juin 1736, pi-éambule et art. 11. Plac. de Flandre, tom. IV, {*" 3061. «8 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE de la province. Ils étaient encore sujets au droit de barrière^ et tenus de loger les militaires en passage (■). Personne n'avait le droit de recueillir des lettres au pré - judice de l'administration générale , et de les transporter d'une ville à une auti'e à ses propres frais , sous peine de confiscation des chevaux , voitures , équipages ou bateaux de transport , et d'être en outre condamné à de fortes amendes. L'entière administration des postes avait été cédée aux états de Brabant par acte du 28 mai 1729, afin de rembourser aux Provinces-Unies une somme d'un mil- lion trois cent mille florins fournie au gouvernement de ce pays pendant la dernière guerre j indépendamment d'une autre somme de trois cent vingt mille florins due aux états de Brabant par le gouvernement d'alors. Cette concession avait été faite afin de faciliter le paiement de ces deux som- mes, au moyen d'une création de rentes hypothéquées sur ces revenus. A cet effet , le Prince de la Tour et T assis s'é- tait obligé de payer annuellement aux états de Brabant une somme de cent vingt-cinq mille florins courans , en in - demnité de la concession que les états lui faisaient de tous les revenus de l'administration des postes des Pays-Bas. Cette ferme lui donnait la faculté de nommer les directeurs, les contrôleurs et les autres employés nécessaires à la perception de ces droits j mais il ne pouvait les choisir que parmi les (i) Décret du i4 juillet 1761, et les suivans. Plac. de Flandre, tom. VI, f" 91^ et suiv» DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. ag sujets belges ou les étrangers naturalisés. Ces employés prêtaient respectivement serment eutre les mains des états de la province. Le fermier-général n'avait la perception de ces droits qu'à la charge de se conformer aux ordonnances et aux tarifs en vigueur , sans pouvoir, sous aucun prétexte, affecter ces revenus au paiement de quelque dette que ce fût. Les crédirentiers, ayant un droit réel sur ces revenus , pouvaient seuls , à défaut de paiement des arrérages , les arrêter entre ses mains ('). CHAPITRE IL De l'Administration générale des Provinces. — De l'Administration générale des Villes. — Du Personnel et des Attributions des Magistrats municipaux. ^ Du Receveur de la Ville. — Des Chambres Pupillaires. — Du Bailli et de ses Attributions. — De l'Administration générale du Ressort rural. — Du Per- sonnel et des Attributions des Collèges en chef. — Des Magistrats du Res- sort rural et de leurs attributions. i De r administration politique et municipale des Provin- ces en général. Nous avons parlé jusqu'ici du personnel de l'administra- tion formant le corps exécutif, ainsi que des attributions (') Loi du 28 mai 1729. Plac. de Flandre , tom. IV, f" 1459 et suiv. 3o SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE de ceux à qui le gouvernement confiait l'exécution générale des mesures administratives. Nous allons maintenant consi- dérer l'administration dans un ordre inférieur , mais non moins important. Chaque province avait des privilèges et des obligations 5 les villes closes des municipalités presque souve- raines , et le plat-pays , que nous nommerons souvent ressort rural ^ des administrations qui lui étaient propres. Ce chapitre se divise donc naturellement en trois sections : dans une première , nous traiterons de l'administration générale des provinces'5 dans une seconde, des règlemens administratifs des villes 5 et dans une troisième , de l'orga- nisation du ressort rural. De V Administration générale des Provinces. Chaque province avait, en son particulier, des assem- blées politiques , composées en général des membres dépu- tés par les ordres des ecclésiastiques et des nobles , et par les châtellenies , pays et métiers du ressort provincial. Ces assemblées constituaient les états de la province. Les matières sur lesquelles ces corps politiques étaient en droit de délibérer , regardaient principalement les aides et les subsides demandés par le gouvernement , et les besoins es- sentiels de la province. Les députés , légalement convoqués , étaient tenus de se rendre au jour fixé au lieu de leurs délibé- rations. Les membres présens avaient le droit de voter en l'absence des au très, et n'en obligeaient pas moins la généralité. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 3i Quant aux affaires courantes de la province , elles étaient traitées dans les réunions journalières des membres choisis dans le sein de l'assemblée générale. En Flandre , cette dé- putation était composée de deux membres pris dans l'or- dre ecclésiastique , et de plusieurs députés choisis parmi ceux qu'avaient envoyés à l'assemblée générale les villes, les châtellenies et les métiers de la province ('). Cette dépu- ta tion avait la direction des travaux publics 5 elle veillait à l'entretien et à la réparation des édifices ^ à la régie des im- pôts de la province, et en général à toutes les matières admi- nistratives qui requéraient une surveillance permanente (2). Le nombre des membres de la députation, ainsi que les attributions et les fonctions administratives de ce corps , étaient déterminés par un règlement particulier (3). Leurs fonctions expiraient au bout de trois ans. Le secrétaire de ce corps était nommé par l'assemblée générale des états ; et comme ses fonctions ne duraient également que pendant trois ans , elle était tenue de procéder à la fin de ce terme à la nomination d'un nouveau secrétaire, à moins que l'an- cien n'eût obtenu du gouvernement la faculté de continuer ses fonctions au delà du terme fixé par les règlemens. Ce secrétaire ne pouvait avoir ni entretenir aucune relation (') Loi du 5 juillet 1^54 , art. 3. Plac. de Flandre , tom. V , f" 342. {*) Loi du i8 octobre 1^55 , art. i. Plac. de Flandre , tom. V , f» 35i. (») Loi du 5 juillet , art. 3 et 4» Plac. de Flandre , tom. V , f» 342. 3i2 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE avec les corps politiques représentés dans la députation ('). Il y avait dans chaque province un receveur-général , et dans chaque ville ou commune un receveur particulier. Ce dernier était tenu d'adresser tous les mois , au receveur- général ^ un état ou bilan des recettes et des dépenses faites pendant cet intervalle. Ce bilan montrait la situation des caisses et fournissait au receveur-général des renseignemens positifs , qui le mettaient à même de pouvoir disposer par des assignations au porteur des sommes dues aux créanciers de la province , sans exposer ces derniers à des refus de paiement, faute de provision. Le receveur-général était tenu , à son tour , de remettre tous les mois aux membres de la députation un semblable état ou bilan de ses recettes et de ses dépenses. Les recettes et les paiemens faits par ce dernier étaient portés sur un journal qui servait de régulateur pour les comptes que ce fonctionnaire était dans l'obligation de rendre aux commis- saires de Sa Majesté. Ces comptes se réduisaient à trois chefs , savoir : recettes et dépenses en matière d'aides et de subsides ; contribution établie pour l'entretien de la cour , et recettes et dépenses en matière de revenus provinciaux. La députation de la province était tenue de prescrire au rece- veur-général le mode à observer dans la tenue de ces comp- tes respectifs. Outre les objets déjà mentionnés le receveur- (') Loi du 5 juillet 1754, art. 5 et 8. Plac. de Flandre, tom. V, f° SSg etsuiv. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 33 général était encore chargé d'acquitter les arrérages des ren- tes hypothéquées sur les svdjsides et sur les revenus de la province , ainsi que de faire le remboursement des capitaux de ces rentes , dans les cas prévus par les règlemens particu- liers (>). Il y avait de plus un receveur ou trésorier- général pour toute l'étendue du ressort rural de chaque bailliage ou châ- tellenie. Ce receveur était tenu de résider au chef-lieu; et c'était dans sa caisse que les receveurs des communes étaient tenus de verser, aux époques fixées par les rè- glemens , le produit intégral de leurs recettes. Aucun rece- veur n'avait le droit de faire des paiemens , si ce n'est sur le vu d'une ordonnance émanée de l'assemblée générale et signée par trois membres au moins de la députation. he compte des revenus et des dépenses générales de la province devait se faire aux commissaires de Sa Majesté. Le jour fixé pour l'audition de ces comptes était rendu public au moins huit jours d'avance , et les villes , chàtellenies , pays et métiers intéressés, pouvaient en conséquence envoyer des députés pour y assister à leurs frais (2). En matière d'impôts , les contestations entre les redeva- bles et l'administration étaient du ressort de la justice or- dinaire du lieu de la contestation. Mais les différends en- (■) Loi du 18 octobre 1755, ci-dessus, art. 6,7,8,9, 10, 11 et i5. Plac. de Flandre , tom. V , P" 35a et suiv. (') Loi du 5 juillet 1754. Plac. de Flandre , tom. V , art. i3 et i8 , P 339. 6 34 SUR L'ADMINISTRATION GENERALE tre les commis, les fermiers et l'administration, ne pou- vaient être vidés que dans rassemblée des états , par les membres du district où la contestation avait eu lieu ('). Du personnel et des attributions des Magistrats jyTunicipaux. En général, l'administration intérieure des villes était composée d'un bourgmestre, de plusieurs échevins et d'un collège municipal. Il y avait en outre des offices de secré- taire _, dont le nombre était fixé d'après l'étendue , les be- soins et la population des villes. Dans la capitale de la Flandre orientale , il y en avait dix qui devaient être licen- ciés en droit (^). Les bourgmestres et les échevins formaient le corps administratif, appelé dans nos anciens usages et coutumes la justice cii>ile ou la loi. Les membres de ce corps étaient nommés tous les ans par le souverain. A cet effet, le collège présentait les candidats ayant les qualités requises , et le prince faisait son choix parmi le nombre 5 à cet égard, les privilèges des villes n'étaient point uniformes : la présentation ainsi que la nomination devaient se faire selon les coutumes locales et les usages en vigueur. Avant d'entrer en fonctions , les échevins étaient tenus de prêter , (') Règlement du 19 septembre i6i4 , art. 18. Plac. de Flandre^ tom. V, f" 35o. {■') Plac. de Flandre ,tom. IV , f» 10 10 et 102 1. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 35 chacun en j)articulier , entre les mains de Sa Majesté ou de son commissaire délégué à cet efiet, le serment suivant : rt Je jure de n'avoir rien donné ni promis de donner pour V obtenir cette place , d'être fidèle au souverain de ce pays , » de faire observer et de défendre ses droits et prééminen- » ces souveraines , les principes de la religion catholique V romaine et les lois de l'état. Je jure de ne divulguer au- w cune des affaires du magistrat^ et d'être le protecteur » constant des veuves et des orphelins , d'administrer à tout w le monde , sans distinction de richesses ou de condition , w bonne et loyale justice, sans haine ni faveur, sans pré- V vention et sans intérêt des choses de ce monde ; ainsi Dieu V m'aide et tous ses saints ('). v Les conditions d'éligibilité étaient en général d'être bour- geois de la ville 5 d'avoir sa résidence au lieu de ses fonc- tions , de n'être ni fonctionnaire ecclésiastique ni civil au service d'un prince ou de quelque seigneur particulier 5 de n'être revêtu d'aucune place telle que celles de capitaine de la garde bourgeoise , de commis des impôts de la ville ou du ressort rural ; de n'être ni bailli ni greffier de quel- qu'endroit de la châtellenie , ou major dans une grande ville 5 d'être issu de légitime mariage et faisant profession de la religion catholique romaine (>). (') Concession Caroline pour Gand, art. 7. (') Décret du a8 avril i655 , et rbgl. pour la ville de Bruxelles , du aS octobre 1619, art. 5. Plac. de Flandre, tom. III , p. 104. Plac. d« Brabant, tom. IV , f> 387. 36 SUR L'ADMINISTRATION GENERALE De plus, les échevins entre eux ne pouvaient être ni parens ni alliés au degré de cousins germains. Ils ne pouvaient être réélus que deux ans après l'expiration de leurs fonctions; mais ils faisaient de droit partie du collège municipal, et en cette qualité ils étaient tenus de s'assembler toutes les fois qu'ils en étaient légalement requis. Il leur était en outre défendu, sous peine de correction, de se rendre adjudicataires de la ferme des impôts , ou d'accepter la nomination à des places de receveurs ou de comptables publics. Les bourg- mestres et les échevins en fonctions étaient spécialement chargés de veiller à l'exécution des conditions que nous venons d'énumérer ('). Les assemblées des échevins devaient avoir lieu aux jours fixés par les règlemens des villes. Le bourgmestre , ou en son absence le premier échevin , avait la présidence , et en cas de partage , son vote faisait prévaloir l'opinion en faveur de laquelle il s'était prononcé. Lorsque l'importance des affaires l'exigeait , le bourg- mestre avait le droit de convoquer extraordinairement le magistrat^ et chacun des membres devait déférer à cette invitation , sous peine d'encourir l'amende ordinaire ou tout autre à arbitrer au gré du bourgmestre, selon la gravité des cas (^). Les échevins encouraient également la (i) Règlement pour la ville de Bruxelles , du 18 février i545 , art. 4« Plac. de Brabant , tom. IV , f° 278. (») Règlement de Courtray du 1 1 mai 176^ , publié le 7 août suiv. , art. 4- DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 37 peine d'amende lorsqu'ils s'absentaient de la ville sans cause légitime ou sans permission expresse. Ils étaient même eu ce cas passibles de dommages et intérêts pour le préjudice que leur absence avait pu causer à la chose publique. L'a- mende était encore prononcée contre tout échevin qui ne se rendait point aux séances à l'heure marquée , ou qui , après s'y être rendu , les quittait avant le temps fixé pour la clôture. En général , les résolutions des collèges n'étaient valables que j)our autant qu'elles eussent été prises par la moitié des membres présens , et à la majorité des suffrages. Ces ré- solutions étaient consignées par le pensionnaire dans un registre particulier , appelé livre des résolutions. Ce fonc- tionnaire était tenu en même temps de faire mention du nom des échevins présens , ainsi que de la cause qui avait donné lieu à la résolution. Tous les membres du magistrat, y compris les secrétaires , pouvaient en tout temps consul- ter ce registre , ainsi que les comptes tant généraux que particuliers , pour s'éclairer sur la marche de l'administra- tion; mais il fallait l'autorisation du bourgmestre ou du collège pour en faire des copies (•). Dans les assemblées, À* chaque membre devait tenir le rang et occuper la place que lui assignait l'ancienneté de son serment. Tous devaient (') Règlement pour la ville de Gand , du 6 novembre 1734, art. 3. Plac. de Flandre , loin. IV , f" 291. ^ 38 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE opiner séparément , à peine de nullité de la délibération ('), Il y avait des règlemens, et notamment celui d'Alost, d'après lesquels aucun membre ne pouvait être présent à la délibé- ration des affaires qui regardaient quelqu'un de ses parens ou alliés au deuxième degré de supputation canonique. Toute délibération prise après la clôture de l'assemblée , par ceux qui s'étaient permis de demeurer en chambre,, était radicalement nulle , et de fortes amendes étaient pro- noncées à leur charge. Chaque municipalité devait faire choix d'une ou de plu- sieurs personnes particulièrement versées dans la connais- sance des lois et des usages , afin d'assister les échevins dans l'expédition régulière des affaires contentieuses : ces fonc- tionnaires portaient le nom de pensionnaires. Ils avaient la direction du contentieux de l'administration , on leur en- voyait les procès que la ville avait à soutenir , et qui étaient en état d'être jugés , pour en faire leur rapport dans l'as- semblée du collège , après avoir pris l'avis des avocats à ce commis (2). Ces procès étaient transcrits sur un registre , et les pensionnaires tenaient note de l'état des causes , pour qu'en tous temps il fût possible de prendre information à cet égard. La correspondance et la préparation des dépê- ( I ) Règlement pour les deux villes et ie pays d'Alost, du 5 décembre 1 680, art. 4- Plac. de Flandre, tom. III, f° 3oi. {») Règlement particulier pour la ville de Gand, du 13 avril 1666 , art. 2. Plac. de Flandre , tom. III , f° i368. PES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 39 ches nécessaires étaient un travail plus spécialement dans les attributions des pensionnaires, Ils étaient en outre chargés du soin de donner leurs conseils toutes les fois qu'ils en étaient requis. Le droit de présenter des candidats pour remplir ces places appartenait au magistrat 5 celui de nomination à Sa Majesté. Les magistrats des villes avaient l'administration , la surveillance et la juridiction en matière de jxîlice. Ils étaient tenus de publier et de faire exécuter les lois et les ordonnances émanées de Sa Majesté , encore bien que ces lois prononçassent des peines ou ordonnassent la confisca- tion de biens , effets ou marchandises. Il n'était point per- mis cependant de violer en ce cas les privilèges des villes et des provinces ('). Les établissemens de bienfaisance, les confréries , les chambres de rhétorique , les assemblées de métiers , ainsi que les biens et le sort des pauvres étaient sous leur surveillance. Ils avaient à cet égard le droit d'en- tendre tous les ans les comptes des receveurs j de procéder j)ar voie d'adjudication publique à la location des biens dépendans des hosjûces , et de faire des ordonnances , en forme de règlemens , sous l'approbation de Sa Majesté (=•). Lorsque les administrations des pauvres n'avaient pas de (') Concession Caroline poar Gand. Recueil des Coût, de Flandre, f° 6, art. 23. {') Plac. du 3o septembre i65i , art. 5. Plac. de Flandre, tom. III, f« 3f\. Règlement du ao mai lôSg, art 238. Plac. de Brabant, loni. IV , P> 25g. 4o SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE revenus suffisans pour pourvoir à la subsistance des nécessi- teux de l'endroit , c'était au magistrat de consentir une levée de subsides suffisante , et d'y faire contribuer tous les habitans, tant ecclésiastiques que séculiers ('). L'administration des revenus de la ville était principale- ment du ressort des collèges. Aucun mandat de paiement ne pouvait être ordonnancé qu'en pleine assemblée et à des jours de la semaine spécialement fixés à cet effet. Il était tenu un registre particulier de tous les paiemens faits dans l'année , ainsi que des i^ecettes renseignées par les trésoriers , les commis ou les receveurs particuliers (^). Aucune dispo- sition relative au transport ou à l'aliénation des immeubles et autres biens de la ville ne pouvait avoir lieu sans Fin- tervention du collège , et sans agréation spéciale de Sa Ma- jesté. Il en était de même des emprunts de quelqu'impor- tance à charge de la ville. Le collège ne pouvait prendre de mesures définitives , ni les trésoriers ou receveurs agir en conséquence , avant que la résolution n'eût été dûment au- torisée par le souverain (^). La location de ces biens ne pouvait se faire qu'en adjudication publique, au plus offrant et dernier enchérisseur 5 mais les bailleurs avaient dans ce (') Règlement du 21 mai 1751 , art. 4- Plac. de Flandre, tom. V , f° 1069. (') Règlement du 6 novembre 1784, art. 5 et 7. Plac. de Flandre , tom. IV , f° 292. (^) Règlement du 20 mai lôSg j art. 21 et suiv. Plac. de Brabant, tom. IV , f» 259. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 4t cas la faculté de n'admettre que des personnes d'une solva- bilité reconnue , et d'éloigner celles qui ne présentaient au- cune garantie (,). Les magistrats municipaux avaient la direction des édi- fices publics. Ils étaient tenus de veiller à ce que le mode prescrit pour les constructions des murs et des maisons , la direction des gouttières et des cheminées , fut dûment ob- servé (^)5 enfin, la surveillance et la direction des hôpitaux rentraient aussi dans le ressort de leurs attributions. Ils avaient en conséquence la nomination des directeurs de ces établissemens , et le pouvoir de les obliger à rendre leurs comptes aux époques fixées par les réglemens particuliers (sV Les magistrats municipaux connaissaient, comme juges, de toutes les actions personnelles , réelles et mixtes , et des crimes , délits et contraventions commis dans le ressort ju- diciaire de leur district. La connaissance de tous les mandats d'arrêt décernés par les officiers de Sa Majesté leur était exclusivement dévolue. Ils avaient en outre le pouvoir de prononcer le bannissement contre les délinquans ou les malfaiteurs , et d'étendre cette condamnation , d'après les (i) R^glement du 20 mai 1689 , art. 3 et 4- (') Décret du a8 septembre 1715, art. i" etsuiv. Plac. de Flandre , tom. V , P» 1127. (3) Règlement pour les hôpitaux de Bruges, du 24 janvier 1762. Plac. de Flan- dre, tom. V , f» 48. 4a SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE circonstances , à la ville , au ressort de la cliàtellenie ou à la province entière ('). Les magistrats municipaux ne pou- vaient rendre des ordonnances nouvelles , porter atteinte aux statuts et usages anciens , ni changer les règlemens de police en vigueur , sans l'intervention du grand-bailli et le consentement de Sa Majesté. Ce consentement était égale- ment nécessaire pour établir des impôts nouveaux, ou maintenir les anciens au delà du terme fixé par la loi. Il en était de même pour toute aliénation de biens appartenans à la ville. Le tout à peine de nullité des charges établies , des ordonnances rendues , ou des aliénations consenties (^). Il y avait dans les villes un grand nombre d'offices dont les magistrats pouvaient- disposer par vente à l'enchère au plus oflfrant. De ce nombre étaient les offices des huissiers , des messagers , marqueurs et mesureurs de toiles et de blé, des chargeurs et des crieurs de jour et de nuit , brouettiers de bière, etc., et d'autres places dont la col- lation appartenait conjointement aux échevins et au bailli , lorsque ce dernier avait droit d'y intervenir. Ces dernières places étaient celles des pensionnaires et des secrétaires des villes, des commis des 20"**, des receveurs des pauvres, des écoles gratuites et des hôpitaux , des clercs de la trésorerie , (') Concession Carol. pour Gand, art. i5 et i6; voyez Recueil des Coût, de Flandre. {') Règlement pour la ville de Nivelles, du i" février i663. Plac. de Brabant, art. 43 , tom. IV , fo 307. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 43 des greffiers et des solliciteurs de la chambre des pauvres , maîtres des maisons d'orphelins, greffiers de lois subal- ternes, procureurs, major» et portiers des villes, visiteurs du pain , etc. Toutes ces places étaient sujettes à des ré- tributions en argent , appelées taxes d^ojjices , assez im- portantes. C'est ainsi que le premier pensionnaire à Gand était sujet â une taxe de 18000 florins de change; le second à une taxe de 5ooo florins , et ainsi de suite, jusqu'aux ])ortfers de ïa ville . dont la rétribution d'office était de cent florins (,). Du Recei^eur de la paille. Dans le système de notre ancien gouvernement, on ne confondait point le receveur particulier d'une ville avec l'amodîateur des droits de la ville , ni avec le trésorier de la châtellenie ou du bailliage, dont il sera question ci-après. Le receveur de la ville était nommé par Sa Majesté 5 l'a- modîateur des droits n'obtenait sa place que par suite d'atie adjudication publique. Le receveur d'une ville n'avait d'autre recette à faire que celle des deniers appartenans à la ville ; le trésorier de la châtellenie ou du bailliage, d'autres deniers à recevoir que ceux du ressort rural , qui , par intermédiaire des receveurs (•) Règlement du 6 novembre 1734. Plac. de Flandre, tom. IV, P» 3oo. 44 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE des bourgs et des villages, étaient versés dans sa caisse ('), Le receveui' était tenu de faire tous les ans ses comptes en présence du magistrat, des commissaires députés par le gouvernement et des seigneurs laïques ou ecclésiastiques , qui , d'après l'usage ou leurs privilèges , avaient droit d'in- tervenir dans ces opérations (=?). Ces comptes devaient con- tenir , à l'article des recettes , tous les revenus de la ville , tant ceux provenus des impositions particulières , telles qu'accises et autres droits , que des contributions nommées aides et subsides 5 à l'article des dépenses , tous les paiemens en nature ou les obligations , acquits et autres documens qui pouvaient en tenir lieu. Le receveur était tenu d'af- firmer sous serment la légalité de son compte , et de n'y avoir rien inséré qui ne fut conforme à l'exacte vérité. A l'article des recettes^ il était tenu de renseigner l'intégralité des quotes réparties, à moins qu'il ne justifiât que telles sommes non reçues étaient irrécouvrables. Tous les paiemens qui n'étaient pas dûment justifiés ne pouvaient être admis. Néanmoins , ceux qui croyaient avoir à se plaindre de ces opérations , pouvaient présenter leurs griefs au commissaire de Sa Majesté , et faire valoir dans une requête les motifs de leurs réclamations. Le commis- (>) A cet égard , uoj'ez l'art. 4 du règlement du i3 septembre 1664, pour les deux villes et le pays d'Alost. Plac. de Flandre , tom. III , f» 297. (») Règlement du 8 avril 1720, art. get 10. Plac. de Flandre, tom. IV, £"531. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 45 saire ayant reconnu l'abus ou l'erreur , était autorisé à le redresser; mais cette rectification ne pouvait avoir lieu qu'en portant au crédit de l'année suivante , les sommes qu'on avait illégalement rayées du compte précédent ('). Comme lesreceveurs ne demeuraient en fonctions que pour le même terme que les magistrats, le successeur du rendant était tenu de faire rentrer le reliquat dont ce dernier était resté redevable , ou de lui payer ce dont il était demeuré créancier. Aucun receveur n'était autorisé à effectuer des paiemens , si ce n'est sur des ordonnances résolues en plein conseil , et contre-signées par le bourgmestre ou par plusieurs mem- bres du magistrat 5 sauf néanmoins les recettes en matière de subsides , dont il n'était que le trésorier , et comptable vis-à-vis du gouvernement. Dans plusieurs villes , ces man- dats ou ordonnances de paiement étaient délivrés à la charge du trésorier , commis ou receveur des fonds sur lesquels la dette était affectée ; et cela , à peine de nullité et de rejet des paiemens faits en contravention. Ainsi le cré- direntier qui avait des arrérages à recevoir d'une rente af- fectée sur les aides et les subsides , ne pouvait , même en vertu d'un mandat d'ailleurs en forme , se faire payer par l'amodiateur des droits de la ville. Cette mesure avait été établie pour prévenir la confusion dans les opérations finan- (') Rëglemcnt du 28 mai 1704 , art. 80 et 81. Plac. de Flandre, ton». IV , fo 438. 46 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE cières de la communauté ('). Les originaux des comptes, avec les pièces et les documens à l'appui , restaient déposés dans les archives de la ville , et les doubles étaient envoyés à la chambre des comptes pour y être définitivement véri- fiés. Quoiqu'en général il n'y eût qu'un seul receveur par ville, rien n'empêchait d'en augmenter le nombre lorsque les be- soins de l'administration l'exigeaient. L'importance de la recette et des paiemens avaient engagé la ville de Bruxelles à porter le nombre de ses receveurs à quatre ; mais il fut réduit à deux, en Tannée 1704. L'un était plus spéciale- ment préposé aux paiemens des gages des employés , des sommes dues pour livraisons faites à la ville , et pour d'au- tres dépenses de cette nature 5 Tautre n'avait pour toute at- tribution qu'à effectuer les paiemens des arrérages de rentes à charge de la ville (=). A chaque renouvellement du ma- gistrat de Bruxelles , le plus ancien des receveurs était rem- placé par le plus jeune , et la ville procédait au remplace- ment de ce dernier. Cette nomination était faite par les chefs ou députés des nations , parmi les cinq candidats présentés par le magistrat municipal. Ces deux receveurs opéraient leurs paiemens avec les deniers versés dans leurs caisses par Tamodiateur des droits de la ville. Pour sûreté de leur ges- tion , ils étaient tenus de fournir un cautionnement en nu- (') Règ. du 6 nov. 1734, art. 8. Plac. de Flandre, tom. IV, f" 390. (') Règlement du i4 août 1704, art. 6. Plac. de Brabant, tom. VI, f° 302. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 4? inéraire. Le receveur ou payeur des rentes de Bruxelles faisait alficher , tous les deux mois , les époques des paiemeus et les termes des arrérages qu'il était autorisé à payer. Pour assurer l'exactitude de ces paiemens , il avait le pouvoir d'exécater directement Tamodiateur , pour les paiemens qu'il était tenu de faire ; et les rentiers avaient à leur tour le droit de procéder par voie de sai- sie, à charge du receveur, au paiement des arrérages exigibles aux époques fixées par l'annonce ci-dessus men- tionnée. Des Chambres Pupillaires. Il y avait dans la plupart des villes des chambres pupil- laires , composées de plusieurs membres assistés d'un nom- bre suffisant de greffiers. Les attributions de ces chambres consistaient à recevoir aux jours de leurs assemblées les comptes , états de biens et liquidations touchant la for- tune des mineurs 5 d'accepter en dépôt les effets mobiliers appartenans à ces derniers 5 d'autoriser leurs tuteurs à re- cevoir les capitaux des rentes , et à procéder à la vente des biens dépendans de leur gestion pupillaire ('). (') Règlement du 27 novembre 1726, art. i. Plac. de Flandre, tom. IV, P>5o3. Règlement du iisepterabre 1751, nrt. laet i3. Plac. de Flandre, tom.V, P" 1109 etsuiv. 48 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE Les membres de cette administration étaient tenus de suivre la coutume du lieu où ils exerçaient leurs fonctions, et de recevoir le serment des tuteurs nommés par les éche- vins. L'un des premiers actes de la gestion des tuteurs con- sistait à fournir à la chambre un état détaillé des biens du mineur, et de le faire inscrire sur le registre tenu à cet effet. Les contrats de rentes et autres documens importans étaient , à la requête des membres , mis en dépôt dans les archives de la chambre. Les tuteurs étaient tenus de rendre tous les deux ou trois ans , en présence des membres de la chambre , assistés d'un greffier et des principaux parens du mineur, un compte détaillé de leur gestion. Ce compte, dûment vérifié et arrêté, devait être transcrit sur un registre - journal ('). A Oudenarde , les membres de cette institution con- naissaient de plus en matière de succession des états de biens, liquidations, comptes et partages 5 ils procédaient à l'estimation et à la vente des effets des mortuaires , et tenaient des registres où tous ces actes étaient inscrits à l'ordre de leurs dates. Dans les villes où il n'y avait pas de règleraens relatifs à l'érection d'une chambre pupillaire , les fonctions en étaient remplies par quelques membres du magistrat municipal. De là est venu, la dénomination d'échevins des parchons , pour désigner les officiers municipaux chargés (i) Coutume de Courtray. Rub. i6. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 49 de veiller à l'exécution des lois sur les biens des mineurs et la liquidation des mortuaires ('). Du Bailli et de ses attributions. Le bailli était un officier royal revêtu de fonctions tout à la fois politiques , administratives et judiciaires. Il était nommé par Sa Majesté pour veiller au maintien de ses droits souverains. Ce fonctionnaire participait, dans l'ordre politique et administratif, à une partie du gouvernement intérieur des villes. En cette qualité , il avait droit d'être avec le magistrat municipal , dépositaire des clefs des portes 5 de participer au commandement et à la garde de la ville , ainsi qu'à la confection des ordonnances relatives au main- tien de la tranquillité publique. Il avait en outre le droit d'intervenir dans les assemblées des collèges, d'assister à l'audition des comptes du magistrat , de participer à la colla- tion de certains offices , et d'intervenir dans la nomination des juges et des doyens de métiers. Les attributions judiciaires des baillis consistaient à rechercher les crimes , à arrêter les coupables , à in- struire leurs procès , à pourvoir à leur garde , et après avoir fait prononcer leur condamnation , à en ordonner l'exécu- tion conformément aux lois criminelles (2). Leur juridic- (') Concession Caroline pour Gand, .nrt. 16. f^oyez Coutumes de la Flandre. ('} Coutume d'Anvers , art. 4. Recueil des Coût, de Brabant. 8 5o SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE tioa s'étendait aux étrangers comme aux régnicoles; en conséquence, ils pouvaient lancer des mandats d'arrêt , tant en matière civile que criminelle , et requérir à cet efFet l'as- sistance des échevins. La poursuite de toutes les amendes prononcées pour délits ou contraventions rentrait également dans le cercle de leurs attributions 5 et de toutes les recet- tes qu'ils opéraient en conséquence , ils devaient rendre compte aux commissaires du gouvernement ('). En cas de mort violente , c'était à leur requête que l'inspection du cadavre avait lieu. Au surplus , toutes les attributions propres aux baillis l'étaient également aux sous-baillis , en cas d'absence ou d'empêchement des premiers. De V Administration générale du Ressort Rural. Pour avoir une idée bien distincte de l'administration du ressort rural , il faut se représenter chaque province divisée en plusieurs arrondissemens territoriaux , connus sous les diverses dénominations de châtellenies , quartiers , verges , métiers, juridictions seigneuriales. Ces arrondissemens ren- fermaient des villes gouvernées par leurs propres magistrats , et des ressorts ruraux soumis à des administrations qui leur étaient particulières. Ces administrations , qui portaient en Flandre le nom de collèges en chef, réunissaient tous (') Concession Caroline pour Gand , art. 45. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 5i les pouvoirs attachés à la haute administration du pays. Chaque commune avait en outre , pour diriger ses intérêts privés, à peu près les mêmes magistrats qu'une grande ville. Le ressort rural doit donc être considéré sous deux points de vue : sous celui des corps administratifs établis au siège de chaque arrondissement, et sous celui des magistrats municipaux préposés à l'administration des communes. Ainsi , nous diviserons ce qui nous reste à dire à ce sujet en deux parties , dont la première sera consacrée au person- nel et aux attributions des collèges en chef 5 et la seconde , au personnel et aux attributions des magistrats munici- paux. Du Personnel et des Attributions des Collèges en Chef. Les collèges en chef des ressorts ruraux étaient compo- sés de plusieurs échevins , d'un certain nombre de pension- naires et de hauts répartiteurs. Les conditions requises pour être nommé à la fonction d'échevin ou de répartiteur , étaient d'avoir son domicile dans le ressort rural de la châ- tellenie, d'être seigneur d'une paroisse, d'extraction noble ou propriétaire d'un certain nombre de bonniers de terre situés dans le ressort ('). Les attributions des collèges en chef avaient spéciale- ment pour objet l'administration intérieure , la décision ju- (') Règlement dugavril i68t , art. i et a.Plac. de Flandre, tom. III, f<>3iq. 52 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE diciaire des contestations sur les aides et les subsides 5 la nomination des employés à la recette des droits provinciaux , ainsi que la connaissance en première instance de toutes les difficultés élevées à ce sujet ('). Ces collèges avaient de plus le droit de poursuivre la rentrée des deniers publics , d'entendre les comptes des communes , et de surveiller l'administration des travaux publics. Toutes les contesta- tions élevées au sujet de ces matières , étaient terminées sans forme de procès et sans frais judiciaires. A cet effet, il était défendu à tous les tribunaux de prendre connaissance de pareils différends, à l'exception néanmoins des contesta- tions entre plusieurs châtellenies 5 des prétentions élevées par des entrepreneurs , et des causes en matière de prise à partie (^). Ces derniers différends étaient de la compétence des cours provinciales. Les collèges en chef étaient tenus d'observer dans leurs assemblées les mêmes formalités prescrites en pareils cas aux simples magistrats municipaux. Les communes dépendantes du ressort rural, qui, du chef de quelque dommage public, avaient des indemnités à réclamer , devaient en adresser la demande au collège dans le terme de six semaines au plus tard (3). (') Cahier des charges du i8 février 1702 , art. 64" Plac. de Flandre, tom.IV, fo 984. (») Loi du I" septembre 1749' Plac. de Flandre, tom. ¥,£" 872, art. iietsuiv. (') Règlement du 9 avril 168 1 , art. 7 et 8. Plac. de Flandre, tom. III, f° Sig. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 53 Les pouvoirs judiciaires dont ces administrations étaient investies , rendaient leurs ordonnances obligatoires. Toute- fois, le contribuable qui, par suite de pareils actes, se croyait lésé dans ses droits , pouvait dans l'année adresser sa récla- mation à Sa Majesté , et demander l'annulation des décisions dont il avait à se plaindre ('). Les collèges ne devaient s'as- sembler extraordinairement qu'en cas d'urgence et pour des affaires majeures. Dans toutes les demandes d'aides et de subsides , d'im- pôts publics , de fournitures , de livraisons de fourrages , et de contributions , le collège était tenu de convoquer les députés des bailliages (*). Les résolutions prises par les assemblées générales des collèges devaient l'être à la majorité des suffrages. Tous les collèges en chef d'une même province avaient alternati- vement le droit d'envoyer aux états provinciaux un député choisi parmi leurs membres. Ils avaient tous le droit d'en- voyer annuellement un commissaire dans chaque commune pour assister à la vérification des comptes. Les délits et les contraventions aux lois et aux règlemens sur le cours des eaux navigables , les dommages causés aux écluses, les creusemens illicites de canaux, Tentretien des (') Même édit du 24 février 1720. Plac. de Flandre , ton». IV, f" 280. Loi du 20 décembre 1^36. Plac. de Flandre , tom. IV , f° 289. (>) Rëglemcntdc 1681 , ci-dessus, art. 10, 11 et la.PIac. de Flandre, tom. III, P-Sao. 54 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE fossés, l'abaissement ou la destruction des digues; enfin, toutes les contraventions commises aux lois sur la navigation intérieure de la province , étaient de leur compétence. Les dé- cisions qu'ils rendaient dans tous ces cas n'étaient néan- moins exécutoires qu'à la charge de l'appel au juge supé- rieur (i). Avant le renouvellement de ses membres^ le col- lège était tenu tous les deux ans de rendre ses comptes et d'en envoyer un double aux magistrats des bailliages souverains , pour y être déposé dans les archives à l'inspection d'un chacun. Du Receveur ou Trésorier de la Châtellenie. Nous avons dit plus haut qu'il ne faut pas confondre le trésorier d'une châtellenie avec le receveur particulier d'une ville de chef-lieu. En effet , celui-ci ne recevait que les deniers recueillis dans l'enceinte de la ville, tandis que le premier encaissait les fonds reçus par tous les receveurs communaux du ressort. Cependant l'un et l'autre résidaient dans le même lieu ; ils étaient sous la surveillance de la même autorité , tenus de verser les deniers de leurs recettes dans une même caisse , et susceptibles d'être poursuivis par les mêmes officiers. Les receveurs-généraux du ressort rural étaient, de même que les receveurs particuliers des villes , à la nomination de (') Règlement du 24 octobre 1753, art. 23. Plac. de Flandre , tora. V , f" 935. Décret du 27 juillet 1764. Plac. de Flandre , tom. V , f" 737. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 55 Sa Majesté. Leurs attributions consistaient à faire opérer les rentrées des deniers reçus par les receveurs des villes et des communes de leur ressort. A cet effet , ils pouvaient s'aider des moyens coercitifs en usage en pareils cas, et les frais qui résultaient de ces exécutions , au lieu d'être à la charge de la commune, Tétaient à celle du receveur qui, par sa négligence, les avait occasionnés (i). Lorsqu'un receveur de commune demeurait en retard d'effectuer ses versemens or- dinaires , le receveur du ressort en avertissait le bailli. Ce fonctionnaire était tenu, pour satisfaire à cette réquisition , d'exécuter dans le plus bref délai possible le retardataire 5 faute de quoi , il était personnellement responsable de tous les frais ('). Le receveur de la châtellenie qui était en dé- faut de verser aux époquees indiquées, se voyait à son tour poursuivi à la requête du receveur-général de la province. Ces exécutions étaient faites par des employés nommés messagers ^ pour y procéder, aucune sommation préalable n'était nécessaire , les receveurs étant constitués en demeure par le seul fait du retard apporté à leurs versemens, il eût été bien inutile d'ajouter un appel judiciaire à l'avertisse- ment toujours subsistant de la loi. Faute de satisfaire , il était procédé sans délai à la vente de leur mobilier et à ce- lui des cautions 5 en cas d'insuffisance, on passait outre à l'ad- (') Règlement du 3o juillet 1671, art. 7^. Plac. de Flandre, tom. III, f» 353. (') Règlement du 6 octobre 1706 , art. 77 et suiv. Plac. de Flandre , tom. IV , ^153. 56 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE judicatioa de leurs immeubles , sans autres formalités que deux annonces publiées de huit en huit jours ('). Quant aux paiemens particuliers que les receveurs des châtellenies avaient à faire , ils ne consistaient que dans les arrérages des rentes à charge de la châtellenie , et dans les indemnités dues pour frais de voyage aux commissaires députés par le collège en chef Le compte annuel de ces receveurs était rendu aux mem- bres du collège, en présence du commissaire de Sa Majesté. A l'article des recettes , ils portaient tous les revenus perçus par les différens receveurs communaux, et à l'article des dépenses , non-seulement l'import des ordonnances et des arrérages de rentes qu'ils avaient payés , mais encore toutes les quittances que les premiers leur avaient fournies, ainsi que la retenue légitime de leurs appointemens et de ceux des magistrats municipaux (=). Des Magistrats du JRessort Rural et de leurs attributions. Le bailli participait à plusieurs égards à l'administra- tion municipale de la commune. Il était tenu de résider au lieu où il exerçait ses fonctions , et de prêter serment entre les mains des membres du collège en chef de son res- sort (3). Cette fonction était incompatible avec la place {") Règlement du 6 octobre 1706, art. 83 et suiv. Voyez ci-dessus. (') Même règlement, art. 126, et suiv. (3) Règlement pour le ressort de la Fland. , du 3o juillet 1672, art. i çt 4- Plac. de Flandre , tom. III , f» 354 et 355. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 57 d'éclievin, et ne pouvait être remplie par les parens du greffier de la commune, au degré de frères et de beaux- frères. Le bailli n'était nommé que pour un an; mais dans les communes les moins peuplées , il était permis de le main- tenir dans ses fonctions pendant trois ans. Les bourgmestres et les échevins jouissaient du même privilège (■). En matière civile , les exécutions réelles et personnelles , tant mobiliaires qu'immobiliaires , étaient faites à sa requête. Il en était de même de celles à charge des contribuables en retard de payer leur quote part des aides et des impôts pu- blics. Dans ce cas , le receveur était tenu d'avertir le bailli de toutes les poursuites à intenter, et faute d'y satisfaire dans les douze jours de l'avertissement, cet officier était tenu personnellement de rembourser au receveur de la com- mune l'intégralité des frais que le receveur principal de la châtellenie avait faits à la charge de ce dernier (2). Lorsque le bailli s'était rendu coupable de quelque con- cussion , soit à raison de ses fonctions administratives , soit en sa qualité de juge criminel, il était tenu de comparaître à la barre du conseil de la province. Cette autorité judiciaire était, dans ce cas, seule investie du droit de lui faire son procès. L'administration communale était composée d'un bourg- mestre , de plusieurs échevins , d'un collège municipal , d'un (') Rëglement pour le ressort de la Fland. , du 3o juillet 1672, art. 8 , tom. III, (') Règlement du 6 octobre 1706, art. 77. Plac. de Flandre , tom. IV, f» a64. 9 58 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE greffier et d'un ou de plusieurs sergens. Les fonctions de bourgmestre et d'échevin étaient des charges publiques : personne ne pouvait donc se refuser d'en remplir les devoirs, à moins d'une excuse légitime. Les qualités nécessaires pour être membre d'un magistrat municipal de commune étaient en général les mêmes que celles pour l'être dans les villes (i). Ces fonctionnaires étaient aussi tenus d'avoir leur rési- dence aux lieux de leurs fonctions, et de prêter, avant d'entrer en exercice , le serment solennel de « n'avoir rien donné ni promis de donner, soit directement, soit indirectement, à qui que ce fût , quelques dons , récompenses ou indemnités pécuniaires , dans Tintention d'obtenir la place à laquelle ils étaient promus, v Le bourgmestre , les échevins et les autres officiers municipaux n'étaient nommés à ces fonctions que pour un an. Personne n'avait dans cet intervalle le droit de les en priver sans motifs légitimes et bien constatés (^). Les attributions municipales du ressort rural étaient en tout de la même nature que celles des magistrats municipaux des grandes villes. Ces fonctionnaires étaient également tenus de s'assembler , au moins une fois tous les quinze jours 5 de rendre leurs séances publiques et de résoudre les affaires de la commune, ainsi que celles des particuliers en rapport avec l'administration. C'était aussi le greffier qui (■) Règlement pour la ville de Nivelles, du i" février i663, art. 4 et 5. Plac. de Brabant , tom. IV, f° 3o4. (j) Même règlement , art. 8. Plac. de Flandre , tom. III , f" 355. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. Sg était tenu de préparer les documens nécessaires , de se ren- dre le premier aux assemblées , et de tenir note des amendes encourues par les membres absens ou par ceux en retard de se rendre à la réunion. L'assemblée était présidée par le bourgmestre ou par le premier échevin 5 indépendamment des réunions ordinaires, le bourgmestre avait le droit de convoquer le collège extraordinairement toutes les fois que le bien public ou la nécessité l'exigeait (»). Rien n'empêchait d'ailleurs que les affaires courantes de l'administration ne fussent traitées par les échevins en présen- ce du bailli et à l'intervention du greffier ; mais lorsqu'il était question d'imposer de nouvelles taxes ou d'augmenter les anciennes , le magistrat était tenu de s'adjoindre deux pro- priétaires fonciers et cinq notables bourgeois , choisis parmi les habitans les j)lus respectables et les plus fortunés de la commune. Les résolutions dans ce cas devaient être prises à la pluralité des voix.: lorsqu'il y avait division, la déci- sion était provisoirement ajournée , et le greffier était tenu après avoir mis en écrit les opinions des membres, de les envoyer , dûment cachetées , au chef-lieu du ressort (=»). La nomination des propriétaires et des notables n'était ni dans les pouvoirs du seigneur du lieu , ni dans ceux du (') Règlement pour la ville de Nivelles du i" février 1 663 , art. lo, ii et u Plac. de Flandre , tom. HT , f° 356 et suiv. (') Décret du 5 mai 1673, et l'acte de déclaration ci-dessus , art. i4. Go SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE bourgmestre ou des échevins 5 elle appartenait aux habi- tans de la commune et n'était valable que pour un an('). Du reste, aucune résolution sur des impôts communaux ou sur des emprunts d'espèces n'était valable que pour autant qu'elle eût été prise par toutes les personnes dont nous ve- nons de parler. La plus urgente nécessité pouvait seule au- toriser le magistrat à lever des sommes d'argent , sans inter- vention des propriétaires et des notables. Dans ce cas , la convention pour être valabe avait besoin d'être approuvée par Sa Majesté 5 si cette approbation n'avait pas été requise , le préjudice qui en résultait, tombait à charge du magistrat qui avait commis un pareil excès de pouvoir (=). Les éche- vins n'avaient pas le droit d'intenter des actions judiciaires relatives aux intérêts de la commune , sans en avoir obtenu d'avance le consentement des propriétaires et des notables , et à moins que l'affaire n'eût été soumise à trois avocats ré- nommés des villes les plus voisines (3). Avant de quitter ses fonctions , le magistrat municipal était tenu de rendre ses comptes : ces états devaient contenir toutes les recettes et les dépenses faites pendant l'année qui venait de s'écouler. (i) Interprétation du règlement de 1672, infine. Plac. de Flandre, tom. III, f° 365. Règlement de 167a , art. 38. Plac. de Flandre , tom. III , f" 36o. (') Même règlement , art. 67 , f" 36i. (') En Brabant, il fallait le consentement du seigneur du lieu ou de son repré- sentant.Règlement du 3o août 1664, pour les communes de Saventhem,Erps,etc., art. 22. Plac. de Brabant , tom. IV , f" 3 10. Voyez règlement pour le quartier 4'Arkel, du i3 juin i655, art. 14. Plac. de Brabant, tom. IV, f° 3i5. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 6i Aucune allocation n'était valable , si elle n'était justifiée par un mandat en due forme, portant l'acquit du créancier en faveur de qui la somme avait été ordonnancée. Ces comptes ne pouvaient être rendus qu'en assemblée géné- rale , en présence du commissaire député par le collège en chef de la cliâtellenie , du bailli , du bourgmestre et des échevins , des propriétaires et des députés du district. L'as- semblée composée à cet effet, ne pouvait valablement se réunir, à moins qu'elle n'eût été annoncée publiquement plus de huit jours d'avance. Il ne suffisait pas d'arrêter ces comptes en assemblée générale , il fallait encore en faire des doubles destinés à être déposés dans les archives de la commune et dans celles du chef-lieu de la cliâtellenie. Ces documens y restaient à l'inspection de tous ceux qui pouvaient avoir quelqu'intérêt à les consulter ('). D'après ce que nous venons de dire dans tout ce chapi- tre, il résulte qu'en fait d'administration intérieure il faut soigneusement distinguer les lois et les règlemens des villes d'avec ceux du ressort rural. Quelles que fussent d'ailleurs la grandeur et la puissance d'une cité , sa magistrature ne pouvait jamais, sans franchir les limites de ses attributions, s'arroger la moindre autorité hors de son enceinte. Les in- térêts de ses habitans formaient seuls Tobjet de son admi- («) Même règlement de 167a, in Jine, art. 64,70, 78 et 75, f" 36a. et suiv. rayez surtout ce qui précède le règlement du i" février i663. Plac, de Bra- bant, tom. IV, f« 3o4 et suiv. 6i SUR L'ADMINISTRATION GENERALE nistratiou; et lorsqu'un collège en chef était établi dans son sein , cette autorité n'avait rien de commun avec le pouvoir administratif de la ville , qui , à son tour , devait demeurer parfaitement étranger aux intérêts des habitans du ressort. On peut appliquer aux finances des communes les notions dont nous avons rendu compte en parlant des intérêts fi- nanciers des villes. Toute communauté d'habitans régie par une municipalité avait un fonctionnaire préposé à la recette des deniers communaux. Cet employé était nommé par Sa Majesté ^ quand il était promu à cette place par voie d'ad- judication publique, il était désigné sous le nom d^amodia- teur ou fermier des deniers publics 5 lorsque la charge lui était accordée à condition d'une somme à titre d'appointe- mens fixes , on lui donnait le nom de commis ou receveur des impôts. Cet employé devait, dans les huit jours de l'ad- judication, fournir pour sûreté de sa gestion une caution suffisante. Il répondait du reliquat de son prédécesseur , si dans les trois mois il n'en avait fait opérer le versement (i). Quoique d'après le cahier des charges il ne fût tenu qu'à la recette des aides et des subsides , il n'en contractait pas moins, en devenant adjudicataire, l'obligation tacite de faire rentrer toutes les impositions que le magistrat avait décré - tées durant l'époque de sa ferme. Les versemens qu'il était tenu de faire dans la caisse du receveur de la châtellenie ou (■) Règlement du 3o août 1664, pour les communes de Saventhem, Erps , Sterrebeek, etc., art. 9. Plac. deBrabant, tom. IV, f" 3io. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 63 du pays dont il ressortissait , devaient l'être à ses frais. A défaut d'y satisfaire dans les délais prescrits , le bailli et les échevins avaient droit de saisir ses immeubles , et de procé- der à la vente sans autres formalités que deux publications à huit jours d'intervalle («). Quant à l'exercice de ses fonctions , le receveur était tenu , à peine d'amende , de tenir ses bureaux ouverts tous les dimanches et jours de fête , dans un lieu voisin de l'église communale (2^. Il lui était sévèrement défendu de procéder à aucune exécution sans avoir prévenu les contribuables. Dans l'ordre de ses attributions , il payait les intérêts des rentes à charge de la commune, les frais de voitures, de logemens , de fourrages et des appointemens du bailli et des officiers municipaux (3). Tous les six mois ou tous les ans au plus tard, il était tenu de rendre son compte , soutenu des pièces à l'ap- pui, en présence d'un commissaire envoyé du chef- lieu, du magistrat de l'endroit et des principaux propriétaires du ressort de la commune (4). (*) Règlement pour le ressort rural de 1671 , ci-dessus , art. aS , et suiv. (>) Règlement sur les subsides du 6 octobre 1706 , art. 5o. Plac. de Flandre, tom. IV, f» a6i. (') Règlement de 1706 , art. 107 , et suîv. Plac. de Flandre , tom. IV, f> 268. (<) Dans le Brabant, ce compte ^tait rendu en prifsence du seigneur ou de son mandataire. Règlement du 3o août, art. la. Plac. de Brabant, tom. IV, f" 3io, et le règlement de i655 , art. 9. Plac. de Brabant, tom. IV, f° 3i5. 64 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE CHAPITRE III. Des Domaines. — Des Aides et des Subsides. — Des Impôts publics. — Des Impôts publics perçus au profit de l'Etat. — Des Impôts perçus au profit des Provinces. — Des Conditions ge'nérales de l'Amodiation. — Des Dispositions particulières à chaque impôt en particulier. — Des Impôts particuliers perçus au profit des villes. Des Domaines , des Aides et Subsides et des Impôts publics. On ne doit pas confondre les domaines avec les aides et les subsides , encore moins avec les impôts publics. Les domai- nes étaient composés des biens-fonds et des droits incorporels , dont les revenus appartenaient exclusivement à l'état , et l'administration au souverain. Les aides et les subsides n'é- taient autre chose que le produit des contributions volon- tairement consenties par les états , pour subvenir aux frais de la guerre. Enfin, les impôts publics consistaient dans les revenus que l'état , les provinces et les villes percevaient sur la fabrication, le transport et la consommation de toutes les marchandises et denrées connues dans le commerce. Des Domaines. Les domaines de l'état consistaient en général dans les DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 65 biens corporels et incorporels suivans : les biens - fonds si- tués dans toutes les provinces des Pays-Bas, tels que bois, terres labourables , prairies , bruyères , landes , viviers , ma- rais , poldres , carrières , mines et minières , indépendam- ment des îles et des îlots , des alluvions , des atterrissemens , ainsi que des laies et relais des rivières et de la mer. Les im- meubles ou les effets mobiliers provenus des épaves, des successions en déshérance ou laissées par des bâtards , des confiscations judiciaires et politiques 5 le produit des mines et des minières , les herbages , pâturages , paissons , glandées , vinages , dîmes et amendes , haut-conduits , soixantième et produits des chasses domaniales. Les droits incorporels, dont les produits tombaient dans les caisses de l'état , consistaient dans les cens seigneuriaux , les quints et requints , droits de treizième de rachat et de sous -rachat , les amendes et for- faitures , les droits de reliefs et les confiscations , les épices et les camberlignages , les lardiers , les vaqueries , les briefs , les watergravies et les corvées , les droits de bourgeoisie , de morte-main et de meilleur catel , les franchises des foires et des marchés, les jeux de paume, les halles, les bouche- ries , poissonneries , étaux , bancs , échoppes et ouvroirs , les droits de voirie, les péages, passages, fouage, halages, ponts , bacs et bateaux , les guidonnages , les geôles et les prisons , les poids et les balances , les brasseries , les fours et les moulins banaux ; indépendamment des pèches et des pêcheries , ainsi que des pâtis communaux. Le souverain percevait encore, à raison de ses droits do- 10 66 SUR L'ADMINISTRATION GENERALE maniaux , les rétributions et les reliefs de tous les bailliages et sous -bailliages des villes et des communes, des écoutè- teries , des prévôtés , des mairies et autres de cette espèce 5 les produits des sceaux des différentes cours de justices, et finalement les taxes d'ofïices sur toutes les nominations aux emplois judiciaires du pays. Tous ces produits domaniaux étaient perçus par les offi- ciers respectivement préposés à leur recette , et la totalité des revenus était versée dans les caisses de l'état, par l'in- termédiaire des receveurs-généraux et particuliers des villes et des provinces. Néanmoins , ces droits étaient donnés le plus souvent en amodiation dans la ferme générale des impôts du gouvernement. Cette ferme produisit en 1701 , à l'exception de quelques petits droits que le souverain s'é- tait réservés , la somme d'un million neuf cent mille florins courant ('). Des Impôts publics. Les impôts publics étaient divisés en trois classes ; la première comprenait tous ceux qui étaient perçus au profit de l'état 5 la seconde, tous ceux qui étaient levés au profit des provinces, et la troisième, tous les impôts particuliers établis au profit des villes. Les principaux impôts perçus au profit (') V^oyez les conditions d'adjudication du 24 novembre 1701. Plac. de Bra- bant, vol. des droits d'entrée et de sortie, f* 355. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 67 de l'état étaient les suivans : les rétributions levées sur tou- tes les marchandises à l'entrée et à la sortie du pays , les droits d'emmagasinage et de transit, de passeport, de con- voi , de visite et autres de cette nature ; les licences accor- dées au commerce et les droits sur la fabrication du sel , du sucre et du savon. Les droits appelés nobelgeld , ceux de prêt ou de médianai, payables par tous ceux qui étaient j)romus à des offices de judicature, et les taxes d'offices dues par tous ceux qui étaient nouvellement nommés à des emplois publics ('). Les provinces percevaient à leur profit particulier des impots à l'entrée, sur les vins, les eaux-de-vie, les vinaigres vineux, à tant le baril, et des droits sur les vins à Ja cou- sommation, à tant par mesure:; des impôts sur la fabrica- tion des eaux -de -vie distillées, sur les bestiaux de toute grandeur, à la sortie de la province, sur le sel, le poisson et les harengs; sur l'abatage et le pâturage des bestiaux, sur la viande importée de l'extérieur, sur les vinaigres communs et les différentes boissons connues sous le nom générique de bières ^k l'importation et à la consommation 5 enfin , la province percevait à son profit les droits imposés sur le moulage des grains , plus connus sous le nom de droit de mouture. Les impositions perçues au profit des villes é,taient les {') Loi du 16 moi l'jv]. Plac. de Flandre , tom. IV, f» gSg. Règlement du i3 mars 1716. Ibid. , tom. IV, f» 962. Tarif du 8 janvier 1728. Plac. de Flan- dre, tom. IV, f» 965. 68 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE suivantes : i° les accises ou droits d'entrée sur les vins , l'hydromel , les bières , les vinaigres , le fromage et le pois- son 5 sur les eaux-de-vie , le sel , le chanvre , les savons , les peaux , le fer , les cuirs , le bois de toute espèce , les pierres cuites et naturelles , les charbons de terre communs et à forger , les huiles de navette , de colzat et de lin 5 sur les pains d'huile , les draps et les laines étrangers , les écorces broyées ou non broyées, les potasses , le tabac, et générale- ment sur toutes les marchandises destinées à l'usage des habitans 5 2° les droits sur la consommation étaient d'autant par mesure de toute sorte de blé et de fleur de sarrasin 5 d'autant par cent sur le pain blanc et sur le sel , le débit des draps , des toiles , des habillemens tout façonnés et des bas 5 sur les huiles de navette , de colzat et de lin 5 les droits d'abatage , les impôts sur les vins et le bois à brûler j 3° les droits perçus à la sortie de la ville consistaient en des rétributions sur chaque pièce de toile commune , damassée et de serviettes , ainsi que sur d'autres produits de l'indus- trie qui avaient été spécialement imposés 5 4" 1^ produit des accises sur la fabrication intérieure était encore une bran- che importante des revenus municipaux : ces accises se per- cevaient sur les vinaigres , les peaux tannées de toute espèce, sur les savons et généralement sur tout ce qui était le pro- duit de rindustrie et servait à l'usage ou à l'alimentation des habitans 5 5° les droits sur la vente ojiérée en ville des bestiaux et des porcs , de l'hydromel et des sirops en gros , des lins , lits , coltis , plumes , filet de Bourgogne , DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 69 laines d'Ecosse, semences de choux, de navets, de trèfles et autres droits de cette espèce , connus alors sous le nom gé- nérique de mol-accise : les rétributions sur les effets vendus dans les ventes publiques et dans les monts-de-piété 5 enfin sur la vente des bétes à cornes et des moutons 5 6° les villes percevaient encore le loyer des bâtiraens appelés les halles publiques. C'était dans ces édifices que se faisaient le me- surage des toiles et des draps , ainsi que le placement des bou- tiques pendant les jours de foire et de marché. Elles perce- vaient aussi à leur profit les produits des droits de charge- ment et de déchargement des navires et des bateaux au port et sur les quais intérieurs , les loyers des terrains apparte- nans aux villes , du fumier répandu dans leurs enceintes et de la pèche du poisson élevé dans les bassins et les étangs communaux. 7° Enfin les villes percevaient encore sur le mesurage des draps , des toiles , des laines et autres étoffes , sur le pesage des charbons de terre et du beurre, certains droits qui tous étaient donnés en amodiation à des fermiers particuliers. Des Impôts publics perçus au profit de CÉtat. Tous les droits et les rétributions payables à l'entrée et à la sortie du pays, de toute marchandise non prohibée, rentraient dans les attributions du troisième département du conseil des finances. Ces rétributions étaient connues 70 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE sous les noms de droits d'entrée et de sortie ou de ton- lieux (i). Il ne faut pas confondre cette matière avec les- droits d'accises payables à l'entrée et à la sortie des villes , pour plusieurs raisons : la rétribution des tonlieux a été de toute ancienneté un droit attaché au domaine du souverain 5 les accises ont toujours , au contraire, appartenu aux villes , dont elles formaient une branche importante de revenus. Le tonlieu diffère aussi du droit de péage en ce que celui-ci se perçoit sur la navigation des rivières et des canaux, tan- dis que le tonlieu ne regarde que les marchandises à l'en- trée ou à la sortie du pays. Le premier a été de tout temps un droit domanial 5 le péage fut tantôt un droit dû aux villes , tantôt un droit perçu par des compagnies ou même par des particuliers. Le droit de tonlieu est général ou particulier : le tonlieu général est celui qui était perçu à l'entrée et à la sortie des Pays-Bas , soit par les routes de terre ou de mer , sur les marchandises nationales ou étrangères non prohibées par les lois. Ce sont proprement les droits d'entrée et de sor- tie (2). Le tonlieu particulier se percevait sur les marchan- dises à l'entrée ou à la sortie des villes particulières. (') Les tonlieux sont des droits domaniaux qui n'étaient connus ancienne- ment que dans les Pays-Bas et en Angleterre. En France on ne donnait ce nom qu'à une rétribution seigneuriale due par le vendeur de toutes denrées exposées aux foires ou aux marchés publics. ( Dictionnaire de Trévoux , verbo tonlieu. ) (') Plac. du 25 février 1667 , art. 10. Plac de Flandre , tom. III, f" ^gS. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 71 Le droit de convoi frappait sur toutes les espèces de mar- chandises à raison d'autant pour cent à l'entrée et d'autant pour cent à la sortie. Les droits de passeports et de visite , de scellage et autres menus droits perçus sur le pied des tarifs existans , étaient plutôt des rétributions de forme que de véritables impôts , quoique leur produit put être jusqu'à un certain point de quelque importance. Les droits d'emmagasinage et de transit indiquent assez par leurs dénominations quel est le but que le gouvernement se proposait en érigeant des magasins et des dépôts publics. Le transit est une exception au droit commun , en faveur de négocians étrangers ou nationaux, dont les marchan- dises , de nature ou de fabrication étrangère , ne sont des- tinées qu'à traverser le pays pour se rendre à leur destina- tion définitive. Presque tou^ les gouvernemens ont, dans leur système financier, admis des prohibitions qui, en temps d'hostilités surtout , étaient bien ou mal étendues à des objets qui pou- vaient servir aux besoins , à la défense ou à la sûreté des ennemis. Ces prohibitions, qui par elles-mêmes sont impro- ductives , ont souvent rapporté aux gouvernans , qui tolé- raient la fraude, des revenus considérables. Cela se faisait à l'aide de permis d'importation concédés à de riches tra- fiquans , sous le modeste nom de licences. Les droits d'entrée et de sortie de tonlieux et autres , frap- paient indistinctement sur les marctiandises appartenantes 72 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE à toutes sortes de personnes , tant ecclésiastiques que laï- ques, nobles ou privilégiés. Le gouverneur-général même n'en était pas exempt (•). Le souverain avait le droit d'augmenter ou de diminuer ces impots sans le concours des états des provinces 5 mais rien n'empêchait les intéressés de faire des réclamations et de provoquer l'abrogation des lois qu'ils croyaient contraires aux intérêts de l'industrie (^). Les droits d'entrée et de sortie du transit et autres , étaient perçus par des receveurs spécialement établis à cet effet, et dont la gestion était sous l'inspection des contrôleurs. Les contraventions et les fraudes étaient constatées par des agens appelés brigadiers , et par des gardes - côtes et des douaniers. Tous ces employés , qui recevaient leurs commis- sions du conseil des finances , devaient se conformer , dans l'exercice de leurs fonctions , aux lois et aux ordonnances en vigueur. Les recettes en matière de douanes étaient ou principales ou particulières. Tout receveur principal avait dans son ar- rondissement un certain nombre de recettes subalternes , auxquelles étaient préposés des receveurs particuliers 5 en 1737 , ces bureaux principaux étaient au nombre de vingt et un. Ils étaient établis dans les villes suivantes , savoir : (') Amodiation générale des droits d'entrée et de sortie, du i"' mars i683 , art. 23. (') Plac. et tarif de i585, 2 octobre, wj^ne. Plac. deFlandre,tom. III, f° i4'7« DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 78 Bruxelles, Anvers, S' -Philippe, Turnhout, Tirlemont, Gand , Bruges , Ostende , Nieuport , Ipres , Courtray, Tour- nay , Mons , Baumont , Charleroi , Namur, Navaigne , Ru- remonde, Luxembourg, Marche et S'-Vith. Ces postes supérieurs avaient dans leurs arrondissemens , terme moyen , quatorze à dix-huit bureaux subalternes. Le personnel d'un bureau principal consistait en un contrôleur, un rece- veur , plusieurs brigadiers , et un certain nombre de visiteurs et de gardes. Les employés de tous les grades avaient le droit de carrer les marchandises pour insuffisance dans les déclarations. Dans ce cas , ils étaient tenus de payer , indépendamment de la valeur déclarée , quinze pour cent en sus. Les officiers supérieurs pouvaient, à cet effet, s'aider des deniers de leurs caisses 5 mais ils demeuraient responsables du montant ainsi que des pertes qu'ils éprouvaient. Quand l'opération était avantageuse, un tiers du bénéfice restait au profit de Sa Majesté 5 les deux tiers restans étaient remis à l'officier ex- ploitant. Les employés subalternes ne pouvaient faire ces opérations qu'avec leurs propres deniers. A défaut de pou- voir satisfaire le montant de la valeur déclarée et de l'aug- mentation des quinze pour cent en sus, les marchandises étaient remises aux expéditeurs , moyennant le paiement des droits sur le pied de la valeur déclarée. L'officier supé- rieur pouvait dans ce cas , intervenir et exercer les droits de ses subordonnés ('). (') Circulaire du aS novembre 1737. Plac. de Flandre , tom, IV, f"'743. II 74 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE Les exemptions de ces droits étaient de deux espèces , réelles et personnelles. Dans le nombre des exemptions réelles étaient compris tant à l'entrée qu'à la sortie , les meubles , les effets et les équipages des ambassadeurs , ministres , gé- néraux , officiers et soldats étrangers envoyés près du gou- verneur-général ou destinés à son service 5 les munitions de bouche et de guerre destinées à l'approvisionnement des ma- gasins publics et achetées pour le compte du gouvernement^ les meubles , provisions et autres effets appartenans à des princes alliés, jusqu'à concurrence d'une certaine somme annuellement ('). Les exemptions de la seconde classe con- cernaient certaines personnes privilégiées , telles que les or- dres mendians , pour leurs quêtes et pour les matériaux de leurs églises et couvens , les bourgeois de Bruxelles , d'An- vers et de Malines, les propriétaires habitant les poldres, les francs bateliers de la Meuse, les maîtres fondeurs de cuivre et les associés des plombs de la province de Namur. Chacune de ces classes de personnes était exempte pour la totalité ou pour une partie des droits , sur le pied stipulé dans les actes de leurs privilèges respectifs. Les bateliers, charretiers, voituriers et autres expéditeurs , étaient tenus de payer les droits au premier bureau de leur entrée dans le pays , ou au lieu de leur départ en cas de sortie. Aucune marchandise ne pouvait circuler sans acquit- (») Amodiation du i" mai i683 , art. a4, aS, 26 et 27. Plac. de Flandre, tom. m , f" 846. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 7$ à-caution ou passavant , à peine de confiscation et d'amende. Indépendamment de cette formalité , il fallait que l'expédi- tionnaire fît recenser les marchandises destinées à l'expédi- tion par un garde ou commis du lieu du départ. Celui- ci était tenu de mettre sur l'acquit ou sur le passavant le visa constatant la réalité ainsi que la date de l'expédition (•). Les droits d'entrepôt et de transit établis dans la Flandre occidentale, vers le milieu du 18°" siècle, le furent tous dans l'intérêt du commerce maritime , si gravement compro- mis par la fermeture de l'Escaut et des ports maritimes de la Flandre. Les marchandises étaient, immédiatement après leur arrivée, conduites dans les magasins de l'état, et celles dont les facteurs faisaient l'expédition sans retard , ne pou- vaient se mettre en route qu'après avoir satisfait aux droits d'entrepôt et d'emmagasinage. Les chariots ou bateaux de transport devaient être ac- compagnés d'un commis jusqu'à la limite extérieure du ter- ritoire national. Tous commissionnaires ou négocians qui voulaient jouir du bénéfice du transit , devaient , dans les dix jours de l'arrivée des marchandises à l'entrepôt , déclarer leur quantité et qualité à peine d'être exclus de ce bénéfice, et tenus de payer les droits ordinaires (2). L'officier qui ac- cordait les acquits-à-caution et les passavans devait, dans ces actes , faire mention de la route à tenir par les conducteurs. (i) Décret du 18 novembre 1737. Plac. de Flandre, tom. IV, f» 739. (*) Décret du ta août i685. Plac. de Flandre , tom. IV, f" 724. 76 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE Les droits d'entrée et de transit devaient être payés à l'entrée des marchandises sur le territoire national ('). Les gens armés qui, dans le dessein de faire entrer forcément des marchandises prohibées, s'opposaient à la visite ou à la saisie des effets trouvés en contrebande , étaient punis de mort , et les négocians propriétaires des ces effets , qui les avaient requis , demeuraient responsables de toutes les suites qui pouvaient résulter de cet acte de rébellion (^). Des Impôts perçus au profit des Proi>inces. L'administration des impôts publics appartenait aux états provinciaux. La perception en était donnée par amodiation à ;un fermier-général 5 et c'étaient les états députés qui , en prescrivant les conditions , jugeaient de la solvabilité de l'adjudicataire (^). La première obligation de l'amodiateur était de fournir , par anticipation , à titre de cautionnement , le premier des six versemens qu'il était tenu de faire tous les ans dans la caisse du trésorier de la châtellenie. L'amodiation était générale ou particulière. Dans l'un et l'autre cas , les fermiers , leurs associés et les cautions respectives étaient solidairement responsables des paie- (') Règlement du i5 février 1788 , art. 27. Plac. de Flandre , tom. IV, f» n36. (») De'cret du 7 février 1704. Plac. de Flandre , tom. IV, f" 754. (') Cahier des charges du 18 février 1702 , art. i3. Plac. de Flandre, tom. IV, i" 984- DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 77 mens que les fermiers , commis , amodiateurs généraux ou particuliers , étaient tenus de faire aux époques stipu- lées dans le cahier des charges. Pour prévenir les fraudes au préjudice des droits de la province , il leur était in- terdit sous de fortes amendes de se mêler d'aucun commerce ou négoce ayant rapport aux marchandises sujettes aux droits dont ils avaient la perception. Cette prohibition s'étendait à tous les employés en général. Les collèges des chefs - lieux étaient en droit d'indiquer les bu- reaux de perception, et les amodiateurs étaient tenus d'y établir les employés nécessaires pour délivrer , aux heures indiquées , les acquits , passavans et autres documens néces- saires ('). Les amodiateurs ne pouvaient se servir d'autres employés que ceux qui tenaient leurs commissions des au- torités locales; ils n'étaient point autorisés à y placer des individus à leur choix , ou à destituer ceux qui étaient en fonctions 5 sauf leur recours vers l'autorité , lorsqu'ils avaient quelque sujet de plainte à charge d'un employé. Les amodiateurs n'avaient, sous aucun prétexte, le droit de se dessaisir des revenus de la province en faveur d'aucune personne , autrement qu'en vertu d'ordonnances délivrées par l'autorité. Ils ne pouvaient , d'un autre côté , s'opposer à leur délivrance sous prétexte de saisies -arrêts faites à la requête de leurs propres créanciers , ou de ceux de la (') Cahier des charges du 18 février 170a, art. 4o et 43. Plac. de Flandre, tom. IV , f» 984. 78 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE province, à peine d'être personnellement responsables des frais d'exécution dirigés contre eux('). Les débiteurs en retard de payer ces droits, pouvaient être exécutés sans sommation préalable ^ à la requête des amo- diateurs. Lorsqu'il y avait contestation entre les contribua- bles et les fermiers-généraux , la connaissance en était dévo- lue aux collèges des chefs-lieux. Les procès devaient y être instruits verbalement et sans écritures , en présence de deux échevins , d'un pensionnaire et d'un greffier (^). Cette auto- rité judiciaire prononçait en dernier ressort sur toutes les contestations dont le montant n'excédait pas une certaine ^ somme. L'appel des autres causes était porté directement devant la cour provinciale, à une chambre composée de trois conseillers nommés à cet effet par Sa Majesté. L'appelant n'avait pour interjeter cet appel qu'un délai de quinze jours à dater de la prononciation 5 et la cour devait y faire droit dans la huitaine. La cause décidée en appel obtenait force de chose j ugée 5 de sorte que l'arrêt intervenu ne pouvait plus être attaqué par aucune voie judiciaire (^). Pour assurer la perception rigoureuse des droits d'entrée sur les eaux-de-vie et les vinaigres étrangers , il était défendu à tout charretier^ batelier ou conducteur de prendre d'autres (■) Le cahier des charges ci-dessus , art. 5o et 5i. (^) Les juges de ce tribunal étaient choisis par le collège en chef, etrenouvele's de temps en temps. Même cahier des charges que ci-dessus , art. 65. (') Le cahier des charges ci-dessus , art. 49 5 77 > 7^ et ^6. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 79 routes que celles indiquées par les règlemens , à peine de confiscation et d'amende ('). Avant de toucher le territoire national , ou de franchir les frontières d'une'province , le conducteur était tenu de prendre au bureau le plus voisin un passeport pour le lieu de sa destination 5 il y déclarait la qualité et la quantité de la marchandise, ainsi que le nom du consignataire 5 arrivé aux portes d'une ville, il devait renouveler ces déclarations , et lever un billet d'en- trée. Les marchands ou facteurs qui voulaient décharger les marchandises , étaient obligés , avant de les déposer dans les magasins publics , d'obtenir un billet de déchargement. Personne n'avait le droit à la campagne, dans les bourgs ou les communes , de vendre du vin ou d'avoir des dépôts de ce liquide à peine de confiscation. Il n'était permis qu'aux aubergistes d'en débiter. Les fermiers avaient le droit de faire , tous les deux mois , des visites domiciliaires et de vé- rifier la quantité de marchandises mise en dépôt. Personne ne pouvait , sous des peines sévères , s'opposer à l'observation de cette formalité (^). Lorsqu'un particulier ou les membres d'une corporation étaient soupçonnés d'exercer la fraude , le fermier des impôts ne pouvait se permettre la visite de leurs demeures qu'en vertu d'une ordonnance émanée de l'autorité compétente. ( ') Cahier des charges , du i8 février 1703 , art. 87 et suiv. Plac. de Flandre , lom. IV, f>> 984. (') Même cahier des charges , art. 1 16 , i aa et suiv. 8o SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE Afin d'assurer la perception du droit sur le débit parti- culier du vin , il était défendu d'en transporter des villes à la campagne sans un acquit , constatant le paiement des droits ou la soumission de les payer aux époques fixées par les règlemens ('). Tous fabricans d'eaux-de-vie devaient, dans les quinze joui's de l'adjudication des droits de la province, se faire connaître aux fermiers. Il leur était interdit de préparer les cuves avant d'en avoir averti les employés par une déclara- tion indiquant la quantité des brassins et le jour où le feu devait être allumé (^). L'impôt sur les eaux-de-vie distil- lées , comme tous les impôts des provinces , était réglé par des ordonnances particulières. Dans le comté d'Alost, le droit était de trois sous par pot. Tout propriétaire qui voulait faire conduire ses bestiaux hors de la province , était tenu d'en faire la déclaration , et de payer les droits fixés par les ordonnances. Pour assurer l'exacte perception de cet impôt, les conducteurs ne pou- vaient suivre d'autres routes que celles qui se trouvaient indiquées sur leurs déclarations ; ils devaient en outre ex- hiber l'acquit de paiement des droits à tous les gardiens des ponts et des passages d'eau, ainsi qu'aux commis placés à cet effet sur les frontières de la province (^). (') Cahier des charges, du i8 février 1702, art. 187 , i38 et iSg. (») De'cret du 19 avril 1672. Plac. de Flandre, tom. IV, f» io43. (') Cahier des charges , du 18 février 1702 , art. i/\3 et suiv. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 8i A l'égard des formalités à observer à l'entrée et à la sortie du sel, du poisson et des harengs, elles étaient à peu de chose près les mêmes que pour les vins étrangers. Ceux qui , dans le ressort rural , voulaient débiter du sel , étaient tenus de déclarer aux fermiers leur nom et leur demeure. Lorsqu'ils faisaient des achats de cette denrée dans les villes , ils étaient dans l'obligation d'en faire connaître la quantité avec indication du nom et de la demeure du vendeur. Les commis délivraient , conformément à cette déclaration , ua certificat valable pour un mois : après ce terme , le débitant était tenu de se transporter derechef au bureau de la régie et de déclarer la quantité qui lui restait, pour obtenir en conséquence un nouveau certificat (•). Tous les envois de cette marchandise qui venaient par terre ou par eau (a) ne pouvaient être déchargés en route , soit en totalité ou en partie , à peine de confiscation du chargement, des bateaux et des voitures de transport (3\ Les fausses déclarations étaient punies de la même peine, sans préjudice d'une amende de mille florins, à charge des contrevenans. Les débita us et les particuliers de la campagne convaincus , les premiers , d'avoir en magasin plus de sel que (') Loi du 28 août t685 , art. 2 , 4 , 5 et 9. Plac. de Flandre , tom. IV, (*> 76a. (') Le sel tant gris que blanc ne pouvait entrer dans le pays que par les bu- reaux d'Ostende, de Nieuport, de St.-Philippe etde Selsate. Loi du aS août 1764» art. 10. Plac. de Brabant , tom. IX, f° 4'4* (3) Décret du 3i mai 1673. Plac. de Flandre , tom. IV, iP» 768. la 82 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE leur débit n'autorisait , et les seconds , de faire chez eux des dépôts illicites , étaient punis respectivement d'une amende de cent oude mille florins ('). Les contraventions commises dans le transport des marchandises , la vente et les déclara- tions , étaient constatées tant par les officiers et les huissiers de l'endroit , que par les employés des accises; il était du reste interdit aux juges ordinaires de connaître des contes- tations en cette matière. Tous les procès étaient portés direc- tement devant la cour provinciale, et jugés sommairement sans écritures par un conseiller-commissaire dénommé à cet effet par le gouvernement. Les jugemens rendus par ce commissaire étaient exécutoires , nonobstant l'appel au grand-conseil de Malines (^). Les fermiers étaient tenus d'avoir dans toutes les villes et les communes du ressort rural, des commis pour recevoir les déclarations sur l'abatage des bestiaux. La recette des droits avait lieu dans les bureaux placés à proximité des bouche- ries. Les visites domiciliaires et les visites dans les lieux publics, pouvaient avoir lieu quand les fermiers les jugeaient nécessaires. A cet effet, il était interdit aux bouchers d'abat- tre leurs bestiaux ailleurs que dans les tueries publiques (3). Le droit sur le pâturage des bestiaux consistait en une (') Décret du 22 décembre. 1679. Plac. de Flandre , tom. IV, f" 771. (') Loi du 28 août i685 , art. 10, i3, i^et i5. Plac. de Flandre, tom. IV, £"761. (3) Même cahier des charges , art. 192 et suiv. DES PAYS-BAS AUTOICHIENS. 83 capitation sur les chevaux , les vaches , les taureaux et les veaux répandus dans les prairies , ou renfermés dans des éta- bles ou écuries particulières. Les déclarations du nonoibre d'animaux, et celles des augmentations ou des diminutions, devaient se faire au domicile des commis placés à cet effet par les fermiers aux lieux déterminés par les règlemens. Les droits sur les bières et les vinaigres indigènes étaient perçus par tonneau. Les brasseurs de bières étaient soumis aux mêmes obligations que les distillateurs. Ils ne pouvaient brasser sans autorisation , ni renfermer la bière en tonnes avant d'en avoir averti l'administration. Pour pouvoir dé- y)lacer les tonneaux et les transporter hors de leurs maga- sins , ils étaient encore obligés d'en instruire la régie. L'o- bligation de la déclaration était commune aux particuliers et aux brasseurs de profession ('). Les bières, tant celles qui venaient directement de l'étranger , que les bières fa- briquées dans d'autres provinces , étaient en outre soumises à des droits d'entrée au profit de chaque administration provinciale (^). Finalement, les droits sur la mouture consistaient en une rétribution pécuniaire par sac de grain porté au mou- lin , en des droits d'entrée pour les farines venant du dehors de la province , en des droits particuliers sur le pain intro- duit d'une province dans une autre, et du ressort rural (') Plac. du II avril 1743, art 14. Plac. de Flandre, tom. V, fs> 558. (») Cahier des charges , du 18 février 1 502 , art. 200 et suiv. 84 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE dans les villes fermées (>). Ces droits étaient payables par toute personne, avant que le grain ne pût être porté au moulin , et la farine ou le pain introduit sur le territoire de la province. Les visites en ce cas chez les meuniers et les boulangers pouvaient avoir lieu à la requête des fer- miers , de la même manière que pour les droits sur les eaux- de-vie distillées , les bières et les vins. En général, toutes les contraventions en matière d'accises, emportaient confiscation et amendes. Aucune marchan- dise ne pouvait circuler sans les permis ou acquits con- statant le paiement des droits , ou l'observation des forma- lités prescrites par les lois. Les visites domiciliaires étaient de rigueur dans les lieux de dépôt et de vente, soit en gros , soit en débit. Personne n'avait le droit de s'y oppo- ser 5 mais les employés ne pouvaient , pour constater des fraudes , visiter le domicile d'un particulier , les lieux de retraite, les couvens et autres corporations, qu'avec la per- mission de l'autorité et en présence d'un fonctionnaire mu- nicipal (2). (') Cet impôt avait été converti , pour le ressort rural et les bourgs de la Flan- dre , en une contribution personnelle de six sous par tête annuellement , pour chaque individu de tout âge et de tout sexe. Loi du 18 octobre i^55 , art. i. Plac. de Flandre , tom. V, f" 572. Postérieurement , et par un avis de la direction des revenus provinciaux de la Flandre , il fut résolu que les enfans au-dessous de l'âge de 5 ans ne seraient , à partir du premier mai 1779, sujets à aucune rétribu- lion. Plac. de Flandre , tom. VI , f° 69g. (') Ployez le ntéme cahier des charges. Passim. m DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 85 Des Impôts particuliers perçus au profit des villes. L'identité des noms et de la nature des impôts levés au profit des provinces avec ceux perçus dans l'intérêt des villes , peut aujourd'hui induire en erreur ceux qui , forcés de recourir aux lois antérieures au 19""' siècle, ne distin- guent j)as assez les rapports et les oppositions entre deux objets si differens , quoiqu'intimement liés entre eux. Pour ne laisser subsister aucune incertitude à cet égard, nous proposons les distinctions suivantes : L'impôt provincial se prélevait à l'entrée de la province , sur le débit ou la consommation opérée dans tout le ressort rural 5 l'impôt des villes se percevait également à l'entrée et à la consommation 5 mais il était restreint aux objets con- sommés dans l'enceinte de chaque ville. Le premier était établi par des lois et des ordonnances générales j le second par des règlemens particuliers. Du reste, l'un et l'autre impôt frappaient à certains égards sur les mêmes denrées , savoir : la bière , le vin , le sel , les eaux-de-vie , la toile , les draps. L'abatage était un impôt de ville ou de province, selon que l'abatis des bestiaux avait lieu dans l'enceinte des villes , ou dans l'étendue du ressort rural. La perception des droits de ville , de même que celle des impôts provinciaux , se faisait par forme d'amodiation. Les fermiers particuliers de ces droits étaient tenus de se con- former aux conditions insérées dans le cahier des charges de leur adjudication. Ces conditions ne différaient de celles 86 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE imposées aux fermiers-généraux , que dans les rapports de comptabilité vis-à-vis les autorités constituées. Du reste, les fermiers particuliers des villes étaient également tenus de prêter serment aux bailleurs , d'opérer le versement des deniers dans le lieu et aux époques fixées par les règlemens , de déclarer leurs associés et de fournir une caution solva- ble pour sûreté de leur gestion. Leurs biens étaient égale- ment soumis à l'hypothèque générale et tacite en faveur des bailleurs ; l'exécution en cas de retard était dirigée con- tre eux sur le même pied et avec la même promptitude^ enfin , il leur était également interdit de retenir les deniers sous prétexte de saisies-arrêts, ni de réclamer la moindre dimi- nution pour dommages éprouvés par suite d'invasion étran- gère ou d'événemens naturels , le cas de peste seul excepté. Les fermiers étaient obligés d'attacher à leurs frais, au devant de leurs bureaux une enseigne portant les armes de la ville , au bas desquelles était placée une inscription en flamand et en français, indiquant la destination de ces bureaux. Ils étaient de plus obligés de poser à leurs frais , aux portes et aux bar- rières d'eau, ainsi que sur les limites du territoire extérieur de la ville , des poteaux surmontés d'inscriptions qui avertis- saient les passans munis de quelques effets ou marchandises , des obligations que les règlemens leur imposaient ('). (i) Voyez au sujet de tout ce qui précède les conditions de l'amodiation des droits de la ville de Courtray , du 1 1 mai 1754, dans le recueil intitulé , Costume der stede ende casselrye van Cortryck, f» 3o6 et suiv. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 87 Toutes les contestations relatives à ces droits entre les 1er- raiers et les receveurs , ainsi que les contribuables , étaient de la compétence des échevins : l'instruction avait lieu sans forme de procès et sans frais judiciaires. Leurs jugemens étaient exécutoires nonobstant l'appel et sans caution. Les [X)urvois dirigés contre ces décisions étaient de la compé- tence du conseil-privé de Sa Majesté. C'était également à ce conseil qu'appartenait le droit de connaître de tous les différends survenus au sujet de cette ferme entre les amo- diateurs et le magistrat de la villci A Bruxelles , la con- naissance des actions relatives à la perception des droits d'accises était dévolue à un tribunal composé d'un éche- vin, d'un trésorier et d'un pensionnaire, nommés par le gouverneur-général sur la présentation du bourgmestre. Ce tribunal était tenu d'instruire les causes sommairement, et de porter ses jugemens dans les deux fois vingt-quatre heures. Les jugemens de ce tribunal, dont le capital n'excé- dait pas la somme de trois cents florins , étaient en dernier ressort. Ceux qui étaient sujets à l'appel , pouvaient être ré- formés en la cour de Brabant , par les conseillers-commis- saires spécialement nommés à cet effet ('). (') Cahier des charges, du i4 mai 1704, art. 3,4 etsuiv. Plac. de Brabant, tom.VI, f°98. 88 SUR L'ADMINISTRATION GENERALE CHAPITRE IV. Des Magistrats Municipaux considères comme Juges Civils. — Des Justices de •villages. — Des Juges et des Tribunaux établis dans les villes ouvertes du res- sort rural. — Des Juges et des Tribunaux Civils établis dans les villes. — Des Juges et des Juridictions subalternes. — Des Tribunaux Civils ordinaires. — De l'Administration de la Justice Criminelle en général. — Des Attributions et de la Surveillance en matière criminelle. — De l'Instruction des Procès Criminels. — Des Cours Provinciales établies dans les Pays-Bas. — Du Per- sonnel des Cours Provinciales. — Du Procureur-Général.^ De l'AvocatFiscal. — Du Receveur et du Greffier de la Cour. — Des Avocats et des Procureurs. — Des Attributions des Cours Provinciales. — Du Conseil Suprême de Malines. De V Administration générale de la Justice. Dans l'ancien ordre judiciaire des Pays-Bas , trois espèces de tribunaux se partageaient les attributions de la justice civile et criminelle. Les magistrats municipaux qui , comme administrateurs , étaient les gardiens naturels des droits ci- vils , exerçaient en même temps comme juges tous les attributs d'un véritable ordre judiciaire. Les cours provin- ciales jugeaient dans les matières qui leur étaient attribuées par les lois , tantôt en première instance , tantôt en degrés d'appel 5 et la haute-cour de Malines , placée à la tête de l'ordre judiciaire entier, décidait par voie d'arrêt de toutes les contestations qui rentraient dans le ressort de sa juri- diction suprême. Pour mettre quelqu'ordre dans ce chapitre , nous suivrons la marche naturelle indiquée par les institu- DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 89 lions que nous venons de rappeler 5 ainsi nous traiterons successivement des divers tribunaux dont l'ordre judiciaire des Pays-Bas était composé. Des Magistrats Municipaux , considérés comme Juges Civils. Anciennement, les fonctions judiciaires étaient remplies par les échevins. Ces fonctionnaires municipaux étaient donc tout à la fois administrateurs et juges civils. Chaque commune jouissait de l'avantage d'avoir un tribunal de justice, composé de deux échevins en qualité de juges, et d'un secrétaire en qualité de greffier. Ce tribunal devait s'as- sembler au moins une fois tout les quinze jours. Il lui était interdit de tenir des séances extraordinaires, à moins qu'elles ne fussent spécialement requises par les parties. Dans ce cas , les frais retombaient exclusivement à leur charge. Les causes pendantes devant ces tribunaux étaient instrui- tes par des procureurs assermentés. Les conditions pour être admis à ces fonctions étaient d'avoir les capacités né- cessaires , et d'être âgé au moins de vingt-cinq ans. Avant d'entrer en fonctions, ils étaient tenus de prêter serment entre les mains du bailli de la commune. Aucune considé- ration ne pouvait les dispenser de défendre en personne les causes de leurs cliens , et de résider au lieu de leurs fonc- tions. Il leur était interdit à tous indistinctement, sous peine i3 go SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE de suspension et de punition arbitraire , d'acheter en totalité ou ea partie les actions de leurs cliens (■). La loi ne leur accordait que deux ans pour exiger le paie- ment de leurs salaires , et tout client avait le droit de re- prendre ses pièces , même avant d'avoir satisfait son avoué. Enfin , les juges pouvaient arbitrairement condamner à l'amende les procureurs de mauvaise foi, qui, pour augmen- ter leur salaire, retardaient par des moyens évidemment mal fondés la décision définitive de la cause. Les assignations devaient contenir, à peine de nullité , les noms des parties , le montant et l'objet de la demande , le juge devant lequel l'adversaire était tenu de comparaître, et le lieu des audiences 5 les délais de comparution étaient au moins de deux jours et augmentés à raison des distances du lieu où demeurait le défendeur. Lorsque ce dernier, dû- ment assigné, ne comparaissait point, il était décerné un premier défaut contre lui. Si, à la suite d'une nouvelle assi- gnation, il laissait prendre un second, et successivement jusqu'à un troisième défaut à sa charge, le demandeur était autorisé à prendre des conclusions motivées. Le juge, après avoir consulté un jurisconsulte, rendait sur les pièces pro- duites, le jugement soit interlocutoire, soit définitif, que l'état de la cause exigeait. Quand le demandeur faisait défaut , l'assigné pouvait , (') Règlement du 3o août i664, pour les communes de Saventhem, Erps, Sterrebeke , etc. , art 26 et 27. Plac. de Brabant , lom. IV, f° 3 10. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 91 séance tenante , demander congé sans devoir attendre plus long- temps que la fin de l'audience. Les trois défauts successifs de la partie assignée n'empê- chaient point le demandeur de produire des preuves écrites ou de faire entendre des témoins 5 mais il fallait qu'il assi- gnât le défendeur pour être présent à l'enquête. L'audition des témoins étant achevée , le défendeur était de nouveau assigné pour proposer ses reproches 5 à défaut de comparaî- tre , le juge , ayant pris l'avis de quelqu'homme de loi , pro- nonçait définitivement son jugement. La cause parvenue en cet état pouvait encore être débattue; mais le défendeur n'était admis à proposer sa défense que pour autant qu'il acquittât les frais des défauts, ou souscrivît à la condamnation qui les jpettait à sa charge. En matière de vérification d'écriture , le défendeur n'était tenu de reconnaître ou de dénier sa signatu- re , ou celle de son auteur , qu'endéans le délai d'un mois ; ce délai étant expiré et le défendeur ne s'expliquant point à l'audience suivante , la signature était censée provisoirement reconnue. Si dès le principe le défendeur avait fait défaut sur l'assignation en vérification, la signature était tenue pour reconnue; mais le juge ne pouvait prononcer défini- tivement qu'après le troisième défaut, et pour autant qu'il eût trouvé la demande suffisamment fondée. Lorsque les deux parties se présentaient â la première audience, le demandeur n'avait qu'un délai de quinze jours pour mettre sa demande en écrit; le défendeur devait y ré- pondre et proposer toutes ses exceptions à la fois , à moins 92 SUR L'ADMINISTRATION GENERALE qu'il n'excipât d'incompétence, d'une demande déjà jugée ou d'une action pendante devant un autre tribunal ; après la litis-contestation , le demandeur n'avait plus le droit de chan- ger ses conclusions , si ce n'est pour diminuer l'objet de sa demande. Après la réponse du demandeur et la duplique de l'adversaire, la cause était renvoyée à l'avis d'un juriscon- sulte, et le jugement était prononcé immédiatement après. Dans les matières sommaires dont le montant principal ne s'élevait pas au delà d'une certaine somme , le demandeur était admis au second défaut à affirmer la dette sous ser- ment. Le tribunal ayant en conséquence trouvé la créance suffisamment justifiée, condamnait le défendeur , après le troisième défaut , au principal , aux intérêts et aux frais. Dans ces sortes de causes , les parties colitigantes pouvaient se présenter en personne et proposer leurs moyens respec- tifs, sur lesquels le juge décidait sommairement. Le nombre de ces causes sommaires n'était point limité à celles dont le capital se bornait à une certaine somme. Toutes celles en matière d'injures verbales et de voies de fait , de réparti- tion d'impôts , ou sur les difficultés à ce sujet , ainsi qu'en- tre marchans forains et voyageurs étrangers , étaient égale- ment soumises, non à une juridiction particulière, mais à un genre d'instruction plus expéditîf (',). (') Règlement sur la procédure pour les juridictions rurales de la chàtellenie de Courtray , du 5 juillet 1703 , art. 1 14 et suiv. Voyez Coutume de Courtray, fo 1 59 et suiv. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. gî Les juges du ressort rural devaient se conformer à la cou- tume du chef-lieu de la châtellenie et aux règlemens géné- raux et particuliers qui avaient été rendus exécutoires dans leur ressort. Lorsqu'il s'élevait quelque doute sur l'interpré- tation d'une loi rédigée dans les deux langues, les juges ne pouvaient suivre que le texte flamand : lui seul étant re- gardé comme officiel par le gouvernement ('). Le nombre des tribunaux établis dans les villes ouvertes du ressort rural , était généralement de trois. On les appe- lait communément le siège , la chambre et la vierschaer. Le tribunal appelé le siège rendait ses j ugemens au nombre de deux juges, assistés d'un greffier. Les membres de cette juridiction portaient le nom de paisierders , correspondant à celui déjuges de paix (^). Ce tribunal ne connaissait en matière personnelle que des contestations dont le capital ne s'élevait point au delà d'une très-petite somme (^). Les par- ties étaient tenues de comparaître sur une seule assignation. Elles avaient la faculté de se faire représenter 5 mais les affai- res y étant traitées d'une manière très-sommaire, leur inté- rêt exigeait qu'elles comparussent en personne. Au jour de la comparution , ou au plus tard dans la huitaine , le de- mandeur était tenu de former la demande , à peine de voir (') Plac. du II avril 1743, art. 17. Plac. de Flandre, tom. V, f° 558, (') Coutume de Roulcrs, rub. ai , art. 1". yoyez Coutumes générales de la Flandre , f" 941. Voyez pour quelque chose d'analogue^ la Coutume deLouvain, chap. i" , art. Sa. (') Huit livres parisis à Roulers, ait. i" ci-dessus. 94 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE prendre congé d'audience. La demande étant régulièrement introduite , le défendeur devait proposer ses moyens de défenses au plus tard à la deuxième audience suivante. Après la réplique et la duplique des parties, le juge, trou- vant la matière suffisamment en état , rendait son juge- ment. La partie en faveur de qui ce jugement était rendu pouvait en lever acte et le faire mettre à exécution. Ce tri- bunal , le premier en ordre , puisqu'il était spécialement érigé pour décider les causes sommaires et de peu d'impor- tance, pouvait même, dans cette espèce d'affaires, renvoyer les parties devant l'autorité judiciaire immédiatement supé- rieure, c'est-à-dire devant les juges de la chambre. Indépendamment des causes renvoyées par le tribunal du siège à la chambre, cette dernière juridiction civile con- naissait en matière réelle , personnelle et mixte , de tous les procès dont le capital excédait la compétence du juge in- férieur. Ce tribunal était composé de deux échevins au moins, d'un pensionnaire et d'un greffier (i). Personne ne pouvait, à peine de nullité de la citation, assigner sa partie adverse devant ce juge, sans en avoir auparavant obtenu la permission du bourgmestre ou du premier échevin (^). Au jour de la comparution, ou au plus tard dans la huitaine, le (') Les membres dé te tribunal étaient nommés par le bourgmestre ou par le premier échevin. (») Il y avait néanmoins des Coutumes où cette permission n'était pas néces- saire. Voyez art. 3 de la procédure devant la chambre de Courtray , f° 92. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 9{î ^•' demandeur était tenu, si la partie adverse l'exigeait, de met- tre sa demande par écrit. Le défendeur avait deux audiences pour y répondre, et après la réplique et la duplique des par- tie, les juges allaient aux voix et rendaient leur jugement, La demande étant dûment articulée , le défendeur était tequ de proposer à la fois toutes ses exceptions , tant pé- remptoires que dilatoires. Avant de pouvoir prendre un jugement par défaut contre le cité, le demandeur devait lui donner trois assignations consécutives. L'effet de ces dé- fauts n'était point d'adjuger au demandeur la demande in- tégrale , mais d'enlever au défaillant ses moyens d'exception. Le demandeur était de son côté admis , pendant l'absence de sa partie adverse , à la preuve des faits qu'il avait allégués. Si la cause était de nature à être décidée au moyen du serment, le juge ordonnait au demandeur d'assigner le défaillant pour accepter le serment ou le référer à son adversaire. Si l'état de la cause donnait lieu à une enquête , le de- mandeur, après avoir obtenu la nomination d'un juge-com- missaire, citait la partie adverse au jour indiqué pour être présente à l'audition des témoins. L'enquête ayant eu lieu sans que le défaillant se fût présenté , le demandeur devait derechef l'assigner à jour fixe, pour qu'il eût à proposer ses reproches. Si l'adversaire comparaissait, il était admis à faire valoir ses contredits , et le demandeur avait droit d'y répondre. En cet état, la cause était jugée définitivement; elle ne l'était pas moins , quoique le défendeur eût persisté à faire défaut sur tous ces incidens. 96 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE Encore bien que le jugement définitif eût été rendu pen- dant l'absence de la partie défenderesse, il n'en était pas moins censé contradictoire et à l'abri de toute infirmation , autrement que par la voie d'appel 5 les moyens d'opposition contre les jugemens par défaut étant inconnus dans ces temps. Les juges du tribunal appelé la vierschaer , connais- saient sur une simple assignation de toutes matières inté- ressant les droits du seigneur , et des contestations relatives aux arrêts personnels et aux saisies mobiliaires et immobi- liaires. Ce tribunal était composé de plusieurs échevins nommés par le bourgmestre , et d'un pensionnaire en qua- lité de greffier. Toute saisie mobiliaire ou immobiliaire ne pouvait être faite que par le bailli , en présence d'un échevin et de la partie requérante, ou de son fondé de pouvoirs. L'existence de cette saisie était portée à la connaissance du tribunal par l'échevin qui y avait assisté. La validité pouvait être con- testée par le débiteur 5 et avant que ce différend ne fût ter- miné par un jugement, il était interdit au créancier de procéder à la vente des effets saisis. Ces trois espèces de tribunaux formaient , en matière civi- le, toute l'administration judiciaire des villes ouvertes du ressort rural (»). (■) Coutume de Roulers, rub. i", art. 19, 18 et 19. Coût, générales de la Flandre, i" Gfil^. Voyez aussi Coutume de Hondtschoote, rub. i", art. i4. Idem, f» 643. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 97 Lorsque l'une des parties avait de justes sujets de plainte contre la décision des juges dont nous venons de parler, elle pouvait en appeler aux membres réunis du collège, constitués en tribunal de justice. La même chose avait lieu dans quelques districts particuliers à l'égard des juges de village. Tous les jugemens de ces justices subalternes, qui n'étaient point en dernier ressort , pouvaient être attaqués par la voie de l'appel en première instance, devant les éche- vins du collège en chef présidé par le bailli du ressort. In- dépendamment des causes soumises à la juridiction de ce collège, par suite des appels interjetés par les parties, il était loisible aux juges inférieurs d'abandonner la décision des causes aux lumières du collège en chef, lorsqu'ils croyaient ne pouvoir facilement décider les difficultés sou- mises à leurs investigations ('). Les appels des jugemens rendus par le collège étaient portés directement à la cour provinciale. Après avoir parlé des juges et des tribunaux établis dans le ressort rural, voyons quelle était l'organi- sation de l'ordre judiciaire établi dans les villes. Des Juges et des Tribunaux Civils établis dans les Villes. Pour mettre quelqu'ordre dans cette matière , il importe de distinguer avec soin la juridiction des juges subalternes d'avec celle des échevins. (■) Ployez la coutume du pays de Waes , rub. i , art. 5 et suiv. Goût, générales de la Flandre^ f° 3g3. »4 « 98 SUR L'ADMINISTRA.TION GÉNÉRALE Les juges subalternes des villes étaient en assez grand nombre. En général, on comptait les suivans :les magistrats j udiciaires dont la compétence en matière personnelle était bornée aux demandes n'excédant pas une certaine somme en capital ('). Les membres de la chambre pupillaire^ la juridiction des drapiers , ouvriers en laine et autres de cette espèce 5 les juridictions des corporations de bouchers et de poissonniers j enfin les juges qui, à Gand, étaient spécia- lement nommés pour connaître des actions et des délits commis par les infectés retenus dans les lazarets publics ou dans des établissemens particuliers (^). Les juges de ces tribunaux inférieurs étaient choisis parmi les membres ou les doyens des métiers et des confré- ries présentés par le peuple au choix du magistrat. Ces juges étaient assistés d'un clerc ou greffier assermenté , et les actes judiciaires étaient notifiés par un me^^a^er ou huissier, spé- cialement attaché à ces juridictions. Tous ces officiers judi- ciaires étaient à la nomination du magistrat municipal. Tous les ans , il était pourvu à leur remplacement 5 mais rien n'empêchait qu'ils ne fussent maintenus en fonction. Avant de s'immiscer dans la connaissance des affaires judiciaires , ils étaient tenus de prêter entre les mains du magistrat le (i) Cette somme était à Gand de vingt escalins de gros. Coût, de Gand , rub. 2 , art. i"'. (») A l'exception de ces derniers , tous ces juges étaient connus dans la Flan- dre sous le nom géaénqvie de vinderen. DES P/LYS-BAS AUTRICHIENS. .99 serment exigé de tous ceux qui étaient promus à des fonc- tions publiques. Les magistrats judiciaires des bouchers et des poissonniers, connaissaient des actions relatives à l'exercice de ces métiers. Ceux de la confrérie des poissonniers décidaient en outre les contestations relatives à la vente sur les marchés publics du gibier et de la volaille. Ils avaient tous , conjointement, la po- lice sur les denrées infectées ou malsaines, que des vendeurs avides ou ignorans exposaient publiquement en vente au mépris des ordonnances et des règlemens en vigueur (0. Le premier devoir de ces juges consistait à interposer leur autorité pour concilier les parties et les amenet* à transiger sur leurs droits respectifs. A cet effet , interdiction formelle était faite aux procureurs et aux interprètes d'as- sister les parties. Celles-ci étaient tenues de comparaître en personne, et d'exposer franchement l'objet de la contesta- tion. Il était défendu à tout créancier de citer directement son débiteur en justice , sans avoir essayé préalablement cette voie de conciliation. La tentative de conciliation ayant été infructueuse, le juge, sans renvoyer les parties, les ad- mettait à débattre sommairement leurs droits (^). Cette per- mission était accordée par appointement signé de deux juges (') f^oyez sur tout cela les Coutumes de Bruxelles , art. 49 . 5i et 17 ; de Lou- vain , chap. i " , art. i o ; de Gand , rub. a , art. i et suiv. ; et le Plac. du 19 juil- let 1575 , qui se trouve dans les Coût, générales de la Flandre, P» 38 et suiv. {") Plac. sur la procédure des juges subalternes , du 19 juillet 1775, art. i et 5. Coût, générales de la Fland. , f» 38. loo SUR L'ADMINISTRATION GENERALE au moins 5 et ce n'était qu'en vertu de cet acte et à peine d'amende contre les contrevenans , que le bailli ou l'huissier de ce tribunal pouvait assigner les parties, et le clerc ou greffier porter la cause au rôle. Ce tribunal devait s'assembler autant de fois par semaine que le nombre des affaires à terminer l'exigeait. Quand la citation avait lieu à personne , il ne pouvait en être donnée qu'une seule très-sommaire et avec intervalle de trois jours francs. Cette citation devait contenir les noms des parties 5 le juge qui devait connaître de la contestation et la nature de la demande 5 mais lorsque la citation n'était faite qu'à domicile, on pouvait la réitérer une seconde fois. Le juge ne pouvait s'empêcher d'y faire droit. La procédure en général était verbale , à l'exception d'un petit nombre de causes à l'égard desquelles il fallait , pour pouvoir les instruire par écrit, obtenir le consentement exprès des juges. Avant de mettre les jugemens de ce tribunal à exécution , le créancier devait prévenir son débiteur trois jours d'a- vance. A défaut de satisfaire à la sommation , l'adversaire pouvait procéder à la saisie des meubles et effets , constituer gardien solvable , et trois jours après , passer outre à la vente publique. L'opposition à la saisie était de la compétence des - mêmes juges 5 mais elle n'était recevable qu'après que le demandeur eût consigné une somme suffisante pour couvrir les frais, en cas que l'opposition fût déclarée non-recevable ( •). (i) Plac. sur la procédure des juges subalt. , du 19 juillet 1775 , art. 44 ^^ 4^* DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. loi Les mauvais plaideurs , convaincus d'avoir intenté des actions évidemment mal fondées , étaient condamnés à des amendes pécuniaires , dont les deux tiers au profit des j uges et le tiers restant au profit des pauvres. Les jugemens ren- dus par ces justices subalternes ])Ouvaient être attaqués par la voie de l'appel. Cette action était portée devant la cham- bre civile, dont il sera question ci-après. Cette procédure était commune à tous ces tribunaux subalternes , de même que l'obligation où étaient les juges d'essayer la conciliation avant d'admettre les parties à discuter le fond du droit. Il résultait de là que ces tribunaux avaient en quelque sorte deux modes de juridiction, entre lesquels le choix des par- ties n'était pas volontaire. Le créancier qui n'avait pas fait assigner son débiteur en conciliation, ne pouvait le citer directement en paiement de sa créance ; l'appointement du juge en ce cas, étant nécessaire. Lorsque les juges avaient quelque sujet de croire que la question de droit, soumise à leur décision, surpassait leurs lumières, ils pouvaient s'adresser à l'expérience des magis- trats municipaux , et ne prononcer leurs sentences qu'en conformité des avis qu'ils recevaient de leurs supérieurs. Indépendamment des juges en matière correctionnelle, la juridiction civile ordinaire était partagée en deux sec- tions , dont la première était appelée le rôle ou tribunal des parchons , et la seconde la chambre du conseil ou tri- bunal du haut-banc. Le tribunal des parchons tenait ses audiences à la maison de ville j il était composé de deux I02 SUR L'ADMINISTRATION GENERALE échevins en qualité de juges , d'un pensionnaire et d'un greffier. La chambre du collège tenait ses séances au même lieu. Ce tribunal n'avait droit de siéger qu'avec une entière audience, c'est-à-dire, avec au moins sept échevins assistés d'un pensionnaire et d'un greffier. En matière d'injures ou de voies de fait, la connaissance des actions était dévolue aux juges des parchons siégeant comme juges de paix. On leur avait donné en flamand le nom de paisierders , correspondant à la dénomination de juges de paix , par le motif qu'ils étaient tenus, avant tout, de rétablir la paix entre les citoyens et de faire donner des sûretés par ceux qui avaient menacé de l'enfreindre. Une seule assignation était suffisante pour saisir le tribunal de la contestation et l'obliger ou à concilier les parties , ou a pro- noncer sur la contestation civile et sur l'action publique. Dans quelques endroits , la compétence de ces juges se bornait à la conciliation des parties : dans ce cas, leur juri- diction ne formait pas un degré judiciaire, mais un mode spécial d'instruction. Toutefois , à défaut d'avoir pu ame- ner les parties à un arrangement, ils étaient le plus com- munément saisis de la connaissance du fonds ('). La juridiction des parchons s'étendait en première in- stance sur toutes les contestations relatives aux successions, partages, ouvertures de mortuaires et injures verbales, ou (■) Coutume deLouvain, chap. i<", art. 82. DES PAYS-BAS AUTOlCniENS. io3 voies de fait non suivies d'effusion de sang. Ils connaissaient (des actions civiles intentées pour dommages-intérêts ré- sultant de blessures , des réconciliations pour meurtres , des actions en paiement d'honoraires de médecin et de chirurgien , des demandes en sûreté contre des individus coupables de menaces et de voies de fait ('), et des op- positions aux mariages formées par les tuteurs , parens ou amis des mineurs. Ils connaissaient de plus , en commun avec les juges immédiatement supérieurs, des remises faites en majorité par des mineurs, pour reliquats de compte dus par leurs tuteurs , ou des liquidations de comptes et partages de successions entre cohéritiers (2). Les juges civils de la seconde section connaissaient de tou- tes les actions personnelles , réelles et mixtes et des matières criminelles et correctionnelles , dans les cas où il y avait effusion de sang 5 des contestations entre époux 5 des viola- tions de la paix jurée et des contraventions de police portant atteinte aux mœurs et à la morale publiques (3j. En matière d'obligation personnelle , les citations devant les échevins des parchons devaient être données au moins à un inter- valle d'un jour franc. Après deux défauts sur deux citations successives , les juges pouvaient admettre le demandeur à (') ^"y** la Coutume de Louvain , tout le chap. a"*. (>) Coutume de Gand , rub. 3 , art. 1 7. (') Coutume de Gand , rub. i , art. 9 , rub. 1 1 , art. i , et passim. io4 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE la preuve de sa demande ou au serment supplétoire en cas de besoin. Lorsque le défendeur comparaissait sur la première ou sur la seconde citation , il était tenu de répondre à la prochaine audience , de proposer toutes ses exceptions à la fois et de défendre au fonds. Les échevins des parchons n'avaient droit de juger qu'à la charge de l'appel au tribunal du haut- hanc ('). La citation, en ce cas. devait être donnée plus de trois jours francs avant la comparution. Ce temps était requis afin que l'intimé eût un délai suffisant pour confé- rer avec ses conseils , et ceux-ci pour préparer la défense de sa cause. Lorsque l'appelant ne se présentait point par lui-même ou par un fondé de pouvoirs , à la première au- dience , son appel était déclaré désert. L'appelant et l'inti- mé , en cas de comparution , devaient se présenter devant les échevins du haut-banc , munis du jugement rendu par les parchons , et l'appelant était tenu en outre de présen- ter au même moment ses griefs. Ces formalités étant rem- plies , et les parties respectives ayant proposé verbalement leurs moyens , le juge confirmait ou réformait le jugement. Quand la cause n'était pas en état, les parties n'avaient que huit jours pour fournir de nouvelles défenses j et soit que la production eût effectivement lieu ou non, le jugement dé- finitif n'en était pas moins rendu sur les pièces produites (') Coutume de Bruxelles , art. 49 : in fine. DES PAYS-RAS AUTRICHIENS. ip5 au procès. Cette manière expëditive de terminer les affaires civiles, qui de leur nature étaient sommaires^ avait été rendue applicable , à une seule modification près , aux con- testations commerciales relatives aux effets de commerce et aux lettres de change. En conséquence , tout créancier por- teur d'un effet de change , pouvait à tout instant citer son débiteur devant le tribunal ou le collège des échevins, moyennant de laisser un jour franc entre la citation et la com- parution. Quand le débiteur cité devant les membres du col- lège comparaissait, il était fait droit par provision sur la demande, et la cause était renvoyée, pour être jugée dé- finitivement devant les échevins du haut-banc , en séance ordinaire. Au contraire, quand le débiteur faisait défaut sur la première et sur la seconde citation , les membres du collège prononçaient le jugement définitif, contre lequel les parties n'avaient que la voie de l'appel aux échevins de la vierschaer ou du haut-banc. Les autres causes étaient introduites par requête ou mise au rôle. Tous les moyens et exceptions étaient de part et d'autre proposés de plein saut et à peine d'amende. Outre les actes principaux de la procédure, tels que la de- mande et la réponse , la réplique et la duplique , aucune écriture n'était admise. Lorsque les nombreux incidens de la cause rendaient la triplique et la quadruplique nécessai- res , les parties ne pouvaient s'autoriser de cette nécessité qu'après en avoir obtenu le consentement du tribunal. À près ces productions respectives, la cause était renvoyée à i5 io6 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE l'avis des avocats , pour ensuite y être fait droit par un ju- gement. Enfin , dans tout le cours des procès , tout procu- reur qui retardait la production des pièces , en fournissait au delà du nombre fixé par les règlemens , ou laissait écouler les délais légalement déterminés, était sujet à des amendes, au profit du tribunal où la cause était pendante (>). Nous avons indiqué plus haut une partie des attributions des juges du haut-banc. Voyons maintenant de quelle manière ce tribunal était composé et quel était l'ordre de sa juridiction. Le tribunal du haut-banc était composé de tous les juges civils de l'endroit, c'est-à-dire, de tous les échevins for- mant , sous les rapports administratifs , l'ensemble du col- lège municipal. Ce tribunal s'assemblait à la requête et en présence du seigneur , de son bailli ou de Tamman , à des jours fixés par les ordonnances ou par la coutume du lieu. Rien n'empêchait néanmoins que les juges ne s'assemblassent extraordinairement à la demande du pouvoir municipal ou des parties, toutes les fois que l'urgence des causes l'exigeait. Indépendamment des matières que nous avons citées plus haut. Comme faisant partie des attributions des juges du haut-banc , cette autorité judiciaire connaissait aussi en pre- mière instance de toutes les contestations relatives aux do- maines , aux accises et aux revenus de la ville j de l'inter- (') Plac. sur la procédure, du 1 1 mai i644- Voyez Recueil des Coutumes de la Flandre, f° 62 , O et P. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 107 prétatioa et de l'ajiplicatioa des statuts et des règlemens poli- tiques ^ en uu mot de tout ce qui regardait les droits de la communauté ('). Les formes de la procédure étaient d'ail- leurs les mêmes que celles usitées devant les échevins des parchons dont nous avons déjà donné une idée succincte. Le premier moyen d'exécution des jugemens et le plus naturel a toujours été la saisie des meubles du débiteur. Cette saisie était faite à l'intervention du bailli et de deux échevins au moins. Le saisissant pouvait constituer gardien solvable ('). Lorsque le débiteur ne satisfaisait point dans les trois jours , le créancier poursuivant faisait procéder à la vente des objets saisis (3). En matière de déguerpissement ou d'abandon de biens , le bailli ou son lieutenant , accompagné de deux échevins au moins, rendait la sentence exécutoire, soit en mettant le condamné hors du bien , soit en saisissant ses effets ou sa personne. On ne pouvait procéder à l'exécution des senten- ces rendues par les juges subalternes , avant l'expiration du délai prescrit par le jugement, et même en ce cas, il fallait encore la permission du juge. Cette permission était signifiée au débiteur 5 si dans les trois jours il ne satisfaisait point au jugement, le créancier n'avait que les trois jours suivans pour effectuer la vente des objets saisis. Cette cé- (•) Giuturae de Gand, rub. i" , art. 17. {*) Coutume de Gand, rub. 7, art. i".G)utuine de Louvain, chap. i«',art.37. (') G>utunie de Gand , art. 4. io8 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE lérité avait pour but de prévenir les frais qu'entraîne la longueur des formalités en matière de saisie. La connais- sance des oppositions aux jugemens des juges subalternes leur appartenait de droit ; mais l'opposant devait nantir entre les mains du secrétaire , une somme suffisante pour couvrir les frais , en cas qu'il fût débouté de son opposition. En général, les oppositions à l'exécution de tout jugement étaient portées devant les tribunaux qui avaient rendu ces jugemens attaqués. La formalité de l'avertissement avant l'exécution n'était requise qu'à l'égard des jugemens ren- dus par les tribunaux subalternes. Ceux des juges des par- chons et du haut-banc , pouvaient être mis à exécution sans avertissement préalable. Tous les jugemens rendus par les juges subalternes des villes étaient sujets à l'appel au tribunal des parchons ^ les jugemens des juges des parchons Tétaient aux juges du haut-banc , et les jugemens de ces derniers l'étaient à la cour provinciale , pour tous ceux du moins , dont le capi- tal en matière personnelle excédait cinquante florins, et en matière réelle six florins de revenus ('). L'appel in- terjeté aux juges du haut-banc contre les sentences des juges des parchons , était suspensif. Lorsque les juge- mens des parchons étaient réformés en appel, les juges n'étaient point responsables , ni sujets à l'amende comme les (i) Concession Caroline pour la ville de Gand, art. i4 et i8. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 109 juges subalternes 5 sans doute , parce qu'ils étaient censés avoir plus de lumières , et jouir sous tous les rapports d'une plus grande indépendance. De r Administration de la Justice Criminelle en général. La justice criminelle était administrée dans toute l'éten- due des Pays-Bas , au nom de Sa Majesté, par ses vassaux, seigneurs haut- justiciers, soit civils ou ecclésiastiques, et par les baillis et les magistrats municipaux. La poursuite des crimes était de droit public ; de telle sorte qu'il n'était plus au pouvoir de l'offensé d'arrêter le cours de la justice, une fois que celle-ci était saisie de la connaissance d'un crime ou d'un délit ('). La faculté d'user du droit de grâce était une prérogative attachée à la haute justice , quelle que fût d'ailleurs la qualité de celui qui l'exerçait , soit de sei- gneur ecclésiastique ou civil, d'administration municipale ou de juges royaux. Mais ceux qui rendaient cette jus- tice à leurs frais , par suite d'anciennes concessions obte- nues du souverain, n'avaient ce droit que pour autant que ce dernier ne s'en était point réservé l'exercice par une clause formelle de l'acte de cession (*). L'exercice de la justice criminelle était surveillé par les commissaires de Sa Majesté. Ces fonctionnaires étaient tenus (') Loi du i5 juin i556, art. 6. Plac. de Flandre, tom. I , f" a8. (*) Plac. du 9 juillet 1570, art. i4et i5. Plac. de Flandre, tom. V, f» 170. iio SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE à tout renouvellement du magistrat municipal , de visiter les prisons et d'annoter le nombre des prévenus , la nature de leur délit et la durée de leur détention ('). Les juges com- munaux devaient en outre faire rapport, tous les trois mois, aux juges du ressort - du nombre des prévenus , de la nature du délit imputé et de Tétat de Tinstruction du procès. Ces rapports étaient envoyés à la cour provinciale ^ qui était tenue de les mettre sous les yeux du gouverneur-général , toutes les fois qu'elle en était requise. Lorsqu'on avait Tassu- rance que les juges criminels négligeaient leurs devoirs, la cour évoquait la cause pour y faire droit à leurs frais. L'officier criminel ou son substitut , accompagné de deux juges et du greffier, était tenu de se rendre au moins une fois tous les mois à la prison criminelle , d'interroger les prévenus , d^écouter leurs réclamations et de s'informer si les ordonnances sur la tenue de ces maisons, la nourri- ture et l'entretien des prisonniers, étaient dûment obser- vées. Les procureurs-généraux ou leurs substituts étaient tenus de faire de pareilles visites , tous les trois mois , dans les prisons de leurs cours respectives , et de se faire accom- pagner de deux conseillers-commissaires. Les mêmes visites avaient lieu dans les prisons des seigneurs hauts- justiciers, par les juges et les officiers judiciaires de ces tribunaux (=^). L'officier criminel ou le juge , convaincu d'avoir prolongé (') Plac. du 9 juillet iS^o, art. 3a. (=) Plac. ci-dessus , art. 89 et ^o. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 1 1 r la détention d'un prévenu au delà du terme strictement nécessaire , était condamné à tous les frais que cette déten- tion illégale avait pu occasionner , indépendamment des peines statuées par les lois. Dans toutes les causes extraordinaires , où la peine et les amendes étaient laissées par la loi à la décision arbitraire des juges , ceux-ci étaient tenus de requérir l'avis de quel- que homme de loi désintéressé dans la cause, avant de prononcer sur la gravité du délit et la hauteur des amendes. Si l'officier criminel ou les procureurs fiscaux avaient des motifs suffisans de croire que la condamnation n'était point conforme aux ordonnances, ils pouvaient appeler des juge- mens a minima. Cette faculté ne leur était accordée que pour autant que la condamnation n'était point en dernier ressort. Lorsque les juges connaissaient au contraire à la charge de l'appel , les procureurs fiscaux ou les officiers criminels n'avaient contre les sentences que le recours en redressement vers le souverain ('). La diversité des juridictions criminelles, les prérogatives attachées à ce droit et les frais qu'elles entraînaient _, ne pou- vaient manquer de susciter beaucoup de querelles entre les autorités 5 c'est pour obvier à ces débats et laisser à la jus- tice son libre cours , que les lois avaient ordonné qu'en cas de conflit de juridiction le coupable serait remis au juge (') Piac. du 9 juillet 1370, art. 38. lia SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE immédiatement supérieur. Si le conflit avait lieu entre deux juridictions ressortissant de différentes cours , le prévenu était jugé par un tribunal composé de juges spécialement délégués 5 sauf en ce cas la faculté réservée aux juridictions inférieures de faire valoir leurs privilèges devant qui de droit ('). En matière criminelle , il n'y avait pas de privilège d'une juridiction à une autre. Tout coupable arrêté sur le lieu du délit 5 dans une commune , ville ou province voisines , était traduit devant le juge de l'endroit et jugé d'après les lois criminelles en vigueur (2). Néanmoins les officiers d'une juri- diction , qui voulaient mettre un mandat de prise de corps à exécution , n'avaient pas le droit d'exploiter sur le terri- toire d'une juridiction voisine , si ce n'est dans le cas de flagrant délit. L'exécution des condamnés à mort pou- vait se faire sur le lieu où le crime avait été commis 5 mais l'officier criminel ou le seigneur qui avait requis le trans- port du coupable , était tenu de supporter personnellement les frais de l'exécution. Les juges criminels pouvaient, dans des circonstances importantes , s'adjoindre quelques juris- consultes pour assurer d'autant mieux l'exécution des lois criminelles (3). (i) Plac. du 9 juillet 1570 , art. 72 et 73. (") Plac. du u avril i54i , spécial aux vagabonds et aux gens de guerre er- rans, rendu applicable à toute espèce de criminels par l'art. 7$ duPlac. du 9 juil- let 1570. Plac. de Flandre , tom. V, f" 170. (î) Règlement du i4juin 1756, art. 14. Plac. de Flandre, tom. V, ("BiS. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. M 3 La poursuite des délits et l'instruction des procès crimi- nels , avaient lieu dans l'ordre suivant : Les prévenus étaient appréhendés i° en cas de flagrant délit 5 2° en vertu d'un décret ou mandat criminel , et 3° sur la plainte d'un accusateur constitué partie au procès ( ' ). Hors le cas de flagrant délit, personne ne pouvait être arrêté , qu'en vertu d'un décret du juge. Ce mandat était délivré d'après la plainte des officiers, de la partie intéressée, ou même d'office sur des soupçons graves et bien constatés. L'interrogatoire du prévenu avait lieu dans les vingt-quatre heures, et en cas d'empêchement, dans les trois jours au plus tard. Il était tenu note de sa déposition , de ses aveux ou de ses contredits j le tout sans pouvoir y changer quel- que chose, autrement que par renvoi dûment approuvé. Avant de renvoyer le prévenu, le juge d'instruction lui donnait lecture de son interrogatoire , et ce dernier était libre de rectifier les faits s'il les croyait contraires à la vérité. Le j lige pouvait, d'après la nature et la gravité du crime , la qualité du prévenu et les circonstances de la cause, or- donner provisoirement sa mise en liberté sous caution , le délivrer du secret ou lui faire tenir sa propre demeure pour arrêt. Mais cette faculté n'était accordée aux juges qu'après l'interrogatoire, et lorsque la cause était de nature à l'exiger ainsi. {■) Loi du 9 juillet 1570, art. a. Plac. de Flandre, tom. V, f° i53. 16 ii4 SUR L'ADMINISTRA. TION GÉNÉRALE En général , tous les procès criminels étaient instruits de la manière que nous venons d'indiquer. Ce mode était ap- pelé extraordinaire , parce qu'il sortait des règles de la pro- cédure usitée. Néanmoins , à l'égard des causes criminelles , qui offraient des questions de droit importantes à décider , l'instruction pouvait se faire dans les formes usitées par mise au rôle avec intervention d'avoué. Lorsque le fait était en aveu, le procureur-général ou son substitut prenait immé- diatement ses conclusions. Si le prévenu niait le crime , soit en proposant un alibi, soit de tout autre manière, il était tenu de nommer sur-le-champ les individus dont il invo- quait le témoignage. La partie poursuivante avait le droit de faire une contre-enquête ; mais cette double preuve de- vait être administrée dans le délai prescrit par le juge. Le nom des témoins entendus à charge et les faits sur lesquels ils avaient été interrogés étaient signifiés au prévenu , pour y faire ses reproches ou ses contredits. Il y avait des cas où il était admis à vérifier les faits allégués contre les témoins , surtout lorsque ces faits étaient de nature à détruire la mo- ralité de leur déposition. Les témoins étaient entendus sé- parément; leurs dépositions étaient écrites et signées par eux , ou à défaut de savoir écrire , revêtues de leur marque avec la mention de cette circonstance. Lorsque l'instruction de la cause nécessitait la mise à la question du prévenu , il en était donné connaissance à ce dernier. Après l'aveu du patient, le juge était tenu de l'in- terroger de nouveau dans les vingt-quatre heures. S'il per- DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. Ii5 sistait dans sa première déclaration , il en était tenu note ; mais s'il la révoquait, il était derechef soumis à la torture. S'il parvenait à subir la seconde épreuve sur la rétractation des faits précédemment avoués , il ne pouvait plus y être ai)pliqué sans de nouveaux indices de culpabilité. Dans ce cas , le procès était jugé sur les preuves existantes. Les juges criminels n'avaient le droit d'user de la question que dans des cas formellement j)révus par les lois , et même alors fallait-il encore que la j^reuve fût si apparente , qu'il ne res- tât que l'aveu du prévenu pour la rendre complète. Mais dans tous les cas où il n'y avait ni commencement de preuve, ni élémens de semi-preuve, il était défendu de faire usage de ce moyen extraordinaire de conviction. Lorsque par suite de l'instruction , l'affaire n'était disposée ni à recevoir un jugement d'absolution ou de condamnation , ni à faire subir au prévenu l'épreuve de la question , celui-ci était renvoyé sous caution de se représenter au besoin. Un prévenu, mandé par ajournement personnel , qui ne parvenait qu'à se justifier en partie, n'était point définitivement relâché} mais à défaut de preuves complètes , il était mis en liberté sous caution. Si l'ajourné faisait défaut, on décernait contre lui un mandat de prise de corps j et en même temps, un édit con- tenant les chefs d'accusation mis à sa charge , était publié à trois reprises de quinze jours en quinze jours, avec ordre de se représenter. Cet édit restait affiché dans l'intervalle au lieu ordinaire pour ces sortes d'appels. Le prévenu qui ii6 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE persistait à faire défaut, était jugé par contumace, de la même manière que s'il eût été présent. Lorsque le contu- mace se représentait , il était admis à faire valoir sa défense 5 mais ni le jugement, ni les preuves acquises contre lui n'étaient annulés de plein droit. L'effet du jugement qui avait prononcé la confiscation des biens , et des amendes pécuniaires , avait cela de particulier , que cette confisca- tion et ces amendes demeuraient irrévocables, lorsque le contumace ne se représentait que plus d'un an après sa condamnation. En général, les juges criminels devaient se conformer aux ordonnances existantes , et à leur défaut , au droit écrit. Quand la peine était arbitraire , comme il arrivait le plus souvent , le juge devait l'établir d'après la nature du crime ou du délit. Les juges subalternes qui avaient à décider des cas d'une certaine gravité , étaient tenus de prendre l'avis de quelques hommes de lois, versés dans la pratique et tota- lement étrangers à la contestation. Tout jugement était prononcé à l'audience à portes ouvertes, en présence du con- damné et de l'accusateur. Cette lecture était répétée publi- quement et à haute voix par l'exécuteur des hautes-œuvres, sur le lieu du supplice. La sentence de condamnation ne de- vait contenir que renonciation de la peine à laquelle le coupa- ble était condamné 5 mais ce dernier ne pouvait , sous aucun prétexte , être remis à la discrétion du seigneur ou de Tofli- cier criminel. Toute condamnation à la peine capitale , de- vait être exécutée dans les vingt-quatre heures. Les cadavres DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 117 des suppliciés restaient suspendus au gibet, pour inspirer l'effroi et servir d'exemple au peuple. Personne, sans en excepter les parens des condamnés, n'avait le droit de les enterrer. Ce privilège n'était accordé que dans des cas rares et à l'égard de personnes de qualité. L'instruction, la procédure et le jugement de tout procès criminel devaient être terminés dans l'année à dater de l'arrestation des coupables 5 et dans les deux ans au plus tard, si la cause présentait des enquêtes longues et j)éni- bles. En règle générale , toute sentence criminelle était rendue en dernier ressort. Dans les cas où , par un privilège particu- lier , l'appel en était recevable , les condamnés par contumace ne pouvaient se prévaloir de ce bénéfice 5 et les jugemens rendus à leur charge n'en étaient pas moins exécutoires. Toute confiscation de biens , pour être valable , devait être prononcée par jugement. Cela n'empêchait point qu'au moment de l'arrestation de celui qui était soupçonné d'a- voir commis un crime emportant confiscation , ses biens ne fussent mis eu dépôt entre les mains d'un séquestre judi- ciaire , à qui la loi donnait provisoirement le droit de vendre les meubles et les marchandises sujets à des avaries ou au dépérissement ('). Des Cours Provinciales établies dans les Pays-Bas. Il y avait dans les provinces autrichiennes des Pays- (i) l^aycî sur tout cela la loi du g juillet 1 570. Plac. de Flandre, tom. V, f» i53. Patsim. ii8 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE Bas , à l'époque du règne de Marie-Thérèse , six cours pro- vinciales. Celle de Flandre était établie à Gand 5 celle de Brabant à Bruxelles; celle de Hainaut à Mons; celle de Gueldre à Ruremonde et celles de Luxembourg et de Namur dans les villes de ces noms respectifs. Chacune de ces cours était composée d'un président , de plusieurs con- seillers de longue et de courte robe, et d'un ou de plu- sieurs greffiers. Le haut fonctionnaire préposé à la défense des intérêts du souverain, était appelé procureur-général (■). Dans toutes les causes qui intéressaient les droits de Sa Majesté , soit qu'elle fût demanderesse ou défenderesse, elle était représentée par un magistrat spécialement chargé de sa dé- fense. Ce défenseur s'appelait avocat fiscal. Les conseillers des cours étaient choisis par Sa Majesté, sur la présentation de trois candidats ayant les qualités requises par les règle- mens (2). Les nouveaux conseillers n'étaient admis à rem- plir leurs fonctions qu'après avoir prêté le serment solen- nel prescrit à tous les fonctionnaires de l'état. Les fonctions des magistrats judiciaires attachés aux cours provinciales étaient incompatibles avec la profession d'avo- cat , la qualité d'exécuteur testamentaire et toute espèce de commerce ou d'entreprises financières. Le président pou- vait convoquer extraordinairement les conseillers pour leur (') Plac. du 27 août 1409, art. 3. Plac. de Flandre, tom. I", f» 238. (>) Loi du 12 septembre 1736, art. i*'. Plac. de Flandre, tom. IV, f» ici. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. i ig soumettre les propositions de Sa Majesté. Dans l'ordre de la discussion , il recueillait les opinions , formait les avis et les ai)j)ointemens, et prononçait les sentences rendues par la majorité des suffrages. Il commettait les conseillers rappor- teurs et concourait à la nomination des membres destinés à former la chambre des vacations («). Du reste, dans toutes les occasions où il s'agissait de remplir les devoirs de leur ministère, les inférieurs lui devaient obéissance et respect. Du Personnel des Cours Provinciales. Le procureur- général attaché à la cour de chaque pro- vince était un haut fonctionnaire, tenu de défendre à toutes les actions intentées contre les droits, les domaines et les prérogatives de Sa Majesté. Pour pouvoir intenter des procès, l'autorisation de la cour lui était nécessaire. Il en était de même lorsqu'il s'agissait d'intenter des pour- suites à charge des baillis , écoutètes , receveurs-généraux , prélats , seigneurs et autres officiers du pays , du chef d'abus ou d'excès commis dans l'exercice de leurs pouvoirs judi- ciaires ou administratifs (2). Les fonctions du procureur-général n'empêchaient point qu'il n'eût droit d'entrer dans les conseils , de faire le rap- port des procès dont il avait été chargé , et d'être présent (') Plac. du 9 mai i5aa , art. a , 3 et 7. Plac. de Flandre , tom. I" , f" 249. {') Plac. du 9 mai iSaa, art. 5^. Plac. de Flandre , tom. I , f" 249. lao SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE aux délibérations et aux conclusions de toutes les cau- ses , dans lesquelles il n'était ni partie principale ni partie jointe. Il était interdit à ce magistrat de servir les inté- rêts d'aucune partie , ni d'accepter aucun gage ou pension de la part des prélats, nobles, villes libres, corps ou com- munautés d'habitans , à peine de privation de son office , et d'être puni arbitrairement. Il était tenu d'office , en cas que les juges inférieurs négligeassent la poursuite des dé- lits , d'y procéder à leurs frais , et de poursuivre les fonc- tionnaires judiciaires qui avaient négligé de remplir leurs devoirs. Le procureur-général pouvait s'adjoindre un substitut, pour le remplacer en cas d'absence ou d'empêchement lé- gitime ('). L'avocat fiscal était chargé de la défense de tous les pro- cès où le procureur-général était partie principale ou partie jointe pour Sa Majesté. Il lui était interdit de prêter son ministère à d'autres parties. Indépendamment de ses fonctions d'avocat ou de défenseur , il était tenu d'assister régulièrement aux audiences , de faire le rapport des cau- ses dont le président de la cour l'avait chargé, et d'as- sister aux délibérations , à l'avis et aux conclusions de celles où il n'était pas chargé de la défense de Sa Ma- jesté. En ce qui concerne ses gages ou récompenses pé- (.) Plac. du 9 mai iSaa , art. 54 et 63. Plac. du aa juin iSSg , art. 24. Plac. de Flandre , tom. II, f» 169. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. lai cuniaires; les mêmes défenses faîtes au procureur-général lui étaient sous tous les rapports applicables. Les fonctions du receveur de la cour consistaient à per- cevoir le produit des amendes , des confiscations et autres peines pécuniaires prononcées par la cour, et d'acquitter selon la taxe les vacations des commissaires, des officiers fiscaux et des messagers judiciaires ('). Le greffier était tenu tous les ans de tenir deux registres , dans l'un desquels il inscrivait toutes les anciennes et les nouvelles causes ; et dans l'autre, tous les jugemens tant pré- paratoires que définitifs , ainsi que les décrets , les ordon- nances et les mandemens envoyés à l'enregistrement des cours (3). A chaque audience , il tenait note des conseillers absens ou de ceux qui étaient en retard de se rendre à l'as- semblée. Il consignait dans un registre Journal les plai- doyers des avocats , les demandes et les appointemens que la cour accordait pendant les audiences. Ses attributions consistaient aussi à expédier les lettres et les arrêts , et à recevoir en dépôt les nantissemens ordonnés par la cour (3). Les avocats admis à plaider devant les cours provinciales étaient pris parmi les licenciés en droit civil ou ecclésiasti- (') Plac. du i3 avril i6o4 , art. a8a. Flac. de Brabant, tom. I**; cette loi se trouve à la fin du vol. , f° a6. {*) Même plac. , art. ia6. (^) Même piac. art. 171, 122 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE que qui avaient le plus de mérite. Avant d'entrer en fonc- tions, ils étaient tenus de prêter serment et de jui'er de ne défendre que des causes justes , de s'abstenir de tout pacte illicite avec leurs cliens, ou d'injurier leurs parties adver- ses (i). Ceux qui, au mépris de leur serment, se permettaient de calomnier publiquement , ou de soutenir des procès no- toirement mal fondés , pouvaient être mis à l'amende par le même jugement qui décidait entre parties du sort de la contestation. Personne ne pouvait être admis en qualité de procureur à l'une des cours provinciales , avant qu'il ne fût parvenu à un certain âge, et n'eût été dûment interrogé sur l'ordre du président ou du chancelier. Ils étaient astreints au même serment que les avocats , et tenus de le renouveler tous les ans. Aucun procureur ne pouvait postuler sans un mandat spécial de sa partie, si ce n'était pour ses proches parens. Lorsque l'avocat était à plaider sa cause, l'avoué était tenu de l'assister en silence et tête découverte. Les avoués des cours ne pouvaient, sans la permission expresse du président, postuler devant les tribunaux inférieurs. Des Attributions des Cours Provinciales. Les attributions des cours provinciales étaient de deux espèces ; de haute police administrative et d'ordre judiciaire. (') Plac. du i3 avril i6o4, art. 286, 287, 289 et suiv. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. ia3 Sous le premier rapport, les membres des cours provinciales avaient le pouvoir de faire comparaître à la barre de leur tribunal les baillis ou officiers de Sa Majesté, contre les actes desquels il s'élevait de fortes plaintes. Lorsque ces fonctionnaires ne parvenaient point à se justifier des incul- l)ations dirigées contre eux , la cour pouvait les punir parla suspension momentanée de leur office , à la charge d'en in- former le gouvernement. La cour en agissait de même à l'égard des seigneurs dont les tentatives de voie de fait ou de vengeance par- ticulière , donnaient lieu de craindre pour la tranquillité publique. Elle avait le droit de les faire comparaître et de les menacer de fortes peines en cas qu'ils donnassent suite aux vengeances dont ils s'étaient mutuellement menacés. Le même droit lui était attribué à l'égard des nobles qui opprimaient les gens d'église , les veuves et les orphelins , les pauvres laboureurs et autres personnes indigentes. Lorsque des gens sans aveu , ou des militaires errans in- festaient les campagnes et se livraient à des excès coupables , la cour stimulait le zèle des officiers commis à }a répression de ce genre de délits , fort commun dans ces temps (»). Dans l'ordre de leurs attributions judiciaires, les cours pro- vinciales connaissaient , en première instance , des droits ap- partenans à Sa Majesté, tels que fondations d'églises, injures {') Plac. du 17 août i4o9> m-t. 28. Plac. de Flandie, tom. I«', f» 337. ia4 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE faites aux ministres de la religion et délits commis par les employés de Sa Majesté dans l'exercice de leurs fonctions. Elles connaissaient de plus des crimes de falsification de monnoies , des contestations élevées entre les villes et les autres communautés de la province , des privilèges accordés à des marchans et à des nations étrangères trafiquant dans le pays , des complaintes en matière de nouvelleté, des ques- tions féodales relatives aux fiefs , des délits commis à l'égard des officiers publics , de ceux commis dans les prisons par les détenus à l'égard des officiers préposés à leur garde ; en- fin des difficultés survenues au sujet des comptes à rendre par les baillis ou autres officiers de Sa Majesté (■). Les cours provinciales connaissaient en second degré de juridiction de toutes les causes qui n'étaient décidées par les juges inférieurs qu'à la charge de l'appel. Avant d'être admis à faire usage de cette voie , l'appelant était tenu de consigner le capital de la condamnation, l'amende et les frais. Uintimé de son côté pouvait, sans attendre la déci- sion de la cour, se faire délivrer la somme nantie , moyen- nant de doMier caution de la restituer au besoin (2). En matière criminelle, les cours avaient le droit de connaître par privilège des questions qui intéressaient les droits et les prérogatives de la souveraineté , tels que les crimes de lèse- (•) Plac. du gmai 1622, art. 28 et 35. Plac. de Flandre, tom. I", f° a54. Décret du 5 octobre i^SS. Plac. de Flandre, tom. IV, f" 100. f) Plac. du i5 février i448, in fine. Plac. de Flandre, tom. I",/° 72- DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. ia5 majesté , de révolte à main armée ou de sédition tendante à renverser le gouvernement , ou à changer l'ordre de suc- cession au trône. Elles connaissaient de plus de tous les crimes commis à l'égard des églises , maisons religieuses , ministres du sacerdoce et autres personnes ecclésiastiques placées par les lois sous la sauvegarde du souverain. (■). Les attributions judiciaires des cours s'étendaient encore sur quelques autres matières exclusivement abandonnées à leur juridiction : telles que les contraventions en matière d'or et d'argent , les contestations relatives aux acquisitions illicites de biens faites par des mains-mortes , et les difficul- tés sur le paiement des frais judiciaires entre les châtelle- nies et les seigneurs hauts -justiciers (*). Les procès en matière d'impôts , d'aides et de subsides, étaient du ressort en première instance des tribunaux ordinaires , qui , à cet égard , décidaient sans forme de procès 5 mais lorsque le capital excédait une certaine somme , le contribuable ou la régie qui se croyait lésée, pouvait s'en plaindre au gouver- nement, ou tenter la voie d'appel devant la cour provin- ciale. Les ouvrages exécutés dans le but de faciliter le passage et le cours des rivières , prévenir les inondations , rendre le (') Concession Caroline pour la ville de Gand, du 3o avril 1 54o, art. 14. Plac. de Flandre, tom. III , f" a35. (') Loi du i4 avril 1751. Décret du 26 juin 1755. Règlement du 4 mars 1739, art. 5. Plac. de Flandre , tom. V, f» 291 , 26 et a 12. ia6 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE cburant des eaux plus rapide là où leur débordement pou- vait occasionner des dégâts , étaient placés sous la surveil- lance des collèges en chef. Les contraventions commises en cette matière étalent constatées par des experts envoyés sur les lieux. Les rapports qu'ils étaient chargés de faire devaient être transmis aux conseillers fiscaux chargés par la loi d'en poursuivre les auteurs ('). Enfin ^ les cours provinciales connaissaient des conflits de juridiction en matière crimi- nelle, et des contraventions commises au sujet du sceau de la ])rovince. Du reste , elles n'avaient nul pouvoir d'accorder des privilèges ou des saufs-conduits à des criminels , sans de bon- nes raisons 5 il leur était interdit de révoquer le bannisse- ment des coupables légalement condamnés , ou d'autoriser des concessions de grâce ou des remises de paiement , soit en matière d'impositions , d'aides et de subsides , soit pour con- traventions commises en matière rurale ou sur le fait des monnoies. Elles ne pouvaient également connaître, sans fran- chir les limites de leurs pouvoirs judiciaires , des franchises en matière d'impositions urbaines , d'établissement de foires franches, de travaux publics ou de contributions locales, ni de tout ce qui avait rapport à la régie intérieure du res- sort rural. Les lettres closes , d'avis ou autres documens expédiés j)ar Sa Majesté, son gouverneur-général ou par les conseils (■) Règlement du 6 octobre 1740, art. 38. Plac. de Flandre , tom. V, f" 707. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 137 privé ou de finances , étaient remises en main du président qui pouvait les ouvrir. S'il trouvait que le contenu requé- rait célérité , ce magistrat mandait sans délai deux ou trois conseillers pour pourvoir avec promptitude à l'objet de la demande. Dans les cas ordinaires , ces lettres étaient lues à l'audience dans la chambre du conseil (•). Les causes intro- duites par exploits étaient portées au rôle ordinaire de la cour. Ce rôle était expédié par deux conseillers-commissai- res nommés à cet effet. Ces magistrats connaissaient en leur particulier de tous les incidens élevés par les parties. Lors- que celles-ci avaient à se plaindre de leurs appointemens, elles pouvaient se pourvoir devant la cour à l'audience ordinaire. Les causes qui n'étaient j)as de nature à être instruites ver- balement , devaient l'être par écrit. En ce cas , les délais ordinaires entre la demande et la réponse, la réplique et la duplique et les autres actes, étaient de quinzaine : en matière sommaire^ ces délais n'étaient que de huit jours. Dans l'un et l'autre cas ils étaient péremptoires. Les instances à la cour se faisaient par deux citations successives , dont la seconde avec intimation formelle (*). Si le cité ne comparaissait point , il était procédé en son absence à l'instruction et à la décision de la cause , comme s'il eût été présent. S'il (') Plac. du 9 mai \^ii, art. 2 5. Plac. de Flandre, tom. I", P> 2^9. (*) L'effet de la citation donnée avec O inthimatie , comme on l'apnelait en style de procédure , était d'avertir le cité qn'il serait procédé h sa charge en son absence de la m^me mnnière qne s'il eût été présent. 128 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE gagnait son procès , il était en tous cas condamné aux frais des défauts qu'il avait laissé prendre. Les délais de l'appel contre les jugemens des tribunaux inférieurs étaient de dix jours ; ceux pour se pourvoir en réformation , d'un an. La forme de la procédure était la même pour les causes introduites par voie d'appel , que pour celles qui l'étaient directement par exploits de citation. En matière criminelle , l'instruction du procès , l'interro- gatoire du prévenu , le récolement et la confrontation des témoins , l'élargissement sous caution , les reproches contre les témoins , la mise à la question du prévenu, le jugement de condamnation , l'absolution et la mise en liberté , avaient lieu devant les cours de la même manière, et d'après le mode de procédure usité devant les tribunaux criminels subalternes du pays ('). . Du Conseil Suprême de Malines. Le conseil suprême était la première autorité judiciaire des Pays-Bas. Cette cour souveraine , appelée grand-conseil de Malines , était composée d'un chancelier comme chef, d'un président, desixmaîtres de requêtes ordinaires , de cinq conseillers ecclésiastiques et de neuf conseillers laïques (2). (■) Plac. sur la procédure dans le Conseil de Brabant, du i3 avril i6o4, chap. t4' Plaf^- de Brabant, voyez la fin du I" vol. (') Plac. du 22 janvier i5o3, art. 2. Plac. de Brabant, tom. IV, f« 228. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. lag Elle tenait ses audiences et ses réunions dans quatre cham- bres, dont la première était destinée aux plaidoiries des causes et à la prononciation des arrêts 5 la seconde à la vi- site des procès , aux délibérations et aux conclusions des arrêts 5 une troisième à la garde de toutes les pièces et docu- mens , et une quatrième , à l'interrogatoire des préve- nus. Le personnel du greffe consistait en trois greffiers , dont un pour les affaires civiles , un autre pour les causes crimi- nelles et un troisième pour enregistrer les présentations, former les rôles , les afficher et en faire la lecture aux jours des audiences. Le greffier civil assistait aux plaidoiries des avocats , enregistrait les conclusions des parties et faisait dépêcher les actes , les appointemens et les arrêts. Le greffier criminel était chargé des mêmes attributions dans son dé- partement judiciaire, et en outre, d'écrire les dépositions des témoins et les déclarations des prévenus. Il y avait également près de cette cour un procureur- général, représenté en son absence par un substitut, et un premier et second avocat fiscal. Les huissiers , indépendam- ment de celui qui était spécialement commis aux audiences de la cour , étaient au nombre de seize. Il y avait de plus un receveur des exploits et des amendes , et un geôlier commis à la garde des prisonniers justiciables du conseil suprême. Le nombre des avocats et des procureurs, admis à plaider et à postuler devant cette cour , était limité par des règlemens particuliers. Tous ces fonctionnaires étaient 18 i3o SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE tenus annuellement de prêter serment entre les mains du chancelier ou du président ("). L'une des fonctions les plus importantes de cette autorité judiciaire, était de veiller à l'exécution des lois du pays. Le gouvernement lui adressait à cet effet copies authenti- ques de toutes les ordonnances générales , et le conseil en faisait l'enregistrement. En matière de domaines , d'aides et de finances , la connaissance des difficultés appartenait de droit au gouvernement ; mais dans les causes qui _, par leur nature, étaient sujettes au cours ordinaire de la justice, la connaissance en était déférée au grand -conseil. « Ce tribunal, dit M. De Neny, juge par arrêt, et il w n'échoit de ses jugemens que le remède de la grande re- V vision. Il est juge en première instance, et en actions V personnelles des chevaliers de la Toison d'Or , des mem- V bres des conseils collatéraux , de ceux de la chambre des V comptes de Flandre , de leurs suppôts et de tous les V officiers du souverain, que l'on nomme comptés par V écrous , c'est-à-dire, commensaux de la maison et desti- w nés à suivre la cour, w En degré d'appel , le conseil de Malines connaissait des jugemens rendus par les cours pro- vinciales de Flandre , de Luxembourg et de Namur. Quant aux autres cours des Pays-Bas , elles jugeaient par arrêt. Il n'y avait contre leurs décisions souveraines que le remède (') Plac. du mois de décembre i473. Passim. Plac. de Brabant, tom. IV, f»32I. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. i3i de la grande révision. Cette voie n'était ouverte que pen- dant deux ans, à dater de la ])rononciation des arrêts attaqués. L'afFaire était jugée par le chancelier, le chef du conseil, les maîtres des requêtes , et les présidens et conseillers qui n'avaient pas été présens à l'arrêt (•). Les conseillers qui avaient rendu l'arrêt attaqué, faisaient partie du tribunal de révision. Quelle que fut l'autorité dont jouissait le conseil de Ma- lines , il n'avait le droit de connaître d'aucun appel interjeté devant lui, au préjudice des droits de juridiction apparte- nans aux cours provinciales ; il n'avait pas non plus le droit d'évoquer les procès 5 mais il pouvait connaître de ceux qui lui étaient envoyés de la part du souverain, ensuite d'évo- cations faites à sa requête (^), Pendant trois jours de la semaine, il y avait des au- diences, le matin et l'après-dîner pour la plaidoirie des causes. Les autres jours étaient destinés aux vacations de la chambre des rapports, et à la rédaction définitive des arrêts. La cour commettait , pour procéder à l'interrogatoire des prévenus et au jugement des causes criminelles , des com- missaires et des conseillers tenus de vaquer à la quatrième chambre. Les arrêts définitifs , rédigés et conclus dans la quinzaine , étaient prononcés par le chancelier ou le prési- (') Flac. du mois de décembre 1743 , art. 3o. (») y(yyez Plac. de Brabant, tom. IV, P» 3a6, art. 29. i32 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE dent le samedi suivant , et ainsi de quinzaine en quinzaine. Les procureurs et les avocats fiscaux s'assemblaient tous les jours en particulier pour accélérer l'expédition des affai- res relatives aux droits de Sa Majesté , à la poursuite des crimes, à l'audition des rapports transmis par les officiers subalternes , et aux requêtes présentées par les indigens. Le conseil était partagé en deux sections civiles, dont les audiences devaient être tenues avec au moins cinq ou six conseillers. Dans les affaires très -importantes les mem- bres de ces deux sections se réunissaient pour ne former qu'une seule chambre , et concourir tous indistinctement au jugement de ces sortes de causes ('). CHAPITRE V. De la Police Judiciaire. — De la Police Administrative. — Des Mœurs et de l'État Sanitaire. — Des Embellissemens publics et de la régularité des Bâti- mens. — De la Tranquillité intérieure. — Des Arts , du Commerce et desManu- factures. — Des Etablissemens de Bienfaisance. — Des Hôpitaux. De la Police. Dans un état bien organisé, la police est une institution essentielle : c'est elle qui maintient la sûreté individuelle (•) Plac. du 26 octobre i53i , art. 6. Plac. de Brabant, tom. IV, f° 33i. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. j33 et, à beaucoup d'égards, le respect pour la propriété. Si l'intérêt public exige la répression de certains actes , c'est à la j)olice à veiller au maintien de ces restrictions 5 ainsi , lorsqu'on défend aux habitans des villes de jeter sur la voie publique des effets qui peuvent causer du dommage aux passans, c'est dans l'intérêt même des habitans que cette restriction est imposée. Un habitant peut avoir à dé- poser des matériaux sur la voie publique ; mais s'il ne prend des mesures pour éviter les accidens , il est responsable des mallieurs qui en sont la suite. Ces exemples prouvent qu'une liberté trop illimitée ne tarderait pas à produire des effets fâcheux. C'est à l'administration municipale qu'il appartient d'en prévenir les résultats. Cette partie est du ressort de la police administratwe . Au contraire , tout ce qui tient à la répression des délits est du domaine de la police judiciaire. Ainsi dès qu'un in- dividu est signalé comme auteur d'un crime , son arrestation est le premier objet que doit se proposer la police judiciaire. D'après cela , il est facile de voir que la police administrative ne s'occupe qu'à prévenir les délits j la police judiciaire qu'à venger les lois outragées. De la Police Judiciaire. La police telle qu'elle existait au i8°* siècle, peut être considérée sous trois rapports différens : sous celui des offi- ciers attachés à la haute police générale ; sous le rapport des i34 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE officiers de police aux frais des provinces ou des villes , et finalement sous le rapport des gardes communales. Les archers du prévôt formaient un corps de police dont les at- tributions s'étendaient à tout le pays. En effet , le prévôt-gé- néral veillait à la sûreté des grands chemins ; il arrêtait les vagabonds et punissait les crimes dont la campagne était le théâtre. La promptitude de ses jugemens exigeait qu'il eût toujours à sa suite un exécuteur des hautes œuvres. Les archers de sa compagnie parcouraient successivement tous les villages où l'intérêt de la surveillance exigeait leur pré- sence. Les frais de logement et de fourrages étaient à la charge du prévôt 5 mais le magistrat communal était tenu de lui payer une indemnité pécuniaire. Le magistrat devait lui fournir en outre tous les moyens de transport dont il pouvait avoir besoin 5 mais il avait le droit de réclamer en pareil cas, l'indemnité fixée par la loi ('). Le prévôt ne pouvait procéder à l'interrogatoire des prévenus ni au réco- lement ou à la confrontation des témoins , sans être assisté d'un assesseur et d'un greffier. Comme sa juridiction ne s'é- tendait qu'aux vagabonds et aux étrangers , il était de né- cessité, pour fixer sa compétence, qu'il déterminât claire- ment la qualité des prévenus. S'il était reconnu qu'ils eussent un domicile, il devait les renvoyer devant leur juge naturel. Ainsi pour être justiciable du tribunal du prévôt, il fallait (■) Loi du I" mai 1^55 , art. lo et suiv. Plac. de Brabaat , tom. IX, f" 60. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. i35 la double condition de prévenu étranger ou vagabond , et d'un crime qui eût été commis à la campagne. Ce que le prévôt-général était à tout le pays , le drossart et ses ar- chers l'étaient au Brabant. CetoflOicier devait se faire assister dans l'exécution de ses jugemens de l'assesseur et de l'exécu- teur des hautes œuvres du prévôt-général. En Flandre, la po- lice provinciale consistait en différens corps de maréchaussées aux ordres des collèges en chef. Ces corps parcouraient égale- ment la province dans tous ses sens 5 mais il paraît qu'ils n'avaient pas à leur suite un tribunal ambrdant pour juger les coupables sur les lieux; les individus arrêtés étaient conduits aux chefs-lieux et remis aux juges criminels destinés à connaître des délits qu'ils avaient commis. Indépendamment de ces institutions de police judiciaire provinciale , il y avait dans chaque village des gardes communales. Ces gar- des étaient formées de tous les individus mâles de l'âge de 18 à 65 ans , mariés ou non mariés ; les ecclésiastiques et les nobles exceptés. Leurs devoirs consistaient à veiller au besoin nuit et jour dans tout le ressort de la commune à la tran- quillité publique 5 elles étaient convoquées à la demande du magistrat, mais comme leur service n'était pas permanent, on ne les appelait que lorsque la sûreté publique était me- nacée. Dans ce cas , tous les hommes valides de la commune étaient tenus au premier signal de se réunir près de l'église , armés de sabres et de fusils. L'alarme donnée dans un vil- lage était répétée dans le village voisin , et ainsi successive- ment ; de sorte qu'en moins de quelques heures , tous les i36 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE chemins d'un district considérable étaient gardés par des hommes armés , investis du droit de faire feu sur le premier malfaiteur qui , sommé de se rendre , tentait d'opposer quelque résistance, ou cherchait à s'évader ('). Les archers du prévôt , les compagnies de maréchaussées et les gardes communales étaient encore investis du droit d'arrêter les fraudeurs , de les mener aux bureaux les plus voisins , et de faire constater en cette matière les contraventions aux lois. Quant à la police judiciaire relative aux délits commis par des habitans , la poursuite en appartenait aux officiers judiciaires des paroisses ou des seigneuries. Ces employés ne pouvaient exercer que dans leur ressort judiciaire 5 mais rien n'empêchait qu'ils ne poursuivissent les prévenus sur le territoire d'une justice voisine, lorsque, les ayant sur- pris en flagrant délit , ils étaient sur le point de s'en rendre maîtres. Dans les villes fermées , la police judiciaire se faisait par des officiers placés sous les ordres des baillis et des magistrats municipaux. En outre , il y avait des gardes bourgeoises, dont la création était un droit , et l'entretien une charge municipale. Le bailli et les échevins qui en avaient la direction, restaient seuls juges de la nécessité de convo- quer cette force armée (2). (') Plac. du 26 juillet 1749* Passim. Plac. de Brabant , tom. IX , f° 5o. [■>) Règlement du 5 décembre 1624, art. 1". Plac. de Fland., tom. III, f° 279. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. tS? De la Police administrative. Les ordonnances relatives à la police générale, soit judi- ciaire, soit administrative, ne pouvaient émaner que du gouvernement; mais toute municipalité avait le droit de publier des règlemens dans l'intérêt particulier de ses ad- ministrés. Ces ordonnances embrassaient dans leur ensemble les mœurs , l'état sanitaire , l'embellissement et la décora- tion des villes , les précautions contre les incendies , les mesures tendantes à maintenir la trancpillité intérieure , les voitures publiques , les arts , les manufactures , les éta- blissemens des pauvres , etc. Des Mœurs et de VÉtat Sanitaire. L'observation rigoureuse des principes de la foi catholi- que était un devoir tacitement imposé à tous les habitans , mais en particulier aux fonctionnaires de l'état. A ce titre , ils étaient tenus de jurer que, nés catholiques, ils vou- laient vivre et mourir dans la foi de leurs pères. Cette cause d'incapacité devenait un motif d'exclusion ('). Si donc l'autorité avait quelque raison de douter de la pu- reté de principes en matière de religion de ceux qui rem- (•) Voyez le Recueil des Plac. de Flandre , ton». II, f» 89. i38 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE plissaient quelques fonctions publiques, ils étaient non- seulement inhabiles à remplir les places, mais susceptibles d'être privés de celles qu'ils remplissaient d'ailleurs avec zèle et conscience ('). D'après les lois sur la police sanitaire , lorsqu'un pays étranger en relation avec la Belgique venait à être attaqué d'une maladie contagieuse , il était ordonné , sous peine de mort , de cesser toute correspondance avec lui 5 et aucun bâ- timent , soit national , soit étranger , venant des lieux infec- tés, ne pouvait aborder les côtes du pays. Quand un navire se présentait, des chaloupes placées aux embouchures des ports , allaient au devant de lui , pour avertir le capitaine de prendre le large 5 s'il insistait _, la chaloupe arborait pa- villon rouge , et le commandant du port donnait ordre de couler à fond le vaisseau infecté qui , au mépris des lois , tentait de gagner la côte. Lorsque le navire , qu'on soupçonnait d'être atteint de la peste , désirait de mouiller , il ne pouvait le faire qu'aux endroits désignés 5 dans ce cas , personne de l'équipage n'avait le droit , durant la quarantaine , de descendre à terre , de dé- barquer quelques effets , ou de prendre sur le vaisseau des habitans du pays , à peine de mort contre les contreve- nans. Afin d'assurer l'exécution de ces règlemens , des gardes (i) Voyez Plac. de Flandre , tom. V, f" 174, art. 7. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. i39 étaient placés le long des côtes pour veiller à leur exécution. Si ces gardes découvraient des individus qui , bien que sujets à la quarantaine , tentaient de toucher à terre ou de décharger des effets appartenans à ce vaisseau, leur con- signe était de faire feu (»). Des Embellis semens publics et de la Régularité des Bâtimens. Ce n'est que vers la fin du dix-septième siècle que le gouvernement des Pays-Bas a commencé à imposer des restrictions à la liberté illimitée des constructions publi- ques. A cette époque , on ne voyait que des toits et d'énor- mes enseignes suspendus sur la voie publique, que des bancs de pierre ou de bois et des caves extérieures qui ob- struaient la circulation j sans compter le nombre infini de gouttières dont la chute d'eau dirigée vers le milieu des rues , rendait en temps de pluie la circulation des habi- tans impossible. Tous ces inconvéuiens , disons mieux , tous ces abus ont disparu par suite de deux ordonnances pu- bliées à Bruxelles dans les années iôqS et 1696 (2). A dater de cette époque, il ne fut plus permis aux habitans des villes du Brabant et de la Flandre de reconstruire leurs (i) F'oyez Plac. de Flandre , tom. V, f» 929, 933 et suiv. (') Plac. des a4 octobre 1695 et 5 avril 1696. Plac. de Brabant, tom. VI, P- 86 et 88. ilio SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE maisons sans en avoir obtenu l'autorisation du magistrat. Cette permission n'était accordée qu'à la charge de soumettre un plan et de s'engager à le suivre en cas d'acceptation ('). La défense antérieurement existante de bâtir au delà de la gouttière de son voisin fut levée 5 et la loi fixa l'indem- nité à payer par celui qui , en exhaussant sa maison , causait du dommage aux constructions voisines. Cette indem- nité était fixée à dire d'experts nommés par les échevins. Une fois la fixation de l'endemnité arrêtée , il n'était plus permis aux propriétaires de s'en plaindre. Le voisin qui voulait hausser le mur mitoyen devait le reconstruire à ses frais , lorsqu'il n'était pas en état de supporter les nouveaux ouvrages. Il devait, également à ses frais , hausser les tuyaux des cheminées de la maison voisine , et placer les gouttières de cette dernière de manière à ce qu'elles pussent recevoir les eaux pluviales du toit , sans occasionner le moindre dé- gât à l'habitation. Du reste, l'intérêt des habitans et la sûreté publique , avaient dans plusieurs endroits porté l'autorité à défendre le démolissement sans nécessité des habitations, et à ordonner la reconstruction de celles qui , par accidens ou par vétusté, menaçaient ruine (2). De la J'ranquillité intérieure. Afin de garantir les habitans des villes des émeutes popu- (') Voyez Plac. de Flandre, tom. V, f° 1127, art. i' (') Voyez Plac. de Flandre, tom. l" , f" 65. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. i4i laires qui menaçaient fréquemment la tranquillité publique, il n'existait au milieu du dix-huitième siècle d'autre usage que celui qui obligeait les habitans d'avoir des lanternes tou- jours prêtes pour les suspendre , en cas de besoin , à l'exté- rieur de leurs maisons. Quelques années d'expérience de plus , engagèrent le gouvernement à prendre une demi-me- sure dont l'exécution produisit néanmoins un excellent effet. Par des règlemens particuliers du i8 novembre i']55^ pour la ville de Bruxelles, et du aS novembre 1762, pour la ville de Gand , il fut ordonné à tous les fonctionnaires sans exception , aux magistrats , aux officiers publics et aux em- ployés du gouvernement d'avoir, à l'extérieur de leurs hôtels et maisons, des lanternes dont l'établissement, l'entretien et les frais de luminaire étaient à leur charge. Les propriétaires ou administrateurs de tous les bâtimens publics , tels qu'ab- bayes, églises, chapelles^ couvens, fondations pieuses, écoles publiques, confréries et autres de cette espèce, étaient égale- ment tenus d'établir un certain nombre de lanternes et d'en supporter les frais sans aucune indemnité. Quant aux au- tres endroits des villes qui , malgré la mesure ci-dessus , se trouvaient encore de nuit dans l'obscurité , l'administration municipale était obligée d'en établir aux frais des propriétaires dont les maisons étaient placées dans le voisinage. La sur- veillance et la police en cette matière étaient du ressort des doyens de quartiers et de la garde de nuit. Ces fonction- naires étaient chargés de constater les contraventions ou la négligence des propriétaires , et leurs rapports étaient trans- i42 SUR L'ADMINISTRATION GENERALE mis à des commissaires spéciaux nommés par le magistrat. Ces juges commissaires décidaient en premier et dernier ressort des contestations, et prononçaient les amendes com- minées par les lois. Des Arts , du Commerce et des Manufactures. Il n'entre point dans notre plan d'indiquer la nature ni les relations du commerce de ce pays dans le dix-huitième siècle , encore moins de faire un traité sur cette matière en général j notre objet se borne à montrer l'action du gou- vernement sur quelques branches de notre industrie à l'é- poque du règne dont nous avons pris à tâche de décrire l'administration. Depuis le 1 7™" siècle , le commerce maritime a été cons - tamment chez nous , soumis à une infinité d'entraves. L'ar- ticle ï4 du fameux traité de Munster de 1648, avait, pour ainsi dire , détruit ce commerce en ordonnant la fermeture des bouches de l'Escaut. Non contentes de cette violation honteuse du droit des gens , les puissances maritimes qui, après la bataille de Ra- millies, eurent l'administration des provinces catholiques jusqu'au traité des Barrières, s'attribuèrent encore le droit de former les tarifs de nos droits d'entrée et de sortie; et comme on le conçoit bien , elles s'y prirent de manière à favoriser les intérêts de leur commerce au préjudice de l'in- dustrie de ce pays. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 143 C'est par ce motif que l'Angleterre et les Provinces-Unies ne manquèrent point de stipuler dans l'article 26 du traité des Barrières, le maintien rigoureux de ce système de com- merce et de tout ce qui , à cet égard , avait été précédem- ment établi par le traité de Munster. Voilà donc, en i^iS, nos deux principales sources de ri- chesses complètement taries. Privés du commerce maritime et forcés d'admettre dans nos ports les vaisseaux anglais et hollandais aux mêmes droits que les nôtres, tous les pro- duits d'outre-mer nous étaient livrés par nos voisins , sans que notre marine fût même admise à partager les profits du transport. D'autre part , notre industrie , à la merci d'un tarif dédouanes établi par nos rivaux , voyait sa ruine assurée, sans qu'il fût au pouvoir du gouvernement de remédier à cet étrange abus d'une politique aussi perfide qu'inhumaine (>). Placés de la sorte sous la curatelle de nos plus proches voisins , il ne nous restait plus d'autres commerce maritime que celui des Ottomans , dont le pays lointain offrait peu de chances de succès; et celui de l'Espagne, dont la fai- blesse et l'épuisement rendaient les transactions presque nulles. Par le traité de commerce fait entre l'Empire et la Porte Ottomane, le 27 juillet 17 18, la libre navigation dans les ports et sur les rivières des deux empires, était (') Voyez Mëmoires Historiqnes et Politique» du président De Neny, ton». I" j chap. i", art. 17; et tom. II, chap. 7, art. a. i44 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE garantie aux sujets des deux puissances , sans autre rétribu- tion à l'entrée et à la sortie que 3 p °/o sur la valeur des marchandises expédiées. Pour assurer la liberté des relations de ses sujets, le grand-seigneur pouvait établir dans l'empire des agens nom- més procureurs , à qui les négocians de cette puissance pouvaient se réclamer en cas de besoin. Ces agens étaient sous la sauve-garde des lois de l'empire , et lorsqu'il venait à décéder quelque sujet ottoman dans les pays autrichiens , ils étaient de droit dépositaires des effets appartenans à la succession du défunt (>). Les vaisseaux de l'Espagne pouvaient de même , en vertu des traités , librement aborder dans les ports des provinces catholiques, y amener les prises faites sur les ennemis 5 mais en cas de vente des marchandises , objets de ces pri- ses, les armateurs étaient tenus de payer les droits fixés par les ordonnances et les règlemens. Lorsqu'un vaisseau marchand était forcé , soit par suite d'attaque ou de tem- pête , d'aborder dans un port des provinces catholiques , autre que celui de sa destination, le capitaine était tenu d'exhiber ses passeports ou lettres de mer au commandant du lieu 5 celui-ci les ayant trouvées en règle , n'avait pas le droit de s'opposer à la sortie du vaisseau , ni celui de visiter les marchandises qui étaient à bord. Il n'en était pas de (') Traité entre la Porte et l'Autriche, du 27 juillet 1718, art. 6. Plac. de Brabant , tom. VI , f° 490. DES P\YS-BAS AUTRICHIENS. i45 même des vaisseaux espagnols , chargés d'effets prohibés ou destinés pour des ports ennemis. Ceux-là étaient sujets à la visite, et les marchandises susceptibles d'être saisies (r). Les consuls nommés par l'Espagne et résidans sur le territoire des provinces catholiques étaient, en qualité d'ar- bitres, les juges naturels des contestations survenues entre les maîtres des navires et les sujets de leurs nations, ou entre le capitaine et les gens de l'équipage. Les jugemens rendus sur ces contestations , ne pouvaient être attaqués par la voie de l'appel que devant les juges du pays où les parties colitigantes avaient leur domicile (2). Les négocians étran- gers qui décédaient sur le territoire de la Belgique , étaient exempts du droit d'aubaine 5 leurs héritiers légitimes ou testamentaires pouvaient en conséquence succéder à tous leurs biens , meubles ou immeubles , et en cas de contesta- tion, porter leurs différends devant le juge du lieu de la situation des biens. Le bénéfice de varech ou droit depropriété sur les ef- fets jetés, par suite de naufrage, sur les côtes nationales, était aboli à l'égard des vaisseaux appartenans à l'Espagne; et il était défendu aux officiers des domaines de faire valoir , en cette occasion , les privilèges et les prérogatives du souverain. En cas d'hostilités entre cette puissance et (') Traité de commerce et de navigation du i" mai 1715, art. 4i 5 et 6. Plac. de Flandre, tom. IV, f» igSô. (') Même traitd que ci-dessus , art. ag. ao i46 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE les provinces catholiques, les négocians étrangers, établis dans les pays respectifs, avaient six mois de temps pour opérer la liquidation de leurs droits , et quitter ensuite le pays en sûreté (i). Il n'y avait pas de commerce plus sujet aux entraves que celui des livres. Personne ne pouvait exercer l'état de librai- re , sans une commission de l'évêque et du magistrat. L'aspi- rant devait professer la religion catholique romaine, être de bonnes vie et mœurs, et faire conster de sa capacité par des certificats émanés de quelque maître imprimeur ou libraire assermenté (2). Avant d'entrer en fonction , l'offi- cier ou le bailli du lieu exigeait de lui le serment de n'imprimer ni de vendre aucun livre qui ne fût visé par le censeur et autorisé par le gouvernement. Les réimpressions ou les éditions augmentées , étaient sujettes aux mêmes formalités que les impressions nouvelles 5 toutefois , elles ne pouvaient avoir lieu qu'après l'expiration du privilège ac- cordé au premier imprimeur (2). Les libraires établis dans les villes ou dans le ressort rural , étaient tenus , à la réquisition des conseillers-fiscaux , de leur remettre une liste exacte des livres qu'ils avaient en magasin , et de leur laisser un libre accès dans leur domi- (') Traité de commerce et de navigation du i"mai 1726, art. 3i , 44' 45, 46 et 47- (") Loi du 25 juin 1729, art. i". Plac. de Flandre , tom. IV, f° 44« (') Loi du 19 mai 1670. Plac. de Flandre, tom. II , art. i3. 4^ DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. i^* cile, à peine de trois cents florins d'amende. Ces officiers étaient en outre chargés de faire au moins deux visites domiciliaires par an dans les librairies et les ateliers d'impri- meur, ainsi que d'avertir le gouvernement des contraven- tions qui étaient venues à leur connaissance. Il était défendu à tous libraires ou imprimeurs , de vendre des livres im- primés à l'étranger avant d'en avoir averti l'autorité. Indépendamment d'un censeur ecclésiastique pour les li- vres nouveaux , il y avait un censeur séculier , choisi parmi les conseillers ou les avocats -fiscaux de la cour. Aucun manuscrit ne pouvait être livré à l'impression , s'il ne por- tait l'ap])robation des censeurs dont nous venons de parler^ et cela sous peine de fortes amendes (•). Le livre étant ainsi imprimé avec approbation , ne pouvait être mis en circulation qu'après que les exemplaires eussent été coUa- tionnés sur le manuscrit. Dans les quinze jours de l'im- pression , tout imprimeur était tenu de déposer deux exemplaires de son livre à la bibliothèque de Sa Majesté. L'impression des lois et des ordonnances était réservée dans chaque province à un imprimeur privilégié, et le prix en était fixé par les cours provinciales (a). Les libraires n'exerçaient leur profession qu'en vertu d'un octroi du gouvernement. Cet octroi ne leur donnait pas (') Plac. du 6 mars 1755. Plac. de Flandre, tom. V, P> 88. (') Décrets du i4 novembre et a3 septembre 1749» Plac de Fandre , tom. V, f» 97 et 98. 1/(8 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE encore le droit de vendre des livres sur les foires publi- ques , sans une autorisation spéciale de Tofficier du lieu. Dans tous les cas il leur était interdit de débiter aucun des livres portés sur les listes du gouvernement , de l'université de Louvain , ou sur l'index de la cour de Rome. Néan- moins , cette dernière autorité n'était pas en possession de proscrire tous les ouvrages qui lui déplaisaient, le gouver- nement s'étant réservé le droit d'autoriser les livres utiles que le zèle mal entendu des prêtres avait proscrits. Nous en avons un exemple frappant dans la conduite qu'il tint à l'égard des œuvres du canoniste Kan Espen\ exemple qui prouve qu'en cette matière la suprématie du pouvoir civil sur l'autorité ecclésiastique a toujours été de principe dans ce pays. Toutes les fois que les ouvrages de Van Espen étaient vendus à Gand , un nommé Bruynsteen , curé et cen- seur ecclésiastique , se permettait de les rayer du catalogue et d'en prononcer la confiscation. Mais le gouvernement dé- clara, le 8 février 17 55, que ces œuvres n'étaient point comprises au nombre des livres défendus 5 et il enjoignit en même temps au censeur Bruynsteen de se conformer à cet édit ('). Le bénéfice d'imprimer un livre et de le débiter exclu- sivement aux autres, n'était pas un privilège attaché à la qualité d'auteur, mais la suite d'un octroi consenti par le (i) Voyez les Plac. de Flandre , tom. V, f" 87. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 149* prince. Tout imprimeur qui prétendait livrer à l'impres- sion, soit un manuscrit, soit un livre déjà connu, pou- vait se faire délivrer ce privilège , si le gouvernement con- sentait à le lui accorder j tandis que l'auteur d'un livre nouveau pouvait, en ne l'obtenant point, voir son livre réimprimé dès le lendemain de son apparition. Ainsi pour imprimer un livre il ne fallait que l'aj)probation du cen- seur , tandis que pour avoir un privilège exclusif, un oc- troi du gouvernement était nécessaire. Cet octroi était du reste toujours limité à un certain temps 5 et l'époque étant expirée, le droit commun reprenait son empire ('). Pour exercer la profession d'avocat, le titre de licencié ou de docteur en droit suffisait ; mais il n'en était pas de même des docteurs ou des licenciés en médecine. Pour être au- torisés à la pratique de leur art, ces derniers étaient tenus en outre de jurer devant le collège médical de la province d'observer la doctrine d^ Hippocrate el de Gallien. Les doc- teurs en médecine ne pouvaient s'adonner en même temps à la chirurgie , ni composer ou vendre à leur profit quel- ques médicamens dont la composition était exclusivement du ressort des pharmaciens. Les chirurgiens ne pouvaient à leur tour se permettre de guérir des maladies intérieures. Dans les opérations périlleuses la loi leur imposait l'obliga- tion de s'aider du conseil d'un médecin. Les sages-femmes (') Décret du g juillet i^Si , art. 11. Plac. de Flaudre , tom. IV, f° 5i. *i5o SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE ne pouvaient exercer l'état d'accoucheuse qu'après avoir subi un interrogatoire devant une commission médicale et avoir été trouvées en état d'exercer cette profession. Indé- pendamment de ces trois professions médicales , il en était une quatrième remplie par la corporation des barbiers. Ces opérateurs étaient comptés au nombre des chirurgiens 5 mais de fait ils faisaient une classe à part. Il leur était inter- dit d'administrer des purgatifs extraordinaires sans ordon- nance d'un médecin , ni de faire certaines opérations de leur art sans intervention d'un chirurgien assermenté. Les pharmaciens étaient placés sous la surveillance par- ticulière d'une commission nommée par le collège de mé- decine. Dans la composition des médicamens , ils étaient tenus de suivre V Antidotarium de leur province. Inter- diction formelle leur était faite de se mêler en aucune ma- nière de l'art de guérir ou de l'exercice de la chirurgie ; de vendre aucun médicament dangereux sans ordonnance d'un médecin , ou de procéder à la composition de certains autres , sans intervention ni assistance d'un homme de l'art. Du reste, toutes ces personnes étaient tenues, avant d'en- trer en exercice, de justifier de leur capacité, par des cer- tificats émanés de quelque université ou autre autorité com- pétente , ou à leur défaut , d'être reçues par le collège mé- dical de la province. C'était aussi devant ce collège qu'étaient portées toutes les contestations relatives à l'exercice de la médecine, de la chirurgie et des accouchemens 5 mais cette autorité judiciaire ne prononçait qu'en première instance 5 DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. l5i l'appel de leurs jugemeos était porté devant le juge ordi- naire du lieu ('). Des Étahlissemens de Bienfaisance. L'administration des biens des pauvres et des églises ne tenait à l'ordre de la police administrative , qu'en ce que les revenus de ces biens étaient en grande partie consacrés au soulagement des indigens. Dans chaque ville ou commu- nauté, l'autorité compétente nommait tous les ans plu- sieurs administrateurs des biens des pauvres et des églises. Cette nomination était faite par le curé et le magistrat mu- nicipal. Les fonctions d'administrateurs de ces biens étaient des charges publiques que tout habitant devait accepter j ceux qui , néanmoins , étaient déjà revêtus de quelque fonc- tion publique , pouvaient s'en faire un motif légitime d'ex- cuse (^). Ces administrateurs étaient tenus , avant d'entrer en fonctions , de prêter serment entre les mains du bailli , en présence du curé de l'endroit comme représentant de l'évêque (3). Les biens dépendans de ces étahlissemens ne (') Voyez sur tout cela le règlement du 19 août i665 , et celui qui suit im- médiatement après, riac. de Flandre, tom. VI, f> 11 33. (") Plac. du a3 juin 1646. Plac. de Flandre , tom. III, f» 3a. (') Voyez le Plac. du 1" juin 1587 , sur l'exdcution du synode de Cambray de i586. Plac. de Flandre, tom. Il, f'gi. i5a SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE pouvaient être donnés à ferme , que par adjudication publique au plus offrant, et en présence du curé et des échevins ('). Les arrérages des rentes ne devaient être per- çus qu'une fois tous les six ans , quand ils étaient d'un si faible revenu que les frais de perception en eussent ab- sorbé une grande partie. Pour être autorisé à placer les fonds de ces établissemens , il fallait l'intervention du curé et des échevins. L'aliénation ne pouvait en avoir lieu que dans le cas d'une nécessité absolue ou d'un avantage évi- dent, et cela dans les formes prescrites par les lois et les ordonnances rendues sur la matière (^). Les receveurs de ces établissemens étaient nommés par le curé de l'en- droit , et par les marguilliers ou les membres des bureaux de bienfaisance. Leur première obligation consistait à prêter serment entre les mains du bailli de la commune. Ils étaient , comme tous les agens comptables , tenus de fournir caution, de répondre du produit de leurs recettes , et de rendre leurs comptes au bout de Tan. Cette reddition de comptes était annoncée huit ou dix jours d'avance par le curé du haut de sa chaire en présence de ses paroissiens. Ces comptes , qui ne pouvaient être rendus qu'au jour fixé par les pu- blications faites de la manière ci-dessus indiquée, devaient contenir à l'article des recettes, tous les revenus des biens (') Règlement du 3o août 1664, art 87. Plac. de Brabant, tom IV, f» 3io. (') Voyez Plac. de Flandre , tom. II, f" i3o, art. 38 et 29. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. i53 meubles et immeubles , aumônes publiques et particulières. A l'article des dépenses , l'administration ne pouvait por- ter en compte les frais faits pour réparations importantes aux bâtimens de Téglise ou de l'hospice , qu'autant que ces réparations eussent été faites avec la connaissance et d'après l'autorisation du magistrat. Quant aux menues réparations , et à celles d'entretien , l'administrateur pouvait les faire , et en porter les frais au passif de son compte , pourvu qu'il en eût averti le curé du lieu ('). Après que ce compte eut été vérifié , on en faisait deux copies , dont l'une était dépo- sée aux archives de la magistrature municipale, et dont l'autre restait entre les mains du rendant. Le reliquat du compte précédent était recouvré par le successeur à ses ris- ques et périls. Les difficultés survenues dans le cours de la reddition étaient aplanies par les commissaires auditeurs 5 néanmoins , lorsque quelqu'un se croyait lésé par suite de ces décisions, il avait le droit de soumettre la question au juge ordinaire, qui décidait sauf l'appel dans les cas déter- minés par les lois. Les abus, les erreurs et les malversations pouvaient être dénoncés par les évêques ou leurs délégués , aux officiers fiscaux des cours provinciales , chargés de pour- suivre d'office le redressement des comptes ou la punition des coupables (2). (■) Rëglcment du 3o août i664, art. 33. Plac. de Brabant, tom. IV, P» 3io. (•) Voyez Plac. de Flandre, tom. II, f» i3o, art. 2 5, 26 et 3o. ai i54 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE Des Hôpitaux. Le concile de Trente , avait réservé en faveur du clergé , la direction suprême de tous les hôpitaux 5 mais ce pouvoir , incompatible avec la nature de notre ancienne constitution , fut limité par les lois de l'état. L'administration de ces éta- blissemens appartenait donc à cette époque, et n'a cessé depuis d'appartenir aux magistrats municipaux. Les directeurs de ces établissemens étaient à leur nomination. Ils envoyaient des commissaires pour entendre les comptes 5 autorisaient les constructions nouvelles et la réparation des anciennes ('). Les receveurs de ces établissemens ne pouvaient en acquitter les dettes , qu'en vertu d'ordonnances votées en assemblée générale et contresignées par les directeurs. Les devoirs intérieurs de ces établissemens étaient rem- plis par des serviteurs , appelés Frères et Sœurs de la Charité. C'étaient eux qui soignaient les malades , entrete- naient la propreté dans les appartemens , distribuaient les vétemens et la nourriture aux infirmes. Outre les malades indigens , on y recevait les pèlerins qui étaient munis d'un certificat constatant leur qualité et leur état d'indigence. Il n'est pas besoin de dire que sous notre ancien gouver- nement l'entretien des pauvres était une charge publique. Toutes les communautés étaient tenues de venir au secours (i) Voyez Plac. de Flandre , tom. V, f° 49 et 5o , art. i , lo, 12 , 21 et 22. DES PAYS-BAS AUTOICHIENS. i55 des individus notoirement indigens. Néanmoins la seule qualité d'indigent ne suffisait pas pour donner à tout indi- vidu indistinctement le droit de réclamer des secours de l'autorité. Ce droit était plus particulièrement attaché à l'avantage de la naissance. Le pauvre qui était né dans un endroit, pouvait, en tout temps, demander des secours du magistrat du lieu 5 mais celui qui avait quitté son domicile d'origine pour aller s'établir ailleurs , n'avait ce droit dans le lieu de sa nouvelle demeure qu'à certaines conditions. Il fallait d'abord que son indigence fut survenue depuis le der- nier changement de son domicile 5 à cet effet , le magistrat de l'endroit où un étranger , dont les moyens n'étaient pas notoirement connus, allait s'établir, pouvait exiger de lui qu'il fournît une certaine somme à titre de cautionnement pour répondre du paiement des aides et des charges com- munales dans lesquelles il était destiné à contribuer. Faute de satisfaire à cette condition , il n'était point censé acquérir le droit de domicile, du moins à ce titre qu'il pût espérer d'obtenir plus tard des secours en cas de besoin. Il fallait en outre , après l'accomplissement de cette première condi- tion, une résidence non interrompue pendant trois ans. Ce n'était qu'à l'aide de ces deux conditions qu'un indigent étranger jK)uvait être placé sur la liste des pauvres d'une commune , et participer aux secours publics avec ceux qui avaient reçu le jour sur les lieux mêmes ('). (•) Décrets dua4oct.i^5o,et 7uov. 1757. Plac. deFland.jtom.Vjf» 36etsuiv. *»*■ i56 SUR L'ADMIKISTRATION GÉNÉRALE Le fonds de ces règlemens est excellent; mais l'exé- cution peut entraîner à des inconvéniens graves. Un pau- vre ouvrier est forcé d aller chercher du travail dans une ville voisine. S'il n'a pas de quoi fournir la caution exigée , il aura beau prendre résidence , demeurer pendant trois an- nées consécutives sur les lieux de sa nouvelle demeure , aucun droit aux secours accordés à l'indigence ne lui sera acquis , parce qu'il sera dans l'impossibilité de justifier qu'il a com- mencé à payer sa quote part dans les charges publiques. Il n'aura pas plus de droit dans le lieu de son domicile d'origine , puisque , n'ayant plus de résidence dans cet endroit, il n'est plus compté au nombre des habitans. A qui un tel homme pourra-t-il se réclamer en cas de besoin? A personne. Une seule ressource lui restera. C'est de quitter son domicile de choix pour retourner aux lieux de sa naissance. Mais il peut, tout indigent qu'il est, avoir des obligations à rem- plir , des prétentions à faire valoir , des droits à liquider ; faut-il qu'il les abandonne ? il peut espérer qu'un meilleur avenir vienne le rendre à ses travaux ordinaires. Est-il juste, est-il humain de lui enlever cet espoir pour le forcer à re- tourner dans sa ville natale où son industrie peut être nulle, ses ressources vaines et sa misère inévitable? Quelques provinces avaient senti la gravité de ces incon- véniens. Pour y remédier elles avaient remplacé la caution pécuniaire par un certificat du magistrat et du curé de la dernière résidence. Ce certificat devait constater les bonnes vie et mœurs de l'impétrant , sa qualité de chrétien catho- DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. H-j lique et la preuve qu'il exerçait un métier quelconque. Mais il demeurait forcé , en cas d'indigence survenue de- puis , de se retirer avec sa femme et ses enfans dans le lieu de sa naissance. Bien plus , une veuve ayant des enfans de différens lits , était , en cas de malheur , obligée de retourner au domicile de son dernier mari 5 et les enfans des lits antérieurs , au lieu de leur naissance respective : tout cela pour obtenir , à charge de la table des pauvres , le droit d'avoir un morceau de pain (i). Il est impossible de pousser plus loin la rigueur des prin- cipes. Etablir entre tous une égalité de charges , est un des premiers devoirs du législateur 5 mais ce principe devient une sanglante dérision, quand pour chercher à établir la justice distributive on est forcé d'outrager les lois, les mœurs, le bon sens et l'humanité. CHAPITRE VI. Du Culte et du Clergé. — Du Clergé séculier. — Des Evêques. — Des fiiens d'É- glise. — Des Chapitres et des Chanoines. — Des Curés. — Des Doyens. — Du Culte régulier. .— De la Juridiction Ecclésiastique. Du Culte , du Clergé et de la Juridiction Ecclésiastique. Le culte catholique romain était la seule religion au- (') Foyez Plac. de Flandre , tom. V, f° 38, art. i et suiv. i58 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE torisée dans les Pays-Bas soumis à la maison d'Autriche : on les appelait en conséquence provinces catholiques. Au- cune autre croyance n'y était tolérée. Ceux qui ne profes- saient pas ouvertement la foi catholique n'avaient ni sû- reté ni protection à réclamer. Compris sous la dénomination générale d'hérétiques, ils étaient soumis aux lois pénales qu'en tout temps on avait portées contre eux 5 et qui , selon les principes plus ou moins rigides du gouvernement, étaient exécutées avec plus ou moins de rigueur. Nulle dignité , nulle charge ni emploi public ne pouvait être rempli par des hérétiques ou des dissidens. Ceux qui, par erreur ou supercherie étaient parvenus à se les faire accorder, de- vaient s'en démettre , dès que l'erreur ou la fraude était dé- couverte. Il en était de même de ceux qui professaient la religion catholique romaine, au moment de leur entrée en fonction 5 mais qui avaient changé de principes religieux. Dès ce jour ils perdaient , non-seulement leurs places, mais encore tout droit à la faveur du gouvernement. L'exer- cice des droits civils et politiques dépendait donc de la croyance en matière de religion. Tout habitant pouvait être mandé par l'évêque ou ses délégués pour donner des éclair- cissemens sur ses principes religieux. Cette mesure avait principalement lieu à l'égard des habitans qui , changeant de demeure , n'étaient point connus des autorités ecclésias- tiques du lieu où ils allaient établir leur nouveau domicile. Les étrangers qui , attirés par les plaisirs ou les intérêts de commerce , venaient s'établir dans le pays , ne pouvaient DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. iifig s'adonner publiquement à l'exercice d'un culte proscrit par les lois ('). Les mariages contractés entre des époux dissi- dens étaient nuls 5 et la lecture de la Bible en langue vul- gaire n'était permise qu'à ceux qui en avaient obtenu l'au- torisation du puovoir ecclésiastique. Des Évêques, En matière de discipline , le pape jouissait d'une autorité illimitée 5 il était le chef suprême , et comme tel réputé in- faillible. Les évêques, sans pouvoir prétendre à la même infaillibilité , avaient néanmoins le même pouvoir dans tout le ressort de leurs diocèses. Ils n'étaient responsables de leur conduite qu'au tribunal de Dieu 5 mais ils devaient se con- former en tout ce qui tenait à l'accomplissement des devoirs attachés à leur ministère , aux dispositions des conciles et notamment à celles du concile œcuménique de Trente et du synode provincial de Malines. Le personnel du haut clergé consistait en un archevêque dont le siège épiscopal était à Malines, et en sept évêchés établis à Gand , à Bois-le-Duc , à Ruremonde , à Bruges , à Anvers , à Ypres et à Tournay. Au nombre des obligations principales des évêques , étaient celles de répandre la parole de Dieu et de visiter leurs diocèses au moins une fois tous les deux ans. f) Plac. du 1 1 décembre 1657. Plac. de Flandre , tom. III, f» 4 , 5 et 6. j6o sur L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE Lorsqu'un siège épiscopal venait à vaquer , le chapitre in- diquait ceux dans le diocèse qui avaient droit de nomina- tion. Durant la vacance , les fonctions de l'évêque étaient , en vertu du concile de Trente, exercées par le chapitre cathé- dral. Après la nomination de l'évêque , tout ce qui concer- nait sa naissance , son état, sa doctrine et ses mœurs , était transmis à la cour de Rome ('). Les évêques, pour d'autant mieux s'adonner à l'exercice de leur ministère apostolique , laissaient une partie de l'administration spirituelle du diocèse à des serviteurs doctes et fidèles, et le gouvernement des biens temporels à un économe digne de leur confiance. Les évêques avaient le droit de nommer aux cures va- cantes dans l'étendue de leur diocèse , et de terminer, sans forme de procès , par eux-mêmes ou par leurs officiaux , les contestations relatives à la portion canonique accordée aux curés des paroisses. L'érection de nouvelles cures ou de nouveaux vicariats rentrait également dans leurs attribu- tions 5 car il n'y avait qu'eux qui étaient à même de juger de la nécessité de pareils établissemens. Les habitans des communautés pouvaient , à cet effet , leur adresser des re- quêtes 5 et les évêques étaient tenus d'émettre leurs senti- mens. Si la déclaration était dans le sens de la demande , on remettait la requête avec les pièces à l'appui au gouver- neur-général i et le gouvernement, d'après les informations (') Voyez le Synode de Malines , tit. i6 , et la bulle de Grégoire XIV , com- mençant par ces mots : Onus apostolicœ senàtutis. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. j6i prises sur la nature et la situation des biens destinés à la dotation de la nouvelle cure , disposait selon l'exigeance des besoins spirituels. Dans tous les cas , les intéressés ainsi que les paroissiens pouvaient interjeter appel des décisions de l'évêque ou de l'ordinaire devant le juge séculier de l'endroit, c'est-à-dire, devant la cour j)rovinciale. Mais cet appel ne pouvait être intenté que par forme de recours ('). Des Biens d'Église , des Chapitres , des Curés et des Doyens. Les biens d'église ne pouvaient être loués pour un plus long terme que ne le permettaient les lois. Tous les titres de propriété étaient déposés dans les archives de l'épiscopat ou du chapitre. Il en était de même de l'inventaire que cha- que église paroissiale était tenue de faire de tous les objets mobiliers et des ornemens qui s'y trouvaient (=»). Les fabriciens et les receveurs étaient choisis parmi les notables de l'endroit. Ceux qui avaient été nommés étaient tenus , à moins d'une excuse légitime , d'accepter la charge qui leur était imposée. En cas d'empêchemens , ils en fai- saient connaître les motifs à la cour provinciale ou au (•) Décret du i5 janvier ijSô. Plac. de Flandre, tom. V, P» 26 et précëdens. (') Synode de Cambray et celui de Maliues. Plac. de Flandre , tom II , f^ 69 et 117. l'A i62 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE tribunal ordinaire du lieu. Ces autorités judiciaires pronon- çaient sur la validité delà nomination, et accordaient la dis- pense quand les excuses paraissaient légitimes. Le serment que les fabriciens et les receveurs étaient tenus de prêter , devait l'être entre les mains du bailli de l'endroit. Ces fonc- tionnaires, de même que les directeurs des pauvres, étaient dans l'obligation de rendre tous les ans un compte exact de leur gestion. Ce compte était rendu , discuté , clos et ar- rêté en présence du magistrat et du curé. L'un des doubles était déposé aux archives de l'église , et l'autre était remis en mains du rendant (i). L'assemblée des ecclésiastiques appelés à gouverner le tem- porel et le spirituel d'une église cathédrale ou collégiale portait le nom de chapitre. Ceux qui obtenaient la possession d'un office , d'une dignité ou d'un bénéfice ecclésiastique , devaient déposer leur profession de foi entre les mains de ses membres. Les principales attributions de ces assemblées consistaient à réprimer la simonie et les conventions illicites en matière bénéficiale 5 à veiller à ce que les ecclésias- tiques promus aux grades , eussent les qualités requises par l'acte de fondation ou par l'induit apostolique , et à exercer la surveillance sur tous les employés subalternes attachés au culte religieux. Les chanoines étaient du reste dans la (') Plac. du 23 juin 1646 et du 3o septembre i65i. Plac. de Flandre, tom III, f" 3 1 et suiv. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. *6S nécessité de répandre la parole de Dieu , de célébrer le saint office de la messe, d'entendre la confession , d'accom- pagner l'évêque dans son diocèse, ou de remplirjes missions dont il avait le droit de les charger. Les chanoines profi- taient , outre les revenus de leurs prébendes particulières , le tiers de tous les fruits à partager entre ceux qui étaient présens à l'exercice des offices , ou dont l'absence avait pour cause un motif légitime. Les droits de réception que payait anciennement tout chanoine pourvu d'un canonicat , avaient été abolis par le synode de Cambray 5 mais l'usage de tenir des festins , avec les émolumens provenus de la collation de certaines digni- tés , fut maintenu , à condition de n'y admettre qu'un petit nombre de convives , de ménager les frais et de s'abs- tenir de tout excès contraire à la décence et à la dignité de l'église (•). Lorsqu'un ecclésiastique était nommé à une cure , il était tenu , indépendamment de sa profession de foi , de prêter le serment suivant : « Je jure et promets d'obéir à mes su- » périeurs , de révérer et d'honorer le saint pontife romain, » Tévêque et leurs successeurs , de servir avec fidélité les V intérêts de mon église et de fixer mon domicile au milieu V des fidèles confiés à mes soins , de ne point aliéner V les biens de la cure ni de l'église , et de mettre tout (•) Synode de Cambray, tit. 18, cfaap. i3, etc.Plac.deFlandre,toin. H, fi>75. i64 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE V en œuvre pour récupérer ceux illégitimement aliénés. » Les devoirs des curés consistaient à observer la doctrine énoncée dans le concile œcuménique de Trente , et les sy- nodes particuliers de Cambray et de Malines ^ d'avertir se- crètement ceux de leurs paroissiens qui n'observaient point les préceptes de la religion ^ de concilier les inimitiés par- ticulières, les querelles entre époux, et d'exiger de leurs nou- veaux paroissiens les attestations de l'autorité ecclésiastique du dernier domicile. Ils devaient veiller à l'exécution des legs pieux, et interdire la lecture des livres défendus. Ils étaient en outre tenus de tenir les registres de l'état civil , et d'en adresser tous les ans , dans les six semaines au plus tard, des extraits authentiques aux magistrats de leur ré- sidence. Ces extraits étaient déposés dans les archives mu- nicipales , à l'inspection du public intéressé à en connaître le contenu. Les magistrats du ressort rural étaient en ou- tre tenus de faire deux doubles de ces registres, et d'en envoyer un au greffe du chef-lieu. Ces extraits authenti- ques faisaient foi jusqu'à inscription de faux ('). Les curés pouvaient , d'accord avec les marguilliers et les directeurs des pauvres , nommer les receveurs des biens d'églises ou des bureaux de bienfaisance 5 mais ils n'avaient pas le droit de disposer des revenus même à titre d'aumônes publiques , sans le consentement des marguilliers ou des (i) Plac. du 29 mars 175». Plac. de Flandre , tom. V, f» 1099. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. i65 directeurs. Il leur était en outre défendu de faire de nou- veaux ouvrages ou des réparations importantes , soit aux églises, soit aux presbytères; le tout à peine d'être personnel- lement responsables des frais ('). Néanmoins, ils étaient tenus, en leur qualité de décimateurs , d'entretenir les presbytères , si toutefois l'usage ou des conventions n'avaient pas mis cette obligation à la charge des communes. Les émolumens des curés étaient prélevés sur le produit des biens ecclésias- tiques. A la campagne , ils étaient assignés sur les dîmes du clergé ou sur le revenu des bénéfices simples. Lorsque ces deux espèces de produits ne suffisaient point, le surplus était fourni par les habitans au moyen d'un impôt réparti au marc le franc. Les évêques déterminaient la somme à recueillir annuellement , et le magistrat du lieu , autorisé par le gouvernement, en faisait la répartition. Il n'y avait que les dîmes ecclésiastiques qui dussent contribuer dans ces émolumens 5 mais toutes celles de cette espèce y étaient sujettes indistinctement , quoiqu'elles eussent été possédées pendant quelque temps par des laïques. Il en était de même des dîmes possédées par des particuliers , lorsqu'il était prouvé que les possesseurs actuels les avaient acquises de quelqu'écclésiastique depuis le premier concile de Latran. Les diocèses qui formaient le ressort spirituel des évê- (■) Règlement du 3o aoCit i664i pour les communes de Saventhem , Erps , etc. , art. 3a et 33. Plac. de Brabant , tom. IV , f" 3io. i66 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE chés étaient divisés en districts nommés doyennés. Ces doyennés étaient divisés à leur tour en plusieurs cures par- ticulières, la plupart n'ayant qu'une seule commune pour ressort 5 mais quelquefois plusieurs. L'évêque et son chapi- tre cathédral gouvernaient tout le diocèse. Les doyens prési- daient à la régie de leurs doyennés 5 et les curés administraient les intérêts de leurs paroissiens. Les doyens avaient la surveillance sur les mœurs des curés et des ecclésiastiques de leur ressort. Ils veillaient à l'entretien des églises et des presbytères , à la bonne admi- nistration des biens des fabriques et des pauvres. A cet effet, le synode de Cambray leur avait enjoint de visiter , au moins une fois tous les ans , les églises, les chapelles, les fon- dations et les maisons pieuses. Toutes les difficultés que les doyens ne pouvaient terminer de leut autorité , étaient renvoyées à l'évêque diocésain. S'il était important d'avoir dans les villes des chapitres pour mieux administrer les églises cathédrales et parois- siales , il ne l'était pas moins que les doyennés , sous lesquels ressortissaient une foule de cures , jouissent des mêmes pré- rogatives. Toutefois les chapitres des doyennés n'étaient point permanens. Ils étaient formés de tous les curés du ressort et ne s'assemblaient que deux fois par an. Les attri- butions de ces chapitres , que le synode de Cambray appelle généraux , consistaient à surveiller les mœurs , à réformer les abus et à tenir à ce que les décrets du concile de Trente et les mandemens de l'ordinaire fussent exécutés par ceux DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 167 qui en étaient chargés , d'après leur rang et l'ordre de la hiérarchie ecclésiastique. Ces chapitres généraux ne pou- vaient s'assembler à moins que le doyen n'eût prévenu l'é- vêque un mois d'avance. Cet avertissement était nécessaire afin de mettre le prélat à même d'envoyer quelque ecclé- siastique, chargé de proposer à l'assemblée les questions qu'il jugeait devoir lui soumettre, ou pour en avertir le doyen par lettres closes ('). Du Clergé régulier. Par clergé régulier, on entend les religieux des différens monastères d'hommes et de femmes , qui , soumis à une règle commune , vivaient dans des lieux retirés du monde , sans aucun autre soin que celui d'adresser des vœux au Seigneur dans un langage inintelligible pour le plus grand nombre de ces pieux cénobites. Il n'entre pas dans notre plan de donner une nomenclature de tous les ordres religieux qui existaient à l'époque dont nous nous occupons , mais d'in- diquer leurs moyens généraux d'administration , de disci- pline et de juridiction. Les abbés et les autres supérieurs de ces établissemens avaient le droit d'exercer la discipline et la juridiction sur tous les membres de la communauté. (') Synode de Gunbraj, tit. ig, chap. 11 et suiv. Plac. de Flandre, tom. II , f" 76 et suiv. i68 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE Les principales obligations des religieux étaient de se con- fesser régulièrement à leur supérieur ou à ceux qu'il dési- gnait pour remplir sa place; d'avoir des lectures et des prières, dont personne n'était exempt, à l'exception de ceux qui étaient chargés de l'administration et du soin des affai- res journalières et domestiques. Aucun privilège n'était accordé à un religieux au préjudice des autres. La plus parfaite égalité régnait entre tous les membres , tant à l'égard des vêtemens , qui devaient être de la même forme , qu'à l'égard de la nourriture , qui était la même pour tous indistinctement. Les évêques et les autres supérieurs des établissemens ecclésiastiques avaient le droit de changer les statuts de ces communautés , qui paraissaient contraires aux décrets du concile de Trente. Ils pouvaient même en faire de nouveaux en langage vulgaire 5 mais en se confor- mant aux dispositions du même concile. Personne n'était admis dans l'intérieur des cloîtres, à l'exception des confesseurs , des médecins , des chirurgiens , des porteurs de vin et de bière , des menuisiers , des char- pentiers, serruriers et autres personnes de cette espèce. Ceux qui s'introduisaient dans les monastères de filles pour y causer ou discourir avec les religieuses aux temps des récréations , étaient privés des saints sacremens 5 et l'abbesse qui avait toléré cette infraction , excommuniée de plein droit. L'évêque pouvait du reste envoyer , dans les cloîtres , des directeurs de conscience pour raffermir l'âme des fidèles, sur la foi desquels on avait quelque sujet de douter. Il DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 169 envoyait en outre tous les ans des confesseurs extraordinai- res pour entendre la confession générale des religieuses ('). Lorsque l'abbé ou le supérieur d'un couvent était décédé, l'évéque ou son vicaire faisait faire un inventaire de tous les biens. Il constituait des économes , nommait un prieur et des confesseurs , et confirmait les autres ministres dans l'exercice de leurs fonctions. L'économe , avant d'entrer en fonction , prêtait serment entre les mains de l'évéque. De la Juridiction Ecclésiastique. En matière de juridiction ecclésiastique, l'official, qui était le juge ordinaire , connaissait, au nom de l'évéque entre les ecclésiastiques tant séculiers que réguliers, les chapitres et les monastères , de toutes les actions tant per- sonnelles que réelles et mixtes. L'official était également compétent pour connaître de tous les crimes et délits commis par les ecclésiastiques (^). Entre les personnes laï- ques, il connaissait des promesses de mariage et de fian- çailles , des actions relatives aux enterremens , et des demandes en dispense pour cause de parenté (^). Un laïque était encore justiciable des tribunaux ecclésiastiques , (') Synode de Cambray , tit. 20 , chap. 18 et 19. Plac. de Flandre, tom. II , (*) Loi du I" juin 1587. Plac. de Flandre, tom. II, f" 91. (•) Loi du aa mars i56o. Plac. de Flandre, tom. III, f> 108. a3 170 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE lorsqu'il avait accepté l'exécution testamentaire d'un prêtre; en efFet , il devenait comptable des deniers qu'il avait reçus et susceptible d'être attrait en justice, pour l'exécution des legs pieux qu'avait laissés le défunt. Les clercs sans exception étaient soumis à la juridiction de l'ordinaire ; ils ne pouvaient même se soustraire à sa compétence en consentant d'un commun accord, contre les dispositions des canons, à laisser juger leur différend par des juges séculiers ('). Mais ils ne devaient être renvoyés d'office à ce juge, qu'autant qu'ils portassent actuellement l'habit ecclésiastique , et qu'ils fussent tonsurés et admis à des fonctions ecclésiastiques dans une église, séminaire, école ou université du pays. Le juge ecclésiastique connais- sait des difficultés relatives au paiement de la portion ca- nonique des curés , et des contraventions sur l'exercice pro- hibé de quelque métier durant les jours de dimanche ou de fête. Toutefois dans ce dernier cas , il ne pouvait prononcer contre les délinquans que de faibles amendes dont le produit devait être appliqué en faveur de quelqu'hôpital , maison de pauvres ou autre institution de bienfaisance. L'official n'a- vait d'ailleurs aucun droit de connaître, en matière person- nelle , des contestations entre les habitans , ni des questions relatives à l'érection de nouvelles dîmes (2). La procédure devant les juges ecclésiastiques se faisait (•) Loi du 9 juillet 1570 , art. 65. Plac. de Flandre , tom. V, f» igS. (') Plac. du I octobre i52o. Plac. de Flandre, tom. I", f" SgS. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 171 par des scribes ou procureurs appelés notarii causarum. Ces officiers miDistériels n'avaient pas le droit d'instruire les causes sommaires par écrit, ni d'exiger plus de deux dé- lais consécutifs sans de bonnes raisons. Les audiences dans ces sortes de procès étaient tenues de trois en trois jours. Les sentences et les appointemens des juges ecclésiastiques pou- vaient être mis à exécution par les huissiers des cours pro- vinciales ; mais il fallait que l'official en eût fait la demande en son nom. Lorsque le juge ecclésiastique avait à se plaindre des em- piétemens de l'autorité civile , il ne pouvait en aucune ma- nière , agir par voie de censure ou d'excommunication ; il était tenu d'en informer le juge civil , afin que ce dernier suspendit les poursuites , jusqu'à ce qu'il eût été prononcé sur le conflit de juridiction ('). On appelait des sentences de l'official aux tribunaux délégués par la cour de Rome, ou à défaut par les évê- ques d'en avoir établi , aux cours provinciales (2). Chaque diocèse était tenu d'avoir un tribunal de cette espèce , com- posé au moins de trois juges, docteurs en théologie, ou licenciés en droit ecclésiastique (3). Ces tribunaux supé- rieurs connaissaient en outre de toutes les causes qui , por- tées en première instance, n'y avaient pu être terminées (•) Plac. du 22 août i53i , art. la. Plac. de Flandre, tom. !•', f" 277. (') Voyez Mém. hist. et polit, de M. De Neny , tom. II , chap. 21 , art. ^. ()] Synode de Matines, tit. 25, chap. 5. Plac. de Flandre , tom. II, f> 120. lyî SUR L'ADMINISTRATION GENERALE dans les deux ans de leur introduction. Les parties en ce cas s'en remettaient à la décision des tribunaux supérieurs. Les jugemens qu'ils rendaient étaient en premier et der- nier ressort (i). Les juges d'appel pouvaient condamner les appelans qui succombaient, à des amendes pécuniaires plus ou moins élevées, en raison de l'importance de la cause. CHAPITRE VII. De l'Enseignement primaire. — Des Collèges et des Écoles latines. — De l'Uni- versité de Louvain. De V Instruction publique. L'instruction est ecclésiastique ou civile. Cette dernière a un certain nombre de degrés que les savans seuls parcou- rent tous indistinctement avec plus ou moins de constance et de succès. L'instruction primaire est celle qu'on donne aux enfans dès l'âge le plus tendre 5 l'instruction intermé- diaire n'est qu'un degré pour parvenir aux études élevées 5 et le haut enseignement est le terme où finit l'éducation (') Synode de Cambray, tit. 22 , chap. 7. Plac. de Flandre, tom. II , f»83. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 58 173 classique d'un homme qui se destine à remplir des emplois publics, à exercer une profession honorable, ou à cultiver les sciences et les arts. De l' Enseignement primaire. Sous le règne de Marie-Thérèse, personne ne pouvait, sans l'autorisation du bailli, de l'écolâtre ou du doyen rural , ériger des écoles primaires destinées à l'instruction de la jeunesse (i). Ce droit n'appartenait qu'aux magistrats municipaux ou aux autres fonctionnaires en possession de l'exercer j dans ce cas , ils étaient non-seulement chargés de veiller à l'érection de ces établissemens , mais de nommer les maîtres destinés à donner l'instruction. Les personnes désignées en cette qualité, devaient jouir d'une bonne réputation , et n'être point suspectes de donner une instruc- tion contraire aux préceptes de la morale ou aux principes du gouvernement. Avant d'entrer en fonction , les maîtres et les maîtresses d'écoles étaient dans l'obligation de prêter ser- ment devant le magistrat ou l'autorité qui les avait nommés. Les parens , tuteurs , ou autres personnes chargées du soin de faire instruire la jeunesse, pouvaient être condamnés à des peines arbitraires , pour avoir confié l'instruction de leurs enfans ou pupilles à des maîtres d'écoles qu'ils sa- vaient n'être point autorisés en cette qualité (*). Ces écoles (') Plac. du 3i août 1608, art. i". Plac. de Flandre, tom. II, f> ia6. {*) Plac. du 19 mai 1570, art. 33 et 35. Plac. de Flandre, tom. II, f» i5. 174 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE étaient placées sous la surveillance des écolâtres et des doyens ruraux, tenus de dénoncer toutes les contraventions à l'ordinaire ecclésiastique. Indépendamment de l'instruction élémentaire et de la doctrine chrétienne, les maîtres de ces écoles pouvaient encore expliquer à leurs élèves les cinq premières classes latines, les rudimens de la langue grecque et les auteurs anciens ('). L'un des devoirs les plus essentiels de ces insti- tuteurs, consistait à réunir aux jours de dimanche et de fête leurs élèves et à les mener à l'enseignement du caté- chisme. Le refus ou la négligence de remplir cette obliga- tion , pouvait entraîner leur suspension provisoire et autoriser les juges à prononcer contre les parens des amen- des arbitraires , pour ne pas avoir surveillé la conduite de leurs enfans (2). Indépendamment des écoles dont nous venons de parler , il y en avait de spécialement consacrées à l'instruction des pauvres. Cette dernière classe d'institutions avait été aban- donnée plus particulièrement à la surveillance et à la direc- tion des confréries de la doctrine chrétienne. Comme ces établissemens n'étaient toutefois destinés qu'à être fréquen- tés par les enfans des pauvres ou des artisans qui , pendant la semaine , vaquaient à l'apprentissage d'un art ou d'un mé- tier, on ne les ouvrait que les jours de dimanche à des (') Plac. du 3o juin 1647^ in fine. Plac. de Flandre, tom. I«', f" i4i. (*) Lettres circulaires du 39 juillet i63o. Plac. de Flandre , tom. III , f° 17. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 175 heures fixées. De là leur était venu le nom à^écoles domi- nicales, scholœ dominicales ('). Pour rendre ces insti- tutions vraiment utiles , l'autorité locale obligeait les parens à envoyer leurs enfans^ et les maîtres leurs domestiques tous les dimanches au lieu des réunions , à peine , pour les pre- miers , d'être privés des secours accordés par les bureaux de bienfaisance , et pour les seconds d'être punis de telle autre peine à la discrétion du juge. Toutes ces écoles étaient visi- tées , au moins une fois tous les six mois , par les députés du chapitre 5 et aucun livre défendu ne pouvait servir à l'instruction de la jeunesse. Les écoles des pauvres étaient néanmoins placées plus particulièrement sous la surveillance des archiprêtres ou doyens ruraux. Ils étaient en consé- quence tenus de les visiter tous les semestres. L'instruction donnée aux enfans dans les écoles dominicales consistait à leur apprendre à lire et à écrire. Cet objet n'était cependant que secondaire 5 l'instruction chrétienne en était la base. On y enseignait donc en premier ordre Y oraison dominicale , la salutation angélique , le symbole de la foi , les préceptes du décalogue et de l'église , le chant grégorien et la manière de servir la messe. Quant aux élèves plus avancés en âge, on les préparait à faire leur première communion. Dans les plus petits cantons du ressort rural, l'obligation d'ins- truire les enfans des pauvres était un devoir des curés , ou (') Synode de Cambray, tit. ai , chap. 3. Plac. de Flandre , tom. Il, f*" 80. 176 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE ea cas d'empêchement, des ecclésiastiques qui les rempla- çaient ('). Des Collèges et des Ecoles latines. Les collèges ou écoles latines étaient des établissemens publics, autorisés par le gouvernement j on y enseignait aux élèves les six classes latines et les rudimens de la langue grecque. Cet enseignement leur était commun avec les éco- les primaires; mais il n'était permis qu'aux collèges, aux pensionnats et aux autres établissemens destinés à l'ensei- gnement des humanités , d'enseigner publiquement la poésie et la rhétorique. L'enseignement de la philosophie était ex- clusivement réservée à l'université de Louvain. Le cours de rhétorique , qui dans ces derniers temps avait remplacé celui de la dialectique^ était d'un an; chaque collège était obligé d'avoir un professeur particulier , uni- quement occupé à l'enseignement de cet art ; il en était de même pour la poésie (2). Les rétributions à payer à titre de minervalia aux professeurs des collèges et autres écoles la- tines , étaient de sept à seize florins par an , pour les élèves de sixième et en rhétorique ; les classes intermédiaires en proportion. Mais ces rétributions , toutes modiques qu'elles étaient , pouvaient être remises aux élèves qui , ayant mon- (j) Syn de de Cambray, tit. ai, chap. 4» 5 et 6. Plac. de Flan., tom. II, £"80. (') Loi du 6 septembre 1766. Plac. de Flandre, tom. VI, f» ii53. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 177 tré d'heureuses dispositions , n'étaient point assez favorisés de la fortune pour être en état de les acquitter. Les élèves qui , après avoir achevé leurs humanités dans les collèges , désiraient d'entrer à l'université, devaient se faire délivrer un certificat de leur professeur de rhétorique, constatant la fréquentation de ses leçons au moins pendant un an (i). De VUniversité de Louvain. Le personnel de l'université de Louvain était composé d'un chancelier, d'un recteur, d'un conservateur des pri- vilèges , de cinquante-huit professeurs , et de différens oiE- ciers inférieurs , tels qu'un dictateur , un syndic , un avocat fiscal , un secrétaire , un bibliothécaire et des bedeaux. Le chancelier , comme chef, assistait aux promotions et conférait les grades académiques; en son absence, c'était au recteur à remplir cette fonction (>). Les cinq facultés dont l'uni- versité se com[)osait , étaient celles de la théologie , du droit canon , du droit civil , de la médecine et des arts et des sciences. Outre un grand nombre de collèges , tous dépendans de l'université , il y avait à Louvain un collège particulière- ment destiné à l'enseignement des humanités. Le cours de pliilosophie était donné dans quatre collèges différens , et (') Règlement du 11 septembre 1777. Plac. de Flandre, tom. VI, f> ii56. (') Plac. du 5 sept. 1617", tit. de Cancellareo Universitatis. Plac. de Brab. , tom. III, foga. a4 178 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE les langues hébraïque , grecque et latine étaient enseignées dans un collège particulier ('). Les cinquante-huit profes- seurs se partageaient comme suit la matière générale de l'enseignement : huit pour la théologie , six pour le droit canon , sept pour le droit civil , un pour le droit public , huit pour la médecine , seize pour la philosophie , un pour les mathématiques , un pour la philosophie morale , un pour l'éloquence chrétienne , un pour l'histoire latine , un pour la langue hébraïque , un pour la langue grecque , un pour la langue française, et cinq pour les humanités. Tous les professeurs étaient obligés de vaquer par eux-mêmes aux heures de l'enseignement prescrites par les règlemens. En cas d'empêchement légitime et dûment constaté , ils étaient tenus de mettre à leurs frais un suppléant capable de les remplacer provisoirement. Toutes les fois que les professeurs manquaient de donner leurs leçons, les bedeaux étaient obligés d'en tenir note et d'avertir le recteur de l'univer- sité. Personne ne pouvait se faire inscrire au nombre des élèves de l'université dans les facultés de théologie , de droit et de médecine , que pour autant qu'il eût fréquenté le cours de philosophie 5 en conséquence , tous ceux qui malgré cette défense, prenaient des inscriptions dans la faculté de droit , pendant qu'ils étaient encore en philoso- (') Mémoires historiques et politiques, par M. De Neny, chap. 27, tom. II. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 179 phie ou dans les humanités , étaient obligés de demeurer une année de plus à Louvain. Pour être admis au bacca- lauréat dans la faculté de théologie, il fallait que l'aspirant eût au moins le degré de maître es -arts ou de religieux; qu'il se fut écoulé quatre ans depuis sa promotion ou ses études théologîques, et qu'il eût de plus assisté aux trois premières leçons de l'écriture sainte et de la théologie scolastique. Ces conditions n'étaient pas rigoureusement nécessaires lorsque le candidat, étant religieux , avait fait ses études théologiques dans un monastère dépendant de l'u- niversité 5 dans ce cas , il était admis , après un examen privé, à l'interrogatoire public et promu au grade de ba- chelier, s'il en était trouvé digne. Pour être admis à la licence en théologie , il fallait avoir parcouru pendant sept ans toutes les études de la théologie scolastique. Néan- moins, des motifs graves d'exception pouvaient engager la faculté à accorder des dispenses (•). En matière de droit canon et de droit civil , de même qu'en médecine, l'élève qui aspirait au grade de bachelier dans l'un et l'autre droit , devait avoir étudié , pendant une année et demie , et faire conster de son assistance régulière au cours des institutes. Cet examen de bachelier devait se faire, non en présence d'un ou de deux professeurs délé- gués , mais devant le collège entier de la faculté de droit. (') Plac. du 5 septembre 1617. Plac. de Brabant, ton». III, f» 94. l8o SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE L'élève était tenu de répondre sur l'ensemble des institutes , sans qu'il fût permis de lui assigner d'avance les matières sur lesquelles on prétendait l'éprouver («). Pour obtenir le grade de licencié en droit canon et en droit civil , il fallait que l'élève eût trente-six mois d'étude (2) et qu'il eût fréquenté pendant ce temps les cours de la faculté. Pour la licence du droit canon ou du droit civil seul , trois années d'étude et de fréquentation suffisaient. Dans la faculté des arts, le temps des études était de deux ans , distribués de la manière suivante : les premiers neuf mois étaient consacrés à la logique universelle d'Aris- tote et aux préceptes de la dialectique (3) ; pendant les huit mois suivans , on enseignait à l'élève la philosophie natu- relle, extraite des ouvrages du même auteur; les quatre mois qui suivaient servaient à l'explication de la métaphy- sique , et les trois derniers étaient réservés à l'enseignement des questions les plus épineuses de la philosophie doctrinale. Après les exercices de la première année , les élèves étaient admis , au commencement de la seconde , au grade de bache- lier. Au dernier trimestre de la même année, le bachelier («) Plac. de Brabant, tom. III, f» 98. (") Dans ces trente-six mois n'étaient point comprises les absences pendant les vacances , ni celles extraordinaires que l'e'lève pouvait avoir faites à d'au- tres époques de son cours. Règlement du i3 fe'vrier 1765 , art. 3. Plac. de Flan- dre, tom. V, f" 64. (3) Marie-The'rèse ayant remplace' la dialectique par un cours régulier de rhe'- torique , cette partie du règlement a subi quelques changemens. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. i8i ès-arts , qui désirait se faire admettre à l'examen pour sa li- cence , était obligé de défendre publiquement , en présence d'un professeur et contre quatre élèves choisis dans les qua- tre collèges , la partie de la philosophie qu'on lui avait as- signée. Cette défense était reprise le lendemain , et lorsque l'épreuve était favorable à l'élève, il était admis piiblique- ment à passer l'acte de sa licence en présence du chancelier, du recteur et des autres membres de l'université. Indépendamment des degrés de bachelier et de licencié , les élèves des quatre facultés pouvaient de plus obtenir le grade de docteur. L'élève licencié , qui aspirait au doc- torat, était obligé de se faire admettre à cet effet par la faculté , de passer un examen rigoureux sur toutes les ma- tières de la science qui faisait l'objet de ses études , et de se défendre trois jours consécutifs, au moins durant deux heures, contre les objections des bacheliers les plus méritans de la faculté, sur les matières que l'université avait proposées peu de jours auparavant. Ces examens se faisaient en présence de tous les professeurs. Après ces épreuves répétées publiquement, si la faculté jugeait que l'aspirant ne réunissait pas les qualités requises, il était de son devoir de ne pas l'admettre. Le terme de trois années d'études , exigées des élèves avant de pouvoir être admis à passer leur licence , n'était pas tellement de rigueur qu'il ne souffrît quelquefois d'honorables exceptions. Ainsi, tous les élèves qui avaient été compris dans les trente-six pre- miers , formant en philosophie ce qu'on appelait les trois i82 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE lignes , et même les douze élèves suivans, ainsi que tous ceux qui avaient soutenu des thèses de philosophie avec ap- probation , pouvaient réclamer la dispense d'un quart des trente-six mois d'habitation exigés par les règlemens ('). La haute surveillance sur tous les membres et les élèves de l'université appartenait à un commissaire établi en per- manence à Louvain, par décret du i8 juillet 1754. Ses at- tributions consistaient à veiller à l'exacte observation des règlemens , et à consigner , dans les rapports au gouverne- ment , toutes lés infractions qu'il croyait devoir dénon- cer. Dureste, toutes les dépenses excessives, qui , antérieure- ment au règlement du i3 février 17 55, avaient lieu, tels que repas , bals ou buvettes , connus à Louvain sous la dé- nomination générale de conséquences , distribution de gants , présentation de bouquets , plat de succades ou au- tres de cette espèce, avaient été supprimées par ce règle- ment , à la réserve du festin doctoral , dont le nombre de convives avait d'ailleurs été considérablement diminué. Un des privilèges les plus importans dont jouissaient les membres de l'université de Louvain , était celui en vertu duquel aucun d'eux ne pouvait être attrait en justice que devant le conservateur des privilèges de l'université. Ils avaient de plus , en demandant , le droit de pouvoir attraire leurs parties adverses devant le même tribunal , (') Règlement du 1 3 février 1755, art. 4, f° 64. Plac. de Flandre, tom. V, f°64. M- DES PAYS-BAS AUTRICHIENS, i83 sans que celles-ci eussent la faculté de décliner cette juri- diction. Le conservateur avait lui-même le droit de nommer ses assesseurs, son secrétaire, ses appariteurs et autres officiers de justice. Il se conformait dans l'exercice de ses fonctions aux règlemens émanés à cet égard, et en parti- culier aux statuts que le pape Paul V avait rendus sur cette matière, et que le gouvernement avait homologués. Le conservateur n'avait au surplus aucun droit de connaî- tre des actions purement réelles 5 mais il était compétent pour décider de la validité d'un titre de constitution de rente et du mode de remboursement ; des contestations en matière de bénéfices , tant au pétitoire qu'au possessoire , à moins que les bénéfices en litige ne fussent à la collation de Sa Majesté; enfin des contestations élevées au sujet des emprunts, transports et cessions, faites aux élèves jusqu'à concurrence des sommes nécessaires à leurs études ; le tout d'après les formes en usage et les lois en vigueur ('). Nous croyons du reste que ce peu de notions, joint au chapi- tre XXVII des Mémoires historiques et politiques des Pays-Bas du président de Neny, peut donner un aperçu succinct d'un établissement qui a fait si long-temps la gloire de notre pays , et à qui l'état ecclésiastique , la magistra- ture, la médecine et les arts, ont dû la plus grande partie des savans qui ont illustré notre patrie. (') Plac. du ao avril i5i8. Plac. deBrahant, tom. III, P>5aetsuiv. i84 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE CHAPITRE VIII. De la distinction des Propriétés Rurales et des Obligations des fermiers. — Des biens Allodiaux et des biens Féodaux. — Des Baux et des Obligations des fer- miers rentrans et sortans. — Des Fruits de la terre , des Troupeaux et du droit de Pâturage. — De l'administration des Eaux et Forêts. — Du Maître des Eaux et des Marais en Flandre. — Du PVoudmeester ou Inspecteur des Forêts du Brabant , et de ses attributions. — Des Ponts et Chaussées , Droits de Voirie et Plantation d'Arbres. — Du Droit de Chasse et de Pêche. — De la Police rurale. — Des Peines et de la Juridiction en matière rurale. De V Agriculture et du. Régime des Campagnes en général. Avant d'entrer dans les détails sur le régime des campa- gnes^ voyons quels étaient les biens qui, en général, étaient sujets aux lois et à la police rurales. Les biens-fonds étaient divisés en allodiaux et féodaux. Les biens allodiaux étaient de deux espèces ; les premiers consistaient en des fonds de terre , dont la propriété appartenait à des seigneurs , et pour lesquels il n'était dû ni service, ni redevance quelconque} les seconds, appelés aussi de main-ferme ^ étaient au con- traire des biens dont les possesseurs devaient aux seigneurs concessionnaires certaines redevances en argent ou en natu- re. Du reste, ces deux espèces de propriétés étaient, à la ré- serve de ces prestations féodales , soumises aux mêmes lois, et susceptibles des mêmes privilèges. Les fiefs ou biens DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. i85 féodaux étaient des fonds d'une espèce à part, régis par une juridiction particulière, dont les membres étaient obligés de se conformer à des lois et à des coutumes toutes spéciales. Des Baux et des Obligations des Fermiers rentrans et sortans. En général , les biens féodaux ne pouvaient être donnés en location pour plus de neuf ans; mais le bail n'était pas résilié par la mort du vassal, arrivée avant l'expiration du terme. Il en était autrement dans quelques coutumes, lorsque le fief était vendu. Un grand nombre de juriscon- sultes tenaient pourtant pour maxime certaine, que l'acheteur était tenu de respecter la convention de bail faite par son vendeur ('). Il en était de même des biens allodiaux ^ vis- à-vis des usufruitiers 5 mais ceux-ci n'avaient pas le droit de louer les fonds dépendans de leur usufruit, pour plus de trois ans. En général, ni la vente opérée par le bailleur, ni son décès ne résiliaient la convention 5 mais l'expropriation forcée , à défaut de paiement des charges, produisait un effet contraire (2). Avant l'expiration de la dernière année du bail , les fer- miers , quivoulaient procéder au labour et à l'ensemencement de leurs terres , étaient obligés d'en avertir les propriétaires. (') Commentaire sur les fiefs, par Leclercq , tit. i58, ôbs. i , f" Sgo. (') Coutume de Bruxelles, art. 117. Coutume de Louvain , chap. 11 , art. 3. a5 I i86 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE Cet avertissement était nécessaire pour mettre ces der- niers à même de surveiller cette opération, A défaut d'y avoir satisfait, les fermiers étaient privés des droits d'in- demnité à charge de leurs successeurs (i). L'estimation des labours , des semailles et des engrais , avait lieu vers le 1 5 mars par des arpenteurs jurés. Le propriétaire ou le fermier rentrant avait l'option d'accepter les terres en cet état, moyennant d'indemniser le fermier sortant , ou de lui laisser la faculté d'enlever sa récolte. Cette option ne pouvait être faite que dans le délai fixé par les règlemens. Les engrais nouvellement placés étaient estimés à leur juste valeur; ceux qui étaient répandus sur des terres ayant déjà produit une récolte , devaient l'être à un tiers ou à une moitié de la valeur primitive. Aucune récompense n'était due pour des engrais ordinaires qui avaient produit deux récoltes , à l'ex- ception des amendemens qui avaient pour base la chaux , les cendres ou la marne calcaire ^ l'expérience ayant dé- montré que cette dernière sorte d'engrais produit des résul- tats pendant quatre ans. Dans ce cas, l'estimation avait lieu pour la deuxième récolte, sur le pied de deux tiers de la valeur totale des engrais; pour la troisième, de la moitié, et pour la quatrième, d'un tiers. Après la quatrième récolte, il n'était plus rien dû (2). (■) Règlement du 17 octobre 1671 , art. 2. Plac. de Flandre, tom. III, f" 4i5. (') Règlement du 5 juillet 1708, chap. 2, art, 3i et Sa. Voyez la Coutume de Coux'tray et les règlemens , f" 1 28. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 187 Dans tous les cas , le fermier sortant ne pouvait ensemen- cer que les deux tiers de son exploitation 5 s'il avait outre- passé cette mesure, il perdait toute action en indemnité pour le suqilus. Cela était ainsi ordonné , afin que les fer- miers rentrans eussent assez de terres pour semer , au retour du printemps , le genre de fruits dont ils pouvaient avoir le plus pressant besoin (»). Les fermiers étaient obligés , durant leur bail , d'entretenir en bon état les chemins , les courans d'eau et les fossés , ainsi que les bords des terres, des prairies et des bois , sans pouvoir les diviser par des coupures , ou les laisser endom- mager par leurs bestiaux 5 le tout à peine de dommages-in- térêts au profit des propriétaires. Il leur était sévèrement défendu de couper les bois taillis avant terme, ou de les laisser sur pied après l'époque fixée par les ordonnances. Les fermiers des biens communaux étaient sujets aux mêmes obligations. Le produit naturel des prairies, des dîmes et des bois, était vendu à l'enchère aux époques déterminées 5 et les sommes qui en provenaient étaient versées dans la caisse du receveur communal. Dans toute espèce d'exploitations, soit de moulins ba- naux , usines , bàtimens ou autres ouvrages consacrés aux besoins de la campagne, l'estimation, quand elle avait lieu, était faite par des gens de l'art , et la récompense était due (') Règlement du 17 octobre i€7i ci-dessus , art. 9 et 10. i88 SUR L'ADMINISTRATION GENERALE sur ce pied. Ces actes extrajudiciaires étaient exécutoires sans autre forme de procédure. Il en était de même à l'égard des baux sous seing privé, signés par les parties, ou à défaut de signature, passés en présence de deux témoins (•). Un abus généralement trop commun à la campagne, et qui entraînait et entraîne encore à de grands inconvéniens , est celui que commettent les domestiques des deux sexes, qui n'engagent leurs services à plusieurs fermiers que pour s'attacher en définitif à celui qui les paie le mieux. Les an- ciennes lois rurales avaient ordonné que tout ouvrier qui , verbalement ou par écrit, avait pris de l'engagement chez un fermier, était tenu de le servir pendant le temps fixé parla convention. S'il contrevenait à ses obligations, il payait le dommage et était en outre condamné à une amende pécu- niaire , et à l'interdiction de son service pour tout le temps de son engagement primitif. Les autres fermiers^ qui avaient connaissance de cette convention, ne pouvaient, sous les mêmes peines , engager ces ouvriers à leur service. De leur côté , les cultivateurs qui avaient fait dépareilles conventions étaient obligés de les exécuter et de recevoir ces ouvriers chez eux , à moins qu'ils n'eussent , depuis la convention , acquis à leur charge des preuves de mauvaise foi ou d'infi- délité. Toutes ces contestations étaient de la compétence des juges ordinaires j et la décision en était rendue en der- (•) Règlement du 5 juillet 1703 ci-dessus, art. 22 , 36, 37 et 38. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 189 nier ressort sans forme de procès , sur le témoignage de deux personnes dignes de foi («). Des Fruits de la terre , des Troupeaux et du Droit de Pâturage. Il n'était permis à personne de recueillir les épis répan- dus sur les champs qui venaient d'être fauchés , à moins que le grain n'eût été placé en tas. Cette opération ne j)ouvait avoir lieu ni avant le lever, ni après le coucher du soleil 5 et les habitans des campagnes n'avaient ce droit qu'à l'égard des terres situées dans la commune de leur résidence {f). La faculté de ramasser les épis était un privilège accordé par la loi aux indigensjen conséquence, il était dé- fendu aux propriétaires et aux fermiers de conduire des bestiaux sur leurs terres avant l'expiration des vingt-quatre heures après la récolte. Il leur était également défendu d'envoyer eux-mêmes des gens pour recueillir les épis à leur profit. La police rurale était exercée par les officiers j udiciaires des communes. Tout propriétaire qui, avec ses bestiaux, commettait des dégâts aux fruits de la terre , était obligé à réparer le dom- mage et à payer l'amende stipulée par les lois. Tous ceux (1) Règlement de 1708 ci-dessus, art. 89 et suiv. («) Loi du 3o juillet 1740. Plac. de Flandre , tom. V, f» 8a8. I90 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE qui , par quelque fait répréhensible , causaient volontaire- ment du préjudice à la récolte , soit en arrachant les épis , en éparpillant les grains ou en enlevant frauduleusement des amas de geibes , pouvaient être punis de peines alïlictives et infamantes, et même de mort, d'après la gravité du délit ('). Des Troupeaux et du Droit de Pâturage. Il était interdit à tout fermier , qui ne cultivait pas un certain nombre de bonniers de terre , d'élever des troupeaux de moutons. Pour avoir le droit de tenir cinquante têtes , il fallait , dans le pays d' Alost , que le fermier eût une exploi- tation d'an moins neuf bonniers de terre. Le droit de pâ- turage était donc fondé sur la quantité des fonds de terre exploités ; en conséquence , il ne pouvait être exercé sur le territoire d'une commune voisine où le fermier n'exploitait pas un égal nombre de bonniers (^). C'était d'après le même principe qu'il était défendu à tout berger de conduire les troupeaux sur les terres des fermiers qui y faisaient pâturer eux-mêmes leurs bestiaux 5 le droit d'aller sur les terres de ses voisins n'étant fondé que sur l'obligation de souffrir le même exercice de la part d'autrui , il était juste que celui qui se bornait au pâturage de ses propriétés privées ne fût (') Voyez même loi du 3o juillet 1740 ci-dessus. (=) Acte d'interprétation du plac. précédent de i64o. Plac. de Flandre, tom. III , f° 4a4« DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 191 pas tenu de souffrir un droit qu'il s'était interdit à lui-même. La faculté d'avoir des pigeonniers était encore subordonnée à l'étendue des terres exploitées. Ainsi , le fermier qui ne cultivait pas dix bonniers de terre n'avait pas le droit d'en avoir. Dans les villes , il était défendu d'en tenir au delà d'un nombre limité ('). De F Administration des Eaux et Forêts. Les biens soumis au régime des eaux et forêts étaient en général les viviers et les marais , les terres vaines et vagues , les concessions de moulins , les plantations d'arbres et les bois du domaine , des corporations et des particuliers. Cha- que province avait , dans l'intérêt de la conservation de ces biens , une régie particulière , organisée d'après les besoins et les localités. Le chef de cette régie portait en Flandre le nom de maître des eaux et des marais ^ en Brabant , celui de woudmeester ou inspecteur des forêts. Du Maître des Eaux et des Marais en Flandre. Le maître des eaux et des marais en Flandre, était le chef d'une administration destinée à veiller à la conserva- tion des eaux et des terres vaines et vagues. Ce fonction- (■) Plac. du a4 décembre i6ia. Plac. de Flandre , tom. III , f^ 4>7* 192 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE naire avait le pouvoir de donner en arrentement toutes les parties de bruyères , de terres vagues et autres portions de biens de cette espèce , dont la contenance n'excédait point dix bonniers. Quant aux parties de domaines d'une plus grande contenance , le maître des eaux ne pouvait les don- ner en arrentement que de l'avis de la chambre des comp- tes 5 et , dans tous les cas , moyennant des cens annuels au profit du souverain ('). Ses attributions s'étendaient aussi sur tout ce qui consti- tuait le produit des eaux , ou ce qui trouvait dans cet élé- ment son existence , tels que les eauwes et les cignes sau- vages , les dépôts et les couvées que ces animaux y faisaient. Anciennement, nul n'avait le droit d'éi'iger des moulins, soit à vent ou à eau , sans un octroi particulier. Cet octroi était accordé par le maître des eaux et des marais , d'après les informations données à la chambre des comptes et en conformité des avis rendus en conséquence. Ces conces- sions n'étaient accordées qu'à la condition de payer au sou- verain des prestations réelles ou pécuniaires. l^diwatergravie^ ou administration des eaux, était composée du watergrave, ou maître des eaux, de plusieurs lieutenans, d'un certain nombre de zwaniers et d'officiers inférieurs (*). (') Plac. du II mars i554, art. i". Plac. de Flandre , tom. III, f» 206. (') Sentence du grand-conseil de Malines, du 1 3 janvier 1670. Plac. de Flan- dre , ton». III , f° 209. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. igS Le maître des eaux , en qualité d'inspecteur des marais , avait sous ses ordres deux substituts appelés moerkna- pen , dont les fonctions consistaient à fouiller dans les tour- bières et à faire l'estimation des extraits. Plusieurs ofHciers appelés compteurs assermentés étaient attachés à cette ré- gie , et leur principale fonction consistait à tenir note de la quantité de tourbe extraite par an , et à en avertir réguliè- rement l'inspecteur des marais. Quant à la vente de ces produits, l'inspecteur et les officiers inférieurs devaient se conformer aux instructions publiées par la chambre des comptes ('). Du TVoudmeester ou Inspecteur des Forêts du Brabant^ et de ses attributions. Le personnel de l'administration des forêts en Brabant consistait dans un inspecteur en chef , nommé woud- meester^ en cas d'absence ou d'empêchement, il était remplacé par un lieutenant. Les registres et les écritures de la régie étaient tenus par un clerc assermenté. Les emplois inférieurs consistaient en des places de gardes-bois , ayant qualité pour constater les contraventions et porter à cet égard témoignage en justice. Le chef de cette administration avait de plus sous ses ordres une compagnie de troupes or- («) Plac. du II mars i554, art. 4. 2, 8, 9 et 10. Plac. de Flandre, tom. III, r° ao6. a6 194 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE ganisée , dont il pouvait disposer en cas de besoin , tant pour la conservation de la forêt de Soigne , que pour garantir le commerce contre les excès des malfaiteurs. Tout fermier qui avait les qualités requises pour tenir des bestiaux , ne pouvait les laisser divaguer dans les bois de l'état qu'après les avoir fait inscrire sur le registre de l'admi- nistration, et avoir acquitté les droits de pâturage ('). Les fermiers ne pouvaient laisser divaguer aucun animal sans attacher à son cou une sonnette , dont il était défendu , à peine de confiscation et d'amende , d'étouffer le bruit. Les animaux nuisibles aux forêts , tels que les porcs , ne pou- vaient y être admis que pour autant qu'ils fussent renfermés dans un espace limité , et dans les parties de bois seulement où ils ne pouvaient faire du dégât (*). Le pâturage des moutons était interdit partout ailleurs que dans les bois de haute-futaie. Il en était de même des porcs non renfermés. Dans ce dernier cas , le propriétaire était tenu de les faire garder à vue. Pour constater les con- traventions , les gardes-bois étaient obligés de se munir d'un extrait du registre où tous les bestiaux étaient inscrits ; et le rentmeester , ou receveur, était tenu d'en avoir un double pour lui servir à faire annuellement la recette des rétributions. Quant aux portions de bois appartenantes aux corporations ecclésiastiques , aux seigneurs et aux particuliers , personne (') Décret du i6 novembre i744- Plac. de Brabant, tom. IX, f° i. (') Piac. du 3o avril i66o, art. 2 , 3 , 7 et 8. Plac. de Brabant , tom. IV, f" 61. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. igS n'avait le droit d'y faire pâturer ses troupeaux sans le con- sentement du propriétaire ('). Néanmoins , les indigens pou- vaient, à l'exemple de ce qui avait lieu pour les forêts de l'état , y recueillir le bois sec j mais il leur était défendu , sous peine de correction , d'enlever aucun prpduit vert , tel que petit bois , herbages , fougères, bruyère ou genêt. De plus, interdiction leur était faite de parcourir sous aucun prétexte les bois , armés d'instriimens propres aux abatis de toute espèce (^). Pour d'autant mieux prévenir les dégâts et les vols, il était enjoint aux magistrats de faire annuellement , dans le voisinage des forêts , la visite chez les habitans. Tous ceux qui étaient trouvés nantis de bois dont ils ne pouvaient at- tester l'origine, étaient traduits en justice et condamnés aux peines stipulées par les lois (3). Les particuliers propriétaires de bois, pouvaient nommer des gardes et leur confier la surveillance de leurs propriétés 5 mais ces employés étaient obhgés de prêter serment devant le bailli de l'endroit en présence des échevins. Toutes les contraventions et les dé- lits commis dans les bois des particuliers étaient de la com- pétence des tribunaux ordinaires (4). {') Plac. du 3 février 1^53 , art. i". Plac. deBrabant, tom. IX, f» 3. (') Lois sur les forêts, du 4 avril i554 et 8 novembre 1596. Plac. de Bra- bant, tom. III , f» 189 et iga. Loi du 6 novembre i634. Plac. de Brabant, tom. II, f- i53. (î) Loi du 8 novembre iSgG ci-dessus, art. 18. (*) Loi du 8 novembre iSgô, art. i6. Plac. da 3 février 1763. Plac. de Bra- bant, tom. IX, f» 3. 196 , SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE Des Ponts et Chaussées , Droits de V^oirie et Plantations éû Arbres. Les routes étaient de deux espèces : grandes et moyennes j celles-ci portaient le nom de chemins vicinaux. On ne con- sidérait comme grandes routes que celles qui établissaient une communication entre deux villes 5 comme chemins vicinaux que ceux qui menaient d'une commune à une autre, d'une commune à un grand chemin , à une ville , à une rivière. Dans cette classification, on ne faisait pas de distinction entre les routes pavées et celles qui ne l'étaient point. La largeur des grandes routes , en général , était de quarante- six pieds j celle des routes de deuxième classe de vingt-six à seize pieds, selon l'importance des endroits où les com- munications étaient établies , et d'après ce qui était statué par les coutumes locales (»). Les propriétaires de tous les arbres et autres empêchemens , plantés à de moindres di- stances , étaient obligés de les ôter (a). La confection des routes et des grands chemins était une charge de l'état ; et leur entretien une obligation des châ- tellenies ou des communes, d'après les distinctions suivantes : lorsque , pour opérer les réparations nécessaires , on avait (>) Instruction pour les arpenteurs, du i5 mai 1764, art. 5. Plac. de Flan- dre, tom. V, f° 921. Loi du 11 juin 1766, art. 4. Idem. , tom. VI, f" 866. (1) Règlement du 3 mars 1 763 , art. i , 2 , 3 et 8. Plac. de Brabant , tom. VIII, f»3o8. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. 197 besoin de nouveaux matériaux , les ouvrages étaient aux frais des châtellenies ou des bailliages; si, au contraire, il n'était question que de replacer les pierres démises , d'a- mener un surcroît de sables , ou d'exécuter d'autres travaux de ce genre , les réparations étaient à la charge privative des fermiers voisins. Dans l'un et l'autre cas , le transport des matériaux , les fouilles pour extraire le sable , étaient effec- tués par les liabitans des campagnes et des villages voisins , à tour de rôle et par corvées ('). La confection des ponts en pierres , des aqueducs et des rigoles nécessaires à l'écoulement des eaux, était à charge des châtellenies ou des bailliages, lorsque le pont, l'aqué- duc ou la rigole faisaient partie d'une grande route; et à charge des communes , lorsqu'ils ne faisaient partie que d'un chemin vicinal (*). Pour assurer l'exécution de tout ce qui précède , il était enjoint aux officiers et aux magistrats mu- nicipaux de constater tous les ans par une visite , au mois de mars , l'état des routes , d'indiquer les places endomma- gées et les moyens de pourvoir à leur réparation. Ces rap- ports étaient rendus publics , et les propriétaires ou fermiers voisins étaient obligés de réparer les endroits désignés , dans les deux mois au plus tard , faute de quoi il y était pourvu d'office à leurs frais. A l'expiration des deux mois, les mê- (•) Loi du II juin 1766, art. 8, et Plac. du 3o septembre 1767. Plac. de Flandre, tom. VI , f" 866 et 871. (') Décret du a août 1769. Plac. de Flandre, tom. VI, f» 87a. igS SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE mes autorités faisaient la visite une seconde fois , pronon- çaient les amendes encourues , et enjoignaient au bailli de faire faire les réparations dans le mois suivant. Les frais étaient récupérés à charge des contribuables, et en cas d'insolvabilité à celle de la commune ('). Les réparations nécessaires aux rigoles et fossés pour fa- ciliter l'écoulement des eaux, prévenir l'inondation des routes, des bois et des terres de la commune , étaient égale- ment à charge des fermiers voisins. Il en était de même des ponts et des passages situés dans les champs 5 tous ces ou- vrages avaient besoin d'être entretenus aux mêmes époques, ils étaient également sujets aux visites , et les fermiers né- gligens soumis aux mêmes peines. Indépendamment de la surveillance immédiate des autorités locales , il en était une supérieure à celle-là. Cette surveillance était exercée par les magistrats des chefs-lieux du ressort 5 elle consistait à en- voyer , après les délais accordés pour les réparations , des commissaires députés , afin de constater l'état des lieux , et d'en faire un rapport aux officiers fiscaux de la cour. Ces magistrats, à qui la surveillance sur les administrations ru- rales était confiée, devaient ordonner d'office tous les ou- vrages que l'autorité locale n'avait point exécutés au vœu de la loi (>). (■) Loi du 3 mars 1764, art. 1 , 2 et 3. Plac. de Flandre , tom. VI, f" 846. [') Loi du 3 mars 1764, art. 28, 3 1 et Sa. Plac. de Flandre, tom. VI, £0846. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. »99 L'administration et la surveillance des arbres plantés le long des routes royales appartenaient en Brabant au woud- meesterj et en Flandre à l'inspecteur des eaux et marais. Tout seigneur ou propriétaire de terres adjacentes avait le droit de planter des arbres le long de ces routes , mais il ne pouvait user de cette faculté qu'en observant les réglemens et les usages existans ('). Les propriétaires de bois-taillis situés à proximité des routes de première classe , étaient te- nus de les abattre de chaque côté , et de convertir le fonds en terre labourable à la distance au moins de deux bon- niers (^). Du Droit de Chasse et de Pêche. La chasse était anciennement un droit souverain. Per- sonne ne pouvait l'exercer que par concession du prince. Les nobles , à la condition desquels ce privilège semblait plus particulièrement attaché, ne pouvaient s'en prévaloir que pour autant que leurs titres originaires le leur eussent for- mellement accordé. La chasse, comme droit de souverai- neté , était attachée à la haute- justice et à la possession des fiefs. Les chasses étaient de deux espèces : royales et no- bles. La chasse royale était celle qui se faisait en courant (') Même loi que ci-dessus , art. lo. (>) Loi du 34 janvier 1708. Plac. de Brabant, tom. V, f^ 691. Décret du 2 septembre 1710. Plac. de Flandre , tom. IV, f" 1409. aoo SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE les cerfs , les daims , les chevreuils , les sangliers , les lièvres et les renards. Cette chasse avait lieu avec des chiens cou- rans , des armes de toute espèce et des équipages. La chasse noble se faisait aux lièvres et au petit gibier , avec des chiens courans , des lévriers et des armes à feu. Cette division de la chasse est arbitraire , mais elle est utile, puisqu'elle est fondée sur des lois qui étaient alors en vigueur et qui l'avaient formellement consacrée. Nul ne pouvait 5 de quelque condition qu'il fût , laïque ou ecclé- siastique , noble ou roturier , privilégié ou non , s'arroger le droit de chasser les bêtes fauves dans les bois réservés de l'état. L'art. 33 de la Joyeuse Entrée du Brabant dit le contraire j mais les lois particulières y avaient dérogé. Les seigneurs haut-justiciers qui avaient acquis ce droit par titre ou par privilège spécial du souverain, ne pouvaient l'exercer que dans leurs domaines privés. Ils pouvaient à cet effet en séparer les limites par des poteaux qui indi- quaient le droit privé de chasse royale, et prévenir ainsi les empiétemens des chasseurs qui, sous prétexte de pour- suivre le gibier levé , se permettaient d'enfreindre ce pri- vilège. Le chasseur qui avait levé ou blessé du gibier sur son territoire, pouvait le poursuivre sur la chasse réservée de son voisin , à condition de suspendre son cornet de chasse au premier arbre par où il était entré dans le bois réservé ('). (') Loi du 5 octobre i5j4, art. 34. Plac. de Flandre, tom. II, f» 4o6. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. aoi Quant à la chasse noble ou chasse ordinaire , elle était ré- servée aux seigneurs qui en avaient obtenu le droit dans leurs domaines respectifs , soit avec des chiens courans , soit avec des faucons ou autres oiseaux de proie. La chasse avec des filets aux bêtes fauves et autre petit gibier, tel que lièvres et lapins de garennes , était généralement défendue à l'égard de tous (■). En conséquence , il était interdit aux ha- bitans des campagnes, qui demeuraient à proximité ou dans les chasses réservées , d'avoir en dépôt chez eux des filets quelconques , des armes à feu ou des chiens lévriers et cou- rans , à peine de confiscation et d'amende 5 à moins qu'ils n'en eussent obtenu le consentement de ceux qui étaient en droit de l'accorder. Ceux qui possédaient des bois dans les chasses réservées ne pouvaient , à peine d'être poursuivis criminellement , les convertir en terres labourables (^). Tout habitant des campagnes ou des villes qui parcourait les champs avec un chien de chasse , lévrier ou bracque , quoi- que sans armes ni filets , était censé en contravention et mis à l'amende. Il n'y avait d'excepté de cette présomption lé- gale , que les bergers dont les troupeaux étaient gardés par leurs matins. La chasse n'était ouverte que du i5 août à la fin du mois de février j encore , dans cet intervalle , n'était-il pas permis de chasser durant les gelées , ni lorsque la terre était couverte de neige. (1) Loi du 5 octobre i5i4> art. 84. (*) Loi du 23 juin 1763, art. 8. Plac. de Flandre, tom. V, f° ito3. a; I 202 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE La surveillance de la chasse était confiée à une adminis- tration composée d'un chasseur en chef , ou directeur de la chasse , de plusieurs lieutenans , commis , sergens ou em- ployés subalternes , à qui le soin de constater les contraven- tions était confié. Il ne pouvait y avoir plus d'un de ces commis par commune rurale, et ses bonnes vie et mœurs devaient être attestées par l'autorité ecclésiastique du lieu de son domicile ('). Tout chef-lieu ou châtellenie devait contribuer à l'entre- tien des meutes de chiens , et à la nourriture des oiseaux de proie appartenans à la direction de la chasse. Cette ré- tribution était de peu d'importance à la vérité 5 mais son rachat avait coûté encore en 1672 dix mille florins à la châ- tellenie de VAudenhurg de Gand. Le grand-fauconnier , ainsi que le grand-veneur , avaient le droit d'établir des employés subalternes pour veiller à l'exécution des ordon- nances et constater les contraventions (^). Le grand-veneur de Brabant et le maître de la gruerie nommaient alternati- vement, au nom de Sa Majesté, les juges attachés aux tri- bunaux qui devaient connaître des délits de ce genre 5 et les juges, ainsi que les officiers, étaient tenus de prêter ser- ment entre les mains de ces fonctionnaires (3). (•) Loi du 6 octobre 1672. Plac. de Flandre , tom. III , f" 486. (») Loi du 22 mars i63i , in fine. Plac. de Brabant , tom. II , f" i85. (3) Transaction approuvée le 22 juin i688, art. i«'. Plac. de Brabant, tom. V, î° 496. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. « io^ De la Police j des Peines et de la Juridiction en matière rurale. La police rurale était exercée sous la surveillance des baillis , par les sergens , les gardes - chasses et les gardes- bois de l'état , des seigneurs et des particuliers 5 elle l'était encore par tous les employés respectivement préposés au maintien des lois sur l'administration des campagnes. Lors- qu'il était question de constater les contraventions , le témoi- gnage de tous ces employés était reçu en justice, et leurs allégations sur le dommage causé à la partie intéressée fai- saient pleine foi , sans que cette dernière eût rien autre chose à prouver, pour établir qu'elle avait réellement éprouvé quel- que préjudice. La quotité de ce dommage était en consé- quence fixée à dire d'experts nommés par le tribunal , et la partie condamnée n'avait aucun moyen pour éluder par une exception quelconque l'effet de cette condamnation ('). C'était par ce moyen qu'étaient constatés tous les dom- mages causés aux viviers , à la clôture et aux séparations des héritages , aux bois , aux plantations d'arbre» et aux haies vives , aux fermes , aux bàtimens et hangars , aux fruits de la terre et aux produits des viviers , aux prairies et aux ouvrages de maçonneries destinés à faciliter l'écoule- ment des eaux. (') Plac. de 1629 , art. i j , 12 et i3. P!ac. de Flandre , tom. Il, f" 786. Plac. du 3 février 1753, art, 16. Plac. de Brabant , tom. K, f" 3. 2o4 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE Aucun bailli, ofEcier supérieur ou geôlier, ne pouvait refuser d'écrouer les prisonniers arrêtés à la requête du grand- veneur par les sergens attachés à la police des cam- pagnes. Ceux-ci pouvaient en tout temps réclamer des auto- rités communales les secours dont ils avaient besoin (*). Les amendes prononcées pour défaut de réparations aux rou- tes étaient également applicables aux officiers des commu- nes , qui négligeaient de faire les visites , comme à l'égard des contrevenans ordinaires (2). Aucun employé de l'admi- nistration des eaux et forêts ne pouvait accorder le droit de chasse à qui que ce fût , à moins qu'il n'en eût obtenu la permission de l'autorité supérieure. Tout seigneur ou pro- priétaire particulier était tenu de nommer des gardes-bois. et de veiller à leur entretien 5 en cas de danger, ils pouvaient requérir l'assistance des archers du prévôt et du drossart de Brabant (^). Des Peines en matière de Police rurale. Les peines en matière de police rurale étaient l'amende , l'emprisonnement , la confiscation , le pilori , la marque les verges , le bannissement et la mort. Les peines étaient per- sonnelles ; mais les parens répondaient de leurs enfans ; les (') Loi du 3 avril 1570, art. 14. Plac. de Flandre , tom. II, f» 387. {') Loi du 8 février 1734. Plac. de Flandre, tom. IV, f» 1407. (') Loi du a août, 1767. Plac. de Brabant , tom. X , f» 394. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. ao5 tuteurs de leurs pupilles et les maîtres de leurs domestiques. Les amendes contre les insolvables étaient converties en dé- tention temporaire ; et selon la gravité des faits ou la réci- dive en la peine de l'exposition au pilori , des verges , de la marque et du bannissement à temps. Les simples contra- ventions étaient punies d'amendes pécuniaires plus ou moins fortes selon la gravité des faits ('). On mettait également à l'amende ceux qui tiraient sur le gibier sans en avoir le droit, le paysan qui , pour garantir ses fruits , blessait des bêtes fauves sans en avertir le grand- veneur, les particuliers trouvés en pleins champs avec des armes à feu , des chiens ou des filets de chasse , celui qui blessait un chien noble (*) , ou tirait quelque cigogne ou cigne sauvage. Les braconniers qui s'étaient déguisés ou réunis en attroupement étaient condamnés au bannissement pour dix ans (3) ; si , en cet état , ils résistaient aux gardes , la peine était celle du fouet, de la marque ou du bannisse- ment perpétuel j s'ils faisaient usage de leurs armes , ils étaient punis de mort (4). En général , les peines corporel- les n'empêchaient point l'action civile des particuliers pour dommage causé à leurs propriétés ou aux effets dépendans de leurs exploitations. (') Plac. du i3 décembre 1721. Plac. de Brabant, tom. V, f" 4^3. Loi du 3o janvier i744' Plac. de Flandre, tom. V, f" 1049. (') C'est-h-dire un chien dressé à la chasse, qui appartenait k un seigneur ayant privildge de chasser. (') Loi du 20 août, 1767. Plac. de Brabant, tom. X, f» 3g2. (4j Plac. du 3 février 1753, art. 19. Plac. de Brabant, tom. IX, f'S. 2o6 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE De la Juridiction. I^a punition des délits en matière rurale était du res- sort de la justice seigneuriale ou des juges ordinaires (i). Tout habitant avait le droit de constater les contraventions. Les juges , dans la décision de ces causes , se conformaient aux lois sur la matière. Les procès ne pouvaient être instruits que sommairement et les jugemens rendus , devaient être déclarés exécutoires nonobstant opposition, appel ou ré- formation. Tout militaire eu contravention aux lois sur la chasse était justiciable des tribunaux ordinaires (2). En matière de contravention aux lois sur les domaines ou les chasses privées du souverain , la connaissance en était dévolue en Flandre au tribunal nommé le siège. Cette juridiction était composée de deux juges et d'un greffier. Les parties s'y défendaient en personnes , et l'appel des juge- mens rendus en première instance était porté devant le tribunal de la viersçhaer. En Brabant , ces causes étaient instruites et jugées par les juges des grueries. Les membres de ces juridictions étaient à la nomination du grand-veneur ou du gruyer. Leurs tribunaux étaient dans le Brabant au nombre de cinq. Tous le délits , tant en ma- tière de chasse que de fauconnerie et de pêche , étaient de (') Loi du 3o janvier 1744» a""'- lo- Pfec. de Flandre, tom. V, f» 1049- (') Loi du 3o juillet 1740- Plac. de Flaudre , tom, V, f° 8a8>. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. ao; leur ressort. C'étaient les mêmes juges qui y fàisaiebt droit, mais à des audiences différentes. Le gmnd-veneur avait partout le pas sur le gruyer^ il ratifiait les ûominatiotis faites par ce dernier, recevait le serment des juges, des employés , et jotdssait du droit de réclamer tout le gibier abattu en contravention aux ordonnances ('). CHAPITRE IX. De l'État Militaire. Les villes fortifiées , les citadelles et les châteaux forts , avaient des gouverneurs militaires. Les lois concernant le service des troupes , l'entretien des fortifications , les ordres du jour , les ordonnances sur la discipline et l'organisation militaires, leur étaient directement adressées. Ces officiers supérieurs étaient obligés de les promulguer et de veiller à leur stricte exécution (^). Les troupes nationales étaient or- ganisées sur le pied des régimens autrichiens 5 mais la juri- diction était différente. La compétence du juge militaire était déterminée par la qualité de Taccusé. A cet effet, on avait formé deux classes de troupes , dont la première comprenait tous les militaires qui recevaient leur solde des (■> Transaction du 11 juin, 1688. Plac. de Brabant, tom. V, f° 496» ("j Règlement du 3 mars 1786. Plac. de Flandre , tcnb. IV, f 1674 et suiv. 2o8 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE deniers sortis de la caisse du souverain 5 et la seconde , tous ceux dont la solde était acquittée par des livraisons en nature ou des ordonnances délivrées par ordre du conseil des finances. Les troupes de la première classe étaient jugées selon les lois militaires de l'Autriche par des tribu- naux belges. Les autres troupes avaient pour juges, en première instan- ce, un lieutenant auditeur-général, avec deux alguazils et deux greffiers. Dix procureurs spécialement attachés à ce tribunal avaient le droit exclusif d'occuper dans les causes de sa compétence. En matière civile, le tribunal de l'audi- teur-général était tenu de se conformer aux ordonnances existantes , et à leur défaut , aux dispositions du droit ro- main. A l'égard des militaires accusés d'avoir commis des crimes à l'occasion de leur service , la connaissance en était dévolue aux conseils de guerre , sans distinction entre les militaires de la première ou de la seconde classe. Ces con- seils ne pouvaient prononcer aucune sentence , si ce n'est avec l'approbation du gouverneur - général. Les juge- mens de condamnation pour crimes contre les militaires de la première classe, étaient sujets à la révision du conseil au- lique de guerre à Vienne. Ceux qui étaient rendus au mê- me titre contre les militaires de la seconde classe, étaient renvoyés au gouverneur-général, afin qu'il y statuât sur le rapport de la. jointe suprême. Ce tribunal connaissait en outre de toutes les causes qui n'étaient point de la compé- ^|fel tence du lieutenant auditeur-général. fm. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. aog Six avocats privilégiés étaient attachés à la jointe ainsi qu'au tribunal du lieutenant-auditeur. Ils étaient exclusi- vement chargés de la défense des accusés 5 tandis que deux agens solliciteurs leur servaient au besoin d'hommes d'affai- res («). Le tribunal suprême était composé du commandant-gé- néral en qualité de président, de deux ministres de longue robe , et d'un secrétaire versé dans la connaissance des lois militaires. Les ministres et le secrétaire étaient à la nomi- nation du gouverneur-général ('). Un édit du 9 février 1774 avait prononcé la suppression de ce tribunal, et décidé que, dorénavant, les appels pour révision de sentences cri- minelles contre toute espèce de militaire, seraient indis- tinctement déférés au conseil aulique de guerre à Vienne. Le tribunal du lieutenant-auditeur-général ^ connais- sait en matière civile des successions de militaires , tantmo- biliaires et testamentaires qu'ai intestat^ des actions réel- les sur leurs meubles, et des actions purement personnelles intentées à leur charge , telles que celles en paiement d'ali- mentation, de loyers de maisons, de gages dus aux domes- tiques et autres de cette nature (^). (') Ri^glement sur l'administration de la justice militaire du ao mars 1739. Plac. de Flandre, tom. IV, f° 2081. (') Règlement siir les tribunaux militaires du 3 mars 1786. Plac. de Flandre, tom. IV, ^^'-)83. (') Règlement du 20 mars 1789, art. 9. Plac. de Flandre, tom. FV, P" 1578. Loi du 17 mars 1741. Plac. de Flandre, tom. V, f° 956. a8 2IO SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE Le lieutenant-auditeur était sous les ordres immédiats du gouverneur-général et dans la subordination du com- mandant-général suprême. Ses jugemens, dont le principal excédait quarante florins ('), étaient soumis à la révision de la jointe. Ils étaient néanmoins exécutoires par provision , à la charge de fournir une caution solvable. Dans tous les cas, ces jugemens n'étaient point sujets à cassation; on n'avait contre eux que la voie du recours en réparation (^). La juridiction du lieutenant-audi leur-général était com- pétente à l'égard des membres attachés aux états-majors des places , des ofïiciers-généraux , secrétaires et commissaires de guerre , ainsi qu'à l'égard de tous les militaires qui n'é- taient point attachés aux régimens. Quant aux milices or- dinaires , tous les officiers , les soldats et autres individus à la suite des régimens, étaient justiciables en matière civile d'un tribunal d'exception, composé de plusieurs juges et d'un auditeur en qualité de président. Cette juridiction, attachée à chaque régiment , connaissait , à l'égard des trou- pes mobiles , des mêmes actions que le tribunal du lieute- nant-auditeur à l'égard des membres attachés à la milice sédentaire. L'appel des causes jugées par les auditeurs par- (') Règlement du 20 mars 1739, art. i". Plac. de Flandre , tom. IV, f"> 1579. Cinquante florins selon le président de Neny , Mém. hist. des Pays-Bas , tom. II, chap. dernier, f" 257. (') Règlement sur les tribunaux militaires du 3 mars 1786 , art. 26 et a8. Plac. de Flandre , tom. IV, f" iSSa et suiv. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. an ticuliers des régimens était porté au conseil aulique de guerre à Vienne ('). En matière criminelle , les anciennes lois militaires des Pays-Bas n'étaient applicables qu'à défaut de dispositions formelles dans le code militaire autrichien 5 et l'on ne pouvait invoquer l'autorité du droit romain, que dans le silence absolu de l'une et l'autre espèce de ces lois. Dans l'ordre de la juridiction spirituelle, il y avait à la suite des armées , dans les garnisons , les camps et autres lieux momentanément occupés par les armées , des ministres de la religion appelés aumôniers des troupes. Ces aumôniers étaient pris dans les couvens , parmi les religieux les plus à même par leur conduite, leurs mœurs et la connaissance des langues vivantes , à remplir ces fonctions importantes. Ils étaient soumis à l'autorité d'un aumônier en chef, qui approuvait leur nomination (^). Tout militaire en activité de service ou en retraite était sujet à leur juridiction. Il n'y avait d'exception qu'à l'égard des pensionnaires , des veuves militaires , des officiers démissionnes , des médecins , chirur- giens et apothicaires attachés aux trouj)es , qui s'étaient fait inscrire sur la liste des bourgeois. Cette dernière classe , comprise sous le nom générique de milice sédentaire ( stabel kry^gs-volh^^ était sous la juridiction spirituelle des évê- (•) Voyez Mém. hist. et polit, du président de Neny, tom. 11, chap. der- nier, f" a56. (') Décret du lo janvier 1776. Plac. de Flandre , tom. VI, f"' i5oo et i5oi. a 12 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE ques et des ecclésiastiques de leurs domiciles respectifs ('). En cas de guerre , le mode de recrutement ])our les troupes nationales se faisait par appel au son du tam- bour. Le souverain commettait ordinairement un conseiller- d'état , feld-raaréchal de ses armées , pour recevoir les engagemens et délivrer les commissions d'activité. CHAPITRE X. Coup d'oeil sur la situation politique des Pays-Bas avant le règne de Marie- Thérèse. — Elle maintient la Constitution politique de son père. — Amélio- rations dans l'administi-ation de la Flandre; changemens opérés dans la représentation politique de cette Province. — Améliorations dans le système des Lois criminelles. — Première tentative d'une Police générale. — Répara- tion des anciennes routes et Construction de nouvelles. — Censure ecclésias- tique contenue dans des bornes étroites. — Nouveau plan d'Enseignement. — Erection d'une Commission royale des études. — Améliorations dans l'En- seignement supérieur. — Établissement de leçons publiques d'Accouche- mens. — Suppression des Jésuites. — Institution de l'Académie des sciences de Bruxelles, et de l'Académie militaire d'Anvers. — Monumens publics.— Indépendance du Clergébelge, et défense de l'Office de Grégoire VII. — Rela- tions politiques avec les puissances étrangères. — Conférences avec les dé- putés Hollandais au sujet du subside de la Barrière. Des Institutions et des Réformes salutaires , introduites dans le Gouvernement des Pays-Bas , par V Impéra- trice Marie-Thérèse. Dans les chapitres précédens nous avons traité des insti- (') Règlement sur le ressort de la juridiction militaire ecclésiastique du la mai 1773. Plac. de Flandre , tom. VI, (" 1496, art. i et 3. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. ai3 tutions qui formaient l'ensemble du gouvernement sous Marie-Thérèse, sans indiquer les réformes introduites par cette souveraine. Nous eussions difficilement pu suivre une marche différente , sans encourir le reproche de sortir atout instant des bornes assignées à la nature d'un précis. Un état qui date de plusieurs siècles , se compose néces- sairement de toutes les institutions que la nécessité des circonstances , les révolutions et les mœurs nouvelles ont fait naître. Ces monumens ne sauraient être l'ouvrage d'un seul prince , mais celui du temps. Toutefois , il nous a paru , et nous en faisons franchement l'aveu , que cette marche toute naturelle , ne donnait point une idée assez distincte des lois et des actes de l'administration spé- cialement rendus par cette souveraine. Nous avons donc , pour suppléer à cette lacune , ajouté ce dixième et dernier chapitre. Il formera le résumé des changemens les plus inn- portans introduits durant l'espace de quarante ans. En comparant le commencement et la fin de ce règne , le lecteur pourra juger ainsi par lui-même de l'esprit et de la tendance de l'administration , des principes qui ont di- rigé sa marche , et de l'influence que cet ordre de choses a exercée sur les mœurs et l'esprit public de la nation. Le duc d'Anjou n'eut pas sitôt pris possession des Pays - Bas , qu'il changea , à l'instigation de son aïeul Louis XIV , l'ancienne constitution du pays. 11 donna au roi de France , quoique étranger à la souveraineté de ce pays, le même pouvoir qu'il s'était réservé lui-même ai4 SUR L'ADMINISTRATION GENERALE par son nouvel acte de constitution («). On peut facilement juger des résultats que dut produire ce partage d'autorité sans exemple dans l'histoire. Le principal but de cette constitution était de nous affran- chir pour toujours de la domination autrichienne 5 mais pour y parvenir, il fallut changer l'esprit public , augmenter considérablement l'armée , surcharger l'état d'impôts. Le duc d'Anjou, ou plutôt Louis XIV, commença par créer des places à vie et à les céder à prix d'argent 5 il augmenta suc- cessivement toutes les branches des revenus publics , intro- duisit de nouvelles taxes, étendit à volonté le principe odieux de la confiscation 5 et , pour subvenir à ses énormes dépenses , il aliéna une partie des domaines de l'état , altéra sensiblement la valeur des monnaies , mit des entraves au commerce 5 et , sous prétexte d'encourager l'industrie , défen- dit la libre circulation des denrées de première nécessité. Cet état de choses ne changea point par la cession des Pays- Bas au duc de Bavière , ni par suite de l'occupation militaire des alliés au nom de l'archiduc Charles. La guerre pour la succession d'Espagne se poursuivit avec acharnement jusqu'en 1707 5 à cette époque, une di- sette affreuse vint augmenter les calamités publiques, et força les parties belligérantes à des ouvertures de paix. L'évacuation des Pays-Bas n'eut lieu que quelque temps (') Constitution de 1702, art. dernier. Plac. de Flandre , tom. IV, f° 234. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. ai5 après ; mais quoique le pays eût été délivré du fléau de la guerre, les plaies causées aux finances étaient trop profon- des pour pouvoir s'efl'acer de sitôt. Le commerce, encore bien que tout-à-fait libre , était sans communications , les manufactures sans travail , et les produits de l'industrie sans débouchés. Les droits d'entrée sur les marchandises étrangères avaient été considérablement réduits en faveur du commerce anglais 5 tandis qu'ailleurs le système prohi- bitif était demeuré dans toute sa vigueur. Le premier soin de l'administration fut de réparer les routes anciennes et d'autoriser les provinces à en ouvrir de nouvelles. Les plus grands désordres s'étaient introduits dans l'administration j Charles VI y pourvut par l'établissement d'une constitution qui concentrait tous les pouvoirs entre les mains d'un con- seil-d'état. Cependant le mal ne cessait d'aller toujours en croissant j il fallut revenir aux trois conseils de Charles - Quint. Mais cela même prouva bientôt que les temps étaient totalement changés. Les principales sources de la richesse publique étaient taries 5 et malgré l'administration toute paternelle de l'empereur, l'industrie, sujette à mille entra- ves, était étouffée sous un nombre infini d'anciens préju- Les guerres continuelles où l'empereur se vit engagé pen- dant presque tout son règne, contribuèrent également à entretenir cet état de langueur. Le commerce aurait pu avec le temps surmonter ces obstacles , si la guerre pour la suc- cession d'Autriche n'eût renversé, avec nos espérances. a, 6 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE les faibles ressources qu'à la faveur de quelques années de paix , notre industrie avait amassées. On connaît les sacrifices qu'exigèrent les premières années du règne de Marie-Thérèse, les impôts dont les peuples étaient accablés, les désordres de l'administration, l'anar- chie de l'état, tous les maux enfin qu'entraînent les guer- res et les dissentions civiles; voilà quelle était la position de ce pays vers le milieu du dix-huitième siècle. Ce fut néanmoins sous des auspices si défavorables que commença l'un des règnes les plus fameux dans l'histoire des Pays-Bas. Marie-Thérèse, à l'exception de quelques changemens peu importans, maintint la constitution politique établie par son père. En ordonnant la suppression du conseil-su- prême établi à Vienne , elle n'eut en vue que les besoins du service public qui réclamaient instamment la suppression de quelques corj)S politiques , regardés comme autant d'entra- ves à la prompte expédition des affaires publiques (0. Ainsi loin de porter atteinte aux principes du gouvernement ancien, cette innovation eut pour résultat d'y ajouter une sanction nouvelle. L'un des premiers actes de son gouvernement fut de suspendre tous les fonctionnaires publics qui, pendant l'oc- cupation du pays , avaient été établis par les Français. Elle n'en excepta que les magistrats municipaux qui avaient été nommés en vertu des privilèges existans. Elle rétablit les (') Décret du i8 avril. Plac. de Flandre, tom. V, f" 99. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. «17 grands corps de l'état, et notamment l'université de Louvain, dans la plénitude de leurs anciens droits ('). Les malver- sations nombreuses des magistrats fixèrent principalement son attention; et comme le Brabant avait été le principal théâ- tre de ces actes criminels, l'impératrice fit publier le la août 1749) un décret qui annula tous les emprunts d'es- pèces, contractés sans autorisation pendant la dernière guer- re ; et, pour punir les magistrats infidèles à leurs devoirs, qui les avaient consentis , elle les déclara personnellement res- ponsables envers les prêteurs (^). L'administration des communes rurales de la Flandre était entachée d'abus si crians , que Charles VI s'était vu forcé, malgré les embarras de son gouvernement, d'y por- ter un remède momentané ; Marie-Thérèse acheva l'ouvrage de son père, en organisant d'une manière définitive les collèges en chef de cette province. Elle fixa, par des rè- glemens nouveaux dont la sagesse est incontestable, leurs attributions administratives et judiciaires, le mode de leur procédure et la quotité des frais de justice (^). Dans l'ordre politique, elle répara une grande injustice, moins dans des vues d'intérêt , comme on Ta prétendu , que (') Décret du 1 1 mars I749' Plac. de Flandre, ton». V, f» 60. Loi du 8 mars 1749 > même Recueil, tom. V, f" 1 16. (») Foyez Plac. de Brabant, tom. IX, P" 245. (î) Loi du 1" septembre 1749" Plac. de Flandre, tom. V, S° 369. 29 2i8 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE par amour du bien public. Depuis long-temps les commu- nautés inférieures de la Flandre s'étaient vu privées du droit de voter activement dans les assemblées des états pro- vinciaux, quoiqu'elles eussent maintenu le privilège d'y envoyer des députés à leurs frais. Cette singulière attribu- tion de faire partie d'un corps polilique et d'être soumis à ses charges , sans participer à ses avantages , parut , quoi- que sanctionnée par le temps , un abus qui demandait une prompte réforme. Ces communautés n'avaient jamais cessé, quoiqu'en vain, de réclamer contre cet ordre de choses j elles trouvèrent à la fin dans le gouvernement de Marie- Thérèse, des dispositions plus favorables à leurs justes réclamations. Cette princesse leur accorda en effet , par une loi du 5 juillet i'j545 les mêmes droits qu'exerçaient le clergé et les quatre membres de Flandre. Il n'en fallut pas tant pour mécontenter deux ordres habitués à exercer un pou- voir presque souverain 5 mais, quelques représentations qu'ils fissent contre une décision qui leur parut contraire aux pri- vilèges , elle demeura inflexible , persuadée qu'elle était d'avoir exercé un acte de justice et un bienfait public. Si nous jetons nos yeux sur la justice criminelle, ce n'est qu'avec peine qu'on relient son indignation à la vue des pu- nitions arbitraires , du secret , de la torture , et de l'impuis- sance des lois pénales contre la séduction et l'or des criminels. Marie-Thérèse mit des bornes à cette coupable indulgence , en publiant cette loi fameuse qui défendit à tous les juges criminels de transiger sur la peine avec les condamnés à la DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. a 19 mort, à la mutilatioi^ aux verges et au bannissement («). La police n'avait ni organisation ni règlemens. L'impé- ratrice commença par engager tous les fonctionnaires publics à éclairer pendant la nuit l'extérieur de leurs maisons. Cet exemple qui ne tarda pas à être suivi par les corporations , devint bientôt un usage général. Après avoir remédiéaux dé- sordres des grandes villes , le gouvernement tourna ses vues vers la tranquillité des campagnes. Il fit dans ce but abattre les bois situés à proximité des grandes routes, ordonna des patrouilles continuelles , et prescrivit des mesures répressives contre le vagabondage. Pour ne pas laisser son ouvrage imparfait , il fournit aux provinces la première idée d'un système uniforme de police rurale, en encourageant l'établis- sement des maréchaussées. Ces règlemens eurent pour résultat de fournir au com- merce intérieur des facilités jusqu'alors ignorées 5 mais ce n'était pas tout d'assurer la sûreté des routes , il fallait les rendre praticables 5 le gouvernement veilla donc à ce que les anciennes fussent réparées , et donna des octrois et des facilités pour en construire de nouvelles. Il lit au même titre creuser des canaux et construire dans plusieurs villes maritimes, notamment à Ostende, des entrepôts publics. Il encouragea l'industrie manufacturière , donna des primes d'encouragement, fit punir les altérations, les contrefaçons. (') Loi du 3i octobre 1753. Plac. de Flandre, tom. V, {*• iig. aao SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE et voulut que ses armées ne fussent vêtues qu'avec des pro- duits nationaux. L'erreur ou l'ignorance maintenait une foule de préjugés ridicules. Il fallutles extirper ou en restreindre les abus ; tels furent le droit d'asile, les ignobles travestissemens introduits dans l'église ('), et l'usage abusif de tolérer cette foule de solitaires inutiles à eux-mêmes et à charge à la société. Quoiqu'il eût été sévèrement défendu d'écrire au sujet des querelles religieuses (2) , les disputes ecclésiastiques ne lais- sèrent pas de germer sourdement dans le pays. L'université de Louvain fut accusée d'être un foyer de jansénisme, et devint à ce titre l'objet des attaques du clergé. Tous les ouvrages des nouveaux docteurs furent mis à l'index ecclé- siastique 5 mais le gouvernement ne demeura pas tranquille spectateur d'une intolérance qui semblait ne tenir aucun compte de son autorité. Il interdit aux censeurs du clergé le droit de défendre les livres qu'il avait autorisés , ordonna le rétablissement dans les catalogues des œuvres de Stock- mans de Van Espen , de Grotius , et enjoignit au grand- conseil de s'opposer à des interdictions contraires aux droits du souverain et à l'intérêt public (^). Tous les princes qui ont eu à cœur le bonheur de leurs (') Décret du lo avril 1742. Plac. de Brabant, tom. VIII, p. 7. Décret du 3i octobre 1753. Plac. de Flandre, tom. V, f" 217. Décret du aS mars 1778. Plac. de Flandre, tom. VI, f" 1798. (») Décret du 6 septembre 1752. Plac. de Brabant, tom. VIII, f" 3. (3) Voyez Plac. de Brabant, tom. X, î" 176, 195 et suiv. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. aai sujets , se sont occupés de l'instruction publique. Char- les VI , dont tous les instans furent absorbés par les grands intérêts de l'empire , ne fit pas tout ce que l'esprit public eût exigé de lui , si , moins entouré de circonstances dif- ficiles, il eût pu remplir à cet égard les vœux de son cœur. Il était réservé à l'impératrice d'attacher son nom à des réformes, qu'il n'a tenu qu'au temps de rendre plus durables. L'expulsion des jésuites de ses états , lui fournit l'occasion de rendre à l'instruction publique son entière indépendance. Elle fit émaner à ce sujet un nouveau plan d'enseignement, et érigea à Bruxelles un pensionnat à l'instar du collège Thérésien de Vienne. Cette institution-modèle fut répétée dans les principales villes des Pays-Bas ('), par une foule d'établissemens dotés des fonds publics , et placés sous la surveillance d'une commission royale des études , établie 0 près du gouvernement. La faveur cessa dès lors d'être un titre pour obtenir les places 5 et des concours publics désignèrent ceux dont les talens méritaient la haute mission d'instruire leurs semblables. L'enseignement supérieur subit de son côté des innova- tions salutaires ; le gouvernement pénétré de la nécessité de maintenir dans les grands corps une discipline sévère, fit nommer près de l'université de Louvain un commis- saire royal, revêtu de fonctions permanentes. Il obligea les (') Voyez Abrégé de l'hist. de la Belgique, par M. Dewez, a°" édit. f" 5oo. 222 SUR L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE élèves à la fréquentation des cours publics 5 et pour qu'une , mesure aussi nécessaire ne demeurât pas illusoire comme auparavant, il défendit au sénat d'admettre aux examens les élèves qui ne produiraient point des certificats de leurs professeurs , constatant cette fréquentation. Il s'attacha en outre avec constance à déraciner les abus qui déshonoraient la gravité des études , en défendant les repas , les bals et les fêtes qui ne donnaient que trop souvent lieu à des excès répré- hensibles. Enfin , il fixa par un tarif général les droits des examens et des promotions publiques 5 mettant par cette mesure un terme aux incertitudes qui , j usqu' alors , avaient fait de cette partie de l'instruction une source ie querelles entre les professeurs, et de préférences entre les élèves (*). Aucune institution philanthropique n'échappa à la solli- citude de l'impératrice. La chirurgie, et en particulier l'art des accouchemens , étaient tombés dans une espèce de dégra- dation. En élevant des instituts particuliers, auxquels elle attacha des professeurs publics , elle rendit à l'humanité un service éminent. Elle servit encore sous un autre point de vue la cause de l'humanité , en accordant un asile dans ses états aux prêtres que les dissensions religieuses avaient ban- nis de la France. N'est-ce pas d'ailleurs à cette princesse qu'on doit la suppression des jésuites , les règlemens sur la tenue des (•) Règlement du i3 février 1755. Plac. de Brabant, tom. VIII, f" 53. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. aa3 registres de l'état civil et l'adoucissement des peines crimi- nelles ? Les sciences , les lettres et les arts , ne lui doivent-ib pas l'académie de Bruxelles ('), l'école militaire d'Anvers (2), une foule de monumens publics, tels que l'entrepôt de Bruxelles, la prison publique de Gand? Et devons-nous passer sous silence la fermeté avec laquelle elle annula les délégations des juges synodaux, rendit le clergé régulier indépendant des ordres religieux étrangers, et maintint le respect dii à la couronne, en défendant, à l'exemple de son père, l'office de Grégoire VII? C'était encore pour satisfaire à l'humanité qu'elle défendit, sous peine du bannissement, les vœux des religieux-profès , avant l'âge de aS ans (3). La moitié de ces bienfaits suffirait pour mériter de notre part une éternelle reconnaissance , si Marie-Thérèse n'avait pas des droits plus réels à notre admiration. C'est en effet à sa sage prévoyance et à sa fermeté que nous devons d'avoir été soustraits à la domination du clergé ultramon- tain, aux disputes ridicules du jansénisme et à toutes les influences qui, du dehors , agissaient d'une manière si nui- sible sur nos mœurs et notre esprit public. Dans les relations politiques avec les puissances étrangè- (') Académie impériale et royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles , fondée par lettres-patentes du i6 décembre 177a. Voyez Abrégé de l'histoire des Pays-Bas, par M. Dewez, deuxième édition , p. 498. (") Académie militaire établie à l'instar de celles de Vienne et de Neustad. (>) Edit du iBavril 177a. Plac. de Flandre , supplément, vol. I, ^4'' 224 SUR L'ADMIN. GÉNÉR. DES PAYS-BAS AUTRICHIENS. res , elle fit constamment respecter le nom du peuple belge. Plus ferme à cet égard que son prédécesseur, elle ne fléchit point devant les prétentions exagérées des Hollandais sur l'ancienne indemnité delà barrière. Si cette charge, acca- blante pour le pays , honteuse pour le souverain , ne pesa plus sur nous , rendons en grâce à Marie-Thérèse , qui sut rappeler avec fermeté aux députés hollandais « que les V premiers devoirs des gouvernemens étaient d'être fidèles V à leurs promesses 5 que le traité des barrières les obligeait )) à conclure avec les Pays-Bas une convention de com- » merce qu'ils avaient toujours éludée, et que ce n'était V qu'à ce prix que les provinces belgiques eussent consenti » à un subside perpétuel aussi onéreux ('). y Les temps étaient bien changés ; un pareil langage , tenu cinquante ans plus tôt , eût sauvé le pays d'une occupation étrangère 5 mais c'était alors l'époque des concessions. Quel- ques années suflQrent pour rendre au gouvernement sa for- ce au pays sa dignité 5 et ces heureux changemens furent, comme l'a très-bien dit un estimable historien (^) , « Tou- )) vrage d'une princesse que ses qualités sublimes et ses hé- » roiques vertus ont placée au rang des grands rois. » (') F'oyez Mémoires politiques de M. De Neny , chap. 2 , tom. II, f° 3o. C) M. Dewez , Abrégé de l'histoire des Pays-Bas , a"" édition , p. 5oa. FIN. MÉMOIRE SUR LES CHANGEMENS oviRÉs DANS L'INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS LE RÈGNE DE L'IMPÉRATRICE MARIE-THÉRÈSE JUSQU'A CE JOUR ; gn A KEMroBTi le nix au cokcoois de <827. Par m. RAINGO, professeur axj collège de mons. L'inslruction publique est le principe de U iplcndeur et de U prospérité des emplMs. BRUXELLES, M. HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE. 1827. m m »»«a>ao«»a»*o— »••— a«»oo»«— * AVANT-PROPOS. iSi les progrès de l'instruction publique sont un des objets les plus intéressans des annales d'une nation, les change- mens qui se sont opérés depuis près d'un siècle dans les institutions destinées à former les jeunes Belges , sont par- ticulièrement dignes de fixer l'attention de tous ceux qui se livrent à l'étude de notre histoire. L'importance de cette époque n'a point échappé à l'Académie Royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles, qui a mis au concours la question suivante : Quels ont été les changemens introduits dans V ins- truction publique en ce pays , depuis le commencement du règne de Marie-Thérèse jusqu^à ce jour^ et quelle a été Finjluence de ces changemens sur la propagation des lumières en général , et sur la culture des sciences et des lettres en particulier ? Curieux de répondre à l'appel de l'Académie , et de nous associer à ses utiles travaux , nous en avons entrepris la so- lution. Puisse le Mémoire que nous avons l'honneur de lui soumettre , répondre à son attente et contribuer à faire con- naître l'histoire de la régénération de notre éducation natio- nale! H DIVISION. L'instruction publique a été de tout temps subordonnée à la manière de voir des gouvernemens. Fille aînée de la législation , elle a toujours largement rendu à celle-ci , par l'influence qu'elle exerce sur les mœurs (') , le prix des bienfaits qu'elle en a reçus. Malheureusement peu de légis- lateurs ont su tirer parti du puissant auxiliaire qu'elle leur offre 5 et l'instruction , semblable aux plantes dont la cul- ture est négligée , languit comme elles , à la honte et au détriment de ceux qui en auraient pu recueillir les fruits. Si tel est l'effet de la marche du régime administratif sur l'instruction publique, comme il y a peu d'états qui aient été soumis à autant de dominations diverses que la Belgi- que^ il en est peu aussi où l'instruction ait été sujette à autant de variations ; et puisque ces provinces , à dater de l'époque proposée , ont été successivement administrées par les trois gouvernemens distincts de l'Autriche , de la France et des Pays-Bas , nous diviserons notre sujet en autant de parties , et nous envisagerons , suivant l'ordre des événemens , les modifications que Tinstruclion publique a éprouvées : 1° Sous le gouvernement Autrichien; 2° Sous le gouvernement Français , et 3° Sous le gouvernement des Pays-Bas. (') Çuid leges sine moribus fiance proficiunt? (Horat. , lib.III, od. i8.) w»— —8— •>— •9»»«BB»wimimi»imnMmmMtttimmii MÉMOIRE SUR LES CHANGEMENS ori&is DANS L'INSTRUCTION PUBLIQUE SZP'DI» LE RÈGNE DE L'IMPÉRATRICE MARIE-THÉRÈSE JUSQU'A CE JOUR. PREMIÈRE PARTIE. JStat et progrès de l'Instruction Publique dans les Pays- Bas , sous le Gouvernement Autrichien, r^otJR bien apprécier les progrès de l'instruction publique depuis un temps donné, il est essentiel d'examiner d'abord en quel état elle se trouvait alors. Nous commencerons donc par jeter un coup d'œil sur la situation des établissemens d'instruction dans les Pays-Bas, à l'époque où Marie-Thé- rèse prit possession de la souveraineté de ces provinces. H DIVISION. L'instruction publique a été de tout temps subordonnée à la manière de voir des gouvernemens. Fille aînée de la législation , elle a toujours largement rendu à celle-ci , par l'influence qu'elle exerce sur les mœurs (') , le prix des bienfaits qu'elle en a reçus. Malheureusement peu de légis- lateurs ont su tirer parti du puissant auxiliaire qu'elle leur offre 5 et l'instruction , semblable aux plantes dont la cul- ture est négligée , languit comme elles , à la honte et au détriment de ceux qui en auraient pu recueillir les fruits. Si tel est l'effet de la marche du régime administratif sur l'instruction publique, comme il y a peu d'états qui aient été soumis à autant de dominations diverses que la Belgi- que , il en est peu aussi où l'instruction ait été sujette à autant de variations 5 et puisque ces provinces , à dater de l'époque proposée , ont été successivement administrées par les trois gouvernemens distincts de l'Autriche , de la France et des Pays-Bas , nous diviserons notre sujet en autant de parties , et nous envisagerons , suivant l'ordre des événemens , les modifications que l'instruction publique a éprouvées : 1° Sous le gouvernement Autrichien 5 2° Sous le gouvernement Français , et 3° Sous le gouvernement des Pays-Bas. (') Quid leges sine moribus Vanœ proficiunt? (Hobat. , lih.III, od. i8.) ■ mmHM»t9t»tMe«a9>Ba— a«BMIHBB>8tM— — fW— < MÉMOIRE SUR LES CHANGEMENS opéaés DANS L'INSTRUCTION PUBLIQUE nzpvis LE BÈGNE DE LTMPÉRATRICE MARIE-THÉRÈSE JUSQU'A CE JOUR. PREMIÈRE PARTIE. État et progrès de V Instruction Publique dans les Pays- Bas , sous le Gouvernement autrichien. r^oTTR bien apprécier les progrès de l'instruction publique depuis un temps donné, il est essentiel d'examiner d'abord en quel état elle se trouvait alors. Nous commencerons donc par jeter un coup d'œil sur la situation des établissemens d'instruction dans les Pays-Bas, à l'époque où Marie-Thé- rèse prit possession de la souveraineté de ces provinces. a INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE Ces établissemens étaient une université, des collèges et des écoles inférieures. S I". Université de Louvain. L'université , établie à Louvain depuis le commencement du quinzième siècle^ embrassait l'enseignement de toutes les connaissances nécessaires aux professions scientifiques. Elle jouissait de très-grands privilèges , et avait ses lois , sa police, son tribunal, ses fonctionnaires et ses agens parti- culiers. Elle se composait de cinq facultés : la théologie, le droit canon , le droit civil , la médecine et les arts. Elle était administrée par un recteur, choisi tous les six mois dans chacune des cinq facultés alternativement 5 elle avait aussi deux autres grands fonctionnaires , le chancelier et le conservateur des privilèges. Le recteur était le chef de l'université 5 en cette qualité , il avait le droit de condamner ou d'absoudre, et il exerçait indistinctement sur tous les individus qui en faisaient par- tie, une juridiction suprême, sauf cependant le cas d'affai- res criminelles , dont la décision avait été attribuée à l'au- torité civile par le règlement du 18 avril 161 7 ('). (') Privilégia academiœ lovaniensi concessa [Lovanii, 1753),/?. 20^ et tetf. JUSQU'A CE JOUR. 3 Le chancelier, dont la dignité était attachée à celle de prévôt du chapitre de Saint-Pierre à Louvain , était chargé de donner la bénédiction des licences et de conférer les gra- des académiques. Le conservateur des privilèges veillait au maintien des chartes , statuts et règlemens. L'université avait en outre plusieurs officiers subalternes, tels qu'un dictateur, un avocat fiscal, un syndic, un se- crétaire et un promoteur. Chaque faculté était composée d'un certain nombre de professeurs. La faculté de théologie en avait huit, celle de droit canon six , celle de droit civil sept , celle de médecine huit, et celle de philosophie seize ('), Les cours de théologie , de droit et de médecine avaient lieu dans un vaste édifice appelé les Halles , parce qu'il avait appartenu autrefois au corps des drapiers. Mais la philo- sophie était enseignée dans quatre collèges , qui portaient le nom de pédagogies. Les élèves y passaient d'abord deux années , pendant lesquelles ils étudiaient les mathématiques élémentaires, les mathématiques appliquées à la mécanique, à l'optique et à l'astronomie, la logique, la dialectique, la philosophie naturelle et la métaphysique. Après cela , ils étaient admis à la fréquentation des leçons de théologie , de droit ou de médecine , suivant l'état auquel ils se destinaient. (') Mémoires du comte de Neny , troisième édition, Bruxelles 1785, tom. II, p. 2{l. 4 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE Les grades académiques étaient ceux de bachelier , de licencié et de docteur. On n'obtenait celui de bachelier ès- arts qu'au commencement de la seconde année de philoso- phie , et celui de licencié qu'après avoir terminé le cours des études de cette faculté. On instituait à cette occasion un concours général , à la suite duquel avaient lieu les promo- tions. Les élèves les plus méritans étaient distingués en trois séries , que l'on appelait lignes , et qui comprenaient douze places chacune. Ceux qui n'étaient point dans les trente-six premiers , étaient divisés en deux classes , dont la première, nommée ante médium^ comprenait encore un assez bon nombre de sujets recommandables. Ce con- cours des quatre collèges de philosophie était considéré comme la touche des esprits , et chaque élève faisait des efforts prodigieux pour figurer dans la première ligne et pour y obtenir la première place. Il est vrai que celui qui remportait la palme, et que l'on appelait pour cela primus^ était Tobjet d'honneurs et de distinctions particu- lières. A son retour dans le lieu de sa naissance ou du domicile de ses parens, on lui faisait une réception aussi pompeuse qu'à un ambassadeur, et ses compatriotes célé- braient cet événement fortuné par toutes sortes de fêtes et de réjouissances. Cette palme donnait en outre à celui qui l'obtenait, une considération qui durait toute sa vie, et qui lui ouvrait l'entrée aux places et aux dignités de l'église et de la magistrature. Ceux qui le suivaient de près , ac- quéraient aussi des titres à l'obtention des bénéfices 5 et JUSQU'A CE JOUR. 5 c'était un grand honneur que d'avoir été promu dans la j)remière ligne. ** Le grade de bachelier en théologie ne pouvait être de- mandé qu'après quatre ans d'études 5 et celui de licencié , après sept ans. Pour être licencié dans les deux facultés de droit , il fallait en avoir suivi les cours pendant quatre ans, tandis que pour être licencié en droit canon ou en droit civil seulement , il ne fallait que trois années de fréquenta- tion. Le grade de bachelier en médecine pouvait s'obtenir après un an et demi d'études , et celui de licencié après trois ans. Pour l'obtention de chaque grade, on devait passer divers examens publics, soutenir des disputes et donner des preuves suffisantes de son savoir. Dans toutes les facultés , on ne parvenait à celui de docteur, qu'après s'être particulièrement distingué par ses talens et avoir défendu des thèses savantes sur les diverses matières relatives aux études qu'on avait faites (»). L'université de Louvain comprenait en outre une infinité de collèges , qui étaient sous la direction d'un chef appelé président. C'étaient en grande partie des institutions fondées par des villes, des provinces, des communautés religieuses, et même des étrangers , pour l'avantage de leurs élèves res- pectifs. Le grand nombre de bourses dont ces établissemens (') Privil. acad. Lovan. supra cit. é INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE étaient dotés , et plus encore de bonnes leçons soutenues par une discipline sévère,, avaient procuré pendant long- temps à l'université de Louvain une célébrité qui s'était répandue dans toute l'Europe. Mais cette discipline s'étant peu à peu relâchée , et les règlemens n'étant plus aussi strictement observés , les études avaient beaucoup perdu de leur solidité , et l'université avait vu sensiblement diminuer sa considération et sa splendeur. sn. Collèges. L'enseignement des humanités à cette époque était dans un état de décadence bien plus déplorable encore. On comptait alors dans les diverses villes de la Belgique , environ soixante collèges , dont un tiers était dirigé par des jésuites, un sixième par des prêtres séculiers, et lé reste par des religieux de différens ordres , principalement des augustins , des oratoriens et des récollets (i). Mais bien loin qu'il en résultât la moindre émulation , on ne rencontrait partout qu'un esprit d'inertie , qui rappelait les siècles de l'ignorance. Les jésuites étaient en possession de la vogue , et ils la l') Délices des Pays-Bas , passim. JUSQU'A CE JOUR. 7 devaient bien moins à leurs talens personnels qu'à la répu- tation de la société à laquelle ils appartenaient , aux intri- gues qu'ils savaient mettre en œuvre pour se concilier la bienveillance publique , et aux amusemens de toute espèce qu'ils cherchaient à procurer aux élèves. Leur enseignement ne valait pas mieux que celui des séculiers et des religieux , et il était restreint à l'étude presque exclusive de la langue latine ; car les leçons de langue grecque qu'ils prétendaient donner , se réduisaient à quelques notions élémentaires , et très-souvent ce qu'ils proposaient , n'était que des mots la- tins écrits en caractères grecs (»). Dans les meilleurs collèges, toute l'explication des au- teurs se bornait , pendant le cours de six à sept années , à une centaine de vers de Virgile, quelques paragraphes de Quinte-Curce et un très-petit nombre des plus courtes épî- tres de Cicéron. Le reste du temps était employé à la com- position de thèmes dans un latin barbare et ridicule. Les élèves • de poésie étaient principalement exercés à faire des chronogrammes 5 ceux de rhétorique se formaient à l'élo- quence , en étudiant la nomenclature aride et rebutante des figures , et en cousant ensemble des lambeaux de tous les genres et de tous les styles. L'étude de la langue vulgaire , de l'histoire , de la géographie , était entièrement négligée j la science des mathématiques était peu ou point cultivée : (') Tableau Historique des opérations du gouvernement-général des Pays- Bas , pour la réforme des études , etc. § I". 8 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE en un mot , on semblait prendre à tâche d'écarter de la jeu- nesse tout ce qui peut éclairer la raison , développer le juge- ment et former le goût. Ce qui distinguait plus particulièrement les collèges te- nus par des prêtres séculiers , c'était la manie des construc- tions bizarres et difficiles , dont on ne trouve point d'exemple dans les bons auteurs. Du reste leurs écoles n'étaient pas meilleures que celles des religieux 5 partout le comble du savoir était de pouvoir s'exprimer en un latin trivial et sou- vent hérissé de barbarismes ('); comme si l'instruction n'a- vait d'autre but que de former des êtres propres à aller peu- pler les cloîtres ou des colonies latines. Cet état pitoyable de l'enseignement des humanités était une conséquence naturelle de l'indépendance anarchique des collèges. Chacun de ces établissemens , ou tout au moins chacun des ordres religieux qui les dirigeaient , formait une espèce de république dont les membres n'avaient d'autre guide que l'arbitraire ou la volonté des supèi'ieurs. Le dé- faut de fermeté et de surveillance de la part de l'autorité avait fait tomber en désuétude les règlemens prescrits dans les temps antérieurs. L'ascendant dont jouissaient les ordres religieux était un obstacle majeur à la réforme des abus 5 et l'habitude d'envisager la direction de l'instruction et des collèges , comme le patrimoine exclusif des ecclésiastiques , (■) Tableau Historique cité plus haut. § I". JUSQU'A CE JOUR. 9 faisait qu'on ne supposait même pas qu'elle put être confiée en des mains plus sûres ni plus habiles. 8 ni. Écoles inférieures. Si l'instruction des collèges était toute scolastique , l'en- seignement primaire se ressentait encore plus des préjugés des premiers siècles , où il n'y avait d'éducation que pour ceux qui se destinaient à la cléricature. Tout ce qui ne ten- dait pas directement à cette fin était envisagé , de même qu'à l'époque de l'institution primitive des écoles , comme ne de- vant pas faire partie de l'instruction. Ainsi , sans avoir aucun égard aux besoins des autres classes de la société ; sans con- sidérer que l'exercice de toutes les professions exige au moins les premières notions des connaissances humaines ; sans cher- cher à favoriser par la culture de l'intelligence le dévelop- pement moral et la civilisation des individus , on négligeait tout-à-fait l'enseignement inférieur 5 ou bien , si l'on s'en occupait , ce n'était pas pour donner à la jeunesse une in- struction positive , mais seulement dans le but de faire ac- quérir à ceux qui devaient étudier le latin , les connaissances préliminaires qui leur étaient indispensables. Les écoles pri- maires n'étaient , à quelques exceptions près , que les écoles préparatoires des collèges , ou des établissemens dépendans des chapitres et des monastères. 11 y avait bien en quelques lo INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE endroits des institutions civiles , sous la surveillance des ma- gistrats , mais elles étaient peu nombreuses , et la plupart des écoles étaient confiées à des vicaires ou à des clercs de paroisse , qui s'attachaient beaucoup plus à l'enseignement du catéchisme qu'à tout autre objet. Les leçons de lecture ou d'é- criture qu'ils y joignaient quelquefois étaient purement maté- rielles. Loin de chercher à mesurer les difficultés de l'instruc- tion sur les forces du jeune âge, chacun suivait à son gré la marche qui lui semblait la plus facile et surtout la moins gê- nante. Le caprice et la routine étaient les seuls guides des insti- tuteurs. Il n'y avait ni plan tracé , ni règlement prescrit, ni surveillance uniformément établie. Aucun encouragement ne stimulait le zèle des maîtres ; aucune émulation ne pro- voquait l'ardeur des élèves. Enfin le gouvernement avait laissé jusqu'alors cette partie si importante de l'instruction publique dans un état d'abandon qui la rendait presque nulle 5 et si l'on rencontrait çà et là quelques institutions qui méritassent le nom d'écoles , et où renseignement , un peu mieux établi , embrassât les élémens du calcul et de la grammaire, c'était au zèle des particuliers et plus encore aux avantages qu'ils en retiraient personnellement , que l'on en était redevable. S IV. État des lumières. Une telle situation des établissemens d'instruction ne JUSQU'A CE JOUR. 1 1 pouvait manquer d'exercer une influence pernicieuse sur l'état des lumières ^ et sur la culture des sciences et des let- tres à cette époque. Aussi , la Belgique , riche autrefois de toutes les connaissances humaines , était-elle entièrement déchue de sa sj)lendeur littéraire. Un relâchement général avait remplacé la noble ardeur avec laquelle on y cultivait jadis les sciences et les lettres. A peine y trouvait-on quel- ques traces de cette profonde érudition qui , sous le règne de Charles-Quint et sous celui des archiducs, était si jus- tement renommée. Tout annonçait l'épuisement très-pro- chain de la source féconde d'où étaient sortis les Meetkerke, les Clenard , les Juste-Lipse , les Heinsius , les Hosschius et tant d'autres savans distingués. Ceux d'entre les Belges qu'une éducation plus heureuse ou leurs propres efforts avaient su garantir de l'engourdis- dissement général , désiraient ardemment la réforme des étu- des , qu'ils considéraient comme l'unique moyen de remédier à la décadence des lettres. Le gouvernement lui-même, confié à des mains plus vigilantes , en avait senti l'urgente nécessité 5 mais les premiers soins de l'impératrice Marie- Thérèse avaient dû se porter vers la guerre qui désolait alors ses états. Aussitôt que la paix fut rétablie , cette auguste princesse s'occupa sans relâche des moyens qui pouvaient assurer le bonheur et la prospérité de ses sujets. D'après les excellentes vues qui l'animaient, l'amélioration de l'instruc- tion publique devait naturellement être un des principaux objets de sa sollicitude. On ne tarda point à s'en convaincre 12 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE par la protection spéciale qu'elle accorda aux sciences et aux lettres ^ et les amis des lumières saluèrent avec la plus vive satisfaction , l'aurore des jours heureux qu'un gouvernement éclairé préparait à la Belgique. S V. Changemens introduits par V Impératrice Marie-Thérèse. L'université de Louvain étant l'institution la plus mar- quante et celle où les abus étaient à la fois les moins nom- breux et les plus faciles à réformer, c'est par elle que com- mença la régénération des études. Un édit de l'impératrice- reine (") remit en vigueur le fameux règlement du i8 avril 1617 , et prescrivit des mesures relatives à la résidence et la fréquentation requises pour obtenir le grade de licencié en droit ou en médecine. Mais comme les dispositions de ce règlement continuaient d'être négligées , le prince Charles de Lorraine, gouverneur-général des Pays-Bas, institua (2) un commissaire royal, chargé de procurer et de maintenir l'exécution des édits , ordonnances et décrets , émanés succes- sivement pour la direction, la discipline et la police de l'université , et ordonna au recteur , ainsi qu'aux doyens des facultés, de fournir, sur-le-champ, à ce nouveau fonctionnaire (') Édit impérial du 17 février l'^^Z. {') Par décret du 18 juillet 1754. JUSQU'A CE JOUR. i3 les renseignemens et informatioDS qu'il jugerait à propos de leur demander. L'année suivante , il fut émané , sur la proposition du commissaire royal, un règlement (') de Sa Majesté, qui établit sur un pied nouveau le temps d'habitation requis dans l'université pour être admis aux grades académiques , et détermina les épreuves et examens qui devaient précéder cette admission , ainsi qyie le tarif des droits à payer pour les inscriptions , examens , disputes , thèses , licences , etc. U fut défendu de se faire inscrire dans les facultés de théo- logie , de droit et de médecine pendant qu'on étudiait les humanités ou la philosophie. Le terme de la fréquentation nécessaire pour être admis à demander le grade de licencié en droit ou en médecine, fut réduit à trente-six mois, avec la dispense d'un quart de ce temps , pour ceux qui avaient obtenu une place dans les lignes , ou qui avaient soutenu publiquement et avec approbation , des thèses générales de philosophie. Ce règlement supprima aussi diverses dépenses superflues , introduites par le luxe des écoliers , et autori- sées par l'avidité de certains professeurs. La même année (^), le gouvernement donna une nou- velle preuve de sa sollicitude pour l'amélioration de l'ensei- gnement supérieur , en adjoignant à la faculté des arts , uù cours de physique expérimentale. (■) Règlement du i3 février 1^55. 10 1755. i4 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE Cependant , malgré les avantages que ces nouvelles dis- positions assuraient à l'université de Louvain, plusieurs jeunes gens allaient faire leur philosophie dans les univer- sités étrangères , et notamment à celle de Douai , où les études étaient loin de l'emporter sur celles de la Belgique. Il paraît qu'ils y étaient engagés par les jésuites de France , qui se répandaient chaque année en grand nombre dans les différentes villes des Pays-Bas , et qui cherchaient , par toutes sortes de menées et de séductions , à s'emparer de l'éducation de la jeunesse belge. Comme ces études, faites dans un pays étranger, avaient le double inconvénient d'être préjudiciables à l'esprit national autant qu'au bien-être de l'état, le gouvernement défendit ('), sous les peines les plus sévères , à tous les sujets de Sa Majesté , de quelque état ou condition qu'ils fussent , d'aller faire des cours de philosophie , publics ou privés , ailleurs que dans l'université de Louvain ou en d'autres universités soumises à son obéis- sance , sans une permission spéciale et par écrit du gouver- nement. Les hautes études étant ainsi réorganisées dans les Pays- Bas , on fut d'autant plus à même d'apprécier toute la faiblesse de l'enseignement des humanités , et la nécessité d'y porter un prompt remède. Mais les gens éclairés durent encore se borner pendant quelque temps à faire des vœux (') Édit du 21 décembre 1^55. JUSQU'A CE JOUR. i5 pour le rétablissemeat de cette base si esseatiell e de l'in- struction littéraire. Deux circonstances des plus heureuses vinrent enfin mettre un terme à l'espoir qu'ils nourrissaient 5 d'abord l'institution d'une société littéraire , formée à Bruxelles ( 1 ) sous la protection du comte de Cobenzl , ministre plénipo- tentiaire aux Pays-Bas, et qui fut érigée par Sa Majesté en Académie impériale et royale des sciences et belles- lettres (») 5 ensuite , la suppression (^) de la société des jésuites , qui , après deux siècles d'existence et de gloire , fut dissoute pour assurer le repos des rois et la tranquillité des empires. Le vide que ce dernier événement laissa dans plusieurs villes de la Belgique , sous le rapport de l'enseignement des humanités, parut être l'occasion la plus favorable pour réorganiser l'instruction des collèges sur un pied convenable et uniforme. Plusieurs membres de TAcadémie en profitè- rent pour soumettre leurs vues au prince de Starhemberg , qui avait succédé au comte de Cobenzl; et ils lui présentè- rent un plan très-étendu sur les moyens d'opérer la réforme désirée depuis si long-temps (4). Dès la même année , le ministre plénipotentiaire nomma (') En 1769. (•) Lettres-patentes du i6 de'cembre 177a. (») Édit du 20 septembre 1773. (♦) Tableau Historique cité plus haut. J a. i6 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE un comité pour les affaires des jésuites. Il fallait pourvoir au remplacement des professeurs j la suppression avait eu lieu dans le mois de septembre , et les classes devaient s'ou- vrir le i*'^ octobre. On n'eut d'autre ressource que d'écrire aux évêques et à l'université pour leur demander des sujets. Il s'en présenta de quoi sufl&re aux besoins les plus pressans, et ces nouveaux professeurs furent installés provisoirement et reçurent des honoraires convenables , jusqu'à ce que tout pût être réglé définitivement ('). Cette première opération n'avait eu d'autre objet que de pourvoir aux places vacantes dans les endroits où les jésui- tes enseignaient seuls. On ne prit aucune mesure pour les remplacer à Bruxelles, Gand, Bruges, Anvers, Mons et Tournay, où il y avait encore d'autres collèges. Cepen- dant, la réduction d'un établissement dans quelques-unes de ces villes , ne laissa pas que de causer un certain préju- dice aux études. Beaucoup de parens envoyèrent leurs enfans étudier les humanités dans les collèges étrangers ; ce qui détermina le comité à s'occuper aussi du remplacement des jésuites, là où le besoin s'en était fait sentir. Quant aux autres villes , on espéra parvenir insensiblement à perfec- tionner les anciens collèges qui s'y trouvaient , et l'on s'oc- cupa d'arrêter un plan général d'études pour toutes les provinces (2). (') Tableau Historique cité plus haut, § i. (») Ibidem, , §§ a et 3. JUSQU'A CE JOUR. 17 A cet effet , le prince de Starhemberg provoqua et recueillit tous les éclaircissemens et informations que les lumières et le zèle des citoyens pouvaient fournir sur cette matière. Il écrivit aux évêques , aux abbés , aux magistrats des villes et des provinces, et à tous les ordres de l'état, pour les inviter à concourir au bien-être général , en communiquant leurs vues et en signalant les sujets qu'ils croyaient les plus propres à l'enseignement. Une note fut imprimée peu après par ordre du gouvernement, pour informer le public des arrangemens que l'impératrice-reine avait résolus à l'égard des études et de l'éducation de la jeunesse aux Pays-Bas (•). Cette note faisait connaître que, par suite de la sollicitude particulière de Sa Majesté pour le bien-être de ses sujets , elle allait s'occuper des moyens , non- seulement de pourvoir abondamment à l'instruction et à l'éducation des habitans de la Belgique , mais aussi de perfectionner l'enseignement , et de faciliter le retour de ces temps heureux où l'on abon- dait en maîtres excellens et où les lettres étaient cultivées avec une émulation et un succès presqu'universels j que sa résolution souveraine tendait à mettre les choses à tous égards sur le pied le plus durable , et à leur assurer tout le ressort et tout l'éclat dont elles pouvaient être susceptibles 5 que la route et les principes qu'elle traçait , étant convenablement suivis par le gouvernement , devaient infailliblement con- (') Note touchant les arrangemens résolus par Sa Majesté l'impératrice-reine, l l'égard des études et de l'éducation de la jeunesse aux Pays-Bas. i8 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE duire à la révolution la plus heureuse et la plus favorable au bien des lettres et de la chose publique ('). Parmi les objets qui , à cette occasion , fixèrent particu- lièrement l'attention de Sa Majesté et de son gouvernement, on regarda comme les points les plus essentiels , d'attirer les meilleurs sujets à la profession littéraire 5 de la dégager des gênes multipliées qui devaient arrêter beaucoup de personnes dans le dessein de la suivre 5 de favoriser la con- currence ; enfin d'inspirer et d'entretenir l'émulation parmi les maîtres (*). Marie-Thérèse jugea donc qu'il serait véritablement con- traire au but qu'elle se proposait , de concentrer la profession littéraire dans une seule classe ou un seul ordre d'individus ; que le bien d'une entreprise aussi intéressante demandait essentiellement que tous ceux qui réuniraient les qualités nécessaires à cette profession , fussent regardés comme habiles à l'exercer, sans distinction d'état 5 et que par là elle fraie- rait aux sujets de toutes les classes une nouvelle carrière, et par conséquent une ressource nouvelle avec les moyens d'acquérir des titres à la bienveillance du souverain et à l'estime publique (3). D'un autre côté , Sa Majesté pensa avec raison que l'in- struction ne devait pas être entièrement gratuite , et que pour (') Note touchant les arrangemens , etc. (') Ibidem. (J) Ibidem. I JUSQU'A CE JOUR. 19 animer et encourager les instituteurs autant que pour rendre à la profession littéraire son ancien ressort, il convenait d'assigner aux nouveaux professeurs des appointemens fixes , qui pussent leur assurer une subsistance honnête et dura- ble , et de leur faire payer par les élèves de légers honoraires qui , augmentant avec la réj)utation des écoles et la célébrité des professeurs , fussent à la fois la récompense et l'aliment du zèle. De plus , le gouvernement-général fut chargé d'ac- cueillir , de la manière la plus distinguée , les fruits du savoir et de l'application , et d'honorer l'utilité et l'ancienneté des services , ainsi que les talens supérieurs , par des gratifica- tions extraordinaires et même par des pensions ('). Pour faciliter l'exécution des grandes vues de Sa Majesté, une commission royale des études fut instituée à Bruxelles , et chargée de tout le détail des opérations relatives à l'amé- lioration des collèges. Les membres de l'Académie qui avaient présenté des mémoires sur la réforme , firent partie de cette commission. M. le comte de Neny en accepta la présidence , et la direction supérieure en fut confiée par Sa Majesté à S. A. le prince de Starhemberg, qui lui traça la marche qu'elle devait suivre et lui fit connaître les intentions du gouvernement à l'égard des divers établissemens à réor- ganiser dans chaque localité , et des principes généraux qui devaient servir de base aux nouvelles institutions (^). (') Note touchant les arrangemens , etc. ('} Tableau Historique cité plus haut. § 3. ♦ m ^ 20 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE C'est , conformément à ces vues et à ces principes , qu'on établit à Bruxelles un grand collège-pensionnat, formé sur le modèle du collège Thérèsien de Vienne 5 à Anvers , Gand , Bruges , Ruremonde , Namur et Luxembourg , des collèges -pensionnats 5 et à Ypres, Oudenarde, Courtray^ Alost , Nivelles , Hal et Marche , de simples collèges , avec autant de professeurs que le nombre des élèves et les cir- constances l'exigèrent. Les frais nécessaires à ces établisse- mens furent supportés par le trésor public ; et des secours considérables furent destinés à l'agrandissement des collèges et pensionnats déjà existans à Mons et à Tournay , ainsi qu'à l'amélioration de difFèrens collèges dans d'autres loca- lités; de sorte que partout on éprouva d'une manière ou de l'autre , les effets de la libéralité et de la prévoyance de Sa Majesté (i). On établit dans les collèges-pensionnats , des principaux et des sous-principaux, chargés particulièrement du soin de veiller à l'éducation de la jeunesse sous le rapport de la religion, des mœurs et de la discipline; et, pour que l'o- bligation de vivre en communauté n'arrêtât point ceux qui voulaient se consacrer à la carrière de l'enseignement , il fut entièrement libre aux professeurs desdits collèges de se loger dans l'établissement ou au dehors , suivant que leur état ou leurs convenances particulières le comporteraient. (') Tableau Historique cite plus haut. §§ i% et i3. JUSQU'A CE JOUR. ai Les professeurs des collèges où il n'y avait point de pen- sionnat , eurent aussi la faculté de vivre en leur particulier, dans leurs maisons ou dans leurs cloîtres, selon la diffé- rence de leur état 5 mais il leur fut expressément enjoint d'enseigner dans un lieu public. Il fut aussi réglé que , dans ces derniers établissemens , il y aurait toujours un profes- seur tiré de l'état ecclésiastique, et qui, en qualité de préfet , serait chargé de veiller à ce que les élèves fussent soigneusement instruits dans les principes de la religion , remplissent les devoirs de la piété, et conservassent la pu- reté des mœurs ('). Ce n'était pas tout d'avoir créé un nouvel ordre de cho- ces , il fallait le surveiller et prévenir le retour des abus qui s'étaient introduits autrefois 5 c'est pourquoi tous les pré- posés des collèges furent soumis à l'inspection des évêques et des magistrats , et l'instruction remise sous la surveillance immédiate et permanente du gouvernement , qui se réserva la nomination des maîtres dans les établissemens royaux. Ces places ne devant être accordées qu'au mérite le mieux constaté, sans aucune autre considéi'ation , le choix se fit par la voie d'un concours, auquel furent indistinctement admises les j)ersonnes de tout état, les prêtres séculiers comme les religieux, les gens mariés comme les célibataires, les étrangers comme les régnicoles. Ce qui décida de la {■) Note touchant les arrangemens , etc., 6», "j", 8' et g". 22 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE préférence ne fut plus comme autrefois le seul caractère d'ecclésiastique , mais un attachement sincère à la religion , des mœurs pures et exemplaires , de la vertu , de l'applica- tion et les talens propres à instruire la jeunesse, et à lui faire acquérir toutes les qualités qui constituent la bonne éducation ('). Les concours firent connaître plus particulièrement encore l'état pitoyable des anciennes écoles. On y vit paraître des gens qui s'étaient distingués en philosophie et en théologie , des gradués de toute espèce , qui n'entendaient pas le latin de Phèdre. Cependant il s'y présenta un assez bon nombre de sujets versés dans la littérature latine 5 on leur adjoignit quelques étrangers habiles , et l'on choisit particulièrement les personnes en qui l'on remarqua des dispositions heureu- ses , et la volonté de s'appliquer sérieusement aux langues et aux sciences qu'il fallait enseigner. Plusieurs collèges furent en peu de temps pourvus de professeurs recomman- dables^ mais beaucoup d'autres offrirent la plus grande bigarrure dans la composition de leur personnel. On remé- dia insensiblement à ce défaut, inévitable dans les commen- cemens, par le moyen des concours qui eurent lieu les années suivantes 5 et comme les places de professeurs étaient amovibles , et que ceux qui étaient en fonctions devaient concourir avec les aspirans , on parvint à remplacer les sujets (') Note touchant les arrangemens, etc., 12° JUSQU'A CE JOUR. 23 médiocres par ceux qui avaient fait preuve de plus grands talens ('). La sollicitude de la commission se porta ensuite sur les livres classiques , dont la réforme n'était pas moins urgente que celle des maîtres. Les ouvrages élémentaires dont on s'était servi jusqu'alors étaient remplis d'absurdités, de faux principes et de définitions puériles. On n'y trouvait ni goût, ni méthode, ni liaison d'idées. On les recomposa sur un plan plus méthodique, et l'on s'attacha surtout à supprimer tout ce qui pouvait rebuter les commençans. De plus , afin de régénérer le goût de la littérature , on fit un choix des écrivains les plus purs et les plus éloquens de l'antiquité , et l'on en publia de nouvelles éditions dans un format commode et peu coûteux. On y joignit des pré- faces et des notes propres à en faire connaître les beautés et à expliquer les passages difficiles. On rédigea même des ouvrages entièrement nouveaux pour remplir le vide qui existait sous certains rapports. Il ne suffisait pas d'améliorer les divers moyens d'ins- truction , il fallait encore en diriger l'emploi , et leur impri- mer une marche fixe et régulière, un ressort durable et énergique. Pour y parvenir , le gouvernement publia (2) un règlement de police et de discipline, ainsi qu'un plan d'études où (') Tableau Historique cité plus haut. § 4- (') En i^-]. 24 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE était tracé dans les plus grands détails l'ordre que devaient suivre les professeurs des classes respectives dans tous les pensionnats, collèges ou écoles publiques des Pays-Bas. Ces deux actes attestent hautement la sagesse des vues du gouvernement-général des Pays-Bas à cette époque , et l'excellent esprit qui dirigeait les membres éclairés de la commission royale des études. Par le premier, les verges et tous les châtimens corporels, plus propres à avilir qu'à corriger la jeunesse , furent proscrits des écoles et remplacés par des punitions plus douces et moins nuisibles à la for- mation du caractère. Par le second, les études reçurent un degré d'extension inconnu jusqu'alors, et qui doit faire époque dans les annales littéraires de la Belgique. Ce plan , que nous citerions volontiers en entier , si les bornes de ce Mémoire ne s'y opposaient , agrandit considé- rablement le domaine de Tinstruction publique. Au lieu d'être restreintes comme auparavant à la seule étude du latin , les humanités embrassaient en outre la langue grec- que , la langue maternelle , l'histoire , la géographie et les élémens des mathématiques. Le règlement déterminait non- seulement les limites de l'enseignement dans chaque classe^ et les ouvrages dont on devait se servir, mais encore la manière dont l'instruction devait être graduée et le déve- loppement qu'il fallait donner à chaque objet. Il renfermait une infinité de préceptes excellens sur la direction des étu- des , et sur les moyens de faciliter les progrès des élèves , suivant leur âge et leur intelligence. La partie morale de JUSQU'A CE JOUR. a 5 l'éducation n'y était pas moins soignée que la partie litté- raire. Les professeurs y trouvaient toute tracée la marche qu'ils devaient suivre pour former le cœur autant que pour orner l'esprit de leurs élèves. C'était une véritable boussole professorale, un code complet et méthodique d'enseigne- ment, dont toutes les parties étaient si bien coordonnées et assorties entre elles , qu'il en résultait l'ensemble le plus parfait et le plus proj)re à donner à l'instruction ce caractère d'utilité qu'elle doit avoir chez une nation civilisée. Les mêmes règlemens substituèrent des exercices publics sur tous les objets de l'enseignement, aux représentations théâtrales qui avaient lieu chaque année à la fin des cours, et qui dérobaient aux études un temps infini. Ainsi , au lieu d'employer les deux ou trois mois qui précèdent les vacances , à se meubler la tête de compositions ridicules et souvent d'un mauvais goût , les élèves redoublaient d'ar- deur pour l'étude, et se préparaient à répondre avec hon- neur aux questions que le public pouvait leur adresser. Le gouvernement s'occupa aussi des moyens d'exciter l'émulation des jeunes gens. Aux recommandations spéciales qui furent adressées à cette fin aux professeurs , on joignit l'emploi des récompenses et des marques honorifiques. Dans les collèges-pensionnats , l'élève qui remportait le prix de sa classe, était décoré en public d'une médaille d'argent au buste de Sa Majesté , et avait le droit de porter partout cette preuve honorable de son application. Dans tous les établissemens , on distribuait pour prix aux élèves d'excellens a6 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE livres , qui avaient le double avantage de servir à leur en- couragement et à leur instruction (')• Toutes ces réformes et améliorations furent introduites dans le coui'ant de l'année 1777. Le plan d'études fut dans la suite augmenté de quelques articles additionnels (2) , qui avaient entre autres pour objet de régler l'enseignement de la langue maternelle ( flamande ou française ) , dans toutes les classes autres que la sixième , pour laquelle le plan pré- cité avait suffisamment indiqué le mode à suivre ; mais rien ne fut changé aux principes généraux , et ces nouvelles dis- positions ne purent que convaincre les Belges de l'intention que le gouvernement avait de nationaliser l'instruction pu- blique. L'année suivante , une instruction réglementaire , émanée de la commission royale des études , et revêtue de l'appro- bation de Sa Majesté, détermina l'ordre et la distribution du temps à observer dans les diverses parties de l'enseigne- ment, et mit le sceau à la réorganisation de l'instruction publique aux Pays-Bas. Ce règlement fixa à deux heures la durée ordinaire des classes tant du matin que de l'après- midi, et enjoignit aux professeurs d'être constamment avec leurs élèves depuis le commencement de la classe jusqu'à la fin. Pour que les parties accessoires de l'enseignement ne (■) Tableau Historique cité plus haut. § 8. (>) Instructions additionnelles au plan provisionnel d'études pour les Pays- Bas. JUSQU'A CE JOUR. 27 nuisissent point à l'étude des langues anciennes , qui était le point essentiel , il fut réglé que la dernière demi-heure de chaque classe serait alternativement consacrée à l'his- toire , à la géographie et aux mathématiques. Enfin , les jours de congé arbitraires, furent réduits à un très-petit nombre pour ne j)oint entraver la marche de l'enseignement ('). Tel est le tableau de ce qu'a lait le gouvernement de l'impératrice Marie-Thérèse pour régénérer et encourager les études dans les provinces belgiques. Tant de soins donnés à la conception d'un si beau plan , tant de travaux entrepris dans de si nobles vues, méritaient d'être couronnés du plus heureux succès. Ils le furent en effet , mais non sans devoir lutter contre les efforts de la ma- lignité et de l'envie, ni sans devoir surmonter une infinité d'obstacles suscités par l'ignorance et la prévention. Car , malgré toute la circonspection que l'on mit dans l'exécution d'une entreprise aussi avantageuse au bien public, elle ne laissa point de rencontrer beaucoup d'opposition ; et ce qu'il y a de remarquable, c'est que les détracteurs étaient en grande partie ceux-là mêmes qui, par état, devaient être les plus intéressés aux progrès de l'instruction de la jeunesse. Cepen- dant , on cessera de s'en étonner si l'on considère le grand nombre de partisans que les ci-devant jésuites avaient dans presque toutes les classes des habitans de ces provinces ^ le (') Ordre et temps à observer dans l'exécution du plan provisionnel d'études agrée par Sa Majesté le ih septembre 1778. a8 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE préjugé profondément enraciné de considérer les prêtres comme les seuls maîtres propres à l'éducation de la jeunesse , et d'envisager le latin comme la seule connaissance que l'on dût acquérir 5 les intérêts froissés des religieux et principa- lement des augustins, par l'obligation de se conformer à un nouveau plan d'études qu'ils se sentaient généralement in- capables d'exécuter ; l'influence qu'ils exerçaient sur les fa- milles , et la facilité avec laquelle ils savaient s'introduire dans l'intérieur des ménages , par le moyen de la direction des consciences : tout autant de causes bien manifestes des difficultés qui s'opposèrent pendant quelque temps à l'in- troduction de la réforme. Mais d'un côté , la sage persévé- rance du gouvernement , jointe à l'approbation que tous les bons esprits avaient donnée à l'introduction d'un sys- tème uniforme et perfectionné 5 de l'autre , l'activité et la surveillance continuelle de la commission royale des étu- des , soutenues par l'évidence des progrès extraordinaires que faisaient les élèves dans les nouvelles institutions, parvin- rent à surmonter tous les obstacles , et à triompher des menées sourdes par lesquelles les partisans de l'ancien ordre des choses cherchaient à entraver l'exécution des intentions bienveillantes du souverain. On vit doue en peu d'années, la plupart des collèges royaux arriver à un état florissant , particulièrement ceux de Bruxelles , de Gand , d'Anvers et de Namur , où d'habiles professeurs formèrent des élèves dignes de leurs maîtres. Les collèges d'Alost , d'Oudenarde et de JUSQU'A CE JOUR. 19 Hervé se distinguèrent aussi par leur bonne organisa- tion ('). Quant aux établissemens qui avaient conservé leur an- cienne institution , mais auxquels on avait cependant prescrit le môme plan d'études , les mêmes règlemens de dis- cipline et les mêmes livres élémentaires qu'aux collèges royaux, ils avaient généralement fait peu de progrès. Ceux qui étaient dirigés par des religieux n'observaient que peu ou point les ordonnances , la plupart manquant de sujets capables d'exécuter un plan aussi étendu 5 les récol- lets montraient assez de bonne volonté, mais ils n'avaient ni les talens nécessaires , ni les dispositions propres à en ac- quérir 5 les oratoriens , privés de quelques professeurs marquans , qui avaient été placés dans les collèges royaux , étaient réduits à une entière nullité ; et les augustins qui , dès le principe , s'étaient montrés les plus récalcitrans et les plus opposés au nouveau système , affectaient une ap- parence de soumission , tandis qu'ils éludaient les ordon- nances les plus précises , et qu'ils travaillaient en secret à discréditer les collèges royaux , dont la supériorité leur était préjudiciable ('). Les collèges dirigés par des prêtres séculiers étaient à peu près dans le même état , si l'on en excepte ceux de la Carapine, où l'étude du latin s'était considérablement per- (') Tableau Historique cite plus haut. § la. (>) Ibidem. § i5. é 3o INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE fectionnée 5 ceux de Louvain et de Tournay , où les règles de la réforme étaient assez bien observées , et le collège de Houdain , à Mons , où toutes les parties des bonnes études étaient poussées avec ardeur, et suivies par de nombreux élèves (i). Le perfectionnement de l'instruction dans les collèges exerça une certaine influence sur les études de l'université. Les leçons de langue grecque que les élèves recevaient dans les premiers établissemens , relevèrent celles qui se donnaient à Louvain , et qui étaient tombées dans un profond oubli 5 les notions de mathématiques , enseignées dans les collèges , rendirent aussi à cette science le rang qu'elle méritait. Cet état de l'instruction fut encore amélioré pendant le reste du règne de Timpératrice et les premières années de celui de son fils Joseph II. Les collèges royaux se consoli- dèrent^ les établissemens tenus par des prêtres séculiers se perfectionnèrent insensiblement 5 quelques-uns de ceux que dirigeaient les augustins , finirent par céder à l'impulsion donnée ; mais , en général , les collèges de religieux restèrent fermement attachés à l'ancien état des choses, et justifiè- rent l'opinion que des hommes habitués à mettre leur chef au-dessus du souverain , leur ordre au-dessus de la patrie , leurs institutions au-dessus des lois , sont peu propres à don- ner à la jeunesse une éducation nationale. (■) .Tableau Historique cité plus haut. § i5. JUSQU'A CE JOUR. 3i S VI. '■'*t\ Il »* Changemens introduits par Joseph II. L'auguste fils de Marie-Thérèse avait sucé de trop bons principes pour négliger les intérêts de l'instruction publique. Doué d'un génie vaste et réformateur, ce prince voulut substituer aux anciennes constitutions du pays une nou- . velle forme de gouvernement , plus régulière et mieux appro- priée au siècle où il vivait. Les voyages qu'il avait faits avant son avènement au trône, lui avaient fourni une ample moisson d'observations utiles ; et la connaissance qu'il avait acquise de l'esprit humain , lui avait appris qu'il chercherait vaine- ment à introduire les réformes qu'il projetait, s'il n'y pré- j)arait la jeunesse par une instruction libre et généreuse. Le séjour que Joseph II avait fait dans les Pays-Bas l'avait mis à même de juger de l'état des lumières dans ces provinces. Ce qui l'avait particulièrement frappé, c'était le peu d'instruction de la plupart des membres du clergé , et leur aveugle soumission aux maximes ultramontaines que l'on professait dans les séminaires épiscopaux. L'em- pereur s'était également aperçu que la faculté de théologie de Louvain était imbue des mêmes opinions, qu'elle ensei- gnait et propageait ces mêmes principes. L'ascendant que les ministres de la religion exerçaient sur les esprits , ne lui avait pas échappé non plus 5 et pour assurer le maintien des améliorations qu'il avait conçues, il pensa qu'il fallait amé^ 32 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE liorer d'abord l'instruction des prêtres, et forma la résolu- tion hardie de la mettre au niveau du siècle. C'est dans ces vues que Sa Majesté porta un édit ('), concernant l'institution d'un séminaire-général à Louvain , et d'un séminaire-filial à Luxembourg _, pour y élever dans une parfaite uniformité d'instruction et de morale , les étu- dians en théologie , tant ceux du clergé séculier que ceux qui se destinaient à entrer dans un ordre religieux. 11 fut défendu aux évêques d'admettre à l'avenir aux ordres ma- jeurs aucun des sujets belges , à moins qu'il n'eût achevé son cours de cinq années dans le séminaire-général ou le sé- minaire-filial 5 en conséquence , les séminaires épiscojjaux furent fermés et convertis en presbytères , destinés à recevoir les élèves séculiers du séminaire-général ou filial à la fin de leurdit cours , et à les préparer , sous les yeux de leur évêque , aux différens exercices dont la pratique est néces- saire aux fonctions ecclésiastiques. De même , il fut défendu d'admettre dans les ordres religieux aucun candidat à la prise d'habit , excepté comme frère lai , à moins qu'il n'eût achevé son cours dans le séminaire-général ou filial. Par une disposition de ladite ordonnance ;, les bourses , fonda- tions et pensions établies pour l'étude de la théologie , fu- rent affectées sans distinction à l'un des deux séminaires ré- cemment institués. (>) Le i6 octobre 1786. JUSQU'A CE JOUR. 33 Un semblable édit ne manqua point de lieurler de front les préjugés , et de blesser l'amour-propre du clergé , qui considéra les mesures salutaires qu'il renfermait comme at- tentatoires à l'indépendance de la religion. Cependant, les chefs diocésains s'y conformèrent dans le j)rincipe , et en - voyèrent leurs élèves au séminaire-général, qui fut ouvert un mois après , conformément à l'ordonnance de Sa Majesté. Mais les personnes auxquelles la direction de cet établisse- ment fut confiée , ne surent se concilier ni la bienveillance des jeunes séminaristes, ni l'estime publique : en peu de temps , le mécontentement fut à son comble , et la plupart des élèves quittèrent l'établissement. Ce qui contribua encore à irriter les esprits, c'est la pu- blication du plan de l'institut des séminaires-généraux. Les termes peu mesurés dans lesquels on s'y exprimait à l'égard du clergé, indisposèrent naturellement les ecclésiastiques et leurs nombreux partisans , aussi bien contre cette brochure que contre les institutions dont elle faisait connaître la dis- cipline et le régime intérieur. Les bruits que l'on répandit ensuite sur l'hétérodoxie de la doctrine qu'on y enseignait , et des livres que l'on y mettait entre les mains des élèves , achevèrent de les discréditer dans l'opinion publique j on fit concevoir au peuple les plus grandes inquiétudes sur les intentions du gouvernement 5 on lui fit accroire que l'insti- tution des séminaires-généraux avait pour objet d'introduire des principes contraires à la religion catholique; et de vives réclamations furent adressées de toutes parts au souverain 34 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE pour obtenir la suppression de ces nouveaux établissemens. L'université de Louvain ne resta point inactive dans ces circonstances critiques. Déjà elle s'était trouvée blessée dans ses privilèges, par les dispositions de l'éditdu 24 novembre 1783, qui abolissait les résignations et permutations de bé- néfices en faveur d'un tiers , et par la publication des deux décrets du 3o mai et du 12 octobre 1785, qui réglaient sur un nouveau pied le mode de collation des places , de prési- dens de collèges et de régens de pédagogies. L'établissement du séminaire-général avait causé la suppression de plusieurs collèges dont les riches fondations y avaient été transférées, et dont les présidens se voyaient frustrés des bénéfices de leur charge. On avait interdit le choix d'un nouveau secré- taire de l'université, et supprimé l'élection semestrielle du recteur, en assignant un terme illimité à la durée de ses fonctions. Toutes ces innovations , que l'université considé- rait comme des atteintes à ses privilèges , firent l'objet d'une requête {^') qu'elle adressa aux états du Brabant, en invo quant la protection de leurs seigneuries pour qu'elle fut rétablie dans son ancienne splendeur et dans la jouissance de tous ses droits. Les états , épousant les intérêts de l'uni- versité , firent parvenir cette requête aux gouverneurs-gé- néraux des Pays-Bas , et y joignirent une représentation (^) (') Requête de l'université de Louvain aux états du Brabant , en date du 24 mai 1787. (2) Représentation des états du Brabant, en date du 5 juin 1787. JUSQU'A CE JOUR. 35 dans laquelle ils demandaient le redressement de toutes ces infractions , et la suspension des travaux entrepris pour la construction d'un édifice destiné au séminaire-général. Leurs Altesses Royales ré])ondirent que leur intention était que les nouveautés introduites tout récemment cessassent, pour le moment , d'avoir lieu 5 qu'en conséquence les présidens ou administrateurs des collèges supprimés fussent réintégrés dans leur présidence respective 5 que les docteurs en théolo- gie reprissent, aux heures et places accoutumées leurs le- çons journalières jusqu'au terme anciennement usité 5 enfin , que les leçons de nouvelle création fussent provisoirement suspendues. Quant au redressement des autres nouveautés, il devait faire l'objet d'arrangemens ultérieurs. Leurs Altesses Royales firent en même temps suspendre (') les travaux du bâtiment destiné au séminaire-général, et adressèrent des dépêches aux évêques pour les inviter à recueillir provisoi- rement les élèves en théologie de leurs séminaires respectifs. Fière de cette victoire, l'université de Louvain se hâta de publier un avis (*) annonçant la réinstallation solennelle des présidens de collège , et la reprise des leçons de théolo- gie sur l'ancien pied. Les présidens furent chargés , par la même disposition , d'informer les élèves qu'il leur était libre de rentrer dans les collèges où ils étaient auparavant. (') D«?pêche de Leurs Altesses Royales aux états du Brabant , en date du 28 juin 1787. {') Le 2 juillet 1787. 36 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE Cependant , comme les concessions faites par les gouver- neurs-généraux n'étaient que provisoires, et que jusqu'au i*"" octobre le temps était trop court pour prendre des arrangemens définitifs et convenables à l'égard du séminaire- général et de l'enseignement de la théologie, une dépêche fut adressée (i) à cette faculté, pour qu'elle eût à suspendre l'ouverture des cours jusqu'au i" novembre, et qu'elle envoyât des députés, afin de se concerter avec le gouverne- ment sur les disjiositions à prendre. De nombreuses récla- mations furent alors adressées , tant de la part des états des provinces que de la part des évêques , contre le séminaire- général. Il y fut répondu par une dépêche du comte de Trautmansdorff, alors ministre plénipotentiaire aux Pays- Bas (2) , qui informait la faculté de théologie à Louvain que, d'après les ordres positifs de Sa Majesté, l'ouverture du séminaire-général ne pouvait être différée , et que l'en- seignement de la théologie y serait repris sur le même pied qu'il avait lieu au i*' avril de la présente année. La même dépêche contenait plusieurs dispositions propres à concilier tous les intérêts et à calmer les inquiétudes. Néanmoins , sur une nouvelle réclamation des états du Brabant (^), Son (') Dépêche de M. De Murray à la facultd de théologie , en date du 20 sep- tembre 17S7. (') Dépêche adressée à ceux de la faculté de théologie à Louvain , le 3 no- vembre 1787. (3) Réclamation des états du Brabant, en date du 9 novembre 1787. JUSQU'A CE JOUR. i » »'H^ 3; Excellence le ministre plénipotentiaire porta un'décret pro- visoire (') , qui suspendit , jusqu'à la décision ultérieure de Sa Majesté , l'exécution des mesures relatives au séminaire- général et à la nouvelle forme de l'enseignement de la théologie. Des contestations d'un autre genre s'élevèrent alors entre le gouvernement et l'université. Celle-ci , malgré les derniers règlemens, et sans attendre les arrangemens qui devaient être pris pour la réforme de ses statuts , avait nommé un nou- veau recteur , publié un règlement de discipline , et fait dif- férentes démarches contraires aux intentions de Sa Majesté. C'est pourquoi le ministre plénipotentiaire lui adressa une dépêche (3) qui , tout en maintenant le choix qu'elle avait fait d'un recteur, annulait toutes les résolutions qu'elle pouvait avoir prises en opposition à l'état des choses au I*' avril précédent , et lui interdisait absolument tout re- cours aux états sur des objets de cette espèce. Son Excel- lence rappelait en outre à l'université que, pour tout ce qui a rapport aux études , à l'ordre et à la discipline , elle <^ devait être soumise à la seule autorité de Sa Majesté ou de son gouvernement-général , qui aurait soin de régler toutes choses d'après ce qu'exigeait le bien des études , ainsi que la prospérité de l'université. Sur ce , l'université adressa au (') Décret du 12 novembre 1787. (•) Dépûche du a8 décembre 1787. 38 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE ministre plénipotentiaire un mémoire ('), dans lequel elle expliquait les motifs de sa conduite, protestait contre la violation de ses droits , et finissait cependant par déclarer que , pour montrer à ses élèves l'exemple de la déférence à tout ce qui porte l'empreinte de l'autorité souveraine , elle ne donnerait aucune suite à son règlement. Malgré ces protestations d'obéissance , plusieurs membres de l'université se préparaient à profiter de l'époque ordi- naire du renouvellement du rectorat , pour procéder à l'élection d'un autre recteur, et établir par ce moyen un schisme dans l'université. Le gouvernement en ayant été informé , adressa une dépêche (^) au recteur alors en fonc- tions, pour qu'il eût à surveiller soigneusement les démar- ches de ces membres, leur interdire toute assemblée, et faire poursuivre et appréhender ceux qui oseraient contre- venir à ces ordres. Comme ces mêmes membres affectaient de ne pas assister aux assemblées convoquées et tenues par le recteur nommé de la part du gouvernement, Leurs Al- tesses Royales portèrent en même temps un décret (3) , qui déclara privés et déchus de toutes leurs charges et fonctions académiques , ceux qui , étant convoqués en la manière ordinaire, ne se rendraient point aux assemblées de l'uni- (•) Mémoire pour l'université de Louvain , arrêté en assemblée-générale le i8 janvier ij88. ("j Dépêche du aS février 1788. (') Décret du 25 février 1788. JUSQU'A CE JOUR. 39 versité , ou ne feraient pas conster d'un empêchement légitime. he résultat de ces mesures sévères fut la déchéance effec- tive des membres opposés au gouvernement , et l'interrup- tion de plusieurs leçons de l'université. Les élèves en phi- losophie et en humanités abandonnèrent leurs collèges au commencement du mois de mars ; et , malgré tous les soins que l'on prit pour donner au séminaire-général une direc- tion plus conforme au vœu public , les nouveaux cours de théologie, qui se rouvrirent à la fin du même mois , furent très-peu fréquentés. Bientôt après , l'université fut fermée j)ar l'ordre du gouvernement. Vers le milieu de l'année , les gouverneurs-généraux adres- sèrent aux états du Brabant une dépêche (■), par laquelle Leurs Altesses Royales firent connaître entre autres, que Sa Majesté avait trouvé bon de déclarer et de leur faire savoirque, mécontente de tous les événemens qui s'étaient succédé à Louvain , elle avait résolu de transférer à Bruxelles , sous les yeux du gouvernement, les facultés de droit, de méde- cine et de philosophie , en laissant la faculté de théologie à Louvain avec le séminaire - général. De nouveaux règle- mens (^) furent ensuite arrêtés par le conseil du gouver- nement-général de la Belgique. Le cours des études en philosophie, fixé à trois années, s'étendit beaucoup plu.s (') Dopêclie du f] février 1788. (*) Du 1 3 et du 3o septembre 1788. 4o INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE loin qu'auparavant : il embrassa la logique, la métaphy- sique, les mathématiques pures, l'histoire naturelle , la phy- sique , les mathématiques appliquées , l'histoire universelle , la philosophie morale et la théorie générale des beaux arts. Un nouveau règlement (') fut aussi arrêté pour assurer la jouissance des bourses ou fondations , aux élèves qui se dis- tingueraient dans leurs études , et pour en écarter ceux qui se montreraient entièrement ineptes. L'université continua d'être ainsi divisée jusqu'à ce que le mécontentement étant devenu général , le gouvernement jugea à propos de changer de système. Un édit impérial (^) modifia les dispositions de l'ordonnance du 1 6 octobre i'j86: il fut libre aux évêques d'enseigner ou de faire enseigner la théologie dans leurs séminaires-épiscopaux à tous les Belges de leur diocèse qui habiteraient ces séminaires , ou bien, de les envoyer au séminaire-général pour y recevoir l'enseigne- ment de cette science 5 mais il fut très-expressément interdit aux professeurs , tant de l'université que des séminaires- épiscopaux , d'enseigner des propositions contraires aux droits du souverain, à ceux des sujets, aux usages du pays et aux libertés de l'église belgique. Tout ce qui avait été statué par l'édit du 16 octobre 1786, à l'égard des bourses fondées pour l'étude de la théologie, resta main- tenu, à la seule réserve des fondations faites en faveur de (■) Du 3o septembre 1788. {') Édit du i4 août 1789. JUSQU'A CE JOUR. 4« ceux qui étudieraient la théologie dans les séminaires-épis - copaux. Ce pas rétrogade ne produisit pas Teffet que Joseph II en attendait. Au contraire, les Belges ne voyant dans cet acte qu'un indice de la faiblesse du gouvernement, en devinrent plus entreprenans. Une insurrection presque générale prouva à l'empereur que la majeure partie de la nation, loin d'ajn précier les avantages qu'elle j)Ouvait retirer des réformes dé- crétées, ne cherchait qu'à soutenir les intérêts des classes privilégiées 5 et Sa Majesté, voulant prévenir les suites fâ- cheuses qui pouvaient en résulter, envoya sur-le-champ dans les Pays-Bas, le comte de Cobenzl, avec ])lein pou- voir (')de prendre telles mesures qu'il jugerait convenir pour rétablir le bon ordre et la tranquillité. Parmi les concessions que fit à cet effet le nouveau ministre plénipotentiaire dans la déclaration adressée aux président et gens du conseil de Luxembourg (^), se trouva la révocation de l'édit du i6 oc- tobre 1786. Mais ni ce manifeste, ni même la mort de l'em- pereur, qui arriva peu de jours après, n'arrêtèrent point l'ef- fervescence des esprits 5 déjà la plupart des provinces avaient secoué le joug , s'étaient déclarées indépendantes , et avaient institué , au nom des États Belgiques-unis , un congrès pour l'exercice de la puissance souveraine. (') Édit iinpt5rial du 28 novembre 1789. (*) Déclaration du 13 février 1790. 42 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE L'université de Louvain fut alors (') rétablie sur son an- cienne base, et les cinq facultés réunies de nouveau dans cette ville ^ les cours de théologie , de droit et de médecine se donnèrent comme autrefois, et les leçons de philosophie furent reprises au point où elles avaient fini deux ans aupara- vant. Cet état des choses fut ensuite confirmé par l'empereur Léopold, après la soumission des provinces belgiques, et par François II, son successeur, jusqu'au moment où les Pays-Bas furent envahis par les armées françaises. Il était tout naturel que le corps enseignant , ainsi réinté- gré dans tous ses privilèges par l'effet d'une révolution, s'empressât de se rapprocher le plus possible de ses institu- tions primitives , et de supprimer toute espèce d'innovations. Aussi l'université de Louvain fut-elle peu florissante dans les dernières années de cette époque. L'enseignement des humanités ne se ressentit pas moins de la pernicieuse in- fluence de ce système. La plupart des professeurs , dont les beaux règlemens de Marie-Thérèse avaient contrarié les habitudes, profitèrent des troubles qui agitaient Tétatpour s'écarter de la route , et abandonner toutes les nouveautés qu'ils avaient été forcés d'introduire dans leurs classes 5 le règne de l'anarchie recommença, et l'on vit s'anéantir en peu de temps le précieux ouvrage de la sagesse et de la mu - nificence d'une princesse , que ses vertus sublimes ont mise au rang des monarques les plus célèbres. (') Le 3 mars 1790. JUSQU'A CE JOUR. 4 S Quant à l'iastructiou primaire, elle n'avait point éprouvé de changement notable 5 elle se trouvait à peu près dans le même état où elle était au commencement du règne de Marie-Thérèse. Le gouvernement n'avait cependant point perdu de vue cet important objet. L'émanation de Tédit impérial ( ' ) , concernant l'institution des écoles normales dans les états de la maison d'Autriche, et les excellentes vues contenues dans l'exposé du système (^) de ces établisse- mens , prouvent ce que les j)euples des Pays-Bas devaient attendre des intentions paternelles de leurs souverains, si les événemens n'en avaient point empêché l'accomplissement. S vn. Etat des Lumières , et progrès des Sciences et des Lettres à cette époque. Nous suspendrons ici l'exposé de la marche de l'instruc- tion publique , pour jeter un coup d'œil sur l'état des lu- mières et sur les progrès des sciences et des lettres pendant l'époque que nous venons de décrire. Les nombreuses et importantes améliorations qui furent introduites dans l'enseignement, donnèrent un nouvel essor à l'esprit en général. L'espèce de stupeur dans laquelle la (') Édit du 6 décembre 1774. (•) // systema normale spiegato in lutta la sua estensione , 1 789. 44 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE Belgique languissait vers le milieu du dix-huitième siècle, fit place à un désir ardent d'acquérir des connaissances. La considération dont fut environnée la profession littéraire , les encouragemens accordés aux individus qui s'y consa- craient , inspirèrent la plus noble émulation pour la culture des sciences et des lettres. Les germes précieux que n'avaient point encore étouffés les froides et insipides leçons d'une instruction purement scolastique , commencèrent à se dé- velopper, et les progrès solides et variés des élèves de la nouvelle école exercèrent la plus heureuse influence sur la propagation des lumières et sur la civilisation. Les pas de cette restauration littéraire furent d'abord marqués par le perfectionnement du langage vulgaire. Les soins donnés à cette partie si essentielle de l'éducation , arrêtèrent la corruption de l'idiome flamand qui , par dé- faut de culture , était dégénéré en un mélange confus de dialectes presque aussi variés que les localités. Une pro- nonciation exacte et régulière, des expressions choisies et correctes, furent substituées à la bigarrure et à la trivialité qui régnaient alors dans cette langue. L'idiome français , dont l'étude avait aussi été fort négligée dans le pays wal- lon , fut cultivé avec un soin égal à son utilité , et l'on vit alors dans les Pays-Bas , une infinité de personnes écrire et parler celte langue avec une élégance et une pureté qui auraient fait honneur aux Français mêmes. Le cercle étendu des nouvelles études propagea également les connaissances historiques et géographiques. Le Belge ne JUSQU'A CE JOUR. 45 fut plus étranger à son propre pays ni au monde qu'il ha- bitait. La sphère de son imagination fut agrandie, et ce qui ne fut pour les uns qu'un embellissement du savoir, fournit aux autres de nouvelles ressources dans leurs rela- tions habitiip'loo. JJ'un autre côté , les humanités grecques et latines , per- fectionnées par l'interprétation des plus beaux modèles de l'antiqmté et débarrassées des ridicules et puériles arguties de l'ancienne méthode, ramenèrent peu à peu le goût de l'érudition. Les gens de lettres , plus répandus dans la so- ciété, en firent le charme et l'ornement. Au pédantisme fastidieux des doctes personnages , succéda cette teinte vive et animée de saine littérature, dont la conversation em- prunte tout son lustre. En un mot, l'instruction rame- née à ses véritables principes, fit refleurir cette urbanité et cette aménité d'esprit qui caractérisent la bonne éduca- tion. L'étude plus répandue des mathématiques concourut aussi à opérer ce résultat avantageux. En donnant plus de profondeur à l'esprit et plus de rectitude au jugement, cette science favorisa le développement du bon goût, et ne fut pas moins utile aux progrès de la philosophie. A la vérité, l'anatomie, la chimie et la botanique restèrent dans un état presque stationnaire 5 mais la physique et l'astronomie , soutenues par les observations de l'expérience et l'évidence du calcul, cessèrent d'être des sciences conjecturales. En général, une instruction plus conforme aux progrès de la 7 46 INSTRUCTION PUBUQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE raison prépara l'esprit humain à comprendre et à utiliser les grandes découvertes du siècle précédent. Il est vrai que ces améliorations ne furent pas générales , et qu'une partie dp la Belgique sortit à peine de son èngou^r- dissement; mais l'impulsion était donnée, lo pins brillant avenir souriait aux efforts que faisait l'intelligence pour se- couer le joug de l'ignorance et des préjugés; déjà même la régénération des bonnes études , protégées par un gouver- nement éclairé et par le maintien de la paix , si nécessaire à la culture des sciences et des lettres , semblait annoncer le retour de l'ancienne fécondité qui avait illustré ces provin- ces. Malheureusement les bouleversemens et les agitations politiques vinrent arrêter ce noble élan et détruire l'ouvrage de tant de soins et d'efforts. Les esprits furent entraînés vers d'autres objets , et les muses effrayées se réfugièrent dans le cabinet du petit nombre de savans qui surent rester tranquilles spectateurs des scènes tumultueuses dont les Pays-Bas furent alors le théâtre. DEUXIÈME PARTIE. État et progrès de V Instruction publique dans les Pays- Bas ^ sous le Gouvernement Français. Après la conquête de la Belgique par les armées françai- ses , cette contrée , unie aux destins de la France , en éprouva toutes les agitations , toutes les vicissitudes , et fut soumise JUSQU'A CE JOUR. 4? avec elle à l'empire des mêmes lois , au régime des mêmes iustitutions. C'est donc l'exposé de la marche de l'instruc- tion publique sous le gouvernement français , pendant l'é- poque où nos provinces furent sous sa dépendance, qui va faire l'objet de cette deuxième partie. S I". État de V Enseignement sous le Régime républicain. L'incendie de la révolution , qui marchait à la suite des armées victorieuses de la république, consuma dans les Pays-Bas l'édifice entier de l'instruction publique , et amena la suppression totale de l'université , des collèges et des écoles inférieures. Les fureurs de l'anarchie, dont le but est de tout détruire , s'opposèrent pendant quelque temps au réta- blissement des institutions qui sont le fondement de la so- ciété 5 mais lorsque des momens plus calmes eurent succédé à la violence de l'orage, et qu'on voulut renouer les liens de l'ordre social , le besoin et l'importance de l'instruction se firent sentir dans toute leur force. Déjà plusieurs plans aussi vastes que nouveaux avaient été soumis à l'assemblée constituante ; mais les événemens en avaient fait ajourner l'exécution. La convention nationale , reconnaissant les ser- vices signalés que les sciences avaient rendus à la république, songea aux moyens d'en propager la culture. La première institution dont elle s'occupa , fut une école centrale des 48 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE travaux publics ('), où quatre cents élèves, choisis d'après leur capacité et sans aucun égard à leur rang ni à leur for- tune , vinrent, sous la direction des savans les plus distin- gués , étudier les mathématiques , la chimie , la physique , les principes généraux des arts de construction , et ceux de l'attaque et de la défense des places. C'est cette institution qui prit , l'année suivante , le nom d'école polytechnique , et qui parvint dans la suite à un si haut degré de splendeur. Un autre établissement , conçu d'après des vues non moins étendues , fut créé quelque temps après (^^ pour la forma- tion de i,5oo instituteurs destinés à aller propager jusqu'aux extrémités de la république , les derniers perfectionnemens des connaissances humaines. Aucun moyen sans doute ne pouvait mieux que cette école normale , rendre à l'instruc- tion l'action qu'elle avait perdue 5 mais l'exécution de cette grande idée en fit manquer le but. Les leçons transcendan- tes des habiles professeurs qui en furent chargés , ne furent généralement appropriées ni à l'âge ni à la capacité des élèves qui les suivirent, et parmi lesquels il y eut beaucoup d'in- dividus dont les desseins étaient tout-à-fait étrangers à l'in- stitution. Cependant, si l'on ne forma point autant de bons maîtres qu'on l'avait espéré , l'enseignement que l'on y donna sur les mathématiques, la physique, la géométrie descrip- tive , l'histoire naturelle , la chimie , l'agriculture , la géogra- (') Décret du lo thermidor an II (28 juillet i794)> (1) Décret du 10 brumaire an III (3i octobre 1794)- JUSQU'A CE JOUR. 49 ])hie, l'histoire, la morale, la grammaire, Panalise de l'en- tendement et la littérature , ne laissa pas que d'imprimer une impulsion prodigieuse aux esprits 5 et si, par suite d'un hiver très-rigoureux et d'une disette que causa en grande partie la chute du papier-monnaie , cette intéressante école n'eut qu'une courte existence , elle n'en fit pas moins naître la plus grande émulation pour la culture des sciences et des lettres ('). Ce n'était là que des institutions préparatoires , et il fallait penser à l'instruction générale de la nation. Une loi (*) y pourvut, et divisa l'enseignement public en trois degrés : les écoles primaires , les écoles centrales et les éco- les spéciales. Les écoles primaires eurent pour objet l'enseignement de la lecture, de l'écriture, du calcul et les élémens de la morale. Les instituteurs furent salariés au moyen d'une rétribution payée par les parens des élèves , et d'un loge- ment que le gouvernement s'engageait à leur fournir , soit en nature soit en argent. L'administration eut le droit d'exempter le quart des élèves pour cause d'indigence. Les écoles centrales furent instituées dans le chef-lieu de chaque département , et l'instruction y fut divisée en trois sections, comprenant : 1° le dessin, l'histoire naturelle, (') Voir les séances des écoles normales recueillies par des sténographes; Paris, 1800, i3 vol. in-S». {') Loi du 3 brumaire an IV (a5 octobre 1795). 5o INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE les langues anciennes et les langues vivantes 5 2° les mathé- matiques élémentaires , la physique et la chimie expérimen- tales 5 3" la grammaire générale, les belles -lettres , l'histoire et la législation. Les avantages assurés aux professeurs furent un logement gratuit et un traitement fixe ; les élèves leur payèrent en outre une rétribution modique dont l'administration départementale eut le droit d'exempter le quart d'entre eux pour cause d'indigence. Les communes qui avaient eu autrefois des collèges, furent autorisées à réclamer auprès du corps législatif la faculté d'établir à leurs frais des écoles centrales supplé- mentaires, où l'enseignement fût borné aux ressources et au vœu de l'administration locale. Quant aux écoles spéciales , la loi précitée en indiquait onze espèces, savoir : d'astronomie^ de géométrie et de mécanique , d'histoire naturelle , de médecine , d'art vétéri- naire , d'économie rurale , des antiquités , des sciences politiques , de peinture , sculpture et architecture , de mu- sique , et des écoles pour les sourds-muets et pour les aveu- gles-nés. L'organisation des écoles spéciales fut renvoyée à des lois particulières 5 mais le gouvernement, jugeant suffisant le nombre des établissemens de ce genre , qui , dans l'étendue de l'ancienne France, s'étaient conservés et même accrus au milieu des troubles de la révolution, en ajourna indéfi- niment la création , et aucune école spéciale ne fut instituée dans la Belgique. JUSQU'A CE JOUR. 5r Les mesures relatives aux écoles primaires ne furent pas non plus suivies de toute l'exécution que cet objet impor- tant réclamait. La pénurie de sujets en état de donner l'en- seignement , même au point où il était restreint 5 le peu de confiance qu'inspirait la majeure partie des individus chargés de cet important ministère 5 la difficulté de mettre les instituteurs en possession du logement que la loi leur ac- cordait , et curtont. la diversité d'opinions qui régnait alors parmi les Belges devenus Français , s'opposèrent , dans la plupart des communes de ce pays , à l'établissement des écoles primaires , et y rendirent presque nulles les disposi- tions des législateurs à cet égard. Il n'y eut donc que sous le rapport des écoles centrales , que la réorganisation de l'instruction reçut une exécution à peu près entière. Malgré les obstacles et les difficultés de toute espèce que l'on eût à surmonter pour les établir, elles furent instituées dans les chefs -lieux des neuf départemens formés du territoire des Pays-Bas autrichiens et du pays de Liège. Des pensionnats furent établis auprès de ces écoles pour recevoir les élèves étrangers à la commune et ceux dont les parens voulaient faire surveiller l'application. Des bibliothèques, des cabinets de physique, de chimie et d'his- toire naturelle , et des jardins botaniques furent adjoints à ces beaux établissemens. La plupart des chaires furent con- fiées à des maîtres distingués , au nombre desquels se trou- vèrent des professeurs d'anciens collèges royaux, et des élèves de l'école normale. Les jeunes gens , libres de suivre 52 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE les cours d'enseignement les plus analogues à leurs dispo- sitions et à leurs vues , concentrèrent tous leurs efforts vers les études qui pouvaient leur être utiles 5 conduits d'après des méthodes perfectionnées , ils se firent remarquer pres- que tous par la rapidité de leurs progrès autant que par la solidité de leurs connaissances 5 et malgré l'influence que l'esprit de parti ou les préventions exerçaient sur l'opi- nion des parens à l'égard de ces nouvellpc écoles , leurs enfans prouvèrent par l'assiduité , le zèle et l'ardeur qu'ils mirent à les fréquenter, que ces institutions étaient ap- propriées aux besoins du siècle et aux conquêtes de l'esprit humain. Par une suite toute naturelle de la marche des événemens à cette époque, l'existence des écoles centrales ne fut pas de longue durée. La réaction des divers partis qui se succé- dèrent rapidement dans la direction générale des affaires, priva ces établissemens de la protection de leurs fondateurs. Les dominateurs du moment , toujours empressés de signa- ler leur avènement au pouvoir par des institutions confor- mes à leurs vues , formèrent de nouveaux plans , méditèrent de nouvelles organisations , qui firent ajourner les modifi- cations qu'il aurait suffi de faire à l'état des choses pour lui donner tout le degré d'utilité possible suivant les localités. Les cours de langues vivantes ne furent point ouverts 5 les écoles centrales supplémentaires ne furent point établies 5 une lacune considérable se fit sentir dans l'instruction ; on attribua à la chose , l'imperfection qu'elle tenait des circon- JUSQU'A CE JOUR. 53 stances , et l'on ne vit de salut que dans le rétablissement des anciennes études. D'un autre côté , les écoles centrales étaient fondées sur des principes trop philosophiques pour qu'elles pussent con- venir aux desseins de celui qui, dans le poste modeste de premier consul, s'essayait à asseoir sur les débris des libertés publiques , les fondemens d'une nouvelle domination , que son génie ambitieux étendait déjà sur tous les états de l'Eu- rope. Profitant de la disposition des esprits et de l'ascendant de la victoire, le nouveau chef du gouvernement fit donner à l'instruction de la jeunesse une direction plus conforme à ses projets despotiques. Une loi (') de la république établit une nouvelle division de l'instruction , et distingua les institutions en écoles primaires , en écoles secondaires , en lycées et en écoles spéciales. Les deux premières espè- ces furent remises à la charge et aux soins des communes ou des particuliers j et les deux autres , aux frais du trésor public. Les instituteurs primaires , choisis par les administrations communales, continuèrent de jouir d'un logement gratuit ou d'une indemnité équivalente, et d'une rétribution fournie par les parens des élèves , suivant le taux fixé par les con- seils municipaux. Mais l'exemption pour cause d'indigence fut restreinte à un cinquième des enfans reçus dans ces éco- (') Discret du ii floréal an X ( i" mai i8oa). 54 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE les, dont l'organisation fut particulièrement confiée aux sous- préfets. Les institutions où l'enseignement était supérieur à celui des écoles primaires furent érigées en écoles secondaires. Il y en eut de deux sortes _, les écoles secondaires communales et les écoles secondaires particulières 5 mais il n'en put être établi aucune , sans l'autorisation du gouvernement , et elles furent toutes placées sous la surveillance spéciale des préfets. Les lycées furent destinés à l'enseignement des lettres et des sciences, et remplacèrent les écoles centrales, avec cette différence que l'on supprima le cours de législation , qui ne pouvait plus convenir à cette époque , et les leçons de gram- maire générale , qui propageaient trop les principes d'idéo- logie , pour lesquels l'arbitre des destinées de la Finance avait une antipathie bien prononcée. On y enseigna donc la lan- gue française , la langue latine , la logique , la rhétorique , la morale et les élémens des sciences physiques et mathémati- ques. Des professeurs au nombre de huit au moins pour chaque établissement, furent chargés de ces diverses bran- ches d'enseignement 5 et il y eut en outre des maîtres d'étu- de , de dessin , d'exercices militaires et d'arts d'agrément. L'administration de chaque lycée fut confiée à un proviseur qui eut immédiatement sous lui un censeur des études et un procureur , gérant les affaires de l'établissement. Il y eut de plus un bureau d'administration dans chaque ville où un lycée fut établi. Des commissions furent nommées par le gouverne- JUSQU'A CE JOUR. 55 ment (') pour faire le choix des livres classiques destinés à l'enseignement des lycées , dans les classes de latin , de belles - lettres et de mathématiques ; et les ouvrages qui furent prescrits par suite de leurs rapports , donnèrent la garantie du succès des études dans ces établissemens. Le dernier degré d'instruction se composa d'écoles spé- ciales , instituées pour l'enseignement du droit , de la médecine , de l'histoire naturelle , de la physique , de la chimie , des arts mécaniques , des mathématiques transcen- dantes , de la géographie , de riiistoire , des arts du dessin, de l'astronomie , de la musique , etc. Conformément à ces dispositions , des lycées furent or- ganisés à Bruxelles (^) , Liège (^) , Gand et Bruges (4) , et les diverses écoles centrales des départemens réunis furent successivement fermées dans le courant de la même année. (3n établit ensuite des écoles secondaires communales dans les villes les plus importantes, et l'on érigea dans d'autres localités plusieurs maisons d'éducation en écoles secondai- res ])articulières 5 de sorte que ces établissemens furent bientôt plus nombreux que les anciens collèges. On donna aussi des soins particuliers à l'organisation des écoles pri- maires , et l'on vit se former dans la plupart des communes (') Arrêté du 27 frimaire an XI ( 18 décembre 1802). {*) Par arrêté du 24 vendémiaire an XI (16 octobre 1802). (») Par arrêté du 16 floréal an XI (6 mai i8o3). ('*) Par arrêté du 3o fructidor an XI ( 17 septembre i8o3 ). 56 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE des institutions analogues à leur importance et à leurs be- soins. L'instruction publique ainsi réorganisée dut être naturel- lement très-imparfaite dans les commencemens. La nécessité de remplir le vide énorme qui existait , fit qu'on admit , sans trop de difficultés , aux fonctions d'instituteur primai- re , une infinité d'individus qui n'avaient point toutes les qualités nécessaires pour s'en acquitter convenablement. La même indulgence présida à l'institution des écoles secondaires 5 beaucoup d'établissemens d'une importance très-médiocre obtinrent facilement ce titre , qui flattait l'a- mour-propre des chefs et donnait du relief à leurs écoles. Le gouvernement mit cependant des bornes à un abus qu'il n'avait toléré dans le principe que par suite de l'impossibilité où il se trouvait de réorganiser aux frais de l'état le grand nombre de maisons d'enseignement du second degré qui existaient jadis. Deux arrêtés (•) réglèrent le mode d'ad- ministration et d'enseignement dans les écoles secondaires communales , et déterminèrent les conditions requises pour l'érection des maisons d'éducation en écoles secondaires par- ticulières. Aucun établissement ne put à l'avenir obtenir ni conserver ce titre , sans avoir au moins trois instituteurs et cinquante élèves tant pensionnaires qu'externes. Le règlement des écoles secondaires communales fut appliqué (') Arrêtçs du 19 vendémiaire an XII ( la octobre i8o3). JUSQU'A CE JOUR. 57 aux écoles secondaires particulières , sauf les modifications exigées par les circonstances et les localités. D'après les disj)Osilions du règlement précité, chaque école secondaire communale fut mise sous la surveillance immédiate d'un bureau d'administration. Un pensionnat, tenu au compte du directeur, fut établi autant que possi- ble, près de chaque école secondaire; et un nombre de pen- sions gratuites, proportionné à celui des élèves internes, fut mis, sur les bénéfices du pensionnat, à la disposition du gouvernement , pour être accordées aux élèves les plus dis- tingués par leurs progrès, ou aux fils des fonctionnaires civils et militaires de la commune où ces écoles furent éta- blies. L'instruction secondaire eut pour objet la langue latine , la langue française, les élémens de l'histoire, de la géogra- phie et des mathématiques. L'enseignement fut divisé en six classes et le cours des études fut borné à trois ans. Les élèves firent deu;c classes par an , et ne purent passer d'une classe à l'autre qu'après avoir subi un examen sur l'état de leurs connaissances. Dans les écoles oii il n'y avait que trois professeurs, deux furent chargés de l'enseignement des langues , de l'histoire et de la géographie ; et le troisième de celui des mathéma- tiques. L'un des deux professeurs de langues fit la sixième classe et la cinquième ; l'autre fit la quatrième et la troisiè- me. Dans les établissemens où il y eut quatre professeurs , le quatrième continua l'enseignement du latin et du fran- 58 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRESE çais et fit la deuxième classe et la première ; et dans ceux qui en eurent un plus grand nombre , l'enseignement s'éten- dit par degrés aux parties supérieures des sciences mathé- matiques, à la physique, à l'astronomie, à la chimie, à la minéralogie et aux belles-lettres latines et françaises. Les livres classiques dont on fit usage dans les écoles secondaires, furent les mêmes que les ouvrages adoptés pour les lycées , et l'on prit toutes les mesures nécessaires pour mettre l'enseignement en harmonie dans ces deux sortes d'établissemens. Du reste , on laissa aux écoles secondaires la plus grande indépendance sur le choix des moyens capables d'assurer le succès des études , et l'on se contenta de soumettre l'am- bition particulière des instituteurs à l'intérêt public. Ainsi , un système de récompenses fut la seule garantie de la di- rection et de la prospérité de ces 'établissemens. Des con- cours furent institués entre les élèves des écoles secondaires 5 des places gratuites furent assurées dans les lycées à ceux qui se montrèrent les plus en état de profiter de l'enseigne- ment qu'on y donnait 5 et des gratifications furent accordées aux professeurs qui euient le plus d'élèves admis dans ces écoles supérieures. Ces moyens d'émulation produisirent cependant peu d'ef- fet dans la Belgique. Le régime militaire introduit dans les lycées , l'aversion d'un grand nombre de parens contre les institutions du gouvernement, et l'admission dans les écoles secondaires d'une infinité d'anciens professeurs imbus de JUSQU'A CE JOUR. Sg préjugés ou dépourvus des talcns nécessaires, entravèrent l'action d'un système si propre à stimuler le zèle des maî- tres , et à exciter l'ardeur de la jeunesse. S" État de C Enseignement sous le Régime impérial. L'institution des écoles secondaires sur un pied aussi in- dépendant , ne pouvait convenir aux vues ambitieuses du premier consul devenu empereur : aussi ne fut-elle que le prélude d'une organisation plus analogue à la nouvelle for- me de gouvernement qui remplaça la république. Sous l'em- pire d'un monarque absolu , l'instruction publique fut as- servie avec la liberté nationale. On institua un corps ensei- gnant sous le titre d'université ('), et la direction en fut exclusivement confiée à un grand-maître, soumis et révo- cable à la volonté suprême du chef de l'état. L'organisation de l'université n'eut cependant lieu que deux ans après. Un décret impérial (*) fut porté relative- ment à la constitution de ce nouveau corps , aux obligations et aux attributions de ses membres , ainsi qu'à la direction et à la surveillance de l'enseignement. Aucune école , aucun établissement quelconque d'instruc- (') Décret dii lo mai 180G. (*) Décret impérial du 17 mars 1808. 6o INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE tion ne put être formé sans l'autorisation du grand-maître , et personne ne put enseigner publiquement sans être mem- bre de l'université et gradué par l'une de ses facultés. Les établissemens furent répartis en un certain nombre d'aca- démies , et distingués en six degrés , savoir : 1° Les facultés pour les sciences approfondies et la colla- tion des grades 5 2" Les lycées pour les langues anciennes, l'histoire, la rhétorique , la logique et les élémens des sciences mathé- matiques et physiques; 3° Les collèges ou écoles secondaires communales , pour les élémens des langues anciennes et les premières notions de l'histoire et des sciences ; 4° Les institutions ou écoles tenues par des maîtres particuliers, où l'enseignement était analogue à celui des collèges ; 5° Les pensions et pensionnats appartenans à des insti- tuteurs particuliers , et consacrés à des études moins fortes que celles des institutions; 6° Les écoles primaires et petites écoles où Ton ap- prenait à lire , à écrire et à calculer. Les facultés furent divisées en cinq ordres : la théologie, le droit, la médecine, les sciences mathématiques et phy- siques et les lettres. Les grades dans chaque faculté furent au nombre de trois , le baccalauréat , la licence et le docto- rat. Ils ne purent être conférés que par les facultés et à la suite d'examens et d'actes publics. Ces grades ne donnèrent JUSQU'A CE JOUR. 6i pas le titre de membre de l'université 5 mais ils furent nécessaires pour l'obtenir. On ne put y prétendre qu'à des âges déterminés et successivement. Le grade de bachelier ès- lettres , qui ne pouvait être conféré qu'aux individus âgés de seize ans au moins, fut exigé de tous ceux qui aspiraient au même grade dans les autres facultés. Les divers membres et fonctionnaires de l'université furent rangés dans l'ordre suivant : le grand-maître , le chancelier , le trésorier , les conseillers à vie , les conseillers ordinaires, les inspecteurs de l'université, les recteurs des académies , les inspecteurs des académies , les doyens des facultés , les professeurs des facultés , les proviseurs et les censeurs des lycées, les professeurs des lycées, les princi- paux de collège, les agrégés ou professeurs -ad joints, les ré- gens des collèges , les chefs d'institution , les maîtres de pension , et les maîtres d'études. Pour remplir ces diverses fonctions , il fallait avoir obte- nu dans les différentes facultés des grades correspondant à la nature et à l'importance de chacune d'elles. Les emplois de maîtres d'études et de maîtres de pension ne purent être occupés que par des individus pourvus du grade de bache- lier ès-lettres 5 celui de chefs d'institution , par ceux qui avaient obtenu le grade de bachelier dans les deux facultés des lettres et des sciences. Les principaux, les régens des collèges, les agrégés et les professeurs des quatre classes inférieures des lycées durent avoir le grade de bachelier dans les facultés des lettres ou des sciences , suivant les parties 9 Ga INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE de renseignement dont ils furent chargés. Les agrégés et les professeurs des deux classes supérieures dans les lycées durent être licenciés dans les facultés relatives à leurs clas- ses. Les fonctionnaires chargés de l'enseignement des belles- lettres et des mathématiques transcendantes dans les lycées durent être docteurs dans les facultés des lettres ou des sciences. Les censeurs durent être licenciés dans ces deux facultés 5 les proviseurs durent joindre au grade de docteur dans les lettres celui de bachelier dans les sciences. Enfin , les professeurs des facultés et les doyens durent être docteurs dans leurs facultés respectives. Cependant , comme cette gradation dans les rangs ne pouvait être observée qu'après que les personnes chargées de l'enseignement eussent pu acquérir les qualités requises , il fut établi par une disposition transitoire ('), que ces grades ne seraient exigibles qu'au i" janvier i8i5, et que les individus qui auraient exercé pendant dix ans des fonc- tions dans l'instruction publique, pourraient recevoir du grand-maître le diplôme du grade correspondant aux fonc- tions qu'ils auraient remplies. Il fut aussi créé parmi les fonctionnaires de l'université , des titres honorifiques , destinés à distinguer les fonctions éminentes et à récompenser les services rendus à l'enseigne- ment. Ces titres furent au nombre de trois , les titulaires , (•) Décret impérial du 17 septembre 1808, titre 4, articles 10 et 11. JUSQU'A CE JOUR. 63 les officiers de l'université et les officiers des académies. On y attacha des pensions , et des décorations consistant en une double palme brodée en or pour les titulaires, en argent pour les officiers de l'université , et en soie bleue et blanche pour les officiers des académies. Tout membre de l'université dut s'engager , lors de son installation , à observer exactement les règleraens et statuts du corps enseignant; à obéir au grand-maître dans tout ce qu'il prescrirait pour le service de l'empereur et pour le bien de l'enseignement , et à ne point quitter ses fonctions sans en avoir obtenu l'agrément du chef de l'université. Les attributions du grand-maître furent l'administration générale et absolue de l'université 5 la confection et l'appro- bation des règlemens de discipline relatifs aux diverses éco- les ; la nomination aux différentes places des collèges et des lycées , la collation des titres d'officiers des académies et de l'université 5 et généralement toutes les admissions et pro- motions dans le corps enseignant. Les attributions du chancelier furent de veiller au dépôt et à la garde des archives et du sceau de l'université , ainsi que de signer tous les actes émanés du grand-maître et tous les diplômes délivrés pour l'exercice des différentes fonctions. Celles du trésorier furent de régler les recettes et dépenses de l'université , d'ordonnancer les traitemens et pensions des fonctionnaires, et de surveiller la comptabilité des lycées, des collèges et de tous les établissemens des académies. Le conseil de l'université fut chargé de voir et de discuter 64 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE tous les projets de règlemens et de statuts pour les écoles de divers degrés 5 de décider toutes les questions relatives à la police , à la comptabilité et à l'administration des fa- cultés, des lycées et des collèges 5 de juger les plaintes des supérieurs et les réclamations des inférieurs 5 enfin d'exami- ner et d'admettre les ouvrages propres à l'instruction pu- blique. Ce conseil fut présidé par le grand-maître , et en son absence par le chancelier ou le trésorier suivant l'ordre de leur rang. Un de ses membres choisi et nommé par le grand- maître fut chargé des fonctions de secrétaire-général. Un conseil fut aussi établi au chef-lieu de chaque acadé- mie, pour traiter de l'état des études , des abus qui se se- raient glissés dans leur discipline , leur administration ou leur enseignement, et de l'examen des comptes et des affai- res contentieuses relatives aux divers établissemens et aux fonctionnaires de son ressort. Les inspecteurs de l'université furent chargés de visiter les établissemens d'instruction 5 de reconnaître l'état des étu- des et de la discipline dans les facultés , les lycées et les col- lèges , et de s'assurer de l'exactitude et des talens des pro- fesseurs, des régens et des maîtres d'études; de juger des progrès des élèves et de surveiller l'administration et la comptabilité. Les inspecteurs particuliers , nommés près de chaque académie , eurent à visiter les écoles de leurs arron- dissemens , et spécialement les collèges , les institutions , les pensions et les écoles primaires. Chaque académie fut gouvernée par un recteur sous les JUSQU'A CE JOUR. 65 ordres du grand - maître. Ces fonctionnaires furent char- gés d'assister aux examens et aux réceptions des facul- tés 5 de viser et de délivrer les diplômes qu'elles accordaient j et de diriger l'administration des facultés, des lycées et des collèges, surtout par rapport à la discipline et à l'éco- nomie. Les bureaux d'administration établis près des lycées , fu- rent remplacés par les conseils académiques, ou par des délégués du recteur dans les lycées éloignés du chef-lieu. Les collèges continuèrent d'être administrés par des bureaux d'administration nonaraés par les recteurs et présidés par un inspecteur d'académie. Les chefs d'institutions et les maîtres de pension ne purent exercer qu'avec une autorisation du grand-maître, qui se réserva le droit de faire fermer ceux de ces établissemens où l'on aurait professé des principes contraires aux statuts de l'université. On pensa aussi aux moyens de faire donner l'instruction primaire d'une manière plus convenable dans toute l'éten- due de l'empire. A cet effet, on résolut d'instituer auprès de chaque académie, et dans l'intérieur des lycées et des collèges , une ou plusieurs classes normales destinées à for- mer de bons maîtres dans l'art d'enseigner la lecture , l'écri- ture et les premières notions du calcul. On créa pareillement , dans la capitale de l'empire , un pensionnat normal destiné à recevoir et à former des aspi- rans à l'état de professeur. Le cours des éludes y fut de deux années, à l'expiration desquelles ils purent être ap- 66 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE pelés par le grand-maître pour remplir des places dans les académies. Enfin , des dispositions particulières furent prises à l'égard de l'instruction des jeunes gens qui se destinèrent à l'état ecclésiastique. Le gouvernement ayant reconnu la nécessité de faire acquérir à ces membres futurs du clergé , un cer- tain degré d'instruction propre à relever la dignité de leur caractère , exigea que tous ceux qui se présenteraient dans les séminaires épiscopaux fussent porteurs d'un diplôme de bachelier ès-lettres (")5 et pour leur faciliter les moyens de recevoir l'instruction préparatoire nécessaire, autant que pour leur faire contracter des habitudes sociales , il fut dé- cidé que les écoles secondaires ecclésiastiques qui s'étaient formées à cette époque ne seraient maintenues que du con- sentement et sous la surveillance de l'université 5 qu'elles n'auraient lieu que dans les villes où se trouveraient un ly- cée ou un collège , et que les élèves seraient conduits dans ces derniers établissemcns pour y faire leurs études (2). Un corps enseignant ainsi constitué devait nécessaire- ment occasionner des dépenses considérables. Pour y faire face , le gouvernement fit verser dans le trésor de l'univer- sité , toutes les rétributions payées pour la collation des gra- des dans les facultés de théologie , des lettres et des sciences , et le dixième du produit des mêmes droits perçus dans les {') Décret impérial du 9 avril 1809, (') Décret impérial du i5 novembie i8ti. JUSQU'A CE JOUR. 67 écoles de droit et de médecine. On imposa en outre sur tous les élèves , tant internes qu'externes , des pensions , institutions , collèges , lycées et séminaires , une contribu- tion annuelle fixée au vingtième du prix de la pension de chaque établissement. Telle est sommairement l'organisation qui fut donnée à l'instruction publique sous le régime impérial. Nous allons examiner maintenant l'exécution qu'elle reçut dans les dé- partemens de la Belgique. Bruxelles, qui déjà possédait une école spéciale de droit ( « ), fut le chef-lieu d'une académie qui comprit dans son arron ■ dissement , les départemens de la Dyle , de l'Escaut , de la Lys , de Jemmapes , et des Deux-Nèthes (2). Outre la fa- culté de droit , des facultés de sciences et de lettres y fu- rent instituées. Les trois lycées de Bruxelles , de Gand et de Bruges , furent maintenus sur le pied de leur organisa- tion primitive. Quatorze écoles secondaires furent érigées en collèges dans les villes de Nivelles , Tirlemont , Louvain , Ypres, Courtray, Menin, Fui'nes, Mons (3), Tournay, Antoing, Anvers, Turnhout et Malines. Neuf autres écoles (■) Etablie en 1806 , d'après la loi du aa ventôse an XII et les décrets impé- riaux du 4°" jour complémentaire de la même année , et du aS janvier 1806. (•) Aujourd'hui lés provinces du Brabant méridional , de la Flandre orientale , de la Flandre occidentale , du Hainaut et d'Anvers. (ï) Cette ville eut dans le principe deux collèges , dont le plus faible , tenu par des ecclésiastiques , cessa , quelques années après , faute d'élèves. 68 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE subsistèrent sous le nom d'institutions; et quarante-sept, sous celui de pensions. Plus tard , d'autres collèges furent institués à Bruxelles , Alost , Oudenarde , Poperinghe , Ypres , Ath , Binche , Charleroi , Enghien et Soignies ; et le nombre des institutions et pensions s'éleva jusqu'à quatre- vingt-quatre ('). Les départemens de la Meuse-Inférieure , de l'Ourthe et Sambre-et-Meuse (2) , firent partie d'une autre académie , instituée à Liège ; l'ancien lycée de cette ville fut conservé ; sept écoles secondaires furent érigées en collèges dans les villes de Maestricht , Venloo , Saint-Trond , Huy , Hervé , Verviers et Namur ; et quinze établissemens furent mainte- nus avec le titre de pensionnats. Dans la suite , les villes de Hasselt , Ruremonde et Hervé , eurent aussi des collèges , et le nombre des institutions et pensions fut porté à trente- deux dans ces trois départemens ('). Le département des Forêts (3) fut du ressort de l'acadé- mie de Metz, et n'eut d'autre établissement d'instruction secondaire que le collège de Luxembourg. On y comptait , vers la fin de l'empire français , quinze écoles , portant le nom d'institution ou de pension ('). (') Voir le relevé de ces divers e'tablissemens dans l'Almanach de l'université impériale, années 1810, 1811, 1812 et i8i3. (*) Aujourd'hui les provinces de Limbourg , de Liège et de Namur. l') Aujourd'hui le Grand-Duché de Luxembourg. JUSQU'A CE JOUR. 69 L'instructioa dans les lycées éprouva peu de modifica- tions. Le cours des études fut de six années , savoir : deux de grammaire , deux d'humanités , pendant lesquelles on enseigna en même temps aux élèves l'arithmétique , la géométrie et l'algèbre , jusqu'aux équations du second de- gré 5 une de riiétorique, pendant laquelle on leur donna des leçons de trigonométrie , et une de mathématiques spé- ciales, auxquelles on ajouta des leçons de physique, de chimie et d'histoire naturelle. On institua en outre une chaire de philosophie dans les principaux lycées ('). Les objets d'enseignement dans les cours de grammaire , d'humanités et de rhétorique, furent le français, le latin, le grec , l'histoire et la géographie. Cependant on ne com- mençait à étudier la langue grecque que dans la seconde classe de grammaire (^). Dans la suite (3) , on adjoignit au cours des études dans les lycées une classe élémentaire, pour la préparation des élèves moins avancés. Ce cours additionnel devint insensi- blement obligatoire (4J , et l'on y enseigna les élémens du français et du latin , comme dans la sixième classe des écoles secondaires. Les livres élémentaires furent à peu près les mêmes que (') Statut de l'université impériale du 19 septembre 1809, art. 5 et suiv. (») Ibidem. (s) Arrêté du grand-maître de l'université impériale du 27 mars 1810. (4) Circulaire du grand-maître du a6 septembre 181 a. 10 70 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE ceux qu'on avait prescrits primitivement. On y ajouta les ouvrages nécessaires pour l'étude de la langue grecque 5 et comme aucun traité de philosophie n'avait obtenu l'appro- bation du conseil de l'université, on se contenta d'indiquer aux professeurs les ouvrages où ils pouvaient puiser les sujets de leurs leçons. C'est sans doute à cette mesure , dictée par les intérêts d'un gouvernement ombrageux , que l'on doit attribuer le peu de développement que reçut , sous l'université impériale , l'enseignement d'une science qui est le complément des humanités. L'instruction des collèges fut calquée sur celle des ly- cées 5 mais elle ne s'étendit pas aussi loin. Ainsi , le cours des études se composa , suivant les localités , d'une classe élémentaire , de deux classes de grammaire , de deux classes d'humanités et d'une classe de rhétorique. Le nombre des régens fut proportionné à l'importance des établissemens. Dans certains collèges , un seul maître fut à la fois chargé des deux classes supérieures 5 dans ceux où l'on n'enseignait pas la rhétorique , on réunit sous un même régent les deux classes d'humanités , quelquefois même les deux classes de grammaire. Mais presque partout il y eut un régent spécial pour les mathématiques 5 et sauf ce dernier reste du système des écoles centrales _, le régime des collèges redevint à peu près ce qu'il était sous le gouvernement autrichien. L'administra- tion intérieure de ces établissemens fut confiée à des princi- paux,qui dirigèrent en même temps les études et le pensionnat, et furent en correspondance directe avec les recteurs d'aca- JUSQU'A CE JOUR. 71 démies , sur tout ce qui pouvait concerner ces deux objets. Quant à l'enseignement j)rimaire , il demeura presque partout dans un état stationnaire. Il est vrai que les écoles de ce degré, ayant été exemptées de la contribution universi- taire, on n'avait pas d'aussi puissans motifs de les organiser, ni même d'en iaire le dénombrement. Aussi l'université s'est-elle peu occupée de ces établissemens dans les premières années. Une circulaire (') du grand-maître vint cependant rappeler l'attention des recteurs sur cet important objet. Les inspecteurs d'académie furent alors chargés de recon- naître l'état du personnel de ces établissemens» On délivra aux instituteurs en fonctions , des autorisations définitives ou provisoires , suivant leur degré de capacité 5 mais on ne s'occupa nullement des moyens d'améliorer l'enseignement par l'introduction de bonnes méthodes , ni d'en assurer l'existence par la construction de locaux convenables. Le recensement des instituteurs primaires était à peine achevé, lorsque les désastres des armées françaises amenèrent la chute du gouvernement impérial , et dégagèrent l'instruc- tion publique des entraves que le despotisme et la cupidité avaient mises à ses progrès. S IIL Etat des Lumières , et progrès des Sciences et des Lettres à cette époque. Nous nous arrêterons encore ici, pour envisager l'effet (') Circulaire du lo janvier iSia. 72 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE que les révolutions de l'enseignement ont pu produire sur la propagation des lumières et sur la culture des sciences et des lettres, pendant les vingt années que nous venons de parcourir. A l'époque du bouleversement de toutes les institutions , l'instruction publique fut plongée dans un véritable chaos. La génération naissante , abandonnée à elle-même ou gui- dée par des mains inhabiles , vit s'épaissir autour d'elle les ténèbres de l'ignorance et de l'erreur. Cependant , le bruit des armes n'avait point arrêté les progrès des hautes scien- ces , dont la marche rapide s'accrut encore par l'indépen- dance des idées et la liberté des opinions. Au milieu de la violence des agitations politiques, elles déployèrent leurs immenses ressources , et jouirent d'une considération égale à leur importance. La supériorité qu'elles acquirent dans ces momens critiques , leur donna la plus grande influence sur la restauration des études. Tous les regards se dirigè- rent vers la culture des sciences mathématiques , qui étaient devenues le premier objet de l'éducation , et l'unique moyen de parvenir rapidement à des emplois distingués dans l'ad- ministration civile et dans l'état militaire. Si cette prédilection , accordée à la culture des sciences pendant les premières années de la révolution, fut préju- diciable à l'étude des lettres et à la propagation des autres connaissances , également nécessaires au développement de l'esprit et aux divers états de la société , l'institution des écoles centrales vint modérer cet excès d'enthousiasme _, en JUSQU'A CE JOUR. 73 mariant l'enseignement des lettres à celui des sciences , et en fixant l'attention de la jeunesse sur des objets variés et plus convenables à toutes les professions. Cependant, comme le développement que reçut alors l'instruction des langues anciennes ne s'étendit point au delà de l'utilité dont elles pouvaient être dans les relations sociales , et que la courte durée de ces institutions ne permit pas de donner aux cours de belles-lettres toute l'extension convenable , il en résulta fort j)eu d'avantages pour les ])rogrès de la littérature. En revanche , les sciences philosophiques , morales et politiques , ramenées à leurs véritables principes par l'étude combinée de la grammaire générale , de l'histoire et de la législation , parvinrent à un degré de splendeur inconnu jusqu'alors. Les sciences naturelles aussi furent plus répandues et mieux cultivées 5 les lois de l'univers et les propriétés des corps , mises à la portée de toutes les intelligences par le moyen des cours élémentaires de physique et de chimie , propagè- rent des théories utiles et firent prospérer les arts industriels. En un mot , l'instruction à cette époque fut plus solide que brillante^ le jugement fut plus exercé que la mémoire; la raison eut le pas sur l'imagination; et si l'on vit paraître alors peu de prodiges d'érudition , on eut la satisfaction de remaïquer que la masse des individus qui avaient étudié , possédaient les connaissances nécessaires à leur état. Les modifications qu'éprouva l'enseignement à la chute des écoles centrales diminuèrent encore la préférence que l'on avait accordée précédemment à l'étude des sciences. \ 74 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE Les cours de mathématiques supérieures que l'on donna dans les lycées continuèrent bien d'en entretenir le goût parmi certaines classes de la société; mais les leçons de langues anciennes, rétablies sur leur ancienne base, et perfectionnées par les méthodes analitiques que les progrès des lumières avaient introduites dans l'enseignement, ren- dirent aux lettres leur ancienne priorité , et leur préparèrent un nouveau règne. L'amélioration des livres classiques, dont la disette était si grande sous l'ancien régime, assura le succès des études littéraires ; le goût de la lecture devenu plus général, servit d'aliment à l'instruction acquise dans les collèges et les lycées 5 l'établissement de bibliothèques publiques , de jardins botaniques , de cabinets d'histoire naturelle et de physique , propagea une infinité de nouvelles connaissances 5 et les fréquentes relations des Belges avec une nation particulièrement amie de la littérature, leur communiquèrent une émulation qui ne fut point stérile. Plusieurs d'entre eux cultivèrent avec succès la poésie, l'éloquence et l'histoire ; d'autres se distinguèrent dans la carrière scientifique 5 et quoique le système de centralisation adopté par le gouvernement, fît généralement refluer les talens vers la capitale du grand empire, et que la presse asservie , fut un puissant obstacle aux progrès des lumières, l'état des sciences et des belles-lettres ne laissa pas que d'être florissant dans les départemens de la Belgique. JUSQU'A CE JOUR. 75 TROISIÈME PARTIE. Etat de l'Instruction publique sous le Gouvernement des Pays-Bas. Le choc des événemens qui séparèrent la Belgique de la France ne lut jwis aussi violent que la secousse révolution- naire qui en avait opéré la réunion. L'entrée des armées alliées dans ces provinces ne bouleversa point les institutions et n'interrompit que trè*-peu le cours des études. J^s formes administratives seules furent abolies dans l'instruction j et il n'y eut d'autres postes abandonnés que ceux des fonction- naires de l'université , qui étaient particulièrement attachés à la France ou au gouvernement impérial. Les facidtés de droit, des sciences et des lettres furent maintenues à Bruxelles j les lycées prirent le titre de collèges, et subsistèrent, ainsi que la plupart des autres établissemens de ce nom , par les soins des principaux , des régens ou des administrations locales. Les écoles primaires furent aussi conservées sur le même pied qu'auparavant 5 et quoique l'autorité supérieure ne prît aucune part à la direction de l'instruction de la jeunesse , la marche en fut à peu près la même que sous le régime de l'université française. Cet abandon de l'enseignement à lui-même ne fut cepen- dant pas de longue durée: l'érection des Pays-Bas en royaume, sous le gouvernement d'une monarchie constitutionnelle , fut le prélude d'une ère nouvelle pour l'instruction 76 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE publique. La loi fodamentale en fit un objet constant des soins du gouvernement (') , et l'on s'aperçut bientôt que le prince éclairé auquel furent confiées les rênes de l'état , met- tait au rang de ses principales et de ses plus chères occupa- tions j l'établissement des institutions propres à répandre par- mi ses sujets les connaissances solides et les vraies lumières. Un département spécial fut d'abord créé pour la direc- tion des affaires de l'instruction publique, des sciences et des arts 5 et une commission, composée de Belges distin- gués par leur savoir, fut chargée de présenter ses vues sur l'organisation des universités et généralement sur tout ce qui pouvait contribuer à l'avantage et aux progrès de l'in- struction dans les provinces méridionales (2). Après que le gouvernement eut ainsi recueilli les avis et les renseignemens nécessaires pour donner à l'instruction tout le degré d'utilité possible et convenable, il s'occupa des moyens de l'organiser. L'enseignement fut divisé en supérieur et en inférieur. Les établissemens d'instruction supérieure furent les universités et les collèges 5 ceux d'instruction inférieure, les écoles moyennes et les écoles primaires. S I. Universités. Un règlement général fut porté (3) sur l'organisation de (') Art. 1-2.&. (') Arrêté royal du 37 septembre i8i5. (') Arrêté royal du 25 septembre 1816, n" 65. JUSQU'A CE JOUR. 77 o l'enseignement supérieur. Trois universités furent établies à Louvain , Gand et Liège pour l'étude des connaissances , et la collation des grades nécessaires à ceux qui se destinent aux professions scientifiques. Les établisseraens d'un genre moins élevé furent maintenus sous le nom des collèges communaux, et destinés à pré])arer les élèves aux leçons des universités 5 mais afin de propager le goût des lumières, même parmi les classes de la société qui ne se proposent pas de suivre les cours académiques, sept de ces collèges furent érigés en athénées dans les villes de Bruxelles , Maes- tricht, Bruges, Tournay, Namur, Anvers et Luxembourg , et l'enseignement des sciences y fut porté un peu plus loin que dans les autres établissemens du même rang. L'enseignement des universités se divise en quatre facul- tés : celle de jurisprudence, celle de médecine, celle des sciences mathématiques et physiques , et celle de philoso- phie spéculative et des lettres. Une faculté de théologie doit y être ajoutée, aussitôt que les circonstances le permettront, pour former les élèves catholiques romains qui se destinent à l'état ecclésiastique. Les cours de la faculté de droit sont : les institutes, les pandectes , le droit naturel , le droit public y compris le droit ecclésiastique, le droit civil moderne, le droit crimi- nel moderne, le droit canon, la pratique du droit, l'histoire politique de l'Europe , la statistique et la diplomatique. Ceux de la faculté de médecine sont : l'anatomie , la physiologie , la pathologie , la pratique , la pharmacie et II 78 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE matière médicale , la chirurgie , l'art des accouchemens , la diététique et la médecine légale. Les cours de la faculté des sciences mathématiques et physiques comprennent : les mathématiques élémentaires , les mathématiques transcendantes , les mathématiques appli- quées aux sciences hydrauliques et hydrostatiques , la phy- sique expérimentale , la physique mathématique , l'astro- mie physique, l'astronomie mathématique, la chimie, la botanique et la physiologie des plantes , l'histoire naturelle et l'économie rurale. L'université de Liège a en outre une chaire de métallurgie, et une de sciences forestières. Enfin , ceux de la faculté de philosophie spéculative et des lettres sont : la logique, la métaphysique, l'histoire de la philosophie , la morale philosophique , la littérature la- tine , la littérature grecque , les antiquités grecques et ro- maines, la littérature hébraïque, arabe, syriaque et chal- déenne, les antiquités juives, l'histoire générale, l'histoire du pays, la littérature et l'éloquence hollandaises. Il y a de plus à Liège une chaire de littérature et d'éloquence françaises. Le nombre des professeurs ordinaires de chaque faculté est de quatre pour la jurisprudence, trois pour la médecine, quatre pour les sciences mathématiques et physiques , et cinq pour la philosophie et les lettres. Cette faculté a un professeur de plus à l'université de Liège. Il y a aussi suivant le besoin et les circonstances, des professeurs extraordinaires et des lecteurs. JUSQU'A CE JOUR. 79 La langue latine est la seule autorisée dans les leçons des universités , excepté pour les cours de littérature hollandai- se, ceux de littérature française, de la pratique du droit, des sciences économiques et de quelques autres parties à l'égard desquelles il est accordé des dispenses. Il n'y a dans chaque faculté que deux grades _, celui de candidat , et celui de docteur. On ne peut les obtenir qu'a- près avoir subi des examens sur des parties déterminées dans chaque faculté , et avoir prouvé que l'on a fréquenté avec succès les leçons de l'université. Il faut en outre , pour être admis au doctorat, avoir composé et défendu une dis- sertation sur un objet relatif à la science dans laquelle on veut être gradué. Cependant , il est libre aux universités de conférer , sans examen préalable , le grade de docteur à des hommes d'un mérite extraordinaire. Aucun élève ne peut être admis aux leçons spéciales des facultés de droit ni de médecine, sans avoir obtenu préala- blement , pour la première de ces facultés , le grade de can- didat ès-lettres , et pour la seconde , celui de candidat dans les sciences physiques et mathématiques. La durée des cours d'études nécessaires pour l'obtention du grade de candidat n'est point déterminée 5 mais on ne peut être admis à l'examen définitif pour le grade de doc- teur, sans avoir étudié, après l'obtention du grade prépa- ratoire , j)endant trois années en droit , quatre années en méde- cine , trois années en philosophie , ou trois années en lettres. Aucun élève ne peut être inscrit comme étudiant de 8o INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE l'université , qu'après avoir produit un certificat en due forme, duquel il conste qu'il a terminé son cours d'études dans un athénée ou un collège. Ceux qui, ayant fait des études particulières , ne peuvent fournir ce certificat , su- bissent un examen devant la faculté des lettres, qui juge de l'état de leurs connaissances. Il y a , près de chaque université , une bibliothèque , des cabinets d'anatomie , de physique , d'astronomie , de chimie d'histoire naturelle, de minéralogie , et un jardin botanique. Afin d'encourager l'étude des connaissances dont l'ensei- gnement est ainsi facilité par tous les moyens possibles , le gouvernement a institué dans chaque université, huit prix consistans en médailles d'or de la valeur de cinquante flo- rins , et destinés à récompenser les meilleurs réponses à des questions proposées par les diverses facultés. Les élèves des universités sont seuls admis à y prétendre , mais ceux de toutes les universités du royaume peuvent concourir. Il y a en outre un certain nombre de bourses affectées aux trois universités, en faveur de jeunes gens doués d'heureuses dispositions et peu favorisés de la fortune. Les professeurs d'une même université forment un corps qui a le titre de sénat académique , et qui est présidé par un recteur choisi annuellement et tour à tour dans chaque fa- culté. La surveillance de la discipline et des études est con- fiée au sénat académique , qui a le droit de donner tels édits et statuts que l'intérêt de l'université peut exiger , en se conformant toutefois aux règlemens généraux. JUSQU'A CE JOUR. 8i Pour ce qui est de radministration , il y a dans chacune des villes de Louvain, Gand et Liège, un collège de cura- teurs , composé de cinq personnes , distinguées autant par leur amour pour les lettres et les sciences , que par le rang qu'elles occupent dans la société. Cette commission est chargée de surveiller la stricte observation de tous les règle- mens et arrêtés sur la haute instruction; de veiller à la conservation de tout ce qui appartient à l'université ; d'en régler et administrer les finances; de présenter les candidats pour les chaires qui viennent à vaquer ; de conférer les bourses aux élèves les plus méritans ; enfin , de prendre à cœur tout ce qui peut augmenter le bien-être de l'établisse- ment. Elle est assistée d'un secrétaire portant le titre de secrétaire-inspecteur de l'université , et ayant voix délibé- rative dans les collège. C'est ce fonctionnaire qui , lorsque les curateurs ne sont pas assemblés, est chargé de veiller au main- tien et à l'exécution des règlemens de l'université , ainsi qu'à la conservation des bàtimens et collections académiques. Telle a été dans le principe et telle est encore aujour- d'hui l'organisation des écoles supérieures dans le royaume des Pays-Bas. Nous allons voir quelle est celle des athénées et des collèges. S II. u4thénées et Collèges. Un règlement général (■) prescrivit d'abord les objets (') Arrêté par Sa Majcstd le 19 février 1817, litt. Z. 8a INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE d'enseignement et le mode d'administration de ces établis - semens. Le cours des études , qui est de six années , em- brasse la langue grecque, la langue latine, l'histoire, la géographie , la mythologie , les mathématiques élémentaires , la langue française , et la langue hollandaise ou flamande. Il y a de plus, dans certains athénées, des cours de physique et d'histoire naturelle, et à celui de Namur un cours de minéralogie et de métallurgie. L'enseignement des langues anciennes est divisé en six classes j celui des langues modernes et des sciences , en au- tant de cours que les circonstances l'exigent. Le nombre des instituteurs varie selon les établissemens. Dans les athénées et dans les principaux collèges , tels que ceux de Gand , Liège et Mons , il y a un régent pour cha- que classe de langues anciennes, unou deux régens pour les mathématiques, et d'autres régens pour les langues mo- dernes ou même pour la langue grecque. On trouve ensuite parmi les collèges d'un ordre inférieur , des régens qui sont chargés de plusieurs classes , telles que la rhétorique et la poésie , la troisième et la quatrième, les mathématiques et la langue grecque, etc. Cela dépend beaucoup des ressour- ces communales et des produits de l'établissement. Il y a auprès de chaque athénée ou collège , un pension- nat pour les élèves internes , lequel est dirigé par un prin- cipal , assisté d'un ou de deux sous-principaux et de maîtres d'études. Ces employés , à moins qu'ils n'exercent en même temps les fonctions de régens _, ne sont point membres du JUSQU'A CE JOUR. 83 corps enseignant^ ils sont uniquement chargés de la disci- pline et de la police des élèves 5 et la surveillance générale de l'enseignement appartient au régent de la première classe ou de rhétorique. Les pensionnats et les athénées ou collèges sont à la charge des villes où ils se trouvent établis. Cependant le gouvernement accorde, en faveur de quelques-uns, des subsides sur le trésor public. Il y a près de chaque établissement un bureau d'admi- nistration composé de personnes notables de l'endroit. Ce bureau est chargé de surveiller le pensionnai et les études , et de proposer au département de l'instruction publique, les candidats qu'il juge les plus propres à remplir les places de principal , sous-principal ou régens qui viennent à vaquer. Un inspecteur spécial est en outre chargé de la surveillance générale, tant sous le rapport de l'enseignement que sous celui de l'administration et de la discipline. Deux règlemens particuliers ont été arrêtés par le dépar- tement de l'instruction publique , des sciences et des arts , relativement au plan des études et au régime des pension- nats. Le premier (>) détermine les objets de l'enseignement et les auteurs à expliquer dans chaque classe , le temps et la durée des leçons , le choix à faire pour les livres classi- (') Règlement du 5 avril 1817. 84 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE ques , la méthode la plus propre à former de bons élèves , les examens à instituer dans le courant de l'année scolaire, les exercices et les distributions de prix qui doivent la terminer , enfin le mode des récompenses et des punitions autorisées. Le second (") est relatif à l'administration et à la police des pensionnats 5 à la discipline et à la surveillance des élè- ves pendant les heures d'études , de repas et de recréation ; aux obligations des maîtres d'études 5 au service des domes- tiques , et aux qualités des divers employés de ces établisse- mens. D'après une des dispositions qu'il renferme , le sous- principal ou l'un des sous-principaux doit être autant que possible un prêtre approuvé par le chef du diocèse, pour remplir les fonctions d'aumônier. Enfin, une instruction (2) du même département a réglé les attributions des bureaux d'administration 5 la surveil- lance qu'ils doivent exercer sur les professeurs, régens et autres fonctionnaires , aussi-bien que sur les élèves 5 les vi- sites qu'ils doivent faire à l'établissement , et les rapports qu'ils doivent adresser au ministère. Après avoir ainsi rétabli l'enseignement supérieur sur une base vraiment constitutionnelle, en faisant participer à sa di- rection les citoyens les plus recommandables par leurs connais- sances et leurs qualités personnelles, le gouvernement tourna ses regards vers l'organisation de l'instruction inférieure. (') Règlement du 8 avril i8i^. (') Instruction du i" mai 1817. JUSQU'A CE JOUR. 85 S in. Instruction Primaire. Ici la tâche était un peu plus difficile , tant à cause du grand nombre d'établissemens à créer , que de l'état pitoya- ble où se trouvaient la plupart des écoles existantes. Elle pouvait être considérablement allégée par l'application di- recte du système d'instruction primaire suivi depuis long- temps dans la j)artie septentrionale du royaume , et dont les avantages étaient évidemment démontrés par l'état des connaissances plus généralement répandues parmi le peuple de ces provinces. Mais le gouvernement voulut s'assurer au- paravant si cette organisation pourrait convenir à la Bel- gique. Une commission , composée de personnes choisies dans chacune des provinces méridionales , fut instituée (') à Bruxelles, sous la présidence du commissaire-général de l'ins- truction publique , des arts et des sciences, à l'effet de faire connaître les besoins du pays sous ce rapport , et de donner son avis sur l'introduction du système d'instruction primaire citéplus haut. Par suite du travail de cette commission , il fut établi (») dans chacune des provinces méridionales , un jury tempo- (') Par arrête royal du 17 juin 1817 , litl. M<. (') Par arrêté royal du 9 septembre 1B17, lilt. S. 12 / 86 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE raire pour les intérêts de l'instruction moyenne et primaire. Chaque jury fut composé de cinq membres , présidé par le gouverneur de la province , et assisté d'un secrétaire perpé- tuel choisi parmi les membres ou hors de leur sein. Ces jurys d'instruction furent chargés (i) d'examiner dans toute rétendue de leur ressort , les personnes qui aspirèrent à établir ou à diriger une école moyenne ou primaire , et de délivrer des certificats de capacité à celles qu'ils reconnaî- traient suffisamment instruites. Ils durent aussi examiner les instituteurs qui , exerçant déjà légalement , aspirèrent à un traitement du gouvernement , et adresser à cet effet des propositions au département de l'instruction publique. Il en- tra aussi dans leurs attributions de prendre connaissance de la conduite et du zèle de tous ceux qui étaient chargés de renseignement moyen et primaire 5 de veiller soigneusement à la construction 5 aux réparations et à l'agrandissement des maisons communales à l'usage de l'instruction j de veiller aussi à ce qu'elles fussent convenablement organisées à l'in- térieur et pourvues de tous les objets nécessaires à l'ensei- gnement 5 de surveiller le maintien de l'ordre , de la disci- pline et de la propreté des salles d'écoles 5 de prendre soin que les administrations fournissent les sommes nécessaires aux frais de l'instruction 5 d'encourager la nomination des sous-maîtres dans les écoles nombreuses , et la formation (' j Par l'instruction préalable du département de l'instruction publique , des sciences et des arts, en date du r5 septembre 1817. JUSQU'A CE JOUR. 87 des jeunes gens doués de bonnes|dispositions pour l'état d'ins- tituteur 5 enfin, de correspondre avec l'administration pro- vinciale et les autorités locales de leur juridiction sur les intérêts de l'instruction inférieure , et d'adresser tous les trois mois au dé])artement de l'instruction publique , des sciences et des arts , le détail de leurs diverses opérations. Le gouvernement institua en même temps, dans les prin- cipales villes des provinces méridionales, des écoles mo- dèles et des leçons normales , pour la proj)agation des bonnes méthodes d'enseignement et la formation des insti- tuteurs. Une infinité de traitemens , de gratifications et de subsides furent aussi accordés sur le trésor public , soit en faveur des individus qui se montrèrent zélés pour l'avan- cement de l'instruction inférieure, soit pour encourager la construction des salles d'écoles dans les localités dépour- vues de ressources. Les administrations communales, sti- mulées par l'exemple du gouvernement, autant que par les instances des jurys d'instruction, s'empressèrent de faire de leur côté ce qui pouvait contribuer à l'amélioration des écoles. Elles instituèrent des traitemens fixes pour les instituteurs , firent construire des maisons d'instruction , établirent des prix pour les élèves , et secondèrent de tous leurs efforts l'impulsion donnée en faveur du perfection- nement de la première éducation de la jeunesse. A mesure que ces améliorations s'introduisirent dans les provinces méridionales 5 le gouvernement révoqua les jurys d'instruction moyenne et primaire , et les remplaça 88 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE par des commissions provinciales d'instruction (') analo- gues à celles qui étaient déjà instituées dans les provinces 1^ septentrionales. Ces nouvelles commissions , aussi présidées par les gou- verneurs , sont spécialement chargées de la surveillance régulière de toutes les écoles établies , ainsi que du maintien des règlemens sur l'instruction publique. A cet effet, chaque province est divisée en un certain nombre de districts, dont l'inspection est personnellement confiée à un membre de la commission qui a le titre d'inspecteur. Une instruction ministérielle (3) a déterminé les attri- butions de ces commissions, et tracé la marche de leurs opérations. Aucun établissement d'instruction inférieure ne peut exister sous quelque dénomination que ce soit, sans une permission spéciale de l'administration communale ou pro- vinciale , et qu'après que l'inspecteur du district et la commission d'instruction ont été consultés. Les écoles sont publiques ou particulières suivant qu'elles sont entretenues en tout ou en partie aux frais d'une caisse (') Dans les provinces de Lirabourg et d'Anvers, en 1821; dans celles du Hainaut et de la Flandre occidentale, en 1825; dans le grand-duché de Luxembourg, en i823; dans les provinces de Liège, de Namur, du Brabant méridional et de la Flandre orientale , en 1824. (j) Instruction préalable pour les inspecteurs d'écoles et les commissions d'instruction, dans les provinces méridionales du royaume, arrêtée par le ministre de l'instruction publique, le 20 mai 1821 , n" 1 1 . JUSQU'A CE JOUR. 89 j)ublique, ou qu'elles sont seulement dépendantes de par- ticuliers. Les connaissances que l'on y enseigne sont la lecture, l'écriture, le calcul, le français, le hollandais, l'histoire, la géographie , les langues étrangères , et même les langues savantes , lorsque le chef de l'établissement en a obtenu l'au- torisation. Les personnes chargées de l'enseignement inférieur, soit comme maître , soit comme assistant , sont distinguées en instituteurs, en institutrices, et en maîtres de langues. Les instituteurs sont divisés en quatre rangs suivant leur degré de capacité 5 mais les institutrices et les maîtres de langues ne forment respectivement qu'une seule classe. Nul individu ne peut exercer les fonctions d'instituteur, d'institutrice ou de maître de langue sans un brevet de ca- pacité, délivré par une commission provinciale d'instruc- tion , et un acte de nomination spéciale, délivré par l'auto- rité compétente. Cependant , les personnes qui , à l'époque de l'organisation des commissions d'instruction, exerçaient à titre légal , ont été autorisées, par un certificat d'admission provisoire , à continuer leurs fonctions pour un certain temps. On n'obtient un brevet de capacité qu'après avoir passé un examen j)ar-devant une commission d'instruction , et lui avoir remis des certificats de bonne conduite civile et morale. Ces brevets ne donnent pas le droit d'ouvrir une école , mais seulement celui d'aspirer à une place vacante. go INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE Quand une place d'instituteur ou d'institutrice vient à vaquer , l'inspecteur du district, de concert avec les person- nes qui doivent faire la nomination spéciale , ouvre un concours , auquel il n'admet que ceux qui , outre un brevet de capacité , sont pourvus de certificats de bonne conduite civile et morale. L'administration choisit ensuite celui des candidats qui lui paraît réunir le plus d'avantages , et soumet ce choix au département de l'instruction publique qui autorise la nomination s'il y a lieu. Afin d'améliorer les méthodes d'enseignement, les inspec- teurs réunissent à certaines époques les instituteurs de leurs districts respectifs , et s'entretiennent avec eux sur le but et la nature de leurs fonctions , ainsi que sur les moyens de s'en acquitter au plus grand avantage de la jeunesse. Le gouvernement encourage ces réunions par des subsides an- nuels , qui sont employés , soit à donner des prix aux insti- tuteurs , les plus zélés , soit à acheter des ouvrages ou d'au- tres objets à Fusage des réunions. Les commissions d'instruction s'assemblent ordinaire- ment trois fois l'an , et procèdent alors à l'examen des ins- tituteurs de leur ressort. A chacune de ces assemblées, les inspecteurs d'écoles remettent un rapport sur les établisse- mens qu'ils ont visités , et sur les changemens qui se sont opérés dans leurs districts , tant à l'égard du matériel que du personnel. Ces rapports sont ensuite envoyés au dépar- tement de l'instruction publique. Les commissions d'instruction , ainsi que les inspecteurs JUSQU'A CE JOUR. 91 d'écoles correspondent avec les états députés , les commis- saires de district et les administrations locales , concernant les intérêts de l'instruction inférieure. Ils adressent chaque année , au département de l'instruction publique, un exposé général des améliorations obtenues sous ce rapport dans leurs provinces et leurs districts respectifs. Outre ces dispositions générales , il en a été pris d'autres concernant le régime intérieur , l'ordre et la discipline des écoles ('). L'instruction' doit avoir lieu , autant que possible , toute Tannée. L'instituteur doit être continuellement avec ses disciples 5 il exige qu'ils soient toujours propres et bien la- vés ; il veille à la salubrité et à la propreté du local. Dans les écoles nombreuses , il y a un ou plusieurs sous-maîtres chargés de l'aider dans ses fonctions. Les élèves sont généralement partagés en trois classes. L'enseignement de chaque classe est simultané , et se donne à l'aide de planches noires, tableaux et autres objets propres à faciliter les progrès. Les livres élémentaires sont les mê- mes pour tous les élèves d'une même division , et un tableau affiché dans l'école règle la distribution du travail et la répartition du temps des classes de tout une semaine entre les divers objets de l'enseignement. L'édifice de l'instruction publique étant ainsi reconstruit (') Règlement gdncral anété par le ministre de l'instruction publique, le ao mai 183 1 , n" 11. ç)i. INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE en entier , le gouvernement songea aux moyens de le main- tenir dans un état toujours analogue aux progrès des lu- mières , et aux besoins des diverses classes de la société. 5 S IV. améliorations générales. Aucune mesure n'avait encore été prise à Tégard des for^ malités à remplir pour l'érection des collèges 5 de sorte que beaucoup d'individus avaient formé des établissemens où l'on enseignait les langues anciennes , sans l'autorisation du gouvernement. Ces écoles illégales étaient particulièrement tenues par des membres du clergé qui , à l'époque de la res- tauration , avait cherché à reprendre son ancienne influence sur l'instruction publique. Mais Sa Majesté , considérant que dans l'intérêt de Tétat , et d'après les pouvoirs qui lui sont déférés par la loi fondamentale , l'instruction de la jeunesse ne peut être confiée à des instituteurs dont les talens ne lui sont pas garantis , et dont les leçons ne sont soumises à au- cune surveillance de sa part, jugea à propos de faille cesser un état de choses qu'aucune disposition législative ne sanc- tionnait, et qui pouvait avoir des suites préjudiciables pour le bien-être général. Un arrêté royal (') fut porté relative- {■) Arrêté du i4 juin i8i5 (Journal Officiel , n° 55). JUSQU'A CE JOUR. gS ment à la reconnaissance et au régime des écoles latines et des collèges ; et il ne put exister dès lors aucun établisse- ment de cette espèce , sans une autorisation spéciale du dé- partement de l'intérieur , qui a dans son ressort l'instruction publique, les sciences et les arts ('). D'après les dispositions de cet arrêté, tous les athénées, collèges et écoles latines sont placés sous la surveillance de ce département. Un règlement particulier, approuvé par le ministre , détermine le mode d'instruction de chacun d'eux. Un conseil d'administration , formé dans chaque lo- calité, est spécialemeul chargé de les diriger. Tous les pro- fesseurs et instituteurs sont nommés par le département de l'intérieur, après en avoir entendu la commission ad- ministrative. Le même arrêté a prescrit les qualités requises et exi- gées de tous ceux qui se livrent à l'enseignement des langues anciennes. Nul ne peut en être chargé , aussi-bien dans les collèges , athénées et écoles latines , que dans les écoles pri- maires , ou des maisons particulières ( lorsqu'on y réunit des enfans de plus d'une famille ) , sans avoir obtenu à l'une des universités du royaume le grade de candidat ou de docteur en lettres. Cependant Sa Majesté s'est réservé le droit d'accorder à ceux qui , au moment de la publi- cation de cet arrêté , enseignaient les langues anciennes («) Par arrêté royal du 3o mars i8a4 , n» io3. i3 94 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE sans posséder le grade requis , la faculté de continuer cet enseignement pendant un certain temps. Comme ces mesures supprimaient radicalement les petits séminaires fondés à cet époque , et que Sa Majesté ne vou- lait point priver la jeunesse catholique romaine de l'occa- sion de recevoir une éducation religieuse et morale , sous la surveillance du clergé , en même temps qu'une bonne instruction littéraire, sous la direction de professeurs ins- truits et investis de la confiance générale, il fut permis aux chefs diocésains d'établir dans les localités où se trouve un athénée ou un collège, et avec l'agrément du dé- partement de l'intérieur, certaines maisons d'éducation dans lesquelles ces jeunes gens peuvent être reçus, surveillés et instruits sur les dogmes et la discipline de l'église , et d'où ils doivent être conduits au collège ou à l'athénée pour y recevoir l'instruction ordinaire et commune. En même temps, il fut défendu de s'occuper dans ces pensionnats épiscopaux, de l'enseignement des matières réservées aux collèges et aux athénées. Par suite de cet arrêté, une foule de petits collèges et d'écoles secondaires ecclésiastiques cessèrent d'exister. Le gouvernement les remplaça , dans quelques villes , par des collèges légalement établis 5 et chercha à y substituer , dans les localités moins importantes, de bonnes écoles moyennes qui étaient encore bien rares dans ces provinces. Ces écoles , d'un degré plus relevé que les écoles primai- res , mais toujours du ressort de l'enseignement inférieur , JUSQU'A CE JOUR. gH sont destinées à donner , principalement à la classe indus- trieuse et manufacturière, une instruction appropriée à ses besoins. On y enseigne les règles du style, la tenue des li- vres, la correspondance, l'arithmétique commerciale, les opérations de change et de banque 5 la géographie considé- rée sous le rapport des produits de chaque contrée , les ma- thématiques élémentaires, le dessin linéaire, la géométrie pratique , quelques notions de mécanique , de physique et d'histoire naturelle, enfin tout ce qui peut être relatif aux arts, à l'industrie et au commerce. Le gouvernement, tou- jours disposé à seconder les efforts qui tendent vers quelque amélioration , en a favorisé l'organisation par des subsides , et il y a lieu de croire que le nombre en augmentera à me- sure que l'utilité en sera mieux connue. Un autre arrêté (») de même date et d'une plus grande importance encore, a fait voir aux Belges jusqu'où s'éten- dait la sollicitude de leur auguste Monarque pour l'amélio- ration de l'instruction publique. Autrefois les jeunes gens qui se destinaient à l'état ecclésiastique n'étaient admis dans les séminaires épiscopaux qu'après avoir fait leur philoso- phie ; sous le gouvernement français , ils devaient , comme nous l'avons vu , être munis d'un diplôme de bachelier ès- lettresj ce qui donnait la garantie qu'ils avaient reçu l'ins- truction préparatoire nécessaire aux fonctions qui les atten- (') Arrêté royal du i4 juin i8a5 ( Journal Officiel, n* 56). 96 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE daieat. Mais dans les dernières années , ces élèves à peine humanisés par les médiocres études des écoles secondaires ecclésiastiques , passaient directement dans les séminaires , où les connaissances qu'on leur enseignait ne pouvaient les mettre au niveau du siècle 5 et il s'en suivait que ces indi- vidus , revêtus plus tard d'un caractère éminemment res- pectable , entraient dans un monde qui leur était absolu- ment étranger , et n'avaient aucune des qualités capables de faire naître l'estime et la considération si essentielles à leur ministère. Afin de remédier à cet abus, non moins préjudi- ciable au clergé qu'à l'ordre social , le gouvernement a érigé près de l'université de Louvain , un établissement d'instruc- tion préparatoire pour les jeunes catholiques romains qui se destinent à Tétat ecclésiastique. Cet établissement , qui porte le nom de collège philo- sophique , est dirigé par un régent et plusieurs sous-régens pris dans l'état ecclésiastique, et chargés de l'économie intérieure , de l'ordre , de la discipline , de l'enseigne- ment de la doctrine chrétienne , et du maintien des bonnes mœurs. Les jeunes gens n'y sont admis qu'après avoir terminé convenablement leurs humanités, et s'être fait insci^re comme élèves de la faculté de philosophie et des lettres. Ils restent tous dans le collège, et y reçoivent la nourriture, moyen- nant une pension très-modique, dont le gouvernement in- demnise un grand nombre d'individus , à l'aide des bourses affectées à cet établissement. JUSQU'A CE JOUR. 97 Trois professeurs spéciaux, membres de l'université, y enseignent la logique , la métaphysique et la morale 5 l'his- toire universelle et l'histoire de la philosophie ; le droit ca- nonique et l'histoire ecclésiastique. D'autres professeurs, pris dans les facultés des lettres et des sciences , y sont chargés de l'enseignement des belles- lettres grecques et latines , de la littérature hollandaise , de la littérature hébraïque, de l'algèbre, de la géométrie, et des élémens de j)hysique , de chimie et d'histoire naturelle. Les cours se donnent en langue latine , sont gratuits , et durent deux années , après lesquelles les élèves peuvent être admis dans les séminaires épiscopaux. Un établissement aussi contraire aux vues de ceux qui ne cherchent qu'à arrêter les progrès des lumières , devait naturellement éprouver des obstacles dès son institution. C'est ce qui arriva : la mauvaise foi, l'amour-propre , l'ignorance et les préjugés réunirent leurs armes pour le sa- per dans ses fondemens. Les gens qui , depuis quarante ans, avaient continuellement été en opposition ouverte avec les divers gouvernemens qui se sont succédé dans ce pays , cher- chèrent à insinuer au peuple que le collège philosophique n'est qu'une rej)roduction du séminaire- général, un éta- blissement contraire à la vraie religion. Aidés de leurs dignes acolytes , les élèves des petits séminaires , ils mirent tout en œuvre pour détourner les jeunes gens d'y aller. Mais les temps étaient changés : les motifs de leur saint zèle furent bientôt appréciés de la masse des citoyens devenus plus 98 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE instruits 5 le peu de justesse de leurs argumens tourna à leur désavantage, et fit regretter à la partie saine de la nation que le collège philosophique n'eût pas été institué dix ans plus tôt. En attendant que ceux qui ont pu se laisser entraîner par ces malignes insinuations reviennent à des sentimens plus justes, à l'égard des intentions bienveillantes du gou- vernement, Sa Majesté maintient avec une sage persévé- rance l'exécution des mesures qu'elle a prises , et aucun élève n'est admis dans les séminaires épiscopaux , jusqu'à ce que la fia du cours des deux "années d'études prépara- toires permette aux élèves de s'y présenter (i). Des abus d'un autre genre s'étaient glissés dans l'instruc- tion de la jeunesse, par suite des relations qu'un ordre, étranger au royaume , avait entretenues dans ce pays. Plu- sieurs individus , mus par des considérations particulières , envoyaient leurs enfans étudier les humanités dans des établissemeus situés en France, et dirigés par des personnes dont les principes concordent peu avec nos institutions nationales 5 tandis que d'autres individus, cherchant à in- troduire ces mêmes principes dans les écoles primaires des Pays-Bas, avaient fait les fonds nécessaires pour doter et entretenir des instituteurs chargés de les répandre, au moyen d'une instruction gratuite, parmi les classes infé- rieures de la société. (') Arrêté royal du ii juillet i8i5. JUSQU'A CE JOUR. 99 Sa Majesté , voulant écarter les inconvéniens que cet état de choses pouvait avoir aussi-bien pour la jeunesse que pour l'état, décida (') que les Belges qui , après le 1" oc- tobre 1825 , auraient fait leurs humanités hors du royaume, ne pourront être admis dans la suite à l'une des universités ni au collège philosophique 5 et que ceux qui , après cette époque , auraient étudié les humanités ou fait leurs études académiques ou théologiques hors du royaume , ne seront nommés par le gouvernement à aucuns emplois , ni admis à exercer aucunes fonctions ecclésiastiques dans les Pays- Bas. 'W'fH'iini,.,,,,, Une disposition particulière fut prise à l'égard des écoles dépendantes d'une juridiction étrangère. Un arrêté royal (^) déclara que l'institut des frères de la doctrine chrétienne ne pouvait être admis dans le royaume, et enjoignit à tous les Belges qui en faisaient partie , l'ordie d'en quitter aussitôt l'habit. Des mesures spéciales avaient déjà été prises anté- rieurement (3) , à l'égard de l'admission des étrangers dans l'instruction publique. Aucun individu , s'il n'est régnicole , naturalisé ou admis par le gouvernement, ne peut être chargé de l'enseignement, même en qualité de sous-maîtrej et l'ensemble de ces dispositions garantit aux Belges une (') Par arrêta royal du i4 août i8a5. (') Du 21 février i8a6. (>) Arrêtés royaux du 8 août i8sa , et da 7 ayril iQ%5, loo INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE éducation vraiment nationale et conforme aux institutions de l'état. Pour compléter le tableau des améliorations opérées jus- qu'à ce jour par les soins vigilans et continuels d'un gouver- nement régénérateur de l'instruction publique, il ne nous reste plus qu'à citer la résolution prise tout récemment à l'égard de l'enseignement des mathématiques dans les gym- nases et les universités. L'état de cette partie importante de l'instruction supé- rieure ne répondant point au vœu du gouvernement, de nouvelles mesures ont été prises (•) pour en assurer le suc- cès. L'enseignement des mathématiques dans les athénées, les collèges et les écoles latines , doit embrasser au moins les élémens de l'arithmétique et de l'algèbre , jusqu'aux équations du second degré inclusivement, ainsi que ceux de la géométrie jusqu'à la trigonométrie rectiligne. Le cer- tificat que tout élève est obligé de produire pour être inscrit comme étudiant dans une université, doit faire mention que celui auquel il est délivré , a acquis dans ces diverses parties les connaissances nécessaires pour être ad- mis aux cours académiques. Celui dont le certificat ne contient pas la clause ci-dessus mentionnée, doit, avant de pouvoir être inscrit comme étudiant, produire une attesta- tion du professeur de mathématiques , constatant que , (') Par arrêté royal du 9 septembre 1826. JUSQU'A CE JOUR. loi dans un examen , il a prouvé avoir fait des progrès suâisans dans les sciences élémentaires précitées. Le grade de candi- dat en sciences mathématiques et physiques , tant celui qui est préparatoire au doctorat en ces sciences , que celui qui est préparatoire à l'étude de la médecine et à celles de la faculté des lettres , ne peut être obtenu sans avoir passé un examen sur les élémens de l'arithmétique , de l'algèbre jus- qu'aux équations supérieures au second degré et sur les mathématiques, y compris la trigonométrie rectiligne et sphérique, ainsi que sur l'application de ces sciences, et surtout de la dernière , à l'astronomie sphérique et à la géo- graphie mathématique. Enfin , pour obtenir le grade de candidat ès-lettres , préparatoire à l'étude de la théologie et à celle de la jurisprudence, on doit subir également devant la faculté des sciences mathématiques et physiques, un examen sur les élémens de l'arithmétique , de l'algèbre et de la géométrie , y compris la trigonométrie rectiligne. A cet eflèt, il y a près de chaque université un cours spéciale- ment consacré à l'enseignement de ces parties élémentaires et de plus un autre cours comprenant les équations supé- rieures, la géométrie des corps solides, la trigonométrie sphérique, et l'application de ces sciences à l'astronomie et à la géographie. Par ce moyen, tous ceux qui seront admis à exercer une profession scientifique quelconque, sans en excepter celles qui n'ont point de rapport direct avec les mathématiques, auront au moins des notions suffisantes de ces sciences , et se distingueront dans la société par un es- i4 102 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE prit plus cultivé , un jugement plus sain , et tous les avan- tages que l'étude de ces connaissances assure à ceux qui s'y appliquent. S V. Etat actuel des Lumières , des Sciences et des Lettres. Quoique l'époque dont nous venons d'offrir l'exposé , ne fasse pour ainsi dire que commencer , l'influence de la res- tauration des hautes études et du perfectionnement de l'instruction inférieure ne laisse pas que de se manifester déjà de la manière la plus avantageuse. Le retour de l'indé- pendance nationale et la paix qui, depuis lors, a régné sans interruption , ont sans doute contribué à diriger les esprits vers la culture des sciences et des lettres; mais ce qui a le plus favorisé le développement du goût pour les connaissances , ce sont les bonnes institutions sur lesquelles un prince généreux et éclairé a voulu fonder la splendeur de sa couronne , et la stabilité de son trône. L'instruction publique, devenue l'objet delà sollicitude continuelle du gouvernement, est arrivée par degrés à un point d'amé- lioration qui réunit ce que l'ancien régime et le système de l'université française avaient de plus avantageux. Au lieu d'être assujetti à une taxe qui entravait la marche des études , l'enseignement est encouragé et mis à la portée de tous les individus 5 une instruction gratuite est offerte dans JUSQU'A CE JOUR. io3 presque toutes les localités aux enfans indigens , dont le sort est aussi dans la pensée du monarque; et la génération nais- sante trouve partout de nombreux moyens d'acquérir les notions nécessaires aux diverses professions qu'elle doit embrasser un jour. L'établissement et la propagation d'un système d'ensei- gnement perfectionné a tiré l'instruction primaire de la si- tuation déplorable où l'avaient laissée les gouvernemens précédens. L'acquisition des premières connaissances , ren- due prompte et facile par le moyen de méthodes ingénieu- ses, a permis d'en agrandir le cercle, et d'y introduire les élémens de diverses sciences utiles à tous les sujets d'un état constitutionnel. Ces améliorations , il est vrai , ne se sont introduites que là où l'organisation et l'inspection des écoles ont été confiées à des personnes capables et bien pé- nétrées des vues du gouvernement; mais si quelques choix moins heureux ont empêché certains rameaux de porter leur fruit, l'arbre n'en a pas moins acquis la plus grande vi- gueur, et l'émulation générale fait espérer que la sève abon- dante en circulera bientôt uniformément , et fertilisera les branches qui , jusqu'à présent, sont restées stériles. L'enseignement des athénées et des collèges ne répond pas moins aux efforts que le gouvernement fait pour relever ces institutions. Quoiqu'il y en ait encore quelques-unes qui laissent à désirer, on peut cependant avancer qu'en général elles sont dans un état prospère. Le préjugé qui avait fait considérer l'étude de certaines connaissances comme super- io4 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THERESE flue , a insensiblement disparu 5 l'enseignement du latin est plus nourri; celui de la langue grecque est devenu plus général; l'histoire et la géographie sont presque partout mieux étudiées ; les cours de mathématiques se donnent avec succès dans les principaux établissemens : tout annonce l'existence d'un meilleur état de choses, dû à la sagesse des nouveaux règlemens. Dans les provinces où la langue flamande est celle du peuple , on s'en sert pour enseigner les langues anciennes ; et dans les autres , l'étude de la langue nationale est suivie avec une ardeur égale aux avantages que cette connaissance assure aux Belges méridionaux. Cela n'empêche cependant pas que la langue française ne soit toujours un des objets de l'enseignement dans les établissemens d'instruction supé- rieure , et dans toutes les écoles des provinces wallones. L'état florissant des universités fait aussi concevoir les plus belles espérances , et semble déjà présager le retour de l'ancienne érudition qui a fait la gloire de la Belgique dans les temps antérieurs. Des soins particuliers sont donnés à l'étude de la philologie ; les sciences physiques et mathéma- tiques sont cultivées avec succès ; les études en droit et en médecine sont suivies avec zèle et application ; l'instruction est généralement plus forte et plus étendue qu'auparavant , et les progrès en sont constatés de la manière la plus évi- dente par les dissertations inaugurales et par les savans mémoires qui se disputent la palme aux concours acadé- miques. ^ JUSQU'A CE JOUR. io5 D'un autre côté , les nombreux ouvrages en tous genres qui ont paru depuis quelques années , attestent également la culture plus répandue des sciences et des lettres. Il semble que chaque individu cherche à contribuer à la propagation des lumières , et veuille payer son tribut à l'instruction. Ici, des cours publics sont ouverts pour l'enseignement gratuit des connaissances spécialement utiles à certaines classes de la société; là, des réunions savantes se forment pour cultiver les muses et répandre le goût des belles-let- tres. L'académie de Bruxelles , rétablie par les soins et la munificence de Sa Majesté (•), propose des questions inté- ressantes , qui entretiennent une noble émulation et provo- quent les recherches les plus curieuses concernant l'histoire naturelle , politique et littéraire des Pays-Bas. Enfin , un ins- titut royal, créé dans le même but que l'académie, travaille aussi de son côté à propager les découvertes et les commu- nications relatives aux sciences , aux lettres et aux arts. En considérant l'ensemble de ces améliorations introdui- tes dans l'instruction de la jeunesse, on ne peut s'empêcher de diriger sa pensée vers l'heureux avenir qu'un tel état de choses prépare à la Belgique. A mesure que cet excellent système agira sur les générations, chaque individu possé- dant généralement plus de connaissances , remplira mieux les devoirs de sa profession , et travaillant à son propre (') Le 7 mai 1816. io6 INSTRUCTION PUBLIQUE DEPUIS MARIE-THÉRÈSE, etc. bonheur , il contribuera à celui de ses semblables 5 les esprits étant plus cultivés et plus solides , les emplois seront mieux remplis , et les opérations mieux concertées et mieux exécu- tées if les lois étant mieux comprises , la discipline en sera mieux observée 5 les abus aussi deviendront plus rares. En même temps l'esprit national se développera 5 l'amour de la patrie germera dans tous les cœurs j et les Belges , fiers de leurs institutions , béniront , d'un commun accord , le règne du prince magnanime qui leur aura procuré tant de bien- faits. TABLE DES MÉMOIBES CONTENUS DANS CE VOLUME. Sur les Changemens que la côte d'Anvers à Boulogne a subis , tant à l'intérieur qu'à l'extérieur , depuis la conquête de César jusqu'à nos jours ; par M. Bclpaire. Réponse à la question : En quels temps les Corporations connues sous le nom de Métiers (Neeringen en Ambacbten) ^ se sont-elles établies dans Us provinces des Pays-Bas ? — Quels étaient les droits , privilèges et attributions de ces Corporations? Et par quels moyens parvenait-on à y être reçu et à en devenir membre effectif? par M. Pycke. Réponse à la question : Donner un précis historique de l^ administration générale des Pays-Bas Autrichiens, sous le règne de Maiie-Thérise ; par M. Ch. Stedk. Sur les Changemens opérés dans l'Instruction publique , depuis le règne de l'impératrice Marie-Thérèse jusqu'à ce jour ; par M. Raingo. \ i X^^L HiS^