HISTOIRE
DE
I/ADMINISTRATION
MONARCHIQUE EN FRANCE.
Tout cxcmplairc de cct ouvragc non revclu de nos signatures sera reputd contrefait.
CODLOMMIERS. — JMPUIHEKIE DE A. MO I! SSI ?i. — 1855.
HISTOIRE
DE
I/ADMINISTRATION
MOMRCHIQUE
EN FRANCE
DEPUIS L'AVfiNEMENT DE PHILIPPE-AUGUSTE JUSQU'A LA MORT DE LOUIS XIV,
PAR
A. CfflERUEL,
Docteur es lettres maitre de Conferences a 1'Ecole
Normale superieure, membre du Comite de la
langue , de 1'histoire et des arts
de la France.
PARIS,
DEZOBRY, E. MAGDELEINE ET Cie , LIBR.-EDITEURS,
Rue du Cloitre-Saint-Beiioit, 10
(Quartier dc la Sorbonne).
T. I
MAR 2 4 1865
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PREFACE.
L' Academic des sciences morales etpolitiques avail mis an concours pour 1847 la question suivante :
« Faire connaitre la formation de 1' administration mo- narchique depuis Philippe- Augustejusqu' a Louis XIV in- clusivement ; marquer ses progres ; montrer ce qu'elle a eniprunt6 au regime feodal ; comment elle 1'a remplace. »
L'ouvrage que je publie fut presente pour ce concours et obtint une niedaille a la suite d'un rapport de M. Mi- gnet (1) . M. le rapporteur y parlait de mon travail avec une bienveillance qui m'a encourage^ a 1'ameliorer par de nouvelles recherches. A la fin de son rapport, M. Mi- gnet exprimait le desir que mon memoire fut public", en meme temps que celui de M. Cl. Dareste qui avait obtenu le prix (2) . Les termes dont se servait M. Mignet sont trop flatteurs et I'autorit6 d'un pareil juge trop imposante pour que je ne m'empresse pas de les citer. Ce sera la meilleure recouimandation de mon livre. a L' Academic , disait M. Mignet (3) , peut se feliciter d' avoir provoqu£, par la question qu'elle avait mise au concours, deux savants m6moires, qui publics sans doute, apres avoir et6 retouches et perfectionnes par leurs auteurs, deviendront deux excellents livres. »
Malgre" un appel aussi bienveillant, j'aurais peut-etre renonc6a publiermon travail, si une consideration tiree du rapport meme de M. Mignet ne m' avait determine.
(1) Ce rapport a etc" publie dans le tome VI des Memoires de I' Academic des sciences morales et politiques, p. 697 et suiv.
(2) L'ouvrage de M. Cl. Dareste a etc" publie, en 1848, sous le litre CCHistoire de C administration en France ; Guillaumin^ 2 vol. in-8°.
(3) Pag. 761 et 762 du tome VI des Memoires de I' Academic des sciences morales et politiques.
II PREFACE.
Parlant du plan qu'on pouvait adopter dans un ouvrage decette nature, ils'exprimait ainsi (1) : « II y avaitdeux m6thodes a suivre ; la me"thode historique et la m&hocle analytique. La premiere consistait dans 1' exposition chronologique et raisonn^e de la formation territorial et administrative de la monarchic francaise ; la seconde dans 1'examen comparatif du uiecanisinc monarchiqne substi- tuant ses ressorts complexes aux ressorts grossiers du m£canisme feodal. La premiere de ces methodes etait la meilleure. Seule, elle permettait de faire bien connaitre la suite et la raison des changements. Par elle, on pouvait montrer 1'ordre monarchique se degageant pen a peu de 1'ordre feodal pour 1'utilite du pays, a 1'aide de 1' ambition intelligente des rois. Sans cloute, les repetitions 6taient a craindre dans un sujet qui embrasse tant de points di- vers, et se d£veloppe pendant plusieurs siecles. Mais il n'elait pas impossible de les 6viter et de grouper les 6ta- blissements de la couronne avec assez d'art pour les offrir dans leur ensemble, sansalterer leur succession. L'autre m6thode exposait trop a ne tenir compte ni des temps, ni des lieux, ni des desseins dans la formation generate de la monarchic, et a ne laisser qu'une part insuffisante a 1'histoire dansle developpement dechaque service parti- lier. Elle conduisait a traiter la matiere presque abstrai- tement, a presenter des tableaux et non des revolutions.)) Comme j'avais suivi, dans mon memoire, la m6thode pr6f6r6e par M. Mignet, tandis que M. Cl. Dareste avait adopts 1'ordre analytique, j'ai cru que la publication de nion ouvrage, tout imparfait qu'il est, aurait quelque uti- Iit6. Je m'etais attache, en eflet, a faire ressortir le m6rite et les caracteres divers de tons les rois administrateurs, Philippe- Auguste, Saint-Louis, Philippe-le-Bel, Charles V,
(1) Rapport, p. 740-741 du tomeVi des Memoircsdc I' Academic des sciences morales et politiques.
1'RfiFACE. Ill
Charles VII, Louis XI, Francois Icr, Henri IV, Louis XIV, cl ceux de leurs ininistres, entre lesquels Jacques Occur, L'Hopital, Sully, Richelieu et Colbert se placent au pre- mier rang. J'ai du aussi signaler la part de la nation dans les progres administratifs. Quoique mineure et sou- mise a une tutelle souvent tyrannique, elle a contribue au developpenient des institutions ; elle a fait entendre plus d'une fois d'utiles conseils dans les assemblies d'e- tats-gen6raux, et presque toujours les rois en ont profite pour faire disparaitre les abus et executer les ameliora- tions re"clamees. L'6tude complete et approfondie d'un pareil sujet demanderait un ouvragebien plus etenduque celui que je public .
J'ai, du moins, cherche" , dans cette histoire rapide des progres administratifs de la France, a m'appuyersur des documents d'une authenticity incontestable. Les ordon- nances des rois de France sont la principale source pour un ouvrage de cette nature. Je me suis servi habituelle- ment de ces documents dont il existe plusieurs recueils (1) . Cependant on courrait risque de se tromper en s'en te- nant exclusivement aux ordonnances. Plus d'une foiselles sont reste"es sans execution: ainsi 1'ordonnance cabo- chienne de 1413 a 6te" impuissante : ainsi les reforines de L'Hopital, consignees dans les ordonnances d' Orleans, de Roussillon etdeMoulins, ont 6t6 paralyses par les guerres civiles. II est done necessaire de controler perpetuelleinent les actes officiels par le t6moignage des historiens con- temporains. Le Journal de Henri II I., par exemple,mon- tre comment fut ex^cutee 1'ordonnance de Blois , qui faisait espe"rer de si heureuses reformes.
(1) Ordonnances des rois de France de la troisieme race (Paris, 1723-1849, 21 vol. in-f"). Comme cette collection s'arrete a la fin du regne de Louis XI r, j'ai eu recours, pour la computer, au Recueil des anciennes Lois francaues (Paris, 1822; 38 vol. in-8°).
IV PREFACE.
Je n'insisterai pas sur les documents in6dits que m'ont fournis les archives et les bibliotheques. Les notes pla- cets au bas des pages prouveront, je 1'espere,' que j'ai cherchS a profiter des richesses accumulees dans les de- pots de Paris. La correspondance de Colbert et le journal de 1'intendant Foucault m'ont beaucoup servi pour le re- gne de Louis XIV. Le ministre, dont les travaux ont 6te si feconds pour lebonheur de la France, trouva dans Fou- cault un instrument d£voue et habile. Le journal de cet intendant retrace en grand detail les actes administratifs auxquels il a cooper^ et fait connaitre l'6tat des provin- ces, dont les autres Memoires tiennentpeudecouipte (1).
On trouvera peut-etre que la place reserved au regne de Louis XIV est trop etendue pour 1' ensemble de 1'ou- vrage. Seul,eneffet, ilremplitun volume, tandis que 1'his- toire de 1' administration sous ses pre"d6cesseurs est retu- rnee en trois cents pages. A cette objection je repondrai, avec Voltaire (2) , que le gouvernement Louis XIV a plus fait pour la France que les efforts de vingt de ses pr6d6ces- seurs. Us avaient combattu pour former un royaume et en avaient ebauche 1' administration. Louis XIV, recueillant le fruitdeleursluttesseculaires,a perfectionn^ et souvent meme cr66 les services administratifs. II e"tait done in- dispensable d'insister tout specialement sur un regne que Ton peut considerer comme !' apogee del' administra- tion sous 1'ancienne monarchic.
(1) M. Bernier et M. P. Clement ont publie quelques extraits de ce nianuscrit, le premier a la suite des Memoires du marquis de Sourches, et le second dans 1'onvrage intitule Gouvernement de Louis XIV; mais ils n'ont pas insiste sur les renseignements adminis- tralifs que fournit le journal de Foucault.
(2) Siede de Louis XIV, chap. 29.
INTRODUCTION.
Carictore ot conditions d'une bonne administration ; division generate de 1'histoire adminibtrative de la France en quatro epoques; progres de la France dus surtout a 1'administra- tion monarchique.
En commen^ant 1'histoire de 1'administration mo- narchique en France, il est neeessaire de preciser le sens du mot administration et les points principaux sur lesquels nous devrons insister dans cet ouvragp. « L'administration, sous le point de vue le plus ge- neral, consiste, dit M. Guizot (1), dans un ensemble de moyens destines a faire arriver le plus prompte- nient, le plus surement possible , la volonte du pou- voir central dans toutes les parties de la societe, et a faire remonter vers le pouvoir central , sous les me- mes conditions, les forces de la societe soit en hommes , soit en argent. » Pour arriver a ce but, il faut un gou- vernement central fortement organise, domine par une volonte line et puissante, servi par des agents dociles et intelligents , qui soient, selon 1'energique expression des anciens, les yeux et les oreilles du
(i)Cours d'histoire de la cwilisat'on generate en Europe, XIVe lecon.
II INTRODUCTION.
pouvoir ; une hierarchic de fonctionnaires partant du sommet et descendant jusqu'aux derniers degres, enfin des communications faciles et rapides du centre aux extremites de 1'Etat. L'autorite qui dispose des forces d'un pays, de ses richesses et de ses armees, doit pour etre digne de sa haute mission , developper les ressources nationales en favorisant le commerce, 1'industrie et 1'agriculture, assurer la securite de tous par une bonne administration de la justice et stimu- ler par une intelligente protection le progres des let- tres, des sciences et des arts. II faut, en un mot, que le pouvoir rendeau peuple en bien-etre, en grandeur intellectuelle et morale autant qu'il en rec.oit pour sa force personnelle. En remplissant ces conditions, Tadministration obtient 1'adhesion et la sympathie des peuples, force et gloire d'un bon gouverne- ment.
Tel est, si je ne me trompe , le but et en quelque sorte 1'ideal vers lequel doit tendre toute puissance qui comprend sa mission. Jusqu'a quel point Tad- ministration monarchique a-t-elle realise, en France, ces conditions d'un bon gouvernement ? Elle avait rec.u de la feodalite un pays morcele, ou 1'autorite cen- trale etait nulle, ou la force brutale regnait a IV bri des chateaux dont la France etait herissee, inter- ceptait le commerce, desolait les campagnes et me- prisait les arts ingenieux de la paix. II fallut plu- sieurs siecles de guerres incessantes pour dctruire les repaires de la feodalite et assurer la securite des marchands et des laboureurs. La royaute commenga par fonder solidement sa puissance et 1'imposer k
DIVISION DE L'OUVRAGKJ TIT
tous. Trois siecles de luttes perpetuelles furent ne- cessaires pour arriver a ce resultat, et, lors meme que la feodalite fut depouillee des droits regaliens, 1'opposition d'interets et de moeurs qu'elle avait creee entre les provinces suscita de nouveaux ob- stacles. La royaute eut a soutenir de longues guerres pour creer cette hierarchic de fonctionnaires qui de- vaient faire executer ses volontes d'une extremite a 1'autre de la France. Elle y parvint enfm, et Louis XIV heritant des travaux de ses predeces- seurs put s'occuper avec plus de succes des finan- ces, du commerce, de 1'industrie, des arts, des lettres et des sciences, en un mot, de tout ce qui enrichit et illustre une nation. Ainsi fondation et unite du pouvoir central, organisation d'une hierarchic ad- ministrative, developpement des ressources mate- rielles et intellectuelles de la France sous la pro- tection de 1'autorite monarchique, tel est le spectacle que la France nous presente pendant les six siecles ou la royaute a lutte, vaincu, et administre. Pour se reconnaitre dans un sujet aussi vaste , il est ne- cessaire d'en determiner les principales periodes.
L'histoire de 1'administration monarchique en France depuis Tavenement de Philippe-Auguste jus- qu'a la mort de Louis XIV peut se diviser dans les quatre epoques suivantes :
1° De 1180 a 1328, lutte centre la feodalite;
2° De 1328 a 1498, victoire de la royaute sur les maisons apanagees ;
3° De 1498 a 1661 , organisation de 1'adminis- tration monarchique ;
IV INTRODUCTION.
4° De 1661 a 1715, triomphe et resultats de I'admmistration monarchique.
Premiere dpoque (1180-1328). — Lorsque Phi- lippe-Auguste monta sur le trone (1180) , la royaute avait vaincu les vassaux du duche de France ; mais elle se trouvait en presence d'une multitude de sei- gneurs qui etaient les veritables souverains du royaume. Le xuie siecle et une partie du xive furent consacres a la lutte contre ces seigneurs. Philippe- Auguste, par les armes et les conquetes; Louis IX, par ses lois et la saintete de son caractere ; Philippe- le-Bel , par ses institutions et par son despotisme, etablirent sur des bases solides Tautorite monar- chique. Unis avec le clerge et les communes, ils etendirent leur domination de la Lys aux Pyrenees, du Rhone a 1'Ocean. Des le xrve siecle, 1'autorite royale etait reconnue dans toute la France ; et 1'administration centrale et locale etait ebauchee. An sommet, se placait la cour du Roi (curia do- mini regis) qui se divisa, sous Philippe-le-Bel et ses fits, en grand conseil (conseil d'fitat), parlement ou cour de justice et chambre des comptes chargee de surveiller et de controler Tadministration finan- ciere dans tout le royaume. Les provinces etaient ad ministries par des baillis et des senechaux qui cumulaient tous les pouvoirs militaire, judiciaire et financier.
Deuxicme fyoque (1328-1498). — La seconde epoque commence avec les Valois et se termine vers la fin du xve siecle, a la mort de Charles VIII (1228-1498). Une nouvelle feodalite etait nee des
DIVISION DE L OUVRAGE. V
branches momes de la dynastie cape tiennc ; les maisons apanagees de Bourgogne, de Bourbon, d'An- jou et d'Orleans avaient morcele le royaume. Les cbefs de cette aristocratic aimaient tant la France, comme disait Tun d'eux, qu'au lieu d'un royaume, ils en eussent voulu six. Pour vaincre cette feoda- lite apanagee, il fallut Tastiice, Pactivite, la politi- que habile et terrible de Louis XL Des la fin da xve siecle, il n'y avait plus en France qu'un seul souverain. Des gouverneurs de province, qui rele- vaient uniquement de 1'autorite royale, rempla- cerent les anciens seigneurs feodaux. Les parlements se multiplierent; etablis dans des provinces eloi- gnees (parlements de Toulouse, Bordeaux, Greno- ble et Dijon) , ils rendirent 1'administration de la justice plus rapide et plus vigoureuse. Les baillis cesscrent de percevoir les impots, et une classe speciale de fonctionnaires, sous le nom de receveurs generaux ou simplement de gdndraux des finances et d'elus , fut chargee de la repartition et du re- couvrement des impots.
Troisieme dpoque (1498-1661). — La troisieme epoque commence a la fin du x\e siecle, au moment ou les guerres d'ltalie, les decouvertes maritimes, la renaissance des lettres et des arts agitaient tous les esprits et leur ouvraient un nouveau monde; elle se termine a la mort de Mazarin, lorsque Louis XIV commence a gouverner par lui-meme (1498-1661). La royaute, quoique detournee des affaires interieures par les guerres d'ltalie, ne cessa cependant de perfectionner 1'organisation adminis-
VI INTRODUCTION.
trative. Si les souverainetes feodales avaient disparu, il existait touj ours dans les provinces une profonde divcrsite de moeurs, de lois et destitutions. La royaute, sans parvenir a detruire ces differences, etablit une administration plus homogene. Douze gouverneurs furent charges de 1'autorite militaire ; huitparlements, de la justice; autant de chambres des comptes et de cours des aides , de la juridiction fmanciere ; les bureaux de finances, de la repartition des impots et de la gestion domaniale ; enfin dix-sept receveurs generaux furent institues pour percevoir les taxes et les verser dans une caisse centrale, nominee Epargne. Des cetteepoque la France parvint a une unite qui etonnait les etrangers. « II y a des pays plus fertiles et plus riches que la France, ecrivait en 1546 1'ambassadeur venitien Marino Cavalli (1) , tels que la Hongrieet 1'Italie; il y en ade plus grands et de plus puissants, tels que 1'Allemagne et 1'Es- pagne; mais nul n'est aussi uni (tanto unito}. »
A la fin du xne siecle, les guerres de religion en- traverent de nouveau le developpement de 1'auto- rite monarchique en France : les pouvoirs, que la royaute avait crees comnie instruments d'adininis- tration, se tournerent contre elle. On vit les gou- verneurs et les parlements se mettre a la tete de ropposition provinciale. II fallut que Richelieu abattit 1'autorite des gouverneurs et confiat 1'admi- nistration locale a des agents plus dociles, aux in-
(1) Relations dvs ambassadcnrs venitiem dans lerecueil cuiucnls incdils de I'Hisloirc dc France, t. I, p. 271.
DIVISION DE L'OUYRAGE. MI
tendants institues des 1632. La Fronde, coalition do grands seigneurs, de gouverneurs de province et de parlements, fut vaincue par Mazarin, et avec elle succomba la derniere tentative de resistance a 1'au- torite absolue.
Quatricme tpoque (1661-1715). — La quatrieme epoque comprend le gouvernement personnel de Louis XIV (1661-1713). La puissance monarchique, parvenue a son apogee, avait une oeuvre difficile et glorieuse a accomplir. Feconder les richesses naturel- les de la France, creuser des canaux et des ports, ou- vrir des voies de communication , creer une marine, developper le commerce et 1'industrie , travailler au bonheur du peuple et a son amelioration morale et intellectuelle , telle etait la mission de la royaute ; ellen'y manqua pas. Les vingt-deux premieres an- nees du gouvernement personnel de Louis XIV, depuis la mort de Mazarin jusqu'a la mort de Col- bert (1661-1683), furent surtout fecondes. Seconde par Colbert et Louvois, il imprima a tous les services publics une merveilleuse activitc , et merita le nom de ROI ADMINISTRATED , que Lemontey proclame le plus beau de ses titres. Un historien d'une grande autorite (1) a compare Tardeurque montrerent, a cette epoque, le roi et la nation, au zele que deployerent, apres les tourmentes revolutionnaires, le premier consul et ses conseillers. Lois, finances, hierarchic administrative, tout paraissait sortir du chaos pour s'organiser sous 1'oeil du genie. L'heritier des rois,
(1) M. Guizot, Histoire de la civilisation generate en Europe, dernifcre legon.
VIII INTRODUCTION'.
comme le soldat couronne, allait s'asseoir dans un conseil de legistes et discutait avec eux les articles du code. Tous deux descendaient aux plus petits details de 1'administration , sans crainte de deroger ; mais Tun dirige par d'habiles ministres, 1'autre guide sur- tout par 1'inspiration du genie; Louis, ausein d'une paix glorieuse, due aux negotiations de Mazarin; Napoleon, en face d'une coalition europeenne. On ne doit jamais de perdre de vue, en parlant des pre- mieres annees du gouvernement de Louis XIV, 1'ap- preciation si juste de Saint-Simon ('!) : « Sa pre- miere entree dans le monde fut heureuse en espiits distingues de toute espece. Ses ministres au-dedaus et au-deliors etaient alors les plus forts de 1'Europe ; ses genera ux , les plus grands; leurs seconds, les meilleurs : les mouvements dont 1'Etat avait ete si furieusement agite au-dedans et au-dehors depuis la mort de Louis XIII, avaient forme une quantite d'hommes qui composaient une cour d'habiles et d'illustres personnages et de courtisans raffines. » Louis XIV eut le merite de discerner la capacitc de ces hommes eminents, de comprendre leurs pensees et de faire concourir a la grandeur de la France la diversite de leurs talents, et souvent meme Topposi- tion de leurs caracteres et de leur ambition.
Grace a Factivite et a 1'habile politique du grand roi, cette quatrieme periode, la plus courte pour le temps, a ete la plus feconde en choses utiles et bril- lantes.
(1) Sainl-Simon. Mcuioircs, edit, in-8", 1. Xllf, p. 2-3.
DIVISION BE LOUVRAGE. IX
En rendant justice ii Louis XIV, il nc faut pas ou- blicr ses ministrcs , surtout Colbert ct Louvois. Le premier, apres avoir repare le desordre des finances et paye les dettes leguees par Fouquet, enrichit la France en developpant ('Industrie, le commerce et le systeme colonial ; il releva la marine fran^aise qui devint en peu de temps la premiere du monde, creusa des ports et prepara le code maritime auquel son fils Seignelay mit la derniere main. L'activite de Colbert embrassait toutes les branches d'administration. II proposa la reform e des lois et la dirigea par son on- cle Pussort. Les lettres, les arts, les sciences, rec.u- rent une feconde impulsion par la creation de nou- velles academies et par les recompenses donnees avec discernement aux savants, aux artistes et aux litterateurs. De magnifiques monuments s'eleverent sous la direction de Colbert. II entreprit meme la reforme des monasteres et du clerge regulier. Les travaux glorieux et pacifiques de ce ministre avaient enrichi la France; Louvois la rendit redou- table par Torganisation de 1'armee. Entre au minis- tere cinq ans apres Colbert, en 1666, il ne commence a balancer son credit que pendant la guerre de Flandre ; il 1'emporta defmitivement , lorsque Louis XIV se laissa entrainer par la passion des conquetes. Alors commencerent les desastres ; Lou- vois epuisa la France par la guerre , tarit la source de ses richesses , ruina sa marine , ses colonies, son commerce, viola la liberte de conscience, et, apres avoir fait servir a son ambition les armes et la reli- gion, la ruse et la violence, les oeuvres d'art et les
X INTRODUCTION.
secrets de police, il tomba vaincu par 1'esprit patient et astucieux d'une femme. Mais ces tristes resultats d'une ambition insatiable ne doivent pas faire oublier les excellentes mesures qui remplissent une partie de son ministere : la discipline solidement etablie, tous les services militaires ameliores et subordonnes a 1'autorite centrale sans distinction de rang ni de naissance.
Get apergu rapide suffit pour repondre au scepti- cisme de quelques esprits chagrins qui ne voient dans 1'histoire qu'un cercle fatal de succes et de re- vers, de crimes et d'actions hero'iques, ou I'humanite tourne sans avancer. Une etude superficielle parait favorable a ce triste systeme. La royaute, victorieuse sous Philippe-Auguste, Saint-Louis et Philippe-le- Bel, retombe pendant 1'epoque suivante que signa- lent les desastres de Crecy, de Poitiers et d'Azin- court, la folie de Charles VI et la guerre civile des Armagnacs et des Bourguignons. Si elle triomphe avec Louis XI et parait absolue sous Francois Ier, c'est pour subir une nouvelle decadence pendant les guerres de religion. Enfin 1'eclat dont elle brille sous Henri IV, Richelieu et Louis XIV, est bientot ob- scurci par les desastres de la fin du grand regne, les turpitudes de la regence et de Louis XV et les fai- blesses de Louis XVI. Faut-il done croire a ces vi- cissitudes fatales qui ramenent toujours 1'homme au meme point, immobile, alors meme qu'il reve le progres? Cette solution n'est pas, grace a Dieu, celle qui ressort des faits mieux etudies. L'histoire des institutions surtout, en nous faisant penetier
PROGRES DE LA FRANCE. XI
plus profondement dans la vie des peuples, atteste le progres de la societe; elle nous montre la France d'abord divisee arrivant graduellement a 1'unite qui fait sa gloire et sa force, fecondant toutes ses riches- ses naturelles que 1'ignorance laissait enfouies et que rindustrie tire du sol et transforme en produits bril- lants ; enfm , se plac.ant a la tete de la civilisation europeenne par le developpement intellectuel. Consi- dere dans sa marche generate, le pouvoir monar- chique a donne 1'impulsion a toutes les branches du commerce, de rindustrie, aux arts et aux lettres. Ainsi , retracer 1'histoire de 1'administration royale en France , c'est , en realite , retracer les progres de la nation franchise jusqu'au xviii6 siecle.
Avant de s'engager dans ce vaste sujet, il est ne- cessaire de rappeler les tentatives qui avaient etc" faites anterieurement pour donner a notre pays une administration reguliere : Rome, 1'Eglise, les Barba- res, Charlemagne, la Feodalite, les Communes out es- saye d'accomplir cette oeuvre dans laquelle la royaute seule a reussi. Les institutions primitives de la France ont ete, surtout dans notre siecle, 1'objet d'etudes ap- profondies (1). II suffira de les resumer pour donner
(1) Voyez les Essais sur 1'histoire de France par M. Guizot. Les institutions de la France jusqu'a la fin du xe siecle y sont ex- posees avec une science et une intelligence historique qui n'ont'pas ete surpassees. M. Guizot a traite avec de nouveaux de"veloppe- ments le meme sujet dans son Cours d'histoire de la civilisation en France. La Feodalite et les Communes y ont trouve" place a cote des institutions des Barbares. Les travaux de MM. Augustin et Amede'e Thierry, de M. Mignet et des jurisconsultes qui unis- sent la science de 1'histoire a celle du droit, comme MM. Giraud, LaBoulaye, La Ferriere, etc., ont repandu de nouvelles lumieres
XII INTRODUCTION.
une idee exacte et complete de la situation politique, au moment ou la royaute, a peine maitresse d'un duche, eiitreprit et realisa la conquete et la transfor- mation de la France.
sur les epoques romaine,, bar-bare et feoclale. M. Gue'rard clans Ics prolegomenes du polyptyquc d'lrminon, a concentre sa critique sur la periode carlovingienne, et personne n'a mieux fait connaitre les institutions de cette epoque. La periode monarchique est eel le qui a ele le inoins etudiee et qui est encore aujourd'hui le moins connue, quoique d'excellents travaux aient ele" publics sur quelquos parlies. C'est sans doule un des motifs qui out engage Tlnstilut a inellre au concours la question aussi ncuve qu'interessante de Yllistoire de I'adminhlralion nionarcliique en France.
HISTOIRE
DE
L'ADMMSTRATIOM MOMRCHIQUE
EN FRANCE.
§ II. — ADMINISTRATION ROMAINE DANS LES GAULES.
— PROSP6RIT6 ET MISERE DE LA GAULE SOUS L*EM- PIRE.
L'empire remain a donne le premier modele dans les Gaules d'une administration bien constitute. Le pouvoir central 6tait concentre tout entier entre les mains de 1'empereur, que Ton regardait comme la loi vivante (lex animata] (1). II etait represente" dans les Gaules, au rve siecle, par un preset du pre- toire (2), qui resida successivement a Treves et a Aries, et qui avait sous ses ordres un vicaire ou vice- prefet. Des gouverneurs, appeles presides ou rec- tores, administraient, sous la surveillance de ce ma- gistral, les dix-sept provinces de la Gaule. L'autorite militaire etait distincte de la puissance civile. La se- conde appartenait au prefet du pretoire, a son vicaire et aux gouverneurs. La premiere etait entre les mains d'un comte de la rnilice, que Ton trouve aussi desi- gne sous le nom de maitre de la cavalerie dans les Gaules ft). Sous ses ordres, cinq dues commandaient les troupes qui couvraient les frontieres ; on voit par la Notice des dignitds de I' empire a" Occident (4), qu'ils
(1) Novell. 105, ch. 2.
(2) flotilla dignitatum imperil, 2e partie, p. 114, 6d. de Ve- nise, 1593
(3) Magister equitum per Gallias. Cf, Notit. dignitatum impcrii Occidents, ibid.
(U) Ibid., p. 114, 173 et suiv,
I. 2*
XIV INTRODUCTION.
avaientleur residence dans la Sequanaise (cap. Besan- c.otf, 1'Armorique (notre Bretagne actuelle), la Belgi- queseconde (cap. Reims), la Germanic premiere (cap. Mayence). L'administration financiere avait ses fonc- tionnaires particuliers places sous la surveillance du prefetdupretoire des Gaules. Un rationalis presidait a la perception de 1'impot (1); il y avait quatre gar- diens du tresor public (cerarium], qui residaient a Lyon, a Aries, ci Nimes et a Treves (2). Le fisc n'avait qu'un intendant (3). Cette hierarchic de fonction- naires faisait penetrer promptement dans les pro- vinces les volontes de 1'empereur, et mettait a sa disposition toutes les ressources de la Gaule en homines et en argent.
L'administration romaine rendait-elle a la province des services reels en developpant ses ressources, en fecondant son commerce et son Industrie, en favori- santles progresintellectuels?!! est impossible de me- connaitre 1'utile influence exercee dans les premiers temps par cette administration. Elle avait trouve la Gaule couverte de forets, avec une population bar- bare, habitant de miserables bourgades. En quelques annees, elle la transforma. Des le temps d'Auguste, Lyon devient capitale de la province. « Cette ville, dit Strabon (i), etait placee comme une forteresse an coeur de la Gaule. La etait le confluent des fleuves ; elle se trouvait a proximite de tous les points de la
(1) Rationalis summarumGalliarum. Notit. dignitatum imperil Occidentis , p. IZil.
(2) Ibidem.
(3) Rationalis rei private per Gallias. Ibid., p. (ft) Liv. Ill de sa Geographic.
ADMINISTRATION ROMAINE. XV
province. Aussi Agrippa en fit-il le centre des quatre voies romaines, dont Tune allait aboutir, en traver- sant les Cevennes, a la cote de 1'Ocean dans 1'Aqui- taine; une seconde, frayee a travers le pays des Am- biani et des Bellovaques , conduisait a la meme mer. Une troisieme rejoignait le Rhin, et une quatrieme se dirigeait vers la Jiediterranee jusqu'aux cotes de Marseille. » Les successeurs d'Auguste multiplierent ces voies de cornmunication, qui portaient d'une extremite a 1'autre de Fempire les ordres et les le- gions des Cesars.
Des villes florissantes s'eleverent sous leurs auspi- ces, et un poete du ive siecle, Ausone, en a laisse une description qui prouve a quel degre de prosperite etait parvenue la civilisation gauloise (1). II repre- sente Treves, alors capitale des Gaules, se reposant an sein de la paix et de la securite (2) . Les murailles de cette ville, s'etendant sur les flancs d'une colline, descendaient jusqu'au bord de la Moselle qui la bai- gnait de ses ondes paisibles et lui apportait les denrees des contrees lointaines (3). Le poete decrit plus loin Aries, la Rome des Gaules (4), qui allait bientot succeder a Treves comrne metropole de la province; elle etait Tentrepot d'un vaste commerce
(1) Ausonii clara urbes.
(2) Pads ut in mediae gremio secura quiescit. Ibid., III.
(3) Lata per extentunj procurrunt moenia collem; Largus tranquillo praelabitur amne Mosella, Longinqua omnigenae vectans commercia terrae. Ibid,
(li) Pande, duplex Arelate, tuos blanda hospita portus, GaHula Poma Arela*. MM., VII.
XVI INTRODUCTION.
qui enrichissait la Gaule entiere (1). Toulouse n'est pas oubliee. Ausone retrace la vaste enceinte de mu- railles qui entourait cette ville arrosee par la Ga- ronne, ses nombreux habitants et ses richesses (2). Narbonne, premier sejour des proconsuls romains, est encore une des cites dont le poete vante la beaute et les richesses. « Les mers orientales, dit-il en s'a- dressant a cette ville (3), et le golfe iberique t'enri- chissent de leurs denrees ; tu rec,ois les vaisseaux de 1'Afrique et de la Sicile, et les fleuves et les mers ver- sent dans ton sein tout ce qu'ils apportent des di- verses parties de Tunivers. » Bordeaux, patrie <T Au- sone, est de toutes les villes de la Gaule celle qu'il celebre avec le plus d'enthousiasme. II vante 1'excel- lence de ses vins, le genie de ses habitants, 1'illus- tration de son senat (4).
En faisant la part de 1'exageration poetique aussi large que Ton voudra, il est impossible de mecon- naitre la prosperite des cites gauloises sous 1'admi- nistration romaine. D'ailleurs, les traces indestruc-
(1) Per quern (Khodanum) romani commercia suscipis orbis, Nee cohibes, populosque alios et moonia ditas,
Gallia quis fruitur gremioque Aquitania lato. Ilnd.
(2) « Coctilibus muris quam circuit ambitus ingens, Perque latus pulchro prselabitur amne Garumna , Innumeris cultam populis.... » lbid.y XI.
(3) « Te maris Eoi merces, et hiberica ditant ^Equora, te classes libyci siculique profundi, Et quidquid vario per flumina, per freta, cursu Advehitur, toto tibi navigat orbe xaraTrAous. » Ibid., XII,
(4) « Impia jamdudum condemno silentia, quod te, O patria, insignem Baccho, fluviisque virisque, Moribus ingeniisque hominum procerumque senatu , Non inter primas memorem, » /^i
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tihles que Rome a laissees de son passage sutfiraient pour altester combien cette administration fut fe- conde pour la prosperite de la Gaule. L'aqueduc, designe sous le nom depont du Card, le temple grec de Nimes appele Maison carree, les arenes de Nimes etd'Arles, les arcs de triomphe d'0range,de Reims et de Saint-Remi, sans parler des ruines qui abondent dans toutes les parties de la Gaule, sont des temoins vivants de la civilisation de cette province sous la do- mination romaine.
L'industrie et le commerce avaient pris un rapide essor. « On tissait des toiles dans les pays de Caliors, des Caletes (pays de Caux), de Rbodez, de Bourges, dans la Morinie (Pas-de-Calais) ; que dis-je? ajoute Pline (1), dans la Gaule entiere. » Le lin de Cahors etait tres-estime ainsi que lits rernbourres, que Pline regarde comme une invention gauloise (2). On devait aussi aux Gaulois le savon dont ils se servaient pour donner a leurs cheveux une couleur plus brillan- te (3). Au temps de Gallien, les draps d'Arras etaient renommes comme un des produits les plus precieux de 1'empire (4). On fabriquait des armes a Treves, a Autun, a Strasbourg, a Macon, a Soissons,
(1) « Cadurci, Caleti , Bituriges, ultimique hominum exislimati Morini, imo vero universae Galliae vela texurit.w H. N.,\iv. XIX, c. 2.
(2) « In culcitis praecipuam gloriam Cadurci obtinent. GalLiarum hoc, et tomenta pariter, inventum. » Ibid.
(3) « Prodest et sapo ; Gatliarum hoc inventum rutilandis capil- lis. » Ibid., XXVIII, 51.
(4) « Perdita Gallia, arrisisse et dixisse perhibetur (Gallianus) : non sine atrebatis sagis tuta respublica est? » Hist. August., p. 719, edit, de 1661 ; Lugd. Bajav.
XVIII INTRODUCTION.
a Reims, a Amiens (1). L'agriculture s'etait perfec- tionnee. Plineparle des vins de Marseille etde laNar- bonnaise (Bouches-du-Rhone, Herault et Aude) (2). Dans le pays des Eduens et des Pictons, on fumait les terres avec de la chaux (3). L'olivier avait ete naturalise dans la Gaule meridionale. Une corpo- ration de nautes parisiens s'occupait specialement du commerce de la Seine (4). Des ateliers monetaires etaient etablis a Lyon, a Aries et a Treves (5).
Je n'insisterai pas sur les ecoles gauloises. Des le premier siecle, Autun avait des ecoles oil la jeunesse la plus iliustre des Gaules se livrait aux etudes libe- rales (6). Les luttes d'eloquence, dont Lyon etait le theatre, sont restees celebres. Treves, Bordeaux et dans la suite toutes les metropoles eurent des ecoles et des rheteurs illustres; ceux de Bordeaux ont me- rite d'etre celebres par Ausone (7). II sortit de ces ecoles un grand nombre d'ecrivains dont s'bonore la literature latine : le gaulois Trogue-Pompee donna le premier modele d'histoire universelle, et un autre Gaulois, Petronius Arbiter, rut renomme entre tous
(1) Notitia dignitatum imperil, 2e partie, p. 138, edit, (le Ve- nise, 1593.
(2) Hist. Nat.9TLlV, 8.
(3) Ibid., XVII, /(.
(A) L'exislence de celle coi-poration est aitestee par Tinscriplion que Ton Irouva, an xvmc siecle, dans des fouiiles faitcs au-dessous du choeur de la calh6drale. Eile elait gravee sur unaulel qu'avaient 61eve les nautes parisiens.
(5) Nolitia dignilatum imperil, 2C partie, p, l/il, edit, de Ve- nise, 1593.
(6) Tacile, Annales, III, AO. « Augustodunum, nobilissimam
Galliarum sobolem , iiberalibus studiis ibi operalam. »
(7) Ausonii burdigalenses professores.
ADMINISTRATION ROMAINE. XIX
ies ecrivains du premier siecle de 1'empire pour Tele- gance de son style. Cornelius Gallus avait nitrite d'etre compte parmi Ies poetes latins a I'epoque de Virgile et d'Horace. Plusieurs Gaulois, entre autres Valerius Asiaticus, de Vienne, et Domitius Afer, de Nimes, tinrent a Rome le premier rang entre Ies ora- teurs sous Ies regnes de Caligula et de Claude. Meme a Tepoque de la decadence, Ies Gaulois Ausone, Ru- tilius Numatianus, saint Paulin, rappelaient par 1'e- legance de leur style des temps plus heureux. Saint Hilaire avait merits, par la fougue impetueuse de son genie, le surnom de Rhone de Eloquence.
Rome dut aussi a la Gaule des artistes renommes. Le gaulois Zenodore etait celebre pour la delicatesse avec laquelle il modelait des figurines. Ilsculpta dans la ville des Arvernes une statue colossale du Mercure gaulois (1). Neron 1'appela a Rome, et 1'artiste gau- lois eleva , au pied du Capitole, une statue de I'em- pereur haute de cent dix pieds (2). Ces exemples suf- firont pour prouver que la Gaule avait ete transfor- mee; sesforets avaient fait place a de brillantes cites ; ses fleuves etaient devenus des voies de commerce. En echange d'une liberte indisciplineeRome lui avait donne Tunite politique, des lois sages, des commu- nications faciles, des ecoles, le gout des lettres et des arts et Ies richesses que cree 1'industrie. Mais cette domination etrangere, fondee sur la force, devint tyrannique, et la Gaule, obligee de payer le luxe des
(t)Pline, fl. ]V., XXXIV, 18. (2) Ibid.
XX INTRODUCTION.
empereurs, des prefets du pretoire, desgouverneurs, obligee de solder les armees de barbares charges de la defendre, fut ecrasee d'impots. De la des re- voltes, la rnisere et la depopulation et enfin la ruine de la domination romaine.
L'empire romain s'appuyait partout sur la force des armees. Huit legions couvraient la frontiere sep- tentrionale de la Gaule et occupaient des camps (castra sta£wa),ou elles etaient soumises a une disci- pline rigoureuse. La legion etait du reste, d'apres le temoignagedesjuges competents, admirablement or- ganisee. Composee d'infanterie et de cavalerie, de troupes legeres et de troupes pesamment armees, elle trouvait en elle toutes les ressources necessaires pour etablir un camp, le fortifier et y soutenir un siege. C'etait une citadelle vivante. Les empereurs du ive siecle desorganiserent ce corps; de douze mille hommes, ils le reduisirent a six cents. Aulieu de lais- ser les troupes campees en face de 1'ennemi et dans des postes retranches, ils les disperserent dans des villes, ou elles se corrompirent. On changea les ar- mes des legionnaires qui paraissaient trop pesantes a ces soldats degeneres. On leur donna du vin au lieu d'eau acidulee de vinaigre. Malgre tons ces adoucis- sements, le service militaire paraissait intolerable aux populations enervees de cette epoque; elles ai- maient mieux se mutiler que s'enroler dans les legions. Peu a peu on fut oblige de remplacer les troupes romaines par des barbares que Ton etablit sous le nom de tot et de fcederati dans des terres incultes qui leur furent concedees pour une periode
ADMINISTRATION ROMA1NE. XXI
de temps plus uu moins longue et quelqueibis a per- petuite.
Rome, en cessant de conquerir, avait etc obligee de multiplier les impots. Us etaient enormes : Tin- diction frappait lesterres, la capitation, lespersonnes, le chrysargyre (impotd'or etd'argent) , i'iudustrie. Je ne parle pas d'une multitude d'autres exactions qui, sous differents noms, epuisaient F empire. II suffira de citer le texte de Lactance qui peint dans toute sa profondeur la misere de 1'epoque : « Tellement grande etait devenue la multitude de ceux qui recevaient en comparaison clu nombre de ceux qui devaient payer, telle 1'enormitedes irnpots, queles forces manquaient aux laboureurs, les champs devenaient deserts et les cultures se changeaient en forets... On mesurait les champs par mottes de terre ; on comptait les arbres, les pieds de vigne. On inscrivait les betes; on enre- gistrait les homines. On n'entendait quo les fouets, les cris de la torture; 1'esclave fidele etait torture contre son maitre, la femme centre son mari, le fils contre son pere, et, faute de temoignage, on les torturait pour deposer contre eux-memes; et, quand ils cedaient vaincus par la douleur, on ecri- vait ce qu'ils n'avaient pas dit. Point d'excuse pour la vieillesse ou la maladie; on apportait les malades, les infirmes. On estimait 1'age de chacun ; on ajou- tait des annees aux enfants, on en otait aux vieil- lards; tout etait plein de deuil et de consternation. Encore ne s'en rapportait-on pas a ces premiers agents ; on en envoyait toujours d'autres pour trou- ver davantage, et les charges doublaient toujours,
XXII INTRODUCTION.
ceux-ci ne trouvant rien, mais ajoutant an hasard pour ne pas paraitre inutiles. Cependant les animaux diminuaientjeshomrnesrnouraient et 1'on n'enpayait pas moins 1'impot pour les morts (1). »
Le fardeau des impots retombait principalement sur la classe moyenne ou classe des curiales qui etait chargee de la perception. Lorsqu'il y avait deficit, ils etaient tenus de le combler avec leur propre for- tune ; de la les efforts des curiales pour se soustraire a leur condition, efforts qu'attestent les lois romaines qui les enchainent a leur poste. Elles leur defendent de s'enroler dans les armees, d'entrer dans le clerge, de quitter meme la ville ou sont situes les biens qui leur donnent le rang de curiales. La desobeissance est punie par la confiscation de leurs biens. Ruinee par cette oppression, la classe des curiales disparut. Les uns se firent brigands sous le nom de bagaudes, et se mirent en lutte ouverte centre un gouvernement tyrannique. D'autres tomberent dans les classes infe- rieures et meme dans 1'esclavage. La depopulation allait toujours s'augmentant (2).
An i\e siecle, le panegyriste Eumene s'adressant a rempereur Constantin atteste combien etait deplo- rable 1'etat des Gaules. « Tu as pleure sur cette con- Iree, dit-il a 1'empereur ; car tu n'y as pas vu, comme
(1) Lanct., de mortibrnpersccut., c. 7 et 23.
(2) Les historiens modernes ont Irail6 cette question si complete- ment qu'il serait superflu d'y insister. Voy., entre autres, Guizot, Essais sur I'hist. de France ; Nandet , des changements survenus dans C empire romain de Diode lien a Constantin; Anied. Thierry, Histoire de la Gaule sous C empire romain; Laferriere, Histoiredu droit fran^ais , t. L
ADMINISTRATION ROMAINE. XXIII
dans les autres pays, des terres bien cultivees, d'un acces facile, des routes spacieuses, des fleuves navi- gables, baignant les portes memes des villes; mais, depuis le coude que forme la voie qui se dirige vers la Belgique, tout estdevaste, inculte, hideux, plonge dans le silence et les tenebres. La voie militaire est tellement herissee de pierres et coupee de rochers et de precipices, que des chariots a demi-pleins, ou m erne vides, peuvent a peine y circuler (1). » Com- ment s'etonner decette depopulation, lorsque, merne aux portes de Rome, dans la fertile Campanie (Cam- pania felix], on fut oblige de retrancher du role des contributions 528,042 arpents de terre qui restaient incultes faute d'habitants (2).
Ainsi cette administration romaine, qui paraissait si admirablement organisee et qui avait produit de si grandes choses, aboutissait a la ruine des provinces. Elle perissait par ses vices avant que les barbares vins- sentlui porter les derniers coups. Elle laissa cependant de puissants souvenirs. Les monuments qu'elle avait eleves, ses lois, sa langue, la plupart de ses institu- tions resterent debout et exciterent I'admiration des Merovingiens. A mesure qu'on s'eloigna de 1'empire, les abus et les vices de ce gouvernement s'effacerent;
(1) « Quibus illacrymasse te ipse confessus es. Vidisti enim non, ut per agros aliarum urbium, omnia fere culta, aperla, florentia, vias faciles, navigera flumina, ipsas oppidorum porlas adluentia; sed stalim ab eo flexu e quo via ducit in Belgicam, vasta omnia, in- culta, squalentia, muta, tenebrosa ; etiam mililaris via sic confra- gosa et alternis monlibus ardua atque praeceps ut vix semiplena carpenta, inlerdum vacua, transmittat. » Eumene, Actions de graces rcnducs a I'empereur Constant™, chap. 7.
(2) Code Theudosien, liv. XI, lit. 28, loi 2.
XXIV INTRODUCTION.
on ne vit plus que la grandeur de Rome. Les bar- bares de genie, Clovis, Theodoric et surtout Charle- magne chercherent a se rapprocher du gouvernement imperial ; le moyen-age fit revivre les municipes sous le nom de communes, et les societes modernes ont emprunte a Rome son droit et une partie de ses institutions.
§ III. — LES BARBARES. — I/EGLISE.
Les barbares, qui renverserent I'empire romain, furent impuissants pour organiser sur ses ruines une administration monarchique. Ce qu'ils aimaient, c'e- tait la guerre (1), le butin, les framees et les che- vaux distribues apres la victoire (2), les expeditions aventureuses (3), la liberte des campagnes (4), les longs festins (5) et les chasses d'automne au milieu de leurs forets. Sans doute on ne peut nier les ser- vices qu'ils ont rendus au monde degenere : la li- berte un peu tumultueuse de leurs assemblies (6) , le jugement par les pairs (7), et meme ce sentiment moral (8), qui, etoufle un instant par 1'ivresse de la victoire, devait reparaitre unjour, dans la chevale- rie religieuse et militairedes croisades. Mais quant a
(1) Tacite, Germanic ', ch. IZi.
(2) Ibid., 13.
(3) Ibid., 31.
(5)1 hid., 22. (6)/6iV/.,lletl2.
(8) Ibid., 18, 7 et 8.
GOUVERNEMEN'f I)ES BARBARE8. XXV
rorganisation administrative de i'empire romain, elle leur etait odieuse : les Francs ne voulurent jamais se soumettre a I'impot; pour n'en citerqu'une preu- ve, ils arracberent de 1'eglise de Treves et lapide- rent Partbenius qui avait tente de retablir la fis- calite romaine (1). Avec un pareil peuple, toute ad- ministration reguliere etait impossible.
Vainement les rois merovingiens prirent les titres remains de patrices et de consuls, remplacerent les peaux de betes feroces, leur premiere parure, par la toge romaine et ceignirent leur front du diademe. Vainement ils etablirent dans les provinces des dues et des comtes. Au lieu d'etre les representants du roi, les magistrats francs aspirerent a se rend re independants dans leurs domaines. foablis au mi- lieu de serfs, de gallo-romains et de leudes ou com- pagnons, qui relevaient de leur puissance, ils ren- daient justice, faisaient la guerre, battaient monnaie, en un mot ils exercaient tous les droits de souve- rainete. S'ils venaient a Tassemblee nationale ou mallum, c'etait pour y deliberer en armes et etouf- fer quelquefois par leurs murmures la voix du roi merovingien. Un passage de Gregoire de Tours donne une idee de ces scenes tumultueuses (2). II trace le tableau de 1'assemblee de 584, ou Teveque de Reims, Egidius, Gontram Boson et Sigiwald vin- rent, accompagnes de plusieurs leudes austrasiens, trouver Gontram, roi de Burgondie, et reclamer les
(1) Gregoire de Tours, ap. Script, rer. gallic. , t. II, p. 202.
(2) Histoire eccMsiastique des Francs, liv, VII, ch. 14,
XXV! INTRODUCTION.
villes qu'il avait enlevees a son neveu. Ce recit mon- tre a quel point, un siecle apres la conquete, la royaute etaitimpuissante en face de 1'aristocratie des leudes.
L'eveque Egidius prit le premier la parole : « Nous remercions le Dieu tout puissant, qui, apres tant de traverses, t'a rendu, roi Gontram, ates provinces et a ton royaume. » — « En effet, repondit Gontram , nous devons rendre grace au roi des rois, au sei- gneur des seigneurs. II a fait ces choses selon sa mi- serieorde : non pas toi, qui, dans un dessein per- tide et en usant de parjures, as porte la flamme dans mes provices; toi qui jamais n'as garde ta foi a personne, toi qui defends partout tes artifices, non en prelre, mais en ennemi de notre royaume. » — La colere einpecha 1'eveque de repondre. Mais un autre des deputes prit la parole : « Ton neveu Chil- debert te prie d'ordonnerqueles villes possedees par ton pere lui soient rendues. » — Sur quoi, le roi re- prit : « Je vous ai deja dit qu'elles sont a moid'apres nos conventions, et que jene veuxpas les restituer. » Un autre ajouta: « Ton neveu demande que tu re- remettes entre ses mains Fredegonde, afin qu'il venge la mort de son pere, de son oncle et de ses cousins. )> Mais Gontram repondit : « Je ne le pourrais, attendu qu'elle a pour fils un roi. De plus, je ne crois pas vrai ce dont vous 1'accusez. » Alors Gontram Boson s'avance pour parler; mais le bruit s'etant repandu que Gondovald avait etc proclame roi, Grontram Ta- postrophe ainsi : « Ennemi du pays et du royaume, pourquoi as-tu passe en Orient pour appeler ce Bal-
GOUVERNEMENT DES BARBARES. XXVII
lomer (c'e"tait le nom qu'il donnait a Gondovald) et 1'amener dans nos fitats? Tu as toujours ete perfide, et jamais tu n'as su tenir ta parole. » — « Tu es roi et seigneur, repliqua Boson ; tu es assis stir le trone, et personne n'ose contredire ce que tu avances. Mais je me declare innocent de ce que tu m'imputes. Que si quelqu'un de mon rang m'a accuse secretement de quelques torts, qu'il se presente actuellement en plein jour, et qu'il parle; et toi, tu soumettras la cause au jugement de Dieu, en champ clos. » — Chacun se taisant, le roi reprit : « Tons devraient rivaliser d'ardeur a repousser cet etranger , en pen- sant que son pere faisait tourner un moulin. Oui, je vous le dis en verite; son pere tenait les cardes et epluchait la laine. » — Un des deputes osa faire re- marquer au roi la contradiction de ses paroles : « Com- ment done! d'apres ce que tu dis, il aurait eu deux peres, 1'un meunier, 1'autre ouvrier en laine. Prends garde, 6 roi; car on n'a jamais ou'i dire, sauf en ma- tiere spirituelle, que personne put avoir deux peres a la fois. »
A ces mots , 1'assemblee eclata de rire. Enfin un autre depute conclut en ces termes : « Nous prenons conge de toi, 6 roi ! mais, puisque tu n'as pas voulu restituer a ton neveu ses villes, nous savons que la hache qui a frappe la tete de tes freres n'est pas encore emoussee, et que bientot elle abattra la tienne. »
II partirent apres avoir profere ces menaces , et le roi, coummce» fit jeter sur eux du fumier et des balavures d'ecurie ; leurs habits en furent souil-
XXVIII INTRODUCTION,
les, et ils partirent au milieu des huees de 1'assem- blee. »
Dans une societe ou ces scenes de violence et d'anarchie etaient continuelles, il n'y avait pas d'ad- ministration possible : les voies romaines furent abandonnees, et Brunehaut est restee celebre pour en avoir fait retablir quelques parties. Des epreuves, qu'on appelait le jugement de Dt'eu, decidaient de la eulpabilite ou de 1'innocence d'un accuse; Tin- dustrie se reduisait aux metiers de premiere ne- cessite, et le commerce ne pouvait se faire qu'a main armee, temoin le franc Samon, chef des ca- ravanes de marchands, qui se frayaient par la guerre un chemin a travers la Germanie et allaient jusqu'a Constantinople (1). Une ordonnance deDagobert pour Vetablissement de la foire de Saint-Denis est pres- que le seul acte administratif de cette epoque en fa- veur du commerce (2).
La vie intellectuelle s'etait tout entiere refugiee dans 1'Eglise. C'etait le Christianisme qui inspirait les ecrivains, et qui relevait les ames en leur mon- trant au-dela des tristes epreuves de cette vie la re- compense reservee a la vertu. Mais son role ne se borna pas a cette mission toute spirituelle; la reli- gion tut le lien entre les vainqueurs et les vaincus que divisaient les baines de race et les rivalites d'in teret. L'eveque, devenu \eddfenseur de la rt^,prote- gea la population urbaine contre la violence des bar-
(1) Script, rer. gallic, et franc., t. II, p.
(2) 76M.,1V, 627.
INFLUENCE DE I/EGLISE. XXIX
bares. Dans les campagnes , les moines donnerent 1'exemple du travail libre consacre par la reli- gion (1), et defricherent une partie de la Gaule. L'affranchissement des esclaves fut encore un des bienfaits du Christianisme; il s'accomplit insensible- ment au milieu des violences qui semblaient devoir aggraver et perpetuer la servitude. L'Eglise avait ou- vert un asile a tons les opprimes et spe*cialement aux esclaves. « Quelquefois, dit saint Augustin (2), ces hommes soumis a un joug inique se refugient dans 1'Eglise qui leur assure la liberte. » Beaucoup de ces esclaves furent ordonnes clercs. Le n ombre en de- vint si considerable que les conciles s'en emurent et interdirent les ordinations d'esclaves (3) ; nean- moins , elles furent si frequentes , que, du temps de Charlemagne et de Louis-le-Debonnaire , beaucoup de clercs et meme d'eveques etaient d'origine ser- vile (4). A cette cause d'affrancbissement dont 1'in- fluence a ete considerable, il en faut ajouter plu- sieurs autres : le clerge ne cessait de repeter,
(1) La regie de saint Benolt (ch. XLVIII , de opere manuum quoticliano) imposait au moins six heures de travail manuel par jour.
(2) « Aliquando illicito jugo et improbo subject! fugiunt ad Eccle- siam , qua retinentur ingenui a servitute. » Super Joann., pars I , tract. IZu
(3) Voy. le canon 6e du concile d'Orl^ans tenu en 549 (Collect, des conciles de Labbe , V, 392). Le concile de Francfort (794) de"- fendaussi ces ordinations : « De servis alienis ut a nemine recipiantur neque Jib episcopis sacrenlur sine licentia dominorum (Ibid., VII, 1061.)»Louis-le-Del)onnaire,en renouvelant ces prohibitions (Ibid., p. 1480), constate que les ordinations d'esclaves Etaient frequentes: « De servorum ordinatione, qui passim ad ecdesiasticos gradus indiscrete promovebantur. »
(4) Tl^gan, Vie de Louis-le-Debonnaire, ch, 43.
I. 3*
XXX INTRODUCTION.
comme 1'avaient fait anterieurement les jurisconsultes remains, que tons les hommes sont egaux (1); il ajoutait que c'etait une oeuvre meritoire de donner la liberte a ses esclaves (2) , et il pratiquait avec zele ce precepte chretien. Est-il necessaire de rappe- ler 1'eveque de Toulouse, saint Exupere, vendant les vases sacres pour racheter les captifs; saint Pau-
(1) Saint Augustin, Explication du psaume 12Zi (edit, des B<§ne"- dictins, t. IV, p. 1415) : « Sunt domini, sunt et servi, diversa sunt nomina; sed homines et homines paria sunt nomina. » — Home- lie Zi3e du meme pere sur FOraison dominicale : « Pater noster, hoc dicit dominus, hoc dicil servus ejus. Simul dicunl : Pater nos- ter. Intelligunt ergoseesse fratres. » — Saint Ambroise parle aussi de Tegalile de tons les iiommes : « Eadem nalura omnium mater est hominum,et ideo fratres sumus omnes. » (Ambros., de Noe et area, XXVI, § 9/i). —La meme doctrine est souvenl reproduite par les e"crivains dumoyen-age: Theodulfe, e"veque d'Orleans £ Fepoquede Charlemagne, exhorlant les esclaves aobeMr a leurs maitres, dit que ce ne sera pas d'apresleur naissance,mais d'apres leurs oeuvres,que les hommes meriteront d'elre recompenses : « Apud Dominum anima uniuscujusque non est nobilitate discernenda, sed opere ; nee genere, sed actione. » (Ap. Spicilegium, I, 257). — Raban Maure, dans son commentaire sur la premiere epitre de saint Pierre, com- pare au Christ souffrant les esclaves qui supportent avec patience les injures et les mauvais traitements de leurs maitres : « Notan- dum altentius quam summe servorum conditionem glorificet, quos benefacienteset absque culpa vapulantes a dominiscrudelibus etim- probis, imitatores esse dominion passionis affirmat. » Ralhier de Verone (ap. Veter. script, ampliss. collect., IX, 806) insiste aussi sur Fegalite des hommes devant Dieu : « Sive servus , sive liber, omnes in Christo unum sumus , et sub uno domino aaqualem servi- tutis militiam bajulamus, quia non est apud Deum personarum ac- ceplio, solummodo in hac parte apud ipsum discernimur, si melio- res aliis operibus bonis et humiles inveniamur. »
(2) Greg, de Tours, Hist, eccle'siastiq. des Francs, liv. VI, ch. 8. — Lcttres de Gregoire-le-Grand , liv. VII, ep. 13. — Cf. Sma- radge, au chap. 30 du traite de via regia: « Inter alia praecepta sa- lutaria et opera recta 5 propter nimiam illius charitatem, unusquis- que liberos debet dimittere servos. » Ap. Spicilegium, in-f°, 1. 1, p. 258.
INFLUENCE DE I/EGLISE. XXXI
lin sc sournettant lui-meme a 1'esclavage pour delivrer ses freres (1); saint Eloi, eveque de Noyon, employant ail meme usage les richesses de son egli- se (2) ; Gregoire-le-Grand affranchissant tous les es- claves des domaines ecclesiastiques? Ce pape ecri- vait (3) : « Notre redempteur a pris notre chair pour nous delivrer de Tesclavage du peche, et nous, nous devons rendre a la liberte ceux qui en ont ete prives par la loi des nations. »
C'etait ordinairement dans 1'eglise, en presence de 1' eveque que les affranchissements avaient lieu, et la formule pour le salut de mon dme indique assez que la religion inspirait la plupart de cesactes (4). Ainsi 1'Eglise, pendant qu'elle prechait aux esclaves la resignation et leur montrait la celeste patrie comme recompense de leurs souffrances ici-bas, travaillait avec une energique perseverance a assurer leur eman- cipation. Mais elle ne fit pas de cette revolution un bouleversement social; elle parvint a accomplir le plus grand changement dansl'etat des personnes par la conquete progressive des ames et en persuadant aux maitres de renoncer a leurs droits et d'affran- chir eux-memes leurs esclaves (5). Des le xne sie-
(1) Gr^goire-le-Grand, Dialog., liv. Ill, c. I.
(2) Vie de saint £loi par saint Ouen, dans le Spicilfye; ed. in-f°, t. I, p. 628.
(3) Leltre de Gregoire-le-Grand, liv. VI, lettre 12. — Voy. ausssi la Vie dc Gregoire-le-Grand, par Paul Diacre, liv. Ill, § 2.
(7i) Voy. du Cange , GLossarium media? et infimce latinitatis, v° SERVUS. — Martene, Thes. anecdot., I, 755 : « Notum sit omnibus, quod ego pro remedio meorum peccaminum, hoc manumissionis instrument, do tibi, servo meo, meam liber latem, etc. »
(5) « Jamais, dit Hugues de Saint-Victor, 1'Eglise n'a regard^ 1'es-
XXXII INTRODUCTION.
cle 1'esclavage avait completement disparu de la France, sous 1'influence de cette douce et irresisti- ble persuasion.
On ne peut nier, alavuede pareils resultats, la salutaire action du Christianisme sur la societe. Mais son influence a ete surtout morale; elle a contribue a relever les ames abattues ; elle a ameliore la condi- tion des classes inferieures, rapproche les rangs, eleve a la dignite d'hommes des etres degrades que 1'antiquite ne considerait que comme des choses ; elle a donne 1'exemple d'une bierarchie bien constitute ou 1'autorite etait forte sans tyrannic et I'obeissance docile sans servilite. Ses assemblies, animees d'une vie puissante, discutaient avec calme les plus hau- tes questions politiques et religieuses. En un mot, 1'Eglise a beaucoup fait pour la regeneration mo- rale; mais, quant aux details de 1'organisation admi- nistrative, elle s'en est pen occupee. Imbue de 1'es- prit romain , elle ne cessa de favoriser les rois qui voulurent retablir les traditions imperiales ; Clovis, Dagobert, Charlemagne trouverent, dansleclerge, un auxiliaire devoue. II semblait avoir pris pour devise les vers ou Sidoine Apollinaire exprime son attache- ment aux mines de Tempire (1) : « Nous croyons
clavage comme un bien ; elle n'a fait que le tole'rer comme un mal.» Won Ecclesia quasi bonum recipit, sed quasi malum tolerat. OEu- vres de Hugues de Saint-Vic tor, e"dit. en 3 vol. in-f° ; Rouen, 1650, t. I, p. M5 A.
(1) « Sanctumque putamus
Rem veterem per damn a sequi ; portavimus umbram
Imperil, generis content! ferre vetusti
Et vitia, et solitam vestiri murice gentem
Moremagisquam jure pati,»Sidon, Apoll,, Paneg, Aviti^y. 540, sq,
CHARLEMAGNE. XXXIH
que c'est un devoir sacre de rester fideles aux anti- ques traditions, meine au milieu des desastres. Nous supportons le poids de 1'ombre imperiale, resignes a souffrir les vices de cette race decrepite, et soumis par habitude au joug du peuple qui se revet de la pourpre. » Le clerge s'associa, par ses voeux et son concours, a toutes les tentatives de restauration de 1'empire ; mais, quelque puissant qu'il fut, il ne put en assurer le triomphe. Ilconserva, dumoins, precieuse- ment les souvenirs de 1'unite imperiale , et plus tard il seconda les efforts que fit la royaute pour retablir I'administration romaine en 1'animant d'un esprit nouveau (1).
§ IV. — CHARLEMAGNE, — LES CAPITULAIRES.
Charlemagne fut, de tous les rois francs, celui qui tenta le plus puissant effort pour organiser une administration unitaire. Ses capitulaires attestent a la fois son energie et son impuissance. II retablit 1'usage des assemblies nationales, tombees en de- suetude sous les derniers Merovingiens. Deux fois par an, les eveques et les guerriers francs, convo- ques par 1'empereur, se reunissaient dans un champ de mai, pour deliberer sur les interets publics; mais 1'assemblee se bornait a donner un avis; Charle- magne se reservait exclusivement la decision (2). Le pouvoir central etait fortement coristitue.
(1) Voy. le § VI de cette introduction.
(2) Cf. le traite d'Hincmar, De ordine patatii,
XXXIV INTRODUCTION.
La principale difficult^ consistait a faire penetrer dans les provinces les ordres du souverain et a en as- surer 1'execution : depuis longtemps les voies de communication etaient abandonnees ; les chefs francs, les comtes el les dues s'efforgaient de se rendre inde- pendants dans leurs domaines, et se faisaient preter serment de fidelite par leurs vassaux. II s'etablis- sait une hierarchic, qui tendait a soustraire a 1'auto- rite de 1'empereur la plupart des guerriers pour les placer sous la dependance immediate des grands pro- prietaires. Les capitulaires de Charlemagne attestent le mal, sans oser le detruire, tant il etait profon- dement enracine: « Quant au serment de fidelite, on ne doit pas le preter a d'autres qu'a Tempereur et a son propre seigneur (1). » Deja la puissance du sei- gneur sur son vassal etait reconnue.
Charlemagne s'efforc.a, du moins, d'attenuer le mal en reconstituant et fortifiant la classe des homines li- bres. Un grand nombre de guerriers francs, d'ahri- mans, avaient ete obliges, au milieu des violences d'une societe livree a 1 anarchic, d'implorer la pro- tection d'hommes puissants. Us etaient devenus leurs vassaux. Les anciennes formules donnent un mo- dele de la declaration, par laquelle un homme libre se plagait sous la protection ou mainbour (munde- burgis] de quelque leude capable de le defendre : « Comme il est bien connu de tous que je n'aipas les
(1) De juramento, ut nulli alteri per sacramentum fidelitas pro- iirittatur, nisi nobis et unicuique proprio seniori. Ap. Script, rer. gallic. etfranc.,V9 613 A.
ADMINISTRATION DE CHARLEMAGNE. XXXV
moyens de me vetir et de me nourrir, j'ai demande a votre pitie, et telle est ma volonte, que, selon que je pourrai vous servir et meriter de vous, vous ayez a m'aideret a m'entretenir d'habits etd'aliments. Et, de mon cote, je m'engage, tantque je vivrai, a vous ren- dre, comme un homme libre, service et obeissance, et a ne jamais me soustraire a votre pouvoir et main- hour 9 mais a rester tous les jours de ma vie sous vo- tre protection (1). » Lemainbord, comme on disaitau moyen-age, devenait le vassal de son defenseur. Ce fut surtout contre cet usage qui affaiblissait 1'auto- rite monarchique, que Cbarlemagne lutta avec plus de vigueur que de succes.
L'empereur prit specialement les homines libres sous sa protection ; il les dispensa de faire des pre- sents aux comtes et aux vicomtes, et de Hen donner de leurs pres, de leurs moissons ni de leurs vigno- bles; il les exemptades droits que percevaientles ma- gistrats pourfrais de voyage, excepte dansle cas ou le service de 1'empereur 1'exigerait (2). Les homines li- bres furent egalement dispenses de venir aux plaids ou assemblies que les comtes tenaient tous les mois, a moins qu'ils n'y fussent int^resses comme deman- deurs ou defendeurs dans un proces. Les scabini et les vassaux du comte etaient seuls tenus de compa- raitre a ces plaids particuliers. Enfm Charlemagne
., II, A9/i.
(2) Ut liberi homines nullum obsequium comitibus faciant nee vicariis, neque in prato, neque in messe, neque in aralura aut vi- nea,et conjectum ullum vel residuum eis resolvant,excepto servitio quod ad regem pertinet, Ap. Script, rer. gall, et franc. , V, 666 E.
XXXVI INTRODUCTION.
defendit formellement aux puissants d'employer la violence pour contraindre les homines libres a leur vendre ou a leur livrer leurs domaines.
Afm d'assurer dans tout 1'empire 1'execution de ses ordres, Charlemagne institua des magistrats specia- lement charges de parcourir ses etats et d'en surveil- ler 1'administration. Les missi dominici devaient vi- siter quatre fois par an les diverses parties de F em- pire. Deux de ces magistrats, un ecclesiastique et un laique, parcouraient ensemble la contree soumise a leur inspection et que Ton appelait missaticum; ils y e*taient loges et entretenus, ainsi que leur escorte, aux frais des habitants. Aussitot apres leur arrivee danslavilleprincipale, ils convoquaientune assembler a laquelle les eveques, les comtes et les principaux leudes de la contree etaient tenus de se rend re. Comme les missi dominici ne pouvaient inspecter par eux-memes toutes les parties du missaticum, ils recueillaient les renseignements capablesde les eclai- rer et de suppleer a une visite personnelle ; ils desi- gnaient ensuite des subdelegues (missi inferiores] charges de visiter les diverses localites. Les missi dominici nommaient encore dans ces assemblies les scabini, qui devaient rendre la justice, et re- cevoir les plaintes relatives aux impots et a toutes les parties de radministration. Ils pouvaient punir les magistrats prevaricateurs, et on les voit autorises par les capitulaires (1), a s'etablir chez ceux qui
(1) Si vassus nosier justitias non fecerit, tune et comes et missus ad ipsius casam sedeant et de suo vivant, quousque jusliliam facial. Ap. Script, rer. gall, et franc., V, 647 E.
ADMINISTRATION DE CHARLEMAGNE. XXXVII
n'obeissaient pas aux lois et a y vivre a discretion jusqu'a ce qu'ils se soumissent (1).
La surveillance des missi dominici embrassait tous les details du gouvernement, justice, service militaire, finances, commerce, Industrie, relations des puissances temporelle et spirituelle, instruction publique. Charlemagne, au milieu de ses guerres perpetuelles, nenegligeaaucunedeces brandies d'ad- ministration, etles capitulaires sont tres-souvent des reponses auxmissi dominici qui consultaient rempe- reur sur les points en litige. L'administration de la justice fut mise en harmonie avec 1'orgam'sationd'un empire, ou la pensee souveraine descendant du trone devait dominer en tous lieux. Lesjuges, au lieu d'etre comme chez les Francs des racliimbourgs, ou jures charges deprononcer surle sort de leurs pairs, devin- rent des magistrats royaux. L'ernpereur put exiger que leurs sentences fussent conformes aux lois ecri- tes (2). II recommande, dans ses capitulaires (3) , aux comtes et aux vicomtes de connaitre la loi pour empecher qu'on ne prononce des sentences injustes ou que la loi ne soit changee.
Une hierarchic de tribunaux fut etablie. Le cente-
(1) On peut consuller, sur les missi dominici , outre les Capitu- laires, un traite special de Fr. de Roye, intitule De missis domi- nicis. (Angers, 1672, in-A°.)
(2) Ut judices secundum scriptam legem judicent. Ap. Script, rer. gall, et franc., V, 660 A.
(3) Ut eomites et vicarii legem sciant, ut ante eos injuste nemi- nem quis judicare possit, \7el ipsam legem mutare. Ibid., 664 E,
XXXVIII INTRODUCTION.
nier, ou magistral prepose a la subdivision du comte appelee centaine, ne pouvait condamner ni a 1'escla- vage ni a la peine de mort (1). II n'avait que la basse justice. Les comtes et missi dominici recevaient les appels des tribunaux inferieurs, et jugeaient les af- faires capitales. L'empereur lui-merne s'etait reserve la decision dans un certain nombre decas. Les cau- ses des eveques, des abbes, des comtes et en general des grands etaient portees a son tribunal (2), et il avait seul le droit de prononcer sur ces questions. Le comte du palais, qui etait le grand juge de 1'em- pire carlovingien, ne devait s'occuper de pareilles af- faires que surl'ordre de 1'empereur (3).
Comme les appels auraient pu devenir abusifs, les capitulaires y mirent des restrictions et condamne- rent a des peines afflictives ceux qui n'auraient pas epuise la hierarcbie judiciaire avant de porter leur cause an tribunal de 1'empereur. Pepin-le-Bref avait deja interdit cet abus : « Si quelqu'un se presente dans notre palais pour un proces, sans 1'avoir porte anterieurement au tribunal du comte dans le mallum, qu'il soit cbatie. Dans le cas ou ce serait un person-
(1) lit nullus homo in placito centenarii neque ad mortem neque ad libertatem suam amittendam judicetur. GapituL , ed. Baluze, 1.497.
(2) Voy. le capit. d'Aix-la-Chapelle de Panned 812, art. 2 : «Epis- copi, abbates, comites et polenliores quique, si causam inter se ha- buerint ac se pacificare noluerint, ad noslram jubeantur venire pira- sentiam. » Ibidem.
(3) Ibidem : « Gomes palatii nostri potentiores causas sine noslra jussione iinire non prsesumat, sed tan turn ad pauperum et minus potentium justitias faciendas sibi sciat esse vacaudum. »
ADMINISTRATION DE CHARLEMAGNE. XXXIX
nagc eminent, qu'il restea la discretion clu roi (1). » La nature des chatiments est nettement indiquee dans un capitulaire de Charlemagne : « Que si quel- qu'un ose reprendre dans le mallum un proces deja juge et qu'il soit convaincu par la deposition des te- moins, il sera condamne a payer une amende de quinze sous, ouil recevra quinze coups de baton des scabini, qui auront juge anterieurement son af- faire (2). » Cependant Charlemagne etait loin de se soustraire au devoir de juge. Eginhard atteste, au contraire , qu'il etait sans cesse occupe a remplir cette fonction : « Pendant qu'il s'habillait, il ne re- cevait pas seulement ses amis; si le comte du pa- lais lui annongait qu'il y avait quelque proces qui nepouvait etre juge que par lui, il ordonnait d'in- troduire immediatement les parties (3). » Le nom- bre des appels etait si considerable que le palais imperial etait trouble par les cris des plaideurs (4). La legislation carlovingienne admettait les epreu- ves et principalement Cepreuve de la croix, qui cori- sistait a rester le plus longtemps possible les bras
(1) Si aliquis homo ad palatium venerit pro causa sua, et antea ad comitem non innotuerit in mallo, vapuletur. Et si major persona fuerit, in regis arbitrio erit. Monumenta Germanics liistorica, ed. Pertz , t. Ill, p. 31.
(2) Voy. Capitula addita ad legem salicam, ann. 803, § 10 : «Si quis causam judicalam repetere prassumpserit in mallo, ibique testi- bus conviclus fuerit, aut quindecim solidos componat, aut quinde- cim ictus a scabineis, qui causam prius judicaverunt, accipial. »
(3) Eginhard, Vie de Charlemagne , chap. 2Zi.
(U) De clamaloribus qui magnum impedimenlum faciunt in pala- lio ad aures domini imperatoris. Gapitul. d'Aix-La-Ghapelle , de 1'annee 810, § 1. Ap. Baluze, I, 473.
XL INTRODUCTION.
etendus en croix. Celui des plaideurs, qui supportait cette epreuve avec le plus de perseverance, avait gain de cause. « S'il s'eleve a 1'occasion des limites des etats, dit le capitulaire de 806 relatif a la division de 1'empire carlovingien (1), quelque contestation que Ton ne puisse terminer et decider par le temoignage des hommes, alors nous voulons qu'on ait recours au jugement de la croix pour connaitre la volonte de Dieu et la verite du fait. »
Le service militaire fut regulierement organise par Charlemagne. II determina ceux qui y etaient as- treints, la nature des armes qu'ils devaient avoir, les munitions necessaires pour 1'armee et fixa la duree des campagnes. Tout proprietaire de quatre manses (2) devait etre pret, a la premiere sommation, a prendre les armes et a marcher contre 1'ennemi. Ceux qui n'avaient pas quatre manses se retinissaient a d'autres proprietaires, de maniere a fournir le contingent (3). Les armes exigees de ceux qui devaient le service inili- taire etaient une lance, un bouclier, un arc, deux
(1) « Si causa sive conlroversia tails inter partes propter ter- minos aut confmia regnorum orta fuerit, qua3 hominum testimo- nio declarari vel defmiri non possit, tune volumus ut ad declaratio- nem rei dubia3 judicio crucis Dei voluntas et rei veritas inqui- ratur. » § l/i. Ap. Baluze, I, Zi/iZi.
(2) La contenance du manse a beaucoup vane". Cependant on Te"- value ordinairement a douze arpents.
(3). « Ut omnis liber homo, qui quatuor mansos vestitos de pro- prio suo, sive de alicujns beneficio habet, se praparet, et ipse in hostem pergat, sive cum seniore suo. Qui vero tres mansos de pro- prio habuerit , huic adjungalur qui unum mansum habeat , et det illi adjulorium ut ille pro ambobus ire possit , etc. » Voyez le Capi- tulaire de §12, ap. Script, rer. gallic, et franc., V, 683 D,
ADMINISTRATION DE CHARLEMAGNE. XLI
cordes, douze fleches, une cuirasse et un casque (1). On leur imposait ^obligation de se munir de vivres pour une campagne de trois mois et de vetements pour six. Les missi dominici etaient charges de tenir un role exact de tous ceux qui possedaient des benefices et du nombre d'hommes domicilies dans leurs domaines (2).
Charlemagne defendit aux seigneurs de lever des hommes d'armes et de les prendre a leur solde ; ce que Ton appelait alors se faire une trust ou escorte guerriere (3). II interdit severement les guerres pri- vees, et punit de l'emprisonnement (4) ou meme de la mutilation de la main ceux qui, apres avoir pro- mis d'observer la paix, se rendraient coupables de parjure (5). Ces efforts pour lutter contre 1'anarchie feodale ne purent triompher de la tendance de cette epoque qui avait mis la souverainete dans les mains des petits seigneurs isoles ; ilsavaientusurpe le droit de guerre privee, et, vers la fin de son regne, Char- lemagne fut oblige de le leur reconnaitre : « Siun sei- gneur, dit-il dans le capitulaire rendu a Aix-la-Cha-
(1) Capital., ed. Baluze, 1. 1, p. 508 et 509.
(fj) Capit. d'Aix-la-Chapelle de 812, §5 : « Ut missi nostri dili- genterinquirant et describere faciant, unusquisque in missatico, quid unusquisque de beneficio habeat, vel quot homines casatos in ipso beneficio. » Ap. Baluze, I, 497.
(3) De truste facienda nemo praesumat. Capilul. ap. Script, rer. gall, et franc., V, 647 G.
(A) Si quis pro faida pretium recipere non vult, tune ad nos sit Iransmissus, et nos eum dirigemus ubi damnum minime possit fa- cere. Ibid., p. 647-648.
(5) Sifaidosus quis sit , et si post pacificationcra allerum oc-
ciderit, componat ilium, el manum quam perjuravit perdat , et in- super bannum dominicum solvat. Ibid., p, 672 C.
INTRODUCTION.
pelle en 813 (1) , veut avec ses fideles marcher contre ses ennemis et qu'il ait convoque quel- qu'im de ses pairs pour lui venir en aide, dans le cas ou ce dernier n'obeirait pas, il doit perdre le be- nefice qui lui a ete accorde, et sa terre sera donn6e a ceux qui seront restes fideles. » C'etait s'avouer vaincu et proclamer la souverainete des seigneurs. Mais le mauvais succes ne doit pas empecher de re- connaitre ce qu'il y eut d'utile et de vigoureux dans les essais administratifs de Charlemagne. II en fut de meme pour les monnaies, les peages, la surete des communications et le commerce.
Les comtes, les dues, les grands proprietaires usurpaient le droit de battre monnaie, Charlemagne le leur interdit et defendit de battre monnaie ail- leurs que dans son palais (2). II prohiba les pe- ages illicites, qui entravaient le commerce (3). II eut voulu etablir 1'egalite de poids et de mesures qui ne devait triompher des resistances lo- cales que dix siecles plus tard (4). Les ordres adresses aux gouverneurs des provinces pour veil-
(1) § 20 : « Si quis de fidelibus suis contra adversarium sunm pu- gnam aut aliquod certamen agere voluerit, et convocaverit aliquem de ccmparis (comparibus?) suis lit ei adjutorium praebuisset,et ille noluit et exinde negligens permansit , ipsum beneficium quod ha- buit auferatur ab eo, et detur ei qui in stabilitate et fi deli tale per- mansit. » Ap. Script, rer. gallic, et franc., V, 688 A.
(2) De falsis monelis, quia in multis locis contra justitiam et con- tra edictum nostrum fiunt, volumus ut nullo atio loco moneta sit, nisimpalatio nostro. Capit. ap. Script, rer. gall, et franc. , t. V, p. G73 E.
(3) Ibid., p. 664 D, et 667 D.
(4) De mensuris, ut, secundum jussionem nostram,^?m/^5 fiant. I6irf.,p. 663 E.
ADMINISTRATION BE CHARLEMAGNE. XLIII
ler a la surete des marchands, attestent la sollici- tudc de Charlemagne pour le commerce. Les stations nu'nagees aux marchands etaient reglees : au nord, Magdebourg,Zell,Bardenwich(presdeHambourg);au centre, Erfurt, et,au sud, Ratisbonne et Lorch sur le Danube (I). Si Charlemagne interdit les ghildes, ou associations que formaient les ouvriers, c'est qu'il y avait des restes de paganisme dans les ceremonies symboliques par lesquelles on les consacrait; mais il ne prohiba nullement les associations de secours mutuels contre les incendies et les naufrages (2).
Je n'insiste pas sur 1'administration financiere qui fut toujours la partie la plus faible de 1'empire fonde par les Francs. Les metairies imperiales, qui for- maient le domaine de 1'empereur, etaient sa princi- pale richesse. Aussi Charlemagne ne les a-t-il pas ne"- gligees. Dans un capitulaire special sur ses melairies (devillis}, il present les mesures necessaires pour en assurer la bonne administration. Quant a la regula- rite des impots, que les rois precedents avaient vain- nement tente d'etablir, Charlemagne ne fut pas plus heureux. II se borna a ordonner que partout ou Ton avait droit de prelever des taxes sur les personnes et sur lesbiens, elles fussent pergues au profit du tresor royal (3). Mais rien n'etait specific, et c'est seulement
(1) Apucl Script, rer. gall, et franc., t. V, p. 672 D.
(2) De sacramentis pro ghildonia invicem conjurantibus, lit nemo facere prassumat. Alio vero modo de eorum eleemosynis, aut de in- cendio, aut de naufragio, quamvis convenientiam faciant, nemo in hoc jurare prsesumat. Ibid., 6!i7 D.
(3) Census regalis, undecumque legitime exiebat,volumns ut inde solvatur, sive de propria persona horainis, sive de rebus. Ibid., p. 675 D.
XHV INTRODUCTION.
dans un chroniqueur posterieur de pres d'un siecle et d'ailleurs peu cligne de confiance, que 1'on trouve des details precis surune partie de 1'impot. Le moine de Saint-Gall fait dire a un personnage qui s'a- dresse a Charles-le-Gros : « La Germanie, du temps de votre glorieux pere (Louis II ou le Germanique), payait un denier par paire de boeufs ou par manse des possessions royales (1). »
Les capitulaires sont remplis de details sur la discipline ecclesiastique. Charlemagne, seconde par Alcuin et les hommes les plus eminents du clerge, s'efforc.a de reprimer les abus qui s'etaient introduits dans 1'Eglise. II defendit aux pretres de verser le sang (2), d'aller a la chasse, de parcourir les fo- rets avec des chiens et d'entretenir des eperviers et des faucons (3) . Les moeurs feodales, avec leur vio- lence et leur licence grossiere, commenc,aient a enva- hir 1'Eglise ; Charlemagne s'efforca de la ramener a une discipline plus severe. II combla de biens le clerge, et en fit un instrument puissant de civilisa- tion ; mais, en meme temps, il reprimait 1'avidite de certains clercs qui s'enrichissaient au detriment des families. « Nous les prierons,>disait-il (4), de nous expliquer nettement ce qu'ils appellent quitter le monde et prendre Dieu pour son partage; si c'est avoir quitte le monde, que de travailler sans cesse a
(1) Ap. Script, rer. gall, et fr., V, 126 E.
(2) Ut sacerdotes neque christianorum neque paganorum sangui- nem fundant. Capit., ed. Baluze, I, 191.
(3) Omnibus servis Dei venationes et sylvalicas vagationes cum canibus, et ut accipitres et falcones non habeant, interdicimus.
(4) Tome VII du recueil des conciles par Labbe, p. 1180,
ADMINISTRATION DE CHARLEMAGNE. XLV
augmenter ses revenus en promettant le paratlis, et en menagant de 1'enfer pour persuader aux persou- nes simples de se depouiller de leurs biens et d'en priver leurs heritiers legitimes. »
Ranimer les lettres, qui depuis plusieurs siecles etaient tombees dans un e"tat deplorc^ble, fut encore un des principaux soins de Charlemagne. Alcuin 1'y excitait dans ses epitres : « Peut-etre, disait-il (1), verra-t-on se former une nouvelle Athenes, et meme bien superieure a I'ancienne, puisque, sous 1'empire du Christ, elle surpassera la science de 1'Academie. L'unen'etait eclaireequeparla science platonicienne; 1'autre, enrichie par les dons du Saint-Esprit, 1'empor- tera sur la sagesse mondaine, » Ces esperances un peu chimeriques contribuerent du rnoins a reveiller le gout des travaux de 1'esprit. Charlemagne forma dans son palais meme une ecole oil il allait s'asseoir et discuter avec les hommes les plus eminents de 1'e- poque, les Alcuin, les Eginhard, les Theodulfe, les Angilbert, etc. II ordonna que les monasteres et les eglises cathedrales entretinssent des ecoles (2); on y enseignait le chant, la musique, le calcul et la grammaire (3). Les pretres devaient entretenir des ecoles j usque dans les villages, et instruire avec charite tous les enfants que leur confieraient les fa- milies, sans exiger aucune retribution (4). On a pu
(1) £pit. 71 : « Forsan Atlienae nova perficeretur in Francia , imo multo excellenticr, etc. »
(2) Capitul., ed. Baluze, I, 201 et suiv.
(3) Ibid., 237.
(A) Voy. le capitulaire cit6 par Launoi dans son trait£ De scholis celebrioribus : « Presbyteri per villas et vicos scholas habeant , et, I. 4*
XLVI INTRODUCTION.
nier le merite des oeuvres litteraires produites par les ecoles carlovingiennes; mais ce quiest incontestable, c'est que les esprits jusqu'alors engourdis sortirent de leur torpeur, et que le mouvement intellectuel, entretenu par les disciples d'Alcuin, se propagea jusqu'en Germanie.
Ainsi Charlemagne , malgre des luttes sanglantes et perpetuelles centre les barbares, ne negligea au- cun des details de 1'administration, parcourant sans cesse son vaste empire pour porter la main partout ou redificemenacaitruine. Les mm" dominici etaient reellement, sous ce regne, les yeux et les oreilles de 1'empereur, surveillant I'execution de ses ordonnances et provoquant les reformes. De pareils efforts me- ritent 1'admiration; dans une societe ou tout etait divise , Charlemagne avait voulu tout reunir ; la ou il y avait diversite de races, de langues, d'inte- rets, il avait voulu creer V unite de gouvernement et d'administration. Son genie seul et son activite mer- veilleuse avaient pu triompher momentanement de pareilles difficultes, et encore fut-il oblige , vers la fin de son regne, de s'avouer vaincu et de faire des concessions aux seigneurs feodaux. II reconnut leur droit sur leurs vassaux : « Que personne, disait-il dans le capitulaire de 813 (1), ne quitte son seigneur des qu'il en aura rec,u un sou , a moins que le sei-
si quilibet fidelium suos parvulos ad discendas litleras eis com men - dare vult, eos suscipere ad (ac?) docere non renuant, sed cum summa caritale eos doceant.... cum ergo eos decent, nihil ab eis pretii pro hac re exigant. » (1) Capitul, d'Aix-la-Chapelle (813), § 16: « Quodnullus seniorem
CARLOVINGIENS. XLVII
gneur ne veuille le tuer, le frapper d'un baton, atten- ter a 1'honneur de sa fernme ou de sa fille, ou enfm lui enlever son heritage. » Le vassal est deja enchaine au seigneur. Le temps n'est pas loin ou un petit-fils de Charlemagne enjoindra a tous les hommes libres de se choisir un seigneur, achevant ainsi la ruine de cette classe libre que 1'empereur avait protegee pour 1'opposer aux empietements des leudes. « Nous voulons, dit le capitulaire de Mersen (847) (1) , que chaque homme libre receive pour seigneur dans no- tre royaume celui que lui-meme aura choisi. » Des lors la feodalite, ou le morcellement de la souverai- nete, est reconnue et proclamee par les lois memes des Carlovingiens. L'unit6 de gouvernement et d'ad- ministration est abandonnee pour plusieurs siecles.
§ V. — FEODALITE. — OPPOSITION DE PRINCIPES
ENTRE LA FEODALITE ET LA MONARCHIE.
« Un chene antique s'eleve, 1'oeil en voit de loin le feuillage ; il approche; il en voit la tige; mais il n'en aperc.oit point les racines ; il faut percer la terre pour les trouver (2). » Par eette vive image, Montes-
suum dimittat, postquam ab eo acceperit valente solidum unum, ex- cepto sieum [senior] vult occidere, aut cum baculo caBdere, vel uxorem aut filiam maculare, seu hasreditatem ei tollere »
(1) Volumus ut unusquisque liber homo, in nostro regno, senio- rem, qualem voluerit, accipiat. CapituL, ed. Baluze, t. II, p./i^i.
(2) Montesquieu, Esprit des lois, liv. XXX, ch. 1.
XLVIII INTRODUCTION.
quieu peint et 1'antique origine du systeme feodal et ses vastes developpements qui avaient penetre et en- vahi la societe tout entiere. Ce n'est pas ici le lieu de remonter jusqu'au principe de la feodalite, de rappe- ler les eompagnons d'armes (comites) de la Germa- nic (1), la framee et le cheval de bataille dont le chef de guerre recompensait leur valeur (2) , et enfm la transformation de ces guerriers, apres la conquete de la Gaule, en proprietaires de benefices concedes d'a- bord pour un temps et devenus bientot inamovibles et hereditaires. Les leudes etablis dans leurs domai- nes s'y rendirent presque independants. Deja, a 1'e- poque de Charlemagne , on trouve ces seigneurs entoures de vassaux , les conduisant a la guerre et fore.ant Tempereur , tout puissant qu'il etait , de sanctionner leurs usurpations (3) . Sous les faibles suc- seurs de Charlemagne, les dues et les comtes s'em- parerent des provinces qu'ils etaient charges de gouverner, et, apres une vaine resistance , les Carlo- vingiens se resignerent, et reconnurent, par le capi- tulaire de Kiersy-sur-Oise (877), 1'heredite des digni- tes, comrne anterieurement on avait reconnu 1'here- dite des benefices.
Ce qui explique les progres rapides de la puis- sance feodale, c'est qu'elle sauva la France devastee par les pirates scandinaves. An moment ou la royaute avilie abandonnait la defense de la nation , les sei-
(1) Tacite , Mceurs des Germains , cli. 13.
(2)Td., J6irf.,ch. 111.
(3) Voy. plus liaut, p. xxxiv, XLI et XLII.
XLIX
gneurs eleverentdetous cotes des forteresses, derriere lesquelles leurs vassaux trouverent un asile. Chaque domaine feodal devint une petite souverainete , ou le seigneur entoure de ses homines d'armes exerc.a les droits regaliens, battit monnaie, fit la guerre et jugea avec les pairs de son fief. A une epoque ou la feo- dalite etait deja sur le declin , Beaumanoir procla- mait encore que « chaque baron etait souverain dans sa baronnie (1). » La feodalite fut par consequent, comme 1'a dit M. Guizot, la confusion de la pro- priete et de la souverainete.
Je n'ai pas a nVoccuper ici des droits feodaux, ni du soin que prenaient les seigneurs pour rendre la propriete territoriale indivisible et inalienable , pour conserver la souverainete en concedant 1'usufruit, pour laisser au serf et au colon une marque indele- bile de la cbaine qu'ils leur avaient impose'e. II suffit de rappeler le caractere de ce systeme de gouverne- nient pour prouver 1'impossibilite d'une organisa- tion administrative, tant qu'il regnerait en France. Iln'y avait plus, sous le regime feodal, ni interets com- muns, ni grands travaux d'utilite , ni armee natio- nale, ni lois generales du royaume, ni commerce , ni Industrie; tout etait divise, entrave par des coutumes locales , par des peages que multipliaient les sei- gneurs, par des tailles et des aides arbitraires. La justice n'avait d'autre loi que la coutume tradition- nelle, la guerre d'autre limite que le caprice ou la force du seigneur. Les historiens des xie et xne sie-
(1) Coutumes de Bcauvoisis, ch. 3/(.
INTRODUCTION.
cles ont rappele les resultats de la feodalite ; on peut en croire leur temoignage.
Guibert de Nogent, ecrivain de la fin du xie siecle, retrace ainsi la situation de la France avant le depart des croises pour la Terre Sainte (1095) (1) : « Le royaume etait en proie a des troubles et a des guerres perpetuelles. On n'entendait parler que de briganda- ges commis sur les voies publiques. Les incendies etaient innombrables, et la guerre sevissait de toutes parts sans autre cause qu'une insatiable cupidite. Des bommes avides ne respectaient aucune propriete et se livraient au pillage avec une audace effrenee. » Guillaume, arcbeveque de Tyr, qui vivait a la fin du xne siecle , caracterise cette epoque comme Guibert de Nogent : « II n'y avait, dit-il (2), aucune securite pour les proprietes: quelqu'un etait-il regarde comme riche, c'etait un motif suffisant pour le Jeter en pri- son, le retenir dans les fers et lui faire subir de cruelles tortures. Des brigands ceints du glaive as- siegeaient les routes , dressaient des embucbes aux voyageurs , et n'epargnaient ni les etrangers ni les hommes consacres a Dieu. Les villes et les forte- resses n' etaient pas meme a 1'abri de ces calamites; des sicaires en rendaient les rues et les places dan- gereuses pour des gens de bien. Moins on etait cou- pable, plus on etait expose aux attaques des me- diants. »
Enfin Pierre le Venerable, dans une lettre adressee
(1) Histoire de la croisade, liv. II, ch. 7.
(2) Liv. I, ch. 8, de son Histoire des croisades.
F^ODALITfi. LI
a saint Bernard (1), se plaint de la tyrannic des sei- gneurs a l'egard des paysans et des serfs : « Us ne se contentent pas des services qui leur sont dus en vertu des coutumes. Us revendiquent sans pitie les biens et les personnes , les personnes et les Liens (2). Outre les redevances ordinaires, ils pillent trois ou quatre fois par an les biens de leurs serfs , leur imposent d'innombrables corvees et des far- deaux intolerables. Aussi la plupart veulent-ils deser- ter leur pays et passer dans des contrees etrangeres. Ce qu'il y a de plus triste, ajoute Pierre le Venera- ble (3), c'est que les personnes memes rachetees a si haut prix, par le sang du Christ, sont vendues pour un vil metal, pour de 1'argent. »
Comment s'etonner , apres de semblables temoi- gnages confirmes par 1'histoire tout entiere de cette epoque, que la feodalite ait ete abhorree comme un systeme anarchique? La royaute, au contraire, qui delivra la France de la tyrannic feodale, merita 1'a- mour du peuple, auquel elle apparut comme un sym- bole d'ordre et de paix. Sans retracer ici la lutte longue et obstinee qui s'engagea entre ces deux prin- cipes et qui remplit une grande partie de I'histoire de France , il est necessaire de montrer comment la
(1) Liv. I de ses e"pltres, £p. 26.
(2) lies cum personis, et personas cum rebus sibi immisericordi- ter vindicant.
(3) « Quod deterius est, ipsas personas, quas tarn caro pretio, hoc est suo Chrislus sanguine redemit, pro tarn vili, hoc est pecunia, venumdare non meluunt. » Ge passage vient encore a Tappui de ce que nous avons dil plus haut, de 1'opposition du clerge a Tesclavage et de ses efforts pour 1'abolir.
Ill INTRODUCTION.
monarchic se degagea des liens dont 1'avait chargee la feodalite. Libre de ces entraves, elle put transfor- mer le royaume, affranchir le peuple, organiser une armee nationale, creer une marine, instituer une administration reguliere de la justice, et developper toutes les richesses de la France.
La feodalite attachait la souverainete a la propriete territoriale. Elle formait une hierarchic dont chaque membre, depuis le dernier feudataire jusqu'au sei- gneur suzerain, avait une part de souverainete inhe- rente au sol. La royaute, au contraire, ne recon- naissait qu'un souverain, dont le droit abstrait, independant de toute propriete, etait fonde sur la loi et sur la religion. Loi vivante , representant de Dieu sur la terre (1), le roi n'admettait point de partage de 1'autorite supreme. Sous le regime feodal, le roi de- vait etre confirme* dans sa dignite par 1'election des pairs ; sa puissance etait limitee par leur assernblee ; il etait oblige de respecter les droits regaliens des barons. La royaute ne se degagea que lentement et peniblement de ces entraves. Au xi° siecle, le sacre des rois conservait encore des traces de 1'election primitive; les grands et le peuple donnaient leur consentement en s'ecriant par trois fois : Nous ap- prouvons, nous vou tons qiCil en soil ainsi (2). Aux epoques decrise, le souvenir de 1'election primitive des
(1) « Tmperatori et ipsas leges Dens subjecit Icgcm animatam cum mittens hominibus. » Novell. 105, cli. 2. On salt que la royaute s'appuyait sur le droit remain clans sa lutte centre la feodalite".
(2) Voy. le proces-verbal du sacre de Philippe Ier (1059), dans la collection des Memoires relatifs a Cfiist. de France, par M. Guizot, t. VII, p. 89-91.
ET ROYAUTfi. LI1I
rois etait rappele com me une menace pour les souve- rains et une garantie pour les peuples. Ainsi, dans I'as- semblee des etats de 1484, le seigneur de la Roche declara qu'originairement les rois avaient eteelus (1). Les agitations democratiques du xvie siecle (2) don- nerent une nouvelle force a cette theorie. Mais la royaute et les legistes qui la soutenaient combatti- rent energiquement leprincipe de 1'election, et firent triompher la theorie du droit divin (3). Vainement Boulainvilliers rappelait encore, an commence- ment du xvnr siecle, que les rois n'eiaient primitivement que « les generaux d'une armee libre qui les avait elus pour la conduire dans des en- treprises dont la gloire et le profit devaient etre communs (4). » On ne voyait plus la qu'un souvenir historique altere par 1'esprit de systeme et impuis- sant contre 1'autorite absolue des rois.
La royaute feodale etait limitee dans 1'exercice de sa puissance. Elle ne pouvait remplir ses fonctions judiciaires qu'avec le concours de 1'assemblee des
(1) « Ilistoriee praedicant et id a majoribus meis accepi,inilio, do- mini rerum populi suffragio reges fuisse creates. » Journal des 6tats dc IZiSZi, par J. Masselin, p. 1A6, publi6 dans la collection des Documents incdits dc t'/iisloire de France.
(2) Voy. les doctrines democratiques de la Boelie, le Franco- Gallia d'llotman, la theocralie democratique de Boucher (de justa Hcnricilll abdicatione], enfin les memoires du ligueur Tavannes, t. II, p. 273, 6dit. Pelitot.
(3) Voy. dans le tome II de cet ouvrage, p. 97, plusieurs passages des Memoires dc Louis XIV et de la poiitiquc tiree de l'£criture Sainte par Bossuet.
(A) Hist, de Cancien gouvernement de la France, edit, in-f% p. 15etl6.
LIV INTRODUCTION.
pairs (1). Les impots etaient regies par les us et cou- tumes , et il fallait pour entreprendre une guerre 1'assentiment des barons (2). La monarchic, appuyee sur le droit romain, ne tarda pas a briser ces entra- ves, elle crea des pairs en vertu de son droit de sou- verainete (3), transforma leur assemblee en la con- fondant avec la cour du roi (4), qui devint bientot le parlement; et, lorsque le parlementreclama, comme representant les pairs, une part de la puissance poli- tique, il fut repousse par la monarchic qui ne voulait pas de limites, et par la noblesse qui dedaignait ces gens de robe et d'ecritoire, comme les appelle Saint- Simon. Vainement le meme ecrivain (5) , tout plein des souvenirs feodaux, voudraitvoirrenaitreces pairs du royaume, « tuteurs des rois et de la couronne, grands juges du royaume et de la loi salique, sou- tiens de 1'Etat, portions de la royaute, pierres pre- cieuses et precieux fleurons de la couronne , conti- nuation, extension de la puissance royale , colonnes de 1'Etat, moderateurs , administrateurs de 1'Etat, protecteurs et gardes de la couronne. » Les dolean-
(1) « Nullus de regno Francorum debuit jure suo spoliari, nisi per judicium duodecim parium. » Math. Paris, ad ana. 1226. — ((Con- cilium oplimatum, quod non potest aliquis regum Francorum sub- terfugere. » Idem, ad ann. 1244. — « Duodecim pares Franciae ad quos negotia regni spectant ardna. » Idem, ad ann. 1257.
(2) u Convocavit rex concilium, cui inlerfuerunt omnes proceres regni... Placuit sermo baronibus universis ; spoponderunt auxilium; solus comes Flandriae negavit. » Guillelm. Armoric., ap. Script, re- rum gall, et franc., XVII, 88.
(3) Philippe-le-Bel cre"a, entre autres pairies, celle de Bretagne. (U) Voy. plus loin, -p. 20 et suiv. de ce volume
(5) Saint-Simon, Utm., t. XII, p. 387.
FfiODALITt ET ROYAUTfi. LV
ccs de Saint-Simon ne font qu'attester la transforma- tion qu'avait subie le royaumc. L'administration monarchique n'avait laisse subsister en France qu'une volonte sans controle et sans limites. Louis XIV pou- vait dire a son fils (1) : « Dans l'£tat oil vous devez regner apres moi, vous ne trouverez point d'autorite qui ne se fasse honneur de tenir de vous son origine et son caractere. »
L'influence politique de la conr des pairs annulee, il ne resta plus de puissance capable de limiter 1'au- torite royale. Elle leva des impots a sa guise, delegua le droit de rendre la justice sans s'inquieter des pairs du fief, fit la guerre et la paix de sa pleine puissance et souveraine autorite. Bien plus, elle voulut enlever aux seigneurs feodaux les droits regaliens que d'a- bord elle leur avait reconnus. Saint Louis avait ad- mis le principc de la souverainete feodale en la regularisant et en la subordonnant a 1'autorite royale. II avait laisse au baron sa justice (2), et lui avait meme reconnu le droit, dans certaines occasions, de prendre les armes contre son suzerain (3). Mais, dans la suite, 1'administration monarchique depouilla peu a peu les seigneurs des droits regaliens. Tel fut le but constamment poursuivi par tous les rois dignes de ce nom, depuis saint Louis jusqu'a Louis XIV. Au xvne
(1) OEuvres de Louis XIV, t. II, p. 29.
(2) fitablissements de saint Louis, liv. I, ch. 24 : « Bers (baron) a toute juslice en sa terre, ne li rois ne puet inettre ban en la terre au baron, etc. » Beaumanoir dit aussi au chap. 31 de la Coutume dc Eeauvoisis : « Chacun des barons est mailre en sa baronnie. »
(3) Voy. dans les titablissements de saint Louis, I, Zi9, le cha- pitre : De semondre son lions pour alter guerroyer son chief sei- gneur. Le vassal devait suivre son seigneur meme contre le suzerain.
LVI INTRODUCTION.
siecle , ils firent demanteler les chateaux-forts der- riere lesquels s'abritait la feodalite et punirent avec rigueur toute usurpation de puissance souveraine. La noblesse pouvait molester les vilains; mais exer- cer un droit de souverainete etait crime capital. « La Bourlie, dit Saint-Simon (1), avait quitte 1'armee, apres avoir servi longtemps et s'e'tait retire dans une terre vers les Cevennes, ou il se mit a vivre avec beau- coup de licence. Vers ce temps-ci (1700), il fut vole chez lui, il en soupgonna un domestique , et, sans autre fagon, lui fit, de son autorite, donncr en sa pre- sence une cruel le question. Cela ne put demeurer si secret que les plaintes n'en vinssent. // y alloit de la tele; La Bourlie sortit du royaume. »
En attaquant et detruisant le principe essentiel de la feodalite, la monarcfaie conserva longtemps les ceremonies feodales, rhommage-lige on simple, les grandes dignites de connetable, bouteiller, pane- tier, etc. C'etait une parure dont elle s'entourait aux jours de pompe et qui rappelait son origine feodale ; mais pen a pen elle se depouilla de ces gothiques ornements. Les fonctions de chambellans , ecuyers, maitres des ceremonies, gentilshommes de la charn- bre, etc., maintenues et multipliers par 1'etiquette royale, ne furent plus attachees a un fief ni heredi- taires dans les grandes families. La volonte du maitre put en decorer quelque gentilhomme obscur, un Lauzun, un Dangeau, un Cavoye. Quant aux ceremo- nies feodales , la tradition s'en perdait si complete-
(1) Saint-Simon, Memoires, 1. 11, p. A23.
ET ROYAUTti. LVII
nient qu'elles e" taient devenues un sujet d'etonnement pour les contemporains de Louis XIV. Ce prince rec,oit-il 1'hommage du due de Lorraine, Saint-Simon s'empresse de noter tous les details d'une ceremonie tombee en desuetude (1). Quand Louis XIV remplit de loin en loin les fonctions de haut-justicier, si sou- vent exercees par saint Louis, c'est un fait extraordi- naire que signalent les ecrivains du temps (2).
Dans {'administration provinciale, meme opposi- tion entre la feodalite et la monarchic. La premiere attachait a la possession d'un fief les fonctions admi- nistratives et judiciaires. Le seigneur feodal etait chef militaire, juge et homme de guerre. De la une justice simple et souvent meme grossiere dans ses formes ; on en appelait, dans les circonstances difficiles, au jugement de Dieu. ^'administration monarchique s'eloigna entierement de ce systerne de gouverne- ment. Bien loin d'attacher 1'exercice des fonctions judiciaires et administratives a la possession d'un fief, elle interdit a ses baillis et a ses senechaux d'acque- riraucun domaine dans les pays soumis a leur auto- rite (3). Elle separa les fonctions que la feodalite avait confondues , et institua des charges speciales pour 1'administration de la justice, de la guerre et des finances. Elle mobilisa , si je puis m'exprimer ainsi, les fonctions que la feodalite avait localisees;
(1) Memoires de Saint-Simon, t. II, p. 379.
(2) J6id.,p. 462-46/i.
(3) Voy. Ordonn. des rois dc France, t. I, p. 65,354, 399, et t. XII, p. M9.
LVIII INTRODUCTION.
elle leur communiqua son caractere de droit abstrait. Par la division des pouvoirs, elle prevint Tabus d'une autorite qui jugeait et executait elle-meme ses sen- tences, et elle substitua a des formes grossieres de pro- cedure un mecanisme savant, une etude approfondie des lois et une attention vigilante a tous les details de 1'administration. Aulieu des troupes feodales, reu- niesala hate, pour peude temps, et toujours rnaldis- ciplinees, elle organisades armees permanentes, qui protegerent la France et porterentau loin sesconque- tes. La feodalite avait isole les provinces ; la royaute les rapprocha. La premiere, ermemie du commerce et de I'industrie, interceptait les communications et entra- vait la navigation par des coutumes barbares (droits de bris , de varech, d'epave) ; la seconde ouvrit des routes, creusa des canaux et des ports. Ainsi les resultats du regime feodal et de I'administration monarchique furent aussi differents que leurs princi- pes etaient opposes.
La royaute ne se borna pas a eloigner la noblesse des affaires , elle livra les titres aristocratiques aux traits satiriques d'ecrivains qu'elle protegeait et en- courageait. Moliere les couvrit d'un ridicule ineffaga- ble, et le defenseur de la feodalite, Saint-Simon, atteste qu'on rougissait de les porter au commence- ment du xviii6 siecle : « Les titres de comte et de marquis sont tombes dans la poussiere par la quan- tite de gens de rien et meme sans terres qui les usur- pent, et par la tombes dans le neant, si bien meme que les gens de qualite, qui sont marquis ou comtes,
ET ROYAUTfi. LIX
ont le ridicule d'etre blesses qu'on leur donne ce litre en parlant a eux (1). »
Le gentilhomine campagnard ne fut pas plus epar- gne que le marquis fat et bel-esprit. On se moqua de ses prejuges et de son arrogance indigente : « Le no- ble de province, inutile a sa patrie, a sa famille et a lui-meme, souvent sans toit, sans habit et sans aucun merite, repele dix fois le jour qu'il est gentilhomme, traite les fourrures et les mortiers de bourgeoisie , occupe toute sa vie de ses parchemins et de ses litres qu'il ne changeroit pas contre les masses d'un chan- celier (2). » La justice feodale ne paraissait plus qu'im reste de barbaric, les armoiries qu'une vaine ostenlalion. « On les voit, dit La Bruyere (3), sur la porte de leur chateau, sur le pilier de leur haute-jus- lice , ou ils viennenl de faire pendre un homirie qui meritoit le bannissemenl. »
Ces atlaques dirigees contre la feodalile par des ecrivains devoues a la cause monarchique montrent assez quelle etait la pensee de la royaute et combien profonde son antipalbie conlre le sysleme feodal. Les genlilshommes eux-memes ne comprenaienl plus un regime dont ils representaient cependant les passions et les prejuges. II fallait qu'on leur expliquat 1'ori- gine et le sens des litres feodaux (i) , et lorsqu'en 1689 la publication de F arriere-ban appela sous les
(1) Saint-Simon, Mtmoires, t. II, p. 191.
(2) La Bruy&re, Caractbres, chap. De Chomme.
(3) Ibid., chap. De la ville.
(4). Voy. dans les Me'moires de Saint-Simon (t. II, p. 192) une longue dissertation sur le titra de vidarne.
LX INTRODUCTION.
drapeaux les nobles campagnards , 1'aristocratie tourna en ridicule cette derniere image du systeme militaire de la feodalite, et chansonna le gcntilliomme de I' arriere-ban (1), comme jadis on avait ehansonne le franc-archer de Bagnolet; tant etait profonde la chute de ce regime feodal, longtemps la terreur du peuple et de la royaute! L'administration monarchi- que n'en avait laisse subsister qu'une ombre, redou- table encore pour le peuple, mais impuissante contre 1'autorite souveraine.
En resume, la royaute, faible a son debut, avait eu pour adversaire une puissance qui enveloppait la France entiere, 1'avait combattue pendant six siecles et avait fini par en triompber. Pour expliquer un succes que la disproportion des forces rend si extra- ordinaire, il faut se rappeler que la monarchic eut pour auxiliaires dans cette lutte le clerge et les com- munes. Ce fut avec le secours de 1'Eglise et des vi- lains que Louis VI triompha des principaux vassaux du duche de France et prepara la victoire de la mo- narchic que completerent Philippe-Auguste, saint Louis et Philippe-le-Bel.
(1) Voy. la leltre de Bussy-Rabutin i Mme de Sevigne , en date du 13 mat 1689. A la suite se trouve la ballade qni commence ainsi : Dans ma maison des champs, sans chagrin, sans envie
INTRODUCTION, LXI
§ VI. — REVOLUTION COMMUNALE. — LA ROYAUTE A POUR AUXILIAIRES LA BOURGEOISIE , LE CLERGE ET LE SAINT SIEGE. — PREMIERS AVANTAGES OBTENUS PAR LA ROYAUTE,
Le communes durent en grande partie leur eman- cipation a la royaute. Tout en reconnaissant, avec 1'eminent historien du tiers-etat (1 ), 1'influence de la tradition romaine et 1'energie des bourgeois qui dans beaucoup devilles conquirent leur liberte, on ne pent nier que la royaute ait souvent couvert de sa protection les libertes communales et s'en soit fait un auxiliaire puissant contre la feodalite. Le recueil des ordonnances atteste rintervention efficace de Louis VI en faveur des bourgeois. Ce prince etablit la commune de Mantes, pour s'opposer, dit son fils (2) , a F oppression des paiwres. Les villes de Soissons (3) et de Noyon (4) durent aussi a Louis VI leurs cbartes de communes.
(1) Voy. Considerations sur I'liistoire de France, en 16 te des Recits des temps merovingiens, par Aug. Thierry, ch. VI, ainsi que les Lettres sur I'histoire de France et I'Histoire du Tiers-etat, par le meme auteur.
(2) « Pro nimia oppressione pauperum, communitatem apud Me- duntam carissimus genitor noster Ludovicus statuit. » Charte de Louis VII, dans les Ordonn. des rois de France, XI, 197.
(3) Charte de Louis VI, dans YAmplissima collcctio, T, 749.
(ti) « Gommunionem Novionensem quam avus nosier instituit. » Charte de Philippe- Auguste, dans le recueil des Ordonn. des rois de France^ XI, 224.
LXII INTRODUCTION.
L'heureuse influence de cette revolution est incon- testable : elle assura 1'emancipation des villes jusqu'a- lors opprimees par les seigneurs (1). Les bourgeois associes futent en etat de repousser 1'agression (2) , de se soutenir mutuellement (3) et de defendre leurs droits (4). Les guerres privees devinrent moins fre- quentes, et les chartes communales furent meme souvent designees sous le nom ft institutions de paix (5) . La bourgeoisie , chargee des affaires de la cite, prit 1'habitude de 1'administration : finances, justice, commerce, industrie, tout passa parses mains, et ainsi se forma une pepiniere d'hommes utiles, qui devinrent plus tard d'habiles conseillers de la royaute. Voila le bien du systeme communal. Le mal doit aussi etre signale.
Abandonnees a elles-memes , les communes au- raient eu pour la France de funestes resultats; elles Tauraient divisee en une multitude de petites repu- bliques, opposees d'interet et le plus souvent achar-
(1) « Gravamina quse a suis dominis patiebantur. » Amplissima collectioy 1 , 149.
(2) « Leges et consuetudines , quas, ob injurias hominum per- versorum propulsandas , illuslris comes Robertns et Carolns co- mes.... indulserunt. » Charte relative a la ville d'Aire en Artois. Ap. D'Achery, Spicilegium, III, 553.
(3) «Alter alteri auxiliabilur. » Ordonn. des rois de France, XI, 237.
(4) « Ad jura sua defendenda. » Ibid., 320.
(5) « Inslitutionem pads. » Ibid., 185. — « Contigit, ob pacem patrise, nos communiam constituisse. » Ampliss. collect., I, 7Zi9,— « Pads institutionem et communiam. » Ordonn. des rois de France, XI, 236. — « Intuitu pietatis et pacts in posterum conser- vandae. » Ibid., 262.
COMMUNES. LXHI
ne"es Tune centre 1'autre. L'ltalie, la terre classique des libertes municipales, en fournit la preuve. Quel spectacle brillant que celui de Pise, Genes, Venise, Florence, dans leur feconde activite ! mais aussi que de luttes acharnees, etenfm quelle impuissance pour assurer rindependance de 1'Italie! Le meme des- tin attendait les communes de France, si la royaute ne les eut dominees. Je n'en citerai qu'un exemple, mais qui suffira pour montrer la tenacite de ces ri- valites communales. Au xne siecle, Paris et Rouen etaient capitales de deux Etats differents, et la Nor- mandie n'etait pas le moins puissant. Ces villes se disputaient le droit de navigation sur la Seine. Louis VII permit aux Rouennais, en 1170, de con- duire leurs navires jusqu'au pont du Pecq; mais il exigea que pour remonter jusqu'a Paris ils s'adjoi- gnissent quelqu'un des membres de la hanse ou as- sociation parisienne (1). De leur cote, les Rouen- nais interceptaient la Basse-Seine, et avaient forme une corporation de mariniers dont les privileges etaient aussi exclusifs que ceux des Parisiens. Cette rivalite paralysait le commerce et rompait une des principales arteres de la France. Lorsque la Nor- mandie fut conquise par Philippe-Auguste, il y eut une tentative de transaction entre Rouen et Paris; on convint que les marchands rouennais auraient des associes a Paris, et reciproquement les Parisiens a Rouen ; ces representants des deux villes pouvaient faire en leur nom toutes les operations commerciales
(1) Ordonn. des rois de France, i. IF, p. 633.
LXIV INTRODUCTION.
comme si les marchands eux-memes y eussent ete presents (1).
Ces associations des villes commerQantes etaient frequentes an moyen-age et avaient produit d'heu- reux resultats. Ainsi, en Allemagne, Mayence et Co- logne, Augsbourg, Ratisbonne et Vienne , s'etaient confederees pour la navigation du Rhin el du Danu- be (2). Dans le midi de la France et en Italic, Avi- gnon et Saint-Gilles (3) , Aries et Nimes (4) , Mar- seille, Aries et Avignon (5), Grasse et Aries, Nice et Pise , avaient retire de grands avantages de trai- tes semblables (6). Mais, entre la capitale de la France et celle d'une province , 1'egalite ne pouvait pas durer longtemps. Un siecle environ apres la conquete de la Normandie, Louis XI supprima le privilege commercial des Rouennais en se fondant sur rinteret general du royaume. « Apres avoir en- tendu les raisons des deux parties, disait le roi (7), nous avons reuni les maitres de notreparlement ; nous avons examine les lettres de donation, concession et confirmation, et, a la suite d'une discussion ap- profondie de cette affaire, il a ete evident a nos yeux qne les privileges des Rouennais entrainaient de graves
(1) Orel, des rois de Fr., t. IV, p. 87.
(2) Hulmann, De fetal des villes au moyen-dge (allem.), t. IV, p. 103.
(3) Papon, Hist, de Provence, t. II, preuves, p. 25. (U) Mesnard, Hist, de Ntmcs, t. I, preuves, p. 52.
(5) Papon, Hist, de Provence, t. Ill, preuves.. p. 12.
(6) Idem, ibid. t. II, p. 99; t. Ill, p. 541.
(7) Olim , t. II, p. 622 et suiv., dans le recueil des Documents imdits relatifsal'liist. de France.
COMMUNES ET ROYAUTE. LXV
inconvenientspourl'Etat toutentier. »LesRouennais reclamerent centre cette decision ; et de la naquit un long proces. Au milieu des troubles du xrve siecle et des guerres contre les Anglais, la royaute avait grand interet a menager la Normandie. Elle laissa trainer cette affaire , qui ne fut de finitivement termi- nee qu'apres 1'expulsion des Anglais de la Norman- die. A cette epoque, Charles VII, s'elevant au-dessus des rivalites mesquines de corporations, declara libre la navigation de la Seine (1).
Ce fut aussi la royaute qui transforma la bour- geoisie et remplaca 1'esprit etroit et exclusif des com- munes, par un sentiment national qui embrassait la patrie entiere. Des le xne siecle, la royaute apparais- sait au peuple comme le symbole vivant de 1'ordre et de I'uuite de la France. Louis VI vit se ranger sous sa banniere les habitants des campagnes conduits par le clerge (2), et, grace a leur concours, il dompta les vassauxrebelles. Sous Philippe-Auguste et sous saint Louis, 1'union de la royaute et du tiers-etat devint encore plus etroite. Les milices communales eouvri- rent de leurs corps Philippe-Auguste dans les plaines de Bouvines (3) ; les bourgeois de Paris protegerent
(1) Voy. p. 122 de ce volume, note 6, la charte ine"dite de Char- les VII, qui lermina le proces entre Rouen et Paris.
(2) « Tune communitas in Fraucia (duche de France) popularis statuta est a prasulibus, ut preesbyleri comitarentur regi ad obsidio- nem vel pugnam cum vexillis et parochianis omnibus. » Orderic. Vital., ap. Script, rer. gall, et franc., XII, 705. Suger parle aussi, dans sa Vie de Louis-le-Gros> des commnnitates parochiarum.
(3) Voy. page 13 de ce volume, note 1.;
LXVI INTRODUCTION.
1'enfancede saint Louis (1) et fournirenta Philippe-le- Bel les jurisconsultes qui devaient afferrnir 1'autorite royale et organiser 1'administration monarchique (2). Ces legistes contribuerent a consolider 1' union de la royaute et du tiers-etat. Ce futpar leur conseil qu'en 1302 les deputes des villes furent appeles a prendre part aux affaires publiques en siegeant dans les etats- generaux. Us dirigerent 1'assemblee, et, sous leur influence, les etats-generaux seconderent les efforts et assurerentle succes de 1'autorite monarchique (3).
Le clerge ne fut pas un auxiliaire moinsutile de la royaute. Des le commencement du xne siecle, il pre- cha une veritable croisade en sa faveur. En 1 119, les eveques ordonnerent, souspeined'excommunication, aux pretres de leurs dioceses de marcher a la tete de leurs paroissiensau secours de Louis VI en lutteavec des seigneurs rebelles (4). Suger, qui rappelle aussi ce fait, ajoute « que le roi est le vicaire de Dieu, dont il porte I'irnage (5). » Le clerge, nourri des traditions romaines, et voyant d'ailleurs dans le
(1) Joinville, Recueit des hist, de France., XX, 202 : « Et me conla le saint roi que lui et sa mere, qui estoient a Montleherry, ne oserent revenir a Paris , jusques k tant ceux de la ville les vinrent querir en armes; et me conta qne des Montleherry esloit le che- min plein de gens a armes etsans armes jusques a Paris, et que lous crioient h nostre Seigneur qu'il lui donnast bonne vie et longue, et le defendist et gardast de ses ennemis. »
(2) Voy. plus loin, ch. Ill, p. 49 de ce volume.
(3) Voy. plus loin, p. 58.
(U) « Episcopi presbyteros diocesis suee cum parochianis suis ana- themale percusserunt, nisi regis in expeditionem statute tempore festinarent. » Order. Vital., ^U^L Script, rer.gatl. ct franc.. \. Xllj p. 723 E.
(5) Viede Louis-le-Gros ; Ibid., p. 33.
CLERGY ET ROYAUTE. LXVII
roi Yoint du Seigneur, parle deja de la monarchic du xir siecle comme d'une autorite redoutable (1) et qui etend au loin ses mains puissantes (.2). On croirait presque entendre Bossuet proclamer, dans sa politique tiree de FEcriture sainte (3), « que le prince a des yeux etdes mains partout; que ses longs bras vontprendre ses ennemis aux extremites du monde et vont les de- terrer au fond des abimes. »
La papaute meme qui, dans d'autres pays, combat- tait 1'autorite seculiere, se montra, malgre quelques discussions de peu de duree, favorable aux progres de la royaute fraiiQaise. 11 suffit pour s'en convaincre de voir dans quels termes les souverains poutifes en parlent dans leurs bulles : « C'est un soleil de foi, un foyer de devotion, un miroir de bonnes oeuvres; elle brillepar 1'eclat de la race, lapurete de 1'esprit, riche en honneursetmagnifique en oeuvres, egalement remarquable par 1'elevation de la dignite et 1'excel- lence de la conduite (i). » Dans 1'effusion de leur
(1) Suger, ap. Script, rer. gall, et franc., t. XII, p. lii : «For- tissima regum dextera, officii jure votivo, reprimitur tyrannorum audacia. »
(2) Id., ibid., p. 42 D : « Scitur regibus longas esse manus. »
(3) Edit, de 18A3, p. 370.
(6) Voy. une bulle du pape Alexandre IV (25 avril 125A) dans le ms. de laBibl. imp., appele Cartulaire de saint Louis, t. I, f° ll\ : « Fidei solem, devotionis ignem, et speculum operum, quibus pra3--
fulget, attendimus clarilate sanguinis rulilat , animi puritale
praelucet ; magnum quidem est (Franciae solium) et dignitalis ho- nore, sed geslorum nobilitate magnificum , conspicuum allitudine status, sed prsecellentia bonilalis illustre. » — Urbain IV, dans une bulle du 21 novembre 1261 (Ibid., i'°113) , faiUussi 1'eloge des rois de France : « Inclytos reges Francia3 , utpote speciales de- fensores fidei et libertatis ecclesiaslicae. »
LXV1II INTRODUCTION.
tendresse pour les rois de France, fits ainds de glise, les papes leur accorderent des privileges con- siderables, 1'exemption de toute excommunication (1 ) et le droit de faire arreter les clercs (2). Plus tard les concordats donneront aux rois de France la disposi- tion de tous les benefices ecclesiastiques (3). Un pa- reil secours contribua puissamment, on n'en peut douter, aux progres de la monarchic franchise.
Des le commencement du xne siecle, Louis VI en- treprit une lutte contre les vassaux directs du duche de France, et parvint a les dompter. Le chateau de Montlhery, qui avait ete si longtemps un asile de bandits, fut demantele (4). Le seigneur du Puiset, terreur de la Beauce et du pays chartrain, eprouva aussi la force de la puissance royale, soutenue par le clerge et le peuple (5). II en fut de meme des Mont- morency, des Montfort et des autres seigneurs du du- che de France. Apres ces importants succes, Louis VI put intervenir avec vigueur dans les affaires ge- nerales du royaume, tenir tete au due de Normandie, roi d'Angleterre, punir les meurtriers du comte de Flandres (6), et repousser 1'empereur Henri VI a la teted'une armee oul'on vit se presser sous 1'etendard
(1) Cartulaire de saint Louis, f 76, 77, 79, 80, 81, 82, 83, 89, 90, 92, 97.
(2) I bid., f° 78.
(3) Voy. dans ce volume, chap. VIII, p. 146.
(4) Vie de Louis-le-Gros par Suger, ap. Script, rer. gall, et franc., t. XII, p. 16.
(5) Ibid., p. 32-41.
(6) Ibid., p. 55.
PROGRfcS DE LA ROYAUTE. LX1X
royal tous les grands vassaux de la couronne (1). Su- ger trace, dans un langage un peu emphatique, le tableau de cette armee vraiment nationale : « Quand nous nous fumes rassembles a Reims, le nombre des troupes a pied et a cheval etait si grand qu'elles pa- raissaient devorer la surface de la terre. Les seigneurs firent une premiere division des habitants de Reims etde Chalons, quipassait soixante mille combaUants, tant a pied qu'a cheval; la seconde qui n'etait pas moins nombreuse, comprenait ceux de Laon et de Soissons ; la troisieme ceux d'Orleans, d'Etampes et de Paris, avec la nombreuse armee devouee a Saint- Denis et a la couronne, ou le roi voulut etre en per- sonne. Le comte palatin Thibaud, avec son oncle Hugues de Troyes, formait la quatrieme division ; le due de Rourgogne, avec le comte de Nevers, la cin- quieme; Raoul de Vermandois, entoure d'une bril- lante chevalerie et de la bourgeoisie de Sain t-Quen tin, armee de casques et de cuirasses, devait former Taile droite; ceux de Ponthieu, d'Amiens et de Reauvais, etaient destines a 1'aile gauche (2). » II ne manquait guere que les seigneurs du midi. Le mariage du fils de Louis VI avec Eleonore de Guienne ne tarda pas a soumettre 1'Aquitaine au roi de France.
Compromis par les fautes de Louis VII (1137- 1180), le progres de la royaute reprit son cours, lorsque Philippe - Auguste fut parvenu au trone en 1180.
(1) Viede Louis-le-Gros par Suger, ap. Script, rer. gait, et franc., t. XII,, p. 51.
(2) Ibid.
LXX INTRODUCTION.
En resume, pendant les sept siecles qui avaient suivi la chute de ('empire remain d'Occident, la France avait manque d'unite : elle avait rec,u de Rome les municipes, le droitet des principes d'organisation re- guliere; de la Germanic, des germes feconds, liberte dans les jugements, liberte dans les assemblies poli- tiques; le christianisme avait aboli 1'esclavage, rap- proche les races hostiles et conserve la purete morale au milieu d'une epoque d'anarchie et de violences. Charlemagne avait tente de porter 1'ordre dans ce chaos; il avait echoue, malgre son genie, dans ses efforts pourrelever 1'empire romain ; mais, du moins, il avait arrete les invasions des barbares et donneaux peuples de 1'Europe occidentale la stabilite, sans la- quelle tout progres est impossible. La Feodalite, qui avait detruit en partie 1'oeuvre de Charlemagne, avait, comme lui, repousse les barbares; les Hongrois, les Slaves, les Sarrasins, les Normands avaient trouve la France deHugues Capet herissee de chateaux-forts et n'avaient purenouvelerles devastations du cinquieme siecle. Grace a la chevalerie la rudesse des moeurs s^etait polie et la force avait souvent ete consacree a la defense de la faiblesse. Enfin les communes, asile et berceau de la liberte municipale, avaient vu s'elever une bourgeoisie enrichie par le commerce et par 1'in- dustrie. 4insi s'etaient formes les elements de la France, noblesse, clerge, tiers-etat; mais ces elements etaient epars; il fallait qu'une puissance superieure les unit et en fit une nation. Ce fut 1'oeuvre de la royaute. Sous Louis VI et Suger, elle avait etabli son autorite dans le duche de France. Elle commence,
Ml M Ml-
LXXI
sous Philippc-Auguste, une lutte qui devait durer plu- sieurs siecles, centre les puissances qui morcelaient la France et qui entravaient son developpement. C'est cette lutte et ses resultats que je me propose d'ex- poser.
HISTOIRE
DE
L'ADMINISTRATION MONARCHIQUE
EN FRANCE. CHAPITRE PREMIER.
Sommaire.
PHILIPPE-AUGUSTE (1180-1223). — Etat de la France a I'ave'- nement^de Philippe-Auguste (11 80). — Union de la royaute a\ec 1'Eglise et les communes. — Testament de Philippe- Auguste (1190); organisation administrative du duche de France. — Suppression de la dignite de grand-senechal (1191). — Des grands officiers de la couronne a cette epo- que. — Cour des pairs. — Lutte de la royaute centre la feo- dalite; reunions territoriales ; victoire de Bouvines. — Troupes mercenaires ; flotte de Philippe-Auguste. — Ordon- nance relative au partage des fiefs. — Monuments eleves par Philippe-Auguste. — Fondation de 1'Universite de Paris (1200;. — Relations entre les deux puissances temporelle et spirituelle. — Louis VIII (1223-1226) ; reunions territoria- les. — Arret de 1224 qui modifie Torganisation de la Cour des pairs.
A I'avenement de Philippe-Auguste (1180), la France ne formait pas un royaume, mais une ag- glomeration de principautes feodales, dont le duche de France n'etait pas la plus puissante. Sans entrer dans des details minutieux que ne comporte pas cet ouvrage,il est necessaire d'indiquer rapidement quels etaient, a cette epoque, les principaux centres de la puissance feodale. A 1'Ouest, la monarchic anglo-
4 PHIUPPE-AUGUSTE (1180-1223).
normande formee par les Plantagenets s'etendait depuis la Picardie jusqu'aux Pyrenees et avait sou- mis a une meme domination la Normandie, la Bre- tagne, 1'Anjou, le Maine, la Touraine, le Poitou, 1'Aunis, la Saintonge, le Limousin, le Quercy (pays de Cahors), la Guienne et Gascogne. Les populations mobiles et ingenieuses du Midi se trouvaient reunies aux descendants des pirates du Nord et aux Celtes de la Bretagne. L'association de tant de provinces opposees de race, d'interets et de langage ne tarda pas a amener le demembrement de cette monarchie anglo-normande. Le troubadour Bertrand de Born avait naguere arme contre Henri II les fils de ce roi , et Louis VII avait deja profite de ces divisions qui, sous Pbilippe-Auguste, ruinerent la puissance redoutable fondee en France par les Plantagenets.
Le comte de Toulouse, auquel etait reuni le mar- quisat de Provence (comtat Yenaissin), etait la pro- vince la plus florissante par le commerce et le deve- loppement intellectuel. C'etait la veritable patrie des troubadours. Mais la civilisation superficielle du Languedoc cachait des causes profondes de deca- dence. Les homines du Midi, legers et railleurs, etaient en lutte avec la puissance la plus redoutable du moyen-age, avec rEglise. Beaucoup avaient adopte 1'heresie des Albigeois. Ceux memes qui n'e- taient pas heretiques poursuivaient le clerge de leurs r.ailleries. C'etait un proverbe dans ces contrte : J'aimerais mieiix etre capelan (pretre] que d avoir commis tel crime. La cour de Rome avait deja fait entendre des avertissements et des menaces. Le jour
LA FRANCE A SON A VEHEMENT. 5
n'etait pas loin oil le comte de Toulouse allait etre le theatre d'une guerre sanglaute et tomber sous la domination de la France septentrionale.
La Bourgogne et la Champagne plus voisines du duche de France en avaient deja eprouve la puis- sance sous les premiers Capetiens. Cependant elles etaient loin d'etre soumises. Une branche de la maison de la Bourgogne avait, au xne siecle, fonde le royaume de Portugal et donne des souverains a la Castille. La Champagne etait celebre par ses poetes : Chretien de Troyes occupe le premier rang entre les trouveres de la fin du xne siecle. Les foires de Champagne attiraient dans cette province les mar- chands de toutes les parties de la France qui venaient y acheter les denrees de 1'Orient apportees a Mar- seille et transporters ensuite jusqu'a Troyes, par le Rhone, la Saone et la voie de terre. La reputation do ces foires se soutint aux xii(e et xive siecles. Les villes principales d'ltalie y avaient meme des con- suls qui prenaient le litre de capitaines. Un acte de la fin du xinfi siecle qualifie Albert de Medicis de capitaine de la communaute des marc/tands ita- liens (1) aux foires de Champagne.
La Flandre n'etait pas moins renommee par son commerce et son Industrie.. Les villes de Gand et de Bruges etaient des cette epoque en etat de tenir tete aux seigneurs. Guillaume-le-Breton, historien et poete de Philippe-Auguste, decrit avec enthousiasme les richesses que le commerce entassait dans IPS ports
(1) Gapitaincus et rector wiiversitalis mercalorimi lUilia. I. 2
6 PHILIPPE-AUGUSTE 1 I 80-1 223 ' .
de Flandre. « La se voient, dit-il (1) , des lingots d'argent et de rouge metal, les tissus des Pheniciens, des Seres (Chinois) et les produits des Cyclades; les riches fourrures qu'envoie la Hongrie et les graines qui donnent a 1'ecarlate une couleur si brillante. Des vaisseaux y apportent les vins de la Gascogne et du Poitou, du fer, des metaux, des etoffes et les autres denrees que 1'Angleterre et la Flandre accu- mulent dans leurs ports pour les envoyer dans les diverses parties du monde. » Meme en faisant'la part de 1'exageration poetique, on ne peut nier la prosperite commerciale de la Flandre celebree par le chantre de la Pliilipptide.
Les dues de France etaient loin de surpasser en puissance territorial e les souverains de ces provinces. Ce furent eux cependant qui les dompterent, et avec quelques milliers de vassaux firent un royaume de plus de trente millions d'hommes. Philippe-Auguste doit etre compte parmi les rois qui travaillerent le plus activement a faire prevaloir 1'unite fran^aise. A peino sur le trone, il confirma 1'alliance de la royaute avec TEglise etles communes, alliance feconde dontnous avons deja signale les premiers resultats (2). II prit la defense de 1'Eglise contre Imbert ou Humbert deBeau- jeu et Guillaume II, comte de Chalons-sur-Saone ; il les forc,a, dit le contemporain Rigord (3), de respec- ter les franchises des eglises et la liberte des clercs. « Toute 1'Eglise, ajoute le meme ecrivain, doit prier
(1) Philippdide, liv. IX, v. 381, ap. Her. gallic., script., XVII, 2,3/1-235.
(2) Voy. rinlroduction, § VIII.
(3) Rer. gallic, script., XVII, 6. D.
COMMUNES PROTEGEES. 7
pour le roi tres-chretien (1), parce qu'il la defend avec vigueur contre ses ennemis, chasse les Juifs et tous ceux qui ne professent pas des sentiments ortho- doxes. » Lesheretiques auxquels fait allusion Rigord , etaientles Paterins ouCathares,qu'on adesignes, dans le sud de la France, sous le nom RAlbigeois. Quant aux communes, Philippe-Auguste suivit la politiquc de ses predecesseurs : il s'en fit un appui contre la feodalite. Des 1180, il affranchit de toute servitude corporelle les habitants d'Orleanset des environs (2). Dans une nouvelle charte qu'il leur octroya, il fl'en- gagea a ne plus prendre les biens des bourgeois (3). Des chartes communales accordees a Chateauneuf pres de Tours (4), a Noyon (5), a Bourges et a Dun- le-Roi (6), affermirent pendant les premieres annees de ce regne 1'alliance du peuple et de la royaute. On compte jusqu'a soixante-dix-huit chartes de com- munes, octroyees on confirmees par Philippe-Au- guste. Maintenir la paix publique au milieu d'une societe tourmentee par des guerres perpetuelles etait encore un devoir et une tradition de la monarchic capetienne. Philippe-Auguste n'y manqua pas : le Berry etait ravage par des brigands appeles Cote- reaux (7) ; le roi, appele par ses vassaux, envoya une
(1) Pro cliristianissimo rege. Rigord repete plusienrs fois CP litre, qui n'a e"te d^fmitivement reuni au non) des rois de France qu'a partir du regne de Louis XI.
(2) Ord. des rois de France, Xf, 215.
(3) Ibid., 226 (ft) Ibid., 221.
(5) Ibid., 22ft.
(6) Ibid., 222.
(7) Rigord, ap. Rrr. galL, srript. XVFf, 11-12.
8 TESTAMENT BE PHILIPPE-AUGUSTE (1190).
armee centre les Cotereaux, qui furent extermines. Quant a 1'administration proprement elite , elle fut d'abord restreinte au duche de France. Le plus an- cien acte administratif de Philippe-Auguste est 1'or- donnance appelee son testament, qu'il publia avant de partir pour la croisade (1 190). II y reglait 1'admi- nistration judiciaire et financiere pour le temps de son absence. On trouve deja, dans cette organisation, une veritable hierarchic de fonctionnaires : au degre inferieur, les prevots ou vicomtes ; au-dessus d'eux , les baillis, et au premier rang, la cour des regents, qui represente le roi et son conseil compose des hauls barons et des prelats du duche de France, ainsi que des grands officiers du palais, senechal, chancelier, eonnetable, panetier, echanson. Les prevots, baillis et senechaux etaient charges de 1'administration de la justice et de la perception de I'impot. II y avait appel des prevots aux baillis, et des baillis a la cour des regents. Les baillis tenaient leurs assises tous les mois, et les regents tous les quatre mois. L'assiette de 1'impot etait etablie par les prevots ou vicomtes, de concert avec un certain nombre de bourgeois ; I'argent pergu passait entre les mains des baillis qui le versaient au tresor royal, place sous la garde des regents. Tel est le premier essai d'organisation admi- nistrative dont le reglement nous soit parvenu (1). La France, a mesure que les conquetes des rois la soumirent a 1'autorite monarchique, recut une admi- nistration analogue; elle fut longtemps gouvernee, comme le duche de France, par une hierarchic de
(1) Ordonn. des rois de France, L I, p. 18.
SUPPRESSION DU GRAM) SACRAL (1191). 9
fonctionnaires, appeles, au nord, baillis clprdvols; au sud, sMchaux et viguiers , et relevant de la cour da roi (curia domini regis] , qui ne iarda pas a deve- nir le parlement de Paris.
A son retour de la croisade (1191), Philippe-Au- guste supprima la dignite de senechal qui elait va- cante depuis la morl de Thibaut de Blois. Cette charge, jusqu'alors hereditaire dans la inaison d'An- jou, donnait des drolls considerables au grand f'eu- dataire qui en etait investi : autorite sur tous les oili- ciers de la maison du roi, commandement des armees en Tabsence du souverain, administration de la jus- tice et des finances dans 1'interieur des maisons royales, etc. Les grands senecbaux rappelaient, par leur puissance, les anciens maires du palais. Deja Louis VI avait diminue les droits de leur charge; il 1'avait demembree en creant un ecuyer tranckant (dapifer) qui rempkcait le senechal a la table du roi. II avait donne cette dignite a Guillaume de Gar- lande. Le meme prince avait porte une plus rude atteinte aux droits du grand senechal en lui enlevant 1'autorite dans l'interieur du palais, pour en faire une charge particuliere, qui, sous le nom de grande maitrise (majoratusj (1), a subsiste jusqu'aux der- nierstempsde la monarchic. Philippe-Augustetrouva la dignite de senechal encore trop puissante et la supprima. Dans la suite, le connetable , qui primiti- vement ne commandait que la cavalerie, le grand maitre el 1'ecuyer tranchant heriterent de 1'autorite
(1) Hug. de Cleriis, de majoratu ct scnescalia Francice, ap. Duchesric, Script, rcr. frantic., IV, 3129.
10 GRANDS OFFJCIERS 1)E LA COUROMVE.
clu senechal, le premier a la tete des armees, le se- cond dans le palais et le troisieme a la table du roi ; mais leur dignite ne fut ni hereditaire ni inherente a un fief. Elle fut donnee seulement par delegation (le la royaute (nonpropria, sed mandata] . II en fut de meine de la charge du chaneelier, qui devint sous ce regne un des principaux officiers de la cou- ronne.
Ce fut surtout a Guerin, eveque de Senlis, le plus intiine conseiller de Philippe-Auguste, que la dignite de chaneelier dut sa haute importance. Le chaneelier apposait a tous les actes le sceau royal qu'il portait suspendu a son cou, et, en 1'absence du roi, il presi- dait 1'assemblee des vassaux du duche de France. Les autres grands officiers de la couronne etaient Fechanson ou houteiller, le panetier et le grand chambrier. Les droits que conferaient ces dignites, et qui se sont longtemps conserves, s'etendaient sur les corporations industrielles. L'echanson ou bouteiller avait juridiction sur tous les cabaretiers et hoteliers; il levait une taxe sur le vin mis en vente dans 1'eten- due du domaine royal. II avait aussi la surveillance des depenses de la maison du roi , et dans la suite il fut un des presidents de la chambre des coinptes. Le grand chambrier avait la garde du tresor royal. Les cordonniers, et en general les corporations qui s'oc- cupaient de rhahillement, lui payaient une rede- vance. Le grand panetier avait la surveillance de ious les boulangers, qui lui devaient aussi une retri- bution en nature ou en argent. II etait d'usage que ces grands officiers ( ministerMes palatii domini
(.OUR DKS PAIRS.
II
reyis } apposassent lours uoms an bas des i-ouiles (1).
Philippe-Auguste fut moins legislateur que con- querant, et c'est surtout par la lutte coutre la feo- dalite et par 1'acquisition de nombreuses provinces que son regne a ete illustre. II profita habilemenl pour agrandir ses domaines des avantages dont le systeme feodal armait un seigneur suzerain. Le di'oit de desherenee, en vertu duquel le fief revenait au suzerain a defaut d'heritier direct, lui donna le Vermandois et le Yalois ; il obtint par heritage 1'Ar- tois, et par confiscation la Normandie, le Maine, 1'Anjou, la Touraine et line partie du Poitou. II de- membra cette redoutable monarchic anglo-normande qiii avait menace la France au xne siecle. Philippe- Auguste se servit contre Jean-sans-Terre d'urie insti- tution feodale, a laquelle il donna un puissant developpeinent. Les grands fiefs avaient chacun leur tribunal compose des pairs du fief et preside par le suzerain. Philippe-Auguste, usant de son droit de chef de la hierarchic feodale dans toute la France, cita Jean-sans-Peur a comparaitre devant la cour des pairs (2), et sur son refus, il le fit condamner et con- fisqua ses domaines. En quoi consistait cette conr des pairs , dont il est difficile de fixer Torigine, et qui ne tarda pas a se confondre avec la cour du roi ou parlement (3)? Pour s'en rendre compte,
(1) Du Tillet, Recucil des rois de France, leur couronne et rnaison, ensemble le rang des grands de France, Paris, 1589, in-f°.
(2) Mathieu Paris, a 1'annee 1216.
(3) Voy. a la fin de ce chapitre Tarret de 1224.
12 CONQUETES DE PHILIPPE-AUGUSTE.
il ne faut pas oublier quelle etait la situation de la France an commencement du xne siecle. C'etait comme chef de la federation des grands feudataires, dont nous avons parle au commencement de ce cha- pitre, qu'agissait Philippe-Auguste ; c'etait en cette qualite qu'il citait Jean-sans-Terre devant son tri- bunal et les juges qu'il s'adjoignait etaient les egaux ou pairs du due de Normandie (1). La cour des pairs se composait a cette epoque de six pairs laiques et de six pairs ecelesiastiques. La tradition s'en per- petua ausacre desrois, et, quoiqu'il soit difficile de marquer avec precision le role de cette institution dans 1'ancienne monarchie, on ne peut en nier la realite. Les six pairs laiques etaient les dues de Nor- mandie, d'Aquitaine et de Bourgogne, et les corntes de Flandre, de Champagne et de Toulouse; les pairs ecelesiastiques, I'archeveque-cluc de Reims, les eve- ques-ducsde Langres et de Laon, les eveques-comtes de Noyon, deBeauvais et de Chalons-sur-Marne.
Les nombreuses acquisitions territoriales de Phi- lippe-Auguste changerent entitlement la situation de la France. Jusqu'alors il y avait une royaute sans royaurne; lesconquetes de Philippe-Auguste donrie- rent au roi un royaume a administrer. 11 trouva eta- blies dans les provinces qu'il venait de soumettre des coutumes et des institutions qu'il eut ete imprudent de changer brusquernent. II se borna a confirmer les anciens usages en faisant reconnaitre partout sa su- zerainete. La guerre des Albigeois (1207-1218), a
(I) Voy. un nieinoire dc M. le conile JJeugnol clans la (LIQ dc Creole des chartcs, 2U1C serie. Tom. V, p. 1 et suiv.
VICTOIRES SUR LA FHODALITfc. 3
laquelle il refusa de prcndre part, rendit reelle dans les provinces du midi de la France une autorite qui n'y etait que nominale. Enfm la victoire de Bouvines (121 4) assura le triomphe de la monarchic sur la feo- dalite. Le peuple se signala dans cette circonstance et par son devouement a la royaute qu'il couvrit sur le champ dehataille (1) etpar son enthousiasme apres la victoire. « Qui pourrait exprimer, dit Guillaume- le-Breton dans un style dont je ne tenterai pas de reproduire I'emphase (2), qui pourrait exprimer les applaudissements, les felicitations, les chants de triomphe? Tous, sans distinction d'age ni de sexe, accouraient pour etre temoins de ce grand spectacle. Les paysans et les moissonneurs suspendaient lews travaux pour se precipitersur les routes. » Le peuple saluaitdans le roi son liherateur, le vainqueur de la tyrannic feodale.
Afin d'assurer son triomphe sur la feodalite, Phi- lippe-Auguste se servit principalement, ainsiqueson aieul Louis VI, de soldats mercenaires. A la tete de ses routiers, il avait place un capitaine cclehre, Ca- doc. « II lui donnait mille livres par jour, dit Guil-
(1) « Supervcnientes communiae, special! terCorbeii, Ambianenses, Belvaci et Compendii^ AttrebataB penelraverunt cuneos militum et posuerunt sc ante ipsum regcm. » Guill. Brit., apud. Her. gallic, script., XVII, 97, C.
(2) « Quis autem verbis explicare, quis corde cogitare, quis ca- lamo, charta aut tabulis exarare posset gratulabundos plausus, hyinnos Iriumphales, innumera tripudiorum genera populorum... omnes cuj usque generis, sexus et a3tatis homines ad tanli trium- phi spectacula concursantes, rusticos et messores, intermissis ope- ribus, falcibus, rastris et tribulis in collo suspensis (erat enim mes- sionis tempus) ad vias catervatim ruere, etc. » Guill. Brit., ibid., pag. 103, B.
14 ARMEES MERCENAIRES.
Jaume-le-Breton (1), pour lui et les siens, en recom- pense de leurs services. » Cadoc avait obtenu la seigneurie de Gaillon et se montra digne des bien- faits du roi par les services signales qu'il lui rendit. II fut un des premiers a 1'attaque et a la prise du Chateau-Gaillard, contribua a la prise d'Angers, et, en 1210, se signala dans une guerre conlre 1'eveque de Clermont. II monta (2) sur la flotte qui alia piller le port de Dam, en Flandre. Ces armees mercenaires,quietaienttoujours pretes, contrastaient avec les troupes feodales, si lentes a se reunir et si promptes a se disperser. Elles furent un des instru- ments dont la royaute se servit avec le plus de succes pour accablerles seigneurs feodaux qui n'etaient pas assez riches pour solder des bandes pareilles. Pbi- lippe-Auguste avait aussi une flotte, la premiere dont aient dispose les rois de France de la dynastie cape- tienne. Si Ton en croyait les exagerations poetiques de Guillaume-le-Breton, elle aurait ete plus nom- breuse que les vaisseaux des Grecs devantTroie (3). Ouoique Philippe-Auguste se soit surtout signale par des victoires et des conquetes, plusieurs mesures
(1) l>/iilippcide,[\iv. VII, v. 395 et suiv. Voy. dans YEcole des diaries, lrc serie, t. Ill, p. 417 et suiv., un article de M. Hercule c.eraud, sur les Routiers cm xinc siecle.
(2) « Gumque sua nulli rupla parcente Gadocus. » Guill. Bril., apud Her. gall, script., XVII, 233, 13.
(3) Philippdide, liv. XI, v. 303-307, ibidem, p. 233 :
«< Quod si sub numero comprendere forte labores, Navibus argolicis quas Eurus in Aulide longo Tempore detinuit, iter impediente Pelasgum Neptuno, ne Troja cadat quam struxerat ipse, Quingeutas bis quinque rates et quattuor adde. »
Voy. encore Her. gallic, script., t. XVII, p. 89, B.
MESURES ADMINISTRATIVES.
administratives de son regne eurent line certaine importance. Aiusi il etablit qu'en cas de partage (I'liii fief les cadets, an lieu de preter serment a 1'aine, releveraient directement du suzerain et lui devraient foi ethonimage (1). II prevenait, par cette loi, les sous-infeodations qui avaient morcele le domaine royal et qui s'opposaierit a I'etablissement de 1' unite monarchique. Cette mesure fut adoptee par le due de Bourgogne, les comtes de Nevers, de Boulogne et de Saint-Pol. Nous ne sommes pas encore a 1'epoque oil le roi imposera la loi a tous les seigneurs ; elle n'est encore sous Philippe-Auguste qu'une transac- tion, un contrat entre le roi et ses vassaux.
D'autres actes administratifs eurent surtout pour but 1'agrandissement et rembellissement de Paris. Jusqu'a Pbilippe-Auguste, cette ville n'etait pas pa- vee. De la une boue affreuse , d'ou Ton pretend que vint le nom primitif de Paris (Lutetia a luto}. On se- inait du foin et de la paille dans certaines rues, et quelques-unes, comme la rue d\iFouarre>en ont tire leur nom. Philippe-Auguste reunit les principaux bourgeois de Paris avec le prevot de cette ville et leur ordonna de faire paver les places et rues (2) . La con- struction du chateau du Louvre, de la cathedrale, des halles et de 1'Hotel-Dieu atteste assez 1'activite del'ad- jninistration pour i'embellissement de Paris. L'en- ceinte fortifiee fut agrandie. On batissait deja la capi- tale d'un puissant royaume. Paris recut un nouvel eclat de 1'organisation de 1'Universite vers 1'annee 1290.
(1) Ordonn. des rois dc France, 1, 29.
(2) Rigord. ap. Her. gallic, script., XVII, 82, E.
46 FONDAflON DE 1/UMVERSlTfc 1200).
Cette ville avail depuislongtemps des ecolesqui fu- rent d'abord annexees a la cathedrale et plaeees sous la surveillance du chancelier du chapitre. Elles fu- rent florissantes au xne siecle, lorsque 1'enseigneiuent d'Abelard emerveilla et scandalisa la France. Les ecoles de la cathedrale devenant trop petites, les inaitres et les ecoliers allerent s'etablir sur la mon- tagne Sainte-Genevieve et se placerent sous la pro- tection du roi. Philippe-Auguste leur accorda d'im- portants privileges (1) et les erigea en corporation ou unwersite (2). II defendit au prevot de Paris de faire arreter les inaitres et ecoliers de I'Universite, bors le cas de flagrant delit. Les prevots furent tenus en entrant en charge de s'engager par serment a res- pecter les privileges de TUniversite. Le chancelier de la cathedrale, qui pendant longtetnps avait seul accorde le droit d'enseigner, s'eleva contre les prero- gatives octroyees a cette corporation ; inais Philippe- Auguste la soutint contre le pouvoir spiritual aussi bien que contre 1'autorite temporelle , et lui donna le droit de nommer un procureur -syndic pour la de- lense de ses privileges. Le Saint-Siege, dont I'inter- vention etait necessaire dans une question qui tou- chait au pouvoir spirituel , se joignit a la royaute pour confirmer les droits de 1'Universite. Le legat d'Innocent III, Robert de Courcjon, la prit sous sa
(1) Ordonn. dcs rois de France, t. 1, p. 28. Voy. Vliistoirc dc I' Universitd de Paris par Duboulay (Bula>us}9 t. Ill, p. 2 el 3.
(2) Le mot Universite n'avait pas primilivement d'autre sens ; il designait la reunion des membres d'une corporation. La coi'poi'a- lion des bateliers de Seine s'appelait L'niversitas mercatorum aqutf.
PONDATION 1)E I/UNIVERSITE. 47
protection, etdeclaranulles et abusives les sentences du chancelier de la cathedrale de Paris. Ce fut le meme legat qui redigea, en 1215, les premiers sta- tuts de I'Universite. Les ecoles de Paris eurent bien- tot une reputation qui rejaillit sur la capitale de la France. « A cette epoque , dit Guillaume-le- Bre- ton (1), les etudes etaient florissantes a Paris. On ne voit pas qu'il y ait jamais eu un si grand concours d'etudiants a Athenes ni en Egypte. Cela tenait aux privileges et a la protection speciale que le roi Phi- lippe accordait aux ecoliers. » Le meme auteur con- firme et amplifie encore, dans sa Philippeide, 1'eloge qu'il a fait de Paris et du zele qu'on y montrait pour les lettres. «Tout ce qui a ete produit de bien paries divers pays, dit-il , les tresors des sciences, les ri- chesses de la terre, tout ce qui peut procurer des plaisirs a Tesprit et au corps, doctrines de sagesse, culture des arts liberaux, elevation de sentiments, amenite des moeurs, tout se trouve a Paris. L'Egypte, Athenes et les plus illustres cites qui aient jamais brille par les sciences, le cedent a Paris, si Ton com- pare ceux qui allaient chercher dans leur sein la science terrestre a ceux qui viennent demander a Paris une doctrine celeste. Athenes ne peut etre inise en parallele avec cette ville que parce qu'elle accor- dait comme elle le premier rang aux savants. »
Depuis cette epoque, TUniversite de Paris forma une corporation privilegiee qui avaitle droit de tenir des assemblees, de nonimer son recteur et ses prin-
(1) Guillelmus Brito, apud Rerum gallicariim scriptores, XVII, 82, E.
48 PONDATION DE I/UNIVERSllS.
cipaux dignitaires, en un mot de se gouverner elle- meme sous la surveillance de la royaute et du Saint- Siege. II en resulta dans la suite des abus qui appelerent une repression energique; mais, pendant plusieurs siecles, 1'Universite de Paris resta la fille ainde des rois et fut comblee de leurs faveurs. Elle n'avait d'abord que les deux facultes de la theologie et des arts ou des lettres; on ne tarda pas a y ajou- ter 1'etude du droit et de la medecine. Cependant Paris resta surtout fameuse par la faculte des lettres. Un poete du moyen-age, qui celebre les diverses Uni- versites, met au premier rang Salerne pour la mede- cine; Bologne pour le droit; Paris pour les lettres, et Orleans pour les premieres etudes (1). Paris rTeut meme pendant longtemps que le'nseignement du droit canon ; il faut arriver jusqu'a Louis XIV pour qu'une chaire de droit civil s'eleve a cote des chai- res de droit ecclesiastique.
Avant Philippe-Auguste, la puissance ecclesiastique avait ete presque toujours Talliee de la royaute, mais une alliee parfois menacante. Philippe-Auguste en avait fait Tepreuve. En 1200, 1'interdlt avait ete jete sur son royaume, et lui-meme s'etait vu contraint de ceder aux menaces d'Innocent III et de reprendre Ingeburge de Danemark qu'il avait repudiee. Plus t.ard, vainqueur de la feodalite , il osa tenir tete au
(1) « In morbis sanat medica virtute Salernum ^Egros ; in causis Bononia legibus ornat Nudos ; PARISIUS dispensat in ARTIBUS illos Panes, unde cibat robustos ; Aurelianum Educat in cunnis cunctorum lacte tenellos. »
(lauf. de Vino-Salvo, ap. Leyser, Hist. poet, mc-di avi, p. 920.
RELATIONS A\ EC I/EGLISE. 49
Saint-Siege et forc.a les eveques francais a s'acquitter des obligations qui leur etaient imposees. II obtint d'Eudes, due de Bourgogne, et de plusieurs autres grands vassaux, la promesse formelle de le soutenir contre le pape (1); il assigna des bornes a la puis- sance ecclesiastique , principalement en Norman- die (2) ; saisit le temporel des eveques d'Orleans et d'Auxerre qui refusaient de s'acquitter en personne de leurs droits feodaux (3). Enfm il exigea de quel- ques eveques 1'engagement formel de ne pas exconi- munierles baillis royaux sans son consentement (4). Ainsi , victorieuse de la feodalile, appuyee sur ies communes, alliee de l'Eg)ise,dont elle respectait et defendait les droits en lui imposant de sages limites, la royaute avait fait de rapides progres. Les monu- ments eleves par Philippe-Auguste et la fondation do 1'Universite prouvent qu'il ne negligea, dans sa pros- perite, ni les soins administratifs, ni le developpe- ment intellectuel du peuple qu'il gouvernait.
Le successeur de Philippe-Auguste, Louis VIII (1223-1226), etait loin del'egaleren genie politique; mais 1'impulsion etait donnee; il n'eut qu'a la suivre. 11 acheva la conquete du Poitou, y ajouta 1'Aunis et la Saintonge , le Limousin et le Perigord ; il aurait
(1) Dumont, Goi"ps diplomatique, 1, 129.— Libertes de I'tiglisc gallicane, par P. Dupuy, ch. vn.
(2) Amplissima collectio, I, 1081.
(3) Guill.-le-Breton, apud. Script, rer. gall., XVII, 82.
(4) La chart e de Robert Poulain, archev^que de Rouen, qui so trouve aux Archives iinperiales, est formelle : « Concessimus etiani ob amorem domini regis, quamdiu nobis placuerit, quod nos vel officialis noster non excommunicubimus capitales bnillivos domini regis, domino rege super hoc irrequisito, etc. »
SO LOUIS viii ; I 223-1 226).
peut-etre enleve aux Anglais toutes leurs possessions en France , s'il n'eut ete appele par le concile de Bourges a combattre les Albigeois qui s'etaient rele- ves. II n'est pas de mon sujet de raconter ces guerres. Je me bornerai a remarquer que I'heritage sanglant de Simon de Montfort revint a la royaute. Deja il avait ete stipule, en 1214, que les quatre cent trente fiefs distribuesauxcroises dans le Languedoc seraient regis par la coutume de Paris, et que pendant vingt ans les possesseurs de ces fiefs n'armeraient que des homines du nord de la France. Les Montfort, trop faibles pour etablir solidement leur domination dans la France meridionale, cederent leurs conquetes a Louis VIII. II s'empara du Bas-Languedoc (1225- 1 226) , et y fonda les senechaussees de Beaucaire et de Carcassonne.
II faut encore remarquer sous ce regne un arret de 1224 (1), qui identifie la cour du roi avec la cour des pairs. La premiere se composait des principaux feudataires du duche de France et des grands ofti- ciers de la cour on ne (minister ia les palatii domini regis] ; la seconde, ou se reunissaient les grands fen- dataires du royaume tout entier, pretendait avoir seule le droit de juger les proces des pairs. En 1224, un diflferend entre la comtesse de Flandre et Jean de Nesles fut porte devant le roi. Les grands offi- ciers de la couronne reclamerent le droit de juger cette affaire avec les pairs du royaume. Vainement les pairs s'y opposerent; le roi decida en favour des
(1) Voy. cet arr6t dans Ducange, v° PARES.
COUR DES PAIRS MODIFIES. 21
grands officiers. Des lors la cour du roi, qu'on ap- pela bientot parlement, se confondit avec la cour des pairs, et jugea souverainement tous les proces qui s'eleverent entre les grands vassaux. Cette conquete de 1'autorite monarchique ne tarda pas a etre suivi(^ d'un nouveau progres. Le roi adjoignit aux grands feudataires et aux grands officiers de la couronne de simples legistes, imbusdes principes du droit romain et decides a faire prevaloir 1'autorite monarchique. Peu a peu la cour des pairs devint un tribunal tout devoue a la royaute. La federation feodale allait l)ientot faire place a 1'unite monarchique.
CHAPITRE II.
Sommaire.
Louis ix ou SAINT-LOUIS (1226-1270). — Blanche de Cas- tille , mere de Saint-Louis , aflermit 1'autorite royale ; la royaute est reconnue comme puissance souveraine dans la France entiere; influence du droit romain. — Du par- lement sous Saint-Louis; introduction des legistes dans la cour du roi ; Olim; puissance du parlement. — Adminis- tration locale : baillis et senechaux; cumul des fonctions judiciaires, militaires et financieres; precautions prises par Saint-Louis pour restreindre I'autorite des baillis et des se- ne'chaux; enquesteurs royaux. — Repression des guerres privees : Quarantaine-le-Roi ; assurement; interdiction ab- solue des guerres privees. — Reformation de la justice : abolition du duel judiciaire ; appels; cas royaux; suppres- sion des mauvaises coutumes. — Administration financiere : etablissement d'une monnaie royale; repartition de I'impot par les e'lus ; commissaires charges de surveiller les comp- tes des baillis et senechaux. — Reforme des communes et de la prevote de Paris ; Etienne Boyleau ; le Livre des Metiers.
— Resultats de 1'administration de Saint-Louis pour le commerce, I'industrie, 1'agriculture , les letlres et les arts.
— Legislation religieuse : durete a 1'egard des juifs, des heretiques et des blasphemateurs ; Prdytnfttiqite Sanction.
Apres la mort de Louis VHI, en 1226, les trou- bles d'une minorite (1226-1236) suspendirent pour quelque temps les conquetes du pouvoir royal. Mais la fermete de Blanche de Castillo, mere de Saint-
24 SAINT-LOUIS (4226-1270).
Louis, reprima 1'audace des grands vassaux ; elle prepara la reunion du Languedoc a la couronne par le mariage d'un de ses fils, Alphonse de Poitiers, avec la fille etheritiere de Raymond VII (1229), obtirit de Thibaut de Champagne la cession des comtes de Blois et de Chartres (1234), et par le mariage de Charles d'Anjou avec Beatrix de Provence, etendit 1'influence des Capetiens jusque dans le bassin du Rhone. Saint-Louis acheva par les lois la victoire commencee par les armes. II contraignit les sei- gneurs feodaux de reconnaitre 1'independance abso- lue de la royaute. Deja Philippe-Auguste avait refuse de se soumettre a 1'etrange coutume qui obligeait le suzerain de faire hommage a son vassal. Du temps de Saint-Louis, les jurisconsultes erigerent cette independance de la couronne en principe poli- tique. « Le roi, disent les fitablissements (1), est sou- verain et sa cour souveraine.»
Bientot les jurisconsultes, imbus de Tesprit du droit romain qui proclamait le souverain la lot vi- vante, allerent plus loin et pretendirent soumettre tous les grands vassaux a la puissance legislative de la royaute. « Ce qui lui plait a faire doit etre tenu pour loi, » dit Beaumanoir (2). — « Vrai est, ajoute le meme jurisconsulte (3), que le roi est souverain par-dessus tous, et a, de son droit, la garde gene- rale de son royaume, par quoi il peut faire tels eta-
(1) titablissements de Saint-Louis, liv. II, chap. xxvu.
(2) Coutumes de Beauvoisis, par Phil, de Beaumanoir, tfdit. de M. Reugnol, t. II, p. 57.
(3) I bid., page 22.
PUISSANCE DE L\ ROYAUTE. $5
blissements, cominc il lui plait, pour le coimnun profit, et ce qu'il etablit doit etre tenu. II n'y a nul si grand au-dessous de lui qui ne puisse etre trait en sa cour par defaute de droit ou pour faux juge- nieiit. » Ainsi, d'apres les principes proclames par lesjurisconsultes, la France entiere etait soumise aux lois royales, et les plus puissants seigneurs forces de comparaitre devant les juges royaux. Toute autre justice emanait du roi , comme de la seule puissance souveraine. « Toute juri diction laique du royaume, dit Beaumanoir (1), est tenue du roi en fief et en ar- riere-fief. »
On trouve ici en presence deux principes comple- teinent opposes, et dont la lutte remplit plusieurs siecles de notre histoire : d'un cote la feodalite, qui attache la souverainete au sol, a la propriete territo- riale, et qui resume son droit dans cette maxime : Pas de seigneur sans terre; de 1'autre, le droit ro- main, qui considere la souverainete comme une puis- sance abstraite, emanation de la divinite, la repre- sentant sur la terre et communiquant son droit a qui bon lui semble sans attacher le pouvoir a une pro- priete territoriale. Les jurisconsultes travaillerent avec perseverance et succes a faire triompher les principes de la loi romaine. Le droit feodal est a leurs yeux un droit haineux, qui, par le moyen de la cou- tume du pays, est contraire au droit e'crit (2). La royaute leur apparaissait tellement comme une ma-
(1) Beaumanoir, i&tW., 1, 163.
(2) J. Bouteiller, Somme ruralc, 6dit. de 1603, p. 3,
26 DU PARLEMENT SOUS SAINT-LOUIS.
nifestation de la puissance divine, qu'ils declaraient crime de sacrilege la revolte centre ses ordonnan- ces (1). Us 1'assimilaient entierement a la puissance imperiale et declaraient que le roi etait empereur dans ses Etats (2). II s'agissait de faire passer cette theo- rie dans la pratique. Saint-Louis y contribua puis- samment par 1'organisation du parlement et par 1'extension qu'il donna a la puissance de ses baillis et senecbaux.
Le parlement, qui commence a se constituer sous Saint-Louis, etait 1'ancienne cour du roi, dont le pouvoir s'etait etendu et fortifie par 1'arret de 1224 (3). Les juriscorisultes, que Saint-Louis y ap- pela, n'etaient d'abord que les conseillersdes barons et des prelats, qui seuls rendaient les arrets ; mais ils ne tarderent pas a monter, comme (lit Saint-Si- mon, des banes inferieurs sur les hauts sieges du parlement, et finirent meme par juger seuls et rem- placer entierement les seigneurs feodaux et les pre- lats. Cette revolution ne s'accomplit que successive- ment, mais, des la seconde moitie du regne de Saint-Louis, le parlement devint le centre de 1'admi- nistration monarchique : justice, finances, actes ad- ministratifs etaient de son ressort. II etait tout a la fois cour de justice et chambre des comptes (4). Le
(1) Bouteiller, ibid., p. 171.
(2) Jbid., p. 195 et 646.
(3) Voy. plus haut, pag. 20-21.
(4) Voyez le recueil des Olim qui a et6 public par M. le comte Beugnot, dans la collection des Documents inedits relatifs a I'llisloire do France. On lit, entre autres, dans le tome I, p. 838: « Istud expediluin fuit Parisius in c&mpotis Assuinpciuuis beaiac Mariae Virginis. »
BAILL1S ET SESECI1AUX. 27
recueil des arnHs, designe sous le 110111 d'O/i///, d<i- vint la regie des magistrals royaux envoyes dans les provinces. C'etait du parlenieiit que le roi tirail ordinairement les baillis et les senechaux ; c'etait la qu'ils venaient rendre compte de leur administration judiciaireet financiere. Malgre ces modifications qui donnent au pariement une si grande importance dans 1'organisation administrative de la France , il con- servait encore un caractere profondement feodal , se composait en majorite de barons etde prelats et ne se reunissait que de loin en loin aux epoques ou les seigneurs feodaux tenaient ordinairement leurs assises.
Au-dessous du pariement, centre et lumiere de 1'adininistration monarchique, Saint-Louis multiplia dans les domaines royaux des magistrats appeles baillis, senechaux, prevots et vicomtes. L'institution est anterieure, puisque deja les baillis sont mention- nes dans le Testament de Philippe- A uguste, mais elle fut developpee et perfectionnee par Saint-Louis, Quatre grands baillis furent etablis : a Amiens, pour les provinces du nord (Vermandois et Artois) ; a Sens, pour la France centrale (ducbe de France, Maine, Anjou et Touraine); a Macon, pour les provinces orientates (Bourgogne, Forez et Beaujolais) ; enfm, a Saint-Pierre-le-Moutier, pour 1'Auvergne. La furent jusqu'a la fin de 1'ancienne monarchie les sieges des grands bailliages qui ressortissaient au pariement de Paris et recevaient les appels des justices seigneu- Hales. La Normandie avait conserve son echiquier
28 ENQUfcTEURS ROYAUX.
dont on fait remonter 1'origine jusqu'a Rollon (1), et le Languedoc ses senechaussees , dont les appels furent dans la suite portes au parlement de Toulouse. Les baillis et senechaux cumu- laient les attributions les plus diverses ; chefs militaires, juges, percepteurs d'impots, ils auraient pu opprimer le peuple et usurper une autorite qui les aurait assimiles aux dues et aux comtes de 1'em- pire franc. Pour prevenir ce danger et obeir aux in- spirations de sa conscience toujours soucieuse du bien public, Saint-Louis adopta des mesures qui furent confirmees et etendues par Philippe-le-Bel : nomina- tion des baillis et senechaux pour trois ans, defense d'acquerir des proprietes, de se marier ou de marier leurs enfants dans le pays qu'ils administraient, exa- men de leurs comptes par la cour du roi (2) ; in- spections frequentes par les enquesteurs royaux qui rappelaient les missi dominici de Charlema- gne (3) ; ordre aux baillis et senechaux de rester cin-
•
(1) L'ftchiquier de Normandie fut pendant longtemps, comme le parlement de Paris, chambre des comptes aussi bien que cour de justice. Voy. YHistoire de I'Echiquier de Normandie 9 par M. Flo- quet.
(2) Voy. dans le Recueil des Ordonn. des rois de France, t. I, p. 65, 76, 77. 104, et t. XT, p. 330, les ordonnances de juillet et decembre 1254, de fevrier 1254 (1255) et de 1256. — Le serment impost aux baillis se trouve dans Ducange , v° BAJULUS vel BAIL- LIVUS.
(3) « Aucune fois le benoict P.oi oit que ses baillis et prevosts fe- soient au peuple de sa terre aucunes injures et torts, ou en jugeant mauvaisement ou en oslant leurs biens contre justice; pour ce ac- coustuma il a ordener certains enquesteurs... a enquerre contre les baillis et centre les pr6vosls et contre les autres sergents par le royaume, et donnoitau dis enquesteurs pouvoirque, s'ilstrouvoient aucuues clioses des baillis et autres ofliciers oslces maleinenl ou
QUARANTAINE-LE-ROI. 29
quantc jours dans leur province apres I'expiration de leur charge pour repondre aux accusations por- tees contre eux (1). Ce qui valait mieux encore quo ces sages lois, c'etait 1'exemple du saint roi, et sa purete morale qui penetrait dans tous les rangs de I'adniinistration. On ne peut lire sans admiration le portrait qu'un de ses contemporains, Philippe de Beaumanoir, a trace du bailli probe et loyal (2).
Saint-Louis n'usa de cette puissance qu'il avait organisee dans tout le royaume que pour le bien de la France. Les guerres privees etaient le plus odieux abus du systeme feodal, et la treve de Dieu n'avait ete qu'une faible tentative pour mettre un terme a cette calamite. Saint-Louis y apporta un re- mede plus efficace. En 1245, il renouvela \aQua- rantaine-le-Roi, dont on attribue la premiere pen- see a Philippe-Auguste. Cette mesure d'ordre public etait destinee, selon les termes memes de Tordon- nance (3) « a la tuition du pays et des habitants du royaume. » La Quarantaine-le-Roi suspendait les guerres privees pendant quarante jours et les chan- geait en un proces qui etait porte devant les ma- gistrats royaux. Celui, en faveur duquel le roi s'etait
soustrailes a quelques personnes que ce fust, que les fissent resla- blir sans demeure, et avec tout ce, que ils ostassent de leurs of- fices les mauvais prevosts et les autres moindres sergents qu'ils trouveroient dignes d'estreostes.» Recueil des kistoriensdc France, XX, 119.
(1) Ordonnance de decembre 1254, dans le Recueil des Or don- nances des rois de France, I, 65.
(2) Goutumes de Beaiwoisis, par Philippe de Beaumanoir , cha- pitre i, intitule dc I'officc as baillis.
(3) Recueil de$ Ordonnances, f, 58.
30 PROHIBITION DES GlERRES PRIVEES.
prononce, avait son assurement et etait soutenu par toutes les forces de la rdyaute. Apres son retour de la croisade, Saint-Louis prohiba entierement, au mois de Janvier 1257 (1258), les guerres privees , qui en- trainaient des incendies et la perturbation du labou- rage (1). II fut 1'homme du monde, qui plus se tra- vailla, comme dit Joinville, a mettre paix et concorde entre ses sujets.
[/administration de la justice appela aussi toute son attention, et Ton sait avec quel zele le bon roi, sous le chene de Vincennes ou en son jardin de Pa- ris, s'efforc.ait de terminer les proces (2). Supprimer le duel judiciaire, qui, pour me servir des termes memes de Saint-Louis, n'etait pas voie de droit , substituer a cette coutume barbare la procedure par temoins (3) ; centraliser la justice en portant 1'appel des juridictions feodales devant les baillis royaux et de ceux-ci devant la cour du roi ou parlement (4) ; multiplier les cas royaux (5) , qui ressortissaient au tribunal des baillis et annulaient les justices sei-
(1) Ordonn.yL I, p. 84 : « Noverilis nos guerras wines inhibuisse in regno et incendia et carrucarura perturbationem. »
(2) Joinville, edit, de 1786, II, 1A2-143.
(3) Ordonnances^ S6.—£lablissements de Saint-Louis, liv.il, chap. IT, in, iv, v, etc.
(A) titablissements, liv. I, ch. LVII, LXXVIII, etc.
(5) Les premiers cas royanx, ou crimes dont la connaissance e"tait re"serv6e aux magistrats royaux, etaient le meurtre,\t rapt, Yliomicide et la trakison. An xine siecle on y ajouta les sacri!6- ges, la fabrication de la fausse monnaie, les attentats centre la su- relc publiquc el la rebellion centre les ofiiciers royaux. Les cits royaux n'elaient pas clairement d^finis, et les baillis profitaienl de ce vague pour etendre leur puissance.
REFORMATION DE LA JUSTICE. 31
gneuriales; reformer les mauvaises coutumes (1); luire reciu'illir et rediger celles que le temps et la raison avaient consacrees (2), telles furent les prin- cipales mesures de Saint-Louis pour la reformation de la justice. Elles eurent d'importants resultats : les coutumes de Paris, de Normandie, de Beauvoisis furent recueillies et publiees (3). Des usages iniques furent abolis, par exemple la coutume de Touraine qui condamnait a perdre un membre, le serviteur ou la servante qui avaient vole a leur maitre un pain, une poule, un pot de vin (4). Saint-Louis supprima aussi une coutume de Vermandois qui defendait de relever une charrette versee sous peine de soixante livres d'amende (5).
La diversite des monnaies entravait le commerce, et souvent meme les seigneurs faisaient en les alte- rant une odieuse speculation. Saint-Louis frappa
(1) Voy. le recueil des Olim, t. I, p. 497, 530-531, 562, 563, etc. Apres avoir cite la coutume abolie par Saint-Louis, les arrets se lerminent souvent par ces mots : « Dominus rex amovit istam consuetudincm. » Un des successeurs de Saint-Louis a digne- ment exprime ce devoir de la royaute" : « Opus bonum et regia inagnificenlia dignum facimus quoties illicitas consuetudines extin- guimus, et pravas consuetudines abolemus. » Ordonn. des rois de France, II, 434.
(2) Saint-Louis ordonna une enqiiete sur toutes les coutumes du royaume, afm de les faire rediger. pest ce qu'atteste un acte tire d'un manuscrit de la Bibl. impe"riale, intitule : CartuLaire de Saint- Louis, t. 1, p. 458.
(3) La Coutume de Paris a ete publie'e sous le titre ftfitablissc- ments dc Saint-Louis. Philippe de Beaumanoir a donne" la Cou- tume de Beauvoisis. La Coutume de Normandie e"tait traduite en vers francais avant la fin du xme siecle. Ilouard a public cette Iraduction dans Touvrage intitule : Lois angto-normandcs.
(4) Rccucildes anc. lois fraiif., I, 295.
(5) Ibid., 280.
32 ADMINISTRATION FINANClfeRE.
line monnaie excellente qui devait avoir cours dans tout le royaume et annonga 1'intention de supprimer toutes les monnaies feodales dans un delai fixe (1). Des bourgeois de Paris, de Provins, d'Orleans, de Sens et de Laon concoururent a la redaction de cette ordonnance. Saint-Louis voulut, comme Phi- lippe-Auguste, que le peuple prit part a la repar- tition et a la perception de 1'impot, dont il suppor- tait tout le fardeau. Mais il adopta des precautions minutieuses pour prevenir les abus. Les villes de- vaient d'abord nommer trente ou quarante bour- geois, selon 1'importance de la cite. Ceux-ci choi- sissaient douze d'entre eux pour proceder loyalement a 1'assiette de taille. Enfin les douze repartiteurs nommaient a leur tour quatre prud'hommes (boni homines, probi homines), qui devaient taxer les re- partiteurs eux-memes et percevoir la taille. Cette derniere election etait tenue secrete et les noms des quatre bourgeois n'etaient proelames qu'au moment de la perception de I'impot (2). Telle fut 1'origine des Etus , qui n'avaient d'abord pour mission que de faire la repartition des impots, et qui au xive siecle devinrent des fonctionnaires publics, comme le prouve 1'histoire des regnes de Jean et de Charles V. Enfin des gens de la cour du rot ou parlement rece- vaient la mission d'aller dans les provinces surveiller 1'administration financiere et ouir les comptes des baillis et des senechaux (3) ; il etait expressement
(1) Ordonnances des rois de France, I, 93. (2)/«<t, 291.
(3) « Gentes quae ad nostros compolos deputantur. »> Ordonn. de 125() dans les Ordonn, des rois de France, I, 83.
REFORMS DES COMMUNES. 33
deTendu a ces derniers de leur faire aucun pre- snet.
Les reformes de Saint-Louis s'etendirent a 1'admi- nistration municipale. Les communes etaient dechi- rees par des factions, par des guerres civiles, par les rivalries des riches bourgeois et des gens de metier; souvent, au milieu de ces luttes, les elections muni- cipales devenaient impossibles. L'aristocratie bour- geoise chargee de regir les revenus communaux reje- tait sur les pauvres tout le fardeau des impots et fai- sait largesse des deniers de la commune. Saint-Louis init un terme a ces desordres ; il determina le mode d'election des maires etdes echevins,et leur enjoignit de venir rendre compte a Paris de leur administration fmanciere (1). II prit toutes les precautions necessai- res pour que ces voyages ne fussent point onereux aux communes, et il alia meme jusqu'a fixer le nombre de chevaux dont les maires pourraient disposer lors- qu'ils se rendraient a Paris. En meme temps il se reservait, au moins pour certaines provinces, 1'elec- tion du maire. Les bourgeois devaient presenter trois candidats, entre lesquels le maire serait choisi par le roi (2). Les communes etaient ainsi de plus en plus soumises a 1'influence de 1'autorite monarchique.
De toutes les villes qui appelaient des reformes, Paris etait celle ou les abus etaient les plus graves. La prevote y etait venale, et les prevots encourageaient lo mal au lieu de le reprimer. « Quand il advenoit, dit
(1) Ordonn. des rois de France, I, 82 et 83.
(2) Jbid., f, 83.
34 REFORME DE U PREYOTfc DE PARIS,
Joinville (1), qu'aucuns 1'avoient achetee, ils soute- noient leurs enfants et leurs neveux en leurs outra- ges , car les jouvenc,aux avoient fiance en leurs pa- rents et en leurs amis qui tenoient la prevote. Pour cette chose etoit le menu peuple trop defoule ni ne pouvoit avoir droit des riches hommes pour les grands presents et dons qu'ils faisoient au prevot. Qui a ce temps disoit vrai devant le prevot ou qui vouloit son serment tenir, pour n'etre parjure d'au- cune dette ou d'aucune chose ou il fut tenu de re- pondre, le prevot en levoit 1'amende et il etoit puni. Par les grands parjures et par les grandes rapines qui etoient faites en la prevole, le menu peuple n'o- soit demeurer en la terre da roi, mais alloit de- meurer en autres prevotes et seigneuries, en etoit la terre du roi si deserte, que, quand il tenoit ses plaids, il n'y venoit pas plus de dix personnes ou douze. Avec ce, il y avoit tant de larrons et malfaiteurs a Paris et dehors que tout le pays en etoit plein. Le roi, qui mettoit grande diligence comment le menu peuple fut garde, sut toute la verite ; il ne voulut plus que la prevote fut vendue ; mais il donna gages bons et grands a ceux qui des ores en avant la gar- deroient, et toutes les mauvaises coutumes, dont le peuple pouvoit etre greve il abattit, et fit enquerir par tout le royaume et par tout le pays/ou il pourroit trouver homme qui fit bonne justice et roide, sans avoir egard au riche plus que au pauvre, et lui fut amene un qu'on appeloit Etienne Boyleau, auquel il
(1) Joinville, £dit. de 1786, t. II, p. 272.
RtiFORME DES CORPORATIONS D*ARTS ET METIERS. 35
donna 1'office de prevent de Paris. » ^tienne Boyleau on Boyleve chatia les malfaiteurs sans distinction de rang ni de naissance, repeupla Paris et la prevote, et favorisa 1'industrie en recueillant, amendant et pu- l)Iiant, d'apres 1'avis des notables des divers metiers, les establissements des metiers de Paris (\ } .
Les corporations industrielles etaient une necessity de cette epoque. Elles donnaient une garantie de I'hatilete de 1'ouvrier, qui etait tenu de faire son chef-d'oeuvre avant de passer maitre ; elles le sou- mettaient a la surveillance des gardes du metier, qu'on appela dans la suite les syndics de la corpora- tion ; elles assuraient des secours au compagnon pauvre ou infirme, et etablissaient une veritable fra- ternite entre les ouvriers d'un meme metier. Tel etait du moins 1'ideal de ces associations industrielles : malheureusement elles reposaient trop souvent sur 1'esprit d'exclusion et de monopole. Saint-Louis ren- dit un veritable service a 1'industrie, en les soumet- tant a la surveillance du pouvoir central. L'autorite monarchique, dans cette matiere comme dans toutes les autres parties de radministration, intervint avec le caractere d'une puissance bienfaisante, superieure aux passions egoistes et visant au bien general. Le Livre des metiers en fournit la preuve : « Pour ce que nous avons vu de notre temps, dit fitienne Boyleau, moult de plaids et de contestations par la deloyale envie qui est mere de plaids et par effrenee corivoitise, et par le non-sens aux jeunes et ignorants,
(1) Le Livre des metiers a 6t6 publte par M. Depping, dans les Documents ine"dits de I'llistoire de France.
36 LE LIVRE DES METIERS.
notre intention est a eclairer au mieux que nous pourrons tous les metiers de Paris, leurs ordonnan- ces, les delits de chaque metier et les amendes. »
Le Livre des metiers fournit de curieux renseigne- ments sur 1'etat de 1'industrie a 1'epoque de Saint- Louis. On y voit que plusieurs corporations s'occu- paient de 1'armure des chevaliers. Les lormiers et e'peronniers travaillaient a forger les morels des che- vaux, et a dorer les eperons des chevaliers. D'autres faconnaient et ornaient de blasons et de peintures les selles des chevaux. Les heaumiers fahriquaient les casques fermes appeles heaumes et les ciselaient avec art. Plusieurs corporations se composaient d'artistes autant que d'ouvriers : ainsi les maitres tailleurs d'images etaientsouvent d'habiles sculpteurs, comme quelques maitres des ceuvres de maconnerie furent d'admirables architectes; la Sainte-Chapelle et la chapelle de Vincennes suffiraient pour 1'attester. Les reliquaires, travailles avec un art si patient et si de- licat, prouvent a quel degre de perfection avaient ete portees 1'ivoirerie et Torfevrerie. Les maitres table- tiers et huclietiers ont laisse des bahuts et des dres- soirs que recherchent les amateurs du m oven-age et qui ont un merite reel, meme aux yeux de ceux qui ne cedent pas a Fengouement et aux caprices de la mode.
Parmi les corporations qui s'pccupajent de Fhabil- lement, les fourreurs et les pelletiers etaient au pre- mier rang. Les riches fourrures, que portaient les chevaliers et les nobles dames, donnaient beaucoup d'importance a cette branche d'industrie. Les peaux
L'INDUSTRIE sous SAINT-LOUIS. 37
de castor et de martre excitaient une admiration qui allait jusqu'a la folie, dit nai'vement un chroniqueur du moyen-age (1). La fourrure tachetee appelee vair (varium}, dont on garnissait les manteaux et le bon- net ou mortier des chevaliers, etait aussi en grande estime ; les ecclesiastiques en ornaient les vetements sacerdotaux, malgre la defense des synodes (2). Les gantiers fac,onnaient des gants de toute nature; il y en avait de souples, legers et gracieux, qu'on appe- lait gants a demoiselles. Un petit poeme, intitule Dit du mercier, detaille avec complaisance toutes les ri- chesses industrielles de cette epoque : aumonieres ou bourses de soie et de cordouan , pierres precieuses travaillees avec art, chapeaux de fleurs, etc. Les halles, ou chaque corporation avait sa place dis- tincte, presentaient un aspect anime et pittoresque. C'etait surtout aux foires de Champagne et du Lendit ( foire de Saint-Denis ) que 1'industrie du moyen-age etalait ses produits les plus varies et les plus brillants. Ces foires formaient deveritables villes improvisees, avec leurs quartiers et leurs rues. Un poete du moyen-age enumere quelques-unes des corporations qui les frequentaient; il raconte qu'il a
Au bout,par dega regratiers, Trouve barbiers et cervoisiers, Taverniers et puis tapissiers ; Assez pres d'eux sont les merciers.
(1) wPellescastorum et marturum, qua? nos admiratione sut demen- tes facinnt. » Adam de Br£me, Description du Danemark, c. 229.
(2) « Quod archiepiscopus varium non ferret. » Albert. Stadens, ad ann. 1183. • — « Capa rhoralis pellibns variis fnrata. » Mathien Paris, ad ann. 1237.
I. k
38 L'INDUSTRIE sous SAINT-LOUIS,
A la c6te du grand chemin Est la foire du parchemin ;
Et apres trouvoit les pourpoints
Puis la grande pelleterie...
Puis m'en revins en un plaine,
Ou Ton vend cuirs crus et laine ;
M'en vins par la fe"ronerie;
Apres Irouvai labatterie (chaudronniers),
Courdouaniers et boureliers,
Selliers et fremiers et cordiers...
Apres les joyaux d'argent
Qui sont ouvres d'ofevrerie.
Les marchands ne negligeaient pas, dans ces fetes del'industrie, les artifices de la coquetterie feminine ; on voit, en effet, que des cette epoque le fard etait en usage. Les synodes reprochent aux femmes de se peindre le visage et de vouloir changer la figure que Dieu leur a donnee (1).
Le meilleur moyen de favoriser et de gagner la bourgeoisie etait d'etendre le commerce, principe de ses richesses et de son influence. La royaute avait des ports sur 1'Ocean depuis la conquete de Philippe- Auguste. Saint-Louis creusale port d'Aigues-Mortes, sur la Mediterranee (1246), et accorda d'importants privileges aux habitants; il obtint du due de Breta- gne qu'il renoncerait au droit debris (2), privilege odieux qui lui livrait les depouilles des naufrages. Les lois d'Oleron ou Jugements de la mer etablirent un droit des gens pour les inarins. Les croisades de Saint-Louis, 1'essor qu'elles donnerent a la marine, les longs voyages de Plan-Carpin (1246) etde Rubru-
(1) D. Martene, Thesaurus anecdotorum, IV, 661.
(2) Anc. lois franf., I? 238.
COMMERCE SOUS SAINT-LOUIS. 39
quis (1252), qu'il encouragea dans une pens6e toute religieiise, ouvrirent de nouvelles voies au commerce de la France. Les denrees venues de 1'Asie a Mar- seille, a Aigues-Mortes, a Narbonne, etaient trans- portees dans le nord de la France, exposees aux foi- res de Troyes, de Saint-Denis, et echangees centre les produits de I'industrie francaise. Saint-Louis fa- vorisa surtout le commerce en assurant la securite des routes, en rendant les seigneurs responsables des vols commis sur leurs terres (1), en detruisant les peages multiplies par la fiscalite feodale (2), et en forcant quelquefois les villes a lever les obsta- cles que leurs privileges opposaient au commerce. Les Rouennais pretendaient avoir le monopole de la navigation sur la basse-Seine, et levaient des im- pots sur les navires qui remontaient ce fleuve. Saint-Louis les menaca de creuser un port sur la Seine, dans un lieu nomme Couronne, qui faisait partie du domaine royal, et il les contraignit a se relacher des droits exorbitants que les anciennes cbartes leur avaient accordes (3).
La population des canlpagnesprofita, commecelle des villes, de Tadministration bienfaisante de Saint- Louis. L'esclavage avait disparu ; le servage fut adouci. Pbilippe de Beaumarioir (4) conseille aux seigneurs d'affranchir leurs serfs. « Vous pouvez en-
(1) Recueil des Olim, I, 328.
(2) Ibid., pag. 126 et 127.
(3) La charte de transaction enlre le roi et les bourgeois de Rouen est conserved aux Archives imperiales.
L(4) Gout tunes de Beauvoisis, cli. XLV.
40 L'AGRICULTURE PROTEGEE.
tendre, leur dit-il, que grande aumonc fait le sire qui ote les serfs de servitude et les met en franchise ; car ce est grand mal, quand chretien est de serve condition. » Le meilleur moyen de proteger les serfs et les paysans etait de faire regner 1'ordre et la secu- rite dans le royaume. Saint-Louis y parvint en prohi- bant les guerres privees, et tout prouve qu'al'abri de la salutaire protection du roi 1'agriculture devint flo- rissante. Lorsqu'au commencement de la guerre de cent ans, les Anglais entrerent en Normandie, ils trouverent cette province dans un etat de prosperite agricole et industrielle qu'il faut surtout attribuer a 1'administration de Saint-Louis.
Ce prince ne negligea pas les ecoles ; les privileges de 1'Universite de Paris furent continues (1). Les eco- les d'Orleans s'organiserent et furent specialement consacrees a renseignement du droit (2). Robert Sorbon, confesseur de Saint-Louis, fonda la Sor bonne pour I'enseignement de la theologie. Le roi favorisa les ordres mendiants, qui , nes en Italie et en Espa- gne, se propagerent en France sous son regne. Ces institutions monastiques repondaient a un besoin de la societe. Au commencement du xme siecle, 1'Eglise nvait ete attaquee avec violence : lesAlbigeois avaient renouvele les heresies orientales, pendant que les Vaudois annongaient Tintention de revenir a la sim- plicite evangelique. Les freres precheurs et mineurs, qu'on appelle aussi Dominicains et Franciscains, op-
(1) Ordonnances,XI, 326.
(2) L'Universite d'Orleans ne fut compl^tement organisee qu'en 1307. Pasquier, llccherches de la France, liv. lll,ch. x.
I'ROGRtS i)KS LKTTKKS KT DKS ARTS. 4J
poserent a ces nouvelles doctrines une pauvrete ab- solue et une science profonde. Les theologiens et les philosophes les plus eminents du treizieme siecle sor- tirent de leurs couvents. Au-dessus de tous se placent le franciscain saint Bonaventure et le dominicain saint Thomas d'Aquin , qui fut un des confidents de Saint-Louis. Ce prince confia plusieurs chaires de 1'Universite de Paris aux moines mendiants.
Sous sonregne, ('architecture qgivale parvint a son plus haul degre de perfection, et la Sainte-Chapelle en est restee le type le plus admirable. Quiconque s'est occupe de paleographie sait que les cbartes de cette epoque se distinguentparla beaute de la calligraphic. Ainsi tout se reunit pour donner au regne de Saint- Louis un caractere de grandeur et de superiorite mo- rale qu'ont admire tous les historians modernes, sans distinction de parti (1). Tous ont proclame 1'accord merveilleux de la piete la plus scrupuleuse et de la politique la plus habile; jamais la conciliation pro- fonde et intime de 1'utile et du juste n'a paru plus manifeste que sous ce regrie. Est-il necessaire de rappeler les asiles ouverts par Saint-Louis a la vieil- lesse et a la maladie, rachevement de 1'Hotel-Dieu et la fondation de I'hopital des Quinze-Vingts, oil de- meuraient, dit Guillaume de Nangis, plus de trois cent cinquante aveugles ?
Malheureusement Saint-Louis ne s'eleva pas tou-
(1) Voy. Guizot, Cours (Chistoirc dc la civilisation en France. — Michelet, Hisloire dc France, t. II. — Mignet et Beugnot , Mcinoircs stir les Institutions de Saint-Louis. — Henri Martin, Histoire dc France, etc.
? LEGISLATION RELIGIEUSE.
jours au-dessus de son siecle, et on trouve dans ses lois des traces de la barbaric du moyen-age. Les ri- gueurs contre les beretiques,la persecution des Juifs, la cruante des ordonnances contre les blasphema- teurs (1), sont une triste preuve de Timperfection de toutes les oeuvres humaines. Cependant la piete de Saint-Louis etait eclairee; il sut resister au clerge, quand les pretentious de cet ordre lui parurent exor- bitantes. Joinville (2) raconte qu'un jour tous les pre- lats se trouverent a Paris pour parler au roi. « Quand il le sut, il se rendit au palais pour la les ou'ir de ce qu'il vouloient dire. Quand tous furent assembles, 1'eveque d'Auxerre eommenca a dire au roi, par le conge et consentement de tous les autres prelats : « Sire, sachez que tous ces prelats, qui sont ici en » votre presence, me font dire que vous laissez per- » dre toute la chretiente et qu'elle se perd entre vos » mains. » — Adonc le bon roi se signa de la croix et dit : « Eveque, or me dites comment il se fait et » par quelle raison. » — « Sire, fit 1'eveque, c'est » pour ce qu'on ne tient plus compte des exeommu- » nications. Car aujourd'hui un homme aimeroit » mieux mourir tout excommunie que de se faire ab- » soudre, et ne veut nul faire satifaction a TEglise. » Les eveques, Sire, vous requierent tous a une voix » pour Dieu, et pour ceque ainsi le devez faire, qu'il » vous plaise commande a tous vos baillis, prevots » et autres administrateurs de justice que, ou il sera
(1) OrdonnanccSy I, 53, 5/i, Go, G/i, 100, 105, etc.
(2) fidiU retilol, p. 185-186.
ABUS DBS EXCOMMUNICATIONS i 43
» trouve aucun en votre royauuie, qui aura etc un an » continuellement excommunie, ils le contraignent a » se faire absoudre par la prise de ses biens. » Le saint homme repondit que tres-volontiers il le com- manderoit faire a ceux qu'on trouveroit etre injustes envers 1'liglise ou a leur prochain. L'eveque ditqu'il n'appartenoit pas aux officiers royaux de connoitre de leurs causes. Et a ce repondit le roi qu'il ne le fe- roit autrement. II disoit que ce seroit centre Dieu et centre raison qu'il fit contraindre a se faire absoudre ceux, a qui les clercs feroient tort, et qu'ilsne fussent ouis en leur bon droit. Et de ce leur donna I'exemple du comte de Bretagne, qui par sept ans avoit plaide contre les prelats de Bretagne tout excommunie, et fmalement ayoit si bien conduit et mene sa cause, que notre Saint-Pere le pape les avoit condamnes. Par quoi il disoit que, si, des la premiere annee, il eut voulu contraindre icelui comte de Bretagne a se faire absoudre, il eut convenu laisser aux prelats contre raison ce qu'ils demandoient outre son vouloir, et que en ce faisant il eut grandement mefait envers Dieu et envers le dit comte de Bretagne. Apres les- quelles cboses ouies par tons iceux prelats, il leur suffit de la bonne reponse du roi, et onques plus n'ai oui parler qu'il fut fait demande de telles choses. »
La saintete du roi le rendait plus hardi pour la repression des abus ecclesiastiques. Sa pragmatique sanction (1) eut pour but de mettre un terme a
(1) Ordonnanccs, f, 97 ct 98, et XVI, 161.
44 PRAGMATIQLE SANCTION (1268).
quelques exactions dont profitait la cour de Rome, et de retablir 1'ancienne discipline pour la nomina- tion des eveques et des abbes; les chanoines et les moines recouvraient le droit d'election , dont la papaute avait voulu les priver. Les patrons, c'est-a- dire ceux qui avaient fonde ou dote les eglises et les monasleres, nommaient, suivant leurs anciens pri- vileges, les titulaires des benefices. Saint-Louis n'in- novait pas, il detruisait partout les mauvaises con- tumes, dans TEglise comme dans la societe civile. Sans ambition personnelle, sans passion egoiste, il obeissait a sa conscience et s'efforcait de realiser le bien. Respectant les droits acquis, sans en etre esclave, il laissa aux seigneurs feodaux tout ce que sa piete ferine et eclairee lui permettait d'accorder ; il en fut de meme dans les matieres spirituelles. Ja- mais il ne porta dans sa legislation ce ton absolu et ce despolisme hautain qui compromirent dans la suite les institutions de Philippe -le-Bel.
Lorsqu'on considere , dans leur ensemble, les re- sultats de ce regne , on est frappe de leur impor- tance : un pouvoir central cree, reconnu et s'exer- g.ant dans toute la France a Taide de ministres dociles; les guerres feodales reprimees; la justice administree avec plus d'equite et subordonnee au pouvoir royal ; une monnaie unique substitute a la diversite des monnaies seigneuriales ; les mauvaises coutumes abolies; les communes reformees et sou- mises a 1'autorite monarcbiquo; les corporations in- dustrielles confirmees et amcJiorces; le commerce et 1'agricullure llorissants ; les ecoles el le clergc prole-
RESULTATS DL REGNE DE SAINT-LOUIS. 45
ges; les arts atteignant leur plus haut periode pour le inoyen-age ; la religion honoree sans faiblesse ; les abus reprimes, et le clerge devenant national sous le roi le plus orthodoxe et le plus saint, voila une parlie des bienfaits du regne de Louis IX.
CHAPITRE III.
Sommaire.
PHILIPPE HI (1270-1 285) ; reunions territoriales ; premier ano- blissement. — PHILIPPE iv (1285-1314); puissance des le- gistes; reunions territoriales. — Mesuresfiscales. — Division de la cour du roi en trois conseils : parlement pour la jus- tice, chambre des comptes pour les finances, grand conseil pourles affaires politiques. — Organisation du parlement : les ecclesiastiques en sont exclus; grand'chambre ; en- quetes ; requetes ; ministere public ; avocats ; notaires ; huissicrs, etc. — Administration fmanciere : chambre des comptes; comptabilite fmanciere; hierarchic de fonction- naires pour la perception de 1'impot. — Clercs du secret. — La bourgeoisie soutient Philippe-le-Bel ; Etats-Generaux de 1302, 1304, -I308ot 1314.— Louis x (43 14-4 31 6) ; reaction contre I'administration monarchique; charte normande; af- franchissement des serfs du domaine royal; loi salique. — PHILIPPE v (••! 31 6-1 322, ; ordonnances sur le grand conseil ; le parlement etla chambre des comples. — Surintendant des finances. — Le domaine est declare inalienable. — Compta- bilite del'armee; capitaines royaux etablis dans les villes. — Droits d'aubaine , d'epave et de batardise declares droits royaux. — CHARLES iv (1322-1328); rachat de droils feo- daux; supplice de Jourdain-de-1'Isle.
Le fils et successeur de Saint-Louis, Philippe 111 le Hardi, reunit au domaine de la couronne le comte de Toulouse, vacant par la mort de son oncle, Alphonse de Poitiers (1271). Le parlement rejeta les pretentioris de Charles d'Anjou qui dmnandait le partage du domaine d' Alphonse de Poitiers entre ses
48
PREMIER ANOBL1SSEMENT.
agnats, et consacra par cette decision le principe du retour des apanages a la couronne (1). Le domaine royal touchait enfin aux Pyrenees, et ainsi se reali- sait la prophetic de Guillaume-le-Breton sur la royaute franchise.
« In Pyrceneo figes tentoria monte. »
Le manage d'un frere de Philippe 111, Robert de Clermont, avec 1'heritiere de la sirerie de Bourbon, lit passer ce fief dans une branche de la maison ca- petienne. Du regne de Philippe-le-Hardi date le premier anoblissement. Le roi anoblit un orfevre de Paris (2). Ce fait signale un changement important dans les priricipes. On avait jusqu'alors considere la noblesse eomme inherente a la propriete feo- dale. La royaute reconnue comme lot vivante, comme souverainete independante du fief, voulut eommuni- quer la noblesse ainsi que la puissance, et la com- muniqua, en effet, par un simple acte de sa volonte. Les jurisconsultes formulerent ce droit: « a le roi co- » gnoissance d'anoblir un homme, » dit Bouteiller (3) .
Sous Philippe I Vie Bel, successeur de Philippe III, lf administration monarchique recut une impulsion plus puissante. Le nouveau roi n'avait que dix- sept ans. C'est done moins a lui qu'aux legistes ses conseillers qu'il faut attribuer le vigoureux sys- teme de gouvernement qui etendit, exagera et par
(1) Recueit des ancicnnes lois francaises, par Isambert, t. I, pag. 667.
(2) Ibid., t. II, p. 6/i5.
(3) Sommc rumle, liv. If, til. 1.
PUISSANCE DES LEGISTES. 49
suite compromit les institutions monarchiques. Le chancelier Pierre Flotte, son successeur Guillaume de Nogaret, le tresoner Enguerrand de Marigny, les jurisconsultes Guillaume de Plasian, Raoul de Pres- les, Pierre de Latilly, voila les hommes qui ont gou- verne sous le nom de Philippe-le-Bel et imprime a radministration un caractere de despotisme inflexi- ble. Philippe-le-Bel gouta les doctrines des legistes. II les entendit avec plaisir repeter que tout devait plier sous sa volonte souveraine et devant sa pleine puissance. Le resultat final de ce regne fut sans doute avantageux pour la France; cependant This- toire ne saurait absoudre la violence et 1'iniquite des moyens.
A son avenement (1285), Pbilippe-le-Bel avait ap- porte a la couronne la Champagne et la Navarre; une confiscation lui soumit une partie des possessions an- glaises, et il garda 1'Aunis, la Saintonge, le Li- mousin (jadis restitues a Henri III par la conscience timoree de Saint-Louis), enfin le Perigord, la Mar- che et le Quercy ; il s'empara d'une partie de la Flaridre et du Lyonnais. Saint-Louis avait Hmile Tautorite des papes ; Philippe-le-Bel la confisqua a son profit. Apres avoir fait decreter de prise de corps le pape Boniface VIII, il traita avec Cle- ment V et tint la papaute captive dans Avignon. II s'en servit pour detruire 1'ordre des Templiers, et confisquer leurs richesses (1). Ainsi, il frnppa le moyen-age dans son chef spirituel et dans une de ses
(1) Proc£s des Temptiers, publte par Michelet.
SO MESURES FtSCALES.
principales institutions, la chevalerie militaire. II proceda a cette oeuvre de destruction avec une impi- toyable durete. La torture brisa les corps, et arracha des aveux souvent dementis en presence du bucher. En meme temps, la necessite de solder des troupes et de payer cette hierarchic de fonctionnaires dont la royaute couvrait la France, firent adopter les mesu- res fiscales qui ont rendu Philippe-le-Bel si odieux. Les rois precedents s'etaient contentes de leurs revenus feodaux, de la tattle qu'ils levaient sur leurs vassaux roturiers, de la vente des chartes et privi- leges, du droit d'aubaine, des dpaves, des confisca- tions , des reliefs, du patronage sur les Juifs , des sommes payees par le clerge, de la regale, de la main-morte, du droit de depouille qui leur dormait le mobilier de chaque eveque a sa mort, du droit de gite dans les eglises episcopates, convents et autres gran- des villes (1 ) , etc. Ces revenus bien administres avaient suffi a Philippe-Auguste et a Saint-Louis. Seulement, dans les circonstances extraordinaires, les rois de- mandaient des aides (auxilia} a leurs vassaux, lors- qu'ils montaient sur letrone (droit de joy eux avene-
(1) Je ne fais quMndiquer ces droits feodaux qui ne rentrent pas rigoureusement dans Phisloire de Tadministration monarchique. On trouvra dans la table analytique, a la fin du second volume, le sens des mots qui pourraient embarrasser. Voy. pour les details Brussel, Traite des fiefs ; Pasquier , Recherches; Baquet, Droits des francs-fiefs; Brial, preface du torn. XIV des Hist, de Fr. ; Pastoret, preface des torn. XV, XVIII et XIX des Ordonn. ; Lau- riere, Origine du droit d'amortissement ; Moreau de Beaumont, Memoirs sur les impositions ; M^e de Lezardiere, Theorie des anciennes tois de la France, nouvelle edition, torn. IV; Ducange, aux mots RELEVIUM, BENEFJCIUM, etc.
CONFISCATIONS. &1
ment], lorsqu'ils partaient pour la croisade, armaient leur fils chevalier, mariaient leur fille ou tombaient aux mains de 1'ennemi. Philippe-le-Bel ne se con- tenta pas de ces droits feodaux ; a peine monte sur le trone , il confisqua les biens des Juifs et des banquiers qu'on designait sous le nom de Lom- bards (1).
C'etait frapper le commerce qu'alimentait 1'argent des .luifs et des banquiers italiens. Aussi Philippe-le- Bel les rappela-t-il bientot : mais il proscrivit de nouveau les Juifs, en 1306, et s'empara de leurs ri- chesses (2). L'alteration des monnaies (3), la confis- cation de la vaisselle d'or et d'argent de ceux qui n'avaient pas 6,000 liv. de biens (4) (au moins 120, 000 fr.de nos jours), les prescriptions minu- tieuses des lois somptuaires (5) qui n'etaient que des confiscations deguisees, la speculation fiscale sur 1'af- franchissement des serfs du Languedoc (6), ehfm la proscription et la spoliation des Templiers, ne fourni- rent a cet avide gouvernement que des ressources pre- caires et bientot epuisees. Philippe-le-Bel eut prefere 1'organisation reguliere et permanente de 1'impot, premiere condition d'une administration solide- ment constituee.il avait deja taxe le clerge,et cette atteinte portee aux privileges ecclesiastiques avail ete I'occasion de sa premiere querelle avec Boni-
(1) G. Villani, liv. VII, ch. 146.
(2) Ordonn., I, Zi43.
(3) Ibid., 325, 548, etc., et XII, pag. 330. (U) Ibid., I, 324.
(5) Ibid., 542.
(6) Rec, de anc, lois fran?., II, 709,
52 MOUVEAUX IMPOTS.
face VIII (1). II soumit a 1'impot les terres nobles ; il n'exemptait des taxes que les proprietes des no- bles qui servaient en personne (2). Mais c'etait sur- tout dans les villes que le commerce avait accumule les richesses mobilieres; c'etait la que Philippe-le- Bel pouvait asseoir solidement son systeme d'impots. II voulait soumettre toutes les proprietes a ime taxe de la valeur du centieme des biens fonds (3),puis du cinquantieme (4). Mais depuis longtemps, les bour- geois avaient achete ['exemption de tout impot; c'etait une des premieres conditions des cbartes commu- nales. De la les revoltes de Rouen (5), de Paris (6), d'Orleans (7), qui ne servirent qu'a provoquer de nouvelles rigueurs. Ces impots, quelque onereux qu'ils fussent, ne suffisant pas a 1'entretien des ar- mies et aux besoins d'une administration qui se constituait, Philippe en crea de nouveaux : il taxa les denrees, inventa 1'odieux impot de la gabelle (8), leva une aide de six deniers par livre sur la vente des denrees (9), et il eut 1'adresse de faire confirmer cet impot par les Etats de 1314, ou plutot par la decla-
(1) Voyez. la Bulle Glerids laicos, ap. Dupuy, Diflerend, etc., p. 17-19.
(2) Ordonn., XII, 333.
(3) Pasquier, Recherche* , liv. If, c. 7. (k) Ordonn., XII, 333-33Zi.
(5) Guill. de Nang.,ann. 1292.
(6) Contin. de Nangis, ann. 1306.
(7) Pasquier, Rech. 1. cit.
(8) Supprim^e a la mort de Philippe-le-Bel,la gabelle fut re'tablie a la mort de Philippe de Valois. Voy. Dueange, vn Gabcllu ; Bailly, Hist. fin. de la France; Pastoret, preface, du t. XVI des Ordon- nances.
(9) Pasquier, Reciter ches, 1. c.
CONSEIL fcTROIT OU GRAM). 53
ration du financier Etienne Barbet qui parla au nom de la bourgeoisie, pendant que leclergeet la noblesse gardaient le silence (1). Enfin I'impot des douanes, appele haul-passage ou traite foraine, qui prelevait un droit de sept deniers pour livre sur le commerce exterieur, completa le systeme financier de Philippe- le-Bel (2).
Les abus et les violences que nous venons de si- gnaler, ne doivent pas faire oublier les grandes me- sures administratives du regne de Philippe-le-Bel. Une des plus fecondes fut la division des pouvoirs. La cour du Roi ne pouvait plus suffire a la variete de ses fonctions, a une administration judiciaire, financiere et meme politique qui embrassait la plus grande partiede la France. Philippe-le-Bel la subdi- visa en trois conseils, dont 1'organisation ne fut qu'ebauchee sous ce regne, mais se completa aux xrv* et xve siecles. C'etaient le grand conseil ou conseil etroit, le parlement et la chambre des comptes. Le premier compose surtout des jurisconsultes conseil- lers du Roi s'occupait des lois et des questions poli- tiques (3). Le parlement, consacre exclusivement a 1'administration de la justice, resida a Paris (4) ; mais
(1) Rathery, Hist, des £tats-Generaux, 61-62.
(2) Mignet, Formation territoriale et politique de la France , pag. 181.
(3) Ce conseil n'est pas mention^ d'une maniere spe"ciale dans les ordonnances de Philippe-le-Bel ; mais ilest cite sous lenom de grand conseil, dans une ordonnance de Philippe-le-Long, du 18 juillet 1318; Recueil des Ordonn., I, 657.
(^i) La constitution du parlement fut regularisee par les ordon- nances de 1291 et de 1302; voy. Rec. des Ordonn,,{, I, p. 320 et 354, et t. XII, p. 353.
i. 5
O* ORGANISATION DU PARLEMENT.
pendant longtemps il ne fut que temporaire, et se borna aux deux sessions de Paques et de la Tous- saint. Pliilippe-le-Bel avait interdit aux ecclesiasti- ques 1'exercice des fonctions judiciaires par une or- donnance de 1287 (1); son fils, Philippe-le-Long, exclut les prelats du parlement, « afin de les lais- » ser tout entiersa leurs devoirs spirituels (2). » Les barons continuerent de sieger au parlement, mais ef- faces de plus en plus par les legistes qui possedaient seuls la science compliquee du droit remain et cou- tumier. Ce grand corps, qui centralisait 1'administra- lion de la justice et etendait son ressort a la France mitiere, se composa, des cette epoque, de trois cbam- bres appelees enquetes, requetes et grand'cham- bre. Des jours speciaux furent assignes pour les appels de cbaque bailliage; des commissaires tires du parlement et delegues par le roi allerent tenir 1'Echiquier de Normandie et les Grands-Jours de Troyes ; enfm la chambre du Languedoc ou de droit ccrit siegea a Paris, parce que les provinces mcri- dionales avaient refuse de sesoumettre aux conditions destitution du parlement de Toulouse (3). Cette or- ganisation judiciaire entraina restitution du minis- tere public, et couvrit la France de gens de loi, ta-
(1) Ordonn., t. I, p. 316. Cependant on voit dans desordonnan- ces ulte'rieures de Philippe-le-Bel, que des pre"lats siegeaient an parlement.
(2) Ordonn., I, 702 (3 decembre 1319).
(3) Le parlement de Toulouse ne fut definivement institue" que sous Charles VII. Pour toutes les juridictions qui dependaienl tin parlement de Paris, voyez Tordonn. du 23 mars 1302 ; Eec. des Ordonn., t. I, p. 35/i. — Voy. anssi, dans le meme recueil, t. XII, p. 353, art. 33 et 34.
CIIAMBRE DES COMPTES. 55
hellions, avocats, sergents ou huissiers (1). Le Tiers- Etat trouva dans la creation de ees charges un moyen de s'enrichir et de s'elever. II passa de la roture du commerce a la nohlesse derohe; il profita de 1'orgueil etde la paresse des seigneurs qui abandonnerent pen a peu les fonctions judiciaires.
La chambre des comptes fut un nouveau demem- hrement de la cour du Roi (2). Elle centralisa Tad- ministration des finances, comme le parlement cen- tralisait I'administration de la justice. Les senechaux et baillis etaient tenus de venir rendre compte de leur gestion fmanciere devant le maitre de cette cour, a des epoques determinees. Un reglement, public par Ducange (3), donne deja 1'idee d'une administration fmanciere organisee. « C'est 1'ordonnance comment » les baillis de France et de Normandie et les sene- » chaux et commissaires par le royaume doivent ve- » nir compter le lendemain des octaves de Paques » et de la Saint-Martin, chacun deux jours, 1'un » apres 1'autre. » Le reglement fixe ensuite les jours pour les cinq baillis de Rouen, Caen, Caux, Cotentin et Gisors; les baillis du duche de France, de Paris, Senlis, Vermandois, Amiens, Sens, Orleans, Bour-
(1) Qrdonn. du 23 mars 1302, art. 20, 28-34, 36-37; — voy. encore Rec.desOrdonn., t. T, p. 416, et t. XII, p. 353 et suiv.
(2) II est de"j£ question de la chambre des comptes dans une or- donnance du 20 avril 1309 (Rcc. des Ordonn,, t. I, p. 460). kes registres de la chambre des comptes de"signes sous le nom de Me- moriaux, commencent vers cette epoque. La perte de ces regis- tres causee par 1'incendie de 1738 a prive Thistoire de precieux documents. Cependant on en trouve de nombreux extraits et par- fois meme des copies textuelles.
(3) Ducange, V" lUiu.m,
56 ADMINISTRATION FINANCltRE.
ges et Tours viennent apres eux ; les senechaux de Poitou, Saintonge, Angoumois, Auvergne, comte de Toulouse, Rouergue, Carcassonne, Beaucaire, Pe- rigord, Quercy, Lyonnais et Macon comparaissaient de la Saint-Jean a la mi-aout ; les baillis de la Cham- pagne et de la Flandre francaise (comprenant Douai, Lille et Valenciennes), de la mi-aout a la fin de sep- tembre ; et, a la fin de 1'annee, ceux du Nivernais et de la Navarre (1). La comptabilite n'etait pas seule- ment soumise a une division geographique. Le meme reglement stipulait qu'apres Taudition des comptes ordinaires, on s'occuperait des depenses de la maison du Roi et de la Reine, du domaine, des garni- sons , etc. (2). La surveillance exercee sur tou- tes les parties de ['administration financiere eut d'heureux resultats pour le tresor royal. Philippe- le-Bel contribua encore a I'augmenter en ordonnant d'affermer, aux encheres publiques, les offices de prevots et vicomtes, les peages, sceaux et ecritures authentiques. II prescrivit Fexploitation la plus avan- tageuse du domaine royal, et la mise en adjudica- tion des travaux publics (3).
La juridiction financiere, centralisee par la cham- bre des comptes, resta distincte de ('administration des finances. Celle-ci eut pour chef le tresorier general, Enguerrand de Marigny, assiste du clerc du trtsor , qui enregistrait les recettes et les de"-
(1) Ce rfcglement est ant^rienr ^ 1'ann^.e 1328, £poque ou la Na- varre t'ut separee du domaine de la couronne.
(2) Ducange, v° BAILLIVI.
(3) Ordonn., t. I, p. AGO et suiv.
CLKRC.S 1)1 SECRET. 57
penses. Dans les provinces, la division ties pouvoirs sY'tablit lentement. Les baillis cumulerent encore pendant longtemps le« fonctions administratives, financieres, judiciaires et militaires. Cependant, on voit deja a cote d'eux des trdsoriers ou receveurs spc- ciaux du domaine, des collecteurs des gabelles, des inaitres des eaux et forets, et des agents forestiers appeles gruyers et verdiers (1 ) .
La tendance vers un ordre meilleur est ici mani- feste. II en fiit de meine dans toutes les branches de 1'administration. Philippe-le-Bel choisit parmi les secretaires royaux trois clercs du secret qui devaient tenir note des deliberations du conseil. C'est 1'origine des secretaires d'Etat, qui ne sortiront de cette hum- ble position qu'au xvie siecle.
Enfin, Philippe-le-Bel confirma et completa les mesures de Saint-Louis pour la paix publique; il re- nouvela plusieurs fois 1'interdiction des guerres pri- vees (2) , enleva aux seigneurs le droit de battre mon- naie (3), prescrivit a ses baillis, senechaux, prevots et vicomtes une bonne et prompte justice, les em- pecha de prendre racine dans le pays qu'ils admi- nistraient en defendant de les choisir parmi les ha- bitants , natifs du pays, et, en leur interdisant, comme 1'avait deja fait Saint-Louis, les acquisi- tions territoriales et meme les manages pour eux et leurs enfants dans 1'etendue de leur ressort (4).
(1) Voy. surtout I'ordonn. de Pilippe-le-Bel de 1291, t. I, p. 230 des Ordonn., et cellede Phil. V, Ibid., p. 656, 683, 685.
(2) Ordonn., t. I, p. 328, 390 et £35.
(3) Ibid., p. 518.
(4) Ducange, v° BAILLIVI. — Ordonn., 1. 1, p. 354, 336, 399.
(38 LA BOURGEOISIE SOUTIENT PH1L1PE-LE-BEL.
Quant aux prevotes, elles resterent venales; inais les orclonnances recommanderent de ne les conferer qu'a des homines probes et loyaux (1).
La superiorite de 1'adininistralion de Philippe-le- Bel explique le concours que lui preta la haute bour- geoisie, malgre la durete tyrannique de son gouver- nement. Ce fut le Tiers-Elat qui, en 1302, lorsque le roi 1'appela pour la premiere fois a prendre part aux affaires publiques, le supplia de garder la sou- veraine franchise de son royaume. Ce fut encore lui qui, en 1308, se prononra energiquement contre les Templiers et fit entendre une requete menac,ante contre le clerge (2) ; lui qui vota, en 1314, les aides demandees par le Roi (3). Lorsque la noblesse, ir- rilee de la perte de ses privileges, se revolta dans les dernieres annees du regne de Philippe-lc-Bel , ce fut par la plume de quelquelegiste plebeienque Phi- lippe lui repondit : « Cette gent denaturee qui s'e- » leve contre son chef et lui fait la guerre sans le » prevenir, pour ramener, dit-elle, la bonne coutumc, » pretend etre noble, mais telle gent qui vilamement » agit a bon droit vilaine est nommee ; leurs devan- » ciers avaient tout fait pour I'advancement de noire » couronne, eux ne songent qu'a la detruire. Le roi » ne leur denie pas justice, rnais ne songe qu'a leur » exposer ses raisons ; n'ont-ils pas 1'acces libre au- » pres de lui et 1'entree de son parlement? Us pou- » vaient lui exposer leurs plainles ; il les aurait ecou-
(1) Ordonn. dcs Rois dc France, t. I, p. 354, art. 53.
(2) IMichelet, llisloirc dc France 111, 152-153.
(3) Pasquier, llcctiercltes, liv. II, ch. 7.
REACTION EN 4314. -W
» tes dcbonnairemcnt (1). » Get appel a ropinion pu- blique ne put sauver les legistes* conseillers, i'oii- dateurs et ministres de 1'autorite" royale. « Us furent » soinnis a la destinee commune des grands revolu- » tionnaires ; les plus audacieux perirent sous la » reaction des interets qu'ils avaient blesses et des » moeurs qu'ils avaient refoulees (2). »
Cette reaction eclata aussitot apres la mort de Phi- lippe-le-Bel. Le supplice d'Enguerrand de Marigny, 1'emprisonnement de Pierre de Latilly, la fuite des autres conseillers du dernier roi, le retablissement des privileges feodaux et provinciaux (3) (ehartes en faveur des provinces, Normandie, Bourgogne, Cham- pagne, etc.), attesterent que Tadministration mo- narchique avait depasse les bornes et expiait ses vio- lences. La monnaie de Saint-Louis fut retablie, la torture abolie ou restreinte, la justice feodale, le duel judiciaire, le droit de guerre privee rendus aux sei- gneurs. Mais cette reaction, d'abord si violente, tut de courte duree. £lle n'atteignit aucun des grands corps institues par Philippe-le-Bel. Depositaires de la puissance royale, etinstrumentsde I'administration inonarchique, ils i'etendirent et la perfectionnerent par des conquetes lentes, insensibles, mais d'autant plus sures et plus durables. Deja clans les derniers
(1) Le Diet des allies, parGodefroi de Paris, publi6 par M. Pau- lin Paris, dans YAnnuaire de la Soci^te d'Histoire de France.
(2) Aug. Thierry, Essai sur I'llisloire de, la formation et du progrcs du Tiers-Etat, p. 29.
(3) Ordonn. des Rois de Fr.,l. I, p. 551,557, 561,567, 573, etc. — Boulainvilliers, DC I'ancicn gouvcrnement de la France, t. II, p. 93, edit, de 1727.
60 ORDONNANCES DE PH1L1PPE-LE-LONG.
temps du regne de Louis X, la monarchic en etait revenue a la politique de Philippe-le-Bel. Quels que fussent les motifs secrets de 1'abolition du servage, le roi expliquait cette mesure par des considerations elevees : « Scion le droit de nature, disait Louis X dans son ordonnance de 1315, chacun doit naitre franc. »
Mais ce fut principalement sous Philippe V le le Long, que Ton reconnut que la royaute n'avait re- nonce a aucune de ses conquetes. La loi salique, en excluant les fernmes de la couronne, prevint pour la France la domination des families etrangeres. De nombreuses ordonnances perfectionnerent les insti- tutions de Philippe-le-Bel. L'organisation du conseil d'Etat (conseil etroit ou grand conseil) fut regulari- see; 1'epoque de ses reunions fixee, ainsi que la ma- tiere de ses deliberations par plusieurs ordonnances de 1318 (1). D'autres ordonnances determinerent la composition du parlement (2) , la police des seances, 1'ordre des procedures, les devoirs des avocats, huis- siers (3).
L administration financiere fut 1'objet d'une at- tention toute speciale de la part de Philippe-le-Long. La surveillance de la chambre des comptes s'etendit a tous les officiers royaux qui, a un titre quelcon- que, avaient le maniement des deniers publics. Le chancelier et le grand-ecuyer furent soumis a son
(1) Ordonn. du 18 juillet ei du 16 novembre 1318; dans le Rcc. des Ordonn. y 1. I, p. 656 et 669.
(2) Ordonn. du 3 decembre 1319, Ibid., 1. 1, p. 702.
(3) Ordonn. du 17 novembre 1318, Ibid. I, p. 674.
ADMINISTAT10N FiNANClfeRE. 61
controle, aussi bien que les baillis, senechaux ct re- ceveurs du domaine (1).
Toutes les recettes devaient etre versees an tresor et enregistrees par le clerc du tresor, avec 1'indica- tion de la provenance, de la nature des inonnaies et le nom de celui qui transmettait les fonds (2). La quittance devait porter les memes indications. Les paiements ne pouvaient etre effectues par les treso- riers que sur un ordre ecrit du Roi ou du souverain e'tabli au-dessus des tresoriers (3). Ce ministre de- viendra un jour le surintendant des finances. II avait sous sa direction deux tresoriers semestriels et le clerc du trdsor.
Le domaine royal fut declare inalienable, et des ordonnances annulerent toutes les donations qui Ta- vaient demembre (4). Des mesures minutieuses en assurerent la bonne administration (5).
L'armee eut sa comptabilite particuliere, maissou- mise comme toutes les autres au controle de la cham- bre des comptes. Le grand-maitre des arbaletriers fut charge de dresser un etat des troupes placees vsous ses ordres : elles devaient recevoir leur solde du clerc des arbaletriers; les marecbaux faisaient le role de la cavalerie, qui etait payee par un tresorier special (G).Leroi plaga dans les villes fortifiees, a cote des baillis et des prevots, des capitaines charges
(1) Ordonn. du 17 avril 1320 dans le Rec. des Ordonn., 1. 1, p.703. (2)I6zU,p. 658. (3) Ibid.
(5) Ibid., p. 656 et 669.
(6) Ordonn. du 18 juillet 1318, Ibid, 1, p. 661,
RACHAT DE DROITS FfiODAUX.
du commandement des troupes et du maintien de la tranqmllilepublique, selon les termes memesde 1'or- donnance (1).
Ainsi, la double tendance de I'administration 1110- narchique, diviser les fonctions et les rattacher a un meme centre, cette tendance se manifeste etse pour- suit sous des regncs d'ailleurs obscurs, commc ceux de Philippe V et de Charles IV. On est dcjii loin de la reaction feodale, lorsque Philippe V en- leve aux seigneurs les droits ftaubainc, de main- morte, tftpave et de bdtardise (2) , et les declare droits royaux. Telle est la confiance de ce prince dans les legistes ses conseillers, qu'il les autorise a sur- veiller 1'exercice de sa puissance et a en corriger les abus. Les donations ne pourront etre faites qu'en conseil, et les lettres de grace accordees que sur la relation deceux de Detroit conseil (3). Ainsi la royaute se defiait des entrainements, et opposait a la faiblesse de 1'homnie 1'inflexible rigidite de la loi.
Les legistes qui entouraient Philippe-le-Long avaient des pensees bieji plus vastes, et ils lui dic- terent des mesures qui n'ont jamais ete realisees sous 1'ancienne monarchie. « Le roi, dit Guillaume do Nangis a 1'annee 1321 (i),'ordonna qu'il n'y eut dans toute la France qu'une seule mesure pour le vin et
(l)0/Y/<wtt.,t. I, p. 635.
(2) ibid., p. 757.
(3) Ibid., p. 670.
(1) « Incoepit rex ordinareutin toto regnosuononcsset nisi unica inensura vini et bladi et omnium vendibilum el emptibilinm ; pi'o- posuit etiam idem rex ut in tolo regno omnes moneUe ad unicain redigerentur. »
RESUMfi DE LA PREMIERE EPOQUE. 63
le ble ainsi que pour toutes les denrees; il voulait aussi qu'il u'y eut qu'une seule moimaie. »
Charles IV, dernier des Capeliens directs, racheta de plusieurs grands feudataires les droits regaliens. Robert d'Artois lui vendit pour 6,000 livres tour- nois son droit de battre monnaie, et le comte de Clermont en Beauvoisis, due de Bourbon et pair du royaume, renonga au meme privilege moyennant une somme de 15,000 livres tournois (1). Enfm, le rang ne mettait plus a 1'abri des atteintes de la justice. Jourdan de 1'Isle en fit 1'epreuve. Ce neveu du pape Jean XII s'etait souille de crimes atroces plusieurs Ibis pardonnes. II osa tuer un huissier qui 1'avait cite a comparaitre devant le parlement de Paris. Condamne par cette cour, il fut traine a la queue d'un cheval et pendu (2).
En resume, de 11 80 a 1 328, le pouvoir monarchi- que avait fait des progres considerables. Philippe- Auguste avait conquis un royaume; Saint-Louis lui avait donnedes lois; Philippe-le-Bel, des conseils de legistes, gardiens et promoteurs de 1'autorite mo- narchique. A un roi feodal, place a la tete d'une hie- rarchie de grands vassaux qui n'obeissaient qu'aux
(1) Les comptes de 1'Echiquier deftormandieconstatent ces acquisi- tions dela royaute. Comine ces registres sont restes inedits, je citerai 1'article relatif au comte de Beaumont-le-Roger. 11 est ainsi concu : « Com. Bellimontis-Roger. , pro venditione et demissione juris quod habebat t'aciendi etcudendi monelas ubicumqueetin quibuscunque terris suis facta perpetuo pro se et hseredibus suis per litteras suas datas XXII april. MCGGXXII. » Mscr. de la Biblioth. publiq. de Rouen, F. Leber, n° 5870, t. I, f° Zi2 recto. L'ordre de payer 15,000 livres au comte de Clermont se trouve a la suite.
(2) Continual, de Guill. de jNangis, a Tannee 1323.
64 RESUME DE LA PREMIERE EPOQUE.
lois consacrees par la tradition et conserities par les principally feudataires , avait succede un souveraiii dont la volonte dictait des lois absolues et les sous- crivait de la formule : De noire pleine puissance.
Les anciennes pairies laiques avaient ete ou de- membrees ou absorbees. La Normandie, la Cham- pagne et le comte de Toulouse faisaient partie du domaine royal ; la royaute avait enleve a 1'Aquitaine le Poitou, 1'Aunis, la Saintonge et le Limousin ; a la Bourgogne, le comte de Macon; a la Flandre, Lille, Douai, Valenciennes et le territoire decesvilles. Pour remplacer les anciennes pairies, la royaute en crea de nouvelles. Philippe-le-Bel en donna 1'exeni- ple en erigeant en pairies la Bretagne, 1'Artois et 1'Anjou (1297) ; ses successeurs etendirent la meme dignite au Bourbonnais, au comte d'Evreux, etc. Lesmaisonsapanagees, rameaux de la famille royale, couvraient la France et 1'habituaient a la domination des Capetiens ; FArtois, 1'Anjou, le Bourbonnais et le comte d'Evreux avaient ete donnes en apanages. Ces branches de la maison capetienne for me rent une transition entre la complete independance des an- ciennes principautes feodales et leur entiere reunion aux domaines de la couronne. Enfin, elles prepa- rerent aux Capetiens ces nombreux rejetons qui out perpetue leur domination pendant plus de huit sie- cles.
CHAPITRE IV.
Sommaire.
PHILIPPE DE VALOIS (1328-1350). — Mesures fiscales. — Puissance de la chambre des comptes depositaire de 1'auto- rite monarchique en 1'absence du roi. — Organisation du parlement; egalite entre les conseillers-juges et les conxpil- lers-rapporteurs ; commencement de la separation entre les fonctions judiciaireset militaires. — Malheurs dela France devastee par la guerre et la peste. — Reunions territoriales. — Plaidoyer de Pierre de Cugnieres ( 1329} ; appels comme d'abus.
JEAN (1350-1364). — Mesures fiscales. — Reformes tentees par les feats-Genera ux (1 355-1 357) . — Origine des gene- raux des finances et des elm. — Retour aux principes mo- narchiques; ordonnance de Compiegne (1358); prudence du dauphin Charles; reforme du parlement ; il esl considers des cette epoque comme le premier corps de 1'Etat.
La longue et triste epoque qu'on designe dans I'liistoire sous le nom de guerre de cent ans (1339- 1453), est surtout signalee par les fautes et le declin de 1'aristocratie et de la royaute. Philippe de Valois, et Jean son fils, entraines par une ardeur aveugle, voulurent relever la feodalite et la chevalerie. Mais ils n'en prirent que les pompes exterieures, les tour- nois et les fetes. La feodalite avait stipule des ga- ranties pour le vassal ; on n'en tint pas eonipte, La
66 PHILIPPE DE VAL01S (1328-1350).
chevalerie faisait un devoir de la loyaute ; 1'assassi- nat et la trahison furent trop souvent les armes des premiers Valois. La fiscalite etait une necessite de- puis Philippe-le-Bel ; les impots etaient temporaires, mal payes, insuffisants pour solder les nombreux agents de 1'administration monarchique. De la 1'alte- ration des monnaies, la spoliation des marchands, la confiscation des biens des financiers, mesures odieu- ses qui remplissent les regnes de Pbilippe de Valois et de lean. Des 1329, alteration des monnaies (1). L'annee suivante, trois nouvellesordonnances dans le meme but (2). Les baillis et les senechaux taxaient le prix des denrees, ainsi que le taux des salaires (3) ; les marchands, pour se soustraire a ce maximum, refuserent de porter leurs denrees aux inarches ; or- donnance pour les y contraindre (4). En meme temps que Philippe de Yalois ecrase le peuple et la bourgeoisie, qu'il etablit la gabelle a perpetuite (5), et qu'il arrache aux lhats de nouveaux impots (6), il dispense les debiteurs de payer leurs dettes (7) ; c'est sur les marchands et banquiers italiens (8), sur les financiers (9) qu'il s'efforce de rejeter 1'odieux de ces
(1) Ordonn. des Rois de France, II, 27.
(2) Ibid. [I. 45, 56, 57. Les ordonn. pour la falsificalion des monnaies sont perp6tuelles. Voy. pag. 178, 182, 25/i, 256, 263, 288 ;i 302, 30Zi, 318, etc.
(3) Ibid., /i9, 50, 58. (il} Ibid., 189.
(5) Ibid., 179, 253, 262.
(6) Villani, liv. XII, ch. 85.
(7) Reaieil des Ordonn. des Rois de France, II, 59.
(8) Hist, du Languedoc, liv. XXXI, ch. 2Zj.
(9) Supplice du Trosorie.r Philippe Remy (1328). En 13/i8,
MESURES FISCALES. 6?
mesures. Leur proscription lui paraissait un moyen facile de douner satisfaction au peuple et d'enrichir lo tresor : systeme funeste, qui decouragca le com- merce, irrita la bourgeoisie, et prepara les agitations et les malheurs des xive et xve siecles. Le clerge aY>- tait pas menage. Le pape d' Avignon le livrait au roi, qui, de son cote, abandonnait au pape les annates, les graces expectatives, etc. ; en un mot, toutes les in- ventions de la fiscalite romaine abolies par Saint- Louis. « Ainsi, dit un chroniqueur contemporain (1), parlant du clerge francais, Tun le tondait, et 1'aulre Pecorchait. » La noblesse n'etait pas satisfaite des concessions royales; il lui eut fallu un retour com- plet aux privileges de la feodalite ; mais les conseils de legistes, qui heureusement entouraient le roi, Parre- taient dans cette marcbe retrograde vers le systeme anarchiquc des xic et xne siecles. On reconnait leur influence dans 1'ordonnance qui declare qu'au roi seul appartient le droit de battre monnaie (2), et dans plusieurs mesures relatives a la cbambre des comptes et au parlement.
La premiere, investie de lajuridiction en matieres financieres, acquit naturellement une grande impor- tance sous ce regne. Ce fut a elle que Philippe de Va- lois, partant pour la guerre en 1339, laissa les pou- voirs les plus etendus, pouvoir d'accorder des graces,
destitution en masse des tresoriers et receveurs des impdts (28 Jan- vier 13A8.) On a remarque que les six premiers surintendants peri- rent de mort violente. On peut ajouter Jacques Coeur, qui mourut en exil.
(1) Continual, de Guill. de Nangis.
(2) Eec. des Ordonn. des Rois de France, t. II, p. 254.
68 PUISSANCE DE LA CHAMBRE DES COMPTES.
d'autoriser les villes a s'imposer pour les depenses communales, de rappeler les bannis, d'anoblir les bourgeois, de legitimer les batards, de confirmer et renouveler tousles privileges accordespar la royaute. En un mot, il transmettait presque a la chambre des comptes la plenitude des droits regaliens (1). L'an- nee suivante, lememe prince accorda a cette chambre le droit d'alterer les monnaies. Et malheureusement, elle eri usa immediatement (2).
Le parlement ne parait pas avoir eu a cette epo- que la meme importance que la cbambredes comp- tes. Cette inferiorite s'explique par deux causes : d'abord la composition du parlement, et ensuite son caractere temporaire. Les nobles y siegeaient encore en majorite, tandis que la connaissance difficile et minutieuse des matieres financieres les eloignait de la chambre des comptes. Le grand Bouteiller seul
(1) Cette ordonnance qui ne se trouve pas dans la collection des Ordonnances des Rois de France, est conserved dans les Memo- riaux de la chambre des comptes; elle a e"t6 imprime'e par Pasquier dans ses Eeclierches de la France, liv. U, chap. 5. — Elle fut en- registree au parlement le 7 juillet 1340.
(2) Pasquier, 1. c., ne donne que Tordonnance royale. Voici le mandement de la chambre des comptes d'apres les extraits desMe'rrco- riaux: « De paries gens des comptes du Roy, nostre Sire,aux mais- »> tres des monnoyes d'icelluy Seigneur, salut : scavoir faisons que » nous avons veu les lettres de mon diet seigneur Roy contenant la » fourme qui s'ensuit : Philippes, etc. (Voyez 1'ordonnance titee, » par Pasquier). Par la vertu desquelles lettres, nous vousmandons » que tantost vous faciez faire les deniers d'argent, que le Roy faict » ft present de sept sols de pois, de vin s. de pois, et aussi les dou- » bles que Ton faict a present de xm s. vous faciez de xvi s. Donne » en la chambre des comptes, a Paris le vi fevrier, Tan MCCCXL » (13A1). » Cette ordonnance de la chambre des comptes est une nouvelle preuve des alterations perpetuelles de la monnaie.
niANf.KMKNT DANS LE PARLEMENT. 69
etait par sa charge president cle ce tribunal (1); en- core ses fonctions etaient-elles plus honorifiques que reelles. D'ailleurs les sessions du parlement etaient toujours temporaires, tandis que la chambre des comptes siegeait toute 1'annee, comme le prouve le reglernent cite plus haut (2). Elle entendait les comptes des baillis et senechaux de Paques a 1'Epi- phanie, et ensuite ceux de 1'hotel du roi, du chan- celier, des receveurs du domaine, etc. (3).
Cependant, si Ton en croitle president Henault (4), il s'accomplit a cette epoque un changement impor- tant dans le parlement. Jusqu'alors les conseillers jugeurs etaient distincts des conseillers rapporteurs. Les premiers, de noble naissance, rappelaient 1'an- cien parlement compose de barons; les seconds, plebeians eleves par la science, etaient charges d'e- clairer 1'ignorance des jugeurs et de leur expliquer les proces et les lois. Ce fut a cette epoque que les conseillers rapporteurs commencerent a sieger sur les hauts banes a cote des barons, et peu a peu les nobles, degoutes de fonctions qui revelaient leur in- capacite, s'eloignerent du parlement.
Meme dans les tribunaux inferieurs, la separation des fonctions militaires et judiciaires, que cumu- laient depuis des siecles les baillis et senechaux, pn- raissait une necessite. Temoin une ordonnance de la
(1) Voy. Le Canteur, dissertation sur la Chambre des cornp- tf>s. Paris, 1765.
(2) Voyez page 55, le reglement cite d'apres Prcange, v° BAL- LIVI.
(3) Ibidem.
(li) Henault, Abrege clironolofjiiine^}\i\. 1341.
I- 0
70 SEPARATION DES FONCT10NS.
chambre des comptes en date du 30 aoiit 1355. Elle recommit que le bailli de Chaumont et de Vitry, Godemar du Fay, « comment qu'il soit bon homme d'armes, n'a pas accoustume de tenir plaicts ni as- sises (1). » En consequence, elle decide qu'il y a lieu de separer les fonctions rnilitaires et judiciaires et d'etablir deux baillis. En effet, Godemar du Fay ren- dit le sceau, signe de la justice. On voit deja poin- dre la distinction des baillis de robe et d'epee.
Jo n'insisterai pas sur plusieurs ordonnances rela- tives aux appels, a 1'expedition des proces, a la com- position du parlement, a lavenalite des prevotes (2). Ellesne renfermentaucune disposition nouvelled'une veritable importance. Legouvernement s'occupa aussi des foires de Champagne (3) ; mais il manquait au commerce la premiere condition de prosperite ; il n'y avait aucune securite au milieu d'un royaume devaste par les guerres civiles et etrangeres. Les contrees memes qu'une longue paix avait enricbies sous Tau- torite vigilante des rois Saint-Louis et Philippe-le- Bel , etaient en proie a 1'ennemi. Froissart (i\ apres avoir montre 1'abondance et la richesse de la Normandie au commencement du xi\e siecle, ajoute que, sous Philippe de Valois, elle fut toute volee et pillee. Le desastre de Crecy (1346), la prise de Calais (1347) et la peste noire (1348) mirent le comble aux calamites du regne de Philippe de Valois. L'acquisi-
(1) Pasquier, Rechercties de la France, liy. Jl, ch. 5.
(2) Rec. des Ordonn. cits Rois de France, IT, 210 et 303.
(3) Ibidem., 200.
(4) Froissart, edit, de 157A, vol. I, p. 133.
APPELS COM MI< D'AIHS. II
lion duDauphineetdu cornte deMontpellier furent de bien faibles compensations. N'oublions pas le celebre plaidoyer de Pierre de Cugnieres qui , dans une as- semblee solennelle, en presence de Philippe de Va- lois, attaqua la juridiction ecclesiastique defendue par le cardinal Bertrand (1). Ce fut, dit-on, a la suite de cette discussion que fut institue Pappel comme d'abus, qui s'opposa aux empietements du clerge sur la puissance temporelle. Ces appels, selon la defini- tion de Fleury, dans son Institution au droit eccle"- siastique, etaient des plaintes portees contre un juge ecclesiastique lorsqu'on pretendaU qu'il avail excede ses pouvoirs et entrepris contre la juridiction tempo- relle ou contre les libertes de 1'eglise gallicane. Les appels comme dabus etaient juges par les parle- ments.
Sous le successeur de Philippe de Valois , Jean (1350-1364), 1'histoire ne signale que des fautes et des revers. L'institution de rordre de I'Etoile (1351; fut une nouvelle preuve de cette manie chevaleres- que qui contrastait d'une maniere choquante avec le supplice, je dirais presque Tassassinat du cornte d'Eu, connetable de France, et avec les mesures fisca- les dont le regne de Jean fut souille. De 1351 a 1356, chaque annee fut marquee par des alterations de la monnaie. En 1351, dix-huit ordonnances 2i ;
(t) Contin. de Guillaume de Nangis, a PannSe 1329.
(2) Recueil de* Ordonn., II, .'3/io, 3^/i, 388, 389. 417, /,L>8, /|29,
0, 431, 432, Wl, Vi7. /i/|8. W, /|G7.
72 MESURES FISCALES (1350-1355).
en 1352, seize (1) ; en 1352, treize (2) ; en 1354, onze (3); en 1355, dix-huit (4).
La valeur clu marc d'argent varia de i livres a 18 livres. Comme ces odieuses mesures ne suffisaient pas aux besoins du gouvernement , on y ajouta la banqueroute (5). Aussi les marchands italiens aban- donnerent-ils un royaume qui n'offrait plus aucune garantie pour le commerce (6). Les Etats-Generaux, jusqu'alors si dociles aux volontes du pouvoir, s'irri- terent de tantd'abus. II n'entre pas dans mon sujetde suivre la reaction democratique de 1355 a 1358, ce- pendant elle exerga une trop profonde influence sur radministration monarchique pour etre entierement passee sous silence (7).
Les Etats, convoques en 1355, adopterent des re- solutions, auxquelles une ordonnance du 28 deeem- bre 1 355 donna force de loi (8) .
Les impots devaient etre egalement repartis, sans distinction de nobles et de vilains; 1'assemblee exer- cait par ses delegues une surveillance active sur rad- ministration financiere; Tabus odieux du droit de pourvoierie , en vertu duquel les officiers royaux s'emparaient de tons les objets a leur convenance ,
(1) Ordonn., II, 467 et suiv.
(2) Ibid., IT, 528,540 et suivantes.
(3) Ibid., II, 549 et suivantes.
(4) Ibid., in, p. 1, 4 et suiv.
(5) Ibid., Ill, pag. 15.
(6) Matt. Villani, liv. I, chap. 75.
(7) On pourra consulter sur ce sujet les travaux des historiens modernes, et surtout la publication recente de M. Aug. Thierry sur I'Histoirc du Tiers-ktai. (voy. p. 35 et suiv.)
(8) Recueit des Ordonn., Ill, 21 et suivantes.
1355-1357). 73
etait supprime; les Franc,ais ne devaient plus etre enleves a leurs juges naturels et trad ui Is devant des tribunaux extraordinaires.
La royaute qui avait subi ces conditions ne tarda pas a les violer. On avait fixe la valeur du marc d'ar- gent a 4 livres 12 sous; des ordonnances la firent varier au gre des caprices et de 1'interet des minis- tres (1). Qu'on ajoute le desastre de Poitiers (1356) cause par 1'imprudence du roi et 1'indiscipline de 1'armee feodale, la devastation de la France par I'en- nemi, 1'oppression du peuple paries seigneurs, qui, renvoyes sur parole, venaient extorquer leur rancon a des vassaux deja ruines , et Ton concevra 1'irrita- tion des Etats qu'il fallut convoquer de nouveau en 1356et 1357. Diriges par des hommes energiques, par Etienne Marcel et Robert le Coq, les Etats s'em- parerent du gouvernement, firent une enquete sur la cause des malheurs publics et chasserent du conseil du roi vingt-deux membres. Le Dauphin , jeune prince de dix-huit ans, qui avait fui des premiers a la journee de Poitiers, fut oblige de sanctionner tou- tes les decisions de 1'assemblee. L'ordonnance du 3 mars 1357 en fut le resultat (2). Elle descend a tons les details de 1'administration, reforme le parlement, la cour des comptes, le grand conseil; mais il n'esl jamais question de les abolir, tant la necessite des institutions monarcbiques etait generalement recon- nue! Le parlement, accuse d'avoir dtlaisst et mis en
(1) Reciieil ties Ordonn., t. Ill, p. i>A, 95, 9(3.
(2) Ibid., t. HI, p. 12/1-145.
74 GEN&llALX DES FINANCES;
arriere beaucoup de proces, devra a I'aveiiir se reu- nir an soleil levant (1); meme prescription pour la chambre des comptes (2) et le grand conseil (3). L'or- donnance exige la suppression de la venalite des pre- votes et des vicomtes, c'est-a-dire Implication a ees charges du principe pose pour les bailliages et sene- cbaussees; elle interdit le cumul des charges et les variations du numeraire. On ne fabriquera qu'une bonne monnaie dont Fetalon restera entre les mains du prevot des marchands de Paris. Les subsides on aides votees par 1'assemblee seront percues par ses delegues. Des commissaires generaux qui furent ap- peles simplement gendraux des finances , feront la repartition de Timpot dans chaque localite (i). La se trouve le germe d'une institution que la royaute rat- tacha plus tard a la hierarchie administrative. Les gene'raux des aides devinrent line institution central e qui se subdivisa dans la suite. Les uns, designes sous le nom de generaux de justice, formerent la cour des aides ; les autres , appeles gene'raux pour le fait des aides , furent charges de la repartition des impots dans toute la France , constituerent plus tard les bureaux des finances, et eurent au-dessous d'eux les elus9 qui devinrent, sous le regne de Charles V, des Ibnctionnaires royaux. Ainsi radministration monar- chique fut assez sage pour profiter des reformes po- pulaires. Nous remarquerons en general que 1'initia-
(1) Ordonnances, Ibid., art. 7.
(2) Ibid., art. 13.
(3) Ibid., art. 42 et 43. 4) Ibid., art. 2.
ORDONNANCE DE COMIMEGNE (1358). 75
live pour beaucoup de reformes importantes vint du tiers-etat, mais qu'il les compromit par la violence et 1'esprit systematique. La royaute plus prudente silt profiler des idees desreformateurs, en les appliquant avec mesure et maturite.
Des 1358, le tiers-etat, irrite par des resistances et entraine de violences en violences , perdit sa cause et prouva qu'il n'etait pas encore murpour la liberte. Des fautes, des crimes meme souillerent cette pre- miere tentative de revolution populaire. Les chefs qui 1'avaient dirigee furent victimes d'une de ces reac- tions que provoque toujours la violence des partis. L'opinion publique qui s'etait eloignee du principe monarchique s'y rattacha plus fortement qu'aupara- vant. Effrayee par les exces du peuple , qui s'etait souleve dans les campagnes (Jacquerie) , reconnais- sant 1'impossibilite du gouvernement du tiers-etat qui n'avait aboutiqu'a la tyrannic de la commune de Paris, la majorite de la nation se rallia au Dauphin, prince prudent et modere qui sut mettre a profit les lecons de 1' experieftcp. II fit de lui-meme unc partie des re- formes qu'avaient voulu lui imposer les Etats, et par son ordonnance de Compiegne (14 mai 1358) (1), il ^engagea a ne plus alterer les monnaies et a sou- mettre 1'administration financiere au controle des Etats (2). On s'etait plaint de la lenteur du parlement qui laissait s'accumuler les proces , le Dauphin or- donna que, pendant I'intervalle des sessions, qui n'a-
(1) Ordonnances, III, 221-232. (2)/6id,art. 1, 4, 17 et 27.
76 PROGRfcS 1)1 PARLEMENT.
vaient lieu que deux ibis par an, les presidents expe- diassent les affaires les plus urgentes (1). G'etait preparer la permanence du parlement. Cette assem- blee de legistes est d'ailleurs designee dans 1'ordon- nance du roi par les qualifications les plus honorables, « comme la justice capitale et souveraine de tout le » royaume de France representant, sans moyen, la » personne du roi (2). » Ce retour a des principes d'ordre et de justice etait sans doute d'une haute im- portance. Mais ce n'est pas au milieu des troubles de la guerre civile et etrangere que se fonde une admi- nistration reguliere, et le Dauphin dut avant tout ci- catriser les plaies de la France, mettre un terme a 1'anarchie , eloigner on detruire les grandes com- pagnies, enfm expulser les Anglais du royaume. Cette oeuvre de regeneration ne tut definitivenient aecornplie qu'apres la mort de Jean et 1'avenement de Charles V au trone. Elle remplit surf out la premiere partie du regne de ce dernier prince (1364 — 1372). La seconde (1372-1380) fut marquee par de notables progres de 1' administration monarchique.
(1) Henault, Abrcge chronol., ann. 1359.
(2) Les Clironiques de Saint-Deny Syibgne de Jean-le-Bon, eclil. Paulin Paris, in-f° p, 15Zi7, parlent aussi du parlement comme du corps le plus eleve" en dignite. « Les gens du parlement, dit 1'auleur anonyme, representent la pei'sonne du Hoy, au fait de la justice, qui est le principal membre de la Couronne, par lequel il regne et a sa Seigneurie. »
CHAP1TRE III.
Sommaire.
CHARLES V (1364-1380); etat deplorable de la France a 1'ave- nement de Charles V; depopulation. — Charles V lermine les guerres civiles et eloigne les grandes compagnies. — As- semblee de 1369; votes de subsides (taille, aides, fouages) ; arinee permanente organisee par I'ordonnance deVincen- nes (1374) ; impot permanent. — Reforme de radministra- lion financiere ; impots affermes ; les 4lus deviennent magis- trals royaux; iixite des monnaies; reforme de la chambre des comptes. — Permanence du parlement. — Prosperite du commerce ; progres de la marine ; projet de canal pour joindre la Seine a la Loire. — Monuments construits par Charles V. — Protection accordeeaux lettres. — Separation des puissances temporelle et spirituelle ; songe du vergier. — Majorite des rois fixee a quatorze ans. — Abolition des fouages par Charles V mourant (1380).
CHARLES VI (1 380-1 422) ; caractere general de ce regne ; mal- heurs et anarchic. — Mesures administratives : Election des membres du parlement par ce corps ; chambre des va- cations. — Reformes tentees par le parti democratique; or- donnance cabochienne (1413); elle n'est pas execulee. — La France en proie aux guerres civiles et etrangeres (1 41 3-
Charles V trouva la France dans une situation de- plorable : deux guerres civiles en Normandie et en Bretagne, les debris des armees mercenaires exer- gant d'horribles ravages, les Anglais maitres du pays de la Loire aux Pyrenees, les campagnes desertes, les villes en proie aux fleaux de la famine et de
78 ETAT DEPLORABLE BE LA FRANCE EN 1364.
la peste nes de la guerre et de 1'accuniulation des po- pulations, Paris meme meconnaissable aux yeux de 1'etranger qui 1'avait vu quelques annees aupara- vant (1); telle etait la situation de la France en 1364. Charles V se vit contraint de diminuer les impots en proportion de I'extinction des feux. Les ordonnan- ces prouvent que la province duLanguedoc, une de celles que la guerre avait le moins cruellement devastees, avait perdu plus de la moitie de sa po- pulation (2).
Charles termina d'abord les guerres civiles. Du- guesclin, le bras et Tepee du roi, triompha a Coche- rel et pour etrennes de sa joyeuse royaute annonc,a a Charles V, la fin de la guerre de Normandie. En Bretagne, la mort de Charles de Blois et la paix de Guerande (1365) terminerent aussi les hostilites. Kestaient les grandes compagnies qui consideraient la France comine « leur chambre », selon 1'expres- sion de Froissart. Le sage roi les eloigna et les en- voya, partie en Allemagne^ partie en Espagne. D'ailleurs, il mit le pays en etat de resister aux ban- des armees (3), et bientot la France fut delivree de co fleau.
(1) « Vix aliquid omnium recognovi, opulentissimum in cinercs versum regnum videns, et nullam pene domum stantem nisi ur- bium aut arcium mcenibus cincta esset... Ubi est ilia Pariseos, qua? magna baud dubie res fuit? Ubi scholastiscorum agmina? Ubi stu- dii fervor? Ubi civium divitia3? Ibi nunc audilur bellantium fra- gor, vixque ipsis in urbibus tuti sunt. Nusquam tarn nulla securi- tas. » Lettres dc Pdtrarque, liv. X, 2we lettre.
(2) Recueil des Ordonnances des Rois de France, torn. IV, p. 486.
(3) Ordonn., torn. V, p. 1A, 13 juillet 1367.
ASSEMBLED 1)E 1369. 79
Ces inesures cxecutees avec sagesse et fennete avaient concilie au roi I'opinion publique. Elle se manifesta dans Fassemble'e de 1369. Ce n'etaient point les Ihats-Generaux, dont Charles V redoutait les orageux souvenirs, mais une assernblee de no- tables composee de grands, de prelats, de membres duparlement etde la bourgeoisie. Leroi parutvouloir se mettre sous leur tutelle, eomme plus tard Hen- ri IV a I'asssemblee des notables de Rouen. « S'ils » voyaient, disait Charles V, qu'il eut fait chose » qu'il ne devait, qu'ils le dissent et il le corrige- » rait (1). »
L'assemblee lui prouva sa confiance en lui accor- dant douze deniers pour livre sur le prix des den- rees, la gabelle du sel et un droit de quatre livres par feu dans chaque ville fermee, et d'une livre et demie en plat pays , le fort portant le faible ; on ajouta a ces subsides une aide considerable sur les vins (2) . Charles repondit a la confiance de I'assemblee par des services signales; il enleva aux Anglais toutes leurs possessions en France , a F exception de Calais , Bordeaux et Bayonne. Foissart a par- faitement caracterise la politique exterieure de ce prince, qui, « tout coi en ses chambres et deduits » reconqueroit ce que ses predecesseurs avoient per- » du sur le champ de bataille , la tete arm^e et » Tepee au poing (3). »
(1) Grandes cfironiques de Saint-Dcmjs, regne de Charles V, chap. XIX, edit Paulin Paris, in-folio, pag. 1576.
(2) Ibid., pag. 1606-1607.
(3) Froissart, liv. II, chap. 45.
80 ARMEE PERMANENTE (1374).
Charles V dut une partie de ses succes a 1'orga- nisation de son armee. L'ordonnance de Vincennes (1 3 Janvier 1 373-1 374) etablit une armee permanente et la soumit a une discipline reguliere (1). La no- mination des capitaines par le roi et le paiement des troupes par les tresoriers royaux rattachaient la force militaire au gouvernement central. La defense de laisser sej owner les troupes dans le pays etait une mesure utile pour le preserver des ravages aux- quels il avait ete si longtemps expose. Malheureu- sement 1'ordonnance de Yincennes ne fut execu- tee que sous le regne de Charles V, et aussitot apres sa mort on en revint au systeme des bandes mercenaires qui avaient desole la France.
Une armee permanente exigeait un impot per- manent; le fouage ou impot foncier fut fixe a six livres par feu dans les villes fermees, et a deux li- vres pour le plat pays (2). Les aides sur les vins et les boissons furent taxees au treizieme du prix, et sur toutes les autres denrees a douze deniers par livre. Enfin la gabelle au cinquieme du prix du sel. Pour etablir cet impot regulier et permanent, Char- les ne dernanda pas le consentement des Etats. II se contenta de 1'assentiment d'une nouvelle assein- blee de notables qui n'avait aucune mission pour re- presenter la nation. Mais la France etait dans un de
(1) Ordonn., torn. V, pag. 658.
(2) Ibid., tome VI, page 3. J'ai suivi le texte dc 1'ordon- nance. M. Mignet, dans son memoire sur la formation territo- rials el politique de la France, ne porte le fouage qu'a quatre livres par feu pour les villes.
ADMINISTRATION FINANClfeRE. 81
ces moments ou la lassitude de r anarchic fait accep- ter le despotisme qui assure le repos et donne, a la place de la liberte, une bonne administration. Ce fut le inerite du gouvernement de Charles V.
Ce prince reorganisa 1'administration financiere depuis le sommetde la hierarchic jusqu'aux derniers rangs. II etablit trois tresoriers dont Tun residait a Paris, pendant que les deux autres parcouraient le royaume pour inspecter les domaines et les chateaux royaux (1). Quatre conseillers, charges de surveiller le tresor public et d'autoriser les paiements, devaient sieger a Paris (2). Telle est I'origine du bureau des finances, qui n'a ete defmitivement organise que sous Henri III. Les impots furent affermes aux en- eheres publiques, et les elm, devenus magistrate royaux, ne purent prendre part a 1'enchere (3). Les receveurs furent astreints a tenir des registres sous Tinspection des elus (4) et a percevoir le fouage trois fois par an (5). Six maitres des eaux et forets eurent la surveillance du domaine sous la direction generate des tresoriers (6).
La reforme des monnaies avait appele 1'attention de Charles V des le commencement de son regne. II s'attacha tout d'abord a frapper une monnaie dont la valeur constante put rassurer les march and s. Son
(1) Ordonn., VI, 379, art. 3.
(2) Ibid., art. 7.
(3) Ibidem, art. 3. (A) Ibidem.
(5) Ibidem, p. ^2.
6) Ibid., p. 379, art. 20.
FIXJTfi DES MONNAIES SOUS CHARLES V.
ancien precepteur, Nicolas Oresme, ecrivit meme un traite pour fletrir la conduite des princes qui alte- raient les monnaies (1). Six maitres des monnaies furent charges de veiller a 1'execution des ordon- nances surcette matiere (2).
La chambre des comptes subit une reforme qui excluait 1'influence de la parente et assurait la prompte expedition des affaires en assignant des maitres speciaux pour reviser la comptabilite de chaque pays (3).
II est probable qu'a cette epoque d'administration reguliere le parlement devint permanent (i). Ce qui est certain, c'est que Charles V donna pour residence a cette cour 1'ancien palars de Saint-Louis, dans la Cite, et c'est encore aujourd'hui le siege de la jus- tice.
Sous rinfluence d'un gouvernement sage et protec- teur, la France se releva de ses ruines, et la prosperile nationale se manifesto de toutes parts par le develop- pement du commerce et par de grandes construc- tions. Les Normands expedierent plusieursvaisseaux pour la cote d'Afrique et y fonderent des comp- loirs (5). Les marchands castillans obtinrent en
(1) Le traite" de Nicolas Oresme sur Talt^ration des monnaies (de mutatione monetce) a e"te" imprime dans la Biblioth. des Pvrcs (edit. deLyon), torn. XXVI, p. 226.
(2) Ordonnances des Rois de France, VI, 379, art. 20.
(3) Ibid., VI, 379, art. IZi et 19.
(/i) C'est 1'opinion de M. Mignet, Formation territoriale et po- litique de la France. Je n'ai trouv6 la preuve de ce changement dans aucune ordonnance.
(5) Estancelin, Histoire des decouvertes mari times drs \or- mands, et Vitet, UiMoirc de Dieppe.
PROSPERITY Dt: COMMERCE. 83
France des privileges qui attestent 1'etendue de leurs relations commerciales avec ce pays (1). Le com- merce exterieur , abandonne jusqu'alors aux entre- priseshasardeuses des particuliers et sans force con- tre les agressions etrangeres, fut protege par la ma- rine nationale. Quoique, depuis Saint-Louis, on eul un amiral, on n'avait pas de flotte, et il avait fallu louer des vaisseaux genois pour se faire battre a 1'Ji- cluse (1340). Charles V fit equiper une flotte sur les cotes de Normandie (2), et son amiral, Jean de Yienne, put porter les ravages de la guerre sur les cotes de la Grand e-Bretagne (3).
Charles V s'occupa aussi du commerce interieur, et songea a lui assurer de faciles communications. « II avoit resolu, dit Christine de Pisan (4), de faire » fossoyer la terre de tel large et profondeur, et en » telle adrece que la riviere de Loire peut prendre » son cours en la riviere de la Seine , et porter na- » vires qui vinssent a Paris. » Deja les cent mille livres demandees pour ce travail etaient preparees, lorsque la mort de Charles V en empecha 1'execu- tion.
D'autres travaux furent executes et attestent 1'activite et la prosperite de ce regne. L'hotel Saint- Pol , avec ses nombreux batiments , ses cours, ses jardins, ses immenses cheminees surmontees dessta-
(1) Ordonn. des Rois de France, VI, 421.
(2) Ibid., VI, 218.
(3; Froissart, Chroniques, £dit. de 1574, vol. I, p. 417. (4) Christine de Pisan, collect. Petitot, t. VI de la lre se"rie, page 16.
84 MONUMENTS ELEVfiS PAR CHARLES V.
tues des douze apotres ; les chateaux de Beaute-sur- Marne, de Melun , de Creil , de Saint-Germain-en- Laye, de Saint-Ouen et de Fontainebleau ; a Paris , les eglises des Celestins , de Saint-Paul , de Saint- Antoine (1), ne sont qu'une faible partie des monu- ments qu'eleva Charles V. II fit rebatir le Louvre , « moult notable et bel edifice, » dit Christine de Pi- san. La Bastille fut commencee par le prevot Hu- gues Aubriot; le palais de la Cite fut agrandi , Paris entoure de « murs neufs, et de belles, grosses et » haultes tours (2). » Charles Vvoulaitfairedu chateau de Vincennes une ville fortifiee, « et la auroit etabli, » en beaux manoirs, la demeure de plusieurs sei- » gneurs, chevaliers et autres ses mieux aimes (3). » Les lettres trouverent aussi un protecteur dans ce roi ; il « fit en tous pays chercher et appeler a soi » clercs solemnels, philosophes fondes es sciences » mathematiques et speculatives (4) ». II encouragea leurs travaux et repondit a ceux qui en murmuraient que « les clercs ou a sapience, on ne pent trop ho- » norer. » II reunit dans une tour du Louvre, appe- lee Tour de la librairie, des ouvrages de medecine , de droit, d'astrologie , d'histoire et de poesie, et per- mit aux savants deles consulter. Ce fut la 1'originede la Bibliotheque imperiale (5). « Nonobstant que bien
(1) Christ, de Pisan, collect. Petitot, tome VI de la lre serie, p. 2Zi et 25.
(2) Idem, ibid., torn. VI, pag. 25.
(3) Idtm, ibidem, page 26.
(Zi) Idem, ibid., tome V, pag. 275.
(5)Memoires de C Academic des inscriptions, tome 17, origin? de la bibliotli. royale.
LFS LETTRES PROTEGEES PAR CHARLES V. 85
» entendit le latin, il fit par solemnels maitres trans- » later de latin en frangais tous les plus notables li- » vres (1), » tels que la Bible, la Cite de Dieu de saint Augustin, plusieurs traites d'Aristote, les his- toires de Tite-Live, de Valere Maxime, etc.
Comme tous les rois administrateurs, Charles V maintint la separation des deux puissances temporelle et spirituelle,etdefendit auxtribunauxecclesiastiques dejuger lesproces des la'iques (2). II fit composer par quelque legiste de sa cour le Songe du vergier , sa- tire de 1'ambition des clercs, qui , « de la misere de » pauvrete, de degre en degre, montent jusques a » tres grands bonneurs et dignites par pratiques ca- » villeuses , luxurieusement vivent et se disent Dieu » en terre, ets'appellent sanctifies (3). » Nous avons du insister sur les resultats d'un regne qui manifesto avec tant d'eclat la puissance d'une volonte forte et prudente,et la superiorite de la politique sur une pre- tenclue cbevalerie qui avait compromis le salut de la France. Charles V, entoure de ses legistes, gens de petit etat, des Dormans, le Begue de Vilaines, Baoul de Presles, Bureau de la Riviere, Nicolas Oresme, a releve le royaume mine par la mauvaise administra- tion des rois chevaliers. II voulut en assurer la pros-
(1) Christine dePisan., ibid., torn. Vf, 27.
(2) Ordonn., V, 100. — Voy. Dupuy, Preuves des libertds dc I'&glise gallic., I, 121-122.
(3) Songe du vergier, liv. I, ch. Zi. Get ouvrage a ete attribue a plusieurs auteurs, entre autres a Raoul de Presles, et a Nicolas Oresme. Voy. Dupin, Bibl. clioisie des livres de droit , edition 1836, page 701, et La Boulaye, Kev. delcgislat. (1841), torn. XIII, p. 32.
I. 7
86 ABOLITION DES FOUAGES (4380),
perit6 apres lui par des lois qui fixaient la majorite* des rois a quatorze ans (1), et organisaient , en cas de minorite, un conseil de regence (2) ; mais le mal- heur des monarchies absolues est de faire dependre d'un seul homme le sort d'un royaume. La France devait en faire une cruelle epreuve apres la mort de Charles V (1380). A ses derniers moments, ce roi fut tourmente par le remords d'avoir viole les anciennes franchises de la nation , qui exigeaient consentement des foats pour I'etabiss^ement nouveaux impots et il abolit les fouages le 1*6 septembre 1380, le jour meme de sa mort (3)*
(1) Ordonn. des Rois de France, i. VI, p. 26; ordonn. d'aout
(2) Ibid., p. A9; ordonn. du mois d'octobre 137/u
(3) M. le comtedePastoreten men tionnant cette ordonnance (pre- face du tome XX des ordonnances, page ix)^egrette que le texte en ait et£ perdu par suite de 1'incendie qui de"truisit en partie les Memo- riaux de la chambre des comptes en 1738. Je Fai retrouv6 dans des extraits des Memoriaux anterieurs a 1'incendie. En voici le texte :
« Charles, par la grace de Dieu, roy France, a tous ceux qui ces pre"sentes lettres verront, salut : scavoir faisons que nous, ayans en consideration et memoire les tres grans charges que nostre. peuple et sugez ont soustenus en temps passez pour le fait de nos- tre guerre et ont encores a supporter en plusieurs et diverses manieres, desirant les relever des aydes, a quoy ils ont este" im- posez, pour cette cause, par la pitte et compassion que nous avons d'eux, a nostre peuple et sugez avons quittie" et remis, quittons, re- mettons et donnons, se mestier est, de nostre certaine science, pleine puissance et grace especial, par ces pre"sentes, tout ce en quoy ils peuvent estre tenus par manlere quelconques et a nos bonnes villes et plat pays a cause des fouages a eux imposez de tout le temps passe pour le fait de nostre guerrre, et, en ampliant r-ostre dicte grace, iceux fouages avons abaltus et abattons, et nous plaist, voulons et ordonnons par ces mesmes lettres que ils n'ayent plus cours en nostre royaurne et que doresnavant nostre dit peuple et subgez n'en payent aucune chose, mais en soyent et demeurent quittes et deschargez. Si donnons en mandement £ nos amez et
ANARCHIB SOUS CHARLES VI (1380-1422). 87
La minorite de son fils Charles VI fut 1'occasion de troubles qui replongerent le royaume dans 1'anar- chie. La dilapidation des tresors amasses par le der- nier roi et evalues a dix-sept millions (1) ; des re- voltes eommunales suivies bientot de cruelles ven- geances (2) ; une administration violente et inhabile, la folie du roi, les querelles sanglantes des princes, la guerre civile aggravee par 1'invasion etrangere, tel est le triste spectacle que presente la France h la fin du xive siecle et au commencement du xve siecle. Les progres de I'administration ne sont guere possi- bles dans ces temps orageux. La plupart des nom- breuses ordonnances rendues au nom de Charles VI ont ete dictees tantot par le besoin du moment, tan- tot par rinteret de la faction victorieuse et par ees reactions violentes auxquelles obeissaient avec une aveugle docilite lei corps depositaires de la puissance publique, semblables, « dit Hiistorien le plus grave « du temps (3), a des girouettes poussees par le » vent. » II n'est done pas etonnant que ce long re-
fe*aux g^neraux conseillers sur lesdites aydes, sur la guerre, au pre- vost de Paris et a tous nos autres justiciers et a chacun d'eux que nostre presente grace et ordonnance ils facent partout ou il appar- tiendra crier et publier, et nostre dit peuple et subgez d'iceluy, joir et user paisiblement, et sans eux molester ou souffrir estre moles- tez aucunement au contraire. En tesmoing de ce nous avons fait mettre nostre seel a ces leltres. Donn6 en nostre hostel de Beaut6-sur-Marne, le seizierae jour de septembre, Tan de grace MCGCLXXX et de nostre regne le dix-septieme. »
(1) Art. de verifier les dates, regne de Charles VI.
(2) Froissart, liv. II. chap., CLXXXV, et CGV. Ctironique du Re- ligieux de Saint-Deny s, edit. Bellaguet, torn. II, pag. 356-857, dans les Documents ine'dits de CHistoirc de France.
(3) Ctironique du Religieux de Saint-Denys.
MESURES ADMINISTRATIVES.
gne ait ete presque entierement sterile pour Tadmi- nistration monarchique.
Nous signalerons cependant quelques mesures im- portantes : Telection des membres du parlement con- fiee a ce corps (1), la permission accordee aux con- damnes a mort de se faire asslster d'un eonfes- seur (2), 1'autorisation de representer les Mysteres accordee aux confreres de la Passion (3), 1'etablisse- ment d'une chambre des vacations (4), le nombre et les fonctions des officiers de justice (5), enfin des reglements financiers qui ameliorerent cette partie de radministration (6).
La royaute degradee par la folie du roi, par les de- batches de la reine, par les revoltes des princes, semblait s'abandonner elle-meme. Le peuple tenta encore une fois de saisir le pouvoir. Ce ne fut plus, comme en 1355 et 1357, la bonne bourgeoisie qui se mit a la tete du mouvernent, mais les corporations inferieures, les bouchers et meme les ecorcbeurs.
Le parlement refusa de s'associer a ces tentatives populaires. II repondit « qu'il ne convenoit pas a » une cour etablie pour rendre la justice au nom du » roi de se porter partie plaignante pour la deman-
(1) Ordonn. de 5 fevrier 1388 (1389); torn. VII, pag. 223-225, du Recueil des Ordonn. des Eois de France.
(2) Ibid., torn. VIII, pag. 122 ; ordonn. du 12 fevrier 1396 (1397).
(3) Ibid., torn. VIII, pag. 555; ordonn. de de"cembre 1402. f4) Ibid., torn. IX, pag 86-87 ; ordonn. du 2^ aout 1A05.
(5) Ibid., 7 Janvier 1407 (1408) ; torn. IX, pag. 279.
(6) Ibid., ordonn. du 7 Janvier 1407-1408; torn. IX , pag. 279; de mars 1408, torn. IX, pag. 418; du 14 juillet 1410, torn. X, page 511.
ORDONNANCE CABOCH1ENNE (1413). 89
»der (1). » L'Universite n'imita pas la moderation du parlement. Elle pretendit representer le royaume, le monde entier et pouvoir parler au roi avec 1'autorite d'un maitre (2). Ses docteurs redigerent la grande ordonnance cabochienne de 1413. « Les violents dic- » talent, a tres-bien dit un historien moderne (3) ; » les moderes ecrivaient. » On est surpris, en effet, de trouver autant de moderation, de prudence et meme de soin du pouvoir dans une revolution vio- lente et meme hideuse, comme celle des Cabochiens. L'ordonnance du 25 mai 1413, traite successivement du revenu public (domaine, monnaie, aides,) ; de Fadministration fmanciere ; de la justice et des dif- ferents tribunaux charges de la rendre ; des eaux et forets (domaine), et de 1'armee (force pub lique}. Elle opere quelques reformes, mais elle ne porte aucune atteinte aux institutions monarchiques, et favorise plutot la centralisation administrative, judiciaire et fmanciere ; elle confirme la cour des aides (4), qu'elle reduita un president et a deux conseillers. Elle s'ef-
(1) Registres du parlement, cites par M. de Barante, Hist, des dues de Bourgogne, torn. IV, pag. 34, 3C edition.
(2) « Universitas reprsesentat-ne universum regnuin? Imo vero to- tum mundun].... quid lotus diceret FranciaB populus, quern quoti- die Universitas per suos subdilos ad patienliam et bonam obedien- tiam regis et dominorum adhortatur, si non a3que bene regi lo- queretur, ut sese benigne , juste et rationabiliter erga populum suum haberet? Videretur adulationis et dissimulationis factum, nee unquam populus nos audire vellet. » Gersonii opera, torn. IV, pag. 583, sqq.
(3) Michelet, Hist, de France, torn. IV. Voy. aussi Aug. Thierry, Format, et Progres du Tiers-£tat.
(4) Ordonn. du 25 mai 1413, art. 99; Ibid., pag. 85.
90 ORDONNANCE CABOCHIENNE (1443).
force de soustraire la chambre des comptes et le parlement a 1'influence de la parente qui, favorisee par le droit d'election, cut concentre 1'autorite judi- ciaire et financiere aux mains de quelques families. La juri diction des baillis et senechaux est maintenue; mais ils devront rendre leurs comptes au parlement, ainsi que le voulaient les anciennes ordonnances (1). On remet en vigueur les prescriptions de Saint-Louis et de Philippe-le-Bel qui exigeaient qu'on choisit les magistrats hors du pays confie a leur administration. Enfin 1'ordonnance restreint la juridiction de {'hotel du roi qui empietait sur les tribunaux ordinaires (2). Cette ordonnance ne rec,ut pas d'execution (3), et ce ne fut que beaucoup plus tard, lorsque le calme fut retabli, que la royaute, mieux conseillee, lui emprunta quelques sages dispositions. Les dernieres annees de Charles VI, souillees par des massacres, par Taffreuse guerre civile des Armagnacs et des Bourguignons, par la domination etrangere, sont une des plus tristes epoques de notre histoire ; mais de cet abime de crimes et de malheurs sortit le mouvement qui devait sauver la France.
(1) Ordonn. du 25 mai 1413, art. 172, 173, 174, 175, 176, etc. Rec. des Ord.y torn. X, pag. 109-110.
(2) Ibidem, pag. 115, art. 192.
(3) L'ordonnance cabochienne ful abolie le 5 septembre 1413. Voy. Monstrelet, e'dit. Buchon, torn. Ill, pag. 71. — Juve"nal des Ursins, torn. 1 1, pag. 485.
CHAPITRE V.
Sommaire.
CHARLES vn (1422-1461). — Situation deplorable de la France a 1'avenement de Charles VII; reaction favorable a la royaute; la Pucelle. — Reforme des armees et des abus feodaux(l438-1439). -- Praguerie (1440-1441). — Com- pagnies d'ordonnance (1 445). — Francs-archers (1 448). — Progres de Fartillerie. — Reformes fmancieres. — Reformes judiciaires; ordonnance de Montils-les-Tours (1453); re- forme du parlement de Paris et des tribunaux inferieurs ; institution des parlements de Toulouse et de Grenoble. — Chambre des comptes de Montpellier. — Reforme eccle- siastique. — Pragmatique-sanclion de Bourges. — Reforme de 1'Universite. — Prosperity du commerce; Jacques Coeur. - Agriculture. — Charles VII choisit ses principaux mi- nistres dans le Tiers-Eta t.
Parmi les historiens contemporains qui ont retrace le deplorable tableau de la France a 1'avenement de Charles VII, il faut citer au premier rang Thomas Basin, eveque de Lisieux, qui a compose sous le pseudonyme d'Amelgard, une histoire de Charles VII etde Louis XI (1).
(1) L'ouvrage de Thomas Basin est encore inedit; quelques ex- traits ont ete publics dans les Notices des manuscrits (torn. Icr). Une edition complete a ete promise par M. Quicherat, auquel on doit une excellente notice sur Thomas Basin. Je me suis servi du manuscrit de la Bibliotheque imperiale qui porte le n° 5962.
92 ETAT DE LA FRANCE
En voici quelques extraits : « Les longues guer- res a 1'interieur et a 1'exterieur, la lachete desregents et des princes, 1'absence de toute discipline mili- taire, 1'avidite et la licence des gens de guerre livre- rent le royaume a de telles devastations, que depuis la Loire jusqu'a la Seine et meme jusqu'a la Somme, presque toutes les terres resterent longtemps sans culture, tous les cultivateurs etant morts ou en fuite(1).
«J'ai vu(2),dit le meme ecrivain, les plaines de la Champagne, de la Beauce, de la Brie, du Gatinais, des pays de Chartres et de Dreux, du Maine et du Perche, du Vexin fran^ais et normand, du Beauvoi- sis, du pays de Caux depuis la Seine jusqu'a Amiens et Abbeville, les contrees de Senlis, de Soissons et du Valois jusqu'a Laon et au-dela vers le Hainaut, entierement desertes, incultes, sans habitants, rein- plies de ronces et d'epines. On n'osait cultiver que les terres situees aupres des villes et des chateaux forts : la sentinelle placee au haut des tours agitait la cloche d'alarmes ou sonnait du cor des qu'elle apercevait au loin line troupe d'ennemis ; et aussi- tot ceux qui travail la jejnt dans les champs ou dans les vignobles se hataient de chercher un asile der- riere les inurs des chateaux forts (3). »
(1) « A flumine Ligeris usque ad Secanam, el inde usque ad flu- viuin Sommona?, morluis vel profligatis colonis, omnes agri ferme et sine cullurael sinepopulis aquibus coli potuissent per annosplu- rimos longaque tempora permanserint. » Fol. 28, verso.
(2) « Vidimus ipsi \o\ins Carnpanue agros, totius Belcice.... pror- sus desertos, incultos, colonis nudatos, dnmetis opplelos, etc. » Ibidem.
(3) « Qui vel campaire tinnitu vel venatorio aul alio cornu dan I
REACTION POPULA1RE (4429). 93
Ce tableau trace par uu ternoin oculaire n'a rien d'exagere, et on trouve dans tous les contempo- rains la confirmation des malheurs qui accablaient la France. Mais 1'exces meme du mal fmit par amener une reaction salutaire. La haine de 1'etranger reunit tous les Frangais sous 1'etendard royal. La Pucelle fut 1'expression glorieuse de ce patriotisme. « Le coeur me saigne, disait-elle, quandje vois couler le sang d'un Frangais. » Nous sommes loin du temps, oil un bomme, dont le nom est justement celebre dans notre histoire, Eustache de Saint-Pierre, se faisait Anglais pour rester Calaisien. Au patriotisme local a succede le vrai patriotisme. La France s'est unie dans une seule pensee : secouer le joug de I' An- glais. Est-il necessaire de rappeler la predication de Thomas Connecte, de frere Richard, les nombreuses copies de I'heroique Jeanne et les soulevements de ces paysans normands qui, a peine armes, brave- rent le fer et le feu des Anglais (1) ?
De toutes parts eclata la vigoureuse reaction a la- quelle la France a du son salut Elle a donne force et gloire a ce faible prince, a ce roi de Bourges, qui perdait si gaiement son royaume. Les habiles con- seillers et capitaines qui entouraient et dirigeaient Charles VII, Arthur de Richemont, Dunois, Jacques Coeur, les freres Bureau, surent profiler de 1'enthou-
sonitum per hoc ad iminilum se recipiendi locum cunctis qui in agris agerent vel vineis signum dabant. » Ibidem.
(1) Monstrelet, clironique,\iv. II, chap. 163.— Voyez 1'histoirede Jeanne d'Arc, et tout ce mouvement palriotique de la France dans le tome V de 1' Histoire de France par M. Michelet.
94 REFORME DE I/ARMEE (1438-1439).
siasme populaire ; le roi lui-meme finit par sortir de sa langueur et s'eleva presque a la hauteur de sa po- sition. Mais c'etait peu de reconquerir son royaunie, tout semblait a creer dans un pays epuise, depeuple, dont la capitale etait en proie aux loups, a la famine et a la peste (1). Ceux qui auraient du le defendre etaient souvent ses plus cruels ennemis, et le mot de Talbot : si Dieu etait soldat, il se f er ait pillar d, exprime la pensee des armees mercenaires, fleau de la France. C'etait a ces abus qu'il fallait d'abord porter rernede.
Charles VII avait besoin du soutien de 1'opinion publique. II convoqua en 1438, les Etats-Generaux d'Orleans, et, fort de leur assentiment, il reorga- nisa 1'armee. Les ordonnances du 22 decembre 1 438 et du 2 novembre 1 439 la soumirent a une vigou- reuse discipline et la rattacherent a radministration monarchique (2). Au roi seul appartint a 1'avenir la nomination des capitaines; il etait defendu sous les peines les plus severes de lever ou de conduire des troupes sans autorisation royale. Tout pillage etait interdit, et les capitaines etaient responsables des de- sordres commis par leurs soldats. Le roi autorisait les paysans et les bourgeois a repousser la force par la force, et ordonnait aux baillis et aux autres magistrats de reprimer energiquement les exces de la soldates-
(1) Voy. surtout le Journal d'nn bourgeois Paris aux anises et !Zi37. Il a trace le tableau le plus effrayant de la misere de
Paris a cette 6poque.
(2) Ordonn. des Rois de France, lorn. XIII, pag. 295 et 306.
RBFORME DES ABUS F^ODAUX (1439). 95
ijiic1. Charles VII ne se borna pas a retablir la disci- pline dans 1'armee; il attaqua les abas feodaux que Fanarchie avait favorises et propages. Les sei- gneurs avaient profite des guerres civiles et etran- geres pour multiplier les peages et entraver le com- merce ; ils levaient des tallies conime le roi, et sou- vent meme interceptaient les deniers royaux. Tons ces abus furent reprimes par 1'ordonnance du 2 no- vembre 1439 (1 ). Les seigneurs furent contraints de laisser lever sur leurs domaines la taille royale qui avait ete votee par les Etats pour la solde reguliere des armees. En meme temps il leur fut interdit de percevoir un impot sans autorisation speciale du roi. Deja la royaute aspirait a exercer seule les droits de souverainete.
La feodalite protesta par la revolte des seigneurs qu'on nomma Praguerie, par allusion aux troubles de la Boheme (1441-1442). Mais Charles VII etouffa facilement cette insurrection et poursuivit la reforme des abus. Les compagnies mercenaires, toujours in- disciplinees, furent eloignees apres la treve de 1444. Le Dauphin en conduisit une partie contre les Suisses, et vingt mille perirent a la bataille de Saint- Jacques. Le roi mena, en personne, d'autres bandes mercenai- res au secours de 1'empereur Frederic III, et, a leur tete, assiegea Metz. Ces expeditions lirerent a la France son mauvais sang. Charles VII remplaca les armees mercenaires par des troupes permanentes et bien disciplinees. Des 1 445, il organisa la cavalerie
(1) Ordonn. des Rois de Fr., torn. XIII, pag. 306 et suiv.
96 COMPAGNIES D'ORDONNANCE (1445).
designee sous le nom de compagnies tf ordonnance . Elle se composait de quinze compagnies, chacune de cent homines d'armes, ou, comme on disait alors, de cent lances garnies. Chaque lance representait six hommes, ecuyers, varlets, pages et coustilliers (1 ) . Us etaient payes de mois en mois sur un fonds spe- cial qu'on appelait la taille des gens d'armes. La noblesse composa en grande partie cette cavalerie re- guliere, qui a ete longtemps regardee comme la pre- miere de TEurope (2). Elle formait primitivement un corps de neuf mille hommes. Elle campait, comme nous Tapprend Thomas Basin (le pseudo-Amelgard) , dans des lieux determines , et les habitants etaient te- nus de fourniraux compagnies, logement, meubles et vivres (3). Plusieurs paroisses devaient se reunir, si une seule n'etait pas assez riche pour 1'entretien de cha- que lance (4). Dans la suite, Charles VII substitua un impot regulier aux prestations en nature, et il fut sti-
(1) L'ordonnance qui institue les compagnies n'a pas ete publiee ; mais les contemporains parlent de cette organisation avec detail. Voy. M6m. de Duclercq, coll. Petitot, Ire serie, XT, 21. Et surlout le pseudo-Amelgard, fol. 81 et suiv. du manuscrit cite.
(2) Les etrangers, dont le lemoignage est moins suspect, sont unanimes dans Teloge qifils font de la cavalerie francaise. « Les » homines d'armes francais, dit Machiavel dans son tableau de la » France, sont aujourd'hui les meilleurs qui existent. » Voy. aussi les Relations des ambassadcurs venitiens au XVP siecle.
(3) « Ut eis ab incolis locorum preeberentur hospitia cum suppel- lectile necessaria. » Amelgardus, de rebus gestis Caroti septimi, fol. 82, verso.
(4) « Ita quod una parochia vel plures, si valde tenues, uni pro- viderent lancet de annona taxata, alia alii vel pluribus secundum latitudinem facultatemque parochiarum. » Ibid.
FRANCS-ARCHERS (1448). 97
pule que chaque maitre recevrait une solde de vingt ecus d'orpar mois (1).
Charles VII s'efforc,a aussi d'organiser une infan- terie nationale; « afm, disait-il, dans le preambule » de son ordonnance (2) , que il ne soit besoin de » nous aider d'autres que de nos subjects; » pensee genereuse, qui demande grace pour la faiblesse de 1' execution. Un archer, franc d'impots, devait etreen- tretenu par paroisse, s'exercer les fetes et dimanches a tirer de Tare. Son arm lire etait determined par 1'ordonnance et se composaitd'une salade, ou casque sans visiere ni cimier, de dague, epee, arc,trousse de fleches, jaque ou justaucorps, et brigandine ou cor- selet de fer. Des inspecteurs etaient charges de veil- ler a ce qu'il conservat ses armes en bon etat et fut pret a marcher au premier ordre (3). Cinquante feux ou maisons se reunissaient pour fournir et entretenir un archer, qui par sa taille, sa force et sa prestance, fut convenable pour le service militaire. Ses armes et son equipement etaient aux frais des cinquante fa- milies (4). Malheureusement la dispersion des francs- archers, 1'absence d'esprit de corps, les abus qui se glisserent dans cette institution, la corruption qui
(1) « Postmodum ... annonae illae militares in pecuniarum quan- tilatem mutatae sunt alque quolibet mense pro lanceacum suis duo- bus sagitlariis viginti scuta auri taxata. » Ibid.
(2) Ordonn., torn. XIV, pag. 1 et suiv.; ordonn. du 28 avril 1A48.
(3) Ibidem.
(l\) « Ita quod per omnes civitates oppidaque atque rura ex qui' busqnc quinquaginta domibus unus vir deligeretur, qui statura, robore atque habitudine corporis aptus videretur, qui sumptibus quinquaginta domorum armari vestirique militari vestimento de- beiet. » Amelgard., Ibid., fol. 83.
98 FRANCS-ARCHERS (1449-1450).
donnait les places a de gros marchands, dont 1'uni- que but etait de s'exempter ainsi des impots (1), nui- sirent a la nouvelle infanterie et en preparerent la decadence. Cependant elle rendit des services pour la conquete de la Normandie (1449-1450). On admira dans cette guerre le bon re"sultat des dernieres or- donnances et la bonne discipline des troupes, infan- terie et cavalerie. « Durant la conquete de Norman- » die, dit Duclercq (2) , touts les gens d'armes du roi » de France et qui e"toient en son service, fut-ce d'i- » celle ordonnance ou non, furent tous payes de leurs » gages de mois en mois, et n'y avoit si hardi qui » osat prendre durant la dite guerre, prisonnier ni » rangonner cheval ni autres bestes, quelle qu'elle » fut , vivre en aucun lieu sans payer, fors seulement » sur Anglois et gens tenant leur parti. » Thomas Basin, qui ecrit dans 1'exil, sous Louis XI, et semon- tre severe pour toutes les institutions favorables an despotisme, convient que, dans 1'origine, les francs- archers rendirent de grands services : « Cette insti- tution , dit-il , n'etait pas seulement utile, mais tout-a-fait necessaire, puisqu'une armee, meme nom- breuse, ne peut rendre de services, quand elle man- que d'ordre etde discipline; elle devient aucontraire alors une cause de brigandages, de crimes et de de- sordres de toute espece (1). »
L'artillerie comrnenca a prendre vers cette epoque
(1) Ordon., torn. XTV, pag. 184 et suiv. ; cette ordonnance du 30 avril 1459 signale les abus qui s'etaient . introduils dans I'orgafHsatloB des francs-archers.
(2) Me'm. de Duclercq, coll. Petitot, lre serie, I. XI, pag. 21.
(3) Amelg.,i7>M/., fol. 83.
ART1LLERIE. 99
line importance qui devait modifier le systeme mili- taire. « II y avoit, dit J. Duclercq, grand nombre de » grosses bombardes, gros canons, serpentines, cra- » paulx-deaulx, couleuvrines, le tout bien garni de » pouldre, manteaulx et aultres choses pour appro- » cher et prendre villes et chasteaulx et moult grand » foison de charois pour les mener et des manouvriers » pour les gouverner. Estoient commis a 1'artillerie » messire Jehan Bureau et son frere, qui en faisoient » moult bien le debvoir. » Chose extraordinaire ! cette invention, que Petrarque avait maudite comme un fleau de I'enfer (1 ) , eut tout d'abord pour resultat de readre la guerre moins sanglante. «Eta la verite dire, » durant ceste conqueste de Normandie,le plus de vil- » les et de chasteaulx eussent este prins d'assault et » par forces d'armes, mais, quand les places estoient » approchees et prestes a assaillir, le roy de France » Charles en avoit pitie et vouloit qu'on les print » par composition pour obvier a 1'effusion du sanghu- » main et a la destruction du payset des peuples (2) . » Cette humanite de Charles, qui contrastait avec la cruaute des compagnies et des Anglais, attachait de plus en plus le peuple a la royaute franchise.
La reforme du systeme militaire appelait une re- forme financiere. Charles VII, avec Tautorisation des
(1) « II ne suffisait done pas, s'ecriait le poete italien, que la co- lere divine se manifestat par la foudre. Ce miserable genre humain, dans sa cruaute et son orgueil, voulut que la terre aussi lonnat. L'i- nimital)le foudre^ comme 1'appelle Virgile, a ete reproduite par la fureur deshommes et Teclair qni venait du ciel part maintenant d'un instrument que I'enfer a invent^. »
(2) Dirleroq, Memoires, collect. Petitot, Fc serie, XI, 22,
400 RfcFORMES FlNANClfcRES.
Etats, etablit une taille perpetuelle, qui sous son re- gne produisit environ 1,800,000 livres. Le domaine, qui formait une des principales sources du revenu public, avait souffert pendant la periode d'anarchie que la France venait de traverser. Charles VII fit verifier tous les anciens titres des biens domaniaux et reprendre ceux qui avaient ete usurpes (1). II prescrivit de tenir avec exactitude les etats de fi- nances pour se rendre compte avec facilite et promp- titude de tous les details de ce service (2). L'admi- nistration, sans subiraucun changement essentiel, fut defmitivement constitute. L'assiette de 1'impot etait faite par les Elus. Ces magistrats royaux formaient un premier tribunal pour le fait des aides, gabelles, tallies^ etc. (3). On pouvait appeler de leurs deci- sions aux generaux conseillers sur le faict de la jus- tice des aides (cour des aides) (4) , qui pronongaient en dernier ressort. La chambre des comptes fut rappelee a des principes d'egalite et d'exactitude (5), dont les Etats de 13S5et de1413lui avaient reproclie des'ecarter. Elle devait se reunirau point du jour (6), et proceder avec integrite a Texamen des comptes, en plein bureau (7). Ainsi, 1'administration monar-
(1) Ordonn., XIII, 372.
(2) Ibid., XIII, Zi28; XIV, 238 et ZtSZi. La dernifere de ces ordon- nances (30 avril !Zi59),prescrivaitpour la repartition de 1'impot une egalite qui ne fut pas longtemps observee.
(3) Ibid., Xlll, Zi28. (ft) Ibid., XIV, /i96.
(5) Ibid., XIV, 3ftl. — Ge reglement, en date du 23 decem- bre 1^5/i, se compose de Zi9 articles.
(6) C'etait aussi une prescription de 1'ordonnance de 1357.
(7) L'ordonnane cabochienne de 1A13 avait monlre la meme de"-
RfcFORMES JUDICIAIRES (1453). 'I 01
chique eut encore le merite d'accepter et de s'appro- prier des reformes qui avaient paru dictees par des sentiments hostiles.
Le meme esprit d'equite dicta les ordonnances re- latives au parlement et aux tribunaux inferieurs. A peine les Anglais eurent-ils ete expulses de la Guienne par la victoire de Castillon (1453), que Charles VII s'occupa des reformes judiciaires.
Les longs desordres du xive et du xve siecle avaient tout livre a 1'anarchie; elle avait meme pe- netre dans le sanctuaire de la justice. Le parle- ment avait ose menacer le roi de suspendre le cours de la justice, comme 1'Universite suspendait ses lecons pour se venger du pouvoir royal (1). II n'y avait aucune regularite dans les elections des membres du parlement, aucune exactitude pour la tenue des seances-, ni pour I' expedition des proces. Charles VII s'efforga, par plusieurs ordonnances, et surtout par celle deMontils-les-Tours (avril 1453) (2), de mettre un terme a ces desordres. Le parlement devait avoir, outre les trois anciennes chambres eta- blies sous Philippe-le-Bel, une chambre de la Tour-
nance : « Voulons et ordonnons que toutes expeditions de choses » nouvelles, qui se doivent faire par nostre tresor, soient faites en » plein burel dans nostre chambre des comptes , etc. » La chambre des comptes fut confirmee par Charles VII dans ses droits de cour souveraine deja reconnus par plusieurs ordonnances. 11 declara que le roi seul, en son conseil, pourrait casser les arrets de ce tribunal. Voy. Ordonn., lorn. XTV, pag. 510. On rapporte i ce regne I'ota- blissement d'une cour des comptes a Montpellier pour les provin- ces du midi de la France.
(1) Anc. lois franc., torn. IX, pag. llfl.
(2) Ordonn., torn. XIV, pag. 28A et suiv.— Voy. aussi torn. XIII, pag. Zi91, sur les elections des membres du parlement.
102 ORDONN. DE MONTILS-LfcS-TOURS (1453).
nelle criminelle, ainsi nommee, parce que les con- seillers de la grand'chambre y siegeaient a tour de role. Les enquetes etaient divisees en deux cham- bres, et le nombre des conseillers de ehaque cham- bre du parlement etait fixe. La grand'chambre de- vait se composer de quinze conseillers clercs et de quinze conseillers lai'ques, outre les presidents; les cbambres des enquetes, de vingt-quatre conseillers clercs et de seize lai'ques ; enfm la chambre des re- quetes de cinq clercs et de trois lai'ques. Les seances devaient cornmencer avant six beures depuis Paques jusqu'aux vacances, et a six beures depuis la Saint- Martin jusqu'a Paques. Nomination des conseillers par le roi sur une liste de candidats presenters par le parlement; nature des affaires qui, par ressort ou par appel, devaient etre portees a ce tribunal ; details de la procedure; devoirs des avocats et procureurs, tout etait prevu et determine avec un soin minutieux. Les causes des indigents y etaient recommandees au zele et a 1'equite des magistrats; « car, disait le roi (1), notre cour de parlement est ordonnee pour faire droit aussitot au pauvre comme au ricbe. »
L'ordonnance de Montils-les-Tours reforma aussi les tribunaux inferieurs des senechaux et baillis. Comparution en personne au parlement pour ren- dre compte de leur gestion; abolition de la venalite de ces charges; nomination par le roi sur une liste presentee par les gens du roi dans ehaque bailliage ; interdiction du cumul; ordre de choisir, pour lieute- nants des baillis, des hommes integres, qui seront (1) Ordonn., torn, XIV, pag. 294.
ORDONN. DE MONTILS-LfcS-TOURS (1453). 103
payes par les tresoriers royaux ; defense de rien exi- ger pour 1'administration de la justice, telles sont les principales dispositions relatives aux tribunaux in- ferieurs. L'article 124 de Fordonnance de Montils- les-Tours defend au juge de concourir a Fexecution de Farret; on s'eloigne de 1'anarchie feodale, qui confondait les fonctions judiciaires, militaires et ad- ministratives. Enfin, Farticle 125 present la redac- tion et la publication des coutumes, deja ordonnees par Saint-Louis, et enjoint aux baillis, senechaux et autres juges de se conformer, pour 1'application des lois, au texte qui sera public (1).
Le parlement de Paris, dont le ressort s'etendait avec les conquetes du roi, ne suflisait plus a la mul- titude des affaires, et laissait pendants un grand nom- bre de proces (2). D'ailleurs, les habitants des pro- vinces meridionales etaient condamnes a de longs voyages pour venir plaider devant la chambre de droit ecrit (3). Ces pays (['Outre-Loire, traites long- temps comme provinces conquises, s'en etaient ven- ges dans la guerre des Armagnacs ; ils avaient rendu aux hommes du Nord les horreurs de la guerre des Albigeois. Ces luttes avaient du rnoins Favantage de meler les populations, d'en montrer Fimportance et
(1) II est inutile de re"pe"ter qne la plupart de ces dispositions avaient e"te reclam^es par les assemblies de 1357 et de 1/U3. Si le pouvoir royal n'a pas eu Tinitiative, il eut dn moins le merite de c^der b de justes reclamations, et d'appliquer les reformes avec sa- gesse et opportunite.
(2) « Causarum pendentium immensam multitudinem.» Ordonn., XIII, 34^.
(3) « Longa terrarum spatia. » Ibidem.
404 PARLEMENT DE TOULOUSE (I 444).
d'avertir un gouvernement plus intelligent des me- nagements qu'il leur devait. Charles VII le comprit et crea le parlement de Toulouse, avec autorite sou- veraine et sans appel (1), pour les provinces de Tan- cien duche d'Aquitaine. La centralisation de la justice en souffrit, mais on menagea des interets serieux, et on accoutuma les meridionaux a 1'autorite monar- ehique, representee par le parlement de Toulouse. La creation de la chambre des comptes de Montpel- lier fut une nouvelle satisfaction donnee aux interets du Midi. Le Dauphine ne tarda pas a obtenir son par- lement particulier cree par le Dauphin, plus tard Louis XI, et confirm e par le roi.
Charles VII, comme Saint-Louis, comme Philippe- le-Bel et Charles V, resista aux empietements de 1'autorite spirituelle sur le pouvoir temporel. Le scandale du grand schisme d'Occident, les declara- tions des conciles de Constance et de Bale, provo- quees par 1'Universite de Paris, avaient souleve une vive opposition contre la cour de Rome. On attaquait les reserves, \esannate*, et autres ahusde la fiscalite romaine (2). La pragmatique-sanctiondeftourgesfi), plus explicite que celle de Saint-Louis, y mit un terme. Cette ordonnance , qui resume et applique
(1) « A quibus senlentiis nulli licebit quovis modo seu reclamare vel aliam sedem aclire. » Ordonn., torn. XHI, pag. 386.
(2) L'Universite de Paris s'elevait depuis longtemps contre ces abus : « Quantum hoc illud gravamen est, o piissime Jesu, quo (Be- nediclus Xlll) sibi beneficii cujusque vacanlis unius anni fructuuni perceptionem usurpavit, etc. » Appellatio interposita per Univer- sitalem parisiensem a Domino Eenedicto, 4Zi06 (U07), ap. Mar- tene et Durand, Thesaur. anecdot., torn. II, pag. 1295.
(3) Ordonn., XIII, pag. 267, et XIV, 385.
PRAGMATIQIE-SANCTION DE BOURGKS. 105
a la France les decrets du concile de Bale, embrasse les elections ecclesiastiques, les reserves, les anna- tes, la collation des benefices, etc. Les elections des prelats devaient etre faites par ceux auxquels les saints canons en attribuaient le droit. Le pape ne pou- vait ni se reserver la collation de certains benefices, ni instituer de nouvelles prebendes dans les chapitres ou eglises collegiales. Les appels directs en cour de Home furent prohibes; 1'appelant devait d'abord epuiser tous les degres de juridiction. Les annates, ou revenu d'une annee pave au Saint-Siege pour la vacance des benefices, etaient supprimees. En in erne temps, la pragmatique-sanction de Bourges prohibait les representations tbeatrales, les mascarades, danses et repas dans les eglises; en un mot, tous les hon- teux abus (turpem abusum) qui s'etaient introduits pendant le moyen-age. L'opinion publique soutint energiquement le roi dans la repression des desordres qui souillaient 1'Eglise, et que les clercs eux-memes avaient signales a 1'indignation publique (1). On ap- plaudit a la conduite du parlement de Paris, qui, dans le proces des Vaudois d'Arras, arreta les inqui- siteurs et sauva plusieurs accuses (2).
L'Universite appelait aussi une reforme. Cette fille ainde des rois, dotee par leur faveur d'importants privileges, les avait tournes contre ses bienfaiteurs.
(1) Nicol. Clemengis, De corrnpto statu ecclesice.
(2) Mathieu de Coussy, edit. Buchon, torn. XI des chroniq. du xve siecle, pag. 360-361 : « furent adjourn^s les dits executeurs,
commissaires Et les Vaudois furent trouves purs et innocents de
ce pourquoy avoient este accuses. »
106 REFORME DE I/UNIVERSITE.
Elle s'etait erigee en pouvoir politique, avail fait de la suspension de ses legons et des sermons un moyen d'intimidation, et n'avait pas craint plus d'une fois de dechainer ses vingt mille ecoliers contre 1'autorite royale. Elle fut forcee de rentrer dans le devoir. Je ne parle pas ici de la reforme que lui imposa le legat du pape, G. d'Estouteville, au nom de 1'autorite ec- clesiastique ; mais une ordonnance de Charles VII la placa sous la surveillance du parlement et sous le coup de 1'autorite royale (1).
Ainsi, armee, finances, justice, clerge, universite, tout avaitsubi une salutaire reforme. Sous 1'influence de ce gouvernement reparateur, la prosperite natio- nale se developpa. Le commerce reprit courage : « Les marchands , dit I'historien contemporain , Mathieu de Coussy, commencerent de divers lieux a traverser de pays a autre et a faire leurs nego- ces. » L'exemple de Jacques Coeur etait pour eux un puissant encouragement, ce marchand de Bourges, devenu argentier du roi, lui avait prete Targent necessaire pour la conquete de la Norman- die. Des 1432, Jacques Coeur faisait le commerce en Syrie. Bertrandon de la Brocquiere 1'y vit a cette epoque. « Je trouvai a Darnas, dit-il (2), plusieurs marchands francais. Ces derniers etaient venus y acheter differentes choses, specialement des epi-
(1) Ordonn. du 26 mars 1665 (1666) dans le Recueil des Ordonn., torn. XIII, pag. 6 et suiv.
(2) Memoir es de t'Acade'mie des sciences morales et politi- que, torn. V, pag. 690.
JACQUES COEUR. 107
ces. Parmi eux il y avait un nomme Jacques Cceur, qui depuis a joue un grand role en France et a e"te argentier du roi. » Le commerce enrichit Jac- ques Coeur, et il avait plus de trois cents facteurs qui trafiquaient pour lui sur la cote d'Afrique, en Asie et jusque dans les Indes* II tirait de ces contrees des draps d'or et de soie, de riches fourrures, et en ge- neral les marchandises precieuses que le luxe de 1'Europe a de tout temps demandees a 1'Orient (1). A 1'instigatipn de son argentier, Charles VII envoya un ambassadeur au soudan d'Egypte qui s'engagea a proteger les marchands franc,ais dans tons les ports desestitats (2).
Charles VII encouragea les expeditions maritimes pour la cote d'Afrique, si florissantes a la fin du xive siecle et au commencement du xve, puis inter- rompues par les guerres civiles et etrangeres.
A I'interieur, les obstacles que les privileges feo- daux et municipaux opposaient au commerce com- mencerent a disparaitre. Ainsi, en 1450, Charles VII defendit aux compagnies normande et parisienne d'entraver par leur rivalite la navigation de la Seine (3). II abolit les peages illicites qui arretaient
(1) Duclercq, collect. Petitot, Ire s6rie, torn. XI, pag. 48. — Voy. Touvrage de M. P. Clement intitule" : Jacques Coeur et Charles VII, 2 vol in-8% Paris, 1853.
(2) Voyez la lettre du Soudan dans les Memoires de Mathieu de Coussy, a Panned Ikttf.
(3) M. Depping, dans son introduction au Livredes metiers d*fi- tienne Boyleau, a retrace la lutte des compagnies norraande et pa- risienne pour la navigation de la Seine ; mais il n'a pas cite Tor- donnance de Charles VII qui termine le debat. Elle ne se trouve pas
108 PROSPfiRlTE DE LA FRANCE.
les inarchands (1), et affecta desfonds speciaux pour 1'entretien des ponts-et-chaussees (2). Les paysans proteges contre 1'indiscipline des troupes et ne re- doutant plus les ravages de la guerre, « s'eflbrcoient, » dit Mathieu de Coussy, a labourer et reedifier leurs » maisons, a essarter leurs terres, vignes etjardina- » ges. Plusieurs villes et pays furent reniis sus et re- » peuples. Apres avoir ete si longtemps en tribula- » tion et affliction, il leur seinbloit que Dieu les eut » enfin pourvus de sa grace et misericorde. » Le poete Martial d'Auvergne etait vraiment la voix de la France, lorsqu'il chantait :
« Chacun vivoit joyeusement Selon son estat et mesnage ; L'on pouvoit partout seurement Labourer en son heritage, Si hardiment que nul outrage iVeust este fait en place ou voyage , Sur peine d'encourir dommage : Justice avoit autorite ; Le pauvre estoit auttant porle Que le riche plein de monnoye ; Blez et vins croissoient a plante; Helas! le bon temps que j'avoye! »
Cependant il ne faut pas exagerer le merite d'un roi qui ne fit rien pour sauver Jeanne d'Arc, qui sa- crifia Jacques Coeur a la jalousie des courtisans, et qui dut moins a lui-meme qu'a ses capitaines, a ses ministres et a 1'elan hero'ique de la France le surnom
non plus dans les Ordonnances des Rois dc France. Je Fai tiree des Archives de la ville de Rouen et publiee p. 123, note.
(1) Ordonn. des Rois de Fr., XIII, 306.
(2) Ibid., XIV, 367.
CONSEILLERS DE CHARLES VII. 109
de Viclorieux. J.I y aurait plus de justice a I'appeler, avec quelques historiens, Charles le Bien-Servi. Les conseillers qui le servirent si bien etaient presque tous roturiers, Jean Jouvenal ou Juvenal, Guillaume Cousinot, Jean Rabateau, Etienne Chevalier et Jean- le-Boursier. « Au-dessus de tous leurs noms, dit M. Aug. Thierry (1), dominent les noms roturiers de Jacques Cceur et de Jean Bureau, 1'un forme a la science de I'homme d'Etat, par la pratique du com- merce; 1'autre qui cessa d'etre homme de robe pour devenir, sans preparation, grand-maitre de 1'artille- rie, et faire le premier de cette arme encore nouvelle un eniploi habile et methodique. »
(1) Aug. Thierry, Essai sur la formation et Les progres du Tiers-£tat, pag. 63.
CHAPITRE VI.
Sommaire.
Louis xi (1 461 -1483). — Caractere de Louis XI; lutte soute- nue par ce prince contre la feodalite apanagee; reunions territoriales sous ce regne. — Institution des postes (1464). — Ordre de Saint-Michel. — Projet de Louis XI d'etablir une loi unique en France; inamovibilite des membres du parlement ; loi contre les non-revelateurs du crime de lese- majeste; arbitraire dans Tadministration de la justice; eta- blissement des parlements de Bordeaux et de Dijon ; gou- verneurs de provinces; division des pouvoirs. — Administra- tion fmanciere; accroissementdesimpots. — Administration militaire; grand-maitre de rartillerie; tentatives pour ame- liorer 1'institution des francs-archers et reorganiser 1'infan- lerie franchise ; garde ecossaise ; gentilshommes au bee de corbin. — Protection accordee au commerce; projet de port sur les cotes de Normandie ; navigation de la Seine. — Mesures favorables a rindustrie; plantation de muriers; fa- briques d'etoffes d'or et de soie ; Louis XI songe a etablir 1'unite de poids et de mesures. — Introduction de 1'impri- merie en France; nouvelles universites.
CHARLES vin (1483-1498;. — Reaction contre 1'administration monarchique. — Etats-Generaux de 1484. — Administra- tion d'Anne de Beaujeu. — Reunion de la Bretagne prepa- ree par le mariage du roi avec Anne de Bretagne. — Publi- cation de plusieurs coutumes. — Zele de Charles VIII pour ['administration de la justice; nouvelle organisation du grand conseil. — Ghangement dans les idees et dans les moeurs pendant le regne de Charles VIII ; les jeunes nobles s'attachent a la cour; fllles d'honneur d'Anne de Bretagne.
Charles VII laissa a son fils un royaume prospere, une administration bien organisee et surtout une armee permanente soldee par une taille perpetuelle.
112 LOUIS xi (1461-1483).
Louis XI profita de ces ressources pour abattre la feodalite apanagee, qui, a la faveur des guerres ci- viles, avait grand! en puissance et rappelait la pre- miere feodalite vaincue par Philippe-Auguste, Saint- Louis et Philippe-le-Bel. Quatre maisons surtout la representaient : c'etaient les maisons de Bourgogne, d'Anjou, de Bourbon et d'Orleans. La premiere pos- sedait, outre la Bourgogne, les villes de la Somme, 1'Artois, le Hainaut, les Flandres, la Hollande, Ze- lande, Groningue et Utrecht; la seconde avait le Maine et la Provence; la troisieme, le Bourbonnais, 1'Auvergne et la Marche; la quatrieme, le Valois et TAngoumois. Je ne parle ni de la Bretagne qui n'a- vait jamais fait retour a la couronne (1), ni des fiefs meridionaux, Albret et Armagnac, qui ne pouvaient manquer de soutenir 1'aristocratie feodale dans sa derniere lutte contre la royaute. A ces grands feu- dataires qui aflectaient le luxe et la pompe de 1'an- cienne chevalerie, la royaute opposait, un prince d'al- lure singulierement bourgeoise. « Ce roi, qui affectait d'etre roturier par le ton, 1'habit, les manieres, qui s'entretenait familierement avec toutes sortes de personnes et voulait tout connaitre, tout voir, tout faire par lui-meme, a des traits de physionomie qu'on ne rencontre au rneme degre que dans les dictatures democratiques(2). »Cependant, dans cette figure rail- leuse et sinistre, que la tradition conserve et impose
(1) La Bretagne 6tait gouvern^e depuis Philippe-Auguste par la Maison de Dreux ; la branche de Montfort datait de 13A1.
(2) Essai sur I'Mstoire du Tiers-£tat, par M. Aug. Thierry , pag. 65.
CARACTfeRE DE LOUIS XI.
113
encore a 1'histoire (1), tous les traits de Louis XI sont loin d'etre saisis. Si Ton y trouve sa fourberie proverbiale, ses allures familieres, son astuce, la su- perstition qui s'accrut avec les annees, une cruaute exageree peut-etre par la tradition populaire, on y desire 1'activite ardente qui poursuit un but unique par mille moyens ; 1'habilete et la perseverance a ga- gner ceux qui le pouvaient servir ou lui pouvaient nuire, en prommettant largement et dormant en effet argent et e'tats (2) ; la prudence qui sait attendre et qui proportionnelebut aux moyens; la politique qui divise ses ennemis et entretient partout ses alliances, enfin Intelligence profonde des besoins du pays, du peuple et de I'unite monarcbique.
Ce caractere n'apparait pas d'un seul jet dans 1'his- toire ; il s'y developpe progressivement en suivant la loi du temps; les premiers actes de Louis XI, qui souleverent contre lui la feodalite n'annoncaient pas cette profonde prudence, fruit des annees et du mal- heur. S'il cbercha avec raison a rendre a la France sa frontiere septentrionale, par le rachat des villes de la Somme, il provoqua a plaisir des baines dan- gereuses par la disgrace des ministres de son pere, par I'abolition de la pragmatique-sanction de Bour- ges (3) et par les tracasseries qui irriterent la petite noblesse. La Ligue du bim public (1464-1 465) le
(1) Ibid., pag. 67. — C'esl surtout au grand romancier ^cossais qu'on doit ce type populaire de Louis XI. Gependant 1'histoire ne Ta pas toujours subi; temoin le sixieme volume de I'Histoire de France de M. Michelet.
(2) Comines, liv. I, chap. x.
(3) Ordonn., XV, 193.
REUNIONS TERRITORIALES.
punit de ses fautes et lui enseigna la prudence. II ne tarda pas a reprendre toutes les concessions que la coalition luiavaitarrachees, echappa au piege de Pe- ronne (1468), ecrasa les Armagnacs (1473-1474), as- sista a la mine de son temeraire rival qui alia se briser contre 1'Allemagne et la Suisse (1474-1477), et recueillant les fruits d'use politique patiente et habile, il s'empara de 1'Artois, de la Franche-Comte, des pays de Tournai et de Cambrai, obtintpar testa- tament la succession de la maison d'Anjou (Provence, Maine et Anjou), gagna ou frappa de terreur les princes de Bourbon et d'Orleans et laissa la royaute completement victorieuse de la feodalite apanagee. La bourgeoisie menagee et caressee par Louis XI, au moins dans les moments critiques, le soutint contre les seigneurs coalises, se declara contre les preten- tious de son frere aux Etats-Generaux de 1468 (1), et ne vit pas avec peine le supplice d'un connetable et d'un due de Nemours. Comment le peuple eut-il hesite entre le defenseur de 1'unite nationale et ces grands feudataires, qui aimaient tant la France, comme disait Tun d'eux, qu'au lieu d'un roi ils en auraient voulu six?
Au milieu de ces luttes incessantes contre la feo- dalite, Louis XI ameliora 1'administration monar- chique. II ne cessait de parcourir le royaume, s'en-
(1) « II falloit, disaient les fitats, que M. Charles (frere du roi) se contentat de 1'apanage de 60,000 Hvres qu'on lui avoit offert, avec line terre a litre de duch£, et encore sans tirer h conse- quence pour Tavenir; car de tels apanages seroient la mine du royaume. » Proces-verbal des Etats de 4Z|68 dans le tome IX, pag, 212-226, de la collection des £tats-Gentraux par Mayer.
fcTABLISSEMENT DES POSIES (1464).
querant de Vdtat, de la police et du gouvernement de chacune des parties, comme il le declare lui- meme clans ses ordonnances (I). L'etablissement des postes (1 9 juin 1 464) (2) permit a la royaute de trans- mettre rapidement ses ordres d'une extremite a 1'au- tre de la France. Le roi se reservait avec un soin ja- loux le monopole des postes. Le grand maitre des coureurs de France (directeur general des postes) devint un des principaux officiers de la couronne, et les maitres tenant les chevauxpour le service du roi, qui etaient places sur les routes, de quatre lieues en quatre lieues, ne purent, sous peine de mort, faire porter d'autres depeches, ni transmettre d'autres ordres que ceux du roi.
L'institution de 1'ordre de Saint-Michel (1er aout 1469) (3), sans avoir la meme importance que 1'eta- blissementdes postes, fut aussi inspiree par une pen- see monarchique. Louis XI, prince fort peu chevale- resque de mceurs et d'idees, voulait rattacher Telite de la noblesse au roi qui etait declare grand maitre de 1'Ordre et balancer ainsi Tinfluence de la Toison- d'Or, receniment etablie par la maison de Bour- gogne.
La justice, les finances, 1'armee, ces soutiens de la puissance royale, ne pouvaient etre negligees par un roi comme Louis XL II eut voulu, dans son ar- deur d'unite, substituer une loi unique a la diversite
(1) Ordonn. des Rois de France, XVI, pag. 197 : « Nous avons visits la pluspart (Ticelluy (royaume) pour inieux cognoistre 1'estat, la police , etc.
(2) Anciennes Lois francaises, X, pag. 487.
(3) Ordonn. des Rois de France, XVIII, pag. 217-224.
116 INAMOVlBILlTfi DES JUGES.
des coutumes (1). La mort seule 1'empecha de rea- liser ce projet. 11 fortifia, du moins, le parlement en declarant qu'il ne donnerait aucun office dans cette cour, s'il n'etait vacant par mort, resignation ou for- failure (2). C'etait accorder aux juges 1'inamovibi- lite, premiere condition de la haute independance qu'exigent leurs fonctions. Louis XI eleva encore le parlement de Paris, en declarant que seul il juge- rait les causes des pairs du royaume (3). II lui con- fia, en effet, le jugement du due de Nemours, mais il exigeait des juges une sou mission absolue a ses volontes, et son despotisme ne respectait guere le principe de 1'inamovibilite qu'il avait proclame. Les juges du due de Nemours paraissaient incliner a la elemence : « Je pensais, leur ecrivit Louis XI (4), vu » que vous etes sujets de la couronnede France etlui » devez loyaute, que vous ne voulussiez pas approu- » ver que Ton fit si bon marche de ma peau ; d'apres » ce que je vois par vos lettres, je connais clairement » qu'il y en a encore parmi vous qui volon tiers se- » raient inacbineurs contre ma personne, et afin de » se garantirde lapunition ils veulent abolir 1'horri- » ble peine qui y est. Par quoi sera bon que je mette » remede a deux choses : la premiere, expurger la » cour de telles gens; la seconde, faire tenir le statut » que j'en ai fait, afin que nul dorenavant ne puisse
(1) Comines, liv. VI, chap, v ; edit, de Mne Dnpont, torn. II, pag. 209.
(2) Ordonn., torn. XVII, pag. 25; ordonn. du 21 octobre 1467.
(3) Ibid., XVI, pag. 87; ordonn. du 13 oct. 1463.
(U) De Barante, Hist, des dues de Bourgogne, 3C edit., torn. XI, pag. 356.
NOI VE.UTX PARI.EMEXTS. 117
» allegories peines pour crimes delese-majeste, etc. » La loi qui punissait de mort les non-revelateurs du crime de lese-majetd, les commissions qui enleverenl plus d'une fois les accuses a leurs juges naturels, enfm les menaces memes adressees par Louis XI a u parlement attestent qu'a ses yeux la justice n'etail qu'un instrument de despotisme, mais d'un despo- tisme egal pour tous. Les plus bautes tetes devaient se courber sous ce niveau.
Deux nouveaux parlements furent institues, a Bor- deaux (1462) (1) et a Dijon (1477) (2); c'etait un moyen de faire penetrer les institutions monarchi- ques dans deux provinces recemment conquises, et d'y rendre plus presente 1'autorite royale dont emanait toute justice. Cependant , par une pensee d' unite, Louis XI voulait que le parlement de Paris conservat la superiorite sur les parlements provinciaux. Une ordonnance du 2 septembre 1474 (3) declara que les arrets du parlement de Paris seraient executoires dans les ressorts des parlements de Toulouse et de Bordeaux. Plusieurs provinces recurent des gouver- neurs nommes par le roi et investis principalement de 1'autorite militaire, pendant que les parlements etaient depositaires de 1'autorite judiciaire, et les chambres des comptes et les cours des aides, de 1'autorite financiere. A Paris, le titre et le pouvoir de gouverneur furent donnes an seigneur de Gaucourl,
(1) Orrfonw.,XV, pag. 510 et suiv. ; voy. aussi pag. 595, 608, 610, 612-613, 615, 653.
(2) Ordonn., XVIII, 252.
(3) Papiers de Tabbo Legrand, torn. XX, dans les maunscrits de la Biblioth^que imperiale.
L 9
4 18 ACCROISSEMENT DES IMPOTS.
tandis que la prevote resta a Jacques de Villiers, sei- gneur de I'lle-Adam ; les fonctions administratives ^talent separees de 1'autorite militaire. Ainsi s'etablis- sait la division des pouvoirs, une des tendances les plus heureuses de radministration monarchique. Ainsisepreparaitl'organisation provinciale qui devait bientot constituer chaque grand gouvernement a 1'i- mage du pouvoir central, effacer peu a peu les antipa- thies locales, et rendre possible I'unite de la France : nous ne sommes encore qu'a Tebauche de cette ad- ministration.
La taille perpetuelle s'e"leva rapidement de 1,800,000 livres a 4,700,000 Hvres. Cet accroisse- ment des impots explique la misere et les plaintes d'une partie de la population. Thomas Basin s'en est fait 1'echo et les a exagerees dans son histoire de Louis XI (1). Des documents plus authentiques ne laissent aucun doute sur le mauvais systeme de re- partition des taxes et sur la misere qui en resultait. Louis XI lui-meme en convient dans ses ordon- nances (2), et ch^rche a y porter remede. Mais ces calamites, qui n'etaient que trop reelles, ne doivent pas faire oublier 1'usage habile et vigoureux que Louis XI fitdel'argent que lui fournissait I'impot. II ne le depensa ni en objets de luxe ni en plaisir. Mais il avait, comme nous 1'apprend Comines, des gens a lui dans toutes les cours. II entretenait en meme temps une nombreuse armee, et grace a ses res- sources pe*cuniaires, il dtait toujours pr$t, comme
(1) Manuscrit de la Biblioth. imp^riale, n° 5962, fol. 396.
(2) Ordonn., XVIII, 601-602.
ADMINISTRATION M1I.1TA1RE. \ \'1
s'en plaignait son rival, Charles-le-Temeraire (1).
II disposait d'une formidable artillerie, dont le grand-maitre remplaga a cette epoque le grand-mai- tre des arbaletriers etablis par Saint-Louis (2). Quant a 1'iqfanterie des francs-arc her s> plusieurs ordon- nances eurent pour but d'imposer a ces troupes 1'ordre et la discipline qui leur manquaient. Les pa- roisses etaient tenues de fournir des casaques aux francs-archers et d'entretenir leurs armes et habille- ments (3). Les chariots, qui, en cas de guerre, devaient transporter les armes, etaient mis egalement a la charge des paysans. La solde des francs-archers etait fixee a neuf livres tournois par an en temps de guerre. Des capitaines-generaux devaient, par de fre- quentes revues, s'assurer de la discipline et de la bonne tenue de ces troupes. Les francs-archers ne pouvaient, sous peine de la hart, s'ecarter du corps d'armee. Des prevots speciaux etaient charges de punir les infractions a la discipline militaire (4).
Le defaut principal de 1'infanterie des francs-ar- chers etait la dispersion des troupes disseminees dans les paroisses. Louis XI s'efforca d'y remedier ; il
(1) Comines, liv. VI, chap, vi ; 6dit. de Mile Dupont, torn. M, pag. 225.
(2) IMepiqire de M. Mignet sur la Formation territoriale et politique de la France. Deja sous Charles VII, Jean Bureau est qualifie du litre de grand-mailre de rartillerie.
(3) Ordonn., XVIH, 72-6Zi, et 110-115.
(i) Histoire de Louis XI, par Thomas Basin (pseudo-Amelgard), fol. 516 recto. Cet ecrivain tres-hostile a Louis X[ lui rcproche d'avoir soustrait les soldats a la juridiction ordinaire : « Quod procul dubio non mullura aberat quam si eis irupunita licentia injuriis quern vellent afficiendi ex com muni plebe permissa fuisset. »
120 REORGANISATION DE I/1NFANTERIK.
divisa les seize mille soldats, dont se composait rin- fanterie des francs-archers, en quatre corps de quatre mille hommes chacun, sous les ordres des baillis de Mantes et de Melun, du senechal de Beaucaire et du seigneur de 1'Isle. Chaque corps etait subdivise en conipagnies de cinq cents hommes sous un capitaine particulier (1). Cette nouvelle organisation remedial! a un des defauts, qui, des le principe, avaient pa- ralyse cette institution. Neanmoins la nouvelle armee ne montra ni courage ni esprit militaire. C'esl que, selon la remarque d'un historien moderne (2), une armee represente un peuple. La cavalerie francaise etait excellente, parce qu'elle se composait de gentils- hommes, pour lesquels 1'esprit guerrier etait un de- voir et une tradition d'honneur. Rien de semhlable dans le peuple qui composait 1'infanterie. On a sou- vent suppose que la defiance de Louis XI, qui crois- sait avec 1'age, le porta a desarmer systematiquement les Franc,ais pour leur substituer des etrangers. Ce- pendant, 1'armee que Louis XI reunit au Pont-de- 1'Arche etait composee en majorite de fantassins frangais. Pour former le noyau de cette armee, il alia prendre le peuple ou il se trouvait, dans les monla- gnes de la Suisse. II avait eprouve la valeur de cette nation a la bataille de Saint-Jacques. Les victoires de Granson et de Morat Tavaient rendue celebre dans toute 1'Europe. Louis X[ prit six mille Suisses a sa solde, les reunit a dix mille fantassins frangais et a deux mille six cents pionniers. Cette armee ne fut pas
(1) Mignet, Formation territorial? et politi(jne de la France,
(2) Id., ibid.
GARDKS HI' R01. 121
soldee, com me les francs-archers, par les bourgs et les villages, mais par le tresor royal. L'armee eut une organisation vigoureuse et unitaire, mais one- reuse pour le peuple qui payait 1'impdt. « Ainsi, dit Comines, ne se faut ebahir , s'il ( Louis XI ) avoit plusieurs imaginations, et s'il pensoit n'etre point bien voulu (1). » Sa mefiance lui inspira de nouvelles precautions ; il s'entoura d'une garde ecos- saise et de genii Is /tommes au bee de corbin (1 478) (2) . En meme temps, il interdisait le guet feodal que les paysans etaient tenus de faire pres de leurs seigneurs, et il autorisait les bourgeois aremplacer le service du guet aux portes des villes par une contributionde cinq sous (3). Arnier la royaute, desarmer les seigneurs et les communes, telle fut la politique de Louis XI dans ['administration militaire. Un grand nombre de villes furent fortifiees, et il fit plus, au temoignage de Comines (i), pour la defense du royaume qu'au- cun de ses predecesseurs.
En fortifiant 1'autorite monarchique, Louis XI n'oublia pas le peuple. II developpa le commerce et Tindustrie qui pouvaient 1'enrichir. Des traites de commerce conclus avec la Hollande et le Brabant (5),
(1) Comines, liv. VI, chap, vi; torn. II, pag. 225, edit, de Mile Dupont.
(2) Ces gentilshommes tiraient leur iiom dc leurs hallebardes ap- pelees bees de corbin oil bees de faucon. Voy. traite de YOrigine des deux compagnies de gentilshommes ordinuires de la Mai- son du roi, Paris, 1614.
(3) Ordonnances des Rois de France, XVII J, 470.
(A) Comines, meme edit., toin. II, pag. 144 : «.Il fit de grands edifices a la fortification et defense des villes et places de son royaume, et plus que tous rois qui ont este devant luy. »
(5) Ordonn. des Rois de France, XV, 348.
lOMMMUl 1'ROTfrjf IHH I Ol IS \1.
ION villos ausealiqiios I ot Yemsc ,:> ; doslotlres adros seos ;ui soudau d'K^ypIo pour assuror sa protection aux I'Yaneais (jni traliquaionl dans sos I'Jats > . atlesleul avec quollo solliciludo ce roi cncourai;oa le COimniM'iv i'MjM-icur. II voulail Im inrua^cr un porl sur Ics i-olt'sdr Nonuandit\ « |>our ivnnMllir rl nuMhv (Mi surclr It^s navhrs d(^ (juchjiic pavs cl roulnV (pi'ils 1'usstMii pour (iosctMiihv ot sojounuM- uiarchan- dtMuonl /I-'. » (Ic |)i'oj(^t no I'ul pas la sruli'ultV ulilr au roininiMrr (\uc Louis \l nnporla dans la loinhr : il son^vail a siihslilurr I'linito do poids ct dc uio suirs ^v a la divorsilo ilos inosinvs locales qui »MI-
i1 coininorco rl lavorisaionl la iVninIo. v lihiv la navij;alion iM diiuinntM' Irs pca^o qui roiiipaionl los arloivs de la Franro, rtaii lr UKM!- leui- ino\(MMio drvol»>pp(M' It^ ronuniMViv l.ouisM S'IMI orcupa lu-tiviMiuMH. Drs lo conuuiMUTnuMit do >on iviiiu1, il routinna rordonnanco d(^ son phr, C.liarlos Vll, qui avail suppriinr h^s j)!^!!^!^ dos corporations tVanraiso c! nonnandtv C.os deux coin pngnics rivnlos. qni avaiiMit lour sio^o a Paris of a Houon, doniinaioni sur la lianlo ol hassc Soim^ ol intorcoptaionl la navigation, l.ouis \! voulnl quo l«^s inarins ilos doux villi^s pussont dosoiMuhv ol re monter 1(* tlouvo sans ohslaclo (> : parlout la rovaulo
(1) Onlonn. dcs Hois <1r France. \\ I , ll'~.
(2) ibid., \viii. ;v::>.
(3) Anricunc.t /o/.v fnint\u$t\*. X, 923.
1 -donniint'i's dct ??(>»« dc France, XV III r.oininos, liv. VI. c\\. \ : loin. II. pag. "209 do IVdit. dc Mile IMipont.
(6) Ordvnn.. \\ . 'jiio. 1/onlonnanco ost souloinont montionnoo: les iditeurs n'ont pu en retrouvor lo tcxto. Void, d'apres Toriginal
MESC1ES FAYOftJtBLEf A
123
s'elevait au-dessus des mesquines rivalite* de corpo- ration et apparaissaitdeplusen plus cornme deposi- laire et protectrice de Tordre public, de la justice
rale et de 1'interet commun (I). Quant a 1'industrie, Louis XI s'efforca de la favo- riser par un systeme prohibitif. II defendit, en 1469, 1'importation des etoffes de 1'Inde, et etablit, 1'annee suivante, aux environs de Tours, des plantations de muriers et des fabriques d'etofles de soie. Jusqn'a- lors 1'industrie, enfermee dans les corporations d'arts et metiers qui avaient protege son berceau, etait toute municipale, Louis XI entreprit de la faire nationale
nvoqua les negotiants a son grand conseil pour aviser avee eux aux moyens d'etendre et de faire
perer le commerce i . 11 ^entourait de tous les rensetgnements que pouvaient lui fournir a cet effet
nations etrangeres et principalement Venise et
conserve am archives municipale* de Rouen , rordonoanee de Charles Vll confirmee par Louis XI : « Charles, par la grace de Diea, etc., comme plusieors proces aient este commencez entre ceutx de Paris et ccolx de Roaeii, h 1'occasion de ce que iceolx de Paris tenoient rigueur a ceolx de i.ouen de leor fake prendre com- pagnie fran^oise, quand iis montoient on avalioient la Seine, par la ville de Paris, on es roettes (bomes) d'icelle, et anssi iceolx de Rouen, poorraiaon deleurs privileges, empesohoienta iceulx de Paris que ils ne descendissent et missent teurs Tins et aotres denrees et mar- chandises a couvert, et ne les vendissent en icefle ville de Kooen ; .Nous, par Tadvis des gens de nostre conseil , veokms que les bour- geois de nostre ville de Rouen soient doresnavant francs, quictes et exemptez (le la dicte compagnie francoise et de tout ce que lesdits de Paris peuvent demander a cette cause, et aussi que iceolx de Paris pourront meltre a convert et descendre, en ladite vflle de Rouen , tontes les denrees et marchandises, et icelles vendre en •onne a Caen le VII- jour de juillet en I'an MCCCCL. »
1 'lUizot, Cours d'histoire generate de la civilisation en Eu- rope, 9"* tecon.
(2) Aug. Thierry, Essai sur Chutoire du Tier*-&tat, pag. 66.
i.MPRiMERii: i:x FRANCE.
Florence (1). Lyon et d'a litres villes obtinrent des privileges de foires Tranches pour attirer dans leurs niurs des marchands etrangers (2). Le Languedoc fut exempte pour le meme motif du droit d'aubaine (3). On commeiiQa a s'occuper de 1'exploitation des ri- chesses minerales de la France (4), et Louis XI en- couragea par d'importants privileges cette branche d'industrie.
Trois Allemands, Ulricb Gering, Martin Krantz et Michel Freyburger vinrent apporter en France 1'im- piiincrie et obtinrent 1'autorisation de s'etablir dans les batimeiits memes de la Sorbonne (1409). Louis XI comprit Timportance de cette decouverte, et exeinpta du droit d'aubaine deux imprimeurs de Mayence, « ayant consideration de la peine et labeur que les dits exposans out pris pour le dit art et Industrie de I'impression , et au profit et utilite qui en vienteten peut venir a toute la chose publique, tant pour 1'augmentation de la science que autrement (3). » Nobles paroles qu'on n'attendrait pas d'un despote, comme Louis XI, de ce roi qui, fatigue des dis- putes des seolastiques et pen soucieux des droits de la pensee, iniposail dureinent silence aux realistes et aux noininaux et iaisait clouer leurs livres dans les bibliotheques.
(1) Letlre de Louis XI au sieur Dubouchage, dans 1'liistoire de Louis Xf, par Duclos, torn. Ill, pag. 449.
(42) Ordonn. desEois de France, XV, pag. 644; XVI, 192. 438, 441.
(3) Ordonnance de juillet 1475, dans les Ordonn. des Rois de France, XVIII, 124-123.
(4) Ibid., XV, 264, XVI, 176, XVII, 446 et XIX, 105.
Y/., XVIII, 114.
NOUVELLKS IMVKRSITfiS. 125
Louis XI etait loin d'etre ennemi de la science, quand elle avail un caractere d'utilite. II livra un eondamne a mort aux experiences des medecins pour 1'extraction de la pierre (1) , et ajouta deux nouvelles Universites a celles de Paris , de Tou- louse , de Montpellier , d'Orleans , d'Angers et de Caen fondees par ses predecesseurs. Elles fureni etablies a Bourges (2) et a Bordeaux (3). line pareille administration n'atteste pas moins d'activite que la lutte contre les seigneurs feodaux, et cependant Louis XI ne put realiser tous les desseins qu'il me- ditait pour Tunite de la France.
La mort, qui 1'epouvantait, viot lesaisir au milieu de ses projets. Vainement il s'efforc.a de lui echap- per en s'entourantdereliques, et en appelant dufond de la Calabre un saint ermite ; vainement il voulait f'aire illusion a la France et a 1'Europe en se couvrant de riches etofles et en affectant un redoublement d'ac- tivite (4), il sentait avec effroi 1'etreinte de la mort. Rien de plus dramatique et de plus moral que le spectacle de ses dernieres annees, lorsque parvenu au coinble de la puissance, il se toimnente et se « gelienne » plus que les miserables qu'il faisait en- lermer dans des cages de fer (5), et que tremblant sous la menace de son medecin, il absout ses inso- lences et sa rapacite C'est 1'expiation de 1'immo- ralite triomphante. line cruaute raffinee, une four-
(1) Henault, Abrege chron. a I'annee 1475.*'
(2) Ordonn., XVI, 513.
(3) Henault, Abrege chron. a Cannnee 1Z|72.
(k] Gomines, edition de Mile Dupont, torn. II, p. 231-232, (5) Idem, ibid., pag. 267, 268, 269.
CHARLES vin 1483-1498
berie proverbiale, une politiquesansentrailles, expli- quent les terreurs de Louis XI a 1'approche de la mort.
II laissait un fils a peine age de treize ans, Char- les VIII (1483-1498). La reaction, qui se manifesta au commencement du nouveau regne, ne renversa pas plus le systeme monarchique que celle qui avait ete provoquee par les violences de Philippe-le-Bel. Elle se borna a la proscription de quelques agents du despotisme, que leur conduite avait signales a la haine publique, tels que le procureur-general Jean Doyac et Olivier le Daim, qui, de barbier du roi, etait devenu comte de Meulan et tresorier-general du royaume. Anne de Beaujeu les sacrifia a la ven- geance populaire; mais elle maintint les institutions monarchiques avec une fermete et une prudence qui rappelaient son pere Louis XL Les Etats-Generaux, convoques a Tours, firent entendre des verites ener- giques contre le despotisme et revendiquerent les droits de la nation (1 ) . Us obtinrent la diminution de la taille qui fut reduite de 4,700,000 livres a 1 ,200,000 livres, avec 300, 000 livres pour droitdejoyeuxavene- ment.
Les cahiers des £tats developperent des vues uti- les sur la redaction des coutumes, le grand coiiseil, rinamovibilite des juges, le commerce, etc. Mais la
(1) Voy. le Journal des titats-Generaux, tenus £ Tours en redige par Jean Masselin, dans les Documents inedits de CHis- toire de France. — On trouve un extrait des maximes democrati- ques qui furent avance"es par quelques orateurs dans YEssai sur I' hist, du Tiers-£tat, par M. Aug. Thierry, pag. 69-70.
ANNE DE BEAUJEU.
rivalite des ordres qui eclata avec violence permit a la regente, Anne de Beaujeu, de dissoudre 1'assem- blee et de constituer tin conseil de gouvernement tout entier a sa discretion (1). Cette princesse, en qui semblait revivre Louis XI, sut comme lui se manager I'appui du Tiers-fitat et du parlement. Lorsque les rebelles tenterent d'entrainer le parlement, il re'pon- dit « qu'il etait institue par le roi pour rendre la justice , et qu'il n'avait Tadministration lii de la guerre ni des finances, ni du fait et gouvernement du roi ni des grands princes (2). » La victoire de Saint-Aubin du Cormier (1i88! et le manage du roi avec Theritiere de Bretagne completerent letriomphe de la royaute sur la feodalite apanagee. Anne de Beaujeu put alors s'occuper d'administration : elle encouragea le commerce par des traites pour I'abo- lition de la piraterie (3), par Tetablissement de foires tranches a Dunkerque (4), a Lyon et a Montpellier (5), et de fabriques de draps a Tours (6) ; elle accorda des privileges aux maitres de forges pour 1'exploita^ tion des mines du royaume (7). En un mot, elle agrandit le domaine royal et developpa les richesses naturelles de la France.
(1) Voy. les procds-verbaux du conseil de Regence, etc. , pu- blies par M. Bernier, dans les Documents inedits de Cliistoire de France.
(2) Reponse du premier president de la Vaquerie C1486), dans le recueil de Godefroy, intitule' : Hist, de Charles VIII, pag. 468.
(3) Ordoun., torn. XX, pag. 16.
(li) Godefroy, Hist, de Charles VIII, pag.
(5) Mem. de 1'Acad. des inscript., torn. XLIIL
(6) Ordonn., torn. XX, pag. 243.
(7) JWd., XX, pag. 109.
PUBLICATION DE COUTUMES.
Malheureusement, Charles VIII, livre adejeunes favoris et enivre de sa puissance, detourna la France de sa veritable voie, sacrifia une partie des provinces (Artois, Franche-Comte , Roussillon) reunies par les traites de Senlis et de Narbonne, et epuisa le royaume pour de steriles conquetes. Toutefois , pendant les guerres d'ltalie (1494-1496), il faut remarquer la redaction de quelques coutumes en execution de 1'or- donnancedeMontils-les-Tours. On publia d'abord la coutume de Ponthieu (1 ) , et on prepara la redaction des coutumes de Montargis et du Boulonnais (2), en accomplissant les formalites prescrites par 1'article 124 de 1'ordonnance de 1453.
A son retour d'ltalie, Charles VIII, « hoinme pen entendu, dit Comines , mais si bon qu'il n'etoit de meilleure creature, » forma des projets de reformes tinancieres et judiciaires. II voulait se contenter du revenu de ses domaines et de la taille votee par les Etats de Tours (3) ; il se proposait de rendre lui- meme la justice a ses peuples comme Saint-Louis, et il demanda a la chambre des comptes un memoire sur 1'ancienne forme de la juridiction royale . « 11 » avoit mis sus une audience publique, ou il ecou- » toit tout le monde , et par especial les pau- »vres, et s'y faisoit de bonnes expeditions, et 1'y » vis huit jours avant son trepas, dit Comines (4); » il tenoit ses gens en crainte et par especial ses of-
(1) Ordonn., torn. XX, pag. 432-433; XX, p. 6 et 18.
(2) Comines, liv. VIII, chap. xxv.
(3) Voy. la lettre de Charles VIII a la fin du loin. XX des Or- donn. (22 de"cembre 1497).
(/t) Comines, liv. VIII, chap. xxv.
GRAND CONSUL.
» ficiers, dont aucuns il avoit suspendus pour pille- » rie. » C'est peut-etre a cette ardeur de Charles VIII pour 1'administration de la justice qu'il faut attri- buer la nouvelle organisation du grand conseil.
Ce conseil remontait au regne de Philippe-le-Bel, et ses fonctions etaient a la fois politiques, judiciai- res et administratives. Mais , lorsque la creation de nouveaux parlements eut multiplie les questions de competence qui etaient du ressort du grand conseil, lorsque les Evocations eurent augmente les attribu- tions judiciaires de cette cour souveraine, il devint necessaire d'en modifier 1'organisation. On en divisa les attributions : la puissance politiquefutreserveeau conseil d'Etat; les fonctions judiciaires, attributes a un tribunal compose de dix-sept membres, preside par le chancelier en 1'absence du roi. Ce tribunal ne s'occupait, dans le principe, que des proces evoques par ordonnance royale et des questions de reglement dejuges. Mais peu a peu ses attributions s'etendirent, et son organisation se completa (1). II fut charge de juger tous les proces en matiere beneficiale, et , comme alors les benefices ecclesiastiques couvraient une partie de la France, son influence devint chaque jour plus considerable.
l"n autre changement moins apparent, mais d'une
(1) Ordonnance de Charles VIII en date du 2 aoul 1497, dans le tome XXI , p. 4, du Eecueil des Ordonnances des Rois de France. Voy. aussi Pasquier, Recherch.es, II, chap. vi,et Guyot, repert. uni- vers., torn. II, pag. 18/i. — Le Ferron, qui a ecrit une histoire la- line de Louis XII, mentionne en ces termes restitution du grand conseil : « Carolus octavus earn decuriam aulici consilii videbatui instituisse, »
430 CHANGEMEfJT DANS IES MCEURS.
haute importance, s'accomplit sous Charles VIII dans les idees et dans les moeurs de la France. A 1'i- solement de 1'aristocratie dans ses domaines. a 1'es- prit d'independance qui avait caracterise la feodalite, succeda I'esprit de cour. Les jeunes nobles tinrent a honneur de se presser autour du roi , dedaignerent les conseils des vieux gentilshommes qui vantaient la dignite solitaire du manoir paternel , et echange- gerent les antiques vertus melees de rudesse pour 1'elegance et la politesse un peu servile du courtisan (1). Ne vit-on pas a la fin du xvie siecle les fils d'une victime de Louis XI, ceux-la meme que la tradition represente arroses du sang de leur pere, les Armagnacs , en un mot, preter a la royaute 1'ap- pui de leur nom et de leurs talents? Anne de Bre- tagne contribua a cette revolution dans les moeurs de Taristocratie , en introduisant a la cour les filles df honneur. L' elite de la noblesse fut longtemps en- chainee par les liens de la faveur et de la galantei ie; les moeurs se polirent, et peu a peu se corrompi- rent. On sait comment Catherine de Medicis fit de Yescadron volant des filles d'honneur un instrument de politique.
La royaute avait d'ailleurs des recompenses bril- lantes pour le devouement de la noblesse. Les apa- nages etaient incorpores aux domaines de la cou- ronne; deja les maisons de Bourgogne, d'Anjou et de
(1) Voy. dans les Mem. de La Tre"mouille, 6dit. Petitot, torn. XV f de la Ire serie, pag. 360-362, la lutte entre le vieux La Tre"moiiille et son fils. Le premier veut 61oigner le jeune homme de la cour ; mais le courant de l^poque est plus fort que les conseils paternels et entraine le jeune La Tre"inouille.
CHANGEMKNT DANS LES MOEURS. 131
Bretagne avaient disparu. Les domaines des maisons d'Orleanset de Bourbon, ne tarderent pas a etrereu- nis par 1'avenement de Louis XII et de Francois Ier et par la confiscation des biens du connetable de Bourbon. Au lieu de ces maisons apanagees qui iHaient devenues menagantes , la royaute etablit des gouverneurs de provinces, et ces charges furent bri- guees par les plus illustres families. Le due de Montpensier, de la maison de Bourbon, obtint, en 1493, le gouvernement de Paris, deTIle de France et de la Brie (1) ; et La Tremouille, le vainqueur de Saint-Aubin du Cormier, fut nomine gouverneur de Bourgogne (2).
En resume, depuis 1'avenement des Valois jusqu'a la fin du xve siecle (1328-1498), au milieu de vicissi- tudes douloureuses, de revers cruels, la royaute n'a- vait perdu aucune de ses conquetes; elle y avait ajoute une armee permanente, soldee par un impot permanent; une juridiction speciale des dlus et des generaux des aides pour la repartition des impots ; elle avait dompte la feodalite apanagee, multiplie les parlemerits et ebauche Torganisation de Tadminis- tration provinciale.
(1) Godefroy, Hist, de Charles VII, pag. 674.
(2) Memoires de La Tremouille, collection Petitot, Ir* s^rie, torn. XIV, pag. 446.
CHiPITRE VII.
Sommaire.
Louis XII (1498-1515). — Caractere general de 1'administra- tion monarchique pendant le xvie siecle. — Ordonnance de Blois (1 499) ; organisation du grand conseil ; creation de parlements a Rouen et a Aix; publication des coutumes. — Repression de la licence des armees. — Diminution des im- pots ; venalite des offices de finances et de judicature. — Protection accorde'e a 1'agriculture, au commerce , aux let-*" tres et aux arts. — Prosperity de la France a cette epoque prouvee par le temoignage de Machiavel.
La fin du xve siecle est une epoque solennelle dans 1'histoire. Les decouvertes de Colomb et de Gama ouvrent 1'univers; la renaissance litteraire favorisee par rimprimerie , revele a 1'intelligence un nou- veau monde , et prepare les revolutions religieuses du xvie siecle. La France n'est a la tete d'aucun de ces mouvements. Elle suit 1'Espagne et le Por- tugal sur les mers ; emprunte a 1'Allemagne rimpri- merie; a I'ltalie, ses arts et sa litterature. Elle ne devance le reste de 1'Europe que sur un point : 1'unite monarchique. C'est un eloge que lui accordent les etrangers dont le jugement ne saurait etre sus- pect. « II n'est pas de pays plus uni que la France, »
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434 UNIT£ DE LA FRANCE.
(lit le Venitien Marino Cavalli (1) ; Machiavel, parlant des conquetes qui rendent durables la fusion des races et 1'assimilation des moeurs et des idees, cite la France, « ou les populations de la Bretagne , de la » Bourgogne , de la Gascogne et de la Normandie » vivent paisiblement et peuvent s'accorder entre » elles, malgre quelques differences de langage (2).» La politique, qui a lentement et surement uni les provinces franchises , qui a efface les antipathies de incurs et d'interets, et cleveloppe 1'idee de la patrie, de 1'unite nationale, cette politique a ete 1'oeuvre des xvic et xviie siecles. Louis XII, Francois Ier, Henri II y ont travaille avec succes. Interrompue par les guerres de religion, elle a ete reprise par Henri IV, Richelieu et Mazarin. Constituer chaque province a 1'image de 1'autorite centrale, lui donner un gouver- neur relevant directement du roi et charge de 1'admi- nistration militaire; un parlement pour la justice, des cours des comptes et des aides pour la juridiction fmanciere , un receveur general pour la perception de I'impot; attenuer les differences des coutumes par des ordonnances generates, et tout en laissant a cha- que localite des lois et une constitution que la pru- dence ne permettait pas de supprimer brusquement et immediatement , 1'habituer a recevoir I'impulsion et la direction du gouvernement central , tel a ete le p incipal resultat de I 'administration monarchique
(1) llelat. de Marino Cavalli ; Hec. des Relations des ambass. ve- nitiens, torn. 1, pag. 271, dans la collection des Documents ind- dits de CHistoire de France.
(2) Machiavel, du Prince, chap.^ HI,
LOUIS xn (1498-1515). 135
pendant le xvf siecle. La perte de quelques franchi- ses a ete amplement compensee pour les provinces par la gloire de se rattacher a une puissante nation, ainsi que par les progres de la prosperite publique, dii commerce, de la marine, de 1'industrie, des lois, de la litterature et des arts.
C'est Louis XII qui ouvre cette epoque. Malgre les fautes multipliers des guerres d'ltalie , ce prince est reste populaire; on a tout pardonne au roi, qui ne vengeait pas les injures du due d' Or Mans, avouait noblement aux £tats de Tours la faute du traite de Blois, protegeait le peuple des campagnes contre la licence des gens de guerre, effac.ait les dernieres tra- ces de la servitude et aimait mieux voir les court i- sans « rire de son avarice que le peuple pleurer de ses prodigalites. » Les qualites auxquelles Louis XII a du le surnom de Pere du peuple ont puissamment contribue a attacher les Francois a la royaute et a faire accepter I'administration monarchique comme justo et bienfaisante ; la popularite du roi a rejailli sur la royaute. Son principal ministre Georges d'Amboise a merite, par les memes qualites, les sympathies de la nation.
Au debut de ce regne , se place la grande ordon- nance de Blois (1) qui sembie avoir pour objet de sa- tisfaire a une partie des reclamations des litats de 1484. Le roi s'y occupe surtout de la reforme de la justice. Les offices de judicature sont eligibles; mais
(1) Ordonn. des Rois de France, lorn. XXI, pag. 177 et suiv.;~ Recueil des anciennes lois fr., torn. XI, pag. 323; Toidonnance est datee de mars 1A98 (l/i99.)
436 ORDONNANCE DE BLOIS (1499).
1'election est aceompagnee de garanties contre la ve- nalite (1). II est clefendu aux baillis et aux senechaux de rendre la justice, a moins d'etre gradues en droit; s'ils ne remplissent pas cette condition, ils doivent se faire remplacer par un lieutenant pourvu des gra- des (2). Des commissaires , delegues par le roi et choisis dans les pariements, tiendront chaque annee les grands jours aux lieux accoutumes (3) ; ainsi election des juges pure de toute venalite , garanties exigees des baillis et senechaux , mesures pour sou- mettre les provinces eloignees a Faction de la justice, telles sont les principales dispositions de la premiere ordonnance de Blois (1 499) .
L'institution du grand conseil fut confirmee et de- veloppee. Au lieu des dix-sept juges etablis par Charles VIII, Louis XII en institua vingt, en decla- rant le conseil semestre. Dix juges devaient sieger alternativement sous la presidence du chancelier (4).
Deux nouveaux pariements furent crees , 1'un a Rouen, 1'autre a Aix. La Normandie avait jusqu'a cette epoque conserve son lichiquier , qui perpetuait les formes de la justice feodale, ne se reunissait que deux fois par an , et se composait en majorite de grands vassaux. On menagea la transition en appe- lant le nouveau parlement Echiquier perpdtuel (1 499) ;
(1) Articles 30, 31, 32, 40, 41, etc., de celte m6me ordonnance.
(2) Ibid., art. 48.
(3) Ibid., articles 72 et 73.
(4) Ordonn. des Rois de France, torn. XXI, 56-57.— Ancien- nes lois francaises, torn. XI, 296. — Pasquier , Recherclies, livre II, chap. vi. — Arnold, Ferron., Rerum sub Iwdov, XU hist,, ann, 1498.
NOUVEAUX PARLEMENTS.
137
mais bientot le nom changea avec 1'organisation, et le parlementdeNormandiefutdefinitivementinstitue. (1) La Provence dont les institutions locales etaient si te- naces etquivoulait trailer avee laFrance de puissance a puissance, la Provence eut dans le parlement d'Aix un representant energique et permanent de 1'autorite royale (2). La Bretagne conserva jusqu'a Henri II son ancienne organisation judiciaire , quoique , des 1495 , une ordonnance royale eut enjoint d'y creer un parlement (3); maisdu moins la reunion de cette province au domaine de la couronne fut assuree par le double mariage de Louis XII avec Anne de Breta- gne et de Francois Ier avec Claude de France.
Plusieurs ordonnances haterent la reformation et la publication des coutumes commencees sous le re- gne de Charles VIII (4). Vingt coutumes furent re- cueillies, ameliorees et publiees de 1505 a 1515 (5). Des commissaires envoyes danschaquebailliage con- sultaient Tassemblee locale , recueillaient les tradi- tions et les avis , et donnaient a la loi une forme
(1) Ordonn. des Kois de Ft:, torn. XXI, pag. 215 et suiv. ; 7fo'd.,pag. 280 et suiv., 298 et suiv;— Anciennes Lois francaises, XI, 389. — Voy. Floquet, Histoire de I'ficliiquier et du parlement de Nomnandie.
(2) Recueil des anciennes lots franc., torn. XI, pag. &22. — La Roche Flavin, Treize livres des parlements dc France, pag. 25- 27. — Gh. Giraud, Du parlement et du barrcau dans I'anc. Pro- vence, Aix, 1842.
(3) Godefroy, Histoire de Charles VIII, p. 727. L'ordonnance de Charles VIII est du 25 novembre 1495.
(4) Anciennes lois francaises, torn. XI, pag. 457 et 609.
(5) Richebourg, Coutumier general. Ce sont les coutumes de Touraine, Melun, Sens, Montreuil-sur-Mer, Amiens, Beauvoisis^ Auxerre, Chartres, Poitou, Maine, Anjou, Meaux, Troyes, Vitry Cliaumont, Orleans, Auvergne, Paris , Angoumois et La Rochelle.
138 PUBLICATION DBS COUTUMES.
definitive qui rendait impossible 1'arbitraire des ju- ges (1). La resistance provinciale ne put entraver Texecution des lois generales. Une ordonnance du 14 novembre 1507 soumit la Normandie aux lois et or- donnances qui avaient ete rendues pour les autres provinces et qui n'avaient pas encore ete enregistrees a rKchiquier perpetuel (2) .
Un des principaux soins de Louis XII fut de re- primer la licence des armees et de proteger le paysan contre la sodatesque. « II a fait un bien particulier, dit Saint-Gelais (3), si grand qu'aucun de ses prede- cesseurs n'en fit oncques guere de semblable ; c'est d'avoir oste la pillerie que les gens de guerre sou- loient faire sur le pays qui estoit une chose insuppor- table au pauvre peuple. » L'excellente organisation des homines d'armes, due a Charles VII, fut mainte- nue et merita les eloges de Machiavel (4). Quant a 1'infanterie mercenaire composee d'etrangers, on re- connut le danger de lui confier la defense de la pa- trie (5). Les Suisses abandonnerent la France an moment oil la ligue organisee par Jules II la menac.ait. Louis XII s'efforca de leur substituer une
(1) Ancicnncs lois frangaises, XI, 609.
(2) Ibidem, Mb.
(3) Ilistoirc dc Louis XII, pag. 122. (li) Voy. pins haul, pag. 96.
(5) Machiavel a justement blame" 1'emploi des troupes mercenai- res : « Louis XI supprima 1'infanlerie qu'il rcmplaca par des Suisses. Cette faute, que commirent aussi ses successeurs, est la source des maux. de la France, comme on le voit aujourdliui. Car ces rois, en accreditant la milice helve"lique, ont avili leur propre milice. » Traite du Prince, chap. 13. Malheureusement c'etait a Tetat ineme du peuple, coinine nous 1'avons dit plus haul, que tenait la neces- site de soudoyer une infanterie e"trangere.
DIMINUTION DES IMPOTS. 139
infanterie nationale , dont il confia 1'organisation a deux capitaines celebres, Yandenesse et Bayard ; mais il e"choua comme Charles VII, et par les memes causes.
Ce fut surtout dans ['administration financiere qu'on apprecia la bonte de Louis XII. II commenca par remettre au peuple le droit de joyeux avenement qui ne s'elevait pas a moins de 300,000 livres de monnaie du temps (1). La taille, qui sous le dernier regne avait atteint 4,700,000 livres, ne depassa ja- mais 2,600,000, malgre les charges multipliees des guerres d'ltalie. Le roi aima mieux aliener les do- maines de la couronne que de grever le peuple ; aussi la reconnaissance publique se manifesta-t-elle par Tamour et le devouement. L'impot se payait avec une extreme facilite , selon le temoignagne de Claude de Seyssel (2) . Vers la fin de son regne, presse par les besoins de 1'Etat , Louis XII eut recours a la vente des offices de finances. Sans doute une pareille res- source fut souvent ruineuse. Les financiers, qui achetaient leurs charges fort cher , se dedommage- rent aux depens du peuple , et les successeurs de Louis XII firent un odieux abtis de ce qu'il avait regarde comme une ressource extreme. Cependant il sortit quelquefois de bons resultats de la venalite des
(1) Claude de Seyssel, Louanges du bon roi Louis X.II, edit, de Godefroy, 1615, pag. 13.
(2) « Le peuple, qui a connu son bon vouloir et que il n'en tire fors ce qui lui est necessaire, gayement et sans aucun regret, payeroit tout ce qu'il pourroit la oil, du temps du roy Louis onzies- mes, tous le faisoient mal volontiers^et par force, et nonpar amour. » Claude de Seyssel, ibid., pag. 136.
140 V^NALITfi DBS OFFICES.
charges, meme des charges de judicature. En 1512, Louis XII se vit force de vendre les offices de baillis et de membres des parlements. Au premier aspect, c'etait un scandale revoltant de livrer au plus offrant les fonctions qui demandent le plus de science et de probite, et d'ou dependent la fortune et meme la vie des citoyens. Cependant n'oublions pas que la vena- lite des offices de judicature a contribue a former ces families parlementaires ou la science, la probite et le patriotisme etaient hereditaires. Les moeurs de la magistrature ont eu une haute influence au x\T sie- cle, et on a pu leur appliquer ces paroles d'un an- cien : « Plus ibi valent boni mores quam alibi optimce leges (1 ) . >>D'ailleurs, les families plebeiennes, enrichies par le commerce, purent ainsi s'elever a la magistra- ture dont 1'election leur eut peut-etre interdit 1'acces. Des le temps de Louis XII, Claude de Seyssel, etait frappe de 1'ascension rapide des classes inferieures. « Si peut un chacun, dit-il , du dernier etat parvenir au second, par vertu et par diligence, sans autre moyen de grace ni de privilege (2). » Ce second etat qui etait la magistrature , donnait souvent 1'a- vantage sur la noblesse placee au premier rang. « On voit tous les jours, ajoute le meme ecrivain (3), les officiers et ministres de la justice acquerir les heri- tages et seigneuries des barons et nobles hommes et iceux nobles venir a telle pauvrete et necessite,
(1) Tacite, Mceurs des Germains. — Voy. Appendice, n° I.
(2) Claude de Seyssel, Traitc de la monarchic, Ire partie, cha- pitre 17.
(3) Id., ibid., 2me partie, chap. 20.
PROGRES DE LA RICHESSE. 141
qu'ils ne peuvent entretenir 1'etat cle noblesse. » Ainsi la venalite des charges, au moins dans 1'origine, eut peut-etre autant d'avantages quc d'inconvenients (1).
II est d'autres actes de Louis XII qu'on peut louer sans restriction , par exemple : la protection qu'il accorda a 1'agriculture et a Industrie. Claude de Seyssel (2) atteste que les campagnes etaient mieux cultivees, les villes plus peuplees, les maisons mieux baties et meublees plus sornptueusement. Le meme progres se faisait remarquer dans les vetements et dans la maniere de vivre. Partout le revenu des ter- res et des benefices s'etait considerablement accru. « Pour un riche marcband, dit Seyssel, que Ton trouvoit a Paris, a Rouen, a Lyon, du temps de Louis XI , on en trouve plus de cinquante sous ce regne. » Les peages illicites qui entravaient la navi- gation de la Loire furent supprimes (3) . Les pouts et chaussees retablis rendirent les communications plus faciles et le commerce plus prospere (4).
Louis XII ne s'occupa pas seulement des interets materiels de la France. Ami des lettres et des arts, il s'efforca d'en propager le gout. L'architecte itaiien Giovanne Giocondo fut appele en France, construisit
(1) Montesquieu a defendu la venalite des offices (Esprit des lois, liv. V, chap. 19). Je ne pretends pas faire 1'apoglogie d'un abus qui devint funeste dans la suite. [1 n'est question ici que des avantages que la ve'nalite' des offices a presente"s dans 1'origine pour la constitution d'un corps judiciaire puissant et capable cle lutter con- tre le despotisme.
(2) Louanges du bon roi Louis XII, meme edit. , pag. Ill et suiv.
(3) Ordonn. des Rois de France, XXI, 65.
(4) Ibid., 249.
442 PROGRES INTELLECTUEL.
le pont Notre-Dame et, selon quelques ecrivains, le chateau de Gaillon, splendide residence du cardinal d'Amboise. Jean Lascaris et Demetrius commence- rent a enseigner la langue grecque a Paris. « Ainsi peu a peu alloit se perdant la barbaric , » selon 1'ex- pression de Seyssel. La fortune de Claude Seyssei lui-meme est une preuve du /ele de Louis XII pour les lettres. Italien de naissance, Seyssel fut attire en France par les bienfaits du roi et nomme a 1'eveche de Marseille. Ses traductions de Justin, d'Eusebe, de Xenopbon (Cyropedie), de Diodore de Sicile, de Plu- tarque, contribuerent a faire connaitre a la France 1'antiquite grecque et latine. Vainement I'Universite de Paris, depositaire des traditions de la scolastique, voulut revenir aux habitudes anarchiques du moyen-age. Cette tentative fut reprimee avec ener- gie (1).
Si Teloge que Claude de Seyssel fait du gouverne- ment de Louis XII paraissait suspect de flatterie ou du moins d'exageration , nous invoquerions celui d'un autre Italien. Macbiavel visita quatre fois la France sous le regne de ce prince, dans les annees 1 300, 1501 , 1503 , 1510. La position d'ambassa- deur donnait a cet observateur intelligent des avanta- ges dont ses lumieres et sa froideraison no pouvaient manquer de profiter. II parle comme Seyssel de la puissance et de la prosperite dc la France : « Le royaumeetlesroisde France sontaujourd'hui, (I it-il (*• ,
(1) Anc. lois franf., torn. XI, pag. 301 et 395.
(2) Machiavel, &tat de la France. Ce tableau est presque line sta- tistique de la France tracee par Machiavel au retour (Tune de ses
TfiMOIGNAGE DE MACHIAVEL. 143
plus riches, plus grands et plus puissants qu'ils n'ont jamais ete... La couronne s'est enrichie par 1'acquisi- tion d'un grand nombre de domaines considerables; les autres grands vassaux sont du sang royal et inte- resses a consolider le trone qui peut leur revenir (1).» Machiavel loue surtout 1'organisation judiciaire de la France. « La France , dit-il (2) , tient le premier rang parmi les Etats bien gouvernes. Une des institu- tions les plus sages qu'on y remarque est sans con- tredit celle des parlements, dont Fobjet est de veiller a la surete du gouvernement et a la liberte des sujets. Les auteurs de cette institution connaissant d'un cote Tinsolcnce et Tambition des nobles, de 1'autre les ex- ecs auxquels le peuple peut se porter contre eux, ont cherche a contenir les uns et les autres , mais sans Intervention du roi, qui n'eut pu prendre parti pour le peuple sans mecontenter les grands , ni favoriser ceux-ci sans s'attirer la haine du peuple. Pour cet effet, ils ont institue une autorite, qui, sans que le roi eut a s'en meler , put reprimer 1'insolence des
ambassades. Claude deSeyssel disaitcomrae Machiavel :« Le royaume est plus riche , plus puissant, plus paisible, et,en toutes choses, plus heureux et mieux traite que jamais ne fut du temps de nul autre roi. » Ibidem, pag. 169.
(1) Claude de Seyssel insiste egalement dans ses Louangcs dc Louis XII sur la reunion des grands fiefs aux domaines de la cou- ronne : « L'on peut bien aisement juger quelle doit estre a present la puissance du roy de France, qui tient toutes les dictes duchez comtezet seigneuries (Guienne, Normandie, Poitou, Anjou,Tou- raine, Bretagne, Provence, Languedoc, Champagne , Dauphine ) en propri6t6 et en droict. Et si sont accrus de peuple , de revenu et de richesses, commme les autres, ainsy que j'ay cy-devant declare* et obeissent au roy a present regnant, mieux que a roy qui fust ja- mais en France. »
(2) Prince, chap. 19.
144 TfiMOIGNAGE DE MACHIAVEL.
grands et favoriser le peuple. II faut convenir que rien n'est plus propre a donner de la consistance au gouvernement et a assurer la tranquillite publique. » Enfin Machiavel loue le sage temperament des pou- voirs, qui, en France, s'opposait au despotisme. « Le / royaurne de France, dit-il (1), est heureux et tran- ' quille, parce que le roi est soumis a une infinite de lois qui font la surete despeuples.il dispose des armes et des tresors, mais pour le reste il est soumis a 1'em- pire des lois. »
Ici le genie systematique de Machiavel 1'a entraine trop loin; il a pris pour une loi de la royaute la mo- deration personnelle de Louis XII qui laissait les poetes le traduire sur la scene (2), et acceptait volon- tairement le joug des lois. II n'en fut pas de meme sous son successeur, qui commenQa le regne du bon plaisir.
(1) Machiavel, discours sur Tite-Livc, disc. I, n° 16.
(2) « II y avail alors tant de liberte chez les Francais, dit le Feron, que les comediens representerent en public, a Paris, le roi malade, pale, la tete enveloppee, demandant a boire h grands cris, mais ne voulant boire que de Tor potable, et Louis, loin de se facher ou de les punir, se init a rire et loua la liberte du peuple. » Arnold. Fer- ron. lib. Ill, pag. 43.
CHAPITRE VIII.
Sommaire.
FRANCOIS Ier (1515-1547). — La royaute devient absolue; elle domine le clerge par le concordat (1516), et la noblesse par 1'esprit de cour. — Administration centrale : abaissement des grands officiers de la couronne ; commencement de la puissance des secretaires d'Etat. — Administration locale : gouverneurs de provinces; surveillance organisee dans tout le royaume; despotisme. — Publication des coutumes; administration de la justice : ordonnances de Cremieu (1 536) et de Villers-Coterets (1539) ; grands jurisconsultes de cette epoque.; prevots des marechaux et marechaussee. — Abus dans 1'administration de la justice : venalite des offices. — Administration des finances : augmentation des impots; emprunts forces ; mesures adoptees par Francois I" pour rendre 1'administration des finances plus reguliere : epargne ou tresor central ; division de la France en generalites ; budget prepare. — Administration militaire : ravages exer- ces par les bandes d'aventuriers ; organisation des legions provinciates en 1534; pen de succes de cette institution; gloire militaire de la France sous ce regne.
On peut appliquer au regne et a 1'administration de Frangois I?r ce que Voltaire a dit du xvie siecle tout en tier : C'est une robe tTor et de sole ensanglan- tde (1). Francois s'est vante avec raison d'avoir mis les rois hors de pages; il reussit, en effet, a vaincre tous les obstacles et a fonder le despotisme. Le clerg6 etait Tordre qui avail le mieux conserve les fran-
(1) Voltaire, Essai sur les mceurs, ch. 118,
U6 CONCORDAT (1516).
chises du moyen-age; Francois Ier Tenchaina autrone par le concordat de 151 6, qui reservait au roi la col- lation des benefices ecclesiastiques (1). Ce fut un pas de plus dans ce systeme de centralisation qui avait deja place sous la main des rois la justice et les fi- nances , et qui leur avail subordonne les villes et la noblesse. Vainement le parlement et TUniversite ten- terent de resister; la royaute triompha aisement de leur opposition (2) . La noblesse se laissa seduire par un roi-chevalier; elle se pressa dans ses anticham- bres ; elle brigua la faveur d'assister a son lever et a son coucker, dont 1'etiquette venait de regler les heures et le ceremonial (3). Le parlement, meme lorsqu'il adressait a Frangois Ter des remontrances, proclamait la supreme autorite du roi placee au-des- sus des lois. « Nous ne voultfhs pas, lui disait-il par 1'organe de son premier president (4), revoquer en doute votre puissance; ce serait espece de sacrilege. Nous savons bien que vous etes au-dessus des lois et que les lois et ordonnances ne vous peuvent con- traindre; mais nous entendons dire que vous ne de- vez pas vouloir tout ce que vous pouvez, mais seule- ment ce qui est en raison bon et equitable, qui n'est autre que justice. »
(1) Anciennes lois francaises, t. XII, p. 75.
(2) Ibid., p. 275-280. —Journal d'un bourgeois de Paris sous Le regne de Francois ler, p. 62, 63, 69 et 70.
(3) Archives curieuses de CHistoire de France, lre serie, t. IV, p. 2/i6-2A9. On voit par une lettre que Catherine de Me"dicis adresse a son fils Charles IX que ce ce"re"monial avait e"te 6labli par Fran- <;ois ler, afm que les Francais connussenl une facon de cour; re qui les contentoit fort.
(A) Anciennes lois francaises, XII, 275-280.
SECRETAIRES D'ETAT.
Ce despotisme inconteste ne tolera , dans 1'admi- nistration centrale , aucune di'gnite independante. Francois n'epargna ni les surintendants des finances (proces de Semblangay et de Poncher) , ni les conne- tables (proces de Charles de Bourbon), ni les ami- raux (proces de 1'amiral Chabot) , ni les chanceliers (proces du chancelier Poyet). En abaissant les grands officiers de la couronne, Francois Ier eleva les secrd- taires d'Etat et leur donna une importance qui gran- dit rapidement. Ces clercs du secret, comme on les appelait primitivement , s'emparerent peu a peu de rammistration. Florimond Robertet introduisit le premier I'usage de contresigner les ordonnances royales (1). L'obscurite meme de ce ministre lui fut un litre sous un prince qui voulait tout tenir dans sa dependance. Deja, a la fin du regne de Francois Ier, les secretaires d'fitat s'etaient partage la France et 1'Europe. A cette epoque, leurs departements etaient divises geographiquement : BOCHETEL avait la Nor- mandie, la Picardie, 1'Angleterre et 1'ficosse ; CLAUSSE, la Provence, le Languedoc, la Guienne, la Bretagne, TEspagne et le Portugal ; DE L'AUBESPINE , la Cham- pagne, la Bourgogne, la Bresse, la Savoie , la Suisse et 1'Allemagne ; DU THIERS, le Dauphine, le Piemont, Rome, Venise et 1'Orient (2). Chacun des secretaires d'Etat etait charge de la guerre , des finances , des negociations diplomatiques et de Tadministration in-
(1) Voy. sur sa mort en 1527 et sur la pompe de ses fun^railles le Journal (Tun bourgeois de Paris sous Francois Ier, pag. 330- 331.
(2) Fauvelet du Toe, Hist, des secretaires tftitat, Paris, 1666.
148 GOUVERNEURS DE PROVINCES.
terieure dans la circonscription geographique qui lui etait assignee.
Francois Ier voulut que I'administration locale fut egalement soumise a sa volonte absolue. Douze gou- verneurs, nommes par le roi et revocables a son gre, le representaient dans les douze provinces de 1'Ile de France, de Normandie, de Picardie, de Champagne, de Bretagne, de Bourgogne, du Lyonnais, du Dau- phine, de la Provence , de 1'Auvergne , du Langue- doc et de la Guienne et Gascogne (1 ) . Francois Ier de- fendit a tout autre de prendre dans les provinces le titre de gouverneur et de lieutenant-general du roi (2). En 1542, il suspendit par une simple or- donnance les pouvoirs de tous les gouverneurs (3), et prouva par cet acte qu'il n'y avait plus dans le royaume qu'un maitre , qu'une autorite souveraine. Enfin, il s'informait soigneusement des homines qui, dans les diverses parties de la France, jouissaient d'une certaine consideration; il s'efforc.ait de les ga- gner et de tenir par eux les provinces dans sa de- pendance. Catherine de Medicis vantait beaucoup a ses fils la conduite de leur aieul, qui savait ainsi pe-
(1) Voy. sur la division des provinces acette ^,poque les Relations des ambassadcurs venitiens, I, Zi7, Zi8, Zi9, 253; IT, W-M3. Le dernier passage, qui est de Jerome Lippomano, est surtout d'une haute importance. Il donnne renumeration et la description des pro- vinces :Ile de France, Picardie, Normandie, Bretagne, Poitou (com- prenant la vicomtede Turenne, leduche de Touraine, la Marche, le Limousin et la Saintonge) , la Guienne et Gascogne, le Languedoc, la Provence, le Lyonnais, dans lequel etaient renfermes le Bour- bonnais et le Forez, 1'Auvergne comprenant le Berry, la Bourgogne et la Champagne.
(2) Anciennes Lois franfaises, t, Xir, p, 892,
(3) Widem, t. XII, p. 779.
POLICE ORGAMSfrB. 159
netrer jusque dans le secret des families. « Je ne veux pas oublier, leur dit-elle dans une de ses let- tres (1), je ne veux pas oublier a vous dire une chose que faisoit le roi votre grand-pere et qui conservoit toutes les provinces a sa devotion ; c'e" toit qu'il avoit le nom de tous ceux qui e*toient de maison dans les provinces et autres qui avoient autorite parmi la no- blesse et le clerge, les villes et le peuple ; et pour les contenter, afin qu'ils tinssent la main a ce que tout fut a sa devotion et pour etre averti de tout ce qui se remuoit dedans lesdites provinces, soit en general ou en particulier, parmi les maisons privees ou villes et parmi le clerge, il mettoit peine d'en contenter parmi toutes les provinces une douzaine, plus ou moins. Aux uns il donnoit des compagnies de gens d'armes ; aux autres, quand il vacquoit quelque benefice dans le meme pays, il leur en donnoit, comme aussi des capitaineries des places de la province et des of- fices de judicature, selon la qualite de chacun; car il en vouloit de chaque sorte qui lui fussent obliges pour savoir comment toutes choses se passoient dans les provinces. Cela les contentoit de telle fagon qu'il ne s'y remuoit rien, du clerge, de la noblesse, des villes et du peuple, qu'il ne le sut, et en etant averti il y remedioit, selon que son service le portoit, et de si bonne beure qu'il empechoit qu'il n'advint ja- mais rien contre son autorite et 1'obeissance qu'on devoit lui porter. »
Ainsi la puissance souveraine etait concentree dans
(1) Archives curieuses de Wistoire de France, lr* s^rie, t. V, p. 253.
I. 11
450 PUBLICATION DES COUTUMES.
les mains du roi, et tous les agents de 1'administra- tion etaient ten us dans une severe subordination. Les etrangers qui visiterent la France a cette epoque, et qui nous en ont laisse la description, Etaient frappes de ce despotisme. L'ambassadeur venitien , Marino Cavalli, ecrivait en 1546 (1) : « II suffit au roi de dire : Je veux telle ou telle somme ; j'ordonne ; je consens, et 1'execution est aussi prompte que si la na- tion entiere avait decide de son propre mouvement.» Comment Francois Ier usa-t-il de cette puissance ab- solue ? Quelle impulsion a-t-il donnee a 1'administra- tion de la justice, des finances, de la guerre, au com- merce, aux lettres et aux arts? On ne peut apprecier son regne qu'en repondant a ces questions.
Francois Ier fit d'abord continuer la publication des coutumes locales, et Ton vit paraitre successivement celles de La Roclielle (1515) , de la Saintonge, de la Marche et du Bourbonnais (1520), de Blois (1522), du Nivernais (1528), de Montargis (1530), de Senlis, de Clermont en Beauvoisis et du duche de Valois (1539). Les tribunaux furent reformes, le grand con- seil fut charge de juger tons les proces souleves par le concordat et les questions relatives aux archeve- ches, eveches et abbayes (2). Francois Ier nomma un president de cette cour, et la chargea de pronon- cer dans toutes les discussions qui avaient pour objet les offices royaux. Mais ce qui donne surtout
(1) Relations des ambassadeurs vdnitiens, 1. 1, p. 273, dans la collection des documents ine'dits de CHistoire de France.
(2J Anciennes Lois francaises, t. XII, p. 251. Voy. sur la lutte qui s'engagea entre le parlement et le grand conseil le Journal d'un bourgeois de Paris sous Francois I", p. 252 et 253S
ORDONNANCB DE CRBMIEU (1536). 4 51
une haute importance a I'administration de la justice sous ce regne, ce sont les grandes ordonnances qui embrassent tous les details de la legislation. L'or- donnance de Cremieu (1 9 juin 1536) plaga lesjuges seigneuriaux sous la surveillance des juges royaux , baillis et senechaux, qui recevaient les appels des sentences seigneuriales, les modifiaient et cassaient a leur gre ; en un mot, restreignaient de plus en plus la justice feodale (1). Sur les reclamations des seigneurs, Francois Ier declara qu'il n'avait pas voulu les de- pouiller de leurs droits, et ordonna aux officiers royaux de les respecter (2). Mais ceux-ci, une foisen possession de surveiller les juridictions feodales, ne cesserent d'en limiter 1'exercice.
L'ordonnance de Villers-Coterets (aout 1539) eut encore plus d'importance (3). Elle restreignit lajuri- diction ecclesiastique aux affaires spirituelles, et fixa la limite entre les tribunaux civils et ecclesiastiques, donna plus de rapidite a 1'administration de la justice civile (4), prescrivit que les proces fussent juges d'a- pres 1'ordre d'inscription (5), et que de mois en mois des mercuriales (disco urs prononces lemercredi) rap- pelassent aux juges leurs devoirs et 1'importance de leurs fonctions (6). Une des dispositions les plus im- portantes de 1'ordonnance de Villers-Coterets est celle
(1) Anc. lois fran?., p. 504.
(2) Ibid., p. 533.
(3) Ibid., 600. (A) Ibid., art. I.
(5j Ibid., I. XII, p. 600 etsuiv., art. 32-35 de Pordonnance de Villers-Coterets. (6)/6id.,art, 122.
152 ORDONNANCE DE VILLERS-COTERETS (1539).
qui ordonne aux cures de tenir regislre des actes de naissance et de deces, et de deposer ces actes de Cetat civil au greffe du bailliage leplus voisin (1). Jusqu'a- lors la noblesse seule avait ses archives et ses litres defamille. Grace a cet article del'ordonnance del 539, toutes les families purent constater legalemenl leur genealogie et leur droit de succession. Le latin bar- bare du moyen-age fit place au franc.ais dans la re- daction des jugements et des actes notaries (2). Enfin 1'accuse dut comparaitre en personne dans les pro- ces criminels; en supprimant les jugements sur pie- ces, 1'ordonnance de Yillers-Coterets donnait une ga- rantie a l'innocence(3).
L'honneur de ces mesures legislatives revient sur- tout aux jurisconsultes qui, a cette epoque, illus- traient la France. II serait injuste d'oublier leurs noms : Dumoulin publiait ses nombreux traites de droit et songeait a faire sortir de la variete des cou- tumes une legislation uniforme (4). Cujas et du Fer- rier preparaient par leurs lemons cette generation de magistrals fermes et eclaires dont L'Hopital est le type le plus illustre. FranQois Ier sut du moins pro- filer de leurs lumieres. La tenue plus frequente des grands jours et Tinstilulion des cours prdvotales eu- renl pour resullal d'inlimider le crime el de mainle- nir 1'ordre dans le royaume. Des prfodts des mare'- chaux furenl elablis par Francois Ief a Paris, Senlis,
(1) Anc. lois franc., ibid. art. 50 et54.
(2) Ibid., art. 111.
(3) Ibid., art. 162.
(/0 Dupin, Discours de rentrte de la cour de cassation, 3 DQ- vembre
PRfcVOTS I)ES MARCCHAUX. 153
Beauvais, etc. (1); ils etaient charges principalement de veiller a la surete des grands chemins, de repri- mer les vagabonds et de juger sominairement les ex- ces et crimes commis par les gens de guerre. Une troupe, nominee mardchaussee, maintenaitsous leurs ordres la tranquillife publique.
Malheureusement, a cote de ces mesures excel- lentes, il faut signaler d'odieux abus. Le despotisme avait penetre dans Tadministration de la justice et la corrompait. L'ambassadeur venitien,dont nous avons deja cite la relation, Marino Cavalli, en fait la re- marque. « La volonte du roi, dit-il (2), est tout clesormais, meme dans I' administration de la justice; car il n'y a personne qui ose obeir a sa conscience et contredire le monarque ; je dis cela d'apres ce que j'ai vu et non d'apres des om-dire. » Le roi enlevait les accuses a leurs juges naturels par 1'etablissement de commissions extraordinaires, comme le prouvent les proces de 1'amiral Chabot, des freres Poncher et du chancelier Poyet. II s'enrichissait par la confisca- tion des biens de ceux qui etaient. condamnes pour crime de lese-majeste (3) : il inventait ou renouvelait le supplice atroce de la roue (4). Enfin la venalite des charges de judicature, devenue une ressource fmanciere pour la royaute, degenerait en trafic scan-
(1) Voy. dans le recueil des Anciennes Lois francaiscs, torn. XIV, p. 200, Tordonn. de!566, qui rappelle Tordonnance de Francois Ier; comp. le Journal d'nn bourgeois de Paris, sous Francois I", pag. 185, a 1'annee 1523.
(2) Relations des ambassadeurs veniliens, t. I, p. 269.
(3) Anciennes Lois fran^aises, XII, 590.
(4) Journal d'un bourgeois da Paris, sous Francois Ier, p. 452,
154 ABUS DK LA VfiNALITfi DES CHARGES.
daleux. Francois Icr crea jusqu'a des chanibres en- tieres du parlement composees d'un grand nombre de magistrals; en 1 524, la creation et la ventedevingt charges de conseillers au parlement de Paris lui va- lurent soixante-dix millelivres tournois (1) (monnaie du temps). La creation de seize commissaires au Cha- telet, de quarante notaires a Paris, de baillis, etc. (2) furent encore des mesures fiscales. Beaucoup de ces juges ne se faisaient pas scrupule de vendre ce qu'ils avaient achete. « II y en a, dit Marino Cavalli (3), qui poussent si loin 1'envie d'exploiter leur position qu'ils se fontpendre tout bonnement a Montfaucon; ce qui arrive, lorsqu'ils ne savent pas se conduire avec un pen de prudence ; car jusqu'a un certain point tout est tottre, principalement si les parties ne s'en plai- gnentpas. » La longueur des procesetait souventune speculation des juges. « line cause de mille ecus, dit le meme ambassadeur (4), en exige deux mille de frais; elle dure dix ans. »
L'administration financiere de Francois I" pre- sente le meme melange de bien et de mal. Les pro- digalites de la cour forcerent le roi d'abuser de son autorite en matiere d'impots. Les taxes ne cesserent de s'accroitre; la taille s'eleva de 2,600,000 livres a 9,000,000; la gabelle s'accrut dans la meme pro- portion; un impot de 1,200,000 livres fut affecte
(1) Journal d'un bourgeois de Paris sous Francois Ier, p. 123- 12Zi ; Ceremonial fran$ais, par Godefroy, t. If, p. 461-462.
(2) Journal d'un bourgeois, etc., p. 12/j, 125, 126, 127.
(3) Relations des ambassadeurs vdnitiens, I, 265.
(4) Ibid., I, 263.
AUGMENTATION DBS IMPOTS. 455
a 1'entretien des legions provinciales. On 1'appela I'impot des cinquante mille homines. La creation des rentes sur l'H6tel-de-Ville de Paris, les prets forces (1) et les emprunts a la banque de Lyon (2) furent encore des ressources dangereuses et dont le despotisme a souvent abuse. Mais les mesures finan- cieres qui meritent le blame le plus severe, sont le trafic des charges de judicature et 1'importation en France de I'impot immoral de la loterie (3). Aucune resistance n'etait possible. Le Journal dun bourgeois de Paris sous Francois Zer prouve que les moindres objections etaient considerees comme des crimes. Trois conseillers au parlement, deux ecclesiastiques et un laique, furent enfermes a la Bastille pour avoir adresse quelques remontrances au chancelier sur Ta- bus des emprunts forces (4).
Cependant il ne faut rien exagerer. L'augmenta- tion des impots etait surtout le resultat des change- ments que la decouverte de 1'Amerique avait appor- tes dans la valeur du numeraire. Bodin affirme qu'elle varia dans la proportion d'un a dix. « L'or et 1'argent, dit cet ecrivain (5), sontvenusen si grande abondance des Terres-Neuves, meme du Perou, que toutes choses sont encheries dix fois plus qu'elles n'etoient (6). » Bodin, mieux instruit des details
(1) Journal d'un bourgeois de Paris sous Francois Ier, p. 134, 16Zi, 319, etc.
(2) Bodin, Republique, liv. IV, p. 656, e"dit. de 1577.
(3) Anciennes lots fran$aises, XII, 560.
(li) Journal d'un bourgeois de Paris, etc. p. 160.
(5) Rtpublique, p. 6/18.
(6) Voy. aussi les Memoires de Tavannes, 6dit Petitot, I, 239.
156 REFORMES FINAKC1ERES.
d'administration que les auteurs de memoires et les historiens de profession, atteste que Frangois Ier, malgre le luxe de sa cour, les frais enormes de la lutte soutenue contre Charles-Quint et ses glorieuses prodigalites pour 1'encouragement des lettres et des arts , paya toutes les dettes qu'il avait contractees et laissa dans le tresor des sommes considerables (1). « Depuis que le grand roi Francois devint sur 1'age austere et peu accessible, les flatteurs et sangsues de cour viderent, et peu a peu il menagea si bien, qu'il se trouva, apres sa mort, quitte et dix-sept cent inille ecus en 1'epargne, outre le quartier de mars, qui etoit pret a recevoir, et son royaume plein de savants homines, de grands capitaines, de bons ar- chitectes et de toutes sortes d'artisans, et les fron- tieres de son Etat jusqu'aux portes de Milan, et une paix assuree avec tous les princes, et quoiqu'tl eut eu plus d'affaires et d'ennemis que roi qui rut de son temps et qu'il eut pave sa ranc,on, il embellit ce royaume de beaux et grands edifices, villes et forte- resses. » Et cependant, ajoute Bodin (2), il avait a sa solde des Allemands, Anglais, Italiens, Suisses, Al- banais, Espagnols.
Un grand nombre de reglements eurent pour but de mettre plus de regularite dans 1'administration fmanciere. Francois Ier crea, en i522, 1'epargne, tresor central ou les receveurs devaient verser, dans le delai d'un mois, les deniers perc.us sur chaque
(1) Bodin, Rdpublique, liv. V, p. 546.
(2) Republique, p. 546.
EPARGNEJ RECETTES GENERALES. 157
province (1). En 1543, il divisa la France entiere en seize recettes generates, qu'on nomma dans la suite generalites (2). Chaque fermier general y perc.ut tous les impots, tailles, aides, gabelles, revenus du do- rnaine, droits d'amortissement, batardise, francs- fiefs, etc. Enfin Francois I" ordonna aux receveurs genera ux d'envoyer au commencement de chaque annee deux etats de 1'epargne, 1'un contenant le ta- bleau de la recette de 1'annee precedente, 1'autre celui de la recette presumee de 1'annee qui commen- c.ait. Le tresorier devait presenter au roi un resume de ces deux etats avec un compte des depenses pre- sumees (3). On avait ainsi un veritable budget qui permettait d'etablir la balance des recettes et des de- penses. Malheureusement ce reglement de finances fut abandonne sous le regne suivant, des que les prodigalites de la cour firent craindre a Henri II une organisation reguliere qui rendait les abus plus manifestes.
L'armee appela tout specialement Fatten tion d'un roi belliqueuxet avide de conquetes. Lescompagnies d'ordonnance, organisees par Charles VII (4), avaient soutenu leur reputation a Marignan et justifie de plus en plus 1'eloge qu'en faisait Machiavel (5). Le roi se borna a leur prescrire une discipline plus ri- goureuse (6). En meme temps s'organisait la cavale-
(1) Anciennes lois fran$aises, XII, 20/i et 230.
(2) Ibid., 807. — Pasquier, Recherches, liv. II, ch. vm.
(3) Anc. lois franf., XII, 796. — Bodin, Rdpublique, p. 662. (li) Voy. plus haul, p. 96.
(5) Ibid.
(6) Anc. lois fran?., t. XII, pag. 2 et 535.
458 ADMINISTRATION M1LITAIRE.
rie legere, designee sous le nom de Stradiots ou ftAlbanais, parce qu'elle etait empruntee a la Grece et a 1'Illyrie. Quant a Tinfanterie elle se composait de bandes mercenaires souvent plus dangereuses pour la France que pour 1'ennemi. Le Journal d'un bourgeois de Paris sous Francois /er est rempli de details sur les actes de brigandage commis par ces aventuriers (c'etait le nom qu'on leur donnait alors). Ilsserepandaientdansle pays par bandes de deux ou trois cents et y exerc.aient d'effroyables cruautes (1). Us infestaient ineme les environs de Paris (2). II fal- lut, en 1523, que le connetable marchat contreeux a la tete d'un corps d'armee (3). Tous les vagabonds et souvent meme des ecoliers se joignaient aeux (4). Un de leurs chefs se faisait nommer roi; il avait des tresoriers, amiraux et autres officiers. A la tete de deux ou trois mille hommes, il ravagea TAu- vergne, le Bourbonnais, le Limousin et le Poitou, jusqu'au moment ou le roi envoya contre lui des forces considerables (5). Les orclonnances les plus severes (6) et les supplices multiplies (7) ne parvin- rent pas a delivrer le royaume de ces bandes d'fl- venturiers qui en etaient le fleau (8).
Les Suisses, que Frangois Ier avait repris a sa
(1) Journal d'un bourgeois de Paris sous Francois I", p. 36.
(2) Ibid., p. 119.
(3) Ibid., p. 152. (/fl Ibid., p. 116.
(5) Ibid., p.168.
(6) Ibid., p. 176.
(7) Ibid., p. 249.
(8) Ibid., p. 275-276.
LEGIONS PROVINCIALBS (1534). J 59
solde formaient un corps bien discipline, mais fort onereux pour la France (1), et qui pouvait au pre- mier jour se tourner contre elle. II resolut enfin de s'en delivrer et d'organiser une infanterie nationale. En 1534, il forma les legions provinciales (2); elles se composaient de sept legions, fortes chacune de six mille hommes, et clehuit mille pionniers, en tout cin- quante mille hommes. Chaque legionnaire recevait un ecu d'or par an, un hoqueton ou casaque, un halecret ou corselet de fer, et les armes offensives, pique, epee, hallebarde (3). « C'etoit une tres-bonne invention, dit un des meilleurs capitaines de cette epoque, Blaise de Montluc (4), et le vrai moyen d'a- voir toujours une bonne armee sur pied, comme fai- soient les Romains. » Le roi alia lui-meme visiter les legions (5), qui regurentles noms des sept provinces de Bretagne, Normandie, Picardie, Bourgogne, Dau- phine, Languedoc et Guienne. II chercba a stimuler le zele des legionnaires en leur accordant 1'exemp- tion de tailles, subsides et autres impots (6) ; mais il en fut bientot de cette infanterie comme des francs- archers de Charles VII. Trois ans apres 1'institution des legions provinciales, en 1 537, Tambassadeur ve* ni- tien Giustiano attestait leur decadence et en indiquait
(1) Journal d'un bourgeois de Paris sous Francois I", p. MO- MI.
(2) Anciennes lois franf., t. XII, p. 390.— Journal d'un bour- geois de Paris sous Francois I", p. Ml.
(3) Journal, etc., ibid.
(4) Memoires de Monttuc, collection Petitot, lre se"rie torn. XX, p. 385.
(5) Memoires de Martin du Betlay, collection Petitot , !'• se"rie, t. XVIII, p. 264.
(6) Journal d'un bourgeois de Paris sous Franfois I", p. Ml.
160 LfiGlONS PROV1NCIALES (1534).
la cause (1) : « ces legionnaires franc,ais, tant vantes, n'ont pas du tout reussi. Ce ne sont que des paysans eleves dans la servitude, sans aucune experience du maniement des armes, el, comme ils passaient tout- a-coup de 1'extreme asservissement a la liberte el a la licence de la guerre, il advint ce qui arrive toujours dans tout changement subit, qu'ils ne voulaient plus obeir a leurs maitres. Ainsi les gentilshommes de France se sont plusieurs fois plaints a sa majeste de ce qu'en mettant les armes aux mains des paysans et en les affranchissant des anciennes charges, elle les avail rendus desobeissants et retif's; elle avait de- pouille la noblesse de ses privileges, en sorte que les paysans dans peu de temps deviendraient gentils- hommes et les nobles deviendraient vilains. C'est a cause de ces desordres et de 1'impossibilite oil sont ces legionnaires de rien entreprendre que leurs rangs s'eclaircissent tous les jours, et que le roi, prive de ses propres armes, est force d'avoir recours £ la va- leur mercenaire. »
On ne pouvait imputer a Francois Icr le mauvais succes de cette tentative pour organiser urie infanterie nationale; mais il s'attira de justes reproches en don- nant a la faveur le commandement des armees. Des intrigues de cour ecarterent le connetable de Bour- bon pour confier 1'honneurde la France a un Bonivet. Ce fut par des fautes du meme genre qu'on jeta dans le parti de 1'Espagne Tamiral Andre Doria, le plus grand homme de mer de 1'epoque. Francois Ier avait,
(1) Relat, des ambassad, venit., t. i, p. 185.
PAUTES ET GLOIRE DE FRANQOIS Itp. 161
au commencement de son regne, attire a son service, Pedro de Navarre, I'inventeur des mines; mais, dans la suite, le roi-clievalier meconnut la puissance de 1'artillerie, et s'obstina, dans les plaines de Pavie, a perdre la bataille a la pointe de 1'epee. Cependant il ne faut pas oublier que, malgre ses fautes, il a ba- lance la puissance de Charles-Quint et maintenu 1'equilibre de 1'Europe que menacait 1'empereur. La creation d'une marine, la protection accordee au com- merce et a 1'industrie, enfin Teclat des lettres et des arts sous Francois Ier ont encore contribue a effacer les fautes et a faire eclater la gloire de ce regne.
CHAPITRE IX.
Sommaire.
Suite du regne de Francois Ier. — De la marine francaise a cette epoque ; fondation du Havre ; flottes equipees par Fran- c.ois Ier; expeditions maritimes des Francais; decouvertes sur les c6tes de 1'Amerique septentrionale. — Industrie et commerce encourages par Francois Ier ; protection accordee aux arts et aux lettres ; fondation du college des trois lan- gues, ou college tie France. — Persecutions contre les pro- testants. — Resume de ce regne : progres de 1'unite politi- que et civile ; influence personnelle du roi ; despotisme.
HENRI II (1547-1559). Reglement relatif au conseil d'Etat (1547). — Administration de la justice : institution despre- sidiaux (1551); leur juridiction ; parlement etabli a Rennes (1553); prevots des marechaux ; puissance supe>ieure attri- buee au grand conseil. — Administration financiere : le nom- bre des recettes generales ou general ites estporte a dix-sept; juridiction de la chambre des monnaies. — Armee; marine; expeditions maritimes. — Commerce et Industrie : fabriques de glaces de Venise introduites par le Bolonais Mutio. — Protection accordee aux lettres et aux arts. — Mesures fis- cales; misere et me'contentement a la fin du regne de Henri II. — Progres de la bourgeoisie.
Francois Iet fonda a 1'embouchure de la Seine un port, qui, de son nom, s'appela d'abord Ville Fran- $oise (Franciscopolis}; plus tard le nom populaire de Havre-de-Grdce a prevalu. Ainsi fut realisee la pensee de Louis XI, qui avail voulu menager un asile aux vaisseaux franc.ais sur les cotes de Norman-
464 MARINE SOUS FRANCOIS Ier.
die (1). Des 1524, on y construisit un vaisseau dont la grandeur excitait 1'admiration. II avait, d'a- pres le Journal (Tun bourgeois de Paris sous Fran- gois /er (2), « cinquarite toises de long, chateau devant et chateau derriere, et avait coute plus de cent mille ecus d'or. » Un ambassadeur venitien, qui visita la France en 1536, donne des details as- sez precis sur la marine franchise a cette epoque : « Des trente galeres, dit-il, que la France a en mer, vingt-six seulement sont en assez bon etat; les quatre autrespourraient etre reparees aisement. Elles sont servies par des formats. Chaque galere coute a sa majeste quatre cents ecus par mois : le roi donne les formats, les particuliers fournissent les batiments et pourvoient aux depenses. Dans le port du Havre- de-Grace en Normandie, on voit un grand vaisseau de soixante pieces d'artillerie, dont trente sont de dou- bles canons ou des couleuvrines ; puis il y a cinq galeres, vieilles ou neuves, d'une forme plus ramas- see que les notres, mais en revanche plus hautes et plus larges des deux ponts, dont chacun a son rang de rames. Les ponts de dessous out vingt-quatre pieds de longueur ; les ponts de dessus, trente-six ; mais les rames ne sont pas en grand noinbre; il y en a juste autant qu'il faut pour virer de bord, pour doubler un cap, et autres manoeuvres sernblables. Ces navires portent beaucoup de pieces d'artillerie. II faut compter en outre quatre grands galions. » Dix ans plus tard, Francois Ier reunit au Havre
(1) Voy. plus haul, p. 122.
(2) Journ. d'un bourg. de Paris sous Franc., J'r., p. 149.
MARINE SOUS FRANCOIS I*. 165
une flotte composee, si Ton en croit Martin du Bel- lay (1), de cent cinquante gros vaisseaux ronds, de vingt-cinq galeres et de soixante petits batiments. Les galeres de la Mediterranee faisaient respecter le pavilion frangais sur les cotes d'ltalie et d'Espagne. Elles etaient servies par des formats, et, quand on manquait de rameurs, on faisait la presse de tous les vagabonds que Ton embarquait de force. C'est ce qu'atteste le Journal dun bourgeois de Paris (2) : « En 1'an 1526, ledimanche 28 Janvier, furentman- des a I'Hotel-de-Ville de Paris, par les prevots et echevins d'icelle et de par la cour [de parlement], tous les archers, arbaletriers et deux marguilliers de cbaque paroisse de la ville et des faubourgs, pour prendre tous les mauvais garcons et gens mal re- nommes, pour les mener dedans les galeres par force enferres. » L'auteur raconte ensuite que Ton ferma les portes de la ville, et que pendant douze jours on arreta les vagabonds que Ton dirigea vers Marseille pour servir sur les galeres (3). Un grand nombre d'ordonnances prouvent que le roi s'occupait avec zele de la marine ; elles reglerentla juridiction mari- time (4), 1'institution des gardes-cotes qui veillaient a la defense du littoral, le partage des prises, ainsi que les droits de Tamiral et de ses lieutenants (5). Les marins francos n'avaient pas attendu Timpul-
(1) Mdmoires de Martin du Be Hay, 6dit. Petitot, t. II, p. 564.
(2) Journal d'un bourgeois de Paris sous le regne de Fran- cois 7er, p. 272.
(3) Ibid., p. 273.
(4) Relations des ambassad. venit., L I, p. 95.
(5) Anc. lois franf., XII, 137 et 854.
I. 12
466 DtiCOUVERTES MARITIMES.
sion royale pour rivaliser avec les Espagnols et les Portugais. Les Normands pretendaient meme avoir devance ces peuples sur les cotes d'Afrique et d'A- merique. C'etait, selon eux (1), au capitaine dieppois, Cousin, et a son compagnon Vincent Pinion que de- vait revenir 1'honneur de la decouverte du Nouveau- Monde. Sans entrer dans ces discussions, on ne peut nier 1'ardeur et les succes des marins normands au xvie siecle, de Gonneville qui, en 1503, doubla le cap de Bonne-Esperance et parvint aux Indes orien- tales presque aussitot que les Portugais, de Jean De- nis, de Thomas Ango, qui, en 1504 et 1508, abor- derent a Terre-Neuve (2). Mais ce fut, surtout, & 1'epoque de Francois I" que les expeditions mari- times prirent un grand developpement. En 1529, les deux freres, Jean et Raoul Parmentier, allerent a Sumatra sur les navires la Pensee et le Sacre. Le journal de leur expedition, publie par M. Estancelin dans son bistoire des expeditions maritimes des Nor- mands, constate qu'il y avait dans 1'equipage un Frangais, nomme Jean Masson, a qui 1'usage de la langue malais etait familier (3).
Francois Ier encouragea ces expeditions maritimes. Par ses ordreset ases frais, le Florentin J. Verazzano parcourut la cote orientale de I'Amerique du Nord, depuis Terre-Neuve jusqu'a la Virginie (4). Jacques
(1) On trouvera ces opinions developpees, avec les preuves plus ou moins authentiques, dans les Expeditions maritimes des Nor- mands, par M. Estancelin, et I'Histoire de Dieppe, par M. Vitet.
(2) Vitet, ibid., II, 146.
(3) Idem, ibid., p. 73 et suiv.
(A) Voy. sur ces toQUYertes maritimes un ouvrage
INDUSTRIE ET COMMERCE. 467
Cartier remonta le fleuve Saint-Laurent et reconnut les cotes du Canada (1534-1535) (1). Peude temps apres, une nouvelle expedition mit a la voile sous les ordres de Jean de la Roque, sieur de Roberval, que Francois Ier avait nomm6 vice-roi du Canada. II ex- plora la partieseptentrionalede cette contreede 1541 a 1544.
L'essor de la marine francaise et les relations qu'elle entretint avec les contrees lointaines donne- rent une vive impulsion au commerce et a Findus- trie ; ici encore Francois I" seconda 1'elan national par de sages mesures. II appela en France des ou- vriers italiens habiles a travailler la soie (2), et im- prima une grande activite aux fabriques de soieries etablies a Tours. En 1546, 1'ambassadeur venitien, Marino Cavalli, y comptait huitmille metiers (3). Les plantations de muriers se multipliaient; on luttait contre le climat pour 1'education du ver a soie. « On tachait de reussir a force d'industrie, » dit Marino Cavalli (4). Pour encourager la fabrication indigene, Francois Ior frappa de droits considerables Tentree des draps Grangers (5). Les etoffes d'or et d'argent, que la France tirait de 1'Italie et dont le luxe de- venait ruineux, furent probibees (6). En meme temps,
Discours sommaire du commerce et de la navigation , par Tho- mas Lefevre, sieur du Grand-Hamel, p. 198.
(1) Idem, Ibid., p. 199.
(2) Relations des ambassad. venit., [ , 259. — De Thou , Hist, de son temps, liv. CXXIX, ch. 13.
(3) Relat. des ambas. venit., I, 259. (/i) Ibidem.
(5) Anciennes lois fran$.9 XII, 552.
(6) Journal d'un bourgeois de Paris sous Francois 7", p. 50- 53, et p. 455.
468 INDUSTRIE ET COMMERCE.
le roi encourageait les exportations des produits de 1'industrie et de 1'agriculture franchise. On exportait chaque ann6e des vins de France pour plus de quatre millions de monnaie du temps (1). Les laines com- munes et le sel etaient aussi 1'objet d'un commerce avantageux (2). L'abolition des peages illicites etablis depuis plus de cent ans sur les bords de la Loire (3), fut encore une mesure favorable au commerce. L'u- niformite d'aunage fut etablie (4), malheureusement pour peu de temps. Les corporations industrielles conserverent leur monopole; mais ce ne fut pas sans peine, et une des plus importantes, la corporation des boulangers de Paris, fut meme un instant suppri- mee en 1524 (5); il est vrai qu'elle obtint bientot d'etre retablie, moyennant finance. Le roi se borna a saisir 1'argent de la confrerie des boulangers. II en usa de meme a 1'egard des autres corporations en 1533, et il exigea qu'on lui payat pour les lettres de maitrise dix livres au lieu de trente sous parisis (6). II faut se rappeler, en parlant de 1'industrie sous le regne de Francois, que les progres du luxe et li- mitation de 1'Italie contribuerent puissamment au developpement du gout. On admire encore aujour- d'hui 1'elegance des costumes et la recherche inge- nieuse des ameublements de cette epoque.
(1) Relations des ambassad. vdnit., I, 253.
(2) Ibidem, p. 255.
(3) Anc. Lois frang., XII, p. Zj3. (k) Ibidem, p. 640.
(5) Journal d'un bourgeois de Paris sous Francois /", p. 192 et 193.
(6) Ibid., p.
PROTECTION ACCORDEE AUX ARTS ET AUX LETTRES. 169
Comment oublier en parlant de Francois I" la protection qu'il a accordee aux lettres et aux arts et qui lui a valu le glorieux nom de pere des lettres! Les artistes appeles d'ltalie, Leonard de Vinci, le Rosso, le Primatice, Andre del Sarto , Benvenuto Cellini , et leurs disciples francais , Pierre Lescot, Jean Cousin, Jean Gougeon, Germain Pilon, Phili- bert de Lorme, eleverent et ornerent les palais du Louvre, de Chambord, de Madrid, de Villers-Cote- rets, de Folembrai, ainsi que la galerie de Fontaine- bleau. Franc. ois Ier eut voulu attirer a sa cour Mi- chel-Ange, Erasme et Melancthon. II ne negligea rien pour donner aux lettres un brillant essor ; il pro- digua ses faveurs a Clement Marot et a Mellin de Saint-Gelais. II mit, par la fondation du college des trois langues ou college de France, le haut enseigne- ment au niveau des progres accomplis depuisle com- mencement du xvie siecle. L'universite de Paris etait, a cette epoque, en pleine decadence ; elle n'ensei- gnait ni grec, ni hebreu, et son latin ne ressemblait en rien a la langue de Ciceron et de Yirgile. Des 1518, Francois I" avait forme le projet de fonder un etablissement oil Ton fit des cours de grec, d'hebreu et d'eloquence latine. Les lettres de Guillaume Bude prouvent que le roi s'entretenait souvent de ce projet avec 1'eveque de Paris, Etienne Poncher, et avec son confesseur, Guillaume Petit. Enfin, en 1529, il fonda le college royal ou college des trois langues, ainsi nomme parce qu'on y enseignait le latin, le grec et Thebreu. Francois Ier ne tarda pas ajouter a ces trois chaires des cours de medecine, de mathema-
470 FONDATION DU COLLEGE DE FRANCE.
tiques et de philosophic grecque et latine. Cette der- niere chaire fut confiee en 1543 au celebre Ramus ou Pierre de la Ramee. Uuniversite voulut vainement, au nom de ses privileges, resister a la fondation du college royal; elle cut contre elle 1'opinion publique, dont Marot se fit Tinterprete. II disait au roi en par- lant de la Sorbonne :
« Bien ignorante elle est d'estre ennemie De la trilingue et docte Academic
Qu'as erigee
O povres gens de savoir tout cliques ! Bien faites vray ce proverb e courant : Science n'ha haineux que 1'ignorant. »
Guillaume Bude et Pierre du Chatel furent charges d'acheter en Italic de precieux manuscrits pour la bibliotheque du roi (1). line imprimerie royale, des- tinee specialement a la reproduction des ouvrages grecs, fut etablie en 1539 (2). Enfm, parmi les cau- ses qui favoriserent les progres des lettres et des arts, on doit tenir compte de 1'influencede cette cour spirituelle , ou le roi et sa soeur, Marguerite d'A- lengon, cultivaient la poesie avec une ingenieuse elegance.
Cependant ii manqua aux lettres, sous ce regne, la liberte dont elles avaient si largement us6 et peut-
(1) De Thou, liv. I; ch. 6 ; Sleidan, liv. XIK, aux annSes 15ZiO et 15Zi7. Une mission semblable fut donnee a Lemasson (Latomus).
(2) Les lettres-patentes du 17 Janvier 1538 (1539) ont et6 impri- m6es dans Touvrage de M. Crapelet, intitule : Des progres de rim- primer ie en France et en Italic au XV P siecle.
PERSECUTION DBS PROTESTANTS. <71
etre abuse a 1'epoque de Louis XII. Des 1515, il fut severement defendu de jouer, dans les colleges de Paris, aucune farce contre 1'honneur du roi et de ceux qui 1'entouraient (1). Les infractions etaient ri- goureusement punies ; un pretre, pour avoir represente une piece satirique, fut cruellement battu, et peu s'en fallut qu'il ne fut jete a la Seine (2). En 1513, trois baladins , pour avoir represente une farce sur la mere Sotte, qui, disaient-ils , gouvernait tout en cour, furent arretes , lies et conduits , les fers aux pieds et aux mains, a Amboise ou etait ie roi (3). La liberte de conscience n'etait pas mieux respectee sous ce regne. La publication recente du Journal d'un bourgeois de Paris, de 1515 a 1536, atteste combien fut cruelle la persecution dirigee contre les protestants. II fallut que le pape Paul III intervint en leur faveur. II representa au roi que Dieu avait plus use de misericorde que de rigoureuse justice, et il le pria de moderer sa fureur en faisant grace et pardon (4). Ce fut en 1535 que le pape s'interposa entre le roi et ses sujets heretiques. La persecution fut, en effet, suspendue pendant quelque temps, mais elle recommence vers la fin du regne ; et les massa- cres de Cabrieres et de Merindol signalerent triste- ment les dernieres annees de Francois Ier (5) .
Malgre ces tacbes de sang , le regne de Fran- cois Ier est un de ceux qui ont donne 1'impulsion la
(1) Manuscrits de la Bibl. iinpe"r., collect. Du Puy, n° 83.
(2) Journal d'un bourgeois de Paris sous Francois Jer, p. ill.
(3) Ibib., p. M.
(4) Ibid., p. 658.
(5) De Thou, Hist, de son temps, liv. VI.
172 PROGRES DE L' UNITE MONARCHIQUE.
plus vigoureuse a radministration monarchique et le plus hate le triomphe de 1'unite francaise. Ce roi- chevalier continua, sous une autre forme, I'oeuvre de Louis XI. La noblesse, seduite par la generosite et 1' eclat de son caractere , supporta, d'un roi qu'elle aimait, des attaques qui, dans d'autres temps, avaient provoque une guerre civile. Le droit de chasse fut li- mite (1). Les justices seigneuriales de Paris furent reunies au domaine de la couronne, parce qu'une pareille diversite, disait 1'ordonnance (2), « ne pou- vait produire en im corps politique que tout desor- dre et confusion, contentions, questions, debats, im- punite d'homicides, etc. » Le roi assujettit a la taille les biens roturiers tenus par des gentilshommes (3). II declara que leurs proces criminels, au lieu de res- sortir exclusivement a la grand'chambre clu parle- ment de Paris, seraient juges, comme les autres, a la Tournelle (4). II defendit aux nobles de placer des gardes dans les proprietes qu'entouraient les do- maines du roi (5). Enfm il leur interdit, sous peine de mort, de prendre les armes sans permission spe- ciale (6). Ce n'etait pas la une vaine menace. On voit, en effet, dans le Journal d'un bourgeois de Paris sous Francois /er (7j, qu'un gentilhomme eut la tete
(1) Anc. lois franc., XII, 49.
(2) Ibid. , 665.
(3) Ibid., XH, 671. — Une ordonnance du 26 mars 1543 (Ibid., p. 875) soumit a la laille les nobles et ecclesiasliques du Langue- doc.
(fylbid., p. 681.
(5) Ibid., p. 892.
(6) Ibid., p. 910.
(7) /owrnaf, etc., p. 159-160.
INFLUENCE PERSONNELLE DE FRANgOlS ler. 173
tranchee devant 1'Hotel-de-Ville de Paris, parce qu'au moment ou les Anglais envahissaient la Picardie il avail leve des troupes sans 1'aveu du roi. II suffit de rappeler de pareils faits pour constater le progres ac- compli sous ce regne vers 1'egalite civile et 1' unite administrative.
On ne saurait ornettre, en parlant de Frangois Icr, 1'influence personnelle du roi, cette chaleur d'ame, cette vivacite toute frangaise qui en faisait le type le plus vrai et le plus energique du genie natio- nal. Frangois Ier enlevait les cceurs par sa magnani- mite. La Rochelle s'etant revoltee contre 1'augmen- tation de la gabelle, lorsqu'il eut reduit cette ville a 1'obeissance, il dit aux bourgeois qu'il serait pleine- ment dans son droit s'il les punissait dans leurs corps et dans leurs biens, mais qu'il ne demandait rien que les coeurs de ses sujets; leur chatiment se- rait dans le souvenir de leur mauvaise conduite , qui etait d'autant plus criminelle qu'au moment de leur sedition il etait occupe a la defense du royaume : « Je veux que vous sonniez vos cloches, s'ecria-t-il ; car vous etes pardonnes. » II leur rendit les clefs de leurs portes et 1'artillerie de leurs murailles (1).
Les etrangers etaient frappes,comme les Frangais, de la superiorite de ce prince. Void le portrait que 1'ambassadeur venitien , Marino Cavalli , tracait de Frangois Ior, un an avant sa mort, en 1546 : « Le roi, disait-il, est maintenant age de cinquante-quatre ans; son aspect est tout-a-fait royal, en sorte que ,
(1) L. Ranke, Histoire de France , prindpalement pendant le le XVII* siecle, 1, 122.
474 CARACTERE DE FRANQOIS Iep.
sans avoir jamais vu sa figure ni son portrait, ale regarder seulement, on dirait aussitot : Cest leroi. Tous ses mouvements sont si nobles et si majestueux que nul prince ne saurait 1'egaler (1 ) . Son temperament est robuste, malgre les fatigues excessives qu'il a tou- jours endurees et qu'il endure encore dans tant d 'ex- peditions et de voyages. II y a bien peu d'hommes qui eussent supporte de si grandes adversites. , . .
II aime la recherche dans son habillement,
qui est galonne et chamarre, riche en pierreries et en ornements precieux ; ses pourpoints memes sont bien travailles et tissus en or ; sa chemise est tres-fine, et elle sort par 1'ouverture du pourpoint, selon la mode de France... Ce prince est d'un jugement tres-sain, d'une erudition tres-etendue ; il n'est chose, ni etude, ni art , sur lequel il ne puisse raisonner tres-perti- nemment, et qu'il ne juge d'une maniere aussi assu- ree que ceux-la memes qui y sont specialement adon- nes. Ses connaissances ne se bornent pas simple- ment a 1'art de la guerre, a la maniere d'approvision- ner une armee , de dresser un plan de bataille , de preparer les logements, de donner 1'assaut a une ville ou bien de la defendre, de diriger 1'artillerie ; il ne comprend pas seulement tout ce qui a trait a la guerre maritime, mais il est tres-experimente dans la chasse, dans la peinture, en litterature, dans les lan- gues, dans les differents exercices du corps qui peu- vent convenir a un bon chevalier. Sa Majeste par- ti) Relations des ambassad. venit., t. I, p. 279. — On ne peut accuser de flatlerie des documents qui e"taient destines a rester en- sevelis dans les archives de la puissance la plus defiante de TEurope.
PLA1NTES CONTRE LE DESPOTISME. 175
donne facilement les offenses ; elle se reconcilie de bon coeur avec ceux qu'elle a offenses ; elle est aussi prete a donner, quoique la necessite du temps ait un peu tempere cette envie de largesses. »
Cependant, vers la fin du regne de Frangois Icr, le despotisme commengait a paraitre bien pesant. En 4546, 1'ambassadeur venitien , Marino Cavalli, signa- lait les premiers symptomes d'opposition. « La chose est allee si loin, disait-il (1), que quelques-uns des Frangais qui voient un peu plus clair que les autres disent : « Nos rois s'appelaient jadis reges Franco- rum; a present on peut les appeler reges servorum. » iNeanmoins la plupart des Frangais etaient encore devoues au roi et disposes a lui donner « non-seule- ment leurs biens et leurs vies, mais meme leur hon- neur et leur ame (2). » Les finances etaient toujours a la disposition absolue du Souverain : « On paie au roi tout ce qu'il demande , puis tout ce qui reste est encore a sa merci (3). » La formule celebre, car tel est noire bon plaisir, adoptee par Frangois I01 dans ses ordonnances et lettres royaux, resume le carac- tere d'une autorite qui n'avait d'autre regie que son caprice.
Le successeur de Frangois Ier, Henri II (1547- 1559), exagera le mal et amoindrit le bien. Le mal tenait au systeme qui fut continue par le nouveau roi; le bien etait le resultat du caractere loyal, de Tame elevee, de 1'esprit ingenieux de Frangois Ier.
(1) Relations des ambassad. venit., I, 273.
(2) Ibid., p. 269.
(3) Ibid., p. 273.
176 HENRI ii (1547-1559).
Heritier de ses defauts, son fils ne le fut pas de ses qua- lites. Cependant 1'impulsion donnee se soutint quel- que temps, et Ton peut encore signaler quelques progres administratifs, sous le regne de Henri II. Un des premiers actes du nouveau souverain fut un re- glement pour le conseil d'Etat (3 avril 1547) (1). Ce conseil, institue par Philippe-le-Bel, avait subi plu- sieurs transformations. Charles VIII et Louis XII en avaient detache le grand conseil, dont nous avons vu 1'organisation et la competence. Quant au conseil d'Etat ou conseil prive du roi, il importait d'en de- terminer nettement les attributions. Henri II, apres avoir regie quels seraient les membres du conseil prive leur ordonna de se rennir tous les matins avec les secretaires d'Etat, pour trailer les matieres politi- ques et les questions de finance. Un second conseil se tenait 1'apres-diner pour rediger les depeches que les secretaires d'Etat devaient expedier dans les pro- vinces ou dans les pays etrangers (2). Quelques an- nees plus tard, les conseillers d'Etat obtinrent de sieger au parlement.
(1) Ce reglement se trouve dans un manuscrit de la Bibl. imper. , f. de Sorbonne, n° 1080, f° 8 et suiv. Gomme c'est une premiere organisation du conseil d'Etat, il m'a paru necessaire de le publier textuellement. On le trouvera a 1'appendice n° II.
(2) Ibid., f° 51. Le parlement de Paris en enregistrant cette or- donnance de Henri II declara « qu'il n'y avoit personne en cette compagnie qui portal envie a 1'honueur, a la faveur , dignite et au- torite qu'il plaisoit au seigneur roi donner a ceux de son conseil prive et qu'il sembloit estre raisonnable que ceux a qui ledit sei- gneur roi avoit tant fait de faveur et cUhonneur que de les appro- cher pres de sa personne et leur communiquer les principals et plus importantes affaires de son royaume eussent de telles preemi- pences et prerogatives par-dessus les autres. »
INSTITUTION DBS PRtiSIDIAUX. 177
L'6tablissement, en 1551, des tribunaux connus sous le nom de presidiaux a ete une des principales institutions de Henri II (1). Elle lui fut peut-etre in- spiree par une pensee fiscale. De Thou le pretend (2); mais ce qui est certain, c'est qu'elle tourna a 1'avan- tage general. Les parlements ne pouvaient suflire a la multitude des affaires, et les temoignages les plus irrecusables s'accordent pour reconnaitre que les proces etaient interminables (3). Etablis dans un petit nombre de villes, les parlements avaient un role politique autant que judiciaire ; ils formaient des tri- bunaux d'un ordre superieur, dont la mission etait surtout de juger les appels. II restait a organiser les juridictions inferieures, et a mettre un terme aux conflits perpetuels entre les justices seigneuriales, les vicomtes, bailliages et senechaussees. L'ancienne monarchic n'y reussit jamais completement, embar- rassee qu'elle etait par les entraves feodales; mais du moins 1'institution des presidiaux lui fit faire un pas dans cette voie. Leur organisation et leur com- petence furent reglees par plusieurs ordonnances.
Les trente-deux presidiaux etablis par Henri II devaient etre composes d'au moins sept jugcs, cha- cun ; ils avaient une juridiction civile et criminelle. Au civil, leurs sentences etaient sans appel pour les proces ou il ne s'agissait pas de plus de 250 livres de
(1) Anciennes lois franc., XII, 248. — De Thou, liv. VIII.
(2) « Venalium magistratuum jam tune grassante malo. » De Thou, Ibid.
(3) Ret. des ambassad. vdnit., t. It p. 263,
478 PARLBMENT DE RENNES (1553).
capital ou de 10 livres de rente (1). Si la somme ne depassait pas 300 livres de capital ou 20 livres de rente, la sentence du presidial s'executait provisoi- rement, sauf recours au parlement. Pour les affaires criminelles, le presidial jugeait sans appel les cas presidiaux et prevotaux. On les divisait en deux cate- gories d'apres la nature du crime et la qualite des personnes. Dans la premiere se plagaient les brigan- dages sur les voies publiques, les vols a main armee, les vols avec violence et effraction, les revoltes et rassemblements en armes, levees de troupes sans autorisation, crimes de fausse monnaie. La seconde categoric comprenait les attentats commis par des vagabonds ou par des soldats en marche (2). Les nouveaux tribunaux ne pouvaient juger presidiale- ment que lorsque tous les membres etaient reunis. Le nombre des presidiaux s'augmenta dans la suite, et s'eleva de trente-deux a cent. Les juridictions, dont cette institution restreignait la puissance, ne cesserent de susciter les obstacles; et il fallut de nouvelles ordonnances pour vaincre leur opposi- tion (3) ; mais enfin les presidiaux triompherent et occupererit jusqu'a la fin de Tancienne monarchic le second rang dans la hierarchic judiciaire.
La creation d'un parlement a Hennes (mars 1553) (4) porta a huit les parlements du royaume. « Ce furent, selon les expressions de Michel de Cas-
(1) C'est ce qu'on appelait le premier chef de Mdit. Voy. Jousse,
de la juridiction des presidiaux. Paris, 1755.
(2) Jousse, De la juridiction des presidiaux.
(3) Anc. lois franc., XIII, 277, 359, 398, 492, etc.
(4) Ibid., XIII, p. 361 et suiv.
JURIDICTION PRfiVOTALE. 479
telnau (1), comme huit fortes colonnes, sur lesquelles fut appuye*e la monarchie franchise. » Le xvne siecle ajouta quatre nouveaux parlements (Pan, Metz, Douai, Besangon), et le xvme siecle, celui de Nancy.
La juridiction prevotale, creee par Francois Icr, en 1536, et regularised par un edit du 3 octobre 1544, tut de nouveau confirmee par Henri II et chargee de poursuivre et de punir les vols sur les grandes routes, les sacrileges, les crimes de fausse monnaie , etc. La marechaussee fut organisee a cette epoque et a ete chargee jusqu'a la fin du xviii6 siecle du maintien de la police. La confusion des pouvoirs judiciaire et militaire fut un des plus facheux inconvenients de la justice prevotale (2). Le duel celebre de Jarnac et de la Chateigneraie pre- sente un des derniers exemples de la barbare tra- dition du moyen-age qui remettait la decision des proces au jugement de Dieu.
Pour prononcer sur la competence des divers tri- bunaux il fallait une autorite superieure. Henri II 1'attribua au grand conseil et ordonna d'executer les arrets de cette cour dans tout le royaume (3) . Mais ce fut une occasion de conflits perpetuels entre ce tribu- nal et les parlements qui se pretendaient cours souve- raines; la lutte dura jusqu'a la fin de Taneienne mo- narchie. L'administration financiere etablie par Fran- ^oisP'fut confirmee par Henri II. II ordonna, comme ce prince, que les recettes fussent centralists par le
(1) Mdm. de Michel de Castelnau, liv. I, ch. A.
(2) Anc. lois fran$.3 XIII, p. 1/iA et suiv. (3) Ibid., F. XIII, p. A59.
480 COUR DES MONNAIES.
tresorier de 1'epargne (1). II ajouta une dix-septieme recette generate aux seize creees par Francois Ier. Paris, Chalons, Amiens, Rouen, Caen, Bourges, Tours, Poitiers, Riom, Agen, Toulouse, Montpellier, Lyon, Nantes, Dijon, Aix et Grenoble furent les sieges des generalites (2) . La chambre des monnaies devint cour souveraine, avec juridiction sur toutes les mon- naies du royaume; elle fut chargee de poursuivre les delits commis par les maitres, prevots et officiers des monnaies. Tous ceux qui travaillaient les matieres d'or et d'argent, ressortirent aussi a ce tribunal, mais seulement en ce qui concernait 1'execution des ouvra- ges, ou Ton employait Tor et 1'argent (3). De cette epoque date 1'usage de graver sur les monnaies le millesime et le nom du souverain (4).
Quelques ordonnances de Henri II sur la disci- pline militaire prouvent surtout 1'existence des abus qu'elles se proposent de reprimer (5). Un syndic fut etabli dans chaque bailliage pourrecevoir les plaintes du peuple contre les gens de guerre (6). La marine fut moins encouragee que sous le regne precedent. Cependant un reglement du 15 mars 1548 ordonna de veiller a 1'entretien des galeres (7). L'on cite quel- ques expeditions maritimes entreprises sous le regne de Henri II : en 1555, Nicolas Durand de Villega-
(1) Anc. lois franc., XIII, 2.
(2) Ibid., 236.
(3) Ibid., 269.
(6) Art de verifier les dates.
(5) Anc. lois franc., XIII, 10 et 119.
(6) J6zU,p. 303.
(7) Ibid., p. 70.
EXPEDITIONS MARITIMES. 4 81
gnon, vice-amiral de Bretagne, partit du Havre avec deux vaisseaux et fut bientot suivi par son neveu Bois-le-Comte , qui quitta Honfleur avec trois bati- ments monies surtout par des reformes. Us aborde- rent sur les cotes du Br&sil , a Rio-Janeiro (1) ; mais la coloniequ'ils avaientfondee futabandonn6eau bout dequelquesannees. Sous le regne de Henri II, les Ha- vrais enleverent, en 1555, plus de trente navires a la marine desPays-Bas. En 1557, reunis aux Dieppois et £ d'autresNormands, ilsprirentauxEspagnols des cargaisons qui valaient plus de 200,000 ecus (2). Mais , dans toutes ces circonstances, c'etait moins le gouvernement que la nation qui signalait son ar- deur. Les guerres de religion vinrent bientot sus- pendre entierement ces expeditions maritimes, et en- traverent pendant plus d'un siecle le developpement de la marine franchise.
L'etablissement a Lyon des fabriques de draps d'or et de soie (3), le secret de la verrerie venitienne de- robe a 1'Italie et introduit en France par le Bolonais Mutio (4), les plantations d'ormes le long des gran- des routes (5) , 1'exploitation des mines encouragee par plusieurs ordonnances (6), 1'etablissement de 1'u- niformite de poids et rnesures dans tout le royaume (7) ,
(1) Vitet, Hist, de Dieppe, t. II, p. 151.
(2) L. Guerin, Hist, maritime de la France, t. I, p. 181 et 225.
(3) Anc. Lois fran^., t. XIII, p. 37/i.
(4) Ibid., p. ISA.
(5) Ibid., p. 301.
(6) Ibid., p. 57, 236, 285, 400.
(7) Ibid.,\>. 513. — Anterieurement il avail, e"t6 ordonn6 (Ibid., p. 498) qu'une seule mesure dont 1'etalon resterait depos^ a l'H6- tel-de-Ville de Paris, servirait pour cette ville et la banlieue. Mal- heureusement ces ordonnances ne furent pas longlerops execulees,
L 13
482 COMMERCE ET INDUSTRIE,
tels furent les actes les plus importants de 1'admi- nistration de Henri II pour encourager les progres de 1'industrie, faciliter les communications et develop- per la richesse publique. Si Ton ajoute le perfection- nement de la langue francaise et le progres de la re- naissance litteraire (1), on avouera que le genie de Francois Ier nedescenditpas tout entier dans la tombe avec lui. Les artistes italiens et les disciples qu'ils avaient formes en France continuerent d'elever dans Fontainebleau un des palais les plus merveilleux de la Renaissance.
Mais, d'un autre cote, les vices du despotisme se montrerent dans toute leur horreur; la venalite des charges n'eut plus de frein. Henri rendit s6mestre le parlement de Paris pour avoir a vendre un plus grand nombre de charges (2). II crea une multitude d'offices la plupart inutiles (3), ajouta aux impotsqui ecrasaient le peuple la taxe des clochers (4), puis le taillon pour la solde de 1'armee ; il imposa aux villes des dons forces (5), fit des emprunts a un taux exor- bitant (6), et, malgre Tabus de ces ressources rui-
(1) Les Illustrations de la langue francaise, par Joachim du Bellay, et I' Art poe'lique, par Thorn. Sebilet, datent de ce regne.
(2) Anc. lois franc., t. XIII, 373.— De Thou, lib. XIII, voit surtout dans cette creation de juges une mesure fiscale : « Auctus est judicum numerus, pretio ab iis accepto ; qute prsecipua edicti causa fuit. »
(3) Anc. lois franc., t. XIII, p. 296, 333, All, MO, /M5, ^8, A56, A73, etc.
(Zi) « Un imp6t sur les clochers rend 13,000,000 d'^cus. » Relat. des ambassad.ve'nit., 1, 369 ; relation deJ. Capello (1554).— Voy. aussi Bodin, Republique, p. 654, edit. 1577.
(5) Anc. lois franc., t. XIII, p. 335.
(6) Bodin, Republique, p. 656 : « Depuis que le roy Henry eut
DETTE PUHLIQUE. 4 S3
Reuses, laissa une dette de plus de quarante-trois millions (1). Un luxe toujours croissant, des prodi- galites insensees, 1'avidite des courtisans et des mai- tresses expliquentce deficit. Le peuple se soulevadans quelques villes (2); ailleurs, il abandonna un pays qui ne lui presentait plus que misere (3). Partout on vit diminuer le profond sentiment d'affection et de res- pect dontla nation avait longtems entoure la royaute. A ces causes de troubles se joignirent les querelles reli- gieuses. La severite et meme la cruaute des edits de Chateaubriand (1551), de Paris et d'ficouen, ne ser- virent qu'a rendre le fanatisme plus ardent et a pre- parer les guerres qui ensanglanterent la fin du xvr siecle et entraverent les progres cfe 1'administra- lion monarchique.
Cependantil ne faut rien exagerer; la France, apres les guerres d'ltalie terminees en 1559, se trouva plus forte et plus civilisee; elle marcha d'un pas plus ra- pide a 1'egalite des droits. Nous avons ici le temoi- gnage positif des ambaesadeurs venitiens, dont le ju-
affaire d'argent, il emprunta a dix, a douze, a seize pour cent, commeilfit Tan MDLHII, des Caponis,des Albicis, etc. ; etl'usure se payoit aux quatre foires, ou Tint^rest de Vusure estoit converty en
sort et joint au capital L'interest de seize pour cent revenoit
pour le moins a dix-huit pour cent retenant Tint6rest qu'il ne pou- voit payer. »
(1) Bodin, ibidem, p. 5Zi6, 657, 658.
(2) Surtout a Bordeaux dont la revolte fut si cruellement repri- m^e par le conne"table de Montmorency.
(3) « Les paysans accabl^s de corve"es et charges d'imp6ts conti- tinuels dans plusieurs des principales provinces, telles que la Nor- mandie et la Picardie presque tout entieres, furent forces de quitter le pays , tant ils se trouvaient mise"rables. » Relat. des ambassad,
it., I, p. 409 ; relal, de J, Michel, 1561,
484 PROGRES BE LA BOURGEOISIE.
gement etait plus impartial et plus libre de prejuges que celai des Francais. L'un d'eux, qui sejourna en France apres la mort de Henri II, signale les progres du tiers-etat et principalement de la bourgeoisie. « Les trois Etats, dit Michel Suriano (1), servent le royaume a leur maniere. Celui du peuple a dans ses mains quatre offices importants : le premier est ce- lui du grand chancelier qui entre dans tous les con- seils , garde le sceau royal et sans Tassentiment du- quel aucune deliberation ne peut avoir lieu, ni au- cune decision etre mise a execution. Le second office est celui des secretaires d'EtatJesquels, chacun dans leur sphere, expedient les affaires, gardent les papiers, sont les depositaires des secrets les plus graves. Le troi- sieme office est celui des presidents, des conseillers, des juges, des avocats et de tous ceux a qui la justice civile et criminelle est confiee dans le royaume entier. Le quatrieme est celui des tresoriers, des percep- teurs, des receveurs-generaux , des receveurs parti- culiers qui administrent tous les revenus et toutes les depenses de la couronne. »
Ainsi le tiers-etat, qui ne constituait pas, comme on l'a pretendu , une classe fermee au peuple, mais qui ouvrait ses rangs a tous les hommes eminents par le merite et le travail, le tiers-etat avait fait de rapides progres. II dominait dans les parlernents et les offices de finances ; il siegeait meme dans les conseils du roi. Peu a peu la so- ciete se degageait des entraves feodales et aspirait a un etat meilleur que celui ou prevalait la force bru-
(1) Relat, des ambassad, v4nit,9 1, 487,
PROGRfeS DE LA BOURGEOISIE. 185
tale. Les nobles, occupes presque exclusivement de la guerre, perdaient en importance, tandis que les classes laborieuses s'elevaient chaque jour, prote- g6es par la royaute qui trouvait en elles des auxi- liaires devoues et habiles (1).
(1) On trouvera , aux Pieces justificatives 9 n° I, la biographie d'un de ces hommes qui s'eleverent par le travail et le me"rite aux plus hautes positions. Cette biograpbie ecrite par un fils m'a paru un curieux specimen ; elle montre un simple commis de finances parvenant aux premieres dignite's et fondant une famille qui a joue un role important aux xvne et xvme siecles, si^ge" dans les conseils des rois, administre avec integrite1 les finances et laisse un des noms les plus vene're's de la magistralure francaise.
CHAPITRE X.
Sommaire.
FRANCOIS II (1 559-1 560j. — Edit de Romorantin.
CHARLES IX ('1560-1574).— Role du chancellor de L'Hopilal.
— Ordonnance d'Orleans (1561) ; reforme ecclesiastique el reforme judiciaire. — Plaintes provoquees a cette epoque par la venalite des charges. — Efforts de L'Hopital pour re- medier aux ahus : suppression de la venalite des charges; mesures adoptees pour la bonne administration de la jus- lice; etablissement des juges-consuls. — Edit de Roussillon (1 564j ; le commencement de 1'annee civile est fixe* a Paques.
— Ordonnance de Moulins (1566) ; elle embrasse toutes les parlies de ['administration; reforme de la juslice : droit de remontrances limite ; mercuriales prescrites, chevauchees ou inspections imposees aux maitres des requetes ; condi-* tions d'age et de capache exigees pour les offices de judi- cature ; organisation des sieges presidiaux. — Des goiiver- neurs de provinces; separation des fonctions militaires et judiciaires. — Mesures pour la bonne police duroyaume. — Edit des meres. — Impuissance du chancelier de L'Hopital au milieu des factions; sa retraite (1568). — Etal deplora- ble de la France devaslee par la guerre civile. — Dilapida- tion des finances. — Decadence de la marine. — Construc- tion des Tuileries et de plusieurs autres palais.
Le regne si court de Francois II fut attriste par des troubles continuels; la domination des Guises enfanta des conjurations punies de cruels supplices. La plupart des ordonnances de cette epoque dictees par le besoin du moment eurent peu d'importance
LE CHANCELIER DE L*HOPITAL.
pour 1'administration. II faut cependant distinguer 1'edit de Romorantin qui empecha 1'introduction de 1'inquisition en France, en chargeant les eveques de poursuivre les crimes d'heresie (1). II fut redige par le chancelier de L'Hopital.
Pendant la minorite de Charles IX (1560-1564) et sous le regne du faible Henri HI, la nation irritee des malheurs publics et de 1'indolence du pouvoir reprit 1'initiative. Comme aux xive et xve siecles (1355, 1357, 1413, 1484), elle attaqua les abus de 1'administration monarchique tout en respectant le principe ; elle reclarna des reformes et indiqua des mesures utiles dont le pouvoir devait un jour profi- ter. Les Ihats-Generaux d'Orleans, en 1560, et ceux de Blois, en 1 576, preparerent les reformes. Heureu- sernent, il se trouva alors a la tete des conseils de la couronne un homme superieur a son siecle, d'une inflexible equite au milieu de 1'aveugle emportement des passions, d'une moderation et d'une tolerance admirables dans un temps de violence et de fana- tisme. Le chancelier de L'Hopital ne cessa, pendant huit annees, de combattre les factions et de tra- vailler a la reforme du royaume. « Get autre Caton le censeur, comme dit Brantome, savoit tres-bien corriger le monde corrompu. Avec sa grande barbe blanche, son visage pale, sa fagon grave, on eut dit a le voir que c'etoit un vrai portrait de Saint-Je- rome. »
II eut voulu reconcilier les Frangais prets a s'e-
(1) Anciennes lots franfaises, torn. XIV, pag. 31.
ORDONNANCE D 'ORLEANS (1564). 189
gorger pour des disputes theologiques : « Ie couteau vaut peu centre 1'esprit, disait-il aux Etats-Gene- raux d'Orleans, si ce n'est a perdre Tame ensemble avec le corps (1). » Persuade que le meilleur moyen de prevenir les troubles etait la reforme du clerge, il s'en occupa activement. La France n'avait point recu la partie disciplinaire du concile de Trente; elle avait meme proteste contre quelques-unes des decisions de cette assemblee (2). Elle voulut operer elle-meme la reforme du clerge, tel est le but des vingt-neuf pre- miers articles de 1'ordonnance d'Orleans (3).
Elle present la residence a tous les ecclesiasti- ques, sous peine de saisie de leur temporel, donne des coadjuteurs auxprelats infirmes, defend de por^ ter a Rome ni or ni argent, institue dans chaque eglise cathedrale un theologal dont les chanoines suivront 1'enseignement, reorganise les ecoles negli- gees par le clerge, soumet aux eveques tous les ab- bes et abbesses, defend aux prelats de recevoir les pretres errants, fait une loi de la gratuite pour Tad- ministration des sacrements , regie la question des biens ecclesiastiques, interdit les monitions hors le cas de scandale public, exige 1'age de vingt-cinq ans pour les enfants males et de vingt ans pour les filles avant de se Her par des voeux monastiques, enfm or- donne la reforme des couvents, et la saisie des bene- fices prives de desservant.
En reformant le clerge, 1'ordonnance d'Orleans
(1) OEuvres de L'Hopital, publics par M. Dufey, t I, p. 400.
(2) De Thou, liv. VIII; discours (TAmiot au concile.
(3) Anciennes iois franfaises, t. XIV, p. 63-98.
REFORME ECCLESIASTIQUE (1561).
protegeait 1'Eglise; elle ordonnait aux juges de pu- nir les blasphemateurs, de faire respecter la loi du dimanche, de s'opposer aux pronostications et autres abus condamnes par TEglise; mais, en meme temps, elle interdisait aux clercs de recevoir des testaments qui les instituassent legataires ; elle declarait leurs biens saisissables, moins les objets necessaires au culte, et leur defendait d'abattre les bois de haute futaie dans les domaines ecclesiastiques. Ces disposi- tions etaient utiles ; mais on y mela quelques mesu- res retrogrades, entre autres le retablissement des elections ecclesiastiques (1), prescrites par la Prag- matique-Sanction de Bourges, et abolies par le Con- oordat. C'etait affaiblir la royaute, qui par la colla- lation des benefices, avait acquis une influence con- siderable sur le clerge ; c'etait faire renaitre les brigues et les scandales si funestes al'autorite eccle- siastique. Cependant, en blamant cette mesure , on ne peut meconnaitre les abus qui 1'avaient provo- quee. Francois I" et ses successeurs avaient trop souvent profite du Concordat pour elever aux hon- neurs ecclesiastiques des sujets indignes.
« Francois Ier, dit Jean Correro (2), se mit a dis- tribuer les eveches sur la demande des dames, a don- ner les abbayes en recompense a des soldats, a pro- diguer ses faveurs a toutes sortes de personnes sans consulter leurs merites. Henri II, son successeur, n'agit pas avec plus de prudence. De cette maniere toutes les eglises de France tomberent en peu de
(1) Ordonn. d'OrleanSj art. 1".
(2) Relat. des ambass. vdnitiens, t. II, p. 129.
REFORMS JUDICIAIRE (1561). ^1
temps entre les mains de gens qui ne pensaient qu'a leur interet. Tout espoir fut perdu, pour les pretres bons et lettres, de recevoir une recompense de leurs travaux; r amour de 1'etude se relacha et Ton ne son- gea plus qu'aux commodites de la vie. Les nouveaux pasteurs placerent dans les cures des paroisses des hommes pour qui 1'habit clerical n'etait qu'une exemption d'autres occupations plus penibles, et qui, par leur avarice et par leur vie dissolue, troublerent la foi des peuples innocents, et attiedirent la piete fervente de 1'ancien temps. » Ces abus avaient rendu une reforme necessaire ; mais on eut le tort de reve- nir a des usages qui ne pouvaient que troubler 1'E- glise sans relever son autorite morale. Le clerge ne se resigna pas a cette reforme imposee par le pouvoir civil, et il parvint a eluder 1'ordonnance d'Orleans ; le colloque de Poissy ne reussit pas mieux et ne fit qu'attester le zele de L'Hopital pour la reconciliation de tous les Frangais.
La reforme judiciaire fut plus heureuse. La ma- gistrature avait pris une immense importance au xvie siecle , importance utile pour le tiers-etat , pour 1'egalite civile et pour Tamelioration des lois. Mais la venalite des charges, la fiscalite et la lenteur des tribunaux excitaient des murmures. L'Hopital le savait et ne dissimulait pas ces griefs. « II y a de grandes plaintes, disait-il au parlement de Rouen (1), et le roi est en voie de vous oter la con- naissance de beaucoup de causes a son regret. » Les ecrivains les plus graves du xvie siecle expri-
(1) CEuv. de L'Hopital, 6dit cit, t. II, p. 69.
PLAINfES CONTRfi LA
rnent avec beaucoup moins de management 1'iiidi- gnation excitee par les abus de I'administration judi- ciaire.
L'un d'eux, Francois Hotman, attaque sans me- nagement la magistrature : « Maintenant , dit-il , domine en France, une race d'hommes, que les uns appellent juristes, d'autres praticiens, d'autres enfm avocassiers. Telle a ete leur habilete, depuis trois cents ans , qu'ils se sont empares de 1'autorite des Etats-Generaux, et ont meme contraint les princes et la majeste royale d'obeir a leur puissance... Le con- seil supreme de ces praticiens, que Ton appelle sdnat revetu de la pourpre, a tant d'affaires et une si haute dignite, qu'on peut dire de lui, comme jadis du se- nat remain : ce n'est pas une assemblee de conseil- lers, mais de rois et de satrapes. » Parlant ensuite de la venalite des charges, Hotman la ravale par une comparaison ignoble. Le trafic des offices que Ton achetait a si haut prix et qu'on exploitait en detail est assimile au commerce des bouchers qui achetent un boeuf, le depecent et en vendent les mor- ceaux (1). Ces accusations, qui pourraient paraitre exagerees sous la plume d'un ecrivain aussi violent que 1'auteur du Franco-Gallia , sont confirmees par le politique Bodin et par le sceptique Montai- gne (2).
(1) « Sicuti lanii bovem opimum uno pretio emptum post in macello per partes venditant, ita magislratus uno pretio comparatur, cujus administratio singulis postea jus postulantibus divendatur.» Franco-Gallia, c. 21.
(2) Bodin, Republique, 6dit. de 1577, p. 545; Montaigne, Es- sais9 liv. II, ch. 5.
ABUS DES EVOCATIONS. 193
L'Hopital entreprit courageusement la reforme de ces abus. Les trois ordonnances d'Orleans (1561), de Roussillon (1563) et de Moulins (1566) embras- srrent toutes les parties de 1'administration de la justice et les ameliorerent. L'ordonnance d'Or- leans (1) fit disparaitre les abus les plus criants, supprima toutes les charges creees depuis le regne de Louis XII, interdit le cumul des fonctions, exclut d'une meme cour, les pere et fils, les freres, les on- cles et neveux, et reduisit les maitres des requetes a 1'ancien nombre. Le grand conseil etait devenu un tri- bunal exceptionnel ou les<&>0c0ftVwsappelaient les cau- ses de tous ceux que favorisait lepouvoir. « Peua peu, dit un contemporain, son autorite s'etait accrue par 1'e- vocation d'un grand nombre de proces ; les puissants qui voulaient ajourner la decision des affaires accou- raient a ce tribunal, et les membres du grand conseil revisaient les arrets qui avaient ete rendus, exemple funeste qui causait le plus grand prejudice a la France (2). » L'Hopital reduisit le grand conseil a ses anciennes attributions, et renvoya au conseil d'fitat ou conseil prive (3) , les conflits et proces en regle- ment de juges.
II fut ordonne que deux fois par semaine , les
(1) Ordonn. d'Orleans, art. 30-105.
(2) Le Ferron, qui a ecrit en latin 1'histoire de Louis XII et de Francois Ier, signale ainsi ces abus : « Horum potentia paulatim glis- cens eo erupit, pertractis avocatisque omnium controversiis, et ii qui judicia differre ob potentiamvolunt eo accurrentibus, recognoscenti- busque illis supremi ordinis placita resque judicatas, pessimo exem- plo, reipublicae ut gallicae magnam inde illatam calamitatem videa- mus. »
(3) Voy. sur ce conseil, p. 176.
494 R6FORME JUDICIAIRE (1561).
mardis et vendredis, on tiendrait conseil des parties pour prononcer sur les requetes en reglement de ju- ges et les conflits qui s'eleveraient entre les divers tribunaux (1). On renvoyait au jeudi les deliberations sur les matieres de finances.
La venalite des offices fut interdite, et les elec- tions retablies pour les parlements et les tribunaux inferieurs. Ces tribunaux devaient presenter trois candidats de concert avec les maires, echevins ou capitouls. Le roi choisissait entre ces candidats. Pour remedier a la lenteur des proces, L'Hopital ordonna d'appeler les causes a tour de role et par ordre d'in- scription ; il etait interdit aux juges de recevoir au- cun present. Les baillis et senechaux etaient tenus a residence ; ils devaient etre de robe courte ou d'e1- pde et parcouraient leur province quatre fois par an pour assurer 1'execution des sentences. Les sieges des prevots et vicomtes devaient etre supprirnes a la mort des titulaires, et la justice royale se concentrer dans les bailliages, senechaussees et sieges presidiaux ressortissant directement au parlement (2). Les jus- tices seigneuriales etaient maintenues mais avec des conditions qui en faisaient disparaitre les principaux abus. On exigeait que les officiers de ces justices sub- alternes subissent des examens devant le lieutenant du roi au presidial et que les seigneurs hauts-justi- ciers assurassent a ces fonctionnaires un traitement convenable (3). Lesprevotsdu connetable et des mare-
(1) Manuscritde la Bibl. imp6r., f. deSorbonne, n° 1080, foi 10-11.
(2) Ordonn. d'Orl^ans, art. 50.
rt. 55.
RtiFORME JUDICIAIRE (1561). 498
chaux ne devaient avoir qu'un seul office, suivre les armies, veiller a la surete* des paysans, maintenir partout une bonne police, « purger le pays de gens mal vivants, » et renvoyer devant les juges ordinaires les accuses qui ne ressortissaient pas a leur tribu- nal (1). L'Hopital descendait a tous les details de procedure et de police pour donner aux actes des notaires et des huissiers un caractere d'authenti- cite (2). II protegeait le vilain contre le noble, enjoi- gnait aux seigneurs d'entretenir les pouts et chaus- sees, de respecter les terres ensemencees que la chasse devastait trop souvent, leur interdisait le commerce et punissait les usurpations de titres (3). II creait pour les fils des gentilshommes une faole des pages et reservait aux nobles les charges de Hi 6- tel et les offices de commissaires des guerres (4) Les tailles, aides et autres impots devaient etre re*duits au memetaux que sous le regne de Louis XII (5). Une juste repartition et la diminution des offices de finan- ces allegeait le fardeau des impots. Pour simplifier les proces eteviter les appels a la cour des aides, les elusjugeaient en dernier ressort toutes les fois que la somme en litige n'excedait pas cent francs (6).
Le commerce obtenait aussi quelques garanties; le tableau des droits devait etre affiche dans chaque maison de peage, et il etait expressement defendu de
(1) Ordonn. d'Orteans., art. 66-71.
(2) Ibid., art. 72 et suiv.
(3) Ibid., art. 106-111. (Zi) Ibid., art. 112-115.
(5) Ibid., art. 120-137.
(6) Ibid., art. 137.
196 JUGES-CONSULS (1563).
le depasser. Enfin des dispositions relatives aux ban- queroutes, contrainte par corps, uniformite de poids et mesures (1), presentaient 1'ebauche d'un code de commerce. Bientot L'Hopital y ajouta 1'institution des juges-consuls. Une premiere ordonnance de novem- bre 1563etablit &v$ juges-consuls a Paris (2), et une seconde etendit cette institution a toutela France (3). Ce fut un grand bienfait pour le commerce, dont les questions litigieuses etaient jusqu'alors abandonnees aux ecbevins et a d'autres magistrals municipaux souvent peu capables de les resoudre.
L'edit de Roussillon (4) (9 aout 1564), fut un com- plement de 1'ordonnance d'Orleans. Details de pro- cedure, recusation, successions, envoi en possession, privileges du clerge, simplification des appels, regle- ment pour les conflits, responsabilite des hauts-justi- ciers pour le mal juge de leurs officiers, interdiction des proces par commissaires, gratuite de la jus- tice, injonction de rediger les ordonnances en fran- gais et de les dater du 1er Janvier, au lieu de faire commencer, comme par le passe, 1'annee civile a Pa- ques ; telles sont les principales dispositions de 1'edit de Roussillon.
Enfin, a Moulins, le chancelierqui venait de par- courir le royaume deja dechire par les guerres civi- les, mit la derniere main a ses grandes reformes le- gislatives. II avait reuni une nombreuse assemblee
(1) Ordonn. d'Orleans, art. 138-1Z|8.
(2) Anciennes Lois francaises, t XIV, p. 153,
(3) 7foU,pag. 179,
(4) Ibid., p. 173.
ORDONNANCE DE MOULINS (1566). 197
poilr s'cclairer des avis des jurisconsultes et des ma- gistrals les plus renommes, il resuma dans une or- donnance restee celebre toutes les discussions de ces notables et en fit une des bases de 1'ancien droit fran- c.ais (1566). L'ordonnance de Moulins traite de Tad- ministration de la justice, du gouvernement des pro- vinces, des finances, de 1'Eglise, des corporations industrielles et de la police generale du royaume (1). Le parlement de Paris s'etait empare du droit de remontrances a Toccasion de Fenregistrement. Les troubles du xve siecle avaient favorise cette usurpa- tion (2), qui devint presque un article fundamental de ce qu'on appelait la Constitution francaise. Get usage avait de grands avantages, puisqu'il permettait de moderer le pouvoir absolu et d'entraver le despo- tisme. L'Hopital conserva le droit de remontrances, mais avec ordre au parlement d'enregistrer les edits royaux lorsqu'il aurait soumis au roi ses observa- tions (3). L'ancienne coutume qui prescrivait aux magistrats de s'assembler frequemment pour enten- dre un discours sur leurs devoirs fut remise en vi- gueur. Ces assemblies avaient rec,u le nom de mercu- riales, parce qu'elles se reunissaient primitivement le mercredi. L'Hopital ordonna que les mercuriales eus- sent lieutous les trois mois, afin de rappeler aux ma- gistrats les edits royaux et de veiller a leur execution;
(1) Anc. iois frang., t. XIV, p. 189 et suiv.
(2) Les e"crivains de la fin du xvimc siecle proclament le droit du parlement. Voy. M6m. de Mich, de Castelnau, liv. I, ch. 4, et Atem. de Nevers,t.l,p. 449. D'apres ces derniers Me"moires, le droit du parlement fut consacre par les tftats de 1576.
(3) Ordonn. de Moulins, art, 2.
L 14
'198 NOMINATION DBS MAGISTRATS.
le proces-verbal de ces assemblies devait etre envoye an chancelier (1 ) . Les parlements avaient la surveil- lance des tribunaux inferieurs, et transmettaient au chancelier la note des ordonnances mal observees (2). De six mois en six mois une lecture publique des or- donnances les rappelait a la memoire des juges (3). Les maitres des requetes devaient parcourir le royaume, ou, comme on disait alors, faire leurs che- vauche'es pour s'assurer de 1'execution des lois (4). Le roi pouvait deleguer des membres des parlements pour tenir les grands jours (5).
L'ordonnapce d'Orleans avait defendu la venalit6 des charges et retabli les elections. L'ordonnance de Moulins exigea des garanties serieuses d'age et de ca- pacite : les candidats aux places de conseillers au par- lement devaient avoir au moins vingt-cinq ans, et subir un examen devant toute la cour reunie (6) . Us ne pouvaient etre nommes qu'avec Tapprobation des deux tiers au moins des membres presents (7).
Pour les tribunaux inferieurs, 1'examen etait fait par le parlement (8). En cas de resignation de fonc- tion (c'etait souvent une vente deguisee) , une en- quete devait constater la capaciU et la prud'hommie des pourvus et la nature de la resignation (9) .
(1) Ordonn. de Moulins, art. 3.
(2) Ibid., art. 4-5.
(3) Ibid., art. 6. (k] Ibid., art. 7.
(5) Ibid., art. 8.
(6) Ibid., art. 9. (7)J6irf.,art. 10. (8) Ibid., art. 11.
rt 12.
SltiGES PRtiSIOIAtJX. 499
Le nombre des sieges presidiaux etait re"duit ; ii ne devait y en avoir qu'un par bailliage, et le siege du pre"sidial etait fixe au chef-lieu. Six juges et le lieutenant du bailliage eomposaient le tribunal. S'il y avait un plus grand nombre de membres, la sup- pression avait lieu par extinction. En cas de nombre inferieur, on appelait a sieger dans le presidial con- serve les juges d'un presidial supprime. Le traite- ment des juges conserves devait s'augmenter par la reunion des appointernents des places supprimees. Competence des sieges presidiaux, necessite de se reunir, pour juger, aux lieutenants du bailliage, de- fense aux parlements de connaitre des affaires qui appartenaient en dernier ressort aux presidiaux, ad- ministration gratuite de la justice, interdiction du cumul par les juges et procureurs du roi, telles etaient les principales dispositions relatives aux sie- ges presidiaux, dont Torganisation n'avait pas ete jusqu'alorscompletement regularisee (1).
Quant aux gouverneurs de provinces, 1'ordonnance de Moulins leur interdit toute fonction judiciaire et determine nettement 1'etendue de leurs attributions. Us ne pourront accorder aucunes lettres de grace, de remission ou de pardon, ni autorisation de foires ou marches; il leur est defendu d'evoquer les causes pendantes devant les juges ordinaires. « Us doivent, dit 1'ordonnance, preter aide et secours de force mi- litaire a la justice pour Texecution des sentences et jugements des prevots, baillis et senechaux, et pour les arrets des parlements, tenir le pays a eux commis
(1) Ordonn. de Moulins, art. 13-20.
200 GOUVERNEURS DE PROVINCE.
en surete, le garder de pillerie, visitor les places fortes et avertir des entreprises qu'on pourroit faire en pays et terres de leurs gouvernements (1). » II leur etait absolument interdit de lever des impots ou d'en laisser lever par les communautes sans lettres patentes du roi, « attendu, disait 1'ordonnance (2), qu'a nous seul appartient de lever deniers en riotre royaume. »
Des mesures de police generate pour i'arrestation des accuses, la repression des delits, des emeutes et violences, la confiscation des chateaux-forts ou Ton tentait de resister a la justice royale, la suppression des hautes- justices , dans le cas ou les hauts-justiciers ne puniraient pas les revokes et attentats commis dans leurs domaines (3), remplissent une partie de Tordonriance de Moulins.
Viennent ensuite les details sur les huissiers armes de la verge de justice, sur Tinstruction des proces, les accusations criminelles des gens d'Eglise et no- bles, les poursuites contre les ecclesiastiques, qui, pour ddlit commun, seront traduits devant les tribu- naux ordinaires (4). La juridiction des prevots est maintenue, mais restreinte ; les presidiaux pronon- ceront sans appel sur tous les cas qui sont de leur competence (5).
L'amelioration du droit civil est un des principaux merites de Tordonnance de Moulins. Elle exige un
(1) Ordonn. de Moulins, art. 22.
(2) Ibid., art. 23.
(3) Ibid., 24-30.
(A) Ibid., art. 31-39. (5) Ibid., art.
DROIT crviL. 201
acte notarie ou sous seing-privdpow une creance de plus de cent livres; au-dessous de cette somme, la preuve testimonial suffit (1). Les donations entre- vifs doivent etre enregistrees au greffe du tribunal le plus voisin dans un delai de quatre mois, qui est etendu a six mois pour les absents (2). Les dettes contractees au jeu par des rnineurs ne sont pas va- lables (3) . La signature des presidents et greffiers est necessaire pour donner aux arrets des parlements un caractere authentique (4) Les evocations, qui en- levaient trop souvent les plaideurs a leurs juges na- turels, ne pourront avoir lieu qu'en vertu d'une or- donnance contre-signee par un des quatre secretaires d'Etat (5). Les parlements pourront faire desremon- trances,et la partie qui aura obtenu Revocation devra d'abord se constituer prisonniere.
Le privilege de committimus donnait droit de com- paraitre devant une juridiction speciale, tels que le grand conseil, les maitres des requetes, les maitres de I'hotel-du-roi, la grand'chambre du parlement, etc. Sans supprimer ces privileges, Tordonnance de Mou- lins en reprima les abus et determina ceux qui en jouiraient. Elle accorda le droit de committimus aux grands officiers de la couronne, aux membres du conseil prive, aux maitres des requetes, aux notaires et secretaires royaux, aux princes du sang royal, aux
(1) Ordonn. de Moulins, art. 54.
(2) Ibid., art. 58.
(3) Ibid., art. 59.
(4) Ibid., art. 63-69.
(5) Ibid. , art. 70.
202 ORDONISA>CE DE MOULINS (1566;.
officiers des cours souveraines, a douze des plus an- ciens proeureurs et avoeats au parlement cle Paris, a six des plus anciens membres des autres parlements, enfm aux eglises, chapitres et communautes reli- gieuses (1).
Les anciennes municipalites cumulaient des attri- butions judiciaires avec les fonetions administratives. Deja L'Hopital leur avail enleve la juridiction com- merciale. L'ordonnance de Moulins ne laissa aux maires, echevins, consuls, capitouls et autres offi- ciers municipaux qu'une simple juridietion de po- lice. Toutes les affaires civiles furent renvoyees aux juridictions ordinaires (2). Quant au tribunal de simple police, il se composa de bourgeois elus dans chaque quartier, siegeant une fois par semaine et jugeant sans appel, lorsque la somme en litige ne depassait pas soixante sous (3).
Le soin des hopitaux fut laisse a Fautorite muni- cipale (4). Uordonnance de Moulins maintint les corporations industrielles, mais avec quelques res- trictions. Les banquets qui degeneraient souvent en orgies, furent supprimes (5). Deja anterieure- ment L'Hdpital avait present la publication des re- glements de chaque metier (6).
La surveillance des eveques sur les clercsnommes
(1) Ordonn. de Moulins, art. 56.
(2) Ibid., art. 71.
(3) Ibid., art. 72. (k) I6irf.,art. 73.
(5) 1 bid., art. 74.
(6) Ordonn. d'Orleans, art. 98, 99.
ORDONNANCE DE AOULINS (1566). 203
aux benefices, la residence exigee pourtous les ecele- siastiques, sous peine de saisie de leur temporel (1), completerent la reforme du clerge, dont L'Hopital s'etait deja specialement occupe dans 1'ordonnance d'Orleans. Les libelles diffamatoires qui s'etaient mul- tiplies pendant cette epoque d'anarchie, furent se- verement interdits; on exigea la censure prealable pour 1'impression des ouvrages (2) .
II fut enjoint aux aubergistes de suspendre dans leur hotellerie un tableau du prix des vivres avec or- dre de s'y conformer. Toute infraction etait punie d'une amende de cinquante livres (3).
Sans doute les reformes prescrites par les ordon- nances de L'Hopital n'ont pas toutes ete executees ; mais il faut 1'imputer au triste etat de la France, et aux factions qui la decbiraient. Elles ne restent pas moins un titrede gloire pour leurauteur(i).D'ailleurs plusieurs des principes, poses par ce grand magis- trat, ont triompheet sont restes le fondementdu droit franc,ais jusqu'a la Revolution. La distinction plus marquee des fonctionsciviles, militaires et judiciaires; la creation des tribunaux de commerce; 1'organisa- tion des presidiaux ; les conditions pour 1'admission aux charges de judicature ont resiste a 1'epreuve du temps et a la violence des factions.
L'edit du 4 fevrier 1567 (5), peut etre considere
(1) Ordonn. de Moulins, art. 75, 76.
(2) Ibid., art. 77, 78.
(3) Ibid., art 82.
(/i) Voy. Teloge de L'Hopital par M. Villemain. (5) Get 6dit se trouve dans Fontanon, I, 805,
204 LOI SOMPTUAIRE (1567).
comme un complement des reformes de L'Hopi- tal. Le preambule retrace le « desordre et dere- glement advenus depuis dix ans et augmentant de jour en jour en toutes choses qui dependent du fait de la police, comme vivres, marchandises et au- tres semblables. » Pour prevenir les famines, 1'edit prohibait le transport des grains hors du royaume a moins de permission speciale , defendait, sous des peines severes, les accaparements, et reglait la qua- lite et le prix du pain. Des mesures analogues etaient adoptees pour le vin, le bois, le foin, la viande, la volaille et le gibier. On trouve dans cette ordonnance un tarif qui ne manque pas d'interet; le prix du plus gros chapon est fixe a sept sous, celui de la meil- leure poule, a cinq, et ainsi de suite. Les hoteliers et cabaretiers etaient soumis a la surveillance de la police ; ils ne pouvaient s'etablir qu'avec 1'autorisa- tion des juges des lieux, et devaient afficher a la porte de leur auberge le prix des denrees qu'ils mettaient en vente. II etait enjoint aux juges et officiers des sei- gneurs hauts-justiciers de visiter, au moins une fois par semaine, les hotelleries comprises dans leur ressort. L'ordonnance reglait les habillements, sui- vant la condition des personnes ; c'etait une veritable loi somptuaire qui fut aussi impuissante pour repri- mer le luxe que toutes les lois de cette nature. Les dispositions relatives aux jurandes et maitrises de- vaient etre remises en vigueur et executees avec plus d'exactitude. La condition des serviteurs, la police pour la proprete et la salubrite des villes, la nomi- nation et les attributions des officiers qui y seraient
EDIT DES MERES (1567). 205
preposes , etaient 1'objet de dispositions speciales.
On doit encore placer, au nombre des mesures le- gislatives de L'Hopital, Vtdit des meres rendu au inois de mai 1567; il defendit que les meres succe- dassent a leurs enfants, et ordonna que les biens des enfants provenus du pere, de 1'aieul, d'oncles collate- raux ou d'autres de quelque endroit que ce fut du cote paternel, retourneraient a qui de droit, sans que les meres pussent en avoir aucune part. La loi se bornait a leur assigner la jouissance, leur vie durant, de la moitie des biens appartenant en propre a leurs en- fants avant qu'ils fussent decedes (1).
La presence de L'Hopital dans le conseil fatiguait les ambitieux qui cherchaient dans la guerre civile un moyen de domination. II le savait et reconnaissait qu'il ne desarmait pas ceux que sa vieillesse ennuyait. « Je leur pardonnerais. ajoutait-il, d'etre si impa- tients, s'ils devaient gagner au change; mais, quand je regarde autour de moi, je suis bien tente de leur reponclre comme un bon vieil homme d'eveque qui portait, comme moi, une longue barbe blanche, et qui la montrant disait : quand cette neige sera fondue, U riy aura plus que de la boue (2). » Les ennemis de L'Hopital parvinrent a 1'eloigner du gouvernement en 1568, et avec lui sortirent du conseil toute jus- tice et toute moderation. La France fut en proie aux massacres et aux guerres civiles, qui rendaient Tad- ministration impossible. « L'agriculture, ditun con-
(1) Andennes loi franc., t. XIV, p. 221.
(2) filoge de L'Hopital par M. Villemain.
206 RETRAITE DE I/HOPITAL (4568).
temporain (1), I'agriculture qui est la chose la plus neeessaire pour maintenir tout le corps d'une repu- blique, et laquelle etoit auparavant mieux exereee en France qu'en aucun autre royaume, comme le jardin du monde le plus fertile, y etoit delaissee, et les villes et villages, en quantite inestimable, etant saccages, pilles et brules, s'en alloient en deserts, et les pauvres laboureurs chasses de leurs maisons, spolles de meubles et betail, pris a ranc,on, et voles aujourd'hui des uns, demain des autres, de quelque religion ou faction qu'ils fussent, s'enfuyoient comme betes sauvages, abandonnant tout ce qu'ils avoient pour ne demeurer a la misericorde de ceux qui etoient sans merci. Et, pour le regard du trafic, qui est fort en ce royaume, il y etoit aussi delaisse ; car les marchands et artisans quittoient leurs boutiques et leurs metiers pour prendre la cuirasse. La noblesse etoit divisee et 1'etat ecclesiastique opprime, n'y ayant aucun qui fut assure de son bien et de sa vie. Et quant a la justice, qui est le fondement des royau- mes et republiques et de toute la societe humaine, elle ne pouvoit etre administree, vu que, oil il est (juestion de la force et violence, il ne faut plus faire etat du magistrat ni des lois. Enfm, la guerre civile etoit une source inepuisable de toutes mecbancetes, la-reins, voleries, meurtres, incestes, adulteres, par- ricides et autres vices enormes que Ton peut imagi- ner, esquels il n'y avoit ni bride, ni punition aucune. Et le pis etoit qu'en cette guerre, les armes qu'on
(1) M6m. de Michel de Castelnau, liv. HI, ch. I.
ETAT DEPLORABLE DE LA FRANCE. 307
avoit prises pour la defense de la religion aneantis- soient toute religion, car les eglises etoient saccagees et demolies, les anciens monasteres detruits, lesreli- gieux chasses, les religieuses violees ; et ce qui a etc bati enquatre centsans etoit detruit en an jour, sans pardonner aux sepulcres desrois (1) et de nos pores. Voila les beaux fruits que produisoit cette guerre civile. »
Vainement quelques ordonnances furent rendues pour soulager la misere du royaume et secourir le paysan opprime par les gens de guerre. Yainement on defendit de saisir les bestiaux et outils du labou- rage, « afin de soulager, maintenir et eonserver les pauvres sujets, specialement cetix qui labourent la terre, habitant le plat pays, sujets au passage et aux injures des gens de guerre (2). » Cette ordonnance et celle qui accorde aux paysans une surseance de trois ans pour le paiement de leurs dettes (3) ne font qu'at- tester la misere des paysans, et le desir impuissant de les soulager.
Les finances etaient indignernent dilapidees, et, malgre les sages ordonnances de Francois Ier et de Henri II sur Fadministratiori financiere, cette partie du service public etait livree au desordre et au pil- lage. Catherine de Medieis, tout entiere aux intrigues diplomatiques, negligeait Tinterieur, on ne s'en oc- cupait que pour diviser; Charles IX ne prenait de la
(1) Allusion a la violation du tombeau de Louis XI par les Hu- guenots.
(2) Anciennes Lois francaises, t. XIV, p. 138.
(3) Ibid., p. 240.
208 DILAPIDATION DBS FINANCES (1572).
royaute que les pompes exterieures, les exercices violents ou les executions impitoyables (1). Les fi- nanciers n'avaient pas de peine avec un pareil prince a « obscurcir le metier et faire croire qu'ii faut etre ne dans le maniement des finances pour les savoir exercer (2). » On trouve dans la Republique de Bodin une preuve de ces dilapidations qui enricbissaient les financiers aux depens du roi et de 1'Etat : « je met- trai pour exemple, dit-il (3), 1'etat des finances qui fut dresse par estimation au mois de Janvier 1572, oil il se trouve qu'au cbapitre de recette, on coucha, pour un article des parties casuelles (4) , deux mil- lions, et, par Tetat fait au vrai a la fin de 1'annee, il se trouva qu'elles avoient monte a deux millions huit cent mille livres, et neanmoins il fut avere qu'il n'en etoit tourne au profit du roi que cinq cent mille li- vres. » Le roi lui-meme constatait dans ses edits des desordres qu'il etait impuissant a reprimer. « Nous avons connu, disait-il (5), grand desordre en Padmi- nistration de nos finances, et que plusieurs crimes, abus, fautes et malversations y sont commis, lesquels neanmoins demeurent impunis. »
La marine negligee depuis le commencement de
(1) « Le roi, dil 1'ambassadeur venitien Marc-Antoine Barbaro, aime surtout les armes, 1'exercice du cheval et la guerre. » Re- lat. des ambassad. venit.y II, A3.
(2) Mem. de Tavannes , 6dit. Petitol, Ire serie, t. XXV, p. 32.
(3) Bodin, Republique, liv. VI, p. 662. e"dit. de 1577.
(4) On appelait parties casuelles Targent qui provenait des of- fices vacants par la mort des titulaires, des droits perfus par le tremor a chaque resignation et enfin de Timpot nomm6 paulelle, que payaient chaque ann^e les titulaires des offices.
(b)Anc. lois franc., XIV, 221.
DECADENCE DE LA MARINE SOUS CHARLES IX. 209
ce regne (1), fut entitlement abandonnee au milieu de 1'anarchie des guerres de religion. L'amiral de Coligny, qui avait encourage les expeditions mariti- mes des reformes et songe peut-etre a leur menager line nouvelle patrie, comme firent les puritains an- glais au siecle suivant, Tamiral fut detourne par d'autres soins de cet interet national. La colonie que le Dieppois J. Ribaut avait fondee a la Floride (1561) fut detruite, en 1564, par les Espagnols qui pendi- rent les colons, « non comme Francois, mais comme heretiques (2). » Le gascon Dominique de Gourgues tira vengeance de cette cruaute des Espagnols, en les faisant pendre, « non comme Espagnols, mais comme assassins. » Quant a la marine militaire creee avec tant de peine par Francois Ier, elle tomba dans une decadence dont elle ne s'est relevee qu'au siecle suivant. L'ambassadeur venitien, Marc-An- toine Barbaro, atteste cette ruine de la marine fran- Qaise, et dit que, sur les cotes de Provence ou Fran- cois Ier entretenait ordinairement vingt galeres , on n'en comptait plus que huit (3).
Un des principaux actes administratifs de la fin du regne de Charles IX fut un nouveau regle- ment pour le conseil d'Etat (1570) ; il avait pour but de determiner avec precision la nature des affaires qui devaient etre traitees dans ce conseil (4) et les jours
(1) Relat. de Michel Suriano (1561), dans le recueil des Relations des ambassad. vdnit., t. I, p. Zi91.
(2) Lud. Vitet, Hist, de Dieppe, II, p. 151-156.
(3) Relations des ambassadeurs vdnitiens, t. II, p. 17.
(b) Manuscrit de la Biblioth. impe'r., f. de Sorbonne, n° 1080, f" 12-13.
CONSTRUCTION DES TU1LERIES.
de reunion ; mais la multitude des ordonnances rela- tives a ce conseil ne sert qu'a prouver, comme le re- marque Fauteur anonyme (1) , que ces reglements etaient tres-mal observes.
La fondation du palais des Tuileries commencee en 1364, la construction du Louvre auquel travaillait Jean Goujon quand il fut assassine (1372), les chateaux de Saint-Maure, Mousseaux, Chenonceau eleves par Catherine de Medicis, la collection de manuscrks recherches par ses ordres dans divers pays et deposes a la Bibliotheque royale (2), le projet d'academie redige par Ronsardet approuve par Char- les IX (1371), les plaisirs memes de la cour ou les jeux de Fesprit se melaient a la pompe des fetes (3), tout atteste que les arts et les lettres ne furent pas abandonnes par cette cour plus italienne que fran- caise. Malheureusement on ne pouvait attendre une impulsion elevee d'un pouvoir si profondernent cor- rompu. La licence des moeurs, le mepris de toute pensee genereuse, une politique machiavelique s'ar- mant du poison et du stylet, degraderent les carac- teres. Le mot de Voltaire s'applique avec justesse a la cour de Catherine et de ses fils, c'est une robe de soie tachee de sang et de boue.
(1) Manuscrit cite, f° 21.
(2) Palrna Cayet, Chronol. novenn., collect. Petitot, t. XXXIX de la Jre se>ie, p. 30 et 31.
(3) Voy. la descript. d'une de ces fetes dans les Me"moires de Mich, de Castelnau, liv. V, ch. 6.
CHAPITRE XI.
Sommaire.
HENRI III (1575-1589). — Faiblesse, prodigalites et misere de ce prince. — Le chancelier de Birague. — Anarchie dans le royaume. — Ordonnance de Blois (1 579). — Reforme du clerge ; conditions d'age et de capacite imposees pour par- venir aux dignites ecclesiastiques ; institution d'un theolo- gal dans chaque eglise cathedrale ; la juridiction ecclesias- tique est soumise au controle des parlements ; administra- tion des hopitaux; surveillance exercee par 1'Etat sur les Universites ; articles relatifs a ^administration de la justice ; reduction du nombre des offices ; les juges-consuls sont maintenus malgre les reclamations des Etats; defenses d'u- surper les litres de noblesse ; nombre des gouverneurs re- duit a douze ; les fonctions judiciaires leur sont interdites ; organisation de 1'armee; police de la cour ; les domaines alienes sont repris ; mesures pour 1'entretien des grandes routes, pour 1'election des officiers municipaux et la police des auberges. — L'ordonnance de Blois est violee par Henri III ; venalite des charges; licence des armees; mesu- res fiscales et dilapidation des deniers publics. — Reforme de quelques coutumes. — Creation des bureaux de finan- ces. — Institution de 1'ordre du Saint-Esprit. — Pensions pour les invalides. — Le monopole des corporations est mo- difie. — Reglement relatif aux secretaires d'Etat. — Conseil d'Etat. — Progres de 1'opinion publique sous ce regne.
A line epoque ou la France aurait eu besoin d'un gouvernement energique pour comprimerla violence des factions, on vit sur le trone un monarque effe- mine, vendant les offices avec plus descandale qu'au- cun de ses predecesseurs (1); prodiguant 1'argenten
(1) Anciennes Lois franc., t. XIV, p. 326, 343, 344, 348, etc.
HENRI in (1575-1589).
depenses frivoles ou honteuses (1), et manquant de ressources pour les affaires les plus importantes (2) ; livrant des millions a ses favoris et ne pouvant payer ses allies (3) ; negligeant 1'administration, ou rendant des ordonnances qu'il est impuissant a faire execu- ter; d'une politique versatile; obeissant au parti qui 1'intimide ou le flatte; esclave des factions qu'il au- rait du domirier,en un mot, roi meprisable servi par d'indignes ministres.
Ala tete de la justice, et sur le siege de L'Hopital on voyait 1'Italien Birague, « liberal, voluptueux, homme du temps, serviteur absolu des volontes du roi, ayant souvent dit qu'il n'etait pas chancelier du royaume, mais du roi (4). » Le portrait qu'a trace de ce chancelier un temoin impartial, 1'ambassadeur venitien, Jerome Lippomano, ri'est guere plus favora- ble (5). II accuse Birague d'ignorance et d'avarice. Les qualites memes qu'il lui attribue, bonnes pour
(1) Les noces de Joyeuse couterent plus de 6,000,000 de mon- naie moderne. L'fitoile, journal de Henri HI, p. 225, e"dit. Pe- titot,
(2) « Hoc est cur semper indigeat, semper pauper sit rex, et nulli bene merilo gratia referatur, neque honor habeatur, dum is- tis cumulantur opes, etc. » Lettres de 1'ambassadeur Biisbeck, lettre du 11 mai 1583.
(3) L'fitoile, journal de Henri III, p. 225, meme Edition : « Les ambassadeurs suisses [e"toient] venus pour demander 1'argent qu'on leur devoit. Quand on leur r^pondit que le roi n'avoit pas d'argent, [ils] dirent qu'il n'etoit pas possible que le roi n'eut ses coffres pleins, puisque, depuis quatre ou cinq mois, aux noces du due de Joyeuse, simple gentilhomme, avant qu'il Petit honor6 du litre de mignon de Sa Majeste", il avoit en festins, en mascarades, tournois, de'pense' douze cent mille 6cus et plus, etc. »
(U) L'titoile, journal de Henri III, p. 258.
(5) Relations des ambassadeurs venitiens, t, II, p. 255.
LE CHANCELIER DE B1RA.GUE, 213
un homme de guerre, degeneraient en vices chez un magistral.
« J 'arrive au grand chancelier; c'est, comme vous savez , le president Birague, gentilhomme milanais,expatrie depuis longtemps,age desoixante- cinq ans, goutteux, mais robuste, fort entendu dans les affaires d'Etat, voulant tout savoir et ayant partout des gens a lui et des espions. Ce qu'il connait le mieux c'est la guerre, dans laquelle il est plus verse que dans les exercices des docteurs. C'est pourquoi on le fit gouverneur de Lyon et du Lyon- nais; il s'y coriduisit de maniere qu'apres son retour a la cour, protege et cheri par le roi et par la reine, il put succeder a M. de L'Hopital dans la charge de grand-chancelier. C'est la premiere charge du royaume. Si auparavanton le hai'ssait comme Italien, maintenanton 1'abhorre comme chancelier et comme lie a la reine, 1'envie se joignant a la haine. On me- nace meme d'attenter a sa vie. Mais lui, qui est tres- courageux, et que la protection du roi et de la reine enhardit encore, il ne craintpas les menaces. Au sur- plus, une bonne garde 1'environne : sa maison est pleine de ses parents et de ses neveux, tous bons sol- dats. On lui reproche d'etre avare ; on dit qu'il ferait tout pour son interet, rien par pure courtoisie. Ce qui pis est, on dit qu'il connait peu les devoirs de sa charge. Comme tous les arrets de grace et de justice passent par ses mains et sous son sceau, il empeche souvent ce qu'il devrait autoriser ou autorise ce qu'il devrait empecher, parce qu'il est etranger a la pro- fession de juge ou de docteur ; il ne sait quand il L 15
ANARCH1E EN FRANCE.
faut ajouter ou oter une clause a tel ou tel acte; il ne voit pas pourquoi il est mieux de s'exprimer plutot de telle maniere que de telle autre ; puis il est tres- lent, voulant exp^dier tout seul les affaires (1). »
Pendant que le pouvoir central s'enervait et s'avi-
lissait dans de pareilles mains, les provinces et les
municipalites reprenaient leur ancienne indepen-
dance, et menacaient 1'unite nationale, conquete la-
borieuse de tant de siecles. La Ligue annoncait, dans
son manifeste, 1'intention de remettre les provinces
en Vestat et liberty's qu'elles avaient du temps deClo-
vis. Les gouverneurs organisaient une nouvelle feo-
dalite et profltaient de la decadence du pouvoir pour
se faire de leurs provinces des souverainetesindepen-
dantes (2). Aux ordres de la royaute, des capitaines
repondaient audacieusement qu'en temps de guerre
tout le monde est compagnon (3). Les parlements
(1) Les Me"moires inedits d'Andre" d'Ormesson (f° 160), donnent quelques indications conrtes et precises sur le chancelier de Bira- gue : « Rene de Birague, JVIilanois, president de Turin, fut fait garde des sceaux, lorsque M. de Morvilliers les rendit (1570). Le chan- celier de L'FIospital estant de"cede en sa maison de Belesbat, le 3 mars 1573, il [Birague] fut faict chancelier de France ; mais estant age", il remit en Tan 1577 les sceaux, qui furent bailie's a messire Philippe Hurault de Ghiverni, et Rene de Birague fut fait cardinal sans be"- neTice; il achetale terre d'Amboise et fit bastir 1'hostel de Saint- Pol, pres I'e'glise de Sainte-Catherine, ou il fut enterre" solennelle- ment en l'anne"e \ 583 en habit de penitent blanc, le roy Henri III as- sistant a son enterrement avec tons les penitents. Il disoit de luy- mesine : qu'il estoit cardinal sans litre, prestre sans benefice, courtisan sans faveur, docteur sans science, chancelier sans sceaux. »
(2) L'titoile, journal de Henri 111, 12/1-125. — « Praefecturae » nullis terminis defmiri , sed vita3 aBquales esse solent, » dit Bus- beck, lettre du 20 mai 1584.
(3) Voyez, dans Brantome, la re*ponse de Montbrun, chef des pro- testants du Dauphine".
ORDONNANCB DR BLOIS (4579). 21")
eux-memes etablis pour representer la puissance royale et la faire respecter, les parlements lui manquaient souvent de respect et d'obeissance. A. Toulouse, le parlement avait fait executer un gentil- homme envoye par le roi pour signifier a cette cour un edit de pacification (1).
Dans ces circonstances critiques, la nation tout aveuglee qu'elle etait par les passions politiques et reli- gieuses, semontra superieure au gouvernement. Reu- nie aux Etats-Generaux de Blois (1 576-1 577) , elle fit entendre d'energiques remontrances contre les abus de 1'administration ; 1'ordonnance de Blois en 363 articles (2) fut le resultatdes reclamations des Etats ; elle se proposa de porter remede aux abus et de donner a 1'opinion publique une satisfaction trop souvent illusoire. Cette ordonnance traite du clerge, de 1'instruction publique, de I'administration de la justice, des differents offices, de la noblesse et des gens de guerre, des finances et de la police gene- rale du royaume ; c'est un complement, et souvent une reproduction des ordonnances de L'Hopital ; nous nous bornerons a signaler les points principaux qui indiquent 1'etat de 1'administration monarchique, les abus a reformer et lesvelleites d'amelioration.
Une assemblee laique entreprit, comme a Orleans, la reforme du clerge, et le pouvoir civil regla la dis- cipline ecclesiastique. On renon^a aux elections que L'Hopital avait vainement tente de retablir; mais on
(1) Voltaire, Hist, du parlement, 6dit. d'Amsterdan, 1769, t T, p. illi.
(2) Anciennes lois franc.., t. XIV, p. 380 et suiv;:ntes,
REFORME DU CLERGE.
entoura de garanties la nomination aux sieges epis- copaux. L'age de vingt-sept ans etait exige pour la promotion aux dignites episcopates et abbatiales; la doctrine du candidat devait etre constatee par un examen que lui feraient subir un archeveque et un eveque assistes de deux docteurs en theologie (1). La qualite de Francais etait exigee (2). On s'effor^ait par ces mesures de mettre un terme aux abus scanda- leux quiavaient eu lieu sous Francois ler (3), sans reve- nir comme 1'avait d'abord tente L'Hopital a des usa- ges suranneset feconds en desordres. La residence des eveques, 1'administration des biens ecclesiastiques, les visites pastorales, 1'entretien des seminaires et des prebendes theologales, la rigueur de la cloture mona- cale, Tage pour la profession de la vie religieuse, la pu- nition des blasphemateurs, astrologues et devins, 1'ob- servation des fetes et dimanches ; la prohibition des manages clandestins, tels furent les principaux arti- cles de la reforme religieuse (4). L'ordonnance de Blois maintenait la juridiction ecclesiastique en la soumettantaucontrole desparlements (5) et n'oubliait ni les dimes, ni les conseils de fabrique pour chaque eglise.
L'ordonnance de Blois s'occupa aussi de 1'admi- nistration des hopitaux. Des le xive siecle, le concile de Vienne (1 31 1 ) avait demande que la direction
(1) Anciennes lois frangaises, art. 1 et 2 de Tordoimance de Blois.
(2) Ibid., art. l\.
• (3) Voy. plus haut, p. 190-191. (4) Ibid., art. 1—45 et!90— 191. (6) Md., art 45, 56, 57, 58, 59, 60, 64*
ADMINISTRATION DES HOPITAUX.
des hopitaux fut confiee a des lai'ques, gens de bien, capables et solvables, qui devaient preter serment d'administrer comme tuteurs des pauvres, faire in- ventaire des biens des hopitaux et rendre compte de leur gestion devant un bureau preside par 1'eve- que. Les rois de France, et specialement Fran- cois Ieret Henri II, adopterent ces principes et deci- derent que les administrateurs des hopitaux ne se- raient ni ecclesiastiques, ni nobles, ni officiers (titu- laires d'offices de judicature ou de finances), mais des marchands,de simples bourgeois, c'est-a-dire de bons peres de famille, de sages economes, instruits des affaires. La nomination de ces administrateurs ap- partenait aux fondateurs, villes, seigneurs ou sim- ples particuliers. Si le fondateur n'etait point connu, on devait presumer que I'hopital etait de fondation royale, et, dans ce cas, il etait place sous la protec- tion du grand aumonier de France qui en nommait les administrateurs. Us restaient trois ans en charge et rendaient compte de leur gestion devant ceux qui les avaient nommes, et en presence de 1'eveque ou de son delegue, des delegues du roi et de la ville, sui- vant les usages des diverses localites. Malheureuse- ment les administrateurs n'etaient le plus souvent que des tuteurs honoraires qui abandonnaient le soin des hopitaux aux tresoriers, receveurs, eco- nomes, etc. Les ordonnances des rois de France et specialement les ordonnances de Moulins et de Blois s'efforcerent de mettre un terme a ces abus et d'as- surer la bonne administration de ces maisons des pauvres.
SURVEILLANCE DBS UNIVERSITES.
Jusqu'au x\T siecle, 1'instruction publique n'avait guere ete gouvernee que par la puissance ecclesiasti- que ; elle fut pour la premiere fois, en 1579, sou- mise a un reglement general qui la rattachait au pouvoir central. Inspection des universites par des commissaires , nature de 1'enseignement, discipline des colleges, elections et devoirs des recteurs, depot aux greffes judiciaires des titres des universites et colleges, lecture publique deux fois par an des sta- tuts de chaque college, collation des grades par les universites, temps d'etudes exige pour les obtenir, concours pour les chaires de droit, conditions pour 1'etude de la medecine (1) : tout est determine avec un soin minutieux par 1'ordonnance de Blois. Chaque universite conserve ses traditions et sa constitution ; mais elle sera desormais rattachee au pourvoir cen- tral par 1'inspection (2).
Pour 1'administration de la justice, 1'ordonnanee de Blois renouvelle la plupart des prescriptions de L'Hopital, et constatele peu de succes des reglements anterieurs. Elle interdit les evocations, les commis-
(1) Ordonnance de Blois, art. 67-88.
(2) Cette mesure etait d'autant plus necessaire qu'il y avail alors en France un grand nombre d'Universites fondles a diverses 6po- ques et dont Forganisalion 6tait aussi differente que Torigine. Apres Paris, Toulouse et Montpellier avaient eu des Universites au Ireizieme siecle ; Orleans, Angers et Cahors, au quatorzieme ; Aix, Poitiers, Caen, Valence, Nantes, Bourges, Dole (remplacee plus tard par Besancon), Bordeaux, au quinzieme; Angouleme et Reims, au seizieme. II y avait deja seize Universites, en 1577, sans parler de celles d'Orange et d'Avignon. Dans la suite, la reunion de nou- velles provinces fit creer de nouvelles Universites, et entre autres celles de Pau, Douai, Strasbourg, Perpignan, Metz et Nancy. On e"tablit une ecole de droit a Dijon, au xvme siecle.
REDUCTION DKS OFFICES. 219
sions extraordinaires, la venalite des charges; im- pose pour les elections des conditions d'age et de ca- pacite; present des mesures propres a assurer la bonne administration de la justice, les mercuriales, la tenue des grands jours, la surveillance des justi- ces seigneuriales, et le depot de leurs actes au greffe des justices royales (1).
La reduction des offices est un des points sur les- quels 1'ordonnance de Blois insiste avec le plus de soin. Elle determine le nombre des presidents et des conseillers qui pourront sieger dans chaque cour, dans les parlements, au grand conseil, dans les chambres des comptes de Paris, Bretagne, Dijon, Montpellier, Provence et Montferrand, dans la cour des monnaies et la chambre du Tresor (2). Elle re- duit le nombre des sieges presidiaux, comme 1'a- vaient demande les Etats-Generaux; mais elle main- tient avec raison,malgre les reclamations de 1'assem- blee de Blois, les tribunaux fesjuges-consuls, dans les principales villes du royaume. La suppression d'un grand nombre d'officiers de finances complete cette partie de 1'ordonnance (3) .
La noblesse, qui perdait chaque jour en puissance et en consideration, avait fait entendre de vives do- leances. L'ordonnance de Blois lui donna satisfaction sur quelques points. Elle defendit les usurpations des titres de noblesse, reserva aux gentilshommes
(1) Ordonn. de Blois, art. 89-209.
(2) lbid.y art. 210-234.
(3) lbid.,wL 235-255.
220 RfiFORMES ADMINISTRATIVE .
toutes les places dans la garde du roi, les offices du palais, les charges de baillis et senechaux (1). Ces magistrats pouvaient assister aux jugements rendus par les bailliages, mais sans voix deliberative (2) ; la distinction de la robe et de Tepee fut alors complete. Le cumul des charges de gouverneur et des grandes dignites de la couronne etait interdit. L'ordonnance reglait les fonctions des gouverneurs dont le nombre etait reduit a douze ; elle leur defendait 1'usurpation de la puissance judiciaire, la levee des impots, et renouvelait les prescriptions des edits d'Orleans et de Moulins pour proteger le peuple contre les abus du droit de pourvoierie, des peages illicites, des usur- pations feodales, du droit de chasse, etc (3).
La composition des compagnies d'hommes d'ar- mes, les conditions d'avancement, la discipline et la repression des brigandages des troupes furent 1'objet de dispositions minutieuses (4). II en fut de meme pour 1'infanterie, le paiement regulier de la solde, la constatation du nombre des soldats presents sous les drapeaux, le recrutement de 1'armee. La milice feo- dale de 1'arriere-ban etait maintenue et devait etre conduite par les baillis et senechaux (5).
La police de la cour etait confiee aux maitres d'ho- tel, qui avaient charge d'expulser les vagabonds et solliciteurs a la suite de la cour, et de maintenir
(1) Ordonn. de Blois, art. 256-263. (2)7faW.,art. 266. | (3) Ibid., art. 267-285. (U) Ibid., art. 286-302. (5) Ibid., art. 303-320.
RfiFORMES ADMINISTRATIVES. 22
1'ordre pour les logements et la discipline dans 1'escorte royale (1).
Le domaine avait ete diminue par des alienations scandaleuses; elles furent revoquees, ainsi que les pensions (2). Les officiers des maisons royales etaient soumis a la taille afin de soulager le pauvre peuple qui supportait seul le fardeau des impots (3). La meme pensee inspira les dispositions generates sur les aides et les monnaies (4).
On trouve des details precis sur les dons qui doi- vent etre revises par la chambre des comptes (5), sur 1'entretien des routes, ponts et chaussees, pour lequel les Etats avaient affecte des fonds speciaux (6). Les grandes routes seront bordees d'arbres (7). La liberte des elections sera pleine et entiere pour les juran- des (8), etpour les charges municipals (9). Enfm les auberges et? tavernes furent soumises a une sur- veillance que reclamait la surete publique.
Cette ordonnance bien observee aurait ameliore toutes les branches de radministration, malheureu- sement le regne de Henri III fut une violation per- petuelle des lois que lui avaient imposees les Etats. Us avaient voulu interdire la venalite des charges : une annee s'est a peine ecoulee qu'elle est reta-
(1) Ordonn. de Blois, art. 321-328.
(2) Ibid., art. 329-3AO.
(3) Ibid., art. 3A1, 3/i2, 343. (k) Ibid., art. 344-350.
(5) Jtod., art. 354.
(6) Ibid., art. 355. (7; Ibid., art. 356.
(8) Ibid., art. 359.
(9) Ibid., art 263,
222 VIOLATION DE I/ORDONNANCE DE BL01S.
blie (1) et exercee avec plus d'impudence que ja- mais (2) . Le tarif des charges est publie : « En ce moment, dit 1'Etoile (annee 1584) (3), les conseille- ries du parlement se vendoient 7,000 ecus; celles du Chatelet, 4,000; lesmaitrisesdes requetes et cel- les des comptes, 9,000 et 10,000 ecus. »
L'ordonnance de Blois avait present des mesures energiques pour reprimer la licence des troupes. Ja- mais elle ne fut plus effrenee que sous Henri III. « Les soldats en etaient venus a un tel degre d'insolence, dit 1'ambassadeur venitien Jerome Lippomano (4), qu'ils pretendaient pouvoir vivre de pillage. » L'E- toile confirme cette assertion : « Les troupes chargees de defendre la France laissoient partout des vestiges d'armees plus que barbares (5). » Plus d'unefoisles paysans furent obliges de repousser, les armes a la main, ces bandes de pillards (6).
Que dire des finances? Les £tats prescrivaient Te- conomie, le soulagement du peuple, une comptabilite reguliere. Le roi multipliait les taxes (7) , s'empa- rait des deniers destines au paiement des rentes de
(1) Anciennes lois franc., t. XIV, p. 284; juin 1580.
C2J Ibid., t. XIV, p. 485, 489, 493, 505, 514, 520, 538, 604, 609 , 610. — Creation d'offices de maitres visiteurs et vendeurs de vin, foin, charbon, poisson, etc.
(3) Journal de Henri III, e"dit. Petitot, p. 280.
(4) Relations des ambas. venit., t. II, p. 380.
(5) Journal de Henri III, p. 292 et 293.
(6) Ibidem.
(7.) Ibid., p. 133 et246. « En ce temps le roiaflam6 d'argent, fit une insolite exaction ; car, sur tous les marchands de vin en gros & Paris, il fit une taxe, sur Tun de mil e"cus, sur 1'autre de huit cents, etc. »
DILAPIDATION DBS FINANCES.
rHotel-de-Ville (1), alteraitles monnaies (2), suspen- dait la cour des aides qui refusait Tenregistrement d'un edit fiscal (3) , taxait arbitrairement les mar- Chang's (i) et, au milieu de ces indignes abus de la puissance, etait toujours pauvre, « toujours maitre indigent de serviteurs fort riches (5). » II institua une chambre ardente centre les financiers ; mais elle se borna a leur extorquer 240,000 ecus (6) ; moyennant ce sacrifice, ilsfurent a 1'abride la vengeance des lois. L'ambassadeur venitien , Jerome Lippomano , dont nous avons plusieurs ibis invoque le temoignage, resume avec verite la situation de la France (7) : « le desordre de 1'administration et les dilapidations continuelles ruinent tout-a-fait le royaume. Les am- bassadeurs ne sont pas paves ; la cour est toujours dans la gene ; la milice n'a nisolde ni fournitures, et elle s'en venge en pillant et volant les villages. »
L'Eglise ne presentait pas un spectacle moms affli- geant. La religion etait parodiee : le roi instituait des confreries et celebrait des processions licencieu- ses (8). Le clerge, que le pouvoir civil avaitessaye de renfermer dans 1'exercice de ses fonctions, se revolta engrandepartiecontre Tautorite legitime, transforma la chaire en tribune et eleva le cynisme du langage au
(1) L'fitoile, journal de Henri III, p. 134 et 329.
(2) Ibid., pag. 152 et 158. — Relat. des amb. venit., If, 345.
(3) L'fitoile, ibid., p. 189. ft) Ibid., page 246.
C5) Jer. Lippomano, Relations des ambass. venit., t. II, p. 611.
(6) I/Etoile, ibid.,]). 293.
(7) Relations des ambass. venit., ibid.
(8) L'Etoile, journal de Henri III, p, 392.
REFORME DE PLtSIfiURS COUTUMES
niveau de la violence des passions. II suffit de nom- mer les predicateurs de la Ligue pour reveiller 1'idee du fanatisme et de la grossierete travestissant et des- honorant la parole evangelique (1).
Cependant on peut signaler sous ce regne quelques mesures utiles. La publication des coutumes avait ete terminee sous le regne de Charles IX; mais plu- sieurs de ces codes, rediges au moyen-age, ap- pelaient une reforme. Elle eut lieu pour la coutume de Paris en 1580 (2), et bientot apres pour la coutu- me de Normandie (3). L'enregistrement (4) , la caisse des consignations (5), datent aussi de ce regne. L'ad- ministration fmanciere subit une reforme importante, a Paris et dans les provinces, par la creation des bu- reaux de finances. Charles IX avait rendu alternatifs (1 573) , puis triennaux (1 574) , les receveurs-generaux des finances etablis par Francois Ier et Henri II. C'etait un moyen de multiplier les offices de finances qui se vendaient a un prix tres-eleve. En 1577, Henri forma dans chaque generalite un bureau de finances compose de deux trdsoriers pour 1'administration du domaine, de deux receveurs-gdndraux pour les im- pots, ft un garde du tresor, d'un greffier et d'un huis- sier (6) . Les bureaux de finances furent charges de la
(1) Voy. I/titoile J0Mrw0/ de Henri III, aux ann^es 1588 et!589.
(2) L'fitoile, ibid., p. 196.
(3) Floquet, Histoire du parlem. de Normandie, t. TIT, p. 184- 205. — Dupin, discours pour la rentr6e de la cour de Cassation, 3 novembre 1845.
(4) Anciennes Lois francaises, t. XIV, p. 493.
(5) Ibid., p. 344.
(6J Voy. Encyclop^die m^thodique, Finances, t, II, p. 584 , a
BUREAUX DE FINANCES.
repartition de la taille, de la surveillance des em- ployes d'un rang inferieur et de la juridiction en matiered'impots (taille ettaillon) avec appel aux par- lements. Bordeaux, Caen, Chalons, Limoges, Lyon, Orleans, Paris, Poitiers, Reims, Rouen, Tours eurent des bureaux de finances des 1577. Henri III en crea un a Amiens en 1579 et a Moulins en 1587. D'au- tres furent etablis dans la suite a Soissons (1595), a Grenoble (1627), a Montauban (1635), a Alen- con (1636), et a la Rochelle (1694).
L'ordre du Saint-Esprit date aussi du regne de Henri III (1578) (1). Cette institution eut surtoutpour butde satisfaire le gout du faste et des pompes solen- nelles qui etait un des traits dominants du caractere de Henri III. II y excellait, et y faisait briller les qua- lites physiques et intellectuelles dont il etait doue, mais qu'il pervertit par la depravation de ses moeurs. D'autres institutions plus utiles signalerent encore ce regne ; Henri etablit des pensions de moines laiques pour les soldats invalides et leur ouvrit un asile dans les couvents (2). En 1581, il donna a 1'industrie une organisation plus liberale en decla- rant qu'un maitre regu a Paris pourrait exercer son metier dans toute la France ; c'etait presque affran- chir 1'industrie du monopole des corporations (3). On ne doit pas oublier quo, sous ce regne, les fonc-
V article Bureau des finances. — Denisart, Recueil des Lois et or- Uonnances, 6dit. Camus, t. IX, p. 255.
(1) Anciennes tois fran$aises, t. XIV, p. 350,
(2) Ibid., p. 599.
(3) JWtm. ^
SECRETAIRES D'ETAT (1589).
tions des secretaires d'Etat furent fixees avec plus de precision qu'aux epoques anterieures. Un reglement fait a Blois au mois de mai 1588 ordonnait aux qua- tre secretaires d'Etat de rendre compte chaque jour au roi des depeches qu'ils auraient rec,ues et d'ex- pedier les reponses conformement a ses instructions. L'un d'eux devait rediger le proces-verbal des con- seils ou se discutaient les affaires d'£tat. Enfm un nouveau reglement, en date du 1er Janvier 1589, de- cida qu'a 1'avenir les quatre secretaires d'£tat se partageraient 1'administration des affaires et forme- raient les departements suivants : 1° affaires etran- geres, auxquelles etait reunie la marine; 2° guerre; 3° maison du roi ; 4° interieur du royaume . Au mi- lieu du trouble et des guerres civiles, ce reglement ne put recevoir d'execution ; mais il atteste le progres des.idees et la necessite chaque jour mieux comprise de la specialite des services publics.
Henri III s'occupa aussi du conseil d'Etat dont ses predecesseurs avaient prepare rorganisation. L'ordonnance qu'il fit a ce sujet proclame que sos conseils d'Etat et prive sont les premiers lieux et compagnies de son royaume (1). C'est la premiere fois que le mot conseil d'Etat se trouve dans un document officiel ; jusqu'alors cette assemblee avait porte les noms de conseil du roi, grand conseil, ^troit conseil. Le reglement de Henri III se ressent de 1'esprit fri- vole et des gouts dominants dece prince; il s'occupe surtout de costume et d'etiquette ; il determine la
(1) Bibl. imp^r. f, de Sorbonne, manuscrit n° 1080,
CONSEIL D'ETAT. 22?
nature et la forme des vetements que devront por- ter les conseillers d'Etat de robe et d'epee Au lieu de s'arreter a ces details puerils, il est plus interessant de voir quelle etait alors la composition du conseil d'£tat. On la trouve dans les Memoires authographes et inedits d'Andre d'Ormesson (1). Le conseil d'fitat se composait en 1386, du cardinal de Vendome (Charles de Bourbon), du cardinal de Guise (Louis de Lorraine), des quatre marechaux de France, (Retz, Biron, d'Aumont et de Matignon), du chan- celier de France Hurault de Chiverny, de Teveque de Paris (Gondy), puis venaient La Chapelle-aux- Ursins, La Mothe-Fenelon, d'Espignac, archeveque de Lyon, Du Chastelier, Miron, premier medecin du roi, de Brion, Larchant, Clermont d'Entrague, com- te de Cerny, de Cornuson, de Poigny, d'O, Com- bault, de Beaune, archeveque de Bourges, Beaulieu- Ruze, Marcel, Faucon de Bis, Amyot, grand aumo- nier deFrance, de Rambouillet, d'Escars, Chenailles, de Thou, Bostaing, Chavigny, Lenoncour, Chateau- vieux, Schomberg, les eveques de Nantes, du Puy et de Langres, Maintenon-Bambouillet, de Bellievre, de Vibraye, Bochart-Champigny, Castelnau de Mau- vissiere, de Bieux, de Pons, de Villequier (2). Andre d'Ormesson ajoute : « L'on peut remarquer comme ledit conseil etoit presque tout compose d'ambassa- deurs, de grands seigneurs, de marechaux de Fran- ce, de gouverneurs de provinces, gens d'epee, de
(1) F° 13 recto.
(2J « Tous les noms de ces conseillers ont este" tir6s par moy, dit Andre" d'Ormessson, du registre de ladite annee 1586. »
TRAVAIL DE I/OPlNION PUBLIQUE.
cardinaux, de prelats, eveques et archeveques, et de peu de gens de robe longue (magistrats). Maintenant (1 644) ce sont toutes robes longues qui tiennent le conseil, aucun homme d'epee et fort peu d'eveques. » Le progres des institutions dans une epoque de troubles, etait du surtout au travail de 1'opinion publique qui eveilla les idees et prepara les reformes ulterieures. Comment oublier que cette epoque si fe- condeen agitations fut celle des jurisconsultes les plus eminents? Les Cujas, les de Thou, les de Harlay, Pithou, Guy Coquille, Barnabe Brisson, Hotman, Loysel et bien d'autres brillerent dans la seconde moitie du seizieme siecle et preparerent par leurs travaux la reforme des lois. D'autres ecrivains agi- taient, avec une science confuse ou avec un scepticis- me desolant, les questions les plus graves du gouver- nement et de I'adrninistration. Fromenteau donnait un exemple de statistique fmanciere dans son ou- vrage intitule le Secret des finances (1 ) . Montaigne devanc,ait son siecle en attaquant la torture (2). Bodin, dans son traite de la Republique, emettait des idees remarquables sur Tegale repartition des
(1) L'ouvrage de Fromenteau, public en 1581, expose avec de"- tails la situation fmanciere du royaume a cette epoque. On y trouve un resum6 effrayant des re"sultats des guerres civiles : « occis, 765,200; femmes et filles violees, 12,300; villes bruslees et rasees, 9 ; villages bruslez , 252 ; maisons bruslees, Zi256; maisons d^truites, 124,000. » &tat final, p. 378-379. Lors meme que ces Evaluations paraltraient exagerees ou hypoth^tiques, on ne pour- rait nier Teffroyable devastation de la France, que tous les e"cri- vains du temps se reunissent pour attester.
(2) « C'est une dangereuse invention que celle des gehennes , et semble que ce soit plustost un essay de patience que de
etc, » Montaigne, Essais, liv, II, ch, 5,
TRAVAIL DE IOPINION PCBLIQUE.
impots et sur la necessite d'un recensement pour en etablir 1'assiette. « Les charges, disait-il (1),clevroient etre reelles et non personnelles, afm que le riche et le pauvre, le noble et le roturier, le pretre et le la- boureur paient les charges des terres taillables. » II insistait aussi sur la tenue des registres de 1'etat ci- vil prescrite par 1'ordonnance de Villers-Coterets , mais executee avec peu de soin (2). « Quand il n'y au- roit, disait-il (3), que le bien de savoir 1'age de cha- cun, on retranche un million de proces et de diffe- rends, qui sont intentes pour les restitutions et ac- tes concernant la minorite ou majorite des person- nes. » Ainsi un travail, fecond pour Tavenir, agitait les questions les plus graves, en merne temps que les crises politiques et les redoutables epreuves d'une guerre de dix ans (1585-1595) fortifiaient les coeurs et trempaient energiquement les ames capables d'y resister. Ce fut a cette rude ecole que se formerent Henri IV et Sully qui reparerent les desastres de la France.
(1) Bodin, Mpublique, liv. VI, p. 651, 6dit. de 1577.
(2) Idem, ibid., p. 617 : « Les registres ne sont point gardes comme il fant. »
f3) Idem, ibidem.
16
CHAPITRE XIL
Sommaire.
HENRI IV (1589-1610). — Etat de la France a 1'avenement de Henri IV et apres sa conversion (1593) : Pretentious des gouverneurs de provinces ; insolence de la noblesse ; misere et maladies pestilentielles dans Paris. — Ministres de Henri IV ; Sully. — Retour aux principes d'ordre (1596-1598); edit de Nantes (1598) ; reforme de 1'Universite. — Reformes fi- nancieres entreprises et executees par Sully : Augmentation des recettes et diminution des depenses. — Chambres de justice, etablies en 1602 et 1604 pour poursuivre les financiers. — Reduction de 1'inter^t de 1'argeut du denier 10 au denier 16. — Revision des creances de 1'Etat 1604;. — Etablissement de la paulette ou droit annuel. — Asile euvert aux soldats estropies. — Reforme judiciaire.
Dans les premieres ann£es du regne de Henri IV (1589-1596), la France, comme a I'avenement de Charles VII, semblait sur le point de se dissoudre. Un parti puissant conspirait en faveur de 1'Espagne et voulait lui livrer la royaute. Les gouverneurs etaient rois dans leurs provinces (1). Les villes aspi- raient a I'independance commuriale et avaient « des desseins de divisions, de liberte, de mutinerie, de
(1) « Les gouverneurs de provinces sont tels aujourd'hui que le meilleur et le plus sage d'entre eux n'estime Hen plus £ lui que son gouvernement. » Palma Cayet, ChronoL novcnn., ann. 1591, Petitot, lre serie, torn. \\XIX, pag. 269.
232 fiTAT DE LA FRANCE (1589-1593).
republique (1). » Les finances etaient au pillage (2). Ce fut de cet abime de maux que la valeur et la poli- tique de Henri IV tirerent la France. II lui fallut conquerir et racheter son royaume (3). II dut beau- coup sans doute au bon sens populaire, a cet heureux instinct qui abandonne rarement le Frangais et 1'e- claire sur son veritable interet. Lorsque la conversion de Henri IV (1593) eut leve les derniers obstacles, la reaction devint manifeste, la majorite de la nation se rallia a un pouvoir reparateur et repoussa les fac- tieux. Le parti des politiques longtemps en minorite et expose aux outrages populaires, eut a son tour les sympathies nationales (4).
Mais c'etait peu d'avoir reconquis le royaume, etoufie la guerre civile, chasse 1'etranger ; le desordre etait partout, dans 1'administration, dans les moeurs, dans les esprits. Les gouverneurs de provinces, qu'il avait fallu menager et acheter, ne craignaient pas de reclamer 1'independance feodale (5) ; la dette etait enorme ; la magistrature oubliait ses devoirs, et les lois etaient foulees aux pieds. II est necessaire d'in- sister sur ce triste etat de la France pour montrer les obstacles que Henri IV, vainqueur de la Ligue, etit a
(1) Palma Cayet, Chronot. novenn., ann. 1591, 6clit. Petitot, lre s6rie, torn. XXXIX, pag. 269.
(2)J6iV/.,pag. 271.
(3) Cl. Groulard, Voyages en cour, chap. VII, donne le tarif des sommes payees aux gouverneurs pour racheter les provinces. — Voy. aussi Sully, Mdm., liv. X.
(A) Palma Gayet, Chron. novenn., ann, 1592, e"dit. Petitot, t. XLT, pag. 143 : « Un gentilhomme francois vestu a TEspagnol, fut battu en qualite d'Espagnol. » La satire Menippee contribua puissamment a ce changement dans 1'opinion publique.
(5) faonomit* royales de Sully, ch. LX,
PRETENTIONS DES GOUVERNEURS. 233
surmonteravant de reorganiser 1'administrationde la France. Sully, temoin de ces luttes, ou il eut un role important, ne laisse aucun doute sur les preten- tions des gouverneurs de provinces a reconstituer une nouvelle feodalite. « M. de Montpensier, dit-il (1), en suppliant le roi de prendre en bonne part ce qu'il lui proposeroit, lui dit que ce n'etoit pas chose qui n'eut autrefois ete pratiquee, et dont les rois ne se fussent bien prevalus, laquelle consistoit seulement a trouver bon queceux qui avoient desgouvernements par commission, les pussent posseder en propriete, en les reconnoissant de la couronne par simple hom- mage-lige. » Ainsi les gouverneurs n'eussent plus ete que les grands vassaux de la couronne. ?
La noblesse, rneme lorsqu'elle eut ete domptee par Henri IV, conserva une independance hautaine. Le due de Mercoeur, qui avait longtemps resiste en Bre- tagne aux armes du roi, pretendit conserver apres sa defaite des titres et un rang que les lois et les cou- tumes de la France ne lui reconnaissaient pas. On en trouve la preuve dans un journal inedit de cette epoque redige par un conseiller au parlement, nomme Oilier (2) .
« II se plaida une cause, dit-il, ou M. le due de Mercure (Mercoeur) avoit interet et etoit partie. II advint a un avocat des parties, plaidant la cause, de dire que M. le due de Mercure etoit un prince plein
(1) Economies royales de Sully, ch. LX.
(2) Bibl. imperiale, manuscrit n° ^±, f°§ 26 el 27. Ce journal donne des details qui ne se trouvent que dans le journal de Pierre de 1'Etoile, et entre autres le recit de Tinsulte faite a 1'avocal - general Servin.
234 INSOLENCE DE LA NOBLESSE.
de valeur et de generosite. M. 1'avocat Servin, qui etoit Pavocat du roi, dit tout haut, sans se lever, « que I' on ne reconnoissoit point pour princes au par- lement autres que les princes du sang, et que ceux de Lorraine rietoient point de cette qualite-la. » Madame de Mercure, qui etoit presente en 1'audience, dit « que le roi faisoit bien cet honneur a son mari de 1'appeler prince et cousin. » Les choses se passerent ainsi a 1'audience.
» Le soir, M. de Mercure, accompagne de dou/.e ou quinze gentilshommes et autres, avec force pages et laquais, va au logis de M. Servin, ou etant a la salle il fit descendre M. Servin et lui dit qu'il n'etoit point venu pour lui donner le bon soir, mais pour lui dire qu'il etoit un marraut, et qu'il lui feroit donner cent coujps d1 etrivieres parces laquais. » Cette insulte faite a un magistral, qui representait le roi et portait la parole en son nom, resta impunie. On se contenta de quelques excuses banales.
A tous ces obstacles se joignirent encore les fleaux de la nature, la famine, la peste, Taccumulation des pauvres dans Paris. « Le nombre des pauvres, dit L'Etoile (1) , se trouvoit a Paris accru des deux tiers, y etant entre de six a sept mille le jour de devant. » Peu de temps auparavant on en avait compte sept mille sept cent soixante-neuf dans le cimetiere des Innocents (2). Une femme fut brulee vive pour avoir tue ses deux enfants qu'elle declarait
(1) Journal de Henri IV, par L'Etoile, 6dit. de Petitol, torn. II, pag. 163.
(2) Idem, ibid., pag. 161-163.
MISfeRE GfcNERALE. 235
ne pouvoir nourrir (1). La misere et ('accumulation de la population engendrerent des maladies pestilen- tielles. « En la meme annee (1596), dit Oilier (2), la pestefutsi grande, 1'ete et 1'automne, a Paris, que le parlement cessa la veille de la mi-aout, et commenca la chambre des vacations des le lendemain de la mi- aout. » Les ecrivains du temps, frappes de ce triste spectacle, y voyaient une preuve de la colere ce- leste (3) . La royaute, qui heritait de toutes ces miseres, preparees par de longues et sanglantes discordes, se ti'ouvait dans une des situations les plus critiques que presente notre histoire.
Au milieu de ces difficultes, Henri IV se mit al'oeu- vreavec une resolution energique et fut parfaitement seconde par ses ministres. Maximilien de Bethune, marquis de Rosny et due de Sully, est ajuste titre le plusrenomrne des conseillers de Henri IV. Cependant on a eu tort d'attribuera Sully la plupart des mesures administratives de ce regne. Le conseil, dont Henri IV s'etait entoure, etait compose d'hommes fort diffe- rents de caractere, d'opinion et d'interet. Les chari- celiers Chiverny et Brulart de Siilery, les anciens li-
(1) Journal de Henri IV, par Tjfitoile, edit, de Petitot, torn. II, pag. 163. — Oilier, dans son journal inedit, manuscrit de la Bibl. imp., cit6 plus haut, f" 13, recto, insiste aussi sur la profonde misere de cetle epoque.
(2) Journal inedit d'Ollier, ibid. — L'Etoile confirmeces details, Journal de Henri IV, torn. II, pag. 177-178.
(3) L'Etoile, ibid., pag. 16/i, apres avoir parle des nombreuses maladies, ajoute : « Dont chacun disoit que Dieu etoit courrouce. » Et plus loin, pag. 187 : « Nous faut regarder au doigt de Dieu qui est la cause principale, lequel en ce malheur nous a voulu proposer un exemple de sa justice, qui s'execute tot ou tard sur les rebelles et refractaires a ses saints commandements et a sa parole. »
236 MINLSTRES DE HENRI IV.
gueurs Villeroy et Jeannin y balancaient le credit du surintendant. Henri IV ecoutait leurs avis et deci- dait. II avait Tame plus haute et la pensee plus bardie que Sully (1), et plus d'une fois il adopta des projets qui avaient effraye 1'esprit cireonspect on cheque les theories etroites de son ministre. Je suis loin de meconnaitre les merites de Sully, la rectitude de son jugement, son infatigable activite, la fermete de son caractere, le courage qui epargnait une fautea son maitre au risque de lui deplaire ; mais il y avait plus de hardiesse, d'elevation et d'etendue dans 1'es- prit de Henri IV.
Lorsque la reddition de Paris, bientot suivie de la soumission des provinces, permit au roi de s'occuper d'administration, il s'attacha a proteger le laboureur et a encourager 1'agriculture (2), premier besoin du royaume ; il interdit les predications seditieuses, qui avaient « ouvert le chemin a toutes les erreurs et li- » bertes effrenees, et fait servir la parole de Dieu aux » passions et demesurees cupidites (3). » II y eut une chose plus efficace que toutes les prohibitions, ce fut le nouveau genre d'eloquence que porta dans la chaire chretienne, Davy du Perron, eveque d'Evreux, un des hommes les plus savants et les plus habiles de cette epoque. II donna 1'exemple d'une polemique grave et vigoureuse sur les questions religieuses sou-
(1) Celte opinion est contraire a celle qu'a bruise Lemonley dans son essai sur J.-B. Colbert. Get hislorien pretend que Sully elevail Tame de son mallre. On trouvera plus loin la preuve du contraire.
(2) Ancietmes iois franf., torn. XV, pag. 98.
(3) lbid.9 pag. 102.
RETOUR A L'ORDRE. 237
levees par les protestants. « II fit son premier ser- mon, d'apresle journal d'Ollier (1), enl'eglise Saint- Merry, le dimanche 20 avril 1597. Le sujet etoit de prouver que ce qui est necessaire au salut n'est point seulement dans la Sainte-ficriture, mais que la tradi- tion apostolique et celle des Peres font partie de no- tre croyance et ont autant de force, de credit et d'au- torite que le vieux et le nouveau Testament. II traita ce sujet en deux sermons; le troisieme etoit qu'il n'y avoit qu'une Eglise, et le quatrieme qu'elle est vi- sible. »
La licence des gens de guerre fut reprimee et la discipline retablie dans les armees (2). Henri remit en vigueur les sages ordonnances pour la reforme de la justice rendues sous les regnes precedents et vio- lees au milieu de 1'anarchie (3). II s'opposa a la li- cence qui meprisait les lois et a 1'arbitraire du pou- voir qui les eludait par dislocations (4). Des grands jours tenus a Lyon, en 1596, par une commission de membres du parleinent, inspirerent une salutaire terreur aux criminels qu'avait encourages 1'anar- chie (5). Les guerres civiles avaient devaste les forets
(1) Manuscrit de laBibl. imp., n° 113li, f° 17, verso.
(2) Anciennes lois franc. 3 torn. XV, pag. 128.
(3) Ibid., pag. 120.
(Zi) Un avocat celebre de cette e"poque attaque les Evocations. « Nous devons aider notre roi, ecrivait Pasquier (Lettres, livre Vf, lettre 2), de nos biens selon les occurrences de ses affaires; mais, en contre-e" change, il nous est debiteur de la justice, et nous la doit administrer aux lieux ou nous re"sidons, ou la ou nos biens sont as- sis. C'est une charge fonciere qui est annexed a la couronne, et ce n'est pas proprement nous la rendre quand on intervertit notre bon droit par un changement de juges et de parlements. »
(5) Journal d'Ollier, f° 13, recto.
238 SDITDE NANTES (1598).
et iritercepte les communications; plusieurs ordon- nances prescrivirent 1'entretien des forets et voies publiques (1), et 1'etablissement de relais de poste pour les transports par eau et par terre ($).
L'edit de Nantes (1598) proclama la liberte de conscience acbetee par de si cruelles epreuves (3) , et fut enregistre , malgre Imposition des parle- ments, grace a la ferine volonted'un prince qui savait, selon ses propres paroles, « escalader les barricades comme sauter sur les murailles des villes (4). » II est curieux de voir avec quel me- lange de familiarite et d'energie Henri IV park1 au parlement qu'il avait mande (5). II rappelle aux membres de ce corps que sans lui ils ne seraient pas en leurs sieges (6). « J'ai remis les uns en leurs maisons, les autres en la foi qu'ils n'avoicnt plus. » II termine par un ordre absolu : « Je suis roi maintenant et parle en roi, je veux etre obei. A la ve- rite les gens de justice sont mon bras droit ; mais si la grangene se met au bras droit, il faut que le gaucbe le coupe (7). » Malbeureusement les privileges ac-
(1) Anciennes lois fran^., torn. XV, pag. lal.
(2) Ibid., pag. 131.
(3) Ibid., ton). XV, pag. 170. — De Thou, livre CXX, cli. vr. — L'fitoile, Journal de Henri IV, arm. 1598. —P. Cayet, Citron, septen.y livre II. — Benoit, Hist, de L'edit de Nantes, livre I, preuves, pag. 62 et suiv.
(/i) Discours de Henri IV au parlement de Paris, qui refusal t d'en- regislrer 1'edit de Nantes.
(5) Lcttres missives de Henri IV, lom.V, pag. 89 et suiv., dans la collection des Documents inddits de L'histoire de France.
(6) Ibid., pag. 90.
(7) Ibid., pag. 92. Voyez aussi pag. 180 et 181, les reponses dc Uenri IV aux deputes desparlemenls de Bordeaux et de Toulouse.
DES FINANCES.
cordes aux protestants , leurs places de surete , le droit qu'on leur donna des'assernbler pour la defense de leurs interets, formerent presque un Etat dans 1'Etat. La reforme des universites s'accomplit la meme annee (1598) et mit un terme a 1'anarchiequi avait penetre dans 1'instruction publique (1), eomnie dans toutes les parties de 1'administration. Mais au- cune n'appelaitune reforme plus prompte et plus de- cisive que les finances. Ce fut la surtout que Sully se signala et rendit a la France d'immenses services.
Sully, appele au conseil des finances en 1595, au milieu de collegues complices de la dilapidation des finances et effrayes de son austere probite, Sullv ne se laissa ni intimider par les menaces, ni rebuter par les difficultes (2). «Cet esprit fort, general etlabo- » rieux, et d'une austerite naturelle, ditTb. Agrippa » d'Aubigne (3) , meprisoit les bonnes graces de
(1) Du Boulay, Histoire de I'Universite, torn. VI ; Grevier, Hist, de C University torn. VII. — Voy. aussiune lettrede Claude Grou- lard, premier president du parlement de Normandie, a Scaliger (26 octobre 1595). Groulard envoyait son fils en Hollande pour « ne pas le laisser croistre parmi nos vices ; car nostre patrie est maintenant en tel etat, qu'elle fait horreur aceux quiy demeurent. »Lememe auteur, dans ses Voyages en cowr(chap. XVI),parle en termespeu favorables de I'Universite de Caen, qu'il venait de visiter : « 11 faut confesser, dit-il, que 1'avarice et la corruption se sont glissees parmi les regents et les escoliers. »
(2) Les Memoires de Sully parlent souvent de ces obstacles. Voy. entre autres passages, les Economies royales (edit. Petitot, torn. Ill, pag. 16). « Si nous voulions ici repre"senter entierement et par le menu loules les traverses qui vous furent faites, les empeschements qui vous furent donnes, les menaces dont Ton essaya de vous inti- mider, les indues vexations et violences dont Ton vous calomnie, les faux bruits que Ton fit courir de vous , etc. » On sait quo, dans ses Memoires, intitules Economics royales, Sully se fait adresser la parole et raconter son histoire par ses secretaires.
(3) D'Aubigne, Histoire universelle, livre V, ch. v,
240 REFORME DES FINANCES.
» tous. » Henri IV avait convoque les notables a Rouen (1596) pour se donner 1'appui de 1'opinion publique, et il annonc.ait avec une bonhomie gas- conne, qu'il voulait se mettre sous leur tutetle (1).
Sully qui avail plus le sentiment de I'ordre que 1'amour de la liberte, annonc,ait que les notables, avec leurs reglernents et leur conseil de raison, ne fc- raient que grossir les tomes des ordonnances (2). Pour lui, plus soucieux d'agir que de parler, il voulut avant tout bien connaitre la situation financiere du royaume. Nepouvant se fier auxetats de finances que lui fournissaient des comptables interesses a entrete- nir le desordre, il entreprit deux voyages pour tout voir par lui-meme , parcourut cbaque generalite, triompha du mauvais vouloir des financiers et s'in- struisit des besoins et des ressources de chaque pro- vince. II parvint enfm a mettre quelque ordre dans une administration obscurcie a dessein par la mauvaise foi et dressa un etat fidele de toutes les sommes pergues par les caisses publiques (3).
Le roi qui appreciait la vigilance et 1'activite de
(1) Discours de Henri IV ft 1'assemblee des notables reunis a Rouen. Est-il ngcessaire d'ajouter qu'il ne voulail se mettre en tu- telle « que Tepee au cote, » comme il disait a Gabrielle?
(2) ticon. royaleSy 6dit. Petitot, torn. Ill, pag. 1&5. Sully attaquc d'une maniere g^nerale les assemblees charges de faire des lois : « Mille sortes d'exemples et d'experiences nous apprennent qu'il est non-seulement bien difficile, mais quasi impossible en toute nume- reuse assemblee de personnes qualifies et autorisees, de pouvoir faire en sorte que ceux dont elle serait composee fussent tous de memes humeurs , naturels et complexions, eussent memes buts^ desseins, desirs, prissent monies formes, voies et chemins. »
(3) Ibid., torn. III, pag. 226-227.
SULLY SURINTENDANT (1599). 241
Sully, lui donna, en 1599, la direction exclusive des finances avec le litre de surintendant (1). II crea en- core pour lui 1'office de grand-voyer, avec mission d'assurer la facilite des communications et de veiller a 1'entretien des ponts et chaussees du royaume (2). La situation financiere presentaitalors lesplus serieu- ses difficultes. La dette s'elevait a 296,620,252 fr., d'apres le calcul de Forbonnais (3). On percevait cha- que annee 150 millions d'impots; « mais, dit Sul- ly (4), une effrenee quantite d'officiers detruisaient tous les revenus du roi ; » et il entrait a peine 20 mil- lions dans le tresor royal.
Le premier soin du surintendant fut de s'assurer de la rentree complete des impots (5). L'etat qu'il avait dresse lui en fournit les moyens. Une destina- tion speciale fut assignee a chaque somme et I'ern- ploirigoureusement determine (6). La revocation de 1'affranchissement des tailles et la revision des titres de noblesse (7) assurerent une meilleure repartition de I'impot et une recette plus considerable. Le licen- ciement d'une partie des troupes, apres la paix de
(1) Forbonnais, Rccherches sur les finances, torn. I, p. 39. Get ou- vrage compose, au milieu du xvni* sifecle, parun financier instruit et exact, merite la meme confiance que les documents originaux.
(2) Andennes lois franc,. 9 torn. XV, pag. 222.
(3) Forbonnais, Eecherches sur Les fin., torn. I, pag. 28. — Bail- ly, Hist, fin., torn. I, pag. 318, donne 358 millions pour chiflre de la dette publique. Il faut sans doute attribuer cette difference a la difference de la valeur du numeraire aux epoques ou e"crivaient For- bonnais et Bailly.
(Zi) 6con. royales, edit. Petitot, torn. Til, pag. 17. — Bailly, torn. I, pag. 295-296, 61feve a 160 millions les sommes percues.
(5) Ibid., torn. III.,, pag. 263-26/1.
(6) Ibid., pag. 263.
(7) Andennes lois franf., torn. XV, pag. 169, 226 et 254,
(4600-4610).
Yervins, allegea le fardeau de T^tat (1). Enfin les ferrhes des impots qui avaient ete donnees a vil prix fiirent remises aux encheres, et il en resulta une augmentation considerable dans le revenu public (2). Ainsi accroissement des ressources et diminution des charges, tels furent les premiers bienfaits de cette ad- ministration severe et econome.
Sully fut moinsheureuxdans 1'etablissement d'une chambre ardente specialement chargee de poursui- vre les crimes de peculat, de concussion et toute di- lapidation des deniers de 1'Etat. « Elle se termina, dit Sully (3), par des brigues, menees et abondance de presents des plus riches aux courtisans et favoris, tant hommes que femmes. » Ce moyen d'intimidation ne reussit pas mieux en 1604 (4), et Sully lui-meme conseilla d'y renoncer. D'autres mesures financieres furent plus utiles; telle fut la reduction de Tinteret de 1'argent du denier 10 au denier 16 (de 10 pr 0/0 a 6 1/4). Get edit rencontra dans le parlement une opposition qui ne fut vaincue que par 1'intervention personnelle du roi (5). Sully rendit ainsi an com-
(1) Forbonnais, Recliercties sur les fin., torn. I, pag. 36.
(2) Idem, ibid. , torn. I, p. 36.
(3) £con. royales, torn. IV, pag. 62.
(/i) Ibid., torn. V, pag. 398. Sully s'opposa, en 1607, a Teta- blissement d'une nouvelle chambre de justice.
(5) On en trouve la preuve dans le Journal ine'dit d'Ollier (f08 27- 28) : « En Tannee 1601 fut pre'sente' Tedit des rentes reduites pour Tavenir an denier seize, le 2 ou 3 septembre, et passa au denier quinze, presque tout d'une voix. Les mois d'octobre, novembre, de"- rembre et Janvier se passerent que Ton ne parla plus de cet edit, et chacun jugeoit qu'il avoit ete re'voque' a cause des deniers qui se transportoient hors le royaume... En fe'vrier (1602), le roy s'avisa tie mander messieurs les presidents et l«'s lanca rudement de ce
R6FORMES FINANCIERES (1600-1610). 243
merce et a I'agriculture des capitaux considerables(1 ) . L'augmentation dti prix des especes d'or et d'argent (1C 02), « afm d'arreter le furieux transport qui s'en » faisoit (2) , » 1'ordorinance qui prescrivait de compter par livres et non par ecus, « afm de moderer les ventes et les achats (3) », furent des mesures dictees par un esprit moins eclaire. La premiere surtout (Faugmentation du prix des monnaies) , ramenait cos variations de numeraire dont on avait plus d'une fois apprecie les dangers.
En 1604, Texamen des titres des creanciers de I'fitatassura au tresorun benefice de6 millions (mon- naie du temps), « sans faire aucune injustice, »affirme Sully (4). Le surintendant est ici un temoin trop in- teresse pour qu'on puisse s'en rapporter exclusive- ment a son recit ; il faut le rapprocher de celui du president de Thou (5), membre de la commission qui fut chargee de rechercher Forigme des diverses creances et qui s'occupa de ce travail pendant trois ans. De Thou raconte que le projet fut considere comme une banqueroute et souleva une vive opposi-
qu'ils ne luy obeissoient point, et n'avoient point precede a la ve'rifi- tion de Te'dit ; qui fut cause que les chambres furent assemblies le 18 fe'vrier et passa de cinquante-cinq a cinquante-deux [voixj. »
(1) tcon. royales, torn. IV, pag. 62. « Get inter6t emp^choit le trafic et commerce auparavant plus en vogue en France qu'en au- cun autre Etat de TEurope, et faisoit negliger 1'agriculture et manu- facture, aimant mieux plusieurs sujets du roi, sous la facilite d'un gain a la fin trompeur, vivre de leurs rentes en oisivet^ parmi les villes, qu'employer leur Industrie avec quelque peine aux arts libe- raux et a cultiver leurs heritages. »
(2) tcon. royates, ibid., pag. 168-169.
(3) Ibid., torn. IV, pag. 169. (A) Ibid., torn. V, pag. 191.
(5) De Thou, Hist, de son temps, livre CXXXIV.
244 ETABLISSEMENT DE LA PAULETTE (1604).
tion, a la tete de laquelle se mit le prevot des mar- chands de Paris, Francois Miron. Les bourgeois en- voyerent une deputation a Henri IV, qui etait alors a Fontainebleau, pour lui exposer les craintes et les cloleances des creanciers de 1'Etat. Henri IV ecouta favorablement leurs remontrances et leur repondit qu'il etait le pere commun de ses sujets et qu'il vou- lait, avant tout, suivre les lois de 1'equite. La reduc- tion des rentes portee au conseil y rencontra des ad- versaires, et entre autres, le chancelier Brulart de Sillery. Ses objections la firent abandonner ; on re- non^a a la banqueroute ; mais le temoignage formel de Sully prouve que les mauvaises creances avaient ete annulees ou du moins reduites de maniere a pro- curer un benefice considerable <i 1'Etat.
Le surintendant reussit plus completement dans 1'affaire de la paulette ou droit annuel preleve sur les charges de judicature. La creation de cet impot, en 1604 (1), assura au tresor un benefice immediat de plus de deux millions. Le droit annuel reposait sur un abus, la venalite des charges, mais un abus tellement invetere que, dans Timpossibilite de le supprimer, il fallait le regularises II fut decide que les magistratspaieraient chaque annee un soixantieme du prix de leurs charges et qu'a cette condition ils en deviendraient proprietaires. Le financier Paulet, premier fermier de cet impot et qui lui a donne son nom, paya 2,263,000 livres pour un bail de neuf ans. II ne fut plus necessaire, comme par le passe, que le magistral qui avait vendu, ou comme on disait (1) De Thou, Histoire de son temps , livre CXXXII,
RfiFORME FINANCIERE. 24-")
ordinairement, resigne son office, survecut quarante jours a 1'acte de transmission. Des qu'il avail paye la paillette, il etait considere comme proprietaire de son office, et ses heritiers, s'il venait a mourir, pou- vaient le transmettre a qui ils voulaient. Le nom de droit annuel donne a cet impot venait de ce qu'il se payait annuellement; si le titulaire d'un office mou- rait sans avoir paye la paulette, sa charge tombait aux parties casuelles (1).
Les resultats de cette administration financiere at- testent combien le ministere de Sully fut fecond pour le bonheur de la France : les impots diminues, cinquante millions de biens domaniaux rachetes et quarante millions mis en reserve a la Bastille en di- sent plus que tous les eloges. Et cependant le surin- tendant n'avait cesse de fournir des sommes consi- derables pour 1'entretien des alliances de la France, << et de travailler au retablissement, decoration et embellissement des palais , chateaux et maisons royales (2). »
Grand-maitrede 1'artillerie en meme temps que sur- intendant, Sully s'occupa activement de cette bran- ched'administration; il mit les places fortes en etat de defense et soumit 1'artillerie a une comptabilite regu- liere (3). II eut voulu menager un asile aux anciens
(1) On appelait parties casuelles, dans Tancienne organisation de la France, les deniers provenant de la paulette, des offices ve"naux qui vaquaient par mort, ou des droits que Ton payait pour la trans- mission d'un office. Il y avait un receveur special des parties ca- suelles.
(2) ticonom. royales, torn. VI, pag. 93.
(3) Forbonnais, Recherches sur les fin., torn. I, pag. 47.
L 17
246 ASILE OUVERT AUX INVALIDES.
militaires. On leur assura du moins les pensions qui leur avaient ete promises sous le dernier regne, et qui etaient mal servies (1). II y avail longtemps que les rois s'occupaient des soldats invalides et leur avaient attribue des places de moines lais (laiques) dans les convents. En 1575, Henri III etablit, au moyen de ces pensions de moines lais, une maison appelee la Charlie chreilenne pour servir d'asile aux soldats estropies. Afin de relever cette institution, Henri HI avait cherche a lui donnerle caractered'un ordre militaire. Les officiers et soldats de la Cliarite chreilenne devaient porter sur leur manteau une croix de satin blanc bordeede bleu, avec cette devise: Pour avoir bien servi.
Malheureusement les troubles de la fin du regne de Henri III ne lui permirent pas de realiser com- pletement cette utile et noble pensee. Henri IV la reprit en 1597; il releva la maison de la Charlie chreilenne, y ajouta d'autres bailments et la dota des sommes produites par les arnendes et confisca- tions. « Notre grand Henri, dit une cbronique de cette epoque (2), ayant chasse les tyrans du coeur de la France, pour lui restituer sa paix et tranquillite pre- miere, donne pour aliment et nourriture aux gentils- hommes, capitaines et soldats estropies en faisant service a Sa Majeste, tant en cavalerie, arquebusiers a cheval et chevau-legers, qu'archers ou gendarmes des ordonnances, leur donne par edit irrevocable, vrrifie au grand conseil, le septieme jour de juil-
(1) Anciennes lois franf., torn. XV, pag. 301.
(2) Bib, imp., manuscrit n° 8/i77, f08 102-103,
Rfi FORME DE LA JUSTICE. 247
let 1 605, la maison royale de la chariti ehretienne, et les deniers provenant des reliquats des comptes deshopitaux, aumoneries et leproseries , maladeries, confreries, etc.; de la recherche des usurpations et alienations du revenu d'icelles , revisions desdits comptes et malversations commises au maniement et administration desdits lieux, ensemble des deniers qui proviendront des places et pensions des religieux-lais en chacune abbaye et prieure de ce royaume, etant en la nomination de Sa Majeste, et ce en apportant certificats des capitaines et mestres-de-camp, sous lesquels ils auront servi. »
La reforme de la justice occupa aussi Henri IV. Le journal du conseiller au parlement Oilier (1) prouve que « le roi se plaignoit souvent des abus et exactions qui se commettoient en la justice. L'on s'a- visa, aux enquetes, ajoute 1'auteur, de dresser des memoires pour la reformation de la justice. Les arti- cles ayant ete dresses, deliberes, concertes et resolus en chaque chambre des enquetes, m^me signes par Tun des presidents et conseillers de chacune cham- bre, messieurs les presidents assistes de quelques conseillers, comme deputes, allerent trouver M. le premier president pour lui presenter les memoires de la part de messieurs des enquetes. II dema'nda temps pour les voir et y penser. Quelque temps apres, la mercuriale fut tenue, ou il fut resolu que les der- niers articles de nos memoires concernant le regle- ment de nos avocats, qui devoient mettre au has de leurs ecritures ce qu'ils prendroient des parties se-
(1) F° 29 verso, ft Tanned 1602,
248 ADMINISTRATION DE LA JUSTICE.
roient publics. » La reforme reduite aux avocats ne fut pas appliquee sans difficulte. Trois cent sept vin- rent deposer leurs chaperons au greffe du parle- ment (1), et declarerent qu'ils aimeraient mieux re~ noncer a leur profession que de se soumettre a cette ordonnance. Neanmoins la volonte energique du roi triompha de cette opposition. Lesproces furent juges avec moins de lenteur et les plaideursne furent plus livres a la rapacite des avocats et des procureurs.
Le chancelier de Chiverni fit une autre reforme importante. Une des institutions de 1'ancienne mo- narchie destinee a balancer les influences de la fa- veur et de 1'intrigue, etait le tribunal ou le chance- lier, assiste des maitres des requetes, admettait ou rejetait les ordonnances qui etaient presentees au sceau. Les donations et autres faveurs de la royaute, n'etaient valables que lorsque le chancelier les avait scelle'es. Lui-meme devait consulter les maitres des requetes avant d'apposer le sceau royal. On s'etait trop souvent dispense de ces formalites pendant 1'e- poque des troubles religieux. Le chancelier de Chi- verni retablit 1'ancien usage en 1605, et declara que sa voix n'aurait pas plus d'influence que celle des simples maitres des requetes (2).
(1) ficonom. royales, torn. IV, pag. 165.
(2) « Le premier reglement que [le chancelier de Chiverni] donna aux choses dere"glees fut qu'on ne scelleroit rien qu'en la presence des maistres des requestes qui seroient et serviroient en quartier, remettant pour ce 1'ancien ordre que 1'injure du temps et la malice des homines avoit rompu et corrompu. 11 ne vouloit point que sa voix en partage balancast plus longtemps que celle d'un des autres opinants; tant il avoit de modestie et de sagesse! » Manuscrit de la Bib. imper., n° 8477, f" 123.
CHAPITRE XIII.
Sommaire.
HENRI IV (Suite). — Conseil du commerce convoque par Henri IV (1602); progres de 1'industrie franchise : planta- tion de muriers; fabrication d'etoffes d'or et de soie; manu- factures de crepes , de cuir dore , d'armes, de cristal; reta- blissement des anciennes verreries ; fabriques de tapis de Turquie. — Projets soumis au gouvernement par le conseil du commerce pour le developpement de 1'industrie fran- caise. — Fondation de nombreuses manufactures par Henri IV. — Exploitation des richesses minerales de la France. — • Nouvelles communications ouvertes pour le com- merce; canal de Briare. — Traites de commerce. — Colo- nie du Canada. — Efforts tentes pour relever la marine francaise; affront fait a Sully par un amiral anglais. — Protection accordee a 1'agriculture. — Monuments con- struits sous le regne de Henri IV. — Jurisconsultes de cette epoque; tendance vers Tunite legislative et administrative. — Repression des duels. — Projets de Henri IV pour 1'af- fermissement de 1'autorite' monarchique; son assassinat (1610).
Depuis le r£tablissement de 1'ordre, le pouvoir s'e- tait fortifie. L'anarchie avait ete reprimee ; 1'esprit de sedition et de fanatisme, qui agitait encore quelques classes, etait contena; les dettes de 1'Etat avient ete payees, et le tresor rempli. C'etait deja beaucoup ; ce- pendant la royaute n'eut pas accompli toute sa mission si elle se fiit bornee a ces mesures. II fallait surtout feconder les richesses naturelles de la France
250 CONSEIL DE COMMERCE (1602).
par le commerce et 1'industrie, retablir la marine detruite, relever les colonies abandonnees, favoriser les lettres qui s'etaient livrees a d'etranges ecarts, en- courager les arts, en un mot rouvrir les sources de la richesse et de la prosperite publiques taries par les guerres civiles. Henri IV ne manqua pas a ce devoir. Le commerce ruine appelait la sollicitude la plus acti- ve. Henri IV reunitpres de lui, en i 602, les delegues de 1'industrie nationale, afin de concerter les mesu- res les plus propres a lui donner un puissant essor. Le resultat des deliberations de cette assemblee nous a ete conserve par le controleur general du com- merce, Laffemas (1). Son travail se divise en trois parties : la premiere contient les propositions faites par-les commissaires et approuvees par le gouverne- ment; la seconde, les propositions deja admises par les commissaires, mais qui n'ont pas encore ete adop- tees par le conseil ; la troisieme expose les idees qui exigent de plus amples renseignements et sur les- quelles les commissaires ne se sont pas encore pro- nonces.
Dans la premiere categorie se trouvent les planta- tions de muriers, 1'education des vers a soie, et les fabriques de soie qui devaient affranchir la France du tribut qu'elle payait a I'indnstrie etrangere. Sully avait resiste a 1'etablissement de ces fabriques qu'il regardait comme un luxe inutile (2). Mais Henri, a
(1) M&n. de Laffemas snr le commerce de France, Archives cu- rieiises, lrc se"rie, t. XIV, p. 221 et suiv. — Ces Memoires ont ete publies plus completement dans la collection des Documents inedits de L'histolre de France, t. IV des melanges.
(2) Economies royales, V, 64. « Le roy voulant establir en son
CONSEIL DE COMMERCE (1602). 251
1'imitation cle Francois Ier, favorisa cette branche d'in- dustrie, ordonna la plantation de muriers dans les generalites de Paris, Orleans, Tours et Lyon (1), et fit construire a Paris deux bailments pour travail Ier la soie, Tun aux Tuileries, Fautre an pare des Tour- nelles. (2) Les resultats furent si avantageux quYn deux ans on exporta des etoffes de soie pour plus de six millions d'ecus (3). Des mesures prohibitives pro- tegerent cette Industrie naissante, et plusieurs ordon- nances interdirent I'importation des etoffes d'or et de soie (4).
L'ecorce des muriers blancs servit a fabriquer des toiles et des cordages. L'experience fut faite en Languedoc par le celebre agriculteur Olivier de Ser- res, et reussit parfaitement. Une manufacture de cre- pes fins, etablie au chateau de Nantes avec 1'autorisa- tion de Sully, le disputa aux fabriques de Bologne(5). On arriva a line telle perfection dans la fabrication des bas de soie et d'estame, qu'on put en fournir aux pays etrangers (6). Une manufacture pour filer Tor fut fondee a Paris sous la direction d'un Milanais, et
royaume le plant des muriers, Tart de la soye et loutes sortes de manufactures estrangeres qui ne se fabriquoient point en iceluy, a cette fin faire venjr £ grands frais des ouvriers de tous ces mestiers et construire de grands bastiments pour les loger, vous files ce qu'il vous fut possible pour empescher tout cela. »
(1) Andennes lots franc., I. XV, p. 278, 283.
(2) Proces-verbal de 1'assemblee du commerce dans les Archive* curieuses de I'hist. de France^ t. XIV, p. 222.
(3) Proces-verbal de Tassemblee du commerce dans les Archives curieuses, t. XIV, p. 221.
(4) Andennes lois franc., t. XV, p. 212, 263, 30o.
(5) Proces-verbal de I'assemblge du commerce, 1. c., p. 22L>,
(6) Ibid., p. 222 et 228.
PROGRES DE L'INDUSTRIE.
epargna a la France une depense de 1 ,200,000 livres dont s'enrichissait, chaque annee, 1'industrie mila- naise (1). Des tapisseries de cuir dore se fabriquerent aux faubourgs Saint-Jacques et Saint-Honore , et 1'emporterent sur les plus belles etoffes (2). La ri- viere d'Etampes alimentait des moulins qui sciaient le fer, et le m artel aient. La France ne fut plus tribu- taire de 1'Allemagne pour ces industries; les moulins d'Etampes faisaient plus en un jour que le meilleur chaudronnier en un mois, et a meilleur marche (3). Ces fabriques fournissaient aussi des cuirasses et au- tres especes d'armes (4). Au faubourg Sain t- Victor et a 1'embouchure de la riviere de Bievre, on travaillait racier fin (5). Des manufactures de cristal, etablies par les Italiens que le gouvernementprotegeait (6), avaientruine lesanciennesverreries. L'assemblee de- manda le retablissement de ces verreries « de si » longtemps ordonnees pour les gentilshommes ne- » cessiteux qui s'y peuvent adonner et en faire trafic »sansderoger a la noblesse (7). » Elle exprima en meme temps le voeu que les Italiens communiquas- sent le secret de leur art a des ouvriers frangais (8) . Plusieurs produits, entre autres le blanc de plomb
(1) Proc&s-verbal de 1'assemblee du commerce.
(2) Ibid., p. 222, 228.
(3) Ibid. (l\] Ibid.
(5) Ibid.
(6) Anciennes Lois fran$., t. XV, p. 161. Un privilege pour cette Industrie avail et6 accorde par Hem i II £ AJutio Thesco.
(7) Proces-verbal de 1'assemblee du commerce, 1. c., p. 222,225.
(8) Ibid.
PROGRES DE L'INDUSTRIE. 253
(carbonate de plomb), si utile pour les peintres, furent importes en France (1). Enfm les delegues du com- merce s'occuperent des precedes les plus avantageux pour la mouture du ble et 1'exploitation des peche- ries (2).
Parmi les propositions que I'assemblee approuvait, et soumettait a la sanction du gouvernement (3) , plusieurs furent adoptees. Ainsi des manufactures de tapis de Turquie furent etabliesaParis et dans plu- sieurs villes du royaume (4). Les delegues du com- merce demandaient 1'extension des fabriques de soie- ries; une ordonnance du 16 novembre 1605 prescri- vit 1'etablissement d'une pepiniere de muriers blancs dans chaque diocese pour 1'entretien des vers a soie (5).
La derniere serie de propositions, sur laquelle les commissaires devaient se prononcer apres plus ample informe, suffirait pour prouver 1'essor des idees no- vatricessous ce gouvernement protecteur : etablisse- ment de haras (6) ; fondation d'ateliers de charite pour les vieillards et les enfants infirmes (7) ; regle- ment general et uniforme pour toutes les corpora- tions (8) ; canal del'Ocean a la Mediterranee (9), ca-
(1) Proems-verbal de TassembJee du commerce, 1. c., p. 222-228.
(2) Ibid., p. 227-228.
(3) Ibid., p. 228-235.
(Zi) Anciennes Lois franc., t. XV, p. 332.
(5) Ibid., 1. XV, p. 291."
(6) Laffemas, Archives curieuses, t, XIV, p. 235.
(7) Ibid.
(8) Ibid.
(9) Ibid., p. 238. « Le canal entre les deux rivieres qui passent , Tune de Tholoze en 1'Ocean , et 1'autre de Narbonne en la Mediter-
254 [PROGRES DE L'INDUSTRIE.
nalisation des rivieres d'Oise, de Therain, d'Arman- sori (1 ) ; navigation a voiles sur la Seine (2) ; necessite d'exploiter les mines de fer et d'ameliorer les for- ges (3) ; danger de la falsification des vins (4) : tels etaient les principaux points sur lesquels le commerce de France appelait Pattention du gouvernement. La relation de Laffemas suffit pour prouver 1'importance de la charnbre de commerce ; il pouvait declarer en terminant, « que la chambre de commerce est le vrai » fondement de remettre et conserver le trafic ge'ne- » ral qui a ete perdu a faute de bon ordre (5). »
Le gouvernement se montra digne de 1'elan qui portait 1'industrie franchise a s'affranchir de Petran- ger, et a tenter d'importantes innovations. Le temoi- gnage des historiens contemporains (6) atteste que les propositions du conseil de commerce furent ac- cueillies avec faveur et que de nombreuses manufactu- res furent creees. « Le (7) roi tres-chretien, dit Palma
ranee paroissoit plus facile que celui qui se faisoit pour joindre les ri- vieres de Loire et de Seine. »
(1) Laffemas, Archives curieuses, t. XIV, p. 238-240.
(2) I bid., p. 240.
(3) JMrf.,p. 241-242.
(4) Ibid., p. 2^8.
(5) Ibid., p. 245.
(6) Voy. de Thou, Hist, univers., ch. GXX1X. On pent encore consulter sur ce sujet YHistoire du commerce de France, par Isaac Laffemas, fils du precedent, ouvrage presente au roi en 1606, et pu- blic dans les Archives curieuses de i'histoire de France , t. XIV, p. 411 et suivantes. Isaac Laifemas parle avec emphase de la manu- facture de la place Royale, p. 412: « Te"moms ces orgueilleux basti- ments de la Place royale, dont le front menace de ruyne les es- trangers qui vivoient de nos depouilles. »
(7) Anciennes lois franc., XV, 253 et 290. — 6'conom. royalcs, t. XIV, p. 469.
FABR1QUES DE SOIERIES. 255
Cayet (1), d^sireux d'employer son peuple, an lieu que, par 1'occasion des guerres, plusieurs s'etoient relaches a une grande oisivete, rechercha les moyens de faire retablir en son royaume les manufactures des draps de sole, hautes lisses et autresqui se font d'or- dinaire par les Strangers, et lesquelles pour la plu- part s'y etoient tranportees. Pour done remedier a ce defaut, S. M. envoya chercherdesouvriersexcellents, par le moyen desquels se peut conduire un tel arti- fice. Les sieurs Dubourgpereet fils, excellents en cet art, prirent ce courage de quitter leur pays, afm de venir etre habitants de Paris, et furent loges dans la inaque (tnaison disposee et propre a cela), par le commandement du roi.Ils font des pieces excellentes en rehaussement de fil d'or et d'argent, draps d'or et d'argent, toiles d'or et d'argent, d'or frise de toutes fac.ons avec naivete tant des etoffes que des etoffures, tellement qu'aux damas figures, satins et autres ou- vrages, il sembleroit que les couleurs qui y eclatent sont toutes choses naturellement procreees, comme elles apparoissent, tant est 1'industrie naive et subtile de leurs tissus. De decrire les particulieres formes, il n'est pas possible ; mais il se voit a 1'oeil que cela meme est inimitable, et ceux-la ont encore pour ce jourd'hui cette fagon a eux particuliere.
De meme aussi, ajoute Palnia Cayet (2) , en la maison des Gobelins au faubourg Saint-Marcel , le roi a fait accommoder les ouvriers de hautes lisses,
(1). Chronologic septennaire (ann. 1603), p. 253, ed. Alichaud et Poujoulat.
. 258-259.
256 FABRiQUE DES GOBELINS.
et les tapisseries de Flandre, y ayant fait venir les plus industrieux de tons ces pays-la , lesquels aussi tant pour les commodites que S. M. leur a donr.ues que, pour se faire valoir eux-memes , y apporteut toute diligence, et ne se pourroit jamais rien voir de mieux, ni pour les personnages, auxquels il semble qu'il ne leur reste [manque] plus que la parole, ni pour les paysages et bistoires qui sont represented d'apres le naturel. Tellement que la France semble se vouloir revendiquer la juste possession des arts et inventions detoutes sortes,commec'est la France qui les elabore toutes.Et si Ton veut considerer cequi s'enfait es na- tions etrangeres, ce sont toujours les Francois qui en ont ete les premiers auteurs ; mais le Francois a cela de mauvais qu'il ne continue pas; il n'a que la pre- miere pointe.
Et d'autant que les soies ne se peuvent fournir pour les ouvrages susdits en quantite suffisante, sinon qu'il y en eut une continuelle production en France, messieurs les commissaires deputes par le roi pour le fait du commerce et des manufactures donnerent avis a S. M. de faire une ordonnance et commande- ment aux generalites de Paris, Orleans, Tours et Lyon, de faire des pepinieres de muriers pour nour- nir des vers a soie, et pour cet effet, par gens a ce commis, suivant 1'edit qui en fut fait, il fut distri- bue a toutes les paroisses des dites generalites des muriers blancs et des graines avec un livre de la ma- niere de les planter, et, comme il falloit nourrir les vers a soie, et accommoder et preparer la soie pour- en faire des ouvrages.
PLANTATION DE MUR1ERS. 257
Les epreuves en avoient ete faites dans le chateau de Madrid pres Paris, ou il y a grande quantite maintenant de vers a soie, de moulins et autres in- struments pour lui donner toutes ses fagons. Et de- puis, en beaucoup d'endroits des dites generalites on a plants force muriers blancs et noirs pour avoir foison de nourriture aux dits vers a soie, qui font leurs bobines et leurs oeufs aussi beureusement qu'en Italie ou Avignon, et s'en tire de la soie aussi belle et fine que se peut dire, tant blanche que jaune, qui sont les especes qui se procreent de la dite nourri- ture. Et au lieu que telle nourriture n'etoit que, pour Avignon et la Provence, a cause qu'ils sont plus ex- poses au midi, a present, en la voisinance de Paris, qui est au septentrion, les vers a soie et les muriers y croissent et produisent heureusement.
Encores un autre embellissement s'est recom- mence des verreries de cristal a la facon de ceux de Venise, qui ayant ete commence par grande solennite a Saint-Germain-en-Laye, du temps du roy Henri- Second, et continue jusques a Charles IX, neanmoins s'est depuis intermis et a du tout cesse. Finalement pour ce qu'il falloit que tous biens revinssent au Roi victorieux de tous troubles et empechements, pour faire revivre et regner un chacun art en sa propre splendeur etleramener a sa perfection la plus grande qui puisse[etre], leduc de Neversdefunt en donna au Roi les mouvements premiers, lequel aussi, en sa maison de Nevers, avoit fait recommencer ledit arti- fice, non-seulement pour les verres de cristal, mais pour les couleurs de topaze, emeraudes, jacintes,
NOUVELLES MANUFACTURES.
aigues marines et autres jolivetes, qui approchent du propre naturel des pieces vraies orientales. »
Palma Cayet, apres avoir rappele (1) que Ton fa- brique des toiles et cordages avec des ecorces de mu- riers blancs, et qu'une manufacture de crepes fins de Bologne fut etablie a Mantes, parle de tapisseries de cuir dore et « drape, de toutes les sorteset couleurs qu'il est possible de souhaiter plus belles que la bro- derie meme, a meilleur marche et de plus grande duree, pour la facilite et invention de les nettoyer, entretenir et racoustrer, qui se font maintenant es grandes boutiques des faubourgs Saint-Honore et Saint-Jacques pour y nourrir et employer les pauvres gens.
« Les moulins tranchants de fonderie et martinets etablis sur la riviere d'Etampes et qui se cornmuni- quent par tous les autres endroits du royaume de France ou le fer se tranche et fend en tant de pieces si menues et de telle fac.on que Ton veut ; ce qui ne se faisoit auparavant qu'a la main chez les serru- riers.
«La conversion du fer et d'autres mines, dontnous abondons en France, en fin acier, que Ton etoit con- traint d'aller chercber en Piemont, en Allemagne, et autres pays etrangers pour cinq ou six sous la livre, ne s'en etant jamais trouve en France que du fer fort, qu'ils appellent par excellence petit acier de Brie oude Saint-Dizier, ne se vend que deux ou trois sous tout au plus, fort different. On en pent voir FP-
(!) Chronologic septennaire, p. 283-28/j,
NOUVELLES MANUFACTURES. 259
tablissement et les fourneaux, et en admirer 1'excel- lence au faubourg Saint- Victor, sur I'embouchure de la riviere de Bievre.
« L'etablissement du blanc de plomb, quiest une espece de drogue on quinte-essence tiree du plomb, grandement necessaire et commune pour les peintres, medecins de cbevaux et plusieurs autres usages, qu'on 6toit contraint d'aller chercber et acbeter cberement hors de la France, y est etablie mainte- nant beaucoup meilleure et a meilleur marcbe.
« Pareil etablissement des tuyaux et canaux de plomb, tant longs et de tel calibre que Tonveut, bat- tus et legers com me le fer a cuirasses, plus fort et de plus longue duree que les autres canaux de plomb ordinaires et accoutumes , a meilleur marche et qui rendent les eaux qui y coulent plus salubres pour le corps bumain, a cause des ingredients de la soudure qui corrompt 1'eau qui passe, avec plusieurs autres secrets inventes par Ferrier, demeurant au faubourg Saint-Germain. »
Henri IV encouragea par des privileges Fetablisse- ment de nouvelles manufactures. On trouve dans les extraits des registres de l'Hdtel-de-Fille (1) 1'analyse de ceux qui furent accordes aux sieurs Comans et Laplanche, fondateurs d'une fabrique de tapisseries.
« Pendant vingt-cinq ans, disaient les lettres-pa- tentes, mil ne pourra imiter leurs manufactures. Le roy leur donnera des lieux a ses depens pour les loger et travailler. Leurs ouvriers declares regnicoles
(1) Manuscrits de la Bib. imp., vol. GCLTf des Cinq-Cents de Col- bert, p. 533-534,
260 PRIVILEGES ACCORDES.
et naturels sur leur certification et sans lettres, et exemptes de tailles et de toutes autres charges. Pen- dant les dites vingt-cinq annees, les marchands apres trois ans, les apprentis apres six pourront avoir bou- tiques, sans faire chefs-d'oeuvre et durant les vingt- cinq annees.
« Leroy leur donnera la premiere annee vingt-cinq en fa n Is, la seconde vingt et autant la troisieme, tous Francois, dont il payera la pension et les parents 1'en- tretien pour apprendre le metier.
« Defend 1'entree des tapisseries etrangeres en ven- dant lesleurs au prix que les autres se vendoient aux Pays-Bas, et tenant quatre-vingts metiers au moins, dont soixante a Paris.
« Toutes les etoffes exemptes de toutes imposi- tions, sauf Tor et la soie, leur permet de tenir par- tout des brasseries et vendre biere, leur donne a chacun quinze cents livres de pension et cent mille livres pour commencer leur travail, leurs proces ju- ges en premiere instance par-devant les juges des lieux et par appel au parlementde Paris, en quelque ressort qu'ils soient. »
Les mesures prohibitive^ adoptees ici pour prote- ger une Industrie naissante furent souvent renouve- lees. Henri IV alia meme jusqu'a interdire, sous peines corporelles, toutes relations cornmerciales avec laFlandre (1).
Ce prince s'occupa aussi de Texploitation des ri-
(1) Palma Cayet, Chron. septcnn., ann^e 160Zi, p. 285-287, edit. Michaud et Poujoulat.
EXPLOITATION DBS MINES. 201
chesses minerales de la France (1). Ce pays qu'un his- torien du temps (2) nous represents abondant en bids, vins, /miles, fruits, legumes, guedesou paste Is, outre les grandes et foisonneuses nourritures de detail et haras, n'avait pas suffisamment exploite jusqu'alors ses richesses naturelles. Les tentatives faites sous Louis XI avaient produit peu de resultats. On commence a s'occuper serieusement des mines en 1601. « L'an passe et cette annee, dit Palma Cayet, la France a ouvert son sein, ses entrailles et tout ce qu'elle a de plus excellent a 1'interieur, pour faire apparoir ce qui etoit cache : es monts Pyrenees des mines de talc et de cuivre, avec quelques mines d'or et d'argent; aux mines de Foix, des pierres pre- cieuses, jusques escarboucles ; es terre de Gevaudan et es Cevennes, mines de plomb et d'etain ; en celles de Carcassonne, mines d'argent ; en celles d'Auver- gne, mines de fer; en Lyonnais pres le village de Saint-Martin, celles d'or et d'argent; en Normandie, mines d'argent et de fort bon etain; en Vivarais, mines de plomb; en la Brie et Picardie, mines d'or et d'argent. Bref, tout ce que les rois predeces- seurs n'ont jamais vu qu'au loin s'est reserve au regne heureux de Henri IV. » L'auteur ajoute, que pour encourager 1'exploitation des mines, le roi fit plusieurs reglements, institua surintendant-general Roger de Bellegarde, grand ecuyer de France, et lui
(1) Isaac Laffemas, Archives curieuses de I' hist, de France t t. XLV, p. 416. — De Thou, liv. CXXIX.
(2) Palma Cayet, Clironol. sept., ann£e 1602, p. 208 de IVdil. Michaud et Poujoulat.
I. 18
CANAUX CREUSES.
donna pour lieutenant-general, Beaulieu-Ruze, se- cretaire d'Etat; enfin il nomma pour controleur-ge- neral des mines, Beringhem, son premier valet de chambre. On peut juger par 1'avidite avec laquelle les courtisans se jeterent sur ces places quels avanta- ges on esperait retirer de 1'exploitation des mines. Mais on ne tarda pas a reconnaitre que ces travaux, qui etaient mal diriges, exigeraient des frais conside- rables etrapporteraient peu. De Thou conseilla de re- noncer a 1'exploitation des mines, etson avisfutsuivi. On fut plus heureux pour les travaux dont le but etait de faciliter les communications. Sully, en sa qualite de grand-voyer, travailla « a redresser et em- bellir les chemins en faveur du trafic (1). » II fit planter des arbres le long des routes, mais, « le peuple ignare » les arrachait. « C'est un Sully , disait-il, faisons-en un Biron (2). » Cette absurde opposition n'arreta pas le /ele du ministre. II com- menga le canal de Briare, qui devait unir la Seine a la Loire (3) et realiser la pensee congue des le xive siecle par Cbarles V. II ne se laissa pas decourager par les attaques de quelques politiques incredules qui declaraient impossibles de pareilles entreprises et s'efforc,aient de Jeter du ridicule sur leurs auteurs (4). Sully projetait bien d'autres travaux de canalisation;
(1) Isaac Laflemas, Archives curieuses, XIV, p. Zi96.
(2) L'titoile, Journal de Henri IV.
(3) tconom. roy., t. V, p. 207.
(4) Tavannes, Mem., 6dit. Petitot, t. Ill, p. 177. « Les Ve"nitiens tranclient quelques canaux, les rendent navigables pour peu d'es- pace; les grandes entreprises leur sont interdites, ainsi comme aux Francois de trancher le destroict de Saint-Jean-de-Luz, pour entrer de la \tediterraa6e en I'Oc^ane, ny joindre la Loire a la Seyne, ny
TRAITES DE COMMERCE* 263
11 voulait unir la Loire a la Saone, et la Saone a la Meuse (1).
Des traites de commerce avec le sultan (2) et FAngleterre (3) preparerent des debouches a 1'indus- trie franc, aise. Tel fut aussi 1'avantage de la colonisa- tion du Canada renouvelee sous Henri IV par Samuel Champlain (1606) (4). Quebec devint bientot la capi- tale de cette Nouvelle-France et ie centre d'un vaste commerce de pelleteries (5).
L'organisation d'une marine etait le complement de toutes les mesures adoptees par Henri IV et par son ministre pour relever et enrichir la France. Les am- bassadeurs, et surtout le cardinal d'0ssat,reclamaient depuis longtemps le retablissement de la marine comme le seul moyen de rendre a la France la preponderance en Italie (6). A 1'occasion du mariage
la MouzellealaMeuze.Les entrepreneurs de telsouvrages en France se sont fait mocquer d'eux et de leurs e'pitaphes ja d^signez pour les planter quand 1'ouvrage seroit faict. »
(1) ticonom. roy.9 V, 207. — Palma Cayet, Chronot. septenn., an- ne"e 1604, p. 283 de l'e"dit. Michaud et Ponjoulat.
(2) Ibid., IV, p. 34. — Disc. somm. dela navig. et ducomm.9\>w Thorn. Le Fevre, seigneur du Grand-Hamel, p. 248. — Voy. notices des manuscrits de LaBib. imp., ambassade de Savary de Breve pres du sultan.
(3) tcon. roy., V, 366. — Bib. imp. , F. Brienne, article relatif aux commissaires qui seront nomme's par les Anglais et Francais en cas de discussion. Voy. The life of Thorn. Egerton, p. 398 et suiv.
(4) Samuel Ghamplain e"tait lieutenant d'Aymar de Chates, vice- roi du Canada, mort en 1603.
(5) Palma Cayet, Chron. septenn., ann. 1605, p. 318 de Te'dit. Michaud et Poujoulat.
(6) Le cardinal d'Ossat insiste sou vent sur la ne'cessite' d'une ma- rine pour la France. Le 8 juin 1598, a Toccasion de Tile de Pome- gues occupe'e par le grand-due de Toscane, d'Ossat e'crivait & Ville- roy : « G'est ^ trop grande honte et vergogne de la premiere cou- ronne de la chrestiente, laquelle commandant £ un si grand royaumef
264 NECESSITY D'UNE MARINE.
de Henri TV avec Marie de Medicis, d'Ossat insista energiquement : « 1.1 falloit, disait-il (1), solliciter et diligenter la construction de galeres, dont on avoit parle et ecrit taut de fois, lesquelles ne seroient ja- mais si tost faites comme la surete, commodite, auto- rite et reputation de la France le requeroient, a faute desquelles il en falloit mendier a 1'occasion du pas- sage de la Heine. » Revenant dans une autre de- peche sur le ineme sujet, d'Ossat representait « la honte que c'est un si grand royaume n'avoir de quoi se defendre par mer contre les pirates et corsaires, tant s'en faut contre les princes! (2) »
Sully parcourut, des 1600, les ports de Toscane pour preparer la reorganisation de la marine (3). Lui- meme ne tarda pas a reconnaitre a quelles humilia- tions le manque de flotte exposait le pavilion natio- nal. En 1603, la fregate qui portait Sully en Angle- terre, fut sommee par un arniral anglais de baisser pavilion. Sur le refus du sieur de Vic, gouverneur de Calais et commandant de la fregate, r Anglais menaca do faire feu. Sully fut oblige d'obtemperer aux ordres de 1'etranger. « Sans cela, il n'y a point de doute qu'il n'y cut eu de la batterie ou apparemment la France out etc la plus foible; ce que vous couvristes sage- incut, » ajoutent les secretaires du ministre (4). Cette
flanque des clenx niers les plus grande?, n'a point provision de vaisseaux de guerre ny moyen de se defendre de quatre niechanles galeres d'un due de Florence, ny d'empescher qu'elles n'aient mis b la France la chaisne au col et les fers aux pieds. »
(1) Lettre du 23 septembre 1600.
(2) Lettre du U fevrier 1601.
(3) Forbonnais, Recliercli. sur les finances, t. I, p. 39,
(4) tconom* roy., t. IV, p. 297.
A«,RK;I MI UK.
lionle dut etre eruellc pour un honirne cle eoeur coinine Sully, ct il s'occupa de mettre I'lionneur francais a l'aJ)ri de pareilles insultes. Mais une ma- rine se cree lentement et se pert! vite. Ni Henri IV, ni Sully ne purent refaire celle de Frangois Ier; cette gloire etait reservee a Richelieu (1).
L'agriculture attira tout specialement 1'attention du roi et de son ministre. Persuades que le labou- rage et le pdturage sont les deux mamelles de FEtat (2) , ils protegerent le paysan contre les violences des gens de guerre et des usuriers (3), et prescrivirent le dessechement des marais (4), afin d'assainir le pays et de rendre a la culture un sol trop longtemps sterile.
Le gouvernement reparateur de Henri IV fut loin de negliger les arts et le developpement inteliec- tuel : temoin les monuments eleves ou acheves sous son regne, les Tuileries, le Pont-Neuf (5), le quai de I1 Arsenal, le chateau de Saint-Germain, 1'hopital Saint-Louis, la place lloyale, le Louvre (6), Fontaine-
(1) Memoires de Richelieu, 6dit. Petitot, t. V, p. 201. — Voy., au chapitre XV, la reorganisation de la marine par Richelieu.
(2) Olivier de Serres, Theatre d Agriculture. Des 1599, Olivier de Serres avail public, sous le litre de Cueillele de La soye} un pe- tit traile sur la cullure de la soie en France. II le fondil ensuile dans son Traite d' Agriculture.
(3) Anciennes lois franc., 1. XV, p. 98 et 128. (i) Ibid., p. 212 el3ia.
(5) « Le roi qui aime 1'ornement et la commodite de sa ville de Paris, laquelle n'avoil que le seul ponl de JNolre-Dame par oil pou- voient passer les cai rosses et charrettes , a fait parachever ce pout, par dessus lequel on a commence a passer au commencement de celle annee (1604). » Palma Gavel, Clironol. septenn., annee IGOZi, p. 282 de Tedil. Michaud et Poujoulal.
(6) La partie iulerieure des galeiies du Louvre devail servir de lo- geinenl aux arlisles. Palma Oayet , ibid., p. 283.
S66 LETTRES PROTEGEES.
bleau, etc. Les lettres, que le mauvais gout et la licence avaient trop souvent 6gar6es, rentrerent dans Fordre comme la societe tout entiere ; Malherbe en fut le legislateur. Henri IV les protegea, completa la fondation du college des Trois-Langues, enluielevant sur la place de Cambrai un edifice qui est devenu le college de France. II attira dans son royaume des savants illustres, etentre autres Casaubon. « Faites- lui donner, ecrivait-il a Sully (1), des moyens pour s'entretenir a Paris; car je 1'ai fait venir pour remet- tre 1'Universite de Paris et la faire refleurir, non pour etre presde moi. » De savants jurisconsultes, les Loy- seau (2) , les Pasquier (3) , les Loysel (4) , les de Thou (5) , eclairaient les antiquites du droitet des coutumes,ou instruisaient par les legons de 1'histoire. Leurs ecrits attestent une tendance a 1'unite legislative, qui se- condait 1'administration monarchique. Antoine Loy- sel, apres avoir parle dans la preface des Institutes coutumieres de quelques-uns des avantages de son livre, ajoute : « Et par adventure en adviendroit-il un troisieme qui surpasseroit de beaucoup les deux autres, qui seroit ainsi que les provinces , duches , comtes et seigneuries de ce royaume, regies et gou- vernees sous diverses coutumes, se sont avec le temps rangees sous Tobeissance d'un seul roi et quasi de sa seule et unique monnoie; ainsi, enfin, se pourroient- elles reduire a la conformite , raison et equite d'une
(1) Forbonnais, Recherches sur les finances, L I, p, Z|6.
(2) Traites des offices, des seigneuries, etc.
(3) Pasquier, Recherches, Lettres, etc.
(A) Institutes coutumieres, publics en 1610.
(5) Me"m. et Hist, universelle du president deThou.
RELATIONS AVEC LE CLERGE. 267
seule loi, coutume , poids et mesure, sous I'autorit6 de S. M. »
Ce voeu d'unite" et d'egalite , Henri IV paraissait plus capable qu'aucun prince de le realiser. Douze annees (1598-1610) lui avaient suffi pour faire suc- ceder partout 1'ordre a 1'anarchie , la prosperite a la misere. Le clerge" , qui avait oublie pendant la Ligue que son royaume riest pas de ce monde, etait rentre, en grande partie, dans son role moral et pacifique. Le roi 1'avait protege , mais en lui imposant la to!6- rance et la surveillance des parlements. II voulait un clerge puissant pour le bien , et il le lui rappelait avec ce tourvif et pittoresque qu'il savait donner a ses pensees. « Faites, disait-il aux deputes du clerge (1) , faites par vos bons exemples que le peuple soit au- tant exhort^ a bien faire, comme il en a ete ci-devant detourne. Vous m'avez exhorte de mon devoir, je vous exhorte duvotre; faisons done bien, vous et moi ; allez par un chemin et moi par 1'autre, et si nous nous rencontrons, ce sera bientot fait. Mes pre- decesseurs vous ont donne des paroles , mais moi , avec ma jacquette grise, je vous donnerai des eflets. Je suis tout gris au dehors; mais je suis tout d'orau dedans. »
Un des auteurs de la Mdnippe'e, Pierre Pithou, pu- blia sous Henri IV le premier recueil des libertes de TEglise gallicane , en meme temps qu'il reunissait les anciens monuments de 1'histoire nationale (2).
(1) Palraa Cayet, ChronoL septenn. , 6dit. Mich, et Poujoulat, p. 37.
(2) Annalium et historic Francorum Scriptores XII coatanei. Lutetiai Parisiorum, in-8°.
268 REPRESSION DES DUELS.
Henri IV chercha ineme a gagner les jesuites qu'il redoutait (1), et fonda pour eux le college de La Fleche (1604), malgre 1'opposition du parlement et de 1'Universite (2).
La fureur des duels avait ete reprimee par des edits severes (3) ; un tribunal d'honneur etait destine a les prevenir, et la peine de mort impitoyablement prononcee centre les duellistes et leurs temoins. Les provinces, lasses de 1'anarchie, respiraient sous un gouvernement paternel et sacrifiaient volontiers de dangereux privileges a la prosperite publique. Les gouverneurs de provinces, dont Henri avait ete force de menager la puissance, etaient trop redoutables sans doute, mais deja le roi s'appliquait a diviser leurs charges et a leur opposer des lieutenants-gene- raux des provinces, devoues a son autorite (4). Les
(1) Voy. le motif qiril donne & Sully pour expliquer le rappel des jesuites, Econ. roy., livre XVII. Tavannes.zeie ligueur, dit dans son pronostic sur Henri : « 11 restablira les jesuistes par la crainte » qu'il a de leurs cousteaux. » M6m. de Tavannes, e"dit. Petitot, t. Ill, p. 382.
(2) De Thou, liv. CXXXII.
(3) Anciennes loisfranf., XV^ 351. Sully contribua puissarament acete"dit. Cependant ilnevoulait pas qu'on portal la peine de mort, « afin de n'estre contraint de Tenfreindre par les importunitez des gens de faveur ou considerations des personnes de haute qualile. » (Econ. roy., t. IV, p. 169, 170). Voy. aussi la lettre de Sully £ Henri IV sur les duels, ibid., t. VI, p. 122. 11 dit que les querelles «qui son I recherchees sont plutot marques de laschele que de harcliesse,d'au- tant que jamais la vraye valeur ne fut jointe avec le mespris de Diea et rinhumanite. »
(U) Richelieu dit dans ses M^moires (t. I, p. 66, e"dit. Petitot) que Henri IV mit d'Arquin a Metz pour balancer Tautorite" du due d'E- pernon. Dans le pronostic sur Henri IV, ses ennemis pretendenl « qu'il empeschera les gouverneurs de provinces d'avoir aulhoritii dans leurs gouvernemeiits, i'era razor le plus de places qu'il pourra, opposera les lieutenants aux gouverneurs, les mettra en querello,
PROJETS DK HENRI IV.
grands lui reprochaient d'abaisser la noblesse pour clever le Tiers-Etat (1), et d'organiser, comme Fran- cois Ier, un systeme d'espionnage dans les provin- ces (2). II meditait la suppression de quelques grandes dignites de la couronne, telles que eelles de connetable et de colonel-general de Tinfanterie fran- caise (3).
Un crime enleva Henri IV a la France , au mo- ment ou, maitre a 1'interieur, disposant de finances habilement menagees et d'une armee puissante , il eut pu realiser de grands projets pour 1'etablisse- ment de 1'equilibre europeen et I'affermissement de 1'autorite monarchique. Jamais la mort d'uu prince n'eut de consequences plus facheuses et ne montra mieux le danger des Etats ou la prosperity publique tient a un homme. Deux minorites, et le gouvernement de reines et de favoris ne fouruirent que trop de pretextes a 1'agitation provinciate et par- lementaire.
afm qu'ils n'aient point d'intelligence, etc. » M6m. de Tav., edit. Petitot, t. HI, p. 379.
(1) « 11 abaissera les princes et les grands de tout son pouvoir... La noblesse sera appauvrie de tout ce qui se pourra. Il favorisera les gens du Tiers-filat en tant quMl ne pr^judicie a ses imposts. » Me"- moires de Tavannes, Ibid., p. 378, 380,, 381.
(2) « Espions seront envoyes, d^guise"s, par les provinces, el en chacune d'icelles y aura gens slipendiez pour advertir des deporte- ments mesine des pariiculiers. » Ibid., p. 301.
(3) Mftn. de Richelieu, I, 33, edit, Pelitot.
CHAPITRE XIV.
Sommaire.
Louis XIII (1610-1643). — Troubles pendant la minorite; faiblesse de Marie de Medicis ; sterilite de 1'histoire admi- nistrative pendant cette epoque ; creation d'un parlement a Pau (1 620) . — ReTormes reclamees par les Etats-Generaux de 1 61 4 et par 1'Assemblee des notables de 1 61 7. — Ministers de Richelieu (1624-1642) ; Assemble des notables (1626) ; la politique de Richelieu est approuve'e par les notables et louee par les principaux ecrivains de cette epoque. — For- teresses rasees ; suppression des dignites d'amiral et de con- netable ; Richelieu triomphe des protestants, des courtisans et des gouverneurs de provinces. — II organise le conseil d'Etat; institution des intendants. — Resume des pre- mieres annees de l'administration de Richelieu jusqu'en 1635.
La couronne fut jetee, par Tassassinat de Hen- ri IV, sur la tete d'un enfant de dix ans ; le gouver- nement d'une reine etrangere, Marie de Medicis, et les dilapidations d'un favori etranger, Concini, mar- quis, puis marechal d'Ancre, ne fournirent que trop de pretextes a 1'avidite et a Tambition des grands. Marie de Medicis epuisa le tresor amasse par Sully, sans pouvoir assouvir la cup^dite des factieux que sa faiblesse encourageait (1). La feodalite semblait re-
(1) Memoires de Richelieu , liv. V : « Les presents que la reine lit aux grands, au commencement de sa re"gence, e"tourdirent bien la grosse faim de leur avarice et de leur ambition ; mais elle ne fut pas pour cela Heinle. II falloit toujours faire de m^me si on vouloit les contenter. De continuer a leur faire des gratifications semblables a
MINORITE DE LOUIS XIll.
uaitre avec Tindependance des gouverneurs, des Montmorency en Languedoc, du due d'Epernon en Guienne et Gaseogne, de Longueville en Picardie, et plus tard en Normandie, de Nevers en Champagne, de Guise en Provence, de Lesdiguieres en Dauphine. Un journal historique de cette epoque (1) prouve avec quel mepris on traitait les officiers du roi : « 9 Janvier 1614, M. de Verteau, tresorier de France a Chalons, [est] enleve par quatre hommes a cheval et emmene a la Cassine (qui appartenoit au due de Nevers). II avoit informe d'une levee que les hahi- tans de Rethelois font sur eux pour M. de Nevers, sans permission du roi, et avoit aussi fait mention, en son information, de diversesautreschoses, comme que lesdits habitans appellent M. de Nevers monset- gneur sans queue, ont mis ses armes au-dessus de
celles qu'ils avoient recues, c'e'toit chose impossible. L'epargne et les coffres de la Bastille avoient ete cruise's, et, quand on l'eut pu faire, encore n'eut-il pas 6te suffisant. »
(1) Journal ine"dit de 161A a 1620 (Bibl. de P Arsenal, manucrits Conrart, in-Zi°, t. XI). — Le journal que je viens de citer est rempli de recits de duels : «7 Janvier 161Zi, combat de MM. d'Ou- ailly et Maigneux contre MM. de Boutteville (fort blesse") et Chantc- merle, tue; tous a M. le marechal d'Ancre. Depuis M. de Bon lie- ville, ayanl esle comme gueri, mourut de sa blessure.
» Combat de M. du Pesche", pres Pontoise, contre M. d'Erouville, tu6.
» 17 Janvier, rombat de MM. de Montmorency et Bucan, a la Place- Royale, con Ire le jeune Refuge (tue") et des Bordes-Valencey.
» 25 Janvier, combat de MM. du Marels et de Sainte-More contre le marquis de Rouillac et Saint-Vincent, a minuit et demi , sous les galleries de la Place Royale. Sainte-More tue".
» 13 fevrier, combat du sieur de Miraumont contre M. de Nausc, au cloislre Saint-Germain. »
Chaque page de ce journal annonce un duel entre personnages de marque, et presque toujours Tissue en est sanglante.
ANARCHIE.
S73
celles de France, font faire montre (revue) a certai- nes compagnies sans permission du roi. La, ledit sicur de Verteau est habille en fol et monte sur un ane, inene par toute la ville de la Cassine et autres lieux ou il avoit informe. »
M. de Luxembourg, dit ce journal a la meme date, porta le poignard a la gorge d'un nomme Barrin, maitre des requetes. L'autorite royale, audacieuse- ment insultee par les grands, n'etait pas meme res- pectee par les depositaires de la justice. Les parle- ments, et surtout le parlement de Paris, dont Marie de Medicis avait reconnu la puissance politique et implore 1'appui, affectaient la souverainete. Dilapi- dation des finances, licence des gens de guerre, vio- lation impunie des lois, fureur des duels (1), tous les desordres reprimes par Henri IV desolaient de nou- veau la France. Le journal que j'ai deja cite en four- nit une nouvelle preuve, a la datede novembre 1614. Le parlement de Paris ayant fait arreter un soldat des gardes qui avait tue en duel un de ses camara- des, le due d'Epernon se rendit a la prison a la tete (Tune compagnie des gardes, enfonca la porte, et en- leva le prisonnier. « Lorsque le parlement vouloit deliberer sur cette affaire, M. d'Epernon, avec cent quatre-vingts gentilshommes, va au palais; il avoit des soldats qui gardoient les portes ; ses gens com- mettent infmies insolences. » Le parlement voulut
(1) Les grandes families entretenaient des spadassins qu'elles « nourrissoient au sang, » comme dit Richelieu, en parlant du che- valier de Guise : «Le due de Guise qui en faisoit son 6pe"e le nourris- $oit au sang. » M^m. de Richelieu, t. I, p. 202; e"dit, Pelitot,
274 DtSORDRES DE LA MINORITY.
en informer; mais, sur 1'ordre du roi, il fut oblige de se contenter d'excuses derisoires (1).
L'autorite royale etait menacee par ceux memes qui auraient du en etre les plus fermes soutiens. Le journal inedit de Louis XIII, par son medecin He- rouard (2) , atteste a quel point la licence etait portee. « Le 17 (novembre 1615) , mardi, le cardi- nal de Sourdis, archeveque de Bordeaux, monte sur un cheval d'Espagne, et la croix portee devant lui, suivi de plusieurs seigneurs de qualite, gen- tilshommes et autres, va a la Conciergerie, fait rom- pre a coups de gros marteaux les serrures, ou le geolier fut tue, tire hors des prisons le sieur Ran- costet, condamne a perdre la tete, n'attendant que 1'execution, ayant de gros fers aux pieds, le fait mettre dans un carrosse, 1'accompagne jusques a la riviere, le fait mettre dans un bateau et le fait sau- ver. » Quel fut le chatiment d'un attentat auquel la presence du roi a Bordeaux donnait un nouveau ca- ractere de gravite? Le cardinal en fut quitte pour demander pardon a Louis XIII (3), qui lui dit : « Je vous pardonne, a la charge de ne plus faire telle chose. »
L'anarchie regnait dans les esprits comme dans la politique, et portait la disorganisation dans le mondc moral, line partie du clerge approuvait les maxirnes les plus exagerees de Bellarmin (4), pendant que le
(1) Journal cite, & la date du 24 au 29 novembre 1614.
(2) Manuscrits de 1'Arsenal, in-4°, n° 184.
(3) Ibid., a la date du 19 de"cembre 1615.
(4) On en trouve la preuve dans certains disco urs prononce"s par des membres du clerge" aux fitats- Ge"neraux de 1614. Le
DESORDES DE LA MINORITE. 275
parlement de Paris condanmait ses ouvrages a etre brules par la main du bourreau (1). Les querelles de I'Universite et des jesuites s'etaient rallumees (2) ; triste epoque qui reunissait les extremes, les violen-
journal ine"dit (Gonrart , t. XI) donne une idee de la violence du langage des homines qui devaient surtout 1'exemple de la moderation. A 1'occasion d'un arret du parlement qui rappelait 1'inviolabilite" de la couronne et d^clarait qu'aucune puissance ne pouvait y porter atteinte, il y eut une protestation violente : « Le 8 Janvier 1615 , l'6veque d'Angers , assist^ de MM. les cardinaux de Sourdis, du Perron, de La Rochefoucauld et Bonzi, de plusieurs eveques et de plusieurs gentilshommes , vient trouver le roi, et parle avec une insolence effroyable , demande la cassation tant de 1'arret du parlement que de celui du conseil, soutient que la connoissance de cette affaire n'appartient ni au parlement ni au roi, attendu que c'est un point de conscience dont le clerg6 est le seul juge. Disent que , si on ne leur accorde , ils quitteront 1'assemblee des fitats ; qu'ils useront de toutes sortes d'excommunications et anathematisations contre tous ceux qui s'opposent a cette cr6ancef afin de les pr^cipiter dans les peines, les gehennes, le feu, les en- fers. Demandent que tous ceux de la religion (les protestants) aient a se d6sister d'opiner sur cette affaire. Sur cela , M. de Bouillon, prenant la parole, dit que le roi et la reine savoient avec quelle mo- destie, lui et ceux de sa religion, avoient parte en cette affaire, lors- que le roi leur avoit command^ d'en opiner en qualite d'officiers de la couronne. Mais que, pour le fond, lui et tous ceux de sa religion rendroient toujours au roi I'ob&ssance qui lui est due. »
L'eveque d'Angers , reprenant son discours, demanda : « Que le premier avocat du roi au parlement fut toujours ecclesiastique, et que M. Servin fut depos6. »Apres, M. le cardinal du Perron prit la parole et confirm a tout cela , et, sur le sujet d'excommunication, dont il parla, M. le Prince dit (je 1'ai oui de sa bouche) : « Nonob- stant toutes les excommunications, il se trouvera toujours beaucoup de Francois, qui, en conservant le respect qui est du au pape pour ce qui concerne le spirituel, emploieront volontiers tous leurs biens et leurs vies pour la conservation de I'autorit6 et du service du roi. » Sur cela ,M. de Villeroy dit qu'il semble que l'e"veque d'Angers se soit port6 si violemment en cette affaire, et ait offens6 le parlement, expressement afin d'obtenir evocation d'unproces qu'il a contre son clerg6 d'Angers, craignant de retomber au jugement dudit parle- ment ou il a deja est6 maltraite\ »
(1) Memoir es de Richelieu, t. I, p. 126.
(2) Ibid., p. 61.
$76 MESURES ADMINISTRATES .
ces theologiques du pere Garasse et la licence scepti- que de Vanini.
Quant an gouvernement, livreadesfavoris occupes a se defendre ou a s'enrichir, aux Concini, aux de Luynes, il negligeait 1'administration. A peine trou- ve-t on, dans 1'intervalle qui s'ecoule entre la rnort de Henri IV et le second ministere de Richelieu, un petit nombre d'ordonnances dignes d'etre citees. Des edits contre les duels (1) probablement mal executes; des ordonnances pour le dessechement des rnarais (2) ; 1'organisation d'une compagnie des Indes-Orien- tales (3) ; le depot a la Bibliotheque royale de deux exemplaires de cbaque ouvrage imprime ; 1'etablisse- ment de chaises a bras dans Paris (4) ; un reglement sur la competence des juges-consuls (5), sont lesactes les plus importants de cette premiere partie du regne de Louis XIII. Richelieu, pendant sa courte appari- tion au ministere en 1 61 6, tenta de relever la marine, et fit commencer une enquete pour connaitre les moyens les plus efficaces d'y parvenir (6) ; mais eu- traine dans la disgrace de Concini (1617), il ne pul donner suite a ses projets.
Le ministere du connetable de Luynes fut aussi une epoque de troubles presque entierement sterile pour radministration. Le fait le plus important do
(1) Anciennes lois franc., XVI, 52.— Mm. deRich., t. f, pages 114-115, 157-158.
(2) Anciennes lois franc., XVI, 39, 42.
(3) I bid. ,78.
(4) Ibid., p. 106.
(5) Ibid., p. 111.
(6) Voy. plus loin, p. 301.
PARLEMENT DE PAU. 277
cette epoque, dans 1'ordre administratif, a etc I'iu- stitution d'un parlement a Pan, en 1620 (1). Cette mesure contribua puissamment a I'incorporation du Beam et de la Navarre franchise aux domaines de la eouronne. L'avenement des Bourbons au trone avait reuni cette province a la France; mais il fallait y fairepenetrer les lois et les moeurs franchises. Ce fut 1'ceuvre du parlement de Pau. On adopta quelques annees plus tard une mesure semblable pour les trois evecbes (Toul, Verdun et Metz), que Henri II avait conquis. Un parlement fut etabli a Metz pour rendre la justice au nom du roi (2).
En resume, pendant les quatorze annees qui sui- virent la mort de Henri IV (1610-1624), le pouvoir fit peu de chose pour ameliorer I'adrninistration. Ce fut au Tiers-Etat que passa 1'initiative, comme nous 1'avons deja rernarque pour les epoques ou 1'autorite royale faiblissait. Des pensees fecondes, dont protite- ront un jour Ricbelieu et Louis XIV, se trouvent dans les cahiers de cet ordre aux assemblies de 1614 et de 1617 (3). II reclama des mesures favorables au commerce, a 1'agriculture, a la propriete et a la li-
(1) Anciennes lois franc., XVI, 52. — Mdmoires de Richelieu, t. I, p. 140.
(2) Anciennes lois franc., XVI, 379.
(3) Voy. sur les titats de 1614, le r^cit de Florimond Rapine, d^- pute aux tftats; TNIayer, Eecueil des fitats-Ge'ne'raux, t. XVI, p. 229 etsuivantes; Rathery, Histoire des titats-Gentranx , p. 264-274; Augustin Thierry, Essai sur I'histoire du Tiers-fitat ; Poirson, Essai sur les foot* de 1614. Ge dernier rernarque que les principes pop6s par les Etats passerent plus tard dans les ordonnances royales. La infcme observation s'applique, comme nous Tayons vu, aux
de 1355, 1357, 1413, 1484, 1560, 1576.
L 19
278 £TATS-G£N£RAUX DE 1614.
berte. II se prononc,a avec energie en faveur de 1'in- violabilitedelacouronne, comme aux Etats de 1302. II reclama meme des reformes que 1'ancienne mo- narchie ne devait pas accomplir, telles que I'aboli- tion de la venalite des charges, la remuneration di- recte par 1'Etat des membres des parlements et des autres tribunaux, 1'egalite des charges pour tous les ordres et la suppression des corvees (1). II aurait voulu que Ton abolit les douanes interieures qui en- travaient le commerce (2). En general, le Tiers- £tat
(1) Art. 177 du chap, des Finances : « Que les gentilshommes commensaux de vostre maison, exempts et privilegies et tous autres, mesme les ecciesiasliques, demeurant anx villes ou y ayant maisons et domicile soient conlribuables aux charges et levies de deniers qui se font pour le paiement des munitions, fortifications, reparation des ponts et portes, gardes desdites villes, etc. Interdiction a tous gentilshommes, sous peine de roture, d'imposer corvees sur le peu- ple. » (Cahier du Tiers-fitat de 1614.)
(2) Art. 33 du chapitre du Domaine et finances : « Bien que les droits de la traite foraine ne doivent estre leves que sur les mar- chandises qui sortent hors du royaume pour estre portees a 1'estran- ger; ce qui est clairement induit par la signification du mot de foraine, ne"anmoins lesdits droits sont leve"s sur ce qui va de cer- taine province de votre royaume en autre d'iceluy, tout ainsy que sy c'estoit en pays estranger au grand prejudice de vos sujets, entre lesquels cela conserve les marques de. division qu'il est ne"cessaire d'oster, puisque toutes les provinces de vostre royaume sont con- jointes et ins6parablement unies a la couronne pour ne faire qu'un mesme corps sous la domination d'un mesme roy et vos subjets sont unis en une mesme obeissance. Pour ces causes , qu'il plaise a V. M. ordonner qu'ils jouiroht d'une mesme liberte et franchise, et en ce faisant quMls pourront librement ne"gocier et porter leurs mar- chandises dans 1'etendue de vostre royaume en quelque endroit que ce soit, comme concitoyens de mesme Estat, sans payer aucun droit de foraine si pour faciliter la levee desdits droits et empescher les abus qui se commettent, que la connaissance de tous diffe>ends pour raison de ladite traite appartienhe a vos juges privativement aux maistres des ports , nonobstant tous baux et evocations au contraire. »
NOTABLES DE 1617. 279
fit preuve d'une grande superiority ; ses orateurs, et principalement Savaron et Miron, montrerent au- tant de fermete que d'habilete ; tout annongait que tfenclume il pourrait bientot devenir marteau (1).
L'assemblee des notables de 1617 fut beaucoup moins importante que les fitats de 1614. Cependant on y remarqua les memes manifestations. Le gouver- nement proposa aux notables la realisation d'une pensee emise par le jurisconsulte Ant. Loysel. II avaitdemande qu'on format « une cour centrale com- posee de conseillers pris dans chaque parlement (2) . » Guide par la meme pensee d'unite et de centralisa- tion, le gouvernement proposait de cr£er une com- mission de douze conseillers, pris dans les divers parlements, quatre de Paris, deux de Toulouse, et un de chaque autre parlement pour maintenir la dis- cipline dans les cours de justice. Ce tribunal se se- rait transporte une fois 1'an dans les differents sieges des parlements pour juger les plaintes des sujets contre les officiers de justice. L'assemblee ou se trouvaient un grand nombre de membres des cours souveraines, pria le roi de conserver a ses parle- ments le privilege de juger, les chambres reunies, ceux de leurs compagnies qui leur seraient defe-
(1) La menace s'en trouve formellement exprime'e dans le discours de Miron. Le troisieme ordre annoncait ses pretentions k Te'galite' et meme £ la superiority dans des vers composes & cette e"poque :
« II faut que vos cadets deviennent vos ainds. » y disait-on aux premiers ordres. Rathery, p. 273-274.
(2) Mdm. cTAntoine Loysel cit6 par M. Dupin dans son discours de rentr^e a. la cour de cassation (3 nov. 1845).
280 RICHELIEU (1624-1642).
res (1). Ainsi le projet d'un tribunal supreme fut ajourne, et on laissa regner 1'abitraire des parle- ments tout-puissants, quand le pouvoir etait faible, ou 1'arbitraire monarchique tout-puissant par les commissions et les evocations, quand 1'autorite cen- trale etait solidement etablie.
Avec Richelieu reparurent enfin, en 1624, une politique nationale, et une administration ferme et intelligente. Le nouveau ministre arriva au pouvoir avec des idees arretees et un plan fortement coricu, comme le prouve son Testament politique (2) : « Lors- que Votre Majeste, disait-il lui-meme au roi, se resolut de me donner en meme temps 1'entree de ses conseils et grande part en sa confiance pour la direction de ses affaires , je puis dire avec verite que les huguenots partageoient 1'Etat avec elle, que les grands se conduisoient comme s'ils n'eussent pas ete ses sujets, et les plus puissants gouver- neurs des provinces comme s'ils eussent ete sou- verains en leurs charges. Je puis dire que chacun mesuroit son merite par son audace, et que les plus entreprenants etoient estimes les plus sages et se trouvoient souvent les plus heureux. Je puis dire encore que les alliances etrangeres etoient meprisees, les interets particuliers preferes aux pu-
(1) Bazin, Hisloircde France sous Louis XIII, II, Ul.
(2) Testament politique dc Richelieu, lre partie, chap. I. Voltaire a contest^ Tauthenlicite de cet ouvrage; mais la critique moderne n'a pas partag6 son scepticisme ; elle a confirme le jugement de La Bruyere, qui dit Ju Testament de Richelieu : « c'est la peinture de son esprit; son arae tout entiere s'y d^veloppQ. » Discours lie La Eruyere
PROJETS DE RICHELIEU, 281
blics; en un mot, la dignite de Votre Majeste telle- inent ravalee, qu'il etoit impossible de la reconnoi- tre. Je promis a Votre Majeste d'employer mes soins pour rabaisser 1'orgueil des grands, miner les hu- guenots, et relever son nom dans les nations etran- geres. »
A cette vue percante, qui sondait les plaies de 1'E- tat et en indiquait le remede, Richelieu joignait une force de volonte qui brisait les obstacles. « Je n'ose rien entreprendre, disait-il (1), sans y avoir bien pense; rnais, quand une fois j'ai pris ma resolution, je vais droit a mon but, je renverse tout, je fauche tout, et ensuite je couvre tout de ma robe rouge. »
Richelieu eut besoin de toute son energie avec un j'oi capricieux et jaloux (2), entoure de courtisans eleves dans 1'intrigue et ennemis de 1'ordre. Le car- dinal triompha de tous les obstacles, mais avec pru- dence : il commenca par enchainer le roi a sa politi- que, et le subjugua par Tascendant de son genie. « II se faisoit obeir de son roi lui-meme, dit ma- dame de Motteville (3), faisant de sonmaitre son es- clave, et de cet illustre esclave un des plus grands monarques du monde. » Richelieu ne negligea pas 1'opinion publique : il cherchaitala diriger par la ga-
(1) Mdnwires de Montchal, archeveque de Toulouse.
(2) « Ge prince, dit Mme de Motteville, ne s'aimoit pas lui-meme. Jaloux de la grandeur de son ministre , quoique ce ne fut que de la part qu'il lui donnoit de la sienne, il commenga de le hair, des qu'il vit I'extr6me autorite' qu'il avoit dans le royaume. » Memoires de iWme de MotteviLle, r, 386 ; edit. Petitot.
(3) Memoires de Mme de MottevUle, 1. c.
NOTABLES DE 1626.
zette de Renaudot (1 ) , en meme temps qu'il s'adressait aux notables reunis en 1 626, et leur exposait ses plans. L'assemblee leur donna I'assentiment le plus com- plet. Composee surtout de magistrats, d'officiers de finances, de riches cornmerc,ants, en un mot d'hom- mes duTiers-fitat,elle insistapour la punition severe, inexorable des rebelles , et pour la destruction des places fortes qui, situees a 1'interieur de la France, n'etaient dangereuses que pour la puissance royale. Enfin les notables approuverent tous les plans du ministre pour la creation d'une marine et le develop- pement du commerce (2).
C'est aussi a partir de cette epoque que les organes et les arbitres de 1'opinion publique, les Malherbe, les Balzac pretent a Richelieu Tappui de leur plume pour 1'oeuvre de regeneration qu'il avait si energi- quement entreprise. Quant a Malherbe qui 6tait or- dinairement sobre d'eloges, ses lettres fournissent de nombreuses preuves de son admiration pour le cardi- nal. II ecrivait le 10 septembre 1625 : « Si notre vaisseau doit jamais vaincre les tempetes, ce sera tan- dis que cette glorieuse main en tiendra le gouver- nail. Jusques ici quand il nous a fallu batir de neuf ou reparer quelque ruine, le platre seul a ete mis en oeuvre ; aujourd'hui nous ne voyons plus employer quedu marbre, et, comme les conseils sont judicieux
(1) La Gazette de France fut fondle, en 1631, par le me"decin Renaudot; elle paraissait alors une fois par semaine, et recevait des communications directes du cardinal de Richelieu.
(2) Voy. pour cette assemble le recueil de Mayer, t. XV 111, pages 15^ et suiv.; Forbonnais, Rec here ties sur les finances , t. I; Mercure fran^ais, t. XII ; Bazin, Hist, de Louis XI I L
ETAT DE L'OPINION PUBLIQUE. 283
et fideles, les executions sont diligentes et magna- nimes (1). »
Balzac, qui composa a cette epoquememe sonou- vrage intitule le Prince, ecrivait a Richelieu en le lui offrant (2) : « II ne suffit pas, Monseigneur, que vous soyez assure de la protection de votre maitre et du bon etat de votre conscience ; vous avez encore be- soin de 1'opinion des hommes et du temoignage du public. Vous n'apprebendez point le danger de votre personne ni la ruine de votre fortune ; mais vous ap- prehendez le blame et la mauvaise reputation. Vous craignez les choses deshonnetes, quoique vous me- prisiez les perilleuses; et partant ce vous doit etre une amertume assez douce, et un malheur, quoique vous puissiez dire, glorieux, de savoir avec tous les gens de bien que vous endurez pour la justice, et que votre cause est celle du roi et de 1'Etat. » Faisant al- lusion a la journee des dupes, Balzac ajoutait (3) : « Le coup dont on a cru vous faire tomber n'a servi qu'a votre affermissement, et la force de laquelle on a choque votre fortune, sans la pouvoir ebranler, nous a montre la solidite de sa matiere. » II serait facile de multiplier les extraits d'ouvrages favorables
(1) Voy. aussi une lettre de Malherbe , en date du 14 octobre 1626, a M. de Mentin (les e"diteurs ont mis a tort la date de 1616, puisqu'il y est question d'6venements arrives en 1626). Malherbe s'y exprime ainsi : « L'esprit, le jugement et le courage ne furent jamais en homme au degr6 qu'ils sont en lui. »
(2) Pages 38-39 de la lettre imprimee a la suite du Prince. Paris, Toussainct du Bray, 1631.
(3) Ibid., p. 45.
284 SUPPRESSION DES GRANJDES DIGNITES.
a Richelieu (1); il suffit d'avoir cite les eerivains qui avaient alors une grande autorite.
Richelieu poursuivit avec vigueur I'etablissement d'une puissante unite. Ordre fut donne de raser tous les chateaux et forteresses qui n'etaient pas situes sur les frontieres (2) ; on enlevait ainsi a la revoke ses principaux points d'appui. Les charges de surin- tendant, de connetable et de grand-amiral, qui don- naient une trop redoutable puissance aux titulaires, f'urent supprimees (3).
Richelieu lui-meme s'empara de la direction de la marine sous le titre de grand-maitre et de surinten- dant de la navigation (4), et s'occupa avec activite de Torganisation d'une flotte. II s'en servit pour domp- ter les protestants et enlever a leur parti de dange-
(1) Voy. La defense du Roy et de ses Ministres, par le sieur des Montagnes, Paris, 1631 ; Discours au Roy touchant les LibeLles fails contre Le gouvernement de son Estat, Paris, 1631 ; Advertis- sement aux provinces sur les noiweaux mouvements du royaumc, par le sieur de Cleonville, 1631. — Ce dernier ouvrage est altribu6 par quelques auteurs a Jean Sirmond, et par d'aulres au pere Jo- seph, confident et conseiller de Richelieu.
Le style de ce livre ne manque pas de vigueur et d'e"clal. Parian t du cardinal, 1'auteur s'exprime ainsi : « De quelque bourrasque que la forlune le batte, il tiendra toujours le gouvernail droit, et ne donnera jamais sujet a personne de lui reprocher qu'il ait eu plus de crainte de se perdre que de resolution a bien faire. Tous ces bruits et tous ces orages ne Tetonnent point. Sa conscience le met a couvert sous la protection de son maitre, qui, selon qu'il protesle par sa derniere re"ponse a Monsieur, tenant fait et dit contre Sa Ma- jesle tout ce qu'on fait et dil contre le cardinal ne laisse a personne Taudace d'entreprendre sur la pourpre de i'un qu'a celui qui ne craint pas de frapper sur la couronne de Tautre. »
(2) Anciennes lois /ranf.,XVI, 192.
(3) Ibid. , page 198. (A) Ibid., page 194.
ABAISSEMENT DBS GOUVERNEURS. 285
reux privileges, tout en lui laissant la liberte" de con- science. Les courtisans furent effrayes par les sup- plices de Chalais, de Montmorency-Bouteville, de Marillac; par la disgrace de la reine-mere et du frere du roi. Us apprirent qu'il n'y avait plus de tete, si haute qu'elle fut, que ne put atteindre la ven- geance des lois (1). Mais il fallait surtout vaincre la nouvelle feodalite nee des guerres de religion, 1'aristo- cratiedesgouverneurs, maitres absolusdans leurs pro- vinces. Us y regnaient avec une autorite si despoti- que « que le nom du roi n'y etoit connu qu'autant que, pour le dessein qu'ils avoient, il leur etoit ne- cessaire de s'en couvrir (2). » Richelieu saisit le pre- texte des troubles fomentes par Gaston d'Orleans (1630-1632) pour attaquer les gouverneurs et leur faire sentir qu'ils etaient sous la main du roi. « Le due de Bellegarde fut prive du gouvernement de Bourgogne, et par consequent des clefs des portcs qu'il avoit ouvertes a Monsieur pour le faire sortir du royaume. Le due d'Elbeuf fut pareillement de- pouille de celui de Picardie que le roi lui avoit donne peu de temps auparavant. Le due de Guise, presse des craintes de sa conscience, s'etant retire en Italic, lorsque vous 1'appelates a la cour pour rendre
(1) Richelieu, Mdmoires, livre XVIII; le ministre insiste sur la ne"cessite de punir s^verement les grands. « Tacite dit que rien ne conserve tant les lois en leur vigueur que la punition des personnes cs-quelles la qualite se trouve aussi grande que les crimes. Chatier pour des faules le"geres marque plutot le gonvernement de cruaute que de justice, et met le prince en haine, non en respect. Quand on ne chatie que des personnes de basse naissance, la plus noble partie se rit de telles puni lions, etc. »
(2) Lettre de Malherbe a M. de Mentin, Ik octobre 1616 (1626).
ABAISSEMENT DES GOUVERNEURS.
compte de ses actions, cette retraite criminelle lui fit perdre celui (le gouvernement) de Provence, dont le feu roi 1'avoit honore. Ainsi vous futes delivre des gouverneurs ingrats et infideles, et la Bourgogne, la Picardie et la Provence, provinces de grande consf- deration, demeurerent en vos mains, libres de ces esprits dangereux (1). »
Le supplice du marechal de Montmorency, gou- verneur de Languedoc, et 1'humiliation du vieux due d'Epernon, gouverneur de Guienne et Gascogne, porterent les derniers coups a cette aristocratie qui menac.ait de demembrer le royaume. Les revokes furent energiquement comprimees, et, entre autres, la revolte des Pieds-Nus de Normandie (1 639) (2) . Les parlements furent reduits au silence (3) et la royaute servie docilement par des agents devoues (4).
Richelieu fit du conseil d'fitat la pepiniere des ad- ministrateurs qui devaient porter jusqu'aux extre- mites de la France les volontes du souverain et assu- rer 1'execution rapide et complete de ses ordres. II avait trouve cette institution a peine ebauchee par les rois precedents (5) . Jusqu'alors le conseil d'£tat avait ete compose d'elements tres-divers. A cote des an- ciens conseillers d'Etat siegaient des membres du
(1) Testament politique de Richelieu, Ire partie, chap. I. Dans ce passage, Richelieu s'adresse au roi.
(2) Voyez sur cette revolte le Diaire du chancetier Seguier, re- dige" par le conseiller d'etat de Vertamont, et publi6 par M. Flo- quet. Le parlement de Normandie fut interdit par le chancelier.
(3) Anciennes Lois franc., XVI, pag 529. (/O Ibid., p. Ml.
(5) Ibid., p. 53, 129, 176, 209, 226 et 227.
ORGANISATION DU CONSEIL D**TAT. $87
parlement, des eveques, des ambassadeurs et des princes. Pour les premiers, le titre de conseillers d'etat etait la principale et souvent meme Tunique dignite. Us se d^vouaient tout entiers a ces hautes et dedicates fonctions, qui consistaient & administrer les finances du royaume, a prononcer en cas de conflit entre les divers parlements, a juger les questions re- serv^es au conseil du roi et a veiller au maintien de 1'ordre et a 1'execution des lois dans toute la France. Les membres des parlements et les grands dignitai- res qui venaient singer accidentellement au conseil d'Etat avaient la meme autorite que les conseillers permanents ; souvent meme ils prenaient place au- dessus d'eux. En un mot, le conseil d'fitat ne for- mait pas un corps distinct qui eut son rang nette- ment marque dans la hierarchic administrative.
Les anciens conseillers d'etat s'elevaient contre la position qu'on leur faisait ; ils demandaient qu'apres avoir vieilli dans Tadministration des affaires publi- queset consacre leur vie au service de la France, ils ne fussent pas effaces par des officiers de justice qui pretendaient faire dater leur rang au conseil d'Etat du jour de leur reception au parlement (1). Sous cette question de preseance, qu'on serait peut-etre tente de regarder comme puerile, se cachait une question plus serieuse : le conseil d'etat formerait- il un corps homogene, ayant ses droits, ses tradi- tions, et dont les membres auraient le rang qui etait du a Timportance de leurs fonctions? La question fut
(1) Voy. sur ces contestations TAppendice, n° II; on y trouvera les reglements du conseil d'fitat sous le regne de Louis XIII.
288 ORGANISATION DU CONSEIL D^TAT.
resolue en leur faveur (1). En 1624, les conseil- lers d'Etat furent divises en trois classes. II y cut les ordinaire*, qui siegeaient toute 1'annee, les semes- ires et les quatrimestres, qui etaient en fonctions pendant six mois ou quatre mois seulement. Les pre- miers, au nombre de huit, recevaient chacun dix. mille livres d'appointements ; les semestres, au nom- bre de dix, chacun trois mille livres ; et les treize quatrimestres, chacun deux mille livres (2).
Le conseil d'Etat etant constitue, Richelieu en de- termina les attributions par un reglement, en date du 18 Janvier 1630. Le roi etaitle president du conseil d'Etat ; mais il deleguait ordinairement au chance- lier le soin de diriger les discussions de cette assem- blee. Les maitres des requetes de quartier assistaient au conseil comme rapporteurs et avec voix delibera- tive pour les affaires dont ils avaient fait le rapport. Des le commencement de 1'annee, on divisait les pro- vinces entre les conseillers d'Etat, qui devaient s'oc- cuper chacun specialement du pays qui leur etait as- signe. Les gtndralitds ou circonscriptions fmancieres des receveurs-generaux etaient egalement partagees entre les intendants et controleurs-generaux des fi- nances. Les seances du conseil d'Etat etaient fixees aux mardi, mercredi, jeudi et samedi de chaque se- maine, et les questions dont on devait s'y occuper ( nettement determinees (3).
(1) Voy. TAppendice, n° II.
(2) J'ai public lous ces rfeglemenls in^dits dan§ TAppendice, ll.
(3) Ibidem.
ORGANISATION DU CONSEIL D'fiTAT. 289
Le mardi se tenait le conseil des ddpdches; on y li- sait les rapports adresses au conseil par les gouver- neurs de provinces et les autres representants tie 1'autorite centrale. On y redigeait les instructions remises aux commissaires extraordinairesqui etaient envoyes dans les provinces. Le conseil des depeches s'occupait aussi de 1'etat des garnisons, du paiement des troupes, « et generalement, dit le reglement de 1630, de toutes les affaires importantes, ainsi qu'il plaira a Sa Majeste de l'ordonner.» Le secretaire d'£- tat de quartier devait rediger immediatement les re- solutions du conseil afm d'en assurer 1'execution.
Le mercredi, le conseil d'£tat s'occupait de finan- ces, etspecialement des impots. « Aucune levee de deniers, dit le reglement de 1630 (1), ne pourra etre faite par le roi qui n'ait ete deliberee et resolue audit
conseil. » On arretait dans cette seance le role de la
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taille, qui etait perdue par les receveurs-gene"raux, ainsj que les conditions qui devaient etre imposees aux fermiers des aides ; on y examinait les reclama- tions des villeset des provinces contre les taxes aux- quelles elles etaierit soumises ou les demandes qu'el- les adressaient pour lever des contributions destinies a des depenses locales : c'etait aussi dans les conseils du mercredi qu'etaient redigees les instructions des commissaires envoyes dans les provinces pour pren- dre connaissance du fait des finances. On y fixait le traitement des officiers employes pour le service du roi, « Sa Majeste defendant, dit le reglement (2), au
(1) Appendice, q° H,
(2) Ibidem.
290 ORGANISATION DU CONSUL D'fiTAT.
secretaire des finances de signer aucun role des dites taxes qui ri'ait ete arrete au conseil. » Le sur- intendant, les controleurs et intendants des finances avaient voix deliberative, dans cette seance.
Le jeudi, le conseil d'Etat s'occupait encore de fi- nances, mais de la partie qu'on appellerait aujour- d'hui contentieux financier . Les reclamations des par- ticuliers ou des officiers royaux contre les fermiers des aides et les receveurs des tallies, et tous les dif- ferends relatifs aux impots, etaient juges dans ce conseil. Les maitres des requetes faisaient le rapport, et les conseillers pronongaient. On y jugeait encore les proces engages pour suppressions ou rembourse- ments d'offices , pour rachat des rentes et les ques- tions relatives aux domaines. Les adjudications des travaux publics, des fermes d'impots, avaient aussi lieu dans le conseil du jeudi.
Le samedi, se tenait le conseil des parties, ou Ton pronongait sur les evocations, les conflits entre les par- lements et les proces en reglement de juges. Les mo- difications qui furent apportees, dans le courant des xvii6 et xvme siecles, a cette organisation du conseil d'lhat, ont peu d'importance. On appela les deuxcon- seils de finances conseilsdegrande direction et depelite direction. Le premier etait preside par le chancelier, le second par le surintendant ; le premier s'occupait du contentieux financier, et le second de Tadminis- tration fmanciere. Mais en realite, le conseil d'etat de 1'ancienne monarchic conserva toujours 1'organisa- tion qu'il avait recue de Richelieu. II fut, sous la main de ce ministre, un des instruments les
INSTITUTION DBS INTENDANTS
plus actifs de la centralisation administrative, pour employer un terme tout moderne qui exprime la pen- see du cardinal. Ce fut dans le conseil d'fitat que Richelieu prit les commissaires qui composerent les liibunaux extraorclinaires dont il fit un instrument si redoutable aux grands. Quelques-uns de ces juges, comme Laffemas et Laubardemont, ont laisse un nom odieux. Beaucoup d'autres travaillerent avec devouement et succes a perfectionner radministra- tion, en ouvrant de nouvelles voies de communica- tion, en maintenant la discipline dans les armees, en surveillant les diverses juridictions et en impri- mant a tous les services publics ce caractere d'unite et de force qui distingue le gouvernement de Riche- lieu. Tel fut surtout le role des intendants.
Les intendants n'etaient d'abord que des maitres des requetes qui, sous le nom ft intendants de justice, police et finances, exercaient dans les generalites des commissions temporaires,y presidaient les tribunaux exceptionnels, et surveillaient toutes les branches d'administration, repartition et perception de Tim- pot, entretien des ponts et chaussees, etapes des gens de guerre, etc. Des ecrivains du xvne siecle les ont compares aux missi dominici fa Charlemagne (1). Comme eux, ils veillaient partout a 1'execution des ordonnances emanees du pouvoir central, et rele- vaient directement du ministre. Richelieu les choi- sissait parmi les gens nouveaux, les hommes du Tiers-fitat, parce que, disait-il, Finteret qu'ils avaient
(1) Voy. Fr. de Roye, antecessor andegavensis, Traits sur les missi dominici, Andegavi. 1672, in-40.
292 INSTITUTION DES INTENDANTS.
au temps present etait la meilleure caution de leur fidelite (1). Modifiee et perfectionnee dans la suite, 1'institution des intendants devint un des principaux ressorts de 1'administration monarchique.
La presence de ces commissaires inquietait lespar- lements, et,des 1626, its avaientfait retentirde leurs doleances 1'assemblee des notables (2) : « Recoivent vos parlements grand prejudice d'un nouvel usage d" intendants de la justice qui sont envoyes es ressorts et etendue desdits parlements pres messieurs les gouverneurs et lieutenants-generaux de Votre Majeste en ces provinces, ou qui, sur autres sujets, resident en icelles plusieurs annees, fonctions qu'ils veulent tenir a vie ; ce qui est, sans edit, etablir un chef et offi- cier surpernumeraire de justice cree sans payer fi- nance, exauctorant les chefs des compagnies subal- ternes, surchargeant vos finances d'appointements, formant une espece de justice, faisant appeler les par- ties en vertu de leurs mandements, et tenant gief- fiers dont surviennent divers inconvenients, et entre autres, de soustraire de la juridiction, censure et vigilance de vos dits parlements, les officiers des sene- chaussees, bailliages, prevotes et autres juges subal- ternes. Us prennent encore connoissance de divers fails, dont ils attirent a votre conseil les appellations au prejudice de la juridiction ordinaire de vos dits par- lements : c'est pourquoi, Votre Majeste est tres-hum- blement suppliee de les revoquer et que telles fonc-
(1) Memoires de Richelieu, liv. XXII.
(2) Ges doteances se trouvent dans un inanuscrit de la Bib, de 1'Umversite, H, II, 8, f 205.
INSTITUTION DES INTENDANTS. 293
tions ne soient desormais faites sous pretexte (Tin- tcndance ou autrement, sauf et sans prejudice du pouvoir attribue par les ordormances aux maitres des requetes de votre hotel faisant leurs chevauchees dans les provinces, tant que pour icelles leur sejour le requerera. » Heureusement, Richelieu avait 1'ame trop ferme et 1'esprit trop penetrant pour ceder a ces re m on trances. II lui fallait dans les provinces des administrateursqui dependissent directetnent de son pouvoir, et, a partir de 1635, il rendit permanente 1'institution des intendants.
Ainsi, onze annees (1624-1635) avaient suffi a Ri- chelieu pour abattre la ouissance de& grands, detruire 1'independance politique des huguenots, triompher des pretentious des parlements et organiser une vi- goureuse administration qui avait son centre dans le conseil d'Etat et dont les intendants faisaient pene- trejr les resolutions dans toutes les parties du royaume. Pendant ce temps, il avait dejoue les intri- gues de cour, echappe au fer des assassins, dirige la politique europeenne, fomente les troubles d'fi- cosse, releve le parti francais en Italie et en Allema- gne, excite une puissante opposition contre Fer- dinand [I, et cherche « jusque sous le pole le he- ros qui semblait destine a abattre le grand arbre de la maison d'Autriche (1). » II avait soutenu Gus- tave-Adolphe de Targent et de 1'appui de la France, et avait contribue a ses rapides succes. A partir de 1635, une lutte directe contre la maison d'Autri-
(1) Voiture, Lettre sur la prise de Corbie, t. T, pages 178-179, de Tedilion de 1729.
I. 2(1
294 ACTIVITY DE RICHELIEU.
che, la surveillance des nombreuses armees de terre et de mer, 1'entretien des alliances, la necessite de maintenir dans sa dependance un maitre qui encoura- geait ses ennemis, taut de soucis aecumules semblaient devoir absorber et user 1'activite du plus puissant ge- nie. Mais, chose merveilleuse I Richelieu sut descen- dre, sans s'abaisser, aux moindres details d'adminis- tration. Seconde par les secretaires d'Etat, qui ne furent, sous lui, que d'excellents commis,par Claude le Bouthillier, Chavigny, Brienne, Sublet de Noyers, il porta partout 1'ordre et la regularite, mais sans s'inquieter assez des droits de la justice et de la li- berte.
CHAPITRE XV.
Sommaire.
Louis XIII (suite). — Administration de la justice; commis- sions institutes pour juger les crimes politiques ; reforme tentee par Michel de Marillac (1630). — Administration militaire; discipline introduite dans les armees; intendants speciaux etablis pres des armees pour en assurer 1'approvi- sionnement ; institution du ministere de la guerre en \ 636 ; projets de Richelieu pour 1'amelioration de 1'organisation militaire. — Marine : Richelieu prouve la necessite de creer une marine militaire ; ports creuses ; flottes sur 1'Ocean et la Mediterrane'e ; succes maritimes desFrancais. — Finan- ces : memoire de Colbert sur 1'administration des finances de 1610 a 1630; situation deplorable du tresor; accroisse- ment des impots ; vues de Richelieu sur la nature des im- potsetsurle credit public. — Du commerce etdel'industrie : compagnie du Morbihan (1626-1628) ; compagnie deslndes occidentals ; etablissement des Antilles ; relations commer- ciales avec 1'Asie et 1'Afrique; le canal de Rriare est acheve; canalisation de plusieurs rivieres. — Organisation de la poste aux lettres. — Affaires religieuses. — Protection accordee aux lettres et aux arts. — Attaques dirigees centre Richelieu apres sa mort (4 decembre 1 642) ; il est defendu par Mazarin.
Richelieu se montra administrateur aussi habile qne grand politique : justice, armee, marine, finan- ces, industrie, commerce, voies de communication, exploitation des richesses minerales de la France, progres religieux et intellectuel de la nation, il ne negligea aucune des branches d'administration. II y cherchaitsurtoutdes appuis pour 1'autorite monarch!-
29C COMMISSIONS JUDICIAIRES.
que ; ainsi ('administration de la justice ne fut auK yeux de Richelieu qu'un moyen de gouvernement. Les commissions enlevaient les accuses a leurs juges naturels, et etaient presidees par des maitres des re- quetes, des intendants, des conseillers d'Etat, dont quelques-uns, comme LaffemasetLaubardemont, ont laisse un nom odieusement celebre. Ces tribunaux siegeaient quelquefois clans le chateau de Ruel qui appartenait au cardinal (1). A quoi bon insister sur les proces odieux d'Urbain Grandier et d'autres victimes d'accusations de sortilege et de magie? Tout le monde sait qu'on fit revivre contre de Thou, la loi cruelle de Louis XI qui condamnait a mort celui qui ne trahissait pas les confidences d'un ami (2). Les formes de la justice, sauve-garde de 1'innocence, etaient me- prisees, des qu'il s'agissait de crimes politiques. Le
(1) Quarante-sept condamnations a mort furent prononce"es pour crimes politiques sous le ministere de Richelieu et vingt-six suivies d'execution capitale : Chalais (1626); Beaufort, gouverneur de Farmers (1628); le due de jvlontmorency, gouverneur du Langue- doc (1632); les sieurs des Hayes, Cormenin, d'Entragues et de Ca- pistran, implique's dans la revolte du due de Montmorency; le vicomte de Hautefort de 1' Estrange (1632) ; Cinq-Mars et de Thou (16A2). Le mare'chal de Marillac, accuse de peculat (1632) : Boutte- ville et des Chapelles, pour duel (1627); le baron de Clausel (1636), pour crime de trahison ; le sieur de Hencourt et le capitaine du Val, pour re" volte a main armee (1638) ; Gaspard Boullay, pour evasion d'un prisonnier d'fitat; Saint-Preuil, Montgaillard , Anisey, Saint- L6ger, pour indiscipline militaire; Le Plessis (1631), Gargon (1633), Urbain Grandier (163/i), pour accusation de sortilege et de magie ; Alpheston, Chavagnac, le pere Chanteloube, pour attentat contre la personne de Uichelieu. Voy. pour les details le Journal de Richelieu.
(2) Voy. dans le t. II de Touvrage intitule" Journal de Richelieu tous les details du proces de Thou. On croit souvent a tori que ce Journal se retrouve tout enlier dans les Mcmoires de Richelieu. l^z&Mcmoires s'arretent en 1639, et ne contiennent par consequent rien de relatif au proces de Cinq-Mars et de Thou,
COMMISSIONS JL'DICIAIRKS. 297
chancelier Seguier, chef de le magistrature, en don- nait le premier Texemple. On le vit surtout lorsqu'il parcourut la Normandie pour punir la revolte des Pieds-Nus. Un des commissaires qui 1'accompa- gnaient ecrivait (1) : « Aujourd'hui, 7 Janvier 1640, on a commence justice en cette ville de Rouen par 1' execution de cinq seditieux, dont Tun nomme Gorin a ete rompu vif et les autres quatre pendus, apres avoir eu la question ordinaire et extraordinaire pour savoir les complices ; ils ont ete condamnes a ce supplice par monseigneur le chancelier seul, sans autres juges ni assesseurs ni autre formalite que celle des informations, recollements et confronta- tions, sans avoir vu ni oui les condamnes, et sans avoir donne autre arret que verbal. » Seguier, instru- ment docile des rigueurs de Richelieu, repondait aux juges qui s'etounaient de cette violation des for- mes, « qu'il avoit condamne ces malheureux verba- lement et militairement; qu'il consideroit la chose comme si elle venoit d'arriver et qu'ils eussent encore les armes a la main, auquel cas il etoit du service du roi, de son autorite et du bien public de faire des exemples et de passer par dessus les formes ordi- naires (2). » On ne peut justifier ces exces du des- potisme. Mais du moins cette rigueur impitoyable fut egale pour tous, et les plus hautes tetes appri- rent a se courber sous le joug de la loi.
II y eut d'ailleurs quelques tentatives faites pour ameliorer la legislation. La laborieuse compilation
(1) Bibl. imp., coll. Dupuy, n° 548-550.
(2) Ibidem.
£98 CODE MICHAtD.
de Michel de Marillac en 461 articles (1) reprodui- sait les dispositions les plus importantes des ordon- nances d'Orleans, de Moulins et de Blois , et y ajoutait quelques mesures nouvelles pour la re- pression de 1'independance feodale (2). Les parle- ments profiterent de la disgrace de Michel de Ma- rillac, en 1630, pour empecher que cetteutile ordon- nance ne fut enregistree. Us ne la designerent que par le sobriquet de Code Michaud, et, comme il est arrive trop souvent, une plaisanterie fit abandonner des mesures excellentes. Dans la suite, Richelieu rendit les gentilshommes responsables de tous les desordres commis sur leurs terres (3). II forca les parlements a se renfermer dans leurs fonctions judi- ciaires, et leur interdit la connaissance des questions politiques et administrates (4). II parait meme avoir serieusement songe a abolir la paulette (5), et par consequent 1'heredite des charges de judicature.
^administration militaire subit de phis impor- tantes reformes. Le cardinal, qui se piquait de genie
(1) Anciennes Lois fran$., XVI, 223-344.
(2) Ibidem. Voy. surtout les articles 171, 172, 173 , 174, 175 , 176, 177, qui defendent de lever des troupes , de faire aucuns pre- paralifs de guerre, de fortifier lesvilles ou chateaux, etde tenir des assemblies sans 1'autorisation du roi.
(3) Anciennes /0/s/r«wc..,XVI,525. Parcette ordonnance, les gen- tilshommes son t obliges, «chacun en 1'etendue de leurs terres, de contenir les sujets du roi dans 1'obeissance ..... Ge qui leur est ais6, vu le pouvoir qu'ils prennent ordinairement sur leurs tenanciers, auxquels ils font bien, dil 1'ordonnance, executer leurs volonte"s, lorsqu'il s'agit de leur inte"r6t particulier. »
(4) Ancienne.s Lois frang., XVI, 529.
(5) Mdmoircs de Richelieu, liv. XX : « 11 faut, dit-il, ne plus re"- tablir la paulette , abaisser les compagnies, qui, par une pre"tendue souverainete s'opposent tous les jours au bien du royauine. » Ce
ADMINISTRATION MILITA1RE. 299
militaire, rappelle avec orgueil dans son Testament politique la discipline qu'il etablit dans Farmee d'l- talie, et parmi les troupes qui firent le siege de La Rochelle. « On y obeissoit comme des religieux por- » tant les armes (1). »
Le service des vivres avait ete jusqu'alors ne- glige. De la les pillages et les exces de la soldates- que, dont sont remplis les memoires du xvie siecle. L'assemble"e des notables avait signale ces abus et demande a Richelieu d'adopter les mesures qui de- vaient rendre la discipline plus severe. II fallait, di- saient les cahiers de cette assemblee (2) , recommander aux mestres de camp, charges des nouvelles levees, d'ordonner a leurs capitaines d'empecher que les soldats ne commissent aucun desordre en allant au lieu de I'enrolement, a peine d'en repondre en leur propre et prive nom. Le capitaine devait se trouver le premier au lieu de 1'enrolement quiserait acheveen dix ou douze jours au plus.
« Chaque regiment aura un commissaire, un con- troleur et un commis de 1'extraordinaire. Le commis de 1'extraordinaire paiera tous les vivres. II sera fait defense aux soldats, sous peine de punition corpo- relle, de sortir de leur quartier ni de rien enlever a leurs hotes, et aux notes de leur rien fournir. Les troupes devront, sous peine de la vie, suivre 1'ordre
passage est en contradiction avec un chapitre du Testament politi- que (2e partie, chap. Zi, § I), ou tout en reconnaissant Tabus de la pauiette et de la venalite" des charges, Richelieu declare qu'on ne peut les supprimer. J'ai pref^re Tautorite des Memoires.
(1) Testament politique, 2e partie, ch. 9, S 4.
(2) Bibl. imp., S. Fr., n" 1595, f°" 114 et suiv.
300 DISCIPLINE MILITAIRE.
qui leur sera indique et les routes qui leur seront tracees. Le roi enverra des instructions pour les etapes aux gouverneurs de provinces, qui, de con- cert avec les lieutenants du roi, senechaux, baillis et autres officiers, prendront toutes les precautions pour assurer 1'ordre. Les regiments devront marcher 1'un apres L'autre pour eviter la confusion et 1'inso- lence des troupes toujours plus grande, quand les soldats sont reunis. II est enjoint aux capitaines et differents officiers de veiller au maintien de la dis- cipline, aux prevots des marechaux d'accompagner les troupes en marche et de veiller sur elles; meme prescription pour les prevots des regiments et les commissaires des conduites.
« Les soldats, tant de pied que de cheval, ne pourront passer plus d'une nuit dans le meme lieu. Defense, sous peine de 1'estrapade, de s'ecarter du drapeau. On designera les maisons ou les soldats pourront etre loges; les autres leur seront interdites. Us ne pourront demander a leurs hotes que le cou- vert, le feu pour se chauffer et cuire leur viande, le lit et une chandelle pour chaque logis; autrement. disent les doleances des notables, il se commet de tres-grands abus, et les soldats ranc,onnent d'ordi- naire les pauvres gens. » Richelieu realisa en par- tie les voeux des notables; il confia a des intendants spdciaux le soin d'organiser les ambulances, d'ap- provisionner 1'armee, de payer le soldat et de re- primer tous les desordres (1).
(1) Voy. dans les Mdmoires de Montrtsor le rapport de 1'inlen- dant de Tarmee de Champagne.
MINISTERS DE LA GUERRE. 301
De cette epoque date 1'organisation du ministere special de la guerre. Jusqu'alors les secretaires d'E- tat s'en etaient partage les fonctions; mais, en 1636, Sublet de Noyers, commis laborieux, fut charge ex- clusivement des affaires militaires et conserva ce de- partement jusqu'a la mort de Richelieu. L'institution des lieutenants-generaux du roi, dans les armees, et la formation de plusieurs corps nouveaux, entre autres des mousquetaires (1), remontent aussi au rc- gne de Louis XIII. Richelieu entrait dans les details les plus minutieux pour Tapprovisionnement des ar- mees, le transport et la qualite des munitions (2). II auraitvoulu creer une infanterie nationale et en assu- rer le recrutement regulier (3). Ces idees, pour etre restees a 1'etat de theories , n'attestent pas moins la puissance du genie qui les a conchies.
Plus heureux pour la marine, Richelieu put en realiser immediatement 1' organisation. Des 1'epoque de son premier ministere (1616), il avail fait faire une enquete sur les causes du deperissement de la ma- rine ; mais entraine dans la chute de Concini, il fut contraint d'ajourner ses projets. Rentre au pouvoir en 1624, il s'occupa presque aussitot de la flotte. II fit comprendre au roi et aux notables, reunis en 1626, la necessite d'un armement maritime pour ba- lancer la puissance de 1'Espagne sur la Mediterranee et de 1'Angleterre sur FOcean. « II scmble, disait-il au roi (4), que la nature ait voulu offrir 1'empire de
(1) Voyez les Memoires de Puysegur, h Tanned 1622.
(2) Testament politiquc de Ric/ielieu, 2e partie, chap. 9, p. Z|.
(3) Ibidem.
(4) Ibidem, 2e partie, chap. 9, § 5.
302 MARINE MILITAIRE.
la mer a la France par I'avantageuse situation de ses deux cotes, egalement pourvues d'excellents ports aux deux mers Oceane et Mediterranee. La separation des Etats qui forment le corps de la monarchic es- pagnole en rend la conservation si mal aisee que pour leur donner quelque liaison 1'unique moyen qu'ait 1'Espagne estl'entretenement de grand nombre de vaisseaux en 1'Ocean et de galeres en la mer Medi- terranee, qui par leur trajet continuel reunissent en quelque fagon les membres a leur chef.
« Comme la cote de ponant de ce royaume (de France) separe 1'Espagne de tous les Etats possedes en Italic par leur roi, ainsi il semble que la provi- dence de Dieu, qui veut tenir les choses en balance, a voulu que la situation de la France separat les £tats de 1'Espagne pour les affoiblir en les divisant. Si V. SI. a toujours dans ses ports quarante bons vaisseaux bien outilles et bien equipes, prets a met- tre en mer aux premieres occasions , elle en aura suffisamment pour se garantir de toute injure et se faire craindre dans toutes les mers par ceux qui jus- qu'a present y ont meprise ses forces.
« Avec trente galeres, V. M. ne balancera pas seu- lement la puissance de 1'Europe qui peut, par 1'assis- tance de ses allies, en mettre cinquante en corps, mais elle la surmoritera par la raison de 1'union qui redouble la puissance des forces qu'elle unit. Vos ga- leres pouvant demeurer en corps, soit a Marseille, soit a Toulon, elles seront toujours en etat de s'op- poser a celles d'Espagne, tellement separees par la situation politiquede ce royaume, qu'elles ne peuvent
MARINE MIL1TA1RE. 303
s'assembler sans passer a la vue des ports et des ra- des de Provence, et meme sans y mouiller quelque- fois, a cause des tempetes qui les surprennent a demi-canal et que ces vaisseaux legers ne peuvent supporter sans grand hasard dans un trajet facheux ou elles sont assez frequentes.
« Et quand meme ils pourroient etre servis d'un vent si favorable qu'ils n'auroient rien a craindre de la mer, le moindre avis que nous aurons de leur pas- sage nous donnera lieu de le traverser d'autant plus assurement que nous pouvons nous mettre a la mer, quand bon nous semble, et nous retirer sans peril quand le vent nous menace, a cause du voisinage de nos ports qu'ils n'osent aborder. Par ce moyen, V. M. conservera la liberte aux provinces d'ltalie, qui ont ete jusqu'a present comme esclaves du roi d'Espagne. Elle redonnera le coeur a ceux qui ont voulu secouer le joug de cette tyrannic, qu'ils ne sup- portent que parce qu'ils ne peuvent s'en delivrer, et fomentera la faction de ceux qui ont le coeur franc,ois.
« Le feu roi votre pere ayant donne charge a M. d'Alincourt (1) de faire reproche au grand due Ferdinand de ce qu'apres 1'alliance qu'il avoit con- tractee avec lui par le mariage de la reine votre mere, il n'avoit pas laisse que de prendre une nouvelle liai- son avec 1'Espagne, le grand due, apres avoir oui patiemment ce qu'il lui dit sur ce sujet, fit une re- ponse qui signifie beaucoup en peu de mots et qui doit etre considered par V. M. et ses successeurs : Si
(1) Charles de Neufville, fils du secretaire d'titat Nicolas de Neuf- ville, seigneur de Villeroi.
304 FORTS CRELSES.
le roi eut eu quarante galcres a Marseille, je n'eusse pas fait ce que fai fait. »
Sur 1'Ocean il fallait aussi une flotte pour balancer la puissance de la Grande-Bretagne, et « montrer » aux Anglois qu'ils n'etoient pas rois de la mer (1). » Richelieu n'avait pas oublie le sanglant outrage es- suye par Sully, outrage, « qui perca le coeur aux » bons Francois (2). » line negligea rien pourmettre la France a 1'abri de pareils affronts. II fit construire des vaisseaux et il etablit a Brouage, au Havre et a Mar- seille des fonderies de canons pour les arnier. Le port de Brest, agrandi et fortifie, assura un asile a la flotte de 1'Ocean, pendant que celle de la Mediterranee trou- vaitde nombreux havres sur les cotes de la Provence. Richelieu chargea MM. d'lnfreville et de Seguiran de visiter les cotes de France (3) et de travailler a detruire les droits feodaux que les seigneurs riverains de 1'Ocean et de la Mediterranee pretendaient conser- ver sur la navigation. En qualite de surintendant de lanavigation, il s'efforc,ait de rarnenerTadministration maritime a 1'unite. Des 1 626, Malherbe etait frappe de la grandeur des projetsde ce ministre et des resultats qu'il avait obtenus : « L'espace d'entre le Rhin et les Pyrenees, ecrivait-il aM. de Mentin (4),ne lui semble pas un assez grand champ pour les fleurs de lis.l
(1) Mem. de Richelieu, t. V, p. 201.
(!) Testam. politique, 2C partie, ch. 9 , § 5. — Voy. plus haul, p. 264.
(3) Leur rapport a ete publie dans le tome HI de la Correspon- dence de Sourdis, qui fait partie de la collection des Documents inedits dc L'histoire de France.
(li) Lettre de Malherbe & M. dc Mentin, en date du 14 octobre
PLOTTES EQUIPfcES. 305
veut qu'elles occupent les deux Lords de la mer. Mesurez a Fetendue de ses desseins Fetendue de son courage. »
Richelieu equipa, en effet, deux flottes, Tune sur FOcean, forte de soixante vaisseaux (1), 1'autre sur la Mediterranee, composee de vingt galeres et de vingt vaisseaux ronds (2). La premiere forc.a les Anglais de respecter le pavilion de la France et de reconnaitre la liberte des mers (3) ; la seconde balance sur la Mediterranee la puissance des Espagnols. L'etablis- seinent des classes, ou inscription maritime, assura, des 1637, le recrutement de Farmee de mer, si Ton en croit le pere Daniel dans son Histoire de la mi- lice fran$aise. Ce qui est certain, c'est que les Espa- gnols furent chasses des iles Sainte-Marguerite et Saint-Honorat ; Sourdis , archeveque de Bordeaux , les vainquit en plusieurs rencontres, et entre autres a Galtari, en Biscaye (1 638), puis il alia sur les cotes du Portugal provoquer Finsurrection de ce pays contre les Espagnols (1640).
De pareilles creations expliquent et justifient Fac- croissement des impots. Au moment ou Richelieu prit la direction des affaires, la situation des finances etait deplorable. Colbert , dans un memoire adresse a Louis XIV (4), leprouveenexposantl'administration des finances de 1610 a 1630. «Nous avons vu,dit-il,
(1) Testament politique, lrc par tie, chap. 1.
(2) Ibidem.
(3) Memoir es de Richelieu, tome V, p. 201-202.
(U) Ce Memoire, dont je public ici une partie ineYlile, est nnto- graphe et se trouve parmi les manuscrits de la Bibl. imp., S. Fr., n° 3695.
306 ADMINISTRATION DBS FINANCES.
pendant les vingt premieres ann6es depuis la mort de Henri IV (1610-1630) (1), les surintendants se gorger de biens, et, a leur exemple, tous les gens de finances, ou, s'ils etoient gens de bien, ils n'avoient pas assez de penetration pour connoitre les abus, malversations, vols et dissipations qui se commet- toient sous leur autorite, en sorte que 1'foat etoit toujours en necessite, et il se trouve meme que 1'in- suffisance des surintendants a ete presque toujours plus prejudiciable a 1'Etat et aux.peuples que leurs vols personnels, vu qu'il n'y a jamais eu de temps ou les surintendants aient paru plus gens de bien que depuis 1618 jusqu'en 1630 (2), et neanmoins, outre que les subalternes s'enrichirent prodigieusement, il
(1) Colbert a raye ici un passage que je crois devoir reproduire en note : « La liberalite et la magnificence de Marie de Medicis dans quelques affaires quilui survinrent, au commencementde sa regence, dissiperent en peu d'annees les dix-huit millions de livres que Hen- ri IV avoit amasses et qui etoient en reserve a la Bastille. Depuis ce temps-la, les guerres de M. le Prince et quelques soulevements des huguenots ayant oblige" la regente a entretenir un nombre de troupes assez considerable, et les manages de France et d'Espagne etant survenus, les defenses commencerent a exceder les revenus ordinaires de 1'fttat, et par consequent a obliger les surintendants a avoir recours a des moyens extraordinaires pour y fournir. Depuis, la nouvelle faveur de M. de Luynes, apres qu'il se fut etabli sur la ruine de la reine-mere, ne lui donna le temps, pendant cinq a six annees qu'elle dura, que de vaquer a ses affaires particulieres, sans penser a reme"dier aux de"sordres des finances qui e"toient dej^ assez considerables. » II est facile de voir'pour quel motif Colbert a sacrifie ces details precis sur les abus financiers des premieres annees de Louis XIII : la reine-mere s'y trouvait trop directement blamee.
(2) Les surintendants pendant cette periode furent le president Jeannin, Schomberg, La Vieuville, Bochart de Champigny, Michel de Marillac et d'Effiat. On trouvera dans 1'Appendice n° III une notice sur les surintendants des finances, de 159/i ft 1653; elle est
des Me"moires inedits d' Andre d'Ormesson.
ADMINISTRATION DBS FINANCES. 307
se trouva que dans 1'espace de douze annees Ton avoit aliene pour dix-huit millions de livres derevenu en droits sur les tallies a prendre sur les peuples, en sorte que les tallies ne se trouvant monter en 1618 qu'a vingt millions de livres, ou moins, se trouverent a trente huit millions en 1630.
« Cette prodigieuse surcharge des peuples tour- noit seulement au profit de quelques particuliers et nonala decharge des depenses de 1'fitat, outre Taug- mentation de gages et la creation d'une infinite d'offi- ciers de toute sorte. Mais, apres ces vingt annees expirees, le changement des qualites de 1'esprit des personnes choisies pour remplir ce poste n'a pas change^ le destin de 1'fitat. Au contraire, Ton a com- mence de voir une partie de leurs maximes s'etablir dans leurs esprits et dans leur conduite, et prendre telles forces par succession de temps, qu'elles ont passe pour indubitables. Ces maximes ont etc :
« Que ce royaume ne pouvoit subsister que dans la confusion et le desordre ;
« Que le secret des finances consistoit seulement a faire et defaire, donner des gages et des honneurs nouveaux aux anciens officiers, en creer de nouveaux de toute sorte et de toutes qualites, aliener des droits, des gages, des rentes, les retrancher et les re"tablir;
« Faire payer des taxes sur toute sorte de pre- textes ;
« Augmenter les droits des fermes et les tailles, les aliener, retrancher, retirer et aliener de nou- veau ;
308 ADMINISTRATION DES FINANCES.
« Consommer pour les depenses d'une annee les recettes ordinaires et extraordinaires de deux sui- vantes ;
« Donner de prodigieuses remises, non-seulement pour les affaires extraordinaires, mais meme pour le recouvrement des revenus ordinaires, dont les remi- ses et les interets des avances consommoient toujours plus de la moitie;
« Donner moyen aux tresoriers de 1'epargne et autres comptables, fermiers et traitants, de faire des gains prodigieux, soutenant que la grandeur de 1'E- tat consistoit a avoir un petit nombre de personnes qui pussent fournir des sommes prodigieuses et qui donnassent de 1'etonnement a tous les princes etran- gers;
« Negliger les fermes et recettes generates, en quoi consistent les revenus ordinaires pour s'appli- quer entierement a des affaires extraordinaires.
« Ces pernicieuses maximes etoient etablies de sorte que les plus habiles et les plus eclaires dans le gouvernement de 1'Etat estimoient qu'en une matiere si delicate 1'experience d'une autre conduite etoit plus dangereuse que le mal meme que Ton souf- froit.
« II ne faut pas s'etonner si les surintendants re- gloient leur conduite sur ces maximes, vu qu'ils y trouvoient deux avantages considerables, le premier que dans cette con fusion et ce desordre ils trouvoient beaucoup de facilite a s' enrich ir et a faire des graces considerables a leurs parents, a leurs amis et a tou- tes les personnes de la cour, des bons offices des-
ADMINISTRATION DES FINANCES. 209
quels ils avoient besoin pour se conserver ail milieu cle tous leurs desordres, et le second qu'ils etoicnt persuades que cette conduite rendoit leur ministere necessaire et que Ton ne sauroit prendre la resolu- tion de les changer. »
Le jugement severe que porte Colbert sur radmi- nistration des finances s'applique a tout le regne de Louis XIII. Cependant on ne doit pas oublier quel- ques mesures utiles adoptees par Richelieu. Des 1625, il fit dresser un etat des finances qui consta- tait la situation reelle du tresor (1 ) . Le budget ainsi dresse par ordre du cardinal, montra que le deficit s'elevait a plus de trente millions. Les charges enor- mes de Tentretien de cinq armees de terre et de deux flottes, les subsides payes aux allies de Suede et d'Allemagne, expliquent 1'accroissement des impots dont se plaignaient vivement les contemporains : « On met ici de nouveaux impots sur tout ce qu'on
(1) Bibl. de I'Universite, ms. Miscellanea, ff, I, l\k. En void le d6but : « Le roy s'e"tant faict representer en son conseil les estats de la valeur de ses finances pour aviser a ce que S. M. peut tirer des ge'neralite's de ce royaume, m£me de la generality de Paris, pour subvenir aux depenses qu'il lui convient faire durant la pre'sente anne"e 1625, tant pour la conservation de son Estat , entretenement de sa maison que plusieurs graves et ne"cessaires defenses ; apres avoir reconnu qu'ci cause des alienations cy-devant faites par les rois ses pre'de'cesseurs de toutes les parts et portions de son domaine, aides et subsides, meme des grandes charges estant sur le principal de ses tailles ordinaires et crues (surtaxes) y jointes , desquelles ne lui scauroit venir le quart, au moyen de quoi S. M. auroit encore este* contrainte ordonner le reculement pour demiG-anne"e des rentes as- sign6es sur les recettes particulieres desdites tailles et recettes generales de ce royaume, S. M. estant en son conseil, a ordonne' et ordonneque toutes lettres et provisions necessaires serontexpe"diees pour Tex6cution et observation du present estat, »
I. 21
310 ACCR01SSEMENT DES 1MPOTS.
peut, ecrivait Guy Patin a la fin de 1637, entre au- tres sur le sel, le vin et le bois; j'ai peur qu'enfin on n'en mette sur les gueux qui se chauffent au so- leil. »
Cette boutade d'un esprit chagrin ne detruit pas 1'assertion de Richelieu, qui, apres avoir enuroer6 les charges de 1'Etat, s'elevant a soixante millions, se vante d'y avoir pourvu, « sans toucher au revenu des particuliers, et meme sans demander aucune alienation du fonds du clerge... Ainsi soixante mil- lipns de depenses par an, cent cinquante mille hom- mes de pied, tant pour les armees que pour les gar- nisons des places, et plus de trente mille chevaux, seront a la posterite un argument immortel de la puissance de cette couronne (1). »
Le Testament politique de Richelieu prouve que meme en matiere de finances, il avait sur ses contem- porains une superiorite reelle. II avait etudie toutes les sources du revenu public : 1'impot, le credit et le commerce. Pour les impots, il aurait voulu diminuer la taille qui ecrasait les classes pauvres, et augmen- ter les (tides qui pesaient egalement sur le riche et surle pauvre (2). Cette idee fut en partie realisee par Colbert.
Richelieu comprit un des premiers la theorie du crd- dit public. II ne voulait pas, comme Sully, entasser des millions dans les caves de la Bastille. Les ein-
(1) Testament politique, lre partie, chap. 1. Je n'ai pas parle de mesures qui n'ont aucune importance pour 1'histoire de 1'adininis- tration, comme la vente des offices, etc. Elles sont 6num6r6es dans Forbonnais, Recherches sur les finances.
(2) Testament polUicjue, 2e partie, ch. 9, § 7.
PROJBT8 DE RICUEI4KU. 3
prunts a un taux modere etaient a ses yeux une res- source utile, et, voulant assurer le credit public, il condamnait la banqueroute et le remboursement des rentes au prix d'achat (1). Enfin, il se proposait de creer un fond d'amortissement^ au moyen duquel il eutaequitte en septans la dette nationale (2). Ce fut encore une idee feeonde dont il legua la realisation a I'aveuir. Mais du moins il put s'occuper immediate- ment du commerce, et il s'efforca de lui ouvrir de nouveaux debouches.
Dans I'assemblee des notables de 1626, Richelieu avait developpe des idees favorables a 1'industrie. « Comme apres avoir jete les yeux sur les defauts de la France, il a reconnu qu'il ne s'y pouvoit remedier que par le retablissement du commerce, il s'est re- solu sous Tautorite du roi, d'y travailler a bon escient, et, par 1'entretenement d'un suffisant nombre c!e vais- seaux, rendre les armes de S. M. redoutables aux lieux ou le nom de ses predecesseurs a bien a peine ete connu(3). » Richelieu voulait, suivant 1'usage du temps, proteger le commerce par des mesures prohi- bitives et eu favoriser le developpement par 1'organi- tion des compagnies que Ton voyait alors s'etablir en Hollande et en Angleterre (4). Le gouvernement en- couragea, en effet, retablissement de ces associa- tions (5). Des 1626, on vit s'etablir la compagnie
(1) Testament politiquc, 2C partie, ch. 9, § 7.
(2) Ibidem.
(3) Lettre de Malherbe a M. de Mentin, 14 octobre.
(4) Mtrn. de Richelieu, t. XXHI, p. 258, 2e s^rie de la collect. Petitot.
(5) Anciennes lois franc., t. XVI, p. 216, 347, 415, 540.
312 COMPAGN1ES DE COMMERCE.
du Morbihan, composee de cent associes auxquels on avait cede le pays de Morbihan avec le mono- pole du commerce dans le Canada et les iles de 1'A- merique. « Le bruit de cet evenement alarmoit deja les Anglois et les Hollandois , » dit Richelieu dans ses memoires ; mais le parlement de Rennes ayant refuse d'enregistrer les clauses relatives a la ces- sion du Morbihan, la compagnie fut dissoute apres deux ans de vaines tentatives (1628). Elle futbientot remplacee par une compagnie des Indes occidentales, qui s'occupa de la colonisation du Canada, du com- merce des pelleteries, et fonda des comptoirs dans les iles des Antilles, a Saint-Domingue, a Saint-Christo- phe, a la Barbade, etc. (1). Les anciens traites de la France et de la Turquie furent confirmes (2), et des consuls etablis dans les echelles du Levant. Des relations furent ouvertes avec la Perse (3). Richelieu envoya sur la cote de Barbaric du Chalard et le com- mandeur de Rasilly qui signerent, en 1601 , un traite avec le souverain du Maroc (4). Toutes les denrees qui pouvaient faire 1'objet d'importations ou d'expor- tations avaient ete pour Richelieu 1'objet d'etudes spe- ciales. Ce ministre ne negligea pasmeme la Moscovie,
(1) Anciennes Lois franc., t. XVI, p. 3A7, 415 , 540.
(2) Cimb. et Danjou, Archives curieuses de I'histoire de France, 2e serie, t. Ill, p. 387.
(3) « Le roi Louis XIII envoya le sieur de Saint-Memein vers le roi de Perse pour avoir et entretenir des facteurs et correspondants
f rangois a Bassora, Alep et autres lieux de ce pays-lft avec ceux de Marseille. » (Thorn. Le Fevre, Discours sommaire du commerce.) L'auteur place a tort Alep en Perse; Bassora avait 616 enlevee aux Turcs par Shah-Abbas, qui re"gna en Perse jusqu'en 1628.
(4) Archives curieuses, 2e serie, t, III, p. 375,
COMMERCE ENCOURAGE. 313
regardce a ectte epoque comme un pays b'arbare etrangera 1'Europe (1).
A I'interieur, il multiplia les moyens de commu- nication et de transport, acheva le canal de Briare (2) ; rendit navigables les rivieres d'Ourcq, de Velle, de Chartres, de.Dreuxet d'Etampes (3). Les loisde cette epoque attestent que 1'administration ne negligea ni les etablissements industriels (4), ni 1'exploitation des mines (5) , ni le dessechement des marais (6) . Riche- lieu organisa le service des postes (7). Pendant la minorite de Louis XIII, M. d'Almeras, qui etait con- troleur-general des postes, avait organise un service de courriers qui partaient a des heures determinees et transportaient les lettres dans toutes les parties de la France, moyennant une certaine retribution. Ce service fit aux messagers de 1'Universite une concur- rence dont le public profita. En 1627, les prix de transport furent fixes par ordonnance, an lieu d'etre laisses, comme auparavant, a 1'arbitraire des direc- teurs des postes.
Le cardinal-ministre etait le protecteur naturel de la religion; mais il s'acquitta de ce devoir avec la haute intelligence qui le caracterise. II respecta la li- berte de conscience, ne tenta pas d'imposer aux pro- testants 1'uniformite de religion, et brava les attaques
(1) Testament politique, 2e partie, ch. 9, § 6.
(2) Andenncs Lois franc., t. XVI, p. 488.
(Zi) /6id.,p. 547.
(5) Ibid., p. 183.
(6) 1 bid., p. 500.
(7) Ibid., p. 158 et 350.
M 4 TOLERANCE BE RICHELIEU.
cles devots fanatiques qui le traitaient de cardinal de la Rochelle, et de pape des huguenots. Prince de 1'E- glise, Richelieu ne craignit pas de separer les interets temporelsde la France des questions religieuses; il rechercha 1'alliance des protestants de la Hollande, de la Suede et de 1'Allemagne contre la maison d'Autri- che, et rassura la conscience du roi, dont le cardinal de Berulle excitait les scrupules. A 1'occasion de quelques differends avec le Saint-Siege, il fit defendre de recevoir les brefs de Rome (1). Mais en meme temps il recommandait au roi de remplir « les eve- ches de personnes choisies, sages et capables (2). » II protegeait les monasteres dignes de leur mission religieuse, tout en recommandant de moderer un zele irreflechi qui en multipliait le nombre et deve- nait dangereux pour la societe (3) . Plus soucieux de la tranquillite publique que des droits de la pensee, il s'efforc,ait d'etouffer dans leur berceau les sectes nouvelles, et faisait enfermer a Yincennes, 1'abbe dc Saint-Cyran, un des apotres du jansenisme (4).
Les lettres durent beaucoup sans doute au fonda- teur de 1'imprimerie royale (5) et de 1'Academie fran- (}aise (6) ; au proviseur de Sorbonne, qui rebatit cet ancien sanctuaire de la theologie (7), et en fit le con-
(1) Andennes loi fran^., t. XVI, p. 525.
(2) Mdm. de Richelieu, livre XX.
(3) Testam. politique, lre partie, ch. 2, § 8.
(A) Sainte-Beuve, Histoirc de Port-Royal, livre II, ch. 6.
(5) Trichet de Frene 6tait correcteur de 1'imprimerie royale , Cra- moisi en etait 1'imprimeur et Sublet de Noyers en avail la surintcn- dance.
(6) Andennes lois franc. , XVI, p. 418.
(7) « La depense qu'il fait aujourd'hui pour rebatir la Sorbonne
LETTRES ET ARTS PROTEGES. 315
die permanent des Gaules. II etablit une ecole mili- tairepour lajeune noblesse (1), et un hospice pour les invalides (2) . II crea le Jardin des Plantes soumis a 1'inspcction du premier medecin du roi (3) . Le Luxem- bourg fut acheve; le Palais Cardinal (i), leTheatre- Francais, le Val-de-Grace , Saint-Roch, s'eleverrnf pendant 1'administration de Richelieu. Heureux s'il n'eut pas joint a son zele pour les lettres des preten- tions au merite poetique et des sentiments de ines- quine rivalite qui le rendirentinjuste pour CorneiHe! Mais ces faiblesses de poete ne peuvent faire oublier les merites du ministre, et la posterite a contirme avec raison le jugement d'un contemporain, qui, des 1635, s'exprimait en ces termes (5) : « Lorsque dans deux cents ans, ceux qui viendront apres nous liront que le cardinal de Richelieu a demoli la Rochelle et abattu 1'heresie, et que, par un seul traite, comuie un coup de rets, il a pris trente ou quarante de ses villes pour une fois; lorsqu'ils apprendront que, du
de fond en comble, qui ne s'eloignera guere de cent mille ecus, esl assez considerable pour ne pas etre oubli6e en Ire les marques de sa ge"nerosite. » Lettre de Malherbe a M. de Mentin , 14 oclobre 1626.
(1) Ancicnnes lois franf., t. XVI, p. 466.
(2) Ibid., p. 386.
(3) Ibid., p. 547.
(4) Corneille exprime radmiration des contemporains poifr le Palais Cardinal, lorsqu'il dit (Mentcur, acte II, scene I) :
« Et Tunivers en tier ne peut rien voir d'dgal
Aux superbes dehors du Palais Cardinal.
Toute une ville entiere, avec pompe batie,
Semble d'un vieux foss6 par miracle sortie,
Et nous fait prdsumer, a ses superbes toits,
Que tous ses habitants sont des dieux ou des rois. »
(5) Voiture, Lettres, t. I, pages 177-J78, de l'6dition de 172U.
316 ELOGE DE RICHELIEU.
temps de son ministere, les Anglois ont etc battus et chasses, Pignerol conquis, Casal secouru, toute la Lorraine jointe a cetie couronne, la plus grande par- tie de 1'Alsace mise sous notre pouvoir, les Espagnols defaits a Veillane et a Avein, et qu'ils verront que tantqu'il a preside a nos affaires, la France n'a pas eu un voisin, sur lequel elle n'ait gagne des places ou des batailles , s'ils ont quelques gouttes de sang franc,ois dans les veines et quelque amour pour la gloire de leur pays, pourront-ils lire ces choses sans s'affectionner a lui, et 1'aimeront-ils ou 1'estimeront- ils moins, a cause que, de son temps, les rentes sur l'H6tel-de-Ville se seront payees un peu plus tard, et que Ton aura mis quelques nouveaux oiliciers dans la chambre des comptes? Toutes les grandes cboses coutent beaucoup. »
Toutefois cette posterite equitable, dont Voiture annongait et exprimait deja le jugement, vint assez tard pour Richelieu. II avait provoque, par son carac- tere impitoyable et ses executions sanglantes, un de- chainement qui eclata aussitot apres sa mort. Ceux qu'il avait fait trembler s'en vengerent par des chan- sons et des epigrammes (1). On insulta ses parents
(1) De tous les vers, la plupart detestables , composes contre le cardinal apres sa mort , les suivants sont peut-etre les seuls qui meritent d'etre conserves :
« II est pass6, il a pli^ bagage Ce cardinal; dont c'est grand dommage Pour sa maison ; c'est comme je 1'entends. Car, pour autrui, mains hommes sont contents, En bonne foi, de n'en voir que 1'image. Sous sa favour s'enrichit son lignagQ
RICHELIEU DEFENDU PAR MAZARIN. 347
qu'ilavaitcomblesdefaveurs,la duchessed'Aiguillon, lemareehal de la Meilleraye et le marechal de Breze. Mazarin s'honora en se declarant hautement 1'admi- rateur de Richelieu et le defenseur de sa famille. II ecrivait le 28 mai 1643 au marechal de Breze alors a Angers, dont il etait gouverneur (1) :
« Monsieur, bien que ne pusse recevoir de douleur plus sensible que d'ouir dechirer la reputation de M. le cardinal, si est-ce que je considere qu'il faut laisser prendre cours, sans s'en emouvoir, a cette in- temperance d'esprit dont plusieurs Francois sont tra- vailles. Le temps fera raison a ce grand homme de toutes ces injures, et ceux qui le blament aujourd'hui connoitront peut-etre a 1'avenir combien sa conduite eut ete necessairepour achever la felicite de cet Etat, dont il a jete tous les fondements. Laissons done eva- porer en liberte la malice desesprits ignorants ou pas- sionnes, puisque 1'opposition ne serviroit qu'a Tirri- ter davantage, et consolons-nous par les sentiments qu'ont de sa vertu les etrangers qui en jugent sans
Par dons, par vols, par fraude et manages. Mais aujourd'hui ce n'est plus temps; II est passe".
» Or parlerous sans crainte d'estre en cage ; II est en plomb Imminent personnage Qui de nos maux a ri plus de vingt ans. Le roi de bronze en eut le passe-temps, Quand sur le pont, a (avec) tout son attelage, II est passe". »
On attribuait & Paul Scarron ce rondeau, que j'ai tire des M&uoires inedits d'Andr6 d'Ormesson (f° 216, v°). Selon d'autres , il avail <He compose par un maitre des comptes nomm6 Miron.
(1) Cette lettre in^dite se trouve dans un recueil manuscrit des lettres de Mazarin, Bibl Mazarine, n° 1719,
318 RICHELIEU D£FENDU PAR MAZARIN.
passions et avec lumiere. Ce que vous m'ecrivez meme de la sedition qui a failli plusieurs fois a s'ex- citer a Angers est une preuve du bien que causoit le seul nom et la seule autorite de cet incomparable mi- nistre. On a ici delibere sur les remedes qu'il falloit apporter a ce desordre; de quoi le secretaire d'Etat qui a le departementderAnjouvousinformera. Quant a moi, vous devez faire un etat certain que je ne per- drai jamais occasion de vous servir, et que ce que je dois a la mernoire deM. le cardinal m'etant pluscber que la vie, et 1'estime que je fais de votre merite ne pouvant etre plus grande, ces deux considerations in'obligeront toujours a desirer avec passion de vous pouvoir faire paroitre que personne n'est plus verita- ble que moi. »
Je n'ajouterai qu'un mot : c'est qu'un ministre qui a rendu les plus grands services a la France, Col- bert, invoquait sans cesse 1'autorite de Richelieu, et cherchait a s'inspirer des principes de sa politique dans le gouvernement interieur.
APPENDICE.
Les trois morceaux qui composent cet appendice sont ti- res des memoires autograpbes et inedits d'Andre Leievre d'Ormesson (1). Le premier est la biographic de son pere, Olivier d'Ormesson; elle montre comment le travail et 1'in- telligence eleverent, au xvie siecle, des hommes du tiers- etat aux plus hautes dignites. Le second morceau retrace 1'organisation du conseil d'Elat, et contient les reglements qui 1'ont constitue sous le regne de Louis XIII. L'appen- dice se termine par une notice sur les surintendants des fi- nances del 594 a 1653.
DISCOURS DE LA VIE DE FEU MESSIRE OLIVIER LEFEVRE,
SEIGNEUR D'ORMESSON , D'EAUBONNE ET DE LEZEAU , CONSEILLER DU ROI EN SON CONSEIL D'ESTAT, ET PRESIDENT EN LA CHAMBRE DES COMPTES DE PARIS (2) ,
S'il est scant a un fils de conserver soigneusement le por- trait de son pere, j'estime qu'il luy est encore plus seantde conserver la memoire de ses moeurs et actions principales. Le premier portrait rapporte seulement les traits et linea- ments du visage; mais le second, rapportant les traits et li- neaments de 1'ame, se rend d'autant plus precieux que le premier, que Tame est plus precieuse que le corps. Que si
(1) Manuscrits de la Bibliolh. publique de Rouen, F. Leber, n° 5767.
(2) Memoires d'Andre" d'Ormesson, f° 267 et suiv.
320
APPENDICE I.
jamais pere a merite d'estre aime et honore de ses enfants, c'a este feu M. le president d'Ormesson, mon pere, pour sa bonte et indulgence, et pour 1'ardente affection qu'il a eue pour leur bonne institution et advancement. La recognois- sance done et le sentiment que j'ai eus m'ont oblige de con- server precieusement dans mon cabinet et a ma vue deux tableaux de lui, Tun fait en sa jeunesse par Janet, peintre excellent, et 1'autre fait en sa vieillesse par Dumontier, et encore de composer ce discours en son honneur, qui con- tientses actions principales, ses qualites et perfections pour servir de patron et d'exemplaire tres-digne a estre propose et mis devant les yeux.
Je scais bien qu'il y a assez d'hommes imprudents qui, par une erreur populaire, preferent la noblesse a la vertu, et cachent la vraie origine de leurs peres pour paroislre de meilleure maison. Quant a moy, je n'ai pas resolu de me conformer a leur opinion, ni par une impertinente ambi- tion derober la gloire due a mon pere, et le despouiller d'une verite tres-honorable pour le revestir d'un mensonge ridicule et injurieux. Car j'estime que, pour le bien ho- norer, la verite seule luy suffit. Le cours de sa vie se trou- vera enricbi de tant de grandes et signalees rencontres, que ceux qui lirontce discours souhaiteron-t peut-estre sa bonne fortune et tascheront d'imiter ses vertus et perfections. Car estant ne d'une famille mediocre en extraction et en biens, ayant perdu son pere a cinq ans, sa mere remariee deux ans apres, avoir par bons moyens amasse des biens suifi- samment et estre parvenu a des charges tres-honorables, est-ce pas un bonheur tres-grand et tres-rare? N'est-ce pas avoir tire sa naissance de soi-mesme, et n'avoir eu que son bras droit pour son pere? Et ce qu'il y a eu de plus admi- rable et comme particulier en luy, c'est d'avoir approche les roys sans mediateur, d'avoir amasse des richesses sans
BIOG. D'OLIV. D'ORMESSON. 321
avarice, cPestre parvenu aux grandes charges sans ambi- tion, d'avoir basti une bonne maison avec peu de matiere, d'avoir eu beaucoup de prosperite sans orgueil, d'avoir ai- mant la douceur et la tranquillite, vescu trente-cinq ans de suite dans la cour, fait sa retraite vingt ans avant mou- rir, sans aucune disgrace precedente, d'avoir vescu soixante et seize ans d'une sante tres-parfaite, rarement troublee de maladies, d'avoir joui en repos des biens qu'il avait amas- ses, d'avoir receu de 1'honneur aux charges qu'il a exercees, d'avoir faict grande quantite d'amis et point d'ennemis, d'avoir habite les maisons qu'il avoit basties, s'estre pro- mene a 1'ombre des bois qu'il avait plantes, d'avoir receu le contentement de ses enfants qu'il en pouvoit esperer.
II est bien vray que son humilite, son bon sens et sa pru- dence luy ontbien aide a faire venir son bonheur; car son humilite naturelle et sa courtoisie luy acquirent force amis et le deschargerent d'envie. Son bon sens luy faisoit mepri- ser les vanites et rechercher le solide. Sa prudence et sa sa- gesse ont borne ses desirs et retranche ses cupidites aude- dans de sa puissance ; et estant heureusement parvenu au but de ses intentions, il s'est arreste sans passer plus avant; ce qui luy a acquis le souverain bonheur de la vie hu- maine, qui consisteau repos, et en la tranquillite de 1'ame, qui ne craint et ne desire rien. Car il disoit fort souvent qu'il avoit plus de biens et d'honneurs qu'il n'en desiroit, et que Dieu, de la bonte duquel il reconnoissoit tcnir toute sa bonne fortune, lui avoit fait plus de graces qu'il n'en avoit merite et espere.
Ledit messire Olivier Lefevre, sieur d'Ormesson, duquel j'escris la vie, naquit a Paris le jour Saint-Andre, et fut baptise en Veglise de Saint-Germain-l'Auxerrois, le dernier jour de novembre 1 525; et, bien qu'il fit un froid extresme, neanmoins jamais il ne pleura et ne fit aucun cri sur les
329 APPENDICP I.
fonts. Cequi fut remarque de toute 1'assistance, particulie- rement de son pere qui 1'ecrivit sur son papier baptistaire, que j'ai leu plus d'une fois. Mon pere nous a souvent dit depuis que c'estoit un presage certain du bonheur et de la douceur de sa vie, et prenoit tousjours le jour Saint-Andre pour assembler compagnie et payer sa feste, et se resjouir a cause que c'estoit le jour de sa naissance.
Le pere dudit Olivier avoit nom Jean Lefevre, lequel estoit commis au greffe civil du parlement de Paris, tres- homme de bien en sa charge et sur lequel 1'argent ne pou- voit rien. Sa mere s'appeloit Magdelaine Gaudart, fille de Jacques Gaudart, procureur en la chambre des comptes de Paris. De leur manage naquirent trois garcons, Nicolas, Jean et Olivier, et trois filles, Marguerite, Anne et Jacque- line. Tous ces enfants moururent en leur jeunesse, hormis Nicolas et Olivier mon pere. Nicolas, plus age de deux ans que mon pere, avouoit neanmoins qu'il tenoit sa fortune de mon pere, son frere puisne, comme je dirai cy-apres.
Quand Jean Lefevre pere mourut, son fils Olivier n'avoit que cinq ans ; Magdelaine Gaudart sa veuve estoit encore fort jeune et se remaria au bout de deux ans a M. Evrard. Comme Olivier Lefevre eut atteint 1'age de huit ans, il fut mis au college de Navarre avec son frere aisne, Nicolas, et en furent tous deux retires au bout de trois ans, faute de commodites pour les y entretenir ; la preud'hommie de son pere estoit cause de sa pauvrete, et le fut apres dela bonne fortune de ses enfants. Car Olivier fut mis au logis d'un procureur des comptes pour apprendre a escrire et a gaigner sa vie, et m'a souvent montre le logis et y demeuroit lors- que 1'empereur Charles-Quint fit son entree dans Paris Tan 1 539, et nous a souvent raconte comment 1'empereur entra entre les deux enfants du grand roy Francois, Henry et Charles, en grande magnificence. Mon pere revenoit de
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Verrieres, village a quatre lieues de Paris, pour chercher unc nourrice pour la femme de ce procureur qui estoit ac- couchee.
Pendant qu'il demeuroit chez ce procureur, Me Andre Blondel, sieur de Roquancour, tresorier de M. le dauphin Henry, eut affaire d'un commis, et s'adressa a son procu- reur pour luy en donner un ; deplusieurs clercs qu'il avoit, la bonne fortune tomba sur mon pere, qui fut choisi par ledit sieur Roquancour, le trouvant de bonne grace et qui escrivoit fort bien. Ainsy mon pere entra au service dudit sieur de Roquancour, et par ce moyen fut con-nu de JU. le dauphin Henry, qui s'en servit fort souvent, et commenca dcs lors a Taimer, et Je menoit toujours avec luy pour payer sa despense, quand il alloit en poste voir messieurs les en- fan ts de France, nourris et eleves a Amboise, pendant la vie du grand roy Francois, leur grand pere.
Le roy Francois deceda a Rambouillet Fan 1 547. Henry, le dauphin, son fils, vint a la couronne et fit M. de Ro- quancour tresorier de 1'espargne, en la place de Nicolas du Val, a la recommandation de madajne de Valentinois, Diane de Poitiers. En ce temps il n'y avoit qu'un tresorier de 1'espargne ; mon pere fut son premier commis, n'ayant lors que vingt-deux ans, et neanmoins faisoit luy seul toute sa charge, son maistre s'en reposant entierement sur sa fide- lite, et rendoit tous les comptes a la chambre, et deschar- geoit son maistre en grande partie de la peine. Pendant qu'il exercoit cette charge, il lui arriva un estrange acci- dent qui pensa le mettre au desespoir et le perdre. On lui desroba la boiste oil estoient pour centmille escus d'ac- quits et ious ses papiers d'importance avec quelque argent. II eut voulu estre mort, ne trouvant aucun remede a son malheur. Mais, comme il se promenoit seul sur un rempart ne scachant que faire pour se consoler, il rencontra sa boiste
324 APPENDICE I.
ouverte, ses papiers dedans, et no perdit que 1'argent, qui luy fut une perle bien legere au prix de la perte de ses pa- piers et acquits. II remercia la bonte de Dieu de 1'avoir tire d'une sigrande misere etextresmite contreson esperance et centre toute apparence humaine.
Ayant exerce la charge de premier commis 1'espace de six ans et gaigne environ mille escus par an, il acheta, en Tan 1553, tin office d'argentier du roi, sans en communi- quer a son maistre, lequel 1'ayant scu luy fit plus d'hon- neur que de coutume, lefit seoir a sa table, et commenca a 1'appeler monsieur. Mon pere reconnut a 1'instant qu'il avoit fait une grande faute; car il s'estoit attendu de pou- voir demeurer tousjours premier commis de 1'cspargne avec cet office. Mais M. de Roquancour lui declara ouvertement qu'il ne luy appartenoit pas de se servir d'officiers du Roy, et par ce moyen mon pere perdit sa place de premier com- mis, laquelle fut donnee a M. de Verdun, pere de Nicolas de Verdun, que nous avons veu premier president de Paris.
Pendant qu'il estoit cbez M. de Roquancour, son frere, Nicolas Lefevre, qui avoit servi M. le general* (4) Preudome, cut volonte d'acheter 1'office de tresorier de 1'extraordinaire des guerres, et pour ce qu'il n'avoit pas assez d'argent, il en demanda a mon pere qui luy bailla la clef de son coffre pour en prendre ce qu'il voudroit. II en prit plus que mon pere ne s'attendoit, et [mon pere] fut contraint de prendre patience. Son frere done acheta cet office, et en fat rem- bourse des la premiere annee, par les taxations qu'il eut pour 1'embarquement de Farmee de mer qui passa de Brest en Escosse, 1'an 1 551 . Ledit Nicolas Lefevre deccda deux ans, en Tan 1553, et reconnoissant que sa bonne fortune
(1) Rereveurg6n6ral. On nppelait gtncralites lescirconscriplious ties receltes
BIOG. D'OLIV. D'ORMESSON. 325
et son advancement procedoientde la bourse de son frere Olivier, il fit son testament et laissa mon pere son princi- pal heritier. Sa succession valut a mon pere plus de vingt- cinq mille escus. II cut, entre autres pieces de sa succes- sion,son office de tresorier de 1'extraordinaire des guerres en Piemont, qu'il obtint aisement de son bon maistre, le roy Henry second. Le cardinal de Lorraine luy servit grande- ment en cette occasion; de facon qu'il ne fallut que chan- ger de nom aux expeditions, et mettre Olivier au lieu de Nicolas.
En cette occasion, il eut de la traverse de la part de M. Evrard, son frere uterin, qui luy disputa cette succes- sion. Mon pere consulta son affaire, et il luy fut dit que sa cause estoit bonne et qu'il la gagneroit, pourveu qu'il la poursuivist, comme il falloit, et qu'il quittast son plaisir. Ce qu'il fit, et il gagna son proces par sentence de mes- sieurs des requestes du palais, laquelle fat confirmee par arrest donne en la premiere chambre des enquestes. Quelque temps apres, ce M. Evrard deceda sans enfants; de facon que mon pere fut encore son heritier, et il disoit souventen riant que ledit sieur Evrard luy avoit voulu oster la succes- sion de son frere et qu'il avoit eu la sienne.
En 1554, mon pere acquit la maison d'Ormesson (1), qui n'estoit pas en ce temps-la ce qu'elle a este depuis, mon pere 1'ayant grandement accrue, bastie et plantee, n'y ayant lors que le gros chesne de plante. II commenca des lors a se faire appeler M. d'Ormesson, lequel nom luy est tousjours demeure depuis, et il n'a este connu que sous ce
(1) La terre d'Ormesson dont il est ici question, est situe"e pres de Saint-Denis, et ne doit pas etre confondu avec le chateau d*br- messon-Amboille(de'partement de Seine-et-Oise), dont il est question plus loin. Ce dernier domaine est celui qu'on appelle ge'ne'ralement maintenant Ormesson ; il est encore aujourd'hui le patrimoiue de la lamille qui|porte ce nom.
I. 22
nom, le nom de Lefevre estant trop commun, comme mon pere disoit luy-mesme. Sur la fin de cette annee, il fut trou- ble en son office de tresorier de 1'extraordinaire des guerres par deux homraes nomme's Frelu el Dubourg, qui, par des artifices et faux, donnerent a entendre qu'il avoit profile sur les monnoies; ce qui ful trouve et verifie faux. Us le contraignirent de prendre son remboursement. II prit alors un office de tresorier des parties casuelles (1) par le rem- boursement de M. Rageau, et il exerca cet office longue- ment. Mon pere ayant sur le coaur le tort qu'on luy avoit fait, Irouva moyen, en Tan 1557, de faire paroistre la me- chancete de Frelu et de Dubourg. Son innocence estant re- connue, il rentra dans son office de tresorier de 1'extraordi- naire des gucrrcs, plus pour son honneur que pour envie qu'il eust de 1'exerceret le retenir. Mon pere reconnoissant par les traverses et charites qu'on luy avoit prestees combien il estoit malaise de subsister longuement a la cour sans ap- pui et sans assistance, resolut de se marier et de s'allier dans quelque famille qui le pust soutenir et defendre. En ce temps, messire Jean de Morvilliers, evesque d'Orleans et conseiller d'Estat, estoit en grand credit et reputation, et pouvoit beaucoup a cause des bons services qu'il avoit ren- dus et rendoita la France. Mon pere rechercha son alliance et epousa demoiselle Anne d'Alesso, fille de M. Jean d'A- lesso, sieur Desragny, issu du neveu de M. Saint-Francois de Paule et de Marie de la Saussaye, fille de M. de la Saus- saye et de Jeanne de Morvilliers, soeurde M. de Morvilliers. Ainsy mon pere fut aime grandement, et depuis tousjours favorise par M. de Morvilliers, duquel nous avons encore des lettres qu'il aescrites toutesde samain a mon pere, qui tesmoignent 1'affection qu'il luy portoit,
(l) Voy, sur les parties casueUes la note I page 245 de ce vol.
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Or, comme lajoie n'est jamais parfaite en ce monde, et que la prosperite est toujours suiyie et talonnee de quel- que malheur, pendant les fiancailles de mon pere, survint le piteux accident de la blessure du roy Henry II, son bon maistre. Mon pere levitblesser et chanceler sur son cheval. Ce qui arriva aux Tournelles a Paris, et 1'histoire en est si connue, que je ne m'y arresterai point. Mais j'ai ouy center a mon pere qu'il n'avoit en sa vie vu chose si etrange et si deplorable, que de voir en un instant la joie du peuple se tourner en cris et en lamentations, les lieux destines pour la magnificence des noces et tapisses de superbes et riches tapisseries se changer en ornements d'eglise et draps mor- tuaires, serges noires, eclaircies de torches, de cierges et de luminaires. Bref, mon pere ne pouvoit raconter cet acci- dent sans pleurer; car, outre la perte generate, mon pere en ressentoit une particuliere et la plus grande en son sen- timent qu'il ait jamais ressentie. II nous disoit souvent qu'il avoit perdu femme, enfants et amis, mais que nulle perte ne se pouvoit comparer a la perte d'un roy qui vous connoist et qui vous aime. Ainsi en parloit mon pere. II fit mettre le portrait du roy au-dessus de la galerie d'Ormes- son, comme auteur de sa bonne fortune. Celuy qui 1'avoit le plus aime de tous les roys qu'il avoit servis, le feu roy Henry II, fut blesse le dernier juin 1559 et mourut le 10 juillet suivant.
Le 16 juillet, mon pere fut marie' et eut dix mille livres en manage. II avoit plus recherche le support et 1'alliance que les richesses. II fut tousjours depuis ce temps a la suite de la cour et menoit ma mere toujours avec luy ; elle alloit en trousse a la mode du temps , les carrosses n'estant pas encore en usage. Elle fit avec mon pere le grand voyage du roy Charles, qui dura deux ans de 15G4 a 15f>0, lorsque le roy Charles fit la revue de tout sou
328 APPENDICE I.
royaume. Au retour du voyage, le roy alia tenir sesEstats a Moulins en 1566. M. le chancelier de PHospital estoit lors en grand credit. On fit une recherche contre les finan- ciers. Tous les officiers de la maison du roy furent depos- sedes de leurs charges. On avoit besoin d'un homme de bien pour les exercer par commission. Mon pere fut choisi a la recommandation de M. de Morvilliers, qui dit en plein conseil qu'il proposeroit un homme, duquel il repondoit corps pour corps. La reyne-mere dit en sortant du conseil : « II faut que M. de Morvilliers aime bien M. d'Ormesson et qu'il 1'estime homme de bien; car il n'a pas accous- tume de se tant avancer pour autruy. » Mon pere exerca cette commission deux ans entiers, pendant lesquels dura cette recherche. En 1568, il se fit une composition, par laquelle les officiers de finances furent restablis en leurs charges. Mon pere avoit fait cette grace aux officiers de la maison du roy de se servir d'eux pour ses commis, chacun en sa charge. Ainsi se trouvant restablis, sans avoir este depossedes ils se sentirent grandement obliges a la bonte de mon pere et depuis 1'ont tousjours honore comme leur pere et bienfaiteur (1).
Cette composition montoit a 500,000 livres. Mon pere fut taxe comme les autres a en payer sa part a cause de ses offices de finance. II obtint des lettres pour renoncer a 1' abolition portee par la composition et sur ce que les financiers saisirent ses biens pour le paiement de sa taxe,
(1) Je ne crois pas que les historiens par-lent de celte interdic- tion momentanee de tons les financiers. Il est du resle assez remar- quable que trois d'Ormesson aient ete charge's de controler les comptes des financiers, le premier en 1566; le second en 1661 (pro- ces de Fouquet , des tre"soriers de Tjfipargne et des trailants) ; le troisieme, en 1716, lorsque le Regent e"tablit une chambre ar- dente contre les financiers. Ces missions dedicates altestent la haute opinion qu'on avait de rint6gril6 de celte famille.
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il en appela a la cour des aides et plaida sur ces lettres. Mon pere s'estant soumis a la punition, s'il avoit malverse en ses charges, et le president ayant interpelle les finan- ciers de se faire partie contre mon pere pour luy faire son proces, ils declarerent qu'ils le reconnoissoient pour homme de bien, et sur lequel ils ne pouvoient rien dire. Apres leur declaration, mon pere eul arrest d'absolution et main-levee de la saisie de ses meubles. Get arrest est du 3-Jevrier 1570, et il luy servit grandement depuis pour entrerdans I'office de president des comptes. J'ai souvent veu et leu cet arrest signe Lesueur greffier de la dite cour. Le roy Charles envoya querir mon pere pour luy commander de prendre I'office de tresorierde 1'espargne. II s'en excusa bien honnestcment. Ce quifut cause quele roy dit tout haut « qu'il avoit mauvaise opinion de ses affaires, puisque les gens de bien refusoient de s'en mesler. »
J'oubliois que , des 1 568 , il vendit son office de tre- sorier des parties casuel les a M. de Mondoucet, auquel M. le chancelier de 1'Hospital dit en luy baillant ses letlres : « Soyez aussi homme de bien en cette charge qu'a este M. d'Ormesson vostre predecesseur. » Vers ce temps-la mon pere acheta de M. le general Mole I'office de general des finances en Picardie , qui estoit lors seul , au lieu qu'ils sont dix maintenant, et davantage. II recevoit tant d'amitie et d'honneur en cette province qu'il estoit con- traint, quand ily alloit, deprier le gouverneur par ses gens de ne luy point faire tant de ceremonie et d'honneur, son humeur estant fort eloignee et ennemie de vanite et d'os- tentation. 11 ordonnoit des fortifications par toutesles villes, et dans la ville de Calais il fit faire une digue neuve qui futappelee digue d'Ormesson, et M. de Vic, gouverneur de Calais, luy dit, un peu avant son deces, que sa digue estoit toute ruinee et qu'elle avoit grand besoin d'estre reparee.
330 APPEND1CE 1.
En Pan 1 573 , mon pere Tut intendant des finances et conseiller d'Estat. En ce temps-la les intendans esloient aussi conseillers generaux des finances, chacun en leur mois. Mon pere exerca cette charge 1'espace de six mois, sousle roy Henry III, oil il vescut les mains nettes, comme il avoit toujours fait auparavant. Le roy, qui estoit trop liberal et auquel on ne pouvoit assez apporter d'inventions pour luy fournir de I'argent se faschoit contre mon pere, comme s'il eust este paresseux en sa charge. D'ailleurs M. de Morvilliers deceda a Tours en 1577. Sa mort toucha grandement mon pere et le fit resoudre, avec le deplaisir que mon pere recevoit en sa charge, voyant et ne pouvant souffrir la profusion du feu roy Henry III envers ses deux mignons, MM. de Joyeuse et d'Epernon, de se desfaire de son office d'intendant des finances et de se retirer de la cour. Mon pere s'adressa a M. de la Grange-le-Roy, lequel il avoit advance dans les finances et qui estoit grandement aime de son maistre, Henry III, pour obtenir de Sa Majeste la permission de resigner sa charge d'intendant. Ce que le dit sieur de la Grange obtintduroy,aFontainebleau. Sa Ma- jeste luy dit d'abord qu'elle ne vouloit pas quo mon pere se desfist de sa charge et ajouta qu'il estoit paresseux a la ve- rite, mais qu'il estoit homme de bien. Enfin il luy dil: « Puisqu'il le veut, je le veux bien. » Ainsy mon pere bailla sa charge d'intendant a M. de Bray, frere de madame de Grandrue et se retira de la cour.
J'ai ouy raconter a mon pere qu'il apporta au roy Henry III la nouvelle de la mort de M. de Morvilliers, le- quel deceda en 1577 a Tours, le roy estant a Blois, et que le roy ne fut pas fasche se rejouissant en son amc d'avoir perdu le contj-oleur de ses actions. II arrive tres-rarement qu'un mesme personnage soitagreable a deux roys de suite. L'office de tresorier-general de France en Picardie fut par
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mon pere vcndu a M. Picart millc escus meillcur marche qu'on ne luy en oifroit; mais reconnoissant le dit sieur Picart homme de bien et aime dans la province, il prefera le con- tenlement de la province a son propre interest ; ce qui ne s'est gucre veu de rios jours oil les offices se vendentau plus offrantsansaucun esgard des personnes, tant chacun est ar- dent a son profit et peu curieux de Futilite et honneslete publiques !
Mon pere, ayant vendu ses offices, faisoitestat d'achever ses jours paisiblement, sans aucune charge, et vivre homme prive tantostaux champs a Ormesson, tantost a Pa- ris, et s'amuser a faire bastir Eaubonne qu'il avoit achete quelque temps auparavant. Mais il reconnut incontinent par experience 1'ennuy de Toisivete, le pauvre mestier que c'est de n'avoir rien a faire pour homme qui n'est plus rien et qui ne peut rien dans le monde. II changea done de des- sein, et, desirant de rentrer dans les charges, il n'y en avoit aucune qui luy fust propre que celle de president des comptes. Toutefois ayant este comptable longuement, il craignoit d'y trouver de la difficulte. Avant que de 1'entre- prendre il fit sonder par quelques amis en quelle reputa- tion il estoit envers Messieurs de la chambre des complcs et s'ils auroient agreable qu'il fust leur president. Ses amis Tayant sonde ils trouverent les volontes si disposees aux contentement et desir de mon pere qu'il Iraita de 1'office de president dont estoit pourvu maistre Rene Crcspin sieur du Guast, ct 1'eust pour quarante mille livres. II fut recu avec telle allegresse que M. le president Nicola'i (Antoine, pcre de Jean) en fit une forme de remerciement a mon pere de ce qu'il estoit entrc dans la chambre, laquelle se ressentoit honoreedel'avoii'pour president. MaislreBenoistMilon, sieur dc Videville, qui imitoit et suivoit mon pere pas-a-pas, voulut a son exemple entrer dans la chambre. 11 y cut
332 APPENDICE I.
toutes les peines du monde et n'y fut jamais entre sans la grande instance qu'en fit la reyne-mere Catherine, et y eslant entre on ne luy fit aucun honneur qui approchast de celuy qu'avoit recu mon pere, lequelfut recu a la charn- bre le 7 mai 1579, et depuis espargna tous les ans 2,000 escus deson revenu. Ce qui faisoit aisement reconnoistre comme il vivoit dans sa charge et com me sa facon de vivrc estoit eloignee de celle qui a suivi ; chose estrange qu'un homme puisse plus espargner retire de lacour que dans la cour, president des comptes qu'intendant des finances. Aussy, tant qu'il fut intendant, il n'avoit aucun profit extraordi- naire Dutre ses gages que mille escus par an que le roy luy donnoit et ne scavoit ce que c'estoit que gain illegitime ni de prendre argent sans donner quittance, de maniere que travaillant a la chambre des comptes par commissaires, il s'estonnoit de voir qu'on y prist des vacations sans signer, tant il tenoit cette maxime necessaire pour bien vivre et sans reproche.
Le sieur Ludovic d'Ajacet, comte de Chasteauvilain, ayant obtenu un rabais a Lyon pour quelque ferme, offrit a mon pere une piece de velours tout entiere, mon pere la refusa. II luy dit qu'il estoit le seul qui 1'avoit refuse, et, comme on s'estonnoit qu'un sien compagnon d'office, inten- dant de finances, estoit si riche aupres de luy, il repondit : c'est que run prend tout et I'autre refuse tout.
Les annees 1582, 1 583 et 1584, il recueillit les suc- cessions de mademoiselle de Lezeau sa belle-mere (M. de Lezeau estoit decede des 1'annee 1573), de 1'evesque d'Or- leans, Mathurin de la Saussaye frere de mademoiselle de Lezeau, de M. de Liesse frere de M. de Lezeau, de M. Evrard son frere uterin et encore de Madelainc Gau- dard sa mere qui montoient toutes ensemble a 9,400 escus. De la succession dc mademoiselle de Lezeau , il eut
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Lezeau, en compensant scs coheri tiers, en argent, de leur part et portion de ladite terre.
Encore qu'il eust quitte la cour des Tan 1577, le roy Henri III ne laissa pas de le venir voir par plusieurs fois a Ormesson et d'y amener toute la cour es anne'es 1 584, 1585 et1586, et il prenoit tarit de plaisir et trouvoit cette maison tcllement a son gre qu'il cut envie de 1'a- voir et fit scavoir de mon pere s'il la vouloit vendre. Mon pere qui 1'avoit acquise, accrue, plan tee et bastie, et qui 1'aimoit comme 1'ouvrage de ses mains, et y avoit mis son nom et son affection, en destourna le coup et en fit divertir le roy. M. le mareschal de Souvre qui y est venu depuis avec le roy Louis XIII, me I5a confirme et m'a dit que le roy luy avoit promis de la lui donner apres 1'avoir achetee.
En 1'annee 1 588, survint la journee des barricades qui ouvrit la porte aux guerres civiles de la Ligue et fut cause de la mort de M. Guise aux estats de Blois et de la revolte d'une grande partie de la France contre son roy et d'au- tres grands accidents, qu'on peut voir dans 1'histoire. Pa- ris se desclara pour le parti de la Ligue. line partie des officiers sortirent et s'en allerent a Tours, 1'autre partie ne bougea. Mon pere, qui estoit lors age de soixante ans et qui ne respiroit que d'achever ses jours paisiblement et en repos, suivit le parti de saville, nepouvant quitter sa maison et son lit sans mettre sa sante en danger, resolu neanmoins de rechercher les occasions de servir son roy et sa patrie et surtout sa religion sur le sujet de laquelle le parti et les guerres civiles estoient fondes principale- ment.
M. du Maine (1) vint a Paris en 1589 pour y prendre conseil et donner ordre au general des affaires; il fut des-
(1) Charles de Lorraine, plus connu sous le nom de due de Mayenne.
334 APPBNDICti I.
clare lieutenant-general de 1'Estat royal et couronne de France. II trouva un conseil compose de gens de peu et factieux, la plupart gaignes par le roy d'Espagne, sur les- quels il n'avoit guere d'autorite. II s'advisapourle bien ge- neral du parti et son interest particulier, pour rendre ce conseil plus illustre et luy donner plus de poids, d'y mettre quelques gens d'honneur. II y mit MM. de Villeroy pere et fils, M. le president Jeannin, M. d'Amours , MM. d'Or- messon et de Videville, presidents des comptes. Ce con- seil cut tant d'autorite que M. du Maine en devint jaloux et le rompit pour attirer a luy seul la connoissance et la di- rection entiere de toutes les affaires. Ce conseil s'appeloit le conseil des guarante (1) et estoit reconnu par toutes les villes de la Ligue. Mon pere, pendant ces fascheux temps, se trouva le plus ancien president des comptes a Paris, et il estoit capitaine de son quartier. Ce qui estoit cause qu'il estoit appele en toutes les grandes assemblies de la ville.
En 1 590 , Paris fut assiege par le feu roy Henry-lc- Grand et endura une telle famine qu'ou ne la peut ima- giner plus grande. Mon pere eut plus de peine et de fas- cherie pendant les quatre mois de ce siege qu'il n'en avoit eu en toute sa vie. II fut a la veille de voir ses enfanls mourir de faim en sa presence et nous a dit qu'il n'avoit jamais ressenti d'affliction semblable. M. de Nemours, gouverneur de Paris, faisoit sou vent des assemblies pour aviscr aux affaires de la ville. Mon pere y estoit toujours appele' et parloit toujours libremcnt et conseilloit la paix ouvcrtement, en priant le roy de se faire catholique par unc ambassade publique, proposition fort odieusc aux es-
(1) Ge conseil e"tait en eiTet compost de quarante membres ; mais, coinme ils elaient choisis dans les seize quartiers de Paris, on 1'ap- pelle ordinairement conseil des seize.
woe. D'OLIV. b'oRMESsoN. 335
prits faclieux et turbulents de la Ligue et partisans du roy d'Espagne, Philippe II.
Pendant ce siege, mon pere me vint voir au college du cardinal Lemoine, ou je demeurois chez ML Le Dieu, ct ayant scu quo je n'y mangeois quo du pain de son et de la chair de cheval, il m'envoya querir pour demeurer a sa maison et ne retourner plus au college pour y estre si mal traite ct si mal nourri.
Apres que le siege fut leve , ma mere tomba malade de la fascherieet necessite et apprehension qu'elle avoit cues, et mourut vers le commencement du mois de novembre 1 590. Mon pere fut si afflige et estonne de sa mort qu'il ne trou- voit aucun moyen de se consoler. Enfm il avisa pour se divcrtir d'aller voir les dames veuves de son temps et de sa connoissance et tascha a passer son temps doucement, et, pour ce que le malheur des guerres lui ostoit la liberte de sortir la ville et s'aller promener a Ormesson, il loua un petit jardin proche sa maison, oil il s'alloit promener sou vent.
En 1 591 , mon frere d'Eaubonne se maria avec da- moiselle Marie Hennequin, seconde fille de madame la prcsidente Hennequin. Mon pere s'y laissa porter voyant 1' affection de mon dit frere et le logea avec tout son train chez lui et montra par le jugement qu'il faisoit des per- sonnes, que nous avons depuis trouve veritable, qu'il s'y connoissoit et qu'il estoit heureux a bien rencontrer aux predictions qu'il faisoit de 1'avenir.
En 1 592 , la ville de Paris ne voyant point de remede aux malheurs dont elle estoit travaillee, soupiroit aprcs la conversion du roy de Navarre. La chambre des comptes, ou mon pere presidoit, ordonna que M. du Maine seroit supplie de convier le roy de Navarre a se faire catholique et luy promettre en ce faisant 1'obeissance de ses sujets et
336 APPENDICE 1.
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de le reconnoistre pourroy. M. du Maine, qui vouloit tous- jours regner dans cetle confusion et aimoit raieux estre chef d'un parti, mesme miserable, que simple sujet dans un Estat paisible sousun roy autre que lui, trouva cette haran- gue mauvaise et le temoigna a mon pere qui luy avoit porle la parole. Ce qui affligea grandement mon pere qui ne vouloit fascher personne. Mais a 1'instant M. du Maine, s'estantenquis des moaurs et condition de mon pere, luy en fit des excuses, luy donnant a entendre qu'il falloit qu'il parlast ainsy pour conserver son autorite et luy fit dire par M. Ribaut, sieur de Breau, son tresorier, qu'il seroit le bien venu. Mon pere en fut bien aise, et qtielque temps apres fut voir M. du Maine qui avoit aupres de luy M. de Villeroy et M. le president Jeannin et luy dit qu'il avoit este bien fasche d'avoir este charge par sa compagnie de luy porter cette parole; que s'estant trouve le premier il n'avoit pu s'excuser , non pas qu'il voulust dire que la compagnie eust failly de 1'ordonner. M. du Maine 1'em- brassa et luy fit caresses, et 1'a tousjours bien aime depuis.
J'oubliois a dire qu'en 1589 mon pere fut contraint pour esviter pis et n'estre pas estime politiquede prestermille escuspour aider a racheter leprevost desmarchandsde Paris Marteau, arreste prisonnier aux Estats de Blois. Mon pere fut encore contraint de s'obliger pour M. du Maine, avec les principaux de son^parti,rpour dix-huit mille escus, dontil estoiten grand souci, voyant sa maison si nette auparavant s'embrouiller pour un si mauvais sujet. De deux maux il choisit le moindre; autrement on 1'eust chasse de Paris, pille ses meubles et confisque ses biens.
En 1 593, M. du Maine, pour amuser son parti, tint des Estats a Paris. Mon pere se degoustant grandement du gouvernement de M. du Maine hantoit ceux qu'on appeloit Politiqucs, qui avoient intention de reduire Paris en To-
BIOG. D'OLIV. D'ORMESSON. 337
beissance du roy. M. Langlois, lors eschevin, et dcpuis maistre des requestes, m'a dit souvent que mon pere 1'alloit voir pour apprendre Festal des affaires, et 1'ayant scu s'en retournoit content et le tenoit secret.
Au mois de juillet 1593, le roy alia a la messe dans Saint-Denys. Sur la fin de cetle annee deceda M. de Vide- ville, autrefois intendant des finances, lors president des comptes, ancien compagnon d'oflice de mon pere, lequel laissa mon pere sonlegataire universe!, avec maistre Denis Godefroy avocat aux monnoies, lequel mon pere desira d'avoir pour compagnon pour soutenir les proces et les demandes des heritiers du dit sieur de Videville, a la charge de rendre tout a sa femme. Mon pere lui tint pro- messe, et, en reconnoissance de cette bonne foi la dite dame de Videville luy donna uneindemnitepour toutes les dettes oil il estoit entre pour le parti de 1'Union. Mon pere aima mieux cette descharge qu'un grand present ne songeant qu'a conserver, non a acquerir, et neanmoins M. du Maine a acquitte toutes ses dettes des deniers du roy, de facon que cette indemnite n'a rien coustea la dite dame de Vide- ville et a tenu lieu de beaucoup a mon pere. Pendant les cinq annees des troubles mon pere ne bougea de Paris. Sa maison d'Ormesson fut conservee (1).
(1) Dans une note annexed a cette biographic, Andre d'Ormes- son a ajoute" les details suivants sur la conservation de la maison d'Ormesson : « Pendant les cinq anne"es de troubles de la Ligue de- puis I'ann^e 1589 jusques au mois de mars 159/i, Ormesson fut con- serv6 sain et entier, sans avoir est6 pille des gens de guerre, comme le furent toutes les maisons des champs aux environs de Paris et dans les autres provinces, mon pere ayant de bons amis du coste du Roy et du coste" de la Ligue. M. d'Alincour, fils de M. de Villeroy, commandoit dans la ville de Pontoise pour la Ligue, et M. de Vic dans la ville de Saint-Denys pour le Roy et garantissoient la maison d'Ormesson, de maniere que tous les paysans des villages d'alenlour s'y vinrent rei'ugier avec tous leurs meubles et bestiaux, et y es-
338 APPENDICE I.
En ce temps, il y eut treve et conference a Suresnes entre le roy et M. du Maine, pendant laquelle mon pere m'envoyaa Orleans pour y faire mes etudes dedroit,et m'y escrivit quelques vingtlettres de samain, quej'ai tousjours garde'es fort soigneusement. Pendant que j'estois a Orleans, cette ville se reduisit a 1'obeissance du roy, sous M. de la Chastre, gouverneur. Paris tenoit cependant encore pour la Ligue, et ne fut reduit que le 22 mars 1 594. Mon pere alia le jour mesme faire la reverence au roy avecla chambre des comptes et fut bien recu de Sa Majeste. Toutes les cours souveraines furent restablies des le lendemain avant le re- tour des officiers du roy qui estoient encore a Tours. M. L'Huillier, prevost des marchands, maistredes comptes, eut un office de president des comptes de nouvelle crea-
toient plus de deux cents manages, et toutes les chambres, galeries et cours estoient pleines, et fut seulement reservee la chambre de mon pere, ou personne ne logeoit par respect pour le maistre de la maison, et s'y faisoit la garde comme dans une place de guerre pour se defendre des coureurs et des soldats sans aveu. II ne fut rien oste ni gaste dansla maison. Ce quimontroit combien mon pere estoitaime" et respecte, n'ayant jamais offense" personne, et fait plaisir a tous ceux qu'il avoit pu, dont il recevoit lors le fruit et la recompense de la douceur de ses moeurs, de sa moderation et bonne conduite , ces pauvres paysans se trouvant dans la seurete a Tombre de ses ailes et de sa protection, luy donnoient mille et mille benedictions et il estoit honore" comme le Dieu tuteiaire du pays. » Andre d'Ormesson a ajoute apres la Fronde la note suivante : « Relisant le mercredy, iU mars 1654, cette page qui parloit de la conservation de la maison d'Ormesson pendant la Ligue, je crus que je devois dire aussy que cette mesme maison a este conservee par deux fois miraculeusement et par une pure grace de Dieu, aux mois de Janvier, fevrier et mars 16&9, pendant le siege de Paris par 1'armee du Roy comman- dee par M. le prince de Conde, et, en 1652, pendant que Parm£e du Roy et celle des princes, due d'Orieans, prince de Conde et due Lorraine, estoient aux environs de Paris, et furent tous les pauvres gens d'Epinay et des environs qui s'y estoient retires conserves avec leurs meubles et leurs bestiaux. Us ne perdirent rien, encore que i'annee du Hoy fut campe'e dans Ormesson et dans les environs. »
BIOG. D'OMV. D'ORMESSON. 339
lion, pour recompense du service qu'il avoit rendu a la re- duction de Paris, et fut recu a la chambre des comptes par mon pere qui y presidoit, avant que ceux de Tours fussent revenus et eussent fait difficulteet refus.
Le roy, incontinent apres , fit une procession generate pour remercier Dieu d'une si heureuse reduction. Toutes les reliques de la Sainte-Chapelle y furent portees. Mon pere en gardoit les clefs comme le plus ancien president des comptes qui fust a Paris, et M. de Lezeau, mon frere, les vit de fort pres, lorsque mon pere les fit rernettre sous la clef; il vit la couronne d'epines, oil U y a du sang etdes cheveux de Nostre-Seigneur, et autres reliques precieuses etadorables. Mon pere ob tint du roy une confirmation de la survivance de son office de president, eten obtint lettres patentes qu'il fit enregistrer en la chambre des comptes, qui servirent grandement depuis pour la conservation de son office a mon frere aisne, Cette survivance lui avoit couste dix mille francs, des Tan 1584 que fut fait 1'edit des sur- vivances pour tous les officiers de France.
Depuis le retour du roy dans Paris, mon pere passa tousjours sa vie fort doucement. II arriva qu'es annees 4 598, 1599 et 1600, on se mit a danser les hivcrs. M. le comte d'Auvergne, Charles de Valois (1), bastard du roy Charles, mcttoittout le monde en train et masquoit fort souvent. Je jouois quelquefois a la paume contre luy, et il faisoit prier mon pere de sa part d'assembler compagnie. Mon pere le faisoit volontiers et disoit que le roy Charles 1'ayant bien aime il no pouvoit rien refuser a son fils.
Les compagnies que mon pere assembloit souvent ohez luy (il estoit loge en la rue de Beaubourg, vis-a-vis la rue des Menestriers), estant toujours grandes et remplies de belles dames , le feu roy Henry IV y vint plusieurs fois , et
(1) II fut appele* dans la suite comte d'Angoul&ne.
340 APPENDICE I.
en 1'annee 1600 y amena tin soirM. le due de Savoie, tous les princes et princesses. Mon pere 1'alloit toujours recevoir et avoit tres-bonne grace ayant accoutume de jeunesse d'ap- procher les roys. Le feu roy dit un jour en entrant : « Sans le president d'Ormesson , on ne se rejouiroit point a Pa- ris; c'est le pere de la jeunesse. » Apres que mon pere avoit conduit le roy dans la salle, il se retiroit et s'alloit coucher, aimant mieux son repos etsasanteque les faveurs de la cour et personne ne le trouvoit mauvais de luy, at- tendu son grand age et son naturel peu ambitieux et retire. Puisque la mor-t fait partie de la vie et 1'acheve, je suis contraint de dire qu'ayant passe les festes de la Pente- coste a Ormesson, il revenoit a Paris, le 26 mai 1600, monte sur son mulet. II arriva qu'entre le village de la Cliapelle et le faubourg Saint-Martin , des chiens vinrent aboyer son mulet, lequel se cabrant et ayant peur fit tom- ber mon pere par terre, duquel coup il fut grandement blesse et principalement au derriere de la teste. On nous vint dire a Paris ces piteuses nouvelles. J'y courus inconti- nent, et mon pere fut rapporte dans une chaise en sa mai- son et couche dans son lit. II avoit comme perdu la parole. II recut la benediction de M. le cure de Saint-Merry etdon- noit des marques qu'il entendoit bien ce qu'onluy disoit et qu'il songeoit a Dieu et non au monde, et en cet estat il rendit 1'esprit a Dieu, le samedy 27 mai 1600, en plein midi, par un temps fort clair et fort serein, comme il avoit tousjours somhaite, s'imaginant qu'il en iroit plus aisement vers le ciel. Son corps fut porte aux minimes de Nigeon, [ouNijon, anciennom de Chaillot],dans lachapelledesd'A- lesso, oil estoient enterres ma mere et ses parents, et il y fut mis une epitapheavec son portrait au-dcssus. On luy fit des funerailles fort cclebres et solennelles a Saint-Merry, sa paroisse, et elles cousterent plus de six inille livres.
344
Le lundi d'apres sa mort, M. d'Eaubonne, son filsaisne, fut prendre sa place de president en la cour des comptes, et quelque instance que fit M. de Suilly, surintendant des finances, envers lefeu roy pour faire perdre et vaquer cet office a cause de la revocation des survivances et que le terme d'opter pendant six mois estoit expire, jamais le roy n'y voulut entendre, et il dit ces paroles a M. de Suilly : « J'aimois le bonhomme; le fils est recu; ne m'en parlez plus. » Ce nous fut une grande grace de Dieu que la conservation de cet office. Si nous 1'eussions perdu, mon frered'Eaubonnese fust tenu a son contrat de mariage fort avantageux, et mon frere de Lezeau et moi n'eussions eu pour partage que des pretentious et des proces. Jamais nous n'eussions eu le moyen d'avoir des offices et de nous pousser et avancer dans le monde, comme nous avons fait.
Mon pere et ma mere eurent ensemble sept garcons et huit filles. Olivier, Andre et Nicolas ont seuls survecu a mon pereet partage sa succession. Olivier estoit maistre des requestes lors du deces de son pere et fut fait president des comptes ; Andre estoit conseiller de la cour et commissaire aux requestes du palais ; Nicolas , age d'environ dix-neuf ans, etudioit a Orleans , lequel depuis a este conseiller au grand conseil, puis conseiller de la cour et commissaire aux requestes du palais en la premiere chambre, depuis president en la mesme chambre, et, en Tan 1 61 8, maistre des requestes de Thosteldu roy. Mon pere mourant laissadans sa succes- sion les biens qui en suivent, scavoir: lesterres d'Ormesson, d'Eaubonne et de Lezeau et une maison a Paris, dans la ruede Beaubourg oil il est decode; les offices de president des comptes et de secretaire des finances, de maistre des re- questes, de conseiller a la cour et commissaire aux requestes du palais; en rentes constitutes, obligations, meubles et i. 23
342 APPENDICE I.
argent comptant, la valeurde quatre-vingt-dix mille livres, J'oubliois a dire qu'apres son deces, M. le president de Charmeaux fit son oraison funebre en la chambre des comptes. M. Nicolai (Jean), premier president, fit la re- ponse, et tous deux n'oublierent rien des louanges de feu mon pere, et rendirent a sa memoire tout 1'honneur que Ton pouvoit desirer, et la chambre temoigna un tres-grand regret de sa perte.
Mon pere estimoit les biens qu'il laissoit , au prix que toutes choses valoient en Tan 1600, trois cent quinze mille livres, lesquelles choses, en Tan 1615, eussent valu six cent mille livres, vu 1'exces oil toutes choses ont monte, principalement les offices. II ne nous laissa aucun proces important ni aucune restitution a faire. II nous recom- nianda la paix et 1'amitie et de nous garder de discord, afin que nous puissions jouir en repos de ce qu'il nous avoit ac- quis. Nous trouvasmes un papier qui portoit ce commandc- ment; ce que nous avons execute, Dieu merci, et avons par- tage sa succession sans aucun proces ni differend, encore qu'il y en eust eu assez d'occasion. Mais le commandement d'un si bon pere et la benediction que Dieu avoit donnee a ses travaux nous ont garantis de proces, et tout ce que mon pere a laisse est dans sa maison et a este plutost aug- mente et accru par sesenfants quediminue. »
L'auteur, apres avoir rappele toutes les qualites de son pere, termine ainsi : « Voila qtiel a este mon pere. Tous ceux qui 1'ont connu en parlent avec reverence et honneur, et disent qu'il ne s'en trouveplus guere au monde qui luy ressemblent. Je ne scais si 1'affection que je luy porte m'a transporte a en dire plus qu'il n'y en avoit, mais je puis assurer que je n'ai rien ecrit que je n'aie cru tres-veri table. Je ne luy ai attribue aucune vertu qui ne fust en luy et n'ai deguise ni oublie aucun de ses defauts. Je 1'ai depeint tel
BIOG. D'OLIV, D'ORMESSON. 343
qu'il estoit, estant plus arnoureux dc son vrai portrait pour cc qu'il luy ressemblc quc jc ne serois du plus beau et du plus excellent portrait du monde qui ne luy ressembleroit pas. J'ai estime quo la verite luy suffisoit et qu'il n'avoit que faire de mensonge ni de deguisement pour estre ho- nore. D'ailleurs, 1'honneur estant fonde sur la verite, je n'ai point cherche d'autre fondement, etpour unevie commune d'un homme de mediocre condition, je trouve qu'il a aussi bien joue le personnage qu'il avoi't plu a Dieu lui donner en ce monde qu'aucun autre de son temps. Ceux qui des- cendent de luy en doivent avoir la memoire en grande re- verence pour ses verlus et merites, et pour avoir jete les premiers fondements de sa fortune et de la leur, et donne le commencement et 1'ouverture a tout ce que ses succes- seursbastiront a jamais, et prier Dieu toute leur vie pour le salut de son ame (1). »
(1) Cette biographie fut probablement composed en 1615. Andre" (TOrmesson la relut plusieurs fois, a des e"poques difKrentes, et y ajouta des notes. « J'ai relu, ecrit-il au f° 281 de ses Memoires, j'ai relu toute cette vie le samedi 28 juillet 1657, ne la pouvant relire trop souvent a mon gre pour 1'affection que je luy ai portee, et que j'ai du lui porter comme son fils qu'il a bien aime". » Au f° 282 : «Maistre Estienne Pasquier, avocat du Roy en la chambre des comp- tes, fit ce dyslique sur mon pere qui se nommait Otivier Lef&vre, en latin Olivarius Faber :
« Cui natalitium nomen donarat Oliva, Hie fuit assiduus pacis ubique Faber. »
Et il disoit vrai ; car mon pere avoit un esprit tres-pacifique et con- servoit la paix et la tranquillite, non-seulement dans son Sine, mais travaillant a mettre la paix partout, a rdconcilier les ennemis en- semble, les maris avec leurs femmes, les peres avec leurs enfants ; il avoit la contenance rassise et Fesprit foil tranquille et patient, Beati pad fid quoniam filii Dei vocabuntur.n
APPENDICE. ii.
ORGANISATION DU CONSEIL D'ETAT,
Les Mcmoires d'Andre d'Ormesson fournissent beaucoup de details sur 1'organisation du conseil d'Etat. Ce magis- tral, qui pendant soixanteans (1605 — 1665) fut attache au conseil en qualite de maitre des requetes, et ensuite de conseiller quatrimestre, semestre et enfin ordinaire, fit dcs recherches scrupuleuses sur les attributions et les regle- ments de cette assemblee. II donne en meme temps des de- tails sur les membres qui composerent ce conseil de 1560 a 1657, pendant pres d'un siccle. Comme c'est precisempnt dans cet intervalle que s'est organise le conseil d'Etat de 1'ancienne monarchic , il ne sera pas inutile de publicr ces extraits; ils eclaireront peut-etre 1'histoire d'une des plus importantes institutions de 1'ancienne monarchic, qui est loin d'etre suffisamment connue. II est ne'ccssaire d'examiner d'abord 1'origine de cette institution et lesprin- cipales modifications qu'elle a subies.
Le conseil d'Etat de 1'ancienne monarchic a ete appele aussi conseil du roi, conseil prim, conseil elroit, con- seil secret, grand conseil; quelquefois il a porte, d'apres les sections dans lesquelles il se subdivisait , les noms de conseil des depeches, conseil de direction ou des li-
CONSE1L D'fiTAT. 345
nances, conseil des parties. 11 importe, pour ne pas tom- bcr dans des erreurs souvent reproduites, d'etablir, des le principe, que ces divers noms s'appliquaient a une meme assemblee. II faut aussi distinguer tout d'abord trois pe- riodes dans 1'histoire de 1'ancien conseil : \ ° 1'epoque oil le conseil du roi etait a la fois assemblee politique, chambre des comptes et cour de justice ; la chambre des comptes en f ut separee en 1 302, et le grand conseil en 1 498 ; 2° 1'e- poque oil se prepara 1'organisation definitive du conseil par une serie de reglements dont les plus importants sont dus a Richelieu (4498—1630); 3° de 1630 a 1789, le conseil d'Etat n'a fait que suivre, avec de legeres modifications, les reglements qui 1'avaient constitue sous Louis XIII.
§ 1. Premiere e'poque.
On trouve dans les ternps les plus recules un conseil du roi. Les rois Merovingiens et Carlovingiens s'entouraientde referendaires. Sous le regime feodal, les grands vassaux se reunissaient aupres du roi a des epoques determinees , et formaient a la fois un conseil politique et une cour de jus- tice. Cette assemblee ne comprenait primitivement que les vassaux du duche de France ; mais, lorsque 1'autorite des rois s'ctendit, les grands feudataires qui relevaient directement du souverain formerent la cour des pairs , telle qu'on la voit sous Philippe-Auguste. A 1'epoque de Louis VIII, les officiers du palais (ministeriales palatii domini regis) siegerent dans le conseil du roi, et ils obtinrent, en 1 224, malgre Topposition des pairs, ledroitde juger les proces des grands feudataires (1). La cour oil conseil du roi se con- fondit ainsi peu a peu avec la cour des pairs et en exerca les fonctions. Saint Louis adjoignit aux grands feudataires
(1) Voy. Ducange, v. pares.
346 APPfeNDlCE 11.
et aux principaux dignitaircs de la couronne dcs legistes instruits dans le droit remain . Pierre des Fontaines et Phi- lippe de Beaumanoir siegeaient a ce titre dans le conseil du roi, a cote des hauts barons. Cette assemblee, dont les Olim ou anciens registres du parlement (1) nous ont con- serve les arrets, etait tout a la fois cour de justice, chambre des comptes et conseil politique.
Ce fut seulement sous Philippe-le-Bel que la diversite des attributions et la multiplicity des affaires amenerent la division du conseil du roi. Le parlement eut les attribu- tions judiciaires; la chambre des comptes, les attributions financieres. Le conseil d'Etat ou conseil etroit resta specia- lernenl charge des affaires politiques : il recut un premier reglement de Philippe-le-Long, en 1318 (2) ; outre les at- tributions administratives et poliliques qui lui etaient con- fiees, il etait charge dujugement de certaines causes evo- quees par le roi. Les membres du conseil d'Etat pouvaicnt remplir d'autres fonctions au parlement, a la chambre des comptes, etc. line ordonnance de 1 41 3 reduisit a quinze le nombre des membres du conseil d'Etat qui devaient delibe- rer avec le chancelier, le connetable et les autres grands officiers de la couronne.
Comme les proces portes au conseil d'Etat devenaient de plus en plus nombreux, on fut oblige, pour les juger, dc crccr, a la fin du xve siecle(1497), un tribunal special, qui prit le nom de grand conseil et fut un nouveau demcnibrc- mcnt du conseil d'Etat. Les proces des archeveques, eve- ques, abbayes, communautes religieuses, qui etaient por- tes anterieurement au conseil d'Etat, furent de la compe- tence du grand conseil. A une epoque ou les benefices ec-
(1) Les Olim ont 6t6 publics dans la collection des Documents nedits de t'histoire de France. (2) Ordonn. des rois de France, I, 656 et 669.
CONSEIL D'ETAT. 347
clcsiasliqucs couvraienl leroyaume, cetlc juridiction acquit promplcment une haute importance.
§ 2. Conseil d'Etat de 1 498 a 1 661 .
Leconseil d'Etat conserva encore, apres la creation du grand conseil, certaines attributions judiciaircs pour la so- lution de questions administratives et la decision des con- flits entre les tribunaux. On appela conseil des parties la section qui, sous la presidence du chancelier, exerca les attributionsjudiciaires. Une autre section, nommee conseil des depeches, expediait les affaires relatives a Pinterieur du royaume. Elle est deja mentionnee sous Francois Ier et Henri II, quoiqu'on en ait quelquefois recule 1'organi- sation jusqu'a 1'epoque de Henri IV ou de Louis XIII. Ca- therine de Medicis, dans un memoire ou elle donne a son petit-fils Charles IX des conseils sur la maniere de gouvei- ner, lui recommande de voir lui-meme les depeches qui lui sont adressees : « Si ce sont choses, dit-elle (1 ), de quoi le con- seil vous puisse soulager, il fautles y envoyer eten faire un commandement au chancelier pour jamaisqu'avant que les maistres des requestes entrent au conseil, il ait adonner une heure pour les depesches, et apres faire entrer les maistres des requestes et suivre le conseil pour les parties. C'est la forme que, durant les rois messeigneurs vostre pere ct yrand-pere, tcnoit monsieur le connetable et ceux qui as- sistoient audit conseil; et les autres choses qui ne depen- dent quede vostre volonte, apres, comme dessus est dit, les avoir entendues, commander les depesches et reponses, se- lon vostre volonte, aux secretaires, et le lendemain, avant que rien voir de nouveau, vous les faire lire et commander
(1) Avis de Catherine de Medicis & Charles IX, dans les Archives curieuses de Chistoirc de France, lre se"rie, torn. V, p. 250-251.
348 APPEND1CE II.
qu'ellcs soicnt envoyecs sans delai , et en ce faisant n'en viendra point d'inconvenient a vos affaires, et vos sujels connoistront le soin qu'avez d'eux etque voulez estre promp- ternent et bien servi. Cela les fera plus diligents et soi- gneux, et ils connoistront davantage combien voulez conser- ver votre Etat et le soin que prenez de vos affaires. »
Une troisieme section s'occupait des finances et elail de- signee sous le nom de conseil de direction. Enfm les af- faires d'Etat, qui primitivement occupaient le conseil tout entier, fmirent par etre reservees a un conseil prive qu'on appela conseil d'enhaut, oil siegeaient les princes, les grands officiers de la couronne et les secretaires d'Etat. Cos derniers y remplissaient les fonctions de rapporteurs, qui dans le conseil d'Etat ordinaire etaientconfiees aux maitres des requetes.
Les memoires d' Andre d'Ormesson fournissent beaucoup de renseignements sur celte epoque de 1'histoire du conseil d'Etat. Les conseillers , peu nombreux en 1 560 , s'accru- rent par la faiblesse du gouvernernent, et ('assembles elait surcharged de membres a la fin du regne de Henri III. Andre d'Ormesson fait connaitre leurs noms d'apres les registres memes du conseil, et remarque qu'en general , a cette epoque, les conseillers etaient des ambassadeurs, des marecbaux de France, des gouverneurs de province et au- tres grands seigneurs plutot que des gens de robe. Sous Henri IV, Tordre rentra dans le conseil , comme dans la France entiere; il fut reduil a un petit nombre de mem- bres. L'anarchie reparut sous la regence de Marie de Me- dicis, et la regie avec Richelieu. C'est ici surtout que les memoires d'Andre d'Ormesson deviennent precieux; ils donnent tous les reglements du conseil de 1622 a 1630. L'organisation de 1630 est la plus remarquable; les attri- butions de cbaque section du conseil sont determinees avec
CONSEIL D'STAT. 349
precision. La minorite de Louis XIV ramcna la confusion dans le conseil qui se remplit d'une foule de magistrals, et, malgrc de nombreux reglements, cette anarchic dura jus- qu'a 1'epoqueoii Louis XIV, vainqueur de la Fronde, reta- blit 1'ordre dans toutes les parties du gouvernement. Le reglement de 1657 reduisit les conseillers d'Etat a vingt- six, dont douze ordinaires et quatorze semestres. Plus de cent furent supprimes ; enfin une ordonnance de 1661 rc- gularisa le service du conseil. II y eut quatre sections : 1 ° le conseil des parties, oil les maitres des requetes rap- portaient les proces d'evocation ou de conflitsquejugeaient les conseillers d'Etat ; 2° le conseil de grande direction , que presidait le chancelier et qui jugeait les questions con- tentieuses en matieres de finances ; 3° le conseil de petite direction qui etait preside par le surintendant et dans la suite par le president du conseil des finances, et qui jugeait les proces relatifs aux fermes des impots ; 4° le conseil des depeches, qui etait charge de I'administration interieure. Le conseil d'Etat n'avait plus aucune attribution politique. Louis XIV, qui comprenait si bien 1'importancc du secret et de la promptitude dans la deliberation et 1'execution , concentra la direction du gouvernement dans un conseil de trois membres, de Lyonne , Colbert et Le Tellier, qui fut dans la suite remplace par Louvois (I). Mais, en enlevant au conseil d'Etat les affaires politiques, il ajouta a son au- torite dans les questions dont il lui laissait la decision. II voulut que les parlements lui fussent subordonnes. « Jc leur defendis, dit-il dans ses memoires (2), de donner des arrets contraires a ceux de mon conseil, sous quelque pre- texte que ce put etre. » Le conseil d'Etat rcsla, jusqu'a la revolution de 1789, a peu pres organise comme sous
(1) Memoires dc Louis XIV, I, 32-38.
(2) Ibid., I, 49-50.
350
APPENDICE II.
Louis XIV; d'ailleurs nous n'avons pas a nous occuper ici de 1'histoire de I'administration et des institutions au xvmc siecle.
Conseil du roi Francois II au commencement de
Z'atw(fe1560 (1): Le Roy.
Ses trois freres (Orleans, Anjou, Alencon). La reine-mere, Catherine de Medicis. La reine de France et d'Ecosse, Marie Stuart. Le due de Guise, Francois de Lorraine. Anne de Montmorency, connetable. Jacques d'Albon, mareschal de Saint-Andre. Francois Olivier, chancelier de France. Michel de 1'Hospital, chancelier de Sancy. Jean de Morvilliers, evesque d'Orleans. Charles de Marillac, archevesque de Yicnne. Jean de Montluc, evesque de Valence. Andre Guillart, sieur du Mortier. Francois d'Avau son.
Voila ceux qui se trouverent a 1'assemblee de Fonlaine- bleau, en 1 560, pour composer et apaiser les troubles de la religion. M. de Morvilliers mourut a Tours en 1577 ; il avoit este evesque d'Orleans et avoit resigne cet evesche a son neveu, Mathurin de la Saussaye, oncle de ma mere, Anne d'Alesso, fille de Marie de la Saussaye.
Conseil du roi Francois II en aoui \ 560 (2) : Michel de L'Hospital, chancelier de France.
(1) Memoires d' Andre d'Ormesson, f° 5 verso.
(2) Ibidem, f° 13 recto.
D'ETAT.
351
Jean de Morvilliers, evesque d'Orleans.
Charles de Marillac, archevesque de Vicnne.
Jean de Montluc, evesque de Valence.
Francois d'Avauson.
Andre Guillart, sieur du Mortier.
Les grands princes et les grands seigneurs estoient les trois freres du roy, le roy de Navarre, les cardinaux de Bourbon et de Lorraine, le due de Guise, le due d'Aumale, le conne' table de Montmorency, les mareschaux de Saint- Andre et de Brissac, 1'amiral de Chastillon (Gaspard de Coligny).
Conseil d'Etat (1578) (1).
Conseil du Roy Henry III suivant son reglement du 11 aoust 1578, signe" HENRY, et plus bas de NEUFVILLE DE VILLEROY.
Les conseillers d'Estat de robe courte estoient :
Le due d'Uzes. Le sieur de Puigaillard.
Le sieur d'Escars. Le sieur d'Aumont.
Le sieur de Chavigny. Le sieur d'Estree.
Le sieur de la Vauguion. Le sieur de Malicorne.
Le sieur de Saint-Supplice. Le sieur de Fonts.
Le sieur de la Chapelle-aux- Le sieur de La Mothe-Fene-
Ursins. Ion.
Le grand prieur de Cham- Le sieur de Maintenon.
pagne (de Serre). Le sieur de Combault.
Conseillers d'Estat de robe longuc :
L'evesque de Valence (Jean Le sieur de Roissy (Henri de
de Montluc). Mesmes).
LesieurdeLenoncour(abbe). L'evesque de Paris (Pierre
L'evesque de Limoges (L'Au- de Gondy) .
bespine). Le sieur de Pibrac (Guy du
Le sieur de Foix (Paul). Faur).
Le sieur de Bellievre (Pom- Le grand aumosnier (Jacques
ponne).
(I) M6moires d'Andr6 d'Ormesson, f° 5 verso.
352 APPENDICE II.
Amiot), evesqued'Angers, L'archevesque de Vienne etabbe de Bellozanne. (Charles de Marillac).
Le roy veult que le sieur de Regnault de Beaune, depuis archevesque de Bourges, et 1'evesque de Mende entrcnt au dit conseil comme chancellors de la reyne sa mere ei du due d'Anjou sonfrere, comme aussi le sieur de Ruzeayant este secretaire du roy a son avenement a la couronne , et Chantereau comme secretaire de la reyne sa mere.
Tous ces conseillers d'Estat furent departis en trois qua- tremestres sous messieurs de Villeroy, Pinart, de Bruslart, secretaires d'Estat , et furent departies entre eux toutes les provinces, afiri que les affaires fussent mieux entenducs ot plus tost expedites.
En ce temps, les sieurs Olivier Lefevre, sieur d'Ormesson, et Benoist Milon, sieur de Vieuville, estoient intendans et controleurs-generaux des finances. Les reglements du con- seil etaient exacts et exactement observes.
Conseil du Roi (1586) (1) :
Le cardinal de Vendosme de Gontaut).
(Charles). Marcschal d'Aumont.
Le cardinal de Guise (Louis Mareschal de Matignon.
de Lorraine). Messirc Philippe Huraull,
Les quatre marechaux de comte de Chiverny, chan-
France. celier de France el premier
Mareschal de Retz (Albert de chancelier de 1'ordre du
Gondy) . Saint-Esprit (1 578) . Mareschal de Biron (Armand
Secretaires d'Estat :
De Villeroy de Neufville. Pinart de Comblisi. Bruslart, sieur de Crosne.
11 n'y avait alors que trois secretaires d'Etat. (1) M&noires d'Andr6 d'Ormesson, f° 13.
CONSEIL D'ETAT. Les deux tresoriers de Vepargne :
353
Pierre Molart, sieur de St- Jacques le Roy, sieur de la Ouin en Touraine. Grange-le-Roy.
Conseillers d'Estat :
MM.
MM.
De Gondy, evesque de Paris. La Chapelle-aux-Ursins. La Mothe-Fenelon. D'Espignac, archevesque de
Lyon.
Des Chasteliers. Miron-Lermitage, premier
medecin du roy. De Biron. Larchant.
Clermonl d'Antragues. Comte de Cerny. De Cornuson. De Poigny. D'O.
Combault. Beaune, archevesque de
Bourges. Beaulieu-Ruzc. Maral, intendanl. Ris (Faucon). Amiot, grand aumosnier. De Pressins. De Rambouillet (d'Angcn-
De Pons.
D'Escars-la-Vauguion .
Miron-Chenailles, intendant.
De Thou, president.
Rostaing.
Chavigny.
Dabin.
Lenoncour.
Chasteauvieux.
De Lage.
Schomberg.
Du Bee, evesque
tes.
Evesque du Puy. Maintenon-Rambouillet. D'Escars, evesque de Lan
gres.
Beaufort-D'Escars. Lagny. de Bellievre. Vibraye-Hurault. Bochart-Champigny. Castelnau-Mauvissiere. De Rieux.
de Nan-
nes .
Secretaires du Conseil :
De Villequier. Martin.
Polier de Gesvres. Beaulieu-Ruze.
Guibert, sieur de Bussy-St- Fresnes-Forget.
Tons les noms de ces seigneurs ont este tires par moi du regislrc du conseil de cette annee 1586 qui avoit esle preste' a M. de Lezeau, mon frere, par monseigneur lc
354
APPENDICE II.
garde des sceaux de Marillac au mois de novembre 1 629. On peut remarquer comme le conseil estoit presque tout compose d'ambassadeurs, de grands seigneurs, de mares- chaux de France, gouverneurs de province, gens d'epee, el de cardinaux, de prelats, evesques et archevesques et peu de gens de robe longue. Je vis par les registres qu'au- cun maistre des requestes n'y entroit ni ne rapportoit, mais seulement tous ces seigneurs dont les noms sont ci-dessus ecrits. Force requestes s'y rapporloierit et fort peu d'in- stances. Maintenant 1'ordre du conseil est bien different, presque en toutes choses. Ce sont toutes robes longues qui tiennent le conseil, aucun homme d'epee, et fort peu d'e- vesques y entrent. J'entends parler du conseil des parties, des finances et de la direction. Les princes du sang tien- nent le conseil, scavoir est M. le due d'Orleans et M. le prince de Conde, quand il leur plaist, estant chefs des con- seils du roy pendant sa minorite. Fait ce 2! mai 1 649 a Ormesson.
Conseillers du roi (1596),
Lorsque messire Maximilian de Be*thune, marquis de Rosny, fut fait seul surintendant des finances par le feu Roy Henri-le-Grand (4).
Sur intend ants des finances :
MM. Le due de Nevers (Ludovic de Gonzague). Le conne table Henry de Montmorency. Philippe-Hurault de Chiverny, chancelier de France. Le mareschal de Retz, Pierre de Gondi, due et pair. Le mareschal de Matignon. De Sancy (Nicolas de Harlay). Le comte de Schomberg.
(1) Memoires <T Andre" Lefevre d'Ormesson, f° 7 verso.
CONSEIL D'ETAT. 355
Hnranlt, seigneur de Maisse, conseiller d'Estat. De la Grange-le-Roy (Jacques-le-Roy).
Intendants des finances :
MM. D'Incarville (Saldaigne). D'Heudicour (Sublet). Maral, seigneur de Villeneuve-le-Roy. Vallee, sieur des Barreaux. Guibert, sieur de Cussy. Doin d'Attichy. Pi cot, sieur de Senteny. De Vienne.
Voila ceux dont le roy se servoit pour la direction de ses finances es-annees 1 595 et 1596, lesquels ne menageant pas les finances a son gre, il mit en leur place M. le marquis de Rosny; ils furent tous desappointes, ostesde ladite admi- nistration et renvoyes en leurs maisons. Les huit premiers prenoient qualite de surintendans, les huit derniers d'in- tendans. Les intendans supprimes avoient chacun donne douze mille escus au roy pendant 1'annee 1 592, le roy es- lant a Tours; ils eurent bien de la peine a s'cn faire reni- bourser, M. de Suillyles meprisant et se moquant d'eux. En leurs places furent mis le sieur de Vienne, le sieur de Maupeou et le sieur Isaac Arnault, avocat au parlement de Paris, de la religion pretendue reformee, comme estoit aussi M. de Maupeou et Maximilien de Bethune, marquis de Rosny, lequel fut fait ducde Suilly en 1605 et sortit de sa charge en 1 61 1 , apres la mort du roy Henri IV, par 1'a- vis du chancelier de Sillery, de M. de Villeroy et du presi- dent Jeannin, qui ne pouvoient le souffrir (tant il estoit hautain et audacieux en ses paroles !), en ayant beaucoup souffert du temps du roy Henri IV, qui le soutenoit a
356 APPENDICE II.
cause de sa rigueur centre les particuliers, et qu'il estoit grand menager des deniers du roy et fort laborieux dans sa charge, et mettoit force argent dans la Bastille pour le service du roy.
Cons oil du roy au mois de fevrier 1 605 (4 ) :
MM. Pomponne de Bellievre, chancelier de France.
Nicolas Bruslart de Sillery, garde des sceaux, sans
sceaux (2). Maximilien de Bethune, marquis de Rosny, surintcn-
dant. De Chasteauneuf (Claude de L'Aubespine), doyen du
conseil.
Huraultde Maisse. De Pontcarre (Camus). DeVic (Mery). Le president Jeannin. De Calignon, chancelier de Navarre. DeBoissise (Turnery). De Caumartin (Lefevre). De Fresne (Canaye). Quandje fust recu maistre des requestes en fevrier 1605,
(1) M&noires d'Andre" d'Ormesson, f° 2 (seconde pagination). Note d' Andre" d'Ormesson : « Je fus recu maistre des requestres au mois de Janvier 1605, par M. le chancelier de Bellievre, dans sa maison, rue de Betisy. »
(2) Note d' Andre" d'Ormesson : « Et est a observer que M. de Sillery, garde des sceaux, se mettoit au-dessous de M. le chancelier, du mesme coste, et le marquis de Rosny de Tautre coste", vis-a-vis de M. le chancelier de Bellievre. Ge que ne fit pas M. du Vair, en Fann6e 1617; car il se mil vis-a-vis du chancelier de Sillery, dont les grands s'offensferent, entre autres le due d'Espernon, en 1'an- n^e 1618. »
CONSEIL D'ETAT. 357
il n'y avoit que ces messieurs qui entrassent dans les con- seils. Les lundi, mercredi et vendredi matin, conseils des parties; les mardi, jeudi et samedi matin, conseils de fi- nances. II n'y avoit point de direction autre que la personne seule du marquis de Rosny, qui travailloit assiduement et estoit fort laborieux et exact, et si rude a ceux qui avoient a parler a luy que Ton apprehendoit de 1'approcher, disant souvent de tres-mauvaises paroles et des injures, et estoit fort ha'i et abhorre ; ce qui estoit cause que le roy Henry IV Ten aimoit davantage, estant fort avaricieux de son naturel et croyant qu'il mesnageoit fort sa bourse. II avoit pour intendans sous luy : M. Jean de Vienne, M. Gil- les deMaupeou el Isaac Arnault, qui avoit este avocat a la cour. II les gourmandoit quand bon luy sembloit ; il estoit fier et arrogant, avec une mine renfrongnee et fort rebar- bative. II fut fait due de Suilly des 1'annee 1 605. M. le chan- celier et M. de Sillery avoient fort a souffrir de luy, s'estant rendu absolu dans les finances et ne voulant estre contre- dict par personne dans leconseil. Voilaquel estoit 1'estat du conseil en ce temps-la et jusques a la mort du roy Henry IV que le dit marquis de Rosny fut disgracie, et au lieu de luy la direction fut etablie consistant en sept ou huict per- sonnes qui travailloient ensemble, etle samedi rapportoient a M. le chancelierde Sillery ce qu'ils avoient fait pendant toute la semaine. Ceux-la estoient, en 1611, messieurs :
De Chasteauneuf pere (Claude de 1'Aubespine). President de Thou (Auguste). President Jeannin, controleur-general . Maupeou (Gilles),
Arnault (Isaac),
intendans.
Cbevry (Louis Duret),
Dole,
Bulion (Claude), conseiller (VEstat.
L 24
APPENDICE II.
Avec le temps cette direction s'est accrue, et tout a change <le forme et changera selon les temps. Escript ce que des- sus le dimanche 29 Janvier 4645.
Conseil du Roy h-anne'es \ 61 4 et \ 61 5, tenu pour
les finances (1).
Le roy et la reyne, sa mere estoient au bout de la table, le roy a la main droite, la reyne-mere a la main gauche.
Au coste droit, du coste de la cheminee, estoient :
MM.
Le prince de Conde.
Le chancelier de Sillery.
Le due d'Epernon.
De Bellegarde, grand-ecuyer.
De Chasteauneuf.
Le president de Thou.
Le president Jeannin.
Le president de Jambeville.
Le president de Bragelonne.
Le president de Boulencour.
De Refuge.
Le president de Seve.
De Marillac.
Vignier.
De Monthelon.
De Leon.
De Beaumont-Menardeau.
De Courson-Hue.
De la Boderie.
Le president d'Atis.
De Poret Seguier.
Le president Miron.
Au coste gauche :
MM.
Le cardinal de Bonzi, eves- que de Beziers et grand- aumosnier de la reyne- mere.
Le due de Guise.
Le cardinal de Guise.
Le due de Chevreuse.
Le chevalier de Guise.
Le marechal d'Ancre (Con- chino Conchini].
De Pontcarrc.
De Vic.
De Catimartin.
DeBoissise.
De Champigny.
De Roissy.
De Bulion.
De Miron, evesque d'Angers.
Hurault, archevesque d'Aix.
De Chevrieres , cvesijue do Grenoble.
De Bisseaux.
Haligre.
(1)
'Andre d'Ormesson, f° 5 recto.
CONSEIL D'ETAT.
MM. MM.
Oilier.- De Berny, frere du chance- De Preaux de Chasteauneuf Her.
fils. De Courmoulin.
Ladvocat. D'Espaignet.
Le president de Villeneuve. Fremion , archevesque de De Treslon. Bourges.
Le president de Chavigny.
Ce conseil estoit fort celebre ; les conseillers d'Estat et les maistres de requestres y rapportcient les grandes affai- res, et [cetordre] fut introduit parM. le chancelier, lequel, pour empescher que M. le Prince qui se rendoit ordinaire aux conseils n'y prit trop d'autorite, conseilla le roy et la reyne de s'y trouver, et a leur suite tous les princes et grands seigneurs prenoient a faveur d'y assister. La mai- son de Guise y prenant place en excluoit tous les autres princes, fors les princes du sang,
Mais, depuis que M. le Prince fut arreste prisonnier, qui fut le premier septembre 1616, le roy et la reyne-mere ni les princes n'y sont plus venus.
Les quatre secretaires d'Estat estoient lors MM. dePisieux (Bruslart), de Sceaux (Potier), Lomenie (pere) et Ponchar- train-Phelipeaux.
Au lieu de M. de Suilly, surintendant disgracie en 1 61 1 , fut introduicte la direction composee de MM. de Chasteau- neuf, de Thou et Jeannin; de MM. de Maupeou, Arnault, Dole, intendansdes finances, et de M. de Bulion, et estoient sept et rapportoient tous a la semaine devant M. le chan- celier de Sillery, qui estoit par dessus ladite direction et qui avoit attire a luy seul toute 1'autorite dans les affaires d'Estat et des finances et des estrangers, a cause de M. de Pisieux, secretaire d'Estat, son fils, qui estoit de haute fa- veur et avoit la guerre et les estrangers, ayant succede a 1'employ de feu M. de Villeroy, son beau-pere.
360
APPENBICE II.
Le Conseil du Roy a la fin du mois de may 1616 (1).
Messire Guillaume du Vair, garde-des-sceaux par la dis- grace du chancelier de Sillery , retire en la maison de M. Desmaretz, son gendre.
MM. les conseillers d'Estat servant actuellement dans le conseil :
MM.
De Chasteauneuf pere.
De Pontcarre.
Le president de Thou.
De Vic.
De Boissise.
De Cau martin.
De Jambeville.
De Champigny.
De Refuge.
De Roissy.
De Marillac.
De Monthelon.
Oilier.
Viguier.
Haligre.
Le president de Bragelonne.
De Berny.
Menardeau-Beaumont.
Pericart.
De Preaux-Chasteauneuf.
De Treslon.
Ladvocat.
MM.
De Courson. De Bonlencour. De Courmoulin. Miron, evesque d' Angers. De Vi 1 lemon t re. De Bulion. De Castille. Barentin. De Fondriac. De Bisseaux. D'Espaignet. De Chevrieres, evesque de
Grenoble. Bertier, evesque de Rieux
[Riez].
Hurault, evesque d'Aix. Le president de Chavigny. Seguier.
De Leon (Bruslart). L'abbede Bourgueil (d'Es-
tampes, Valence) (2).
(1) Me"moires d' Andre* d'Ormesson, f° 57 verso.
(2) Note d'Andr6 d'Ormesson : « De toute celte liste de conseil- ers d'Estat il n'y en avail plus que quatre en vie au mois de Jan- vier 1645 : Preaux, Le"on, Courmoulin et Valence". » — Andre" d'Or- messon a ajoute" en 1654 : « Tous ces quatre estoient de"cedes en Fan. 165/i. II n'y en a plus aucun en vie de toute celte liste. Les homines ne durenl guere. Vila homninm brevis, regum brevier, pontifwim brevissima. »
CONSEIL D'ETAT.
361
Finances :
MM.
M. Le president Jeannin, sur-
intendant des finances. Henry de Lomenie, pere et MM. Les intendansestoient : fils.
MM.
Barbin, controleur-general. De Maupeou. Arnault.
Duret de Chevry. De Castille.
MM. Les tresoriers de 1'es- pargne estoient :
Vincent Bouhier de Beau- march ais.
Remond Phelippeaux-d'Er- bault.
Thomas Morand du Mesnil.
Secretaires d'Estat :
Pierre Bruslart de Pisieux. Bene Potier de Sceaux. Paul Phelippeaux de Pont- chartrain.
Secretaires du conseil :
DuHoussay-Malier (Janvier). De Fontaines-Boner (avril). Des Portes-Baudoin (juillet). De Flecelles (octobre).
Greffiers du conseil :
De la Grange-Trianon (Jan- vier) .
Potel (avril). Moreau (juillet). Le Tanneur (octobre).
Tresoriers des parties ca~ suelles :
Hardier. Barantin. De Nouveau.
Voila tous ceux qui venoient au conseil; ils ne sont pas escrits selon 1'ordre de leurs seances, lesquelles aussi n'es- toient pas reglees, aucuns voulant prendre seance selon 1'antiquite de leur brevet, les autres selon leur service ac- luel au conseil, et cette confusion et desordre engendrerent les brevets de Montpellier, de Chasteaubriant, de Compie- gne, de la Rochelle, pour regler le nombre, les seances et les appointements. Chaque siecle y apporte sa regie ; chaque chancelier et garde-des-sceaux veult estre obei et meprise les reglements de ses predecesseurs, sihonen tant qu'ils luy sont agreables et conformes a son desir, et luy servent de prelexle pour refuser les importuns.
APPENDICE H.
J'ay escript cette page a Ormesson le jour de Saint- Louis, 25 aoust 1642, sur un petit memoire que je trouve escript dema main audit mois de may 1616, afm d'en con- server la memoire, et me resouvenir du temps passe et de tous ceuxque j'ai connus, frequentes, aimeset honores. J'estois lors maistredes requestes et avois fait serment de conseiller d'Estat entre les mains de monseigneur de Sillery, chance- lier de France, au mois d'avril 1615; mais je n'ai pris ma place qu'en Janvier 1616.
Discours sur les rdglements du Conseil cy-apres transcripts (1).
Je veux en cet endroit dire tous les motifs des reglements du conseil qui sont transcripts cy-apres pour m'en souve- nir un jour. Avant le brevet de Montpellier du 2 octobre 1622, il y avoit des disputes ordinaires, dans le conseil, pour le rang et service entre les conseillers d'Estat, sur ce que ceux qui venoient des compagnies et estoient anciens en brevets vouloient prendre leur rang du jour de leurs brevets au prejudice de ceux qui servoient ordinairement dans le dit conseil et y estoient employes dans les plus gran- des affaires et en possession et exercice de leurs charges du conseil. Ceux qui tenoient pour 1'antiquite des brevets estoient MM. de Blancmesnil, president au parlement; Tambonneau, president a la chambre des comptes ; Henne- quin, president au grand conseil; d'Atis, president a la cour des aides; Beaumont-Menardeau, doyen des maistres des requestes; Fouquet, president de Bretagne; Le Bret, avocat-general ; de Maupeou, intendant des finances, et Fremion, archevesque de Bourges. Ceux qui tenoient qu'il
(1) Memoires d'Andn* d'Ormesson, f" 87 et suiv.
ialloit regarder le service actuel et la possession estoient MM. de Bulion, de Roissy,de Bisseaux,dePreaux, de Leon, Haligre et de Marillac, qui avoient a deplaisir de se voir preceder par les premiers nommes, et pour y pourvoir ils obtinrent le brevet de Montpellier, M. le chancelier de Sil- lery estant a Paris et de son consentement, et de fait le brevet est signe BRUSLART, de M. dePisieux son fils. M. de Caumartin estoit lorsgarde-des-sceaux,et M. de Schomberg surintendant des finances. Ce brevet futlu, au mois de Jan- vier 1623, dans la direction, en ma presence, et fut ap- porte par M. de Courten vault, premier gentilhomme de la chambre ; et, apres qu'il cut este lu, M. le chancelier dit au sieur de Courtenvault : « Vous direz au roy que son brevet a este lu et qu'il sera observe dans son conseil, » et en- suite tous ces anciens officiers furent recules de leur ancien rang, et se depiterent et ne se pouvoient resoudre d'y obeir et de se mettre au-dessous de ceux qu'il s avoient autrefois precedes ; ce qui leur fut une douleur bien sensible et bien amere et une grande mortification qui alloit a 1'honneur.
Le second reglement fait a Compiegne, le 1er juin 1624, procede du desordre qu'avoit apporte celuy de Mont- pellier; et, pour faire cesser et oster le grand nombre de conseillers d'Estat qui servoient ensemble toute 1'annee, les conseillers d'Estat furent divises en trois classes : en or- dinaires, en semestres et en quatrimestres. Les ordinaires, au nombre de huit, servoient toute 1'annee et precedoient tous les autres presents et a venir. C'estoientMM. de Roissy, de Bulion, de Bisseaux, de Preaux, de Leon et Marillac ; MM. de Chasteauneuf, doyen, et de Champigny, contro- leur-general, estoient au-dessus d'eux des auparavant, comme leurs anciens. Les ordinaires eurent six mille livres de gages, les semestres trois mille livres de gages; les qua- trimestres eurent seulement deux mille livres. Ce qui a este
364 APPENDICE II.
observe et entretenu toujours depuis sans hausser ni bais- ser jusques en 1'aiinee 1642, que le roy retrancha tin quar- tier de gages a tous les officiers et conseillers d'Eslat aussi bien qu'aux autres (ce qui est demeure depuis), M. Bou- thillier estant alors surintendant des finances tout seul, M. de Bulion estant decede. Les semestres estoient compo- ses de dix, cinq pour le semestrede Janvier, cinq pourceluy de juillet, comme Ton peut voir dans le dit reglement. Les quatrimestres estoient treize, quatre en celui de Janvier, quatre en celuy de mai, et cinq en celuy de septembre, et prenoient leur place les semestres et quatrimestres, comme ils faisoient auparavant suivant le brevet de Montpellier, et il fut dit que les maistres des requestes prendroient leur rang, lorsque le roy les appelleroit au conseil, du jour de leur brevet; ce qui fut une exception a la regie gene- rale, de laquelle ils ont joui sans aucun contredit; ce qui leur a este un grand privilege, qui m'a servi ayant pre- cede, dans le conseil, beaucoup de conseillers d'Estat qui avoient pris leurs places devant moy dans le conseil. Ce reglement fut fait a Compiegne sous M. Haligre, garde des sceaux. Le marquis de la Vieuville estoit lors surintendant des finances et le chancelier de Sillery relegue dans sa maison de Sillery. Le vrai auteur et promoteur de ce der- nier reglement fut M. de Marillac, conseiller d'Estat, au- quel le ditsieur Haligre n'osoit contredire. Le sieur de Ma- rillac avoit un esprit porte a faire des reglements dans le conseil et avoit pris de 1'ascendant sur 1'esprit de M. Ha- ligre et le fortiiioit contre ceux qui estoient interesses.
Le brevet de Chasteaubriant du 26 aoust 1626 fut fait par M. de Marillac, iors garde des sceaux, qui voulant re- trancher le nombre des conseillers d'Estat plutost que de 1'accroistre, ayant, au voyage de Bretagne, fail quatre nou- veaux ordinaires, scavoir M. le president Le Coigneux, clian-
CONSEIL D'ETAT. 365
ceiicr de Monsieur, frere du roy, MM. Vignier, Oilier et Aubery, porta les ordinaires au nombre de douze, et crai- gnant qu'en la place de ces quatre monies a 1'ordre des ordinaires, quatre autres ne demandassent leurs places do semestres, il fut ordonne que ceux qui auroient les dites places n'entreroient point dans la direction etn'y entreroient que ceux qui y estoient auparavant, et pour ce que M. Au- bery avoit este malade a 1'extremile, il voulut reduire les douze ordinaires au nombre de huit et fermer la porte aux demandes. Ce brevet estoit signe de LE BEAUCLERC , secre- taire d'Estat, le 26 aoust 1626.
Le reglement de La Rochelle du 3 Janvier 1628 fut encore fait par M. de Marillac, garde des sceaux, lequel vovant les inconvenients des reglements precedents desiroit d'y remedier par ce dernier reglement, par lequel il oste aux ordinaires que le roy feroit a 1'avenir 1'avantage de la preseance sur les plus anciens qu'eux, pour ce qu'il avoit envie d'y en placer de jeunes et trouvoit injuste que, par cette promotion, ils passassent au-dessus des semestres et quatrimestres plus anciens qu'eux; ce qui feroit murmurer les anciens avec raison et chargeroit d'envie les nouveaux ordinaires, lesquels devoient estre assez satisfaits de leur qualite, qui leur donnoit plus d'employ et d'appointements qu'aux semestres et quatrimestres, sans oster a leurs an- ciens 1'avantage de la seance et de I'antiquite dans le con- seil, qui leur devoit estre conserve avec justice. II reduit tous les conseillers d'Estat en ordinaires servant par quar- tier, permettant aux semestres de servir deux quartiers, mais non consecutifs; veut qu'il y ait quatre evesques et quatre gentilshommes qui y servent ordinairement. Les quatre evesques furent Messieurs de Bourges, de Cahors, de Lisieux, dc Senlis ; les quatre gentilsbommes Messieurs de Breves, de Bethune, de llambouillet et de Marillac, son
366
APPENDICE II.
frere, donnerang et seance, au conseil, aux doyens desquatre quartiers des maistres des requestes, et'les gages aux deux plus anciens de chaque quartier. Ce reglementfut signe de M. POTIER, sieurd'Ocquere, secretaire d'Estat.
Depuis, par les ordonnances que le roy fit verifier en 1 629 en sa presence au Parlement, il y avoit un article qui portoit que le roy revoquoit tous les brevets cy-devant ac- cordes et qu'il feroit expedier des lettres-patentes a ceux dont il entendoit estre servi dans ses conseils, et ensuite M. de Marillac en envoya a tous les conseillers d'Estat qui servoient lors au conseil et m'en envoya aussi qui sont en bons termes et tres honorables, le 29 novembre 1 629, si- gnees DE LOMENIE, secretaire d'Estat, qui a la mai^orT du roy en son departement.
J'ai escript ce que dessus a Ormesson le mercredi matin
10 septembre 1636, afin de me souvenir-4ifljour de la vraie histoire du temps, etde quel mouvement sont precedes tous ces divers reglements ce que chacun ne peut pas de- viner; et ce que j'ai reconnu, c'est que les homines sont fort amateurs de leurs inventions et de se faire valoir et i'aire parler d'eux, quand ils sont dans I'autorite; maisceux qui leur succedent meprisent les reglements de ceux qui les ont precedes, passent par dessus, s'en moquent, et prennent plaisir a les renverser, et de fait, nonobstant tous ces beaux reglements, et toutes ces reductions ordonnees,
11 y a maintenant dix-huit ordinaires dans le conseil, et pour le moins vingt-cinq semestres, sans ceux qui y entre- ront encore par la facilite qui s'y rencontre maintenant.
En 1'annee 1643, 1644 et suivantes, la grande poiie du conseil a este ouverte et y sont entres tous ceux qui Font desire, tant la facilite y a este grande de la part de la rcyne-regente et de M. le chancelier ; de maniere que le nombre de ceux qui avoient droit d'y prendre place mon-
<:ONSEIL D'ETAT.
(oil, en 1647, a plus desix vingt conseillers d'Estat, et les derniers recus estoient assis hors le rang des anciens , et beaucoup demeuroient deboutfautede sieges et c'estoit une grande confusion.
Fait et escript ces dernieres lignes a Ormesson en avril 1647.
Reglement du Cornell. — Montpellier (12 octobre 1622).
Aujourd'huy 12 octobre 1622, le roy estant au camp de- vant Montpellier sur ce que Sa Majeste a esteavertiequ'au- cuns de ses officiers des parlements et autres cours souve- raines, apres avoir recu de grandes commodites de la resi- gnation de leurs offices, se retirent au conseil et pretendent prendre rang du jour qu'ils ont este recus en iceluy en vertu des brevets qui leur ont este expedies plus tost pour honorer leurs charges que pour y servir au prejudice de ceux , lesquels, apres avoir este employes aux ambassades et autres charges importantes a 1'Estat tant dedans que de- hors le royaume, sont ordonnes pour y servir actueliement et y ont vieilli ; ce qui apporte de la confusion en i'ordre des seances qui y doit estre plus soigneusement garde qu'en nul autre lieu; Sa Majeste, memorative des plaintes qui luy en furent fuites en 1'assemblee des notables a Rouen et de ce qui fut lors arreste, a declare et declare qu'elle ne veut et n'entend que les dits officiers ou autres qui ont este honores do semblables brevets aient rang et seance en son conseil que du jour qu'ils auront servi ou serviront actuel- iement, apres avoir resigne leurs offices , et qu'ils sont ou seront employes dans 1'estat des appointements ordonnes par Sa Majeste a ceux desquels elle veult estre ordinaire-
(1) Memoires d'Andred'Ormesson, i'° 89 recto.
368
APPENDICE II.
meat servie. En ternoin de quoy, Sa elite Majeste m'a com- mande d'cn expedier toutes lettres necessaires.
Signe LOUIS. Et plus bas : BRUSLART.
Reglemenl que le Roy veut estre doresnavant observd en son conseil de la direction des finances, en celui d'Estat et des finances et en son conseil prive" ou des parties (1624).
Sa Majeste desirant establir un bon ordre pour la con- duite de ses affaires et administration de ses finances et dc la justice, a voulu commencer par la reformation de son conseil, tant par diminution du nombre de cetix qui y sont entres depuis la mort du feu roy, son pere, qu'en dechar- geant ses conseils de toutes les matieres qui gisent en ju- ridiction contentieuse et peuvent estre renvoyees aux parle- ments, grand conseil, cour des aides ou autres juges, oil les proces pourront estre juges plus commodement et avec plus de soulagement pour ses sujets, et pour cet effet Sa Majeste fera dresser un bon reglement des choses qui doi- vent estre traitees en chacun de ses conseils pour, iceux vus et examines sommairement, en estre fait le renvoi ainsi qu'il est dit ci-dessus;
Pour parvenir a laquelle reformation, Sa Majeste a voulu premierement ordonner les personnes desquelles elle veut estre servie es dits conseils, mesme en celuy de la direction et des finances, avec M. le garde des sceaux et M. de la Vieuville, surintendant de ses finances, les sieurs de Chas- teauneuf , de Champigny, controleur-general de ses finan- ces, de Boissy, de Bulion, de Preaux, de Bisseaux, de Leon et de Marillac, lesqucls , comnie ordinaires, precederont en tous conseils , et, en cas que Sa Majeste appelle cy-apres
CONSEIL D'tiTAT. 369
quelques autres pour estre ordinaires en ses conseils, ils n'auront rang et seance que du jour qu'ils y seront appe- les, encore qu'ils eussent preste le serment auparavant;
Lesintendans des finances et tresoriersde 1'espargne ser- viront pareillement comme ils ont accoustume.
Le secretaire du conseil des finances aura son entree aux dits conseils de la direction et des finances, et celuy des parties au dit conseil, lesquels seront en quartier;
Le tresorier des parties casuelles estant en exercice aura entree au conseil, lorsqu'il sera besoin de taxer les of- fices ;
Auxquels conseils serviront aussi par semestre, asscavoir: en celuy de Janvier les sieurs presidents Fouquet, Vignier, Aubry, Ribier et Haligre, et en celuy de juillet les sieurs Fremion, ancien archevesque de Bourges, le Bret, Oilier, Barentin et la Rochehabert ;
Outre lesquels cy-dessus nommes serviront aux dits con- seils des finances et des parties, chacun par 1'espace de quatre mois, asscavoir : au service de Janvier les sieurs de Treslon, Grangier, Fiebrun et Gueffier, et en celuy demai, les sieurs Ladvocat, Courmoulin, Chaumont et du Manoir, et en celuy de septembre, les sieurs Pericard, de la Poterie, Boissise, Tonnelier et Lesongere.
Lesquels, ensemble ceux du service de six mois, auront 1'entree et seance aux dits conseils, respectivement selon 1'ordre porte par le brevet de Sa Majeste, du 12t octobre
Les maistres des requestes ordinaires de 1'hostel de Sa Ma- jeste rapporteront aux dits conseils des finances et des par- ties les affaires dont ils seront charges, chacun en son quar- tier, sinon que pour aucunes considerations en quelques affaires particulieres, iVen soit par messieurs les chancelier et garde des sceaux aulrement ordonne, et ne laisseront
370 APPENDICE II.
neantmoins d'avoir 1'entree et voix deliberative es dits coa- seils des finances etdes parties, mesme s'estant defaits de leurs charges, Sa Majeste les appelant en ses conseils. Elle trouve bon que ceux des dits maistres des requestes, qui ont este honores de brevets de retenue pour servir en ses con- seils et ont preste le serment suivanl iceulx,y aient 1'entree et seance du jour de leur serment ; mais ils ne pourront preceder ceux qui seront ordinaires pour toute 1'annee.
Les princes du sang, cardinaux, autres princes, dues, pairs et officiers de la couronne, gouverneurs et lieutenants generaux des provinces et autres principaux seigneurs, qui ont fait le serment de conseillers au dit conseil, y auront entree ainsi qu'ils ont accousturne.
Les secretaires d'Estat et des commandements de Sa Majeste auront aussi 1'entree et seance en tous les dits con- seils, du jour du serment par eux preste suivant leurs bre- vets.
Et pour le regard des archevesques et evesques, Sa Ma- jeste veut et entend que ceux qu'elle a honores de la qua- lite de conseillers en ses conseils y aient entree et seance ainsi qu'ils ont accoutume, lorsqu'ils se trouveront pres de Sa Majeste, laquelle n'a voulu en specifier aucun particu- lierement, pour ne leur donner sujet de manquer a leurs re- sidences, et neantmoins Sa dite Majeste aura bien agreable que, de ceux qui se trouveront en sa cour, il en assiste quelques-uns ordinairement aux dits conseils des finances et des parties, lesquels, ensemble les gouverneurs, lieute- nans-generaux et seigneurs sus-mentionnes auront rang et seance du jour du serment par eux preste au dit conseil, en consequence des brevets qu'ils en ont obtenus.
Et, quant a present, pour tous les autres qui ont des brevets de conseillers au dit conseil, ils n'y auront pas en- tree, si Sa Majeste ne leur accorde pas un nouveaujjrevet,
CONSEIL D'STAT. 371
et ne sera aucun pave des gages de conseiller an dit conseil, sinon ceux qui seront employes dans les estats de Sa Ma- jeste servant actuellement.
Fait aCompiegne, 1er jour de juin 1624.
Signe LOUIS. et plus has : DE LOMENIE,
Reglement de Chdteaubriand (1626).
Aujourd'huy 26 aoust 1 626, le roy estant a Chasteau- briant, considerant combien il importe a la dignite et auto- rile de ses affaires de regler son conseil et que le nombre de huit personnes que Sa Majeste avoit cy-devant choisies pour y servir ordinairement ne peut pas suffire, a cause que Sa Majeste les emploie ordinairement aux plus grandes et importantes affaires de son Estat, tant dedans que de- hors le royaume, Sa Majeste a arreste de croistre le nombre jusques a douze, suivant le choix qu'ellea fait de quatre de ceux qui servoient par semestre au dit conseil, par les brevets qu'elle en a fait expedier a chacun d'eux. A cette cause, Sa dite Majeste a voulu et ordonne que son conseil de la direction de ses finances soit compose du nombre de douze, sans qu'il puisse estre augmente pour quelque cause et occasion et en faveur de quelque personne que ce soit, sans prejudicier toutesfois a ceux qui seroient a present au dit conseil de la direction, outre les dits ordinaires, des- quels les places demeureront supprimees par rnort jusques a la reduction au nombre de douze, sans qu'aucun autre y puisse cy-apres pretendre entree sous couleurde brevets de semestre qu'il pourroit obtenirdeSa Majeste ou autrement, en quelque sorte que ce soit. En temoin de quoy, Sa dite Majeste m'a commarule d'expedier le present brevet signe
372 APPENDICE II.
de sa main et contresigne par moy, son conseiller ef, secre- taire d'Estat, etde ses commandements et finances.
Signe LOUIS. Et plus has : LE BEAUCLERC.
Reglement de la Rochelle (Janvier 1628) (1).
Le roy s'estant fait representer les estats et reglemenls faits par SaMajeste et par les roys ses predecesseurs pour 1'ordreet etablissement de ses conseils, conside'rant que les desordres causes en toutes conditions par les guerres et mouvements publics ont atteint mesme jusques a ses con- seils par la multitude deceuxqui en ont obtenu des brevets poury seoir, aucuns avec choix et les autres sans choix, par la facilite qu'ils y ont trouvee, en sorte que, nonobslant les reglements cy-devant faicts a Montpellier en 1622, a Compiegne en 1624, eta Ghasteaubrianl en 1626, il se trouve encore un si grand nombre de conseillers aux dits conseils, que cela diminue grandement la dignite de cetle charge au prejudice de 1'autorite que Sa Majeste doit avoir aux dits conseils et du fruit qui en doit resulter pour le bon gouvernement de ses affaires etde celles de ses sujets qui y ont recours; quecet accroissement et cette facilite sont entre les principales causes de la cherte des offices, si domma- geable a ses sujets en ce que 1'esperance que plusieurs ont de parvenir a cette dignite de conseiller en ses conseils et se preparer par ce moy en une honorable retraite, avec lacom- modite des appointements qu'ils en recoivent, fait que plu- sieurs achetent a prix excessifs les offices de maistres des requestes de son hostel, qui sont les plus proches, faisant
(1) Memoires d' Andre d'Ormesson, f° 95 recto.
CONSBIL D'fcTAT. 373
etat que ce n'est qu'une avance de quelques annees, la- quelleils retireront avec interest, revendant plus cherement les mesmes offices, 'apres qu'ils auront obtenu les dits bre- vets et la faculte de seoir aux dits conseils ; que la mesme raison porte encore la cherte aux offices de conseillers dans les cours souveraines pour ce qu'ils servent de degre pour parvenir a ceux des maistres de requestes, par les- quels ils se promettent 1'acces et 1'entree aux dits con- seils, et de la, par. exemple, se com.muniquent a tous les autres offices, selon la liaison et relation qu'ils ont ensem- ble; que ce mesme desordre cause encore un tres-grand mal, d'autant que plusieursdes officiers de Sa Majeste, par suite deces esperances, ne tiennent plus compte de vieillir dans les charges, ce qui apporte une grande diminution aux compagnies,- prejudice a la justice eta 1'autorite de Sa Majeste en icelle.
A quoy Sa Majeste desirant pourvoir en attendant un plus grand reglement, pour Tordre et les matieres desquelles il pourra estre traite en ses conseils, disposant quant a pre- sent des personnes qui y auront entree et seance, a ordonne que doresnavant il ne sera expedie aucun brevet pour ap- peler et retenir quelqu'un , en la qualite de conseiller en ses conseils, que le dit brevet ne soit signe de la propre main de Sa Majeste, avec addition de ces mots, de la mesme main, pour un tel; ce qu'elle defend tres-expressement a tous les secretaires de ses commandements, defend pareil- lement au chancelier et garde des sceaux d'admettre au- cun, de quelque qualite et de quelque condition qu'il soit, a faire le serment de la dite qualite, que le brevet qu'il en aura obtenu ne soit expedie en cette forme, et qu'outre ce ils n'aient eux-mesmes recu la volonte de Sa Majeste, de sa propre bouche, et de recevoir le dit serment ailleurs qu'en plein conseil, apres lecture faite publiquement en iceluy de L 25
374
APPENDICE II.
leur brevet en la presence de tous les assistans, dont il sera fait mention par les actes des dits serments, auxquels seront inseres les noms des six plus anciens conseillers du dit conseil qui s'y seront trouves presents, dont les greffiers du dit conseil tiendront registre, et les dits chancelier et garde des sceaux parapheront les actes qui y seront inse- res. Ge que Sa Majeste en joint a tous les dessus dits a peine d'encourir son indignation, denullitedes dits brevets, receptions et serments, nonobstant la possession que ceux qui les auront obtenus pourroient acquerir par nonchalance ou autrement ;
Veut et ordonne Sa Majeste que les dits reglements de Montpellier, Compiegne et Chasteaubriant aient lieu pour Fordre, seance, condition et entree de ceux qui en ont la faculte par iceux, et que nul ne puisse servir en la dite qualite, sinon apres qu'il se sera defait des charges dont il poilrroit estre pourvu, suivant le dit reglement de Montpel- lier, lesquels reglements Sa Majeste confirme par le pre- sent en ce que n'y est point de'roge et en les interpretant pour le regard de ceux qui cy-apres y seront appeles pour y servir comme ordinaires, veut Sa Majeste qu'ils aient rang et seance au conseil du jour qu'ils 1'avoient auparavant, sans qu'en consequence de la clause portee par le dit regle- ment de Compiegne, ilspuissent pretendrela preseance sur tous les autres en qualite d'ordinaires, et quant a ceux qui n'y ont pas la seance ordinaire ni par temps certain et limite, veut Sa Majeste qu'il en soit use, selon qu'il est porte par le dit reglement de Compiegne, remettant ala pru- dence du chancelier et garde-des-sceaux, pour le regard de ceux desquels pourroit avoir este obtenu de faire mention, de leur permettre 1'entree et seance, lorsqu'ils seront pres de Sa Majeste, appeles ou envoyes de leurs provinces ou autrement; en sorte toutesfois qu'il en soit use modeste-
CONSEIL D'fiTAT. 375
ment et sans que cela puisse apporter confusion ni seance ordinaire et frequente, et d'autant que tous ces reglements n'ont pu encore apporter Tordre qui estbien requis pour la dignite et autorite desdits conseils, et que les choses si eloignees de leur principe n'y peuvent pas estre ramenees tout-a-coup; considerant aussy que la distinction apportee par le dit reglernent de Compiegne en ordinaires, semestres et quatrimestres, non-seulement diminue en 1'esprit de plusieurs 1'estime de leur condition par la comparaison des autres, et est cause qu'ils tendent et pressent pour parvenir ace qu'ils estiment le plus, mais aussy empeschede reduire la multitude desdits conseillers d'autant que chacun des dits degres est par necessite rempli de quelque nombre ; que tous ensemble en composent un excessif et mal seant, ordonne Sa dite Majeste que doresnavant ses dits conseils ne seront composes que de conseillers ordinaires et servant par quartier, suivant 1'estat particulier que Sa Majeste en a fait dresser, asscavoir des douze ordinaires qui sont de pre- sent, outre les surintendant, controleur-general et inten- dans de ses finances, lesquels ordinaires Sa Majeste veut et entend estre reduits par mort jusques au nombre de huit, et ne veut estre pourvu a aucun de ceux qui pourroient de- ceder ou se retirer jusques a la reduction au dit nombre.
Et, pour le regard de ceux qui servent a present par six et quatre mois, veut Sa Majeste qu'ils soient tous distribue's pour servir trois mois seulement, y ayant, en chacun quar- tier, un du corps de 1'eglise, compris ceux qui en sont a present, et un du corps de la noblesse, selon le choix que Sa Majeste en a fait, sans prejudicier aux conseillers des conseils qui servoient cy-devant durant six mois, auxquels Sa Majeste voulant conserver ce mesme temps de leur oc- cupation, veut qu'ils servent pareil temps de six mois leur vie durant, mais en deux quartiers diflerents et non conse*-
376
APPENDICE II.
cutifs, si bon leur semble; ce qui ne pourra avoir lieu que pour eux et non pour ceux qui en pourroient estre pourvus par leur deces ou autrement, reservant aussy Sa Majeste, suivant le dit reglement de Chasteaubriant, 1'entree et seance au conseil de la direction des finances, leur vie du- rant, a ceux qui 1'avoient cy-devant, sans qu'autres qu'eux, outre les ordinaires, y puissent pretendre Ten tree cy-ap res; a la charge aussy que tous les dessus-dits servant par qu ar- tier en vertu du present reglement seront reduits par mort jusqties au noinbre de quatre par chacun quartier, outre ceux du corps de 1'eglise et de la noblesse, selon qu'il est ditcy-dessus, voulant Sa Majeste, pour le regard de tous les autres, que le dernier article du dit reglement de Compie- gne soitentierement garde et observe, et en outre que, sui- vant iceluy, nul ne soit paye des gages du dit conseil, s'il n'est employe dans lesdits etats, fors les deux plus an- ciens de chacun quartier de maistres des requestes de son hostel, auxquels Sa Majeste, pour en rendre le corps plus honorable et en faire estimer 1'antiquite, veut que les ap- pointements cy-devant payes a huit du dit corps indifferem- ment soient doresnavant payes aux deux plus anciens de chacun quartier, et que le doyen de chacun des dits quar- tiers prenne seance au dit conseil durant les trois mois pro- chainement, suivant le quartier de son exercice audit conseil.
Fait au camp devant La Rochelle, le troisieme jour de
Janvier 1628.
Signe, LOUIS.
Et plus has : POTIER.
Andre d'Ormesson a ajoute : « Ce reglement a este fait par Messirc Michel de Marillac, garde-des-sceaux. M. le
CONSEIL D'ETAT. 377
marquis Antoine d'Eiliat estoit lors surintcridant des fi- nances »
Reglement du Conseil fait et arrfae' par Monseigneur de Ma- rillac, garde-des-sceaux de France (1 } (18 Janvier 1630).
Le roy ayant, par le soixante et unieme article de ses ordonnances du mois de Janvier dernier, reserve de pour- voir par un reglement a ce qui concerne 1'ordre de ses con- seils et des affaires qui y seront traitees, et s'estant a cette fin fait representer les reglements arrestespar les roys ses predecesseurs et par Sa Majeste, mesme celuy fait par le commandementde Sadite Majeste en 1'annee 1615, ensem- ble ceuxfaitsdepuis, tant a Montpellier le 12octobre 1622, qu'a Compiegne le 1er juin 1624, a Chasteaubriant le 26 aoust 1626, eten son camp devant La Rochelle le 3 Janvier 1 628 pour le bon ordre, conduite et administration de la justice, finances et affaires de son Estatqui se traitent en ses conseils, iceux revus et examines, et de 1'avis de son con- seil, tant sur le contenu aux dits reglements que sur plu- sieurs autres points importans que Tetat present et 1'expe- rience ont fait juger necessaires, a fait et ordonne le regle- ment qui ensuit, lequel Sa Majeste veut et ordonne estre exactement garde et observe par tous ceux qui ont 1'hon- neur d'entrer et servir a ses conseils, outre ce qui est com- pris par les dites ordonnances.
Pour parvenir a I'e'tablissement du dit ordre, Sa Majeste ayant, par les reglements precedents, pourvu a la reforma- tion de son conseil en ce qui regarde la diminution du nombre de ceux qui y estoient entres pendant les guerres et lechoixde ceux qui y seroient employes cy-apres, dispo- sant a'present de 1'ordre des dits conseils et des affaires qui
(1) Memoires d'Andr6 d'Ormesson, f° 99.
378
APPEMHCE II.
y seront traitees, VEUT etoaooNNE, pour decharger ses con- seils detoutes les matieres et affaires qui gisent en juridic- tion contentieuse, qu'elles soient renvoyees aux parlements, grand conseil, cours des aides et aulres juges ordinaires, oil les proces pourront estre juges plus commodement pour le soulagement de ses sujets, et qu'a cette fin, au commen- cement de chacun quartier, il soit fait un role de tous les proces qui seront pendans et indecis es-dits conseils pour, iceux vus et examines sommairement, en estre faitlerenvoi oil il appartiendra.
Et d'autant qu'a cause des troubles, en divers traites et edits, baux a ferme pour les gabelles , aides et autres reve- nus, et plusieurs establissements et diverses affaires, il a este fait reservation au dit conseil de la connoissance des matieres qui en dependoient pour plusieurs occasions qui ont este jugees necessaires, et que ces dits conseils sont pour raison de ce charges d'un grand nombre d'affaires, Sa Ma- jeste veut et entend que la connoissance de tous les diffe- rerids qui pourroient survenir en 1'execution des edits et declarations de SaMajeste, qui souloient estre traites en son conseil soient renvoyes aux cours de parlement et autres cours ou les edits auront este verifies pour estre juges et examines conformement a ce qui est ordonne par les dits edits.
Que toutes les causes qui pourroient estre entre les fer- miers du roy et entre leurs sous-fermiers ou autres pour raison des baux a termes ou trailes faits pour les affaires et finances de Sa Majeste soient renvoyees aux cours des aides pour y estre jugees et decidees suivant le contenu aux dits baux et traites, sinon qu'il fut question des droits du roy qui pourroient estre perdus ou dummies pour la collusion ou mauvaise conduite des dits ferraiers ou sous- fermiers, auquel cas il est besoin d'en retenir la connois-
379
sance ct a toujours cstre ainsy use pour le fait dcs finances tie Sa Majeste.
Par le moyen de ces reglements et renvoi le conseil du roy estant descharge de la pluspart des proces qui estoient pendans au dit conseil, il ne sera pas besoin de tenir tant de conseils et il suifira de tenir le conseil prive pour les parties une fois la semaine, qui sera le samedi a huit heures du matin, remettant neantmoins tant pour celui-la que pour le conseil d'Estat et finances, au jugement de messieurs les chanceliers et gardes des sceaux, selon 1'af- fluence des affaires, d'assembler quelques autres fois le conseil extraordinairement, selon qu'ils verront egtre a propos pour 1'expedition des affaires et soulagement des sujets de Sa Majeste. Le conseil d'Estat et de finances sera tenu le jeudi a pareille heure de huit heures du matin, et le conseil des finances le mercredi a pareille heure et le conseil des affaires et depesches le mardi a pareille heure.
L'ordre que le Roy veut estre tenu en ses Conseils des finances et privd.
Pour etablir un meilleur ordre au conseil du roy qui se tiendra pour les affaires d'Estat et finances le jeudi matin, Sa Majeste veut et ordonnc qu'ii y ait un certain nombre depersonnageschoisisde qualite, preudhommie, experience et capacitequi servent d'ordinaireen son conseil et d'autres par quartier suivant 1'estat particulier que Sa Majeste en a fait dresser et le reglement arresie au camp devant La Ro- chelle le 3 Janvier \ 628, et n'entreront au dit conseil au- cuns autres que ceux qui y ont droit d'entree ou seance par les estats et reglements, fait Sa Majeste defense aux htiissiers du dit conseil d'y laisser entrer aticun autre, sans en avertir auparavant messieurs le chancelier ou garde des
380 APPENDICE II.
sceaux pour faire selon qu'il sera par eux ordonne a peine de suspension de leurs charges.
Les conseillers qui sont ordonnes pour servir au dit con- seil seront tenus de s'y trouver sans'y, faillir, sinon pour legitimes excuses dont ils feront avertir M. le chancelier ou M. le garde des sceaux.
Bien que, par le reglement fallen 1615, 1'entree au dit conseil nesoit donnee qu'a Irois maistres des requestes , neantmoins a cause de I'affluence des affaires de beaucoup augmentees depuis la dite annee 1615, tous ceux des dits maistres des requestes estant en quartier entrerontau con- seil et y feront rapport des requestes et instances , aux- quelles auront este coramis.
Au commencement de chaque annee sera fait depar- tement aux conseillers du conseil, qui seront en service, des provinces du royaurne, dont chacun d'eux rapportera les cahiers, articles, remontrances et affaires, afm que ceux qui en feront les poursuites scachent a qui s'adres- ser pour estre plus promptement expedies, ainsy qu'il a este fait entre les intendans et controleurs generaux des finances pour les affaires concernant les finances de cha- cune generalite.
Les requestes qui seront presentees au conseil seront signees paries parties ou par leurs avocats, et, s'il se trouve, apres qu'une requeste aura este respondue, que la partie qui en aura este deboutee presente aucune sem- blable requeste, sans faire mention de' la premiere, elle sera condamnee en 1'arnende de cent cinquante livres envers la partie, et, s'il n'v a partie, I'amende sera neantmoins payee, la moitie aux pauvres et Tautre moitie aux huis- siers du conseil pour en faire les poursuites et diligences.
Et afm qu'il ne soit contrevenu au reglement porte par le precedent article, et qu'aux diilicultes qui se rencontrent
CONSKIL D'ETAT. 381
dans les affaires, Ton tire eclaircissement par les resolu- tions prises aux conseils sur semblables affaires, il sera tenu registre par chacun des secretaires et greffiers du conseil qui sera en quartier tant des dites requestes dont les par- ties auront este deboutees que de tout autres affaires pro- posees et deliberees en chacun conseil, lequel ils seront tenus mettre sur la table du dit conseil devant messieurs les chancelier ou garde des sceaux pour servir dans les occurrences.
Nul n'opinera aux dits conseils et n'y demeurera, quand il sera traite d'affaires qui touchent aluyouasesparents et principaux amis.
Nul n'assistera au jugement d'aucun duquel il ait este recuse pour cause jugee valable par le conseil.
Chacun sera assis au dit conseil selon 1'anciennete de son service et reception, suivant les reglements de Com- piegne et de la Rochelle, cedant le siege et la place a son ancien , excepte ceux qui, parl'eminence de leurs qualites et charges, ensemble ceux auxquels, a raison de la charge de superintendant des finances, Sa Majeste a voulu faire expedier des brevets, lesquels tiendront le mesme rang qu'ils ont fait jusques a present.
II ne sera rien resolu au dit conseil que par la pluralite des opinions, lorsque le roy n'y sera pas present, et les arrests qui auront este resolus en un conseil seront lus et signes au commencement du conseil suivant oil 1'on trai- tera de mesme nature d'affaires et incontinent delivres aux parties en la forme ordinaire, sans qu'ils puissent estre revoques ni retractes ni 1'execution sursise par re- queste ou remontrance, sinon paries moyens de droit, comme il est accoustuine.
Et d'autant qu'il peut arriver contestation entre les se- cretaires et greffiers du conseil et les parties a cause de la
382 APPENDICE II.
recompense qui leur est due pour 1'expedition des arrests, baux, traites, contrats et autres actes dont le prix n'a pas este jusques icy entierement regie, S. M. veut et ordonne qu'il en soit dresse estat en son conseil, toutes choses ces- santes, pour estre observe des la presente annee 4630.
Les arrests donnes aux cours souveraines ne pourrorit estre casses ni sursis, sinon par les voies de droit qui sont portees par les ordonnances.
Affaires que S. M. ordonne estre traitees et re'solues au conseil d'Estat et des finances qui se tiendra le jeudi.
Les request es concernant 1'observation et entretenement ou les contraventions qui seront faites aux edits et or- donnances de S. M. sur lesquelles y aura differend ou proces entre les particuliers et ceux qui auront traite de 1' execution des dits edits;
Les requestes concernant les affaires du clerge;
Les differends ou proces qui surviendront a cause des suppressions et remboursements d'officiers auxquels S. M. aura interest;
Comrae pareillement ceux qui surviendront en execution de pareils faits pour le rachat des rentes, domaines et aides de S. M ;
Les adjudications des fermes au plus offrant et dernier encherisseur;
Les adjudications des grands ponts et autres grands ou- vrages publics au rabais et moins disans;
Celles des baux et marches pour le renouvel lenient et rafraichissement des vivres et munitions des places fron- tieres.
Ce que S. M. veut et ordonne pour le conseil prive, le samedi.
Les requestes presentees par les parties aiin d'evoquer du
CONSEIL D'STAT. 383
parlement et autres cours souveraines , suivant les ordon- nances, seront rapportees au dit conseil par les maistres des requestes estant en quartier et non par autres , ensemble toutes requestes pour reglements de juges a cause de la con- tention de juridiction entre les parlements, chambres de 1'edit, grand conseil, cour des aides et autres cours souve- raines ;
Les requestes concernant les arrests et cas permis par les ordonnances et reglements sur ce faits ;
Les remontrances des parlements et autres cours, et af- faires concernant la justice et fonction de leurs charges ;
Les oppositions forrnees,au sceau, al'expedition des let- tres d'office et autres qui seront renvoyees au conseil par messieurs les chancelier et garde-des-sceaux.
Tous differends, qui pourroient estre au dit conseil tou- chant les evesches et abbayes et autres benefices estant a la nomination du roy, seront renvoyees au grand conseil, en- core qu'il soit question du titre ; enjoint S. M. au dit grand conseil de juger lesdits proces selon le droit de no- mination, et comme jusques a present en a este use.
Les maistres des requestes qui seront en quartier auront 1'entree au susdit conseil eten celui d'Estat et finances pour en rapporter toutes les requestes et instances, auxquelles ils auront este commis.
Les maistres des requestes,qui ne seront eri quartier, seront envoyespar les provinces pour faire leurs visitations et che- vauchees, comme il est porte par les ordonnances. Deux desdits maistres des requestes ne faudront lesjoursdefestes d'aller devant S. Mv quand elle ira a la messe, pour recevoir les requestes qui seront presentees, quand il leur sera commande, et assisteront pres de MM. les chancelier ou garde-des-sceaux, quand besoin sera.
384 APPENDICE II.
Pour le conseil des finances qui se tiendra le mercredi.
Le roy veut et ordonne que, dans le conseil etabli pour les finances, soit arreste le brevet de la taille, la commis- sion, l'estat de la crue extraordinaire des garnisons, les es- tats de S. M. de chacune generalite , les estats des fermes et les conditions qui doivent estre inserees dans les baux qui en seront faits, l'estat general des finances ettout ce qui dependra de I'observation et entretenement des dits estats, apres qu'ils auront este commandes par S. M.
Tous articles et contrats de baux a ferme ou partis se- ront vus et arrestes au dit conseil, et neantmoins 1'adjudi- cation et delivrance d'iceux remise au conseil d'Estat et fi- nances qui se tient le jeudi matin, ainsy qu'il est accous- tume;
Les articles, cahiers et remontrances des provinces en- voyes et presentes a S. M. tant par les gouverneurs et lieutenants-generaux que par les villes et communautes ;
Les requestes qui concernent l'estat des provinces, des communautes et des villes , ensemble les levees des de- niers qui seront par eux requises ;
Les premieres instructions et commissions de ceux qui seront envoyes par S. M. dans les provinces pour pren- dre quelque connaissance du fait des finances.
Aucune levee de deniers ne pourra estre faite pour le roy qui n'ait este deliberee et resolue au dit conseil.
Les lettres escriptes par les tresoriers de France portant avis considerables et importants au fait des finances de S. M. y seront aussi lues, et il sera delibere sur la reponse qui y devra estre faite.
Le mesme sera fait des requestes qui seront presentees
CONSEIL D'ETAT. 385
pour fairc employer gages, en attribuer de nouveaux ou augmenter les anciens, comme aussi pour employer rentes ou autres charges dans les Estats de S. M.
Les rabais , diminutions et remises qui seront demandes sur les tailles, sur la subvention des villes, sur les fermes ou autrement.
Les requestes presentees a S. M. par ceux qui auront este par elle commis et employes pour son service pour avoir paiement de leurs vacations seront examinees par les intendants et controleurs-generaux des finances et par eux rapportees au dit conseil, oil la taxe des vacations sera ar- restee et assignee, comme les autres arrests, la minute re- mise au greffe du conseil et la grosse delivree aux parties qui seront en vertu d'icelle payees des sommes y contenues.
Les roles des taxes des offices seront arrestes au dit con- seil en la presence de ceux qui y assisteront et non ailleurs, defendant S. M. au secretaire des finances de signer aucuns roles des dites taxes qu'ils n'aient este arrestes au dit conseil.
L'ordre que le Roy veut estre tenu en son conseil des affaires et depesches, le mardi.
Au dit conseil seront lues toutes les depesches du dedans du royaume et delibere des reponses et ce qui sera a faire a 1'occasion d'icelles.
Seront aussi lues les reponses et les instructions qui se- ront baillees a ceux qui seront employes dans les provinces pour les affaires de S. M.
Au dit conseil tous ceux qui auront este en commission pour le service de S. M. seront tenus rendre compte de ce qu'ils auront fait, negocie et gere en leurs voyages.
II sera traite au dit conseil de 1'estat des garnisons, es-
386
APPENDICE II .
tat et paiement des gens de guerre tant de cheval que de pied et autres affaires de la guerre , et generalement de toutes les affaires importantes, ainsi qu'il plaira a S. M. I'ordonner.
Et afin que tout ce qui aura este resolu au dit conseil soit promptement et precisement execute, S. M. ordonne que toutes resolutions qui se prendront au dit conseil en chaque journee seront reduites par escript par celuy des secretaires d'Estat qui sera en mois, lequel en fera un acte contenant par article tout ce qui aura este resolu, quelles personnes en sont chargees, quelles en doivent prendre soin. II sera bailie extrait a chacun des secretaires des commandements selon leur departement, afin qu'ils tiennent la main a 1'execution de ce qui aura este avise, apres qu'il en aura este fait rapport a S. M. et qu'elle aura donne son commandement sur ce specialement es choses plus importantes.
Fait a Paris, le 18me jour de Janvier 1630.
APPENDICE. m.
SURINTENDANTS DES FINANCES D« 1594 A 1653.
Le morceau suivant est tir5 des M&noires in£dits d'Andrg d'Ormesson, od il porte pour titre : Lea Surintendcms des finances que fai vus et connus (1).
Quand le roy Henry IV entra dans Paris au mois de mars 1 594, il fit messire Francois d'O, seigneur de Fres- nes, gouverneur de Paris et surintendant des finances, le- quel mourut en Tan 1595. Apres sa mort, plusieurs fu- rent employes aux finances : messire Nicolas de Harlay, seigneur de Sancy, luy succeda en cette charge et ayant parle trop librement au roy sur son mariage avec la du- chesse de Beaufort il fut disgracie, et fut mis en sa place, en 1'annee \ 598, messire Maximilien de Bethune, mar- quis de Rosny, qui estant fort rude et fort mesnager paya les dettes du roy, tant envers les estrangers que les Fran- cois, remplit son arsenal de canons et d'armes pour ar- mer cinquante mille hommes, et la Bastille dont il estoit gouverneur, de quantite d'or et d'argent. II fut aussy grand maistre de 1'artillerie et due de Suilly et ayant gouverne les finances avec un pouvoir absolu, le roy Hen- ry IY decede en may 1 61 0, il fut disgracie en 1'annee 1611 par messieurs de Sillery, chancelier, Villeroy se-
(1) M6moires d'Andr6 d'Ormesson, f° 9 et suiv.
388 APPENDICE 111.
cretaire d'Estat et le president Jeannin qui ne le pouvoient soufFrir a cause de sa rudesse et paroles insolentes.
En la place du due de Suilly, au lieu de surintendant, fut composee une direction de finances de sept personnes, messieurs de Chasteauneuf, president de Thou, president Jeannin, Maupeou, Arnault, Bulion et Villemontee. Cette direction rapportoit tous les samedis ce qu'elle avoit fait pendant la semaine, devant M. le chancelier de Sillery, oil toutes les depenses estoient arrestees. M. Dole y fut ajoute par le marechal d'Ancre, en 1'annee 1612. Get ordre dura jusques au inois de may 1616, que le present Jeannin, lequel avoit tousjours este controleur-general des finances depuis 1'establissement de la direction fut fait surintendant des finances et son gendre, M. de Castille, intendant. Pierre Jeannin, autrefois president en Bourgogne, estant devenu surintendant, bailla son controle general a Claude Barbin favori et confident du marechal d'Ancre, lequel Barbin usurpa toute 1'autorite dans les finances et les affaires d'Estat et demeura ainsy jusques au 14 avril 1617 que le marechal d'Ancre fut tue sur le pont du Louvre. Auquel jour, Bar- bin fut arreste prisonnier et mis dans la Bastille. Le pre- sident Jeannin reprit la surintendance des finances et fit son gendre M. de Castille intendant et controleur-gene- ral.
Le comte de Schomberg fut fait surintendant des finan- ces au mois de septembre 1619 et y demeura jusques au mois de Janvier 1 623 qu'il fut disgracie et renvoye en sa maison.Messire Charles, Marquis de la Vieuville, fut mis en sa place; ilestoit fort entendu aux finances et tres puis- sant dans 1'esprit du roy, et estant encore fort jeune il faisoit tres bien sa charge. II avoit este capitaine des gar- des et lieutenant du roy en Champagne et gouverneur de la ville de Reims. II demeura en grande autorite depuis
SURINTENDANTS DES FINANCES. 389
Janvier 1623 jusques en I 'an 1624 que M. le cardinal de Richelieu fut fait chef du conseil, lequel ayant pris le des- sus le fit disgracier a Saint-Germain-en-Laye au mois d'aoust 1624; M. de laVieuville fut envoye prisonnier dans le chasteau d'Amboise, dont il se sauva au mois d'aoust 1625.
Messire Jean Boschart, seigneur de Champigny, et mes- sire Michel de Marillac furent faits surintendans des fi- nanqes- ensemble au dit mois d'aoust 1624 et demeurerent ensemble jusques au commencement de 1'annee 1 626 que le dit sieur de Champigny fut mis au conseil des depenses. Messire Michel de Marillac demeura seul surintendant jusques au mois de juin de Tannee 1626 qu'il fut fait garde des sceaux de France par la disgrace de M. le chan- celier Haligre renvoye en sa maison de La Riviere, pres de Chartres.
Par la promotion de M. de Marillac en la charge de garde des sceaux, messire Antoine de Ruze, marquis d'Ef- fiat, fut fait surintendant des finances au mois de juillet 1626, par la faveur du cardinal de Richelieu, et exerca cette charge jusques en Tan 1 632 qu'il mourut marechal de France, commandant une armee du roy dans 1'Alle- magne, pres la ville de Strasbourg.
Par son deces furent fails ensemble surintendans mes- sire Claude de Bulion, ancien conseiller d'Estat et mes- sire Claude Bouthillier, secretaire d'Estat. Us exercerent cette charge ensemble jusqu'a la fin du mois de decembre 1 641 , que M. de Bulion mourut.
M. Bouthillier demeura seul surintendant, et estoit un des ministres qui ne croyoit estre change pendant la re- gence (1). Neanmoins, au mois de juillet 1644, il fut dis-
(1) Note d'Andr6 d'Ormesson : « Les ministres qui ne pou- voient estre changes pendant la re'gence estoient monseigneur le
I. 26
390 APPENDICE III.
grade et sa charge clonnee a messire Nicolas le Bailleul, president de la cour et chancelier de la reyne regente, qui futfait surintendant, au mois de juillet 1644. La princi- pale conduiteet direction estoit, sous M. le president de Bail- leul, entre les mains du sieur Michel Particelle, seigneur d'Emery, controleur-general des finances, et du sieur Jac- ques Tubeuf, president des comptes, intendant des finan- ces. Les sieurs de Mauroy, le Charon et Mallier, intendans, n'approchoient pasde leur employ et auctorite.
Au mois de juillet 1647, le president le Bailleul donna sa demission de sa charge de surintendant des finances, de laquelle fut pourvu messire Michel Particelle, sieur d'E- mery, controleur-general des finances, qui en presta leser- ment entre les mains de Leurs Majestes, dans la ville d'A- miens, le jeudi 16 juillet 1647. Pour le regard de M. d'Avaux, il estoit en ce mois a Munster, plenipotenliaire pour la paix generate avec M. le due de Longueville et M. Servien, plenipotentiaire comme luy. M. d'Avaux fut disgracie en juin 1648 et relegue dans Roissy. Le 9 juillet de la mesme annee, M. d'Emery fut disgracie et envoye en sa maison de Tanlay. Le marechal de la Meilleraye fut fait surintendant des finances, et messieurs Haligre et Morangis faits directeurs le mesme jour. En mars 1649, le marechal de la Meilleraye quitta la surinten- dance. En octobre1649, messieurs d'Avaux et d'Emery fu- rent restablis dans leur charge de surintendans, et lors les
due cTOrteans, monseigneur le prince de Conde (Henry), monsei- gneur le cardinal Mazarin, M. le chancelier, M. Bouthillier surin- tendant des finances, M. Bouthillier-Chavigny son fils, secretaire d'Estat. Mais a la cour il n'y a rien de certain et nulle stabilite en la condition. M. Bouthillier fils est demeure" dans le conseil d'en haut, mais a est6 contraint de re"signer sa charge de secretaire d'Estat a M. de Lomenie, comte de Brienne, qui 1'exerce encore. Escrit a Onnesson, le dimanche 30 avril 16/i6. »
SURINTENDANTS DBS FINANCES. 391
directeurs-generaux signoient les arrests du conseil des fi- nances avec eu\. MaisM. de Chasteauneuf ayant este resta- bli dans sa charge de garde des sceaux, au mois de mars 1650, les directeurs n'ontplus signe les arrests ni este ap- peles aux affaires de consequence concernant les finances, messieurs d'Avaux et d'Emery resolvant tout sans eux, toute 1'autorite estant entre les mains de M. d'Emery, en- encore qu'il fust tousjonrs malade.
Au mois de mai 1650, M. d'Emery estant decede, la reyne donna la charge de surintendantdes finances, vacante par sa mort, a M. le president de Maisons (Rene de Lon- gueil), president de la cour, et au mesme temps M. d'A- vaux remit volontairement sa charge de surintendant entre les mains de la reyne, ne se voyant pas aux bonnes graces de M. le cardinal Mazarin, qui ne communiquoit ses secre- tes intentions qu'au president de Maisons, son bon ami. II fit une action de prudence et de generosite tout ensemble, et en a este fort estime. Satius est cum dignitate cadere quam cum ignominia sermre.
Le 8 septembre 1 651 M. le marquis de la Vieuville fut retabli en sa charge de surintendant des finances, vingt- sept ans apres en avoir este depouille, en la place de M. le president de Maisons.
Le marquis de la Vieuville estant decede le vendredi 2t Janvier 1653, messieurs Servien et Fouquet furent faits surintendans des finances, le samedi 8 fevrier 1653, et M. Mesnardeau Champre, tresorier directeur, avec messieurs Haligre et Morangis. II se trouva huit intendans des fi- nances : Mauroy, Tillier, Bordier, Foule, Bordeaux, Gar- gan, d'Erval, Marin. De nouveaux intendans furent nom- mes en 1 654, Paget, Housset, Brisacier et Boisleve.
TIN DU PREMIER VOLUME.
TABLE DES MATIERES
DU PREMIER VOLUME.
PREFACE. Pages i-iv
INTRODUCTION. Pages V-LXXI
§ I. — Caracteres et conditions d'une bonne administration; division
generate de 1'histoire administrative de la France en quatre
e"poques. Pages i-xn
§ II. — Administration romaine dans les Gaules. — Prosperity et misere de la Gaule sous 1'empire remain. Pages XIII-XXIY
§ III. — Les barbares et 1'figlise. — Imitation grossiere de 1'admini- stration romaine par les barbares. — Services rendus par rfiglise ; affranchissement des esclaves. Page xxiv-xxxm
§ IV. — Charlemagne. — Les capitulaires. — Efforts de Charlemagne pour retablir I'unitg administrative. Pages XXXIII-XLVII
§ V. — Feodalite". — Opposition de principes entre la Feodalit6 et la monarchic; elle se manifeste dans toutes les parties de Tad- ministration. Pages XLVII-LXI
§ VI. — Revolution communale. — La royaute a pour auxiliaires centre la fe"odalit6 la bourgeoisie, le clerg6 et le saint-siege. — Premiers avantages obtenus par la royautg sous Louis VI.
Pages LXI-LXXI
HISTOIRE DE L'ADMINISTRATION MONARCHIQUE EN FRANCE.
CHAP. I. — Philippe-Auguste (1180-1223). — Etat de la France b. 1'ave"- nement de Philippe-Auguste (1180). — Union de la royaute avec 1'Eglise et les communes. — Testament de Philippe-Au- guste (1190); organisation administrative duduch^ de France. — Suppression de la dignitt§ de grand-s6"ne"chal (1191). — Des grands officiers de la couronne a cette epoque. — Cour des pairs. ~*-Lutte de la royaute contre la fe'odalite' ; reunions territoriales,*, victoire de Bouvines (1214). — Troupes mer- cenaires; flotte de Philippe-Auguste. — Fondation de 1'uni- versite de Paris (1200). — Relations entre les puissances temporelle et spirituelle. — Louis VIII (1223-1226) ; reunions terri tori ales. — Arret de 1224 qui modifie Torganisation de la cour des pairs. Pages 4-21.
CHAP. II. —Louis IX ou Saint-Louis (1226-1270).— Blanche de Castille, mere de Saint-Louis, affermit 1'autorit^ royale; la royautd reconnuecomme puissance souveraine daus la France entiere;
394 TABLE DES MAT1ERES.
influence du droit remain. — Du parlcment sous Saint-Louis; introduction desiegistes dans la cour du roi; Olim; puissance du parlement. — Administration locale : baillis et s^n^chaux ; ils reunissent les fonctions judiciaires, militaires et financie- res; precautions prises par Saint-Lonis pour restreindre 1'au- torite des baillis et des se"ne"chaux ; enquesteurs royaux. — R6- pression des guerres privies : quarantaine-le-roi ; assurement ,• interdiction absolue des guerres privies. — Reformation de la justice : abolition du duel judiciaire; appels; cas royaux; suppression des mauvaises coutumes. — Administration finan- ciere : etablissement d'une monnaie royale; repartition de I'impot par les eius ; commissaires charges de surveiller les comptes des baillis et senechaux. — Reforme des communes et de la prevote de Paris par Saint-Louis; fitienne Boyleau; le Livre des Metiers. — Resultats de 1'administration de Saint-Louis pour le commerce, 1'industrie, 1'agriculture, les lettres et les arts. — Legislation religieuse : durete" & 1'egard % des Juifs, des heretiques et des blasphemateurs; pragmatique sanction. Pages 23-45.
CHAI>. III.— Philippe III (1270-1285) ; reunions territoriales ; premier ano- blissement. — Philippe IV (1285-1314); puissance des legistes; reunions territoriales. — Mesures fiscales. — Division de la cour du roi en trois conseils : parlement pour la justice, chambre des comptes pour les finances, grand conseil pour les affaires politiques. — Organisation du parlement : les ecclesiastiques en sont exclus; grand'chambre ; enquetes; requetes; ministere public; avocats; notaires; huissiers, etc.
— Administration financiere : chambre des comptes; compta- bilite financiere; hierarchic de fonctionnaires charges de la perception de I'impot. — Clercs du secret. — La bourgeoisie soutient Philippe-le-Bel ; etats-generaux de 1302, 130/i, 1308 et 1314. — Louis X (1316-1316) ; reaction contre 1'adminis- tration monarchique ; charte normande.— Affranchissement des serfs du domaine royal; loi salique. — Philippe V (1316- 4322); ordonnances relatives au grand conseil, au parlement et & la chambre des comptes. — Surintendant des finances. — Le domaine est declare inalienable. — - Comptabilite de 1'ar- mee; capitaines royaux etablis dans les villes. — Droits d'aubaine, d'epave et de batardise declares droits royaux. — Charles IV (1322-1328); rachat de droits feodaux; supplice de Jourdain-de-1'Isle. Pages 47-64.
CHAP. IV.— Philippe deValois (1328-1350). — Mesures fiscales. — Puis- sance de la chambre des comptes depositaire de 1'autorite souveraine en 1'absence du roi. — Organisation du parle- ment; egalite entre les conscilters-juges et les conscUlers- rapportcurs ; commencement de separation entre les fonctions judiciaires et militaires. — MaUieurs de la France devastee par la guerre et la peste. — Reunions territoriales. — Plai- doyer de Pierre deCugni^res (1329J; appels comme d'abus.
— (Jean 1350-1364). — Mesures fiscales. — Reformes tentees par les etats-generaux (1355-1357). — Origine des generaux des finances et des clus. — Retour aux principes monarchi- qucs; ordonnancede Compiegne(1358) ; prudence du dauphin Charles; reforme du parlcment; il est considere des cette G"poque comme le premier corps de 1'fitat. — Charles V (1364- 1380) ; etat deplorable de la France a ravcnement de CharlesV; depopulation. — Charles V termine les guerres civiles et e"loi-
TABLE DBS MATIERES.
gne les grandes compagnics. — Asscmblee de 1369 ; vote de subsides (taille, aides, fouages) ; arme'e permanente organis&j par 1'ordoiiiiaiice de Vincenncs (1374); impot permanent. — Reforme de 1'adrainistration financiere; imp6ts afferme's; les elus dcviennent magistraux royaux; fixitd des monnaies; re- forme de la chambre des comptes. — Permanence du parle- ment. — Prospe>ite du commerce; progresde lamarine; projet de canal entre la Seine et la Loire. — Monuments construits par Charles V. — Protection accordee aux lettres. — S(5para- tion des puissances temporel leetspirituelle; Sow i?e du vcrgier.
— Majority des roisfixe'e ft quatorze ans. — Abolition des foua- ges ou de 1'impot territorial par Charles V mourant (1380).— Charles VI (1380-1422) ; caractere general de ce rfegne; mal- heurs et anarchie de la France. — Mesures administrates : Election des membres du parlemeut par ce corps; cham- bre des vacations. — Re"formes tente"es par le parti de~- mocratique; ordonnance cabochienne (1413) ; elle n'est pas execute. — La France de"chiree par les guerres civiles et e"trangeres (1/113-1/122). Pages 65-90.
CHAP. V. — Charles VII (1422-1461). _ Situation deplorable de la France a l'ave"nement de Charles VII ; reaction favorable a la royaute ; la Pucelle. — ReTorme des armies et des abus feodaux (1438-1439). — Praguerie (1440-1641). — Com- pagnies d'ordonnance (1445). — Francs-archers (1448). — Progres de 1'artillerie. — ReTormes financieres. — ReTormes judiciaires : ordonnance de Montils-les-Tours (1453); re"- forme du parlement de Paris et des tribunaux inferieurs ; institution des parlements de Toulouse et de Grenoble. — Chambre des comptes a Montpellier. — Reforme eccl^sias- tique; pragmatique- sanction de Bourges. — Reforme de 1'Universite. — Prosp^rit6 du commerce; Jacques Coaur. — Agriculture. — Charles VII choisit ses principaux ministres dans le tiers-<§tat. Pages 91-109.
CHAP. VI. —Louis XI (1461-1483). — Caractere de Louis XI; lutte soutenue par ce prince contre la feodalite apanage^ ; re"u- nions territoriales sous ce regne. — Institution des postes f!464). — Ordre de Saint-Michel. — Projet de Louis XI d'etablir une loi unique en France; in amovibilite des mem- bres du parlement; loi contre les non- revel ate urs du crime de lesc-majeste ; arbitraire dans 1'administration de la jus- tice ; e~tablissement des parlements de Bordeaux et de Dijon.
— Gouverneurs de provinces; division des pouvoirs. — Admi- nistration financiere; accroissement des impdts. — Admi- nistration militaire : grand-maitre de 1'artillerie ; tentatives pour ameliorer 1'institution des francs-archers etreorganiser 1'infanterie frangaise ; garde ecossaise ; gentilshommes-a- bec-de-corbin. — Protection accordee au commerce; projet de port sur les cotes de Normandie ; navigation de la Seine.
• Mesures favorables a 1'industrie ; plantation de muriers ; fabriques d'tHoffes d'or et de soie ; Louis XI songe a e~tablir Tunite de poids et de mesures. — Introduction de 1'impri- merie en France; nouvelles universites. — Charles VIII (1483-1498). — Reaction contre 1'administration monar- chique. — ; fitats -g6n6raux de 1484. — Administration d'Annc de Bcaujcu. — Reunion do la Bretagne pr^paree par le mariage du roi avec 1'heritiere du duch6. — Publi- cation de plusieurs coutumes. — Zelede Charles VIII pour
396 TABLE DES MATIERES.
r administration de la justice dans les derniers temps de son regne ; nouvelle organisation du grand conseil. — Chauge- ment qui s'opere dans les ide"es et dans les mreurs pendant le regne de Charles VIII ; les jeunes nobles s'attachent & la cour; filles d'honneur d'Anne de Bretagne. Pages 111-132.
CHAP. VII. — Louis XII (1/198-1515). — Caractere ge^ral de 1'admi- nistration monarchique pendant le xvie siecle. — Ordon- nance de Blois (1499); organisation du grand conseil; creation de parlements a Rouen et a Aix ; publication des coutumes. — Repression de la licence des arme~es. — Di- minution des impots ; venalite des offices de finances et de judicature. — Protection accorded a 1'agriculture, au com- merce, aux lettres et aux arts. — Prosperite de la France a cette e"poque attestee par Machiavel. Pages 133-144.
CHAP. VIII. — Frangois I*r (1515-1547). — Premiere partie du regne de Francois Ier : la royaut<5 devient absolue; elle domine le clerge par le concordat (1516), et la noblesse par I'esprit de cour. — Administration centrale : abaissement des grands officiers de la conronne ; commencement de la puissance des secretaires d'fitat. — Administration locale : gouver- neurs de provinces; surveillance organised dans tout le royaume ; despotisme. — Administration de la justice : publication des coutumes; ordonnances de Cre"mieu (1536) et de Villers-Cotterets (1539) ; grands jurisconsultes de cette Opoque ; preVots des marechaux et mare'chausse'e ; abus dans 1'administration de la justice; v6nalit6 des offi- ces. — Administration des finances : augmentation des impots ; emprunts force's ; mesures adopters par Frangois le* pour rendre 1'administration des finances plus r^guliere; institution de I'^pargne ou tre~sor central; division de la France en g£ne>alite's ; budget prepare". — Administration militaire : ravages exerc^s par les bandes d'aventuriers ; organisation des legions provinciales en 1534 ; peu de suc- ces de cette institution; gloire militaire sous le regne de Francois ler. Pages 145-161.
CH\P. IX. — Suite du regne de Francois Ier. — De la marine francaise a cette epoque ; fondation du Havre ; flottes £quipees par Francois Ier; expeditions maritimes des Francais; decou- vertes sur les cotes de 1'Amerique septentrionale. — In- dustrie et commerce encourages par Francois Ier ; protec- tion accorded aux lettres et aux arts ; fondation du college des trois langues ou college de France. — Persecutions contre les protestants. — Resume de ce regne : progres de Tunite politique et civile; influence personnelle du roi.— Henri II (1547-1559). — Reglement relatif au conseil d'fitat (15/i7). — Administration de la justice : institution des pr^sidiaux (1551); leur juridiction ; parlement e"tabli a Rennes (1553); prevots des mare"chaux ; puissance supi5rieure attribute au grand conseil. — Administration des finances : le nombre des recettes ge"ne>ales est porte in dix-sept; juridiction de la chambre des monnaies. — Armee ; marine ; expedi- tions maritimes. — Commerce et Industrie : fabrique de glaces e"tablie en France par le Bolonais Mutio. — Protec- tion accorded aux lettres et aux arts. — Mesures liscales ; misere et mecontenternent du penple a la fin du regne de Henri II. — Progres de la bourgeoisie, Pages 163-185.
TABLE DES MATURES. 397
CHAP. X. — Francois II (1559-1560) ; edit de Romorantin. — Charles IX (1560-1 57/i). — R61e du chancellor de L'H&pital. — Ordon- nance d'Orh'ans (1 561) ; reTorme ecciesiastique et reforme ju- diciaire. — Plaintes provoqu^es a cette 6poque par la vena- lite des charges.— Efforts du chancelier de L'Hdpital pour re- medier aux abus : suppression de la venalite des charges; mesures adoptees pour la bonne administration de la justice; etablissement des juges-consuls. — tidit de Roussillon (1564) ; le commencement de 1'annee civile est fixe & Paques. — Or- donnance de Moulins (1566) ; elle embrasse toutes les parties de 1'administration; reTorme de la justice; droit de remon- trances limits ; mercuriales prescrites; chevauchees ou inspec- tions imposees aux maitres des requetes ; conditions d'age et de capacite exige"es pour les offices de judicature; organisation des sieges presidiaux. — Des gouverneurs de provinces; sepa- ration des fonctions militaires et judiciaires. — Mesures pour la bonne police du royaume. — fidit des meres. — Impuis- sance du chancelier de L'Hopital au milieu des factions; sa retraite (1568). — Etat deplorable de la France d6vastee parla guerre civile. — Dilapidation des finances. — Decadence de la marine. — Construction des Tuileries et de plusieurs au- tres palais. Pages 186-210.
CHAP. XI. — Henri III (1575-1589). — Faiblesse, prodigality's et misere de ce prince. — Le chancelier de Birague. — Anarchie dans le royaume. — Ordonnance de Blois (1579) : reTorme du clerge ; conditions d'age et de capacity imposees pour parve- nir aux dignites eccle'siastiques ; institution d'un theologal dans chaque eglise catherale; la juridiction eccle"siastique est soumise au controle des parlements ; administration des ho- pitaux ; surveillance exerc^e par I'fit&t sur les universit^s ; articles relatifs a 1'administration de la justice; reduction du nombre des offices ; les juges-consuls sont maintenus malgrd les reclamations, des fitats; defense d'usurper lestitres de no- blesse; nombre des gouverneurs de provinces r^duit k douze; les fonctions judiciaires leur sont interdites; organisation de rarme~e; police de la cour; les domaines alie"ne"s sont repris; mesures pour 1'entretien des grand es routes, pour I'election des officiers municipaux et la police des auberges. — L'ordon- nance de Blois est viole"e par Henri III ; v£nalit6 des charges ; licence des armies; mesures fiscales et dilapidation des de- niers publics. — ReTorme de quelques coutumes. — Creation des bureaux de finances. — Institution de 1'ordre du Saint- Esprit. — Pensions pour les Invalides. — Le monopole des corporations est modfie. — Rdglement relatif aux secretaires d'Etat. — Conseil d'Etat. — Progres de 1'opinion publique sous ce regne. Pages 211-229.
CHAP, XII. — Henri IV (1569-1610). — fitat de la France a l'av<5nement de Henri IV et apres sa conversion (1593) ; preventions des gouverneurs de provinces; insolence de la noblesse; misere et maladies pestilent! elles dans Paris. — Ministres de Henri IV; Sully. — Retour aux principes d'ordre (1596-1598) ; edit de Nantes (1598) ; reforme de 1'Universite. — Reformes finan- cieres entreprises et executees par Sully ; augmentation des recettes et diminution des depenses. — Chambres de justice etablies en 1602 et 1604 pour poursuivre les financiers. — Reduction de 1'interet de 1'argent du denier 10 au denier 16. — Revision des creances de 1'fitat (1604). — fitablissement
398 TABLE DES MATIERES.
de la paulette ou droit annuel. — Asile ouvert aux soldats es- tropies. — ReTormes judiciaires. Pages 231-248.
CHAP. XIII. — Suite du regne de Henri IV. — Conseil du commerce con- voque' par Henri IV en 1602 ; progresde 1'industrie francaise : plantation demuriers; fabrication d'e'toffes d'or et desoie; manufactures de crepes, de cuir dor£, d'armes, de cristal; r£- tablissement des anciennes verreries ; fabriques de tapis de Turquie. — Projets soumis au gouvernement par le conseil du commerce pour le developpement de 1'industrie fran- francaise. — Fondation de nombreuses manufactures par Henri IV. — Exploitation des richesses minerales de la France.
— Nouvelles communications ouvertes pour le commerce; ca- nal de Briare. — Trails de commerce. — Colonie du Ca- nada. — Efforts tenths pour rclever la marine franchise; af- front fait a Sully par un amiral anglais. — Protection accor- dee a 1'agriculture. — Monuments construits sous le regne de Henri IV. — Jurisconsultes de cette epoque; tendance vers 1'unite legislative et administrative. — Repression des duels.
— Projets de Henri IV pour 1'affermissement de 1'autorite monarchique ; son assassinat (1610). Pages 249-269.
CHAP. XIV. — Louis XIII (1610-1643). — Troubles pendant la minority de Louis XIII ; faiblesse de Marie de Medicis ; sterilite del'histoire administrative pendant cette <§poque ; creation d'un parlement a Pau (1620). — Reformes demandeespar les etats-generauxde 1614etparl'assenibieedes notables de 1617.— Ministere de Ri- chelieu (162/1-1642) ;assemblee des notables (1626) ;lapolitique de Richelieu approuv^e par les notables et louee par les prin- cipaux ecrivains de cette epoque. — Forteresses rashes ; sup- pression des dignites d'amiral et de connetable. — Richelieu triomphe des protestants, des courtisans et des gouverneurs de provinces. — II organise le conseil d'fitat : institution des intendants. — Resume des premieres annees de 1'administra- tion de Richelieu jusqu'en 1635. Pages 271-294.
CHAP. XV, — Suite du regne de Louis XIII. — Administration de la jus- tice : commissions institutes pour juger les crimes politiques; reforme tentee par Michel de Marillac (1630). — Administra- tion militaire: discipline introduite dans les armees; inten- dants speciaux etablis pres des armees pour en assurer 1'ap- provisionnement; institution du ministere de la guerre en 1636; projets de Richelieu pour Pameiioration de Torgauisa- tion militaire. — Marine : ports creusds; flottes sur 1'Ocean et la Mediterranee ; succes maritimes des Francais. — Fi- nances : memoire de Colbert sur 1'administration des finan- ces de 1610 a 1630; situation deplorable du tresor; accrois- sement des impots ; vnes de Richelieu sur la nature des im- pots et sur le credit public. — Du commerce et de 1'industrie : compagnie du Morbihan (1626-1628); compagnie des Indes occidentales ; etablissementsfrancais dans les Antilles; relations commerciales avec 1'Asie et I'Afrique ; le canal de Rriare est aclieve ; canalisation de plusieurs rivieres. — Organisation de la poste aux lettres. — Affaires religieuses. — Protection accord ee aux lettres et aux arts. — Attaques dirigees centre Richelieu apres sa mort (4 decembre 1642); il est defendu par Mazarin. Pages 295-318.
TABLE DES MATIERES, 399
APPENDICE.
I. — Discours dela vie d'OIivier Lefevre, seigneur d'Ormesson, d'Eau-
bonne et de Lczeau, con>eiller du roi en son conseil d'etat et pr<5- sidcnt en la chambrc des comptes de Paris. Pages 319-343.
II. — Reglements rclatifs ;\ 1'organisation du conseil d'Etat auxXVI* et
XVIIe siecles. Pages 34 i-386.
III. — Surintendants dcs finances de 1593 h 1653. Pages 387-391.
FIN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME.
COULOKMIERS. — IMPRIMERIB PE A. MOUSSIN.
ERRATA DU PREMIER VOLUME.
Page IV, derniere ligne, 1228, lisez : 1328.
Page XXVI, ligne \ 9, ton pere, lisez : son pere.
Page 6, note 2 , § VIII, lisez : § VI.
Page 12 , ligne 2, XII* siecle, lisez : .Y//7C siecle.
Page 15, derniere ligne, 1290, lisez: 1200.
Page 18, ligne 10, Paris, lisez : VUniversitede Paris.
Page 38 , ligne 3, trouvoit, lisez : trouvai.
Page 42 , ligne 27, commande, lisez : commander.
Page 60, ligne 20, avocats, huissiers, lisez : avocats el huissiers.
Page 63 , ligne 1 2 , Jean XII, lisez : Jean XXII.
Page 72, ligne 1, 1352, lisez : 1353.
Page 77, 1'indication de chapitre doit etre supprime"e et le sommaire report^ a la page 65.
Page 86, ligne 9, exigeaient consentement, lisez : exigeaient le consen- temen t.
Ibid., ligne 10, i'c'tabissement nouveaux impots, lisez : Cetablisse- ment de nouveaux impots.
Page 88, ligne 10, le nombreet Ics fonctions des offlciers dc justice , lisez : le nombre et les fonctions desofficiers dc justice deter- mines,
Page 93 , ligne 15, la predication, lisez : les predications.
Page 113, ligne 9, prommeltant, lisez : promettant.
Page 128, ligne 4, supprimez le mot reunies.
Page 129, note, aulici consilii, lisez : aulici concilii.
Page 1&3, note I, commme, lisez : comme.
Page 147, ligne 12 , I'aministration, lisez : /' administration.
Page 153, note h, Journal d'un bourgeois da Paris, lisez : Journal d'tin bourgeois de Paris.
Page 233, note 2, ne se trouvent que, lisez : ne se trouvcnt pas.
Page 239, ligne 15, « cet esprit fort, general et laborieux, lisez : « cet esprit, fort general et laborieux.
Page 286, note 5, ibid., lisez: voy. dans ce volume.
Page 312 , ligne 49 , en 1601, lisez : en 1631.
Page 317, ligne 7, bien quenepusse, lisez : bien que jene pusse.
Ibid., note : ce n'est plus temps, lisez : ce n'en est plus le temps.
Page32A, derniere ligne, deux ans, lisez : deux ans apres.
-7
vX ^
4& 2358
C5 T.1
Cheruel, Pierre Adolphe
Histoire de 1! administration monarchique en France
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