pN^^%^ NORTH CAROLINA STATE UNIVERSITY LIBRARIES S02065678 Y This book is due on the date indicated unless recalled by the Libraries. Books not retumed on time are subject to replacement charges. Borrowers may access their library accounts at: http://'www.lib.ncsu.edu/ads/borrow.html i-r-i MONOGRAPHIE DU TABAC TrilWîET (ANDDMIE) HISTORIOGRAPHE DE ERANCE 8 COSMOGRAPHE DU ROE MONOGRAPHIE DU TABAC L'HISTORIQUE, LES PROPRIÉTÉS THÉRAPEUTIQUES. PHYSIOLOGIQUES. ET TOXICOLOGIQUES DU TABAC; LA DESCRIPTION DES PRINCIPALES ESPÈCES EMPLOYÉES ; SA CILTURE, SA PBÉPAHATIOX El L'ORIGINE DE SON CSAGE; SON ANALYSE CHIMIQIE , SES FALSIFICATIONS, SA DISTniBUTION GÉOGRAPHIQIE SON COMMERCE ET LA LÉGISLATION 011 LE CONCERNE, GH. FERMOND, nciiibre do 1;* Socîêlé boUni(]ue de France et dr \n SociOlé il'livfinil mi-dicale -Je Paris, rlr. PARIS IMPRIMERIE CENTRALE DE NAPOLÉON CHAIX ET C* lil I BERGÈnE, 20, PRÈS Dl! BOI'LEVAUll JKINTHURTBK 1857 AVANT-PROPOS. L'importance qu'a pris l'usage du tabac en Eu- rope, et particulièrement en France, surtout dans ces dernières années, nous oblige à donner à cet article une extension dont nos lecteurs nous sauront gré, au moins nous l'espérons. D'ailleurs, en parcourant les écrits des auteurs qui ont parlé du tabac, nous n'eu avons trouvé au- cun qui ait traité complètement la question. Un au- teur a plus particulièrement insisté sur son bistori- que ; un autre , sur celui de tel pays ; un troi- sième, sur le monopole du tabac ; celui-ci, sur le tabac du Paraguay, celui-là, sur la nécessité d'é- tendre la culture du tabac. Il en est qui ont traité — G — (lu (abac plus spédaleiiieut au poiut de vue de sa labrication ; d'autres, uu point de vue de sa culture; d'autres enfin se sont plu à chanter les louanges des vertus extraordinaires de la plante, tandis que certains auteurs écrivaient dans un sens diamétrale- ment opposé; mais aucun des ouvrages que nous avons consultés ne nous a paru offrir le travail com- plet que doit comporter un sujet pareil. C'est pourquoi nous avons cru utile, après avoir parcouru un grand nombre d'ouvrages qui traitent de cette importante substance, d'essayer un travail complet, et comme une sorte de monographie oîi se trouveront réunis à peu près les documents les plus utiles à l'étude de cette intéressante question. Nous avons été surtout conduit à ce travail par l'espoir que nous serions un de ceux qui, un jour ou l'autre, réussiront à faire rapporter à son véritable auteur, le cordelier André Thevet, natif d'Angou- lème, l'honneur d'avoir le premier introduit et cul- tivé le tabac en France D'un autre côté, nous sentons qu'au miUeu des nombreux écrits qui se publient sur une seule ma- tière, et qui tous contiennent des choses ditrérentes, mais utiles, il est bien dilHcile à celui qui veut — 7 — avoir une idée complète de telle ou telle question, de recourir à tous ces ouvrages qu'il pourrait être d'ail- leurs dans l'impossibilité de se procurer. Une mono- graphie aussi complète que possible sur une matière est donc un travail fort utile, en ce qu'elle peut résumer tous les points de la question qu'elle envi- sage jusqu'au moment où elle vient d'être faite, ce qui épargne à beaucoup de personnes la peine de recourir à des ouvrages rares, ou dont elles n'au- raient même pas connaissance. Selon nous, les mo- nographes sont appelés à rendre de très-grands ser- vices aux sciences, en réunissant en un seul faisceau tous les documents qui se trouvent si diver- sement éparpillés dans les ouvrages de tous les âges comme de toutes les langues. Parmi les nombreux auteurs qui ont écrit sur le tabac, les uns se sont laissés aller à des louanges exagérées ; les autres, à des calomnies manifestées par des assertions reconnues aujourd'hui comme mensongères. Nous éviterons autant que possible de tomber dans de pareils excès. Sans doute, ceux qui ont critiqué le tabac dans le but d'en restreindre l'usage ont présenté quelques vérités incontestables ; mais, alors même qu'ils auraient plus raison en- core, nous nous garderions bien de les imiter ici , tant nous sommes persuadé que non-seulement ce serait peine complètement perdue, mais encore, en admettant que nous réussissions à empêcher l'usage du tabac, nous doutons fort que nous aurions rendu \m grand service à l'humanité. MO\OGRAPHIE DU TABAC SYNONYMIE. Nous croyons utile de commencer par rapporter tous les uoms qui sont ou qui ont été donnés au tabac par les différents peuples et à différentes époques. GarcieduJardin (1) et Magnenus (2) assurent que le vrai nom de cette plante chez les Indiens est pc/e/^ Au Paraguay, oîi le tabac parait avoir existé de tout temps , il est connu par les Guaranis sous le nom de pety^ qui est le même mot que petun em- ployé pour le désigner sur les bords de l'Amazone (1) Histoire des drogues-, épiceries, etc., qui naissent es Indes et en Amérique, par Garcie du Jardin, traduct. d'Ant. Colin ; 2* édition, Lyon, 1G19. (2) De tabaco ejcercUationes , aiutoro J.-Cli. Magnuiio. Hagœ-Coinitis , 1658. •el des plaines du Brésil. Ces deux muls sont uuuuia- lupéeus, car par la manière de les prononcer ils indiquent assez parfaitement le bruit que produisent les lèvres lorsqu'elles laissent échapper la fumée du cigare ou de la pipe. Nous empruntons à M. Alfred Demersay les diver- ses dénominations par lesquelles on désigne le tabac, en Amérique, en Afrique et dans TOcéanie. PetAj^ tabac (1); d'où les noms de petiigu"^ us- tensile dont on se sert pour humer le tabac ; petyn- quara^ buveur de tabac; apetymbù ^ qui exprime l'action qui consiste à chasser la fumée du tabac par la bouche et par les narines, chez les Guaranis du Paraguay (2). Au Brésil , on le nomme petun ou petum. En constatant son antiquité aux' Indes occidentales , Pison, le premier qui ait bien décrit les plantes du Brésil , lui a donné le nom de petume ou tobacum. Suivant le dictionnaire de la lingoa gf^rcd, publié en 1795, la plante est désignée sous le nom de pytyina. Pytyma eut est le nom du tabac en poudre , et le mot piityma tyha eu exprime la culture. Les habitants du Nicaragua l'appellent ytipoque- to (3). (1) Les Jésuites, auxquels on doit plusieurs vocabulaires Guaranis, ont exprimé par le signe (o) la prononciation à la fois gutturale et nasale de sa dernière syllabe. La finale (y) assez commune est en même temps une des grandes difficul- tés de la langue. {Du tabac an Paraguay^ par Alfred De- mersay, Paris, 1851, notes.) (2) Voir Ruiz de Montoya, Arte de la lïngua Guarani, 1734, in-4". (3) Oviedo, CoUect. de documents publiés par Ternaux- Compans. le de \ — Il — il se iioiiiiiie encore : Quavhije't {Hem) quauhietl ou quauryell mexicain (1): Y oculi (selon Laborde), Vùuli (d'a})rès Raymond Bre ton) , \ par les Caraïbes. Yoli (suivant l'orthographe Du Tertre), /a;??OM« (selon Ânt. Biet), dans la Guyane; Coz-ohba ou caz-oha^ à Haïti ) ,n\ Uppuvuc, dans la Virginie j Siré, par les Bagnouns, les Cassangues et les Mandingues. L'altération du mot tabaco a produit les dénomi- nations suivantes : Tttwac (d'après Dupetit-Thouars), chez les Esqui- maux ; Ou-baco^ nom de la plante, chez les Papels et les Brames ; E-baqué, noiu de la plante chez les Feloupes ; Tammako, chez les habitants des îles Garolines (3) . Kapai/a^ tabac haché, eXdunkol (feuille fumante), dans l'Ile de Geylan, d'après Strachan (i). Tuinac, Bengali. Tambaca et Bvjjirbhang, hindustani. Voici, d'ailleurs, le nom du tabac chez dilTéreuts autres peuples : Oroonoku, dans le Maryland (Ji) ; (1) Collection de lord Kiixjsborouyh, par Bernardino de Sahagun. (2) Magnenus, lac. cit. (3) Alf. Demersay, loc. cit., notes. (h) De ta culture du tabac dans l'iU' de Ceylan, 1702. (5) Dut. port, dfcomm., lom. IV, pag. 537. — 12 — Toback^ ulleinaud, danois, suédois; Tobacco ai snuff, anglais; Dukan, arabe; Bujjerbhang et tumbruco, japonais ; Sang yen, chinois: Thuoc^ chinois et cochinchinois ; Turrhaku, dukanais. hindou: Tabaco, espagnol, italien, portugais ; Tabak, hollandais, polonais, russe: Tambracu, malais; Tiotion, russe ; Zchichir, circassien : Dhumrapatra et Tamrakoota, sanscrit ; Poghei elletj, tamoul; Tamer et Tutun, Tartarie ; Foghako, TelUnga; Dçoukola, cyngaU; luttim^ arabe, turc: Tapnraxoç, grec. « Chose étrange, dit M. Alf. Uemersay (loc. cit., notes), pendant que l'ancienne dénomination haï- tienne du tabac se répand dans l'univers, celle qui lut adoptée jadis par les habitants du Paraguay et > Les exemples abondent de la vérité de ce pré- cepte. On sait que les Orientaux peuvent sans in- convénient prendre de très-fortes doses d"opium. Le fameux Mithridate, roi de Pont, s'était tellement ha- bitué à boire de la ciguë, que cette substance était restée par la suite sans effet sur lui. Dans quelques endroits, la manne, qui est purgative, finit par ne plus agir comme telle, et est au contraire employée comme aliment. Mais de tous les poisons, les végé- taux sont ceux qui se prêtent le mieux à cette to- lérance excessive de notre tempérament; sans doute jiarce que leur nature plus complexe les rend d'une décomposition plus facile sous l'influence de la vie et peut-être aussi sous celle des forces organiques nou- velles nées elles-mêmes de l'habitude. Au contraire, les poisons minéraux, quoique pouvant aussi être tolérés, ne peuvent jamais être élevés par l'habi- tude aux proportions relatives énormes auxquelles les poisons végétaux peuvent arriver. Le tabac, comme poison végétal, peut donc, par l'habitude, arriver à être employé à des doses très élevées, sans qu'il en résulte d'accidents immédia- tement regrettables. Effectivement, nous avons des exemples de personnes qui absorbent par le nez de fortes proportions de tabac en poudre . et de per- sonnes qui fument jusqu'à huit onces de tabac par jour sans en être incommodées: d'ailleurs, non-seule- ment l'habitude finit par en atténuer considérablement les effets, mais encore, dans le cas de tabac à fumer, il faut dire qu'une grande partie du principe actif est détruit ou volatilisé et perdu pendant la combustion. Af/e. — Faul-il accepter comme iiii bien les idées émises dans ces quatre vers de Barthélémy ? Ou dirait qu'il suffit de ce puissant arôme Pour mûrir la pensée et compléter un homme, Qu'il donne à l'enfant même un aspect de raisou. Et d'un air juvénil rehausse le grison. Nous ne le pensons pas. et sauf quelques excep- tions rares, nous croyons qu'il faut que Ihomme ait passé sa première jeunesse pour essayer de l'usage du tabac. Fénelon a dit que « la jeunesse était la fleur d'une nation, et que c'était dans la fleur qu'il fallait cultiver le fruit. » Cette pensée est extrême- ment juste , et c'est pour cela qu'il faut laisser l'homme se former lentement, de façon à ce qu'il puisse jouir de toutes les sensations nouvelles que développent chez lui les changements d'âge, de tem- pérament, de milieux et de circonstances diverses. C'est par ces jouissances qu'il apprend la vie. et s'il ne les a pas éprouvées , il arrive à la maturité de l'âge comme ces fruits avortés qui mûrissent plus tôt que les autres sans acquérir les excellentes qua- lités qui les font rechercher. C'est donc à la sollici- tude paternelle qu'est dévolue l'obligation de sur- veiller l'enfant, afin d'arriver à en faire un homme dans les conditions que nous avons indiquées et qui résument la plus grande somme de bonheur que nous puissions nous procurer ici-bas. Quand l'homme est arrivé à l'état adulte, les im- pressions que font en lui l'usage de certaines sub stances ne peuvent plus autant s'opposer au déve- loppement de ses forces physiques ou morales. Mais c'est surtout dans la vieillesse que le tabac devient d'un usase utile. Loin de détruire la mémoire. comme l'ont avancé sans preuves quelques auteurs enuemis du tabac, au contraire, il paraît qu'il la ré- veille ou la réchauffe, ou bien encore qu'il stimule la volonté qui préside aux actes cérébraux, et toutes ses joies comme toutes ses peines peuvent être rap- pelées à ses souvenirs : alors il se reporte encore à une époque qui n'est plus, mais qui, par cela même qu'elle lui rappelle sa jeunesse avec les impres- sions neuves et saisissantes qui l'accompagnaient, est encore pour lui un moment de bonheur ; car, il faut bien le reconnaître , ces souvenirs de jeunesse por- tent toujours dans l'esprit un regret, et un regret de cette nature n'est jamais sans quelques charmes. Mais pour obtenir de l'usage du tabac les avanta- ges que nous signalons, il faut user de bien des précautions; il faut n'en point faire un abus qui serait tout aussi dangereux chez les vieillards que chez les enfants; il faut enfin qu'une habitude con- tre nature ne soit pas venue émousser ou détruire cette sensibilité sans laquelle les impressions ne sauraient se produire. Sexe. — Nous avons dit autre part que dans beau- coup de contrées les femmes fument presque autant que les hommes. En Amérique, un grand nombre de dames fument le cigare de Virginie ou de la Ha- vane. Les Indoues du Guzurate fument leur zerda- tambakou avec autant de plaisir que les sultanes et les odalisques leur ienidgé-kara-sou. En Eiirope, particuhèrement en France, les loretles de nos jours ne se font nul scrupule de fumer la cigarette, ne craignent pas de humer la fumée d'un cigare, et vont quelquefois même jusqu'à affronter l'usage delà pipe; mais c'est ])ien souvent plus par esprit d'imitation pas- sagère ou de fanfaronnade que de passion bien déter- minée. Ici, c'est plutôt par convenance que par horreur de l'odeur du tabac, que cette habitude n'est pas arrivée chez les femmes , car il n'est pas rare de trouver des élégantes suivant, pour ainsi dire, à la piste un fumeur, afin de jouir de l'arôme de son cigare. Keylius a écrit, en 1715, que fumer n'était nullement contraire au décorum ni pour les hommes ni pour les femmes : non herbœ nico- tianœ usus levis notœ maculam contrahat. Enfin Beihtema, de Francfort-sur-le-Mein, prétendait que le tabac n'était pas plus nuisible à un sexe qu'à l'autre. (Grenet.) Climats, saisons. — Ces circonstances ne parais- sent pas avoir une grande influence dans l'usage que l'on fait du tabac, puisque l'on fume à peu près autant dans le Midi que dans le Nord ; mais les ef- fets sont généralement une conséquence du carac- tère si différent de ces deux classes d'hommes : ainsi, tandis que dans le Nord le tabac agit sur l'homme en exagérant son silence et son aptitude à la réflexion, au contraire, dans le Midi, il exalte son esprit, qui se répand au dehors sous mille for- mes plaisantes ou légères, mais rarement profondes. Toutefois, si nous abordons la question d'hygiène, nous pouvons reconnaître que le tabac est plus utile sous les latitudes tempérées ou froides et humides que dans des pays plus méridionalement exposés ; c'est en vertu des mêmes causes qu'il sera plus utile par les temps froids que par les temps chauds, par l'humidité que par la sécheresse Ce sont encore les mêmes causes qui font qu'il convient mieux aux marins, aux pêcheurs, aux chasseurs, aux gardiens de nuit, en un mot, à tous ceux qui sont placés dans des conditions de froid et d'humidité. En effet. le? portes occasionnées par la salivation ou par l'é- vacuation des mucosités nasales sont à peu près con- tre-balancées ou rétablies par l'absorption de la va- peur aqueuse contenue dans l'air froid et humide. Dans l'été, surtout par les grandes sécheresses, il est clair que l'appel des fluides par la bouche ou les narines, en s'ajoutant aux pertes occasionnées par la sueur et la perspiration insensible de la peau et de la membrane pulmonaire, doivent finir par épuiser. Si cette perte de liquides est portée trop loin, si l'économie refuse de répondre à l'appel fait à la bouche ou aux narines, ces parties se dessé- chent ainsi que 1 arrière-gorge, et le besoin de boire se fait sentir. A la vérité, ceux qui ne crachent en fumant ni ne mouchent en prisant, résistent mieux à la sécheresse; mais, en retour, ils sont privés du bénéfice d'une évacuation qui peut devenir néces- saire dans de certaines dispositions anormales. DR LA FABRICATION DU TABAC AU POINT DE VUE DE L HYGIENE. Bien que cette question se lie intimement avec celle que nous venons de traiter, cependant elle a une telle importance que nous avons cru devoir en faire un article à part. La manière prodigieuse dont l'usage du tabac s'est irpandu dans tous les pays et dans toutes les clas ■ ses (le la société a dû nécessairement éveiller, sur- tout en France, l'attention de l'autorité quant à ce qui concerne son action sur l'économie. Ne fût-ce même qu'envisagé au point de vue de l'hygiène, le monopole du tabac par l'État était assurément une chose utile, car la bonne santé de son peuple est une cause de force et de prospérité pour le pays. Comprenant sans doute cet immense intérêt. Napo- léon résolut de n'avoir qu'une seule manière de faire, et la fabrication des tabacs dans toute la France fut soumise à un même mode de fabrication. C'était enlever aux divers fabricants d'alors la possibilité de faire consommer une denrée devenue de pre- mière utilité, ayant des qualités et des propriétés très-diverses selon la manière dont on la fabriquait, les substances qui la composaient et la cupidité phi!* ou moins prononcée des fabricants ou des débitants. En vertu de cette mesure , le mode opératoire qui fournit les meilleurs tabacs préparés a été adopté dans' toutes les manufactures, et c'est à peine si l'on peut observer quelques différences sensibles dans le? produits, différences qui tiennent soit à des idées particulières des chefs des établissements dans quel- ques détails de manipulation, soit surtout à la néces- sité où ils sont de se conformer au goût ou aux be- soins des consommateurs des déi)àrtements où ils envoient leurs produits. L'influence de la fabrication du tabac n'est pas la même dans toutes les manufactures, et cette diffé- rence doit être attribuée à ce que dans les unes on fabrique toutes les espèces de tabacs , tandis que dans les autres on ne fait que des cigares ou des carottes. Depuis l'institution du monopole, le gouvernement a eu soin d'attaclier des médecins aux divers éta- blisseinents , afin qu'ils pussent examiner les ou- vriers, soit à leur entrt^e. pour constater leur bon état ' de santé et refuser les valétudinaires ou ceux qui pourraient être atteints de maladies contagieuses, soit pendant leur séjour dans la manufacture, et leur donner, au besoin, les soins ou les conseils que leur état réclamerait. Pendant longtemps on n'a exigé d'eux que les soins que nous venons de signaler ; mais aujourd'hui leur mission est plus étendue. Chaque année les médecins sont tenus de consigner dans des rapports circonstanciés les observations qu'ils ont pu faire sur la santé des ouvriers, sur les maladies qui se présentent et sur les diverses par- ticularités qu'offrent ces maladies. De cette façon l'administration prouve son zèle pour les ouvriers qu'elle emploie et les intérêts qu'elle a entre les mains. Il serait bien important qu'une pareille me- sure fût appliquée à tous les établissements qui occupent un grand nombre d'ouvriers. Ce serait, dit M. Amb. Tardieu (1), le meilleur moyen de réunir, sur l'influence des professions, des renseignements précis que l'hygiène saurait mettre à profit et que pourrait consulter le législateur lui-même, heureux quelquefois de s'inspirer des conseils de la médecine et de l'hygiène. Déjà M. le vicomte Siméon, direc- teur général de l'administration des tabacs, a, dans un travail intéressant, rassemblé les renseignements fournis par le médecin dans le courant de l'année 1844, indépendamment des questions étrangères à l'hygiène publique et qu'il résume sous les trois chefs suivants : 1» les ateliers et leur tenue; '■2° les mala- (1) Diction, (rhtjijiènc pnl>liqiiv cf (h mhibriUK t. III, p. 463. Poris , dies et les accidents observés dans l'année; 3° les effets du tabac sur la santé des ouvriers (1). Relativement à cette dernière question, la seule qui doive nous occuper ici, et malgré les accidents attribués aux émanations du tabac par Ramazzini, Fourcroy, Cadet Gassicourt, etc., les observations des médecins sont unanimes pour établir que le tabac ne produit que peu d'effets sensibles sur les ouvriers qui se livrent aux diverses manipulations du tabac, alors même qu'ils n'y sont pas habitués. D'ailleurs ces effets sont passagers, et les ouvriers ne tardent pas à n'en être plus impressionnés. Les deux ateliers où se sont plus particulièrement fait remarquer cette influence du tabac sur la santé des ouvriers sont celui où se fait la dessiccation du scaferlati, dont les éma- nations paraissent exercer sur quelques sujets d'une sensibibté nerveuse très-prononcée une impression réelle et plus ou moins durable, et celui où se pro- duit la fermentation en masse des feuilles hachées destinées à la préparation des tabacs à priser. Néan- moins les effets observés sont assez rares pour que l'on n'en doive pas moins considérer le travail de la fabrication comme n'étant nullement de nature à nuire à la santé des ouvriers. Les malheureuses épidémies cholériques de 1832, 1849 et 1853 sont en quelque sorte venues justifier cette manière de voir. Il est certain que l'on n'a pas remarqué que les débitants de tabacs aient été plus atteints par le fléau que les autres classes de mar- chands. Il y a mieux : c'est qu'en consultant la sa- vante statistique de M. Blondel, inspecteur de l'ad- (1) Rapport à M. le ministre du commercp. {Ann. d'tiy- (jihie et de méd. lég., t. XXX, p. 243.) 6 ïninistration générale de l'assistance publique (l),ou trouve au tableau 24 que les ouvriers aux tabacs n'y figureut que pour un très-faible nombre. En effet, il n'est entré dans les hôpitaux que 5 liomuies et 19 femmes; total : 24. 11 en est sorti guéri 3 hom- mes et li femmes; en tout : 17, ce qui fait pour les décès 2 hommes et 5 femmes; total : 7. Enfin, tandis que pour les journaliers la mortalité a été de r)3 0/0, elle n'a été que de 29 0/0 pour les ouvriers aux tabacs. En un mot, il résulte du relevé de M. Blondel que ces ouvriers sont de ceux qui non-seule- ment ont été moins souvent atteints, mais encore sur lesquels la maladie a sévi avec le moins de rigueur. D'un autre côté, dans une note extraite des Tra- vaux hygiéniques de la Société de médecine de Rio de Janeiro, M Aug. de Saint-Hilaire (2) nous dit que la commission chargée d'examiner la valeur d'une plainte faite à l'occasion d'établissement de four- neaux par les fabricants de labac, a prouvé que, malgré la confection défectueuse de ces fourneaux, les maladies indiquées se réduisaient à quelques sen- sations désagréables et à une irritation d'organes déjà affectés ; que le voisinage de ces fabriques n'oc- casionnait aucune maladie véritablement grave, et que l'habitude détruisait bientôt les inconvénients que ce voisinage pouvait avoir d'abord pour la santé; enfin que le nombre des morts et des maladies qui avaient eu lieu depuis quatre ans dans le quartier où ces fabriques sont établies, n'a offert aucune dif- férence avec celui des maladies et des décès signalés dans les autres quartiers de la ville. Il) Rapport sur l'épidémie cholérique de 1853-1854. Paris, 1R35. (2) i\o/c sitr /'innocuité des fabriques de tabac, Ann. d'hyg. et inéd. lég., t. X, p. 191. Eiilin M. le docteur Berruti, professeur de pliysio- logie à l'universilé de Turin, a ]nibli'é dans les actes de l'Académie médico-chirurgicale de son pays un mémoire intitulé : De l'usage du tabac, et. de la santé des ouvriers qui travaillent dans les fabriques de ce produit. Dans ce travail, l'auteur soutient, d'a- près un grand nombre d'observations recueillies par lui-même, .que tout ce qu'on a écrit sur l'iniluence malfaisante du tabac chez les ouvriers des fabriques de ce produit et chez ceux qui le vendent en détail, ainsi que chez les personnes qui en font usage pour fumer, priser ouniàcher, est exagéré, erroné même, les maladies ou' les accidents que l'on a attribués au tabac étaitt indépendants de l'influence de cette substance. Dès le début de sou introduction en France, le tabac ayant été considéré comme une drogue active, les apothicaires seuls avaient le droit de le vendre. En 1635, son usage dans les lieux publics était inter- dit sous peine d'amende, de prison ou de fouet. Un siècle plus tard, quand le tabac fut devenu d'un usage général et journalier, quelques médecins, entre autres Ramazzini, prétendirent que la fabri- cation du tabac' exerçait sur les ouvriers les effets les plus funestes, et cet avis fut partagé par un grand nombre de personnes. Cependant, il y a vingt-cinq ans environ, le docteur Parent-Duchàtelet accepta avec exagération une opinion contraire, puisque, selon lui, il ne serait pas de substance plus inno- cente. L'administration des tabacs se compose aujourd'hui d'hommes éclairés qui se recrutent parmi les chi- mistes les plus distingués, les meilleurs médecins et les élèves de l'École polytechnique; il en résulte que la question des tabacs doit être étudiée sous toutes ses faces. Aussi le gouvernement déférait-il à l'Aca- démie de médecine, il y a une douzaine d'années, un résumé d'observations médicales, en la consul- tant sur la valeur de ces observations. Les commis- saires (MM. Loiseleur-Deslongchamps et Mêlier, rapporteur) ont examiné par eux-mêmes les faits et les questions qui leur étaient présentés, et ils ont constaté une amélioration importante résultant par- ticulièrement de l'application de la vapeur dans le travail général de la manufacture. Autrefois , dit M. Mêlier (1), les ouvriers employés à la fabri- cation du tabac étaient affectés de certaines ma- ladies ; presque tout s'y faisait par la main des hommes ; maintenant c'est la vapeur qui hache, qui torréfie, qui moud, qui tamise. En un mot, on n'a rien négligé pour éloigner les dangers qui accompa- gnent les manipulations diverses auxquelles cette substance est soumise avant d'être livrée à la con- sommation. On comprend combien ces changements ont dû faire disparaître d'effets nuisibles, et s'il en subsiste encore, c'est que sans doute ils sont inhé- rents à la matière travaillée ; ils devaient être plus sensibles autrefois, bien qu'alors Parent-Duchâtelet se refusât obstinément à les reconnaître. Malgré ces améliorations, M. Mêlier pense qu'il s'en faut de beaucoup que la fabrication du tabac soit complètement exempte de toute action sur les ouvriers. On concevrait en effet difficilement qu'elle pût être sans inconvénients, quand on vient à pen- (1) Rapport sur un document officiel adressé à l xcadémie de médecine par M. le ministre de l'agriculture et du commerce, touchant la santé des ouvriers employés dans les munufacturrs de tabac. (Bulletin de l'Académie royale de médecine, t. X, 18/<(i-û5, p. 569.) Ser que les propri(^tés de la plante sont dues à un principe volatil extrêmement actif qui, isolé sous le nom de narcotine, constitue un des plus violents poisons que l'on connaisse. Voilà pourquoi beaucoup d'ouvriers en ressentent les effets. Ces effets consis- tent : les primitifs, dans une céphalalgie plus ou moins intense accompagnée de mal de cœur et de nausée, perte de l'appétit et du sommeil, diarrhée; ils durent de huit à quinze jours, puis disparaissent d'ordinaire ; les consécutifs, dans une altération par- ticulière du teint qui prend une nuance grise. Il faut dire que ce dernier effet ne se prononce que sur un petit nombre d'ouvriers, après un temps assez long et seulement dans certains ateliers. M. Mêlier suppose qu'il se lie à un état particulier du sang du à l'ab- sorption des principes du tabac, et cette idée est appuyée de plusieurs considérations. Les accidents que nous venons de signaler ne s'observent fréquemment que chez les ouvriers qui défont les masses et plus encore chez ceux qui tra- vaillent aux cases. Au contraire, les ouvriers occu- pés à époularder, à écoter, à mouiller, à hacher ou à mettre en cigares sont à peu près exempts d'acci • dents. Dans l'atelier des cases, le travail est extrêmement pénible et ne saurait être longtemps continué ; heu- reusement il n'a lieu qu'à de certains intervalles. On a d'ailleurs soin de changer les ouvriers et d'al- terner la nature des travaux. Enfin on a la précau- tion de n'y admettre que les hommes les plus forts et les mieux acclimatés. C'est dans cet atelier que se produit le teint gris dont nous avons parlé et qui s'annonce par des diarrhées abondantes, de l'insom- nie et une agitation fatigante, des nausées, la perte de l'appétit et l'amaigrissement. Voici ce que Tobservation a fait découvrir sur le? ouvriers dout le teini s'altère ainsi. Ce n'est pas une simple décoloration ou une pâleur ordinaire. Les individus revêtent un aspect gris terne qui tient à la fois de la chlorose et de certaines cachexies. Un œil exercé pourrait jusqu'à un certain point recon- naître à la physionomie ceux qui ont longtemps tra- vaillé dans les manufactures de tabac. Cet aspect, en effet, ne s'observe que chez quelques anciens ouvriers de la fabrique, surtout chez ceux qui y ont beaucoup séjourné et ont passé par tous les. travaux qui s'y font M. le docteur Hurteaux, médecin de la manufacture de Paris, estime que deux ans au moins sont nécessaires pour que cet état se mani- feste. 11 est impossible que de pareils changements ne soient pas produits par une sorte d'intoxication, a laquelle toutefois les ferrugineux remédient suffi- samment pour rendre aux ouvriers leur coloration première. M. Stolz a observé un fait qui rend bien évidente l'absorption des émanations du tabac. Une femme vint faire ses couches à 'la clinique de Strasbourg; pendant la lente évacuation des liquides amniotiques, on leur reconnut l'odeur forte, parti- culière et pénétrante du tabac en fermentation , et la femme, interrogée alors, déclara qu'elle était ou- vrière dans un magasin de tabac. D'un autre côté, M. Hurteaux a remarqué que lorsqu'on saignait les ouvriers de la manufacture, il était bien rare de voir le sang former une couenne, ou bien, s'il s'en formait, elle était mince et le caillot était mou d'ordinaire Ce médecin est disposé a croire que cette intoxication a pour effet de modi- lier le sang au point de faire disparaître une partie (le la fibrine, et ce qui le confirme dans cette opi- nion, c'est que les ouvriers qui travaillent le tabac sont souvent atteints de congestions qui ont toujours quelque chose de plus ou moins passif et qui récla- ment la saignée. Les femmes paraissent être plus sujettes à ces effets, qui se révèlent chez elles par des menstruations plus abondantes et plus fréquentes que d'ordinaire, constituant parfois de véritables pertes. M. Félix Boudet, sur la prière du docteur Mèlier, a analysé le sang provenant d'une saignée faite à un ouvrier de la manufacture, mais il n'y a rien trouvé de particulier; au contraire, les expé- riences auxquelles il s'est livré sur les urines l'ont porté à penser que la nicotine y existe réellement, bien que pourtant il n'ait pu en obtenir des quan- tités appréciables. Malgré ces effets du tabac sur les ouvriers, M. Mèlier a bien soin d'ajouter qu'ils sont loin d'être aussi graves qu'on le supposait autrefois. L'action du tabac sur les ouvriers, dit-il, bien que réelle, n'est pas telle qu'il faille voir dans sa fabrication une chose éminemment nuisible et dangereuse ; ce n'est rien de comparable, par exemple, au plomb ou au mercure ; il n'en résulte ni coliques violentes, ni paralysies, ni tremblements comme de la part de ces métaux ; il n'y a même pas, à bien dire, de maladie déterminée; mais il y a des effets physiologiques bien certains et tels qu'on devait les attendre de la sub - stance dont il s'agit et d'après ses propriétés connues. Enfin on a dû chercher à savoir si les ouvriers em- ployés dans les manufactures de tabac vivaient moins longtemps que tous les autres ouvriers en général , ainsi que l'ont avancé quelques auteurs anciens et ce qui à été contredit par Parent-Duchàtelet (1) . (1: Mémoire sur les véritables influences que le tabac peut Si l'on observe que la population se renouvelle incessamment dans ces établissements par des ren- trées et des sorties, on comprendra qu'il soit ditïi- cile de savoir au juste à quoi s'en tenir. Néanmoins M. Mèlier a constaté, à la manufacture de Paris, la présence de vieillards qui avaient passé à peu près toute leur vie à travailler au tabac. A la vérité, ce ne sont pas de beaux vieillards; la plupart sont asthmatiques ou du moins ont l'haleine courte; mais on sait que cette affection est très-souvent l'attribut de la vieillesse. Mais de ce qu'en général il est re- connu que le travail du tabac ne cause que rare- ment des accidents, et malgré les importantes mo- difications apportées dans ce travail par l'adminis- tration, il ne s'ensuit pas qu'il faille déclarer que ce travail soit complètement innocent; c'est l'avis émis par M. Mèlier et en même temps celui de M. Pointe, médecin de la manufacture de Lyon. Le rapport de M. Mèlier, fait avec la plus sage impartialité, établit qu'en toutes choses il ne faut rien exagérer, et que si quelques inconvénients naissent des émanations du tabac, il se fait une com- pensation plus que suffisante pour que l'on ne puisse pas regarder la fabrication du tabac comme devant être rangée au nombre des établissements réputés insalubres. M. Mèlier fait avec raison observer qu'il n'y a rien de surprenant ni de contradictoire à penser qu'une substance comme le tabac présente quelques effets salutaires à côté des inconvénients qu'on lui reconnaît. La plupart de nos agents théra- avoir sur la santé des ouvriers aux dififérentes préparations «lu'on lui fait subir. {Ann. d'hygiène ft de méd. lég.y t. I", p. 169.^ peiUiques ne doivetit-ils pas aux mêmes éléments, et les vertus salutaires qui les font rechercher, et les propriétés toxiques qui les rendent redoutables? L'action du tabac, si peu nuisible qu'elle soit sur les ouvriers , ayant été constatée , on a dû chercher les moyens les plus propres à y remédier. Les prin- cipaux qui aient été proposés consistent dans l'em- ploi de voiles de gaze placés devant la bouche et les narines ; la respiration fréquente d'un air frais ; le lavage de la figure avec de l'eau froide, de la bouche avec du vinaigre ; l'usage à l'intérieur de boissons émollientes, adoucissantes ou acidulées avec un peu de vinaigre, et de vomitifs destinés à faire rendre la poussière de tabac qui aurait pu être avalée. Mais ces moyens sont insufBsants ou d'un emploi difficile chez des ouvriers. Quant au vomitif, il ne peut être que rarement employé, et très-souvent il pourrait ajouter encore à la série d'accidents qui se seraient manifestés. « Les meilleurs moyens, dit M. Amb. Tardieu [loc. cit.,]). 473), pour remédier à l'action nuisible que peuvent déterminer dans l'économie les éma- nations qui se dégagent dans ces ateliers, paraissent être : 1° de mettre en usage un mode de fabrica- tion qui s'accompagne d'un dégagement de poussière très-peu considérable ; 2° de favoriser, par des moyens physiques, la sortie de l'établissement de la quantité de cette poussière qui sera restée dans l'air; 3° enfin, d'éloigner de ce genre de travail tout in- dividu qui serait valétudinaire ou d'une trop grande susceptibiUté nerveuse. » On atteindrait le premier but en faisant tra- vailler le tabac à l'état humide : plus il est sec, plus il se dégage de cette poudre fine; ainsi, durant le mois d'août 1827, on livra aux ouvriers de la ma- uufacture, du tabac beaucoup moins bumide que de coutume; plusieurs d'entre eux tombèrent malades et déclarèrent qu'ils devaient leur indisposition à cette circonstance. Quant à la quantité de cette ma- tière pulvérulente qui se répand autour des ouvriers, quelle que soit la perfection des moyens qu'on em- ploie dans la fabrication, on en débarrasserait leur atmosphère par les moyens suivants : il faut d'abord que les ateliers soient grands relativement au nom- bre d'ouvriers qu'ils doivent contenir, qu'ils soient ouverts du nord au midi, afin que par de simples courants d'air ils puissent être balayés de cette poussière qui s'établit partout et qui y séjournerait indéfiniment si l'on n'avait pas le soin d'en favori- ser la sortie. Cette ventilation doit être faite en l'ab- sence des ouvriers, et renouvelée deux fois par jour : les fenêtres des ateliers doivent être vastes et s'étendre en hauteur depuis le sol jusqu'au plafond, lin tin, on favorisera la sortie permanente de la poussière du tabac des ateliers où elle est abon- dante, en y construisant des fourneaux dits (Tap- pel. » Nous terminerons ce qui a trait à cette question en rapportant textuellement les conclusions d'un rapport fait à M. le ministre de l'intérieur par M. Dieudonné, au nom de la commission de salu- brité de Bruxelles (1) : (I 1° 11 n'est pas rare qu'un ouvrier qui débute dans une fabrique de tabac ne soit accoutumé, au bout de quelques jours, aux émanations de cette plante. (1) Note communiquée à l'Académie de médecine par M. Chevallier. (BvllHm de l'Acad. royale de méd.^ t. X, 18/14-45, p. 785.) » 'l" Ceux qui éprouvent quelques déraugemeuls dans la santé sont peu nombreux et forment pour ainsi dire exception. " Les symptômes qu'ils éprouvent sont les mê- mes que ceux que l'on ressent lorsque l'on fume j)Our la première fois, c'est-à-dire des nausées, des vomissements, de la diarrhée, des vertiges. » 3° Les ouvriers qui évitent le refroidissement subit et mènent une vie régulière et sobre vivent gé- néralement aussi longtemps que tout autre individu. " 4° 11 est sans exemple dans les fabriques d'An- vers, qu'un ouvrier soit mort du narcotisme sous l'influence des émanations du tabac. Il serait cepen- dant imprudent de s'endormir dans un endroit où de grandes masses de tabac se trouvent en fermen- tation et où l'air ne se renouvellerait pas, comme dans les étuves, mais surtout dans les magasins aux carottes, l'action délétère des narcotiques étant gé- néralement plus puissante pendant le sçmmeil. » Enfin, nous rappellerons qu'après avoir observé l'anéantissement, la subite et profonde prostration qui suivent l'emploi du tabac chiqué ou fumé par un individu qui n'en a pas l'habitude, M. Londe a été étonné de voir que l'on n'ait jamais pensé à em- ployer l'une ou l'autre de ces pratiques de préfé- rence à la saignée, dans les cas où il s'agit de pa- ralyser sur-le-champ les forces musculaires d'un malade, dans la réduction de certaines luxations, par exemple. Ce moyen , dans ce cas , atteindrait mieux et plus rapidement que tout autre le but qu'on se propose (1). Nous verrons plus loin, en parlant du Nicotiana glauca, que son suc est connu , (1) Dicf. de méd. cf rf.' c/iir. pnif., t. XV, p. 2lik. ilans le sud de la Bolivie, pour priver complètement, pendant quelque temps , de l'usage des facultc^s motrices. L'administration du tabac doit se faire avec la plus grande prudence. Le plus souvent, à l'extérieur, on l'emploie en décoction, infusion, etc., pour faire des lotions ou des fomentations. La dose est alors de 2 à 8 grammes que l'on ne doit pas dépasser, s.urtout pour les lavements. A l'intérieur, on l'em- ploie en décoction , mais on ne doit jamais aller au delà de 2 grammes dans les vingt-quatre heures , et l'on peut commencer par une dose bien plus fai- ble. En poudre, on emploie le tabac à la dose seu- lement de 5 ou 10 centigrammes ; on mélange aussi cette poudre à de l'axonge pour en faire des pom- mades. Si les feuilles sont fraîchement sécbées, il faut se tenir dans les proportions précitées ; si elles sont vieilles, et surtout travaillées^ pour servir comme tabac à priser, à fumer ou à chiquer, il faut dimi- nuer cette dose ; dans tous les cas, il faut surveiller l'effet du tabac administré; voir s'il n'est pas ab- sorbé en trop grande quantité; s'il ne produit pas de nausées, de vomissements, d'assoupissements, etc., et, dans ce cas, en diminuer les doses ou même en suspendre l'administration. On ne doit pas oublier que le tabac est doué d'une puissante action sur l'économie, et que ses effets peuvent être très-dan- .gereux (1). Le tabac présente un phénomène singulier sur les personnes qui sont habituées à son usage , et peut servir de critérium du retour de leur santé quand ils ont été malades : cet effet n'est pas à négliger. (1) Mérat et Delens, Dict. de thérap., t. IV, p. 619. Lorsque les affections sont graves , les malades cessent d'en sentir le besoin, même lorsqu'ils pour- raient en prendre. Dès que la maladie s'amende et que la guérison doit avoir lieu , la nécessité d'eu faire usage se fait sentir de nouveau; et ce retour aux anciennes habitudes est un signe du plus heu- reux augure (1). SECOURS A UUI^NER AUX PERSONNES EMPOISONNEES PAR LE TABAC. Puisque le tabac est une substance qui occasionne des accidents quelquefois si déplorables, nous de- vons dire un mot des moyens qui ont été préconisés pour y remédier. Les médecins italiens, ne considé- rant le tabac que comme un agent hyposthénisant des plus énergiques, recourent à de puissants exci- tants pour enrayer les effets dynamiques produits; parmi les excitants, les principaux sont l'éther, l'al- cool, le vin, la cannelle, la muscade, le thé, le café, etc., etc. Mais les médecins français n'ont pas une entière confiance dans ces moyens, et pré- fèrent avoir recours à la médication conseillée par Orfîla. Elle consiste essentiellement dans l'adminis- tration de puissants évacuants. Quand le tabac a été pris depuis peu de temps , et s'il n'a pas déterminé de vomissements abondants, on administre 10 à 15 centigrammes d'émétique ou tartre stibié, et 10 ou 12 décigrammes d'ipécacuanha en poudre, délayés dans très-peu d'eau, afin d'éviter l'introduction de ^1) Dicl. des sciences médicales. liquide, et, auluiil (jue possible, rabsurptiori de la substance toxique. Pour peu que le vomitif tarde à produire son effet, on le seconde en titillant le gosier avec les barbes d'une plume. Quand le tabac a été pris depuis quelque temps déjà, et que l'on peut soupçonner quil a pénétré dans le tube intestinal, on fait prendre au malade un éméto-cathar tique formé de 10 à 15 centigram- mes d'émétique et de 30 à 45 grammes de sulfate de soude ; on administre en même temps des lave- ments purgatifs. Si par ces moyens on est parvenu à expulser la substance vénéneuse, et si des symptômes de con gestion cérébrale apparaissent, on doit immédiate- ment pratiquer une saignée, que l'on fera de préfé- rence à la veine jugulaire, et que l'on renouvellera selon l'avantage qui en aura été obtenu et le tem- pérament de l'individu. Il en serait de même dan.s le cas où les évacuants n'auraient rien produit et où la congestion cérébrale se manifesterait; ensuite on fera prendre des boissons acidulées, particulière- ment de l'eau très-légèrement vinaigrée, que l'on donnera par faibles doses. C'est surtout immédiate- ment après l'expulsion du poison que cette pratique est efficacement mise en œuvre; mais quand l'in- toxication date déjà de vingt ou trente heures, elle est à peu près inutile. Enfin, s'il survient des phé- nomènes inflammatoires, on aura recours à une mé- dication antiphlogistique. Quand l'empoisonnement s'est produit par l'exté- rieur, les mêmes moyens devront être employés, à l'exception des évacuants; on aura soin, en outre, de pratiquer une ligature au-dessus de la partie em- poisonnée, et de cautériser la plaie, afin de s'oppo- ser autant que possible à l'absorption de la substance toxique et à son transport dans le torrent de la cir- culation. On pourra recourir aussi à l'usage des ventouses sur cette même surface, pour obtenir le résultat que l'on recherche (1). M. Lenoble, de Montevideo, pense que la respi- ration du chlore gazeux pourrait être utilement employé dans les cas d'empoisonnement par le tabac ou la nicotine. DESCRIPTION BOTANIQUE PRINCIPALES ESPECES DE NICOTIANES EMPLOYEES A LA FABRICATION I>ES TABACS. Si le duc de Guise avait pu savoir que le tabac avait été introduit pour la première fois en France par André Thevet, et s'il avait connu les usages établis en histoire naturelle , à coup sur le tabac , au lieu de se nommer Nicotiane, se fût appelé Therétiane ou Thevétie, et Tournefort , au lieu de donner au genre entier le nom de Nicolinna adopté par Linné, en eût fait le genre Thevetia ou Thete- tiana. Le nom de Nicot n'eût plus été que secon- daire ou même peut-être n'eût pas paru dans les noms qui servent à désigner la plupart des espèces de tabac. Si l'on tenait à être juste, il faudrait ré- former la nomenclature des diverses espèces de ta- (I) Orfila, Troilc des poisons, 3' édition, t. II, p. ;>00. bac, et pour donner à Nicot la part de gloire qui lui revient, substituer au mot auriculata le mot Ni- colia ou Nicotiana, si l'on tenait, par eupbonie, à allonger le mot d'une syllabe. Dans ce cas , voici comment se transformerait la nomenclature des di- verses espèces de tabac : ce sont celles seulement dont nous donnerons les caractères, parce qu'elles sont plus communément employées à la fabrication des tabacs. Tbevetia tabacum , — fruticosa, — macrophylla, — chinensis, — nicotiana (1), — paniculata, — glauca. — rustica, — suaveolens, — persica, — repanda — quadrivalvis. Malheureusement, plusieurs raisons s'opposent ac- tuellement à ce changement. D'abord, le mot Nico- tiana est tellement usité qu'il y aurait quelque inconvénient à le remplacer par un autre; d'ailleurs, il est le premier employé, et, selon l'usage établi en histoire naturelle, c'est lui qui doit prévaloir. D'un autre côté, le mot Thevetia a été employé par Linné pour désigner un petit genre de plantes ap- partenant à sa tétrandrie monogynie, à la famille des Apocynées, tribu des Ophyoxilées, et comprenant (1) Au lieu de Th. aiiriculnla. 11 paraît que c'est cette espèce qui a été primitivement importée en Fiance par Nicot. (iBoH jardinier, 1855, p. 1293.) trois espèces, qui sont : le Thevetlapinnata, le T. ne- riifolia, Juss., et le T. Ahouai. Quoi qu'il en soit, le genre Nicofiana appartient à la classe des infunclibnliformes de Touniefort; à la pentandrie monogynie du système sexuel de Linné; aux dicotylédones monopétales hypogynes, famille des solanées de la métliode de Jussieu, et aux exogènes corolliflores, famille des solanacées de la classilication de De Candolle. Toutes les espèces du genre Mcofiana peuvent être cultivées pour la préparation du tabac ordi- naire ; car une loi de physiologie botanique qui souffre peu d'exceptions , consiste en ce que les plantes d'une même fauiille, et à plus forte raison d'un même genre, présentent la même action mé dicate et souvent la même constitution ckimiqne. Toutefois, les espèces de ISicotiana à feuilles larges et bien entières, ainsi que les grandes espèces, seront toujours recherchées de préférence, à cause de la facilité avec laquelle on peut les cultiver et en faire la récolte. Pour la fabrication des cigares, on verra que l'on ne peut réellement s'adresser avec avantage qu'aux feuilles larges; tandis que pour le tabac à fumer et le tabac à priser, les espèces à plus petites feuilles pourraient sans doute convenir. 11 y a mieux, à notre avis, c'est que peut-être un grand nombre d'autres solanées vi reuses pour- raient aussi fournir leurs feuilles aux manufactures de tabac, et ainsi donner lieu à des avantages encore peu connus, mais dont deux surtout peuvent aisé- ment se laisser supposer. En effet , d'une part , les genres //?/05cmmz/.s, Atropa, Datura^ Sa la?ii( m, sont assez abondants, quoique venant naturellement, pom* qu'il soit peut-être économique de chercher à les employer comme tabac, ù une époque surtout où les tabacs étrangers deviennent de plus en plus rares sur les différents marchés. Déjà, en thérapeutique, on fait souvent usage des feuilles de belladone et de stramonium de la même manière que le tabac à fumer. Seulement , comme les feuilles simplement desséchées n'ont subi aucune fermentation qui ait pu diminuer la proportion des alcaloïdes qu'elles ren- ferment , il s'ensuit que leur usage en excès pour- rait être plus dangereux que celui du tabac. Un médecin de Stokbolm a d'ailleurs vanté sous la même forme les feuilles sèches de pommes de terre (G re- nd). D'un autre côté, il est possible que d'un pareil mélange résuUerait un tabac composé, capable de plaire à quelques personnes, sinon à toutes. Ce sont autant de questions qu'il serait bon d'examiner, afin de nous affranchir autant que possible du tribut que nous sommes forcés de payer à l'étranger par l'a- chat d'énormes quantités de tabac. D'abord établi par Tournefort, puis adopté par Linné, le genre Nicotiana comprenait plusieurs es- pèces qui en ont été détachées. Dans ces derniers temps, quelques espèces sont devenues le type des genres Pétunia et Lehinannia^ alors que d'autres sont venues se ranger dans quelques autres genres déjà établis; c'est ainsi que le JSicotiana molina a trouvé place parmi les Ni^'rrmbergia, et le N. urens parmi les Wigandia, Kunth. Cela n'empêche pas le genre JSicotiuna de renfermer encore cinquante-huit espèces bien connues, dont la plupart donnent des feuilles qui sont employées à la fabrication des di- vers tabacs. Tournefort, qui a créé le genre Nicoticma, le place dans sa 2* classe, 1'^ section, et le caractérise de la manière suivante (1) : « Les fleurs sont des cam- panes ou des godets découpez en cinq parties, rabat- tues d'ordinaire sur les cotez. Le calice pousse le pistil, qui devient un fruit membraneux , partagé en deux loges par une cloison mitoyenne à laquelle tient de chaque côté un placenta chargé de plusieurs se- mences. » Trois espèces seulement sont indiquées, savoir: Nicotiana major lalifolia , — major angustirolia, — minor. Dans son Gênera pluntariu/i, Linné, qui a adopté le genre Nicotiana de Tournefort, lui assigne les ca- ractères suivants : « Cal Ptrianthum monophyllum, ovatum, semi- quinquefidum, persistens. Cor. Monopetala, infundibuliformis. Tubus calyce longior. Limbus ^dX\i\w& semi-quinquefidus, quinque- plicatus. Stam. Filamenta quinque, subulata, longitudine fere coroUœ, adscendentia. Antherœ oblongœ. PrsT. Germen ovatum. Stylus filiformis, longitu- dine coroUœ. Sfigma capitatum, emarginatum. Per. Capsula subovata , utrinque linea insculpta, bilocularis , bivalvis , apice dehiscens. Rcceptacula dimidiato ovata, punctata, dissepimento affixa. Sem. Numerosa, reniformia, rugosa. " Antoine-Laurent de Jussieu (2) assigne au genre Nicutiana les caractères suivants : « Galyx urceolatus quinquefidus. Corolla maltô longior infundibulifor- mis quinquefidaregularis. Stigma emarginatum. Cap- Ci) Éléments de botanique, ou Méthode pour connaitre les plantes. Paris, 169/i. (2) Gênera plantariim. Paris, 1789. sula bivalvis. Herbœ aut rarht$ suffrutices; flores terminales, spicati aut paniculati Capsula acan- thi more dehiscens in N. ureiite inde forsan non congeneri. » Lcbmanii (1) a donné les caractères naturels du genre JSicotiana ainsi qu'il suit : Calyx. Perianthuni monophylhim, ovalum vel oblongum, vel subglobosum, in duabus speciebus sulibiiabiatum, quinquelidum persistens : laciniis erectis, lanceolatis, in nonnuUis ovatis, in plnrimis inaîqualibus. Corolla monopetala, infundibuliformis, vel bypo- crateriformis, in una specie snbringens. Tubas in- certa longitudine calycem excedens, inferne cylin- dricus, superne versus faucem s;çpe ampliatus vel inflato-ventricosus. Linibus erecto-palens, vel patu- lus, vel patentissimus , semiquinquefidus, quinque- plicaïus : laciniis vel oblongis, vel ovatis, vel subro- tnndis , in nonnullis subina?qualibus , oblusis aut acutis. Staminn. Filamenta quinque, subulata, fundo corollœ adnata, tubi fere longitudine, adscendentia. in pluribus versus basin pilosa, vel villosa. Antherae o])long[c vel subrotunda^ biloculares, latere dehis- cens centro inserta-. Pisiillum. Ovariuni supernni ovalum vel ovato- conicum. Stylus filiforniis, longitudine staminuni. Stigma capitatum , crassum, subbilobum vel sulca Iransversali exarata notatum. Pericarpium. Capsula ovata, vel ovato-conica, vel globosa, calyci persistent! . involuta, aut calyce lon^ gior, coriacea, glabra, spadiceo colore, striis qua- (1) Gencrh Mcofiananim /lis/nria, 1818. (Hamburgi.; tiior depressis iiolata, ])ilocularis , bi\alvis 'iii una specie qiiad rival vis) apice quadrifariam deliisoens : dissepiniento duplicato p\ inlloxis valvariim iiiargi- nibus formate. Receptacula duo dimidiato-ovatc. acuiuiiiala. l'uii- gosa, iu altero latere convexa, puiictato-rugosa , in altero plana vel reniformi-concava, glabra, dissepi- rnenlis affixa. Seinina numcrosissima, exigua, subreniformia. riigosa; lineis elevatis siibdeuteconspicnis reticulalo- venosa, spadiceo-fusca. lutescentia. Iniegumenlum seminum duplex, coriaceuni et inembranaceiim, nlrinquc tenue. Alhvmen semini conforme, carnosum, in aliis speciebus album, in aliis pallide luteuni. Embnjo dicotyledoneus, teretiusoukis , aubreni- formis, niveus. Cotyledones semicylindrictie. Radix cylindrica, longa crassa. Les caractères essentiels sont : Galyx quinquefidus* Corolla infundibuliforrais , limbo quinqueplicato, patulo. Genitalia fere longitu- dine tubi coroUœ. Capsula bilocularis, bivalvis, apice quadrifariam dehiscens. Lehmann reconnaît vingt et une espèces distinctes, qui sont les N. urens^ Chinensis, macrophylln, Ta- bacum^ fruticosa, augiisfifolia, lancifolia, liona- riensis, viscosa, pusilla. undulata, glutinosa, rus- tica, paniculafa, cerinthoides , repanda ^ plumba- ginifolia^ suaveolens, quadrivalvis^ nyctaginiflora^ parviftora. M. Dunal, dans le Prodromns de De Candolle, a caractérisé le même genre ainsi qu'il suit (l) : (1) Prodromus syslematis naturalis regni vegelabilis, Parisiis, 1824 — 1852. « Calyx tubuloso canipanulatus , scmi-quinquefi- dus. Corolla infundibuliformis vel hypocratcrimor- plia , limbo plicato quinquelobo , lobis per œsliva- tionem plicatis et conniventicontortis. Stamina 5, corollœ tubo inserta, inclusa, sœpe sub requilonga, non nunquam inœqualia ; antherœ longitudinaliter debiscentes, brevissime ovatae vel globosaî; pollen oblongum, longitudinaliter Irisulcatum (Miers, Le). Ovarium biloculare, placentis lincâ dorsali dissepi- mento adnatis, multiovulatis, nectario crasso annu- lari absolcte lobato basi circunidatum. Stylus sim- plex; stigmacapitatum, patelliforme, intusglandulis 2 magnis instructum (Miers, 1. c). Capsula calyce persislente tecta, bilocularis, apice se])ticidobivalvis, vel quadri-multivalvis, valvis demum bifidis, placen- tas discretas retinenlibus. Semina plurima, minima, oblonga, subreniformia, rugosa. Embryo in axi al- bupainicarnosi, leviter arcuatus. — Herte, interduni suffrutescentes, sœpissime glutinoso-pilosse, in Ame- rica tropicà copiosa^ partim in aliis terris (1) cres- centes; foliis alternis , integerrimis: (loribus termi- nalibus racernosis aut paniculatis, albidis, virescen- tibus , vel purpurascentibus pedicellis axillaribus , calyces sub cequanlibus. » Nous avons vu que Tour nefort, en 169 't, ne con- naissait que trois espèces de Nicotima; mais moins de cent ans après on en connaissait sept espèces, car Murray, dans sa quatorzième édition du St/sfema vegetahilium de Linné, donne la description des Nicotiana tabacvm, fnid'cosa. rush'ca, pnniculata^ vrens, glutinosa et pusilla. Depuis cette époque, le nombre des espèces a (1) Species capenses et asiaticœ vero similiter omncs cultas aut introductae. (Alph. D. C.) considérableuieiit augmeiili', grâce aux. soins des botanistes voyageurs, et déjà eu 1837, M. G. Dou (1) nous donnait les caractères de trente-deux espèces bien caractérisées et en signalait sept autres non suffisamment connues; ce sont les Nieotiana crispa, alata^ tenella, Forsteri, niinima, rugoaa, selenoides. Les trente-deux espèces bien établies sont, dans le sous-genre ïabaclm, les Nieotiana fabacum^ loxen- sis, frulicosa, liiacrophylln^ chincnsis, lancifolia, auriculata ; dans le sous- genre rlstica, les TV. pu- silla, iindulata, paniculafa, cerinthoidea, (jlnuca, Langsdorffïi^ ntsiica^ hiunilis^ pidmonarioides^ an- dicola; dans le sous-genre petliMoides, les iY. siia- veolens^ vincœflora^ loncjijlora, noctiflova^ prrsica, acmninata^ angustifolia^ dilatata, pluinhagi/iifulia, repatida, viscosa^ bonariensis ; eni\a^ dans le sous- genre POLYDiCLiA, les i\ . quadrivalvis^ nana et multivalvis. Enfin, en 1852, dans sa monographie des solana- cées (2), M. Dunal a élevé le nombre des espèces bien connues à cinquante -quatre; et outre quatre qui sont incomplètement caractérisées [1S . nanu, Forsteri ^ rugosa^ Cavanillesii), il en a éliminé huit espèces, parce que les noms sont confus ou incer- tains (TV. anisoloba, diversifolia^ frayruns^ Martj- landica^ micrantha, nepalensis, pefiolata^ mmjui- nea), et complètement exclu six, parce que leurs caractères ne sont plus d'accord avec ceux qu'il a assignés au genre nieotiana; ce sont les N. axilla- ris^ minima, nyctaginiflora^ parvijlora, tomentosa (1) .1 gênerai sijstem of gardening and botany. London, 1S37. (2) De CandoUe, Prodromus systematis universalis regtii vegetabilïs. Parisiis, 1824-1852. — lO/i — et urens, qui font aujourd'hui partie d'autres genres voisins. Quant aux cinquante-quatre espèces bien déterminées, nous aurons soin de les indiquer après avoir donné les caractères des espèces les plus géné- ralement cultivées et employées à la préparation des tabacs. CVRACTERES DU GEMRE MCOTIANA. Feuilles alternes entières; fleurs blanches, ver- dâtres ou purpurines, disposées en grappes ou en panicules terminales. Elles sont formées d'un calice persistant, tubuleux, campanule, à cinq divisions peu profondes; d'une corolle infundibuliforme ou hypocratérimorphe à cinq lobes plissés; de cinq éta- mines égales, incluses et insérées sur le tube de la corolle, à anthères longitudinalement déhiscentes ; d'un ovaire multiovulé, h deux loges, surmonté d'un style simple terminé par un stigmate en tête. Le fruit est formé par une capsule biloculaire en- tourée par le calice, s'ouvrant au sommet en deux ou quatre valves qui se divisent elles-mêmes en deux parties. Semences nombreuses, très-petites, oblongues, sous-réniformes et rugueuses. Embryon axile, légèrement recourbé et logé dans un albumen charnu. Plantes herbacées ou quelquefois suflVutes- centes, souvent assez élevées et presque toujours revêtues de poils plus ou moins rapprochés et vis- queux. Racines cylindriques, longues et épaisses. En général elles sont particulières aux climats chauds de l'Amérique. Ce genre est un de ceux qui se prétout le mieux aux croisements et, par suite, h la formation des hybrides. C'est ainsi que M. Sageret a fécondé le N. tabacum avec le N. suaveolens; le N. rustica avec le N.paniculata; le N. maveokm avec le TV. piiimbaginifolia; les N. rustica et tabacum par le N. quadrivalvis. M. Herbert prétend que les espèces de la Nouvelle-Hollande ne fécondent pas celles de l'Amérique. M. Wiegman admet que dans ce genre et quel- ques autres "on peut, par des séries successives de fécondations croisées, ramener les hybrides soit au type paternel, soit au type maternel, comme cela a lieu pour les métis des races humaines. M. Georges Don a divisé le genre Nicotiana en quatre sections, qui ont été adoptées par M. Dunal dans sa monographie des solanacées ; c'est aussi celle que nous suivrons dans la description des espèces que nous avons à présenter ici. A. Tabacum. Feuilles grandes; corolle en enton- noir, rouge, à limbe étalé, acuminéou aigu, à gorge renflée, ventrue. Plantes glutineuses. Fleurs dispo- sées en grappes courtes, réunies elles-mêmes en panicules terminales. 1» NICOTIANA TABACUM, L. — Plante haute de l'",60 environ, recouverte dans toutes ses parties d'un duvet très-court; elle est glutineuse et rameuse. Ses feuilles sont alternes, ovales oblongues, très- entières, aiguës, longues de 30 à 40 centimètres, sessiles, un peu décurrentes ou semi-amplexicaules, d'un vert pâle plus foncé en dessus qu'en dessous; les feuilles supérieures sont plus petites, lancéolées et non décurrentes. Les fleurs sont disposées en belles panicules lâches et .terminales. Le calice est visqueux, gamosépale, campanule et à cinq divi- sions; la corolle est gamopétale, infnndibuliforme, velue, visqueuse, à tube renflé vers son sommet; Éon limbe est rose étalé, à cinq lobes pointus et à cinq plis; le fruit est formé par une capsule ovale, sillonnée extérieurement, à deux loges, offrant une cloison chargée sur chacune de ses faces d'un pla- centa fongueux , couvert de semences brunes, fort petites et ridées. C'est à cette espèce que l'on a donné les noms de ISicotiane à larges feuilles^ grand tabac, vrai tabac. C'est la plus communément cultivée pour la pérparation des tabacs ; mais sa culture a donné naissance à plusieurs variétés qui fournissent autant de tabacs différents. Quelques auteurs prétendent que cette plante, qui est annuelle en Europe, est vivace au Brésil et qu'elle y vit dix à douze ans (1). C'est sans doute ce qui a fait dire à J. Acosta que : « Le tabaco est un arbrisseau, ou plante assez commune, qui a en soy néautmoins des rares vertus, comme entre autres de servir de contre-poison, ainsi que plusieurs et diverses plantes. » {Hist. nat. et mo- rale des Indes , tant orientales qu'occidentales. Trad. en français par Rob. Regnault. Cauxois, Paris, •1616, p. 183 b.) Enfin cette espèce a été pour M. Sageret l'occasion d'une observation assez cu- rieuse. Elle consiste en ce fait que le Nicotiana Ta- bacimi, fécondé par le Nicotiana widulata, a pro- duit une hybride très-robuste qui repoussait de racines partout dans son jardin (2). Au Paraguay, dit M. Alf. Demersay, on obtient, à l'aide de cultures particulières, les deux variétés suivantes : 1» le tabac canela, d'une couleur jaune, (1) Dictionnaire portatif de Commerce. Bouillon, 1770, tome IV, p. 533. (2) Physiologie végétale, par M. Aug.-Pyr. de Candolle. Paris, 1832, p. 718. qui fournit beaucoup à l'exportation; 2° le tabac tacheté [Pety para guar), qui est fort, très-gom- nieux, (l'une odeur vireuse. Ses feuilles rugueuses et noirâtres sont marbrées de jaune. Ce tabac ne sort pas du Paraguay, où il est plus particulière- ment consommé par les femmes, qui le préfèrent à l'autre, à cause de sa plus grande force. Tou- tefois M. Alf. Demersay fait observer qu'il se pourrait que la première sorte de tabac fût moins une variété que le résultat du cboix de certaines feuilles présentant cette apparence, et prises sur différents pieds. [Du tabac au Paraguay, p. 10.) Variétés établies par Scbrank (1) : , a. N. T. attenuatum, Schrank. — Lobes de la corolle, aigus; feuilles lancéolées, aiguës, presque décurrentes, atténuées à leur base, les inférieures grandes; corolle rouge-clair. p. N. T. macrophyllum, Schrank. [IS . giganteo, Ledeb., N. latissima, Mill.) Corolle à lobes obtus, d'un rouge pâle, à contour général presque arrondi ou faiblement pentagonal, avec une pointe courte dans les angles; pétiole très-court, ailé, -dilaté à sa base, qui embrasse la tige. Pendant fort longtemps les P( ragumjos n'ont cul- tivé que 1<3 Nicotiana Tabacmn importé de la Ha- vane ; c'est la môme espèce qui est cultivée dans le Pérou, le Brésil, et dans l'Amérique du Nord. Mais les Indiens Guanas, qui vivent errants dans les plaines sans fin du Ghaco, près les frontières de la Bolivie, ont fait connaître, vers Tannée 1812, une espèce nouvelle à haute tige, à feuilles allongées et qui est désignée dans le pays sous le nom de tabac (1) Botap. Beobaclitungen, dans le liotanische Zeitung de Hoppc, 6* année, 1807, p. 260. long (Pety pucu, Guar). La hauteur de ses tiges, selon M. Alf. Demeisay, est de \ et même de 6 mè- tres. Aussi la fueillelte des feuilles se fait-elle à cheval. Les produits fournis par cette espèce sont abondants, mais de qualité inférieure, et se piquent avec une grande facilité. Ces circonstances en avaient fait abandonner la culture. Cependant, lors de l'ou- verture du port d'itapua, les négociants brésiliens, émerveillés de la grosseur des carottes du tabac long, ne firent plus cas de l'autre. Pour satisfaire à leurs nombreuses demandes, il a été nécessaire de revenir à cette culture, qui s'est faite alors sur une vaste échelle. Peu de temps après, en présence de plain- tes nombreuses et de pertes importantes qui en fu- rent la conséquence, les négociants y renoncèrent et revinrent à la culture du Nicotiana Tabacum (1). Bien que M. Alf. Demersay ne donne aucun autre caractère botanique que ceux que nous venons d'in- diquer, nous pensons que c'est au N. macrophyllnm de Schrank qu'il faut rapporter l'espèce dont il s'agit ici, à moins que ce ne soit au iV. macrophylla de Sprengel dont nous parlerons tout à l'heure. Enfin, nous mentionnerons encore, d'après M. Alf. Demersay, le pety linyua de vaca (langue de vache), qui pourrait bien n'être autre que le Nicotiana taba- cum var. lingua de Schrank, et ]e pety pacova (tabac banane), parce sa feuille, d'un vert vif, satinée, rap- pelle en effet celle du bananier. Il est peu connu et l'on ignore son origine. Cette dernière plante pour- rait bien former une espèce nouvelle. En effet, pour que les naturels aient trouvé quelque ressemblance avec la feuille du bananier, il faut qu'il y ait autre (1) Du tabac au Paraguay, par M. Alf. Demersay. Paris, 1852, page 10. chose que la couleur, comme, par exemple, la forme et la nervation de la feuille. S'il en était ainsi, le nom de Nkotiuna musœfolia lui conviendrait par faitement. Quant au j}ef.i/ lorcido (tabac noir), dont parle M. Alf. Demersay (1), à moins qu'il ne soit autre que le tabac fermenté et préparé, ou qu'il ne soil produit par le ISicotiana rustka^ nous ne voyons guère, parmi les espèces décrites, celle qui pourrait lui être rapportée. 11 est bien à regretter que M. Alf. Demersay ne nous ait donné presque aucun détail sur le caractère botanique des espèces qu'il indiiiue dans son excellent travail intitulé : Du tabac au Paroguaij. y. N. T. pallescens, Schrank. — Lobes de la corolle aigus; feuilles ovales légèrement aiguës, atténuées à leur base, sessiles et presque décurrentcs. Corolle presque blanche, à peine colorée en rose-rouge aux angles, très-pâle à sa face externe. 8. N. T alipes, Schrank. — Feuilles ovales, très • légèrement acuminées, atténuées à leur base en un pétiole largement ailé, à ailes réfléchies, semi-em- brassantes et un peu décurrentes. Fleurs rose-rouge pâle; lobes de la corolle acuminés. Cette variété possède des feuilles plus grandes que celles de la seconde, et, sous ce rapport, peut être très-avanta- geuse pour la culture. î. N. T. acrofinum. Schrank. — Feuilles ovales très- brièvement acuminées, presque péliolées, auriculées, amplexicaules, à peine décurrentes. Cette variété ne fleurit que bien après les autres. 5. IS. T. gracilipes, Schrank. — Feuilles lancéolées, aiguës, très-atténuées à leur base, où elles forment (1) Loc. cit., page 11. — 110 — un pétiole court, ailé et à peine décurrent. La fleur, d'un rouge clair, otîre une corolle à divisions ai- guës. Elle ressemble à la première variété par sa fleur et à la précédente par son port. Ti. N. T. verdon, Schrank. — Feuilles pétiolées, lancéolées -ovales, ù sommet un peu allongé et aigu; pétiole demi -cylindrique, un peu déourrent à sa base. La fleur est grande et fleurit après les autres. Peut-être est-ce à cette variété qu'il faut rap- porter la plante que quelques auteurs nomment Nicotiane à feuilles étroites, tabac de Virginie, petun des amazones (1). e. N. T. lingua Schrank. — Feuilles pétiolées, ovales, à extrémité aiguë, un peu longue, Le pétiole est à peu près égal au huitième de la longueur de toute la feuille, très-légèrement bordé et auriculé à sa base seulement. C'est peut-être à cette variété qu'il faut rappor- ter celle qui est cultivée au Paraguay, sous le nom de pely lingua de vaca (langue de vache). 2° NicoTiANA FRUCTUOSA, Liuu. — Plante suffru- tescente, presque simple, pubescente et visqueuse, à branches axillaircs courtes. Feuilles pétiolées, lan- céolées, obliquement acuminées, formant un cône à leur base, sur le pétiole; gorge de la corolle ren- flée et ventrue. Divisions du limbe acuminées et colorées en rouge. Fleurs rouges formées d'un ca- lice à divisions lancéolées-ovales, un peu inégales; d'une corolle à gorge renflée et ventrue et à divi- sions acuminées; d'une capsule conique de la lon- (1) Dicf. port, du Commerce, Bonillon, 1770, tome IV, p. 533. gueur du calice. Cette espèce est l'une de celles sur lesquelles Linné fit ses expériences sur la fécondation. En enlevant les étamines, l'illustre botaniste suédois ne put obtenir aucune semence. 3° NicoTiAîNA MACROPiiYLLÂ, Spreug. — Plante herbacée, pubescente et visqueuse; feuilles de la tige ovales, auriculées à la base et embrassantes. Fleurs roses, formées d'un calice à divisions ovales, lancéo- lées, aiguës, un peu inégales ; d'une corolle à gorge renflée et ventrue et à divisions courtes et acumi- nées. Celte espèce est originaire d'Amérique. Fécon- dée naturellement, sa capsule contient 2,416 graines parfaites, tandis que fécondée par le A', qvadri- valvis^ elle n'en contient plus que 658. (D. C, loc. cit. p. 715.) Serait-ce à cette espèce qu'il faudrait rapporter celle que les Indiens Guanas ont fait connaître, et que Ton appelle, au Paraguay, "pety pucv., guar (tabac long) ? \° NicoTiAxXA ciiiNENSis, Fisch. — Plante suffru- tescente, ])ubescente et visqueuse. Feuilles pétiolées, ovales, lancéolées, très-entières. Fleurs de couleur rose, composées d'un calice à divisions oblongues, lancéolées, aiguës, à peu près égales; d'une corolle à gorge renflée et veulrue, à divisions aiguës et d'é- lamines nu peu saillantes. Elle est originaire de la Chine. ."')° NicoTJAîVA ALRicuLATA, Bcrtcro. — Fcuilles lancéolées oblongues, acuminées, auriculées à leur base et embrassantes Corolle à gorge un peu ren- flée et à divisions acuminées. Elle croit spontané- ment sur le bord des champs, en Sardaigne; mais il est probable qu'elle y a été transportée. Cette es- pèce parait être celle qui a été la première importée en France par Nicot. Selon M. Bertoloni, cette plante est semblable au N. macropfnjlla, et M. Dunal la regarde comme une espèce peu distincte dont il a vu un échantillon de Bahia. Les autres espèces placées par M. Dunal dans cette division sont les ISicotkma loxcmis, la?ic/ fol/a, pilosa, planiaginea et ipomupsiflora. B. RUSÏICA. — Corolle jaune, infundibuliforme, hypocratérimorpbe ou tubuleuse; divisions du limbe aiguës ou obtuses. 6° NicoTiANA PAMCULATA, Linu. — Plante her- bacée, haute de 2 pieds environ; pubcscente et vis- queuse, feuilles cordiformes , ovales, entières et pétiolées; fleurs verdàtres ou vert-jauuàtre, disposées en une panicule terminale et formées d'une corolle- hypocratérimorphe, à tube en massue, très-glabre, ayant plusieurs fois la longueur du calice, et à limbe divisé en cinq lobes très-courts et aigus. On prétend que c'est cette espèce qui produit les tabacs dits du Brésil^ de Vérine, d'Asie (I), et le fameux tabac de Lataquié; du moins, dans cette localité et dans tout le Levant, le tabac préparé avec les feuilles da N. paniculala est-il très -estimé pour l'usage de la pipe à la manière des Orientaux. H en est importé quelques quantités à Marseille. Elle est originaire de l'Amérique méridionale. 7" ]\icoTiAAA GLAUCA, Grah. — Cotte espèce forme un arbrisseau droit et. élevé, parfaitement glabre dans toutes ses parties, avec une teinte glauque très- caractéristique. Son développement est rapide. Feuilles grandes, longuement pétiolées, inégalement (1) Cours d'histoire naturelle, par A. L. A, Fée. Paris, 1828, t. II, p. /i37. ovales, en cœur, entières et quelquefois très-légè- rement sinueuses. Fleurs jaunes disposées en pani- cules terminales, et composées d'un calice à cinq angles peu prononcés et à cinq dents aiguës et iné- gales; d'une corolle d'un vert jaunâtre, longuement tubulée, un peu renflée à la gorge, resserrée à ■l'orifice et à limbe très-petit. Cette espèce très- belle, et qui sert comme plante d'ornement, nous vient de Buénos-Ayres; sa multiplication se fait aisément par graines et par boutures ; mais, pour qu'elle soit plus belle, il faut en faire de jeunes pieds tous les ans, les conserver l'hiver en oran- gerie et les mettre en pleine terre au printemps. Elle doit être très-voisine des Pétunia, car les jardi- niers grefîent sur elle ces dernières espèces, ce qui la rend très-utile en horticulture. M. H. A. Wedell (1) nous apprend que le suc du Nicotiana glaxicn, qui, dans beaucoup de localités, est nommé Carallanta, possède la singulière pro- priété, quand il est pris en suffisante quantité, de priver complètement, pendant un certain temps, de l'usage des facultés motrices, sans pour ainsi dire affaiblir l'action d'aucun des sens. Il ajoute qu'il a retrouvé le Carallanta en beaucoup d'endroits, et que plusieurs fois on lui a signalé celte propriété; mais qu'il n'a jamais vu par lui-môme les efl'ets des singulières vertus qui lui sont attribuées. Si le carallanta a réellement cette action spéciale sur les nerfs du mouvement, il peut se présenter tels cas, surtout dans la médecine vétérinaire, où cette vertu pourrait être mise à profit. Le N. glaitca est une plante qui réussit parfaitement dans nos (1) Voyage dans le sud de la Bolivie. Paris, 1851. — 114 — climats. Pourquoi n'en essaierait-on pas le suc sur l'économie vivante, afin de savoir à quoi s"en tenir sur une propriété aussi remarquable? De même qu'il y a des substances qui paraissent plus parti- culièrement porter leur action sur les nerfs do la sensibilité, de même il peut y avoir des substances qui agissent plus spécialement sur les nerfs du mouvement. 8" NicoTiÀNA RUSTiCA, Uun — Plante qui n'excède pas la hauteur de 1 mètre ; elle est velue et gluti- neuse dans toutes ses parties. Feuilles ovales obtuses, cordiformes, épaisses, d'un vert foncé et légèrement pétiolées. Fleurs petites, disposées en grappes ter- minales , elles-mêmes réunies en panicules, et for- mées d'un calice court et renflé à cinq divisions obtuses; d'une corolle jaune-verdàtre à tube court et velu, de très-peu plus grandes que le calice, à limbe court et à cinq lobes arrondis. La capsule est pres- que ronde. Cette espèce est aussi désignée sous les noms de tabac rustique, nicoticuie fcnwage , nicotiane à feuilles rondes, pcdite nicoliane , tabac femelle^ faux tabac, tabac dit Mexique. Cette nicotiane, originaire d'Amérique, est très-fré- quemment cultivée dans le midi de la France; elle donne uu tabac parfumé, mais moins fort que celui que fournit le iV. tabacum. Elle réussit parfaitement en terre légère, et sa multiplication est tellement facile qu'elle se ressème d'elle-mi-me dans les lieux où elle est cultivée; il en résulte qu'elle s'est pour ainsi dire naturalisée dans plusieurs endroits de nos départements méridionaux, particulièrement dans les environs des habitations rurales. a. N. U. asiatica (Schultes). Feuilles inférieures ovales; les supérieures cordiformes, velues sur leurs deux surfaces; fleurs obtuses mucronées. Cette plante est originaire de la Tartarie, et c'est proba- blement celle qui est cultivée pour faire le tabac d'Alouchia^ dont les Tarlares de Crimée font un fréquent usage, et dont un spécimen, que nous avons vu dans le superbe herbier de M. Fr. Deles- sert, a été rapporté par le docteur Leveillé. Les autres espèces de cette section sont : les N. piAsillUf (jlulinosa^ undula/a, onlophyU*wpôî, verdàtre, et àvBoç, fleur) la transformation d'une fleur en un bourgeon ordinaire. Un grand nombre de fleurs présentent cette sorte de monstruosité, et M. A. de Jussieu l'a observée sur le Nicotiana rvstica, où elle se ren- contre , en effet, assez souvent. La couleur vert- jaunâtre des fleurs de cette espèce peut, jusqu'à un certain point, être regardée comme une cbloranthie habituelle moins profonde. ?" Le nombre cinq dans la partie de la fleur des nicotianes est certainement le plus ordinaire ; cepen- dant il n'est pas rare de rencontrer six parties au calice, à la corolle et à l'androcée. Quelquefois ce nombre six se répète dans les trois verticilles floraux ; d'autres fois il ne se rencontre que dans deux, ou bien encore dans un seul verticille (cahce ou co- rolle). C'est la fréquence de ce nombre six et sa constance dans certaines espèces, certains genres ou certaines familles, ainsi que quelques considérations physiologiques et géométriques, qui nous ont con- duit à admettre le nombre six comme le type des dicotylédones. Le nombre cinq, plus fréquent relati- vement, ne serait qu'une déviation, par avortement ou soudure, du nombre-type que nous venons d'in- diquer (1). 3° Dans quelques cas le contraire a lieu, et quel- quefois alors on ne trouve plus que quatre parties dans chacun des trois verticilles floraux ou dans deux seulement. Mais Tobservation la plus curieuse est celle qui résulte de la rencontre que nous avons faite de quatre étamines seulement, alors que les cinq parties se retrouvaient encore dans le calice et la corolle. Il s'est produit, ici, exactement le con- traire de ce qui a lieu dans les pélories ordinaires des Linaires, des Digitales et des Mufliers; c'est-à- dire qu'il y a eu avortement d'une étamine; mais, en même temps, la corolle avait été déformée et avait pris la figure d'une corolle un peu bilabiée, de sorte qu'une de ces fleurs offrait exactement la structure d'une fleur de scrophularinée. De Can- dolle nous semble donc avoir émis une idée fort juste quand, après avoir rapproché les Personnées péloriées des Solanées, il en a conclu que les pre- mières n'étaient que des altérations habituelles du type des dernières (2). 4» Un des plus curieux phénomènes de térato- logie végétale que nous n'avons encore trouvé que sur le Nolava prostrata^ le Brassica NajAis, le Lijthrum salicaria nous a été offert par le JSicotiana rustica. Nous avons rapporté autre part (3) plusieurs phé- (1) Voir pour plus de détails notre mémoire intitulé : Re- cherches sur le itoinbre-tijpe constituanf les diverses parties de la fleur des dicofijlcdoiics (Compt. rend, de l'Instit., juil- let 1855, et Bull. Soc. bot. de France, juin 1855). (2) Théor. élément., deuxième édition, p. 266. (3; Noie sur diverses transformations offertes par les nomènes tératologiques offerts par le Brassica ISapus, parmi lesquels il y en a un qui offrait un exemple fréquemment répété de transformations des étamines en autant de fleurs complètes parfaitement nor- males. L'anomalie du Nolana prostrata était un peu différente : elle consistait en une fleur triple, c'est-à-dire que du centre d'un calice à cinq divi- sions s'élevaient trois fleurs égales, disposées en triaugle, et toutes trois parfaitement' semblables sous tous les rapports aux autres fleurs. Dans le Lijlhruin salicaria, la modification se rapportait à celle du Brassica. Ici, il y avait six sépales, six pé- tales, mais les six étamines étaient transformées en autant de fleurs complètes; le gynécée était com- plètement absent. Dans le Nicotiana ruslica^ nous avons trouvé cinq fleurs complètes au centre d'un calice commua à cinq divisions comme dans le Nolana, sans trace de corolle ni de carpelles. Il semble que le dévelop- pement anormal des étamines en affamant la corolle et le gynécée, les ait fait avorter. CARPELLES. — Euflu, uous avous plusieurs fois constaté la présence de trois carpelles constituant une capsule à trois loges chez les N. Tabac um, pa- niculala et rusiica, ainsi que cela nous est arrivé pour un grand nombre de capsules à deux loges d'autres plantes. verticilies floraux du navet ordinaire, (Compt. rend. l'Inst., t. XXXIII, p. 387.) DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DU TABAC. La véritable patrie du tabac paraît être l'Améri- que méridionale . et quelques auteurs assurent que, quelque soin que l'on ait pris de cultiver cette plante dans les autres pays, on n'a jamais pu en obtenir qui approchât de celui de l'Amérique. Mais cette opi- nion paraît être en quelques points exagérée. Le tabac est la première plante que les Européens aient cultivée en grand et d'une manière suivie dans le nouveau monde. Du Yucatan où les Espa- gnols la trouvèrent, ils la transportèrent aux Antilles, où elle a été cultivée avec le plus grand succès. C'est à cette culture que sont dus leurs premiers progrès. La vente de cette production aux diverses nations de l'Europe, avant qu'elle fût si généralement cul- tÎA^ée dans l'Amérique septentrionale et dans plu- sieurs contrées de l'Europe, a fait le principal objet du commerce de la Martinique , de la Guadeloupe, de Saint-Christophe, etc. (1). L'Île de Cuba passe à juste titre pour fournir le meilleur tabac du monde, particulièrement celui qui est cultivé aux environs de la Trinité et du Saint- Esprit. C'est avec ce tabac qu'en Espagne on fait le tabac de Séville , auquel les Espagnols donnent la préférence sur tous les autres tabacs en poudre; aussi (1) n'icl. nniv. de la gmj. commer.^ par J, PcMicliet. Paris, an vu, t. ir, p. 503 il. s'en charge-t-il chaque aniice plusieurs navires de celui-là seul. Le tabac de ces deux villes est aussi employé pour faire les cigarros des Espaguols. En France, on reconnaît que le meilîeur tabac du monde est iuconteslablement celui de Cuba, et l'on met hors de toute ligne celui qui croit dans une petite contrée de cette île appelée Vvelta de Abajo^ et encore reconnaît-on comme supérieurs les tabacs récoltés entre le Rio Honda et le Rio San- Juan. Les tabacs venus à l'est du Rio Nondosout désignés sous le nom de tabacs de Parlidos. Voici comment le poète Barthélémy, bon juge en pareille matière, s'exprime à celte occasion (1) : Pour l'homme qui n'est point un malheureux profane, Sous la voûte du ciel, il n'est que le Havane. Le soleil qui le dore en est enorgueilli; Le reste ue vaut pas l'honneur d'être cueilli Pourvu qu'en arrivant de sa course atlantique, H ait bien constaté sa naissance authentique , Donnons-lui notre amour sans attacher les yeux Sur la forme qu'il doit à l'art capricieux : L'un vers les Trabucos tourne sa fantaisie ; Sur les Panetelas un autre s'extasie; Celui-ci rend hommage au seul Ri'galia Et pour d'autres jamais ne se mésallia. Quoique le tabac soit originaire du nouveau monde , nous devons dire qu'il peut venir presque partout. L'Asie et l'Afrique, comme l'Amérique et l'Europe, présentent des contrées oii le tabac pour- rait être cultivé avec un grand succès. 11 est bien difficile de connaître au juste quelles [\) L'Art de fumer ou la pipe et le ci(7«;e, Bruxelles. 18^4. 9 sont les limites extrêmes de température entre les- quelles le tabac pourrait être cultivé avec avan- tage ; cependant, à l'aide de certaines considérations, nous arrivons à penser qu'il est peu de localités ha- bitables où le tabac ne puisse être cultivé. En effet, si nous observons que les Hollandais cultivent depuis longtemps le tabac dans leurs possessions de l'Amé- rique (1); que cette plante peut et doit prospérer dans la Guyane française (2) et qu'elle croit encore et vient parfaitement en Silésie , surtout aux environs de Wausen , de Breslau , etc. (3) , on reconnaîtra qu'entre ces deux extrêmes de températures locales, il existe encore une assez vaste échelle de tempé- rature qui convient à la culture de celte plante. Or, en remarquant que la Guyane hollandaise commence à peu près vers le 2* degré de latitude nord; que la Guyane française est encore plus voisine de l'é- quateur et que les cultures du tabac, en Silésie, se font encore sous le 52* degré de même latitude, on trouve une étendue d'environ 50 degrés de latitude qui, multipliés par 25, nombre des lieues par cha- que degré, donnent le chiffre de 1,280 lieues com- prises entre les deux limites de températures ex- trêmes dans lesquelles le tabac peut être cultivé. Mais, comme nous n'avons examiné que l'un des hémisphères et que l'autre présente des bandes isd- therines analogues, on peut dire qu'en marchant de l'un à l'autre pôle on trouve une vaste bande ther- malp qui entoure le globe parallèlernenl à ré([ua- (1) Dicl. tiiiiv. de la Géocjrap/i. comm. par J. Peucliet t. IV, p. r./iO, b. (2) J. Peuchet, loc. cit., p. 540, a. (3) DicL porL de comm. Bouillon, 1770, t. IV, p. 5'j3. leur, n'ayant pas, en nombres ronds, moins de 2,000 lieues de large, et dans laquelle se trouvent des pays très-propres à la culture de cette plante. • A la vérité, les pays extrêmes que nous venons de citer se trouvent sous des longitudes très-dilîérentes, et l'on sait que les lignes isothermes décrivent des courbes dont les ordonnées ou lignes abaissées per- pendiculairement d'un de leurs points sur l'équateur pris comme axe, peuvent être de grandeurs très-va- riables. Mais on peut eucore invoquer à l'appui de ce que nous venons d'avancer un autre mode de raison- nement qui conduit, à peu de chose près, à la même idée, par exemple, en comparant deux pays à tempé- ratures locales extrêmes placés sous des longitudes plus voisines, comme le sont la Guyane française et le Canada, dont l'un est très-voisin de l'équateur, tandis que l'autre, le Canada, s'étend du 39« degré jusqu'au 65", au nord de la baie d'Hudson. Or le tabac vient bien dans le Canada et nous avons pu voir, à l'Exposition universelle, de fort belles feuilles de cette plante venant de ce pays : malheureusement nous ne connaissons pas la localité qui les a produites. Mais, en admettant que le tabac puisse venir dans le tiers du Canada le plus méridional , nous voyons qu'il peut encore venir vers le 4 5^' degré; or, en multipliant 45 ou même 43 par 25, on a encore 1,075 lieues, ou pour la double bande thermale, 2,150, ou en nombres ronds au moins 2,000 lieues àe large. Enfin , un autre calcul peut être fait dans le même sens par rapport à Breslau, qui se trouve au 52e degré, et la côte de Sierra-Leone qui s'étend depuis le Rio-Noonas, à 10 degrés 21 minutes de la- titude septentrionale jusqu'au cap Sainte-Anne , à 7 degrés 12 minutes de la même latitude. Or, au — 132 — dire de J. Peuchet (1), il vient dans les terres de Sierra-Leone un tabac peu estimé , mais ce qui tient probablement à la manière dont il est cultivé. Admettant qu'il ne vienne que vers le 10» ou 9" de- gré, on aurait encore entre Breslau et Sierra-Leone 42 ou 43 degrés compris entre les deux limites ex- trêmes de température où le tabac peut croître, ce qui donne à la bande thermale dont nous parlons une largeur à peu prés égale à celle que nous avons trouvée pour l'Amérique. Enfin, si l'on observe que le tabac est encore cultivé dans le Danemark, et même la Suède et la Norwége, qui sont bien plus au nord , on reconnaîtra que rien n'est exagéré dans les calculs que nous avons présentés. Pour avoir une juste idée de la raison qui fait que le tabac peut croître et mûrir sous des climats si différents que le sont ceux , par exemple , de la Norwége et de Sierra-Leone, il est utile d'entrer à cet égard dans quelques détails de géo(/r(q)hie phy- siologique. Supposons d'abord que les animaux et les végétaux, pour parcourir toutes les phases de leur vie, aient besoin : 1° d'une échelle de tempé- rature plus ou moins étendue, selon l'espèce ani- male ou végétale au delà de laquelle, soit au haut, soit au bas dé l'échelle, l'être ne pourra plus vivre ; 2° d'une somme annuelle de température qui per- mette aux diverses fondions de l'économie vivante de s'accomplir plus ou moins parfaitement. Suppo- sons encore, dans l'espèce qui nous occupe, pour le tabac, qu'il faille une somme totale de 3,000 degrés de température pour le faire germer, croître et (J) Die/, nnir. de ht Coograp/ile commerciale, t. V, p. 57G, 1). friiL'tifiei'; il est évident que presque tou? les climats qui auront, dans un espace donné , la température de 3,000 degrés, conviendront à la culture du ta- bac, pourvu toutefois que toutes les autres circons- tances soient égaies. Ainsi, quoique Londres et Odessa ne soient point placées sur une même ligne isothermale , puis([ue la moyenne d'été à Londres n'est que de IG",?, tandis qu'elle est, à Odessa, de 20 degrés; par cela même que, si Ton calcule le jour auquel commence et celui auquel finit la température de 4°, 5 dans chacune de ces deux villes, on trouve que la somme de chaleur entre ces deux jours est à peu près la même, et que cette somme de chaleur s'élève à 3,/431 degrés à Londres, et à 3,423 a Odessa, on peut affirmer que les conditions de température né- cessaire à la culture du tabac se trouvent dans l'une et l'autre localité. Cependant, dans ces deux villes, les moyennes mensuelles n'ont aucune analogie, et les moyennes de température en hiver sont très- différentes. Ajoutons, qu'à Londres, la température moyenne de 4°, 5 commence au 17 février et revient le 15 décembre, et qu'à Odessa, la température de 4", 5 commence du 2 au 3 avril et finit du 17 au 18 novembre; mais comme il fait beaucoup plus chaud l'été à Odessa, où la durée entre ces deux limites est plus courte qu'à Londres , il y a une compensation qui établit une parité de température moyenne entre les deux limites extrêmes que nous avons indiquées. Ce qui précède doit suffisamment faire comprendre comment certains animaux ou cer- taines plantes, et en particulier le tabac, peuvent s'acclimater dans des pays très-différents de ceux dont ils sont originaires. Il ne faut donc pas s'étonner si l'on rencontre — 134 — partout des cultures de tabac, et nous pouvons as- surer que la Nouvelle-Hollande verra croître aussi son tabac, si cette plante n'y est pas encore cultivée. Déjà M, Rob. Brown, dans son Prodromus florœ Novœ Hollnndiœ et insulœ Vnn Diemen, mentionne le Nicotiana vndulata, le même que nous avons décrit sous le nom de N. suaveolens, comme crois- sant dans cette cinquième partie du monde. La Chine, ce pays qui, chaque jour, nous fournit des sujets d'étonnement, ne doit pas cette fois nous surprendre quant à la culture du tabac. Les Chinois fument comme les Européens et font une très-grande consommation de cette substance. Le tabac est cul- tivé avec abondance dans toutes les parties de l'em- pire chinois, et nous avons vu que ce pays possède aussi naturellement son tabac. Réduit en feuilles et bien préparé, il ne coûte, suivant Navarette, qu'un sou la livre. Le tabac du Japon y est le plus estimé. La température, qui exerce une grande influence sur l'élaboration des sucs des végétaux, n'est pas la même dans tous les pays qui se trouvent dans la bande thermale où peut croître le tabac. On com- prend dès lors que les tabacs venus dans des loca- lités différentes, présentent des qualités différentes aussi; mais, quand les conditions de culture, de ter- rain, de température, etc., se trouvent être les mêmes , ou doit penser que les produits doivent se ressembler, 11 n'est donc pas impossible d'arriver à produire dans d'autres endroits que Cuba des tabacs qui lui soient équivalents sous le rapport des quali- tés que l'on y recherche. En 1788 déjà, Letrône, en parlant du temps où la culture du tabac était libre en France , écrivait : « Nos bons crus sont supérieurs à ceux de la Virgi- nie; et l'Allemagne, qui nous eu fournit tant aujour- d'Iiiii eu coatrebaïKlt', nous eu acliélerait a son tour (1). » Le docteur Ueugger a écrit que, « du jugement des connaisseurs , le tabac du Paraguay est d'un goût plus fin que le meilleur tabac de la Havane. Il a une odeur aromatique qui ne devient jamais désa- gréable, lors même qu'elle s'attache aux habits. » Et M. Alf. Demersay assure que les voyageurs qui ont pu pénétrer au Paraguay n'hésitent pas à le> placer sur la môme ligue que ceux de Cuba. Quoi qu'il en soit, les pays qui ont passé ou qui passent encore pour donner les meilleurs tabacs sont : à l'étranger, la Havane, le Paraguay, les plus estimés venant du département de VUla-Tiica, des districts à'ffaç/ua et de Pyrayu. situés près de l'As- somption et qui s'étendent jusqu'aux pieds de cette chaîne de montagnes désignées sous le nom de Cor- dillères. Après eux viennent les tabacs de Vérine, du Brésil, de Bornéo, de la Virginie, dont le meil- leur est celui que l'on nomme Siveet scented tabaco et qui se récolte sur une langue de terre qui s'avance entre la rivière d'York et celle de James (2); puis ceux du Maryland, du Mexique, de l'île de Geylan, de la Louisiane, de Saint-Domingue, des îles Antilles et de plusieurs pays de l'Orient. En Europe, on estime ceux de l'Italie , l'Espagne , la Hollande, l'Angleterre : en France, ceux de la Guienne, du côté de Bor- deaux et de Glérac ; du Béarn , vers Pau ; de la Normandie , aux environs de Léry, du Vaudreuil et (1) De l'administration provinciale., liv. m, chap. 5. (2) Ce tabac valait autrefois 12 deniers sterling, quand le prix ordinaii-e n'était à Londres, tous frais payés, que de 2 deniers 1/4, environ 25 centimes de France. de Pout-de-rArclic; de l'Artois, près de Saint-Paul, et une foule de localités de l'Alsace, de la Flandre et surtout de l'Algérie. Tavernier dit que le tabac croit en telle quantité aux environs de Brampour, qu'il a vu des années qu'on négligeait de le récolter, parce qu'il y en avait trop, et on en laissait perdre la moitié (1). « Depuis peu de temps, disent les Annales du commerce extérieur (année 1855), le tahac de Va- rinas perd chaque année de sa valeur sur les mar- chés d'Allemagne, tandis que celui à'Ambaléma, exporté depuis peu de la Nouvelle-Grenade et qui ressemble beaucoup au Varinas, est de plus en plus estimé. Ce tabac se paie jusqu'à 332 fr. le quintal. {Moniteur Cm 2-2 septembre 1855.) » La relation suivante peut, jusqu'à un certain point, servir à établir la qualité respective et la va- leur relative des différents tabacs d'Amérique sur les marchés du Rio de la Plata : quand le tabac de la Havane d'une certaine qualité vaut 10 piastres, ce- lui du Paraguay d'une qualité correspondante en vaut 5, celui de Bahia et du Brésil 3, et celui de Virginie 2 seulement. (Demersay.) Pour terminer tout ce qui se rapporte à cet arti- cle, il ne nous reste plus qu'à reproduire ici la discussion suivante, relative à l'origine du tabac. Dans son excellent ouvrage (2), M. Âlph. De Gandolle discute savamment la question de savoir (1) Les six voyages de J.-H. Tavernier '« Turquie, en Perse et aux Indes. Paris, 1678, T paitie, p. 317. (2) Géographie botanique raisonnée. Paris, t. II, p. 848 à 853. s'il y a des tabacs d'origine asiatique, ou s'il faut réellement ne leur attribuer qu'une origine améri- caine, particulièrement en ce qui concerne le N. rus- tica, que M. Bertoloni (/•'/. it., 11, p. G 17) croit ori- ginaire de l'ancien monde, et le N. chlnensis^ que l'on regarde comme croissant spontanément en Chine, et que M. Rob. Brown admet être certaine- ment de la Nouvelle-Hollande. Afin de ne rien changer dans la discussion, nous laisserons parler M. Alph. De Candolle lui-môme : (( Étudions la question, dit-il, d'abord au point de vue botanique, et ensuite au point de vue his- torique et linguistique. » Les considérations de géographie botanique pure conduisent sans hésiter à l'hypothèse d'une origine américaine de toutes les espèces cultivées du genre Nicotiann. En effet, 1° les N. chinensis (compris le N. fructicosa^ Lour.) et le N.persica^ ne sont connus qu'à l'état de plantes cultivées, Ju moins aucun auteur n'affirme les avoir trouvées à l'état spontané (Lehem. Nicot., Lour., 1. c; Dunal, i'rodr. XIII, part. 1, p. 559, 567); 2° le genre se compose actuellement de 50 espèces, en excluant les douteuses de caractères ou de patrie (Dunal, 1. c), et sur ce nombre, 48 sont d'Amérique, 2 de la Nouvelle-Hollande, et aucune d'Asie ou d'Afri- que; 3° les espèces supposées asiatiques appartien- nent à une section qui comprend les espèces de la Nouvelle-Hollande, il est vrai, mais en même temps plusieurs espèces d'Amérique, sections d'ailleurs peu distinctes, à ce qu'il me parait. » Les arguments historiques de Rumphius [Amb. V, p. 225) ont quelque force. En parlant du tabac (qu'il regarde comme l'espèce cultivée en Europe), il dit : « Je ne sais si dans l'Inde orientale il est exotique ou indigène, car il se trouve dans des localités où aucun Espagnol ni Portugais n'a résidé, et dans presque toutes les iles et provinces. Ceux même qui ont été au Japon avec le célèbre voya- geur Martin Gerritzen de Vrieze ont trouvé l'habi- tude de fumer chez les cruels Tartares de l'île de Ese ou Jedso. J'ai ouï dire à de vieux Javanais, qui tenaient la chose de leurs parents, que le tabac était connu à Java antérieurement à l'arrivée des Portugais, c'est-à-dire avant 1196, non, il est vrai, pour fumer, mais comme plante officinale. Les In- diens affirment généralement que l'usage de fumer le tabac leur a. été montré par les Européens. » La pratique médicale ancienne du pays était d'employer les feuilles pour les ulcères invétérés... On peut dire, en sens opposé, que dans l'Inde en- tière, il ne se trouve à peu près d'autre nom que celui de tabaco ou tambaco^ tandis que si la plante était indigène, elle aurait un nom dans chaque province. La cause de ce fait devra être cherchée. » Pour apprécier la valeur de ces réflexions , il faut en remarquer la date. Rumphius a écrit dans la seconde moitié du xvii* siècle, c'est-à-dire presque deux siècles après l'arrivée des Européens. Dans un laps de temps aussi considérable, les traditions des indigènes avaient pu s'altérer, et la culture du tabac, toujours si aisée et si prompte à se répandre, avait pu pénétrer dans les provinces les plus éloignées, même en supposant la plante d'origine américaine. Le voyage de Gerritzen était plus ancien que ceux de Rumphius, mais sans doute plus récent que les découvertes des Portugais en Chine et au Japon. Ceux-ci avaient abordé en Chine dès 1518, et au Japon dès 1542 (Malte-Brun, Ge'o^. 1, p. 496), et ils avaient découvert les côtes du Brésil en 1500 à 1504; par conséquent, le tabac peut avoir été apporté par eux dans les Indes orientales longtemps avant l'époque des Hollandais. Les Chinois appelaient le tabac /iww, selon cet auteur, mot qui ne ressemble pas mal au brésilien Petume ou Petum (Piso, édit. 1658, p. 206), sous lequel les Portugais le con- nurent d'abord. Loureiro dit de &on N . fruticosa (probablement le A^. chinensis, Fisch.) : « Ubigue culta cochinchina et china, ubi vernaculis no- minibus nominatm-, tanquam indigena : nec ex America translatam fuisse suspicantnr. Les noms vulgaires qu'il mentionne sont : Cay ihnoe an et Yen ye. Cay est évidemment un mot qui signifie herbe ou quelque chose d'analogue , car il est répété pour plusieurs espèces ; thiioc n'est pas très-diffé- rent des variations des mots taboc , fambaco et autres dérivés de tabago ou tabaco. Thumberg (Fi. Jap., p. 91) ne mentionne qu'une seule espèce au Japon; il la nomme N. tabacum., Z., vulgaire- ment Tabaco, et la dit introduite sans aucun doute par les Portugais avec l'usage de fumer. Or si les Chinois avaient connu de toute ancienneté mie plante du genre Nicotiana, même en supposant qu'elle eût été employée uniquement comme oiiicinale, les .Japonais l'auraient reçue probablement depuis un temps reculé, à cause des communications habi- tuelles entre les deux peuples. Il serait intéressant de constater, par les ouvrages chinois, depuis quelle époque et sous quels noms le tabac y est mentionné, sans oublier que la plante a pu avoir un emploi insignifiant jusqu'à ce que les Européens eussent montré les usages, assez bizarres en eux- mêmes , de fumer et de priser, usages qui ont dû se répandre rapidement chez un peuple sensuel — UO - comme les Chinois , aussitôt qu'il eu a eu counais- sance (1). " Rheede et Roxburg n'ont pas mentionné le ta- bac. C'est indiquer sulïisamment qu'ils le regar- daient comme cultivé et d'origine étrangère sur le continent indien. Des auteurs plus récents ont attri- bué au ]\. tahacum divers noms indiens et même sanscrits ! Piddington [Index, p. 60) cite Dhum- rapatra et Tamrakoota comme les noms sanscrits. Ce dernier ressemble beaucoup aux noms bengali et industani du tabac, Tumak et Tambaca, qui sont évidemment des dérivés de Tabaco Tambaco, ce qui me fait douter de son ancienneté. Resterait le pre- mier, qui est évidemment un mot composé et sur lequel j'ai consulté mon ami, M. Adolphe Pictet, philologue bien connu. « Ce mot, m'a-t-il répondu, n'est pas dans le dictionnaire de Wilson; il signi- fie feuille à fumer et a tout l'air d'un composé d'origine moderne pour désigner le tabac, dont d'ailleurs il n'est question nulle part dans les livres anciens. » Si le nom Dhumrapalra était véritable- ment sanscrit et s'appliquait à un ISicotkuïa quel- conque, il est probable qu'on en trouverait des dé- rivés dans une foule de langues modernes de l'Inde. On attribue d'ailleurs ce mot, non point à une es- pèce particulière de Nicotiana qui serait asiatique, mais au N. tahacum, c'est-à-dire à l'espèce ordi- naire, dont l'origine est certaine. •> Les Cyngalis ont un nom dont j'ignore l'origine, Doonkola (Pidd., ib.). Vu la prononciation doun de (1) « M. Stanislas Julien a eu l'obligeance de me dire que, dans ses études de la langue chinoise, il n'avait pas rencontré d'indice de la présence ou au moins des usages du tabac avant le contact des Européens. » - 141 - doon^ il se rattache peut-être à pehim (prononcez petoum) des Américains. Le nom telinga Foghako est presque tobaco; le nom hindustani Bujjirbhang indique simplement une comparaison avec le chan- vre bhang que l'on fume à la manière du taltac dans l'Asie méridionale. » Le tahac de Schiraz est ohtenu de la culture du IS. persica. Rien ne prouve cependant que celte industrie soit antérieure à la découverte de l'Amé- rique. Ébu Bailhar, médecin more du xiii^ siè- cle, qui connaissait bien les plantes officinales des pays musulmans, ne mentionne aucune espèce de Nicofiana (trad. allem. par Sontheimer, 2 vol. in-S", 18 i2). Rauwolf avait parcouru l'Orient de 1573 à 1575 , et il n'est question d'aucune espèce de tabac dans sa Flore publiée par Gronovius. Enfin le docteur Royle (111. Him., p. 282) affirme que, d'après des ouvrages persans de matière mé- dicale, la culture du tabac aurait été introduite dans l'Inde en 1605, ce qui fut conQrmé par une procla- mation subséquente d'un prince nommé Jchangeer. Le nom arabe du tabac est le même que le nom turc, savoir : Tilttun (Forsk, p. cvi), qui ne ressemble pas mal is. petun, nom primitif brésilien. Un autre nom arabe assez répandu est Docchan, qui veut dire fumée. (Forsk, p. lxiii.) » En définitive, les indices historiques et lin- guistiques d'une origine asiatique sont tous légers, contestables, et ne peuvent pas balancer les indices de toute nature, favorables à l'origine américaine. J'ajouterai, comme conséquence, que la valeur des deux Nicoiiana supposés d'Asie est fortement ébran- lée au point de vue de la distinction spécifique. On trouvera probablement, en les étudiant de plus près, que ces deux plantes sont simplemeni de? espèces — 142 - américaines , ou modifiées par le climat , ou sem- blables à des espèces encore mal connues, qui au- raient été transportées d'Amérique avec les tabacs ordinaires (1). » CULTURE DU TABAC. L'usage du tabac s'est répandu avec une telle rapidité, que déjà en 1700 Brunet écrivait (2) : « On use aujourd'hui du tabac autant à la cour qu'à la ville ; on voit les princes et les grands sei- gneurs s'en servir comme le peuple; il a part aux inclinations des dames les plus illustres, et les bourgeoises, qui tâchent de les imiter en tout, ne s'oublient point en cette occasion. 11 est la pas- sion des prélats, des abbés et des religieux même; (1) « Au moment de livrer mon manuscrit à l'impression, je reçois le Jotirnal of the HorticuUvral Societij. vol. IX, p. 3, dans lequel M. Bentham, rendant compte d'un travail de M. Targioni, sur l'introduction des plantes cultivées en Italie, avance que le Nicotiana pcrsica est une variété du N. lon- giflora, espèce américaine. La comparaison des planciies du Bot. reg., tabl. 1592, et de Sweet, Brit. /loir, gard., 2°"= sé- rie, tabl. 196, ne me permet pas d'adhérer à cette opinion; mais je vois avec plaisir que l'auteur n'admet pas l'origine prétendue européenne eu asiatique de certains Aicotkina. » (Géographie bolav'iqve raisoiniée , par Alpli. De CandoUe. Paris 18D5, t. II, p. 848 à 853.) (2) Le bon tisage chi tabac eu pcudie. Paris, 1700. — l/i3 — et, nonobstant la défense des papes, les prêtres, en Espagne, ne se font aucun scrupule de s'en servir en disant la messe, et d'avoir la tabatière ouverte sur l'autel, tant l'habitude ou la coutume de pren- dre du tabac prévaut aux remontrances et aux com- mandements. » L'auteur de la Suite des caractères de Théophraste dit fort agréablement que l'usage du tabac en poudre et celui du café sont des inven- tions admirables pour remplir le vide des conversa- tions: «on se lasse, dit-il, quelquefois de parler, et dans le même moment ceux qui nous écoutent ne manquent guère de se lasser aussi de donner leur attention ; le tabac et le café font qu'on reprend haleine. » Depuis que le tabac a été accepté comme un ob- jet d'agrément, à peu près du même ordre que le café, le thé, les liqueurs et surtout l'opium, comme un moyen d'obtenir à volonté une excitation factice dont l'usage modéré peut agir favorablement sur le cerveau, particulièrement dans les travaux d'esprit qui exigent une longue contention , cette substance est devenue d'un usage tellement général, qu'elle entre aujourd'hui pour une somme considérable dans le commerce des deux mondes. C'est cette im- portance qui fait que nous allons nous occuper sé- rieusement de la culture du tabac, et des manipu- lations qu'on lui fait subir avant de le livrer à la consommation. Selon Garde du Jardin, le tabac croît dans plu- sieurs contrées des Indes, particulièrement dans les endroits humides et ombrageux, môme dans les lieux qui ne sont pas cultivés et dans les terrains maigres. « On la sème (la grauie) en tout temps, dit-il, et dès au.ssitôt qu'elle est sortie, il la faut garder du froid et la planter du long des nuirailles pour l'ornement — Wi - d'icelles, car elle yeriloye toute l'année à la mode des citronniers (1). » Choix des teruai.vs. Tous les terrains ne sont pas également propres à la cultnrc du tabac. Selon M. Alf. Demersay, au Paraguay, où le tabac semble être dans son pays naturel, tant il y vient admira- blement beau, les terrains peuvent être géologi- • quement classés de la manière suivante : 1° Tore rouge dea Glissions. Elle constitue la masse du sol dans les Réductions fondées autrefois par les jésuites. C'est ainsi qu'on la trouve sur une vaste étendue dans les provinces de Rio-Grande et de Coriente. Au Paraguay, elle reparaît même au delà du Tebiquary, limite nord du territoire des Missions, dans le district de Villa-Rica. Cette terre, d'une admirable ferlilité, est ferrugineuse, et con- tient un sable magnétique, à grains arrondis, qui apparaissent à sa surface en traînées noires, mé- talliques, dans les chemins où les eaux pluviales trouvent un écoulement rapide , dans le lit des tor- rents et des rivières. 2o Terre rouge mélangée âe sable. Ce sable pa- raît provenir des grès dont elle renferme de nom- breuses variétés. 30 ferrains sablonneiu\ très-abondants aux en- virons de l'Assomption. On Y cultive la canne à sucre et le manioc. 4° Terre noire. Dure, argileuse, elle forme le fond des vallées où l'eau , en s'amassant pendant la saison des pluies et les crues des rivières, donne naissance à ces bunados, marais impraticables, dés- (!) Histoire des drogues, par Garcicdu Jardin, traduction d'Aut. Colin, 2' édit., Lyon, 1619, liv. V, p. 33. espoir du voyageur dont ils entravent la marche, mais qui sont la fortune des éleveurs de bestiaux, préservés par eux des effets désastreux de la séche- resse qui décime trop souvent ceux de l'habitant des Paoïpas. 5° Terraim défrichés. Quelle que soit sa nature, le sol est toujours couvert d'une couche àliumus fournie par des détritus végétaux. Le premier de ces terrains est celui qui donne les produits les plus beaux et les meilleurs. Cette circonstance a conduit M. Bonpland à se demander s'il ne serait pas identique à la terre rouge de la Yuelia de ^6^/jfr>, dans l'île de Cuba, qui fournit le meilleur tabac de la Havane. On sait, en effet, que le planteur de Cuba choisit de préférence, quelle que soit d'ailleurs sa couleur, une terre sablon- neuse formée de un quart au moins de sable et de "moitié ou trois quarts de détritus végétaux. La terre rouge mélangée de sable et les terrains défrichés viennent ensuite. On choisit toujours un sol modérément riche et léger. Au Brésil, on donne la préférence à celui qui convient au bananier. En- fin, on ne plante jamais le tabac en terre noire, ni dans les sables, afin d'éviter des conditions extrêmes d'humidité et de sécheresse (1). Yalmont de Bomare dit que, lorsqu'on veut cul- tiver le tabac, on doit choisir une terre grasse et humide, exposée au midi, labourée et engraissée avec du fumier consommé. Cette recommandation. en contradiction avec celle du choix du terrain au Paraguay, prouve seulement que le tabac peut (V) .\lf. Demersay, Du tabnc au Paraguay, Paris. 1851 p. 12 et 13. IQ — l/i6 — croître dans une grande variété de terrains; mais il est certain que les tabacs venus dans des terrains aussi différents sont loin d'avoir les mêmes qualités. C'est ainsi que l'on a remarqué que dans le même pays les feailles provenant d'une plantation faite dans des terres grasses et compactes sont très-pi- quantes et très-fortes, tandis que celles qui pro- viennent d'une terre légère et sablonneuse ont moins de force et de piquant. Par exemple, les terres de Strasbourg à Schelestadt, qui ont la pre- mière qualité, sont préférées pour la plantation du tabac en carottes ou du tabac on poudre, tandis que les terres de Strasbourg à Haguenau, Bischwil- 1er, etc., qui ont la seconde, sont employées à la plantation du tabac à fumer (1). De cette comparaison des terrains on peut déjà conclure que les terres légères, sablonneuses, con- viennent mieux pour les tabacs destinés à être fu- més, et cette circonstance explique comment les ta- bacs de la Havane et du Paraguay sont d'excellents tabacs à fumer. D'ailleurs , on doit supposer que, plus le terrain sera riche en humus, en engrais et en profondeur, plus les feuilles seront longues, lar- ges et épaisses, plus aussi elles auront les qualités nécessaires à la fabrique et au commerce en na- ture, et moins elles seront sujettes au dépérissement occasionné par la sécheresse et par des temps plu- vieux. Semailles. Dans l'île de Cuba, après avoir fait choix du terrain , on le divise en longues plate- bandes rectangulaires (canteros) , de 8 à 9 mètres de long sur 1 /2 mètre de large , et on l'engraisse (1) Heiter, Mémoire sur le tabac, Paris. 1806, p. 4. — 147 — avec un mélange de 2 parties de fumier bien con- sommé et une de sable ou de terre sablonneuse bien divisée. Aux mois d'août, septembre et même octobre, on arrose les canteros, et la semence, mé- langée avec 9 parties de sable fin, est dispersée à la volée ou à l'aide d'un crible fin (gibe) , puis re- couverte par un mélange de fumier et de terre très- divisés, de manière à former une couche de deux millimètres environ. Enfin, on a soin d'abriter les semis contre la trop grande ardeur du soleil et les averses, en plantant verticalement, autour des can- teros et vis-à-vis les uns des autres, des bâtons fourchus, de la hauteur de 60 à 70 centimètres, destinés à recevoir transversalement des baguettes sur lesquelles on couche des feuilles de palmier de manière à constituer une sorte de toit à claire-voie. Les arrosemenls doivent être faits avec beaucoup de soin, au mo^en d'une pomme d'arrosoir finement percée, et seulement s'il n'a pas plu, lorsque la terre est sèche. Cette opération se pratique le ma- tin , de bonne heure , plutôt que le soir, et l'on choisit de préférence, pour faire ces arrosements, les eaux de pluie ou de rivière, qui sont plus lim- pides d'ordinaire que les eaux de puits. Quand on s'aperçoit que les plants sont trop serrés, on les éclaircit en même temps que l'on enlève les plantes étrangères qui nuiraient à la croissance de la jeune plante. M. Miller nous apprend que, dans la Virginie, le tabac est semé sur couche et sous châssis. Ce semis se fait au printemps , plus tôt ou plus tard, selon que cette saison est plus ou moins hâ- tive, et sur une terre bien ameublie et bien amen- dée. On a le plus grand soin de couvrir la jeune plante à la moindre apparence de froid. Le tabac — 148 — se plaît dans un sol chaud , doux , fertile et mêlé de sable; les terrains vierges et humides sont ceux qui le font croître avec le plus de vigueur. Selon M. Alf. Demersay (loc. cit.), les semis commencent après la semaine sainte , rarement avant. On sème d'ordinaire en mai, dans un dé- friché, pour planter en septembre, ou en juin, pour planter en octobre. Un lieu fumé permet d'at- tendre le mois d'août, qui répond au milieu de l'hiver; car au Paraguay il n'y a que deux sai- sons. Le plus souvent, les semis sont trop drus; il est difficile d'obvier à la petitesse de la graine, car on n'a pas l'habitude , comme dans l'Amérique du Nord, de la mêler avec du sable ou des cen- dres, dans de certaines proportions. Néanmoins, on abandonne les jeunes plants ù eux-mêmes sans que l'on ait soin de les éclaircir et de les préserver, à l'aide de châssis ou de toiles, des pluies trop abondantes et des ardeurs du soleil. Vers le 15 sep- tembre, ils ont cinq ou six feuilles et une consis- tance qui permet de les transplanter. En France, dans les environs de Tonneins, c'est dans les mois de mars et avril que l'on sème la graine de tabac. On a soin, pour la recevoir, de préparer des couches de fumier, élevées au-dessus de terre d'environ 50 centimètre.-^, en ayant soin de l'arroser souvent ,. afin de la faire promptement lever. Pour les garantir des brouillards ou des gelées tardives, on couvre les couches avec des nattes de paille , ou seulement avec de la paille , que l'on a soin de relever quand le soleil darde. Quand le tabac a acquis deux ou trois feuilles, in- dépendamment de ses cotylédons , il peut subir la transplantation, opération qui se pratique d'ordinaire depuis la mi -mai jusqu'au commeiicemeul du mois de juillet. Dans le dé|)urlemeul du Nui'd, ou u Thabilude de semer sur couches dès la fin de février ou au com- mencement de mars. Les jeunes plants ne mon- trent leurs, deux ou trois feuilles que vers le mois de juin, époque à laquelle ils peuvent être repiqués. TR.^ASPLA]\TATio.\. Daus l'île de Cuba, on choisit pour transplanter le tabac le temps calme qui suc- cède aux pluies. Le jeune plant est mis en terre dans des sillons faits à l'avance et par un temps couvert ou bien après deux ou trois heures du soir. Quand le temps est trop sec, il faut arroser la plante dès qu'elle est repiquée. On apporte des soins particuliers dans le choix des jeunes niants : c'est ainsi que l'on ne repique que les individus bien verts et bien nourris; sans cette précaution on se- rait exposé à avoir un tabac rabougri {quedu) ou qui fleurit très-bas {monigate). C'est encore ainsi que l'on ne plante que ceux qui ont cinq ou six feuilles ; plus jeunes , ils reprendraient plus difficilement et résisteraient moins à l'ardeur du soleil ; plus âgés, la sève aurait plus de peine à se porter vers la pousse la plus tendre, et un phénomène analogue au précédent se produirait. Cette opération, sauf de légères modifications, est à peu près la même partout, à l'exception du Para- guay, où des conditions particulières sont exigées. Là, le terrain destiné à recevoir les jeunes plants, après avoir été convenablement labouré, est un peu raffermi. On a remarqué qu'un sol trop chargé d'en- grais et trop nouvellement défriché brûle les plantes. Une terre humide et un temps frais et couvert sont nécessaires pendant quelque temps après la trans- plantation. A la suite d'un orage , le vent du sud souffle régiilièreinent pendant trois jours; c'est ce moment que l'on choisit pour repiquer le tabac , parce qu'il amène un abaissement très -sensible dans la température. La plantation se fait par lignes espacées les unes des autres d'une vare (1). La distance entre chaque pied est de un tiers à une demi-vare selon les loca- lités, mais rarement plus. Les ouvriers , en arrachant les jeunes pieds, ont soin de les placer avec précaution dans des cor- beilles de cnir; pendant ce temps, d'autres ouvriers tracent les lignes et font les trous avec des plantoirs en bois; alors la plante y est enfoncée jusqu'aux co- tylédons et fixée comme le sont les autres plants par nos jardiniers. On continue cette opération pen- dant plusieurs jours, si les circonstances atmosphé- riques le permettent ; autrement , ou attend leur retour. Voici maintenant quelques détails sur la même opération pratiquée dans les environs de Tonneins, et qui a été à peu près suivie, à quelques modifica- tions près, dans les autres parties de la France. Le plus souvent on choisit les meilleures et les plus fortes terres, que l'on a soin de préparer aupa- ravant en les fumant bien et leur faisant subir trois ou quatre labours profonds ; on écrase autant que possible les mottes de terre qui pourraient se ren- contrer. Si la terre est façonnée à main d'homme , deux labours sont suffisants. On commence alors par tracer des sillons de 2 pieds à 2 pieds et demi de dislance. A l'aide d'un piquet ou plantoir, on fait un trou d'environ 1 pied (1) La vare castillane est égale à 88 centimètres. de profondeur, on y met la racine de la plante et on la recouvre avec de la terre. Chaque pied doit être séparé de son voisin de 2 pieds on 2 pieds et demi. 11 faut avoir soin de les arroser aussitôt, afin de favoriser la reprise des plants. Cette distance est un peu grande et pourrait être diminuée. Dans les plantations américaines et du nord de la France, la dislance n'est au plus que de 1 pied et demi. Cette différence de distance expli- que en partie comment, d'après la statistique géné- rale agricole , les tabacs donnent par hectare en quintaux métriques: à Strasbourg, 19,87; à Sche- lestadt, 15,52; à Béthune, 22,52; à Hazebrouck , 19,45; à Lille, 27,33 ; dans la région Tonneins, au contraire, 3,83, et à Aiguillon , '(,62. SOINS A DOMNER A LA PLANTATION. DUS que la plante a atteint la hauteur d'un pied, on a la pré- caution de bêcher la terre autour de chaque pied , et de répéter cette opération assez souvent, surtout si le temps est sec , afin d'empêcher qu'aucune herbe étrangère ne croisse au sein de la plantation du tabac; il faut, pendant le développement de la plante, enlever les feuilles les plus voisines de la terre, qui, se gâtant toujours, consomment une nour- riture qui peut être profitable aux autres; pour la même' raison on supprime les rejetons, de telle sorte que la tige n'émette aucun rameau latéral et soit nette depuis sa base jusqu'à huit pouces de hauteur. Ces premières feuilles sont cependant conservées pour en faire des tabacs communs. Lorsque la tige a acquis une hauteur de 3 pieds à 3 pieds et demi environ , on l'étête, c'est-à-dire quo l'on coupe l'extrémité de la tige pour l'empêcher de s'élever davantage et pour donner aux feuilles qui restent et qui doivent être au nombre de dix ou douze, plus de corps et de substance. Si l'on ne pra- tiquait pas cette opération , la tige s'élèverait à 5 pieds et fournirait des feuilles plus petites et moins bien nourries. A Cuba, les soins sont à peu près les mêmes, seu- lement on chausse chaque pied de tabac (enchausse- ment), et l'on surveille activement la sortie du bourgeon qui doit former la fleur, pour être cou- pée aussitôt, en se servant du pouce et de l'index. On compte alors, avec les plus près de la terre, quatorze ou seize feuilles sur chaque pied. Le temps le plus propre à l'élaboration des sucs de la feuille de tabac paraît être celui qui convient le mieux à la vigne. RÉCOLTE. On reconnaît que le tabac commence à mûrir lorsque la feuille présente des marbrures et que sa couleur verte passe au jaunâtre, ce qui a lieu le plus souvent dans le courant d'août ou de septeml)re. On cueille les feuilles ;ï mesure qu'elles mûrissent ; on les enfile sur une ficelle par la tète, et l'on en fait des paquets de deux à trois douzaines. Celles du miheu de la tige sont toujours les meil- leures; ce sont elles que l'on fait suer et qui sont destinées à constituer le tobac sans côtes. Gomme on laisse la tige dans la terre pour donner aux feuilles qui restent sur pied le temps de mûrir, il n'est pas rare de voif encore du tabac dans les champs au mois de décembre. Les dernières feuilles servent à faire le tabac en prêt et le tabac commun. Dans quelques localités, au lieu de ne récolter les feuilles qu'au fur et à mesure qu'elles mûrissent, on coupe les plautes près de terre quand elles sont mû- res et on les laisse renversées sur le sol tout le reste du jour, ce qui fait faner les feuilles. Le soir, on en fait des las, afin de les faire ressi/er pendant la nuit. Quand elles sont riches en sucs , on les expose de nouveau au soleil le jour suivant, afin de concentrex ces sucs. Enfin on les suspend séparément sous des hangars construits de façon à ce que l'air y entre de tous les côtés, mais non la pluie, et on les laisse sécher pendant quatre à cinq semaines ; quelquefois on est forcé de se servir du feu pour favoriser la dessiccation. Dans le département du Nord, on prend quelques précautions de plus qu'à Tonneins ; au bout de trois ou quatre jours, lorsque les plants ont repris, on forme à côté de chacun d'eux une petite ouverture que l'on remplit d'engrais flamand, qui favorise considérablement le développement de la plante. Au reste, les soins que nous avons indiqués plus haut sont les mêmes dans tous les pays. On reconnaît, à Cuba, que le tabac est nnïr, à la forme des feuilles, à leur épaisseur, aux taches jaunes de difîérentes grandeurs et de formes très- diverses, et surtout en prenant les feuilles du tabac et en pliant la côle de manière à appliquer l'une sur l'autre les deux demi-faces supérieures. Quand les feuilles sont mûres, elles produisent un fort craquement qui ne trompe pas celui qui les essaie. Bien qu'il soit reconnu que les feuilles du bas mûrissent les premières, cependant on suit une pratique toute particulière à Cuba. Elle consiste à couper le haut de la tige par morceaux portant cha- cun deux ou trois feuilles; mais pour cela il faut saisir le moment exact de la maturité des feuilles supérieures. On sacrifie, il est vrai, le quart environ de la récolte, mais c'est au profit de la bonne qualité du tabac, qui se nomme alors labacco principal. D'ailleurs, les feuilles inférieures ne sont pas perdues, et, récoltées à part, elles forment la qualité nommée libra par les vegueros (planteurs). Enfin, après la rentrée dans les séchoirs de cette première coupe, les ouvriers retournent à la vega (plantation) pour y préparer une deuxième récolte, en coupant près de terre tous les rejetons à l'ex- ception d'un seul; celui-ci reçoit à peu près les mêmes soins que la tige principale. Lorsque les feuilles sont mûres, on les récolte comme à l'ordi- naire et l'on obtient la sorte de tabac que l'on appelle capadiiras, laquelle, dans certaines cir- constances, est d'aussi bonne qualité que celui de h. première récolte, mais ses feuilles sont plus petites, plus pointues et ses nervures moins régulières. Depuis quelques années, les planteurs de Cuba ont pris l'habitude de diviser leurs feuilles en quatre classes, ainsi qu'il suit : 1» Feuilles grandes, larges, sans défaut et de qualité supérieure [libra et injuriado 1'") ; 2° Feuilles un peu altérées, de bonne couleur, de bonne qualité et sans défaut {injuriado bueno) ; 3° Feuilles avariées, inférieures en couleur et en qualité, et de moyenne grandeur [injuriado malo),; 4" Feuilles au-dessous de la moyenne, quelque défaut ou couleur qu'elles aient, avariées ou non, mais de qualité inférieure [injuriado tercera ou tripa) Parmi les plantations ou vègues qui ont le plus de réputation, nous citerons particulièrement : La Lena, La Santa Isabella, La Santa Monica, La Rencurrell, La Mariana, La Guadelupa, La Herradura, La Toquemoda, La Antonia Leal, etc. Au Paraguay, on ne prend pas le soin d'ébour- geonner les plantes; la maturité a lieu quatre mois environ après la transplantation. On la reconnaît, au reste, facilement à l'aide des caractères suivants : (I l'angle aigu que formaient les feuilles avec la tige s'est ouvert peu à peu ; elles penchent vers la terre ; il semble que leur pétiole ne puisse les supporter. Elles sont grasses au toucher, gluantes, et se bri- sent sous une faible pression. En même temps, l'as- pect et la couleur sont modifiés; elles paraissent comme flétries. Leur couleur verte primitive est de- venue plus obscure et marbrée de taches jaunâ- tres de différentes grandeurs. Elles exhalent une odeur vireuse sui generis très-caractéristique. Tou- tefois il faut se garder d'attribuer à ces signes une valeur trop absolue : l'observation et l'expérience apprennent mieux encore à connaître le moment précis de la récolte. Quand le tabac est reconnu sufTiSumment mûr, des ouvriers [peones) parcourent les lignes, enlèvent avec précaution les feuilles les plus mûres de cha- que pied et les placent sur le bras gauche, puis les déposent dans des cuirs dont les bords sont relevés. Ces cuirs sont ensuite portés sous des hangars où d'autres ouvriers , munis de cordes assouplies par une immersion dans l'eau, disposent les feuilles en chapelets (serfas). Cette opération se pratique de la manière suivante : la corde est fixée par l'une de ses extrémités au gros orteil du pied gauche de l'ouvrier, et sur cette corde, il attache un paquet de six, huit ou dix feuilles, à l'aide d'un nœud coulant qui saisit les pétioles. On ajoute ainsi suc- cessivemciit un second, puis un troisiùnic , etc., paquet, jusqu'à ce que les chapelets aient une lon- gueur de 2 mètres environ. On les dispose ensuite au nombre de cinq on six sur chaque traverse des cliàssis ou séchoirs nommés tendales dans le pays, qui sont dressés sous le hangar. Tous les jours, on les retourne pour favoriser la dessiccation et éviter la fermentation qui détruirait les qualités du tabac. C'est surtout quand les feuilles proviennent d'une terre grasse et humide que ce danger est à crain- dre; aussi la surveillance la plus active est-elle alors nécessaire. La couleur se modifie peu à peu; les feuilles prennent une couleur jaune-orangée, .\lors on les transporte sur des tendales extérieurs afin de les dessécher complètement à la plus vive action du soleil. Les ouvriers favorisent cette dessiccation en écartant les feuilles et en les agitant. Chaque jour on rentre les chapelets vers quatre ou cinq heures du soir. Quand les feuilles sont devenues friables, on les préserve du vent, de l'humidité et même de l'excès de la chaleur ; sans cela elles se brûleraient et se réduiraient en poudre au moindre choc. Enfin quand la dessiccation est achevée, on place les cha- pelets sur les tendales des magasins et on les y met en quantité telle, que la circulation de l'air ne soit pas trop facile autour d'eux. Comme les feuilles ne mûrissent pas toutes à la fois et que la maturation marche de bas en haut, dans chaque cueillette, chaque plant fournit d'ordinaire quatre à cinq feuilles; celles du tronc sont plus grandes, de meilleure qualité que celles des branches, et d'un plus grand prix. C'est le tabac de feuilles [de hojas] ; l'autre prend le nom de ta- bac de pipe {de info). Mais, quand toutes les cir- constances de la récolte ont été favorables , cette différence de qualité devient difficile à apprécier. En reculant le moment de la cueillette, la force et l'àcreté du tabac se développent davantage, et à mesure que l'on prive la plante d'une partie de ses feuilles, celles qui restent sont plus cbargées de sucs et plus riches en principes gommeux et aro- matiques. Elles donnent alors le tabac tacheté {pely para), qui n'entre jamais dans l'exportation. Toutes les feuilles défectueuses ou altérées sont mises à part. On sèche de nouveau celles qui deviennent humides, puis on les renferme jusqu'au moment de leur faire subir les préparations ultérieures (I). M. Slrachan (2) nous apprend que, dans l'Ile de Ceylan, on prépare un petit cohi de terre dans lequel on sème les semences de tabac absolument comme nos jardiniers sèment le persil et les choux. Pen- dant qu'il lève et qu'il prend la force nécessaire à sa transplantation, on choisit une pièce de terre que l'on entoure d'une haie. Quand les bullles commen- cent à ruminer, on les met dans cet enclos et on les y laisse jusqu'à ce qu'ils aient fini. On continue de même jour et nuit jusqu'à ce que le terrain soit suffisamment fumé. C'est dans ce terrain bien fumé et retourné à la pioche que l'on fait la transplan- tation. Chaque plant ne doit être séparé de son voi- sin que d'un pied. Quand la lige a poussé quinze feailles, on eu retranche le sonunet , à moins que l'on ne veuille avoir un tabac un peu moins fort; dans ce cas, on lui laisse se former dix-huit à vingt (1) Alf. Deiiiersay ; Du Tabac au Paraguay. Paris 1851, p. 17, 18 et 19. (2) De la culture du tabac dans l'île de Ceylan, 1702. — 158 — feuilles avant de l'étôter. Au contraire, pour l'avoir plus fort, on ne lui en laisse que dix ou douze. On a d'ailleurs le soin d"ébourgeonner comme dans le procédé de culture suivi à Tonneins. Seulement, on récolte le tabac en coupant tiges et feuilles, que l'on porte dans la maison où on les met en tas. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que la matu- rité des feuilles des pieds étètés exige autant de temps, dit-on, qu'il en faut au tabac non mutilé pour arriver à l'entière maturité de ses semences. Selon M. J.-J. Ampère, la culture du tabac, à Cuba , se fait généralement par de petits proprié- taires, qui se livrent, en famille, à ce travail avec un soin très-minutieux. Ils réalisent ainsi des con- ditions spéciales qui permettent à la plante d'at- teindre tout son développement. Nouveau procédé jJour opérer ta dessiccation du tabac en feuilles^ par M. Truchet. M. Trucbet s'est servi, à cet effet, de la paille de froment ou de l'avoine dépiquée et réduite en pous- sière. 11 fit mettre, sur le pavé d'une grange, une cou- che de poussière de paille, ou, pour mieux dire, la paille elle-même, brisée de manière que les plus gros brins n'ont pas même 1 décimètre de longueur. La couche doit avoir environ 1 décimètre d'épais- seur; par-dessus cette paille, et à l'un des côtés latéraux, il fit une rangée de feuilles de tabac assez bien alignées, dont les queues étaient du côté de la muraille. Gela fait, il mit sur les feuilles trois rangs de cannes [ariindo], espacés entre eux pour diviser la longueur et se suivant bout à bout comme si c'eût été une corde tendue. On peut même se ser- — 159 — vir de ces dernières pour cette opération. Cette rangée finie, il en commença une autre, et puis une autre, ainsi que celle des cannes, de façon à garnir complètement le sol. Lorsque tout le pavé fut ainsi garni, il le sau- poudra avec un peu de paille et fit une nouvelle couche de feuilles, ayant attention de les placer de façon que la couche supérieure ne correspondit pas avec l'inférieure, mais que le vide que laissait l'o- vale des feuilles entre elles fût occupé par le plein de celles qu'on mettait dessus. Même opération pour les rangées suivantes : petite couche de paille et nouvelles couches de feuilles ainsi que de cannes, répétées. Ces cannes sont employées pour faire reposer des- sus les queues, et de cette façon on peut facilement enlever les feuilles d'entre les pailles, faisant seule- ment attention de recommencer par où l'on finit. Cette manière de placer les feuilles donne la faci- lité de tripler, de décupler même son local, pour dessécher les feuilles, surtout à l'instant où elles quittent la plante, c'est-à-dire lorsqu'elles sont le plus humides et qu'elles demandent le plus de temps pour se faner ou se sécher. L'auteur assure que cette opération est complète- ment terminée au bout de quarante-huit heures ; qu'alors la dessiccation est parfaite, et au point que la feuille, ayant pris la couleur de feuille morte, est tellement sèche, qu'elle brunit, se déchire en la maniant, et qu'elle est toute froissée ou ridée, ce qui est un inconvénient; mais on y remédie en l'ex- posant ensuite à l'air ou à la rosée pendant quel- ques heures de la nuit. Profitant ensuite de leur nouvel état de souplesse, on empile les feuilles en les mettant les unes sur les autres avec une forte charge dessus, ou en les mettant à la presse. En- suite, on les enfile ptn- la queue, et on les suspend au plancher, et lorsqu'elles y ont passé quelque temps, on ne risque rien de les mettre en tonneau bu dans des caisses. Pour que cette opération réussisse , il faut que la paille soit très -sèche, qu'elle n'ait jamais été mouillée, et qu'elle ne soit ni fermentée, ni noir- cie : c'est de là que dépend la honte de ce procédé, autant pour la dessiccation que pour ne point faire contracter de mauvaise odeur au tahac. (Rapporté par le Manuel dii fumeur et du pn'seur.) ENNEMIS DU TABAC. Daus uu grand nombre de pays, la culture du tahac se contente des soins que nous venons d'indiquer ; mais , dans certaines con- trées, des précautions d'une autre nature sont indis- pensables. Voici, d'aprL'S M. Alf. Demersay, quels sont les ennemis à craindre et quelles sont les pré- cautions à prendre : w Les insectes nombreux qui souvent anéantissent, en quelques heures , les récoltes de la plus riche apparence, tiennent sans cesse en éveil la vigilance du cultivateur. Parmi eux, les sauterelles, qui ap- paraissent réguhèrement au mois d'octobre, en nuées d'une grande étendue, sont les plus redoutables. » Le 3 octobre 1846 , entre Villa -Rica et la mission franciscaine de Gaazapa, je rencontrai uji de ces nuages ailés, qui marchait de l'ouest à l'est. 11 était quatre heures du soir. Les rayons du soleil, en frappant sur les ailes diaphanes des insectes, simulèrent un effet de neige. Uu assez grand nom- bre prenaient terre, puis se relevaient bientôt, au bruit du pas des chevaux. Cette légion ne s'abattit qu'un instant dans les champs de blé et de maïs, d'où les Indiens les chassèrent aussitôt, et cependant elle y causa de grands ravages. A l'approche du fléau, les cultivateurs rassemblent leurs serviteurs et leurs esclaves et cherchent à le détourner de sa route, à empêcher au moins qu'il ne séjourne dans les cultures. Elles sont anéanties si les sauterelles déposent leurs œufs sous la terre; car, six semai- nes après, elles écloscnt par milliers, et rien n'é- chappe à la destruction. » Les fourmis, les larves du papillon font aussi au tabac une guerre acharnée. Les Brésiliens le préservent de leurs attaques en semant, entre les lignes, du manioc ou du mais, sur lequel les insectes se jettent de préférence. » Les escargots, les limaces, les grillons sont aussi des animaux nuisibles au tabac. On se contente de leur faire la chasse et de les tuer. Cette o])ération se fait la nuit, en se servant d'une petite lanterne; car c'est alors que les escargots et les limaces font les plus grands dégâts. Dans File de Cuba, on connaît trois espèces de chenilles que les planteurs redoutent avec raison; ce sont : 1» Le cachazudo, qui se niche sous terre et at- taque la plante par le pied ou dévore ses feuilles les plus basses; il a 3 pouces de long et une cou- leur brune; il est rare qu'en fouillant la terre qui chausse la jeune plante on n'y en trouve pas ; 2" Le vrguero, qui est vert et long de 2 pouces; il dévore le parenchyme des feuilles; 3° Le cogollero^ qui est beaucoup plus petit, d'une couleur verte, et qui se fixe à l'extrémité des jeunes pousses pour les dévorer. Le meil- leur nioyen employé dans le pays pour détruire le veguero et le cogollcro consiste à les chercher avec U persévérance el à les écraser avec le pouce et l'index. Indépendamment des animaux , il y a encore à craindre quelques phénomènes météorologiques. Ce sont les vents, la grêle, les pluies et la sécheresse. Dans quelques contrées, les ouragans sont assez fréquents et violents pour briser ou arracher les plants. Tout le monde connaît assez les effets de la grêle dans les pays où il s'en produit, pour savoir, qu'accompagnée souvent de trombes puissantes, elle peut ravager des champs eutiers. Heureusement que ce fléau est à peine connu dans certaines parties du monde. La sécheresse poussée à l'excès peut produire des effets désastreux. Dans ce cas, la plante languit, ne prend pas de développement, se dessèche avant d'être mûre et les feuilles ne sont au plus bonnes qu'à faire des qualités inférieures de tabac Les pluies n'ont pas le même degré d'inquiétudes sérieuses à inspi- rer. Leur effet est de déterminer un développement excessif qui nuit à la qualité du tabac ; elles sont plus à craindre quand le soleil se montre immédia- tement après elles. Aussi les Brésiliens ont-ils soin de faire la culture du tabac dans l'intérieur des terres où la température offre plus de régularité que sur les côtes. La culture du tabac était autrefois très-suivie dans les campagnes de l'Italie, de l'Espagne, de la Hollande et de TAngloterre. Aujourd'hui la Prusse, la Bavière et le grand-duché de Bade en produisent de très-grandes quantités. En effet, la récolte de 1853 a été évaluée à 156,000 quintaux, qui représentent une valeur d(> 2 millions de francs environ. La culture du tabac dans nos possessions d'Afrique preud chaque jour plus d'extension. « De toutes les cultures de l'Alfiérie, dit le Moniteur universel (1), celle qui occupe, après les céréales, la plus large place dans les travaux des colons, c'est toujours la culture du tabac, dont le développement acquiert chaque année des proportions plus considérables et se répand de tous côtés avec une remarquable ra- pidité. Cette extension est telle que non-seulement la production suffit désormais à la consommation locale, mais qu'encore le contingent qu'elle est ap- pelée à verser dans les manufactures de la France est sur le point d'être atteint, et que bientôt le com- merce étranger , dont les opérations ont commencé à se porter sur la colonie, trouvera amplemeni à s'y pourvoir d'une denrée aujourd'hui très-recher- chée, et dont la rareté menace de se faire prochai- nement sentir sur les autres marchés du monde, » D'après M. Duranton, le chiffre de la production du tabac dont la constatation est possible en Algé- rie, ne s'élèverait pas à moins de i, 594, 000 kilog. Les seuls achats de la régie s'élèvent, pour Tannée 1855, à environ 4,130,000 kilog. et la dépense, cal- culée à raison de 95 fr. par 100 kilog. en moyenne, peut être évaluée à 4,923,500 francs. « Les tabacs, dit M. Duranton, deviennent de jour en jour plus rares sur tous les points du globe, et les progrès de sa production ne suivent que de loin ceux de la consommation, qui vont toujours grandis- sant. L'Amérique absorbe maintenant elle-même une grande partie de ses produits ; l'Autriche a prohibé l'exportation des siens ; l'Argolide , la Macédoine, (1) Moniteur vvivMsel, 28 juillet 1855, à l'occasion du rapport adressé d'Alger à M. le maréchal ministre de la guerre par M. Duranton, inspecteur spécial du service du tabac en Algérie. - IG'i — l'Egypte, ne peuvent presque plus rien envoyer à l'Europe, et la France elle-même, pour assurer ses approvisionnements en tabac , s'est vue dans la né- cessité d'en autoriser la culture dans plusieurs dé- partements qui y étaient restés jusqu'à ce jour étran- gers. Nos cultivateurs algériens seraient donc bien coupables s'ils ne prolitaient pas d'une si belle occa- sion de s'emparer, dans le commerce de cette denrée, de la place que la fécondité de leur sol et les avan- tages de leur position géograpli'ique leur assurent. » PREPARATION DES TABACS. Nous empruntons à un mémoire sur la culture et la fabrication du tabac dans le district du bureau de Tonneins, publié vers 17-2'i. les détails qui vont suivre : La préparation du tabac est précédée de la dessic- cation des feuilles ; poiu' cela, on les suspend dans des greniers ou sous les toits des maisons ou autres endroits à l'abri de la pluie. C'est surtout pendant celte dessiccation que la couleur propre des feuilles du tabac se dessine, et c'est alors que. l'on peut le mieux juger de leur qualité et de l'usage que l'on en peut faire. La couleur réputée la meilleure est d'un beau roux foncé ou celle de chapon rôf.i, suivant le terme usité dans le pays; les bonnes feuilles doivent avoir au moins un empnn (1) et demi de longueur, beau- coup de corps et de gomme. Les couleurs verdàtres ou à'anguille et de choux jaune et pâle sont les moins bonnes et ne sont em- ployées que pour les tabacs communs. On fait ordinairement quatre catégories de ces feuilles : l» Celles que Fou doit faire suer ; 1° Celles qui doivent servir à la préparation du labac sans côtes ; 3" Celles qui doivent constituer le tabac en prêt; ■i" Celles que l'on ne destine qu'à la fabrication du tabac commun. A. Pour faire suer les rciiillcs , on se sert d'un grenier où l'air soit d'un facile accès. Des paquets de feuilles, tels qu'ils sont quand ont les a dépendus du séchoir , on fait un lit dans le grenier , d'une longueur variable, mais de la largeur de deux lon- gueurs de feuilles que l'on met pointe contre pointe ou tête contre tète, et de la hauteur de trois pieds environ : c'est ce qu'on appelle les mettre en presse. Peu à peu ces feuilles s'échauffent et suent, de sorte que la main placée au centre de la couche en est bientôt fortement échauffée et mouillée de la sueur du tabac. H est essentiel de bien conduire la chaleur qui se développe dans les couches, car si elle s'élevait trop le tabac se brûlerait. Des personnes expérimentées sont commises à la surveillance de cette opéra- it ) Vem})an est cette sorte de mesure qui est comprise entre l'extrémité du pouce et celle du petit doigt, quand ces deux extrémités sont autant que possible éloignées l'une de l'antre. tion , et dès qu'elles s'aperçoiveut que les couches prennent trop de chaleur, elles les défont, en re- tournent les paquets afin de leur donner de l'air, et les remettent en couches. On continue celte surveil- lance jusqu'à ce que la chaleur et la sueur soient passées. On a remarqué qu'elles s'échauffaient plus par un temps liumide que par un temps sec. S'il vient à pleuvoir, on a la précaution d'ouvrir les fenêtres du nord et de fermer celles du midi, en ohservant toutefois de ne pas ouvrir les fenêtres du nord si le vent était trop fort, car il sécherait les feuilles avant qu'elles n'aient suffisamment sué. Les meilleures feuilles suent naturellement par la méthode que nous venons d'indiquer; mais il en est dont la sudafion ne peut être déterminée que par un stratagème particulier. Dans ce cas , après avoir disposé par couches les feuilles de tahac, on les couvre avec quelques planches, et l'on a remar- qué qu'elles s'échauffent et suent en raison du poidg qui les charge. Si le temps se comporte bien, la sudation entière se faii en une quinzaine de jours; mais bien souvent il faut le double de temps. On connaît qu'elles ont sué suffisamment lorsqu'on mettant la main dans les couches, on les trouve froides et sèches. Toutefois, on les abandonne quelque temps encore à elles- mêmes, afin qu'elles se purgent entièrement de toute humidité. Si pendant que l'on remue les couches, dans le but do les empêcher de brûler, on s'aperçoit que des feuilles soient moisies ou brûlées , on a grand soin de les retirer. La raison qui porte à faire suer ces feuilles est qu'elles ne se conserveraient pas sans cette opéra- tioii, peiitluiil laquelle elles penlent d'unlinairc ilix à douze pour cent de leur poids. Ou u'en fait guère que pour le fermier, et lors- qu'il en reçoit la livraisou, il les fait choisir paquets par paquets et rebute celles qui ne lui conviennent pas. Ce rebut sert à faire le tabac en prêt. La réception de ces feuilles étant faite, on les met dans des boutles ou grands tonneaux, qui contiennent environ sept quarteaux, et on les presse le plus que l'on peut, aDn d'y laisser le moins d'air possible, car elles ne s'en conservent que mieux. Ces boutles sont alors envoyées dans les manufac- tures de Morlaix ou de Dieppe, où ces feuilles sont employées à recouvrir d'autres tabacs inférieurs et à faire des billex ou carottes. Quand il s'agit de faire le tabac sans cùle, le tabac de prêt et le tabac commun , on ne prend pas la peine de faire suer les feuilles. B. Le tabac sans côte se fait avec les feuilles de la 2« catégorie : on tire la côte à trois doigts près de la pointe, ce qui se fait aisément pour qui en a l'habitude. Ce tabac est ensuite filé de différentes grosseurs (trois ordinairement). On nomme prin- filé celui qui est de la grosseur d'une plume de cygne; moyen., celui qui est filé au double de gros- seur du précédent; et cjros-filé, celui qui a un pouce de circonférence. On choisit pour faire le filage du tabac un temps doux et humide, parce que la feuille est plus ma- niable , la côte plus facile ù séparer et le reste de la feuille à filer. A mesure que le filage s'opère , on met les tabacs en pelotons et on les y laisse le plus longtemps que l'on peut. Il faut un temps plus sec pour rouler les tabacs que pour les filer ; on ne roule d'ordinaire , en lacs d'amour, que ceux qui sont destinés pour les bureaux de Bordeaux , la Rochelle et la Bretagne, et ces rouleaux pèsent depuis 3 jusqu'à 10 livres. C'est le tabac prin-filé que l'on choisit pour ces bureaux. Les rouleaux demi-files pèsent depuis 6 jusqu'à 12 livres, et les rouleaux ^ro.s-^/e'.s depuis 12 jus- qu'à 20 livres. Ces deux espèces sont consommées dans le Languedoc, la Provence et le Roussillon. Le déchet du tabac pendant la fabrication est or- dinairement du quart au tiers. On fait subir au tabac moyen-filé et gros-filé une demi-pression ; de sorte qu'un rôle de ce tabac d'un pied et demi de hauteur est réduit aux deux tiers. Avant de le soumettre à l'action de la presse, il faut avoir soin de l'humecter avec de l'eau dans laquelle on a fait bouillir des côtes de tabac , ce qui aug- mente encore ses propriétés. On passe ensuite une ficelle sur les rôles pour les maintenir dans la posi- tion qu'ils ont en sortant de la presse. La voiture des tabacs sans côte se fait dans des bouttes ainsi que les feuilles qui ont sué; seule- ment le gros-filé exige quelques soins que nous devons indiquer : ils consistent à le presser forte- ment dans les bouttes, et afin d'y laisser le moins possible d'air, on intercale avec force des coignets dans tous les vides que les rôles laissent entre eux ; ces coignets sont faits de tabac moyen filé en rou- leaux qui ont la figure d'un pain de sucre. Les tabacs destinés aux bureaux de Pau , Saint- Béal, Saint-Girons et Tarascon, se voiturent en balles du poids d'environ 200 livres. C Les tabacs en prêt se font avec les feuilles de la 3e catégorie; on leur laisse toute la côte, et on les file de la grosseur du prin. Les déchets à la fa- brique de ce tabac vont environ à cinq pour cent. D. Les tabacs communs se font avec toutes les basses feuilles de la 4* catégorie et le rebut de toutes les autres. Les décbets du tabac commun sont de 10 à l't pour 100, pour une garde de quatre mois. Plusieurs de ceux qui fabriquent le tabac sans côte conservent la côte et la vendent à part; d'au- tres s'en servent pour couvrir leurs tabacs eu les faisant voiturer, et d'autres pour faire des fumiers. On récoltait en moyenne, cbaque année, dans les districts du bureau deTonnoins, environ 50,000 quin- taux de tabac. Les districts de Saint-Porquier en pro- duisaient 7,000 quintaux , et celui de Leyrac, 3 à 4,000. Ceux du cru de ces derniers endroits étaient beau coup moins estimés que les autres. La fourniture du fermier roulait alors communé- ment sur le pied de- 4,000 quintaux par an, en feuilles suées et sans côte. Il ne prenait qu'environ 150 quintaux de tabac commun pour les bureaux de Perpignan, Tarascon, Saint-Girons, Saint-Béal et Pau. Telle était, d'après le mémoire cité, la méthode qui a été suivie longtemps en France pour tra- vailler le tabac ; mais depuis ce temps on a bien modifié le mode opératoire en ce qui concerne sur- tout la manière de faire suer les feuilles de tabac. On peut en effet remarquer que les feuilles, de tabac purement et simplement séchées par les moyens ordinaires de dessiccation n'ont pas l'odeur acre et forte si particulière au tabac préparé. Ces propriétés, qui sont si rechercbées . sont développées par une sorte de fermentation que l'on fait subir à la feuille. C'est particulièrement depuis que Napoléon a eu l'idée de ne faire préparer le tabac que d'une seule manière, atiri d'avoir par toute la France un tabac uniforme ou tout au moins fort peu différent, que ce mode de fabrication a été modifié. CARACTERES DES TAHACS EMPLOIES E.\ FRAXCE. Les principales indications sur les caractères l)hysiques des tabacs employés par la régie sont les suivantes. On les classe en quatre séries, savoir : les tabacs exotiques, les tabacs du Levant, ceux d'Europe et les tabacs indigènes. lo Parmi les tabacs exotiques, il faut citer ceux d'Amérique, particulièrement le Virginie^ qui est gras, corsé, très-aromatique et précieux pour la fabrication de la poudre; le K ejitvcky, qxxi est plus sec, à grandes feuilles et moins fort : il est utilisé à des fabrications très-différentes; le Hlanjland^ qui est léger, odorant, à grandes feuilles, et qui ne sert qu'à la fabrication des scaferlatis; le Havane, qui est le plus propre à la fabrication des cigares ; le Java , qui est aussi particulièrement employé à la confection des cigares, bien que son odeur rappelle celle du poivre. Les tabacs exotiques comprennent encore le tabac de Chine, qui est très-fin, très-léger, mais d'un goût assez médiocre d'ordinaire. 2" Les tabacs du Levant sont, en général, légers, d'un goût fade et d'une odeur qui rappelle le miel. Leurs feuilles sont petites, et, pour ces raisons, ils rendent peu de services et ne sont employés que dans de certaines mesures. 3° Parmi les tabacs d'Europe, nous citerons le Hollande, qui est fort et amer, ce qui le rend pro- pre à la fabrication de la poudre, à laquelle il com- muniqiie sa force. Il est principalement employé dans la préparation du tai3ac en poudre étranger, pour corriger le goût un peu fade du Virginie. La llongrie fournit aussi des tabacs qui en portent le nom et qui sont de deux sortes : le Debretzin ix grandes feuilles et très employé pour fabriquer les cigares, et 'le Szerjhedin, d'une odeur de morue, ce qui le rend peu utile : aussi n'entre -t- il qu'en faible proportion dans le scaferlati. 4° Quant aux tabacs indigènes, nous citerons le Lot, qui est fort, corsé, à feuilles assez grandes et d'une odeur rappelant celle du cacao : il est très- ntile dans la fabrication de la poudre, qui lui doit son montant ; le l.ot-et-Garonne ^ qui se rap- proche beaucoup du précédent, quoique moins es- timé; le Nord qui est fort et corsé, mais à feuilles longues et étroites et très-ammoniacal : aussi n'est- il employé que pour la poudre; le Pas-de-Calais^ qui est très-analogue au précédent; mais étant moins fort, il est utilisé dans les tabacs à fumer; V Alsace, qui est léger, à feuilles larges et à tissu fin ; enfm Vllle-et Vilaine, qui est à grosses côtes, d'un tissu épais et spongieux. Il moisit facilement, et pour ces raisons il est peu recherché. Voilà maintenant, selon un excellent article fait à ce sujet par M. Ch. Renier (i), la manière détail- lée dont se préparent les diverses sortes de tabac dans les manufactures françaises. Depuis 1811, la fabrication du tabac appartient exclusivement au Gouvernement, qui en a le mo- nopole absolu et qui la fait exécuter sous la di- rection d'une administration spéciale, dépendante (1) Encijclopédie moderne, article Tabac. du ministère des finances, dans 10 manufactures, qui sont situées à Paris, à Lille, au Havre, à Mor- laix , à Bordeaux , à Touneins , à Toulouse, à Lyon , à Strasbourg et à Marseille. Cette fabrication a pour but de transformer les feuilles séchées de la nico- tiane en scaferlati ou fobac à fumer ^ en cigares^ eu rôlrs ou tabac à mâcher, en carottes, eu poudre ou tabac à priser : les carottes sont destinées à tenir lieu à la fois de poudre et de tabac à fumer. « L'apprêt de ces divers produits est précédé de plusieurs opérations préliminaires par lesquelles il est indispensable que nous commencions, et qui sont désignées par les noms de boucardoge, ù'époiilar- dage, de mouillage et à'écôfage. 1" Boucardage. Les feuilles arrivant dans les manufactures en masses volumineuses, soit enve- loppées de toiles ou de nattes, soit enfermées dans ûesboucauds (tonneaux), d"où le nom de boucar- dage, on leur fait subir cette opération qui consiste proprement dans leur déballage et leur triage, pen- dant lequel on divise les feuilles en deux classes, constituées d'une part par les plus belles destinées au tabac à fumer, et de l'autre, les moins belles feuilles c[ui servent à faire le tabac à priser. ' La fabrication se fait avec des feuilles qui pro- viennent de six départements où la culture du tabac est autorisée, et d'un très-grand nombre de crus étrangers, tels que la Hongrie, la Hollande, Tom- heky. la Macédoine, la Syrie, l'Ârgolide, l'Algérie, l'ile de Cuba, la Virginie, le Maryland, la Colombie, la Chine, Java, Porto-Rico, le Brésil, la Nouvelle- Crenade, etc. » 2° Ëpovlardage. Dans cette opération, on délie les rouleaux de feuilles appelées manoques, dont se composent les paquets ; on secoue les feuilles pour faire tomber le sable et la poussière qui les souil- lent, et on les détache les unes des autres pour en faire un deuxième triage. Ce triage a pour objet de disposer séparément daus des mannes, placées à cet efîet autour de l'ouvrier , celles qui peuvent servir de robes pour les cigares, ou celles qui conviennent à la confection des rôles, ou enfin celles qui, à cause de leur état avancé de fermentation, ne peuvent servir qu'à faire du tabac en poudre. Cette opération , qui est très-pénible pour les ouvriers, à cause de l'épaisse poussière qu'elle produit, est une des plus essentielles de la fabrication, et par consé- quent exige une grande surveillance de la part des directeurs des manufactures. > Mouillage. Cette opération consiste à arroser les feuilles afin de leur rendre la souplesse qu'elles ont perdue par la dessiccation, et cela pour les rendre plus faciles à subir les opérations subséquentes. Elle se fait avec une dissolution de sel maria ou de cui- sine, contenant 10 kilogrammes de sel pour 100 litres d'eau. On superpose plusieurs lits de feuilles que l'on arrose successivement. La dissolution de sel est utile pour enipècber la fermentation de de- venir putride et éloigner les iusectes qui s'intro- duisent toujours dans toute matière en fermentation. Le sel est la seule substance étrangère que l'on intro- duise dans le tabac, de quebiue qualité qu'il soit : c'est lui surtout qui lui donne la propriété que tout le monde connaît, d'être très-hygrométrique. '(o Ecôtaye. On nomme ainsi l'opération qui con- siste à arracher la côte des feuilles dans toute leur longueur. .N'exigeant jamais que de faibles efforts, elle est toujours faite par des femmes, qui sont divi- sées en deux groupes. Celles du premier sont as- sises sur des bancs et assez écartées les unes des autres pour pouvoir prendre les feuilles dans des mannes placées à leur gauche et pour pouvoir jeter les feuilles écôtées dans des mannes placées à leur droite. Quant aux côtes, elles les laissent derrière le banc sur lequel elles sont assises. Celles du se- cond groupe repassent les feuilles qui sortent des mains des précédentes, en les arrangeant sur des claies ou sur des tables, afin d'ôter les nervures qui auraient pu leur échapper, et pour faire tomber toute matière étrangère. Après le décôtage, les feuilles passent dans les divers ateliers où s'exécu- tent les différentes branches de la fabrication que nous allons faire connaître. Cette opération donne lieu à un déchet dont on ne peut tirer aucun parti et dont le poids s'élève jusqu'à 8 ou 10 pour 100 de celui des matières premières. FABRICATION DU SCAFERLATI OU TABAC A FUMER. <- La fabrication du scaferlati se compose des quatre opérations suivantes : le hachage , la ior/é- faction, le séchage et la mise en paquets. Elle pro- duit dans les manufactures trois espèces de scafer- lati : 1" le (abac ordinaire ou caporal.^ qui se com- pose d'un mélange de feuilles indigènes et de feuilles étrangères : de Maniand , de Hongrie, etc.; 2° le tabac de cantine . pour lequel on n'emploie que les feuilles indigènes, de qualité inférieure , que l'on mélange avec les déchets provenant de l'écôtage des tabacs étrangers, et 3° enfin, le tabac supérieur, ou étranger, oij il n'entre que des feuilles étrangè- res sans mélange aucun : tels sont le Maryland, le Porto-Rico, le Yarinas, le tabac du Levant, etc. » 1° //fl6'^o^(?. Cette opération s'exécute au moyen de machines particulières, mues autrefois à bras d'homme, mais qui sont aujourd'hui mises en mou- vement par la vapeur ou par des roues hydrauli- ques; ces machines sont d'ailleurs assez simples. Les feuilles de tabac, entassées dans une coulisse, sont entraînées par une toile sans fin qui s'avance continuellement dans le même sens et qui les amène sous un couteau se mouvant d'un mouvement al- ternatif, dans une coulisse placée en travers de celle où elles sont conduites. Le mouvement de la toile sans fin et celui du couteau sont calculés de ma- nière à donner au tabac la grosseur convenable. » 2° Torréfaction. Quand le tabac est haché, on passe à la torréfaction , laquelle consiste, suivant les lieux, ou plutôt suivant les manufactures, soit à le poser pendant quelques instants sur des plaques en fer chauffées jusqu'au rouge; soit à le laisser, pen- dant quelques minutes, sur des espèces de tables formées de tuyaux juxtaposés et pleins de vapeur d'eau à i ou 5 atmosphères , de l'invention de Gay- Lussac. Dans cette opération, on a pour but de ren- dre impossible la fermentation, qui nuit toujours beaucoup à la qualité du scaferlati et qui ne peut plus se déclarer eusuite, à moins que le tabac ne séjourne longtemps en tas considérables, inconvé- nient qui d'ailleurs a lieu fort souvent dans les ma- nufactures françaises, en raison de leur petit nom- bre et de l'énorme quantité de produits qu'elles doivent livrer à la consommation, et c'est là une des causes principales de l'infériorité de nos tabacs sur ceux que la contrebande introduit chez nous tout fabriqués. Depuis quelques années, on se sert, à la manu- facture de Paris, concurremment avec l'appareil de Gay-Lussac, d'un mode de" torréfaction que nous allons brièvement décrire. Nous devons à l'obligeance de M. Demondésir, ingénieur de la manufacture impériale des tabacs de Paris, la connaissance de l'appareil propre à tor- réfier le tabac, de l'invention de M. Rolland. Il consiste essentiellement en un cylindre horizontal de métal, chauffé par un feu de coke, et dans lequel se fait la torréfaction. Ce cylindre porte, fixée à sa paroi intérieure, une lame hélicoïdale qui le par- court dans toute sa longueur. Le tabac y arrive par une de ses extrémités , et dans le mouvement qui lui est communiqué par un mécanisme fort in- génieux , dans les détails duquel nous ne pouvons entrer, ces lames hélicoïdales non-seulement ser- vent à le faire se diviser plus ou moins au sein du cylindre , mais encore à le pousser incessamment vers son autre extrémité, où se trouve une caisse destinée à le recevoir après sa torréfaction. Là, il s'y accumule en une certauie quantité et jusqu'à ce que son propre poids force les deux valvules qui forment le fonds de cette caisse à s'ouvrir pour laisser passer le tabac, qui est reçu dans une manne placée au-dessous. Dès lors les deux valvules se re- lèvent d'elles-mêmes en raison d'un contre-poids qui avait été obligé d'obéir à la masse de tabac tombée dans la manne. Pendant que le tabac parcourt ainsi toute la longueur du cylindre, un courant d'air sec et froid le traverse, qui, avec le mouvement incessant du tabac et la vaporisation de l'eau qu'il contient, contribue à faire que la température ne s'élève jamais au-dessus de 100", et que le tabac qui en sort ait au plus celle de 60'\ Enfin, un des traits principaux du mécanisme mis en jeu , est de pouvoir, à l'aide d'un engrenage que l'on fait mou- voir à volonté, accélérer ou ralentir le mouvement rotatoire du cylindre, selon que l'on s'aperçoit que le tabac est trop ou n'est pas assez cbauffé. » 3° Séchage. Quand la torréfaction est achevée, il reste encore beaucoupd'bumidité dans le tabac. Il est donc indispensable de procéder au séchage. Cette opération se pratique dans des séchoirs disposés de manière qu'on puisse y introduire des courants d'air chaud à 16 ou 20", lorsque cela est nécessaire; on y étend le tabac sur des claies serrées, en ayant soin de le remuer pour favoriser, autant que pos- sible, sa prompte dessiccation. On profite de ces di- verses manipulations pour le purger des morceaux de côte trop gros et des filaments réduits en poussière et provenant d'une torréfaction trop vive. Enfin, on en fait des paquets du poids de 1,000 grammes ou de 500 grammes pour le scaferlati ordinaire, et de 500, 250 ou 125 grammes pour le scaferlati étran- ger, avec une tolérance de 5 grammes en plus ou en moins des poids qu'indique l'enveloppe de cha- que paquet. » 12 FABRICATION DES CIGARES. « La fabrication des cigares est celle qui altère le moins la nature des feuilles de tabac , car elles n'y subissent aucune transformation. Des femmes roulent les plus petites entre leurs doigts, et lorsqu'elles en ont fait un rouleau de la forme voulue, elles le re- vêtent d'une robe , c'est-à-dire d'une feuille prise parmi les plus grandes, convenablement taillée et sans aucune déchirure; elles la fixent avec un peu de colle de pâte, et le cigare est terminé. 11 ne s'a- git plus ensuite que de le faire séjourner pendani un certain temps au séchoir, où la température est maintenue entre 20 et 24°. Au bout de huit jours, on les dispose convenablement dans des caisses, pour les mettre en magasin , où ils sont laissés le plus longtemps possible. On n'a plus ensuite, pour les expédier, qu'à les réunir en paquets de 25 ou en bottes de 250. En France, on ne fabrique que des cigares des deux dernières qualités, et seulement dans les ma- nufactures de Marseille , Toulouse , Bordeaux , Ton- neins, Strasbourg et Paris, mais particulièrement dans celle de Marseille, qui ne fabrique que des ci- gares et du tabac en poudre. Ceux à 5 centimes sont faits entièrement avec du tabac de France. Ceux de la qualité immédiatement supérieure sont com- posés de feuilles de Maryland et de la Havane; ceux dits étrangers, c'est-à-dire les anciens cigares à 15 centimes et tous les autres, arrivent tout faits de la Havane , de Manille , de la Colombie , de la Nou- velle-Grenade et de Bahia. » Dans le commerce on connaît plusieurs sortes de cigares dont il est utile d'indiquer ici les principaux. Bouts-français. On nomme ainsi des cigares dont le bout n'est pas tordu. Les cigares de Bordeaux, de Marseille sont faits ainsi; il eu est de mime des ci- gares communs que la régie désigne sous le nom de cigares de caporal^ et qu'elle débite au prix de 5 cen- times. Ils sont d'assez mauvaise qualité. Dans la manufacture de Paris, on désigne sous le nom de bouts-coupés des bouts-français fabriqués avec du Kentucky seul. Les cigares dits bouts-tor- dus ordinaires sont faits avec du Kentucky et du Maryland. Quant aux cigares étrangers, on les fa- brique avec des tabacs du Maryland, de Java, delà Havane, de la Chine et du Brésil, ce dernier étant uniquement employé à faire les robes. Les uns sont faits de Havane pur, les autres en Havane et Mary- land, ou en Havane et Java, ou en Java et Mary- land. Mais tous ces cigares sont inférieurs en qua- lité à ceux que l'on tire tout fabriqués de Cuba. Cigares de la Havane. Ces cigares sont faits avec des feuilles de tabac de Cuba , dont les meilleures viennent de la Havane et surtout de la VvcUa-de- Abajo; ce sont les meilleurs cigares du monde. Ils sont très-bien faits et les soins dont ils sont l'objet pendant la fabrication contribuent beaucoup à leur grande célébrité. « A Cuba, dit M. Ampère, le tabac est générale- ment cultivé par de petits propriétaires qui se li- vrent à ce travail minutieux en famille , ce qui est la meilleure condition pour que la plante atteigne toute la perfection de son développement, puis il est acheté par des courtiers qui parcx)urent l'île et vendu à des négociants de la Havane ; ceux-ci préparent ces cigares si renommés qu'on fume ou qu'on croit fumer dans toutes les parties du monde Il est certain qu'il se fume en Europe beaucoup de cigares qui portent le nom de la Havane et qui ont une tout autre origine. Cependant il faut reconnaître que de médiocres cigares peuvent venir réellement de Cuba. 11 y a pour le tabac, comme pour les vins, des crus^ des qualités diverses. Le vin de Suresne est français aussi bien que le vin de Bordeaux , et il arrive à la Havane, des différentes parties de l'île, des feuilles de tabac qui sont loin de se valoir. « FABRICATION DES CIGARES A LA HAVANE. L'im- portance que prend cbaque année davantage la fabrication des cigares, nous oblige à entrer dans quelques détails du mode manipulatoire employé à la Havane et à Matance, les seules villes de Cuba qui jouissent du privilège de la fabrication des cigares, d'autant plus qu'il est aujourd'hui celui que l'on suit dans les manufactures françaises. On commence par choisir des feuilles ayant subi une fermentation lente, égale et bien dirigée, sans laquelle le goût fin et particulier au cigare de la Havane ne se développerait pas ; on recherche de préférence les tabacs de la vuelta de abajo et des partidos (1), dont les deux tiers environ sont trans- formés en cigares. Cette fabrication comprend trois opérations avant la transformation des feuilles en cigares, savoir : 1° la préparation des robes (capas) , 2« l'écôtage et le triage; 3" la préparation des feuilles de l'intérieur, dites tripes (tripas). (1) On nomme ainsi des terres de seconde qualité. Préparation des robes. Le choix des feuilles destinées aux robes exige un soin très-scrupuleux, car non-seulenicnt le tabac qui sert à les faire est toujours d'un prix relativement beaucoup plus élevé, mais encore c'est du choix et de la perfection des robes que dépendent les principales qualités d'un cigare. Le tabac pour robes est confié aux ouvriers les plus soigneux, qui doivent leur faire subir l'opé- ration de Vépoulardagc et de la mouillade. A cet effet, ils délient les manoques [manojo) et séparent les feuilles. Le soir, afin de leur donner de la sou- plesse, ils trempent ces feuilles dans de l'eau pure, puis ils les disposent sur une dalle propre ou sur des toiles tendues sur des châssis. Le lendemain, les écoteurs et les trieurs s'en emparent afin de les soumettre à la seconde opération. Ecôtage et triage. L'ouvrier prend chaque feuille l'une après l'autre; il l'ouvre et l'étalé pour en bien examiner la couleur ainsi que l'usage au- quel on doit l'employer; il enlève toute la côte et classe chaque moitié de la feuille selon sa grandeur et le degré de finesse qu'elle présente. Puis, toutes ces demi-feuilles sont appliquées les unes sur les autres et roulées par paquets de 50; enfin, chaque paquet est serré, puis attaché avec une côte et placé dans un tonneau couvert d'une toile où le tabac subit une douce fermentation et peut être ainsi conservé jusqu'au moment où on l'emploiera. Préparation dex f milles de V intérieur (tripas). Comme pour les robes, l'ouvrier trempe les feuil- les dans l'eau pure, les secoue quelque temps pour les faire égoutter et les place pendant la nuit sur les dalles ou sur les toiles. Alors, l'ouvrier écoteur déploie les feuilles, les ouvre, les examine et leur enlève a côte; puis il les décrotte, c'est-à-dire qu'il étire le tissu de la feuille afin de lui donner de la souplesse et un cotonneux que l'on recherche dans la confection des cigares. Enfin, il les classe par catégories destinées à faire tels ou tels cigares. CONFECTION DES CIGARES. Ou dcsigue SOUS le nom de confectionneurs ou tordeurs (torcidores) de cigares, les ouvriers qui fabriquent réellement les cigares. En général, les blancs sont plus habiles que les mulâtres, et ceux-ci plus habiles que les nègres dans ce genre de travail, et cette habileté se développe de plus en plus par la pratique. Il y a des ouvriers qui font de 3 à 400 et même 600 ci- gares par jour. Le tordenr est placé devant le casier d'une table construite tout exprès, au centre duquel casier est une petite planchette fixée à la table; à sa droite se trouvent les feuilles pour ^r/pe.s-, et à sa gauche sont placées les feuilles pour robes^ toutes recou- vertes d'un linge un peu mouillé. Non loin de lui, il a placé une petite quantité de colle de farine ou de mie de pain, qui lui sert à fixer l'extrémité plusieurs fois roulée en spirale de la robe : cette extrémité porte le nom de perilla. Enfin, dans la planchette se trouve incrustée une lame d'os ou d'ivoire portant les repères destinés à donner aux cigares la longueur voulue. Les fabricants soucieux de ne donner que des cigares bien faits et se fumant facilement, adjoi- gnent à chaque ouvrier un enfant (décrotleur) qui prend les feuilles pour tripes et les étalent dans le cas oîi elles seraient trop chiffonnées; cette pré- caution ajoute à la souplesse de la feuille, qui ne s'en fume que mieux. La forme de cigare la plus simple et la plus généralement acceptée est celle que l'on connaît aux millares. Leur dimension est très- convenable. On connaît des millares avec ou sans pcrilla; mais les premiers sont inQniment plus répandus. C'est la confection de ces cigares que nous allons prendre comme modèle- MILLARES. L'ouvrier prend de la main droite une certaine quantité de tripas qu'il place mor- ceau par morceau dans la main gauche, en les ajustant convenablement et de façon que les ner- vures soient toutes dirigées dans un sens tel que la plus grosse partie soit en bas; puis, au moyen de morceaux plus petits, il donne du ventre à son cigare; de la main droite il casse les parties qui, au- dessous de la gauche, excèdent la longueur voulue; enfin, il roule le cigare ébauché dans une bonne feuille de tripas, en tenant les deux mains élevées. Le cigare n'a plus alors qu'à être enrobé. A cet effet. Va robe étant étalée et bien tendue sur la planchette, l'ouvrier la retient de la main droite, et de la gauche il l'enroule autour du cigare, en ayant soin de la dérouler de temps en temps pour la mieux tendre sur le cigare. Ceci fait, au moyen de son couteau, le tordeur, de la main droite, dé- coupe en spirale l'extrémité excédante de la robe, qui devient ainsi perilla, de telle sorte que malgré le cône que forme la pointe, on puisse continuer le même mode d'enroulement. Cette perilla, enroulée plusieurs fois sur elle-même, est enfin fixée soit avec un peu de colle ou en la serrant entre les deux doigts. Le cigare ainsi tordu [torcidd], il l'ap- proche du repère et il le coupe de la longueur voulue; il le roule de nouveau pour mieux l'ar- rondir et il le pose devant lui jusqu'à ce qu'il en — 184 — ait confectionné 50; alors, il les assemble et les attache avec nn morceau de mazngua. Les autres opérations dont les cigares sont l'ob- jet consistent particulièrement dans l'inspection des cigares et leur mise en casiers , oti s'opère leur dessiccation; dans leur triage et leur bottelage ; dans le classement des cigares, dont les principales divisions sont les primeras, à capes unies de toutes sortes de teintes, excepté la verte; les seciinda!^, à capes marbrées, mélangées de vert et nerveuses, et les terceras, à capes vertes ou très-nerveuses (1); dans leur encaissage, qui se fait particulièrement dans des boîtes de cèdre qui leur communique un arôme agréable; enfin dans leur conservation, qui varie beaucoup selon les crus et les pays où ils sont conservés. C'est ainsi que les cigares légers [/ïocos) ne conservent pas plus d'un an leur arôme à la Havane, tandis qu'à Paris ils le conservent trois ou quatre années; que certains cigares, ceux qui se conservent le mieux, sont encore bons à fumer aux Antilles, même après trois ou quatre ans, et qui, en France, deviennent encore meilleurs au bout de huit ou dix ans.de confection. Bégalias et dem^'-régalias. On les prépare de la même manière que les millares; leur forme est plus parfaite; on apporte dans leur préparation un soin infini, surtout dans la confection de la perilla, et cela se conçoit, puisqu'ils constituent les cigares de qualité pour lesquels le choix des tabacs entre aussi pour quelque chose. Toutefois, la principale (1) Les primeras et les secniulas sont ensuite subdivisées en brun foscuro), rouge (Colorado), jaune (amarillo), qui se subdivisent elles-mêmes en Colorado claro, Colorado paso, Colorado oscuro, amarillo pajiso, etc., au nombre d'une vingtaine. qualité consiste dans la manière de façonner la perilla, qui est bien plus allongée, puisqu'on lui fait faire jusqu'à sept à huit tours sur elle-même. Le torcidor achève de bien fixer l'extrémité fort déliée de la perilla, eu roulant la pointe du cigare entre ses doigts jusqu'à ce qu'elle se resserre et reste fixée d'elle-même. Il n'y a que les ouvriers les moins habiles qui se servent de colle de pain ou de salive. Cette opération est assez longue. Aussi un bon ouvrier ne peut-il faire que 200 à 300 régalias ou demi-régalias par jour. Londres, des cigares ont une forme très-analogue à celle des millares. Cependant elle est plus droite et plus allongée ; le cigare est un peu moins gros et de confection moins parfaite, ce qui ne les em- pêche pas de se fumer très-facilement. Ponetelas^ Caballeros, Bayonetas, etc. On donne ces divers noms à des formes peu usitées; mais comme ces cigares sont assez allongés, ils exigent pour leur confection dos feuilles plus fines et mieux choisies; autrement les moindres inégalités seraient bien plus sensibles sur leur contour. On les fait, au reste, comme les millares et les régalias; mais leur forme est d'ordinaire une garantie de bonne qualité. Trabucoa, Impériales, Cazadores, etc. Ces noms divers sont donnés à des formes particulières qui ne présentent aucun avantage et n'offrent pas, comme les cigares précédents , une certaine garantie de la qualité du tabac qui les composent; aussi sont-ils peu recherchés. Damas, lieines, etc. Ce sont des noms donnés aux plus petites formes de cigares. On les fait avec des qualités fortes de labac; mais il faut que le torcidor ait le soin de ne pas trop les serrer. Ces formes sont surtout avantageuses pour le fabricant, qui trouve à y faire passer les pointes des feuilles et les petites robes. Prensados. C'est une forme de cigares qui paraît appelée à devenir d'un emploi général, car ils ne gênent pas les lèvres, se fument avec une assez grande facilité, surtout s'ils n'ont pas été trop pres- sés, et paraissent mieux conserver tout leur arôme. Ils se distinguent des précédents, en ce que n'étant pas très-serrés pendant leur confection, ils peuvent subir l'action d'une presse, qui les aplatit sans dé- chirer la robe, que l'on choisit, du reste, forte et rugueuse, ce qui n'en exclut pas la bonne qualité. Quand les cigares sont faits, on les bottèle et on les place entre deux fortes tablettes en bois que l'on rapproche par des vis et entre lesquelles on les laisse pendant vingt-quatre heures. Veyxieroa ou Planteurs. Quoique les cigares qui portent ce nom soient fabriqués sans soin et sans aucune préparation préalable ; quoiqu'ils soient faits avec des feuilles grossièrement taillées et roulées , et terminés par une périlla grossièrement faite, comme le tabac que les vagueras emploient pour les faire est d'une excellente qualité, ces cigares sont très-estimés. Toutefois, elle est incapable de devenir jamais une espèce commerciale par les seuls faits que le planteur ne la confectionne que pour sa con- sommation personnelle, et qu'il suffit que la vente de ces cigares soit publique pour en conclure que ce ne sont pas des Vegueros. Néanmoins on trouve quelquefois sous cette dénomination des cigares qui, étant faits avec des feuilles de qualité inférieure, sont bien loin de valoir les véritables Vegueros. Du GOUT ET DE l' AROME DES CIGARES. Uu grand nombre d'auteurs, ainsi que les vrais amateurs, s'accordent à reconnaître que le goût et l'arôme des cigares sont extrêmement variables, et ils vont jusqu'à dire qu'ils sont aussi variés que les divers bouquets des vins. 11 est certain que, lorsque l'on fume plusieurs cigares de différente nature , on re- connaît aisément qu'ils ont une odeur et un goût très-particuliers à chaque qualité. A quoi tiennent ces différences? Est-ce à une huile essentielle spéciale , naturelle à la plante ou développée pendant la fermentation des feuilles? Est-ce à une proportion plus ou moins forte 'de nicotine ou à une altération particulière de la nicotianine? Nous n'en savons absolument rien; et si l'arôme est dû à une huile volatile, il est très - probable qu'elle échappera longtemps encore aux investigations de la chimie, tant elle est en faible proportion dans le tabac. Quoi qu'il en soit, si l'on goûte avec attention di- verses qualités de cigares, on reconnaît que les uns ont un goût assez prononcé de cacao, les au- tres un goût de café brûlé, ou d'amandes amères, ou de noisette, ou d'absinthe, etc. Mais cet arôme est si fugace et en si faible quantité, qu'il est rare que les cigares le conservent longtemps; et c'est parce que ces arômes sont recherchés, que les fa- bricants de Cuba ont eu l'idée de les aromatiser, soit avec des plantes aromatiques, soit, comme nous l'avons dit, en les enfermant dans des caisses faites avec des bois odorants , et dont celui de cèdre est l'un des plus employés. Mais si les arômes varient ainsi avec les divers crus de tabac , il est probable que. sous l'influence du sol, du climat, et peut-être de la culture, il se forme des huiles essentielles diverses qui, probablement, ont toutes un même radical, mais à des degrés divers d'oxydation; et celte manière de voir semble être justifiée par la différence d'arôme que présente un même tabac, fermenté ou non fermenté, ou plutôt ayant ou n'ayant pas sué. Cette sudation ou fermentation légère a une telle influence, que l'on a pu remarquer que les cigares importés en Europe sont devenus bien souvent meil- leurs pendant la traversée. Mais si une légère fer- mentation est utile, une fermentation trop forte, au contraire , leur serait nuisible : aussi a-t-on grand soin, en général, de ne point embarquer les tabacs par un temps humide. L'arôme du tabac est assez diffusible, et sa poro- sité ou sa propriété d'absorber les odeurs assez grande, pour que des tabacs d'arômes différents, placés ensemble dans un vase bien fermé, finissent par acquérir, au bout de quelques mois, une saveur et une odeur sensiblement uniformes, au point qu'il pourrait être difficile de dire quel est le tabac de tel cru et quel est celui de tel autre. Il y a, ce nous semble, sous ce rapport, quelques perfections à ap- porter dans les procédés de fabrication du tabac et de confection des cigares. Enfin, il est des boissons qui, au dire de quelques amateurs, paraissent favoriser le développement de l'arôme du tabac : tels sont la bière et surtout le café à l'eau. Nous avons vu que les noms de vegueros^ tra- bucos , panetelas , regalias , eic.^ indiquent plutôt des formes de cigares que des qualités. Voici les dé- fauts qu'on reproche à quelques-uns d'entre eux : Le vegueros est fort peu connu. Le trabucos est court et ventru , ce qui fait qu'il ne brûle pas ré- gulièrement et qu'il a l'inconvénient de rapprocher trop le feu des lèvres. Le panetelas, au con- traire, est trop long, trop mince et trop serré pour qu'il puisse donner ù l'air un passage régulier et facile. D'ailleurs, quand il a été fumé à moitié, ce qui reste est assez ramolli par l'humidité pour qu'il lui soit impossible de conserver le feu. Le réga- lia est la forme la plus heureuse; elle n'est ni trop grosse, ni trop grêle, hi longueur est convenable et c'est aussi celle qui plait le mieux aux amateurs. Cigares de Manille. Us sont d'ordinaire excellents et, quand ils sont bien choisis et de qualité supé- rieure, ils peuvent rivaliser avec les meilleurs ci- gares de la Havane. Malheureusement ils sont assez chers pour qu'ils ne puissent pas être abordés par le commun des consommateurs. Ciijarcs de Saint-Vincent. L'Ile de Saint-Vincent produit un tabac des plus estimés dont on se sert pour faire les cigares de ce nom. Ils ont une odeur suave, balsamique, qui les fait facilement reconnaî- tre. Un fil de soie lie l'une de leurs extrémités. Ils sont peu employés en Europe, mais les dames créoles se plaisent à les savourer. Bouts de nègres. Sous cette dénomination, on en- tend parler de longs cigares faits avec de longues feuilles de tabac roulées, fortement pressées et pres- que tordues. On se sert pour les fabriquer des der- nières qualités du tffbac de Virginie. Us sont longs, minces et très-noirs. Leur fumée est très-forte et très-àcre. Les nègres seuls les consomment dans les colonies. Cliiroutes. Ce cigare n'est autre que le cigare pri- mitif dont nous avons déjà parlé. Ses dimensions sont colossales. 11 serait impossible à un Européen de fumer une chiroute entière. Il n'y a que les personnes dont le palais est blasé par le tafia ou autres liqueurs qui puissent entreprendre de fumer un pareil cigare. Comme une chiroute reste allumée des heures entières, les fumeurs la prennent , la quittent et la reprennent par intervalles sans qu'ils aient besoin de la rallumer. Enfin, depuis quelques années, l'Algérie fabrique des cigares qui sont d'une excellente qualité et bien supérieurs à ceux que l'on fabrique communément en France. Peut-être cela tient-il à ce que le tabac dont ils sont faits est ou mieux choisi ou d'une meilleure qualité que celui que l'on cultive en France ; peut-être encore les ouvriers, presque tous espa- gnols, qui les fabriquent, excellent-ils dans ce genre de travail; toujours est-il que les cigares d'Alger sont généralement reconnus comme supérieurs aux nôtres. On en trouve même de très-passables à cinq centimes (Barthélémy). Les cigares d'Alger ont un petit goût de café brûlé qui ne déplaît pas à la plu- part des fumeurs. Les cigares de la Corse ^ petits, pointus, qui se vendent en Cc/i'se huit sous le paquet de vingt- cinq, sont aussi des cigares parfaits que la régie devrait bien mettre à notre disposition. « Pour ce qui est de la Suisse, de l'Allemagne, de la Belgique, dit l'auteur de la Physiologie du fumeur [i], point d'échanges , point de transactions. Le cigare de Hambourg est un gros faiseur d'em- barras, qui a du corps et rien de plus ; le cigare de Belgique est grêle ou dodu à volonté, et, placé à notre frontière, il s'introduit facilement avec des airs exotiques qui ne lui vont pas ; le cigare suisse est brutal , âpre à la gorge , et se fume de travers quand il se fume. » (1) Paris, Krnest Bourdin, éditeur. Choix des cigares. Le choix des cigares n'est pas une chose très-facile; il faut un examen scrupuleux, une grande habileté qui ne s'acquiert que par l'ha- bitude. Voici d'excellents préceptes que nous em- pruntons à l'illustre auteur de V Art de fumer (1) : « Rejetez tout sujet dont reuveloppe est rude, » Inégale, rugueuse, imitant le velours, » Ceux qui sont à la main trop légers ou trop lourds, » Surtout ceux où l'on voit, pour funestes indices, » Des côtes serpenter en forme de varices, » Et ceux de qui le teint, diapré d'un vert faux, » D'un mal intérieur accusent les défauts. » Entre tout ce qui passe en vos mains vagabondes, » Prenez les jaunes-bruns semés de taches blondes, » Signe à peu près certain d'éminente bonté, » Que l'acide imposteur n'a jamais imité. » De tout cigare humide abominez Fusage : I) Ainsi quand la marchande, au gracieux visage, » Pour honorer en vous un illustre fumeur, » D'un paquet odorant vous offre la primeur, » Avant tout examen donnez la préférence » Aux neuf ou dix serrés à la circonférence; » L'air en les effleurant a séché ce contour » Mieux que l'intérieur qui ne voit pas le jour. » Ajoutons qu'il faut avoir soin de rejeter ceux qui ont le bout tourné trop gros, ceux qui sont trop nouveaux ou humides; ceux qui ont la robe ou feuille enveloppante endommagée soit par des dé- chirures, soit par des trous à peu près impercep- tibles, soit enfin par un défaut d'adhérence de ses bords. Un cigare bien fait doit offrir partout une (1) VArl de fumer ou la pipe et le cigare, par Barthé- lémy, Bruxelles 1844, p. 43 et 44. — 192 — égale résistance aux doigts qui le pressent, une parfaite égalité de forme et une enveloppe qui ne soit pas trop serrée, sans cela il serait très-difficile à fumer. Un cigare d'ailleurs n'est bon, disent les Espagnols, qu'autant qu'il a eu trois fois la fièvre. Les véritables amateurs ont grand soin de les laisser vieillir une ou plusieurs années. FABRICATION DES CIGARETTES. La fabrication des cigarettes [cigarros] est assez importante à la Havane, les créoles de cette ville et l'Espagne en faisant une assez grande consom- mation. On les fabrique avec les débris du tabac qui a servi à la confection des cigares ; il s'ensuit qu'elles sont en rapport de qualité avec les cigares de la même maison. On commence par broyer le tabac et par le passer au crible. L'ouvrier place sur ses genoux une boite plate contenant la poudre grossière de tabac, et à sa gaucbe le papier pré- paré. Il prend le papier, y met le tabac et roule la cigarette absolument comme nous le voyons faire en France, mais avec une dextérité que peut seule donner une grande habitude. D'ailleurs, son pouce droit est muni d'un dé en fer très-propre à favoriser ce genre de travail, en ce qu'il arrête solidement les plis qui terminent la cigarette à ses deux extré- mités. On a calculé qu'un bon ouvrier pouvait faire jusqu'à 4,500 cigarettes par jour, que l'on dispose ensuite par paquets de 30 [cajetilla). Depuis quelques années la régie cherche à ex- ploiter cette nouvelle hranche de produits. Si cette exploitation avait le succès qu'elle en attend, ce serait pour elle une augmentation assez importante de revenus, car avec un kilogramme de scaferlati en tahac du Maryland ou du Levant, qui coûte 12 fr., on peut faire, au dire de M. Barrai, 750 cigarettes, dont la vente, à raison de 5 centimes la pièce, pro- duirait la somme de 37 fr. 50 c. , c'est-à-dire trois fois au moins la valeur fictive de la matière première employée à les faire. Afin de donner à ces cigarettes une qualité supérieure à celles que fa- briquent les consommateurs ordinaires, qui les font avec des papiers plus ou moins purifiés, elle a ou l'idée de faire fabriquer un papier spécial avec les côtes du tabac; mais nous ne sachions pas que ces tentatives aient encore été couronnées d'un plein succès. Quoi qu'il en soit, la fabrication des cigarettes est un amusement pour les doigts des amateurs, et pour que la régie puisse leur faire une sérieuse concurrence, il faudra qu'elle consente à en baisser considérablement les prix ; autrement, ne pouvant empêcher les fumeurs de les faire eux-mêmes, elle courra le risque de voir accumuler et vieillir dans ses magasins celles qu'elle aura produites. 13 194 FABRICATION DES ROLES. Celte fabrication a beaucoup d'analogie avec celle des cigares ; elle donne deux sortes de produits : 1° les rôles à l'usage des fumeurs, donU'emploi de- vient de plus en plus rare ; 2» les rôles de tabac à mâcher Ces derniers se partagent eux-mêmes en deux espèces : les rôles menus-filés, de première qualité, faits seulement avec des feuilles de Virginie pures, et les gros rôles, qui ne sont faits qu'avec des tabacs communs. La fabrication des rôles à l'usage des fumeurs présentant très-peu d'intérêt, nous ne nous occuperons ici que de celle des rôles de tabac à mâcher, que l'on cîésigne aussi sous les noms de tabac tordu et de tabac bilon Elle se compose de cinq opérations distinctes : le Jilacje, le rôlage, le passage à la ivresse, le ficelage et la mise à l'é- luve. {" Filage. Le filage se fait au moyen d'un rouet qui se compose d'un simple cylindre de bois, mo- bile suivant deux axes perpendiculaires l'un à l'au- tre, afin qu'il puisse servir à la fois â filer et à reuviJer les rôles. L'ouvrier fileur roule les feuilles de tabac les unes au bout des autres comme s'il s'agissait de faire un cigare sans fin. 11 a avec lui trois aides. Le premier apprête les feuilles en éche- veaux plus ou moins gros, suivant la grosseur que le rôle doit avoir; le deuxième prépare les robes, etc.; et le troisième, à un signe qu'il lui fait, tourne la manivelle du rouet; pendant ee temps, lui, il ap- puie le boudin sur une table, afin de le comprimer. Lorsqu'il y a une certaine longueur de boudin de filé, l'aide qui tenait la manivelle fait tourner le rouet suivant l'axe qui convient pour envider, après quoi on recommence une autre longueur et ainsi de suite. Faisons observer dès à présent que ce mode de filage n'est mis en pratique que pour les gros rôles, les plus petits étant d'abord filés par des ouvrières, au moyen d'un rouet, puis envidés en rôles par d'autres ouvriers spécialement chargés de ce tra- vail. 2° Rôlnge. Quand le rouet est rempli, on dévide sur des chevilles en bois le tabac qu'il contient, de manière à en faire des rôles d'un kilogramme, d'un demi, d'un quart ou d'un huitième de kilogramme, dont on attache les bouts avec de la ficelle : c'est l'opération du volage. 3» Passage à la presse. Quand les rôles sont préparés, on les introduit dans des moules cylin- driques de dimensions convenables et rangés sur une table, de telle façon que les cylindres de bois, percés suivant leur axe pour laisser passer les che- villes autour desquelles le tabac est enroulé, pénè- trent dans les moules et puissent y peser sur les rôles. La table étant ainsi couverte, on la glisse sous le plateau mobile d'une presse hydraulique, qu'on fait mouvoir jusqu'à ce qu'il soit sorti des moules une certaine quantité de jus de tabac. 4* Ficelage. Cette opération terminée, les rôles sont retirés des moules et portés à l'atelier de fice lage , où on enlève les chevilles , que l'on remplace par une ficelle plombée, destinée à prouver leur in- — 196 — tégrilé, lorsqu'ils sont passés par les mains des débi- tants. 5° Mise à l étuve. Enfin il ne reste plus qu'à sé- cher les rôles, ce qui se fait en les plaçant dans une étuve modérément chauffée, comme on le fait pour le scaferlati et pour les cigares. Ce sont ces rôles ou rouleaux que, du temps de la ferme générale, on nommait tabac andouille. On nommait encore : Tabac de Dieppe ou pelit briquet, un tabac en corde noir et menu ; Tabac de Caimastre, celui qui était très-sec, de couleur feuille morte et dont la corde était au plus grosse comme le doigt. On connaissait encore les tabacs en corde de Hollande et de Vérine, qui étaient plus estimés, le dernier surtout , que les autres espèces. Enfin on connaissait les rôles ou tabac dl Bré- sil , qui étaient noirs , de la grosseur du petit doigt, et qui sont aujourd'hui plus particulièrement remplacés par l'espèce suivante. Ces rôles étaient couverts d'un cuir vert qui les conservaient parfaite- ment. figues du BRÉSIL. Sous cc noui on désigne des petites masses de tabac qui ont subi une forte pres- sion. Elles ne sont employées que comme tabac à chiquer; leur saveur est plus forte et plus acre que le tabac à mâcher ordinaire, et leur propriété enivrante plus grande. Les marins qui font les voya- ges aux longs cours s'en servent fréquemment; ils leur attribuent une propriété antiscorbutique plus grande. Elles sont si fortes qu'il serait impossible à un Européen de les employer impunément. Le tabac en corde est regardé connue d'une ex- cellente qualité quand il offre une coupe belle, luisante, une odeur agréable et un parfait état de conservation. Toutes ces sortes de tabacs étaient ob- tenues à l'aide de sauces diverses dont nous parlons plus loin. FABRICATION DES CAROTTES. La fabrication des carottes est .la même que celle des rôles, si ce n'est qu'au lieu de mettre le tabac filé en rôles on le met en carottes, ce qui se fait en coupant les bouts qu'on déroule de dessus le cylin- dre en parties égales et qu'on rassemble au nombre de huit pour les comprimer dans un moule et les ficeler ensuite lorsque la pression leur a donné une certaine consistance. Les carottes de Hollande , de Saint-Vincent et de Saint-Omer ont, pendant quelque temps, surtout les premières, joui d'une réputation qui s'éteint chaque jour davantage. Voici, selon Heiter (1), la manière de les préparer : Lsi fabrication des véritables carottes de Hollande se fait uniquement avec des feuilles exotiques; eHe est pour ainsi dire la même que celle des autres ca- rottes; la différence consiste en ce que l'on arrose seulement ces feuilles avec la sauce au lieu de les tremper dedans, comme les feuilles indigènes, avant de les mettre dans des caisses de fermentation. Au (0 Mémoire sur le tabac. Paris, 1806. - 198 — bout de. dix à douze jours, on les change de caisse et on les y laisse encore dix à douze jours, de sorte qu'elles ne subissent en tout que vingt à vingt-quatre jours de fermentation. Enfin on met en carotte à la manière ordinaire, puis à la presse, etc. En sortant des presses, on les remet, à un faiseur de carottes jtointues, qui les enveloppe dans un linge et les lie comme ces dernières. On les laisse ainsi enveloppées et serrées avec une corde pendant six jours, et on les délie ; elles sont alors très-unies et rondes; il n'y a plus qu'à les ficeler, leur ajouter la vignette et les ébarber. 100 kilog. de feuilles sèches rendent, par les in- grédients qu'on y ajoute, environ 120 kilog. de tabac en carottes. 11 est à remarquer que les feuilles de Virginie, destinées pour la fabrication des carottes de Hollande, sont toujours molles , ce qui tient à ce qu'elles ont été arrosées avec de l'eau salée ou de l'eau sucrée. Les véritables carottes de Saint -Vincent et de Saint- Omer se fabriquent comme celles de Hollande et avec les feuilles de tabac de Virginie ; il n'y a que la sauce et leur façon qui les distinguent (Heiter). Le fameux tabac dit Bo'ongnro, n'était autre qu'un tabac composé uniquement de Virginie, que l'on tirait de la Hollande, et qui affectait la forme de carottes d'un et demi, de deux, de deux et demi kilog. ou de pains de douze kilogrammes et demi. 11 ne servait qu'à faire le tabac à priser. Dans la plupart des provinces de l'Auiérique. la pré])aration du tabac est des plussi'iiples, puisqu'elle ne consiste presqueuniquement que dans la dessicca- tion des feuilles que l'on réunit ensuite, selon de cer- taines précautions , en manoques qui sont ensuite livrées telles quelles au commerce. Cependant, ({uelquefois aussi on les façonne en ca- rotte, soit pour l'usage des habitants du pays , soit pour les exporter. A part de très-légères modifica- tions, ces carottes se préparent de la manière sui- vante, qui est celle que nous empruntons à M. Alf. Demersay : Quand le temps est humide , les feuilles s'assouplissent et sonj; alors plus faciles à travailler; c'est donc ce temps que l'on choisit pour la fabrica- tion des carottes. Des ouvriers spéciaux détachent les feuilles des manoques, les réunissent une à une dans la main gauche jusqu'à ce qu'elle soit pleine; alors ils les pressent peu à peu en allant de la base au sommet, ce qui les fait fortement adhérer ensemble. On fait ainsi une certaine quantité de paquets (manqjos) que l'ouvrier renferme au fur et à mesure dans une peau de mouton sur laquelle il s'assied. Puis ces paquets sont rangés dans des coffres que l'on remplit exac- tement pour y être fortement comprimés à l'aide de pierres ou de morceaux de bois. Au bout de quelques jours, toujours par un temps humide, on procède à la confection des carottes. (( Chaque ouvrier, dit M. Demersay, prend trois pa- quets ; il les malaxe, les réunit et les malaxe en- core. L'extrémité la plus grosse reçoit alors plusieurs tours de corde rapprochés les uns des autres, et après avoir attaché à son pied la corde nécessaire à l'en- roulement du reste, il presse de nouveau la carotte dans tous les sens et lui donne la plus grande ré- gularité possible. Puis il enroule la corde dont les tours d'abord placés à distance égale les uns des autres, finissent par se toucher au moment où il les arrête. « Les carottes, liées deux à deux, sont placées sur les perches, où elles restent plusieurs jours. Bientôt l'humidité qu'elles pouvaient retenir a disparu. On les rentre et on les conserve dans des coffres de cuir {petacas). Le volume des paquets est arbitraire, mais en général trois forment une carotte de 1 kilog. » A Villa Rica, leur poids est plus faible ; il est régu- lièrement de 750 grammes , car on pèse les feuilles qui entrent dans leur composition. FABRICATION DU TABAC EN POUDRE, DIT TABAC A PRISER. Cette fabrication est celle qui présente les mani- pulations les pins compliquées. Dans ce travail, la fermentation devient indispensable, et c'est à cette particularité que notre tabac français doit sa supé- riorité sur ceux qui se préparent à l'étranger. Il n'existe en France que dix manufactures dans lesquelles se fabrique l'énorme quantité de tabac (17 millions de kilog. au moins), qui s'y consomme annuellement. La manutention ayant lieu sur d'im- menses quantités, le tabac y trouve des conditions meilleures pour arriver à une parfaite fermentation. Nos manufactures fabriquent un assez grand nom- bres de qualités de tabac à priser ; lautefois il n'y en a qu'une dont la fabrication soit très-importante, c'est celle de la poudre ordinaire , qui se compose essentiellement d'environ 75 0/0 de tabac indigène, et 25 0/0 de tabacs étrangers. On y fait entrer toutes les feuilles qui , ayant subi un commencement de fermentation, ont été rebutées de la fabrication du scaferlati, des cigares et des rôles, et de plus tous les tabacs qui proviennent des saisies faites sur la con- trebande. Selon M. Cb. Renier, les feuilles, après le mouillage, y sont soumises aux opérations suc- cessives désignées par les noms de hachage , fer- mentation en masse ^ moulinage o\x pulvérisation , tamisage^ fermentation en caseii, niise en tonveavx ou en paquets. 1° Hachage. Cette opération, destinée à donner du tabac en poudre, n'a pas besoin de produire des filaments aussi ténus que celui de la fabrication du scaferlati; aussi se fait-elle plus rapidement avec une macbine particulière qui se compose, sans parler des diverses communications de mouvement, d'une roue rapidement mobile autour de son axe, à la circon- férence de laquelle sont rangés plusieurs couteaux, et d'une toile sans fin destinée à amener les feuilles à ces derniers. Le tabac bacbé tombe dans l'intérieur de la roue. 2° Fermeritatinn en masse. Dans cette opération, on commence par faire un mélange des diverses qualités de tabac dont la poudre doit se com- poser, et on termine par l'exposition pendant un temps assez long de toute la matière disposée en tas de 20 à iO,000 kilog., dans de grandes salles construites pour cet usage. Bientôt, au sein de cette masse, se développe une fermentation qu'on accélère en plaçant au milieu une certaine quantité de feuilles déjà fcrm entées. On abrège ainsi un peu le temps de la fabrication de la poudre, qui demande quel- quefois jusqu'à quinze ou seize mois. Au centre de cbaque tas on place un tube en bois qui permet d'en vérifier la température, par l'introduction d'un tber- momètre. Au bout de dix à quinze semaines, la tem- pérature a atteint 70 à 80°, et elle pourrait devenir assez forte pour carboniser le tabac et l'amener à l'état à'Innmis , ce que l'on empêche en pratiquant des tranchées dans les tas pour les refroidir. On dispose ces las de manière à remplir presque entiè- rement les salles où ils se trouvent, et qui restent constamment fermées. Les phénomènes qui se pro- duisent pendant cette première fermentation sont la disparition de tout l'acide du tabac (1) et le dégage- ment du carbonate d'ammoniaque qui en constitue le montant. On empêche l'arrivée de l'air sur les masses, parce qu'il pourrait contrarier ces pbéno mènes et même donner lieu à une fermentation acide. 3° Pulvérisation ou moulinage. Quand la fermen- tation est terminée, on porte le tabac dans des mou- lins où il est réduit en poudre. Ces moulins se com- posent de deux cônes dont l'un est fixe et l'autre mobile; ils sont emboîtés l'un dans l'autre. Ces cônes portent tous les deux, le premier sur sa surface intérieure, et le second sur sa surface extérieure, des lames hélicoïdales qui aboutissent à leur sommet. Le second cône est animé, autour de son axe, d'un mouvement rotatoire de va-et-vient, qui lui permet d'appuyer ses lames contre celles du ]3remier, tan- tôt dans un sens et tantôt dans l'autre. Le tabac de- venu plus friable par la fermentation, et se trouvant, entre- les deux systèmes de lames, alternative- ment serré et desserré, se réduit en poudre et tombe en cet état par la partie inférieure du cône fixe, (l)L'acidemaliqueounicotique qui sont ceux que l'analyse a démontrés dans les feuilles du tabac, étant des acides organi- ques, sont très-facilement décomposables par la fermentation. percé d'une ouverture convenable. La poudre, d'a- Wd grossière, passe successivement dans d'autres moulins où elle finit par acquérir le degré de finesse voulue. On a calculé qu'il fallait qu'elle passùt, en moyenne, dans douze moulins avant d'avoir atteint le degré de ténuité que l'on recherche. h° Tamisage. Cette pulvérisation terminée , on procède au tamisage, opération qui se fait au moyen de tamis animés d'uli double mouvement de va et- vîent, obtenu à l'aide d'excentriques mus par le moteur de la manufacture. Cette opération a pour objet d'obtenir des grains de grosseur convenable et égale; car ceux qui restent sur les tamis sont repris par un cylindre à vis sans fin qui les dirige de nou- veau vers le moulin oîi ils subissent une seconde pulvérisation. 5° Fermentation en cas"s. Le tabac , réduit en poudre assez fine, est alors soumis à la fermenta- tion en cases, pendant laquelle se développe Y arôme. C'est l'opération la plus longue, puisqu'elle demande sept à huit mois pour être complète. Ces cases sont des cellules de 20 à 30 mètres cubes, fermées de tous côtés par des planches et des madriers de chêne, où on case la poudre, qui s'y entasse en masse de 20 à 35,000 kilog. La température s'y élève, comme pendant la première fermentation , successivement, mais avec lenteur, jusqu'à la limite de 40", où le but de l'opération est obtenu. 6° Mis" en tonneaux ou en paquets. Dès que la fermentation est achevée, on n'a plus qu'à défaire la case et à enlever le tabac pour le mettre en ton- neaux ou en paquets, selon qu'il doit être gardé en magasin ou livré aux entreposeurs. La mise en tonneaux ou en paquets n'offre aucun intérêt parti- culier, si ce n'est qu'en la pratiquant on fait quel- quefois des mélanges de différentes sortes de tabac, pour satisfaire le goût de certains consommateurs. En sortant des manufactures, les tabacs vont ali- menter les magasins de trois cent cinquante-sept entreposeurs, sur leurs demandes. L'entreposeur ne peut faire ses demandes qu'à une seule manu- facture, quand il s'agit de tabacs ordinaires. L'ad- ministration, en prenant cette mesure, a voulu que toutes les manufactures pussent toujours écouler leurs produits à mesure qu'ils se fabriquaient et éviter des encombrements qui pourraient résulter de causes diverses , capables de jeter quelque défaveur sur les tabacs de certaines manufactures. Les débitants s'adressent aux dépositaires pour s'approvisionner. TABACS COMPOSÉS, COLORÉS OU PARFUMÉS. Les procédés employés pour obtenir le tabac, tels que nous venons de les décrire, sont les seuls qui soient aujourd'bui en usage dans les manufactures de France." Autrefois, sous le nom de sauces, au lieu d'une dissolution de sel de cuisine , on em- ployait des liquides dont on humectait les feuilles, pendant le mouillage^ dans le but, soit de favoriser la fermentation, soit de les aromatiser. Ces sauces variaient extrêmement, selon les fabriques. Les unes employaient de la mélasse dissoute dans l'eau; les autres, une dissolution de suc de réglisse; ceux-ci. — 205 — de l'eau dans laquelle ils avaient fait bouillir des raisins ou des pruneaux ; oeux-là, des eaux de rose, de \iolette, etc., etc.; et ils parvenaient ainsi à donner des qualités un peu différentes au tabac, qui prenait alors des noms étrangers , tels que sca- ferlati du Le-nnt, de canasse ou cana^ter, d'an- douille de Saint-Vincent ou cigale d'Amérique, de rôle de j}JunUtuban , de Diiqvet du Brésil, etc. On contrefaisait assez bien le macvuba en se servant d'une décoction de racine d'iris de Florence. On sait en effet que ce que l'on nomme ^macouba est un tabac préparé à la Martinique avec une dissolution de sucre brut, qui lui donne une odeur assez voi- sine de l'odeur de la violette (1). Quelquefois ces sauces étaient beaucoup moins simples. Par exemple, les Espagnols, au dire de de Prade (2), pilent les feuilles de tabac les moins belles ; ils les expriment avec force pour en retirer le suc « qu'on fait bouillir avec du vin, faute du- » quel les Indiens se servaient autrefois d'urine. On » laisse cuire ce suc jusqu'à consistance de sirop, » nommé ccddo par les Espagnols ; on y ajoute beau- » coup de sel pour le conserver, et l'on aromatise » avec quelque peu d'anis et de gingembre septen- » trional. » Cette recette est à peu près celle que nous trou- vons dans Magnenus (3), et que nous reproduisons textuellement : « R. Suinmitates foliuque minora tabaci cum (1) L'emploi de ces sauces ))araït être encore mis en pra- tique dans les fabriques de la Havane et de Matance. (2) Hist. du tabac. Paris 1691, p. 16. (3) De tabaro exercitationcs. ffagœ-Comilis, iQ5S. — 200 — » jam flores incipiunl enasci q. s. contunde, et » expresso succo acide. » Vini Malvatici, /tisj). aut getierosi, p. iij. Bul- )) liant iisgue ad despmnationem; tiim : » R. Salis., anisi, zingiberis pulveris, ana ut » salsa fiai rnixtura et aromatizetur probe. Bvl- » liant omnia simul usque ad dimidias, tum re- » frigeseat, et per inclinationem separetur sedi- » menfum (p. 21). » Telle est l'importance que l'on attribuait à ce caldo que Magnenus termine en recommandant , pour sa préparation, de substituer l'hydromel au vin, qui nuit à la tête; le gingembre oriental à l'occiden- tal, qui est acre et moins bon; le sel de tabac au sel marin, auquel il ajoute encore de la cannelle et du fenouil. (Magnenus, loc. cit., p. 23 et 24.) Le tabac ù fumer était aussi et est encore quel- quefois employé, mélangé à d'autres substances qui en font un tabac à fumer composé : u Quelques-uns, dit de Prade, meslent parmi le tabac haché menu dans la boite de la pipe, de l'anis, du fenouil, du bois-saint, du bois d'aloès, de l'iris, du jonc odo- rant, de la sauge, du romarin, ou pour deseicher davantage, ou pour fortifier le cerveau par la vertu de ces drogues qu'ils croyent céphaliques. » (De Prade, loc. cit., p. 135.) Pour donner une idée des modifications qui ont été apportées dans la préparation du tabac à priser, nous croyons utile de rapporter ici une des ancien- nes méthodes que nous empruntons à l'Histoire du tabac , par M. de Prade , qui a particulièrement traité du tabac en poudre : « Les préparations du tabac en poudre sont diffé- rentes, selon les différentes méthodes des artistes: mais celies-cy sont saiis doute les meilleures. « On prend, par exemple, 60 livres de tabac de Virginie et 40 livres de celui de Saint-Cliristotle; on en élend les feuilles ; on les met infuser dans dix pintes d'eau commune et trois pintes d'eau de méli- lot, dans une bassine de cuivre rouge ou de terre de Beauvais, pendant vne nuit; on les presse ensuite .avec les mains autant qu'il est possible; on les fait sécher étendues à l'ombre sur vne toile dans vne chambre ou dans vn grenier où le soleil ne donne point; on les réduit en poudre dans un mortier de fonte et on les sasse dans des tamis de soie ou de crin plus ou moins fins , selon qu'on désire le grain du tabac ou plus gros ou plus menu. » Ensuite on verse ce tabac en poudre dans une quantité suffisante d'eau de fleurs d'oranger et une huitième partie d'eau commune filtrée, aj)rès qu'on y a fait bouillir du bois d'Inde ou de l'orcanette, et trois fois autant de santal citrin concassez au mortier, jusqu'à la consommation d'vn quart de l'eau. Lors- que ce tabac a infusé cinq ou six heures, et qu'il a esté bien remué etpaistry dans son bain, on en forme de grosses boules pressées avec les mains, le plus qu'on le peut, pour en faire sortir l'eau; et enfin on les fait sécher pendant deux jours étendues sur du papier alîermi d'vne tuile collée par dessous et bandée sur vne claye d'osier ou sur vn grand châssis. » Première façon de le parfumer. « Quand ce ta- bac est sec et broyé légèreiiiCnt dans le mortier, on l'arrouse d'eau d'Ange ; on le remue longtemps, afin qu'il la reçoive également ; on l'expose à l'air pendant vn jour ou deux estendu sur la toile pré- parée jusqu'à tant qu'il soit presque sec et qu'il ait pris son parfum ; on le sasse plus d'vne fois avec un tamis afin qu'il se graine mieux ; et enfin on le remet sur la toile afin qu'il y sèche parfaitement. » (De Pî-ade, p. 130 et suiv.) Ainsi on avait alors l'habitude de le parfumer, soit avec des fleurs d'oranger, de jasmin, de roses, de tubéreuses, etc., soit avec du musc, de l'ambre gris et de la civette, soit avec des essences agréa- bles à l'odorat. Aujourd'hui la régie se contente de fabriquer le tabac en poudre, et les amateurs l'aro- matisent à leur gré, le plus souvent avec une fève de tonka, qui n'est autre que la graine du Couma- rouna odorata. Aub. ou D/pterix odorata, Wild. Enfin on avait encore l'habitude de faire des ta- bacs composés, en y mêlant des poudres de feuilles pulvérisées d'euphraise, de bétoine, ou des poudres de pyrèthre, de cyclamen, de ISigella sativa et da- mascena, de gingembre, de poivre, de girofle, de cubèbes, de cumin, de moutarde, d'angélique, de bois-saint, d'ellébore, d'euphorbe, aromatisées le plus souvent avec l'essence ou la poudre de stœchas; mais ces tabacs étaient plus particulièrement em- ployés comme de violents sternutatoires. (De Prade, loc. cit., p. 125 et 126.) Voici maintenant, d'après Brunet (1), la méthode qui était employée de son temps pour fabriquer, co- lorer et parfumer le tabac à priser : n Pour avoir du tabac à plusieurs sortes de grains, après l'avoir médiocrement pilé, on le sasse avec des sas dont les toiles sont plus ou moins serrées, selon la grosseur des grains que l'on demande; et pour lui donner la couleur, on prend de l'ocre jaune ou rouge de la grosseur d'un œuf, on y ajoute un peu (1) Le bon usage du tabac en poudre, par Brunet. Paris, 1700. — 209 — de blanc de craie pour modérer la couleur ; on broie bien le tout sur le marbre avec environ demi-once d'huile d'amandes douces; on y verse de l'eau peu à peu en broyant toujours, afin qu'elle s'incorpore bien avec la couleur, après quoi on range la couleur sur un coin du marbre ; ensuite on broie deux cuil- lerées de gomme adragante détrempée, que l'on mêle et que l'on broie avec la couleur, y ajoutant de l'eau en quantité nécessaire pour les bien con- fondre ensemble, et puis on met le tout dans une terrine et on augmente l'eau de "plus en plus jus- qu'à une pinte, en remuant toujours; on prend en- suite ce que l'on veut de tabac purgé qu'on met dans une terrine où l'on répand de la couleur ci-dessus parmi le tabac ; on mêle exactement le tout avec les mains en faisant une pâte qui ne soit pas trop li- quide , et on laisse ainsi le tabac avec la couleur jusques au lendemain qu'on le met sécher sur des toiles au soleil, ayant soin de le remuer à mesure qu'il séchera, et on le frotte enfin avec la gomme, dont voici la composition : » On broie sur le marbre de la gomme adragante détrempée avec de l'eau de senteur ; étant bien broyée on y ajoute peu à peu de l'eau en broyant, en sorte qu'elle soit fort claire, et pour plus grande commodité on la met dans une terrine , afin d'y pouvoir adjouter de l'eau suffisamment ; ayant hu- mecté le dedans de ses mains avec cette gomme, on en frotte le tabac jusqu'à ce qu'il soit tout gommé, et pour lors on le laisse sécher en le remuant de moment en moment; quand il est sec, on le sasse avec un sas très-fin, pour en séparer la couleur qui ne s'y sera pas attachée, ce qui étant achevé on le parfume avec les fleurs ou avec telle odeur que l'on veut. » (Brunet, loc. cit., 46 et suivantes.) 14 Ces différentes manières de parfumer le tabac donnaient lieu à autant de tabacs de noms différents, tels sont les tabacs de mille fleurs, ^Espagne, de cédrat^ de bergamote, de néroU, de Pongibon , musqvé, à la pointe d'Espagne, en odeur de Rome, en odeur de Malte, ambré, de Gênes (noir et blanc), etc. (Voir Brunet, loc. cit.) ; mais qui étaient aussi bien souvent le prétexte d'une falsification êhontée. C'est ainsi que, sous le nom de tabac de Malte, on vendait un tabac dans lequel on faisait en- trer des poudres de racine de rosier et de réglisse. RRGHERGHES CHIMIOUES SUR LE TABAC. Pour se rendre compte des réactions qui se pro- duisent pendant la préparation du tabac, il est bon de connaître la constitution chimique des feuilles du tabac. Les chimistes anciens, qui ne connaissaient pas les méthodes d'analyse que nous possédons aujourd'hui, ne trouvaient guère autre chose dans les plantes que des produits volatils et des produits fixes : les premiers prenaient les noms de soufre, d'esprit, d'huile exaltée; les autres se nommaient cfl/>w^ mor- tiiutn ou sel, selon les propriétés qu'ils reconnais- saient à ces corps. Or le tabac était une substance reconnue birn complexe, puisqu'il contient, au dire de de Prade (1) : « Beaucoup de souphre, de sel et (1) Loc. cit. p. 165. d'esprit ; et son soupbre n'est autre chose qu'vne matière huileuse, divisée en petites branches si déliées et si pressées les vnes contre les autres, qu'elles ne le peuvent être davantage. » En 1809, Gaspard Cerioli {Giornak bibliogr. uni- vers.) a donné un essai d'analyse duquel il déduit que le suc des feuilles de tabac, Mcotiana Tabacuin^ Var. a latifoUa, contient : Acide gallique. Tannin. Extrait oxygéné. — muqueux. Muriate de chaux. Huile volatile. Cette analyse très-imparfaite serait insuffisante pour rendre compte des phénomènes chimiques qui se passent pendant sa préparation. Plus tard, Vauquelin a fait connaître une analyse plus complète des mêmes feuilles de tabac et, d'après ce savant, elles seraient formées de : Matière animalisée rouge, soluble dans l'eau et dans l'alcool. Pnucipe acre particulier, soluble dans l'eau et dans l'alcool (nicotine). Principe volatil incolore {nicoiianine). Résine verte. Albumine. Ligneux. Acide acétique. Azotates de potasse et d'ammoniaque. Chlorure de potassium. Et en plus, dans le tabac du commerce, de car- bonate d'ammoniaque paraissant provenir de la décomposition qui s'opère entre la chaux et le — 212 — muriate d'ammoniaque mêlé au tabac pour lui donner du montant. Selon MM. Posselt et Reimann, 10,000 parties de feuilles fraîches du Mcotiana Tabacum contiennent : Nicotine (base alcaline) 6,0 Nicotianine (huile volatile particulière). . 1,0 Extractif faiblement amer 287,0 Gomme mêlée d'un peu de malate de chaux 174,0 Chlorophylle 26,7 Albumine végétale 26,0 Gluten 104,8 Acide malique 51,0 Chlorhydrate d'ammoniaque j Chlorure de potassium l 82,2 ÎSitrate de potasse et quelques autres sels ) Amidon des traces Fibre ligneuse 496,9 Eau 8828,0 D'après ces auteurs, 10,000 parties de ces feuilles renfermeraient 16,6 de phosphate de chaux. Les racines du tabac, comme celles du froment, s'empa- rent donc de ces sels contenus dans le sol; mais M. Liebig dit que cependant le tabac les lui rend, parce qu'ils ne sont pas indispensables à son déve- loppement (1). On peut facilement se rendre compte de ce qui se passe dans le travail manipulatoire que l'on fait subir aux feuilles de tabac pour l'amener à pré- senter les qualités qu'on recherche en lui : pendant la fermentation dont nous avons parlé, et qui se (1) Ch A 3 heures moins i minute, on dépose sous la peau de la cuisse, comme dans l'expérience pré ■ cédente, deux gouttes de nirotine. Au bout de 30 secondes, l'animal agite les oreilles avec une vivacité singulière; sa respiration s'accé- lère. 11 est pris d'une roideur générale , comme té- tanique, et il tombe sur le flanc. Les pupilles sont très-dilatées. Des convulsions surviennent de temps en temps; puis les muscles semblent se relâcher. L'animal est mort au bout de 3 minutes. » Sur-le-champ la poitrine est ouverte. Le cœur présente à peine quelques contractions des oreil- lettes. — Les muscles de la mâchoire offrent un léger frémissement. » Les poumons n'offrent rien de particulier; ils surnagent. » Vessie vide. » Un peu de sang conservé dans une petite cap- sule n'a présenté, le lendemain, rien de particulier. " HnUièiiie expérience, sur un chat. » G gouttes de nicotine lui sont insufflées dans la gueule. » 30 secondes. Souffle, agitation des oreilles. .) r minute. Convulsions violentes, roideur, im- mobilité; puis résolution générale. «. 2 minutes. Mort. n Dixième expérience , sur un chien de moyenne taille. » 8 gouttes de nicotine sont déposées au rentre d'une, boulette de chair à saucisse et poussées dans l'œsophage. » 30 secondes. Roideur générale , convulsions violentes. » 1 minute 30 secondes. Sur le flanc, immobile, respire à peine. » 2 minutes. Yeux fixes, insensibles, quelques secousses des muscles. )) 4 minutes. Résolution générale; à peine quel- ques mouvements des flancs. » 5 minutes. Plus aucun mouvement. Mort. » Onzièînc expérience, sur un gros chien. » Six gouttes de nicotine, étendues dans 20 gram- mes d'eau , sont portées dans l'estomac au moyen d'une sonde. » 20 secondes. Souffle et urine. » 1 minute 30 secondes. Vomit une partie du liquide. » 2 minutes. Tombe sur le flanc, immobile; on observe seulement quelques mouvements de la mâchoire. » 3 minutes. Se roidit et s'allonge; salive; roi- deur tétanique générale. » 4 minutes. Cherche à se relever et retombe; persistance du tétanos ; secousses. » 5 minutes. Le bruit et les attouchements renou- vellent ces secousses. » 6 minutes. Immobile; respiration lente et régu- lière ; état calme. » 9 minutes. Agitation du tronc; tortillement, comme, des coliques, ronflement de douleurs. » 12 minutes. Même état. » 15 minutes. Dressé sur ses pattes, il retombe. » 20 minutes. Couché, sans mouvement, respira- tion calme et lente. Rend un peu d'urine. » Reste dans\. cet état une heure environ et meurt. " A l'ouverture, on trouve l'estomac rouge et in- jecté à l'extérieur et à l'intérieur; sa muqueuse enflammée ; le cœur, également injecté, contient du sang; le foie gorgé; de l'urine dans la vessie. » Ces expériences suffisent pour établir que la nico- tine est un poison violent, d'une énergie singulière, jusqu'à un certain point comparable à celle de l'a- cide prussique (Mêlier), et qui tue à la dose de 6 à 8 gouttes un chien de forte taille, surtout quand elle est portée dans l'estomac. Ces expériences confirment aussi la propriété diurétique du tabac annoncée par plusieurs médecins, et entre autres, Fo^Yler, Fou- quier, etc C'est ici que l'on peut rapporter les observations suivantes, dues aux mêmes commissaires. En général, les fleurs, dont les ouvrières des manufactures de tabac aiment à s'entourer, se conservent fort mal et se fanent promptement. Pour savoir à quoi s'en te- nir sur cette action des émanations du tabac, ces messieurs ont fait placer un oranger dans une des salles de fermentation; la température était égale à 25 degrés centigrades. Six jours après, l'oranger avait perdu ses feuilles, une seule lui restait, et ses pousses étaient coinine séchées; il paraissait mort. Un pied de chrysanthème place à côté de l'oranger a subi le même sort. Dans une autre expérience, des résultats analogues se sont présentés. Ainsi un oranger placé dans un pot, un rosier du Bengale et une primevère de Chine ont été mis sur une tablette, en face du jour, dans une salle de fermentation où le thermomètre mar- quait 14 degrés. Bien qu'on eût eu soin de les arroser, quatre jours après le rosier parut mort; feuilles et fleurs étaient fanées ; une peîite secousse suffit pour les faire tomber. Il en est de même de la primevère; l'oranger résiste. A quoi faut-il attribuer ces effets? se demande M. Mêlier; est-ce à la nicotine? est-ce aux diffé- rents gaz qui se dégagent dans la fermentation, et en particulier à l'ammoniaque? est-ce au défaut d'oxy- gène? Peut-être à toutes ces causes réunies, jointes à un défaut de lumière solaire, indispensable à toute bonne végétation. Néanmoins, il faut ajouter qu'un lapin et des se- rins ont pu séjourner pendant longtemps dans les salles de fermentation, sans éprouver rien d'appré- ciable. (Mêlier.) Enfin, en 1850, un procès, malheureusement cé- lèbre, celui du comte de Bocarmé, est venu con- firmer ces propriétés toxiques; mais cette fois sur l'homme. 11 est résulté des débats et d'expériences analogues à celles que nous avons rapportées , faites par M. Stas, professeur de chimie à l'école militaire de Bruxelles, que véritablement la nicotine est un des plus violents poisons. Le comte de Bocarmé n'a pas craint d'affirmer qu'il avait fait une étude spéciale de la richesse en nicotine des diverses espèces de tabacs, et qu'il était possible de les classer selon leur qualité et la plus ou moins forte proportion de nicotine qu'ils fournissent. Nous avons vu que MM. Boutron et 0. Henry, ainsi que MM. Schlœsin et Lenoble, avaient fait chacun un travail spécial sur le même sujet. En résumé, les substances que l'analyse chimique a fait découvrir dans le tabac, sont : Ba^fin minérales. Potasse , chaux , magnésie , oxydes de fer et de manganèse, ammoniaque. Base organique. Nicotine. Acides yninéraux . Aciàes azotique, chlorhydrique, sulfurique, phosphorique. Acides organiques. Acides malique, citrique, acétique, nicotique? oxalique, pectique, ulmique? Antres corps minéraux. Silice, sable. Autres corps organiques Résine jaune, résine verte, cire ou graisse, matières azotées et cellu- lose (1). RECHERCHE DE LA NICOTINE DANS LES LIQUIDES ANIMAUX. La nicotine étant une substance très-vénéneuse, il devient important, à l'aide d'une méthode chi- mique, de pouvoir parvenir à la découvrir dans le cas où elle aurait été employée comme poison, Pen- (1) Traité de Chimie générale., par J. Pelouze et E. Frémy, 1855, t. IV, p. 418 et suivantes. dant quelque temps on a pu croire que la nicotine était une substance que la science ne parviendrait point à découvrir dans le corps d'un animal empoi- sonné .par elle; mais déjà, en 1851, M. Orfila a lu à l'Académie de médecine un mémoire dans lequel il démontre : 1° que la nicotine possède des propriétés chimiques tellement caractéristiques, qu'elle est aussi facile à déceler que tout poison minéral; 2° qu'il est possible de reconnaître cet alcaloïde dans le tube digestif et affirmer qu'il y existe, alors même qu'il ne s'y en trouverait que quelques gouttes ; 3° qu'il est facile de constater sa présence dans le foie et dans les autres organes après son absorption. Nous allons indiquer le procédé général indiqué par M. Stas pour la recherche des alcalis organiques, dans le cas d'empoisonnement, en l'appliquant par- ticulièrement à la nicotine. Après avoir recueilli le contenu de l'estomac et des intestins, on l'additionne d'un certaine quantité d'alcool très-pur et concentré. On y ajoute de l'a- cide tartrique ou oxalique et l'on chauffe le mélange dans un ballon jusqu'à 70 ou 75 degrés. On le laisse refroidir pour le filtrer au moyen du papier de Ber- zélius ; on lave le résidu avec de l'alcool concentré ; on filtre, et les liqueurs réunies sont évaporées dans le vide on à l'air libre, mais à une température inférieure à 35 degrés. Dès que l'alcool est évaporé, on filtre de nouveau à travers un papier mouillé pour séparer les matières grasses, après quoi le li- quide, ainsi que l'eau de lavage du filtre, est éva- poré à siccité dans le vide ou sous une cloche, en présence de l'acide sulfurique concentré. Le résidu est alors repris par de l'alcool anhydre froid, et l'on a grand soin de le bien épuiser ; la liqueur est en- suite évaporée dans le vide. On dissout le résidu aride dans très-peu d'eau et l'on met la dissolution dans un flacon-éprouvette ; alors on y ajoute peu à peu du bicarbonate de soude ou de potasse pur, pul- vérisé jusqu'à ce qu'il ne se produise plus d'effer- vescence. Arrivé à ce point, on y ajoute quatre à cinq fois son volume d'étber pur, on agite, puis on laisse reposer. Quand l'éther est devenu bien clair, on en décante une petite quantité dans une petite capsule de verre et on fait évaporer l'éther sponta- nément et dans un lieu bien sec. Comme la nicotine est liquide et volatile, elle reste sous forme de stries sur la paroi interne de la cap- sule; dans ce cas, sous l'influence de la chaleur, le contenu de la capsule exhale une odeur plus ou moins prononcée de tabac, masquée par une odeur animale. Dès que l'indice de la nicotine est décou- vert, on ajoute alors au contenu du flacon, dont on a décanté une petite quantité d'étber, 1 ou 2 centi- mètres cubes d'une forte solution de potasse ou de soude caustiques, et l'on agite encore. On laisse re- poser; on décante dans un flacon-éprouvette et l'on épuise le mélange par trois ou quatre traitements par l'éther; on réunit tout le liquide éthéré dans le même flacon et l'on y verse 1 à 2 centimètres cubes d'eau acidulée par 1/5* de son poids d'acide sulfurique pur. On agite, on abandonne le mé- lange au repos, on décante l'éther surnageant et on lave de nouveau le liquide acide par de nouvel éther. Comme le sulfate de nicotine est insoluble dans l'éther, l'eau acidulée par l'acide sulfurique renferme maintenant l'alcaloïde sous un petit vo- lume et à l'état de sulfate pur. On l'extrait de la solution de sulfate acide en y ajoutant une solution aqueuse et concentrée de potasse ou de soude caus- tiques, agitant et épuisant le mélange par de l'éther pur. On n'a plus qu'à évaporer l'éther spontané- ment dans le vide ou mieux sous un cloche, à côté d'un vase contenant de l'acide sulfurique concentré, pour obtenir la nicotine à peu près pure; elle est fa- cile à recouTiaitre à l'aide des caractères que nous lui avons assignés, p. 217 et 2 18. Par cette méthode, M. Stas a pu retrouver la ni- cotine dans le sang du cœur n'uii chien empoisonné par 2 centimètres cubes de nicotine ingérée dans sa gueule. 11 a pu constater son état physique, sou odeur, sa saveur, son alcalinité, et obtenir du chloro- platinate de nicotine parfaitement cristallisé en pris- mes rhomboïdaux d'un jaune assez foncé. FALSIFIGATlOiN DES TABACS. La falsification, cette lèpre qui s'attaque à toutes les denrées sans exception, ne devait guère épargner le tabac, cette substance qui se vend si universelle- ment et qui se trouve entre les mains de tant de marchands. Cette coupable pratique a été la cause déterminante d'un malheur irréparable; car on sait que, sur une imputation mensongère, le célèbre chimiste Lavoisier périt, ainsi que ses collègues, sous l'infâme prétexte qu'ils avaient fraudé, falsifié ou empoisonné le tabac. Tabac à fumer. C'est de tous les tabacs celui qui éprouve le moins de manipulations, et il paraît être aussi celui qui est le moins souvent falsifié. Toute- ibis M. Chevallier dit avoir eu à examiner des tabacs de contrebande qui avaient été fabriqués avec des feuilles ramassées dans les jardins publics et qui contenaient des immondices de toute nature. Pour les faire fermenter, on les humectait avec les liqui- des les plus sales, sous le prétexte de donner du montant à ce prétendu tabac. Jusqu'il présent, -c'est sous forme de cigares que le tabac paraît être le moins sujet à la falsification, ou du moins si elle a lieu, ce n'est qu'en y introduisant des feuilles de tabac de qualité inférieure. Au reste, si l'on trouve parfois des tabacs falsifiés, c'est le plus souvent à la contrebande qu'on les doit, car on sait que la contrebande fournit à la France un sixième environ de la consommation du tabac. Tabac à priser. C'est sans contredit celui qu'il est le plus facile de falsifier, en ce qu'étant en poudre, les matières étrangères peuvent y être assez bien dissimulées. Dans le principe, peut-être n'avait-on d'autres vues que de fiatter le goût ou le caprice des consommateurs; alors on y mêlait des poudres odorantes ou colorantes pour en modifier la couleur ou l'odeur. Mais parfois il arrivait que non-seule- ment on le colorait, que non-seulement on en aug- mentait extraordinairement le poids, mais qu'encore on rendait le tabac d'un emploi qui n'était pas sans dangers pour la santé. Hufeland a parlé {Art de conserver la vie) d'une fabrique où l'on avait l'habi- tude de mêler au tabac d'Espagne une assez forte proportion de minium (bi-oxyde de plomb), dans le but d'augmenter sa couleur et son poids, et le professeur Otto, de Copenhague, a signalé un tabac de Macouba qui contenait seize centièmes de mi- nium. Un botaniste danois fort distingué succomba à une intoxication saturnine, après en avoir fait usage Celte dangereuse falsification ne fut mailieu- reusement connue qu'après sa mort. En 18'i3, M. Chevallier, chargé d'examiner une poudi-e de tabac, reconnut qu'elle n'était composée que de poudres végétales Irès-ténues, de noir d'os et de sable de grès. Le même chimiste y a reconnu aussi l'introduction d'acétate, de carbonate, d'hydro- chlorate et de sulfate de plomb (1). Par suite d'une saisie opérée, en 1841 , par les commis de la régie, le nommé G... et la veuve L..., cités devant le tribunal de police correctionnelle comme accusés d'avoir fabriqué et vendu un faux tabac fait de sciure de bois d'acajou, de noir d'ivoire, de sel ammo- niac, de couperose, de potasse et d'alun, furent condamnés à 1,000 fr. d'amende pour la vente de cette poudre, à 3,000 fr. pour sa fabrication, et à deux ans de contrainte par corps. Le nommé L... fût, en 1846, accusé, devant le tribunal de police correctionnelle, d'avoir composé une poudre avec du noir animal, des mottes à brûler et du sel ammoniac, pour être mêlée au tabac de la régie, dans la proportion de 5 p. 100. La confiscation de tous les objets saisis, 2,000 fr. d'amende et un an de contrainte par corps, ont été les peines appliquées à son délit. Naguère encore, un entreposeur de tabac, en se donnant la mort, a échappé à une poursuite dirigée contre lui, pour avoir livré à des débitants un tabac falsifié avec du tan et du noir animal. Les commis- saires de l'administration s'étant rendus à son domi- cile, ont trouvé une grande provision de ces subs- (1) Atin. d'hyy. mcih léy., t. VI, p. 197. — 238 — tances étrangères et les instruments destinés à rendre la falsification plus facile. Enfin, il y a cinq ans, le tribunal de police cor- rectionnelle a encore condamné à trois mois de prison et 50 fr. d'amende le nommé H..., débitant de tabac, pour avoir mêlé du poussier de mottes au tabac qu'il vendait. La France n'est pas le seul pays où se produisent ces fraudes. Ainsi le collège de médecine de Saint-- Pétersbourga rencontré, en 1803, un tabac vert qui avait été falsifié avec de la cendre, et d'une telle causticité qu'il rongeait la lame osseuse qui sépare les narines et y engendrait la carie; sur son rap- port, la fabrication en fut défendue. Collenbusch a signalé des tabacs qui contenaient de l'opium, et il a observé que la fumée de ceux qui étaient falsifiés parle sulfate de fer, le bois de Cam- pêcbe, la noix de galle, produisait des vomissements et de l'enfiure. Le professeur Rœmer, de l'université de Kœnigs- berg, a également reconnu dans certains tabacs des substances étrangères quelquefois très-dangereuses. Ainsi quelques tabacs à fumer ont été falsifiés avec du sulfate de fer, du bois de campôche , de la noix de galle, de la gomme-gutte, de la cévadille, du marc de café, des feuilles de noyer ou autres, de l'alun et même du chlorure de mercure, de l'oxyde de plomb, etc. A la vérité, nous ne comprenons guère comment le chlorure de mercure a pu être employé comme agent de falsification; car, d'abord, c'est une substance assez chère, et ensuite elle ne se trouve pas entre les mains de tout le monde. La terre tourbeuse, en particulier celle de Cologne, les poudres brunes que l'on peut se procurer à vil prix , sont les substances qui concourent le plus — 239 — souvent à cette fraude. La Hollaude fait un usage immodéré de terre de Cologne, pour colorer et sur- tout augmenter le poids de son tabac. Parmi les falsitications les plus innocentes, nous signalerons celle qui consiste à y introduire de l'eau, et encore cette falsification ne peut-elle se faire que dans de certaines limites sans exposer la fraude à être reconnue. Maintenant qu'en France, par le dé- cret impérial du 29 décembre 1810, l'achat des feuilles, la fabrication et la vente des tabacs fabri- qués appartiennent à une administration spéciale et que le gouvernement en a le monopole absolu, ces falsifications sont rendues à peu près impossibles. Des inspections régulières, des peines sévères appli- quées à ceux qui s'en rendraient coupables, sont des raisons suffisantes pour empêcher que la santé pu- blique ne soit compromise par de semblables sophis- tications. La fraude qui fait la plus grande concurrence à la régie est sans contredit celle que pratique la contrebande. Ou évalue à envirou 3 millions de kilo- grammes le tabac étranger qui entre ainsi en France. Les villes limitrophes n'usent, pour ainsi dire, que de ce tabac, et l'on assure que dans l'arrondisse- ment d'Abbeville cette introduction est à peu près les dix onzièmes de la consommation. Cette introduction, qui est, à proprement parler, un état, ou un com- merce, se fait par d'excellents marcheurs ou même des chiens dressés à cela; les fraudeurs s'échelonnent et font ensuite filtrer le tabac dans l'intérieur, même jusqu'à Paris, oi^i ils ont des agents intéressés (1). (Ij Influence du tabac sur l'hoinme, par A. Grenef. Paris, 1841. P. tj8, notes. — 240 — Voilà pourquoi une ordonnance royale du 2 février 1826 a fixé la délimitation des différentes lignes oti doivent être vendus des tabacs à prix réduit. Jusqu'à présent on ne s'est pas assez occupé des moyens de reconnaître avec certitude la falsification des tabacs, probablement parce que ces fraudes ne sont pas fréquentes. En attendant, nous allons indi- quer quelques essais qui pourront mettre sur la voie de la sophistication. Quand on jette du tabac sur des charbons enflammés, il se dilate, fume et brûle en répandant une odeur aromatique de tabac en même temps qu'il émet une flamme ordinaire. Une flamme bleue serait l'indice de la présence du soufz'e ; une verte indiquerait un sel de cuivre ; une blanche, un mélange de camphre. Voici une mé thode d'analyse qui n'est pas parfaite, mais qui paraît suffire pour faire reconnaître une falsification. On prend 30 grammes de tabac suspecté et on les traite par 8 grammes d'acide nitrique et 16 grammes d'eau; au bout de quelque temps de contact et après avoir bien agité le mélange, on y ajoute 150 grammes d'eau distillée. On filtre le liquide , que l'on soumet à des essais ultérieurs. Par exemple, en versant un peu de cette liqueur dans un verre à expérience et y ajoutant du carbonate de potasse ou de soude, on obtient un précipité de couleur varia- ble, selon la base insoluble qui constituait le sel servant à la falsification. Mais, nous le répétons , cette méthode est loin d'être parfaite, et connaissant la quantité de cendre que rendent 100 grammes de tabac non falsifié, laquelle est de 22 centièmes envi- ron, d'après les analyses de MM. Barrai et Sarradin, il est plus simple de peser 100 grammes de tabac falsifié et de les brûler dans un creuset dont ou aura pris le poids. Si, après la combustion, il y avait - 241 — plusieurs grammes de cendre de plus ou de moins que 22 grammes, on serait averti qu'il peut y avoir fraude, et dès lors des recherches analytiques plus minutieuses seraient indiquées. Le sel de nitre est quelquefois ajouté au tabac pour qu'il prenne feu plus aisément et qu'il produise sur la langue une impression plus vive. Mais en brûlant, les oxides d'azote qu'il produit peuvent avoir des effets fâcheux sur les poumons. Il est donc utile de reconnaître cette falsification. D'abord, si le tabac projeté sur une pelle rougie fuse ou détone, c'est une indication de la présence de ce sel. En- suite, le tabac traité par l'eau chaude et la liqueur filtrée sur du charbon animal ne doit pas laisser, après son évaporation , des cristaux de nitre recon- naissables à leurs cannelures. D'ailleurs, mis en con- tact avec un peu d'acide sulfurique et d'indigo en liqueur, ils ne tarderaient pas à être décomposés et à donner de l'acide azotique, qui possède la propriété de faire disparaître la belle couleur bleue de l'in- digo. La falsification peut avoir lieu le plus souvent en mêlant des sels ou des oxides à base de zinc, de cuivre, de plomb ou d'antimoine. Mais si l'on fait bouillir le tabac dans du vinaigre ou dans de l'acide azotique (nitrique) étendu d'eau , si l'on filtre la dissolution, après l'avoir décolorée par le charbon; ou mieux encore, si l'on incinère une certaine quantité de tabac et si la cendre est traitée par de l'acide azotique qui dissout les oxides à base de zinc, de fer, de plomb et de cuivre, on a dans l'un et l'autre cas une dissolution où il est alors facile de déceler la présence de l'une de ces substances. En effet, si l'on y verse une dissolution d'acide sulfhy- drique ou de proto- sulfure alcalin, il se forme un 16 précipité de sulfure du mêlai, qui est blanc si le sel ou l'oxide était à base de zinc; jaune-orangé^ s'ils étaient à base d'antimoine; noir, s'ils étaient à base de cuivre, de plomb ou de fer, parce que ce dernier métal, par l'action de Tacide nitrique, est passé au summum d'oxidation : dans le cas contraire, il serait nul. Pour distinguer la dissolution de fer de celles de cuivre et de plomb, rammoniaque est un excellent réactif : elle précipite en jaune-rougeâti-e la disso- lution ferrique ; en blanc, la dissolution plombique; en blanc-bleuâtre de sous -sel, qui se redissout dans un excès d'alcali en donnant une liqueur limpide d'un irès-beiu bleu céleste, la dissolution cuprique. Remarquons que si la dissolution a été faite dans le vinaigre, le fer peut être au minimum d'oxidation, et alors, au lieu de précipiter en noir par le sulfure alcalin ou l'acide sulfbydrique, il ne donne même au- cun précipité par ce réactif. Dans ce cas, le cyanure jaune de potassium y fait naître un précipité blanc- verdû're qui passe peu à peu au bleu par l'action de l'air, et le cyanure rouge de potassium et de fer y détermine instantanément un précipité bleu. Enfin, si la dissolution a été faite avec de l'acide azotique, l'acide sulfbydrique ou le sulfure alcalin n'accuseront pas la présence du sel ou de l'oxide antimonique, par la raison que le métal en s'oxidant est devenu insoluble et incapable de se combiner avec l'acide azotique; d'où il suit que la dissolution ne contien- drait pas d'antimoine. FAIX TABAC. G'cst ici qu'il convient de placer cette prétendue poudre indigène capable de rempla- cer le tabac, et que M. Ducbatellier, ancien fabricant de tabac, à Orléans, a chercbé à préconiser sous le nom de poudre Ducbatellier Après avoir assuré ses procédés et In marche de sa fabrication, il ouvrit un atelier, fabriqua une certaine quantilé de poudre et eut la prudence d'avertir la régie qu'il allait fabri- quer et vendre son nouveau tabac. La régie intenta un procès au nouveau fabricant; mais ne pouvant être convaincu d'avoir employé les mêmes substances que la régie, M. Ducbatellier gagna. Mais sa gloire fut de courte durée. En effet, le faux tabac eut bientôt le sort de toutes les sub- stances qui tenteraient de détrôner le tabac : on n'entendit plus parler du sternutatoire Ducbatellier, qui n'était, dit-on, que de la poudre de fiin et de choux , et le tabac sortit victorieux de cette lutte. ORIGINE DE L'USAGE DU TABAC. Une question qui restera sans doute toujours obscure, est celle de savoir au juste comment les bommes ont été amenés à employer le tabac selon les trois manières connues, savoir : en fumée, en poudre et en masticatoire. Nous ne pourrons donc former sur cet usage que des conjectures ayant un plus ou moins grand degré de certitude. Tabac à fumer. — Nous avons déjà dit plus haut que Ménandre, dans sa Tabacologie^ avait consulté un grand nombre d'historiens anciens et contemporains, et qu'il avançait que le tabac était connu des an- ciens peuples de l'Orient. II se fonde sur ce que Hérodote et Alexandre de Tyr disent que les Scythes et les Thraces s'enivraient avec la fumée d'une - 2hri — herbe qu'ils brûlaient , et que les Babyloniens se servaient de cette même herbe pour en aspirer la fumée. De cette indication, Ménandre se croit en droit d'assurer que l'herbe que fumaient ces peu pies n'iHait autre que du tabac. Mais ces auteurs ne donnent de la plante aucun caractère qui puisse faire croire à l'assertion de Ménandre , et nous ai- mons tout autant croire que les Orientaux se ser- vaient de plantes aromatiques tout autres que le tabac. L'origine de l'usage de la fumée se perd certai- nement dans la nuit des temps. Le hasard a dû faire reconnaître que certaines plantes, en brûlant, ré- pandaient une odeur aromatique plus ou moins agréable, dont on pouvait se servir utilement, soit pour masquer les mauvaises odeurs, soit pour éloi- gner les insectes qui abondent dans les pays peu habités. En effet, les sauvages de l'Amérique, pour repousser les insectes, se recouvraient le corps de substances odorantes ou s'entouraient continuelle- ment de fumée. Les Lapons sont aussi dans l'usage, et pour les mêmes raisons, de brûler autour de leurs cases diverses espèces d'agaric; enfin, les Tungouses marchent toujours accompagnés d'une sorte de cassolette, ou encensoir, suspendue au bras, et dans laquelle ils brûlent sans cesse des her- bes sèches C'est plutôt comme parfum que quelques écrivains anciens, tels qu'Hippocrate, semblent avoir parlé de la fumée de certaines plantes. Toutefois cette fu- mée était aussi fréquemment employée comme mé- dicament. Ainsi Galien conseille l'usage de la fumée sur tout le corps dans certains cas de grossesse ; Alexandre Trallien la prescrit contre la toux ; Avi- renne recommande l'usage de la fumée d'encens — nô — contre les ulcères des yeux, etc. Cependant Ilorodotc, qui vivait quatre siècles avant Jésus-Christ, nous ap- prend que les Babyloniens s'enivraient avec la fumée, et l'on dit que les anciens Gaulois ou Germains s'eni- vraient de la fumée du chanvre brûlé sur des pierres rougies au feu, ainsi que les druides ou prêtres devant les féroces idoles de Tentâtes et d'Irminsule, qui demandaient le sang des victimes humaines. En- fin, Pline est peut-être le premier auteur qui parle de la manière de fumer les plantes comme nous fumons aujourd'hui le tabac. 11 a écrit que la fu- mée des feuilles et de la racine sèches du tussilage, tirée et humée par le moyen d'un tuyau, guérit, dit-on, la vieille toux. « Hujus [BecJdon quœ et tusai- lago dicitur) aridœ cum radice funuis per arundi- nem hausfvs et devorafus , veterem sciiV're dicitur tussim (1). » Il y a donc près de deux mille ans que l'on con • naît la manière de humer la fumée, et cette manière j)rimitive de fumer était à peu près, au temps de Pline, la môme que celle que Christophe Colomb a retrouvée chez les Indiens en découvrant le nouveau monde. Toutefois , comme les Portugais paraissent avoir trouvé établi l'usage de la pipe dans les Indes occidentales, et que c'est ainsi que la connaissance en a été apportée en Europe , on ne peut savoir ni à qui est due la construction, ni à quelle époque remonte l'usage de la première pipe. Néanmoins , si l'on observe que les tabacos dont on se servait aussi à la manière des pipes n'étaient autre chose que des tubes faits avec certaines tiges (1) Hist. nat., lib. XXVI, cap. vi. — 246 — végétales privées de leur moelle (1), on comprendra que depuis longtemps les Indiens ont dû s'apercevoir que ces instruments ne retenaient pas suflîsamment le tabac, qui leur arrivait facilement à la bouche quand il pouvait être encore endammé, et qu'ainsi ils ont du être conduits à chercher à diminuer le tuyau d'aspiration, tout en laissant un grand dia- mètre à la partie où devait se brûler le tabac. Néauder pense que c'est aux Persans qu'il faut attribuer l'invention des premières pipes. Mais Ma- gnenus suppose que ce sont plutôt les Hollandais ou les Anglais qui ont les premiers fait connaître ces instruments: « Inventum esse puto Hollandicum, vel Anglicum cuiad famam datum est Persici nomen. » (J.-Gh. Magnenus, loc. cit. p. 80.) Quoi qu'il en soit, c'est à ces derniers qu'il faut rapporter la fabrica tion des premières pipes de terre cuite si générale- ment connues de tout le monde (de Prade). D'après Mundia , les Anglais, en découvrant la Virginie , en 1595, reconnurent que les habitants se servaient, pour fumer, de tubes d'argile, qui ont très-certaine- ment donné la première idée des pipes de terre. Nous devons à M. Ampère des documents précieux qui prouveraient que les pipes sont bien plus ancien- nes qu'on ne le croit communément. On a trouvé en Amérique, dit-il (2), sur une im- mense étendue du sol, depuis les grands lacs jus- qu'au delà du Mississipi, des fortifications en terre très-considérables et des tertres contenant une classe d'antiquités d'un caractère tout particulier et qui (1) Voir la figure de la page 16. (2) Promenade en /lmf/i(j".'ijabilu(le de mâcher Je tabac est déjà ancienne , comme nous l'avons vu en parlant des propriétés de cette plante. En effet, les Indiens, qui mâchent ou sucent le tabac lorsriu'ils ont de longs voyages à faire au milieu des déserts où ils savent ne rencontrer aucunes substances alimentaires, ont dû donner aux Euro- péens la première idée de cette mastication. Les marins particulièrement ont dû tous les premiers en faire usage, soit pour se préserver de la faim, ou peut-être encore pour porter directement sur leurs gencives malades du scorbut une substance qui, dans le nouveau monde . était regardée comme un remède qui convenait à bien des maux. Puis, comme on s'habitue à tout et que l'on trouve tou- jours des hommes prêts à copier ce qu'ils voient faire aux autres, l'usage du tabac à mâcher s'est peu à peu répandu parmi les Européens, à la vérité en très-petit nombre relativement à ceux qui pri- saient ou fumaient, et encore cette coutume n'a- t-elle jamais, en France, pénétré dans les classes élevées de la société. D'ailleurs le besoin d'occuper nos sens ou nos organes a pu aussi contribuer à l'établissement de cet usage. A une certaine époque, il était d'extrême bon ton. à Londres, de mâcher du tabac, et cette pratique trouva même des imitateurs dans les personnes élé- gantes de quelques parties de la Hollande et de l'Allemagne. S. G. Schulze assure que même la princesse Caroline d'Angleterre , la patronne des sciences et des arts , avait contracté l'habitude de fumer du tabac de Virginie ])endant une demi- heure, tous les matins en se levant. MM. Mérat et Deleiis émettent l'idée que la chique est le partage des gens abrutis; mais, ainsi que le dit fort bien M. Grenet, « l'abrutissement dans lequel sont plongés les gens qui usent ainsi du tabac ne dé- pend pas de l'usage en lui-même, mais de l'ivrogne- rie et de la débauche qui l'accompagnent quelque- fois. Or quand les chiqueurs ne sont ni ivrognes ni débauchés, ils ne sont pas plus abrutis que le com- mun des hommes du peuple; ils chiquent, parce que cela est de leur goût... » Pour terminer ce qui concerne le tabac à mâcher, nous rapporterons le passage suivant : «Tel individu, dit M. Forget , ne peut digérer le plus maigre re- pas s'il ne mâche une chique ou brûle une pipe immédiatement après. Cette voix impérieuse (le be- soin) dicte des expédients les plus bizarres : je n'oublierai jamais ce matelot de V Antlgone qui vint me trouver pour un mal de gorge. Voyant, à la saillie de la joue, qu'il mâchait quelque chose : Comment, lui dis-je, vous avez mal à la gorge, et vous chi- quez f — Major, me répondit-il, depuis trois jours je n'ai plus de tabac ! Et en même temps il tire de sa bouche un peloton d'étoupe goudronnée... Les larmes qui roulaient dans ses yeux humectèrent mes paupières, et je partageai avec lui un peu de tabac qui me restait. (Nous étions depuis près de trois mois en mer.) 11 me remercia dans des termes que je ne puis reproduire, et je ne l'ai plus revu... j'ai la conviction que, si la privation du tabac n'a pas causé son mal de gorge, c'est du moins le tabac qui l'a guéri. » (Rapporté par M. Grenet.) Les conditions d'existence dans lesquelles se trouve l'homme sont souvent une cause déterminante de l'action de mâcher le tabac. Ainsi, sur mer, presque fou* les hommes ont ixintracié l'habitude de mas- ticiucr, même les officiers, qui, pour l'éducation et l'inslruction, ue le cèdent en rien à nos officiers de terre. Selon M. Forget, cette prédilection tire son principe : 1" de la facilité qu'elle donne de pouvoir vaquer à toutes les occupations sans interrompre l'acte sensuel; 2" de la commodité, exempte qu'elle est d'attirail; 3" de la facilité avec laquelle on la dissimule, n'altérant que l'iialeinc, et même assez légèrement, lorsqu'on n'en abuse pas : nous avons vu des officiers chiquer en plein bal, sans que personne s'en aperçût; 4° enfin de son innocuité, n'exposant pas aux accidents d'incendie comme la pipe, qui, de plus, est fragile, difficile par conséquent à rem- placer dans beaucoup de cas, et avec laquelle il n'est pas permis de paraître sur le gaillard d'arrière ou de pénétrer dans l'intérieur du vaisseau. 11 est d'usage que le marin, en parlant à un officier, mette, par respect, sa chique derrière son oreille, comme le soldat porte le revers de la main à son bonnet de police. (Grenet.) RÉFLEXIONS GÉNÉRALES. — Si l'ou voulait retirer au tabac les propriétés qu'il possède réellement, soit quand il agit sur l'homme malade, soit quand il agit sur l'homme sain, on ne pourrait néanmoins s'em- pêcher de reconnaître, dans la distraction qu'il pro- cure, un avantage important pour quelques personnes, parlicuSièrement celles qui n'ont aucune occupation ordinaire. Les anciens philosophes ont avancé que la nature a horreur du vide, et l'on sait que cette hypothèse n'est rien moins que vraie. Ju- vénal a dit aussi : Le cœur de l'homme a le vide en horreur, ce qui est plus vrai ; mais nous pou- vons dire, comme une vérité plus grande encore, que la nature a horreur du repos, et c'est en vertu de ce principe que l'on peut assurer que le tabac a eu la vogue que chacun lui connaît. L'auleur de la Petite Monographie du tabac nous semble avoir parfaitement raison quand il dit que le besoin de notre nature est d'éprouver des sensations et d'oc- cuper nos sens. Pour les spiritualistes, éprouver des sensations ou occuper nos sens, c'est mettre l'àme en mouvement ou en action ; pour les matérialistes, c'est mettre les organes dans un état d'activité inaccoutumée. II suffit en effet de remarquer que plus l'usage d'une chose occupera de sens, plus elle aura de chances pour réussir. S'il nous était donné d'en trouver une qui pût occuper les cinq sens ou même quatre de nos sens , nous pourrions prédire que cette chose détrônerait l'usage du tabac, à la condition, bien entendu, qu'elle ne ferait que les occuper sans les altérer. Or remarquons que le tabac est peut-être la seule substance qui puisse à la fois, sous forme de fumée, occuper trois de nos sens, savoir : le (foût, l'odorat et la vue; que sous forme de poudre, elle ne peut occuper que l'odorat et le goût ; que sous forme de masticatoire, elle n'occupe que le goût; et l'on comprendra pour- quoi le nombre d'individus qui forme chacune des catégories d'hommes qui font usage du tabac est en rapport avec les sens qui sont mis en action, de telle sorte que, pour un chiqueur, il y a au moins deux priseurs et trois fumeurs (1). Pour le fumeur, le plaisir des yeux entre pour la plus grande part dans la somme des sensations qu'il éprouve; au moins assure-t-on que l'on n'a jamais vu fumer d'aveugles de naissance; à cela on pour rait opposer que n'ayant pas i)erçu l'exemple par les (1) Peilfe Monographie du tabac. Paris, 1856, p. 95. — :iO'i — yeux, il n'a pas pu y être invité à l'égal de ceu\ qui possèdent le sens de la vue. Mais on s'est con- vaincu, dit-on, que les militaires qui avaient pris l'habitude de fumer et qui étaient devenus aveugles, avaient complètement cessé de fumer, et, au con- traire, avaient contracté l'habitude de priser. Quoiqu'il y ait un grand fonds de vérité dans cette appréciation, nous ne la croyons pas seule capable de déterminer l'homme à préférer l'usage de la pipe. En effet, le temps que dure la sensation entre pour beaucoup dans le choix de la forme, abstraction faite de toutes les autres circonstances. Or, dans l'emploi de la prise, la sensation produite est instantanée, non parce que le tabac qui tapisse la muqueuse na- sale cesse immédiatement son ejfet dtjnamique, mais parce que la sensation qui y est déterminée par un ejjet mécanique ne tarde pas à disparaître sous le contact, absolument comme cela arrive quand une chose légère vient impressionner, par le contact, une partie de notre peau, qui bientôt ne sent plus cette chose, bien qu'elle reste encore au lieu môme où a été reçue cette impression. C'est bien à tort, selon nous, que M. Giacomini a avancé que l'on pouvait regarder comme nulle l'action mécanique du tabac chez les fumeurs. Nous pensons exactement le con- traire, et pour nous l'action dynamique est presque nulle, tandis que l'action mécanique est pour ainsi dire ménagée pour prolonger le plus possible la sen- sation qui lui est due. La preuve, d'ailleurs , qu'il en doit être ainsi, c'est que pendant la combustion du tabac, une grande partie de la nicotine est ou décomposée, ou volatilisée, ou déposée avec l'huile empyreumatique dans les tuyaux qui servent à diri- ger la fumée dans la bouche. D'un autre côté, on peut employer sans inconvénients des doses de tabac intiniment plus fortes sous forme de l'uiiiée (jue sous toute autre forme. On sait, en effet, qu'il y a des hommes qui fument 90 grammes de tabac par jour sans en être incommodés, et l'on cite des exemples de fumeurs qui en usaient de cette façon 155 et même 250 grammes (1).* Lentilius rapporte que le médecin Fleck, exerçant avec succès en Courlande, fumait quatre-vingts pipes par jour. S'il agissait comme le dit M. Giacomini , ces hommes auraient été mille fois empoisonnés. Il ne paraît pas que la sensation mécanique soit la seule raison qui ait conduit les nations améri- caines à fumer le tabac, et l'idée religieuse qui s'at- tache à cette action peut avoir une grande part dans cette coutume, si l'on en croit divers auteui's. Voici à ce sujet, indépendamment de la légende du grand esprit dont nous avons parlé plus haut, quelques autres documents que nous empruntons au livre plein d'intérêt de M. J.-J. Ampère (2). « L'usage du tabac semble avoir été général parmi les nations américaines ; les antiquités de rohionous ont prouvé qu'il existait dans la vallée du Mississipi au moins cinq cents ans avant la dé- couverte du nouveau continent. Jacques Cartier le trouva en vigueur au Canada, et Cortez au Mexique. C'est à Haïti et dans l'ile de Cuba qu'on l'a observé pour la première fois, et, chose remarquable! les naturels de cette île prédestinée connaissaient dèjci le cigare , car ils fumaient des feuilles de tabac roulées. » Les Mexicains fumaient, après le dîner, la pipe (1) Barthélémy, Art de fumei\ page 95. (2) Promenade en Amérique , Etats-Unis, Cuba, Mexique- Paris, 1855. et le cigare; ils se pinçaient le nez pendant cette opération, apparemment pour ne rien perdre de la fumée, qu'ils avalaient souvent. La fumée du tabac était chez les peuples de race mexicaine , comme chez les sauvages de l'Amérique septentrionale, une chose sacrée. Klle joua un rôle dans les cérémonies du sacre de Monlézuma, et sur un bas-relief du Yucatan; on voit deux hommes offrant à une sorte de croix la fumée d'un cigare, comme le major Long a vu les Omahwas dans la vallée du Mississipi, quand ils ont rencontré et tué des bisons, fumer en action de grâces avant d'y toucher, disant : « Maître de la » vie, voici de la fumée. » » Les Indiens de la Virginie croyaient que le Manitou (l'Esprit) résidait dans la fumée du tabac. Chez les Natchez, le prêtre , marchant à la tète dn peuple, allait sur un tertre attendre le lever '.lu so- leil, et alors il lançait une bouffée de tabac en l'hon- neur de l'astre que ces peuples adoraient. Encore aujourd'hui, certains sauvages, s'ils rencontrent un serpenta sonnettes, animal qu'ils appellent leur/ywwrf- père^ dirigent tout à coup vers lui la fumée de leur pipe. Peut-être est-ce dans l'intention de l'engourdir. » La pipe, ou, comme disent tous ceux qui croient faire de la couleur locale en employant un vieux mot français, le calumet^ ne figure pas seulement dans les conseils indiens et dans leurs assemblées pacifiques : il y a le calumet de la guerre aussi bien que le calumet de lu paix. Quand on prépare une expédition, on fait circuler la pipe rouge; chacun en tire une gorgée, et par là s'enrôle dans l'expédition. Outre cet emploi du tabac dans les cérémonies reli- gieuses et les délibérations politiques , les naturels de l'Amérique s'en servaient encore soit comme re- mède, ce que pratiquaient les Mexicains, soit pour rendre à la vie les noyés, ainsi que DiereviJle -l'ob- serva chez les Indiens de l'Acadie. » La coutume de fumer ne parait pas être ancienne en Orient; car, ainsi que le fait observer M. Am- père, dans les Mille et une ISuits^ dont la dernière ré- daction parait être du xvr siècle, et où les mœurs orientales sont peintes avec une merveilleuse fidé- lité, il n'est jamais fait mention de la pipe, pas plus qu'il n'est question de l'usage du café. Ces deux substances sont aujourd'hui pour eux d'un si impé- rieux besoin que pendant le jeûne du Rhamadan, dès que le canon a annoncé le coucher du soleil , ces hommes, qui n'ont rien pris depuis son lever, commencent par allumer une pipe et prendre une lasse de café avant de toucher à aucun aliment. 11 parait impossible d'admettre qu'une semblable cou- tume eût pu passer inaperçue à l'auteur, et n'être indiquée nulle part dans le livre précité, si l'usage de ces deux substances avait été établi en Orient à l'époque de sa publication. Quoi qu'il en soit, l'habitude de fumer porte avec elle un plaisir, un bonheur même que ne peuvent comprendre ceux qui n'ont jamais fumé ou qui n'ont pu s'y accoutumer. Nous comprenons donc qu'un illustre poète ait chanté la pipe et le tabac dans les vers suivants que nous nous plaisons à rapporter : « And what was he wo bore it? — I mag err. » But deem liim sailor or philosopher. » Sublime labacco ! Wiiich from east to west » Clieers the tar's labours or the Turlanan's resl; » Wliich on the Moslem's ottoman divides » Ilis hoiirs, and rivalà opium and his brides; V Magnificent in Stamboul, but less grand » Thougli uot Icss loved, in Wapping or the Strand ; » Divine in kookas, glorious in a pipe, I) When tipp'd with amber, mellow, rich and ripe; » Like others charniers, wooing the caress » More dazzing'y when daring in full dress; 0 Yet thy trne lowers more admire by far » Tliy naked beauties — Give me a cegar (1). » « Et quel était le porteur de cette pipe ? Je puis me tromper ; mais , selon moi , ce devait être un matelot ou un philosophe (2). Tabac sublime, qui, du couchant à l'aurore, charmes les fatigues du ma- rin ou le repos du Turc; qui, sur l'ottomane du musulman, partages ses heures et rivalises avec l'opium et ses femmes ; toi qui règnes dans toute ta splendeur à Stamboul , et qui , bien que plus mo- deste, n'en es pas moins chéri dansWapping et dans le Strand (3) ; tabac divin dans les oukas, glorieux dans une pipe garnie d'ambre d'un jaune doré , comme d'autres beautés qui nous charment , c'est en grande toilette surtout que tes attraits vainqueurs nous éblouissent; mais tes adorateurs véritables ad- mirent plus encore tes appas dans leur nudité! — Qu'on me donne un cigare (4). « (1) Lord Byron, The Island, caiito the second, 19. (2) Hobbes, le chef de la doctrine philosophique qui eut Locke et d'autres philosophes pour sectateurs, était un fu- meur passionné. Le nombre de ses pipes était incalculable. (3) Quartier et rue de Londres. (Il) Lord Byron, traduction de M. Benjamin Laroche, 3" édi- tion, 1838. RECHERCHRS CHIMIQUES SUR LA FUMÉE DU TABAC. II n'était pas sans intérêt, pour l'explication des phénomènes physiologiques dont nous avons parlé, de connaître la composition de la fumée du tabac, afin de savoir si la nicotine, cette substance si vénéneuse, ne se décomposait pas ou ne se trans- formait pas en d'autres produits plus ou moins actifs. Unverdorben est le premier qui paraisse s'être occupé de ce genre de recherches, mais les résultats qu'il avait obtenus laissaient beaucoup à désirer. Plus tard, M. "W. Zeize, par des recherches faites sur les produits de la distillation sèche du tabac, nous a appris que cette fumée était constituée par une huile empyreumati(iue particulière, de l'acide butyrique, du butyrate d'ammoniaque, de l'ammo- niaque, de la paraffine, des composés résineux, et de l'acide carbonique; mais il ne parle nullement (le la présence de la nicotine, substance qu'il était pourtant intéressant de rechercher. C'est M. Melsens qui le premier, en 1843, a pu retirer la nicotine de la fumée du tabac, en môme temps qu'il établit la véritable formule de cet alca- loïde ; mais il se borne à constater la présence de cette base organique, sans faire une analyse com- plète de la fumée du tabac. M. Malapert. dans un travail complet sur ce sujet, est venu confirmer le résultat des recherches de M. Melsens, concernant la nicotine. 11 s'est surtout proposé de se rendre compte de la quantité de nico- tine qui passe par la bouche d'un fumeur pendant la combustion d'un poids donné de tabac. A cet effet, il s'est servi d'une série de trois flacons conmiuni- quant les uns avec les autres au moyen de tubes recourbés. Au premier ilacon est adapté un creuset percé à sa base, portant une ouverture à laquelle est ajusté un tube qui plonge au fond du flacon ; le second est vide, et le troisième contient une petite quantité d'eau acidulée par de l'acide sulfurique. L'appareil se termine par un grand vase en fer- blanc ou un tonneau plein d'eau portant à sa base un robinet destiné à l'écoulement du liquide pen- dant lequel doit se faire l'aspiration: l'appareil étant parfaitement luté, on voit que l'air ne peut y entrer que par le creuset. On place une petite toile métalli- que au fond du creuset, on met le tabac par-dessus, on ouvre le robinet du vase aspirateur et l'on en- flamme le tabac avec un charbon incandescent. Sans rapporter ici les détails de l'opération, nous dirons que d'après ce chimiste, 200 grammes de tabac brûlés ont laissé pour résidu 36 grammes de cendres; donc, il s'était vaporisé ou fait 164 grammes de fumée. Le tiers de cette quantité s'était condensé dans le premier flacon; le second flacon ne conte- nait que quelques matières pyrogénées, et la vapeur, en passant par le troisième flacon contenant l'eau acidulée, avait une odeur désagréable qui ne rap- pelait plus celle du tabac sortant de la pipe. Dans le liquide du premier flacon, M. Malapcrt a trouvé de l'eau, du goudron, de l'huile empyreu- mati(iue, du carbonate d'ammoniaque et 17 grammes de nicutine =^ ~~ du tabac employé. Il a évalué à 30 et 40 centigrammes la quantité de nicotine contenue dans le troisième flacon. En admettant que le contenu du deuxième flacon, qu'un accident ne permit pas d'analyser, renfermât environ 60 à 70 centigrammes de cette base végétale, ce qui ne paraît pas exagéré, on aurait 18 grammes de nico- tme = jôG- M, Malapert s'est encore servi pour tout appareil d'une pipe ordinaire, au tuyau de laquelle était adapté un petit récipient, portant lui-même un tuyau servant d'embouchure. 300 grammes du liquide recueilli dans le récipient ont fourni 30 grammes de nicotine pure et anhydre. Enfin, plus récemment encore, M. Schlœsing, par d'autres expériences, a pleinement confirmé les ré- sultats de MM. Melsens et Malapert. Les recherches précédentes ont conduit M. Mala- pert à donner aux fumeurs les conseils suivants . 1" ne pas fumer le tabac trop humide ; 2° se servir de pipes munies d'une pompe ou réservoir pour con- denser la nicotine; 3° ne fumer la pipe ou le cigare qu-'à moitié et rejeter la portion excédante, impré- gnée de nicotine. Il est probable que la quantité de nicotine trouvée dans les produits de la combustion, dépend surtout de l'état de sécheresse du tabac. Les fumeurs de cigarettes, qui ne se servent que de tabac très-sec, fument toute la journée sans en paraître le moins du monde incommodé, et, cependant, les produits empyreumatiques doivent se condenser dans la bou- che, tandis que dans la pipe ils se condensent en grande partie dans le tuyau. D'un autre côté, il n'est aucun fumeur qui ne se soit aperçu que le tal)ac très-humide, même fumé dans la pipe, était plus acre et plus fatigant que le tabac plus sec. Tous ces phénomènes peuvent aisément s'expliquer. 11 suffit, en efîet, d'observer que le sel naturel de nicotine, qui est neutre, se dédouble, à une chaleur de 100°, en sel acide et en nicotine libre plus volatile qui se retrouve dans les produits gazeux de la combustion du tabac. Or plus le tabac est humide, plus on favo- rise ce dédoublement, qui a peine à se produire quand le tabac est bien sec. D'un autre côté, nous avons dit, page 70, que l'oxyde de carbone, à notre avis, entrait pour une assez grande part dans les phénomènes d'intoxication produits par la fumée de tabac. Dans la combustion active du tabac sec, il se produit plutôt de l'acide carbonique peu délétère; tandis que dans la combustion lente du tabac hu- mide, c'est plutôt de l'oxyde de carbone qui se forme. On conçoit, dès lors, comment le tabac sec doit avoir une action bien différente du tabac hu- mide (1). LÉGISLATION. FERME , MONOPOLE , COMMERCE ET ADMIMSTRATIOIV DES TABACS. L'usage du tabac ne devant pas être considéré (1) Notre collègue, M. Réveil, sans connaître, sans doute, notre opinion à cet égard, a émis à peu près la même idée, le 11 août 1866, dans sa thèse inaugurale intitulée : Recher- ches sur l'opium, pag. 92 ; mais notre idée se trouvait ex- primée dans le numéro du Globe industriel, agricole et commercial, le 22 juin 1856, pag. 395. comme un objet de première iiécessilé, la consom- mation allant du reste toujours croissant, on a pensé qu'il était juste de l'imposer plus que toutes les au- tres denrées. Mirabeau a dit « qu'il n'y avait pas d'impôt qui fût pins doux ni plus équitable. » C'est en vertu de ce principe que le gouvernement fran- çais, sous Richelieu, a le premier imposé le tabac en le frappant d'abord d'une taxe de 40 sous le cent pesant. (CU Renier.) Rientôt les divers États l'imitè- rent et trouvèrent dans l'impôt sur le tabac un moyen d'augmenter leurs revenus. A. LÉGISLATION FRAIVÇAISE. L'emploi journalier du tabac ne fit d'abord en France que des progrès peu rapides, et la consom- mation en était si bornée qu'à partir de 1674, où le commerce du tabac commença à être soumis à un privilège exclusif, jusqu'en 1680, cette denrée ne rendit au gouvernement que 500.000 livres les deux premières années, et 600,000 livres les quatre der- nières, bien que pourtant l'on eût joint à ce privilège le' droit de marque sur l'élain. Ce résultat fut cause sans doute que cette ferme a- été confondue dans les fermes générales jusqu'en 1691, mais comprise pour une somme de 1,500,000 livres par an; néanmoins en 1697 elle redevint une ferme particulière aux mêmes conditions jusqu'en 1709, où elle reçut une augmentation de 100,000 livres jusqu'en 1715. Cette ferme ne fut alors renouvelée que pour trois années, dont les deux premières ne durent rendre 18 - 27/1 - que 2 millions de livres, tandis que la troisième rendit 2,200,000 livres. A cette i^poque, la ferme fut portée à /j, 200, 000 li- vres par an; mais cette disposition ne fut continuée que du 1" octobre 1717 au 1" juin 1720. Alors le tabac, devenu marchandise, s'étendit dans tout le royaume et resta sur ce pied jusqu'au 1" septem- bre 1721. La culture du tabac fut interdite alors , excepté dans l'Alsace, la Flandre et la Franche-Comté, où il était permis de le cultiver, de le fabriquer et de le vendre. A part cette exception, la ferme fournissait toute la France de tabac fabriqué dans huit manufac- tures situées à Paris, Tonneins, Dieppe, Morlaix, le Havre, Cette, Toulouse et Valenciennes. Pour sau- vegarder les droits de la ferme , l'État avait établi des lois sévères contre ceux qui seraient reconnus coupables d'avoir récolté du tabac en contrebande, et la peine de mort pouvait même être prononcée en cas de récidive. Mais alors les particuliers en avaient fait de telles provisions que lorsque l'on vou- lut rétablir cette ferme, on ne put le faire qu'à un prix très-modique. C'était le onzième bail, et il de- vait durer neuf ans, à commencer du 1" septembre 1721 et à finir au l'^ octobre 1730. Les fermiers donnaient pour les treize premiers mois 1,300,000 livres; 1.800,000 livres pour la deuxième année; 2,560,000 livres pour la troisième, et 3 millions de livres pour chacune des six dernières. Mais cet arrangement n'eut pas lieu, parce que la Compa- gnie des Indes demanda la ferme du tabac, qui lui avait été alors aliénée à perpétuité et dont les évé- nements particuliers l'avaient empêchée de jouir. Sa requête fut trouvée juste, et on lui adjugea ce qu'elle sollicitait avec la phis vive instance. Cette ferme fut donc régie par la Compagnie dfe? Indes depuis le 1" octobre 1723 jusqu'au dernier septembre 1730. Pendant cet espace de temps, le produit fut de 50,083,967 livres, ce qui fait par an à peu de cbose près, 7,15'i,852 livres, desquelles il fallait déduire annuellement 3,042,964 livres pour les frais d'exploitation. En présence de frais aussi considérables, on jugea que l'exploitation serait mieux conduite par les soins des fermiers généraux, qui pourraient y em- ployer des commis déjà utilisés à d'autres ouvrages. La Compagnie leur en fit un bail pour buit années, moyennant la somme annuelle de 7,500,000 livres les quatre premières années, et de 8 millions de li- vres pour les quatre dernières. Ce bail fut continué sur le même pied jusqu'au mois de juin 1747. A cette époque, le roi réunit la ferme du tabac à ses autres droits. Depuis 1758, il s'est vendu annuellement dans le royaume plus de 20 millions de livres de tabac à un écu la livre, bien qu'il n'eût coûté d'acbat que 27 livres le 100 pesant. Vers la fin du siècle dernier, les produits de la ferme générale s'élevaient annuellement à 166 millions de livres, et le tabac y était compris pour 32 millions de livres. L'assemblée nationale décréta, le 24 février 1791, que désormais toute personne serait libre de culti- ver, fabriquer et débiter du tabac ; mais en même temps, pour remplir le vide que la suppression de l'impôt occasionnerait au trésor , elle probiba les tabacs étrangers fabriqués et frappa d'un droit d'en- trée aux frontières, de 25 fr. par quintal, les feuilles de tabac étranger. Voyant que ces moyens ne rendaient presque rien, un décret fut rendu le 5 septembre 179-2, uii les droits d'entrée étaient diminués; mais en l'an V on les rétablit. Le 22 brumaire an VII, une nouvelle loi fut rendue , par laquelle la cul- ture, la fabrication et le commerce du tabac sont reconnus libres ; seulement tout fabricant est tenu de payer une taxe de 4 décimes par kilogramme pour le tabac en poudre et en carotte, et 2 déci- mes 4 centimes pour le tabac à fumer et le tabac en rôle. L'importation du tabac fabriqué ou simplement préparé est probibée, et le tabac en feuilles étran- ger assujetti à un droit d'entrée de SOfr.par quin- tal pour les navires étrangers, et 20 fr. pour les na- vires français. On confia aux administrations municipales la sur- veillance de la fabrication et la vente du tabac, es- pérant augmenter le chiffre de l'impôt, mais à peine augmenta-t-il, ce qui fil supposer que la sur- veillance n'était pas faite avec la rigueur nécessaire. Alors, par la loi du 10 floréal an X, on transféra cette surveillance à la régie de l'enregistrement en même temps que l'on augmenta les droits de fabri- cation. Malgré tout ce que l'on fit, le chiffre de l'impôt ne s'éleva pas à 5 millions, ce qui consti- tuait une énorme différence avec celui de 32 mil- lions qu'il avait produit avant 1791. Deux ans plus tard, la culture du tabac, qui de- puis 1791 avait été libre, fut grevée, et l'on imposa des licences aux fabricants et aux débitants, aux- quels on fit payer des vignettes au prix d'un cen- time; enfin les droits d'entrée des tabacs étrangers furent successivement élevés à 80, 180 et 396 fr. pour ceux apportés par les navires français, et 100, 200 et 440 fr. pour tous ceux amenés par les na- vires étrangers. Par un décret du 1" germinal an Xlll, tous les marchands de tabac non ponrvus de licence devaient voir confisquer les tabacs trouvés dans leurs bouti- ques ou leurs magasins, et s'attendre à la peine d'une amende qui devait être égale à dix fois le prix de la licence qu'ils auraient dû prendre. Malgré ces mesures, l'impôt atteignit àpeine, la première année, le chiffre de 9 millions, qui s'éleva à 12 millions l'année suivante, et à 16 millions en l'an XIV. Ce chiffre resta sans augmentation les années suivan- tes. Mais alors, deux décrets impériaux relatifs au tabac parurent le 29 décembre 1810, ordonnant, le premier, l'achat au comptant, par la régie, et la prise en livraison avant le 1" mars 1811 de tous les tabacs en feuilles qui se trouveraient tant chez les fabricants, négociants et débitants que chez les cultivateurs,, et qu'à partir du 1" juillet de la môme année, le tabac ne pourrait plus être vendu que par les agents de la régie commis à cet effet ; le second décret attribua à la régie le droit d'acheter des ta- bacs en feuilles, la fabrication et la vente des ta- bacs fabriqués. On reconnut alors à la fabrication et à la vente des tabacs une telle importance, que l'on jugea nécessaire de séparer des autres revenus perçus par la régie cette partie des revenus publics. C'est ce qui motiva le- décret impérial du 12 janvier 1811, par lequel il est dit qu'un maître des requêtes se- rait attaché à la régie des droits réunis pour être spécialement chargé, sous les ordres d'un conseiller d'État, directeur de la régie, de diriger et surveiller les achats, ainsi que la fabrication et la vente des tabacs. Ce fut M. Helvoët, maître des requêtes, qui fut le premier chargé de cette importante fonction, en vertu d'un décret impérial rendu le 13 jan- vier 1811. Parmi les articles du décret du 12 janvier 1811, et pour se conformer au goût des particuliers rela- tivement à la grosseur de la poudre du tabac à priser qu'ils désiraient, l'art. 44 dit que la régie instituera dans chaque arrondissement des râpeurs- jurés chargés de se transporter chez les particuliers, avec râpe de table et tamis, pour y râper les tabacs en carottes. Les débitants de tabacs jouissaient, comme rétri- bution, de l'augmentation de prix qu'ils avaient le droit d'exiger des consommateurs auxquels ils le vendaient, et d'une remise en nature pour le trait de balance. Le régime du monopole des tabacs eut les plus heureux résultats, puisque, dès la première année de son établissement, le chiffre de l'impôt s'éleva à 32 millions, le même que celui qu'il avait atteint avant 1791. Une ordonnance du roi, datée du 17 mai 1814, supprime les directions générales des douanes et les droits réunis; mais leurs attributions sont réunies sous le titre de Direction générale des contribu- tions indirectes. Une autre ordonnance de la môme date fixe au prix réduit de 4 fr. le kilogramme, y compris la remise de 50 centimes, le tabac de troupes ou tabac de cantine. Enfin, par la loi du 24 dé- cembre 1814, le monopole exclusif de l'achat, de la fabrication et de la vente des tabacs est formelle- ment attribué à l'État. Le 28 avril 1816, parut une loi sur les finances qui détermina le maximum dn prix des tabacs fabriqués que la régie devait vendre aux consom- mateurs. Elle fut en même temps autorisée à leur vendre des tabacs étrangers de toute espèce, et aux pharmaciens, aux vétérinaires et aux propriétaires de bestiaux, des feuilles de tabac indigène au prix du tabac de cantine. La même loi porte que les pré- posés aux entrepôts et à la vente des tabacs qui seront convaincus d'avoir fraudé les tabacs des ma- nufactures royales par l'addition ou le mélange de matières étrangères, seront destitués, sans préjudice des peines portées par l'art. 178 du Gode pénal. Le 2 février 1826, parut une ordonnance du roi où se trouvent plusieurs dispositions relatives à la vente aux prix réduits de différentes qualités de tabacs, et à la délimitation des lignes oii cette vente est autorisée. Ces prix, qui paraissent avoir pour but d'empêcber ou de diminuer les profits illicites de la contrebande, sont applicables seulement à quatre lignes comprenant les départements de l'est et du nord de la France. Cette délimitation fut modifiée le 2'i août 1830 par une ordonnance du roi Louis- Philippe. En prorogeant le régime du monopole jusqu'au l»"" janvier 1841, la loi du 12 février 1835 chargea le ministre des finances de la répartition annuelle du nombre d'hectares à cultiver en tabac et de la demande aux départements où la culture est auto- risée, des quantités de tabacs suffisantes pour assurer aux tabacs indigènes, au plus les quatre cinquièmes des quantités nécessaires aux manufactures royales. Une loi du 23 avril 1836 fixe à 50 fr. l'amende par 100 pieds de tabac planté sans autorisation sur uu terrain ouvert, et de 150 fr. pour le même nombre planté en terrain clos. (Art. 181 de la loi du 28 avril 1816.) En vertu de la loi du 23 avril, les tabacs dits de cantine ne peuvent circuler en quantités supérieures à 1 kilog., même sous marques et vignettes, à moins d'être accompagnés d'un acquit-à-caution ou d'une facture délivrée par l'entreposeur. Par la loi du 24 juillet 1843, il est établi que les lieux où la vente des tabacs à prix réduit, dits de cantine, est autorisée, nul ne pourra avoir en pro- vision plus de 3 Idlog. de ce tabac, alors même qu'ils seraient revêtus des marques et vignettes de la régie. Les contrevenants à cette mesure seront punis conformément à l'art. 218 de la loi du 28 avril 1816. Or les art. 217 et 218 portent que « nul ne peut » avoir en sa possession des tabacs en feuilles, s'il » n'est cultivateur dûment autorisé. » Nul ne peut avoir en provision des tabacs fabri- » qués autres que ceux des manufactures royales, » et cette provision ne peut excéder 10 Ivilog., à » moins que ces tabacs ne soient revêtus des mar- » ques et vignettes de la régie. » Art, 218. Les contraventions à l'article précé- » dent seront punies de confiscation et en outre » d'une amende de 10 fr. par kilogramme de tabac » saisi. Cette amende ne pourra excéder la somme » de 3,000 fr., ni être au-dessous de 100 fr. » Le 22 octobre 1843, une ordonnance est rendue qui fixe le prix des cigares fabriqués à la Havane, dits réyalias, à 25 centimes la pièce, et celui des cigares nommés quartas, fabriqués à Manille, à 15 centimes. La même ordonnance porte autorisation de vente de cigarettes composées avec des tabacs étran- gers, aux prix de : 50 centimes le paquet de 10 cigarettes à enve- loppes simples; 75 centimes le paquet de 10 cigarettes à bouts en bois. Une ordonnance du 16 juin 1844 porte l'autorisa- tion de vente au détail de deux espèces de cigares fabriqués à la Havane et désignés sous le nom de panetelas; la première sorte à 50 centimes pièce, et la deuxième à 40 centimes. Un décret du gouvernement provisoire, rendu le 2 mai 1848, tout en maintenant le prix du tabac ordi- naire en poudre et à fumer établi par l'ordonnance du 27 août 1839, élève à 25 cent, par kilogramme le prix que les débitants doivent payer à la régie. Un décret rendu par Louis- Napoléon Bonaparte, le 21 décembre 1849, apporte des modifications aux délimitations des premières et secondes lignes (dé- partement des Ardennes) où les tabacs sont vendus à prix réduits. Le 4 janvier 1851, lé président de la république rend un arrêté qui fixe le prix de vente des diverses espèces de cigares de la Havane , tout en mainte- nant le prix de vente des autres espèces de cigares mentionnés en l'arrêté du 4 mai 1849. (Voir plus loin le tableau indiquant le prix des cigares de la Havane.) Par le décret du 11 décembre 1851, indépendam- ment de la prorogation jusqu'au 1" janvier 1853 de l'attribution exclusive à l'État de l'achat , la fabri- cation et la vente des tabacs, le même décret porte que le tarif d'entrée des cigares et cigarettes impor- tés comme provision de santé ou d'habitude, déter- miné par la loi du 7 juin 1820, sera modifié et établi de la manière suivante : Cigares et cigarettes importés comme provision de santé ou d'habitude , jusqu'à concurrence de 10 kilog. par destinataire, par les bureaux de douanes ouverts au transit, 24 fr. le kilog. (sans décimes). Le 20 janvier 1852, un décret est rendu qui fixe à 10 fr. par kilog. le droit d'entrée sur les tabacs autres que les cigares et les cigarettes fabriqués à — 282 — J'étrauger, et autorise l'importatiou de ces tabacs , comme provision de santé on d'habitude , par les bu- reaux des douanes ouverts au transit, jusqu'à con- currence de 10 kilog. par destinataire. La loi du 3 juillet 1852 porte que le monopole de l'achat , de la fabrication et de la vente du tabac dans toute l'étendue du territoire sera continué jusqu'au 1" janvier 1863. L'accroissement incessant de la consommation des tabacs à fumer, sur la demande des habitants de trois départements, a fait rendre deux décrets qui les autorisent à cultiver du tabac, mais seulement les espèces de tabacs légers propres à la fabrication des tabacs à fumer. C'est ainsi que le décret impérial du 26 juillet 1852 autorise cette culture dans les dépar- tements des Bouches-du-Rhône et du Var à titre de aiouvel essai, attendu que l'autorisation de cultiver ie tabac dans ces endroits avait été retirée en 1835, iparce que, dit-on, ils fournissaient des produits trop inférieurs ; c'est encore ainsi que le décret im- périal du 17 novembre 1854 permet la culture du tabac dans le département de la Gironde. Deux autres décrets impériaux, du 29 juin et du 10 août 1853, le premier pour l'armée de terre el le second pour l'armée navale, autorisent la li- vraison aux troupes du tabac de cantine à fumer au prix de 1 fr. 50 c. le kilog. et à raison de 10 grammes par jour pour chaque ayant-droit, d'a- près l'effectif dûment constaté, aux sous-officiers et soldats pour les troupes de l'armée de terre; aux maîtres, quartiers- maîtres et matelots, aux sous -of- ficiers et soldats d'infanterie, d'artillerie et de gen- darmerie de marine , ainsi qu'aux ouvriers d'artil- lerie et aux gardes-chiourmes, lorsqu'ils seront en activité de service soit dans larade, soitdausles ports. — 283 - Enfin un décret impérial, du 31 mai 1854, porte queues entrepôts de tabacs fabriqués dans les manu- factures de France sont établis en Algérie ; ces en- trepôts de tabacs , établis dans les villes de l'Algérie où il existe des entrepôts de poudres à feu, sont gérés par les entreposeurs de poudres à feu. En voici le prix de vente par kilogramme : ux aux entreposeurs, consommateurs. Tabacs ordinaires j ^"f^^"^'^^' j 5 fr. 50 c. 6 fr. » Tabacs étrangers j f^P^^j^^' j 7 30 8 Ces tabacs ne peuvent être introduits et consom- més en France sans être considérés comme importa- tion frauduleuse et punie comme telle. Ils seront d'ailleurs vendus dans les entrepôts par paquets fer- més de 1 kilog. à 2 hectog. au moins, revêtus d'é- tiquettes spéciales et des vignettes de la régie. Pour avoir une idée à peu près exacte de l'im- portance de ce monopole , nous extrayons des ta- bleaux annexés à la loi du 28 mai 1853, portant règlement définitif du budget de l'exercice 1850, les renseignements relatifs aux recettes et aux dépenses totales du monopole des tabacs. EXERCICE DE 1850. — EXPLOITATION. fr. c. Personnel 898,843 47 Matériel 5,680,773 14 Achats et transport des tabacs. 22,562,966 69 Dépenses diverses 232,880 11 Total des dépenses. . . 29,375,463 41 Total de la vente des tabacs. 122,068,401 66 Bénéfice net 92,692,938 25 — 284 — Voici maintenant le tableau indiquant le prix de vente des cigares de la Havane, fixé par l'arrêté du 4 janvier 1851 : CIGARES FABRIQUÉS PRIX D PX". KILOG. I) : VENTE 2Ô0 CIGARES, PRIX de chaque A LA HAVANE. DÉBITANTS. CONSOMHATE'JUS. CIGAHE. fr. c. fr. c. fr. c. Impériales Panetelas, 1« sorte, et espf-ces analo- 92 .. 100 » 0 40 gues Cazadores Panetelas, a"" sorte, r 80 .. 87 50 0 35 et espèces analo- 1 gues 1 Kegalias extra et es- 68 » 75 00 0 30 pèces analogues. . Vegueros 56 >. 62 30 0 '25 Ce tableau indique les bénéfices que l'État accorde aux débitants sur les tabacs étrangers. Nous donnons aussi un tableau où l'on trouvera les prix de revient et de vente, aux débitants et aux consommateurs, des difî"érents tabacs, ainsi que les bénéfices de la régie (1). (1) Ch. Renier, Encyclopédie moderne. DÉSIGNATION des PRIX DE REVIENT PRIX DE VENTE PRIX DE VENTE BÉNÉFICE DE LA RÉGIE TABACS. du kilog débitant. consommât' par kilog. Supérieurs. fr. c. fr. c. fr. c fr. c. Tabac à priser. . . •2 09 II 10 12 .. 9 01 — à fumer. 2 47 M 10 12 » 8 63 Rôles h. mâcher. . 2 63 9 80 11 » 7 17 Carottes à râper. . 2 03 9 50 10 » 7 47 Cigares à 10 cent. 7 !é-2 22 » 25 » 14 58 — à 8 cent. 3 45 M 12 50 7 55 Ordinaires. Tabac à priser. . . I 44 7 25 8 5 81 — à fumer. . . 1 98 7 25 8 » 5 27 Rôles à mâcher. . » 92 7 25 8 « 6 33 Carottes à râper. . 1 93 7 25 8 " 5 32 De cantine. 1 36 5 5.- 6 50 4 19 Tabac à priser. . . I 06 » 95 3 40 2 S5 4 3 „ 2 34 1 60 » 90 2 15 2 50 1 25 / i 02 5 55 6 50 3 63 Carottes, gros rôle et tabac haché. . 1 45 .. 95 3 40 2 55 2 15 4 2 50 1 71 . 1 10 1 20 » 90 1 70 2 " » 80 Cig. de la Havane. Cigares à 20 cent. 32 47 44 •> " » 11 53 — à 40 cent. 20 21 22 » * " 1 79 Enfin, on verra par le tableau suivant, d'une part, les bénéfices de la régie pour les années in- — 280 — diquées , et de l'autre , que l'usage du tabac a été sans cesse croissant depuis 1815. Années. Bénéfices de la régie. 1815 32,123,303 fr. 1820 42,619,604 1825 44,393,057 1830 45,632,490 1835 51,700,181 1840 70,111,157 1845 78,659,277 1850 92,692,938 1851 95,713,271 1855 107,000,000 La consommation annuelle , pour la France , se rapproche actuellement de 20 millions de kilog. de tabac de toutes sortes, fabriqués dans les manufac- tures de la régie. Mais si l'on tient compte des quantités importantes de tabac achetées en fraude, on reconnaîtra que cette consommation est encore beaucoup plus grande. Abstraction faite de ces der- nières quantités , on a calculé que le chiffre de la consommation donne annuellement, en France, 511 grammes pour chaque individu. La Russie en consomme dans la même proportion. En Hollande et en Allemagne, la consommation est triplée; on la dit quadruple en Belgique, et en Italie la moitié environ de celle de France. Mais il' faut bien tenir compte de la liberté de culture , de fabrication et de vente des tabacs dans les divers États que nous venons de signaler. Ainsi, par exemple, de ce que ces opérations ne sont pas libres en France, tandis qu'elles le sont dans la Belgique, il doit résuller que le Français est censé dépenser moins et le Belge plus de tabac, qu'ils ne le font réellement, à — 287 — cause des quantités qui se passent en fraude do pays où cette liberté existe dans celui où elle- n'existe pas. L'observation a démontré que, sur ces 511 gram- mes de consommation française, 198 sont en tabae- à priser, et 313 en tabac à fumer (1). Or, si l'on- établit la proportion : 198 : 313 : : 100 : x on a a: = ^^^ ^^^ ^^^ = 158,08, ou 158 en supprimant la fraction, c'est-à-dire que la quan- tité de tabac à fumer est à celle de tabac à priser comme 158 : 100. Or nous avons déjà dit qu'en 1783 ce rapport; était de 320 à 375 ; d'où il faut conclure que l'u- sage du tabac à fumer gagne sur le tabac à priser,, et ce qu'il est intéressant de constater, c'est que ^ pour les départements qui en consomment le plus, c'est le tabac à fumer qui l'emporte de beaucoup sur celui à priser, tandis qu'au contraire , pour leS' départements qui en consomment le moins, c'est le tabac à priser qui se consomme le plus ; ceux ci sont pour ainsi dire en retard d'un siècle sur ceux-là. Nous devons au professeur Johnson l'estimation suivante relative à la consommation des divers nar- cotiques; estimation qui donnera un aperçu de l'im- mense importance que présente le tabac, comparé même à l'opium et aux autres substances usitées par les hommes pour se procurer artificiellement des sensations qu'ils aiment à éprouver. Selon cet auteur, il y a environ 800 millions d'hommes qui (1) Cil. Renier (loc. cit.). usent du tabac; tandis que V opium ne s'adresse qu'à 400 millions; le chanvre et le haschisch (1), qu'à 2 ou 300 millions; le bétel (2), à 100 millions, et le coca (3) à 10 millions. (1) Ce mot, qui signifie Iicrbc par excellence, dans !e lan- gage des Orientaux, est appliqué au cannabis indicci, plante très-analogue à notre chanvre ordinaire, et que l'on nomme aussi /lerbe des fakirs (haschiscliat alfokara). En Perse, on nomme clntrrus ou cherris la résine molle qui recouvre la plante, et qui possède à un haut degré ses propriétés eni- vrantes. Sous les noms de (jauja, gunjah et de bang^ on en- tend parler de la plante séchée et destinée à être fumée. On nomme extrait gras ou plus simplement haschisch, un corps gras, particulièrement le beurre, chargé par coction du prin- cipe actif du chanvre indien; mais la préparation la plus re- cherchée est ce que l'on appelle le dawamesk, sorte d'élec- tuaire fait avec de l'extrait gras, du suce, du miel, des amandes, des noisettes et des pignons doux réduits en pâte ot au(iuel on ajoute quelques gouttes d'essence de roses et quelques autres aromates, telles que cannelle, girofle, gin- gembre, etc. Enfin le madjoure-tckrouri n'est autre qu'un mélange de miel et de chanvre en poudre, cuit au bain- marie pendant deux heures. (2) Le bétel (Piper bétel, Lin.) est une plante dont les feuil- les sont employées dans l'Inde à faire un masticatoire d'une extrême violence, mais qui passe pour stomachique. Les hommes, les femmes, les vieillards et les enfants, tout le monde mâche le bétel à toute heure. Il a l'inconvénient de déterminer assez promptement la chute des dents. Voici comment se compose ce masticatoire : R. Noix d'arec {Areca bétel) 2 parties. Chaux vive retiréedesécaillesd'huîtres.i ^^ parties Feuilles du poivre bétel ......( On coupe la noix par tranches; on la saupoudre de chaux, puis on l'enveloppe avec quelque aromate dans une feuille de poivre bétel. On emploie aussi au môme usage le piper dicho. fomum. (3) Le coca (Erythroxylum coca, Lam.) est un arbrisseau du Pérou, dont les feuilles sont ce èbres par leurs propriétés toniques et excitantes, qui paraissent être analogues à celle En France, la culture du tabac est autorisée dans neuf départements : ce sont ceux du Nord, du Pas-de-Calais, du Bas-Rhin, du Lot, du Lot-et-Ga- ronne, de riUe-et-Vilaine, des Bouches-du-Rbône , du Yar et de la Gironde , niais dans ces trois der • niers à titre de nouvel essai. Le plus souvent, la jouissance du privilège de planter du tabac ne peut s'effectuer que sous le contrôle actif des employés de la régie. C'est d'ordinaire le préfet du département qui accorde les autorisations de cultiver le tabac. 11 est d'ailleurs, par la loi du 28 avril 1816, chargé de toutes les mesures réglementaires relatives à cette culture. Selon le terrain, le climat, le mode de culture et l'espèce de tabac cultivé, on obtient des produits bien différents. Là, les plants sont de trop grande dimension; ici, ils sont plus petits, et chaque pied occupe une moins grande place. 11 est des départe- ments dont le produit, lourd et épais, dû à une vigoureuse végétation, n'est bon que pour fabriquer le tabac à priser. Tels sont les tabacs cultivés dans le Lot, le Lot- et Garonne, le Nord et Tllle-et-Vilaine. Au contraire, les départements où la végétation est moins active produisent des feuilles minces et lé- gères, beaucoup plus propres à la fabricfftion des tabacs à fumer ; tels sont le Pas-de-Calais et le BaSr du vin. Mâchées en petite quantité, les voyageurs et les ou- vriers mineurs peuvent soutenir leurs forces et supporter la faim et la soif pendant une journée. Mélangées avec des feuil- les de tabac et mâchées, elles procurent une ivresse dont les effets sont assez semblables à ceux du chanvre indien (Gui- bourt). M. Macaglan a à peu près constaté dans le coca, l'exis- tence d'un alcaloïde volatil ayant de l'analogie avec la Nico- tine. Cette substance est, au Pérou, l'objet d'un commerce considérable. 19 Kbiii. Dans ce cas, on a soin d'amender moins forte- ment les terres et de rapprociier un peu plus les plants. C'est en présence de ces données que la régie s'est déterminée à diviser la culture du tabac en deux catégories : pour la première elle ne permet que 10,000 pieds pour chaque hectare, et 8 feuilles seulement par pied ; pour la seconde, elle permet 40,000 pieds par hectare, et 15 feuilles par pied. Mais la loi et les dispositions réglementaires laissent au planteur la latitude du cinquième en plus ou en moins du nombre de pieds signifié dans leurs per- mis. Les tableaux suivants, que nous empruntons à la publication de M. Barrai, rendent compte de l'im- portance relative des six premiers départements où s'est faite la culture du tabac. Tabacs indigènes récoltés en 1859 et livrés en 1840. - NOMBRE QUANTITÉS II -- — ~i II- . m -^^ 1 DEPARTEMENTS. des ï demandées donnant ' planteurs. 1 '■a à la culture. lieu à paiement. exportées kil. kil. kil. Bas-Rhin. . . . 4,628 2,149 3,800,000 3,163,312 331,888 Nord 1,668 663 1,890,000 1,518,028 150,108 llle-et-Vilaine. . 1,069 504 950,000 668,383 » Pas-de-Calais. . 1,439 442 630,000 598,916 3,490 Lot 6,245 1,780 1,240,000 1,131,262 » Lot-et-Garonne . 4,788 2,787 1,900,000 1,172,340 » 19,837 8,327 10,410,000 8,232,241 485,486 — 291 — Revenus de la culture du tabac en 1839. DÉPARTEMENTS. SOMMES PAYÉES. PBIX MOYEN par 100 kU. PRODUITS D KILOGRAM. : L'HECTARE en AnOENT. Bas-Rhin. . . . Nord Ille-et-Vilaine. . Pas-de-Calais. . Lot Lot-et-Garonne . Total. . . . fr. 1,371,985 1,133,058 399,971 413,450 980,755 874,842 fr. c. 43 37 74 64 59 84 59 16 86 68 74 62 kil. 1,621 2,5(18 1,326 1,589 647 427 fr. c. 1 684 92 1,771 51 792 88 936 37 550 98 314 22 5,174,061 398 31 » •> Produit moyen. . . . 66 38 1,653 841 81 Nous avons dit autre part que le tabac se fabri- quait en France dans 10 manufactures qui n'em- ploient pas moins de 7 à 8,000 ouvriers. De ces ma- nufactures, il Y en a 9 qui fabriquent les tabacs ordinaires à fumer et à priser, du prix de 7 fr. le kilogramme, et les tabacs supérieurs à fumer, du prix de 11 fr. 10 c. Celle de Marseille ne fabrique que des cigares, soit en raison du peu d'étendue des bâti- ments, soit parce qu'avant le régime du monopole, ce genre de fabrication avait pris dans cette ville un grand développement. Les manufactures de Morlaix et Tonneins font plus spécialement des tabacs en carotte ; celles de Lille et de Strasbourg ne préparent que des tabacs dits de cantine, qui sont des tabacs à priser ou à fumer de prix inférieur. Enfin , il n'y a que Paris qui fabrique du tabac supérieur du prix de 10 fr. 10 c. A lui seul il occupe près de 3,000 ouvriers, dont les 5/6^» sont des i'ennnes. (Démon- (l('^sir.) Les produits de toutes ces manufactures s'élèvent à plus de 16 millions de kilogrammes, quantité supé- rieure à celle qui est annuellement consommée; de cette façon, il n'est aucun accident qui puisse ve- nir entraver la consommation. Pour produire ces quantités de tabac, il y a toujours à peu près 1 1 ,500,000 kilog. de feuilles, et près de 1 8 millions de matières en voie de fabrication, quantité supérieure à celle de la consommation et qui doit être prête à être livrée l'année suivante, afin de répondre aux exigences d'un besoin plus grand, s'il avait lieu. Pour éviter les encombrements qui causeraient des pertes et rendre les fournitures aux différents entrepôts plus faciles; pour faire aussi, comme nous l'avons déjà dit, que l'écoulement des pro- duits de cbaque manufacture soit toujours assuré, Fadministration s'atlachant d'ailleurs à maintenir partout le même mode et la même perfection de fabrication, la régie a imposé aux divers départe- ments l'obligation de tirer leur tabac ordinaire, du prix de 7 fr., de la manufacture qui est désignée pour les desservir. M. Barrai a dressé le tableau suivant, qui fera connaître les départements que chaque manufacture doit desservir, en même temps que l'importance relative des diverses manufac- tures. «ANCFACiuBEs. Tabac expédié / Aube, Cher, Côte-d'Or, Eure-et-Loir, \ l Indre, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher, j 3,758,813 k. 1 Loiret, Haute-Marne, Maine-et-Loire, f en outre Paris . . . { Nièvre, Orne, Sarthe, Seine, Seine-et- > g^ ^gs j Marne, Seine-et-Oise, Yonne. — En ' f tout 1 7 départements, dont 1? popiila- ( tion est de 6,504,018 âmes. Strasbourg. Doubs, Bas-Rhin, Meurtlie, Meuse, Moselle, Haut-Rhin, Haute-Saône, j Vosges. — 8 départements, conipre- ( ■"..." \nant 3,148,801 âmes. J Ç Aisne, Ardennes, Marne, Nord, Oise, \ Lille. • • . ] Pas-de-Calais, Somme. — 7 départe- J 3,572,439 ' ments = 3,821,619 âmes. ) / Calvados, Eure, Manche, Mayenne, \ L'Havre.. | Seine-Inférieure. — 5 départements! 1.03.5,8^8 (= 2,603,209 âmes. ) Côtes-du-Nord, Finistère, lUe-et-Vi- ■) laine, Loire-Inférieure, Morbihan. — i' 1,553,30/* 5 départements = 2,620,278 âmes . J f Charente, Charente-Inférieure, Gi- ) ronde, Landes, Basses-Pyrénées, Deux- Bordeaux. . j Sèvres, Vendée. — 7 départements ' = 2,624,731 âmes. 816,903 Dordogne, Gers, Lot-et-Garonne, Hautes-Pyrénées, Vienne, Haute-Vien- ne. — 6 départements = 1,971,967 âmes. / Ariége, Aude, Aveyron, Cantal, Cor- ^ I rèze. Creuse, Haute-Garonne, Hérault, | Toulouse. . I Tarn, Tarn-et-Garonne. — 13 départe- \ \ ments = 3,787,691 âmes. / Lyon f Hautes-Alpes, Basses-Alpes, Ain, Ar-\ et Marseille, l dèche , Allier , Bouches-du-Rhône , à où l'on ne j Drôme, Gard, Isère, Jura, Loire, Haute- f fabrique \ Loire, Puy-de-Dôme, Rhône, Saône-et- ï que des ci- j Loire, Var, Vaucluse — 17 départe- \ gares. l ments = 6,109,915 âmes. / Total. 15.837,482 k. La Corse ne figure pas dans ce tableau, parce que le régime du monopole n'y est pas encore appliqué. Les quantités portées sur ce tableau, publié en 1843, ne sont plus la représentation fidèle de la cotisommation du tabac qui a considérablement aug- menté, puisque nous avons vu qu'elle était à peu près de 20 millions de kilogrammes ; de sorte que le calcul — 29^1 — donné par M. Barrai, qui établit une consommation individuelle de 190 grammes de tabac à priser, et de 287 grammes de tabac à fumer, en tout 477 gram- mes, juste en 1843, est aujourd'hui au-dessous de la vérité, puisque nous avons établi autre part que cette consommation était de 511 grammes, consom- mation qui, à l'heure qu'il est, s'est peut-être encore un peu augmentée. Cette consommation est d'ailleurs très-variable selon les départements, ainsi qu'on peut le voir dans les deux tableaux publiés en 1843 par M. Barrai. Les départements où cette consommation est la plus grande sont les suivants : CONSOM»IATION DE TABAC. Départemeots. En poudre. A filmer. Toute espèce. Nord 130 gr. 1,666 gr. 1,796 gr. Pas de-Galais. . . 168 1,398 1,566 Haut-Rhin. . . . 269 909 1,178 Seine 551 644 1,195 Bouches-du-Rhône 300 733 1,033 Ceux où elle est la plus faible sont : Départements. En poudre. A fumer. Toute espèce. Lozère 106 gr. 38 gr. 144 gr. Haute- Loire. . . 79 ^ 72 151 Charente .... 126 35 161 Tarn 128 35 163 Lot 143 28 171 Gers 126 43 167 Ariége 127 47 174 On peut remarquer que dans les départements où la consommation individuelle est la plus forte, la consommation du tabac à fumer l'emporte de beau- coup sur celle du tabac à priser, et réciproquement que ceux où cette consommation est la plus faible, c'est le tabac en poudre qui l'emporte sur le tabac à fumer. « C'est que l'usage du tabac à priser, dit M. Barrai, est celui que l'on prend le plus facile- ment, et doit, par conséquent, dominer dans les contrées où la passion du tabac n'a pas encore pé- nétré. Lorsqu'au contraire on a vaincu le premier effort que demande l'usage de la pipe, le goût du tabac à fumer ne tarde pas à devenir dominant. D'autre part, l'usage du tabac à priser est en quel- que sorte le privilège de la vieillesse, et dès lors cet usage prend très-peu d'extension. L'usage du tabac à fumer, adopté par la jeunesse et l'âge mûr, se répand beaucoup plus et s'accroît surtout dans les départements industriels, où se trouvent réunis un grand, nombre d'bommes voués aux travaux des manufactures. C'est à peine si, dans ces buit der- nières années (1835 à 1843), la consommation du tabac à priser s'est accrue de 600,000 kilog., tandis que celle du tabac à fumer s'est accrue de près de 3 millions de kilogrammes. En parlant de la culture, nous avons dit un mot de l'importance que prend cbaque jour davantage la culture du tabac de l'Algérie. B. LÉGISLATION ÉTRANGÈRE. La législation relative au tabac est connue dans vingt-neuf États différents, savoir : deux en Amé- rique, et vingt-sept en Europe. Aux États - Unis , l'industrie du tabac se borne particulièrement à la culture, à la dessiccation, à la vente et à l'exportation des feuilles de tabac. Ce- peridant on en fabrique aussi , mais seulement pour - 296 — la consommation intérieure du pays. La fabrication et la vente sont parfaitement libres pour cette con- sommation ; mais il en est autrement pour les ta- bacs destinés à l'exportation. Dans ce cas , des ins- pecteurs-jurés visitent les boucauts de manière à constater la qualité et le bon état du tabac. A la vé- rité, cette vérification ne se fait pas toujours exac- tement dans la Virginie; tandis qu'au contraire, dans le Maryland, non-seulement les tabacs sont sévèrement inspectés, mais encore ils sont réelle- ment classés, et les types, détachés des boucauts , servent k conclure les marchés. Tous les tabacs qui ne sont pas reconnus suffisamment bons ou beaux sont réservés pour la consommation du pays ou pour les expéditions qui se font en Hollande et aux villes hanséatiques. L'exportation du tabac n'est, au reste, soumise à aucun droit. Voici, d'après M. Barrai, auquel nous devons un excellent travail sur le monopole des tabacs (1), un aperçu général sur la culture du tabac dans les États-Unis. Le nombre d'hectares que chaque année on cultive en tabac s'élève environ à 60,000, ré- partis de la manière suivante : Virginie 26,000 Maryland 14,000 États de l'Ouest (principalement ' le Kentucky) 20,000 60,000 La récolte s'élève à 65 millions de kilog., sur les- quels il en est consommé 13 millions dans l'inté- (1) Du Monopole des (abacs. Paris, 1843, p. 16. — 297 — rieur des États et exporté 52 millions, au prix moyen de 61 fr. les 100 kilog., ce qui fait monter à 32 millions de francs environ la valeur totale de l'exportation annuelle. Les tabacs exportés se répar- tissent ainsi : TABACS DE Virginie. Kil. Angleterre. . . . 13,600,000 France 3,400,000 Hollande 2,720,000 Brème 2,720,000 Italie et Espagne. 1,360,000 Pays divers. . . . 3,400,000 Totaux. . . 27,200,000 Maryland. ! Kil. 226,667 226,667 7,253,333 7,480,000 Élats d« l'Oaesl. KU. 2,992,000 272.000 1,904,000 1,904,000 2,720,000 Totaux. Kil. 16,818,667 3,898,667 11,877,333 H. 704,000 4,080,000 3,400,000 15,186,667 9,792,000 51,778,667 Nous ne parlons ici que du tabac en feuilles. Quant au tabac fabriqué , les principales exporta- tions consistent en tabac à mâcher, très- répandu dans toute l'Amérique , et surtout dans la Virginie, qui a la réputation de le bien fabriquer. Au reste, il est fort difficile de connaître la quantité de ces tabacs que chaque année l'on exporte, non plus que celle des cigares faits ou en tabacs indigènes ou en tabacs importés de la Havane et de Cuba. Une liberté plus grande encore de culture, de fabrication et de vente règne dans les Antilles. L'ex- portation, d'ailleurs facultative, est seule soumise à un droit de sortie de 6 fr. 50 cent, les 46 kilog. ou le millier de cigares. Il serait à désirer qu'un contrôle fût exercé, dans ces îles, sur la fabrication des cigares, qui est concentrée entre les mains de gens dont la mauvaise foi est devenue proverbiale. (Barrai.) Le nombre des cigares qui se fabriquent dans l'île de Cuba est extrêmement considérable. C'est elle et surtout la Havane qui fournissent la ma- jeure partie des cigares consommés dans toutes les parties du globe. Il se récolte chaque année, à la Havane, à peu près 3 millions de Idlogrammes de tabac en feuilles, sur lesquels 250,000 kilog. sont exportés. De plus, il sort de ses fabriques au moins 200 millions de cigares, savoir : Pour les États-Unis 100,000,000 l'Angleterre 50,000,000 l'Espagne 20,000,000 la France 10,000,000 les villes hanséatiques et au- tres contrées d'Europe. . 20,000,000 La récolte des autres parties de l'île de Cuba s'élève annuellement à 1,840,000 kilog. de tabac en feuilles, dont les quatre cinquièmes sont exportés, indépendamment d'une quantité considérable de ci- gares qui ne sont pas aussi estimés que les cigares de la Havane. Porto-Rico et la Terre-Ferme culti- vent aussi une assez grande quantité de tabac, dont la plus grande partie est exportée; mais les culti- vateurs sont de plus mauvaise foi encore qu'à Cuba; car ils refusent toujours de faire droit aux nom- breuses réclamations nécessitées par leurs envois, et l'on ne saurait prendre trop de précautions dans les marchés que l'on passe avec eux. Le tabac dit de Vannas provient particulièrement de la Terre- Ferme. La culture et l'importance commerciale des tabacs à Cuba paraissent avoir subi, depuis la publication de la brochure de M. Barrai, quelques modifications que nous devons signaler. La récolte annuelle de toutes les parties de l'île s'élèverait à 10 millions, sur lesquels le tabac de la Viielta de Abajo figurerait pour environ 6 millions et demi, répartis de la manière suivante : f Libra. . , 70,000 \ Injuriado 1". 330,000 Tabac de Vuelta ) Id. 2*. . . 600,000 de Abajo. ) Id. 3^ . . 1.300,000 f Id. 4». . . 2,000,000 V Gapaduras . . . . 2,200,000 Total. . . . . . 6,500,000 Tabacs de Partidos et de la Tierra Adentro 3,500,000 Total général. . . . 10-,000,000 On peut distribuer ainsi qu'il suit la consommation de cette quantité de tabac : Tabac en feuilles officiellement ex- porté, environ 2,000,000 Tabac en feuilles non officiellement exporté 1,000,000 Tabac en feuilles confectionné en ci- gares 7,000,000 Total 10,000,000 L'importance de la confection des cigares à la Ha- vane, il y a une dizaine d'années, était à peu prés de 400 millions, répartis ainsi : Quantités exportées officiellement . 140,000,000 — non officiellement . 110,000,000 — consommées par les indi- gènes 150,000,000 Total 400,000,000 La France entre pour la plus grande part dans les demandes de cigares qui sont faites à la Havane Il est peu probable que cette fabrication ait pris un grand accroissement depuis cette époque, en rai- son de ce que la quantité de bonnes feuilles récol- tées dans l'ile est toujours limitée, et aussi parce que les principales fabriques, surtout celles qui tiennent à leur réputation, ne sont pas disposées à répondre à toutes les commandes qu'on leur fait, soit parce qu'elles craignent de gâter la main de leurs ouvriers, en les forçant à produire davantage, soit parce que n'ayant qu'une quantité prévue de tabac de qualité, elles préfèrent refuser de fabriquer que de s'exposer adonner des produits de qualité inférieure. Pour terminer ce qui concerne les tabacs d'Amé- rique , nous allons rapporter quelques considéra- tions présentées, en l'an VllI, par J. Peuchet, sur la culture, le commerce, l'impôt et l'exportation du tabac aux États-Unis. 11 est peu de contrées où le tabac ait été cultivé avec plus de succès que dans l'Amérique anglaise, surtout dans la Virginie et le Maryland. Leurs pre- miers colons en firent leurs occupations particuliè- res, et l'étendue des plantations a été en raison du développement du goût des Européens pour cette plante. La culture du tabac, dans l'Amérique anglaise, a pris une grande extension, surtout depuis la disso- lution de la Compagnie d'Afrique, la liberté rendue à ce commerce ayant donné aux Virginiens et aux Marylandais les moyens de se pourvoir de nègres plus abondamment et à meilleur marché. Ce sont eux qui sont d'ordinaire employés à cette culture. Pour cela , ils sont réunis par bandes de sept ou huit, ayant en tête un inspecteur. Chaque nègre a une part du produit, et l'inspecteur une et demie ou même deux. En 1777, la Virginie comptait 140,000 nègres. Dans le Maryland, un nègre, pouvant faire chaque année 600 livres et même jusqu'à 3,000 livres pe- sant de tabac quand il y emploie tout son temps, ne coûtait alors à son maître d'entretien que 40 livres, argent de France. Dès le commencement du xviii' siècle, la quan- tité de tabac exportée a été véritablement considéra- ble. Dans son rapport présenté au parlement , le docteur Davenant l'a évaluée, année commune, de dix ans finissant en 1709, à 28,856,666, qui, à raison de 800 livres pesant par hogshead (muid ou barrique), donnent environ 35,000 hogsbeads. Cette quantité s'est encore trouvée augmentée, vers 1736, car on voit que le commerce de la Virginie et du Maryland employait alors 200 vaisseaux et expor- tait 45,000 hogsheads. On a constaté qu'il était sorti, en 1740, de la baie de Cbésapeak, 70,000 boucauts de tabac. Nous ne considérons ici que la quantité de tabac exporté annuellement des anciennes colonies an- glaises en Angleterre , négligeant d'y comprendre ce qui s'en consomme dans l'Amérique anglaise et ce qui s'en exporte aux îles anglaises d'Amérique, quantité dont on n'a aucune estimation. Depuis l'indépendance des États-Unis , il n'est pas probable que cette production ait augmenté, par la raison que beaucoup d'États qui tiraient du tabac d'Amérique par l'Angleterre le cultivent ou en ti- rent d'ailleurs, et que, de plus, le commerce que les Américains eux-mêmes font de cette substance ne lui offre pas un débouché aussi étendu que lors- que l'Angleterre le faisait exclusivement. Selon M. Anderson, quand il fut question du bill qui, en 17Zi8, devait imposer le tabac, les mar- chands publièrent un grand nombre de pamphlets contre ce projet. Ils citèrent à cette occasion les li- vres de la douane pour les années 1744, 1745, 1746, par lesquels, dirent-ils, il paraîtrait qu'il aurait été importé en Angleterre 40 millions de livres pesant ou 50,000 liogsbeads de tabac. Selon quelques auteurs, en 1750 , l'exportation du tabac de la Virginie et du Maryland fut portée à 100,000 boucauts. Douglass écrivait, en 1760, qu'en moyenne, on importait chaque année de la Virginie dans la Grande-Bretagne 35,000 hogsheads de tabac, et en- viron 30,000 du Maryland. Enfin l'auteur de VHisfoire des deux Indes prétend que le commerce de tabac de la Virginie et du Maryland occupe 250 navires formant 30,000 tonneaux qui tirent des deux États 100,000 barri- ques ou hogsheads de tabac. Au dire de quelques écrivains, en 1774, la France tirait tous les ans des colonies anglaises 30,000 tonneaux ou barriques de tabac du poids chacune de 9 à 1,100 livres, évaluées en somme à 250,000 livres sterling ou 6 millions de livres tournois. La France et l'Angleterre consomment particuliè- rement le tabac de la Virginie, tandis que celui du Maryland passe plutôt en Hollande et en Allemagne. La plus grande partie du tabac à fumer que les Anglais exportent se vend à Archangel. Aujourd'hui on y en débite moins qu'autrefois. Les états d'exportation du 1" octobre 1796 jus- qu'au 30 septembre 1797 font voir qu'il a été ex- porté en tabac des États-Unis, savoir : Tabac en feuilles, 58,167 futailles de 12 à 15 quintaux chacune; Tabac en poudre, 73,257 livres en poids; Tabac en rouleaux ou haché, 12,805 livres en poids. D'après M, Alf. Demersay (loc. cit.), la culture du tabac augmente sensiblement au Paraguay. L'ex- portation du district de Villa-Rica, qui , en 1814 , n'était que de 16 arrobes et même moins encore sous l'influence de l'interdiction du commerce, s'é- levait déjà, en 18/i6, à 60,000 arrobes, grâce aux débouchés ouverts par l'intervention anglo-française dans la Plala, et l'on prévoyait que l'année suivante l'augmentation ne s'arrêterait pas là. Voici, d'après le même auteur, le tableau par loca- lités du tabac récolté au Paraguay en 1829 : Arrobes (I) Assomption 1,200 Lambare 400 San-Lorenzo .... 200 Capiata 600 Itagua 2,000 Ipane 500 Guarembare .... 500 Ita liOO Angostura 300 Yaguaron 2,000 Paraguarv 1,000 Ybimbire!! 600 Carapuega 3,000 Acaay 3,000 Tobapy 2,000 Ybieni 1,000 Caapucu 800 Quiquio 6,000 Agatafe AOO Remolinos 300 Pirayu 2,000 Curupayti 700 Caacupe 400 San-Roque 300 Ipacaray 300 Atira Babati. . . Altos . . . Aregua. . . Limpio. . . Penon . . . Emboscada . î,000 3,000 1,000 700 400 200 300 A reporter . . 37,300 Report. . . Mamanbi Urundy-Yuru .... Catigua Ypuita Guarepoti Piribebuy Cariy Valenzuela Arroyos Ajos. . Hyatai Villa-Rica Itape Acanguazu Caazapa Yuti Villa- Réal Neembucu San-Miguel Santa-Marla-da-Fé. . San-Ignacio-Guazu . Santa-Rosa .... Santiago San-Cosme. . . . . Itapua Trinidad Jésus Bobi San-Pedro Arrobes 37,300 400 1,500 2,000 3,000 2,000 2,500 3,000 1,600 1,200 1,000 2,000 6,000 2,000 4,000 1,000 1,000 8,000 4,000 1,200 1,200 3,000 3,000 4,000 2,000 3,000 600 400 3,obo 2,000 Total général. 100,900 (1) 12 kilog. 1/2. — 30/1 — Vers le même temps, chaque année, il sortait 45,000 arrobes de tabac, par la voie dltapua, comp- toir ouvert aux seuls trafiquants Portugais. De 1831 à 1815, 2,050,000 kilog. de tabac ont été exportés. M. Alf. Demersay suppose que le Paraguay en pro- duit aujourd'hui 450,000 arrobes , sur lesquels 200,000 environ sont versés dans le commerce. Le prix du tabac a beaucoup varié. Celui de bonne qualité coûte depuis quelques années, à Villa-Rica, en moyenne, de 8 à 10 réaux l'arrobe; il peut at- teindre 2 piastres si la récolte est mauvaise. Les frais de transport sont considérables dans le pays, et les négociants étant d'ailleurs obligés de se soumettre à une longue série de formalités qui s'é- tendent jusqu'aux plus petits chargements, il en résulte que le tabac est comme frappé d'une véri- table prohibition. (Demarsay.) Les droits d'exportation sont de 10 0/0. Ils sont acquittés en argent, à la douane, sur une taxe arrêtée d'après le cours de la place. « A la marche que prennent les choses sur les bords de la Plata, dit M. Demersay, on peut croire que de longtemps encore la navigation des rivières ne sera point libre. C'est donc à Buénos-Ayres que la France devrait demander le tabac du Paraguay. Il devient dés lors intéressant de connaître le prix du fret à différentes époques, depuis l'Assomption jusqu'au siège du gouvernement des provinces ar- gentines. » Avant l'avènement du dictateur, il était de 1 réal 1/2 à 2 réaux par arrobe. » Sous son règne, les expéditions n'avaient lieu qu'à de très-longs intervalles, et presque toujours pour le compte des propriétaires des navires. » En 1844. l'arrobe se payait jusqu'à une piastre. » Enfin, en 1816, lorsque le transport fut placé sous la protection des deux puissances médiatrices, les prix de l'arrobe variaient de 4 à 6 réaux 1/2.» Dans le Danemark, la Suède, la Norwége, la Russie, la Hollande, la Belgique, le duché de Bade, le Wurtemberg, le grand- duché de Hesse, le grand- duché de Nassau, la Saxe, la Suisse (le Valais ex- cepté) et la Hongrie, l'industrie du tabac est aban- donnée à la libre concurrence. Aucun contrôle, aucunes mesures spéciales, n'entravent la culture, la fabrication et la vente des tabacs; de sorte que, pour ces États, l'impôt du tabac ne consiste unique- ment que dans les droits d'importation et les droits de patente de profession que paie chaque industrie, et, pour quelques-uns, dans le droit d'exportation ou de sortie. Dans le Danemark, et surtout la Suède et la Norwége, la culture du tabac est totalement libre ; mais la basse température de ces pays la rend à peu près insignifiante. Il est difficile de dire au juste quelle est la consommation individuelle dans ces Etats ; on présume qu'elle est dans le Dane- mark de 1 kilog. 030, et en Norwége de 0 kilog. 530 (Barrai.) Il y a quelques années, en Russie, il se récoltait à peu près 10 millions de kilogrammes, et il en était importé 2 millions ; ces quantités étaient en- tièrement consommées dans l'intérieur de l'empire, particulièrement comme tabac à fumer. Il est pro- bable qu'aujourd'hui la consommation est plus con- sidérable, car l'usage du tabac s'étend beaucoup en Russie. Vers la fin du siècle dernier ou au commence- ment de celui-ci, il venait en Grimée, selon J. Peu- chet, [plusieurs sortes de tabacs, dont voici le détail, la qualité, la quantité et le prix' : 20 Tabao de Yeiiidjé , -'i,000 ucques. à raison de 2 piastres à 2 piastres et demie l'ocque (1). Tabac dit hoJitcha-tuhin, 4,000 ocqiies, en petite? balles de 40 à 4") paras l'ocque. Tabac kerdjalu. 10,000 ocques de 20 à 22 paras l'ocque. Aba-tutun, 17)000 ocques de 30 à 3â paras l'ocque. Tabac de Romélie à grandes feuilles , nommé Roumelie-tutun et petridje-Miin , 25,000 ocques de 14 à 15 paras. Dizi-lutun, 20,000 ocques de 10 à 12 paras. Tabac de Russie ou kasak-tvtiin, 30,000 ocques. Il y en a de deux espèces : l'une appelée maria- baclip, de 6 à 7 paras ; l'autre, ouzun-sobac, de 4 à 5 paras ; ces deux dernières viennent de Zappo • Tome et de l'Ukraine , par chariots de bœufs qui portent environ 1,000 ocques. Quant aux autres es- pèces de tabacs , ils viennent par mer de Varna, Bourgaz et Gonstantinople. Tabac de Tombassar ou Dubossar, 10 à 12,000 ocques, à raison de 8 à 10 paras l'ocque; il vient aussi par chariots du poids de 7 à 800 ocques. Nous avons vu dans la magnifique collection de M. F. Delessert un paquet de tabac préparé dans la Tartarie de Grimée et rapporté par M. le doc- teur Léveillé. Ce tabac, àhd'Alourhta, parait avoir été simplement desséché et rassemblé en plaques d'une vingtaine de feuilles. Nous disons plaques, parce que les feuilles sont étalées et superposées les unes aux autres; elles paraissent avoir subi une (l) LVicquc = /jOO drachmes = 3 livres 2 onces; La piastre r= 2 francs ; Le para = 1 sou. pression plus ou moins forle qui les a fait adhérer ensemble. La Hollande récolte 2,500,000 kilog. de tabac, et en reçoit 13,500,000 kilog. de rAmérique; mais comme elle exporte 2 millions de tabac cultivé dans le pays, et 11,500,000 de tabac exotique, il ne reste plus que 2,500,000 kilog., représentant le chiffre de sa consommation annuelle. Les tabacs y sont soumis à des droits d'importation, d'exportation et de transit; cependant comme la culture, la fabrication et la vente y sont libres, il en résulte que non-seu- lement il existe 24 fabriques importantes qui em- ploient 10,000 ouvriers et produisent à peu près 3,000,000 de kilogrammes, mais encore un nombre infini de petits fabricants qui débitent en même temps et se font concurrence. Quant à la Belgique, elle ne récolle guère plus de 500,000 kilog. de tabac chaque année 5 mais l'importaiiou lui en fournit environ 7 millions. In- dépendamment d'un très-grand nombre de petits fabricants qui livrent surtout leurs tabacs aux con- trebandiers qui le passent en France, on y compte 400 fabriques principales de tabac. Ainsi qu'en Hol- lande, ils paient des droits d'importation, d'exporta- tion et de transit; mais les faljricants ont soin de soustraire à l'impôt une certaine partie de leurs pro- duits. La consommation individuelle est en Belgique plus forte que dans les autres pays; mais il faut dire que la contrebande intervient pour une certaine part dans cette dépense; elle atteint le chiffre de 2 kilog. En Hollande, elle n'est plus que de 1 kilog. 310 par individu; dans le duché de Nassau, elle est de 1 kilog. 260; dans le royaume de Wurtemberg, elle est de 0 kilog. 706, et dans le duché de Bade, elle tombe a 0 kilog. 680. En Angleterre, en Prusse et dans la Hesso électo- rale, l'industrie, bien qu'étant livrée à la libre con- currence de tous les fabricants, commence cependant à être le sujet d'impôts particuliers et de lois propres à assurer la levée de ces impôts. En effet, en Prusse et dans la Hesse électorale, indépendamment des droits d'importation et de patente de profession, il a été établi, par hectare, un droit de culture assez élevé. Dans la Hesse électorale, ce droit de culture est en moyenne de 60 fr. par hectare; on y récolte près de 500,000 kilog. de tabac dans 370 hectares, appartenant à environ trois mille planteurs. De plus on y importe à peu près la même quantité de tabacs étrangers; mais une certaine quantité des tabacs en sort pour aller dans les États de la Confé- dération germanique, et cette réexportation se fait moyennant une prime consistant dans la remise d'une partie des droits d'entrée payés par les tabacs étrangers. Dans la Prusse, l'impôt des tabacs a été bien sou- vent modifié. C'est ainsi que Frédéric le Grand, en 1766, institua une régie des tabacs qui fut abolie en 1787; toutefois le privilège de la culture du tabac ne fut d'abord donné qu'à un petit nombre de cul- tivateurs. En 1798, cette culture a été reconnue entièrement libre; mais, en 1819, elle fut soumise à un droit établi d'après la quantité de tabac récol- tée. Par cette mesure, l'impôt sur la culture du tabac se trouvait être de 1,875,000 fr. par an. Enfin, en 1828, le droit de culture a été établi sur la classe etlaquantité de terre mise en culture. De cette façon, la perception des droits a été rendue plus facile, et l'on ne peut plus, comme par l'ancien système, en la cachant, soustraire à l'impôt une partie de la récolte. Le nombre d'hectares employés à la culture du tabac est de 10,100, produisant une moyenne de 12,500,000 kilog. Les droits de culture s'élèvent à 600,000 fr., ce qui fait environ 60 fr. par hectare. Le chiffre du tabac importé s'élève à 5, 400, 000 kilog. La consommation totale est de 17,320,000 kilog., qui représentent une moyenne de 1 kilog. 310 de consommation individuelle. Le produit total de l'impôt est de 2,950,000 fr., somme bien inférieure à celle de 6,750,000 fr. qu'il don- nait sous Frédéric le Grand , et pourtant la Prusse s'est considérablement développée au point de vue de son territoire, de sa population et de l'usage que l'on y fait du tabac. Malgré l'interdiction expresse de la culture et la liberté de concurrence , de fabrication et de vente du tabac, l'Angleterre retire chaque année des re- venus considérables sur cette substance. Eu effet, outre un droit d'importation fort élevé , il existe des droits de licence, de fabrication et de vente qui élè- vent à 80 millions de francs le revenu que produit cette matière. Voici comment on est arrivé à la forme législative qui régit les tabacs en Angleterre. Le commerce du tabac, sous Jacques 1", fut d'a- bord frappé de quelques droits de douane. Ce fut Charles I" qui établit le monopole par l'État ; mais bientôt , en raison de guerres civiles qui eurent lieu sous son règne , ce régime fut aboli et remplacé par des droits sur l'importation , la fabrication et la vente. « Ce système, dit M. Barrai (1), donna naturelle- ment lieu à un accroissement considérable dans la culture des tabacs indigènes qui avait été intro- duite dans les lies Britanniques sous Jacques V et qui (i) Du Monopole des tabacs, p. 19. n'avait pas encore pris une importance sulïïsante pour attirer l'attention du gouvernement. Mais à l'abri d'un impôt considérable établi sur les tabacs exotiques, la culture du tabac devient lucrative et menace les intérêts du trésor. Pour les garantir, le gouvernement républicain a recours immédiatement à une mesure énergique, et par un décret de 1652, il prohibe la culture d'une manière absolue. Cette mesure fut confirmée par Charles II lors de la res- tauration. Cependant l'Ecosse échappa à cette prohi- bition par une interprétation subtile, mais pourtant fondée de son union à l'Angleterre, et George III dut, par un statut de 1783, la rendre commune à cette partie du royaume britannique. Restait encore l'Ir- lande, qui, jusqu'en 1830, eut le droit de planter du tabac et de l'exporter ensuite dans la Grande- Bretagne aux mêmes conditions que le tabac des co- lonies, grevé de droits moins considérables que ceux qui pesaient sur les tabacs étrangers. Vers 1824, la culture de l'Irlande, qui d'abord était peu considérable malgré le tarif protecteur, prit un grand accroissement, et il en résulta pour le fisc un préjudice qui attira l'attention du gouvernement. Après une enquête du parlement, l'Irlande rentra, en 1830, sous la loi commune du Royaume-Uni. » L'Angleterre consomme annuellement 10,506,160 kilogrammes de tabac , d'après une moyenne offi- cielle de 14 ans, ce qui fait environ Okilog. 433 par individu. Cette quantité est à peu près entièrement fabriquée dans l'intérieur du pays par 74 1 fabriques employant ensemble 20,000 ouvriers. On y compte 156,850 débitants. Les droits d'importation sont de 7 fr. 66 c. par kilog. pour les tabacs en feuilles des possessions britanniques, et de 8 fr. 12 c. pour les tabacs en feuille? des autres provenances. Il en- tre en Anyloten-e cimquc année 8,'i78,985 kilog. de feuilles produisant net 78,474,085 fr., et qui par l'iiitroduclion d'ingrédients étrangers pendant la fa- brication, augmentant de 25 0/0, porte à environ H millions de kilog. la quantité de tabac qui se consomme annuellement. Les droits de licence pour la fabrication varient d'ailleurs avec l'importance de la manufacture, de 126 à 756 fr., et produisent net 156,318 fr. Les licences de débit sont de 6 fr. 14 c. par an et produisent net 1,067,134 fr. De sorte que le revenu net monte à la somme de 79,697,537 fr., près de 80 millions. Dans le Portugal, la Toscane, le royaume de Na- pies, la Pologne et le Valais, l'industrie du tabac est affermée, comme autrefois elle l'était en France. Absolument interdite en Toscane et en Portugal , la culture est seulement restreinte à Naples et en Po- logne, et permise dans le Valais, mais à la ferme seulement; l'importation, la fabrication et la vente sont complètement interdites, excepté à la ferme, dont le prix de bail forme la totalité de l'impôt. Dans le Portugal et le Valais il y a en ])lus un droit d'importation. Le Portugal ne possède que trois manufactures; mais employant 1,600 ouvriers, elles produisent cbaque année 1,300,000 kilog. de taliac, dont les deux tiers sont importés du Brésil. L'impôt total s'élève il 8,550,000 fr., comprenant 7,500,000 fr. que paie la ferme et 1,050,000 fr. montant du droit d'importation. La ferme est autorisée à livrer sou tabac aux iles adjacentes et Macao; mais la fraude, qui se fait sur une assez grande écbelle, lui enlève une partie de ses bénéfices. Une seule manufacture, située à Florence et em- ployant 361 ouvriers, alimente toute la Toscane, Cha- que année il sort 402,300 kilog. de tabac, qui se consomme dans le pays, ce qui fait 0 kil. 290 par individu. L'État retire de la ferme l,394,iOO fr. Le royaume de Naples récolte annuellement 500,000 kilog. de feuilles de tabac provenant de /jOO hectares de terrain en culture. Outre cette quan- tité, l'importation en fournit 400,000 kilog.; la réexportation n'en enlève au plus que 70,000 kilog. Deux fabriques occupant 1 ,278 ouvriers produisent 750,000 kilog.; mais comme une contrebande ac- tive en introduit une grande quantité, on peut aisé- ment augmenter d'un quart la consommation de ce pays. Bénévent, la Sicile et Malte font particulière- ment les frais de cette contrebande , Malte fournis- sant la niajeure partie des cigares consommés par les classes supérieures. Afin de réduire la fraude autant que possible, la ferme a eu soin d'établir à Naples deux magasins de vente uniquement desti- nés aux tabacs étrangers. Mais l'État participe aux bénéfices qu'ils donnent, lesquels s'ajoutent aux re- venus que la ferme paie annuellement et qui s'élè- vent au chiffre de 4,048,000 francs. En Pologne , la ferme paie chaque année une somme de 1,200 000 fr. au gouvernement. La ré- colte s'élève à environ 1,200,000 kilog. de tabac qui sont travaillés dans cinq fabriques, desquelles sortent à peu près 1,600,000 kilog. de tabacs en- tièrement consommés dans le pays, ce qui porte la consonmiation individuelle à 0 kilog. 331. Quant au Valais , il ne paie au gouvernement que 6,800 fr. pour 24,000 kilog. seulement que la ferme fabrique chaque année. Dans l'Espagne, le duché de Parme, les États sardes (terre ferme et île de Sardaigne) , les États romains, l'Autriche, moins la Hongrie, l'industrie du tabac est soumise au régime du monopole appar- tenant à l'État. La culture, expressément interdite en Espagne, dans les États sardes et le duché de Parme, est seulement restreinte dans l'île de Sar- daigne, les États romains et l'Autriche. L'impôt est constitué par le liénéfice du prix de vente fait sur le prix de revient de la fabrication. « On conçoit, dit M. Barrai, que durant ces der- nières années, les circonstances politiques ont dû considérablement diminuer en Espagne les revenus de l'impôt sur le tabac. En 1805, l'impôt produisait 42 millions et cependant, en 1834, une Compagnie de banquiers de Madrid ne proposait que 21 millions pour prendre en ferme le monopole. Il est probable que l'impôt est loin d'atteindre ce dernier chiffre aujourd'hui. Malgré le grand nombre de douaniers chargés de réprimer la fraude , on peut affirmer que la plus forte partie de la consommation est alimen- tée par la contrebande; on ne saurait donc déter- miner la consommation individuelle d'après les ven- tes légales , les seules que l'on connaisse. » Le duché de Parme ne possède qu'une seule fa - brique, mais elle produit annuellement 150,000 kil., représentant un revenu brut de 600,000 fr. La consommation individuelle est assez forte, car elle est de 0 kilog. 800 à peu près. Les États sardes de terre ferme possèdent trois manufactures, qui sont placées à Turin , Gènes et Nice. Elles produisent 1,500,000 kilog. de tabac qui sont entièrement consommés dans le pays. Les tabacs d'Espagne et de l'île deSardaigne sont les seuls que l'on y importe ainsi que des cigares de la Havane. Le revenu net est de 7 millions de francs, tous les frais et les remises aux marchands déduits. La con- sommation individuelle ne s'élève qu'à 0 kilog. 380. F.a culture du tabac est permise dans l'île de Sar- daigne. Parmi les produits de la récolte, qui s'élève à 170,000 kilog., 80,000 sont d'ordinaire envoyés à la manufacture de Turin; le reste se consomme dans le pays, où il n'est importé que fort peu de ta- bac étranger. La culture dans les Etats romains produit à pou près 550,000 kilog. de tabac en feuilles; mais cette quantité est loin de suffire aux besoins de la régie. En efîet, la consommation annuelle est de 900,000 kilog., ce qui fait 0 kilog. 295 par individu. De plus, en vertu d'un traité conclu avec le gou- vernement, 200,000 kilog. de tabac récolté dans la province de Bénévent sont, tous les ans, livrés à la ferme de Naples. Rome , Bologne et Cbiavadella possèdent chacune une manufacture , qui ensemble produisent un grand nombre d'espèces de tabac