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Monologues

COMIQUES ET DRAMATIQUES

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E. GRENET-DANCOURT

Monologues

COMIQUES ET DRAMATIQUES

DITS PAR MM.

GoQUELiN aîné, Mounet-Sully, Worms, Coquelin cadet

et G\RMER, de la Comédie-Française ;

PoREL, Ama-ury, Brémont, Touzé^ Peutat et RiTEL, de VOdéon'^

DiEUDONNÉ et Léon Ricquier, du Vaudeville;

Galipaux, du Palais-Royal 'y

Teryil, des Variétés; G. Ruef et Duard, du Conservatoire',

M^^^ ScHMiDT, de l'Ambigu, etc., etc.

QUARANTE ET UNIÈME ÉDITION

PARIS

Société d'Éditions Littéraires et Artistiques

LIBRAIRIE OLLENDORFF

5o, CHAUSSÉE d'antin, 5o I

f BIBIIOTHECA J

201

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MONOLOGUES

COMIQUES ET DRAMATIQUES

LE POÈTE

poésiK le par M. Brémont, du théâtre national de VOdéon,

A mon ami Emile Gocdiav.

Enfants, tournez un peu la tête Vers cet homme silencieux Qui, là-bas, contemple les cieui C'est un poète I

Si jamais son regard s'arrête Sur vos fronts candides et dout Petits enfants, découvrez-Tous : C'est un poète!

i

MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES,

Sa mise, hélas! n'est point coquette. Son vêtement au soleil luit, Enfants, ne riez pas de lui s C'est un poète I

C'est sous les toits qu'est sa cnambrettd. L'hiver, la bise y souffle dur, Mais il est plus près de l'azur ; C'est un poète I

Souvent, il n'a pas une miette A pouvoir mettre sous ses dents, Il mâche alors des vers ardents :

C'est un poète I

Il chante la nature en fête. L'ombre des nuits, les feux du jour. Les oiseaux, les fleurs et l'amour : C'est un poète!

Lorsqu'il va, cheveux en tempôtt, Et nez au vent, sans savoir où. Tout le monde dit : C'est un fou C'est un poète I

LE POETE.

Sans que sou cœur s'en Inquiète, Il sait qu'il ira, c'est fatal, Mourir un jour à l'hôpital : Test un poète l

ïlais lorsque la mort qu'il souhaite, Sur son aile l'emportera, Le ciel devant lui s'ouvrir* i Ceet un poèt^l

CREDO D'AMOUR

POÉSIE

Dite par M. Dieudonné, du théâtre du Vaudeville.

A M. Théodore de Banvilli*

Lorsque j'avais vingt ans, je croyais que l'amour

N'était qu'une chimère, un caprice d'un jour;

Ce n'est, pensais-je alors, qu'un sentiment frivole^

Un charmant oiselet qui, rapide, s'envole

Pour toujours, lorsqu'il a, souriant et moqueur,

D'un coup d'aile en passant, efûeuré notre cœur;

Un aimable désir quimpose la nature,

Et qui varie au gré de la température ;

Aussi, quand je voyais passer sur le chemin.

Les yeux au fond des yeux et la main dans la maill|

Des groupes enlacés, leur figure ravie

De rire me donnait tout aussitôt l'envie.

6 Monologues comiques ëî dramatiques.

Je suivais dans les bois leurs pas silencieux,

Et j'écoutais blotti dans l'herbe jusqu'aux yeux,

Les serments qu'échangeaient, sous les voûtes ombreuses,

Avec leurs amoureux les pâles amoureuses :

Tu m'aimes?

Je t'adore.

Est-ce bien vrai?

Pourquoi Douter?

Oui, c'est très mal et je veux croire en toi. Ohl vois comme là-haut scintillent les étoiles, La nuit pour nous sourire a soulevé ses voiles.

Il fait beau.

N'est-ce pas qu'on voudrait mourir, dis ?

J'y pensais.

S'en aller ensemble au Paradis, Quitter sans bruit la terre et sur la même nue Monter tout doucement vers la sphère inconnue, Voir l'univers entier dans la brume du soir S'effacer lentement, et puis ne plus le voir, Envoyer des baisers à la brise qui passe, Ravissant les secrets des mortels dans Tespacv, Et se dire : Je t'aime, et le redire encor

Au milieu de l'azur et des étoiles d'orl

CREDO D'AMOUft. 1

Veux-tu mourir?

Moi? Non, cher amour, je veux vif're, Pour entendre ta voix dont le charme m'enivre. Pour noyer dans tes yeux mes yeux, pour écouter Près de mon cœur ton cœur frémir et palpiter, Pour prendre dans ma main ta petite main blanche, Et courir avec toi dans les bois, le dimanche ;' Vivre, pour dénouer et baiser tes cheveux, Pour étreindre en mes bras ton corps souple et nerveux, Et t'entendre à la fin palpitante et ravie, Murmurer doucement : Comme c'est bon, la viel

Et moi, j'étais toujours couché dans les genêts,

Me disant : Ces amants sont-ils assez benêts?

Sont-ils assez naïfs, l'homme comme la femme.

Toujours môme chanson et toujours même gamme!

Pas un n'a le dessein de tenir son serment,

Et pas un cependant ne croit que l'autre ment.

Leur ardeur? feu de paille 1 Et leurs discours? fumée

Que dissipe en son vol la brise parfumée.

Ils jurent de s'aimer toujours? Vienne demain.

Vous ne les verrez plus sur le même chemin.

Éternité? chimère I Aimer, être aimé? rôvét ^

Qu'emporte sur son aile, en fuyant, l'heure brève.

ô Monologues comiques et dramatiques.

C'est ainsi que jadis lorsque j'avais vingt ans, Je comprenais l'amour. On change avec le temps.

C'est dans le même bois tranquille et solitaire,

Que j'ai compris un jour l'adorable mystère :

Du sol, Avril avait tiré son habit vert,

Et, pimpant, regardait s'enfuir au loin l'hiver;

Les fleurs discrètement sortaient leur nez de l'herbe;

La brise caressait la cime encore imberbe

Des vieux arbres géants et courbait les roseaux,

D'où par bandes fuyaient épeurés les oiseaux ;

Le ruisseau, dont la voix chantait douce et plaintive,

Roulait sous le ciel bleu son onde fugitive;

Le soleil irisait l'aile des papillons,

Et, prodigue de l'or de ses premiers rayons,

Poudrant et pailletant les mousses étalées,

Les ajoncs, les taillis, le sable des allées,

A tout jetait un peu de son ruissellement :

Aux feuilles, une perle ; aux fleurs, un diamant.

Mais des voix chuchotant dans la sente fleurie

Viennent subitement troubler ma rêverie.

Je regarde, et je vois s'avancer à pas lents,

6ras dessus, bras dessous, deux vieillards chancelants,

CREDO b*AMOiJlt. ^

^ femme et le mari; sous la verte feuillée,

Is devisent tout bas, et, la vieille, égayée,

lit des propos badins de son coquin d'époux,

ît finit par lui dire : « Ah! monsieur, taisez-vous.

iais monsieur n'en fait rien; de ses vieilles mains blanches,

1 écarte avec soin devant elle les branches,

ît lui montrant un banc à demi vermoulu :

)i l'on s'asseyait quelques instants, veux-tu?

- Non, tu vas t'enrhumer.

Et toi tu seras lasse I Viens donc t'asseoir avant que ce bon soleil passe. Ht les voilà tous deux côte à côte, et jasant )u bon vieux temps passé, meilleur que le présenti )u temps Ton venait, par les nuits étoilées, 5'égarer tous les deux dans ces mêmes allées; )q temps trop vite enfui des premières amours, Ton n'avait qu'un mot sur les lèvres : toujours! fout revit à leurs yeux : les promesses lointaines, ^cs serments échangés, les bonheurs et les peines, Les projets d'avenir que l'on formait tout bas» Les baisers qu'on volait après de longs débats, Et... qu'on rendait; et puis leurs noces, en décembre; Et même la couleur du papier de la chambre )ù... naquit leur enfant; un homme maintenant,

40 MONOLOGUES COMtOUES ET DRAMAtIQUES.

Mais qui n'a pas écrit depuis le jour de l'an.

Puis ce sont les amis couchés ail cimetière,

Dont l'ancien souvenir vi^nt mouiller leur paupièrel

C'est qu'il faudra bientôt les rejoindre là-bas,

On a travaillé dur, on est vieux, on est las.

Et chacun devinant tout ce que l'autre pense

Ils se serrent la main et pleurent en silence.

Puis, s'essuyant les yeux, mi-pleurant, mi-riant,

Ils reprennent bientôt leur route en babillant.

Mon regard les suivit longtemps sous la ramure, Et longtemps de leurs voix j'entendis le murmure, Pais, plus rien, j'étais seul. Et c'est depuis ce jour. Depuis jour béni, que je crois à ràmouri

LES VAGABONDS

POÉSIE

Oite par M. 'WoRUS, sociétaire de la Comédie- Française»

A M. BONJBAW.

Un enfant est conduit devant le tribunal,

On l'a pincé, rôdant sur les bords du canal j

A minuit, et l'agent, que ce trait hardi pose. Le narre au président, et gravement dépose ^-l'à dormir sous un pont l'enfant se préparait.

Eh bien, vous entendez, dit le juge, il paraît Que l'on est sans travail et que Ton vagabonde? Et le gamin muet penche sa tête blonde,

Se demandant pourquoi ces gens ne veulent pas Qu'il soit libre d'aller le portent ses pas?... Les grands bois d'alentour no refusent pas l'ombre A l'oiselet blotti dans leur feuillage sombre..,

l2 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Est-il moins qu'un oiseau? n'a-t-il pas comme lui Un peu droit de chanter lorsque le soleil luit, Et comme lui le droit de clore la paupière, Sinon sur une branche, au moins sur une pierre?

Voyons, reprend le juge, il faut parler un peu. L'enfant lève, inquiet, son œil limpide et bleu.

Ton nom?

Dam, chez nous, c'est... ÏAvorton qu'on

Que fait ton père? [me nomme.

Mort.

Ta mère ?

Avec un

logent-ils tous deuxt [homme.

Oh I bien loin, tout là-bas. ~ A Paris?... Réponds donci

Monsieur, je ne sais pas.

Tu le sais, allons, parle, ou crains que la justice Dans toute sa rigueur sur toi s'appesantisse I Parle, à rester muet tu n'as pas d'intérêt.

C'est que...

Quoi?

C'est que l'homme à maman

Il te bat? [me battrait

LES VAGABONDS. IS

Oui.

■^ Pourquoi?

Dam, parce que je mange. uis, les enfants, il dit que cela le dérange. faman aussi disait que j'ai trop d'appétit, SI m'appelait... un monstref alors, moi, j'ai partie

Enfin, de quoi vis-tu?

- - Du pain que l'on me donne.

Tu n*es pas honteux donc?

Ça fait mal à persoun;^

On trafaille à ton âge !

On ne m'a pas appris.

Enfin que faisais-tu, lorsque l'agent t'a pris ?

Rien, j'allais me coucher.

A terre?

Oui, par terre •— C'est très mal, dit le juge, avec un ton sévère.

Le substitut se lève, et, d'un ton solennel, Dit que l'on doit punir ce jeune criminel. Que depuis trop longtemps déjà Paris regorge De bandits qui la nuit vous prennent à la gorge. Celui-là, dira-t-on, n'est encor qu'un enfant. Qui ne sait ce qu'il fait* que son âge défend!

44 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQU£.S.

Non, non, il faut qu'ici la justice sévi&se, Et tranche sans pitié dans son germe le vice. Tous les bandits d'ailleurs sont bandits en naissant. Et l'âge ne fait pas que l'on soit innocent. Quiconque a violé la loi, qu'on le condamne î

Ah! comme, avec plaisir, j'aurais giflé cet ùâe.

Et l'aurais appelé brute en plein tribunal,

Sans le respect que j'ai... pour le municipaL

Qu'on le condamne I Eh non, triple sot, qu'on L'instruis

Un enfant en prison, c'est une âme qu'on brisa.

Une fleur qu'on arrache, un pauvre oiseau blessé

Qu*on met en cage, avant que de l'avoir pansé*

C'est un cœur commençant à palpiter à peine,

Dans lequel, goutte à goutte, on fait couler 1^ haine.

Pour vivre, pour aimer, pour croire, pour bénir,

Et, fuyant le passé, marcher vers l'avenir,

Il faut qu'il ait le ciel au-dessus de sa tèfce,

Et ce n'est pas pour lui que la prison est faite*

C'est une immonde école, le pauvre être, hélaal

Apprend bientôt du mal tout ce qu'il n'en sait pas.

Oui, c'est qu'il se perd, et c'est un crime en somme

D'y jeter un enfant, car c'est tuer ua komme"

LES VAGABONDS. l6

Ne croyez pas au moins que je yeuille aux pavé» Rendre les vagabonds par les faubourgs baves ; Non, je ne prétends pas qu^l faille qu'on délivre Un enfant que de vols on peut supposer vivr« ; Je dis que sur la pente il faut le retenir, Chercher à le sauver avant de le punir, Remplacer la prison par l'asile et l'école, Et les coups du geôlier par la saine parole D'un maître qui, cherchant à le rendre meilleur, Saura bien découvrir le chemin de son cœur!

Mais j'entends murmurer que je heurte l'usage,

Et, qu'en tous ses arrêts, la justice est très sage ,

Que j'ai tort d'oublier que la loi c'est la loi,

Et devrais bien garder ma harangue pour moi.

Je sais qu'à discourir en vain je me hasarde.

Et qu'on continuera, sans même y prendre garde,

Pour bien prouver à tous que le système est bop,

A faire un assassin de chaque vaigabond.

Cependant je ne puis me résoudre à me taire,

Et qu'ici mon avis soit ou non salutaire,

Je parlerai (juand même : Oui, je veux prendre en mains

La cause des enfants qui vont par les chemins^

le MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES-

Saus pain et sans souliers, errant à l'aventure, Et n 'ayant que le ciel du bon Dieu pour toiture» C'est parce qu'ils y sont souvent trop malheureux, Que ces pauvres martyrs s'en vont tous de chez eux. Ah I vous n'avez jamais, de près, vu la misère, Et vous ne savez pas, quand votre enfant se serrf Doucement contre vous, qu'il est de noirs taudis ces anges du ciel en naissant sont maudits; Vous ne vous doutez pas qu'il existe des mèreC P our qui ces chers petits sont des charges amères ; Qu'il en est qui n'ont pas l'instinct de l'animal, Et dressent leurs enfants, elles-mêmes, au mal; Que tel père au logis revient ivre sans cesse ; Que telle mère enfin s'avilit et s'abaisse Jusques à recevoir devant eux ses amants, Et les rendre témoins de ses embrasse mental Eh bien! répondez-moi : Peut-on, je le demande^ Exiger que du vice un enfant se défende, Et ne succombe pas dans de pareils milieux? Hélas I qui donc sait si, lorsqu'il remonte aux cieux, Chassé par les lueurs de l'aube, leur bon ange N'emporte pas lui-même à l'aile un peu de fange î

De grâce, ayons pitié de ces pauvres petits

LES VAGABONDS. i^

r qui tous les malheurs se sont appesantis. 1 nom du Dieu puissant qui de là-haut nous juge, (Irons à ces enfants un asile, un refuge ; ae pour eux à jamais se ferme la prison, clairons leur esprit et forgeons leur raison, en grandes ouvrons-leur les portes de l'école, ettons-leur dans la main le livre qui console, ontrons-Ieur le respect des autres et de soi, uis leur cœur réveillé faisons germer la foi, ces foyers éteints communiquons la flamme ai soudain fera naître et grandir en leur âme Bs sentiments, qu'en lui, tout homme doit avoir : amour de la patrie et l'amour du devoir I

\ï\ oui, tendons les mains à Tenfant sans demeura, ans ouvrage, sans pain, sans famille, et qui pleure uvrons-lui bras et cœur, et cherchons le moyen i bas qu'il soit tombé d'eu faire un citoyen I

UNE ENVIE

MONOLOGUE

JHt par M. Porel, du théâtre national de VOdéon,

A monsieur Eudsl.

Pins je yieillis, mes chers amis, Et plus je sens grandir rearie D'aller loin, bien loin de Paris, If'enterrer et finir ma rie.

Dans qnelqne coin, je choisirai Une maisonnette, un cottage, Où, sans bmit, je me blottirai Ainsi qu'un oiseau dans sa cage

Petite sera ma maison,

Deux pièces? Oui, cuisine et chambre;

Des ilenrs dans la belle saison.

De bonnes bûelies en décemlire?

20 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Quelque Jeanneton de là-bas Viendra me repriser mes nippes» Tandis que Tœil sur ses appas... Eh bien I non, j'aurai des principes.

Je prierai monsieur le caré De m'adresser quelque dévote. Qui marmottera des ave, En raccommodant ma culotte.

L'hiver, assis au coin du feu, L'été, sous ma verte tonnelle, i* attendrai que, dans le ciel bien, La première étoile étincelle*

Alors, gagné par le sommeil, Dans mon lit aux rideaux de serge^ J'allongerai mon corps pareil Au corps nonchalant d'une vierge.

ie matin, je boirai du lait. Du lait que je trairai moi-même, En fredonnant quelque couplet. Ou récitant quelque poème.

tNfS ÊNVIË. 21

Taurai toute une basae-cour, Des poulets, des canards, des o'iet. Des cochons dont avec amour Mes deux mains lustreront les soies.

Tout le jour je jardinerai, Semant navets, poireaux, cibouieS) Et tous les dimanches j'irai Sur la plac« jouer au boules.

Tous les dimanches, c'est plus forU J'irai grayement i la messe, Peut-être ferai-je l'effort D'aller quelquefois à confessa,

le suivrai les processions Ayee une chandelle énorme. le suis plein d'imperfections, U est temps que je les réforme.

Parfois, j'irai faire un loto, Car, il faut aussi se distraire, Un whist ou bien un domino, Ches le docteur ou chez le maire*

4^ lïONOLOGUES COMIQUEîJ ET DRAMATIQUES.

Je vivrai là-bas, inconnu, Modeste, chaste et bien tranquille, Loin de ce moude saugrenu Qui fourmille dans la grand'ville.

Oh 1 que je m'amuserai bieni Je lirai Mathieu de la Drôme ; Ni livres, ni journaux, rien, rien, De Paris m'apportant l'arôme.

Qael plaisir troufe-t-on, Paris, A chevaucher sur ton bitume, Entre des arbres rabougris Que la chaleur du gaz consume?

Ne vaut-il pas mieux sous les cieu» Voir briller le soc des charrues, Qu'entendre grincer les essieux De tes vieux ûacres dans tes raesf

Ne serai-je pas plus heureux Avec les gens de la campagne, Qu'avec tous tes boursiers véreux Qu'attend la prison ou le baquet

t'NE EN VIS. ^

N'aurai-je pas plus de plaisir A voir quelque robuste fille Au torse impossible à saisir, Que las squelettes de Mabillet

Paris est le berceau des arts! Murmure-t-on à mei oreilles : Ses beautés lassent mes regards, En demeurant toujours pareilles.

Du plus humble moulin à vent La primitive architecture Ne channd-t-elle pas souvent Plus que tes merveilles, sculpture?

Que voit-on de nouveau jamais? Rien ne change, rien ne Tari« A part ministères, préfett, Et schakos de l'infanterie.

Le théâtre devient malsain : Des pièces de plus en plat sales Sur Tutilitô du vacciD, tcrites dans l'argot des halles.

à4 MONOLOGUES CÔMIOHES ET DRAMATIQUES.

En politique, calme plati

Tout ce que la Chambre décrète

Est repoussé par le Sénat.

L'une dit : Marche I Et l'autre : Arrête^

Paris ? Paris est un enfer, Un profond et hideux abîme I Emporte-moi, chemin de fer. Et qu'un peu d'air pur me ranime.

Qu'ai-je à faire avant mon départ?

{Cherchant dans sa mémoire,) Ce soir je soupe avec Lucile A six heures... suis en retard. Demain, première au Vaudeville.

Samedi, bal à TÛpéra. Au bois, dimanche, courses plates. Le soir, chez Jeanne, on dansera. Lundi, reprise des Pirates.

Boni... promis d'aller dans un mois Pendre crémaillère chez... Chose. Et le déjeuner dans les bois, Depuis trois ans promis à Rose I

tNE ENVIÉ. 9S

Allons! il faut attendre encor,"" Il faut encor traîner la chaîne. Il faut, chassant les rêves d'or. Attendre la saison prochaine.

Pins je yieillis, mes chers amis. Et plus je sens grandir l'envie D'aller loin, bien loin de Paris, M'enterrer et unir ma vie t

A L'AMPHITHEATRE

Maurice Rollihat.

)e8 boyaux déroulés serpentent sur la dalle. .es cadavres sont mûrs et môme déjà verts. Jn silence pesant règne dedans la salle, i pesant qu'on entend presque grouiller les vers.

Jn carabin maigre entre et plonge sa main sale )ans les intestins mous et les ventres ouverts ; ^uis dans un coin ramëisse une épine dorsale, )u'il dissèque avec soin en récitant des vers.

i est là, tout entier à sa noire besogne, 'ournant et retournant son morceau de charogne, it moi, je le regarde, écœuré, frémissant :

)estin sombre et fatal l voilà donc tu mènes? i'est donc votre fin, jouissances humaines ? Quelques lambeaux de chair ei des caillots de sang.

PETITE FERME

POÉSIB

Dite par M. Albert Rueff, nembre de la Société de lecture et de récitation»

A mon ami Lbloir, de la Comédie-yrançaite*

Assise an seuil de la ferme^ La grosse servante coud; Du corsage ouvert au cou. S'échappe une gorge ferme.

A ses pieds, couchés en rond« Deux matous à robe rousse, Grisés par la chaleur douce Du soleil, font leur ronron,

Pataud, le vieux chien de garde, A Tair de faire la cour Aux coqs de la basse-cour, fit vaguement les regarde,

30 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUE».

Sur le toit de la maison, Un jeune pigeon roucoule, Et la fontaine qui coule Accompagne sa chanson.

Une belle vache suisse Dans l'herbe haute s'ébat ; Sa queue en cadence bat Tantôt son flanc ou sa cuisse.

Plus loin, un cochon poursuit Sa gente dame, mais elle Récompense mal son zèle^ Et sans répondre s'enfuit.

Une poulette coquette Lisse son manteau soyeUx, Tout en faisant les doux yeux A certain coq en goguette.

L'âne, attaché par le ooti, Aperçoit un brin de paille, Et pour l'atteindre il tiraille J^ntj c^u'il casse sou licoii*

PETITE FERME. Il

Au fond du verger deux homûMS

Levant le nez et le bec.

Font dégringoler, avec

Un bâton très long, les pommes.

Un immense peuplier Devant la maison balance Son corps qui tout droit s'élance. Et que rien ne peut plier.

Par la fenêtre entr'ouverte, On aperçoit le dressoir, Et pour le repas du soir La table déjà couverte.

Et dans l'ombre le profil D'une vieille en coiffe blanchd, Qui hache sur une planche Des oignons et du persil.

Au feU) le ragoût mijote, Et pour que ça soit parfait, La vieille grand'mère fait

Uoe saixce ravigote ^

32 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Trois bébés roses, joufflus, Regardent danser la sauc«^ Et le plus petit se hausse ^ Pour voir les glougous du jus.

Puis Ton saute et Ton se roule Avec des cris de bonheur : Ça sent si bon, que l'odeut De la cuisine les saoule.

La mère, dans son fauteuil. Caresse la blonde tête De son dernier qu'elle allaite, Et suit tout du coin de l'œil.

Mais le ciel devient tout rouge^ Et le soleil radieux Éteint lentement ses feux Dans la brume rien ne bouge.

Ding, din, don 1 Din, don, répond L*écho. La servante laisse son aiguille, et se baisse Pour retrousser son jupo^.

PETITE FERME. S3

Elle fait une cravache Avec un brin de bouleau. Et conduit au bord de l'eaa Les cochons, l'&ne et la rache*

La ferme est pleine de cris ; C'est un bruit épouvantable Autour de la longue table Où, d'assaut, les plats sont prit.

Au milieu, le maître jase Et raconte à tous comment Se perd un gouvernement, Mais sans achever sa phrase.

Tous dorment, car ils sont las. Puis bientôt chacun se lève Et court achever son rêve Sur le dos d'un matelas.

Et le reflet des chandelles. Le bruit des pas et des voix, Troublent là-haut, sous les toits. Le sommeil des hirondelles.

MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Tout s'éteint et tout s*endort : Et la nuit, une par unej Sur sa longue robe biua« Fixe des étoiies d'or.

ATTILA

POÉSIE

Dite par M. Mounet-Sdlly, sociétaire de la Comédie- Française,

A M. Henri de Bonniiiin

Depuis que tu n'es plus, à farouche Attila, Noir guerrier devant qui l'univers recula, Les fleurs de notre sol se sont souvent fanées, Bien des ans sont venus s'ajouter aux années. Notre terre a reçu dans ses flancs bien des corps, Nourri bien des vivants et bercé bien des morts? Bien souvent le soleil a brillé sur nos luttes, Éclairant tour à tour nos gloires.,, et nos chutes; Car les prés que foula ton cheval hennissant Ont bu depuis ta mort bien des pleurs et du sang. Le temps a dans son vol dénoué bien des chaînes. Brisé bien des amours« fait taire bien des haines ;

MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Mais il n'a pu, ce temps qui fuit sans revenir,

Effacer de nos cœurs ton hideux souvenir.

Bien des noms, qu'a tracés en lettres d'or l'histoire

Ne disent aujourd'hui rien à notre mémoire...

Non, nous ne savons plus les noms môme d'aïeux

Dont l'univers chanta les exploits glorieux ;

Mais ton nom, Attila, nous le savons encore :

Enfant, c'est le premier qu'on sait et qu'on abhorre.

Ce nom, c'est le premier qu'en notre histoire on lit.

C'est aussi le premier que l'histoire avilit.

Attila, roi des Huns, regarde cette Gaule

Que tu Toulais briser, comme l'orage un saule ;

Regarde tous ces Francs, dont tu prétendais voir

La race entière un jour soumise à ton pouvoir ;

Regarde nos cités oi!i la richesse abonde.

Nos vaisseaux surchargés fendant la mer profonde,

Nos fleuves, nos forêts, nos vallons et nos prés.

Et nos vignes au flanc des coteaux empourprés I

Attila le lion, Attila le superbe.

Regarde nos moissons I Elle a repoussé, l'herbe I

Pauvre fou, tu disais dans ta stupide erreur.

J'ai pour anéantir ce peuple la terreur

Tu comptais, insensé, sans le Dieu des armées.

Qui devait secourir nos hordes alarmées,

ATTILA. 31

Sans le Dieu qui devait, de tous tes crimes las.

Te faire enfin sentir la vigueur de son bras,

A peine de Lutèce as-tu touché l'enceinte,

^ue ce Dieu fait surgir Geneviève, la Sainte,

Et l'on te voit trembler, toi, guerrier triomphant

Devant cette humble femme, ainsi qu'un faible enfant

Tu pensais mettre aux pieds de ces Francs des entraves!

Comme s'ils étaient nés pour faire des esclaves 1

S'ils avaient été même abandonnés du sort,

Ils se seraient forgé de l'honneur dans la mort.

Vaincre ou mourir I telle est la devise de France...

Qu'importe le trépas, qu'importe la souffrance.

Pourvu que la patrie ait un nom glorieux,

Et que ses ûls soient tous dignes de leurs aïeux I

Pauvre patrie ï Ainsi qu'un vaisseau qui se penche. Nous avons vu souvent sombrer ta voile blanche ; Car d'autres, Attila, sont venus après toi. Répandre parmi nous le carnage et l'effroi. Mais, ainsi que le roc résiste au choc de l'onde. Notre France toujours rayonne sur le monde, Ah! si malgré ses deuils, malgré l'ambition. Elle est toujours la grande et sainte nation. C'est qu'elle ss relève aussitôt abattue.

as MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUÉI.

Et qu'enfin, pour la vaincre, il faudra qu'on la tue. Et c'est toi qui voulais la détruire, Attila ? Dis-nous donc sur quel Dieu tu comptais pour cela? Ceux qui contre les Francs ont excité tes haines, T'avaient-ils dit quel sang circulait dans leurs veines î Toi, les vaincre ? Allons donc, tu ne l'as pas pensé ; Tu n'as pas fait un rêve à ce point insensé : Tu savais ta défaite, et que le poids des Gaules Eût fait craquer les os de tes larges épaules.

Oui, je t'entends, tu dis que j'oublie aisément,

Qu'hier je n'aurais pas parlé si fièrement.

Et que l'on voit encore à nos flancs la blessure

Qu'y fit d'un nouveau Hun la cruelle morsure.

Tu t'étonnes, dis-tu, de voir sur notre front

Le signe inefîacé du plus sanglant affront ;

Tu demandes enfin si le peuple de France

A plus d'orgueil au fond du cœur que de vaillance,

Et s'il croit, pour laver les outrages reçus.

Qu'il suffit que les ans passent dix fois dessus ?

Non, mais il sait, vois-tu, ce peuple que tu railles

Que ce n'est pas encor l'heure des représailles ;

Il sait qu'il ne faut pas, pour aller aux combats,

Des braves seulement, mais aussi des soldats;

ATTILA. d9

H sait, il en a fait Texpérience sombre. Que la valeur ne peut se mesurer au nombre Que pour combattre il faut, non seulement vouloir Mais qu'il faut avant tout et s'instruire et savoir ; Que îe travail peut seul rendre un pays prospère, Qu'enfin la guerre épuise, et la paix régénère,

Il n'a point abdiqué son légendaire orgueil, Et s'il retient les cris de sa pauvre âme en deuilj Ce n'est pas, Attila, que sa fierté chancelle, Non, mais que d'un passé récent il se rappelle. Autrefois, sans rien voir, il allait devant lui ; Sur un signe, il marchait. Il regarde aujourd'hui. 11 est comme jadis prêt à donner sa vie, Mais ne veut la donner qu'à la mère Patrie. S'il faut demain se battre, il n'hésitera pas : I Mais avant de courir à de nouveaux combats, Il veut d'abord savoir si les jeunes épées i Sont d'un acier plus pur que les autres trempées. Il veut, plus que jamais jaloux de sa grandeur Savoir en quelles mains il remet son honneur. Il a vu se creuser au sol assez de tombes, Et ne veut plus enfin (te vaines hécatombes. Mais s'il maudit la guerre et demande la paix»

lu MONOLOGUES COMIQUE^ ET DRAMATIQUEâ.

Qu'on ne soit pas tenté de l'insulter jamais,

Qu'on ne lui fasse pas désirer la revanche,

Car du vase il se peut que le trop-plein s'épanche;

Il se peut qu'un jour vienne le lion qui dort

Écrase tout à coup l'insecte qui le mord.

A d'imprudents défis s'il fallait qu'il réponde.

Ce peuple mâle et fier saurait prouver au monde

Qu'il honore toujours la devise qu'il a.

Et qu'il n'est pas de ceux qu'on soufflette, Attila )

LA CHASSE

MONOLOGUE

DU par M. GoQUELiN aîné, sociétaire de la Comédie- Française,

A M. Edmond GoNDiiftTi

Tontaine I La meute égayée Poursuit ayec de joyeux cris, Dans la campagne balayée. Cailles, lapins, lièvres, perdrix.

Voilà quinze jours que je chasse. Et je n'ai rien tué du tout. J'ai trouvé du gibier en masse, Mais je n'ai pu faire an seul coup

Vous croyez que c'est maladresse? Eh bien I vous êtes dans l'erreur : Le Gun-GIub lui-même confessa Que je suis excellent tireur.

4S MONOLOGUES COMIQUES DftAMATIOUÉS.

Mais quel conte alors vous nous faites î Jfe vais vous le dire en deux mots J'aime, j'idolâtre les bêtes, Oui, je suis fou des animaux.

C'est en vain que je me raisonne, En vain, je cherche à m'endurcir, Dès que le son du cor résonne Je sens des frissons me saisir.

Pourtant, je m'arme de courage, Et je me dis, chaque matin, Qu'il faut enfm faire un carnage. Et tuer au moins... un lapin.

Je tâcherai que ma victime Soit un vieux lapin... de vingt ans. Tuer un jeune serait crime, Car il peut avoir des enfant»

Ahl ma tendresse vous fait rire? Pour vous, un lapin mort, c'est peu. Et même, quand on le fait cuire, Au besoin vous soufflez le feu.

U CHASSE. Ù

Vous vous riez de la misère Des enfants que laisse le mort; Mais, si l'on tuait votre père, Vous verrait-on rire aussi fort?

Oui, je sais, votre père est homme Et non lapin, mais pouvez-vou» Savoir si le lapin, en somme, Aime ses parents moins que nous?

Qui donc sait si, sous la charmille', Cailles, perdreaux, lièvres, lapins, Ne goûtent pas mieux la famille Que tout le reste des humain»?

Le lapin met-il en nourrice Ses petits enfants en naissant. Pour téter un lait clair, factice, Et qui leur appauvrit le sang?

Les cailles sont-^lles coquettes? Ruinent-elles leur époux, Mesdames, avec leurs toilettes, Ainsi que vous le faites, vous?

44 MONOLOGUES COMIQUES ET DHAMATIQUE».

A-t-on jamais entendu dire Qu'un lièvre ait porté quelquefois Cette... couronne... du martyre, ûu*à tant de nos maris je vois?

Voit-on, dans de folles agapes, Des perdreaux boire jusqu'au jour, Et, lourds encor du jus des grappes^ Cogner leurs femmes au retour?

Les animaux ont-ils des dettes? A leur logis rentrent-ils tard? Voyez-vous des perdrix seulettes À minuit sur le boulevard?

Au coin d'une sente embaumée» Avez-vous jamais entendu Un lièvre à la voix enrhumée Crier un journal dissolu?

A-t-on jamais, je le demande^ Vu des animaux, quelquefois, Préférer dissoudre leur bandé Plutôt que d'obéir aux lois?

LA CHASSE. 4r)

Les voit-on, dans les hautes herbes, Aux Grandes Bêtes de chez eux Dresser des colonnes superbes, Pour les Casser ensuite en deux?

Les Toit-on, après une course, Se passer une corde au cou, Ou bien, après un coup de bourse» Filer bien vite on ne sait où?

Voyez-vous à la préfecture Coffrer des bandes d'animaux, Pour avoir, à la nuit obscure, Dans des dos planté des couteaux?

Troublent-ils donc la paix publique? Cherchent-ils, par quelque forfait, A renverser la République, Comme plus d'un chez nous Je fait?

Les voit-on dans les ministères Quêter des décorations. Ou dans de sombres monastères Tramer des révolutions?

4^ MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES,

A l'État font-ils des requêtes? Lui diseni^ils dans leurs discourt De vouloir bien couper des têtes, Oo de supprimer lea tambours?

Non, ils demeurent bien tranquilles, Au sein des plaines, des forêts, Loin des bruits du monde et des villes^ Dans les sillons ou les guérets.

Pourquoi leur vouer tant de haine? Est-ce grand crime, s'il vous plaît, De picorer un peu de graine, Ou de brouter du serpolet?

Pour moi, plus je, les envisage, Plus je les trouve bons et doux. Et moins aussi je trouve sage De les poursuivre de nos coups*

Aussi, lorsque au fond d'une allée»

J'aperçois parfois un lapin.

Ou quelque perdrix affolée,

Je suis... je sens... je pleure enfin!

LA CUASSE. 47

Et puis tout à coup... je me mouche. Avant d'armer mon Lefaucheux^ Alors, quand tonne ma cartouche, Us sont déjà loin de mes yeux.

Et tout bas, en voyant leur fuite. Je me dis : cela les rendra Beaucoup plus prudents dans la suite^ Et de la mort les sauvera.

L'herbe, par Tautomne rouillée. Que foule mon pas cadencé, Sera-t-elle jamais mouillée Par le sang que j'aurai versé?

Je ne le crois pas, car en somme, Je vous le déclare en deux mots : Plus j'étudie et connais l'homme^ St plus j'aime les animaux.

SOUPIRS D'UN NÈGRE

A mon ami Jdlbs Lkvy.

Bon nègre quitter forêts, Pour suivre loin caravane ; Cœur à li plein de regrets Li toujours pleurer cabane.

LasI plus d'ombrages discrets, Plus d'orange, de banane; Plus pouvoir conter secrets Aux oiseaux de la savane.

Plus de beau ciel indigo; Pour cueillir noix de coco Plus se suspendre à la branche.

Et puis, plus jamais pouvoir

Dire, à la brise du soir,

y bien aimer femme blanche*

us ENFANTS DE L'IVROGNE

POÉSIE Hte par M. Léon Rtcquier, du théâtre du Vaudeville,

A M. Eugène Mandbl.

l'est l'hiver, il est nuit, et la lueur blafardt

t pâle de la lampe éclaire la mansarde,

e logis est muet. Au fond du galetas,

)eux enfants, étendus sur un vieux matelas,

lorment de ce sommeil dont seuls dorment les anges.

,e vent sur les toits a des sifflements étranges,

e ciel est sans étoile, et l'ange de la mort

emble planer là-haut sur Paris qui s'endort.

îuel froid dans cette chambre la bise pénètre

*ar la porte mal close, ainsi que la fenêtre ;

/hiver paraît plus dur en cet obscur réduit,

lu pas le moindre feu ne pétille et ne luit;

)q sent que la misère au joug épouvantable

52 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Règne en ce noir taudis; la lampe sur la table Se meurt et semble, ainsi qu'un funèbre flambeaa, De ses derniers reflets éclairer un tombeau. Une femme est debout près du lit, pâle, sombre; Son regard, qui fait mal, a l'air de fouiller l'ombre. C'est la mère. Son front se penche soucieux ; Parfois, ses yeux rougis se tournent vers les cieux. Comme pour implorer, et sa bouche livide Murmure on ne sait quoi, qui se perd dans le vide. Elle pleure, et sa Jeanne, une enfant de huit ans, La regarde pleurer, et l'enfant, par instants, Sèche avec un baiser les larmes de sa mère. Ohl ces baisers, qui font ta douleur moins amère, Et viennent remuer si doucement ton cœur, Comme tu les reçois, 6 mère, avec bonheuri Pauvre femme, six mois après son mariage, L'enfer était entré déjà dans le ménage. Chaque soir son mari rentrait un peu plus tard. Ne l'embrassant pas plus au retour qu'au départ ; Et, sans même essayer d'inventer une excuse. Quand elle se plaignait, disait que la cambuse Lui semblait sombre, triste, enfin qu'il préférait Aux douceurs du, foyer celles du cabaret; Qu'il entendait d'ailleurs vivre tout à sa guise.

LES ENFANTS DE l'iVROGNB. 53

Tel que bon lui semblait, quoi que sa femme en dise.

Et c'était chaque jour quelque nouyel affront !

La femme était craintive, elle courba le front.

Une espérance encor lui restait, la dernière,

C'est yrai, mais la plus douce : elle allait être mère^

Et tout le long du jour elle songeait tout bas :

< Oui, quand je placerai notre enfant dans ses bras,

» Alors il comprendra les saint» devoirs du père,

» Et l'enfant lui fera peut-être aimer la mère.

» Un enfant, c'est si beau ! le rayon de soleil

» Qui vient nous saluer chaque jour au réveil,

» Est moins gai, moins fleuri, que cette aube riense

» Entrant avec l'enfant dans la maison joyeuse I »

Elle espérait. Hélas, sur terre il le faut bien !

Sans l'espoir, ici-bas, que sont les hommes? Rien.

Le bonheur n'est-il pas mobile comme l'onde?

Le jour vint, et l'enfant, ce sphinx à tête blonde.

De toutes nos douleurs vint réclamer sa part.

Quelqu'un dit : Une ÛUe 1 Immobile à l'écart»

Le père ne dit rien ; à peine ce front rose

Reçut-il un baiser de sa bouche morose.

La mère avait tout tu, son cœur s'était serré

En voyant s'envoler le bonheur espéré,

Mais ses yeux pleins de fièvre étaient restés sans larmes.

54 MONOLOGUES COMIQUES Et DRAMATIQUES.

C'est qu'elle avait senti de mortelles alarmes Soudain naître en son âme, et qu'elle avait comprî? Qu'il fallait, pour l'enfant, vivre, vivre à tout prix Donc elle guérit vite, et pleine de courage Se mit à travailler nuit et jour, avec rage .Sans être, hélas ! jamais sûre du lendemain ; Lorsque l'homme au logis n'apporte pas son gain, Ce que gagne une femme est peu dans un ménage ; Puis ce qui fait défaut, bien souvent, c'est l'ouvrage. Hélas I plus de travail, plus de pain. Noir souci 1 Seigneur, qu'ont-ils fait, ceux que ta main frappe ainsi?

Mais le temps a passé, le destin moins sévère

Aura peut-être enfin... Non, non, la pauvre mère

N'a point vu s'adoucir la rigueur de ses lois ;

Ce n'est plus un enfant qu'il faut nourrir, c'est trois I

Trois, qui souvent en vain réclament leur pâture,

Et déjà de la faim connaissent la torture I

La tâche est maintenant trop lourde pour ses bras,

Et le corps est vaincu, si F âme ne Test pas.

Pour nourrir ses petits, elle a vendu ses harde»^

Ses meubles, ses oiseaux, se-jl luxe des mansardes.

Il ne lui reste plus que quelques vieux débris.

Pour lesquels les marchands n'ont offert aucun prix;

tES ENFANTS DE l'iVROGNE. tt

Et tandis que le père au cabaret s'eniTre, Ses enfants n'ont pas même un peu de pain pour vivre. Oh ! mais la coupe est pleine, et c'est assez souifrir, II faut qu'elle lui parle, oui, son cœur Ta s'ouvrir. Voilà bien trop longtemps déjà qu'elle balance, Il faut qu'elle lui dise enfin ce qu'elle pense. C'est aujourd'hui la paye et monsieur reviendra Tard, encor s'il revient; n'importe, elle attendra. Elle attend en effet, pâle comme une morte, Elle attend, et ses yeux ne quittent pas la porte. Tout à coup, un pas lourd fait trembler l'escalier, Quelqu'un mante. On entend jurer sur le palier. C'est lui. La porte s'ouvre. Il est là, devant elle. Maintenant elle a peur et son âme chancelle. Elle voudrait parler, mais elle ne peut pas.

Ah ! maman, j'ai bien faim, lui dit Jeanne tout bas.

Tais-toi, tais-toi, ma Jeanne. Et se plaçant en face De son homme, elle dit : Il faut que je te fasse Un aveu : les enfants, ce soir, n'ont pas mangé.

Pourquoi ça?

«i- Je n'ai plus d'argent.

- Bahl

- - J'ai changé Vingt sous hier au soir, et je...

S6 MONOLOGUES COMIQUKS ET DRAMATIQUE^.

C'est bon, silence I ^ Donne-moi de l'argent.

Ah çàl dis donc, je pens Que tu vas me laisser la paix.

^ Tu devient fou. Je te dis que...

Tais-toi.

Mais...

Je n'ai pas le soa

On t'a payé ce soir.

Possible, mais je garda Tout.

Ahl tu gardes tout, et moi?

Ça te regarde I

Et tes enfants?

Assez, j'aime pas les discoars.

Écoute, jusqu'ici je n'ai pas eu recours

A toi pour les nourrir^ mais il m'est impossible De lutter plus longtemps. Ne sois pas insensible; Vois, la misère, hélas I règne en notre logis, Et mes yeux, par les pleurs et les veilles rougis, Ne verront bientôt plus les points sur mon ouvrage^ Moi, je veux bien pâtir, vois-tu, j'ai du courage; Mais eux, ces chers petits que Dieu nous a donnés,

LÈS ENFANTS DE l'ivR0GN8. 5?

f*uis-je les voir souffrir, les doux abandonn(^s? - J'ai pas le sou, voilà le plus clair de l'histoire

- Tu n'as pas le sou î

Non.

Non! excepté pour boire !

- Je fais que je veux.

Hélas I je le lais bien.

- Ce n'est pas ton argent que je bois, c'est le mien.

- Malheureux 1

C'est assez.

Lâche I sans cœur! ivrogne I » Ah! pas un mot de plus, la vieille, ou bien je cogne.

- Je parlerai.

Prends garde 1

Allons, regarde-moi l 'u fis trembler longtemps la femme devant toi, rois donc un peu si tu feras trembler la mère 1

- Tais-toi I

Je ne crains plus tes coups ni ta colère. '- Assez, te dis-je, assez!

Va, crie encor plus fort, e n'ai plus peur de rien, pas même de la mort.

- Te tairas-tu?

Me tairai Ah ci ! voyons, tu railles?

58 M^INOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Me taire I mais tu n'as donc rien dails les entrailles? Quoi 1 ce soir, mes enfants n'ont pas même eu de painj Et tous les trois peut-être ils seront morts demain, Et tu voudrais encor me contraindre au silence? Tais-toi 1 dis-tu? voyons, mais c'est de la démence, Tu ne m'as pas comprise, ou j'ai mal entendu; Je veux du pain pour eux, misérable, entends-tu, Maintenant, entends-tu?

Tonnerre 1 cria riiommc, Si tu ne te tais pas à l'instant, je t'assomme. - Ah! frappe si tu veux, je ne me tairai pas. L'homme leva le poing et murmura tout bas :

Pour la dernière fois, tais-toi.

Non, non.

Prer

Non. [gar(

Le poing s'abattit. Elle tomba, hagarde, Sanglante, et s'en alla rouler sur le carreau, Sans un cri, sans un mot. Sur le lit, le bourreau Transporta sa viol ime, et, la terreur dans l'âme, Éperdu, poursuivi par le remords, l'infâme S'enfuit.

Les trois enfants poussaient des cris afl'reutj Et leur mère mourante, hélas 1 priait pour eux.

LES ENFANTS DE LIVROGXfi. o9

Les voisins, réveillés par l'infernal tapage, Se dirent : « Allons bon, encore le ménage Du sixième ! Ils n'en font pas d'autres chaque soir. Je plains la pauvre femme. » Et sans plus s'émouvoir, Chacun se rendormit. Là-haut, dans la mansarde, Le calme est rétabli. Jeanne, en pleurant, regarde 5a mère, et les petits sommeillent de nouveau 5ar le vieux matelas qui leur sert de berceau.

Pauvres petits enfants! Trois jours après, leur mère Les quittait pour aller dormir au cimetière. Désormais plus d'amour, plus de dolents refrains, Pour les faire sourire ou bercer leurs chagrins l 5ien plus, comme l'on sait que leur père est au bagne, Dn les fuit, le mépris partout les accompagne; St lorsqu'ils vont tous trois, se tenant par la main, cherchant leur pauvre vie et mendiant leur pain, 5i parfois le hasard veut qu'un passant les plaigne, St qu'auprès des voisins sur eux il se renseigne, )n lui fait aussitôt quelque récit bien noir, ït si, peu convaincu, le passant veut savoir Zo que, dans tout cela, «.es enfants ont à faire : i Bah! graine d'assassins! » répond une commère.

60 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Assassins 1 Assassins 1 par pitié, taisez-vous,

Et devant ces martyrs, jetez-vous à genoux I

Qu'ont-ils fait, ces agneaux, pour que nul ne les aime?

Et pourquoi leur jeter l'insulte et Tanathème?

Ont-ils donc pu de Dieu combattre les desseins?

Que diriez-Yous, vous qui les nommez assassins,

Et qui croyez pouvoir marcher la tête haute.

Si ces enfants venaient vous dire : A qui la faute?

J'ignore s'ils seront un jour bons on mauvais :

Ce qu'ils seront, c'est nens seuls qui les Aurons faits.

SONNET

A Madame D...».

En doîs-je croire la nouvelle? Est-il vrai qu'un nouveau bébé, Qu'on dit être une demoiselle,

Du ciel, en vos bras soit tombé?

De cette chute accidentelle Je demeure tout étonné : Quelqu'un Ta donc pris sur son aile» Qu'il ne s'est point cassé le ?

C'est TOUS qui l'avez été prendre f Je ne vous dis pat de le rendre, C'est trop tardi mais je dis... je dis..*

Qui donc chantera les louanges

Du bon Dieu dans le paradis.

Si TOUS lui prenez tous ses angesf

UNE DISTRACTION

MONOLOGUE

Oit par M. Coquelin cadet j sociétaire de la Comédie Française.

A M. Eugène LânicnE, de l'Académie Française

Elle avait de beaux cheveux blonds Et vingt mille livres de rente, Et se montrait dans les salons Du meilleur monde avec sa tante.

La tante étant d'un âge mûr. Il était clair qu'un jour ou l'autre. Elle irait chercher dans l'azur Un monde meilleur que le nôtre.

Or la tante avait de l'argent, Beaucoup d'argent et de... vieillesse. Cela devenait engageant, Sa fortune était pour sa nièce.

MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Elle était blonde, je l'aimai!

Pas la tante, la jeune fille,

Oui, tant d'attraits m'avaient charmé î

Belle, riche et pas de famille.

le commençai bientôt ma cour; Je craignais un peu, mais la belle. Daignant répondre à mon amour, Ne se montra pas trop rebelle.

Sans être beau, je suis pourtant, A ce que je crois, présentable j Oh I ce n'est pas tentant, tentant. Non, mais enfin c'est acceptable.

Très rangé, caractère égal, Et ne fumant jamais la pipe, Je n'ai qu'un défaut capital : Je suis distrait... mais j'anticipe.

Donc, je plus, et beaucoup, ma foi? Berthe, ainsi s'appelait la belle, Laissait très volontiers sur moi §' abaisser sa noire i)runell§.

UNE DISTRACTION. 6S

La tante surtout me trouvait Parfait et répétait sans cesse Que j'étais ce qu'elle rêvait I Je nageais en plein dang l'ivreitt.

On me recevait tous les jours, Noos goûtions un bonheur extrême À nous voir. 0 chastes amours, Qa'on est donc heureux quand on aime l

Beau logement, meubles cossus, De grands fauteuils en palissandre, Avec du vrai velours dessus, Tout cela me rendait très tendre.

J'apportais souvent des bouquets. De deux ou trois francs, magnifiques! Je les achetais sur les quais. C'est moins cher que dans les boutique!.

Ou j'offrais à Berthe un sonnet Copié dans quelque poète Presque pas connu... Ça prenait. Et ron me faisait une fêtel

66 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES

On m'appelait Hugol Musset! Quels jolis vers et quelle aisance I Vous avez appris...? Moi? Nonl c'est Naturel, ça vient de naissance.

Et je parlais d'oiseaux, de fleurj» De l'azur du ciel, de l'aurore Baignant de ses humides pleurs Les épis que le soleil dore.

le crois que j'étais amoureux, Du moins, j'avais bien l'air de l'être Avec mes regards langoureux Et mes soupirs à fendre un hêtre*

Le plus fin n'aurait rien pu ▼oir. Tant j'étais dans la peau du rêie. J'étais gai... comme un vent du soir Chantant dans les branches d'un lault.

Pendant six mois ce fut ainsi* La tante n'était pas pressée; Je m'ennuyais et Berthe ai Enfin, la date fut fixée.

UNE DISTRACTION. tt

J'arrive un matin, triomphant, En disant : Voici la corbeille l On me traite de fou, d'enfant, C'est trop beau, c'est une merreille^

Colliers, bracelets, diamants,

Brillent dans la corbeille ouverte :

Les beaux bijoux, qu'ils sont charmants I

-* Mille fois moins que vos yeux, Berthe l

J'avais pris le tout à crédit. Les diamants et les dentelles. Berthe paiera, m'étais-je dit, Avec sa dot ces bagatelles.

Ou bien, quand nous serons unis. Aux marchands j'irai les revendre; Les bijoux faux sont mieux finis, Et le soir c'est à s'y méprendre.

Le jour arrive, 6 jour maudit! Je vais pour chercher ma future.. Je suis distrait, je vous l'ai dit, Jugez de ma déconfiture c

6t MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

La noce était pour le lundi, Et moi j'arrive et me présente... Savez-vous quel jour? Le mardi, Damel elle n'était pas contente.

Je demeurai sans parler. Et stupide comme une bote, l'aurais bien voulu m'en aller. Hais c'eût été trop malhonnête.

La vieille tante rugissait. Brrr, sa colère était terrible. Berthe pleurait et rougissait. Moi, je tremblais, c'était horrible.

-~ Oser nous faire un tel affront. Faire attendre ainsi sa future Le voile et la couronne front! Quelle audace et quelle imposture)

Elle avait raison : Voyez-vous D'ici tous les gens de la noce Attendant vainement l'époux? Ahl cela devait être atroce l

tîNB DISTRACTIOBI. 69

Et VOUS avei osé venir Après un tour de cette sorte? Ah ! ne passez, à l'avenir, Jamais le seuil de cette porte.

Saltimbanque, Eroumir, Zonloul Tels sont les noms qu'elle me donne. Gela ne me va pas du tout. Et la colère en moi bouillonna.

Je laisse échapper malgré moi Un mot... un mot qu'à cette place Je n'ose pas... tant pis, ma foi! Ce gros mot... le voici : Bécasse 1

Là-dessus, elle fait un bond :

Bécasse l oh! c'est trop fort. Bécassel Et pourqnoi pas vieux biberon. Masure, tortue ou limace?

Gris, sanglots, attaque de nerfs Avec des sauts épouvantables; Avez-vous vu sauter des cerfs? Elle faisait des sauts semblables.

MONOLOGUES COMtQUËS ET DRAMATIQUES,

Sur la tête, Berthe en tremblant Lui vide toute une carafe, Tandis que, suant et soufflant» De mon mieux, moi, je la dégrafe.

Du lit on écarte les draps... Sur moi-même je me ramasse, Et je soulève dans mes bras Cette inerte et pesante masse.

Mais voilà que sur le parquet Mes pieds glissent... en vain je tente De me... je lâche le paquet Que la nièce appelait sa tante!

Me voyant perdu sans retonr. Je fis... ce que je devais faire. Je partis, et, depuis ce jour, Je suis resté célibataire.

IVRESSE MANIFESTE

I

A mon ami fiERTOL-GnAiriu

Le père était maçon, un gas joyeux et fort, Aucun autre au chantier n'abattait plus d'ouvrage; Il faut bien, disait-il, faire aller le ménage I Lasl un jour, à sa femme on le rapporta mort.

Voilà bientôt deux ans que soas la terre il dort : Sa veuve a, jusqu'ici, luttant av«c courage. Pu nourrir ses deux fils, deux enfants en bas âge ; Mais, si vaillant qu'on soit, le corps s'use à l'effort.

Et la pauvre, à la fin par les veilles minée. Dut renoncer quand même à sa tÂche obstinée, Pour aller implorer la pitié des passants :

Elle va, ventre creux, sur les pavés glissants. Chancelle... et tombe. Qu'est-ce? interroge la foule. Rien, ricane une voix, c'est une femme saoule.

LES JOIES MATRIMONIALES

MONOLOGUE

Dit par M Jules Lévy, membre de la Société de lecture et de récitation.

A mon ami Albert Laurent

Ma tante, laide et vieille fille, Plate comme une peau d'anguille, Dépensait ses soins obligeants A vouloir marier les gens, Et déployait tout son génie Pour satisfaire sa manie. Un jour, elle me prit la main, Et m'eniralnant dans sa demeure. M'entretint, pendant plus d'une heure Des douceurs chastes de l'hymen. Or, je lui répondis en termes Très polis, mais aussi très fermes,

li MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUEà.

Que je rae souciais fort peu D'aller brûler mon aile au feu; Qu'à mon avis le mariage N'était qu'un horrible esclavage, Et qu'ils sont loin d'être éternels, L«s pompeux serments que les vierges, A la lueur vague des cierges, Viennent faire au pied des autels I On promet, oui, mais la promesse Souvent s'otiblie après la messe, Et l'on s'aperçoit un beau jour. En versant des larmes amères. Que le nid tout plein de chimère», Est tout à fait vide d'amour. Et surtout, n'allez pas vous plaindre, Car vous auriez alors à craindre Qu'on vous vînt fredonner tout bas s Tu l'as voulu, ne t'en plains pas ! C'est ainsi qu'on vit côte à côte, Pleurant chacun de son côté. Et son irréparable faute, Et sa bisn chère liberté. On s'en irait bien, mais on tremble. On songe à tout ce qu'on dira,

tÉS JOtES MAtRIMONIALEÉ. IS

À tout ce qu'on inventera,

On a peur, et l'on reste ensemble.

Et puis, Us enfants sont venus,

Par leur douce et chère présence.

Diminuer les revenus,

Et presque tripler la dépense.

Alors, on redouble d'ardeur,

Et l'on voit chaque bénéfice

Passer, ineffable bonheur,

Dans les poches de la nourrice I

Si votre femme veut nourrir.

Alors, c'est bien une autre affaire,

Et vous préparer à mourir.

C'est tout ce qu'il vous reste à faire.

Du haut en bas, dans la maison,

Ce n'est plus qu'un fouillis de couches

Dont l'éloquente exhalaison

Attire des essaims de mouches.

On égorge quelqu'un là-bas I

D'oii vient donc cet affreux tapage T

Mais non, ne vous dérangez pas,

C'est bébé... qui prend son potage. Quoi, ma tante?... C'est infernal Vous voulez rire, je suppose?

t6 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Ce n*est rien ça : c'est autre chose Aux heures de grand bacchanal ! Parfois, c'est à perdre la tête 1 Lapin savant, cheval de bois. Tambour, sifflet, clairon, trompette. Tout roule et glapit à la fois. Hue I hope-là ! faites donc place î Allez I Ronflez, roulez, passez I Oh I les chaises ! gare la glace ! Bing I bon, deux carreaux de cassés I Jeudi, c'était un pied de table, Hier, un bras du canapé. Et demain... Tiens, il s'est coupé ! Ah I c'est bien fait, va-t'en au diable I Heul... Va, braillel... quelle maison I Comment?,.. Oui, vous avez raison, Il faut que les enfants s'amusent Puis aussi... que les meubles s'usent. Vous ne vous rendez pas encor ? Alors, je vais, doublant la dose. Vous montrer, ma tante, autre chose. Tenez ! changement de décor. Un soir, vous rentrez tout maussade^ Votre chef vous a cramponné;

tES JOIES MATRIMONIALES. 71

On i^ous dit : Madame est madade.

Qu'a-elle donc? Un nouveau-né I

Ça fait sept I bon sang I quelle veine I Seigneur, Dieu clément, juste et doux. Ah I suspendez votre courroux.

Ne complétez pas la douzaine !..• Une autre fois, vous revenez D'un dîner, d'un bal, d'une fête, Paf I en rentrant, vous apprenei Que Bébé s'est cassé la tête, Qu'il s'amusait sur le palier. Qu'en voulant glisser sur la rampt. Il est tombé dans Tescalier Et s'est fait deux trous à la tempe. Ou, qu'en le couchant, on a vu Des rougeurs sur son petit ventre, Que le médecin est venu Mais qu'il a bien peur que ça rentre. Chaque jour, c'est ennui nouveau : Vous recevez une visite De votre chef? Bébé, bien vite, L'appelle âne ou tête de veau. H fait beau, toute la nature Parait en fête ; vous sortex.

1S MONOLOGUES GOHIOUES ET DRAMATIQUES.

Tout à coup, vous vous arrête^ Voilà bien une autre aventure ! Bébé ne veut plus avancer.

Qu'as-tu î lui denaande sa mère.

Porter I Non ! Si ! Non l Cris, colère, Il faut céder sans balancer.

Dis, petit père, fais donc l'âne. Un coup juché sur votre dos,

Il saute, vous meurtrit les os, Et vous tambourine le crÂne. Vous rentrez. Bon 1 dtner pai prdi, La bonne a reçu des visites. Chut l silence, elle planterait Là, la baraque et les marmites* Enfin le couvert est dressé : On étend ses pieds sous la table; Le potage est mal dégraissé. Le rosbeef est épouvantable, Mais, heureux d'être enfin chez soi^ De jouir d'un peu de silence Et de repos, on se tient coi. Gardant pour soi ce que l'on pense. Bon, l'on sonne... une lettre... Dieux] Qu'apprend-on?... que sa belle-mère

lES JOIES MATRIMONIALE*. 19

Dont le médecin désespère

Depuis huit jours... va beaucoup mieux I

Ou bien que le propriétaire,

Avec des regrets déchirants,

A, de trois ou quatre cents franci

Augmenté chaque locataire 1

Ma pauvre tante écoutait, l'œil

Fixe et la bouche si béante,

Qu'on voyait, je meurs si j'invente.

Jusqu'au velours de son fauteuil.

Je continuai : Non, ma tante,

Appelez-moi brigand, bandit.

Le mariage ne me tente

Pas. D'ailleurs, je n'ai pas tout dit.

'— Assez, dit-elle d'un ton aigre.

Assez? repris-je. Et les cousini.

Les couturières, les voisins,

La grand'messe et les jours de maigre ?

Et les filles à marier?

Et leur dot, et puis leurs toilettes?

Et les fils, dont il faut payer

L'éducation.. w et les dettes?

Et plus tard enfin les vieux jours,

Pendant lesquels, entre deux quintes»

80 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES

On parle des heures éteintes,

Catarrhes et jeunes amours I

J'allais en dire dayantage,

Quoi ? Par ma foi, je ne sais plus,

Quand la porte livra passage

A deux personnes. Je me tus.

Deux dames, la mère et la fille,

Venaient d'entrer, je m'inclinai.

La mère était très laide I un 1

Un nez 1 la fille était gentille.

On causa d'abord, puis on prit

Du thé, c'était presque une fête.

La mère était tout à fait bête;

Mais la fille avait de l'esprit.

Elles arrivaient de province.

De Marseille... ou de Concarneau:

La mère était grosse... un tonneau I

Mais la fille était grande et mince.

Elles venaient vivre à Paris.

La mère avait les cheveux gris,

Et la figure rubiconde;

Mais la fille était blanche et blondft.

Ma tante mit son logement,

Tout au moins jusqu'à ce qu'on puisse

LES JOIES iMATRIMONIALES Si

Leur trouver un appartement, Entièrement à leur service, 'Je pris alors congé. Ma main Ne trembla pas, en pressant celle

Que me tendit la demoiselle...

Mais... je revins le lendemain,

Bast I il faut bien que je le dise»

L'amour m'a pris dans son ûlet.

N'allez pas croire, s'il vous platt,

Que j'ai commis une bêtise;

L'hymen, que je ne pouvais voir.

Est une bien étrange chose :

Tout ce que je voyais... en noir.

Maintenant... je le vois en rose.

DÉSESPOIh

A mon ami Fernand CnisT.

Je souffrais, je pleurais. Pourquoi ? je ne sais pas. Je souffrais, voilà tout. Je sentais dans ma tête Se heurter mes pensers, effroyable tempête ! J'avais besoin d'agir, et pourtant j'étais las 1

J'entendis une voix qui me parla tout bas : « Qu'as-tu donc? me dit-elle, avec un accent béte. » Tu pleures, tu gémis, quand la nature en fête » Te sourit et répand des roses sous tes pas I

» Quand l'amour vient t'offrir ses plus chaudes caresses I » Quand l'avenir pour toi s'ouvre plein de promesses I » Lorsque chacun envie et jalouse ton sort!

» Enfsmtl tout t'appartient : Amour, santé, jeunesse 1

» Dieu t'a laissé puiser à loisir dans sa caisse.

') Que manque-t-il encore à ton bonheur? La morti»

LE CONSCRIT

POÉSIE

Dite par M. Georges Ruëff, lauréat du Conservatoire.

A M. Paul DéROULÂns.

Ah 1 c'était un conscrit peu brave que Jean-Pierre 1 Quand il fallut quitter son village et les siens. Bien des larmes, hélas ! ont mouillé sa paupière. Mais il fallait aller combattre les Prussiens I

Les anciens avaient beau, pour lai rendre courage, Proclamer en riant que la guerre n'est rien, Lui, se disait tout bas : « La guerre est un carnage, Et l'on va me tuer, j'en suis sûr, comme un chien 1 »

Puis, en rêve, il voyait sa pauvre vieille mère, Au dos voûté par Tâge, aux cheveux presque blancs, Égrenant chaque jour, aux marches du Calvaire, Son chapelet de buis, entre ses doigts tremblants.

MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

La chère et sainte femme, elle prie, elle pleure. Contre le désespoir son âme se défend, Mais au Dieu qu*elle implore et que sa lève effleare La pauvre, nuit et jour, demande son enfant.

Et le conscrit rêvait, et toute sa pensée Était là-bas, bien loin, avec ceux qu'il aimait. La guerre, disait-il, la guerre est insensée I G*est un crime, et pourtant le bon Dieu le permet.

Jean-Pierre cependant n'était pas trop à plaindre, Son régiment n'avait pas encor vu le feu; A-ussi se disait-il, commençant à moins craindre : Si c'est toujours ainsi, la guerre n'est qu'un jeu !

Puis, mon bataillon campe en haut d'une colline, Dans un vieux château fort; pour prendre ce château Il faudrait un assaut, et ma foi, j'imagine Qu'ils n'oseront jamais s'approchei du coteau.

Mais voilà qu'un matin, la roix du canon tonne I Les ennemis sont là. Des cris montent dans l'air : Aux armes 1 chargez I Feu I que l'on sabre et canonne ! Les coups partent, plus prompts que la foudre et Téclair

LE CONSCRIT. M

Ah 1 ce fut une rude et sanglante bataille;

On fit des deux côtés d'héroïques efforts,

Les canons, les fusils vomissaient la mitraille,

Et les morts s'entassaient, horribles, sur les morts.

Mais il était écrit, destin fatal et sombre, Que nos vaillants soldats, dans ces combats maudits, Succomberaient toujours écrasés par le nombre, Et seraient pourchassés ainsi que des bandits.

0 rage I la victoire abandonnait les nôtres, Qui pourtant se battaient comme de vrais héros t Et cette fois encor, comme toutes les autres, 11 faut fuir, et laisser la place à ces lourdauds.

Voyez-les, nos soldats, courant à perdre haleine. Se sauvant éperdus, traqués, la rage au cœur, Allant sans savoir où, devant eux, dans la plaine. Suivis par les hourras insultants du vainqueur !

Vont-ils donc tous périr ? Non, la nuit les protège Et les cache... Ils sont loin. On n'entend plus, hélas l Que les cris des blessés se tordant sur la neige Le combat est fini, les ennemis sout las.

88 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Pendant qu'on se battait, que faisait donc Jean-Pierre ? D'où vient qu'on ne l'a pas même vu dans les rangs ? A-t-il payé sa dette et mordu la poussière? Est-il parmi les morts, ou parmi les mourants ?

Non, Jean-Pierre est vivant, et très bien vivant même Pendant qu'à coups de crosse, on tuait, on hachait Ses compagnons, lui, pris d'une terreur extrême Là-haut, dans les greniers du château, se cachait.

Maintenant, il est là, blotti sous une bâche ; Il frissonne, il a peur. De grands fantômes blancs L'étreignent dans leurs bras, et gravent le mot : lâche, Sur son front en sueur, avec leurs doigts sanglants.

Lâche 1 lâche I oh 1 ce mot, ce mot hideux, terrible, Résonne comme un glas dans le fond de son cœur 1 Le remords le déchire. 0 destinée horrible. Tout est perdu pour lui : parents, patrie, honneur I

Au-dessous, les Prussiens vont, viennent, dans les salles Jean-Pierre entend leurs cris, il entend leurs chansons; Il entend résonner leurs sabres sur les dalles, Et ce bruit fait courir, dans son dos, des frissons t

lE CONSCRlt. 89

lais ce n'est plus la peur qui fait trembler Jean-Pierre : «e conscrit veut laver sa honte et son affron l sent en lui grandir une sainte colère, l ne gardera pas cette tache à son front.

It dans sa tête, il cherche un moyen de Tengeance 1 voudrait que ce fût diabolique, infernal, .e jour approche, il faut agir en diligence, St les surprendre avant la un du bacchanaL

5M1 mettait le feu ? Non, ils prendraient tous la fuite ï,i pas un ne mourrait; mais comment se venger? fomber au milieu d'eux ? Il se ferait de suite, hant seul, sans profit, ni mérite, égorger,

3ue faire enfin? Le jour avant peu va paraître; Dn n'entend plus de bruit dans les salles du bas; fean-Pierre écoute. Rien. Il ouvre une fenêtre : Qu'aperçoit-il au loin, sur la route, là-bas ?

On dirait dans la brume une masse qui bouge.

Ce sont des hommes l Non. ~ Mais si, c'est bien cela.

Encor des ennemis 1... Dieu, le pantalon rouge I

Us ne savent donc pas que les Prussiens sont t

id ItONOLOGUES COMIQUES ET CUA^ÎATIQUËâ.

0 ciell les malheureux ne sont qu'un petit nombre. Ils seront massacrés. Les Prussiens les ont vus, Et déjà les vautours guettent, cachés dans l'ombre. Rien ne peut les sauver. Trop tard 1 Ils sont perdus I

Jean-Pierre allait crier, quand, plus prompt que la foudi Un souvenir, soudain, traversa son cerveau : Ses chefs, il s'en souvient, ses chefs parlaient de poudr* Mise en réserve, en bas, dans le fond d'un caveau.

Il quitte sa cachette et comme un fou s^élance Dans les couloirs; mon Dieu, si le bruit de ses pas Allait donner l'éveil 1 Non, il se glisse, avance; Personne ne l'a ?a; c'est fait, il est en bas.

Frissonnant, le conscrit cherche, à tâtons, sa route $ Un froid noir le saisit et pénètre ses os, Mais il va toujours; l'eau qui tombe de la voûte Fait trembler toat ion corps en coulant dans son dos

S'il allait maintenant do pas trouver la porte! La voici grande ouverte; ohl comme son cœur bail Allons, Jean-Pierre, allons, que ton âme soit forte I Sauve les tiens et meurs de la mort d'un soldat!

tE CONSCRlt. M

Il rentre, ^.llumt un feu de paille, puis s'arrête. Il a vu les Larils, le long des murs rangés ; H approche la flamme en détournant la têle... C'en est fait, le conscrit et les siens sont vengés.

Aucun n'a jamais su que le pauvre Jean-Pierre Était mort en héros, mort sur le champ d'honneur; Quand, dans son bataillon, l'on cause de la guerre, Les vieux disent de lui : « S'il est mort! c'est de peur. »

Et là-bas, au pays, sa pauvre vieille mère, Le dos voûté par l'âge et les cheveux tout blancs, Égrène chaque jour, aux marches du Calvaire. Son chapelet de buis, entre ses doigts tremblants.

LE COMPLIMENT DE BÉBÉ

Je Toudrais bien, petit papa» T'en souhaiter long comme ça,

Ponr ta fête ; Je cherche depuis bien longtemps Toutes sortes de compliments,

Dans ma tète.

Hélas I je ne puis rien trouver, Et ne sais comment te prouver

Que je t'aime. Pourquoi donc que l'on ne peut pas Dire ce qu'on pense tout bas

En soi-mômet

04 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Quand je serai plus grand, papa, Je parlerai mieux que cela

Le langage, Mais je ne pourrai jamais Te chérir, je te le promet».

Davantage.

Tai cherché pendant bien longtemps Toutes sortes de compliments.

Dans ma tête. Mais je n'ai trouvé que c«la ' A te dire, petit papa,

Pour ta fét^

LA MÈRE DU SUPPLICIÉ

POÉSIE

Dite par M^-" Schmidt, du théâtre de r Ambigu.

A Victor Huoo.

et homme avait commis je ne sais quel forfait, m lui coupa le cou; chacun dit : C'est bien fait! on corps tout mutilé fut cloué dans la bière, It jeté dans un coin, au fond du cimetière! lur sa tombe sans croix, le fossoyeur, en tas, lange chaque matin ordures et gravats ; i'est un entassement de raclures d'allées, )e vieux bouquets, débris des auties mausolées, lui ne va visiter ce tertre abandonné Jous lequel, pour toujours, dort le guillotiné. Pourtant, quand le jour baisse, à l'heure la nuittombe« uelqu'un vient se pencher au bord de cette tomba.

96 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Qui donc ose venir prier pour l'assassin?

Femmes qui m'écoutez, vous, qui, dans votre sein,

Avez d'un chaste hymen porté le fruit prospère,

Vous l'avez deviné, n'est-ce pas? C'est sa mère,

La mère du maudit, qui vient chaque soir.

Cachant tes pleurs dans les plis de son voile noir.

Ce qu'elle pleure, hélas I ce n'est pas l'affreux crime

Qu'a commis son enfant; ce n'est pas sa victime;

Non, c'est lui, c'est sa mort ; c'est son trépas brutal.

Quand il tuait, qui sait quel démon infernal

Le poussait? 0 Seigneur, vous qui savez les causes

De tout, pourquoi, mon Dieul perjnettez-vous ces choses?

Pourquoi n'avez-vous donc pas empêché cela?

Et pourquoi mon enfant, plutôt que celui-là?

Quand il était petit, je baisais ses mains blanches;

Plus léger qu'un oiseau voletant dans les branches.

Il courait dans la chambre avec des cris joyeux;

Si vous saviez, le ciel était dans ses grands yeux,

Ses cheveux étaient blonds comme l'or de la plaine,

Sa bouche était petite et rose, et son haleine

Avait un parfum doux comme celui des fleurs.

S'il me voyait pleurer, il essuyait mes pleurs

Bien vite, et me disait : Bonne petite mère,

i^ourquoi t'as du chagrin? Sois pas méchant. Son pèr^

LA MÈRE DU SUPPLICIÉ. Ô1

L'adorail, tous les deux nous étions fous de lui. De tout cela que nous reste-t-il aujourd'hui? Rêver pour l'avenir d'un enfant tant de choses, Kt ne rien conserver de tous ces rêves roses' Rien qu'une tombe, hélas I tombe de meurtrier, Sur laquelle on ne peut, qu'en se cachant, prierl Un meurtrier I Non, non : N'est-ce pas, ma chère âme, Que ce n'est pas toi qui commis ce crime infâme? Non, non, ce n'est pas toi. Qui? moi, je n'en sais rien Mais ce n'est pas lui, non, allez, je le sens bien I Il a fait des aveux ! Ce ne sont pas des preuves. Les juges l'ont soumis à de telles épreuves. Qu'il leur a dit : C'est moi! Plutôt que tant souffrir, .e malheureux enfant a préféré mourir. Jn crime, luil Mon Dieu, vous, vous en qui j'espère, ^la ne se peut pas, puisque je suis sa mèrel

e suis folle et je cherche en vain à m'abuser : Ce meurtre, il l'a commis, et vouloir l'excuser Vest pas possible, non; mais enfin, la justice, ijuand elle le condamne au suprême supplice, Enlève au criminel môme le repentir. 3n peut bien, sans tuer un homme, le punir, ourquoi donc recourir à ce jnoyen extrême,

98 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES

Et pour venger un crime, en commettre un soi-même^.

Punissez, il le faut et vous avez raison,

Vous avez pour cela le bagne et la prison,

Mais laissez-leur la viel ahl Dieu même l'ordonne!

C'est vous qui condamnez, mais c'est lui qui pardonne

Hélas! lorsqu'en plein jour, à la face des cieux. Vous assemblez les bois du gibet odieux, Vous ne sentez donc pas, quel que soit le coupable, Que vous dressez, spectacle atroce, épouvantable. Sur un nouveau Calvaire une nouvelle croix? D'ailleurs, sachez-le bien : c'est excéder vos droits. C'est frapper dans sa chair une femme innocente, Qu'oser tuer l'enfant, quand la mère est vivante!

0 juges! cette femme a raison, et sa voix

Devrait vous rappeler la plus belle des lois,

La loi du Christ, qui dit : Toute tête est sacrée.

Cette loi vous gênait, vous l'avez massacrée.

Et depuis, chaque jour, sans honte et sans remord,

C'est au nom de ce Christ que vous donnez la mort.

0 ciel! c'est donc pour vous une bien belle fête,

De voir dans un baquet grimacer une tête?

On prétend que rien n'est plus hideux cependant

LA MîlHE du supplicié. 99

Vous ne comprendrez donc jamais, en entendant

L'horrible grincement du couperet infâme,

^u'en mutilant un corps, vous violez une âme?

Hélas I non, tout cela l'on vous Ta dit cent fois,

Et vous êtes restés sourds à toutes les voix.

Rien ne peut vous fléchir; c'est en vain que les mères

Viennent à vos genoux sangloter leurs prières;

En vain que Ton vous dit : L'humanité défend

De tuer sous les yeux de sa mère un enfant;

En vain, qu'à votre code opposant l'Évangile,

On vous prouve combien la justice est fragile ;

Donc, il vaut mieux, muets, laisser venir le jour

Où, juges, vous serex ju^és h votre tour.

Un

fi«6i/or^^

<*,

DIPLOMATIE

Au petit William RiCQCzn.

le vous aime, chers bébés roses, Mais, voyez-Yous, je ne sais pas, ^ Pour les faire rire aux éclats, Dire aux bébés folles choses.

Mes pensem sont souTent moroset» Et souTent je pleare tout bas, Traînant après moi, sur mes pas. Un mal dont J'ignore les caas«t.

Si, quelquefois, pour mettre on p«a De joie au fond de Totre œil bleu, radoucis mon regard séyèrt ^

Si ma tristesse se défend. C'est qu'an sourire de Tenfant, Me Tant un sourire du père.

L'ACCROC

MONOLOGUE

Dit par M. Tbrtil, du théâtre des Variétét

A mon ami FEPDiNANocic

Il 7 « quinze Jourt, Je demande un congé, Pour aller yoir mourir un vieil oncle que j'il Dans le département de la Meurthe-et-MoseI!<! Mon chef ne parut pas oouper dans la ûcelif ; Pourtant il m'accorda ce que je souhaitaij« Le lendemain matin dès l'aube je partais. Gai, content, altéré d'air libre et de Terdareî (Car Tonele n'était bien qu'une simple impastiirc.} )e demande à la gare un billet pour Mâcon, ït je court mlnstaller dans le dernier wagon llspérant être seul, mais espérance vaine 1 In outre la portière, un parfum de verveinr

104 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

M'arrive dans le nez. Le froufrou d'un jupon

Parvient à mon oreille, un tout petit peton

Se montre, puis un autre... enfin sur la banquette

Une dame s'assied... Je flaire une conquête,

J'aide la voyageuse à placer ses colis :

Elle me remercie en termes très polis,

Tandis que, souriant, je regagne ma place.

Je ne savais pas trop comment rompre la glace ;

J'essayai cependant : Il fait un bien beau temps,

Madame, et les fermiers doivent être contents.

Ohl ouiy monsieur.

On dit pourtant que la salade Ne rend pas, et de plus, que l'avoine est malade.

Tant pis, monsieur, je plains les malheureux chevaux

Oh! madame, voyez les jolis petits veaux, Juste en face de vous, tout là-bas, sous les ornes !

Je croyais que les veaux, monsieur, avaient des cornesl <— Non, pas euxl Leurs papas et leurs mamans aussi.

Ils en auront plus tard. Nous parlâmes ainsi Longtemps. Je commençais à trouver monotone La conversation de la jeune personne. Avec ça j'étouffais dans ce chemin de fer I J'ouvre un peu la fenêtre afin de prendre l'air; Voilà qu'en me penchant. 6 rage^ ô coup funeste,

l ACCROC. 105

Je sens se déchirer... Ce n'était pas ma veste, Non, c'était ma culotte ! Immobile, éperdu, Je restais là, suant, tremblant, le dos tendu I Je craignais, en bougeant, que cette déchirure S'augmentât, et n'osais rentrer dans la voiture. J'espérais que cela ne se voyait pas trop. Que du moins mon veston dissimulait... raccroc; Mais la dame, soudain, tremblante de colère. M'ordonne de m'asseoir; or, la chose était claire, Elle avait vu ce qui venait de m'arriver. J'aurais donné cent sous pour pouvoir m'esquiver, Et changer de wagon pour changer de costume. Avec ça j'avais peur d'attraper quelque rhume. Non, voyez-vous d'ici ma situation? Le train s'est arrêté! C'est une station I Je prends mon sac et saute en bas de la voitur it je cours me cacher derrière une masure ; J'enlève vivement le maudit pantalon, Je cherche dans mon sac, je fouille jusqu'au fond Je ne trouve dedans, ohl l'angoisse mortelle 1 Qu'un pantalon de femme avec de la dentelle I Je comprends tout. Ce sac n'est pas du tout le mien C'est celui de la darael II faut cependant bien Que j'endosse cela, pour regagner la voie.

106 ItONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Endossons 1 je courrai pour ne pas qu'on me voie; Une fois en wagon, j'expliquerai d'où vient L'erreur à ma voisine et lui rendrai son bien. Je revêts donc l'objet, sans mal, c'est assez ample, Ce n'est pas tout à fait assez long, par exemple. Enfin, c'est fait, je cours, craignant d'être en retard. J'aiTive juste à temps... pour voir le train qui part. Je ne sais me mettre! Enfin, tant pis! je m'arme De courage et m'en vais trouver un grand gendarme Que j'aperçois debout devant la station. Je veux lui raconter ma situation, Mais aussitôt voilà ce haut fonctionnaire Qui croit que je plaisante et me dit de me taire* Moi j'insiste, il se fâche : Allez-vous circuler. Polisson I Je comprends qu'il va me bousculer Si j'ose résister. Alors je prends la fuite. Entraînant un essaim de gamins à ma suite. Je suis tout en sueur I je vais sans savoir où. Manquant à chaque pas de me rompre le cou, Fuyant devant la meute aux clameurs diaboliques Lorsque, soudain, je vois briller ces mots magiques Au-dessus d'une porte : « Au Guide du Bon Ton. Habillements complets ! * •— Je tourne le boutoo. Je produis un efifet impossible à décrire.

i'aCCROC. 107

Les commis partent tous d'un grand éclat de rire^ La patronne se pâme au fond de son fauteuil, Mais son mari m'indique, avec le doigt, le seuil, St me jette dehors. Je ne sais plus que faire I Que vois-je? Le fànal rouge d'un commissaire! J'entre sans hésiter dans l'établissement. Je veux tout raconter sans perdre un seul moment; L'intègre magistrat me dit avec malice Qu'il sait tout. Il paraît que déjà la police Savait tout. Un agent m'emmène et me conduit Dans on grand local triste et noir comme la nuit.

C'est un tailleur en gros, pensai-je... Mais la porte Du fond s'ouvre. Un monsieur, suivi d'une cohorte De garçons en livrée, entre, et me met ses doigts Sur le crâne en disant : Très bien, parfait, je vois Ce qu'il faut. Je n'avais jamais vu, je le jure, Pour aucun pantalon prendre ainsi la mesure.

Déshabillez-vous vite I ordonne le tailleur.

C'est drôle, comme il a le sourire railleur, Me dis-je en retirant la fatale culotte.

Ehl bien, ce pantalon, quand est-ce, je grelotte.

Otez d'abord tout ça.

Gomment? mais, s'il vous plall, Je n'ai pas demandé le costume complet.

168 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATiQUÈS.

A ces mots, il fait signe aux garçons ; on me roule

Sur le plancher ainsi qu'on eût fait d'une boule.

Puis je sens tout à coup une avalanche d'eau

Qui m'inonde le corps en me glaçant la peau.

J'ai beau crier, hurler, leur jurer qu'ils se trompent,

Ils n'entendent rien, rien, et pompent, pompent, pompent.

Je me débats toujours comme un ?rai forcené;

Je comprends maintenant qu'on ne m'a pas mené

Du tout chez un tailleur, mais dans quelque Bicêtre

De province. Il fallut vingt jours pour me remettre

Et prouver que j'avais ma complète raison.

Ah I si vous voyages, retenez la leçon I

Souvenez-vous de mes tragiques aventures.

Et de vos pantalons visitez les coutaresl

IDYLLE

JL H. Jean Rionrai.

Bile tratne, la panrre fille,

Une moustmease guenille,

Funèbre épaye des salons,

Qui bat, boneuse, ses talons,

Et qne le sirop des soirées

Diapré de taches moirées.

Contente d'avoir sur la peau

Cet étrange et sale oripean.

Elle rit, gazouille et caquette

Au bras d'un grand gas en casquette,

Qui se donne des airs vainqueurs,

{!n lissant ses accroche-coeurs.

no MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Ils vont, sur la route poudreuse, Lui, gonflé d'orgueil, elle, heureuse. La nature rit à ces gueux Qui passent, les yeux dans les yeux, En se jurant, folle promesse. Que leur amour vivra sans cesse. Mille parfums embaument Tair ; . Tout au loin, le tintement clair D'une vieille cloche résonne, Et Tangélus du matin sonne ; Les papillons boivent les pleurs De Taube au calice des fleurs ; Dans le ciel bleu, les hirondelles S'entre-croisent à tire-d'ailes ; Moineaux, fauvettes et pinsons Chantent, cachés dan^ les buissons^ Que l'aurore vermeille azuré. Et la brise bat la mesure. Et nos deux pâles amoureux, Poussant des soupirs langoureux, Écoutent, ravis, ces murmures, En cueillant aux buissons des mûres. Puis, lassés «fentendre et de voir. Ou bien seul<;menl ^ouy s^voif

IDYLLE. m

SI là, tout près, dans le boîs sombre. On pourrait trouver un peu d'ombre, On les voit sous les frais arceaux Que forment les verts abrisseaux, Disparaître; à leurs pieds, la mousse S'étale verdoyante et douce, Et les invite à s'allonger Quelques minutes pour... songer. Et les voilà couchés dans l'herbe, Et conjuguant l'éternel verbe. Les oiseanx roucoulent toujours, Mais nos amants sont déjà sourds. La fille minaude, coquette, Et dit que... non, à la casquette. Se débat... puis enfin se rend ; Et leur regard se perd, mourant. Au milieu de ces harmonies, Dans des extases infinies.

SUR UN LIT D'HOPITAL

POESIE

Dite par M. Jolly, membre de la Société de lecture €t de récitation.

k M. le dootonr GÀMPiifON.

Sur son lit de douleur, vn moribond se tord.

L'air manque à ses poumons : il râle, étouffe et mord

Ses bras nus et crispés. Il se débat ; la fièvre

Glace son corps morbide et dessèche sa lèvre.

Ses dents claquent. Ses yeux hagards, secs et vitreux,

Vacillent, éperdus, dans leur orbite creux.

Un hoquet le secoue et s'éteint dans sa gorge,

Avec un bruit pareil au soufflet d'une forge.

La crise est plus aiguè. Il bat l'air de ses bras,

Et de son pied nerveux rejette au loin les draps

Sous lesquels il grelotte et dont le poids F écrase.

Puis il se calme, il cherche à parler... mais la phrase

li* MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Expire en son gosier. La sueur de la mort Perle à son front. Il tente, en un suprême effort. De s'arracher d'un bond à la fatale couche, Sur laquelle le tient cloué le mal farouche ; Mais c'est en vain qu'il cherche à se tenir debout, Qu'il s'accroche aux rideaux, à la muraille, & tout ; En vain, ses doigts tordus cherchent un point solide, Pour appuyer un peu sa pauvre tête vide ; Sur ses genoux osseux, son corps tremble et faiblit, Il chancelle et retombe épuisé sur son lit

C'en est fait I II comprend maintenant que son heure

Va sonner. Une larme à ses yeux monte. Il pleure I

Il pleure son enfance et ses jeunes amours !

Il pleure ses meilleurs et ses plus mauvais jours!

Il pleure les grands bois pleins d'ombre et de silence

Qu'affectionnait tant sa rêveuse indolence 1

La plaine, méditaient, penchés, les épis blonds !

L'herbe haute des prés ! Les verdoyants vallons (

Tout son passé revit dans un lointain mirage :

« La maison paternelle, au milieu du village!

h Le calvaire où, depuis le dernier jubilé,

» Pourrissent les débris d'une gerbe d*î blé !

i> Le vieuî^ clocher perdu daus uti fouillis de brauche||

I

«UR UN LIT d'hOPITAI *15

Les ^à\Qi§ Yerts ou gris des maisonnettes blanches \ ^'^<5oie, dont les bancs étaient vit» déserts, Q^and le printemps posait ses premiers tapis rerta I ' La grand'place les vieux faisaient sauter les quilles^ Pendant que les garçons faisaient danser les filles I

> Les ruines de granit du féodal manoir,

» Qu'on allait, deux par deux, visiter chaque soir I

> Les couples se glissaient furtif» comme des ombres,

» Sous les arceaux voûtés des grands corridors sombres ; >) Là, Técho redisait ces mille riens charmants, •> Que l'amour fait fleurir aux lèvres des amants. » Et les pas résonnaient sur les dalles antiques, » les corps dessinaient des ombres fantastiques.

> Puis bientôt, dans la nuit, ces ombres s'effaçaient,

» Les pas ne sonnaient plus, les murmures cessaient, » D'autres nids s'élevaient près des nids d'hirondelles,

> Et soupirs et baisers se mêlaient aux bruits d'ailes.

» Mais quand venait l'aurore aux reflets diaprés, » Lorsque sonnait l'heure mille insectes nacrés » Commencent à chanter sous les vertes fougères, » Les ombres, tout à coup, disparaissaient, légèreç^ f pélaissant du manoir les amoureux abri»,

i

M MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES,

» En les voyant passer, en entendant leurs cris,

» Les lourds piliers devaient sentir leur cœur de pierre

» Tressaillir de plaisir sous leur corset de lierre,

» Adorable réveil 1 Le parc silencieux,

M S'emplissait brusquement de mille bruits joyeux.

» Dans les airs, dans les prés, dans les bois et les plaine

» Les oiseaux mêlaient tous leurs voix aux voix humaines

» Oui, tout chantait : Amants, fauvettes et pinsons,

Et la brise, en passant, moissonnait leurs chansons I »

Le pauvre moribond, les paupières mi-closes.

Regarde vaguement tous ces horizons roses.

Perdu dans le passé, le présent, Tavenir,

Il a tout oublié, pour se mieux souvenir.

Et comme le pécheur, après un jour d'oragt»

Il sent renaître en lui l'espoir et le courage.

Ses maux sont terminés, il ne sent plus son mal»

II ne voit plus les lits tout blancs de l'hôpital.

Ni la sœur qui sourit doucement sous son voile»

Et lui montre, à travers les vitres, une étoile.

Les choses qu'il voit sont les choses d'autrefois.

Et les bruits qu'il entend sont de lointaines voix I

Allons ! dit-il, allons I c'est la fin du martyre 1

Et son &me s'enfuit dans un dernier sourire.

I

LE PAGE

A mon ami âlbouv.

Sois sage, Moqueur ; Beau pago Sans peur. '

Ménage Ton cœur. Volage Vainqueur*

La rote

Éclose Mourra;

Vieillesse

Suivra

Jeunesse.

coco

A Emile Bovch».

Ld courert tst dressa : Monsieur te met à table. Madame est d'une himeur atroce, épouvantable; £oco, son perroquet, a failli se casser j.

\es pattes en roulant sauter pour Tembrassêr* Dam ! elle lui sourit, le caresse et le baise Tant, que Coco finit par la trouver mauvaise. W donne à sa maltresse un gentil coup de bec. Emportant et la chair et l'épiderme avec, Et s'en va se percher sur le bord d'une assiette. Monsieur veut lui donner un coup de sa serviette, Mais madame lui dit, qu'il n'a pas fait exprès, £t que c'est en jouant ; qu'il est toujours après.

(ÏO MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Et qu'il est, en un mot, plus bête que la bête.

Viens, mon petit Coco ; grrrater, grrrater la tête.

Coco, se sentant fort, se met à fourrager

Dans les plats, comme un coq dedans un potager.

Enfin, juché dessus le bord de la soupière.

Il aiguise son bec comme sur une pierre.

Le perroquet s'en donne à loisir, mais yoilà

Qu'il laisse choir sous lui, dans le tapioca.

Une substance molle et visqueuse et verdâtre...

C'est tout juste, c'en est. Alors, coup de théâtre!

Et monsieur, cette fois, de colère pâlit.

Madame en souriant prend ie corps du délit

Dans sa cuiller : Tu vois que c'est bien peu de chose*

->• C'est trop fort, dit monsieur; tu m'aimes, je suppose,

Plus que ce perroquet ? Je gagerais pourtant

Que tu te fâcherais si j'en faisais autant l

LA VALSE DES FEUILLES

A mon ami Ernest Roy.

Tourbillonnez I Tombez, feuilles légères I Obéissez aux caprices du vent. Ici tout passe et l'homme, bien souvent. Voit fuir ainsi tes rêves éphémèrei.

Envolez-vous, feuilles légères I

Envolez-vous !

Dans les fougères» Vous trouverez un lit bien doux*

Feuilles légères»

Envolez-vous.

L'hiver a mis son baiser sur tos charmes» Et vous mourez du baiser de l'hiver. En vous voyant tourbillonner dans l'air, On croirut voir les cieux verser des larmes.

1^ MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMAtiQUËS.

Envolez-vous, feuilles légères I

Envolez-vous !

Dans les fougères Vont trouverez un lit bien doux

Feuilles légères.

Envolez-vous

Qui sait, qui sait, si la feuille qui tombe N'est pas, bêlas I une âme qui s'enfuit ? Quand on la voit s'abîmer dans la nuit On croit toujours voir s'ouvrir une tombe

Envolez-vous, feuilles légères

Envolez-vous

Dans les fougères Vous trouverez un lit bien doux

Feuilles légères.

Envolez-vous.

Vous reviendrez vous balancer aux arbres, Car votre nuit, ô feuilles, n'a qu'un temps. Vous reviendrez, mais, hélas I le printemps rie rend p^s ceux qui dorment sous les marbres.

LA VALSE DES FEUILLES. 123

Envolez-vous, feuilles légères !

Envolez-vous 1

Dans les fougères, Vous trouyerez un lit bien doux.

Feuilles légères,

Envolei-vous.

LE LION

POÉSIB

ifite pet* M. PfliuppE GARNiBRjrftf ta Comédie-Française

À mon ami Matbivit.

Un jour, certaîn dompiear de foire, Dont le nom flétri par Thistoire De tous est, hélas, trop connu, Étant, disait-il, panrenu A vaincre un lion féroce, Avait convié ses amis A venir contempler, spectacle infime, atroce, L'animal-roi, qu'à coups de crosse. Le lâche avait soomis.

Terrible, aveuglé par la rage, Brisé de hopte et de dpuleur.

128 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Le lion bondit dans sa cage, Sous les coups de son fier dompteur. Au-dessus de son front la cravache tournoie, Et son hideux sifflement Le fait rugir sourdement ; Et son œil, qui la suit dans l'espace, flamboie* Ses poils se sont dressés Sur son dos qu'elle effleure. C'en est trop, c'est assez l '

Le lion veut avoir et son tour et son heure. Allons ! debout I lève-toi l Défends ton titre de roi l On croit ta force brisée. Va, défends^ 6 géant, ton pouToir contesté 1 Montre à la foule éleotrisée, Qui de ta grandeur fait une risée, Qu'on ne touche pas à ta majesté. Bondis, comme autrefois dans les bois et les jungles J Que tes cris, qu'on entend la nuit dans les déserts, Déchirent de nouveau les airs 0 lion, aiguise tes ongles, Brise tes barreaux. Arrache ta chaîne, gt crache ta haiue,

LE r'oiT. m

A la £aco de tes bourreaux I

Ah I nains, vous n'osez plus rire, A son tour, le géant vous fait trembler de peurl

Et toi, superbe dompteur, Ton-t-il donc perdu tout son empire? Allons donc, affermis ta voix, Et prends ton air le plus bravache. Va, va, fais siffler ta cravache, Frappe I frappe encore une fois!

Mais quoi, la terreur les glace? Tous restent cloués à leur place, Et regardent, tremblants, le lion furieux.

Dont les yeux fascinent leurs yeux î Hourra ! de nouveau dans l'espace, Le long fouet se déroule et l'enlace. Ahl malheur à vous, imprudents! Cinglé par la lanière. Le lion les yeux ardents, A secoué sa royale crinière, Et va TOUS déchirer, lâches, avec ses dents*

Sous ses griffes de fer déjà la cage cède. A terre, les barreaux tordus gisent épars^

i28 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Et tous les spectateurs que la terreur possède, Cherchent à fuir alors, éperdus et hagards, Le lion, dressant sa noble tête, Passe au milieu d'eux, Calme et majestueux, St devant la royale bête, Tous s'inclinent épouvantés. Mais voyant qu'au loin il va disparaître. Ils sentent tout à coup leur audace renaître.

A morti hurle>t-on de tous les côtés Mais la foule soudain recule frémissante : Le lion s'est arrêté, Et de sa gorge haletante. Sortent ces trois mots, dits d'une voix éclatante ; H Salut, sainte Liberté I »

TOINON

A M'i'K , del'Odéoo.

Qui donc résisterait à ta beauté, Toinon!... Et qui n'aimerait pas tes charmes diaboliques? S'il pouvait de sa main caresser ton menton, Argan même oublîrait un instant ses coliques.

Tartuffe f ce dévot... ou plutôt ce fripon, Qui rougit saintement à toutes tes répliques. Si tu lui disais : Oui, ne répondrait pas : Non, J'en jurerais, malgré ses airs évangéliques.

Le public te chérit, il aimeta gaîté.

Tes ruses de gamin, tes airs d'enfant gâté,

Il aime de tes mots l'allure cavalière.

Et tandis qu'il se brûle aux flammes de tes yeux,

Les sonores éclats de ton rire joyeux

Jusque dans son tombeau vont réveiller Molière I

REVIENSl

Elle est sourde à ma voix qui l'appelle et soupire;

Seuls les grands arbres verts Entendent chaque nuit les plaintes de ma lyre,

Mes sanglots et mes vers.

Ahl reviens I Loin de toi, mon âme se déchire* Viens dans mes bras ouverts,

J'oublierai, chère amante, en voyant ton sourire^ ~- Tous les tourments soufferts.

L'onde de nos ruisseaux a gardé ton image ; Le merle, tes chansons ; le sable du rivage, L'empreinte de tes pas.

Àhl reviens à ton nid, fugitive hirondelle! A nos serments d'amour je suis resté fidèU, Et je ne t'en veux pasl

CONTRASTES

A mon ami Ricouard

La femme est toujours grosse et l'homme toujours plein ;

Elle lutte et travaille, et lui» gronde et se plaint;

Vaillante, elle accomplit sans murmurer sa tâche ;

Sans honte, il dort, il mange, et se saoule, le lÂche;

Contre la pauvreté la femme se débat,

Et ça fait rigoler son homme ^ui la bat;

Elle tient avec soin sa mansarde proprette ;

Lui, brise tout, quand il a bu, dans la chambrette ;

Elle donne à ses fils de morales leçons ;

Lui, braille devant eux de grivoises chansons.

Voilà dix ans bientôt qu'ils demeurent ensemble,

Due l'homme jure et frappe, et que la femme tremble.

134 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Et pourtant quand revient le soleil du printemps, Ils s'en vont le dimanche avec tous leurs enfants, Pleins de joie, oublieux et des coups et des scènes, Courir comme des fous dans le bois de Vincennes. Ils reviennent le soir, en se tenant la main, Et chantant des chansons tout le long du chemin ; Puis, petit à petit, îhomme devient plus tendre, Et la femme, penchée afin de mieux entendre, Écoute en souriant parler le dieu d'amour..., Et met, neuf mois après, un nouveau fils au jour*

ADAM ET EVE

MONOLOGUE

Dit par MM. Coquelin cadet, sociétaire de la Comédie- Française et TousÉ, du théâtre national de rOdéon,

mon ami Paul Bilmàuo.

Eve ayant mordu dans la pomme, De son paradis Jehovah La chasse, avec Adam, son homme; Tous deux s'en vont cahin-caha.

Après avoir, à l'aventure, Erré longtemps, longtemps, longtemps; Sans feu, sans abri, sans pâture, Affamés, moulus, grelottants,

Tous deux s'assirent sur la moussé, A l'ombre d'un jeune bouleau; Adam, brisé par la secousse, Se mit à pleurer comme un veacu

136 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Eve, voyant pleurer son homme, Épongea les pleurs de ses yeux Avec les feuilles de la pomme, Qu'elle gardait dans ses cheveux.

Sa main caressa Tépiderme D'Adam très amoureusement; Mais lui y d'une voix rude et ferme» L'envoya dinguer brusquement.

^ Va-t'en, dit-il, femme adultère I Toi, qui causas tous mes malheurs I Toi, par qui je vais, sur la terre. Éprouver toutes les douleurs.

Eve, n'osant pas lui répondre, Mâchonnait de l'herbe et des fleurs; Adam continuait à fondre En un vrai déluge de pleurs.

Aht Seigneur! geignait-il, c'est elle Qu'il fallait frapper, non pas moi. Pourquoi donc me punir, pourquoi? Votre vengeance est trop cruelle I

ADAM ET EVE. 131

Tiens, dit la mère Eve, as-tu pas Mangé de la pomme que l'ange.,.?

C'est vrai, mais lorsque tu me l'as... Je t'ai dit : Zut!... Tu m'as dit : Mange i

Ah! tiens, tu me pousses à bouti Je ne t'ai pas forcé, j'espère?

Mais si..., tu m'as fait manger tout. Oui tout, jusqu'au trognon..., vipère 1

Dîs-donc, tâche d'être poli.

D'oii sors-tu donc?... Est-ce ma faute.

Si t'es à moitié ramolli,

Depuis qu'il te manque une cdte?

t

Ingrate I Va donc, désossé I

Dieu voulait que j'eusse une femme. Nais je m'en serais bien passé,

Je te le jure sur mon âme*

Ohl menteurl Je vivais en paix^ Seul avec les fleurs et les bétes. Jamais d'ennuis, non, rien jamais. Tout était pour moi plaisirs, fêtes t

i38 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES,

J'avais toujours quelque chanson Joyeuse sur la bouche 1 ah! damet En ce temps-là, j'étais garçon, Vous n'étiez pas encor, Madame 1

Hélas! un jour je m'endormis Sur le gazon, quelques minutes, Au côté soudain je sentis Un chatouillement... et vous fûtes.

Dès lors, le céleste courroux S'est abattu sur moi, terrible; Depuis que je suis avec vous, Ce que j'ai souffert, c'est horrible l

D'abord, tout au commencement. Insensé 1 je trouvais ça drôle D'être mari; mais, promptement, Je me suis lassé de mon rôle*

Vous êtes sotte, propre à rien, Bavarde, sale... un caractère!

Mon cher époux, je vous vaux bien,

Fais-moi le plaisir de te taire.

ADAM ET ÈVB. 130

J*ai bien le droit de parler? Non. je veux parler tout seul, Madame.

^ C'est le moyen d'avoir raison.

Je suis l'homme, moi ; vous, la femme.

Osez-vous bien, après l'affront Que vous m'avez valu, traîtresse, Relever encore le front, Et venir parler en maîtresse?

Par votre faute, j'ai perdu La paix, le bonheur, l'espérance I Mes jours, vous l'avez entendu, l^'écouleront dans la souffrance I

Ah I si du moins Dieu m'avait mis Seul, hors de la céleste enceinte, Je me serais alors soumis. Sans peine, à sa volonté sainte.

Mais non, il vous chasse avec moi. Nous attache à la même chaîne 1 Il faut, me courbant sous sa loi. Qu'avec moi, toujours, je vous traîne I

1*0 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Il gémit ainsi tout le jour, Eve, se sentant bien coupable, Dépensait des trésors d'amour I C'était beau, touchant, lamentable!

Or, vers le soir, Dieu descendit, Et, frappant Adam sur l'épaule. Il le fit lever, et lui dit : « Sèche tes larmes, mauvais drôle«

» J'ai tout entendu de là-haut. » Ah I tu m'accuses d'injustice ! 9 Polisson I qu'est-ce qu'il te faut, » Et que voulais- tu que je fisse?

» Réfléchis un peu. Mon courroux » Fut bien moins grand que votre crime. » Je fus certainement trop doux. M Et tu te poses en victime?

» Oui, je t'ai dit : Tu souffriras

» Dans ton corps, tes fils et ta femme,

» Travailleras et gémiras,

» Jusqu'à ce que tu rendes l'âme.

ADAM ET EVE. ^

»» Mais je pouvais doubler tes maux » Et te donner, dans ma colère... Quoi? dit Adam, tendant le dos... » Quoi, Monsieur? Une belle-mère! h

Et cela dit, Dieu s'envola, Laissant les deux époux à terre. C'est, dit-on, dans rette nuiL-là Qu'Adam fut notre premier Pèrel

SUR LES EAUX

POÉSIE

Dite par M. Albouy, membre de la Société de lecture et de récitation.

A mon aini Charles OnniEH

La barque se balance Mollement sur les eaux. Ainsi qu'un vol d'oiseaux La barque se balance. Charmante d'indolence. Au milieu des roseaux, La barque se balance Mollement sur les eaux.

Le matelot fredonne Un chant doux et plaintif. Laissant aller l'esquif, Le ir^tf'"^ '«-edonne.

144 WCNOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Et la bise d'automne Glace son front pensif. Le matelot fredonne Un chant doux et plaintif.

Sur le bord il se penche Et veille à l'hameçon. Sans taire sa chanson. Sur le bord il se penche. Accroupi sur sa planche» 11 guette le poisson. Sur le bord il se penche^ Et veille à l'hameçon.

L'astre de feu s'incline Et descend lentement. Dans le bleu firmament» L'astre de feu s'incline. Empourprant la collin« De son rayonnement, L'astre de feu s'incline Et descend lentement.

Le vent gonfle les voiles Avec un bruit joyeux.

8UR lES EAUX. H5

Soqffle mystérieux,

Le veQt gonfle les voiles^

Et déjà des étoiles

Se montrent dans les cieux.

Le vent gonfle les voileSi

Avec un bruit joyeux.

La lune argenté Tombre,

l)e son pâle reflet.

Autour du batelet,

La lune argenté Tombre.

Le pêcheur^ sans encombre

Retire son filet.

La lune argenté l'ombre

fion mâle reflet.

Le pêcheur sur la rive Laisse son bateau, Puis il prend son manteau, Le pêcheur, sur la rive. Et d'une allure vive, Gravissant le coteau. Le pêcheur sur la rive L^isbe sou bateau.

iO

U6 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES:

Il rentre en sa chauminOt Et dort jusqu'au matin. Chargé de son butin, Il rentre en sa chaumine* Sur la route il chemine, Cîontent de son destin, Il rentre en sa chaumine. Et dort jusqu'au matin.

Demain, avant l'aurore, L'onde le bercera Il recommencera

Demain, avant l'auror©; Sur la vague sonore. Sa barque glissera. Demain, avant l'auror^ L'onde le bercers*

A VICTOR HUGO

26 février !8S!.

Ecoulez ees rumeurs, écoutez ces longs cris

D'amour, d'allégresse et de fête : C'est l'antique cité, Paris, le grand Paris,

Qui vient saluer son poète.

Oui, les fils de Paris, ces éternels amants

Des sublimes apothéoses, Viennent au grand Hugo, pour ses quatre-vingts ans,

Offrir des bleuets et des roses.

Oui, Paris, oui, la France, un peuple tout entier,

Célèbre son anniversaire, Et vient orner ici, d'un immortrel laurier^

Le fr^' at du grand octogénaire.

t48 MONOLOGUES COMTOUE» ET DRAMATIQUES.

0 peuple, tu fais bien d'honorer ce vieillard.

De saluer ce fler génie. Dont loeuvre, immense et forte, a régénéré l'art

Et fait plus grande la Patrie.

C'est lui qnî hautement, dans sa prose et ses vers,

Plaida, peuple, ta cause sainte, Qui, le premier, souffrit des maux par toi soufferts

Et, le premier, comprit ta plainte.

Quand il parle de toi comme ils sont beaux les chants

Tombés de sa puissante ]yre : Indulgent aux petits, implacable aux méchants,

C'est pour toi son meilleur sourire.

Cest pour toi, pour toi seul, que sa terrible voix

A toute heure s'est fait entendre ; Et lorsque l'on cherchait à violer tes droi ts,

Il était pour les défendre.

Or, tous les peuples, tous, se tournèrent vers lui,

Vers le grand poète de France ; Kt, tels que des marins, lorsque l'orage a fui,

Tous murmurèrent : Espérance l

A VICTOR HUGO. li«

Hugo plaida pour eux. Formidable, sa voix

Eut les grands éclats des tonnerres, Et tout à coup Ton vit, en l'entendant, des rois

Pâlir d'effroi dans leurs repaires.

Ce vaillant défendit le faible I On l'exiU.

Va sur des rives étrangères, Quitte le sol natal ; ton souvenir est là,

Vivant, dans le cœur de tes frères!

Mais ces temps ne sont plus, et les rois à leur tour

Ont enfin passé la frontière. Pour jamais cette fois, l'ombre a fait place au jour,

Tu peux rayonner, ô lumière 1

Peuple, lu peux chanter, tu peux jeter des fleurs

À celui qui prit ta défense, À celui dont les chants, en t'arrachant des pleurs,

Ont sa consoler ta souilranct.

Relis son œuvre entière, une à une parcourt

Les pages par sa main tracées : Qu'il chante les enfants, les combats, les amours I

Partout d'immortelles pensées 1

iU MOMOLOGUES OOIHQLES ET DRAJtATlOCES,

Uelis les Châtiments, les Odes, les Rayons.

CromweU, Ângélo, Notre-Dame, Claude Gueux, Bug-Jargal, les Coniemplatioms: Partout, nn reflet de son imel

Relis Mary Tudor et la Esmérali-a,

Les Burgraoes, le Roi î'awui*, Marion, Hernani, Ruy Bios, Borgia,

Ces perles que pleora sa muse.

Ohl relis cette prose et ces supeièes vers.

Cette œuvre est si forte et si bdîc, Cetie œuTre que tout bas jalouse l'unifK^s,

Parce qu'il la sait immorteLle.

Tielis enfin ce livre sont peints tous tes aant.

Relis, peuple, les MitirmbksI Qui jamais exprima des sentiments ^ns beau.

Bans des pages plus admirables?

^t toi, Victor Hngo, poète aux chereux bbucs. Quels chants nouveaux vas- ta nous dire?

0 chante, chante cncor ! Oui, dans tes doigts tremblants, Grand poète, reprends ta lyr©*

A VICTOR HUGO. 151

Chante 1 Pour écouler ta voix, tout l'univers

Déjà s'incline et fait silence I Il faut, poète, il faut, avec de nouveaux vers,

Payer le bouc^uet de la France I

NONl

CHANSONNETTE

Musique de M. Cressonnois

n me disait : Ma Lucette, Je t'aime plus qae le jour; Quand donc, cruelle coquette, Me paieras-tu de retour? Il fait nuit, la lune brille Là-haut dans le firmament, ÀTec moi, sous la charmille. Viens-t'en jaser ua moment.

Gela me semblait bon, bien boOf D'entendre de si douces choses; Pourtant, les paupières mi-close». Je répondais toujours : Non, noal [Parlé] Ohl non.

i54 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Il disait : Viens sur la mousse, Nous asseoir pour écouter Le bruit de i 'herbe qui pousse, Et le rossignol chanter. Dans leurs nids, les hirondelles Font place à leurs amoureux, 0 Lucette, fais comme elles, Et moi, je ferai comme eux.

Cela me semblait bon, bien bon. D'entendre de si douces choses; Pourtant, les paupières mi-closes» Je répondais toujours : Non, non' {Parlé) Ohl non.

Puis il me prenait la taille, Et pour le faire lâcher, Il fallait livrer bataille, Et tout rouge se fâcher. Je yeux sur ta lèvre rose. Disait-il, prendre un baiser; Un baiser, c'est peu de chose. Tu peux bien me l'accorder.

NON I i:-5

Cela me semblait bon, bien bon, D'entendre de si douces choses ; Pourtant, les paupières mi-closes» Je répondais toujours : Non, noni [Parlé) Oh! non.

Aujourd'hui je suis sa femme»

Il a mon cœur et ma main ;

Pour deux, nous n*ayons qu'une àme,

Et Dieu bénit notre Jiymen.

Ah! daml c'est lui qui commande.

C'est à l'homme d'ordonner,

Et ce qu'un mari demande.

Sa femme doit lui donner.

Cela me semble bon, bien bon, D'obéir, et pour bonne cause ;

Aussi, lorsqu'il veut quelque chose.

Je ne réponds jamais : Non, nonl {Parlé) Ohl non.

Dans notre gentil ménage, Tout est aimable et riant ; Huit gros bébés sont le gage

â55 KONOLOGUES COMIQtJES ET DRAMATIQUES

D'un bonheur toujours croissauU Tout cela rit, cabriole, Chaque soir autour de nous, Et mon cher époux raffole De ses bambins à Toeil doux.

Cela lui semble bon, si bon, Que s'il veut avoir la douzaina, Pour ne pas lui faire de peine, Je ne répondrai pas : Non, nonl {Parlé) Ohl nfio.

CHAUD LES MARRONS!

POÉSIB

PUe par M. Peutat, du théâtre national de VOh'on,

A mon ami Georges [omn.

Chaud là, les marrons, chaud 1 II gèle. Le bitune

Craque sous les pieds froids du passant qui s'enrhame.

Chaud là, les marrons, chaud! La bise en sifflant tord

Les arbres dépouillés du boulevard et mord,

Féroce, tous les nez qu'en route elle rencontre.

Chaud là, les marrons, chaud 1 Dans l'ombre, appuy*^ ooL-tre

Un réverbère éteint par le vent, un petit,

Que sans doute décembre a mis en appétit,

Demande en grelottant un petit sou pour vivre,

Mais il voit, un par un, tous les passants se suivre,

Et pas le moindre sou ne tombe dans sa main.

Chaud là, les mairous, chaud 1 II mangera demain.

158 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Mais, là-bas, un monsieur qu'une pelisse immens© Enveloppe des pieds à la tête, s'avance. L'enfant quitte sa place et court à lui tout droit I '^ Un sou ? Non.

" J'ai faim I

Non.

Monsieur I

Il fait trop froid. Et le monsieur, plongeant son museau dans sa loutre,

Fait deux petits brrr, brrr, et, guilleret, passe outre. Chaud là, les marrons, chaud I Le savoyard du coin, -- Le marchand de marrons, voit la scène de loin : Approche ici, petiot 1 Viens-t'en chauffer tes pattes 1

Et le pauvret, au feu, tend ses mains écarlates.

Il rayonne : ohl c'est chaud I ohl ça brûle! oh! c'est bon!

Et puis il rit tout haut des tic-tic du charbon.

Prends des marrons, va, mange; un peu de vin, tiens.

[liche. Dit le vieux savoyard, j'en serai pas moins riche. Et l'enfant mange et boit en regardant le vieux, \e vieux qu'il remercie en clignotant des yeux.

T'as fini ?

Hopl alors* en deux temps, passe au large!

CHAUD LES MARRONS f 159

Et tâche de De pas revenir à la charge. Merci, m'sieur.

Pas de quoi, va te coucher, crapaud. Et l'enfant disparait. Chaud là, les marrons, chaud l

OANS LES PETITS BATEAUX

A mon ami Dblacoup«

Dans les petits bateaux Qui glissent sur les eaux, On voit, quand il fait sombre. Des couples enlacés. Et ron entend dans l'ombre Ces mots : Chut I Finissez I Quel est donc ce mystère ? Qu'est-ce qu'on peut bien faire Dans les petits bateaux Qui glissent sur les eaux ?

Dans les petits bateaux Qui glisse&t sur les eaux.

il

162 MONOLOGUES COMIQUES ET bRAMATIQ.UES.

Parfois une voix fraîche Roucoule une chanson, Pourtant le bruit empêche Qu'on prenne du poisson. Quel est donc ce mystère ? Qu'est-ce qu'on peut bien faire Dans les petits bateaux Qui glissent sur les eaux ?

Dans les petits bateaux Qui glissent sur les eaux, L'on rit et l'on babille ; Puis chaque matelot Bientôt se déshabille. Mais aucun n'entre à Teau. Quel est donc ce mystère ? Qu'est-ce qu'on peut bien faire Dans les petits bateaux Qui glissent sur les eaux?

Mais les petits bateaux, Qui glissent sur les eaux, S'éloignent de la rive ; ^ les gais matelots

DANS LES PETITS BATEAUX, 163

S'en vont à la dérive Sur le dos bleu des flots. C'est dangereux peut-être, Mais je voudrais bien être Dans les petits bateaux Qui glissent sur les eauxl

AU CASINO DE *•*

POÉSIE

Dite par M. Duard, da Conservatoire*

A M. Ernest DAMâ.

La foule des danseurs emplit le Casine.

Violons et pistons, trombone et piano,

Geignent avec ensemble, ohl sans pourtant se suivre,

La corde ayant fini toujours avant le cuivre.

Sous les lustres de gaz, les fringants cavaliers

Jettent de longs regards sur les frais espaliers

Que forment deux cents miss pimpantes et coquettes,

N'attendant qu'un signal pour quitter les banquettes»

L'orchestre a préludé. Sur le parquet ciré.

Chaque groupe s'élance et tournoie enivré;

Les jupes en tournant battent comme des ailef.

Les bijoux et les yeux lancent des étincelles*

!66 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Et le troupeau bavard des mères, dans un coin,

Surveille en souriant chaque groupe de loin.

Mais tout à coup, Torchestre, avare d'harmonie.

Geint les derniers accords et la valse est finie.

Ma foi, mes beaux danseurs, vous me semblez si laids,

Que je vais m'allonger là-bas sur les galets,

Et chercher, solitaire, à reprendre le rêve

Ébauché ce matin sur le bord de la grève.

Voyez-vous, je préfère à vos lustres, la nuit,

A vos rires joyeux, je préfère le bruit

Plaintif et régulier de la lame mauvaise

Qui se tord courroucée en battant la falaise.

Ici, c'est la folie agitant ses grelots,

Là- bas, la mer pleurant de lugubres sanglols;

Ici, c'est le mensonge et la haine etrenvie,

Là-bas, c'est le pardon, la prière et Jajrij;

Jciy c*est le réel; là-bas, le rêve bleu;

Ici, Tenfer; ici, les hommes; là-bas^ JtoU

PRIMA

MONOLOGUE

Dit par M. Galtpaux, du théâtre du Palais- Roy al.

A M. le docteur Codrssb RAXt

C'était, je m'en souviens, par un soir de printemps ; J'étais tout jeune encor, j'avais, je crois, seize ans. Depuis longtemps déjà, j'endormais, plein de crainte, Les désirs enfermés en mon âme contrainte; Mais, à les endormir, je m'appliquais en vain, Un instant assoupis, ils renaissaient soudain. Sur le point de... faillir, la crainte de mon père Me retenait encor, je craignais sa colère ; Puis je me rappelais ce qu'il m'avait prédit Si je... Dieux I Quel tableau I Ne m'avait-il pas dit Du plaisir convoité toutes les perfidies? Ce qu'il en résultait de maux, de maladies?

*68 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

J'avais peur... et pourtant, vers le fruit défendu,

Malgré moi s'élançait tout mon être éperdu I

D'une force invincible innocente victime.

Je sentais que mes pas me portaient à l'abîme I

Puis, sans cesse une voix me répétait tout bas :

« On se moque de toi ; crois-moi, n'écoute pas

» Ces contes inventés pour t'effrayer; en somme

» Tous les hommes font... ça. N'es-tu donc pas un homme?»

Et moi, je répondais : « Mais, je n'ai que seize ans,

» Tout au plus, et papa dit que j'ai bien le temps. »

» Non, non, le temps s'enfuit, reprenait plus pressante

» La voix qui harcelait ma vertu chancelante,

» Et l'on doit se hâter de jouir du bonheur,

» Surtout quand on est jeune et qu'on est plein d'ardeur. »

Puis, en passant, je la voyais chaque jour, ellel

Et chaque jour, hélas 1 je la trouvais plus belle I

Sa grâce, sa blancheur, tout en elle attirait.

Et la voir seulement un instant m'enivrait.

Parfois, il me semblait, soit rêve, soit délire.

Qu'à travers les vitraux, elle allait me sourire.

Mais je luttais toujours... Enfin, je n'y tins plus.

J'osai. L'on m'accorda tout ce que je voulus,

La belle fut a moi. C'était une soirée

De mai; contre mon cœur, je la tenais serrée.

PRÎMA. i69

Je marcliais tout tremblant, d'un pas silencieux. Tandis que mes regards se perdaient dans les cieux. Mes deux mains s'égaraient tout autour de sa taille ; Je tâtais le terrain sur lequel la bataille S'allait bientôt livrer, prudemment toutefois, On n'est jamais bien brave une première fois. Mais petit à petit, se dissipa ma crainte, Jlt la pressant soudain d'une dernière étreinte, Je m'enfuis avec elle au fond du bois discret. Rien n'est tel que les bois pour cacher un secret. Et là... vous devinez, c'tst facile à comprendre; Doucement, dans mes mains, elle se laissa prendre, Et de celle qui fut mes premières amours, Je pus, tout à loisir, admirer les contours. IPar mes lèvres en feu longuement embrassée, Par mes doigts inexperts tendrement caressée... Mais, faut-il raconter tout ce qui se passa? Sur sa bouche, ma bouche à la fin se plaça; L'embrasant cette fois d'une brûlante flamme, Je sentis tout à coup passer en moi son âme. Tout disparut alors : Bois, terre, firmament I 0 la charmante ivresse!... 0 l'aimable moment! Le feu divin bientôt me consume et m'embrase, Et je ferme les yeux, le cerveau plein d'extase I

110 MONOLOGUES COMIQUES El DRAMATIQUES.

Soudain, un mal subit, de mes sens s'empara,

Et de mon pauvre cœur le trop-plein chavira,

Alors, pris aussitôt d'une frayeur soudaine, ' Loin de moi, sans pitié, je chassai Tinhumaine. A dater de ce jour, l'objet tant désiré, Pour moi fut à jamais un objet abhorré. Oui, c'était bien fini, je l'avais prise en grippe, St ce fut ma première et ma dernière pipe.

iN ANIMA INGENIUM

À mon ami Auguste SmoN.

J'aime de tes accords la douceur infinie,

Et lorsque, sous l'archet frémissant dans tes doigts,

Gémit ton Tiolon si docile à tes lois,

Je sens monter vers Dieu mon âme rajeunie.

L'âme presque toujours nous tient lieu de génie. Qui demande aux oiseaux, dont on entend les voix Chanter de l'aube au soir dans les prés et les bois, S'ils ont soin d'observer le rythme et l'harmonie?

Artiste, c'est ton cœur qui toujours doit parler. C'est de ton âme enfin que doivent s'envoler Les notes que redit au loin l'écho sonore.

Lorsque ton violon, joyeux ou bien plaintif. Chante on pleure avec toi, je t'écoute, pensif, Et lorsque tout se tait, longtemps j'écoute encore.

UN RECIDIVISTE

POÉSIE

Dite par M. Ritel, du théâtre de VOdéon,

-^'/

A M. Desruss.

Il est cinq henres. L'ombre envahit le prétoire, Et l'avocat qui parle engourdit l'auditoire. Lourdement affaissés sur leurs fauteuils de cuir. Les juges somnolents regardent l'heure fuir, Et le greffier, dont l'œil, de-ci, de-là, louvoie. Se chatouille le nez avec sa plume d'oie. Au fond, le long du mur, un Christ à l'huile peiui, Se détache expirant sur sa croix de sapin. L'avocat a parlé. Bien vite on délibère, On condamne et l'on passe à la dernière affaire : Accusé, levez-vous I Un vieux, horrible à voir, Bûit«ux« la barbe inculte et le visage ooir»

174 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Avec un œil crevé pendant hors de l'orbite, Se lève avec effort et lentement débite Ses nom, prénoms, son âge, et puis calme, il attend Qu'on l'interroge. Eh bien! glapit le président, Toujours sans domicile et toujours sans ouvrage I Vous n'êtes pas honteux? Un homme de votre âge! On vous a condamné déjà plus de vingt fois, Mais vous vous moquez bien des juges et des lois. N'est-ce pas?

Mais, monsieur...

Taisez-vous, la prudence Vous commande, je crois, de garder le silence. Ne vous défendez pas : Paresseux, vagabond I Votre affaire est très simple et votre compte est bon.

Je suis un vagabond, je veux bien, mais en somme,

Monsieur le président, je suis pas mauvais homme :

Je n'ai jamais tué, jamais volé, jamais.

Travailler! Pardi, moi je le voudrais bien, mais

9n me trouve trop vieux et puis je suis infirme

Et pas bon à grand'chose, allez, je vous l'affirme.

Quand je demande aux gens d'utiliser mes bras,

On me dit : Vous seriez plutôt un embarras.

D'un vieillard comme vous, que voulez-vous qu'on fasse?

UN RÉCIDIVISTE. 175

Passez votre chemin, bonhomme..., et l'on me chasse.

Pour être sans travail on n'en a pas moins faim.

Il faut bien qu'on demande à ceux qu'en ont, du pain,

C'est donc bien criminel de mendier des croûtes.

Et de dormir la nuit dans les fossés des routes?

Je suis pas assassin et je suis pas voleur,

Monsieur le président, je suis... C'est le malheur

Je travaillais... avant... et ferme, allez 1... mais dame,

Depuis que le bon Dieu m'a pris ma pauvre femme,

Cela m'a jeté bas et rendu bon à rien.

Mon garçon m'a d'abord pris chez eux... J'étais bien.

Je les aidais un peu, je lavais la boutique,

Je reportais le soir l'ouvrage à la pratique.

Mon fils est rétameur. Puis j'allais quelquefois

Promener les enfants : Chers petits! Ils sont trois

L'aîné va sur douze ans, il ressemble à sa mère,

Mais c'est lui qu'aimait bien son pauvre vieux grand-père.

Les deux autres aussi. Mais lui, le cher petit,

À-t-il pleuré, mon Dieu, lorsque je suis parti.

Parce qu'il a fallu qu'à la fin je m'en aille :

Je devenais infirme, et dam, quand on travaille

Et qu'on est déjà cinq, sans ce qui peut venir.

C'est dur d'avoir encore un vieux à soutenir.

Mon gars ne disait rien, mais ma belle-fiUe, elle

176 MONOiôtJUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

S'emportait chaque jour et me cherchait querelle, '

Disant que je volais le pain que je mangeais

A mes petits-enfants et que je les grugeais.

Lorsqu'on est propre à rien, me disait- elle, on jeûne 1

Ahl voyez-vous, les vieux, ça devrait mourir jeune.

Il fallait en finir I On m'a donc dit : Va-t'en.

J'obéis, mais j'avais le cœur gros en partant.

Je cherchai du travail. Ce fut peine inutile.

On me dit non partout, aux champs comme à la ville.

C'est alors qu'un beau soir, au détour d'un chemin.

Pour la première fois, j'osai tendre la main.

J'ai senti là, combien pesante est la piécette

Que la main du passant avec mépris vous jette.

Je fus pris, et depuis, j'ai de la prison

Franchir vingt fois le seuil pour la même raison 1

Je sais : Les lois sont là, mais les lois sont mal faites.

Et devraient respecter la blancheur de nos têtes.

Vous dites chaque jour à vos petits enfants,

Que l'on doit secourir ceux qu'accablent les ans.

Et ces mômes enfants peuvent voir, à toute heure,

Des vieillards mendier au seuil de leur demeure.

Dans leurs grands yeux on lit qu'ils ne comprennent pas

Que personne ne vienne au secours de nos pas,

Et lorsque nous passons, ils disant à leur mère ;

tJN RÉGUiXVISTE. iTl

Maman, pourquoi qu'il est malheureux, le graad-père ?

Car cela rembrunit leur front pur et joyeux,

A ces anges du ciel, de voir pleurer des vieux,

Et les juges devraient, vous soit dit sans offense,

Protéger les vieillards par respect pour l'enfance ;

Se souvenir qu'ils sont au déclin de leurs jours,

Et loin de les punir venir à leur secours;

Faire moins de prisons et faire plus d'asiles

les déshérités puissent mourir tranquilles.

Peut-être que je dis des choses sans raison,

Mais, ça fait tant de mal de mourir en prison !

les graves magistrats, comme des sphinx de glace, iSommeillent doucement. Le président, que lasse Le discours du vieillard, élève enfin la voix, Et dit : Le tribunal vous condamne à trois mois. Puis heureux, satisfait de la besogne faite, Le tribunal se lève et bat vite en retraite. Et ces juges n'ont pas môme baissé les yeux Sous les regards du Christ accroché devant eux.

la

LE CLAQUE

MONOLOGUE

£Hi par M. Galipaux, du théâtre du Palais^Royal,

A mon ami Français Despr^.

Elle avait à peine quinze ans, Et s'appelait, je crois, Thérèse. Moi, je comptais dix-sept printemps, Depuis le retour de la fraise. Hors du ûlet, prenant l'essor, Ses blonds cheveux jusqu'à ses hanches Tombaient, déroulant leurs flots d'or Le long de ses épaules blanches. Ses yeux... ils étaient bleus, ses yeux, Et leur nuance était si belle, Qu'on eût dit qu'elle avait aux cieux Volé l'azur de sa prunelle.

UO MONOLOGUES COMIQUES ET DRÀMAÎlQtEâ*

Son front du lis avait Téclat,

Sa bouche était rose et riante^

Et jamais cou plus délicat

Ne berça tête plus charmante.

Une main longue, un pied petit.

Une taille souple, adorable,

Un bon petit cœur, de l'esprit.

Enfin, belle à tenter le diable I

Mais, moi, ce qui m'avait pincé,

Et presque fait perdre la tête,

C'est son nez, un nez retroussé,

Mais retroussé ! presque en trompette.

J'aime ees nez-là : c'est gentil,

C'est folichon, cela réveille

Un visage et donne au profil

Une élégance sans pareille.

C'est galbeux, c'est zinc. Le nez greo

A l'air de fendre en deux la tête ;

G*est long, c'est aride, c'est sec,

Cest anguleux comme une arête.

Au-dessous de ce nez charmant.

S'ouvrait un écrin plein de perlas,

Écrin d'où s'échappait un chant

Plus doux que le doux chant des merle».

lE CLAQUE. Î8J

Ah! grands dieux! pour pouvoir poser Sur ces lèvres fraîches et roses Un baiser, rien qu'un seul baiser. Que j'aurais donc donné de choses.' J'aurais bien donné, voyez-vous, Sans hésiter une seconde, Sans marchander le moins du monde. Oui, j'aurais bien donné... cent sous. Mais, hélas! l'or dans cette vie Ne fait pas toujours le bonheur, Je dus donc, au fond de mon cœur Celer mon amoureuse envie. J'aurais voulu, seul, en secret, Causer un instant avec elle ; Mais sa mère avait l'œil au guet Et faisait bonne sentinelle. C'est affreux de ne pas pouvoir Dire à la belle que l'on aime : Je t aime, m'aimes-tu toi-même? Ne rien dire et ne rien savoir! Et mon cœur, débordante amphore, A cet amour s'abandonnait, Et cet amour empoisonnait Ma vie, à peine à son aurore.

482 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES,

Mourir I je veux... Non, ça fait mal,

Il faut vivre! c'est plus stoïque,

C'est plus grand, c'est plus héroïque,

3e souffrirai... Ça m'est égal.

Et mon âme désespérée

Luttait, luttait, lorsqu'un matin.

J'appris que madame Patin,

ta mère de mon adorée,

Allait donner une soirée.

Un bal! 0 doux rêvel ô bonlieurl

Je vais donc pouvoir sans contrainte

•Près du sien décharger mon cœur

Et lui parler enfin sans crainte.

Ahl quand nous serons seuls tous deux.

Lorsque mes regards amoureux

Iront chercher dans son corsage...

Chut! n'en disons pas davantage.

Le fameux jour arrive enfin.

Je m'habillai dès le malin.

Tout était neuf : habit, manchette».

Gants paille, claque de satin,

Pantalon, tout, jusqu'aux chaussettes.

A neuf heures, j'entrais au bal,

Parfumé des pieds à la tête.

LE CLAQUE. <S3

j'étais beaul BeauV Non, mais pas rnaU

Pourtant l'air peut-être un peu bête.

En entrant, je cherche de l'œil

Ma Thérèse, ma hien-aimée;

Je l'aperçois sur un fauteuil,

Vive, souriante, animée.

Alors, tremblant, je viens m'asseoir

Auprès d'elle et j'ose lui dire :

Vous êtes bien belle ce soir, Thérèse. Elle esquisse un sourire!

Dansons-nous cette mazurka?

Impossible, elle est retenue.

Alors, la prochaine polka?

Monsieur, c'est chose convenue» 0 délire I Ivresse I polker

Avec... Une frayeur mortelle Me saisit : j'ai senti craquer Quelque chose. C'est ma bretelle. Je la quitte... pas ma bret... Non, Thérèse... Je reviens, pardon, II faut que j'aille... je vais prendre Un peu de punch. Veuillez m'attendi'd. Je me sauve, hâtant le pas Vers une retraite profonde

48* MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES

d'ordinaire on n'entre pas Quand on sait qu'il y a du monde. Là, je répare en un instant Le désordre de ma toilette, Je m'ajuste, je m'époussète, Puis, je reviens, joyeux, content. Thérèse m'attend, je m'élance !

Pardon 1 pardon, suis-je en retard? Lui dis-je, avec un doux regard.

Mais non, monsieur, non, l'on commence.

Ahl tant mieux alors, j'avais peur. J'offre mon bras. Pour être à l'aise, Je mets mon chapeau sur sa chaise... 0 dieux I... je pâlis et Thérèse Éclate de rire 0 fureur!

Jugez, messieurs, de ma déveine : J'avais, au lieu de mon chapeau, Pris le couvercle en bois d'ébène Qui recouvrait...! J'étais en eau. Le cœur plein d'angoisses mortelle». Je m'esquivai, tant bien que mal. Depuis, je ne vais plus au bal. Et ne mets jamais de bretelles*

PREMIER AMOUR!

•<e l'aimais, comme on n'aime ici-bas qu'une fois! Ri en pour moi n'égalait sa noire chevelure ; Sa voix était plus douce encore que la voix D l'oiseau qu'on entend le soir dans la ramure.

Hélas 1 quand je m'égare au plus profond des bois, Seul avec mes pensers, errant à l'aventure, L'écho de cette voix, faible comme un murmure, Le soir, à mon oreille arrive encor parfois.

Que reste-t-il de vous, à mes jeunes années?

Des larmes... des regrets... et quelques fleurs fanée?,

Qui, comme ses serments, n'ont vécu qu'un seul joui !

Renferme à tout jamais ton secret, 6 mon âme! Retourne dans la nuit, éteins-toi, chaste flamme I Fuyez, chers souvenirs de mon premier amouri

SUR LE BOULEVARD

POÉSIB

Dite par M. Amaury, du théâtre de VOdéon

A M. François Coppée.

Le pauvre vieux vendait un joujou ridicule,

Un horrible pantin qui faisait la bascule.

C'est quatre sousl criait le vieux tout en marchant.

Mais la foule passait et laissait le marchand

Agiter ses pantins, dont la robe fanée

Prouvait qu'ils n'étaient pas nouveauté de l'année.

C'était pitié de voir ce vieillard chancelant

Solliciter, craintif, les regards du chaland.

Parfois quelques farceurs, idiots, dont la race

Est chez nous plus qu'ailleurs florissante et vivace,

S'arrêtaient près du vieux, et là, faisaient semblant

De vouloir acheter, tandis que lui, tremblant,

Expliquait aux messieurs le jeu simple et facile

188 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

D'un bonhomme de bois qui gigotait, docile.

Et les messieurs prenaient le joujou dans leurs doigts,

Le tournaient bêtement, en tous sens, plusieurs fois,

Non sans tenter un peu de casser la ficelle,

Ou bien de chiffonner l'étoffe et la dentelle.

Puis, sans rien acheter, ils partaient, satisfaits

Des dégâts qu'aux jouets du vieux ils avaient faits.

Et lui, les regardant s'éloigner sans rien dire.

Cherchait à deviner ce qui les faisait rire.

Et, ne comprenant pas, reprenait son chemin

Le long du boulevard, ses pantins dans la main.

Des bambins, par moments, le suivaient dans sa course ;

Pour mieux voir les joujoux, trop coûteux pour leur bourse,

Ils entouraient le vieux, s'attachaient à ses pas,

Et lui, leur souriait et ne les chassait pas.

Or, il se faisait tard. La foule fondait lente.

Quelques marchands encor criaient : Voyez la véniel

Derniers appels jetés aux derniers amateurs.

Dans les cafés déserts plus de consommateurs.

Sur le macadam gras, huit ou dix fiacres vides

Dévorant les passants de leurs deux yeux avides.

Dans l'ombre, un allumeur glissant rapide avec

Sa perche, et ne laissant, sur deux, brûler qu'un bec.

Minuit sonnait partout. SvLv le seuil des boutiques,

SUR LE BOULEVARD. 18&

Les commerçants disaient bonsoir à leurs pratiques.»

Minuit J Il faut rentrer ; c'est l'heure les agents

Vont cesser de veiller sur le repos des gens

Et les badauds de plus en plus se faisaient rares.

Quelques rôdeurs cherchant à terre des cigares.

Au milieu du trottoir un pochard titubant.

Un peu plus loin, un autre, endormi sur un banc.

C'était tout. Et le vieux de sa voix chevrotante,

Gricût toujours : Voyez, Messieurs, voyez la vente I

Il allait s'éloigner, quand deux jeunes époux

Vinrent à lui pour voir de plus près les joujoux.

Us semblaient peu pressés, malgré l'heure tardive.

La femme examina les pantins, attentive,

Et dit : J'en veux prendre un, bébé sera content,

Cela l'amusera. Puis au bout d'un instant :

Combien? C'est quatre sous. Timide, elle se penche

Et dit à son mari : Donne une pièce blanche.

Et le vieux reste là, muet, suivant des yeux

Le couple qui s'enfuit et disparaît joyeux.

Je m'étais, en voyant agir la jeune femme, . Senti bouleversé jusques au fond de l'âme, Et tout ému, je vis, comme dans un brouillard, Et sourire l'enfant, et pleurer le vieillard I

LA NUIT TERRIBLE

MONOLOGUE

Dit par M. Galipaux, du théâtre du Palais-Royal

Honni soit qui mal y pense.

Prête-moi tes parfums, ô céleste ambroisie I

Apprends-moi tes secrets, 6 chaste poésie I

Apprends-moi l'art divin de raconter en vers

Un tour que m'a joué le destin trop pervers I

Laisse-moi chevaucher sur ton dos, ô Pégase 1

Toi, pudeur, prête-moi cette discrète gaze

Qui dérobe à nos yeux tant d'aimables attraits,

Et souffle-moi des mots... des mots faits tout exprès.

Bastl... Je vais de mon mieux vous narrer mon alTaire : Avant tout, vous saurez que je suis militaire, Et de plus, capitaine. Or, l'an passé, mon corp^ Était dans le midi de la France» à Gahors.

|192 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Nous avions manœuvré pendant une semaine, Et nos braves soldats succombaient à la peine. Nous étions sur les dents. Il fut donc décidé, Par notre général, qu'il serait accordé. Aux hommes un congé de toute une journée. Le lendemain matin, je faisais ma tournée Dans la ville, sans trop savoir diriger Mes pas, lorsque soudain je me pris à songer Que dans les environs, un ami de mon père Possédait un château; n'ayant pas mieux à faire, Et tout joyeux, au fond, d'aller revoir des gens Que je n'avais pas vus depuis au moins dix ans. Je partis. Or, je fis à pied tout le voyage. Le chemin était beau, pas trop long ; mon bagage Léger; et puis moi, j'aime à courir le matin Les champs tout parfumés de verveine et de thym, Et j'ai surtout toujours beaucoup aimé l'automne : J'aime son ciel brumeux et presque monotone, J'aime sa fraîche brise et ses gazons jaunis, J'aime son soleil blanc, ses arbres dégarnis ; Une feuille qui tombe, un oiselet qui chante Dans son nid, tout cela me ravit et m'enchante. Poète I... Pourquoi pas?... Que diable, les soldats Ne peuvent pas toujours rêver gloire et combats 1

LA NUIT TERRIBLE. 19Î

Donc, tout eii admirant à loisir la Rature,

J'alteignis le château. De son architecture

Vous dirai-je le style?... Et voulez-vous savoir

Si c'était un castel ou bien un vieux manoir?

Non, n'est-ce pas?... Passons !... Moderne ou bien antique,

La chose importe peu. Bientôt un domestique

Ouvrait à deux battants la porte du salon

El m'annonçait.

Commentl... quoi!... Monsieur du Yalloiil Que c'est aimable à vous I... me dit la châtelaine.

Mais on vous croyait mort, monsieur le capitaine 1 Me dit le châtelain. Dans le sac aux oublis,

Mon cher, vous nous aviez, je crois, enseveli*

Ohl monsieur, croyez bien...

C'est bon, Ton vous pardonne.

Avant de m'accustfr...

Taisez-vous, je l'ordonne.

Vous nous restez longtemps?

Mais, hélas I seulement Jusqu'à demain, madame.

Ohl c'est trop peu, vraiment,

Venez, me dit monsieur, venez, ô grand coupable,

Nous allons déjeuner, puis, en sortant de table,

Nous irons faire un tour, si cela vous sourit'

13

194 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Allons.

A ce moment, une porte s'ouvrit, Et je vis apparaître, au seuil, la plus gentille Dîonde qu'on puisse voir.

Mon cher ami : ma fille. - Mademoiselle Emma?

Quoi, monsieur du Vallon^ Avec qui je jquais au cheval, au ballon,

Aux quilles, à la corde? Ahl que je suis heureuse! Mais elle s'arrêta, rougissante et honteuse. Sans doute elle sentait qu'elle allait un peu loio. Moi, je restai muet, ravi d'être témoin De son trouble charmant, mais, pour être sincère, Tout aussi troublé qu'elle. Heureusement, sa mère. Voyant notre embarras, de mon bras se saisit, Et sans attendre plus, elle me conduisit A la salle à manger. Tout d'abord, la cadence De nos fourchettes, seule, anima le silence. Puis bientôt l'on parla des heureux temps passés. Et des vieux souvenirs un instant effacés. On aime à réveiller parfois dans sa mémoire Les jours qu'on a vécus. On refait son histoire,.. Mais je vois que je vais me remettre à rêver... Oh l pardon. Nous allons maintenant arriver

I

LA NUIT TERRIBLE i)j

A notre dénoûment le plus vite possible. Je saurai dominer mon âme trop sensible. Je ne vous décrirai ni les grands arbres verts Du parc, ni le dîner qui fut de vingt couverts. Pourtant, dans l'intérêt même de mon histoire,

me faut vous parler, tout au moins pour mémoir'' De certain cantaloup... dont moi, sieur du Vallon, J'engloutis à peu près... cinq tranches. Le melon

Est mon péché mignon

A dix heures, Morphée Répandait ses pavots sur ma tête coifTée D'un superbe bonnet de coton. Mon sommeil Était calme. Soudain, quel terrible réveil I Une alTreuse douleur torture mes entrailles. J'ai vu bien des combats, j*ai vu bien des batailles. Mais jamais... ! A quoi bon cette comparaison?... Vous avez, j'en suis sûr, compris... De sa prison Le melon demandait à s'échapper...

Bien vite Hors de mon lit je saute, et je me précipite Vers certain meuble... Horreur I le meuble était ouvert, Mais vide, vide, hélas I Alors je devins vert. Je cherchai partout : rien. Enfin j'ouvris la porte; Je tremblais, comme au vent tremble une feuille morte.

196 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Le melon dans mes flancs se débattait toujours.

J'invoquais tous les dieux, mais les dieux restaient sourds? * Ohl l'horrible tourment, les effroyables luttes 1

J'errai dans les couloirs pendant quelques minutes.

Tout le monde dormait... moi je ne dormais pas ;

J'avais peur de mon ombre et du bruit de mes pas.

Et rien, rien, toujours rien ! Les portes étaient closes.

J'étais fou. Je voyais passer d'étranges choses

Devant mes yeux. Le sang m'affluait au cerveau !

Je crus l'instant venu de descendre au tombeau.

Je rentrai dans ma chambre, et la lutte acharnée

Continuait toujours... quand sur la cheminée.

J'aperçus tout à coup, ô bonheur T.. . Bonheur?... non,

J'avais cru... mais c'était un vase du Japon.

Perdu !

{Apercevant la fenêtre) Sauvé ! Merci, mon Dieu 1 Je vais renaître. Insensé I j'oubliais... j'oubliais la fenêtre ! J'y vole. Mes désirs sont encore déçus ; Une marquise en verre établie au-dessus Du perron, était là, formant une barrière I Non! non!... je ne crois pas qu'à son heure dernière L'on souffre plus. Que faire?... Appeler?... Me couvrir De ridicule?... ohl non... plutôt cent fois mourir!...

LA NUIT TERRIBLE. 127

On eût entendu battre et mon cœur et mes tempes. Je n*y tins plus. Prenant un grand album d'estampes Qui traînait sur la table, affolé, j'arrachai Les pages dont je fis un... sac... je me penchai... C'est ici qu'il me faut tes parfums, ambroisie 1 Et qu'il me faut parler ta langue, ô poésie!

Quand tout fut... consommé, je fermai le cornet,

Et j'attachai le tout avec du cordonnet ;

Puis je me recouchai. Bercé par un doux rêve.

Je dormis jusqu'à l'heure le soleil se lève.

Le lendemain, je suis très doucement surpris

De voir déjà sur pied mes hôtes ; à tout prix

L'on veut m'accompagner, et j'ai beau me défendre,

Il me faut, malgré tout, aux vœux de tous me rendre ;

Je cède. Un domestique, au moment du départ.

Avait mis dans un coin mon bagage à l'écart.

Chacun prétend m'aider; j'ai beau dire et beau faire,

On me prend tout : caban, jumelle, nécessaire ;

Mon sabre, seulement, m'est laissé. Nous partons.

Les oiseaux de leurs chants emplissent les buissons.

Le soleil resplendit! Il vous monte à la tdte

Mille parfums divers!

Tout à coup, je m'arrête,

198 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.

Stupide, ne pouvant croire... à ce que je vois...

Mademoiselle Emma portait au bout des doigts

Le paquet, que la veille..., et que cet imbécile

De valet... Aussitôt je veux... mais inutile i

Elle me dit : « Monsieur, ce n'est pas lourd du tout,

Et je veux, s'il vous plaît, le porter jusqu'au bout. »•

Le père cause seul, car tandis qu'il bavarde

Sur ceci, sur cela, je ne vois, ne regarde

Q'une chose ; le sac!... qu'au bout d'un de ses bras»

Balance Emma. Je suis mourant, mon embarras

S'accroît. Je veux tâcher de lui reprendre encore.

Mais elle se défend. Je conjure, j'implore I

Elle est sourde à ma voix, et me dit en riant,

Sans même voir ma gêne et mon trouble croissant :

Enfin, il y a donc dedans quelque chose?...

Mais non, ce sont...

Ce sont?

Quelques feuilles de rose. Qu'hier dans votre parc...

Ah I monsieur est coquet. Et met dans son linge...

Oui... rendez-moi mon paquet,

Mademoiselle.

Non.

LA NUIT TERRIBLE. 499

Ohl si, je vous en prie. ~ Non, non.

Eh bien I de force...

OL ! je vous en défie. - Mademoiselle Emmal

Non, vous ne l'aurez pas. Je me tais, mais j'enrage, et je me dis tout bas, Comprenant cette fois que vainement j'insiste :

Pourvu, mon Dieu, pourvu que le papier résiste 1 Mais bientôt Ton s'arrête, et... l'objet... m'est rendu. Je m'enfuis à grands pas, haletant, éperdu.

Et lorsqu'enfîn j'ai mis une grande distance Entre eux et moi, je prends le paquet et le lance Dans un grand potager qui bordait le chemin. De ce conte, en deux mots, je vous dirai la fin :

Emma, depuis sept mois tout à l'heure, est ma femme Pour l'aimer, je n'ai pas assez d'une seule âme,

Je l'adore, et je crois qu'elle me le rend bien. De ma triste aventure elle n'a jamais rien Su. Je n'ai plus qu'à vous faire part d'une chose î C'est que j'aurai bientôt un joli bébé rose. Jusque-là, j'avais cru le proverbe menteur; Voua le voyez : parfois, cela porte bonheur.

TABLE DES MATIÈRES

Le poète 1

Credo d'amour 5

Les vagabonds il

Une envie 19

A l'amphithéâtre 27

Petite ferme 29

Ataia 35

La chasse 41

Soupirs d'un nègre 49

Les enfants de l'ivrogne *(* îil

Sonnet 61

Une distraction , 63

Ivresse manifeste "1

'^es joies matrimoniales , . . . "73

Désespoir 83

Le conscrit « 85

Le compliment de Bébé 93

La mère du supplicié t^.'î

Diplomatie 101

L'accroc 103

202 TABLE DES MATIÈRES.

Idylle. 109

Sur un lit d'hôpital 113

Le page 111

Coco 119

La valse des feuilles 121

Le lion 125

Toinon 129

Reviens!. % 131

Contrastes 133

Adam et Eve , 135

Sur les eaux 143

A Victor Hugo 147

NonI 153

Chaud, les marrons 1 15";

Dans les petits bateaux 161

Au Casino de *** 165

Prima !6T

In anima ingenium 171

Un récidiviste 173

Le claque 179

Premier amour 185

Sur le boulevard 187

L& nuit terrible 191

e e o o Saint-Denis o e e J. DARDAI LLON, IMPRIMEUR

o o 47. Boultoard de Châtcaadan

La Bibliothèque

Université d'Ottawa

Echéonce

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P 2 2 1989

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The Library

University of Ottawa

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