mosaïque.
TYF DE E. l'RlGNET, KUE DE MONS , 9. A VALENCIENNES.
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University of Toronto
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mosaïque.
PEINTRES — MUSICIENS — LITTÉRATEURS ARTISTES DRAMATIQUES,
A PARTIR DU 15'^ SIÈCLE JUSQu'a NOS JOURS,
PAR P. HÉDOmiV,
MEMBRE DES SOCIÉTÉS ACADÉMIQUES DES ENFANTS d'aPOLLON,
DE S7-CÉCILE ET DE LINSTITUT HISTNIUQUE DE PARIS;
HONORAIRE DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE LA
MORINIE, ET DES ACADÉMIES DE VALENCIENNES,
ANVERS — ARRAS — DOUAI — CALAIS
DUNKERQUE — BOULOGNE.
PARIS,
H;açel, éditear rue Vivicnaî, n" 2 bis Lcdoyen , palais royal
FEB 61970 '
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A MES AMIS.
Vous aimez les ans, les lelires , et plusieurs de vous les cultivent , et leur doivent une célébrité qui ne périra pas".
Recevez avec indulgence ce volume , faible témoignage de mon estime et de mon affection.
Je le voudrais plus digne de vous être ofFeri.
AVANT -PROPOS.
Des amis très iadulgenls, mont manifesté le désir de voir réunis les essais écrits par moi, à diverses époques, sur les aits et la littéiature. — Je leur offre ce volume qui , à défaut d'autre mérite, a du moins celui d'une assez grande variété.
Les articles qu'il contient ont été publiés dans des revues et journaux parisiens, tels que l'Artiste , le Bulletin des arts, les Annales archéologiques , le Ménestrel , etc., et dans des recueils de province , entr'autres les Archives du Nord de mon aimable et savant ami A. Dinaux. — Ils m'ont souvent été demandés par des amateurs et collectionneurs d'ouvrages sur la peinture et la musique , surtout à cause des catalogues qu'ils renfer- ment. Pour satisfaire à leur demande, il eut fallu les détacher des recueils qui leur avaient donné asile, et cela n'était pas possible. Maintenant il sera facile à ces amateurs de se les procurer , s'ils continuent à penser qu'ils sont dignes de fixer tant soit peu leur attention.
J'ai conservé le texte de ces articles tel qu'il existait, lors- qu'il a été primitivement publie. Pourquoi ne serais-jc pas
resté fidèle à l'inspiration qui m'avait guidé, quoique mes. opinions sur certaines œuvres d'art soient en opposition avec le goût et la mode de nos jours de décadence?. Je n'ai poin' changé; pour moi ce qui était beau il y a 50 ans n'a pas cessé de l'être aujourd'hui. J'ai toujours dit ce que je sentais, ce que je croyais vrai ; et jamais je n'ai appartenu à aucune de ces honteuses coteries, faisant métier et marchandise de ren- verser de leur piédestal les hommes de génie, pour y hucher les nains. En fait de critique d'art j'appartiens, mais de bien loin, sans doute, quant au talent, à l'école de Gustave Planche, de Berlioz et de Scudo. Ils peuvent se tromper quel- quefois, je puis me tromper souvent; mais la mauvaise foi, la camaraderie, la vénalité ne dirigent jamais notre plume.
J'ai revu seulement avec soin, et augmenté de tous les docu- ments nouveaux que j'ai pu me procurer, la partie érudite des biographies d'artistes, formant la base principale de ce volume. Qu'il me soit permis d'en citer un exemple. A tou- tes les preuves rassemblées pour établir que le fameux peintre de la chasse de Ste. -Ursule , devait se nommer Mem- mcling, et non pas Eemmeling, j'en ai ajouté une que je re- garde comme irréfragable. Je la dois à la découverte d'une inscription entourant un tableau gothique , faisant partie de lu collection de mon spirituel ami, le docteur Escalier de Douai. Au surplus, mon opinion sur ce point est aujourd'hui géné- ralement adoptée. Le dernier catalogue des tableaux flamands du Musée du Louvre , donne au peintre brugeois le nom de Mcmling ; et afin de justifier ce nom, il se base, en suivant l'ordre tracé dans la première édition de ma biographie, sur toutes les raisons que j'y avais exposées. Il est vrai que le rédacteur de ce catalogue, du reste fort bien élaboré, ne méfait pas l'honneur de dire oii il les a puisées : mais, qu'importe, pourvu que la vérité triomphe!! Ne vivons-nous pas dans un siècle où le Sic vos non vobis de Virgile, peut être justement appliqué à une foule de gens s'eraparant des idées, des œuvres d'autrui, avec un sang-froid vraiment admirable?., En mu-
vit
sique, en peinture, en littérature ce genre de braconnage est tout à fait de mode. On travaille en marqueterie, avec des matériaux de toutes couleurs, pris chez le voisin. Telle par- tition, tel écrit que je pourrais citer^ ressemblent à cet habit d'arlequin confectionné par le tailleur de Bergame, auquel chacune de ses pratiques pouvait venir demander la restitu- tion du morceau qui lui avait été volé. Faisons toutefois observer qu'à cette manie peu délicate de se montrer savant aux dépens d'autrui , il est de rares , et par cela même très- honorables exceptions. Ainsi, dans son HiMoire des peintres, ouvrage élégamment écrit, et parfaitement exécuté, i\l. Char- les Blanc, en se servant de mon travail sur Chardin, s'est cru obligé de rappeler mon nom de la manière la plus gracieuse et la plus indulgente. Je l'en remercie cordialement.
Maintenant disons un mot de la pensée dominant, en géné- ral, dans ces feuilles fort légères quant au talent, mais tout à fait consciencieuses quant au sentiment qui les a dictées. Cette pensée la voici : « dans les arts, dans la littérature, nous » marchons vers la décadence, bien plus que vers le progrès; » et la véritable puissance, la reine de notre siècle, c'est l'in- » dustrie. » Qu'on n'aille point prendre acte de cette franche déclaration pour me qualifier du titre de louangeur quand même du temps passé, accompagné des charmantes épithètes que les fantaisistes de l'époque distribuent si généreusement aux admirateurs de l'art sérieux, et de la littérature de bon aloi. Certes, il est encore parmi nous un petit nombre de noms illustres : je me plais à le reconnaître, et personne plus que moi n'accorde aux fruits de leurs veilles une haute estime. Cependant, ces noms eux-mêmes ne sont pas sans tâches, el ces lâches proviennent d'une tendance continuelle à exagérer les effets, à faire du neuf, afin de satisfaire un public que tous les jours on blase davantage. Ainsi, en peinture, on se lance dans l'abus de la couleur, en lui sacrifiant le dessin, la com- position, 1 expression noi)le ol morale. Pour arriver au réa- lisme, ce grand cheval de bataille des prétendus novateurs, on
s'attache à reproduire des détails étranges, discordants, ne se rencontrant que bien rarement dans la nature ; comme si le réalisme interprété d'une façon aussi fantasque, aussi biscor- nue n'était pas l'absence complète de l'art. En musique, afin d'obtenir un brevet d'originalité, beaucoup de lauréats du con- servatoire cherchent la mélodie par les moyens qu'on em- ployerait pour résoudre une équation algébrique. Et quand par hasard, le chant, sans lequel il n'y a pas plus de musique qu'il n'y a de peinture sans dessin, essaie à faire acte d'exis- tence, ces savantasses l'étouffent sous une instrumentation for- midable!! Enfin, en littérature, pour amener la fantaisie, on tombe dans le bizarre, le trivial, le faux du sentiment, des ca- ractères, l'étalage repoussant des plaies d'une bohème de con- vention, le tout revêtu d'un style où le néologisme se pré- lasse avec une impudeur à nulle autre pareille!... Si cela continue, il est certain que dans cent ans il n'y aura plus trace de cette belle et chaste langue française, immortalisée par les écrits des Pascal, des Fénélon, des Bossuet, des Molière, des J. J. Rousseau.
Le dirai-je ensuite?. Eh! pourquoi pas! L'une des causes principales de notre décadence dans le domaine des œuvres de l'intelligence, provient aussi de la monomanie d'imitation de tout ce qui appartient aux nations étrangères. Nos pein- tres tendent à faire de la couleur comme le Titien, Rembrandt, liubens, Murillo; nos musiciens du chant et des finals comme les Italiens. Nos auteurs de drames^ de poésies, de ro- mans, nous donnent la contre-épreuve très-elfacée des inspi- rations de Shakespear, de Byron, de Walter-Scott et de Dic- kens. En ce moment leur verve s'exerce à pasticher les Grecs. On nous f.ibriquede l'Homère, dcrEschyle,duThéocrite habillés à la française : en un mot nous nous efforçons de ressembler à tout le n)onde, de ne pas être ce que la nature nous a faits, et cela en nlfichant la prétention de nous montrer originaux
Où nous mène, grand Dieu, cette singerie qui n'a pas de fin!
à la bâtardise la plus complète, au néant. Depuis notre pre- mière révolution les effets de cette déplorable monomanic se sont étendus sur toutes choses. Que sont devenus nos cos- tumes élégants, nos soirées et notre conversation si aimables; nos gouvernements , à partir de l'importation des modes an- glaises, américaines, des chartes de la Grande-Bretagne et des États-Unis, des pipes et des cigares de l'Allemagne, des galops et des danses russes?. . . Hélas ! tout cela s'est évanoui sous les plis disgracieux des carricks , des paletots; sous la roide enveloppe du frac puritain, au milieu de la fumée du tabac, de la lecture des journaux, du piétinement des polkeurs. du biuit des émeutes populaires, et des pavés des barricades!
Soyons donc français, ainsi que le dit la chanson, dans nos mœurs, dans nos œuvres, et ce sera alors que nous redevien- drons dignes d'être enviés par tous les peuples qui nous en- tourent. Un des poètes de cet ancien régime si sottement décrié, a écrit quelque part :
« Plus je vis l'étranger, plus j'aimai ma patrie ! »
Ce vers ne m'est jamais revenu à la mémoire, sans faire bat- tre vivement mon cœur!.. En le répétant je songeais à notre belle et noble France qui sera encore, lorsqu'elle le voudra, la première nation du monde !
C'est là mon vœu le plus cher, et c est par lui que je termi- nerai cet avant-propos.
MEHLIÎVG.
ÉTUDE SIU LA VIE ET LES OUVRAGES DE CE PEINTRE
SUIVIE DU CATALOGUE DE SES TABLEAUX.
« 11 est presque toujours dans » la destinée du génie de voir » couvert d'un nuage ses langes , » et son lincËul. »
G. Olivier, Christine de Pisan .
MEMLI\G<
Une erreur grave, ei assez généralement répandue, tend à établir que ritalL', vers la fin du moyen-àge elle commencement de la renaissance, possédait seule des peintres dignes de fixer l'aiteniion. A ces deux époques, sans doute , la patrie de Cimabuë et du Giotto réunissait déjà un assez grand nombre d'artistes ayant, dès le XIII« siècle, couvert beaucoup de monuments religieux de ces peintures murales, conservées avec soin et avec orgueil par les italiens ; mais plusieurs de nos églises, à partir de 1200 , offraient ce système d'ornementation , et comme l'a très bien fait observer M. de Guilhermy, dans les notes de son voyage en Italie, les fresques de Tabbaye de saint Savin, en Poitou, sont d'une époque plus reculée que tout ce qu'on possède mainlonaiit en ce genre de l'autre côté des Alpes.
Malheureusement l'esprit d'inconstance et d'indifférence qui, dans tous les temps, en fait d'art surtout, a été la base du caractère français, a anéanti, sous le badigeon et sous les coups de marteau des démolisseurs, la plus grande partie de ces trésors du passé. Nous disons tré- sors, parce qu'il n'y a point à douior que lorsque nos ar-
listes faisaient déjà sortir de la pierre ces naïves et nobles figures, décorant les portails des cathédrales de Rheims et de Paris, des peintres, marchant sur leurs traces, exé- cutaient alors des fresques nombreuses et pouvant être mises, sans trop de désavantage, en regard des œuvres les plus célèbres de l'Italie au moyen âge.
Si celle opinion toutefois rencontre quelques contra- dicteurs, il n'en saurait être de même pour certains ar- tistes flamands du xv« siècle : qu'il nous soit donc permis de dire, avec assurance, que les tableaux des frères Van Eyck et de leur rival Memling n'ont rien à envier à ceux de Mantegna et du Pérugin.
Nous venons de nommer Memling, ce grand artiste, en général si peu connu en France : c'est à lui, à ses ou- vrages, que nous consacrons l'élude suivante. A défaut du talent qui nous manque, pour faire sentir toute la subli- miié de ses productions, celle élude ne sera pas sans in- térêt aux yeux des abonnés des « Annales archéologiques» ; car le peintre dont elle les enlreiienl se rattache, par ses inspirations el ses travaux, à tous ces beaux monuments gothiques, objets de leur amour el de leur admiration.
Hans ou Jean Memling a eu le sort de beaucoup d'hom- mes célèbres, en ce que la date précise de sa naissance cl de sa mort, ainsi que beaucoup de particularités de sa vie, ne sont point parvenues jusqu'à nous. On n'est pas môme d'accord sur le lieu où il a reçu le jour. Les opi- nions les plus probables se réunissent cependant pour établir qu'il naquit en l-iSO, à Bruges, ville si longtemps habitée par lui, et où se trouvent le plus grand nombre et quelques-uns des plus parfaits de ses ouvrages.
Une faille grave, fruil de rinatlenlion ou de rii»norance de Descamps, auteur de quatre volumes sur les peintres flamands, fait que, depuis la publication de ce livre, Mem- ling est presque toujours appelé Hemlinck or Henime- ling (1). 11 importe de relever celte faute, «l c'est ce que nous allons entreprendre, en nous appuyant sur des do- cuments irrécusables
Le nom de ce grand peintre se trouve indiqué sur ses tableaux par un M majuscule, employé alors en Flan- dre, et dont voici à peu près la forme jt| . La ressem- blance de cette lettre et de l'H a conduit Descamps à pen- ser qu il fallait lire et écrire Hemlinck ou Hemmeling, au lieu de Memling. Or, tous les documents, touies les pièces autographes du temps où Memling a vécu, prouvent que cette lettre |tI a toujours servi à représenter un M. C'est ainsi que dans un registre du xv* siècle, se trouvant aux archives de l'hôpital Saint-Jean de Bruges, et concer- nant des terres situées à Maldeghem, on voit la lettre M qui commence ce mot, offrant une configuration parfaite avec celle |-' , placée sur les tableaux du peintre. C'est encore ainsi que les médailles et monnaies, frappées à Bruges du vivant de Memling, sous le règne de Marie de Bourgogne, piésenteni à la vue la lettre majuscule It|, occupant le centre du revers, avec la légende Maria co- MiTissA FLANDRi.t Oii ue poui d'aillcurs couscrver aucun doute sur ce point, lorsque Carie Van Mander, habitant Bruges cent ans après Memling, lui donne ce nom ; que depuis et sous Louis XIII, Sanderus, dans sa Flandria
(1) Ce qu'il y a de remarquable, c'esl que dans son averlissement, pages 14 el 15, Descamps le nomme Meinmelinck, adoplont ainsi la lellre M, qu'il rcjelle dans le corps de son ouvrage.
— ti
ILLUSTRATA, adoptc lu même orthographe, et qu'en Italie, où se irouvaient phisieurs de ses productions, on l'a tou- jours appelé Memmeling (1).
La tradition et les chroniques ne nous ont rien transmis sur rorigine, l'enfance, et la première jeunesse de Mem- ling. Selon plusieurs il eut pour maître le fameux Ro- gier Vander Weyden, de Bruges. Il y a tout lieu de pen- ser que les œuvres d Hubert et de Jean Van Eyck, ses prédécesseurs dans un an où il s'est aussi illustré, con- tribuèrent puissamment à faire éclore et à diriger son talent. Toutefois une circonstance remarquable se ren- contre dans l'influence que ces maîtres ont pu exercer sur lui. Tout le moude sait que Jean Van Eyck est regardé comme étant l'inventeur de la peinture à l'huile (2).
(1) V. Van Mander ; Sanderus , Flandria illustrata; Notice sur les lableaux de l'hôpital Saint-Jean de Bruges, et surtout la disserialion du savant M. de Bast de Gand.
Ainsi, Van Mander et Sanderus autrefois, et, de nos jours, M. de Bast, le docteur Waagon, directeur de la galerie des tableaux de Ber- lin, M. Passavant de Francfort, dans son excellent a Voyage artistique en Angleterre cl en Belgique j, sont complètement de notre avis. — D'autre part, M. Kugler penche pour le mol Meniling, sans se pronon- cer aussi ouverlenienl que les savants ci-dessus cités. — L'opinion contraire est soutenue par .MM. Schaan, Schorn, Nieuwenhuys, dans sa description de la galerie du roi des Pays-Bas et par M. Mundlcr, auquel nous sommes redevables de renseignements d'un haut intérêt. (Voir sur celte controverse l'appendice qui suit le catalogue.)
(2) Celte découverte lui a été conleslée, non sans qui Ique raison; l'ouvrage do Théopliilo, prêtre et moine, ouvrage reraonianl au xi^ et xiip siècle, décrit formellement la peinture â 1 huile et en explique les procédés. Tout porte à croire que celte découverte avait été ou- bliée, et que Jean Van Eyck la retrouva et la perfectionna. Le per- fectionnement consista surtout dans la composition du vernis, qui.
Avaiil celte décoiiveilo, les artistes, en Italie, eu Alle- magne, en Flandre, employaient une espèce de prépara- tion offrant un mélange d'eau d œuf, de miel et de gomme arabique. Rien de plus frais, de plus vif, de plus harmo- nieux que l'effet produit par cette préparation. On peut s'en assurer en revoyant les œuvres bien conservées dans lesquelles on en a fait usage. Aussi devons-nous avouer que souvent nous nous sommes surpris à en regretter l'abandon. Sans doute, sous le rapport des procédés matériels, de la promptitude, delà facilité du faire, la peinture à l'huile a de nombreux et sérieux avantages : mais, dauire part, quels inconvénients ne présente-t-elle pas? Après un siècle, souvent même bien plus tôt, peu de tableaux à l'huile conservent le coloris que l'artiste leur avait donné. Ils jaunissent, noircissent, se gercent, deviennent trézalès. Ils n'offrent plus enfin que le sou- venir de cette vie éclatante qu'ils avaient à leur aurore. Voyez, en fait de couleur, ce que sont maintenant les Léonard de Vinci, beaucoup de Raphaël, et presque tou- tes les productions du Poussin ? Tandis que, si vous allez visiter l'hôpital de Saint-Jean de Bruges, vous y trouverez lesœuvres de Memling resplendissantes encore de fraîcheur et de transparence ! Quatre cents ans ont passé sur ces belles créations sans en altérer la jeunesse : c'est là ce qui, selon nous, a amené la circonstance remarquable signalée plus haut, et de laquelle il résulte que Memling n'a jamais voulu se servir de la découverte de Van Eyck. En réfléchissant à l'emploi de l'huile, en s'assurant de
comrae le fait remarquer Vasari, une fois sec ne craint plus l'eau, dunue de la vivacité aux couleurs, les rend plus claires cl les harmo- nise d une manière admirable.
l'effet que cet emploi avait piuduii, il aura été tout naturel- lement conduit, après quelques essais, à ne point changer sa manière de peindre. Mais si Memling ne suivit pas, à cet égard, l'exemple des Van Eyck, il s'empressa d'adopter l'heureuse révolution qu'ils introduisirent dans les fonds de leurs tableaux.
Avant eux, en général, les peintres de la primitive école italienne, imitateurs des Grecs byzantins, déta- chaient les figures graves et symétriquement rangées de leurs compositions sur des fonds obscurs, et particulière- ment sur des fonds d'or. Cimabuë, Guido de Sienne procédaient ainsi. On en aura la preuve en voyant le grand tableau de ce dernier, daté de i22i, qui se trouve dans l'église Saint-Dominique de sa ville natale, et quel- ques-unes des productions de celte époque placées dans la salle d'entrée du musée du Louvre. Memling, en cela, se montra l'ingénieux disciple des Van Eyck. Ces fonds monotones dont le défaut, en accusant trop fortement le dessin des personnages, est de leur prêter une sécheresse peu agréable à l'œil, il les remplaça par de riches paysa- ges, éclatants sous la lumière ardente et magique des rayons du soleil, et que traversent des rivières et des fleuves mollement ondulés, ou par des édifices religieux, étalant tout le luxe, toute la finesse du cycle de l'archi- tecture gothique fleurie, et dont les flèches élégantes vont se perdre dans un ciel d'azur.
II.
Il n'y a point à douter que Memling, aux jours de sa jeunesse, a visité ritalie. La tradition raconie même
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qu'il eniieprit ce voyage avec son maure, Rogier de Bru- ges. Ses prodnciions porlem, en effel, l'empreinle d'é- tudes faites dans les écoles llorenline el vénitienne, alors que Verocchio et le Pérugin se montraient les dignes précurseurs de Léonard de Vinci et de Raphaël. Les chevaux à la tournure antique, figurant dans son a Mar- tyre de saint Hippolyte », ne sont autres que ceux dont Venise lui a offert le modèle. Plusieui's de ses tableaux existaient en ce pays, principalement à Padoue et dans la ville des doges, où l'on voyait autrefois le portrait d'I- sabelle d'Aragon, sous la date de 1450. Ce portrait est certainement une de ses premières œuvres.
Il est incontestable aussi qu'il a voyagé en Allemagne. C'est dans ce pays qu'il a puisé quant à l'architecture, et ses paysages rappelent souvent les merveilleux bords du Rhin. Les types, les physionomies et les costumes de ses personnages sont pris à la riche école rhénane, mais modifiés par son génie souple et puissant ; ce qui a fait dire à M. Viardol, qui s'obstine à le nommer Hem- ling, qu'il était allemand d'origine {i ) . La conséquence nous païaît forcée ; car, s'il fallait, à cause des points de res- semblance existant entre ses tableaux et ceux des anciens maîtres de Cologne, le déclarer allemand, il faudrait agir ainsi pour les Van Eyck, dont les œuvres ont le même caractère.
Memling vivait dans un temps de guerres et de troubles continuels. Chailes-le-Téméraire, conduit à sa perte plus
(1) V. Les Musées de Belgique, par M. Viardol, p. 507, édilioii do Paulin, i84ô.
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«ncore par l'esprit d'aventure que par l'ambition, l'avait nommé son premier peintre. Près de ce prince, ardent et batailleur, il tenait la place occupée par Jean Van Eyck près de Philippe-le-Bon. Si ce fait n'était pas reconnu par plusieurs auteurs ayant écrit sur la peinture flamande, une circonstance, toujours présente à notre mémoire, viendrait fortement l'appuyer. Charles-le-Téméraire, pos - sesseur, ainsi que son père, de la ville et du comté de Boulogne pendant soixante années, vint visiter la chapelle de la Vierge miraculeuse, objet, alors, des hommages et de la vénération de tous les princes de la chrétienté. Il laissa à la trésorerie des présents d'une grande richesse. Parmi ces présents, on remarquait sa statuette en or massif, à cheval, et son anneau seigneurial, à quatre tables de diamants, posé, avec son écusson et sa devise, au pied de la croix d'or appelée la belle croix. Une cé- rémonie pompeuse eut lieu à cette occasion, et, parmi les personnes entourant Charles-le-Téméraire, on distin- guait le chroniqueur Olivier de la Marche, et le célèbre Jacques de Lallain, chevalier de la Toison-d'Or (1).
Memling accompagnait, lors de celle cérémonie, le duc de Bout gogne, dont la dévotion particulière pour la Vierge a été signalée par tous les historiens. Il fut chargé de faire un tableau représentant le moment où ce prince ac- complissait l'acte de « foi et hommage « à Notre-Dame- de-Boulogne. Ce tableau, de moyenne proportion, était appendu dans l'une des chapelles latérales de l'église ca
(l) V. Histoire de N.-D. de Boulogne, par lauicurde ceUe étude, éd. de 1839. — Olivier de la Marclie en ses Mémoires. — Meyers , Annales de la Flandre. — Paradis, Annales de Dourgogue.
— Il —
Ihcdrale de cette ville. Quand arriva l'i-poquc la plus désastreuse de la révolulion, le proconsul André Dûment fit détruire, dans une espèce d'auto-da-fé, les images sculptées des saints et les peintures ornant cette église. Une fort belle sainte Thérèse, de Murillo, dut son salut a M. Wyaut, ancien sous-précepteur de la famille d'Orléans, et l'œuvre de Memling échappa aux flammes par les soins de M. Guerlain des Sablons, ancien procureur du roi de l'amirauté. Vingt fois, dans ma première jeunesse, j'ai admiré chez lui ce tableau, dans lequel brillaient à un haut degré toutes les qualités du talent de Memling. De- puis la mort de M. Guerlain, arrivée il y a quarante ans, je n'ai pu, malgré mes recherches, découvrir ce qu'il était devenu.
C'est comme peintre et comme guerrier que Memling suivit encore le duc Charles dans sa fatale expédition contre les Suisses. En ces temps de valeur et de foi, même à des époques plus rapprochées de nos jours, les artistes et les poêles se servaient également bien du pin- ceau, du ciseau, de la plume et de l'épée. Benvenuto Cellini, le Camoëns, le Tasse et Miguel Cervantes nous en fournissent la preuve. Blessé dangereusement aux batailles de Granson et de Moral, Memling. au milieu d'un hiver rigoureux, ayant tout perdu, arriva à Bruges dans le mois de janvier 1477. Admis à l'hôpital Saint-Jean, il sut, par ses manières distinguées et la douceur de son caractère, exciter le plus vif intérêt, se concilier l'estime de tous, et principalement du frère Jean Floreins, tréso- rier de cet établissement. C'est l'époque la mieux connue de sa vie; celle où il entreprit et termina les chefs- d'œuvre éteinisant sa gloire et donnant tant de re- nom et de visiteurs au modeste hôpital Saint-Jean de Bru-
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ges. Les soins qui hii furent prodigués, le régime satu- laire et doux de cet asile de paix, hâtèrent sa convales- cence, et, avec la santé, l'amour de son an lui revuil plus cher, plus impérieux que jamais.
Avant d'entrer dans les détails concernant les ouvrages échappés à son pinceau, pendant un séjour de plusieurs années à l'hôpital Saint- Jean, nous devons examiner deux faits, recueillis nous ne savons où, appartenant, selon le* uns à la tradition, selon les autres aune légende, faits aux- quels nous sommes loin d'attacher la moindre croyance.
Descamps, d'abord, prétend que Memling fut amené à rhôpital par suite du dérèglement de ses mœurs, et qu'il y fut reçu par chanté. Ainsi il le pose en soldat vulgaire, dont le libertinage avait flétri l'âme et usé le corps. Rien, dans tout ce que l'on sait de la vie de ce peintre, ne mo- tive un conte aussi absurde. Son caractère, la nature de ses goûts le repoussant même complètement. Est-ce que l'onction ineffable, la délicatesse, la foi naïve et profonde, et cette fraîcheur céleste, ce sentiment pudique empreints dans ses productions, pouvaient s'allier avec une imagi- nation souillée, avec les vices honteux et les maux que la débauche entraîne à sa suite? Est-ce que, si Memling s'é- tait présenté à l'hôpital Saint-Jean dans l'état où Descamps le dépeint, les personnes pieuses administrant cette sainte maison lui eussent témoigné le vif intérêt, l'estime, et prodigué les soins empressés et touchants dont le souve- nir est venu Jusqu'à nous d'une manière certaine? N'ou- blions pas d'ailleurs que les règles très-sévères de la fondation de cet hospice ne permettaient d'y admettre que les seuls bourgeois malades, habitants de Bruges et de Maldeghem : l'excepliou faite en l\tvcur de Memling
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suffirait donc seule pour proaver à quel point il en était digne.
Le second fait est rapporté par M. Viardot : s'il est {dus inléressanl pour ceux qui veulent voir de l'amour en toulet partout, il ne nous paraît pas plus vraisemblable. • Selon la légende, dit l'auteur (le moi légende est ici fori étrangemeni employé) , Memling fut retenu à l'hôpital Saint-Jean par sa passion pour une jeune sœur hospita- lière. » Or, noire peintre, né eu 1430, avait en 1477,. époque de son entrée dans cet hospice, quaranie-sepi ans; il n'était plus dans l'âge des illusions romanesques, des folles amours. Blessé, fatigué, les forces qui lui restaient, sa pensée tout entière, étaient consacrées à l'exercice de son art ; la perfection de ses ouvrages eu offre la preuve. Le moyen de penser que dans de telles conditions, s'occu- pant constamment de sujets de haute piété, il se fût livré à un attachement alors considéré comme un véritable in- ceste ! comment croire aussi que, si cet amour eût existé, le respectable frère Jean Floieins, les dignes sœurs de Sainl-Jean, eussent accordé leur esiime, prodigué leurs soins au coupable artiste, ei l'eussent conservé parmi eux .' Celle circonstance est donc aussi ridicule, aussi apocryphe que celle faisant de Memling un vil débauché. Elle peut plaire aux amateurs de romans quand même, ci aux per- sonnes qui, disposées à prêter aux hommes de génie les penchants les plus excentriques, ressemblent à celles dont la vue malade aperc^oit toujours des taches dans le soleil le plus pur. Mais la raison et les convenances ne sau- raient l'admeiire.
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Tout nous porte à penser que le premier tableau peini par Memling, au commencement de sa convalescence, esl la •- Sibylle persiqiie », à laquelle une inscription latine, écrite vers le côté droit de la partie supérieure du pan- neau, donne le nom de sambetha (1). Inférieure à ses autres œuvres, en ce qu'elle manque de profondeur de sentiment et de force de coloris, cette sibylle, accusant toutes les apparences d'un portrait, n'eu est pas moins très-finement touchée. Nous avons surtout admiré la transparence délicate et vaporeuse du voile jeté sur sa tête. Elle est coiffée du haut bonnet et son corps est couvert du costume des Flandres.
Immédiatement après, selon l'ordre des dates, arrive une œuvre capitale, au-dessus de tous les éloges qu'on pourra lui décerner : c'est le triptyque dont le panneau principal représente le « Mariage de sainte Catherine ». La Vierge,, assise sur un trône à baldaquin, d'une magni- fique ornementation, occupe le centre de cette composi- tion, et lient l'enfant Jésus sur ses genoux. Il est impos- sible de donner une idée de l'effet magique, comme couleur et comme perspective, ressortant du tapis sur lequel ses pieds délicats sont posés ! La sainte Catherine, dans le plus riche habilement, dont les traits sont adorables de grâce, de candeur, et qui reçoit l'anneau nuptial des mains du divin enfant ; les anges, revêtus d'habits sacer-
(1) a Sambetha, quac et Persini. an. ante Cbrisl. nal. 2040 >
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doiaux, lui servant d'acolyles; la sainte Vierge, le saint Jean évangëlisle, assistant à cette cérémonie symbolique, forment un ensemble où brillent à la fois la lumière la plus éclatante, la perspective la plus inouïe, et un senti- ment de mysticité qu'aucune parole humaine ne saurait exprimer 1 Or, perles, pierres précieuses, dessins variés des tapisseries reproduisant les tissus anciens de l'Orient, architecture ogivale de la plus somptueuse ordonnance, tout a été rendu par le peintre, de manière à frapper à la fois les yeux et l'imagination, à transporter les spectateurs de tant de merveilles dans ces régions célestes qui font rêver le bonheur des élus ! Et que dire du délicieux pay- sage se développant à travers les ogives placées de chaque côté de ce panneau principal ? des collines, des plaines verdoyantes et fleuries où serpente mollement le Jour- dain? de cette ville, de cet amphithéâtre romain, se déta- chant en miniatures ciselées sur cet horizon lointain, sur ce ciel doni la vivacité a l'éclat du diamant? — Les deux volets représentant la « Décollation de saint Jean-Bap- tiste • et « saint Jean à Pathmos •; leurs faces exté- rieures, oîi se voient les portraits de Jean Floreins et d'un autre frère, ainsi que ceux de deux religieuses, qu'accompagnent saint Jacques, saint Antoine, sainte Agnès et sainte Glaire, ne sont pas moins beaux, moins admirables d'exécution ! Oui, dans son genre, le triptyque du « 3Iariage de sainte Catherine » est un de ces chefs- d'œuvre n'apparaissant qu'à de longs intervalles dans l'histoire de l'art, et réunissant la vigueur brillante de Van Eyck à la sévéi ité de pensée de Fra Angclico cl à la 'ouche délicate de Gérard Dow, avec bien plus de relief ei d'ampleur.
Parmi les ouvrages de Memling enrichissant l'hùpilal
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Saint-Jean, la ■ Châsse de sainte Ursule " est celui qui. généralement, a le plus de célébiité. Celle châsse a la forme d'un grand reliquaire , offrant l'aspect d'un édifice gothique rectangulaire. Elle a 86 ceniimèlres de hau- teur, sur 91 centimètres de largeur. C'est un spécimen curieux d'archéologie chrétienne, joignant, au choix des matériaux qui le composent, la délicatesse et l'élégance des détails. L'histoire complète de sainte Ursule, de son martyre et de sa glorification, a été retracée par le peintre dans les petits tableaux, médaillons et arceaux en ogive placés sur les foces, les extrémités et même le toit de cette chapelle en miniature. Toute la légende des vierges de Cologne, depuis leur départ de celte ville jusqu'au nîo- ment où, à leur retour, des soldats, faisant office de bour- reaux, les tuent à coups de flèches, d'épées et de lances, est là, vivante, animée. Seulement, Memling a transpoi'lé celte légende, des premiers temps du christianisme a» xv" siècle, en ce que les costumes, les armures, les per- sonnages, les monuments, les paysages de son œuvre, appariiennenl à celle époque.
Il serait trop long d'exposer l'ordonnance et d'entrer dans les particularités de celle vasle composition, conte- nant plus de deux cents petites figures en action, dont la plus grande, une madone, a un pied, celles intermédiaires 6 pouces, beaucoup d'autres 4 pouces, et les plus éloi- gnées à peine 6 lignes de hauteur. Ce qu'il a fiillu de patience, pour arriver à la terminaison d luie œuvre aussi compliquée, est incalculable. Toutes les parties en ont été minuiieusemenl décrites dans des livrels et brochures qui se \endeni en Belgique, et MM. Manche et Ghémart, jeunes artistes distingués, les ont reproduites dans des
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lithographies coloriées, d'une précision el d'une fidélilé assez remarquables.
Terminons ce qui concerne la ■ Châsse de sainte Ur- sule » par une observation imporlanle, déjà faite à l'oc- casion du « Mariage de sainte Catherine. » On tomberait dans une grave erreur, si l'on pensait qu'en parlant de la patience mise par Memling à exécuter cette châsse, nous avons voulu dire que celte qualité constituait le mérite principal de son œuvre Parfaite et délicate au plus haut degré dans tous ses détails, cette œuvre est grande, no- ble, vigoureuse, expressive dans son ensemble. En un mot, la légende peinte de sainte Ursule, marquée d'une ineffable mélancolie, et où se meuvent, exaltées par l'a- mour divin, ces belles jeunes vierges des Flandres, blon- des, fraîches, parées avec un goût exquis, est, comme l'a dit M. Michelet, « la véritable transfiguration de la femme du Nord » (1).
Trois autres tableaux, un diptyque contenant le portrait d'un jeune homme (Martin de Newenhoven, adorant la Madone), un triptique représentant « la Déposition de la croix », et un autre triptyque (l'Adoration des mages) complètent la collection des ouvrages de Memling que renferme l'hôpital Saint-Jean. C'est dans cette « Adora- lion des mages », production égalant, pour la perfection, le « Mariage de sainte Catherine », que se liouve une figure de paysan, regardant par une embrasure, derrière le roi mage, au leint éthiopien. La tradition, perp(''iiu'e
(I) Michcloi, Histoire de France, vol. VI, p. Ô99 el 400
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jusqu'à nos jours, affirme que celle figure est le poilrait du peinlre.
Voilà la liste des chefs-d'œuvre les plus connus de Mem- ling. C'est an sein d'un pauvre cl modeste hôpital, que depuis quatre cents ans ils ont été gardés, dans un état de conservation ne laissant rien à désirer. En vain, au xv* siècle, le prolestaniisme a-t-il fait une guerre acharnée au culte des images ; en vain la révolution française a-t- elle spolié, détruit tant de trésors nés sons le souffle de l'inspiration catholique : les modernes vandales n'ont pu pénétrer dans ce sanctuaire de l'art religieux. Peu s'en fallut, raconle-t-on, que les commissaires de la Conven- tion ne vinssent enlever les productions de Memling. On ajoute qu'ils en furent empêchés, malgré leur puissance, par la présence d'esprit et le courage d'une religieuse nommée Benoîte Smet- Depuis, des offres vraiment royales ont été faites à l'administration de l'hôpital Saint- Jean, pour quelle consenlît à se dessaisir de ses chefs- d'œuvre : ces offres ont été noblement repoussées, et il y a tout lieu de croire que Bruges conservera intact ce palladium de sa renommée et de sa gloire artistiques !
Cette ville, dont l'aspect moyen àg\î et renaissance a tant de charmes pour les amis des arts, possédait encore autrefois plusieurs tableaux de Memling. Ainsi, dans la chapelle des corroyeurs de l'église Noire-Dame, l'on en voyait un représentant « l'Étable de Bethléem », avec les rois mages offrant l'or, la myrrhe et l'encens à l'enfant Jésus. Les donateurs, Pierre Bultinck, échevin, et sa femme, étaient peints sur les côtés de cet ouvrage, dont le bord du cadre portail le millésime de 1480. Vendu par la confrérie, il apparienaii, en 1782, à un M. de Cock,
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marcliand à Anvers. Un habitant de Diuges, M. le Bou- ton, montrait aussi aux curieux, en 1786, un « Christ en croix », accompagné de la Vierge et de saint Joseph, Malheureusement, on ne sait aujourd'hui dans quelles mains ces deux tableaux ont passé.
Hors deThôpiial, on retrouve encore Memling, d'abord dans l'église de Saint-Sauveur, où l'on voit le « Martyre de saint Hippolyte », et ensuite dans le Musée, où se trouvent le « Baptême du Christ » et un « Saint Chris- tophe ». Le t^ Baptême ' est aussi beau que le plus beau des tableaux de l'hôpital. Quant au « Saint Christophe » ei surtout aux volets qui en font partie, c'est sans nul doute de la bonne et précieuse peinture, mais nous n'ose- rions attester que Memling en soft l'auteur. D'excellentes raisons, ont été données pour et contre son authenticité, par plusieurs critiques distingués : c'est donc un point contestable.
IV.
Une (XHivre (]ui ne l'est pas, œuvre la plus colossale, la plus extraordinaire du peintre, c'est une espèce « d'His- toire générale de la religion chrétienne », qu'il peignit pour la célèbre abbaye d'Anchin, près de Douai, et donl M. le docteur Escalier est mainienani le possesseur (1).
Ce magnifique morceau, digne des plus riches galeries
(1) Voir l'excellenle histoire de ceUc abbaye, par le docteur Es- calier, un fort volume grand in-8", illustré.
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de l'Europe, se compose d'un panneau principal formant centre, et de quatre doubles volets : en tout neuf parties, d'une dimension telle, que c'est un vrai musée de peinture du xv^ siècle
Sur un trône éblouissant d'or, au milieu d'un superbe palais, on voit la sainte Trinité entourée de groupes d'an- ges, faisant entendre de célestes concerts La person- nification des Mystères et des Sacrements, les traiis les plus saillants de la vie de la Vierge, de saint Jean-Bap- tiste, des apôtres et des prophètes, remplissent les autres panneaux, et font de celte œuvre un prodige excitant au plus haut degié l'admiration de ceux qui le contemplent. C'est le sentiment que nous avons éprouvé, toutes les fois que nous l'avons visitée dans le cabinet de notre ami ; et ce sentiment ne s'est jamais affaibli, parce qu'à chaque visite nous découvrions, dans celte merveille de l'an, des beautés nouvelles. N'est-il pas à craindre qu'un jour l'étranger, qui nous a déjà tant appauvris, no nous enlève ce trésor? Ah! si nous avions richesse et pouvoir, nous supplierions son possesseur de s'en priver en faveur de la France, et^ avant six mois peut-être., il ferait son entrée triomphale dans la grande galerie du Louvre.
V..
Une circonstance assez curieuse, se rattachant au sé- jour et aux travaux de Momling à l'hôpital Saint-Jean de Bruges, c'est qu'il paraît certain qu'on ne lui paya point d'honoraires pour les belles pages que sa main y laissa. Les comptes de cet ('lablissemeut ne mcnlionneul, en
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effet, que les dépenses occasionnées par les frais maié- riels de ces pages. Dans ces frais, se uouvcnt compris ceux de diveis voyages en Allemagne, el principalement à Cologne, où Memling alla s'inspirer en voyant le célèbre tableau de ■ l'Adoration des Mages », peint eu lilO, et recueillir, en étudiant d'anciens panneaux, les traditions de la légende de sainte Ursule. C'est à ces excursions dans les provinces rhénanes qu'il convient surtout d'attri- buer le sentiment allemand, le genre d'architecture, et le type des physionomies et des costumes régnant dans ces productions. Ainsi, désintéressé comme la plupart des hommes ayant un véritable génie, ce peintre ne visait point à la fortune. Satisfait de trouver une existence douce et poétique dans l'hospice dont il avait fait son quartier général, heureux de pouvoir aller, de temps en temps, admirer la nature et promener ses j'èveries sur les bords du Rhin, il n'enviait point les richesses. Ne pos- sédait-il pas la paix, l'indépendance, et cette bonne re- nommée qui sont les biens les plus précieux pour les âmes honnêtes et élevées ?
Cette renommée s'était accrue, en effet, à mesure que son pinceau avait produit quelque œuvre nouvelle ; elle le fit mander dans le célèbre abbaye de Saint-Bertin, à Saint-Omer. Nous avons ailleurs déploré la destruction de ce magnifique monument, dont les ruines étaient en- core si imposantes en 1827, el qui reçut en 1830 les der- niers coups de marteau du vandalisme (1). Memling eut
(1) V. les Souvenirs historiques et pittoresques du Pas-de-Calais, donl nous n'avons pu achever la publicalion, el la gravure acconipa- gnanl la lelirc sur Sainl-Berlii».
-Sa- la mission de décorer l'aulel principal du monastère de Silhieu, ei peignit la vie de son saint fondateur dans dix panneaux d'une beauté merveilleuse. Ces dix panneaux appartiennent maintenant au roi de Hollande, prince qui honore le trône par son goi^it éclairé pour les beaux-arts.
Memling, dans un voyage à Louvain, avait entrepris trois grands tableaux, lorsque, d'après une tradition con- testée par quelques personnes, il partit pour l'Espagne en 1495. Ce fut, dit-on, l'architecte Simon do Cologne qui l'engagea à faire avec lui ce pèlerinage, afin de con- courir à l'ornemeniaiion de la superbe chartreuse de Mira- florès (2). C'est en 1496 qu'il commença les œuvres destinées à décorer ce monastère ; il les termina en 1499. Ce furent ses dernières productions, parmi lesquelles on remarquait la vie et le martyre de saint Jean-Baptiste : on pense qu'il n'en reste plus rien. La chartreuse de Mira- florès a, en efl'et, été plusieurs fois pillée, saccagée; de nos jours, en 1812, l'incendie la dévora, par suite de la résistance désespérée des insurgés espagnols contre l'ar- mée française
L'opinion la plus accréditée fait mourir Memling en Espagne ; cependant le doute surgit encore, de plusieurs côtés, sur ce point impoiiani Les tiibleaux de la char- treuse étaient bien de lui ; mais il les peignit, dit-on, en Belgique. Ce qui le prouve matériellement, ajoute-t on, c'est le charmant diptyque du Musée d'Anvers, portant la
(2) V. le Diclionnnire historique de Céan Bermudez ; le Voyage en Espagne de don Poiii, scciélaire de làcadémio de San-Fornando. et plusieurs notices publiées en B,l.;iqiio.
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date de [199, et dont le revers offre le porirait de l'abbé du couvent des Dunes, à Bruges. A cela, nous répon- drons qu'il n'est point impossible que Memling ait peint ce diptyque en Espagne, où il pouvait avoir transporté un dessin, une esquisse des traits de Tabbé des Dunes,, et que de là il l'ail envoyé en Flandre. Nous ne voulons rien affirmer ; toutefois il nous paraîtrait bien extraordinaire qu'avec la renommée qu'il avait acquise dans son pays, si ce grand peintre y fût mort, ses funérailles, le lieu où Ton déposa ses restes, n'y eussent laissé aucune trace. La Belgique entourait alors d'honneurs bien mérités le cer- cueil de ses grands artistes, et une tradition certaine nous a transmis tous les détails de l'enterrement de Jean Van Eyck, à Saint-Donat de Bruges, en l'année 1445, plus d'un demi-siècle avant que Memling eùi disparu de la terre.
VI.
Résumons maintenant toutes les parties de l'élude que nous avons faite du talent de Memling. Ce qui le distingue surtout, c'est la noblesse du style, unie à une délicatesse de touche n'ayant point d'égale ; c'est encore une naïveté de sentiment s'alliant à une expression religieuse, dont la gravité est tempérée par une grâce infinie Jamais la perfection des détails ne nuit, dans ses compositions, à l'effet grandiose de l'ensemble, et n'arrive à la sécheresse et à la minutie. Qu'il fasse de la miniature, comme dans la «i Châsse de sainte Ursule «, ou des figures atteignant
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la proportion demi-nature, comme dans le « Mariage de sainte Catherine », toujours sa manière est large, élevée dans ses enchantements. Son coloris est d'une fraîcheur, d'une transparence rappelant les toiles les plus brillantes des Vénitiens. Il dore les étoffes et les gazons, diamanle les ciels, vaporise l'air, harmonise toutes les teintes, et flatte Fœil, comme aucun peintre ne l'a flatté. Son adresse, principalement dans les petites figures, est merveilleuse, en ce que tout y est facile, sans nul effort, d'une netteté de trait qui cependant n'a point, ainsi que dans Gérard Dow, l'inconvénient de laisser apercevoir les traces labo- rieuses du pinceau. Qui jamais a rendu toutes les nuances des eaux, de la lumière, du feuillage, des fruits, comme ce grand artiste ? qui a élevé sur de simples panneaux des monuments plus élégants et plus sveltes? En un mot, il est pour nous, dans son genre, le plus grand, le plus complet de tous les peintres : si sa manière n'a pas toute la fierté de celle de Van Eyck, elle nous paraît plus gra- cieuse, plus attrayante et plus poétique.
Memling n'a pas fait que des tableaux : comme tous les artistes de son temps, il a plié sa main puissante, soumis son génie à composer, à enluminer des vignettes et des arabesques admirables pour des bréviaires et des manus- crits, en Flandre, eu Italie et en Allemagne. On cite, entre autres, un riche missel, appartenant à l'église Saint- Marc de Venise ; un livre d'heures qui, de la succession de Philippe II, roi d'Espagne, a passé dans la famille de Pulzbus, en Prusse ; et un livre de prièies, format in-^", provenant de Marie de Médicis, morte à Cologne, et se trouvant maintenant chez le pasteur Fochem de cette ville. On croit, en outre, qu'un manuscrit faisant partie de la bibliothèque de l'Arsenal a été illustré par lui. A notre
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avis, ce iravail, du resie fort beau, est plutôt des frères Van Eyck. Les draperies en sont souvent sèches, lour- des, avec profusion de plis, rappelant la sculpture de l'époque, défaut que Meraling a toujours évité.
VIL
Ainsi que la tradition l'indique et que l'usage suivi par plusieurs peintres anciens le confirme, si la figure du vil- lageois, dans le tableau de « l'Adoration des Mages «, est celle de Memling, nous devons convenir qu'en lui don- nant le talent, la nature ne lui avait pas refusé quelques agiéments extérieurs. Dans ce portrait, il a des cheveux épais, une petite barbe, et ses traits, quoique fatigués, ont un caractère d'intelligence, de douceur et de mélan- colie qui n'est pas sans charme. M. Aders possède un tableau de Memling, daté de 1462, qu'on prétend aussi être son portrait : ne l'ayant pas vu, nous ignorons jus- qu'à quel point cette prétention peut être fondée. Dans la tête rêveuse et pâle du paysan de « l'Adoration des Ma- ges », il y a, selon nous, quelque chose de l'expression de celle d'Antoine Vandyck.
Nous arrivons au terme de cette étude, après avoir re- cueilli avec soin tout ce que la tradition et les renseigne- ments les plus probables nous ont transmis sur la vie et les ouvrages de Memling Chose à la fois étrange et triste à penser! un artiste d'un si grand talent n'a laissé, dans les écrits et la mémoire des hommes, aucune trace bien certaine de> principaux événements de son existence, sur
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cette terre des Flandres qu'il a enrichie de tant de produc. lions sublimes ! Quatre siècles seulement le séparent de nous, et, comme cela estanivé pour le poêle de la guerre de Troie, le chantre de l'Odyssée, on ne sait pas positi- vement où il est né, où il est mort. Son nom même, qui n'est jamais devenu populaire parmi les noms des grands artistes de son pays, est l'objet de contestations dans les- quelles, jusqu'à ce moment, personne n'a voulu céder. Ainsi, I épigraphe que nous avons mise en léle de celle étude se trouve justifiée :
« Il est presque toujours dans la destinée du génie de voir couverts d'un nuage ses langes et sou linceul. »
CATALOGUE DE L'OEUVRE DE MEMLING.
Ce catalogue conlienl ceux des tableaux de Meniliiig existant encore, avec, autant que cela a été possible, leurs provenances, et la désignation des lieux où ils se trouvent maintenant. J'y ai joint quelques uns de ceux connus par la tradition, et dont la trace est perdue. J'ai mentionné la date de Tannée où ces tableaux ont été peints, toutes les fois que j'ai pu la rencontrer, ainsi que les doutes qui se sont élevés sur leur authenticité ; mais je dois faire observer que je n'ai agi ainsi que pour des œuvres que ce grand peintre aurait pu lui-même avouer. S'il m'avait fallu grossir ce catalogue de toutes les produc- tions misérables, faussement attribuées à Memling, un volume n'eût pas suffi, et je me fusse totalement éloigné du but que je me suis proposé.
AU MUSÉE DE BRUGES.
Date incertaine. « Saint Christophe. » — Je regarde la date de ce tableau comme tout à fait incertaine. Le cata- logue du musée de Bruges prétend, je ne sais sur quelles données, qu'il est de 1484. De son côté, M. Viardol croit avoir lu, au bas du panneau, le millésime 1434. Or, celle date est impossible, car Memling, alors, était à peine né. Ainsi que je l'ai dit dans « l'Élude », des doutes existent sur ce tableau, que plusieurs critiques attiibueni, non pas à Memling, mais à quelque maître de son école.
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" Date incertaine. Le Baptême du Christ. »
liSO. « L'Èiable de Bethléem, ► — Ce tableau était autrefois dans la chapelle des Corroyeurs de l'église Notre-Dame de Bruges. Il a été vendu, et je ne sais ce qu'il est devenu.
Date incertaine « Le Christ en croix. » — Même observation.
Date incertaine. « Le Martyre de saint Hippolyte. » — Se trouve dans l'église de Saint-Sauveur, à Bruges.
A L'HOPITAL SAINT-JEAN DE BRUGES.
1477 ou 1478. <• La Sibylle Persique. » 4479. « Le Mariage de sainte Catherine. »
1479. « L'Adoration des Mages. »
1480. « La Châsse de sainte Ursule. •
1480. * La Déposition de la Croix. »
1485. « Martin de Newenhoven adorant la Madone. » — Voir <• l'Étude », pour la description et l'historique de ces tableaux.
Date incertaine. " La Présentation au temple. • — Ce tableau appartenait à M. Imbert de Motelettes, à Bruges. On ne sait ce qu'il est devenu.
A BRUXELLES.
Date incertaine. « Descente de croix »— Se trouve au musée.
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A LOUVAIN.
Date incertaine. « La Mon de saint Erasme. • — On voit ce tableau dans une cliapelle de l'église Saint-Pierre.
Date incertaine. « La Cène. •' — Dans la même église.
Date incertaine. « Portrait d'homme. •> — Dans le ca- binet de M. Van den Schrieck.
Date incertaine. « Portrait de femme. •» — Dans le même cabinet.
A LA HAYE,
COLLECTION DU ROI DE HOLL.\NDE.
Cette collection, l'une des plus belles de l'Europe, a été vendue au mois d'août 1850. Je vais donner non-seule- ment i'énumération des tableaux de Memling qui en fai- saient partie, mais encore les prix d'acquisition et les noms des possesseurs actuels.
« Saint Jean-Baptiste et Marie-Madelaine. «
Ces deux tableaux, peints sur bois, ont été vendus 4,900 florins (1), à M. Brondgeest. — Acquis depuis pour le musée du Louvre, où ils sont maintenant.
• Saint Etienne et saint Christophe. • Vendus 4,700 florins, à M. Roos.
« Repos en Ègjpte. » Provenant de la collection de M. Aders, de Londres.—
(1) Lo florin valail 2 fr. 15 c, argent de France.
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Vendu 2,600 florins, à M. Héris, expert à Bruxelles pour le baron de Rodschild.
<• Portrait d'une jeune dame. »
Provenant de l'église de Saint-Donat de Bruges. On lit sur le fond : « Obyt. An°. DNl. 1479. ~ Vendu 430 florins, à M. Brondgeest.
« Saint-Luc. »
Ce tableau est un volet d'autel. - Vendu 850 florins, à M. Bruni.
« Autel portatif. •>
Un panneau central représentant l'adoration des ma- ges, et deux volets dont les sujets sont les saintes femmes, et des religieux en prière. — Vendu 6,450 florins, à M. Roos.
« Saint- Luc. »
Diff'érent du premier en ce que celui-ci représente le saint peignant la Vierge, tandis que dans le second il écrit son évangile. — Vendu 550 florins, à M. Brond- geest.
« La vie de Saint-Bertin. »
Dix compartimenis, œuvre admirable du peintre, qui formaient le retable du maître Autel de l'abbaye de Sitbiu, à St-Omer, et étaient enchâssés dans des cadres d'ar- gent (1). - Vendus 23,000 florins, à M. Roos.
(2) Ce retable était l'œuvre d'un artiste de Valenoiennes, il portait les vers suivants :
« Guillelmus Prœses, tullensis, et islius abbas, » Gonvenlus, opus hoc tibi irino. sauxil et uni. »
« Il était en or, enrichi de flgures de vermeil, et de pierres pré-
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Le hasard m'a fait retrouver deux fragments de cette œuvre, ayant échappé, jusqu'à ce jour, à la connaissance des biographes qui ont écrit sur les productions de Mem- ling
il existe à Paris quelques collections de tableaux vrai- ment remarquables , appartenant à des particuliers -, parmi ces collections je me plais à citer celle de M. de Beaucousin, amateur aussi zélé qu'éclairé. Guidé par un goût sur et délicat, il s'est surtout attaché à réunir en ivoires, bronzes, émaux et ial)leaux, les œuvres les plus pures et les mieux choisies du xvi« siècle. Il y a peu dans son cabinet, mais tout y est distingué. Dans un voyage qu'il vient de faire en Hollande, il a acquis, de la famille Nieuwenhuys, les deux fragments que je viens de signaler ; sachant que je m'occupais d'un travail sur Memling, il s'est empressé de me les montrer.
En voyant ces peintures, il m'a été impossible de ne pas élre intimement persuadé qu'elles étaient de la main de Memling. Les détails dans lesquels je vais entrer ne laisseront d'ailleurs aucun doute sur leur authenticité.
Le premier de ces fragments représente des anges Jouant de divers insirunienls et chantant des cantiques. On retrouve dans le type religieux et inspiré des physio-
» cieuses, placées par Guillaume Fillaslre. Son fonds, dit Dom. de » Witte, était d'or de ducats. Il avait 7 pieds de longueur, et 2 pieds » 6 pouces de hauteur On l'avait formé avec les volets représentant » la vie de St-Berlin, dus au pinceau du célébro Jean Memmeiing. » (Extrait du grand carlulaire de Sl-Beriin, et de l'excellent travail sur celle abbaye, par M. Henri de la Piano dans le T^ volume des Mémoires des antiquaires do la Moriiiie).
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nomies, dans le bel agencement des draperies, dans la finesse des détails, dans le déploiement et la couleur des ailes de ces anges, la ressemblance la plus identique avec toutes ces parties du travail de ceux placés sur la toiture de la • Châsse de sainte Ursule ». Ce premier fragment forme un montant ayant 56 centimètres de hauteur, et 21 centimètres de largeur. Il s'élevait au-dessus du premier des compartiments qui appartiennent au roi de Hollande ; compartiment représentant la naissance de saint Berlin dans l'intéi'ieur d'un édifice gothique. La sommité du toit de cet édifice existe dans le bas de ce fragment et se perd au milieu des nues, où des anges célèbrent par leurs concerts la venue au monde du saint fondateur du monas- tère de Silhin.
Dans le second fragment, on voit deux anges emportant saint Bcrtin au ciel, où trône Dieu le père. Sa dimension est la même que celle du premier. Il surmontait le der- nier compartiment de l'œuvre de Memling, représentant la mort du saint dans un bâtiment gothique qui dépendait du monastère. La sommité de ce bâtiment existe aussi à la partie inférieure de ce fragment.
Pour tous ceux qui ont vu les dix compartiments de la collection du roi de Hollande, il est incontestable que les deux fragments, maintenant en la possession de M. de Beaucousin, s'adaptent, se rapportent parfaitement avec ceux de ces compartiments offrant la représentation de la naissance et de la mort de saint Bertin. A cet égard, il ne peut y avoir l'ombre d'un doute.
Ajoutons à ces détails matériels, qu'il y a vingt-huit ans, lorsque M. Nieuwenhuys le père, propriétaire des
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tableaux de Memling représenlanl la vie de sainl Berlin, les vendit au prince d'Orange, aujourd'hui roi de Hol- lande, il crut devoir couper ces deux fragments formant une saillie désagréable pour le placement de l'œuvre prin- cipale dans une galerie. Sans nuire essentiellement à celte œuvre, elle acquérait ainsi une forme beaucoup plus régulière que celle résultant de l'addition des deux mon- tants, convenables seulement pour l'endroit oîi ils étaient primiiivement posés. On sait que le tout décorait le riche autel de l'église de Saint-Berlin.
Ce fait irrécusable a été rapporté à M. de Beaucousiu par les héritiers de M. NieuAvenhuys, au moment où ces deux fragments lui ont été cédés j il complète la preuve de leur authenticité (1).
A MUNICH, DANS LA PINACOTHÈQUE.
Date inconnue. « Grand triptyque de l'Adoration des Mages. »
Date inconnue. <■ Petite Adoration des Mages. »
Date inconnue. « Autre Adoration des Mages. »— Très- vaste composition comprenant : les Sept Joies et les Sept Douleurs de la Vierge, — La Manne dans le Désert, — Abraham devant Melchisedech, — La Prise de Jésus au Jardin des Oliviers.
Date incertaine. ■ La Tète du Christ. ■>
Ces ouvrages, remarquables de beauté, ont toujours été donnés à Memling. M. Viardot, seul, s'élève contre celte
(i) Note éerile en fovricr 18*1.
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attribuiion, el soutient qu'ils ne peuvent pas être de lui. Le point principal de son argumentation, c'est que Mem- ling, fidèle aux vieux procédés byzantins, n'a jamais peint qu'à la détrempe, et que les tableaux de la Pinaco- thèque sont peints à l'huile. Celle raison est, à mes yeux, d'une grande valeui' ; elle équivaut à une preuve péremp- loire, si, toutefois, M. Viardot est sûr de son fait. Mais il doit savoir, qu'à moins d'un examen excessivement mi- nutieux, il est souvent très-difficile, quelquefois même impossible de décidei., d'une manière positive, que cer- tains tableaux anciens sont peints à la détrempe ou à l'huile. S'est-ii livré à cet examen, pour ceux dont il s'agit? J'en doute, et, par suite de ce doute, j'incline à penser que ces magnifiques tableaux sont de Memling.
Daîe inconnue. « Descente du Saint-Esprit. •> Dans la colleciion du roi de Bavière.
Date inconnue. « La Naissance du Christ. " Collection du professeur Hauber, de Munich.
Date inconnue. « Saint Jean-Baptiste debout. « - Col- lection Boisserée, à Munich.
Date inconnue. « Triptyque, dont le milieu représente l'Adoration des Mages. » — Même collection.
Date inconnue. <• Saint Jean-Baptiste montrant le Sau- veur à un homme qui se met à genoux. »— Collection du prince Eugène de Leuchtenberg
A ANVERS.
Date inconnue. « Portrait de religieux, demi-nature. » — « Une Annonciation. -> — <• Un Évêque en prière. •
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— « Marie au milieu d'un lemple. » — Autrefois dans la collection Vau-Ert-Born.
Tous ces tableaux sont au musée.
A GAND.
Date inconnue. « La Vierge, l'enfant Jésus et sainte Anne. » — Admirable morceau, faisant partie du cabinet du comte de Tliiennes.
A DOUAI.
Date inconnue. « L'Histoire générale de la religion chrétienne, en neuf parties. » — Appartenant à M. le docteur Escalier. Voir - l'Ktude ».
Date inconnue. <■ Triptyque. » — Ce morceau, fort délabré, est dans le musée de Douai. On l'attribue à 3Icniling. La grisaille qui en fait partie a seule quelque rapport avec la nianière de ce maître.
A VIENNE.
Date inconnue « Saint Jean-Baptiste, volet d'autel. »
Date inconnue <• Le Sacrifice d'Abraham. •> — Grisaille qui se trouve dans le musée.
Date inconnue < La Vierge cl l'enfant Jésus sous un dais. »
Date inconnue « Jésus portant sa croix. »
Date inconnue. •- Dieu le père et Jésus couronnant la Vierge. » — Dans l'académie des Beaux-Arts.
Date inconnue. « Résurrection du Christ »
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A BERLIN.
Dale inconnue « Partie de retable représenlanl l'An- nonciaiion. »
Date inconnue. « Jésus sur la croix. »
A NUREMBERG.
Date inconnue. « Résurrection du Christ. » — Dans la chapelle de Saint- Maurice.
A AIX-LA-CHAPELLE.
Date inconnue. « Un Ange éveillant le prophète Èlie, pour qu'il prenne de la nourriture. » — Appartenant aux héritiers Bettendorf.
A STRASBOURG.
Daie inconnue. « Un Buveur. »
A BOULOGNE-SUR-MER.
De 1462 à 1467. « Tableau représentant l'Hommage de Charles-le-Téméraire à Notre-Dame de Boulogne. » — J'ignore où est maintenant ce tableau. On peut voir ce que j'en ai dit dans « l'Étude ».
EN ANGLETERRE.
1462. « Portrait qu'on dit être celui de Memling. » — Collection do M. Aders, à Londres.
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Daie inconnue. « Marie, reine du ciel, avec l'Enfant rédenipieur sur ses genoux. » — Prophètes, bas-reliefs représentant les Sept Joies de Marie. — Fonds d'architec- ture. - Même collection. — Ce tableau a appartenu d'a- bord à Guillaume II, roi de Prusse ; il est ensuite venu à Paris et a été porté à Londres.
Date inconnue « Buste d'Homme joignant les mains et levant les yeux au ciel. » — Même collection.
A CHISWICK.
Date inconnue. <^ Vierge et enfant Jésus, avec volets. » — Dans le château du duc de Devonshire.
A ALTON-TOWERS.
Date inconnue. • Marie avec son divin Fils dans une chambre. > A appartenu à la famille Campe, de Nurem- berg ; il se trouve maintenant dans le château de lord Shrevvsbury.
EN ITALIE.
145-2. « Le portrait d'Isabelle d'Aragon » — Était à Venise. J'ignore s'il existe encore.
A MILAN.
Date inconnue. « La Vierge assise avec l'enfant Jésus. Au fond, de nombreux monuments. •> - Dans la biblio- thèque Ambrosienne
A FLORENCE.
Daie inconnue. « Marie sur un nùuc, Iciiani Jésus en-
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fant dans ses bras. Anges jouant d'inslruments de mu- sique, avec fond de paysage. » — Dans une des salles particulières de la galerie degl' Uffisi.
Date inconnue. « Saint Benoit. »
1487. Portrait d'Homme qui prie devant un livre d'heu- res. — Galerie des Offices.
Date inconnue. • La Passion du Christ. » - Vasari parle, dans son grand ouvrage, de ce tableau que Memling avait peint pour l'église Santa- Maria-Nuova , et qui depuis était devenu la propriété du duc de Cosimo. La trace en est perdue.
A MADRID.
Date inconnue. <- Une Adoration des Mages. »— Ce ta- bleau est porté sous le n° 467 dans le catalogue du musée de Madrid, rédigé avec beaucoup de soin par don Pedro de Madrazo.
Date inconnue. « Un Prêtre célébrant la messe. » — Le même catalogue, n" 463, signale ce tableau comme étant dans le style de Memling (estilo de Memling).
CHARTREUSE DE MIRAFLORÈS.
De 1496 à 1499. Plusieurs tableaux, entre autres la vie et le martyre de saint Jean-Baptiste. — Ces tableaux n'existent plus. Voir • l'Étude -.
Date inconnue." Jésus entre les deux larrons. «—L'exis- tence de ce tableau ne nous a été révélée que par la gra- vure qui en a été faite, en 1386, par Jules Gollzius.
MINIATURES ET ARABESQUES SUR VÉLIN.
Plusieurs manuscrits, répandus dans diverses parties
— so- dé l'Europe , coniienneni d'admirables miniatures de Memling. Nous eu avons parlé dans « l'Ëlude ». Nous rappellerons ici le livre de prières ayant appartenu au duc de Bourgogne , les deux superbes bréviaires du cabi- net des ivoires de Munich, et le manuscrit de la biblio- thèque Saint-Marc, à Venise. Des doutes peuvent s'élever sur la question de savoir si quelques unes de ces minia- tures sont bien de Memling, les frères Van Eyck en ayant fait un grand nombre qui, au premier aspect, peuvent être confondues avec celle du peintre de la « Châsse de sainte Ursule ». Le moyen de les distinguer est dans l'examen attentif du dessin, qui est plus fin, plus délicat ; des draperies, qui sont plus légères et moins tourmen- tées dans Memling que dans les Van Eyck.
CONCLUSION.
Le musée du Louvre, si complet en ce qui touche aux écoles flamande et hollandaise possédait un Van Eyck d'une très-belle qualité, mais il n'avait point un seul ta- bleau de Memmeling. Il est vrai que, sous ce nom, écrit sur le bord d'un cadre, on avait exposé un panneau dans la salle précédant le sallon carré, avant février 184.S. Mais aucun amateur, ayant tant soit peu de goût et de connaissances, ne voulait consentir à accepter celle pi-o- duction bâtarde, comme étant l'œuvre du peintre de Bru- ges. L'adminislraiion nouvelle s'est empressée de faire disparaître ce mauvais gothique et elle a acquis de M. Brondgeest le Saint Jean-Baptiste et la Marie- Made- laine qui avaient appartenu au roi de Hollande. Ces deux volets d'un tryptique sont bien dans leur genre ; mais ils sont plus secs, et ont moins de largeur que les belles
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productions inconteslées de Memling. Beaucoup de con- naisseurs hésiienl a les lui donner, et nous devons avouer que nous partageons leur incertitude.
Je crois devoir répéter, en terminant ce catalogue, que j'eusse pu considérablement l'étendre, en y mentionnant tous les tableaux qu'on attribue à 3Iemling. Il n'y a point d'année où, dans les ventes faites à Paris, par exemple, on n'offre aux amateurs des panneaux, diptyques et tripty- ques que l'on affirme avoir été peints par ce grand artiste. C'est de la spéculation basée sur le plus grossier men- songe, et qui ne laisse pas que de faire des dupes. Il est malheureusement trop vrai que la fraude la plus honteuse dirige maintenant en général le commerce des objets d'art, et en particulier celui des tableaux. A cet égard, il faudrait que l'institution, a la fois utile et honorable, des commissaires-priseurs fût régie par des règlements très- sévères, et qu'on n'employât, comme experts dans les ventes, que des hommes instruits et consciencieux. Il y aurait un volume à écrire sur les anachronismes, les attri- butions erronées, les inepties que contiennent la plupart des catalogues publiés chaque jour ; et sur les manœuvres de charlatanisme et de compérage employées par certains individus pour faire des victimes.
APPEXDICE
A L ETUDE Si;n LA VIE ET LES OLVBAGES DE MEMLI>G.
Dans l'avertissement mis en lête de ce volume, j'ai parlé d'une nouvelle pi'euve à ajouter, à toutes celles que j'avais déjà données, pour établir que le peintre de la Châsse de sainte Ursule s'appelait Memling et non pas Hemmeling.
Avant d'administrer cette preuve je crois devoir rap- peler ce qu'à cette occasion disait M. Didron, archéologue distingué, à la suite de mon Etude, imprimée pour la première fois dans le n° de mai 1847 des Annales archéo- logiques, dont il est le directeur ;
« Nous n'avons pas voulu interrompre, par nos remar-
• ques personnelles, cette consciencieuse Etude de M. P. » Hédouin, sur l'un des plus grands peintres qui aient
• jamais existé. Toutefois notre savant ami nous permet- •' ira d'ajouter quelques lignes à la fin de son travail. »
« Quant au nom du peintre, nous tenons pour Hemling. » Vers cette fin du moyen âge, l'H majuscule affecte trois » ou quatre formes différentes, à Bruges même, tandis » que l'M ne nous a paru en avoir qu'une, celle d'aiijour- » d'hni. Sur le tableau de l'hôpital Saint-Jean de Bruges,
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» l'Adoration des Mages, est peinte la signature sui- » vante :
OPVS-IOHANIS-HEMLING
» nous y lisons donc Hemliug et non Memling. »
A notre tour, M. Didron nous permettra de n'être point de son avis^ et de trouver fort peu concluante la manière dont il interprète la signature placée sur le tableau de Bruges.
C'est tomber dans l'erreur la plus complète que de croire qu'à cette époque fM majuscule n'avait qu'une forme, celle d'aujourd'hui. En effet, ainsi que nous l'a- vons dit dans l'étude, l'M du mot Maldeghem, dans les registres de l'hôpital Saint-Jean, et l'M du nom Maria sur la médaille de Marie de Bourgogne, comtesse de Flandres, sont identiquement les mêmes que celle commençant le nom du peintre sur le tableau de VAdoration des Mages. Dès lors, il est certain qu'à la fin du moyen âge l'M majus- cule prenait au moins deux formes. M. Didron avait sans doute, oublié cette partie de noire dissertation, en écri- vant la note que nous venons de citer , car, sans cet ou- bli, pour soutenir l'opinion contraire, il eût cherché à détruire, par des raisons plus ou moins spécieuses, cetîe base déjà si solide de notre argumentation (i).
(l) Le catalogue du Louvre, année 1833, article Memliug, pag« 151, en partageant notre opinion, a groiippé tous les motifs sur les- quels nous l'avions basée. Do pliir^. M. Dinaux vient de trouver dans son excellente bibliothèque, une notice sur les tableaux de l'hôpital Saint-Jean, imprimée on I84''2, do nous inconnue jusqu'à ce jour et dont nous extrayons ce passage : « Son nom doit s'écrne avec un M
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Venons-en niainienani à la nouvelle preuve que nous avons annoncée. Celte preuve nous paraîi de nature à convaincre les esprits les plus rébelles.
Le cabinet du docteur Escalier, à Douai, renferme un petit tableau gothique représentant Jésus portant sa croix, et arrivant à la porte d'une ville paraissant gardée par saint Pierre. Â.utour du cadre vermoulu de ce tableau, on lit l'inscripiion suivante :
« Domine qu6 vadi.s ? Venio romam » Iteruni crucifigi, darap Pierre. «
« Che tabelet fust donné à madame humble et abbesse » de Flioes, dame Jacqueline deLalaing, enl'anlSSO (l).»
D majuscule et non avec un H, comme l'a fait par erreur Descamps » et d'autres écrivains après lui. j>
Ainsi Bruges, la patrie du peintre a définitivement adopté la leçon de Memling.
(I) Notre ami M. Diuaux, qui a examiné ce tableau avec soin, nous remet une note que nous nous empressons de consigner ici ;
0 II semble que le peintre ait voulu représenter une rencontre » entre le Sauveur portant sa croix, et l'apôlre Saint-Pierre s'age- » nouillant devant lui à la porte de la ville de Rome. L'apôtre dit au » Christ : Seigneur, où allez-vous?.. « Je vais à Rome, subir de » nouveau le crucifiement, damp Pierre. » En effet le Christ quoique j> portant sa croix, présente déjà aux mains et aux pieds les stig- » mates des clous qui l'ouï attaché une première fois à l'arbre de la » rédemption. Au premier plan, à droite, on voit la figure d'une » religieuse en prières.
» Cette religieuse ne peut être que Jacquette ou Jacqueline de > Lalaing, 23« abbesse du monastère do Flines, près Douay, qui » compta, dans son sein, trois autres abbesses de son nom et de sa » famille . Elle y entra en 135* , et y mourut le !26 février 1560. »
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Or, voici la partie de celle inscription ayant trait à la question qui nous occupe :
VENIO ROMAH.
On voit que la forme de la dernière lettre du mot romam est identiquement la même que celle de la pre- mière lettre de la signature du peintre sur le tableau de l'hôpital Saint-Jean de Bruges, et que dès lors celte lettre est un M majuscule, et non pas un H. On voit de plus que l'm se trouvant la première dans le mot romam à la même forme que celle d'aujourd'hui, ce qui prouve que vers la fin du moyen âge, et au commencement de la re- naissance cette lettre avait deux formes différentes. Rien de plus clair, de plus concluant, selon moi, que la preuve fournie par cette inscription, et M. Didron est un homme de trop bonne foi pour ne pas en convenir.
A l'avenir donc, le grand artiste brugeois, si mal à pro- jyos débaptisé par Descamps, s'appellera Memling, et son nom ne pourra plus, selon le vers de Boileau :
» Aux saumaises futurs préparer des tortures. »
BRUGES.
« Celte ville brillait d'une telle » splendeur que, pendant le xv™'= » siècle, OEneas Sylvius la mettait » parmi les trois plus belles du » monde. »
Alfred Mitchiel, f histoire de la peinture flamande).
BRK.ES.
Salut, Briige,
Doux refuge, Où des siècles d'autrefois
La peinture,
La sculpture Al'apparaissent à la fois 1 . Ville encor toute espagnole, Mon caprice, mon idole. Dans tes vieux murs le temps vole Comme l'oiseau dans les bois (1).
Là l'ogive
Svelte et vive. Et les treffles des balcons
Se dessinent,
Et lutinent Sur de gothiques maisons ; Des Halles la tour s'élance Dans les airs ! . faisons silence Un joyeux concert commence C'est la voix des carillons.
(1) De toutes les villes de Belgique, Bruges est celle qui a le plus, conservé la physionomie du moyen-âge, des premières années de la renaissance, et de l'occupation espagnole. J'y ai passé en 1841 dix jours dans un ravissement continuel, ut c'est dans la nuit précédant mon départ, au son des carillons de la lour des Halles, (|up j'ai fait ces vers.
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Danioisellcs
Chastes, belles, Pages au si doux paiiei-,
Sur les dalles
De ces salles On croirait vous voir errer ; Charles-Quint vers moi s'avance, Rêvant aux lys de la France, Que son aigle, en sa vengeance, Voudrait pouvoir dévorer (1)'
Ces antiques
Basiliques, Véritables diamants,
Dont la pierre
Statuaire Offre à l'œil mille ornements ; Leur orgue à la voix puissante, Comme un torrent menaçante. Comme un soupir caressante, Ont charmé, ravi mes sens ! . . .
(1) La salle du Franc, mainlenani le palais de justice, renferme une iramense cheminée en bois el marbre, chef-d'œuvre de sculpture. Elle est ornée des statuettes de Charles-Quint, Maximilien et Marie de Bourgogne, entourés des personnages les plus célèbres de leur cour. On a fait le moulage en plâtre de cette cheminée pour la France, et ce moulage rst monté dans une salle du rez-de-chaussée du Louvre.
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Vrai poëte,
Inlerprèie Des légendes de la foi ;
Créalure,
Noble el pure, Ariisie plus grand qu'un roi, Van-Eyck, au pinceau sublime, Dans le transport qui m'anime Des :;ieux je gravis la cime Pour m'incliner devant toi ! (1)
D'un mystère
Qu'a la terre Dieu jusqu'alors dérobait,
Perçant l'ombre
Froide el sombre Van-Eyck ravit le secret ; 0 miracle du génie, L'huile à la couleur unie Donna la force ei la vie Aux chefs-d'œuvre qu'il traçail !.. (2)
Hunjble hospice,
Lieu propice Au laleui vaincu de son,
Ta chapelle
Nous révèle Un admirable trésor 1 .
(1) Van-Eyck, peinirp admirable né à Bruges, donl le musée possède plusieurs ouvrages Son chef-d'œuvre, le tableau de l'A- gneau, esl dans l'église de Sainl-Bavon, à Gand
(2) Van-Eyck passe généralement pour l'inventeur de la peinture à l'huile.
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Pour le fini, pour la grâce, Memling, oh ! non rien n'efface De sainte Ursule la Châsse .... Elle vaut son pesani d'or 11 . . .
Quand l'étoile
Luit, se voile, Ou quand brille le soleil ;
Quand l'orage
D'un nuage Couvre l'horizon vermeil, Comme à Venise, à Séville, Ton aspect, coquette ville, ïe distinguant entre mille, Pour moi, n'a point son pareil ;
Adieu Bruge,
Doux refuge. Où des siècles d'autrefois,
La peinture,
La sculpture M'apparaissent à la fois ; Ville encor toute espagnole. Mon caprice, mon idole, Dans tes vieux murs le temps vole, Comme l'oiseau dans les bois.
BEWEXUTO CELLIOT.
« Il était de l'espèce de ces » heurewx génies qui vont droit » au fait, sans rechercher l'effet » et ["esprit. »
Er.aène Delacroix.
lîKAVEMTO CELLLM.
Si le XVI' siècle a produit un artisie vraimenl remar- quable, sous le double rapport du laleni et du caraclère, c'est cplui dont je m'occupe en ce moment. Orfèvre, sculpteur, graveur, monétaire, écrivain, Cellini, qui vit le jour à Florence, a développé d'immenses facultés dans tout ce qu'il a enti-epris. Sa vie elle-même est la plus aventureuse, la plus contrastée, la plus extraordinaire dont un biographe puisse s'emparer. Elle a tout l'attrait, tout l'imprévu du loman le plus compliqué, et fait puis- samment ressortir cette richesse d'imagination, celte vio- lence passionnée, cette soif inextinguible de célébrité qui firent à la fois la gloire, la honte et le malheur de ce grand artiste. A de telles natures, sortant entièrement des règles ordinaires, on pardonne sans doute beaucoup de fautes; mais Benvenuto ne se borna point à faillir; il fut souvent criminel, et à cet égard, loin de moi l'idée de vouloir qu'on lui accorde un bill d'absolution totale, qu'il n'a certes pas mérité.
Son père, d'après les témoignages des contemporains, n'était pas moins vaniteux que lui. Il voulut, en com- muniquant au pape certains titres apocriphes, prendre rang parmi la noblesse romaine, et ses efforts n'aboutirent qu'à le faire nommer joueur de flûte de Sa Sainteté. Son désir était que son fils suivit aussi la carrière musicale, mais son désir fut trompé : cet enfant indomptable échap- l)aii à toutes les leçons, fuyait tous les jougs, et, poussé
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par une vocation aidenie, courait les champs, visitait les palais, les temples, les ruines, remplissant sa mémoire et son portefeuille de souvenirs et de croquis empruntés à tous les chefs-d'œuvre de la sculpture et de l'architecture. Force fut donc de céder à son entraînement vers l'art du dessin ; on le plaça chez un orfèvre. Ses progrès furent rapides ; en peu de temps il devint le plus habile ouvrier de Florence, pour l'exécution des ouvrages d'or, et d'ar- gent, comme pour la composition des sujets. A peine adolescent, son talent en ce genre était tel, que lorsqu'un grand seigneur s'adressait à Michel Ange afin d'obtenir un projet de pièce d'orfèvrerie, cet homme célèbre le ren- voyait de suite à son petit Benvenuto.
A celte àme sans repos le travail, accompagné du calme et de l'assiduité dans sa ville natale, ne pouvait convenir longtemps : aussi s'enfuit-il avec un de ses camarades, pour aller à Rome, où on le reçut à merveille, car déjà «a réputation était parvenue à un haut degré d'estime dans celte capitale du monde chrétien. Il eut des travaux tant qu'il en voulut ; mais il les mit, par orgueil, à un prix irès- élevé Quand on discutait avec lui sur ce point, c'était en invoquant sa dignité blessée, et i'épée à la main qu'il demandait raison de ce qu'il appelait une injure aux récal- cilraus, quels que fussent leur âge, leur litre et leur rang. Condamné par un tribunal à payer une amende, pour avoir provoqué un de ses clients, il se jelta sur ce dernier en sortant de la salle d\mdience, et Téiendit presque mort sur le carreau. Il fallut se cacher. Bientôt il ap- prend que son frère a été tué, dans une de ces querelles d'opinion si fréquentes au xvi" siècle; il sort vers la nuit de sa retraite, épie le meurtrier, le rencontre et lui en-
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lève la vie d'un coup de stylet. Vingt fois, en pareilles circonstances, il demanda sa grâce, l'obtint, et se mit, le lendemain, dans le cas de la demander encore.
Son immense talent lui valait un brevet d'impunité. Ces adorables fantaisies en or, et en argent, ornées de pierres précieuses , enrichies de figurines , ciselées avec tant de goût et de délicatesse, fascinaient les yeux, les es- prits des juges les plus sévères, lui trouvaient des appuis, des prolecteurs dans ce que l'aristocratie et l'église ro- maine avaient de plus élevé. L'amour des arts était alors poussé jusqu'à la folie par une société livrée au luxe le plus effréné et aux passions les plus vives ! J'amais on n'a fait, on ne fera des coupes, des calices d'or, des pièces de vaisselle, des surtouts de dessert, des cadres de miroir, des bijoux de toute espèce plus beaux, plus fins, plus cha- toyans que ceux de Benvenuto ! Veut on se faire une idée des merveilles que son imagination et sa main enfan- taient?. . 11 ne s'agit que de visiter les vitrines de la salle de notre Louvre, renfermant quelques-unes de ses œu- vres. Il excellait aussi dans la gravure des médailles, des monnaies, et le pape l'avait mis, dans ses étals, à la lêle de leur fabrication.
Ici commence une nouvelle carrière pour Benvenuto Cellini. Un homme traître à la France, et contre lequel Bayard mourant a lancé l'anathème qui déshonore à ja- mais sa mémoire, le connétable de Bourbon, arrive avec s s soldats devant Borne. Accompagné de quelques jeunes artistes, Cellini se retranche avec des canons au campo sancio, dirige le feu, ei frappe à mon, d un de ses boulets, l'i connétable qui monlaii sur la brèche. Oblij;é d aban- donner la position qu'il avaii prise, Cellini fait retraite tout
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en combatianl, el va se renfermer, avec ses amis, au châ- teau Saint-Ange. Alors la poudre, les munitions de guerre deviennent sa passion, occupent jour et nuit son génie ardent. Il trouve le moyen d'imprimer aux projec- tiles une plus forte portée, et, à défaut de boulets, fait rougir des pierres qu'il lance dans les rangs des impé- riaux. Un grand nombre d'ennemis resta sur la place, et le prince d'Orange fut grièvement blessé. Un coniem- porain dit qu'au milieu de ses canons. Benvenuio ressem- blait au Dieu-Mars.
Qand la paix fut faite, il réalisa un projet qui depuis longtemps s'était emparé de sa pensée. La renommée lui avait appris quelle était la générosité, la magniticeuce de François P"" envers les artistes de tous les pays, qu'il se plaisait à réunir autour de son trône. Son imagination s'exalte !.. il a trouvé son mécène !.. il n'hésite donc pas, se met en rouie, et arrive à Saint-Germain, non sans avoir couru bien des aventures bizarres et galantes. Le roi chevalier lui fait le plus bel accueil, veut se l'attacher; mais l'étiquette fatigue, ennuie l'artiste florentin, et sans mot dire à personne, il reprend le chemin de l'Italie.
Eu son absence, le pape qui pour lui s'était montré si bon , si clément, avait cessé de vivre. La ligue des enne- mis de Cellini, jusqu'alors impuissante, entourait Paul III, le nouveau pontife, et jura la perte de l'audacieux dont la conduite indépendante et souvent coupable avait amas- sé tant de haines. Une accusation capitale, celle d'avoir volé, pendant le sac de Rome, une partie du trésor papal, le fit jelter en prison. Devant la commission chaigée de 1 interrogei', il se défendit avec l'indignation dun grand artiste blessé dans ce qu'il a de plus cher, sa probité mé-
connue. Il rappela les services qu'il avait rendus, les dangers bravés par lui ; son innocence sortit de celte épreuve, pure de toute tache flétrissante, et cependant ses accusateurs eurent le crédit de le faire retenir dans les fers. En vain François I'^'^ sollicita, par son ambassa- deur, sa mise en liberté : il ne put l'obtenir. Alors Cel- lini chercha à s'échapper du château Saint-Ange, au moyen d'une corde fabriquée avec du linge. Près de loucher terre il tomba , se cassa la jambe , fut repris et enfermé dans un sombre cachot. Qu'on se figure l'efTet produit par l'isolement, la captivité, l'injustice sur celte imagination fiévreuse, en proie à tous les rêves de la li- berté!! Comme le tasse à Saint-Onuphre, sa raison eut succombé sous le poids du désespoir, si la force de son caraclère. et la religion, qu'au milieu de ses plus grands écarts il n'avait jamais abandonnée, ne fussent venues à son secours. Il eut cependant des visions, des extases et ses nuits se peuplèrent d'images fantastiques. Un Christ mourant, d'une beauté céleste, lui apparut : depuis il réalisa de souvenir, sous une forme matérielle, cette ap- parition, en exécutant ce Christ en marbre blanc, sur une croix noire Sa main couvrit aussi les murs de sa prison de dessins au charbon empruntés à la bible et aux légendaires.
Enfin il arriva un moment où le roi de Fiance , unissant ses instances à celles d'un prince de la maison d'Est, le cardinal de Férare, parvint à faire cesser la cap- tivité de Cellini. Ce cardinal était un de ses admirateurs les plus zélés; c'était lui qui lui avnit commandé, parmi plusieurs autres travaux impuriants, la fameuse salière en or ciselé et émail, ayant appartenu longtemps à la cour de France, ensuite à Ferdinand d'Autriche, auquel Char-
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les IX en avaii (iaii don, cl qu'on volt de nos jours au pa- lais du Belvédère, à Vienne.
La reconnaissance que Cellini devait à François P"", le désir, manifesté par ce prince, de le charger des embellis- sements du château de Fontainebleau, l'engagèrent à re- tourner en France. La leçon si dure qu'il venait de recevoir aurait dû le porter à modifier son caractère, à calmer ses passions, à ménager surtout l'amour propre d'autrui : malheureusement il était incorrigible. Une pension de 300 écus lui ayant été proposée; on le vit s'of- fenser de cette rémunération beaucoup trop modique selon lui. Puis se livrant à un injuste capiice, il acheta un cheval et partit tout-à-coup, afin d'accomplir un pèle- rinage à Jérusalem. Instruit à temps de cotte inconve- nante escapade, le roi fit courir après le pèlerin, et ce ne fut pas sans peine qu'on le lui ramena- Un traitement anûuel de 700 écus, le don de l'hôtel du Peiit-Nesles à Paris, qui devint sa résidence, les paroles les plus flat- teuses parvinrent enfin à vaincre sa mauvaise humeur et son obstination. Il déploya d'abord le plus grand zèle à décorer Fontainebleau ; plusieurs ouvrages d'une beauté merveilleuse, entre autres le grouppe d'Apollon et Hya- cinthe, devinrent les fruits de ce retour vers l'ordre et la sagesse. Cet heureux changement ne pouvait pas être de longue durée : bientôt son naturel capricieux, indomp- table reprit le dessus. Substituant sa volonté à celle du roi, faisant un vase d'argent lorsqu'il lui demandait une statue, il finit par lasser ce prince. Disons qu'il était à peu près impossible de vivre en paix avec un tel honnne, ei qu'une iriilaiion maladive, une inconstance perpétuelle ont plané sur toute son existence. Nous n'en citerons qu'un exemple : pour acquérir les bonnes grâces
— so- dé la duchesse d'Élainpos, Cellini cisèle une magnifique coupe, qu'il lui porle à Saiul-Gerniain. On le lait al ten- dre pendani quelques instants, lui, le giaud Benvenulo, devant lequel tous les appartements devaient s'ouvrira la minute!. . il se courrouce, se répand en propos d'une hardiesse insultante contre la haute dame, la favorite du roi, et court offrir cette coupe au cardinal de Lorraine. Enfin, jaloux du Primatice, mal avec la duchesse, aban- donné de ses protecteurs et de François 1^', il perdit par sa faute la plus belle situation qu'un artiste ail jamais ac- quise, et quitta pour toujours la France.
De retour dans sa patrie, Cèllini reçut l'accueil le plus bienveillant du grand duc de Florence, et son sort eut été très-heureux, s'il n'avait pas détruit, comme à plaisir, toutes les sources de considération, de prospérité jaillis- sant sous ses pieds. Il se montra bientôt en proie à une jalousie furieuse, surtout envers le fils de son premier maître, Baccio Bandinelli, qu'il eût l'intention d'assassi- ner. Chaque jour sa hauteur et ses caprices lui attiraient de nouvelles querelles, de nouvelles disgrâces Des accès d'une dévotion ascétique, il passait à ceux de la débauche la plus ratiince, semant l'or à profusion pour satisfaire à de dangereuses et honteuses fantaisies. Les viiigi-six dernières années de son existence s'écoulèrent dans des alternatives de bonne, de mauvaise fortune, et quelque- fois de gêne touchant à l'indigence. C'est dans cette pé- riode de temps, et lorsqu'il était encore plein de force et de génie, qu'il exécuta le fameux groupe en bronze, re- présentant Persée et Andromède. Lui-même a raconté la manière dont la fonte de ce morceau capital avait eu lieu. 11 s'était couché, dévoré par une fièvre ardente, quand on vint lui dire que le succès de celte opération
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était fortement compromis Sans prendre le lenips de se couvrir, il se jette en bas de son lit, court au fourneau, le remplit de deux cents plats et assiettes en eiaiu, com- posant toute sa vaisselle : le résultai le plus heureux cou- ronne sa hardiesse, et lui rend la santé. Cet épisode de la vie de Cellini a été transporté sur la scène de notre Grand-Opéra; mais il n'a point réussi, malgré la peine que s'est donnée M. Berlioz pour y adapter de la musique ayant un véritable cachet d'originalité.
Après avoir essayé de la magie, encore fort en renom au xvi« siècle, Cellini se livra à de profondes études reli- gieuses, voulut approfondir les livres saints, reçut les premiers ordres de la prêtrise, et se fil tonsurer. Il avait alors cinquante-huit ans. Deux années après il se maria, sans trouver ni le repos, ni le bonheur, car son âme in- domptable et sans cesse troublée, ne pouvait supporter aucun joug raisonnable^
Sa mon arriva en 1551. Llsolemenl le plus complet environna sa couche funèbre, et pas une main amie ne ferma la paupière du grand artiste dont la renommée remplissait l'Europe. Cette fin délaissée est bien triste, sans doute:.. Mais pourquoi n'y verrait-on pas un en- seignement salutaire, donné par la Justice éternelle aux hommes supérieurs, érigeant en principe que, dans la société, le génie, le talent sont au-dessus de toutes les règles, se suflisent seuls, et qu'il est inutile d'y joindre les vertus?. . . .
Les passions les plus nobles et les plus basses se dispu- taient le cœur de Cellini. Ce cœur était un cratère en- flammé, dans lequel bouillonnaient le courage, la gêné-
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rosité , la haine, la vengeance, la luxure, et surtout l'orgueil.
II a écrit ses mémoires avec une chaleur, une naïveté, une vigueur de style vraiment remarquables ! . Le manus- crit en est resté longtemps ignoré ; sa première publica- tion ne date que de 1728. Il existe trois traductions françaises de cet ouvrage. La meilleure est, sans contre- dit, celle de M. Léclanché, traducteur aussi de la vie des peintres de Vasari, avec des notes et commentaires rem- plis d'intérêt, par mon compatriote Jeanron, artiste très- distinffué.
WATTEAU.
ESSAI SUR LA VIE ET LES OUVRAGES DE CE PEINTRE,
SLiVl Dl' CATALOGUE DE SES OECVRES.
» Parée à la française , un jour dame Nature » Eut le désir coquet de voir sa portraiture : )■> Que fit la bonne mère ?. Elle enfanta Watlcau. »
Lahotbe-Houdar
WATTEAU.
Les œuvres du peinire, dont nous allons raconter soni- niairemenl la vie, sont en ce moment l'objet d'une espèce de fanatisme base, en grande partie, sur deux puissances qui ont régné, et régneront toujours en France, la fantai- sie et la mode. De ce que nous venons de dire il ne faudrait pas conclure que nous blâmons la haute estime accordée au talent de Watieau, et que nous le considé- rons comme un peintre médiocre : telle n'est certes pas notre pensée! Mais, en toutes choses l'exagération est dommageable, et quand tous les jours nous voyons mettre un prix excessif à la moindre esquisse de ce créateur des fêtes galantes, au détriment d'artistes plus sérieux, plus complets que lui, nous ne saurions nous empêcher de déplorer un engouement nuisible aux progrès de l'art, et à la juste appréciation de ceux qui l'ont cultivé.
Chez nous, en politique comme en littérature, en mu- sique comme en peinture, l'objet du dédain, du mépris de la veille, devient souvent l'idole du lendemain. Il y a quarante ans, on n'accordait, en général, aucune estime à Watteau ; c'était lui qu'on nommait toujours, lorsqu'il sagissait de signaler le genre faux et manière des ar- tistes du commencement du xyiii*^ siècle. Les magasins
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(le mai'chands do tableaux, les bouiiciiies de collec- leiirs de bric à bvac , renferniaieni beaucoup de ses produciions, doui les meilleures se vendaient, au plus haut prix, 200 francs! Encore n'élaienl-ellos achetées que par des étrangers, ou par quelques rares amateurs s'élonnant, à bon droit, de l'arrêt de proscription pro- noncé contre le pinceau d'un homme qui était loin de mé- riter cet excès d'indifférence. On élève aux nues aujour- d'hui ses esquisses les moins achevées ; on se pâme devant ses moindres pochades! . . Cela me fait craindre que dans quelques années, par suite de l'une de ces réactions en- fantées par le caprice, Waiieau ne. retombe, pour ses admirateurs exclusifs, plus bas qu'il n'était tombé sous l'empire. Déjà Boucher, artiste d'une facilité et d'une verve incontestables, dont l'école de David s'était tant moqué, et qui depuis avait reconquis une assez haute fa- veur, perd tous les jours de ses partisans, et commence à se vendre assez mal. Il en sera de même, je le crois, du peintre de V embarquement pour Vile de Cythère, quoi- qu'il ait une valeur bien plus grande que Boucher, et figure, en son genre, avec éclat, dans le cabinet de tout homme de goût.
C'est parceque nous ne partageons, pour toutesles pro- ductions de Watteau, ni le délirant enthousiasme, ni l'injuste dédain de ceux qui fuient tour à tour ses pané- gyristes et ses détracteurs outrés, que nous avons voulu retracer les circonstances de sa vie, si peu connue, e' nous livrer à quelques considérations sur son talent. En prenant pour guide la modération, nous ne nous dissi- mulons pas que ce sera le moyen de ne satisfaire que^peu de personnes ; mais nous nous consolerons de ce résultat.
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vn nous roliigiam ihins l'iniparlialiK'. ila bonne foi, ol le désir clV'iiv ulile, qui vonl dirigor noire plume.
II.
La naissance de Watteau ftit obscure. Celle circon- stance ajoute à son mérite; car pour parvenir au tident qu'il a possédé, dans une position sociale où tous les moyens d'éducation lui manquaient, il a fallu que la nature l'eut véritablement créé peintre. Son père était maître cou- vreur à Valenciennes, ville du Hainaut, où notre artiste naquit en 1684 (1). Son enfance fut malheureuse et maladive ; toutes fois, dès l'âge de 5 à 6 ans, le goût de la peinture se déclara en lui, et devint bientôt une passion. Lorsqu'il avait un instant de liberté, il s'échappait de la maison paternelle pour aller dessiner sur la place les scènes comiques jouées par les charlatans et les batte- leui's parcourant les provinces. On riait alors en France, et c'était encore le bon temps. Le peuple ne s'occupait pas de politique ; l'arrivée dans une ville de pierrot, de cassandre, de coiombine, et d'arlequin, était un événe-
(t) C'est avec beaucoup rie peine que nous avons pu trouver l'ex- Irail d'acte de baplénae de Walteau, né paroisse Sainl-Jacques. Le voici lextuellemenl : a Le 20 d'octobre 1684, fut baptisé Jean- !> Antoine fils légitime de Jean Walleau et de Mictiello Lardonois, sa » femme. Signé le parain Joan-Antoine Baiclie, la marène Anne > Maillion. &
Note fournie pai M. A. Diiiaus,
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ment donnani des jouissances que la lecinre »le loiiles les gazelles du monde ne vaudra jamais. Ces premières im- pressions de la vie de Walleau, ces premiers modèles d'imiialion, dccidèrenl du genre que depuis il a, en grande partie, adopié. Le théàire de la foire, les parades en plein venl, furent pour lui ce que les bohémiens et les grotesques avaient été pour Callot. En effet, il esi peu de ses toiles, de ses dessins où l'on ne rencontre un Gile, an Scaramouche, une Isabelle. Il a placé de ces person- nages vénitiens et bergamasques au milieu des paysages les plus frais, des parcs les plus élégants; et comme il était faiiiasque, il a quelquefois choisi pour théâtre de leurs ébats un cimetière.
Au premier abord, ce qui pourrait paraître étonnant dans le choix de semblables héros donl la présence n'ins- pire ordinairement que le gros rire et la gaieté, c'est que Walleau éiait d'un caractère morose et atrabilaire. 3Iais quand on vient à réfléchir sur les mystères de l'àme, on demeure persuadé de cette vérité, (|ue les hommes d'élite se plaisent à tout ce qui contraste avec leur organisation. C'est ainsi que Molière si grave, si triste, se montra le plus plaisant des auteurs dramatiques dans ses immortels écrits , et joua avec succès les rôles comiques ; que Cré- billon, donl l'amusement journalier éiait de badiner avec de petits chats, et donl les habitudes étaient celles d'un grand enfant, déployait dans ses noires tragédies toutes les nuances de la terreur; que Carlin Bcrlinazzi, atteint du spleen au plus haut degré, faisait pouffer de rire, par ses lazzi , les habitués du théâtre des iialiens. Il y a d'ailleurs une énorme différence entre celte hilarité de caractère douce, naïuielle, coustanif, (jne certaines per- sonnes portent toujours dans le monde, et cette disposi-
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lion que les anglais appellent humour, originaliié : la première tient au lempéramment, la seconde à l'esprit. On peut donc avoir l'àme fort mélancolique, et dire, faire les choses les plus plaisantes. Ces choses auront un effet d'autant plus saississani que personne ne s'y sera attendu •, elles frapperont l'imagination comme ces lumières vives, transparentes qui, s'échappant des fonds obscurs des ta- bleaux de Rembrandt, viennent tout à coup éblouir les yeux.
Le père de Watteau s'appercevant du goût qui l'entraî- nait vers le dessin, le plaça, à l'âge de quatorze ans chez un peintre de Valenciennes de fort peu de talent. On a l^ensé, mais à tort, que ce peintre était Gérin, auteur de quelques toiles ayant autrefois décoré les églises du Hai- naut. Watteau ne resta que peu de temps dans l'atelier de ce premier maître. Mécontent d'une conduite qu'il attribuait à l'inconstance, son père le traita durement, et lui déclara que l'état de gène dans lequel il se trouvait le mettait dans l'impossibilité de continuer à lui venir en aide
Watteau faiigué d'une domination blessante pour la fierté de son caractère, et animé du désir d'avancer dans un art qui s'était emparé de toutes ses facultés, quitta la maison paternelle. Il se dirigea vers Paris, où il arriva dans un dénumeul complet, sans linge, sans argent, perdu dans ce vaste désert d'hommes, et ne sachant où trouver un asile.
Après avoir passé quelque.-» jours en proie à la misère la plus profonde, el ne mangeant qu'un morceau de pain acheté du produit de la vente de son ciiapeau, le hazard
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lui fil rencontrer Meteyer, arlisie médiocre, peignant le décor, qui consentit à le recevoir dans son atelier. Bien- tôt il fallut ne plus compter sur cette faible ressource, car l'ouvrage vint à manquer Alors Walteau entra chez un autre peintre, vrai barbouilleur d'enseignes, lequel faisait exécuter par de jeunes élèves des tableaux de pacotille, afin de les vendre en gros à des spéculateurs.
En ce temps là, comme de nos jours, l'un des plus no- bles de tous les arts était souvent une affaire de métier et de marchandise. De petits portraits ovales de person- nages célèbres à la cour, des sujets de dévotion, se ven- daient à la douzaine à des juifs brocanteurs, qui les pla- çaient en province à des bénéfices peu élevés. Les églises de Bourgades, les gentilhommières, les maisons des particuliers un peu aisés, étaient couvertes de ces déplorables productions dont on rencontre encore le spé- cimen dans toutes les parties de la France. Le nouveau maître de Watteau tenait le premier rang parmi les indus, triels s'occupant de ce triste commerce. Souvent il avait sous ses ordres une vingtaine de rapins barbouillant du malin au soir des toiles, des panneaux, et n'appréciait leur mérite que suivant le plus ou moins de promptitude qu'ils mettaient à achever le travail qui leur était confié. Chacun d eux avait sa tâche : les uns peignaient les fonds, d'autres les ciels ; ceux-ci faisaient les tètes, ceux-là les draperies. Enfin il y en avait dont l'occupation princi- pale consistait à accuser les ombres, et à poser les blancs.
On conçoit le désappointement du pauvre Walteau tombant au milieu de celle ignoble fabrique!.. Mais il fallait vivie : la nécessité le força de dévorer les ennuis, les dégoûts de ce houleux a|)prentissage. Les artistes de
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notre siècle d'ambition, d'exigence et de luxe, ne devine- raient jamais k quelles privations notre malheureux pein- tre se trouvait alors réduit ! pour le travail constant d'une semaine, il ne louchait que trois livres tournois le samedi. Il est vrai que par une faveur particulière ^on maître vou- lait bien le gratifier d'une éccuclée de soupe chaque jour. Celte faveur, il la devait à la prestesse, à la facilité de son pinceau qu'il appliquait à tous les genres. A cette époque de sa carrière, son véritable triomphe était toutes fois la représeniaiion de l'image du bon saint Nicolas, ce pro- tecteur de l'enfance, dont le créilil, parmi le peuple, était alors sans pareil 1 Aussi ses camarades l'avaient-ils nom- mé premier peintre de l'évêque de Myre. De son côté Waiteau répétait souvent avec un sourire, à la fois triste et sarcastique : « Je sais mon saint Nicolas par cœur, el )) pour le reproduite je n'ai pas besoin de modèle. »
Quel bonheur pour lui lorsqu'arrivait le dimanche ou un jour de fètel lorsqu'il lui était permis de secouer le pesant fardeau auquel la misèie l'avait soumis, et de mar- cher dans sa force, et dans sa liberté !.. Armé de crayons et de papier, il allait au hazard dans les rues et les envi- rons de Paris, saissanl et dessinant sur son passage tout ce qui lui offrait un cachet d'élégance, de pittoresque et d'originalité. Femmes du monde, villageoises, militaires, abbés, robins, savoyards, musiciens et acteurs ambuians se fixaient tour à tour dans des esquisses faites avec une finesse et une facilité merveilleuses. Par un beau soleil d'été, une nébuleuse matinée d'automne, il se plaisait à errer à travers les champs et les bois, à éiudier les effets de la lumière el des ombres, les accidents de terrain, le mouvement onduleux des cieux, le f» uillé des arbres; il s'enivrait du parfum des lleurs, de la senteur des herbes,
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el surtout des coulouis si fiches, si variées dont Dieu a paré la nature. C'est à ces promenades solitaires, à cette observation profonde de tout ce qui frappait ses yeux, qu'il doit celte étonnante prestesse de dessin, cette vérité de détails, celte fécondité, et principalement ce coloris solide et brillant, qualités dislinclives de son pinceau.
Ces études ne tardèrent pas à lui révéler ses forces, et à lui faire sentir combien était déplorable l'emploi de sou talent au profit du propriétaire de la fabrique de tableaux dans laquelle il travaillait.
Quelques ouvrages de Gillot étant tombés sous ses re- gards, il se présenta chez lui, sollicitant la faveur de s'adjoindre à ses travaux, et de profiter de ses conseils. Gillot l'acceuillit avec bienveillance. L'ayant mis à l'é- preuve^ il parut enchanté de ses dispositions et lui ouvrit la porte de son atelier.
Ce fut alors que Watteau commença à donner des gages certains du talent que depuis il a déployé. Disons toute- fois que la fréquentation el les enseignements de Gillot, peintre de mode et de fantaisie, ne lui furent utiles que pour acquérir les procédés matériels de l'art. En effet, que pouvait-il puiser à l'école d'un tel maître, quant à la partie morale et poétique de la peinture? seulement un certain goût pour les scènes familières d'une société d'exception, étudiée au point de vue des mœurs de la comédie italienne, dont il a empreint un grand nombre de ses tableaux. S'il avait été dans d'autres conditions d'existence, et recevant les Ie<,ons d'un artiste sérieux, nous ne doutons pas qu'avec les trésors d'intelligence dont la nature l'avait comblé, il n'eut abordé avec succès le genre élevé, et les compositions historiques.
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Cependanl 1;> paix ne dura pas longtemps cnlre l'élève el le maître. En fail de caractères, les moralistes l'ont avec raison répcié : « il n'y a que les contrastes qui pro- duisent l'harmonie. > Or, Gillol et Walteau se ressem- blaient par une foule de points. Tous deux élaienl bizar- res, fantasques, susceptibles à l'excès. De là il résultait, qu'à cause même de ce rapport dans leurs humeurs, il y avait entre eux incompatibilité. L'amour propre qui nous ferme presque toujuuis les yeux sur nos défauts, nous les ouvre sur ceux des autres, el nous les rendent insuppor- tables. L'homme colère ne s'entendra jamais avec un antagoniste colère comme lui : il sera d'autantphis disposé à lui imputer à faute ce délire momentané, que lui-même l'aura ressenti.
Gillot et Watleau ne tardèrent pas à offrir une nouvelle preuve de celte triste vériié. L'aigreur, la défiance s'em- parèrent de leurs âmes, à ce point qu'ils ne pouvaient passer quelques instants ensemble sans se quereller. Plusieurs de leurs contemporains ont prétendu que dans leur mésinlelligence, Gillol avait eu le plus de torts. '< Il était devenu, disenl-ils, enlièremenl jaloux de son » élève, et celle jalousie fut la principale cause de leur » séparation. » Quoiqu'il en soit Walteau quitta son ate- lier avec une gi-ande satisfaction, pour entrer dans celui d'Audian, au Luxembourg.
Les camayeux, tableaux peints d'une seule couleur, et les arabesques avaient alors la vogue. Peu de personnes riches se dispensaient d'en faire décorer les plafonds et les boiseries de leuis appartements. Dans ce genre, Audran était un homme habile. Tiouvant en Walteau un jeune peintre dont l'exécution promple, el féconde,
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lui procurait de nomtreux avaniages, il se plul à lui rendre l'existence douce et agiéable.
Pendant un certain temps Watteau prit du goût pour ces ornements ; il en décora un assez grand nombre d'Uôtels de Paris et de châteaux de ses environs. On voit encore reparaître, dans les ventes publiques, des pan- neaux peints par lui, à la manière d'Audran, et les ama- teurs les achètent à des prix assez élevés. Pourquoi dissimulerions-nous à cet égard notre pensée? Ici, c'est le nom de l'artiste en faveur que l'on paye, c'est la fantai- sie qui crée la valeur; car ces caprices, mélange de feuillages contournés, de figures pastorales ou grotesques, de personnages à têtes de singe, ne seront jamais recher- chés par les hommes d'un goût pur et délicat. Si Watteau n'avait occupé son pinceau qu'à produire de telles bam- bochades, il y a longtemps qu'il serait oublié.
Faisons toutefois une exception pour les peintures du cabinet de Chantilly, parce que ces peintures destinées à stygmaiiser les désordres, les débauches élégantes de la cour, présentent une satyre vraie, animée, appartenant à la chronique intime d'une époque de scandale et de dépra- vation.
Au surplus Watteau ne tarda pas à se dégoûter de pein- dre le décor, et de travailler toujours à la remorque des idées d'autrui II avait le presseniiinent de son génie, et le moment était arrivé de montrer enfin ce qu'il était ca- pable de faire.
Ses travaux pour Audrau lui laissant quelques loisirs, il peignit, en cachette, un départ de troupes. Qu'on juge de l'étonnenieni d'Audran à ^aspo^•l do celte composition,
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l'iioe des plus originales, des plus remarquables de Wai- leau! . . . Dans le premier moment, il ne put cacher l'ad- miration qu'il ressentait ; mais bientôt, craignant de perdre un collaborateur dont le talent lui était de la plus grande utilité, il modéra son enthousiasme : « C'est bien, lui >• dit-il, et cependant je vous conseille de ne pas perdre » votre temps à faire de ces pièces peu goûtées aujoui'- » d'hui, irès-difliciles à placer, et de vous attacher plus •> que jamais au genre pioductif exploité par nous en » commun. »
Watteau ne fut pas dupe de cet avis intéressé. Ce qui venait de se passer, entre son maître et lui, augmenta son désir de se rendre indépendant. Il prétexta donc la né- cessité de se rendre à Valenciennes, afin de revoir ses parents, de régler quelques affaires, et il sortit de chez Audran.
On ne voyage point sans argenl : Watteau n'en avait pas, et son unique ressource était son tableau, dont il ne savait comment tirer partie. Il eut recours à Spoude son compatriote, son ami qui faisait aussi de la peinture à Paris. Spoude montra le tableau à un sieur Sirois, et celui-ci l'acheta de suite soixante livres, prix demandé par l'artiste. Rappelons, en passant que celle œuvre ca- pitale, ornant aujourd'hui l'un des plus beaux cabinets d'Angleterre, a depuis été vendue successivement jusqu'à 12,000 flancs.
Le pauvre Watteau, eiM-hanté de sa bonne fortune, partit gaiement pour Valenciennes, persuadé que soixante livres constituaient un trésor inépuisable.
De son côté Sirois lut tellement satisfait du marché
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qu'il venait de conclure, que, dans sa magnificence, il lui commanda un second tableau, de même genre, dont U fixa le prix à deux cents livres. Ce tableau, peint en peu de jours, représente wie halte cïarmée, et fut, ainsi que le départ de troupes,, gravé par le célèbre Cochin.
Les premiers instants passés à Valenciennes ne furent pas sans charmes pour Waiteau. Au milieu de ses bizar- reries il avait le cœur bien placé, et le souvenir de son père, de sa mère, de» lieux où il avait pris naissance, ne s'était jamais effacé de sa mémoire. Quoique modeste, il était doucement flatté des éloges donnés par ses com- patriotes à ses progrès. Cependant l'inconstance de son esprit, le peu de mouvement et de distraction que lui of- frait une ville de province, où il ne rencontrait rien, sous le rapport de l'art, pouvant l'animer, lui servir de point de comparaison, le déterminèrent à revenir à Paris. Sa réputation d'ailleurs commençait à s'y établir ; les deux tableaux dont nous venons de parler avaient fixé l'atten- tion des connaisseurs. A peine de retour, les commandes lui arrivèrent de plusieurs côtés à la fois.
Parmi les amateurs distingués habitant alors la capitale, on remarquait surtout M. de Crozatqui, en fuit de dessins, de tableaux rares, possédait de véritables trésors. Cet homme aimable, spirituel, affectionnait les artistes, se faisait un plaisir de les encourager, de les aider de sa bourse, de ses conseils, et de leur communiquer, avec une grâce parfaite, les chefs-d'œuvre renfermés dans son cabinet. De nos jours, on rencontre bien peu de ces mécènes éclairés et désintéressés. Le nombre fort res- treint de nos amateurs, ou soit disant tels, appartenant à l'aristocratie bourgeoise, en offre plusieurs ne s'adressani
aux pinceaux de nos jeunes artistes que par un seniimeni de vanité, et marchandant les fiuits de leurs veilles, aûn de se les procurer au plus bas prix. Ce n'est pas de la noble et généreuse protection (ju ils font, mais du com- merce. En effet, combien n'en a-l-on pas vu, après une ou deux années de possession, revendre les œuvres qu'ils avaient acquises, le double elle triple de la somme qu'elles leur avaient coûtées?. . presque tous n'ont aucun goût, aucune connaissance de l'art auquel ils veulent bien ac- corder un azile dans leurs somptueux hôtels. Nous pour- rions citer un de ces hauts et puissants seigneurs de la finance, n'ayant de l'intelligent Samuel Bernard que son origine, et qui, sans l'aide de l'un de ses secrétaires, ne pourrait nommer le peintre bien connu de tel ou tel ta- bleau enrichissant ses vastes salons.
M. de Crozat ayant justement apprécié les premiers ouvrages de Watteau, l'engagea à prendre un apparte- ment dans sa maison, et à faire des études sur les excel- lents morceaux de grands maîtres qu'elle renfermait. Ce fut avec joie que notre artiste profita de cette offre bien- veillante.
Avec quelle avidité, quel sentiment d'admiration ne se Uvra-t-il pas alors à l'examen minutieux, réfléchi, et même à la copie des œuvres les plus belles du cabinet de M. de Crozat !.. Il vivait là au centre d'un monde selon son imagination et son goiît, passant de la fréquentation des peintres italiens, à celle des peintres flamands ou français; les interrogeant sur les procédés les plus mys- térieux de leur art, se pénétrant de leur substance, et acquérant chaque jour des qualités nouvelles
Pourquoi faut-il (pie le caractère de Watteau ne hii ait
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pas permis de profiler longtemps d'une situation aussi agréable, aussi avaniageuse ?. . Ici vraiment son t*xcen- tricilé ne saurait avoir d'excuse, car, au dire de tous ses contemporains, M. de Crozat lui laissait une entière li- berté. Il y a plus, on le voyait supporter avec une patience, une douceur pleines de délicatesse, les accès de morosité de son protégé
Le besoin maladif de changer de place, l'amour de l'in- dépendance élevé jusqu'à la manie, entraînèrent Walteau loin d'une maison où il pouvait vivre si heureux. Il voulut végéter obscurément, au gré de son caprice, et se retira dans un petit appartement, chez Sirois, acquéreur de ses deux premiers tableaux, lui annonçant qu'il ne recevrait personne, et lui défendant de donner son adresse à ceux qui la lui demanderaient.
Les circonstances, assez singulières, qui amenèrent sa réception à l'académie royale de peinture et de sculpture, se rattachent à cette époque de son existence. Depuis qu'il avait vu et étudié les œuvres des grands maîtrts, le désir de visiter l'Italie s'était fortement emparé de sa pensée. Admirant surtout les peintres vénitiens, dont le coloris rempli de chaleur, d'éclat, sympathisait avec son organisation, il voulait s'identifier à leur manière sous le beau ciel où ils avaient enfanté tant de chefs-d'œuvre. Venise, Rome et Florence occupaient ses rêves ; mais pour pénétrer dans cette terre promise, ce paradis de son imagination, il fallait des ressources pécuniaires, dont il était entièrement dépourvu.
Un seul moyen d'y suppléer était offert à Watteau, celui de solliciter et d'obtenir la pension du roi. Afin d'atteindre ce but, il prit la résolution de faire transporter
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les deux tableaux vendus à Sirois daus la salle d'exposi- lion de racadéniie. Il clioisil le jour où les membres tenaieni séance, et sans proneurs, sans amis, sans autre recommandation que ses ouvrages, il altentit, dans cette salle, le cœur palpitant de crainte et d'espoir, l'arrivée de ses juges.
Son attente ne fut pas de longue durée : les artistes se rendant à la séance remarquèrent ses deux tableaux, et se monirèrenl justement étonnés de la révélation d'un talent dont le nom leur était tout-a-lait inconnu.
De Lafosse, jouissant alors d'une grande réputation , donna, plus qu'aucun autre, une attention sérieuse à ces productions, rappelant, par la vigueur du coloris, Tbar- monie de l'ensemble, les œuvres des vieux peintres fla- mands. « De qui sont ces tableaux, dit-il, au gardien de ■• la salle d'exposition? >' — « D'un jeune homme, répon- » dit celui-ci, qui prie MM. de l'académie de vouloir bien » intercéder auprès du roi, et de lui faire obtenir la pen- j) sion, afin qu'il puisse aller étudier en Italie. " — « Faites entrer ce jeune homme répliqua De Lafosse. » Waileau s'avance, sa figure timide, son maintien modeste préviennent en sa faveur. D'une voix entrecoupée il ex- pose sa demande, en déclarant qu'il serait le plus heureux des hommes, si on le jugeait digne de la grâce qu'il sol- licitait. « Eu vérité, mon ami, lui répond De lafosse, • avec raccenl de la bienveillance, vous ignorez votre » talent, et vous vous défiez de vos foices . . . Croyez- » moi, par Dieu, vous en savez plus que nous!... Il » n'est personne ici ne vous trouvant fait pour honorer » notre académie. Soumettez-vous a nos règlements, eu » effectuant les démarches d'usage : déjà nous vous re-
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» gardons comme étant un des noires. » Waileau se relira comblé de joie, fit ses visites, et ne tarda pas à être agréé, sous le litre de peintre des fêtes galantes.
Il est d'autant plus doux de reposer sa pensée sur celte conduite noble, généreuse, des anciens membres de l'académie royale, que Walieau devait être à leurs yeux un novateur, un rival dont les succès pouvaient leur êlre très-nuisibles. . . qu'il y a loin de cette protection désin- téressée, accordée au talent sortant des sentiers battus, s'avançant dans un nouveau monde, à ce dénigrement systématique dont certains lauréats immobiles de la pein- ture empire ont usé, de nos jours, envers de jeunes athlètes pleins d'avenir? Le libéralisme de ces vétérans de l'école gréco-romaine, ne ressemble-l-il pas à celui de ces soit-disant constitutionnels ne voulant de l'indépen- dance et de la gloire que pour eux, leurs amis, et leurs imitateurs?. . .
II.
Cependant, la nouvelle dignité que Walteau venait d'ob- tenir ne lui donna pas plus d'orgueil. Sa vie n'en fut pas moins retirée. Il est même à remarquer qu'à partir de ce moment, il se monlra plus mécontent que jamais de ses productions. Les éloges qu'on leur donnait excitaient son dégoût, son impatience, et ces sentiments étaient chez lui d'une sincérité qu'on ne saurait croire affeclée. En effet, tantôt il effaçait des toiles achevées et très-jolies, dans lesquelles il lui paraissait lout-à-coup y avoir mille
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dcfauls ; laïUùt aussi il refusait de vendre à des prix avaniageux, des œuvres fort gracieuses, soulenani avec lenacilé qu'elles n'avaieni aucune valeur. Rien de co- mique comme sa querelle avec un riche anglais, qui lui arracha des mains un pelii tableau et se sauva, laissant sur sa cheminée vingt-cinq guinées. Watteau qui s'obs- tinait à détruire cet ouvrage, poursuivit l'anglais jusqucs dans la rue, jurant et maugréant, comme s'il eût eu affaire à un voleur. Enfin, de guérie las, il remonta chez lui, et se mit au lit, tellement irrité, qu'il fut malade pendant plusieurs jours.
Watteau ne fit point le voyage de Rome malgré son désir d'abord si ardent de visiter 1 Italie. Peut-être fut-ce un bonheur pour lui. N'est-il pas à peu près démontré par l'expérience que les artistes, allant étudier en ce pays, se livrent à l'imitation scolasiique des peintres ultramon- tains, et perdent ce cachet de personnalité, qualité si pré- cieuse dans tous les arts?. . Poussin et Claude Lorrain ont seuls résisté à celte épreuve, parce qu'ils devaient à la nature une force de création que le contact des œuvres d'autrui ne pouvait altérer. Pour enfanter d'admirables ouvrages, le peintre, homme de génie, n'a pas besoin de quitter la France. Lesueur et Prudhon nous en offrent la preuve.
Le changement de résolution de Watteau tenait à la fois à sa mauvaise santé, et à son caractère variable et inconstant. 11 ne pouvait habiter longtemps la même demeure ; du jour au lendemain on le voyait prendre en dégoût l'idée qu'il avait caressée avec le plus de passion. Au lieu de se rendre en Italie, il se décida toui-à-coup à s'embarquer pour l'Angleterre.
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A Londres, où ses tableaux ëtaienl déjà irès-recher- chés, la vogue ne tarda pas à le combler de ses faveurs. La haute aristocratie lui fit de nombreuses commandes, qui l'eussent conduit à la fortune, s'il n'avait point com- mencé à ressentir les premières atteintes du mal devant l'enlever plus tard à ses admirateurs. Arrivé en Angle- terre en 1720, le climat chargé de brouillards et d'humi- dité, la vapeur du charbon, hâtèrent en lui le développe- ment d'une affection de poitrine qui le força de revenir à Paris en 1721.
A partir de ce moment son existence ne fut qu'une longue maladie de langueur ; ses forces diminuèrent chaque jour. Mécontent de lui-même el des autres, ne se trouvant bien nulle part, coniinuellement il changeait de lieu, formait de nouveaux projets, traînant partout l'ennui, le mal qui le dévorait, et livré à mille résolutions con- tradictoires, sujets d'affliction et de tourment pour ses amis les plus dévoués. Jamais cependant il n'abandonna ses pinceaux. Plusieurs toiles remarquables sortirent alors de ses mains pour aller enrichir les cabinets des connaisseurs. Nous citerons entre autres ce fameux pla- fond, qui fut d'abord une enseigne faite pour Gersaint, dont l'ordonnance était si élégante, les groupes si bien entendus, la couleur si harmonieuse, si chaude, et que tout le monde se plaisait, après sa mort, à admirer dans la galerie de M. de Julienne.
Watteau pensa que le séjour de la campagne lui serait favorable : le désir de l'habiter devint son idée fixe. Dans tous ses projets il se mêlait de la passion et de l'irritabi- lité ; aussi ne retrouva-t-il un peu de calme que lorsque M. Lefebvre, intendant des menus, lui eut offert une re-
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traiie dans sa jolie maison de Nogeni sous Vincennes. Il dm ce bienfaii aux solliciiaiious d'un ami des arts, M. l'abbé Haranger, qui lui lémoigna toujours l'atfeciion la plus sincère.
III.
C'est ici le lieu de parler des élèves de Watteau, Lancrel et Pater, devenus ses imitateurs. Le premier né à Paris, homme aimable et de bon ton qui fit son chemin dans la plus haute société , avait commencé par recevoir des leçons de Gillot. Il s'attacha ensuite à Watteau, dont il étudia et reproduisit la manière et le genre avec tant de succès, que ses ouvrages font illusion aux yeux de cer- tains amateurs les prenant pour ceux du maître. Lancret est un peintre agréable , d'un coloris flatteur quoiqu'un peu gris, et dont quelques compositions, (de ce nombre est le repas italien), sont riantes, adroites, assez spiri- tuelles; mais il n'a ni cette finesse de touche, ni la facilité de dessin, ni la couleur éiincelanie et vigoureuse de l'ar- tiste Valenciennois. On a prétendu que ses succès avaient excité la jalousie de Watteau qui, quand on lui parlait de Lancret, répondait en faisant la moue : " Oui, c'est le » plus parfait de mes singes ! »
Nous éprouvons de la répugnance à admettre celte épi- gramme, de la part d'un artiste, très-morose, très-bizarre sans doute, mais en général juste envers ses rivaux, et modeste à l'excès, en ce qui concernait ses ouvrages. Que Lancret se soit brouillé avec Watteau, c'est un fait
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avéré, iic clevaiil pas surprendre, lorsqu'on vient à r(';llé- ehir sur la diflîcullé qu'il y avait de vivre longlemps en |)aix dans l'inlimilé de ce dernier; (andis que prêter à cette brouille le motif d'une basse envie, c'est, selon nous, calomnier à la fois le talent et le caractère de Watieau.
Pater, sou second élève, était originaire comme lui de Valenciennes. Médiocre sculpteur, son père l'envoya fort jeune à Pari^, et le confia à Waiieau, dans l'espoir qu'en qualité de compatriote, il lui donnerait des soins particuliers, et développerait les facultés qu'il avait reçues de la nature. Or, Pater ne pouvant supporter l'humeur dure et impatiente de son maître, le quitta au bout de quelques mois.
Né avec le sentiment de la couleur propre aux artistes flamands, plus varié dans ses compositions, et moins sec dans le irait que Lancrel, Pater avait tout ce qu'il fallait pour devenir un excellent peintre. 3Ialheureusement l'absence d'études sérieuses quant au dessin, le désir de gagner beaucoup d'argent en peu de temps, ont imprimé au plus grand nombre de ses tableaux un cachet de négli- gence et de hâte nuisant essentiellement à leur perfection. Aussi, étaient-ils tombés après sa mon, à des prix fort bas. Watteau avait rendu justice à ses qualités : ce qui le prouve, c'est que dans les derniers jours de son existence, se reprochant de l'avoir, par ses procédés désagréables, éloigné de son atelier, il lui écrivit afin de l'engager à venir le trouver Nogent. Pater se hâta de répondre à l'appel du maître, travailla sous ses yeux, et reçut des conseils précieux dont il conserva le plus reconnaissant souvenir.
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Cependani la maladie de Waiteau deveiiaii de moinem en moment plus sérieuse. Il crul que l'unique moyen d'en ai rèier le cours éiail d'aller respirer l'air nalal. Pour y parvenir il fit inventorier et vendre son mobilier, dont le produit s'éleva à 3,000 livres. Il y joignit 6,000 livres gagnées en Angleterre, placées par son ami M. de Ju- lienne, et se disposa à partir, aussitôt que ses forces le lui permettraient. Ses espérances furent trompées, car chaque jour il s'affaiblit d'avantage.
Lié d'amitié avec le curé de Nogent, excellent homme, dont la figure agréable, naïve et joviale, avait un certain type de niaiserie tout-à-i"ait comique, Waiteau s'était plu à reproduire ses traits dans plusieurs de ses tableaux, en lui donnant le costume de Gilles. Lorsque ce bon curé vint lui administrer les derniers sacrements, noire pauvre peintre regarda comme un devoir de s'accuser de cette innocente malice. A la suite d'un évanouissement assez long, il rouvrit un instant les yeux, et repoussa le cruci- fix que son ami avait approché de ses lèvres : « Comment, » dit-il, d'une voix défaillante, a-t-on pu représenter » aussi mal l'image d'un Dieu. > Ce furent ses dernières paroles, et elles révèlent tout entier le sentiment de fart qui ne s'éteignit qu'avec lui.
Quelques heures avant sa mort, il voulut laisser un té- moignage de son affection à ceux qui, malgré ses bizar- reries, n'avaient cessé de cultiver sa société, et de lui donner des preuves d'un tendre intérêt. Afin d'accomplir cette intention, il réunit ses dessins, esquisses et projets de tableaux, en exprimant la volonté qu'ils fussent par- tagés entre MM. de Julienne, Haranger, Hénin et Gersainl. Ce dernier vœu d'un mourant reçut une fidèle exécution.
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IV.
Walieau était de taille moyenne, et d'une sanlé très- délicate. Ses traits, assez agréables dans leur irrégula- rité, décelaient une àme mélancolique et un esprit fin et frondeur.
Il existe de lui trois porirails faits de sa main, qui ont été gravés, et dont l'un est en pied, le second a nii-corps, et le troisième en buste. Le premier est inconleslab\e- ment le plus remarquable ; c'est un véritable tableau de genre. Il appartenait à M. de Julienne, et l'on assure que maintenant il est dans un riche cabinet d'Angleterre. Le peintre s'est représenté la tête un peu penchée tenant de la main gauche une palette et des pinceaux. Au- dessous se trouve M. de Julienne, assis et jouant du violoncelle. Le lieu de la scène est une partie de parc ou de jardin on ne saurait plus agréable. Un cahier de musique entr'ouvert, un chapeau reposent sur le gazon. A quelques pas de ces accessoires est placé un chevalet, sur lequel se développe l'esquisse à peine indiquée, du tableau en projet. Tardien en a fait la gravure, et tout le monde peut la voir au cabinet des estampes de la bi- bliothèque royale. Elle est exécutée avec beaucoup de soins, et donne l'idée la plus avantageuse de l'œuvre qu'elle reproduit. Au bas on lit ces vers de M. de Ju- lienne qui, s'ils ne font pas l'éloge de son talent poétique, témoignent du moins de ses sentiments d'estime, d'affec- tion pour l'artiste :
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-' Assis auprès de loi, sous ces charmants ombrages, • Du temps, mon cher Waiieau, je crains peu les outrages} » Trop heureux, si les irails d'un fidèle burin, » En multipliant tes ouvrages, » Instruisent l'univers des sincères hommages » Que je rends à ton art divin ! »
Quant au caractère de Walteau, nous ne pouvons que résumer ici ce que nous avons déjà dit. La tristesse, le besoin de changer de lieu, l'inquiétude, le caprice en for- maient les bases. Entier dans ses volontés, libertin d'esprit, mais assez sage dans ses mœurs, son état habi- tuel participait de l'impatience, poussée souvent jusqu'à la rudesse, et de la timidité. Son abord froid, embar- rassé, prenait l'aspect de la sauvagerie, avec les per- sonnes qu'il ne connaissait pas. C'était un ami difficile, quinteux, mais au fond bon, sincère. Lorsqu'il éprouvait un de ses accès de mysanthropie, il devenait acre, mor- dant, mécontent des autres, et plus encore de lui-même. Pardoimanl difficilement jusqu'à l'apparence d'un mauvais procédé, mais en même temps ne pouvant souffrir la louan- ge, ce n'était qu'en employant un tact infini qu'on lui faisait accepter l'éloge de ses meilleurs ouvrages, qu'il critiquait souvent avec une verve acérée. Sobre de paroles, sa ma- nière de s'exprimer était nette, concise , parfois aussi pas- sionnée. Jamais il ne revenait sur ses décisions, ce qui l'exposait, sans levouloir, à commettre des injustices. Ses plaisirs les plus chers consistaient dans la solitude et la lecture. Il ne manquait ni de goût, ni d'instructiou, e^ jugeait assez sainement les auteurs de son temps La tra- gédie française l'ennuyait à la mort! il la trouvait guin- dée, froide, hors nature. En revanche Molière était son
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idole, et les parades du théâtre des italiens, où il avait ses entrées, l'amusaient beaucoup. Afin d'achever de le peindre, nous ne devons pas oublier de dire qu'il était sujet à des distractions donnant lieu parfois aux scènes les plus comiques.
Dans ce portrait moral de Watleau, qui ne reconnaîtrait une foule de nuances appartenant au caractère de Rous- seau de Genève? La même similitude existe pour une partie essentielle de leur talent, car tous deux ont brillé par le coloris enchanteur qu'ils ont répandu sur leurs productions.
Déjà nous l'avons fait observer, il est à déplorer que les premières études de Watteau n'ayent pas été dirigées vers un genre plus grave, plus élevé. Si, au lieu de tom- ber sous la tutelle de Gillot, d'Audran, il eut eu pour guide un homme tel que Le Poussin, peut-être serait-il devenu l'un de nos plus grands peintres. En effet, une Vierge et quelques pièces historiques , échappées à son pinceau, laissent entrevoir qu'il eut réussi dans la peinture sérieuse, s'il s'y était appliqué.
Ses tableaux se ressentent presque toujours de la fan- taisie, du caprice, ces puissances souveraines du temps où il a vécu. Il y a quelquefois de la négligence dans son dessin, et de la monotonie dans ses sujets, offrant presque tous, à ses scènes militaires près, la même or- donnance, les mêmes figures, les mêmes accessoires, et les mêmes costumes. Ce sout des fêtes, des repas, des pastiches empruntés au théâtre des italiens ; de la grâce, un peu fardée, de la vérité de boudoir et de pastorale régence. Ses femmes sont élégantes, jolies, elles ont une
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certaine désinvolture qui charme : mais elles se ressem- blent toutes. Sa servaute, belle flamande, dont les traits ne manquaient pas de dislinciiou , lui servait souvent de modèle ; il l'a posée, en danseuse, dans un de ses pay- sages les plus coquets.
Ayons le courage de le dire, dussions-nous encourir raoathème de ses partisans exaltés, il nous a toujours paru étonnant que dans l'école française, on ne lui préfé- rât pas Sébastien Bourdon. Les adorables petits tableaux de genre de ce dernier, ses scènes si lumineuses et si pit- toresques de bohémiens et de lansquenets, ne rivalisent- ils pas avec les productions des meilleurs peintres fla- mands?.. Ne s'est-il point montré plus dessinateur, plus spirituel, plus distingué que la plupart d'entre eux, et cela dans une juste proportion, ne nuisant en rien à la nature familière prise sur le fait?..
Aussi pensons-nous, que le succès extraordinaire, le prix, en ce moment énorme, des œuvres les plus infimes de rarlisie Valenciennois, sont dûs à une véritable manie! Sous Tempire on ne voulait pas en entendre parler; c'é- tait à la fois de l'injustice et de la sottise. Aujourd'hui on ne veut, on ne rêve que lui! Un temps viendra, nous l'espérons, où la raison, le goût lui assigneront sa place, et certes elle sera très-belle encore 1 En effet, quant à la facilité, à une certaine grâce indéfinissable, et surtout à la couleur, dans ses toiles bien conservées, il est on ne saurait plus aimable, plus attrayant, et mérite l'estime des amateurs
Waiieau a fait plusieurs portraits devenus mainiciiant très-rares; nous en avons rencontré deux lepréseniant
— go- des actrices célèbres du ihéâlre des italiens L'animation la plus vive, l'élégance, et un ton chaud, harmonieux, distinguent ces productions.
Les dessins de son bon temps, c'est-à-dire à compter du moment où il quitta le cabinet de M. Crozat, sont presque tous des petits chefs-d'œuvre de finesse, de légè- reté et d'expression pittoresque. Pour les faire il se ser- vait, le plus souvent, de la sanguine sur papier blanc, afin de pouvoir en tirer des contre-épreuves. Beaucoup aussi sont à la mine de plomb, et à la pierre noire, mé- langées de crayon rouge, qu'il employait dans les figures, les mains et les chairs. Quelquefois , mais rarement , il les traçait à la pierre noire, les rehaussait de blanc et les estompait légèrement. Ils se distinguent par des hachu- res , presque perpendiculaires , et couchées parfois de droite à gauche. La liberté de main, la finesse de touche, lo manière délicate de profiler les têtes , de les coiffer, le type particulier des physionomies , sont autant de signes caractéristiques qui, joints à ceux que nous venons d'in- diquer, les font reconnaître par les amateurs exercés.
Nous avons parlé des tableaux de Watteau bien conser- vés, parce que malheureusement il en est beaucoup qui ne sont pas ainsi. Son impatience, sa mauvaise santé, et le désir de terminer plus promptement, le conduisaient à employer, en trop grande quantité, l'huile grasse, afin d'étendre plus facilement les couleurs. C'est par là, qu'en général, ses tableaux se détériorent ; ils deviennent hâlés, gris, noirs, et changent totalement d'aspect.
Watteau est un des peintres qu'on a gravés le plus. Son œuvre, d'après les recherches que nous avons faites
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n'a pas moins de 621 pièces, en y comprenant deux vo- lumes d'éludés. Lui-même faisait l'eau forte avec esprit et facilité Parmi les artistes l'ayant reproduit, on re- marque principalement Cochin, Lebas, Tardien, Cars, Boucher, Aveline, Crépy, Joullain et Audran.
Son talent a été célébré par les poètes de son temps, entre autres par Voltaire, Gentil-Bernard, et Lamothe- Hoiidart. Ce dernier lui a adressé ces vers, donnant une idée assez juste de son pinceau :
« Parée à la française, un jour dame Nature » Eut le désir coquet de voir sa portraiture : » Que fit la bonne mère? Elle enfanta Watteau !.. » Pour elle ce cher fils, plein de reconnaissance, » Non content de tracer partout sa ressemblance, >' Fit tant, et fit si bien qu'il la peignit en beau. »
Il est certain que ses paysages si brillants, si jolis de détails, si luxueux d'accessoires, sont plutôt d'élégants décors d'opéras-comiques que des sites vrais, agrestes, comme les traduisaient sur la toile les Ruisdaël, les Huis- mans de Malincs, les Winanis et les Hobbéma. En les examinant tout amateur, ayant visité le Hainaut, voit qu'il avait gardé un vif et profond souvenir des campagnes de son pays natal, et en particulier des arbres ornant les remparts de Valencieunes. Seulement, il a presque tou- jours embelli la nature, et lui a donné une teinte féerique, s'harmonisani parfaitement bien avec les personnages élégants, enrubannés qu'il mettait en scène. Rien de plus délicieux, en ce genre, (lue sa perspecHve, et son île en- chantée gravées par Crépy et Lebas ! Ce dernier tableau, ou le pittoresque des plans, le mélange des eaux et du feuillage, la distiibuiion de la lumière font rêver au para-
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dis terrestre, esi en outre empreint d'un sentiment mé- lancolique on ne saurait plus touchant. C'est que VVatteau, comme Sterne, avait aussi ses instants de douce tristesse» ses aspirations vers l'infini, et qu'en un mot chez le peintre des fêtes galantes, le sourire était quelquefois bien près des larmes.
La plus grande partie de ses ouvrages les meilleurs se trouve maintenant en Angleterre (1). Dans ce pays, t)ù l'on a toujours su receuillir et conserver, même aux dé- pends des nations voisines, sa réputation n'a pas cessé d'être portée au degré le plus élevé. A la paix. d'Amiens, à celle de 4814^, lorsque, fanatisés par l'école de David, nous professions la plus profonde indifférence pour les œuvres de Waiteau, les spéculateurs et amateurs de la Grande-Bretagne sont venus nous les enlever a de très- bas prix.
Pour terminer nous devons dire, en maintenant toule-
(l) Longtemps il n'a existé au musée du Louvre, où, par une bizarrerie fort peu nationale, la peinture française n'est nullement complétée, qu'un seul tableau de ce maître, l'embarquement pour l'île de Cythère. Lors de l'ouverture de la galerie Standish, un autre ta- bleau, d'un assez belle qualité, fut oiTerl à l'empressement des amis de son talent, comme étant de lui. Nous ne partageons nullemenl cetto opinion, et cette œuvre nous parait évidemment appartenir à Lancret.
Dans les ventes de l'hôtol des commissaires priseurs, on met sou- vent aux enchères des toiles attribuées à Watieau, et qui, grâce à ce faux passeport, sont payées cent fois plus qu'elles ne valent. Ce sont de détestables dessus de portes ou de glaces, imitations grossières et grotesques du genre mis à la mode par lui. Il est curieux d'entendre les possesseurs de ces croules informes, se gloriOer d'avoir pu se procurer, moyennant une centaine de francs, un chef-d'œuvre de l'illustre Watteau I . .
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fois les réserves faites dans le cours de cet essai, que nous considérons Watteau comme un artiste d'un talent plein de charme, vraiment original, et nous employons cette dernière épithète dans l'acception la plus favorable qu'on puisse lui donner.
CATALOGUE OE L'OEUVRE DE WATTE AU
1. « Portrait en pied deWatteau, dans un jardin. - —Gravé par Tardieu , il faisait partie du cabinet de M. de Julienne.
Nous l'avons décrit dans l'Essai qui précède.
2. « Autre portrait de Watteau, peint à mi-corps dans son atelier. — Gravé par l'Epicié.
3. « Autre portrait, en buste. » — Dessin gravé par Crépy fils.
Le second de ces portraits a été reproduit par le journal V Artiste. Le troisième, représentant Watteau au sortir de l'enfance , a été placé, gravé au trait, par M. Di- naux, en tête de la Notice sur ce peintre qu'il a publiée ea
1834.
5. « Départ de garnison. » — Gravé par Cochin.
6. « Détachement faisant halte. » — Idem.
Ce sont les deux tableaux achetés par Siroin , et dont l'un se trouve maintenant en Angleterre. Nous avons raconté dans YEssai les circonstances se rattachant à ces deux tableaux. Ils avaient été achetés par le prince de Conty et furent adjugés à sa vente, en 1777, au peintre Ménageol , qui les paya 1026 f.
6. « La Sainte-Famille. » - Gravé à Paris par Dubos
(1) Ce travail fruit d'incessantes recherches, est le plus complet et le plus détaillé qui ait été publié sur l'œuvre de Watteau.
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et à Londres par Waft. - Appartenait à M. de Julienne, el depuis avait fait partie de la galerie du comte de Bruhl. — Se trouve maintenant au palais de l'Ermitage , à Saint- Pétersbourg.
7. <• Embarquement pour l'ile de Cylhère. » Gravé par Tardieu.
Ce tableau, à l'état d'esquisse 1res avancée , a été peint par Watteau pour sa réception à l'Académie de peinture, et se trouve dans la galerie du Louvre. Ce peintre en avait fait une réduction, avec quelques changements, pour son ami M. de Julienne.
8. « Bon voyage » — gravé par Audran — petit tableau, réduction avec moins de détail, des précédents.
9. « Un Saint au désert •' — gravé par Filleul. Appartenait à M. de Julienne.
40. a Cinq personnages delà Comédie-Italienne, en danse " — gravé à 1 eau-forte par Watteau.
11. « Pomone » — gravé à l'eau-forte par Boucher.
4 2. c Le Bendez-vous •>- deux personnages dans un jardin , gravé par Audran.
13. « Le Tète-à-iéie » — idem.
14. « La Pileuse > — idem. Appartenaient à Audran du Luxembourg.
*5. « L'Amour désarmé ■> — idem. Vendu en 1778 499 livres.
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16. « Le Piinienips » — tableau ovale, gravé par Desplaces.
Faisait partie du cabinet de M. de Crozat.
17. « L'Eté " — tableau ovale , gravé par Dubos.
Cabinet Crozat. — Ce tableau , après avoir été vendu plusieurs fois à la salle des commissaires-priseurô 10 et 12 francs, a été acheté 200 francs par M. Roëhn. — Ce connaisseur distingué l'a revendu 2,000 francs pour une collection de Londres.
18. <• L'Automne » — ovale, gravé par Feissard.
19. « L'Hiver » — idem, gravé par Audran.
M. de Crozat avait commandé ces quatre Saisons à Watteau, pour la décoration de son cabinet.
20. « L'Enchanteur » gravé par Audran.
21. • L'Aventurière » — idem.
Ces deux tableaux appartiennent maintenant à M. La- cazes, rue de la Ferme, à Paris, dont la galerie est riche en oeuvres excellentes de toutes les écoles , princi- palement de celle française.
22. <• La Danse » gravé par Audran.
Frais paysage, au milieu duquel on voit une danseuse, qui est la servante de Walteau. A été acheté pour la Russie et se trouve à l'Ermitage.
23. « Les Champs-Elysées » — gravé par Tardieu. Appartenait à M. de Julienne , et a été acheté à sa vente, par M. de Gagny, 6,505 livres. — M. de Morny en est
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devenu depuis le possesseur. C'est une des œuvres ca- pitales du maître.
24 » L'Occupation selon l'âge • — gravé par Dupuis. — Cabinet de M. Halle, acheté à sa vente, par M. de Gagny, 3,000 livres.
2o. « Fête Vénitienne » — gravé par Cars. ~ Appar- tenait à M. de Julienne, et a été acheté à sa vente 2,615 1. ; à celle de M. Randon de Boisset , en 1777, 2,999 1. 10 s,
26 <■ Jeu d'Enfants -> — gravé par Tardieu.— Cabinet Quentin de Lorangère.
27. " La Jalousie > — gravé par Cochin.
28. « Même sujet ' — gravé par le même.
29. <■ Un Concert dans un apppartement » gravé par Moyreau. — Cabinet Quentin de Lorangère.
30. - Le Rendez-vous au bal masqué » — gravé par Thomassin.
31. a Les Entretiens badins » — gravé par Audran.
32. - Concert de famille » gravé par Surrugue fils.
33. <• La Déclaration " — gravé à l'eau -forte par Walleau.
34. « Le Marais •> paysage gravé par Louis Jacob.
35. '< La Sculpture » un singe travaille à un buste. — Tableau ovale , gravé par Desplaces.
3H. « L'Abreuvoir • — gravé par Jacob.
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37. « La Peinlure » — un singe à son chevalet. — Ovale, gravé par Desplaces.
38. " Catln » — gravé par Léotard.
39. " Le Chat malade » — gravé par le même.
40. « La Marmotte » — gravé par Audran. Cabinet Audran du Luxembourg.
4i. <■ L'Indifférent » - gravé par Scotlin. — Cabinet Massé.
42. « Le Docteur » — gravé par Audran - Cabiuet Julienne.
43. « Mézéiin " — gravé par Audran. - Cabinet Julienne.
C'est le portrait de l'ancien acteur de la Comédie-Ita- lienne , qui a été quelque temps en vente, en 1845 , dans le cabinet de lecture de M. Brauger, rue Laffiie.
44. <• La Sultane » — gravé par Audran. — Cabinet Julienne.
45. <« La Rêveuse ■> — gravé par Aveline.
46. . Scène de Tragédie. -' — Petit tableau sur bois, mentionné dans le catalogue Quentin de Lorangère.— N'a point été gravé.
47. <- La Finette » — gravé par Audran. — Cabinet Massé.
48. « La Villageoise » — gravé par Aveline. — Ca- binet du comte de Mervillc.
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49. « L'Amante inquiète » — gravé par le même.
50. « Médecins et Apothicaires , poursuivant un malade dans un cimetière » — gravé par Joullain. — Cabinet du comte de Bruhl.
Ce petit tableau , dans un état d'altération très avancé, a été vendu en mars l84i, salle des commissaires-pri- seurs, à Paris, la somme de 400 fr.
51. « Vue de Vincennes •> — paysage gravé à l'eau- forte par Boucher .
52. « Retour de Guinguette • — gravé ppr Chodel. — Cabinet de M. Courdoumer, à Toulouse.
53. « Les Agréments de l'Eté • — gravé par Jacques de Favanne.
54. « La Ruine » — gravé par Buquoy. — Cabinet Julienne.
55. « Recrues allant joindre le régiment » — gravé par Thomassin.
56. « Les fatigues de la Guerre o — gravé par Scottin
57. « Les délassements de la Guerre » — gravé par Crépy fils
58. « La Surprise » - gravé par Audran. — Cabinel Julienne.
Ce tableau a depuis appartenu à M. de Presles , et a passé, à sa mort, dans la galerie de M. Robit, où se trouvait uiip coilcclion nombreuse et choisie des œuvres
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des peintres flamands En 1801 il fut vendu à M. Àn- daval 411 fr.
59. « La Brouille •> — gravé à l'eau-forle par Ma- riette.
60. « La Famille » - gravé par Aveline. Cabinet Titon du Tillet.
61. « Le Lorgneur • — gravé par Scoliin.
62. o La Sérénade italienne -> - gravé par le même. — Cabinet Titon du Tillet. Acheté à sa vente 1051 liv. par M. de Julienne; à celle de ce dernier 2,600 livres par Boisset ; par M. Lebrun, vente Boisset , en 1778, 2,100 livres ; par M. Payer, à cette dernière, 1,200 liv. en 1795.
63. « La Lorgneuse » — gravé par Scoitin. — Cabinet Julienne.
64. « [/Accord parfait » ~ gravé par Baron. — Cabinet Julienne.
65. • La Bohémienne • — gravé par Cars.
Ce tableau, de très petite dimension , a été acheté en 1845, dans une campagne près de Paris , 25 francs par M. Malinetqui l'a de suite revendu 1,500 francs.
66. « Pierrot. • — Nous ne connaissons pas de gra- vures de ce tableau.
C'fst peut-être la plus grande toile de Walleau , abs- traction faite de ses peintures-décors. Pierrot est de grandeur na'.ure , et accompagné de pLisonn-iges de plus
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petite dimension. Il appartenait, il y a quarante ans, à M. Meuniez , marchand de tableaux, qui l'a gardé pendant plusieurs années , sans pouvoir parvenir à le placer. Pour attirer les yeux et flatter les chalands, ij avait écrit, au crayon blanc , sur le fonds de ce tableau, ces deux vers d'une chanson jadis très populaire :
« Que Pierrot serait content
» S'il avait l'art de vous plaire ! »
Enfin M. Denon , directeur du Musée sous l'Empire, l'a- cheta 150 Ir. A sa vente, M. Brunet , son parent, le paya 600 fr. et consentit à le céder à M. de Cypierre pour 1,200 fr. Il appartient maintenant à M. de Lacaze, qui l'a payé un prix très élevé.
67. « Arlequin Jaloux » - gravé par Chodel.
68. « Le Sommeil dangereux » — gravé par Lio- lard et ayant fait partie du cabinet de cet artiste.
69. « La Danse paysanne » - gravé par Audran. — • Cabinet de M. de Monmerqué.
70. « Le Concert champêtre » — gravé par Audran.
71. « Retour de Chasse » — gravé par le même.
C'est un portrait de femme eu costume de chasseresse, et qu'on croit être une princesse de Conti.
72. « Le Repas de campagne >> — gravé par Des- places. — Cabinet Julienne.
Se trouve maintenant dans la galerie de l'Ermitage.
73. <• Louis XIV mettant le cordon bleu au duc de Bourgogne - — giavé pai- Larmessin.
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Tableau important, en ce qu'il contient un ceriain nom- bre de grands personnages en costumes de cour, qui sont des portraits, et en ce qu'il sort du genre habituel de Watteau. La gravure indique qu'il appartenait à M. de Julienne.
74. « Comédiens français » — gravé par Liotard. — Cabinet Julienne.
75. « Comédiens italiens » — gravé par Baron. — Cabinet du docteur Mead, médecin du roi d'Angleterre.
Une copie réduite de ce tableau appartient à M. Ries, employé au ministère du commerce, à Paris.
76. « Départ des Comédiens italiens, en 1697 » — gravé par Jacob. — Cabinet de l'abbé Pousty .
77. « L'Amour au Théâtre-Italien » - gravé par Cochin. — Cabinet de M. de Rosnei
78. « L'Amour au Théâtre -Français » — gravé par le même. — Même cabinet.
79. • Escortes d'équipages » — gravé par Cars. — Cabinet Julienne.
80. « Défilé " — gravé par Moyreau. — Cabinet Julienne .
81 « Retour de campagne » — gravé par Cochin.
82. « Camp volant « — gravé par le même.
83. « Rendez vous de Chasse •> gravé par Aubert. — Cabinet Racine du Jonquoy.
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8i. « Assemblée galante » — gravé par Lebas. — Cabinet de la comiesse de Verne.
85. - La Partie carrée » — gravé par Moyreau.
86. '. Fête au dieu Pan » — gravé par Aubert.
87. « Les Jaloux » — gravé par Scotlin. — Cabinet Julienne.
88. « Le Colin-Maillard » — gravé par Porion. — Même cabinet.
89. " La Musette )> — gravé par Moyreau.
90. « Entretiens amoureux » — gravé par Liotard.
91. « Amusements champêtres » — Gravé par Au- dran. — Cabinet de M. de Vandreuil.
92. «• Le Passetemps » — gravé par le même. — Cabinet de M. Du Pil.
93. « Les deux Cousines » — gravé par Baron . — Cabinet Bacon, en Angleterre.
94 « L'Ile de Cythère » — gravé par Larmessin. — Cabinet Julienne.
95. « Le Printemps » — gravé par Brillon. — Même cabinet.
96. « L'Eté » gravé par Moyreau. j- Même cabinet.
97. « L'Automne » — gravé par Audran. — Idem.
98. (( L'Hiver » — gravé par Larmessin. — Idem.
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99. « Leçon d'amour >. — gravé par Dupuis. — îd.
Mariette, célèbre amateur, a gravé ce tableau à l'eau- forte, et a fait la dédicace de son travail au comte de Caylus. Sa gravure est d'une dimension plus grande que celle de Dupuis.
100. « Récréation italienne » — gravé par Aveline. Cabinet Julienne.
101. « La Perspective • — gravé par Crépy. — Ca- binet Guenon (l).
102. « L'Ile enchantée » — gravé par Lebas. — Ca- binet Car laud.
D'après la gravure , qui est charmante , ce tableau devait être l'un des plus remarquables de Watleau.
103. « L'Indiscret » — gravé par Aubert.
104 « La Danse « gravé par Brion. — Cabinet Montulé.
105. " Les Charmes de la vie » — gravé par Aveline. — Cabinet de M. de Glucq.
106. ce Les Amusements de Cylhère » — gravé par Surrugues. — Cabinet Julienne.
107. « Danse au.v castagnettes * — gravé par Mariette à l'eau-forte.
(1) Voir, pour ce tableau el plusieurs autres ayant, de nos jours, appartenu au miniaturiste Saint, la noie à la fin de ce catalogue.
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108. <• La Gamme d'amour » — gravé par Lebas. — ^ Cabinei Marieile.
109. a Dépari pour les Iles » — gravé par Dupuis.
110. " L'Amour paisible » — gravé par Baron. — Cabinet Meade , en Angleterre
111. « La Chute d'eau » — gravé par Moyreau. — Cabinet Julienne.
112. « L'ile de Cyihère « — gravé à Londres par Picot. — Cabinet du révérend Domsdale.
113. « Portrait de Rebel » compositeur de la Chambre du Roi , qui fut avec Fruncœur directeur de l'Académie royale de musique. — Graveur inconnu.
Waiieau fil aussi un dessin de ce portrait qui a appar- tenu à Grétry.
114. « Portrait d'Antoine de la Roque » chevalier de Saint-Louis , alors propriétaire du Mercwe de France. — Gravé par l'Epicié.
Ce portrait est un tableau de genre pour les accessoires. La figure en pied se trouve placée dans un joli paysage, avec divinités champêtres. Vendu en 1770 à un sieur Rémy 735 fr. — Ayant apppartenu en dernier lieu au général Despinois , ce portrait a été adjugé, à la vente après son décès , rue du Regard , dans l'hiver de 1850, la somme de 1,700 fr.
115. «• La Cascade »> — gravé par Scoiiin. — Cabi- net Monmerqué.
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116. « La Collation » — gravé par Moyreau.
117. n Les agrémens de l'Eté « — gravé par Joulin. — Cabinet de Glucq.
118. ce L'Amour mal accompagné » — gravé par Dupin.
H9. « Les Enfants de Bacchus » — gravé par Feis- sard. — Cabinet Morel
120. «• Le Bosquet de Bacchus » — gravé par Cochin.
121. « Le Plaisir pastoral » — gravé par Tardieu. — Cabinet Mariette.
122. « L'Enlèvement d'Europe » — gravé par Ave- line. — Vendu en 1777, chez le prince de Conty, à un sieur Godefroid , 311 livres.
123. « Le Triomphe de Cérès » — gravé par Crépy. — Cabinet de M. de Poni oy,
124. « Promenade sur les Remparts » — gravé par Aveline. — Cabinet Julienne.
125. « Les Plaisirs du Bal )) — gravé par Ravenet et Scottin. — Cabinet Glucq.
Se trouve mainienanl dans la galerie du comte Rasiap- chine, à Saint-Pétersbourg.
126 « L'Enseigne * — gravé par Aveline.
Ce tableau est le beau plafond représentant l'intérieur d'un magasin de tableaux (jiie Waiteau peignit en huit jours, peu de temps avant sa uiurt, pour son ami Ger-
\ irr '^vu^vV ij^vh» ifju^i, Vil»/» ^'^ A,
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saint, demeurant alors sur le pont Notre-Dame. Il fut cédé par ce dernier à M. de Julienne Qu'est-il devenu ? Plusieurs dessins de l'Enseigne , provenant de la vente de Saint, entre autres la femme en capuche vue de dos , ap partiennent au comte Clément de Ris.
127. « L'Accordée de Village » — gravé par Larmes sin. — Cabinet Julienne.
128. « La Mariée de Village » — gravé par Cochin. — Cabinet de Lafaye.
129. « Pillage d'un Village par l'ennemi » — gravé par Baron et publié en Angleterre.
130. « La Revanche des Paysans •> — gravé par le même, — Aussi publié en Angleterre.
131. « Diane au Bain » — gravé par Aveline.
132. « La Proposition embarrassante » — gravé par Reyl. — Cabinet du comte de Bruhl.
133. « Scène de Famille. >> — A appartenu à M. Collot , marchand de nouveautés à Paris , et se trouve mainicnant en la possession de M. de Morny.
434. « Scène galaïue dans un parc. •> — Apparte- nant à M. le président Bigant, à Douai
Sept personnages, dont deux enfants, composent cette scène. Les costumes sont mi-espagnols et italiens. Le personnage principal est debout, jouant de la mando- line. Le paysage , représentant une partie de parc, est orné d'un groupe d'amours on marbre blanc, sur pié- destal
— 108 — Ce tableau est sur toile. Hauteur, 19 c. Ii2 ; larg. 23 c.
135. « Concert de Famille » — appartenant à M. Piérard, à Valenciennes.
Ce tableau est charmant et admirablement conservé. 11 se compose de neuf personnages dans diverses atti- tudes, et jouant de divers instruments. Le lieu de la scène est un riche appartement du temps, orné de ta- bleaux. Des draperies de la plus belle exécution occu- pent un des côtés, et donnent aux figures un relief très remarquable.
Bois de 45 c de hauteur sur 56 c. de largeur.
136. « La Signature du Contrat de mariage au village.» Gravé par Audran. — Faisant partie de la belle galerie du duc d'Aremberg, à Bruxelles.
Une très bonne copie ancienne de ce tableau est en la possession de M. le comte d'Espugnac, à Paris.
137. • Conversation galante sous un arbre. »
Ce petit tableau , tiès agréable d'aspect, m'appartient. Je doute de son authenticité.
138. « Orgie d'Officiers dans un corps-de-garde. •>
Je n'eu connais pas la gravure. — Appartient à M. le major Deschamps, à Saint-Omer.
C'est une des œuvres les plus charmantes , les plus ca- pitales , les mieux conservées de Watteau. Celte orgie est sur une toile de 20 c. de hauteur sur 26 de largeur, et je m'empresse d'ajouter qu'elle est très décente, quoique fort animée. Cela n'a rien d'étonnant , car il est à re- marquer que dans ses sujets les plus décolletés, le mé-
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lâncolique Waiieau n'a jamais effarouché la pudeur ni les grâces. Sous ce l'apport surioul, il est bien préférable au peintre bumoriste et moraliste Hogarth. Huit per- sonnages principaux, très contrastés de physionomies, d'altitudes et de costumes , qui , dans leur désinvolture, sont d'une exquise élégance, occupent la scène. Deux d'entre eux jouent aux dés sur un tambour dont la caisse porte la signature du grand artiste. Un autre , à la che- velure en désordre, aux traits altérés sans doute par la perle qu'il vient d'essuyer, tend son verre à une courti- sane , lui versant à grands flots du Champagne. Cette courtisane est ce que Walleau a peint de plus fin , de plus gracieux, de plus séduisant ! . . . . Tout en remplis- sant son rôle d'Erigone de la Régence , elle écoute les tendres propos d'un oflîcier entre deux vins, qui lui parle à l'oreille, tandis qu'un rival mécontent et jaloux paraît craindL'e de se voir enlever le cœur de la coquette. Les autres militaires forment groupes jusqu'à la porte d'en- trée, où l'on voit des soldats en faction. Les accessoires de celle scène si animée sont touchés avec une adresse, un relief, un i^agout, comme disaient les anciens ama- teurs , au-dessus de tout éloge '
Je ne saurais , avec ma pauvre plume , donner une idée exacte de l'effet que m'a produit ce tableau . J'étais enchanté , possédé par cette ivresse , à la fois chaste et brûlante, que l'imagination resssent à la vue des mer- veilles de l'art. Composition aussi heureuse que pitto- resque, offrant un mouvement, un entrain vraiment étourdissant; figures pétillantes d'esprit, d'originalité, sans rien de forcé ni de chargé ; couleur aussi chaude qu'harmonieuse , rappelant l'éclat , la transparence du Tiiien , de Paul Véronèse, fV Rubens fondus ensemble ;
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dégradations de ions et finesses de lumière admirables : tel est ce chef-d'œuvre , d'autant plus rare qu'il n'a point été gravé ; et ne se trouve mentionné nulle part. C'est pourquoi je me suis étendu sur sa description et son ap- préciation , dans l'espoir que nos graveurs au burin ou eaux-fortistes essaieront de le reproduire.
139 et 140. « Deux petits tableaux » — chez M. de Guerne, à Douai.
141. <■ Quatre panneaux sur bois » — représentant des personnages delà Comédie-Italienne.
Ces panneaux , fort légèrement peints , ont été vendus par M. Meurice , de Valenciennes , à un marchand ambu- lant qui, pour garantie defpaiement, lui a laissé quel- ques croûtes qu'il s'est bien gardé de venir reprendre contre des écus. Depuis , ils ont appartenu à M. Ferdi- nand de La Neuville , et on m'a assuré qu'il les avait ven- dus 7,000 fr.
OEUVRES DIVERSES.
142. « Figures chinoises et tartares » — peintes pour le cabinet du Roi à la Muette et dans différents châteaux.
Elles ont été gravées par plusieurs artistes.
143. « Figures de Modes » — dessinées par Waiteau qui les a , ainsi que Filleul , 'gravées à l'eau-forie.
444. « Figures françaises et comiques » — idem.
145. « Boîtes de clavecins, d'épinettes et meubles peints , et dont les sujets sont des pastorales, scènes ita- liennes , arabesques et trophées d'armes , de musique et de chasse.
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1-46. « Panueaux de lous genres, enlre autres ceux ornaul le cabinet de Chantilly. — Paravents, plafonds, éventails et devants de cheminée.
A PPEJVDICE
A l'essai sur la vie et les ouvrages de watteau (1).
Daus la première édition de cet Essai, qui a été publiée par le journal V Artiste, en 18.45, je disais « qu'une men- » lion particulière était due à la coUeclion aussi variée » que choisie formée par M. Saint. » Ce miniaturiste distingué, mort depuis, était un des amateurs les plus consciencieux de la capitale. Il possédait surtout de délicieux portraits peints par le suédois Hall , de petits tableaux de Greuze, Prud'hon, Taunay, Fragonard et autres artistes de l*école française. Lancret , Pater, Chardin étaient représentés dans son cabinet, et Walteau principalement y brillait au premier rang.
"Voici la nomenclature des compositions de ce maître que M. Saint avait recueillies :
N°147. « L'Alliance de la Musique et de la Comédie » — gravé par Moyreau.
Ce tableau est allégorique et a, sans doute, été peint pour le théâtre des Italiens, devenu depuis l'Opéra-Co- mique.
(1] Gel Essai a élé inséré dans la Revue de Paris, édition belge, volume de novembre 1843.
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Vendu 501» fr. à la venle Sainl , en 1846.
No 148. « Un Concert dans une campagne. » Dix-neuf personnages diversement groupés animent celte charmante composition. C'est une des œuvres les plus remarquables du maître pour le dessin , la grâce, la couleur, la finesse et le choix des accessoires. La tra- dition nous apprend que ce tableau a été peint à Nogent- sur-Marne, et que. sous le costume de Gille, Watleau a reproduit les traits du curé de ce village.
A la venle Saint, on 1846, un M. Mennechet l'a acheté 4,900 fr.
N° 149. <. La Fêle de Village. »
Un grand nombre de personnages , une table servie, des Turcs , un Arlequin , des hommes et des femmes en costumes très riches. Le menuet dansé par Gile et Co- lombine. Vers la gauche , une calèche attelée de quatre chevaux blancs , et un cavalier suivi de son chien. Vaste composition à l'état d"ébauche très soignée.
Vendu à la même venle 1140 fr.
N» 150. « Les Agréments de l'Eté. » — La Perspec- tive, — la Danse, — jeux d'enfants — que nous avons mentionnés dans le catalogue , appartenaient aussi à M. Saint
N°151. « L'Amour aiguisant ses irails. •
N° lo'-2. « La Moisson. »
N° 153. V Caisse ou boîte complète d'un clavecin. « Le sujet principal est un menuet. Arabesques char-
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manies, pastorales, scènes chinoises, exécutées sur fond d'or pour le prince de Conii.
Ce morceau rare avait été cédé à M. Saint , au prix de 1,500 fr. par M. David, marchand de tableaux , qui ma fait faire sa connaissance.
M. Saint avait réuni un grand nombre de dessins de Waiieau et la collection presque complète des gravures faites d'après ses ouvrages. Ce que je ne saurais trop louer dans le cabinet de cet artiste amateur, c'est qu'il était principalement occupé par les productions des pein- tres et dessinateurs français. Si cet exemple avait eu plus d'imitateurs , si nous n'avions pas été toujours sous le joug de l'engouement le plus inouï poui' les productions venant du dehors , nous ne serions pas privés d'une foule d'œuvres remarquables, ornant maintenant les galeries étrangères. Nos artistes, d'ailleurs, auraient reçu et recevraient des encouragements qui , en donnant l'essor à leurs talents , tourneraient au profit de notre gloire na- tionale.
Nous avons mentionné dans le catalogue deux tableaux: Amusements Champêtres et Le Rendez-vous de Chasse, appartenant primiti^ement à 3IM. de Vaudreuil et Racine du Jonquoy ; ils avaient passé de la galerie de M. de Mon- talot dans celle du cardinal Fesh. Achetés à la vente de ce dernier, par M Horsin d'Eon, la somme de 35,000 fr., ils ont été revendus 60,000 ir. à M. de Morny qui, je crois , n'en possède plus qu'un seul.
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Parmi les ariisles du siècle actuel , celui qui nous pa- raît avoir le plus approché de la manière de Watteau, quant à la couleur et à lu grâce , est M. Roqueplan. Sans être aucunement son imitateur, il a , dans ses tableaux, cette finesse, cet éclat, cette harmonie faisant le charme de ceux du peintre de Valenciennes.
Mon fils, Edmond Bédouin , vient de faire trois éven- tails genre >yatteau , le premier pour madame la com- tesse deSamt-Mars, les deux autres pour Sa Majesté l'Impératrice Eugénie. Il ne m'est point permis de les louer, mais je peux dire qu'ils ont obtenu l'assentiment des connaisseurs les plus fins. (Note de 1854.)
IVATIER.
ETUDE SUR LA VIE ET LES OUVRAGES DE CE PEINTRE.
» Et Natier, l'élève des grâces, » El le peintre de la beauté. »
Gresset.
IXATTIEK.
Ce fui une époque bien remarquable et bien coniraslée que le dix-huiiième siècle ' . . . Dans les sciences, les lelires, les arts, celle époque se présente sous vingi as- pects différcnls, offrant à l'observateur tout ce que l'in- constance, la légèreté de mœurs, la fantaisie peuvent avoir de plus relâché, et tout ce que la pensée, la philo- sophie, la soif des innovations peuvent réunir de plus hardi, de plus profond et de plus grave ! . . . Quel sin- gulier temps que celui où les écrits de Rousseau de Genève, de Montesquieu, de Diderot, de Lavoisier, d'Helvéïius, de Bailly, ces précurseurs d'une révolution complète dans les gouvernements et les sciences, se dis- putaient la curiosité des lecteurs, avec les romans de Crébillon fils, de l'abbé Prévost, de Laclos, et les poésies de Colardeau et de Dorât ! . . . — Si, d'une pan, La Cha- lotais, Servan, Beccaria, hommes de mœurs antiques et pures, bravaient la persécution dans l'intérêt de l'huma- nité ; d'autre part, le maréchal de Richelieu et les grands seigneurs, ses émules et ses complices en fait de corrup_ tion, scandalisaient la société par leurs débauches élé- gantes, insoucieux qu'ils étaient de l'orage grondant sur leurs tètes, et ne devant pas larder à bouleverser le monde. Les ans, dont la mission devrait toujours avoir pour but de plaire à la fois aux honnnes, de les civiliser, de les touchir, et de les instruire, suivirent alors les idées des corrupteurs, clcaressèrent tous leurs goûts. Le grand,
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le beau, le sévère fuiciii remplaces parle jolijemignard et souvent même par l'afféterie. Les Coisevox et les Cousiou détrônèrent Puget ; Watteau, Lancret et Boucher reçurent les éloges qu'on donnait autrefois au Poussin et à Le Sueur: enfin, les portraits de Sébastien Bourdon, de Lefèvre et de Rigaud s'elîacèrenl devant les portraits de Nattier .
Ce peintre aussi célèbre dans les palais et les hôtels de son temps que sa vie est aujourd'hui peu connue, n'a presque point occupé les biographes des artistes au XTiii^ siècle. — Cependant il lui appartient plus qu'au- cun autre, dans le genre qu'il a cultivé, — Sans ses portraits nous ferions-nous une idée exacte des figures blanches et roses, des joues veloutées et mouchetées, de l'œil assassin, et des costumes si variés, si coquets des duchesses, des comtesses et des marquises, ces enchan- teresses du règne de Louis XV?. . . Non ; pas plus que 410US ne retrouverions le langage cl le ton de la société d'alors, sans les lonians de Crébillon, de Duclos, et les comédies de Marivaux.
J'ai donc feuilleté un grand nombre de brochures, mé- moires, lettres autographes cl catalogues de celte époque, pour découvrir les traces du passage de Nailier dans ce monde biiilant dont son talent était Yidole. — Cette épi- thète n'est certes pas trop forte ; car les femmes, qu'elles fussent belles, jolies ou laides, l'avaient surnommé ïen- chanteur. — Cela se conçoit : jamais peintre ne parvint si habilement que lui à dissimuler les défauts, à les changer même en agréments. — Il savait prêtera une physionomie insignifiante un air iiiiéressani, à v\\\ œil bleu sans ex- pression une vivacité langoureuse, à un œil noir, dur et
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"hardi une finesse spirituelle qui charmait les plus timides. Son pinceau pouvait être compare à la baguette d'Armide distribuant la beauté, la grâce, le piquant à toutes les figures soumises à ses enchantements; et ce qu'il y a de plus miraculeux, c'est que la ressemblance la plus parfaite résistait à toutes les heureuses iransformaiions qu'il faisait subir à ses modèles ! . . .
Jean-Marc Naltier vint au monde à Paris en 1685. — Peintre de portraits, son père faisailparlie de l'Académie royale, et sa mère, Marie Courtois, appartenait à la fa- mille de Courtois, dit Bourguignon, célèbre par ses ta- bleaux de baiaille. Madame Naltier se distinguait par un talent remarqualle pour la miniature. — Lebrun lui avait donné des leçons de dessin, et elle serait arrivée à la fortune si une paralysie, qui l'atteignit à l'âge de vingt- deux ans, et dont le traitement interrompit ses travaux et exigea de grandes dépenses, n'eût consumé le peu d'ar- gent que son mari possédait. Aussi mourut-t-elle laissant sa famille dans un état de médiocrité approchant de la gêne.
Heureusement pour son fils, Jean Jouvenet, un des grands peintres de cette époque, était son parrain, et lui portail une véritable affection. Ce fut lui qui le fit entrer tout jeune à l'école de rAcadémic, où il ne tarda pas à être remarqué, et où il obtint, à peine âgé de quinze ans, le premier prix de dessin.
Mansard régnait alors dans le royaume des arts, et une grande partie du pouvoir que Lebrun avait eu reposait sur sa tête. Les caractères de ces deux hommes différaient entièrement. Le second, plt;in d'orgueil, jouant le petit despote, jaloux de son aulniiK', saduianl lui-même dans
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ses ouvrages, éiaii forl peu obligeant pour les autres ar- tistes. Envieux de ceux dont le talent pouvait l'éclipser, on se rappelle de quels dégoûts il abreuva le pauvre Lesueur 1 . . . Le premier, au contraire, bon, franc, généreux, accueillant le mérite partout où il le trouvait, se montrait toujours chaleureusement enclin à lui être mile. Mansard vit les dessins du jeune Natlier; il les trouva fort beaux, et donna de suite à leur auteur la petite pension dont on disposait à l'Académie en faveur des élèves lauréats. Faisant plus encore, il oblint du grand roi, alors dans sa vieillesse, queNailier fut admis â l'honneur de lui présenter ces dessins qui étaient ceux des tableaux de la galerie du Luxembourg. Louis XIV en parut très satisfait, accorda à Natlier le privilège de les faire graver, et louant, de la manière la plus délicate, ses dispositions, il lui dit : « Continuez, et vous de- viendrez un grand peintre. »
Où sont, de nos jours, les académies faisant une pen- sion à un jeune artiste sans fortune, et ne donnant encore que des espérances? Où sont les princes laissant tomber de leur bouche de ces paroles d'encouragement qui dou- blent le zèle, compensent les peines, les travaux du no- viciat, et bercent son incertain avenir des rêves du succès et de la fortune?. . . Maintenant, si des médailles d'ex- position sont accordées à quelques artistes que pousse le vent de la faveur, il n'y a plus de distribution solennelle, plus de louanges données au vrai talent, plus de publicité. Ces médailles, il faut aller les chercher dans les bureaux du Louvre, et les recevoir de la main d'un commis de M. le directeur des musées royaux. Convenons-en : nous avons fait des progrès en industrie, en machines à va- peur ; mais nous sommes bien déclins dans la manière de
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récompenser les ans, qui, eux aussi, sont une des gloires de la France (0-
Natlier termina les dessins de la galerie du Luxembourg el en publia un volume en 1710. Il avait perdu son père cinq ans avant, el ses progrès engagèrent M. le duc d'An- lin à lui faire proposer par Jouvenet d'aller, comme pen- sionnaire, prendre une place vacante à l'Académie de France à Rome. Mais déjà la vogue lui souriait à Paris, où ses ouvrages lui procuraient une existence aisée el honorable : il refusa, — On prétend que plus tard ce refus devint pour lui un véritable sujet de regret. Si ce fait est vrai, je pense qu'en cette circonstance il se trom- pait sur la nature el la portée de son talent. Sa vocation ne l'appelait pas, comme le Poussin, à faire de la grande el sévère peinture. Il eùi perdu son temps à étudier et à imiter les modèles en ce genre, et serait revenu parmi nous médiocre peintre d'histoire ; tandis qu'en se livrant à ses inspirations il se trouva un jour ce délicieux por- traitiste que nous connaissons.
Une circonstance de la vie de Naiiier, appartenant à l'histoire de l'art, et se rattachant à ses premiers travaux, prouve à combien d'entraves le talent en France a tou- jours été soumis. Il me paraît utile et curieux de la con- signer ici.
Depuis le 12 août 1591, une maîtrise des peintres de Paris, sous le litre d'Académie de Saint-Luc, avait été fondée. Son but, selon les expressions de Piganiol de
(1) Celle élude surNallicr clait terminée quelques jours avant lu révolution do Février 1848.
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La Force, était de relever Vart de peinture, et de corrigei: les abus qui s y étaient introduits. Le prévôt de Paris avait d'abord réuni en assemblée les peintres de celte ville.. Puis, avec leur consentement, et d'après leurs ob- servations, furent dressés des règlements, des statuts» comme pour les corps de métier, assimilant ainsi l'art à l'industrie, en établissant des jurés, des gardes, afiu d'examiner la matière des ouvrages. Ces jurés et ces gardes étaient investis du privilège le plus arbitraire et le plus absolu, car on leur donnait pouvoir d'empêcher de travailler tous ceux qui ne seraient pas de leur com- munauté.
Il est facile de concevoir combien d'injustices mar- chèrent à la suite de ce véritable code draconien, qui resta en vigueur jusqu'en 1776 ! Dès 1648, toutefois, on l'avait attaqué, miné, à la demande de tous les peintres de talent que possédait alors la France. Un arrêt du conseil, faisant droit à leurs réclamatioixs, autorisa, par un nouveau privilège , la création d'une académie royale de peinture. Il n'entre point dans les bornes que je me suis prescrites, en écrivant la vie de Nattier, de prouver que cette académie, se montrant d'abord la pro- lectrice des artistes en inscrivant sur son sceau la de- vise , Libertas artibus restituta, devint persécutrice à son tour : je devais seulement expliquer la situation dans laquelle notre peintre se trouvait en 1713 vis-à-vis de la maîtrise dont il avait refusé de faire partie (i).
Jaloux de ses succès, les maîtres peintres voulurent
(1) Voir Piganiol de la Force, el une brochure ayant pour tilte A})pel aux ai listes^ publiée en 1847 par M. Cléniem de RU.
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faire saisir ses ouvrages, l'empêcher de travailler soit pour les églises^ soit jwiir les particuliers, et de vendre aucun de ses tableaux. En d'autres termes, celte ab- surde et révoltante prétention ressemblait à une espèce d'excommunication lancée contre le talent de Naitier, et tendait à le réduire à l'inaction et à la misère.
Ce fut alors qu'appuyé de Jouvenet il se présenta à l'Académie royale, dont il devint l'un des agréés. Dans ce port de refuge, ses ennemis ne pouvaient plus l'at- teindre.
Cependant, la mort de Louis XIV, arrivée en 1715, avait contribué, autant que les malheurs de la fin de son règne, à exercer sur les arts une influence funeste. Les travaux manquèrent à beaucoup de peintres et d'hommes de talent, parce que le commerce et les finances étaient dans un état déplorable. Les suites de la révocation de redit de Nantes, une sourde inquiétude, motivée par une régence, par les dissentiments de cour, occupaient d'ail- leurs tous les esprits. Sous une monarchie, la peinture, la sculpture, l'architecture et la musique ont besoin pour prospérer de \ivre dans une atmosphère calme, riante, et d'être entourées des favoris de la fortune. Beaucoup d'artistes quittèrent alors la France , parce qu'ils ne trouvaient plus à y vivre, et se répandirent dans diverses contrées de l'Europe.
Le célèbre Lefort, premier ministre du czar Pierre, ayant déterminé LebJond, architecte distingué, à venir s'établir en Russie, engagea Nattier à suivre cet exemple, en allant d'abord visiter le czar à Amsterdam. Notre peintre consentit à le suivre dans cette ville. Pierre, l'ayant bien accueilli, lui procura la commande des por-
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traits de plusieurs seigneurs russes qui raccompagnaient lors de son séjour en Hollande. Ensuite il lui ordonna de faire le tableau de la bataille de Puliava, et le portrait de l'impératrice Catherine, qui était à La Haye. Le czar ne tarda pas à venir à Paris, où l'impératrice lui écrivit, en donnant de si grands éloges à la manière dont Nattier l'avait peinte, que ce prince témoigna le désir le plus vif déjuger par lui-même cet ouvrage tant vanté. Nattier apporta donc le portrait à Paris, et, quoiqu'il ne fût pas entièrement achevé, Pierre le trouva tellement de son goût qu'il le fit remettre à l'artiste Boitte, alors en grande réputation, pour qu'il l'exécutât en émail.
Le Siècle de LouisXIV, de Voltaire, et tous les journaux et Mémoires du temps ont décrit les honneurs rendus au czar et les fêtes dont il fut l'objet. M. le duc d'Antin, protec- teur éclairé des arts, connu par sa munificence, avait reçu la mission de l'accompagner pendant son séjour dans la capitale, et de lui faire voir ce qu'elle renfermait d'in- téressant et de curieux. A un souper splendide qu'il lui donna, le portrait de l'impératrice fut placé sous un dais, et excita l'admiration de tous les convives. Le lendemain le grand maréchal Aloffiof alla, de la part de Pierre, de- mander à Nattier de commencer son portrait, dont il ne se montra pas moins content qu'il l'avait été de celui de Catherine. Ce tableau a figuré jadis dans une des expo- sitions du Louvre. Il a appartenu depuis au duc de Grammont et se trouve maintenant en Allemagne.
Le czar, se disposant à retourner en Russie, chargea Lefort de demander à Nattier quand il se proposait de l'y rejoindre. On exigeait de lui une réponse décisive, et, au moment de prendre une résolution aussi grave, mille
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îiiqiiiéliidcs el rainuur de la patrie vinrent tourmenter son esprit el son cœur. Heureusement, un ami qu'il courut consulter, fixa ses idées. — « Pierre est un » homme de génie, lui dit-il, mais ses mœurs sont celles •> d'un barbare. Il est quelquefois noble, généreux ; • souvent aussi, dominé par ses passions et ses caprices, » il est injuste et use de procédés lyrauniques envers » ceux qui le serveat. Qui peut vous répoudre qu'après » lui avoir plu, vous ne lui déplairez pas ? Comment vous » trouverez -vous ensuite de ce climat glacé, de ces » habitudes tariares qui sont en opposition totale avec » l'existence que vous avez menée jusqu'à présent ?. — » Croyez-moi» mon ami, restez en France. — « Ces sages observations entraînèrent Naiiier à refuser de s'expatrier. Blessé dans son orgueil, le czar ne lui pardonna point d'avoir résisté à une volonté accoutumée à ne pas rencon- trer d'obstacles. Il partit, et pour se venger, fit enlever de chez l'émailleur Boitte le portrait de la czarine, sans en payer le prix. Quelle triste et mesquine vengeance de la pari d'un grand souverain, du vainqueur de Char- les XII !
Peu de temps après ce départ, Naitier, devenu le pein- tre à la mode dans le grand monde, termina le portrait d'Anne- Louise -Bénédicte de Bourbon, petite fille du grand Condé et duchesse du Maine. Celle princesse, d'une taille au-dessous de la moyenne, avait une tête charmante, beaucoup de grâce el de dignité. Sainl- Simon, dont les .Mémoires sont fort curieux, mais man- quent quelquefois d'impartialité, l'a jugée avec une sévé- rité qui touche de près à l'injustice. Aussi n'est ce pas lui qu'il faut consulter pour bien apprécier la duchesse du Maine. On sait d'ailleurs que Saint-Simon, ami du;
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régent, sans partager les scandales de sa vie si souvent honteuse, élaiti comme presque toute la haute noblesse de son temps, l'ennemi déclaré des princes légitimés. Voltaire, le cardinal de Polignac et la plupart des hommes célèbres fréquentant la petite cour d'Anne-Bénédicie de Bourbon ont fait l'éloge le plus complet de son esprit et de son amour pour les sciences, les lettres et les arls. Mademoiselle de Launay (depuis madame de Staal), quoiqu'elle ait eu quelquefois, lorsqu'elle servfjit celte princesse, à se plaindre de son caractèi'e, la peint ainsi : « Personne n'a jamais parlé avec plus de justesse, de » netteté, de rapidité, ni d'une manière plus noble et » plus naturelle. Son esprit n'emploie ni tours ni fi- » gures, ni rien de tout ce qui s'appelle invention. Frappé » vivement des objets, il les rend, comme la glace d'un •> miroir les réfléchit, sans ajouter, sans omettre, sans » rien changer. « Voilà un témoignage intime, désinté- ressé, et qui certes répond sufiisamment a là satire du duc de Saint-Simon !
La duchesse du Maine habitait presque toujours le châ- teau de Sceaux C'était alors un lieu de réunions, de
fêtes les plus ingénieuses et les plus brillantes I (i^
Suivant l'heureuse expression de Fontenelle ; La prin- cesse voulait que dans ces fêtes la galle eût de l'esprit. M. de Malézieu, l'universel, à la fois poète, géomètre, hellé- niste, traduisant à livre ouvert Sophocle et Eurypide, se montrait l'ordonnateur et l'àme des plaisirs de ce séjour charmant. Maintenant, quel contraste, grand Dieu ! et
(!) On retrouve le récil des fêles de Sceaux dans le Mercure ga- lant, et principalement dans le N" d'aoùl 1705.
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que les temps soiil changés ! Il y a deux mois, le chemin: de fer de la barrière du Maine m'a conduit à Sceaux. Les ruines mélancoliques du château, dont il ne reste plus que quelques pierres moussues ; les débris de charmilles appartenant à ces jardins délicieux, tracés par Le Nôtre^ ont d'autant plus attristé mes regards, que là où on voyait tout ce que la cour, les lettres et les arts avaient de pins distingué, je n'ai rencontré que des grisetles de bas- étage el des commis marchands se trémoussant aux sons aigres et faux d'une polka de cabaret.
Naitier devint Tun des habitués de la petite cour de Sceaux, et à propos de son portrait de la duchesse du Maine, il nous est restée une lettre qu'elle lui avait adres- sée, et que je me fais un véritable plaisir de citer (1) :
« Nous vous attendons dimanche prochain à Sceaux.. » Une voiture de M. le duc ira vous prendre à votre lo- « gis, et vous aurez pour compagnon de route M. de » Mathant, ordinaire de la musique du roi, qui doit con- » duire la symphonie. Le bon M. de Malézieu, que nous » sommes si heureux d'avoir fixé près de nous, dans la » jolie maison de Chàtenay, nous prépare, dans le mys- » tère, une fête qui sera une merveille, comme tout ce » qu'il invente ! M. et mademoiselle de Nevers, madame » la marquise d'Anlin, madame el mademoiselle de Ro- » ban, M. de Dampierre, qui joue si bien de la flûte » d'Allemagne et du violon, MM de Voltaire, Fontcnelle » et l'abbé Genest en seront. Jugez par cet échantillon » du reste des conviés. M. de Malézicu soutient que vous-
(1) Celle leUre apparlienl à la collection daulographes du cheva- lier Francis Philips.
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» lui serez furl uiilc, avec voire grand goût pour l'ar-
» rangement des décorations et des costumes. Il n'a pas
• oublié les jolis dessins que vous avez faits pour Yordre
• de la Mouche à Miel, dont je m'honore d'être la grande » maîtresse.
» Sur ce, je prie Dieu, monsieur l'enchanteur, qu'il » vous garde en talent, joie, prospérité et santé. »
La conspiration de Cellamare et Tarrestaiion de la du- chesse ne tardèrent pas à changer en deuil les joies de la petite cour de Sceaux. Ce fut le premier coup de foudre qui vint frapper les enchantements de cette délicieuse retraite.
II.
C'est en 1718 qu'eut lieu la réception de Naitier en qualité de membre de l'Académie. 11 peignit à cette oc- casion un tableau, les noces de Pfiinée (au moment où Persée présente la tête de Méduse), que l'on voit aujour- d'hui dans le musée de Tours.
Les désastres qui furent la suite du système de Law atteignirent Nattier. Ayant partagé l'engouement général produit par les opérations financières de ce célèbre aven- turier, il convertit en actions du Mississipi une somme assez considérable, et se trouva à peu près ruiné lors ■ qu'arriva la banqueroute. Ce revers de fortune ne l'abat- tit point, et plus que jamais il se livra au travail, adoptant décidément le genre du portrait, (pii lui olîrait, plus qu'au-
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cun autre, le moyen de réparer ses perles. Le maréchal de Saxe ei le duc de Richelieu voulurent alors être peints en pied par lui ; et, d'après les contemporains, ces deux ouvrages lui firent un grand honneur (1).
Depuis longtemps Nattier avait l'intention de se marier; son caractère le portait vers cette tranquillité, ces plaisirs de la famille si nécessaires à l'homme dont l'existence est en grande partie consacrée au travail. Son choix se fixa sur mademoiselle de La Roche, fdle d'un mousquetaire du roi, ayant, ainsi que lui, perdu tout ce qu'il possédait, dans le système de Law. Celte union totalement désin- téressée lui eût offert le bonheur le plus complet, car mademoiselle de La Roche était jeune, belle, remplie de vertu, de talents et de grâces; mais malheureusement sa santé était si faible qu'à chaque instant son mari craignait de la perdre. Ils vécurent toutefois ensemble pendant dix-huit ans, et lorsqu'elle mourut, en 1742, Nattier, qui en ressentit le plus\iulcnl chagrin, venait d'atteindre à l'apogée de sa réputation et de ses succès. Il se re_ mit difficilement d'un coup aussi fatal, et ne retrouva le courage que pour veiller à l'éducation de quatre enfans que sa femme lui avait laissés.
Parmi les ouvrages échappés à son pinceau on distin-
(1) Non-seulemenl Natlier achcla, avec le produit de ses épar- gnes, des aclions du Mississipi, mais encore il échangea contre 18,000 livres de ces actions ses dessins de la galerie du Luxem- bours, qui di.vinrei)t la propriété de M. Law. — Dans sa fuite, Law les emporta avec lui, et vraisemblablement ils périrent sur mer, car depuis ce temps, on n'en a jamais enlendu parler.
(Note prise dans l'abrégé de la vie de NaUier, par M'"" Tocqué. — 2" volume, pago 71o5 des mémoires de l'Académie do peinture.)
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guaii surioui deux poriraiis de mademoiselle de Cler- mont, peinte, suivant la mode du temps, sous divers at- tributs. Le château de Chantilly gardait encore, avant la Révolution, l'un de c<^s portraits, et l'autre se voyait chez le duc de Saint-Aignan.
Les princes de la maison de Lorraine se firent peindre par lui, el figurèrent à l'une des expositions du Salon : Madame la princesse de Lambesc, reprcscnlce en Pallas et armant son frère M. le comte de Bripnise, était le plus remarquable de ces tableaux. C'est à cette occasion que Gresset fit ces deux vers :
Et Naltier l'élève des Grûces (t) El le peintre de la beîtulé.
Le chevalier d'Orléans, grand prieur de France, habi- tant le Temple, y avait une belle galerie dont Raoux avait commencé la décoration. Ce pciiitre étant mort, Noël Coypel et Natlier se présentèrent pour achever celte ga- lerie.Il fallait choisirenlre ces deux concurrents, et le grand prieur donna la préférence au second, en lui accordant un fort beau logement dont il jouit jusqu'à la fin de la vie de ce protecicuf éclairé des beaux-arts. La galerie du Temple était consacrée aux Muses. Six de ces vierges immortelles, ainsi que le portrait en pied du prince en costume de généralissime des galères, restaient à peindre; Nattier s'acquitta de cette tâche avec autant de zélé que de talent. A la mort du grand prieur, que rem- plaça le prince de Conii, l'artiste n'avait reçu que de lé-
(1) Vers sur le? tableaux exposés à l'AcaJéniio royale de peinture en 175".
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gcrs à-comptcs sur ces ouvrages ; il les relira de la gale- rie, préférant rendre â l'ordre de Malle, qui refusa d'en compléler le paiemenl, ce qui lui avaii élé remis plutôt que de les lui abandonner à un prix aussi minime.
La cour de Louis XV se distinguait en ce moment par des femmes de la plus grande beauté. Parmi ces femmes on remarquait principalement mesdames de Flavacour et de Cliàieauroux, nièces de la duchesse de Mazarin. Xattier les peignit louies deux, la première sous la figure allégorique du silence, et la seconde sous celle du point du jour. La reine ayant vu ces portraits en fut dans renchaniem«eni. Elle voulut qu'il peignit de suite ma- dame Henrieiie de France, sa seconde fdle, pour orner la cheminée de son cabinet à Versailles. Naltier répéta ce portrait jusqu'à trois fois, et fit aussi celui de madame Adélaïde : deux de ces tableaux décoraient la chambre à coucher du roi au château de Choisy.
Peu de temps après le duc de Villeroi lui donna l'ordre de peindre Louis XV en buste, et ce monarque, on ne peut plus satisfait, l'envoya secrètement à Fonirevault pour y faire les portraits de trois de ses filles retirées dans ce monastère. Afin de causer une surprise agréable à la reine, il les lui fil présenier à l'improvislc lors d'un voyage à Choisy. A peine lus eut-elle vus, qu'elle demanda à Nattier de la peindre â son tour, en mettant toutefois pour condition à celle faveur qu'il la représenterait en simple négligé du malin. Les goùls modestes de Marie Leck- zinska forniuicnt le conlraslre le plus tranché avec les ha- bitudes, le luxe de la cour, et ses sentiments religieux ne pouvaient pdmelire les allégories et les costumes souvent fort décollcli's des peintures de celte époque. Cet ou-
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vrage, el la plupart de ceux que je viens de rappeler, sont en ce moment au musée historique de Versailles, dans la galerie des portraits, aîle du nord, second étage, et dans la chambre à coucher de Louis XV.
Le dauphin, la dauphine, l'infante, duchesse de Parme, madame Isabelle, sa lille, le duc de Bourgogne, le duc et la duchesse d'Orléans, le prince el la princesse de Condé, presque toute la cour enfin posa devant Naiiier, qui avait de la peine à satisfaire à l'empressement qu'on lui témoi- gnait d'occuper ses pinceaux . On voyait autrefois, de sa main, dans le cabinet du dauphin , quatre dessus de portes représentant mesdames de France sous la figure des quatre éléments. Ils ont été gravés, et l'un d'eux, offrant les traits de madame Victoire, tenant une urne renversée et une branche de corail, a été vendu chez M, de Cipierre en 1846.
Naltier, constamment au service des grands, fit peu de portraits pour la ville. Je dois cependant citer celui de la célèbre danseuse Cupis de Camargo, que Voltaire a immortalisée dans ces vers ;
Ah ! Camargo, que vous êtes brillanle ! Mais que Salle, grands dieuX; esl ravissante ! Que vos pas sont légers, el que les siens sont doux ; Elle est inimitable, et vous toujours nouvelle : Les nymphes sautent comme vous ; El les Grùces dansent comme elle (1).
(1) C est à tort qu'au bas d'une eau-forle publiée par l'AnxiSTE et failc par Edmond Bédouin, d'après le lableou de Lancrcl, on lit : La Camargo dansant la gargouiUade. — Le nécrologo qui a paru l'année de la mort de cette danseuse dit po.-ilivemcnl qu'elle ne fit jamais la gargouUhvJe, quelle avait jugée peu décente, et quelle rem- plaçait par le pas de Basque, dont elle et fhimoulin oui fait l usage le plus heureux. (Page 141.)
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Ce porirait est en ma possession, et ou y retrouve (oui lé brillani, toute la fraîcheur, toute la grâce du i;iieni de cet artiste.
De temps à autre il reprenait la peinture historique ; mais ce qu'il a laissé d'achevé en ce genre n'a rien de re- marquable. La hardiesse, la force, ce sentiment noble et sévère, qui doivent caractériser les tableaux d'histoire, lui manquaient entièrement; il les peignait avec délica- tesse, avec une fantaisie un peu fardée, comme il peignait les portraits des jolies femmes de la cour, et ce qui ren- dait ceux-ci on ne saurait plus séduisants devenait un grave défaut dans ceux-là. Aussi ses esquisses sont-elles meilleures que ses tableaux terminés. Il avait l'entente de la composition à un assez haut degré, et il l'a bien prouvé dans une grande toile ayant pour sujet un épisode du Paradis perdu.
A la mort de sa femme on le vit se livrer tout entier à l'éducation de ses enfants. Il lui en était resté quatre, trois filles et un garçon ayant les plus heureuses disposi- tions pour la peinture. Ce fils étant allé à Rome pour étudier les chefs-d'œuvre de l'anliquiié , se noya à l'âge de 23 ans , en se baignant dans le Tibre (1). Ses trois filles furent avantageusement mariées , la première avec Tocqué, son élève , la seconde avec Challe , peintre du roi , et la troisième avec M. de Brochier, secrétaire de l'infant duc de Parme.
(1j II y avBil liiihs la collcclion Paignon Dijoiival un paslel du fils de NaUier, représenlanl uiio femme, en bu^le, coiffve à la turque, et rue de face. (Voy. ce Catalogue.)
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I/Acadëmie de Danemark l'avait inscrit, en 1759, au nombre de ses membres. Son tableau de réception lut le portrait de son gendre Tocqué.
Cependant la vieillesse arrivait poHr Nallier, et sa sanl«î, ses facultés s'altéraient tous les jours davantage. Le roi, qui s'en était apperçu, avait, en 1760, ajouté une pension de 500 livres aux immunités attachés à sa position de pein- tre de la cour. Dans l'année 1762 il fut atteint d'une liy- dropisie, tomba dangereusement malade, et perdit tout es- poir de guérison, malgré les assurances contraires que lui donnaient ses médecins. A dater de ce moment, il s'alita pour ne plus se relever. Ayant été transporté, selon ses désirs, dans la maison de madame Challe, l'une de ses filles, il reçut d'elle et de sa famille les soins les plus empressés et les plus touchants. Quatre ans s'écoulèrent pour lui au milieu de douleurs continuelles supportées avec un rare courage , et on le vit s'éteindre le 7 novembre 1766, dans sa quatre-vingt-deuxième année
Tous les contemporains de Nallier rendent justice à la douceur de ses mœurs, a l'élégance de ses manières et à la bonté de son cœur. Il était bienfaisant, père tendre, et excellent ami. Sa sincérité, qui n'avait rien d'âpre, son iniégrilé parfaite lui concilieient l'estime et l'aflec- tion générale. Exempt d'envie, il louait avec chaleur les ouvrages distingués des autres artistes, et principalement (le ses rivaux. Ce qui le piouve, c'est qu'ayant apprécié* le beau talent de Tocqué, qui travaillait dans <on atelier, il l'entoura de la bienveillance la plus empressée, et finit par lui donner en mariage l'une de ses filles.
Malgré l'accueil qu'il recevait du grand monde, sa mo
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dt'Mio v\ uiir 0('il;iiiit> iiMiulii(>, joiiKi- :i iiiuMtigniU' do en rancir |)roiiani sa somoc dans la noblesse do son ;\nio, ron>pô( hôron» dolro ooiniisan, el danivor à la foriuiie par la llailorio cl l'inipoi-innilo. N(^ spiiiluol el sludieur, îlétnU tout à son an el à la leotnre, qni, en lui doiuiant lU^s eonnaissanres ('leJidnos, l'avaiein rendn l'un des ar- Usies les pins insUnils, les pins lelln ,^ tle son si«»ele.
Si je viens niaintriiani ;\ le jn^er «omine peinin', je dois avouer iVanelK ment cpit^ je le plaee an -dessons de Rignud el n)«>tne d(> Lac^illière. Jamais il n'a en la Con'^. l'aniplenr, le ^rand ^oni dn pronÙjT de »<'s poriiailisles, ni la lai'genr dn faire ni Vourlitositi' de coloris, (pi'on me pardonne *'<' mol , dn secimd. Au i>rcmier aspect , sa manière de peindre csi d'nnes('dnction,d'nn charme ado- rable ! Sa loi.clie «>sl Une, légère, sa conlenr esl eiince- lanie, ses draperies, (pioiipu' manpiani avec oxaelilude.le <ui, vollijïcnl fav«>c nne}j[r;U'e, nne h'gèrel»* sans par<Mlles, et sonl ionclu>es trnne l;n,-on (pii Int esl propre Knlîn ses compositions onl de la convcnant'c «'i »le l'espril. Tonlcn)is CCS qualités marchent presque lonjours acc.om))agnccs d'un c<M'lain appriM.tl'nne certaine preieniionan Mignard, au joli, an mnscpie, enle\anl à ses porirails ce sentiment tuUttrc, «M'tte franchisoqui seuls font les grauds peintres. Il peignait très ressend)tanl, mais il (>inbclli>sail lucme la bcaiile ( 1"^. ('.cl ari, «pii iii son succès, sniloul anprès
(1) l.'linlion Custuiovii, «Iniin kok Moin«)tioi«, donl on no saurait trop blAmor la llconro, mai» qui ronfiMnicitl ilrn falls ol «les anocilolnn lr*«-ouruM»\ "iiir le» n«iiur'« cl 1rs |>('r'*oni» ik"!> di^lingui^» du XVtll, •lAolo, *i KpInUiolUMucnl jiigtv ||< lnlcnt do Nullior. Voivi co qu'il dil di> 00 pciniii', pago I\'>ri, voliHuo Vl" do I l'diiliin in 8", publlt^n en IHr>5 piir roiil n « Toi » »v,s |o o<SIMno NitUii-r do Tmin , quo J'ni
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des dames delà cour, cesse pour moi d'être de l'an comme je le comprends. Au surplus son talent, comme celui de Waiieau, artiste d'un mérite bien plus élevé, fut en par- faite harmonie avec le goût du temps où il vécut. La vé- rité alors tt'était pas cette belle femme nue et cependant décente , ou habillée richement et cependant noble que nous ont montrée le Titien, Van Dyck, Rigaud, mais celle que les mœurs de la Régence et du règne de Louis XV avaient couverte de pompons, de dentelles plus que transparentes, de fleurs, de fard , de mouches, et dont le regard coquet et animé semblait dire : « Admirez mes » prétintailles et aimez-moi ! ->
Natlier dessinait au crayon noir, rehaussé de blanc, avec une délicatesse, un esprit très remarquables, et un
n connu dans ceUe capitale en 1730. — Ce grand arlisle avait alors
> quatre- vingt ans, et malgré son âge avancé, son beau talent semblait » être encore dans toute sa fraîcheur. Il faisait le portraild'une femme » laide, il la peignait avec une ressemblance parfaite, et, malgré cela,
> les personnes qui ne voyaient que son portrait la trouvaient belle. » Cependant l'examen le plus scrupuleux ne laissait découvrir dans » le portrait aucune infidélité. Mais quelque chose d'imperceptible » donnait à l'ensemble une beauté réelle et indéfinissable. D'où lui B venait celle magie?... — Un jour, qu'il venait de peindre les » laides mesdames de France, qui sur la toile avaient l'air de deux B Aspasies, je lui fis celle question. — 11 me répondit : C'est une » magie que le dieu du goùl fait passer de mon esprit dans mes » pinceaux. C'esit la divinité de la beauté que tout le monde adore, » et que personne no peiil définir, parce que nul ne sait en quoi elle » consiste. Gela démontre combien est fugitive Ij nuance existant » entre la laideur et la beauté. Celle nuance cependant est immense ') et frappante pour ceux qui n'ont aucune connaissance de noire » art. »
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fini qui n'a été égalé par aucun des artistes ses conlcni- porains. Souvent il faisait les esquisses de ses portraits au pastel, et d'une façon si harmonieuse et si légère qu'i' semble, en les regardant, apercevoir à travers un nuage irisé quelques-unes de ces apparitions fantastiques em- pruntées à la mythologie des ondins. Au premier rang des graveurs ayant reproduit ses ouvrages on doit placer le célèbre Drevet (l).
Un préjugé déploinbîe, fruit de l'ignorance du public et du peu de travail ei de soins des artistes de nos jours, fait que maintenant on considère le portrait comme le plus minime de tous les genres en peinture. L'opinion contraire est la mienne, et je pense que le portrait est à la fois l'une des œuvres les plus difficiles et les plus im- portantes de l'art : mais il faut, j'en conviens, qu'il soit traité avec une grande supériorité. Est-ce que la repré- sentation de la figure humaine, des sentiments et des pas- sions qui l'agitent, n'est pas plus intéressante et n'exige pas plus de savoir, de génie observateur, que celle des objets matériels, inanimés, composant un paysage ou tout autre tableau de genre dans lesquels les personnages ne sont la plupart du temps que des accessoires? N'est-ce pas là qu'il faut faire briller ce rayonnement de l'ànie si nuancé, si fugitif, qu'on a tant de peine à saisir ? Certes, 'es portraits du Titien, de Paul Véronèse, du Bronzino, de Van Dyck, de Rubens, de Rigaud, do Largillière, va- lent autant, à la composition près, que les grandes pages
(1) M avait laissé à ses cnfanu- un de ses plus beaux dessins, dont lu sujet étail la ( hute des Anges, lire du Paradis perdu de Millon.
Abréyé delà viedeNalliiT {)iir M"" Tocquo
-^ JIO —
de ces maîtres, car au talent ilsjoign«^nt rallraii de nous faire eonnahre les hommes ou les femmes distingués que leurs pinceaux ont transmis à la postérité. Sans nul doute maintenant le portrait est devenu chose fort déplaisante et fort ennuyeuse; mais à qui la faute? A nos peintres du jour, à ceux même qui ont le plus de réputation. En ce genre ils n'ont rien fait qui approche des anciens. Cela est mort, sec, froid, inélégant ; cela ressemble la plu- part du temps à des images mal coloriées que l'on a dé- coupées pour les coller sur la toile. Le dessin surtout est on ne saurait plus négligé : sous la chair il n'y a pas de muscles, sous la peau il n'y a pas de vaisseaux, de sang. Les mains en particulier sont de bois, de carton, et n'ont pas de forme appréciable. En remoniani aune époque peu éloignée, au règne de Louis XV, on trouve Natlier, les Vanloo, Tocqué, Chardin, Aved, Drouais, Greuze, madame Lebrun et autres artistes qui nous ont laissé de bons et de jolis portraits. Sous l'Empire, Prudhon et Gros ont continué la renommée qu'à cet égard notre école s'était justement acquise. Mais la Restauiation a vu s'éteindre le portrait, et il a fallu qu'elle s'adressât à un Anglais, Lawrence, pour avoir un spécimen présen- table de ses personnages officiels. Depuis, c'est M. Win- terhalter, un Allemand, qui a eu toutes les commandes aristocratiques. Or, le talent de ce peintre est à celui de Lawrence ce que Wattcau de Lille est à Waiieau de Va- lenciennes, ce que le crépuscule produit par la lueur d'un lampion est au soir d'un beau jour.
Il est grand temps que nos jeunes artistes se piquent d'honneur et s'efforcent de retrouver le portrait et de nous l'offrir tel que les maîtres le faisaient jadis. Qu'ils ne disent pas comme Pieri e, le recteur de l'ancienne aca-
— lil -
demie : <■ Cela esl trop difficile ! » Pierre avait raison, mais c'est surloul ce qui est trop difficile qu'il faut tâcher d'atteindre, car c'est là qu'est le mérite, et c'est là ce qui mène à la gloire (i).
(1) Le portrait de Natlier, peini par son gendre Tocqué, se trouve dans la salle des délibérations de l'Ecole des Beaux-Arts. Il n'a point été gravé.
APPENDICE
A l'Étude sur i.a vit; kt lks ouvuaces de nattier.
Mes amis Matilz, Philippe de ChéDovièies el Eiidore Soulié, qui s'occupent avec autant de zèle que de succès de l'histoire de la peinture en France, vont mettre au jour deux volumes très curieux des <• Mémoires sur les » Académiciens » contenant une biographie de Nattier, écrite par sa fille, madame Tocqué.
Hiei', il m'est aiiivë, de la part de Maniz, les épreuves de celle biographie, dont je me suis empressé de prendre lecture. Elle ne renferme, quant aux faits importants, rien qui ne se tiouvc dans l'élude sur la vie elles ouvrages de ce peintre, publiée par moi en avril 1850, et réimpri- mée ici. Seulement j'y ai remarqué l'indicaiion de quel- ques portraits à ajouter à ceux que j'av lis mentionnés, el une note iniéressarae, puisée dans un manuscrit de la main de Naltier.
En remerciant Manlz de son obligcanle communication, je m'empresse d'ajouter à mon travail primitif les docu menls qu't^lle me fouriiit.
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PORTRAITS.
1" Grand (ableau allégorique de la famille de M. de Lamotle, iiésorier de France.
2" Porlrails de M"' de Baiijoulais.
3" . — de Mi'-^ de Cliarlres. .
■i" — de la pi-iiicesse de Conti
0° ei 6° Porirails de MM. CouUuier et Desvieux, direc- teurs de la Compagnie des Indes
7" Portrait du maréclial de Bouftlers, en ce moment au musée de Valenciennes.
NOTE DE NATTIER.
Dans celle note, Natier expose les principaux obstacles qui l'ont empêché d'acquérir la fortune que son talent et ses tiavaux lui donnaient le droit d'espérer. Ainsi, il se reproche naïvement :
1" Tons les mauvais marchés qu'il a faiis dans sa vie, notamment celui de la vente des dessins de la galerie de Kubensà M. Law.
2° Son peu de soin à placer et à faire valoir son argent, et sa trop grande facilité à prêter à des gens qui, pour la plnpari, neroni janiais lemboursé.
3» Sa négligence à se faire payer de ses ouvrages qui, jointes aux perles fréquentes essuyées parles banque-
roules ou par la inorl des personnes dont il avait fini les portraits, doit nécessairement avoir beaucoup nui à l'ar- rangement de ses affaires.
i" La quantité infinie de portraits qu'il a faits pour ses amis et même pour de simples connaissances, sans en vouloir recevoir aucun payement.
5° Son goût extrême pour les curiosités de cabinet qui, ajoute-t-il, l'a mené beaucoup plus loin que l'état de sa fortune ne lui aurait dû permettre.
Il allègue enfin « les fortes dépenses qu'il a été obligé » de faire pour soutenir sa maison, ayant eu à élever » neuf enfants, dont l'éducation lui a été fort coûteuse, et •» ayant épousé une femme valétudinaire, dont les mala- » dies violentes et piesque continuelles lui avaient fait • dépenser des sommes considérables. »
« De tous ces obstacles réunis, ajoute le commentateur » de celle note, on peut conclure qu'ileutétéaussi difficile » à M Naiiier de pouvoir beaucoup amasser, qu'il lui avait w été facile d'acquérir. — Mais ne se traile-t-il pas avec » trop de rigueur?... Quoiqu'il en soit, heureux l'homme » qui, à la fin d'une longue carrière, n'a d'autres torts à » s'impuier que ceux dont toute àme généreuse et bien » née peut aisément faire l'apologie ! »
Je n'ai pas besoin de dire à ceux qui me connaissent que cette dernière observation me console d'avoir, dans tout le cours de ma vie, et principalement à l'époque où la fortune me souriait, eu à me reprocher, en grande par- tie, ce que se reproche Naitier. -- Sic voluere fata !
9 juillet 1854.
PATER.
« La peinture du 18" siècle , est comme loiis les essors colleciifs de l'aclivilé hu- maine , 1res complexe.
Paul Manty, salon de 1847,
PATER.
Dans un article coloré et spirituel sur Watleau et Lan- crei, article publié dans la Revue de Paris en 1841, M. Arsène Houssaye paraît ne point se douter que Pater ait été l'élève et l'imitateur du peintre des fêtes galantes, car il n'en dit pas un mot. C'est bien certainement une dis- traction de i:ct ami des arts, qui lui a fait passer sous silence le nom d'un artiste dont le pinceau , bien mieux que celui de Lancret, a approché du talent, de la grâce de Watleau.
Une circonstance asstz remarquable, c'est que Pater était né, comme son maître, son modèle, à Valenciennes, qui, à diverses époques , a produit , dans les lettres et dans les arts, des sujets vraiment distingués. Ville heu- reuse entre toutes les villes, na-t-elle pas donné le jour àFroissart, le naïf et charmant chroniqueur? à Rosalie Levasseur, cette belle et puissante cantatrice , à laquelle le chevalier Gluck confia le voile blanc d'Euridice et la baguette d'Armide ? (l) à Saly et Dumont, les sculp- teurs? à Eisen , le dessinateur, qui a illustré avec tant d'esprit, de délicatesse , tous les jolis livres du dix-hui- tième siècle ? à Joséphine Duchesnois, si tendre, si pas-
(li M. ArihurJDinaux a publii'^ dun^ les Archives historiques du \ord une noticoirès intérf-ssmiln sur Rosalie (.evas<oiir.
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sionnée dans les rôles de Phèdre et de Marie Stuart ? De nos jours, et malgré le biuil, la fumée, et les préoc- cupalions intéressées de Pindustrie, celle reine un peu juive de notre âge, Valencienncs n'a pas moins coniinué à enfanter des ariisles distingués, et, si je ne les nomme pas, c'est parce que je crains d'alarmer leur modestie, et qu'il y a toujours quelque embarras à s'entretenir des ta- lents vivants, fût-ce même pour les louer.
Quoi qu'il en soit, Pater est né aussi à Valenciennes, sur la fin du règne de Louis XIV, en 1695, et c'esi lui, oublié, je ne sais trop pourquoi, par presque toutes nos biographies, en y comprenant celle dite universelle, que je vais tâcher de faire connaître à mes lecteurs.
Son père, Antoine-Joseph Pater, appartenait à une fa- mille honnête de la bourgeoisie, et était un sculpteur d'un .certain mérile. On lui doit tous les ornements de la porte de Famars, travail dans lequel il fut aidé par l'aîné de ses fils, Jean-François Pater.
Ainsi que Walleau, Jean-Baplisle Pater, notre peintre, montra dès l'enfance, un goût irrésistible pour le dessin Loin de le contrarier, son père, charmé de voii- se déve- lopper en lui les qualités qui conduisent à devenir un ar- tiste de mérite, l'encouragea dans ses premiers essais, en lui donnant pour maître Gérin, peintre maintenant in- connu, qui habitait alors Valenciennes. Lorsqu'il fut devenu d'une certaine force, il résolut de l'envoyer à Paris. Jean Bapiiste Pater sortait à peine de l'enfance j non-seulement ilavaitbesoin d'être placé sous l'égide d'un bon raaître, mais encore de trouver dans ce maître un ami, un protecteur qui le dirigeât dans le monde et lui fît
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éviter les écueilsqne présenie la capitale aux jeunes pro- vinciaux venant l'habiter. Son père crut avoir rencontré l'homnie qu'il lui fallait dans son compatriote, Antoine Waileau, âgé de quelques années de plus que son fils, et en possession déjà d'un talent renommé : il se trom- pait. Il est raie d'abord que celui à qui le ciel a départi le génie et roriginal té puisse s'astreindre à donner des leçons La patience est une des premières qualités des hommes qui se vouent au professorat, et cette qualité manque souveni à ceux que l'esprit de création etlafou- gue exaltée, cette compagne ordinaire d'un sentiment vif et profond, enii aînent constamment vers le beau idéal et la recherche de routes jusqu'alors infréquentées. Le Poussin, Lesueur, Gluck, Mozart, Gréiry, n'ont point eu d'élèves ; ils ont donné des conseils, mais ne se sont ja- mais plies froidement à enseigner chaque jour les règles de l'art dont ils ont été les modèles. En second lieu, An- toine Waiteau était d'une humeur morose, atrabilaire, d'un caractère difficile, rempli de contrastes heurtés, ne pouvant s'allier avec la faiblesse, léiourderied'un pupille, et les soins minutieux, persévérants, qu'exigent son ins-; truciion et son avancement.
J'ai raconté, dans VEssai sur la vie de Watteau, que V Artiste a publié, les démêlés qui eurent lieu entre lui et Pater. Ils furent tels que ce dernier fut obligé de quitter ce maître, avec d'autant plus de regrets que la nature l'avait créé pour peindre dans son genre et, si ce n'était pour l'égaler, du moins pour le suivre de très près.
Le voilà donc sl'uI à Paris, abandonné à ses inspira- tions, et n'ayant pas une main amie pour le soutenir, une voix dont la bi<'nvt.illanc(' et l'autorité pusseni le guider
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xlansla carrière qui s'ouvrait devant lui. Combien déjeunes gens, dans une semblable situation, n'eussent point lardé à perdre courage ! Mais Pater qui possédait à la lois de l'énergie et l'amour de son art , se livra avec ardeur à l'é- lude, qui bientôt le récompensa de son zèle et de ses efforts.
La capitale renfermait alors des amateurs riches, dis- tingués, se plaisant à réunir dans leurs cabinets les œu- vres des peint'res anciens et modernes, et à venir en aide aux artistes vivants dont les heureuses dispositions an- nonçaient un avenir de succès et de gloire. Parmi ceux qui marchaient sur les traces des Maiietle, des Julienne, des àe Lalive, je dois sign iler M. Blondel de Gagny. Quelques petites toiles de Pater tombèrent sous ses yeux, et, à dater de ce moment, il devint son protecteur et lui commanda des tableaux. C'est pour lui que Pater fuie Bal^ l'un de ses meilleurs ouvrages, dont la valeur atteignit 2,000 livres, lors de la vente après décès de cet amateur.
La littérature galante, et en particulier les Contes de La Fontaine, éprouvaient en ce moment une recrudes- cence de succès, due aux mœurs plus que faciles de la Régence et du siècle de Louis XV, quoiqu'il y ait dans le talent et la manière de narrer de l'immortel bonhomme plus de naïveté erotique que de libertinage dévergondé. Tous les bibliophiles connaissent la magnifique édition de cet ouvrage, faite par les soins des fermiers généraux, et ornée des délicieux dessins d'Eisen. Pater fut chargé, ainsi que Lancret, d'exécuter plusieurs tableaux d'après ces contes, el peignit ensuite ceux qui composent la col- lection des principales scènes du Roman Comique de Scarron.
Cependant Watteau, retiré à Nogcnt, près de Paris,
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allait s'éteindre, frappé d'une maladie de poitrine que le séjour de rAngielcrre avait portée à sa dernière période. Le souvenir de son ancien élève ne s'était pas effacé de sa mémoire. Il se reprochait de n'avoir pas lendu à ses dispositions la justice qu'elles méritaient, et d'avoir usé envers lui de mauvais procédés. Il allait même jusqu'à avouer qu'ill'avait redouté ^ aveu honorant à la fois sa franchise et le talent de Pater. Gersaint, célèbre mar- chand de tableaux, ami intime de Waiteau, en racontant ces faits, ajoute qu'il fut invité par ce dernier à voir Pater, à lui exprimer ses regrets, et à le lui amener à Nogent : « pour qu'il pût , ce sont les termes dont il se servit, « réparer en quelque sorte le tort qu'il lui avait fait, en » le faisant profiter des instructions qu'il était encore en
• état de lui donner. » Vivement touché de ces avances de son ancien maître, Pater s'empressa de se rendre près de lui ; mais il ne reçut ses leçons et ses conseils que pen- dant un mois : la mort vint frapper Walicau au moment où sa réputation brillait déjà du plus grand éclat. Mort à jamais regrettable, car qui sait jusqu'où serait allé l'ar- tiste qui, à trente-sept ans, nous a légué tant d'œuvres charmantes? Pater sentit profondément la perte qu'il venait de faire : « Je devais tout, disait-il à Gersaint, au
• peu de leçons qu'il m'aavait données ! » Et depuis, oubliant les moments pénibles passés près de lui , en arrivant à Paris, en maintes circonstances, il témoi- gna la reconnaissance la plus tendre pour sa mémoire, se montrant heureux de rendre justice à son mérite tou- tes les fois que l'occasion s'en présentait.
Avec des sentiments aussi nobles aussi généreux, il se- rait inconcevable que Pater eût été en proie à un vice dont
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dans la carrière qui s" vraitdevani lui. Combien déjeunes gens, dans une semb>le siiunlion, n'eusseni point lardé à perdre courage 1 uis Pater qui possédail à la fois de rénergie et l'amour ffson art , se livra avec ardeur à l'é- I ude, qui bientôt le ré inpensa de son zèle et de ses efforts.
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La littérature gaU. e, et en particulier les Contes de La Fontaine, éprou ieni en ce moment une recrudes- cence de succès, du aux mœurs plus que faciles de la Régence et du siècle î Louis XV, quoiqu'il y ail dans le talent et la manière narrer de l'immorlel bonhomme plus de naïveté éroiii ; que de libertinage dévergondé. Tous les bibliophiles nnaissentla magnifique édition de cet ouvrage, faite pa les soins des fermiers généraux, et ornée des délicieux essins d'Eisen. Pater fut chargé, ainsi que Lancrel, d'«écuier plusieurs tableaux d'après ces contes, el peignit isuiteceux qui composent la col- lection des principaii scènes du Roman Comique de Scarron.
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les résultais onl élé funestes à son laienl et à son «exis- tence, si la nature humaine ne nous offrait pas tous les jours des contrastes qui échappent à toute explication raisonnable ; ce vice, c'était une avarice sordide, et, pour y croire, nous avons besoin de l'attestation de ses con- temporains, de gens d'honneur, de probité, tels que Gersaini et Mariette. Le premier était son ami, et entre, a cet égard, dans des détails qu'il semble rappeler avec peine, tant ils affligent son cœur! Le second, dans les notes manuscrites et précieuses jointes par lui à un exemplaire de VAbececla7^io pittorico du père Orlandi, conservé au cabinet des Estampes de Paiis, s'exprime ainsi : « Pater n'était occupé qu'à gagner de l'argent et » à l'entasser ; il se refusait le nécessaire et ne prenait « de plaisir qu'à compter son or ; je n'ai rien vu de si mi- » sérable que ce pauvre homme ! ■>
Je me ferais un reproche dépasser sous silence ce qu peut tendre à amoindrir l'impression défavorable pour le caractère de Pater que cette soif extrême du gain pour- rail donner à mes lecteurs. Il résulte, en effet, de ce que dit Gersaini, qu'une véritable monomanie s'était emparée de son cerveau, et que sans cesse il était poursuivi par la crainte d'arriver à la vieillesse avec des infirmités, sans avoir les ressources nécessaires pour exister, même mo- deslenieni. A chaque instant, le fantôme de la misère se dressail pâle et menaçant devant lui ; et, afin de se trou- ver dans une position aisée sur la fin de sa carrière, il vivait pauvrement dans sa jeunesse, ne s'accordant au- cune distraction, aucun plaisir. Dès le lever du jour, son atelier le recevait, et il n'en sortait que lorsqu'il y était forcé. On conçoit quelle influence fatale celle triste monomanie a dû exercer sur son talent et sur sa santé !
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Ne clicrchani qu'un prompt débit de ses tableaux, sou- vent il en négligeait quelques parties, afin d<; les termi- ner plus vite. Il ne se servait point de modèles, parce que cela eut occasionné de la dépense. Les rues de Paris, les théàlres, la campagne, ne le voyaient point, comme Waiteau, le crayon à la main, saisissant sur le fait les allures, les costumes de chaque profession, les aspects si variés de la nature, pour les fixer sur ses toiles, qui en seraient devenues le miroir animé. Affaibli par un tra- vail sans relâche, par les terreurs d'un avenir malheu- reux, son sang s'alluma, une fièvre ardente vint le saisir, €1 il succomba ^n 1736, à peine âgé de quarante et un ans (1).
Lancret vivait encore, et avec Pater disparut du monde le second des artistes formant la triade des peinlres des fêtes galantes, dont Waiteau avait été le prince. Pater, après la mort de ce dernier, avait, lui aussi, été admis sous ce titre à l'Académie royale de peinture, et l'on peut voir au Louvre son tableau de réception, l'une des œu- vres les plus remarquables échappées à son pinceau.
Habitant depuis ([uelque temps Valenciennes, où j'ai trouvé l'accueil le plus honorable et le plus bienveillant, j'ai dû rechercher si Pater y avait laissé quelques traces de son existence. Mes recherches, à cet égard, ont été à^îeu près vaines; mon ami, M. Dinaux, que son esprit aimable et fin, ses connaissances variées et profondes, sur- tout en ce qui concerne l'histoire du Hainaut, ont placé à la léle du mouvement littéraire et artistique dans cette
(!) Voirlocolalogue raisonné du cabinel Quenliii de Lorangère, par Gersaint. — Paris, J. Barrois, 1744.
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ville, n'a pu, malgré ses recherches, me fournir sur ce poiiil aucun document imporianl. Cela s'explique facile- ment : Paler a quitté très-jeune la ciié qui la vu naître, A partir de ce moment, il n'\ a fait que de rares appari- tions, et il n'y existe plus personne de sa famille qui porte son nom , toutefois, sur l'indication de M. Dinaux, j'ai visité M. Berlin, pharmacien, rue de Famars, dont Antoine Paler était le trisaïeul, et qui m'a reçu avec une extrême obligeance. M. Berlin possède deux portraits de la famille, celui d'Antoine, que Walleau peignit, dans l'unique voyage qu'il fil à Valenciennes depuis son établis- sement à Paris, et celui de mademoiselle Paler, peint par son frère, œuvre maniérée, léchée et sans correc- tion. Le portrait de la main de Waiteau est, au con- traire, une production sérieuse, réussie du premier coup et accusant un véritable artiste. Antoine Pater a une physionomie très expressive, mais dure et hautaine, et, d'après ce que m'a dit M. Berlin, en rapport parfait avec son caractère- C'était un père difficile, inflexible dans ses résolutions et outrant le seniimenl de dignité, de fierté que son art lui inspirait. En voici un exemple : il ne pardonna point à celui de ses fils qui suivait sa profession d'avoir épousé la fille d'un perruquier et ne voulut jamais le revoir (i). Seulement, chaque année, dans les cir- constances solennelles, telles que le jour de l'an, on lui amenait ses pelils-enfants, qu'il embrassait, et auxquels il faisait quelques cadeaux. Que penseraient les coiffeurs de nos jours, en lisant cette anecdote, eux. qui ont la pré- tention d'êlre aussi des artistes dans leur genre ?... ils
[\) Ariloine Palor avait un Iroisicme fils qui, sous le lilre de dom Miclici, fui priinir du couvonl des Churlreux de MoiiIrcuil-sur-Mcr.
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ii-aiieiaieiil sans douie Antoine Pater d'homme à préju- gés ! le siècle actuel leur donnerait raison; mais, de sou lemps, le sculpteur valenciennois n'avait pas tort. Il fui enterré, ainsi que sa femme, dans l'église de Saint-Nico- las, située sur la place Verte, incendiée lors du siège de Valenciennes, en 1793, et depuis entièrement détruite. M, Berlin a recueilli religieusement la table de marbre blanc qui recouvrait leurs restes, el j'y ai lu l'inscription suivante ;
Ici reposent les corps du sieur Antoine-Jo- seph Pater, marchand sculpteur, bourgeois de cette vilkt décédé le 24 feburier il il, âgé de 77 ans ; et de Jeanne-Elisabeth de Fontaine, son épouse, native de Druaij, décédée le A feburier <746, âgée de SO ans. — Priez Dieu pour leurs âmes.
L'orgueilleux Antoine Paler n'a-t-il pas dû frémir, dans sa tombe, du tilre de marchand sculpteur, inscrit sur son épitaplie ?...
Peu de lemps avant sa mort, sou compatriote el élève, Saly, auteur du Faune portant iin chevreau, qu'on admire encore dans le jardin des Tuileries, fil son buste en terre cuite, donné il y a quelques années au musée de Valenciennes par M. Soliier-Chotteau.
On voit que dans tout cela il est peu questiou de notre peintre; mais je n'ai pas cru devoir négliger ces détails d'intérieur. La vie d'un homme distingué se compose, selon moi, non-sculomcnl de ce qui lui est personnel, mais encore de ce qui concerne sa famille ; sirrtoul lor's- que celle famille est vouée aux arts. Toutes ces parties,
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se gi'oupanl autour du sujei principal, fui ment un tableau qui n'est pas sans intérêt, et servent à expliquer et à com- pléter ce sujet. Je terminerai par rappeler une circons- lance que je tiens aussi de M. Berlin : api^ès le décès de Jean-Baptiste Pater, son frère le sculpteur fit le voyage de Paris, croyant recueillir quelque chose de sa succes- sion ; mais il revint comme il était parti. Le peintre avait tout laissé à une femme avec laquelle il vivait, et qui l'avait soigné dans sa dernière maladie
Je vais maintenant chercher à apprécier îe talent de Pater. J'ai déjà dit qu'il me paraisaii devoir mériter le second rang dans la triade des peintres des fêtes galantes. La prééminence de Waileau est d'abord incontestable, et ses deux élèves n'ont fait que glaner à sa suite dans le champ où il a moissonné les fleurs les plus jolies, les plus suaves, les plus brillantes. Quant à Lancrel, dont le des- sin est, en général, plus correct que celui de Pater, il y a toutefois dans ses figures, celles de femmes surtout, une lourdeur, un défaut de goût, et souvent une maladresse qu'on ne saurait reprocher au premier, heureux posses- seur de la légèreté, de l'élégance, et de la distinction tant admirées dans son maître. Sous le rapport de la couleur, sa partie la plus forte, il se montre de beaucoup supérieur à Lancret, et ainsi que l'a très bien fait observer Gauli de Saint-Germain, « avec moins de finesse dans la touche, " il a peut être plus de solidité que Watteau (i). » C'est
(1) Los Trois siècles de la peinture en France. — Paii«. 180.**, jn-S". — L'opinion des critiques anciens est unanime sur i'allcralion delà couleur danslcs lableauxde Watteau. Voici ce que dit, à cet égnrJ, Lafont de Sainl-Yenne, 'lans sfs Réjlexlons sur la peinture : « Tels sont les tableaux du charmant Watteau. fi (jui il n'a manque
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donc avec raison que Gersainl a dit : « Il ékiii né avec ce » coloris si naiurel aux Flamands (!2). ■>
Qu'on jelle en effet les yeux sur la plupart de ses ta- bleaux, et l'on est frappé, ébloui de l'éclat harmonieux, de la magie, de la transparence dont ils sont empreints I Cela ne ressemble-t-il pas à une douce et mélodieuse mu- sique qu'on entendrait sous le feuillage à travers lequel viendraient percer quelques rayons d'un beau soleil de printemps ? Oui, j'aime à l'avouer, j'ai toujours éprouvé un charme indicible à regarder une toile de Pater ! En fait de couleur, rien n'est discordant, rien ne crie ; tout, au contraire, se fond, s'harmonise, tout vous inonde d'une lumière qui n'a pas un rellei qui blesse, et porte à l'àme la sensaiion d'une jouissance délicate, d'un bonheni lem- pli d'une volupiueuse placidité !
Ses compositions, si l'on vient ensuite à les examiner dans leur ensemble, sont plus variées que celles de Wat- teau, et M. Houssaye me paraît n'avoir été que juste en disant de ce dernier : « Ce qui lui a le plus manqué, •• c'est peut-être la pensée (3). » 11 n'a, il faut bien eu convenir, que deux thèmes qu'il brode d'une manière la- vissante, les scènes militaires, (elles que Campements, Haltes de troupes^ et les Fêtes et Conversations galantes dans de charmants jardins, de riants et fantastiques paysa-
11 que celle partie pour élrc le peiiilie le plu? séduisanl el le plus pi- ■ qmnl de lous nos modernes. — Quels soiil aujourd'Iuiy la plupart I) de sts ouvrages ? Uu assemblage informe do couleurs qui délo- « nenl toutes, el ne laissent aux figuras ni vie ni ressemblance. »
(2) Catalogue Quentin de l.orangère.
[i] Walleau cl Lancrct, licvue de l\ihs du ôl octobre 1841
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ges. Riais les contrastes, les idées sérieuses, en opposi- tion avec le plaisir, la science de la vie, manquent pres- que entièrement dans son œuvre. Pater, lui, est sorti plusieurs fois des deux thèmes dont je viens de parler. Je n'en veux pour preuves que les tableaux qu'il a composé sur les contes de La Fontaine, et le Roman comique de Scarron, tableaux dans lesquels il y a souvent de la pen- sée, de l'espiil, à la manière d'Hogarih, et toujours de la variété unie à une action dramatique, à la fois récréative et piquante.
Chaque médaille a son revers ; c'est une affligeante vé- rité, applicable à toutes les choses de ce monde, où la per- fection est à peu près une chimère. Le côté faible, très- iaible de Pater, c'est le dessin. Ici, je le sens, j'aborde une question brûlante, en ce que de nos jours elle est fort controversée parmi certains artistes et certains amateurs. Que doit-on entendre par le dessin ? J'ai toujours pensé qu'il résidait dans la correction et la pureté de la ligne. Ainsi, pour moi, Raphaël, Lesueur et David sont des des- sinateurs corrects, tandis que Rembrandt, que j'admire sous tant d'autres rapports, laisse à cet égard beaucoup à désirer. L'opinion que je viens d'émetue était jadis généralement adoptée, et me paraît encore inconiesiable. Cependant, il n'en est pas ainsi, et aujourd'hui pour ceux dont je viens de parler, ce qui constitue le dessin est la vérité du mouvement. Ces novateurs ont été même plus loin, et j'ai en ce moment sous les yeux une brochure, spirituelle du reste, dans laquelle, à propos d'un grand peintre de notre siècle, que je regrette amèrement de ne pas voir n)icux dessiner, l'un d'eux invente un genre de dessin qu'il appelle de création, et qu'il affirme être lepri-
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vitège du génie (i). Or, j'avoue iiaïvemenl que je ue comprends pas plus ce langage que je ne comprends cer- taines ihéories politiques prèchées niainlenant avec une ardeur, un sang froid imperturbables 1 Le mouvement, sans nul doute, se traduit par le dessin, mais il n'est pas le dessin ; il appartient essenliellemeni à l'expression, et naît du sentiment, de la passion qui anime une figure. En supposant donc, par exemple, que, s'il s'agit d'un person- nage donnant des ordres à ses subordonnés, on ait impri- mé à sou bras, à sa main, le mouvement, le geste le plus naturel du commandement; si ce bras, cette main sont incorrects, vainement on viendrait soutenir qu'ils sont bien dessinés. L'expression peut être vraie, animée, mais la correction manque, et, si c'est là ce qu'on appelle dessin de création, je trouve que c'est une création très malheureuse, et jamais les gens de goût ne s'aviseront de l'attribuer au génie. Convenons-en de bonne foi : toutes ces nouvelles théories sur les arts sont de vérita- bles paradoxes, auxquels de jeunes amateurs se laissent prendre, sans pouvoir en donner une explication raison- nable ; tandis que certains artistes ne les soutiennent, quoiqu'ils en sentent le vide, que pour masquer leur im - puissance.
Je reviens à Pater, dont le dessin est en général mau- vais. Ce défaut grave résulte chez lui du manque de- tudes sérieuses, faites d'après nature, et de la pi-ompiitude avec laquelle il peignait, afin de gagner, en peu de temps, le plus d'argent possible.
En terminant cette appréciation de son talent, il ne me
(I) Salon de ISiii, par .M. B.uiik'luiio Dufays.
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paraît pas inuiile d'enlicr dans quelques consiJéialioiis sur le genre qu'il avait ad-jplé. J'entends principalcmenl parler ici de ceux de ses tableaux peints à riiiiiiaiion de ceux de Walteau II faut l'avouer, ce genre, tel aimable, tel séduisant qu'il soit, est tout à l'ait de convention, de fantaisie. A deux époques différentes, son immense suc- cès a été le résultat de la mode et du talent incontestable des trois peintres qui l'ont exploité. En effet, le sermim pecus des imitateurs a vainement cherché à suivre leurs traces. Ils avaient emporté dans la tombe le secret de cette magie, de cette féerie qui animent les toiles qu'ils nous ont laissées. La Motte a dit, en parlant des œuvres littéraires :
Tous les genrt's sotil bons, hors le genre ennuyeux.
Je suis parfaitement de son avis^ et je trouve cette maxi - me applicable aux arts comme aux lettres ; mais c'est à la condition que tous les genres soient traités d'une manière supérieure. Pour moi, certaine chanson de Déranger vaut, à son point de vue, la plus belle ode de Pindare, et un paysage de Ruysdaël égale, en valeur de sentiment, un tableau de Raphaël. Watteau, à cet égard, l'emporte de l^eaucoup sur ses deux émules, et son pinceau, dans les sujets de fantaisie, a un côté de vérité, de profondeur, quant à l'art que l'on rencontre, sans aucun mélange de mensonge, dans les rares porliaits qui complètent son œuvre. Toutefois, proclamons-le bien haut, Userait irès- fàcheux, ainsi que l'ont essayé depuis quelque temps plu- sieurs de nos jeunes artistes, que l'on cherchât à ressusci- ter cette école du dix-huitième siècle, enfant charmant, mais gâté, de la régence, et tombé dans la décrépitude lorsque vint la révolution de 1789. Les coquetteries de la palette ne vaudront jamais sa franchise et sa réalité.
CATALOGUE DE L^OEUVRE DE PATEU.
En donnant un catalogue des ouvrages de Paier, je no me dissimule pas que malgré mes soins et mes recher- ches, ce travail sera peut-être très incomplet. Ses ta- bleaux sont dispersés, en France, dans plusieurs maisons et cabinets qui ne sont pas ouverts au public. En Angle- terre surtout, il y en a un assez grand nombre, enlevés à noire pays, à dater de la paix de 1814. A celte époque, les^lradiiionsîde l'école de David étaient dans toule leur force, et Watteau, Pater et Lancret, mis à l'index, vendus à des piix très-minimes, devenaient l'heureuse conquête des éiiangei's qui visitaient Paris. Il ma donc fallu pren- dre des informations partout, feuilleter beaucoup d'inven- taires el de brochures sur les ans, rechercher les gravu- res faites d'après notre peintre, afin de parvenir à compo- ser la nomenclature qui va suivre :
1 . — « Une Fête galante, avec repas, dans une cam- pagne. »
Ce tableau, morceau de réception de Pater à l'Acadé- mie, est au Musée du Louvre.
2. — a Une belle Galerie, ornée de figures et de pein- tures. » — On y remarque différentes personnes à table, et quatre autres des deux sexes, chanlani etjouant de di- vers instruments. L'aichileclure est de Boyer. — Toile de 22 pouces de haut sur 17 de large.
(Le catalogue .lulienne mrniionnc ce tableau sous le
— lG-2 -
11° 245. 11 a été vendu, en 1747, à M. de Monloclair, la somme de 1,000 livres.)
3. — « Un Sujet de récréation. » - Peint sur toile, de 28 pouces de haut sur 38 de large.
(N" 254 du même catalogue. — Vendu à M. de Monia- lei 450 livres )
4. — « Un Sujet de conversation champêtre. » — D 15 pouces de haut sur 11 pouces 1|4 de large.
(N° 52 du cabinet Quentin de Lorangère, par Gersaint. Paris, 1744.)
5. — « Une Chasse chinoise. • — De 5 pieds 10 pouces de hauteur, sur 3 pieds il pouces de largeur.
Ce tableau était placé, sous Louis XV, à Versailles, dans une galerie faisant aujourd'hui partie des petits ap- partements. Maintenant on l'a mis en dessus de porte, dans une salle de billard du palais de Fontainebleau.
G. — c( Le Bain. »
7. — « La Pêche. ■•
8. — « La Balançoire. »
9. — « La Danse. »
10. - « Une Fêle champêtre. »
11. — - Un Repas champêtre. »
Ce sont six dessus de porte placés au polit Trianon, et longtemps attribués à Watleau. Des connaisseurs distingués, qui les ont examinés dernièrement, n'ont pas
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hésite à les reconnaître pour desPaier, malheureusement très endommagés et très repeints
12. — " Une Halte d'armée. •>
Tableau mentionné dans la Description des ouvrages de peinture exposés dans les salles de l'Académie royale, par d'Argenville, 1 vol. in-l2 ; Paris, Debure père, 1781.
13. — « Le Bal. •• — Hauteur, 1 pied 10 pouces ; lar- geur, -2 pieds 1 pouce.
(N° 223 du catalogue de M. Blondel de Gagny. Ce ta- bleau a été vendu 2,000 livres à M. de Nogaret, et, au dé- cès de ce dernier, il a été porté dans son catalogue sous le n" 95, et a été acheté 1,500 livres.)
14. — " Jeux d Enfants. > — Tableau sur bois, de G pouces de haut sur 8 pouces li2 de large. H représente un enfant dans un chariot traîné par deux chiens, et cinq autres enfants, dont un le conduit.
15. — " Jeux d'Enfants. •> — Pendant dujîrécédent, aussi sur bois et de même dimension. Sept enfants jouent ensemble, et deux d'entre eux sont à cheval sur des bà-
lODS.
Ces deux tableaux sont mentionnés dans le catalogue do M. de Lalive; Paris, Le Prieur, 176-i. Le catalogue, ré- digé parce seigneur, est un des plus curieux que je con- naisse. H renferme des notes succinctes sur tous les pein- tres dont les œuvres y sont comprises. Ces œuvres ap_ partienncnt toutes à l'école française, et, dans une pré- face remarquable, M. de Lalive explique les motifs qui l'ont porté à faire cette collection : « Mes guides, dit-il, ont été mon amour pour ma patrie, et pour les talents qu'elle a produits. »
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A 1:» inoil (le M. de Lalive, Remy a rédigé un nouve.in catalogue, en l'année 1769, dans lequel ces deux tableaux iigureiit sous le n^ 73. M. de Lalive les a gravés avec le litre de YAgecTo)'.
16. — <' Sujet de conversation, où l'on voit des hom- mes et des femmes dansant sous un arbre. » — Sur toile, de 2 pieds de large sur 1 pied 6 pouces de haut.
17. — » Un homme et une femme dansant au son de la lyre, tandis que d'autres, assis à terre, les regardent. » -- Même dimension.
(N°* 101 et 102 de la Galerie électorale de Dresde, année 1765.)
18. — « Un défilé de troupes escortant des bagages. » — Toile de 48 pouces de haut sur 21 de large.
(N° 147 du catalogue raisonné des tableaux des Pays- Bas, d'Allemagne et de France, par Remy, in-l2, Didot,
1757.)
^\. ' -
19. — <• Portrait de mademoiselle d'Angeville, repré- sentée en Thalie, entourée de génies sous différents cos- tumes comiques. » — Ce portrait, l'ait à l'imitation de ceux de laCamargo et de mademoiselle Salle, par Lan- cret, appartenait sans doute à la jolie actrice qu'il repré- sente. J'ignore ce qu'il est devenu. Il se trouve men- tionné dans les catalogues Quentin de Lorangère et de la Roque, par Gersaint, 1744 et 1745. — A été gravé par Lebas.
20 - « Le Colin-Maillard. »
21. — '. Le Concert amoureux. »
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22. - " La Conversation inléressanle. »
23. - « La Danse au village. »
Ces quatre tableaux ont été gravés par Fillœul, et rap- pelés dans le catalogue du cabinet de M. Paignon-Dijon- val par Bénard; Paris, 1810, n" 8,257.
24 — • L'Amour et le badinage. »
25. — » Les Amants heureux. •
(Même catalogue, n° 8258, et même graveur.)
26. — (c Le Désir|de plaire. »
27. — ■■ Les Plaisirs de l'Eté. »
(Même catalogue, n" 8,259, gravés par Surugue.)
28 — « L'Orchestre de village. »
29. — « La Marche comique- »
(Même catalogue, même numéro, gravés par Ravenei.)
30. — • La Fêle de Saturne. >>
31. — • Le Bain. •
(Idem, gravés par Duflos et Surugue. »
32. — <• Les Vivandières de Brest. »
33. -- . L'Officier galant. »
34. — « Le petit Poinçon. •
(Même catalogue, n" 8,260. Les deux premiers gravés par Lebas, et le troisième par Scoltin.)
35. — « Le Printemps. »
36. - « L'Eté. .
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37. — - L'Automne. •'
38. — '. L'Hiver. >>
Ces quatre lableaux, du meilleur temps de Pater, ap- parlenaieiii à M. le marquis de Cliabrillant. Ils oui été aclieiés à sa vente, en 1848, par un Anglais, qui les a payes 16,000 fr.
39. — « Sujet galant, hommes et dames dans un jardin très orné. »
Charmant petit tableau, appartenant à M. Lacaze, l'un de nos amateurs les plus distingués, et qu'il a payé, je crois, 1 ,000 fr.
iO. — <• Fêle au village. <>
(N" 133 du catalogue Tardieu, imprimerie Maulde et Benou, année 1843.)
41. — « Bergère endormie ; derrière elle un berger orne sa houlette de fleurs. » — Sur bois,
(No 213 du catalogue Brunet-Denon, 1846.)
42. — « Conversation galante, dans un joli paysage. «
Vente Aguado, en 1843. Ce tableau, très-bien restauré par M. Roëhn, a été retiré.
43. — Il y a plusieurs tableaux de Pater à l'Ermitage, en Russie. N'ayant point le catalogue de cette collection, où figurent beaucoup de peintres français du dix-huitième siècle, je ne peux en indiquer le nombre et les sujets. M. Viardot rappelle le nom de Pater dans son livre des Mjiscps, d'Allemagne et de Russie ,'~ Paris, 1844, p. 433, pour lancer Tanathème contre lui, Raoux, Lenain, Des portes et Chardin. Dans la biographie que j'ai publiée
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de ce dernier, j'ai déjà fait remarquer que M. Viardol traitait tous ces peintres de gejis morfs de toutes façons, dont personne ne parle plus, dont personne n'avait peut-être jamais parlé, en terminant par celte boutade très -peu poétique :
« Si j'en connais pas un, je veux être pendu ! »
Je ne peux que plaindre M. Viardot, lui qui écrit sur les arts, de n'avoir pas connu ces artistes avant d'aller en Russie, et de les apprécier si mal depuis son retour. Chardin, si justement vanté par Diderot, Desportes, Pater et Raoux, si recherchés tous les jours par les amateurs de bonne et agréable peinture, n'ont rien à craindre du JLgement rendu par M. Viardol. Quant à Lenain, son tableau représentant une Forge, qui est un des orne- ments de l'école française au musée du Louvre, est la réponse la plus forte que je puisse faire à la critique de cet Aristarque.
44. — « Le Nid de Tourterelles. » — Le musée de Va- lenciennes possède ce tableau, et, dans le curieux cata- logue fait par M. Potier, professeur à l'Académie de cette ville, il est mentionné sous le n" 134, et attribué à Lan crel. Il m'a paru, et plusieurs connaisseurs partagent mon opinion, être évidemment l'œuvre de Pater.
4.T. — - Un Campement de troupes. » — Sur toile, 60 centimètres de largeur sur 47 de hauteur.
Ce tableau, d'une conservation parfaite, est l'un des plus agréables «U des plus capitaux d»; Pater que j'aie ren- contrés. Il se compose de quarante deux personnages, militaires de tous grades, grisettes, femmes élégantes, vivandières, dans «les occupations et des altitudes on ne
t'2
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saurait plus variées. Des lenies, et tout Tattirail d'un camp en foimenl les accessoires . Le paysage est plein de fraîcheur, et, dans un fond vaporeux, on aperçoit de petits groupes, placés dans la demi-teinte, touchés avec une facilité merveilleuse. Un village borne l'horizon. — Watteau n'a rien fait de plus spirituel, de plus coquet, et ce qui double le mérite de cette œuvre, c'est qu'à la viva- cité, ù l'harmonie, à la transparence de la couleur, elle joint un dessin beaucoup plus soigné que ne l'est ordi- nairement celui de Pater.
46. — « Assemblée galante dans une campagne. » — Sur toile, 54 centimètres de largeur sui- 45 de hauteur.
Sept personnages principaux, en y comprenant deux enfants, occupent le centre de cette agréable production. Là, le dessin laisse à désirer, mais le coloris est aussi frais qu'harmonieux.
Ces deux tableaux appartiennent à M. P., amateur à Valenciennes, dont le goùi fin et les connaissances en peinture sont appréciés de tous ceux qui aiment les arts. En maîtres flamands de premier ordre, M. P. a le cabinet le plus nombreux, le plus varié, le mieux choisi qui existe dans la province.
Je dois faire observer qu'il existe une gravure du n" 45, sous le titre de la Tente de vivandières du quartier-gé- ral, dédiée à M. le maréchal de Biron, pair de France j cette gravure est de Baudouin, capitaine d'une compagnie au régiment des gardes françaises en 1762, auquel le ta- bleau original appartenait.
M. P. a, depuis la publication de celte biographie dans les Archives du Nord et dans \'Ariis(e, cédé le Campe-
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ment de troupes à M. Roney, qui habite Paris. Ce der- nier tiendra, sans doute, à conserver celle production capitale d'un peintre né, comme lui, à Valenciennes.
CONTES DE LA FONTAINE,
47. — « Les Aveux indiscrets. » — Gravé par Fillœul. 48» — «. Le Baiser donné. » - Idem. 49. — " Le Baiser rendu. » — Idem. 60. — « Le Glouton. — Idem.
51. — «La Matrone d'Ephèse. » — Idem.
52. - " Le Cocu battu et content. » — Idem.
53 et 34. — Deux auires tableaux d'après ces contes, dont je n'ai pu retrouver les litres
La coUeciion complète s'élève à vingt-huit, dont huit de Pater, onze de Lancret, deux de Boucher, trois de Weu- ghels, deux de Lemesie et deux de Lorrain. — Toutes ces gravures, très-belles épreuves, existaient dans le ca- binet Quentin de Lorangère, tandis que le cabinet des Estampes de Paris n'en a qu'une seule d'après Pater, le Cocu battu et content.
ROMAN COMIQUE DE SCARRON.
65 — << Arrivée des Comédiens dans la ville du Mans. ^ — Gravure de L Surugue, 172P.
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56. — '• Bataille arrivée dans le iripot, qui trouble ht comédie. » — Gravure de Jeaurat.
57. — " La Rapinière tombe sur la chèvre. » - Gra- vure de Louis Surugue.
58. — « Arrivée de l'opérateur à l'hôtellerie. • — Gia- vure de Scotin,
59. — » Le poète Roquebrune rompt la ceinture de sa culotte en voulant monter à cheval à la place de Ragotin. — Gravure de Jeaurat.
60. — '• Ragotin déclamant ses vers, des paysans croient qu'il prêche. » — Gravure de B. Audran.
61. — « Pyramyded'aîleseide cuisses de poulet, élevée sur Tassielte du Destin par madame Bouvillon. » — Gra- vure de Lépicié.
62. — « Madame Bouvillon ouvre la porte à Ragotin, qui lui fait une bosse au front » - Gravure de Surugue fils.
63 — « Madame Bouvillon, pour tenter le Destin, le prie de lui chercher une puce. « - Gravure par L. Su- rugue.
6-4. — « Ragotin à cheval, sa carabine lui tire entre les jambes. — Même graveur.
65, 66, 67 et 68. — Quatre autres sujets, tirés du Ro- man comique, et que je n'ai pu retrouver.
La collection complète est de seize pièces, dont qua- torze par Pater et deux par Dumont.
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Dans un voyage qu'il a fait au Mans, ville où Scarron a placé les principales scènes du Roman comique, M. Di- naux a vu dans la bibliothèque les tableaux que je viens de mcnlionner.
DESSI.XS D£ PATER.
Les dessins de ce peintre sont rares. Il les exécutait à la sanguine sur papier blanc, et quelquefois il les soi- gnait beaucoup.
Le catalogue Paignon - Dijonval mentionne, sous le n" 3292, quatre études de figures de femmes, vêtues dans le goût de Waileau, et dessinées sur une feuille de papier blanc de dix pouces sur sept pouces.
Le Musée de Valenciennes en possède deux de peu d'importance.
Enfin, j'ai en ma possession deux jolis dessins de Pater louches avec beaucoup d'esprit et de finesse. Long- temps, on les a aiiribués à Aveline; mais j'en ai reiiouvé les gravures avec le nom de Paier comme dessinateur et d'Aveline comme graveur.
Les estampes d'après Pater sont de M. de Lalive, Fil- lœui, Surugue père et fils, Ravenei, Lebas, Scotin, de Baudoin, Jeaurat, lî. Audran, Lepicié, Dumont et Ave- line.
NOTICE BIOGRAPHIQUE
SUR
JEAIV - BAPTISTE - SIIIÉON CHARDIiX
SUIVIE DU CATALOGUE DE SES OUVRAGES,
ET DES GRAVURES FUTES d'APRÈS SES TABLEAUX.
« Le genre des peinlures de « Chardin parait ôlre , à la vérité, B le plus facile, mais aucun pein- » tre n'est aussi parfait dans le « sien. »
Diderot, salon da l7<'>o.
CHARDIX
I.
Chardin est du nombre de ces artistes distingues, que la légèreté de notre nation et un préjugé déplorable ont pendant longtemps plongé dans l'oubli. Sans doute, il est pénible d'en faire l'aveu, mais nous sommes ainsi faits, et c'est pour les français surtout que le proverbe « Nul » n^est prophète dans son pays » est d'une vérité incon- testable. Si le peintre du Denedicite, de la Mère labo- rieuse, avait pris naissance en Belgique ou en Hollande, on le porterait aux nues dans ce bon royaume des Gaules, où ce qui vient de l'étranger a toujours été accueilli avec la plus grande faveur. En le comparant à beaucoup d'autres maîtres des Pays-Bas, ou dirait : « Celui-là, en » prenant la natuiesur le fait, n'est jamais trivial ; s'il est » grand coloriste, il n'est pas moins bon dessinateur : » en un mot, il réunit tout ce que doit posséder un excel- » lent peintre de genre. • — Mais, hélas 1 Chardin était français, et c'est une lâche que ses éminentes qualités n'effaceront jamais aux yeux de ses compatriotes !
Sa vie fut simple, comme son caractère, comme son
lalfMii... Qiioiqd'i'llc ail éié longue, les mémoires, les bio-
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graphies de son temps gardent à peu près le silence le plus complet sur les actes qui l'ont remplie, parce que ces actes n'ont eu sans doute aucun éclat. C'est un cercle monotone, dont le centre est rempli par ses ouvrages, et dont la circonférence n'a que deux points faisant saillie, Ja date de sa naissance et celle de sa mort.
Jean-Baptisie-Siméon Chardin reçut le jour à Paris, dans l'annét; 1699. Son père, honnèle tapissier, dont toute l'ambition pour ce fils unique était de lui donner sa profession, eut l'idée de le faire initier à l'art du dessin, dans le but de lui rendre plus faciles les travaux de dé- cors que l'on exécutait alors dans les hôtels de la capitale. Les premiers essais de Chardin déterminèrent sa voca- tion, et il entra en qualité d'élève, dans l'atelier de Pierre- Jacques Cazes, peintre d'histoire, de nos jours à peu près ignoré. On sait ce qu'était alors la peinture histo- rique qui, s'étant éloignée des principes des grandes éco- les d'Italie, se résumait, quant à son plus haut point de perfection, dans les toiles lourdes et froides de Lebrun. Ce système ne pouvait convenir ni à l'organisation ni au goût de Chardin. Aussi laissa-t il complètement de coté la manière de son maître et se borna-t-il à faire des tableaux de genre, de nature morte, et des poriraits. Il fut nommé à l'Acadéniie royale le 25 septembre 1728, et lui offrit, pour sa réception, la toile représentant une raie ouverte, des huilres et quelques accessoires, qu'on voit au musée du Louvre, dans l'une des nouvelles salles de l'école fran- çaise. C'est une de ses productions les moins remarqua- bles, quoiqu'elle soit empreinte d'un naturel et d'un colo- ris annonçant tout ce qu'il pouvait devenir un joui'. De- puis, il a porté bien plus loin la vérité et le talent du modelé cl de la composition.
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Elu conseillei' en 1743, il ne larda pas à aller habiter [avilie de Rouen, où il exerça pcndanl plusieurs années les foneiions de trésorier de l'Académie des sciences, belles-lelires eiarts. L'époque où il se maria avec une demoiselle Françoise-Margueriie Pouget, née sans doule dans celle ville, et dont il a fait le porirail au pasiei, en 1775, esi inconnue. De celle union, qui fut nés heureuse, il ne naquit qu'un fds. Son père disait, en parlant de la difflcullé de parvenir dans l'art de la peinture, que ce fds l'ayant sentie trop tôt, tomba dans le découragement et ne fit rien. Il parait cependant certain qu'il avait obtenu le grand prix de peinture en 1754.
Chardin était spirituel et d'un excellent jugement. Ces qualités sont prouvées par les conversations sur les ex- positions qu'il eût souvent avec Diderot, son plus sincère admirateur, et dont ce philosophe s'est plu à donner des liagmenls dans ses brochures sur les salons. Son carac tère égal et franc le portait à une bienveillance raisonnée et à une indulgence exemple de flatterie et de faiblesse envers tous ses confrères. Un jour, il répondit au fonda • tour de l'Encyclopédie et à quelques hommes de lettres l'accompagnant à l'exposition et rendant des arrêts de proscription contre une foule d'artistes : « Messieurs, » messieurs, plus de douceur ?.. Entre tous les tableaux » qui sont ici, cherchez le plus mauvais, et sachez que >' deux mille malheureux, désespérant de faire jamais, >• môme aussi mal, ont brisé le pinceau entre leurs dents. « Ce Parrocel, que vous appelez un barbouilleur, et qui w l'est, en efl'et, si vous le comparez à Vernet, ce Parro- • cel est pourtant un homme raro, relativement à la mul- ■> tiiude de ceux ayant abandonné la carrière dans la- « quelle ils sont entrés avec lui. Lemoine disait qu'il
- 17R —
• fallait trente ans de méiior pour conserver son esquisse, •> et Lemoine savait ce qu'il disait. Si vous voulez m'é-
• couler, vous apprendrez peut-êlre à être moins sé- » vères. »
S'il fallait en croire (juelques brochures du temps, Chardin était adonné à la paresse, ne produisant que ra- rement, et laissant passer les années d'exposition sans faire jouir le public des fruits de son pinceau. Il existe même un petit ouvrage anonyme, très rare aujourd'hui, intitulé : « Eloge funèbre de M. C..., conseiller de l'Aca- j) demie royale de peinture » dans lequel, en reconnais- sant la naïveté spirituelle et la vérité de ses tableaux, on lui reproche d'en faiie trop peu. Ce pamphle*, partici- pant a la fois de l'éloge et du blâme, est signé F., et, dans finlenlion de fustiger la paresse de Chardin, son auteur suppose que ce peintre s'occupe du soin de faire un ta- bleau dont le sujet est d'une piquante singularité :
« Il s'y est peint, dit-il, avec une toile posée devant lui •> sur un chevalet. Un petit génie, qui représente la Na- » lure, lui apporte des pinceaux. Il les prend, mais en » même temps la Fortune lui en ôle une partie, et tandis » qu'il regarde la Paresse, lui souriant d'un air d'indo- » lence, l'autre tombe de ses mains. »
Celle opinion, présentée sous une forme allégorique, que l'anonyme a sans doute tiouvée très piquante, est exagérée. Chardin, que sa fortune personnelle et ses places faisaient vivre dans une douce aisance, ne travail- lait point pour l'argent, et ne se menait à son chevalet que lorsque le momenl de rinsplralion ariivail. L'essen- liel, dans tous les arls, est de bien faire ; !e talent, non
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plus que l'aciivité d'esprit d'uuariisle, ne secalculeni pas d'après la quaniiié, mais d'après la valeur de ses produc- lions Le catalogue de l'œuvre de Chardin, que nous avons rendu complet, autant que possible, prouvera d'ailleurs que le nombre de ses tableaux, est loin d'être restreint. Il aimait son art, en parlait avec science, avec ardeur, et l'a exercé jusqu'aux derniers jours de son exis- tence. En effet, en 1779, plusieurs têtes d étude au pas- tel avaient été envoyées par îui au Salon, et ce fut le 6 décembre de celte année qu'il mourut, âgé de 81 ans.
II.
En nous livrant maintenant à l'examen du talent de Chardin, de sa manière de peindre, nous devons dire que dans la presque loialiié des sujets fort simples qu'il a iini- tés, personne ne l'a surpassé, et bien peu l'ont égalé, quant à la vérité matérielle, à l'harmonie des couleurs, à l'accord des accessoires et à l'effet général Unique dans ses compositions pour l'esprit , le seniimeni, cl même la malice n'excluant jamais la bonhomie et la fran- chise, il est fort au-dessus des plus célèbres peintres fla- mands et hollandais. Le dessin de ses figures, sans être minutieusement étudié, est presque toujours ferme, coi- recl et plein de mouvement. La lumière, ses dégrada- dations les plus délicates, ne lui échappent jamais ; elles donnent à tous les objets qu'il a peinis un relief sui pre- nant. Ce relief est surtout remarquable et a quelque chose de magique dans le groupe de marbre d'après
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Pigal, placé par lui sur la toile où il a repr<'>senlé un éco- lier qiii dessine. Aucun iraii distinct ne signale ce groupe, quoi([ue la forme en soit inattaquable, et le contour, perdu dans la vérité de la couleur, fait que l'œil suit cha- cune des circonvolutions du marbre, avec la conviction qu'il est détaché du fond. C'est à propos de cette œuvre, si puissante dans sa simplicité, qu'un anonyme a consi- gné, dans une Lrochure sur le Salon de 1753, les obser- vations suivantes : « M. Chaidin embrasse peu, mais il » achève tout ce qu'il entreprend. Pourquoi n'est-il pas " toujours également heureux dans le choix de ses su- •> jets ? . . . D'aussi grands talents devraient-ils être cm •> ployés à peindre une nature peu agréable ?.. Peut on » lui pardonner d'avoir fait un très-beau tableau d'unéco- »> lier dessinant d'après le Mercure, de M. Pigal?. . . Le »■ lieu de la scène est un mauvais grenier rendu avec « beaucoup de vérité. C'est bien peu connaître ses avan- » tages que de ne pas choisir ce qui peut flatter les sens » et rire à l'imagination. »
Il nous a paru curieux de reproduire ce passage, où, louten rendantjustice au talent incontestable de Chardni, l'anonyme le blâme sur le choix des sujets qu'il a traités, et voudrait qu'il n'eût employé ses pinceaux qu'à retracer des images flattant les sens et souriant à l imagination. Cela ne rappelle-t-il pas ce mot de Louis XIV, à l'occa- sion de quelques tableaux de Téniers, placés dans les pe- tits appartements de Versailles : « Qu'on éloigne de mes » yeux ces vilains magots là ! » — Esl-cç que la pein lure n'est destinée qu'à s'emparer des scènes riches, bril- lantes, volupiueuses de la vie humaine?... des personna- ges dont la figure est noble, gracieuse , et dont les formes élégaules sont recouvertes de velours, de soie et
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d'or ?... Le pauvre bûcheron dans sa chaumière, entouré de sa femme, de ses enfants, que de grossiers vêlements défendent contre les rigueurs de l'hiver, n'offre-t-il pas autant d'ailrait à l'àme, de ressources au talent de l'ariisie qu'un grand seigneur, un opulent banquier dans leurs salons, ou une pimpante petite-maîtresse dans son bou- doir? Si l'opinion de l'anonyme était vraie, il faudrait condamner Murillo pour ses admirables mendiants, Van- Osiade pour son Maître d'école de village, Brauwer pour ses tabagies, où éclatent avec tant de verve et de chaleur le délire bachique et les mœurs débraillées du peuple flamand. Chardin aimait la vie intime, familière ; la classe moyenne, laborieuse de la société l'intéressait, touchait son cœur ; il se plaisait à en consigner sur la toile toutes les. habitudes, et sa Pourvoyeuse, sa Rêcureu- se, son Garçon marchand de vin ont, aux yeux de tout homme de goût, une valeur bien au-dessus de celle des nymphes boursoufllées , des bergères enrubannées de Boucher, et des tableaux mythologiques et héroïques de M. Natoire et compagnie.
Mais nous irons plus loin en soutenant que Chardin a, lorsqu'il le faut, toutes les qualités que semble lui refuser le malencontreux anonyme. Dans ses tableaux avant pour titres : la Gouvernante, la Mère laborieuse, le He- nedicite, les Amusements delà vie privée, le Négligé, ou la toilelte du matin, la jeune femme jouant de la serinette, il y a une grâce naturelle, une élégance sans afféterie, qui charment l'œil, et n-posent délicieusement la pensée sur tous les détails des drames iniinies qu'il a mis en scène. Pour moi, je Je déclarée, en dépit de la luodc. dont les oracles ne vivent qu'un jour, je place Chardin bien au-dessu*^ do (ireuze, homme de beaucoup de la-
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loin, sansfloiilc, mais maniéré, peiné, souvent d'un Ion violàiro, dont les personnages paraissent appartenir ù l'ancien théâtre de l'Opéra-Comique, et qui n'a jamais at- teint la vérité de formes, de sentiment, la variété d'ex- presssion, l'harmonie et la fermeté de couleur de notre |)einire.
'< Le faire de Chardin, 'comme dit Diderot, est particu-
» her ; il a de commun avec la manière heurlée, dans ses » compositions de nature morte, que de près on ne sait » pas bien ce que c'est, et qu'à mesure qu'on s'éloigne, » l'objet se crée, et finit par être celui de la nature même. " Souvent aussi, il plaît également dépités et de loin. »
Ajoutons à ce jugement qu'il peignait, autant que pos- sible du premier coup et en pleine paie. C'était surtout dans les aspérités de la couleur, dans les accidents de la lumière que consistaient ses moyens d'illusion. Ils étaient tels, que jamais aucun artiste n'est arrivé à une si parfaite imitation de la nature !...
C'est ici le lieu de défendie Chardin contre l'espèce de mépris que certaines personnes, s'occupanl très légère- ment de critique en fait d'art, déversent sur son talent et ses ouvrages. A nous, qui l'aimons et l'admirons, cela paraît à la fois une mission de justice et d'utilité, en ce que ce grand peintie doit enfin occuper la place qu'il mé- liie parmi les premiers artistes de l'école française. Peui-ètie sufiîra-t-il d'éclairer le public sur le peu de va- leur des coups qui lui ont été portés pour le ramènera lui. Dans le nombre de ces critiques, nous choisirons celui dont les brochures sont, depuis quelque temps, entre les mains de beaucoup d'amateurs de peinture.
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M. Viardol a publiô la vie des peiiilres espagnols, pour servir d'inlioduclio.i à la coUeciioii gravée de la galerie beaucoup irop vauiée de M. Aguado. Il a fait suivre cet ouvrage do volumes conteiianl de curieux renseignements sur les musées d'Italie, d'Angleicrre, de Belgique, d'Al- lemagne et de Russie. Dans ce dernier travail, à l'oc- casion de la galerie de l'Ermitage, voici ce que M. Viar- dot dit de Chardin :
« L'on ne trouve pas seulement dans les salons et bou- » doirs de Catherine II les quelques noms illustres de ■ notre ancienne école, ni même ceux des artistes se- » condaires qui ont laissé, sinon de la renommée, au )) moins quelque réputation, tels que Vouët, Lafosse, » Sanierre, Lahyre, lesVanloo. . . . C'est encore une foule » absolument nouvelle, des gens morts de toutes façons, ' dont personne ne parle plus, dont personne n'avait » pcut-êlre parlé... Lenain, Lemoine. Desportes, Pater, » Chardin. — Si feri connais pas un, je veux être pen- • du !.. . Il faut aller en Russie pour apprendre seule- » 7nent leurs noms, n
Quel brevet d'érudition et de saine critique se donne- là M. Viardot!.. Certes, il n'y va pas de main morte pour jeter sur le carreau et enterrer des artistes fran- çais qui ont laissé des œuvres très recommandables, tous les jours recherchées par les vrais amateurs ; œuvres se ponant à merveille, malgré l'arrêt suprême qu'il prononce contre elles ! ! Voilà donc Chardin placé d'un trait delà plume qui a vanté tant de croules de la galerie Aguado, au nombre des peintres n'ayant laissé aucune réputation , dont personne ne parle plus, dont personne n avait peut-
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être jamais parlé, et il fallait allei' en Russie pour ap- prendre son nom.
Nous ravouoiis , c'est avec le plus grand élonnement que nous voyons un homme d'esprit, s'occupant de Ihis- lolre de l'art, traiter avec un tel dédain un artiste de la force de Chardin ! A Dieu ne plaise que nous regardions M. Viardot comme manquant absolument de goût en peinture. Mais nous pensons que, dans son enthousiasme pour les artistes italiens, espagnols, flamands et allemands, il ne s'est pas donné la peine de jeter les yeux sur les œuvres du pauvre peintre français qui a nom Chardin. Nous ne supposons pas, non plus, qu'il n'ait point Iules articles de Diderot sur les expositions de son temps, mais nous croyons qu'il les a oubliés. Ces articles si vi- goureux de style, si justes, en généi'al, d'appréciations, échappés du cerveau d'un homme auquel il est impossi- ble de refuser le sentiment de tous les arts, et que Gréiry, Greuze, Vernet, Falconnet, Bouchardon se plaisaient constamment à consulter, parlent ainsi de ce peintre tout-à-fait inconnu, dont personne n'a jamais parlé : « Vous venez à temps, Chardin, pour charmer mes yeux » que plusieurs de vos confrères avaient mortellement » affligés. — Vous revoilà donc, grand magicien, avec • vos compositions muettes ' Qu'elles parlent éloquem- » ment à l'artiste ! Que de choses elles lui disent sur » l'imitation delà nature, la science du coloris et de » l'harmonie ! Comme l'air circule autour de ces objets ! •> la lumière du soleil ne sauve pas mieux les disparates » des êtres qu'elle éclaire C'est vous qui ne connaissez » ni couleurs amies, ni couleurs ennemies.
» Chardin est si vrai, si harmonieux, que lors même
— isn —
» qu'il ne place sur la ioWe que la nature inanimée, des » vases, des jalles, desbouleillcs de vin, de l'eau, des ■ raisins, des fruits, il se soutient et vous arrête, à côté » de deux des plus beaux Vernel, auprès de qui il n'a pas » balancé de se mettre;
» Il apeint celte année les attributs des sciences, les » attributs des arts, des rafraîchissements, des fruits, » des animaux. Il n'y a presque point à choisir ; tous » ces tableaux sonl delà même pcifection.
» Cet homme est le premier coiorisle du Salon, el »> peut-être un des premiers coloristes de la peinture. — » Je ne pardonne pas à cet impertinent Webb d'avoir
•j écrit un traité de l'art, sans citer un seul français
» Je ne pardonne pas davantage à Hogarih d'avoir dit )) qucrécole française n'avait pas même un coloriste n)é- » diocrc. Vous en avez menti, monsieur Hogarth ! . . . . » C'est de votre part plaiitude ou ignorance. Je sais bien » que votre nation a le tic de dédaignei' un auteur im- » partial qui ose parler de nous avec éloge ; mais faut-
• il que vous fassiez bassement la cour à vos concitoyens » aux dépens de la vérité ?. . . P<Mgnez, peignez mieux
■ si vous pouvez. — Apprenez a dessiner, el n'écrivez
• pas. — Nous avons, les Anglais et nous, deux manié
■ res bien diverses : la notre est de surfaire les produc- o tions anglaises, étrangères ; la leur est de déprimer les » nôtres. Ilogarih vivait encore il y a deux ans ; il avait » été en France, et il y a (renie ans que Chardin est un
• gr-and coloriste.
- Cei homme est au-dessus de Greuze de toute la dis- » tance de la tcne au ciel. Il n'a point de manière , je
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• me iiuinpe, il a la sienne. Mais, puisqu'il a une ma_ » nière sienne, il devrait être faux dans quelques cir- » coiisiances, et il ne l'est jamais. Le genre des pein- » tures de Chardin paraît être, à la vérité, le plus facile, » mais aucun peintre vivant n'est aussi parfait dans le » sien. »
Ces citations, extraites du compte-rendu d'un seul Sa- lon, et que nous eussions pu lendre bien plus nombreu- ses, suffisent pour répondre aux dédains de M. Viardot. S'il avait pris la peine de faire pour les cabinets de pein- ture de Paris ce qu'il a fait pour ceux d'Angleterre, de Belgique et d'Allemagne ; s'il assistait quelquefois aux ventes importantes des commissaires-priseurs, il acquer- rait la conviction du degré d'estime que portent les connaisseurs aux ouvrages de Chardin. Ils se sont dispu- té ses tableaux aux ventes des collections de MM de Ci- pierre et Saint, à des prix élevés. C'est à la dernière dg ces ventes que M. Maicille a payé 7:^5 fr. le dessinateur assis et vu de dos, petit bois de 9 pouces 6 lignes de hau- {Cur sur 7 pouces de largeur ; et 610 fr . la femme assise se disposant à faire de la tapisserie, de même proportion.
Il est vrai de dire que ces deux petits tableaux sont tout simplement des chefs-d'œuvre ! !
Chardin a été gravé par les artistes de son temps. Par- mi ces artistes, nous citerons Laurent Cars, Cochin père, Fillœul, Fiipart, Lebas, Lépicié et sa femme, etSurrugue. De nos jours, MM. Jacques, Marvy et mon fils, Edmond Hédouin, ont fait des eaux-fortes d'après les tableaux de ce maître et ses dessins qui sont très rares. Son œuvre et fort recherchée depuis quelques années ; j'en possède
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une partie , mais la coleclioii de ses graMires la plus complèie que je connaissse appartient au comte Clément de Ris.
ADDITION A LA NOTICE SUR CHARDIN.
Au momenl où paraissait dans le Bulletin des Arts la notice sur Chardin, on nous a communiqué quelques ren- seignements nouveaux sur la vie de ce peintre distingué.
Ils se trouvent consignés dans le Nécrologe des hommes eélèbres de France, tome XV, année 1780. — Nous allons extraire de cet ouvrage, dont la collection est devenue fort rare, ce qui complète notre travail.
— • Chardin fut reçu membre de l'Académie de pein- » ture dans sa trentième année. Sa modestie ne lui per- » mettait pas de songer à une place dont il ne se croyait » point digne. Il est d'usage que le jour de la petite Fête- •> Dieu les peintres qui ne sont pas de l'Académie expo- » sent leurs tableaux place Dauphine. En 1728, Chardin » y exposa quelques-uns des siens. Des académiciens; » que le hasard ou la curiosité y avait attirés, furent » frappés du talent de cet artiste. Un tableau enlr'au- » très, représentant une raie ouverte, les étonna par sa o vérité. Ils allèrent visiter Chardin, l'engagèrent à se • présenter; il fut unanimement agréé, et avec les plus ■ grands éloges Ce tableau fui son morceau de réccp- » lion.
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w lia élé marié deux fuis. Il n'avait point choisi sa )' pi'cmière femme. Son père, consulianl plutôt sa pro- » pre ambition que l'inclination de son fils, disposa de sa » main et le présenta, à l'àgc de 21 ans, à l'épouse qu'il » lui destinait. Elle était vertueuse, et d'une figure inté- » fessante ; le jeune Chardin s'attacha d'abord à elle, » plus par devoir que par amour. Il était près de l'épou- » ser, lorsqu'elle se trouva réduite, par les mauvaises ■ affaires de sa famille, à un étal voisin de l'indigence. 0 Le père de Chardin voulait rompre ce mariage ; mais » l'autorité paternelle ne put rien contre la sévère pro- » bile du jeune artiste qui, dans le temps où cette ver- » tueuse flUe était riche, n'eut peut-être jamais songea » elle, mais envers laquelle, dans sa disgrâce, il se fit un » devoir de remplir ses engagements. Il eut toujours » pour elle les procédés les plus tendres, et lorsqu'il eut » le malheur de la perdre, à peine les dispositions heii- » reuses du seul enfant qu'il en avait eu purent-elles lui » faire supporter le chagrin qu'il ressentit.
» Son fils lui fut aussi enlevé par une mort prémaïu- o fée. Il ne retrouva, après plusieurs années, un peu de » repos et de consolation que dans son union avec Mar- » guérite Pouget, qui lui survécut.
» Aimé, estimé de ses compatriotes, les étrangers et » surtout le roi de Suède et Catherine II, héritière du » trône et du génie du czar Pierre, se sont empressés de » se procurer ses ouvrages.
» Chardin était plus flatté d'un éloge surpris à un » homme de goût que des largesses fastueuses d'un riche » sans talents. On a beaucoup parlé du dernier Salon,
- 189 —
» en 1779, et la reine, ainsi que toiile la famille royale, » voulurent le voir, et en témoignèrent leur satisfaction, » Un des morceaux qui firent le plus de plaisir à ma- » dame Victoire, dont le suffrage éclaire fait l'ambition » des meilleurs artistes, fut un tableau de Chardin repré- • sentant un petit Jac^uef (petit laquais). Elle fut frap- ■ pée du naturel de cette figure, et dès le lendemain cette » princesse envoya au peintre, par M. le comte d'Affry, » une boîte en or, comme témoignage du cas qu'elle fai- » sait de ses talents. Ce tableau, le dernier que Chardin » ait peint, fait partie du cabinet de madame Victoire.
» Chardin vit le terme de sa vie avec la fermeté qu'il » opposa toujours à l'une et à l'autre fortune. La postérité » lui assignera un rang distingué parmi les artistes cé- » lèbres dont le goût et les talents ont illustré la France.»
CATALOGUE DES TABLEAUX DE CHARDIN,
PAR ORDRE DE DATEf.
1737.
1. — « Une Fille tirant de l'eau à une fontaine. » — Cabinet de la reine de Suède.
2. — " Une FeiTime s'occupant à savonner. »
3. — « Un jeune Homme s'amusant avec des cartes. »
4. — « Un Chimiste dans son laboratoire. »
5. — « Un petit Enfant avec des jouets. »
6. — « Une petite Fille assise, déjeûnant. »
7. — « Petite Fille jouant au volant. »
8. — « Un Bas-Relief peint en bronze. »
1738.
9. — « Garçon cabaretier nettoyant son broc. »
Ce tableau a appartenu d'abord au comte de 3ïénars ensuite au président Handry, et depuis à M. Sylvestre. — 11 est maintenant en la possession de M. Marcille, rue de Tournon.
— UH —
10. — « Une jeune Uuvrièie en lapisserie. » — Calii- nel Saint , acheté à sa vente en IHiG, 610 fr., par M. Mar- cille
11. — - La Récnreuse. » — Cabinet Sylvestre. — Apparfenani aujourd'hui à M. MarciUe.
12. — «. Une Ouvrière en tapisserie. •'
13. — ■< Un Ecolier qui dessine. »
14. — ■' Femme occupée à cacheter une lettre. »
15. — « Le Tûton. »
C'est le portrait du fils de M. Godefroid, joaillier de la cour. — A été vendu 605 fr. chez M. de Cipierre, en 1845.
16. — • Jeune Dessinateur taillant son crayon. »
17. — '< L'inclination suivant l'âge. •»
Portrait de la petite fiUt d'un M. Mathon, jouant avec sa poupée.
1739.
18. — « Une Dame prenant du thé. »
19. — « Jeune Homme faisant des bulles de savon.» — Appartenant à M. Roehn père.
20. — • La Gouvernante. »— Dil cabinet de M. Des- pueche.
21. — « La Pourvoyeuse. »
— i92 —
22. — • Les Tours de cartes. »
23. — « La Ratisseuse de navels. •>
1740.
'24,. — «Un Singe peignant. »
25. — - Le Singe de la philosophie. »
26. — « La Mère laborieuse. •»
Acheté pour le roi. — Se trouve maintenant dans une des salles de l'École française, au Louvre.
27. — <• Le Bénédicité. »
Acheté pour le roi. — Même salle au Louvre.
28. — » La petite Maîtresse d'école. »
Vendu en 1845, chez M. de Cipierre, la somme de 486 francs.
1741.
29. - Le Négligé, ou la Toilette du matin. » — Cabi- net du comte de Tessin.
30. — « Portrait du fils de M. Lenoir, lieutenant de police, s'aniusant à faire un château de cartes.
- 195 —
174-2.
31. — « Poitrail de M. Leuoir tenant une brocliiire. • — Gravé sous le litre de l'Instant de la Méditation.
32. — '< Enfants s'amusani au jeu de l'oie. •>
33. — <• Enfants faisant des tours de cartes. »
1746.
34. — <- Répétition du Bénédicité, avec une addition, pour faire pendant à un téniers dans le cabinet de M. de Lalive. »
35. — « Amusements de la vie privée. » ~ Cabinet du roi de Suède.
36. — « Portrait de M. ***, ayant les mains dans son manchon. •>
37. — « Portrait de M. Levret, de TAcadémie de chi- rurgie. »
1747.
38. — « La Garde attentive, ou les Aliments de la con- valescence. » — Pendant d'un autre tableau du cabinet du prince de Lecheinsten, et que Chardin n'a point ex- posé, ainsi que deux autres envoyés à la cour de Suède
— \9i —
1748.
39. — « L'élève studieux. > — Faisant suite aux deux tableaux envo^és en Suède.
1751.
40. — « Une Dame variant ses amusements. »— Con- nu sous le nom de lÊducation d'un Serin. — Cabinet de M. de Vandières.
41. - « Un Dessinateur, reproduisant le mercure de Pigalle. » — Cabinet de la reine de Suède.
42. — a Une jeune Fille récitant son Kvangile. » - Ca- binet de la reine de Suède. — Ces deux tableaux ont été répétés, avec quelques changements pour M. de Lalive.
43. — « Philosophe occupé à lire. » — Cabinet de M. Bosery, architecte.
44. — « Un Aveugle. » — Très-petit tableau.
43. — « Un Chien, un Singe et un Chat, peints d'aprè» nature. » — Appartenant à M. de Bombarde.
46. — « Une Perdrix et des Fruits. »— Du cabinet de M. de St-Germain.
47. — Deux tableaux représentant des Fruits. — Cabinet de M, de Chassé, chanteur de lAcadémie royale de musique.
48. — « Gibier. » — Cabinet de M. Aved , peintre de portraits né à Douai.
— 195 —
1755.
49. — « Enfants jouont avec une chèvre. « — Imita- lion d'un bas-relief en bronze.
50. — « Des Animaux. »
1757.
51. — « Des Fruits et des Animaux. »
52. — « Préparatifs de quelques mets sur une table de cuisine. •>
33. — « Une partie de dessert, sur une table d'office.»
— Formant deux tableaux, dans le cabinet de M. de La- live.
54. — 0 Une Femme qui écure. » — Cabinet du comte de Vence. — Ayant appartenu à M. Sylvestre, et vendu en 1811, avec le Retour du marché, 121 francs.
Nota. Sous l'école greco-romaine de David, Watteau et Chardin n'avaient aucune valeur commerciale,
55. — « Portrait en médaillon de M. Lorin, profes- seur de chirurgie. »
56. — « Une pièce de Gibier oi une poire à poudre. >>
— Cabinet de ^l. de Damcrv.
— 196 —
1759.
57. — ■ Un retour de Chasse. - — Cabinei du comle du Luc.
38. — Deux tableaux rcpréseutant des pièces de gibier, avec fourniment et gibecière. — A M. Trouard, architecte.
59. — Deux tableaux de Fruits. -- A M. l'abbé Trublet.
60. — Deux, idem. — A M. Sylvestre.
61. - « Un jeune Dessinateur, peint sur bois. »
62. — « Une Fille travaillant en tapisserie. •>
Ces deux petits tableaux avaient été donnés par Char- din à Cars, graveur du roi. — Le jeunii Dessinateur ap- partient aujourd'hui à M. Sauret, ancien administrateur de la Banque.
1764.
63. — • Le Bénédicité. » — Répétition du tableau du Louvre, avec des changements, pour M.Foriier, notaire.
64. — Plusieurs tableaux d'animaux. - A M Aved, peintre.
65. _ « Des Vanneaux. » — Cabinet Sylvestre.
66. — Deux tableaux de forme ovale. - A M. Pioci- licrs, orfèvre du roi.
67. — Deux autres du même genre
— 197 —
1763.
68. - « Des Fruits. •
69. — a Le Bouquet. » — Cabinet de M. de Saint- Florentin. — Appartient aujourd'hui à M. Marcille.
70. — « Des Fruits. » — A M. l'abbé Pommier, con- seiller au Parlement.
71. — « Débris d'un D(5jeùner. <•
72. — « Des Fruits. » — Cabinet Sylvestre.
73. — Un petit tableau. — A M. Lemoine, sculp- teur.
74. — Plusieurs autres tableaux.
I76è
75. — <• Les Attributs des Sciences et des Arts. •> — Trois tableaux.
76. — Trois autres tableaux, dont un ovale, repré- sentant des rafraîchissemenls, fruits et animaux.
Ces six tableaux ont été peints pour le château de Choisy-le-roi. Diderot en a f.iit le plus grand éloge dans son salon de 1765.
77. — Plusieurs tableaux, dont un représente une corbeille de raisin.
— 19S —
1767.
78. — Deux tableaux cintrés. - Instruments de mu- sique. — Au roi, pour le château de Belle-Vue.
4769.
79. — « Les Attributs des Arts, et les récom penses qui leur sont accordées. » — Appartient à l'abbé Pom- mier. — C'est une répétition, avec changements, du ta- bleau que rimpéralrice de Russie a fait placer à l'Ermi- tage.
80. — a Femme revenant du marché. » — Répétition avec changements, pour M. Sylvestre. — Vendu en 18i1, avec la Récureuse, 121 francs.
81. — ce Une Hure de Sangiiei'. » — Au chancelier de France.
82. — Deux tableaux de Bas-Reliefs. - Cabinet Ran- don de Boisset. — Ils sont décrits dans le catalogue de sa vente.
83. — Deux tableaux de Fruits.
84. — Deux tableaux de Gibier.
1771.
85. — Imitation d'un Bas-Relief.
86. — Trois Tèles d'étude au pastel.
- 199 —
1773.
87. — « Femme tirant de l'eau à une fontaine. » — A M. Sylvestre, vendu en 1814 la somme de 100 francs, et acheté depuis 501 francs par M. Marcille. — C'est une répétition du même sujet peint pour la reine de Suède.
88. — Tête d'étude au pastel.
1775.
89. — Trois Têtes d'étude au pastel.
1777.
90. - Imitation de Bas-Relief.
91 . — Trois Tètes d'étude au pastel.
1779. — (Année de la mort de Chardin).
92. — Plusieurs Têtes d'étude au pastel.
92 6ks. — « Un Jacquet,, petit laquais. » — Ayant appartenu à M'"« Victoire, fdle de Louis XV.
14
— 200 —
TABLEAUX SANS DATES PRECISES.
93. — « Une Raie, un Chai et des Poissons. » — Se trouve au Louvre, galerie des Peintres français.
94. -- « Portrait de Chardin en bonnet de nuit. • — Pastel. — Au Louvre.
95. — « Portrait de sa femme. « — Pastel. — Ces deux portraits ont été vendus en 18H, chez M. Sylvestre, la somme de 24 francs.
96. — « Petit Garçon se servant de la paiie du chat, pour retirer des marrons du feu. •> — Devant de chemi- née, ayant appartenu à M. Malinet, marchand de tableaux.
97. — Nature morte.
Ce tableau appartenait à M. Crosnier, qui l'a vendu en 1845 au comte de Clément de Ris — Je doute de son au- thenticité.
98. — « Une Table de cuisine, avec légumes et usten- siles de ménage* Dans le fond une pièce de bœuf accro- chée à la muraille. •>
Ce tableau signé et daté de 1740, m'appartenait. Je l'ai cédé à M. Clément de Ris.
99. — Deux petits tableaux faisant pcndanf. - Usien siles de ménage, fruits eic
Achetés à la venie Saint eu 1840, pai' M. Clément de Ris, pour la somme de 80 francs.
— 301 —
100. — Esquisse du Bénédicité, avec de notables changements. — Apparienanl à M. Marcille.
101. — " Un Dessinateur, vu de dos. »
Petit tableau sur bois, acheté par M. Marcille à la vente Saint, pour la somme de 800 francs.
102. ~ Nature morte, tableau oblong représentant des perdrix attachées à un mur, deux coqs sur une table, el des ustensiles de cuisine.
Ce tableau appartenait à la direction de l'Alliance des Arts.
103. — Deux petits tableaux de nature morte, signés el datés. - Appartenant à M. Baroilhci, ancien artiste de l'Opéia
loi. — . Le Singe antiquaire. •— Appartenant au mêire.
iOj. — Un beau portrait d'homme de grandeur na- ture. — Au musée de Niort.
106. — Nature morte. — « Un Lièvre. « — A M. Jules Boilly, fds du peintre de ce nom, el artiste amateur.
107. — Différentes espèces de légumes, un fromage, une cruche, un couteau, sur une table. — Au musée de Rouen.
lOS. — Le portrait de M. Geoffrin, mari de la cé- lèbre M'"'' Geoffrin — Au musée Fabre, à Montpellier.
109. — Un tableau représentant une cruche, un pain, un verre, quelques livres posés sur une table.
— ^202 -
Ce tableau, ainsi que le dit forl jusiement le Catalogue des œuvres de Chardin, dans THisioire des Peintres de M. Charles Blanc, est d'un relief et d'une vérité remar- quable!
Il a été acheté à la vente Saint par M. Lacaze, la somme de 301 francs. — Toutefois il n'est pas de Chardin, mais a été peint par Roland de la Porte, artiste de talent, qui a le plus approché de la manière et de l'effet du peintre du Bénédicité. — Il appartenait à M. de Marigny, frère de M™" de Pompadour, et se trouve di-crit dans le Catalogue de sa vente, fait par Basan et Joullain, en 1782, page 30, n° 95. L'exemplaire que j'ai de ce Catalogue porte, en marge, et écrit à la main que ce tableau a été vendu la somme de 160 livres, à M. de la Briche.
NOTE ESSENTIKI.LE.
La liste de ces tableaux, est, en grande partie^ extraite, année par année, des Catalogues d'( xposilion du Louvre, depuis 1737 jusqu'en 1777. Plusieurs ouvrages se trou- vant indiqués sous le même numéro, on peut en porler le nombre à 120 ou 130. — Chardin a fait aussi beaucoup de tableaux ciiii nom point été exposés, et des dessins, mais peu nombreux, dont quelques-uns sont en la possession de -,i Mayor, anglais, fuii des premiers colL-cleurs de l'Europe, et de M Cléiiiem de Ris
0!:UVRE GRAVÉE DE CHARDIN.
1. — .< Périrait de Chaidin, les lunettes sur le iiez, peint par lui-même en 1771 . » — Gravé par Gaspard Che- villet.
Cars, (Laurent).
2. — « Le Serin. • — (En hauieur).
Cochin père, (Charles-Nicolas).
3. — " La Blanchisseuse. » — (En largeur^. i. — « La Fontaine. «> — (En largeur).
5. — « La Récureubc. •' — (En hauteur).
6. — « Le Garçon cabaretier. «* — (En hauteur).
7. — « Jeune Fille avec des joujoux. •>— (En hauteur).
8. — « Jeune Fille tenant des cerises. > (Idem).
9. — « Deux Enfants jouant ensemble. •>
Charpentier. 10. — « La Mère trop rcigidc. «
— 20 i —
11. — • La Souricière. ■>
12. — « La Ménagère, n
13. — " L'Enfant gàtc. »
14. _ <■ La bonne Mère. »
Plusieurs de ces gravures nous paraissent évidemment avoir été faites d'après d'assez mauvaises imilaiions du genre de Chardin.
Dagoii, (Jean-Fabien-Gaulhier).
15. — " Le Dessinateur. » — Manière de lavis. — (En hauteur).
Dupin.
16. — « La Ménagère. »
17. — '< Le Pardon. »
Même pièce que celle gravée par Charpentier, sous ic litre de la Mère régide.
Faber, (le jeune).
18. — « Le Dessinateur. ■> — Gravé à la manière noire.
Fessard, (Etienne).
19. — « Damedécachetantuneletire.»— (En largeur).
— 205 — 50. - <■ L'InslaiU de la Médiiaiion »
21. — " La Caqueleusc »
Fillœul, (P.).
22. — a Les Osseleis. « — (En hauteur).
23. — « Les Bulles de savon. • — (En hauteur).
24. — <• Le Faiseur de châteaux de cartes. » — (Eu largeur).
25. — « Dame prenant du thé. » — (En largeur).
Flipart fils, (Jean-Jacques).
26. — « Le Garçon qui dessine. • —(En hauteur). "21. — • La Tricoteuse, » — (En hauteur).
^2B. -- « L'Oiivricre en lapisserie. "
Houston, (Richard).
29. — « L'Instant de la Méditation, » — Manière noire ; même pièce que celle de Fessard, avec change- ment au fond.
Lebas, (Jacques-Philippe).
'30. — " Le Néglige, ou la Toilette du matin. • —(En hauteur).
— 2<i6 —
31. — w L'Elude du dessin. » — (En largeur'.
32. — « La bonne Education. » (Idem).
33. — « L'Econome. » — t^En hauteur).
Legrand, (Auguste). 34; — • Portrait d André Levret, chirurgien. w-In-S°
Lemodno.
35. — a La Gouvernante. »
Lépicié, (Bernard).
36. — « Le Bénédicité. » — (En hauteur).
37. — « La Mère laborieuse. • — (De même).
38. — « La Gouvernante. » — (De même).
39. — « La Ralisseuse. » — (De même).
40. — « La Souricière. »
41. — « La Pourvoyeuse. »> — (En hauteur),
42 — « Le Château de cartes. « — (En largeur). Autre composition que celle gravée par Fillœul.
43. — « Le Souffleur. » — (En hauteur).
44. — « Le Tolon. » — (En largeur).
45. — « La Maîtresse d'école. • — (En largeur).
— -201 —
M"'^ Lôpicic.
46. — « Le Béiiédicilé. » — (En Iiauleur).
47. — ■ La Mère laborieuse. » — (De même).
Maginol, (E. Cécile).
48. — « Les Principes des Arts. » — Jeune Garçon qui dessine.
49. — « L'Amusemenl. •
Marcenay, (Deghu} Anioine).
50. — « Le Château de cartes. » — Très-petite es- tampe. — (En largeur).
Miger, (Simon Charles).
51. _ « Portrait d'Antoine-Louis, chirurgien. » In-S".
Simon, (J.\
.52. — « Le Négligé. •> — 'En hauteur).
53. — » La Mère laborieuse. » (Idem).
54. — <- La Gouvernante. » (Idem).
— 20S —
Siinigue père, (Louis).
55. _ . L'Économe. » — (En largeur).
56. — • L'insiant de la Méditaiion. » — (Eu largeur).
Surugue fils, (Pierre-Louis).
57. — • Le Singe peintre. ■•— (^En hauteur).
58. — « Le Singe antiquaiie. » (Idem).
59. — « L'Aveugle. » (Idem).
Surugue père ou fils.
60. — « Le Jeu de l'oie. » — (En largeur).
61 . — « Les Tours de cartes. »
62. — « Les Amusements de la vie privée. • — (En hauteur).
63. — « L'Inclination suivant l'âge. » — (En hauteur).
Pièces anonymes.
64. — n Le Faiseur de châteaux de caries. »
65. — <■ La Ménagère. »
— :>u9 — Addiliod.
66. — « Portrait de Chardin. » — Dessiné par Cochin fils en 1755, gravé par Cars.— Médaillon in -8". — Le dessin, au crayon rouge, appartient à M. Clément de Ris.
67. — m Portrait de M"« Chardin (Françoise-Marie Pougei). » — Même dessinateur et même graveur.
HUBERT ROBERT.
A ADOLl'HK l.KLEUX, PKINTRE.
A ADOLPHK LELEUX,
QUI m'a fait dox d'un tableau représentant
UN PATRE RRETON.
Ami, toi que mon cœur en tous lieux accompagne, Je te vois, dans les champs de l'antique Bretagne, Déposant le bâton, appui du pèlerin, Chercher mille sujets d'une agreste peinture, Et t'armant du crayon, surprendre la nature. Assis à l'angle d'un chemin.
Tour à tour les^étangs, les landes, les bruyères, Ce ciel mélancolique, et ces pauvres chaumières Où résident la foi, l'innocence et ht paix, Sont fixés par tes soins sur le papier mobile, Et vivants souvenirs dus à la main habile Des rois vont orner les palais.
La Bretagne, pays si digne de mc'moire ! Terre à jamais sacrée, et chère à noire histoire, Où naquit Duguesclin, où de Chateaubriand Le berceau balancé par les vcnis d'Armorique, Vit éclore en René ce livre poétique. De notre siècle le plus grand :
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La Breiagne à les yeux doit avoir bien des charmes ! . Ces chàleaux où jadis veillaient les hommes d'armes. Ces vieux clochers moussus où s'abat l'alcyon, Celle mer orageuse, et qui par inlervalles, Des celtiques rochers vient inonder les dalles, Sont faits pour l'inspiration !
Que ton Paire me plaît !.. il respire la vie !.. Son costume grossier, sa lèie rembrunie, Ses pieds nus accusant une agile vigueur ; Ses doigis nerveux iressant une paille légère Devant voiler le front d'une jeune bergère. C'est la vériiô dans sa fleur !
Auprès de lui le chien, compagnon de ses veilles, Regarde ses moulons, et dresse les oreilles Au moindre bruit laissant soupçonner le danger : Fidèle serviteur que le pain noir conienie, Il n'est point couriisan, aussi dans la lourmente On ne le verra pas changer !
Le dessin, la couleur, les ombres, la lumière, Ce type original qu'avant tout je préfère, Dans ce joli tableau brillent à l'unisson ; Je voudrais, cher Leleux, posséder la palcile. Ou celle lyre d'or qui fail le vrai poète. Pour le remercier de ce don.
HIBERT ROBERT.
Tandis que vous parcourez l'Afrique avec mon fils Edmond, demandant tous deux à ce ciel brûlant, aux hommes et aux femmes dont il bistre le teint, de nou- velles inspirations, je remue chaque jour les milliers de feuilles détachées remplissant mes cartons, et j'évoque le souvenir des artistes peintres, dessinateurs, musiciens dont les talents ont honoré la France. Il en est un, qui n'est point à la mode en ce moment ; à mes yeux cepen- dant il a bien son mérite. Il ne faisait pas son siège dans son cabinet, comme le bon abbé de Vertot; ainsi que vous, il voulait voir, examiner scrupuleusement les lieux, les hommes et se rendre compte des obstacles, des diffi- cultés, avant de commencer l'atlaque. Cet artiste, c'était Hub.rt Robert. Je vais aujourd'hui vous parler de lui, en mettant en ordre, et en vous communiquant les curieux renseignements que, depuis trente ans, j'ai receuillis sur sa vie et ses ouvrages.
Hubert Robert est né à Paris en 1733, c'est à-dire à une époque oîi notre école française voguait en pleine fantaisie, sacrifiait beaucoup au caprice, et reflétait un peu trop le fard, les mouches, les pompons, les rubans et les dentelles régnant alors souverainement dans la haute société. Qu'elle était charmante, éblouissante cette école, dans laquelle les Boucher, les Natier, les Raoux, les Fra- is
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gonard tenaient le sceptre ! Au point de vue de la désin- volture du xviii« siècle, est-il possible d'être plus spiri- tuel, plus coquet, plus harmonieux que ces peintres l'ont été dans une foule de leurs productions? Mais la nature, ce sentiment grave et mélancolique que vous aimez com- me moi, tout cela est absent de leurs tableaux, de leurs dessins. A force de talent, d'originalité, de magie, de coideur, souvent Waileau, leur maître à tous, nous fait rêver ; tandis qu'eux n'attirent sur nos lèvres que le sou- rire. Leurs paysages surtout, j'en excepte quelques toiles de Fragonard, sont des féeries d'opéra, entrevues dans un boudoir, à travers le prisme brillant du regard des jolies femmes. N'est-ce pas déjà chose tout à-fait éton- nante et remarquable dans le talent de Robert, qu'il ait, ainsi que je l'établirai bientôt, fait divorce total, avec la manière de ses contemporains, en abordant de front la réalité, dont jamais il ne s'est écarté, pendant le cours de la longue carrière qu'il a parcourue ?. .
Sa famille,! honnête et distinguée, était sincèrement religieuse, et le destinait à l'état ecclésiastique. Dans les bonnes maisons de la bourgeoisie, il y avait honneur alors à compter un fils portant le petit collet, Taumusse du chanoine, ou administrant une paroisse. C'est dans cette intention qu'on fit faire à Robert ses études au col- lège de Navarre. Il y obtint des succès, et remporta même des prix aux différents concours, parce que son intelligence vive et juste le rendait propre à tous les tra- vaux de la pensée : mais sa véritable vocation l'entraînait impérieusement vers les beaux arts. Je vais en citer un exemple : tout le papier qu'il pouvait se procurer lui ser- vait à tracer des dessins que se disputaient ses camarades-
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Un jour, ruii de ces dessins, fait sur le revers d'un devoir grec tomba entre les mains de son professeur, l'abbé Lebatleux, connaisseur et homme de goiit : « Robert, » lui dit-il, lu seras peintre! » ot celte prédiction s'ac- complit^ malgré les succès distingués obtenus par Robert dans ses études classiques, et malgré le vœu de sa fa- mille.
A peine sorti du collège, il se rendit à Rome. Sa vingtième année venait de s'accomplir, et la vue des chefs-d'œuvre de l'antiquité, des tableaux de l'école de Raphaël, le remplit d'admiration. Plusieurs français, gens d'esprit et de talent, habitaient à cette époque, la ville des Césars, entre autres l'abbé de Saint-Non, pour lequel il fit un grand dessin, ayant servi depuis à l'illustration du voyage pittoresque de Net pies et de Sicile. Pendant un séjour de douze années, Robert parcourut la campagne romaine, alla s'asseoir sur tous les débris de ce grand empire déchu, et dessina, peignit sous tous les aspects les monuments couvrant son sol. Il connut alors Grélry, envoyé comme élève-compositeur au collège situé in piazza monte doro , par le prince-évèque de Liège. Dans sa vieillesse, ce charmant musicien, que je visitais souvent, Roulevard des Italiens, n° 7, et à son ermitage dEmile Montmorency, se plaisait à me raconter les ex- cursions qu'il avait faites avec le jeune peintre, à me vanter l'originalité de son esprit, sa joyeuse humeur et l'obligeance de son caractère. Robert s'était déjii fait une réputation auprès de quelques riches amateurs italiens, et en pariiculier de deux princes de l'église; il gagnait de l'argent, et se montrait toujours prêt à ouvrir sa bourse à un camarade, à un ami dans l'embarras. Son goût pour la musique était très- prononcé. Il passait des
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heures entières à entendre Giétry préluder sur une mau- vaise épinelte à ces chants si vrais, si louchanls qui depuis ont fait l'admiration et les délices de toute l'Euiope. On ne saurait nier l'affinité existant entre la musique et la pointure : ce sont deux arts se tenant par la main et unissant, dans un chaste embiassenK-nt, leurs palmes fraternelles. Paul Véronèse jouait de la basse, Salvator Rosa du Luth ; Vernet le père jugeait admirablement les partitions de ses contemporains. De notie temps David ne quittait pas le théâtre et le foyer des boufTes, où j'ai fait sa connaissance en l8H, et où il analisait avec un tact, une délicatesse extrêmes, sans savoir une note, et en employant des termes puisés dans la langue de la peinture, les beaux opéras de Mozart, de Paësiello, de Cimai'osa. Pierre Guérin jouait du violon ; Panseron avait commencé par brosser des toiles ; Norblin, le vio- loncelliste faisait de jolies eaux fortes, et possédait un cabinet de tableaux très-remarquables. M. Ingres n'éiait- il pas l'ami intime, l'admirateur de Chérubini, et M. Eu- gène Delacroix ne quitte-t-il pas souvent ses pinceaux pour assister à des réunions musicales, où il se montre excellent connaisseur?. . Enfin, combien de fois, vous et votre frère Armand, mon cher Leleux, lorsque le soir je suis à mon piano, ne m'avez-vous point fait entendre deux très-belles voix, dirigées par le goût, la première de toutes les sciences, dans ces chœurs de l'Armide de Gluck, et de l'Ossian de Lesueur, que nous aimons tant à répéter?.. — Vous me pardonnerez celle digression, car elle ne me semble pas étrangère au sujet que je traite. Je reviens à Robert pour ne plus le quitter.
Le désir de revoir sa famille le ramena à Paris en 1767. Alors on le pressa de se faire i ecevoir, comme agrégé, à
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l'Académie de peiniure. Il céda aux sollicitations de ses amis, et fil un tableau que sa modestie crut fort peu digne de lui valoir les honneurs du fauteuil. Les académiciens appelés à juger cette œuvre ne partagèrent pas son avis, et la trouvèrent si remarquable que, par une exception jusqu'alors sans exemple, ils reçurent Robert avec la qualité de membre titulaire.
A dater de ce moment sa position fut fixée. Sa réputa- tion s'accrut chaque jour dans un genre où il n'avait eu pour prédécesseur que Jean-Paul Panini, et les comman- des lui arrivèrent de tous cotés. Disons cependant qu'il n'a jamais égalé le peintre de l'intérieur de Saint-Pieire de Rome (1).
En 1782, l'impératrice Catherine, véritable mécène des hommes de lettres, des artistes français, constamment sollicités par elle d'aller se fixer dans ses Etats, conçut le projet d'attirer à Saint-Pétersbourg Robert, dont elle aimait beaucoup les ouvrages. On lui offrit, au nom de cette souveraine., un traitement considérable, avec le titre de premier peintre de sa cour, et les nombreux avan- tages qui y étaient attachés. L'amour de la patrie, le sentiment, inné chez lui, de l'indépendance, le portèrent à refuser cette honorable et brillante position. Il préféra le ciel de son pays, cette existence d'artiste libre de toute entrave, accidentée, ces travaux de tous les instants, suffi- sant à ses besoins, aux chaînes dorées de la Sémiramis du
(<) Ce beau tableau, ayant appartenu à Hubert Robert, a été acheté 5,000 francs, en l'année 18Ô3, par l'adminislrntion de notre nausée
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k Nord. Le§ célèbre d'Alembert, en pareille circonstance,
avait agi de même quelques années auparavant.
Nommé garde des tableaux du roi, dessinateur des jardins de la couronne, il exécuta un grand nombre de compositions, dans le style du décor, pour les palais, les hôtels et les châteaux de Paris et de ses environs. On en retrouve de temps en temps, lors des ventes publiques d'objets d'art. A celle de la collection de M. de Cipierre, qui eut lieu en mars ISio, j'en ai vu quatre fort distin- gués , parmi lesquelles on remarquait la Cascade de Saint-Cloud et le Moulin de Charenton. Deux grandes toiles de Robert, dont l'une représente le parc de Ver- sailles^ au moment où Louis XVI regarde des ouvriers occupés à travailler, ornaient encore sous le règne de Louis-Philippe la salle d'attente conduisant au cabinet d'hiver du ministre de la justice, place Vendôme.
Au milieu de cette vie consacrée à l'exercice de son art, Robert n'oubliait pas sa chère ville de Rome. Ne lui devait-il pas, en effet, une foule d'heureuses inspirations? ses ruines poétiques ne l'avaient-elles point conduit à adopter le genre qui lui a valu le plus de succès ?.. Aussi tous les deux ans retournait-il la visiter.
La manière dont il entreprenait ce voyage transalpin a quelque chose de vraiment original. Sa famille, ses amis ignoraient jusqu'au dernier moment le jour fixé pour le départ. Il les réunissait autour de la table d'un joyeux déjeûner, puis se mettait en roule, non point assis dans une bonne voiture, mais à pied, le bâton du pèlerin à la main, le parapluie sous le bras, et portant sur le dos un havresac contenant un peu de linge, et tout ce qui lui
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éiaii nécessaire pour dessiner. En quittant son atelier, sa bourse était légèrement garnie. Jusqu'à Rome, il avait ses étapes où il se reposait, lerminanl des croquis re- ceuillis sur son chemin, et cédés à de riches amateurs qui se les disputaient. Ainsi, battant monnaie en plein air, suffisant à ses dépenses de route, il arrivait, sans nul embarras financier, dans la capitale du monde chrétien. Est-ce que cette façon de voyager n'est pas la meilleure, la plus pittoresque, la plus fructueuse pour l'observateur et pour Tariiste ? Cent fois, moi-même, j'ai éprouvé com- bien on profile dans ces excursions pédestres ; combien la pensée, l'imagination acquièrent de développement, de vivacité par l'exercice du corps. Mille trésors cachés dans les champs, dans les bois, dans renceinle des plus obscures bourgades, mille accidents de la nature viennent se dévoiler à la vue du voyageur. Aussi suis-je complète- ment de l'avis de Montaigne, lorsque dans ses immortels essais il dit : « Le voyager me semble chose profitable. » L'âme y a une continuelle exerciiaiion à remarquer des » choses inconnues et nouvelles (1). »
En 1791, l'impératrice de Russie renouvella ses offres près de Robert : il refusa, pour la seconde fois, de les accepter. Cependant la révolution arrivait à grands pas vers une époque que nous voudrions pouvoir effacer de los annales. Notre peintre venait de perdre toutes ses places; son talent seul lui restait pour exister, cl la fièvre )olitique envahissant tous les esprits était loin d'être fa- vorable à la culture de l'art, et à la vente de ses produc- tions. Robert, en homme sage, crut se dérober aux coups
(i) Essah, livre ' ch.npiiro P
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de la tempête, en ne sortant presque plus de son atelier^ et en ne prenant aucune part aux affaires du momeni. Cette prudente neutralité ne lui fit point éviter la pros- cription. N'avait-il pas travaillé pour les rois, les prin- ces, les grands seigneurs? n'avait-il pas orné, embelli leurs habitations? C'en était assez pour qu'il devint sus- pect, coupable même, aux yeux de certains de ces farou- ches républicains, démolisseurs des églises et des palais, voulant alors qu'on brulàt l'œuvre capitale de Rubens, la galerie du Luxembourg, parce qu'elle représentait les principaux événements de la vie d'un monarque dont le pauvre a gardé la mémoire.
Robert fut donc arrêté, sous le régime de la terreur, et d'abord incarcéré pendant dix mois à Sainte-Pélagie. Heureusement la force, la gaieté de son caractère ne l'abandonnèrent pas sous des verroux qui, en général, ne s'ouvraient que pour les prisonniers conduits au tribunal révolutionnaire, et de là à l'écbafaud. L'aimable et bon Roucher, l'auteur du poème des mois, partageait sa cap- tivité. La veille de son supplice Robert fil son portrait, et l'infortuné poète l'envoya à sa femme, à sa fille, avec ces vers touchants :
« Ne vous étonnez pas, objets si chers, si doux,
» De cet air de tristesse empreint sur mon visage :
» Alors que l'amitié retraçait cette image
» L'échafaud m'attendait, et je pensais à vous!... »
De Sainte-Pélagie on transféra Robert à Saint-Lazare, pendant une nuit froide et pluvieuse, à la lueur des tor- ches, dans une voiture découverte, suivie d'autres voitures renfermant ses compagnons de captivité. Au milieu des
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cris de mort, des vociférations d'une popuhice en délire, il ne songeaii qu'à son art, et dessina avec une effrayante vérité celle scène de cannibales, dont il fil un fort beau tableau.
Que d'heures d'angoisses et de mélancolie il eut pas- sées dans sa prison, si son amour pour la peinture, le besoin continuel de créer, ne l'avaient distrait et consolé! ne pouvant se procurer tout ce qu'il lui fallait pour pein- dre, réduit à ne posséder 'que sa boîle de couleurs, il employait les assieiies servies sur la table de la géole, et quelques débris de vieilles cloisons à reproduire les sou- veniis de son existence et de ses voyages. Une de ces assiettes m'apparlieni : je la regarde comme doublement précieuse, en ce qu'elle se rattache à la chronique du temps, et offre une idée exacte du talent et du caractère de l'artiste. Elle est en faïence grossière, taillé à pans formant un octogone, et son bord encadre le sujet con- tenu dans un fond très-concave. Ce sujet représente un magnifique jardin de couvent à Rome. Au-dessus d'ar- bres épais se dessinent la colonne trajane, et le dôme du Panthéon. Des caisses de lauriers rose, des fleurs de diverses espèces, ornent ce lieu enchanté, dans lequel une jeune fille, en costume de novice, court pour saisir un papier que lui a jelé un jeune homme, peut-être Ro- bert lui-même, du haut de la colonne. Derrière celte assiette on lit :
« Un baiser envoyé sur l'aile des vents à la plus belle , » à la plus volage des novices de Rome. Peint dans la • maison d'arrêt de Saint-Lazare par le citoyen Robert, y> et adressé à une de ses compagnes d'infortune, en » 1794. "
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La signature de l'anisie se trouve sur le côté gauche du fond, et au bas, sur le bord, il a écrit la maxime latine si connue, devenant un jeu-de-mots à cause de son nom :
« Experto crede Roberto. »
Des temps meilleurs arrivèrent enfin, et la liberté lui fut rendue.
Son ardeur pour le travail, ce désir insatiable de voir, d'observer pour mieux rendre la nature, le mirent sou- vent dans des situations fort dangereuses. On connaît sa visite dans les catacombes de Rome, où il pénétra seul tenant le fil d'Ariane, et un bout de bougie à la main. Tout-à-coup cette bougie s'éteint, le fil échappe à ses doigts tremblants, et le voilà errant dans ce dédale sou terrain, dont i! pense qu'il ne sortira pas vivant. Après un intervalle de temps qu'il ne peut apprécier, mais qui lui paraît avoir la durée d'un siècle, il retrouve le fil libé- rateur... Avec quel transport de joie il le presse sur son sein, le couvre de baisers !.. Enfin il revoit la lumière du jour, et bénit le ciel |de sa délivrance!.. Delille a fait de cet événement l'un des épisodes les plus intéressants de son poème de l'imagination. C'est du style descriptif, avec toute la pompe, toute la manière de la littérature empire ; mais cela bien récité, ne manque ni de mouve- ment, ni d'effet. Deux de mes amis, le comte de Casleja, préfet sous la Restauration, et Lafon, sociétaire du Théâ- tre-Français, obtenaient un immense succès dans les soi- rées où ils déclamaient cet épisode. C'est au premier que Delille avait dit, après l'avoir entendu : « Vous êtes la » meilleure édition de mes ouvrages. » L'un des vers les plus applaudis était celui-ci :
« Il ne voit que la nuit, n'entend que le silence ! »
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J'avoue, en loute huniililé, que je n'ai jamais bien com- pris ce vers-là.
Sous l'empire, Roberl fui nommé conservateur du mu- sée Napoléon. Il continua, jusqu'au dernier de ses jours, à peindre, à dessiner, et mourut presque subitement à Paris, en avril 1808, âgé de 75 ans.
Son portrait, de la plus parfaite ressemblance, et qu'on doit au talent de son amie M'"^ Lebrun, née Vigée, existe dans l'une des salles de l'école française, au Louvre. Ses traits n'étaient pas distingués, mais la sérénité d'âme, la rondeur et la franchise en formaient le principal carac- tère. Il y avait à la fois de la bonté, de l'énergie, de la finesse dans l'expression de sa physionomie, et son œil animé, spirituel, annonçait un esprit et une intelligence remarquables. Sa taille au-dessus de la moyenne, quoi- qu'un peu forte ne l'empêchait point d'être très-leste, et très-adroit dans tous les exercices du corps. C'était un grand joueur de ballon ; de vieux amateurs se rappèlent encore l'avoir vu, dans un âge avancé, aux Champs-Ely- sées, se livrer avec une ardeur juvénile à ce genre d'amu- sement. Un jour, au moment où un ballon venait de cre- ver sous sa main, Carie Vernet lui dit : « Mon cher Robert, » voilà ce que c'est que la gloire !» — « Oui, lui répli- » qua-t-il , mais lorsqu'elle n'est soutenue que par le » vent. »
Ainsi que je l'ai déjà fait observer, il faut chercher son principal talent dans la représentation des anciens monu- ments, et des ruines. Moins brillant de couleur, moins ferme, moins hardi de dessin que Panini, surtout dans les figures, il savait pourtant donner à ses compositions imp
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physionomie si neuve, si particulière, qu'elles plaisent et ailaclieni, sansjamais tomber dans la monotonie. C'était l'éceuil à éviter dans ce genre, où sans cesse on est obligé de reproduire des murs délabrés et couAcrts de mousse, des colonnes tronquées, brisées, des chapiteaux mutilés où jonchant le sol, des statues en débris ou renversées. Robert avait l'art d'animer ces restes mélancoliques des palais et des temples du peuple-roi ; de leur prêter une valeur morale, en évoquant dans la mémoire de ceux qui les regardaient tous les souvenirs de la grandeur déchue, de la puissance vaincue par les révolutions et le temps. Son pinceau est facile, spirituel ; sa touche légère et agréable. Dans ses sites, ses paysages, il y a de l'abon- dance, de la finesse de détails, mais un ton souvent bla- fard, et l'on regrette que le soleil n'ait pas assez illuminé sa palette. Comme cela est arrivé à presque tous les peintres de son école, l'encyclopédie avait un peu déteint sur lui, et dans la plupart des groupes de figures ornant ses tableaux, une recherche de pensée, une empreinte de philosophie, nuisant à la franchise et à l'unité de l'effet, se font trop remarquer. Plusieurs de ses productions sont toutefois exemples de ces défauts : je citerai, entre autres, la Porte de ville et la Statue en bronze, sous un portique, que possède le musée du Louvre.
Le nombre des tableaux peints par Robert est considé- rable. Parmi les plus estimés sont les deux que je viens de citer, et le tombeau de Marius, les ruines du château de Meudon, les Bains publics, les catacombes de Rome, l'escalier du Bernin, au Vatican, Vincendie de l'Hôtel- Dieu de Paris, la maison carrée de Nismes, le temple de Venus, et le pont du Gard. Plusieurs hôtels à Paris, ainsi que les châteaux royaux , principalement Saint-Cloud •
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soDl ornés de ses œuvres. Il n'y a point de coUeciions d'aniaieurs un peu importantes, où Ton ne rencontre de ses toiles, et surtout de ses aquarelles, de ses dessins, qu'il a multipliés à l'infini. Outre l'assiette dont j'ai parlé plus haut, je possède de lui un petit paysage avec ruines d'un temple provenant de la galerie du comte de Loug- villers. Sain, le célèbi^e miniaturiste, partisan déclaré de l'école française, au xviii^ siècle, que la mort vient de frapper, avait réuni une grande quantité de ses œuvres. Robert a gravé lui-même, sous le titre de Soirées, un receuil de vues enrichies de monuments antiques, d'un burin léger, spirituel, et d'un excellent effet. Peu d'élèves sont sortis de son atelier. Demachy avait reçu ses con- seils, dont il a peu profité : les tableaux laissés par lui n'en offrent que trop la preuve. M. Vauzèle, que 31. de Laborde chargea d'aller faire sur les lieux les dessins des monuments illustrant son voyage d'Espagne, a rappelé le talent de Robert qui fut son maître.
Voilà, mon cher Leleux, tout ce que j'ai pu receuillir sur un peintre ayant eu de son temps, si rapproché du notre, une grande réputation, et dont les œuvres de choix sont encore en haute estime auprès des amateurs. Parmi nos artistes nationaux, il est le seul qui ail véritablement réussi dans le genre des ruines monumentales. Aujour- d'hui ce genre est à peu près totalement abandonné. La sculpture, l'architecture, la tragédie grecques, et romai- nes, les fables riantes, ingénieuses du paganisme, sont tombées en grand discrédit ; il semble que nous ayons voulu prendre à la lettre ce vers si connu de Berchoux :
• Qui nous délivrera des Grecs et des Romains? •
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La multitude sacrifie à la fantasia, à la mode dont le despotisme étroit n'admet rien de sévère, de régulier, même en fait de dessin. Raphaël est devenu embêtant, le Poussin et le Guaspre sont aux antipodes de la vérité. Les uns ne voyent que la couleur, et se pâment devant une toile, ressemblant à une riche palette sur laquelle, au milieu de toutes les nuances de l'arc-cn-ciel, il est impossible de saisir une ligne, une forme arrêtée. D'au- tres ne trouvent de perfection, de beauté que dans le gothique. Il en est, enfin, s'imaginant avoir crée, inventé le paysage vrai, oublieux qu'ds sont des chefs-d'œuvre de Ruisdaël, d'Hobbéma, de Huismans, qui l'avaient crée, inventé bien avant eux, et ne s'en vantaient pas.
En dépit de ce dévergondage, mon ami, l'essentiel pour l'artiste digne de ce litre, c'est de ne pas se parquer dans l'horizon borné des lions du jour; d'admirer le beau par- tout où il se rencontre, de rendre justice à chacun, et de marcher, avec courage, dans les sentiers de la vérité- C'est ce que vous avez fait, ce que vous faites constam- ment et ce dont je vous loue. Ne craignez pas de bien dessiner, car cela ne nuit jamais, et quand il s'agira sur- tout du dessin, répétez-vous sans cesse celte maxime, avec variante du texte primitif, lequel m'a toujours paru d'une étrangeté inouie : le laid ne sera jamais le beau (1). La nature vous a crée coloriste : ne vous croyez pas obligé, en abusant de ce don admirable, de forcer la gamme de vos tons, de la diamanter à ce point que l'œil
(1) Voici C6 texte primitif, dans toute sa crudité 8 Le laid, c'est le beau! »
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ébloui ne puisse supporter la vue de voire peinture Vous êtes sérieux, original, puissant quelquefois : conti- nuez à être tout cela, c'est le vœu le plus cher d'un ami qui a encouragé vos débuts, applaudi à vos progrès, et qui est heureux de vos succès.
LE CHAXT DE LÉONARD DE VINCî,
A MONA USA, COMTESSE DEL GIOCONDO.
u Oggi è sempre ! 1 )i
IG
LE CHANT DF/ LÉONARD DK VINCI,
A USA MONA*
Je l'aime, comme uii ange aime la mélodie j Qui s'exhale si douce aux pieds de Télernel ! Comme la fleur, croissant dans la vcrie prairie, Aime la goulle d'eau que lui verse le ciel !
Je l'aime, comme aux champs l'ami de la nature Aime la violelie au parfum virginal, Comme le voyageur aime la source pure, Qui serpente ignorée, en son pays naial.
Je l'aime, comme l'astre et rêveur et magique Dont les pâles reflets argenleni l'univers. Et comme l'oraison sainte et mélancolique Que la cloche du soir annonce dans les airs.
Lu I. ouvre possède le (lorlrait de JVIona Lisa connue sous le nom de la Joconde. « Celle peinluro do Léonard esi, suivaiil l'o.- V pression do Vasari, plulôl une «ruvre divine qu'humaiiie ! »
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Je l'aime !.. tu le sais?., que servirait de feindre?.. Ton sourire divin a vaincu ma froideur, Lisa : lorsque ma main s'efforce de le peindre Il fuit!., mais son image est vivante en mon cœur!
Je l'aime, comme un être au-dessus du vulgaire, Comme la destinée arbitre de mes jours ! Comme une tendre amie, une sœur, une mère... Comme!,., mais ton regard interrompt ce discours.
J'ai fini, ne crains pas que d'un sombre nuage Je voile encor pour toi les roses du plaisir ;
Garde ta douce paix, je garderai l'orage !
L'orage est fait pour moi qui ii'ui plus d'avenir...
ART MUSICAL.
DE L'ABAlNDOiM DES AiNCIEKS COMPOSITEURS.
< On crut lui plaire en immolant » des grands hommes qu'il véné- ;) rait, et on le mit dans le cas de » renier quelques-uns de ses apo- 9 logistes. »
Jal, article Rossini.
LA MUSIQUE EST- ELLE UN ART
OUI DOIVE ÊTRE SOUMIS A L'EiMPIRE DE LA MODE? *
I
La question se trouvant en tète de cet article esi d un assez haut intérêt dans riiistoire de la musique, et je m'éioune tous les jours du silence que de plus habiles que moi gardent sur sa solution. En effet, depuis vingt années, on parle avec tant d'engouement, d'exaltation de certaines œuvres musicales nouvelles ; on repousse avec tant de dégoût et de mépris des compositions jadis ad- mirées, et qui sont encore les objets de l'estime, et du culte fervent des vrais amateurs, qu'il me paraît à la fois curieux et nécessaire de rechercher les causes de celte contradiction.
D'abord que la musique soit un an, et même le plus impressif de tous, ('csi ce qui ne peut faire l'ombre d'une
* Cet arlicle a été écril en lUTttt, et a paru Jans le Monde dra- matique, journal alors fort curieux, donl la colleclion esl devenue rare, el qui avait pour rédaclour en ciief M. Gérard de Nerval.
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diflkulté. En pariaiii de ce poiiil il esi donc cerlaiu, qu'à dater de l'époque où cet art a été coniplèiement formé, où les dessins mélodiques exprimant les senll- menis et les passions, les règles constituant une bonne et pure harmonie, ont été trouvés, les œuvres des hom- mes de génie, de science, d'inspiration, n'ont pu, sans injustice, déchoir du mérite dont ils les avaient emprein- tes. De là il résulte que ces œuvres sont aussi dignes d'ap- plaudissements en 1835, qu'elles en étaient dignes autre- fois. Ainsi, selon moi, Gluck et Piccinni, Salièri, Spon- tiny et MéhuI, valent de nos jours ce qu'ils valaient quand ils ont écrit les partitions dOrphée, de Bidon, d'Iphigénie en Tauride, des Danaïdes, de la Vestale, et de Joseph.
Cependant nous lisons dans les journaux, nous enten- dons répéter constamment dans les cercles fashionables, que ces auteurs ont vieilli, que la mode a changé ; et pour se mettre d'accord avec ces arrêts de réprobation, les directeurs des théâtres et des concerts les exilent de la scène et des soirées musicales.
Je ne connais, je l'avoue, ni âge, ni modes qui puis- sent altérer, détruire les œuvres du génie. En littérature la Bible, Homère, Virgile, Shakespeare, Corneille, La- fontaine et Molière; en sculpture le Laocoon, l'Apollon, la Diane ; en architecture le Panthéon de Rome, les Pro- pylées, la colonnade du Louvre ; en peinture les tableaux de Raphaël , Léonard de Vinci , Lesueur et Poussin, sont toujouis aussi jeunes de beauté, de vigueur et de grâces que lorsqu'ils ont été créés 1 — Pourquoi en serait- il autrement quand il s'agit de musique? pourquoi les productions lyriques coulées en bronze, seraient elles
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soumises à la mode? parahraieni-elles suivra les influen- ces du (hermomèlre de celle capricieuse déesse; et cela, de telle soile, qu'on dii géiiéialemenl aujourd'hui d'un opéra de Gluck, de Spouliny, ce qu'on dil d'un liabil, d'un chapeau, doni la coupe, la forme ont deux ans de daie?.. Je vais en révéler les causes à mes lecteurs, et je crois, qu'avec un peu de réflexion, ils seront de mon avis.
Proclamons-le d'abord Iranchemeni : « Dans celle ma-
» nière de voir, il y a erreur lolale de la part de la géné-
» ralité, qui suii l'impulsion donnée par quelques intéres-
» ses, el par des gens qui ne connaissant, ni ne sentant
» la musique, décident de son sort sui* nos ihéàties, où
» ils ont la haute main, à peu près comme les aveugles
•> décideraient des couleurs ••
Je m'explique. A l'époque, et il y a de cela peu d'an- nées, où les composiiions de Rossiui commencèrent à passer les Alpes, ce que depuis on a bien voulu appeler une rcvoluiion en musique, commença à fermenter dans la tète de la multitude. « Il nous faut du nouveau, n'en • fut-il plus au monde! •' Tel est, dans lous les temps, le cri des êtres blasés, désœuvrés, et notre nation compte malheureusement un grand nombre de ces êtres-là. Au'.ant que personne, peut-être, j'admire Rossiui, et rends jus- tice à sou génie flexible, à l'élasticité de son talent qui le rend propre, et vingt fois il l'a prouvé, à employer toutes les couleurs, à se seivir de toutes les formes, à être tour à lour |)lein de vigueui', d'éclat et de charnie ! . Mais, a-t-il (ail une révolution, en ce sens qu il aurait fondé un système musical nouveau, el meilleur que celui (jui exis- tait avant lui'.' Je ne le pense pas. Voyez la plupart de
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ses panilions italiennes: l'or ei les pierreries y étincellent, comme dans le palais d'Alcine. Ce en quoi elles diffèrent de la musique de Gluck et de Mozaii, c'est que d'abord ces richesses ne sont point souvent à leur place et qu'en dépil de la situation et des paroles, les airs les morceaux d'ensemble sont écrits sur un rhyihme, une mesure de contredanse. Certes je m'humilie devant la puissance du rhythme, el je conçois que lorsqu'il est vif, pressé, sautil- lant, il entraîne les masses qui se mettent en mouvement, sans plus y réfléchir. Ce n'est point toutefois dans l'abus d'une telle ressource que je trouverai une heureuse inno- vation. Je ne la reconnaîtrai pas davantage dans la géné- ralité des mélodies de Rossini qui, si elles offrent des dessins irès-agréables, des phrases d'une expression vrai- ment sublime, ont souvent entre elles un grand air de ressemblance, surtout dans les cavaiines, les caniilènes, et sont ensuite défigurées par des roulades continuelles, faisant rossignoler la voix sur les syllabes d'un mot de- vant servir à exprimer une pensée grave, mélancolique ou tragique. Des mélodies de Rossini passant à son or- chestre, je remarque qu'il l'a rendu aussi fort, aussi bruyant que possible. Je remarque encore que très- souvent il le fait chanter, lorsqu'il devrait être le très- humble serviteur du chant exécuté par les artistes qui sont en scène. Il faut toutefois l'avouer, il a ajouté à l'orchestre plusieurs instruments qui n'étaient pas en usage au théâtre : mais a cet égard, il a, dans beaucoup de circonstances, tellement forcé la mesure, que ses mor- ceaux d'ensemble surtout réalisent souvent le mol de Grétry, annonçant qu'après la prise de la Bastille, il nous faudrait de la musique à coups de i-anon. Or, avec une semblable exagération, le sens musical des auditeurs s'est
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blasé, pour arriver ù ce point de déprav:ition où arrivent les estomacs, habitués au poivre de Cayenne, et aux li- queurs fortes. Comment voulez-vous t!ès lors que de belles et pures mélodies, accompagnées avec cette so- briété de richesses, si bien calculée par Gluck et Mozart, puissent produire de l'effet ?.. Un débauché ne préférera- l-il pas à une vierge de Raphaël ou du Corrége, une de ces femmes débraillées, aux appas robustes et hauts en couleur, dont Rubens et Jordaens trouvaient les modèles dar)s les casino d'Anvers et d'Amsterdam ?..
Je nie donc que Rossini ait révolutionné l'art musical, car après les deux grands hommes que je viens de citer, une révolution dans cet art était impossible, la musique ayant atteint son apogée sous leur inspiration vigoureuse, passionnée, et leur savante instrumentation Ils avaient conquis les colonnes d'Hercule, et Rossini, en voulant les oulre-passer, s'est parfois livré à un dérèglement, qui n'est pas plus de la saine musique, que les essais de cer- tains auteurs sur le Théâtre-Français, et ceux de certains peintres excentriques au salon, ne sont de la saine litlé rature et de la saine peinture.
Rossini le sait mieux que personne, et doit souvent rire de l'enthousiasme aveugle de ses panégyristes, qui, plus que lui vénère Gluck et Mozait? Artiste de génie et d'es- prit, s'il a fait de l'exagération, conduit ses personnages à la mort sur un temps de valse, entonné un serment reli- gieux sur un air de quadiiile, assourdi les oreilles, en multipliant dans ses accompagnements les ophicléïdes, les serpents, les tromboniu s. les petites flûtes, les tam- bours, c'est qu'il a jugé que cela réussirait et lui ferait gagner de l'argent. Après trente années de guerre, après
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des changements politiques ayant ébranlé toutes les ima- ginations, il a pensé qu'il fallait iransporlor la tempête dans le temple de Polymnic. Son historien Beyle, connu sous le pseudonyme de Siendhall, ne l'a-t-il pas décoré du titre de Napoléon de la musique ; et cette spirituelle plai- santerie n'a-t-elle pas été prise au sérieux par la foule des badauds? Ce qui prouve que Rossini n'a point cru lui- même à la prétendue révolution musicale dont on l'a gratifié, c'est que, pour son plaisir, et celui des véritables adeptes, il a été vrai, pur, dramatique quand il l'a voulu, et s'est montré le digue rival de Gluck et de Mozart. Ecoutez son Guillaume-Tell, et en particulier le duo du premier acte, le Seiment des trois Suisses, le chant ad- mirable sur ces paroles :
« Sois immobile, et vers la terre » Incline un genou suppliant! »
Voilà de la musique qui diffère autant de beaucoup de ses compositions publiées en Italie, que la lumière de l'aurore diffère de celle d'un incendie.
Sous ce premier rapport, il faut le dire, le mauvais goût seul a fait disparaître de la scène, et reléguer dans les cartons poudreux de nos théâtres lyriques, les œuvres des anciens. Ensuite l'intérêt et l'intrigue ont poussé à la roue, afin de lancer dans la carrière iiàole du moment, et les moutons de Panuige, toujours en majorité dans cette bonne capitale du loyaume de France, se sont pré- cipités sur ses traces, en chantant de toute la force de leurs poumons le glorUi in excelsisf
Je vais le prouver.
945 -
II.
Il existe un homme connaissanl à merveille l'histoire de la musique, et ayant assez de science théorique pour analyser parfaitement une partition. A ces qualités cet homme réunit de l'esprit un peu systématique, paradoxal, de la verve, et cette chaleur de style qui fait rarement faute à un enfant du Midi. Je ne nommerais pas M. Casiil- Blaze, que tous les amateurs de la polémique musicale le reconnaîtraient au portrait que je viens d'en tracer. Cer- tainement il est un des critiques les plus habiles, et les plus amusants que nous ayons eu en ce genre. Si son in- térêt ne l'avait pas porté à embrasser, à soutenir quand même la musique de Rossini, pcisonne plus que lui n'était capable de guider le goût du public, et de faiie rendre aux anciens la justice qu'ils méritent. Mais il vil, dans l'adoption exclusive des paiiilions et de la piétendue école du nouveau maestro, sur notre scène, une mine large et féconde à exploiter. Dès lors tous ses efforts tendirent à détrôner l'ancienne musique. Il traduisit, ou plutôt il parodia les œuvres du maestro, encore inconnues en France, et afin de les vendre, de les faire exécuter, une guerre d'extermination fut déclarée par lui aux com- positeurs qui, jusqu'alors avaient charmé notre nation, et l'Europe. Dans des brochures piquantes, dans les feuille- ions du Journal des Débuts Gréiry devint un homme ayant créé quelques belles mélodies, étouffées par son ignorance, et le peu de développement qu'il leur avait
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donné D'Alayrac, l'auleur de Camille, du Château de Monténéro^ de Gulistan, ne fut plus qu'un faiseur d'opé- rettes. Quant à Gluck et 31ozart, il ne les traita pas avec ce ton cavalier ; adroitement même il leur distribua de magnifiques éloges ; mais cependant il fit entendre que beaucoup de ressources leur avaient manqué, et qu'ils n'avaient pas abordé le final comme le cygne de Pezzaro Qu'arriva-l-il à la suite de ces manifestes^ foi mules cha- que jour d'une manière tantôt grave, tantôt plaisante? ce qui, en pareille circonstance arrivt toujours en France. La majorité qui aime le sophisme, l'étrangeté, et les opi- nions toutes faites, chanta chorus avec M. Castil Blaze. On ne jura bientôt plus que par Rossini, on ne voulut plus que du Rossini. Nos jeunes conservatoiriens l'imitèrent, et presque tous reproduisirent ses défauts, sans y allier aucune des beautés qui le distinguent. Il en fut de cette imitation comme de celle de Chateaubriand et de M.Victor Hugo. Boyeldieu, Aubcr, et Hérold seuls, parce que leur natuie musicale était assez vigoureuse pour résister à celte pitoyable singerie, surnagèrent dans la foule des noyés. Faire régner Rossini despotiquement, devint une affaire de parti : la bonne compagnie ne vit plus de salut pour l'art en France que dans le triomphe de ce maestro ! Or, cette bonne compagnie, est la plupart du temps d'une suprême ignorance dans les questions de ce genre. Elle se passionne tour à tour pour les chiiioisei'ies,%s magots de rinde, les bergères à la Boucher, les singes de De camp, et les ours de Barye (i). Elle juge un tableau
(1) Je suis loin de penser que Decamp el Barye ne soient pas des artistes de beaucoup de talent ; je ne blâme ici qui' la manie des belles dames el des beaux naessieurs qui eussent sacrilié aux singes et aux ours tous les chefs-d'œuvre de la peinture et de la sculpture.
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une œuvre musicale, avec la profondeur qu'elle met à juger un homme d'éiai Sur l'éiiquelie du sac Gluck, Piccinni, Grétry reçurent donc les épilhèles de perruques, rococos, fossiles, et ce qu'il y avait de curieux dans ces baroques anaihènies des dilettanti, c'est que beaucoup de ceux qui se les permettaient, ne connaissaient point les ouvrages de ces compositeurs.
Je me rappelle à cet égard une anecdote qui amusa Boyeldieu, lorsque je la lui racontai. J'assistais à une représentation du ballet de Mars et Vénus, musique de SchneilzoéCfer. Deux merveilleux, aux ganls jaunes, se trouvaient placés à mes côtés. C'était avec les plus belles dents du monde qu'ils déchiraient l'ancienne musique : l'on pense bien que Gréiry n'éiait pas épargné. Je leur adressai quelques mois annonçant que j'étais loin de par lager leur opinion Ai riva l'instant où l'orchestre exécuta deux airs parfaitement adaptés à la situation, et puisés dans la fausse magie. — « Comment trouvez-vous ces
• mélodies, leur dis-je? — C'est charmani, délicieux, me » répondirent-ils! Votre Grétry a-i-il jamais rien fait u qui approche de cela? » J'avoue que le fou rire s'em- para de moi ! — <• Messieurs, leur repliquai-je, dans le » jugement que vous venez de porter, il n'y a qu'un léger » inconvénient, c'est que les airs que vous venez d'enten-
• dre sont de Grétry. » Cet exemple, entre mille, résume une partie des causes du discrédit dans lequel l'ancienne musique est tombée.
Aux efforts intéressés de M. Casiil-Blaze qui, après avoir tiré des partitions de Rossini tout le suc métallique qu'il pouvait en tirer, s'est mis de bonne foi à le critiquer,
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ii faut ajoiiler l'influence puissanle alors du grand seigneur dirigeant le déparlemeni des beaiix-aris.
Ceriaiuenient M Sosdiènes de la Rochefoncault est un brave et digne geniilliomme. On l'a ridiculisé, et l'idée qu'il a eue, dans l'intérêt des mœurs, de faire allonger les jupes des danseuses, prêtait assez à l'atticisnie des mo- dernes athéniens Cependant M. de la Rochefoncault est plutôt un homme d'esprit qu'un sot. Or, cet homme d'es- prit, non-seulement n'avait pas le sens commun en mu- sique, mais encore il administrait de manière à blesser les intérêts des arts et des artistes nationaux.
Sous son administration une conspiration flagrante éclata contre le grand-opéia fiançais, et les chefs du complot usèrent de tous les moyens pour parvenir à leur but, en italianisant et musique et poèmes à l'Académie royale. Au lieu des drames de Quinauli, Marmoniel, Guil- lard et leurs successeurs, on implanta sur la scène les parodies des libretti transalpins, canevas indigestes, sans mouvement, sans intérêt ; véritables programmes à ai'ta, reproduisant jusqu'à satiété les mois : il mio ben, idol mio, cara, caro, anima mia, adio etc., le tout pour la plus grande variété de la pensée. M. de Jony qui avait fait ses preuves en écrivant la vestale et Fernand Corlez, dut céder le pas au génie syllabique de M. Balocchi. Le plus grand nombre des compositeurs, en y comprenant Pic- cinni, Salieri, Sacchini et Spontiny, a toujours pensé que de tous les genres de littérature, le poème d'un opéra ita- lien est le plus médiocre. Ces illusnes maîtres n'ont cru faire de véritables drames lyriques qu'en travaillant sur des poèmes fiançais. Je trouve curieux de rappeler, à cette occasion, l'opinion émise par le plus dramatique des
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musiciens, dans la dédicace de son alcesle : — « Les abus; » que la vanité 7nal entendue des chanteurs, et l'excessive » complaisance des compositeui's, ont introduit dans lo- • péra italien, ont fait du pAispompeuœ et du plus beau » spectacle^ le plus ennuyeux et le plus ridicule. «—Voila l'arrêt prononcé par Gluck : mais qu'importait cet arrêt à M. de la Rocbefoticaull !.. entouré de conseillers flagor- neurs et maladroits, fasciné par le Brio de Rossini, par son talent qui donne l'ivresse du vin de Champagne, il se laissa entraîner dans un cercle de perdition et de ruine pour notre premier théâtre lyrique. Pris toul-à-coup d'une belle passion pour le genre italien, pour les artistes italiens, il voulut faire de notre Académie royale de mu- sique une succursale de la Scala et de San Carlo. Ou- vrages, chanteurs, exécnlanis, il n'y avait de bon pour M. le vicomte que ce qui arrivait d'Italie, que ce qui éiaii calqué sur les patrons italiens. A dater de ce moment les compositions sublimes de Gluck disparurent presque totalement du répertoire. C'est 1 époque de l'apparition sur un Ihéàlre où il faut à la fois bien jouer, et bien chanter de M™« Mori, et de M"'= D.inoreau Cinil qui, avec un organe flexible, séduisant, n"a jamais eu une parcelle des autres qualités nécessaires à l'exécution du drame lyrique. Charmant rossignol, gazouillant avec une cer- taine grâce, et ce qu'on est convenu d'appeler méthode, luttant de pair avec la flûte de Tulou, mais coupant les mots en deux, en trois, et n'en faisant presque jamais parvenir une seule syllabe à l'oreille de ses auditeurs Jolie femme, tragique comme la phylis de l'insipide pas torale du père Lebrun, expressive comme une automate de Vaucansou !.. Combien de recrues de ce genre, enré- gimentées sous la bannière du généial Sosthènes, et du
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fournisseur P.ossini, ne pourrais-je pas citer!.. Nos maî- tres du chanl et de la scène furent remplacés par les Bordogni, les Banderall ; Kreutzer, l'auteur de Paul et Virginie, de la mort d'Ahsl dut résigner son bâton de commandement aux mains de M. Valentino. Cependani , au milieu de toutes ces belles réformes, le grand maestro, profitant des folies de ses admirateurs, touchait du gou- vernement quatre mille francs par mois, et s'écriait, avec ce ion plaisant qui ne l'abandonne jamais ; gran trionfo délia musica II
Les choses allèrent ainsi jusqu'à la nomination de M. Véron, à la direction de l'Opéra. Alors le coup de grâce fut porté à cet établissement national, et de long- temps il ne s'en relèvera.
III
M. Véron est un homme spirituel, ne manquant point de finesse, ayant de la probité, mais dont toutes les fa- cultés sont dirigées vers les spéculations pouvant lui faire acquérir en peu de temps une large fortune. On assure qu'il a commencé cette fortune, en inventant, et en re- commandant avec beaucoup d'adresse, la pâte dite de Regnaud. Élève de l'école de médecin, reçu docteur à la acuité de Paris, et ne voyant point arriver la clientelle au gré de ses désirs, il trouva dans la composition d'un béchique qui en vaut bien un autre, une première source
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d'aisance si de succès. Aussi Daman, le prince de la sculpture grotesque, dans la statuette-caricature en pied qu'il a exécutée de M. Véron, le représenie-l-il avec quelques-uns des attributs d'un médecin de place, la trompette y comprise. Déposant ensuite la lancette et le vulnéraire, M. Véron devint le fondateur de la Revue de Paris, journal d'abord rédigé avec soin, et qui eut beau- coup de vogue. Puis cette vogne venant à pâlir, il céda la propriété delallevue, se dirigea vers l'Académie royale de musique, qui lui pamt pouvoir être administrée fort avantageusement, et en devint le chef suprême.
II était facile de concevoir qu'avec lui l'art tomberait dans l'industrialisme, et que tout serait sacrifié à la re- cette. En cela il est bien l'homme de son siècle : posili comme une table de numération, apte à saisir l'occasion - aux cheveux, il n'a point amassé quelques centaines de mille francs, en s'occupant du noble soin de relever les autels des dieux abandonnés Laissant de côté les beaux ouvrages de l'ancien répeitoire, il fil tout pour piquer h curiosité, caresser la manie du moment, pour le quadrille et la galope, et pour en'sivrer l'amour-propre des hautes dames et des hauts seigneurs de la banque.
C'est alors que nous avons vu l'Académie royale de mu- sique devenir une académie de danse. Les ballets de la Tentation, avec des chœurs, conception bâtarde s'il en fut jamais, de la Sylphide, devant principalement son succès à l'aérienne Taglioni, de l'insipide Brézilia, de la soporifique Tempête, usurpèrent la scène. Dans Gustave' partition qui eut annoncé la décadence du talent fécond» et brillant d'Auber, si depuis il ne s'était relevé avec Lestocq et le Cheval de bronze, tous les honneurs furent
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pour le galop. Ce qu'on est convenu d'appeler mainlenant la bonne sociëié, quelques-unes des puissances irès- bourgeoises du jour, oblinronl l'insigne faveur d'être ajjmises à figurer au bal masqué, irisle souvenir des sa- turnales de la légence... Esl-ce qu'il n'y avait pas la pour les initiés au règne de l'entrechat, de quoi perdre la tète, et pour le directeur tout ce qui devait conduire les flots du pactole dans sa caisse?
Ce n'est pas tout, car M V'éron n'était pas homme à s'arrêter en si beau chemin. Il organisa des fêtes, véri- tables salmigondis, où le Fandango, le Boléro furent dan ses par des espagnols, afin d'offrir sans doute à nos chorégraphes français des modèles de décence. Dans ces fêles on présentait de beaux et suaves bouquets aux dames, de la part du galant directeur; des loteries étaient tirées sur l'emplacement du temple de Vesta et du Palais du Roi des Rois, tranformés en bazars.
Ce n'est pas tout encore !.. pour effacer jusqu'à la trace du souvenir des créateurs du drame lyrique, M. Véron fil enlever du foyer de l'Opéra, et meltre en magasin leurs buslcs ; belle et noble décoration qui s'était successive- ment accrue depuis le siècle de Louis XIV, et que notre première république même avait respectée ! Musée na- tional reproduisant les traits des plus grands composi- teurs, cl devant exciter l'émulation de leurs descendants! Lulli, Philidor, Gluck, Piccinni, Sacchini, fruits du ci- seau des Cafiieri, des Pigal, des Hondon, descendirent forcément de leurs piédestaux, afin de céder la place à des vases de fleurs. Cette profanation parut si étrange à un artiste provincial s il en fut jamais, qu'il me demanda un soir, si le directeur de l'Opéra était un ancien jardi-
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nier. — « Je l'ignore, lui répondis-je, mais cei lainemeni » dans le cas où ce directeur aurait ainsi commencé, ce » jarditiier-là ne serait pas le jwtre. »
Après de tels actes, qu'on s'étonne de l'état actuel de la musique en France, du mauvais goût surgissant de toutes parts, et de l'oubli dans lequel les chefs-d'œuvre S-Ut tombés !.. Ah 1 j'en veux bien moins à M. Véron, qui a fait avec adresse, avec esprit son métier de spéculateur, qu'à une haute administration, assez peu soucieuse de notre gloire nationale, de l'influence qu'elle exerce sur les habitudes et les mœurs, pour permettre qu'on les dé- grade, qu'on les étoufle à ce point! La manie de la mu- sique dansante a gagné du ci devant Grand-Opéra, dans toutes les réunions de la capitale. Le fils d'un maréchal de France, du brave des braves, compose des galops, an nonces sur le programme. Quand le très-libéral empe- reur Don Pédio, fit exécutci- à l'Opéra-Italien un morceau de sa façon, du moins eleva-l-il ses prétentions jusqu'à la majestueuse ouverture. On donne des concerts au Tivoli d'hiver, à l'hôtel Lafitie , aux Champs-Elysées : vous croyez y entendre des ouvrages classiques tels que ceux d'Haydn, Belhoven, Ghérabini, Gluck, Lesueur?.. Dé- irompez-vous!.. Walses, quadrilles, galops de toutes les couleurs, avec l'accompagnemenr chéri dn cornel-à-pis- ton, voilà la pâture que vous livrent jusqu'à satiété, M. Masson de Puit-Neuf et ses émules. Enfin, M. Musart aspire à détrôner Mozart, et nos instrumentistes des ihcâ 1res et du conservatoire, proslilueni leurs talents en ac- ceptant les rôles de ménétriers, parce qu'il n'y a que ce moyen de gagner de l'argent.
Il faut être juste : d n^s^ le cours de sa direction M. Vé-
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roii a donné un grand, cl bel ouvrage, Robert le Diable^ et il a repris rimnioriel Don Juan de Mozart. Quant à Robert, il paraît que ce n'est qu'avec peine qu'il a consenti à le nionler ; on dil qu il ne comptait nullement sur le succès. On assure de plus quii a fallu, pour que celte magnifique parlilion obtînt tout l'efTel désirable, que Meyeibeer achelàt un orgue à ses frais (1) Dcn Juan a élé mis en ^cène avec de beaux décors, de brillants cos- tumes, soil : mais son unilé, sa grandiose simplicilé ont disparu sous la serpe insirumeui de dommage, et soua le remplissage des arrangeurs. On a fait un enlr'acle de l'air divin d'Octavio. Eut-on jamais ensuite une idée plus ba- roque que celle du cimetière placé à la fin de ce drame, avec un de profuncUs de la messe des moits ? Est-ce que Mozart ne savait pas mieux calculer que M. Véron et ses arrangeurs, les dimensions que, pour l'effet, son œuvre devaii avoir? Autant vaudrait ajoutera la plièdre de Ra- cine, un sixième acte, en style d'enterrement, pour les funérailles d'Hypoliie. Par une bouffonne compensation, combien de fois M. Véron n'a-t-il pas organisé des repré- sentations avec les fragments de grands ouvrages ! Un acte d'Orphée, ou de la Vestale, ou bien encore de Guil- laume Tell, servait de supplément à un ballet. Ce genre
de mutilation, qu'il faut laisser aux pauvres directeurs de province, revient à ce que serait une exhibition de sculp- ture, dans laquelle on offrirait aux amateurs la vue d.'une jambe du gladiateur combattant, de la gorge de la venus de Médicis, et du nez et de la barbe de l'hercule Farnése.
(1) Dans ses mémoires, M. Véron a affirmé que ce fait éiail erro- né. Tant mieux, cl je m'empresse de consigner ici sa dénésalion, car, d'une pari la vérilé l'exige, et d'autre pcrl je n'ai nul moiif pour prêter à M. Véron, que je crois homme d'tionneur. un lorl qu'il ne» point eu.
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De telles arlequinades ne pouvaient avoir de durée II y a dans les gouvernemcnis. comme dans les lelires et les arts des époques de iransilion, funestes aux principes et au goûl, mais la raison et le beau finissent toujours par reconquérir leurs droits (1).
Au moment où j'écris cet article, on assure que M Vé- ron vient de quitter la direction de l'Opéra, remise aux mains de M. Duponchel. Ce dernier est artiste ; il a des antécédents avantageux, quant à la mise en scène : pour- tant le mal a fait tant de progrès que je tremble pour lui ; car de quel courage ne faudra-t-il pas qu'il s'arme, pour ramener à la fois et le théâtre et le public aux vé- ritables traditions, en nous restituant, dans leur intégrité, et avec tout le soin qu'ils exigent, les chefs-d'œuvi e dé- laissés ou mutilés par ses prédécesseurs 1
Cela n'est cependant pas impossible, et la seule idée de remporter une si grande victoire, doit doubler les forces de M. Duponchel.
Deux sujets précieux sont là : Adolphe Nourrit, et
(I) Le gouvernemenl vient de reprendre la direition suprême de notre Académie Impériale de musique. J'applaudis de toutes mes forces à cet acte d'excelleiile administration! Seulement j'avoue que je m'éloune de la manière dont est composé le comité, el surtout de la persislance que l'on met à engager des artistes italiens ne sachan' qu'imparfaitement notre langue, et n'ayant point de talent dramatique, pour chanter les airs el les récitatifs des drames lyriques français. La reprise de la Vestale, el la façon dont M""-" Cruvelli a gargouilladé le rôle de Julia^ a dû cependant ouvrir les yeux à loul le monde sur ce roinl très-imporianl, quant à l'avenir el aux succès de notre première «cène lyrique.
Septembre 18o4].
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M"» Falcon. 11 me semble ensuite que Dahadie ei sa fem- me peuvent encore rendre de notables services. Voilà de dignes représentants de la tragédie lyrique, et avec eux Gluck, Piccinni, Salieii, Sponiiny, ne perdioni aucun fleuron de leurs couronnes d'immortelles !
Une réaction d'ailleurs assez remarquable s'empare des imaginations, et des esprits. On remet Jlolière et Regnard au Théâtre-Français, et un public nombreux les couvre d'applaudissements,
M^^" Georges joue Mirope à la porte St-Martin, et cha- que fois qu'elle est annoncée la salle est comble. Enfin, Zémire et Azor de ce pauvre petit Grétry, vient d'attirer la foule à l'Opéra-Comique, et à l'Académie royale de musique, dit la France littéraire, dans son numéro de juin dernier, elle s'est portée deux fois de suite à la re- prise de Don Juan. Le règne des niaiseries horribles, délayées en six ou huit tableaux, dans un langage anti- français, la puissance de la sempiternelle roulade, et du quadrille, commencent donc à baisser... Dieu veuille que ce retour vers le bien soit durable 1 La cour d'assises, nos cœurs, nos intelligences et nos oreilles en éprouve- ront un notable soulagement.
Avouons-le toutefois : il n'y a point de cahos, si désor- donné et si obscur qu'il soit, d'où il ne s'échappe quelques jumineux éclairs. Ainsi, les tentatives des romantiques, ont produit quelques hardiesses de style, quelques for- mes rapides, originales, dont les hommes de talent de- vront profiter. Le danger à fuir, c'est de se laisser traîner à la remorque de génies spéciaux, tels que Shakespeare, Schiller, Byron, et Rossini.
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En poliiique, comme dans la liliérature et les ans, ce qui éliûle, ce qui ëiouffe les cspiiis en France, c est l'imi- laiion servile de léuanger. Au moyen-âge, nous possé- dions des institutions, une architeclure, une poésie, une musique nationales. Que tout cela ail subi des améliora- lions avec le itmps, et les progi'ès, je le conçois et j'y applaudis : mais il lallait conserver le type, le cachet pri- mitifs. Il en a été tout autrement, et des lors nous avons dit adieu à la naïveté, à l'originalité, La renaissance est venue, et nous nous sommes faits italiens ; plus lard nous avons été romains du temps de leur république ; italiens encore, puis américains, allemands, et surtout anglais, en ce qui tenait aux formes gouvernementales, et à la vie d'intérieur. Quelle gloire, quel bien en est-il résulté pour notre chère patrie ? L'expérience est là pour répondre à cette question dans un sens qui est loin d'être favorable au troupeau des imitateurs. Rendons justice aux peuples qui nous entourent, mais en tout et avant tout soyons français,
J'ai exposé, aussi succinctement que possible, les cau- ses du délaissement de l'ancienne musique, la nécessité de les détruire, en établissant que l'art à partir de Gluck et de Mozart avait atteint sa peifeciion, et qu'il n'y avait qu'à suivre les voies ouvertes par ces grands hommes. Ce que j'ai dit trouvera, sans doute, de nombreux contra- dicteurs; mais ces contradicteurs, j'en ai l'intime convie- lion, on les chercherait vainement dans les rangs des artistes et des amateurs instruits, désintéressés, el amis de noire gloire nationale.
Le remède au mal, que j'ai (ranchement attaqué, est dans l'abaudon du système qui l'a i)i'oduil.
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Courage donc, M. Diiponchel 1 relevez les slaïues de* dieux abandonnés, entourez-vous des hommes d'inspira^ lion et de bonne foi Voyez enfin dans la mission que vous avez à remplir autre chose que l'argent , et gardez-vous surtout de l'influence de coterie des dilettanti.
Il vous appartient de rendre à l'Académie royale de musique cet éclat, cette grandeur, qui en ont fait pendant longtemps un objet d'admiration et d'envie pour toute l'Europe.
ÉLOGE HISTORIQUE
DE
P-A. DE MOI\SIGI\Y.
t Ami de la nalure et de la vérité, , Par les chants de son âme électrisaul la noire. » Il n'est plus l'amphion que la postérité , Nommera du bon goût le modèle et l'apùire ! » De la Chabeaissiêre, hommage à Mon:^igny.
ÉLOGE HISTORIQUh
DE MO.\SlGI\l\.
S'il esl beau troblenir dos succès dans un an qui fait les délice^ des hommes de goût cl des âmes sensibles, ces succès oui bien plus de prix encore, lorsque celui qui les a mérilés peui èlre regardé comme ayanl contri- bué puissamment à produire une révoluiion dans cet même art par rapport au pays où il la exercé. C'est en ce sens que Monsigny se présente comme doublement célèbre, et que la nation française, ordinairement juste et reconnaissante envers ceux dont les talents l'honorent et contribuent à ses plaisirs, le comptera toujours avec orgueuil parmi ses compositeurs les plus distingués (1).
Pierre-Alexandre de Monsigny naquit, en 1729, à Fau. quemberg, en Artois. Ses ancêtres étaient originaires de la Sardaigne, qu'ils avaient quittée pour venir s'établir
(1) Celle notice a été publiée on 1821 . Elle élail offerle à la société pcadémiquo des enfunts d'Apollon, qui m'adinil alors au nombre de ses membres. Je la réimprime sans d'aulres changemcnls que l'addi ■ tion d'une anecdolc se rallachant à l'opéra de Félix, ou l'Enfant trouvé.
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en l'an 1500 dans les Pays-Bas, où, pendant longtemps, ils avaient joni d'une fortune considérable. Son père, Nicolas de Monsigny, était né en 1697, à Desvres, petite ville du Boulonnais, et à l'époque où Alexandre vit le jour, la fortune de sa famille était presque entièrement perdue. C'est peut-être à la situation précaire dans la- quelle il se trouva, qu'il dut cet amour pour le travail qui contribua à développer son génie.
Dès son enfance, ses parents avaient remarqué en lui le germe d'une inlelligence peu ordinaire. Afin de la cuit tiver ils résolurent de tout sacrifier, et pensèrent avec raison, que le don le plus précieux à lui faire était celui d'une bonne éducation. Son père, étant venu prendre un emploi à Saint Omer, le plaça au collège des Jésuites, où il fit d'excellentes études. C'est une erreur, depuis long- temps mal à propos accréditée, que de croire l'enseigne- ment des collèges nuisible à celui que la nature a crée pour les arts, en ce qu'il le renferme dans un cercle d'oc- cupaiions uniformes et banales. Toutes les muses sont sœurs; les sciences et les arts se liennent par la main, se pi'êtent de mutuels secours. L'homme naissant peintre ou musicien, loin de perdre son temps en étudiant les langues, la poésie, l'histoire, et les mathématiques, amasse des trésors pour l'avenir ; et développant chaque jour son esprit, enrichissant sa mémoire, parvient à sai- sir avec bien plus de facilité l'objet qui lui est propre, lorsque cet objet lui est oflèri. Porté vers la musique par un attrait invincible, le jeune Monsigny la cultivait dans tous les instants que lui laissaient des éludes plus sé- rieuses. Possesseur, dès l'âge de six ans, d'un violon, instrument sur lequel il a depuis excellé, et dont il s'est toujours servi pour composer ; recevant des leçons du
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carillonncur rie l'abbaye de Sainl-Beriiii, homme beau- coup trop habile pour une semblable profession, il pré-^ Itidait, dans son coUége, à ees beaux chants qui ont éié applaudis par icule l'Europe. Les compagnons de ses travaux admiraient ce nouvel orphée à son aurore, et souvent on les voyait quitter leurs jen\ favoris pour jouir du plaisir de l'entendre.
Il perdit son père peu de temps après avoir lermiué son éducation, et celle perte si funeste pour un jeune homme ne connaissant pas le monde, et ayant besoin d'un guide, à la fois indulgent et sévère, pour l'éclairer sur les premiers dangers qu'offre la société, fut ressenlie amèrement par Monsigny. De nouveaux devoirs se pré- sentèrent à son âme bien née, et lui imposèrent l'obli- galion de remplacer celui qui lui avait donné le jour, aupiès d'une mère, d'une sœur, et de jeunes frères dont il devenait l'unique appui. Ce fut pour remplir ces de- voirs qu'il se décida à embrasser une carrière qui put le mener à la fortune, el qu'en 1749 il vint s'établir à Paris, avec l'intention de se placer dans la finance. Celte pro- fession s'éloignait sans doute beaucoup de ses goûts et de son caractère, car s'il est une vérité reconnue^ c'est qu'en général l'homme né pour les beaux-arls est le moins cal- culateur de tous les hommes. Mais la ûnance jetait alors un grand éclat; elle offrait des succès prompis, et Mon- signy, en sacrifiant ses inclinations à sa famil.e, s'acquit de nouveaux droits à l'estime des honnêtes gens. Il ob- tint successivement, dans celte partie, plusieurs emplois lucratifs et honorables. Son amabilité, ses lalenls le fiient accueillir avec bienveillance dans les .lociélés les plus brillantes de la capitale, et il eut bieniùi de nombreux et
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puissanls amis qui raidèrenl à placer ses frères, el à pro- curer à sa mère et à sa sœur une douce existence.
Au milieu des travaux qu'exigeait son état, Monsigny se sentait entraîné plus impérieusement que jamais vers la musique. Si des mœurs simples, une active sensibilité; si l'amour du beau dans toutes les choses de la vie sont les dispositions décelant le véritable artiste qui, plus que le chantre de Félix, avait reçu de la nature ces disposi- tions précieuses ? Aussi , n'élait-il pas possible qu'il échappât à sa vocaiion, et ne fut-il pas tranquille, jusqu'à ce qu'il eut acquis les règles d'un art dont son âme brû- lante recelait tout le génie! Peu de temps après son arri- vée à Paris, il avait choisi pour maître de composition Gianotli, contre bassiste de l'opéra, qui n'a d'autre titre à la célébrité que d'avoir donné des leçons à un homme dont les ouvrages ne périront pas.
A celte époque notre musique dramatique sortait de l'enfance. LuUi qui, le premier, avait adapté avec succès l'art musical à des poèmes réguliers, qui sont encore les chefs-d'œuvre de la scène lyrique, avait sans doute beau- coup de talent pour le temps où il vivait : mais sa musique n'était en général, qu'une espèce de déclamation notée ; ses airs se traînaient sur la trace de l'ancien chant fran- çais, véritable psalmodie, sans rondeur et sans grâces, ne pouvant plaire que par le pouvoir de l'habitude, et parce qu'on n'avait, jusqu'alors, entendu rien de mieux. Ce qu'on ne saurait cependant nier, c'est qu'il a fait de beaux récitatifs, quel:iues cantilènes irès-agréables, et rendu de grands services, en fait de composition, d'exé- cution, el même de mise en scène ; c'est qu'enfin il a
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ouvert le champ que plusieurs arlisles célèbres ont ex- ploité depuis avec tant de bonheur. Rameau^ qui lui suc- céda, profita de ses travaux, et sut donner à son harmonie plus de science, de richesse et de force. Son chant ne fut cependant pas meilleur, et quoiqu'il connut la mu- sique des Vinci, des Léo, des Pergolèse, on ne retrouve dans la plupart de ses airs aucune des formes italiennes. C'est toujours fancienne mélodie française, dépourvue, excepté toutefois dans quelques-uns de ses chœurs, de celte vérité de Siie, de ce charme que le compositeur doit constamment prendre pour guides.
Monsigny sut apprécier l'état où se trouvait l'art mu- sical sur nos théâtres, malgré les efforts qu'avaient faits Philidor et Diini pour avancer ses progrès. L'opéra- comique naissait alors , et commençait à emprunter à i'opéra-iialien , que les Bouffes avaient fait connaître à Paris, en 1751, cette mélodie vraie el pure avec laquelle les Jomelli, et les Pergolèse ont si bien peint les passions. Monsigny sentit, en écoutant les ouvrages de ces grands maîtres, que c'était là le style qu'on devait transporter sur notre scène lyrique : « Je veux, disait-il à ses amis, » essayer un autre genre de musique que celui qu'on )i nous a donné jusqu'à présent. ■> Et cette résolution secondée par le plus heureux instinct et par le goût que la nature lui avaient départis, fut couronnée d'un plein succès. Plus que personne il conliibua donc à hàlcr la révolution qui devait s'opérer dans notre musique di-a- matique, et son talent original enrichit dès ce moment notre théâtre de plusieurs chefs-d'œuvre de grâce et de sentiment.
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Il composa son premier opéra-comique en secrec, cl ce ne fui que lorsqu'il l'eui achevé qu'il le communiqua à quelques amis, el à son maître Gianotti. Gel essai de sa lyre éiail les A ceux indiscrets. On le pressa de donner cet ouvrage à la scène, el, caché sous le voile de l'ano- nyme, il obiinl en 17oS, sur le théàlre de la Foire, un triomphe d'autant plus flatteur, qu'il venait de faire faire un pas immense à la musique fiançaise. Le Maître en droit, et le Cadi dupé suivirent de près les Aveux in- discrets, et ne furent pas moins bien reçus du public, enchanté d'avoir à applaudir des chants aussi suaves qu'expressifs.
Ces compositions étaient loin cependant d'avoir l'en- semble el le mérite de celles que Monsigny fit depuis. Quelque talent qu'ail un musicien il faut qu'il sjil aidé, inspiré par l'auteur du drame; il faut surtout qu'il y ail entre eux cet accord d'âme, celte harmonie d'intelligence devant donner à leur ouvrage l'unité d'intention, vérita- ble type de la perfection dans les arts.
Paris alors possédait un hon)me que la nature avait créé pour faire des drames lyriques, comme elle avait créé Monsigny pour faire des chants vrais el mélodieux : cet homme était Sedaine. Sans études classiques, sans talent pour écrire, mais né observateur, enthousiaste du beau, et ayant quelque chose de ce génie prime-saulier qu'on admire dans le grand Shakespeare, personne n'a su chez nous à un plus haut degré que lui, tracer des si- luations intéressantes, convenant parfaitement à la mu- sique ; employer un dialogue franc et toujours en har- monie, avec le caractère et le rang de ses personnages; amener des péripéties émouvantes, présenter des images,
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s'cmparaiii lIu speciateur à sou insu, el produire enfin des eflels qui seul, le résuUat, non des combinaisons de l'espril, mais d'une connaissance du cœur humain, fruil de la plus précieuse organisaiion.
Sedaine entendit la musique de Monsigny en assistant ■A une représenialion du Cadi dupé, el lorsque le duo : est-il îin destin plus dovx! lui terminé, il s'écria, avec une espèce de ravissemeni : « Voilà mon homme! « El bientôt il se lia avec lui de la plus tendre amitié. Ils tirent ensemble, el en peu d'années : On ne s'avise jamais de tout, le Roi et le Fermier., Rose et Colas, et Aline, reine de Golconde. La vérité d'expression, el une mélodie charmanle distinguent chacun de ces ouvrages.
En efi'et, quel chant est plus pur, plus suave que celui de la lomance : Jusques dans la moindre chose'!.. Quel morceau d'opéra-comique a un caractère plus éminem- ment dramatique, offre des accents plus naturels que le trio delà même pièce : Laissez-nous donc en liberté'!.. Dans Rose et Colas, dont le poème est considéré, avec raison, comme le modèle des comédies villageoises, il y a un tel accord entre le dialogue, l'aciion et la musique, qu'on serait tentii de croire qu'un seul auleur y a travaillé. Le Roi et le Fermier ju'ésenie entin une réunion d'airs qu'on ne se lasse jamais d'entendre, el qui ne vieilliront jamais. Ce dei-nier ouvrage avait ('lé totalement oublié dans les premières années de la révolution, à cette époque où, comme l'a dit spirituellement Grétry : on ne voulait que de la musique à coups de canon. Les comédiens l'oni repris depuis, et il a atlii'é autant de monde, proiinii un aussi grand eiïel que lorscpi'il lut mis an théâtre en 176:2,
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Caillot n'éiait plus là pour louer Richard, mais un acleur jeune encore, Ellevion, réunissant des qualilés que peut- être on ne retrouvera jamais dans le même homme, ob- tint dans ce rôle un succès prodigieux ! On n'oubliera point la manière dont il chantait cet air délicieux ;
« D'elle-même, el sans effort, « Elle va chez ce milortl... d
Quand ce charmant acleur, dont la voix si pure, si bien timbrée, allait à l'âme, disait -.
« Dieu, se peut-il que je l'aime, ,; Se peut-il que je l'aime encor 1 ! »
il n'y avait presque personne dans la salle qui ne répan- dit des larmes, el n'offiil à Muiisigny, et à son digne in- terprête le tribut d'éloges le plus doux, qu'ils pussent ambitionner.
Jusqu'alors Monsigny avait gardé l'anonyme. Cepen- dant son nom, qu'on italianisail en l'appelant Moncini, était à peu près connu du public, et des succès nombreux ayant éveillé la curiosité, trahireni le secret de sa mo- destie : l'on sut enfin qu'il était fiançais. A chaque pre- mière représentation de ses opéras les spectateurs le nommaient avec acclamations ! Dès qu'il s'apperçul que sa musique était goùiee, il désira s'affranchir d'occupa- lions ne lui permellant pas de se livrer, autant qu'il l'eut désiré, à l'art qu'il idolâtrait, et voulut répondre par des ouvrages plus marquants encore, à la bienveillance qu'on lui témoignait
11 quitta donc eu 17GS la place (pi'il occupait dans le bureau des comptes du clergé de Fiance, et aclicia !a
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charge de maître cl'liùltl de M. le due d'Orléans. Ce prince aimait les arts, et protégeait ceux qui les culti- vaient. Jlonsiguy, qu'il avait su distinguer, gagna sa confiance, et iro uva le moyen, dans des fonctions lui laissant le plus honorable loisir, de rendre d'importants services, en obtenant beaucoup de grâces pour les autres, 61 en n'en demandant jamais pour lui. Celte époque fut la plus heureuse, la plus brillante de son existence. Dé- gagé de toute inquiétude, vivant au sein d'une société choisie, qui lui témoignait la plus douce affection, en rendant hommage à ses talents, son imagination prit tout son essor et enfanta ceux de ses ouvrages qui ont été les objets constants de la faveur publique. Ce fut en effet dans l'espace de huit années qu'il enrichit notre second ihéàti-e lyrique des partitions du Déseiieur, de la belle Arsène, et de Félix.
Il est de ces choses qui ne sauraient être trop louées, et pour l'éloge desquelles on ne ti'ouve poiiit d'expres- sions assez fortes dans les langues connues. C'est en ren dant compte des merveilles des ails qu'on é[)rûuve, sur- loul en cheichanl à les décriie, ce sentiment d'insunî- sance qui avertit l'homme de la différence essentielle existant entre les élans de l'àme, et les facultés de l'esprit. Qu'on lise en effet ce que les auleuis les plus célèbres ont écrit de plus beau, de plus éloquent sur les chefs-d'œuvre de la peinture, de la sculpture, el de la musique... Com- bien cela est fioid auprès de l'impression profonde el brûlante que leur vue ou leur exécution font lessenlir ! Aussi, l'italien qui, en regardant un tableau de Raphaël, de Léonard de Vinci, une statue de (^anova, ou en enien- daui les airs de Pergolise et de Cimarosu, s'écri<;, en po- sant la main sur son cœur : 0 dio 1! .. F.n dit-il beaucouj)
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plus, par celte exclamaiion involonlaire, que lui arrache l'admiralion, qu'un écrivain qui, dans des phrases correc- lemeul (racées, analyse le plaisir que ces chefs-d'œuvre lui oni causé.
Nous n'entreprendrons donc point de louer pariiculiè- renient les beautés renfermées dans les trois ouvrages de Monsigny que nous venons de citer. Quel est celui de nos lecteurs ue les ayant pas, remarquées? Quel est l'homme assez dépourvu de sensibilité pour n'avoir point été vivement ému en entendant la musique mélodieuse, naïve, passionnée dn Déserteur et de Félixl.. Ce dernier opéra est regardé comme le chef-d'œuvre de son auteur. Jamais la vertu n'a rencontré dans les arts un interprète plus touchant, plus sublime que celui dont le génie a produit cet admirable trio :
« Nous travaillerons,
» Nous vous nourrirons... »
Oui, ce sont bien là les accents de la tendresse fdiale, de l'amour paternel, et de l'honneur!.. Dans tous les âges, ce bel hymne sera consacré à célébrer les affec- tions les plus nobles de la natuie 1
Ce trio nous rappelé une anecdote que Monsigny, alors âgé de près de quatre-vingt ans, racontait encore avec une chaleur entraînante. Cette anecdote, intéressante par elle-même, offre une nouvelle preuve de rinfluence que les lieux, exercent sur les souvenirs, en les réveillant dans noire âme par un mouvement, une force instanta- nés, aussi extraordinaires qu'ils sont inconle.siables 1
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« J'avais achevé, disait rillustre vieillard, la pariiiioii de Félix, et j'en étais satisfait. Seulement le iiio me pa- raissait faible d'expression, tandis que j'eusse voulu qu'il devint le morceau capital de cet ouvrage. Cent fois j'avais essayé de le changer, sans pouvoir arriver à ce que je désirais. Une circonstance toute pariiculière me servit à souhait, en faisant naître l'inspiration qui, jusqu'alors, m'avait toujours fui. Attaché à la maison de M. le duc d'Orléans, je m'étais mêlé à une chasse organisée dans la forêt de Neuilly. Après avoir battu les sentiers et les taillis pendant un assez long temjjs, la faiigue, la chaleur me firent retournci* sur mes pas, et chercher le repos. Un petit salon du château fut le lieu qui me servit d'asile, et je me jeltai sur un sopha, placé près d'une fenéire don- nant sur les jardins. La pureté du ciel, le parfum si suave des jasmins grimpant le long des murs, me plon- gèrent dans une vague et douce extase. Bientôt revenant à la vie réelle, mes yeux se fixèrent avec délices sur un charmant tableau de Grcuze, représentant la Bénédiction du père de famille. En le contemplant ma téie sexalle, les paroles de mon trio se présentent à ma mémoire, et le frisson de rinspiraiion se fait sentir, à travers les lar- mes mouillant mes paupières. Je saisis un violon. Au milieu des accords que j'en fais jaillir ma voix s'élève, et je trouve la mélodie, que j'avais si longlemj)s poursuivie, sans pouvoir l'atteindre ! Jugez quels furent mou bonheui- et ma joie! A l'instant où j'allais quitter ce salon pour écrire celle mélodie, on m'annonça qu'une voilure se rendait à Paiis. J'y étais ailtndu, afin de faire répéter mon opéra. Je me mets en route, et j'arrive, à l'heure convenue, au ihéàtie des Italiens. Bientôt j'annonce à mes acleurs ma découverte, et m'enq)are d'un violon pour
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la leui- communiquer. 0 surprise ! 6 désespoir ! L'inslru- menl resle muet sous mes doigts tremblants ; la nuit la plus profonde me dérobe ma nouvelle composition : elle m'a entièrement échappé! Il rallul redire l'ancien trio, et je sortis du théâtre maudissant le sort, et en proie au plus profond chagi'in. Un mois s'écoula dans le découra- gement. Je fuyais le monde, et l'état de ma santé inquié- tait mes amis, sans qu'ils devinassent la cause de la mélancolie qui me minail. Une seconde chasse fut déci- dée; le lieu choisi fut le même que pour la première, el l'on m'y entraîna. Après avoir parcouru leniement les jardins, j entrai machinalement dans le petit salon dont je vous ai déjà parlé. A peine y élais-je assis, qu'une révolution subite se fit en moi, et me plongea dans le ravissement ! Mon regard s'était fixé sur le tableau de Greuze, je reconnaissais les objets qui m'avaient inspiré, et mon trio perdu se retraçait à ma mémoire, dans toutes ses parties, avec une lucidité, une vivacité merveilleuses! Redoutant cette fois qu'un instant de retard fit évanouir le retour, aussi heureux qu'inespéré, d'une mélodie dont la perle m'avait causé tant de chagrin, je m'empressai de l'écrire. Depuis ce moment je n'ai cessé d'iadmirer et d'aimer la toute puissante influence des lieux el des ob- jets extérieurs sur les souvenirs. »
Celte anecdote nous porte à penser que Monsigny sen- tait trop vivement pour fournir une longue carrière comme compositeur. Une fièvre ardente le saisissait aus- sitôt que son imagination, ébranlée par la lecture du poème qu'il devait mettre en musique, commençait à créer les chants qui l'ont immortalisé. L'enthousiasme exerçait sur lui toute sa puissance ; el qui l'aurait vu dans le moment du travail, aurait pu sécrier, en em-
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ployant l'expression des grecs : le Dieu est en lui!.. Aussi, fiU-on obligé de lui enlever plusieurs fois les poèmes qui lui élaient confiés. C'est ce qui arriva pour le Déserteur ; et on conçoit l'effet extraordinaire que cet ouvrage avait produit sur lui, lorsqu'on se rappelé que, dans un âge déjà avancé, en racontant la manière dont il avait composé la scène où Louise revient de son éva- nouissement, il se prit à fondre en larmes, et tomba dans un accablement dont il fut difficile de le faire sortir. Une organisation aussi brûlante devait épuiser de bonne heure ses facultés. Semblable à ces plantes qu'un soleil ardent fait croilie prématurément, et qui donnant des fleurs avant le temps, languissent bientôt dans la stéri- lité, Monsigny, parvenu à sa quaranle-huitième année, vil s'éteindre le feu de l'inspiration dans son âme fatiguée par le trop grand éclat que ce feu avait jeté. Il cessa de composer, et parut même devenir presqu'indiffércnt pour un art qu'il avait aimé avec passion.
Son existence était assurée par les bienfaits du duc d'Orléans, qui l'avait nommé administrateur de ses do- maines, et inspecteur général des canaux. En 1781, il s'était marié avec une femme qui le rendit constammeni heureux : le ciel bénit celle union, en accordant à ses vœux un fds devant être un jour l'appui de sa vieillesse.
La l'évolution si; déclara, t;t lui enleva ses places, ses pensions, ainsi que la presque totalité de sa loiiune. A l'époque désastreuse de 1793, ou une fausse philosophie servait de préiexie à tous les crimes, Monsigny, vivant dans la leiraitc, fut oublié, et dut sans doute à cet oubli la conscivatiou de ses jours. Ses ouvrages avaient dis- paru de la scène. Ils ^.'éloignaient trop du fracas, et des
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idées rcYululionDaires, pour plaire ù un gouverneiiienl auarchique, faisant proclamer dans ses acies les droits de la nature, dont il froissait continuellement les devoirs les plus sacrés!.. Un ordre de choses plus régulier fil que l'on pensa à un homme qui ne demandait qu'à vivre ignoré. Il fut nommé inspecteur du Conservatoire, et membre de la Légion-d'Honneur. Le public se porta en foule à la reprise de ses opéras, joués par l'élite des ac- teurs du Théâtre-Faydeau ; et malgré les principes d'une école moderne, à laquelle l'ail musical doit beaucoup, surtout quant à l'exécution instrumentale, mais qui sou- vent n'a fait de ses élèves que des compositeurs savants, on applaudit avec transpoi't les chants de Monsigny. Nous sommes loin de penser que l'artiste compositeur doive ignorer les règles de son art, à ce point de faire des fautes grossières ; il est même à désirer qu'il les connaisse parfaitement. Cependant l'abus de la science, le vain étalage d'accords péniblement combinés, l'emploi presque continuel de tous les instruments dans l'orches- tre, qui doit être le très-humble serviteur du chani, l'ac- compagner, le soutenir, et non l'éclipser, ne conduiront jamais un ouvrage à la postérité. Voilà ce qu'au défaut de génie et d'inspiration on trouve dans un grand nom- bre de nouvelles partitions. On peut reprocher à 3Ionsi- gny des négligences; tranchons le mol, il a même commis des fautes : mais il est toujours vrai, suave, entraînant. L'arrêt que Grimm a rendu contre lui, en se permettant de dire quil n'était pas musicien, sera réprouvé, cassé, par tous les artistes impartiaux, par tous les amateurs du vrai beau. Le froid et pédant baron allemand n'avait donc qu'à prétendre aussi que Bubens et Rembrandt n'étaient pas peintres, parce que leur dessin manque
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quelquefois de eorreclion ? C'clail le cas tle lui ri'poudre. ce que Sacchiui répondait à la reine Marie-Aiiloinelte qui luidisail : « On assure que M. Garai u'esl pas musicien?» « Cela est vrai, majesté, car Garai, c'est la musique en » personnel » Peindre les senlimenls, les passions, émouvoir, charmer, voilà le bul que le musicien doit se proposer : quand il l'a atteint, son œuvre est bien préfé- rable à celle d'un savant calculateur de notes, dont les chants ne disent rien à l'àme, font éprouver un ennui glacial à ceux qui les écoutent, et dont l'harmonie, même pour accompagner une romance, est renforcée par tout le bacchanal des cuivres de l'orclieslre. Quoique l'opinion de Grimm ait été adoptée par certaines coteries de tapa- geurs émérilcs, Monsiguy en a été constamment vengé par les suffrages du public, et des talents au-dessus de l'envie dont s'honore maintenant encore l'école française.
Ce fut dans l'intention de lui prouver son admiration et son estime, qu'une société aussi utile que célèbre, celle des enfants d'Apollon, le reçut au nombre de ses mem- bres, le 23 mai 1811. La séance qui eut lieu pour son admission, a laissé des souvenirs inuefaçables dans l'ànie de ceux y ayant assisté. Qu'on se représente le ncstor des compositeurs français, au milieu de nos littérateurs et de nos artistes les plus distingués, voyant tout ce qui l'entourait applaudir avec ivresse le beau trio de Félix, chanté avec une rare perfection par M"" Branchu, Nour- rit, et Chénard, et entendant le chancelier de la société le surnommer, si justement, le Lafontaine de la musique ! L'intérêt de cette touchante solcmuité était doublé par la réception de Lanjon, L'Anacrion du dix-huitième siècle, et la vue de ces deux vénérables vieillards assistant aux
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jeux d'Enterpe, ei recevani les hommages de leurs suc- cesseurs, excuait i'émolion la plus vive, el faisait couler de tous les yeux les plus douces larmes.
Monsigny ne prit place à l'institut, qu'après la mort de Grélry. Sou caractère modeste et timide l'avait pour ainsi dire dérobé à ce genre de monde qui, pour songer à un homme de talent, enseveli dans la retraite, a souvent be- soin qu'il lui rappelé ses litres et son existence. Il n'avait fait aucune démarche pour obtenir l'honneur d'être élu membre de l'Académie des beaux-arts ; mais cet honneur vint le chercher, et pour cette fois l'institut fut l'interprète de la voix publique qui, dès longtemps, lui avait désigné ce charmant compositeur.
Il ne survécut que trois années à cet acte de justice : la mort le frappa le 14 janvier 1817, à l'âge de quatre- vingt-sept ans.
Monsigny était de taille moyenne, sa figure était noble, bienveillante et ses manières à la fois simples et élégan- tes. Il avait conser\é jusques dans l'extrême vieillesse tout ce qui dislingue Thomme ayant vécu dans la meil- leure société. Un beau portrait de lui, peint sous l'em- pire, existait autrefois, et existe sans doute encore, au foyer de l'Opéra-Comique. Son caractère plein de dou- ceur et d'obligeance, exempt de petitesse el d'envie lui avait concilié l'affection et l'estime de tous ceux qui le connaissaient. Le trait saillant de son organisation morale étail la sensibilité la plus exquise : est-ce que ses ouvra • ges n'en offrent pas la preuve la plus complète?..
Quels que soyenl les changements que la mode el l'es-
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piil de système amènent dans noire musique, le laurier de Monsigny ne se flélrira point. Corneille a dans ses tragédies des tournures de phrase, dts mots qui ont vieilli; il n'est pas toujours correct, mais on l'admirera dans tous les siècles. L'auteur du Déserteur a des traits de chant un peu surannés; son orchestration n'est point tra- vaillée comnie celle d'un élève du conservatoire : mais il plaira toujours aux âmes sensibles, passionnées, à ceux qui vont chercher au théâtre les accents de la nature cl de la vérité. Tel est le propre du génie : son empire est éternel ! Semblable à ces monuments de la Grèce dont le temps a un peu altéré les formes, mais qui conservent toujours ce type de noblesse, de grandeur et de grâce qu'ils reçurent en naissant, ses œuvres traverseront le lor_ rent des âges, en ne cessant pas d'être un objet de véné- ration pour les peuples, et d'admiration pour les amis des ans.
APPENDICE.
Deux moiifs m'ont guidé, en écrivant l'éloge de iMon- signy : l'admiration que ses ouvrages m'ont toujours in- spirée, et les liens de famille qui m'unissaient a ce charmant compositeur. Ma mère était en effet sa nièce, à la mode de Bretagne, et la nature l'avait douée d'une très-belle voix. Mon enfance s'est écoulée en l'entendant répeter la musique du Déserteur, de la belle Arsène et de Félix. Elle prononçait admirablement les paroles, qua- lité si rare de nos jours parmi les femmes cultivant le chant, et je n'oublierai jamais l'expression ravissante qu'elle mettait dans le bel air de Louise :
« Dans quel irouble le plonge » Ce que je le dis là !.. »
Lorsque j'allai habiter Paris, pour y faire mon droit, elle me remit une lettre pour 3Ionsigny, qui m'accueillit avec la plus grande bonté. Pendant trois années je n'ai pas cessé de le visiter. J'assistais à sa réception à l'Aca- démie des enfants d'Apollon, quand la célèbre M™« Bran- chn, après l'exécution du beau trio de Félix, plaça sur ses cheveux blancs une couronne de lauriers.
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Colle sociolé a plus de 150 ans d'existence. Elle a eomplé au nombre de ses membres J.-J. Rousseau, Gluck, Picclnni, Sacchini, Gréiry, Chérubini , Méliul , ei lous les grands arlisies musiciens et peiiures , ainsi que les auteurs de drames lyriques d'une pariie du 18""" siè- cle, ei du commencement du 19™^. A l'époque où j y fus reçu Wogl, le fameux Hautbois , en éiaii le président, Bouilly le chancelier et Emmanuel Dupaiy le secrétaire perpétuel. Le buste et le portrait de Monsigny ornaient a salle de ses séances.
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CATALOGUE DES OUVÎÎAGES HE MONSIGNY
Monsigny avait plus de irenle ans, quand il a commencé à travailler pour le théâtre, et c'est à quaranle-huit ans qu'il a terminé sa carrière d'artiste. Celte carrière a été bien remplie par les ouvrages suivants :
1° Les Aveux indiscrets. Donnés au théâtre de la Foire- Saint-Laurent en 1739.
T Le Maître en droit. Au même théâtre en 1760.
3" Le Cadi dupé. Idem.
4" On ne s'avise jamais de tout. Idem en 1761.
.^" Le Roi et le Fermier. Aux Italiens en 17G3.
6" Rose et Colas. Idem en 4764.
7° Aline reine de Gokondc. Au Grand-Opéra en 17 6b
8' L/ Ile sonnante. Aux Italiens en 176B.
9° Le Déserteur. Idem en i769,
10° Le Faucon. Idem en 1772,
{[" Lahelle A7'sène. Idem en 1775. 12'^ Le Rendez-vous bien employé. Aux Italiens en 1776. i S" Félix ou V Enfant trouvé. Idem en 1777.
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Il a gardé en poiiefcuille irois autres parlilions qu'il n'a pas jugées dignes de voir le jour.
Un assez grand nombre de romances, ariettes et chan- sons ont clé composées par lui Parmi ces pièces déta- chées nous citerons :
0 ma tendre musette! Paroles de Laharpe. Cet air dont la mélodie est délicieuse, a été employé par Boyel- dieu dans un de ses plus jolis opéras.
Je suis Lindor, que Beaumarchais le pria de composer pour le Barbier de Séville, cl qui, comme sérénade est, scl(jn nous, fort au-dessus de la musique de Paisiello sur les mêmes paroles, et de la cavaiine à roulades du divin Rossini.
Je suis la folâtre ariette, morceau comique, pour voix de basse intercalé dans le Bouquet de Thalie. prologue donné avant la représentation de la partie de chasse de Henri IV, par Collé.
On sait que Collé était comme Monsigny, et, en qualité de lecteur, attaché à la maison du duc d'Orléans. L'air que nous rappelons ici, est une parodie de l'abus qu'on faisait alors, et qu'on fait aujourd'hui, des roulades et du siyle iraiiaiif.
Collé a laissé des Mémoires, pleins d'intérêt sur l'an dramatique et les mœurs de son temps. Les exemplaires de cet ouvrage sont devenus rares, et l'on devrait Je réimprimer.
GOSSEC.
SA VIK ET SES OUVRAGES.
a Ce qui surtout le recommande » et fait sa gloire auprès des ama- 1» leurs de l'art musical, c'est d a- » voir régénéré la musique française. » en rompant avec les vieux sys- » tèmes, les préjugés, et en la pla- » çant sur la route qui devait la 1) conduire à l'état de supériorité et B d'éclat où elle est arrivée. » P. H.
GOSSE<:.
SA VIE ET SES OUVRAGES.
Peu soucieuse du laleni cl de la gloire do ijos anciens maîires, la génération actuelle a abandonné leurs ouvia- gos. Dédaignés par les romantiques en musique, ils rcs- lenl ensevelis dans la poussière des bibliothèques, ou sont exposés aux injures du temps sur les étalages des bou- quinistes des quais de Paris. Personne , en (>xcepiant toutefois de cette négation quelques rares amateurs d<; ce qui est éternellcmeni beau, ne paraît se douter des trésors de mélodie, d'expression, et des combinaisons liarmoniques à la fois pures et savantes renfermés dans ces ouvrages, préféiables de beaucoup au galimaihias prétentieux et au bruit assourdissant que font les lauréats de notre époque de tintamarre et de fumée. La faute en
est-elle au public? Non. certainement, car depuis
Jongtemps il n'est jjIus apitclé à entendre les anciens.
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coiiipusiiéiirs. Les diiecleuis de spectacles et de concerts, soumis au\ exigences des artistes de nos joui's, sont obligés d'éioufl'er la lumière sous le boisseau, et si, de loin en loin, ils en laissent échapper quelques étincelles, l'éteignoir des arrangeurs, race à jamais maudite, et une déplorable exécution, ne tardent pas à replonger ces étincelles dans la nuit la plus profonde. C'est à Paris surtout que cette profanation a lieu. Dans ce royaume de l'intrigue et de la mode, les morts illustres sont sacrifiés à Tamour-propre et à la rapacité des vivants — Gluck, Piccini, Sponlini, Grélry, Dalayrac, Méliul, ont dispar;: de la scène. La tradition se perd ainsi, et le monde, qui juge sans savoir ei sans connaître les œuvres du génie, poursuit les noms vénérables que je viens de citer, lors- qu'ils viennent à être proférés, d'épiilièles aussi ridicules que méprisantes. Cependant, il arrive quelquefois que le jour de la justice se lève pour de grandes ombres. Cela a eu lieu dans l'été de 1831, au festival de Lille, où une pavane du 10^ siècle, par Jehan Tabourot i^Arbaud), et un chœui- de l'opéra de Castor et Pollucc, de Rameau, ont eu tous les honneurs de celte magnifique solennité musicale, et ont été salués par les plus vifs applaudisse- ments!. .. Il est vrai de dire que l'exécution en a été grandiose, et qu'aucune rivalité envieuse el mesquine ne s'est inierposée dans l'arrêt rendu par huit mille audi- icuis.
Ces réflexions se sont présentées tout naturellement à ma pensée en songeant à entretenir les lecteurs des Ar- cliives de Gossec, cet enlant du Hainaut (P. Personne,
(t) Celle biographie de Go.ssec a paru, pour la première foi:; dans te lotpe 5, troiàiéine série des Archires du Nord, el a élé reproduite, avec quelques supprcs-ions, par le Ménestrel.
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plus que lui, n'a le druil de prendre place dans une revue consacrée par son estimable et savant directeur à perpé- tuer le souvenir des célébrités artistiques du Nord, et je vais essayer de rclr£cer sa vie, de rappeler ses ouvrages et les services immenses qu'il a rendus à la musique
IT,
Gossec (François-Joseph), reçut le jour le 17 janvier 1734, dans le village de Vergnies, qui ressoriissait de la prévoie de Maubeuge. Depuis les conquêtes de Louis \IV, cette partie du Hainaul avait été réunie à la France : elle ne fut rendue à la Belgique que par les traités de 1815, et ceiTendanl elle dépend encore aujourd'hui de l'archevêché de Cambrai. Ainsi Gossec était né Français, quoiqu'en disent les biographies belges, en général si peu scrupuleuses lorsqu'il s'agit d'enrichir leur pays d'un homme célèbre de plus. — Il est certain ensuite, d'ai)rès son acte de naissance, qu'il ne s'appelait point Gossec, mais Gossé. C'est en effet sous ce dernier nom que lui et son père figurent dans cet acte, où sa mère est rtnsei- gnce sous celui de Marguerite Brasseur. Cela pourrait sembler assez étrange, si l'on ne savait pas qu'à l'époque où notre compositeur débuta dans le monde musical, tout artiste aspirant au succès, avait intéièi à se donner une origine italienne ou allemande. Je pourrais facile- ment citer plusieurs exemples de cette transformation de nom : il me sullira de rappeler que iMonsigny, né à Fan-
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quembergue en Ailois, cl donl la famille élail originaire du Boulonnais, a signé ses premières parlilions du nom de Moncini, el a passé pendant longtemps, à cause de celte petite supercherie, pour un compositeur ultramon- lain. La mo^e acclamait alors, comme elle l'a souvent fait depuis, les musiciens ilaliens el allemands ; el la mode est chez nous une puissance tellement despotique, que pour réussir il faut se soumettre à ses lois, toutes bizarres qu'elles soient.
Les parenis de Gossec étaient dans un état voisin de l'indigence : aussi ne put-il, dans les premières années de sa vie, recevoir aucune éducation, et garda-t-il les vaches sur les chemins et les terrains communaux. Mais la nature l'avait doté d'une organisation supérieure, el il avait reçu du ciel cette flamme secrèle qui, malgré les obstacles, el en dépit de la misère, fait éclore le talent. Comme le Giolio, la vue des spectacles variés que la cam- pagne lui offrait, les accidents de la lumière, le chaut des oiseaux, le bruit d'une pluie d'orage tombant à flots pres- sés sur les feuilles des arbres, les éclats de la foudre, les mystères de la solitude parlèrent à son cœur, car lui aussi devait un jour devenir peintre. Doué d'une jolie voix, il se plaisait à la faire entendre au milieu des champs, oîi l'inspiration se développait en lui. Sans aucune connais- sance de l'art, il inventait des airs qu'il accompagnait au moyen d'instruments fabiiqiiés de sa main. Ce fut ainsi qu'il confectionna avec un sabot une espèce de violon dont il parvint à tirer des sons, et donl l'harmonie grossière charmait son oreille en l'iniliant à la science des accords. Cet inslincl musical, qui le suivait partout, fui remarqué des habitants de son village. Un de ses oncles, en même temps son parrain, homme de cœur et d'intelligence, ne
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fui pas des derniers à s'en apercevoir. Cei oncle ëiaii dans une posiiion beaucoup plus aisée que celle des pa- rents de Gossec ; il s'intéressaii à son filleul , el employa ses soins à utiliser la vocation que ce dernier manifestait. D'abord, il le mit à même de fréquenter l'école du villa- ge , le fil chanter au lutrin, el parvint ensuite à obtenir qu'il entrât comme enfant de chœur à réglisc de Wal- court, bourg voisin, célèbre par un pèlerinage 1res suivi en l'honneur de Notre-Dame. On sait que de temps im- mémorial il existait à Maubeuge , avant la révolution , un chapitre de chanoinesses sous l'invocation de Sainte-AI- degonde Ce chapitre possédait à Vergnies un droit de terrage, dont la perception établissait des relations entie ce village et Maubeuge. Des renseignements pris dans celte ville il parail résulter que de Walcouri Gossec passa, toujours en qualité d'enfant de chœur, en l'église de Sainte- Aldegonde , et reçut des leçons de Jean Vander- belen, écolàtrc du chapitre. Gel écolâtre avait été nom- mé à ce bénéfice en 1722, el l'occupa jusqu'à sa mort , arrivée en 1755. La partie la plus importante de ses fonctions était d'enseigner le chant aiix jeunes chanoines- ses. On ignore les motifs qui engagèrent Gossec à quitter le chapitre de Sainte- Aldegonde pour retourner chez ses parents, il n'y resta que peu d'instants, cl son oncle, ayant su intéresser à son sort plusieurs personnes haut placées, parvint à le faii'e admettre comme picmier chan- tre à la cathédrale dAnvers. De ce moment datent ses essais dans la composition musicale. Ainsi que Monsigny, il jouait fort bien du violon, et c'est en se servant de cet insirument qu'il préludait aux œuvres qui depuis l'on rendu célèbre. Tout porte à croire (ju'il avait trouvé à Anvers quehiue viel artiste alle.mand de la descendance
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de Handel, ferré sur le conUe-poinl el la fugue , car ses progrès fureni tels que de riches amateurs des arts le prirent sous leur protection el lui fournirent les moyens de se rendre à Paris, en l'y recommandant d'une manière toute spéciale.
III.
Gossec arriva dans la capitale en 1751. La France jouissait alors d'une profonde tranquillilé, et les lettres, les arts et ce qu'on était convenu d'appeler la philosophie y étaient cultivés avec ardeur. Legoiit du beau, l'amour du progrès s'étaient introduits dans toutes les classes de la société, avide d'innovations dont l'abus devait un jour révolutionner et ébranler la vielle Europe. La finance elle-même qui, quelques années auparavant, avait donné lieu aux sarcasmes mordants de Le Sage, dans son tex- cellenle comédie de Turcaret, sentourait de tous les hommes distingués du temps et employait son luxe el ses richesses à encourager les productions de l'imagination et de la pensée.
Parmi les fermiers-généraux existant à cette époque , on distinguait M. de la Popelinière. C'était un homme spirituel, mais un peu vain, quoique poli, ce qui est rare, surtout de nos jours, dans les gens d'aigent — aimable lorsqu'il voulait plaire , il causait de toutes choses avec convenance, quoiqu'il n'eiitfaii aucune élude approfondie, il versifiait avec facilité, avec une certaine grâce, et com-
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posait lIos comédies assez iinkliocros ([iroii jouaii sur le ihéàlre élevé dans sa cliarmaiile maison de Passy, comé- dies qu'applaudissaienl avec enihousiasme les flâneurs formant sa petite cour. Du resle, il recevait l'élite de la société , les ambassadeurs , la noblesse , les femmes les plus à la mode de Paris, el parliculièremenl les écrivains el les artistes en renom
Au nombre des plaisirs faisant le charme des fêles données par M. de la Popelinière , la musique tenait le premier rang. Rameau, son ami intime , avait son loge- ment à Passy, ainsi que les exécutants nécessaires pour y répéter les opéras composés par lui, Rameau portait le sceptre de l'empire musical , les dileltanti du temps ne juraient que par sa science , et tous les artistes français se faisaient un honneur de se ranger sous sa banière. Gossec lui fut recommandé : Rameau ne larda pas à ap- précier le parli qu'il pourrait tirer de ses lalenls. Il le fit agréer comme chef d'orchestre des concerls de M. de la Popelinière, qui lui donna un appartement dans sa mai- son et des appoilemenls très convenables.
la musique française était alors, à peu de choses près, ce qu'elle avait était sous Lous XIV , c'est-à-dire lenle , lourde, offrant par intervalles quelques jolies mélodies, mais presque nulle sous le rapport inslrumenlal. — un récitatif vrai de déclamation , suriout dans les partitions de Lulli , des airs de danse dans lesquels Rameau excel- lait, quelques sonaiesde violon, quelques pièces de clave- cin, voila la quintessence du bagage qu'elle pouvait olTrir auxamateurs.il est vraide.dire que dans le genre instru- mental , le resle de l'Europe n'était pas beaucoup plus riche que nous, Gossec eui dès lors l'idée d'une réforme
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ftl d'innovations qui, poursuivies par lui , avec autant do fermeté que d'intelligence , sont devenues ses plus beaux litres de gloire. Lasymphonie, l'ouverture étaient à créer, car Userait dérisoire d'appliquer ce nom aux introductions servant de préfaces aux opéras de LuUi , de Campra , de Colasse et même de Rameau. Un fait assez curieux à consigner dans l'histoire des progrès de fart , c'est qu'au moment ou Gossec publiait en France ses premières œuvres en ce genre , Haydn écrivait en Allemagne sa première symphonie. On peut se faire une idée de l'élon- ncment que produisirent ces formes nouvelles d'harmo • nie, celte vigueur d'instrumentation dont, jusqu'alors, on n'avait eu nul exemple !... L'auditeur fut d'abord frappé, comme peut l'être l'aveugle dont la paupière , sortant d'une nuit obscure , est tout-à-coup inondée par les rayons du soleil ! Toutefois, on ne tarda pas , non-seule- ment à s'accoutumer à cette innovation , mais encore à en sentir tout le prix, et à y applaudir avec transport!.... N'était ce pas le prélude , l'aurore du jour brillant que Gluck devait, quelques années après, faire jaillir de sa magnifique ouverture de Ylphigénie en Aulidel C^)
(1) Pour moi le génie de Gluck, rooti idole, procède d'un homme dont les veines recelaient le feu des volcans , el les os la moelle du lion. El cependant,, soit dit en passant, on laisse dans la poussière de l'oubli les œuvres de ce Michel -Ange de la musique . Quel stupide dédain !... En vérité, il faut avouer que depuis 18ôO nos législateurs se sont mon'rés , quant aux arts , bien intelligents el bien habiles , en donnant une subvention énorme à l'adminislralion de l'Opéra, qui fait ainsi litière du talent el de la gloire!.... Parmi les directeurs des théâtres lyriques de Paris, un seul , M, Parrin , s'occupe encore de nos anciens chefs-d'œuvre, et offre, de temps en temps, à la génération actuelle, l'occasion d'applaudir Grétry, IMchul, Boïeldieu et D'Alayrac.
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Des chagrins domestiques ayant pour cause la mauvaise conduite d'une femme qui devait à M. de Popelinière le titre d'épouse, la fortune et une situation liouorable dans le monde , engagèrent celui-ci à supprimer les fêles qu'il donnait à Passy. Tout le monde sait l'anecdote de la cheminée à plaque tournante , si bien racoutée par Mar- monlel dans ses mémoires , et comment Vancanson , en examinant cette plaque , découvrit à l'époux outragé les moyens employés par le maréchal de Richelieu pour s'in- troduire dans l'appartement de sa femme infidèle. L'or- chestre dirigé par Gossec fut dissous , et ce dernier perdit avec sa place tous les avantages qui y étaient attachés. M. leprince de Conty, qui le connaissait et l'estimait, lui proposa alors de devenir le directeur de sa musique. Gossec accepta d'autant plus volontiers la position qui lui était offerte que, sous le rapport pécu- niaire , elle le dédommageait avec usure de celle qui venait de lui être enlevée, et lui donnait en outre de doux loisirs. Il en profita pour mettre au jour un grand nombre de compositions, parmi lesquelles ont doit com- pter des quatuors pour deux violons , alto et basse , qui eurent un grand succès. En 1760, il publia sa messe des morts, et cet ouvrage accueilli avec enthousiasme , le plaça au premier rang des compositeurs français. Maintenant même, celte messe, dont les chants sont no- bles, expressifs, dans leur couleui- religieuse, et dont l'harmonie est à la fois simple et distinguée, peut encore être classée parmi les chefs-d'œuvre de musique sacrée. Le morceau pour voix de basse sur ces belles paroles :
Tuba mirum
Spargcns sonum
Per sepulcra regionum î
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est de l'effel le plus large, le pics solennel, et je me rap pellerai toujours de l'impression de terreur qu'il produisit sur mon imagination (j'avais alors 13 ans), lorsqu'on l'exécuta à Boulogne-sur-Mer, en mars 1805, au service de l'amiral Bruix, commandant en chef la flotille devant opérer la descente en Angleterre. Depuis, de grands maîtres ont fait de la musique d'église , mais , oserai-je l'avouer, plusieurs d'entre eux ont eu pour moi le tort de transporter le chant théâtral dans le sanctuaire, et je me suis souvent surpris, en écoutant leurs œuvres, à répéter avec le poêle latin : Non erat hic locus.
C'est seulement en 1764. que Gossec commença à se faire connaître en qualité de musicien dramatique, en donnant le Faux Lord au théâtre de la Comédie Italienne. Le succès qu'il obtint l'encouragea à travailler pour la scène, et ce premier ouvrage fut suivi des Pêcheurs , de Toinon et Toinette et du Double déguisement, comédies à ariettes qui attirèrent long-temps le public et furent très applaudies. Au Grand-Opéra il fit successivement exécu- ter Sa6in«s, Baucis et Phylémon, Hijlas et Sylvie, Alexis et Daphnée , Piosineet Tisbée. Il y a dans ces diverses partitions du métier et une correction de style alors on ne saurait plus rare , mais quant au charme , à l'originalité, elles sont fort éloignées de celles de Monsigny et de Gré- try. Gossec au théâtre est, avant toutes choses, régulier, classique. Son chant est souvent un peu lourd et manque de grâce et d'inspiration dramatique Ce qui le prouve, c'est que ses essais en ce genre n'ont vécu que quelques années, tandis que les compositions des maîtres dont je viens de parler, n'ont point cessé de faire les délices de ceux qui savent sentir la mélodie aimable, vraie de décla- mation, et apprécier le génie, lors même, selon l'heureuse
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expression de Panseron, qu'il se traduit à nos yeux ei à nos oreilles avec quelques fautes dorthograplie.
C'est à Gossec qu'on doil rétablissement du concert des amateurs ouvert en 1770, et dont le célèbre chevalier de Saint-Georges fut le chef d'orchestre. Lorsqu'il n'aurait à revendiquer dans les progrès de l'art musical que la fon- dation de cet établissement , sa part serait déjà fori belle ! En effet , avant lui , la composition ci l'exécu- tion instrumentale étaient d'une nullité complète. La symphonie la plus compliquée en fait d'instruments ne renfermait qu'un premier et un second violon , un alto jouant presque toujours la même partie que la basse, une basse et deux parties de hautbois et de cors A ce mince actif il ajouta la contre-basse, les clarinettes, la flûte, les trompettes , les bassons et les timballes. Ce surcroit de puissance, du à l'emploi d'instruments nouveaux, pro- duisit un effet immense dans les symphonies qu'il com posa pour le concert des amateurs!... On fut d'abord étonné, et l'on ne larda pas ensuite à être ravi.
Les concerts dits spirituels, parce qu'ils étaient princi- palement donnés en temps de Carême , et n'admettaient dans leur répertoire que des morceaux de musique sacrée, existaient depuis longtemps. On sentit le besoin de leur imprimer le mouvement novateur que l'art venait de prendre, et leur direction fut confiée en 1773 à Gossec qui s'adjoignit Gaviniès , le plus remarquable des violons du temps, et Leduc aîné. Sous ces hommes habiles, ces concerts arrivèrent à un haut degré de prospérité. Les artistes étrangers les plus distingués tinrent à honneur de s'y faire entendre , et les ouvrages qui y furent exécutés, choisis avec un soin tout particulier, contribuèrent beau-
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coup à former le goûl oi à fiiirc marcher l'école française vers celle suprémaiie qui devait un jour la placer sur la ligne des écoles d'Italie et d'Allemagne.
Une création d'une grande importance devait plus sûrement encore atteindre ce but , et recommander le nom de Gossec : ce fut celle de l'école royale de chant, fondée sur ses plans en 1784, et à la tête de laquelle le plaça le ministre baron de Breteuil. Aux leçons de solfège oi de vocalisation, il joignit une classe d'harmonie et de contrepoint dont il se réserva le professorat. Des chan- teurs, des compositeurs de mérite sortirent de cette école, véritable germe d'où devait éclore un jour le Conserva- toire , et les théâtres lyriques de Paris et de la province, les maîtrises des cathédrales se peuplèrent alors d'arlisles qui en fuient l'ornemenl.
Gcsi à celle époque de la vie de Gossec qu'il faut reporter la composition d'un morceau religieux devenu célèbre depuis , et se rattachant à une anecdote dont les délails ne manquent point d'intérêt. Partout, à la cour, à la ville , au théâtre comme à l'église , l'enfant du Hainaut s'était fait des amis qu'il devait à son caractère doux, bienveillant, à sa gaieté, à la grâce et à l'amabilité de son esprit. Lié particulièrement avec iU. de la Salle , secré- taire de l'Opéra, possesseur d'une jolie maison de campa- gne, située à Chénevières , près de Sceaux , il s'y rendit un jour de grand matin, avec Lays, Chéron et Rousseau, chanteurs célèbres, alors dans toute la force et la fraî- cheur de leur talent. A peine étaient-ils arrivés que le curé du lieu vint visiter leur hôte et lui faire part de l'embarras dans lequel il se trouvait : ■ C'est aujourd'hui "» la fête patronale du village, dit-il; des chanieurs de
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• Notie-Dame avaienl pris envers mois l'engagenienl de » venir exécuter dans ma petite église une messe en » musique. J'ai annoncé celle messe au prône, dans tous " les châteaux voisins, et voilà qu'une lettre de Paris me '• fait savoir que monseigneur défend à ces chanteurs
• d'accomplir leur promesse. Que vais-je faire , grand
• Dieu!... et que pensera de moi la brillante société qui » va m'arriver, et à laquelle je ne pourrai offiir qu'un » service en faux bourdon?... Ah! c'est vraiment jouer » de malheur ! ! » Touchés de la peine de ce bon curé, Gossec et les artistes qui l'accompagnaient s'entendirent pour la faire cesser. Le premier demanda à M. de la Salle du papier réglé sur lequel il traça d'inspiration son fameux 0 salularis fiostia ! à trois voix , sans accompagnement, et les trois autres le chantèrent à l'église de manière à charmer la foule qui y était rassemblée Huit jours après ce motet eut un succès immense au concert spirituel où il fut bissé ; depuis il a été placé dans YOi'atorio de Saiil, et est resté l'un des chefs-d'œuvre du genre.
IV.
La révolution de 1789 arriva, et tout en détruisant, dans les années qui suivirent celle date, des établisse- ments favorables à l'art musical , elle donna cependant à cet art une énergie qu'il n'avait que rarement déployée , et dont de nos jours les sectateurs de la musique à coups de canon, comme disait Grélry, ont fait un élrange abus.
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Ce fui alors que Chérubini el Mébul imptimèrent aux effets d'orchestre une vigueur qui n'excluait pas l'élé- gance. Gossec avait préludé à cet heureux changement, mais depuis ou l'a souvent entendu dire qiC il n'aurait pas fa Uu aller plus loin. Que dirait-il aujourd'hui de lemploi malheureux des instruments de Sax au théâtre et dans nos musiques militaires? emploi étouffant continuelle- ment la mélodie, el lympanisani les oreilles les plus vigoureusemenl organisées? Espérons que cette manie du bruit aura un terme, et que les tapageurs cesseront enfin leur sabbat 1...
Gossec n'entendait rien à la politique; il avait soixan- te ans lorsque la révolution éclata , et son esprit éiaii encore plein d'enthousiasme cl de jeunesse. Les principes d'une réforme et les idées d'une liberté sage fnrent adop- tés par lui: mais les excès de 1793, jellèrent le deuil dans son ame, el ainsi que Ducis, qui fut son ami. lu tragédie jouée dans les rues lui fit horreur ! 11 rencontra cependant l'occasion d'exercer son talent, et d'abord il composa la musique pour les funérailles de Mirabeau, où Ton se servit pour la première fois du tam-tam , dont les sons éclatants et lugubres produisirent sur la foule accompagnant les restes du grand orateur, un effet extra- ordinaire ! Celte musique fut exécutée de nouveau, sous l'Empire, aux obsèques du maréchal Lannes, duc de Montebello.
Les fêles nationales, véritables parodies des solennités républicaines de la Grèce el de Rome , frappèrent l'ima- gination de Gossec, el il fil pour elles en musique ce que David fit en peinture. Ces fêtes se donnant en plein air, l'idée lui vinl d'accompagner les hymnes et les chœurs
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par des orchestres composés uiiiqiienieni d'iiislrumenis à vent. Les morceaux qu'il fit alors sur les paroles de Chénier, de Coupigny, de Lebrun eurent le plus grand succès. Il en est un surtout, admirable de noblesse et d'expression religieuse ; c'est l'hymne à l'Elre-Suprê- me conimençaut par celle strophe :
« Père de l'univers, suprême intelligence,
B Bienfaiteur ignorô des aveugles mortels .
» Tu révélas ton èlre à la reconnaissance ,
)i Qui seule éleva les autels ! s
Signalons en passant , une erreur commise par plu- sieurs biographes de Marie-Joseph Chénier, et entre au- tres par l'esiinuble et regrettable Charles Labiite. C'est à tort qu'ils ont allribué à l'auteur de CharlesIX les paroles de cet hymne, dont ilsonl fait un éloge mérité: ces paro- les sont de Théodore Desoigues , petit bossu , jusqu'aloi s à peu près inconnu dans la littérature, souvent animé depuis par la verve de Tyrlée , et mort fou à l'hospice de Charenion. Une explication toute simple de celte erreur commise par les biographes ressort de détails que je dois à l'amitié de Panseron, élève chéri de Gossec, et ces dé- tails sont assez curieux pour que je les rappelle.
L'incorruptible et sévère Robespierre n'était pas facile sur le choix des paroles à chanter dans les fêtes publi- ques. Celle à V Etre-Suprême, décrtkée sur sa proposition, allait avoir lieu, et Gossec, ainsi que Chénier, avaient été mis en réquisition pour composer l'hymne de rigueur en ces sortes de solennités. Quatre jour avant la cérémonie, Robespierre fit appelei- près de lui Sarreite, le grand- directeur- de la partie musicale des ftHes nationales, et lui demanda si loul élaii pi<"i. - » Oui , citoyen représeii-
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» larit, lui répondit Sarrette. - Voici les paroles de » l'hymne mis en musique par Gossec, et qui sera exé- • cuié par tous les artistes de l'Opéra. » Il convient de faire observer qu'à celle époque il existait entre le pro- consul et Chernîer, sinon une guerre déclarée , du moins une guerre soui'de , et que ce dernier, en enveloppant sa pensée des formes poétiques, avait laissé percer sa haine contre la puissance criminelle , sa pitié pour l'innocence malheureuse et proscrite, dans l'avant dernière strophe de son hymne, ainsi conçue :
« Grand Dieu, qui sous le dais fais pâlir la puissance , » Qui sous le chaume obcur visite la douleur, » Tourmeal du crime heureux , besoin de l'innocence . » El dernier ami du malheur ! »
A peine Robespierre eut- il lu ces vers qu'il dit à Sar- rolte, avec l'accent d'une profonde colère : « Je ne veux « pas de cela!.... Comprends-tu citoyen ? fais faire d'au- » très paroles, et quant à l'exécution, elle doit avoir lieu, " non par les artistes des théâtres, mais par les masses " populaires, Vas, et obéis, ■» Il n'y avait point à répli- quer à un tel homme , et cependant une double difficulté résultait de la volonté qu'il venait d'exprimer. Quatre jours seulement séparaient cette volonté du jour de la fête: où trouver un poêle pour remplacer Chénier?.... Gomment apprendre à un grand nombre de gens du peuple le chaut de Gossec?... La providence vint au se- cours de Sarrette éperdu. Le lendemain à six heures du matin , Théodore Desorgues ari-iva , conduit par le ha- sard, chez Gossec , et lui proposa de mettre en musique des paroles qu'il avait faites sur le sujet à l'ordre du jour. Or, il se trouva qu'elles allaient parfaiiement sur l'air déjà composé. De nombreuses copies du tout furent remises
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aux artistes, parmi lesquels se trouvaient Chérubini, MéhuI, Berion, avec ordre de se rendre dans les mairies, sur toutes les places publiques , dans les marchés , dans les halles, accompagués d'un renfort de violons, flûtes , clarinettes , et d'apprendre l'hymne à l'Etre suprême au peuple souverain. Cela réussit à merveille , et le jour de la fête plus de 100,000 personnes entonnèrent à l'unis- son le chant de Gossec, avec un sentiment religieux , un élan pairiolique qui ont laissé un profond souvenir parmi les contemporains assistant à cette solennité.
Gossec fit en outre pour le gran 1 0|)(''ra la musique du Camp de Grandpré et du Siège de Toulon, ouvrages de circonstance, inlerressant notre gloire rnihiaire , et qui turent accueillis avec enthousiasme! C'est dans le premier de ces drames lyriques qu'un personnage s'adressanl aux Prussiens, chanta cette ronde devenue si populaire •
a Si VOUS aimez la danse » Venez, accourez tous , » Boire du vin do France , » El danser avec nous. »
et qu'on entendit pour la première fois, avec une mise en scène due aux soins du célèbre chorégraphe Gardel , la Marseillaii^e , admirablement orchestrée par notre compositeur. Rien ne pouvait égaler l'effet saisissant de la dernière stuophe, que les soldalsel le peuble chantaient a genoux, en élevant leurs bras vers le ciel "... Ce spec- tacle se conçoit, au moment où la France était envahie de toutes parts , autant (pion conçoit peu l'étrange idée de ]\jeiic Ryehel, qui se plaît tant à jouer à la leine dans ses salons, venant vociférer bin- le ihéàlrc delà rue de Ri- chelieu , en tSiS , une hymne de guerre et d'exécration
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cûiilre l'étranger , quand nous étions et voulions cleineu- ler en paix avec toute l'Europe.
J'ai déjà raconté qu'en 1784 Gossec avait créé une école royale de chant, dans laquelle il donnait des leçons d'har- monie. U est certain que celle école fut la source d'où jaillit, en 1795, l'éiablissement du Conservatoire de musique, devenu depuis si célèbre. Plus que personne il concourut à son organisation , d'accord avec Sarrelle , excellent administrateur, et en fut nommé l'un des pre- miers inspecteurs Sa part fut grande dans la rédaction des traités élémentaires a l'usage de cet établissement-, et principalement de son solfège, si justement estimé. Lorsqu'il s'agissaii de son art , Gossec était infatigable ! Il se chargea bientôt des fonctions de professeur , quand une classe de composition fut ajoutée à celles primitive- ment ouvertes pour les autres parties de l'enseignement, et exerça ces fonctions avec un zèle , une ardeur remar- quables, jusqu'en 1814; il avait alors 81 ans. Ce fut peu de temps après que M. Papillon de la Ferté, intendant des menus plaisirs, le priva du petit logement qu'il tenait du gouvernement. Il s'était figuré que le bon vieux pro- fesseur était un grand révolutionnaire , parce qu'il avait mis en musique quelques chants républicains. Cet inten- dant avait des idées fort étroites, et cela me rappelle un joli mot de M«'^« Mars, à l'époque où Louis XVIII, prince adroit et spirituel, venait, à l'occasion de cette charmande actrice, d'amnistier les violettes, fleur de ralliement des impérialistes. — « Mademoiselle, lui dit un jour M. ■> Papillon de la Ferté, quand les violettes deviendront- » elles pour vous des lys? — Ce sera , lui répondit la " malicieuse comédienne, lorsque les papillons devien- " dront des aisles. »
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Quoiqu'il eût quille renseignemeui, (jossec ne couiiin;;» pas moins d'avoir des rapporls avec ses collègues el avec ses élèves. Parmi ces derniers je dois ciier Caiel, Gasse, Dourlen , né à Dunkerque , Androt , mon à Rome , Dau- prat, Cazoï et Panseron, compositeur aimable, professeur distingué, qui a suivi les traces de son excellent maître en publiant sur l'enseignement des ouvrages d'un haut mérite.
Gossec avait été nommé membre de l'instilut, classe des beaux ai is, dès l'origine de ce corps savant , et avait reçut de Napoléon la décoration de la Légion-d'Honneur, dans la superbe fête qui eût lieu au camp de Boulogne, en 180i. H vint en aide, en cette circonstance, à son collègue el ami ftléhul, pour faire exécuter le beau Chant dit Déparc dû à l'inspiration énergique el noble de ce dernier. Le projet de descente en Angleiene était alors à l'ordre du jour, el ce chant , entonné par douze cents instrumentistes, el faisant retentir dans le val de Terliuc- thnu , tous les échos de la côte, produisit une impression impossible à décrire!.... Le César des temps modernes venait de monter au capitole !
Sous la restauration , Gossec, entouré de l'estime , de l'affection des artistes et des amateurs, les voyait saisir avec empressement toutes les occasions de louer S(tn caractère et ses travaux. C'est dans ce but qur mon ami.
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M. Cliarles LaftilU; , hoiiimo d'espiit el bon musicien, propriéiaiie du recueil annuel ayanl poui' litre : Le Sou- venir de Ménestrels , dont je fus l'un des fondateurs, lui présenta le volume de 1816, en tète duquel on lit ces vers:
« Toi, qu'on %anle en tous lieux , qu'on aime et qu'on admire !
» Toi. qui pour l'Elernel fis résonner ta lyre ;
» Dont les hymnes sacrés el les brûlants accords ,
» Dès loi) printemps excitaient nos transports !
); Qui par le goût réglant l'essor de Ion génie ,
» Fis d'un nouvel éclat briller la symphonie ,
» Et qui susréunir, ce;nt d'un double laurier.
V La douce voix d'Eucerpe et les chants du guerrier,
u De nos faibles tributs nous t'apportons le gage :
') Accueille nos essais, souris à notre hommage !
» Pour nous loin de prétendre aux sublimes concerls,
» Notre timide luth ne célèbre en ses vers
B Que les tendres amours , les bergères naïves :
» Anime d'un coup-d'œil nos chansons fugitives ,
» Et que d'un noble appui daignant nous soutenir ,
p Ton nom, des ménestrels orne le souvenir ! »
J'assistais au diner où ces vers, qui n'ont de valeur que par l'inieniion , furent lus à ce vieillard vénérable , el je le vois encore loul ému , et repondant par des larmes à l'hommage que ses admirateurs , ses amis chci'chaient à rendre à son talent.
En 1823 les facultés de Gossec s'affaiblirent peu à peu , el la mémoire lui fit faute. De temps en temps copendaul un (rail spirituel , une lueur d'imagination iraversaioul son cerveau ; c'était l'éclair sillonnant par intervalles une nuit obscure. Comme toutes les personnes âgées, il gardait piincipalcmeiit le souvenir des chosses «!t des lioiiunes qui l'avaient frappé dans sa jeunesse. Ce souvenir èiaii quelquefois si vif, qu'il oubliait loialemenl
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que le leiiips uvaii maiclié. A la suhe d'un voyage en Allemagne, Panseioii éiani allé le voir, il lui demanda de^ nouvelles de la saule de Gluck qui depuis longiemps avait disparu de la leire. Resté fidèle à ses goùls , à ses plaisirs d'autrefois, il se rendait tous les soirs à l'Opéra- Comique, accompagné de sa bonne Catherine , et se pla- çait au bout du balcon, à guuclie des spectateurs. Jamais cette place ne lui fut disputée , et quand , par hazard , un étranger l'avait prise, il suffisait au vieux compositeur de se nommer poui- qu'aussitôt elle lui fut lendue Un jour , on donnait La Fête du Village voisin et le Calife de Rad- gad, de Boieldieu ; au second acte de la première de ces pièces, Gossec s'endormit et ne se réveilla qu'au moment où l'on jouait le Calife: Ah! bon Dieu, s'éciia-t- il 1.... » que font-il donc ? les voilà représentant La Vête du » Village voisin en costumes turcs !. .. •>
Cependant son existence devenait à peu prés végéta- tive Cl il ne la prolongea aussi loin que par les soins attentifs, délicats que lui prodigua Catherine, aujourd'hui ]\|me Anseaume, femme de sens et de cœur, dans laquelle il avait i^lacé toute sa confiance. Elle fut en même temps pour lui une intendante de sa petite fortune , et une fille tendre et dévouée. D'accoid en cela avec ses amis les plus intimes, et en particulier avec Sarrelie,ellc pensa que le séjourde Passy lui serait plus avantageux que celui de la capitale, et c'est là qu'il coula ses dernieis instants dans le calme le plus parfait. Sa santé se soutint jusqu'à la fin ; tous les soirs il disait à sa bonne : <• allons à » rOpf'ra-Comique, » Lorsque le temps ('taii beau , elle lui fesail faiie une assez longue promenaLie, el il se figu- rait avoii' été au ihéâtre ([u'il avait toujours tant aimé. Il s'éteignit à Passy le 9 fi'vrier iSiî!» , à l'âge de '.)(i ans
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Ses amis, ses élèves fuient aussilôl prévenus de la per- le douloureuse qu'ils venaient de faire. Caiherine (M""= Anseaume) pria Panseron de composer un morceau reli- gieux pour les funérailles de son vieux maiire , mais celui-ci , par un senlimenl de modestie qui l'honore, lui répondit que ce soin appartenait à Catel , le plus ancien dissiple de Gossec, Caiel aloi-s était malade: il insista pour que Panseron se mit au travail , et ce dernier im- provisa pour le lendemain un PieJésu à quatre voix, qui fut chanté par lui, Wartel, Canaple et Dérivis le fils. Cette composition est remarquable de noblesse , de sen- timent et d'une grande pureté de facture. Elle obtint beaucoup de succès , et depuis elle a été exécutée aux obsèques d'un grand nombre de musiciens , et entr'autres à celles de Catel, Nourrit, Martin, Plantade, Boieldieu et Bellini.
Je n'ai pas besoin de dire que le Conservatoire, l'Ins- lilul et un giand concours d'artistes et d'hommes de lettres assistèrent à l'enterrement de Gossec. Ses restes furent conduits au cimetière de l'est (le Père-Lachaise). Ils reposent dans un enclos où l'on voit les tombes de Grétry. de Monsigny. de Berton, deMéhul et de beaucoup d'autres compositeurs célèbres.
Je dois maintenant essayer d'apprécier le talent de Gossec , entrer dans quelques détails intimes qui feront mieux connaîiie sa personne, son caractère, et donner le catalogue aussi complet que possible de ses ouvrages.
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VI.
Gossec , on peul le dire avec vérité , à joué de malheur quant aux œuvres qti'il a produites , en ce que telles estimables qu'elles soient, elles ont été surpassées dès leur apparition. Ainsi, il est le créateur de la symphonie en France, et dans l'année même où il consacrait celle innovation progressive , Haydn publiait en Allemagne sa première symphonie. Ses opéras-comiques durent cédei- le pas à l'inimitable Grélry , et Gluck avec son granti génie dramatique et l'énergie de son orchestration , vint condamner à l'oubli les productions que le fils du Hainaui avait fait entendre sur le théâtre de l'Académie royale de musique. Ce qui surtout recommande ce dernier et fait sa gloire auprès des amateurs de l'art, c'est d'avoir régé- néré la musique française , en rompant avec les vieux systèmes , les préjugés, et en la plaçant sur la route qui devait la conduire à l'état de supériorité et d'éclat où elle est arrivée. Celle gloire est d'autant plus grande qu'aux difficultés d'atteindre le but qu'il s'était proposé , se join- gnail la situation obscure el précaire dans laquelle le sort l'avait fait naître. Quel excellent espril, quelle constance, quelle fermeté de volonté ne fallui-il pas à ce jeune villa- geois , gardcur de vaches, sans ressources aucunes , sans maîtres, pour dépouiller le cahos des doctrines surannées, en faire jaillir la lumière , et marcher à force d'études , vers la science , en posant les bases de ces principes purs
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Cl classiques qui ont fiiilde noire école une école modèle! Comme organisateur, comme professeur, il occupe donc le premier rang , el jusque dans 1 âge le plus avancé son amour de l'art lui a fait transmeure à ses élèves les heu- reux fruits de l'instruction profonde qu'il devait aux travaux de toute son existence. Parmi ses œuvres il eu est d'ailleurs qui ne mourront pas, el de ce nombre sont sa belle Messe des morts , le Salutaris liostia qu'il im - provisa à la campagne, el plusieurs de ses chants patrio- tiques , enlr'auires l'hymne à l'Etre suprême C'est bien d'une semlîlable inspiration que l'enthousiaste abbé Arnaud , admirateur passionné de Gluck , aurait pu dire : " Avec une telle musique , on fonderait une religion. » Dans tout cela il y a du chant noble, expressif, et de celte flamme prouvant que Gossec avall dans l'àme ce feu sa- cré qui, selon les Grecs, annonçait que le dieu éiait en lui! Au talent musical il -«nissait, ce qui se rencontre rarement, de la littérature. Ses rapports à l'instilui, le texte des méthodes à la rédaction desquelles il a pris part , sont écrit avec élégance , avec clarié et pureté. J<« citerai ici, comme échantillon de son style , une lellre peu connue adressée par lui en 1810 aux propriétaires du journal musical ayant pour tiire Les Tablettes de Polym- nie. Ce journal avait été fondé par M. Garaudé , fort hon- nête homme sans nul doute, mais dont les idées en musi- que n'ont pas toujours été dirigées par le goût le plus pur. M. Garaudé était alors tout italien; il faisait une guerre acharnée au Conservatoire de Paris , et dans un article aussi injuste que maladroit , il s'élail avisé de prétendre que le magnifique opéra de Joseph par Méhul , était une des plus faibles productions de ce maître, en accompa- gnant cet arrêt d'une analyse critique pleine de déraison.
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Voici ce que C.ossec lui répoiidil : « Depuis le <î m;ii » dei-nier, époque de mon abomienieui à vos Tablelles » de Polymnie , j'ai reçu trois mmiéros de celle feuille » (mai , juin et juillet). Je vous renvoie ceux de mai » et juin, et je garde celui de juillet comme un monument >' curieux d'injustice , ou d'impériiie ou de délire. Je » m'étais inscrit avec plaisir sur la liste de vos abonnés , » dans l'espoir de ne trouver dans votre journal que des » choses instructives, dictées par l'impartialité. Aujour- » d'hui j'y rencontre des articles diffamatoires, dirigés » contre des ouvrages admirés de toute l'Europe, et dé- » prisés ici par quelques misérables pjgmées en fait de •• musique; des articles dis- je, enfantés sans doute par » l'ignorance ou par un esprit de parti , et peut-être par » un motif plus puissant que je n'ose interpréter. Je vous » priç de faire disparaître mon nom de celui de vos » abonnés , et de vous dispenser de m'envoyer vos Ta- » blettes t que je ne veux, plus recevoir. Disposez en » faveur de quelque malheureux , ou comme il vous » plaira du reste de l'argent de mon abonnement ; j'en » fais absolument l'abandon. Je suis votre serviteur, » Gossec, un des inspecteurs du Conservatoire. — Paris, » aoiât 1810. »
Ou aime à voir le vénérable professeur défendre ainsi des hommes d'un talent universellement reconnu des [)iqùres d'un Aristarque dont le seul litre à la renommée; en qualité de compositeur, est d'a\oir fait l'air trivial, tant répété à une certaine époque par les orgues de Barbarie, sur la chanson du Ménage de Garçon (1).
(1; Ce même M.Garaudé, tout enthousiaste qu'il était alors de la
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Je cilorai encore, dnns un genre différent une lellre ailressée le 14 septembre !808, à M"''" Laure Créiu, dont le nom a brillé pendant plusieurs années parmi ceux des actiices faisant partie de rOpéra-Comique :
» Mademoiselle, ayant appris par M™^ Moreau que vous " vouliez bien me permettre de vous faire hommage de » deux scènes de mon opéra de Thésée, je m'empresse de » vous en faire parvenirune copie. Combien je serais glo- » rifiux, mademoiselle, d'avoir produit ces deux morceaux » de musique, si vous les jugiez dignes de faire partie
mu.-îiqiic ullramonlaine, avait copetidanl déjà fort mallraité la Vestale de^ponlini, que, dans sa phiaséologi-i . il Irouvail en ^fénera/ impti- rement écrite elTemp\ie ùe barbarismes.. Hélas! je n'ai point oublié les misérables intrigues et les pamphlets de toute couleur qui se ruè- rent sur les ouvrages de Sponlini, lorsqu'ils parurent sur notre pre- mière scène lyrique. Il n'y avait pas en ce moment de croque note qui se constituant savant en us , ne lançât sa critique nauséabonde sur ce maître, et ne lui donnât le coup de pied de l'âne. Unpublic idolâtre, applaudissant chaque soir la Vestale ou Fernand Ct.rtès , répondait triomphalement aux attaques impuissantes des mirmidons contre nn homme d'un talent colossal. Sans doute il eut été à désirer que Spontini ne fit pas, dans l'harmonie de ses partitions, certaines fautes qu'un simple et vulgaire grammairien en musique eut évitées : mais ces fautes appréciables seulement par les peseurs d'accords , les cal- culateurs de septième diminuées et de modulations plus ou moins bien préparées, que sont-elles en présence de tant de vérité, d'effet tragique et de génie?.. . ce que sont de légères taches dans des dia- mants et des perles. J'ai connu daus le monde des gens s'amusanl à rechercher froidement les solécismes pouvant se trouver dans Corneille, dans Racine, et je les ai toujours grandement pris en pitié. Avec un peu de travail la science s'acquiert ; mais ce qui ne s'ac- quiert pas, c'est l'inspiration, ce présent céleste qu'on reçoit en naissant! C'est l'invenliui» poétique et dramatique, qui seule donne la vie et l'immortalité aux œuvre? de l'art ! —
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• de voire collection ! Rajeunis, embellis par les accents » enchanteurs de votre voix et par cet uri du chant que " vous possédez si éminemment , ces morceaux acquer- •• raient sans doute une fiaîcheur, un lustre que n'a pu leur ' donner ma muse, qui déjà louchait à son déclin quand » elle les créa. Enfin, si ces deux faibles productions » oblenaieni votre suffrage el mérilaienl d'occuper par- » lois un moment vos loisirs , elles seraient du plus » grand prix à mes yeux et deviendraient pour niui un » juste sujet de fierté. — Je suis , avec un profond res- « pect, Madenioiselle, votre très humble et obéissant » serviteur, Gossec. •
Celte charmante lettre n'exhale-l-elle pas ce parfum de galanterie respecincuse , de grâce che\aleresqne que le compositeur avaii respiré, aux plus belles années de sa vie, dans les salons de M. do la Popelinière el de Monseisrneur le Prince de Conti ?..
vir.
Gossec était de petite taille , gras , d'apparence un peu lourde, et toute sa peisonne offrait le spécimen de cer- tains personnages flamands des tableaux de Meizu et d'Oslade Sa figure régulière , blanche et rosée respirait la bonté. Dans son œil d'un bleu gris . il y avait de l'aui-' mation quand il parlait de son an , et de la finesse lors- qu'il appréciait les artistes ses contemporains» Il portail \.\ lète un peu penchée vers le côté gauche , cl était resté
il
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fiJele au cobliune el aux liabiliidcs il'auîrofuis. Je If vois encore en ISOS, lors de n)oii premier voyage à Paris, avec mon peie, son cumpairioie el son ami, s'acheminer, en dounanl le bras a ce dernier, vers l'esianiinel hollan- dais existant a celle époque près du perron du Palais Royal (i). Il portail la poudre el la queue, un pelil chapeau a iiois cornes couvrait sa tète , el il élait vêtu d'un large habit gris, d'an gilel de piqué blanc, d'une culotte et de bas de soie noire. De grandes boucles d'argent attachaient ses souliers , et il tenait a la main un gros jonc à pomme d'ivoire. Arrivés a l'estaminet , les deux amis, en fidèles enfants du Kainaut , se mirent à fumer leur' pipe el à boii e de la bière , s'entr eteiianl des campagnes de leur- pays , des courses en patins sur la Sanibi'e et des belles chanoinesses du cha()îti'e de ilau- beiige. Puis nous iioijs rendîaies au ihéàtreFeydeau , ou l'on donnait ce soir-la la Fau,->se Magie et Richard Cœur- dc-Lion , ce chei'-d'œuvie de naturel el de grâce dans lequel Ellevioi! enchantait toute la capitale. C'est lors
(1) Mon père, 1%'icolas-Joseph Hédouiii , étûil né à Xlaubeuge le •28 janvier l"6o, et avait élait baptisé à la paroisse de Sainl-Pierre. ,1 ai sous les yeux l'extrait de son acte de baplénie . légalisé en nSS, par M. Auguslin-Pompée Henuet , conseiller du Roi , prévôt, juge royal , civil et criminel des ville el prévôté de Maubeuge. Mon père a successivement occupé les places de contrôleur, directeur, (ïontrôiuur - général el directeur- général des postes el relais de France. En 1795. lors du procès de Louis XVI, il donna sa démission (le dirocieiir-général des postes de.-» armées de la Re|)ublique , el fut obligé de fuir pour ne pas élre guillotiné. Il reprit du service après 1 1 Terri'ur e. nmurul inspecteur-général, (Uuis une de ses tournées, ;i Poiizaiigps , dé|)arlement de la Vendée, le 2 octobre 1808. fi l'âge de 45 ans. Il avait fait la connaissance de Gossec ctiez M. Rigolel de Javigriy, in;endanl gi'iiéral des po>tes.
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d'iin autre de ces séjours à Piiris que je fis avec mon père ijii diuer chez Gosseo , place des Italiens , dîner qui a laissé dans ma mémoire des traces ineffaçables ! En sor- taiii de table , on passa au salon , et MehuI , l'un des c;.nvives , m'accompagna au piano l'air du médecin de son opéia d'Euphrosine et Coradin, et les trois premières strophes de VHymne à l'Etre Suprême. J'avais alors ime bi lie voix de baryton, et je sentais vivemenl la musique, pour moi le plus impressif et le plus cher de tous les arts! Gossec parut fort content , pressa mon pèi'e de me confier à ses soins, el de me laisser entrer au Conservatoire : m,:is celui-ci répondit qu'il m'avail destiné au barreau, et <i;îe rien ne pouvait changer celle détermination prise en famille Gossec alla chercher quatre pailitions provenant du dépôt des fêles nationales, Ylphigéme en Aulide da Gluck, les Dana'ides de Saliéri, VOEdipe et laCliimène, de Sacchini, doul il ma fit cadeau. La dernière de ces œuvres est encore en ma possession , el porte, sur sa couverture , ce titre en lettres d'or • Directoire. On me pardonnera , je l'espère , ces fails un peu personnels, parce qu'ils aidenl à peindre Gossec dans son intérieur, et sont une pieuve de sa bienveillance envers la jeunesse Cette bienveillance était extrême 1 Ses nombreux élèves l'onl surtout ressentie ; chaque jour il leur en donnait de nouveaux témoignages. Biendifféieni, sous ce rapport, du grand maître Chérubini , si sévère , et l'on pourrait même dire (pielquefois si bourru dans son enseignement, Gi>ssec craignait toujours de blesser, de décourager les jeunes gens suivant sa classe. Ainsi , quand on lui pré- sentait un travail ne le saiislaisani pas eutièremeul , il avait poui' habitude conslanie d'employer cotte locution oiiginale; •< Mon ami , c'cii bien cela ; mas cependant » ce n'ebt pas ça. -
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Dans le monde, il éiaii aimable, spirituel ei conteur fort amusant. Tous les événements de la vie, tels pénibles qu'ils fussent, étaient acceptés par lui a\ ec une philosophie pratique qu'il devait , sans doute , non-seulement à son caractère , mais encoie aux rudes épreuves de ses pre- mières années. J'en citerai un exemple. Le jour de l'en- terrement de Grétry, en septembre 1813, il était dans la première voilure du convoi , défilant sur le boulevard Poissonnièie. On fit arrêter, afin qu'il rentrât chez lui, aux Menus Plaisirs; mais personne n'eût la pensée de lui offrir la main pour descendre. Le pauvre vieillard tomba, la tèie sous les roues de la voiture , et fut recueilli dans un magasin, à deux pas de l'endroit de sa chute. Heureu- sement il ne fut point blessé. Il racontait en riant et d'une façon toul-à-fait drôle sa mésaventure : « Les basques » de mon habit , la queue de ma perruque, disait-il , ont - fait tampons, et m'ont préservé de tout mal Ne dois-je ■ pas, d'ailleurs, èiie charmé de cet accident, puisqu'il
• m'a valu les secours et les soins de dames aussi belles
• que bonnes?... »
Quelques personnes pourront trouver frivoles les détails dans lesquels je vien.s d'entrer, mais ces détails m'ont pai'u ne pas manquer d'iniérè!, parce qu'ils concer- nent un homme célèbre. Pourquoi n'aimerail-on point à savoir ce que cet homme était dans l'intimité ? Comme je l'di dit à l'occasion de Tabua , dans un écrit qui n'a été connu que de quelques amis : <■ J'ai toujours aime à voir » de près les hommes distingués , à les surprendre, pour ■> ainsi dire , hois du rôle que par état ils sont appelés à *• jouer sur la scène du monde. Aussi avouerai-je que c'est •■ avec un vif sentiment de plaisir que j'ai lu tout ce que «. Bernai din de Sainl-Pierie a écrit sur la vie intérieure
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• de J. J Rousseau. Il raeonle des parlicularités bien
• plus puériles que celles leiracées dans celle biographie: » mais il est vrai d'ajouter qu'il les a revêtues du coloris
• de son style admirable , et que malheureusement pour » moi et pour mes lecteurs, je suis loin de pouvoir pré-
• senler la même excuse. »
Je finis en adressant mes remerciements aux amis des arts qui m'ont aidé à accomplir ce travail , en me fournissant des renseignements en grande partie inédits. Parmi eux je nommerai principalement MM. Panseron, Dinaux , Michaux aîné d'Avesnes, el Eslienne de Mau- beuge. Je ne dois pas non plus laisser ignorer que j'ai largement puisé dans rcxcellente Biographiedes Musiciens du savant M. Fétis, pour établir le catalogue, aussi coin plel que possible, des ouvrages de Gossec.
catalocuf: des ouvra(,es de gossec.
HUSIQI'E D EGLISE.
i. — Plusieurs messep, avec oschestre.
2. — Un assez grand nombiede molel s composés pour l'église el le conceri spirituel , parmi lesquels se trouve un Exaudiat redemandé plusieurs fois.
3. — La Messe des Woris, gi'uvée en ITfiO. — Les planches de celle messe n'existent plus.
4. — Un Te Dcum très goùié.
5. — 0 Siduiaris Hostia I à 3 voix, sans accompagne ment, improvisé chez M. de La Salle.
J'ai laconié les circonstances dans lesquelles ce morce;in fut composé.
fi. — Plusieurs oratorios, entre autres celui de la Nnticité. — M. Fétis rappelle qu'il y avait dans cet ouvrage un chœui d'anges très remarquable, ijui se chau- lait au-dessus de la voûte de la salle du concert spirituel.
— 3î7 — MISIQLK DE THF.ATIiE. Au Graul OpS'fl .
7 — Eii 1773, Sabinus, eu 3 actcï.
8. — 1775 Alexis el Dapliiiée, [ i\c[e.
9. — Même aiuioe, PliUemon et liauciy, I acte. ](). — 1776. Hijla.'iel Sy de, I acie.
il. — 1778, L(i rêleJn village, { aclc.
\-2 — \~i>-2. Théiiée, paioies de Quinaiili, 3 acies.
13 — [~9'^. Ld iTjjrue de Tuulon.
14. — M. Le camp de G ranci j ré.
A LA COMÉDIE nALiE.N>E f Opéra-Comiquc J .
15 — 1764. Le faux Lord, 1 acle.
16. — 1766 Les Pêcheurs, 1 acle. — C'e^l l'opt'ra l'e Gossec qui a suivéeu le plus longtemps. On le dumiail encore en province il y a 30 ans-.
17. — 1767. Toinon et Toinette, 1 acle.
48. — Même iiiméc , \e Double Déguisement , 1 acle, n'ayant eu qu'une seule repiéseniaiion.
19. — Le^ Chœurs dWthalie, pour la Cuniédie-Fran- çaise. — CcscIkimus fureiil repris pour une représenlalion a bi'néfice donnée a rOp(''ra, el conduilspai' l*ersuis. .\u dernier, on avaii subslilué le grand chœur fugué en ut , de la cr('alion d'IIayd . Gussec n'avait pas éU' prc'vemi
— 31 8 —
de celle subtiuulou , et dii en ce momeul à Persuis : •- Mon ami, les chœuis d'Alhalie sonl bien de moi, n'est " ce pas? Eh bien 1 <;n voilà un fort beau, mais que je ne • reconnais nuUemeni 1 » Il avait alors 90 ans.
il a laissé en portefeuille quelques opéras inachevés, entre aultes une Nilocris à laquelle, suivant M. Fétis, il travaillé encore à l'âge de 79 ans.
MUSIQLE POUR LES FÊTES N.'kTIOKALEï
20. — Chant du U juillet (J)ieii du peuple et des rois\
21. — Hymne pour la fête funèbre eu l'honneur de Marat et Lep(,'lletier, (S'i7 est mai que de iious quelque chose survive), paioles de Mei'cier de Compiogne.
22. — Chant martial (Si vous voulez trouver la gloire^.
23. — Ode sur l'enfance {Age de l'aimable innocence), paroles de Paulin Crassous.
24. — Chant patriotique pour l'inauguration des bustes de Marat et Lcpellctier {Ciloijens dont Rome antique), paroles de Coupiguy.
25. — Chant patriotique sur le succès de nos armes {Triomphe, éternelle gloire), paroles du même.
26. — Tiio pour la fêle de l'hymen {Fuyez d'ici, chœurs insensibles), paroles de Lebrun.
— 319 —
27. — Chœur pour lu fêle de l'Elre-Supréme {Peu} !e> éveille-toi, romps tes fers).
t>H. — Hymne à VEhe-^upvème (Père de l'univers), pai'oles de Tlidodore Desorgues.
29. — Hymne à la libené ÇVive d jamais la liberté).
30. — Aulre {Auguste et constante image).
31. — Hymne à riuinianiic (0 mère f/es yer/w.s .^
32. — Uynmc à VE§:ûi[t' {Divinité tutélaire^.
33. — Hymne lunèbre au màues des dépulcb de la Gironde.
34. — Hymne patriotique (PeM/)/e, réveille toi!)
35. — Hymne à 3 voix, pour la fêle de la Réunion.
36. — Clianl funèbre pour la mort du repiésenianl Féraud.
37. — Serment républicain {Dieu puissant.')
38. — Chœurs et chants pour l'apothéose de Voltaire, paroles de Chénier.
3D — Idem pour l'apothéose de Rousseau.
iO. — Musique pour l'enterrement de Mirabeau.
41. — Diverses marches.
4,2. — Orchestration de l'hymne des Marseillais.
Tous ces morceaux étaient gia\ es en petites feuilles, avec la basse et en paitiiion. Hs se vendaient au 77Jag'(ism
— 320
de tn nsique à l'usage dea fêlet) nationales, rue Jose/jh , n" 1 6. J'en ai réuîii im ceriain noiubie iroiivés sur les quais de Paris, sons l'Einpiro.
MUSIQUIÎ INSTRUMKMALK.
43. — 29 symphonies à grand oichesire, dont 3 pour inslrumenis à venl.
4i. — 3 œuvres de 6 quatuors pour 2 violons, alto et basse.
45. — - œuvres de (rios pour 2 violons et basse.
46. - 2 œuvres de duos pour 2 violons.
47. — Six sérénades pour violon , flùie, cor, basson alto et basse.
48. — Une harmonie coucerlante pour onze inslru- menis obligés.
49. — Plusieurs ouvertures détachées dont une de chasse , qui eût un grand succès, et donna sans doute à Méhul ridée de sa Chasse du jeune Henri
Toutes ces pièces furent gravées à Paris , et publiées chez Vernier, Bailleux, Siéber. Lachevardièie et Leduc.
— 321 —
LITTERATURE MUSICALE.
t>0. — Kxposilion des principes de la musique , sci- vaul d'introduclion aux solfèges du Conseivaioire.
51 — Rapporis à l'Inslilul suiles progrès des études musicales , el sur les (ravaux des élevés de l'école de Rome.
55. — Rapporis divers sur des iiislrumeuls ou des mélliodes soumis à l'examen de l'Inslilul ou du Conser-
vaîoii'c.
MUSIQUE ELEMENTAIRE.
53. — \jn grand nombre de morceaux à deux, irois ou quatre parties, dans les solfège du Conservatoire.
'"<> h'psî pMs sans raison que M Féiis a fait les observa- tions suivantes : « Une récapitulation si considérable,
• bien qu'abr('>gée , doit frapper délonnement , si l'on
• fixe son aiieniion sur les nombreuses occupations qui » oui lenqtli la vie de Gossec , soit comme professeur,
• soit comme Jirecieurde divers élablissemenis de mu- » siquc , soit enfin comme inspecteur du Conseï va- » loiie "
MA PREMIÈRE VISITE
GKETRY,
« Si co n'esi pas là du génie B inconnu à notre siècle, qu'est-ce » donc que celle faLulle >i pré- t) rieuse et si riire , d ntlendrir les 1) Aines les pins froides ?. . . » Diderot.
MA PREMIÈUK VISITK A r.HÉTRY.
C'était en 1811, et je comiuençais mon droit à Paiis . une mélancolie profonde, causée parla mort de mon père et par un de ces chagrins qui s'atiachenî a la jounesse, et qui ne veulent pas de contideiis, me rendait insensible à tous les plaisirs. La musique S'ule avait le pouvoir de me distraire et de faire couler de mes yeux ces larmes qui, comme une douce rosée, rafraîchissent I ame. La musi- que... ah I je l'aimais dès mon berceau ; elle fut la conso- latrice de bien des chagrins, et je sens encore que dans l'infortune elle me sera toujouis fidèle. — Les opéras de Gréiry, ses airs pleins de mcHodie, de fraîcheur et d'ex- pression^ que ma mère me chantait encore enfant , en me balançant sui- ses genoux, avaient excité mon admiration ! Ce sentiment s'était accru pai' la lecture des mémoiies de ce chanlre ch ia nature et des passions : j'aime mieux lui donner ce litre (pie cehîi dii compositeur que l^ Journal des Débats même lui refuse maiiiienant. Personne plus que moi ne sait que fauteur de Richard ne fui jamais un
* Cet ariicle a olô ocril i-i» 18-29.
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suvanl calculateur de notes . et , cA'sl à mes yeux , le plus bel éloge qu'on puisse faire de son lalenl. J'avais écrit à Grélry, six mois avanl de quitter la pi'ovince ; je lui par- lais avec enthousiasme de ses ouvrages, de Téiat de souf- france, de langueur dans lequt l me jetait une maladie nerveuse qui durait depuis deux ans ; la réponse qu'il me fit, et que je conserverai toujours, était adorable de grâce et de bonté. « Ce que vous me dites de votre âge et devotre » santé, m'écrivait ce grand artiste, m'afflige d'autant « plus , que je perdrais en vous un ami de mes faibles •■ productions, et, ce qui vaut mieux , une âme sensible ■• dont la nature est avare. Mais à votre âge il y a beau - •' coup de ressources pour prolonger une vie qui commen- ■> ce.. .. » Il finissait par me témoigner le désir de me connaître et de me recevoir chez lui , lorsque j'ira's à Paris. On pense bien qu'à mon arrivée dans la capitale je n'oubliai pas une invitation qui comblait mes vœux. Pendant deux mois l'idée de visiter Grétry me troubla. Je ne crains pas de l'avouer, la vue d'un homme célèbre m'a toujours causé de l'émotion , et cette émotion a été très- vive, surtout aux jours de ma jeunesse. Par une belle matinée d'octobre je quittai le faubourg St. Jacques , et m acheminai vers le boulevard des Italien'*. Me voilà près de la porte du n° 7; je franchis le seuil, et le cœur palpi- tant, la vue troublée, je monte l'escalier qui doit me con- duire aux appartements d'un second étage. Pour l'être sensible et appréciateur du génie, la demeure d'un grand homme ressemble au temple dont un vrai dévot n'approche q l'en tremblant : le Dieu n'est-il pas là , et n'est-on pas sous le charme de son influence?... Me voilà dans la chambre de Grétry, et je n'en épargnerai pas la descrip- tion à mes lecteurs. Rien n'était plus simple que l'ameu-
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blemem de celle pièce. Un grand lit en moire de laine ronge, une épinellc, qui depuis a appartenu à Nico!o, un secrétaire antique, une table, quelques chaises et un grand fauteuil formaient tout son mobilier. Je n'oublierai point un beau portrait de l'auteur de Sylvain, peint par M""' Le- brun en 1785, dont il m'adonne la gravure, et un joli dessin d'Isabey. Il y avait dans celle niodesle retraite un air de paix, de simplicité qui allait au cœur. Gréiry se leva de sou fauteuil , placé au coin de la cheminée ^ pout' venir au devaill de moi. Il élail assez grand , maigre, un peu voûté , et d'ailleurs d'un abord noble , gracieux et plein d'aisance. Son front était large et sillonné , comme (*elui de Gluck, par de légères rides indicatrices de l'acti- vité de la pensée. La flamme de Tinspiraiiou respirait dans ses yeux un peu voilés , ce qui leur donnait une expression de mélancolie charmante. Il avait le nez bien fait, la bouche un peu enlr'ouvcrle dans le repos, et de petits plis au coin de la lèvre supérieure qui , lorsque la conversation ne lui plaisait pas, auraient eu quelque chose de la malice rabelaisienne , si tout l'ensemble de sa physionomie n'avait pas été empreinte du caractère de la bonté et de l'habitude de la souffrance; Ses cheveux longs tombaient en boucles, blanches comme la neige , sur une redingote noire à laquelle était attaché le luban de la Légion-d'PIonneur : tout son aspect offrait à-la-fois je ne sais quoi de touchant et de vénérable. Il remarqua mon trouble et ne tarda pas à me lassurer. « J'aime les •> jeunes gens, me dit-il , et je les aime surtout quand ils •' cultivent les arts : pourquoi ne seriez-vous pas à votre 1) aise avec moi ? Je n'ai i ien qui doive vous imposer, el " tout mou mérite c'est d'avoir pris pour guides la nature e et la vérité — Ah ! lui l'époudis-je , ces guides là ont
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» VU que vous les suiviez avec ardeur, car ils ne vous oiH >i jamais abandonné ! »
Nous parlâmes longuement de ses ouvrages , et il me raconta une foule d'anecdotes qui s'y rattachaient et qui se liaient à tous les personnages célèbres de son temps. Diderot, d'Alembert, le comte de Creuiz, Vernet, Greuze, avaient été ses amis , et il me les dépeignait avec tant d'esprit , avec une vérité de couleur si piquante , que je croyais les voir et les entendre. — L'humeur ombrageuse (le Rousseau avait empêché qu'ils se liass-ent intimement. M ne l'accusait point, il le plaignait, en l'admirant. « Les •> âmes froides , s'écria-t-il tout-à-coup, et qui vont por- " tant le compas de la raison sur les écarts de la sensibi- » lité, ont beau dire : celui qui fil Emile et le Devin du » mllùge ne fut jamais un méchant homme !» — Ce n'est " pas sans motifs , ajouia-t-il quelques instanis après, •' qu'on prétend que je ne suis pas savant ; je n'ai jamais » cherché à le devenir, car la science étouffe le nalureL » De mon temps d'ailleurs (et ici sa lèvre prit cette •> expression malicieuse que j'ai déjà signalée) le conser- » vatoire n'exisuilpas, et nous tenions à chanter et à être » chantés. » — Mon instrumentation est faible, j'en con- « viens : mais en revanche celle d'aujourd'hui est trop » forte. Depuis la prise de la Bastille, il faut, à nos oreilles » blasées, de la musique à coups de canon ; on commence » par la mousqueterie, soyez bien sûr qu'on ne s'arrêtera - pas en si beau chemin. » -• Ceci n'at-t-il pas l'air d'une prédiction , quand ou songe au fracas que Rossini et ses imitateurs ont introduit dans l'orchestre? — « Vous avez >■ composé des romances , me dit Gréiry ; il en est une f que mon neveu m'a fait entendre, et qui m'a fait plaisir:
= 3^23 —
t» c'est la Nouvelle Nina. » — Alors je soi lis de ma poche une dizaine de morceaux qui n'avalent pas encore été publiés, et, en balbuiiani : • Je serais trop heureux si^ » parmi ces essais, il s'en trouvait un qui vous parût digne » de vous être offert. » — Il examina mes manuscrits avec une inieniion pleine de bienveillance, solfiant à demi- voix, et battant la mesure avec l'index sur le bras de son lauleuil. De temps en temps il s'écriait : <■ Cela est bien^ " cela est mail... » Les conseils qu'il me donnait alors sur la prosodie et sur l'expression étaient remarquables de justesse, et fixaient toute mon ailenlion. « Ah! voilà »> le sujet de Velléda , me dit-il : vos vers sont moins )' poétiques que la prose de Chateaubriand ; mais votre » musique est bien, elle a du site, la phrase :
I Je descends dans la tombe où dorment mes aïeux
• Me fait songer aux catacombes de Rome. J'accepte la » dédicace de ce c/tani gfaZ/«^ue. » Ce morceau fut gravé quelques jours après et dut, sans doute, une partie de son succès au grand nom de Grétry.
Parmi les compositeurs anciens , il distinguait surtout Monsigny qu'il appelait le Racine de la musique. « Je » donnerais, me dit-il , un opéra tout entier, pour les
• quatre notes placées sous ces paroles du duo de Félix : '- N'y pensons pliis\... » — Dans l'école moderne, il citait avec un sentiment de prédilection Méliul et Boyeldieu. (>e dernier venait de publier Jean de Paris. « Connaissez-^ 0 vous, me dit Grétry, un air plus vrai , mieux déclamé ') (pie celui du page, dans cet opéra?... — Vous oubliez, )> lui répnndis-je , le duo des deux vieillards dans la i: Fausse Magie. •> — L'heure s'avançait , et j'allais le
— 330 —
qiiiUer, lorsque je vis entrer une jeune personne dont la figure naïve, spiiiluelle et pleine de sensibililé me frappa. Son leini un peu basané, la finesse de ses irails, sa pelile laille ei les éelairs qui s'échappaieni de ses yeux noiis, me la firent prendre pour une créole ou une Portugaise. C'était AP*^ Marceline Desbordes qui depuis , et sous le nom de Valmore , a publié des élégies et des romances délicieuses. Elle avait débuté à Feydeau dans le rôle d'Elisca ; Grélry l'appelait sa fille , et son âme brûlante, ses talents la rendaient digne de ce litre. Après quelques instants de conversation , je soi lis enfin , l'imagination remplie de ce que je venais de voir, d'entendre, et me promettant de nouveaux [)laisirs , en me rendant à une invitation à dîner que m'avait faite Grétiy pour le mercredi suivant. Caillot , l'ancien acteur de la comédie italienne, devait faire partie des convives, et j'étais curieux de con- naître celui qui créa avec tant de succès les rôles de Sylvain , du père de Lucile , et qui avait laissé au théâtre et dans le monde la réputation d'un grand artiste et d'un homme de bien — C'est sur les notes jetées sur le papier, en sortant de cette première visite , que j'ai rédigé cet article. Il aura peut-être quelque prix, pour les admira- teurs d'un homme dont le génie, en dépit de la mode, ne saurait être oublié !
RICHARD C0EUR-DE-L10.\
DR
GRÉTRY.
DÉTAILS HISTORIQUES ET ANECDOTIQUES SUR CET OUVRAGE.
« La sensibilité est l'âme du chant, t' et pour peu que l'on ail de goût, " on la piéférera toujours à la plus !• savante exécution , puisque cclie- » ci ne flatte que l'oreille. « NisoN DE i,'Ekclo.-.
A MADEMOISELLE ADELINE CHARPENTIER,
DONT LE BEAU TALENT SUR LE PL\NO, INTEBPBÈTE AVEC AUTANT d'eXPUE-SIOiN Ql'E LE STYLE LES OEUVRES DE GRETBY.
P. H.
RICHARD COEIR-DE'LIOX,
Il est une vériiô que malheureusemenl on est forcé d'admeilre el de répéier : « c'est qu'en général les œuvres
- d'art sont mal compiises el mal appréciées en France. "
— Il nous faut du nouveau, loujouis du nouveau, n'en fùt-il plus au monde. — Lorsque quelques années ont passé sur les productions d'un homme de génie, l'oubli pèse sur elles de tout son poids , et si l'on vient à en parler, c'est avec l'accent de l'indifférence ou du dédain. Toute- fois, il est nécessaire de faire observer que plusieurs des doc'curs condamnant au néant les chefs-d'œuvre de nos grands maîtres, ne les connaissent pas, ou ne les ont point étudiés. — • C'est de la vieille musique, disent-ils; cela >' est rococo, détestable , et n'est plus à la hauteur des • progrès du siècle 1... ■' — Grands mots vides de sens, en vertu desquels ces aristarques imberbes, contempteurs de Gluck etdeGrétry, admirent comme musique progres- sive tant de composilions vraiment pitoyables dont les
— X\6 —
ailleurs, que je ne veux pas nommer, usenl el blasciil nos oreilles, en faisant un lapage irifernal , ainsi que cer- tains Anglais usenl et blasenl leur estomac, en le remplis- sant de poivre de Cayenne !
J'ai publie , il y a dix-huit ans , dans le Monde drama- tique, journal d'art, alors fort répandu à Paris, une série d'articles sur l'abandon des anciens compositeurs. — Ces articles furent assez heureux poui- obtenir l'assentiment de l'illustre Meycrbeer, de Sponiini et de plusieurs ama- teurs distingués. — Ils contenaient l'histoire de notre musique dramatique, depuis la prétendue révolution faite par Rossini, talent admirable, sublime, qui n'a fait parfois beaucoup de bruit dans l'orchestre que parce que le siècle voulait de la musique à coups de canon.— Je vengeais les anciens , à partir de Gluck surtout , de leur exil de la scène, et je disais que le jour n'était pas loin peut-être, où on les rappelerait , et où leurs ouvrages seraient de nouveau justement applaudis. — Je ne m'étais pas trompé, car ce jour ne tarda point à arriver. — Grétry, Monsigny, d'Alayrae, Chérubini, Boieldieu, furent tour à tour nom- més sur les affiches de l'Opéra-Comique. Gluck fut chanté dans les concerts, dans les salons fashionables, à la cour, comme à la ville ; el si l'Académie royale et maintenant impériale de musique ne remit pas au théâtre, Orphée, Armide , les deux Iphigénie , c'est que, grâce à l'intelli- gence de son administration , elle n'a pas eu , surtout en femmes, trois sujets ayant le talent et les tiaditions indis- pensables pour interpréter ces grandes compositions. Au demeurant qu'on n'aille pas croire que j'attribue au bon goût des soit disant diletianii lianrais les hommages qu'ils ont paru rendre momentanémenl a des hommes de génie, dont la veille ils foulaient aux pieds le laurier cependant
— 3.37 —
toujours vert : non , et mille fois non 1 ! I Je les cumuiis assez pour affirmer que ce lelour apparent vers le beau n'est qu'une affaire de mode ei d'ongoueuicnl , — ils se pâment encore aujourdliui lorsqu'ils entendent chanter une fièvre brûlante , comme ils se pâmaient naguère en entendant ces pâles et triviales romances, ces cavatines à coups de gosier, à gammes chromatiques montantes et descendantes, qui ne sont réellement que des gargarismes et des smor fies.— Pour ces gens-là, l'expression, la puieté, le sentiment profond, la simplicité seront toujours lettres mortes. — Enfin il ne comprendront j'amais cette maxime si vraie de l'un de nos poètes :
a Eu fait de chant , ah ! rien n'est plus facile , » Que la difficulté ! <>
Parmi les ouvrages remis à la scène , il faut placer en première ligne le Hichard Cœur de-Lion deGréiry : — pour moi c'est le chef-d'œuvre d'un composiieur qui n'a fait en général que des chefs-d'œuvre. — Peut-être les abonnés du Ménestrel liront-ils avec quelque intérêt ce qui se rattache historiquement, anecdoliquement el artis- tiquement à l'opéra de Richard ; — on aime de nos jours à connaître les détails intimes concernant un homme ou une production célèbres.
Depuis longtemps Grétry désirait mettre en musique un poème sérieux de Sedaine. — Il nous a dit lui-même, plusieuis fois, que cet auteur lui semblait l'homme par- excellence, soit pour l'invention des caractères, soit pour le mérite si rare d'amener les situations de manière à produire des effets neufs , et cependant toujours dans la nature. — Kn 1773, Sedaine lui a\ai{ conÇié \c Magnifique; mais dans cet opéra il n'y avait qu'une scène reniai quable
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colle delà lose. — Lié avec Moiis'gny, d'afîeclion, d'inlé- rèlset de reconnaissance, Sedaine avait remis à ce com- posiieur le manuscrit de Richard. Monsigny, quel que (ïil encore son talent , commençait à se fatiguer. — Son bel opéra de Félix venait d elre critiqué de la manière la plus acerbe et la plus ridicule par M. le baron de Grimm, véritable grimaud en musique ; son àme était blessée, abattue; il craignit de compromettre le succès du drame de son ami , et surtout de ne point faire assez bien la fameuse romance du second acte. . . Ce sentiment de mo- destie, de défiance de la part du chantre du Dései'teur, n'esl-il pas aussi remarquable que digne d'éloges?... Ne peut- il pas servir d'exemple et de leçon à certains jeunes calculateurs de notes qui, de nos jours, ne doutent de rien, el lèvent les épaules de pitié quand on leur parle de nos vieux el illustres maîtres !... Ce qu'il y eut de plus déli- cat encore dans la conduite de Monsigny, c'esi que lui- même demanda à Sedaine de confier le poème de Richard a Grétry, alors son rival, dans une lettre ayant fait partie de ma collection d'autographes el que je me plais à citer :
" Saint-Cloud , ce 2 octobre. — Voilà mon ami , votre - manuscrit de Richard Cœur-de-Lion. Ne douiez pas •' que Grétry fasse la musique de celte pièce... à l'égard ^ de votre premier refus , il aurait lori de se fâcher de la » préférence que vous m'aviez accordée ; si elle ne m'é- '» tailpas due pour le talent, je la méritais à un autre -• litre... dans ce moment ce n'esl pas à mon refus que ■ vous la lui offrez ; c'est au contraire moi-même qui » vous dis : je ne puis faire votre pièce, prenez Grclry. « Bonjour, mon ami, etc..
Grétry, mù par lo double motif do soutenir sa répuia-
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lion el de répondre à la confiance de Monsigny, commença donc à écrire la musiqne de Richard. - Elle fut achevée dans les dermiers mois de Tannée 1785, el la premieie représenlaiion de ce bel ouvrage eul lieu sur le ihéàlre de rOpéi-a-Comique, dit alors dos Italiens , le 25 oclobrc. On se ferail difficilement une idée de l'enthousiasme qu'il excita !... je parle surtout de la musique, car le troisième acte du poème subit plusieurs changements avant d'être adopté par le public. — Cent représentations données de suite suffirent à peine à l'empressemeni de la foule ; par toute la France on chanta les airs de Richard , dont le succès ne fut pas moiijs grand à l'étranger. — Au dire des contemporains, Clairvai jouait admirablement Blondel, cl M'"^ Larueiie était charmante dans le rôle de Laurette.— Philippe , dont le nom sert encore à désigner dans les ouvrages modernes les rôles de son emploi , représentait le roi. — Voici ce que Giélry, dans ses Essais, dit de cet artiste : <( A plusieurs répétitions, la beauté de la situa- » lion, la sensibilité de l'acieui', jointes au désir de bien " remplir son rôle, exaltaient son imagination au point » que ses larmes rétouffaient lorsqu'il voulait répoudre à « Blondel ;
'< Vn rpgard de ma belle, etc. »
• Le joui- de la premièic représentation, cet acteur plein " de zèle et d'aideur, fut subitement attaqué d'une exiinc- ■> lion de voix ; il n'était plus temps de changer le spec
• tacle : la salle était pleine. Il me fit appeler dans sa » loge : Voyons , lui dis-je , chanlcz-moi votre romance j » il articula quelques sons avec peine. C'est bien là la •' voix d'un prisonnier; vous produirez l'effet (jne je dé- » sire : chantez et soyez sans inquiétude. »
— 340
II.
La vogue de l'opéra de Richard ne disconlinua pas jusqu'aux premières années de la révolution ; elle s'accrut même d'abord, à cause de la situation de l'infortuné Louis XVI qui, en but aux efforts des factieux, se trouva bienlôt livré à leurs coups. — C'était avec enthousiasme '|ue les partisans delà monarchie, les sujets restés fidèles à ce bon prince, répétaient l'air magnifique de Blondel :
ô mon roi, l'univers l'abandonne '. »
La mode s'était dès longtemps eriiparée des principaux Incidents de ce beau drame , et l'on voyait la scène de la reconnaissance entre le monarque anglais et son féal ménestrel reproduite sur les tapisseries, les tabatières et les éventails du temps. — Semblables aux Âihéniens par la vivacité, la légèreté de leur esprit, les Français, à tou- tes les époques de leur histoire , ont appliqué souvent les (circonstances les plus graves aux objets les plus futiles, et fait un sujet d'amusement de ce qui les conduisait à la mort !...
Le moment arrivait où l'opéia de Richard allait être frappé de proscription. ^ Le 2 octobre 1789, les gardes- dii-corps ayant donné un banquet dans la salle de specia- <le du château de Versailles, aux oiïiciers de la garnison, entonnèrent, avec l'ardeur la plus chevaleresque, le chani- D Richard, d mon roi ! en jiiiant de mourir aux pieds du
— 341 —
trône.— Cei élan de fidélité, celte fêle furent transformés par les révolutionnaires en menaces , en conspiration «outre la nation , et à dater de cet instant l'œuvre de Sedaine et de Grétry disparut des théâtres. — Il y a plus, il eût été dangereux d'en rappeler le souvenir. Notre «élèbre chanteur Garai en fit l'expérience, et elle manqua, dans les premiers mois du régime républicain , de lui coùltr la vie. Jadis attaché à tous les concfiMs de la cour, niaîlre de chant delà malheureuse et si atrocement calomniée Marie-Antoiuelte, il était plein de dévouement cl de reconnaissance pour Louis XVI el toute sa famille. — Déjà plusieurs fois il s'était compromis par ses discours a l'époque où ce vertueux monarque étaii prisonnier au Temple. — Un suir, au foyer de l'Opéra, dit alors Théâtre n'es arts , il s'avisa dans un moment d'enthousiasme de chanter ce couplet de la fameuse romance de Richard :
" Dans une leur obscure
« Un roi puissant languit;
« Son servileur gémit
a De sa triste aventure !.. etc. »
aiissitôi il fut arrètt', et il allait être conduit dans l'une de ces |ti isons d'où l'on ne sortait que pour aller à la guillotine, li!isque Danton, qui parfois avait de bons moments, inler- viiil, el s'écria : — • Citoyens, laissez donc libre le citoyen » Garai I... C'est un imbécille, mais il chante à merveille. » Quand vous le voudrez , il vous entonnera Ah! ça ira, » ça ira! avec autant de chaleur qu'il en a mis dans le » couplet que vous venez d'entendre » — Le tribun du peuple, Danton, était alors tout puissant, et Garai fut mis en liberté.
Plusieurs années s'écoulèrent , et quand Xapoléon eul ceint la couronne impériale, il donna l'ordre de reprendre
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hichard. — Oulre sa préclilecliuu pum- cel ouvrage, le grand homme mellaii une inieuiiou poliiique dans sa reprise ; il voulait prouver que loin de craindre ce qui se raiiachait au cuile politique de la vieille monarchie, il honorait dans Blondel , la fidélité, le dévouement à un prince malheureux. — Richard fut monté à Saini-Cloud, avec autant de soin que de luxe , et je tiens de Grétry quelques détails intéressants sur cette représentation solennelle. — Les décors furent peints sur des dessins envoyés d'Allemagne , et offrant la vue exacte de la forle- I esse où le monarque anglais avait été renfernjé. — Les costumes des moindres comparses étaient d'une rigou- reuse vérité. — Le célèbie Gardel avait été chargé de régler le petit ballet pour la fête qui se passe chez sir William au troisième acte. —A celte occasion, il advint un incident qui prouve la justesse d'esprit et de goût de Napo- léon, même lorsqu'il s'agissait des ai'is. — Aux airs de danse si naïfs et si bien en situation ducomposiieur, Gardel avait cru devoir ajouter des airs nouveaux, et d'une couleur tout à fait différente. — Cela allongeait l'action en diminuant l'in- térêt, et produisait un contraste choquant.— L'empereui' ne s'y trompa point ; Grétry ayant été appelé dans sa logei reçut de la bouche de Sa Majesté les compliments les plus llatteurs, et le don d'une pension viagère de 6,000 fr., iiu'elle accompagna de ces paroles : « Jouissez de votre " triomphe !.. il n'est pas toutefois sans un légei" nuage ; * pourquoi avez-vous ajouté à voire tioisième acie des ' airs de danse nouveaux?... ■ — Gréiry se défendii d'avoir eu part à Celte addition faite à son travail primitif, et s'en montra même assez mécontent. — « C'est donc " Gardel qui a imaginé cette soliise , dit l'Empereui I... " qu'on le fasse venir!... > et Gardel étant arrivé : -^
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« Monsieur le inaîire des ballcls, croyez vous qu'avec » mon coslume miliiaire , le chapeau de François I" • iraii bien sur ma lête?... Non, n'est-ce pas?... dès lors » ne vous avisez plus de coudre des airs modernes aux « airs anciens deGrélry. — \ln adminislraiion , en poli » tique , et même en musique , il n'y a de salut que dans o l'unité. » — Il serait bien à désirer que cet avis plein de sens fût suivi par les directeurs et administrateurs de nos grands théâtres qui , tous les jours , se permettent d'arranger à leur guise , de mutiler les œuvres des plus beaux génies. — Est-ce qu'à l'Opéra on ne s'est pas avisé dernièrement d'ajouter aussi de nouveaux airs de ballet , aux airs chaimants , gracieux , et d'un coloris si frais, si brillant que Rossini a composés pour son 3ioÏ5e français ? C'est là une véritable profanation , commise dans un but intéressé!... profanation absurde, du reste, car elle ne produit que le dégoût et l'ennui , au lieu de l'effet pyra- midal, fructueux que ses auteurs en attendent. — N'en déplaise à M. Roqueplan et C% si la critique faisait son devoir, elle lancerait de toutes p^rls l'anathème contre un tel vandalisme !
A Paris, sur le théâtre de l'Opéra-Comique, la reprisé de Richard eut le même succès qu'à Saint-Cloud. — Il y avait alors des acteurs et des chanteurs réunissant l'ex- pression dramatique à la voix, l'élégance des manières et du jeu à toutes les nuances du sentiment scéniquc. — Elleviou , le plus admirable , le plus parfait ténor, le plus vrai comédien que j'ai jamais vu sur notre second théâtre lyrique , jouait le rôle de Blondel. C'était bien lavcugle clairvoyant conduisant une grande intrigue, pour retrou- ver le prince auquel il avait voué sa vie. Qu'il était beau lorsque , resté seul sur la scène, aux premières mesures
■r.i
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tif la 1 iiuii! iiL'Uc du yiand air, J('puinllaiil ses irails de la barbu du vieillard, et se redressant de louiesa hauteur, il examinait la fortesse , et s'écriait enfin :
a 0 Richard ! i'> mon roi !.. . a L univers l'abandonne !.. . avec quelle àme il disait :
c Et sa noble amie , « Hélas ! son cœur 8 Doil être navré de douleur!... »
Oui, cet arûsle inimitable m'a laissé des souvenirs qui ne s'effaceront jamais! Et je suis heureux de trouver de nouveau l'occasion de payer un tribut d'csiime, de regret et d'admiraiiou a sa mémoire. — M"'*" Gavaudan , si espiègle et si expressive à la fois, n'a point été remplacée dans le rôle du petit Antonio, et Chenard jouait et chantait sir \Yil!iani avec une rondeur, une intelligence on ne saurait plus rares. — Comme l'Opéra Comif[Ue a changé depuis ! L'ambition ridicule d'imiter les Italiens s'esf emparée des auteurs, des acteurs et des compositeurs. On fabrique maintenant des espèces de pastiches , des canevas sans caractère , blessant toutes les vraisemblan- ces, et dont le but est d'amener des cavatines criblées dappogiatures , de points d'orgue , des finals à grands fracas, d'une longueur démesurée, et dans lesquels faction devient ininU'Uigiîjle. — hiiérèt , espiit , pission, inien- liùn^ draniaiiques de bon aloi , tout cela a disparu dans la plupart des ouvrages qu'on nous donne : aussi ces ouvrages ne vivent-ils qu'un jour. Si l'on reprend parfois quelques comédies, quelques drames lyriques de l'ancien répertoire, la serpe des arrangeurs, instrument de dom- mage s'il en fut jamais , les mutile ; il n'y a plus trace des mouvements et des traditions qui contribuaient à leur inijuimei lani.de chaiiiK^s. — En un mui, à quelques rares
exceplious près , rOpéra-Comique, depuis vingt ans, a vu peiii à pelit s'effacer le cachet d'originalité, de naiionalilé qui en faisait un spectacle unique en Europe.
La chute de l'empire arriva en 1814. — Richard n'avait pas cessé d'être joué , et les chroniques du temps ont raconté, que dans le douloureux trajet de Fontaine- bleau à l'île d'Elbe, Napoléon fredonnait quelquefois, avec l'accent de la tristesse, le passage de l'air de Blondel •
B L univers t'abandonne ! »
m.
Les premiers mois de la Restauration donnèrent un nouveau lustre à l'opéra de Sedaine et de Grétry. — La pensée si éminemment monarchique de cette oeuvre lui valut alors sur tous les théâtres , des applaudissements unanimes. — Il est par le monde des gens ayant ie laleni de rendre ridicules les plus belles choses. — Je vais en citer un exemple remarquable. Jausserand ténor qui jadis avait débuté au théâtre Feydeau, jouant dans une ville de province le rôle de Blondel , s'avisa de parodier le grand air, de l'adapter, selon lui , aux circonstances , en chai.- tanl :
« Louis dix-huil, ù mon rui !
« L'univers le couronne !...
« Tu triomphes par la loi ,
« El nous adorons ta personne!
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Je n'ai pas besoin iU: dire que leflel ubienu par lui, fui dianiélralcmeni opposé à celui qu'il s'éiail promis. Ce qu'il y eut de plus drôle , c'est qu'un auditeur, fort bon loyaliste , faillit aller coucher eu prison , parce qu'il siffla à Joute outrance celle absurde variante. 11 s'expliqua, ei l'autorité finit par reconnaître qu'il n'était nullement cou pable du crime de lèse-majesté , et que le pauvre Jaus- serand , était lui coupable , au premierchef , du crime de lèse-sens-commun.
J'arrive a une époque qui a laissé des traces viaimenl douloureuses dans mon âme toute dévouée à l'art fran- çais. A paitir de 18^5, l'engouement pour la musique italienne , la retraite des véritables interprètes de nos anciens opéras , cette manie parisienne d'attaquer les ouvrages et les hommes de talent de la veille , de mépri- ser, de dédaigner le lendemain ce qu'on avait d'abord porté aux nues, interrompirent les représentations de fi ic'/iarrt. —Voltaire, cet esprit si juste et si fin, a fustigé cette déplorable n>anie,avecautant de raison que de verve, dans ces vers :
a Noire public, ce fanlôme inconslant,
« Monstre à cenl voix, cerbère dévorant,
« Qui flatte el inord, qui dresse par sottiso
« Une sialue, et par dégoùl la brise !.. . »
J'ai dit ailleurs ce que je pensais de l'abandon de tant de chefs-d'œuvre faisant notre gloire, et du dommage que l'art musical et l'art dramatique en avaient ressenti Cho- se étonnante ! c'est que dans le paroxismc le plus fort de la fièvre romantique , on n'ait pas lessusciié le drame de Sedaine et de Grélry I... Ces messieurs ne parlaient que de couleur locale, et des croyances et récits du moyen
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îige. — Est-ce que|le poème de Richard nVsl pas une vieille ballade dialoguée, un auliquo fabliau mis en scène par un homme que quelques-uns des disciples du grand Victor oni décoré du litre de Shakespeare en miniature? Est-ce que la musique de Grétiy, n'exhale pas un vrai parfum de naïveté gothique?... Cet oubli , ou plutôt ce dédain , ne peut s'expliquer qu'en se rappelant que le romantisme , alors applaudi sur les théâtres , devait oflVii" la personnification du laid physique et moral , et qu'en fait de musique, sans toutes les forces de l'orchestre, les trombones et les ophicleides , accompagnant même une simple romance, il n'y avait pas de salut pour une parti- tion.
Enfin, en 1840, on reprit quelques anciens ouvrages, et Richard eut son tour. — Les journaux du temps ont rendu compte de l'impression produite par cette repi'ise, impression que je suis loin de croire avoir été tout à fait franche de la part de plusieurs, mais qui alla jusqu'à l'en- thousiasme. En effet, pour(iuoi le dissimulerions-nous? L'affluence qui se porta aux premièies représentations de Richard n'était pas sans être mise un peu en mouvement par l'esprit de parti. A diverses époques on a fait de cet ouvrage une espèce de drapeau , de signe de ralliement aux principes de la vieille monarchie , et les royalistes attachés à la branche aînée , imitèrent en celle circons- tance les impérialistes qui, dans les premières années de la Restauration , allèrent en masse applaudir Talma jouant Germanicus ou Sylla et M'^* Mars véiue d'une robe ornée de violettes : innocente manifestation , consolalion laissée aux vaincus, et n'offrant aucun danger, quand un gouvernement a assez d'esprit pour en paralyser relîel. — Les sots , et ils sont en majorilé dans loiiles les opinions.
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loarmeolcreni Talma et M'^'= Mars. — Louis XVIII, priiic* habile el Icilré , les combla d'éloges. — 11 ordonna qu'on plaràl des violeiles sur toutes les cheminées du chàleau, dit à la grande aclrice que la violette était une fleui" trop jolie pour ue pas la comprendre dans l'amnistie, et lui fil présent d'une parure en améthystes. — A son tour, Louis- Philippe , monarque non moins adroit que l'auteur de la Charte de 18 U , et qui puis'>ii dans ses souvenirs de jeu- nesse un véi'iiable culte pour la musique de Monsigny et de Gréiry, fil représenter solennellement l'opéra de Ri- chard. Ce fut de l'excellenle guerre, en ce qu elle amena de suite un tiaiu'; de paix. — Il est certain que la pros- cription d'une œuvre d'art o.i de liltéraîure, qui n'en peul mais des allusions qu'on en fait jaiilii", n'est pi'.pre qu'a irriter les esprits , à fomenter le trouble et la sédition : nous pouriions en citer mille exemples.
IV.
Donnons mainîeiîant un^ analyse aussi rapide que {X»s-. sible des morceaux composant la partition de Richard. L'ouveriure , ainsi que l'a dit Gréiry dans ses mémoires, indique assez que l'action de ce beau di-ame n'est pas moderne. Le largheUo, suivant l'allégretto d'une facture tout à fait antique, est d'une grâce el d'un sentiment admi- rables 1 Ce chant mélancolique peint bien la marche d'un pauvre aveugle, conduit par un adolescent, el il se repi'o-.
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diiil ou ffTel, à la fin (le ruiiveiluro, au niumeiildcronliéo en scène de Blundel el du pelii Anluiiio. — Le chœur des villageois, coupaui celle iuiroduciion, est plein de véiilé, el d'un acceni syllabique loui à faii enlrainanl.
Je ne connais pas de couplels plus jolis , plus naifs que ceux d'Anlonio :
« La danse ii'esl pas ce que j'aime «
la basse de ce passage :
« El puis nous nous parlons (oui bas »
csl eharmauie , el il y a dans raccouipagnemenl un sol foniianl pédale, lenu pai- la qiiinle, qui est d'une merveil- leuse expression.
Souvent, dans la province surloui, ou aiiaque le niou- vemenl d'un morceau suivanl l'indication banale écriic sur lu parlilion , sans faire aiienlion au senlinienl du person- nage qui chaule. — Ainsi en lèle des couplets du pelil AiUoi}io, il y a le mot allegro, signifiant en général gai, vif; mais ou se trompe éirangement , en prenant ce mol à la lettre, comme cela , à ma connaissance , est arrivé à plusieu!S chefs d'orchestre, car alors on défigure tota- lement celle délicieuse mélodie. —Il y a de la mélancolie, de l'amour, du regret, et une admirable naïveté dans ce que chante Antonio — C'est donc le mouvement allegro giusio, expressivo, qui est presque aussi lent que Yan- dante, qu'il faut employer. M'"*' Gavaudan (pii avait reçu les conseils de Grétry, disait ainsi ces couplet!^ dont l'effet élait alors euchanteur 1
Le grand air de Hlondcl , depuis la lilouiuelU» jusiiu'à
— ;<50 —
la &^/<?</e si animée qui le termine, esl un poème- Jamais la musique n'a pièië plus de noblesse , plus de pureté au dévouement, à l'amitié. — Beaucoup de savants, ou soit disant tels, ont chicané Giétry sur son orcheslraiion , el n'en déplaise à leurs excellences , je suis en admiration devant les dessins d'accompagnement de ce grand air. — Dans le trio :
a Quoi ! de la pari du gouverneur! »
Grétry a pris une forme de contrepoint, convenant par- faitement à sir Williams, ç\ la phrase de Blondel :
« La pais , la paix , mes bons amis »
jetlée au milieu des débats , entre le père , et la fille , esl d'une vérité, d'une puissance étonnantes.
Existe-l-il un chant, plus expressif à la fois, et plus pudique que celui de l'air de Lauretle :
0 Je crains de lui parler la nuil?... »
quelle fraîcheur dans ce passage :
a 11 me dit je vous aime !... »
quel trouble délicieux dans ces accents :
« El je sens malgré moi , < Je sens mon cœur qui bat , « El ne sais pas pourquoi ! »
la seconde partie de cette jolie cantilene :
« Puis il prend ma main, »
est pour la passion , l'amour contenus , au dessus de tout éloge !
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Quaiil à la charmanle leçon donnée par l'aveugie à Laurelle, dans la chansonnelle :
« Un bandeau couvre les yeux « Du dieu qui rend amoureux. »
on n'a peut êlre pas remarqué ce qu'il y avait de neuf, d'original , dans la reprise à deux voix , à l'unisson , et à tour de rôle, du thème ; c'est là de l'invention, de l'esprit, comme le génie sait en trouver. — Le premier acte est terminé par la chanson :
a Que le Sultan Saladin ,
a Rassemble dans son jardin , s
dont le cachet antique et populaire , le refiain plein de franchise vont supérieurement au viel aveugle, qui a fait partie, en qualité de soldat , des guerres saintes. — La ritournelle de violon complelte l'effet, et le motif princi- pal de la chanson, ramené tour à tour dans l'entr'acte , par différents instrumenls, achève de donner à la situation (0 caractère d'unité, si désirable dans toutes les produc- tions des arts.
Une marche remarquable de chant et de couleur, ouvre le second acte. Les savants ont reproché à Grétry d'avoir employé , dans un passage de ce morceau , deux octaves de suite. Il savait aussi bien qu'eux la règle défendant la succession de deux consonances parfaites par mouvement direct, et s'il a agi aiusi, c'est que, comme dans le bel air de Raoul Barbe Bleue :
n Venez régner en souvcroine »
il avait des raisons pour le faire.
I
Le grand air cliaiiié par Richard a de furi belles pariies; mais quelques passages , apparlenani à ce (luoii appelait alors l'air de bravoure, aria di bravura, oui vieilli, sur- tout celui sur ces paroles :
0 SuspenJs ma douleur ! »
Grélry a fait remarquer, avec raison , que l'emploi des trompettes et timbales voilées, rappelant dans ce morceau la gloire du héros chargé de fers, était une innovation, cl il ajoute qu'elle fut justement sentie.
Nous arrivons à la fameuse romance dont Grélry disait
que c'était le pivot sur lequel devait tourner toute la pièce :
« Une fièvre brûlante ! »
<!! effet le sujet de cette pièce, c'est un ménestrel parcou- rant l'Europe pour retrouver et délivrer son prince, el (|ui cherche, en tous lieux, à se faire reconnaître de lui en (hantant un air que ce dernier avait fait pot<r sa mie Mar- guerite , comtesse de Flandres. L'intérêt, la péripétie (in drame sont là. — x^Ionsigny avait refusé de mettre en n)usique ce morceau, parce qu'il croyait ne pas pouvoir I(î (lin; assez bien. — Pour donner une idée des dilïicullés (|u'ii présentait , et de la manière dont il fut composé, je citerai les paroles de Grétry :
<■ Si j'acceptai ce bel œuvre dramatique , disait-il , " j'avoue que la romance m'inquiétait ainsi que mon con- •' IVcre. — Je la lis de plusieurs manières, sans liouver ce •' (jue je cherchais , c'est-à-dire le vieux style , capable " de plaire aux modernes. — La re( herche que je fis, » [Mjur choisir paruïi toutes mes idées le chanl «pii existe;
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•> se prolongea depuis onze heures du soir jusqu'à quairc » heures du miuin. — Je me lappelle qu'ayanl soiuié la •' nuit pour demander du feu : — Vous devez avoir lioid, •> me dit mon domestique , car vous êtes toujours là à ne • rien faire. » Ces circonslances de la vie iniime du com- positeur sont remplies dintérèt; elles peuvent être utiles, en servant à repousser une erreur assez généralement répandue : celte erreur est de penser que les choses ayant le cachet de l'inspiration sont le fruit de l'exaltation du moment, lejetdUuie flamme s'emparant lotit à coup du cerveau. — Il n'en est rien , car ce qui esl vraiment beau dans les ans a toujouis été longuement médité , réfléchi. Il vient une heure où l'éclair brille, où Minerve loul armée s'échappe de l'imagination ; mais que de leoiaiivcs laborieuses il faut faire avant que cette heure sonne !...— Je me suis toujours défié des aiiistes se vantant de tra- vailler très-vite , ei menant la composition d'un opéra (qu'où nie pardonne cette iniage), à toute vapeur. Il est irès-rare que leurs productions ne déraillent pas , en C(! sens que ce. sont de tristes avortons , ne donnant signe d'existence que pendant l'espace de quelquesi soirées. — Les grands maîtres leur ont cependant à cet égard trans- mis des leçons qu'ils devi-aienl suivie. — La correspon- dance de l'immortel Gluck nous apprend qu'il retournait p.'udant plus d'une année dans sa tète les motifs, les situ- ations du poème lyrique quon lui avait confié, avant d'éîcrire une seule note de sa partition. — Boïeldieu a mis un temps considérable à produire sou admirable Dame blanche , et l'illustre 3Ieyerbeer ue tiouve jamais qu'il a a-i.^ez travaillé les clufi-d'œavre dont il enrichit noire srène.
La romance l'ne fièvre brûlante est sublime de siujpli-
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cilé et d'expression ! — base essenlielle de l'opéi'a de Richard, le molifeii est rëpclé un grand nombre de fois, dans le cours de la parliiion ; laniôt sans accompagne- ment , puis avec variations , avec accompagnemenis , ensuite avec les paroles, avec nouvelles variations à dou- ble corde ; dans le morceau d'ensemble où Blondel se fait reconnaître , et enfin dans le dernier chœur où Richard, Blondel et Marguei ite le chantent en trio. Grâce à la beauté incomparable de la mélodie et à ces diverses transformations , jamais personne ne s'est plaint d'avoir entendu trop souvent ce morceau. — Comme cela est sou- vent arrivé pour des productions de haute valeur, l'envie a cherché à ravir à Grétry cette perle de sa couronne. — D'abord on a prétendu qu'il l'avait trouvée dans un manuscrit de la blibliolhèque royale , et ensuite qu'il la (levait à d'Alayrae.— Ces deux assertions sont aussi men- songères qu'absurdes. —Jamais on n'a pu citer le numéro, le litre du manuscrit contenant le texte musical sur lequel Grétry aurait transporté les paroles de Sedaine.— On n'a pas d'ailleurs remarqué une chose toute simple et qui détruit totalement le dire des envieux : c'est que le chant du compositeur a bien la couleur du vieux style des lais de Thibault, roi de Navarre, et de Raoul, comte de Soissons, niais tout à fait modernisée. — Quant au cadeau fait par d'Alayrae à Grétry, je vais rappeler une circonstance qui m'est personnelle, afin de prouver que ce fait est de toute fausseté. En 1808, à Fontenay-sous-Bois, dans un dé- ji'ùner chez Guilbert Pixérecourt, j'interrogeai l'auteur (le Camille sur la paternité qui lui était attribuée, et voici ce qu'il me répondit : « Malgré mon estime , mon aiïec- • tion , mon admiration pour Gr('>iry, je vous jure que •' si j'avais eu le bonheur de trouver ce beau chaut, je " l'eusse gardé pour moi ! •
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Le chœur des soldats qui vienncni arrètei- Bloiidel :
« Sai3 lu , connois tu ,
« Qui peut l'avoir répondu? s
est d'une allure aussi franche que vigoureuse, ei dans la couleur el le genre du vieux contre point. — « Les guer- » riers de ce temps, dit Grétry, les idées qu'on se fait do » ce siècle religieux, m'ont suggéré cette espèce de mu- » sique. d — Dans la réponse de Blondel :
« Ah ! sans doute, quelque passant « Que diverlissail mon chant !... »
il y a la frayeur feinte , le ton naïf el nasillard d'un pauvre aveugle qu'on veut mettre en prison. — Peu à peu il se rassure, el c'est avec plus de fermeté qu'il demande à par- ier au gouverneur :
« Pour un avis important
« Qu'il doit savoir à l'instant. »
le gouverneur arrive, le chani esl suspendu ; Blondel se sert avec adresse de la confidence que Laurette lui a faite, afin d'expliquer son chant au pied de la tour, et dit a parte h Floresian : — « Pour qu'on ne soupçonne rien de •> ma mission, grondez-moi bien fort, et renvoyez-moi. » — « Tu as raison , répond celui-ci , en ajoutant : « Ce n drôle a vraiment de l'esprit !... » — Alors le chœur re- prend et se trouve coupé par les supplications, les prières du petit Antonio, accouru au bruit que font les soldats, et craignant qu'on emprisonne son vieil ami, le père Blondel. — Ce qu'il chante est délicieux de sentiment, de grâce, et forme contraste avec les accents rudes, sévè- res des gardes du château. En son entier ce final esl de l'effet le plus dramatique, cl dot dignement le second acte.
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Deuxuios font paiiie du iroisième acle.— Le premier, entre Blondel et deux valets de la comtesse, est plein de iKUurel, et le second est d'une mélodie et d'un charme remarquables 1
Le morceau d'ensemble, dans lequel Blonde l se fuit reconnaître, est une de ces créations dramatiques inhé- rentes au talent de Grétrj , où la vérité , l'expression , la finesse des détails abondent.
« Oui, chevaliers, oui, ce rempart a Tient prisonnier le roi Rictiord !
chante le ménestrel.
« Qui vous l'a dit!... par quel hazarJ?...
réjpond le chœur ; et alois Blondel explique comment, sous le costume d'un vieil aveugle, il a pu s'approcher du roi. Puis , s'adressant à la comtesse , il ajoute :
« Sa voix a pénétré mon âme,
« Je la connais, oui, oui, madame!.. »
Et la phrase musicale placée sur ces paroles, rappelé en- tièrement le thème de la romance Une fièvre brûlanle, sur une mesure différente ; intention éminemment hei- reuse , qui ne pouvait venir qu'à un compositeur aus>i spirituel que Grétry. — Comme le plaisir et les larmes brillent dans ce passage chanté par la comtesse :
I.! Ah! s il est vrai, quel jour prospère !... « Ah ! grand Dieu, mon cœur se serre « De joie et de saisissement ! 1 »
quelle vigueur et quelle franchise dans cet ensemble :
« Traviiillons, travaillons « A sa délivrance ! !
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la fin de co morceau, allegrello nniniato, en six liiiii, peiiil admirablcmem la joie, l'ëtoiincmeiit des chevaliers :
« Oui, c'est BlonJel, a Quel coup du ciel '. « C'est noire ami Blondel ! ! m
couleur antique, simplicité villageoise, tout cela se trouve dans les couplets précédant la fête , et dans les airs de danse qui les suivent.
Le gouverneur est arrèlé, et alors se développe le final, commençant par ce chœur :
« Que Richard à l'instant
« Soit remis duns nos mains!... »
le théâtre change , ou se bat, on escalade les remparts du château , et Richard est délivré. — La belle marche tri- omphnle servant au défilé des vainqueui^s , appartenait primitivement à la partition des Mariages Samnites. — Le chant dialogué reprend ensuite, el se termine par un chœur, au milieu duquel se trouve, en trio, l'air unefièvie brûlante , pierre fondamentale de ce beau monumci't lyriipie.
V.
On a refait la musique de plusieurs opéras anciens, mais je suis persuadé (|u'on ne refera jamais celle de
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Richard. Qui oserait loucher à celle œuvre empreinle d'une couleur locale admirable , et dont chaque partie si belle , si pure de senlimenl , concourt à produire un loui vraiment parfait!... je sais que Gréiry lui-même avait presque exprimé le désir qu'un jour on donnât plus de force à son orchestration. — C'est ce qu'a fait M Adam pour Richard, et je suis loin de l'eu blâmer. Toutefois, un semblable travail , quoiqu'il ne soit en général que de remplissage , exige du goût , du tact , et ce compositeur me paraît ne les avoir pas toujours employés en celle cir- constance. Je n'en citerai qu'un exemple, c'est le malen- contreux trémolo ajouté par lui dans l'accompaguement de la seconde stance A' Une fièvre brûlante. Qu'est-ce que cela signifie?... M.Adam a-t-il voulu, en faisant delà musique imiiative , peindre dans l'orchestre le trouble, l'agitaiion s'emparant des personnages au moment où ils se reconnaissent? Eh bien I s'il en est ainsi, il s'est, selon moi, eniièrement fourvoyé, en sacrifiant à un effet pure- ment matériel, le sentiment, la vérité de site de cette belle romance, et la pensée du compositeur. — Blondel est censé s'accompagner avec une simple viole, et l'orchestre qui soutient sa vuix ne doit pas sortir des notes tenues que Gréiry lui a données. — Seulement, cette seconde stance exige une exécution plus pressée, plus animée. — Ce n'est pas d'ailleurs dans l'accompagnement que le «rouble, l'agitation doivent se fair(! sentir, mais dans l'ac- cent des acteurs qui, lorsqu'ils ont de l'intelligence et de l'âme, arrive à l'exaliation la plus vive.... C'était ainsi qu'Elleviou et Gavaudan inlerprélaient ce passage de leur rôle, et l'orchestre se bornait à être leur très humble serviteur, sans s'aviser de se livrer à un tremblement, souvent liès-bien plac(' dans une iragi'die lyrique, cl
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dans tous les morceaux de force, mais très-ridicule pour accompagner une naïve romance du temps de la seconde croisade. — M. Adam me pardonnera , je l'espère, celle observation que je soumets à son talent, à son goût qu'il devrait affranchir des exigences de celle portion du public aimant l'exagération et le bruit.— Qu'on donne un peu plus d'éloffe aux accompagnements des opéras de Gréiry, qu'on en double les parties , je conçois et j'ap- prouve cela : mais qu'on n'altère jamais ses intentions. C'est un de ces hommes dont, ainsi que le disait un ancien: • Il faut suivre les traces à genoux, et respecter toujours « la pensée ' »
Peut-être quelques fâcheux, appartenant à la secte des dénigrants en fait d'ancienne musique, trouveront-ils que j'ai donné trop d'étendue à ce travail sur l'opéra de Richard ? ... leur opinion me louche fort peu , et si elle a quelque chose de fondé, beaucoup de lecteurs me pardon- neront, en faveur de la vénération que m'inspire la mé- moire de Gréiry, vénération qu'ils approuvent et parta- gent. — Jamais je n'oublierai l'intérêt , l'affeciion que ce grand artiste m'a témoignés. J'en ai déjà consigné de précieux souvenirs dans un opuscule ayant pour titre : Ma première, visite , cl qui a été reproduit dans plusieurs recueils et journaux. — Peu d'instants avant sa mort, (j'avais alors quitté Paris), il remit à Bouilly une boucle de ses cheveux pour la partager avec moi. Je reçus cette relique, ornant une tabatière sur le couvercle de laquelle est une miniature d'après une sainte Cécile du Domini- quin , avec ces vers :
a Du plus lionorable héritage « Je fais avec toi le partage ; B Ami, garde toujours li's cheveux de celui
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— :u,o —
« Donl les divins accents vivront dans tous les />ges !
a Qui comme toi chante et sent ses ouvrages, a Mérite bien d'avoir quelque cbose de lui. »
Ces témoignages d'amitié, d'eslime, de la part d'hommes distingués, qui encouragèrent ma jeunesse, composent à mes yeux un véritable trésor, et font ma joie et mes re- grets. — Je commence à entrer dans cet âge où Ton n'a plus d'illusions quant à l'avenir, et où le reflet des beaux jours écoulés colore seul les instants d'existence qui nous resteut. — Sans doute les souvenirs de bonheur sont des songes , mais ces songes nous consolent et nous bercent jusqu'au moment où ils s'éteignent avec nous dans l'éler- nelle nuit. — Presque tous ceux que jai nommés, en retraçant l'histoire de l'opéra de Richard, ont disparu de la vie, depuis Grétry, mort en 1813, jusqu'à Bouilly et EUeviou que l'année 184!2 a vus descendre dans la tombe. — Ah ! ce n'est pas sans raison qu'une femme , célèbre par la délicatesse de son esprit et la noblesse de son ca- ractère , a laissé s'échapper de sa plume ces simples et mélancoliques paroles : « A mesure qu'on avance , les » espérances s'évanouissent ; on se voit successivement » enlever tous les objets de son affection ; et l'attrait » d'un intérêt nouveau , le changement des cœurs , l'in- » constance, l'ingratitude, la mort dépeuplent peu à peu » ce monde enchanté, dont, jeune, on faisait son idole! »
APPENDICE.
Pendant plusieurs années, et à partir du moment où un artiste d'un talent remarquable, Rossini , a abusé du crescendo, les gens qui n'ont point de goût, et dont les oreilles, comme disait le vieux Tarchi , sont doublées de cornes, se sont mis à déblatérer sur la faiblesse d'orches- tration de nos anciens opéras , et sur le défaut de science de nos aimables et vénérables maîtres. — Ils ignoraient que Rossini admirait ces maîtres autant que personne ; que s'il faisait plus de bruil qu'eux, c'était pour complaire à la généralité blasée par les révolutions, et les coups de canon des victoires de l'empire. — En effet, depuis 1789, le cresce/if/j s'était développé en toutes clioses, et dans les arts, en littérature, en politique, en morale, et jusque dans les tubitudes de la vie intime, il était devenu le principal élément de succès, le favori et la folie du siècle.
Mais aujourd'hui l'on commence à se guérir de celte monomanic pour le tapage , pour les effets forcés , et à rendre justice au génie d'abord dclais?sé. — Nos meilleurs critiques en musique, ne craignent plus d'exprimer leur sympathie pour Grélry. — D<'rnièremont encore (7 ocio-
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bre 1854), dans un feuilleton du journal le Pays, M. Es- cudier a dit, en parlant de l'auteur ôehichard, de yAmanf jaloux, et de Zémire et Azo7' :
« Nul homme n'a été doué plus heureusement par la » nature du génie mélodique. — C'est ce dont ne veuillent " pas convenir les connaisseurs à la douzaine , pauvres " hères souriant d'un œil humide au spectacle de toutes » les infirmités étalées sous nos yeux par les imitateurs » de Rossini. — Grétry a produit un nombre infini de • mélodies, Toutes également neuves et originales. Sa » carrière lut merveilleusement remplie jusqu'au bout. »
Mais, ne cessent de répéter les pédants, les mathémati- ciens en musique : « Il n'avait pas de science, savait mé- •• diocrement le contre point, et écrivait avec embarras » un morceau à plus de deux parties. ■ — Je cite textu- ellement un critique de Grétry, qui s'est exprimé ainsi dans le feuilleton d'un journal de Paris , sous la date du 7 juin 1853, afin qu'on ne m'accuse pas de prêter aux dé- tracteurs de ce grand artiste, les sottises que je viens de rappeler et que je vais combattre.
Il faudrait d'abord savoir ce que ce critique entend par la science en musique. Est-ce l'observation miimiieuse des règles établies par les calculateurs de notes? Sous ce rapport, j'en conviens, Grétry est peccable, comme l'ont été depuis Spuntiny et même Rossini. Il a fait des fautes d'orthographe , ainsi que Corneille a fait quelquefois des fautes de français ; mais il est toujours vrai, gracieux, louchant, dramatique, spirituel, plein de couleur, de înouvement : et dans les arts n'est-ce pas posséder l'essen- tiel que de posséder ces qualités?... Est-ce que la missiou
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de celui qui les cullivc n'esi pas, avant loiites choses, de plaire, d'émouvoir, de charmer?... «juaiid nous allons en- tendre un opéra , ce n'est point pour assister à une leçon d'algèbre. — Que m'importe ce que vous appelez votre science, si elle m'ennuie, si elle me glace ! A ce compte, Rembrandt dont le dessin est loin d'être toujours correct, dont la perspective est souvent maladroite, serait au-des- sous du plus froid élève de l'école de David. — Quant à oser dire que Grétry ne pouvait écrire un morceau à plus de deux parties , c'est le comble de l'absurdité 1 la belle scène d'explication du troisième acte de Y A ma ni jaloux, l'évocation de la Fausee Magie, le chœur des femmes dans Guillaume Tell , celui des jaunissaires dans les Deux Avares, le trio du miroir enchanté dans Zèmireet Azor, le quatuor fugué de l'épreuve villageoise, et vingt autres morceaux de ses ouvrages, répondent suffisamment à cette accusation d'ignorance. L'ouverture de Panurge, dont le sujet et si richement développé , celle d'Elisca, si originale , si pittoresque , prouvent qu'il entendait assez la composition d'une œuvre à plusieurs parties , pour la traiter en maître , et pour plaire aux vrais connaisseurs.
Je viens de parler de YEpreuve villageoise ce chef- d'œuvre de grâce, de naturel, que Garât appelait un jour devant moi le diamant des diamants. L'heureux et habile directeur de l'Opéra-Comique , M. Perrin , a remis à la scène , il y a quelques mois , ce délicieux ouvrage , avec un soin honorant son intelligence et son bon goût. Le public s'est porté en foule à cette reprise , et a applaudi avec ivresse les chansons, (le critique que je combats a le malheur de ne voir dans Grétry qu'un chansonnier ju'il
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compare à Désaugiers el à Armand Gouffé) du maladroit lif'geois auteur du final :
« André , André, lu me l'pairas, j'en jure !! »
e( de cette admirable cavatine :
(t Adieu Marton, adieu Lisette ! >
le critique convient toutefois' du succès de cette reprise ; il va même jusqu'à rappeler en prose , à propos du vieux Grétry, ce joli vers de Vigée sur la Fontaine :
a Le bon homme, entre nous, n'avait que du génie. »
mais, comme le génie ne suffit pas à ce monsieur qui appartient , selon l'immortel fabuliste , à la secte de ceux ayant le goût difficile, afin de se donner raison, il pré- tend, (je cite toujours textuellement) : « Que M. Auber » sest permis de faire un peu la toilette au bonhomme, » de friser sa perruque , de boucher les trous de sa robe » de chambre; de remettre en ordre sa partition déla- » brée , el qu'il a fait plus pour l'épreuve villageoise que » Grétry lui-même. »
Ici j'avoue que je suis indigné de l'excès d'outre-cui- dance et de mauvaise foi du critique ! — Il est vrai que M. Auber a été prié de donner un peu plus d'ampleur à l'instrumentation de l'opéra de Grétry : mais en homme d'un grand talent, et plein de lespect, d'admiration pour le maître dont, mieux que personne, il a suivi les traces, il n'a pas ajouté une pensée, pas changé un motif à cette œuvre charmante. Après s'être longtemps df'fendu d'y toucher, il a borné son travail à quelques détails d'or- chestration, devant répondre aux exigences du goût actuel en fait d'accompagnement. Cependant, s'il fallait en croire
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le savant ci itique : « le vieuK Gi'ëlry, (s'il reveiiaii en ce » monde) ne reconnaîtrait pas son ouvrage. » — Or, j'ai assisté deux fois à celte reprise, j ai sous les yeux la par- tition pour le piano , conforme à la représentation , et en la comparant avec la partition ancienne , j'affirme que rien n'est plus faux que les assertions de l'Aristar- que voulant ravir à Grétry tout le mérite de sa compo- sition.
Au surplus, je vais donner un exemple de l'ineptie de cet Aristarque. — Peu de personnes , s'occupant de mu- sique dramatique, ignorent que VEpi'euve villageoise est terminée par des couplets sur un joli air de vaudeville, composé par Grétry. — Autrefois ces couplets étaient chantés, à tour de rùle, par tous les personnages de la pièce. A la reprise, on n'a conservé, je ne sais pourquoi, que celui de Denise ;
« On dit que l'mariage
« Est un long pel'rinage
et sur le même air, l'air de Grétnj, Denise, après le refrain répété en chœur, chante les paroles suivantes :
« Jadis au parterre « Grétry savait plaire , « Sa muse légère « Lui dictait ses chants ; 0 Heureux si ses doux acoenls '< Peuvent conr.me au bon vieux temps a Emouvoir la salle entière. »
Voilà , c'est à ne pas y croire , ce que dit à celte occa- sion l'illustre critique : « Le couplet final a été changé, » c'est maintenant un hommage à Grétry sur des vers, » (quel français) 1 de qui? je lignore. M. Auber aura
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» retrouvé dans ses vieux carions un petit pont neuf, qui » a servi d'accompagnemeni à ce vaudeville. »
Eh bien ! ce petit pont neuf, attribué au compositeur de la Muette , est de Grétry. Ayez donc confiance dans les gens qui connaissent si bien le sujet qu'ils traitent I ins- truisez-vous chaque matin , eu dévorant, avec les yeux de la foi, les diatribes de ces nains, contempteurs du talent, du génie, qui cherchent, avec leur petite piume, à bar- bouiller les statues de nos grands artistes ! . . . Si le hazard a fait tomber ce malencontreux feuilleton entre les mains de M. Auber, ce compositeur que j'estime , et que j'ad- mire, a du lever les épaules de pitié ! — Surtout en lisant le passage dans lequel l'Aristarque déclare sérieusement que Grétry avait l'oreille très 7nal construite et fort rebelle.
Après un tel arrêt qui fait pâlir tous ceux rendus par le roi Midas, et par le brid'oison de Beaumarchais, il ne me reste qu'à poser la plume.
LESUEUR.
« Plein de l'idée d'ennoblir et d'utiliser M son art, il s'est particulièrement attaché » à lui découvrir des faces augustes et » imposantes , de vastes et profondes i) perspectives, et un plus grand accrois- )j sèment de puissance. «
DiCASCEi. , mémoire pour Lesueur, page 33.
rtSLElR.
L'auteur de la musique des bardes , et de tant de com- positions qui ont fiiit l'admiraiion de l'Europe, vient de mourir! C'est à la fois un devoir et un besoin pour moi d'exprimer les regrets que sa perte m'inspire, et de join- dre ma faible part d'hommages pour sa mémoire vénérée, à celle qui lui sera faite par tous les organes de la presse. — Il daignait, depuis les premiers jours de ma jeunesse, m'iîonorer de son amitié ; je l'ai connu dans l'intimité du foyer domestique ; j'ai reçu de sa bouche une foule de renseignements pleins d'iniéièt, touchaut sa carrière d'ar- tiste : que de motifs pour ne point garder le silence au moment où la tombe se ferme sur lui 1...
Lesueur appartenait à une ancienne famille de Picardie ayant , à diverses époques , produit des hommes distin- gués. — Le peintre de la vie de St.-Biuno, le Raphaël de la France, était un de ses ancêtres , et son portrait ornait le salon du compositeur qui , dans ses ouvrages , a été» comme lui , si pur et si élevé , si sévère et si gracieux ! Tout enfant, la musique même la [)lus simple exerçait sur son âme et sur ses oiganes un effet étonnant. Il habitait la campagne et n'avait jamais eiUendu d'harmonie, lorsque se trouvant un jour sur le bord de la roule conduisant à
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Abbeville , il apperçul un régiment faisant halle pour se reposer. — Bientôt l'orchestre militaire frappa ses oreilles en exécutant des morceaux à plusieurs parties : « Oh ! » mon Dieu ! s'écria le petit Lesueur étonné et ravi!...
» plusieurs airs à la fois! » Cet instant décida de sa
vocation , ainsi que la vue d'un tableau de Cimabuë, la lecture d'une ode de Malherbe , décidèrent de celles du Giolto et de la Fontaine , comme peintre et comme poète.
Ce fut peu de temps après qu'un ecclésiastique, ami de sa famille, le fit entrer à l'école de musique de la cathédrale d'Amiens. Il commença en même temps ses études au collège de cette ville, avec une véritable distinction : aussi peu d'artistes ont possédé à un aussi haut degré que lui la connaissance des langues mortes et des auteurs de l'antiquité. — Très jeune encore il devint tour à tour maî- tre de musique des cathédrales de Sens , de Dijon , et fut ensuite nommé à la maîtrise des Saints-Innocents de Paris. — Lié dès lors avec Philidor, Grétry, Gossec et surtout Sacchini , qui lui avait voué la plus tendre affec- tion, à 22 ans et quelques mois il sortit vainqueur du grand concours ayant eu lieu pour la maîtrise de Notre- Dame. Après sa réception il écrivit des motets qui , de prime abord , le placèrent au premier rang parmi les compositeurs de musique religieuse.
La révolution étantarrivé, Lesueur composa son premier ouvrage dramatique, la Caverne, et ce début fut un chef- d'œuvre. Cette partition unit à des chants d'une mélodie vive, naturelle, inspirée, une énergie digne de Gluck, et un travail d'orchestre aussi pur, aussi savant qu'il soit possible de l'établii-, quand on ne veut pas, comme on l'a
lenlé de nos jours, faire de la niusuiue un conlinuel pro- blême de maihémaiiques. — Les couplets de Léonarde, le beau irio du premier acte, l'air de Séraphine , celui de Rolaiido , les chœurs syllabiques des voleurs , dans les- quels Lesueur a introduit des silences à la suite des cres- cendos , de l'effet le plus saisissant , sont des modèles de grâce, d'expression, de vigueur! Paul et Virginie, où se trouve un hymne au soleil ayant tout l'éclat , toute la cha- leur de cet astre vivifiant , et Télemaque , ajoutèrent à sa réputation et lui valurent d'être nommé l'un des inspec- teurs généraux du Conservatoire, à la création de cet éta- blissement. Bientôt l'envie fit siffler sur lui ses serpents, et il se défendit de leurs morsures avec une noblesse, une modération dignes d'une aussi belle cause que la sienne. — Il faut lire les mémoires publiés alors par lui , par son ami l'avocat Ducancel, mémoires que je conserve précieu- sement , pour se faire une idée de la portée de l'esprit, et de l'élévation du caractère de ce grand artiste 1 Etranger à l'intrigue , aux passions viles et haineuses , afin de les combattre , il n'a besoin que de leur exposer sa vie dans toute sa simplicité. — Les hommes les plus honorables se groupèrent à cette époque autour de lui ; ce fut l'un d'eux qui, prophétisant le succès (\^?> Bardes , lui disait dans une épîlre en vers, ù propos des ennemis qui l'assaillaient :
a Agile les lauriers... lu triompheras d'eux a Comme Ossiaii des Scandinaves !... »
toutefois leur méchanceté , leur bassesse allèrent trop loin, et le chef du gouvernement d'alors , Napoléon F"", qui veillait sur Lesueur, dont il estimait la personne et admirait les ouvrages , sut interposer sa main puissante pour faire rentrer dans le néant la tourbe de ses détrac- teurs. — Malgré leurs efforts pour empêcher la n)ise en
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scène d'Ossian, il ordonna que cet ouvrage fui monté avec soin, magnificence, et se rendit à la première représen- tation , avec l'impératrice et les principaux personnages de sa cour. Trois actes sont joués et sont vivement applaudis. — <> Allez dire à Lesueur que je veux le » voir, lui parler, (dit l'empereur à l'un de ses grands » officiers). » — On le cherche partout : depuis deux jours et deux nuits le compositeur n'avait pas pris un ins- tant de repos , et on le trouve enfin , dans le costume le plus négligé , sur le théâtre de l'Opéra , conduisant , et guidant de la coulisse, les chœurs occupant la scène. — Il s'excuse de ne pouvoir répondre à l'invitation qui lui est faite; mais bientôt cette invitation devient un ordre, et l'empereur ajoute : — «Je sais ce que c'est qu'un jour de » bataille, et je ne regarderai pas plus à son habit, que je » ne regarde en pareille circonstance à ceux que portent « mes généraux ; qu'il vienne 1... » Résister plus long- temps était impossible ; Lesueur s'achemine vers la loge impériale. Cette loge s'ouvre, l'empereur se lève, prend son petit chapeau à la main, en fait un geste qu'il accom- pagne de son plus doux sourire : <■ Lesueur, je vous
» salue 1... venez assister à votre triomphe Vos deux
» premiers actes sont beaux , mais le troisième est incal- • culahle!... » — En ce moment le public qui s'apercoiit de ce qui se passe, crie avec enthousiasme : « Vive Napo- ■> léon ! vive Lesueur! «« Celte scène, ces paroles pleines de justesse et d'originalité m'ont été racontées vingt fois par ses amis , ses élèves ; pour lui , il se bornait à dire : <. Ce fut l'un des plus beaux jours de ma vie ! • — Le lendemain matin le général Duroc se rendit chez Lesueur, et lui remit , de la part de Napoléon , la décoration de la Légion-dHonneur, le brevet de directeur de sa chapelle, et une superbe labalière on or, oniichie de son chilîie eu
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diamants, et portant celle insciipiion : " VemperPAtr des » Français à Vaiiteur des Bardes. » — <ï En vous don- » nant ces marques de sa saiisfaciion , dit le général, il » veut que vous sachiez que dans son opinion , ce n'est
• point avec de l'argent qu'on récompense un homme lel " que vous ; mais vous devez faire une grande dépense
• en papier de musique, et il doit vous la rembourser. • — La tabatière contenait plusieurs billets de la Banque de France.— Il y a dans tous les détails de cette anecdote, que je n'ai lue nulle part, de la grandeur, de la générosité, et elle honore trop le souverain et l'artiste , pour que le souvenir n'en soit pas conservé.
Je n'entreprendrai pas l'analyse de l'opéra des Bardes, qui conlient des beautés de premier ordre 1 je me borne- rai seulement à rappeler l'air dHidala chanté par Lays :
< Suivez sans craindre les obstacles, . ,
Celui que M"« Armand interprêtait avec tant de charme :
« Ah 1 pour moi ce jour est prospère ! . . . >
le Songe d'Ossian , dans lequel les harpes produisent uu magnifique effet ; les airs de danse et surtout le chœur ;
« Oui; que le chant vienne embellir nos jeux, « Que du chasseur il anime l'adresse ! »
que Lesueur m'a donné enlièrement écrit de sa main, et dont la suavité, l'originalité sont si remarquables. L'empereur, et depuis le roi Charles X, demandaient toujours qu'on l'exécutai à leurs dîners du grand couvei t.
Ce bel opéra, comme tant d'auties de l'immortel Gluck, de Piccinni, de Salieri, de Sponliny, est abandonné.
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— En vérité cet abandon est loin de faire l'éloge d'une administration qui , au lieu de varier son répertoire , d'entretenir le goût et les tiadilions du beau, par la repré- sentation des anciens chefs-d'œuvre , se borne à jouer sempiternellement 4 ou 5 ouvrages nouveaux I
Lesueur composa successivement Vlnauguration du Temple de la Victoire, le Triomphe de Trajan , en colla- boration avec son élève Persuis , et la mort dAdam, grands opéras, ainsi que des messes et des motets pour la chapelle impériale. — Ses Bardes avaient été désignés comme devant obtenir le prix décennal. — La Restaura- tion fut juste et libérale envers lui. Louis XVIII respec- tant ses sentiments de reconnaissance pour Napoléon , et appréciant son mérite, le nomma surintendant de sa mu- sique. Il reçut le cordon de Sl-Âlichel, et l'ordre de Louis d'Armstadt lui fut conféré par le roi de Pi usse , grand aduiirateur de ses compositions.
Plusieurs messes nouvelles, Yoratorio de Noël, ceux de Ruth et Noemi, de Debbora, des hymnes, des psaumes, la musique du sacre de Charles X dont je dois la collection à sa généreuse amitié, mirent le sceau à sa réputation. — Personne n'a plus que lui travaillé la musique religieuse, en faisant les recherches les plus profondes sur les airs transmis par l'église primitive d'orient à l'église gallicane, airs qu'avaient recueillis les troubadours provneçaux. -- Les notes de son oratorio de Noël, et le volume qu'il com- posa sur la Mélopée , la Rlujtmopée, et les grands carac- tères de la musique ancienne , font foi de son goût et de sa science. — Il écrivait avec élégance , avec chaleur, avec une franchise tout à fait picarde ; sa lettre à Guillard qui était l'auteur du poème de la mort dWdam, en ulVre Ja
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preuve , et vint, selon l'expression originale d'un journal, crever comme une bombe dans le camp ennemi. Il a laissé en porlefeuille beaucoup de manuscrits , parmi lesquels se trouvent un opéra d'Alexandre à Babylone, paroles de Baour Lormian , et une histoire générale de la musique, que met en ordre sa \e\\\e , femme si distinguée par le cœur et l'esprit , si dévouée à sa mémoire ! ! — Membre de l'Institut , professeur de composition au Conservatoire, Lesueur a fait une foule d'élèves , enir'auires Berliozi Ehvart, et Boisselot son gendre, qui ont obtenu le prix de Rome. Alexandre Piccini, à la mort de son grand père , reçut ses leçons et avait conquis par l'amabilité de son caractère , par sa merveilleuse facilité , toute son afTeciion. C'est de lui que Lesueur me disait un jour : « Notre ami Alexandre porte de la musique comme le • poirier porte des poires. »
Lesueur était le modèle de toutesles vertus. Sa femme, ses filles si aimables et si bonnes, avaient en lui le meil- leur des époux , le plus tendre des pères. On se ferail difficilement une idée du charme, de la bienveillante hospitalité qu'on rencontrait dans celte famille patriar- «Siale.i. et la mort vient d'en retrancher l'àme, la vie; celui qui faisait son bonheur et sa gloire !...
Deux lignes reçues le 10 oclobi'e, m'ont appiis cette triste nouvelle :
«■ J'ai la douleur de vous apprendre la mort de notre - ami. — Plaignez-moi , je suis bien malheureuise I »
Adeline Lesueur.
A ces deux lignes si déchirantes, si expressives dans leur brièveté, on ne peut répondre que par des larmes.
25 octobre 1837.
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APPEIVDICE,
En 1842 , j'allai liabiicr Paris , ei jusqu'en 1850 je ne cessai point de fréquenter M'"^ Lesueur, d'admirer l'affec- tion profonde qu'elle portait à la mémoire de son époux, et le soin qu'elle prenait d'entretenir le souvenir de ses œuvres et de sa gloire.
C'est dans ce but qu'en 18i7, elle fil exécuter dans la gi'ande salle du mobilier de la couronne, quatorze mor- ceaux choisis , parmi les compositions de cet illustre maître. Un dimanche avait été choisi pour donner ce concert. Je m'y rendis, sur une invitation de M"* Lesueur, avec le plus grand empressement. L'habile Tallemani conduisait l'orchestre , et les chœurs étaient dirigés par Tariot. — Quelle ne fut pas ma surprise de ne rencontrer que fort peu de monde à cette solennité musicale !...— Les membre du Conservatoire, dont Lesueur a été pendant si longtemps l'un des inspecteurs , et des professeurs les plus distingués, n'éiaienl point là. Je n'y vis pas l'Aca- démie des Beaux-Ans, dont il avait fait partie , ni même le directeur des Beaux-Arts qui , en semblable circons- tance, devait donner l'exemple du zèle et des convenan- ces. J'y cherchai vainement les compositeurs dramatiques:
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pas un de ceux les plus connus ne s'y liouvait. Quand ail beau monde , il avait bien auli'e chose à faire ' — On sait du reste comme la société dite fashionable apprécie la belle et sérieuse musique. — Les courses de Clianiilly (1). le cheval d'un juif millionnaire , engagé dans un pari; quelques malheureux. jockeys désarçonnés, se rompant un bras ou une jambe dans rinlérèl de leurs maîtres; les charmes de l'ignoble lansquenet, qui dévore la fortune, l'honneur et le repos des familles ; enfin, les chansonnettes de Levassor, les quadrilles de Musard, ou les gentillesses
(1) A propos de ces courses , le Journal des Arts dirigé par lo bibliophile Jacob, el donl j'étais un des collaborateurs, a publié dans lo t. VI de sa sixième année, n> 4 du 10 octobre 1847, page 1 18, les réflexions suivantes :
" Un coup d'œil jette sur l'élite des chevaux engagés pour les « courses de Chantilly peut donner une idée du bon goût de MM. » du iurf. — Au milieu de la nomenclature des célébrités chevalines, )/ nous avons remarqué, en effet, les noms suivants : Couche-tout ml, » Va-nu-pieds . Chourineur, Bataclan , Lansquenet , Morok , Tron- I) guette; la liste entière est de celle force. On sérail d'ailleurs fort « embarrassé de nous dire à quoi ces courses sont utiles. — On les » donne comme devant améliorer la race chevaline — tout le monde » sait à quoi s'en tenir sur ce point. — Ces courses sont la grande 1) affaire des princes el des riches qui ne regardent pas ù l'argent » pour y ûgurer avec honneur dans la personne de leurs jockeys. — >' Ne craignons pas de le dire 1res haut , c'est un ridicule f[ue notre !) époque se donne , au détriment de l'espril français , el de la société » française. — Mieux valaient les jeux florauv, les palinods, les puys » de réthorique de nos aveux , les ruelles el les salons de nos pères I) que ces passe-temps de palfreniers el de garçuus d'écurie. — Les n noms donnés aux chevaux qu'on fait paraître en public téreoigne- » raient seuls de la grossièreté des mœnrs du beau monde ; on recher- ■) che mamtenant le laid el le Irivial, comme autrefois on recherchait » le beau et le noble. Les anciens chevaliers qui aimaient leurs chd^ » vaux pour s'en servir à la guerre , ou dans les tournois , leur don- ij naiont de glorieux noms de batailles , ainsi qu'à leurs épée* -
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du général Tom-Poucc , luui cela sel bien autreineitl. alli'ayaiit '^ue l'audiiion de chefs-d'œuvre, el l'accomplis- senieni d'un devoir ayanl pour résultai de reiidie hommage à un grand artiste français!... — Parmi les hommes dis- tingués dans l'an musical, je retrouvai, en petit nombre, dans ce concert, quelques anciens amis, enir'autres Casiil Blaze, Rigel et Sina. — Ainsi que moi , ils applaudirent avec enthousiasme Vhymne an Soleil , le Salutaris de la première messe solennelle , deux chœurs de la Caverne, dont le second fui bissé , el le morceau de chasse à plu- sieurs voix de l'opéra des Bardes. — Je dois l'avouer cependant, malgré le plaisir ([ue je venais d'épi'ouver, un inexprimable sentiment de liislcsse me saisit en sortant de celle réunion. — je me demandai ce que c'était que le génie , s'cffaçant de la mémoire des hommes, dix années seulement après la mort de celui qui l'a possédé?... — Grande et terrible question dotit la réponse est dans ces mots : l'oubli , le néant 1 ! 1 !
Les quelques écrits publiés par railleur des Bardes , et qui servirent de prétexte aux persécutions igi.obles, diii- gées contre lui en 180!2, sont devenus très rares. AI"'^ Lesueur m'en a donné la collection , avec ces mots écrits de sa main sur la première page : « Offert au véritable ami de Lesueur. » Pour donner une idée du style de ce dernier, je reproduis ici un pi\ssi\ge de sa lettre à Guillard, répondant à Sarrelte , Vinil , Catel et compagnie , qu' l'accusaient sans cesse d'être ['ennemi de ï école italienne :
• L'école italienne ! l'école italienne ! . . . Gluck hii-même
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a le plus soLivenl ccrii ses tiagédles si forieiDent dra- matiques, avec l'ordre cl l'aurait de celte école... L'école iialienne!... elle répandra sa mélodie, son charme irré- sistible , son attrait loul puissant sur 1<; nerf et l'énergie de la musique allemande, sur la majesté solennelle des morceaux d'ensemble français. — L'école italienne ! des trois écoles , elle n'en fera qu'une , peut être la plus étonnante qui ail jamais existé... El s'il se irouvail dans l'étal de nouveaux Mécènes , s'il se irouvail un nouvel Auguste, qui connut tout le prix de l'école ita- lienne, susceptible d'être un jour ainsi modifiée par les Fi'ançais , qui ai:iiài celle mère et magnifique école, comme Auguste aimait la poésie mélodieuse de Virgile ; je répondrais par cela mcnic.... qu'à sou influence, l'émulation des jeunes compositeurs se réveillerait d'au- tant plus, que le sol des héros, que la terre des Francs, fut aussi la leire qui répondit la première aux accords du barde antique. «
Une statue a été élevée à Lesueur sur une des princi- pales places d'Abbeville , et un buste , dont je dois un exemplaire h la généreuse bienveillance de M. Auvray, sculpteur né à Valenciennes , reproduit , avec une grande vérité, les Iraiis pleins de douceur, de noblesse et de sen- limenl de cet illustre composileur.
MEYER BEER
4 El lui préfère aussi les Muses aux Syrènes. »
Paraphrase d'un vers Je l'abbé Arnauld sur Gluck.
A MA CHÈRE NIÈCE EMMA SAUVAGE.
Bien jeune encore tu sais, aulant que personne , apprécier 13 génie des grands maîtres allemands, et les œuvres de Gluck, de Mozart, Haydn , Bethowen , Weber et Meyerbeer, revivent sous tes doigts agiles et inspirés !
Bcçois ces quelques pages sur le compositeur de Robert, et des Huguenots, comme un témoignage de mon affection , et du plaisir que ton talent si distingué m'a souvent fait éprouver
P. H.
MEYER BEEU.
Boulogne esi une ville de province heureuse entre toutes les villes de province de France. — Quand le soleil d'août darde ses rayons sur les remparts entourant la vieille cité des Romains , sur le sable de sa côte si favo- rable auK baigneurs , les hommes de lettres , les artistes les plus distingués de l'Europe y ai livent de toutes pans. Parmi ces artistes , nous comptons en ce moment le célè- bre aulear de la musique du Crociato , de Marguerite, d Anjou, de Robert le Diable , et des Huguenots.— Digne successeur de Gluck , et réunissant, comme lui, la force, l'expression dramatique , l'entente parfaite des passions, aux chants les plus colorés , les plus beaux de dessin, Meyerbeer est la gloire de notre scène lyrique , depuis que le seul homme pouvant lutter avec lui s'est , par suite de fàcheiies avec notre administration des Beaux-Arts, retiré, ainsi qu'Achille, sous sa tente. — On ne sait en vérité ce que l'on doit le plus admirer dans le talent de Meyerbeer, soit qu'on s'arrête à l'effet général de ses par- titions , soit qu'on étudie les détails particuliers de leui- orchestration. Cette orchestration, est d'une profondeur, quant à la science des accoids , à l'enchaînement des modulations, à l'imprévu des nuances, qui, jusqu'à lui, n'a point été égalée. Et qu'on ne s'y trompe pas, sa science n'est ni abusive , ni fausse , comme celle de la plupart de
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ses imiiateurs , car loin de nuire à la mélodie , elle la faii ressortir avec un éclai, une puissance admirables! Ses productions rappellent à la fois le génie de Michel-Ange et de Raphaël, de Corneille et de Racine ; il est, en un mot , en musique , la merveille de l'àme et de l'esprit humain !
Dans les morceaux d'ensemble, 3Ieyerbeer est au-dessus de tous les éloges!... Rappelons ce passage d'un article, inséré en 1837 dans le Monde dramatique, et essayant de caractériser l'effet du ohœur des moines , au quatrième acte des Huguenots :
« Comme le fanatisme , la vengeance et la soif du sang sont bien peints dans la musique sur ces paroles :
« Ni grâce , ni piliô , frappez lous sans relâciie
« L'ennemi qui s'enfuit , l'ennemi qui se cache. . . .
« Que le fer el la flamme
« Attaquent le vieillard , et l'enfant et la femme :
« Analhème sur eux ! Dieu ne les connaît pas ! ! . . . »
« Ce rhyihme eu quelque sorte étrange , ce roulement de tambour renforçant celui des timbales, et qui produit un effet inoui , renversant ; ces voix rauques et sangui- naires, rendues plus âpres encore par celle succession de secondes qui se résolvent en harmonie pleine , entière foudroyante , harmonie de meurtre , tout cela forme un tableau tel qu'il n'en est jamais sorti du pinceau d'aucun peintre, d'aucun poète, d'aucun auteur ou compositeur dramatique. — La tragédie effrayante de la Saint-Barthé- lémy disparaît devant le drame effrayant de Meyerbeer : c'est de l'histoire idéalisée, c'est Homère élevant la guerre de Troie à la hauteur de son génie. >»
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C'est ainsi que nous avons scnli, compris ce magnifique poème musical à la première audition des Huguenots , et qu'il a été compris, senti, par une actrice célèbre, Marie Dorval , et par l'auteur de Cinq Mars , qui se trouvaient avecnousau théâtre. — Que l'on rapproche ce morceau plein de profondeur et d'énergie de la charmante et mé- lancolique romance du premier acte, et des chœurs suaves du second; surtout de cette cavaiine délirante d'amour:
a Tu 1 as dit , oui lu m aimes ! »
ei l'on embrassera l'immensité du talent de l'homme qui s'est élevé à une telle hauteur d'inspiration.
Ce grand artiste est à Boulogne; il s'y plail, il com- mence à y éprouver les effets salutaires de nos bains de mer, el s'y repose des fatigues de son aiH, en songeant, sans efforts, à un ouvrage presqu'achevé, el qu'il destine à notre première scène lyiique.
L'auteur des Huguenots est non seulement un artiste de génie, mais c'est encore un homme spirituel, aimable, érudil, d'une bonté parfaite ei d'un excellent ion. — Sa conversation est simple , quoique vivement colorée. C'est avec une grâce piquante qu'il lacoiite , et chose fort rare dans notre siècle, il ne parle que très peu de lui, et seule nieiii lorsque son interlocutiuir l'y oblige. — Ses juge- ments sur les autres compositeurs sont empreints d'une grande bienveillance, et l'on voit que l'envie u'a jamais pénétré dans cette âme élevt'e et pure. — Lien différent de ces demi talents , contempteurs des œuvres du passé, ennemis acharnés des œuvres contemporaines , il faut l'entendre exprimer son admiration pour Gluck, Piccinni, Mozart, Ilandel, Gréiry, Méhul et Rossini. Il me disait
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lin jour, à pi'opos du llichard Cœur-de Lion -. <■ C'est '■ un chef-d'œuvre de mélodie, d'expressiuii diamaiiqrie, " ei tous ceux qui tenteraient de refaire celle pariitiony « échoueraient complèlemeni. « — On a écrit quelque part qu'il élail jaloux de l'auteur de Guillaume Tell, et on lui a prêté à cet égard de prétendue» finesses diplomati- ques, qui seraient le comble delà sottise, et dont je n'ai jamais saisi la moindre irace dans sa conduite et dans son cai'actèie. Aux épigrammes souvent acérées du cygne de Pesaro , dont le talent merveilleux s'allie à la malice la plus originale (i), il a toujours répondu par des éloges.— Au surplus si un peu de jalousis traversait son âme, quand il entend applaudir avec enthousiasme les œuvres de Rossini, il n'y aurait là que l'éclosion d'un sentiment bien naturel, et qui ne serait reprochable, que s'il se ira(!uisait en paioles amci'^es, dénigrantes, La muse n'est-elle point une femme, et l'artiste qui l'adore ne peut-il pas un instant être jaloux de voir qu'elle ne lui réserve pas loules ses faveurs? Mais si Meyerbeer éprouve quelquefois ce sen- timent , il sait s'en rendre maître : il faii plus , car il s'ex- prime sur les œuvres de son lival avec une estime aussi vraie que profonde.
Ses appréciations sur les qualités naturelles qui consti- tuent Tariiste mu^icien sont d'une justesse et dun ia(;i remarquables : « Pour faire de la belle muj^ique, ma-t-il « dit encore , il faut un sens droit , et une organisation
(1) Parmi taiil île mois fortomeiU ôpicés do Rossini , on a suiloul retenu celui-ci :
a Je relourne en Italie , v\ je ne reviendrui que qiuiiij les Juifs « auront finil leur Sablial »
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fc mélancoli(|iie. » Les idées religieuses, et d'ordre social prédomineiu dans la conversaiiou de Meycrbeer, et lui donncnl celle sorte de gravité qui sied a un talent élevé, et commande le respect et l'estime. — Excellent fils , il a pour sa mère les soins les plus louchants , et c'est avec des larmes dans la voix qu'il parle de la perte prématurée de son frère Michaël Berr, auteur des tragédies du Paria et de Struensée qui, comme lui, tenait en ses mains une lyre d'or que la mort vint lui arracher. — Aussi soucieux qu'un Français de la gloire de cette belle France , sa patrie d'adoption , il s'inquiète beaucoup en co moment, delà réunion, souvent mise sur le lapis, de l'Opéra et du Théâtre Italien. Sa raison lui fait sentir que ce projet de spéculateurs foulant l'art aux pieds pour ne songer quau lucre, en dénaturant une des plus belles créations du siècle de Louis XIV, serait la ruine de Tun et l'aulre théâtre. Elle lui fait entrevoir qu'il serait la source de rivalités destructives , donnant gain de cause à ce faux dilleltan- lisme qui déjà, sous la Restauration , ayant pour chef un directeur des Beaux-Arts à gants jaunes, avait juré l'anné- anlissemeni de notre première scène lyrique. — A cel égard, son opinion est partagée à Paris par tous les hom- mes de talent, Auber, Chérubini, Berion, Berlioz; par les critiques les plus distingués (1), et dans la province, les vrais amateurs n'ont qu'une voix sur ce point. —Espérons que le ministre de l'inlérieur ne se laissera pas circonve- nir, et qu'il conservera, dans tousses dioils, un théâlrc qui n'eut jamais du soilir des mains du gouvernement.
(1) Mon ami Mcile a publié sur cette quesliori , en 1S37 chez Barbu , deux leltres très ùlenduos qu'il m'a adressées. — Elles son' t)étillantes d'e-^prit , do verve et de raison.
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pour passer en celles des banquiers aclniinislrani de nia- nière à le conduire à sa perle.
J'avoue que Famiiiéde Meyerbeer m'est précieuse, fluue mon cœur, et que les instants que j'ai passés avec lui, chez moi, dans ces douces soirées, ces petits dîners, dont il faisait le charme , sont au nombre des souvenirs les plus agréables de mon existence. — C'est dans un de ces dîners que s'est produit un incident prouvant , pour la millième fois , que les plus grands hommes ont leurs fai- blesses. — Meyerbeer a, je ne dirai pas une haine, mais une antipathie prononcée pour les chais, dont il ne peut suppoi'ier la présence. Serait-ce que l'insipide miaulement de ces petits ligres domestiques aurait, dès son enfance, blessé son oreille si musicale? je l'ignore : mais quel que soit la cause de celle répulsion , elle exisl*^ pour lui à un degré on ne saurait plus élevé. — Or, un de ces animaux s'élant glissé dans la salle à manger, sans que personne s'en fut aperçu , parvint à grimper derrière la chaise du compositeur. — L'effroi de ce dernier, me fut révêlé par la pâleur qui couvrit toul-à-coup son visage ! le malheu- reux chat fut chassé avec assez de violence, et peu accou- tumé à un semblable iraiiement, il disparut de la maison, où il ne revint jamais. Quant à Meyerbeer il ne recouvra son calme et sa sérénité qu'après un assez long inlervalle de temps.
D'un tempérammenl éminemment nerveux, ce qui lui fait percevoir toutes les impressions avec une extrême vivacité, ce grand artiste est d'une apparence frêle, déli- cate, et subit cependant, sans dangers pour sa santé, lorsqu'il s'agit de son art, les fatigues les plus grandes. Jamais compositeur n'a mis plus de soins dans les répéii-
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lions de ses ouvrages, et ne s'est moniré plus soucieux de sa gloire, ei plus respectueux envers son souverain juge, le public ! Sa laille esi peu élevée , mais bien prise ; tous ses mouvements ont de la grâce, et de l'aisance. Lorsqu'il s'anime , sa tète est expressive , spirituelle , et il y a dans sa bouche une finesse , une douceur qui , dans certains moments, font place à la plus notable énergie. — J'ai vu peu de fronts plus distingués de forme , plus révélateurs d'une haute intelligence , que le sien. Lorsqu'il parle, cette partie de sa figure s'anime, semble rayonner, et offre de ces lignes mouvementées qu'on rencontre dans les bustes d'Homère et de Walter Scott. — C'est après avoir saisi ces nuances par une observation minutieuse, et pour moi remplie d'intérêt, que j'ai écrit sous son portrait placé en tète d'un recueil de pièces détachées qu'il m'a donnéi ces quatre vers que je voudrais meilleurs :
« Dieu , dans sa puissance infinie « Lui fit de tous les dons l'un des plus précieux, « En imprimant sur son front glorieux
« Le type sacré du génie ! »
Son caractère est original, distrait, et souvent on le ren- contre , au grand ébahissement des badauds , portant un parapluie par le plus beau soleil du monde. C'est malheu- reusement le seul point de ressemblance que j'aie avec lui, parce que je crains l'eau autant qu'il craint les chats, et que dans notre climat variable, inconstant, au (mcI le plus pur succède souvent un affreux déluge.— Beaucoup de gens en rient , et cela me rappelle que mou vieil ami Duplessis Bertaux , \e charmam aqva-fortiste , m'avait, un soir que je chantais au piano l'air de PUade dans Ylphigènie en Tauride de Gluck , représenté le parapluie sous le bras. — Enfin, Meyerbeer est généreux , comme
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un grand seigneur de la Régence , obligeant envers toul le monde , surloul envers les ariisles , ei s'il a fait des ingrats , il s'est fait aussi beaucoup d'amis.
Sa présence à Boulogne a mis en émoi tout notre petit monde musical. La Société philharmonique,; tenant à grand honneur de le placer sur le tableau de ses mem- bres, où figurent déjà Chérubini, Lesueur, Berton, Calel, et autres illustres compositeurs, a fait auprès de lui une démarche solennelle. — Son comité s'est présenté en corps, ayant à sa tête son vénérable président , à l'hôtel de Meyerbeer, et lui a offert le diplôme d'associé honoraire, qu'il a reçu avec la plus gracieuse bienveillance. — Il est entré dans des détails tout particuliers sur l'éducation musicale à Boulogne, sur les avantages que l'art retirerait de l'institution des sociétés philharmoniques , et a donné les encouragements les plus flatteurs aux efforts des hommes qui tendent à populariser parmi nous le culte de l'art.
Terminons cet article ainsi que nous l'avons commencé: <■ Oui , Boulogne est une ville de province heureuse^ '- entre toutes les villes de province de France 1 »
1838.
\i>i)nio\.
Dix-sept années se sont écoulées depuis que cet ariiele a été écrit et publié par un journal de province. J'ai quitté Boulogne, pour habiter tour à tour Paris et Valenciennes, et dans ces deux résidences j'ai revu souvent Meyerbeer. Il est resté pour moi toujours le même. Cette conduite est assez rare, parmi les hommes que le succès et la for- tune favorisent ; je me plais à l'en remercier, et ressens une vive reconnaissance de l'affection qu'il m'a conservée! En 1849, il m'a fait entendre son Prophète, dont je dirais que l'instrumentation me semble trop bruyante, si j'osais me permettre de jeter une ombre sur les beautés qui y fourmillent. — Je ne connais son Etoile du Nord que par la partition avec accompagnement de piano. — Lors des voyages qu'il fait chaque année de Paris en Allemagne, et d'Allemagne à Paris , il n'oublie jamais de venir me serrer la main à Valenciennes où le sort m'a confiné. — C'est là qu'il m'a remis un exemplaire de ses Quarante mélodies , véritable écrin où brillent , comme des pierres précieuses, tant dépensées musicales, revêtues de l'har- monie la plus pure. Est-il rien de plus fiais , de plus suave, de plus délicieusement passionné que le Chant de Mai ouvrant ce (,'harmant recueil?... et le Moine, la Uicor- danza , Nella . la Folle de St-Joseph, le Poète mourant ne
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soni ils pas des petits chefs-d'œuvre de sciuiment cl de vérilé?... — Je dois le dire . il me paraît iuconcexajjle que cela ne se chante poinl dans tous les salons , que les pro- fesseurs préfèrent enseigner à leurs élèves tant d'airs à roulades, à goi'ghetti. à gazouillements, tant de romances plates, qu'on déviait abandonne)' aux orgues de Barbarie! Ah I je ne saurais trop le répéter, en France réducaiion musicale est plus négligcîe que jamais 1 tout le monde se mêle de lossignolcr, de rechercher de prétendues difficultés de gosier, et sur cent personnes il n'y en a souvent pas une qui sache déchiffre)', file)' un son, et pro- ))oncer les paroles avec netteté, avec intelligence. — Dans aucun temps ce passage que j'emprunte à une vieille bi'o- chure de Grimod de la Heynière, le Ilideau levé, dont le succès a jadis été immense , n'a été plus applicable qu'à not)e siècle :
'< Peut-être faites vous fi de ces airs d'expression, de « ces airsdra)naiiques qui, pour allei'au cœur, ne demau- « dent ni trilles ni coups de gosier, ni convulsions de « mâchoires, ni ces assommantes gammes chi-o)natiques " montantes et descendantes, qui ne sont réellement que <■ des gargarismes et des amorfie. — Le difficile et le iri- « vial ont seuls des attiails pour votre audace et votre <- goût. Hélas ! oserais-je vous avouer que je suis de l'avis " de l'un de nos poètes :
« En fait de chanl , non rien n'est plus facile « Que la difficulté. »
" Au conliaire rien n'est plus difficile, rien ne demande « plus d'art et de soin que les airs peignant un sentiment « profond. Ils sont écrits avec peu de notes; il faut donc « que la voix donne à chacune de ces notes sa valeur
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<• léello , ei Sun acceiil propre. Ils iJoivenl eue chaulés <• adagio ou hv go, ei raccompagnemeiit en osl peu chargé. « Il faul que l'exécuiiou en soii d'une pureté parfaite, car « la moindre faute devient sensible et détruit à la fois <• l'effet et l'hai-nionie. »
A bon entendeur, salui 1111
Au surplus , c'est avec joie que , tous les jours , nous voyons les meilleurs critiques s'élever, depuis quelque temps , contre les excès qui menacent l'an musical d'une ruine complète. — L'un d'eux , M. Léon Gatayes , don*^ nous estimons le lali'ulel le caiaclère, écrivait dernière- ment les lignes suivantes , que nous nous plaisons à répéter :
" Alors commença pour la musicpie une immense révo- « lution , qui ne s'est plus arrêtée. — Les forces de l'or- <• chestre s'accrurent en proportion de l'importance que « prenait son rôle; d'autre part, ce rôle devenant toujouis « plus important, à mesure que ces foices s'accroissaient, " nous en sommes arrivés au point effrayant où nous " sommes aujourd'hui. — L'art du chant s'en va, on ne « chante plus , on crie , on hurle ; le tapage , le bruit ont « remplacé la sérénité de la mélodie. — L'harmonie mu- « sicale , (c'est à dire le doux concert des voix mêlées <• aux sons des instruments) ; 1 accord des divers timbres <■ équilibrés enir'eux , ont du céder la place au bruit « assourdissant des triangles, cymbales, timbales, tam- •' bours el grosses caisses, au fr-acas des cuivres où <• semble s'engouffrer le souffle impétueux des tempêicsl . . '- ei c'est avec cela maintenant qu'on accom|)agne les '< voix. — Les chanteurs ont dii luitei' à force de poumons " contre les formidables explosions de l'oi chestre ; de là
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cetlc d(''[)loiablt' école du cri, où doivoiU disparaître les derniers vestiges de l'art du chant, si la l'éaction n'ar- rive ^l\ •>
(1) Le Mousfiuelaire, n ' du 5 juin 185j, arlÎL-le Causerie musicale.
PAGAÎ\Ii\I.
B Irritât, mulcel, falsis lerroribus implet » Ut niagus B
(HORAT.).
i»a<;a\i\i.
J'ai connu assez particulièrement Paganini , et je peux affirmer que, sous tous les rapports, il y avait en lui l'un des hommes les plus extraordinaires que j'aie rencontrés ! Selon moi son talent était si complet, si élevé, que jamais il ne s'en représentera de semblable. Ce talent sublime, il le devait autant au travail qu'au génie dont la nature l'avait doué.
Je vais d'abord essayer de donner une idée de ce qui constituait son individualité artistique, et la révolution qu'il avait opérée dans le domaine du violinisle. Ensuite, j'esquisserai sa physionomie, comme homme pi-ivé, telle qu'elle m'est apparue, en racontant quelques traits de son caractère dont la bizarrerie, j'en ai la conviction , n'avait rien de joué.
Tout le monde sait que le violon est, de tous les instru- ments, le plus difficile à apprendre, de manière à arriver à une certaine habilelé , et le plus insupportable à enten- dre, lois même qu'il réalise une certaine perfection pure- ment classique. — Dans ce dernier cas il n'a point de charme, l'effet qu'il produit est uniquement matériel, et agace, fatigue les nerfs de ceux dont l'organisation est délicate , en leur faisant constamment percevoir la pré- sence de la corde et du crin. — La prestidigitation du
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doigié , la souplesse ei la vigueur de l'archei , la mesure exactement observée , la justesse des sons, ne suffisent donc pas au violinisie pour émouvoir les amateurs d'élite, pour les transporter dans ce monde idéal de jouissances pures, célestes, ou de terreur infernale qu'évoquait le génie de Paganini.
Avant ce grand artiste Tarlini, Pugnani, d'après la tra- dition, et Viotti, que j'ai eu le bonheur d'entendre àCalais en 181i, étaient les seuls qui eussentfait oublier qu'ils jou- aient du violon. — Leur âme avait passé dans leurs doigts qui, par une communication électrique qu'on ne saurait expliquer, imprimaient aux sons toutes les nuances des passions et des sentiments. — Ces artistes étaient loin, toutefois, d'avoir atteint le degré de perfection auquel parvint Paganini , parcequ'ils n'avaient point cherché, découvert les ressources immenses renfermées dans le violon. — Ce dernier s'est en effet créé des moyens et une puissance jusqu'alors inconnus.— Novateur heureux , il a transformé l'art de telle sorte qu'il semble l'avoir refait entièrement.
Je vais grouper quelques exemples destinés à faire mieux saisir, et à justifier l'opinion que jejiens d'émettre.
L'archet de Paganini, placé dans une position plus per- pendiculaire qu'on ne le place ordinairement, avait une franchise d'attaque , une hardiesse , un essor plein d'élé- gance et de grâce. — Jamais on n'avait donné au Pizzicato, et au Slacato la force et les applications qu'il leur avait données, même dans les mouvements les plus rapides.— Les sons harmoniques, imitations du llageolet qui, jusqu'à lui, étaient si pauvres d'effet, il leur avait imprimé tour à
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loiii' une vigueur, une expression, une douceur admira- bles! — L'exécution à double corde n'était pour lui qu'un jeu. — Ce qu'il y avait surtout de miraculeux , c'est que, laissant de côté l'orchestre , il exécutait avec un seul doigt un chant délicieux , tandis que les autres doigis fai- saient entendre un accompagnement lent ou vif, formant une harmonie qui ne laissait rien à désirer et qui renfer- mait souvent des dissonances très conjpliquées , d'une justesse incontestable. — Il en était arrivé à ce point' qu'une seule corde, la quatrième, lui suffisait pour attein- dre à une telle profondeur d'expression , que dans la Itiière de Moïse, par exemple, il ravissait ses auditeurs, et faisait couler les larmes des yeux des êtres les plus insensibles! ~ Quant à la voix humaine , n'était-il point parvenu, par un travail inoui, à l'imiter dans toutes ses nuances, à la rendre tendre ou sévère, religieuse ou iro- nique, terrible ou suppliante, gaie ou douloureuse? — Les accents de la jeune fille , du vieillard , de i'amant passionné, du prêtre inspiré, du guerrier volant a la victoire, de tous les peisonnages comiques des para- des italiennes, s'échappaient de son jeu magique avec une vc'-rité, un brio, une mélancolie, une fierté, une amertume ayant quelque chose de surhumain ! Ceux qui l'ont entendu interpréter les différents caractères du Caj'nauaî f/e Kemsc, me comprendront cent fois mieux par les souvenirs (|u'ils en ont gardé , que par tout ce que je viens de dire , car, outre mon inhabilité , il y a dans les arts des merveilles (ju'on ne saurait rendre parla parole écrite ou parlée. — L'organisation physique de Paganini venait encore en aide à son génie , en lui offrant des ressources que nul autre (pie lui n'aurait pu employer. Ainsi ses clavicules étaient c(infoiin<'<'s de façon à ce que Sun violon, surle([uel
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il appuyait alors avec toice le nienlun , y leuail aiiaclié, sans qu'il fui obligé de le soulenir avec la maiu gauche, ce qui lui permeiiait d'en faire tout ce qu'il voulait, en lui donnant toutes les positions possibles.— Cette main L-lle- inême avait une élasticité , une forme vraiment uniques, puisque, sans nul effort, il arrivait à imprimer à son pouce la courbe la plus arquée , dans un sens contraire à l'arti- culation.— Longtemps on a pensé que les doigts de Paga- nini étaient d'une longueur énorme , et à cet égard on se trompait étrangement. — D'une dimension moyenne dans le repos, mais secs et très effilés, ils acquéraient dans l'action une extension que de savants anaiomisles pour- raient seuls expliquer.
Je laisserai de côté une foule d'autres moyens techni- ques trouvés, inventés par Paganini, et qui rendaient son exécution prodigieuse. — Il me suffira de répéter ce que les vrais connaisseurs ont si justement dit de son talent : « Contrairement à certains chanteurs, qui font de leur « organe un instrument, il avait fait de « son instrument « un organe, rendant pleinement ses pensées musicales. •
D'une laille un peu au-dessus de la moyenne, excessi- vement maigre , Paganini possédait une figure d'une expression à la fois sardonique et fantastique.— Ses traits rappelaient ceux du Dante. — De longs cheveux noirs tom- bant en boucles sur ses épaules , ajoutaient à feffet plein de mélancolie répandu sur toute sa personne. Lorsqu'il s'animait ses yeux lançaient des éclairs et il était difficile de soutenir son regard , sans éprouver un certain senti- ment de malaise et d'effroi. -Incertain dans sa démarche, paraissant prêt à succomber sous les atteintes d'une maladie nerveuse , qui flnit par le conduire au tombeau.
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quand il lenaii son violon, et levait son arcliei, une révo- luiion subite s'opérait en lui : ce faible corps prenait en ce moment la force , la puissance du bronze , el se dessinait dans sa pose, comme l'Apollon pyihien.
Son esprit était fin , distingué. 11 connaissait bien la littérature de son pays , et en parlait en homme de goût et d'érudition. Dans un salon ses manières annonçaient la fréquentation de la bonne société. — Quanta son carac- tère, la bizarrerie , le caprice en formaient les bases. — Lorsque je fis sa connaissance , il était déjà hypocondria- que à un haut degré , vivant sous l'influence de manies, résultant, sans nul doute , de l'affection nerveuse qui le dominait. Poursuivi, à diverses époques par la calomnie, il avait conservé, surles jugements des hommes, un scepti- cisme amer, que souvent il laissait éclater dans la conver- sation.— Jeune il s'était livré aux passions les plus vives. On m'a assuré qu'alors sa prodigalité n'avait pas de bor- nes. — Le croira-l-on? à 40 ans l'avarice la plus sordide remplaça celte folle générosité. — Je vais en citer un exemple pouvant servir à l'élude des maladies de l'esprit humain.
Le lendemain d'un concert donné par lui dans la ville que j'habitais, et dont la recette avait produit 1 0,000 fr., il me manifesta le désir d'acheter un gilet de casimir noir. Je lui fis l'offre de le conduire chez mon tailleur : — « Non, <• non, me dit-il, mio cai^o advocato, menez-moi dans la " boutique dnn fripe (fripier). » —Nous allâmes trouver un nommé Morel , unissant à l'état de fripier, le titre de costumier du théâtre. — Pendant trois quarts d'heure Paganini discuta avec ce marchand , pour obtenir une diminution d'un franc sur le prix du gilet côté à 10 francs.
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On se ferait diflîcilemeiU une idée de lonles les ressources qu'il employa , afin de parvenir à ce but , qu'il ne put atteindre!!... Ennuyé de ce débat , ayant quelque chose de souverainement ridicule de la part d'un grand artiste, je déclarai , pour en finir, que j'allais solder la différence entre la somme demandée et celle offerte. — Il se résigna alors à satisfaire le fripier, mais ce fut en faisant une gri- mace vraiment diabolique. Puis en sortant du magasin, il me dit : « Vous n'avez donc pas lu les mémoires du '• signor Marmontel, puisque vous vous étonnez de ce que '■ je viens de faire?... — (On sait que l'auteur des Incas raconte dans ces mémoires que Voltaire étant à Ferney, employa inutilement devant lui toute son éloquence , afin qu'un juil'lui fit une remise de six livres, sur le prix d'un couteau de chasse). — « J'ai lu Marmontel, lui répondis- '« je, et je vois où vous voulez en venir: mais vous oubliez, « mon cher maître , que V^oltaire se faisant une question •• d'amour-propre de remporter une victoire sur un juif, « lui offrit, en échange des six livres, les compensations «- les plus larges , les plus généreuses, et alla jusqu'au « point de lui promettre, très sérieusement, de doter une « de ses filles? Est-ce ainsi que vous venez d'agir envers « ce pauvre fripier?,..
En mille circonstance Paganini me montra cette extrê- me avarice. Un matin je le vis s'habiller ; il portait sur la peau un gilet de flanelle très vieux, et entièrement rapiécé de sa main. Comme je le plaisantais sur cette étrange économie : « Signor advocato, me dit-il, vous manquez " de sentiment en ce point ; un viel habit, pour moi c'est « un viel ami... je m'y attache , et je ne peux m'en sépa- " rer!... »
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Je l'avais adressé et fortemeni recommandé à Londres, à un de mes bons amis M. Sniiih, secrétaire de l'amiraulé déminant à Sommerset house, et qui le reçut avec les plus grands égards. Tons les jours il refusait de prendre des lettres d'invitation de la haut*? aristocratie , parcequ'elles n'étaient point affranchies !
On m'a raconté qu'à une époque où Berlioz , dont le talent original lui plaisait, était peu favorisé par la for- tune, il lui envoya !20,000 francs. — Je doute de ce trait de générosiié, mais il peut être vrai, car Paganini en était arrivé à une telle bizarrerie de caractère, que sa conduite offrait souvent les contrastes les plus marqués.
J'ai de lui des autographes d'autant plus cnrieux , qu'il n'aimait pas à écrire , et ne consentait que rarement à placer une ligne et son nom sur les albums des plus nobles , des plus belles dames. Dans une de ses lettres qui me sont restées, il m'a salué du litre excentrique de Figlio di vesuvio nato à Boulogne-sur-Mer,
L'article qu'on va lire a été écrit à la suite du premier concert dans lequel je l'ai entendu. Il rend , je le crois, avec assez de vérité, l'impression profonde , fascinatrice que me causa son admirable talent!
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NE SERAIT-CE QU^UN SONGE?..
Et je me trouvai transporté dans une salle
immense où plus de mille personnes étaient réunies. — La lumière que jettait un grand nombre de lustres sus- pendus au plafond , l'éclat et la diversité de la parure des femmes donnaient à cette réunion un airde fête. — Cepen- dant au milieu du murmure des conversa'.ions, du bruit des personnes cherchant à se rapprocher d'un vaste am- philhéàire placé au fond de cette salle, je ne pus échapper à une observation me paraissant caractériser le sentiment qui occupait tous les esprits. — Sur chaque physionomie je lisais tous les signes de l'attente, de l'impatience et d'une vive curiosité. — Il fallait que ce sentiment fut porté à un haut degré, puisque les accents énergiques, enchan- teurs de l'ouverture (ïObéron, de Weber, qu'un orchestre bien dirigé fit entendre, n'apportèrent aucune distraction à cette soif d'avenir qui se peignait dans tous les yeux. — Cet avenir ne devait pas larder à se réaliser : tout à coup il se fit un grand silence , et puis des applaudissements unanimes retentirent de toutes parts. — Quel est l'élre qui motive à son seul aspect ces bruyants suffrages?... Appar- tient-il à la terre , aux cieux , à des régions inconnues?... Sur son front pâle est empreint le sceau du génie , et des longues et laborieuses méditations ; son œil , à moitié couvert , laisse échapper, quand il s'ouvre entièrement, des rayons de flamme. — Sa chevelure noire et bouclée
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oiidoye d'une manière pittoresque sur ses épaules ; il y a à la fois gravité , nonchalance, fierté, inccrliiude dans ses gestes et dans sa marche. — Tels le Guide et Morales nous ont offert la physionomie noble, inspirée et souffrante de l'homme-dieu ; tels Albert Durer et Salvator Uosa ont évoqué sur le bois et la toile , animé de ce souffle qui n'a rien de matériel, ces figures qu'on n'a point vues, rencon- trées par le monde, mais qui apparaissent quelquefois dans les songes de celui auquel la nature a donné celte puis- sance créatrice qu'on appelé l'imagination. Revoyez en effet les personnages cabalistiques empruntés aux légen- des du moyeu-àge par le premier de ces artistes , les Magiciens , la Pythonisse d'Endor du second , et vous y retrouverez l'artiste que je cherche à peindre.
V enchanteur s'arrête, (car désormais c'est ainsi qu'il faut le nommer), et accueilli par le plus profond silence il lève avec force , avec grâce la baguette magique dont sa main est aimée... — Comme il soumet à son art tout ce que l'harmonie , la mélodie puisées dans les accents des passions, dans les effets de la nature peuvent produire de plus doux, de plus terrible, de plus riche et de plus sim- ple!... — Les plaintes de l'amour malheureux , les élans de la gaieté, les cris du désespoir; les sons peignant l'ineffable quiétude d'une âme religieuse , l'ironie san- glante se font entendre tour à tour; ils émeuvent , atten- drissent, transportent les auditeurs, se demandant ce que c'est que ce feu qui, selon la belle expression de Rous- seau, brûle sans cesse, et ne se consume jamais!... (I).
(J , Article (jhùe musical du diclionniiire do Roiis^eau.
2?
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l*^si-ce assez ilc merveilles?... Mou, l'cnchauleur va dérouler devant noire inielligence d'admiiables tableaux. Nous sommes dans un riant bocage ; une double flûte exécute l'un de ces airs rappelant les combats de la lyre et du chanl dans les vallées poétiques de la Grèce : quelle suavité, quel charme!!... Puis, tout à coup, les oiseaux, cachés dans la feuillée, viennent mêler leur ramage à ce concert pastoral. Voilà bien les longues et brillantes cadences du rossignol , ses voluptueuses appogiatures, ses points d'orgue dont le désordre est si bien ordonné, qui sautent du grave à l'aigu , et qui laniùt vifs , tantôt lents, d'abord mélancoliques, puis remplis de joie, res- semblent aux improvisations d'un cœur, palpitant sous le poids du bonheur ei de l'amour!...
Mais l'enchanteur a changé de forme ; il grandit , il s'é- lève !!... C'est ce géant du cap des Tempêtes décrit par le Camoëns !... De sa puissante baguette il frappe le rocher et en fait jaillir des torrents d'étincelles. L'orage l'épond à cet appel, et de sourds mugissements annoncent sa venue. Entendez-vous la grêle, la pluie tombant à flots pressés?. . . La foudre, se brisant avec fracas, et ces voix perçantes se mêlant à l'agitation de la mer, aux convulsions de la nature?... Tout se calme , s'apaise enfin , et transportés sous un balcon d'une ville d'Italie , à la lueur incertaine de la lune, nous ennivrantdu parfum qu'exhalent les frais jasmins, les lilas en fleurs, nous écoulons une mandoline, accompagnant celte jolie canzone de Paësiello:
« Nel cor più mi non sento 1 . . . . b
C'est le ciel qui, comme dans nos grands opéras, succède à l'enfer ; c'est le plaisir, le dolce far niente des bords d'Ischia, dans le golfe de Naples, qui remplacent le trouble
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ei la peine, cesl , en un mol , l'un des conlrasies les plus délicieux qui pui=senl exister !...
Ne serail-ce qu'un songe?... Voilà ce que je me deman- dais en commeuçani à écrire ces pages ; je me le demande encore, et cependant je ne peux douter que ces miracles, ces impressions, ces tableaux, ne soient réels, et n'aient été produits que par le talent de Nicolo Paganini 1 !
Il m'a été impossible d'analyser froidement, et en ter- mes techniques les efftts créés par un tel génie.... Ce que j'ai senii , je viens de l'exprimer, bien faiblement sans doute ; mais Paganini a eu la bonté de me dire que j'avais saisi ses intentions musicales.
La réception qu'on lui a faite à Boulogne l'a beaucoup flatté. II est parti pénétré de reconnaissance , et empor- tant le désir de revoir la ville où une nouvelle couronne lui a été décernée. — L'ensemble , l'aplomb de notre orchestre l'ont étonné , et il en a exprimé sa satisfaction au chef de la société phylharmonique, au bon et zélé Gode- froid (1).
Est-il besoin de parler des bruits absurdes, des calom- nies répandus sur ce grand artiste?... Les journaux de Paris, et la lettre qu'il y a fait insérer, répondent suffisam- ment à ces contes , misérables et basses inventions de l'envie et de la jalousie. Paganini subit la loi à laquelle toutes les supériorités intellectuelles sont soumises , sur- tout dans la province : c'est le tribut que la sottise, et la
(I) E.ïLcellenl musicien, qui était le père de Jules el de Félix Godo- froid.
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malignité humaines (onlpayerà l'cspril cl au génie. — Celle nécessilé est bien irisie , sans douie , mais elle trouve sa compensation dans la gloire! ! — Au xip siècle on eût fait un sorcier de l'homme réunissant à un aussi haut degré le talent de Texécutant et du compositeur : de nos jours on en fait un criminel: — Galilée expia dans les cachots de l'inquisition la découverte de son système pla- nétaire ; Colomb, génois comme Paganini , découvrit
l'Amérique et fut persécuté C'est un nouveau monde
aussi que ce dernier a trouvé sur son violon ! 1 . . . La pos- térité seule lui pardonnera la révolution qu'il a opérée.
A M. HEUGEL. DIRECTEUR DU MENESTREL.
JOSEPH DESSAUER.
Son séjour à Paris. — Les ballades et les lieder de l'Allemagne. — Différence entre les caractères des compositions lyriques de ce pays, et de celles italiennes et françaises. — Les œuvres de Dessauër. — Une de ses mélodies médite?. — Un vœu.
JOSKPII DESSAIKR.
Je vous ai parlé sonvenl , mon dior ami , de Joseph Dessauër, el du désir que j'avais de faire connaître cei artiste de talent et de cœur, aux abonnés de votre journal. — J'accomplis aujourd'hui ce désir. — En Allemagne, le nom de Dessauër est placé à côie du îioni justement célè- bre de Schubert. Ku France, où vingt-six de ses mélodies ont été publiées par Schlesinger, à l'exception d un article gracieux et poétique de M. Henri Blaze, qui parut, il y a dix ans dans la Revue des Deux-Mondes , le silence s'est fait autour de ce compositeur. — La raison en est toute simple : il n'a point été chanté par les rossignols à la mode , ces appréciateurs si delicais des belles œuvres musicales , et pour celle fois encore le dilettantisme des chansonnettes et du (ra la la ont mis la lumière sous le boisseau. — Cependant tout ce que nous connaissons de Dessauër, porte l'empreinie du cachet le plus fin et le plus original. Il n'imite personne ; il parcourt des sentieis inconnus, cueillant çà et là mille fleurs mystérieuses, sans (pril y ait dans ses compositions l'icn de bi/.arre, de gro- lesquemeni innové.
Je dois la connaissance de Dessauër, son amitié , à notre grand maître Meyerbccr, qui lui remit |)Our moi , il V a quinze ans , une carte de visite sur Inrpiclle , en deux
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coups de trayuu donnés d;ms ia cour des Messageries de la rue Monlniartre, il me le reconimandail avec vivacilé. — Le pauvre Dessaiiër quillail Paris , malade des nerfs, découragé du peu de sitccès des démarclics faites , pour oblcnir un poème de nos seigneurs les libretlisles , et venait prendre les bains de mer à Boulogne. — Le lolui- bohu de la capitale, ses inirigues tortueuses, allaient mal à son âme noble, ardente, généreuse, et à son organisa- lion impressionnable. Je liouvai en lui l'espiil le plus cultivé, le plus aimal)le, joint à la naïveté d'un enfant. Au milieu des désappointements qu'il avait épi'ouvés dans la moderne Babylone , il se louait cepondani beaucoup de ses rapports avec noire grand peintre Eugène Delacroix, notre grande romancière M™^ George Saiid, et M. Halévy. Ils lui avaient témoigné de l'intérêt, de l'alTectioii , parce qu'ils étaient dignes de le comprendre. Que de délicieu- ses journées j'ai passées alors avec luil... Non seulement Dessauër est un compositeur hors ligne, mais c'est encore un pianiste très-distingué. — Doué d'une mé-nioire éton- nante, dun talent très-remarquable pour reproduire tous les effets d'une partition , il m'a tour à tour exécuté les plus beaux morceaux des plus c(''lebres opéras, <'t clianlé en y comprenant les siennes, toutes les pièces fugitives, qui ne cessent pas de charmer ia va|)oreuse cl faniasticiue Allemagne.
A ce pays d'outre-Rhin, où les imaginations sont ten- dres , vaporeuses , quelquefois terribles ; où la foi vil encore pleine de sève et de fraîcheur dans les âmes-, où les saintes et pittoresques traditions du passé conservent leur antique puissance , à l'Allemagne nous devons ce genre de petits poèmes lyriques que l'on appelle lieder, et que \ainement nous avons cherché à imiter. — Disons-le
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fraiichcmeni , le caracièrc de iiolic nalioii est en oppusi- lioii iiiaiiifcsle avec ces inspiraiions , offrant à la fois un mélange de mysticisme et de passion , d'ironie et de naïveté, de leireur et de grâce , dont les ballades alle- mandes sont empreintes. Si nous avons l'exaltaiioii du moment , presque jamais nous n'éprouvons cet enthou- siasme brûlant et [jiofond si bien dépeint par M™^ de Slaë' dans son beau livre sui* l'Alleniagne.
Je n'ai guère connu qu'un homme dont le génie eût pu, chez nous, s'il avait su faire des vers, lutter, dans de sem- blal)les créations; avec Bïirger, Goëlhe, Schiller et Uhland: cet homme était Chateaubriand. Certes, son René est une admirable ballade en prose , et son épisode de Velléda pour le mouvemeni , pour la chaleur de sentiment , me paraît fort au-dessus de, ^a Fiancée de Corintke. On a voulu plusieurs fois faire passer dans notre langue les chefs-d'œuvre de ce genre : mais que cela est froid , guindé, auprès des poèmes originaux 1... Quelles épreu- ves enac(''es de dessins (ailles dans l'aii'ain, avec la dclic:a- lesse, la vigueur et le clair-obscur magique des eaux- fories d'Albert Durer, de Lucas de Leyde et d'Henri Goll7,ius 1...
A de telles poésies il faut des lyres allemandes.— Spon- tini, llfjssini, BoJcIdieu, Auber, sont de grands, aimables et spirituels compositeurs. Eh bien ! si ou leur eût donné la ballade de Lénore , ou la cantilène de Mignon à mettre en musique, 0!i eût constaté dans leur (ouvre l'absence de la couleur locale , et de ce parfum féerique suigissant, s'exhalani des chants ei de l'harmonie de Meyerbeer, de Zumsieg, de Weber, de Schubert et de Dessauër ; un seid inaîlie français, Uérold , l'aiileui' <Ie riUusion et do Zampa . eût liiomphé dans cette épreuve.
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Dcssauër, car il faui en revei)ii' à lui, siijei principal do. ma lellre , n'a d'abord olé connu en France que par le Retour des promis , espèce de sc'guédille aiulalouse que la divine Malibran chaulait à ravir ! CVsi une jolie baga- telle dont les paroles sont d'un homme de mérile, M. Emile Barateau , mais qui n'est ni allemande , ni IVançaise , ni tout à fait espagnole. Le vrai genre de Dessauër n'est pas là. Bienlùl nous arrivèrent ses lieder, traduits sous le titre de mélodies , et alors il fut pei'mis de juger l'originalité , le charme; et la flexibililc rêveuse de son talent. — Rien de plus louchant , par exemple, de plus di'amaiique que son Wasserniann flliamme de l'eau , ou rondin IJ — Au milieu d'une fête villageoise, d'une danse pastorale , un jeune étianger se présente. Dans tout son être il y a quelque chose d'étrange, de mystérieux.... il invile une belle fille à danser ; elle accepte et s'élonne de sentir une main humide et glacée s'unissanl à sa main. Elle interroge l'éiranger qui en lui répondant l'entraîne avec rapidité vers le fleuve , malgré ses plaintes , son elTroi, ses appels à sa mère, dont elle invoque le secours. Bientôt tous deux aiieignenl l'onde et disparaissent dans
l'abîme — La musique l'etrace toutes les nuances de
ce petit drame d'une manière admirable.... C'esi d'abord une mélodie champêtre , pleine d'une ineffable douceui* ; puis, celle mélodie prend un caractère surhumain quand l'ondin arrive. 11 invite celte jeune lille à danser, et les questions qu'elle lui adresse , les léjionses qu'il lui l'ait
excitent un seniimen! d'effroi vraiment indicible On
pressent la caïaslrophe dans ce chant i-écii<'' , sombre, heurté , paraissant a|)|)ai'tenii' aux habitants de l'autre monde. Cependant le mouvement s'accroît avec la marche d(! l'aciion ; l'hai'monic (l(''|)loie loulcs ses richesses infer-
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iiales, (.'l la paiivre jcimc fillo csi ciigloiilie dans le fleuvp, en invoquani , d'un ion di'chirani , sa mère qu'elle ne reverra plus!... Un trémolo myslérieux gronde jusqu'à la fin du morceau qui a passé dans le mode mineur, et la mélodie pastorale de l'inlroduclion renaît et se dessine dans ce mode, sur ce trémolo funèbre, comme un hymne des runérailles. — Le Wassermanii , quant au sujet , a quelques rapports avec le Roi des aulnes ; mais nous n hésitons pas à le lui préférer. Il y a bien plus de variété, de passion dans la musique de Dessauër, et cette petite pièce est pour nous un chef-d œuvre !
Les deux Cercueils , le Flot et l'Enfant , la Marguerite, paroles de M. Blaze , et, dans un genre plus tempéré' V Etoile , la Sérénade , le Fandango, à une fleur, et sur- tout IWsile, sont de nobles et charmantes compositions.
Dessauër m'a laissé en manuscrit une ballade, le Som- meil de Marie , dont je lui avais fait les paroles , cl que notre amie, Marie Dorval aimait beaucoup. Le chani de celte ballade est adorable de pureté , de mélancolie... il conviendrait parfaitement à la voix si expressive de Poul- lier. Quand vous voudrez publier ce morceau , tnon cher Heugtl , il vous sera adressé , et l'auteur des i)arolcs en fera hommage à l'artiste qui chante si délicieuscnjeni l'air du songe de la Muette.
Qu'il me soit permis, en terminant celte lettre, de foi- mer un vœu. Pourcpioi le directeur de l'Opéra-Comique n'enverrail-il pas un joli poème à Dessauër? Je suis per- suadé (pie la musique de co. dernier serait charmante et ajou'.erail un nouveau lleuron à la couronne d intelligent aduiinistrateui (m'on ne peut refiist r à M. Periin.
Valeiicienni's, "21 juillet 1853.
TROIS ANECDOTES MUSICALES.
« Le souvenir, présent céleste !
a Reste des biens qu'on a perdus »
Ancien poète.
LEStElR. :il"" DIGAZOIM.
L]\ CHOEUR DE GLICK.
Dans sa première jeunesse Lesueur, pendanl son séjour chez M. de Champiguy, son proiecleur, passait habiluellemeni une partie de ses nuiis au iravail. — Après lui avoir fait de vaines remontrances à ce sujet, M. de Champiguy finit par ordonner à ses domestiques de ne lui laisser que ce qu'il fallait de lumière pour l'éclairer, au plus tard , jusqu'à minuit.— Lesueur composait alors son bel opéra de la Caverne.
Un certain soir, le iravail dura plus qu'à l'ordinaire. C'étîiil l'hiver ; une heure du matin vint à sonner à l'horloge du château , ei la bougie s'éteignit au moment où Lesueur commençait à écrire le plus long des chœurs de voleurs que renferme la Caverne. — Le plan de ce morceau est dans sa tête , il ne reste qu'à le développer sur le papier, et il craint de l'oublier, s'il se livre au
sommeil — Où trouver de la lumière .'.... Tout le
moude repose ; toutes les portes sont fermées. — En proie à l'anxiété la plus vive, il jette les yeux sur le foyer de sa cheminée où brûlent encore deux tisons ne laissant plus échapper par intervalles qu'une lueur mourante. Oh! bonheur!... Lesueur s'empare du soufflet , rapproche les
deux précieux débiis , les ranime, les couvre avec prc;- cautiou du bois qui lui reste , e( parvient à faire un grand feu. Au comble de la joie, il s'assied , lenaul son cahier sur ses genoux .. mais la réflexion de la flamme n'arrive pas jusqu'à sa plume. Que faire?... « Ce chœur n'esi pas « écrit, dit-il avec douleur, ce chœur va m échapper! •> Puis lout-à-coiip, écartant sa chaise , il se couche à plat ventre, et le plancher devient sa table. Oh 1 pour lors la lumière inonde sa parliiiou , à laquelle il travaille avec une ardeur fiévreuse. Le temps s'écoule , et l'ariiste ne s'en apperçoit nullement. M. de Champigny, qui avait l'habitude de se lever avant le jour, traverse la cour sur laquelle donnaient les fenêtres de l'appartement occupé par Lesueur. La flamme rougealre qu'il apperçoit à tra- vers les vitres lui cause la plus vive inquiétude. — Il monte, accompagné d'un domestique , et ouvre brusquement la
porte — Soudain, envoyant Lesueur étendu sni- le
parquet , il s'écrie avec l'accent de l'effroi : « — Est-ce qu'il s'est trouvé mal !... » Puis il ajoute , en remarquant qu'il tenait la plume à la main : « — Que faites-vous donc « là, mon ami?... » — « Je fais Za Caverne. ■•
A l'époque ou j'habitais Paris, lorsque mes occupations me laissaient un moment de liberté, j'assistais aux ventes assez nombreuses d'objets d'art qui ont lieu en hiver. — Le 22 janvier 1848, je me trouvais à une de ces ventes, rue des Jeimeurs, au moment où deux vieux amateurs se
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dispulaieiil une miniature de M™^ Dugazou , peiiile par Siccardi. — Le costume de la célèbre actrice , était celui que poriaieni les femmes à la mode vers la fin du règne de Louis XVL — M""« Dugazon devait avoir alors irenie- six ans ; et ce périrait était d'une ressemblance parfaite, au dire fies deux enchérisseurs. — Je lavais connue âgée de près de soixante ans , et je retrouvai sur cet ivoire, non seulement ses traits un peu chiffonnés, mais encore l'expression de sa physionomie vive , gracieuse , et de ses yeux pleins d'intelligence , de sentiment , et de feu. — Toutes ces qualités ne devaient pas cependant conduire l'appréciateur le plus fou à payer ce portrait six fois ce qu'il valait : mais les deux amateurs, mus peut-être par de doux souvenirs, se montèrent la tète ; l'amour propre s'en mêla , et le plus âgé d'entre-eux remporta une victoire qui lui coiîia 780 francs ! ! 1
Cela me rappela que dans les derniers jours de l'aulomne de 181 1, me trouvant un soir au coin du foyer de M""* Du- gazon avec Grélry, je parlais de l'impression profonde qu'elle avait laissée dans l'àme de ceux l'ayant vu jouer Nina ou la Folle par amour. <■ — Je regrette, disais-je " alors à M""' Dugazon , de ne pas vous avoir aussi payé «. mon tribut de larmes et d'applaudissements dans ce " charmant opéra de d'Alayrac 1... - Le moyen qu'il " en fut ainsi , ajouiais-je , puisque je n'étais pas encore o né?... » — Sur CCS paroles elle se leva, et sortit.
Quelques instants après un domestique apporta petit paravent qu il plaça de manière à n)asquer la porte d'entrée de l'appartement ; puis il vint dire quelques mois à l'oreille de Grélry. — Je ne savais ce ipie tout cela signi fiait, lorsque le compositeur de Ihchard quitta son iau
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leuil, alla se placer au piano, au-dessus duquel se trouvait un beau porlraii de le Kain , et fil entendre le prélude de la délicieuse romance :
c Quand le bien-aimc reviendra !
Bientôt je vis M'"^ Dugazon sonir de la coulisse que for- mait le paravent. — Le croira-t-on ?... cette femme alors presque sexagénaire, apnt surla tête une perruque brune à la Titus , dont la taille était devenue massive, me fil au bout de quelques minutes une telle illusion , que je vis en elle Nina à dix-huit ans, folle d'amour, adorable de grâce, de sensibilité, et surtout de ce charme qui ne se décrit pas, et que l'imagination la plus colorée peut seule se figurer. — Ceci qr.e l'accent , le geste, la mobilité de la physionomie, toutes les nuances d'une passion à la fois pudique et brûlante, étaient, dans celte actrice admirable, d'une vérité sans égale ! ! Quand elle chanta :
« Mais . . . mais ! . . , j'écoule ! . . . 1 Mais. .. je regarde !.. . »
l'ardeur, la fixité de ses yeux , et puis , après un repos de quelques secondes , ce cri déchirant de l'espérance
irompée :
« Hélas ! hélas !. . . « Le bien-aimé ne revient pas ! . . . »
me causèrent un mal , et un plaisir que je ne saurais peindre. — Je crois, qu'excepté 31™"= Branchu, jamais comédienne lyrique n'a porté le talent à cette hauteur.
Accablé sous le poids de l'impression que je venais d'éprouver, ce fut à peine si j'entendis Grétry me dire : « Eh bien ! qu'en pensez-vous ?. . . — Voilà comme de noire « temps on nous jouait et on nous chantait !... » — Depuis j'ai revu Nina dix fois au théâtre et ce n'était jamais ce
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i[uo 31"'* Dugazon mavail lau voir, 1 1 cnlendie. — Une seule femme, M'"' Huët, fille de rcxcellcnl Trial Lesage, avait quelque chose de sa devancière dans ce rôle , et M'=^'^ 3Jars, jouant Valérie, m'a rendu quelques-uns de ses accents. — Essayez donc de donner mainlenanl Nina à rOpéra-Comique?...
Lorsque l'impératrice Maiie- Louise vint à mourir, (en 1S48) , il y avait longtemps que son souvenir s était effacé du cœur et de la mémoire de ses contempo- rains , et son nom n'apparaîtra dans Ihisloire (lu'à cause de son alliance avec le plus grand homme des temps modernes. — Sans esprit, sans caractère, sans dignilt-, celte femme a laissé de côté le rôle le plus beau qu'une femme ail été appelée à jouer dans le monde ! — Si, dans le malheur, elle eût été d(''vou(;e au héros qui la fit asseoir sur le irône ; si elle eut défendu ses droits auprès des puissances coalisées qui avaient envahi la France; si elle eut suivi sou époux captif, dans l'exil, elle se serait hono- rée à jamais 1 on la placerait à cùié des Pauline , des Éponine , des Arie. — Loin de là , sa conduite a encore rehaussé le dévouement , la bonK'; de cette pauvre José- phine , dont les facultés intellectuelles n'étaient pas ("mi- ncntes, mais qui possédait le sentiment de tout ce qui était noble, beau, et une àme vahmi inieiix que tout l'es- prit du monde. — Un journal en pailant alors de la moi i de Marie-F.ouise, rappelait l'incendie qui se déclara chez le princede Schwai'lzemberg, lors des fêles du mariage de la jeune ai'chiduchesse avec Napoléon ; il faisait observer {(uc ce trisîe événement rappioché de celui qui eut lieu lors de l'union de Louis XVI avec Marie-Aiiloinelte d'Au- triche, avait inspiré les plus fâcheux |)ressenlimenls.
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Il n'y mil pas que cei incendie qui , à celle époque, m'impressionna vivemeni. — Je faisais alors mon droii à Paris , et le soir du mariage impérial , je me rendis au concert qu'on donnait aux Tuileries , dans le jardin, en fîice du pavillon de l'horloge. — Au moment où Marie- Louise parut au balcon, l'orcheslre et les chanteurs firent entendre le magnifique chœur d'Iphigénie en Aulide :
« Qwe d'écldl , que de majesté, « Que de grâce , que de beauté ! ! »
à l'instant il me revint à l'esprit que le chevalier Gluck avait composé ce chœur en pensant à sa noble et belle souveraine , et que lorsqu'elle entrait dans sa loge , au Giand Opéra, on le recommençait toujours, aux applau- dissemenls de louie la foule criant avec ivresse : Vive la Reine ! ! Or, quelques années après, en face de ce balcon des Tuileries , sur la place Louis XV, diie alors place de la Révolution, la tête de celte infortunée princesse, que la calomnie poursuit encore dans son cerceuil , tombait aux clameurs de joie féroce , de ces nivcleurs préiendant donner le bonheur et la gloire à la France. — Ce rappro- chement entre Marie-Antoinette, et sa nièce Marie-Louise me causa un douloureux effroi I je ne fus pas le maître de chasser de ma pensée l'idée d'un avenir on ne saurait plus sombre pour la jeune épouse de Napoléon. — Avoir choisi ce morceau en pareille circonstance, ah! c'était plus que de la maladresse!... — Quant à Marie-Louise il est vrai de dire que bien certainement elle ignorait l'anec- dote se rattachant au chœur de Gluck ; mais plusieurs des auditeurs assistant à ce concert, firent la même remartjue que moi.
Les événements de 1814 se chaigèreni de justifier, en partie, nos presscniiments.
HOMMES DE LETTRES.
SAVANTS. ARTISTES DRAMATIQUES.
MÉLANGES.
NOTICE
BIOGRAPHIQUE ET LlTïÉUAIRE
SUR
JÉHAX MOLIiXET.
l'écho de la forôt
Répèle avec orgueil le nom do MoUiiel.
(Epilrc sur le Mont-Hulin , par le baron d'Ordre).
NOTICE
BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE
SIR
JKHAIV AIOLL"^KT.
Voici Liicoi 0 un de ces iiumnies que, par une négligence dirticile a concevoir, les boulonnais en général oui laissé dans l'oubli le plus profond. — D'autres parties de la Fiance nous l'ont envié; elles ont cherché à s'approprier le l'ail de sa naissance, à en tirer honneur et vanilé : Rendons enfin à notre pays ce qui lui appartient, en dissipant les doutes (|u'on a élevés sur le lieu où Jehan Molinel a reçu le jour, et en le faisant connaître plus complètement qu'on ne l'a l'ait jusqu'à présent.
C'est à Desvres (anciennen:ent Désuresnes), petite ville située à quatre|lieues de Houlogne-sur-Mer, que naquit, vers la moitié du xv*-" siècle, l'honinie distingué dont nous nous occupons.— Aucuns détails particuliers ne nous sont restés sur sa famille, et sur les piemières années de sa vie Il y a toutefois lieu de penser que ses parents apparte- naient à la haute bourgeoisie, peut-être même à la noblesse, et qu'ils avaient de la fortune. En effc t, ils le firent étudier à l'Université de Paris, et la tradition écrite nous apprend que le 15 septembre 165(5, on vil figurer, dans l'assemblée de la noblesse du Boulonnais, un sieur de Molinel. — .\u surplus, entre Desvres et Samer, il existe un hameau du
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nom de nuire poète , qui avail litre tle lief avaiil la Révo- liHloii , cl donl !e seigneui' était alors le baron dn Blaisel.
Au sortir de ses éludes , Molinel se maria el vinl s'éta- blir à Valenciennes , où il passa une partie considérable de son exisîence, el qu'il se plaisait à appeler dans ses ouvrages le val doux et fleuri , le val des amours . vallis amorum. — Un fils du nom d'Augustin , qui devint cha- noine de Condé, dans le Hainaul, fui le seul fruit de l'union qu'il avail conlraclée. — Ayant perdu sa femme, la douleur qu'il ressentit , ses principes religieux le porlèrenl à em- brasser l'éiat ecclésiaslique, el il obtint un canonicai dans l'église collégiale de sa ville d'adoption.
Molinel avait toujours eu du goût pour les lettres : il s'éiail attaché a une confrérie célèbre , le Puij de Rhéto- rique, existant depuis un grand nombi'e d'années à Valen- ciennes.— A ceiie époque, le flambeau des arts et de la poésie commençait à jeier ses rayons éclaianis sur celte belle Flandre, où régnait la maison de Bourgogne. Des académies étaient établies dans plusieurs villes; des luttes avaient lieu entre les poètes. Les plus habiles recevaient des couronnes au milieu de fêles splendides , el les anna- listes nous onl conservé plusieurs pièces ayant obtenu le prix du bien dire et du gaï savoir dans ces solennités. — C'est , sans nul douie, au sein de la confrérie du Puij de Rhétorique que se développa le goût de Molinel pour la versification.
Georges Chasiclain , aujoui'à'hui furî peu connu , jouis- sait alors d'une grande renommée , comme chroniqueur, orateur et poète. Céiaii , jusqu'à un certain point , 1(> Froissari de répocjne , quoiqu'il n'y ail , en fait de talent,
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aucune comparaison à élablir eiiirc lui ol hoii illuslre devancifT. — MoHriet le prit pour modèle , devint son disciple et son ami très alTeciionné. — Cliastclain étant mort en 147i , il salliciia , ainsi qu'il le dit dans ses Mémoires, de son très redouté prince , et le dépria en toute humilité, qu'il lui plut lui donner licence de parachever ce que son maître avait commencé. Il s'agit ici de l'œuvre ayant pour titi-e : Recollection des merveilles advenues en notre temps. — La requête de Molinet eut un plein succès, et il devint indiciaire ou historiographe de la maison de Bourgogne. — Depuis, Marguciiie d'Autriche, gouver- nante des Pays-Bas , le nomma son bibliothécaire. —Celle princesse aussi remarquable par sa haute raison que par la vivacité de son esprii , cultivait elle-même la poésie, et avait une rsiime touie j)articnlière pour les lalcsils el le caractère de Molinei.
A la mort de Charles-le-Tciméraire, des calamii(''s sans nombre, occasionnées pai- la guerre , la révolte et la tra- hison , vinrent fondre sur la Belgique. 3Iolinct eut gran- dement à souffrir dans ces temps de désastres, de luines, et c'est ce dont on ne saurait douter en lisant ce passage de son Temple de Mars, au livre de ses faicts et dits :
Pour co que su«rre m'a iiuvré , El que Mars me iravaiUe el blesse , Sans avoir mon bien recouvré J'ai peint son temple
Dans La Hessource du petit Peuple, dialogue en vers et en prose sur la misère du petit peuple , il a peint avec autant de naïveté que de force le spectacle naviani que lui offraient les infortunes de la classe inOMieure de la sociélT'.
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11 lui (''Iruiie/uciil Ik': avec le j)oéte (aiillaume Grelin, et les coinposileiirs, alors célèbres, Aiiioine Buqiiois ei Louis Compère. Lui-même étaii excellent musicien. — Faisons observer, en passani , que Desvres , où naquit Molinet , esi la partie du Boulonnais qui a produit , à diverses époques , le plus d'organisations vraiment musi- cales, car Monsigny, le fondaleur de l'opéra-comique en France , et Albert Bonnel , l'émule de Lays , sur noire première scène lyrique , étaient originaires de celle petite ville. — Est-ce au hasard , ou à l'influence des beaux siles avoisinanl ce lieu , à son air pur, qu'il faut attribuer celle particularité? L'examen de celle question à la fois philo- sophique et physiologique nous entraînerait trop loin : nous laissons à de plus habiles le soin de la résoudre.
Molinel eut pour élève Jean Lemaire , son parent , qui depuis donna des leçons de versificalion à Clément 3Iarot. — C'est de ce Jean Lemaire , successeur de Molinet , en qualité de bibliothécaire auprès de Maiguerile, que l'abbé de Saini-Chéron a dit :
De Moulinet , Je Jean I.emaire el George Ceux du Hainaut chantent à pleine gorge.
On ii'ouve un témoignage aussi vif que louchant de la reconnaissance de Lemaire envers son vieux maîlie , dans ces paroles . « Je , très incognu disciple , el loingiain « imitateur, désirerais suivre les vestiges de monseigneur < el indiciaire archiducal , maître Jehan Moulinet , mon <■ précepteur el parenl. ■>
N(ai-e auicui' mourut en loOT, à Valeiiciennes, dans un âge fort avancé. Sou corps reçut la sépulture en l'église
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collégiale de la Salle-le-Comle , à peu de distance de la lombe de George Chaslelain qu'il avait laui aimé, et tant admiré!... — Marguerite fil graver celte épiiaphe sur la pierre qui le recouviait :
Me Molinel peperit Divernia Bononiensis , F'arisius ducuil , aluil quoque vallis amorum , Et quamvis tnagna fueril mea fama per orbem , Hsec milii, pro cunclis fruclibus , aula fuil (1).
(1) Oa lit dans l'Hisloire ecclésiaslique de laville el comté deValeu- ciennes , manuscril de Simon Leboucq , que M. A. Prignet a publié en un beau volume iu-4°, avec nolice par M. A. Dinaux, el enrichi de planches : « Au même lieu (l'église Salle-le-Comle) est aussi ensi - « puUuré le disciple de George Chaslelain, Jean Molinel, boionois lie « nation.et chanoine de la dicte église de la Salle, de son vivant grand « poète el historiographe de la maison de Bouigogne el de celle « d'Auslrice. — 11 composa quantité de vers facétieux, desquels partie a ont été imprimésà Paris l'an 1537. — D'abondant il escrivil les his- « loires de son temps, commenceant icelies en l'an 1474, el fluant au a trépas du roi don Philippe de Castille , qui fut l'an 1506. — Il alla « de vie à trespas l'an suivant qui esloil l'an 1507, el fut enterré en « la dicte église où lui fut dresché celte ôpitaphc :
— a Me Molinel peperit elc
a — Dis-moi qui gisl icy, sans que point lu m'abuses !. . .
— Cy gisl l'ami privé d'Apolio el des Muses.
— Quelz choses avecq lui sont mortes el laeries?
— Dicls subtils , savoureux , jeux, ris el facéties.
— Qui est-ce qui pour lui de plorer continue ?
— C'est rélhorique en chef qui fort s'en diminue.
— Est-ce doncques celuy tant cognu , Molinel?
— C'est iiii seul qui moulait doux mots en moulin net.
— Mais qui fut l'homme heureux qui tant lui en apprit ?
— Des cieux vint 1 iuflucnce en son sublime esprit.
— N'eul-il nul précepteur, Grebaii ou maistro Alain ?
— Son maislre qui cy gist fut Georges Châtelain.
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Cette épiîaplie e:jl uiil' iniilalion assez licuicusc de Tinscription qui se Irouvail sur le monumciil funéraire de Virgile, à Pouzzole , en ce (pie dans quatre vers on a résumé la vie de Molincl depuis sa naissance jusqu'à sa mort.
Longtemps on a vainement rechcrciié le portrait de cet homme distingué.— Mou digne ami Jean-Baptiste Soulié, l'un des conservateurs de la bibliothèque de l'Arsenal qui, à plusieurs reprises, a formé des collections très complètes des illustres français, m'a dit n'avoir jamais rencontré de
— L"ensuivit-il de près , esl-il pair ou s'il passe ?
— Tous deux on peut noler on règle et eu espace.
— Mais à qui comparer les peul-on saus mespris ?
— L'un pour Virgile el l'autre est pour Ovide pris.
— L'un doncques fut plus grave el l'autre plus facile?
— Plus tiumain fut Ovide , et plus divin Virgile.
— 0 vous deux bienheureux qui tels lilres méritent !
— Leurs engins , leurs vertus de gliore les héritent.
— Qui pourra plus jamais a-tel los par atteindre?
— Nul luy qui sçachont plume on nuir atramenl teindre.
— Combien donc a perdu la langue gullicano ?
— Par leur mort elle est mise en basse barbacane.
— En quels temps, soubs quels roys furent-ils florissants ? ■ — Va lire leurs labeurs partout resplendissants.
— Pourquoi se dirent-Us wdictaircs , lors?
— Pour ce qu'ils ont moustré d'histoires les trésors.
— Las , que peu do gens sont qu'on sçache avoir vescu :
— Ceux-cy font les gens vivre , el la mort onl vaincu.
— Comment a nom le lieu que tels gens a nourri ?
— Valentienne , val doux , val insigne et floury.
— Où sont leurs monuments , cl précieux tombeaux ?
— En la bouche dos bons , el en leurs escrils beaux.
0 Dieu , combien vaut mieux tels tombeaux que du cuivre , D'autant que plume voie ; où métal ne peut suivre.
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— Kî?
gravures, dossiiis vi\ lableaux. rcproduisaui les ii ails dé Molinet. — Aussi ful-ce avec un vil' souiimcnl do plaisir que , dans le mois d octobre 1840, lors du voyage qu'il fit à Boulogne, il vil le peiil porlrail bien aulhcnlique, que renferme le musée de celle ville.— Ce porlrail , ([ue nous devons à rainiable d ci ikiii Voisin . biblioihécaire de la ville de Gand, enlevé si jeuue encore aux leiires et à l'amilié , porte daie et inscripliou. — Il a été copié sur un original peint dans les dernières années de l'existence de Molinet et découvert dans le cabinet d'un amateur Belge. — Mon fds en fit une seconde copie qu'il olïrit à Soulié, et qui , depuis la mort de ce dernier, est dans la belle collectiondeportraiis du musée de Versailles. — La physio- nomie du poète-chroniqueur est empreinte de finesse , de naïveté ; des i ides profondes sillonnant son front et ses joues indiquent la maigreur 1 1 la vieillesse. Son buste fait présumer qu'il éiaii d'une laille moyenne.
Eu commençant celle notice, j'ai dit qu'on avait cherché à nous enlever 3îolinet . en plaçant son lieu de naissance ailleurs que dans le Boulonnais. En clïei , Lacroix du Maine, l'historien de Poligni , Chevalier, et M. Auguis l'ont fait naître à Valenciennes. — C'est une grave erreur, complètement repoussée parla tradition et l'épiiaphe citée plus haut. Aussi les meilleures biographies , et beaucoup d'auteurs accrédités, ont-ils, en dernier lien , donné le démenti le plus formel à l'assertion des critiques peu soi- gneux que je viens de rappeler.
Je dois maintenant essayer de faire connaître Molinet, sous le rapport des écrits qu il a laissés, et des services rendus par lui à la liiiéralure et à Ihisioire de notre pays. Il fiit à la fois poète ol chrouiqueui'. Le grand nond>re de
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pages sorties de sa plume pioiive son apiiiude au iiavail el son élonnanle facililé. — Je lermincrai par la lisie de ses ouvrages imprimés.
A l'époque où il composa ses poésies el ses mémoires, la langue française, qui s'était formée avec tant de lenteur, se sentait encore de ces idiomes barbares, mêlés avec la langue latine qui , à son aurore, en faisait le plus fléies- lable de tous les jargons. —Il y avait du celtique ou gau- lois, du tudesque ou franc, et du latin mutilé dans cette langue dite romane ou romance , véritable cahos d'où devait sortir un jour la poésie de Racine , la prose de Pascal el de Fénélon. — Le goût marchait de pair avec le langage, hérissé de consonnes finales, de sons nazillaids, et de monosyllabes insonores , c'est-à-dire que les plus misérables jeux de mots , les images les plus bizarres étaient employés par les écrivains. Qui croirait que cela contribuait surtout à leur valoir les applaudissements d'une nation devenue depuis la plus polie de l'Europe, si de nos jours quelques novateurs, enrôlés sous la bannière dite romantique , n'avaient pas, en ressucitani ce galiuja- thias, obtenu les mêmes succès ! — Eu un mol la renais- sance des lettres s'avançait, mais elle n'était pas arrivée. — C'est à ce point de vue impartial qu'il faut se placer pour apprécier le talent el les productions de Molinel. Certes sa prose n'a pas le naturel de la piose du bon Joinville ; ses vers n'ont pas la délicatesse des vers de Thibaud, comte de Champagne, el du Châtelain de Couci, mais il n'en est pas moins un des auteurs les plus clairs, les plus châtiés , les plus raisonnables de son temps.
Quelques cilaiions vont venir en aide à l'opinion que j'ai conçue de lui.
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Dans les faicts et dits de Molinel , il y a des pièces de divers genres , el sur loule espèce de siijeis. — En >oici une, ayanlpour liire rArnow satisfait , qui ne manque ni d'Iiainionie, ni de grâce :
Amour me fisl son Bachelier, Et me donna joyeux espoir, Gracieuseté, bien celier, Courtoisie , et force et pouvoir. Loyauté, sens, santé, avoir, Liesse , et ceux de sa bannière , Pour amoureuse dame avoir, Génie de corps el de manière.
C'est un chef-d'œuvre de beauté , Un triomphe de noble arroy, Sa prudence et naïveté Vaknl l'avoir d'un petit roy ; Ravi suis quand je l'apperçoy ! Tout œil amoureux qui l'advise Rit de joie el chante à par soy ; J'ai prins amour à ma devise.
Sun oraison à la Vierge, cominent^-anl par ces vers :
Le temps passé ne peut plus revenir, Auquel estais en fleur de ma jeunesse, Débile suis , elc
csl , en beaucoup d'endroils , digne des meilleurs poêles de la renaissance , et bien préférable au jargon grœco romain de terlaines poésies de Uonsard.
Dans un aiilre genre , il y a sans doule de ralTeclalion, mais aussi de la vigueur el de la verve , en ce passage de la description du temple de Mai s :
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Lu clianl de ce temple est alaniio, La cloche une grosse bombarde , L'eau betioiste est sang et larme , L'aspergés un bout de guisarme : Les chapes sont harnois et bardes, Les processions avant-gardes , El l'encens poudre de canon : A tel saint telle offre et tel don ! . . .
Eu un mol , Moliuel n'est pas un grand poêle , mais il a souvenl du Irail , de l'aisance dans le mouvement de la phrase. Ses mois sont liés aveo une curreclion rare de sou lemps. — II a d'ailleurs conlribué puissamment à amener la pureté du siyle poétique , quant aux règles. - Dans le petit traictié , à binstrwÀion de ceux qui veulent apprendre Varl de réthorique, c'est lui qui, le premier, a établi la disiinciion entre les rimes imparfailes ou fémi- nines, et les l'iines parfaites ou masculines. — C'est dans cet ouvrage aussi qu'il a fait une loi très rigoureuse de l'élision de l'E devant une voyelle. —On a encore remarqué avec raison qu'il soignait ses rimes , et qu'il renfermait avec bonheur, dans la mesure du vers , une foule de pro- verbes dont la conservation intéresse à un haut degré l'hisloiie de la langue française.
Comme chroniqueur ou historien , attaché à la maison de Bourgogne, Molinet nous a transmis un giand nombre de faits, compris dans une très longue période de lemps. — Son siècle offrait le spectacle des scènes les plus dra- matiques , les caractères les plus étranges et les mieux colorés , enfui les événements les plus féconds en dénoue- menls extraordinaires.— Époque de crise et de révolution sociale, ce siècle assis'ait à la découverte de l'imprimerie, et la réformation avc<; Luther, les sciences et la philoso-
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pilie avec Bacon , allaieiu bicnlôl remuer le monde , et donner une phase loule nouvelle à la politique, aux idées religieuses, aux mœurs et aux ans. — Il faut l'avouer, Molinet ne s'esi pas mis à la hauteur d'iine telle situation. Les choses et les hommes , il ne les explique point , il ne recherche pas les causes des évènemenis. — Il se borne à narrer sans jamais commenter. — Cette manière d'écrire Thisloire est loin d'avoir le mériie de celle employée de nos jours ; mais elle pré&enic cependant des avaniages qui ne sont pointa dédaigner.— Trop souvent maintenant l'hisiorieu impose à ses lecteurs son opinion , presque toujours empreinte de ses passions , et de ses principes politiques, — il décerne l'éloge ou le blâme, la gloire ou la honte, aux faits ou aux personnages dont il parle, suivant qu'ils se rapprochent ou s'éloignent plus ou moins de ses affections ou de ses antipathies. — Molinet, lui, raconte , sans condamner, sans approuver, peignant les faits et la vie humaine tels qu'ils sont, et laissant à ceux qui le lisent le soin d'en tirer des conclusions morales.
Son style a beaucoup des défauts de son temps, et les latinismes, les apostrophes, les phœbiis, les compai'ai - sons ridicules, outrées, s'y renconlient fréquemment. — Toutefois, il y a dans ses chroniques des morceaux reniplis de chaleur, de naturel, et qu'Amyot et Montaigne, venus après lui, n'eussent certainement pas désavoués. — Telle est la harangue de l'archiduc Maximilien, avant la bataille d'Esguinegatie : " Réjouissez-vous, mes enfants, dii-il à * ses chevaliers, i('jouissez-vous de bon cœur!... Voici la " journée vpiiue que long-temps avons désirée!... Nous «< avons les Français en baibe, (jui tant de fois ont couru « sur nos champs, destruicl vos biens, bruslé vos hostels, " trav.iillé vos corps. — Employez vos sens et toutes vos
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" ruict'S ; il est iHiiie, mes beaux enruiils, il esi lieiire de
<■ hesongiu'i". — Noire (juerelle est bonne el jusle. —
«' Requérez Dieu en voire aide, qui seul peui donner la
'. vicloire, el lui promenez de bon cœur que, en l'honneur
'. de sa passion , vous jeûnerez coniens de pain el d'eau
" par trois vendredys ensuivants ; el s'il nous veui sa
•• grâce ëlendie la journée seia pour nous. »
Voilà bien le langage que devait tenir un prince loyal, vaillant el religieux , s'adressant , au moment de l'action, a ses chevalier!... Concision, pensée, mouvement, tout cela se rencontre dans celle harangue. — Aussi, malgié l'esiime que mérilenl Térudilion et les travaux de M. Bu- chou, il m'est impossible de ne pas taxer d'injustice ce qu'il dit de Molinet dans la notice , d'ailleurs fcrt incom- plète, qu'il a placé en tête de ses Chroniques. « C'étai '■ bien , fait-il observer, le plus médiocre et le plus lourd < poète , et le plus maniéré des beaux esprits de son '■ siècle. » — On peut juger, par les ciialions qui pré- cèdent, si ce rigoureux arrêt est fondé. Comment serai-iil ensuite ari'ivé que Moiinel eût conquis au seizième siècle, une renommée aussi Ijauie, aussi universelle, si, comme écrivain , il eût été aussi méprisable que le prétend M. Buchon? Clémeni .Marot, dont le goût devait correspondre à la délicatesse des poésies qu'il nous a laissées, et dont le témoignage n'est point sans prix, n'a-l-il pas écrit, dans la complainte sur la nsort de Guillaume Preud'omme, ces vers :
A doncqups Molinct
Aux vers fleuris , le grave châtelain. . .
et de nos jours, l'aimable et S[)iiiluel baron d'Ordre, dont, plus que personne, je déplore la perle, el qui avait fait
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une c'Uulc paiiiciilicre des œuvres du Irouvère de Desu- l'csnes, n'a-l-il pas dit, dans une épidc sur le monl Huliu :
l'écho do la forêt
Répèle avec orgueil le noiij de Moliiiei !
Je pense donc que M. Buchon, qui nie paraît avoii' mis une grande négligence dans ie travail qu'il a écrit sur Molinel, serait revenu du jugement qu'il en a poité , si la mort n'était venue le surprendre. — Cet espoir était d'autant plus fondé qtie , quelques lignes après celles que j'ai citées, et par une contradiclion qu'il est dilïîcilc d'expli- quer, il s'exprime ainsi : " Molinel est souvent un histo- « rien et un écrivain remarquable. ■> Cette opinion est la mienne , car loin d'être exclnsif dans mon esiime pour iauleur des Faicts et dits , j'avoue franchement qu'il est souvent bizarre , ampoulé , et que son styl»; a beaucoup des défauts de la littéralure de son lemps. — Ainsi c<; fut une malheureuse idée (jue celle de faire un livre de piété du loman de la Rose par Jehan de Menu. — Jîo'inei avait un goût tout particulier pour les Moralités allégo- riques , et alin de répondre au vœu du duc de Clèves , il entreprit la transformaiion de ce poème plus que profane et galant , en une œuvre religieuse. — C'est ce (jn'il annonce sur le lili'c , par ces (jualre vers burlesques :
C'osl le roman île lu [\ose Moralisi'î clair tM iicl , Translaté de rime en prose Par voire humble Molinel.
El qu'on n aille point croire qu il maïKpia de bonne foi eu agissant ainsi 1... Sa persuasion iiuanl à ce ipi'il appelle les allégories du poème de Meun était si forte , si candide, quil loue le Stîigneur de lui avoir permis de mener celle
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œuvre à bonne fin . « Louange soii , s"écrie-t-i! , au Dieu « (l'amour perdurable , et à sa mère irès sacrée Vierge, « quand nous voyons ce roman réduii à sens moral, jus- «' ques à ceuillir la rose ! ■>
Il me reste maintenant a donner la liste, aussi complète qu'il m'a été possible de la recueillir, des ouvrages de Jehan Molinet. La voici :
1° Les Faids et dits, de feu de bonne mémoire, maisire Jélian Molinet. — Paris, Jehan Longis, 1531, in-folio goih. Ce volume a eu plusieurs éditions, dont l'une, Paris, Jehan Petit, 1537, in-S" golh., et l'autre , également de Paris, in-8" de 1540 (lettres rondes).
2° Le Temple de Mars , Paris, le Petit Laurens , in-i", caractères gothiques. — Le même, Paris, Gailliol-Dupré, 1525, in-8°.
3» La Ressource du petit Peuple, in-4'' gothique imprimé séparément à Valenciennes , réimprimée dans les Faids et dits (i).
(1) Tel est le titre de cet ouvrage , d'après une note extraite du catalogue des livres du baron de Bancre. S'il fallait en croire , ou contraire , le Bulletin du Bibliophile publié par Techener, n» 16 , 2^ série, 1857, jamais ce livre n'a porté de litre. V'oici au surplus l'ar- licle qui le concerne dans ce Bulletin , sous le n° 1341 :
« Livre des plus curieux et des plus rares. Il ne porte aucun litre, « mais on lui a donné celui de la Complainte du petit Peuple, parce « qu'en efifet c'est une sorte de moralité où cinq personnages, savoir: « l'Acteur, Vérité , Justice , Conseil et Petit Peuple , déplorent la « misère de ce dernier, et les calamités d • celte époque. Sur celle
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■4° Histoire du rond et du carré à cinq personnaiges, imprime sans daie par Antoine Blanchard, très rare.
0° Les Vigiles des morts, par personnages. Paris, Jehan Janot, in-16. Sans date.
6" Les neuf Preux de gourmandise. Paris, in4° eiin-S-',
7° Petit traictié compilé par maistre Jehan Molinet. à l'usage de ceux qui veulent apprendre l'art de rélhorique. Paris, m-i°.
« donnée , l'auteur a construit une fable où sont entreruêlés la prose
a et les vers , et dont le style souvent bizarre , selon la mode du
« temps , ne laisse pas d'être fort plaisant à lire. Les vers surtout
a sont remarquables par leur singularité ; ainsi Justice récite neuf
« couplets , dont voici l'un pour exemple :
Ma voix auoit la force de Sampson P^ir son Réson , Baritonnant lonnoye ; Hélas . mon Dieu , sans tonner buslon Par ton Bâton Les basteurs baslonnoye , Mutineurs muliuoye , Hulineurs hustinoyc , Haussairn haussagoye ;
A tout endroit Oppresseurs oppressoye , Deffendcurs deffendoye. El aux perdants rendoye Raison et droit.
Ce livre presque inconnu doit être le premier imprimé à Valencien- nes, honneur qu'il dispute aux chansons Georgines ; car d'après I iden~ lité parfaite de la forme cl des caractères, on ne peut douter que tous
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8° Le Roman de la Rose. — In-fuliu, Lyon, 1503, et Paris, 1521.
L'un de mes amis, M. Aboi de Bazinglieni, de Boulogne, en possède un magnifique exemplaire.
9° Chronique Jehan M olinet . publiée pour la première fois d'après les manuscrits de la Biblioihèque royale , — par J. J. Buchon. — Paris, 3 volumes in-S°, 1828.
deux n'aienl été imprimés simullanémenl. La date est à peu près fixée par ces vers :
Prenez pitié du sang humain , Noble roy Loys de Valois ; Vous nous tourmentez soir et main Par guerres et piteux exploits; Souviegne nous que poure et nud Bourgoigne nous a soustenu ,
Prenez pitié du sang humain , Noble Edouart , roy des Angloys.
Ce Loys de Valois et cet Edouard , roy des Angloys , ne peuvent être qu'Edouart IV et Louis XI qui moururent tous deux en )48ô- En outre , autant que l'obscurité des phrases mystiques de l'ouvrage permet d'en interpréter le sens , il est fort probable que le petit peu- ple . ce sont les Flamands , dont le pays fui dévasté de 1478 à 1482, par les prétentions rivales de Louis X! et de Maximilien d'Autriche, soutenu par Edouard à l'héritage des ducs de Bourgogne. Ce doit être vers la un de ces quatre années désastreuses , où Valenciennes joua souvent un rôle , que fut imprimée cette complainte . dont l'in- térêt grandit sous ce point de vue historique.
Celle pièpe se trouve réimprimée dans Molinei, mais avec un grand nombre de variantes a l'avantage de l'original. ( Aujourd hui dans la bibliothèque de M. A. Dinaux, à Valenciennes.
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10° La Robe de l Archiduc , nouvellement composée, par messirc Jehan Molinel, peiii iii4", goihique, imprimé à Valeiiciemies, par Jehan de Liège, demeurnnl devani lo couvent de Saini-Pol (1).
11" La complainte de Consianiinople, composée par Molinet et enuoyée aux nobles cresiiens. ~ In-'." goih. Sans date , (réimpr. dans les l'aicis et dits sons le litre de la Complainte de Grèce , avec trois stances ajoutées).
12° La ters (^très) désirée et proufiiable naissance de 1res illustre enfant Charles d'Auslrice, fdz de monseigneur l'archiduc très redoubte prince et seigneur naturel. — Impr. à Vallenchiennes, par Jehan de Liège, in-4. golh.
13° Devise de M*' Jean du Gaughet et sa réplique angé- lique.
(1 ) Cette pièce dont je navals jarrais entendu parler, qui fut impri- mée sous les yeux de Molinel , et sans doute à un très petit nombre d'exemplaires, se trouve à la suite des Chansons georgines de Chaste" lain. C est une véritable rareté bibliographique , bien digne d'être appréciée par M. Arthur Dinaux , qui en est ie possesseur. En voici la première strophe ou slance :
La ducesse d Austrice
A l'archiduc laissa
Une robe fort rice
Quand elle trépassa ;
Celte robe fourrée
Fui par gens agrippans
Dès son temps deschirée
Par pièces et par pans.
La Bobe de l'Archiduc a cio réimprimée dans les Archiies du Xord, tome II, p. 128 nouvelle série;.
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\i° Didier sur le retour de Jelian de Tournay, rciilré à Valencieiiiies , d'un voyage de Jérusalem.
Ces deux dernières pièces ont été publiées à la suile d'une Notice sur Molinet , par feu Hécart , dans les Mémoires de la Société d'Agriculture de Valeucienues, 1811, tome 3, pages Hl-141.
Il appartenait à un des membres de la Société des Anti- quaires de la Morinie , société qui a déjà rendu tant de services à l'histoire , à l'archéologie et à la biographie du Pas-de-Calais , de donner sur Molinet une notice plus étendue que celles qui ont paru jusqu'à ce jour. — J'ai regardé comme un devoir de me charger de ce soin envers un compatriote , qui fut le précurseur de Marot, et dont !c nom mérite de vivre dans la mémoire des Boulonnais.
Valencienues , le 9 septembre 1850.
KIBLIOGRAPHIE BOILOWAISE.
LES SAI^LECQUE.
LES si:^lix:qii:.
ABoulogne-sur-Mer, comme dans beaucoup de villes de province (j eu oxceple loulcfois la ville de Valeiicieniies), on se moniro par irop peu soucieux des hommes célèbres nés dans le pays. Celle indifférence esi non-seulcniciil faiale à la renommée du Boulonnais, mais encore elle nuit à rémulalioii , ce Uiobile puissant qui fait rêver, accomplir de nobles aciions el de bons ouvrages. De nos jours, des écrivains dislingues se sonl élevés parmi nous, 61 nous ne ciierons ici que Leuillelie , Daunou el Sainie- Beuve : Eh bien ! c'est à peine si quelcjnes-uns de nos compairioles savent que les auteurs du beau discours .sur ïinfluence de la réforme de Liilher, de VEssai sur la puis- aance temporelle des Papes, des Poésies de Joseph Delorme, du Fioman de Volupté , sont des enlanis de Boulogne 1... Jamais vous n'entendrez citer leurs noms, et je parierais presque que leurs productions ne se trouvent que dans la bibliothèque publique, el dans celle de deux ou trois ama- teurs de littérature. Il en est de niéme poui* les artistes boulonnais qui, à Paris, ont pris rang parmi les plus distingués de l'époque actuelle : quand il s'agit d'acheter un tableau , on préfère aux œuvies échappées à leurs pinceaux , les œuvres les plus minimes des peintres étrangers. Un proverbe, devenu trivial a force d'élre vrai dit que « nul n'est propltète dans son pays <■ : c'est surtout
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lorsqu'il s'agii de la ville de Boulogne que ce proverbe doil reeevoir son applicaiion.
Parmi les familles donl l'illustraiion devrait nous êlie précieuse , celle des Sanlecque ne saurait élre oubliée. Henri , nolie savant annaliste , dont l'amitié me fut si chère, et dont le souvenir, qui se rattache aux premiers jouis de ma jeunesse , ne sortira jamais de ma mémoire, lui qui certes n'était pas négligent lorsqu'il s'agissait de la gloire de son pays, a consacré quelques lignes à la famille des Sanlecque, dans un tableau synopticjue de son excel- lent Essai siw V arrondissement de Boulogne. A mon tour j'ai fait des recherches sur ce point de notre biographie nationale, et c'est l .' résumé de ces rf chei'ches que j'offre aux lecteurs des Archives du Nord.
Jacques de Sanlecque naquit , au xvi^ siècle (en 1573), à Clenleu, dans le haut Boulonnais. Son père, messire de Sanlecque, était seigneur de la terre de ce nom , située à peu de dislance de Monîieuil-sur-Mer. A l'âge de qua- torze ans, Jacques, cadet de plusieurs frères, prit le paiti des armes, La Ligue déployait alors ses fureurs ; la France était partagée en deux camps , et le jeune de Sanlecque, qui s'était rangé sous l'étendaii royal , montra dans plu- sieurs circonstances une intelligence et une bravoure remarquables.
La guerre étant terminée , il quitta Teiat militaire pour entrer dans la carrière qui l'a depuis illustré. Vivant a Paris, il suivait avec le plus vif intérêt les cours de la Sorbonne , fré([uentait tous les savants du siècle , ei s'oc- cupaii , avec l'ardeur d'un véritable artiste, des progrès d'une découverte qui a révolutionné le monde , et fait
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éclore lanl de biens ei lani de maux, celle de l'impiimerie, Ayant vu iiavailler à des caraeièrcs par les meilleurs lypographes du tcmiis, il s'appliqua à leur an avec lanl de soin , que bieniôr il y devint très habile, et y introduisit des innovations qui lui valurent le surnom de prince des graveurs en caractères.
C'est à lui que l'on fut redevable des caractères syriaques, chaldéens et arabes, dont le fameux Antoine Vitré fit usage pour publier la Bible polyglotte de messire Guy Michel Le Jay, maître des requêtes et doyen de Vezelay. Deux années après, et à la sollicitation du maître de chapelle du Roi , son ami intime, il fondit les premiers caractères d,' musique qui, à dater de ce moment , furent employés en France. Jacques de Sanlecque mourut à quatre-vingt-dix ans, jouissant de la réputation d'un grand artiste dans son genre, d'un homme plein d'honneur, et ayant acquis par ses travaux une honnête aisance.
Il s'était marié à Paris et laissa trois fils dignes de lui pour le mérite : Henri , François et Jacques.
Henri , dont la figure et les manières étaient remplies d'agrément et de grâce, oi dont l'esprit vif, original obtenait de giands succès dans la société, passa en Angle- terre à la suite de l'ambassadeur Irançais , et devint le valet de chambre du nudh(>ureux Chailes I^"^. Au milieu des orages qui assiégeaient le trône , il fut fort utile à son maître, et lui Ichnoigna, jusqu'à l'horrible catastrophe qui fil rouler sa tète sur Téchafaud , un dévouement et une (idélité bien raies dans les temps de révolutions. Mallu!U- reusement il ne persisia pas dans celle noble conduiie. Homme d'imagination, l'amour s'empara de son cœur et le
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pciilii... V.[)v\s d'une violeiile jtussioii pour miss Hucquiu- per, fille du capitaine des gardes du pioiecieur Olivier Cromwell, il n'obiini la main de celle séduisanie personne qu'à la condiiion d'embrasser le proiesianiisme. Après son apostasie , il revint en France avec sa femme , fit mille efforts pour rattacher sa famille au nouveau culte, et parvint à gagner Jacques, son cadet , étudiant alors en tlK'ùlogie.
Quant à François de Sanlecque, demeuré ferme dans le cailiolicisme j il porta les armes en Italie, sous les ordres du duc de Mantoue , et se trouva au siège de Gazai . La paix ayant été signée, il revint à Paris, et, plein de dou- leur du changement de religion de son frère Jacques, il lui prêcha la controverse avec tant de chaleur et d'onction, qu'il pai vint à le convertir.
Jacques avait comme son père et son frère Henri une imagination tiès mobile et un esprit vraiment supérieur. Versé en toute sorte de lilléi-aiure, il savait eu outre la théologie, la médecine, la jtiiisprudence , l'aslronomie, l'astrologie judiciaire, la musique et les maihémaliques. Il possédait les langues orientales, le grec, le latin, l'an- glais, l'espagnol. — Son cabinet, l'un des plus curieux de la capitale, éiait orne des tableaux des meilleurs maîtres du temps, de stalueites, de bas-reliefs, de médailles et de toutes sortes d'insirumenls de musique. Ces instruments, dont plusieurs remontaient à des époques très anciennes, étaient enrichis de sculptures, de peintures, d'incrusta- tions, et il en jouait avec une merveille.ise facilité. J'ai vu, en 1812, en la possession de M. Davaux, amateur tt com- positeur distingué , que M. de Lacépèdo , sou ami, avait attaché comme chef à l'administraiion de la Légiou-d'Hon-^
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neuv, un superbe ihéoibe, avoc des arabesques et oiiie- nienls en ivoire el en argent, poriani le non) de Jac(|ucs de Sanlecque. Son père lui avait liansmis tous les secrets de la fonte des caiactères, el il donna ù Tari de graver en ce genre un essor et un perfeclionnenieni extraordinaires. Ses notes de plain cliani et de musique profane, qu'on retrouve dans les belles partitions de Lully, éditées par les Ballard , sont d'une ampleur et d'une pureté que rien n'égale. Jean Jeannon , fondeur et imprimeur de Sedan, ayant gravé un petit caractère nouv< au sous le nom de Sedanoise , Jacques de Sanlecque ne piit pas de repos jusqu'à ce qu'il en eut gravé un plus petit encore : c'est celui appelé Parisienne.
On aime à voir cette émulation, ce désir enflammé de la gloire, entre des artistes rivaux ; seuls ils les conduisent à produire des œuvres commandait l'estime el l'admira- tion ! De nos jours les arts et l'industrie surtout font preuve d'une grande activé : mais celte activité qui voyage en cheminde fern'a qu'un but, celui de gagner de l'argent. Etudes profondes, bien public, espoir d'un glorieux ave- nir, sacrifices d'argent et de santé, ce sont là des sottises, des niaiseries que les juifs de notre époque (et ils sont nombreux), que les hommes à soi-disant progrès, foulent en ricanant sous leurs pieds. Poui- ne parler que de l'im- primerie , jadis les Robert Etienne, les Petit, les Mabro et Sébastien Cramoisy, les Muguet , les Barbin , les Didot compromettaient souvent leur existence quotidienne pour faire faire un pas de plus à leur art. Comme notre grand Bernaid de Palissy, ils bravaient le froid et la faim, réchauffés et nourris par ce rayon intérieur qui leur mon- trait l'immorialité Ces imprimeurs, ces éditeurs des
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(cmps lî.'ubait'S , coniMîci diseni les rapiiis de nus jouis, n'acquoraionl pas de biillaiiles fortunes en publiant d'im- mondes romans sui'du papier de eolon, mais ils ont laissé comme les deux Jacques de Sanlecque des travaux utiles, glorieux |)our !eur pays, et des noms qui ne périront pas.
Consumé par le travail el de fréquentes maladies , Jacques second, c'esl ainsi qu'on le disiinguaii de son père, mourut en novembre 1639, à l'âge de AU ans. Deux de ses fds, Jean et Eustache, suivirent avec disiinclion la même carrière que lui. Le troisième, Louis, mériterait bien d'èlre mis au nombre des enfants célèbres : ainsi qu'on le raconte du Tasse, à l'âge de 7 ans , il savait le latin, le grec, l'hébreu, el soutint, avec honneur, une thèse sur la philosophie. Il avait à peine atteint sa dixième année lorsque la mon vint arrêter ses éludes et ses succès. Le quatrième des enfants de Jacques fut le père de San- lecque, chanoine régulier, qui eût une certaine réputation en qualité de poète salyrique.
Voilà donc une famille d'origine toute boulonnaise , recommandable par de grands talents , et à peu près inconnue parmi nous. Il en est bien d'autres que je me propose d'enlever à la poussière de l'oubli. Me saura-l-on gré de ce travail que j'accomplis avec conscience , avec amour?... Quelques-uns de mes compatriotes y applau- diront peut-être... Mais rondjien d'autres diront : <• A quoi cela seri-il. »
LESAGE
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LETTRE mmil A M. F. GRILLE. RIBLIOTHÉCAIRE DE LA ULLE DANGERS
LESAGK
A BOULOGNE-SUR- MER.
Comme vous , mon excelleni ami , lorsque de sérieuit travaux me laissent un moment de loisir., je vais , fouillant dans ma mémoire , et dans mon portefeuille , reeherclicr ce qui peut me mettre sur la trace de faits , d'événements intéressant les lettres et les ans. - Je n'ai pas , pour les coordonner, les rendre à la vie, celle méthode parfaile, cette vivacité d'esprit et de style qui donnent lant de valeur et de charme a vos brochures angevines (1) : mais à voire exemple , je m'atlache à faire connaître ce qui est ignoré, à expliquer ce qui est resté dans le doute, à ajouter quelques feuillets à la biographie des hommes célèbres, à l'hisloire d'un livre, d'une parlilion, d'une slalue, ou d'un tableau.
Vous aimez l,esage, et vous a|)préciez autant (pie |)er- sonne son laleni comme romancier, el comme auteur diainalique ; à jusie liir(> il est pour vous une des gloires de la Fi-ance. Elî bien 1 voici, sur les dernières années de son existence , quelques ciiconsiances restées inconnues
(1) M. GriUo a publié nii yruml noml»rt> ilf .•liiuiiianl> iipu^t'iilcs, riirmJiiU une colleclion aussi raio quii |ir<'ciiMiso. — Il u élo onicvo il \ a (Jeux ans a sa famille, a >i's aini'= .-jim un cossi'iii .!(> I(> ri>sîriMlrM-
N..|.< (le 185.^.
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jusqu'à ce juuf ; je les lieus de lisou ayeul nialeruel, M, Duierlre du Wasi , ancien noiaire du chapiire de la cathédrale de Boulogne-sur-Mer, mon en J803, à l'âge de 87 ans, et qui avait été intimement lié avec Lesage.
L'auieui- de Turcaret et de Crispin rival de so7i maître a cultivé longtemps l'art dramatique. — Il aimait cet art de passion , mais sa collaboration , en société avec F'usèlier, Dorneval et Piron , dans les ouvrages donnés à la foire St-Gei-main, lui avait attiré tant de désagréments, que pendant les vingt dernières aimées de sa vie il avait pris les comédiens en aversion : aussi éprouva-t-il un profond chagrin lorsque l'aîné de ses fils , qu'il destinait au barreau , se fit acteur, sous le nom de Montménil. A dater de ce moment il ne voulut plus le voir. — Tous ses sentiments de paternité s'étaient reportés sur Julien- François Lesage , le second de ses enfants. Celui-ci avait embrassé l'état ecclésiastique, et possédait un canonicat à Boulogne-sur-Mei'. Lesage faisait de fréquents séjours dans cette ville , et vainement le chanoine , qui aimait beaucoup Montménil , avait cherché à le réconcilier avec son père.
M. le comte de Tressan , membre de l'Académie fran- çaise , auteur de traductions estimées , et de quelques l'omans, était alors commandant de la ville de Boulogne. Admirateur du talent de Lesage , il appréciait la noblesse de son caractère , aimait à le visiter, et à jouii', dans la conversation , des mots pleins de verve , des anecdotes originales qui jaillissaient de Tesprit de ce grand peintre du cœur humain , dont l'imagination avait conservé toute sa chaleur, toute sa grâce.
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Duns un des voyages de Lesage à Boulogne, M. do Tressan , sollicité pai' le chanoine cl pai- son IVère Moni- ménil , crut enlin avoir tioiivé le niONt^n d'amener une réconciliation enlie ce dernier et son père.
Les comédiens de province menaient alois une exis- tence nomade . en transportant de ville en ville leuis tentes dramatiques et en levant, partout ou ils s'airèiaienl, des tributs d'argeui et d'applaudissements. — Parmi eux se rencouiraieiu des sujets précieux qui, après un novi- ciat plus ou moins long, allaient euiichir les théâtres de la capitale. C'est à la province que nous avons dû Préville, Larive et tant d'autres acteurs célèbres.— Alors un artiste se livrait à de consciencieuses éludes ; il ne suffisait pas pour aborder la scène, d'avoir deux ou trois rôles dans la mémoire, quehpu's roulades dans lu gosier, et l'effet dra- uîa'ique, lorsqu'on jouait Corneille, Molière et Regnard, était ailleurs que dans le fracas des Piachines, le luxe des décorations, et du costume. — On n'avait point encore eu la merveilleuse idée de créer des directeurs privilégiés ; iuslituiion absurde, et funeste aux progrés de l'art com- >ne aux plaisirs du public , en ce qu'elle lue la concur- rence , et livre souvent des brevets de faveur aux mains de l'inlérèl personnel , et de l'incapacité. — Fruit du des- potisme, celle insiilulion (pii suivit une révolulion dont le but avait <''!é d'etoufrci' tous les privilèges , est , surtout depuis l.S'30, une de ces anomalies monstrueuses se ren- conirant a chaque pas dans notre siècle de lumières, et de libellé raisonnable, encore à l'état d'avorlement. On peut toutefois concevoir l'existence du privilège théâtral sous une monai( hie absolue , mais on ne la conçoit pas sous l'empire d'une charte conslitulionnelle. — Or, Monlménil, auquel il nous faut revenir, appartenait à une troupe d'ac-
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fciJis qui vouait de donner plusieurs représeniaiions à Amiens , el il y avait un mois qu'elle exploitait le iliéàtio de Boulogne , lorsque le vieux Lesage y arriva.
Quelques jours s'écoulèrent el l'affiche annonça Crispin rival de son Maître. M. de Tressan obtint, avec beaucoup de peine , de l'auteur de cette spirituelle comédie, qu'il consentît à piendre une place d'iionneur dans sa loge. — Quel fui l'éionnenient de Lesage en reconnaissant son (ils dans le comédien qui jouait le rôle de Crispin !... « Ali ! " monsieur le commandant , dit-il d'une voix émue , si « vous n'étiez pas le meilleur de mes amis, je regarde- « rais comme une perfidie de votre part de m'avoircon- '< duit ici 1 . . . " Le bon M. de Tressan parvint à calmer le vieillard, dont les traits cependant décélèrent l'abattement el l'inquiéiudo pendant la première partie de la représen- tation. Montménil joua d'une manière supérieure; peu à peu l'intérêt gagna son père à un tel point , qu'il fut entraîné et applaudit Crispin de toutes ses forces. — Lors- ({ue Montménil eut repris ses habits de ville, le comte de Tressan le fit appeler dans sa loge pour le complimenter: Embrassez votre père, lui dit-il, c'est à votre talent que • vous devez d'avoir reconquis son amitié. •> — « Mont- ménil, mon fds, je te pardonne, (balbutia Lesage en le pressant sur son cœur). Je le voidais avocat , et me voilà satisfait , car lu viens de gagner la plus diiïicile de loules les causes. •
Deux ans après, Montménil mourut, el Lesage que cet «'vènement accabla de douleur, quitta pour toujours Paris, et vint chercher un asile el des consolations près de son lils l<! chanoine. — M. de Tressan allail le visiter ions les jours, et il a <'onsigii('', dans une lettre fort curieuse, une
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observaiion physico-médicale d'un liaui iiUcièl. « Lesage, dil-il, se réveilianl le malin, dès que le soleil paraissait élevé de quelques degrés sur l'iiorizou, s'animait et pre- nait du sentiment et de la force, à mesure que cet astre approchait du méridien ; mais lorsqu'il commençait à pencher vers son déclin , la sensibilité du vieillard , la lumière de son esprit , et l'activité de ses sens dimi- nuaient en pioportion ; et quand le soleil paraissait plongé de quelques degrés sous l'hoiizon , il tombait dans une espèce de léthargie dont on n'essayait pas même de le lii(;r. J'eus raileulion de n'aller le visiter qu'au moment de la journée oîi son esprit était le plus lucide, et c'était à l'heure succédant à son dîner. — Je ne pouvais voir sans attendrissement ce vieillard esti- mable, qui conservait la gaieté, l'urbanité de ses beaux ans, souvent même l'imagination du Diable boiteux et de Turcarel. — Mais un Jour, où je me présentai plus laid qu'à l'ordinaire , je m'apperçus avec douleur que sa conversation commençait à ressembler à la dernière
« homélie de l'archevêque de Grenade. »
I! vécut encore quatre années et s'éieignU le 17 novem- bre 1717, à l'âge d'environ quatre-vingts ans. — M. de Tressaii assista a ses obsèques , avec les principaux officiers sous ses oïdies , regai'dant comme un devoir de rendre hommage à l'un d(îs meilleurs ei des plus ingé- nieux écrivains de la France.
On voit encoie à Boulogne la petite maison qu'iiabitait Lesage; elle est située rue du Chàieau , haute ville, et porte le n" 3. — En 1820, sur ma proposition, la Société des Sciences et Art^ . dont je suis encore mendire hono- raire, a ari('l(' par une d(''libéraiinii en dnle du 1"' juillet :
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« Qu'une table de marbre noir sérail placée au-dessus « delà porie de celle maison , avec celte simple inscrip- « lion :
Ici mourut l'auleur de Gil-Blas, en 1747.
« que derrière celle inscriplion on déposeiail une boîle
<• de plomb, conlenant un exemplaire, imprimé sur vélin,
« de la Notice sui' Lesage (I), ainsi que des pièces de
<■ monnaie, et l'extrait des pi-ocès-verbaux de la Société ;
« que celle pose serait effectuée le 17 juillet , ei que les
« autorités seiaienl particulièremenl invitées à y assister. »
Au jour indiqué, cette cérémonie eul lieu, sous la pré- sidence de M. Heiman , alors sous-préfet de Boulogne, maintenant conseiller d'éiat, en piésence d'un grand con- cours d'habitants de la ville et d'étrangers.
J'avais en outre proposé l'acquisition de cette maison de peu de valeur, dans la crainte qu'on n'en changeai la dislribulion , et l'aspecl : une souscription fut essayée pour atteindre ce but, et ne put réussir. — Mes craintes étaient fondées; depuis on l'a élevée de deux étages et badigeonnée : mais la lable de marbre noir a été conser- vée, et j'ai fait faire dans le temps un dessin, et une lithographie très exacts du dernier asile habité par Lesage.
De plus quelques bibliographes ayant prétendu qu'il était mort à Paris, j'ai lait expédier son acte de décès, dont voici le texte :
(I) J'nvais écrit oellc Nolico pour une jolie édilion du Diable Itoiteux, pnl)liép cl lioulogne.
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<■ Des registres de leiai-rivil de Boiilogiie-sur-Mer; paroisse Si-Joseph pour l'anuée I7i7.
« Le 18 novembre a élé inhumé M. Alain-René Lesage, époux d'Elisabeth Huyard, décédé la veille, sur les huit heures du soir, âgé d'environ quatre-vingts ans. — Ont assisté à son inhumation , M Julien-François Lesage, son fils, chanoine de ceîle cathédrale, et M. Ducrocq, doyen de la dite église , avec nous curé et vicaire. — o Signé: Lesage, Ducrocq, Dubois et Dieuzet. »
C'est peu de temps après la cér-émonie de 1S!20, ([ue mon ami Michaud, membre de l'Académie française, qui y avait assisté , contribua à faire pr^oposer- l'éloge de Lesage, dont le prix fut partagé entre MM. Malilourne et Patin.
J'arrive à la fin de cette lettre, mon cher bibliothécaire, et je désire que vous ne la trouviez pas trop longue.
A vous loujour's !...
ÉLOGE HISTOKIQLE
3E
m. LE BARON DE COURSET,
Membre correspondant de l'Institut.
« A tout âge, l'étude do la nature porte « à l'âme une nourriture qui lui profile, « en la remplissant du plus digue objet « de ses contemplations . >
J.-J. ROCSSEAD.
KLOGR HISTORIOlîl-:
DE
H. LE BAROX DE COI RSET
Trop souvenl les sciences les plus miles au bonheur et ,à la conservation des hommes n'oblienneni du vulgaire qu'une froide indilTérence. — Le savant, ragriculteui , le botaniste , renfermés dans leurs cabinets , se livrant dans leurs domaines à des expériences qui n ont presque pas de témoins, et d'éclat, sont loin d'atteindre a celte renom- mée universelle entourant les productions de l'aîiistc et de l'homme de lettres. — Ils vivent , pour ainsi dire, inconnus au milieu de leurs contemporains , et ne sont appréciés que par ceux d'entr'eux qui cultivent les mêmes travaux. — Ce défaut de publicité amène souvent le décou- ragement ; il fait plus de mal encore en ce qu'il prive la société d'exemples qui pourraient, en éveillant le goût et le génie des sciences , augmenter le nombre de ceux y consacrant leur vie , et les bienfaits qui en résultent pour l'humanité.
C'est avec l'intention de parer à cet inconvénient que j'ai esquissé le tableau de l'existence d'un boulonnais,
(*) Cet éloge a obtenu en 1828, au concours de la Sociélé royalo d'Agriculture de Paris, la médaille d'or à l'efllgie d'Olivier de Serres.
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aussi modesle que laboiieux , et essayé de payer à sa mémoii'e le liibut de louanges dû à ses talents et à ses vertus.
Ce que je vais dire de M. de Courseï sera |)uis('; à la (ois dans mes souvenirs , dans eeux que m'a transmis sa l'amille, et dans des notes manuscrites qu'il a laissées su»^' les priucipaux événements de sa vie. — Je puis garantir la véracité des faits que je vais retracer : ce sera le seul mérite d'un éloge dont le style doit être simple comme les mœurs de l'ami des champs , de l'Iiomme de bien qui en est le sujet.
Ce fut en 1746, au château de Course en Boulonnais, que naquit Georges-Louis-Marie Dumont, baron de Cour- sel. — Son père, marié à mademoiselle d'Euvringhen, dont la famille jouissait d'une juste considei-ation , avait rempli pendant longtemps avec distinction la place de subdélégué de la province. — Il voulut que son fils recul une éducation soignée , et après lui avoir donné les pre- miers éléments des sciences , il le plaça dans un collège de la capitale , où il termina ses études d'une manière brillanle.
A la culture des langues anciennes , et des mathéma- tiques , le jeune de Coursel joignit celle des beaux-arls, qui charment la vie, et serveni de délassement à de plus importants travaux. — Les arts ont été souvent calomniés, que de fois on a répété qu'ils éloiguaient de l'étude des choses sérieuses ! Mais cette erreur qui prend sa source dans le défaut de sensibilité chez les uns , et chez les autres dans une jalouse médiocrité, najamais été partagée par les bons esprits. — Il faut à Thomme des objets de
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dislraclioii ; sa pensée ne peut pas lonjours être reicnue dans les légions ai ides des sciences exactes , ei des spé- culations métaphysiques de la morale et de la philosophie: ei quelle plus noble distraction peut-il éprouver que celle naissant du commerce des muses?... Tous les arts , en apparence même les plus frivoles, ont d'ailleurs leur degré d'utilité, et des points de contact intimes avec les études les plus graves. C'est ainsi que la connaissance du dessin, acquise par M. de Courseï encore adolescent , lui fut du plus grand secours lorsque plus tard , se li\rant à l'agri- culture et à la botanique , il décrivit les plantes et les fleurs , fit le tableau de leurs espèces , et de leur classifi- cation. •
Destiné par ses parents à embrasser l'état militaire, M. de Coursel, à l'âge de di.vsept ans, fui nommé sous- lieutenant au régiment de Royal-Pologne. — Son excel- lente conduite, les a>aniages de tous genres qu'il devait à la nature cl à une bonne éducation , le firent remarquer de ses chefs, et peu d'années après son entrée au service, il obtint le grade de capitaine dans Bourgogne-Cavalerie.
Jusques-là, la science qu'il devait honorer par d'utiles travaux n'avait point captivé son attention , et il devint Botaniste par un de ces hasards dignes de fixer l'intérêt, et qui plusieurs fois ont décidé la vocation d'hommes véritablement distingués, dans les sciences, les lettres et les arts.
Souvent, en effet, les circonstances les plus imprévues éveillent le génie d'un poète, d'un artiste, d'un savant, et leur révèlent la carrière pour laquelle la nature les a crées. L'histoire du développement de l'intelligence hu-
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maine n'en oiïVc-l-clle pas un grand nombre d'exem- ples?..
M. de Coursel fui déiaclit' avec sa compagnie, ei reçut l'ordre de se rendre an pied des Pyrénées pour s'opposer- à l'invasion el aux progrès d'une épizootie qui ravageait une pariie du Languedoc. Ces hautes montagnes, dont l'aspect imposant , les défilés pittoresques produisent la plus vive impression sur l'homme sensible aux beautés de la nature , font éclore en M. de Cuurset un goût que jus- qu'alors il n'avait pas pressenti. — La chaîne des Pyrénées est couverte d'un grand nombre de plantes rares ; il les voit , les observe , les admire ! . . . Pour la première fois ri lui semble qu'il rencontre des êtres qui seront les amis de tonte sa vie. — Et bientôt se livi-ant à l'herborisation, s'entourant des ouvrages de Lynnée, de Jussieu, de Tour- nefort, qu'il étudie avec ardeur, il devient lui-même Bota- niste.
La Botanique, celte science si ulile, puisqu'elle fournit à la médecine des moyens puissants pour guérir ou soula- ger les maux qui nous assiègent, était resiée longtemps dans l'enfance. — Avant la renaissance des lettres ceux qui aflîchaienl le plus de prétention à connaître les plantes, étaient fort éloignés de se douter de leur structure et de leurs véritables propriétés. Tout était alors livré à l'arbi- traire du premier empirique auquel il plaisait de donner à certains végétaux des vertus et des noms connus seule- ment dans les lieux qu'il habitait. — Lorsque le flambeau de l'instruction commença à jeler (jnelques lueurs sur la France, quant à l'élude de la nature, un nouvel inconvé- nient arrêta les progrès de la bolanique. — Les anciens, en toutes choses , étaient seuls consultés. C'était dans leurs livres, el non dans les champs (lu'on observait les
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piaules , celles donl ils n'avaient point parlé «îiaienl cen- sées n'avoir jamais exisié ; et les disputes de mots, le défaut de nomenclature , le mélange des espèces et des genres , produisirent un calios tel que personne ne s'en- tendait. — Peu à peu cependant ce cahos se débrouilla, Tordre remplaça le désordre , et les frères Tauliin , Tour- nefort , Lynnée et Jussieu opérèrent successivement la réforme des pratiques vicieuses suivies jusqu'alors , et posèrent les véritables principes de la plus riche, de la plus aimable des sciences.
Les ouvrages de ces hommes illustres révélèrent à M. de Courset les éléments de la botanique , et ce genre d'étude, pour lequel il était né , exerça dès lors un si grand empire sur son esprit, qu'il'résolut d'y sacrifier tous ses instants. — Pour atteindre ce but , il quitta le service, se maria à trente-un ans, et retiré dans le domaine de ses pères, il joignit la pratique à la théorie, en composant divers ouvrages justement estimés , et en formant de superbes jardins, qui foet fadmiration de tous ceux qui les ont parcourus.
Ces jardins sont un véritable monument de la nature et de l'art pour le boulonnais , et une création faisant le plus grand honneur à la mémoire de M. de Courset. — Plu- sieurs écrits, parmi lesquels on distingue une brochure publiée en 1814, par M. Lair de Caën , en ont donné la description ; elle deviendrait donc inutile dans cet éloge historique. Il sufiira de rappeler que ces Jardins immenses sont tracés et plantés avec un goût , une élégance , une richesse remarquables ; qu'ils contiennent dans le règne végétal les objets les plus rares de tous les pays du monde €1 que, « si , • comme l'a dit le savant que nous venons
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de ci(er, - un liabilaiU de l'Aniéi iijuc, des Indes el de la - Nouvelle-Hollande, visilailCourseï, il y iroiiverail avec <- autanl de surprise que de plaisir les planles qui crois- « sent dans sa patrie , et qui prospèrent là comme dans <• leur pays natal. " — On y remarque principalement une collection de bruyères , la plus importante qu'il y ail en France, sans en excepter celle du jardin royal et de la Malmaison.
C'est dans ce délicieux asile que , loin des tempêtes politiques et des passions qui tourmentent les villes, M. de Courset au milieu de ses planles, de ses livres et d'une famille chérie , accueillait avec la plus aimable bienveil- lance les étrangers qui le visitaient . — Il suffisait d'avoir passé quelques instants avec lui pour connaître , appré- cier l'éiendue de ses connaissances, el les qualités de son cœur.
On lisait celte inscripiion sur les parois extérieures de l'une des salles vertes de son jardin :
« In juventule impelus .
« lu seneclute pax ;
« Uni el alteri voluplas. »
<' Dans la jeunesse on aime l'agitation ; dans la vieillesse « on soupire après le repos : c'est ainsi que chaque âge a <« ses jouissances. » — Cette inscripiion est aussi tou- chante que vraie ! Elle convenait parfaiiement à l'homme qui, au déclin de ses jours, ressemblait à ce bon vieillard de Galèse, dont Delille a dit, en traduisant les Georgiques de Virgile :
a Un jardin , un verger, dociles à ses lois ,
« Lui donnaient le bonheur qui s'enfuil loin des rois ! »
Eu 1789 M. de Courscl lit U; voynge d'Angicicrre , afin d'observer l'éial de rygiiciildiie dans ce pays. — On doit à la vériié de convenir que les Anglais nous ont devancés dans les expériences et les progrès que les sciences et la civilisaiion ont successivement amenés pour l'an agricole. Quelques grandes exploitations, parmi lesquelles on citera toujours celles du savant Duhamel , existaient jadis en France, et avaient donné naissance à des découvertes aussi neuves qu'utiles : mais le goût de la culture était loin d'être répandu chez nous , aussi généralement que chez une nation où la division des propriétés, et le besoin de s'affranchir, autant que possible, des productions de l'étranger, avaient éveillé dans toutes les classes l'idée du travail et de l'industrie. — M. de Couiset fit son piofit de tout ce que nos voisins lui montrèrent de beau et de bien. Il se mil en relation avec les savants les plus distingués de Londres, assista à plusieurs réunions de la société royale de celte ville , et revint en France avec des notes précieuses, fondées sur l'observation , et qu'il sitt utiliser dans ses domaines et dans ses ouvrages.
En 1784, il avait nris au jour un excellent mémoire sur l'agriculture du Boulonnais, et des cantons maritimes voi- siirs de celte province. — Ce fut alors qu'il éprouva ce qu'éprouvent tous ceux qiri débutent dans une carrière oii ils sont incorrnus. — On lui donna des éloges ; mais en général l'envie et l'esprit de ciitiquc s'acharirèrent contre ce premier ouvr-age , qui déplut à irn gr^and nombre de cultivateurs, en ce qu'il enseignait de nouvelles méthodes, cl s'(!'loignail ainsi de l'ancienne r outirre. — L'auteur de ce mémoire s'affligea d'abord du prix que recevaient ses travaux et ses soins. -- Il racontait Irri même , dans les
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jours de {sa vieillesse, que pendant quelques inslanls, il fui prêi à les abandonner : mais heureusement il relrouvu le courage nécessotre pour chasser cette idée, La recti- tude de sou jugement lui fit apprécier à leur juste valeur les censures injustes dont il fut l'objet.
Nommé membre de l'ancienne Société d'Agriculture de Paris, il publia en 1786, 87, ei 88, des observations géor- gtco-météoralogiquesdau& les annales de cette Société. — Ces observations semées de reflexions intéressantes sur les végétaux et les récolles , prouvent que M. de Courset savait prêter du charme aux plus arides tableaux.
Dans la situation la plus favorable pour goûter le bon- heur, une douleur profonde , et dont le temps n'a jamais effacé les traces, vint l'atteindre. — Il perdit une épouse adorée : ce coup affreux altéra sa santé, et il n'eut poini survécu à la compagne de son existence, si une fille née de leur union, M"'^ la baronne de Coupigny, n'eut apporté quelques consolations à son cœur df'chiré, — Il jura de consacrer le reste de ses jours à son éducation, et jamais père ne remplit avec plus de tendresse et de soins le& devoirs qu'^impose un titre si doux !... Aussi l'amour, le respect que lui portait sa fille , furent- ils extrêmes; et su conduite envers lui est-elle citée , comme un modèle de piété filiale.
Vivant au sein de la retraite ; uniquement occupé de celle fille chérie, de ses jardins et des sciences, M. de Courset paraissait devoir être à l'abri de l'orage qui vint bouleverser la France ; il n'en fut rien cependant , et lors qu'arrivèrent ces temps de larmes et de deuil , dont ou Koudraii perdre le iiisle souvenir , il fui frappé, comme
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tanl d'honorables viciimes, parle vaiulalisme révolulion- naii-e. — Traîné dans les prisons d'Ai'ras, il ne devait pas larder à péril" sur l'échafaud. Henreiisemenl la science elTamilié veillaient à sa conservation. — M. Troussel qui, à celle époque désastreuse, a rendu d'éminents services, et plusieurs agriculteurs distingués, painii lesquels M. de Courset se plaisait à citer M. Tliouin, représentèrent com- bien il était utile à l'établissement qu'il avait formé , et un ordre du comité de salut public le lendit à la libellé.
Avec quel plaisir ne revit-il pas l'asite qu'il avait créé, ei ne se livra-l-il pas à ses occupations favor-iles !... Le passage d'une prison à une habitation charmante , d'un séjour d'esclavage el de douleur, à un séjour où la nature, secondée pai" l'art, étalait ses plus riches présents; la vue de la verdure, des (leurs, émurent délicieusement l'àme de M. de Courset : il lui semblait qu'il venait de recevoir une nouvelle vie 1...
Lors de la réorganisation des Académies , sous le litre d'Instilul national de France, l'honneur d'être nommé membre coirespondani de cette illustre compagnie , vint chercher M. de Courset dans sa retraite ; et jamais hon- neui- ne fui mieux mérité ! — Un grand nombre d'autres corporations savantes se rattachèrent, el il fut l'un des premiers el des plus actifs fondateurs de la Société d'agri- culture, du commerce, et des arts de Boulogne.
Tous les ans il enrichissait les annales de l'agriculture fiançaise, el la bibliothè(iue des piopriélaircs ruraux, de mémoires intéressants. On y remarqua ses réponses à des questions difficiles sur la science agricole, faites en 1793,^ par le minisire de l'inlérieur.
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Mais l'ouvrage qui le recommande surloui à l'esiimcj des savants, des amateurs de jardins, et qui fut le résultat de profondes études , et de trente années d'expérience, c'est le Botaniste-cuUivateur.
On venait de traduire le dictionnaire de Miller, célèbre jardinier anglais , et ce livre, incomplet sous beaucoup de rapports , était loin de satisfaire les botanistes. M. de Coursct conçut une méthode toute différente, et qui avait pour but , en rapprochant les genres et les espèces , de conduire à la connaissance de la botanique par la recher- che des plantes dans la classe , et dans l'ordre où elles sont placées.
L'introduction de ce bel ouvrage peut être lue avec autant de plaisir par le littérateur exercé que par le savant. L'auteur trace, dans le discours qui la précède, avec une élégance de style très rare pour un livre didac- tique, un tableau de la marche de la nature, dans les trois grandes divisions de l'histoire naturelle, « Cette marche, <- dit-il, est simple comme la loi qui la régit. Ses moyens « sont uniformes, constants, et communs à toutes ses pro- « ductions. — L'homme ne lui coûte pas plus que l'ani- « malcule, et le chêne que la mousse. Créature, comme « tous ses développements, elle est soumise à un cours, <• comme elle y soumet tous les êtres. — Impartiale, tous « sont égaux devant elle, et les époques de leur carrière « sont pour tous la naissance, l'accroissement et la lin. — « Indifférente à l'égard du nombre , son objet principal <■ est la conservation de l'espèce ; aussi a-t-elle donné tous " ses soins à l'appareil des oiganes sexuels ; elle les a - environnés dans les plantes des parties qui les proiè- « gcnt, cl a enrichi leur lit nuptial de brillantes coulcu» s. >
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On peul juger, par ce passage, du méi iie de celle inlro- duclion, qui se continue dans tout le premier volume de l'ouvrage , terminé par une idée heureuse , celle d'avoir, par des tables comparatives, rapproché les genres décrits d'après Jussiou, des divisions et classes correspondanles, suivant le système de Lynnée. Ce premier volume con- tient, en ouire, des déiails étendus sur la culture des plantes, dont la série est éiablie dans les autres volumes. 13 à 1400 genres, et environ 8,700 espèces sont compris dans l'ouvrage , et l'on y trouve sur les caractères des divisions, les classes et les variétés, une foule d'aperçus aussi exacts qu'inlérf^ssanls. — Le port el la hauteur des plantes , la forme des feuilles et des fleurs , leurs couleurs variables ou fixes, la description des graines et des fruits, les pays originaires, les mois de floraison onlélé retracés par l'auteur avec le plus grand soin. — Il indique si les piaules sont annuelles, bisannuelles ou vivaces, el entre dans (les détails étendus sur leur culture, K urs propriétés, cl leurs usages, sans négliger les exceptions qu'elles peu- vent présenter. — Quatre tableaux oûVent : 1" les noms français des plantes par Jussieu ; i" la nomenclature de Lynnée, qui a été adoptée par tous les savants de l'Europe; 3" les noms synonimes el particuliers à plusieurs cantons de France ; i" les noms anglais les plus usités répondant aux noms fiançais donnés aux mêmes planles. — Enfin, dans le volume de supplément , M. de Courset a placé une table alphabétique des noms français et laiins des genres, cl un catalogue exact de toutes les plantes culti- vées dans ses beaux jardins.
Le liolanisle-culliualeur a oblcnu le plus grand succès, el esi il sa seconde édition. — C'cat le meilleur traité de
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ce genre exislani, non seulcmenl en Fiaiice, mais encore en Europe. Seul il siifriraii pour recommander le nom de M. de Coursel , el cxciier la reconnaissance ei l'esiime des agricullcurs, des bolanisles, ei des hommes du monde qui désirent s'instruire.
Plein de candeur, d'amour du bien , el de modestie, l'auteur de ce précieux traité , paraissait ignorer son mérite. Il travaillait bien plus pour être utile que pour acquérir de la réputation. — Son àme douce et bienfai- sante trouvait dans l'élude de la botanique un alimenl qui lui fournissait les plus aimables jouissances.
Tous les hommes sensibles ont aimé la nature.. Les fleurs surtout , ont toujours excité dans leurs cœurs des impressions innéCfaçabIcs, en leur retraçant les plus doux, les plus chers souvenirs!.. « Ah ! voilà delà pervenche!..» s'écriait l'auteur d'Emn'e , avec un ravissement inexpri- mable, en retrouvant, après trente ans d'absence, cette fleur qui lui rappelait sa jeunesse , el ses premières amours !... — Lecomposiieui'deS/ra/on/ce, MéhuI, aileint de la maladie qui le conduisit lentement au tombeau , se faisait transporter, peu de temps avant sa mort , dans un parterre de rosiers qu'il avait lui-même plantés , el doni les émanaiions calmaient ses douleurs , et adoucissaient sa profonde mélancolie. — Ainsi l'étude de la botanique, est non-seulement utile à l'humanité, mais elle est encore remplie d'intérêt et de charmes. Elle inspire des senli- timenls religieux en rendant plus claires les preuves de celle intelligence supiême qui créa la plante dont les venus guérissent nos maux , el la fleur parant le sein de la beauté , el embellisbanl nos fêles.— L'ouvrage le plus parfait sorii de la main des hommes approcha-l-il jamais
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de la plus humble fleur soilic de la loule-puissaucc de Dieu?...
Pénélré de ces seiilimens, M. de Coiirsel aliadiail à ses iravaux un pohil de vue moral qui les lui rendait encore plus chei's. Le livre de la nature , qu'il feuilletait chaque jour, lui parlait sans cesse de son sublime auteur, et jamais les calculs d'une orgueilleuse incrédulité ne vinreni un seul instant troubler la séiénité de son esprit.
Au milieu de ses recherches scientifiques, il avait trouvé le temps de composer un ouvrage , dont le manuscrit est entre les mains de sa fille, et qui a pour titre : Considéra- tions sur V homme , relativement à son bonheur. Il est à désirer que ce manuscrit soil publié.
Il a laissé plusieurs autres écrits parmi lesquels je dois signaler un travail étendu sur les insectes , et des obser- vations météorologiques, qui embrassent un grand nom- bre d'années.
Les arts furent toujours cultivés par lui ; il dessinait avec facilité , et l'on conçoit que , de préférence , il s'atta- chait à retracer avec le pinceau les beautés fugitives des fleurs. — Son portefeuille renferme plus de mille plantes des Pyrénées, dont sa main a fixé sur le papier les formes cl les couleurs si variées.
Amateur de la musique, M. de Coursel se plaisait à accompagner sur la harpe les beaux chants de Grélry, ei surtout de Monsiguy dont la famille était orisinaiie des lieux qu'il habitait. — Oti le voyait , dans les derniers moments de sa longue cl honorable existence , assister avec assiduité aux couccris , applaudir aux talents des
aiiisles, des a mai ours boulonnais, el serrer avec affeclion la main de ceux d'enlre-cux qui reproduisaient avec suc- cès l'esprii de nos grands maîtres. —Le genre de musique qu'il préférait était en harmonie parfaite avec ses goûts et ses mœurs : une mélodie simple, naturelle , les airs pei- gnant le calme et la douceur de la vie champêtre , lui c:uisaient un vif plaisir. Il avait formé une collection choisie de pastoiales suisses qu'il exécutait souvent au milieu de ses plantes, et de ses fleurs. En l'écoutant on se croyait transporté dans les paysages si pittoresques de l'Helvélie, et ses cheveux blancs, sa figure pleine de franchise et d'aménité , ajoutaient encore à l'illusion , en offrant l'image d'un véritable descendant de Tell.
Après quelques jours de maladie, M. de Courset mou- rul, en juin 18^24, à l'âge de soixante-dix-huit ans, entouré des soins de sa famille, et des consolations de la religion. Sa perte fut vivement sentie par tous ceux qui l'avaient connu, et la douleur- de sa fille ne saurait être exprimée !
Homme savant et vertueux , puisse cet éloge , que le cœur seul a diclé , faire mieux connaître , mieux appré- cier- encore tes lalerris , et les services que tu as rendus à la société !... Heirreux celui qui peut marcher sur les traces, et acquérir, ainsi que toi, le droit de se dire en mour-ant : « J'ai vécu , fai fourni la carrière que le sort " m'avait ouverte. «
a Vixi, el quem dederat cursum forluna ptreyi ! >
IHor]
M. MICHAUD,
Dli: L'ACADÈiMIE FRANÇAISE.
Quelques particularités de sa vie, de son caractère,
et des séjours qu'il a laits, pendant plusieurs
étés, à Boulogne-sur-Mer.
« L'accord d'un beau latent el d'un beau caractère.» (Andrieix , épilre à Ducis).
fi. IIICIIAID
Lorsque !a France viiil à perdre l'hislorieii des Croisades, Tauleur du Prinlemps d'un Proscrit, je voidais payera sa mémoire un juste iribul d'affeciion el de regret, dans un des journaux de Boulogne. — A plus d'un tiire particulier cet hommage eût clé là convenablement placé. — En €flel, M. Micbaud a vécu parmi nous , écrit dans la ville de Godefroid de Bouillon , une partie de son histoire des guerres saintes ; il y était aimé , estimé de quelques per- sonnes qui conseivent précieusement son souvenir, et il appartenait, en qualité de membre honoraire , à notre Société des Sciences el des Arts. — Ce projet ne reçut point alors d'exécution , par des motifs indépendants de ma volonté. — En outre, je pensai que dans le moment où toutes les feuilles publiques s'occupaient de mon ami, où toutes les célébrités littéraires retraçaient ses titres à la renommée , je devais , moi chétif , garder le silence. — Ma faible voix ne se serait-elle pas perdue , au milieu de ces grandes voix , proclamant , sur une tombe venant à peine de se fermer, l'arrèi de la postérité? —Aujourd'hui que tout se tait , je vais parler ; non pour apprécier M.
(*) Publié en J841 Jans /a QuoUdknne.
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Michaud comme hislorien , comme poêle , (celle lâche a été dignement remplie) , mais pour le peindre; , comme homme privé , pour munirei- que la vivacilé de son esprit, l'amabiliié de son caractère , la bonté de son cœur, éga- laient son talent.
M. Michaud aimait Paris, parceque Paris est le centre du mouvement intellectuel en France , et qu'il y avait des amis de choix : mais la province, comme lieu d'habitation, lui plaisait bien d'avantage, convenait mieux à son éloi- gnement pour le bruit , à la simplicité de ses goûts , et à sa frêle santé. — Boulogne devint donc pour lui une rési- dence d'élection , à partir de 1815, en ce qu'il y trouvait un air excellent , de l'activité , de l'animaiion sans tumulte et sans fatigue, des promenades agréables , la solitude, quand il la voulait , et des bains de mer. — Tous les ans, au mois de juin, il y établissait , comme il se plaisait â le répéter, son quartier général des croisés , et celle image acquérait de la vérité, de la ressemblance existant, selon lui , entre la colline d'Outreau , et le mont des Oliviers à Jérusalem.
Son existence à Boulogne était partagée entre l'étude, l'exercice, et quelques visites chez deux ou trois amis. — Son habitation se composait de trois pièces, située sur le port, dans la petite maison d'Hénin père, ce brave pêcheur, dont le nom a depuis jeté un certain éclat lors du terrible naufrage de YAmpliytrite. — Un vieux domestique très original , et très spirituel , Tellier, qui jadis avait servi Turgot et Talleyrand, l'accompagnait dans tous ses voya- ges. — C'était le Lafleur d'un maître qui a\ail plus d'un rapport avec Sterne , et il était bien placé dans la cuisine, dans l'antichambre , et parfois môme dans la salle où se
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lenaii M. Micliaiid. — Ce dernier recevaii quelquefois à sa lable deux ou trois convives : on d<îvine aisément combien ces peiils repas devaient êli-e gais , aimables, avec un hôle lel que lui !... — De temps à autre Tellier, loui en faisant son service , laissait échapper quelques réparties, lui valant , de la part de son patron , un rappel à l'ordre , au milieu du fou-rire qu'elles avaient provoqué.
— Du reste, nouveau maître Jacques, il était le directeur suprême du logis , cl n'employait Tenipire qu'il avait obtenu que dans rinlérét de M. Michaud. — Toujours occupé de ses travaux liiléiaires , celui-ci mettait une négligence extrême dans tout ce qui tenait aux soins maléiiels de l'existence , et avait besoin à cet égard , d'être conduit, dirigé comme un enfant. — C'était Tellier qui lui rappelait qu'il fallait changer d'habit , de linge , pour aller en visite , se rendre à une invitation , et ce n'était pas sans peine qti'il obtenait de son maître de le faire beau. — Un jour, je l'ai vu le pouisuivant une cravalle blanche à la main , et employant toutes les res- sources de son imagination , afin de parveuii* à l'en parer.
— Je crus (pi'd ne réussirait pas : « Monsieur, lui dil-i[ " enfin , vous voulez donc me perdie de réputation?... « Si vous êtes mal mis ce n'est pas vous qu'on accusera, '• car on sait que vous avez autre chose à faire que de « vous occuper de votre toilette ; mais ce sera moi , et " l'on dira partout que je suis un mauvais domestique.» A celte harangue M. Michaud ne trouva rien à répondre, et Tellier, fier de son triomphe , fil son ofiice de valet de chambre e;i fredonnant le refrain du chœur de la Cara- vane (In Caire :
« La vicloire est à nous ! »
Rien n'était plus c(tnii(|ue (jue cette scène.
3S
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M. Michaud élaii le causeur le plus amusant , le plus malin que j'aie eniendu , oi il racontait avec une grâce , une finesse, un senlimenl des convenances, dont le secret n'appartenait quà lui. — Railleur, sans jamais aigrir ni blesser, simple avec une élégance , un choix d'expressions , d'images on ne saurait plus remarquables, sa physionomie spirituelle , la douceur et la vivacité de son regaid , la boule de son sourire complétaient la séduction qu'il exerçait sur tous ceux qui l'écoutaient. Son maintien était timide , embarassé ; sa voix faible , souvent lente , et coupée par une petite toux sèche : cependant il y avait une véritable puissance dans la parole de cet homme , et pour les âmes et les esprits d'élite il savait commander le silence le plus profond et le plus flatteur. — Quant à la tourbe a-t-elle jamais su ce que c'était que d'écouter un homme d'esprit ? — Laharpe disait de M. Michaud : » C'est le Français qui cause le « mieux » et il avait raison. — Que de mots heureux, piquants, empreints d'une haute raison, d'une verve tem- pérée par le goût , sont sortis de sa bouche 1 — Que d'emprunts on lui a fait, en se glorifiant dans le monde des richesses qu'il avait semées , sans y attacher plus d'importance que le prodigue semant partout l'or et les diamants. — Ainsi , c'est lui , et non Talleyrand, qui, en voyant la Galatlue de Girodet , dit à ce peintre distingué : « On n'a rien vu de plus beau depuis le Déluge ! » — C'est encore lui , et non Esménard , qui , à propos d'un poème fort médiocre de M. Saint Victor, édition dont on avait rempli un bâtiment , lors du blocus continental, et qu'on avait jetée à la mer pour la remplacer par des mar- chandises anglaises , c'est encore lui , disons-nous , qui fit observer, qu'elle aurait dû obtenir plus de succès, puisqu'elle était ad usum delphini.
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M. Michaud étaii royalisie , aitaclié à la branche aînée des Bourbons , et c'était snttoul quand le malheur pesait sur cette branche, que son dévouement se manifestait. Dans leur prospérité, les princes n'ont jamais eu en lui un flatteur, un courtisan quand même. S'il était homme de conviction dans ses opinions , pour lesquelles sous la République et le Consulat il avait bravé l'exil , la prison , et la mort, il était en môme temps plein d'indépen- dance , de courage vis-à-vis du pouvoir qu'il aimait. — Jamais il ne partagea les doctrines infectées d'obscuran- tisme et les excès des ultras qui , à cause de sa modéra- lion éclairée , lui ont maintes fois prodigué le blâme et l'injure. — Il respectait les idées de chacun en politique, quand elles n'allaient point jusqu'à troubler l'ordre ; il vivait en bonne intelligence avec les hommes de tous les partis , et j'ai souvent dîné chez lui , pendant le cours de la Restauration , avec des libéraux prononcés, entre autres le colonel Bory de Saint -Vincent. — Après avoir employé tous ses efforts auprès de Charles X, afin d'em^ pécher la dissolution de la garde nationale , sans pouvoir réussir, il me prédit , (car en matière de gouvernement il avait le coup-d'œil de l'aigle), à la suite d'un conseil privé aux Tuileries , que cette mesure funeste contribue- rait un jour au renversement du trône.
En opposition avec le ministère Villèle, M. Michaud ne larda pas à être en butte à des vexations de tous génies. — D'abord ce ministère voulut s'emparer de lui , et pour se rendra sa plume favorable , il lui avait fait faire les offres les plus brillantes par un de ses membres : <• Vos
• soins sont inutiles (avait répondu l'homme de lettres), « car je ressemble à ces oiseaux assez apprivoisés pour se
• laisser approcher, mais pas assez pour se laisser preu-^
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« (Ire. Quant aux. offres que vous rne transnieilez , elles <- ne peuvent me convenir. Il n'y a qu'une chose pour <• laquelle je vous sacrifierais un peu de mon indépen- '• dance. > — « Laquelle, reprit vivement le minisire?.,.» — « Ce serait si vous pouviez me rendre la santé. •> — Peu de temps après la liberté de la presse étant fortement menacée, l'Académie française protesta auprès du Roi, et M. 3]ichaud signa, l'un des premiers, cette protesta- tion. — « Une prièie, (fit-il observer en s'cmparant de la « plume), n'est pas une sédition I... •> Mol admirable, en ce qu'il conciliait l'acte de respectueuse remontrance auquel il s'associait , avec le sentiment et le devoir d'un sujet fidèle. — Alors il perdit sa place de premier lecteur, et le traitement de 3,000 fr. qu'elle lui valait. Charles X qui Taimaii et l'estimait , mais qu'on entraînait dans une voie devant le conduire à sa perte , lui reprocha avec douceur sou opposition : « Sire, lui répondii-il , je n'ai «' prononcé que trois paroles , et chacune m'a coijté ■■ 1000 fr. ; je ne suis pas assez riche pour continuer de <■ parler à ce prix. »
Et il garda le silence.
Je viens de rappeler'qu'il avait été premier lecteur du Roi, ei je dois ajouter que cette place était une véritable sinécure , une récompense de sa fidélité , et des sacrifices qu'il avait faits à la légitimité. — M. Michaud ne savait pas lire , dans l'acception sérieuse du mol qui sert à dési- gner ce genre de talent , et d'ailleurs ce qui était d'apparat augmentait sa timidité , et le mettait fort mal à l'aise. — Dans une lettre qu'il m'écrivit en 1822 , il a exprimé tout cela d'une manière aussi naïve que spirituelle. — Comme celte lettre se rattache aux beaux jours de notre Société
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Bouloniiaise des Sciences ei des Ans , à répoque où des lilléraleurs de la capitale , el des ëlraiigers disliiigiiés, venaient accroître rinlérèl de ses séances publiques , je me fais un plaisir de la transcrire ici. — Celle Société m'avail prié d'inviier M. Michaud à venir faire une Icclure, dans sa séance annuelle , el voici ce qu'il me répondît :
« Mon cher H ..,
" Je suis un bien mauvais académicien , puisque je suis « presque toujours dans mon lit , et presque jamais au « fauteuil. — Votre lettre m'a trouvé aux prises avec la « fièvre : voilà pourquoi je ne vous ai pas écrit plus tôt. « Dans l'étal de santé oii je suis , et avec les affaires que « j'ai à Paris , je ne suis pas assez le maîire de disposer « de mon avenir pour vous dire précisément si je serai à « Boulogne le -i juillet. — Mais puisque vous tenez à faire « quelque chose de moi, il faut bien que je réponde à « votre intention amicale. — Si vous croyez que cela soit « convenable , je vous enverrai à lire un morceau pour « le 4 juillet. C'est là tout ce que je peux faire; el si
- j'étais sur les lieux , je n'en ferais pas d'avantage , car « je ^ous dirai que quoique lecteur du roi , je ne sais pas « lire, el que j'ai une t(.'lle ciaiuie du public, (|ue je <• n'ai jamais pu prononcer un seul mol dans une asseni-
• blée. — Il y a tiois ans on voulut avoir uti n)orceau de <• moi dans une séance publicpie de l'Académie française, " el je partis bravement pour Boidogne , la veille de ma « lecture qui fut faite par un tiers. — Je regretterai de ne
• pas assistei' à votre séance, parce que je serai privé du
- plaisir de vous entendre ; mais pour ce qui me regai de,
- je crois que les choses iront mieux en mon absence.— » Si vous le voidez je vous enverrai un fragment île mon
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« Histoire des Croisades, que j'ai écril h Boulogne : c'est
« la mort de Saiul-Louis. — Si vous aimez mieux des
« eousidéraiions sur la chevalerie , sur le clergé , sur
« l'ordre judiciaire au moyen-àge , je suis , mon cher
• interprète , à la disposition de mes confrères. -
Ce qu'on croira diflîcilemenl après avoir lu celle lettre, c'est que cet être si timide , dont la santé était si fragile, avait écrit et agi , au miUeu des orages les plus terribles de notre première révolution , avec une fermeté , ane énergie sans égales!... C'est qu'il avaU vu vingt fois la proscription , la mort en face , sans dévier d'une ligne de la roule qu'il s'(iiail tracée !...- Dans ces solennelles cir- constances , son àme , et les sentiments d'un devoir impérieux centuplaient ses forces. Alors , comme l'a dit Virgile : « Da?ïs vn corps faible s'allumait un grand
• courage! » — Écrits politiques d'une noble vigueur, (on peut en juger par les Adieux à Bonaparte , véritable chef-d'œuvre) ; pamphlets , chansons , actes et paroles d'une effrayante hardiesse , M. 3Iichaud a fait de tout cela avec celte puissance de logique , d'espiii , de verve sar- castique dont la nature l'avait doué. — Kien ne lui coûtait pour batire en brèche la République, le Directoire , et délivrer la France d'un régime de sang , de boue et de servitude, qu'on lui imposait sous le masque de la liberté. Quelques contemporains se rapp<;llenl peut être encore ses couplets sur le conseil des cinq cents , qui siégcail dans la demeure des rois , el dont le trait principal seule- ment me revient :
« Dans un qnailior des Tuili-rics . « Sont cinq rciils Ijùclies icunics.
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« Quoi bon marché I misciicorJe 1
« Cinq cenis bûches pour un Louis.'...
a Mais , bien enlendu , mes amis ,
« Qu'on ne les livre qu'à la corde. »
Puis, quand arrivaii le momenl de la vieloire, quand les oppresseurs étaieni renversés, cei homme, en apparence si ardeni , si inflexible, devenait le plus calme , le plus lolérani des hommes. — Il (rouvait une excuse partout où il ne voyait pas un crime ; il poussait même l'indulgence à l'extrême : je vais en citer un exemple. — A l'époque où, avec le costume , et les formes les plus élégantes de Tan- cien régime , Barrèi-e prétendait , que le massacre du 2 septembre était excusable aux yeux de lliomme d'état , et que larbre de la liberté ne saurait croître , sHl nétait arrosé de sang , W. Michaud l'avait surnommé VAnacréon de la guilloiine. — En lui rappelant ce mot si juste et si original , je faisais le procès , avec toute la vivacité que donne l'indignation , au ci-devant marquis de Vieuzac : <• — Eh ! bon Dieu , me dit-il , il n'est plus à la Conven- " tion , et vous allez trop loin!!... Faites donc la part « des circonstances , et de la peur qui a cxeicé un tel <■ ascendant sur Bari'ère , qu'il avait fini par s'effrayer de <• lui-même. — Dans des temps moins terribles , c'eiJt « été un gentilhomme doux et aimable. »
Il fallait entendre M. Michaud raconter les épisodes de sa vie, se rattachant à ses jours de dangers et de combats • sa narration avait à la fois la vigueur de Tacite , la naïveté de Lafonfiiue, et l'esprit de Voliairc. — Rien n'était, tour à tour, ijUis tcnibie, plus louchant , et plus comique (|ue le lécil de sa déltniion a Chartres , où la veille du jour fixé pour son exécution , il exigea du chirurgien Marie de Si-Ur^iii , ([u'il le saignât , alin de s'accoutumer
— iî)4 —
à la vue du sang , doi.l il airosa le drap et la couverture de sou lit; que sa Tuile, lorsqu'on le menait au supplice; riiospUalilé qui lui fui donnée par un républicain; sa ten- tative pour sortir de la ville , sous le costume d'un Jacobin ; sa nouvelle arresiation, et sa comparution devant Bourdon de rOise qui , dans l'intérêt de la grmide justice nationale, avait ordonné qu'on le iransféràt à Paris attaché à la queue d'un cheval. — Les gendarmes furent plus humains que le farouche représentant du peuple. — Avant son jugement dansla capitale, le coupable parvintà s'échapper, et caché pendant six semaines au fond de la soupente d'un portier de la rue Haulefeuille , il ouït plusieurs fois des cî'ieurs publics annoncer la condamnation à mort , par contumace , du grand conspirateur Michaud ! — C'est en quittant cette retraite forcée , que > sous un nouveau déguisement, il se sauva dans le Jura , oii il écrivit une grande partie des vers devenus depuis le poème du Printemps d'un Proscrit. — C'est dans cet ouvrage qu'an milieu des beautés delanalui-e, du calme et de la fraîcheur des champs , on sent revivre , par intervalles , le souvenir de la proscription qui frappait alois lant de victimes , et la haine des révolutions.
Je reviens au séjour de M. Michaud à Boulogne , et je me plais à reproduire une toute petite lettre de lui , parce qu'elle me paraît un modèle de grâce , et d'élégant alticisme.
Nous devions nous revoir à la table du bon président W..., et l'on avait projeté d'employer la soirée liitéraire- nuMit. — A celle occasion M. Michaud m'écrivait :
« Un dîner, cl une leclure académique pour lundi,
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• c'est [rop df moilit', mon cher ami ; vous savez que les « dîners du prc'sidenl ne sont pas courls, el que mes lec- « luressonluii peu longues : "Transeat a me calix iste l •> » A loul prendre j'aime mieux le président querAcadémi( , « fctle vin de Bordeaux plaît mieux à mon estomac, que « l'encens académique ne plaît à mon espiii. Faites du " reste que je n'en meure pas la semaine proeliaine , « avant le reloui" de Merle el d(; Versial (1).
P. S. — « J'irai demain dîneiiivee vous ; la Chronique ' d'Anchin soiitiendia mes forces , vous soutiendrez ma ■< gaîelé : je me moque du lesie. — Adieu. •>
Il faut , afin d'expliquer ce post scriplum , que je dise pourquoi il y était question de la Chronique d'Anchin, car cette explication me fournira une preuve de la pers- picacité dont l'auteur des Croisades était doué. — Il devait dîner chez moi avec lun de mes plus anciens amis de collège , Martin , alors avocat très distingué près de la cour l'oyale du dépaitement du Nord , qui remplit aujour- d'hui l'une des fonctions les plus élevées du gouvernement. M. Michaud était à la rechei'che de la Chronique d'Anchin, ancienne abbaye célèbre, existant avant la révolution près de Douai , et se proposait d'en causer avec cet ami , et de le prier de l'aider dans ses recherches. — Le lepas fut charnuinl , grâce à mes deux convives, qui suient mutuel- lement s'appréciei'. — Le lendemain M. Michaud me dil : « Votre ami me plaît ; c'est un homme desprit , adi'oit el " dioil. — II est de l'étoffe dont on faisait jadis les pré- " sidenls de parlement , el je crois (pi'il iia loin. >■
(1 Honin H il «liil \r cl (lir-iinyiie . ilonl l'iimiiii' l'.i ('.■<l clién;.
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A vingt années de distance celle opinion a été justifiée : Martin fut successivement minislre du commerce , et garde des sceaux.
Des ariisles , des hommes de lettres, des personnages remarquables venaient visiler3I. fliichaiid à Boulogne. Souvent nous avons , dans son logement du port ou chez moi , passé des heures bien agréables avec la spirituelle M""^ Ripert , l'aimable comtesse d'iliers , Merle , le suc- cesseur de Dufresny, en ce moment encore l'un de nos meilleurs critiques , Marlet , Carie Vernel , Campenon , nielle Duchesnois , Lafon du Théâtre Français, Poiier et l'abbé Démazures. — Ce dernier, pai' son amour pour les lieux saints , la chaleur de sa tête , sa parole vive et enliaînanle, était le véritable Pieri-e l'ermite du xix^ siècle. Atuuhé au couvent des Pères latins de Jérusalem , il prêchait et quêtait par toute la France , pour ce couveni , refuge hospitalier des voyageurs européens eu Orient. — Dans un de ses discours parmi nous , il fut inspiré lorsque déciivanl le saint Sépulcre , il rappela que Godefrjid , le héros du Tasse , était un Boulonnais. — Un jour i[ prêcha contre les mauvais livres et son sermon fut très faible , car le talent de cet abbé résidait dans l'enthou- siasme, et l'espi'it de controverse, les connaissances litié- raires lui manquaient entièrement. — Voltaire fut longue- ment et très mal attaqué dans ce sermon : aussi lorsque l'oraicur s'approcha de 31. Michaud , au moment de la quêie , celui-ci lui dit-il à voix basse , en lui remeiian^ son olîiande: - L'abbé , voilà cent sous pour acheter un " volume de Vuliaire , car vous ne l'avez pas lu. « — Le père Démazures était d'un désinléressemeiil inouï, et d'une négligence extrême dans ses habillcmcnls. — Il envoyait toul ce qu'il recevait d'argent à son couvent ;
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M. Jlich.md leiiouvelaii souvent les pièces dt sa loilelle qui tombaient quelquefois eu lambeaux. — Vivant de pou et ne couchant jamais dans un lit , quand le som- meil le prenait , il se jellait sur le plancher, enveloppé dans iiu vieux manteau. — Il fallait l'entendre raconter ses voyages en Palestine , et les rapports qu'il avait eus avec la célèbre lady Eslher Stanhope. — M. de Lamartine a poétisé cette dame, tandis que le bon abbé prétendait que c'était une folle , se livrant souvent aux actes les plus ridicules et les plus inconvenants. — Il est vrai que , comme les sorcières de Macbeth , elle ne lui avait pas prédit qu'un jour il serai! roi (I).
L'auteur des Croisades était véritablement religieux, mais religieux comme Fénélon , comme Pascal lorsqu'il écrivait ses Provinciales. — Il ma raconté qu'une coterie avait , à une certaine époque , fait des efforts pour qu'il s'affîliàt aux Jésuites de robe courte, et qu'a ces instances il avait répondu : « Comment voulez-vous que je sois de « la petite église, moi qui ai tant de peine à me rendre • digne d'être de la grande?... -
Un peu avant la révolution de Juillet, qu'il avait prévue, M. Michaud partit , à Tàge de soixante-deux ans pour Jérusalem , afin de parcourir les lieux qu'il avait célébrés dans son Histoire des Croisades. — Il était accompagné de son fidèle Achales , mon excellent ami Poujoulat , et ils écrivirent ensemble ces Lettres sur l'Orioit qui , lors- qu'elles parurent, excitèrent l'intérêt à un haut degré.
A son retour il ne revint |)lus l'i Boulogne , et je le
(I) Voir II' Voyngo on Oriciil ili- .M do I,atn;iri;no.
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retrouvai tkiiis la reiraiie qu'il s'élait choisie , près de Paris. — Que de momenls agréables, ei à jamais regrel- lablesj'y ai eiicoie passés, avec (ei homme si bon , si distingué !... Que de preuves d'intérêt et d'affection il m'y a donnés!... Pour lui , ce qui est rare dans notre siècle, l'amitié n'était pas un vain mot, et chaque jour il mettait en action la pensée de ces vers de Lafontaine :
« Qu'un ami véritable est uiio douce chose ! « Il cherche vos besoins au fond de voire cœur, « Il vous épargne la pudeur « De les lui découvrir vous rriéine!... »
Six mois avant sa mort , je l'ai visité pour la dernière fois, et dans celte visite il me sembla tellement affaibli , changé, que les larmes me vinrent aux yeux en le quittant, api'ès le dîner, auquel il n'avait pu assister. — Cependant son intelligence était toujours la ujème , et dans sa con- versation il y avait autant de finesse , de verve et d'éclat, qu'en ses meilleurs jours. — Il ne vivait plus que par la lèie, et par l'àme!... — C'est alors que nie parlant de jyjeiie i^aehel , et me demandant ce que je pensais de son talent , il résuma son opinion sur celte jeune tragédienne par ces mots : « C'est la Jeanne d'Arc du Théâtre Fran- » çais ; elle sauvera le royaume de (Corneille et de « Racine ! 1 -
En terminant il ne me paraît pas inutile de dire , que M. Michaud m'a toujours paru unir beaucoup de gaîelé , d'originalité dans l'esprit , à beaucoup de noblesse et de mélancolie dans le caiaclere. — Celle alliance de deux choses si opposées, élaii une des causes de l'eiichantcnieni que |)roduisai! sa conversation , et des nuances délicates et voilées qui se mêlaient aux irails vils el coloiés de ses
I
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récils. — Il y avait , dans celle parole si conlraslée, comme un écho de la pensée sublime du tableau du Poussin , où les bergers de l'Arcadie , au milieu de la danse et du chanl , découvrent sous leurs pas la pierre d'une tombe. — Plus d'une fois le grave historien , le piquant journaliste, l'incisif pamphlétaire , s'est essayé dans l'élégie, et je possède de lui une pièce fort touchante, dont j'ai fait la musique en 1813, et qui n'a point été publiée dans le volume contenant ses œuvres poétiques. En faveur de ces jolis vers , que je me plais à transcrire ici, mes lecteurs me pardonneront peut-être l'ennui que je viens de leur causer.
LA FEUILLE SÈCHE.
Toi, que les venir' onl (l(^larliéo Des arbres du coteau voisin , 0 feuille pâle el desséchée Que viei)s-lu chercher sur mon sein?. Ce sein , hélas ! où lu l'arréles E?l plus agile mille fois Que le Ciel où lu fus le jouet des tempêtes , Quand lu quittas les sœurs des bois!
Aux jours de la saison nouvelle Tu ne connus pas les autans, Comme loi jeune, fraîche el belle , J'ai vu les beaux jours du prinlems ; Toute joie, hélas! m'est ravie, Je sens ma beauté se flétrir ; Le vent de l'infortune a soufflé sur ma vie, Et comme toi je vais mourir I?
— 50() —
Mon sein n'est pas un sûr asile Contre l'orage et son courroux . Va chercher un lieu plus tranquille Pour ôtre à l'abri de ses coups ; Va sur ce tertre solitaire , Couvert de funèbres tombeaux : C'est là , fille des bois, qu'est la paix de la terre, C'est là qu'on trouve le repos !
Mais d'une vie infortunée Si lu viens m'annoncer la Qii , Jusqu'à ma dernière journée Ah ! reste , reste sur mon sein ! . . . C'est alors que bravant l'injure Des aquilons et du destin , Nous trouverons la paix , qu'à toute la nature Hélas ! je demandais en vain ' !
ÏALMA.
ANECDOTES ET PARTICLLARITÉS CONCERNAM CET ACTEUR , ET LE VOYAGE Qu'iL FIT A BOULOGNE-SUR-MER EN 1817.
— UN MOT SUR l'État de l'art dramatique et de l'art
MUSICAL EN FRANCE A CETTE ÉPOQUE.
I L
TALMA.
A }] . Camille Doucet, chef du bureau des Théâtres, au Ministère d'Etat.
Mon cher Doucel ,
Au milieu de l'espèce d'exil auquel la révolution de 1848 m'a condamné, que de fois voire bon el aimable souvenir se reirace a ma pensée ! ! — Pour charmer les ennuis de rabsen<;e , je me rappelle , avec un souvenir mêlé de regrets , les heures si agréables que nous avons passées chez noire ami Merle ; nos discussions si animées, si intéressantes sur les lettres , les arts , et en particulier sur le théâtre , que vous avez enrichi de plus d'un ouvrage charmant. — Aujourd'hui , je viens causer avec vous de Talma , en vous offrant ce résumé de notes qui le concer- nent. — Ces notes , puisées dans un vieux portefeuille, ouvert depuis près de trente ans à tous les détails recueillis par moi sur les artistes que j'ai connus , vous olïrironl peut-être quelque intérêt.— Dans tous les cas, vous trou- verez , je l'espère , que cet hommage est une preuve de l'affection et de l'estime que je vous ai conservées.
Les faits les plus simpl(;s acquièrent de l'iinporiance
— 504 —
lorsqu'ils se rallachenl à la vie d'un homme célèbre. — On aime à savoir ce que cet homme était dans les circons- tances même les moins remarquables de sa carrière. — C'est ce qui donne tant de charme aux narrations de Pluiarque , ne craignant pas de présenter à ses lecteurs les plus grands héros des temps antiques en déshabillé.
J'ai eu l'occasion de voir assez fréquemment dans l'inti- mité l'admirable tiagédien dont la France n'a pas cessé de déplorer la perte , et je me plais à consigner ici quelques unes des anecdotes nées des rapports qu'il m'a été permis d'avoir avec hii.
En mars 1811, (j'avais alors 18 ans), je rendis compte dans le journal des Arts , devenu depuis le Nain jaune . de la représentation du Mahomet II de M. Baour de Lor- mian, — Talma portait , dans cette tragédie , un costume aussi riche qu'élégant ; mais je crus y remarquer un anachronisme, et j'en fis l'observation.— Trois jours après la publication de cet article je reçus une lettre de lui : il me prouvait que j'avais complètement tort , en entrant dans des détails archéologiques ne me laissant aucun dou- te sur ses connaissances et sur le soin qu'il donnait aux moindres parties des accessoires des rôles qu'on ,, confiait. — Il terminait sa lettre ainsi : « Quoiqu'en génér « je ne voie point les journalistes , il me serait agréable « de vous rencontrer, et de vous remercier de vive voix " de l'opinion favorable que vous avez émise sur la « manière dont j'ai joué Mahomet II. • — Je rétractai l'erreur que j'avais commise , en plaçant une note à ce sujet dans le plus prochain numéro du journal. — Cela me valut un nouveau billet de Talma , m'inviianl à dîner
»
505
pour le mercredi suivant , eu m'annonçanl que je trou- verais chez lui Ducis.
Je m'empressai de répondre à cette iuviiaiiou , et pendant tout le dîner il fut question de tragédie. — Le vénérable Ducis avait pour Talma la plus grande admi- ration , la plus touchante estime. — Plusieurs fois il répéta qu'il lui devait eu partie son succès , el qu'il lui abandonnait la tâche de monter ses ouvrages , el d'en couper les scènes el les vers de la manière la plus con- venable à l'effel théâtral. — Depuis il a renouvelé celle prière dans une lettre autographe que j'ai lue eu lêle d'un exemplaire de ses œuvres , devant être en la possession des héritiers de Talma.— Ce dernier le pressa de travailler encore pour la scène. « Non , répondit Ducis , à partir « de 1793 la tragédie ayani couru les lues , j'ai juré de « ne plus en faire. — D'ailleurs je suis vieux , j'ai besoin
• de repos. — Après avoir agile pendant trente ans le
• poignard de Melpomèue, j'ai pris la houlette du pasteur:
0 Que le ciel me conserve Annclte!
a Je suis devenu Timarelle ,
a El je roe borne à mes moulons. . . »
J'avoue que l'idée de voir l'auteur d'Othello transformé en berger me parut assez originale — Cependant il est de toute vérité que le caractère de Ducis offrait les deux extrêmes : il était à la fois plein de véhémence el de dou- ceur.—Les épîtrcs pastorales qu'il a publiées, comparées à ses ouvrages dramatiques, sa mansuétude habituelle el ses éclats de vivacité lorsqu'il conversait avec ses amis en sont la preuve. — Quant à Talma il parla peu, se montra distrait, rêveur, et je remarquai qu'en disant les choses les plus simples , il employait toujours ce ton de voix que
— 5IK) —
beaucoup de pcrsouucs oni cru faciice, éiudié, cl doiil le timbre grave el concenirë causait au ihéâlre une si pro- fonde émotion. Du reste, il n'y avait en lui rien de brillant, rien surtout qui décelât cet amour-propre , partage assez ordinaire des comédiens. — C'était le naturel , le laisser- aller d'un honmie de g(''nie qui , hors du champ de ses travaux , se délasse en rêvant aux moyens qui pourront lui faire obtenir de nouvelles couronnes. — Il s'animait toutefois lorsqu'il parlait de son art. — Alors, au milieu des images colorant sa pensée, des éclairs s'échappanl de son imagination , un goût exquis, et un suprême bon sens dominaient toujours.
Quelque temps après ce dîner, je rencontrai Talma chez M. Boileau , notaire du Théâtre-Français. — «• Ah ! « vous voilà, me dit-il, monsieur le bachelier !... je joue <' ce soir un rôle nouveau , Tippoo-Saëb : venez donc - m'enieudre. —Après la représentation vous demanderez <■ à être conduit dans ma loge, el vous me rendrez compte
• des passages de la tragédie qui vous auront paru faire
• impression sur le public. — Je me trompe quelquefois, « ajoula-i-il, quant au silence gardé par les spectateurs
• a la suite d'une tirade que j'avais cru devoir produire « de reffcl, el cela me décourage. •
J'allai de bonne heure au ihéàtre ; la salle était comble, pl Talma fut sublime !... — La toile étant baissée , je me rendis dans sa loge. — « J'espère , lui dis-je, que vous ne « vous plaindrez pas du silence de vos auditeurs , dans
• le moment où, interrompant la harangue de l'ambassa- » deur anglais, cherchant à obtenir vos cnfiuits en otage, « vous l'avez, sultan Tippoo, foudroyé par cet hémistiche:
a Auemls , iraiire ! ! '. »
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El) eiïel , qu'on se figure une lionne couvrani ses lion- ceaux de ses flancs pour les (Jéfendfe, lel élaii Talma, s'élançant, le poignard à la main , c» agiiani ses bras au-dessus de la tête de ses fils , auxquels il semblait vou- loir faire un remparl de son corps contre les perfides desseins du diplomate britannique. — La salle , en ce moment , avait retenti d'applaudissemenis frénétiques et de cris d'admiraiion 1...
• Jespère encore que vous ne me direz pas que c'est « par le silence qu'on a accueilli l'expression de mépris <• extrême et de noble fierté donnée par vous à ce vers :
4 On crainl vos envoyés el non pas vos soldais I »
— • Non , me répondit-il , mais je me suis sans doute
• trompé dans le troisième acte , lorsque je fais mes
• adieux à mes enfants, quand j'ai dit cet autre vers :
« En vous quiuanl , mes fîls , je commence a mourir ! »
• car il a été reçu avec une grande indifférence. » — «Vous
• êtes dans l'erreur, jamais peut-être vous n'avez été aussi ■■ louchant, aussi beau 1... mais, comment voulez-vous <• qu'on applaudisse, lorsque l'émotion est si forte qu'elle « paralyse toutes les facultés physiques?..." — A votre « avis j'ai donc joué passablement ce rôle de Tippoo.
• Nous verrons ce qu'en diia le bon GeotTi'oy. •
Tippoo-Saëb était une tragédie foit médiocre : mais quelques vers à effet , quelques situations intéressantes' l'antipathie qu'on professait alors pour le système politique de l'Anglelerre, et surtout le magnifique talent du Uoscius lran(;ais , lui valuieul un siiccei de eircoiisiance.
— 5U8 —
II.
Je revis Talma en 1817, dans la province que j'habitais, el où il éiail venu donner quelques représeniaiions, avant de s'embarquer pour l'Angleterre. — I! occupait à Boulo- gne-sur-Mer le rez-de-chaussée de l'hôtel de l'Europe, et dans ma première visite je le trouvai jouant sur le tapis avec ses deux enfants. — « Je connais votre ville , me " dit-il , j'y ai passé à l'âge de douze ans avec mon père, • alors dentiste de Sa Majesté britannique.— Nous logions » chez un bien brave homme, M. Manneville, ami de ma « famille et que j'aimerais à revoir. •
Je devinai que c'éiail de M. Menneville qu'il parlait, et je lui donnai son adresse. — Talma paraissait inquiet de l'effet qu'il pioduii'ait sur le ihéàlre de Boulogne, alors fort petit , et sur un public qu'il ne connaissait pas. « Je « ne suis à mon aise, me répélaii-il, que lorsque j'ai tâté " mon parterre. » — J'ai fu l'occasion de remarquer, en plusieurs circonstances , qu'un des traits distinctifs du caractère de ce grand artiste, était une défiance de lui- même et une déférence pour ses auditeurs portées souvent jusqu'à l'extrême. — « Avant toutes choses, disait-il, je " crains el je respecte Sa iMajesté le public. » — Son or- ganisation , éminemment nerveuse, pouvait en être une des causes principales ; elle lui faisait percevoir avec force toutes les impressions ; et cet homme , qui sur la scène déployait la vigueur d'un héros grec ou romain, avait quelquefois, dans la vie privée, l'irrésolution el la timidité d'un enUiitt.
— 509 —
En causant, je mis la main sur un exeniplaîie de la lia- gédie de Manlius , couvert de noies de Talma, ei renfer- niaui des vers de sa composition qu'un bon poète eût volontiers avoués. « Je me permets quelquefois cela , nie « dit-il , pour l'effet , avec Lafosse , parce que ses vers « ue tirent pas à conséquence, et avec Ducis parce qu'il
• m'y a autorisé ; mais quant à Corneille et à Racine, ah 1
• c'est bien différent!... Je ne touche à leurs ouvrages « que pour les adorer ! <>
Ses costumes venaient d'èire enlevés de ses malles de voyage, et je pris beaucoup de plaisii' à les examiner. Ils étaient de la plus rigoureuse exactitude , sans aucun de ces ornements étrangers à la vérité de site et d'histoire qu'employaient alors certains artistes , qui , dans leur mauvais goût , auraient cru rendre la Terpsichore de Canova plus belle en la couvrant d'une robe de velours brodée d'or.— Les perruques de ses divers rôles étaient étiquetées et iaillée:> suivant la forme qu'avait la cheve- lure de chaque personnage , d'apiès les bustes et les médailles antiques. — Plusieurs parties de ces costumes lui avaient été données par Napoléon , entre autres un superbe poignard auquel il attachait le plus grand prix
Le soir il joua Oreste avec son talent accoutumé , et M. W..., amateur éclairé des arts, qui assistait à cette représentation , en fut enchanté. — Il me Oi remarquer, avec autant de goût que de vérité , les nuances existant dans ce « Ole, ( ntre la manière de Talma et celle de Larive: le premier, sombre, concentré, paraissant poursuivi par la fatalité pendant toute l'exposition de cette admirable tragédie d'Andromaque ; le second, plus brillant, plus en dehors , plus égal , mais pruduisani un effet bien moins
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Je devinai que je lui donnai son . l'effel qu'il produi forl petit , et sur i « ne suis à mon ; « mon parterre. » plusieurs circonsi caractère de ce gr même et unedéléi jusqu'à l'extrême. « crains el je res] ganisaiion , émint des causes princi| force loules les im scène déployait la avait quelquefois, timidité d'un enlai
1817, dans la province que j'habitais, »nner quelques représentations, avant r l'Angleterre. — Il occupait à Boulo-
de-chaussée de l'hôtel de l'Europe, et
isite je le trouvai jouant sur le lapis ils. — « Je connais voire ville , me
à l'âge de douze ans avec mon père, >a Majesté britannique.— Nous logions ve homme, M. Manneville, ami de ma iTierais à revoir. ■
iiailde M. Menneville qu'il parlait, el resse. — Talma paraissait inquiet de lil sur le théâtre de Boulogne, alors public qu'il ne connaissait pas. « Je e, me répétait-il, que lorsque j'ai talé
- J'ai fu l'occasion de remarquer, en ices , qu'un des traits distinciifs du id artiste, était une défiance de lui- ice pour ses auditeurs portées souvent
- • Avant loules choses , disait-il , je zle Sa Majesté le public. • — Son or- menl nerveuse, pouvait en être une les ; elle lui faisait percevoir avec essions ; el cet homme , qui sur la igueur d'un héros grec ou romain, ans la vie privée, l'irrésolution et la
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En causam, je mis la main sur ui xemplaîi-etiehi gédie de Manlius , couvert de noiesJe Talma, ei mani des vers de sa composiiiou u'un bon poèie eic voloiiiiers avoués. « Je me permeiS;uelquefoisceU. ae
• dii-il , pour l'effel , avec Lafosse parce que ses \tn « ne lireni pas à conséquence, ei ; ec Ducis parce qrï « m'y a autorisé ; mais quant à Corsilleelà Racine, afcl
• c'est bien différent!... Je ne loihe à leurs ouvi « que pour les adorer ! '
Ses costumes venaient d'èire enl voyage , el je pris beaucoup de plai étaient de la plus rigoureuse exaci ces ornemenis étrangers à la vérit qu'employaient alors certains arti mauvais goût , auraient cru rend Canova plus belle en la couvrant ( brodée d'or.— Les perruques de étiquetées el taillées suivant la fon lure de chaque personnage , da médailles antiques. — Plusieurs p lui avaient été données par Napoii superbe poignard auquel il aiiath;
es de ses malles de ■ à les examiner. Ils ude , sans aucun de de site et d'histoire js , qui , dans leur ! la Terpsichore de ine robe de velours s divers rôles étaient i qu'avait la cheve- C's les bustes et les lies de ces cosiiimes n , entre autres un le plus grand prix
Le soir il joua Oresle avec son ilent accoulumé , et M. W..., amateur éclairé des ails qui assistait à cette représentation , en fut enchanté. - 11 nie ût remarquer, avec autant de goiit que de véiiiô les nuances existant dans ce rôle, entre la manière de ï;ina et celle de Larive; le premier, sombre, conceniié , p;aissanl poursuivi par la fatalité pendant toute l'exposilni de celle admirable tragédie d'Andromaque ; le second plus brillanl, plus en dehors , plus égal , mais pruduisai un effel bien moins
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profond sur les speciaieiirs.— Cependant Talma n'éiail pas content. « La fatigue m'a rendu froid , et les Boulonnais « m'ont reçu froidement. » Voilà ce qu'à diverses reprises il répéta lorsque la toile fut baissée. Les applaudissements ne tardèrent point à partir de tous les coins de la salle, et de toutes parts on cria: Talma! Talma 1... « Le public « vientde vous répondre, lui dis-je; etl'enlhousiasme qu'il ■ manifeste, après vous avoir écouté dans le plus profond « recueillement , vous prouve que vous avez dignement " représenté le fds de Clytemnestre. » — <• Vous avez « beau dire , répliqua-t-il , je n'ai point été moi , et si je « ne prends pas ma revanche dans Hamlet , j'emporterai « de Boulogne l'idée que l'air du Pas-de-Calais ne vaut • rien pour Melpomène. -•
Ce fut en exploitant le tliéàtie de Ducis que Talma déploya toute sa supériorité et ne compta plus de rivaux. L'alliance inattendue du génie britannique et du génie fiançais, l'art d'exprimer, avec une vérité admiiable , les passions concentrées, firent alors de cet acteur un homme à part, et eniraînèreni tous les suffrages. — Depuis quel- ques années il est de mode de déprécier Ducis, et cepen- dant c'était un poète d'âme, de talent. — Son Abufar, où les couleurs de l'Orient , la mélancolie rêveuse et les pas- sions brûlantes du caractère arabe , brillent à un si haut degré , est une œuvre très distinguée. — Je désirerais de tout mon cœur que nos dramaturges actuels nous don- nassent quelque chose approchant de la vérité de site, et du sentiment profond qui régnent dans cette tragédie. — Les pièces de Shakespeare que Ducis , sous le joug du goût peut-être trop sévère imposé de son temps aux con- ceptions diamaliques, a arrangées pour le Théàtrc-Fran- (;:iis, offreni , sans nid doute , des fautes choquantes. —
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Kilos ne sont parfois qu'une pâle copie d'un original sublime , mcnic dans ses plus grands rcaris : mais de combien de beaux vers , de scènes admirables ne sont- elles pas aussi remplies!! L'engofimenl pour le genre romantique le plus effréné nous a fait seul les dédaigner. Patience , le lemps remet lou( à sa place, et le jour n'est pas loin peul-èlre où justice leur ser-a rendue.
Le lendemain de la renrésenialion (YAndromaqiie . Tal- ma vint déjeûner chez moi. — Je lui parlai des artistes ses contemporains , et dans les i(!ponses qu'il me fit il montra toujours autant d'équité que de modestie et de réserve. — <■ Il ne m'appartient pas déjuger Larive, me '• dit-il, mais je ne le vaudrai jamais dans le rôle d'Achille» Je l'interrogeai sur M'="^' Georges et Duchesnois , en ne lui cachant point le sentiment de prédilection que j'éprou- vais pour cette dernière , et il me répondit : « M«''« Du- <■ chesnoisdoit beaucoup à la nature; elle a des iuspira- • lions sublimes , mais ses forces la trahissent souvent, '• tandis que M^''^ Georges joint à toutes les ressources " de l'art une charpente vraiment tragique. »
Je le suivis à une répétition d'Hamlet. M'"'= Moliny, actrice faisant alors partie de la troupe de Boulogne, recul de lui de grands éloges, et il trouva que l'acteur Mansart, élève de Larive, le secondait bien. — Seulement , dans le moment où ce dernier répétait la scène 5'"^ du second acte d'Hamlet, et se tenait à une assez grande distance de lui, en prononçant ces vers :
« Ouvrez les yeux. Seigneur, reconnaissez Norcosle, « Que ja lendre umilié coniluil au{)iè.s de vous. »
Talma lui dit . avec le geste <H l'accenl de l'impatience :
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Approchez donc ! Ne ci'aignez pas de me loucher. Je suis votre ami d'enfance, je suis malheureux!.,. Vous me revoyez après une longue absence , ei vous me traitez comme si vous n'étiez qu'un courtisan. — C'est dans vos bras que je dois m'écrier :
« Que pour moi , mon ami , ion retour a de charmes ! >
III.
A la suite de celle répéliiion nous fîmes une promenade à la colonne de la grande armée, monument relraçani à la fois le souvenir de la valeur française et de la paix. J'avais depuis longtemps le désir de parler à Talma de ses rapports avec Napoléon, mais je sentais combien , à cette époque , ce sujet de conversation était délicat à aborder. A la vue de la colonne , encore inachevée', il ne larda pas à m'en fournir lui-même l'occasion , el tout ce qu'il me dit me jiarul d'accord avec la raison el la reconnaissance (ju'il devaii au grand homme qui l'avait comblé de faveurs.
• — Il m'a toujours lémoigné beaucoup de bienveillance, « parce que j'ai constamment réglé ma conduite sur les - progrès de sa foiiune. Je ne pouvais pas traiter d'égal
• à égal avec le premier magistral de la république et
• l'empeieur des Français, comme je l avais fait avec le « lieulenanl d'ailillerie. ■>
Je demandai à Talma s'il éiaii vrai qu'il eùi donné des avis à Napoléon pour porter le costume impérial. — ■ Rien n'est plus faux que celte assertion, me répondit-il,
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• ceiaii bien un homme à s'nssiijt'ilir à de semblables « veiilles!... Je suib fâche qu'un giaud eerivaiu (M. de
• Châieaubriand) ail pièie lauioiilé de sa plume à une
• fable aussi ridicule ! — Ce qui esl vrai, c'est que Napo- » léon m'a quelquefois donné d'excellenis conseils, que » j'ai iiiisà profit, siii" ceciaiues parties de mes rôles. — « Il aimaii le ihéàlte , el eu raisonnait parfaitement. —
• Corneille était son auteur favori ; lorsque j'avais une « lecture a faire il m'indiquait presque toujours l'une des « tragédies de ce prince des poètes dramatiques : c'était ■ ainsi qui le nommait. ••
ïalma venait de quiiiei' Lille , où des troubles avaient eu lieu au théâtre , à l'occasion de ce qui s'était passé à Paris lors de la représentation du Germanicus d'Arnauli. Il courut alors des dangers réels , et je savais qu'il avait écouté les menaces qui lui furent adressées avec autant de calme que sang-froid. — « Vous ne sauriez croire, me
• dil-il, combien cela m'a causé de peine !... Mon carac-
• 1ère, éloigné plus que jamais de tout esprit de parti,
• n'est donc pas connu?... Depuis les représentations si
• tumultueuses du Charles IX de Chéuier et la leçon " qu'un enthousiasme irréfléchi m'a value , j'ai eu pour
• principe de nem'occuper de politique que sur la scène. " J'aime, j'estime et j'honore M. ArnauU ; je désire autant
• que personne son retour de l'exil : mais il a toujours été
• loin de ma pensée de tracer à l'autorité la conduite qu'à " cet égard çlle doit tenir. Le noble cœur, l'innocence de
• l'auteur des Vénitiens , son talent et la bonté du roi le « rendront à la France. » — Arnauli obtint, en effet, en i;o\enibre 1819, la peiini.sion de revoir sa patrie.
Il fui question de mouler sur l'échafaudage Irès-élevé
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qui enlouraii alors la colonne , afin de mieux apercevoir la campagne , la mer cl les côtes d'Angielerre. — M'="^ Féart, et Mainvielle , anciens élèves de la classe de décla- mation du Conservatoire , que Talma menait à sa suite pour le seconder, nous accompagnaient dans cette petite ascension. A la vingtième marche , à peu près , Talma s'arrêta: <■ — J éprouve des vertiges , dit-il, et je n'irai « pas plus loin.» — Quelle faiblesse pour un Romain ! ré- « pondis-je enplaisantani.)) — Quand les Romains avaient « mal aux nerfs, répliqua-t-il , pensez-vous qu'ils fussent
• moins faibles que les autres hommes?... — Avez-vous « oublié l'ombre de Rrutus avant la bataille de Philippes?»
Bientôt après , la chaleur nous força à chercher un refuge dans le logement du gaidien de la colonne , qui nous offrit de la bière. — Nous venions de parler de la Partie de chasse d'Henri IV, par Collé. — » Sire, dis-je « en riant à Talma , vous êtes encore ici chez Michaut. — « Celte pièce, me répondit-il , m'a donné bien du mal 1... « elle n'offre qu'une scène tout-à-fait à ma taille , c'est
• celle de la réconciliation du bon Henri avec Sully. — « J'ai irop de mélancolie dans l'àme pour offrir l'image « fidèle du plus gai, du plus aimable des rois. »
Il acheta ei fit porter dans sa voilure un grand nombre de peiils objets en marbre du Boulonnais, et je remarquai que son choix était tombé sur ceux se rapprochant le plus des formes antiques
Nous retournâmes à l'hôtel de l'Europe , où le diner éiait préparé : mais Talma n'y pi it aucune part. — « Plus « le monieni de monter sur les planches approche , me n dil-il , et plus je suis inquiet , mal à mon aise. — Je
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« ressemble un peu au criminel qui aitend son anv( ;
• tout ce que je peux faire c'est de me préparer à bien " mourir. — Ne faites nulle attention à ma personne :
• mangez, buvez, causez , riez,... j'ai besoin de mouve-
• ment autour de moi , tandis que je me recueille et vis « dans un autre monde. •
Chacun de nous agit comme il le demandait , et à la fin du dessert seulement il retrouva un instant la parole, pour me prier de chanter la Romance du Saule, musique de Grétry. — Je me rendis à son vœu. — A peine avais-je terminé qu'il s'écria : « Voilà les romances que j'aime! . . « quel sentiment et quelle distinction le compositeur a
• prêtés aux accents de la pauvre Joël !.. — Dites-moi
• donc pourquoi cela n'est chanté ni dans les salons , ni
• dans la rue tandis que tous les jours nos oreilles sont
• assourdies par des ponts-neufs d'une trivialité révol-
• tante?...)) — Je pense, lui répondis-je, que la faute en » est à la plupart des chanteurs cl des éditeurs : en géné-
• rai les premiers ne savent pas choisir, et les seconds
• ne savent ni acheter, ni recommander ce qui est bon.
• — Il en résulte que leducation musicale des Français
• est encore à faire. — Comment voulez-vous qu'ils acquie-
• rent du goût , lorsqu'on leur fait presque toujours
■ entendre des rapsodies dignes des habitués de la Cour-
■ tille ? 0— Vous avez raison : c'est comme si, au lieu des « ouvrages de Corneille et de Racine , je leur déclamais « continuellement des tirades tudesques des tragédies de « Danchct , de l'abbé Leblanc et de M. de Jouy. »
Je dois excepter du blâme formulé dans cette conveisa- tion , quant aux compositions légères de cette époque.
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Garai , Blangini, M""» Sophie Gail , d'Alvimare el Roma- gnesi, qui obtinrent, dans la société d'alors, des succès justement mérités.
IV.
Le soir il joua admirablement le rôle d'Hamlel. — Il n'avait jamais été mieux inspiré : aussi excita-t-il le plus vif enthousiasme I... Parmi les Anglais assistant à cette représentation se trouvait le vieux chevalier Brock- Boosby, ancien ami de Jean-Jacques Rousseau , qui me dit plusieurs fois : « C'est Garrick ressuscité !... •
Lors de l'entrée en scène d'Hamlet', à ce vers :
Fuis , spectre épouvantable ! »
les gestes , les yeux du grand artiste rendaient palpable la présence du fantôme qui le poursuivait. — Une dame se mit à crier, avec l'accent de la terreur la plus profonde : — « Ah 1 Dieul... Ah 1 Dieu!... » Talma me parla de cet incident. — » C'est ma sœur, lui dis-je, qui s'est avisée de « jouer aussi la tragédie. » — - Oh ! je suis enchanté de « lui avoir fait peur I »
Jamais je n'avais aussi bien saisi la mobilité de sa phy- sionomie, et toutes les nuances de son talent.— Il est vrai quej'étais placé contre la rampe du théâtre, à deux pas de lui, tandis que dans les grandes salles de Paris, l'eloi- gnement fait perdre aux spectateurs l'expression du regard et le mouvement dts muscles du visage d'un acteur. —
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Aux tragédiens médiocres il faut la dislance et l'illusion d'optique d'une vaste salle. Talma, lui, n'avait pas besoin de cela. Dans un salon, en habit de ville, il lui suffisait de se poser, de pencher la tête mélancoliquement , et de commencer le fameux monologue :
a La mort, c'est le sommeil. . . c'est le réveil peut-être ! c Peut-être ! ! . . . —
pour glacer d'épouvante tou3 ceux qui le voyaient et l'en- tendaient !
C'est ici le lieu de parler du système de débit qu'avait imaginé Talma. — Il s'éloignait totalement de celui de ses devanciers, et réunissait le naturel , la simplicité, à l'élé- gance. Il faut l'avouer, notre poésie tragique , avec ses éiernels alexandrins , amène toujours le retour de la rime et de la division des hémistiches, ce qui produit l'eflelle plus fatiguant pour une oreille délicate. — En se livrant à de profondes études sur le style de Racine en particulier, Talma parvint à rétablir la prosodie des vers de Britan- nicus, d'Athalie, de manière à enlever à ces vers la mono- tonie que leur donnait la déclamation lourdement réglée et grotesquement cadencée de ses prédécesseurs. — Je vais citer un exemple qui me fera parfaitement compren- dre. Dans un exemplaire du Britanniciis . il avait ainsi coupé, ce qui certainement était dans la pensée du poète, ce passage du rôle de Néron :
— « N'en doutez pas Burrhus, — malgré ses injustices « C'est ma mère, et je veux ignorer ses caprices ; — Mais « je ne prétends plus ignorer ni souffrir Le minisire inso- « lent qui les ose nourrir. — Pallas de ses conseils « empoisonne ma mère. — Il séduit chaque jour Britan-
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« nicus mon frère ; Ils récoulenl tout seul, el qui suivrait « leurs pas les trouverait peut-être assemblés chez Pallas. « C'en est trop, — de tous deux il faut que je lecarle ; — « Pour la dernière fois qu'il s'éloigne , qu'il parle : Je le « veux, je l'ordonne ; — et que la fin du jour ne le retrouve a pas dans Rome et dans ma cour. — Allez ' cet ordre « importe au salut de l'empire. —Vous, Narcisse, appro- <( chez ; — et vous, qu'on se retire »
On lui demanda Manlius pour le lendemain : il devait partir, mais flatté de l'empressement qu'on lui témoignait, il se rendit au vœu du public — 11 promit même de revenir à Boulogne à son retour de Londres.
La déclamation de Talma était nuancée avec tant de sentiment et de vérité, qu'à la représentation de Manlius^ je parvms à noter de la manière la plus exacte les diverses inflexions de sa voix dans cette pariie de la fameuse scène d'explication :
Conuais-lu bien la main de Rutile?
— Oui!.
— Tiens, lis: .... — Qu'en dis-lu?. . . »
El cela me confirma plus que jamais dans celle opinion émise par Grétry : — « Que le chant dramatique n'est « qu'une déclamation fortement accentuée. » En repro- duisant, dans une brochure publiée sous la Resiauraiion, cette idée du musicien le plus lécond el le plus spirituel qu'ail possédé la France , je m'exposai à toute l'animad- version des dileltanti. — Cela se conçoit : depuis qu'un homme de génie et de verve avait cru pouvoir, dans beaucoup de ses partitions italiennes, sauter à pieds joints
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par-dessus l'expression eila vérité dramaliques^qu'allait- oij chercher au ihéàire? des sons, des difficultés propres à faire briller le gosier des clianleurs, de brillantes fusées, et rien déplus : « Verba, vocbs, prœtereaque nihill » — Beaucoup de nos compositeurs se iraîuèrent alors à la suite du cygne de Pezzaro, comme on vit beaucoup de nos jeunes littérateurs chercher à imiter la prose de l'auteur du Génie du Christianisme et la poésie d'Hugo et de Byron : mais les uns cl les autres oubliaient quel'origina- lilc n'admet pas de copies , et qu'il est des écarts qu'un grand talent seul parvient à légitimer. — A cela on me répondra, comme toujours, quant à la musique : « C'est « une affaire de mode. »
Quelle étrange erreur ! penser ainsi, c'est vouloir que la mode, abandonnant l'unique empire qu'il lui soit permis d'exercer, celui de la fantaisie , dirige souverainement les sentiments et les passions. C'est, en un mot, soumettre un art divin aux révolutions que subissent chaque jour les robes, les habits, les chapeaux, les coiffures de nos lionnes et de nos dandys. Le vrai beau existe eu musique comme pour la peinture et la sculpture : on le cherchait encore du temps de Rameau : Gluck et Mozarr l'ont enfin trouvé. — Le faire sortir des bornes que ces colosses on^ posées, c'est s'exposer à tomber dans le bizarre , dans la preiiniaiilo, et à nous ramener dans le chaos. — Si cela avait continué, si Rossini n'avait pas donné un éi'laianl démenti à beaucoup de ses succès d'Italie , la musique n eut pas lardé à avoir aussi son moycn-àge. Les excen- triques, eussent, sans nul doute, éié chaiinésdece lésul- lai. Combien n'en ai-je pas vus préférer les agréments burlesques, les éternelles roulades, les assommants ports
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de voix et les fioritures du nouveau genre italien , au cantabile si large , si beau , de Gluck , de Mozart , de Spontini ! Pour tous les arts il en a été de même : n'ai-je pas entendu un partisan enthousiaste de l'arehéologie, me dire un jour, avec le plus grand sérieux , que le plaio- chant était la seule bonne musique , et qu'on devrait le transporter au théâtre , dans les concerts , et même dans nos régiments!... Le même homme trouvait que les cryptes du ix"" siècles et les grossières figurines gothiques de nos vieilles églises de campagne , avaient beaucoup plus de valeur que le temple de Diane , les Propylées , le Panthéon de Rome, l'Apollon du Belvédère et la Vénus de Milo. — A de tels Visigoths il n'y a que cette réponse à faire : — <- Les barbares sont à nos portes ! »
On me pardonnera , je l'espère , cette digression , qui n'est passi'éloignée de mon sujet qu'on pourrait d'abord le cioire. — En effet, notre système tragique, le plus parfait de l'Europe , a eu aussi ses novateurs ; nos tragé- diens des boulevards ont eu leurs singes, et nous ne sau- rions trop nous élever contre de dangereuses innovations, et contre le servum pecus des imitateurs , si justement bafoué par Horace.
Deux années s'écoulèrent, et je revis Talma à Paris, dans YOEdipe de Voltaire.— J'eus alors l'occasion de sentir toute la justesse des observations que fait l'éloquente M™^ de Staël , dans son livre de YAUemagne , sur la ma- nière dont il disait le récit du quatrième acte de celte pièce, comparée àcelle employée par Larive. Quelle pro - fondeur de talent et d'études celle conception d'un rôle ne prouve-l-elle pas?...
=^ 521 —
Après la iragédie , je me rendis dans sa loge, avec Bouilly : ce dernier vouiaii lenirelenir du rôle de Cor- neille , qu'il lui destinait, dans une comédie anecdoiique ayant pour titre -. Une Matinée de Louis XIV. — Accablé de fatigue , Talraa était couché sur un divan , il essuyait son front couvert de sueur. — Le chevalier Dupuy des Ilets assis près de lui , récitait un disîi(|ue , placé depuis au bas de la gravure de l'un de ses portraits , et dont je ne me rappelle que le second vers :
D'un poignard plus sanglant il arma Melpomène '
(c — Eh bien ! mon cher Boulonnais, n'ai-je pas poi'du « depuis mon voyage en Angleterre?... » — Telle fut sa première question , après les salutations d'usage , et les nouvelles que je lui donnai delà santé de M. 3fenneviile, dont les bontés pour lui ne sortaient pas de sa mémoire. Ainsi , toujours occupé du soin de conserver sa grande réputation, il s'inquiétait sans cesse des effets que le temps destructeur pouvait avoir produits sur son talent.— Il y a quelque chose de touchant dans ce genre de sollicitude qui a contribué à lui faire conserver et perfectionner tous les dons que la nature lui avait si libéralement départis. En effet , semblable à ces flambeaux dont la lumière n'a jamais eu plus d'éclat qu'au moment où elle est prête à s'éteindre, Talma ne fut jamais plus admirable que dans le rôle de Charles Vi , le dernier qu'il ait créé avant de mourir !...
Ici se termine, mon cher Doucet , ce que j'avais à vous dire de cet homme illustre. — Ne m'oubliez pas plus que je ne vous oublie, cl mon cœur sera satisfait.
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A TALMA,
qui venait de jouer le rôle d'Oreste, dans l'Andromaque de Racine.
Oui , c'est bien là ce malheureux Oresle, Objet tout à la fois d'horreur et de pitié ,
Qui , poursuivi par le courroux céleste , Ne peut trouver de calme au sein de l'amitié!... Oui, des filles d'enfer, des sombres Euméuides,
J'entends les serpents homicides .. Ils sifflent! ils sont prêts à déchirer un cœur Qui , né pour les vertus, est souillé par le crime, Et, d'un destin affreux déplorable victime, Doit épuiser un jour la coupe du malheur !
0 Talma, ton talent, guidé parla naiure, Expose à nos regards , fait passer da:is nos sens Des tragiques douleurs la sublime peinture : Melpomene elle-même inspire tes accents !
Qand Lekain expira , pour porter sa couronne, En vain ses successeurs tentèrent mille efforts; Son génie, avec lui descendu chez les morts, Paraissait ne devoir revivre dans personne. Tu parus au théâtre , cl tes premiers essais , D'un maître de la scène annoncèrent l'aui'ore;
Ce n'était pas Lekain encore, Mais dès lors on pouvait présager les succès.
Depuis abandonnant une roule commune.
Pour créer un genre nouveau , On te vil d'Albion chausser le noir collun-ne,
El de Cliekspire explorani le lonibeaii ^1), Présenter à nos yeux ces sanglants personnages Dont les forfaits iront épouvanter les âges; Et d'un cœur enflammé, suivant l'heureux avis, Loin des sentiers battus entraînant les esprits. Sentencieux , brûlant , fier et mélancolique , Exercer un pouvoir qu'on peut dire magique !
Poursuis , mon clierTaima , Ion noble souvenir, Respecté par le temps , vivra dans la mémoire ; Vainement les rivaux aspirent à la gloire, Ils sèment pour un jour, et toi pour l'avenir !...
fl] Shakespeare. — Pour faire entrer le nom de ce grand poêle dans un vers , j'ai du l'écrire suivanl la prononciation anglaise. — Duci* et Compenon ont fail de m<>me.
MARIE DORVÂL.— MERLE.
« La mort , en nous séparant d'eux , « les a réunis. — Leur souvenir ne sortira « pas de nos cœurs ! e
Lettre à Caroline Ligoet, 1832.
^lARIF. DOUVAL.
Au docteur Boulanger.
Ainsi que moi , mon cher docteur, vous avez connu el admiré cette femme , que l'art dramatique et l'amitié viennent de perdre ; aussi tout ce qui se raltaclie à sa carrière ne pourra-t-il que vous intéresser, el intéresser les habitants de la bonne ville de Calais ; surtout ceux d'enlre-eux qui sont nos amis intimes , et dont l'acceuil si bienveillant, si gracieux pour la pauvre Marie Dorval, avait laissé dans son cœur les traces de la plus vive , et de la plus profonde reconnaissance.
Au milieu des temps difliciles où nous vivons , temps de graves complications politiques , et de cet esprit d'égoïsmc qui s'est emparé de la société , l'effet produit par la mort de M""= Dorval est on ne peut plus remarqua- ble. — Un trône vient de s'écrouler, et c'est avec la plus grande indifférence (|ue l'on a vu la chute de celui qui l'avait occupé. —Des hon)mcs d'un grand talent ont dispain de la scène du monde ; une femme , M"'* Récamier, la
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première entre toutes par la giàce, la beauté, par l'empire qu'elle avait exercé sur la haute société, vient de les suivre dans la tombe , et , au bout de vingt-qualre heures , le silence s'est fait autour de ces renommées , dont le nom ne se réveillera que dans un avenir plus ou moins éloigné, et si le calme succède enfin aux tempêtes qui nous assiè- gent et menacent de nous engloutir. — Par un privilège ayant sa source dans les parties les plus délicates de l'àme, le goût, la sympathie, la sensibilité, M'"^ Dorval a vaincu nos inquiétudes, notre oubli , notre égoïsme. — A peine avait-elle exhalé le dernier soupir, que de toutes parts les regrets , les larmes , les éloges formaient autour de sa couche funèbre an concert unanime qui , depuis quinze jours, ne cesse pas , et donne à sa famille éplorée la seule consolation qu'elle puisse recevoir. — Aii 1 c'est que M™'= Dorval était vraiment populaire, dans le sens honnête et sérieux , pouvant être attaché à celte qualification si souvent mensongère !... — C'est que sur la scène, où l'on ne retrouvera jamais sa pareille , elle a , pendant des années , exercé l'empire le plus absolu sur toutes les classes de la société , peint avec une poignante vérité toutes les misères de la vie , révélé toutes les douleurs , tous les effets terribles , tout le néant des passions 1... — C'est que , pour ceux qui l'ont connue , il y avait en elle le génie et le cœur, l'esprit et l'oi'iginalilé. C'est qu'enfin les poètes , les artistes lui devaient des inspirations , des jouissances morales infinies , et savaient combien elle était bonne envers les pauvres et les affligés : car le fond de son caractère, mon cher docteur, c'était une immense charité, et une profonde mélancolie.
Doux souvenirs , l'un heureux et l'autre bien triste, trouveront ici h'iir place.
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En 1834, M'"' Donal vint passer quelques jours dans la ville que j'habiiais. — J'organisai , dans ce salon où, pendant vingt-cinq ans , j'ai reçu toutes les célébrités liiiéraires et artistiques de l'Europe, une fête dont elle fut la reine. — En écrivains, cette soirée réunissait Campenon, Moreau , Coupigny, Merle, iîanim , le Waller-Scott de l'Irlande ; en artistes , Cuvillon , Franclionime , Osborne, Sagrini , Cramer, Jules Godefroid , et M™*^ Raimbaud, Voisel , et Pagliardini. — La vicomtesse de Monibrun, la baronne d'Ordre étaient au nombre des invités. — Marie Dorval se montra eharmanie d'espi'it , d'à-propos, et ce ne fut pas sans une vive «'motion qu'elle enlendii ces vers , mis etj musique , avec tant de verve , pai- noire ami VV. Nenland :
Sur la (erre .
Pour nous plaire , Dieu la m descendre un jour ;
Au théâtre ,
Idolclire I,a foule attend son retour '
Celte femme
C'est le drame , Avec ses noires terreurs ;
C'est un ange ,
Qui se venge , En faisant couler nos pleurs !
C'est l'étoile , Qui se vode La nuit , dans un ciel d'yzur, De rosée Arrosée l.n marguerite au fron pur.
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Etincelle,
Sa prunelle Allume un feu dévorant ;
Sa parole
Vibre , vole , Comme le simoun brûlant !...
Oui , sans peine
Elle entraîne . Elle enchante, elle fait mal :
Dois-je dire ,
Dois-je écrire Qu'elle se nomme Dorval?...
Nous étions alors en plein mois de novembre , ei lorsque toutes les dames qui l'eniouraienl lui offrirent des fleurs, elle me dit , avec cet accent qui n'appartenait qu'à elle : « — Eu vérité, mon ami , je retrouve chez vous le prin- « temps, et ce soir, il me semble être encore dans ma « vingtième année ! » — Hélas ! tout cela est bien loin de moi, et la mort a couvert d'un voile de deuil ces souvenirs enchantés qui, lorsqu'elle vivait, faisaient mes délices '... La dernière lettre que je reçus d'elle fera mieux juger celte excellente femme que tout ce que je pourrais vous en dire.— Il y avait trois mois que son petit-lils était mon, et sa douleur, son obstination à ne pas visiter ses amis, à ne pas chercher à se distraire, étaient telles que je craignais pour son existence. — D'accord avec son mari, avec ses enfants, j'avais parlé, conseillé, prié, sans réussir à la vaincre. — Alors je lui écrivis avec la sévérité , la franchise d'un vieil ami , en insistant avec force snr les devoirs qui lui restaient à remplir dans le monde, et voici ce qu'elle me répondit :
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« Mon bon et cher H..., vous êtes bien injuste, et bien « sévère envers moi !.. . Malheureusement je suis depuis « trois mois , dans une disposition d'esprit qui ne me a laisse pas la faculté d'aller voir mes meilleurs amis : mieux que personne vous pouvez vous en apercevoir. J'ai été , il est vrai , quelquefois chez M'="^ Georges, non pour y faire ou y entendre de l'esprit, mais pour y pleurer tout haut mon pauvre enfant... Ce que je feiais chez la bonne M™"^ H..., devant votre chère fille , mais ce que je ne ferais pas devant vous , qui êtes un homme fort, raisonnable, et ce que je ne fais pas même devant le père de mon petit garçon , ni devant mon mari, — ]\leUe Georges est seule avec sa sœur ; elles ont passé toutes deux par les mêmes angoises que moi , et nous ne parlons pas d autres choses que de ces chers enfants, pendant des heures entières. — Vous avez le cœur trop bien placé pour ne pas apprécier tous les genres de douleurs. — La mienne tient à mon organisation, et je '. vous assure qu'elle a droit à toutes sortes d'indulgences. Chacun sent à sa manière , mon cher ami, et pour ma pan je respecte pieusement chez les autres le chagrin, • de quelque manière qu'il s'exprime.
<■ Je suis bien touchée, bien reconnaissante des conseils
« que votre amitié éprouvée me donne ; mais je n'ai
« besoin ni des distractions , ni surtout des consolations
<■ des indifférents. Ce qu'il me faut c'est de vivre, comme
« vous le dites si bien , le mieux possible pour ceux qui
« restent ; c'est de continuer à mériter l'aflection de bons
" amis tels que vous. — Cette aiïection , malgré mes torts
♦- apparents , je sens bien que vous ne me la refuserez
— 532 —
« pas, el qu'elle ne me sera pas refusée par lexcellenlc
<- M™'= H..., par la chère Amélie , par Alfred, et par ce
« bon el bien dévoué Edmond , à qui je dois le souvenir
« sacré de mon adoré Georges! (l).
" Bientôt, un soir j'irai vous voir tous, el réparer des " loris doni vous me devez le pardon , parccqu'ils ne '■ vicuneni pas de mon cœur.
« Marie Dorval. »
A cette lettre, mon cher docteur, véritable paraphrase du mot sublime de Rachel dans la Bible : • Elle ne voulait « pas être consolée , parce cfue son fils Ji'était plus. ■> Je n'ai rien à ajouter. — C'est le cri de la maternité, dans toute sa naïve et douloureuse éloquence ! Oui, cette lettre prouve qu'à un grand talent, Marie Dorval unissait toutes les qualités de l'espiil el de l'âme.
Juin Î849.
(1) Une esquisse de ce pauvre enfanl après sa mort.
533 —
JEAIX-TOISSAIIVT MERLE.
A François Morand, homme de lettres.
Je reçois à l'insiani , mon cher ami , une lellre de la fille bien aimée de Marie Dorval , Caroline Luguet , m'an- nonçani la mon de Merle , cet homme d'un esprit si fin, si distingué , dont je vous ai souvent parlé , et que vous saviez apprécier mieux que personne. — 3Ierle fut mon ami pendant quarante ans ; il affectionnait la ville de Bou- logne que, pendant quinze ans il s'est plu à visiter. — Il laisse dans les rangs des critiques sur l'art dramatique, une place qui ne sera remplie que bien difficilement ; sa perte me cause une vive et profonde douleur!... — A tous ces litres, je veux vous parler de lui, elle faire mieux connaître aux Boulonnais qui , tant de fois, ont applaudi ses ouvrages.
Merle était né à Montpellier, en 1785, d'une honorable famille qui lui lit doinier la plus brillante éducation. — Peu d'hommes ont possédé , à un si haut degré, la cou-
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naissance des auieiii s classiques. — Ses iecuires, qu'une ménjoiie élonnanle lui avaienl loutes appropriées, élaient immenses! — Horace, Piaule el Térence; Amyol, Mon- taine, Rabelais, Molière el Lafonlaine étaient ses favoris el ses guides. — En érudition littéraire, c'était un savant du xvii^ siècle, devant lequel Ménage eût baissé pavillon ; en fait de style , il appartenait pour la clarté , pour la finesse des aperçus , la délicatesse du goût et le trait, à l'école de Voltaire. — Il arriva très jeune à Paris, à l'époque du Consulat, fut placé sous la tutelle de M. Albisson, son oncle, homme d'un viai mérite, d'abord tribun, puis con- seiller d'état, et l'un des rédacteurs des Codes qui ont contribué à immortaliser le règne de Napoléon. — Merle avait reçu de la nature une figure charmante, à la fois noble et pleine d'expression. — Ses manières étaient très distinguées, son ton parfait, ce qui nous avait fait l'appeler en plaisantant Mylorcl. A ces avantages il joignait l'esprit le plus agréable , un cœur excellent , et le caractère le plus heureux. — On conçoit les succès qu'il obtint dans la société pai'isienne , à une époque où l'élégance des formes , et le charme de la convei-salion , étaient encore comptées pour quelque chose. — Ses succès furent d'autant plus grands que simple, naturel, sans prétention aucune, lui seul semblait ignorer ce qu'il valait.
Son oncle l'avait placé au ministère de l'intérieur, mais les travaux bureaucratiques ne pouvaient convenir à son organisation p/i?ne-saM/«èye, et qui, comme celle de Montaigne, ne s'accommodait que d'un labeur de fantaisie, et d'une existence libre de toute contrainte. — Aussi ne tarda-t-il pas à déserter les sillons administratifs , et à se lancer, sous l'égide de Jouy, d'Etienne el de Barré, devenus ses amis, dans la carrière de la littérature dramatique,
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qu'il parcouiut , pendant un quarl de siècle, avec un bon- heur remarquable. — Seul, ou en coUaboratiou , il a fail plus de cent pièces pour nos théâtres les plus populaires, parmi lesquelles je citerai Préville et Taconnet , le Scme^- lier et le Financier, le Ci-devant jeune homme , le Bour- guemestre de Saardam, et la Carte à payer. — Potier, l'un des meilleurs comédiens qui aient existé , était son acteur de prédilection, et l'interprète le plus vrai, le plus comique des jolis rôles qu'il a créés pour lui. — 11 y avait dans le talent de Merle beaucoup de similitude avec celui de Dufresny : c'était le même esprit d'observation , le même naturel, la même verve dans le dialogue qui, toute- fois, ne descendait jamais jusqu'à la trivialité. — L'inven- tion , le plan, la conduite de ses vaudevilles, et les mots heureux, qu'on peut dire trouvés, dont ils sont remplis, jaillissaient sans nul effort de son cerveau, au milieu d'un déjeûner au café de Foy, tout en causant avec Carie Vernet, Nodier, et ce bon Brazier que nous avons aussi tant regretté!...
En I8I0, Merle entra, comme rédacteur des feuilletons- théâtre à la Quotidienne , devenue depuis VUmon Monar- chique. — Jusque dans les dernières années de sa vie, il y tint le sceptre de la critique avec une érudition , une couvenance, une impartialité qui, en ce genre, l'ont géné- ralement fait regarder comme un modèle. — C'est bien à lui qu'appartient le titre de prince de la critique , si plai- samment donné à M. Jules Janin. — Son aiticisme unissait le bon sens à la grâce, à la pureté du style, et à l'urbanité. Aussi était-il estimé, aimé même de tous ceux qui passè- rent sous sa lérule , parce qu'il puisait dans son cœur, dans la délicatesse de son esprit, l'art de panser les bks- sures que sa mission d'Arisiarque lui imposait le devoir
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de faire à leur amour-propre.— La spirilutlle Miiieite du Vaudeville , me disait un jour : • Je préfère la censure de « Merle aux éloges de lous les autres journalistes. » Un homme d'une haute valeur, notre ami commun, et qui le traitait comme un fils chéri , M. Michaud , avait une estime toute particulière poui' ses articles, et vingt fois je J'ai entendu leur donner les plus justes louanges. — Sous la Restauration Merle prit la direction du Théâtre de la porte St-Martin, où son passage fut marqué par desinno- vaiions, en fait de décors et de mise en scène qui, depuis, ont puissamment contribué aux progrès de cette partie de l'art dramatique. —Il eût certainement lait fortune, s'il eût mieux entendu la science de gagner de l'argent , et s'il avait eu plus d'ordre, et moins de générosité. — 11 y avait toujours chez lui table ouverte ; les gens qui le ser- vaient le volaient ; cent fois il en a eu la preuve , et il les laissait faire, répondant à mes observations, à celles de ses vrais amis , par ces mots : <= Trouvez-moi donc des « domestiques qui ne volent pas? Je regarde cela comme '• aussi difficile à découvrir que la quadrature du cercle! » La race des Mascarille, des Scapin lui plaisait beau- coup. J'ai connu , dans sa maison , un Jean et sui tout un Garcia à l'esprit vif, original , et dignes par leur audace de figurer dans une haute comédie de Regnard , ou dans un imbroglio de Beaumarchais.
Merle avait un défaut capital , la paresse, et le lit était son paradis ; aussi ne le quittait-il en général que fort tard , et avait-il fini par ne plus le quitter du tout , ce qui n'a pas peu contribué à hâter sa fin. — Aller de pied était pour lui chose intolérable, et il a dû dépenser considéra- blement d'argent en locations de voitures de toute espèce. Un soir qu'on n'avait pu en trouver une pour nous mener
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de la rue de Vareniies aux Français, nous nous achemi- nâmes sur nos jambes jusqu'à la place du Carrousel. Un fiacre passe et Merle l'appelle. En vain je lui fais observer que nous sommes à deux pas du ihéàire , que la marche lui fera du bien , que son bon ami Moniaigne recom- mande , dans ses immortels Essais, l'exer citation : • Les « voilures, me dit-il, ont été inventées pour le service de
• l'homme; permettez donc, mon cher, que je rende ce soir «■ un nouvel hommage à cette sublime invention. J'aime
• beaucoup Montaigne , mais soyez persuadé que si , de
• son temps, les fiacres eussent existé, il eut fait ainsi que « moi. » — Il monte alors dans son bien aimé sapin , et je me place à ses côtés , ne pouvant m'empêcher de rire de son horreur de la locomotion. — En toutes choses il l'ccherchait ses aises ; écrire une lettre , faire la moindre démarche, lors même qu'il s'agissait pour lui de l'intérêt le plus grave , lui coûtait infiniment. — Sa maudite pares^sp l'a souvent empêché de saisir l'occasion de rendre un ser- vice promis. C'est à cause de cela, peui-êire, que M"= Sand dans ses Mémoires, le dépeint comme un égoïste. — A cet égard, elle est complètement dans l'erreur ! Si elle l'eiJi mieux connu, elle eût vu en lui l'être le plus obligeant du monde, car son cœur était animé par les sentiments les plus dévoués, les plus généieux. — Jamais ce neiait en vain que les artistes dans le maiheui" venaient frapper à sa porte. — Cette porte s'ouvrait toujours pour eux; il ne bougeait pas de son fauteuil, mais il vidait en leurs mains sa bourse , et ses paioles consolantes et délicates donnaient un double prix aux bienfails qu'il se plaisait à répandre.
Il avait la manie des collections de tous genres, et sou= vent ces collections étaient on ne saurait plus bizarres.
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Ainsi, à une certaine épO(iue, on le vit réunir loules les espèces de lampes possibles. Aussilôi qu'un journal en annonçaii une d'un modèle nouveau , il s'empressait de racheter. Pour surcroit d'originalité, pas une de ces lampes n'allait, lorsqu'on voulait en faire usage, de sorte qu'avec un immense matériel de lampiste, Merle était l'homme le plus mal éclairé de Paris. — Après les lampes vinrent les almauachs de tous les formais, de tous les pays, depuis celui de Liège,, jusqu'à l'almanach royal et celui de Gotha. Sa dernière fantaisie fut celle des livres de cuisine. Quand j'allais le voir, son lit en était couvert, et il me dit un matin , tenant à la main un manuel culinaire, qu'il venait de paicourir : <■ Il y a plus d'intérêt et de bon sens dans - ce volume que dans les vers et les romans, dont on « nous inonde chaque jour. » — Possesseur d'une fort belle bibliothèque , à l'époque brillante et aisée de son existence, Merle finit par la vendre, lorsque la fortune lui devint conli^aire. 3Iais , jusqu'à son dernier moment , il conserva les nombreux ouvrages sur l'art et Ihisloire du théâtre , qu'il s'était plu à rassembler, pendant quarante années. — « Pour ceux-là , me dit-il , en me les montrant, « quelques mois avant sa mort , on ne me les saisira pas :
• l'article 592 du code de procédure les protège, car ce « sont mes outils , et je suis ouvrier en feuilletons dra-
• maliques. »
Outre un grand nombre d'ouvrages donnés sur les scènes de la capitale, Merle a fait un abrégé des Mémoires (Is Bachaumont , une Histoire illustrée du château de Chambord , deux brochures , ayant pour titre : Lettres sur rétat actuel de t'Opéra , qu'il ma adressées , et qui frappent sur l'étrange manie de dénationaliser ce magni- fique établissement tout français , pour en faire une suc-
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cursale dos liiéàiics de la Scala de Milan, et de San Carlo de Niiples. — Plusieurs noiices sur des chansonniers ei ailleurs dramatiques furent écrites par lui , entre autres celle sur notre ami commun Désaugiers, se trouvant en tête de la jolie édition , grand in- 18 , des œuvres de cet Anacréon de la salle à manger. — 11 a élé le rédacteur et l'éditeur à\in chapitre de l'histoire de Charles V, le pi'é- lendani d'Espagne, el d'un mémoire explicatif de la con- duite tenue par M. le prince de Polignac en 1830. — Tout cela est rempli d'esprit, de verve, el d'un style à la fois pur el agréable. — Ses portefeuilles renfermaienl les élé- ments d'une histoire complète de l'Académie royale de mnsi(]ue, au point de vue de l'art , de l'administration , el de la biographie des artistes distingués qui y oui figuré, depuis le siècle de Louis XIV' ; puis une foule de noies sur ses voyages , el sur les théâtres f/ançais et étrangers. — Je ne sais ce que ces manuscrits sonl devenus.
On ferait dix volumes des feuillclons de Meile , et ces dix volumes formeraient un cours de liitéraiure et de cri- tique dramatiques, aussi savant que piquant. — En effel, ne s'écai'tant jamais du sujet qu'il traite, y déployant une érudition variée , le goût le plus fin , il fuit la prc'tiniaille d'épithèles oiseuses , échelonnées les unes sur les autres, el s'il est aussi , à juste titre, le prince de l:t critique , il n'en est jamais le prince Mirliflore.
Merle ne savait point faire de vers ; il doiuiait l'idée, le irait des couplets , des morceaux de chant i)lac<;s dans ses vaudevilles, et ses collaborateurs , ses amis les niel- laient en œuvre. — Je connais cependanl de lui un certain nombre de petites pièces fugitives, faisant nombre dans diflerents recueils. On se rappelle peut-être, parmi ces
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petites pièces , un distique , basé sur un jeu de mot , qu'il fit lorsque Campenon se présenta pour remplacer Ducis à l'Académie française , et que l'auteur de la Maison des champs, homme aussi aimable que distingué, applaudit beaucoup :
a Au fauteuil de Ducii aspire Campenon ; a Convienl-il qu'il s'y campe?... Non !
Merle était malin , et ce fut lui qui donna au bon et par trop sensible Bouilly, l'un des meilleurs charpentiers dra- matiques depuis Sédaine, le titre plaisant de Saule-Pleu- reur de la lilléî'ature.
Merle n'était point un homme politique, mais ses prin- cipes furent éminemment royalistes, à partir de 1815, et il y resta fidèle jusqu'à son dernier jour. — Lois de l'expédition d'Alger, le prince de Polignac, qui l'aimait et l'estimait , le donna pour secrétaire au maréchal de Bourmont. — II a écrit, en cette qualité, lors des premiers inslanis de cette noble conquête, un volume on ne saurait plus intéressant. — A son retour à Paris, où il rapporta pour dépouilles opimes, l'une des clefs de la Kasbah, on le vil reprendre ses occupations habituelles , auxquelles il joignit une part de rédaclion dans le journal la Mode. Ce journal contient de lui des articles et des proverbes on ne sauraii plus piquants. A l'occasion de ces proverbes, Martin du Nord m disait un jour : <- Ton ami Merle pince « fort, mais on lui pardonne, parce ((u'il fait toujours " rire. » C'est en vile prose la pensée du vers de Piron :
0 J'ai ri , me voila désarmé. »
Merle avait épousé la si regreitabic Marie Dorval, celle
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exceUenie femino , celte grande actrice, que la France a si longtemps applaudie. Il a vécu avec elle dans l'union la plus parfaite. J en excepte toutefois un seul sujet de dis- cussion , ayant pour objet un certain Perpignan , dont les parades grotesques , l'esprit à la Tabarin , amusaient Merle et que M"^ Dorval ne pouvait souffrir. — Leurs salons étaient ouverts à tout ce que Paris remfermail alors de talents dans la littérature et les arts. — Je n'oublierai Jamais les moments agréables que j'ai passés dans ces réunions , dont la perte est pour moi le sujet des plus vifs regrets. — Mais ce que surtout je ne retrouverai pas, ce sont ces petits dîners dans l'intimité, où nous passions en revue les événements et les travers de ce monde , ses vices, ses vertus; où nous discutions sur lesai'ls, la litté- rature, moi donnant la palme à Rousseau , lui , Merle, à Voltaire ; moi couronnant (lluck et Grc'lry, lui lîossiiii , et où nous finissions par nous entendre à merveille , et nous aimer de plus en plus 1...
La mort de Marie Durval porta à Merle un coup funeste, cl SCS habitudes casanières , qui l'éloignaient de tout exercice corporel , amenèrent le développement d'ur.e affection apoplectique dont la force brisa son existence. Il s'est éteint le 27 février 1832 , à deux heures après- midi , à la suite d'une lon^^ue agonie , chez sa bonne et respectable sœur, qui rav;:il recueilli dans sa maison. — Maintenant, mon cher Morand, que vous dirais-je encore? Mon ami a cessé de vivre , et en écrivant ces mots , je pleure, je souffre et plus rien nome revient!
Puissent les enfants d'adoption de .Mciïc , cette excel- lente Caroline Luguet , et son nuui qui a tant de cœur, d'intelligence; puissent sa digne sœur, ses amis, et urin-
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cipalement le noble cl généreux Poujoulai qui lui a tou- jours élé fidèle , trouver dans ce que je viens d'écrire une nouvelle preuve de la tendre affection que je lui avais vouée , et du deuil éternel dont sa perle a pénétré mon
âme ! ! !
Valenciennes, -29 février 185^2,
FERRARE.
< 0 Ferrare! le gazon croit dans ( tes vastes rues , dont la «ymélrie « indique qu'elles ne furent pas des- « tinées à la solitude. »
Bvr.oN, Childe Harold , chant iv.
FEKRARE
A inon ami, le baron Seymour de Comstant, auteur de la bataille de Crécy.
Voulez-vous assister au speclacle de la grandeur dé- chue? inlerroger le silence de la soliiude aux lieux où le mouvemenl avait ciabli son empire? vous asseoir sur des ruines jonchant le sol qu'une cour brillante , animée par la magnificence et le goût des ans , avait couvert de monuments ?,.. venez , oh ! venez avec moi visiter l'anti- que capitale du duché de Ferrare ! 3Ion àme est triste , désabusée des vaines et fugitives affections de ce monde : elle a connu les espérances trompeuses, l'ingratitude aux paroles froides et amères ; et dans celte Thébaïde de pierres et de marbres , que parcourent lentement quel- ques hommes qui me sont étrangers, je suis moins mal- heureux que dans les rues popidcnscs de Naples, et au milieu des joies letemissanles et fardées du carnaval de Venise.
C'était cependant ici l'une des plus belles villes de l'Italie. Les princes de la maison d'Kstc commencèrent à y régner dès le XV*" siècle. Edifices publics, maisons par- liculières, rues grandes et alignées avec la plus parfaite
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exacihude, tout rappelle l'or el la puissance d'une hauie aiislocralie , cl loul présente en même lemps raspecl de la desiMicilon. Si l'Aiioslc rcvcnaiisui' icrre, el qu'il ira- versàt de nouveau sa belle cl noble Ferra le , de la porte Sainl-Benoîl à celle de Saint-Jean , il ne dirait plus dans son Oiiamlo :
0 0 ciià bene avenlurosa, etc.. »
Voici bien le palais du n^aréchal PaUuvicini , celui des ducs d'Esté; mais pour y parvenir, j'ai foulé sous mes pieds et l'herbe et les décombres Où sont ces fresques qui, dans l'intérieur de la maison ducale, faisaient l'admi- ration des voyageurs?... C'est à peine s'il en reste la trace, et cette trace n'est la que pour faire naître les regrets. On montre encore la cour où Parisina et Hugo furent déca- pités; mais vous ne trouverez personne qui vous décrive ces calvacades, ces spectacles, ces tournois qui frappèrent si vivement l'imagination chevaleresque du Tasse a son arrivée à Ferrare. Pompes brillantes sous l'éclat desquel- les un prince faible déguisait la servitude du joug espa- gnol, vous vivrez bien moins dans la mémoire des hom- mesque le supplice de deux amants incestueux !.. Serail-il donc vrai que le malheur el le crime laissassent parmi nous des souvenirs plus durables que le plaisir et la venu?...
L'Ariosie passa une partie de sa vie à Ferrare , à la cour de ces ducs lour à tour tyrans ou prolecteurs, selon leurs caprices , et qui voulurent bien pourvoir à ses be- soins, mais ne tirent rien pour la fortune du poète qui leur donnait rimmorialilé. J'ai vainement cherché dans le réfectoire des Bénédictins le tableau du Paradis, de Ben Venuto da Garofolo, dans lequel ce peintre leprésente
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Ludovico Ariosto , son ami , avec sa grande barbe noire, enli-e sainte Catherine et saint Sébastien. L'Arioste Ini avait dit en plaisantant : Dipingete me in cjuesto para- diso, perché nel altro io non civô. Son tombeau décorait autrefois l'église de ce couvent, et fut transporté, en 1801, dans la bibliothèque de la ville , au milieu de l'une des solennités les plus brillantes de la république éphémère d'Italie. Un beau buste de marbre surmonte ce monu- ment. Les Ferrarais possèdent les restes, le fauteuil, récritoire el les manuscrits du chantre de Roland ; aussi le réclament- ils comme leui' compatriote, quoiqu'il soit né à Reggio : vanité la plus pardonnable de toutes; car quelle ville ne devrait tenir à honneur d'avoir vu naître dans ses murs un homme de génie !
Dans cette cité si triste, un lieu le plus iriste de tous ceux que l'étranger peut visiter, le plus intéressant pour qui n'est point piivé d'une âme impressioiuiable , ne sor- tait pas de n)a pensée !.. Ici je me plais , avec une amer- tume qui n'est pas sans charme, à faire un retour vers les siècles passés.
Sous le règne de Henri III , un gentilhomme français, de bonne race et d'excellent esprit . fit le voyage d'Italie. Après avoir posé quelque temps dans cette Rome qu'il appelle, selon son langage naïf et philosophique, la Rome bâtarde, il arriva à Ferrare, fut présenté à la conr d'Al- |)honse II , et comme il était de gracieuse société, il con- tribua à rendre plus agréables les fêles qu'on y célébrait. Déjà plusieurs jours s'étaient ('coulés, lorsfpi'il se rappela qu'un genlilhomme ilalien , qu'il avait connu en France, el dont il avait gardé d'ineffaçables souvenirs, habitait Ferrare. <• Ou puis-je U trouver, demanda-l-il à son hûle?
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• Je vais VOUS conduire à sa demeure, répondit celui-ci. » Et, après avoir iravoisé plusieurs rues, ils arrivèrent à un immense bâtiment , tout mélangé d'architecture gothi- que eisarrazine, dont l'aspect inspirait des idées reli- gieuses et mélancoliques. Il fallait parcourir de vastes cloîtres voûtés en ogives, descendre un assez grand nom- bre de marches moussues... et le Français se demandait comment il était possible que l'homme brillant d'imagina- tion, l'ami des Muses, dont il avait tant recherché la com- pagnie , et que Charles IX avait décoré d'un beau collier d'or, eût choisi une semblable habitation ?.., Bientôt une porte loiienient verrouillée cria sur ses gonds, et le spec- tacle le plus affligeant s'offrit à ses regards... Il était là celui qu'il cherchait, pâle, les yeux hagards et éiincelanis d'un feu sombre I... Il était là , couvert des vêtements de l'indigence , froissant sous ses doigts amaigris quelques feuilles manuscrites , qu'il cherchait à relire à la lueur d'une lampe déposée sur une table du bois le plus gros- sier I... Il se plaignait des rigueurs , de l'abandon d'une femme adorée, et de l'ingratitude des pi'inces!...
Or, le gentilhomme français , c'était Michel de Montai- gne ; le geniilhonmie italien, c'était Torquato Tasso ; et le lieu qui les réunissait , après quelques années de sépara- lion , l'hôpital de Sainte-Anne 1...
« J'eus plus de dépit encore que de compassion, dit « l'auteur des Essais, de le voir à Feri-are en si pileux « état, survivant à soi-même, mécoignaissant et soi el w ses ouvrages. »
Honte éternelle au prince qui, pour venger son orgueil blesse, fit renfermer dans un hospice? de fous le poète
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qui, dans son immonellc Jérusalem, lui décerna ce magni- fique éloge :
a Tu magiianimo Alfonso!... etc.. >
Honte éternelle au poète courtisan, Gvarini, qui se joi- gnit à la tourbe obscure de ses persécuteurs !.. La maison Gualengo, qui appartenait à l'auteur du Pastor Fido , et où l'on donna la piemière i-epréseniaiion de ce drame , existe encore : je n'irai point la visiter.
L'hôpital Ste-Anne a été rebâti , mais Ton a conservé religieusement la cellule où le Tasse fui renfermé. Deux inscriptions, l'une extérieure, l'autre intérieure, y ont été gravées. Byron a visité cette cellule, et y a puisé l'inspi- ration qui brille dans le poëme des Lamentations du Tasse.
Après de tels souvenirs, que dirais-je de Renée de France, mariée à Hercule d'Esic, qui s'entourait à Fer- rare de savants et d'hommes de lettres ; dont le palais servait d'asile à Marol, persécuté comnif^ prolcstani, et dont on conserve plusieurs autographes?. Que dirais-je de la caihédialo , bàiie en croix grecque , oi'iiée de ta- bleaux de grands maîircîs , et surtout du martyre de saint Laurent, par le Gucrchin?... Le martyre du Tasse a ab- sorbé toutes mes facultés... Je laisse tomber la plume.
LE FAI\T0S1E DU TASSE.
3 Pour exprimer l'amour mon langngo est la flamme ! » Alfred de Vicnt.
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LE FAXTOME DU TASSE»
" De l'air, de l'air !.. ah ! fuyons de ma couche '.. Mon cœur se gonfle , el mon froni esi brûlant ! » -^
— Pauvre Tasse, un fantôme à l'œil sanglant, farouche > Lève l-il sur ton sein un glaive éiincelant?. —
— Non, non, je ne vois rien qui ne charme ma vire... Et cependant je tremble , et je me sens mourir !.. J'éprouve tour à tour et douleur, et plaisir !..
— La cause, mon ami, i-en est-elle inconnue?. —
— Inconnue!, oh ! jamais !.. liens, elle va venir !.., Approche du balcon... là-haut... dans ce nuage ,
Vois-lu ce pâle el séduisant visage ,
Ces cheveux bruns qu'agite le zéphyr,
Ces yeux pleins de génie et d'âme, Qui de l'astre des nuits remplaceraient la flamme S'il venait à s'éteindre ou bien à s'obscurcii?... Vois-la se balançant dans la rosée humide , D'uu jour pur et tranquille annonçant le matin....
C'est le fantôme ou la sylphide Qui dispose à son gré de mon fatal destin !... C'est un rêve enchanteur... c'est le plus mauvais songe !.•
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Le sourire d'un ange. . . un regret trop amer '. .
C'esl la puissance qui me plonge Dans les plaines du ciel , aux abymes d'enfer !..
— Insensé, je le plains !.. bannis de la mémoire Un amour ravisseur de toute liberté ! .
— Qui, moi?., jamais!., tu peux m'en croire. Pour chasser celle erreur, hélas ! j'ai tout tenté 1 Elle est là !. toujours là !. pensée ineffaçable 1 Oui, quand dans ma tombe , attristé
Par le remords qui naît d'un senliment coupable , J'invoquerai de Dieu la suprême bonté Ce souvenir ardent, inexorable Dira : pour toi je suis réternité!! •> —
Madeiioiselie 1\AVARRE,
ÉTUDE DE MOEURS DU XVIIP SIÈCLE
« Dans celle carrière toute doréo , dans cette vie conlinuello de fêtes, do paru- res, do guirlandes fleuries, il étail bien difficile que le cœur de ces dùesses ter- restres ne succombai point à toutes les scduclions. »
ROCQUEFORT.
MADEMOISELLE !V\VARRE,
A mon ami, M. le docleur Escalier.
Combien de femmes spirituelles, aimables, charmâmes, n'y a-l-il pas eu dans le xviif siècle!.. Ce siècle plus que facile, à la fois élégant el frondeur, baiianl en brèche ce qu'on appelait alors les préjugés , ce que maintenant nous appelons raison et sagesse, m'a toujours produit l'effet d'un brillant papillon voulant se servir de la massue d'Hercule. — Que n*a-t-il pas détruit en dansant, en chan- tant, en secouant sa robe légère, dont les paillettes ont fini par tomber dans le sang et la boue !.. Quels orages n'a-t-il pas amoncelés sur nos tètes! Eh bien! de toutes ces femmes, reines de leur époque , dignes d'exercer les pinceaux de Walteau , de Naiier, de Fragonard, d'inspi- rer la muse fardée, pomponée des Bernis, des Boufllers, des Dorât , il en est bien peu qu'on se rappelle de nos jours, et dont il soit possible de leiiouver la trace. — Parmi ces enchanteresses, il en est une pourtant qui m'a toujours vivement intéresse: — son nom prononcé, lors- (pie je n'avais que seize ans, par un vieux gentilhomme, ancien page de Sa Majesté Louis le quinzième, n'a cessé
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depuis de vibrer à mon oreille, d'occuper mon cœur (4). Ce vieux gentilhomme avait connu la belle pécheresse au temps le plus triomphant de sa carrière d'aventures et de volupté. — Il racontait quelques particularités de sa vie avec cette grâce, celte chaleur tempérée qui distinguaient le langage des hommes de l'ancienne cour. Je vivrais mille ans, que j eu garderais le souvenir, aussi vif, aussi co- loré que s'il s'agissait d'hier. — Celle femme était made- moiselle Navarre. — J'ai réuni, à diverses époques, ce que je savais d'elle. — J'ai retrouvé plusieurs de ses lettres, ^<f-nn*^. écrites à un ami qui ne fut pas son amant , lettres dans lesquelles, à cause de cela môme, elle dit la vérité, toute la vérité, et se peint sans rélicences et sans voiles. — Je vais, mon cher docteur, vous donner tout cela , per- suadé que vous trouverez quelque plaisir à tâcher d'expli- quer, s'il est possible, le caractère de mon héroïne. — C'est une véiilable élude psychologique que vous allez enti'oprendre , et si vous parvenez à deviner le mot de l'énigme , j'espère bien que vous ne serez pas assez égoïste pour le garder pour vous seul. —
Mademoiselle Navarre naquit à Paris en 1727. — Son père, d'oiigine basque, ne manquait pas d'esprit, et exerça d'abord un emploi dans les sous- fermes, ce qui le mil en rapport avec les fmanciers les plus célèbres de l'époque. — Il avait le goût des ans , et quitta cet emploi pour se livrer au commerce des tableaux, des bijoux, et aux entreprises théâtrales. — Il tenait maison à Paris , à
(1) Lo maréchal de camp baron d'Ordre , qui avail assisté à la bataille de Fontenoy, el avail reçu Louis XV dans son château do Mocquenghen, en Boulonnais.
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Bruxelles, habiiant successivement ces deux capiiaU-s. La grâce, la gentillesse, la singularité de la petite Navarre se dessinèi'enldès les premières années de son existence, et annoncèrent ce qu'elle serait un jour. — Elle avait so-u- niis à l'empire de ses caprices enfantins, tout ce qui l'en- tourait et particulièrement son père qui, resté veuf, re- porta sur elle toute sa tendresse. — Il l'aimait à la folie ! Né dans un siècle peu scrupuleux, imbu de la philosophie épicurienne, il la laissait entièrement maîtresse de ses volontés. — Les professeurs les plus habiles lui apprirent l'italien, l'anglais, le dessin, la musique, la danse, et même l'équitaiion. — Pour l'éducation c'était une véritable mer- veille. Elle cultivait la liiiérature, lisait avec fruit les meilleurs auteurs, et ce qui ajoutait un prix infini à ses connaissances, c'est qu'elle se montrait sans prétention, sans l'ombre de pédanterie , et disait et faisait les choses les plus drôles, les plus distinguées du monde , avec un naturel adorable. —
Jolie comme un ange dans son enfance , à vingt ans elle était belle comme une déesse ! avec une voix qui allait au cœur, elle chantait, en s'accompagnant du sistre, l'inslrument alors en i-enom , les canlalilles et les pastorales de Mouret, de Mondonville, de Clérembaut , et les airs les plus tendres d Albanèsi et de Rameau. — 3Iais c'était au bal qu'il fallait la voir déployer les grâces que la nature lui avait prodiguées, et ces mines tour à tour vives ou langoureuses, cjui entraînaient toutes les âmes sur ses pas ! Intimement liée avec la Camargo, dont la famille avait quitté l'Espagne pour venir se fixer à Bruxelles, elle avait reçu des leçons de danse de M. de Cupis, père de celte fameuse ballerine. — Le talent qu'elle avait ac(|uis était tel , (jue les fins connaisseurs, en fait
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d'enlreclials légers , cl de pointes exquises , d'atliliides nobles et gracieuses, de mouvements mélangés de pudeur et de coquetterie, la préféraient à sa célèbre amie, car la verve audacieuse de celte dernière n'était pas toujours du goût le plus délicat.
Ce fut dans une fèie donnée par le bourguemeslre de la capitale des Flandres que mademoiselle Navarre fit la conquéle du maréchal de Saxe. — Descendant d'Alcide , pour me servir des expressions mythologiques du temps, le comie Maurice était constamment vainqueur dans les boudoirs et sur les champs de bataille. Il menait l'amour tambour battant, et fixait surtout son choix sur les femmes (le théâtre. — S'il fallait faire la liste de toutes celles qu'il soumit à ses lois, ce serait un catalogue aussi volumineux que celui de don Giovanni, si admirablement mis en mu- sique par le divin Mozart — Parmi ces belles je citerai, la Beauménard, surnommée Gogo, qui eut la sottise, après deux années d'iniimité, de lui préférer Bellecour, acteur grand, bien fait, à l'air noble, à l'inielligence de feu, mais véritable roué. — Abusant de la passion de la pauvre Beauménard, ce mai'quisde coulisse la dépouilla des coii- ti-als de renies, du riche mobilier , des bijoux qu'elle avait amassés depuis dix ans, et la réduisit à la misère la plus profonde. — Je ne dois pas oublier la Briant, se pré- sentant pour jouer les amoureuses au théâtre Français, et répondant aux gentilshommes de la chambre qui lui de- mandaicnl : Qui éles-vous, et d'où venez-vous?., w — Je « suis Bi'iaul, j'ariive de l'armée du maréchal de Saxe !.. » — Et la belle Aurore de Verrière, dont la fille fut la mère delà grand'inère de Georges Sand ; et la Désaigles, per- lant le deuil de Maurice pendant vingt-six jours, en con- sidération, disait-elle, de vingt-six épigrammes qu'il lui
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avait faites dans l'espace de quarante huit heures ; et enfiu la charmante M""= Favart, et l'adorable Lecouvreur, la seule maîtresse de ce héros qui lui ait témoigné l'attache- ment le plus vrai, le plus désintéressé. — Me voilà loin de M""" Navarre, mais, cher docteur, vous me pardonne rez celte digression, parce qu'elle rentre dans la couleur, et les faits et gestes du siècle que je cherche à peindre.
Maurice fui donc vivement frappé des attraits de made- moiselle Navarre, et comme il allait vile en amour comme en guerre, le bal de M. le bourguemesire ne se termina point, sans qu'il eût déclaré, au nouvel objet de saSflamme, sa tendre admiration. — Dire que mademoiselle Navarre ne fut point flattée d'enchaîner à son char le vainqueur de Fontenoy, ce serait ne pas connaître le cœur des femmes : mais dire aussi que la passion , l'amour entraient pour quelque chose dans sa défaite, ce serait manquer à la vérité. — Elle céda par vanité, par orgueil, pour déses- pérer vingt beautés flamandes de haut lignage , envieuses jusqu'à la haine des attentions (|ue Maurice lui lémoignaii. — Elle céda enfin, par un de ces caprices qui traversaient continuellement son imagination folle, vagabonde, et qui firent tant de malheureux. — Au surplus le maréchal n'était pas plus amoureux qu'elle , dans le sens épuré, sentimental attaché à ce mot par les sectateurs du plato- nisme. — Il voulut la posséder parce qu'elle était belle, passer quelque instant avec elle, parce qu'elle était vive, spirituelle, et qu'il éprouvait le besoin , selon le style de l'époque, de se délasser des travaux de Mars, en folâtrant sous les courtines de Venus.
Le lendemain de celle soirée, dans laquelle uKidcmoi- scUe N;»varre it'pondii par un soupir de comédie, à la
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déclaraiion de Maui icc, il lui envoya un collier de perles iiiies et de diamants, valant au moins deux mille écus. — Vous pensez, sans doute , qu'elle accepta ce brillant ca- deau?.. C'est une erreur totale — elle le refusa tout net, et le renvoya avec ce petit billet, que beaucoup de femmes qualifieront du titre de sottise sur du papier parfumé , et (pie je trouve moi très-digne, très-original :
• Monsieur le maréchal, quand on ne me convient pas " on ne m'obtient à aucun prix ; et quand on me con- <' vientjene me vendspas, je me donne. — Je vous fais « donc remettre votre collier, et n'eu resterai pas moins « votre Servante, tant que cela me plaira, car je ne peux '^ vous promettre une constance qui n'est pas plus dans « mon cœur que dans le vôtre. — A ce soir!... » —
Pendant trois grands mois les deux amants ne cessè- rent pasde se voir, et de paraître charmés l'un de l'autre; à quelques orages près, résultant des caprices de made- moiselle Navarre, dont la mobilité d'imagination n'avait pas sa pareille, et des habitudes despotiques de Maurice, voulant commander à ses sultanes, comme il commandait ù ses soldats. — Contre l'ordinaire ce dernier avait cepen- dant trouvé son maître, et finissait toujours par céder. — Aussi cette liaison commençait-elle à devenir de l'idylle, a tourner au céladon , lorsque le père de mademoiselle Navarre la pria d'aller régler à Paris et en Champagne, où il posséJait des vignes, quelques intérêts en souf- france. — A cet égard il ne pouvait mieux choisir que sa lille , car, elle savait , au milieu de ses folies , mener de front les affaires et les plaisirs. —
(^e fut lors de ce voyage, et à son ai'rivée dans la eapi-
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laie qu'elle cniendit parler dcMarmonlel , en ce moineiii 1res h la mode, à cause du succès de sa tragédie de Denys le-iyran — Toul le monde s'arracliaii le jeune auteur qui, llallé e cet empressement, ne savait auquel enten- dre, et mademoiselle Navarre désirait vivement le con- naître , et l'enlever aux belles dames lui prodiguant de douces œillades et des paroles de sucre et de miel.— Ici, mon clier docteur, je pose pour quelques instants la plume, afin de laisser raconter par Marmontel, l'histoire des «apports intimes qu'il eut avec la charmante maîtresse du maréchal de Saxe :
« Dans ce temps de dissipation et d'étourdissemeni, je < vis un jour arriver chez moi un certain Monnet, qui fut <( directeur de l'Opéra-Comique, et que je ne connaissais " pas. — « Monsieur, me dit-il, je suis chargé auprès de <' vous d'une commission, qui, je crois, ne vous déplaira <i pas. N'avez-vous point entendu parler de M'"" Na- « varrc? — » Je lui répondis que ce nom était nouveau « pour moi : — C'est , poursuivit Monnet , le prodige de '( notre siècle pour l'esprit et la beauté ; — elle vient de <i Bruxelles, où elle faisait rornemeni et les délices de la H cour du maréchal de Saxe : elle a vu Denys-le-tyran ; (c elle brûle d'envie d'en connaître l'auteur, et m'envoie « vous inviter à dîner aujourd'hui chez elle. — Je m'y « engageai sans peine — , jamais je n'ai été plus ébloui « qu'en la voyant 1 elle avait encore plus d'éclat que de • beauté. — Vêtue en polonaise , de la manière la plus « galante, deux longues tresses flottaient sur ses épaules . « et sur sa tête des fleurs jonquilles , mêlées parmi ses « cheveux, relevaieut merveilleusement l'éclat de ce beau '< teint de brune qu'animaient de leurs feux deux yeux « étincelanis. — L'accueil qu elle me lit redoubla le dan-
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ger de voir de si près tant de charmes ; et son langage eut bientôt confirmé l'éloge qu'on m'avait fait de son esprit. — Ah ! si j'avais pu prévoir les chagrins que ce jour devait me causer, avec quel mouvement d'effroi ne me serais-je pas sauvé du péril que j'allais courir !. — Parmi les convives que mon enchanteresse avait réunis ce jour-là, je trouvai des gens instruits, des gens aima- bles. — Le dîner fut brillant de galanterie et de gaieté, mais avec bienséance. — M"*" Navarre savait tenir d'une main légère les rênes de la liberté. — Elle savait aussi mesurer ses anémions , et jusque vers la fin du dîner, elle les distribua si bien que personne n'eut à se plain- dre. Mais insensiblement elles se fixèrent sur moi d'une manière si marquée, et à la promenade, dans son jar- din , elle laissa si clairement apercevoir l'envie d'être seule avec moi, que les convives, fun après l'autre, et sans bruit, s'écoulèrent.— Tandis qu'ils défdaient, son maître de danse arriva — je la vis prendre sa leçon. — la danse qu'elle exécuta était connue alors sous le nom de l'aimable vainqueur. Elle y déploya toutes les grâ- ces d'une taille élégante, avec des mouvements, des pas, des altitudes, tantôt fières et tantôt remplies de mollesse et de volupté. — La leçon ne dura guère pins d'un quart d'heure , et Lany fut congédié. — Alors en fre- donnant fair qu'elle avait dansé , M^^" Navarre me de- manda si j'en savais les paroles?.. Je les savais, eu voici le début :
Aimable vainqueur, Fier tyran d'un cœur, Amour, dont l'empire
Et le martyre Sont pleins de douceur !
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« Si je ne savais pas ces paroles, je les inventerais, « lui dis-je, lani le moment est propre à me les inspirer. « — Une conversation qui commençait ainsi, ne devait « pas silùl finir. - Nous passâmes la soirée ensemble , « el dans quelques moments tranquilles elle me demanda <f quel était le nouvel ouvrage dont j'étais occupé. — Je « lui en dis le titre , et ]f Jui en exposai le plan. — Mais « je me plaignis de la dissipation involontaire à laquelle M j'étais forcé. - « Voulez -vous , me dit-elle , travaille?- « en paix, à votre aise, el sans distraction ? . venez-vous « en passer quelques mois en Champagne , dans le vil- « lage d'Avenay, où mon père a des vignes et une petite « maison? — Mon père est à Bruxelles, à la tète d'un « magasin qu'il ne peut quitter ; et c'est moi qui viens « vaquer à ses affaires. — Je pars demain pour Avenay ; « j'y serai seule jusques après le vendanges. Dès que j'au- « rai tout arrangé pour vous y recevoir, venez tii'y join- te dre. - Il y aura bien du malheur si avec moi et d'ex- « cellenl vin de Champagne , vous ne faites pas de beaux « vers. » — Quelle raison, quelle sagesse aurais-je opposé « au charme irrésistible d'une pareille invitation?.. Je « me promis de partir au premier signal qu'elle me don- n nerait. — Elle exigea de moi ma parole la plus sacrée « de n'avoir aucun confident. — Elle avait, disait-elle, les « plus fortes raisons de cacher notre intelligence. — De- « puis son départ jusqu'au mien pour Avenay, l'intervalle « fui de deux mois ; el quoiqu'il fut rempli par une cor- <• respondance assidue et très-animée, tout ce qui dans « l'absence peut le plus vivemeni intéresser fespril et a lame, ne me sauvait pas de l'ennui. Les lettres (pie je a recevais, inspirées par une imagination vive et bril- • lanle, en exaltant la mienne par les plus doux prestiges.
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« ne me faisaient que plus ardemment désirer de revoir « celle qui, même en son absence , me causait ces ravis- « sements.
« Elle arriva enfin cette lettre si désirée, si impaiiem-
" ment attendue, qui devait marquer mon départ. - Ce
•< fut à mon barbier que je confiai le soin de me trouver
• un courrier de la poste aux lettres, qui dans sa carriole '< voulut me porter jusqu'il Rheims avec ma petite valise.
• — Il s'en offrit un à point nommé, et je partis. — De '. Rheims A Avenay j'allai à franc étrier ; et quoiqu'on 'i dise que l'amour a des ailes, en vérité il n'en eut pas ► pour moi : j'étais brisé en arrivant. —
" - Mais les perfides douceurs dont je fus abreuvé, '■ furent mêlées des plus affreuses amertumes ! La plus " séduisante des femmes était en même temps la plus ca ■ pricieuse. — Parmi ses enchantements, sa coquetterie « inventait à chaque instant quelque moyen nouveau " d'exercer sur moi son empire; à tout moment sa vo- " lonlé changeait, et à tout moment il fallait que la mienne - lui fût soumise. — Elle semblait se faire un jeu d'avoir
en moi, tour à tour, presqu'en même temps, l'amant K le plus heureux et le plus malheureux esclave. — Nous u étions seuls , et elle avait l'art de troubler notre soli- '< tude par des incidents imprévus. — La mobilité de ses « nerfs, la vivacité singulière des esprits qui les ani- " maienl , lui causaient des vapeurs, qui seuls auraient " fait mon tourment. — Lorsqu'elle était la plus brillanir « d'enjouement cl de santé, ses accès lui prenaient ymi K. des éclats de rire involontaires; au rire succédait une
tension dans tous ses niembies, un tremblement et des " mouvements convulsifs, qui se terminaioui par des lar-
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« mes.— Ces accidents éiaieni plus douloureux pour mol « que pour elle-même ; mais ils me la rendaient plus « chère et plus intéressante encore : heureux si sescapri- « ces n'avaient pas occupé l'intervalle de ses.vapeuis! . • « tète-à-tête au milieu des vignes de la Champagne -, • quels moyens d'affliger et de tourmenter un jeune " homme?. C'était là son élude , c'était là son génie. — « Tous les jours elle imaginait quelque nouvelle épreuve " à faire sur mon àme. C'était comme un roman qu'elle « composait en action , et dont elle anu nuit les scènes.
« Les religieuses du village lui refusaient-elles l'entrée <( de leur jardin ; c'était ponr elle une privation odieuse « et insoutenable : toute autre promenade lui était insi- « pide. — Il fallait , avec elle, escalader les murs du jar. <- din défendu — le garde venait avec s.m fusil nous prier « d'en sortir ; elle n'en tenait compte— il me couchait en « joue, elle observait ma contenance. — J'allais à lui , et « fièrement je lui glissais un écu dans lu main, mais sans « qu'elle sans aperçût, car elle eut pris cela pour un - trait de faiblesse. — « Une autre fois elle venait avec « l'air de l'inquiétude , tenant en main ime lettre ou véri- « table , ou supposée , d'un amant mallieuieux , jaloux et (( furieux de mon bonheur, qui nuMiaçait de venir se ven- te ger sur moi de ses mépris. — En me communiquant « cette lettre , elle regai-dait si je la lisais de sang-froid, « car elle n'estimait rien tant que le ct^iirage , et si j'avais « paru troublé, j'aurais été perdu dans son esprit. — »
• Dès que j'étais sorti d'une épreuve elle en inventait a d'autres, et ne me laissait pas le temps de respirer. <( Mais des situations par où elle me fit passer, la plus
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<' criiiqiift fui celle-ci — Son père ayant appris qu'un • jeune homme éiait avec elle, lui en avait fait quelque « reproche. — Elle m'exagéra la colère où il en était . — « A l'entendre, eîîe était perdue, son père allait venir me « chasser de chez lui : il n'y avait, disait-elle, qu'un seul « moyen de l'apaiser, et ce moyen dépendait de moi ; « mais elle eut mieux aimé mourir que de me l'indiquer : « c'était à mon amour pour elle à me rapprendre. — Je « l'entendais très-bien ; mais l'amour qui près d'elle me « faisait oublier le monde , ne me faisait pas m'oublier <( moi-même. — Je l'adorais comme une maîtresse, mais « je n'en voulais point pour femme. — J'écrivis à M. Na- - varre, en lui faisiini l'éloge de sa fille, et en lui lémoi- •' gnant pour elle l'esiime la plus puie, la plus innocenle « amitié. — Je n'allai pas plus loin. — Il me répondit « que si j'avais sur elle des vues légitimes (comme appa- « remment elle le lui faisait entendre), il n'était point <c de sacrifices qu'il ne fût disposé à faire pour notre bon- « heur. Je répliquai, en appuyant sur l'estime, sur l'ami- « lié, sur les louanges de sa lille. — Je glissai sur le reste. (( — J'ai lieu de croire quelle en fut mécontente; et soit rt pour se venger du refus de sa main , soit pour connaî- « Ire quel serait , dans un accès de jalousie , le caractère « de mon amour, elle choisit, pour me percer le cœur, le « trait le plus aigu et le plus dfîchirant. — Dans un de «. ces moments où je devais la croire tout occupée de « moi, comme j'éiais occupé d'elle , le nom de mon rival, •■ de mon rival jaloux dont elle m'avait menacé, fut celui « qu'elle prononça. — J'entendis de sa bouche : Ah ! mon »( cherBétisi! — Figurez-vous, s'il est possible, de quel « transport je fus saisi ; je sortis éperdu , et à grands « cris appelant ses valets , je demandai des chevaux de
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<r posie. Mais à peine m*élais-je enfermé dans ma cliani-
<t bre pour nie préparer à parlir, qu'elle accourut éche-
« velée, et frappant à ma porte avec des cris perçants et
« une violence effroyable , elle me força de lui ouvrir. —
« Certes, si elle ne voulait voir en moi qu'un malheuieux
« hors de lui-même, elle dut liiomplier. — Mais effrayée
« de l'éiat où elle m'avait mis, je la vis à son tour désolée
« et désespérée , se jeter a mes pieds et me demander
« grâce pour une erreur dont, disait-elle, sa langue seule
" était coupable, et à laquelle ni sa pensée, ni son cœur
' n'avaient consenti. — Que cette scène fut jouée , c'est
« ce qui paraît incroyable , et alors j'étais loin moi-même
« de le penser. Mais plus j'ai réfléchi depuis à l'inconce-
« vable singularité de ce caractère romanesque , plus j'ai
« trouvé possible qu'elle eut voulu me voir dans cette
« situation nouvelle, et que touchée api'ès de la violence
« de nia douleur, elle eut voulu la modérer. -- Au moins
« est-il vrai que jamais je ne la vis si sensible et si belle
« que dans cet horrible moment. — Aussi après avoir été
c» longtemps inexorable , me laissai-jc à la fin persuader
• et fléchir. — Mais peu de jours après, il fallut nous
« quitter. — Nos adieux furent des serments de nous ai-
" mer toujours, et, avec l'espérance de la revoir bieniùt,
« je revins à Paris , où la cause de mon évasion n'était
« plus un mystère : un poêle chansonnier, l'abbé dfe
« Lattaignani , chanoine deliheims, où il était alors,
« ayant appris celle aventure, en avait fait le sujet d'une
« épître à mademoiselle Navarre, et celte épîire courait
Cl le monde. »
J'interromps 1"? récit de Marmontel, que je reprcndi'ai plus tard, mon cher docteur, pour vous communiquer quelques réflexions que ce ré<iim'a suggérées. - Va d'à-
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bord esl-ce qu'on ne serait point tenté de croire made- moiselle Navarre méchante, en songeant à quels tour- ments elle condamnait l'amant qui lui témoignait la passion la plus sincère et la plus vive?.. Ensuite est-il possible de penser qu'elle avait véritablement de l'amour pour lui?.. Afin de répondre à ces deux questions, il me faut essayer d'entrer à pleines voiles dans cet océan de mystères où se meuvent le caractère el les sens d'une semblable femme: or, j avoue qu'ici gouvernail et boussole me font défaut. Je ne peux vous présenter que des conjectures, en aban- donnant totalement à votre sagacité le soin de les rejeter ou de les admettre.— Veuillez donc me prêter un moment d'aileniioD.
Selon moi, mademoiselle Navarre n'était pasméchanle, tant s'en faut : mais constamment soumise à l'empire d'une organisation romanesque et maladive, le besoin d'impressions fortes, de sil»aiions aventureuses, la je- taient dans des écarts faisant le malheur de celui qui l'aimait. Chez de tels êtres le rire est toujours près des larmes, le caprice domine sans cesse la raison. Ce qui leur est surtout antipathique, c'est le repos, c'est le bon- heur sans accidents et sans oiages. Véritables enchante- resses de la i-ace des Médées eldes Armides,dans l'espace d'un quart d'heure, ces sortes de femmes vous Iranspor-^ tent des voûtes du ciel dans les profondeurs de l'enfer. — Il leur faut chaque jour, ainsi que le disait M'"''deTencin, un beau chagrin dans une belle prairie. — En second lieu , je crois que mademoiselle Navarre , dupe d'elle- même, a cru d'abord qu'elle aimait Marmontel, mais que, dans la vérité, elle ne l'a jamais aimé. — C'est au surplus ee qu'elle déclaie positivement dans les lettres que je vais ^ous faire connaître. — La réputation d'un jeune auteur,
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que les belles dames se rlispuiaieiu, le bruit que son pre- mier ouvrage dramatique faisait dans le monde, l'ont séduite, ont excité sa vanité; son cerveau s'est exalté, mais son cœur est resté insensible. Elle n'a point été long- temps sans s'en apercevoir, sans se fatiguer, au milieu de la solitude des vignes d'Avenay,du poids delà chaîne qu'el- le s'était imposée; et celte situation à la fois fausse et péni- ble n'a pas peu contribué à anjener les scènes déplorables que raconte le pauvre Mai'moniel — Rien de plus affreux que de s'attacher à une femme qui ne vous aime qu'avec sa léte 1 J'ai connu quelques-unes de ces décevantes créa- tures, à la parole brûlante et à l'àme de glace— avec elles tout est déception, mensonge. — On se donne tout entier; ie dévouement qu'on leur témoigne va jusqu'à la folie , et en échange on n'obtient qu'une ombre — De leur pari souvent il n'y a point mauvtsise foi, parti pris de ruser, de tromper, car, dans cette soif d'émotions qui les dévore sans cesse, elles finissent par se persuader qu'elles éprou- vent ce qu'elles ne font qu'imiter. ~ Enfin elles s'identi- fient tellement avec le sentiment dont leurs lèvres seules laissent éciiapper la trace, qu elles en leproduiseni toutes les nuances, et croyent pour quelques instants à sa réa- lité. — Mais cela passe ainsi que l'éclair, et le malheu- reux qui a suivi celle lumière fragile et trompeuse, ne tarde pas à se trouver plongé dans la nuit la plus obscure et dans le désespoir, triste frnii d'une passion qui n'est pomt payée de retour.
Il y a, toutes fois, une race de femmes cent fois pire que celle à laquelle M^'" Navarre appartenait. — Cette dernière était un peu folle, avait une imaginai ion de feu. Cl se trompait elle-même, en ironq)!ini lis autres — Mai,-»
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un scnlimeiii v>';riiable pouvait un jour s'einpaier de son âme : la fin de son hisloire en offrira la preuve.— Tout au conlraire, eclles dont je parle eu ce moment, loialemenl dépourvues de cœur de sensibilité, ne sont mues que par lapins infernale, la plus dangereuse des co(iuelleries. — Voulant plaire à tout le monde, ces femmes aspirant sans cesse à faire des heureux, n'en font jamais un seul. — C'est leur manie, leur marotte, et elle repose sur une va uité insatiable, sur unégoïsme on ne saurait plusfëroce. — Mettant en usage toutes les rusçs puisées dans l'arse- ^lal du moi féminin, elles vous enlacent , vous enchaînent à leurs pieds. — Pour s'assurer de leur conquéle, ces mau- vais anges vont jusqu'à accorder à celui qui paraît dou- ter de leur bonne foi, toul ce qu'une femme honnête, dans ^a faiblesse, n'accorde qu'après mille combats, et lors- qu'elle ressent à un haut degré ctit amour qui purifie tout, quand il est sincère. — Dans certains instants elles vous disent , en feignant un accent passionné : <• Je t'aime!. . <• oui, je t'aime !.. » Puis elles éveillent les soupçons, ex- cMenl la jalousie de leur amant, et lui imposent le supplice des damnés. — Enfin, lorsque leur victoire est certaine, il an ive un jour où , tout a-coup , sans préparation , sans pitié, elles vous déclarent « qu'elles ne vous aiment pas, « qu'elles ne vous ont jamais aimé; qu'elles n'ont cédé « qu'a l'entraînement, et que c'est par pure bonté qu'elles « se sont données à vous. •• — Est-il rieude plusétiange que ce genre de bonté ?.. Est-ce qu'en avilissant la femme qui l'exerce, il ne fait pas a la fois une dupe et une victime de l'homme qui en est l'ubpit?.. Voilà cependant ce que de pelles créatures osent dire, écrire, sans que la rougeur de la honte leur moute au visage. Ah ! la vengeance, en ce Çt^s, ne serait que trop légitime !.. Mais ( elui ([u'on sacri-
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fie avec lunl d'impudeur, s'il a de la délicatesse, ne se venge point. — Il sait trouver dans son âme la force, la magnanimité nécessaire pour souflVir en silence. Il attend que le mépris l'ail enfin affranchi d'un lien indigne de lui. — Elles n'ignorent cependant pas , ces filles d'Eve dégé- nérées, qu'on a entre les mains plus de preuves qu'il n'en faut pour les perdre : mais elles aiment à jouer avec la foudre... Et d'ailleurs , est-ce qu'elles ne compienl pas, ce qui est le comble de l'audace , sur fimpunite , qu'un cœur noble, généreux, regarde connue un devoir de leur octroyer?.. Vous leur feriez entendre ces paroles de merci, qu'elles les accueilleraient avec un riie plus glacé, plus acéié qu'une lame d'acier, et avec ce mot : « Ah ! voilà des phrases!.. - qui s'échappe de leur bouche pincée, toutes les fois qu'un élan chaleureux , un cri d'indignation bien mérité viennent frappci' leurs yeux et leurs oreilles.
Vous le savez comme moi , mon auiî , les annales du t;œur humain fourmillent des faits et gestes de ces tigres- ses à l'œil noir, au doux et perfide sourire. Si le premier homme venu, eut-il la tournure et le langage du héros des Rendez-vous bourgeois (1), est le point de mire de leurs chateries, elles préfèrent pourtant s'attaquer à ceux ayant (juehjue valeur. Alors leur triomphe est bien plus com- plet, et leur orgueil satanique jouit doublement des larmes qu'elles leur font répandre, elles qui ne pleurent jamais que de dépit. — C'est ainsi que Molière a été lyiannisé par celle Armande Béjart, type du rôle de Célimène dans le Misanthrope. — Il est impossible de lire sans l'intérêt le plus vif, le plus poignant, les détails de la conversation
I) .loli <>|icr<i l'oniiqn» il'IIcilVinaii, nnir<i<}no d' Nin)|.i l^ouiiid.
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entre ce grand homme, el son ami Chapelle, sur les tour- mensdont celle misérable coquette empoisonna sa vie (1). C'est ainsi que Méhul, dont le caractère était si sensible, le talent si élevé, si passionné, devint le jouet d'une des lionnes du temps du Directoire, que je ne nommerai point, parce qu'elle vit encore — Je l'ai beaucoup connue sous l'Empire, el ce n'était jamais sans un frisson de répu- gnance et d'effroi que je la rencontrais. —Jadis reine de beauté, de grâce, de séduction , elle arrive mainionanl à l'extrême vieillesse, et achève, au milieu du délaissement le plus complet , une existence privée de tout souvenir consolant.. Ah ! je n'en doute pas (car Dieu est juste), ses froides nuits doivent être troublées par les apparitions des malheureux que, dans ce qu'elle appelait jadis ses beaux jours, elle éprouvait un plaisir extrême à écraser sous son char de triomphe 1... Grétry qui l'avait prise en haine, a cause de son indigue conduite envers Méhul, m'a souvent répété qu'il pensait à cette Circée, lorsque, dans ses mémoires , il a tracé , avec tant de chaleur et de vérité , le portrait de la Coquette smis amour (2).
fl) Voyez une curieuse brochure du lemps , ayanl pour lilre : la Fameuse Comédienne , page 18 , el /a Vie de Molière, par Tasche- reau , paçe 128.
[2] V. Essais sur la musique , tome 2 , p. 173. — Je ne citerai qu'un passage de ce morceau remarquable. — ''A quoi reconnatlrc, « dit Grétry, le manège dont usent les femmes de ce caractère''. . . M C'est un labyrinthe où la philosophie même va se perdre souvent. « C'est un commerce dans lequel on ne paye les échanges qu'avec * banqueroutes. — C'est un magasin du plus grand étalage , où tout « vous est d'abord offert de bonne grâce . quoiqu'il n'y oit rien à 0 vendre, ni à acheter. — Cost enfin, i)our l'homme vrai, sensible, « pour l'artiste, le supplice de Tanlaio. v
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Voici mainlenaiil, mon cher docteur, les leilres de made- moiselle Navarre; tllos jeileront un nouveau jour sur loul ce qu'il y a de bizarre dans le caracière de celle étran- ge personne, en augmentant les perplexités de quiconque voudra la juger. — Ces iellres ont été écrites immédiate- ment après le départ de Marmoniel, et adressées à Mon- net, alors directeur de TOpéra-Comique :
« D'Avenay, en Champagne.
•> Mon esprit est enfin moins noir, mon cher Monnet ; « il faut que je vous conte tous mes plaisirs de Rheims. « — Je passe les accidents du voyage, la peur que me fil « un loup dont je triomphai , sans le secours de mes pis- « tolels, puisque mes cris suffirent pour le mettre en '< fuite. — Dans ce périlleux moment je n'aurais pas tro- « que de voix avec Orphée ; j'aurais compté pour rien le « pouvoir de pétrifier l'animal avec le charme de mes « sons ; l'écarter me paraissait le plus sûr. — Aussi sans '« m'en fiera l'harmonie, je ne varierai jamais sur le parti « à prendre en pareille rencontre. — Jarrivai à Rheims '■ au soleil couchant ; cette remarque n'est pas inutile. — <■ Il y avait assemblée dans une maison devant laquelle je « passais, et lei^ dames étaient aux fenêtres. — Vousvoyez « que mon soleil n'est pas indifférent -, elles n'auraient « pas exposé leur teint à ses ardeuis, et un historien a fidèle ne doit rien oublier de ce qui appariienl à la vrai- <(. semblance. — On m'aperçut : depuis longten>ps on « avait de la curiosité sur mon compte; l'abbé Lattai- <■ gnanl m'a chantée, on voulait juger son ouvrage d"a- er près moi. — Deux femmes de ma connaissance arrèlc- « renl ma chaise, et m'engagèrent à descendre. — Je 'S m'en défendis :^ur nmn ur glige ; <>n m'assuia (\i\\\ éiail
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« charmatii , je le savais déjà. — Mais je me fis presser « assez pour donner à mon amour-propre un air de «i complaisance qui prévinl en ma laveur.— J'enlrai en « scène - tout païut s'empresser d'abord à me voir; on « me présenia à louies les femmes imposantes — le céré- « monial finit, et on fit cercle autour de moi. —Je débu- « lai par trois ou quatre plaisanteries; elles prirent assez '< bien, sans doute, puisque je vis presque toutes les « femmes se remettre froidement à leur jeu, et tous les « hommes me rester : celait un triomphe complet — • J'aperçus dans un coin du salon , une table où l'on « avait fait peu d'attention à mon arrivée : vous connais- « sez le cœur des femmes, voilà toute ma gloire évanouie. « — Je demandai assez dédaigneusement qui l'occupait? '( On me dit que c'était deux petites maîtresses qui ve- <■■ naieni passer trois mois à Rheims, et qui, depuis quinze « jours , fatiguaient la ville de leurs impertinences. — « L'éloge me parut modeste. — Voyez-vous, me dit ma- « demoiselle "* (à qui l'une d'elles avait enlevé son « amant), voyez-vous ces deux hommes qui jouent avec « elles? , ce soni les plus aimables d'ici et les plus sots « cependant ; cai' ils se sont laissé subjuguer par les mi • " nauderies de ces déesses. — Depuis qu'elles s'en sont « emparé d'autorité, nous ne les voyons plus. — Encore « si c'était vous qui nous les enlevassiez, on vous le par- « domieiait ,• et à eux aussi : mais deux bégueules qui « n'ont pas le sens commun 1 vous devriez bien nous ven- u ger et leur ôlei' leurs conquêtes. — Je plaisantai beau- ■ coup sur la proposition qu'on me faisait; la conversation « s'anima, et sur la fin, à l'air sérieux dont on m'en par- « lait, je crus qu'on voulait m'en faire un point d'honneur. -' — Celle punie inléressunle terminée, mademoiselle ***
— on —
" me [jréseiila ces deux merveilleux, que je l'eçus assez « légèremenl. - Les deux femmes vinrent se meure vis- " à-vis de moi. — Je voulus d'abord eonnaîlre leur ion, et «^ louid'un coup j'élevai le mien jusqu'à elles. — Me voilà ( dans un fauteuil , d'un air tout anssi penché, à faire « d'abord assaut de nœuds et de mines- —Elles parlèrent, « je les décidai du Marais; et avec trois ou quatre mois « (délicieux, supérieur, divin el persiffler^, je leur fis « sentir la supériorité du faubourg Sl-Geimain. — Elles « n'y tinrent pas, et elles sortirent pour la promenade. - « J'assurai mademoiselle *'* que c'était un prétexte , et « qu'elles auraient des vapeurs pour toute la soirée. — « Je fus abordable après leur dépari, ot le mien laissa la « liberté de méjuger a leur tour. — Je sus le lendemain " que j'avais réussi ; mais comme il (allait me ti'ouver un fv défaut, tout le monde convient (pio je semais l'andjre. « — Voilà, mon cher Monnet, mon début à Rheims. — « J'y ai été quatre jours environnés de tous les brillants « de la ville. - De ces deux agréables, l'un m'est échappé " et l'autre m'a fait une coui" ties-régulière. — Adieu, mon " cher Monnet »
« A propos, vous avez toujours U; commandement « aisé ; *ous voulez que je réponde à des gens qui ont " plus d'esprit que moi. — Vous êtes comme ces goui- « mands (la comparaison vous assomme), qui mangeni le « miel qu'apprêtent les abeilles , sans songer aux peines « qu'elles ont pour recueillir le suc des fleurs qui le com- « pose. — Parce (|ue vous voila familiarisé avec l'esprit' « et que vous passez vos jours avec des gens qui en ont <' à souliail, vous ferez le merveilleux, el l'on ne pourra <■ vous aborder fprave<' de l'espril ?.. il faut (jue vous vous
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« accoulumiez aux caprices et au hasard du mieu. — « Tenez, mon cher Monnet, je veux bien vous en faire « l'aveu : je n'en ai jamais quand je m'ennuie.— Je végète « ici avec une fourmillière de sois , et je mène une vie « extraordinaire. - Je dors jusqu'à ce que le soleil se « couche ; je cours ensuite à mon cheval; nous nous en <■ allons tous deux sans mot dire, et sans en penser guère « davantage. — Il me mène où il veut, et nous revenons « sans savoir où nous avons été. —Je gronde en arrivant; a on me sert à souper; je mange presque aussi vite que « vous, mais pas si longtemps. —Je trouve mes villageois " jouant à la main-chaude , aux barres , ou au corbillon. « — On lire les gages, on se baise, et on se fait des con- te fidences d'une fadeur'... Onze heures sonnent, mon ce gentilhomme examine la batterie de son fusil, et déclare « qu'il doit être le lendemain, au point du jour, à l'affût. '• — On se lève, on part : voilà la fin de l'ennui pour tout a le monde ; mais moi il faut que j'attrape quatre ou cinq « heures du malin.— Je me promène, je lis, j'écris, et je « pense que j'ai encore trois mois à rester ici. — Adieu, •< mon cher Monnei ; si vous ne venez pas bientôt , jo « mourrai de tristesse. »
D'Avenay, ce. .
• Je vous écrivis hier huit pages , et je ne me souviens ff pas de vous avoir dit un mol de notre voyage —Je vous <( assure, mon cher .^lonnei, que, si vous en eussiez été, « j'aurais bien ri. — IVien n'était plus amusant que l'em- « barras de l'abbé. — Déplus loin qu'il découvrait un clo- <( cher, il moulait mon petit acajou, et passait fièrement • le village; mais sa gloire durait peu, et je ne lui donnais
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• pas le lemps de regarder derrière lui pour en desceii-
• dre. — Malgié tout mon chagiiii je ne pouvais ni'empè- p cher de rire de la transition lapide de sa gloire à son « humiliation. — Ce qu'il y avait de meilleur, c'était de <« voir le combat de sa vanité avec sa paresse. — Un orage « affreux les mit d'accord ; la pluie lui ôtail la force de «• marcher, et le voilà , malgré l'indécence , grimpé sur ce l'impériale de ma chaise, d'où il examinait la nue pour «' m'en rendre compte. — J'étais saisie d'effroi ; chaque <c éclair me faisait fermer les yeux. — Pfiamphalei^X) rai- ft sonnant en physicienne sur railraclion de l'air, crai-
• gnail de l'agiter, et d'attiser le tonnerre, en se grattant « le bout du nez. — Elle y avait une démangeaison qu'elle " n'osait satisfaire, et me confiait sur cela ses besoins et « ses frayeurs avec les expressions les plus comiques. — « Elle prétendait que l'abbé, étendu sur notre impériale, « tentait le céleste courroux, et nous amènerait quelque « disgrâce. — Enfin, moi, qui suis la créature la plus peu- « reuse, je ne pouvais retenir les éclats de rire que nos M idées faisaient éclater.,. iS'otre voyage n'a pas été heu- « reux, et pourtant on ne peut en faire un plus gai : nous « n'avons pas eu le temps de nous ennuyer un moment. « — Quant nous ne savions plus que nous dire, nous n'a- « vions qu'à siffler; notre postillon nous versait tant que <• nous voulions, et rien ne fournit autant que cela à la - conversation. - On commence par se plaindre, on se w croit roué ; puis insensiblement tous les membres se « retrouvent à leur place. — On n a plus que son bonnet n et ses mules à chercher, la voiture à lelever ; ce sont <• des riens, mais cela nous amuse. — Cependant, comme
(t) Jeune négresse , appartenant au maréchal de Saxe.
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« l'usage peu ménagé des plaisirs en (Mnousse le goût ^ « celui de vei'ser in'esl devenu insipide, et j'ui pris la « poste à Soissons, pour me tirer des mains de mon pos- « tillon, qui m'aurait tuée infailliblemeni par sa mala- « dresse el sa lenteur. — Je suis enchanté, mon cher <• Monnei, que mademoiselle V... vous fasse passer quel- « ques moments agréables : je ne crois pourtant pas que « cela dure longtemps (1). Les gens qui ne sont pas d'un « commerce sûr perdent à être connus. —Je crois la fran- « chise nécessaire à l'amitié — J'en ai trop vis-à-vis de « vous pour ne pas vous avenir de vous défier de ses ca- « resses ; et j'espère obtenir de la vôtre que vous évile- ' rez de la voir — Adieu, mon cher Monnet ; arrangez > os <i affaires de façon que vous puissiez me venir visiter • bientôt, et rester deux mois avec moi —A propos, il y « a ici une comédie. — C'est le souffleur qui joue les " grands rôles; Mérope est à faire pouffer de rire ! »
A Avenay, ce ..
(( Je vois , mon cher Monnet, que vous n'avez pas une u foi bien vive en ma raison. Les fausses lueurs que vous « avez vu tant de fois éclipsées par un caprice, par une .. fantaisie, semblent justifier votre incrédulité. — Mais . ces faibles claités n'étaient que des saillies de mon hu- « meur, des boutades, l'ouvrage d'un dépit, plus souvent a encore des projets de misanthropie et de singularité « propres à conduire à la folie par un chemin détourné «» —Aujourd'hui je cherche la raison.— Vos questions sur « cette matière ne m'ont pas du tout offensée. — Je ne les <( regarde point comme une critique des lidicules aux-
(I) Aurore Verrière, qui fvil aussi la mallrossc du maréchal et cl» Murmonlel.
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« quels je me suis livrée. — Vous connaissez la (lidrieulh'' « de réfléchir; el ma raison vous paraît plutôt un miia- « cle, une chose surnaturelle que refl"et de mes réflexions. « — Plaisanterie cessante (car c'en est une que je fais à « votre jugement), je crois, en vérité, que le bon sens • sera bientôt la partie amusante de mon esprit. — A - propos d'esprit, une femme de ma connaissance m'a " écrit que Marmonlel se plaignait de mon silence à son « égard. — Il faut qu'il soit devenu fou; je ne me connais n aucun lorl envers lui Je suis natuiellement paresseuse; « je n'aime à écrire qu'à ceux qui me plaisent beaucoup, « et ceitaincment il n'est pas de ce nombre. — Je lisais «' ses lettres et ses vers avec une sorte de plaisir ; mais « voila tout. — Il est amouieux de moi ; je n'ai que de l'a- rt mitié à lui ofl'rir. II se désespère , il se fâche, il se rac- (« commode, il me hait, il m'aime, et puis il me déleste: à « lui permis. — Je n^* m'afllige de rien. L'indifl'ércnce est « un état tranquille. — Mais, croyez m'en, mon cher Mon- « net, Marmontel est auprès d'une femme le mortel le « plus maussade et le plus ennuyeux qu'il soit possible « de trouver, surtout quand il est amoureux. - Chaque <c fois qu'il s'c! t avisé de ni'entreicnir de son amour, il « m'a toujours laissé des vapeurs pour vingf-quaire heu- « res. — Vous me marquerez le jour de votre départ et « l'endroit où je pourrai vous adresser mes lettres à Lon- <( dres. »
Ainsi , cher docteur, Marmontel n'avait jamais été aimé. Dès-lors les lettres que je viens de citer, en les comparant avec son récit, ne s'expliquent que par les ob- servations que j'ai faites sur le caractère bizarre de made- moiselle Navarre Sans ces observaiions, la conduite de celle dernière paraît odieuse 1 Avec elles, elle se conçoit
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el se justifie, jusqu'à un certain point, pui' la singularité, le caprice , le romanesque louchanl de près à la folie , d'une organisation dont souvent elle était elle même la dupe, et dont elle finit par être la victime. — Il se peut aussi que l'amour-propre de Marnionlel lui ail fait exagé- rer les témoignages de tendresse que , dans cerlJlins in- stants, il prétend avoir reçus d'elle. — Quoi qu'il en soit, il jui adressait des épîlres brûlantes qui restaient sans ré- ponse. — Le chagrin s'empara de son ùme ; il soupçonna qu'il était oublié, trahi peut-être. — Hélas ! ce soupçon devint une réalité ! Un soir, dans le foyer de la Comédie- Française, il apprit que mademoiselle Navarre, alors de retour à Bruxelles, menait enchaîné à son char un autre amant, dont elle était amoureuse, et qui en était idolâtre. Accablé de douleur, Marmontel alla tomber malade chez lui, sous le coup d'une fièvre ardente.
Ce nouvel amant de mademoiselle Navaiie , était le chevalier de Mirabeau , frère de ce soi-disant ami des hommes, qui fut le père du grand orateur, et le lyran de toute sa famille. — Le chevalier n'avait que le nom de commun avec ce faux philanthrope, car c'était le mortel le plus doux, le plus sensible, et le plus tendre qui ait jamais existé. — Beau de figure, noble de manières , il cultivait tous les arts avec succès. — Sa passion pour M^""" Fel , du Grand-Opéra, avait fait grand bruit dans les coulisses el dans les salons. (1) Trompé par elle, il tomba dans la plus profonde mélancolie, s'éloigna
(1) M''"'' Fel était première chanteuse à l'Académie royale dé musique. — Ce fut elle qui créa le rôle de Colette dans le Devin du village (V. les Confessions do J.-J Rousseau).
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du monde, et se disposa a aller ensevelir- ses jours au fond d'un cloiire - Doué d'une unie à la fois lendie el aus tère , cel aimable genlilhomme avait plus d'un rapport avec le célèbre Rancé, le réformateur de la Trappe : mais son caractère était moins ferme, et par cela même moins susceptible de ténacité dans ses résolutions. — Mademoi- selle Navarre à peine arrivée à Bruxelles, s'était décidé- ment brouillée avec le maiéchal de Saxe. — Elle ouït parler du chevalier de Mirabeau, de ce modèle de con- stance, chose si rare au xviii^ siècle ; et comme tout ce qui était extraordinaire lui plaisait , s emparait avec force de son esprit, elle n'eiit point un instant de repos jusqu'à ce qu'elle fut parvenue à se rapprocher de lui. — Retiré en Belgique, le chevalier avait pris un appartement dans un faubourg de Bruxelles, et n'en soitait que pour aller à l'église, et visiter un vénérable ecclésiastique qui l'encon- rageaii dans ses idées de reii'aite, et de renoncement aux vains et dangereux plaisirs de la société. — Mademoiselle Navarre loua deux pièces contiguësà celles qu'il occupait, alla les habiter avec une lille de chambre fort adroite, qu'elle traitait en amie, et qui, depuis plusieurs années était à son service. — Là elle vécut, simple dans ses ha- billements el dans ses actions; édifiant ses hôtes qui ne concevaient pas qu'une aussi chaimante personne ne sor lit de sa retraite que pour assister au service divin , et faire l'aumône aux pauvres du quartier.
On était alors en plein printemps ; la nature renaissait sous les rayons d'un beau soleil de mai , et le chant des oiseaux, le parfum des fleurs, la sérénité du ciel plon- geaient l'àme dans une vaporeuse extase. — Un soir, le chevalier de Mirabeau appuyé sur le balcon de sa fenêtre
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eiiiendit le son d'un sistre, acconipagrjanl une voix aussi douce qu'expressive. — Celle voix chaniaii la pastorale suivante, dont les paroles, si l'on en excepte le refrain emprunté à des stances religieuses de Berlaut , évèque de Séez , sont assez communes , mais dont la musique est le chef-d'œuvre d'Albanesi , et la plus charmante inspiration mélodique qui soit jamais sortie d'un cerveau humain (1) :
Au bord d'une fontaine Tyrcis brûlant d amour, Gonlait ainsi sa peine Aux échos d alentour : Félicilé passée , Qui ne peux revenir ! Tourment de ma pensée , Qu3 n'ai-je en le perdant perdu le souvenir '
J'aimais une bergère , Je possédais son cœur ; Mais, hélas ' sur la terre Il n'est pas de bonheur : Félicité passée. Qui ne peux revenir! Tourment de ma pensée , Que n'ai-je en le perdant perdu le souvenir !
(l) Albanesi, que l'on appelailen France Albanèse, ou d Albanèse, étail un sopraniste , élève du Conservaloire de Naples. — 11 vint à Paris en 1747, à l'âge de 18 ans, et fut de suite engagé à la chapelle du Roi. — En 1"52 , on le nomnaa premier chimtour du Concert spi- rituel — Il a composé un grand nombre d'airs et de petits duos raii.plis de mélodie. — Celait le Blangini du )8'' siècle.
Hommage àHoger de l Opéra.
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Il vaut mieux , disait-elle , Mourir que de changer ; Maintenant l'infidèle Aime un autre berger : Félicité passée , Qui ne peux revenir ! Tourment de ma pensée , Que n ai-je en te perdant perdu le souvenir I
0 jours dignes d envie , Je ne vous verrai plus! Au printems de ma vie Vous'ôtes disparus : Félicité passée , Qui ne peux revenir ! Tourment de ma pensée , Que n'ai -je en te perdant perdu le souvenir !
En eniendant celle pastorale, le chevalier qui senlail vivement la musique éprouva un ravissement exrième ! La voi\ de mademoiselle Navarre, ce refrain s'appliquani si bien à la situation d'un cœur malade d'amour produi- sirent sur lui un effet tel que, pour la première fois depuis l'abandon de sa perfiide maîtresse , il vei sa d'abondantes larmes. — Les médecins philosophes expliqueraient sans doute on ne saurait mieux , par (juels ressorts cachés l'être, qu'une affection morale soumet à sou triste empire, se irouve transfoimé lorsqu'on parvient à le faire pleurer. — Cette explication vous me la donnerez , mon cher docteur, et je suis persuadé qu'elle sera aussi lucide qu'intéressante. — E\i attendant je me borne à constater» qu'a partir de ce mouient Mirabeau fut sauvé, et se ratta- cha progressivement à rexistoncc.
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Oïl concevra, du resle, qu'il ait cherche à connaître la personne dont la voix lui avait causé une si profonde im- pression. — Aussi le lendemain suivit-il mademoiselle Navarre, lorsqu'elle se rendit à l'office du matin. — Char- mé de ses grâces modestes, de sa figure si séduisante , il lui ofl"rit de l'eau bénite au moment où elle quitta l'église pour retourner chez elle. — «Mademoiselle, lui dit- il, « nous habitons la même maison, et je m'estimerais bien « heureux si vous me permettiez de vous offrir la main « pour vous reconduire » — C'est en baissant les yeux qu'elle accepta cette proposition , et comme elle venait d'atteindre le but qu elle poursuivait avec ardeur depuis plusieurs jours, et que le chevalier commençait à être fortement épris , la conversation fut aimable, tendre, et en arrivant au logis ils étaient déjà les meilleurs amis du monde.
Une révolution totale s'opéra dans les idées de made - moiselle Navarre, à dater de sa liaison avec le chevalier de Mirabeau. — Sa vingt-quatrième année venait de s'ac- complir; jusque-là elle s'était montré plus que légère, cédant à tous les vents du caprice, mais bien plutôt roma- nesque que libertine — La raison lui fit enfin entendre sa voix. —Elle pensa au triste avenir des femmes qui, comme elle, effeuillaient sans réflexions les roses de leur prin- lems, et atteignaient à l'automne d'une vie follement dis- sipée, sans appui, sans liens durables, et n'ayant plus que de stériles regrets. — Ses mœurs se purifièrent, et Mira- beau, entraîné par la passion lui ayant annoncé que son intention était de l'épouser, elle fit acte de franchise et de probité, en lui avouant ses fautes, et en paiiiculier l'inti- mité qui avait régné entre elle et Marmoniel. — « Maiu- « tenant, chevalier, lui dil-elle (en terminant sa confes-
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« sion), vous voyez bien que je ne suis pas digne de « devenir voire femme?.. — « Vous ne vous rendez pas « justice, répondit-il, en tombant à ses genoux; car l'aveu « que vous venez de me faire prouve à quel point votre « cœur est honnête, et il augmente encore le désir que « j'ai d'unir mon sort au vôtre. » — Apres plusieus jours de tendres débats, dans lesquels elle se fit voir aussi sin- cère que désintéressée, elle finit par accepter la main du chevalier : mais il fut convenu qu'il ferait d'abord le voyage de Paris pour réclamer de Marmontel les lettres qu'elle lui avait écrites, ce qui eut lieu. — Puis ayant appris que le pauvre poète était gravement malade du chagrin de l'avoir perdue , elle se rendit dans la capitale et alla le visiter, accompagnée de Mirabeau.
De nouveau, mon cher docteur, j'abandonne à l'auteur de Béiisaire, le soin de rendre compte de cette entrevue. Vous allez voir mademoiselle Navarre s'y montrer, pour quelques instants, en dépit de ses beaux projets de ré- forme, plus étrange, plus originale que jamais :
« La fièvre ne me quittait pas ; j'étais mélancolique ; je " ne voulais plus voir personne — je sentais le besoin de « respirer un air plus vif que celui du quartier du Louvre; « je voulais me donner pour ma convalescence une pro- " menade solitaire; j'allai loger dans le quartier du '< Luxembourg.
« Ce fut là , malade encore , dans mon lit, en l'absence '■ du Savoyard qui me servait , que j'entendis un malin a quelqu'un entrer chez moi.
« Qui est-là?.. — On ne me r(''pond point; maison « enlr'ouvre les rideaux de mon alcôve , et dans l'obscu-
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« rilé, je me sens embrasser par une femme dont le vi- « sage, appuyé sur le mien, me baignait de larmes. — « Qui èies-vous? demandai-je encore » — Et sans répon- « dre, on redouble d'embrassenients , de soupirs et de « pleurs. — Enfin, on se lève, et je vois mademoiselle <■ Navarre, en déshabillé du matin, plus belle que jamais, « dans sa douleur et dans ses larmes — « C'est vous, « mademoiselle, m'écriai-je !. — qui vous amène?. Vou- « lez-vous me taire mourir?.. » — En disant ces mots, <• j'apperçus derrière elle le chevalier de Mirabeau , « immobile ei muet. — Je crus être dans le délire. — ce Mais elle , se tournant vers lui d'un air irogique : « — Voyez, monsieur, lui dit-elle, voyez qui je vous « sacrifie!... l'amant le plus passionné , le plus fidèle , le (( plus tendre , et le meilleur ami que j'eusse au monde ; M voyez dans quel état mon amour pour vous Ta réduit , <i et combien vous seriez coupable , si vous vous rendiez « jamais indigne d'un tel sacrifice !» — Le chevalier était pétrifié d'étonnement , et d'admiration. « — Ètes- « vous en état de vous lever? me demanda-t-elle? » — « Oui, lui dis-je. » — « Eh bien! levez-vous et donnez- « nous à déjeuner ; car nous voulons que vous soyez « notre conseil , et nous avons à vous communiquer des « choses de grande importance. >
« Je me lève , et mon Savoyard étant arrivé , je leur K fais apporter du cale au lait. — Dès que nous fûmes « seuls : '< — Mon ami , me dit-elle , M. le chevalier e^ « moi nous allons consacrer nos amours aux pieds des « autels , nous marier, non pas en France , où nous « aurions bien des diffîculli's à vaincre, mais en Hollande, « où nous serons libres. — Le maréchal de Saxe est
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« tiiiieiix de jalousie. —Voici la lettre qu'il m'a ('crite.-- « Il y traite légèrement M. le chevalier ; mais il lui eu « fera raison. •> — Je lui représentai qu'un rival jaloux « n'était pas obligé d'être juste envers son rival , et qu'il « ne serait guère ni prudent, ni possible de s'attaquer au « maréchal de Saxe. « — Qu'appelez-vous s'attaquer? « reprit-elle; en duel , l'épée à la main? Ce n'est point « cela : je ne me suis pas fait entendre. — M. le chevalier «: après son mariage , s'en \ \ demander du service à « quelque puissance étrangère : il est connu , il peut « choisir. — Avec son nom , sa valeur, ses talents , et « cette ligure , il fera un chemin rapide ; incessamment « on le verra à la tète des armées, et c'est dans un champ « de bataille qu'il se mesurera avec le maréchal. <( — Fort « bien, mademoiselle, m'écriai-je, voilà ce que j'approuve, « et je vous reconnais l'un et l'autre dans un projet si « généreux. — Je les vis en effet aussi fiers et aussi con- « lents de leur résolution ({ue si elle avait dû s'exécuter « le lendemain. '
C'est à la suite de cette visite faite à Marmontel que les deux amants allèrent en Hollande où ils se marièrent. — Hfilasl pour leur repos ils n'auraient pas dû quitter ce pays , mais le désir de revoir la France s'empara de leur pensé(î, et ils vinrent se fixer à Avignon.— Pendant deux années ils y vécurent d'autant plus heureux , que made- moiselle Navarre , revenue de ses erreurs , témoignait à Mirabeau une tendresse égale à celle qu'il lui portait. — Sa beauté était alors dans tout son éclat, el la vivacité de son esprit tempérée par la raison , sa bienveillance la faisaient adoreide tomes les personnes qui fri-queni aient leur maison. — KUe devint cni^einte; les douceurs et les joies de la maternité allaient donnei' de nouveaux charmes
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à l'union qu elle avait contraclée. — Cependant le frère du chevalier, ce tartuffe de la philanthropie , dont l'exis- tence s'est passée à solliciter des lettres de cachet d'un pouvoir absolu, et à faire embastiller ses paients, trouva fort mauvais que son cadet eût épousé mademoiselle Navarre (1). — Aux yeux de ce grand philosophe, de cet ami des liommes , ainsi qu'il s'intitulait , c'était un crime impardonnable que cette mésalliance d'un membre de la famille des Riqueiti, avec la fille d'un petit bourgeois, d'un vilain. — Si le mécontentement du marquis de Mirabeau avait eu pour cause la conduite plus que légère tenue jadis par mademoiselle Navarre, la rigueur qu'il déploya aurait du moins offert l'apparence d'un motif respectable : mais il n'en fut rien. On sait d'ailleurs ce que valait la moralité de ce fier marquis , et dans cette circonstance les seuls mobiles qui le firent agir furent l'orgueuil et la méchanceté.
Il obtint l'ordre arbitraire de l'arrestation de son frère dans les Étals du Pape ; et des sbirres s'introduisirent chez le chevalier, au moment où sa femme était en couches. — En les voyant entrer dans son appartement cette dernière fut saisie d'une frayeur extrême I... D'hor- ribles convulsions se déclarèrent , et malgré tous les secours de la médecine , elle mourut , ainsi que l'enfant qu'elle portait dans son sein.
(1) « 11 y a <'ii , di<ail Mirabeau le célèbre oralenr. 54 lellres do « cachet dans ma famille. — J'en ai eu 17 pour ma pari. — Vous « voyez que j'ai élé traité en aine de Normandie. « — Le marquis l'avait successivement fait enfermer à l'ile de lîlié. au fort de Jeux , et au donjon de V'incennes. — Quel bon père que M. le marquis de Mirabeau !!l
— 591 —
Telle fut, mon cher docteur, la fin de 'mademoiselle Navarre ; de cette femme que la nature avait douée de tant d'attraits, de séduction , et pour laquelle, au milieu de ses erreurs , je ne puis m'empècher de ressentir un vif intérêt.— Ses fautes furent à la fois le résultat de sou orga- nisation, et des mœurs de son siècle. — C'était le temps où les vierges folles tenaient le sceptre ; où, comme les Nonnes de l'opéra de notre grand Meyerbeer, elles dan- saient la coupe à la main , à la lueur étoilée du feu de mille bougies , entourées d'adorateurs qui n'étaient plus que les spectres des chevaliers d'autrefois , et d'abîmes ne devant pas larder à s'ouvrir pour engloutir une société corrompue , sceptique , et railleuse. — Sans doute nous sommes plus sages maintenant , mais sommes-nous plus heureux ?... C'est une question que je n'ose pas me per- mettre de résoudre. — Serez-vous , à cet égard , plus audacieux que moi?...
En attendant votre réponse je vous envoie mademoi- selle Navarre. — Examinez-la avec toute l'attenlion du médecin-psychologue , de l'homme aimable , spirituel ; interrogez, sondez ce cœur qui ne se connaissait pas lui- même, et prononcez sa condamnation ou son absolution. Votre arrêt sera le mien.
Octobre 1852.
LE POir.XARD HE D0\ V DOLOHES.
A LA MEMOIRE DE GABRIELLE ALLAN.
L'Iiuruaiiitc l'impiouve, Mais la venu l'approuve. . . Je me borne à conter.
fl.A BALIADE Dr POIGN\R0'
LE POIG\ARD DE DOIVA DOLORES.
UN MOT SUR CETTE BALLADE.
Gabrielle Allan ëiail la seconde fille de M'"'' Dorval. Jamais figure plus séduisanle ne fui accompagnée d'un esprit plus vil", plus distingué ! Je l'avais connue enfaiil chez sa mère, et loisqu'à dix neuf ans on la plaça en Angleterre, pour lerminei- son éducation, mon ami Merle vint passer quelques jours avec elle chez moi, avant de la conduire à Londres. — Le climat de ce pays si bru- meux, si triste, développa en elle une maladie de poi- trine, dont elle avait reçu le germe en naissant Dix huit mois s'étaient à peine écoulés , lorsqu'un jour elle nous revint atteinte au second degré de la cruelle maladie qui la fil périr un au après. Pendant trois semaines elle fut l'objei de tous nos soins, afin de la mcltie en étal de rejoindre sa mère qui l'attendait a Paiis. — Au milieu de ses souffrances, elle déployait un courage extraordinaire, et dans les courts intervalles de repos que lui laissaient la fièvre hectique et une toux opiniâtre, son esprit était ( 'une gaîté, d'une finesse, d une originalité plus remar- quables que jamais 1
Un soir elle me monira un peiil poignard de jarretière espagnol que je trdiivai Inri jcili. •■ — Faites-moi, médit-
-^ 59G —
« elle, d<*s vers sur ce poignard, pour mou album, ei je « vous le donnerai. •
Une heure après je lui réciiai la ballade qu'on va lire, ei qui depuis a éié placée dans un kepseake, avec une délicieuse vignelle anglaise.
J'ai fait cadeau de ce poignard à ma chère fille Amélie, el pour elle, comme pour moi, c'est un précieux souvenir de lune des créatures les plus charmantes qu'a l'aurore de leur existence, le ciel ait ravies à la terre 1 1
Elle était noble et fière. Et dans sa jarretière Elle avait un poignard ; Poignard à lame nue. Que cachait à la vue Sa jupe de brocard.
« Dolorès, ô ma fille, « Que dans la main il brille, '< Pour venger la pudeur, « Si quelque téméraire ! . . . Ainsi parla sa mère, Sur son lit de douleur.
Et bientôt elle expire. . . Tel un flambeau de cire, Uoni s'use l'aliment, Projette dans l'espace Sa lueur qui s'efface, El s'éleini douccnieni.
— 597 —
Au vœu de mon fidèle, Depuis la damoiselle A fui les séducteurs; Pâle el sage elle prie A l'auielde Marie, Qu'elle couvre de lleuis.
Or, Feruaiid de Casiille Voyaul si belle fdie La poursuit en tous lieux ; Sans vergogne il réclame Un soupir de son âme, Uu regard de ses yeux.
L'amant, en embuscade, Donne en vain s('rénade Sous l'antique balcon , Car la grille discrète Reste close el muelle, Malgré tendre cliausou.
Alors, dans sa folie, Il jure, sur sa vie, D'enlever Dolorès ; Sa cavale Isabelle Emporieia la belle De Séville à Xérès.
Un soir, voyez l'audace ! A l'église il l'embrasse, Lui disant : « Sois à moi Puis saisissant sa manie. Il l'entraîne, liemblanio De coler'; el d'ellVoi.
— 598 —
Mais, dompiani sa faiblesse, La vierge avec adresse Du poignard prolecleur S'empare ! . . . . En sa vengeance Son bras ferme le lance Au flanc du ravisseur.
Fut-elle bien coupable ? Sur ce fait lamentable On pourra discuter : L'humanité l'improuve. . . Mais la veiiu l'approuve : Je me borne à conter.
FIN.
TABLE DES MATIÈRES.
Avant-propos .• v
Merameling • . . . . ii
Calalogue de ses œuvres 27
Appendice à 1 étude sur sa vie 41
Bruges, poésie 45
Benvenuto Cellini 51
Watteau 63
Catalogue de son œuvre 94
Appendice 112
Nattier 117
Appendice 1 42
Pater 1 45
Catalogue de son œu v re ICI
Chardin 173
Addition 187
Catalogue de ses tableaux 190
Tableaux sans dates précises 200
Son œuvre gravée 203
Hubert Robert 2« I
Le chant de Léonard de Vinci r 23 1
60<) —
Art musical.
De l'abandon des anciens compositeurs 237
Eloge historique de Monsigny 259
Appendice , 278
Catalogue 280
Gossec 316
Ma première visite à Grétry 323
Richard Cœur-de-Lion 33<
Appendice 361
Lesueur. . 367
Appendice 376
Meyerbeer 381
Addition 393
Paganini • 397
Joseph Dessauër 411
Trois anecdotes musicales 419
Hommes de lettres, savants, artistes dramatiques et mélanges.
Notice sur Jehan Molinet 429
Les Sanlecque 449
Lesage à Bou!ogne-sur-Mer 457
Eloge historique du baron de Courset 467
Michaud, de l'Académie Française 483
Talma 50
Marie Dorval et Merle 525
Ferare 543
Le fantôme du Tasse 550
Mademoiselle Navarre 555
Le poignard de Doira Dolorès 593
ElUlAl A
PAGKS LIGNES
49. — 23. — Au lieu lie.
0 Au talent vaincu de sort. i> Lisez : « Au talent vaincu du sort. »• 67. — 13. — Au lieu de : comme fêtasse, lisez : comme le
Tasse. 94. — tO. — Au lieu de : Siroin, lisez : Sirois. 128. — 2. — Au lieu de : était; lisez : était, <5<. — 15. — Au lieu de: vivement touché de ces avances,
lisez : des avances. 154. — 6. — Au lieu de : porte son nom, lisez : porte son
nom. 243. — 23. — Au lieu de : de ses pane'giristes, lisez ; dr ses
panegiristcs . 251. — li. — Au lieu de: po^ili, lisez; positif
— G02 —
256. - JO — XuWqu de : joue Mirope^ Usez: joue Mc'rope. 256. — IS, — Au lieu de: commenctnt donc à baisser, Wsez
commence à baisser. 262. — 10. — Au lieu de : afin de la cul .. lisez : afin de la • cul-
— Au lieu de : a salle, lisez : la salle.
— Au lieu de : composés par lui, lisez : composés par lui. —
— Au lieu de : il travaillé encore, lisez : il tra- vaillait encore.
— Au lieu de : doublées de cornes, lisez : doublées de corne.
— Au lieu de : l'habile Tallemanl, lisez : l'habile Tillemant.
— Au lieu de ; apporta, lisez : apporta un. . .
— Au lieu de : c'élai. . lisez : c'était.
— Au lieu de: les frères Taubin, lisez ; Baukin.
— Au lieu de : rôles qu'on l. . lisez : rôles qu'on
lui. . . 504. — 23. — Au lieu de quoiqu'en génér . . Visez: quoiqu'en général.
Je laisse à mes lecteurs le soin de corriger les fautes qui peuvent encore exister dans ce volume.
NOTE ESSENTIELLE.
Le portrait en tête de cet ouvrage est celui de la célèbre danseuse Cupis de Camargo, dont il est question dans l'étude sur Natier, page 135, et dans Mademoiselle Navarre, p. 555. — C'est une eau-forto faite par Edmond Hédouin.
La musique de la Pastorale d'Albanesi doit être placée entre les pages 584 et 585.
279. |
— 10. |
291. |
— 12. |
318. |
— 7. |
361. |
— 5. |
376. |
— 11. |
423. |
— 27. |
442. |
- 15. |
473. |
— 8 |
504. |
— 22. |
^,^
K Hedouin, Pierre 1LM5 Mosaïque
H5
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