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DE LA

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Les Musiciens de )a Sainte-Chapelle du Palais, docu- ments inédits, recueillis et annotés. Paris, Picard, 1910.

MUSIQUE

ET MUSICIENS

DE LA

VIEILLE FRANCE

PAR

MICHEL BRENET

LES MUSICIENS DE PHILIPPE LE HARDI

OCKEGHEM MAUDUIT

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE

PARIS

LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN

08, BOULEVARD S AI N T - G E R M A I N , 108

191 I

Tous droits de traduction et de reproduction r.^servés

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MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Les études réunies dans ce volume ne sont pas inédites. Elles ont paru : celle sur « les Musiciens de Philippe le Hardi », dans la revue mensuelle S. I. M.^ en 1907 ; « Jean de Ockeghem », en 1893, dans le tome XX des Mémoires de la Société de VHistoire de Paris et de V Ile-de-France ; « Jacques Mauduit », dans la Tribune de Saint-Gervais, en 1901 ; r « Essai sur les origines de la musique descriptive », dans la Rivista musicale ita- lianUy de Turin, en 1907- 1908. En les réimprimant, nous les avons refondues et nous nous sommes efforcé de les complé- ter à l'aide des travaux publiés sur les mêmes sujets depuis l'époque de leur pre- mière rédaction.

Brenet.

LES MUSICIENS

DE

PHILIPPE LE HARDI

Il serait grandement désirable qu'un érudit, musicien ou non, mais patient et conscien- cieux, entreprît de réunir et de publier les documents relatifs aux chantres et aux ménes- triers des ducs de Bourgogne, qui sont épars dans les archives et les bibliothèques de Dijon, de Lille, de Bruxelles et de Paris. Ber- nard Prost avait commencé ce rude travail, et projeté d'écrire une « Histoire des Arts dans les deux Bourgognes pendant le moyen âge et la Renaissance », où, contrairement aux tradi- tions longtemps maintenues parmi les archéo- logues, il entendait bien comprendre la mu- sique. Trop tôt enlevé h la science et à ses amis, B. Prost n'a pu que faire paraître le tome I des Ins^entaii'es mobiliers et extraits des comptes des ducs de Bourgogne de la mai- son de Valois^ et préparer le tome II, qui sont

4 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

limités au règne de Philippe le Hardi \ Les notes qu'on y peut recueillir apportent, sur la culture de la musique dans une cour brillante, rivale de la cour de France, et sur Texercice de la profession musicale, à la fin du xiv*^ siècle, un élément précieux d'information.

On sait que le duc Philippe, quatrième fils du roi de France Jean le Bon et de Bonne de Luxembourg, était à Pontoise en 1842 et que sa précoce bravoure lui avait mérité, sur le champ de bataille de Poitiers, le surnom de Hardi^ que l'histoire lui a conservé. Fait prisonnier avec son père, il dut chercher, comme lui, à tromper l'ennui de la captivité en Angleterre par l'audition des ménestriers venus de France, et de ceux des princes étran- gers, entre lesquels le roi d'Angleterre et le roi d'Ecosse n'étaient pas les derniers à se faire remarquer pour leur dilettantisme. En plus d'une jolie page de ses chroniques, Froissart nous renseigne sur le « grand bruit et grande noise de trompes et de naquaires et de toutes manières de ménestrandies » auxquels se com- plaisait « li roi englès », Edouard III. L'une de ses descriptions apporte un détail musical pré- cieux, celui d'une exécution à la fois vocale et

I. Le tome I (i363-i377) a paru en 1904, in-8, viii-657 p. et 20 pi. ; les fascicules r, 2 et 3 du t. II 1377-1389) publiés par Henri Prost, en 1910.

LES MUSICIENS DE PHILIPPE LE HARDI 5

instrumentale. Il s'agit des préparatifs de la bataille navale qui eut lieu, en vue de Win- chelsea, le 29 août i35o, entre les Anglais et les Espagnols : a Si se tenoit li rois d'Engle- terre ou chief de sa nef, vestis d'un noir jake de veluiel... Et faisoit ses menestrelz corner devant lui une danse d'Alemagne, que messire Jehans Chandos, qui estoit, avoit nouvelle- ment raporté. Et encores par esbatement il faisoit ledit chevalier chanter avoech ses me- nestrelz, et y prendoit grant plaisance. Et à la fois regardoit en hault, car il avoit mis une gette ou chastiel de sa nef, pour noncier quant li Espagnol venroient. Ensi que li rois estoit en ce déduit, et que tout li chevalier estoit moult liet de ce que il le veoient si joieus, li gette, qui perçut nestre la navie des Espa- gnolz, dist : a Ho ! j'en voi une venir, et me semble une nef d'Espagne ». Lors s'apaisiè- rent li menestrelz... » ^

En Angleterre et en France, Philippe apprit, auprès de son père, à goûter de semblables concerts^; il s'en souvint lorsque, le 6 sep-

1. Froissart, Chroniques, édit. S. Luce, t. IV, p. 91. Voy. aussi t. I, p. 80, et t. II, p. 38 et aaS.

2. On a souvent relevé les mentions musicales contenues dans les Notes et documents relatifs à Jean, roi de France, et à sa captivité en Angleterre, publiés par le duc d'Aumale en i856 dans le tome II des Miscellanies of the Philobiblon Society, pp. 27-132.

6 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

tembre i363, il reçut du roi Jean la pos- session héréditaire du duché de Bourgogne, laissé vacant par la mort de Philippe de Rouvre, dernier duc de la branche capétienne.

Dans Tannée de son avènement, les pre- miers articles de comptes qui touchent de près ou de loin à la musique ne se rapportent guère qu'à des acquisitions de cors ou de trompettes d'airain ou de terre destinés aux guetteurs des divers châteaux du duc, Grignon, Cuisery, Sagy, Chaussin, etc. « Pour l'achat d'une trom- pote d^airain pour la bée de la lanterne du chastel de Grignon, pour corner quand il voit gens d'armes... », ou bien d'une « petite cloiche pour mectre au-dessus de la tour nuelve qui est en chastellet à Chalon, à laquelle l'on resvoille les gaites par nuit » ^ Mais bientôt apparaissent des mentions réellement musi- cales. On apprend que le nouveau duc avait gardé à ses gages Jehan Pincepaste, ménes- trier de son prédécesseur^, et, de i363 à 1367, se présentent les noms de plusieurs musi- ciens : Jacquemin Commin, alias Connin, Quemin, etc. ; Jacquinot de Vaingnori (Vi- gnory) ; Fredelic, alias Fredic; Nicolas Alfous, alias Alphous ; Claus. Ils étaient, comme les

1. B. PaoST, Ini'rntaires, t. T. art. 207 et 214. Voy, aussi art. 2r7, 1494, 1498, i8'j6, pour d'autres achats semblables.

2. Ibid., art. 394.

LES MUSICIENS DE PHILIPPE LE HARDI 7

fauconniers et les valets de chambre, vêtus aux frais du duc de « drap roié » et portaient des c( esmaux d'argent » du poids de un marc, (( esmaillez et armoiez des armes de Monsei- gneur » \ En même temps, Philippe avait pour trompette Jehan de Varan guien, dont on avait soin que l'instrument fût orné d'un a pennon armoié des armes de Monseigneur » -, et pour « tabourin » Henri Baudet, plus tard qualifié « narcarin », et auquel étaient, entre autres sommes, délivrées en i368, « de grâce espe- cial », 12 francs a pour acheter un roncin, pour lui monter ou service de Monseigneur », et 6 francs a pour acheter uns naquaires » ^. Les a chappellains, clercs et choriaulx » qui assuraient le service liturgique et musical de la chapelle du duc ne sont pas nominative- ment désignés dans les comptes des premières années de son règne, sont enregistrés les dons que leur faisait annuellement Philippe (( pour les ayder à faire leur feste des fols » '. En i384j l6 duc fait « prandre et acheter », d'un chapelain de la Sainte-Chapelle du Palais,

1. Iiifenlaires, t. I, art. 894, 65G, 225 1.

2. IbicL, art. 2435, 2740.

3. Ibid., ai't. 656, 678, 918, 201 f. On sait que les nacaires étaient l'ancien modèle, importé d'Orient, des timbales militaires, jouées à cheval.

4. Ini>entaires^ tome I, art. 584.

8 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

à Paris, nommé Jehan Maçon, « un livre de moctés » * : nous apprenons ainsi que les com- positions des maîtres parisiens formaient au moins une partie du répertoire des chanteurs du duc de Bourgogne.

En dehors des articles qui concernent les musiciens attachés à sa personne, nombreuses sont les mentions de largesses faites aux exé- cutants admis à l'honneur de le divertir, soit au cours de ses voyages, soit dans ses propres demeures. En 1867, étant en son château d'Ar- gilly, le duc fait présent de 2 francs à « Tome- lin le ménestrier, lequel avoit joué de la harpe » devant lui, et quelques jours plus tard, 3 francs à « Thomas de Hedincourt et à ses compagnons, menestriers de bouche et de quitterne » '. La quiterne, quicterne ou guis- terne, primitive guitare, était alors en faveur. Giilet de Toul en joue « par plusieurs fois » devant le duc, en iSôg, Perrin de Mâcon, en iS^i, un anonyme, en 1875 ; Jehan Simonet, ménestrier du prince Jean, fils de Philippe le Hardi, le futur Jean sans peur, encore enfant, reçoit 3 francs « pour acheter une quit- terne » ; on délivre un don de 4 francs « à une ménestrière de guisterne, qui fit feste

1. Tome II, art. 1092.

2. Tome I, art. 700.

LES MUSICIENS DE PHILIPPE LE HARDI 9

devant Monseigneur à Valence » ; en 1877, c'est « un menestrier de guisterne du duc d'Otteriche », qui touche 10 francs « pour avoir joué et fait mestier devant Monsei- gneur )) \

On ne trouve qu'une fois, en 1371, la men- tion spéciale d'un « menestrier de salterion », Jean de Quincy ; une fois aussi, seulement, celle d'un « menestrier qui avoit joué de l'es- chiquier " ». Mais la harpe, après Tomelin, reparaît avec un « menestrier de M""^ la du- chesse de Bar » qui joue « plusieurs fois de la harpe » devant la duchesse de Bourgogne. A partir du mois d'avril 1875, Philippe a un « harpeur » a son service : c'est d'abord Gau- thier ou Vauthier l'Englès, l'Anglais, qui joue aussi de la rote, mais qui disparaît des comptes après 1876 et que remplace seulement quel- ques années plus tard Baudenet Fresnel, Reims. Celui-ci, qualifié en i385 « harpeur et varlet de chambre de Monseigneur », reçoit en une seule fois 3o francs (c pour avoir une harpe » et 20 francs « pour un chevaul pour lui monter ^ ».

Il est question en 1870 de Symon « menes-

1. Tome I, art. 930, 1467, 1377, 2743, 3i6i.

2. Ibid., art. 1396, 2634.

3. Ibid.,SiVi. 7^2/^6, 23o6, 239,5 et tome II, art. 1037, n^S, 1287.

lO MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

trier de vioule du roy », que B. Prost iden- tifie avec Jehan Simon, ménestrel du roi de France en i366-i38o; puis, en iS^ô, de nou- veau, de « deux menestriers de vielle du roy » ; en i383, la duchesse récompense « plusieurs menestriers vieleurs et chanteurs qui par plu- sieurs jours ont joué et chanté » devant elle et ses enfants ; un an plus tard, elle charge un chanoine d'acheter « une rubebe pour donner des esbatemens » aux jeunes princes \ En iS^S apparaît un joueur d'orgues, nommé Gilebert, en 1377, quatre menestriers du comte de Savoie, « deux de challemelle et les autres deux de cornemuse" ». Les « trompeurs » et les a trom- pettes » des princes étrangers et ceux des compagnies d'arbalétriers flamands, qui sont admis à l'honneur de sonner en la présence du duc ou de la duchesse, reçoivent des dons proportionnés à l'importance de leur maître ou de leur corporation : c'est ainsi que « 20 de- niers d'or frans » sont remis à « Guillaume Rouxale, trompeté du roy, pour en avoir une ceinture en argent », et 10 francs « aux trom- pettes et ménestrelz des arbalétriers de Gand, pour ce qu'ils avaient fait mestier et joué », un jour que Philippe tirait avec eux^.

1. Tome I. art. 1227. 238fi, et t. II, art. 8i3 et 1096.

2. Ibid., art. 2652, 3o5o.

3. Ibid., art. 1104, 1447, 1598, 2249.

LES MUSICIENS DE PHILIPPE LE HARDI II

Les « ménestrels de bouche », chanteurs ou « chanteresses », apparaissent fréquemment dans les comptes. Ce sont « trois menestrières qui ont au jour d'ui chanté devant Monsei- gneur », à Paris ; « Jehannette La Page et trois autres chanteresses » qui reçoivent ensemble 4 francs, tandis que a Jehan de Maalines, chan- teur », est gratifié de lo francs ; « un ménestrier de bouche, qui est au comte de Savoie » et qui « recorda plusieurs diz » ; un autre « d'Ale- maine, avuigle » ; plusieurs « chanteresses de Paris », si misérables, que le don de un franc, qui leur est fait, est porté « en aumosne ». Ce sont encore « Aiglantine la menesterelle » ou « Aiglantine de Tournay », qui chante seule ou avec « sa compaigne » ; deux a petits enfans menestriers de boiche » ; et encore « les enfans de cueur de la chapelle de Monseigneur à Dijon » et ceux du « cloistre de Saint-Estienne à Dijon », qui chantèrent un jour de Noël devant le duc \

Mais la plupart des articles de comptes qui concernent les musiciens ne désignent pas leur spécialité. Partout, dans ses déplacements, Philippe en trouve sur son chemin ; sans cesse, dans ses résidences, ils se présentent à lui, isolés ou par bandes. Ils viennent aux ban-

I. Tome I, art. 700, i235, i485, if»6.5, 2296, 23o6, 2842, 238o, 2444, 2696, 2743, 279:"), 3089, 3 100.

t|nt^ls i|iu pr(>i riitMit sos nocos .n or Mari;iiiMito ilo l"'l;u\il!'(^ ' . c\ Von ponso aii\ tosliiis analoouos, iloorits par b'roisi^urt, la ihïMo était «^Tando ix c\ ho\ c\ h\ou otortVo il«^ touh^s thosos >>. acot>nr;ut oi oraïul loisi>n de \ucnc->\v\c{\\ ^^ c\ los horaiits « orioiiMit largesse à pleine oueuU* ^>. Kn i3~i et liV;^^ les ft mei\estrelx ijui lurent à la tVste îles relevailles tie Mailame », partieipent .m\ i>et\erosit('s ilii vlue : ils s'etn- presseiil. il(>s ijiu^ Philippe ou la linehesse marient un Je Unirs serviteurs, irarriver à temps pour les noees'. Tour à tour le ei>uple princier eet>ute et récompense les menestriers «in roi lie France, lîes tincs irAnjon, liWlêans on lie Berry» lin connétable a Mons. Pertrant de (Uesclin ^^ et eeu\ île v> leuipereur île l'.ons- lentinoble >>, .lean l" Paleoloone, enteuiius à Trovi^s et à C'hàtilloi^ : ceux Au roi dWraoon, ilu ilue ilc^ l orraine. ilu liue il Autriche, ceux du duc de Bavière, q»n se nomment Jehan Mongnin, Qnoinchelin et YoHn \ ceux encore de quelques moindres seii:[nenrs. tels que le sire de l'.h.\lon. le sire d'Kpoisse. le sire de

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LES MISICIKNS DE PHIIIPPE 11 IIVROI li

Ghistelles, le sire Olivier du Gueselin. tVire du connétable, et le sire de La Rivière, qui vint représenter le roi de France comme parrain, au baptême de Tnn des fils de Philippe le Hardi. Plus rares sont les ménestrels des villes : ceux de Tournay et de Troyes * ; et il y a enfin la l'ouïe des pauvres diables qui n'ap- partiennent à personne, et courent le monde à la recherche des rencontres tructueuses, heureux quand on leur permet de « taire leur mestier devant Monseiijneur en son bateau, à Lyon, en alant à Avignon », ou quand on les engage « h Lyon, en Tostel de Tarcevesque, Mond. Seigneur dina ». Ou trouve parmi eux souvent des (emmes : d'un seul coup u sept menestrelles » jouèrent un jour à Màcon ■.

Comme le taux des salaires n'a été en aucun temps une indication inutile pour faire pré- sumer de la qualité des services rendus ou du degré de considération attaché à l'exercice d'une profession, il est bon d'examiner t|uelle valeur marchande était alors attribuée au talent d'un ménestrier. Lors(|ue le duc de Bourgogne faisait distribuer cent Irancs à quelqu«'s instru- mentistes, il leur donnait le prix de trois bons chevaux, vendus aux enchères; 12 francs cou-

I. Tome I. art. laaa, i3i4. a. Ibid., art. 2487, 3696.

l4 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

vraient en i368 la dépense d'un « roussin » pour Henri Baudet, son timbalier, et « Berthe- lemi Lyon, de Gecille )) (Sicile), son trompette, achetait pour 2^ francs, en 13^2, un cheval et une trompette * . Une « queue » de vin de Beaune coûtait de 6 à 7 francs ; une vache en valait 4, et l'on achetait pour 3 francs six paires de souliers. La modique pièce de un franc, minimum accordé au plus humble musicien ambulant, représentait le prix de « une paire de hautes bottes feutrées » ou de « douze aulnes de toille ». Le métier musical pouvait donc, à certains jours, en dehors même des salaires fixes, être rémunérateur ".

Un fait qui se trouve plusieurs fois men- tionné dans les comptes de Philippe le Hardi doit encore nous arrêter, parce qu'il appelle une explication différente de celle que naguère Edmond Vander Straeten a donnée pour des cas analogues. Il s'agit des « escoles » de ménestrandie, au sujet desquelles les volumes de Bernard et Henri Prost apportent les rensei- gnements suivants :

1. Tome I, art. 918 et 1612,

2. Ces indications également empruntées aux extraits des comptes du duc pour les mêmes années, nous ont semblé plus caractéristiques que les équivalences de monnaies anciennes et modernes, fournies par quantité d'ouvrages spéciaux ou généraux, auxquels se reportera aisément le lecteur.

LES MUSICIENS DE PHILIPPE LE HARDI ID

Année 136^. Le 2 mars, Jehan Pincepaste, ménestrier du duc de Bourgogne^ donne quit- tance de 18 florins dont Monseigneur Tavait gratifié « pour aler es escoles, pour soutenir ses fraiz et despens et pour considération de ses bons services * ».

Année 1369. Le i5 février, le duc fait don de 80 francs à ses ménestriers « Fredelic, Jaquinot de Vaingnory, Connim et Claux..., pour aler aux escoles en ce présent Karesme ^ » .

Anfiée i3yy. Le 4 février, il est délivré 120 francs à « Jehanin de Dignant, Harefort et Loyset, ménestriers de Monseigneur, pour don fait à eulx, ceste fois, de grâce especial, pour faire les despens d'eulz, de leurs variés et che- vaux, en alant aux escoles Monseigneur les avoit envoiez, et pour retourner devers mond. seigneur^ ».

Année i3y8. Les 6 et 25 mars, une somme de 200 francs est mandatée « aux ménestriers de Monseigneur, pour don fait à eulx par Monseigneur, pour aler de Gand en Allemaine aux escoles et retourner devers Monseigneur, et pour suporter les frez et missions que il feront oudit voiage * ».

1. Tome I, art. 394.

2. Ibid., art. 1067.

3. Ibid.^ art. 3o45.

4. Ibid., art. 3o45, en noté.

l6 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Année i584. Le 8 février, a Jehan de Dy- nant, Alphoii, LoysetMunier et Claux », ménes- triers du duc, donnent quittance de 200 francs, qu'ils ont reçu « pour aler en Alemai^ne aux esc^olles de leur mestier en la Karesme ^ ».

Année 1386- Le 24 mars, don de 4oo francs à <( Jehannin de Dynant, Halfous, Louyset, Claux, Guillemot, Jossequin et Jacot, ménes- trez de Monseigneur, pour leurs escoles de la présente année et pour acheter instrumens ^ ».

Vander Straeten a connu l'article de Tan- née 1378 et l'a cité d'après les A/^chiçes des Arts^. Avant d'examiner les conclusions sin- gulières qu'il en a tirées, nous rapprocherons des textes bourguignons quelques documents semblables : tout d'abord, un article des comptes de Charles le Mauvais, roi de Na- varre, pour Tannée 1869, qui alloue à ses quatre ménestriers une somme de 260 francs, « pour faire leurs despens en alant aux Escolles ^ »; sous la date de 1370-1371, Vander Straeten a cité un extrait des comptes de Jean II de Châtillon, qu'il emprunte à Tou-

1. Tome II, art, 1062.

2. Ibid., art. iSyi.

3. Vander Straeten, Za Musique aux Pays-Bas, i. IV, p. 121. Le tomeet la^pagedes Archii^es des Arts ne sont pas indiqués.

4. IzARN, Le Compte... du roi de Navarre en 1361-1370, Paris, i885, p. 348.

LES MUSICIENS DE PHILIPPE LE HARDI 17

vrage intitulé les Arts en Brabant et d'après lequel ce prince octroya un subside à ses deux ménestrels, pour se rendre à cheval aux écoles, « ter scolen te riden » ; en i4o6, les comptes municipaux de la ville de Mons contiennent les lignes suivantes, que Vander Straeten a reproduites d'après A. Lacroix : « Au roy des menestreux de Haynaut et à plusieurs com- paignons menestrelz qui, en son quaresme, avoient tenut leur escolles en la ville de Mons, fut donné de courtoisie en ayde de fraix, 4 1. 10 s. ^ » ; le même musicologue a cité des dons analogues de la ville d'Audenarde, en 1409? ^ des femmes ménestrelles de Bour- gogne, qui revenaient des écoles, et de la ville d Ypres, s'étaient tenues, en 14^9 et i432, les assemblées des écoles de ménestrels ^. Nous nous arrêterons à 1427 et à cet article fort expli- cite des comptes de la ville de Cambrai, qu'a pu- blié C.-A. Lefebvre : « Au roy des menestriers et toute sa compagnie venus en cette cité tenir escole de leur ebattement pour l'année, com- pris 60 s. pour vin à eux présenté, i3 livres^ ».

1. Vander Straeten, t. IV, p. i54 et 246. A. Lacroix, Episodes du règne de Jean de Bwnère, p, 43. La citation des Arts en Brabant est faite sans indication^ de tome ni de page.

2. Vandek Straeten. t. IV, p. i32 et i38.

3. C.-A. Lefeb\ke, Matériaux pour l'histoire des arts dans le Cambrësis, p. 17.

Brenet. 2

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l.j» lrn(l;nic(' i\v. Vandcr Slnu'lni ii dissortcr, supposer, amplifier, s'est «loim»* aniplernont earriiu'e à j)r(>pos des u eseoles » de ménes- trels. J)ii texte de l'.^yH, (jui regarde le don de Philippe le Hardi h ses musiciens « pour aller <lr ('mnd en Allr/fia^/fc fti/.r écoles et retourner (loviM's Monseigneur », le musicologue flamand est parti pour assuicr que « une x'iUv. aussi industrieuse, aussi eommercaule (|ue l'était Gand... (l<'vait avoii- des ressources impor- tantes au point de vue de la musique instru- mentale... Chaque Gilde avait à sa tête une hande de ménestrels exercés... et la réputa- taliou de e(;s ménestrels devait être bien grande^ pnis(jur Philippe le Mardi y envoya en 1378 ses jeunes ifislrtimrnlistrs faire leur apprentis- sage avant de les placer en Allenia^ne^ pour .s'y perfectionner dans leur art... » Vander Straeten n'a pas (lépli>yé moins d'imagination dans son commentaire de l'article des comptes d'Audenarde, de i4<^9; i' suppose l'existence d'une école de musi<|ue, « lré(|uentée par les nuMiesIrels de la duchesse de Bourgogne », école tlirigée Thôtel do ville par un maître, ou bien par les ménestrels eux-mêmes, h moins eneorcMpie eeux-ei n'y snieni ailes « sim- plement » prendre « des leçons lilléraires » !... La seule explication ii la(iuelle Vander Strae ten n'ait pas pensé, et qui est la seule véri-

LES MUSICIENS DE PHILIPPE LE HARDI 19

table, consiste â ne chercher dans les << écoles » ou se rendaient de toutes parts des ménes- triers de profession, et qu'ils u tenaient f) en carême, en des villes d année en 'année diffé- rentes, rien qui ressemble a <( l'école », au sens moderne et pédagogique du mot, mais bien, au sens latin, une assemblée, une réunion corporative. Si les écoles se tenaient en carême, c'est qu'en ces quelques semaines d'absti- nence, les banquets et les fêtes ne les rete- naient pas, pour (( jouer et faire leur mestier » auprès de leurs seigneurs; et si les assemblées auxquelles se rendaient les musiciens du duc de Bourgogne avaient lieu le plus souvent en Allemagne ou en Flandre, c'est que, en raison de la situation géographique de ses posses- sions, Philippe le Hardi recrutait principale- ment dans ces contrées son personnel musical. Les « écoles d'Allemagne » auxquelles assis- taient périodiquement, vers la fin du xvi^ siècle, les musiciens du duc de Bourgogne, se con- fondaient peut-être avec la réunion annuelle se rendaient en foule les ménestriers alsa- ciens, et qui, sous le nom de Pfeifertag^ s'est maintenue jusqu'à la veille de la Révolution dans les coutumes des pays rhénans. .

JEAN DE OGREGHEM

MAITRE DE LA CHAPELLE

DES ROIS CHARLES VII ET LOUIS XI

Il est, dans Thistoire de tous les arts, des noms si grands qu'ils personnifient une époque et survivent, dans la mémoire des générations successives, aux œuvres mêmes qui leur ont autrefois valu cette renommée. Tel est en mu- sique le nom d'Ockeghem, dont les composi- tions ne sont plus aujourd'hui connues que d'un petit nombre d'historiens ou de curieux : et cependant tout dilettante, si peu versé qu'il soit dans la chronologie artistique, sait au moins que ce maître illustre occupa dans le développement de son art une place prépondé- rante, et qu'il faut associer son souvenir au règne de Louis XI, comme celui de Du Caur- roy à Tépoque de Henri IV, ou celui de Lully au siècle de Louis XIV.

^

11 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

La biographie d'un artiste parvenu à ce de- gré de célébrité semble naturellement mieux connue que bien d'autres, parce que Téclat de son talent a fixé sur lui l'attention de ses con- teniporainsy puis de ses successeurs. Mais l'histoire de notre ancien art musical res- semble encore de très près à ces belles map- pemondes gravées dans les siècles passés, et que corrigent chaque jour les découvertes modernes. De retouche en retouche, on refait peu à peu la carte tout entière ; un à un, les contours se précisent, les espaces inconnus diminuent de nombre et d'étendue, les alti- tudes se rectifient ; souvent Tancien tracé sub- siste dans sa forme générale, mais il se modi- fie et se complète.

Dans la Biographie des musiciens^ de Fétis, qui date à présent de plus de quarante ans, la notice sur Ockeghem semblait évidemment fort soignée ^ : combien cependant était-elle imparfaite ! une recherche plus approfondie des sources très diverses de notre histoire musicale devait permettre d'y apporter peu à peu des changements considérables.

I. Biogr. unit', des musiciens, t. VI, p. 35? et suiv. delà 2" édition.

JEAN DE OCKEGHEM

I

Le lieu et la date de la naissance de Jean de Ockeghem " n'ont pas encore été fixés avec certitude. Sa famille tirait évidemment son nom et son origine du village à' Ockeghem^ situé près de la Dendre, dans l'ancienne Flandre impériale, non loin d'Alost et de Termonde. C'est dans cette dernière ville que les érudits belges proposent de placer le ber- ceau du musicien, en s'appuyant sur les re- cherches de Burbure, qui a découvert dans les comptes de la ville de Termonde, à la fin du xiv^ siècle, plusieurs mentions de person- nages nommés Van Ockeghem", et sur celles

1. L'orthographe que nous adoptons est celle de la propre signature du musicien, telle que l'a reproduite en fac-similé M. Giraudet dans son livre : Les Artistes touran- geaux, p. 3 12. Il faut y voir une traduction française du véritable nom de Jean Van Ockeghem. Dans les divers manuscrits et imprimés que nous avons consultés, nous n'avons pas relevé moins de trente-neuf variantes de ce nom : Hokeghem, Hokeghen, Hoquegan, Holreghan, Obe- ghem, Obghem, Obghuen, Obreghan, Obreghem, Occhegera, Ochegham, Ocheghen, Ocheguen, Ocghen, Ockegheim, Ockeghem, Ockeghen, Ockekem, Ockenheim, Ogkeguam, Ogkekhem, Ogteghen, Oheghen, Okagem, Okegam, Okeguam, Okegan, Okegham, Okeghem, Okeghen, Oken, Okenghem, Okenheim, Okergan, Okgekhem, Olbelren, Olreghem Opeghem, Oreguen.

2. Le chevalier L. de Burbure publia en i853, dans un périodique flamand, Het Taeherbond, un article sur le lieu

24 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

de M. de Maesschalk, d'après lesquelles l'un d'eux, Jean Van Ockeghem, possédait en i4i6, à Termonde, une maison sise « à la porte du Béguinage, du côté de la porte de Bruxelles » *. Il se pourrait que ce fût la maison natale du compositeur, et que le possesseur fût son père : car la date de i43o, proposée pour sa nais- sance, n'a été appuyée jusqu'ici d'aucune preuve, et pourrait être reculée, si l'on inter- prétait autrement que ne l'a fait de Burbure le premier document, connu actuellement, qui renseigne sur la personne même du célèbre Jean de Ockeghem.

Ce document est un compte de la cathé- drale d'Anvers, il se trouve mentionné, comme chantre, depuis la Saint-Jean d'été (24 juin), 1443, jusqu'au même jour de l'an- née suivante, i444- Il occupe une place au côté gauche du chœur, sans être qualifié de

de naissance d'Ockeghem et son séjour à Anvers ; cet article a été réimprimé en 1868 dans les Annales du Cercle archéo- logique de la i^ille et de l'ancien pays de Termonde, série, t. 1, p. 23 et suiv. Sous le titre : La musique à Anvers aux XIV", A'F«, et XVI^ siècles, M. L. Theunissen a fait paraître en 1906, dans le tome LVIIl des Annales de lAcad. roy . d'Archéologie de Belgique, une série de notes recueillies par De Burbure, parmi lesquelles figurent ses recherches sur Ockeghem. On en trouve la reproduction dans le tome Xll, série, des Annales du Cercle archéol. de Termonde (1906).

I . Documents inédits sur la maison natale de la famille de Jean Van Ockeghem par P. F. de Maesschalk, dans la Revue Musicale, -^^ année, 1902. p. 118.

JEAN DE OCKEGHEM 2$

prêtre, ni de chapelain, et, d'après le nombre des jetons de présence qui lui sont attribués, ne se montre pas d'une exactitude « exem- plaire » ^

Fétis ayant, pour la commodité de ses con- jectures, proposé de fixer à i43o la naissance d'Ockeghem, ce millésime a été jusqu'ici admis sans objections, et de Buibure a supposé qu'au moment de son séjour d'une année au chœur d'Anvers, le jeune chanteur, âgé de treize ou quatorze ans, sortait à peine de la maîtrise, se trouvait en pleine mue, et pour ménager sa voix, ne fournissait qu'un service irrégulier. Il ne serait pas moins probable, en vieillissant quelque peu Ockeghem", de présenter son passage en cette cathédrale comme l'essai d'un musicien « fait », en quête d'un poste avanta- geux. Rien ne permet non plus d'affirmer qu'avant cette époque, il avait porté dans la même église la robe d'enfant de chœur. Fétis s'est naturellement demandé sous quel maître s'était achevée son éducation musicale. D'un

1. De Burbure, ouvr. cité.

2. Lorsque Crétin, dans le poème qui sera mentionné plus loin, déplore que Ockeghem soit mort "avant a cent ans révolus y, il semble indiquer que le maître était cepen- dant décédé à un âge avancé : or, s'il était en i43o, il n'aurait atteint que sa soixante-sixième année. Reculer quelque peu la date de sa naissance paraîtrait donc, à ce point de vue, vraisemblable.

■26 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

passage colèbre de Tinctoris \ interprété peut- être trop littéralement, il a conclu que trois artistes seulement, Dufay, Dunstaple, ou Bin- chois, pouvaient entrer en ligne ; puis, croyant, sur la foi de Baini, que Dufay était mort en 1435, et rejetant Dunstaple parce qu'il habitait l'Angleterre, il a donné pour maître à Ocke- gheni Binchois, qui, en 1444^ résidait à Bruges, en qualité de chantre du duc de Bourgogne. On sait aujourd'hui que Dufay, vers i4oo, mourut seulement le 2^ novembre i474 son nom ne doit donc plus être systématiquement écarté de la liste des maîtres possibles d'Ocke- ghem. En i44o, puis d'une manière fixe de- puis i45o, Dufay habita Cambrai, comme cha- noine de la cathédrale ; dans la même période, il fit à Paris un séjour dont la date et la durée sont incertaines ^ Ockeghem put donc le con- naître soit à Cambrai, soit à Paris. Mais si l'on ne s'en tient pas à la lettre même de Tinctoris, il convient de rappeler que la plu- part des maîtrises des Flandres, à l'époque se formait le talent d'Ockeghem, comptaient

1. Tinctoris, Liber de Arte contrapuncti, dans Gousse- maker, Scriptorum de musica medii sévi, t. IV, p. 77.

2. Voy. HouDOY, Histoire artistique de la cathédrale de Cambrai, 1880, 111-40; Haberl, Bausteine fur Musik^es- chichte. t. I, Leipzig, x885, in-8°, et nos ai'ticles sur Dufay dans le Ménestrel des i5, 22 et 29 août, 5, 12 et 26 sep- tembre 1886.

JEAN DE OCKEGHEM .27

parmi leurs chefs ou leurs chantres des musi- ciens exercés, capables de donner un ensei- gnement sérieux.

De Burbure et Fétis ont manqué de docu- ments quelconques sur la carrière d'Ocke- ghem, depuis sa sortie du chœur d'Anvers en 1444 jusqu'à 1461, époque il figure dans le compte des obsèques de Charles VII. Pour remplir cet espace de temps, un autre musi- cologue belge, Edmond Vander Straeten, a proposé d'admettre l'hypothèse d'un séjour d'Ockeghem en Italie \ Il s'appuyait sur une lettre adressée le 3 novembre 1472 par le duc de Milan, Galéas-Marie Storza, au seigneur « Jean Oken » pour lui demander son assis- tance en vue du recrutement de quelques chanteurs. Par une abstention singulière, Van- der Straeten ne donnait ni le texte original ni la traduction de ce document, et n'indiquait même pas le lieu il l'avait découvert. Mais il en tirait une série de conclusions entre les- quelles il affirmait : que Ockeghem résidait en Italie avant d'entrer au service du roi de France ; qu'il vivait à Milan dans « l'intimité assidue » et la « fréquentation permanente »

I. Vander Straeten, Jean Ockeghem en Italie, dans le Guide musical du lo avril 1892. Cet article a été reproduit dans les Annales du Cercle archéologique de Termonde, 2* série, t. VI, 1895, p. 63.

a8 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

du duc Galéas-Marie ; que son génie a en plein épanouissement au delà des Alpes », put « faci- lement rayonner en deçà », et que « l'offre captivante d'un souverain comme Charles VII » le décida cependant a se rendre à Paris.

Tout cet échafaudage tombe devant les docu- ments qui ont été découverts et publiés depuis Fépoque du travail de Vander Straeten ; mais il tombait déjà auparavant par la simple con- sultation de quelques faits connus de l'histoire d'Italie. En effet, l'année i444> Ockeghem quitta la cathédrale d'Anvers, est celle même de la naissance de Galéas-Marie Sforza ; en i45o seulement, le père de ce prince, François- Alexandre Sforza, fut proclamé duc de Milan. On verra tout à l'heure Ockeghem attaché dès 1452 à la chapelle du roi de France, et dès i44^î ^ celle du duc de Bourbon. Son séjour en Italie, s'il s'accomplit jamais, dut donc être fort court et ne put certainement pas faire impression sur l'esprit de Galéas-Marie. 11 est plus rationnel de supposer que le prince et le musicien se connurent en France, en 1466, lorsque Sforza vint se placer au service de Louis XI, avec un corps d'auxiliaires. La lettre adressée par lui à Ockeghem en 1472 s'explique ainsi très naturellement, sans entraîner pour résultat nécessaire un voyage du musicien dans la péninsule.

.1EAX DE OCKEGHEM 29

La présence d'Ockeghem dans la chapelle du duc Charles de Bourbon est constatée par un article du compte de l'argentier de ce prince, Gilles Le Tailleur, pour les années i446-i448 :

« Audit argentier, pour 36 aulnes de vert pour faire douze robes aux douze personnes cy après nommées, c'est assavoir : à maistre Geoffroy Gonault, premier chappellain, messire Pierre Bellot, messire Jehan Mambus et messire Jehan Quentin, prebtres ; Johannes Obreghan, Estiennot Courtois, Simonnet Parent, Jehan Cousin, messire Jehan Fouet, Jaques de Vielz-Moustier et Olivier Godelin, chantres de la chappelle d'icelui seigneur, et messire Robert de Cleves, son chappellain, au prix chacune aulne de 5i s. 6 d., font 94 1. 10 s. t., etc. ^ »

Le duc de Bourbon résidait ordinairement h Moulins. C'est de que, selon toute appa- rence, Ockeghem passa dans la chapelle du roi de France, Charles VII, un compte de

I. Le compte de Gilles Le Tailleur a été publié par M. Vayssière dans le Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques, année 1891, p. 56 et suiv., et a fait l'objet d'une observation de M. Antoine Thomas mentionnée dans le même Bulletin, année 1893, p. lxxviii, développée par le même historien dans un article intitulé « le Musi- cien Ockeghem, une date nouvelle pour sa biographie », qui parut dans la Correspondance historique et archéolo- gique, 7e année, 1900, pp. 334-356, et fut reproduit dans la Revue d'histoire et de critique musicales, n" de janvier 1901, pp. 17-20, ainsi que dans les Annales du Cercle archéol. de Termonde, série, t. IX, 1901, pp. 282 et suiv.

3o MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

1452-1453 le nomme en tête des chantres non prêtres, donc probablement déjà le plus ancien d'entre eux.

Ce texte fait connaître en même temps les noms de tous les musiciens qui formaient avec lui la chapelle-musique du roi de France.

[i45'2-i453.] Messires Pierre Bourgneuf, Jehan Leaulté, Jehan de Lannoy, Jehan Marchant, Guy Barbotier, Jehan Louvet, Jehan Vanot, prestres, Johannes Okeghen, Martin Courtois, Mathias Coy- niel, Vincent Le Camt, Estienne Rouelle, Pierre Fouchart et Jehan Le Clerc, tous chantres et cha- pelains, à i5 1. par mois chacun. M. Estiennes de Clamauges et Jehan Piernant, autres chapelains, à i'2 1. par mois. Geoffroy Belin et Hugues Pou- lain, sommeliers de la chapelle, à 8 1. par mois chacun, et 80 1. pour les menus nécessitez de ladite chapelle ^

Dès l'année suivante, Ockeghem est men- tionné comme compositeur dans le compte des étrennes données par le roi :

A Johannes Hoquegan, premier chappellain dud. sgr. (le roi), lequel a donné au roy notred. sgr., led. premier jour de l'an (i454, n. st.), ung livre de chant ; pour don à lui fait par icelui sgr. en 3.2 escus pour 4 aulnes d'escarlate, valent 44 1. t. à luy paiezpar mandement du roy (du 7 janvier i454)^.

1. Bibl. nat. ms. fr., 3271 1 (ancien Cabinet des titres, vol. 685), fol. 162 v".

2. Bibl. nat. ms. fr. 10371, fol. 35. Ce texte a été

JEAN DE OCKEGHEM 3l

Une autre mention de ce nom, toujours estro- pié par les scribes, qui s'habituaient mal à son orthographe étrangère, a été relevée par P. Clé- ment dans un compte de la même année i454 *

Pour les gaiges des chappelains du roy, 3. 004 1. A Johannes Holreghan, oultre son ordonnance, 180 1. 1.

Puis, à partir de cette date, nombreux sont les documents se trouve nommé le musicien flamand. Il est mentionné comme premier cha- pelain dans les comptes des années i454-i4^^ à 14592; un article d'un compte de i458 est ainsi conçu :

M. Jehan Okeghan, premier chapelain de chant de la chapelle du roy, pour lui et ses compagnons, le 5 novembre, en faveur que par ordre du roy ils ont chanté solennellement le Te Deum pour les pre- mières nouvelles pour la création du pape Pie, en l'église du chastel de Vendosme, 8 1. 5. s, ^.

publié par B. Prost dans sa « Liste des artistes mentionnés dans les états de la maison du roi et des maisons des princes, du xiii« siècle à l'an iîoo. » Voy. Archives histo- riques, artistiques et littéraires, t, I, p. 434-435.

1. Bibl. nat. ms. fr. 2886. Pierre Clément, Jacques Cœur et Charles VII, 1^ édit. , t. II, p. 434.

2. Bibl. nat. ms. fr. SaSii, fol. 182 v°, t88 et 207. Arch. nat. K i7i3, dossier 11.

3. Bibl. nat., ms. fr. 325ii, fol. 210 v".

32 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Au premier jour de Tan 1439 (n. st.), Ocke- ghem offre au roi « une chançon bien richement enluminée » et il reçoit en récompense 33écus, valant 44 livres tournois ^ En 1461, il figure parmi les a officiers de la maison du roy Charles Vil qui ont eu robes et chaperons faits de drap noir pour les obsèques et funérailles du corps du feu roy^. »

Peu d'années avant sa mort, Charles VII avait récompensé le zèle et le talent de son pre- mier « chapelain » par le don d'une des plus hautes dignités qu'il eût à sa disposition dans les églises de son royaume : celle de trésorier de Saint-Martin de Tours. Dans le nombreux personnel ecclésiastique de cette célèbre abbaye, les deux dignités supérieures, celles de doyen et de trésorier, étaient à la présentation du roi de France comme abbé de Saint-Martin, la dignité abbatiale ayant été unie à la couronne en la personne de Hugues Capet, et à la col- lation du chapitre ^.

1. Arch. nat., KK, 5i, fol. 122.

2. Bibl. nat., ms. fr. 7853. p. 1412. De tous les articles de comptes royaux concernant Ockeghem, celui-ci est le seul que Fétis ait connu ; il l'a cité d'abord dans sa Revue musi- cale, t. XII, p. 235, puis dans sa Biogr. unii>. des musiciens.

3. Bibl. nat., Coll. de Touraine. t. XV, fol. 282. Voy. aussi MousNYER, Celeherrimêe Sancli Martini Turonensis ecclesi^... historia generalis, p. i43. Mousnyer appuie sur le fait que l'office de trésorier était une dignité et non un bénéfice.

JEAN DE OCKEG^EM 33

La date de la nomination d'Ockeghem est inconnue ; mais, d'après un inventaire, dressé au XVIII® siècle, des titres de la trésorerie de Saint-Martin, malheureusement perdus aujour- d'hui, on voit qu'en i439 il était déjà possesseur de cet office, et qu'il avait succédé à un certain Louis de Chaumont, lequel était encore en fonctions en i456^ ; il faut donc placer entre ces deux dates sa nomination \

La récompense de ses services ne s'était pas fait attendre et il se trouvait de bonne heure doté d'une « dignité » éminente, accompagnée de nombreux privilèges, qui en faisaient l'un des offices les plus lucratifs des églises de France.

En effet, à l'office de trésorier de Saint- Martin étaient attachées premièrement les baronnies de Châteauneuf et de Donne-Marie en-Montois (Brie), pour lesquelles foi et hom- mage étaient rendus au roi ; ensuite les fiefs

1. Arch. départementales d'Indre-et-Loire, G 422, p. 299 et 317.

2, Il eut à soutenir, en 1460 et années suivantes, pour sa prise de possession, un procès contre les doyen et chapitre de Saint-Martin. Commencé au Parlement le 20 novembre 1460, ce procès fut en i463 renvoyé à la Chambre des Requêtes, dont les registres n'existent plus. (Arch. nat. X^a, 4807, fol. 7 v», 38v°, 42v°, 44 V», iSSvoet 4808, fol. 239 v"). Nous sommes redevable de l'indication de ces textes à M. Blomme, président du Cercle archéologique de Termonde. auquel nous exprimons ici notre reconnaissance.

Brevet. 3

34 MUSIQUE ET M\JSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

de la Bardinière, TOrme-Robert, Chaumont, Bezay-Chenaie, le Val de la Coudre, Louestault, dépendant de la baronnie de Châteauneuf. Les dignités ou charges d'aumônier et de chambrier de Saint-Martin étaient à la présentation du trésorier, ainsi que celles d'abbé de Beaumont- lès-Tours et de prieur de Saint-Lazare. L hôtel de la trésorerie, bâti sur la porte de Château- neuf, comprenait, avec le logis seigneurial attribué au trésorier, une chapelle devant laquelle les chanoines de Saint-Martin venaient faire une station avant la grand'messe des Rameaux, puis une geôle et un bâtiment Ton rendait la justice ; au trésorier apparte- naient encore plusieurs autres maisons à Tours, et des redevances multiples, en argent et en nature, sur le poisson vendu au marché, sur les animaux de boucherie, sur l'exercice des mé- tiers de cordonnier, savetier, mercier, tanneur, boulanger, boucher, hôtelier, tavernier, etc Le jour de TAscension, par exemple, la cor- poration des bouchers devait porter à son hôtel un mouton paré de fleurs et un quartier de bœuf. On peut donc évaluer à une somme très considérable l'ensemble des revenus d'un tel office ^

I. Pour plus de détails sur ce sujet, voy. Bibl. nat.. Coll. de Touraine, t. XV, fol. 278 v" et 282 ; Arch. dép. d'Indre- et-Loire G 418 et 421; Grandmaison, Documents inédits

JEAN DE OCKEGHEM 35

Par un induit, daté du i8 avril i46i, Charles VII donna dispense du devoir de rési- dence à « Jean de Okenghem, chapelain de la chapelle roialle, afin qu'il puisse jouir des fruits et revenus de la trésorerie de Saint-Mar- tin quoiqu'absent, étant occupé au service de la cour^ » Plus tard, les séjours de Louis XI à Plessis-lès-Tours permirent à Ockeghem de concilier plus étroitement ses devoirs de tréso- rier avec ses fonctions musicales dans la cha- pelle du roi. Fétis n'a trouvé le nom du maître dans aucun compte du règne de Louis XI, et il est sans documents sur lui depuis les obsèques de Charles Yll, en i^Gi, jusqu'à la dédicace du Liber de natura et proprietate tonoriim^ de Tinctoris, en 1476. Les textes suivants feront voir que non seulement Ockeghem resta en fonctions sous le nouveau règne, mais encore qu'il ne tarda pas à échanger contre le titre de (( maître de la chapelle de chant du roi » sa précédente qualification de premier chape- lain. Les mêmes extraits de comptes fournis-

pour servir à l'histoire des arts en Touraine, p. xii et 14 ; Carré ])E Busseroles, Z)icffo«/i. géogr., histor. et biogr. d'Indre-et-Loire , t. II. p. 161 à 166 ; Mousnyer, loc. cit. ; Martin Marteau, le Paradis délicieux de la Touraine, 1661, t. II, p. 10 : en ... tous lesdits beneficiers possèdent un très g'i'and revenu, voire la plus grande partie du domaine, et presque chacune dignité a justice temporelle, mesme en la ville de Tours. »

I. Arch. dép . d'Indre-et-Loire. G 422, p. 621.

36 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

sent aussi la listes des musiciens placés sous ses ordres :

Mess. Jehan Bourty, prestre, Michault Sauvage dit le Lutin, sommeliers de lad. chapelle, à lo 1. par mois pour leurs gages.

Ledit Jehan de Okeghen, pour avoir des robes et fourures à son plaisir, 1^3 1. et 8o 1. pour menues nécessitez.

Lesdits chapelains et sommeliers pour leur robe et fourure, à chacun 5o 1. ^

[1462-1463.] Jehan Okeghen, Jehan de Launay, Vincent Le Kent, Estienne Rouillé, Jehan de Fon- tenay, Pierre Gollier, Martin Courtois, Jehan Mar- catoris, Jehan Louvet, David de Lannaix, Jehan Escatefer dit Cousin, Jehan Clericy, tous chape- lains de la chapelle du roy, pour leurs gages de cette présente année, à chacun 180 1. par an et 80 1. pour leurs menues nécessitez et 8x3 1. pour leurs robes et fourures .

Jehan Bourty, Michaut Sauvage, sommeliers.

Moriçon Carpeau et André Vielz, clercs de ladite chapelle, au lieu de feu mess. Jehan de Maubus alias de Parnes, l'un desdits chapelains, pour leurs gages, 180 1."^

([464-1465.) Johannes Hokeghen, Jehan de Lan- noy, Jehan de Modene, Waghe Feustrier, Jehan Escatefer dit Cousin, David de Lannoy, Martin Courtois, Jehan Le Clerc, Vincent Le Kent, Jehan

I. Bibl. liât., ms. ft*. 32) n, fol. 220 r" et v».

i.Ibid., fol. 223. On a l'econnu dans ces listes les noms de deux des anciens compagnons d'Ockeghem chez le duc de Bourbon : Jehan de Maubus dit de Pernes, et ^ehan Escatefer dit Cousin.

JEAN DE OCKEGHEM j']

de Fontenay, Pierre Guillier, Estienne R.ouille, tous chapelains ordinaires de la chapelle du roy, pour leurs gages, à chacun, i8<) 1.

Jehan Louvet, naguères chapelain de ladite cha- pelle, i5 1. pour ses gages du mois d'octobre [1464].

Jehan Barré, aussi chapelain, i35 1. pour neuf mois de ses gages finis en juillet [i465j.

Robinet Collier, à présent chapelain, 3o 1. pour ses gages des mois d'aoust et septembre [1465].

Morice Martineau dit Garpeau et André Le Vielz, clerc {sic) de ladite chapelle, 180 1. pour leurs gages.

Jehan Borty et Michel Sauvage, sommeliers de ladite chapelle, 240 1. pour leurs gages *.

Le compte de 1 465- 1466 " reproduit les mêmes noms, sauf un léger changement ortho- graphique (Wacquet Feustrier), et radjonction d'un troisième sommelier, Jehan d'Aubusson, qui devient Jehan Buisson sur le compte de l'année suivante. Une autre source fournit un article différent :

[1465.] A maistre Jehan Okeghan, trésorier de l'église monseigneur Sainct Martin de Tours et maistre de ia chappelle de cJiant du roy nostre sire, la somme de 77 1. tournois, que ledit seigneur lui a donnée le 28® jour du mois de janvier [1465, n. st.], pour avoir une longue robe d'escarlate fourrée de gris, pour estre mieulx en pojnt et plus honnestement en sa compaignie et service ; pour

1. Bibl. nat., ms. fr. 325ii, fol. 244.

2. Ibid., fol. 247 Y".

38 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

ce, à luy payé lad. somme de 77 livres tournois, comme il appert par sa quictance escripte le 9™® jour d'avril oud. an 1464 avant Pasques... ^

(1466-1467.) M. Jehan de Okeghem, trésorier de l'église de Sainct-]\Iartin de Tours et premier cha- pelain de la chapelle de chant du roy, 180 1. pour ses gages et 180 1. pour sa pension.

Martin Courtois, David de Lannoy, teneurs, Es- tienne de Ptouilly, Vincent Le Kent, Johannes Gle- rici, Pierre Gillier, Jehan Cousin, Johannes Modene, Jehan de Fontenay, Robinet Caulier, Waschet Feus- trier, tous chapelains ordinaires de la chapelle du roy, à chacun d'eux 180 1. pour leurs gages.

Mess. Jehan de Lannoy, prestre chapelain de lad. chapelle, 90 1.

Michel Sauvage, premier sommelier de lad. cha- pelle, 120 1.

Jehan Buisson, aussy sommelier de lad. cha- pelle, 1 14 1.

Jehan Boutry, autre sommelier, 36 1.

Maurice Martinet dit Carpeau et André Vielz, clercs de lad. chapelle, 240 1.

M. Jehan Hokeghem, trésorier de Sainct Martin de Tours et premier chapelain de la chapelle de chant du roy, pour sa robe et fourure de livrée de la présente année, lïi 1. 3 s. 9 d.

Martin Courtois..., etc., à chacun 5ol. pour sem- blable cause 2.

1. Arch. nat., KK .Ô9, fol. i>:j. Compte de l'argenterie du roi pour 1464-65, chapitre des « dons extraordinaires faiz par le roy notre sire à plusieurs dames, seigneurs, cheva- liers, escuiers, ses gens, officiers estrangiers et autres. »

2. Bibl. nat., ms. fr. SiSii, fol, 276 v*, 277 et ms. fr. 2o685, p. 4o5 à 410.

JEAN DE OCKEGHEM Sg

Le compte de l'année suivante est sem- blable'; ceux de 1 468- 1469 et de 1 470-1 471 manquent ; dans l'intervalle, en 1469- 1470, nous constatons quelques variantes orthogra- phiques, — Robert Caulier, Waques Feustier, Martinet dit Carpant, et l'introduction d'un nouveau chapelain, Jehan Fresneau -. Le même compte mentionne :

A M. Jehan de Okeghen, trésorier, etc.,... pour un voyage de Tours au royaume d'Espagne en jan- vier 1469 (v. st.), '275 l.

En 147 1- 1472, Ockeghem reçoit toujours, « tant pour ses gages que pour entretenir son estât », 36o 1. Martin Courtois ne figure plus sur la liste des chapelains, l'on voit appa- raître un nouveau venu, Loys Collebert. Les sommeliers sont Jehan du Buisson et Guillaume. Grossin ou Grossyn".

[1472-1473.] M. Jehan de Okeghen, trésorier..., pour ses gages et entretenement, 36o 1.

David de Lanno}'-, Jehan Cousin, Jehan de Mo- denne, Johan Fresneau, Loys Colebert, Jehan de Fontenay, Piobinet Caulier, Estienne de Rouille, André V^ielz, chapelains ordinaires de la chapelle du roy, pour semblable cause, à chacun i8q 1. par an.

1. Ibid., fol. 283 et p. 427, 434.

2. Ibid., fol. 3i7 et p. 492-493.

3. Ibid., fol. 324 v", 326 et p. 545, 549.

4o MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Jehan Le Clerc et Pierre Gillier, aussy chape- lains, pour semblable, à chacun i68 1. 2 s. 6 d.

M. Vincent Le Kent, autre chapellain, pour sem- blable, 90 1.

Guill. Grossin et Jehan du Buisson, sommeliers de lad. chapelle, à chacun, 120 1.

M. Jehan de Hokeghen, premier chapelain du roy, pour son droit de robe, fourure et chaperon de livrée, de la présente année, 1^3 1. 1 5 s.

Onze [sic'] autres chapelains, cy-dessus, pour semblable cause, 55o 1., et deux sommeliers, pour mesme cause, 100 1. ^.

En 1473-1474^ 1^ liste des chapelains com- prend en moins Vincent Le Kent, et en plus Jehan Poisson et Jehan Phede; ce dernier dis- paraît presque aussitôt, et l'année suivante la chapelle se trouve ainsi constituée : Jehan de Ockeghem, trésorier de Saint-Martin de Tours, premier chapelain ; David de Lannoy, Jehan de Fontenay, Robert Caulier, Estienne de Rouille, André Vielz, Jehan Poisson, Geoffroy Chiron ou Cheron, Guillaume Gigart, Esca- tefer dit Cousin, Jehan de Modene ou Modane, Jehan Fresneau, Louis Collebert, Jehan Le Clerc, chapelains ordinaires ; Jehan du Buisson et Guillaume Grossin, sommeliers^.

On nous permettra une courte digression en

1. Bibl. nat. ms, fr. SaSii, fol. 329, 35i, et ms. fr, 2o685 p. 569, 575.

2. Ibid., fol. 343 et p. ()23, 63 1.

JEAN DE OCKEGHEM 4l

faveur de ces chapelains-chantres formant l'en- tourage artistique d'Ockeghem, qui les avait probablement pour la plupart choisis lui-même pour le seconder et le servir. Un seul d'entre eux a été l'objet d'une notice dans la Bio- graphie des musiciens de Fétis ^ : c'est Jean Cousin, que nous avons vu figurer en i446-i448, auprès d'Ockeghem, dans la chapelle du duc de Bourbon, et dont le vrai nom, Escatefer, nous est ici enseigné ; on a récemment décou- vert dans un manuscrit datant de 1 44^-1 4^^? provenant des archives de la cathédrale de Trente et acquis par le gouvernement austro- hongrois pour la Bibliothèque impériale de Vienne, en 1890, une curieuse messe à trois voix de Jean Cousin, offrant cette particularité, analogue à celle d'une composition de Dufay, que, sur les trois voix, deux sont traitées dans le style d'instruments à vent et répètent, sur le chant de la partie principale, les formules d'une espèce de sonnerie de cor ou de trom- pette ^. Un Johannes Clericus, probablement identique au Jehan Clerici ou Le Clerc, de nos comptes, avait appartenu en i45o à la chapelle

1. T. II, p. 379.

2. Cette œuvre a été décrite par Haberl dans la Viertel- fahrsschrift fiir Musikwissenschaft, t. I, p. 489. Voy. éga- lement le catalogue thématique des m^ss de Trente, dans les Denkmàler de?' Tonkunst in Œsterreich, année, Trienter Codices, I, p. 66.

42 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

pontificale ^ Les documents que nous avons reproduits mentionnent à la fois David et Jehan de Lannoy ; l'un des deux est nommé sans prénom dans le poème de Crétin sur le trépas d'Ockeghem, dont nous nous occuperons plus loin. Jehan Fresneau est l'auteur de chan- sons françaises et d'une messe h plusieurs voix, conservées dans des manuscrits de Florence, de Paris et de Rome ^. Jean Phede, ailleurs appelé « J. Fede, alias Sohier » avait été de novembre i443 à juillet i44^ chanteur de la chapelle du Pape, en i449 et i45o chapelain et chanteur de la Sainte-Chapelle du Palais, à Paris, puis de nouveau chantre à Rome, dans la chapelle Julia, en i466 ; pendant son ser- vice chez le roi de France, il obtint, en 1472, un canonicat à la Sainte-Chapelle. Son nom disparaît des listes avant 1477, et nous le ver- rons figurer, dans le poème de Crétin, parmi les musiciens décédés avant Ockeghem^. Pierre Guillier fut pareillement chanoine de la Sainte-Chapelle, Ton constate sa présence de 1476 à 1482*. Dans le Guillaume Grossin,

I. Haberl, Bausteine fui- Musikgeschichie. t. III, p. 38.

2 Bibl. Riccardiana, ms. 2794. Bibl. nat. de Paris, ms. fr. 2245. -;- Arch, de S. Pierre, à Piome. et Arch. de la chap. pontif. ms. 23.

3. Haberl, Bausteine, III, p. 35 36, 49: Brenet, tes Musiciens delà Sainte-Chapelle du Palais, p. 32.

4. Brenet, p. 35 et suiv.

JEAN DE OCKEGHEM Ai

simple sommelier de chapelle, on n'ose guère reconnaître le compositeur appelé Grossin ou (( Grossira de Parisius », auteur de sept mor- ceaux épars en divers manuscrits de prove- nance italienne, et notamment du beau motet de Pentecôte : Imera dat hodierno^ daté de 1 48 1 dans l'un des manuscrits de Trente ^ Quant à Geoffroy Chiron, il devint le chambiier de Saint-Martin de Tours, et rendit aveu de cet office au trésorier Ockeghem, en i48i et i483".

Le titre de « maître de la chapelle de chant du roy », que donnait à Ockeghem le texte de i465, n'est pas répété dans les comptes suivants, il est qualifié seulement trésorier de Saint-Martin et premier chapelain du roi. Mais d'autres documents, datés de 1477 et i48i, sont plus explicites et ajoutent à ses titres celui de conseiller : « Maistre Jehan de Ockeghem,. conseiller, premier chappellain et maistre de la chappelle du roy nostre sire, trésot-ier de l'église Monsieur Sainct Martin de Tours ^ ».

Nous n'avons pas été assez heureux pour découvrir aucun document qui confirme les

1. Ce motet a été publié, ainsi qu'une chanson de Gros- sin (attribuée dans un ms d'Oxford à Binchois) dans les Denkmûler, vol. cité, p. 208 et 255.

2. Grandmaison, Documents inédits pour servir à l'hist. des Arts en Touraine, p. xii et 14. Garrk de Busseroles, Dictionn. d' Indre-et-Loire , t. II, p. i63.

3. Arch. dép. d'Indre-et-Loire, G 418.

44 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

assertions d'auteurs modernes relatives aux fonctions qu'Ockeghem auraient remplies à la Sainte-Chapelle de Paris et à Notre-Dame de Cléry. Lorsque l'historien de cette dernière église, Louis Jarry\ avance que « dès i453, Ockeghem avait organisé la maîtrise de la Sainte-Chapelle du Palais », il ignore que cette maîtrise existait déjà au milieu du xiv® siècle : et nulle part, dans ce qui reste de ses archives, Ton n'aperçoit la moindre trace de l'interven- tion d'Ockeghem ^ A l'égard de Notre-Dame de Cléry, qui était, on le sait, un sanctuaire vénéré et visité fréquemment par Louis XI, Jarry rap- pelle que par une charte datée du Mans, le 21 décembre 1467, le roi avait doté cette église de toutes les prérogatives attachées à une « chapelle royale », et qu'il y avait établi un trésorier et un chantre « en dignité » ; mais il est tombé dans des erreurs qui doivent être relevées, lorsqu'il a cru que « les ménestrels de Cléry » fournissaient « de sérieux éléments » pour la formation d'une maîtrise (chose diamé- tralement opposée à toutes les coutumes musi- cales du xv^ siècle), et lorsqu'il a interprété

1. Louis Jarry, Histoire de Cléry et de V église collégiale et chapelle royale de Notre-Dame de Cléry. Orléans, 1899, in-8 ; voy. p. i57 et suiv.

2. Du moins nous a-t-il été impossible d'y parvenir, dans les longues recherches qui ont précédé la publication de notre livre sur les Musiciens de la Sainte-Chapelle du Palais.

JEAN DE OCKKGHEM 45

quelques lignes de Robert Gaguin de manière à faire croire qu^Ockeghem « dirigeait en i483, auprès de Louis XI moribond, un personnel de cent vingt musiciens, parmi lesquels beaucoup de bergers jouant du pipeau et de la musette » *. Le texte du vieux chroniqueur ne fait aucune allusion à Ockeghem et se doit comprendre seulement dans le sens d'un rassemblement hâtif et mélangé de ménétriers et de paysans, appelés à distraire successivement ou par groupes, et à tenir éveillé le royal malade : Louis XI près de sa mort, dit Gaguin « retourna à Tours il pensa quérir alleigement par l'armonie de musique. Pour raison de quoy com- manda appeler les ioueurs de tous les instru- mens de musique, que Ton tient pour certain avoir esté assemblez iusques au nombre de six vingtz. Entre lesquelz y furent aucuns pas- teurs de brebis : qui par plusieurs iournées continuellement resonoyent non loing de la chambre du roy pour le consoler ; et afin qu'il ne sùccombast du sommeil qui moult le grevoit » ^.

Ockeghem conserva sous Charles VIII les fonctions et les dignités dont le règne précé- dent l'avait mis en possession. Un ^document

1. Jarry, ouvr. cité, p. i'ï8.

2. Robert Gaguin, les Grandes chroniques, édit. de i5i4, Paris, Galliot du Pré, in-fol., f. ccxviii v°.

46 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

flamand tiré des comptes de la ville de Damme lui donne la qualification de a prévôt de Tours », qu'il n'a jamais portée, les quinze offices de prévôts étant tout à fait en sous-ordre dans la hiérarchie de Saint-Martin ; mais ce texte n'en est pas moins intéressant, car il nous renseigne sur un voyage accompli par Ockeghem en 1 484 » le huitième jour du mois d'août, à son passage à Damme avec ses compagnons, la ville lui fit présenter quatre lots de vin \ le i5 du même mois, les comptes de l'église Saint-Donat, de Bruges, mentionnent à leur tour :

Sex cannée vini, pro subsidio sociorum de mu- sica, in caena facta Domino thesaurario Turonensi Domino Joanni Okeghem, primo capellano Régis Franciœ, musico eccellentissimo, cum suis ^.

Le but de ce voyage d'Ockeghem est inconnu ; allait-il en Flandre comme homme privé? La mention de ses compagnons en fait douter, et comme nous avons vu en 1469- 1470 le roi de France le subventionner « pour un voyage de

1. « Den viijen dach vander zelver maendt [oust 1484] ghephresentiert mijnen heere de provost van Tours eerste capellaen vanden Coninc van Vranckerijcke, hier commende met zijnen gheselcepe, iiij kannen vijns van vj groots den stoop. Gomt ij livr. viij s. paris. » Vander Straeten, la Musique aux Pays-Bas, t. I, p. loo-ioi.

2. Kervtn de Lettenhove, Hisi. de Flandre, t. V, p. 46. Fétis, Biogr. des musiciens, art. Okeghem. Vander Straeten. loc. cit.

JEAN DE OCKEGHEM 4^

Tours au royaume d'Espagne, » nous ne serions pas si éloigné que d'autres écrivains de croire qu'il était chargé de quelque mission, ou qu'il accompagnait en Flandre une des ambassades envoyées par Charles VIII pour préparer la paix signée le 25 octobre 1484.

Quoi qu'il en soit, les mots du registre de Bruges, « musico eccellentissimo, » prouvent qu'à cette époque la renommée d'Ockeghem était à son apogée ; déjà, avant 1467, son aîné et son rival Busnois avait écrit et composé en son honneur une louangeuse pièce latine, à quatre voix^ ; en 1476, Tinctor lui avait dédié, ainsi qu'à Busnois, son Liber de natura etpro- prietate tonorum^^y et, en 1477, dans le pro- logue de son Liber de arte contrapiincti, il le nommait le premier en tête des compositeurs illustres de son temps 3. Ce fut vers la même époque que Francesco Florio l'entendit, dans la chapelle du château de Tours, et qu'il fit de son talent et de son caractère une enthousiaste

1. Cette pièce, en deux parties, qui se trouve datée par les détails du texte (Busnois s'y déclare « indigne musi- cien » du comte de Gharolais, qui devint duc de Bourgogne en 1467) a été découverte dans le ms 91 de la cathédrale de Trente (actuellement à la bibl. imp. de Vienne), et publiée dans les Denkmàler der Tonhunst in Œsterreich, année, Trienter Codices, t. I, p. io5.

2. Publié par Goussemaker, Scripiorum, t. IV.

3. Ibid., t. IV, p. 77.

48 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

description, disant que Ockeghem lui avait fait comprendre, par sa voix et son art, tous les prodiges attribués par les anciens à Timothée ou Arion ^.

Nous apprenons par Florio qu'à la chapelle royale, sous Louis XI, la messe et les vêpres étaient chantées quotidiennement parles chan- tres, ayant pour maître Ockeghem ; d'autres documents nous renseignent sur les fonctions et les charges de son office de trésorier de Saint-Martin, dont nous n'avons encore vu que les bénéfices. Son premier devoir était la garde du sépulcre de saint Martin, des reliques et du trésor, dont il avait la clef, « quas Archiclaçis etiam vocabatur, » dit Mousnyer. Dans le tré- sor n'étaient pas renfermés seulement les joyaux

I. « In atrio quippe hujus arcis capella regalis constructa est, in qua régis ipsius cantore quotidie missam vespe- rasque concinuunt. Hi omnes ex toto regno electi optimi judicantur, inter quos tamen voce et arte Joannes Okegam Martini Sancti ecclesiae thesaurairus, regiaeque capellae magister, velut Calliope Apollinis favore confortata relucet atque in illa facile fieri filias, sic iste ceteros longius ante- cellit. Virum hune profecto non posses non amare, tanta corporis pulchritudine pollet. tanta morum ac verborum gravitate nitet et gratia. Hic solus inter cantores omni vitio caret, omni abnndat virtute, solusque ut in Arabia phœnix merito coli potest et observari. Ibi igitur quantum musica valeat perpenditur, quantumque vox humana cetera instrumenta musicalia excellât, cognoscitur », etc. Descrip- tion de la cille de Tours sous le règne de Louis XI, par F. Florio, publ. par A. Salmon. dans les Mémoires de la Société archéol. de Touraine, t. VII, i855, p. 99 et suiv.

JE4N DE OCKEGHEM 49

et les ornements d'une église riche entre toutes et chaque jour enrichie par des dons ou des legs nouveaux ^ : on y gardait aussi des chartes concernant le royaume de France, déposées à Saint-Martin par la dévotion du roi ^

Les cérémonies religieuses auxquelles le tré- sorier devait prendre part dans Téglise surpas- saient en maonificence, au dire de Tltalien Flo- rio, ce qui se faisait même dans les basiliques de Rome^. Cette pompe redoublait dans les circonstances solennelles, comme la réception du roi de Portugal, en 1476, le service funèbre célébré le 24 avril i483, par ordre de Louis XI, pour Edouard IV d'Angleterre, les obsèques de Louis XI, dont le chapitre tout entier alla cher- cher le corps au château, le 2 septembre i483, et pour lequel on chanta, le 8 et le 9, à Saint- Martin, les vêpres des morts avec les vigiles, et une messe solennelle^. Ce fut dans la même église qu'on inhuma, en 1492, Charles, dau- phin de Viennois, premier-né de Charles VIII

I. Le 14 mars 1490, les doyen, trésorier et chapitre de Saint-Martin reconnaissent avoir reçu différents joyaux à eux légués par testament par Jean Le Meingre, dit Bouci- caut. Bibl. nat.. Coll. de Touraine, t. IX, pièce n" 410G ter.

1. Le 3o mai 1468, le roi Louis XI envoie les^ lettres ou traités faits entre lui et le duc de Milan par le vicomte frère du duc, à Saint-Martin de Tours, pour y être gardés au trésor de cette église. Ibid., t. XV, fol. 298 v*».

"i. Mémoires delà Société archéol. de Touraine, t. Yll, p. 84.

4. Bibl. nat., Coll. de Touraine . XV, fol. 298 à 3oo. Brenet. 4

5o MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

et Anne de Bretagne ^ Avant cette cérémonie, on y avait vu, le i5 janvier i484» la réception solennelle de Charles Vlll après son avènement et, en 1486, le n décembre, une nouvelle visite du même roi, que cette fois le doyen et le tré- sorier eurent mission de haranguer, à la tête des six députés du chapitre chargés de saluer son entrée^. Un article des statuts de Saint- Martin portait que, quand le roi venait dans cette église, il occupait le siège du trésorier; que celui-ci devait le nourrir le premier jour, le doyen le second et l'archevêque le troisième^.

Le jeudi saint 3 avril i488 (n. st.), la pré- sence du trésorier de Saint-Martin de Tours est mentionnée h la cour, pour la cérémonie du lavement des pieds de treize pauvres par le roi, les princes du sang et les officiers de la maison du roi'.

De 1459 à 1494^ 1^ i^om d'Ockeghem figure à peu près chaque année dans ce que Ton pos- sède encore aujourd'hui des registres de Saint- Martin ^ ; sa disparition à cette dernière date a pour cause son décès, sur la fixation duquel

1. Bibl. nat., Coll. de Touraine, t. IX, pièce 4112.

2. ïhid., t. XV, fol. 270 et 288 v°.

3. Arch. dép. d'Indre-et-Loire, G 421.

4. Arch. nat. KK 70, fol. 3ii.

5. Arch. dép. dIndre-et-Loire, G 418, 422, 423. Girau- DET, les Artistes tourangeaux, p. 3 12, 3i3.

JEAN DE OCKEGHEM 01

on a longtemps passablement discuté et très peu prouvé.

Fétis, ayant appris par un compte de la mai- son de Louis XII en i499 ^^'^ cette époque (( un certain Errars » possédait la dignité de trésorier de Saint-Martin, en a conclu seule- ment que Ockeghem s'était démis de sa charge pour passer dans le repos ses dernières années, et, sur la foi, dit-il, de Jean Lemaire de Belges, il a fixé après 1 5 1 2 le moment de la mort d'Oeke- ghem. Or, du texte de Lemaire ne résulte pas à ce sujet la moindre affirmation; cet auteur, trouvant nécessaire d'expliquer comment il a placé quelques pièces de vers à la suite de ses Illustrations de Gaule^ dit dans son épître finale, adressée à maître François Le Rouge :

En la fin de mon troisième livre des Illustrations de France i'ay bien voulu, à la requeste et persua- sion d'aucuns de mes bons amis, adiouster les œuvres dessus écrites. Et mesmement les commu- niquer à la chose publique de France et de Bre- taigne : à fin de leur montrer par especiauté, com- ment la langue gallicane est enrichie et exaltée par les œuvres de monsieur le trésorier du bois de Vincennes, maistre Guillaume Grestin; tout ainsi comme la musique fut ennoblie par M. le trésorier de Sainct-Martin de Tours, Ockghem, mt)n voisin, et de nostre mesme nation. Et pourceque rhéto- rique et musique sont une mesme chose, etc. ^.

I. Les Illustrations de Gaule et singulariiez de Troye, par

5^ MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Fétis constate que Lemaire écrivit ou plutôt publia son ouvrage en i5i2 ; une nuance essen- tielle du texte lui échappe complètement : c'est que Lemaire parle dans la même phrase de Crétin au présent et d'Ockeghem au passé ; Fétis n'a pas vu davantage que, peu de pages auparavant, dans le poème sur la mort de Louis de Luxembourg, a composé par Jean Le Maire de Belges l'an mille cinq cens et trois, » Ocke- ghem ne figure déjà plus au nombre des musi- ciens vivants appelés à chanter des « com- plaintes louables » sur le trépas du prince : Josquin, Agricola, Hilaire, Evrard, Conrad et Pregent sont seuls invoqués ^ A la vérité, ceci aurait suffire à Fétis pour placer la mort d'Ockeghem non pas après i5i2, mais avant i5o3. Les passages du livre de Lemaire ne fournissent cependant encore que des induc- tions : c'est à un autre ordre de documents qu'il nous faut demander des renseignements plus précis.

Les pièces originales relatives au décès du trésorier de Saint-Martin n'existent malheu- reusement plus aux archives d'Indre-et-Loire ; mais un inventaire des titres de la trésorerie, dressé au xviii^ siècle par l'un des derniers

maistre Jean Le Maire de Belges, édit. de Lyon, i549, p. 410.

I, Ibid., ,p. 4o3.

JEAN DE OCKEGHEM 53

possesseurs de cette dignité, suffit pour placer indiscutablement entre i494 ^t 1496 la date de la mort d'Ockeghem :

9 février 1^196 (v. st.). Présentation faite par Charles VIII au chapitre de Saint-Martin de la personne d'Evrard de la Chapelle, « officiarium noslrum domesticum, » pour remplir la trésorerie de Saint-Martin, vacante par le deceds de M'" de Okengliem. Joint à ces lettres touttes les pièces de la procédure faite contre ledit Evrard de la Cha- pelle, à la requête de M''^ de Sainct-Martin qui refusoient de le recevoir à lad. trésorerie comme n'étant point en légitime mariage ; ledit Evrard a cependant obtenu des lettres royaux adressées le 9 novembre 1498 au receveur général du domaine de la Touraine pour qu'il eût à payer, sous les simples quittances dudit Evrard, le reliquat du compte des fruits de ladite trésorerie *■.

Les vers de la Déploj^ation de Guillaume Crétin sur le trépas d'Ockeghem :

Par quarante ans et plus il a servy

Sans quelque ennuy en sa charge et oflice,

De trois Roys a tant l'amour desservy

I. Arclî. dép. d'Indre-et-Loire, G 422, p. 292. Evrard de la Chapelle rend aveu au roi pour la trésorerie de Saint-Mar- tin le 28 septembre ifJoo [Ibid., G 422. fol. ^). Il a pour successeur, en i5i5, Gilles de Pontbriant. [Ibid., G 421 et 428). Evrard de la Chapelle était organiste du roi ; voy. XesArchives hist., artist. et littér., t. I, p. 436, et la Chro- nique de Jean d'Auton, édit. de la Soc. de l'hist. de France, t. III, p. 94 et suiv.

54 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Que aux biens le vis appeler au convy, Mais assouvv estoit d'un bénéfice^,

s'accordent exactement avec les dates que nous avons données : car de 145?., époque à laquelle Ockeghem nous est apparu dans la chapelle de Charles Vil, jusqu'à 149S environ, moment de sa mort, il s'était écoulé quarante-trois ans : quarante-trois ans de services continus sous Charles Vil, Louis XI et Charles VIII, soit une carrière entière accomplie en France, et qui contraste d'une manière frappante avec l'existence de beaucoup d'autres artistes du même siècle, ayant l'humeur vagabonde ou tout au moins voyageuse, et passant successi- vement de la chapelle du pape à celle de tel ou tel souverain, pour ne se fixer qu'assez tard en quelque ville de leur patrie, avec un béné- fice ou un canonicat.

La monotonie de l'existence du trésorier de Saint-Martin n'empêcha point sa gloire et ses œuvres de se répandre au loin et de bonne heure. Sa perte fut un deuil artistique. Erasme écrivit à sa louange une pièce en vers latins^ et Guillaume Crétin un poème tout entier, de

1. Déploration de Guili. Crétin sur le trépas de J. Ocke- ghem, etc., édit. Thoinan, p. 38.

2. Vandor Straeten l'a reproduite au tome I, p. loi et 102 de sa Musique aux Pays-Bas, d'après l'ouvrage intitulé Delitiœ poetarum belgicorum, Francfort^ i6i4-

JEAN DE OCKEGHEIXI 55

plus de quatre cents vers français*. On y lit l'éloge complet, non seulement du génie et des œuvres d'Ockeghem, mais de ses vertus, de sa charité, de sa bonté pour les petits, du bon ordre avec lequel il tenait ses affaires :

Sans aulcun vice eut cœur fervent et plein.

Il nous renseigne sur la manière généreuse dont le maître avait disposé de ses économies :

Luy vif pour voir a vuidé ses mains A ses germains indigens et humains, L'ung plus, l'ung moins, tous ses biens a fait prendre,

Il déplore la mort des poètes, Chartier, Chastelain, Greban, Meschinot, Milet, qui eussent dignement pris la parole

Pour hault louer le mélodieux son, La voix, le chant et subtille façon, De ce vaillant renommé Trésorier,

et il interpelle leur successeur, Molinet :

Sus, Molinet ! dormez-vous, ou resvez ? Vos sens sont-ils si pressez ou grevez Que ne povez prendre papier et plume ?

I. Sur la date et sur les éditions de ce poème, voy. l'in- troduction de la réimpression qu'en a donnée Ernest Thoinan, Paris, i865, in-S". Après cette réimpression, le poème de Crétin a été de nouveau publié par le comte de Marsy, à la suite de sa notice sur Ockeghem [Annales du Cercle archéo- logique de Termonde, série, t. VI, et en tirage à part, Termonde i8q5, in-8).

56 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

A quoi tient-il qu'aujourd'hui nestrivez Contre la mort, et soudain n'escripvez De Okergan quelque petit volume ?

Enfin, il s'adresse aux confrères d'Ocke- ghem :

Chantres, plorez ce notable seigneur En visitant ses doulx chants angéliques ; Il a esté de vertu enseigneur L'appuy, l'apport, le seul pilier d'honneur Et clair myrouer des ecclésiastiques, Le vray guidon de tous bons catholiques. De simples gens familier exemplaire, Plaisant à tous, à Jésus puist-il plaire.

Agricola, Verbonnet, Prioris,

Josquin Desprez, Gaspar, Brumel, Compère.

Ne parlez plus de joyeux chantz ne ris,

Mais composez un Ne recorderis

Pour lamenter nostre maistre et bon père.

Prévost, Yerjust, tant que Piscis prospère.

Prenez Fresneau pour vos chantz accorder,

La perte est grande et digne à recorder.

L'apostrophe de Crétin Tut écoutée : Molinet écrivit en vers latins, dans la forme du « ron- deau », une épitaphe du « très fameux musi- cien Obghem » ^ Le plus grand parmi les successeurs immédiats du maître, Josquin Deprés, composa en son honneur une lamen- tation à cinq voix, sur des paroles françaises^;

i.Bibl. nat., ms fr. 19165. fol. 20.

•j.. Ce morceau fut imprimé en i545 dans le septiesme

JEAN DE OCKEGHEM S'J

Lupi en écrivit une autre sur un texte latin V Le couplet que nous avons cité le dernier de la poésie de Crétin fus mis en musique par un musicien que Burney appelle, peut-être par erreur, Guillaume Crespel '\ Enfin, Loiset Compère fit place au nom d'Ockeghem dans une (( prière pour les musiciens », curieuse invocation à la Vierge, terminée par l'énumé- ration des artistes pour lesquels on implore le secours divin : « Et primo, pro G. du Fay, pro quo me, mater, exaudi ; pro P, Dussart, Bus- nois, Caron, Georget de Brelles, cimbalis tui honoris, ac Okeghen, Després, Corbet, » etc/. A Tours, on éleva au trésorier de Saint-

/ii'/e contenant XXIV chansons a cinq et six parties (Fétis dit par erreur « le cinquième livre » ; voy. Eitner, Biblio- graphie, p. 94 et 522). Il a été plusieurs fois réimprimé en partition.

1. Ambros, Gesch. der Musik, t. III, p. 170, cite ce morceau sans indication de source.

2. C'est Thoinan qui a émis ce doute, auquel nous nous associons ; il suppose que Burney a mal lu ou mal écrit le nom de Guillaume Crétin, auteur des paroles, et en a fait Guillaume Crespel auteur de la musique. Voy. l'introduction à la Déploration de Crétin, p. 20. Aucun texte ni morceau connus ne portent le nom de Crespel, auquel, sur la foi de Burney. Fétis et d'autres après lui ont consacré des notices dans leurs dictionnaires biographiques.

3. Haberl, dans la Vierteljahrsschrift fàr Musikwissens- chaft. t. I, p. 474, a le premier signalé ce morceau, qu'il avait découvert dans le ms 91 de Trente (aujourd'hui à Vienne), et qui a été publié en partition dans les Denk- mdler der Tonkunst in Œsterreich, année, Trienter Codices, t. I, p. III.

58 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Martin un monument funèbre \ détruit depuis, et il y eut fondation de messes pour le repos de son âme ^ Son successeur dans la dignité de trésorier, Evrard de la Chapelle, est direc- tement interpellé par Crétin dans le couplet suivant :

Hé, raaistre Everard, vous estes successeur D'ung excellent docteur, bien le sçavez. Je vous requiers, quand serez possesseur, Faictes bastir orgues de grant doulceur, Il m'est advis que faire le debvez ; Et tous les jours, si l'aisement avez Quelque motet sonnez qui à Dieu plaise, Pour le deffunct, il en sera bien aise ^.

Les trois premiers vers fixent très exacte- ment la date de la rédaction du poème, en la plaçant dans l'intervalle de temps écoulé entre la présentation d'Evrard parle roi, au chapitre, comme successeur d'Ockeghem (1496) ^t sa prise de possession de la dignité de trésorier (1499) '. Il résulte aussi de ce passage qu'à ce moment l'église Saint-Martin de Tours ne pos- sédait pas encore d'orgues. Le nouveau tréso-

1. C'est du moins ce qui résulte d'un couplet de Crétin.

2. Arch. dép, d'Indre-et-Loire, G 573.

3. Déploration, etc., édit. Thoinan, p.4i-

4. Evrard de La Chapelle, pour prendre possession de cette charge, dut soutenir en 1498 un procès contre Jehan du Moulin et Jacques de Sainte-Feyre, qui prétendaient au même office. (Arch. nat. Xia 4889, fol. 247 v°. Commu- nication de M. Blomme.)

JEAN DE OCKEGHEM Sg

rier se rendit-il à la sommation de Crétin ? On ne sait. Au milieu du xvii® siècle seulement, Martin Marteau mentionne, dans la description des cérémonies religieuses de Saint-Martin, « le son charmant d'un corps d'orgues remply de toutes sortes de ieux \ » chose dont n'avait point parlé, un siècle auparavant, le Touran- geau Thibault Lepleigney ^.

Avant de passera l'œuvre d'Ockeghem, nous voudrions encore nous arrêter un instant aux deux passages de la Déploration de Crétin sont énumérés d'autres musiciens du même temps ; ces deux passages sont très distincts ;

1. M. Marteau, Le paradis délicieux de la Touraine (1661), t. II. p. 16. D'après L. Jarry {Hist. de Cléry ^ p. 202), Evrard de La Chapelle aurait fait don d'orgues achevées en i5io, à l'église Notre-Dame de Cléry, dont il était chanoine, en même temps que trésorier de Saint- Martin de Tours.

2. La décoration du pays et duché de Touraine, par Thibault Lepleigney, i55i. Nous transcrivons ce passage relatif à l'église Saint-Martin (p. 21 delà réimpression faite à Tours en 1861) : « A bref parler cest presque chose admirable des biens, trésors et richesses qui sont en icelle. Aussi ladicte esglise est fort bien servie et honorée en grande sumptuosité. Et n'y a guère esglise les chantres soient mieux retirez qu'ils sont en icelle. Quant aux musiciens, c'est la chapelle la plus estimée qui soit en France ; le iour des grandes festes il faict merveilleusement bon veoir le service qui c'y faict. Aussi faict bon"\'eoir l'autel de ladicte esglise tout garni de beaux reliquaires et richesses, C'est une chose admirable à veoir. Pareillement sont en ladicte esglise beaucoup de beaux ornemens, et bien riches et en grand quantité, de quoy le divin service est faict de iour en iour... »

6o MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

dans celui que nous avons reproduit, Agricola, Verbonnet, Prioris, Deprés, Gaspard [van Werbecke], Brumel, Compère, Prévost, Ver- just, Piscis, Prospère [?] et Fresneau sont invités a « lamenter notre maistre, » Ockeghem : tous ces musiciens survivaient donc au maître de chapelle de Charles VIII ; au contraire, dans un autre couplet, le poète représente les musiciens morts auparavant, et venant, sur l'ordre de dame Musique, saluer Ockeghem k son arrivée dans l'autre monde :

Du Fay, le bon homme survint, Bunoys aussi, et aultres plus de vingt, Fede, Binchois, Barbingant et Donstable, Pasquin, Lannoy, Barizon très notable. Copin, Régis, Gilles, Joye et Constant ^

Ce fragment du poème de Crétin apporte un point d'appui fort utile pour la biographie de plusieurs de ces artistes, en fixant pour tous à une date antérieure à 149^ l'époque de leur décès : or, les seuls de cette liste dont on connaisse autrement l'année mortuaire sont Dunstable [f i458), Binchois (-{- i46o), Dufay (-[- i474)j Busnois (*j- 1481) et Barbireau ou Barbingant (-[- i490-

Nous avons rencontré Fede et deux Lannoy parmi les musiciens du roi de France. Le Pas-

I. Déptoration, etc., édit. Thoinan, p. 33.

JEAN DE OCKEGHEM 6l

quin que nomme Tauteur de la Déploration ne doit pas, malgré Topinion de Fétis, être con- iondu avec Josquin Deprés, ce dernier étant explicitement placé par Crétin dans le groupe des musiciens vivants, et son décès ayant été fixé par Fétis lui-même à iSai. On ne peut pas non plus identifier, comme le proposait Thoi- nan, le Constant cité par Crétin, avec le Cons- tant Festi mentionné par Rabelais, celui-ci n'étant autre que Costanzo Festa, mort en 1 545 : mais il a existé un autre Constant ou Constans, duquel deux compositions ont été conservées dans un des manuscrits de Trente ^ Le nom de Joye, sans prénom, apparaît parmi les com- positeurs de chansons du même manuscrit et du manuscrit de la bibliothèque Casanatense à Rome-. Thoinan a émis Thypothèse plausible d'une identification de Barizon avec Philippe Bassiron, un maître connu dont le couplet de Crétin fixerait, ainsi que pour Jean Régis, autre compositeur « très notable », la date du décès à une époque antérieure à i495.

1. Ms 90 des Archives delà cathédrale de Trente, acquis parla Bibl. imp.de Vienne. Voy. la table thématique des mss de Trente, dans le volume précédemment cité des Denkmàler der Tonkunst in Œsterreich.

2. On est informé de l'existence d'un Nicaise Joye, mort avant 1481, qui exerçait les fonctions de chantre à Saint- Germain l'Auxerrois [Lettres de Louis XI, publ, par Vaesen et de Mandrot, t. IX et p. 3i).

62 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Parmi les musiciens que Crétin désigne comme survivant à la mort d'Ockeghem, la plu- part sont fort connus ; il faut ici noter seule- ment que Verjust est Tauteur d'une chanson à trois voix, contenue dans un manuscrit de la Bibliothèque Nationale ^ ; que le nom de Pré- vost peut désigner Guillaume Prévost, auteur d'une messe à quatre voix, publiée en 1 532 par Jacques Moderne, dans le Liber decem missa- rum^ ou Jehan Prévost, chanoine de la Sainte- Chapelle en i488 "^ ; que Piscis et Prospère, réunis dans le texte de Crétin par le fait de l'absence de virgule, doivent être séparés, Jehan Piscis n'étant autre que Jehan Poisson, déjà chantre-chapelain du roi en i473, auprès d'Ockeghem, encore en possession de cet emploi en 1492 et gratifié par Charles VII d'une prébende à Saint-Martin de Tours, pour laquelle il soutenait un procès au Parlement^. Fresneau a été mentionné plus haut.

I. Bibl. nat., ms. fr. 2245, fol. 6 v°, chanson ; « Au haut de la roue de fortune ».

2 .Voy. notre livre sur les Musiciens de la Sainte-Chapelle^ p. 35, 36, 39.

3. Lettres de Charles VIII, publ. par P. Pelicier, t. III, p. 277. On lit dans ce document, comme dans le poème de Crétin, Piscis; dans la liste de 1473, Poisson. Ce fait n'est pas isolé : à la même époque, Jehan Chevalier, alias Militis chanoine et chantre de la Sainte-Chapelle, était désigné tantôt sous la forme latine et tantôt sous la forme française de son nom.

JEAN DE OCKEGHExM 63

Il ne faut pas conclure des vers Crétin invite les musiciens à ce lamenter nostre maistre et bon père », que ces artistes étaient tous les propres élèves d'Ockeghem. C est une sorte de licence poétique, ou plutôt un exemple de Thabitude l'on est de grouper autour d'un nom glorieux d'autres noms paraissant consti- tuer à un grand artiste un entourage de disciples. Ockeghem, par son talent, par ses œuvres, fut un chef d'école : mais l'on ne doit pas entre- prendre de désigner exactement quels furent, parmi ses successeurs, ses véritables élèves, et gardons-nous des amusantes bévues du brave Elwart, d'après lequel Ockeghem aurait formé lui-même, à Paris « le fameux Goudimel », et Arcadelt, deux musiciens nés, l'un dix ou douze ans, et Tautre environ vingt ans après la mort de leur prétendu professeur ^

II

Le catalogue des œuvres d'Ockeghem que nous avons dressé et qui, malgré nos efforts, est certainement incomplet, comprend environ cinquante pièces. Rien ne pouvant prêter d'appui pour un classement chronologique de ces compositions, nous adoptons forcément,

I. Elwart, Hist. de la Société des Concerts, p. 27.

64 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

pour leur énumération, l'ordre méthodique et alphabétique.

§ I. MESSES

Missa : An travail siiis^ 4 v^^*

Archives de la chapelle pontificale, mss. 4^ ^t 63 ^ Bibl. Chigi, à Rome, ms. GVIII^.

Missa : Caput^ 4 voc.

Ms. 88 de la cathédrale de Trente, à la bibl. imp. de Vienne ^ , ms. Ghigi '*.

Missa : Cajusçis toni^ 4 ^'^^'

C'est la plus célèbre des messes d'Ockeghem. On la trouve dans le ms. 35 des Archives de la chapelle pontificale et le ms. Ghigi. Elle a été imprimée en i539 dans le Liber quindecim missa- rum, Nuremberg, Petrejus. Le Kyrie et le Benedic- tus ont été publiés dans le Dodecachordon de Gla- réan, 1647, P- '^^^' ^^^^ ^^^ inexactitudes de titre (Glaréan dit Missa ad omnem tonum) et de notation ;

1. Haberl, -Baus^eme, etc., t. II, Kataloj^ des psebstlichen Kapettarchii'es, p. i55.

2. Ce ms. avait été indiqué à Bottée de Toulmon par Baini, dans une lettre du 3i mai 1840 que La Fage a publiée dans ses Essais de diphthérographie musicale, p. 529. Il a été sommairement décrit par Vander Straeten, au tome VI, p. 33 et 34 de sa Musique aux Pays-Bas.

3. Voy. la table thématique des mss. de Trente, dans les Denkmàler der Tonkunst in Œsterreich, 7^ année, Trienter Codices, t. I.

4. Cette messe ne porte pas de titre dans le ms. Ghigi.

JEAN DE OCKEGHEM 65

les mêmes fragments ont été reproduits par Bur- ney (History of musîc, t. II, p. 478), Forkel (Ges- cliichte der Musik, t. II, p. 534) et Kiesewetter (Die Verdienste der Niederlœnder^ p. '24). M. Ray- mond Schlecht en a inséré le Kyrie dans sa Ges- cJnchte der Kirc/tenmusik, p. 290. Le Sanctus, le Benedictus et le Qui venit ont été publiés par Otto Kade, dans le tome V de la Geschiclite der Musik d'Ambros. Nous empruntons à Ambros la descrip- tion ou plutôt l'explication de cette œuvre d'Ocke- ghem, curieux et rare tour de force de notation et de contrepoint, que nul critique moderne n'a mieux comprise et plus clairement commentée t « La messe Cujusvis toni excitait l'admiration par l'heureuse solution d un problème tout particulier. La courte définition de Kiesewetter, que l'on pouvait chanter cette messe sur toutes les clefs et dans tous les tons à volonté, nécessite absolument une explication plus détaillée. La messe notée n est précédée d'aucune clef. A leur place sont plusieurs signes, tels que des points d'interrogation ou des accents circonflexes, dont la position sur les lignes de la portée n'est rien moins qu'arbitraire^ : cette position indique la place de la note finale pour chaque voix. Les notes sont disposées de telle sorte que, par exemple pour la finale fa, il faut supposer aux quatre parties res- pectivement les clefs d'ut première ligne, ut troi- sième ligne, ut quatrième ligne et fa troisième

I . On lira sur ces signes et leur interprétation par^Glaréan et par Kade quelques remarques utiles de Ph. Spitta, dans la Vierteljahisschrift filr Musihwissenschaft, t. VI, 1890, p. 142. Il est entendu que par les mots « tous les tons », doivent s'entendre les quatre tons ecclésiastiques, dits dorien, phrygien, lydien et mixolydien.

Brenet. 5

66 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

ligne ; pour la finale la, les clefs de sol deuxième ligne, ut deuxième ligne, ut troisième ligne et ut quatrième ligne ; pour la finale ré, les clefs d'ut deuxième ligne, ut quatrième ligne, fa troisième ligne et fa quatrième ligne. D'après cela et en tenant compte de Yambitus, de la conduite des par- ties, la messe répond au premierton, au second, etc. (cujusvis toni). Selon la diversité du ton dans lequel elle est chantée, Femploi des accidents varie aussi chaque fois. La composition entière repose sur la plus profonde connaissance des tons ecclé- siastiques, et elle pouvait servir d'épreuve aux chanteurs. Ce n'était pas pour eux un pur morceau de parade, mais une œuvre constamment en usage, comme le prouve l'exemplaire de la Bibliothèque royale de Munich, dans lequel les chanteurs de l'ancienne et célèbre chapelle ducale de Bavière avaient placé par-ci par-là des points de repère et avaient corrigé une faute d'impression plaçant une note de trop dans le dernier Agnus *. »

Missa : De plus en plus, 4 voc.

Arch. do la chap. pontif., ms. 14 ; ms. Ghigi.

Missa : Ecce nncilla Domini, 4 voc.

Bibl. roy. de Bruxelles, ms. 55^7 ; ms. Chigi. Cette messe est placée sous le nom de J. Régis dans le ms. 14 des Archives de la chapelle pontifi- cale •^.

1. Ambkos, Gcschicliie der Musik, t. III, p. 175-176. On peut se demander dans combien de maîtrises ou de conser- vatoires on trouverait aujourd'hui des chanteurs capables de résoudre ce problème de solfège.

•X. M. Hugo Riemann la regarde comme l'œuvre de Régis,

JEAN DE OCKEGHEM 67

Missa : Fors seulement.

Ms. Ghigi.

Missa : La belle se siet.

Cette composition, citée par Tinctoris ^, n'a pas été retrouvée.

Missa : Le serçJteur.

Ms. 88 de Trente (bibl. imp. de Vienne).

Missa : L^ homme arme - . Ms. Ghigi.

Missa : Ma maîtresse. Ms. Ghigi.

Missa : Mi, mi\ Ms. Ghigi.

Missa : Pour quelque peine, 4 voc. Bibl. roy. de Bruxelles, ms. 5557.

Missa prolationum. Ms. Ghigi.

tout en convenant que « le style est tout à fait celui d'Ocke- ghem)) {Handbuch der Musikgeschichte,i.\\, ir»partie,p. aSa).

1. Liber de arte contrapuncti, lib. II, cap. 32, ap. Gousse- maker, Scriptorum, etc., t. IV, p. i45.

2. Cette messe, qui avait été citée par Aron dans son Toscanello, a passé longtemps pour perdue.

3. Ces messes sont mentionnées dans la Déploration de Crétin.

68 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Missa quarti toni, 4 voc.

Arch. de la chap. pontif., mss. 41 et 63.

Missa quinti toni.

Ms. Ghigi.

Missa de Requiem ^ Ms. Chigi.

Patrem d'une messe sans titre, d'après le chant grégorien.

Arch. de la chap. pontif., ms. 46. Bibl. Ric- cardiana, à Florence, ms. '2794.

Des messes d'Ockeghem, dont les titres ne sont pas indiqués, sont signalés dans des mss. de Modène et de Vérone^.

Une messe : Village^ qui existait au xv® siè- cle dans les livres de chœur de Téglise Saint- Donat de Bruges, semble perdue aujourd'hui^.

Plusieurs messes non dénommées, et peut- être différentes de celles que nous venons d'ënumérer, ont existé autrefois : un compte de 1472 de la cathédrale de Cambrai mentionne un paiement de 33 s. 4 d. au copiste Simon Mellet « pro grossa misse cantus compillate

1. Cette messe est mentionnée daus la Déploration de Crétin.

2. EiTNER, Quellen-Lexikon, art. Okeghem, t. VIII, p. 233.

3. Fétis, Biogr. des mus. ^ t. VI, p. 364-

JEAN DE OCKEGHEM 69

per Opeghem, thesaurarium S*' Martini Turo- nensis ac prothocapellanuni régis F'ranchie. cont. XV. folia papiri \ » Le catalogue des livres de musique de la reine de Hongrie, dressé en iSSg, lors de leur translation à TAlcazar de Madrid, contient les deux articles suivants : « Ytem, otro libro grande, cubierto de Colorado, en que ay onze misas de Oreguen y otros autores antiguos... Oto libro, en per- gamino todo, en que ay siete o ocho misas de Oreguen, ylluminado al principio^ )>

Sur la foi de Kiesewetter, Fétis attribue à Ockeghem une messe « Gaudeamus » du ms. 1 1778 de la Bibliothèque impériale de Vienne : Ambros a démontré ^ que cette œuvre n'appar- tenait pas à Ockeghem, mais à Josquin De- prés.

§ 2. MOTETS

Aima redemptoris ^ l^^oç.. Arch. de la chap. pontif., ms. 26.

1. HouDOY , Hist. artist. de la cathédr. de Cambrai, p. 200.

2. Vander Straeten, la Musique aux Pays'-Bas, t. VII, p. 480. En raison de la grande célébrité d'Ockeghem, il est fort possible, comme l'a supposé M. Riemann, que Petrucci ait imprimé de lui, vers i5o3, un livre de Messes, aujourd'hui perdu,

3. Ambros, Geschichte der Musik, t. III, p. 177.

70 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Ai^e Maria. Ms. Ghigi.

Interner ata.

Ms. Ghigi.

G au de Maria Virgo.

Bibl. Proske, àRatisbonne, ms. daté de i538.

Miles mirœ prohitatis.

Imprimé sans nom d'auteur dans le recueil de Petrucci : Motetti CC. (i5o4), fol. i8. Ambros n'hésite pas à attribuer cette séquence à Ockeghem, parce qu'elle célèbre saint Martin de Tours et qu'on ne voit pas quel autre musicien du même temps et du même lieu aurait pu écrire une œuvre d'une telle valeur 1.

Deux Sah'e Regina^ à 4 voix.

Arch. de la chap. pontif., mss. \i et 46

Ut hermita soins, 4 voc.

Ce motet, cité par Gretin, est imprimé sans nom d'auteur dans les Motetti CC. de Petrucci, fol. l'j,

Vi^'it Dominus^ 2 voc.

Imprimé dans le recueil Dipitona amœna et flo- rida, etc., de Montanus et Neuber (Nuremberg,, i549), n°33 2.

1. Ambros, Geschichte der Musik, t. III, p. 177.

2, ElTNER, Bibliographie der Musihsammelwerhe . p. 758.

JEAN DE OCKEGHEM

§ 3. CHANSONS

Alias discantus super : O rosa bella. Ins- crit à la suite de la chanson de Hert sur ce texte, dans le ms. 90 de Trente.

Aiiltre Venus.

Bibl. Riccardiana, à Florence, ms. 2794.

Baisiez-moi donc. Ms. Basevi\

Depaj'tez-nous, à 3 voix.

Bibl. nat. de Paris, ms.fr. i5i23.

D'ung aultre aniei\ à 3 voix.

Bibl. nat. de Paris, ms. fr. 'Vi^S. Ms. de

Dijon"-. Bibl. Casanatense, à Rome, ras. O.

V. '208. Bibl. Riccardiana, à Florence, ms. ^794.

1. Vous désignons ainsi un ms. du xvi^ siècle, apparte- nant à M. Abramo Basevi, de Florence, et dont la Biblio- thèque royale de Bruxelles possède une reproduction photo- graphique, L. de Burbure en a publié la description sous le titre : Étude sur un manuscrit du XVI^ siècle contenant des chants à k et 3 coix, dans le tome XXXIII des Mémoires de r Académie royale de Belgique, (tirage à part, Bruxelles, 1882).

2. Yoy. S. MORELOT, Notice sur un manuscrit de musique ancienne de la Bibliothèque de Dijon, dans le tome lY des Mémoires de la commission des antiquités de la Côte d'Or, p. i33 et suiv. (tirage à part, i856).

7'^ MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Fors seulement^ à 3 voix.

Bibl. nat. de Paris, ms. fr. '2245. Ms. de Dijon. Ms. Basevi.

Je nay deuil ^ à 4 voix.

Ms. Basevi. Imprimée dans le recueil de Petrucci, Canti cento cinquanta, i5o3 et en parti- tion moderne dans le tome V de la Gesc/iic/ite der Musik d'Ambros.

Les desléaux ont la saison^ à 3 voix. Ms. de Dijon.

La despoLir^eue et la bannie^ à 3 voix. Bibl, nat. de Paris, ms. fr. i5i23.

V autre d'antan, à 3 voix.

Bibl. nat. de Paris, ms. fr. i5i23. Ms. de Dijon. Ms. Rothschild \ Bibl. Casanatense, à Rome. ms. O. v. 208. Cette chanson est mention- née par Tinctoris-. Elle est imprimée en partition dans le tome V de la Geschichte der Musik, d'Am- bros.

Ma bouche rit^ à 3 voix.

Ms. de Dijon. Ms. Rothschild. Bibl. Gasa-

1. Nous désignons sous le nom de ms. Rothschild un très beau ms. musical du xv^ siècle, acquis par le baron James de Rothschild à la vente de la bibliothèque du baron Jérôme Pichon, en 1897.

2. Tinctoris, Proportionale, ap. Coussemaker, Scriptorum t. IV, p. i56.

JEAN DE OCKF.GHF.M 78

natense, à Rome, ms. 0. v. 208. Bibl. Maglia- becchiana, à Florence, ins. 126. Bibl. roy. de Munich, ms. mus. ii'ii. Imprimée dans VOd/ie- caton de Petrucci, i5oi, fol. 59; sans nom d'au- teur dans le recueil Modulationes aliquot quatuor vocum selectissimae, Nuremberg, Petrejus, i538; sans nom d'auteur dans le recueil Trium vocum carmina, etc., de Formschneider, Nuremberg, i538. Publiée en partition par Robert Eitner, dans les annexes des Monatshefte fur Musikges- chichte, sixième année ; errata à cette publication, dans la même revue, huitième année, p. 8.

Malheur me bat^ à 3 voix.

Imprimée dans VOdhecaton de Petrucci, i5oi, fol. 68 K

Ma Maistresse.

Cette chanson, citée par Tinctoris, semble per- due-.

Petite Camusette^ à 4 voix.

Imprimée dans les Canti cento cinquanta de Petrucci, fol. iiS.

Prennes sur moi/, fuga 3 voc. Même recueil, fol. 168.

1. Josquin Deprés a écrit une messe sur les thèmes des trois voix différentes de cette chanson d'Ockeghem. Voy. Ambros. t. III, p. 2i5.

2. TiNCTORis, Liber de arte co7itrapuncti,aip.CousseïneLkeT, t. lY, p. i52.

74 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Presque transi, à 3 voix. Ms. de Dijon.

Quand de {>ous seul, à 3 voix. Ms, de Dijon.

Rondo royal.

Bibl. Riccardiana, à Florence, ms. 2794.

Se ne pas jeulx, à 3 voix.

Bibl. Casanatense, à Rome, ms. 0. v. 208. Publiée en partition dans le tome V de l'ouvrage d'Ambros,

Se vostre cueur eslongne^ à 3 voix.

Bibl. nat. de Paris, ms. fr. i5i23. Bibl. Casa- natense, ms. 0. v. 208. Publiée en partition dans le tome V de la Gescldchte der Masik d'Am- bros.

L'existence de chansons françaises d'Ocke- ghem a été signalée dans un ms. des archives de Saint-Pierre de Rome, aux armes de Léon X, et dans un ms. du Liceo musicale de Bologne ^

Les comptes de la cathédrale de Cambrai mentionnaient, en 147^, une somme de 7 livres payée « à Symon Mellet pour avoir escrit et notté es livres de papier des estapliaux, une nou-

I. Haberl, Bausteine, III, p. 64. Gaspari et Torchi, Cataloeo delta Biblioteca del Liceo musicale, t. III, p. 196.

JEAN DE OCKEGHEM 7$

velle messe et i magnificat de Bunoys, les lamen- tations de Obghuen, de Bunoys et Heniart ^ » Ces lamentations, qui n'ont pas été retrouvées jusqu'ici, avaient probablement été écrites à l'occasion de la mort de Dufay, en i474-

11 nous reste à mentionner l'insertion, dans des traités didactiques, de fragments d'un caractère spécial et particulièrement scolas- tique, dans lesquels Ockeghem montrait toute sa puissance d'invention et de combinaison :

Canon^ à 3 voix.

Imprimé dans le livre de Greg. Faber, Musices Practicœ Erotematum libri II, édit. de Bâle, i553, p. iS'i'^.

Fiiga (canon), 3 voc.

Imprimée dans l'ouvrage de Wilphlingsleder, Erotemata musices pracdcœ, Nuremberg, i56'i, ; Le même livre contient d'Ockeghem des fragments ou exempla, à 3 et à 4 voix^.

Fuga (canon), 3 voc, extr. de la Missa pro- latiomim.

Imprimée dans l'ouvrage de Sebald Heyden, Musicae, id est artis canendi libri duo, Nurem- berg, iSS^.

1. HouDOY, Histoire artistique de la cathédrale de Cam- brai, p. 201.

2. Cette édition est à la bibliothèque du Conservatoire de Paris.

3. EiTNER, Bibliographie der Musihsammelsverke,^. 737.

76 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Fiiga trium çocum in Epidiatessaron.

Imprimée dans le Dodecachordon de Glaréan, i547, p. 454. Résolution publiée par Wilphlings- leder et reproduite par Hawkins, Burney, Busby, Forkel et Kiesewetter, dans leurs histoires de la musique. Autre résolution dans le recueil de Jacob Paix, Selectœ artificiosse et élégantes fugœ, 1594. Autre résolution par Fétis, dans son Es- quisse de Vhistoire de Vliarmonie, p. 28, et son article Okeghem de la Biographie univ. des musi- ciens^ t. VI, p. 363, 364, Nouvelles résolutions par Kade dans le tome V, p. 18, de la Geschichte der Musik d'Ambros, et par Riemann dans son Handhuch der Musikgeschichte ^ t. II. p. 234.

Nous arrivons enfin au plus étonnant ouvrage d'Ockeghem, le fameux motet à trente-six voix, à l'existence duquel Fétis refusait d'ajou- ter foi, sous prétexte qu'une composition de ce genre a était absolument impossible » au xv^ siècle, les morceaux à six voix étant eux- mêmes fort rares alors ; il avouait connaître cependant de Brumel un fragment à huit voix et une messe à douze, « effort de tête sans doute extraordinaire pour l'époque vécut l'artiste, mais qui n'est rien en comparaison de ce qu'aurait été une messe entière ou un motet à trente-six voix ~. »

Les témoignages en faveur de l'existence du

I. Fétis, Biogr. unie, des musiciens , t. Yl, p. 365.

JEAN DE OCKEGHEM 77

morceau d'Ockeghem à trente-six voix étaient cependant formels et répétés ; le premier en date est un passage très explicite du poème de Crétin, poème dont nous avons placé la com- position entre 1496 et i499 '•> ^n écrivant si près du moment de la mort d'Ockeghem, le versificateur ne pouvait se tromper au point de lui attribuer à la légère une œuvre « absolu- ment impossible ; » les termes qu'il emploie prouvent au contraire l'admiration excitée par le motet à trente-six voix chez les contempo- rains d'Ockeghem :

C est Okergan qu'on doibt plorer et plaindre, C'est luy qui bien sceut choisir et attaindre Tous les secrets de la subtilité Du nouveau chant par sa subtilité ^. Sans ung seul poinct de ses reigles enfraindre, Trente-six voix noter, escripre et paindre En ung motet, est-ce pas pour complaindre Celluy trouvant telle novalité ? C'est Okergan ^.

Après Crétin vient, en i5i7, Ornitoparchus, qui écrit dans son Micrologue : « Nam Joan- nem Okekem mutetum 36 vocum composuisse constat\ » Puis, d'après son autorité, Glaréan

1. Fétis a cru devoir corriger cette répétition qui existe dans le texte de Crétin.

2. Déploration, etc., édit. Thoinan, p. 29.

3. Andréas Ornitoparchus, De musica arte cantandi microîogus, lib. IV, cap. i (première édition, i5i7 ; qua- trième édition, i533).

78 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

dit en i547 ^^ Antiquior ^ aliquanto fuit Oken- heim et ipse Belga, qui ingenio omneis excel- luisse dicitur. Quippe quem constat triginta sex vocibus garritum quemdam instituisse. Eum nos non vidimus. Certe inventione et ingenij acrimonia admirabilis fuit^. » Ensuite arrive Claude Sébastien, qui écrit en i553 : « ... sicut Joannem Ockekem mutetum aut Carmen triginta sex vocum componere admi- simus ^. »

Cette quadruple affirmation n'a guère trouvé qu'en Fétis, un incrédule. Baini rapporte le texte de Glaréan sans émettre de doutes ''. La Page ne refuse pas davantage d'admettre le motet à trente-six voix d'Ockeghem, et il mentionne le fait de l'exécution d\m morceau

1. Glaréan vient de nommei* Josquin Deprés.

2. Glaréan, Dodecachordon, p. 464. Ambros [Gesch. der Musik, t. III, p. 174 en note), fait remarquer, à l'aide d'un autre passage du Dodecachordon, qu'il ne faut ici accorder aucune importance spéciale au mot garritus, et il ajoute : « Mais que doit-on dire de Fétis, quand on le voit non seulement assurer que Glaréan appelle cette composi- tion une messe, mais encore citer le passage, en introdui- sant faussement le mot missam après garritum P >) Cette note et'deux ou trois autres semblables expliquent le silence gardé par Fétis sur l'histoire de la musique d'Ambros, qu'il pos- sédait dans sa bibliothèque, mais dont, bien à son désa- vantage, il ne fit aucun usage quand il rédigea sa propre Histoire générale de la musique.

3. Cl. Sebastiani Metensis Bellum musicale, i553, cap. 29.

4. Baini, Memorie délia uita di G.-B. Palestrina, t. I, p. 222.

JEAN DE OCKEGHEM 79

à seize voix, par les chantres pontificaux, le samedi de Quasimodo de Tannée 1007 ^ Si l'on recherche d'autres exemples analogues, on peut ajouter a la messe à douze voix de Brumel un exemple plus ancien, celui de Jos- quin Deprés, l'un des successeurs immédiats d'Ockeghem, qui disposa son Qui habitat à vingt-quatre voix en six canons. Au xvi* siè- cle, on connaît un morceau de Cadéac à douze voix.

Aux yeux d'Ambros, « ce fabuleux morceau à trente-six voix ne semble pas du tout être un mythe... Il n'est pas difficile de présumer la disposition qu'il pourrait avoir. Probable- ment il n'y avait de notées que six ou neuf voix, dont chacune se formait en canon à six ou à quatre parties pouvant alors se chanter toutes à la fois. Le Psaume de Josquin « Qui habi- tat in adjutorio », qui a été conservé par Tim-. pression, est ainsi disposé, avec quatre voix écrites, formant un total de vingt-quatre voix à chanter en six canons. Le motet monstre d'Ockeghem est perdu, à moins que par la suite on ne le tire de quelque .coin sombre d'archives ou de bibliothèque^. »

C'est tout simplement dans le même recueil

I. La Fage, Essais de diphthéro graphie musicale, p. Ii3. 1. Ambros, Geschichte der Musik, t. III, p. 174.

8o MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

imprimé, le Tomus tertiiis psalmorum selec- torum, de Petrejus, publié à Nuremberg, en 1542, se trouvait le morceau à vingt- quatre voix de Josquin, que Ton a de nos jours reconnu le motet d'Ockeghem. Il y était im- primé comme dernier numéro du recueil, sans nom d'auteur, et sous la forme qu'Ambros avait pressentie, d'une pièce à quatre voix, formant, sur quatre thèmes, quatre canons à neuf parties, avec pour seul texte les mots : « Deo gratias », et pour épigraphe la légende : « Novem sunt Musae. Omnia cum tempore ^ ». Comme, à aucun moment, ne se trouvent réu- nies plus de dix-huit voix, M. Hugo Riemann a pu imprimer en partition, sur neuf portées, la « résolution » qu'il a le premier donnée de ce gigantesque exercice contrepointique ^. Malgré la puissance un peu rude de ses harmo- nies forcément très simples, qui oscillent entre |

1. Le même morceau se trouve ajouté en manuscrit sous le nom de Leonhard Paminger, à l'exemplaire des Cantiones tringenta selectissimae de Buchaw, i568, de la bibl. roy. de Munich. C'est sur notre demande que Robert Eitner con- fronta les deux textes, en i8go, et en nous adressant une copie partielle des thèmes, nous fit savoir qu'il tenait pour hasardée l'attribution manuscrite à Paminger. D'après sa communication, l'épigraphe de la copie de 1 568 est : « Musis ter trinis datur hic cum tempore finis ». Dans son Quellen Lexikon, art. Okeghem, Eitner n'a fait aucune mention du morceau à trente-six voix.

2. Riemann, Handbuch der Musikgesckichte, t. II, i^» par- tie, p. 287 et suiv.

i

JEAN DE OCKEGHEM «l

deux accords d\ti et de /a, en augmentant graduellement d'ampleur et de sonorité, mal- gré l'étonnante habileté de main dont témoigne un pareil échafaudage harmonique, ce n'est pas qu'il faut chercher la plus haute expres- sion du génie d'Ockeghem.

Un jugement équitable ne pourra être porté sur lui que lorsque notre connaissance des œuvres musicales du xv^ siècle se sera étendue par des publications plus nombreuses et plus sûres. Jusque-là, et probablement après même la fin de l'enquête en cours, l'on devra se bor- ner à souscrire aux arrêts d'Ambros, l'un des historiens les mieux instruits des compositions du xv^ et du xvi^ siècle, et les plus sensibles à leur charme. Nous lui emprunterons les lignes qui doivent, provisoirement, terminer toute étude sur Ockeghem :

Ce qui élève Ockeghem au-dessus de ses prédé- cesseurs, ce n'est pas le perfectionnement vraiment étonnant des artifices canoniques et autres que l'on remarque chez lui. Grâce au génie musical qui réside intimement en lui, Ockeghem insuffle dans sa musique une âme chantante, il l'enveloppe d'un corps harmonique vigoureusement membre, et il la revêt dun fin tissu de développements thématiques ingénieux, d'imitations plus ou moins serrées, plus ou moins larges. On trouve dans les morceaux d'Ockeghem, souvent dans leurs voix intermé- diaires, des périodes entières remplies du plus

6

82 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

admirable développement mélodique, et d'une dou- ceur et d'une profondeur d'expression extraordinai- res. Ses harmonies sont assez fréquemment singu- lières et antiques, mais elles ont de l'éclat et du corps. Il dispose aussi les terminaisons de ses mor- ceaux d'une manière parfois surprenante et étrange, mais certainement aussi très intéressante... ^.

I, Ambros, Geschichte der Musih, t. III, p. 173,

i

ESSAI

SUR LES ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE

La prépondérance accordée par un grand nombre de compositeurs, et principalement, depuis i85o, par les héritiers de Berlioz et de Liszt, à l'élément littéraire sur l'élément musi- cal, dans les œuvres mêmes qui ne font point appel au concours direct des paroles, a suscité de multiples discussions sur le pouvoir exprès-^ sif et descriptif de l'art des sons, sur la « pein- ture musicale », et sur les limites de la poésie et de la musique. Il n'est pas toujours arrivé que les dissertations les plus volumineuses ou les plus affirmatives dans un sens ou dans l'autre fussent appuyées sur les recherches historiques qui sembleraient devoir être regardées en pareille matière comme l'unique point de départ possible et raisonnable. En général, on a vu sur ce sujet la plupart des esthéticiens se guider sur des doctrines philosophiques établies a

84 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

priori^ et dont ils se contentaient de montrer la négation ou la confirmation dans quelques œuvres classiques ^, sans beaucoup s'inquiéter de savoir si ces œuvres se rattachaient à d'autres par une filiation suivie, et si le faisceau d'idées et de procédés artistiques par elles se res- semblaient ne formait point une sorte de langage traditionnel^ lentement constitué par plusieurs générations de musiciens.

Les écrivains mêmes qui, en présence des progrès et de la vogue du « poème sympho- nique», ont, depuis quelques années, abordé le problème de la musique descriptive par son côté historique, n'ont guère encore essayé de remonter aux origines. M. Wilhelm Tappert, dans le chapitre de ses « études musicales » intitulé « Zooplastique en musique » ^, il a rassemblé les notations du chant, du cri ou de l'allure des animaux chez un grand nombre de compositeurs, n'a presque pas cité d'exemples du xvi^ siècle. M. Jules Cariez et M. Adolphe JuUien ont commencé à Lully leurs articles sur « les musiciens paysagistes » et sur « la musique

i. C'est ainsi qu'ont procédé les écrivains de l'école philo- sophique depuis Victor Cousin dans son célèbre livre Du vrai, du beau, du bien, jusqu'à M. Edmond Goblot, dans son article : La Musique descriptife de la Revue philoso- phique, 26» année, 1901, p. 58 et suiv.

1. W. Tappert, Musikalische Sludien, Berlin, 1868, in-S».

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 85

pittoresque »*. On ne peut mentionner que pour mémoire le petit livre de Johannès Weber ^ M. R. Hohenemser, en examinant théorique- ment la possibilité de la description dans la musique à programme, s'est abstenu d'en retra- cer l'historique^. M. Wœllïlin, qui a divisé son travail par matières, en s'occupant successive- ment des traductions musicales de l'orage, du chant des oiseaux et du bruit des cloches, n'est pas remonté au delà de l'époque classique *. De même, M. M. Griveau, au sujet de l'inter- prétation de l'orage "". M. Max Vancsa a pris dans la musique instrumentale du xvii® siècle le point de départ de ses articles sur l'histoire de la musique h programme ^, en se bornant à

I. J. Carlez, Les Musiciens paysagistes, dans les Mé- moires de l'Académie de Caen, année 1870, p. 216 et suiv. Ad. Jullien, Airs variés, Paris, 1877, in-ia", p. 187 et suiv.

1. J. Webek, Les Illusions musicales, Paris, i883, in-ia» ; édit., 1900, in-i2.

3. R. Hohenemser, Ueber die Programmmusik, dans les Sammelhsende der Internationalen Musikgesellschaft, t. I, 1899-1900, p. 307 et suiv.

4. E. von W0ELFFLIN, Zur Gescliichte der Tonmalerei, dans les Sitzungsberichte der philos, philol. histor. Klasse der Kgl. Ahademie der Wissenschaften zu Mûnchen, années 1897 et 1898.

5. Maurice Griveau, L'interprétation artistique de l'orage dans la Rivista musicale Italiana, vol. III, année 1896, p. 684 et suiv.

6. D"" Max Vancsa, Geschichte der Programmmusik, dans la revue Die Musik, année, 1902-1903. t. IV, p. 323 et suiv., 4o3 et suiv.

86 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

une courte énumération de quelques œuvres précédentes \ M. Wilhelm Klatte, en reprenant le même sujet, n'a guère traité moins briève- ment l'époque de la Renaissance ^ M. Karl Nef, bien informé des œuvres du xvi^ siècle, s'est limité au domaine spécial des descriptions musicales de batailles ^, dont s'est occupée récemment M°^« Eisa Bienenfeld \

M. Frederick Niecks, dans le gros livre qu'il vient de consacrer à la musique à programme, n'a cru devoir accorder que six pages aux œuvres anciennes ^

Les mêmes questions ont été souvent tou- chées relativement à des maîtres ou à des

1. Le D"^ Vancsa a eu la main malheureuse en rangeant les Motettl del friiilo et les Motetti del fiore parmi les œuvres de musique descriptive, et en les attribuant à Nicolas Gombert, tandis que ces célèbres recueils, très rares, il est vrai, mais souvent décrits, sont des collections de morceaux religieux de différents compositeurs.

2. W. Klatte, Zur Geschichie der Programmmusik. Berlin, s. d. (igoS), in-i2 (VII. Bd. de la collection Die Musik, hrsg. von Richard Strauss).

3. Karl Nef, SchlachlendarsteUungen in. der Musik, dans Die Grenzboten, année 1904, t, III, p. 280 et suiv.

4. Elsa Bienenfeld, Ueber ein besLimmtes Problem der Pro- grammmusik dans le Bulletin mensuel de la Société inter- nationale de musique, année, 1906-1907, p. i63 et suiv. On voudra bien nous permettre de dire que nous avons autrefois fait paraître un petit essai sur Les Batailles en musique dans le Guide musical des 23 février, i*"" et 8 mars 1888.

5. F. NlECKS, Programnimusic in ihe last four centuries. Londres, s. d. (1907), in-8°.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 87

ouvrages déterminés : mais l'histoire des ori- gines de la musique descriptive reste encore à écrire.

Le travail que nous présentons au lecteur n'a pas, certes, la prétention de combler une telle lacune, et de dire d'un seul coup le dernier mot sur un ordre de faits que la philosophie n'est pas près d'expliquer, non plus que l'éru- dition u est assurée d'en pouvoir jamais éclairer toutes les obscurités historiques. Pour au moins éviter quelques-unes de celles qui résultent d'un malentendu, il n'est meilleur moyen que de s'entendre au préalable sur une bonne défi- nition. Nous prions donclelecteur de n'attendre de nous rien qui concerne la musique exprès- swe, la peinture musicale, ou Tonmalerei des esthéticiens allemands, mise au service de l'expression des émotions. Nous nous occupe^ rons exclusivement de la musique imitadve ou descriptive, dans laquelle le compositeur s'ins- pire des bruits extérieurs, ou s'efforce de sug- gérer à l'auditeur, par des sons, des images visuelles, et de représenter des objets ou des actes réels, plutôt que de traduire l'impression produite par ces objets ou ces actes sur l'ima- gination. Cette conception picturale de la musique descriptive, cette recherche immédiate de l'imitation de la nature, a été le premier stade du long développementhistorique de la musique

88 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

à programme. Nous en arrêterons provisoire- ment l'étude à la fin du xvi^ siècle.

I

Si nous demandons aux écrivains du xviii® siècle de nous renseigner sur les origines de la musique descriptive, ils ne se montreront nullement embarrassés pour nous répondre qu'elle fut inventée dans le Paradis terrestre. Dom Caffiaux, traitant de l'histoire de la mu- sique « depuis la naissance du monde jusqu'à la prise de Troie », examine « si Adam était musicien » ^ A la vérité, dit-il, « il seroit diffi- cile de fixer la première époque de la musique, si l'on ne parloit qu'aux philosophes, aux algé- bristes, aux géomètres, aux mathématiciens, à ces hommes de calcul et de combinaisons qu'on ne persuade que la règle et le compas à la main . Mais si des conjectures vives et frappantes peuvent quelque chose sur des esprits raison- nables, je ne vois pas qu'on puisse se dispenser de croire que l'époque de la création du pre- mier homme n'ait été celle de la musique. »

I. Dom Caffiaux (i 712-1777), religieux bénédictin, connu surtout par son Trésor généalogique, n'a ni publié ni ter- miné ^on Histoire de la musique, dont le ms., sensiblement diJGFérent de la description qu'en a donné Fétis, existe à la Bibliothèque Nationale de Paris.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 89

C'est, ajoute Dom Caffiaux, « le sentiment du P. Parran, jésuite, du baron des Coutures, et de plusieurs autres écrivains » *.

Il reste à savoir par quelle voie notre premier père fut conduit à une si belle invention. Adam, selon le savant religieux, «entend autour de lui les oiseaux former des concerts que la nature seule leur a appris. Seroit-il insensible à cette mélodie ? ou plutôt ne chercheroit-il pas dans son propre organe à rendre des sons qu'il entend si souvent répéter ? Peut-être même que les divers sons que la nature faisoit retentir de toutes parts pouvoient lui faire naître l'idée de réduire en art et de transmettre à la postérité une science dont il avoit apporté les premiers principes en voyant le jour ».

Il y avait dans ces « conjectures » de Dom Caffiaux un essai curieux de conciliation entre les traditions païennes de Lucrèce et la doctrine de saint Thomas d'Aquin"^ : le P. Martini devait

1. Les ouvrages auxquels fait allusion Dom Caffiaux sont le Traité de la musique théorique et pratique du P. PARRA^f imprimé à Paris en 1646, et La Morale universelle, de Jacques Parrain, baron des Coutures. Paris, 1687.

2. Au livre V du poème de Lucrèce, Z)e natura rerum, se lit un passage sur l'origine de la musique Le chant flexible des oiseaux fut imité par la voix longtemps avant qu'une suave mélodie s'unît aux vers faciles po'ur charmer l'oreille des humains », etc. La doctrine de saint Thomas énoncée dans sa Somme, part. I, quest. 94, art. 3, consis- tait à affirmer qu'Adam avait sur toutes choses « la science

90 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

s'en tenir à celle-ci, sans d'ailleurs y donner beaucoup plus qu'une adhésion tacite ^. Quant à Gresset, en sa qualité de poète, et bien qu'il écrivit en simple prose son Discours sur Char- moiiie"^ il préférait attribuer à la femme l'hon- neur d'une si belle découverte : « Consultons les archives du monde, s'écrie-t-il avec emphase. Dès qu'Eve eut entendu les gracieux accents des oiseaux, devenue leur rivale, elle essaya son gosier ; bientôt elle y trouva une flexibilité qu'elle ignorait, et des grâces plus touchantes que celles des oiseaux mêmes )>.

Nous ne nous attarderons pas à des citations qui n'ont de l'histoire que le nom. C'est a une époque à peine éloignée de nous de quelques siècles, et dans les contrées de l'occident latin, que nous nous bornerons à chercher les plus anciens essais de véritable musique descriptive.

Le premier musicien qui s'écria : « Et moi aussi, je suis peintre ! » se perd dans la foule anonyme des musiciens du moyen âge. Peut- être était-ce l'un de ces moines, retirés dans la paix des cloîtres, qui, entre les longs offices de

infuse ». Le P. Mersenne et le cardinal Bona sont partis de ce principe pour lui attribuer la connaissance de la musique.

I. G.-B. Martini. Storia délia musica. Bologna, 1757, vol. I, p. i4-

1. Ce petit ouvrage de Gresset, publié à Paris en 1787, a été reproduit dans les éditions de ses œuvres.

ORIGINES DE LA iMUSIQUE DESCRIPTIVE QI

jour et de nuit, s'occupaient h enluminer des manuscrits et à composer des séquences.

On pourrait aisémont découvrir dans le réper- toire du chant grégorien de nombreux exemples de commentaire ou de description par le chant d'un mot ou d'une phrase du texte ; ce ne seraient pas seulement les formules vocalisées qu'ap- pellent naturellement les idées de jubilation ou d'exaltation, les mentions d'une clameur qui s'élève dans la nuit, ou d'une voix qui résonne aux oreilles ^, mais bien encore des images figu- rées, comme celle des divers langages parlés par les Apôtres, dans VAlleluia de la Pen- tecôte, Loquebantur çariis liiiguis^ le mot çariis est marqué par la répétition d'un même dessin sur des degrés différents de l'échelle ; ou la valeur donnée au mot adducentur dans le courant, et surtout à la fin du Trait de la messe du commun des Vierges. Si ces fragments mélodiques ressortent évidemment de ce que l'on appelle la « peinture musicale », on n'y voit cependant que le côté abstrait de cette pein- ture, la spécification d'une idée et non pas la représentation d'un phénomène ou la narration

I . Alléluia : Quinque prudentes uirgines, de la fêle de sainte Agnès, sur les mots : « Media autem nocte clamor factus est ». Trait : Domine, Deus virtutem, de la fête du S. iNom de Jésus, sur les mots : « Sonet vox tua in auribus meis ».

92, MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

d'un fait. Ceci est au contraire ce que Ton croit deviner dans l'une des séquences attribuées à Notker, le célèbre religieux de Saint Gall, au IX® siècle, qui commence par les mots : Sancti Spiritus adsit nobis gratia^ et qui passe pour lui avoir été inspirée par le bruit monotone et régulier d'une roue de moulina Une petite for- mule ondulatoire, plusieurs fois ramenée dans la pièce, en serait un souvenir.

Les intentions expressives révélées souvent dans les mélodies grégoriennes ne doivent pas se confondre dans nos recherches avec les inten- tions imitatives. Celles-ci furent, dans le chant profane, suggérées aux musiciens parles poètes ou par Tambiance d'une époque s'éveillait de toutes parts ce que l'on est convenu d'appe- ler « le sentiment de la nature » : une dispo- sition à ressentir le charme, à comprendre la beauté, à pénétrer le sens du monde extérieur, et à vouloir en décrire, en reproduire, en inter- préter l'aspect matériel et la signification morale ou mystique. Bien avant que, à l'époque de la Renaissance, le « Pétrarquisme » soit venu sti- muler sur ce point la poésie française, l'art médiéval s'appliquait déjà sincèrement à l'étude

I. ScHUBiGER, Die Sungerschule St. Gallens. Einsiedeln, i858, 10-4", p. r»4, ex. noté n<» 23. Variae preces ex liturgia tiim hodierna tum ajitiqua collectas. édil. Solesmes, 1896, in-8°, p. i56.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 93

des phénomènes de la nature, et si la littérature didactique et la peinture de paysage ne for- maient pas encore de « genres tranchés », elles existaient en puissance \ Par les monuments plastiques et scripturaux de cette époque féconde, il serait aisé de montrer les hommes du moyen âge attentifs aux spectacles naturels et à la vie des plantes et des animaux, entre- mêlant, dans les « Bestiaires » aussi bien que dans les bas-reliefs, l'observation directe avec les traditions bibliques et les légendes fabu- leuses. Comme les poètes et les conteurs, les peintres, les enlumineurs, les brodeurs situaient les personnages de leurs fictions romanesques, de leurs fresques, de leurs miniatures, de leurs tapisseries, au milieu de prés fleuris, de jardins embaumés, de forêts bruissantes, qui formaient aux aventures joyeuses ou sentimentales, aux amoureux dialogues des bergères et des pastou- reux, des « gentils chevaliers » et des « dames

I. En étudiant « le sentiment de la nature dans la litté- rature de la renaissance française );, M. J. Voigt a émis l'opinion que la peinture ne pouvait pas avoir influencé les poètes en ce sens, parce qu'à cette époque la France ne possédait pas encore « une école de paysage » (J. Voigt, Dus Naturgefiihl in der Litteratur der franzosischen Renais- sance. Berlin, 1898, in-S", p. 120, i-ii). On ne trouve pas, en effet, une « école de Paysage », cultivant le paysage en soi, chez les peintres primitifs : mais chez tous et notam- ment chez les miniaturistes, se dénote au moins Vobserca- tion de la nature, naïvement contemplée, scrupuleusement imitée.

94 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

débonnaires », un encadrement à la fois con- ventionnel et réaliste, tout rempli de fleurs et d'oiseaux. Il n'était point d'édifice que Ton ne décorât de motifs empruntés à une flore et une faune naïves et capricieuses, point de heaume ni de cuirasse qui ne fussent ornés de figures d'hommes ou d'animaux, de scènes de chasse ou de guerre ; toute la science du blason reposait sur l'emploi de figures stylisées de plantes ou de bêtes réelles ou fantastiques. Autour des musiciens, tout contribuait à créer une atmos- phère qui devait les inciter à concrétiser l'expression de leur art en des essais d'imita- tion réaliste : et il était inévitable qu'ils fussent amenés par une transposition littérale des pro- cédés des arts plastiques, à s'arrêter tout d'abord, en face des spectacles de la nature ani- mée, à ceux qui ressortaient du domaine du son, et semblaient leur parler d'avance leur propre langage.

C'étaient, au premier rang, les concerts des oiseaux, que les poètes à l'envi célébraient. Les chansons abondaient, le a rossignolet du bois joli )) apparaissait comme un messager d'amour, et plus d'une d'entre elles est passée, au XVI® siècle, du répertoire du chant populaire dans celui de la composition polyphonique. Mais en dehors de toute traduction musicale, la littérature médiévale consacrait à la louange

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE qS

des oiseaux chanteurs assez de pages pour for- mer toute une anthologie. Tel poète se borne à des exclamations admiratives :

Deus ! con si ait biaus bois !

Li roisignors i chante,

La mavis, la callandre,

Li orious, tuit li oisel ki sont ^.

Tel autre se dit sollicité à chanter lui-même par les voix du printemps :

Quant froidure trait a fin

Encontre la seson, Que chantent en leur latin

Par bois cil oiseillon, Et verdissent cil gardin.

Lors si [est bien] raison Que je chant de cuer très fin-.

Baudoin de Condé aimait entendre

Chanter le malvis et l'aloe,

Qui en son dons chant le temps loe ^.

L'auteur du poème des Trois Marie ne man- quait pas de consacrer aux oiseaux chanteurs quelques vers ^, et Tauteur des Echecs amoii-

1. G. Raynaud, Recueil de motets français des Xli^ et XIII^ siècles, Paris, i883, t. II, p. 7. Les oiseaux ici nommés sont le rossignol, l'alouette huppée (mauvis) l'alouette sentinelle (calandre) et le loriot (orious).

2. G. RA.YNAUD, ibid., t. II, p. 41.

3. Histoire littéraire de la France, t. XXIII, p. 280.

4. BoNNARD, Les Traductions de la Bible en fers français.

96 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

reux regardait leurs concerts comme profi- tables à riiomme :

Maint oysel enseraent

Chantent mélodieusement

Et ont, ce semble, par nature,

L'art de musique et la mesure,

Tant chantent de belles chansons

En pluiseurs divers plaisants sons

Qui aux hommes souvent prouffittent *.

Pour décrire ces « plaisants sons )>, Chris- tine de Pisan parlait de « notes », de « leçons », de « virelais » ^ -^ le roi René déclarait la voix des alouettes

Plus a droit et plus fine maistrie Bien réglée que nul ton d'organie Par musique, tel qu'on saiche noter 2,

et Jean Lemaire de Belges, employait résolu- ment tout un vocabulaire musical pour décrire

Paris, 1884, p. 201. Le poème des Trois Marie est daté de 1357.

(. Le poème des Echecs amoureux fut versifié vers 1370. Ses parties relatives à la musique ont été publiées par H. Abert dans les Romanische Forschungen de K. Voll- moller, t. XV, 1903. p. 883 et suiv. Dans le commentaire en prose du même poème, rédigé au XV« siècle (Bibl. Nat. de Paris, ms. fr. i43), on trouve un long éloge du chant du rossignol (fol. 86).

2. Le Dict de Poissy (1400) dans les Œuvres poétiques de Christine de Pisan, publ. par M. Roy pour la Société des anciens textes français. Paris, 1891, t. II. p. 63.

3. Œuvres complètes du roi René, publ. par de Quatre- barbes, t, II, p. 107.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 97

les concerts entonnés au petit jour par la troupe des oiseaux, dans le temple de Vénus^ Puisque, au dire des poètes, les oiseaux étaient si bons musiciens, le chemin des com- positeurs se trouvait tout tracé, pour suivre leurs leçons. Comment s'y engagèrent-ils, tout d'abord ? Le troubadour Guiraut de Calenson, dans la sirvente célèbre il donne des con- seils àun jongleur, n'omet pointdeluienjoindre: « Sache imiter le chant des oiseaux », de même qu'il lui recommande d'apprendre h ce bien trouver et bien rimer un jeu parti », à jouer de plusieurs instruments, à faire des tours d'adresse avec des pommes et des couteaux ^ Sans doute veut-il parler d'une imitation méca- nique ou littérale : le talent d'un sifïleur habile devait suffire, comme les exercices d'un bate- leur ou d'un ventriloque, à récréer un public peu exigeant^. Passer de l'imitation pure et

1. Œuvres de Jean Lemaire de Belges, publ. par J. Stecher. Louvain, i885, t. JII, p. 109.

2. Raynouard, Choix de poésies des troubadours, t. II, p. 21 5 et t. V, p. 168. Hist. littér. de la France, t. XVII, p. 577.

3. Les siffleurs n'ont pas été admirés seulement pendant le moyen âge : l'un des divertissements préparés à Orléans pour la réception de Charles-Quint, le 20 novenjbre xSSg, fut celui d'un siffleur caché dans un arbre du cloître Saint- Aignan, dont on avait enveloppé les branches d'étofl'es vertes, pour simuler le feuillage absent ; il surprit l'empereur par son adresse à imiter le chant du rossignol (IIomagnesi. Histoire d'Orléans, cité par Challamel, Mémoires du peuple

Brenet. 7

gS MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

simple à rinterprétation artistique demandait une éducation esthétique et la possession de moyens d'exécution que devaient lentement acquérir les musiciens de Tépoque médiévale. On ne voit pas qu'ils aient fait de très bonne heure des efforts en ce sens. Le petit poème latin sur le chant du rossignol, dont La Fage a publié le texte, surmonté de sa notation en lettres, d'après un ms. du xii^ siècle \ ne peut être mentionné qu'au point de vue littéraire : le poète-musicien n'a pas tenté de rapprocher sa mélodie des insaisissables autant qu'inépui- sables vocalises de « la Philomèle ». Dans les lais, chansons, rondeaux en langue vulgaire, à voix seule, notés du xiii^ au xv® siècle, les strophes qui renferment des allusions poétiques directes au chant des oiseaux se disent sur la mélodie qui sert aux autres couplets ". Tout au

français, t. V, p. 2o3). En 1773, un individu qui se faisait appeler « il Signor Rossignol » étonnait ses auditeurs par un « chant factice » qui produisait « la sensation d'une réalité frappante » (Cf. le témoignage du comte Lambert, cité dans le Magasin pittoresque, année i856, p. SgS).

1. J.-A. DE La. Fage, Essais de diphthérographie musicale, p. 273.

2. Il en e.ft ainsi, par exemple, pour le « lai de la pas- tourelle » (Voy. Lais et descortz français du XI 11'^ siècle, publiés par Jeanroy, Brandin et Aubry. Paris, 1901, in-fol., p. 139. no XXIV) et pour les chansons : « Quand m'en venoye du bois » et a II est venu le petit oysillon » {y. Chan- sons du XV^ siècle^ publiées par G. Paris et Gevaert, exemples notés n»» 6 et 67).

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 99

plus, au XV® siècle, une version ornée de la chanson en Thonneur du rossignol : « On doit bien aimer Toisellet », semblerait-elle com- porter, dans ses petites broderies, un certain désir de rappeler de très loin les brillantes vocalises de Toiseau \

L'introduction dans l'art musical d'effets tirés du chant des oiseaux n'est donc pas due à la chanson populaire. Il faut en chercher les pre- mières tentatives chez les contrapuntistes, et les voir puiser directement aux sources de la nature.

De toutes les agrestes mélodies qu'ils pou- vaient essayer d'emprunter au petit monde des oiseaux, le plus aisé à noter, le plus nettement musical, était le chant monotone du coucou, que dans les climats tempérés l'on entend, plu- sieurs mois durant, jeter sans trêve sa tierce, harmonieuse et sonore, à travers les mille bruits de la forêt. Il n'est pas surprenant que ce chant ait joué un rôle prépondérant dans les plus anciennes pièces de musique descriptive^.

I. Chansons du XV° siècle, n»» 109 et 109 bis. Pour le texte, V. p. XVI et p. 106-107. La chanson de l'oiselet était populaire au xv siècle. M. Gaston Paris rappelle qu'elle a été citée par Rabelais. Son texte figure au ms^ de Bayeux et se retrouve en 1378 dans le Premier Hure de chansons à trois parties publié par Ballard.

1. Quelques auteurs, et notamment M. Carl Stumpf (Musikpsychologie in England, dans la Vierteljahrsschrift fur Musikwissenschaft , t. I, i885, p. 3i3), assurent que le

100 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Nous le voyons en elFet apparaître au XIII® siècle dans le célèbre canon anglais ce Sumer is icumen », que tous les historiens de la musique ont cité ou reproduit * en l'étu- diant sous son aspect le plus intéressant, qui est celui de la technique de la composition à plusieurs voix. Au point de vue de son contenu poétique, ce morceau pourrait passer pour le premier de tous les paysages musicaux, puisque son texte est absolument descriptif^ et que les

chant du coucou varie de l'intervalle de seconde à celui de triton ; pour notre part, dans l'Est de la France, nous n'avons jamais entendu l'oiseau toucher d autres intervalles que la tierce majeure ou mineure. On ne contestera point que ce soit, dans le plus grand nombre des cas une carac- téristique de son chant, et nous verrons que la plupart des compositeurs s'y sont conformés. Sur le rôle joué par le coucou et par son chant dans les traditions et la poésie populaires des nations germaniques et Scandinaves, cfr. l'étude considérable de Mannhardt, Der Kuckuh, dans la Zeitschrift fur deutsche Mythologie^ t. lil . Gœttingen, i855, pp. 209-298. Un naturaliste allemand, M. Fr. Tho- mas, a ouvert en 1907 sur le chant du coucou une enquête pour laquelle il sollicitait les communications des observa- teurs. Cfr. le Bulletin mensuel de la Société internationale de musique, t. VIII, 1906-1907, p. 338.

1. Nous ne rappellerons que les publications les plus récentes : The Oxford History of music, vol. 1, The Poly- phonie peiiod, part. I, by H. E. Wooldridge. Oxford, 1901, pp. 326-338, avec fac-similés, et Hugo J. Gonrat, // pià antico dei canoni conosciuti, dans la Riuista musicale ita- liana, vol. XI, 1904, pp. 5oo-5i4 ; et l'article de Rockstro dans la édit. du Dictionary of music, de Grove, t. IV, 1908, pp. 747-754.

2. « L'été est tevenu, le coucou chante, les fleurs s'ouvrent.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE lOI

mots « le coucou chante », y provoquent le musicien à des efîets imitatifs. Or celui-ci, fort occupé de combinaisons canoniques et harmo- niques très nouvelles à cette date, hésite dans sa notation du motif de Toiseau. Au lieu de s'en tenir aux sauts descendants de tierce ou de seconde, qui paraissent principalement dans la partie finale de la plus ancienne version du mor- ceau, il se trouve, par la texture de son difficile travail, conduit à employer aussi des intervalles ascendants, lesquels, placés également sur les syllabes caractéristiques du chant de Toiseau, ne les traduisent plus qu'au rebours de la nature.

Cent ou cent cinquante ans plus tard, sur les limites du xiv^ et du xv® siècle, alors que se forment simultanément dans chaque contrée de l'Europe occidentale des écoles ou des groupes de compositeurs, on voit éclore presque en même temps et presque de toutes parts des œuvres de musique descriptive. Elles ne s'ins- pirent pas toutes uniquement des tableaux de la nature ; quelques contrapuntistes s'essaient à recueillir les bruits d'une chasse, d'un mar- ché, d'une bataille. Nous dresserons première- ment une liste de quelques pièces antérieures à l'année 1420 environ, qui font allusion au

les bois reverdissent , dans la prairie bondissent les agneaux, etc. »

I02 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

chant ou au vol des oiseaux, et aux cris de divers animaux ^

TEXTES ITALIENS

I , Agnel son bianco e vo belando, à 'i voix, texte de Francesco Sacchetti, musique de Giovanni de Florence. Florence, Bibl. Laurent., ms. Pal. 87, fol. I ; Paris, Bibl. Nat., ras. ital. 568, fol. 18 et ms. fr. nouv. acq. 6771, fol. 12 v°. Texte publié par Gappelli ^, fac-similé de la nota- tion publié par Gandolfi^.

'1. Alba Colomba^ à 3 voix, musique de Bartolinus de Padua. Florence, Pal. 87, fol. io5 ; Paris, fr. n. a. 6771, fol. 19 v*^ ; British Muséum, add. mss. 29987, fol. II v°. Texte publié par Gar- ducci *.

3, Como da lupo pecorella presa, à 2 voix, texte de Nicola Soldanieri, musique de Donatus de Flo-

1. Les mss. cités ci-après ont été décrits par M. Johannes Wolf, qui en a donné les tables et de nombreux extraits en fac-similé et en notation moderne dans sa Geschichte der Mensural-Noiation von 1250-1^60. Leipzig, 1904, 3 vol. in-S". D'importantes corrections et additions aux descriptions et aux textes de M. Joh. Wolf ont été apportées par M. Fr. Ludwig, dans son compte rendu de cet ouvrage, inséré dans les Sammelbdnde der Internationa] en MusikgeseUschaft, t. VI, 1904-1905, p. 597 et suiv.

2. Gappelli, Poésie musicali del secolo XIV, XV et XVI. Bologne, 1868, in-ia", p. Sa.

3. R. Ga-NDOLfi, Illustrationi di alcuni cirneli concernenti Varie musicale in Firenze, 1892, tav. VIL

4. G. Carducci, Opère, vol. VIII {Studi letterari). Bologne, 1893, in-8°, p. 362.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE Io3

rentia. Florence, Pal. 87, fol. 78. Texte publié par Carducci '.

4. Girando un bel falcon, à 2 voix, anonyme. Paris, ital. 568, fol. i38v^

5. I fu gia usignuolo, à -i voix, texte de Nicola Soldanieri^ musique de Donatus de Florentia. Flor. Pal. 87, fol. 7^ ; Paris, ital. 568, fol. 17 v^ Texte publié par Carducci -.

6. Lucicla pecorella, à 1 voix, musique de Dona- tus de Florentia. Florence, Pal. 87, fol, 73 ; Bibl. Naz. ms. Panciat. 26, fol. 84 ; Paris, ital. 568, fol. 14 v°. Texte publié par Carducci ^.

7. Sotto verdi frescheiti molto augelli, à 'i voix, musique de Ghirardellus de Florentia. Florence, Pal. 87, fol. 26 ; Panciat. 26, fol. 89 ; Paris, ital. 568, fol. 26 v^

8. Un bel gîrfalco, à 2 voix, texte de Nicola Soldanieri, musique de Donatus de Florentia. Flo- rence, Pal. 87, fol. 71 v'* ; Paris, ital. 568, fol. i5 v°. Texte publié par Trucchi '^ ; fac-similé de la notation publié par Gandolfi ^; fac-similé et traduc- tion en notation moderne, publiés par Joh. Wolf 6.

9. Un bel sparver, à 2 voix, musique de Jacobus de Bononia. Florence, Pal. 87, fol. 9 v*^ et Pan- ciat. 26, fol. 74 ; Paris, fr. n. a. 6771, fol. 4 v*'. Fac-similé et traduction en notation moderne, pu- bliés par Joh. Wolf ^

1. Carducci, Opère ^ vol. VIII, p. 874.

2. Ibid., p. 36:).

3. Ibid., p. 391.

4. Trucchi, Poésie italiane inédite, vol. II, p. igS.

5. Gandolfi, tav. XII.

6. J. WoLF, t. III, p. 114.

7. Ibid., p. 97.

104 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

lo. Ln cane^ unocca e una vecchia pazza, à '2 voix, musique de Donatus de Florentia. Flo- rence, Pal. 87, fol. 74 v^. Texte publié par Garducci ^

II et l'i. Uselletto seli>aggîo, deux pièces à 3 voix, musique de Jacobus de Bononia. Florence, Pal. 87. fF. 12 et i3, et Panciat. 26, fol. 69 et 73; Paris, ital. 568, fol. 43 et fr. n. a. 6771, ff. 7 et 8 ; Londres, Brit. Mus., add. mss. 29987, fol. i5. Texte publié par Trucchi ; fac-similé et traduction en notation moderne publiés par Joh. Wolf^.

TEXTES FRANÇAIS

i3. En ce gracieua. temps joly^ à 3 voix ; sous le nom de « Selesses Jacopinus » (appelé ailleurs Jacob Selenches), dans le ms. de Modène, Est. L, 568, fol. 26 ; anonyme dans le ms. de Paris, fr. n. a. 5771, fol. 67 v°, et dans le ms. de Padoue 11 1 5.

14. Hé, très doux rossignol joly, à 3 voix; sous le nom de Borlet dans le ms. de Chantilly, musée Gondé 1047, ^^^- ^^ ^ ; anonyme dans le ms. de Paris, fr. n, a. 6771, fol. 53 ; le même se trouvait dans le ms. de Strasbourg ^

1. Gakducgi, vol, VIII, p. 382. On trouvera dans le même vol. de nombreux extraits d'autres pièces de mss. de Florence, dont le texte littéraire se rapporte directement ou indirectement aux animaux.

2. J. WoLF, t. m. p. 99 et ICI.

3. V. sur ce ms. le catalogue publié sous la direction de M. Leopold Delisle : Chantilly, le Cabinet des lii>res, manuscrits, t. II, p. 277 et suiv. ; J. Wolf, Geschichte, t. I, p. 328 et suiv. ; LuDwiG, p. 599 et p. 611 et suiv.

4. Le ms. de Strasbourg-, qui a péri dans les incendies

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE lo5

i5. La corneille quil liât, 3 voix, anonyme. Paris, ms. fr. n. a. 6771, fol. 81.

16. Onques ne fu si dure départie^ 3 voix, ano- nyme. — Paris, ms. fr. n. a. 6771, fol. 67 v°.

17. Or sus, vous dormez trop, 3 voix, anonyme. Paris, ms. fr. n. a. 6771, fol., 78 v°, et ital. 568, fol. i'23. Londres, Brit. Mus., add. ms. "29987, fol. 76 v°. Dans le ms. de Paris ital. 568 et dans le ms. de Londres, cette chanson comporte une seconde partie : Or tost, naquaires.

18. Or sus, or sus^ de p. sus tous les aultres, ms. de Pavie 5i, fol. 67 1.

19. Par maintes f'oys ay oy recorder, 3 voix, mu- sique de Jean Vaillant. Ms. de Chantilly, f. 60. Le même morceau, réduit à 1 voix par la suppres- sion du contraténor, avec le texte « Per montes foys » au ténor, et un texte allemand « Der may mit lieber zal » figure parmi les œuvres du Minne- singer Oswald von Wolkenstein dans le ms. de Vienne, bibl. imp. 2777, et a été deux fois publié

du bombardement de 1870, a été sommairement décrit par AuG. LiPPMANN, Essai sur un ms. du A' siècle découvert dans la bibliothèque de la ville de Strasbourg, dans le Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques d'Alsace, série, t. Yll, 1869, p. 73 et suiv. et par M. P. Meyer, Notice sur un ms. brûlé ayant appar- tenu à la bibliothèque de Strasbourg, dans le Bulletin de la Société des anciens textes français, t. IX, x883, p. 55 et suiv. Voy. aussi sur ce ms. Vogeleis, Quellen und Bausteine zu einer Geschichte der Musik im Elsass, Stras-bourg, 191 1, in-8°, p. 85 et suiv.

I. Nous ne connaissons de cette chanson qu'un texte littéraire obscur, publié par A. Restori dans son étude sur Un codice musicale pavese , inséré dans la Zeitschrift fïir romanische Philologie, t. XVIII, 1894, p. 38 1 et suiv.

I06 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

SOUS le nom de Wolkenstein ^ M. Ludwig l'a res- titué à Jean Vaillant-.

20. Plasanche or tost^ à 3 voix, sous le nom de Pykyni dans le ms. de Chantilly, fol. 55 ; anonyme dans le ms, de Paris, fr, n. a. 6771, fol. 62 v°.

Il convient d'ajouter à ces quelques indica- tions la mention du fragment que Fétis a publié d'après un débris de ms. faisant partie de sa collection ". Ainsi que l'a fait remarquer M. Ludwig', ce fragment, « il est temps qu'il rousignols », etc., reproduit une phrase du texte de la pièce de Jean Vaillant, a Par maintes foys », avec une autre musique.

Une remarquable diversité apparaît dans la manière dont ce petit nombre de musiciens d'une même époque conçoivent et interprètent des sujets analogues soit quant au fond, soit quant aux détails. A ne considérer d'abord que les contrapuntistes italiens^, on les voit tantôt

1. Œupres de Oswald de Wolkenstein, publiées par OswALD KOLLER et Jos. ScHATZ, dans les Denkmàler der Tonkunst in Œsterreich, année, i''» partie, 1902. in-fol., p. 179. J. WoLF, Geschicide der Mensural Notation, t. III, p. 186.

2. LuDwKî, ouvr. cité, p. 6i3.

3. Fétis. Histoire générale de la musique, t. V, p. 3oo.

4. Ludwig, ouvr. cité, p. 499.

5. Voyez sur ces musiciens l'étude de M. J Wolf, Florenz in der Musik^eschichte des XIV . Jahrhunderts^ insérée dans les Sammelbànde der Internationalen Musikgesellschaft t. III, 1901-1902, p. 599 et suiv.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 107

introduire dans leur composition une imitation directe du cri des animaux : le bêlement des agneaux, sur la syllabe répétée, he, be^ be, dans les pièces Agnel son bianco, Corne da ItipOj Lucida pecorella ; l'aboiement du chien. té, té, dans Un cane, itnocca, et dans une chasse qui sera citée plus loin ; le cri d'un oiseau de proie, c/-o, cro, dans Girando un bel falco ; tantôt souligner par un dessin musi- cal qui fait image le passage de la poésie il est parlé du vol de l'oiseau, comme dans Un bel gù' falco et Un spar{>er :

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y^jmuT^

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lando

En d'autres morceaux, c'est simplement par l'allure coulante et ornée de ses thèmes que le compositeur s'efforce de rivaliser en quelque sorte symboliquement avec la mélodie des oiseaux, et d'égaler le charme de leurs concerts tout en renonçant à les reproduire. Dans le texte des deux pièces de Jacopo de Bologna, Uselletto selç>aggio, vient s'ajouter une inten- tion railleuse, née de l'opposition du chant

lo8 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

des oiseniix à celui des mauvais musiciens, qui croient bien chanter parce qu'ils crient fort. Les (c doux versets » des oiseaux sauvages ne servent que de point de départ ; le composi- teur les invoque pour caractériser de mélo- dieuses chansons, dites d'une belle façon ; c'est donc par l'excellence de la phrase musi- cale qu'il voudra les interpréter fictivement, et comme l'une des habiletés les plus haut pri- sées chez les chanteurs est la souplesse de la voix, il emploiera de légères vocalises, de longues formules mélismatiques. Les pièces : Alba colombà, I fa gia usignolo, Sotto i^erdi freschetti^ et d'autres encore, traduisent mélo- diquement dans un esprit allégorique analogue les allusions de leurs textes à la musique des oiseaux.

Chez les compositeurs français de la même époque se remarque une tendance plus expli- citement réaliste. Au lieu de symboliser par des vocalises recherchées le langage des oiseaux, ils multiplient dans leurs textes les onomato- pées imitatives, et dans leurs compositions de petits thèmes qui visent à reproduire les in- flexions caractéristiques du chant de chaque espèce. Pour le rossignol, ils emploient les syllabes : oçi, oçi^ ; i^oxxy le coucou, son nom ;

I. « Pendant tout le moyen âge, dit M. P. Meyer, le chant du rossignol est représenté par ochi et oçi. On ne s'est pas

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 109

pour l'alouette, les mots : que dit Dieu^ que te dit Dieu ; en les faisant résonner au milieu de leur contrepoint vocal, ils s'en servent pour préciser les contours d'un petit tableau musi- cal. C'en est un, que la chanson de Jacques Selenches, sur ces vers :

En ce gracieux temps joly En un destour l'aray oy

Si doulcement Et plus très joliement

Qu'onques ne vis Le rossignolet liement

Chanter oçi, oçi, oçi. Ains d'avril part il y avoit Un oiselet qui tousiours crioit

A haute vois

Coucou, coucou, Salant de buisson en buisson. ]\e point taire ne se voloit Mais tousiours plus fort cantoit

Dedans le bois Et ne disoit autre canson :

Coucou, coucou. Adonc tantôt je m'en parti Et m'en alay sans nul decri

Apertement, Vers le rossignol bel et gent

Que j'aimoy Et l'escoutay gaillardement

Disant oçi, oçi, oçi.

fait faute déjouer sur le double sens de ces deux syllabes ». V. Bulletin de la Société des anciens textes français, t. VIII, 1882, p. 71, et les exemples fournis par Lacurne de Sainte- Palaye et par F. Godefroy dans leurs deux Dictionnaires de l'ancienne tangue française.

IIO MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Non seulement les syllabes imitatives reçoi- vent un dessin musical approprié, mais le com- positeur cherche visiblement à faire image dans l'allure mélodique de la phrase notée sur les mots : « s'alant de buisson en buis- son ».

On retrouve la notation du chant du coucou dans la pièce anonyme la corneille^ et dans celle de Jean Vaillant, sur le vers :

Par maintes toys ay oy recorder Du rosignol la douce mélodie, Mais vesi veult le coucou acorder, Ains veult chanter contre ly, par envie, Coucou, coucou, coucou, toute sa vie.

Telle était la popularité du chant du cou- cou, que Ton vit Jean Martini, dans la seconde moitié du xv® siècle, en faire le thème d'une messe ; il le note, au ténor, dans chacun des morceaux successifs, sous la forme d'une tierce descendante, majeure ou mineure, fa-ré ou ut- la^ en variant seulement le choix des signes de durée ^ Jean Martini écrivait cette messe du

I. Quoique cette messe, conservée dans l'un des célèbres mss. de Trente, soit encore inédite, les seules indications du catalogue thématique de ces précieux recueils suffisent à faire supposer que Martini traitait le thème du coucou pour lui-même et comme une mélodie véritable : s'il en eût été autrement, si la tierce de l'oiseau eût été partie intégrante d'un motif de chanson, la similitude du thème dans le début de chaque morceau de messe ne se bornerait pas aux deux

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE III

COUCOU comme son contemporain Jean Cousin sa Missa tiihœ^ à titre d'exercice contrapun- tique. Cette idée, étrange à nos yeux, était bien dans Tesprit du xv® siècle, et ne doit être jugée que dans une mesure distante de notre critère moderne. Mieux vaut garder pour des œuvres plus rapprochées de nous un reproche de mauvais goût : Mettenleiter n'a-t-il pas rap- porté que vers i83o on chantait dans les églises de Bavière des litanies avec orchestre, compo- sées par un certain Schalk pour le prince de Tour et Taxis, et dans lesquelles une flûte, pendant toute la durée de V Agnus Dei, imitait obstinément le chant du coucou ^ ?

Dans l'impossibilité ils se trouvaient de noter les variations du rossignol, les contra- puntistes se bornaient, d'ordinaire, à les abré- ger en motifs conventionnels, qui apparaissent sous des formes presque semblables dans lai chanson Onqiies ne fu^ chez Jean Vaillant, dans la chanson Par maintes foijs :

premières notes. Voy. le catalogue des mss. de Trente, dans les Denkmdler der Tonkuiist in Œsterreich, 7* année. Trienter Codices, vol. I. Vienne, 1900, in-fol.. p. 67, n"* ii45- 1149.

I. Mettenleiter, Musikgeschichte der Stadi Regensburg, p. 281.

112 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

et chez l'auteur de la chanson, Hè, très doux rossignol joly :

Mais si Timitation du chant des oiseaux tient une grande place dans cette pièce, elle n'en forme cependant pas le sujet, qui est un petit poème amoureux. Il en est de même pour plu- sieurs chansons, et notamment pour celle : Or sus, vous dormez trop^ dont nous retrouverons le souvenir chez les maîtres du xvi^ siècle, et dans laquelle le chant de l'alouette annonce le lever du jour ; une seconde partie, Or tost, naquaires^ jointe dans deux manuscrits au cou- plet principal, ajoute au ramage des oiseaux, merle, inauvis, chardonneret, l'imitation d'une fanfare, qui sonne le réveil sur les syllabes tytLion^ tytiton.

Si la musique des oiseaux avait le privilège d'inspirer directement et fréquemment les musiciens du moyen âge, on les voyait aussi puiser à d'autres sources les éléments de leurs compositions descriptives. Telles étaient les descriptions musicales de chasses, dont un exemple intéressant a été publié en partition moderne par M. Johannes Wolf \ une

I. J. Wolf, Florenz in der Musikgesc/u'chte, etc., dans les

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE Il3

pièce à trois voix de Ghirardellus de Floren- tia, Tosto che Valba^ contenue dans les mss. de Florence, Pal. 77, et de Paris, ital. 568. Les hypothèses tant soit peu hardies qui ont été récemment présentées relativement à la participation des instruments dans l'exécution des pièces vocales du moyen âge ne peuvent nulle part sembler plus vraisemblables que dans cette composition, les voix, après avoir appelé et excité les chiens, annoncé et poursuivi le cerf, proclament sa capture aux sons du cor.

A côté de cette chasse, M. J. Wolf a publié, d'après le même ms. de Florence, une curieuse composition de messer Nicola Zacharias \ un chantre pontifical vers 1420, dans laquelle ce contrapuntiste a entrepris de repré- senter musicalement la confusion bruyante des offres et des demandes de la foule dans une foire ou un marché. Déjà dans le xiii® siècle, l'un des musiciens du ms. de Montpellier avait tenté Tesquisse d'un tableau analogue, et choisi pour ténor d'un motet à trois voix un cri de marchand en plein vent : « Fraise nou- velle ! mûre franche ! >), Ce cri, quatre fois répété, soutenait les deux autres parttes^ dont

Sammelbànde der Internationalen Musikgeseltschaft, t. III, p. 629.

I. Ibid., p. 618 et suiv.

Brenet. 8

114 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

l'une a pour texte l' en umé ration des denrées que l'on peut trouver à Paris :

A Paris, soir et matin

Truev'on bon pain et bon cler vin.

Coussemaker, en étudiant le ms. de Mont- pellier, n'avait pas aperçu tout l'intérêt de ce morceau, sur lequel l'attention a été appelée par Pierre Aubry, qui le désigne comme « le plus ancien essai d'esthétique réaliste dans l'histoire musicale )> ^ : il précède, en effet, de plus d'un siècle, le morceau de Zacha- rias.

Dans celui-ci, les trois voix sont simultané- ment chargées de représenter les vendeurs, les acheteurs, les passants, les commères. Il n'y a pas à mettre en doute que les intonations habi- tuelles des annonces de marchands ne soient littéralement notées, tant la plupart sont proches d'une déclamation naturelle : et par conséquent le travail de Zacharias a consisté principale- ment, comme celui des déchanteurs, à rassem- bler et à « faire marcher ensemble » plusieurs thèmes donnés, souvent très simples et de très près apparentés les uns aux autres. Il suffit d'en détacher un ou deux de l'ensemble :

I. Pierre Aubry. Vieilles chansons françaises du XUI<^ siècle, dans la Tribune de Saint-Geruais^ t. XIII, 1907, p. 33.

OR[GINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE Il5

Fiesohi,f'iesrhi son rhe an.ohe i'rizza.nol A li

buoui me-lang-o-li! Sais! Sais!, Sal.savei-demostard;

Dans ce dernier cri s'aperçoit un artifice dont plus tard maint compositeur devait user pour obtenir des effets burlesques : la suspension du sens d'un mot sur sa première syllabe répétée. L'assemblage de ces petits segments mélodiques était donc combiné quelquefois en vue d'effets comiques autant que d'effets descriptifs ; mais ce que le musicien poursuivait avant tout, c'était le rendu de la vie. Si Zacharias ne dis- pose que de trois voix, si son œuvre reste har- moniquement simple, maigre, maladroite, il s'efforce d'y jeter une animation suffisante pour illusionner tant soit peu l'auditeur. Chaque par- tie vocale se compose, non pas du développe- ment suivi d'un ou deux thèmes, mais de la suc- cession rapide, hachée, incohérente, de petites phrases diverses; chaque chanteur joue plu- sieurs rôles, appelle, marchande, refuse, s'inter- roge et se répond à lui-même. Jannequin, cent ans plus tard, ne procédera pas autrement; et, sauf qu'ils ont à leur service toute une armée de choristes, les compositeurs modernes, dans

Il6 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

les scènes de marché de leurs opéras et opé- rettes, se montrent à peine un peu plus réalistes que le vieux chantre papal.

Sur le terrain des « batailles en musique » on peut trouver aussi des prédécesseurs à Jan- nequin. Le fait n'a rien d'inattendu, si Ton songe à la part alors revendiquée par l'élément mili- taire et chevaleresque dans la vie publique et privée, et si l'on se reporte aux récits, aux monuments de cette époque, qui nous offrent de la guerre une image si différente de celle à laquelle nous sommes aujourd'hui accoutumés. Depuis que « les progrès de la science » ont permis d'organiser de monstrueuses tueries, des armées entières peuvent se détruire sans se voir, en se servant d'engins compliqués et sûrs comme des instruments de précision, on a peine à se figurer ce qu'étaient les combats d'autrefois, dans lesquels les calculs de l'ingé- nieur ne venaient guère en aide à la bravoure de rhomme, et le son terrible des mines et du canon n'étouffait pas les clameurs des cris de guerre et les éclats des trompettes. Il faut lire dans les vieux chroniqueurs le récit de ces mêlées « le bruit de la noise était si grand, qu'il sembioit que la terre fondist». Chaque corps de troupe, chaque compagnie avait son cri particulier, devise, invocation religieuse, nom d'un état, d'une ville ou d'un prince; de

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE II7

la vigueur avec laquelle les hommes le pous- saient, on augurait de leur courage : « Comme le bruit et le tintamarre que le tonnerre fait dans les nues, en même temps que le car- reau de la foudre vient de se lancer sur la terre, ajoute beaucoup à l'étonnement que ce météore a coutume de former dans les esprits, il en est de même des cris des sol- dats qui vont à la charge ; car ces voix con- fuses poussées avec allégresse augmentent l'effroi et Tépouvante des ennemis, qui les prennent pour des preuves indubitables de cou- rage, le silence, au contraire, étant une marque de crainte » ^

Ces « voix confuses » d'une bataille invi- taient donc les musiciens à des essais des- criptifs pour lesquels, avec les « cris d'armes », les sonneries de trompettes et de fifres, les rythmes des tambours et les chansons de sol- dats fournissaient des thèmes en abondance. Dans le nombre de ces dernières, qui ont été recueillies, quelques-unes n'omettent point de rappeler les bruits du combat . Tel est le second couplet de la chanson « Il fait bon voir ces hommes d'armes », dont les premiers

I. Dissertation anonyme sur le cri d'armes, dans la Col- lection de Mémoires, publ. par Petitot et Monmerqué. Voyez aussi de Rochas d'Aiglun, Cris de guerre, decises, chants nationaux. Paris, 1890, in-8".

Il8 MUSIQUE ET MUSICIENS DE L4 VIEILLE FRANCE

vers se rapportent aux expéditions des Fran- çais en Italie :

Ruez, faulcons, ruez, bonbardes, Serpentines et gros canons. Et montez sus chevaux et bardes, Sonnez, trompettes et clairons, Affin que bon butin gaingnons Et que puissions bon bruit acquerre. Entre nous, gentilz compaingnons, Suyvons la guerre ! ^.

La mélodie de cette chanson ne révèle pas d'intentions imitatives. La plus ancienne bataille en musique que nous ayons pu découvrir ne remonte qu'à l'époque de Dufay oud'Ockeghem (fin du xv« siècle). C'est une chanson italienne anonyme, à trois voix, contenue dans le ms. fr. 1 5 1 23 de la Bibliothèque nationale de Paris. Le musicien n'a pas eu le dessein d'y peindre une bataille déterminée, ni toute Faction d'une bataille et ses péripéties. Il s'est borné à grou- per quelques-uns des cris poussés par les com- battants.

II

Dès les xiv^ et xv^ siècles, le principe de la musique descriptive se trouve donc admis par

I. G. Paris et Gevaert, Chansons du XV» siècle, p. 129 et 128 des exemples notés.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 119

les contrapuntistes, qui s'ingénient à le mettre en pratique par des procédés d'imitation directe. Quelles que soient la naïveté, la timidité, ou la maladresse de leurs procédés réalistes, ils en conçoivent l'application à tous les sujets dont s'empareront les maîtres du xvi^ siècle : bruits de guerre, rumeurs populaires, chasse, chant des oiseaux ; il reste à Clément Jannequin et à ses rivaux le soin de reprendre tout cela, et de le créer à nouveau, en amenant ce qui n'était qu'ébauches réduites et modelages indécis, à l'état de véritables œuvres d'art.

Entre tous les musiciens du xvi® siècle, Janne- quin reste personnellement Tun des plus mys- térieux. C'est vers iSaS qu'il apparaît subite-] ment, avec un livre de chansons, imprimé sans date, sans dédicace, sans la moindre indication d'origine, de fonctions, de résidence, chez Pierre Attaingnant, à Paris. Trente ans plus tard, quelques mots placés dans uneépître dédi- catoire enseignent qu'il se trouvait, en iSSg, « en pauvre vieillesse vivant » ^ Sa patrie, ses emplois, la durée de sa vie, l'époque de sa nais- sance et celle de sa mort, énigmes que tout cela.

I. Ce passage de la dédicace de ses Octante-d eux psaumes « à la reine de France » a été cité par Fétis, Biographie des Musiciens, t. IV, p. 42^, qui n'a d'ailleurs pas donné le document entier, non plus que l'indication du lieu il en avait pris connaissance.

I20 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Sans doute, son assiduité à chanter les victoires françaises, Marignan, Boulogne, Metz, Renty, montre en lui un sujet, peut-être un servi- teur, de François P"" et de Henri II ; mais ce que l'on a pu atteindre jusqu'ici des comptes royaux ne renferme aucune trace de son nom. Il se peut qu'il ait été attaché à la maison d'un seigneur secondaire : à cette époque un musi- cien, quels que fussent son talent et ses succès, restait un très petit personnage, dont les œuvres se répandaient sans que l'on fit grande atten- tion aux circonstances de sa vie. Rien n'est venu appuyer l'hypothèse de Fétis, qui, se basant sur le lieu d'édition de quelques recueils d'œuvres de Jannequin, supposait qu'il demeu- rait à Lyon : le nombre est bien plus grand des compositions et des livres entiers qu'il fit paraître à Paris, et c'est à tout le moins qu'il vivait en i559, lorsqu'il surveillait lui-même la réimpression de ses principales chansons des- criptives, dans le Verger de musique.

A peine oserait-on conclure absolument, d'après deux de ses dernières œuvres, qu'il était huguenot * : car le fait d'avoir mis en mu-

I. C'est l'opinion de Fétis, qui a naturellement été adop- tée avec empressement par O. Douen. dans son livre sur Clément Marot el le psautier huguenot, t. Il, p. i5. Cette ()pinion s'appuie sur les Octante-deux psaumes et les Pro- verbes de Salomon mentionnés ci-après. On doit remarquer

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE lai

sique une série de psaumes traduits en français* était alors commun à beaucoup de compositeurs et n'impliquait pas de leur part une adhésion effective à la Réforme. A plus forte raison faut- il écarter la proposition bizarre de Sterndale Bennett, qui a cru Jannequin juif, parce qu'il avait écrit des pièces à quatre parties sur une paraphrase en vers français des P/^oi^erbes de Salomon^. A la vérité, les compositions reli- gieuses sont très rares dans l'œuvre de Janne- quin. On n'y mentionne qu'un seul motet ^ et deux messes seulement, qui sont des arrange- ments de deux de ses chansons*; le livre de

que les rédacteurs de la France protestante n'ont pas fait place à Jannequin dans leur recueil.

1. Nous n'avons pu découvrir aucun exemplaire de ce livre de Octante-deux psaumes, que Fétis paraît avoir vu, et dont M. Douen répète le titre, avec la note « communication de G. Becker », sans indiquer davantage en quel lieu s'en trouve un exemplaire.

2. J.-R. Sterndale Bennett, art. Jannequin du Dictio' nary of music and musicians, de sir George Grove, 2^ édit., 1906, t. II, p. 526. Il est regrettable que tout cet article n'ait pas été refondu pour la édition. L'ouvrage ici visé a pour titre : Proverbes de Salomon, mis en Cantiques et rime Françoise, selon la vérité Hébraïque ; nouvellement composés en Musique à quatre parties, par M. Clément lane- quin. imprimés en quatre volumes. A Paris, de l'imprimerie d'Adrian Le Roy et Robert Ballard, i558. Avec privilège du Roy pour dix ans. In-S" obi. Bibl. Nat. de Paris, le ténor seul ; British Muséum, la basse seule.

3. Congregali sum, à 4 voix, en deux parties, dans le Liber Cantus trigenta, de J. de Bulghat, Ferrare, i538. Voyez ElTNER, Bibliographie der Musiksammelwerke , p. 42 et 642.

4. D'après une assertion de Fétis, des messes de Janne-

123 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

psaumes et le livre de proverbes qui viennent d'être cités : et en face de ce lot très limité de pièces liturgiques ou seulement édifiantes, une série de plus de deux cents chansons profanes ^

quin auraient existé en manuscrit à la chapelle pontificale. C'est d'après un imprimé de i54o, mentionné ci-après, et non d'après un ms.. que Baini, dans sa biographie de Pales- trina, t. I, p. 140, note 226, avait pu citer la messe sur la Bataille : Fétis transforma ce titre unique en « plusieurs messes », et Sterndale Bennett est parti de pour conjec- turer que Jannequin avait été chantre de la chapelle ponti- ficale. C'est ainsi que l'on a longtemps écrit et que l'on écrit encore, quelquefois, l'histoire des maîtres du xvi^ siècle ! Les deux seules messes connues de Jannequin sont celles sur la Bataille et sur VAueugie Dieu : I. La messe la Bataille parut dans le Liber Decem missarum imprimé à Lyon par Jacques Moderne en i532 et en i54o; pour la if» édition, que n'ont connue ni Fétis, ni Eitîsier dans sa Bibliographie, voyez le Catalogo délia Biblioteca del Liceo musicale in Bologna, vol. ï, p. 3o ; pour la seconde, qui existe à la bibl. imp. de Vienne et à la chapelle pontificale, voyez Schmid, Peirucci, p. aSfî ; Eitner, Bibliographie, p. 60 ; Haberl, Bibliographischer und thematischer Musikkatalog des pàpst- lichen Kapellarchives. Leipzig. 1S88. p. 5i. Une édition, faite en i56o par Ludwig Senfl, a été décrite par M. Roth, d'après l'exemplaire de la bibl. de Wiesbaden, dans les Monaishefte fur Musikgeschichte, t. XXIV, 1892, p. i58. Une copie, incomplète de la fin, se trouve dans le ms. 1 59.00 de la bibl. imp. de Vienne. II. La messe sur l'Aveugle Dieu fut imprimée à Paris, en i554, par Nie. Duchemin, dans le recueil : Missae duodecim, etc. Voyez Eitner, Bibliographie, p. i3i. Elle existe en copie dans le ms. 93 de la bibl. de la ville de Breslau. Voyez BoH^f, Die musihalischen Hand- schriften... der Stadtbibliotheh zu Breslau, p. 108. La chanson de Jannequin sur laquelle cette messe était com- posée avait paru en i55i dans le Neuvième livre de chansons nouvelles, de Duchemin. V. Eitner, Bibliographie, p. 120. I. Malgré leur étendue, les listes de chansons données par Eitner dans sa Bibliographie, ipp. 6^1-6^'] et dans son Quellen- Lexihon, t. V, pp. 273-274, sont encore incomplètes.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 133

Quelles qu'aient donc été ses convictions reli- gieuses, elles n'ont à aucune époque dominé sa pensée % et l'on peut dire que toujours, avant tout, et surtout, Jannequin fut un compositeur profane, un compositeur de chansons.

Nous ne nous occuperons que de ses chan- sons descriptives, dont il est tout d'abord essen- tiel de dresser, autant que possible, la biblio- graphie chronologique.

1. s. d. (vers 15^8) Chansons de maistre Clément Ja | nequin nouvellement et correc- tement iMPRiMEEz A Paris par Pierre | Attain- GNANT demeurant a la rue de la Harpe devant le bout de la rue des | Mathurins près leglise Saint Cosme. I Ténor.

Bibl. Nat. de Paris, ex. complet en 4 parties séparés. Ce recueil contient cinq chansons : Reveillés vous, cueurs endormis (le chant des oiseaux) ; Escoutez tous, . gentilz galloys (la Guerre) ; gentilz veneurs (la chasse) ^ Or sus, vous dormez trop (le chant de l'alouette); Las, povre cueur. Préimprimé en entier par H. Expert ; voyez ci-après.

»

2. s. d. (vers 1529) Six gaillardes et six PAVANES I avec treze chansons musicales a quatre

1. Au moment même Jannequin publiait ses psaumes et ses proverbes, il revisait une nouvelle édition [le Verger de musique) de quelques-unes de ses plus célèbres chansons profanes.

2. EiTNER, Quellen-Lexihon, t. V, p. 278, dit par erreur : « du lièvre ». Le morceau, comme il sera dit plus loin, est une chasse du cerf.

124 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

parties, le tout nouvellement | imprimé par Pierre Attaingnant, imprimeur et libraire demourant à Paris, en la rue de la Harpe, etc.

Bibl. roy. de Munich, ex. complet^. Contient de Jannequin la chanson : Voulez-vous ouyr les cris de Paris.

3. (i53o) Trente et six chansons musica- les I à quatre parties imprimées à Paris par Pierre Attaingnunt libraire | demourant, etc.

Bibl. Nat. de Paris, et bibl, roy. de Munich, ex. complets.

Ce recueil contient au fol. i la chanson : Chantons sonnons trompettes, qui est anonyme dans l'ex, de Paris et, en copie, dans le ms. i34 de Cambrai, mais que Eitner attribue à Jannequin, probablement d'après l'ex. de Munich 2.

4. (i53i) Canzoni, frottole et capitoli da DivERSi I eccellentissimi musici, con novi can- zoni agionti composti | novamente et stampati. Libre seconde de la Croce. Impressum Rome, opéra arte et impensa Valerius Dorich Gedensis Brixiensi anno Domini i53i.

Bibl. du Liceo musicale de Bologne. Contient de Jannequin : la Bataille, à 4 voix 3,

5. (1^37) Les Chansons de la guerre, la chasse, le chant des oyseaux, l'alouette, le rossi-

1. Eitner, Bibliographie, p. 20.

2. Eitner, Bibliographie, p. 20 et 642.

3. Catalogo delta Biblioteca del Liceo musicale, t. III, p. 200. VoGEL, Bibliothek der gedruchten ivelilichen Vocalmusik Italiens, Berlin, 1892, t. II, p. 378.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 125

gnol, composées par maistre Clément Jennequin, réimprimées par Pierre Attaingnant et Hubert Jul- let... à Paris... 1537.

Bibl. roy. de Munich et bibl. de Wolfenbuttel, ex. complets ^.

La date i537 4"^ porte cette édilion détermine la date de celle que nous avons inscrite sous le n" i et placée vers iSsS : car le privilège d' Attaingnant pour cette première édition était d'une durée de dix ans, et se trouvait près d'expirer lorsqu'il jugea utile de donner une réimpression des chansons de Jannequin.

6. (1^45) Clément Jannequin. La Bataglia. La Louette. Les Critz de Paris. Le chant des OYSEAUX. Le Rossignol. Venetiis, apud Ant. Gar- dano, 1545.

Bibl. imp. de Vienne, le ténor seul '^.

7. (i545) Le dixiesme livre con- | tenant la Bataille a quatre de Cle- | ment Jannequin, avecq LA cm- I quiesme partie de Phili. Verdelot si placet, Et deux I Chasses de Lièvre a quatre parties, et le Chant des oyseaux a trois, Nouvellement Imprimé en Anvers par Tylman Susato | Imprimeur de Mu- sicque Lan MDXLV au mois d'aoust.

Bibl. de Berlin, Bruxelles, Munich, Vienne, Upsal, ex. complets ^.

1. VoGEL, Die Handschriften nebst ulteren Druckwerhen der Musik-Abtheilung...derhrzgl. Bibîiothek zu Wolfenbuttel^ 1890, p. 137. EiTNER, Quellen-Lexikon, t. V, p. 278.

2. ScHMiD, Petrucci, p. i3o. Eitner, Quellen-Lexikon, loc. cit.

3. Le contenu de ce livre a été inventorié deux fois diffé- remment par Eitner : d'après sa Bibliographie, p. gS, on y trouve la Bataille de Jannequin avec la cinquième voix

126 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

8. (i55i) Ténor | Cinqviesme livre du re-

CVEIL I contenant QUATRE EXCELLENTES CHANSONS

ANCIENNES, Intitulées | Le chant des oyseaux | Le chant de l'Alouette | Le chant du rossignol j La Guerre | Plus | Deux aultres chansons faictes sur La prinse et Réduction de Boulongne | Plus. | La Meusniere de Vernon | Le tout, en musique, à quatre parties, en quatre volumes : | De la com- position de M. Clément Ianequin, | excellent musi- cien I Avec privilège du Pioy pour six ans | De l'imprimerie de Nicolas Du Chemin, à Tenseigne du I Gryphon d'argent^ rue S. Jean de Latran à Paris I i55i.

L'adresse et la date sont répétées « in fine ».

Bibl. Nat. de Paris, supérius et ténor. Bibl. roy. de Berlin, ténor.

9. (i555) Premier livre des inventions musi- cales de Clément Jannequin contenant la Guerre, la bataille de Metz, la jalousie, le tout en cinq parties. Nouvellement reveu et corrigé, et imprimé à Paris, le i3 juillet i555. De l'imprimerie de Nicolas Du Chemin.

Bibl. de Stockholm, supérius. Vente Revoit, bassus ^,

ajoutée pai* Verdelot, le chant des oiseaux, à trois voix de Nie. Gombei't, la chasse du lièvre, anonyme ; une autre chasse du lièvre, de Nie. Gombert ; a" d'après son Quellen- Lexikon, t. IX, p. 3'io, article Susato, le livre (f ne contient que des œuvres de Jannequin » . Ambros [Geschichte der Musik, t. III, p. 397), attribue à Jannequin les deux chasses du lièvre.

I. Ce titre est donné par Brunet, Manuel du libraire, édit., t. III, p. 498, d'après lexemplaire de la vente Revoit, et par Eitner, Quellen-Lexihon, t. YI, p. 278.

ORIGINES DE VA. MUSIQUE DESCRIPTIVE 127

10. (i555) Second livre des inventions musi- cales de Clément Jannequin contenant le chant des oyseaux, le chant de l'alouette, le chant du rossi- gnol, la prise de Boulogne, la réduction de Bou- logne, la meunière de Vernon, Un jour voyant herbes et fleurs. Le tout à quatre parties. Imprimé à Paris le 'iS août i555. De l'imprimerie de Nicolas Du Chemin.

Vente Revoil, bassus ^.

11. (i555) Le caquet des femmes, à cinq par- ties, composé par Clément Jannequin. Nouvelle- ment reveu et corrigé. A Paris. De l'imprimerie de Nicolas Du Chemin.

Bibl. de Stockholm, supérius. Vente Revoil, bassus -.

12. (i555 ?) La Vennerie, autrement dit la Chasse... A Paris... Nie. Du Chemin.

Vente Revoil, bassus ^.

i3. s. d. (i555 ?) Le difficile des chansons, premier livre contenant vingt-deux chansons nou- velles à quatre parties, en quatre livres^ de la fac-

Fétis, qui a d'ailleurs confondu l'ordre des publications de Jannequin, a donné d'après Gerber un titre inexact des Ingéniions musicales, avec la date i544. impossible à justifier, puisque le premier livre renferme une chanson relative à la bataille de Metz, qui n'eut lieu qu'en i554, et le second livre une pièce analogue sur la prise de Boulogne qui s'accomplit en 1549.

1. Brunet, Manuel, loc. cit.

2. Brunkt, ibid. EiTNER, Ouellen-Lexikon. j. Brunet, ibid.

128 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

ture et composition de maistre Clément Jannequin. A Lyon, par Jacques Moderne.

Ce recueil contient, sous le n^ 17, la Guerre. Un exemplaire se trouvait en 1889 à la librairie Techener^.

14. (i^^ig) Verger de musiqve con- | tenant partie des plus excellents labeurs de M. C. lane- quin, à 4 et 5 parties | nouvellement imprimé en 5 vo- lumes, reveus et corrigez par lui mesme. | Pre- mier LIVRE I Ténor | A Paris | De l'imprimerie d'Adrian Le Roy, et Robert Ballard, Imprimeurs du Roy I rue S. Jean de Beauvais, à l'enseigne Sainte Geneviève. i559. | Auec privilège du Roy pour dix ans.

In 8 obi. Bibl. Nat. de Paris, le ténor seul. Londres, British Muséum, ex. complet.

Le recueil contient : Le chant des oiseaux ; le chant du rossignol; le chant de V alouette; la prise de Bou- logne (en deux parties) ; la bataille (escoutez tous, gentilz galloys) à 4 ; la bataille de Metz (en 1 parties) ; la bataille « avec la 5^ partie ajoutée par Verdelot sans rien changer » ; le caquet des femmes, à 5 ; la jalousie ; la chasse ; la bataille de Renty.

Nous nous occuperons plus loin des trans- criptions instrumentales des chansons pitto- resques de Jannequin. Leurs réimpressions modernes en partition se présentent dans l'ordre suivant :

I. Cet exemplaire a été vu et mentionné par Kastner, les Chants de F armée française., Paris, i855, in-4°, p. 35, et par Brunet, Manuel du libraire, Supplément, t. II. p. 707.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE l'ig

Recueil des morceaux de musique ancienne exécutés aux concerts de la Société de musique vocale religieuse et classique fondée à Paris en 1848 sous la direction de M. le prince de La Moskowa, Paris^ Pacini, in 8, s. d. Tome V, p. i3, la Ba- taille de Marignan ; tome XI, p. B33, le Chant des oiseaux ^

GOLLECTIO OPERUM MUSICORUM BATAVORUM S^-

cuLi XVI. edidit F. Gommer. Berlin, Trautwein, in fol. Tome XII, p. i, les Gris de Paris ; p. 85, la Bataille, à 5 voix (avec la voix ajoutée par Verdelot) ; p. 104, la Ghasse du lièvre (anonyme dans le Dixième livre, de Susato, i545).

Les Maîtres Musiciens de la Renaissance FRANÇAISE, éditions publiées par M. Henry Ex- pert... 7^ livraison, Ghansons de maistre Glement Jannequin (réimpression textuelle et intégrale du livre publié vers iSaS par Attaingnant, catalogué ci-dessus sous le i), Paris, Leduc, in 4, 1898^.

Anthologie chorale, publiée par M. Henry Expert. Supplément aux Maîtres Musiciens de la Renaissance Française. Éditions avec clefs usuelles et transpositions à l'usage des chœurs modernes,

1. Dans cette édition, les textes littéraires et musicaux ont subi d'importants changements, qui ne permettent d'y recourir qu'avec méfiance.

2. Pour toutes les pièces qui figurent dans "les éditions de M. Henry Expert, nous nous servirons continuellement ci-après de ces éditions dont la scrupuleuse fidélité offre l'équivalent des originaux, avec, en plus, la commodité de la lecture en partition et tous les avantages d'une admirable érudition théorique.

Brenet. 9

l3o MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Paris, Leduc, in 4, 1900. 170, Le Chant des oiseaux ; 182, La Guerre (la Bataille de Mari- gnan).

Clément Jannequin. Trois fantaisies vocales à quatre voix, Le Chant des oiseaux. La Bataille de Marignan. Les cris de Paris, édition populaire anno- tée par Gh. Bordes, Paris, bureau d'édition de la Schola cantorum, in 4 obi., s. d.

De toutes les chansons descriptives de Janne- quin, on voit par la liste précédente que la Guerre^ appelée aussi Za Bataille., ou la Bataille de Mai'igiian, la Bataille française., la Défaite des Suisses^, était, dès le xvi^ siècle, la plus connue. Le brillant fait d'armes qu'elle célé- brait avait eu lieu les i3et 1 4 septembre i5i 5, dans la première année du règne de François P*", auquel il avait assuré la conquête du Milanais. Il y a toute apparence que Jannequin n'avait pas attendu longtemps pour en consacrer le souvenir dans sa composition, et que celle-ci s'était répandue en copies, avant d'être impri- mée par Attaingnant -.

1. Dans le Dixième Ui>re, de Susato, i545, le moreeau est intitulé « la Bataille, ou la défaite des Suisses à la journée de Marignan » ; une transcription pour luth , dans un ms. de la bibl. de Vesoul, l'intitule « bataille de Mari- gnane » ; une transcription allemande l'appelle « bataille française ». par opposition k\a.battagUa Taliana, de Matthias Hermann.

2. On n'en signale cependant aucune copie dans les

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE l3l

Après Bnrney, qui avait su distinguer Tinté- rêt de cette pièce, et Choron, qui Tavait fait exécuter dans les exercices publics de son école de chant, Kastner fut un des premiers musicologues qui commentèrent la Bataille de Marignan ^. Il en reproduisit les paroles, en s'étonnant du « mérite peu commun » qu'avait déployer le compositeur pour « mettre con- venablement en musique » un texte « si étrange » ; et il ne lui parut « pas impossible » que Jannequin « ait eu en vue de rappeler quelques-unes des sonneries alors en usage dans les armées, comme le Boute-selle et A V étendard! ». Ce que Kastner hésitait à supposer était un fait certain. En un temps presque pas une composition de quelque importance ne s'écrivait sans l'appui ou sans l'obligation d'un (( thème donné », et les contrapuntistes mettaient au contraire leur amour propre à se reprendre l'un à Tautre un même dessin mélo- dique, pour le traiter différemment, Jannequin n'aurait eu garde de négliger l'emploi de mo- tifs connus, qui offraient le double avantage de fouinir une base à l'édifice vocal, et de

quelques manuscrits du commencement du xvi» siècle qui ont été conservés. Le ms. 124 de la bibl. de Cambrai figure la Bataille à 4 voix, est daté de 1342.

1. Kastner, Manuel général de musique militaire, Paris, 1848, in-4 0, p. 93 ; Les chants de l'armée française, Paris, i855, in-4'', P- 35 et suiv.

l32 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

frapper l'esprit des auditeurs, en leur rappelant des séries de sons familières et d'une significa- tion très nette.

Un autre élément de la composition de Jannequin, qui a tout à fait échappé aux histo- riens, c'est l'usage des procédés du « Quolibet » pour effectuer le mélange réaliste des images comiques avec les sentiments héroïques. Sous le titre de Quolibet^ de Coq à rdne, de Fricas- sée^ les musiciens de la fin du xv® siècle s'étaient souvent amusés à écrire des morceaux burlesques, qu'ils formaient de commence- ments de chansons, brouillés et superposés sans suite et sans rapport de sujet ni quelque- fois de langage. C'était pour les contrapuntistes un jeu piquant que d'assembler ces débris dis- parates et de les forcer à s'amalgamer ; et c'était, pour le public, une suite de surprises bouf- fonnes, une excitation à ce rire intarissable, irrespectueux, démesuré, qu'avait affectionné le moyen âge et dont ne faisait point fi la société de la Renaissance ^

I. Nous reviendrons quelque jour sur les quolibets, dont on trouve des exemples nombreux au moyen âge et jusque vers i55o chez les poètes, comme Marot, et chez les musi- ciens de toutes nationalités. Les manuscrits du xiii» au xv" siècle, et plusieurs imprimés du xvi^, en sont abondam- ment pourvus. Il sufiQra de rappeler ici les chansons à textes mélangés qui ont été publiées par Morelot, De la musique au XV'^ siècle, notice sur un ms. de la bibl. de Dijon, Paris, i856, in-4", p. 21 et ex. noté VI ; par Eitner,

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE l33

Cette relation de la Guerre^ de Jannequin, avec les traditions du quolibet explique musi- calement la multiplicité des thèmes que l'on y voit se succéder et qui ne s'y développent pas rigoureusement en contrepoint. Au point de vue littéraire, elle explique aussi Tincohérence du texte, fait d'exclamations, de cris de rallie- ment, de refrains soldatesques, et d'onoma- topées, et dont l'auteur aurait pu dire comme celui de quelques couplets militaires du même temps :

Celui qui ha faict la chanson 'Est un soudart, je vous asseure ^.

N'en déplaise aux amateurs de poésie, c'était cette incohérence même, ce mélange confus de paroles interrompues et croisées, qui permet- taient à Jannequin d'imprimer à son œuvre ce cachet de vie véritablement extraordinaire dont nous sommes frappés encore en l'écoutant. Que l'on songe à ce qu'aurait été, au lieu de cet

Das dentsche Lied des XV und XVI. Jahrhunderts, 1. 1, Berlin, 1876, in-8", passim ; par Otto Kade, Mattheus Le Maistre, niederlandscher Tonsetzer, Mayence, 1862, in-S», ex. notés n°s 16 et 17. C'est dans un fragment de quolibet cité par Tinctoris que l'on a cru avoir retrouvé le prétendu texte de la chanson de Hhonime armé^ dont en réalité n'existait que les deux premiers mots.

I. Chanson sur le siège de Metz en iSSa, publiée par Leroux de Lincy dans son Recueil de chants histoiiques français (le texte seul) ,

l34 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

entrechoquement impétueux de syllabes, une suite correctement ordonnée de beaux vers : dans un a passage du Rhin » à la façon de Boileau, les joyeuses, les intrépides petites mélodies de Jannequin se seraient englouties, congelées, comme en une mortelle Bésina !

Il faut nous représenter, au contraire, l'effet d'un tel texte et d'une telle musique sur les contemporains de François P'", sur les cheva- liers qui fréquentaient chez le roi, entre une expédition militaire et un tournoi, sur les femmes accoutumées aux récits guerriers et aux spec- tacles des belles joutes :

Eux, dans remportement de leurs luttes épiques, Ivres, ils savouraient tous les bruits héroïques, Le fer heurtant le fer ^.

« Quand Ton chantoit, dit un contemporain, la chanson de la Guerre devant ce grand roi François, pour la victoire qu'il avoit eue sur les Suisses, il n'y avoit celuy qui ne regardast si son espée tenoit au fourreau, et qui ne se haussast sur les orteils pour se rendre plus bragard et de la riche taille » ^ Toute une époque historique revit donc dans cette chan- son, une époque à la fois civilisatrice et barbare, dont nous avons quelque peine à embrasser

1. Victor Hugo.

2. NoEL DU Fayl. Contes d'Eutrapel, cité par Kastner.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE l35

d\m seul regard les deux faces opposées. En cédant au charme des poèmes raffinés et des musiques subtiles, nous risquons de nous isoler parmi le groupe des « intellectuels » de la Renaissance. Une œuvre telle que la Bataille de Marignan nous ramène dans le courant normal de la vie de ce temps, l'on ne conce- vait pas que la culture des arts et le déploie- ment de la valeur militaire dussent mutuelle- ment s'exclure.

La chanson de la Guerre est écrite à quatre voix et se divise en deux parties. La première débute par un exorde :

Escoutez tous, gentilz gallois,

La victoire du noble roy P'rançoys,

qui se déclame avec solennité, et s'inspire des anciennes Pa,S5/o/Z5 en musique \ dans lesquelles le récit de la Passion et de la Mort du Sauveur était toujours annoncé d'une façon analogue par quelques mesures préparatoires. Après ce bref appel à l'attention des auditeurs, commence la description des préparatifs de la bataille :

I. Cette l'emarque, qui a été faite par Otto Kade à propos de la Battaglia Taliana de Matthias Hermapn, s'applique exactement à l'œuvre de Jannequin qui a précédé l'autre et lui a servi de modèle. Yoy. O. Ka.de, Matlheus Le Maistie, p. 17. et, pour les extraits notés de plusieurs Passions, le livre du même auteur, Die altère Passions- komposition bis zum Jahre i63i, Gutersloh, 1891, in-8°.

l36 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

invitation aux fifres et aux tambours de faire résonner leur musique guerrière, aux cheva- liers et aux soldats de s'armer et d'enfourcher leurs montures, pour suivre le roi et l'étendard fleurdelisé. Entre les motifs employés dans cette première partie, plus d'un, qui peut s'abstraire aisément de l'ensemble, est évidemment emprunté soit àla musique et aux cris militaires, soit au chant populaire du temps. Ce dernier cas se présente entre autres pour le thème :

i

tu - riers, bons com

pa . g-nons

qui se reproduit à la fin de la même partie avec une terminaison différente :

Son

nez, trom . pet. tes

et cJ

et dont la ressemblance est sensible avec le début de la chanson mentionnée précédemment :

i

-> \'\^iii

^

II

fait bon

veoir ces hommes d^armes

chanson dont le second couplet renferme aussi les mots: « Sonnez, trompettes et clairons ». Les cris et les devises qui se superposent en une polyrythmie animée, un peu avant la fin

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE l37

de la première partie : ce Alarme ! alarme ! Suivez Françoys, le roi Françoys, Suivez la couronne ! » étaient sans nul doute quelques- uns des cris traditionnels qui formaient le fond de la « noise » des combats. C'est dans la seconde partie de sa chanson surtout que Janne- quin utilise cet ordre de documents musicaux. Toute l'entrée, si amusante, de cette seconde partie, est construite sur une imitation vocale des batteries de tambours, qui s'épelaient encore quatre-vingts ans plus tard, presque sur les mêmes syllabes : Jannequin faisait chanter :

N N N .^

^fetefe

^

^

Fan

fre. re.lp.le lan fan , fre.re-ie, ie lan fan

fan

fan ,

V Orchesographie prononce « frc.tere, tan «^ :

fre .

te - re. fre.

te - re, tan

Immédiatement après, viennent les superposi- tions du « boute-selle », de « à l'estendard », et d'un premier motif de sonnerie, imité sur « fa,

I. Orchesographie et iraicté en forme de dialogue... par Thoinot Arbeau, i58y, fol. 12.

l38 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

ri, ra, ri, ra », et qui se développera plus loin. Reprenant le rythme du tambour, Jannequin Rapplique à un alerte dessin mélodique, que pose le ténor et que reprennent le supérius et Talto ' :

^.1- p r M- f-f I ^' ^' J^-J-^

fre. re.le.le lan fan, f re . re _ le . le lan f'au

ll> Ji j, J' ^

fre . re - le .le lan fan, fey . ne

La mêlée devient furieuse ; les réponses pres- sées des voix, qui s'enchevêtrent en répétant de bizarres et rudes onomatopées, pati, patoc, pati, patoc, von, von, imitent le fracas des coups sur les armures, les heurts terribles du corps à corps. Du milieu de ce vacarme s'élè- vent de brillantes fanfares qui, en passant d'une voix à Tautre, parcourent toute Téchelle sonore, et dont l'élan communique à l'œuvre june ardeur incroyable. On retrouvera note pour note chez Matthias Hermann et plus tard chez Christophe Demant ce thème de fanfare, à coup sûr littéralement tiré des refrains militaires ou

I. Le groupe initial de ce dessin forme le début du « branle couppé de la guerre », noté au fol. 77 de l'OrcAeso- graphie et dont la terminaison garde également le souvenir d'un autre thème de la chanson de Jannequin : « tonnez, gros courtaux et faulcons ».

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE iSg

des morceaux sonnés par «. les fifres et les saqiiebutes du roi ». Pour connaître jusqu'où Jannequin poussait l'exactitude descriptive, il faut remarquer que cette fanfare, distribuée entre les trois voix de basse, alto et supérius, s'enroule autour d'un ténor qui reproduit, sur la syllabe unique « pon, pon, pon », la batterie de tambour particulière aux troupes suisses, celle que Tauteur de V Orchésographie appelle « le tambour des Suysses », et qu'il rythme sur ce schéma ^ :

J J J i J i î i J J J J J i i i

noté par Jannequin sous la forme :

J J J J J J J J

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ra, la ia la , ta . ri

ra-ri.ra_ri.ra rey .

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pon pon poupoiipon

pon poupon pon pon

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^

^

ta.n.ra.ri . ra_ri.ra.ri

ra_ri.ra, ta . n

I. Orchésographie, fol. i5 v». Nous réduisons les valeurs de moitié pour les ramener à la même expression que celles de Jannequin.

l4o MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

ia la la la la h

grr ( r r ^

la la la la

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pon ponpon pon ponpon

pon pon ponponpoD

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pon pon ponpon pon

^^

ponponpon pon ponpon

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.ra.ri.ra ta . ri_ra . ri.ra.ri . ra ta . ri

Aux fusées joyeuses de la fanfare reviennent bientôt se mélanger les cris de guerre et les syllabes imitatives, « trique, trac, patac », sym- bole d'un dernier et décisif assaut. Le passage du rythme binaire au rythme ternaire, en valeurs élargies, marque la fin de l'action ; l'alto, quipourun instant personnifie les troupes

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE l4l

suisses en déroute, s'écrie dans un jargon mi- français, mi-allemand : « Escampe, toute fre- lore » *, et les autres voix, très haut, très fort, très largement, proclament : « Victoire, vic- toire, au noble roy P'rançoys ! »

Les récentes auditions qui ont été données de cette œuvre en ont prouvé la vitalité : non seulement par son côté amusant et pictural, mais par le sentimentde puissance, de souplesse, d'esprit, en un mot de véritable génialité, qui s'en dégage, elle produit sur le public, toutes' les fois qu'elle luiest convenablement présentée, une impression profonde ^.

1. L' Orchesographie, fol. 38, donne les pas, sans la mu- sique, d'une « basse dance appelée toute fi-elore » qui pou- vait être imitée de ce passage de la chanson de Jannequin.

2. Eitner s'est étrangement trompé en disant que « sa longueur la rend aujourd'hui à peine supportable» {Quellen- Lexikon, t. VI, p. 274). Depuis les exécutions de Choron, dans son école, la Bataille de Marignan a été chantée à Paris dans l'un des concerts historiques de Fétis, puis dans les séances de la Société que dirigeait le prince de La Moskowa. et à diverses reprises par les élèves de l'école Niedermeyer ; en 1874, avec un succès éclatant, par la société chorale d'amateurs de M. Bourgault-Ducoudray (cfr., sur cette audition, dans la « Chronique Musicale » du i*^'' février 1874, le compte rendu enthousiaste de Henry Cohen, accompagné d'une réduction pour piano seul (!!) et d'une reproduction très peu correcte du texte^ littéraire de la chanson ). Depuis 1893, l'œuvre a été interprétée fré- quemment à Paris, en province et à l'étranger, par les « Chanteurs de Saint-Gervais », sous la direction de M. Ch. Bordes, et, en ces dernières années, par le « Quatuor Expert », avec une merveilleuse perfection.

l42 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Les contemporains de Jannequin ne s'y étaient pas trompés. L'œuvre avait obtenu près d'eux un succès que prouvent les éditions dont nous avons dressé la liste, l'arrangement à cinq voix de Philippe Verdelot, l'adaptation au texte de la messe \ les transcriptions instru- mentales, et les répliques ou les imitations données par Jannequin lui-même, par ses rivaux et par ses successeurs.

Le travail de Verdelot était une de ces sortes de gageures, coutumières aux maîtres du XVI® siècle, et par lesquelles ils se plaisaient à faire étalage de leur habileté ^ La cinquième voix qu'il joignit à « la Guerre » de Jannequin s'y ajoutait si placet ; l'effet en parut si conve- nable, que le maître français lui-même l'em- prunta à l'édition de Susato pour l'insérer en i559 dans son Verger de musique^. Dans cette nouvelle édition le texte littéraire avait aussi subi des modifications destinées à lui rendre de l'actualité. Au lieu des Suisses, il

1. Cet arrangement a été mentionné dans une note précé- dente.

2. Nous verrons plus loin que Claude Le Jeune soumit une autre pièce de Jannequin, le Chant de C alouette, à un semblable agrandissement, et y joignit non seulement une cinquième voix, mais un couplet tout entier.

3. C'est sous sa forme à cinq voix que « la Guerre » de Jannequin a été réimprimée en partition par Franz Gommer.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 1/\j

s'agissait de « mutins Bourguignons » et de « Hennuyers » ; le nom de François P'" avait disparu, pour faire place à la simple mention du « grand roi des Français », qui pouvait s'appliquer à Henri II; et quelques retouches étaient encore opérées, qui effaçaient, avec les mots « Aventuriers, bons compaignons », un passage choquant du texte primitif.

Les transcriptions instrumentales de la cé- lèbre chanson furent des réductions à l'usage du luth, qui commencèrent à paraître très peu d'années après l'apparition de l'œuvre origi- nale. La plus ancienne de ces transcriptions ^ est celle du luthiste italien Francesco de Milano, qui parut, ainsi qu'un pareil arrangement du « Chant des oiseaux », en i536, dans son pre- mier livre à' Intabolatura de lento, et fut réim- primé en i546 et en i563". Dans l'intervalle

1. M. OswaldKôrte (Laute und Lautenmusik bis zur Mitte des XVI. Jahrhunderts, Leipzig, x9oi,in-8°, p. i53) a publié en notation moderne, d'après le livre de chansons en tabla- ture de luth d'Attaingnant, de 1329, une pièce intitulée « la Guerre » qui n'a point de rapports avec celle de Jannequin et semble être plutôt un air de danse.

2. Sur Francesco de Milano et les éditions de son livre, cf. les ouvrages de M. O. Chilesotti. Note circa alcuni liutisti italiani delta prima meta del Cinquecefito, dans la Rii>ista musicale Italiana, vol. IX, anno 1902, p. 36 et s. ; Francesco da Milano, dans les Sammelbànde der Interna- tionalen Musikgeseltschaft, t. IV, 1902-1903, p. 382 et s. ; et pour les arrangements par ce luthiste de la « Bataille de Marignan » et du « Chant des oiseaux », les volumes du

l44 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

avaient paru d'autres transcriptions. En i544^ Hans Neusidler avait inséré à la fois la « ba- taille française » et sa contrepartie, la « ba- taille de Pavie », dans son volumineux recueil de pièces notées en tablature allemande de luth \ En i55o, le « Chant des Oiseaux » et la (( Bataille » reparaissent dans le Tahulatur- buch de Rudolf Wyssenbach, qui était une reproduction en tablature allemande de mor- ceaux précédemment publiés en tablature ita- lienne^. En i553, on trouve la chanson de « la Guerre » avec celle de « l'Alouette » dans le Quart Iwre de tabidature de guitare de Gré- goire Braysing^ En loSg, G. -G. Barbetta place dans son Premier livre de tablature de luth^ imprimé à Venise, un « pass'e mezzo sopra la Battaglia », sorte de fantaisie sur quelques motifs du morceau^'. Rappelons encore que nous avons naguère signalé deux transcriptions

même auteur, Liutisti del Cinquecento, Leipzig, 1892, in-S», et Saggio sulla nielodia populare del Cinquecento.

1. Sur les recueils de Neusidler, cf. l'article de M. Chile- SOTTI, dans la Rivista Musicale Italiana , vol. I, 1894, p. 48 et suiv.

2. Le livre de Wyssenbach eut deux éditions. Wasielewski, qui avait vu la première à la bibl. de Leipzig, déclarait « enfantines » et « insignifiantes » les deux transcriptions en question. Voy. Wasielewski, Geschichte der Instrumen- talmusik im XVI. Jalirkundert, Berlin, 1878, p. ii3.

3. Bibl. Mazarine, à Paris.

4. Chilesotti, Liutisti del Cinquecento, p. '■/i et suiv.

i

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 14^

de la (( Bataille de Marignan », d'après l'arran- gement à cinq voix, contenues dans un ms. de tablature de luth daté de iSgS^

Combien de cordes de luth durent se rompre ou se détendre sous les doigts d'exécutants belliqueux, qui s'illusionnaient en jouant, et croyaient, à travers les grêles vibrations de la « chanterelle » et du « bourdon », entendre sonner les trompettes, hennir les chevaux, crier les hommes d'armes, et pleuvoir sur les cuirasses les coups d'estoc et de taille !

D'autres instruments permettaient au moins une dépense de bruit plus conforme au sujet du morceau. L'édition sans paroles qui fut donnée dans un recueil vénitien, en i^yy-, de « la Bataille » et du « Chant des oiseaux », pouvait s'adapter à différentes combinaisons instrumentales^; et l'orgue, pour lequel en i383 Jacob Paix arrangea aussi u la Guerre^ », prê-

1 . V. notre Notice sur deux mss. de musique de luth de la bibliothèque de Vesoul, dans la Revue musicale, décem- bre 1901 et janvier 1902, t. I, p. 439, et II, p. i5. Nous avons mis en regard, dans cet article, le début de la chan- son de Jannequin dans sa notation vocale et dans trois versions pour le luth.

2. Musica de diversi autori, la Bataglia francese et la Canzon delli Ucelli, insieme alcune canzoni francese, partite in Caselle per sonar d'instrumento perfetto". novamente ristampate, in Venetia, appresso di Ang. Gardano, 1577. V. le Catalogo... del Liceo musicale di Bologna, t. III, p. 201.

3. RiTTER, Zur Geschichte des Orgelspiels, Leipzig, 1884, in-8», p. 129.

Brevet. 10

l46 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

tait de son côté à des effets suffisants de sono- rité.

Ce qui prouvait, en même temps, que le succès de la chanson de Jannequin, son excel- lence, c'est que, pour rivaliser avec lui sur le même terrain, d'autres compositeurs, qui n'étaient cependant dépourvus ni d'habileté, ni d'invention, n'imaginaient pas d'autre ma- nière de concevoir et de réaliser un tableau musical semblable. La hataglia taliana, de Matthias Hermann, mise en regard de « la Guerre », de Jannequin, en est la très intéres- sante réplique musicale, en même temps qu'au point de vue du contenu littéraire et politique, elle lui sert de réponse directe.

Matthias Hermann, surnommé Matteo Fia- mengo, et que l'on a autrefois confondu avec Mattheus Le Maistre S avait succédé à Fran- chino Gafor dans les fonctions de maître de chapelle de la cathédrale de Milan, le 5 jan- vier iSaS, et s'appelait, d'après un texte des archives de cette église, « Hermanno Verecore, detto maestro Matthias Fiammengo », ou d'après le titre d'un de ses ouvrages : « Her- mann Matthias Verrecorensis ». Le lieu d'ori- gine désigné sous ces deux formes différentes

\ . Otto Kade est tombé dans cette erreur, dans son livre d'ailleurs si intéressant sur Mattheus Le Maistre, Nieder- làndscher Tonsetzer, Mayence, 1862, in-S».

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 147

n'a pas encore été identifié ; mais il ne peut y avoir aucune hésitation sur sa nationalité fla- mande, et le fait de sa nomination à Milan, dans le moment Lautrec et les Français venaient d'en être expulsés, suffisait à le ranger parmi les ennemis de la France. A ce titre, il devait avec empressement relever le gant jeté par Jannequin et répondre à la Bataille de Marignan par une Bataille de Pavie.

Comme la chanson du maître français, l'œuvre du compositeur flamand dut circuler en manuscrit avant que d'être imprimée : car c'était le 24 février iSaS que François I" avait été vaincu et fait prisonnier, sous les murs de Pavie, et la plus ancienne édition aujourd'hui connue du morceau de Matthias ne fut publiée que vingt ans plus tard, en i544, à Nuremberg, dans un recueil de SchmeltzeP. En la même année, Neusidler en donna la réduction pour luth^ ; en 1649 ^* ^^^^^ parurent les deux édi- tions vénitiennes, intitulées : la BatagUa Ta- liana^ composta da M. Mathias Fiamengo^

1. Guter seltsamer und Kunstreicher teutscher Gesano sonderlich etliche kunstîiche Quodlibet, Schlacht, und der- gleichen, mit vier oder funff Stimmen, bisher in Truck nicht geschen... Nurnberg, Petrejus, 1544. Bibl. de Berlin et de Munich. Cf. EiTNER, Bibliographie, p. 86 i Quellen- Learikon, t. IX, p. Sa; Monatshefte fur Musikgeschiclile t. iil 1873, p. io\.

2. V. plus haut, p. 144, la mention de cette transcription.

l48 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

maestro di Capella del Domo di Milano. Con alcune Villotte piace^^ole novamente con ogni diligentia siampate et corrette. A quattro voci. In Venetia, apresso di Antonio Gardano, i549^ Gardano, qui avait publié, cinq ans aupara- vant, une édition de la « Bataille » de Janne- quin ^, disait dans la dédicace de ce recueil qu'ayant entendu chanter par messer Sebas^ tiano et ses compagnons une bataille française, il s'était résolu à publier une bataille italienne « composta daU'eccelente M. Matthias^ ».

Une note de l'édition de Nuremberg (i544) assure que Matthias Hermann avait été le témoin oculaire de la bataille ^ ; en ce cas il devait être l'auteur des paroles en même temps que de la musique ; mais, chose remarquée déjà précédemment à propos d'une réédition

1. De l'édition de i54g, la bibl. de Wolfenbuttel possède un ex. complet, et le Liceo musicale de Bologne les parties de ténor, alto et basse; de Tédition de iSSa, on trouve à la bibl. royale de Munich un ex. complet, à la bibl. roy. de Bruxelles les parties de soprano, alto et basse ; au Liceo musicale de Bologne, l'alto, seul.

2. V. ci-dessus, au catalogue des éditions de Jannequin, le n" 6.

3. Cf. le texte de cette dédicace dans le Catalogo del Liceo musicale, vol. III. p. 243. Le chanteur désigné par Gardano pouvait être le ténor appelé Sébastianus, en i545, dans les registres de la chapelle pontificale. Voyez Haberl, Bausteine fur Musikgesckichte, t. Il, Leipzig, i888, p. i2.5.

4. « Matthias Herman Verrecoinsis, qui et ipse in acie raisserrima quœque vidit, obiter me composuit ». Cette note a été citée par Ettner, Bibliographie, p. 712.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE l4ç)

de la Bataille de Marignaji^ les deux éditions de la Bataglia Taliana présentent des diver- gences de textes. Dans le recueil de Schmeltzel, sont nommés Prosper Colonna et le marquis de Peschiara, dont il n'est plus question dans l'édition de Gardano : celle-ci attribue tout l'honneur de la victoire au seul duc de Milan ; cette flatterie à l'adresse de Francesco Sforza s'expliquerait par la situation de Matthias à Milan : mais elle pouvait aussi être le fait de Gardano, dont l'on sait qu'il choisissait et pu- bliait souvent sans la participation des auteurs, les pièces qui formaient ses recueils.

Quoi qu'il en soit du texte de la « Bataille italienne », la musique en est très remarquable, et si Matthias Hermann n'ajoute pas de cou- leurs nouvelles h celles de Jannequin, s'il emprunte même à ce dernier exactement sa palette, du moins sait-il se servir des procédés descriptifs et de plusieurs des motifs mélo- diques ou rythmiques de son prédécesseur, avec une telle adresse et une telle sûreté, qu'il parvient presque à créer une œuvre originale*.

I. Otto Kade, qui a cru reconnaître en Matthias Hermann le même artiste que Mattheus Le Maistre ïi commenté la Battaglia Taliana aux pages 14 et suiv. de son livre déjà cité, et a publié dans l'appendice musical la première partie du morceau, mise en partition d'après l'exemplaire de i552 qui est à la bibl. de Munich. C.-F. Becker a connu la Bataille de Pavie par une copie datée de i558,

l5o MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Comme Jannequin, il débute par un exorde qui invite les seigneurs italiens à écouter le récit de la victoire du duc de Milan. Les cris : a all'arm', aU'arm' », le « boute-selle », 1' « éten- dard », retentissent; des notes lourdes, ré- pétées, imitent le bruit continu du pas des hommes et des chevaux, et le brillant thème de fanfare qu'on a vu, chez Jannequin, monter d'une voix à Tautre, résonne chez Matthias, presque sans changement, au milieu de nou- veaux rythmes, de nouvelles combinaisons.

elle figure sans nom d'auleur, sous le titre latin de « Gon- flictus ad Ticinium », avec le texte des éditions de Gar- dano.Voy. C.-F. Becker, Die Hausviusik in Deutschlaiid, Leipzig, 1840, in-4", p. 41. Kade et Becker regardaient tous deux le Dixiesme [ivre, de Susato, de i545, comme la première édition de la Bataille de Marignan, et n'ont vu ni lun ni l'autre jusqu'à quel point Matthias Hermann pro- cède de Jannequin.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE

5l

Il est impossible de ne pas, un peu plus loin, se souvenir encore de Jannequin, lors- qu'on voit Matthias adopter, comme son prédécesseur avait fait dans le passage : « Aven- turiers, bons compagnons », un dessin en rythme ternaire, avec le premier temps appuyé, et le mouvement tout à coup ralenti, pour interpeller les gens d'armes. Bientôt après, les onomatopées imitatives apparaissent, « trie, trac, tof, lure, ture, lof ». Dans la seconde partie, le musicien brouille à dessein les idiomes pour dépeindre plus fidèlement un combat auquel avaient pris part des contin- gents français, italiens, espagnols, suisses et allemands. T/alto chante en français, puis en italien, alternativement, les deux cris de guerre « France! France! » et « Marco! Marco ! », ce dernier, habituel aux troupes vénitiennes.

La grande gamme que Jannequin avait fait gaiement monter redescend chez Matthias, et cette descente, ce thème retourné à Ven{>e?^s\ survient certainement avec intention :

ra - ri . ron

I. Dans le second acte de a Parsifal », au moment Parsifal renverse le château de Klingsor en traçant d'un geste, avec sa lance, le signe de la croix, Wagner tait entendre dans l'orchestre le thème retourné du magicien.

l52 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

peu d'instants avant qu'on entende proférer les premiers cris de victoire : « Son confusi li Francios. »

Comme Fauteur de la Bataille de Marignan avait fait dire aux Suisses défaits : « Escampe, toute frelore », Fauteur de la Bataille de Pavie met sur les lèvres des Français une exclama- tion de détresse : « O nostre dame, O bon Jésus, astur nous sommes tous perdus! » ^

Quoique avec cette phrase et celles qui la suivent : « Hai, poltroni, liai, bottiglioni, gl'han pur persa la giornata », Faction soit terminée, Matthias ne clôt pas ici son œuvre, et après une pause il fait recommencer une troisième partie, se succèdent de plus belle les cris « su, su, ogni alemano, su, alabardieri » les lambeaux de phrases allemandes, les syllabes imitatives, les fanfares ; enfin tout cède au cri : « vittoria! vittoria ! » et la péroraison exalte le nom du duc de Milan,

Dans « Ascanio », M. Saint-Saëns, ainsi qu'il a pris soin lui-même de l'expliquer, a renversé le « motif du travail » et le a motif du maître », pour montrer « que Pagolo a travaillé en dépit du bon sens » (Voyez M. Kuffe- RATH. « Parsifat », de Richard Wagner, Paris, 1890, in-S", p. 263, Gh. Malherbe, Notice sur « Ascanio », opéra de C. Saint-Saëns, Paris, 1890, in-8", p. 16). Sans s'en douter Wagner et M. Saint-Saëns reprenaient un artifice ancien des ingénieux contrapuntistes du xvi» siècle.

I. A cause, peut-être, du mot « astur », qui représente par contraction « à cette heure », Otto Kade a imaginé de voir dans cette phrase « un texte d'origine provençale ».

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE l53

Le type fixé par Jannequin dans la Bataille de Marignan^ imité par Matthias Hermann dans la Bataille de Pairie, devint tellement classique, que ce fut à peine si Christophe Demant, pour célébrer la reprise de Raab sur les Turcs, en iSgS, essaya de le modifier. Son œuvre, ofFerte en présent d'étrennes aux ma- gistrats de Breslau, en 1600, et imprimée la mêQie année à Nuremberg sous le titre de Tym- panum militare^, était écrite à six voix, que pouvaient exécuter « les voix humaines et toutes sortes d'instruments », et se divisait en quatre parties successives. L'exorde débutait par une invocation à la musique, requise de fêter joyeu- sement cette victoire chrétienne ; ensuite venait l'appel obligatoire à l'attention de l'auditoire. La description de la lutte contenait les for- mules habituelles, et toute sa terminaison repo- sait sur le thème déjà traité par Jannequin et Matthias Hermann :

% un-^

I. Une seconde édition ànTympanum. militare, augmentée de nouveaux morceaux, parut en i6i5. i^our le titre complet et l'analyse de cette œuvre, voy. E. Bohn, Biblio- graphie der Musikdruckwerke bis 1700, etc., Berlin, i883, in-8°, p. iio, et l'étude de Reinhard Kade sur Christophe Demant, dans la Vierteijahrsschrift fiir Musikwissenschaft^ t, VI, 1890, p. 482 et p. 509.

11-i MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

L'œuvre de Déniant se distinguait des précé- dentes par Taddition finale d'un quatrain reli- gieux :

O Jesu Christe, dein Gewalt Preisen wir ail so mannigfalt, etc. *.

Encore quelques années plus tard, un autre musicien allemand, Thomas Mancinus, se con- formait au même modèle, et composait sa Bataille de Sieçer'shause/i expressément « dans le style de la Bataille de Pairie », et par conséquent, de Jannequin".

Le maître français, en continuant lui-même d'exploiter la veine des batailles, avait essayé d'en renouveler les formes. La pièce à quatre voix, en deux parties, qu'il écrivit sur « la prise et réduction de Boulogne », et qui fut publiée pour la première fois en i55i^, était une chanson sérieuse, sur deux strophes régu-

1. Une autre particulai'ité est la présence, dans l'imprimé allemand, d'une seconde version abrégée du même morceau, sur des paroles latines, avec le titre : « Praelium Ungari- cum, Divo Imperatori Rodolpho II decantatum ».

2. Die Schlacht fur Sivershausen... nach Art der Schlacht fiir Pavia, mit uier Stimmen... durch Thomas Mancinus Helmstadt, 1608. On ne connaît aujourd'hui de cet ouvrage que la seule partie d'alto, dont un exemplaire existe à la bibl. de WolfenbUttel. Le morceau est divisé en trois parties. Voyez EiTNER, Quellen-Le.rikon, t. VI, p. 296. La bataille choisie par Mancinus était une victoire remportée en i553 par l'électeur de Saxe sur le margrave de Brandebourg

3. Voy, ci-dessus, au catalogue, les n»^ 8 et i3.

I

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE l55

Hères de huit vers décasyllabes, qui exhortaient les habitants de Boulogne à rentrer sous Tobéis- sance du roi de France, Henri II, et à fêter son entrée par le bruit guerrier des canons, des fifres, des tambours, des trompettes. Aucune description réaliste ne pouvait y tenir place. Avec la chanson en deux parties intitulée la Bataille de Metz^ qui célébrait l'échec de Charles-Quint sous les murs de cette ville en i552, et qui fut imprimée en i555% Janne- quin tentait de concilier les deux genres, et, chose très importante à remarquer, d'associer aux voix les tambours et les trompettes. La pre- mière partie commençait par les vers :

Or sus, branles la teste en haut, en haut. Que vostre poil par grant fureur se dresse. Monstrez, Français, maintenant vostre adresse, Enflez le cueur pour frapper comme il faut.

Après avoir ensuite invoqué toutes sortes de divinités mythologiques, Neptune, Jupiter, Mars, Pluton, le texte devient descriptif et se mélange d'onomatopées : u Doubles canons, bruyez, tonnez, teu, teu, teu, brededou, flique, flaque, pati, patac », etc. C'est dans le courant de ce couplet que les instruments, intervien- nent, séparément des voix et alternativement avec elles, le « tambour des Suisses » et les

I. Voyez ci-dessus, au catalogue, les no^ 9 et )3.

l56 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

« trompettes » venant couper la chanson de courts épisodes, notés sans paroles. La seconde partie du morceau, qui abonde en effets imi- tatifs vocaux, ne réserve plus de place à ces brèves démonstrations de musique militaire, qui sont absentes aussi de la Bataille de Renty ^ Celle-ci, que Jannequin publia dans son Verger de musique, en i 639, est une chanson guerrière, une œuvre de circonstance, comme la Prise de Boulogne et non pas une composition descrip- tive. Son unique strophe, qui commence :

Branlez vos piques, soldats,

A cheval tost, mes gens d'armes,

1. Nous ne contredisons pas l'opinion d'après laquelle l'exécution des œuvres polyphoniques vocales du xvi» siècle aurait comporté quelquefois un appoint instrumental. Mais la séparation expresse dans la « bataille de Metz », de Jannequin, des phrases réservées aux voix et de celles des- tinées aux instruments, nous semble un argument probant pour soutenir que les œuvres ne se remarquent pas des mentions semblables étaient des œuvres purement vocales. Si certaines réunions de musiciens les interprétaient autre- ment, si quelques éditeurs, pour mieux en assurer la vente, les garantissaient au titre « convenables tant aux instruments qu'aux voix » les mélanges arbitraires qui pou- vaient s'effectuer ne résultaient pas de la volonté des com- positeurs, mais d'une permission tacite qu'ils étaient forcés d'accorder. Les « arrangements » de tous genres que publient de nos jours les éditeurs d'une œuvre à succès, et ceux que se permettent, de leur propre autorité, les ama- teurs, ne sauraient être donnés pour la règle générale de notre culture musicale moderne : ils ne sont cependant que la simple continuation des usages tolérés au xvi» siècle, et que l'on essaie maintenant de nous représenter comme le fond des concerts de la Renaissance.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE iS'J

ne manque pas de mentionner le dieu Mars, mais se termine dévotement, chose unique parmi les batailles de Jannequin, par une invocation religieuse :

Sus donc, prions notre sauveur Nous y donner telle faveur Que le tout soit fait à sa gloire.

Jannequin vivait encore lorsque le duc de Guise reprit Calais, en i558 : ce ne fut pas lui cependant, mais Guillaume Costeley, qui com- posa sur ce succès des armes françaises une chanson à quatre voix, imprimée dans ses œuvres en iD^o^ Cette pièce, intéressante sur- tout au point de vue historique, se divise en quatre parties successives, de peu d'étendue, qui se répondent en une sorte de dialogue, la ville de Calais prend elle-même la parole. Le morceau initial, le plus développé des quatre, offre seul quelques intentions descriptives, non pas tant dans le couplet inévitable qui invite les canons, les tambours, les clairons, à « bruire », que dans le passage les mots

I. L'unique exemplaire connu de la Musique de Guillaume Costeley est à la bibl. Sainte-Geneviève à Pai^is. M. Henry- Expert en a réédité une grande partie dans les livraisons 3, r8 et 19 de sa collection bien connue et plusieurs fois citée dans cette étude, les Maîtres musiciens de la Renaissance française. Les pièces sur « la Guerre de Calais » et « la Prise du Havre » sont aux pages 12 et 5o de la 19* livraison.

l58 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

« renversez les remparts » sont traduits par des gammes descendantes, un exemple entre mille des petits procédés de a peinture musi- cale » usités par les maîtres du xvi® siècle.

Costeley écrivit encore sur la prise du Havre (i564) une longue pièce à quatre voix divisée en six couplets dont les textes forment égale- ment une sorte de dialogue, le premier s'adres- sant au roi, le suivant aux ennemis de la France, le quatrième exprimant les supplica- tions du Havre, et la a suitte dernière » étant un chant d'actions de grâces pour la victoire obtenue.

Quelques autres batailles ne doivent pas être oubliées. Un manuscrit de la bibliothèque de l'Université de Baie, exécuté dans la seconde moitié du xvi® siècle, en contient deux, sans texte et sans nom d'auteurs, distingués à la table des matières par les épithètes « la courte » et « la longue » S pièces « plus simples » nous apprend M. Karl Nef, moins intéressantes que la Guen^e de Jannequin, et ne consistant guère qu'en imitations du bruit des trompettes ^ Nous ne pouvons citer que le titre d'une « bat-

I. J. RiCHTER. Kaialog der Musik-Samnilung auf der Uni- f-'.^rsitàts-Bibliothek in Basel, Leipzig, 1892, in-8». p. 69 et suiv.

1. Ka-RL Nef, Schlachtendarstellungen in den Musik, dans Die Grenzboten, 1904, t. III, p. 282.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE iSg

taglia moresca », à quatre voix, en deux par- ties, insérée en i546 dans le second livre de madrigaux d'Anselme de Reulx, dont on ne connaît plus que le seul bassus^ au Liceo musi- cale de Bologne \ Peut-être était-ce une pièce comique, comme la bataille villageoise de Tomaso Cimello, qui figure dans ses Canzone vïllanesche^ imprimées en i545^ Une « batta- glia a 6 )) d'Yvo de Vento, qui commence par les mots (( Cando la bun caval », est mention- née dans le premier livre des Gregesche^ com- posées par plusieurs musiciens sur les poésies de Manoli Blessi, et publiées par Antonio Gar- dano, en i564 ^•

Nous retrouvons, avec la « guerre marine » de Desbordes, une pièce conforme aux tradi- tions de Jannequin. Ce morceau d'un musicien français inconnu est contenu dans le Onziesme liçre de Chansons à qualité et cinq parties de plusieurs autheurs. Imprimé en quatre {>olumes, A Paris. 1573. Par Adrian Le Roy et Robert Ballard. Nous n'en connaissons que le volume de Superius ' : aucun jugement ne peut donc

1. Catalogo del Liceo musicale t. 111, p, 139. Vogel, Bibliothek, t. II, p. 128.

2. YoGEL, ibid., t. I, p. 173.

3. Vogel, ibid., t. II, p. 40:").

4. Nous n'avions pas encore vu cet exemplaire, à la Bibl. Nationale de Paris, lorsque, dans notre étude bio-biblio- graphique sur Claude Goudimel (Besançon, 1896, p. 43)

l6o MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA. VIEILLE FRANCE

être porté sur le mérite musical de l'œuvre : mais son contenu littéraire, ses dimensions et son plan se trouvent du moins indiqués. Dans sa première partie, cette chanson paraît pure- ment lyrique, et a pour texte une assez longue suite de vers décasyllabes, commençant ainsi :

Sus, matelotz, voicy la guerre ouverte, Gaingnons la mer avec ses apparaux. Ne craignons rien, la navire est couverte, Boutons dessus à travers de ces eaux.

La seconde partie rentre dans le genre imita- tif et donne la description d'un combat naval, en usant des termes spéciaux à la marine, et de quelques onomatopées :

Montez là-haut, gettez potz à feu bas, Lances à feu, grenades, fauces lances Gettez moy leurs matz bas, Patic, patac, aborde, aborde, etc.

nous avons suivi la description fautive que R. Eitner avait donnée du Onziesme livre dans sa Bibliographie, p. 179 et p. 607-608. Ayant mal lu la table du recueil, Eitner a con- fondu l'ordre des titres et sous-titres des morceaux, et appliqué à deux chansons de Goudimel {Du jour que je fus amoureux, et : Tu me fais mourir) les titres de Chasse de la perdrix (qui appartient à la pièce de Delafonl : As-tu point quelque espervier) et de Guerre marine (qui désigne la chanson de Desbordes). On voudra bien tenir cette note pour un erratum à notre brochure. Ajoutons que Eitner s'est également trompé en plaçant à la pièce : Qui veut ouïr chansonnette, le titre de Chant du rossignol, qui est réservé à la chanson de Gerton : En escoutant le chant mélodieux .

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE l6l

Les derniers vers décrivent Tabordage et le pillage du vaisseau ennemi :

Sautez dedans, le pillage est à vous. Pillez, tuez, tout ceci soit à nous, Enseigne, sus, nous avons icy prise.

Allons, tyebord et babort. Amis, tout est à nous jusques à la chemise.

Pour ne pas franchir la limite du xvi^ siècle, nous ne citerons plus que la composition d'Andréa Gabrieli : Sento un rumor^ à huit voix, en deux parties, publiée en iSS^, après la mort de l'auteur, dans les Concerti d'Andréa et Giovanni Gabrieli '. C'est une brillante pièce vocale, le maître vénitien s'attache d'abord à décrire l'approche d'une armée enne- mie : une rumeur lointaine, qui trouble l'air et fait trembler la terre. L'effet de rapproche- ment est rendu non seulement par les nuances dynamiques, que la notation du xvi® siècle n'indiquait pas, et qui étaient sous-entendues, ressortant du sens des paroles et de la compo- sition, — mais par d'ingénieuses recherches mélodiques, par le mouvement, la direction, la complication des dessins, par de petits détails de peinture musicale soulignant des mots tels que « e scorrendo veloce » ; jusqu'à

I. VOGEL, Biblioihek, t. I, n. 232. Ce morceau a été publié en partition dans le Recueil du prince de La Mos- kova, t. XI, p. 389.

BRE^'ET. II

l62 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

ce que, rennemi étant reconnu, le danger proche, de toutes parts s'entendent les cris : « all'arme, aU'arme ! » et le roulement des tambours, imité par les voix de basses sur les syllabes « dobbe, dob ». La seconde par- tie, qui débute par les mots : « alla batta- glia ! » pourrait être définie : une pièce bel- liqueuse, plutôt que tout à fait descriptive, puisque , sauf un épisode les voix imi- tent des appels de trompettes, Gabrieli insiste moins que ses prédécesseurs sur les effets pit- toresques.

L'auteur d'un article récent sur les batailles en musique, M"*^ Eisa Bienenfeld ^, a manqué de justice envers les compositeurs du xvi^ siè- cle, lorsqu'elle leur a reproché de n'avoir visé qu'à des descriptions réalistes, et d'avoir né- gligé ou ignoré le côté synthétique et abstrait de l'idée de combat. Cette critique, spécieuse en apparence, et à laquelle des auditeurs mo- dernes pourraient être tentés de souscrire, doit être repoussée, par le seul résultat de l'examen historique, et en laissant de côté les considéra- tions esthétiques qui ne pourraient reposer que sur des comparaisons avec des œuvres pos- térieures, et sur des préférences personnelles.

I. Elsa Bienenfeld, Ueber ein bestimmtes Problem der Programmmusik, dans le Bulletin mensuel delà Société inter- nationale de musique, t. VIII, 1906-1907, p. i63 et suiv.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE l63

Lorsque les maîtres du xvi^ siècle achevaient de donner corps aux tentatives réalistes des contrapuntistes du moyen âge, l'art de la fugue et celui du développement de deux thèmes opposés, qui en est issu, n'avaient pas encore été découverts ; et si Thabileté de ces maîtres était sans bornes dans la disposition, le morcellement, la variation d'une mélodie, dans sa répétition, sa disposition canonique entre plusieurs voix, sa décomposition ryth- mique et la combinaison de ses fragments en polyphonies merveilleuses, cependant ils igno- raient les ressources de Tantithèse et des con- trastes nés de l'opposition de deux sujets dis- tincts. Si donc ils s'imposaient un programme descriptif, ils envisageaient la nécessité de créer en musique un langage spécial et des procédés de composition ditTérents de ceux qu'ils employaient, dans le motet et la chanson, pour rendre des sentiments généraux. Les moyens entrevus par les premiers auteurs de pièces pittoresques, adoptés et poussés à un degré extraordinaire d'adresse et d'invention par Jannequin, constituaient ce langage spé- cial, qui répondait à la fois aux exigences d'un but artistique nouveau, et aux idées générales de l'époque. On n'en était arrivé, au temps de François P'" et de Charles-Quint, ni à philoso- pher sur la guerre, ni à se questionner pro-

l64 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

fondement sur la nature, et la réalité des faits s'imposait davantage aux esprits que les entités philosophiques. Sans doute, Mars, Bellone, Gybèle et Pan, figuraient, par habitude, dans le vocabulaire poétique ; mais un artiste chargé de commémorer le souvenir d'une bataille n'avait cure des allégories ; il peignait ce qu'il avait vu : des hommes et des chevaux bardés de fer, emportés par un élan furieux, se ruant aux assauts meurtriers, aux combats corps à corps ; des forêts de flèches obscurcissant l'air ; des barrières de piques, l'héroïsme d'un Winkelried faisait une trouée. La vérité du tableau suggérait d'elle-même les idées d'ac- tion et de mort, de cruauté et de courage, de gloire et de sacrifice, de dévouement suprême au roi et à la patrie, qu'entraîne avec soi le concept de la guerre. Puisque, à ces images visuelles, correspondaient les souvenirs audi- tifs d'une clameur formidable, faite de mille bruits sauvages, le musicien, comme le sculp- teur ou le peintre, n'avait qu'à transposer dans son œuvre Técho vivant du combat. Les batailles en musique écrites au xvi® siècle étaient nécessairement des œuvres réalistes.

Pour les mêmes raisons, c'étaient aussi nécessairement des œuvres réalistes, que les chansons de chasse, les chansons de la rue, les chansons des oiseaux, dont il nous reste à par-

ORIGINES DE LA ^MUSIQUE DESCRIPTIVE l65

1er, un peu plus brièvement que nous n'avons fait des chansons de batailles.

III

La peinture d'une chasse ne devait guère moins plaire que celle d'un combat aux hommes du XVI® siècle. Avides de tous les exercices vio- lents, ils trouvaient leurs propres sentiments exprimés dans ces vers, par lesquels commen- çait la seconde partie de « la Chasse » de Jan- nequin :

Sur tous soûlas, plaisir et liesse, Sur tous souhaitz qu'amour pourchasse, Tous esbatz qui sont en noblesse, Sur tous deduitz, n'est que la chasse.

Et c'était une joie pour eux que de recon- naître au passage tous les termes de vénerie, d'entendre le roi et le « grand sénéchal » se répondre, les veneurs se donner rendez-vous aux carrefours connus de la forêt de Fontaine- bleau :

Vous prendi'ez chacun vostre limier :

La Roche, Plexis aurez pour compaigiion.

Vous irez destourner au rocher d'Avon.

Oudart et Britonnière,

Faictes la Croix du Vaucervelle ;

L'enseigne aussi, Brunière,

Qui avez très bonne cervelle

Vous irez à la croix du grand Veneur,

l66 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

puis les chasseurs et les valets nommer, exciter, pousser ou retenir les chiens, et les chiens eux-mêmes aboyer, tandis que le cerf s'enfuit et que la chasse galope sur ses pas. Le moment le cerf « tient tête », celui il est « aux abois », sont dépeints par un redouble- ment d'onomatopées, et de notes pressées et redoublées ; sa mort, par de longues tenues qui s'étalent tout à coup, bruyantes et solen- nelles.

En le voyant si attentif à souligner les locu- tions usitées dans une chasse à courre, on ne peut douter que Jannequîn n'ait introduit dans ce morceau des motifs conventionnels, dont le souvenir adroitement invoqué devait imprimer à son œuvre un cachet frappant de réalité.

De tout temps une musique spéciale avait accompagné le passe-temps, réputé noble, de la chasse, et le vacarme même de la meute paraissait harmonieux à un veneur. On a cité souvent les jolis vers par lesquels, sous le règne du roi Jean, Gaces de la Buigne comparait les aboiements des chiens h une pièce polypho- nique, en se servant des termes musicaux pour les décrire, et en assurant qu'aucun répons ou alléluia, fùt-il interprété par les chantres de la chapelle du roi, n'en pouvait égaler l'agrément. Dans le chœur des chiens, disait-il.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE

Les uns vont chantant le motet. Les autres font double hoquet. Les plus grans chantent la teneur, Les autres la contre-teneur ; Ceux qui ont la plus clere gueule Chantent la tresble sans demeure, Et les plus petits le quadrouble En faisant la quinte surdoublc ^.

Un autre rimeur du xiw"" siècle, Hardouin de Fontaines- Guérin, dans son Trésor de Véneiie^^ enseigne la science de corner

En tant de guises, comme il faut Corner en chasse, sans deffaut,

et donne, avec une notation spéciale, l'expli- cation des quatorze « cornures » en usage dans sa province, qui était l'Anjou et le Maine : le répertoire des chasses en France s'en écartait peu, paraît-il ; le cor, qu'il fût d'airain, d'ar- gent ou d'ivoire (l'oliphant du moyen âge), ne fournissait qu'un son unique, et c'était par la différenciation des valeurs de durée, par le rythme, que se distinguaient les « cornures », composées chacune d'une, deux ou trois « halei- nées ».

1. Henri d'Orléans, Notes et documents relatifs à Jean, roi de France, dans les Miscellanies of ^ihe Philobiblon Society, t. II, i855, p. 174. Histoire littéraire de la France, t. XXIV, p. ySi.

2. Trésor de Vénerie, composé l'an 1894 par Hardouin, seigneur de Fontaines-Guérin, et publié pour la première fois par H. Michelant. Metz, i856, in-8°.

l68 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Le dessein de rappeler ces rythmes familiers se fait constamment reconnaître à travers l'œuvre de Jannequin, par la fréquence des phrases débitées sur une seule note. Lorsque, par exemple, on entend le superius chanter :

II

est temps de s'en re . tour . uf

on se souvient de la « cornure de mescroy », qui se sonnait en cas de méprise, pour retour- ner sur ses pas, et dont la première « halei- née » se composait de deux sons courts suivis de cinq longs. La « cornure de chasse » sur- monte au superius le chœur formé des aboie- ments des chiens. L'historien qui chercherait à pénétrer les origines de la musique cynégé- tique trouverait donc dans « la Chasse » de Jannequin des documents analogues à ceux que renferme, pour la musique militaire, sa « Ba- taille de Marignan ».

La (c Chasse» du maître français n'obtint pas le succès réservé à ses autres compositions des- criptives. Elle ne fut pas, comme «la Guerre » et « le Chant des oiseaux», plusieurs fois réim- primée, et Ton n'en connaît point de transcrip- tions instrumentales. A cause, en grande partie, de ses longs développements ^, elle produit sur

1. Dans la zéédiLion de M. Expert, « la Chasse » occupe

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 169

nous une impression de monotonie. Mais, d'autre part, nous sommes frappés d'y voir le musicien s'attacher de très près au sens des paroles, qu'il cherche évidemment à rendre intelligibles à l'auditeur, plus que Ton ne s'en souciait alors dans les chansons polyphoniques. La netteté du tableau retracé devient telle, que l'on peut, pour ainsi dire, en imaginer la mise en action ; et il serait extrêmement curieux de tenter aujourd'hui de cette Chasse une exécution dialoguée, qui, sans porter atteinte à l'intégrité du texte musical, et simplement par l'emploi raisonné, selon le contenu des paroles, d'un chœur, et de quelques solistes, parviendrait sans nul doute à des effets surprenants de vie et de vérité.

D'autres Chasses furent imprimées après celle de Jannequin. Le second livre du grand recueil de Forster, qui parut en 1 54o \ contient, sous le n*^ 3i, un lied anonyme à quatre voix,

quarante pages, tandis que « la Guerre » et « le Chant des oieaux » sont contenus chacun en trente pages.

I. Voyez EiTNER, Bibliographie, p. 64. Une réimpres- sion des textes littéraires du recueil entier a été publiée sous son titre original, Guter frischer teutscher Liedlein, etc., dans les Neudrucke deutscher Litteraturwerke des XVI und XVII Jahrhunderts, n»' 20H-206, Halle, igoS, in-8°.

Une édition en partition naoderne du second livre a été donnée par Eitner dans les Publikationen altérer Musik werke... hisg. von der Gesellshaft fur Musik forschung, t. XXIX, in-fol., 1905.

170 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

divisé en trois parties, «Wohlauf, jungund ait», dans lequel sont décrites les péripéties d'une chasse au cerf. Les voix, en répétant « wufF, w^ufF», imitent tantôt les aboiements des chiens et tantôt le galop du cerf et des chevaux, «wuff, w^ufF, da lauft der edel Hirsch».

Deux « Chasses du lièvre » à quatre voix, l'une anonyme et l'autre inscrite sous le nom de Nicolas Gombert, sont, comme il a été dit précédemment, contenues dans le Dixiesme liçrede chansons, imprimé par Tylman Susato, en 1545 ^ Chaque éditeur s'appliquait à mettre au jour une série de recueils analogues, sous une numérotation propre. Le Onzième liçredu recueil de Le Roy et Ballard, qui porte la date de i5^3 et dans lequel nous avons fait plus haut remarquer la présence d'une « Guerre marine» de Desbordes, contenait, sous le nom également obscur de Delafont, une « Chasse à la perdrix», qui commence par les mots : «As-tu point quelque espervier prêt à voiler ? ». Le texte, comme il faut s'y attendre, ne manque pas de reproduire les cris des fauconniers et les noms de leurs oiseaux : « Or sus. Espagnol, en avant, vole, vole ! Ha, ha, hare, Satin ! hare, Tanné ! aussi Diamant, là, mon aniy ! ha, Came- lot ! hare, voy le cy, vrr, là, là, là, tien cy,

I. Voyez ci-dessus, au Catalogue des éditions de Janne- quin, le 7.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 171

tien ! il pille, il pille, mon oiseau ! ». La fin est très prosaïque :

Monsieur, voylà le perdriau. 11 en a pris, me semble, assez, Allons en, nous sommes lassez. -

De la musique, nous ne pouvons rien dire, n'en connaissant que la seule voix de superius.

Le même étonnement que Kastner avait mani- festé à l'égard de l'absence de mérite poétique dans les paroles de la Bataille de Marignan^ a été exprimé relativement au texte d'une autre chanson de Jannequin, les Cris de Paris^ par un écrivain qui, n'étant point musicien, n'a pas soupçonné l'intérêt de l'œuvre au point de vue de la notation des bruits de la rue, et de leur utilisation pour une œuvre d'art. C'est dans l'un des volumes de M. Alfred Franklin sur la Vie privée d'autrefois, que nous lisons ce juge- ment étrange à rencontrer sous la signature d'un érudit: « Je n'ai rien à dire de la musique, quatuor qui serait sans doute peu goûté aujour- d'hui. Il est probable que Jannequin est aussi l'auteur des paroles, et s'il s'en montrait fier, il avait tort. Mais Jannequin était musicien, non poète, et il est clair que, d'un bout à l'autre de la pièce, la poésie est volontairement sacri- fiée à la musique » ^

I. A. Franklin, La Vie privée d'autrefois : f Annonce et

172 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Pas plus dans sa chanson des Cris de Paris que dans celle de la Guerre, Jannequin ne s'était inquiété, en effet, de la qualité littéraire du texte, et le procédé du «quolibet », de la chanson formée d'un mélange de paroles sans suite, qui avait donné tant d'animation à sa peinture de la Guerre^ était devenu très natu- rellement la base d'une composition destinée à décrire la confusion bruyante des cris popu- laires. Il n'y avait même, poury atteindre, aucune autre route à suivre. Qu'il connût ou non l'œuvre analogue de Nicola Zacharias, écrite cent et quelques années auparavant, Jannequin ne pou- vait qu'en reprendre la méthode, en l'adaptant à sa manière propre, et aux progrès qu'un siècle avait apportés dans l'art de la composi- tion : et c'est des mêmes procédés que M. Gus- tave Charpentier a de nouveau fait surgir, dans un tableau célèbre et charmant de son opéra Louise^ des effets entièrement modernes.

La part des rapprochements et des mélanges comiques, dans un sujet de cette nature, n'était pas pour en éloigner Jannequin, qui cherchait volontiers dans le rire, et dans le rire rabelai- sien, un élément de succès. Il n'alla nulle part, dans cette direction, plus loin que dans le

la réclame, les cris de Paris, 1887, in-i2<», p. 210. L'auteur est mal renseigné sur la date de la première édition de l'œuvre de Jannequin, qu'il place à i55o, au lieu de 1529.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 173

Caquet des femmes, son inclination au réa- lisme et sa verve caustique se donnèrent carrière en dépeignant le bavardage d'une assemblée de commères. Le caractère licencieux du texte rend impossible aujourd'hui l'exécution de cette pièce.

Ce caractère, qui était commun alors aux chansons de beaucoup de compositeurs, mais que celles de Jannequin portent volontiers à l'extrême, se retrouve dans son « Chant de l'alouette », qui n'est pas seulement un mor- ceau descriptif, avec imitations du gazouille- ment des oiseaux, mais en même temps et prin- cipalement une chanson amoureuse, une âpre satire du «faux jaloux», dont se moquaient à l'envi les conteurs du moyen âge. Jannequin avait précisément puisé les paroles de cette pièce dans le répertoire vocal du xv® siècle. S'il. a laissé de côté la seconde partie de l'ancienne chanson, et s'il ne s'est point astreint à en adop- ter le sujet musical, du moins il s'est servi de plusieurs de ses formules mélodiques, de celles en particulier qui s'attachaient aux paroles imi- tatives et qui étaient passées avec elles dans le vocabulaire de la composition :

{Anonyme)

" P . ,

il est jour, le.vés sus,e3 . cou, es . coûtez l'alou . et . te.

174 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Jannefjiiin

i

^

o -e o- ^^

Il est jour, le . vés sus, es . cou

h'' - J J-J-^^

es - cou . tez l'a.lou.et

^

te

(Ano7\yme)

etc.

.il est jour, il est jour, il est j( Jannet/uin

il est jour, il estjour,ilestjour,il est jour, il estjour,il est jour,

On ne reconnaît pas d'antécédents analo- gues pour le morceau de Jannequin intitulé le Chant du rossignol^ dont les paroles furent remises en musique par Pierre Certon, et ne contiennent matière qu'à très peu d'imitations réalistes.

Celles-ci remplissent, au contraire, presque complètement Ze Chant des oiseaux, qui, de tous les poèmes consacrés par Jannequin à l'interpré- tation des spectacles de la nature, reste le plus célèbre et le plus intéressant.

Les questions de priorité, quand il y a simi- litude de sujets, de textes et de thèmes, sont presque impossibles à trancher pour la plupart

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE JjS

des œuvres musicales du xvi^ siècle. On est donc dans l'incertitude pour placer dans un ordre chronologique exact les deux composi- tions de Nicolas Gombert et de Clément Janne- quin sur le Chant des oiseaux. A s'en tenir aux dates des éditions connues, l'œuvre du musicien français précéderait de dix-sept ans celle du maître de chapelle de Charles-Quint, puisque le Chant des oiseaux , de Jannequin, fut imprimé dès 1628 dans son livre de Chansons publié par Attaingnant, et de nouveau en iSS^ dans la seconde édition mise en vente par le même libraire, tandis que le morceau de Gombert n'apparaît qu'en i545, dans \q Dixième liseré de Tylman Susato*. Mais rien ne prouve que d'autres recueils, ignorés aujourd'hui, n'ont pas auparavant contenu cette composition. Les deux artistes étaient absolument contempo- rains. A défaut de documents certains, des rai- sons inhérentes aux chansons elles-mêmes, des raisons «intérieures», feraient, jusqu'à nouvel ordre, attribuer vraisemblablement à Gombert

I. Voyez au chapitre précédent le catalogue des éditions de Jannequin. Le Chant des oiseaux de Gombert a été publié en partition par Gommer dans sa Collectie operum rnusi- corum hatavorum, t. XII. Des fragments en ont été cités par Reissmann, Geschichte der Musik, t. I, p. 267, et par Schneider, Das musikalische Lied, t. II, p. 404. Pour le Chant des oiseaux de Jannequin, on se reportera aux édi- tions de M. Henry Expert, seules conformes à l'original.

176 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

l'honneur de Tinitiative : car son Chant des oiseaux est à trois voix, celui de Jannequin à quatre, et les deux pièces se présentent par conséquent, vis-à-vis l'une de l'autre, dans un rapport de surenchère pareil à celui qui s'ob- serve souvent, à la même époque, entre les compositions de deux ou de plusieurs maîtres rivaux.

Admettons donc provisoirement qu'il en avait été ainsi, et que Jannequin se posait en suc- cesseur de Gombert. Il se sert du même texte, des mêmes idées musicales. Par l'emploi d'une voix de plus, il donne une impression d'achè- vement qui ne résulte pas d'un simple remplis- sage harmonique, mais d'un équilibre différent donné à toutes les parties ; en même temps, par des inflexions nouvelles imposées aux mêmes motifs, il se les approprie et leur communique son humeur particulière, sa gaieté légère et hardie ; il les découpe et les enchevêtre en mé- langes piquants, en images changeantes, propres à divertir autant qu'à charmer.

Le thème initial de toute la chanson, qui produit un si gracieux effet en se reproduisant pour conclure, s'inspirait, chez Jannequin comme chez Gombert, des premières mesures d'une pièce anonyme du xv® siècle ^ :

I. Bibl. Nationale de Paris, ms. fr. n. a. 6771, fol. 91 y°.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 177

h\> ° f rT^:=^T? f j J 1^^

Or sus a - mants, veuillez vous resveil . 1er, car

le printemps ap . proche

On sentira l'influence de ce thème dans le début du Chant des oiseaux de Gombert :

Res . veil.lez vous cueurs en . dor . mis, le

i^} ■\ ^ n'\ f r î\0° I

dieu d'amours, le dieu. d'amours vous son

Yr pr

et les premières mesures du morceau de Janne- quin feront immédiatement apercevoir la dis- semblance du développement mélodique chez les deux maîtres :

j.^ JJ J .) .1 |J JJ.i. JIU J. ^ ^

Re.veillezvous oueurs en.dor . mis

cueurs en.dor.

Is^ .. - J U J^^

?=Fg

. mis le dieu d'amours vous son

ne ,

Une comparaison suivie montrerait les deux

BrENET. 12

178 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

musiciens soutenant jusqu'au bout cette dé- marche opposée : Gombert, attaché davantage aux développements de la mélodie, et s'appe- santissant volontiers sur des formules ornées et arrondies, Jannequin demeurant fidèle à son humeur joyeuse, à son penchant tout français en faveur de la clarté et des efFets précis, ra- pides, animés, qui donnent l'impression de la vie. Selon que sa composition reçoit de la part des chanteurs une interprétation délicate et fon- due, — la perfection, en ce genre, a été atteinte par le quatuor Expert, ou qu'au contraire on l'exécute avec une accentuation mordante et des sonorités moins discrètes, la signification peut en paraître foncièrement différente : ou bien c'est un coin délicieux de paysage musi- cal, ou bien l'impertinente, voire grossière fan- taisie d'un contemporain de Pantagruel.

Ce qu'on est accoutumé à rencontrer chez Jannequin et chez la plupart des compositeurs profanes de la Renaissance, peu enclins aux badinages innocents, rend, il faut bien l'avouer, la seconde explication plus vraisemblable que la première. Assis, comme trois siècles plus tard Beethoven, au bord d'un ruisseau, Jannequin écoute aussi se répondre le loriot, la caille et le coucou ; mais il comprend autrement leur langage ; ensemble, il les entend claironner des fanfares, s'inviter à « rire et gaudir », appeler

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 179

par leurs noms leurs maîtresses, Guillemette, Colinette; quelques-uns tirent vers le cabaret, en prononçant : ce il est temps d'aller boire ! » Le sansonnet,

Le petit sansonnet de Paris, Sage, courtois et bien appris,

met les cloches en branle : « din, dan, din, dan », et crie : a Sus, madame, à la messe ! » Chacun rit, fredonne, gazouille, jargonne d'im- payables discours, faits de notes douces ou aiguës, de rythmes précipités, de syllabes frappées et refrappées avec volubilité ; contre le coucou, l'oiseau traître, qui ne construit pas de nid, toute la gent ailée s'allie ; on le honnit, on le bat, on le chasse, et, une fois l'intrus expulsé, tout s'achève paisiblement par le retour des premiers vers et du premier thème :

Reveillez-vous, cœurs endormis, Le dieu d amours vous sonne.

Au lieu d'altérer le texte littéraire et musical du chant des oiseaux pour en faire disparaître, par des substitutions de noms et des coupures, les allusions équivoques \ on peut tenter d'en

I. Dans l'édition du prince de La Mosko^\^a, le coucou a été transformé en hibou, ce qui constitue un non-sens absolu au point de vue de l'observation de la nature et des mœurs des oiseaux : et ce changement dans le texte a entraîné la suppression du passage construit sur les harmonieuses réponses que fournissait le chant du même oiseau.

l8o MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

interpréter autrement le sens, et d'y voir sim- plement un joyeux tableau de la nature au printemps, une amusante transposition des concerts du petit peuple des oiseaux, un écho des « murmures de la forêt », ne paraissent ni les mythes et les symboles d'un poème légendaire, ni les mots à double entente d'une satire grivoise. Lire ou entendre dans cette acception le Chant des oiseaux serait peut-être le moderniser, puisqu'on assure qu'à l'époque delà Renaissance, le « sentiment de la nature » n'existait pas, tel du moins que nous l'enten- dons ; affirmation discutable, et contre laquelle la musique du xvi® siècle apporterait autant d'arguments et de documents que la lit- térature ; ce ne serait en tout cas ni le mé- connaître, ni le déformer.

Nous ne saurions cependant poursuivre ici un examen détaillé de la chanson de Jannequin, que la double édition de M. Henry Expert rend heureusement accessible, sous sa forme authen- tique, à tous les musiciens. Nous préférons enga- ger le lecteur à s'y reporter et lui suggérer seu- lement, au point de vue spécialement imitatif, quelques rapprochements entre cette pièce et d'autres du même temps, dans lesquelles appa- raissent épisodiquement des effets puisés aux mêmes sources. Le plus simple de tous les chants d'oiseaux, le plus aisé à noter fidèle-

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE l8l

ment, à enchâsser dans des combinaisons har- moniques, le chant du coucou, dont nous avons signalé l'emploi dans plusieurs chansons an- ciennes, joue musicalement et littérairement un rôle important dans le chant populaire et artis- tique du XVI® siècle. Nous n'avons à relever ici que les cas des musiciens de diverses natio- nalités se plaisent à le disposer en réponses entre toutes les voix, pour en tirer des effets appropriés à l'intention purement musicale, ou descriptive, ou comique, de leur composition. Le Cancionero^ publié par M. Barbieri, nous offre une double notation de ce chant, dans deux chansons espagnoles écrites sur le mêm-e texte, l'une, par Juan del Encina, avant 1496, et la seconde, par un anonyme, vers la même époque. Le thème, chez Juan del Encina, se présente sous cette forme ^ :

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I. F. A. Barbieri, Cancionero musical de los siglos XV y XVI. Madrid, s. d., in-40, p. 26.

l82 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Parmi les liederallemandsdu recueil de Schmel- tzel, imprimé à Nuremberg en i544\ le neu- vième tout entier roule sur les aventures du coucou et contient vers la fin quelques mesures imitatives. Dans le second livre des lieder recueillis par Forster figure une pièce à six voix de Lemlin, dont chaque couplet, chanté à quatre parties, est accompagné de la répétition « obsti- née » du chant du coucou, par deux soprani ^ :

g-uckg-uck,

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giick guck.

^

g-uek,guek,

y;-uck g-uck ,

guck guck,

giick g^uck,g'uok

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l^cv Gutz.g-auch

aiif dem Zau

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(rénor)l^eT Gutz.g-aiich

if dem Zau .ue

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(Ténor)

Gutz.g-auehauf* dt

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Der Gutz-gauch auf dem Zau -,

1. Ce recueil a été cité précédemment à propos de la Battaglia tallana, de Matthias Hermann. Le morceau sur le coucou a été publié en partition par Eitner, dans son volume Das deutsche Lied des XV. und XVI. Jahrhanderts^ 1. Bd. Berlin, 1876, in-S», p. 59 et suiv.

2. Le texte et la musique de cette pièce ont été donnés en

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE l83

D'après la date de leur publication, ces deux lieder seraient postérieurs au Chant des oiseaux de Jannequin, dans lequel un long et joli épi- sode est uniquement formé par l'imitation du chant du coucou; cette imitation, adroitement combinée en vue de TefFet pittoresque, se déve- loppe en progressant de vitesse et, sans doute, de sonorité, depuis ce début très doux, et comme lointain :

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partition par C. F. Becker dans son livre : Die Hausmusik in Deutschiand, p. 79. et par Eitner, dans sa réédition du second livre du recueil de Forster, formant le tome XXIX des Publicationen altérer Musikwerke, hrsg. i>on der Gesell- schaft fur Musikforschung (p. 46). F. Bôhme a reproduit le ténor seul du morceau de Lemlin, avec plusieurs autres lieder sur le chant du coucou, dans son Altdeutsches Lieder- buch, p. 239 et suiv. En dehors de ces morceaux et des très nombreuses pièces vocales et instrumentales où, jus- qu'à nos jours, les compositeurs allemands^ se sont plu à introduire les mêmes formules imitatives, une preuve toute particulière de la constante popularité du chant du coucou dans les pays germaniques peut être cherchée dans la fabri- cation traditionnelle de ces horloges bien connues de la Forêt Noire et de la Suisse allemande, la sonnerie des heures est remplacée par l'imitation du chant du même oiseau.

l84 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

jusqu'à un enchevêtrement de réponses rapides.

Autre chose était de s'attaquer aux mélodies du rossignol, et précisément parce qu'ils en raffolaient, les musiciens du xvi^ siècle ne se hasardèrent point à vouloir les copier exacte- ment. Le naturaliste Pierre Belon, qui employait pour les décrire force comparaisons et locu- tions musicales, concluait à l'impossibilité se trouvait l'observateur le plus diligent et l'ar- tiste le plus habile, de le « contrefaire en chan- tant ». Encore qu'un extrait de ce livre puisse paraître à plus d'un lecteur une digression inutile, pour d'autres, qui peut-être aimeront la comparer aux fragments de poésies repro- duits dans notre premier chapitre, nous emprun- terons au créateur de l'ornithologie française une charmante page s'exprime la parfaite habitude qu'avaient alors du langage musical les hommes de science, et tout l'enthousiasme, ou, comme on devait dire plus tard, la « sensibi- lité » dont ils étaient pénétrés en présence des beautés de la nature :

« Nous n'avons », dit Belon, « cognoissance d'aucun oyseau qui soit de la nature d'un ros- signol, c'est à sçavoir, qui chante incessamment toute la nuict sans dormir : car lorsque les forêts et les taillis se couvrent de feuilles, il est long temps sans cesser de chanter iour et nuict. Mais pourroit-il estre homme tant privé

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE lOD

de iugement, qui ne prenne admiration d'ouïr telle mélodie sortant de la gorge d'un si petit corps d'oyseau sauvage? Et sçachant que d'une voix si haultaine issue d'un si petit tuyau de si resonnante musicque, toute industrie humaine n'en sçauroit approcher. Mais oultre cela, le meilleur du rossignol est qu'il persévère si pertinemment en son chant, que sans se lasser et laisser son entreprinse, plus tost la vie lui defauldra, que la voix. A-t-il point eu de maistre, qui luy a enseigné la science de mu- sicque si parfaicte ? Non : et toutesfois ne fault iamais à bien accentuer les syllabes, et mieux observer tous les tons, et les conduire d'une mesme baleinée si parfaicte, qu'il n'y a celuy qui ne désire l'entendre. Encor redirons-nous qu'il ne fault point à bien observer les tons, et les conduire d'une mesme baleinée, les uns en longueur, et aspirer les autres : tantost varier le dessus, quasi le jectant en fusée, tantost courber les notes entières, et soudain les mener par feinctes, et puis les distinguer, et découper par pièces, comme en minimes crochues : tan- tost les assembler, puis les demeurer comme leur baillant des entrelassures : et de les allongeant, soudain il les délaisse, et puis les reprenant, il obscurcit sa voix au despourveu, quasi comme en tremblant : tantost après mur- murant en soy-mesme, ne chante que le plain

l86 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

chant. Tune fois si pesant, qu'il semble pro- noncer les notes par semi-brèves : tantost il les déprime, menant sa voix en bas ton, et de prin sault, il fait l'accent agu comme chantant en faulcet ; l'autre fois fréquente les tons, l'autre fois les estend, et il luy plaist, les darde haultains, moyens, ou bas : tantost il contrefait son chant muant sa voix en diverses façons : voulant quasi qu'on pense que c'est d'un autre oyseau. Et puis se remonstrant, chante quelque peu en vers de rythme : tantost se met à poursuyvre en prose. Quel instru- ment, qu'ayent pu fabriquer les hommes ? Quelle harpe, lut ou espinette, pourra l'on mettre en comparaison de son chant ? maintes fois a donné plaisir beaucoup de ma- tinées au lever de celuy qui a expressément dormy entre les arbrisseaux feuilluz, pour observer sa plaisante voix harmonieuse, pour en estre tesmoin. Par quoy il fault nous accor- der, qu'il surpasse l'artifice humain en ceste

I. L'histoire de la nature des oyseaux^ avec leurs descrip- tions et naïfs portraictz retirez du naturel, escrite en sept livres, par Pierre Belon, du Mans. Paris, iSS"», in-40. p. 336. Un autre joli passage du même livre, p. 221, con- cerne le chant de la rousserole, ou rossignol de rivière : « Il n'est homme, s'il n'est du tout lourdault, qui infailliblement n'en soit rendu triste ou joyeux... Tout homme qui oyrra un chant si haultain procéder du sifflet de si petite corpu- lence d'oysillon, sera de gros esprit et lourd, s'il n'y repense

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 187

Les musiciens du xvi^ siècle étaient au fond du même avis que Belon, et savaient que le chant du rossignol, dont l'irrégularité même fait l'un des charmes, ne se peut pas « contre- faire » exactement par la voix. Ils laissaient cette entreprise aux futurs compositeurs d'opé- ras, aux futures « cantatrices légères », et quand le texte de leurs chansons invoquait le souve- nir des mélodies de l'oiseau-chanteur par excel- lence, ils se bornaient à tracer de petits des- sins conventionnels. Sous le titre de « Chant du rossignol », Jannequin et Gerton mettaient l'un après l'autre en musique cette strophe, sans aucunement insister sur la part faite aux syl- labes imitatives :

En'escoutant le chant mélodieux

De ces plaisans Rossignols tant joyeux

Qui vont disant : ainsi, ainsi, ainsi,

L'un d'eux me dit : passez, passez par cy,

Et vous orrez qui chantera le mieux.

Tôt, tôt, tôt, veuillez estre songneux

D'amour servir loyaument en tous lieux.

Luy requérant : mercy, mercy, mercy,

Fuyez, fuyez, gens melancolieux.

Passez le tems en liesse et en jeux

Et de soucy dittes : 11, ii.

Revenez cy mardy, mardy, mardy.

Et vous orrez qui chantera le mieux.-

deux fois : entendu que d'une mesme baleinée il maintient sa voix, tantost si haulte, qu'il n'est dessus d'instrument divoyre qui y puisse monter : tantost si basse, qu'il n'est dessous d'un pot cassé qui puisse descendre si bas... ».

l88 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Les vers de la chanson « le rossignol plaisant » , mis en musique par Nicolas Millot et par Jean de Castro, ne contenaient pas même ce mini- mum d'imitations pittoresques ; c'était une poésie amoureuse, dans laquelle étaient com- parés l'oiseau, qui préfère sa liberté au bien- être d'une cage, et le cœur qui demeure volon- tairement captif.

Il en était de même d'un grand nombre de morceaux le « gentil rossignolet », le « ros- signolet du bois », joue simplement le rôle de confident ou celui de messager d'amour.

Admiré, réimprimé, chanté, transcrit, pen- dant de longues années après sa première publi- cation et après la mort de son auteur ^, le Chant des oiseaux de Jannequin ne fut pas imité comme l'avait été sa chanson de la Guerre^ et l'on ne peut guère citer qu'un concert d'oi- seaux de Roland de Lassus, inséré dans ses Mélanges'^, et des fragments épisodiques, tels que nous venons d'en mentionner quelques- uns, relatifs au coucou. Dans un autre ordre d'idées, les musiciens ne se faisaient pas faute

I. Encore en 1578, Guy Le Fèvre de la Boderie, dans son poème de (a Galliade n'omet pas de louer la « subti- lité » de Jannequin. et son talent à reproduire « les tons de la guerre, et le doux chant naïf des oiseaux desgoisans ». Nous avons dit plus haut que le Chant des oiseaux avait été. comme la Guerre, transcrit pour le luth.

a. C'est le 91 du recueil.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 189

d'exploiter isolément le chant ou le cri de divers animaux, pour en tirer des effets comi- ques : c'est ainsi que Passereau se servait du gloussement de la poule, dans la piquante et charmante chanson « Il est bon, bon, bon, commère » ^, et que Certon faisait retentir le chant du coq dans sa pièce sur le laboureur ^. Les musiciens allemands, sous l'influence des poésies populaires si fréquemment inspirées par les spectacles sylvestres, recouraient volon- tiers à des mélanges semblables. Ils les trai- taient avec une gaieté un peu pesante, dont leurs chansons de la Saint-Martin offrent de curieux exemples. L'oie, qui fait le fond des repas consommés à l'occasion de cette fête, est glorifiée dans les lieder qui s'y rattachent. Tantôt ce sont des sous-entendus moqueurs : « Hoho ! lieber Hans, versorg dein Gans, lass sie kein Hunger leiden », etc. ^ ; tantôt il est question de l'oie grasse, que possède un meu- nier, et les quatre voix, en une série de points

1. Publiée en partition par M. Henry Expert dans son Anthologie, et souvent chantée sous sa direction.

2. Publiée en partition par Eitner dans son recueil de 60 chansons françaises, n" 14.

3. « Hoho! cher Hans, soigne ton oie, ne^ la laisse pas avoir faim », etc. Pour ce texte et pour les suivants, voyez BôHME, Altdeutsches Liederbuch, p. 4^3 et suiv., Eitner, Das deutsche Lied, p. io5 et suiv., et les réimpressions des recueils de J. Ott et de Forster, dans les Publikationen altérer Musihwerhe, etc., t. I à III et t. XXIX.

190 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

d'orgue formant de lents et lourds accords, appuient comiquement sur cette idée de plan- tureux embonpoint ; tantôt, en un quolibet mêlé d'allemand et de latin, Féloge de l'oie rôtie s'intercale parmi les jubilations en Thon- neur de saint Martin ; tantôt, enfin, une chan- son tout entière vante la volaille favorite, avec une burlesque imitation de son cri :

Den besten Vogel, den ich weiss,

Das ist ein Gans.

Sie hat zwei breite Fuss,

Darzu ein langen Hais ;

Ir Fûss sein gel,

Ir Stimn ist hell,

Sie ist nit schnell ;

Das best Gesang, das sie kan

Da, da, da, Das ist gik, gak, gik, gak,

Da, da. da, Singen wir zu Sant Marteinstag ! ^.

Parmi les musiciens italiens, Giov. Croce, à la fin du xvi* siècle, est cité comme ayant interprété en un sens caricatural le chant du rossignol et celui du coucou, dans les « caprices » à plusieurs voix de son recueil intitulé Triacca

I. « Le meilleur oiseau, que je sache, c'est l'oie. Elle a deux larges pieds, par là-dessus un long cou ; ses pieds sont jaunes, sa voix est claire, elle n'est pas agile, le meil- leur chant dont elle soit capable, da, da. da, c'est : gik, gak, gik, gak, da, da, da. Chantons, pour le jour de la Saint-Martin ! » Recueil de Fors ter, édition Eitner, p. 12.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 191

musicale, qui contient également une pièce imitative du babil des enfants se rendant à l'école, et un autre sur le jeu de l'oie ^ C'est vers la même époque que Leone Leoni faisait paraître, dans son second livre de madrigaux à cinq voix, une longue « Canzone del Rosi- gnuolo », divisée en six parties successives, et contenant des passages descriptifs ^. Mais les madrigalistes n'avaient pas attendu les dernières années du siècle pour introduire dans leurs œuvres des effets de ce genre, et quand, en id8i, Vincenzo Gabrieli se plaignait de l'en- gouement manifesté pour les détails de pein- ture musicale % ses reproches s'adressaient aussi bien aux œuvres de la génération précé- dente qu'à celles de ses contemporains.

L'innombrable répertoire du madrigal ita- lien esteneffetremplide recherches semblables, entre lesquelles beaucoup ont trait aux bruits extérieurs, au vol des oiseaux, au souffle du vent, au murmure des ruisseaux, à la chute des corps, à la démarche des êtres animés, aussi bien qu'aux accents de la voix humaine. Une

1 . Pour les titres des trois éditions de cet ouvrage, publiées en logS, 1596 et 1607, voyez \ogel, Bibliothek, t. I, p. 194.

2. D'après Vogel, ouvr. cité, t. I, p. 366, ^on ne connaî- trait pas aujourd'hui d'exemplaire complet de ce second livre.

3. Dialogo di Vincentio Galilei délia musica antica et

delta moderna. Florence, i58i, p. 89.

192 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

étude minutieuse de ces procédés, que nous avons vus en germe chez les contrapuntistes de l'ancienne école de Florence, fournirait les éléments d'un curieux lexique de la composi- tion vocale descriptive '. Comme ceux que l'on forme d'extraits poétiques, un tel vocabulaire contiendraitune foule de locutions stéréotypées, de « lieux communs » presque machinalement transmis d'un musicien à l'autre. Il renferme- rait aussi bon nombre de jolies et ingénieuses pensées, et montrerait, pour ainsi dire, à l'en- vers du tissu le travail accompli par les madri- galistes pour donner à leurs tableaux la couleur voulue.

De ces tableaux, les plus séduisants et les plus poétiquement expressifs n'étaient pas tou- jours ceux le réalisme de la composition se trouvait porté le plus loin. Lorsque Luca Marenzio, sur deux stances de Pétrarque, des- sine un paysage musical, il n'a nul recours apparent aux formules imitatives ; de l'ensemble

I. On réunirait déjà beaucoup d'exemples en étudiant le recueil de madrigaux de plusieurs compositeurs intitulé // lauro ver de. publié à Florence en 1583, et dont la biblio- thèque Sainte-Geneviève, à Paris, possède un exemplaire complet de l'édition de 1391, et celui, plus considérable encore, qui a pour titre Nervi (VOrfeo, imprimé à Leyde en 160J, et dont un exemplaire complet existe à la Biblio- thèque Nationale de Paris. Pour les titres de ces recueils et la table des morceaux qu'ils renferment, voyez Vogel, Bibliotheh, t. II, p. 433 et 491.

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE igS

vaporeux de sa polyphonie ressortrimpression, plutôt que la description, d'une matinée prin- tanière. Zefjpro torna...^ dit le poète ; le souffle caressant des zéphirs passe sur la ver- dure ; riiirondelle gazouille, et le rossignol soupire sa plainte mélodieuse ; Jupiter se réjouit à la vue du monde renouvelé, et tous les êtres vivants se réconcilient dans Tamour. A la fraî- cheur, à la grâce des vers, correspondent le charme des dessins mélodiques, la transparence heureuse des harmonies. Bientôt, comme en une peinture de Poussin, les bergers décou- vrent une tombe au milieu de la campagne fleurie , le musicien , complétant le poète , oppose à la riante volupté de la nature, la mélancolie d'une âme triste jusqu'à la mort, pour laquelle le chant des oiseaux, le feuil- lage des bois, la beauté des créatures, demeu- rent pareilles à un désert affreux ^ C'était un sens nouveau donné à la musique descriptive : l'homme y reconquérait le premier plan, et les phénomènes extérieurs ne conservaient

I. Ce beau madrigal de Marenzio parut en 1687 dans son Libro primo de madrigali. Nous en devons la connaissance à M. Henry Expert, qui l'a fait exécuter à Paris en 1906. Les mêmes stances de Pétrarque avaient été mises en mu- sique, avant Marenzio, par Filippo de Monte, Pietro Taglia, Ippolito Chamatero, Lodovico Balbi, Orazio Faa, Girolamo Conversi, Alfonso Ferrabosco : retrouver, rapprocher et comparer toutes ces œuvres serait une très intéressante étude.

Brenet. i3

194 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

d^importance qu'autant qu'ils éveillaient en lui d'émotions.

Ce que la critique actuelle a pu dire des poètes les plus modernes du xix^ siècle, s'ap- pliquait h l'esprit du madrigal musical au xYf : a La vie de l'âme se mêle à la vie de la nature. Il n'est plus possible aux poètes de les séparer. Ils ne décrivent plus les paysages indépendamment des hommes qui s'y meuvent. Ils ne sont sensibles qu'aux modifications des états d'âme par les paysages, à la manière dont nous voyons les paysages selon les états de notre âme\ »

Le génial représentant de cette tendance dans la musique française de la fin du xvi® siècle fut Claude Le Jeune, compositeur de la cour sous Henri IV, à Valenciennes, mort à Paris en 1600, surnommé emphatiquement C( le Phénix des musiciens » et dont les « Mé- langes » et le « Printemps )), sans parler même ici de ses psaumes, justifiaient les éloges de ses contemporains par des trésors d'invention, d'élégance, de grâce, récemment remis en lumière par M. Henry Expert ^

1. Nous empruntons ces lignes à un article de M. J. Ernest Charles sur Albert Samain, publié dans la Reçue bleue année igoS, t. 1, p. 726.

2. Les Maîtres musiciens de la Renaissance française : livraison 11, Dodecacorde contenant douze psaumes, etc..

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE igS

Une des pièces contenues dans le Printemps doit être distinguée entre toutes comme offrant le plus instructif point de comparaison au point de vue de l'imitation pittoresque. C'est le Chant de Valouette^ de Jannequin, augmenté parLe Jeuned'une cinquième voix\ un second ténor, très légèrement retouché, quant aux paroles, et accru d'un intermède entièrement nouveau, une partie centrale « toute de Claude Le Jeune », dont le texte n'est autre que le célèbre quatrain de Du Bartas :

La gentille alouette avec son tire lire

Tire lire à Tiré, et tire tirant, tire

Vers la voûte du ciel, puis son vol vers ce lieu

Vire, et désire dire : adieu, adieu, adieu 2.

Ici, le compositeur n'essaie pas d'imiter simplement dans sa musique les joyeux petits cris de l'oiseau : il veut qu'à Tentendre se forme en nous une image mentale complète, une image à la fois visuelle et auditive, de Talouette,

I" fascicule : livraisons 12, i3 et 14, le Printemps ; livraison 16, Mélanges, i^r fascicule ; livraisons 20 et 21, Psaumes en vers mesurés, i^r et 2^ fascicules. Un certain nombre de pièces extraites des livraisons précédentes ont en outre été publiées par M. Expert dans son Anthologie.

1. On lira ce morceau dans la 128 livraison des Maîtres musiciens de la Renaissance française, p. 5o, ou dans le fas- cicule spécial de V Anthologie de M. Expert.

2. Ce quatrain imitatif est extrait de « la Sepmaine » de Du Bartas, Y^jour, vv. 6i5-6i8.

196 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

de son vol, de sa voix, des champs qu'elle habite, du ciel vers lequel elle s'élève. Gomme Jannequin, Le Jeune varie et assouplit les rythmes ; plus que son modèle, il s'attache aux formes mélodiques, à la direction, à la grâce coulante ou à l'allure caractéristique des motifs; c'est déjà toute une peinture que la traduction musicale du premier hémistiche, et dans celle du second vers, rentrelacement des réponses en dessins contraires, souples et légers, réalise à merveille Tidée d'une nuée d'oiseaux qui s'éparpille dans Tair.

Le Jeune trace de nouveau la même peinture, avec d'autres nuances et autant de bonheur, dans la pièce en « vers mesurés » intitulée « la belle aronde », il décrit, en faisant alterner les strophes à quatre voix et le refrain, ou « rechant » à six, l'arrivée de riiirondelle. Ce n'est pas l'oiseau lui-même qui parle : c'est l'homme qui le salue, l'accueille comme « la messagère delà belle saison », qui le regarde fendre l'air, qui l'invite à nicher dans sa mai- son. « La velà, je la voy », s'écrient en se répondant les chanteurs : « je recognoy le dos noir, je l'y voy le ventre blanc qui l'y treluit au soleil. La velà, je la voy, elle vole mouche- lètes, elle vole moucherons » ^.

I, Nous ne détachons aucun passage de cette délicieuse

ORIGINES DE LA MUSIQUE DESCRIPTIVE 197

Ungrand pas s'accomplit ainsi dans la musique descriptive : la vie des animaux, la beauté de la nature, les phénomènes du monde physique ne sont plus copiés directement : la musique les reproduit d'après l'image qui s'en reflète dans le miroir de l'ame humaine.

Si cette étude trop longue, et cependant incomplète, était poussée au delà du xvi^ siècle, elle aurait à suivre, en changeant de terrain, et en passant du domaine de la polyphonie vocale dans celui de la musique instrumentale, le même processus dans le développement esthétique de la musique descriptive, qui, partie d'une conception purement réaliste, aboutit aux vastes horizons du symbolisme musical et du (( poème symphonique ».

petite composition, qu'il faut lire ou entendre tout entière. Nos lecteurs la trouveront à la p. 28 de la 12» livraison des Maîtres musiciens de la Renaissance française.

JACQUES MAUDUÏT

Dans les derniers feuillets de son énorme in-folio, V Harmonie unwerselle^ et à la fin du livre septième, qui concerne les instruments de percussion, le Père Mersenne a placé, sous le titre de « Proposition XXXI, Donner les éloges des hommes illustres dans la théorie et la pratique de la musique », le seul éloge de Jacques Mauduit. Son choix, explique-t-il, s'est borné à cet unique musicien, parce qu'il l'a connu (c plus particulièrement qu'aucun autre », et qu'il a « remarqué des vertus très singu- lières en sa vie ».

De ces pages dictées en effet par Tamitié autant que par l'admiration due à un homme de talent, Fétis a tiré à peu près toute la no- tice, longue de moins d'une colonne, qu'il a consacrée à Mauduit dans sa Biographie unis>er- selle des Musiciens. Grâce uniquement aussi aux mêmes pages de Mersenne, Hawkins et

20O MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Ambros out connu le nom de l'artiste, et, portés à quelque méfiance par la constatation de la sympathie personnelle qui débordait dans le langage du bon religieux, ils n'ont accordé à ses dires qu'une créance limitée \ Ambros, si bien informé des œuvres de l'école franco- belge du commencement du xvi^ siècle, s'est montré d'ailleurs étrangement ignorant de celles qu'avaient produites les musiciens fran- çais de la fin du même siècle. Les bibliothèques d'Allemagne et d'Italie, qu'il avait assidûment fouillées, n'avaient pu rien lui apprendre à leur égard, et il n'était pas venu interroger les nôtres.

Les exemplaires de V Harmonie universelle étant assez rares pour que peu de personnes les aient à leur disposition , nous croyons être plus utile aux lecteurs en réimprimant textuellement l'Eloge de Mauduit, qu'en le fondant dans une notice qui n'aurait plus ni l'authenticité du texte de Mersenne, ni le charme de son langage ému, naïf et pittoresque. A la suite de cette reproduction, nous ajoute- rons d'autres documents et quelques commen- taires.

I. Hawkins, History of Music, édit. i853, p. 6i6. Ambros, Geschichte der Musik, t. III, p. 345.

JACQUES MAUDUIT

ELOGE DE JACQUES MAUDUIT, EXCELLENT MUSICIEN

Jacques Mauduit, issu de noble famille, nasquit à Paris le i6 septembre i5,J7 et fut baptisé sur les fonds de S. Landry ^. Son enfance fut instruite dans la foy catholique de ses ancestres, et sa ieunesse heureusement employée à l'estude des lettres hu- maines, et de la Philosophie. Il fît ensuite ensuite plusieurs voyages, et notamment en Italie, d'où il revint sçavant en la langue, à laquelle il ioignit l'Hespagnole, et quelques autres du Septentrion^, dont, avec celles qu'il avoit apris au collège, il se servit à l'intelligence des bons autheurs -. Son esprit subtil et curieux ne laissa point de science dont il ne peut discourir pertinemment, sans en exclure les mechaniques. Il s'adonna particulièrement, et d'un si grand soin à la Musique, sans autre secours que des livres, et se perfectionna tellement en tous ses genres, que la France dés son vivant l'ho- nora du surnom de Père de la Musique, et avec raison, parce que luy seul a comme engendré la belle Musique en France par l'excellence de plu- sieurs ouvrages, et des concerts composez de voix et de toutes sortes d'instrumens harmoniques, ce qui n'y avoit point esté pratiqué auant luy, du moins si parfaitement. C'est que l'on a veu des

1. L'église Saint-Landry était située dan* la Cité sur l'emplacement de l'Hôtel-Dieu actuel.

2. Fétis interprète de la façon suivante cette phrase de Mersenne : « Il était fort instruit dans les langues anciennes, savait litalien, l'espagnol, l'allemand, et possédait des connaissances étendues dans la musique ».

20:2 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

gens de toutes qualitez qui s'exerçoient très volon- tiers sous la iustesse de sa mesure. Son mérite lu}»^ donna place dans l'illustre Académie du docte Baïf, que Charles IX protecteur du Parnasse honoroit ordinairement de sa royale présence, et dont i'ay décrit les loix dans la page i683 de mes Commen- taires sur la Genèse ^ Or tant de Poètes qui flo- rissoient alors ne sembloient produire leurs gen- tillesses que pour les faire vivre sous les Airs de Mauduit.

La première pièce qui lit paroistre la profonde science de ses accords, fut la Messe de Requiem^ qu'il mit en Musique, et qu'il fit chanter au service de son amy Ronsard, en la célèbre assemblée de la Chappelle du Collège de Boncourt, le grand du Peron se fit admirer par l'oraison funèbre de ce prodigieux génie de la Poésie ^.

Cette messe fut du depuis célébrée sous sa con- duite dans le Petit S. Antoine, au bout de l'an de l'invincible Henry le Grand ; et pour la troisiesme et dernière fois son fils aisné Louis Mauduit la fit dire au bout de l'an de l'autheur mesme son père, dans nostre Eglise de la Place Royale, ieus l'honneur d'offrir à Dieu le Saint-Sacrifice à l'inten- tion de cet excellent personnage, le tout avec l'applaudissement d'une grandissime affluence de peuple ^.

1. Mei'senne renvoie ici à son volume : Quasstiones celé- berrimœ in Genesim, publié à Paris, chez Sébastien Cra- moisy, en lôaS, in-fol.

2. Cette « célèbre assemblée » se tint le 24 février i586, deux mois après la mort de Ronsard, qui avait eu lieu le 27 décembre i585.

3. Les bâtiments occupés au xvii* siècle par les Reli- gieux Minimes étaient situés dans le voisinage de la rue

JACQUES MAUDUIT 2o3

Après la composition de cette messe, ce grand Musicien composa cet inimitable ouvrage pour les trois iours des ténèbres de la Semaine Sainte qu'il a iusques à la fin de sa vie fait chanter dans le mesme S. Antoine, avec une satisfaction générale de tous les auditeurs. Il avoit une telle créance parmy les gens de Musique, que rien ne s'opposoit à l'ordre qu'il establissoit, avec une telle symmetrie des places, qu'il faisoit prendre à tout son monde, qu'elle le faisoit merveilleusement réussir. Il avoit l'oreille si iuste, et si délicate, qu'ordinairement il remarquoit entre quantité dinstrumens sonnans ensemble une chorde mal accordée, laquelle sans se mesprendre il alloit aiuster, avant mesme que celuy qui la touchoit s'en fust apperceu.

Nous avons encore de lui un grand nombre de messes, de vespres, d'hymnes, de motets, de fan- taisies, de chansons, et autres pièces, que les orages du siècle priveront pour un temps de la lumière. Il n"a iamais voulu s'engager dans les intrigues de la Cour, quoy que plusieurs fois sollicité de ce faire par les plus grandes puissances, afin de couler sa vie paisiblement, et honorablement dans la charge paternelle de garde du depost des Requestes du palais, qu'il ne sembloit exercer que pour obliger tout le monde. Il estoit allaigre, et riche de taille, de beau visage, de douce humeur, d'agréable con- versation, de poil chastain, et un peu chauve. Il avoit la veuë courte, quoy qu'il lisoit sans lunettes, et de distance ordinaire ; mais il ne recognoissoit pas un visage d'un costé de rue à l'autre. Il avoit une heureuse mémoire, et telle qu'il se ressouvenoit

des Juifs, qu'habitait Mauduit, sur l'emplacement actuel de la caserne dite des Minimes, dans la rue de ce nom.

2o4 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

du port, du geste, et de la démarche de ceux qu'il avoit veus, ce qui faisoit qu'il ne se trompoit point à leur rencontre, et qu'il les abordoit ou les saluoit d assez loin, sa réminiscence suppléant au défaut de ses yeux. Il n'a iamais beu de vin, iamais iuré, iamais fasché personne, et tous ceux qui l'ont connu, l'ont chery, et aimé.

Il estoit dévot à Dieu, fidèle au Roy, humble aux grands, courtois aux esgaux, aimable aux inférieurs, secourable aux pauvres, prest et prompt à ceux qui avoient besoin de son aide.

Il accueilloit les nécessiteux qui sçavoient quelque chose, avec une franchise, et une assistance qui les esgaloit à ses propres enfans. Enfin une longue suite de vertus l'a recommandé dans sa patrie, et a porté sa réputation au-delà mesme de l'Europe^. Il fau- droit passer les bornes de l'Eloge, si ie voulois particulariser ses mentes, mais l'en laisse l'employ à ceux qui seront plus capables d'estaler sa vie, et me contentant de traiter de la partie qui fait à nostre sujet, ie conclus par deux de ses actions aussi pieuses que généreuses, dont la première fut que quand à la prise des fauxbourgs de Paris, il sortit hazardeusement [de] la ville, courut au logis de Baïf son intime amy auparavant décédé -, et à tra-

1. L'amitié du Père Mersenne pour Mauduit l'entraîne ici à une assertion dont il eût été embarrassé de fournir la preuve.

2. La maison de Baïf, comme nous le verrons plus loin, était située sur les fossés de la ville, entre la porte Saint- Marcel et la porte Saint- Victor. Quelques vers de Guillaume de Baïf fils ont permis à M. Becq de Fouquières [Poésies choisies de J.-A. de Baïf. 1874, in-12, introd., p. xxviij) d'attribuer aux soldats espagnols de la Ligue les dépréda- tions commises en ce logis célèbre le jour de l'entrée d'Henri iV à Paris (22 mars 1594). Le texte de Mersenne

JACQUES MAUDUIT 2o5

vers les soldats victorieux emporta les œuvres non imprimées de ce docte personnage et les sauva miraculeusement d'un desordre, etd'unsaccagement tel que l'on peut se l'imaginer.

La seconde ne fut pas moins signalée, lors que durant le siège de Paris il sauva les douze modes de Claudin le leune ^, qui s'enfuyoit par la porte de Saint-Denis, et les aiîtres œuvres qui n'estoient pas encore imprimées, de sorte que tous ceux qui s'en seruent maintenant dans leurs concerts, en sont entièrement redevables ànostre Mauduit, qui arresta le bras du sergent, qui les iettoit au feu du corps de garde, car comme il estoit de la Justice, et reconnu sçavant en Mvsique, il persuada aisément à la soldatesque de luy remettre le tout entre les mains, laissant immoler à leur zèle la confession de foy huguenotte et séditieuse de Claudin, signée de sa main, et fulminante contre la Ligue, qui n'estoit rien moins, en ce rencontre, que l'arrest de sa mort, et sans doute prochaine, si lacques Mauduit ne s'y fust rencontré, qui leur fist entendre, qu'il dechiffreroit cette Musique, et connoistroit dans peu d'heures s'il y avoit rien contre le service de la ville, et pour ce sujet il demanda le prisonnier pour y estre confronté, ce qu'on luy accorda sur sa

montre que le sauvetage des œuvres de Baïf par Mauduit s'accomplit dans une autre circonstance, à une époque antérieure et plus rapprochée du décès du poète : Baïf était mort le 19 septembre 1389; la prise du faubourg- Saint- Marcel par les troupes du maréchal de Bi^on eut lieu, selon d'Aubigné, le i^r novembre iSSg.

I . Mersenne veut parler du Dodecacoj^de, contenant douze psaumes de Dauid, mis en musique selon les douze modes... à 2, 3, 4, 5, 6 et 7 voix, par Claud, Le Jeune, etc., qui fut imprimé en 1598.

•206 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

preud'hommie, et à la faveur du capitaine son amy, avec quelques gardes, qui l'escortèrent iusques au lieu de seureté, il termina cet aâaire fort adroi- tement. Ce fut ainsi que le travail de ces deux per- sonnages fut sauvé par un troisième, que l'on peut dire y avoir donné la dernière main, et en estre le second père.

Le 21 d'aoust 16*27, ^" 7^ ^^ ^^^ ^^g^? il deceda d'un flux hepathique en sa maison de Paris, rue des Juifs, paroisse S. Gervais, il est inhumé dans la chapelle de S. Eutrope, laissant à sa chère com- pagne quatre garçons et quatre filles, auxquels, raoy présent, il donna sa bénédiction, avec une exhorta- tion aussi digne de luy que de sa famille, et de l'assistance qui le vit passer chrestiennement dans les eslans de son ame, constamment dans les dou- leurs de son corps, et paisiblement dans un entier repos de sa conscience, après avoir receu avec toute sorte de révérence le précieux Viatique, et le der- nier Sacrement de l'Eglise, dans laquelle il est nay, il a vescu, il est mort.

Or bien que j'aye donné quelques pièces de Musique de sa façon dans le 1 3^ article de la 57^ ques- tion sur la Genèse, à sçavoir En son temple sacré, etc., qui ravit les auditeurs, lorsqu'il est bien chanté avec les voix et les instruments, et luge le droit, et quelques autres, ie veux icy adiouster la dernière partie de la messe, dont i'ai parlé cy devant, afin que l'on expérimente la douceur de sa manière de composer, et la force d'une musique très simple, chantée avec dévotion, et que tous ceux qui l'ont chery durant sa vie, le puissent chanter à son inten- tion, car l'Eglise en a particulièrement ordonné la lettre, et le sujet, pour invoquer la miséricorde divine en faveur des deffunts.

.JACQUES MAUDUIT 207

Nous espérons que la messe entière, l'office des trois jours de la Semaine Sainte, et plusieurs autres compositions qu'il a fait verront bien tost le iour, avec les traitez de la Rythmique, et de la manière de faire des vers mesurez de toute sortes d'espèces en nostre langue, pour donner une particulière vertu et énergie à la mélodie, que son fils aisné a pré- parez.

Un petit portrait gravé accompagne cet éloge ; on y voit dans un médaillon le buste de Mauduit, posé de trois quarts et drapé à l'an- tique ; un quatrain en langue latine, signé De La Rochemaillet, daté de i633, se lit au-des- sous ; Fencadrement porte en exergue les mots lacobçs Mai^dç>it Pari [siensis] Mwsicœ Pater ^ L'admiration que les amateurs de ce temps professaient à l'égard des poètes et des artistes s'exprimait volontiers en de telles épithètes, et l'on ne s'inquiétait pas de faire double emploi, en saluant à la fois plusieurs princes et plusieurs pères de la musique.

Mauduit n'avait pas treize ans, lorsque, en 1070, Jean-Antoine de Baïf et Joachim Thi- baut de Courville fondèrent, sous la protection de Charles IX, la célèbre Académie de Poésie et de Musique, les auteurs de la Pléiade

I. Ce portrait a été reproduit en fac-similé par M. Henry Expert, en tête de son édition des Chansonnettes de Mau- duit.

208 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

s'essayaient à écrire des vers lyriques, « me- surés à la lyre », c'est-à-dire coupés en vue de la collaboration des musiciens. Ronsard, qui s'était déjà auparavant fixé une pareille lâche, avait entendu les formes de la poésie lyrique dans le sens de l'identité du nombre des vers dans chaque strophe (ce qui était depuis long- temps le fait ordinaire de toutes les chansons), de l'égalité de longueur entre les vers et de la régularité dans la succession des rimes. Baïf, poussant beaucoup plus loin ses recherches, entreprit de mesurer ses vers « à l'antique )>, par longues et par brèves, « pour faire voir que la langue françoise n'est pas moins capable de la quantité que la latine et la grecque » ; tout en se glorifiant de cette invention, il reconnaissait y avoir été aidé par les conseils du musicien Thibaut de Courville :

Dy que, cherchant d'orner la France, Je pris de Courville acointance, Maistre de lart de bien chanter, Qui me fit, pour l'art de musique Réformer à la mode antique, Les vers mesurez inventer.

Les séances de l'Académie avaient lieu dans la maison de Baïf, qui était située sur les fossés de la ville, entre la porte Saint-Victor et la porte Saint-Marcel, et que son propriétaire avait décorée d'inscriptions et d'épigrammes

JACQUES MAUDUIT 309

grecques*. « Dans cette plaisante demeure, dit Scévole de Sainte-Marthe, les plus habiles mu- siciens du monde venaient en trouppe accorder le son mélodieux de leurs instruments h ceste nouvelle cadance de vers mesurez ». Une pièce adressée par Baïf à Charles IX précise certains points de cette double activité littéraire et mu- sicale :

En vostre académie on œuvre incessamment Pour, des Grecs et Latins imitant l'excellence, De vers et chants réglez décorer vostre France

Avecque vostre nom

Après je vous disoy comment je renouvelle

Non seulement des vieux la gentillesse belle Aux chansons et aux vers : mais que je remettoys

En usage leur dance

vous contant l'entreprise

D'un ballet que dressions, dont la démarche est mise Selon que va marchant pas à pas la chanson, Et le parler suivi d'une propre façon ^.

Malgré la protection du roi , la vogue de l'Académie se soutint peu de temps et déclina

i. Cette maison fut vendue par les héi'itiers de Baïf à une communauté de religieuses Augustines anglaises, qui la fit. au dire de Sauvai, entièrement démolir pour édifier en 1639 sur son emplacement un nouveau bâtiment. Ce couvent, qui porta les n"» aS et 25 de la rue des Fossés- Saint-Victor (aujourd'hui rue du Gardinal-Lemoine), fut rasé, sous le second Empire, lors du percement de la rue des Ecoles.

2. Au Roy, dans les Œuvres complètes de Jean-Antoine de Baïf, édition Marty-Laveaux, t. II, p. 229, et dans l'édi- tion des Poésies choisies, par Beca de Fouquières, p. 52.

Brenet. 14.

2IO MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

même avant la mort de Charles IX (i574)- H est donc difficile d'admettre que Mauduit ait pu prendre à ses séances une part autre que celle d'auditeur, ou tout au plus de comparse, parmi les plus jeunes exécutants. Son rôle se dessina autrement dans la seconde Académie, qui fut réorganisée sous Henri III, grâce au zèle du magistrat lettré Guy du Faur de Pibrac, et que l'on appela Académie du Palais^ parce que ses réunions se tenaient dans une salle du Louvre. Sauvai dit qu'à la fin de l'une d'elles, Mauduit fit chanter des vers « qu'il avoit mis en chant et en parties. Ce que le roi trouva si agréable et si à propos qu'il lui commanda de continuer et voulut qu'à l'avenir l'assemblée se terminât toujours de même ». A ces concerts succédèrent des ballets « qui ravissoient à cause de la nouveauté )), et auxquels, assure encore Sauvai, se serait ajoutée une pièce de théâtre en vers mesurés et chantés « à la façon des Grecs », si la mort de Pibrac (i584) et les troubles qui marquèrent les dernières années du règne de Henri III n'eussent arrêté les essais de Baïf et de ses aniis^

Dans un fort gros livre, imprimé en 1887^,

1 . Sauval, Histoire et recherches des antiquités de la Ville de Paris, 1724, t. II, p. 49.3.

2. Edouard Frémv, Origines de F Académie française, l'Aca- démie des derniers Valois, etc. Paris, s. d. (1887), gr. in-S".

JACQUES MAUDUIT 21 l

M. Edouard Frémy a longuement étudié l'his- toire littéraire de ces deux Académies, et s'est particulièrement efforcé de reconstituer, tant par la production de documents qu'à Taide de nombreuses hypothèses, la liste des person- nages divers, poètes et amateurs, gentils- hommes, magistrats, médecins, grammairiens, princesses et grandes dames, ayant pris ou seulement pouvant avoir pris une part quel- conque à leurs réunions. Le brillant écrivain a été moins abondant et moins heureux dans la partie de son travail relative aux collabora- teurs musicaux de Baïf. Il ne semble avoir connu aucune des œuvres vocales inspirées par les pièces en vers mesurés, et dans le peu de renseignements qu'il donne sur les musiciens de ce temps se sont glissées des erreurs que la valeur même de son livre rend plus regret- tables. Trompé par quelque sous-Fétis ou sous- Castil-Blaze, Frémy a fait entre autres de Guillaume Costeley, en i53i, et d'Eustache du Caurroy, en i549> ^^^x élèves de Jos- quin Deprés, qui était mort en 1021 ; et en attribuant à ces deux maîtres et à Clément Jannequin des « ouvrages didactiques très estimés de leurs contemporains », il a cru pou- voir assurer que ces ouvrages « témoignent de travaux suivis et consciencieux », alors que nul exemplaire ne paraît en exister ni en avoir

UI2 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

jamais existé le prétendu traité de musique de Guillaume Costeley n'étant rien autre chose qu'une vaste collection de chansons à plusieurs voix.

J.-A. de Baïf, dit F'rémy, était excellent musicien et « chantait souvent ses vers en s'accompagnant sur le luth avec Thibaut de Courville, Mauduit, Jannequin, Cousin, Albert, Le Roy, et les plus célèbres artistes de l'époque ^ ». D'après les seules données fournies par ses œuvres poétiques, l'intelligence musi- cale de Baïf ne fait pas le plus léger doute, et son talent pratique de luthiste et de chanteur est d'autant plus admissible que d'autres poètes, à la même époque, le partageaient". Il

1. Frémy n'a pas indiqué ses sources pour ce passage, non plus que pour celui que nous venons de citer. V'. son livre, pp. 28 et 29.

2. Fétis [Biographie universelle des musiciens, t. I, p. 218), copiant Choron et FayoUe [Dictionn. hist. des musiciens, t. I, p. 44), qui avaient copié La Borde [Essais sur la musique, t. IV, p, II), a inscrit sous le nom de Baïf quatre oeuvres musicales : Instruction pour toute musique des huit tons en tablature de luth ; 1" Instruction pour apprendre la tabla- ture et à jouer de la guitare : 3" Douze chansons spirituelles, paroles et musique, à quatre parties, 1:362 ; 4" Premier et Second Livres de .Chansons à quatre parties, 1578 et i58o. R. Eitner, [Quellen-Lexiknn. t. I, p. 364) ^ reproduit ces quatre titres d'après Fétis, en avertissant le lecteur qu'il ne connaissait pas d'exemplaires de ces œuvres ; on peut remarquer en passant que le même auteur a placé à la suite l'un de l'autre deux petits articles difiFérents, qui con- cernent tous deux le même J.-A. de Baïf. Les trois premiers des ouvrages en question appartiennent à Adrien Le Roy.

JACQUES MAUDUIT 21 3

avait pu, avant sa vingtième année, connaître à Paris le fameux luthiste Albert Albert de Ripe, ou de Mantoue, joueur de luth et valet de chambre de François P"" et de Henri II, qui mourut en i55i. Jannequin, qui se disait en i5d9 « en povre vieillesse vivant », n'avait guère été non plus d'une longue connais- sance pour le jeune poète. Les autres artistes que nomme Frémy étaient davantage les con- temporains de Baïf et purent figurer dans son Académie, soit que par ce Le Roy non exacte- ment désigné l'on entende le luthiste, compo- siteur et éditeur Adrien Le Roy, ou son homo- nyme Etienne Le Roy, abbé de Saint-Laurent, chanteur favori de Charles IX, puis de Henri III, qui le conserva parmi les chantres de sa chambre, avec Etienne Cousin *.

Joachim Thibaut, dit Cornille ou de Cour- ville, premier collaborateur, et, paraît-il, ins- tigateur des innovations poétiques de Baïf,

Fétis lui-même, a répété les titres du premier et du second à l'article Le Roy de sa Biogr. univ. des mus., t. V, p. i8o, sans se souvenir qu'il les avait déjà inscrits à l'art. Baïf. Le troisième est ainsi intitulé par G. -F. Becker : A. Le Roy. XH Chansons spirilueUes à quatre parties, dont la lettre esf de Jean-Antoine de Baïf. Paris, i562 (Die Tonwerke des XVI. und XVII. Jahrhunderts.i^ édit., i865, col. -ii-î). L'attribu- tion à Baïf de deux livres de chansons, ijyS et i58o, esi certainement le résultat d'une confusion analogue.

I. Tous deux paraissent également dans les Comptes originaux de la maison du roi en 1375 ; Cousin y manque en i58o.

2l4 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

appartenait aussi à la musique du roi, en qua- lité de joueur de lyre. Un article des Comptes royaux, daté du 6 octobre 15^2, se rapporte directement au genre nouveau de composition que les deux amis expérimentaient dans les réunions de la première Académie :

« A Joachim Thibault, dict Cornille, joueur de lire dudict seigneur [Charles IX], la somme de six vingt cinq 1. t. [i25 livres tournois], dont ledict seigneur lui a faict don en considé- ration des services ^u'il luy a faicts cy devant en son dict estât, faict et continue encore chascun jour et pour luy donner moyen de parachever la composition de musique par luy commencée, pour chanter à plusieurs voix des vers en rhitme et musicque, qui se reciteront sur la lire et le luth \ »

Le même musicien figurait encore en i58o parmi les a officiers domestiques du roi » Henri ïll - ; il mourut avant le 2 juin 1 585, date d'un don octroyé par le même souverain à sa veuve et h ses héritiers ^.

1. Cet article a été publié par Cimber et Danjou dans leurs Archices curieuses de VHist. de France, t. VIII, p. 355.

2. Bibl. Nat., ms. Dupuy, 127.

3. Frémy, ouvr. cité, p. 383, en note. Une pièce de vers adressée à Joachim Thibaut de Gourville se trouve au t. II, p. 391, des Œuf'res complètes de Baïf, édit. Marty-Laveaux, et à la page 91 de l'édition Becq de Fouquières. Nous ne connaissons sous le nom de Court>iUe que trois Airs de

JACQUES MAUDUIT 2l5

Maudiiit, le plus jeune de tous les musiciens que M. Frémy donne pour compagnons à Baïf dans le chant et le jeu du luth, eut donc certai- nement pour premier modèle, dans le traite- ment musical des vers mesurés, Joachim Thi- baut. Il fut encore précédé de deux autres artistes, l'un illustre, Tautre demeuré pour nous énigmatique : Claudin Lejeune et du For; une intéressante pièce de Baïf en a vers sa- phiques », le poète célèbre lui-même son propre jour anniversaire de naissance, réunit les noms des quatre musiciens, ses collabora- teurs, — Thibaut, du For, Claudin, Mauduit, en précisant clairement Tordre de succession de leurs travaux ^ :

Kompagnons fèton se jour ou je naki

Dans le sein de flos adriens ^ : é canton Kelke çant plezant ki après mil ans soél Ankore canté.

Cour, contenus dans le cinquième livre des Airs de diffé- rents auteurs mis en tablature de luth par Gabriel Bataille, 1614.

1. Mersenne, en imprimant cette pièce dans ses Quœstiones celeberrimse in Genesim, lOaS, in-fol., col. 1686, s'est con- formé à l'orthographe phonétique de Baïf, que nous res- pectons ici, sauf la traduction en caractères usuels des quelques caractères spéciaux employés par le poète. La date 1371, que Mersenne assigne à ces strophes, est erronée, puisqu'il y est fait mention du décès de Thibaut, postérieur à i58o.

2. J.-A. de Baïf était à Venise en t532.

2l6 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

Jour natal marké de Baïf, ki lessa

Les çemins fraies, é premier découvrit Un nouveo santier, à la France montra L'antike çanson.

Kant dan hot poussé de Tibôt s'akosta

Chantr'é composeur ki premier devan tous An la dans' après é du For é Klôdin Ozéret antrer.

For, ki son dous lut manié savanmant

Klôdin ô bel art de la musik' instruit, Ont d'accors çoézis onoré de se vers Les mesurés çans.

Las ! Tibôt n'êt plus : é du For davan lui

Nous kita, lassant nos ouvrajes nessans, Puisset lez anfans de Tibôt, é Klôdin L'ouvraj' akonplir.

Mes vcsi Moduit a la Muse bien duit

Dous de meurz et dous a mener le Konçant Des akors suivis brev' et longue markant D'un bat ajansé.

Tant ke dans mon keur me batra mon esprit

L'euvre poursuivre : vous amis d'Apollon L'antrepriz' eidés : an oneur é plezir L'euvre se partet.

Les compositions de Thibaut et de Du For *

I. N'ayant pas réussi à découvrir ailleurs la trace d'un compositeur dont le nom et les dates approximatives de vie et de mort pussent s'accorder avec les termes de cette pièce de Baïf, nous nous étions jadis demandé, sans oser conclure, s'il ne s'agirait pas de Gui du Faur de Pibrac, le magistrat lettré et poète, en loag, mort en i584, qui fut l'ami de Baïf et 1' « Entrepreneur », nous dirions aujour-

JACQUES MAUDUIT 217

sur les « vers mesurés à Tantique » paraissent perdues. Une bonne part de celles de Claudin Le Jeune a été conservée dans le recueil qui parut après sa mort sous le titre de Printemps^ et dont M. Henry Expert a réédité en partition les douze premiers morceaux dans la douzième livraison des Maîtres musiciens de la Renais- sance française^ nous donnant en même temps, dans la dixième livraison de cette inappréciable collection, la série entière des Chansonnettes mesurées de Maudiiit.

Cette œuvre n'ayant pas été mentionnée par Mersenne est restée, par conséquent, ignorée de Fétis. Le titre de l'édition originale, impri- mée en i586, est ainsi conçu : Chansonnettes MEsvRÉEs I de lan-Antoine de Baïf | mises en musique à quatre parties | Par | Jacques Mav- DviT I Parisien, | A Paris | M. D. LXXXVI. | Par Adrian Le Roy et Robert Ballard | Impri- meurs du Roy I Auec priuilege de Sa Majesté pour dix ans.

Vingt-trois petites pièces y sont contenues*,

d'hui le Pi'ésident, de rAcadéinie du Palais. A l'aide d'un sonnet de Baïf, qui nous avait échappé [Œiwres, édit. Marty-Laveaux, t. IV, p. 347), M. P. -M. Masson a démontré qu'il s'agissait d'un Jacques Du Faur, qui,-> avant ib'j'i, quitta Paris pour « retourner » sur les bords de la Garonne. V. Masson, Note sur un musicien de V Académie des Valois, dans la Revue musicale, t. VI, 1906, p. 22.5.

i. Avant M. Expert une seule des chansonnettes, la pre- mière, « Vous me tuez si doucement », avait été publiée en

2l8 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

que le musicien s'est astreint à conformer étroitement au système de versification de Baïf ; les rythmes ingénieux et les symétries variées des vers « mesurés à l'antique » se reproduisent musicalementavec une fidélité qui n'exclut ni la souplesse ni la grâce, et tout le charme souriant d'une poésie infiniment subtile, légère, tendre et sentimentale, anime une musique docile à la servir, et qui, selon le vœu d'un autre poète de la Pléiade, Jodelle, ne fait qu'un avec elle:

Mesme lair des beaux chants inspirez dans les vers Est comme en un beau corps une belle ame infuse ^.

Sous quelque coté qu'on les regarde, sujets, sentiments, langage, mélodie, texture poétique et musicale, les Chansonnettes de Baïf et Mau- duit ont bien, en face du répertoire précédent de la chanson française, ce caractère de « nou- veauté » qui « ravissoit » les sujets de Henri III. Mais si la grossièreté et le cynisme des textes, trop faciles à constater chez la plupart des maîtres du genre, depuis Jannequin et ses pré- décesseurs jusqu'à Lassus et ses contemporains, a très heureusement fait place au verbe policé

partition moderne par Fr. Delsarte, dans ses Archives du. Chant, livraison, n. 2, avec la date erronée 1570.

I. Jodelle place ces deux vers dans sa longue pièce « en faveur d'Orlande », Voyez ses Œuvi'es, édit. Marty-Laveaux, t. II, p. i85.

JACQUES MAUDUIT 219

d'une littérature discrètement sensuelle, en revanche, quelque chose a disparu, dans la musique, de la florissante richesse et de la libre fantaisie qui enveloppaient autrefois et façonnaient, au gré du compositeur, le secon- daire canevas des paroles. Les alternances coquettes des réponses canoniques et l'entre- croisement des thèmes que les voix parais- saient se dérober et se rendre en des jeux élé- gants et hardis, ont cédé aux exigences nou- velles d'une littérature qui ne se contente plus de fournir des syllabes et des rimes capables de soutenir des broderies contrepointiques, mais prétend désormais dicter à la mélodie ses formes.

Pour n'obscurcir en rien la clarté des paroles et ne pas fausser les rapports, savamment calculés, des syllabes longues et brèves, Mau- duit s'abstient soigneusement de toute répéti- tion, de toute brisure d'un vers ou d'une partie de vers ; son écriture musicale se fait simple à dessein, verticale, nonhorizontale, harmonique, non polyphonique. Par cet abandon voulu des ressources les plus piquantes du contrepoint, ses Chansonnettes risqueraient donc de nous offrir l'image d'un appauvrissement de la com- position à plusieurs voix, si les termes nou- veaux de l'alliance conclue chez elles entre la parole et le chant ne nous les montraient, au

2ao MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

contraire, sous le jour très particulier d'un essai d'art extrêmement raffiné *.

Tandis que Baïf prétendait adapter à la langue française des symétries calquées sur les for- mules de la métrique des Grecs, Mauduit, de très bonne foi, croyait sans doute aussi com- poser « à l'antique » les quatre voix qu'il ajoutait aux poésies de son ami. Les autres maîtres, qui se livraient aux mêmes expériences, partageaient probablementles mêmes illusions. Claudin Le Jeune, avant Mauduit ou concurrem- ment avec lui, adaptait aux vers mesurés de Baïf une musique conçue selon les mêmes prin- cipes, mais plus nourrie quant au nombre des voix, et plus développée quant à la forme des morceaux. Pour certaines pièces que l'identité du texte met en rivalité directe, la priorité reste indécise entre les deux compositeurs, comme aussi la primauté de grâce et de joliesse dans la traduction musicale des mêmes formes poétiques et des mêmes sentiments. C'est chose intéressante que de comparer leurs deux ver- sions de la chansonnette « Voici le verd et

I. Dans la belle et impoi'tante étude intiiiûée L^hu/nanisme musical en France au XVf^ siècle et la musique mesurée à Vantique qui a paru dans la Revue mensuelle S. I. M., année 1907, pp. 333-366 et 678-718, M.-P.-M. Masson a étudié de très près le système poétique des auteurs de « vers mesurés à l'antique » et sa répercussion sur la technique musicale de Claudin Le Jeune et de Mauduit.

JACQUES MAUDUIT '^21

beau may » \ Les deux musiciens la traitent à quatre voix et moulent fidèlement le rythme de leurs mélodies sur les formes métriques du texte ; la prédominance des combinaisons du contrepoint note contre note ne cause pas un effet de nudité des harmonies, car les syllabes longues autorisent les compositeurs à faire, par endroits, flotter au milieu des accords et glisser d'une partie à Tautre de légers groupes de sons, mélismes abrégés ou notes de passage, adroits coups de pinceau qui « réveillent », comme disent lespeintres, le coloris du tableau. Chacun des deux musiciens ne compose qu'une fois la partie principale du texte et fait chanter sur la même musique les quatre couplets ; mais tandis que Mauduit agit de même à Tégard du refrain, ou « rechant », Le Jeune le double par une « reprise » et le donne ainsi deux fois de suite, à quatre voix d'abord, puis à six, en conservant intacte la partie du dessus et en enrichissant les mêmes harmonies par de nouvelles combinaisons vocales.

Baïfne bornait pas ses innovations littéraires à Limitation des mètres de la poésie grecque ou latine ; il avaitinventé une orthographe pho-

I. Le morceau de Mauduit se trouve à la page i6 de la 10» livraison des Maîtres musiciens de la Renaissance fran- çaise, de M. Henry Expert ; celui de Le Jeune à la page 69 de la 12e livraison.

222 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

nétique, « propre à représenter sans superfluité de lettres les motz justement comme ils se prononcent », et pour laquelle il se servait de plusieurs caractères spéciaux, empruntés à l'alphabet grec ou combinés tout exprès pour remplacer certaines lettres ou associations de lettres de l'alphabet usuel. Ni dans les Chanson- nettes, de Mauduit, imprimées en i586, ni dans le Printemps de Claude Le Jeune, qui parut en i6o3, les éditeurs ne s'astreignirent à em- ployer l'orthographe et l'alphabet « baïfiens », mais ils traduisirent, pour ainsi dire, « en clair » et selon les usages courants de la langue et de la typographie de leur temps, les textes des morceaux ^ Le Père Mersenne, au contraire,

I. Les œuvres de Baïf en vers mesurés et en orthographe phonétique n'ont pas été comprises par Marty-Laveaux dans l'édition qu'il a intitulée Œuures complètes de J.-A. de Baïf. Elles sont, pour la plupart, contenues dans le ms. fr. 19.140 de la Bibliothèque Nationale, qui réunit en un épais volume deux mss.de nature et de formats différents : en 3io ff ; les traductions des psaumes, dont la dernière poi'te à la fin de la date 1587; 20 les chansons, en trois livres, dont le premier, incomplet, commence au milieu de la pièce XXVI ; sans cette lacune, le total des chansons serait de 202. Becq de Fouquières a inséré, dans son recueil de Poésies choisies de Baïf, quelques-uns de ces psaumes et de ces chansons, ainsi qu'un résumé de ses théories mé- triques et orthographiques. Une édition des psaumes a été publiée en Allemagne par le D^ E.-J. Groth : J.-A. de Baïf s Psaultier, meirische Beaiheitung der Psalmen, mit Ëinleitung, etc. Heilbronn, 1888, in-S". M. Henry Expert a annoncé, en 1899, la publication d'une édition critique de tous les vers de Baïf contenus dans le ms. fr. 19.140,

JACQUES MAUDUIT 223

se conforma scrupuleusement à l'orthographe de Baïf et obligea son imprimeur h se servir de ses caractères lorsque, en 1623, il plaça dans ses QuœstioJies celeberrimw in Genesim un certain nombre de pièces de Baïf, les unes sans chant comme celle que nous lai avons précédemment empruntée, sur le jour anniver- saire de la naissance du poète, les autres accompagnées de musique à plusieurs voix, de la composition de Mauduit ^ , Celles-ci, au nombre de onze, tant latines que françaises, paraissent, d'après une annotation de Mersenne, empruntées à un recueil que notre temps ne possède plus ^.

Cinq de ces compositions ont pour textes des traductions françaises de psaumes, en vers mesurés, de Baïf : Dieu se lèvera soudain^ à

avec variantes, commentaire suivi et lexique : ce travail n'a pas encore vu le jour.

1. F. Maj^ini Mersenni ordinis Minimorum S. Francisci de Pailla. Quaestiones celebeirimae in Genesim, cuni accurata textus explicatione, etc., Lutetiae Parisiorun, sumptibus Sebastiani Cramoisy, etc., M. DC. XXIII, in-fol, impr. à 2 col. Les passages principaux relatifs à Baïf et à son système poétique se lisent aux col. 1.579, 1604, i683 et suiv. Les compositions musicales, des col. i633 à i663.

2. En marge du dernier morceau , Mersenne écrit : « Psalmos omnes a Joanne Antonio Baïfio tamiatinis, quam gallicis versibus redditos, ut in hoc tractatu monui, brevi accipere poteris, si eos petas a Jacobo Moduito musico celeberrimo, et huiusce nostrse Musicœ autore praecipuo, qui eos pulcherrima Musica exornavit, et in lucem, cum voluerit, proferet. »

224 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

4voix(Ps.67) ; Jitgele droetdema Kooz\h. 5 voix (Ps. 42) ; Pardon et j'ustiss' i me plet de çanter^ à 4 voix (Ps. 100) ; Loez le Seigneur toute jans^ à 4 voix (Ps. 1 16) ; Sus^ tousses serçans bénisses le Seigneur^ a 4 voix (Ps. i33). Deux autres pièces françaises s y ajoutent : An son tanple sakré, à 5 voix, et : Ociel^ 6 mer, 6 terre, armez- \>ous de co/è/'g, à 4 voix (contre les athées). Les compositions latines sont : Est Deus pastor mihi^ à 4 voix; Eccjiiœ barathro spurca prosiluit, à 4 voix (contre les athées) ; Cor micat exultans t?epidis, à 3 voix (dithyrambe) ; Eia çerba dicite, à 4 voix.

Ces quelques morceaux sont, avec le fragment de la messe de Requiem à 5 voix inséré à la suite de Téloge de Mauduit dans l'Harmonie U7iiçerselle ^ , tout ce qui paraît subsister de ses œuvres religieuses, œuvres nombreuses, si l'on s'en rapporte à Fénumération de Mersenne, énumération à laquelle il faut encore ajouter un motet, Afferte Domino, qui avait valu à son auteur le prix de « l'orgue » au concours du puy de musique d'Evreux, en i58i -.

1. Ce fragment a été réimprimé en partition dans \ Allge- meine niusikalische Zeitung àe Leipzig, année 1842, n. 2, et dans les Sammelbaende der Internationale n Musikgesellschaft, année, 1902-1903, p. 187, à la suite du travail de M. J. Tiersot sur Ronsard et les musiciens de son temps.

2. Puy de ?7iusique érigé à Ei>reux, etc., publ. par Bonnin et Chassant, p. 56.

JACQUES MAUDUIT llS

Avec les Chansonnettes mesurées, nous ne connaissons de Mauduit, en fait de musique profane, que deux petites pièces, provenant de quelque ballet de cour, et contenues dans le Cinquième Livre des Airs de differens AiitJteurs mis en tablature de luth par Gabriel Battaille Paris, par Pierre Ballard, i6i4). L'une de ces pièces porte le titre d'Ode à la Reine et commence par les mots : « Soit que Tœil orné » ; la seconde est un Air, sur les paroles : « Par vos yeux ».

Malgré la somme de travail et de talent dépensée par Baïf et ses collaborateurs musi- caux, son système de poésie lyrique en vers français mesurés ne devait pas plus lui survivre que sa bizarre et illogique réforme de Tortho- graphe. Becq de Fouquières a essayé de définir la cause cet échec : « Baïf, a-t-il dit, eut cons- cience de Tunion intime qu'il était désirable d'obtenir entre la poésie et la musique, mais il se trompa sur les moyens qui seuls pouvaient y conduire... Il ne vit dans la phrase musicale que des longues et des brèves, et par similitude, c'est la quantité des syllabes qu'il prit pour but de son système prosodique, tandis qu'il aurait porter ses efTorts sur l'identité à obtenir entre le rythme de la phrase musicale et celui des vers par la distribution méthodique et réfléchie des accents... Ici, nous ne parlons Brenet. i5

226 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

pas des signes grammaticaux nous désignons par accents les temps forts que, dans la lecture des vers, la prononciation fait entendre natu- rellement et qui doivent concorder avec les temps forts ou frappés de la phrase musi- cale \ »

Une telle orientation de la pensée de Baïf était impossible, attendu que, dans le temps il vivait, la structure de la phrase musicale, entièrement différente de ce qu'elle devint à une époque plus moderne, ne subissait pas encore le joug tyrannique de l'alternance immuable du temps fort et du temps faible ; la musique de danse, seule, s'y soumettait par nécessité : mais la composition artistique, tout en se servant quelquefois de ihèmes populaires empruntés à des chansons à danser, conservait aux parties vocales la libre allure de mélodies autonomes, qui se superposaient sans s'enfer- mer graphiquement entre des barres de mesure, sans abdiquer chacune leurs allures person- nelles, et les confondre dans l'uniforme et régulier retour d'un levé et d'un frappé symé- triques.

Si compliquée que lût la polyphonie et si profane que l'eussent rendue les compositeurs

I. Poésies choisies de J.-A. de Baïf, publ. par L. Becq de Fouquières. Introd., pp. xxxj et suiv.

JACQUES MAUDUIT 227

de chansons, elle se trouvait encore trop rap- prochée de ses origines litur2;iqLies pour que fut consommée, par la victoire du geste sur la parole et du rythme périodique de la danse sur le rythme oratoire du chant grégorien, une complète laïcisation de Tart. Le perfection- nement de l'exécution instrumentale, en facili- tant Talliance de l'orchestre avec le chœur, allait devenir un des (acteurs principaux de cette évolution musicale, et nous verrons qu'à cet égard Mauduit y travailla grandement, agissant en cela sous l'indistincte pression d'un mouve- ment intellectuel non calculé d'avance. Baïf, qui avait uniquement en vue l'imitation des modèles littéraires de l'antiquité grecque ou romaine, ne pouvait guider ses essais et ceux des musiciens qu'il s'associait que dans le sens d'une appropriation des formes du langage à celles du chant. Déjà, les « humanistes » avaient, en Allemagne et en France, mis à Tordre du jour l'étude de la métrique ancienne ; plusieurs compositeurs s'étaient, à leur instigation, essayés à écrire pour les Odes d'Horace une musique conforme à la mesure des vers ; entraînés par le même courant, des écrivains ou des dignitaires ecclésiastiques enseignaient ou prescrivaient l'observation de la quantité latine dans l'exécution du plain-chant ; et dans son traité de Musique spéculatwe^ Nicolas Ber-

228 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

gier ne s'occupait presque que des vers mesurés et du rythme poétique \

Dirigés ainsi exclusivement vers les formes métriques et grammaticales des pièces de poésie qui leur étaient proposées, les musiciens n'accordaient qu'une attention secondaire à leur contenu expressif: leurs héritiers abandonnant cette impasse pour s'engager dans la voie de la monodie et de l'opéra, ne devaient qu'à la longrue découvrir les lois de la déclamation musicale dans les accents mélodiques et ryth- miques de la parole parlée sous Tempire d'un sentiment nettement défini.

Pour être donc resté stérile, l'efl'ort de Baif, de Le Jeune, de Mauduit, n'en a pas moins servi à nous léguer un petit faisceau d'oeuvres exquises, très peu grecques, musicalement, malgré ce qu'en pensaient leurs auteurs, mais, au contraire, bien françaises et représentatives d'un moment intéressant de l'histoire de notre culture nationale.

Une partie des louanges décernées à Mau- duit s'adressait à son talent de directeur et d'or- ganisateur d'auditions musicales. Nous avons vu le Père Mersenne vanter la délicatesse de son oreille, qui distinguait dans un nombreux ensemble une corde mal tendue, et nous avons

I. Bibl. Nat., ms. fr. iSSg.

JACQUES MAUDUIT 229

également reproduit les vers par lesquels Baïf le louait de savoir mener le concert et battre c( d'un bat ajansé » les brèves et les longues. Après la mort du poète (iSSg), Mauduit avait transporté dans sa maison, rue des Juifs, les auditions qui s'étaient d'abord données chez Baïf, et qui avaient quelquefois succédé, dans une salle du Louvre, aux séances littéraires de l'Académie du Palais. Chez Mauduit, ces assemblées prirent une signification de plus en plus exclusivement musicale, avec une grande extension des moyens d'exécution. « On y chantait, rapporte Sauvai d'après des sources non désignées, toutes sortes de choses en dia- logue ou en chœurs, tantôt par récits de voix, tantôt par répétitions des instruments et des voix ensemble. D'ordinaire, il y avait soixante ou quatre-vingts personnes, souvent jusqu'à cent vingt ^. »

La description qu'un auteur anonyme a donnée des symphonies dirigées par Mauduit, h la cour, en 1617, dans le ballet La Délivrance de Renaud, renseigne utilement sur le nombre de voix et d'instruments qu'il était alors pos- sible de réunir sous une seule direction et sur les qualités d'ensemble qu'un chef habile obte- nait. Dans le premier décor, qui cachait les

I. Sauval, t. II, p, 494.

2i0 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

jardins d'Armide, « on entendit un grand con- cert de musique, dont les concertans estoyent cachez et pouvoyent néantmoins voir toute l'assemblée au travers des feuillages qui les cou- vroyent. Geste musique, composée de soixante et quatre voix, vinct-huit violles et quatorze luths, estoit conduite par le sieur Mauduit, et tellement concertée, qu'il sembloit que tout ensemble ne fust qu'une voix, ou plustot que ce fussent ces oiseaux qu'Armide laissoit à Tentour de Renault pour l'entretenir en son absence, ayant pouvoir de contrefaire les voix humaines et de chanter les plaisirs de l'amour, avec les persuasions contenues en ces vers (faits et mis en musique par le sieur Guedron, intendant de la musique de Sa Majesté) :

Puis que les ans n'ont qu'un printemps Passez, Amours, doucement vostre temps. Vos jours s en vont et n ont point de retour, Employez-les aux délices d'Amour.

« Cette musique cessant au signal que le Roy lui fit donner, se perdit la perspective première qui la cachoit. » Dans les décors sui- vants, d'autres chœurs composés par Guedron furent chantés sous sa direction ; à la fin du spectacle, les deux troupes se réunirent et il se fit « une grande musique du concert du sieur Guedron, et de Tautre qui premièrement

JACQUES MAUDUIT a3l

s'estoit fait admirer sous la conduite du sieur Mauduit. Chascuii avoua que l'Europe n'a jamais rien ouy de si ravissant, et si le nombre de quatre-vingt-douze voix et de plus quarante- cinq instrumens, estant joincts ensemble, fai- soit un si doux bruit qu'il ne serabloit point revenir au quart de ce dont il estoit com- posé * ».

Trois ans auparavant, Mauduit avait été chargé de la direction, et de la composition d'un concert donné en plein air, le i6 sep- tembre i6i4, pour la réception de Louis XIII, rentrant à Paris après un voyage en Bretagne : le roi étant « parvenu à la porte Saint-Jacques, la musique de voix, de luths et de violes, com- posée de six à sept vingt personnes, chanta une Ode composée par Mauduit, Tun des excellens musiciens de ce temps ^ ».

L'insistance avec laquelle les écrivains ap- puient sur le grand nombre des voix et des instruments montre qu'une telle réunion d'exé- cutants était, en France, chose très nouvelle ; Venise et l'Allemagne nous avaient, en cela, précédés ; un document de i564 signale à cette date, en ce dernier pays, et aussi comme un

1. Discours au vray du ballet dansé par le Roy... le 29 janvier 1617 . Paul Lacroix a réimprimé ce discours dans ses Ballets et mascarades de cour, t. H, p. 97.

2. GoDEFROY, Le Cérémonial français, t. I, 1649, P- 970-

232 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

fait extraordinaire, un concert de cinquante voix et quatre-vingts instruments donné, à l'occasion d'un banquet, chez le cardinal de HelfFenstein et dirigé par un maître de cha- pelle qui avait un bâton d'or à la main^ Que Mauduit, pareillement, se servît d'un bâton ou de la main simplement, la mesure qu'il battait ne se réglait point sur la périodicité des « temps forts », mais, comme dans le plain- chant, sur les inflexions de la mélodie, ou sur le mètre poétique, lorsqu'il s'agissait de pièces écrites en « vers mesurés à l'antique ». La jonction des instruments aux voix n'avait pas lieu non plus dans le sens d'accompagnement orchestral que commencèrent à lui donner, seulement après Mauduit, les maîtres de la « basse continue ». Aucune spécification du rôle des instruments n'était faite dans les imprimés musicaux, qui continuaient à pré- senter sous une forme vocale les compositions écrites à plusieurs parties. Les instruments se groupaient par familles ou, comme écrivait le Père Mersenne, par « concerts », concerts de hautbois, concerts de violes, etc. Mauduit avait ajouté une sixième corde aux violes, qui n'en possédaient que cinq auparavant, et avait « le

I. Monatshefie fiir Musikgeschicliie , 1872, p. 44. E. Vogel, Zur Geschichte des Taktschlagens dans : Jahrbuch der Musik- bibliothek Peiers, 1898, p. 71.

JACQUES MAUDUIT ^33

premier introduit leur concert en France, au lieu d'une basse de violon que l'on se conten- tait de joindre avec les hautbois^ ». Chaque famille instrumentale constituait un petit orchestre, dont les membres suivaient chacun la partie vocale qui correspondait à son étendue, tantôt doublant les voix et tantôt alternant avec elles. Une mascarade de Mellin de Saint-Gelais, composée pour un banquet et imprimée dans ses œuvres en 15^45 porte l'explication sui- vante, applicable à toutes les exécutions instru- mentales de ce temps : a Les parolles, pro- noncées à chacun service par Amphion, estoyent des chantres réitérées en musique, et puis encores sonnées par divers instrumens, à di- verses fois durant Tattente du service ensuy- vant ^. »

Il faut entendre de même les textes concer- nant l'emploi, par Mauduit, des instruments dans la musique sacrée. Sa messe de Requiem^ lorsqu'il la fit chanter au service funèbre de Ronsard, dans la chapelle du collège de Bon- court, le 24 février 1 586 , était « animée de toutes sortes d'instruments », et fut exécutée (( par l'élite de tous les enfans des Muses, s'y

T. Mersenis'E, Harmonie univerelle, première préface géné- rale.

2. Œuvres complètes de Mellin de Saint-Gelais, édit. Blan- chemain, t. I, p. 177.

234 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

estant trouvés ceux de la musique du Roi, sui- vant son commandement^ ». Pareille réunion de chanteurs et d'instrumentistes avait lieu pour les « grands concerts des Ténèbres » et pour ceux des O de TAvent, que Mauduit diri- geait annuellement dans la chapelle du a Petit- Saint-Antoine ». On appelait ainsi pour la distinguer de l'abbaye de Saint-Antoine, sise au faubourg de ce nom une maison de reli- gieux hospitaliers de Saint-Antoine en Vien- nois, établis à Paris depuis le xvi® siècle, sur la paroisse Saint-Paul -, dans le voisinage immédiat de la rue qu'habitait Mauduit. « Tout Paris et toute la cour accouroient en foule » dans cette chapelle, pendant les après-midi de la Semaine sainte, pour assister aux Ténèbres. La duchesse de Beaufort (Gabrielle d'Estrées), à la veille du moment fixé pour son mariage avec Henri IV, y vint « officiellement et en pompe », en litière, escortée par des archers sous la conduite d'un capitaine des gardes, et suivie par les princesses de Lorraine et de nombreuses dames en carrosse, le Mercredi saint y avril 1599. « Cette année-là le printemps

1. Cl. BiNET, La Vie de P. Ronsard, dans l'édition des Poésies choisies de Ronsard publiée par Becq de Fouquières.

2. Voyez G. Brice, Nouvelle Description de la Ville de Paris, édit. 1725, t. II, p. i65, et Lebeuf, Histoire de la Ville et de tout le diocèse de Paris, édit. Gocheris, t. I, p. 33i.

JACQUES MAUDUIT 235

était fort avancé... Il faisait une très belle journée et la foule se portait au Petit-Saint- Antoine, attirée par la musique excellente qui s'y faisait ; elle dut être encore plus considé- rable lorsqu'on eut vu entrer dans Téglise la future reine et son cortège. On lui avait réservé une chapelle particulière... La chaleur qu'il faisait dans Téglise ne tarda pas à incommoder Gabrielle. Lorsque le service fut achevé, elle dit à Mademoiselle de Guise qu'elle s'allait mettre au lit. . . » Retournée aussitôt au doyenné, près Saint-Germain-l'Auxerrois, chez sa tante, M™® de Sourdis, elle était descendue en arrivant de Fontainebleau, elle mourut le sur- lendemain, dans la nuit du Vendredi au Samedi sainte

Mauduit organisa encore à Notre-Dame de grandes fêtes musicales, célébrées dans Téglise même, chaque 11 novembre, en Ihonneur de sainte Cécile. D'après Sauvai, il avait projeté la fondation d'une « Confrérie et Académie de sainte Cécile, vierge et martyre », dont Louis XIII devait être le protecteur, et qui aurait eu dans la Cité une église particulière, ainsi qu'une maison pour des assemblées aca- démiques : les lettres patentes n'en ayant pas été scellées avant la mort du musicien, con-

I. Desclozeaux, Gabrielle d'Estrées, 1889, in-8", pp. 422 et suiv.

a36 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

certs, confrérie et académie périrent avec lui\ Nous n'avons pu savoir à quelle date avaient commencé les concerts de Mauduit à Notre- Dame. L'épître dédicatoire de la Céciliade^ de J. Soret et Abraham Blondet, imprimée en 1606, dit formellement que cette pièce, écrite pour les enfants de chœur de Notre-Dame et joués par eux, avec des chœurs de mu- sique, dans le local de la maîtrise, remplaça le « Concert Cécilien intermis cette année à cause des assemblées publiques mortellement dan- gereuses en Tépidémic danger )). Au temps de Sauvai, on gardait encore la mémoire de ces concerts, et l'historien les citait, avec les Té- nèbres du Petit-Saint-Antoine, comme les plus belles prouesses de Mauduit dans le domaine religieux.

La rue des Juifs, vécut Mauduit et il mourut le 21 août 1627, joignait jadis la rue des Rosiers à la rue du Roi-de-Sicile, et abou- tissait, dans cette dernière, juste en face du Petit-Saint- Antoine. Le percement de la rue de Rivoli, en rasant les restes du vieux monas- tère, donna un léger prolongement à la rue des Juifs, qui conserva ce nom, d'origine médié- vale, jusqu'au 3 avril 1901 ; ce jour, comme nous essayions d'y retrouver la maison de

I. Saijval, t. II, p. 494.

JACQUES MAUDUIT uS?

Mauduit, des ouvriers attachaient à chaque angle des plaques neuves se lisaient en blanc sur bleu les mots : rue Ferdinand-Duval. Un seul immeuble, qui porte aujourd'hui le nu- méro 20, a conservé, malgré l'injure des années et des usages commerciaux, quelques souvenirs d'un lointain et aristocratique passé ; sa façade nue et noire est percée de hautes fenêtres ; les deux battants de la porte sculptée livrent pas- sage à de vulgaires camions, et la toiture affaissée des bâtiments à demi ruinés qui bor- dent deux côtés de sa vaste cour supporte des mansardes à fronton, d'un pur et charmant style Renaissance. Est-ce la maison de Mau- duit? En franchissant ce seuil, marchons-nous sur la trace des carrosses qui amenaient à ses concerts tout ce que le Paris de Henri IV comp- tait de musiciens et d'amateurs de musique ? Cette question mériterait, nous semble-t-il, d'intéresser quelqu'un des érudits voué à l'atta- chante étude de tout ce qui, dans la grande ville moderne, nous parle encore du passé.

Il n'y a plus à espérer que l'on retrouve en l'église Saint-Gervais la trace du tombeau de Mauduit; la chapelle Saint-Eutrope, il était situé, a changé de vocable et s'appelle aujour- d'hui chapelle des Saints-Gervais-et-Protais. Les pierres tombales autrefois placées dans l'église ont depuis longtemps fait place à un

:^38 MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

pavage uniforme , et quelques-unes ont été sciées pour servir de marches aux escaliers des tribunes ^ Germain Brice, Piganiol de La Force, l'abbé Lebeuf, qui écrivaient à une époque certainement les monuments funé- raires du XVII® siècle existaient encore, n'ont pas jugé Mauduit digne de figurer sur leurs listes des « personnes les plus renommées enterrées dans Saint-Gervais " ». La publica- tion officielle de V Epitaphier du çieux Paris^ commencée avectant de soin par Emile Raunié^, n'est pas, dans Tordre alphabétique, parvenue jusqu'aux inscriptions de l'église Saint-Gervais; nous devons donc nous contenter de reproduire textuellement, avec ses lacunes et ses graves incorrections, la moins défectueuse de celles que nous offrent les recueils manuscrits formés aux XVII® et xviii^ siècles par quelques curieux d'antiquités parisiennes' :

1. Nous sommes redevable de ce détail à l'obligeance de M. labbé Gauthier, curé de Saint-Gervais.

2. G. Brice, ouvr. cité, t, II, p, 148 et suiv. - Piganiol DE La Force. Description hist. de la uille de Paris, édit. 1765, t. IV, pp. i':io et suiv.

3. Histoire générale de Paris. Epitaphier du i'ieux Paris, recueil général des inscriptions funéraires, etc., formé et publié par E. Raunié. Paris, Jmpr. Nat., 1890 et suiv., in-fol.

4. Les six copies de la double inscription funéraire de Mauduit que nous avons comparées sont contenues dans lés mss. ci-après désignés : I. Bibl. Nat., ms. fr. 8217, p. 429 (recueil de J. Le Laboureur, xvii» s.) ; II. Bibl. Nat., ms. fr. 32.340, p. 757 (anc. Cab. des titres 5i4, ms. du

JACQUES MAUDUIT j'ig

TOMBE DANS LA CHAPELLE DE SAINT-EL'TROPE

Cy gist noble homme Jacques Mail duit, con- seiller et secrétaire de la Roy ne ^ garde du depost des Requestes du Palais. Il deceda le 21' Aoiist 1621.

Son Epitaphe est contre le mur dans ladite chapelle vis-à-vis ladite tombe, comme il s'en- suit :

D. O. M.

Quisquis heic lector adsis, legito ; uti {>iro optimo et nohili Jacobo Mauduit jam olim Re- ginae Franciae à consiliis et secretis^ Reques- tariim Palatii depositario fœlicem ad precaberis exitum : in Ecclesiâ pie vixit : Artes ingenuas tractawit : omnes peritè Miisicas ad summum

cabinet de d'Hozier, xvii» s.) ; III. Bibl. de l'Arsenal ms. 4616, fol. 86 (xviiie s.) ; IV. Bibl. de l'Arsenal, ms. 5405, p. 491 (xviiie s.); V. Bibl Nat., ms. fr. nouv. acq. 2o53, p. 888 (anc. Arch. Nat. LL 961, xvin« s.) ; VI. Bibl. de la Ville de Paris, ms. 11.479, p. 442 (xviii» s.). Dans le premier de ces mss., la lecture est rendue douteuse par le nombre des abréviations dont l'écrivain faisait usage, ainsi que l'a expliqué Raunié, dès que le personnage visé par l'inscription ne l'intéressait pas particulièrement; les trois copies que nous numérotons II, III et IV, sont, à de très légers détails près, identiques, et toutes trois d'une incor- rection absolue ; nous reproduisons le texte fourni par les mss. V et VI, conformes l'un à l'autre, mais dans lesquels subsistent encore assez de fautes pour rendre une partie de l'épitaphe latine obscure.

24o MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

délitait^ ad miraculumque / harum... ^ et Apollo fuit c/iristianus munerihus quae pulcJu^e gessit et probe... ^ defunctus est; vitamque peccatis- simam tam innoxie quam amanter erga omnes ohivit : Jiinc cliarissimus ^ singulis^ probatis- simiis, Deum quem sitiebat^ penè jam septiia- genarius adwit augusti 21'' . 1621.

Le père Mersenne, dans VEloge que nous avons reproduit au commencement de cette étude, nous a appris que Mauduit, en mourant, laissait à sa veuve quatre fils et quatre filles ; les relations amicales que le Religieux Minime avait entretenues avec le musicien se conti- nuèrent tout au moins avec l'aîné, Louis Mau- duit, dont il vante les mérites littéraires et cite in extenso une longue traduction en vers du symbole de saint Athanase, en ajoutant qu'il (( meriteroit un éloge particulier ».

Les inscriptions funéraires copiées avec l'épi- taphe de Jacques Mauduit et les actes de Tétat civil de la paroisse Saint-Gervais permettent de joindre plusieurs renseignements à ce que dit Mersenne, relativement à la veuve et aux enfants du compositeur. Celui qui nous est

1 . Les mss. V et VI que nous suivons, laissent ici un blanc ; les ms. II, III et IV le remplissent ainsi : harum corculum et Apollo...

2, Les mss. V et VI laissent un blanc ; les mss. II, III et IV portent : et probe et pur lier defunctus.

JACQUES MAUDUIT a4l

désigné comme Taîné, et auquel l'auteur de V Harmonie universelle donne en i636 le titre de « Prieur de Saint-Martin de Brethencourt », hérita de la charge qu'avaient possédée son père et son aïeul ; signant comme parrain au baptême d'une nièce, le 7 mars i63i, il se fait appeler « Louis de Mauduit, greffier des requêtes du Palais^ ».

Un autre fils de Jacques Mauduit fut baptisé à Saint-Gervais le 27 avril 1597 et reçut le pré- nom de Hugues; parrain d'une nièce, en i632, il s'intitule « homme d'armes de la compagnie du roi- ». Son frère Nicolas, qui mourut le i3 février i634 et fut inhumé dans la sépul- ture paternelle, est appelé : « sieur de Ternay », par le rédacteur de son épitaphe ^ Le pré- nom du quatrième fils de Jacques Mauduit nous est inconnu.

Ses filles étaient Aniie^ baptisée à Saint- Gervais le i^'' juillet i6o5, mariée à Germain Rollet, conseiller au siège présidial de Vitry- le-François, décédée le 8 février i636, inhumée à Saint-Gervais *. Marie, qui épousa Jean Girard, contrôleur ordinaire des guerres, et

1. Bibl. Nat., ms, fr. 32.838 p. 228 (Recueil d'extraits des registres de la paroisse Saint-Gervais).

2. Ibid., pp. 102 et 233.

3. Cf. les Épitaphiers précédemment indiqués.

4. Bibl. Nat., ms. fr. 32.838, p. 124, et les mêmes Épita- phiers.

Breaet. 16

24^ MUSIQUE ET MUSICIENS DE LA VIEILLE FRANCE

en eut un fils, Jacques, baptisé à Salnt-Ger- vais le 21 janvier 162^7, sept mois avant la mort de son grand-père et parrain Jacques Mauduit\

Magdeleine, encore célibataire en i632. Marguerite, mariée à Pierre de Souslemoutier, écuyer, sieur d'Ailly, exempt des gardes du corps du Roi, et dont plusieurs enfants figu- rent dans la série des actes baptistaires ou mortuaires de Saint-Gervais^.

La femme de Jacques Mauduit se nommait Anne Isambert ; elle survécut dix-huit ans à son mari; la mention de son inhumation dans les registres paroissiaux de Saint-Gervais ajoute au nom de Mauduit une qualification nobiliaire dont aucun autre document, à notre connais- sance, ne porte la moindre trace : « 10 mars i645. Inhumation de Dame Anne Isambert, veuve de M^ [messire] Jacques Mauduit, S'' [sieur] de Tirechappe^ secrétaire ordinaire de la Reyne et garde du depost des requestes du Palais^ ».

1. Bibl. Nat., ms. fr. 32.838, p. 233.

2. Le 7 mars i63i, baptême de Anne, fille de Pierre Sous- lemoutier, escuier, sieur d'Ailly et de Marguerite Mauduit; parrain, Louis de Mauduit, greffier des requêtes du Palais ;

le 28 février i632, baptême de Magdeleine, fille des mêmes : parrain, Hugues Mauduit ; marraine, Magdeleine Mauduit ; le 6 novembre 1640, inhumation de Jean, fils des mêmes, âgé de deux ans et demi : le 19 janvier 1641, baptême de Louise-Marguerite, fille des mêmes ; marraine, sa sœur, Anne de Souslemoutier. (Bibl. Nat., ms. fr, 32.838, p. 228, 233, 275 et 804).

3. Ibid.f p. 812,

JACQUES MAUDUIT 243

Cette tardive addition indique, chez les héri- tiers du musicien, un souci de gentilhommerie que révélait déjà la gravure, aux deux côtés de Tépitaphe paternelle, de deux blasons ainsi définis ou représentés par les recueils d'ins- criptions : « Mauduit, de sinople à la face d'argent chargée de trois coquilles de sable. Sa femme, d'azur à trois ruches d'or, à une mouche à miel d'argent en cœur, en chef un lambel de même^ ».

Les fils et les filles du « Sieur de Tire- chappe », tout occupés de gagner ou d'affirmer une situation relevée dans la hiérarchie sociale, ne se doutaient guère que leurs blasons seraient omis et leurs titres oubliés dans les futurs armoriaux et dictionnaires nobiliaires, et que le nom de leur père vivrait à cause des concerts delà rue des Juifs ou du Petit-Saint-Antoine, et de quelques chansonnettes notées sur des vers de Baïf : à cause, par conséquent, de ce qui avait été, dans sa vie, l'agrément et le superflu, dans le jardin de son âme, la petite fleur parfu- mée dont l'impérissable arôme emplit les pages de l'herbier, longtemps après que se sont effa- cées ses couleurs et desséchés ses pétales.

I. Le ms. 5405 de la bibl. de l'Arsenal, p. 461, donne en couleurs ces blasons dont les autres mss. offrent le tracé ou la définition.

INDEX ALPHABETIQUE

On a imprimé dans cette table les noms propres en carac- tères romains, les noms de choses en italiques. On n'y a pas fait figurer les noms des auteurs dont les ouvrages étaient cités comme références.

Académie de poésie et de mu- sique, 207-214.

Agricola, 52, 56, Qo.

Aiglantine de Tournay, 11.

Albert de Ripe. 212, 21 3.

Alfous, alias Alphous, Hal- phous, 6, 16.

Baïf (J.-A. de), 204-22G. Ballets de couj\ 210, 229, 23o,

233. Barbetta (G.-C), 144. Barbingant, alias Barbireau.

60. Barbotier (Guy), 3o. Barizon. v. Bassiron. Barré (Jehan), 37. Bartolinus de Padoue, 102. Bassiron, 60. 61. Batailles €71 musique^ 116-118,

123-164. Battaille (Gabriel), 2i5. 225.

Baudenet de Reims, v. Fresnel.

Baudet (Henri), 7, 14.

Belin (Geoffroy), 3o.

Bellot (Pierre), 29.

Belon (Pierre), 184-186.

Bergier (Nie), 2'».7-228.

Binchois, 26, 60.

Blondet (Abr.), 236.

Borlet. 104,

Borty, alias Bourty (Jehan),

36-38. Bourgneuf (Pierre), 3o. Bourgogne (ducs de), 1-19. Braysing (Greg.), 144. Brelles (Georget de), 57. Brumel, 56, 60, 76. Buisson (Jehan) a/Zas d'Aubus-

son, du Buisson, 37-40. Busnois, 47, 57, 60, 75.

Caffiaux (Dom), 88. Canon, 73-80, 100, loi. Caron, 5~ .

246

INDEX ALPHABETIQUE

Garpeau. v. Martineau.

Castro (Jean de), i88.

Catalogue de l'œuvre d'Ocke- ghem, 64-81 ; des chan- sons de Jannequin, raS- i3o.

Gaulier, alias Collier (Robert, Robinet), 37-40.

Certon, 174, 187, 189.

ChalemeUe, 10.

Chansons à danser, 5 ; fran- çaises, 71-74, 104-106, 118, i23-i3o, 154-180, 217-220; italiennes, 102-104, 118, 1^9, 161, 190.

Chant des oiseaux, 94-112, i23- i3o, 173-191.

Chant grégorien, 91.

Chapelle du duc de Bourbon, 29 ; du duc de Bourgogne, 7 ; du roi de France, 3o-48.

Chasses en musique, 112, ii3, 123-127, t65-i7i.

Ghiron (Geoffroy). 40, 43.

Gimello (T.), 159.

Glamauges (Estiennede), 3o.

Claus, 6, i5, 16.

Clerici, v. Le Clerc.

Gollebert (Loys), 39, 40,

Commin, alias Gonnin, Quenin (Jacquemin), 6, i5.

Compère (Loyset), 56, 57, 60.

Concerts aux xvi^ et xvii« siè- cles, 210, 216, 229-236.

Conrad, 52.

Constans, 60, 61.

Copin, 60.

Cor, 6, 167, 168.

Gorbet, 07.

Cornemuse, 10.

Gornille, v. Thibaut de Cour- ville.

Cornurcs de chasse, 167, 168.

Costeley (Guill.), i57, i58, 211,

212. Courtois (Estiennot), 29. Courtois (Martin), 3o, 36, 38. Cousin (Etienne) , 212, 2i3. Cousin (Jean Escatefer, dit),

29, 36, 38-41. III. Coyniel (Math.), 3o. Crespel (Guill.), 57. Crétin (Guill,), 53-6i. Cris de Paris, 171, 172. Croce (Giov.), 190, 191.

Delafont, 160, 170.

Demant (Chr.), i38, i53, 154.

Deprés (Josquin), 02, 36, 57,

60, 69, 73, 211. Desbordes, 159, 160. Donatus de Florence, 102-104. DuFaurou For (Jacques), 2x5,

216, Du Faur de Pibrac (Guy), 210,

216. Dufay, 26, 41, 57, 60, 75. Dunstaple, 26, 60. Dussart, 57.

Ecoles de ménestriers, 14- 19. Encina (Juan del), 181. Enfants de chœur, 11. Erard, v. La Chapelle. Escatefer, v. Cousin. Eschiquier, 9. Evrard, v. La Chapelle.

Fede, alias Phede (Jean), 40,

42, 60. Femmes ménestrières, 11, 1 3,

17- Festa (Constant), 61. Fête de sainte Cécile, 235, 236;

des fols, 7. Feustrier (Wacquet), 36-38.

INDEX ALPHABETIQUE

u47

Fouchart (Pierre), 3o. Fouet (Jehan), 29. Francesco de Milan, 143. Fredelic, alias Fredie, 6, i5. Fresneau (Jehan), 3g, 40, 42,

56, 60, 62. Fresnel (Baudenet), 9.

Gabrieli (André), 161, 162.

Gabrieli (Giovanni), 161. 162.

Gabrieli (Vincent), 191.

Gardano (Ant.), 148, 149.

Gaspar, v. Werbecke.

Gauthier, alias Vauthier l'an- glais, 9.

Ghirardello de Florence, io3, ii3.

Gigart (Guill.), 40.

Gilebert, 10.

Gilles, 60.

Gillet de Toul, 8.

Gillier, v. Guillier.

Giovanni de Florence, 102.

Godelin (Olivier), 29.

Gombert (Nie), 126, 170, 175- 178.

Gonault (Geoffroy), 29.

Goudimel, 139, 160.

Grossin (Guill.), 39-43.

Guedron, 23o.

Guillemot, 16.

Guillier (Pierre). 36-42.

Guitare, guiierne. S, 9, i44-

Harefort, i5.

Harpe, 8, 9.

Heniart, 75.

Hermann (Matthias), i3o, 135,

i38, 146-153. Hert, 71. Hilaire, 52.

Instruments mêlés aux uoix, 5,

III, i55, i56, 206, 210, 216, 229-234.

Jacobus de Bononia. io3, 104.

107. Jacot, 16.

Jacquinot de Vignory, 6, i5, Jannequin (Clément), 119-148,

i54-i57, 165-169, 171-180,

187, 195, 196, 2II-2l3.

Jean de Quincy, 9. Jehan de Dinant, i5, 16. Jehan de Fontenay, 36-4o. Jehan de Malines, 11. Jehan de Modène. 36-40. Jehan de Yaranguien, 7. Jehannette la Page, 11. Josquin, v. Deprés. Jossequin, 16. Joye, 60, 61,

La Chapelle (Evrard de), 5o-

53, 58. Lannaix, v. Lannoy. Lannoy (David et Jehan de).

3o, 36-40, 42, 60. Lassus (Orlando de), 188, 218. Leaulté (Jehan) , 3o. Le Camt, v. Le Kent. Le Clerc (Jehan) alias Clerici,

3o, 36, 38-41. Le Jeune (Claudin), 142, 194-

196, 2o5, 206, 2i5-2i7, 220,

221. Le Kent (Vincent), 3o, 36, 40. Le Maistre (Math.), 146. Lemlin, 182. Leoni (Leone);- 191. Le Roy (Adrien et Etienne), 212,

2l3.

Le Vielz, alias Vielz (André),

36-40. Lieder, 182, 189, Jgo.

•248

INDEX ALPHABETIQUE

Louis de Chaumont, 33. Louvet (Jehan), 3o, 36,37. Luth, 143-145, 212. Lyon (Rerthélemi), 14. Lyre, 214.

Maçon (Jehan), 8. Madrigal, 191-194. Mancinus (Th.), i54. Marcatoris, v. Marchand. Marchand (Jehan) dit Marca- toris, 3o, 36. Marenzio (Luca), 192, 193. Martineau (Maurice ou Moriçon)

dit Carpeau. 36-39. Martini (Jean), i ro. iif. Mathias Fiamengo, v. Her-

mann. Maubus (Jehan), alias de Per-

nes, 29, 36. Mauduit (Jacques), 199-243. Ménestrels, mënestriers, 4-19,

44, 45. Mersenne. 199-207, 223. Messes d'Ockeghem, 64-69. Millot (Nie), 188. Molinet (Jehan), 55. 56. Monguin (Jehan), 12. Motets d'Ockeghem, 69-81. Munier (Loyset), i5, 16. Musette, 45. Musique descriptive, 83-197 ;

mesurée à Vantique, 207-

228.

Nacaires, 7, io5. Neusidler (Hans), 144, 147.

Oekeghem (Jean de), 21-82. Orchestre aux xvi» et xvu» siè- cles, 230-234. Orgues 10, 58, 59.

Paix (Jacob), 145. Paminger (L.), 80. Parent (Simonnet), 29. Pasquin, 60, 61. Passereau, 189. Pernes, v. Maubus. Perrin de Mâcon, 8. Phede. v. Fede. Piernant (Jehan), 3o. Pincepaste (Jehan), 6, i5. Pipeau, 45. Piscis, alias Poisson (Jean),

40, 56, 60, 62. Poulain (Hugues), 3o. Pregent, 52. Prévost, 56, 60, 62. Prioris, 56, 60. Prosper, 56, 60, 62. Psalterion, 9. Pykyni, 106.

Quentin (Jehan), 29. Quoinchelin, 12. (Quolibet, i32, i33, 172.

Régis (Jean), 60, 6r, 66. Renversement des motifs, i5i,

l52.

Reulx (Anselme de), 139.

Robert de Clèves, 29.

Roi des ménestriers, 17.

Rote, 9.

Rouelle, alias Rouillé, Rouilly

(Estienne), 3o, 36-4o. Rouxale, alias Rouxel. 10. Rubebe, 10.

Sauvage (Micbaut), dit le Lu- tin, 36-38.

Schalk, m.

Sébastian©, 148.

Seienches, alias Selesses (Ja- cob), 104.

INDEX ALPHABETIQUE

249

Simon, alias Simonet (Jehan).

8-10. Sohier, v. Fede.

Tabouriit, 7.

Ténèbres (office de), 234, 235.

Thibaut de Courville, 207, 208,

212-214. Thomas de Hedincourt, 8. Tincloris, 26, 35, 47, 72. 73. Tomelin, 8, y. Transcriptions instrumenta les

de chansons, 143-146. Trompe, 6. Trompette, 6, 7, 41, i56.

Vaillant (Jean), III.

io5, 106, 1 10,

Vanot (Jehan), 3o. Vauthier, v. Gauthier. Vento (Ivo de), iSg. Verbonnet, 56, fio. Verdelot, 123. 128, 129, 142. Verjust, 56, 60. Vie le, vielle, 10. Yielz, V. Le Vieiz. Vielz-Moustier (J. de), 29.

Werbecke (Gaspar van), 56,

60. Wolkenstein (Oswald von),

io5, 106. Wyssenbach (R.), 144,

Yolin, 12.

Zacharias (Nie.) 112, ii4, ii5, 172.

TABLE DES MATIÈRES

pages

Les musiciens de Philippe le Hardi 3

Jean de Ogkeghem, maître de la chapelle des rois

Charles VII et Louis XI 21

Essai sur les origines de la musique descriptive. . 83

Jacques Mauduit 199

Index alphabétique 244

EVREDX, IMPRIMERIE CH. HERISSEY, PAUL HERISSEY, SUCO

Sfe

m.mh

3 5002 00143 8832

Brenel, Michel

Musique et musiciens de la

^ ^vu.^ -B7

Bobillier, Marie! 1858 191S.

LiSique e-t musiciene de 1 iellle France

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MUSIC MB!

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