M 9.i^o:5- FORTHE PEOPLE FOK EDVCATION FOR SCIENCE LIBRARY OF THE AMERICAN MUSEUM OF NATURAL HISTORY v> Ck.v^ 3 3r-W^l8-3 - ^"^ A. RICHARD. Au repos. 7 sept. 1916. A. RICHARD. Debout, les pattes superi)osées. CANARD JIILOLIX 7 sept. 19ir,. N° 18 ^^""^^^^^m FEVRIER 1917 ^"^ NOS OISEAUX BULLETIN DE LÀ SOCIETE ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LA PROTECTION DES OISEAUX Etudes ornithologiques. Le canard milouin. d'après des observations faites in vivo. Le sujet de cette étude fut recueilli le l^^" septembre 1916 au bord du lac de Neuchâtel, à 50 mètres environ de la rive, dans la réserve du Seeland, Je le surpris à terre, sur le remblai d'un petit fossé, où il était allé se ravitailler pédestrement à la nuit tombante, et réussis à m'en emparer dans l'impuissance où il était de se mettre à l'essor. En examinant quelle pouvait être la cause de cette incapacité, je constatai à l'aile droite une frac- ture de l'humérus, déjà ancienne, et actuellement guérie, mais guérie de telle sorte qu'il en était résulté une atrophie de l'aile : l'oiseau ne parvenait pas à la déployer complètement. De là rupture d'équflibre, au moment de l'envol, et chute lamentable après un effort désespéré vers l'azur. En rapprochant mentale- ment l'état du blessé des lieux où je l'avais trouvé, je me rappelai soudain que cinq mois auparavant des braconniers avaient sévi pendant près d'une semaine dans ces parages, et y avaient massacré, estropié et capturé impunément nombre de canards, jusqu'à ce qu'ils furent capturés à leur tour par le gendarme préposé à la garde de la réserve. Celui-ci m'avertit en même temps qu'une quantité de volatiles blessés étaient res- tés sur le terrain et s'étaient réfugiés dans les fourrés impéné- trables des roseaux. L'oiseau que la chance avait fait tomber entre mes mains n'était autre, sans aucun doute, qu'un de ces blessés, empêché d'émigrer par sa blessure, et resté dans la ré- serve, durant l'été, pour y achever sa guérison. 114 — Identité. Il s'agissait avant tout de déterminer l'espèce à laquelle appar- tenait mon captif. C'était un canard brun, d'un brun variant du marron au roussâtre et qui, à certains endroits passait au brun foncé, comme au vertex et dans la région anale, tandis qu'à d'autres, il pâlissait jusqu'à devenir presque jaune comme sur les joues, ou tournait même au blanc, comme aux côtés de la poitrine. Bec noir, d'un noir de cirage mat, uniforme. Iris brun. Les pattes largement palmées désignaient un canard plongeur ou fuligule. D'un noir plus clair que celui du bec aux palmures, elles sont verdâtres sur le côté des doigts. Mais ce qui me fît reconnaître ce canard pour ce qu'il est réellement, c'est à dire pour un milouin (Fuligula ferina L.), ce sont ses ailes. Il y règne en effet un certain cendré brunâtre, infiniment délicat, qui tranche sur le reste du plumage, tout en étant en parfaite har- monie avec lui, et qui se retrouve dans les difïérentes livrées dont cette espèce se revêt, suivant l'âge, le sexe, ou la saison. D'après les caractères généraux je me trouve donc en présence d'un milouin; à des signes particuliers, comme la couleur de l'iris et du bec, je reconnais un jeune de l'an passé, je ne sais trop si je dois dire mâle ou femelle. Toilette. Rentré chez moi j'ai mis à la disposition de mon hôte un petit bassin, en plein air, tandis que je lui assigne pour y passer la nuit une pièce assez grande, où il est à l'abri des rôdeurs noc- turnes. Chaque matin, après l'avoir accompagné de la dite pièce à son étang en miniature, trajet qu'il accomplit par ses propres moyens et sans se faire prier, je passe en sa société quelques instants des plus intéressants et des plus instructifs. Il y aurait beaucoup à dire sur son caractère, sur ses aptitudes physiques, sur son intelligence qui se révèle dans un œil petit, mais vif, et où se lit en particulier une vigilance, une attention de tous les instants. Je suis obligé d'abréger et je ne décrirai pour l'heure que la façon dont mon canard procède à sa toilette. Je passe même sur le bain auquel, en canard qui pratique d'instinct les 115 lois de l'hygiène, il ne manque pas de se livrer tous les jours avec bonheur, signe de santé chez un oiseau captif, et je le prends, non pas au saut du lit, mais au saut du bain, c'est-à-dire au moment où, ses ablutions terminées, il s'élance d'un bond hors de l'eau, sur la planche qui lui sert à escalader son bassin. Son premier soin est d'enlever le trop d'eau dont sa poitrine est imprégnée. Pour ce faire, il la laboure vigoureusement de son bec, avec un bruit de râpe, et, de temps à autre, s'interrompt pour lancer l'eau recueillie entre ses mandibules, d'une secousse éner- gique de droite et de gauche, aux quatre points cardinaux. Puis il passe successivement en revue toutes les parties de son indi- vidu, toujours au moyen du bec, qui est son unique mais très efficace instrument de toilette. Les ailes, surtout l'aile infirme, sont l'objet d'une attention toute spéciale : les grandes rémiges, chacune individuellement, sont passées au fil du bec, comme au laminoir; il pince leur tige avec un craquement perceptible, il exerce sur elles des tractions, des pressions, sorte de massage énergique, qui fait place peu à peu à des mouvements plus sub- tils, à mesure qu'il s'approche des petites couvertures, plumes menues, délicates, qui ne supporteraient pas le même traite- ment, et dont quelques-unes, à l'aile malade, paraissent attirer toute sa sollicitude et lui donner même du souci : il s'y arrête longuement, les mordille, les étire, comme s'il voulait les encou- rager à se développer. A noter ici que toutes les parties de son corps, à part le cou et la tête, sont à la portée de son bec. Il atteint même, non sans effort et en repliant son cou sur lui-même, les petites plumes qui sont au bas de celui-ci, mais là, au tour de cou, se trouve la limite précise du champ d'action du bec. Que fera notre oiseau pour exercer sur les plumes inaccessibles du cou et de la tête l'ac- tion mécanique qui paraît indispensable à leur hygiène ? — Des gestes très simples que je lui vois répéter tous les jours : il se frottera les joues sur les épaules et tordra si bien son long cou, doué de la souplesse d'un serpent, qu'il mettra le vertex en contact avec le dos, et même, si j'ai bien vu, avec cette petite glande, chargée de graisse, qui se trouve chez 116 — "<=.: if^^ tous les oiseaux à la racine de la queue et qu'on appelle la glande adipeuse. Mais cela même, la plupart du temps, ne serait pas nécessaire pour lubréfier les plumes qui sont hors d'atteinte du bec : il peut en effet parvenir aux mêmes fins.... par procuration..., si je puis dire, en graissant d'abord soigneusement les plumes du dos et des épaules et en s'y frottant ensuite le cou et la tête. Voilà la façon dont il a résolu le pro- blème. Cependant on le voit parfois se servir de sa patte, et du bout de l'on- gle se gratter délicatement l'occiput, comme certains humains devant un cas embarrassant. Ce geste toutefois ne rentre dans le chapitre toilette, que si l'on considère comme tel l'acte qui consiste à mettre à la raison un parasite trop turbulent. Régime. Si la façon dont mon pensionnaire ailé veille à son hygiène personnelle est intéressante à observer, j'ajoute cependant une importance plus grande à la question de son alimentation. Ici je procéderai par ordre et j'examinerai successivement les diffé- rents essais que je fis et le succès que j'en obtins. Auparavant je note qu'à l'arrivée le sujet de ces expériences pesait 600 gram- mes exactement. Pain. Après divers tâtonnements (pommes de terre, orge, gruaux bouillis) je présente à mon hôte du pain trempé, réduit en menus morceaux. L'avidité avec laquelle il se jette sur ce mets, après avoir refusé les autres, me prouve qu'indubitable- ment il le connaît déjà, et je ne puis me défendre de l'impression qu'il a fréquenté la rade de Genève, où ses congénères hivernent depuis plus de trente ans, ou quelque autre port, et que c'est là qu'il a appris à apprécier les qualités nutritives de cet antique et universel aliment. Pendant la 1^"^ quinzaine ce fut son unique - 117 — nourriture. Il en consommait 80 à 100 grammes par jour (pesé à sec et rassis). A ce régime et au bout de neuf jours son poids, mesuré après le jeûne de la nuit, était monté à 644 grammes. Lentilles d'eau (Lemna minor L.). Ce végétal dont le petit disque vert clair se multiplie à tel point à la surface des fossés et des mares qu'il en rend l'eau invisible, est très recherché du canard sauvage, ce qui lui a valu en allemand le nom de Enten- griin ^ J'en recouvris le baquet de mon oiseau sans qu'il parût d'abord y faire aucune attention. Toutefois je remarquai que ce tapis vert diminuait insensiblement et finissait par disparaî- tre tout à fait. Et en y regardant de plus près, voici ce que j'ob- servai. Tout en nageant mon milouin promenait son bec à la surface de l'eau, battant des mandibules à petits coups précipités, en ayant l'air de boire, mais je vis l'eau jaillir en deux jets continus, au coin du bec, tandis que les lentilles étaient entraînées par aspira- tion dans cet organe, d'où elles ne ressortaient pas. Je crois donc pouvoir affirmer que le milouin mange les lentilles d'eau, mais la façon dont il s'y prend est telle qu'on a quelque peine à le cons- tater. Poissons. Son manège en présence d'une vingtaine de tout petits poissons (2 à 3 cm.), que j'ai ramassés péris sur la vase, et que je lui ai rapportés du lac est plus concluant. Il les pique un à un comme une poule piquerait des grains de blé, et en un instant ils ont disparu. Ce que voyant je lui fais le sacrifice de deux petites tanches vivantes (5 V2 cm.) qui peuplent mon aquarium. Il s'en empare vivement, et, après les avoir pincées deux ou trois fois, les avale la tête la première à la façon des grèbes. Par contre une perchette de 10 cm. est déjà trop grosse pour lui : il la triture et la mâchonne pendant plus de 10 minu- tes, et finit par la couper en trois tronçons, qu'il avale séparé- ment. Une autre de 23 cm. est attaquée, becquetée, retournée, puis abandonnée comme inutilisable. ' Verdiore des canards. — 118 — Grenouilles. Son goût pour les grenouilles est moins évident ; mais il s'y fait bientôt, à con- dition qu'elles ne dépassent pas quatre centimètres. Je lui ai offert en pâture un petit cra- paud, des grenouilles rousses et vertes de 3 à 4 cm. qui ont toutes été avalées après la tritura- tion de rigueur. Mollusques. J'eus l'idée de rendre momentanément mon pri- sonnier à la liberté, en le reportant sur le petit fossé où je l'avais trouvé, pour qu'il m'enseignât lui-même quelle était sa nourri- ture préférée. Sitôt sur l'eau, peu profonde, il y plongea la tête de toute la longueur du cou, la queue pointant vers les nuages, et se mit à déployer une activité de bon augure. Malheureuse- ment l'eau se troubla complètement et je ne pus voir ce qui se passait dans les profondeurs. De temps à autre toutefois il reti- rait de la vase, pour les amener à la surface, de petits corps durs, gros comme des grains de café, qu'il brisait entre ses man- dibules. Sur ce j'allai fouiller l'eau à l'endroit où je l'avais vu opérer et j'y découvris parmi les plantes aquatiques toute une population de petits mollusques, limnées des étangs, des marais, et auriculaires. J'en fis aussitôt une ample récolte, j'y joignis les espèces habitant le lac, depuis les plus grandes jusqu'aux plus petites, dans le but de continuer chez moi les expériences com- mencées en plein air. Et voici avec quels résultats. Mon oiseau venait à bout des petits mollusques, tels que la limnée des étangs (Limnaea stagnalis L.), celle des marais (L. palustris Miill), l'anodonte jeune (Anodonta anatina L.), pourvu que leur taille ne dépassât pas 3 cm. de long. Avec 22 mm. d'ouverture une lim- née auriculaire (L. auricularia L.) résistait déjà à la pression de ses mandibules. Je le vis retirer de la vase de petites anodontes de 5 cm. de long, qu'il rejetait ensuite comme trop dures pour son bec. Là-dessus je les lui ouvris moi-même et il s'en délecta. Ayant de cette façon découvert un excellent moyen de varier ses menus, j'y fis figurer dès lors des anodontes crues ou bouillies, des unios, des limnées des étangs, qui atteignent au bord du lac des dimensions respectables, en ayant soin de les ouvrir et de les couper en morceaux, lorsqu'il s'agissait des plus gros exem- — 119 — plaires, ou simplement d'en briser la coquille, pour ceux de moin- dre volume. Je répandis en outre dans son bassin quantité de petits coquillages, d'une taille inférieure à 3 cm., qu'il prenait plaisir à pêcher lui-même parmi la vase et les plantes aquatiques, et qu'il écrasait dans son bec, comme dans un casse-noisette. Une remarque finale. Les aliments qui constituent le régime du milouin, tel que je viens de le décrire, se trouvent répandus en abondance dans la réserve du Seeland, où j'ai recueilli, le l^'" septembre 1916, le représentant de cette espèce dont il vient d'être question. Or en 1914 déjà, le 5 septembre, j'avais observé, au même endroit, un canard brun, qui ne pouvait être qu'un milouin. Toutefois je mis cette observation en quarantaine, croyant que le milouin ne nichait pas chez nous ^ et attendant que le fait se confirmât. L'année suivante déjà, le 25 août 1915, j'eus le plaisir de voir, toujours au même endroit, un milouin mâle, en plumage de noces, qui ne peut être confondu avec celui d'aucun autre canard. Le même jour et non loin de là, un jeune de l'espèce. Ces trois canards étaient parfaitement sains et me firent voir, lorsque je tentai de les aborder de trop près, qu'ils volaient admirablement bien. Leur présence en été et en parfaite santé dans ces lieux permet de supposer qu'ils y ont niché, supposition d'autant plus plausible, qu'ils y trouvent tout ce qu'il leur faut pour leur sub- sistance, comme on vient de le voir. En outre les conditions que ces oiseaux recherchent, pour la nidification y sont également réalisées. S'il se confirme, un résultat pareil, je veux dire celui d'avoir retenu une nouvelle espèce, en général migratrice, dans la réserve, un an après sa fondation, est de nature à nous encou- rager et avec nous tous ceux qui secondent les efforts que fait notre société pour conserver et enrichir notre belle faune orni- thologique. Alf. Richard. ^ Fatio ignore les nichées du milouin en Suisse. Il en est de même du Catalogue de 1892. D'après la Liste distributive 1915, ce canard niche siu- le Bodan et les cours d'eau de l'ouest, surtout dans le Jura. — 120 — Protection, Les arbres nourriciers. Cette année les bouvreuils sont venus tôt dans la plaine (le 29 octobre à Champ-Bougin), y sont encore à l'heure actuelle (13 février) et s'y sont montrés en bandes particulièrement nom- breuses. J'ai énuméré ici même les espèces d'oiseaux auxquelles les graines de l'aulne servent de nourriture en hiver; il faut y ajouter le bouvreuil. Le 9 décembre 1916, en effet, j'ai observé, près de Cudrefin, cinq de ces oiseaux perchés dans un aulne et occupés à consommer sur place les semences de cet arbuste, après les avoir extraites des petits cônes où elles sont cachées. Lorsque je fis la connaissance du bouvreuil, dans mes années d'école, ce n'est pas sur des aulnes toutefois que je l'observai, mais sur des frênes, et cela tous les hivers. Le fruit de cet arbre (voir fig. 1) est une samare allongée, épaissie à l'une de ses extrémités en une petite amande de forme oblongue et de saveur amère, qui fait les délices du bouvreuil. Beaucoup plus tard, j'eus l'occasion de 1. constater l'attrait qu'exerçait sur le même oiseau un ^^^^^- autre arbre, l'érable plane (Acer platanoïdes L.), dont le fruit est également une samare, mais une samare double, à aile beaucoup plus grande et à graine plate (voir fig. 2). Lorsque le bouvreuil, immobile sur une branche, tient dans son bec cette samare à aile recourbée, la tourne et la retourne jus- qu'à ce qu'il ait trouvé le joint par où fendre 2 Erable lane l'eiiveloppe et pénétrer jusqu'à la graine, il a l'air de fumer sa pipe. — ■ Le quai de Champ- Bougin est bordé d'érables de deux espèces; le plane que je viens de nommer y domine, mais ici et là quelques exemplaires d'une autre espèce, l'érable sycomore (Acer pseudo-platanus L.) se sont faufilés dans le rang. Jusqu'à cet hiver, je croyais, d'après * Voir Nos Oiseaux, Tome I, pages 165-169 : L'Aulne. Son rôle dans 1,'existence de certains oiseaux en hiver. — 121 — des expériences faites sur des bouvreuils en cage et aussi en plein air, que ces oiseaux n'aimaient pas le fruit du sycomore (fig. 3). J'ai dû me convaincre du contraire : les bandes de bouvreuils qui ont séjourné aux abords de notre quai durant tout l'hiver (j'en ai compté parfois 20 à 25 dans un seul arbre) ont non seulement dépouillé de leurs fruits tous les planes, mais aussi, quoique peut- être avec un moindre empressement, tous les sj'co- mores. — Alors que la neige ensevelit sous un même linceul les cadavres des insectes et des plantes, ali- ment des petits oiseaux, les arbres nourriciers, se dressant bien haut au-dessus de la plaine morte, offrent aux habitants de l'air, de toutes leurs branches tendues vers eux, la nourriture que le sol leur refuse. A. R, Sycomore. Moyens de protection. Un nid artificiel. Il est reconnu que les oi- seaux qui utilisent les trous des arbres pour y nicher sont au premier rang des insecti- vores utiles; aussi les nids artificiels, qui tiennent lieu d'arbres creux, sont -ils un des moyens de repeuplement les plus nécessaires, en même temps que les plus puissants. C'est pour cela que sur l'ai- mable invitation du rédac- teur du Bulletin, je me per- mets de donner ici quelques détails sur le modèle que j'ai présenté à l'Assemblée géné- rale de la Société, le 27 mai dernier, à Neuchâtel. Dans la confection de ce nichoir je me suis appliqué Nid Burnat en place. 122 à remplir les conditions suivantes, en tenant compte de mes expé- riences déjà longues. 10 solidité et durée. 2° imperméabilité. 3^ suspension solide et simple. 4° inspection intérieure facile. Les dessins et les clichés qui accompagnent cet article me dispense- ront d'entrer dans de longs détails. — Les deux modèles représentés PI. I ^ sont proportionnés à la taille des oiseaux. Une échelle permet de prendre des mesures. Ces nichoirs, que j'utilise depuis deux ans, sont en pitchpin à cause de la dureté de ce bois, mais rien n'empêcherait de les faire en sapin et de les peindre en couleur à l'huile. La couver- ture en métal (zinc), que j'estime indispensable, sera faite avec soin. Les côtés de la caisse sont non seulement cloués, mais assemblés. La planche 2^ a pour but de faire bien comprendre deux points impor- tants, soit la manière dont peut se faire l'inspection du nichoir, soit son mode de suspension au tronc d'arbre qui le recevra. Ainsi que le montre la figure, le fond du nichoir, qui est mobile, bute tout autour contre une légère battue pratiquée à l'intérieur de la caisse. Il est ensuite maintenu en son milieu par une tringle qui passe par l'anneau du piton fixé au centre du dit fond. Quant à la mise en place du nichoir, elle se fait à l'aide de deux pitons à l'équerre. On aura soin, en le fixant contre le tronc d'un arbre, d'intercaler un bouchon d'une épaisseur suffisante, afin d'éviter les inconvénients qui pourraient résulter de la croissance de l'arbre, tels que la rupture du piton qui entraînerait la chute du nichoir. Comme pitons j'emploie ceux à vis et non à pointe à cause de la facilité de leur extraction lors de l'inspection. Les indications qui précèdent seront sans doute suffisantes pour les personnes désireuses de faire l'essai de ce nouveau modèle qui depuis que je l'emploie m'a donné entière satisfaction. Sur les douze exemplaires que j'ai placés chez moi, soit en ville, soit à la campagne, en 1916, huit ont été occupés par des mésanges, des gobe-mouches à collier, des sittelles, un pic épeiche et des étourneaux. Les souris rouges ne les ont pas visités comme elles l'avaient fait pour d'autres modèles, ce que j'attribue à la dureté du pitchpin dont la surface est glissante. A qui s'étonnerait de ce que je donne la préférence aux nichoirs verticaux, je répondrai que, leur but étant de remédier à la rareté des trous des arbres, ceux-ci ont tous cette direction. En outre, où se trouvent des moineaux, près des villes surtout, ces indésirables pillards ne manqueront pas de s'em- ' Voir en dernière page. — 123 Nid de mésange charbonnière extrait à l'automne d'un nichoir Burnat. parer des nichoirs horizontaux, leurs ongles ne leur permettant pas de sortir des autres. L'un des clichés qui accompagnent cet article représente un nichoir fixé contre un prunier à 3 m. 50 du sol et exposé à l'est comme il con- vient. L'autre cliché est celui du nid de mésanges charbonnières qui en a été retiré en automne. L'épaisseur de celui-ci est de 7 centimètres sur les bords. On ne peut voir couche plus douillette; sur son matelas de mousse bien serrée se trouve le nid formé presque uniquement de poils de lapins. Je termine ici la description et j'ose espérer que les lecteurs qui feront l'essai de mon modèle ^ y reconnaîtront quelques avantages et éprou- veront le même intérêt que moi à en faire l'inspection chaque automne. Vevey, janvier 1917. Ernest Burnat. 1 D'après les indications données chacun peut confectionner ou faire confection- ner ce modèle. Si on le désire tout fait, s'adresser à Jules Guyot, menuisier, La Tour de Peilz. Prix actuel du nid en pitchpin et recouvert de zinc : fr. 4. (Réd.) 124 Oie rieuse. (Reproduction d'après nature de l'individu tué le 24 octobre 1916 dans le Seeland fribourgeois) '. Calendrier ornithologique. Oie rieuse (Anser albifrons Bechst.) 24 octobre 1916. Une oie rieuse ou à front blanc est tuée à cette date dans le Grand Marais, non loin de Belle-Chasse par un chasseur du Vully. Voici les détails que ce dernier me communique à ce sujet : «J'ai tiré cette oie vers les 9 heures du matin; elle pâturait dans un champ ensemencé de blé; elle était seule. J'ai pu l'approcher à environ 50 mètres. » Notons que la victime du nemrod fribourgeois ne devait pas avoir pâturé bien longtemps, car à l'examen, son esto- mac se trouva vide ou du moins ne contenait-il qu'un peu de sable. ' A comparer avec l'oie des moissons figurée à la page 187 du N° 10, et l'oie cen- drée, page 62 du N° 14 de Nos Oiseaux, toutes trois tuées dans la région du Seeland. — 125 — Dans le ventricule par contre quelques débris végétaux d'un vert pâle, méconnaissables. Un chyle grisâtre ou noirâtre gonflait par places l'intestin très long. Voici d'autre part son signalement orni- thométrique : Poids : 1 kg. 730 gr. Longueur : 67 cm. Médian avec ongle : 72 mm. Envergure : 1 m. 15. Ongle : 11 mm. Aile pliée : 40 cm. Espace blanc au front : 27 mm. Bec au front : 47 mm. Espace blajac sur le côté : 12 mm. A la commissure : 52 mm. » à la commissure : Nul. Hauteur à la base : : 28 mm. » sous le bec : 27 mm. Tarse (devant) : 60 mm. D'après l'abondance du noir à la poitrine et l'étendue des espaces blancs autour du bec, il s'agit d'un mâle adulte. Le 26 octobre, lorsque je reçus cet oiseau, le bec était couleur de chair ou rose pâle, les pattes orange. La poitrine et le ventre, qui sont blancs, sont parsemés irré- gulièrement d'une vingtaine de grandes taches noires, transversales, plus ou moins reliées les unes aux autres. Les ailes pliées dépassent légèrement le bout de la queue. A. R. Note. L'oie rieuse (Anser albifrons Bechst.), rare en Suisse, de même que l'oie naine (Anser erythropus L.), semblable comme livrée, mais plus petite que la première, et plus rare encore ^, ne se montre dans notre pays qu'au passage et irrégulièremesit. Son habitat se trouve au delà du cercle arctique, et tandis que l'oie naine niche abondam- ment déjà à l'extrême nord de l'Europe, en Laponie (de là le nom de Anser finmarchicus qui lui fut donné par un auteur), l'oie rieuse se rencontre au Groenland, suivant Salvadori entre le 66"ie et le 68™® et demi degré de latitude nord, et a été trouvée nichant à la Nouvelle Zemble (Smirnow), à l'embouchure du Jénisséi (Popham) et dans la presqu'île de Taimyr, jusqu'à la haute latitude de 74^ (Middendorf). Là où les deux espèces cohabitent, comme sur les deux derniers points mentionnés, on les distingue à leur taille et paraît-il à leur cri, qui leur a valu chez les indigènes des noms difïérents. A. R. Vanneau huppé (Vanellus cristalus L.) 24-26 octobre. Nous avons eu du 24 au 26 octobre un passage très important de vanneaux huppés. Le gros de la troupe a passé dans les Franches-Montagnes. (Renan J. b.) W. ROSSELET. ' Pour trois albifrons provenant de la région de Neuchâtel que renferme notre musée, il ne s'y trouve qu'une erythrojnis (tuée en février 1851 sur le lac de Morat, citée par Fatio à la page 1282 du Volume II des Vertébrés de la Suisse.) — 126 — 2 novembre. Les premiers jours de novembre paraissent être pour le Seeland ceux du passage principal des vanneaux. L'an passé j'en dénombrai un millier le 4 novembre, cette année 600, le 2 novembre. A. R. 6 décembre. Beau vol de 70 vanneaux dans la réserve. Je n'en ai jamais vu autant aussi tard. A. R. 7 janvier. J'ai été fort surpris d'apercevoir 3 vanneaux dans le marais d'Orbe aujourd'hui 7 janvier. A. Ramelet. 13 janvier. Un vanneau solitaire observé dans la réserve. A. R. Effarvatte (Acrocephalus arundinaceus Gm.). 25 octobre. 3 ou 4 efïarvattes dans les roseaux de la réserve. A. R. 3 novembre. Encore une efîarvatte au même endroit. C'est pour moi, en ce qui concerne cet oiseau, la date d'observation la plus tardive, jusqu'ici. A. R. Marouette { Galliniila porzana L.). 3 novembre. J'ai pu observer tout l'automne, à découvert, aux abords des roseaux de la réserve, et grâce à la paix qui y règne, les allées et venues de la mignonne marouette, aux furtives allures : aujour- d'hui ce fut pour la dernière fois. A. R. Cigogne (Ciconia alha L.). 24 novembre. Une troupe de 10 cigognes est signalée à cette date dans les marais d'Onnens et de Champagne (Vaud). A. R. Pouillot véloce (Phylloscopus rufus Bechst.). 25 novembre. Quelques pouillots errent encore dans les roseaux de la réserve. A. R. 6 décembre. J'ai eu aujourd'hui le spectacle curieux d'un pouillot sautillant sur la neige, au bord du lac. Réserve. A. R. 3 janvier. Guidé par son cri, je découvre un pouillot véloce, parmi les arbres du quai Lochmann, à Morges, près de l'église. Désormais je puis dire que j'ai vu ce petit oiseau chez nous dans tous les mois de l'année. A. R. Hibou moyen-duc (Asio otus L.). 27 novembre. J'ai observé aujourd'hui dans un petit bouquet de pins, au bord du lac, près d'Yvonand, 8 à 10 moyens-ducs. D'^ Garin. Bécassine ( Gallinago gallinago L.). 6 décembre. Aperçu la dernière bécassine de l'année dans la réserve à cette date. A. R. 7 janvier. J'ai fait lever, dans les marais d'Orbe, aujourd'hui 7 jan- vier, 4 bécassines. A. Ramelet. Héron cendré (Ardea cinerea L.). 16 décembre. Un héron cendré hiverne dans la réserve. A. R. — 127 — 3 janvier. Observé le héron cendré de la réserve au bord de la Broyé. BURXIER. Tichodrome (Tichodroma muraria L.). 19-21 décembre. J'observe un tichodrome contre le bâtiment des Bains du Crêt, à Neuchâtel. Ch. Corxaz, Décembre. Remarqué en décembre et à cinq reprises différentes un tichodrome, aux Clées, contre un rocher, un autre à l'Ile, contre le mur d'une maison; enfin deux aux Clées contre un rocher. R. Sermon D. Chant du merle. 27 décembre. Entendu de ma fenêtre le chant du merle, fait curieux, vu la date. D^ Narbel. Butor (Botaunis stellaris L.). 6 janvier. Un butor hiverne dans les mêmes parages que le héron cendré. Je l'ai surpris aujourd'hui, à découvert, dans un champ envahi par les hautes eaux. A. R. Venturon (Cilrinella alpina Scop.). 23 janvier. Je n'ai pas été peu étonné de rencontrer ce joli petit oiseau alpin sur le quai de Champ-Bougin, cherchant pâture aux endroits où la neige n'a pas eu accès ou n'a pu prendre pied. A. R. Harie piette (Mergellus albellus L.). 7 février. La réserve aquatique du Seeland est sous la glace. Les pal- mipèdes se réfugient en foule sur les canaux adjacents de la Thièle et de la Broyé, libres de glace. Observé sur la Broyé un couple de harles piettes, mâle et femelle, à une faible distance et sur la berge deux superbes renards, lesquels, dissimulés dans une touffe de roseaux secs, surveillaient d'une manière moins désintéressée que la mienne, les ébats de la gent aquatique. A. R. Bibliographie. Eugène Rambert ei Paul Robert. — Les Oiseaux dans la nature. 50 monographies d'oiseaux utiles, illustrées en couleurs par L.-P. Robert. Il s'agit d'une œuvre, parue il y a 36 ans, que ceux qui vivaient alors ont saluée avec joie et qu'ils voient revenir avec non moins de plaisir, habillée de neuf par les éditeurs, rajeunie et transformée par le travail du peintre, et toujours belle par celui du littérateur, dont la part a résisté à l'effet des ans. Plus accessible à chacun par le prix, plus aisée à manier grâce à son format, elle est destinée à circuler, à se répandre ; c'est là le bonheur que je lui souhaite et qu'elle mérite. L'ouvrage dont je parle est issu de l'heureuse et féconde collabora- — 128 — tion d'un écrivain et d'un artiste de chez nous. Le premier fut mon maître et je m'honore de l'amitié du second ; de plus j'aime ce qu'ils aiment et j'admire ce qu'ils admirent ; aussi est-ce pour moi une réelle satisfaction de rendre ici un modeste hommage à leur œuvre, dont on a pu dire qu'elle était elle-même un hommage à l'œuvre divine. Qu'en parcourant ce beau volume on étudie l'écrivain ou qu'on s'attache aux productions du peintre, on ne tarde pas à s'apercevoir d'une chose, c'est que tous deux ont puisé leur inspiration à la même source, à celle de la nature. Une même fée, celle qui habite les champs et les bois, celle qui hante sur les pâturages du Jura ou sur les sommets des Alpes, leur a murmuré à l'oreille des choses ineffables, de ces choses qu'elle ne révèle qu'à ceux qu'elle en juge dignes. Objets d'une même révélation, ils étaient faits pour se comprendre. Considérez, par exem- ple, le petit tableau consacré à la grive musicienne, une de mes favo- rites parmi ces 50 illustrations en couleurs, parce qu'elle représente un des moments les plus poétiques de la vie de l'oiseau. Si vous n'avez pas encore eu l'heur de rencontrer la capricieuse et fugitive fée des bois et qu'elle ne vous ait point parlé, lisez l'interprétation de Rambert : « Immobile sur son sapin, la grive a l'œil fixé sur les profondeurs de l'Orient, et de sa gorge qui se gonfle les mélodies coulent à flots Elle entonne l'hymne de la lumière et du réveil de la nature, l'hymne de l'aurore et du printemps. L'allégresse dilate ce petit cœur d'oiseau. Rien n'est trop grand pour lui. La grive chante comme si elle voulait embrasser l'univers et associer à la fête de ses noces la création et le Créateur.)) Avez-vous compris et avez-vous senti du même coup l'accord secret qui existe entre les deux auteurs ? En relisant ce passage qui résonne dans mon âme comme une belle mélodie, je me rappelle involontaire- ment un autre passage, de cent ans plus vieux, d'un auteur romand également, et qui commence ainsi : « La seizième et dernière soirée que nous passâmes au Col du Géant fut d'une becmté ravissante))....^ C'est la même gravité dans l'émotion, c'est la même vibration de l'être tout entier en face de la beauté mystérieuse et éternelle de la nature. A l'heure actuelle on nous répète à satiété et avec raison : «Soyons de chez nous.» Oui, soyons de chez nous, en honorant, en sachant apprécier à leur valeur les auteurs qui ont gardé pour nous leurs forces et leurs talents et n'ont point été chercher la gloire ou l'i .spiration au delà de nos frontières. J'irai même plus loin et je voudrais que, de même qu'on a pu appeler le livre de Tschudi la Bible des Alpes, l'ou- vrage d'Eugène Rambert et de Paul Robert devînt pour nos familles romandes la Bible des Oiseaux, au contact et à l'étude de laquelle se forme une nouvelle génération, plus intelligente que l'ancienne, du rôle et de la poésie de ces êtres qui sont « une des parties les plus bril- lantes de la Création. » A. R. ' H.-B. de Saussure. Voyages dans les Alpes, pages 278 et 279. NIDS ARTIFICIELS. pL.I I L I t I 1 I I J I f O B 0 1- A'/ 3 w /" '■i eZc , /o' zy ZtZ Ml) BUUXAT : FACES, COTÉ ET PKOFIL EX TRAVERS c S3 -0 r 33 nov. 1916. CANARI) SIFFLEUR HUPPE Mule adulte, en plumage de noces, tué le 18 novembre sur le lac de Morat. N«» 19 et 20 ^==^^^^r MAI 1917 NOS OISEAUX BULLETIN DE LÀ SOCIÉTÉ ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LA PROTECTION DES OISEAUX Etudes ornithologiques Le canard siffleur huppé. C'est dans la nuit du 17 au 18 novembre (1916) que tomba la première neige au bord de notre lac, et j'eus à cette occasion, une fois de plus, la preuve que certains phénomènes météorolo- giques ont une répercussion immédiate sur les déplacements des habitants de l'air. L'après-midi du 18 je me trouvai dans la Réserve, et bien qu'elle présentât l'aspect désolé d'un paysage polaire, j'y fus témoin d'un spectacle plein d'animation, auquel je ne m'attendais guère à cette saison. Aux endroits où la masse sombre d'îlots de vase et de sable émergeait de la blancheur des neiges, ou crevait la mince croûte de glace récemment for- mée, des vanneaux (il y en avait 9 en tout), des bécasseaux va- riables au plumage d'hiver (ils étaient cinq), des spioncelles et des farlouses en grand nombre voletaient, s'agitaient, tourbil- lonnant avec de petits cris aigus dans la brume froide et triste de novembre, tandis qu'une bécassine, dont la livrée brune, rayée de jaune, présentait un étonnant et savoureux contraste avec le blanc éclatant de la neige, sondait gravement et métho- diquement de son bec démesuré les profondeurs molles de la vase. Au même moment, comme je l'appris plus tard, des centaines, des milliers de palmipèdes, réfugiés sur le lac de Morat, en rai- son du même phénomène, y attiraient les chasseurs à leur suite, malgré le temps défavorable. Et quelques jours plus tard je rece- vais l'avis qu'on avait tué, sur le plus petit de nos trois lacs seelandais, une curieuse sarcelle, que personne ne connaissait — 130 — et qu'on tenait à ma disposition, vu sa grande rareté. Cette soi- disant sarcelle était un canard sifîleur huppé (Netta rufina. PalL), mâle adulte, en plumage de noces parfait. * * * Lorsque l'on considère les différents représentants de notre faune, entassés pêle-mêle derrière les vitrines d'un musée, sou- vent plus ou moins décolorés et desséchés, comme sont décolo- rées et desséchées les fleurs d'un herbier, se nuisant les uns aux autres par leur trop grande proximité, et par leur nombre qui déroute et qui lasse, leur beauté passe inaperçue. Au contraire, en présence de l'individu isolé, surtout quand cet individu est tel que celui que j'avais devant moi, frais et intact comme la fleur qui vient d'être cueillie, le spectateur est saisi d'admira- tion, je dirai même d'émotion. Tel fut mon cas du moins. Quelle chose étrange en effet que ce joli bec qu'on dirait fait de fine et fragile porcelaine, d'un rouge clair tout uni, que les auteurs décrivent tantôt comme vermillon, tantôt comme carmin et qui n'est tout à fait ni l'un ni l'autre ! Que cette tête d'un brun teinté de rose sur les joues, de jaune sur une huppe soyeuse et touffue qui la coiffe comme d'un casque ! Que dire surtout de ce justaucorps noir qui emprisonne notre oiseau du milieu du cou jusqu'à la queue, et lui confère quelque chose de la solen- nité que nos coutumes attachent à cette couleur ! Seule une grande tache d'un blanc rosé située sur les flancs, au-dessus des pattes, rompt l'uniformité de ce costume par trop cérémoniel pour un oiseau, tout en faisant paraître le noir plus noir encore qu'il n'est en réalité. En considérant la photographie qui accompagne cet article, mes lecteurs pourront se rendre compte de l'étonnant contraste qu'offre le noir dont je parlais tout à l'heure avec le blanc des flancs, prolongé en deux pointes vers la poitrine et s'étendant sur tout l'intérieur de l'aile. Mais ce que la photographie, hélas! ne rend pas, non plus que les couleurs fondamentales, c'est une teinte infiniment délicate, répandue comme au souffle sur cer- taines parties du corps, rose sur les joues, le miroir, la tache de l'épaule et des flancs, jaune, d'un jaune luisant comme celui de - 131 — la soie ou les pétales de certaines roses, à l'intérieur de l'aile. Naumann a trouvé un terme pour désigner ces reflets aussi exquis que passagers : « couleur d'aurore », dit-il. C'est bien cela, car, comme les lueurs changeantes et fugitives du ciel à l'aube du jour, ces efflorescences délicates, signes de la parfaite santé et de la parfaite beauté chez l'oiseau vivant, ne tardent pas à pâlir et à disparaître tout à fait sur sa triste dépouille. * * * Comme d'habitude, lorsqu'il s'agit d'un volatile peu commun, je me suis adressé au chasseur dont je le tenais pour connaître les circonstances exactes de sa capture. Voici ce qu'il m'écrit à ce propos : a J'ai tiré ce canard, sur le lac de Morat, devant Faoug, samedi 18 novembre, aux environs de 4 heures du soir, par un temps pluvieux, à une distance de 800 à 1000 mètres du bord. Il y avait là une troupe de quelques centaines d'individus; toutefois vu le temps pluvieux et très brumeux, il me serait difficile de dire si tous appartenaient à la même espèce; il est assez probable du moins qu'ils étaient un certain nombre de même espèce, car nous étions deux chasseurs et avons tiré à une grande distance en plein dans la troupe : il n'est resté sur le carreau que deux pièces tout à fait identiques. C'est la première fois qu'il m'ar- rive de tirer ce canard depuis quinze ans environ que je chasse sur le lac de ]\Iorat, et aucun de mes collègues à qui je l'ai fait voir ou aux- quels j'en ai parlé n'en a vu ou tiré de semblable. D'après ce que j'ai pu observer, ces canards n'étaient pas très sauvages et se seraient laissé approcher assez facilement, mais à ce moment le temps n'était pas favorable : il régnait un air de bise assez fort, ce qui gêne tout de suite pour faire l'approche et surtout le tir. Ce même jour il y avait une passe extraordinaire : c'est à quelques milliers que l'on peut évaluer les canards de toutes espèces rassemblés sur le lac, milouins, morillons, petites sarcelles, colverts, et une troupe d'oies de 40 à 50 sujets. Cette forte passe a duré deux ou trois jours et doit être attribuée, à mon avis, à la chute de neige de la nuit du 17.» A quelque temps de là notre dessinateur, en séjour sur les bords du Léman, et auquel j'avais envoyé le sujet de cet article, eut la chance d'observer à son tour un palmipède de même espèce, mais vivant celui-là, dans la baie de Promenthoux, près Nyon. — 132 — C'est le 30 novembre, un peu avant midi, qu'il vit passer au vol un oiseau, dont la ressemblance avec celui c[u'il venait de rece- voir le frappa immédiatement. « Dans l'après-midi, m'écrit-il, je revins à mon poste d'observation, armé d'une jumelle Zeiss et retrouvai mon canard à environ 200 m. du bord. Je l'observai longuement et ne tardai pas à reconnaître tous les caractères du sifïleur huppé mâle : d'abord la silhouette de la tête, presque polygonale, le bec effilé, le corps allongé, la poitrine et le crou- pion noirs, et enfin le carré blanc de l'épaule qui, malgré le brouillard est très visible. La tache blanche des flancs apparaît surtout quand l'oiseau est au repos et émerge suffisamment de l'eau. Je le vois plon- ger et revenir à la surface avec des plantes aquatiques assez difficiles à avaler, semble-t-il. Très craintif il ne s'est pas approché de la rive à moins de 150 mètres et ne s'est jamais mêlé aux autres canards, séjour- nant à ce moment dans la baie de Promenthoux.» Le petit dessin qui accompagnait cette communication et que nous reproduisons ici, montre différentes attitudes du sifïleur huppé, telles que, par une heureuse coïncidence, notre corres- pondant a pu les observer sous Prangins, au moment même où il venait de recevoir et d'étudier cet oiseau rare en chair. Il me reste pour compléter cette étude, quelques mots à dire du canard sifïleur huppé, tué le 18 novembre sur le lac de Morat, et, en général, de l'habitat de l'espèce, ainsi que de ses appari- tions dans notre pays. Le canard de Faoug pesait 1145 gr. A la dissection, l'estomac, extrêmement musculeux, se trouva vide. Je n'y recueillis que des grains de sable blancs, mêlés de quel- ques grains noirs et de petites tiges, renflées au bout de 3 à 8 mm. de long. L'intestin renfermait un chyle rosâtre. Voici d'autre part son signalement ornithométrique : Longueur totale : 53 cm Aile pliée : 25,2 Médian a. o. : 6,7 Ongle : 0,9 133 — Tarse : 41 mm. Bec au frunl : 48 mm. Aux côtés du front : 54 mm. A la commissure : 59 mm. Je remarque que chez le sujet décrit ici les sus-caudales sont nettement verdâtres, ce qui doit être toujours le cas, bien que ce fait paraisse avoir échappé à Fatio et Bailly. Les pattes sont de deux couleurs, d'un rouge particulier le long des doigts et noirâtres aux palmures. Mais la teinte rouge ne tarde pas à dis- paraître et sur l'oiseau empaillé les pattes sont d'un brun noi- râtre uniforme. Le canard sifïleur huppé, ou nette rousse de Fatio, canard rufin de Bailly, est un canard oriental dont l'habitat ne s'étend pas beaucoup au delà de 50° de latitude nord. Sa patrie sont les bords de la mer Caspienne, de la Mer Noire, les pays méditer- ranéens, ainsi que le centre de l'Asie. Venant de l'est il paraît être plus fréquent dans la Suisse orientale que chez nous. Il hivernerait sur les lacs de Constance et de Zurich. Necker en parle comme ayant été tué de son temps à plusieurs reprises devant Morges. Bailly dit qu'il est fort rare en Savoie. Fatio a connaissance de 3 mâles, dont 2 en noces, tués non loin de Ge- nève, ainsi que d'une femelle i. Enfin plus récemment, en 1908, un exemplaire adulte de cette espèce séjourna pendant tout le mois de janvier dans la rade de Genève ^, et pas plus tard que le 31 octobre 1915 un jeune mâle et une jeune femelle furent observés dans cet intéressant refuge. Le 4 novembre le jeune mâle est capturé sur le lac; il est en mue, pèse 1050 gr. et a le tube digestif bourré de charras d'une extrémité à l'autre ^. J'ajoute pour terminer, que le sifïleur huppé nichant çà et là en Allemagne, l'on ne voit pas pourquoi il ne se fixerait pas aussi chez nous, tout comme le milouin, avec lequel il offre plus d'une analogie, si nous lui en donnons les moyens : ces moyens ne sont autres que des endroits appropriés, d'une étendue suffisante où il jouisse d'une sécurité absolue pour s'y reproduire et y élever sa nichée. - Alf. Richard. ' Notre musée possède 4 individus de provenance neuchàteloise. soit 1 mâle hiver (sans date), 1 femelle 1829, 1 femelle novembre 1844, 1 mâle avril 1859. ' Bulletin de la Soc. zoologique de Genève. Tome I, page 395. ^ Bulletin de la Soc. zoologique de Genève. Tome II, page 172-173. — 134 — Une page d'Aristote. 2000 ans pour fixer un point d'histoire naturelle. Si mes lecteurs aiment ce cjui est ancien, très ancien, si comme moi ils goûtent ce charme particulier, indéfinissable, inhérent aux écrits du passé, ils liront avec plaisir l'exposé qui suit, tiré du chap. 29, livre 9, de l'Histoire naturelle des animaux d'Aristote, exposé admirable, où celui qu'on a nommé le prince des philo- sophes, le génie le plus vaste de l'Antiquité, dans les ouvrages duquel « la richesse des détails le dispute à l'harmonie de l'en- semble », examine avec la patience qu'on dit être celle du génie, toutes les hypothèses capables d'expliquer certaines particu- larités étranges des mœurs du coucou. Voici : «Le coucou, ainsi qu'on l'a dit ailleurs, ne fait pas de nid; mais il pond dans le nid d'autres oiseaux, surtout dans celui des ramiers, dans ceux de la fauvette et de l'alouette à terre, et dans le nid de l'oiseau appelé chloris, sur les arbres. Il ne fait qu'un œuf et ne le couve pas lui-même; mais c'est l'oiseau dans le nid duquel il a déposé son œuf qui le fait éclore, et qui nourrit le petit. On ajoute même que, dès que le petit coucou est assez fort, l'oiseau chasse ses propres petits, qui meurent de cette vio- lence. D'autres prétendent que c'est la femelle nourricière du cou- cou qui lui donne à manger ses propres petits, tués par elle, parce que, dit-on, le petit coucou lui paraît si beau, qu'elle dédaigne sa progéniture. Ces faits sont, pour la plupart, attestés par des gens qui les ont vus de leurs propres yeux. Mais si l'on est d'accord sur ces faits-là, on ne l'est pas autant sur la manière dont péris- sent les petits de l'oiseau qui accueille le coucou; les uns disent que c'est le coucou lui-même qui vient manger les petits de l'au- tre oiseau, qui a couvé son œuf; les autres assurent que le petit du coucou, étant de beaucoup le plus gros, accapare avant les autres petits toute la nourriture apportée, de telle façon que les petits meurent de faim; enfin, que le petit du coucou, étant le plus fort, tue ceux avec qui on l'élève ^. » Quelques cents ans plus tard Phne ne fait guère que répéter ' Traduction de B. St-Hilaire. Chap. XX, livre IX. — 135 — ce qu'avait dit Aristote. Des hypothèses du savant grec toutefois, concernant la disparition des occupants légitimes du nid, il n'en retient qu'une, en la précisant et en la présentant comme un fait : c'est le petit coucou qui dévore (absumi) ses compagnons, et, une fois assez gros — jam uolandi potens — s'attaque à sa propre mère nourricière. Des siècles se passent sans apporter à l'éclaircissement du mystère qui nous intéresse la moindre contribution. Je ne trouve rien de neuf à ce sujet, ni dans Belon (1555) ni dans Brisson (1760). Ce n'est qu'à la fin du XVIII'i^e siècle que la vérité com- mence à poindre. En juillet 1782, en effet, un docteur français du nom de Lottinger observe un jeune coucou dans un nid de rouge-gorge, procédant lui-même à l'expulsion d'un œuf ^. Quel- ques années plus tard, le célèbre médecin anglais auquel on doit la découverte de la vaccine, Jenner, qui fut en même temps un ornithologue distingué, publie la première description du phé- nomène, tel qu'il se passe réellement ^. Son observation date du 18 juin 1787. Et c'est une dame, Mrs. Blackburn, à son tour témoin oculaire de ce fait si extraordinaire, qui en donna la pre- mière reproduction graphique ^. Toutefois malgré l'autorité des observateurs, malgré l'exactitude de leurs descriptions, beau- coup d'ornithologues demeurent sceptiques. C'est ainsi que Nau- mann {2^^ édition 1820-1844), se refuse à admettre une chose qui lui paraît contre nature et la tient pour un mythe *. Tel n'est point le cas de Bailly (1853). Ayant pu constater de visu et après d'autres l'acte si étrange et si discuté, l'excellent orni- thologue savoisien a dû se rendre à l'évidence. « J'ai vu, écrit-il, le jeune coucou, quelques heures après sa naissance, se remuer dans son nid de droite à gauche, se gonfler de temps en temps d'une manière ridicule, se démener sans relâche, enfin hisser, en s'agitant ainsi, peu à peu sur son dos chaque œuf qu'il jetait hors du nid l'un après l'autre, par le moyen d'une secousse tou- jours bien marquée au moment où, se sentant chargé d'un œuf, 1 A. Burdet in litt. ^ Letter to John Hunter. Philosophical transactions for 1788, ' Je trouve mentionnée l'esquisse qu'elle en fit, à la page 383 du charmant livre de White (White's Selborne). ' Man hat zivar die Handlung des beabsichtigten Herauswerfens sehr zierlich imd umstand- lich beschrieben, allein ich halte sie fur ein Mârchen. Naumann. N"" édition. Tome IV, page 408. — 136 — il faisait le dernier effort pour parvenir à le chasser du nid ^. » La vérité est en marche, mais elle ne se presse pas, Fatio (1899) ne se laisse convaincre ni par l'observation de Jenner, à supposer qu'il en eût connaissance, ni par celle de Bailly, qu'il doit avoir lue. Cependant l'année même où paraît la première partie de son Histoire naturelle des oiseaux, un nouveau document apporte, à l'appui des affirmations des Lottinger, des Jenner et des Bailly, une preuve désormais irréfutable. C'est le 14 juillet 1899, en effet, que sont publiées dans le Feathered World les photogra- phies de MM. John Craig et J. Peat Miller ^ représentant l'acte du jeune coucou, plusieurs fois décrit, une fois dessiné, mais point encore fixé sur cette plaque dite sensible et qui est avant tout si véridique que son témoignage ne peut être et n'est pas contesté. Enfin notre compatriote et ami, M. A. Burdet se met à son tour à l'œuvre, et enrichit la science ornithologique de nombreux et précieux documents ^, prouvant enfin et surabondamment, et cela 2250 ans après qu'elle eût été émise, que c'est la dernière des hypothèses d'Aristote qui était la vraie, à savoir « que le petit du coucou, étant le plus fort, tue ceux avec qui on l'élève ».... HQeliTOv' ovxa dnoHTivvvvai avvTQ€(pôf4.evov adioïç. A. R. Démonstration photographique d'un fait longtemps contesté. Dans nos contrées il est peu d'oiseaux dont la vie offre des par- ticularités aussi mystérieuses que celle du coucou. Aussi ne faut-il pas trop s'étonner que les ornithologistes de nos jours ne soient pas encore parvenus à expliquer certaines habitudes de cet oiseau et qu'ils soient loin d'être d'accord sur les faits étranges qui accompagnent la naissance du jeune coucou. Déjà dans l'antiquité les naturalistes avaient été frappés par les mœurs de ce parasite; ils étaient surtout intrigués du fait qu'il n'avait pas de nid. Les légendes à son sujet étaient nom- breuses et plusieurs ont encore cours aujourd'hui. C'était une 1 Ornithologie de la Savoie. Tome I. page 390. ' A. Burdet in lill. ' Voir entre autres la série 1 des Vues sléréoscopiques. — 137 — croyance générale que le coucou n'était autre chose qu'un éper- vier métamorphosé ; cette légende est extraordinairement tenace, puisque, de nos jours, bon nombre d'habitants de la campagne y croient fermement. Beaucoup de gens affirment aussi qu'avant de s'envoler le jeune coucou dévore sa mère adoptive. (On dit encore en allemand : Ingrat comme un coucou.) D'autres pré- tendent que la mère coucou chasse ou mange les petits du nid où elle a déposé son œuf, pour assurer une nourriture plus abon- dante à son propre petit. Cette opinion qui a longtemps prévalu se retrouve encore dans un ouvrage récent : La Vie des Animaux illustrée, par E. Perrier et J. Salmon, où je relève le passage suivant (pages 160, 161) : « La femelle coucou surveille attentivement l'incubation, et si les œufs légitimes doivent éclore les premiers, elle les frappe d'un coup de bec pour les détruire. Dès que son jeune à elle est éclos, c'est-à-dire au bout de onze jours et demi, elle vient alors faire le vide autour de lui, jetant hors du nid les œufs des pas- sereaux. Le petit coucou grossit très rapidement; ses parents adoptifs ont toutes les peines du monde à lui apporter une nour- riture suffisante tant il se montre affamé, et dix-neuf jours après son éclosion, il quitte le nid pour vivre de ses propres ressour- ces. Ces détails précis sur les mœurs du coucou permettent de rejeter dans le domaine de l'imagination les anciennes légendes qui représentaient le jeune coucou à la sortie de l'œuf comme un fratricide, car on l'accusait de jeter hors du nid ses frères adoptifs, ou encore la femelle coucou comme une mauvaise mère parce qu'elle ne couve pas. » De son côté V. Fatio, l'observateur consciencieux et généra- lement si bien informé, que nous consultons toujours avec plaisir, adopte, semble-t-il, mais sans avoir pu la contrôler, l'opinion de M. X. Raspail. Il écrit : « On a longtemps cru que cet accaparant personnage chassait, en grossissant, hors du nid qu'il remplit de plus en plus, les œufs ou les petits de sa mère nourricière ; mais les dernières observa- tions de Raspail semblent prouver, non seulement que la mère coucou enlève un œuf du nid auquel elle confie le sien, mais que, soucieuse de la vie de son enfant, elle surveille la couvée de la — 138 — future nourrice et supprime elle-même, dès après l'éclosion de son rejeton, les œufs de celle-ci, en les jetant hors du nid ^. » Il semble que Fatio, obligé de choisir entre deux explications d'un fait si mystérieux, ait opté pour l'hypothèse qui lui parais- sait la moins invraisemblable. Mais « le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable », et les observations qui suivent, fai- tes dans ces dix dernières années sur une douzaine de cas diffé- rents contredisent absolument l'opinion rapportée ci-dessus. Ma première rencontre avec un jeune coucou date du mois de mai 1907. Dans un nid de rouge-queue (Ruticilla phœnicurus) trouvé par un garde-chasse sous un vieux seau abandonné, un jeune oiseau à peau noire, glabre, dos large, tête énorme, les yeux fermés, le bec largement ouvert laisse voir l'intérieur de la bouche rouge comme le feu; le manque absolu de duvet et de plumes permet de conclure que le jeune coucou vient de naître. A côté du nid, à 5 ou 6 centimètres de distance, deux petits cadavres de jeunes rouges-queues, recouverts d'un fin duvet, et trois œufs bleu-clair non éclos. Qui donc a rejeté ces trois œufs et ces deux petits êtres hors du nid ? Est-ce la mère coucou ? les parents rou- ges-queues ? ou bien le jeune coucou lui-même ? Cette question qui ne cessa dès lors de nous préoccuper, ne devait recevoir de réponse qu'une année plus tard. En effet, en mai 1908, on nous signale de nouveau un nid de tarier ordinaire (Pratincola rubetra), contenant cinq œufs dont un de coucou, un peu plus grand que les autres et d'un bleu plus clair. On comprendra facilement avec quel empressement nous saisîmes cette occasion de cher- cher à résoudre le problème qui nous intriguait si fort. Le nid du tarier, situé à terre, fut surveillé et visité chaque jour, pour guetter le moment de l'éclosion des œufs. Un soir, l'un des gardes nous informa que les cinq œufs étaient piqués : les petits allaient donc naître. Le lendemain matin à 5 heures, nous arrivons près du nid; à notre grand étonnement tous les œufs étaient déjà éclos; mais le jeune coucou seul occupait le fond du nid; à côté, à 4 ou 5 centimètres de distance, étaient entassés les quatre jeunes tariers, encore vivants. De nouveau la question se pose, toujours plus angoissante : Quel est l'auteur du drame ? Nous ne voyons dans le voisinage du nid aucun indice révélateur. Faisons une • V. Fatio. Les Oiseaux, 1" partie, p. 249-250. — 139 — expérience : remettons les jeunes tariers dans le nid, à côté du coucou. Au bout de quelques minutes, celui-ci semble gêné par le retour de ses camarades ; il commence à se remuer, à se tasser au fond du nid, à jouer des coudes; peu à peu il parvient à placer sur son large dos l'un des petits tariers; dès qu'il le sent en équi- libre, il se met à marcher à reculons, s'aidant des pieds et des mains (ses rudiments d'ailes ne sont guère autre chose) et s'ap- puyant sur le corps de ses compagnons sans aucune espèce d'égards pour eux, il arrive au bord du nid, fait encore quelques pas, toujours en arrière, jusqu'à environ 10 centimètres; là d'un mouvement brusque il jette son fardeau à terre, et reprend rapi- dement la marche en avant pour rentrer au nid (n'oublions pas que le petit monstre a les yeux fermés). C'est absolument comme s'il avait voulu dire : « Tu es rentré dans le nid une première fois, je m'arrangerai bien pour que tu n'y reviennes pas. » Le jeune coucou est retourné auprès de ses trois jeunes camarades, tout haletant de l'effort qu'il vient de faire; il prend quelque repos. Quant à nous, tout frémissants de la scène dramatique, si brève et si invraisemblable à laquelle nous venons d'assister, nous avons un peu de peine, avouons-le, à croire ce que nos yeux ont vu; et pourtant, ce n'est pas sans un certain sentiment de satis- faction que nous venons de résoudre enfin le problème qui s'était longtemps posé à notre esprit. Le 24 juin 1909, j'eus de nouveau l'occasion d'observer un jeune coucou dans un nid d'accenteur (Accentor modularis). A en juger d'après sa taille le petit monstre avait déjà 15 jours; il remplissait entièrement le nid, construit dans un thuya; trois jours plus tard, je trouvai le même oiseau à terre, où les deuxac- centeurs continuaient à le nourrir toutes les deux ou trois minutes. Le 15 juin 1910, jeune coucou dans un nid de lavandière grise (Motacilla alba); à côté du nid, deux jeunes lavandières grises et un œuf, tous intacts. Quinze jours plus tard, le premier août, je revis le coucou sur le point de quitter le nid. Le 17 juin 1911, trouvé nid de tarier avec cinq œufs, dont un de coucou. Le lendemain, 18 juin, éclosion du premier œuf de tarier. Le 19 juin, deux œufs sont éclos. Le 20 juin, à 6 heures du matin, les quatre œufs du tarier sont éclos. Le 22 juin, soit quatre — 140 — jours après la naissance du premier tarier, éclosion de l'œuf de cou- cou ; les jeunes tariers ayant déjà une certaine avance sur leur dan- gereux compagnon, celui-ci se remue en vain dans le nid, les tariers sont en état de se défendre. Cependant, le 25 juin, le jeune coucou âgé de trois jours, réussit à jeter hors du nid l'un des tariers; le lendemain 26 juin, les trois derniers tariers sont aussi expulsés : le jeune monstre triomphe ! ^ Le 17 juin 1912, nid de rouges-queues avec sept œufs dont un de coucou. Ici également, les jeunes rouges-queues naquirent plu- sieurs jours avant le coucou, et lorsque enfin celui-ci sortit de sa coquille, il fut comme étouffé par ses compagnons : quelques jours après il avait disparu du nid! Le 7 juillet 1912, jeune coucou dans un nid d'efïarvatte (Acro- cephalus streperus). Le 3 juin 1914, coucou dans un nid de lavandière grise. Du 19 au 23 juin de la même année, j'eus l'occasion d'obser- ver de près l'élevage d'un coucou dans un nid d'accenteur. Dès que le nourrisson fut de taille à remplir complètement le nid, les accenteurs prirent l'habitude de se percher sur le dos de leur élève pour le nourrir; celui-ci renversait sa tête pour recevoir les bons morceaux que lui apportaient ses parents adoptifs. Le 2 juillet 1916, jeune coucou dans un nid de rouges-queues. Je renouvelle l'expérience faite en 1908 sur le coucou dans le nid de tarier, c'est-à-dire que je remets dans le nid à côté du coucou le jeune rouge-queue qu'il avait déjà jeté hors du nid avec quatre œufs non éclos. Au bout de quelques minutes je vis le coucou commencer la même manœuvre dont j'avais été témoin en 1908, pour aboutir au même résultat. Je complétai l'expé- rience en remettant dans le nid un œuf dont il se débarrassa de la même façon. Ainsi se trouva confirmée mon observation de 1908. On peut établir comme règle que le jeune coucou expulse ses compagnons de nid autant que possible le jour même de sa nais- sance, à moins, comme on l'a vu plus haut, qu'il n'ait été de- vancé de quelques jours par ceux-ci. Ce coucou pesait 4 grammes à l'éclosion, le 2 juillet. Au mo- ment de s'envoler, le 25 juillet, il pesait 80 grammes : c'est-à-dire • Voir planche hors texte photos 1, 2, 3 et 4. preuve des faits rapportés ici. (Réd.) "3 _ — 111 — qu'en 23 jours il avait augmenté de 20 fois son poids ^. (C'est comme si un bébé pesant 3 kilos à sa naissance, en pesait 60 au bout de trois semaines.) Se représente-t-on la quantité de lar- ves et de chenilles qu'il a fallu apporter à ce glouton pour per- mettre un pareil développement en un temps si court ? La crois- sance du coucou est extraordinairement rapide; au bout de 8 à 10 jours il remplit déjà tout le nid; à la fin de la 2"^^ semaine les bords du nid éclatent et le coucou, deux à trois fois plus grand que sa mère adoptive quitte le nid, mais se fait encore nourrir pendant longtemps par ses parents qui s'épuisent à la tâche. A l'inverse de certains jeunes oiseaux, tels que les cormorans ou les spatules blanches qui introduisent leur tête dans le bec de la mère pour puiser au fond de la gorge de celle-ci la nourri- ture qu'elle leur réserve, c'est la mère adoptive du jeune coucou qui plonge sa tête dans la gueule de son bébé pour y déposer les chenilles, larves ou vers qu'elle apporte à chaque instant à son insatiable nourrisson. C'est probablement ce fait qui a donné naissance à la légende rapportée plus haut, que le jeune coucou finit par dévorer ses parents d'adoption ! Bien que j'aie passé beaucoup d'heures, caché dans une hutte ou une tente près du nid, parfois même des journées entières à observer le jeune coucou pendant son élevage, je n'ai jamais vu les parents du coucou s'approcher du nid dans lequel se trouvait leur progéniture. J'en dois conclure qu'ils s'en remettent entière- ment aux propriétaires du nid choisi par eux pour mener à bien l'élevage et l'éducation de leur rejeton. Un point qui reste fort mystérieux est celui-ci: Pourquoi les parents appelés à nourrir le jeune coucou, oublient-ils leurs pro- pres œufs et leurs propres petits, pour consacrer tous leurs soins à l'élevage de l'oiseau étranger et destructeur de leur cou- vée ? Tout ce qu'on peut dire, c'est que le plus souvent il serait absolument impossible aux parents de remettre dans le nid les œufs ou les petits qui ont été expulsés; ces derniers meurent donc de froid plus que de faim. Chaque coucou, en naissant, coûte la vie à quatre ou cinq pas- ^ La croissance d'un jeune coucou observé par Hûlsmann fut encore plus rapide : de 4,6 gr. qu'il pesait le 23 juin il parvint en dix-huit jours (15 juillet) au poids de 93 gr. (Réd.) — 142 — sereaux. Mais ce meurtre, d'ailleurs inconscient, est largement compensé par les grands services que nous rend cet énigma- tique personnage; en effet, il détruit des quantités énormes de chenilles velues des plus nuisibles et dont aucun autre oiseau ne veut faire sa nourriture. Le coucou a donc droit non seule- ment à notre protection, mais encore à notre reconnaissance. A. BURDET. Moyens de protection. Aux jardiniers et aux agriculteurs. COMMENT FAVORISER LA NIDIFICATION? Le forestier, l'agriculteur, le jardinier, le propriétaire, tons ceux dont la profes- sion s'exerce en plein air, peuvent con- courir à la protection des oiseaux. Berlepsch. L'existence des oiseaux, leur prospérité ou le contraire, dé- pendent d'une foule de circonstances, en apparence minimes, qui échappent à l'œil de l'indifférent, et qu'il est du mérite de leurs amis d'avoir découvertes et mises en lumière, depuis que la diminution constante et inquiétante de leurs protégés les a poussés à rechercher les causes de ce lamentable phénomène. Se doute-t-on par exemple du rôle des feuilles mortes pour la protection des oiseaux ? On a remarqué en effet que dans les bois, c'est là où la couche des feuilles dont à l'automne se recou- vre le sol, était laissée intacte, que se fixaient de préférence les oiseaux, soit pour y passer la nuit, soit pour y nicher. Et pour- quoi cela ? La raison en est bien simple, mais il fallait la trou- ver. Voici. Il est impossible même au renard, même au chat, si habiles cependant à progresser sans faire de bruit, « à pattes de velours », de circuler sur des feuilles sèches souvent mêlées de brindilles de bois mort, sans produire des bruissements intem- pestifs, ou même des craquements sonores qui signalent aussitôt leur approche et donnent l'éveil à tous les occupants des buissons voisins. C'est donc avant tout par la sécurité qu'elles leur don- — 143 — lient plutôt qu'à cause des insectes qu'elles peuvent recouvrir que les feuilles tombées sont utiles aux oiseaux. « J'ai fait à ce sujet, écrit Berlepsch, des observations très précises, et, il y a quelques années j'ai pu constater avec certitude qu'une partie d'un bois, autrefois très fréquentée par les oiseaux, était aban- donnée par eux, depuis que, en vue de cette expérience, j'avais fait ratisser les feuilles qui étaient auparavant laissées sur le sol. Les nids se trouvaient exclusivement dans la portion du bois où Von avait conservé les feuilles mortes. » Là où l'on veut favoriser la nidification, il faut donc bien se garder d'enlever ces dernières. Une expérience du même genre a été faite en Angleterre. Le propriétaire d'un grand parc avait remarqué la préférence ma- nifeste des oiseaux pour un coin de sa propriété où abondaient les houx. A force d'y réfléchir et d'observer, il finit par découvrir la cause de cette prédilection. Dans le voisinage des houx le sol était jonché, comme il va de soi, de feuilles provenant de ces arbres; or ces feuilles sont armées de dards redoutables, rendus plus redoutables encore aux pattes délicates des rôdeurs noc- turnes, par la rigidité que prend la feuille une fois desséchée. Marcher sur des aiguilles, voilà un supplice auquel ni maître renard, ni ses acolytes, ne tenaient à s'exposer, fût-ce même pour l'oiselet le plus dodu et le plus succulent. C'est encore par raison de sécurité pour eux-mêmes et pour leur couvée que les oiseaux recherchent certains arbres, et sur ces arbres certains emplacements précis, afin d'y placer leurs nids. Etant au Brésil, Berlepsch eut l'occasion d'y faire l'obser- vation suivante. Dans les forêts vierges de ce pays, où les arbres naissent, croissent et meurent sans l'intervention de l'homme, il constata comme quoi les branches mortes des arbres de haute futaie venant à tomber sur les arbustes et buissons du sous-bois, en brisaient fréquemment la tige; en dessous de la cassure nais- saient, dans la suite, de nombreux rameaux, formant une four- che à dents multiples, où les oiseaux plaçaient leurs nids. De retour en Europe il résolut de reproduire artificiellement et par la taille le processus naturel dont il avait surpris le secret dans les forêts vierges du Brésil. Ses efforts furent couronnés du suc- cès le plus complet. C'est ainsi que dans une plantation d'arbus- tes traités de la manière que je viens de dire, c'est à dire taillés — 144 — de façon à produire à l'extrémité du plant des ramifications aussi toufîues que possible, on constata sur un espace de 106 mètres, la présence de 73 nids (près d'un nid par mètre et demi), et sur ces 73 nids, deux seulement n'étaient pas situés aux enfourchu- res produites par la taille. Dans les refuges buissonnants, organisés à la Berlepsch, cette opération est maintenant régulièrement et méthodiquement pra- tiquée. Enfourchures produites par la taille, très recherchées des oiseaux pour y placer leurs nids. 1) première année. 2) après taille plusieurs fois répétée. Comme elle est à la portée de tous ceux (et ils sont nombreux chez nous) qui savent manier un sécateur, jardiniers, agricul- teurs, forestiers et propriétaires, je crois utile de la signaler ici, chacun pouvant la mettre à l'épreuve dans le domaine petit ou grand qui est le sien, en attendant qu'elle soit appliquée dans nos Réserves, ou que des Refuges buissonnants modèles soient créés chez nous. Le petit dessin qui accompagne ces lignes re- présente un plant d'aubépine, coupé au sommet, à 1 mètre du sol, avec les ramifications de la première année (1) et (voir 2) tel qu'il se présente après une taille plusieurs fois répétée. Il est facile de se rendre compte que cette agglomération de petites branches à l'extrémité de la tige offre à l'oiseau un support solide pour son nid, et en même temps protège ce dernier contre les incursions des rapaces, petits et grands, ce à quoi concourent encore efficacement les épines dont ici sont garnis les rameaux. A. R. 145 — Les nids artificiels. Jusqu'à ce que l'excellent moyen de protection et de repeuplement que sont les nids artificiels soit bien com- pris et généralement appli- qué, nous aurons souvent à y revenir. Aujourd'hui c'est d'un modèle très simple et peu coûteux, exactement fi- guré ici, et fabriqué par les sans-travail de la commune de Neuchâtel, que nous a- vons à entretenir nos lec- teurs. Construit en plan- chettes de sapin, passées au brou de noix, de 15 mm. d'épaisseur, il mesure 20 cm. de haut, par 10 de large, et présente un trou de vol de 3 centimètres de diamètre, abrité par un long avant- toit. Pas de bâtonnet qui pourrait en faciliter l'entrée aux indésirables, petits rongeurs ou carnassiers. Une porte, s'ouvrant sur le côté, et que l'on assujettit au moyen d'une vis, en permet l'inspection et le net- toyage à l'automne, une fois les nichées terminées. C'est essentielle- ment un nichoir à mésanges; mais, comme tel, il est certain que le grimpereau, la sitelle, le gobe-mouche bec-figue, et le rossignol de mu- railles le trouveront à leur convenance. Répétons ici les conseils que nous avons donnés ailleurs : orienter le nichoir vers l'est ou le sud-est (entre vent et bise); le placer verticalement ou mieux encore légère- ment incliné vers le sol, à une hauteur de 2 à 4 mètres; dans les pro- priétés voisines des villes, infestées de chats errants, les nichoirs placés trop bas restent inoccupés. Le fixer solidement à l'arbre même, ou à un poteau placé dans l'arbre, de façon qu'il soit absolument immobile : les nichoirs qui branlent, si peu que ce soit, n'inspirent pas confiance aux oiseaux et ne trouvent pas d'amateurs. Aux dépôts indiqués ci-dessous on pourra également se procurer un nichoir du type horizontal que d'aucuns préfèrent au modèle ver- Petit nichoir pour mésanges — 146 — tical ^. Fait exactement des mêmes matériaux que celui décrit plus haut, et par les mêmes menuisiers improvisés, sous la direction d'un maître d'état, il a 35 cm. de long, présente une sorte d'antichambre, et s'ouvre par derrière. Suivant les lieux et les circonstances, l'un des systèmes sera préférable à l'autre, aussi conseillons-nous à nos lecteurs de les mettre tous les deux à l'essai, tout en les priant de bien vouloir nous faire part de leurs expériences. Un mot pour terminer : en con- fiant la fabrication de ces nids artificiels à des artisans privés momen- tanément de leur gagne-pain, notre société a cru faire œuvre double- ment bonne et utile. Nous aimons à croire que nos amis voudront s'as- socier à notre pensée, en achetant ces nichoirs ^ et en nous donnant ainsi un témoignage de leur approbation. Tout en aidant notre société à rentrer dans ses frais, ce sera sans doute pour eux une satisfaction de contribuer pour leur part à la protection d'hommes dignes de leur intérêt en même temps qu'à celle de nos amis les oiseaux. A. R. Les nichoirs, asiles de nuit. Un membre de notre société nous a conté les faits suivants qui prou- vent combien les oiseaux apprécient les nids artificiels comme abris pour la nuit, surtout en hiver, et le rôle important que ces appareils jouent ainsi non seulement pour la reproduction, mais aussi pour la conservation des oiseaux. « J'ai placé quatre nichoirs de ma fabrica- tion dans des arbres voisins de notre habitation, à différentes hauteurs. Or voici les scènes amusantes auxquelles j'ai pu assister dès décembre, vers les cinq heures du soir. Dans le n^ 1 placé sur un amandier vien- nent se loger des mésanges charbonnières. Lorsque trois d'entre elles occupent la maisonnette et qu'une quatrième y demande admission l'une des occupantes se présente à la fenêtre pour dire: «Complet!» — Le second de mes nids placé sur un noyer est chaque soir le sujet d'une contestation entre deux amateurs. Ce sont encore des charbonnières : après quelques explications animées, à l'entrée du logement convoité, les deux oiseaux se pourchassent et disparaissent dans les buissons. Soudain l'un d'eux revient à tire d'ailes et s'engouffre dans le trou de vol. L'autre, qui a deviné la ruse de son adversaire, accourt à son tour et suit le mouvement. A l'intérieur l'accord se fait, je ne sais sur quelle base, car je ne vois plus rien ressortir. Le troisième nid, quoique le 1 Voir dans Nos Oiseaux, n" 4 et 5, page 97, la description d'un nichoir de ce genre et son mode de suspension. ' Prix du nichoir vertical fr. 1.15; du nichoir horizontal fr. 1.30. S'adresser, pour Neu- châtel, à MM. Wasserfallen ou Dardel et Perroset. Pour Lausanne, à la Société protectrice des Animaux. Pour Genève, de même. Pour la vallée du Rhône, écrire au Comptoir agri- cole de MM. Bertholet et G'" à Aigle. — 147 — plus grand, n'est habituellement occupé que par une seule mésange. L'autre jour, comme cette dernière était un peu en retard, une non- nette profita de l'absence du locataire pour s'emparer du logement vacant. Lorsque la charbonnière se présenta à son tour, elle recula épouvantée : l'orifice d'entrée était obstrué tout entier par une petite tête ronde armée d'un bec pointu, à l'expression si résolue qu'elle mit en fuite l'autre mésange, forte pourtant de ses droits de première occu- pante. Enfin dans le quatrième je vois se glisser à la nuit tombante et en catimini un petit oiseau, sortant d'un lierre voisin, mais si furtive- ment, si prestement, qu'il m'est impossible de l'identifier. Quoi qu'il en soit on voit par là que ma peine n'a pas été vaine, puisque sur quatre nichoirs placés, j'en ai quatre d'occupés. E. R. Un moyen de protéger la vigne (simple et peu coûteux). En septembre 1913, écrit M. A". Gaudicheau dans le Bulletin de la Ligue française pour la protection des oiseaux, au moment où le vigno- ble angevin était la proie des insectes les plus malfaisants, j'écrivis ceci : « A Tigné, je possède une vigne entourée de haies épaisses et de hauts murs très vieux et lézardés. Dans les trous, chaque année, je trouve quelques nids de rouges-gorges, de mésanges et de troglodytes. Inutile de dire que je veille à leur conservation avec le plus grand soin. A l'automne je fais déposer dans cette vigne des marcs qui attirent quantité de bruants, verdiers et autres passereaux. Jamais, même en 1910, je n'ai eu aucune attaque de cigarier, cochylis ou eudémis. » Cet hiver, j'ai observé soigneusement les effets bienfaisants des tas de marcs, ainsi jetés dans la vigne en automne; ils sont nombreux. En octobre, au sortir du pressoir, je mets entre mes ceps, de quatre en quatre mètres environ, quelques pelletées de marc, formant ainsi un tas de 20 à 25 décimètres cubes. Il se produit, dans chaque tas, une fermentation rapide dégageant de la chaleur et cette chaleur persiste longtemps après que la fermentation a pris fin, attirant les papillons de la dernière génération et autres insectes malfaisants qui viennent y pondre leurs œufs. Ces œufs se transforment en larves qui s'enfoncent dans les tas, y trouvent un milieu éminemment favorable à leur déve- loppement et s'y fixent pour l'hiver, parfaitement à l'abri des intem- péries. Elles passeraient ainsi la mauvaise saison dans une quiétude parfaite, si rien ne les gênait. C'est alors que le rôle de l'oiseau com- mence. En novembre, dès que les feuilles sont tombées, et que la nourriture — 148 - se fait rare, une nuée de passereaux s'abat sur les tas de marc. Et tout ce petit monde s'en donne à cœur joie, car la table est admirablement servie. Il y a de tout : les pépins de raisins, les grains insuffisamment écrasés et surtout, à foison, des larves grasses et rebondies. Il faut voir nos petits amis piocher et gratter ! ! Et comme ils savent bien reve- nir chaque année, de plus en plus nombreux !... Tout l'hiver se passe ainsi. Cette année il a fait très froid. J'ai vu jusqu'à des pies s'attabler avec les petits oiseaux. Ainsi donc nos marcs ont nourri les oiseaux tout l'hiver. Mais aussi, les chrysalides et les vers qui y avaient établi leur demeure n'existe- ront plus au printemps. Tout a disparu dans les estomacs avides des oiseaux. S'il n'y avait pas eu de tas de marc les insectes auraient pondu sous l'écorce des ceps, dans les mousses des vieux murs. Là, les larves, vers, et chrysalides eussent été invulnérables. Les bêtes malfaisantes au- raient pullulé au printemps prochain. Ces tas ont attiré une foule d'oiseaux et ont assuré leur subsistance pendant la mauvaise saison. Le nombre des nids augmente chaque année, car l'habitude d'être bien traités attire de plus en plus les oi- seaux. Et à l'avantage d'avoir préservé la récolte des ravages de nos mortels ennemis, se joint l'immense joie d'avoir fait une bonne action et le plaisir d'entendre autour de soi, en ce moment des rudes travaux, l'admirable concert de nos petits chanteurs, comme s'ils avaient à cœur de nous remercier de les comprendre et de les aimer. Divers. Corneilles aux abois. Pendant la période de froid si rigoureux, qui a sévi de fm janvier à la mi-février, les oiseaux ont soulïert considérablement de la faim. Les corneilles elles-mêmes n'arrivaient pas à se nourrir. Complètement affolées, elles s'approchaient des .habitations, en quête de nourriture quelconque. Or, le 29 janvier, au début du froid aigu, je vis arriver un vol consi- dérable de corneilles freux (peau nue à la base du bec). Celles-ci s'abat- tirent sur une rangée de chênes, bordant le talus de mon jardin. Aussi- tôt accourues, les corneilles du pays vinrent se poster tout près des - 149 — freux, jalouses de cette horde de pillards, alors qu'on ne trouvait plus rien dans la région enneigée. Mais elles n'osèrent cependant pas atta- quer ouvertement la tribu étrangère, sans doute vu son nombre impo- sant (plus de cent exemplaires). Sans aucune crainte, les freux se mirent hardiment au travail. De leurs becs longs et puissants, de leurs pattes aussi, ils commencèrent à gratter la neige sous les chênes, afin de trouver les vieux glands à demi-enfouis dans le terrain durci. L'opération fut si méthodique que peu à peu, Vablalion de la neige, épaisse d'environ 12 centimètres, devint visible sur une étendue con- sidérable. Lorsqu'une corneille avait sorti un gland de belle taille, aussitôt elle était harcelée par ses voisines. Elle allait alors dévorer sa proie à l'écart, parfois sur un arbre, mais le plus souvent à terre, sur la neige. Il lui fallait lentement dépecer et déglutiner le gland, plus ou moins" gelé. A force de voir manœuvrer les travailleuses étrangères, les corneilles ordinaires se mirent en devoir de les imiter. A leur tour, elles se déci- dèrent à chercher des glands. Mais à dire vrai, leurs essais de déblayer la neige ne réussirent guère, en revanche elles purent picorer dans les sillons systématiques ouverts par les freux. Ce manège intéressant se renouvela chaque jour, du 29 janvier au 12 février, de 9 heures du matin à 5 heures du soir (tout à fait les heu- res des administrations et des banques !) Je pus reconnaître, à la jumelle, plusieurs espèces de corneilles pre- nant part à ce long festin. Ainsi des corneilles mantelées, quelques corneilles des Alpes au bec jaune et peut-être aussi des choucas. Je n'ai remarqué aucun combat général d'une tribu contre une autre, mais bien des duels entre sujets isolés, se querellant après la décou- verte d'un gland de choix. Le sang coula et il y eut même deux vic- times, une corneille ordinaire et une corneille mantelée, dont je recueil- lis les cadavres dans la neige. L'ablation des couches de neige se produisit à plusieurs endroits différents. L'emplacement le plus visité s'étendait sur environ 40 mè- tres de longueur, et sur 4 à 10 mètres de largeur. Les glands ont peut-être sauvé la vie à ces corneilles afïamées, mais probablement cette nourriture était-elle un pis-aller. Car, — malgré qu'il restât encore des réserves de glands, — les corneilles de tous genres disparurent, dès qu'elles purent trouver d'autres moyens de subsistance. Bex, février 1917. Julien Gallet. — 150 — Les morillons de Morges. Me trouvant à Morges le 22 juillet 1916, je fus très surpris d'y ob- server dans la jolie baie qui se trouve à l'orient de l'église et qui sert de refuge, en hiver, à une foule de palmipèdes divers, une petite bande de canards morillons (Fuligula fuligula L.). En général cet oiseau ne niche pas chez nous : c'est un migrateur qui nous arrive en novembre et nous quitte en mars. Mais il semble que depuis quelques années il s'attarde de plus en plus volontiers sur nos lacs et y passe la belle sai- son, sans toutefois s'y reproduire. Il s'agit souvent dans ce cas d'in- dividus qui ont été blessés et dont l'infirmité empêche le départ. Quoi qu'il en soit, les circonstances m'ayant de nouveau conduit dans la paisible petite cité des bords du Léman le 3 janvier de cette année, je fus encore plus surpris d'y trouver des morillons, non plus dans la baie, mais bien dans la rade du port cette fois, en compagnie des cygnes, et nourris, comme à Genève, par les promeneurs. De retour à Neuchâtel, j'obtins à ce sujet d'un habitant de Morges les renseignements suivants : « Concernant les canards morillons que vous avez observés dans le port de notre localité, voici ce que je puis vous dire. Ces canards, au nombre de 7, se sont domestiqués, dès le printemps dernier. Ils ont passé l'été dans la baie et venaient faire leur toilette sur le petit pont d'em- barquement de notre voisin, et acceptaient volontiers le pain qui leur était jeté. A l'ouverture de la chasse ils se sont réfugiés dans le port, au nombre de quatre. Que sont devenus les trois manquants ? Je ne sais. Il est probable qu'ils sont tombés sous le plomb de chasseurs- braconniers. Les honnêtes chasseurs, eux, ont déclaré en été déjà qu'ils ne chasseraient pas des canards domestiques. » Un bon point aux honnêtes chasseurs de Morges ! A. R. Le « réflecteur » de la mésange. , On nous communique une observation curieuse qui aurait été faite sur le pouvoir éclairant du grand espace blanc qui entoure l'œil de la mésange charbonnière et de la bleue et qui a valu à la première, en allemand, le nom de «mésange à miroir». (Spiegelmeise). D'après les récentes et patientes observations d'un savant, la mésange se servirait de cette surface blanche comme d'un réflecteur naturel pour explorer les fentes du bois où se cachent les insectes. A l'appui de son dire l'au- teur de l'observation en question fait remarquer « qu'un lecteur ayant une page à lire dans une relative obscurité peut aisément augmenter la lumière, en plaçant une feuille blanche à proximité immédiate de sa lecture et orientée de telle façon qu'elle fasse fonction de réflecteur de la lumière sur la page à déchiffrer. » 151 — Calendrier ornithologique. Oies sauvages (sp. ?) 1-3 février. Un couple d'oies sauvages a passé deux ou trois jours sur les môles de la Broyé. Paraissant très foncés, peut-être par contraste avec la neige, ces oiseaux m'avaient été signalés comme cormorans. Sans aucun doute, j'ai reconnu des oies sauvages et je les ai déter- minées oies Gravants jeunes, mais n'ai pu les observer d'assez près pour pouvoir garantir l'espèce. Remarqué que cette année aucun des vols d'oies sauvages qui ont passé par la réserve ne s'y sont arrêtés. Prévoyaient-elles les grands froids de janvier et février? Il serait intéressant de savoir si la même constatation a été faite ail- leurs, A. R. Grèbe castagneux (Podiceps niinor Gm.). 10 février. Le froid fait de nombreuses victimes. On m'apporte un grèbe castagneux, pris encore vivant sur le canal de la Broyé, mais mort peu après. A la même époque un oiseau de même espèce fut aperçu, descendant la Thièle au fil de l'eau, dans l'attitude du som- meil. L'observateur réussit à l'attirer vers le bord, au moyen d'une perche, à le réchaulTer entre ses mains, mais, ainsi que le premier, l'oiseau, épuisé, ne se réveilla que pour mourir. A. R. Foulque (Fulica alra L.). 12 février. Encore une victime du froid : une foulque trouvée morte dans le port de Neuchâtel. Poids : 380 gr. A. R. 17 février. Une foulque, recueillie dans le petit port de Cudrefm, paraît avoir succombé sous les rigueurs de la température; pèse exacte- ment 380 gr. comme celle de Neuchâtel. A. R. Chant du pinson. 13 février. Entendu le chant complet du pinson au Mail. ('. CORNAZ. 22 février. Le premier chant du pinson a retenti ce matin à Champ- Bougin, entre 8 et 9 heures. A. R. Chant du merle. ^ 15 février. Un merle se fait entendre place A.-^NI. Piaget. C. CORXAZ. 17 février. Entendu le chant du merle (à Bex). J. Gallet. — 152 — 22 février. Ce matin, à 7 heures, le merle a chanté pour la première fois cette année, à Champ-Bougin. A. R. Hécatombe de corneilles. 21 février. En parcourant la réserve, je trouve un certain champ semé de cadavres de corneilles. J'en compte 17 sur un espace assez res- treint. Le froid n'est pas seul en cause. En effet, ces oiseaux poussés par la faim, se sont attaqués à des amorces empoisonnées, desti- nées aux campagnols. Parmi les victimes, je recueille une corneille mantelée, des corneilles noires, des freux, et plus tard même une crécerelle. Ceci montre les graves inconvénients de l'emploi du poi- son. En recourant à ce moyen, on cause la mort d'oiseaux très utiles à l'agriculteur, comme le freux, et l'on fait périr l'un des plus grands chasseurs de souris qu'il y ait, la crécerelle. A. R. Cigogne (Ciconia alba, Bechst). 22 février. Observé à 7 heures du matin une cigogne se dirigeant vers le nord-est. Entre 1 et 2 heures un vol d'une vingtaine de cigognes suit la même route. C. Cornaz. Vanneau (Vanellus crislatus L.). 24 février. 6 vanneaux apparaissent dans la Réserve du Seeland, où je n'en ai plus vu depuis le 13 janvier. A. R. 28 février. Les vanneaux augmentent dans la réserve : aujourd'hui j'en compte 25. A. R. Bergeronnette grise (Motacilla alba L.) 28 février. Le passage de retour de cette espèce a commencé : à cette date j'observe une vingtaine de bergeronnettes, courant sur la vase, dans la réserve. A. R. Combattant (M achetés piignax L.). 28 février. Trois combattants en compagnie des vanneaux dans la réserve. A. R. Retour vers le sud. 5 mars. Neige. Tout est blanc jusqu'au bord du lac. Nombreux vols de grives musiciennes, d'alouettes, d'étourneaux battent en retraite vers le sud ; vu également 7 pigeons ramiers qui prennent la même direction. Neuchâtel. C. Cornaz. Canard milouin (Fiiligula ferina L.). 5 mars. Je remarque une petite bande bleue apparue en travers du bec du milouin décrit dans Nos oiseaux, n» 18. A. R. Arrêt dans la migration. 8 mars. Il souffle un joran très violent. Les routes et les champs sont — 153 — durcis par le gel. Le baromètre vient d'atteindre un minimum rare (690,5). L'après-midi on aperçoit dans la plaine d'Areuse des quan- tités d'oiseaux, comme tombés du ciel, et que les circonstances atmosphériques ont obligés d'atterrir. Nous observons entre autres 4 vanneaux, de grandes bandes d'alouettes lulus, des alouettes des champs, un peu partout des grives musiciennes, deux perdrix, des pigeons sauvages. H. Russ, A. R. Plongeon lumme (Colijmhus ardicus. L.). 9 mars. Un plongeon lumme, jeune de forte taille, poids 2 kg. 35 gr. est trouvé pris à une ligne dormante, tendue en plein lac pour la truite. A. R. Alouette lulu (Lullula arborea. L.), 10 mars. Temps printanier, belle journée. Je retrouve de l'autre côté du lac une partie des oiseaux observés hier à Areuse, entre autres des alouettes lulus, détournées de leur chemin habituel, car c'est la première fois que je les observe dans le voisinage de la réserve. A. R. 10 mars. Entendu le chant de l'alouette lulu au-dessus de Hauterive. C. CORNAZ. Rouge=queue tithys (Ruticilla tithys. L.). 9 mars. Mâle adulte de cette espèce vu aujourd'hui à Courchavon (ait. 412 m.) Jura bernois. M. Reichel. 17 mars. Tithys, rive nord du lac de Neuchâtel. A. .R. 20 mars. Observé le premier tithys à Neuchâtel. C. Cornaz. 21 mars. Tithys, mâle superbe, chante, à La Sauge. A. R. 31 mars. Tithys, femelle, à Champ-Bougin. A. R. Hirondelle rustique (Hirundo rustica. L.). 11 mars. La première, un avant-coureur, comme il y en a chaque année, nous est signalée à cette date, à la gare de Marin. Le 17 mars, le même observateur revoit peut-être la même hirondelle, près de Montmirail. A part ces deux dates très hâtives, l'arrivée de cette espèce, comme celle de la plupart des migrateurs, est retardée cette année. Le 26 mars on en voit à Rolle. Le 28 une petite bande de 5 individus est aperçue entre Cornaux et Cressier, puis le 4 avril à Saint-Biaise, le 11 avril à Peseux, le 12 à La Sauge, le 14 à Champ- Bougin, individus isolés en tout petits vols, enfin le grand passage a lieu à partir du 19 avril seulement. 19 avril. Arrivée d'hirondelles rustiques en nombre, entre Auvernier et Colombier. A. R. — 154 — 21 avril. J'observe des hirondelles rustiques un peu partout entre Saint-Biaise et Cudrefin. À. R. 22 avril. Compté ce matin plus de 120 hirondelles de cheminée, Neuchâ- tel. C. CORNAZ. Traquet pâtre (Pratincola rubicola. L.). 10 mars. J'ai le plaisir d'observer un de ces jolis oiseaux, que je n'avais pas encore vus au bord du lac de Neuchâtel, sur l'une des jetées du port de Cudrefin. C'est un mâle. A. R. 28 mars. Le traquet pâtre, comme l'alouette lulu, se serait-il détourné de son chemin habituel, cette année ? Le fait est que j'aperçois pour la première fois un de ces oiseaux, un mâle, dans la Réserve du Seeland. A. R. 1er avril. Observé un traquet pâtre mâle à Bienne, dans un chantier de menuiserie près du port. M. Reichel. Dans la réserve. 10 mars. Observé env. 500 palmipèdes et échassiers, entre autres 2 hé- rons^ cendrés, le premier gambette, 6 bécassines (ce sont les premières depuis le 6 décembre), enfin un grand pluvier à collier, espèce que je n'avais pas vue jusqu'ici avant le 27 mars ^. Barge à queue noire (Limosa aegocephala. Bechst.) 15 mars. J'aperçois une barge en compagnie d'une bande de combat- tants dont elle suit toutes les évolutions. A. R. 28 mars. Magnifique vol, composé uniquement de barges à queue noire (il y en 34 en tout). C'est la troupe la plus nombreuse que j'aie observée jusqu'ici dans la réserve. A. R. 3 mai. Bande de 12 barges à queue noire, dans la réserve. Elles cir- culent dans l'eau peu profonde du bord, plongeant dans la vase leur long bec mi-partie noir, mi partie rougeâtre. A. R. Tichodrome (Tichodroma muraria. L.). 10 mars. Contre l'église catholique de Neuchâtel; j'en avais déjà vu un le 3 mars, agrippé au bâtiment des Postes. C. Cornaz. Pouillot véloce (Phylloscopus rufus. Bechst.). 17 mars. Les premiers représentants de l'espèce sont arrivés, mais ils ne sont pas encore nombreux. 1 individu à Champ-Bougin le 7 avril. Augmentent le 14. A. R. Milan noir (Milvus aler. Gm.). Cette espèce ne s'est pas laissé retarder par l'inclémence de la tem- pérature : 1 Voir yios Oiseaux, vol. I, page 198. — 155 — 18 mars. Observé à Monruz un milan sur le lac, un autre le 20 mars survolant la baie de la Maladière. C. Cornaz. 23 mars. Vu le premier milan. H. Russ. 27 mars. Milan devant Champ-Bougin. A. R. Autour et pilet. 15 mars. J'aperçois sur la grève du lac, dans la réserve, un autour labourant de coups de bec un volatile quelconque que je ne puis reconnaître. A mon approche l'oiseau de proie abandonne sa vic- time qui se trouve être un canard pilet /. A l'examen je remarque qu'une partie des viscères seulement ainsi que la chair de la poi- trine ont été enlevées. Tête, cou; ailes et dos sont intacts. A. R. Vanneau (Vanellus cristatus. L.). 28 mars. Il se fait un passage de vanneaux. J'en compte une centaine dans la réserve, non compris ceux de la colonie. Un vol à peu près égal m'est signalé dans un champ au bout de la Broyé. J'observe 4 individus occupés à la nidification et trouve un nid vide. 7 avril. Trouvé le premier nid de vanneau avec ponte complète. 14 avril. Observé encore 100 vanneaux dans l'ancien marais de Cudre- fm. D'après Necker le passage se termine ordinairement le 5 avril. A. R. Pouillot fitis (Phylioscopus trochiliis. L.). 14 avril. Est en retard comme bien d'autres oiseaux. Entendu au- jourd'hui son chant près de Cudrefm. Ne passe à Champ-Bougin que le 28 avril, A. R. 28 avril. Le fitis chante partout avec force dans les endroits qu'il affectionne. A. R. Fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla. L.). 15 avril. Chante à Peseux. E. R. 18 avril. Observé pas moins de 15 à 20 fauvettes à tête noire au cime tière du Mail. C. Cornaz. Bulletin bibliographique. Liste distributive des oiseaux de la Suisse. Prof, D"" Th. Studer et G. von Burg. Nous avons déjà attiré l'attention de nos lecteurs sur cette utile et intéressante publication. Si nous y revenons aujourd'hui, c'est pour le faire avec plus de détails et pour leur recommander encore une fois d'en faire l'acquisition s'ils désirent se renseigner à peu de frais et d'une — 156 — façon rapide sur l'état actuel de notre faune ornithologique suisse. La Liste distributive est une réédition du Catalogne distrihutif de V. Fatio et Th. Studer, paru en 1892, et qui fut le résultat d'une première enquête, faite par les soins de la Commission ornithologique fédérale auprès de tous les connaisseurs de la Suisse. Dès 1892, l'intérêt qu'ont excité de tout temps nos amis ailés n'a fait que progresser, leur étude a été continuée avec persévérance aussi bien par des particuliers que par la Commission ornithologique fédérale, les matériaux nouveaux et inédits se sont accumulés, de telle sorte qu'une mise au point de l'ou- vrage de Fatio et Studer s'imposait. Ce grand travail a été entrepris en collaboration par l'un des auteurs de la première édition (l'autre, hélas! n'est plus), et par M. G. v. Burg, professeur à Olten. La liste comprend les 360 espèces observées jusqu'ici dans notre paj'^s. Chaque espèce est indiquée avec son nom latin, français, alle- mand et italien. Dans une quatrième colonne et en face des premiers se trouvent les différentes appellations « vulgaires ». Une cinquième nous apprend si telle espèce ou telle autre est sédentaire, erratique, nicheuse, de passage régulier ou irrégulier, hôte d'hiver seulement ou exceptionnelle. L'abondance ou la rareté sont indiquées par des chif- fres qui vont de 1 (très-rare) à 5 (commun). Enfin, une dernière colonne est réservée aux observations et citations faites au cours de ces derniè- res années sur la fréquence, le séjour préféré, l'altitude, la régularité ou la rareté des nichées, etc., etc. C'est dire tout l'intérêt que présente la Liste distributive que nous voudrions savoir entre les mains de tous nos abonnés. Qu'ils profitent de la réduction qui leur est aimablement consentie par les éditeurs en temps que membres de la Société romande pour l'étude et la protection des oiseaux (fr. 2.50 au lieu de fr, 3.50). Ils ne regretteront pas cette acquisition et tout en enrichissant leurs connais- sances personnelles, ils contribueront à encourager dans notre pays cette étude qui est, avec la protection, le but et la raison d'être de notre société. (Voir aux annonces). TABLE DES MATIÈRES des fascicules 11 à 20. (Vol. 11). fCiy<. '/-/7 i- ÉTUDES OENITHOLOGIQUES BURDET, Adolphe. Le grèbe huppé au lac de Naarden Démonstration photographique d'un fait longtemps contesté De CÉKENVILLE, D'' F. Le tichodrome échelette RiCHAKD, Alfred. Histoire d'un aiglon L'harelde de Miquelon Le plongeon cat-marin Le nid de la gelinotte Le canard sifïleur huppé Une page d'Aristote Divers auteurs. A pi'opos du tichodrome 49 - 54 136 - 142 33 -35 1 - 15 36 - 41 57 97 - 101 129 - 133 134 - 136 54- 56 PROTECTION DES OISEAUX Meyeb de Stadelhofen, p. La protection des oiseaux à Hermance ... 101 - 107 De la Rive, Rachel. La protection des oiseaux en Espagne 19-20 Richard, Alfred. L'onagraire sert-elle à l'ahmentation du chardonneret... 61 - 62 La Réserve du Seeland 65-96 Les arbres nourriciers 120 - 121 Par la Rédaction : A propos de la ch'culaire du Département fédéral ... 16-18 La mésange charbonnière, le plus utile des oiseaux pour les arbres fruitiers 41-44 Les réserves 58-60 MOYENS DE PROTECTION BUENAT, Ernest. Un nid artificiel Gatjdicheau, a. Un moyen de protéger la vigne Par la Rédaction. Les nids artificiels Nourrissage hivernal Nichoirs Richard, Alfred. Aux jardiniers et aux agriculteurs. Comment la nidification ? Les nids artificiels E. R. Les nichoirs asiles de nuit E. S. Nourrissage hivernal favoriser 121 - 123 147 - 148 20- 21 21 108 142 - 144 145 - 146 146 - 147 107 - 108 — 158 — DIVERS Chapuis, D' s. a propos du lérot Gallet, Julien. Les loirs et leurs méfaits Corneilles aux abois Richard, Alfred. Désorientation des oiseaux par le brouillard Par la Rédaction. Le nombre des oiseaux 44 - 45 21 -23 148 - Ï149 23 "-24 45 CALENDRIER ORNITHOLOGIQUE (Illustré de 6 dessins originaux et de 5 photographies prises sur le vif.) 24 -31 46 - 48 62 -64 109 - 111 124 - 127 151 - 155 SOCIÉTÉ ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LA PROTECTION DES OISEAUX Nécrologie 32 Dons ... 48 Comité intercantonal , 96 Compte rendu de la séance du 11 novembre 1916 111 - 112 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE Les oiseaux dans la nature. A. Burdet » » » » » » Les oiseaux dans la nature par Eug. Rambert et Paul Robert Liste distributive des oiseaux de la Suisse 32 112 127 155 - 156 PLANCHES HORS TEXTE L'aire de l'aigle royal Les deux corniches dominant l'aire L'aiglon naturaUsé Planche en couleurs. Le tichodrome peint par M. R. . . . L'harelde de Miquelon dans la baie de l'Evole. Dessin à la Grèbe huppé couvant Plongeon cat-marin ... Réserve du Seeland ... En pleins roseaux Gelinotte couvant Nid de géUnotte Busard montagu mâle Canard milouin Nid Burnat Canard siffleur huppé (face) photo. Jeune coucou dans nid de tarier (4 clichés) ... Canard siffleur huppé (dos). Dessin par M. R. par M. R. 1 7 32 33 41 49 57 65 96 97 105 112 113 128 129 140 160 COMITÉ INTERCANTONAL de la Société romande pour l'Etude et la Protection des Oiseaux. Ce Comité ayant été agrandi par suite de nominations nouvelles se trouve composé actuellement comme suit : Président d'honneur : M. le D"" Pettavel, Conseiller d'Etat, Conseiller aux Etats. Neuchâtel : BUREAU : M. A. Mayor, professeur, président. M. G. BiLLETER, professeur, vice-pré- sident. M. C. CoRNAZ, secrétaire. M"« E. Richard, trésorière. M. Alf. Richard,' rédacteur du Bulle- tin. M. DE MoNTMOLLiN, banquier, vice- secrétaire, Auvernier. M™" FÉLIX Etienne, vice-trésorière. M. O. FuHRMANN, professeur. M. S. DE Perrot, ingénieur. M. H. Russ, assesseur. M. L. Quartier, Boudry. M. le D"^ L. BiLLETER, Dombresson. Berne: M. Decoppet, inspecteur fédéral en chef des forêts. Président de la Com- mission ornithologique fédérale. M. W. Rosselet, naturaliste -prépa- rateur, Renan. Fribourg : M. P. DE Gendre, inspecteur forestier. Genève : M""^ Meyer de Stadelhofen, Her- M. H.-E. Gans, avocat. M. J. Chauvet, banquier. M. P. Meyer de Stadelhofen. M. L. Roux, président de l'Association des Intérêts de Genève. M. Armand Martin, maire de Collogn}-. Valais : M. P. DE CocATRix, préfet de Martigny. M. H. Wuilloud, Conseiller d'Etat, Sion. Vaud ; M. le Dr P. Xarbel, Lausanne. M. A. Serment, La Naz, président de la Société d'agriculture. M. Moreillon, inspecteur forestier, Montcherand. M. Barbey, avocat, Montreux. M. E. BuRNAT, architecte, Vevey. M. Henri Blanc, professeur à l'Uni- versité. M. le Dr Eperon, professeur à l'Uni- versité. M. Alf. Cérésole, Juge cantonal. M. L. DuFLON, syndic de Villeneuve. M. A. Brun, Clarens. M. A. Bosset, Aigle. Tessin : M. GiUGNi-PoLONiA, professeur, Lo- carno. Société Romande pour l'Étude et la Protection des Oiseaux. Neuchâtel, le 10 mai 1917. M Nous avons l'honneur de vous informer que la Société romande pour l'Etude et la Protection des Oiseaux aura son Assemblée générale annuelle le Samedi 26 mai prochain à Saint-Maurice (Valais), avec l'ordre du jour suivant : // heures. Séance publique à l'Hôtel-de-Ville. 1. Rapport du Président. 2. Communication de M. H. Blanc, professeur à l'Université de Lau- sanne, Conservateur du Musée Zoologique, sur la destruction des oiseaux rapaces diurnes dans le canton de Vaud et en Suisse en 1915. 3. Communication de M. le chanoine Mariétan, professeur, sur Ze rfes- séctiement de la plaine du Rhône et la protection des oiseaux. 4. Communications individuelles. 12 heures. Sécmce administrative. 12 ^/g h. Dîner en commun à l'Hùtel du Simplon. 2 heures. Excursion ornithologique à la « Vorpillére ». (Retour par la Grotte aux Fées et visite des fouilles et du trésor de rabba3'e de Saint-Maui'ice.) En vous adressant cette convocation, nous tenons à vous faire remar- quer que notre Société se réunira pour la première fois au Valais, où nos collègues nous ont aimablement conviés ; nous aimons à espérer que les membres de la Société participeront nombreux à cette IV'^ assem- blée générale, qui aura lieu dans une contrée si intéressante et au cours de laquelle seront traitées des questions d'une réelle importance pour notre œuvre. Recevez, M , l'assurance de nos sentiments distingués. Au NOM DU Bureau de la Société Romande POUR l'Etude et la Protection des Oiseaux : Le Secrétaire. Le Président. Ch. CORNAZ. Alf. MAYOR. N.-B. Le prix du dîner est de fr. 3.50 sans vin. Les non-sociétaires sont admis à participer au dîner ainsi qu'à l'excursion. CANARD SIFFLEUR HUPPE Tué le 18 novembre sur le lac de Morat. Aspect des faces dorsales, d après nature par M. R. N» 21 ^====^^^W JUILLET 1917 NOS OISEAUX BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LA PROTECTION DES OISEAUX Etudes ornithologiques Un désastre. Les oiseaux sont organisés de telle façon qu'ils sont plus sen- sibles que nous aux changements de température et de pression atmosphérique et qu'ils peuvent prévoir le temps, dans une cer- taine mesure du moins. Ce fait avait déjà frappé les Anciens. C'est ainsi qu'Aristophane fait dire aux oiseaux s'adressant aux hommes : « Vous avez en nous des muses prophétiques qui vous annoncent les vents et les saisons, la chaleur, le froid et une cha- leur modérée.... » avçaig, oîçaiç, x^i[A,à)Vi, S-éçet, fAexqicù JivlyBi. Ayant dûment constaté dans la nature les effets de cette remar- quable faculté de prévision, les Anciens eurent le tort de croire que son pouvoir s'étendait aux circonstances de leur vie publi- que et privée et attribuèrent aux habitants de l'air la prescience de l'avenir. C'est ainsi que chez les Romains des prêtres appelés augures étaient chargés de tirer de l'observation des oiseaux des pronostics concernant le sort de la nation ou des individus. Si nos idées, à ce sujet, et à part certaines superstitions qui se sont perpétuées jusqu'à nos jours, ne sont plus celles de la Rome et de la Grèce antiques, nous savons cependant, comme elles, que les oiseaux ressentent plus vivement que nous les change- ments qui surviennent dans l'état de l'atmosphère et nous en avertissent par leurs mouvements, leurs allures et leurs cris. Toutefois ce don réel et remarquable, reconnu aux oiseaux de- puis la plus haute antiquité, paraît parfois être mis en défaut, comme on va le voir par ce qui suit. — 4 — Déménagement. En 1917 les nids furent abondants à la colonie de vanneaux du Seeland : j'en trouvai un premier le 7 avril, un second le 14 avril, un troisième et un quatrième le 21 avril, les numéros 5 et 6 le 25 avril, 7 et 8 le 3 mai, n^ 9 le 9 mai, et le n» 10 le 12 mai. Qr jusqu'au 25 avril les nids furent établis dans les prairies marécageuses que les vanneaux affectionnent pour leur reproduc- tion, prairies à herbe drue et rase, de couleur terne, grise plutôt que verte et où la teinte de leurs œufs se confond admirablement avec celle de l'entourage. Ces prés sont à 100, 200, 300 mètres et plus du bord de l'eau. Soudain, à partir du 25 avril, un transfert marqué s'opère dans la direction du lac : les vanneaux déménagent. C'est sur le limon de la grève que reposent désormais les nids, à une proximité de l'eau qui me paraît, à moi qui ne suis pas vanneau, extrêmement dangereuse. Dans le cas du nid 7 par exemple, je mesure quinze mètres seulement entre le précieux berceau, chargé de quatre beaux œufs, et l'élément qui peut causer sa perte. Et sur un es- pace de 40 mètres, je ne trouve pas moins de trois nids dans une situation identique, c'est-à-dire telle que la moindre éléva- tion du niveau de l'eau ne manquera pas de les submerger. Ce phénomène demande une explication, que je cherche et que je crois avoir trouvée dans le bulletin météorologique des mois d'avril et de mai. Climatologie. Il y eut cette année entre les mois d'avril et de mai un contraste rare et tout à fait remarquable. Autant avril fut froid et maus- sade, autant mai fut brillant de chaleur et de lumière. « Un bond fantastique de la température », ainsi s'exprime le bulletin mé- téorologique que j'ai sous les yeux, se produisit vers le 26 avril, bond qui nous fit passer sans transition de l'hiver à l'été. La date de ce brusque changement ayant suivi de près celle du déplace- ment des nids, il est permis de supposer entre les deux phéno- mènes une relation de cause à effet. Mais encore une fois pourquoi ces échassiers si prudents, si constamment préoccupés de leur sécurité personnelle et de celle de leurs nichées, croyaient-ils — 0 — pouvoir braver impunément un lac, dont une longue expérience doit leur avoir appris à connaître les crues redoutables ? Telle est la question qui se pose et c'est encore dans le bulletin cité tout à l'heure que je trouve la réponse. Pendant la première quin- zaine d'avril, ce sont les vents du sud-ouest, généralement accom- pagnés de pluie, qui prédominent. C'est par ces vents-là que le lac monte, tandis que la bise (le nord-est) le fait baisser. Dans ces conditions les vanneaux jugèrent prudent de se tenir éloi- gnés du bord. En outre il faisait froid, ce qui rendait l'humidité plus à craindre pour leurs œufs. Au contraire, dès qu'ils purent prévoir un temps sec et chaud, ils transportèrent leurs pénates sur la grève, avec d'autant plus d'empressement que c'est là qu'ils sont le plus éloignés de la circulation, et que par consé- quent leur couvée, placée à terre, risque le moins d'être écrasée. Cette période de sec et de chaud se produisit, comme je viens de le dire, vers la fin d'avril avec une soudaineté égale à celle du changement observé chez les vanneaux. Le 23 et le 24 avril la bise souffla en tempête et dès le 26 la température fit un saut assez rare dans les annales de la météorologie. Les prévisions des vanneaux étaient donc justes : normalement le lac devait baisser.... il monta au contraire, et cela avec une rapidité désas- treuse pour les malheureux échassiers. C'est donc qu'ils s'étaient trompés ? Tel n'est point mon avis, mais ils ignoraient un fait important, qui, pour nous, peut tout expliquer. Les vanneaux ignorent. Ils ignoraient qu'en 1831 s'était formée une commission pour le dessèchement du Grand Marais. Ils ignoraient que cette com- mission fit appel aux lumières d'un ingénieur distingué, du nom de La Nicca, originaire des Grisons, lequel, peu soucieux du trou- ble qu'il allait apporter dans l'ordre de la nature, élabora en 1842 un vaste projet comportant l'introduction des eaux de l'Aar dans le lac de Bienne; que le 18 août 1868 le premier coup de pioche fut donné au canal dit de la Hagneck, et que dix ans plus tard exactement, le 18 août 1878, les eaux de l'Aar, rivière alpine, faisaient leur entrée dans le lac de Bienne, lac jurassien. Et cette ignorance leur fut fatale. En effet, la température élevée, accompagnée de bise, qui régna dès le 26 avril, qui devait avoir — 6 — normalement pour effet l'abaissement du niveau du lac, amena la fonte rapide des neiges accumulées en masses considérables dans les Alpes durant avril; l'Aar grossit, lelacdeBiennemonta, refluant dans celui de Neuchâtel, qui ne tarda pas à monter à son tour, inondant ses grèves et causant dans la colonie des vanneaux le désastre qui est décrit ici. L'inondation. C'est dans les premiers jours de mai que la crue fut la plus rapide. Le 30 avril le limnimètre de Neuchâtel marquait 429 mètres 63 centimètres; le 13 mai le même appareil était à la cote 430.45, indiquant pour ces treize jours une dénivellation totale de 82 centimètres. Il n'en faut pas tant pour que l'eau enva- hisse, à de grandes distances de la ligne primitive du rivage, des grèves aussi plates que celles du Seeland. Le 5 mai je me rendis dans la Réserve pour surveiller les effets de cette crue, dont je prévoyais les funestes conséquences pour nos protégés. Je trou- vai les quatre petits du nid 5 éclos et réunis à deux mètres du nid. Le même jour j'assistai vers les trois heures et demie, à l'éclosion de la nichée du nid voisin (le n» 6), également bien ins- pirée dans son empressement à quitter la coquille, car l'eau appro- chait menaçante. Revenu sur les lieux le 9 mai, je constate que le nid 7, où l'incubation est déjà très avancée, a disparu sous 8 cm. d'eau. Toute la garniture du nid flotte à la surface et sur les petites vagues les œufs épars dansent comme des bouchons. Il y a grande agitation dans la colonie, parmi les parents, qui voient leurs espoirs ruinés, leurs couvées ou leurs nichées mena- cées ou déjà détruites, et parmi les rejetons, lesquels, habituelle- ment silencieux, répondent aujourd'hui par un pépiement con- tinu aux cris de détresse des parents. Mais qu'est-ce ? Au milieu de tout ce tapage je perçois nettement, venant du lac, les appels d'un petit vanneau. En portant mes jumelles de ce côté j'aper- çois, à la surface de l'eau, une nichée que la crue du lac a surprise €n voie d'éclosion. L'aîné, seul hors de sa coquille, est mort et son petit cadavre flotte, inerte parmi les œufs. Deux de ces der- niers, comme je le remarque en approchant, ne sont encore que piqués, et c'est du troisième, percé d'un trou au gros bout, comme d'une fenêtre ouverte sur le ciel, que le tout jeune occu- — 7 — pant, nouveau Moïse dans son berceau, jette des cris d'appel à ses parents, qu'il voit voletant au-dessus de sa tête, sous les grands nuages blancs. J'interviens, sans grand espoir de succès, en transportant la famille en détresse dans le pré le plus voisin. Après quoi je m'approche du nid 8, celui-là même que représente notre gravure. Il contenait un œuf le 3 mai, trois le 5; aujour- d'hui la ponte est complète. C'est encore une couvée destinée à périr, car, tout autour, le sol est déjà fortement imprégné d'hu- midité. Revenu le lendemain, je trouve le nid entouré d'eau, mais point encore abandonné. J'espère toujours, car il m'inté- resse particulièrement, étant donné que j'ai pu y surprendre la ponte à ses débuts et que je compte pouvoir obtenir des rensei- gnements précieux sur la durée de l'incubation. Mon espoir devait être déçu. Le 12 mai, en effet, le lac continuant à monter, l'eau a imprégné, puis soulevé le matelassement du nid, occa- sionnant ainsi un déplacement des œufs. Comme on peut le voir sur la photographie reproduite ici, ces derniers n'affectent déjà plus la disposition classique en croix grecque, preuve qu'ils sont abandonnés. Je n'ai qu'une chose à faire : les recueillir pour le musée de Neuchâtel, car le lac s'élevant à raison de 7 à 8 cm. par jour, demain le nid sera sous l'eau. Notre gravure. Elle représente le nid 8, en l'état où il se trouvait le 12 mai. Si l'on considère le haut de la gravure, on peut voir la limite exacte où s'arrête le lac. L'eau, d'apparence laiteuse, n'est telle que parce qu'elle s'est troublée au cours des opérations photo- graphiques. Le nid, placé au milieu d'une touffe de laîches, d'une « troche » comme disent les riverains, est légèrement surélevé : les vanneaux aiment à placer leurs nids sur une petite éminence, comme cette vue le démontre nettement, car dans les lieux sou- vent humides où ils nichent, une forte pluie suffit pour amasser de l'eau dans les creux, où elle croupit encore des jours durant. Ce n'est pas que cette espèce redoute beaucoup l'humidité : j'ai observé des couvées réussir parfaitement, alors que j'avais vu les œufs tremper dans l'eau par leur extrémité. Toutefois elle l'évite dans la mesure du possible. Ce document démontre et établit encore autre chose : l'erreur apparente des vanneaux qui n'ont pas su prévoir la crue de mai 1917. Je dis « apparente » car la confiance absolue dont ces oi- seaux ont fait preuve en transférant leurs nids tout près du bord, précisément à la veille d'une crue formidable, me paraît trop frappante, pour qu'il ne faille point en chercher la raison ailleurs que dans une défaillance subite de leur sens divinatoire. L'ex- plication que j'ai donnée ici est celle qui me paraît la plus plau- sible. Elle se résume en ces mots : nos vanneaux connaissent leur lac, qui est un lac jurassien, et ils ne se sont point encore habi- tués au fait que les hommes en ont troublé le régime, voici tantôt quarante ans, en en faisant un lac partiellement alpestre. Alf. Richard. Protection. L'assèchement de la plaine du Rhône dans ses rapports avec Tornithologie et la protection des oiseaux \ MM. J'ai à peine besoin de faire appel à votre indulgence pour ma modeste communication. Le sujet qui m'a été proposé est très vaste, il deman- derait de longues années de patientes observations. Mais il est capti- vant par son ampleur, par sa répercussion sur la faune et la flore d'une région merveilleusement riche, par ses rapports avec la science si belle et si grandiose de la géologie alpine; il est captivant surtout pour un enfant du Valais, car l'avenir économique d'une bonne partie du pays est en jeu. J'ai donc accepté, mais le temps très court dont je disposais ne m'a permis que de l'effleurer, de l'amorcer, espérant le voir étudier à fond par des spécialistes. Il serait en effet du plus haut intérêt de sui- vre de près l'évolution que la population végétale et animale subira du fait de ces travaux et les conséquences pratiques d'une étude pa- reille seraient certainement très importantes. Voici le cadre dans lequel je me suis proposé de vous présenter ce travail': Formation de la plaine du Rhône. ^ Travail présenté par M. le chanoine I. Mariétan, professeur au collège de l'Ab- baye de St-Maurice, à l'Assemblée générale de la Société romande pour l'étude et la protection des oiseaux, le 26 mai 1917, à St-Maurice. Phases principales de la grande lutte entre l'homme et le fleuve; travaux actuels. Faune ornithologique actuelle. Influence des travaux projetés sur les oiseaux. Moyens de protection. Formation de la plaine du Rhône. La grande et profonde vallée du Rhône a été creusée par l'érosion fluviale et glaciaire. Elle n'a plus actuellement sa profondeur primitive; il a dû se produire dans l'ensemble de la chaîne des Alpes un grand alïaissement transformant le sillon rhodanien en un lac. Ce lac a été divisé en deux parties : le Léman comprenant le lac actuel et sa pro- longation jusqu'à Saint-Maurice, puis le «Lac valaisan » comprenant la plaine du Valais central de Saint-Maurice jusqu'aux environs de Sierre probablement. Le Rhône et ses affluents continuant leur travail d'érosion appor- tèrent dans ces lacs tous les matériaux arrachés aux montagnes et aux vallées latérales et commencèrent à les combler. Ce travail de la nature n'est pas encore achevé, il s'exécute actuellement sous nos yeux dans la région de Villeneuve-Bouveret, où la plaine s'édifie lentement aux dépens du lac. Dès que la plaine fut formée, les affluents édifièrent des amas de sable, de gravier, de galets et même de gros blocs, amas connus sous le nom de cônes de déjection. Ces formations jouent un rôle capital dans la plaine du Valais, pays classique des cônes de déjection. En effet le fleuve ne pouvant transporter ces matériaux grossiers jusqu'au lac à cause de sa faible pente se trouve repoussé par ces cônes vers le versant opposé : c'est là le secret des méandres du Rhône à travers la plaine du Valais. Mais il est une autre conséquence bien plus grave : les cônes, les grands surtout, forment de vrais barrages et surélèvent le lit du fleuve; ainsi près de Saint-Maurice, le cône du Bois-Noir forme un seuil de 33 mètres; le cône de l'Illgraben ou Bois de Finges forme un seuil de 100 mètres. Conséquence : la partie qui est en amont va se trans- former en marécages : le fleuve s'y promènera paresseusement, traver- sant la plaine en de nombreux méandres, abandonné à toutes ses fan- taisies. Le Rhône a joui de cette liberté pleine et entière jusqu'au com- mencement du XIX°i^ siècle. L'homme, craignant les inondations, ne s'aventurait guère dans ces plaines; il bâtissait ses bourgs et ses vil- lages sur les cônes de déjection et y établissait ses cultures. Ce fut l'âge d'or des oiseaux. Lagunes couvertes de nénuphars, marécages parse- més de roseaux, parties buissonneuses, vieux troncs de saules, forêts — io- de vernes, dunes couvertes de pins et de genévriers géants, rien ne man- quait. Phases principales de la lutte entre l'homme et le fleuve et travaux actuels. L'homme entreprend de dompter Fenfant terrible et de conquérir ces plaines à la culture. Le 8 juin 1836 fut conclu un arrangement entre le canton du Valais et le canton de Vaud pour la correction du Rhône dans la plaine en amont du Léman. A partir de 1863 un système général de correction est appliqué au Rhône dans le Valais. Il est main- tenant complètement endigué à part la région comprise entre Sierre et Loèche. Une bonne partie de la plaine est acquise aux cultures, cependant la lutte de l'homme contre le fleuve est loin d'être terminée. Dans cer- taines parties de son cours le Rhône a une pente très faible, il n'a dès lors pas la force d'emporter les matériaux que lui amènent les affluents; son lit se surélève, les inondations se succèdent, l'homme ne trouve rien de mieux que d'élever des digues, mais il arrive alors à faire couler le fleuve au-dessus du niveau de la plaine. Dès lors les filtrations de- viennent faciles sans cependant être aussi abondantes qu'on pourrait le croire, et de plus les afïluents, les sources qui jaillissent à la base des versants, comme la grande source vauclusienne de la Sarvaz fournis- sant aux mois de juin-juillet jusqu'à 5000 litres à la seconde, ne peuvent plus pénétrer dans le fleuve; le niveau de la nappe phréatique s'élève et toute la plaine se transforme en marécages. Telle est la situation actuelle. Une partie marécageuse considérable se trouve dans la région de Tourtemagne, causée par le seuil du Bois de Finges. Les travaux de dessèchement de cette partie sont décidés. Dans sa séance du 16 mai 1917 le Grand Conseil a entendu un rapport de M. Christin sur ce tra- vail; le projet a été approuvé. Il comporte le dessèchement de la plaine comprise entre Viège et Rarogne; la dépense est évaluée à 500,000 francs. Les travaux commenceront dès que les difficultés causées par la guerre le permettront. Une autre partie marécageuse, et c'est la plus importante, se trouve entre Martigny et Riddes. La pente si faible du fleuve dans toute cette région est surtout une conséquence de l'existence du Bois-Noir et un peu aussi du cône de la Dranse à Martigny. Sur la rive droite du Rhône entre Fully et Saillon se trouve un vrai lac : « la Grande Gouille » de deux kilomètres carrés environ, d'une profondeur maximale de quel- ques mètres. La plus grande partie est occupée par des roseaux; des — 11 — îlots couverts de saules, de bouleaux, d'aulnes et de peupliers, surgis- sent çà et là comme aux « Iles des grands Glariers ». Aux « Gros Ilots » se trouvent des amas de sable, vraies dunes recouvertes de pins sylves- tres avec un sous-bois d'argousiers. Les travaux actuels portent sur le dessèchement de toute cette plaine, sur les deux rives du fleuve. Le système adopté consiste à creuser des canaux de chaque côté du fleuve pour drainer la région. On suit, en général, les anciens canaux ou se contente de les approfondir et de les élargir. Le canal destiné à assécher la rive droite « le Canal de Fully » abou- tissant au Rhône au-dessous de l'angle des Follaterres qu'il traverse en tunnel, est en grande partie construit; il a atteint dernièrement la « Grande Gouille « qui est maintenant à sec. Il doit être continué jus- qu'au delà de Saillon afm d'assécher la région des « Marais Neufs ». Sur la rive droite les travaux viennent de commencer à Riddes aux « Epeneys ». Les canaux auront une longueur de 25 kilomètres entre Riddes et la Bâtiaz, le point d'aboutissement sera fixé près de l'em- bouchure du Trient à Vernayaz. C'est un espace de 1270 ha. actuelle- ment tout en marais qui doit être assaini; territoire appartenant aux communes de Riddes, Saxon, Charrat, Fully, Martigny-Ville et Marti- gny-Bourg. Le devis total des travaux de cette région est de 1,800,000 francs, subventionné par la Confédération pour 50 "/o et l'Etat 20 "/q. Le prix du terrain assaini est prévu à 0,07 ou 0,08 centimes le mètre. Faune ornithologique actuelle. La faune ornithologique actuelle de cette région n'a guère été étu diée ^. M. Gams de Zurich a donné l'année dernière dans le bulletin de la Murithienne, Société valaisanne de sciences naturelles, un excellent travail sous ce titre : La Grande Gouille de la Sarvaz et les environs. C'est surtout un travail de géobotanique, les observations ornithologi- ques sont de peu d'importance. Mes observations sont très incomplètes; je dois la plupart des renseignements suivants à MM. Faisan, de Coca- trix, Girard et Farquet à Martigny. Je leur en exprime toute ma recon- naissance. La plaine du Valais central est surtout habitée actuellement par : Les foulques macroules (Fulica atra L.); elles y viennent au prin- temps, y nichent et en repartent en automne par bandes. La poule d'eau ordinaire (Gallinula chloropusL.) reste toute l'année. La poule d'eau marouette ou râle marouette (Porzana porzana L.) ' M. le chanoine Besse, de l'Abbaye de St-Maurice, a donné une liste des oiseaux du Valais en 1882. Les indications d'habitat, de fréquence y sont malheureusement peu abondantes. — 12 — est plutôt rare, tandis que le râle d'eau (Rallus aquaticus L.) demeure toute l'année. Le râle des genêts, ou roi de cailles (Crex crex L.) se trouve surtout en bordure des marais. La sterne Pierre-Garin (Sterna hirundo L.) est assez commune. Le canard sauvage (Anas boschas L.) est abondant et niche dans la région tandis que le canard pilet (Dafila acuta L.) est de passage fré- quent (janvier-février). La sarcelle d'été (Querquedula querquedula L.) et surtout la sarcelle d'hiver (Neitium crecca L.) sont communes. A signaler : Le vanneau huppé (Vanellus vanellus L.). L'œdicnème criard (Œdicnemus œdicnemus L.). Le héron cendré (Ardea cinerea L.). Le héron blongios (Ardea minuta L.). La bécassine ordinaire (Gallinago gallinago L.). Le courlis cendré (Numenius arqualus L.) de passage régulier. Le grèbe castagneux (Podiceps fluviaiilis Tunst.). Le martin-pêcheur. On a tué deux ibis falcinelles en 1907; un court-vite isabelle a été tué à Martigny en 1885. En août 1914 on a observé six cigognes probablement chassées par le bruit du canon; on en a tué une à Fully en 1916. Les rapaces nocturnes sont bien représentés dans la plaine ou sur les versants. Ce sont la chouette chevêche et chevêchette, la chouette hulotte et l'effraye, le grand et le moyen duc. Une chouette tengmalm a été tuée en 1916 aux îles près de Sion. La mésange à moustaches (Panurus biarmicus) niche parfois dans les fourrés d'épines aux bords du Rhône à Martigny. Des faisans naturalisés (Phasianus colchicus L.) sont lâchés chaque printemps par la corporation des chasseurs de Martigny ; ils prospèrent très bien dans la région. La perdrix grise est aussi importée au printemps. Telle est dans ses grands traits la faune ornithologique, surtout aquatique de la plaine du Valais central. ^ Influence des travaux sur les oiseaux. Quel sera le résultat de ces grands travaux ? Question importante pour éclairer la discussion des projets de protection. Verrons-nous dans quelques années toute cette grande plaine, débarrassée de son excès d'eau, subir l'influence du soleil méridional qui caractérise cette partie du Valais, se couvrir de riches cultures, de beaux arbres fruitiers et 1 En vue de l'étude proposée par l'auteur, il sera bon que ce tableau, très som- maire, soit complété. (Réd.). — 13 — récompenser ainsi les efïorts du peuple valaisan ? Ce serait trop beau et sans être pessimiste il est permis de douter d'un succès aussi complet. Le problème de la plaine du Rhône, surtout si on l'envisage dans un avenir éloigné, est des plus grandioses mais aussi des plus complexes. Le fleuve continuera son travail, c'est-à-dire continuera à exhausser son lit. Le principal moyen de lutte pour l'homme sera de sortir ces matériaux par des drainages actifs et de les déposer sur les bords du fleuve : moyen utilisé déjà depuis 1897. Suffira-t-il ou sera-t-on obligé d'en arriver un jour à un moyen radical, c'est-à-dire à redonner la liberté au fleuve pour un colmatage en grand, afin d'élever le niveau de la plaine ? La réponse serait bien difficile; il est certain que la question des matériaux apportés par le fleuve restera toujours comme une épée de Damoclès suspendue sur la plaine du Valais. Quoi qu'il en soit, il est certain que ce lac de deux kilomètres, parsemé d'une foule d'îlots, comme du reste tous ces marécages et toutes ces régions buissonneuses remplissent toutes les conditions pour le déve- loppement des oiseaux. Leur dessèchement entraînera inévitablement la disparition de la plupart des oiseaux palmipèdes ou échassiers. Quel- ques espèces peut-être pourront se maintenir sur les canaux. D'autre part certains passereaux auront aussi à souffrir de ce dessè- chement. Ce sont : les mésanges, le roitelet huppé, le troglodyte, le bruant des roseaux, la bergeronnette grise, les fauvettes, etc. Ces oiseaux vivent ou nichent dans les roseaux ou encore s'y abritent. Moyens de protection. M'adressant à des amis des oiseaux, à des partisans convaincus de leur utilité, je n'ai pas besoin d'un long réquisitoire pour prouver com- bien il serait bon de conserver et de multiplier ces oiseaux au point de vue scientifique, comme auxiliaires de l'agriculture, comme gibier et aussi au point de vue pittoresque et poétique. Le gouvernement du Valais est parfaitement convaincu de l'im- portance de la protection des oiseaux, il est tout disposé à mettre en œuvre des moyens de protection, en ce moment surtout où l'agricul- ture attire spécialement l'attention des pouvoirs publics. Les moyens de protection sont difficiles à proposer. La constitution de « réserves » dans lesquelles le terrain ne serait pas livré à la culture intensive, mais serait laissé aux roseaux, dont le rôle est si important pour la protection des oiseaux, serait certainement très difficile. Pour qu'une « réserve » de ce genre donne de bons résultats, il faut qu'elle soit très grande et dans le cas présent on ne peut songer, vu les sacri- fices faits, à soustraire aux cultures une grande étendue de terrain. De - 14 — plus il serait très difficile de maintenir une partie considérable de la plaine à l'état de marécage, au même niveau que les parties desséchées et cultivées. Je crois cependant qu'une étude minutieuse de la région révélerait certaines parties qui resteront marécageuses malgré la cons- truction des canaux. Ce seraient des réserves tout indiquées. Elles se ré- véleront du reste au cours des travaux et surtout après leur exécution. A mon sens il faudrait surtout diriger les efforts actuels sur la cons- titution de « refuges buissonnants » déjà mis au bénéfice d'une subven- tion cantonale par la loi vaudoise. Ces refuges seraient tout indiqués dans certaines parties du territoire où la culture sera difficile ou même impossible. 1° Le dragage restant le grand moyen de lutter contre le fleuve, on pourrait réserver sur les bords du Rhône si ce n'est deux bandes con- tinues de terrains, au moins certaines parties sur lesquelles on déverse- rait les sables et graviers extraits. On pourrait planter là des arbres de haute futaie, comme des peupliers, des pins sylvestres, qui consoli- deraient le terrain des digues, et en sous-bois une végétation buisson- neuse éminemment favorable à la protection des oiseaux prendrait facilement pied. 2^ Il existe dans le Valais central un vent local « la bise » qui en été souffle presque chaque après-midi, remontant la vallée. Ce vent est assez fort pour causer de sérieux inconvénients aux cultures. Pour briser ce courant on a décidé d'établir à Martigny un « rideau-abri » c'est-à-dire une large plantation d'arbres de haute futaie (peupliers probablement) sur un terrain exproprié entre le Mont St-Ottan et l'arête des FolJaterres; d'autres rideaux-abris du même genre sont prévus, avec végétation buissonneuse sur les bords; ils serviront de réserve pour les oiseaux. J'insiste beaucoup sur la double utilité de toutes les réserves buis- sonneuses de cette plaine, et comme protection des oiseaux et comme abri contre le vent. 30 Dans cette plaine on voyait autrefois de grands amas de sable constitués par le vent, c'étaient de vraies dunes, formées avant la cor- rection du fleuve. L'une près de Martigny, surnommée la Tour de Malakoff, c'était à l'époque de la guerre de Crimée, avait une hauteur considérable. Elle a disparu, le sable ayant servi au colmatage. Il existe encore des dunes remarquables entre Charrat et Saxon et dans la « Grande Gouille ». Ces dunes sont maintenant fixées par la végétation, ainsi aux « Gros Ilots » les dunes sont couvertes par des pins sylvestres et par un sous-bois d'argousiers qui en font une région presque impé- nétrable. Elles ne dépassent guère trois mètres de haut sur une longueur — 15 — d'un kilomètre. La conservation au moins d'une partie de ces dunes constituerait une excellente réserve pour les oiseaux, de plus elle serait vivement à souhaiter au point de vue scientifique spécialement pour des études de géobotanique. Ce sont des monuments naturels qui repré- sentent l'état de la plaine à une époque où le fleuve jouissait d'une li- berté pleine et entière. 4° Enfin comme moyens de protection il y aurait lieu d'examiner si on ne pourrait pas introduire ou conserver quelques parties buisson- neuses sous forme de haies vives, comme limites des propriétés, le long des chemins, etc. Quand les arbres fruitiers auront pris pied et dès maintenant déjà il serait bon de développer largement l'emploi des nichoirs artificiels. Et enfin il faudrait rendre plus efficace la guerre au braconnage. On m'a signalé de différents côtés et spécialement de Martigny des massa- cres de petits oiseaux par des ouvriers italiens. Il y aurait lieu d'user à l'égard de ces destructeurs, d'une très grande sévérité. Je termine en faisant bien des vœux pour que cette première réunion de notre Société en Valais produise des fruits. Le Valaisan en contact continuel avec tant de beautés et de richesses naturelles est un peu blasé. Cette réunion fera mieux connaître en Valais la Société romande pour l'Etude et la Protection des oiseaux et par le fait même elle con- tribuera à faire connaître les oiseaux, à les faire aimer et à les faire pro- téger. J'ose espérer qu'il se trouvera parmi les jeunes étudiants qui assis- tent à cette séance des apôtres de la protection des oiseaux. Puissent les agriculteurs mieux comprendre que les oiseaux sont pour eux des auxiliaires puissants; que les chasseurs les protègent pour ne pas tarir cette source de plaisir si appréciée et tous enfin, soyons bien convaincus, selon l'expression d'Eugène Rambert, « qu'il n'y aura jamais assez de ces petits oiseaux que la Nature a répandus dans le monde pour s'y pavaner dans leur parure innocente et y entretenir le sourire d'une enfance perpétuelle. » L Marietan. Comment favoriser la nidification. « Dans la question de la protection des oiseaux, dit Berlepsch, l'essentiel sera toujours de leur procurer les conditions d'existence et de reproduction qui leur sont nécessaires », parce que la cause prin- cipale de leur diminution, ajoutons-nous, est précisément la sup- pression de ces conditions normales d'existence. Ici l'agriculture, qui est la toute première intéressée à protéger les oiseaux, a été plus par- — 16 — ticulièrement fautive. En voulant faire table rase de tout ce qui la gênait, en supprimant haies, bosquets et même les arbres isolés dans les campagnes, en enlevant ainsi aux oiseaux les abris et les lieux de reproduction indispensa- bles, elle a contribué activement à la disparition de ses plus utiles auxiliaires; et, comme toute faute se paye, elle a vu par contre-coup ses produits menacés par des plaies d'insectes ignorées jusqu'alors. — Connaître le mal, c'est le premier pas pour y porter remède. — Dès que l'origine du dépeuplement gra- duel et toujours plus marqué de nos champs et de nos bois fut connu, on s'appliqua à trouver les mesures capables de l'enrayer, mesures qui peuvent se résumer en ces mots : rendre aux oiseaux ce qu'on leur avait pris. C'est ainsi qu'on en vint à l'idée des réserves, des refuges buissonnants, des nids artificiels, de la conservation des vieux arbres, de la plantation des haies vives, du maintien du sous-bois et des roseaux, et même de la conservation de certains marais, là où cela était possible; autant de moyens de protec- tion, qui sont d'une importance capitale et sur lesquels nous aurons souvent à revenir. Pour aujourd'hui, et comme suite à l'article paru à ce sujet dans un précédent bulletin, nous indiquons ici un moyen préconisé par Berlepsch pour favoriser la nidification. Ce moyen con- siste à lier par le milieu, en un faisceau, un certain nombre de jeunes tiges, en vue de créer un support naturel pour le nid des « nicheurs de plein air ». Le dessin qui accompagne ces lignes est assez explicite en lui-même pour pouvoir se passer de commentaire. Veiller à ce que le support ainsi créé soit ferme et droit. Sur 50 de ces faisceaux, Berlepsch rapporte qu'il en vit 47 utilisés par les oiseaux, dès la première année; c'est dire leur grande efficacité, A. R. Tiges liées en faisceau pour servir de support aux nids. — 17 Calendrier ornithologique. Grèbe huppé. (Podiceps cristatus L.), 21 avril. Observé ce matin, du train, de grandes troupes de grèbes sur le lac de Bienne. M. Reichel. 21 avril. Il doit y avoir eu une arrivée de grèbes ces jours, car, parmi une centaines de nageurs remarqués aujourd'hui aux abords des roseaux-abris de l'embouchure de la Thièle, je ne compte pas moins de 40 grèbes, alors qu'il n'y en avait point à ma dernière visite, le 5 avril. A. R. Bergeronnette printanière. (Motacilla flava L.). 25 avril. Jour de passage pour cet oiseau dans le Seeland. A. R. Martinet. (Cypselus apus L,.). 22 avril. Vu un martinet isolé à Neuchâtel, un second le 26 du même mois. C. CoRNAz. 29 avril. Les martinets survolent Champ-Bougin en poussant leurs cris aigus, signe de chaleur et de beau temps. A. R. Bruant ortolan. (Emheriza horlulana L.). 28 avril. Pour l'ornithologue, apercevoir pour la première fois un oiseau peu commun dans un endroit où il ne lui était point encore apparu, égale le plaisir que le botaniste éprouve à découvrir une nouvelle station pour une fleur rare. J'ai eu ce plaisir aujourd'hui en consta- tant la présence, dans la réserve du Seeland, d'une petite troupe de 5 ortolans. A. R. Sterne épouvantait. (Hydrochelidon nigra L.). 5 mai. Une centaine volent au-dessus des roseaux et des eaux de la Réserve du Seeland. A. R. Avocette. (Recuruirostra avocetta L.). 8 mai. A cette date et en arrivant vers l'embouchure de la Venoge (Lé- man) j'ai fait partir 6 avocettes. Un pêcheur qui demeure là me dit qu'elles y étaient depuis le matin de bonne heure, arrivées sans doute pendant la nuit ^. W. M. Tourne-pierre interprète. (Arenaria interpres L.). 9 mai. Je possède dans ma collection un tourne-pierre, tué par moi en septembre 1885, sur la jetée du Flon (Léman). Dès lors je n'en ai pas revu, jusqu'à aujourd'hui, 9 mai, où j'aperçois 3 superbes ^ Il y a quatre ans, le 9 mai, M. W. M. observait 6 avocettes au même endroit et en capturait une. (Voir Nos Oiseaux, N° 1. j Réd. — 18 - exemplaires de cette espèce, en plumage de noces, sur le petit môle de la Broyé, Réserve du Seeland. L'individu représenté ici rend exac- tetement compte de la livrée dont ces é- chassiers étaient re- vêtus. Il faut y ajou- ter ce qu'un dessin à la plume ne peut re- produire, le ton roux de rouille foncé et très riche des ailes, et le rouge éclatant des pattes, pour se faire une idée com- plète de ces hôtes de passage. Parmi les re- présentants de cette espèce , de prove- nance neuchâteloise. 1^1 I ' ' W-A Tourne-pierre interprète (J^ en livrée de noces). que possède notre musée, je n'en ai trouvé aucun ayant le plumage de noces dans toute sa pureté (noir et blanc nettement délimité), et tels qu'étaient ceux qui séjournèrent le 9 mai de cette année (ils n'y furent \ us qu'un jour) sur le petit môle de la Broyé. A. R. Sterne naine. (Sterna minuta L.). 9 mai. Deux sternes naines sont posées sur le petit môle de la Broyé, dans le voisinage des tourne-pierres. Exécutent de là de petits vols au-dessus des eaux de la Réserve du Seeland. A. R. Phragmite. (Acrocephalus schœnobaenus L.). 10 mai. La présence de cet habitant des joncs dans la Réserve me paraît assez irrégulière. Aujourd'hui j'en vois un de tout près, sur les bords d'un petit fossé. A. R. Pouillot natterer. (Phylloscopus Bonelli V.). 12 mai. J'ai noté à plusieurs reprises le passage tardif, en plaine, de ce pouillot des monts et des montagnes et remarqué, en même temps, sa prédilection pour les pins sylvestres. C'est dans un taillis composé de cette essence, tout près de la Réserve, que j'ai observé un de ces oiseaux aujourd'hui. A. R. Hypolaïs ictérine. (Hypolais iderina V.). 12 mai. Les dernières semaines de chaleur et de beau temps ont pré- cipité l'arrivée de tous les retardataires, fauvettes des jardins, — 19 — loriots, gobe-mouches gris, ictérines. Dans un bois appelé le Cha- blais, près de Cudrefin, j'entends retentir le chant si varié de cette dernière espèce, avec une fréquence qui me paraît digne de re- marque. 14 juin. Nid d'ictérine, contenant deux œufs (17,7 x 13,5 et 17,2 x 13 mm.) et trois nouveaux-nés, bois du Chablais. A. R. Héron crabier. (Ardea ralloides Scop.). 19 mai. Ce joli héron, de passage pourtant assez régulier sur les bords de nos lacs, ne s'était pas montré, que je sache, dans la Réserve ces dernières années. Aussi l'y vois-je réapparaître avec plaisir en 1917, représenté par cinq individus, d'un jaune superbe, les uns paraissant plus foncés, d'autres plus pâles, perchés sur des roseaux flottés, formant radeau, parmi la verdure naissante des herbages aquatiques. A. R. Canard sauvage. (Anas boschas L.). 2 juin. Nid contenant 11 œufs, dans un bois situé en bordure de la Réserve du Seeland. Un second nid à 45 mètres du premier contient dix œufs et un troisième, trouvé dans la Réserve même, six. Dans les trois nids la ponte est complète; au dire du garde de la Réserve, elle l'était déjà, dans les deux premiers, le 26 mai. 15 juin. Eclosion des canetons du nid contenant dix œufs, découvert le 26 mai. 20 juin. Eclosion de la couvée du nid contenant onze œufs, découvert le 26 mai. 23 juin. Je constate que les canetons du nid renfermant six œufs ont quitté le berceau familial, y laissant six coquilles, aussi entières et bien conservées qu'elles peuvent l'être. Comme les œufs étaient encore intacts le 20, l'éclosion doit avoir eu lieu, entre le 20 et le 23. A. R. Foulque. (Fulica atra L.). 2 juin. Nid contenant six œufs, ponte complète, par 60 cm. de fond. Eclosion 14 juin. Réserve du Seeland. A. R. 9 juin. Nid contenant six œufs, ponte complète, par 55 cm. de fond. Réserve du Seeland. Eclosion le 14 juin. A. R. Rousserolle turdoïde. (Acrocephalus turdoides M.). 2 juin. Nid de rousserolle turdoïde. Réserve du Seeland. Lié à quatre roseaux frais, appuyé à un roseau sec de l'an passé. Contient cinq œufs, dont les deux plus grands mesurent 22,2 X 15,7 et 22,1 X 15,8 mm. 13 juin. Le nid de rousserolle découvert le 2 juin contient aujourd'hui deux petits nouvellement nés et trois œufs encore intacts. A. R. — 20 — 4 juin. Nid de rousseroUe turdoïde. Réserve du Seeland, A 15 mètres du premier. Est fixé à six roseaux, dont trois vieux (de l'an passé) et trois frais. Contient cinq œufs dont le plus grand mesure 22,6 x 14,9 mm. 9 juin. Le nid de rousserolle découvert le 4 juin, contient aujour- d'hui deux petits et trois œufs encore intacts. N. B. Le massif de roseaux, où se trouvent ces deux nids de rous- rolles turdoïdes est un massif où les vieux roseaux sont restés debout, A. R. Chevalier arlequin. (Totanus fuscus L.). 7 juin. Un arlequin solitaire dans la Réserve du Seeland, reconnu à son cri. Qu'y fait-il à cette saison ? A. R. Bécasseau minute. (Tringa minuta Leisl.). 9 juin. Il y a cette année des bandes d'échassiers grands et petits, en séjour sur les môles de la Broyé et dans la Réserve, bécasseaux va- riables, combattants, courlis, culs-blancs. Parmi ceux-ci de mignons bécasseaux échasses ou minutes me laissent approcher, en bateau, à deux mctres. Est-ce l'été précoce et superbe dont nous jouissons qui les amène ou les retient ici, à une époque où ils devraient être sur les lieux de reproduction ? A. R. Vanneau-pluvier. (Charadrius squatarola L.). 16 juin. Un bel exemplaire de cette espèce, en plumage de noces, a été observé à cette date par nous sur le petit môle de la Broyé. Nous constatons que la tache axillaire noire, si frappante en automne, et sur laquelle nous avons attiré l'attention des observateurs dans le numéro 17 (page 110) de ce bulletin, se confond plus ou moins, dans la livrée de noces, avec le noir des flancs. Au vol et suivant l'éclairage la queue paraît toute blanche. La tache frontale, blanche également, qui s'étend davantage sur le vertex que chez le pluvier doré, luit sous les rayons du soleil de juin. A. R. M. Reichel. Assemblée générale de la Société Romande pour l'étude et la protection des oiseaux. Cette assemblée a eu lieu avec un plein succès et favorisée par un temps superbe à St-Maurice, le 26 mai écoulé, et conformément au programme publié d'autre part. Malgré les difficultés de l'heure présente, 70 à 80 membres et amis avaient répondu à notre appel. Aucun d'eux, nous en sommes certains, ne regretta sa décision, grâce à l'intérêt des travaux présentés ', grâce à la bonne organisation de cette réunion par nos représentants du Valais, grâce enfin et surtout à l'excellent accueil qui nous a été fait par eux et par les autorités de leur canton, accueil dont nous nous faisons un plaisir de les remercier encore une fois ici. 1 Dont l'un est reproduit in extenso dans le présent numéro. N» 22 ^==^^^W^ OCTOBRE 1917 NOS OISEAUX BULLETIN DE LÀ SOCIÉTÉ ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LA PROTECTION DES OISEAUX Etudes ornithologiques. Le rouge-queue tithys en haute montagne. Le rouge-queue tithys est un oiseau d'Europe, et en Europe c'est un habitant des contrées montagneuses, et parmi les con- trées montagneuses notre pays est un de ceux, si ce n'est ceiui où cet oiseau est le plus commun. Son habitat présente ceci de particulier, c'est que si, verticalement, il s'étend des bords de nos lacs de plaine à des sommets de 3000 mètres, et même, dit-on un peu au delà, horizontalement, et avec la Méditerranée comme limite méridionale, il ne dépasse guère les rives de la Baltique et celles de la mer du Nord. A l'orient on trouve encore le tithys dans les régions occidentales de la Russie; au couchant, à mesure qu'on se rapproche des plaines basses, voisines de la mer, il va diminuant de fréquence : en Hollande il n'existe que dans cer- taines provinces, en Angleterre, comme oiseau de passage seu- lement. Dans notre pays. Les lecteurs des Matinées cV automne d'Urbain Olivier se sou- viennent peut-être d'un chapitre intitulé « L'oiseau de la Dôle ». Par une belle journée d'été, l'écrivain vaudois s'est rendu de bon matin avec son fils sur le sommet jurassien. En arrivant il y remarque « un petit oiseau, qui se tenait sur un assez gros bloc de calcaire entouré de buissons rabougris : il regardait le vallon, le chalet de la Dôle, les vaches, et il chantait gaiement sur son esplanade ». Ce petit oiseau est un rouge-queue. Je puis confirmer pour ma part l'observation de l'auteur des Matinées. — 22 — J'ai revu un oiseau de même espèce au même endroit le 4 octobre 1886. La Dôle a 1685 m. : dans le Jura le tithys monte donc jusque sur les plus hauts sommets. Dans les Alpes ce n'est guère qu'au moment du passage d'automne que je l'ai rencontré sur les cimes, ainsi à deux reprises à la fine pointe de la Dent d'Oche (2225 m.), le 14 octobre 1899, et le 5 octobre 1907, une fois sur le Grammont (2178 m.), le 23 octobre 1907, une autre fois au pied du piton terminal de la Bella Tola, c'était le 5 octobre 1906, à l'altitude de 2700 mètres. Le Catalogue des Oiseaux de la Suisse a d'intéressantes données sur la répartition du tithys dans les Alpes, données desquelles il ressort que cet oiseau y niche communément jusqu'à 2000 mètres, que de 2000 à 2500 il devient beaucoup plus rare, et que les constatations de sa présence faites entre 2500 et 3000 mètres et même au delà, se rapportent à l'Engadine, vallée jouissant de conditions climatériques spéciales, permettant par exemple aux forêts de s'élever à 400 mètres plus haut que dans le reste de la Suisse. En ce qui me concerne, et pour la partie de nos Alpes que j'ai parcourue le plus fréquemment, soit celles de Savoie, de Vaud, de Fribourg et du Valais, je ne me rappelle pas avoir jamais vu notre oiseau à 3000 mètres. C'est ainsi que pas plus tard que le 23 juillet de cette année, en remontant le Val de Bagnes dans sa partie supérieure, j'aperçus un des derniers tithys tout au fond de la vallée, à 2000 mètres d'altitude, près d'un petit pont qui franchit la Dranse, au pied de la rampe finale qui aboutit à la cabane de Chanrion (2410 m.). C'était un mâle, su- perbe, un papillon au bec : tant que nous restâmes à l'observer, il ne bougea pas de place, ne voulant pas révéler l'endroit où se trouvait le nid, en portant à ses petits, en notre présence, une proie qui leur était évidemment destinée. J'en vis un second à mi-chemin de la cabane, et quelques-uns de mes compagnons m'affirmèrent en avoir observé dans les vastes pâturages qui environnent ce refug'fe alpin. Plus haut, au cours d'une ascension à la Ruinette (3879 m.), je n'en vis plus. De même en me rendant à la cabane de Panossière (2700 m.) j'entendis retentir le chant du tithys à 2200 m. puis encore à 2400 mètres sur les revers qui dominent le glacier. Dès la moraine et jusqu'à la cabane plus, un seul. — 23 — Il y a dans les auteurs, ceci à propos des lieux que le tithys fréquente de préférence, une phrase qui pourrait induire en erreur. « Il se reproduit régulièrement dans les rochers abrupts », dit le Catalogue; «il se reproduit dans les hauts rochers de nos contrées alpestres » (Bailly) ; « sur les rocs les plus élevés, dans les trous et les fentes des parois abruptes » (Naumann). Si les auteurs et ouvrages cités entendent désigner les parois de rocher de quelques centaines de mètres de haut et plus ou moins à pic, au sommet desquelles se trouve communément l'aire de l'aigle royal, tandis que plus bas s'y accrochent sous quelque formida- ble saillie, les nids en corbeille de l'hirondelle de fenêtre, et sous quelque corniche plus petite, celui de l'hirondelle de rocher, parois qu'animent au temps des nichées les cris stridents de la crécerelle, les sifflements du chocard et la plainte répétée des jeunes accenteurs des Alpes, je n'y ai pour ma part point observé le tithys. En dehors des alpages et des lieux habités, c'est au creux des vallées, le long des torrents que demeure cet ami des rocailles et encore, comme l'observe si bien Bailly, « aux revers des torrents», j'ajouterai : au revers des glaciers, c'est-à-dire sur les pentes de ces vallons étroits entre lesquels le pied du gla- cier est ordinairement encaissé. Et même, étrange contraste, j'ai vu cet être si frêle, qui est grâce légère et fugitive, qui est chaleur, mouvement et vie intense, sautillant gaiement sur la carapace étincelante, mais froide, de ce reptile énorme qu'est le glacier, parmi les blocs durs et nus que le monstre charrie vers la plaine sur sa puissante échine, dans un labeur invisible et séculaire. A Fionnay. D'après ce qui précède on a pu voir que le tithys a deux façons de nicher, la sauvage, la primitive, celle à laquelle Landbeck fait allusion lorsqu'il dit que dans la Forêt Noire notre oiseau établit son nid « sur les rocs de granit, où ils nichaient déjà longtemps avant l'apparition des habitations humaines ». Et l'autre, la plus récente, la domestique, celle qui lui a valu en Allemagne le nom de Hausrotschwanz et qui lui fait rechercher pour sa de- meure ces habitations elles-mêmes. Et ces deux modes se conci- - 24 — lient et s'expliquent par un même fait : le rouge-queue est ami de la pierre. S'il en fallait une preuve je l'y verrais déjà dans ce modeste vêtement, couleur de cendre et de suie, qui s'adapte si parfaitement à la teinte des rocs parmi lesquels il vit et l'y rend invisible, lorsqu'il consent à s'y tenir en repos. Il est ami de la pierre, et c'est comme de gros tas de pierre qu'il envisagea sans doute les villages et les villes qu'il vit peu à peu surgir dans la plaine à la suite du défrichement des forêts. A Fionnay (1500 m. sur mer), hameau de montagne qui n'est habité que pendant la belle saison, et où j'ai observé quantité de nids cette année, les uns, ceux qui nous intéressent plus spécialement, étaient pla- cés à la façon primitive, dans les anfractuosités et sur les saillies de gros blocs éboulés, dont les flancs et le fond de la vallée sont tout parsemés, les autres, parmi les poutres des chalets ou sous le toit de l'hôtel. Et tandis que les premiers n'étaient distants du sol que d'un mètre ou un peu plus, le dernier dominait les environs comme du sommet d'une tour, de ses 25 ou 30 mètres de hauteur. Quant aux nids que j'ai appelés « primitifs » et du plus loin que je me souviens, c'est sur le rebord et dans les niches naturelles de quelque gros bloc erratique ou d'éboulis que je les ai trouvés. Et parmi les 8 ou 10, anciens ou nouveaux, que j'ai eu l'occasion d'étudier cette année, tous occupaient cette situa- tion, la plupart des blocs qui les supportaient n'étant qu'à 300, 200, et 100 mètres de la Dranse; l'un d'eux se dressait dans le lit même du torrent, dont le bruit formidable et monotone devait bercer jour et nuit les cinq oisillons composant la nichée. Un nid typique, typique du mode de nidification primitif du titliys, c'est celui que représente notre gravure. Quand je le découvris, le 17 juillet, il contenait 5 œufs d'un blanc bleuâtre ^ Le contour, johment arrondi, m'en parut plus net, et l'intérieur, chaudement capitonné de plumes, plus étroit et plus profond que d'habitude. L'examen que j'en fis, après le départ de la nichée, me montra qu'il était ^ Cette teinte est très rare. Elle est signalée dans le Nouveau Naumann et dans le Catalogue des oiseaux de la Shiisse. Je note que sur l'œuf que j'ai recueilli et vidé elle a disparu. — 25 — composé de mousse à sa base, puis de quelques grosses tiges, ensuite de mousse et de fibres végétales, enfin de brindilles plus fines, de menues racines et de quelques crins noirs et blancs. L'éclosion de quatre petits eut lieu entre le 23 et le 26 juillet. Je recueillis plus tard un œuf non éclos, qui paraissait infécond; en réalité il renfermait un embryon déjà assez avancé et mesurait 19,7 mm. de long par 15 mm. de large. Le 5 août il n'y avait plus que 3 petits au nid, le 7 au matin 2; dans l'après-midi du même jour le nid était vide. D'après des observations précises rappor- tées par le Catalogue ^ la durée de l'incubation et celle du séjour des petits au nid seraient toutes deux de 13 jours exactement, mais sont sans doute sujettes à de légères variations dépendant des circonstances. Quant à la position du nid, je compléterai les indications données par notre gravure en disant qu'il ne se trou- vait pas à beaucoup plus d'un mètre de terre, coincé dans une crevasse d'un gros bloc de schiste, lequel, détaché d'un sommet voisin s'est arrêté au milieu d'un pré, à quelque cent mètres du torrent. Au cours des ans le sommet du bloc s'est recouvert d'une abondante et gracieuse végétation, mousses, capillaires, polypodes, saxifrages et jolies petites campanules bleues, ali- gnées sur les corniches, tandis que dans le bas et sur les faces, où l'œuvre de désagrégation se poursuit, où des tranches vives se sont détachées, le roc est à nu et offre aux rouges-queues les cassures, les unes en creux, d'autres en saillies, dont ils savent si admirablement profiter pour y établir leurs .nids. Ici je m'étonne de l'ingéniosité des petites mères, qui dans le choix d'un emplacement, doivent tenir compte de tant de facteurs différents : sécurité,' abri contre la pluie et, à la montagne où l'insolation est si puissante, protection contre les rayons trop ardents du soleil. Voici dans le cas présent comment l'oiseau a résolu le problème. La paroi du bloc, où se trouve le nid, est orientée vers l'est, de telle sorte qu'entre 8 et 9 heures du matin, les œufs et plus tard les petits se trouvent exposés en plein à la chaleur vivifiante du soleil. Pendant l'incubation j'ai remarqué que la couveuse (dont je n'ai jamais aperçu le mâle) profitait de ce moment pour aller chercher pâture. A 9 heures précises le nid même entre dans l'ombre, tandis que ses abords restent * Catalogue des oiseaux de la Suisse, IX°>"^ livraison, page 1494. — 26 — éclairés : l'air se réchauffe, sans que les petits ni la mère soient incommodés par une trop grande chaleur. A l'heure de midi où, directe, celle-ci deviendrait vite mortelle et, indirecte, serait encore de trop, les conditions d'éclairage changent encore une fois : le soleil passe derrière le bloc, et la face où est le nid est plongée dans une ombre profonde, bienfaisante, enveloppant le petit berceau; aux alentours tout est paix, tout est silence; seul le torrent fait entendre sa plainte monotone, tandis qu'à l'abri du roc énorme, détaché des monts, quatre petits rouges- queues rêvent d'un bonheur encore inconnu. La mazzerette du Valais. Dans les Alpes valaisannes j'ai entendu appeler le rouge- queue tithys mazzerette (prononcez madzerette) ^ Et l'on m'y a expliqué ce nom comme suit : matsurette, c'est-à-dire le petit oiseau « mâchuré » ou barbouillé de noir. J'ai recueilli un autre nom patois ayant trait à la couleur du mâle, à Noville dans la vallée du Rhône, où l'on appelle notre oiseau le bourlâ soit « le brûlé ». Lorsqu'un oiseau est doté d'un nom populaire, c'est qu'il est suffisamment abondant et qu'il vit assez près de l'homme pour s'imposer à son attention. C'est le cas de la mazzerette : ce bec-fin vit et niche en si grand nombre dans les chalets qu'il serait étrange qu'il eût passé inaperçu; aussi ai-je eu, à plusieurs repri- ses, l'occasion de m'entretenir de ses faits et gestes avec les montagnards. Une opinion curieuse qu'ils professent à son sujet, c'est qu'il ne quitte pas le pays, mais se retire dans les crevasses des murailles, sous les toits des écuries pour 3^ passer la morte saison dans un engourdissement pareil à celui de la marmotte. Antoine Crettaz, des Haudères, guide que nous avions engagé en 1905 quelques amis et moi, pour nous conduire au Grand Cornier, nous raconta, chemin faisant, et comme preuve irréfuta- ble du fait cité plus haut, que dans son propre chalet, et sous l'influence simultanée d'une journée de soleil et de la chaleur ' Fatio donne mazereloz pour St-Maurice et j'ai vu avec plaisir dans la nouvelle édition de la Liste distributive des oiseaux de la Suisse, dont les éditeurs se sont donné beaucoup de peine pour collectionner toutes les appellations vulgaires des oiseaux en Suisse, le nom de nmatsèrèta». C'est à tort selon nous que le Nouveau Naumann indi- que le nom patois cité par Bailly, pour la Savoie, comme en usage dans la Suisse romande. — 27 — qui régnait à l'intérieur de sa demeure, une mazzerette était sortie de la cachette où elle se tenait blottie (c'était un trou dans la muraille) et avait volé dans la cuisine. Il n'y avait pas à douter du fait, puisque lui-même avait tenu l'oiseau dans ses mains. Il y aurait donc, parallèlement au problème de l'hibernation de l'hirondelle rustique, qui a soulevé en son temps de si vives discussions, une question de l'hibernation possible du rouge- queue tithys dans les Alpes. Un second phénomène sur lequel j'ai recueilli de la bouche des indigènes maints récits intéressants, c'est celui de sa capture par fascination de la part des vipères. Il arrive assez fréquemment à notre oiseau d'aller chercher sa nourriture à terre, et c'est là qu'il est victime des attaques imprévues de l'insidieux reptile. Dans un pâturage situé entre les Haudères et le glacier de Fer- pècle, où j'avais recueilli une grosse vipère contenant un campa- gnol, le même Antoine Crettaz fut témoin de la scène suivante : il vit soudain à terre une mazzerette battant éperdument des ailes, et poussant des cris de détresse, tandis qu'elle dirigeait ses regards sur un point de la prairie, où il porta aussitôt à son tour toute son attention. Ce fut pour y découvrir, émergeant de l'herbe, la tête plate et triangulaire d'une vipère : figée dans une immobilité de statue, elle dardait sur sa victime le feu de ses prunelles, et il était évident que, malgré les contorsions désor- données auxquelles il se livrait, le pauvre oiseau ne parvenait pas à se soustraire aux effluves magnétiques du reptile, qui paraissaient le clouer sur place. Telle était du moins l'idée d'Antoine. J'eus beau lui démontrer que lorsqu'il aperçut l'oiseau, dont les mouvements spasmodi- ques avaient attiré son attention, celui-ci avait déjà été piqué, et que ces mouvements eux-mêmes étaient un effet du venin, dont la vipère connaît l'action et dont elle attend les résultats avant d'avaler sa proie (ce que du reste elle fit dans le cas pré- sent, j'oublie de le dire); je ne réussis pas, je crois, à convaincre mon interlocuteur. Il résulte toutefois de son observation et d'autres semblables que je ne puis toutes relater ici que la vipère réussit à capturer des oiseaux adultes, bien que le fait soit plutôt rare (et pas seulement de jeunes oiseaux encore au nid, comme semble l'admettre Tschudi). Un montagnard, très observateur, — 28 - qui a actuellement 53 ans, m'affirma qu'au cours de son exis- tence, il se souvenait d'avoir été témoin de quatre cas de ce genre, et qu'un cinquième lui avait été rapporté par une personne digne de foi. Quelque intelligent et instruit qu'il soit, il continue cependant à croire au pouvoir de fascination de la vipère : il m'en cita pour preuve le fait que dans un des cas mention- nés le reptile ayant été tué par le témoin de la scène, le charme fut rompu et l'oiseau put s'envoler. Les croyances utiles. Il y a chez le peuple des croyances qui, sous la forme qu'elles revêtent, sont traitées avec raison de superstitions ^ mais qui renferment un fond de vérité, et auxquelles par conséquent il me paraît préférable de donner le nom de croyances, vu le sens dépréciatif du second terme. Ainsi l'idée que l'hirondelle porte bonheur est juste en soi, mais point tout à fait d'une façon aussi mystérieuse que l'imaginent ceux qui y croient; ainsi le mythe antique qui voulait que de l'arbre abattu sortît une nymphe qui se vengeait sur l'auteur du forfait, a longtemps protégé les forêts et mis les peuples au bénéfice de leur influence bienfai- sante. C'est pour avoir abandonné cette croyance si utile, sans la remplacer par la connaissance exacte des faits dont elle pro- cédait, que les habitants d'une vallée des Grisons ont dû quitter celle-ci pour toujours, le défrichement inconsidéré auquel ils s'étaient livrés ayant eu pour conséquence le ravinement des pâturages et la réduction en désert d'une contrée autrefois fer- tile : les nymphes de la forêt outragée étaient sorties et s'étaient vengées. Comme l'a été l'arbre au temps jadis, comme l'est encore l'hi- rondelle aujourd'hui, l'oiseau qui nous occupe est l'objet de diver- ses croyances qui le protègent efficacement, du moins dans l'Eu- rope centrale, contre les atteintes de l'homme. Naumann rap- porte que dans son pays, les paysans sont convaincus que si jamais ils portaient la main sur un rouge-queue, ils en seraient punis par un incendie; pour eux le rouge-queue est sacré comme ^ Il y a aussi des superstitions malfaisantes qui, elles, méritent bien le nom de superstitions, comme celle qui fait tuer les hiboux si utiles, comme oiseaux de mau- vais augure. — 29 — l'hirondelle, car, comme elle, il leur porte bonheur. Je ne sais jusqu'à quel point la même croyance, et surtout l'idée du châ- timent que s'attire celui qui la foule aux pieds, est répandue dans la Suisse orientale. C'est à elle que de Salis fait sans doute allusion lorsqu'il dit que le tithys « doit sa distribution générale aux sympathies de l'homme qui ne le protège pas seulement à cause de son utilité incontestable, mais aussi par superstition». A moins que ce ne soit à une autre légende du même genre, qui a sauvé et sauve sans doute encore des milliers de petits oiseaux dans nos montagnes et qui m'a été révélée par un fruitier des environs du Châtelard. Comme je m'entretenais avec lui de l'utilité des oiseaux, il s'empressa de me dire qu'il en était bien convaincu, «d'ailleurs, ajouta-t-il, nous sommes persuadés que si nous tuons un de ces petits êtres dans le voisinage de nos cha- lets, le lait de nos vaches se change en sang, » Si j'ai bonne mé- moire, il s'agissait tout particulièrement du rouge-gorge, et dans l'idée du pâtre, il y avait une relation mystérieuse entre la bavette rouge de ce petit oiseau et la nature de l'effet que sa mort pro- duit sur le lait. A ce propos Tschudi, après avoir énuméré les divers oiseaux qui habitent la région alpine, rouges-queues, tro- glodytes, traquets, dit textuellement ce qui suit: «Ces char- mants petits oiseaux y sont d'autant mieux à l'abri que les mon- tagnards croient plus fermement que leurs vaches donneraient du lait rouge sur l'Alpe où un de ces petits êtres aurait été immolé. » ^ Pour nous il résulte des faits cités que les habitants des mon- tagnes et les paysans de Germanie ont eu l'intuition de l'utiUté du rouge-queue tithys et d'autres oiseaux bien avant qu'elle eût été démontrée scientifiquement. Ils l'ont traduite à leur manière, d'une manière propre à frapper leur imagination d'hommes frustes et ignorants et à leur inspirer en même temps une crainte salutaire. Plût au ciel que de telles croyances, si utiles par leurs effets, fussent plus généralement répandues : la tâche qu'ont assumée les défenseurs des oiseaux en serait singulièrement faci- litée. Alf. Richard. * p. de Tschudi. Les Alpes, page 355. — 30 — Protection Rapport sur l'exercice 1916-1917 présenté à rAssemblée générale de la Société Romande pour l'Etude et la Protection des Oiseaux, AU THÉÂTRE DE SAINT-MAURICE, le 26 Mai 1917. Mesdames, Messieurs, Pour la quatrième fois depuis sa fondation, la Société Romande pour l'Etude et la Protection des Oiseaux, tient ses assises générales. En les ouvrant, nous désirons adresser un souhait de bienvenue aux sociétaires qui, des diverses parties du pays romand, ont répondu à notre appel; nous tenons aussi à présenter l'expression de notre gra- titude aux représentants des autorités valaisannes, cantonales et com- munales, civiles et religieuses, qui ont mis tant d'empressement à nous accueillir et à nous procurer le très grand plaisir d'être réunis dans ce canton dont la faune est l'une des plus belles, et dans cette ville de Saint-Maurice, qui est l'un des plus anciens centres de culture du pays. Vous savez. Messieurs les représentants du Valais, que les relations des riverains du lac de Neùchâtel avec votre cité remontent très haut; c'est eux déjà qui avaient apporté les blocs de pierre où furent taillés ces antiques tombeaux que les fouilles faites à l'Abbaye ont permis de retrouver. Aujourd'hui, nous ne venons point à vous dans la pensée de préparer quelque nouveau tombeau, à moins que nous ne puissions creuser celui des égoïsmes et de l'instinct de destruction ; nous vous convions à travailler avec nous à une œuvre de vie, car elle a pour but la conservation de cette faune ailée si menacée mais si utile, et qui est, selon l'expression de Bufïon, l'une des merveilles de la nature. Que faisons-nous pour cette faune ? Quel est l'état actuel de notre œuvre et de notre Société ? Telle est la question à laquelle nous vou- drions brièvement répondre. 1. Société. Notre Société comptait au 27 mai dernier 631 membres, répartis dans toute la Suisse Romande; elle en avait 572 en 1916; c'est donc une augmentation de 59 membres que nous avons le plaisir d'enregistrer, malgré la guerre qui absorbe l'attention publique et la crise écono- mique qui réduit les ressources du plus grand nombre. Les cotisa- — 31 — tions que nous avons perçues au cours du dernier exercice, qui est celui de 1916, se sont élevées à fr. 2548,95, en augmentation de 256,38 francs sur 1915. Par contre, le compte de profits et pertes accuse pour 1916 un déficit de fr. 420.15 avec fr. 2752.08 aux recettes et fr. 3172.23 aux dépenses, dues surtout à la publication de notre journal et à l'amé- nagement des réserves auxquelles nous nous intéressons. Le fonds capital qui est actuellement de fr. 4161.05 s'est augmenté dans le der- nier exercice, d'une obligation de fr. 1000 du Crédit foncier neuchâte- lois, soumise à usufruit; cette obligation est un don de l'une de nos sociétaires qui a tenu à nous remettre une part des économies qu'elle fit, au cours d'une vie de labeur, comme lingère et porteuse de jour- naux. Enfin nous avons appris, non sans regrets, que la Ligue féminine contre le port de plumes d'oiseaux sauvages s'est dissoute, et nous avons reçu des liquidateurs, M^e de la Rive et M. Lassieur, la moitié de l'avoir de la Ligue, soit fr. 150. — . Nous avons déjà exprimé et nous tenons à exprimer ici encore notre reconnaissance à ces généreux donateurs qui se sont souvenus d'une œuvre modeste mais utile, à laquelle on ne reprochera certes pas de harceler le public de ses appels. Cependant, des dons nous sont néces- saires pour équilibrer notre budget, qui boucle en déficit. 2. Comité intercantonal. Il a subi diverses modifications. M. le D^ F. de Cérenville nous a envoyé sa démission pour raisons de santé. La mort nous a repris plusieurs membres sur l'intérêt et l'appui desquels nous pensions pou- voir compter encore; notre Comité a perdu en effet MM. W. de Rham, à Lausanne, H. Morerod, ancien député et ancien syndic d'Yvorne, H. Matter, professeur, qui nous a longtemps représentés au Val-de-Ruz; nous tenons à présenter à la famille des défunts l'expression de notre vive sympathie et nous vous prions de vous lever pour honorer leur mémoire. En remplissant les vides creusés dans nos rangs, nous avons cher- ché à étendre quelque peu la sphère d'action de notre Comité inter- cantonal et nous avons eu le plaisir d'y voir entrer plusieurs membres nouveaux; ce sont MM. M. Décoppet, inspecteur fédéral en chef des forêts, à Berne, Alfred Cérésole, juge cantonal, à Lausanne, H. Blanc et D^" Eperon, professeurs à l'Université de Lausanne, A. Brun, à Cla- rens, L. Duflon, syndic de Villeneuve, A. Rosset, à Aigle, Armand Martin, maire de Collonges, P. Meyer de Stadelhofen, à Hermance et L. Roux, président de l'Association des Intérêts de Genève. Nous re- — 32 — mercions ces nouveaux membres de l'appui qu'ils nous apportent et dans lequel nous aimons à voir une preuve que notre œuvre a déjà jeté de profondes racines dans le pays, 3. Bulletin. Si le nombre de nos sociétaires a augmenté, malgré les temps diffi- ciles que nous traversons, cela tient avant tout, nous devons le dire, à l'intérêt qu'entretient pour les questions ornithologiques le bulletin de notre Société et à l'activité inlassable déployée par son rédacteur. La publication si appréciée à laquelle il voue ses soins et qui paraissait précédemment en quatre numéros, paraît maintenant en six numéros par an, dont un seul double. Nous n'avons pas reculé devant cette aug- mentation de charges, dans la pensée que le nombre des lecteurs de notre publication s'accroîtrait encore si elle paraissait à époques plus fréquentes et plus régulières, et nous serons reconnaissants envers tous ceux qui nous aideront à la faire connaître, à la répandre, et qui l'enri- chiront de leurs observations ornithologiques. Cette publication devrait être plus répandue en particulier dans les écoles et nous étudions la question de la création d'abonnements scolaires, à prix réduits. Dans l'œuvre de la protection, l'école peut faire beaucoup et devrait cer- tainement faire davantage. 4. Mesures législatives. Diverses mesures, émanant de l'autorité fédérale, ont attiré notre attention. Je ne dirai rien ici de celle qui fut prise par l'autorité mili- taire, à l'instigation de quelque colombophile mal renseigné, contre les rapaces diurnes accusés de détruire les pigeons voyageurs, puisque nous allons entendre sur cette question un rapport spécial. Vous ver- rez combien la mesure fut regrettable, car, sans protéger de façon effi- cace l'oiseau qui portait autrefois le symbole de la paix et auquel on confie aujourd'hui les messages de guerre, elle a entraîné la destruction d'un bon nombre de rapaces, indispensables à l'agriculture. Nous au- rons à examiner ce qu'il convient de faire pour empêcher que cette destruction ne se poursuive. Une autre question délicate est celle du fauchage des roseaux au bord de nos lacs, particulièrement du lac de Neuchâtel, où ils sont très abondants et jouent un rôle important pour la protection des oiseaux. Le Commissariat fédéral des guerres, dans le but d'augmenter la quan- tité de litière du pays, avait en effet décidé de faire procéder à un fau- chage général, auquel nous n'avons pas cru devoir nous opposer; cepen- — 33 — dant, nous demandions que des touffes de roseaux fussent ménagées en quantité suffisante pour les oiseaux, particulièrement dans les réser- ves. Une crue subite des lacs interrompit nos démarches en mettant à vau-l'eau — c'est le cas de le dire — les projets du Commissariat. Que penser de l'arrêté du Conseil fédéral pris à la suite de nombreu- ses démarches faites auprès de lui et modifiant provisoirement l'article 17 de la loi fédérale sur la chasse et la protection des oiseaux, afin de permettre aux propriétaires, fermiers et personnes autorisées, de dé- truire les merles, grives et étourneaux, causant des dégâts dans les vignes, vergers et potagers ? Sans doute nous ne méconnaissons pas ces dégâts, commis à certaines saisons, mais nous voudrions qu'on n'oubliât pas non plus les services rendus à l'agriculture par les oiseaux menacés, sans parler de la beauté de leur chant. Avant de les condam- ner à mort, ne pourrait-on chercher les moyens de les tenir à distance des cultures auxquelles ils causent un préjudice momentané et d'ail- leurs largement compensé ? D'autres espèces ne pâtiront-elles pas de ces mesures de destruction, prises en dérogation de la loi ? Et pourquoi sont-elles édictées sans que les spécialistes de diverses parties du pays soient consultés et en reconnaissent l'urgence ? La Commission orni- thologique fédérale ne pourrait-elle ici servir de trait d'union entre les autorités, les spécialistes, les groupements d'étude et de protection, qui représentent eux aussi une partie de l'opinion publique? Nous voudrions même aller plus loin. Pourquoi, à côté des stations agrico- les, viticoles, piscicoles, etc., n'aurions-nous pas aussi des stations zoologiques, comme celle de Seebach en Allemagne par exemple, qui sont appelées à rendre tant de services pour l'étude de la faune et de son rôle dans l'économie générale de la nature et plus spécialement de la culture du sol ? Pourquoi la zoologie agricole est-elle encore si peu en honneur parmi nous ? 5. Moyens de protection. Nous avons fait confectionner par les ateliers de sans travail de Neuchâtel des nichoirs de différents modèles, que nous livrons à des prix fort modérés et que nous recommandons aux membres de la Société. 200 nichoirs ont été déjà vendus pour notre compte; il en sera placé aux Grangettes par les soins de M. INI. Barbey; la ville de Lau- sanne nous a fait également une importante commande par l'intermé- diaire de son jardinier-chef, M. Thuillard, dont l'activité ne vous est point inconnue puisque vous avez déjà eu l'occasion de visiter le do- maine de Vidy, si judicieusement aménagé. Nous voudrions bien que toutes nos villes eussent comme Lausanne des jardiniers-chefs qui — 34 — comprennent tout ce qu'ils peuvent faire pour la protection et non pas seulement la réclusion des oiseaux. Nous avons étudié et continuerons d'étudier la difficile question de la conservation des vieux arbres, refuge naturel de tant d'oiseaux utiles, dont le jardinage des forêts rend toujours précaires les conditions d'exis- tence et de reproduction. De quelques stations alpestres nous sont venues des plaintes, dont nous n'avons pu encore examiner le bien-fondé, sur le fait que des internés, civils et militaires, se livrent à la chasse des oiseaux protégés par la loi et commettent même à leur égard de véritables actes de cruauté. A ce propos, nous nous sommes demandé s'il ne serait pas utile de faire connaître notre œuvre de protection aux nombreux étrangers qui ont trouvé asile sur notre sol et pourront peut-être, à leur retour au pays, répandre les idées qui nous sont chères. Des conférences ont été organisées à cet effet : M. Quartier, membre de notre Comité, a parlé aux réfugiés belges du canton de Neuchâtel ; notre secrétaire, M. Cornaz s'est adressé aux internés français, et nous restons à la disposition des personnes et comités qui désireraient faire appel à nos conférenciers. Ils n'ont pas oublié non plus leurs concitoyens. M. Cornaz a fait à la Société d'agriculture, réunie à Aigle, une causerie sur l'utilité des oiseaux pour l'agriculture, et votre président a parlé à la réunion des propriétaires de vignes du canton de Neuchâtel sur le rôle des insecti- vores dans la lutte contre le ver de la vigne. 6. Réserves. Nous avons ouvert un crédit pour la pose de nichoirs aux Granget- tes et nous sommes prêts à discuter avec nos collègues vaudois la ques- tion de la surveillance de cette réserve, qui a été constituée à notre demande et rend déjà de réels services. L'Etat de Genève a accédé à la requête de notre Société et décidé la création d'une petite réserve terrestre et lacustre à la Pointe à la Bise, près de Collonges. Nous sommes disposés à faire les sacrifices que néces- siteront l'aménagement et la surveillance de cette réserve, si l'Etat veut bien de son côté lui donner les dimensions indispensables. Quant à la magnifique réserve du Seeland, elle a produit déjà des résultats dont nous pouvons être satisfaits. Sur notre requête, les auto- rités des cantons riverains l'ont complétée par une réserve lacustre allant du môle de la Thièle à celui de la Broie; nous avons demandé qu'elle soit elle-même complétée par l'établissement d'un périmètre fermé à la pêche, de façon que les hôtes ailés des roseaux n'en soient pas chassés à chaque saison et à chaque instant par les «battues» des — 35 — pêcheurs et que la nidification ne soit pas troublée et peut-être par- tiellement compromise. Notre demande a été prise en considération par le Département de l'Agriculture du canton de Neuchâtel, toujours prêt à faire œuvre utile; mais, combattu par l'inspecteur de la pêche sur le lac de Neuchâtel, le projet fut rejeté par la Commission inter- cantonale de la pêche. Il nous fut répondu que la création de ce péri- mètre, pourtant si restreint puisqu'il comprenait seulement les bas- fonds de Witzwyl, « nuirait aux intérêts de la pêche » ! Nous croyons que le contraire serait beaucoup plus vrai, puisqu'un périmètre, fermé à la pêche, formerait une frayère naturelle qui favoriserait grandement — l'expérience en a été faite ailleurs — la multiplication du poisson. * Plusieurs autres problèmes, qui se sont posés à nous, mériteraient encore une mention; ce que nous avons dit suffira pour montrer le grand développement pris par notre œuvre qui, pour avoir un objet un peu spécial, n'en revêt pas moins un caractère d'intérêt général, aussi pouvons-nous convier chacun à s'y intéresser et à la soutenir I Cette œuvre d'étude et de protection sera comprise en particulier, nous en sommes certains, en cette ville de St-Maurice qui conserve ()ieusement un trésor que les siècles ont épargné, que le chercheur travaille à enrichir, que l'artiste et l'historien ne se lassent point d'étu- dier et d'admirer. La faune ailée du pays n'est-elle pas aussi un trésor confié à ses habitants, pour qu'ils le transmettent à leurs après-venants ? Ce précieux dépôt, nous voulons veiller sur lui, apprendre à le mieux connaître, à l'aimer, à l'enrichir. Comme celui des savants et vigilants gardiens du trésor sacré, le travail que nous ferons sera une œuvre de science et de patience, de beauté et de bonté. Alfred Mayor. Calendrier ornithologique Coucou (Cuculus canorus L.). 23 juin. Entendu le dernier chant du coucou dans la Réserve du Seeland. Date ordinaire d'après Necker : 15 juin; date la plus tar- dive : 22 juin. A. R. Tourterelle (Turlur tiiiiur L.). 4 juillet. J'observe pour la première fois une tourterelle dans le voisi- nage de la Réserve (bois du Chablais). A. R. 36 — Goéland argenté (Larus argentatus Gm. subspecies cachinnans?). 7 juillet. Un représentant de l'espèce, perché sur une balise à l'entrée du canal de la Broyé, vu par moi à cette date, déjà remarqué par le garde Jomini le 2. A. R. Barge à queue noire (Limosa limosa L.). 7 juillet. Pour la première fois j'aperçois un de ces oiseaux dans la Réserve, en plein été. A. R. Pie=grièche à poitrine rose (Lanius minor Gm.). 7 août. Une famille de pies-grièches roses, et une autre de pies-griè- ches ècorclieurs (Lanius collurio L.) se sont soudain montrées à Fionnay, val de Bagnes, à cette date. Remontaient-elles la vallée pour passer le col de Fenêtre ? A. R. Rousserolle aquatique (Acrocephalus aqualicus Gm.). 20 août. Je découvre une rousserolle aquatique dans la Réserve, M. Reichel. 1er septembre. Le passage des becs-fms aqua- tiques, signalé par M. R. continue: aujour- d'hui ils sont nombreux dans la Réserve. A ce propos la mention du Catalogue d'après laquelle cet oiseau serait commun près de Marin et y nicherait même, m'étonne. Pour ma part et en ce qui concerne la région située entre Thièle et Broyé, pas bien éloignée de INIarin, cette jolie rousserolle n'y est que de passage irrégulier. Pendant ces huit derniè- res années je ne l'y ai, en effet, observée que deux fois, soit en 1913, dès la fin d'août au 5 octobre, et cette année dès la date indiquée ici, la passe étant encore actuellement en cours (27 septembre). A. R. Bergeronnette printanière (Motacilla flava L.). l^r septembre. Entendu le cri d'appel propre à cette espèce durant toute la journée dans le Seeland; on continue à l'y entendre jus- qu'à maintenant (27 septembre), A. R. Pipit rousseline (Anihus campestris L.). 1er septembre. Les pipits rousselines sont apparus dans la Réserve, (Voir à ce propos note et gravure à pages 146 et 147 des n^s 6 et 7 de Nos Oiseaux (vol. I). A. R. Rousserolle turdoïde (Acrocephalus iurdoides Meyer). 1er septembre. Vu la dernière à cette date dans la Réserve. A. R, Rousserolle aquatique. 6 sept. 1915. CHOUETTE CHEVECHE N» 23 ^'"^'^^^^^ DÉCEMBRE 1917 NOS OISEAUX BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LA PROTECTION DES OISEAUX Etudes ornithologiques. L'œil de la chouette chevêche. Si l'on se représente la création anim île, au point de vue évo- lutif, sous l'image d'un arbre, ayant à la racine et comme point de départ la cellule primitive, et au sommet, comme aboutisse- ment suprême, l'homme (en vue duquel, selon l'expression de Pline, la nature paraît avoir engendré toutes choses — cujus causa videtiir cuncta alla genuisse natiira — ■), les oiseaux figu- reront à l'extrémité d'une branche latérale, bien voisine de la cime, et dont le tronc sera représenté par les reptiles. Les oiseaux sont donc eux aussi un aboutissement, c'est là l'idée que je veux mettre en évidence, en me servant de cette image, et même, certains de leurs organes, certains de leurs sens l'emportent en perfection sur ceux des mammifères les mieux doués. Si, par exemple, l'on admet que le degré de la température du sang cons- titue une supériorité, les oiseaux l'emportent sous ce rapport sur tous les autres êtres de la Création, Vhomo sapiens compris, puisque chez eux le sang atteint à 43 et même 44,5 degrés cen- tigrades. Cette chaleur du sang est bien certainement un avan- tage, car elle a pour conséquence, au point de vue du tempéra- ment, une gaieté, une vivacité constantes (Sono gli uccelli le pin liete créature ciel mondo — les oiseaux sont les créatures les plus joyeuses du monde, a dit Leopardi); au point de vue de la lutte pour l'existence, une activité inlassable et peut-être aussi — 38 — cette rapidité des réactions nerveuses si frappante chez les oiseaux. Avez-vous jamais observé une mésange s'approchant d'un piège ? Après quelque hésitation la voici qui s'élance sur la planchette où se trouve l'appât; la planchette bascule, le ressort se déclanche, le filet va s'abattre sur l'imprudent volatile, mais plus vive que le ressort la petite patte s'est détendue, plus rapi- des que le filet, en tourbillon, les ailes ont battu l'air, et par un effort violent, par une réaction instantanée, foudroyante, l'oi- seau s'est soustrait au danger qui le menaçait. Aucune autre créature n'est capable de cette rapidité -là. Outre la température élevée de leur sang et les qualités physi- ques et psychiques (si je puis dire) qui en découlent, ce qui dis- tingue encore les oiseaux, c'est le haut degré de perfection qu'at- teignent chez eux. certains sens. Ainsi la vue. Tous les oiseaux, sauf peut-être l'aptéryx, l'ont remarquable, qu'ils aient les yeux grands, comme les hiboux, qui les ont le plus grands, ou petits, comme les échassiers, qui les ont le plus petits. Comme preuve de cette acuité de la vision chez les rapaces nocturnes on cite l'anecdote suivante : Un savant qui avait à côté de lui une chouette apprivoisée, remarqua, à un moment donné, que sa compagne fixait avec persistance un certain point de la paroi opposée de l'apparte- ment. Il nota en outre qu'à intervalles réguliers, l'œil de l'oiseau semblait s'agrandir, la pupille se dilater. Curieux de connaître la cause de ce phénomène, il se rendit à l'autre bout de la pièce, et y aperçut, dans l'angle, une araignée. Mais encore, d'où pro- venaient ces changements qu'il voyait s'opérer presque rythmi- quement dans l'œil de son amie ? Pour s'en rendre compte il appliqua une échelle contre la paroi de manière à pouvoir exa- miner l'araignée de tout près. Et il constata ceci : chaque fois que la bestiole bougeait une de ses pattes, pourtant plus ténues et plus diaphanes que le plus fin des cheveux, le hibou donnait les marques d'intérêt rapportées plus haut. Si l'acuité visuelle est grande chez les oiseaux de nuit, ce qui les distingue toutefois plus particulièrement, c'est le pouvoir très développé qu'ils possèdent d'accommoder leur œil au degré d'intensité de la lumière. Pour se rendre compte de ce fait, il suffira de jeter un coup d'œil sur l'instantané reproduit ici. C'est ~ â9 - celui d'une chouette chevêche ^ pris en pleine lumière. Il a suffi que l'arcade sourcilière projette une ombre légère sur l'œil gauche pour qu'immédiatement la pupille se dilate et soit d'un tiers environ plus grande que celle de l'œil opposé. Au reste on peut produire le même efîet artificiellement. Dans le demi-jour d'une pièce peu éclairée ou bien au crépuscule, vous approchez une bougie du sujet de votre expérience : dans la mesure exacte où vous avancez vous voyez la pupille se rétré- cir, de façon à n'être plus qu'un gros point noir au centre du champ jaune d'or de l'iris, et sitôt que vous vous éloignez vous la voyez grandir au contraire jusqu'à paraître démesurée. Cette action automatique, immédiate de la lumière sur la pupille, par l'intermédiaire de la rétine, est due à la présence de fibres striées dans les petits muscles de l'iris ^ qui commandent ce mécanisme délicat. Chez les mammifères les mêmes fibres sont lisses et l'adaptation lente. On croit donc que la striation est en rapport avec l'instantanéité de la contraction. Il faut mentionner encore ici, comme caractérisant plus spécialement la chevêche et contribuant à lui donner la physionomie qui lui est propre, le fait que relève Bailly, à savoir que le disque de plumes qui entoure l'œil chez cet oiseau est moins apparent que chez ses congénères, et qu'il y voit plus aisément de jour qu'eux tous. Quant à l'expression que lui donnent ces grands yeux, d'un jaune brillant, à pupille extrêmement dilatable, situés de face et non sur les côtés de la tête, abrités sous deux grandes arca- des bordées de blanc, elle est singulièrement attrayante. Tantôt grave et méditative, ou étonnante par l'intensité du regard, tantôt comique et malicieuse, elle est toujours intéressante, et, à la considérer, l'on se demande ce qui peut bien se passer dans cette petite cervelle dont elle reflète les impressions, sous ce crâne peu élevé, mais tout développé en surface ? Le faciès de la chouette chevêche avait déjà frappé les anciens, et dans cet ensemble quelque peu humain, ce qui avait particulièrement * Cet oiseau, tombé du nid en juin 1915, fut recueilli à Givrins, par un ami de notre œuvre, lequel me le confia pour en achever l'éducation. Je le gardai pendant un an, et lui rendis la liberté, dans la Réserve du Seeland, en juillet 1916, après l'avoir marqué d'un anneau d'aluminium portant le N° 6089. - Le sphincter pupillae et son opposant le dilatator pupillae. — 40 — attiré leur attention, ce sont les yeux, si je m'en rapporte à l'étymologie du nom de yÂav^ dont les Grecs baptisèrent notre chouette. Suivant F. Robert, yÂav^ se rattache à la racine du verbe yZaùoaœ « je brille » et c'est à ses yeux ronds d'une gran- deur démesurée que la chevêche a dû d'être appelée en grec yÂav^'^». Quant à l'épithète de j/yîavxwyrt.g qui accompagne le nom de l'une des divinités les plus vénérées de la Grèce antique, Athéné ou Minerve, elle ne signifierait pas suivant le même auteur: «aux yeux bleus » (ou aux yeux couleur d'eau de mer, comme on nous l'expliquait au collège), mais bien « aux yeux de chouette ». Il faut croire qu'en lui appliquant cette épithète, les Grecs ne désiraient point faire un mauvais compliment à leur déesse, souveraine personnification de la sagesse, des arts et de la guerre. Bien au contraire, j'y vois une preuve de plus combien l'air grave et réfléchi de notre oiseau les avait impressionnés. Dans la nomenclature binaire actuelle la chouette chevêche porte le nom d'Athène nodua (Scop.). Le grand Linné ne la con- naissait pas ^ sinon pour obéir à la loi de priorité ^ établie par les congrès ornithologiques de la fin du siècle dernier, loi généra- lement reconnue et appliquée de nos jours, on aurait dû lui donner le nom proposé par cet auteur. Comme depuis 1758 la première description exacte de la chouette chevêche a été faite par Scopoli (1769) sous le nom spécifique de nodua, tiré de Pline, c'est celui qui a été adopté. Quant au nom générique d'Athene, il est dû à Boie (1822). Dans le système ternaire, imaginé par Hartert pour faire ren- trer dans la nomenclature les variétés et les sous-espèces, cet ornithologue, se conformant à la loi de priorité citée tout à l'heure, a appelé notre oiseau, espèce type, Aihene nodua nodua (Scop.), tandis que la variété signalée en Grèce par Brehm, et décrite par lui sous le nom d'indigena, porte le nom d' Aihene nodua indigena (Brehm). Et voici comment, soit que l'on ait recours à la nomenclature binaire, soit que l'on choisisse la ternaire, le nom de cet oiseau ^ F. Robert. Les noms des oiseaux en grec ancien. Neuchâtel 1911. ^ Elle est fort rare en Suède. ^ D'après cette loi, et en remontant à la lO"'^ édition du Systema naturae de Linné (1758), on choisit le nom le plus ancien sous lequel l'espèce a été correctement dé- crite. — 41 — aux yeux brillants rappelle encore aujourd'hui à la fois la prin- cipale déesse et la plus belle cité de ce petit peuple qui, à un mo- ment donné de l'histoire, rayonna d'un si vif éclat dans le monde. D'autre part il est intéressant de constater, en remontant à la plus haute antiquité, que c'est en définitive et indirectement, l'œil de la chouette chevêche qui a valu à cet oiseau le nom géné- rique sous lequel il est actuellement connu dans la langue scien- tifique universelle. Aif. Richard. Protection. La destruction des rapaces. Cette question continue à figurer à l'ordre du jour de notre Société, et à préoccuper vivement tous les amis et défenseurs de notre faune menacée. Car il est malheureusement encore en vigueur cet arrêté du département militaire fédéral qui voue à la mort le faucon pèlerin, devenu fort rare, ainsi que l'autour et l'épervier, qu'il serait dangereux de supprimer et même de diminuer. Comme on va le voir et comme nous l'avions prévu, cette fâcheuse mesure entraîne en outre la destruction de rapaces considérés comme utiles (ils le sont tous à divers degrés). Nous renvoyons nos lecteurs à ce qui a été dit sur ce sujet dans un de nos précédents bulletins (n^s 11 et 12, page 16), nous bornant à reproduire ci-après la lettre que nous avons adressée au Conseil fédéral pour demander l'abrogation du dit arrêté. Nous faisons suivre ce document du rapport de M. Henri Blanc, professeur de zoologie à l'Université de Lausanne, rapport présenté à l'As- semblée générale de notre Société à Saint-Maurice, en mai der- nier. Neuchâtel, le 12 septembre 1917. Au Haut Conseil Fédéral Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous remettre, avec la présente, une copie du rapport présenté à l'Assemblée générale de notre So- — 42 - ciété, du 26 mai dernier, par M. Henri Blanc, professeur de zoo- logie à l'Université de Lausanne, sur la destruction des rapaces diurnes dans le canton de Vaud et en Suisse, en 1915. Il résulte de ce rapport très bien documenté que ces rapaces, en tous cas la crécerelle et la buse, (il faut y ajouter les rapaces nocturnes), sont parmi nos meilleurs auxiliaires pour prévenir la multiplication des rongeurs, devenus un fléau pour la campagne. Dans ces circonstances, nous estimons très regrettable l'Arrêté fédéral concernant la destruction des rapaces, comme consti- tuant un danger pour les pigeons voyageurs, car, le rapport de M. Blanc le démontre, les rapaces utiles protégés par la loi fédé- rale sont confondus avec les autres par les chasseurs ignorants. 11 y a lieu, en outre, de rappeler — les travaux des hommes compétents en France, en Allemagne et en Suisse (MM. Kurt Zimmerman en Bohême, Fernand Daguin, avocat à la Cour d'ap- pel à Paris, Galli-Valério, à Lausanne, etc.) l'ont démontré — que les oiseaux de proie jouent un rôle d'assainissement en s'at- taquant de préférence aux sujets faibles et malades; au point qu'en Bohême, au Vorarlberg, en Ecosse et ailleurs, la destruc- tion exagérée des rapaces a eu pour résultat immédiat l'appari- tion d'épidémies désastreuses pour le gibier. Nous espérons donc que vous voudrez bien rapporter le susdit arrêté en vous faisant très respectueusement observer, au surplus, que si l'on continue à autoriser la destruction des rapaces, ils auront bientôt disparu de notre pays. Nous demeurons à votre disposition pour tous renseignements complémentaires, et vous présentons, Messieurs, l'assurance de notre haute et respectueuse considération. Au nom de la Société romande pour l'Etude et la Protection des Oiseaux : Le Président, Le Secrétaire, A. Mayor. C. Cornaz. 43 Destruction des oiseaux rapaces diurnes dans le canton de Vaud et en Suisse pendant l'année 1915. PAR Henri Blanc, PROFESSEUR, CONSERVATEUR DU MUSÉE ZOOLOGIQUE. Par l'envoi d'une circulaire datée de Berne du 29 juin 1915 et adressée aux gouvernements cantonaux, le Département mili- taire fédéral, après entente avec le Département de l'intérieur, demandait que des mesures soient prises dans toute la Suisse pour la chasse des oiseaux de proie qui, d'après lui, étaient cou- pables de détruire les pigeons voyageurs dans leur entraînement comme messagers. En date du 27 juillet 1915, une seconde circulaire du Dépar- tement militaire fédéral invitait les autorités cantonales, cela pour tenir compte d'un désir exprimé par la Société suisse pour la protection de la nature, à ne faire tuer que : 1° le Faucon pèlerin, 2° V Autour, 3° VEpervier, les autres espèces de rapaces devant être exclues de la chasse en raison de leur utilité ou de leur plus grande rareté. L'arrêté sur la chasse dans le canton de Vaud, daté du 20 août 1915, rappelait aux chasseurs que l'Etat-major fédéral allouerait une prime de deux francs pour chaque oiseau de proie tiré et envoyé, pour y être déterminé exactement, au Musée zoologique de Lausanne, l'autorité cantonale payant aussi deux francs de prime par spécimen livré. Du 11 septembre au 13 décembre 1915, soit pendant toute la durée de la chasse dans notre canton, le Musée zoologique a reçu 86 rapaces diurnes déterminés comme suit : Faucon hobereau (Baumfalke) Falco subbuteo. L. = 1. — Faucon pèlerin (Wanderfalke) Falco peregrinus. L. = 3. — Autour ordinaire (Hûhnerhabicht) Astur palumharius, L. = 8. Crécerelle (Turmjalke) Cerchneis tinminculus, L. = 11. — Epervier (Sperber) Accipiter nisus, L. = 46. — Buse ordi- naire (Màasebussard) Buteo vulgaris, L. =17. Il ressort de cette première statistique, que des chasseurs con- naissant mal nos oiseaux rapaces diurnes ont tué un Faucon — 44 — hobereau, représentant d'une espèce qui devient de plus en plus rare dans le pays; que nos nemrods vaudois ont abattu encore 11 Crécerelles, espèce utile, et 17 Buses, espèce dont les méfaits sont très discutés aujourd'hui; en tout cas, la chasse de ces deux oiseaux n'était pas réclamée. Pour être toujours mieux renseigné sur le genre de nourriture des oiseaux qui étaient apportés au service du Musée, nous avons ouvert les gésiers de cinq Crécerelles; ils ne contenaient que des débris encore mal digérés de petits rongeurs. Lasnier a fait de nombreuses autopsies intestinales du Faucon crécerelle qui lui ont démontré que ce rapace détruit beaucoup de campagnols et qu'il ne peut venir à bout des oiseaux et du gibier adultes; il est donc à ranger parmi les espèces utiles. Cependant V. Fatio dit de la Crécerelle : «les passereaux et même les jeunes gallinacés ne sont pas à l'abri de son bec quand, durant la mauvaise sai- son, les souris et les insectes viennent à lui manquer ». La Cré- cerelle ne figure heureusement pas dans la liste ofTicielle des oiseaux nuisibles en Suisse. Nous avons également ouvert les gésiers de huit Buses; les premières, tuées en automne, qui furent autopsiées avaient le gésier bourré de grosses sauterelles vertes (Locusta viridissima) : les gésiers des dernières, tuées en novembre et décembre, ne contenaient que des restes de petits rongeurs. Si la Buse est con- sidérée comme une espèce nuisible par notre loi fédérale sur la chasse et la protection des oiseaux, de nombreux ornithologistes scientifiques et pratiques pensent que cet oiseau doit bénéficier de l'amnistie malgré les quelques méfaits qu'il peut commettre, puisqu'il détruit quantité de petits rongeurs malfaisants. — V. Fatio reconnaît aussi que pendant la belle saison, la Buse se contente comme nourriture de petits mammifères, souris, campagnols, de lézards, de grenouilles, de jeunes oiseaux pris au nid. Mais quand les gelées viennent la priver de ce menu facile, ou dans les régions supérieures où elle trouve moins de petites proies à sa portée, elle devient plus carnassière et plus entreprenante et s'attaquera alors assez souvent soit au gibier, soit aux petits oiseaux et aux volatiles de basse-cour. De la Fuye et G. de Dumast, après avoir pratiqué 48 autop- sies intestinales de la Buse, qui ont été faites plutôt durant les — 45 — mois de mai à octobre pendant les années 1908-1909-1910, sont disposés à ranger ce rapace décrié parmi le oiseaux indifférents ou utiles. Alors même que la Buse changerait complètement son régime alimentaire pendant l'hiver, la neige, les grands froids prolongés, comme cela est probable, cela ne veut pas dire qu'elle soit à classer parmi les rapaces nuisibles; si elle n'est pas utile, elle doit rentrer dans la catégorie des oiseaux indifférents, at- tendu que le mal qu'elle peut faire selon l'intensité de l'hiver, est largement compensé par tous les ravageurs qu'elle détruit pen- dant le reste de l'année. Nous avons aussi examiné ce que renfermaient les gésiers de dix Éperviers, de quatre Autours et de deux Faucons; ces seize estomacs ne contenaient que des restes de petits oiseaux; mais les pattes non encore digérées et relativement bien conservées des victimes purent encore être déterminées comme n'ayant pas appartenu à des pigeons, mais oui bien à de petits passereaux et, dans un cas, à un poulet. De ces autopsies, on peut conclure que les rapaces tués dans le canton de Vaud en 1915 n'ont pas causé les préjudices présu- més aux pigeons voyageurs de l'armée. Il nous a paru intéressant d'étendre notre statistique à la Suisse entière; pour cela nous avons prié MM. les directeurs des services cantonaux des forêts, chasse et pêche de bien vouloir nous indiquer le nombre des oiseaux rapaces tirés en 1915, Voici le résultat de notre enquête (cinq services n'ont rien répondu). Ont été tirés : Éperviers, 506; Autours, 159; Faucons, 35; total, 700 spécimens; à ce total, il faut encore ajouter 104 rapaces dési- gnés brièvement par le service cantonal de Glaris comme Fal- conidés et Grands-ducs (Falken iind Uhii), et deux aigles ce qui porte à 806 le nombre des rapaces supprimés en peu de temps de notre faune. C'est, nous semble-t-il, par trop de victimes, étant donné que cette hécatombe inutile n'a pas dû exercer l'influence satisfai- sante qu'on attendait d'elle, puisque, pour les mêmes raisons indiquées plus haut, le Département militaire fédéral demande à nouveau la mort d'oiseaux dont la culpabilité n'a pas été dé- montrée. Est-ce bien de procéder ainsi ? Nous ne le pensons pas; mais nous laisserons à d'autres plus compétents que nous en — 46 — ornithologie pratique, le soin de décider sur cette question qui a son importance, puisqu'il s'agit du sort de représentants inté- ressants pour notre faune ornithologique suisse, qui fait partie elle aussi, avec beaucoup d'autres choses, du patrimoine national. Lausanne, le 2S mars 1917. Moyens de protection. Nichoir, selon la méthode de m. j.-a. tavernier, d'aix-les-bains. M. J.-A. Tavernier (le grand-père des oiseaux, comme nous nous plaisons à le dénommer ici), a fabriqué lui-même environ douze cents de ces nichoirs qu'il a gracieusement mis à la disposition des person- nes s'intéressant à la faune ailée. Voici les renseignements qu'il m'a donnés pour les construire, en me conseillant de les propager : Employer des branches de bois, avec ou sans écorce (bois à fd droit, n'ayant pas de nœuds). Ces branches doivent avoir un diamètre minimum de 15 centimètres, les scier en morceaux de 20 centimètres de longueur, que l'on creuse ou évide de deux façons différentes : La première : Partager ces morceaux de 20 centimètres en deux parties égales, à l'aide d'une hache. Creuser ces deux parties, avec une gouge et un bec d'âne, en laissant 2 Va à 3 centimètres d'épais- seur, écorce comprise. La deuxième : Evider les morceaux de bois de 20 centimètres à l'aide d'une scie à ruban, on fait passer la scie par côté (voir 1), on pénètre de 21/2 cm. à 3 centimètres; puis on fait chan- tourner la scie en la maintenant à 2 1/2 à 3 centimètres du bord et on évide ainsi très rapidement les morceaux. Réunir ensuite les deux parties creusées, ou resserrer les morceaux Nichoir Tavernier. — 47 — évidés, en les liant provisoirement avec une corde pour pouvoir faci- lement clouer une planche au-dessus et une planche au-dessous. La planche de dessous est divisée en 3 parties (dessin 2), la partie du milieu est vissée, afin de pouvoir l'enlever pour nettoyer le nichoir, les deux autres parties sont clouées. La planche de dessus forme un avant-toit de 2 à 4 centimètres. Pra- tiquer par côté, avec une vrille, un trou d'entrée à 3 ou 4 centimètres au-dessous de l'avant-toit. Ce trou varie selon la grosseur de l'oiseau auquel le nichoir est destiné, savoir : Pour les nonnettes 2 centimètres et demi de diamètre. Pour les mésanges, 3 centimètres » Pour les autres oiseaux 3^/3 à 4 centimètres, etc. » Peindre le dessus et le dessous du nichoir. Lier celui-ci vers le milieu, au moyen de deux fils de fer galvanisés que l'on croise et qui doivent avoir chacun 1 m. 10 à 1 m. 25 de long (selon le diamètre du nichoir et de la branche d'arbre où il sera atta- ché, comme l'indique le croquis ci-contre). Pour empêcher les fils de fer de glisser, les fixer au nichoir par quatre petits crampons. Comme premiers matériaux pour le nid, M. Tavernier met un peu de sciure de bois, bien sèche, au fond du nichoir. Deux mots avant de terminer : L'hiver 1916-1917, long et très rigoureux, la neige abondante et per- sistante empêchant les oiseaux de trouver leur nourriture et hélas ! les gens sans pitié, — en ont détruit des myriades. Plus que jamais il faudra protéger les survivants. Je ne m'étendrai pas davantage sur ce sujet, le lecteur en déduira lui-même les conséquences. Aix-les-Bains, Juillet 1917. Claudius Vuillermet. Ce qui importe avant tout en matière de nichoirs, c'est la convic- tion se traduisant par l'initiative personnelle. Et celle que nous signale notre correspondant nous a paru très intéressante et hautement loua- ble. Agir dans ce domaine vaut mieux que discuter et critiquer. Tou- tefois nous faisons quelques réserves à propos du mode de suspension. En outre, une plus grande profondeur de l'appareil en question nous paraîtrait désirable. (Réd.) 48 Divers. Luther, protecteur des oiseaux. A notre protecteur M. le Dr Martimis Luther, prédicateur à Wittenberg'^. Nous, grives, merles, pinsons, linottes, chardonnerets et autres hon- nêtes et respectables oiseaux qui avons l'intention de passer par Wit- tenberg cet automne, confiants en votre bonté, savoir vous faisons que, ainsi que nous l'avons appris par des rapports dignes de foi, un nommé Wolfgang Sieberger, votre serviteur, s'est rendu coupable à notre égard d'une audace grande, criminelle, achetant très cher, par colère et haine contre nous, quelques vieux filets dépenaillés, aux fins d'établir une aire à capturer les pinsons. Ce faisant, il ne cherche pas seulement à nous ravir à nos amis les pinsons et à nous-mêmes ce droit de parcourir librement les airs et de nous nourrir des semences de la terre qui nous est donné de Dieu, mais il ne craint pas d'attenter à notre vie, tandis que de notre côté nous n'avons rien fait qui puisse justifier de sa part une pareille rigueur, des procédés aussi sommaires. Comme ceci constitue pour nous, pauvres oiseaux, qui n'avons ni granges, ni maisons, ni provisions une menace et un grave préjudice, voici l'humble supplique que gentiment nous vous adressons : Vouloir bien interdire à votre serviteur pareille audace, ou, si cela ne se peut faire, tenir la main à ce qu'il répande le soir des grains sur l'aire et ne se lève pas le matin avant 8 heures. Dans ces conditions nous passerons par Wittenberg. — S'il refuse et s'il continue à nous dresser de crimi- nelles embûches, alors nous prierons Dieu qu'il intervienne lui-même, et fasse en sorte que de jour il capture sur son aire à notre place des grenouilles, des sauterelles et des limaçons, et que de nuit il soit assailli par les souris, les puces, les poux et les punaises ; il cessera alors de nous persécuter et de nous ravir la liberté du vol. Aussi bien pourquoi ne tourne-t-il pas sa colère et sa rigueur contre les moineaux, les hirondelles, les pies, les choucas, les corneilles, les souris et les rats ? Ceux-là vous font pourtant beaucoup de mal, vous ^ Luther composa en 1534 le document qu'on va lire, et que nous avons traduit à l'intention de nos lecteui's. Sous la forme d'une plainte que lui adressent les oiseaux, et qu'il transmet à son tour à son valet, le réformateur cherche à faire comprendre à ce dernier le déplaisir qu'il éprouve de le voir se livrer à l'oisellerie. — 49 - volent, vous pillent et emportent hors de vos maisons le froment, l'avoine, le malt, l'orge, etc. Nous ne faisons rien de pareil, mais nous nous contentons de ramasser ici et là quelques miettes ou quelques grains tombés à terre. Nous voulons que notre cause soit jugée à la lumière de la Raison et de l'Equité, et demandons si ce n'est pas à tort qu'on nous persé- cute si implacablement. Au reste nous avons confiance, puisque tant de nos frères et de nos amis ont été préservés cet automne et lui ont échappé, que nous aussi nous échapperons à ses maudits filets que nous avons vus hier. Ainsi fait et écrit de nos plumes ordinaires, en notre siège aérien dans les arbres, et scellé de notre sceau. Le pivert et les vers blancs. J'ai, dans mon jardin, une petite pelouse, raz tondue, infestée de vers blancs. Dès 4 heures du matin, un gros pivert annonce son arrivée de Sauvabelin par le decrescendo de son cri saccadé. Du pommier où il vient de se peser, allongé dans le sens de la branche qu'il martèle de son bec, il inspecte les alentours et descend tôt après sur la pelouse. Il n'est pas posé depuis demi-minute que le voilà à l'œuvre. Il fait voler l'herbe puis la terre, creuse un trou conique où sa tête disparaît entièrement. Subitement, il la relève couverte de terre et inspecte l'ho- rizon d'un air inquiet; tôt après, un étourneau vient se poser dans le voisinage du pivert; par une spirale savante, il s'approche du trou et prestement cueille le ver blanc et s'enfuit vers son nid. Le pivert fait quelques pas, se remet en chasse et bientôt retrouve un nouveau ver et le travail de mineur recommence. Un second étour- neau apparaît bientôt au-dessus de la haie. Instruit par l'expérience, le pivert s'éloigne de quelques pas se donnant l'air d'un chasseur qui fait buisson creux. Mais la tentation est trop forte; en quelques enjam- bées il a rejoint son trou et tente d'isoler son nouveau ver. L'étourneau n° 2 s'approche à son tour du trou, mais le pivert se ramasse et d'un coup de bec éloigne le ravisseur. Ce moment a suffi pour permettre à l'étourneau n^ 1, qui vient de revenir, de se précipiter dans le trou et d'en extraire le ver blanc et de s'enfuir comme précédemment. Entre temps, sont arrivés quelques merles qui, eux aussi, se mettent en chasse. En quelques minutes, de nouveaux vers sont isolés et prêts à être cueillis ; mais les deux étourneaux sont de nouveau là et bientôt les merles à leur tour sont dépossédés de leur butin. Ce manège se répète bien une vingtaine de fois en une heure. Ce qui - 50 — représente, au bout de la journée, plus de 200 larves de hannetons ainsi détruites. Voilà une semaine que j 'observe les allées et venues de mon pivert, des deux merles et des deux étourneaux. Le pivert finit bien par avaler quelques-unes de ces larves, les merles aussi, mais les étourneaux, de taille notablement plus petite, avalent, à eux seuls, près des trois quarts de la cueillette ^. Jacot-Guillarmod. Calendrier ornithologique. Phragmite (Acrocephalus schœnobaenus L.). 1er septembre. Cet oiseau dont nous avons signalé le passage dans la Réserve au printemps (10 mai), s'y montre de nouveau en automne. Observé un individu aujourd'hui. A. R. Bécasseau cocorli (Tringa subarquaia Guldst.). 1er septembre. Un bécasseau à long bec recourbé à la pointe, ayant tous les caractères du cocorli, se promène sur le petit môle de la Broyé. Il est revêtu d'une livrée de transition entre celle de noces et celle d'hiver : de grandes taches d'un roux pâle recou- vrent la poitrine. A. R. Barge rousse (Limosa lapponica L.) 13 septembre. J'ai eu le plaisir d'observer tout à mon aise et de pho- tographier cette belle barge aujourd'hui même dans la réserve du Seeland. Voici sept ans que je me rends une ou deux fois par semaine sur une plage fa- vorite des échassiers, où sa congénère la barge à queue noire est de passage régulier, sans avoir vu un seul représentant de cette indigène de la Laponie. Celui qui s'offre auj ourd'hui à mon observation est de grande taille. Il a choisi pour séjour un pré maré- cageux dont les laîches viennent d'être cou- pées. Successivement, et en y mettant la patience voulue, je puis l'approcher à 50, arge rousse. ^^^ ^^^ 15 et même finalement à 10 mètres de distance. La vue reproduite ici, prise à 15 mètres avec une lentille 1 Communication de M. Jacot-Guillarmod, à la Société vaudoise des sciences natu- relles, séance du 5 juin 1917. — 51 — 6.8, a été doublée par agrandissement. Bec très long, noir en avant, rose- brun en arrière. IManteau rappelant cehii du courlis. Croupion et haut de la queue blancs. Bas de la queue rayé de bandes foncées (6 à 7 aussi bien que j'ai pu compter). Les pattes, grises, ne dépassent la queue, au vol, que de très peu; ce n'est pas comme chez la barge à queue noire où l'on aperçoit, outre la patte, une partie du tarse au delà de la queue. (Voir Nos Oiseaux, vol. II, page 93 (n^s 15 et 16). A. R. Traquet motteux (Saxicola œnanthe L.). 13 septembre. Les traquets en voyage ont paru dans le Seeland. A. R. Qorge="bleue (Cyaneciila suecica L.). 15 septembre. Observé dans la Réserve un gorge-bleue dont la livrée est nouvelle pour moi. Je n'ai pas vu trace de bleu. Cou et gorge d'un blanc teinté de roux ou de jaune. Bande noire sur les côtés du cou. Poitrine tachetée de points noirs rangés en stries longitudi- nales. Revu le 22 septembre. Le 27 septembre je le retrouve avec un compagnon, mais ce dernier qui lui est semblable comme aspect général, a un plastron bleu, suivi d'un ceinturon roux. S'agit-il de femelles ou jeunes de la variété à miroir roux ? A. R. Départ des hirondelles. 22 septembre. Observé les 13 et 15 septembre de grands rassemble- ments d'hirondelles : aujourd'hui sur le même parcours, c'est le désert. A. R. Vanneau huppé (Vanellus vanellus L.). 27 septembre. Les vanneaux, vus pour la dernière fois le 7 août dans la Réserve, y réapparaissent aujourd'hui au nombre de 32. Il s'agit de nos vanneaux indigènes, sans doute. A, R. Canard sauvage (Anas boscas L.). 27 septembre. Remarqué aujourd'hui les premiers mâles en plumage de noces, 2 ou 3 seulement parmi des bandes de 30 à 120 individus. En 1915. le 18 septembre, en 1916, le 2 octobre. A. R. . Pipit spioncelle (Anlhus spinoleita (L.). Fidèle à ses habitudes, le spioncelle, descendu des montagnes, appa- raît aujourd'hui au bord de notre lac. Malgré la température tout estivale (+ 23°) il continue à y affluer jusqu'au 4. Que faut-il en conclure ? La réponse se trouve dans le bulletin météorologique du 5 : « on transpirait hier; on grelotte aujourd'hui ». A. R. Traquet pâtre (Pratincola rubicola L.). 2 octobre. Observé un traquet pâtre mâle au-dessous de Prangins (Léman). M. Reichel. — 52 — Martinet à ventre blanc (Micropus melba L.). 4 octobre. Aperçu près de Promenthoux (Léman) un martinet àven tre blanc. Il volait contre le vent, planait, ramait, faisait des bor- dées foudroyantes, à 20 ou 50 mètres du sol, suivant les moments. Revu un de ces oiseaux le 7 octobre. M. Reichel. Cormoran { Phalacrocorax carbo L.). 1er octobre. Un cormoran se montre sur les confins de la Réserve; le 4 il y est encore (si toutefois c'est le même), le 10 on en compte 12 sur le grand môle de la Broyé, le 14 il n'y en avait plus qu'un. A. R. 9 octobre. A cette date on pouvait observer, rière Champittet (Yver- don) 17 cormorans; le 14 octobre ils n'étaient plus que deux. Dr Garin. Hirondelle de fenêtre (Delichon urbica L.). 14 octobre. Un petit vol sur Serrières. A. R. Hirondelle de cheminée (Hirumlo rustica L.). 10 novembre. 2 hirondelles de cheminées observées tout le jour à Neu- chàtel. C. CoRNAZ. Chevalier arlequin (Totamis fuscus L.). 14 octobre. Un bel exemplaire en livrée d'hiver complète dans la Ré- serve. En 1915 j'ai observé des arlequins jusqu'au 23 octobre, en 1913 dès le 16 août; passage d'automne : 16 août — 23 octobre. A. R. Vanneau huppé (VaneUiis vanellus L.). 25 octobre. Un vol de 22 vanneaux passe au dessus de Hauterive. C. CORNAZ. 25 octobre. Des centaines de vanneaux se montrent dans la Réserve. Grand JEAN. 27 octobre. Grand jour de passage au-dessus de Hauterive (C. Cor- NAz) et dans la Réserve du Seeland. (A. R.) Les vanneaux se conforment à la carte des voies de migration dres- sée par Studer. Arrivés à la pointe nord du lac de Neuchâtel, en effet, les uns suivent la rive gauche de ce lac, les autres la rive droite. De plus un vol d'une centaine parvenu à Witzwyl a pris, sous mes yeux, la direction du Creux du Vent, traversant obliquement le lac à une assez grande hauteur. Un autre vol de 32 s'est arrêté dans la Réserve. Enfin le soir une bande estimée à 1000 par un observa- teur et à plus de 1000 par un autre., a atterri au même endroit; ce fut le point culminant du passage (les années dernières cet événe- ment s'est produit le 4 novembre). A. R. N° 24 ^""^^^^^^^^^ FEVRIER 1918 NOS OISEAUX BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LA PROTECTION DES OISEAUX Etudes ornithologiques. La sitelle et le grîmpereau. « Toute la nature montre l'art infini de son Auteur. » Cette pensée de Fénelon revient constamment à l'esprit de celui qui observe attentivement la nature; l'harmonie merveilleuse qui existe dans les différents règnes frappe bien plus encore que les luttes ou les conflits qui, bien souvent, nous étonnent, quand même ils ont aussi leur raison d'être. C'est particulièrement dans le monde des oiseaux qu'on remarque l'admirable équili- bre, souvent rompu, hélas ! par l'ignorance ou la cruauté de l'homme, mais que le Créateur avait établi dès l'origine. Parfois aussi on est frappé de la collaboration, inconsciente peut-être, de certaines espèces qui travaillent dans le même but, se com- plètent merveilleusement, comme si une entente préalable ou un contrat avait été conclu entre elles; leurs habitudes, leur manière de vivre et de chasser offrent un exemple remarquable de ce qu'on pourrait appeler la division du travail chez les oi- seaux. Les lignes qui suivent ont pour but de démontrer ce fait. La sitelle et le grimpereau sont tous deux sédentaires en Suisse; on peut les voir un peu partout, à la plaine comme à la montagne, en hiver comme en été ou même mieux qu'en été, puisque alors le nombre des oiseaux est considérablement réduit, et qu'il est bien plus facile d'observer ceux qui passent la mau- vaise saison chez nous, tout près de nos habitations; les arbrest — .54 — dépourvus de leur feuillage, offrent à l'observateur une occa- sion unique d'étudier les quelques espèces qui les parcourent en tous sens pour y découvrir les milliers d'œufs et de larves d'in- sectes cachés dans les trous de l'écorce. La sitelle et le grimpe- reau déploient dans ce travail une activité, une persévérance infatigables; on peut les voir à tout instant occupés à inspecter minutieusement toutes les parties de l'arbre : tronc et branches sont parcourus cent fois par jour et visités dans les plus petites crevasses; rien n'échappe à leurs yeux perçants et exercés; le moindre petit œuf est rapidement recueilli par le bec efTilé du grimpereau, aucune larve n'est épargnée par le bec plus fort de la sitelle. Rien n'est plus fascinant que de guetter ces deux oiseaux dans leur chasse commune; ils se rencontrent parfois sur le tronc du même arbre, l'un, le grimpereau remontant tou- jours du pied de l'arbre vers le sommet, tandis que l'autre, la sitelle, commence généralement sa tournée par les branches, et descend, le plus souvent la tête en bas, vers la base du tronc; tous deux tournent parfois autour de l'arbre, toujours à la poursuite de leur proie, ou s'accrochant en dessous des bran- ches comme des mouches à un plafond; avec quelle habileté ils accomplissent ces exercices acrobatiques, trottinant comme des souris, ne recourant au vol que pour changer d'arbre, de terrain de chasse. Il est facile de comprendre que le travail d'épuration, le nettoyage de l'écorce opéré par ces deux ouvriers si actifs, est aussi parfait qu'il peut l'être, chaque oiseau inspectant le tronc et les cavités de l'écorce sous un angle différent, l'un en remontant vers le haut, l'autre en descendant vers le pied de l'arbre. On peut être sûr que l'opération est bien faite, d'autant mieux que ces deux auxiliaires ne se querellent pour ainsi dire jamais, chacun respectant les droits de l'autre dans cette chasse commune. Ils sont vraiment inappréciables, les services ainsi rendus à l'homme par ces deux oiseaux dont la collaboration est aussi admirable qu'efïïcace. Ce travail dure tout l'hiver; nos deux chasseurs ne trouvent guère d'autre nourriture pendant la mauvaise saison. Aussi le nombre d'œufs et de larves d'insectes détruits par eux avant le retour du printemps est-il incalculable. On ose à peine songer à ce que deviendraient nos arbres en été sans l'aide de nos amis ailés; les insectes et les chenilles ne lais- Où — seraient pas un seul bourgeon, ni une seule feuille intacts; il n'y aurait plus un seul fruit, toute verdure disparaîtrait. Sans les oiseaux, notre terre serait bientôt un désert; c'est donc à eux, en fin de compte, que nous devons nos récoltes et l'entretien de notre vie : ils sont nos protecteurs. La sitelle (Sitta eiiropaea L.) i est un oiseau trapu, plus grand que la mésange charbonnière, avec une queue très courte et un bec fort; le dos est gris bleu, la poi- trine rousse. De chaque côté de la tête, une raie noire partant de la naissance du bec, traverse l'œil et se prolonge jusque sur la nuque. Dès les premiers beaux jours, en mars ou avril, le chant de la sitelle retentit dans les bois ou les parcs plantés d'arbres; c'est une note forte et claire qui domine celle des autres oiseaux, voix peu variée, mais pure, et nette comme un signal ou l'ordre d'un chef; elle exprime le triomphe ou semble inviter à la mar- che en avant. Elle répond bien à la nature active, pleine d'ani- mation de ce petit être qui paraît n'avoir jamais besoin de repos; elle exprime une joie complète, sans mélange, sûre d'elle- même; la sitelle, en effet, semble ne pas avoir d'ennemis; elle se sent assez forte pour défendre ses droits et je lui crois assez d'honnêteté pour respecter ceux des autres. Dès qu'elle a trouvé dans un vieil arbre une cavité propre à y installer son nid, on la voit redoubler d'activité; ce sont des va-et-vient perpétuels; elle entre dans le trou dont elle garde jalousement l'entrée, en ressort, le bec plein de matériaux qui l'encombraient, y retourne encore; puis, une fois le nettoyage achevé, elle façonne l'ouver- ture pour l'adapter à la grosseur de son corps; pour cela, elle garnit les bords d'un mortier semblable à celui des nids d'hi- rondelle; elle rétrécit l'entrée de manière à empêcher l'intrusion des étourneaux ou des pics qui voudraient lui disputer son logis. Quant aux mésanges qui convoiteraient l'emplacement choisi ^ Vulgairement pic bleu, torchepot. Sitelle. — 56 — par la sitelle, elles n'ont garde de s'en approcher : il pourrait leur en cuire. Ce besoin de maçonner semble cependant être un instinct autant qu'une nécessité. Une sitelle avait choisi pour y faire son nid un nichoir artificiel accroché à un arbre de mon jardin; ne trouvant rien à changer à l'ouverture qui correspon- dait exactement à sa taille, elle se mit à badigeonner les jointu- res du toit avec les parois du nichoir; ce travail l'occupa pen- dant plusieurs jours et finit par produire une sorte de corniche ornementale de deux à trois centimètres d'épaisseur. Le nid lui-même est des plus remarquables; il est entièrement composé de très fines lamelles d'écorce de pin, placées vertica- lement et imbriquées à la façon des écailles d'un cône de sapin; ni mousse, ni crin, ni plumes, ni duvet n'en garnissent l'inté- rieur; les œufs reposent directement sur ces lamelles aussi fines que du papier de soie, et de couleur brune comme des feuilles sèches de chêne avec lesquelles on les a souvent confondues. Tous les nids que j'ai vus en Hollande étaient construits de cette façon. En 1917, M. R. à Neuchâtel m'en fit voir un tout pareil dans un nichoir qu'il avait placé dans sa campagne. Enfin, à Genève, un jeune ornithologiste que j'ai questionné à ce sujet, M. J. de M., m'a affirmé que ses observations personnelles corres- pondaient exactement à celles que j'ai faites en Hollande. Com- ment se fait-il, alors, que V. Fatio, généralement si bien informé et si sûr dans ses affirmations, dise du nid de la sitelle qu'il « est composé sans art, de poussière de bois, de mousse, d'herbe sèche et de crin, avec quelques plumes et débris de laine à l'in- térieur ? » (V. Fatio. Les oiseaux, part. I, page 506.) Il serait intéressant de connaître les expériences de ceux de mes lecteurs qui ont fait des observations sur ce même sujet; qu'ils veuillent bien les adresser au rédacteur de Nos Oiseaux. Le grimpereau (Certhia familimis L.J a une taille beau- coup plus fine que celle de la sitelle; la queue est assez longue, composée de plumes très résistantes qui lui servent d'appui pour grimper; le bec est long, effilé et légèrement recourbé. La gorge et la poitrine sont blanches, le dos et les ailes brun foncé, ta- chetés ou rayés de brun jaunâtre; une raie claire au-dessus de l'œil. Le grimpereau a une nature beaucoup plus modeste que la — 57 — Grimpereau. sitelle; il ne s'impose à l'attention de l'observateur ni par ses allures, ni par sa voix ; il accomplit sa tâche sans bruit; il se cache der- rière un tronc d'arbre ou une bran- che, mais plutôt par discrétion que par timidité; il craint les regards de la foule, et c'est ainsi qu'il échappe souvent à l'attention du promeneur. Son chant est d'une grande douceur; il se compose de quelques notes faibles, brèves, sac- cadées, suivies d'une sorte de point d'interrogation: ti — ti... ti — tiyuïdi ? Il chante tout en chassant, c'est-à-dire qu'il ne perd pas une minute. On ne le voit jamais au repos, perché sur une branche pour faire entendre sa modeste mélodie; toujours actif et plein d'entrain, il grimpe, le long des troncs d'arbre, d'un mouvement régulier, s' appuyant sur sa queue dont les plu- mes se terminent par des piquants ; son long bec recourbé pé- nètre dans les interstices de l'écorce où sont cachés des mul- titudes d'œufs et de larves d'insectes. Il ne se lasse pas de recommencer presque chaque jour l'inspection des mêmes ar- bres, des mêmes branches, dans l'espoir d'y trouver ce qui avait échappé à un premier examen ; quelle persévérance, quelle opiniâtreté dans ce labeur d'épuration, dans ce nettoyage des arbres de nos parcs et de nos vergers ! Tout ce travail se fait en chantant; en hiver, c'est très souvent sa voix qui trahit sa présence sur tel ou tel arbre: ti.... ti.... ti.... ti...., les notes brèves seules; le point d'interrogation n'est ajouté que vers le prin- temps, lorsque le grimpereau et sa compagne forment ensemble des projets d'établissement. Il y a peu d'autres nids, chez les oiseaux chanteurs, aussi difficiles à trouver que celui du grim- pereau. A coup sûr, il possède l'art de le cacher aux regards indis- crets; il lui faut du reste si peu de place pour l'établir; c'est le plus souvent dans l'espace laissé libre entre l'écorce et le tronc d'un vieil arbre, parfois sous les tuiles d'un toit, ou entre les nattes de roseaux d'un pavillon d'été. J'ai vu un nid que des — 58 — grimpereaux avaient construit entre le contrevent d'une fenêtre et le mur contre lequel il était rabattu; c'est à peine si on y pou- vait glisser deux doigts; les constructeurs avaient apporté là force bûchettes qui d'abord étaient tombées au pied du mur, ce qui attira l'attention des habitants de la maison; à force de persévérance quelques bûchettes finirent par rester accrochées entre le mur et le contrevent, et servirent de fondement pour le nid. Le reste de la construction, il faut bien le reconnaître, est fait sans beaucoup d'art : ce n'est qu'un amoncellement de bû- chettes, de brindilles grossièrement entrelacées, avec une légère garniture intérieure de fibres ligneuses, ou de mousse et de plu- mes. C'est là que la femelle pond 6 à 8 œufs blancs, tachetés de brun, assez semblables à ceux des mésanges et de la sitelle. Ad. BURDET. Note de la rédaction. En attendant les observations que nos correspondants voudront bien nous adresser en réponse à l'in- vitation de l'auteur, voici, sur la composition du nid de la si- telle, quelques citations intéressantes. Remarquons d'abord que les matériaux énumérés par Fatio sont textuellement ceux qu'indique Bailly, lequel ajoute également, qu'ils sont dis- posés sans art. « Le nid lui-même, dit d'autre part Naumann, n'est qu'un amas de matériaux légers, assemblés sans aucun art : ce sont des feuilles sèches, principalement de chêne et de hêtre, réduites en menus fragments, ou, dans les forêts de coni- fères, uniquement des parcelles des feuillets les plus minces de l'écorce des pins ^. Ces matériaux n'ont entre eux aucune cohé- sion, aussi est-il étonnant que les œufs puissent se maintenir sur une couche aussi peu solide sans passer au travers et couler au fond. » La description de Brehm père est également des plus pré- cises : « Le nid, dit cet auteur, dont les dimensions varient avec la cavité qu'il occupe, est toujours construit de matériaux très secs et légers. Dans les bois de feuillus il se compose de lambeaux de feuilles de hêtre et de chêne, dans ceux de conifères, il est inva- riablement formé de lamelles extrêmement fines provenant de iécorce ' ubloss Stûckchen der allerdiinnsten BlàUchen von der dusseren Schale der Kiefern.n Naumann, Tome II, page 307. — 59 — des pins. Comme il suffit du simple contact pour les relier étroi- tement entre elles, l'oiseau se contente de les entasser les unes sur les autres, en sorte qu'on a de la peine à comprendre com- ment, lors de ses allées et venues, les œufs ne se dérangent pas et restent réunis au sommet du tas. Il semblerait naturel au con- traire de les voir disparaître dans cet amas informe de débris ^. » Nos auteurs suisses enfin citent, comme entrant dans la com- position du nid de la sitelle, l'herbe sèche, la paille, la mousse, les plumes et la laine et souvent la sciure de bois seulement ^. Il paraît donc résulter de ce qu'on vient de lire que le nid qui nous intéresse varie suivant les contrées habitées par le constructeur et surtout suivant les matériaux qu'il trouve à sa portée. Toute- fois la disposition verticale des lamelles, sur laquelle notre col- laborateur attire notre attention, et qui fait que les œufs sem- blent placés au sein d'une fleur dont les pétales viennent de s'en- tr'ouvrir, n'est mentionnée dans aucun des auteurs cités plus haut. S'agit-il d'une adaptation du nid naturel à la forme et aux conditions du nid artificiel ? Protection. En lisant Godard^. QUELQUES CITATIONS. Une paire d'oiseaux peut nous rendre plus de services que tout un ordre de mammifères. Leur utilité ne peut s'estimer, tant elle est grande; mais elle doit justifier les mots, qui devraient être la devise de tout naturaliste, de toute personne instruite : « Protection aux oiseaux ! » Brehm. Sans parler du charme que les hôtes ailés apportent à nos bois et à nos plaines, tout le monde devrait savoir que la sylviculture, comme l'agriculture, ne peuvent rien sans l'aide des oiseaux. La protection se résume en deux mots : instruction des ignorants et surveillance 1 Passage traduit de l'édition originale, Tome IV, page 41. Traduction Gerbe, to- lume II, page 36. ^ Catalogue des oiseaux de la Suisse, S"^ livraison, page 391, ' André Godard. Les Jardins -Volières, — 60 — effective des conscients. Le jour où les ornithologistes auront obtenu du gouvernement que celui-ci s'intéresse suffisamment à la question pour que ce programme soit mis en application, ils auront fait œuvre utile dans toute la force du terme et auront bien mérité de leur pays. Prince d'ARENBERG. Pour arriver à assurer la protection des oiseaux il faut user de deux facteurs de la vie morale : persuasion et autorité ^. La protection ne sera tout à fait efficace que quand l'éducation aura fait pénétrer partout le respect de la vie, la répulsion pour toute des- truction inutile. Frédéric Hugues. Les massacres d'oiseaux constituent un crime envers l'avenir. Edmond Perrier. L'homme est si cruel qu'il détruit pour détruire, jusqu'à complète disparition des espèces, sans même se rendre compte qu'il va à ren- contre de ses intérêts, et même de son plaisir. Girolami. Les générations futures parleront des tueurs de grèbes et de loriots, comme nous parlons de ces Vandales qui se faisaient un jeu de détruire les marbres d'Hellas. * * * La beauté naturelle est plus sacrée encore que l'art. * * * Dans l'Europe du Nord l'art n'a pas encore étouffé le sens de la na- ture. * * * Les Anglais ne protègent pas seulement les insectivores, mais les oiseaux que revendique l'idéal pittoresque. En sauvegardant l'idéal pittoresque, en protégeant toute l'avifaune, * Les citation» sans nom d'auteiir sont de Godard. — 61 — et aussi les forêts, les étangs \ contre l'abus de la culture intensive, ou mettra un frein au matérialisme pratique, source des révolutions. * * * Nous sommes de ceux que préoccupe l'intégralité de la faune ailée '. L'utilité matérielle, la seule, hélas ! accessible à tant d'hommes, combien grossière apparaît-elle devant le charme ou le profit que l'oi- seau apporte à notre vie morale 1 * * * L'être ailé apparaît associé aux intérêts de notre vie morale dès les premiers chapitres de la Genèse. * * * L'Antiquité avait reconnu à l'oiseau une sorte de caractère divin; la barbarie contemporaine se plaît à l'anéantir. * * * Magnifique effort d'énergie que celui du Sénat des Etats-Unis qui a voté le bill interdisant pour la parure tout plumage autre que celui des autruches et des volailles domestiques ! * * * Par son coloris, sa voix, sa forme, chaque espèce s'harmonise avec les charmes différents des forêts, des plaines, des jardins ou des fleurs. Chouette ou rossignol, l'oiseau est encore la poésie, mélancolique ou amoureuse, de la nuit. Exterminer l'oiseau est plus qu'un crime imbécile : c'est un attentat contre la splendeur de l'œuvre divine. * Et les marais. ^ Nous aussi. (Béd.) — 62 Moyens de protection. Nid horizontal en place. Le nichoîr horizontal. C'est vers l'an 1861 qu'on voit poindre chez nous l'idée de l'utilité des oiseaux et de la nécessité de les protéger. A Genève paraît à ce moment l'excellent opuscule de Henri Lasserre intitulé: Ne tuez pas vos amis ^; au canton de Vaud, M. Aug. Burnat fait près de Vevey les pre- miers essais de nids artificiels, du type horizontal, tandis qu'à Neu- châtel le D^ Guillaume présente à la Société des sciences naturelles, séance du 11 janvier 1861, « un modèle d'abri pour les petits oiseaux )>, Voici ce qu'on peut lire à ce sujet dans le compte rendu de cette séance : « Désirant réaliser l'idée énoncée par M. de Tschudi dans sa brochure : Les insectes nuisibles et les petits oiseaux, M. le Dr Guillaume voudrait qu'on intéressât les enfants de notre pays à la conservation de ces animaux si utiles et si aimables, et, pour cela, il a demandé à la Société d'agriculture cantonale qu'il soit fait des efforts pour encourager les enfants à construire de pareils abris, et à les prendre sous leur protec- tion. 2 » Il y a donc 60 ans bientôt que des ressortissants de nos divers can- 1 Henri Lasserre. Ne lucz pas vos amis. 2™" édition publiée en 1861 par la Société genevoise d'utilité publique. ■^ Bull, de la Soc. neuchâieloise des sciences naturelles. Tome V, page 451. — es- tons romands ont pris simultanément et indépendamment les uns des autres l'initiative d'un mouvement qui, il faut l'avouer, a mis bien du temps à se propager. Dans ce domaine aussi prévenir eût mieux valu et eût été plus aisé que guérir. Si ces précurseurs eussent été écoutés, si leurs conseils eussent été plus généralement suivis, les mesures pré- conisées par eux appliquées avec plus de méthode et de persévérance, nous n'aurions pas à déplorer, du moins pas au même degré, le mal dont nous souffrons actuellement, à savoir la diminution lamentable de presque tous les oiseaux et des insectivores en particulier. Est-il encore temps d'agir ? Nous le pensons, et ceux qui, dans tous les pays du monde, collaborent à notre œuvre le pensent avec nous. Tant que subsiste un seul couple d'une espèce donnée nous possédons les moyens d'en favoriser la reproduction et la multiplication. L'un de ces moyens, en ce qui concerne toute une catégorie d'oiseaux des plus utiles, nichant dans des trous, est la demeure artificielle que nous leur offrons, en remplacement des arbres dont nous les privons, sans égards pour eux-mêmes, aussi bien que contrairement à nos propres intérêts; et il est d'autant plus urgent à l'heure présente que l'usage de ce moyen de protection se généralise, que beaucoup d'arbres magni- fiques, beaucoup de vieux arbres qui servaient de refuge et d'abris aux oiseaux, noyers et chênes surtout, sont tombés un peu partout dans notre pays sous la hache du bûcheron, victimes eux aussi de la guerre qui dévaste le monde. Dans un précédent numéro de notre bulletin ^ nous avons présenté à nos lecteurs, par l'image et par la plume, un nichoir très simple, du type vertical, fabriqué par les sans-travail de la commune de Neuchâ- tel. Nous y avions ajouté quelques mots au sujet d'un appareil cons- truit avec des matériaux identiques et dans les mêmes conditions, mais disposé horizontalement. C'est pour compléter ces notes, en même temps que pour rappeler au moment utile l'existence de ce nichoir horizontal, que nous en donnons ici une image qui nous dispensera en même temps de revenir sur ce qui en a été dit. Avant de terminer cependant nous tenons à souligner encore une fois l'idée excellente du Dr Guillaume et la recommander vivement aux instituteurs. Les deux modèles en question, vu la grande simplicité de leur dispositif, se prê- tent particulièrement bien à la reproduction. Il suffira au maître d'en faire venir de l'un et de l'autre type en écrivant aux adresses ci-des- sous 2, pour pouvoir les imiter aisément lui-même ou les faire cons- 1 Voir Nos oiseaux, 19 et 20, pag 145. - M. Alf. Perroset, 11, Hôpital, Neuchâtel, ou .SoMété protectrice des animaux, Neuchâtel. Nid vertical fr. 1.15. Horizontal ir. 1.30. — 64 — truire par ses élèves. Suivons en cela l'exemple de l'Angleterre et sur- tout de l'Amérique, où l'on initie de bonne heure les jeunes écoliers au culte et au respect de l'oiseau, où des milliers d'enfants, groupés en sections, sont recrutés chaque année ^ par la grande Société protec- trice des oiseaux Audubon. Les membres de ces « junior clubs » se livrent activement à la confection de nids artificiels dont ils établissent eux- mêmes les plans, en donnant souvent libre carrière à leur imagination et à leur fantaisie; et les oiseaux sachant gré à leurs petits amis des efforts qu'ils font en leur faveur, mettent autant de bonne volonté à s'accommoder de ces demeures pittoresques, que les jeunes architec- tes mettent de bonne grâce à les leur offrir. Divers. .Un drame en rase campagne. Nous sommes le 8 décembre 1917. Il fait un froid vif, rendu plus piquant par un léger courant du nord-est. Des sommets du Jura jus- qu'au bord du lac une couche de neige, encore récente, recouvre le sol. Le train m'a débarqué devant une petite station solitaire, à l'entrée du Seeland, d'où il suffit de quelques pas pour vous transporter en pleins champs. A peine ai-je parcouru cent mètres que le cri d'appel d'un chardonneret frappe mon oreille. Etrange contraste entre ce cri vif et joyeux et l'aspect morne et désolé de la campagne, entre la livrée multicolore du gentil passereau et le grand manteau, d'un blanc uni- forme, qui recouvre de ses vastes plis la nature entière. — Le petit voyageur paraît dépaysé, inquiet. Il vole d'arbre en arbre, scandant son vol de cris d'appel qui me permettent de le suivre de loin. A un contour du chemin, je le vois descendre dans un champ d'où émergent çà et là, de dessous la neige, les hautes rames desséchées de quelque mercuriale, ou de quelque autre de ces herbes que nous appelons mau- vaises, mais qui ne laissent pas que d'être la providence des petits oiseaux. Le pauvre affamé a trouvé ce qu'il cherchait. Je le vois s'at- tacher désespérément à ces plantes squelettiques pour leur arracher hâtivement, fébrilement, les quelques graines qui y adhérrent encore et qui vont lui rendre les forces. Hélas ! pauvre oiseau, pauvre petit oiseau, si gai, si vaillant, ta vie est menacée par un autre ennemi encore que la faim. » 261,654 en 1917, répartis clans ll.î^SS clubs. (Voir Bird-Lore, vol. XIX, p. 391. - 65 - Soudain en effet est apparu sur la scène un acteur nouveau. Du haut de son perchoir, d'où elle surveille la campagne au loin, une grande pie-grièche grise a aperçu le chardonneret désemparé, et avec cette sûreté de coup d'œil que développe chez les animaux de rapine une longue habitude, et qu'aiguise encore en cet instant la nécessité de calmer un des besoins les plus impérieux de la nature (car elle aussi a faim), elle a vu et elle a compris. Aussi fonce-t-elle tout droit sur sa victime. Le chardonneret esquive la première attaque en prenant de la hauteur; c'est dans les airs que vont se dérouler désormais les péri- péties d'une lutte palpitante, à laquelle j'assiste impuissant. En décri- vant des courbes savantes, compliquées au moment voulu de brus- ques crochets, le chardonneret réussit à éviter pendant quelque temps les coups que cherche à lui porter son adversaire. Mais il s'épuise visi- blement et je le vois chercher son salut dans la ligne droite. Puis, tel un aéroplane forcé d'atterrir ou une perdrix blessée, il s'abaisse gra- duellement et finit par toucher terre, où il est aussitôt rejoint et saisi par son ennemie. J'accours, mais trop tard pour intervenir efficacement, assez tôt toutefois pour voir encore passer devant moi, mais hors de ma portée, la pie-grièche emportant dans ses serres le corps inerte du petit lutteur terrassé. Les réflexions que font faire à celui qui en est le témoin un drame dont l'issue est la mort, si modestes en soient les acteurs, n'ont rien de très riant. Une circonstance toutefois que j'avais notée au cours de ce combat aérien avait contribué, sans parler de l'intérêt qu'il présentait, à en atténuer l'effet : tant que dura la lutte le plus petit des deux cham- pions ne cessa de pousser son cri de ralliement, sans trahir aucune an- goisse, ni aucune appréhension du sort qui le menaçait. On eût dit d'un jeu entre deux camarades et non d'une course à la mort. Et tel il avait vécu, insouciant et gai, tel il mourut, le gentil chardonneret, douce- ment, sans proférer la moindre plainte, A mon retour d'excursion, j'ai trouvé dans cette inépuisable source de renseignements qu'est Naumann la remarque suivante, qui me paraît s'appliquer au cas que je viens de citer : Il est étonnant, y lisons-nous, combien les oiseaux attaqués en hiver ^ par la pie-grièche grise cher- chent peu à lui échapper, à demi affamés et affaiblis sans doute qu'ils sont par l'inanition. On les dirait résignés cVavance à un destin qu'ils savent inéluctable. A. R. ' Naumann cite le chai'donnerefc en tête de liste des victimes que fait la pie-griè- che grise et ajoute qu'elle ne s'attaque à des oiseaux advdtes qu'en hiver. — 66 Calendrier ornithologique. Migration d'automne. 27 octobre. Grand jour de passage dans la Réserve. Entre 9 et 11 heures les vols de pinsons, pinsons des Ardennes, alouettes, char- donnerets, tarins, linottes, cinis, spioncelles, farlouses, corneilles, vanneaux se succèdent sans interruption à de courts intervalles. Tous ces oiseaux suivent la même direction, soit celle du S.-O., ou même O.-S.-O. restant au-dessus de terre et longeant la rive droite du lac, à part toutefois un vol de vanneaux, qui traverse obliquement le lac, dans la direction du Creux-du-Van. C'est le vent d'O. et S. 0. qui règne. Vers 11 heures le phénomène est en décroissance; à midi la pluie se met à tomber, et le passage cesse tout à fait. Le soir, pendant une éclaircie, un millier de vanneaux fait escale dans la Réserve. A. R. Alouette huppée (Galerida cristata L.). 27 octobre. Outre les vols qui sillonnent constamment les airs il y a beaucoup d'oiseaux à terre. Parmi ces derniers, une petite bande de 4 à 7 alouettes huppées attire mon attention. Elles cherchent sur la route, parmi le crottin desséché, quelques grains d'avoine tout en poussant leur cri d'appel caractéristique. C'est la première fois que j'observe cet oiseau dans la Réserve. A. R. Oies sauvages (Anser sp?). 2 novembre. Plusieurs centaines passent au-dessus de Hauterive, longeant la côte du Jura. Cri semblable à celui de l'oie domestique. C. CORNAZ. 6 novembre. Observé entre 8 et 9 heures du matin un vol d'oies sau- vages, à environ 200 mètres d'altitude, au-dessus de Chevenez (Jura bernois.) M. Reichel. Cette note et d'autres reçues du même correspondant confirment l'exactitude de la carte de Studer, sur laquelle on remarquera une voie de migration secondaire partant de Bâle, traversant l'Ajoie et se perdant vers l'ouest. Le 26 et le 27 octobre tandis que la migra- tion battait son plein sur les rives de notre lac, là-haut les mêmes oiseaux en partie étaient observés volant sans interruption vers le sud. (Réd.). Rouge-queue tithys (Phœnicurus titys Bechst.) Observé des rouges-queues les 2, 10 et 16 novembre à Bressaucourt (Jura bernois). M. Reichel. — 67 - Canard siffleur huppé (Nella rufina Pall.). 6 novembre. 4 individus de cette espèce dont 2 mâles et 2 femelles sont tués à cette date par le même chasseur et au même endroit que le bel exemplaire signalé et décrit dans Nos Oiseaux 19 et 20, à la page 129. Ils étaient 9 cette fois, stationnés sur le lac de Morat, à 1 km. de la rive, devant Faoug. Sur les trois, que j'ai eus entre les mains un mâle pesait 1 120 grammes, une femelle adulte 1018 gram- mes, et une femelle jeune 990 grammes. Les estomacs ne contenaient que du sable et quelques débris d'origine végétale. A. R. Pouîllot véloce (Phylloscopus rufus Bechst.) 10 novembre. Comme d'habitude le passage s'est terminé à cette date où le dernier exemplaire a été observé à Champ-Bougin. A. R. Mouette (Larus ridibundus L.). 10 novembre. Les mouettes vont sur terre et pratiquent dans les champs labourés une chasse qui paraît aussi fructueuse qu'elle est utile. A. R. Qrèbe oreillard (Podiceps nigricollis Brehm.). 11 novembre. J'ai le plaisir de découvrir dans la baie de l'Evole 3 jolis grèbes oreillards. Au début ils sont très familiers et viennent jusque tout près du bord, de façon à me permettre de les déterminer sûrement. On les voit souvent promener leur bec sous l'eau, à la manière des harles, pour mieux voir ce qu'il y a sous la surface. Ils ont le bec d'une seule couleur (grise), légèrement relevé à la pointe, et l'œil rouge. A. R. Tichodrome (Tichodroma muraria L.). 10 novembre. Observé un tichodrome dans les rochers de Sous-Vent, entre Bex et Saint-Maurice. 11 novembre. Observé un tichodrome sur la grande paroi rocheuse qui domine le pont du Rhône à Dorénaz. J. Mariétan. 13 novembre. Aperçu un tichodrome contre les murs du collège de la Maladière à Neuchâtel. C. Cornaz. 14 novembre. Un tichodrome entre au dortoir du collège de Saint- Maurice. Les étudiants le capturent et après l'avoir admiré lui ren- dent la liberté. Ce bel oiseau paraît être assez commun à cette sai- son, dans la vallée inférieure du Rhône. J. Mariétan. 16 janvier. Au Faubourg du Crêt, à Neuchâtel, je remarque un ticho- drome explorant les murs d'un bâtiment. M. Reichel. 9 février. Un tichodrome au vol, au-dessus du parc du château de Prangins. M. Reichel. — 68 — Bergeronnette grise albinos (Motacilla alba L.). 17 novembre. Un très joli exemplaire de cette espèce atteint d'albi- nisme partiel est en séjour dans la Réserve et s'y montre constam- ment au même endroit et accompagné de 4 ou 5 congénères norma- les, jeunes, et d'une bergeronnette printanière, jeune également. L'oiseau en question est blanc (ce qui le fait remarquer de loin) sauf aux rémiges et aux rectrices qui ont la teinte habituelle. Le blanc de la tête me semble légèrement teinté de jaune. Chose cu- rieuse : le bec et les pattes sont couleur de chair pâle. L'œil paraît noir, de loin. Revue encore le l^r décembre. A. R. Bergeronnette printanière (Motacilla flava L.). 17 novembre. Il y a trois jours que j'ai entendu retentir le cri de la bergeronnette printanière dans la Réserve : aujourd'hui je réussis à découvrir l'auteur. Ce dernier se trouve en compagnie de quel- ques bergeronnettes grises dont une albinos, et à cette petite bande s'est associée une farlouse. Revue le l^^ décembre. A. R. Goéland argenté (Larus argentatus Gm. Subsp. cachinnans? (Pall.) 28 novembre. Un individu accroupi ou couché (pattes repliées sous le corps) sur la dernière balise, à l'entrée du canal de la Broyé. A. R. Grand harle (Mergus merganser L.). 7 novembre. Observé le premier harle mâle en parure de noces. Il est accompagné d'une femelle. A. R. Bécassine ( Gallinago gallinago L.). l^i" décembre. Aperçu la dernière bécassine dans la Réserve. Le 2 il neigeait, le 5 le lac était gelé. A. R. 9 février. Temps printanier. Remarqué la première bécassine dans la Réserve. A. R. NÉCROLOGIE Notre Société vient de perdre, en la personne de M. Emile Yung, professeur de zoologie à l'Université de Genève, un membre relative- ment récent, mais dont elle avait salué l'entrée dans ses rangs avec une vive satisfaction. Nous nous joignons ici aux témoignages de haute estime et de sym- pathie, à l'expression unanime de regrets qu'a causés le départ de cet homme de valeur. ^^ssir-- MERLE DE ROCHE r/ et 9 Peint pour Nos Oiseaux par L.-P. Robert. N»^ 25 et 26 ^==^^^^^^ MAI 1918 NOS OISEAUX BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LA PROTECTION DES OISEAUX Etudes ornithologiques. Le merle de roche. Les prés ont reverdi dans la grande vallée. L'herbe s'est mise à pousser,]drue, et sur son vert éclatant, les dents-de-lion mettent déjà les premières touches d'or auxquelles va se mêler le lilas des cardamines. Pruniers et poiriers sont couverts de fleurs blan- ches, qui laissent choir sur le sol, à peine écloses, des milliers de pétales neigeux, tandis que les pommiers entr' ouvrent quelques boutons hâtifs. Dans peu de jours, les grands vergers de la plaine comme les petits carrés des prés de la côte, seront tout enguir- landés de fleurs roses. Les nuits claires et froides, les dernières gelées, ont retenu la végétation, qui, détendue soudain, déploie une vie plus active et précipite l'effort des sèves. C'est un mer- veilleux développement de tout ce qui pousse, un travail intense dans tous les bourgeons qui gonflent et se déplient. La neige recule du côté des sommets, dévorée par le soufjle chaud et puis- sant du fœhn, découvrant les pâturages jaunis que bleuiront bientôt les gentianes, et, par d'innombrables torrents, les eaux se précipitent en bouillonnant vers la plaine, tandis que tout là-haut, les cimes blanches, étincelantes, font encore à la vallée une couronne éblouissante. Vallée aride et fertile, terre des con- trastes. D'une part, verdure éclatante des prés, de l'autre gazons ras des monticules arides et desséchés. Vergers fleuris, symbole d'abondance, qui ploieront à l'automne sous le poids des fruits dorés; tout à côté, collines sablonneuses, rocailleuses, véritables garrigues des pays méridionaux où ne manquent, parmi les pins. — 70 - que la lavande, le ciste et le romarin. Canaux d'irrigation que borderont sous peu les hautes touffes de lysimaques et de reines des prés; endroits secs où poussent déjà, parmi les pierres, les armoises au feuillage argenté, les stipes, les euphorbes et les germandrées, tandis que mille bestioles sortent de leur trou pour se chauffer avec délices au soleil, le plus violent, le plus ardent, le plus lumineux qui soit dans nos régions. Ici, parmi les herbes sèches, le bruant va cacher son nid dans quelques jours. Là, dans les grands étangs, s'enlèvera, à votre approche, la petite troupe des canards sauvages. Plus loin la mésange huppée et la petite charbonnière font retentir les hautes branches de leurs cris saccadés et la mésange à longue queue passe d'un vol rapide d'un arbre à l'autre. Sur un versant, les ceps, par milliers, innombrable armée, semblent monter à l'assaut de la montagne. Sur l'autre, ce sont les sombres forêts de dailles et de sapins auxquelles va succéder, en haut, la verdure plus claire des mé- lèzes. Voilà, en quelques mots, le cadre de nos observations. * * * Avril touche à sa fin. La journée est splendide; le soleil brille, radieux, dans un air d'une limpidité parfaite. Pour la première fois de l'année, le merle de roche chante, sur son perchoir accou- tumé, au faîte du vieux toit. Hier matin (c'était le 26 avril), on l'a vu vers 9 heures, décri- vant un grand cercle en vol plané, au-dessus de notre hameau pour venir s'abattre enfin sur l'extrémité d'une haute perche. Il arrivait du grand voyage printanier. La veille encore, il était dans les régions subtropicales de l'Afrique, en Abyssinie ou au Sénégal. — C'est un mâle, — ses belles couleurs nous le disent ' — qui célèbre ainsi son arrivée en chantant. Quelques heures plus tard, un ou deux jours parfois, si l'observateur est sur ses gardes, il pourra voir à quelque distance, perché sur un échalas ou posé sur un mur, un oiseau de modeste apparence, difficile à approcher, qui paraît surveiller attentivement le voisinage.. C'est la femelle qui a suivi de près le futur époux. Y a-t-il ren- dez-vous ? se demande- t-on. Comment se fait-il qu'elle se trouve au même petit hameau, et cela surtout quand il s'agit, remar- — 71 — quons-le en passant, d'une espèce dont les représentants se font très rares dans notre pays, ce qui semble exclure les ren- contres fortuites ? Est-ce un vieux couple qui se retrouve, fidèles tous deux, aux lieux où s'éleva la nichée l'an passé ? Les jeunes reviennent-ils, en passant tout au moins, au coin qui les a vus naître ? Il y a certes plus qu'un hasard dans cette rencontre, où selon toute apparence, les lois de la reproduction et celles des migrations jouent, simultanément et en rapport intime, leur rôle. — Les jours qui suivent son arrivée, le merle de roche chante. Les roulades succèdent aux roulades. La nature ne pourrait lui faire un accueil plus éclatant. Il le lui rend en la célébrant à sa façon, heureux de retrouver le hameau auquel le ramène l'instinct. Pourquoi, presque seul parmi ses congénères, repasse-t-il encore la haute chaîne neigeuse pour venir nicher dans notre vallée ? Voici maintenant le ruisseau clair où l'on vient boire; voici les rochers, les coins pierreux où l'on trouve toujours une ample moisson de sauterelles aux ailes bleues ou rouges. Voici les vignes dont les bourgeons s'entr'ouvrent, les grands murs de pierres sèches, aux profondes excavations où le nid futur trouvera peut-être sa place. Tout est là comme l'année dernière. — Les jours qui suivent son arrivée, le merle de roche paraît déjà par- faitement chez lui dans la localité. Il semble vraiment retrouver de vieilles habitudes. D'emblée, dès le matin de bonne heure, il se met à chanter. Il chante toute la matinée, tantôt posé sur le bord d'une fenêtre, tantôt sur le toit de l'église ou sur une perche élevée. Il pause quelque peu vers le milieu de la journée, bien qu'on entende aussi à l'occasion vers midi ou une heure la phrase un peu monotone de son chant. — Flâne-t-on autour de la mai- son vers la fin de l'après-midi, le joli chant flûte retentit au- dessus du promeneur, auquel il faudra quelcfues instants pour découvrir d'en bas la poitrine rousse du chanteur. Souvent, il chantera une heure entière sans se déplacer. D'au- tres fois, après quelques roulades, il changera de perchoir, pas- sant de la girouette à la vieille tour, de la fenêtre au sommet de la perche. Parfois aussi, dans les plus belles journées de mai ou de juin, on le voit, d'un perchoir élevé qui domine la plaine, comme éperdu, enivré par tant de beauté, s'élancer, les ailes immobiles. — 72 — largement ouvertes et plonger d'un trait jusqu'au fond de la vallée éblouissante, tout en égrenant ses trilles dans l'air limpide. Ou bien son enthousiasme ne l'entraîne pas aussi loin. Il s'élance, décrit, comme en jouant, deux ou trois courbes gracieuses et revient, toujours chantant, à son point de départ. Son chant mérite quelques commentaires. Au repos, c'est un joli chant sifflé, dont la phrase revient sans cesse, toujours la même et qui manque en conséquence de variété, mais non d'un certain charme : chant plus franc, plus correct que celui de notre merle noir, avec moins d'âme peut-être. Ce chant-là, c'est celui qu'on entend toute la journée; plus ou moins souvent suivant l'heure. Il retentit très fréquemment avant 10 heures le matin et entre 4 et 6 heures de l'après-midi. Au mois de juin, on l'entend jus- qu'à 8 heures du soir. L'autre variété de son chant constitue ce que j'appelle son chant d'alouette, comparaison qui s'impose au premier abord : formé de trilles limpides et pleins d'éclat, il ne le fait entendre qu'exceptionnellement, pendant les plus beaux jours et seulement pendant le vol. Je ne l'ai jamais cons- taté lorsque l'oiseau perche ou qu'il est posé à terre. Il est 9 heures du matin. C'est un des premiers jours de mai. Voici notre merle sur le rebord d'une de nos fenêtres. On le voit l'œil brillant, grisé par la belle matinée de printemps, lançant sans arrêt ses roulades dans l'espace. La joie de chanter le pos- sède si fortement qu'il en oublie sa timidité. On peut aujourd'hui, chose rare, l'observer à petite distance de l'intérieur de la cham- bre. Toute la maisonnée défde sans bruit pour regarder le bel oiseau. Admirons à loisir l'élégance de son costume aux couleurs si vives et si variées. La tête et le cou sont d'un gris bleuté char- mant, qui deviendra un beau bleu au grand soleil. Poitrine et ventre d'un roux assez vif. Le dos enfin d'un aspect très carac- téristique. Entre les deux ailes d'un brun foncé, se trouve une tache d'un blanc très franc, qui frappe déjà quand l'oiseau est au repos, et qui devient beaucoup plus grande et plus frappante dès que l'oiseau ouvre ses ailes. Le bec est solide, de bonne lon- gueur. Comme dimension, le merle de roche reste nettement au- dessous du merle noir. C'est un oiseau alerte et vif qui fait penser pour ses allures soit au merle ordinaire, soit aux traquets. Se sent-il observé? On le voit prendre quelquefois une série d'atti- — 73 — tudes curieuses, tournant et retournant la tête de tous côtés d'un air inquiet dans de vraies poses de torcol tout en fixant son petit œil vif sur le trouble-fête. La femelle est moins bien partagée que le mâle, en matière de costume, chez la plupart des oiseaux. Sa mise est restreinte aux couleurs les moins vives, aux teintes plus ternes où les bruns et les gris dominent, et cela même quand l'époux est orné du costume le plus éclatant. Le monticole ne fait pas exception à cette règle. La femelle fait penser à une grive de faible dimension, par sa robe d'un brun uniforme. Je ne l'ai jamais entendue chanter. On la voit rarement et difficilement et on l'approche plus diffi- cilement encore. Elle est vraiment très sauvage et fuit les abords immédiats des maisons. Parfois, cependant, de bonne heure le ma- tin, on pourra la voir passer sur la terrasse pour y picorer furtive- ment quelques bestioles. Elle paraît prendre de grandes précau- tions pour ne pas être aperçue pendant la construction de son nid. Les jours passent > nous voici arrivés autour du 10 mai. Les arbres des vergers se couvrent de verdure fraîche. L'herbe s'élève, rapidement, épaisse, et depuis deux ou trois jours, on entend par- tir des taillis voisins les premières roulades et les longues notes filées du rossignol. Pour les monticoles, le moment de nicher est arrivé. Le mâle, lui-même, devient plus sauvage. Fini, le con- cert du matin sur le bord de la fenêtre. Il chante toujours abon- damment, mais sur les perchoirs les plus élevés seulement. Je l'observe souvent sur une vieille tour. A 5 ou 6 mètres du sol, un moellon s'est détaché, et là je le vois à plusieurs reprises accroché au bord de la cavité laissée dans la muraille. C'est dans ce trou que la nichée a été élevée; j'en ai eu la preuve à l'automne, trop tard, hélas ! pour pouvoir observer la ponte et le développement de l'intéressante couvée. Il me reste l'espoir d'être plus heureux une autre année. J'ai trouvé là, dans un trou de 30 centimètres environ de profondeur, un gros paquet d'her- bes sèches et de radicelles, sans terre, ni plumes, qui consti- tuaient manifestement le nid, un peu détérioré, du merle déroche. Le merle de roche est un nicheur des plus tardifs. D'après les renseignements que m'a fourni le Catalogue des oiseaux de la Suisse de MM. Fatio et Studer, le nid est confectionné vers le milieu de mai. Pour ceux qui aiment les précisions, le Catalogue a — 74 — constaté des nids en construction au Salève, le 4, le 13 et le 19 mai. L'emplacement du nid varie beaucoup. Il sera tantôt très en vue, appuyé à une grosse pierre, tantôt caché sous une motte de gazon surplombante. Parfois, on le trouvera à 40 centimètres de profondeur, dans un trou de mur et plus rarement, semble-t-il, au sommet d'une tour ou d'un vieux bâtiment. Il est fait pour la plus grande part d'herbes sèches, mêlées à de fines radicelles. Quelquefois (ce n'était pas le cas pour le nôtre) on y signale de la mousse, des plumes et des poils de bêtes. Sa constitution varie dans une certaine mesure avec les matériaux que lui four- nit la région qu'il habite. Dans ce nid, construit sans beaucoup d'art, la femelle dépose ses œufs, le plus souvent au nombre de 4 ou 5. On en compte exceptionnellement 6. Ils sont approximativement de la gros- seur de l'tEuf du merle ou de la grive musicienne, les dimensions variant dans une certaine mesure; généralement d'un bleu ver- dâtre, uni, un peu plus pâle que l'œuf de grive musicienne, ils sont parfois semés de quelques rares points d'un brun clair. Quelques auteurs parlent d'œufs bleuâtres, teintés de rose. La couvée est habituellement complète vers le 25 mai. Les dates suivantes données par le Catalogue : 27 mai, 5 œufs; 4 juin, 5 œufs; 20 juin, 4 œufs; 5 juin, 5 œufs; 18 juin, 4 œufs, démontrent qu'on trouve des œufs non encore éclos, beaucoup plus tard. Il s'agit le plus souvent, semble-t-il, de couvées retar- dées par la destruction ou l'abandon d'un premier nid et quel- quefois, pour les dates les plus tardives, d'une seconde couvée. Le Catalogue signale d'une part des petits sortis de l'œuf le 25 mai et d'autre part des œufs non éclos le 20 juin (couvée de 4 œufs). La seconde couvée paraît démontrée aussi par le fait que des petits encore en voie de développement ont été observés jusque vers le milieu du mois de juillet. L'incubation dure de 15 à 16 jours. Quant à la nourriture du merle de roche, elle est composée d'insectes pendant une bonne partie de l'année. Sauterelles, chenilles, scarabées, constituent le fond de son menu, ce qui ne l'empêche pas, quand les cir- constances l'y obligent, de se nourrir aussi de baies de toute espèce. On dit même qu'il apprécie les figues quand il en trouve. Pour étudier à fond cette question, il faudrait avoir recours à — 75 — l'autopsie, ce que je ne recommande nullement à nos lecteurs. — Quelques mots touchant les noms que ce charmant oiseau a reçus, noms populaires, assez nombreux comme il est naturel pour un oiseau qui a dû souvent attirer l'attention du campa- gnard ou du vigneron. Nous trouvons mentionnés les noms sui- vants : Merle des rochers, merle de mur, ou de château. Merle rouge que lui vaut sa poitrine d'un roux très vif. Moineau soli- taire, nom que j'ai peine à m'expliquer, car rien ne ressemble moins à un moineau. L'épithète de solitaire est mieux choisie, car c'est un oiseau qu'on ne voit pas en compagnie d'oiseaux d'autres espèces, ni même de la sienne. La plupart des noms allemands populaires (Steinrôtel, Steinmerle, Steirôteli, Stei- amsle) font aussi allusion à sa prédilection pour les rochers et les rocailles. Les savants ont rattaché parfois le merle de rocher au même genre que notre merle noir et que nos grives, au genre turdus {Turdiis saxatilis de certains auteurs), d'autres ont forgé pour lui des noms plus ou moins gracieux tels ceux de pétro- cincle de rochers (Petrocincla saxatilis) ou' de monticole des rochers (Monticola saxatilis). Ce dernier nom est celui admis par le Catalogue de Fatio et Studer. La disparition graduelle du merle de roche des pa^'S situés au nord des Alpes, est malheureusement le premier fait qu'il faut mentionner quand on étudie la distribution géographique de cette espèce. Un grand nombre de localités de la Suisse signa- laient le merle de roche comme un hôte régulier il y a 100 à 150 ans. C'étaient surtout les endroits bien exposés du Jura, depuis le Salève jusqu'en Argovie, et des Alpes et Préalpes, sur le pourtour du Lac des Quatre Cantons, dans la vallée d'Urseren, dans la vallée de la Linth, le Rheinthal et les Grisons. Du reste, il se rencontrait aussi, à cette époque, dans le sud de l'Allema- gne jusque dans le Harz. Les Genevois l'observent encore régu- lièrement au Salève à la fin du XlX^e siècle et au début du XX^^^ mais, là aussi, on fait prévoir sa disparition prochaine. Les marchands et les collectionneurs ont certainement exercé dans ces parages une action néfaste car, du fait de sa rareté même, cet oiseau a été particulièrement pourchassé. Y a-t-il d'autres raisons ? C'est possible. Le climat, les conditions de la lutte pour l'existence ont-ils changé? Peut-être. Il n'en reste pas — Té- moins qu'on voudrait voir les amateurs devenir enfin des amis des oiseaux et qu'on voudrait les convaincre qu'une charmante espèce comme celle dont nous parlons est plus intéressante à obser- ver en pleine nature, dans ses mœurs et ses habitudes, qu'enfer- mée pour toujours, inanimée, dans la vitrine du collectionneur. Qu'en est-il ces toutes dernières années, de sa présence au Salève et aux Voirons ? Il serait intéressant de le savoir et nos lecteurs de Genève pourront probablement nous renseigner sur ce point. On en a vu quelques couples à la Ramsiluh près d'Aarau en mars et avril 1889, sans que des nichées aient pu être observées ^. On l'observait régulièrement aux environs d'Olten. Là aussi, un oiseleur connu trouvait des œufs qu'il envoyait à l'étranger Il faut bien que tout le monde vive.... mais le merle de roche aussi, s'il vous plaît. Il est actuellement très rare dans le Jura occidental. Si l'on passe la frontière française, on le trouve encore, dit-on, dans le Jura autour de Besançon et de Vesoul. Au canton de Vaud, on le signalait au début du XIX"^^ siècle à Lavaux où un observateur le déclare en augmentation en 1863, et à Aubonne, où il a disparu depuis longtemps. Il y a longtemps, semble-t-il, que les amateurs le recherchent pour une raison ou une autre. « Autrefois, écrivent Schinz et Meisner en 1815, un couple de merles de rocher nichait au haut d'une des murailles du château d' Aubonne, où l'on prenait les petits au nid pour les élever. Ils étaient parmi les derniers oiseaux à arriver et repartaient de bonne heure ^. » Dans les Préalpes vaudoises, c'est autour d'Aigle qu'il paraît avoir été le plus régulièrement observé. Plus haut, dans la vallée du Rhône, on le trouve parfois encore, un peu plus souvent qu'ailleurs peut-être, dans le Valais moyen et supérieur (Sion, Martigny, Salquenen). Quelquefois même, on en a aperçu l'hiver dans ces parages, mais c'est tout à fait rare. Dans la Suisse centrale, on le signale encore autour de 1880 à Weggis, au Righi, à l'Axenstein. ^ Cette observation m'étonne à première vue, le mois de mars me semblant bien tôt dans l'année pour voir plusieurs couples de monticoles dans nos régions. Tous les observateurs notent son arrivée très tardive ! ! - Cité d'après le Catalogue. ■ —11 — Le merle de roche se fait plus fréquent dès que, se dirigeant au sud, on traverse la chaîne des Alpes, et c'est bien au Tessin qu'on le rencontre le plus souvent, au moins en ce qui concerne la Suisse. Là aussi, cependant, il semble être en diminution. Il niche fréquemment dans les vallées de Mesocco, de Bregaglia, de Maggia et de Verzasca, ainsi que sur les endroits rocheux qui entourent le lac de Lugano. Il reste aussi relativement fré- quent dans la vallée de Poschiavo, qui dépend géographique- ment de la Valteline, où il est assez répandu jusqu'à 2000-2500 mètres d'altitude. Dans le reste des Grisons, il est également devenu un oiseau rare; pourtant on le voit parfois encore en Engadine (Samaden, Pontresina, Sils Maria). Ses migrations sont peu connues. C'est probablement de nuit ou de bon matin qu'il voyage. La plupart des observateurs le mentionnent comme arrivant très tard dans nos contrées. J'ai noté comme date d'arrivée le 26 avril 1916 et le 27 avril 1917. Le Catalogue donne pour le Salève les dates d'arrivée suivantes: 30 avril, 2 mai, 21 avril, 19 avril. En ce qui concerne mes deux observations, je puis garantir leur exactitude, car dès le milieu d'avril je surveillais de près tous nos alentours et je suis persuadé que l'oiseau n'est pas arrivé plus de 24 heures avant les dates mentionnées. L'observation des arrivées est facilitée par le fait que l'oiseau reste très fidèle aux endroits où il a déjà vécu. La Valteline le voit arriver à la fm de mars ou les premiers jours d'avril, plus tôt donc que chez nous, ce qui est naturel. On l'y voit jusque vers la fin de septembre, tandis que je ne l'ai plus aperçu dans notre localité, l'été une fois passé, même les pre- miers jours du mois de septembre. Il paraît quitter les lieux où il a niché, vers la fm d'août, pour entreprendre peut-être des voyages régionaux avant la véritable émigration dans les pays chauds. — Il hiverne parfois, mais isolément, dans la partie méridionale du Tessin, de préfet rence dans le voisinage des lacs. Au nord des Alpes, on a pu le voir très rarement pendant la mauvaise saison, dans la vallée du Rhône, au pied du Salève et, dit-on, jusque dans les prome- nades publiques de la ville de Genève vers 1880. On peut dire qu'actuellement, il se reproduit dans les régions de l'Europe méridionale, et vers Test à travers la Perse, le Turkestan et le — 78 — sud de la Sibérie jusqu'au lac Baïkal, ainsi que dans le sud-est de la Mongolie et le nord de la Chine venant du sud. Il traverse le nord de l'Afrique en émigrant au printemps et quelques-uns y res- tent pour nicher. Quant à l' hiver, il le passe en Sénégambie, en Aby s- sinie, dans d'autres parties de l'Afrique orientale, dans le nord- ouest'de l'Inde et en Chine. * * Il est, hélas ! fort à craindre, que ce bel oiseau n'abandonne définitivement nos contrées si des mesures ne sont prises pour sa protection ^ ; en terminant ces lignes, une crainte me vient. Le reverrons-nous l'an prochain ? En ouvrant notre fenêtre par une radieuse matinée de printemps, entendrons-nous encore la jolie chanson du merle de roche retentir au faîte de la maison voisine ? D^ F. C. La rousserolle turdoïde. Immigration. Dans son Mémoire sur les oiseaux des environs de Genève (1823), Necker constate que la rousserolle turdoïde « n'a point encore été vue dans nos marais ». Une édition subséquente du même ouvrage (1864) où figurent, en complément, des notes de Mallet (1837) et de Lu- nel (1863) ne la mentionne pas encore parmi les représentants de la faune genevoise. Si nous ouvrons d'autre part le Catalogue des Oiseaux de la Suisse, 6"^^ livraison, à la page 881, nous voyons qu'un premier nid fut trouvé dans le champ d'observation de Necker en juin 1880 et un autre en juillet 1885. En ce qui concerne le canton de Vaud, je ne possède comme document, que la Faune du district d'Orbe, dont les auteurs, Duplessis et Combe, ne connaissent notre oiseau que par un 1 Le merle de roche figure sur la liste des oiseaux protégés par la Loi fédérale, article 17, du 16 février 1912. (Réd.). Rousserolle turdoïde. — 79 — seul exemplaire empaillé. Comme complément à cette donnée isolée, je ne puis que m'en référer à mes propres observations, rapportées par le Catalogue à la page 880 et 886 et que voici. C'est en 1895, le 10 mai, que j'aperçus (près de Renens) la pre- mière rousserolle turdoïde dans une région qui m'était familière depuis mon enfance et que j'avais parcourue dans tous les sens et en toute saison. La même année j'en vis une seconde, le 3 juin, à l'étang des Pierrettes et dès lors et jusqu'à l'époque où je quittai les rives du Léman pour celles du Roman, je vis cet oiseau revenir chaque année en augmentant et se fixer pour l'été dans les lieux où j'avais constaté pour la première fois sa présence. A ces lieux s'en ajoutèrent rapidement d'autres. C'est ainsi que le 17 mai 1898, d'après le Catalogue, quelques rousse- rolles turdoïdes furent observées chantant près de Villeneuve. An- térieurement déjà, le 27 mai 1889, de Coulon avait trouvé un nid contenant quatre œufs, non encore couvés, au bord de la Thièle. Si l'on examine les dates ci-dessus énumérées, l'on remarque qu'elles sont toutes postérieures à un événement dont l'in- fluence sur l'immigration de la rousserolle turdoïde et sur son augmentation en pays romand paraît avoir été considérable, si même il n'en est pas uniquement la cause; je veux parler de l'abaissement du niveau des lacs jurassiens (1878) et de l'appa- rition sur les grèves d'immenses fourrés de roseaux, qui en fut la conséquence. A l'appui de cette hypothèse je citerai l'opinion du Dr Vouga, de Saint-Aubin, qui s'exprime en ces termes : « Un oiseau du genre bec-fin, très rare chez nous avant la correc- tion des eaux du Jura, a aussi fait son apparition dans les nou- velles grèves de roseaux: c'est la rousserolle (Acrocephalusiw- doides) . » Dates d'arrivées et de départ. La rousserolle nous arrive tard et nous quitte de bonne heure. La date la plus hâtive que je possède se rapporte au Léman, où j'en vis une, près de Villeneuve, le 21 avril 1914. Le 23 avril 1913, j'en entendis chanter une autre dans des roseaux secs, tout près de Cerlier, au bord du lac de Bienne : c'est l'apparition la plus précoce que j'aie noté dans notre région. Le 28 avril de la même année cet oiseau occupait, en plusieurs exemplaires, les roseaux-refuge de l'embouchure de la Thièle. Enfin, à l'autre — 80 — extrémité de la Réserve du Seeland, dans la station ornitholo- gique voisine de la Broyé où notre Société poursuit. ses obser- vations, je n'ai jamais noté sa présence, jusqu'ici, avant les premiers jours de mai. Comme tous les oiseaux qui arrivent tard, la rousserolle s'en va de bonne heure, et comme c'est le cas pour beaucoup d'au- tres oiseaux encore, on s'aperçoit beaucoup mieux de son arri- vée c[ue de son départ, lequel s'accomplit dans le silence le plus complet et la plupart du temps dans le mystère de la nuit. J'ai vu les dernières au bord de notre lac, en 1911 le 30 août, à la Téne, en 1912 le 22 août, puis encore une (passage) le 6 septem- bre de la même année près de Chevroux, en 1916 le l^^ septem- bre, en 1917 enfin le 23 août et le 1^^ septembre dans le champ habituel de mes observations. Le nid. En pénétrant à l'automne dans les fourrés de roseaux lais- sés debout à l'intention des oi- seaux près de l'embouchure de la Thièle, je trouvai le premier nid (22 octobre 1913). Il a 20 cm. de long, 6 de diamètre inté- rieur, 7 ^2 fis profondeur et se trouvait à 90 cm. du sol. 5 ro- seaux de l'année étaient enclos dans les parois du nid, un sixième, de l'an passé, ne fai- sait que l'appuyer fortement. Deux autres nids, découverts en juin 1917, dans la station ornithologique voisine de la Broyé, sont très semblables au premier. Hauteur : 18 à 20 cm. Diamètre intérieur 7 cm. Pro- fondeur : 7 cm. Situés par un mètre d'eau, l'un à 30 cm., l'autre à 50 cm. de son niveau. Nid de rousserolle turdoïde (n" 2). Hs se trouvaient aiusi rcspccti- — 81 — vemeiit à 1 m. 30 et 1 ni. 50 de hauteur au-dessus du fond. Dans l'un des cas (n^ 2) le petit édifice était fixé à 6 roseaux dont 3 de l'an passé et 3 fraisa dans l'autre, comme pour le nid delà Thièle, 5 roseaux jeunes étaient compris dans les parois du nid, tandis qu'un vieux ne servaitque d'appui. Si je compare ces nids à un quatrième que j'ai recueilli en juin 1912 sur le lac de Naarden, en Hollande, je constate c[u'ils en diffèrent notablement par la lon- gueur, le nid hollandais n'ayant c[ue 12 cm. du bord à l'extrémité inférieure. Au reste tous quatre sont d'une belle et solide construc- tion, dont on ne comprend la raison d'être et la signification qu'a- près avoir observé à quelle épreuve ces intéressantes constructions sont parfois soumises par le vent et par les vagues. Par le vent surtout. Le roseau a beau être un support d'une souplesse admi- rable et continuer, comme du temps du fabuliste, à plier sans se rompre, il ne plie parfois que trop : à un certain angle en effet l'inclinaison devient dangereuse, et le contenu du nid, œufs et petits, risque d'être précipité à l'eau. C'est pour prévenir autant que possible cet accident ciue le bord des nids est légèrement rentrant. D'autre part pour peu que les roseaux soient animés de mouvements inégaux, ils ne tardent pas à disloquer le nid, ou du moins à rompre les liens dans lesquels le petit archi- tecte les avait si soigneusement emprisonnés. Le fait se produi- sit d'ailleurs au cours de l'été, pour l'un des deux nids dont il est ici question. Par un fort vent d'orage une partie des amarres se rompirent, le nid s'inclina fortement sur le côté et l'un des petits disparut, étant probablement tombé dans l'eau. Les couvées. Il y avait 5 œufs dans chaque nid, d'un joli bleu très clair, très délicat, tirant un peu sur le vert et en parfaite harmonie avec le milieu: vert clair des roseaux, bleu pâle de l'eau. Comme le fait voir la vue plongeante cjue j'ai prise de l'une des couvées et reproduite ici, ils sont tout parsemés de taches et de petits points. Voici pour les deux nids, qui, pour le noter en passant, ^ Le professeur Thijsse remarque à propos des nids de HoUande : « Het nest is stevig bevestigd aan rietstengels, meestal aan levende, ook wel aan doode van't vorig jaar.» — 82 — n'étaient qu'à 15 mètres l'un de l'autre \ les événements prin- cipaux, dans leur ordre chronologique, aussi bien que j'ai pu les suivre par des visites aussi fréquentes que possible. Nid 1 Nid 2 2 juin, 5 œufs. 4 juin, 5 œufs. 14 juin, 2 petits, 3 œufs. 9 juin, 2 petits, 3 œufs. ■ 16 juin, 5 petits nus. 14 juin, 3 petits dont 1 23 juin, 4 petits (1 tombé en retard, à l'eau). 23 juin, nid vide 4 juillet, nid vide. (2 oeufs non éclos). DIMENSIONS DES ŒUFS Nid 1 Nid 2 21.8 X 15,7 mm. 22 x 15 mm*. 21,3 X 15,7 mm. 22,4 x 15,2 mm. 22,2 X 15,7 mm. 22,5 X 14,7 mm. 21.9 X 15,6 mm. 22,6 x 14,9 mm. 22,1 X 15,8 mm. 22,8 x 14,5 mm. Ces œufs sont petits si je compare leurs dimensions à la moyenne donnée dans Naumann pour 60 œufs de la collection Rey (22,5 x 16,2). Notons que la rousserolle turdoïde, comme toutes les rousserolles, ne fait qu'une couvée par an, et que le nombre des œufs peut aller parfois, mais rarement, jusqu'à 6. Le chant. Sitôt arrivé, notre oiseau se met à chanter, comme du reste sa petite et proche parente, l'efïarvatte; mais, tandis que cette dernière fait entendre sa voix jusqu'en septembre, le premier se tait bientôt après la période des nichées. Ce fait qui m'avait frappé est relevé dans le Catalogue des oiseaux de la Suisse, par le D^* Greppin, de Soleure, en ces termes : « La rousserolle tur- doïde ne chante plus à partir du commencement de juillet. » D'après mes propres observations le chant.de cette espèce, tout en diminuant de force et de fréquence dès les premiers jours de juillet, ne cesse toutefois complètement que vers le milieu, ou même certaines années que dans la seconde moitié de ce mois. * L'un à 4 mètres, l'auti'e à 1.50 m. en arrière de la lisière d'un même foxuré, et tous deux du côté de ce fourré opposé au vent. - 83 — C'est ainsi qu'en 1912 j'ai encore entendu la voix puissante de la rousserolle turdoïde le 13 juillet, en 1913 le 14 juillet, en 1914 le 18 juillet, en 1916 le 21 juillet. Fait à enregistrer ici: ce chantre des roseaux qui se tait de bonne heure au cours de la saison, n'a pas assez des douze heures du jour, au temps des nichées, pour manifester la joie débordante qui l'anime; il lui faut encore la nuit. A deux reprises, jen effet, je l'ai entendu avec étonnement conterter à 9 heures du soir dans les roseaux des Pierrettes. Qu'il se produise de jour ou de nuit ce chant est si frappant qu'il n'a pas manqué d'attirer l'attention et a valu à son auteur quantité d'appellations dites « vulgaires » qui n'en sont autre chose que l'onomatopée. Cette singulière mélodie débute, en guise d'ouverture, par un crâ-crâ-cara-cara pas très harmonieux en soi, mais dont la plénitude et la puissance ne laisse pas que de charmer l'oreille du connaisseur. La suite malheureusement ne tient pas tout à fait ce que ce début solennel promettait. De l'a en passant par l'e la « grive des marais » en arrive à une syl- labe inlassablement répétée et dont la caractéristique est un i très aigu. Cet a du début et cet i de la fin se retrouvent dans la plupart des noms vulgaires de la rousserolle turdoïde, seulement il y a parfois interversion, comme dans le nom de Tiri-bara que lui ont donné les Belges (Hamonville) et de Cirecara usité dans certaines parties du Jura (Catalogue). Les Hollandais, amis de la logique, préfèrent placer les syllabes dans l'ordre où le petit chanteur les prononce lui-même et l'appellent Karekiet. Tel est aussi le cas de ceux des habitants du Jura qui l'ont baptisé Caracri et Grand Caracoin. Quant aux Savoisiens, en le dénom- mant Racasse et Garasse [(Bailly) ils n'ont voulu se souvenir que du prélude de ce chant si étrange, omettant une suite qui avait sans doute à leurs yeux le tort de finir « en queue de pois- son ». Pour ma part je crois que, si nous ne nous lassons pas d'en- tendre les chants d'oiseaux, c'est justement qu'ils ne sont pas construits d'après les lois harmoniques qui président aux com- positions humaines. De là et peut-être aussi de l'ardeur avec laquelle ils sont débités par les petits artistes ailés vient leur charme, leur fraîcheur, leur imprévu, qualités qui faisaient dire à Beloii ^, en son naïf langage, et précisément à propos des rous- serolles: « Qui voudra avoir plaisir indicible, aille l'été s'asseoir sur la rive de quelque douve 2, où il y ait des roseaux, il ouïra une mélodieuse harmonie d'infinis petits alcyons vocals, que nous nommons en français rousserolles. Il n'est homme, s'il n'est du tout lourdaud, qui infailliblement, s'il y prend 4)ien garde, n'en soit rendu triste ou joyeux.... Tout homme qui ouïra un chant si hautain procéder du sifïlet de si petite corpulence d'oisillon, sera de gros esprit et lourd, s' Un y repense deux fois.... » s'il n'y repense deux fois et si ses réflexions ne l'amènent à saisir enfin, selon la belle expression de Godard, « tout le profit que l'oiseau apporte à notre vie morale ». Alf. Richard. Protection. Deux récents articles sur la protection des oiseaux. On nous signale d'intéressantes manifestations qui démon- trent, si toutefois cela était nécessaire, combien la protection des oiseaux et les mesures qui s'y rapportent sont à l'ordre du jour. L'une de ces manifestations est un article, dû à la plume de M. A. Ménégaux, directeur de la Revue française d-'ornitho- logie, que le Larousse mensuel illustré ^ consacre à cette impor- tante question. Dans un espace nécessairement restreint l'au- teur a condensé des renseignements abondants et précis, puisés aux meilleures sources. Des illustrations bien choisies contri- buent à enrichir encore ces notes si complètes et à en faciliter la compréhension. En somme nous avons là un résumé de tous les faits acquis, à ce jour, de la belle cause que nous défendons. Nous croyons bien servir cette cause et intéresser en même temps nos lecteurs, en leur donnant ci-après quelques extraits. A méditer. Les oiseaux ne sont pas des épaves dont chacun a le droit ^ Pierre Belon du Mans, l'auteur de la première en date des monographies d'oi- seaux (1555). - Marais bordant un fleuve ou un lac. ^ Larousse mensuel illustré. N° 132 (Février 1918). Prix: Pr. 1.25. — 85 — de s'emparer au gré de sa fantaisie. Ils sont la propriété de la collectivité, et, par conséquent, de l'Etat qui en est le tuteur naturel. C'est une immense richesse, qui peut être évaluée et peut être augmentée. • * * Au Biological Siirvey des Etats-Unis, on a examiné les esto- macs de plus de 35,000 oiseaux, représentant un grand nombre d'espèces, et il ressort de ces études qu'aucune espèce cVoiseaux n'est complètement inutile à Vhomme. Protégeons donc les oiseaux pour leur utilité, pour leur beauté, mais aussi pour la vie et l'attrait qu'ils donnent à la nature et aux paysages. * * L'ennemi le plus terrible des oiseaux, c'est l'homme qui, par égoïsme, indifférence et ignorance, se met en travers des mesures prises. Ce nest que par V instruction et par la propagande à l'école primaire qu'on arrivera à changer cette mentalité. Dans tous les pays de l'Europe, les oiseaux-gibiers et les oi- seaux utiles à l'agriculture jouissent d'une protection officielle, plus ou moins efTicace. Au Canada et aux Etats-Unis, il en est de même aussi pour les oiseaux migrateurs. Partout, les oiseaux qui sont en voie de diminution ont la faveur d'un régime spé- cial plus rigoureux. Les insectes ravageurs. Les insectes attaquent les plantes cultivées ou sauvages dans leurs racines, leurs tiges, leurs feuilles, leurs ffeurs, leurs fruits et leurs graines et y produisent des dégâts souvent très impor- tants. Pour certaines plantes d'Europe leur nombre est étonnant. On en compte de 800 à 1000 sur le chêne, 396 sur le saule, 299 sur les conifères (pins et sapins), 285 sur les pommiers et les - 86 — poiriers, 270 sur les bouleaux, 264 sur les peupliers, 237 sur les pruniers, 154 sur le hêtre, 119 sur l'aune, 102 sur le tilleul, 103 sur la ronce, 98 sur le noisetier, 90 sur l'ajonc, 88 sur le charme, 70 sur l'ortie, 68 sur l'érable, 58 sur les genêts, 53 sur le blé, 52 sur le frêne, 49 sur le chou, 34 sur le trèfle, 33 sur la vigne, 23 sur le châtaignier, 20 sur l'orge et la carotte, 12 sur le marronnier, 8 sur l'olivier, etc. Comme ces insectes ont un pouvoir de multiplication extraor- dinaire, il est clair que cette multiplication d'ennemis ne peut être détruite que par Vactivité inlassable des oiseaux. Mais le développement des cultures et la transformation des méthodes, de même que le déboisement, l'arrachage des vieilles souche* et des sous-bois, la régularisation des cours d'eau, l'augmentation du nombre des chasseurs et surtout des braconniers pratiquant le piégeage ont amené une diminution notable du nombre des oiseaux. Ces faits créent des devoirs à la génération actuelle, si elle ne veut laisser diminuer les moyens naturels de lutte contre les parasites et amoindrir la nature. I^Les Réserves. Dans beaucoup de pays, les mesures légales ont été complé- tées par la création de refuges étendus ou de parcs nationaux, dans lesquels' la chasse est interdite et où les oiseaux peuvent vivre et se multiplier en liberté. Ces réserves ont donné des résul- tats remarquables : la première en date est le Yellowstone Park établi en 1872 aux Etats-Unis, où il y en a maintenant plus de dix, ayant une superficie dépassant 250,000 kilomètres carrés. En Australie il y en a 55. En Angleterre, de grands domaines privés ont été réservés, de même qu'en Allemagne et en Autri- che. En Suisse le Val-de-Travers ^ dans le Jura, le val Cluoza dans l'Engadine, ont été récemment choisis dans ce but.^ Le long des côtes de la Baltique et de la mer du Nord, beaucoup d'îles (Memmert, Jordsand, Ellenbogen, Norderoog, Langen- werder, etc.) ont été instituées en réserves pour la nidification des oiseaux d'eau, avec gardiens officiels. En France nous ne possédons que le parc national de la Bérarde, dans les Alpes, ^ Parc du Creux-du-Van. — 87 - fondé en 1913. Et pourtant il serait utile d'en créer un dans la Camargue, pour protéger le castor, le flammant, et les oiseaux de passage^; dans les Alpes pour le gypaète barbu et le grand coq de bruyère; dans le centre de la France et dans la forêt d'Huel- goat, en Bretagne; dans les Pyrénées, la cféation de l'un d'eux est à l'étude (1916) sur l'initiative du Prince de Monaco. Autres mesures. Il n'y a qu'une façon de protéger efficacement; cette façon est indépendante des personnes, et chacun peut y réussir : c'est d'employer la méthode naturelle, qui s'appuie sur les données de la biologie, c'est-à-dire qu'il faut copier la nature pour atti- rer les oiseaux. Les mesures pratiques seront de deux sortes suivant qu'on aura affaire soit à des oiseaux nichant dans des trous ou dans des cavités moins fermées, soit à ceux nichant en plein air. Pour les premiers, les nichoirs artificiels pourront rem- placer les trous et les cavités; pour les seconds, il faudra créer des endroits, des fourrés favorables à leur nidification. A. Ménégaux. Ce dernier chapitre nous fournit une transition toute natur relie pour passer à la seconde des manifestations dont il est, question plus haut. Les mesures qui y sont énumérées sont en effet c€lles-là mêmes dont les Comités des Sociétés protectrices des oiseaux de la ville de Zurich recommandent l'application, aussi générale que possible, dans un pressant appel paru dans la Nouvelle Gazette de Zurich (26 février 1918) et dont voici la tra- duction : Pour les oiseaux. Les Comités des Sociétés protectrices des oiseaux de la ville de Zurich nous prient de reproduire l'appel suivant adressé aux propriétaires de domaines et de jardins de Zurich et des envi- rons. Durant les trois dernières années de guerre de nombreuses haies et de petits bois en pleins champs ont été extirpés, et voici, ' Les phrases soulignées l'ont été par nous. (Réd.) par surcroît, qu'il est question ce printemps de défricher, pour peu qu'elles s'y prêtent, les moindres parcelles de terrain inculte qui subsistent encore. D'autre part pour subvenir aux pressants besoins de combustible des coupes étendues, des abatages mé- thodiques ont été pratiqués dans nos forêts. Ce sont là mesures qui privent les petits oiseaux de leurs refuges et lieux de repro- duction naturels, tandis que la suppression des marais empêche la nidification des nombreux oiseaux auxquels ils sont indispen- sables. C'est ainsi que beaucoup d'espèces vont être réduites dans leurs effectifs, sinon disparaître pour toujours de la faune de notre pays, en tant que nicheurs. Bien que les circonstances exigent incontestablement un accroissement du terrain produc- tif, il faut cependant parer à une diminution trop sensible des oiseaux utiles et ceci dans l'intérêt même de nos cultures. C'est ce qui nous pousse à adresser à tous les propriétaires de domaines et de jardins un pressant appel pour les engager à prendre toutes les mesures que comporte la situation. Ces mesures con- sistent à entretenir des refuges buissonnants dans les parcs, le long des lisières des forêts, au bord des rivières, sur les talus dont la raideur empêche l'utilisation, et dans tous les autres lieux incultes et incultivables. Lorsque dans les jardins d'agré- ment la taille des buissons est reconnue nécessaire, il faut avoir soin de la pratiquer de façon à produire des fourchures ^ qui ser- viront de supports aux nids (des fauvettes en particulier). Pour éviter la destruction des couvées, les travaux de défri- chement et d'abatage devront être entrepris si possible avant l'époque principale des nichées, c'est-à-dire avant le 15 avril. Enfin en fournissant aux oiseaux des nichoirs à leur conve- nance, nous conserverons à nos jardins, à nos vergers, à nos forêts des espèces extrêmement utiles comme les mésanges, les torcols, les sitelles, les rouges-queues et les gobe-mouches. La protection des oiseaux, elle aussi, entre en ligne de compte, lorsqu'il s'agit d'accroître la production du sol. Nouvelle Gazette de Zurich. .* Voir les explications détaillées que novis avons données à ce sujet dans Nos Oi- seaux 19 et 20. (Réd.J 89 Divers. La question des permis ornithologiques. Lors de la dernière assemblée à Lausanne de la Société pour l'étude et la protection des oiseaux, la question des permis ornithologiques a été mise sur le tapis. Actuellement, dans le canton de Vaud, ces permis spéciaux sont devenus très rares, et les porteurs de ceux-ci sont triés sur le volet, justifiant généralement de connaissances ornithologiques suffisantes pour ne pas tuer inutilement des oiseaux. La loi cantonale vaudoise sur la chasse et la protection des oiseaux, du 17 mai 1915, à l'article 38 dit ceci : Le Département de l'agriculture, de l'industrie et du commerce peut, à titre exceptionnel, accorder à des chasseurs de confiance jus- tifiant des connaissances scientifiques nécessaires, des autorisations spéciales permettant de tuer, pendant la période de fermeture de la chasse, des oiseaux de toute espèce (autre que le gibier sédentaire) et de recueillir leurs nids et leurs œufs, en vue de procurer aux collec- tions publiques les spécimens dont elles ont besoin. En fait que se passe-t-il ? Un certain nombre de chasseurs tirent chaque printemps un nombre respectable de coups de fusils pour tuer trop d'oiseaux qui ne présentent qu'un intérêt très relatif. Les collec- tions publiques sont des cimetières généralement fort bien garnis. Je pense qu'il serait difficile de trouver une espèce très rare, passant dans notre pays, qui ne soit pas représentée dans notre musée cantonal. Au contraire, on pourrait défendre même ce paradoxe, que ce sont les espèces rares qui y sont le mieux représentées. L'usure des spécimens, s'ils sont bien préparés, ce qui est généralement le cas, est très minime. Beaucoup d'oiseaux ne varient guère entre le plumage de noce et celui d'automne d'une part, d'autre part le plumage de noce, s'il est plus beau, n'est pas nécessairement plus intéressant ou plus typique, et le public qui voudra déterminer un oiseau dans une vitrine, le reconnaîtra plus volontiers à son plumage ordinaire que sous celui des grands jours. Je pense donc que pour réparer l'usure fatale, les musées pourront toujours s'adresser à des chasseurs qui en automne se feront un plai- sir de procurer les spécimens demandés. Actuellement un nombre restreint, je le veux bien, de chasseurs de confiance tirent des coups de fusil au printemps, pendant que les oi- seaux nichent. On peut se demander si cette pratique ne va pas à fin contraire du but poursuivi par notre société. — 90 — La Réserve du Seeland, si bien administrée par notre rédacteur, M. Richard, est une preuve absolue que beaucoup d'espèces qui n'étaient pas considérées généralement comme nicheuses chez nous le deviennent. En ornithologie, comme en toute chose, il faut se garder de la routine. Du fait qu'un oiseau est rare, il ne s'ensuit pas qu'il le sera toujours. J'en prends à témoin les observateurs d'il y a 50 ans sur les lacs de Neuchâtel et du Léman. La foulque, sans jamais avoir été très rare, était représentée par quelques familles tout au plus. Aujourd'hui c'est par milliers que nous comptons ces oiseaux. Le van- neau, le courlis, la bécassine et tant d'autres échassiers nichent mainte- nant en grande quantité dans nos réserves. Ce n'était pas le cas il y a 10 ans, au moins pour plusieurs espèces. Je pense donc qu'au printemps, la plus grande tranquillité est de rigueur. Je connais personnellement deux couples d'avocettes auxquelles nos contrées plaisent beaucoup. Elles ont déjà agité plusieurs fois la question d'y planter leur tente, mais, m'ont-elles dit, le pays n'est pas sûr et, sur cette constatation, elles ont été voir M. Burdet dont elles savent que l'appareil photogra- phique est très inofïensif. Je pourrais citer d'autres exemples encore, témoignant de l'insécurité de nos rives, mais une vieille bécassine m'a fait promettre de ne pas dévoiler sa cachette. Le désir des ornithologues est de voir représentés chez nous le plus d'espèces possible et le plus d'individus aussi. Notez que dans ce do- maine, l'intérêt des chasseurs est exactement le même, car ils sont tous plus ou moins amis des oiseaux et désirent leur augmentation. Les vrais amis de la nature doivent tendre à supprimer tous les coups de fusil au printemps, non seulement au moment de la nidification, mais déjà bien avant, quand précisément les couples cherchent un coin où élever une famille future. Certains oiseaux nichent chez nous exces- sivement tôt. J'ai trouvé personnellement une nichée éclose de canards sauvages (maraîches) le 20 mars. Si nous comptons les 28 jours que la cane a cbuvé, cela nous ramène au 20 février pour le début de la cou- vaison, et peut-être 10 jours avant pour le début de la ponte. On peut donc dire que dès le 10 février, le nid était fait. Le 1^^ février, si les parents avaient entendu un ou deux coups de fusil, ils auraient cherché des lieux plus tranquilles. Je crois avoir démontré que pour les chas- seurs, il y a un intérêt primordial -à la suppression des permis ornitho- logiques; à plus forte raison cet intérêt existe-t-il pour les ornitholo- gues, car ce n'est pas seulement le gibier de passage que l'on protège ainsi et qu'on invite à s'arrêter chez nous, mais encore tous les oiseaux de passage. J'entends l'objection : Et la science, qu'en faites-vous ? N'y a-t-il — 91 — pas intérêt pour elle à préciser que telle ou telle espèce rare a en effet passé chez nous au printemps ? Et tous ceux qui ont fait de l'ornitho- logie savent que souvent le seul moyen de déterminer un oiseau avec certitude est de l'avoir dans la main. Je répondrai à cette objection que je ne suis pas du tout sûr que la science avance d'un pas parce qu'elle aura noté le passage extraordinaire d'un canard eider ou d'un héron aigrette à telle ou telle date. Je pense que nous avons des docu- ments sérieux qui précisent la date du passage des oiseaux même très rares chez nous, et je me déclare vaincu si on me démontre que de- puis dix ans il a passé un seul oiseau qui n'avait encore jamais été signalé sous nos latitudes ^. J'ai dit plus haut que je prétends que nos musées sont fournis, et le seront encore, que toutes les espèces rares y sont représentées abon- damment, et que ce n'est pas nécessaire que les oiseaux y soient tou- jours en plumage de noce, au contraire; je ne suis pas convaincu qu'une espèce dite rare, ou de passage exceptionnel, ne nichera pas une fois dans le pays. Quand on pense aux espèces qui vont nicher au nord, il y a souvent un individu isolé qui reste dans le pays. Témoin les bécasses qui depuis quelques années semblent s'arrêter plus volontiers dans le Jura ou les Alpes et même dans le Jorat. On me dira qu'il peut y avoir intérêt pour une école à créer un musée scolaire qui n'existe pas encore; il y a maintenant des instituteurs qui s'intéressent plus que jadis à l'ornithologie et cherchent à y intéresser leurs élèves. Cela est vrai. Mais dans ces cas, l'instituteur s'adressera aux chasseurs de son village qui lui procureront volontiers des spéci- mens de la faune locale en automne, et ceux-ci seront aussi intéressants, sinon plus, pour les enfants s'ils sont en plumage ordinaire. Il y aurait, me semble-t-il, un moyen plus scientifique de faire de l'ornithologie : ce serait que les permis ornithologiques ne soient déli- vrés que pour une année à ceux qui justifient d'une recherche scienti- fique spéciale. Je suppose qu'un professeur de zoologie propose une thèse de doctorat sur un sujet ornithologique. Le candidat serait alors autorisé à tirer les espèces à étudier, toute l'année. Il s'agirait du contenu stomacal, des variations du plumage, du squelette, que sais- je ? De cette façon les musées profiteraient du matériel recueilli, la science bénéficierait d'un travail nouveau, et les amis des oiseaux y trouveraient leur compte aussi. Car je pense que certaines années, un, deux, trois candidats au plus travailleraient sur ces sujets, puis pen- ^ ^ Du reste, l'invention de la jumelle à prismes, venant à son he\xre, permet de dé- terminer un oiseau à coup sûr et à de grandes distances, supprimant ainsi la néces- sité de le captiirer. (Réd.) — 92 — danl plusieurs années peut-être, il n'y aurait pas de recherches dans ce domaine. Ainsi les oiseaux pourraient être dérangés à intervalles beaucoup plus éloignés, et pendant des années, ils trouveront le calme et la tranquillité sur nos plages. Pour nous résumer nous disons : 1'' que la protection des oiseaux doit arriver à favoriser le plus possible la nidification de ceux-ci dans notre pays ; 2° qu'il est fort possible, sinon probable, que la liste des espèces dites nicheuses peut être allongée avec le temps; 3^ que pour arriver à ce but, il faut que les permis dits ornitholo- giques soient supprimés; 40 que les droits de la science seront sauvegardés par l'octroi de permis spéciaux délivrés à des étudiants en science justifiant d'une recherche scientifique dans un domaine donné et précis. Je ne me fais aucune illusion sur le résultat des désirs que nous pou- vons exprimer dans ce domaine. La sainte routine nous mènera long- temps encore. En Suisse, dans la plupart de nos cantons, la chasse est fermée au printemps. Nos voisins tendent de plus en plus à suivre ce bon exemple, mais ce n'est que par une lente évolution que les progrès sont obtenus. Ce n'est pas une raison pour nous croiser les bras et, sans prêcher la révolution, il est désirable que chacun apporte sa petite pierre à l'édifice du progrès. Dr p. NaRBEL. ' Le nid de la sitelle. Dans le dernier numéro de Nos Oiseaux, j'ai lu avec un très vif intérêt les observations de M. Ad. Burdet concernant le nid de la sitelle. Je ne suis qu'un simple profane, grand ami de la nature et surtout des oiseaux. Aussi pendant mon séjour à Travers j'ai fait placer et fabriqué moi-même un grand nombre de nichoirs artificiels. Au mo- ment de la nidification, le dimanche venu, j'allais voir mes protégés à l'œuvre. Mon lieu de prédilection se trouve au nord de Travers, « Vers-chez-le-Bois », petit hameau entouré de vergers, situé au pied d'une forêt de hêtres et de conifères ^. Au printemps de l'année 1916, j'avais suspendu un nichoir en planches avec couvercle à bascule, semblable à celui que représente la planche de M. Ad. Burdet, à un pommier situé à une dizaine de mètres du sentier qui débouche Vers- chez-le-Bois. La même année, à ma grande satisfaction, une sitelle en fit sa demeure. '■ Dans laquelle se trouvent des pins. — 93 — L'entrée du nichoir qui avait de 4 à 5 centimètres de diamètre fut en peu de jours rétrécie au moyen d'un mortier dans lequel on remar- quait facilement de la bouse de vache; puis les jointures extérieures et intérieures du toit furent badigeonnées avec le même mortier. Cette maçonnerie produisit une sorte de corniche au-dessus du trou. Le nid que j'ai vu bâtir et revu pendant l'incubation et après l'éclo- sion était composé de lamelles d'écorce de pin placées verticalement en forme de rosace. Ce fait m'ayant paru digne d'intérêt me décida d'envoyer le nichoir en question à M. Giugni-Polonia, professeur à l'école normale de Locarno. Ed. Verdon, membre du Club jurassien (section Soliai). Moutier, mars 1918. Les pierrots voyageurs. Un de mes parents m'a raconté qu'en quittant Southampton pour la Colonie du Cap, il vit un moineau prendre passage à bord du même navire que lui et débarquer à Lisbonne, où l'on avait fait escale, chan- geant ainsi de climat, en même temps que de nationalité. Un fait semblable ayant eu pour théâtre non la mer, mais le Léman, m'a été rapporté par M. H. Correvon, le protecteur de nos plantes alpines. Le bateau sur lequel il se trouvait venait de quitter le petit port de Nyon et se dirigeait à toute vapeur sur Thonon, lorsqu'il aperçut un moi- neau perché sur le parapet et paraissant quelque peu inquiet des suites d'une équipée d'ailleurs involontaire. En plein lac, on croisa un vapeur venant en sens inverse. Notre oiseau, intelligent comme ils le sont, ne fut pas lent à comprendre la chance inespérée qui se présentait à lui : au moment du croisement, il ne fit qu'un bond de l'un à l'autre navire et rentra triomphalement à Nyon, heureux sans doute d'être rendu à sa famille. J'ai fait moi-même, le 1^^ décembre de l'année écoulée, une observation de même nature et confirmant dans une certaine mesure les deux premières. Un peu avant de quitter Neuchâtel pour Cudrefin, je remarquai sur le pont du bateau sur lequel je m'étais embarqué, deux moineaux sautillant gaiement de ci de là, en quête des aubaines diverses qu'offre souvent à ces aimables maraudeurs le pont des ba- teaux. Une idée traversa aussitôt mon esprit : leur faire oublier le moment du départ en leur distribuant parcimonieusement, miette à miette, un peu de pain que j'avais là. Ce petit stratagème me réussit parfaitement. Lorsque mes compagnons de voyage s'aperçurent que la «maison flottante» s'était déplacée à leur insu, l'on était déjà à 3 kilomètres de la rive. Ils jugèrent la distance trop grande pour la — 94 — parcourir au vol, et s'installèrent si philosophiquement à l'arrière, dans la nacelle de sauvetage, que j'eus l'impression que ce n'était pas la première fois que cet accident leur arrivait. A 300 mètres du petit port vaudois de Cudrefm, je les vis, dans leur impatience de rejoindre la terre ferme, devancer le bateau et gagner la rive à tire d'ailes. Cela devenait intéressant. Car, de deux choses l'une, ou bien mes voyageurs emplumés allaient imiter le moineau qui d'Anglais s'était fait Portugais, et de Neuchâtelois qu'ils étaient allaient devenir Vaudois (la différence toutefois n'est pas si grande), ou bien ils connaissaient l'horaire et savaient qu'à 3 heures il y avait un bateau pour rentrer à Neuchâtel. C'était la seule occasion de retour possible, et devant l'utiliser moi-même, je tenais en main, pour ainsi dire, la solution du problème. Sitôt débarqué, je constatai que mes compa- gnons de voyage avaient élu domicile dans un arbre du port, et s'y tenaient côte à côte et immobiles comme décidés à n'en pas bouger. C'est ainsi que je les quittai. Lorsque 4 heures plus tard je me retrou- vai dans le port, ma première pensée fut pour eux. Et grand fut mon plaisir en apercevant le jeune mâle déjà installé sur le bateau et impa- tient, semblait-il, de partir. De sa compagne nulle trace. Je fouillai en vain de ma jumelle tous les alentours : elle avait disparu. Au départ j'entendis le petit délaissé lancer du côté de terre un ou deux derniers et vibrants appels : ils restèrent sans réponse. Toutefois ceci ne fut point pour l'ébranler dans sa résolution et c'est ainsi qu'au cours de la traversée, je pus continuer à suivre les évolutions de mon petit ami. De l'arrière où il s'était constamment tenu à l'aller, je le vis passer, au retour, à l'avant du bateau, manœuvre que j'interprète comme suit : « J'ai quitté Neuchâtel avec regret, j'y retourne avec plaisir. » En cours de route il s'éleva à deux ou trois reprises à une grande hauteur au- dessus du bateau, pour voir, comme la colombe de l'arche, si l'on n'aper- cevait pas bientôt le sec, mais comme la colombe ce fut pour revenir chaque fois à son point de départ. Enfin, comme nous étions encore à 1 kilomètre ou 1500 mètres de la côte, n'y tenant plus, emporté par le désir de retrouver sa patrie, il partit comme un trait du côté de terre, sans l'inspection préhminaire cette fois, et nous ne le vîmes plus revenir. Quant à sa compagne la société de ses congénères de Cudrefin lui aura paru sans doute assez séduisante, pour qu'elle en oublie et l'heure du bateau, et son compagnon, et sa ville natale. A. R. - 95 Calendrier ornithologique Grèbe huppé (Podiceps cristalus (L.). 1er décembre. Vu le dernier grèbe dans la Réserve à cette date, un peu avant la congélation du lac. A. R. 6 janvier. Je ne parviens pas à m'expliquer l'absence totale des grè- bes cet hiver, dans le bas-lac, où ils sont d'habitude si communs, à moins de chercher la cause de ce phénomène dans la persécution dont ces oiseaux sont l'objet sous prétexte de protection du poisson. A. R. 14 mars. Les grèbes reviennent. Le garde-pêche Ducret m'en signale un vol de 60 observé par lui près de la Raisse (Concise) à cette date; jNL Cornaz un autre de 20 individus, sous Hauterive le 15 du même mois. 20 mars. Les grèbes ont entièrement réoccupé tout le bas-lac. Le soir j'en compte 52, en passage, devant les quais de Champ-Bougin. A. R. Corneille mantelée (Corvus cornix L.). 2 décembre. A fait son apparition dans la Réserve à cette date; il y en a deux. 10 janvier. Le séjour d'une corneille mantelée à l'intérieur de la ville de Neuchâtel m'est signalé aujourd'hui. A. R. Canard sauvage (Anas boscas L.). 5 décembre. Les eaux de la Réserve étant prises sous la glace, les canards qui l'habitent se sont réfugiés sur le canal de la Broyé, où j'en compte 80. ^ A. R. Cigogne (Ciconia ciconia) L.). 4 décembre. Dans le champ de notre lunette (elle grossit 70 fois) des- tinée à observer les mouvements des avions, apparaît une cigogne que nous voyons descendre sur le village de Faverois. M. R., caporal. Poule d'eau ( Gallinula chloropus L.). 19 décembre. J'ai constaté le 20 octobre la présence d'une jeune poule d'eau dans la Réserve. Aujourd'hui seconde observation; cet oiseau y est donc sédentaire. 2 janvier. On m'apporte une poule d'eau trouvée morte sur la Broyé, près de la Réserve du Seeland. Elle ne pèse que 195 grammes, a beaucoup de blanc à la poitrine et point de plaque frontale rouge. — 96 — C'est une jeune, celle que j'ai observée à deux reprises dans ces parages, je suppose. A. R. Effets du froid. 30 décembre. Tempér. — 13°. La neige et le froid continu font périr bien des oiseaux : on m'en apporte morts ou mourants, des merles surtout. A. R. 28 au 30 décembre. Observé pendant trois jours soit de Hauterive, soit du Château, des vols de corneilles battant en retraite devant le froid et se dirigeant sans interruption vers le sud. C. Cornaz. 30 décembre. Les morillons apparaissent en grand nombre devant Neuchâtel : j'en compte une centaine au large de la baie de l'Evole. A. R. Oies sauvages (Anser sp ?). 6 janvier. A la Corbaz, près Belfaux (Fribourg) M. G. et sa famille ont observé depuis 3 heures après-midi une troupe de 20 oies sau- vages, fouillant la neige. Ed. Butticaz. 23 janvier. Un grand vol d'oies, plus petites que l'oie domestique, m'est signalé près d'Estavayer. 28 janvier. Le vol d'oies (il y en avait cent) signalé près d'Estavayer s'est fixé dans le domaine de La Corbière et fréquente aussi les grè- ves du lac. 8 février. Un vol de cent oies sauvages, plus petites que l'oie domes- tique, avec beaucoup de blanc (rieuse ?) est apparu aujourd'hui dans la Réserve du Seeland. 11 février. Une Oie rieuse (Anser albifrons Bechst) est tuée aujour- d'hui sur les confins de la Réserve. Faisait partie d'une bande de 150 individus de 2 tailles différentes. Poids : 2 kg. 150 gr. Bec aux côtés du front : 50,5 mm. Aile pliée : 40,5 cm. C'est une femelle. Œufs non développés. Contenu de l'estomac : sable et matières végétales décomposées. 20 février. Observé aujourd'hui dans la Réserve deux bandes d'oies sauvages, l'une de 32, l'autre de 100 individus. Elles ne se mélan- gent pas. 27 février. Une oie cendrée (Anser anser L.) solitaire s'est montrée dans la Réserve à cette date. A. R. Sitelle (Siiia europaea L.). 29 janvier. Entendu le premier chant de la sitelle, aujourd'hui à l'in- térieur de la ville (Neuchâtel). A. R. Qrimpereau (Certhia familiaris L.). 8 février. Premier chant du grimpereau dans le bois du Chablais, près de Cudrefm. A. R. — 97 — Cygne sauvage (Cygnus cygnus L.). 8 février. Quatre cygnes sauvages, deux adultes et deux jeunes fré- quentent la Réserve, dont les bas- fonds semblent beaucoup leur conve- nir. Ces beaux oiseaux sont très vigi- lants et se laissent difficilement appro- cher. Ce qui frappe dès l'abord, c'est la couleur du bec (noir à la pointe, jaune à la racine), le cou plus droit que chez Cygne sauvage. le cygne mi-domestique de nos lacs, et la facilité avec laquelle ils se mettent à l'essor. En outre, du plus loin qu'ils vous aperçoivent, à 4 ou 500 mètres déjà, ils poussent un cri sonore, sur deux notes, la seconde de 4 ou 5 tons plus élevée que la première, ce qui n'est pas le cas du cygne acclimaté chez nous et qu'on a appelé pour cette raison «muet». Enfin j'ai remar- qué qu'avant le départ, ces oiseaux font de petits hochements de tête très curieux, marquant l'inquiétude, mouvement rapide de haut en bas, comme certains échassiers, mais n'affectant guère que la tête. — Cette intéressante famille paraissait vouloir se fixer dans la Réserve; le 13 mars, après un séjour de plus d'un mois, elle y était encore au complet. Malheureusement, le père, la mère et les deux rejetons (ils ne se séparaient jamais) aimaient à excursionner de temps à autre sur le lac, où la chasse était ouverte. Reconnus à leur cri par un chasseur professionnel, ils disparurent l'un après l'autre, les parents d'abord, les jeunes ensuite. Le 20 mars je vis successivement et pour la dernière fois les deux jeunes, désemparés, solitaires, à 2 ou 3 kilomètres l'un de l'autre. N. B. Les représentants de cette espèce (un adulte et un jeune), de provenance neuchâteloise, que possède notre musée ont tous deux été capturés en février. A. R. Premier chant du merle. 19 février. Entendu ce matin à 6 h. 50, par 3 degrés de froid, le chant du merle. A. R. Premier chant du pinson. 20 février. Aujourd'hui, premiers essais de chant du pinson, quai du Mont-Blanc, Neuchâtel. A. R. Alouette (Alauda arvensis L.). 20 février. Les alouettes paraissent dans la Réserve. Température : - — 7,4. 24 avril. Nid d'alouette dans la Réserve, tout près d'un nid de vanneau. Il ne contient que 3 œufs. A. R. Combattant (Machetes pugnax L.). 27 février. Les combattants sont arrivés à la station ornithologique — 98 — de la Réserve en même temps que les vanneaux, au nombre d'une douzaine. Le 30 mars, ils étaient 50. Hier, 8 mai, j'en ai vu une troupe de 20 à 25. Le passage continue. A. R. Vanneau huppé (Vanellus vanellus L.). 27 février. Nos vanneaux indigènes ont pris possession de leur domaine. 3 avril : premier nid avec ponte complète. 24 avril : première éclo- sion. 25 avril. Un dernier et grand vol de vanneaux de passage m'est signalé à cette date dans les prés d'Areuse. A. R. Pouillot véloce (Phylloscopus rufus Bechst). 6 mars. Observé quelques pouillots en allant visiter notre Réserve de Villeneuve. En Hollande ces oiseaux n'arrivent guère que 10 à 12 jours plus tard. A. Burdet. 13 mars. Les pouillots sont arrivés dans la Réserve du Seeland. Le 21 mars à Champ-Bougin. A. R. Rouge-queue tîthys (Phoenicurus tilys Bechst.). 11 mars. Entendu brièvement le chant d'un rouge-queue en ville. Le 14 et le 18 mars de même, et au même endroit. Vu le premier indi- vidu à Marin, le 20 mars. Le 26, chant du tithys à Champ-Bougin. A. R. Arlequin (Totanus fusais L.). 13 mars. C'est le 14 octobre que j'ai aperçu le dernier de ces oiseaux dans la Réserve; aujourd'hui s'y est montré le premier représen- tant de la migration du printemps. Barge à queue noire (Limosa limosa L.). 20 mars. Première barge à la station ornithologique; le 27 mars 1, le 30 mars 1, le 3 avril 2, le 6 avril 6, le 13 avril 6, le 20 avril 21. A. R. Grand pluvier à collier (AegialUis hiaticula (L.). 20 mars. Vu le premier de l'année aujourd'hui. A. R. Bruant des roseaux (Emberiza schœniclus L.). 23 mars. Il y a en ce moment un passage marqué de ces oiseaux^ dans la Réserve. 8 mai. Nid de bruant des roseaux contenant 5 œufs. A. R. Milan noir (Milvus migrans (Bodd). 23 mars. Cette année comme souvent précédemment, j'aperçois le premier à cette date. A. R. Hirondelle de cheminée (Hirundo rustica L.). 30 mars. Une hirondelle isolée, volant vers le nord, bords du lac, Réserve. M. Reichel. 3 avril. Seconde observation d'une hirondelle dans la Réserve. Dès — 99 — lors et jusqu'au 20 avril on n'observe que des individus isolés ou de petites bandes. Le 20 avril : grands vols. A. R. Pluvier doré (Charadrius apricarius L.). 30 mars. Un exemplaire de cette espèce (qui paraît devenir rare) dans la Réserve du Seeland, en plumage de transition. M. Reighel. 3 avril. Le pluvier^doré qui m'est signalé par M. R. est toujours là, en compagnie des combattants et des vanneaux de la Réserve. Son séjour dans nos parages a été de deux semaines environ : le 13 avril il s'offrait une dernière fois à mon observation, le 17 il avait disparu. Alors que tous les échassiers revenant du Midi se montrent en général très sauvages, celui-ci m'a laissé approcher à 12 mètres, en sorte que j'ai pu l'étudier tout à loisir, et noter en par- ticulier tout ce qui le différencie de son proche parent le vanneau- pluvier. Huppe (Upupa epops L.). 2 avril. Aperçu la première huppe près de Concise. M. Reichel. Dans la Réserve. 6 avril. Il y a en ce moment à la station ornithologique et dans son voisinage des centaines de palmipèdes et d'échassiers. Parmi les premiers, outre le canard sauvage (Anas boscas L.) j'y ai constam- ment observé dès le 13 mars des bandes de sarcelles d'hiver (Net- iium crecca L.), de sarcelles d'été (Querquedula querquedula L.), et une petite troupe de canards pilets (Dafda acuta L.); dès le 20 mars des souchets (Spalula clypeata L.) ; dès le 27 mars des canards siflleurs (Mareca penelope L.); quelques morillons (Fuligula fuli- gula L.), sans compter les hôtes habituels, foulques et grèbes hup- pés récemment arrivés. Parmi les échassiers, noté 80 vanneaux, 40 combattants, 6 barges à queue noire, 3 courlis, 1 pluvier doré, 3 bécasseaux variables, 5 ou 6 gambettes, 2 hérons cendrés et un petit nombre d'indéterminés. La bécassine «chante» aujourd'hui pour la première fois aux endroits où elle nichera. C'est le 20 mars que le passage de cet oiseau a été le plus abondant dans la Réserve. A. R. Canard milouin (Nyroca ferina L.). 10 avril. Un couple (cf et 9 ) en compagnie de 6 morillons dans les eaux de la Réserve. A. R. Torcol (Jynx torquilla L.). 14 avril. Entendu le chant du torcol à Saint-Biaise. P. Robert. Traquet tarier (Pratincola rubetra L.). 25 avril. Observé de nombreux tariers le long de la route entre Marin et Montmirail, et dans les prés, à Champion et dans le Seeland. — 100 - Rossignol des murailles (Phoenicurus phoenicurus L.). 25 avril. Les mâles chantent partout dans leurs lieux de prédilection. 1er mai, passage marqué de mâles et de femelles au bord du lac entre Thièle et Broyé. A. R. Pouillot natterer (Phylloscopus bonelli V.). 26 avril. En passage dans la Réserve. A. R. Martinet (Micropus apus L.). 27 avril. Arrivée à Genève (M. R.) et à Neuchâtel (A. R.) le même soir. Rossignol (Luscinia lascinia (L.). 27 mai. Le rossignol est arrivé dans la Réserve : j'y entends le premier chant de l'année. A. R. Poule d'eau ( Gallinula chloropus (L.). 1er niai. Observé un superbe représentant de cette espèce, dans la livrée du printemps (plaque frontale rouge, bandes transversales blanches sur les flancs) sur la Thièle, à la lisière des roseaux-refuge. Gobe-mouche gris (Muscicapa grisola L.). 3 mai. Le gobe-mouche est de retour. Il fait entendre son cri (et son chant qui n'est qu'une répétition du premier) dans les propriétés bordant le quai de Champ-Bougin. A. R. Effarvatte (Acrocephalus anindinaceus Gm.). 3 mai. L'effarvatte chante dans la pépinière de la Commune à Champ- Bougin. A. R. Loriot (Oriolus galbula L.). 4 mai. Successivement tous les participants de la grande migration prin- tanière annoncent leur présence : aujourd'hui c'est le tour du loriot, dont la voix flûtée résonne dans les bois de la Réserve. A. R. NÉCROLOGIE Nous avons appris, trop tard pour en faire mention dans notre pré- cédent Bulletin, le décès de Mme William Barbey-Boissier, de Valey- res-sur-Rances, près Orbe, mère de M. Maurice Barbey, avocat à Mon- treux, membre de notre Comité Intercantonal, et de M^^ Albert Lombard-Barbey, à Couches, près Genève, membre de notre Société. Mme \Y, Barbey fut elle-même une adepte convaincue de la cause que nous défendons. Elle s'intéressa en particulier à la question de la conservation des haies, si importante pour la protection des oiseaux. On trouvait du reste M°^e Barbey prête à agir avec énergie dès qu'il y avait une cause méritoire à soutenir. Nous présentons à sa famille l'expression de notre respectueuse sympathie. \ N° 27 JUILLET 1918 NOS OISEAUX BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LA PROTECTION DES OISEAUX Etudes ornithologiques. Le bruant des roseaux. (( Je n'ai pu encore m'assurer si le bruant des roseaux niche clans le pays », écrivait Necker en 1823, et trente ans plus tard Bailly déclarait encore que cet oiseau ne se reproduisait pas habituellement dans nos climats. Dès lors sa présence comme nicheur a pu être constatée de Genève à Constance, un peu plus com- munément à l'est qu'à l'ouest, à ce qu'il paraît. Comme hôte d'hiver, c'est l'inverse, il est plus fréquent en Suisse occidentale. Verticalement il ne dé- passe pas 1000 mètres sur mer, d'après le Catalogue. Aussi loin que remontent mes sou- venirs j'ai vu le bruant des roseaux arriver au printemps (13 mars) sur les grèves de Vidy et y chercher à terre, parmi ces amas de détritus que le lac dépose sur le sable, ses graines favorites, en particulier celles du roseau commun. Quelques rares individus res^taient en été, pour la re- production, près des roseaux des Pierrettes, de Saint-Sulpice et de la Venoge. A l'automne, au moment du retour (octobre), le bruant des roseaux se rencontrait dans les mêmes parages avec les spioncelles descendus de nos Alpes. Au cours de l'hiver alors que toute l'extrémité nord du lac de — 102 — Neuchâtel était prise sous une couche de glace, sur laquelle les patineurs accourus des villes riveraines prenaient joyeusement leurs ébats, j'ai vu un représentant de l'espèce qui nous occupe, silencieux, inaperçu de la foule, confortablement installé dans un panache de roseau, doucement caressé par les mèches soyeuses du panicule, dont il s'enveloppait comme d'un man- teau, y défier le froid et la faim. Une autre fois (décembre 1914) me trouvant sur ces bancs de sable d'aspect si étrange et si sau- vage qui se forment entre Yvonand et Yverdon par les basses eaux, j'y ai rencontré une petite bande de bruants des roseaux se dirigeant sur Yverdon. Faisaient-ils eux aussi leur tour du lac de Neuchâtel, comme ceux de Sempach qui, d'après Schifferli, feraient plusieurs fois en hiver le tour du petit lac de ce nom ?... En somme il n'est pas de mois dans l'année où je n'aie noté la présence de notre oiseau soit sur les bords du Léman, soit sur ceux du Roman, sans qu'il me soit toujours possible de dire, en ce qui concerne les mois d'hiver et pour chaque cas parti- culier, s'il s'agissait de migrateurs locaux ou lointains, d'hiver- nants venus du Nord, ou d'individus sédentaires. Carex stricta. ~ Il y a dans la Réserve une laîche au port élevé, aux feuilles rigides, finement dentelées sur les bords, qui recouvre de sa verdure une partie considérable des grèves et que l'on voit, par les beaux jours d'été, ondoyer à perte de vue sous les coups inces- sants et répétés de la bise. C'est la laîche raide (Carex stricta Good) ^. Les représentants de cette espèce offrent ceci de par- ticulier qu'ils s'associent et se groupent pour mieux résister à l'attaque des flots, joignant à cet effet leurs, racines fibreuses et les entrelaçant si intimement qu'elles finissent par former une masse compacte, sorte de feutre ^pais et tenace, capable de triom- pher de la puissance désagrégeante de l'eau. Le lac, dont le ni- veau varie, et dont les crues et les baisses produisent un va-et- vient, un mouvement alternatif d'avance et de recul des eaux, entraîne avec soi le sable ou la vase tout autour des plantes ainsi associées, tandis qu'elles-mêmes tiennent bon, mais finissent par se déchausser complètement. 1 Carex elata dans la Flore de Schinz et Keller. — 103 — Ainsi se forment ces îlots, composés d'une sorte de fût, haut de 30, voire même 50 centimètres, — les racines, surmonté d'une plan- tureuse gerbe, — les feuilles. Tantôt épars ou tout à fait isolés, tantôt groupés en colonies et très rapprochés, ces monticules laissent entre eux des couloirs, des canaux où l'eau stagne encore longtemps après la retraite du lac, où les bécassines sont cer- taines de trouver en tout temps une abondante pâture, les liè- vres un abri sûr, et où quantité d'hôtes de la Réserve, poils et plumes, circulent de jour et de nuit, laissant sur la vase molle l'empreinte révélatrice de leur plus récent passage. A l'automne la partie supérieure de la troche, la haute gerbe des feuilles, se fane, se dessèche et s'abat sur le sol (à quoi concourt encore le poids de la neige), pour être remplacée à la saison suivante par une touffe plus fraîche, plus vigoureuse que sa devancière. Cher- chez à ce moment au pied de l'îlot, écartez prudemment les fanes de l'an dernier : c'est là, à terre, entre celles-ci et le fût, que vous trouverez, dans l'ombre et le mystère où elle aime à s'abriter, la fragile couvée du bruant des roseaux. Auprès du nid. Lorsqu'on approche du nid, la couveuse s'en échappe au der- nier moment, courant et voletant au ras du sol, entre les laîches, sur un assez long espace. Le mâle, qui prend sa part, avec une sollicitude touchante, des peines de l'incubation et de l'élevage de la nichée, exécute, cas échéant, le même manège. C'est vers le milieu du jour qu'il a l'habitude de venir relayer sa compagne, à ce qu'affirme Naumann. J'ai en effet pu l'observer à la jumelle vers 11 heures et demie, alors qu'il protégeait ses petits contre l'insolation et haletait sur le nid plutôt que de les voir souffrir. J'ai pu vérifier encore l'exactitude d'une autre affirmation du grand ornithologue allemand, à savoir que le bruant des roseaux nourrit sa nichée principalement de chenilles.... vorzùglich Ràup- chen. Chaque fois en effet que je le surprenais, perché à mi- hauteur de quelque roseau, dans le voisinage du nid, il avait au bec une ou plusieurs petites chenilles lisses (grises ou vertes), ainsi que le représente la vignette qui figure en tête de cet article. En ce cas-là il demeurait rivé à son perchoir, son bec bourré de pâture ne l'empêchant pas de pousser de temps à autre son tzie — 104 — mélancolique, en manière de discrète protestation contre mon importune présence. Il attendait ainsi, avec une patience qui faisait mon désespoir, et aussi longtemps qu'iLle fallait, que j'eusse vidé la place, avant d'apporter à ses petits une proie qu'ils étaient pourtant aussi impatients de recevoir que moi de la leur voir livrer. Dans une autre occasion j'ai surpris une fe- melle tenant dans son bec une de ces grosses libellules, à abdo- men large, qui abondent en été dans la Réserve et que j'ai vu rechercher également par le hobereau et la rousserolle turdoïde. Quant au nid lui-même certains auteurs, tels Naumann et Schinz, le déclarent mal fait ou du moins très négligemment bâti. D'autres, comme Schifïerli, sont d'un avis contraire. Ce c{ui a pu motiver l'opinion des premiers, c'est que les matériaux qui le composent sont plutôt juxtaposés qu'entrelacés, de façon que si l'on vient à le détacher de son entourage, sa fragilité rela- tive devient apparente. D'autre part l'intérieur en est si joli- ment arrondi, les brindilles qui le composent (plus grosses pour l'extérieur, de plus en plus fines à mesure qu'on se rapproche de l'intérieur) choisies avec tant de soin, la petite construction si bien adaptée à son milieu, que je me range sans peine du côté de ses admirateurs. Pour ma part je n'ai trouvé les nids observés clans la Réserve doublés d'aucune espèce de duvet, ni végétal, ni animal. Seuls de petits brins desséchés, de petites tiges fanées entraient dans sa composition. Ce n'est cju'une fois recueillis après le départ de la nichée et en cherchant avec beaucoup d'at- tention que j'ai réussi à y découvrir un ou deux crins. Diamètre entre les bords : 6 à 7 centimètres. Profondeur au milieu : 3,5 centimètres. L'un des nids de cette année, découvert le 3 mai, contenait 3 œufs à ce moment et 5 lors d'une visite subséquente (8 mai). A raison d'un œuf par jour la ponte a dû être complète le 5 mai. Le 18 j'y trouvai 4 petits d'un rose foncé, partiellement recou- verts d'un duvet iloirâtre, et un œuf non éclos, mais piqué. Le 20 je constatai la présence de 5 petits; le 22 il n'y en avait plus que quatre. Le 25 les quatre oisillons restants étaient déjà bien emplumés et empennés et avaient les yeux grands ouverts; le 28 le nid était vide. A supposer que les choses se soient passées normalement cet exode me paraît quelque peu prématuré, car — 105 — le cadet ne pouvait avoir que dix jours. Un second nid, décou- vert le 22 mai avec 5 petits, dont le dernier né le jour même, était déjà vide le 25 mai. Dans ce cas il est évident que la couvée a été détruite ou enlevée. Je soupçonne du méfait une énorme couleuvre de 80 cm. de long, qui hantait ces parages. Les dan- gers auxquels sont exposées les couvées des oiseaux nichant à terre sont si nombreux qu'il y a plutôt lieu de s'étonner de leur réussite que du cas contraire. Etrange grimoire. Parmi nos bruants indigènes le bruant des roseaux est celui dont les œufs sont le plus petits. Voici en millimètres les di- mensions de ceux qui composaient la couvée représentée ici : 19,5 X 14,9 19,2 X 14,9 19,7 X 14,8 19,3 X 14,7 19,3 X 15 A remarquer, dans le cas particulier, qu'ils sont remarquable- ment égaux, mais par quoi ils sont plus curieux, et non seule- ment ceux-ci, mais les œufs de l'espèce en général, c'est par les signes cabalistiques qu'on trouve tracés sur la coquille. Sur un fond d'un brun rosé on y découvre en effet, éparses et plus ou moins clairsemées, les taches les plus singulières et les plus va- riées, taches rondes, comme des brûlures, c'est-à-dire plus fon- cées au centre qu'à la périphérie, lettres arabes, caractères hébraïques ou chinois, notes de musique dont le jambage est aussi fin, aussi délié que le plus fin des cheveux ou le fil ténuissime d'une toile d'araignée. Cette énigmatique décoration varie à l'infini dans ses éléments comme dans leur combinaison, en sorte que parmi des centaines, parmi des milliers d'œufs il serait sans doute difficile d'en trouver deux qui fussent exactement pareils. Si l'on examine attentivement l'un des œufs photographiés et reproduits en première page l'on remarquera que le côté en est zébré par une ligne en zigzag, tel le sillon lumineux que l'éclair trace dans la nue. Que signifient ces hiéroglyphes ? A quoi riment ces arabesques auxquels se complaît, comme en un jeu, le pinceau de Dame — 106 — Nature ? Doit-on se souvenir à ce propos du mot de Pline le jeune : Rerum omnium parens natura nihil sine ingentibiis causis genuit.... La nature, cette créatrice universelle, n'a rien produit sans de grands motifs.,..; ou faut-il ne voir là qu'un caprice, qu'un accident sans but ni raison d'être ? Quoi qu'il en soit, il n'est heureusement pas nécessaire de le savoir pour admirer, et ce qui confère en somme aux objets natu- rels leur plus grand attrait, c'est précisément le mystère qui les entoure, les problèmes qu'ils posent à notre esprit et à notre imagination. Admirons, donc, car le nid du bruant des roseaux aux œufs si délicatement nuancés, si étrangement enluminés, caché au pied d'une touffe de laîche et perdu au sein du vaste marécage, est une des choses les plus attrayantes, les plus fas- cinantes qui soient. Alf. Richard. Protection. Les oiseaux et la vigne. M. Henri Kehrig a fait adopter par la Société d'agriculture de la Gironde le vœu suivant, dont l'importance n'échappera à personne : « Considérant : que depuis longtemps le cochylis et l'eudémis, sans compter les autres insectes ampélophages, occasionnent à la viticulture française des dégâts énormes et sont une des prin- cipales causes de la diminution de récolte constatée dans toutes les régions; « Que tous les moyens préconisés et essayés jusqu'à présent pour combattre ces insectes, ainsi que ceux dont souffrent toutes les cultures, et notamment celle des arbres fruitiers, outre qu'ils sont très coûteux et peu pratiques, n'ont donné que des résultats à peu près insignifiants; « Qu'il a été démontré une fois de plus, par l'hiver de 1916— 1917 que ces insectes résistent aux froids rigoureux; « Que les petits oiseaux ont toujours été considérés, avec juste raison, comme le meilleur agent de destruction des insectes, et — 107 — qu'il importe, par conséquent, de leur assurer une protection efficace: « La Société d'agriculture de la Gironde prie instamment M, le ministre de l'Agriculture de tenir la main, dans l'intérêt de l'agriculture tout entière, à l'observation stricte de la loi rela- tive à la protection des oiseaux utiles à l'agriculture, en n'au- torisant pas les préfets à accorder des tolérances contraires à ses prescriptions. » La Société d'agriculture de la Gironde, bien placée pour constater les immenses dégâts occasionnés chaque année par les insectes dans les vignobles s'est toujours occupée activement de la protection des oiseaux. L'école et la protection des oiseaux. Nous avons toujours pensé que c'est par l'école qu'on arrivera le plus vite et le mieux à faire progresser la cause qui nous est chère. M. Vernier est du même avis que nous : <( Les conseils des professeurs et des instituteurs, ainsi dit-il, auraient un résultat puissant et immédiat sur les jeunes gens et les enfants dont ils forment le cœur et l'esprit. » Quelques personnes ont formé aux Etats-L'nis des <( Ligues de Bonté ou de Pitié » (Bands of MercyJ. Ces ligues remontent à la source et agissent sur l'enfant par l'énergique propagande sco- laire qu'elles comptent reprendre dés que les événements le permettront, la bonté pour l'oiseau étant une des formes les plus charmantes de la bonté. D'autre part ^L Louis Ternier, vice-président de la Ligue française pour la protection des oiseaux a pu constater que les efforts faits dans le sens indiqué par certains instituteurs fran- çais commençaient à porter ses fruits. «Partout où j'ai eu l'occasion de parcourir les campagnes depuis quelque temps, ainsi s'exprime M, 'Ternier, tous ceux qui s'intéressent aux oiseaux m'ont affirmé que les enfants détrui- sent beaucoup moins de nids. Le dénichage ne semble pas autant les intéresser et les passionner. Il est très certain que les insti-' tuteurs ont contribué à cet heureux changement dans les habi- tudes des enfants des campagnes. La nécessité de protéger les oiseaux doit faire partie du programme de toutes nos écoles. » — 108 — Les réserves en France. M. Raoul de Clermoiit publie dans les Annales (k la science agronomique un article très documenté sur la nécessité absolue de protéger la faune et la flore en France par des réserves et des parcs nationaux. L'Italie, la Suisse, l'Allemagne, l'Angleterre, les Etats-Unis ont créé des parcs nationaux très prospères où toutes les espèces d'animaux menacés de disparition par l'homme trouvent un refuge assuré. La France commence à suivre ce mouvement, mais avec bien des lenteurs et des hésitations. En 1913, dans le cirque de la Bérarde, en Oisans, une réserve de 12962 hectares est établie qui prend le nom de Parc Saint- Christophe, sous la direction de M. Defert, vice-président du Touring-Club de France. La Commission des sites et monuments naturels de Seine-et- Marne, et plusieurs autres sociétés artistiques et scientifiques réclament la création d'un parc national en forêt de Fontaine- bleau. La Ligue française pour la protection des oiseaux a obtenu du préfet des Côtes-du-Nord la réserve de l'île Rouzic où les macareux sont désormais à l'abri de tout massacre. Il est ques- tion en outre d'ériger en réserve la Camargue; cette dernière création nous intéresse tout particulièrement en Suisse puis- qu'elle contribuerait fi la protection de nos migrateurs, échassiers et palmipèdes surtout, en leur procurant, sur la route même qu'ils suivent, une étape de tout premier ordre. Moyens de protection. Un cas intéressant. Le merle est un nicheur de plein air auquel par conséquent les nichoirs ne sont pas destinés. Toutefois on a négligé de le consulter à ce sujet, et le cas assurément rare, peut-être unique, dont nous fait part un aimable correspondant de Lausanne, prouve tout au moins que cet hôte de nos jardins a parfaitement saisi les avantages de ces solides maisonnettes, où couveuse et couvée sont à l'abri de la pluie et de l'ardeur du soleil. Voici ce que nous écrit à ce sujet cet ami des oiseaux : — 109 «Dans la propriété que j'habite près de Lausanne on ne voyait jadis aucun oiseau (sauf des moineaux). Nous y avons planté divers arbres et dès que la chose fut possible j'y ai placé toute la série des nids artificiels dont a parlé xVos Oiseaux, cette charmante revue que nous lisons toujours en famille avec tant de plaisir. Les oiseaux aussitôt sont venus. Ce furent d'abord des hiron- delles de cheminée, puis vinrent des mésan- ges qui prirent possession d'un nichoir placé sur un poirier. Celui-ci était infesté de ver- mine et nous avions en vain essayé de le flamber; elles l'en ont débarrassé. Un autre couple de mésanges a pris possession d'un nichoir Burnat fixé contre un abricotier. Une .paire de mésanges bleues a élu domicile dans un nid semblable à celui qu'occupent les charbonnières du poirier. Avant de s'y installer elles l'ont consciencieusement nettoyé, sortant brin à brin les débris qu'y avaient laissés les précédents occupants. Quand c'était un débris de papier, elles le fixaient par leurs pattes à une branche, le déchiraient en mille morceaux et l'éparpillaient à tous les vents. Cette année nous avons eu la surprise de voir un couple de merles s'installer dans un nichoir placé dans un prunier. C'est un gros nichoir à écorce nature, percé de deux entrées se faisant vis-à-vis. L'une est dirigée vers l'est, l'autre vers l'ouest. Les merles commencè- rent par le meubler : on les voyait courir dans les allées et les plates- bandes, y ramasser à plein bec des brindilles qui leur faisaient des deux côtés de la tête des moustaches de chat et les entasser dans le nid. Maintenant la femelle couve, la tête invariablement tournée du côté du levant et la queue sortant par ^'ouverture opposée. De son petit œil brillant elle suit le va-et-vient dans le jardin, tandis que le mâle chante au haut du poirier. C'est la première fois que je constate qu'un merle fasse son nid dans un nichoir. Le cas est-il unique ? » Lausanne, le 13 avril 1918. Arnold Bonnard. Encore le nid de la sitelle. Un membre zélé de notre Société habitant Peseux nous a fait voir un nichoir de sa fabrication, placé par lui dans un noyer, et aussitôt adopté par un couple de sitelles. La ponte fut de 8 œufs (blancs poin- tillés de brun), dont il naquit 7 petits. L'un des œufs subit le sort prévu — 110 — par Brehm et Naumann et fut retrouvé enfoui dans la litière à une certaine profondeur. En soulevant le couvercle de l'appareil nous pûmes faire en outre les constatations suivantes : l'intérieur de 17 cm. de diamètre dans le haut et de 13 dans le bas, par 30 cm. de profondeur, était rempli aux trois quarts de matériaux apportés un à un par ses occupants. On y distinguait deux couches : l'inférieure, formée d'élé- ments grossiers et assez sensiblement égaux, était évidemment des- tinée à combler le fond du nichoir, estimé trop profond; c'étaient des morceaux de bois mort, de gros fragments d'écorce, des amandes entières, des noyaux de pruneaux, un demi-bouchon de liège, un jeton de loto, etc. ; la supérieure, le nid proprement dit, était presque tout entière composée de lamelles d'écorce de pin, disposées verticalement, comme cela est si bien décrit par M. Burdet et figuré dans le n^ 24 de Nos Oiseaux. Un examen attentif nous fit découvrir parmi les lamelles quelques feuilles sèches empruntées aux arbres du voisinage et des frag- ments d'écorce provenant d'arbres fruitiers. Mais encore une fois les lamelles de pin dominaient et cela est d'autant plus étonnant qu'il n'y avait pas de pins dans le voisinage immédiat du nid. Il faut donc bien que la sitelle ait pour ce genre de garniture une prédilection toute parti- culière pour ne pas redouter le transport à distance et brin par brin de matériaux qui, bien tassés, occupaient un volume de tout près de 3 litres et demi. Divers. Destruction des hannetons par les moineaux. Il n'est point toujours aisé de donner des preuves tangibles de l'uti- lité des oiseaux, c'est pourquoi l'observation suivante peut avoir quel- que intérêt. Les hannetons ayant été cette année tout particulièrement abon- dants, je me suis astreint à récolter leurs élytres ou ailes dures, restes des repas copieux que font les moineaux, tout particulièrement friands du morceau dodu qu'est ce gros insecte. Pendant un mois, du 27 avril au 27 mai, j'ai donc recueilli les élytres abandonnés dans une allée de jardin bordée d'un côté d'une haie de charme, où piaillaient quelques moineaux, La récolte a été faite sur une surface de 18 m^. Or, pendant ces 30 jours, j'ai relevé la valeur de 253 hannetons, ce qui représente 14 insectes par m^. C'est là évidem- ment une quantité fort appréciable de dévastateurs, dont les moi- — 111 — neaux, souvent si décriés, nous ont débarrassés. Qu'on se figure mainte- nant ce que cela peut faire sur toute l'étendue du pays et l'on aura bien l'impression que le résultat total n'est sûrement pas à négliger. J'ajouterai encore que les hannetons dévorés ont été beaucoup plus nombreux les premiers jours que les derniers, ce que j'attribue au fait que peut-être les oiseaux se lassent au bout de quelque temps de cette nourriture, ce qui, somme toute, n'a rien que de très psychologique- ment et physiologiquement normal. Voici du reste le détail des récoltes jour après jour : 27 avril 1918 = 31 hannetons. S mai 1918 = 10 lianuet. 19 mai 1918 = 6 hannetons 28 » 1(3 )> 9 » S » 20 » 4 30 » 19 » 10 » 18 » 21 » 1 1" mai » 19 » 11 » 10 » 22 » 2 2 » 22 » 12 « 5 » 23 » 1 3 » 18 » 13 » 2 » 24 » 2 4 » 10 » 14 « 5 » 25 )) 2 5 » 11 » 15 » 2 » 26 » 2 6 > 11 7 » 16 17 " 5 2 » 27 Total o 7 253 prof. INIaurice Boubier, Genève. Nichée du pinson des Ardennes au Zurichberg. La « Liste distributive des oiseaux de la Suisse » dit à propos du pin- son des Ardennes (Fringilla montifringilla L.), hôte d'hiver chez nous : a été observé plusieurs fois en été, mais sa nichée demande confirmation. Je puis corroborer pour ma part la première partie de cette sentence, ayant entendu avec étonnement le cri caractéristique du pinson des Ardennes parmi la verdoyante frondaison des chênes et des hêtres du bois de Sauvabelin au-dessus de Lausanne. La note qu"on va lire et que me communique un membre de notre Société, sera une première réponse à l'appel tacite contenu dans la seconde. • A. R. Zurich, le 28 avril 1918. Nous avons trouvé au Zurichberg un nid de pinson des Ardennes. Formé à l'extérieur de mousse recouverte de lichens, tapissé à l'inté- rieur de crins et de plumes, il m'a paru assez semblable à celui du pin- son ordinaire, quoiqu'un peu plus grossier. Les œufs ressemblent de même à ceux de la dernière espèce, peut-être, et autant que j'en ai pu juger, sont-ils légèrement plus grands et plus nettement tachetés. Entre le nid, placé au centre d'une enfourchure, et le sol j'ai mesuré 3 mètres. Au moment de l'observation, la couveuse était sur le nid, tandis que son compagnon chantait sur une branche voisine et nous a — 112 — laissé le temps d'admirer sa lielle tète noire. Nous aurions voulu vous envoyer le nid, après la sortie des petits, mais nous l'avons trouvé tombant en loques. Je ne puis donc pas vous donner d'autres preuves de notre observation, que ma parole, qui est celle d'une personne con- naissant bien l'oiseau en question pour l'avoir étudié aussi bien natu- ralisé que vivant. H. Marchand. Capture d'une rousserolle avant 1878. Le Di" Vouga, de Saint-Aubin, a l'obligeance de nous communiquer le récit de sa première rencontre ^ avec la rousserolle turdoïde, ceci à propos de l'article que nous avons publié sur cet oiseau dans le précé- dent numéro de notre bulletin. Cette rencontre, suivie de capture, présente pour nous un intérêt documentaire, en ce qu'elle est anté- rieure à 1878 (correction des eaux du Jura). C'est à ce titre tout d'abord que nous l'enregistrons ici. Mais en même temps nous pensons faire plaisir à nos lecteurs en leur donnant quelques extraits de ce récit pit- toresque et charmant, sourire d'une époque disparue (l'auteur avait 15 ans lorsque lui advint l'aventure qu'il nous conte). Voici : « Je revenais, à l'heure de midi, de battre les roseaux qui s'étendent du Petit-Cortaillod au moulin de Bevaix. C'était un beau jour du mois de mai. J'avais fait bonne pêche et je pensais avec satisfaction au plaisir qu'aurait mon père en me voyant arriver, chargé de butin, comme lui dans son beau temps, lorsque soudain je retins ma rame pour écouter un cri singulier qui partait d'un fourré de roseaux. C'était le chant de l'efïarvatte si commune à cette saison, c'était la même mé- lodie, les mêmes interruptions, les mêmes cris d'appel; mais quel tim- bre de voix ! quelle puissance extraordinaire ! quels sons stridents par- fois comparables aux grincements d'une scie. Un larynx de fauvette ordinair? était incapable de tels efforts; ce devait être un oiseau à moi inconnu qui s'était abattu depuis la veille dans cet endroit.... mais le passage printanier des oiseaux était fini depuis longtemps ; tous avaient leur nid, beaucoup avaient déjà leurs œufs et leurs petits même. — Il y avait donc là un mystère qu'il fallait absolument éclaircir; et la crainte de manquer une occasion peut-être unique dans ma vie me donnait la fièvre. Je n'avais qu'une idée : m'emparer de cet oiseau. Pour l'avoir j'aurais marché dans le feu, j'aurais nagé dans l'eau froide, j'aurais fait mille folies. Ceux-là seuls qui ont le feu sacré de l'histoire naturelle, me comprendront. » L'auteur aborde sur la rive et court auprès de son père qui après * Voir le Rameau de Sapin, mai 1870. — 113 — l'avoir écouté, lui révèle qu'il s'agit d'une rousserolle turdoïde «oiseau rare chez nous ». Le jeune homme retourne auprès des roseaux armé d'un fusil et y passe toute la journée sans parvenir à ses fins. L'aube du jour suivant le voit de nouveau à son poste,... et le soir l'y retrouve encore, épuisé des vains et périlleux efforts qu'il a faits pour découvrir l'oiseau qu'il sait avoir blessé. « Accablé, furieux contre moi-même, je me laissai tomber sur un de ces amas de joncs secs que les vents d'hi- ver assemblent et roulent sur la grève. Là j'entendis la voix de mon père qui me criait du haut des vignes : « As-tu l'oiseau ? — Non, je ne l'ai pas, répondis-je d'une voix enrouée. — C'est pour cela que tu as failli te noyer, malheureux gamin.... » Soudain je me relevai, l'esprit tra- versé par une de ces idées rapides comme l'éclair, par un de ces conseils infaillibles qui n'arrivent que dans les grands moments de la vie. Il est là, me dis-je.... et je me mis avec confiance à soulever ces monceaux de débris sur lesquels je m'étais jeté plein de découragement. Au bout de cinq minutes je poussais un cri de triomphe : je tenais la rousserolle, je l'avais dans les mains !... Aujourd'hui la rousserolle figure dans la collection d'oiseaux de mon père; c'est un superbe exemplaire, qui fait très bien, perché sur un roseau sec au milieu des autres oiseaux de sa famille. Jamais je n'entre dans la salle sans passer près de l'armoire de la rousserolle et sans me souvenir avec émotion de mon aventure d'enfance. » Calendrier ornithologique. Nid d'alouette (Alauda arvensis L.). 4 mai. Bien qu'incapables de voler, les petits (2), éclos le 26 avril, ont quitté le nid aujourd'hui. A. R. Hypolaïs ictérine (Hypolaïs iderina V.). 8 mai. Entendu le chant de l'ictérine à Saint-Biaise et près de La Sauge. Un peu plus tard noté la présence de cette espèce à Marin et dans deux propriétés de Neuchâtel-Ville. l^^ juin. Xid contenant 3 œufs, Chablais. A. R. Goéland marin (Lanis marinas L.). 11 mai. Vu aujourd'hui pour la première fois dans la Réserve un re- présentant de l'espèce appelée goéland marin ou à manteau noir. C'est un exemplaire adulte, de grande taille (il paraît d'un bon tiers plus grand que les canards debout à côté de lui). Posé sur la grève, tout près de l'eau, il fait sa toilette au soleil du matin. De loin déjà — 114 Goéland marin adulte. mon attention est attirée par le blanc éclatant dn cou et de la tête, tranchant sur la teinte foncée du manteau. Petit carré blanc au bout de l'aile. Survient une troupe de mouettes qui ne paraissent pas le voir d'aussi bon œil que moi ; elles se mettent en effet à le houspiller, ce qui provoque de sa part l'attitude d'énergique protestation dans laquelle il est représenté ici. Troublé dans son repos, il déploie ses grandes ailes et se met en quête d'un endroit plus tranquille. Au vol j'ai pu constater que seules les rémiges primaires sont franche- ment noires; le reste du manteau m'a paru plus clair, l'extrémité des rémiges secondaires blanche. Queue d'un blanc pur. Depuis l'observation que j'ai pu faire de 4 goélands marins au bord de la mer du Nord, le 14 juin 1912, je n'en avais pas revu; c'est dire que l'espèce est rare chez nous. A. R. Vanneau=pluvier ( Squatarola squalarola L.). 11 mai. L'an passé j'enregistrai ici la présence dans la Réserve d'un vanneau-pluvier à la date du 16 juin. Cette année nous y en avons vu un le 11 mai, 3 le 18 mai, 1 le 20 mai, 1 encore le 25 mai et enfin un dernier le 15 juin. A. R. M. Reichel. Canard souchet (Spalula dypeata L.). 11 mai. Un souchet mâle, en plumage de noces, se montre dans les — 115 — eaux de la Réserve. Revu le 15 mai en compagnie de canards sau- vages. A. R. Grand pluvier à collier (Aegialitis hiaticula L.). 15 mai. Le lac atteint un niveau extraordinairement bas (-129 m. 350, il baissera encore jusqu'à 429 m, 220). Il s'est formé de superbes étendues de sable et de limon qui attirent dans la Réserve quantité d'oiseaux. Observé aujourd'hui une bande de 12 jolis gravelots, vi- vement colorés. J'en ai revu 9 le 1*^^ juin, au même endroit. A. R. Barge à queue noire (Limosa limosa L.). 18 mai. Une barge, Réserve du Seeland. A. R. Nid de canard (Anas boscas L.). 18 mai. Les canards prennent confiance : je trouve un nid, en pleine grève de la Réserve, entre deux touffes de laîche. 7 œufs le 18 mai, 7 œufs le 20 mai, 8 œufs le 22 mai. A. R. Buse bondrée (Pernis apivorus L.). 20 mai. Observé une bondrée survolant la Thièle. Les bandes trans- versales de la queue sont nettement visibles. M. Reichel. Caille (Cotiirnix coturnix L.). 20 mai. La caille fait entendre son appel dans la Réserve. A. R. Mouette (Lanis ridibimdiis L.). 20 mai. Attiré par les basses eaux un immense vol de mouettes (200 à 300) séjourne dans la Réserve, D'où peuvent-elles bien venir ? Revu le 1er juij^ j^ j^ Nid de foulque (Fulica air a L.). 20 mai. Le lac est si bas que les foulques sont obligées de construire leurs nids à terre. Nid contenant 8 œufs, un autre 5; 8 juin : nid contenant 7 œufs. Les nids terrestres sont des tourelles de 22 à 27 cm. de haut. 15 juin : 4"ie nid, couvée détruite. Dès lors les nids se multiplient, mais les œufs sont enlevés à mesure par les pêcheurs (dont les traces, dans les roseaux ou sur la vase, sont visibles). A. R. Chevalier combattant (Machetes pugnax L.). 1er juin. 50 combattants dans la Réserve; il y en avait 27 le 18 mai. Un dernier exemplaire s'y est montré le 15 juin. A. R. Nid de grèbe huppé (Podiceps cristatus L.). 1er juin. Vu le niveau du lac, les grèbes se sont vus contraints de nicher beaucoup plus près du bord que ce n'est leur habitude; aussi la plupart des nids observés touchaient-ils le fond; c'étaient des amas de roseaux et de plantes aquatiques en décomposition affectant la forme d'un cône tronqué de 80 cm. de diamètre à la base, et 40 cm. — 116 — de hauteur en sou milieu, et présentant au sommet une plateforme d'environ 30 cm. de diamètre. C'est là-dessus que se trouvaient tan- tôt 3, tantôt 4 œufs, partiellement recouverts de débris végétaux. Les très nombreux nids que j'ai observés ont tous, sans exception aucune, été détruits par les pêcheurs. L'œuf du grèbe n'étant pas comestible, comme celui de la [foulque, ces trouble-fête, (dont la présence sur l'emplacement des nichées me paraît guère compatible avec le but des réserves) se contentent de donner un coup de rame en plein dans la couvée : on trouve dans ce cas le sommet du nid occupé par des coquilles brisées entremêlées d'une substance gluante, le contenu des œufs, et au fond de l'eau, au pied du nid, des œufs intacts que le coup de rame a fait jaillir hors du nid. Des couvées de rousserolles situées dans le voisinage des nids de grèbes ont été détruites comme ceux-ci : une fois que l'on commence il n'y a pas de raison de s'arrêter. A. R, Nid de pie-grièche écorcheur (Lanius collurio L.), 1er juin. Découvert sur les confins de la réserve un nid de pie-grièche écorcheur, contenant 3 œufs. Il est placé dans un saule, à 55 cm. du sol seulement. Composé en grande partie de mousse, il contient en outre quelques brins d'herbe et des laîches desséchées, A. R. Goéland argenté (Larus argentatus sbsp cachinnans. Pall.). 15 juin. Fidèle à ses habitudes ce goéland apparaît dans les parages de la réserve aujourd'hui. Il s'agit d'un adulte observé à proximité d'un grand vol de mouettes sur un îlot de sable. A, R. Chevalier gambette (Totanus colidris L.). 15 juin. Observé trois représentants de cette espèce dans la réserve à cette date. A, R. Huppe (Upupa epops L.). 29 juin. Nichée de jeunes huppes à Souaillon, sorties récemment et peut-être un peu prématurément du nid. L'une d'elles recueillie n'a pas tardé à périr. F. de Coulon. L'individu en question qui nous a été communiqué pesait 42 gr. 500 et accusait les dimensions suivantes: bec au front, 22 mm.; queue, 6 cm. Aile phée, 11 cm. Huppe dressée, 4 cm. (Réd.). Coucou (Ciiculus canoriis L.). 30 juin. Encore entendu le chant du coucou à Montmirail de grand matin, de jour et à 8 h. du soir. J, C. M. R. 2 juillet. Le coucou a encore chanté ce matin à 3 h. et demie. M. D. ERRATUM Dans le Bulletin précédent, à la page 100, sous « Rossignol», Ih'e 27 avril au lieu de 27 mai. -' s. iO. 1918 COUVÉE DE CANARD SAUVAGE supposée détruite par un renard, '/lo grandeur naturelle. N» 28 ^===^^^^^ OCTOBRE 1918 NOS OISEAUX BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LA PROTECTION DES OISEAUX Est-ce le renard ? UN PROBLEME D HISTOIRE NATURELLE Le 18 mai de cette année je découvris sur la grève du lac, à quelques cents mètres du bord de l'eau, parmi des roseaux clairsemés et peu élevés (80 cm.), un nid de canard sauvage (Anas boscas L.). Il contenait 7 œufs. Lorsque j'y revins, «le 20 mai, le nombre des œufs n'avait pas varié et j'admis que la ponte était complète. Aussi quel ne fut pas mon étonnement, lors d'une visite subséquente (22 mai), en y constatant la pré- sence d'un huitième œuf. Je me trouvais en présence d'un mys- tère, car en général, et à ma connaissance du moins, les œufs se suivent à raison d'un œuf par 24 heures. Y aurait-il des excep- tions à cette règle ? Ou quelque ennemi invisible faisait-il au nid des visites intéressées ? Le 28 mai je trouvai le nid vide. Le duvet, très abondant, dans lequel était moelleusement enfouie la couvée, était à peine dérangé. Je soupçonnai d'em- blée, comme cela avait été le cas pour tant d'autres nids cette année de basses eaux en particulier, que celui-là aussi avait été pillé par quelque pêcheur et j'en cherchai confirmation aux abords du nid. Ce faisant, je ne tardai pas à découvrir une pre- mière coquille, trouée par le travers sur l'un des côtés, propre- ment vidée et légèrement posée sur les herbages; un peu plus loin j'en ramassai une seconde, puis une troisième, enfin une quatrième, à des distances variables et dans des directions diver- gentes, mais toutes du côté terre du nid. En les examinant de plus près et en les comparant je fus frappé — 118 - du fait que les quatre présentaient les indices d'un même « tra- vail », et fortement confirmé dans cette impression en aperce- vant chez les quatre également, et sur le côté opposé à la fente, dans les limites d'une zone étroite correspondant à cette fente, de petites marques très nettes, plus ou moins profondes, plus ou moins disséminées ou groupées, provenant de quelque objet dur et pointu. Ces œufs ont passé par les mâchoires de quelque carnassier, telle est la pensée qui me vint naturellement. Sur l'une de ses faces la coquille a cédé, sous la pression et le tran- chant des molaires supérieures de l'animal, tandis que sur l'au- tre elle a résisté, soutenue par la langue et placée de telle façon qu'elle n'appuyât que légèrement sur la pointe des dents voi- sines. Une fois brisée, et une large brèche étant ainsi pratiquée dans la coquille, je suppose que le gobeur d'œufs lève la tête et que le contenu s'écoule dans sa gueule sans qu'il en perde une seule goutte. Le renard, car c'est lui que je soupçonne, « fin autant que circonspect, ingénieux et prudent », ainsi le décrit Buffon, ne serait-il pas capable de cette manœuvre délicate et apparemment compliquée ? Au cours de la même saison j'ai recueilli un document de plus, propre à faciliter la recherche du coupable et que je joins au dossier qui le concerne : c'est un œuf de foulque travaillé exac- tement de la même façon, sauf que des petites marques décrites plus haut quelques-unes sont muées en trous, la coquille ici étant plus mince. Enfin, le 4 octobre, je récoltai sur la plage déserte et nue, parmi les laîches déjà roussies par la fraîcheur des matinées automnales et non loin de l'emplacement du nid d'où provenaient les quatre premières, une cinquième coquille d'œuf de canard, décolorée et blanchie par l'action combinée de l'eau et du soleil, mais portant les marques évidentes du même traitement. En sorte que je ne doute pas qu'elle ne provînt du même nid, et que toute la couvée n'ait subi le même sort, y compris peut-être les œufs qui pourraient avoir été pondus entre le 18 et le 22 mai. Je prévois quelques objections : Pourquoi le renard ne cro- querait-il pas les œufs, comme le font, à ce que l'on dit, les chiens? Pourquoi éviterait-il d'avaler la coquille, lui dont le suc gastri- — 119 — que est assez puissant pour dissoudre les os de ses victimes ? Pourquoi enfin ne dévore-t-il pas les œufs auprès du nid et en une seule séance ? Je me pose ces questions à moi-même sans chercher à les résoudre pour le moment. Les faits sont là, les marques sont là, telles que je les ai décrites, il s'agit de les expli- quer. C'est en vain que j'ai cherché dans les auteurs en renom quelque renseignement à ce sujet. Tous, Bufïon, Brehm, y. Oeufs travaillés par différents carnassiers. Naumann, pour ne citer que les plus en vue, sont d'accord pour affirmer que le renard s'attaque aux œufs, aussi bien qu'à la couveuse ou aux petits des nids placés à terre. Voici un premier point, que, sur la foi de ces savants, nous pouvons considérer comme dûment établi. Quant à savoir de quelle façon il procède, nul éclaircissement. Pour d'autres carnassiers très connus comme voleurs d'œufs, tels que la fouine, la belette, l'hermine et le putois, je trouve des renseignements intéressants dans Coupin ^ dont je reproduis ici les figures, dans le but d'attirer l'attention des observateurs et protecteurs des oiseaux sur ce sujet spécial. Fig. 1 représente le travail de la fouine sur un œuf de poule, fig. 2 celui de la belette, fig. 3 celui de l'hermine, fig. 4 celui du putois, d'après l'auteur 2. ' Henri Coupin, Docteur ès-sciences. Animaux de nos pays. ' Ici la figure ne paraît pas d'accord avec le texte qui dit : Le putois vide les œufs en perçant un tout petit trou. — 120 — Pour le travail que je suppose, jusqu'à preuve du contraire, être celui du renard, qu'on veuille bien consulter la planche hors texte publiée en tête de cet article et reproduisant les 4 œufs de canard recueillis le 28 mai dans la Réserve du Seeland. Je récapitule : voici une série d'œufs attestant un travail identique, même brèche d'un côté, même marques profondes de l'autre. Quel est le coupable ? Si ce n'est pas le renard, comme j'ai cherché à l'établir, quel est-il ? Je soumets la question à mes lecteurs et je compte sur leur sagacité et sur les connais- sances, observations ou données qu'ils pourraient posséder' à ce sujet pour m'aider à la résoudre ^. Alf. Richard, Rôle et habitudes des rapaces. D APRES DEUX MILLE ET QUATRE-VINGT-DIX CONSTATATIONS Parmi les êtres organisés chaque farnille oc- cupe une place déterminée et nécessaire' datis le système mystérieux, mais admirablement conçu de la nature. La tâche sublime que se propose le naturaliste consiste à déterminer la signification de chaque être. F. de Tschudi. Nous sommes de ceux que préoccupe l'intégra- lité de la faune ailée. Godard. Les observations et considérations qu'on va lire sont tirées d'une étude du professeur Uttendôrf er ^, faite dans les conditions suivan- tes : Dès 1895 l'auteur s'est mis à récolter, avec le concours de ses élèves, ces petits tas de plumes que l'on trouve parfois au hasard des promenades, tantôt en forêt, tantôt en rase campagne, et qui ne sont autres que les restes que l'oiseau de proie abandonne sur le lieu de ses méfaits. Au cours de 18 ans de patientes inves- tigations, l'auteur est arrivé à recueillir 2090 de ces documents naturels, lesquels dûment ordonnés, étiquetés, classés et datés ont fini par constituer une collection des plus riches et des plus intéressantes. C'est la lecture attentive de cette page spéciale '■ Toute communication sera la bienvenue auprès de la Rédaction. - Avec l'autorisation de l'auteur. — 121 — du grand livre de la nature qui lui a permis de faire les constata- tions et de formuler les conclusions que nous allons reproduire ici. Auparavant il nous paraît utile de placer sous les yeux de nos lecteurs le document sur lequel elles se fondent, à savoir le tableau des 101 espèces recueillies, précédées du chiffre d'in- dividus par lequel chacune d'elles est représentée. Liste des victimes. 302 perdrix. 169 pinsons. 143 moineaux. 110 étourneaux. 103 bruants jaunes. 100 geais. 95 ramiers. 95 pigeons domestiques. 74 grives. 66 friquets. 65 alouettes des champs. 61 merles. 58 mésanges charbonnières. 52 faisans. 42 corneilles mantelées. 36 verdiers. 27 mésanges bleues. 26 tétras à queue fourchue. 23 hirondelles de cheminée. 23 canards sauvages. 20 roitelets huppés. 17 bergeronnettes grises. 16 piverts. 16 linottes. 16 grives mauvis. 15 sarcelles d'hiver. 15 vanneaux. 15 bruants proj^ers. 14 foulques. 13 mésanges huppées. 13 coucous. 13 litornes. 12 pipits des buissons. 12 tourterelles. 12 pies. 11 petites charbonnières. 11 bouvreuils. 10 rouges-gorges. 10 draines. 10 pies-grièches écorcheurs. 7 spioncelles. 7 loriots. 7 pics épeiches. 5 pinsons des Ardennes. 5 chardonnerets. 5 gros-becs, 4 rossignols de murailles. 4 poules domestiques. 4 sizerins. 4 hirondelles de rivage. 3 gambettes. 3 râles d'eau. 3 grèbes castagneux. 3 alouettes lulus. 3 fauvettes des jardins. 3 pies-grièches grises. 3 hulottes. 3 moyens-ducs. 3 cresserelles. 3 grimpereaux. 3 sitelles. 3 mésanges à longue queue. 3 becs-croisés. 3 tarins. — 122 — 3 mouettes. 2 fauvettes grisettes. 2 fauvettes babillardes. 2 traquets motteux. 2 geais de Bohême. 2 bruants des neiges. 2 engoulevents. 2 huppes. 2 rolliers. 2 martinets. 2 pics noirs. 2 pigeons colombins. 2 cailles. 2 râles des genêts. 2 bécassines. 2 sarcelles d'été. 2 milouins. 1 épervier. 1 hobereau. 1 brachyote. 1 chevêche. 1 pouillot fitis. 1 pouillot véloce. 1 bergeronnette boarule. 1 gobe-mouche becfigue. 1 gobe-mouche gris. 1 mésange nonnette. 1 alouette huppée. 1 bruant des roseaux. 1 bécasse. 1 héron cendré juv. 1 poule d'eau. 1 marouette. 1 morillon. 1 sterne épouvantail. 1 sterne Pierre-Garin. 1 grèbe jougris. Commentaires de l'auteur. Perdrix. 302. C'est de beaucoup le chiffre le plus élevé. Un tiers en est dû aux reliefs ramassés sous l'aire de l'autour, mais même dans les années où nous n'avions pas découvert de nid de cet oiseau, nous avons pu faire jusqu'à 25 trouvailles, desquelles il résulte que la perdrix est particulièrement exposée aux pour- suites de ce rapace. Dans le cas particulier il importe toutefois de tenir compte du fait que les restes des oiseaux d'une cer- taine taille se conservent mieux et se voient de plus loin que ceux d'espèces plus petites, en sorte que l'on a beaucoup plus de chances de les découvrir. Pinsons. 169. Ce chiffre élevé est dû en partie à des trouvailles faites dans le voisinage du nid de deux éperviers. Moineaux. 143. A noter ici que le norribre des individus ré- coltés ne correspond nullement à la destruction réelle. Ce n'est que l'an passé que j"ai découvert que l'on aie plus de chances de trouver les plumes du moineau en hiver, dans le voisinage immé- diat de certaines localités, où l'épervier le poursuit jusqu'en pleine rue. Dès lors le résultat d'une seule année furent 47 trou- — 123 — vailles, faites sur un espace restreint, dans une jeune plantation de pins sylvestres, à quelques pas de la dernière maison d'un village. Si nos recherches eussent porté plus tôt dans cette direc- tion, il est incontestable, que notre liste accuserait un chiffre de moineaux pour le moins double, ce qui donnerait une idée plus juste de l'activité de l'épervier. En général, fait digne de remar- que, lorsque les rapaces ont découvert un moyen favorable de s'emparer d'une proie donnée, ils s'y tiennent avec persistance. Les deux espèces suivantes confirment cette observation. Etourneaux. 110. En effet, des 110 plumages d'étourneaux recueillis, 12 le furent en une année, près d'une certaine digue longeant un étang couvert de roseaux, gîte nocturne des etour- neaux. Bruants jaunes. 103. Et des 103 dépouilles de bruants jaunes, 17 furent ramassées l'an dernier près d'une grange, où l'épervier avait sans doute capturé leurs possesseurs, l'un après l'autre. Ramiers. 95. Furent trouvés en grande partie là où nous savions exister une aire d'autour, ou bien où nous en supposions du moins la présence. Grives musiciennes. 74. La plupart sous un nid d'épervier. Corneilles mantelées. 42. De beaucoup la plus grande par- tie due à des trouvailles faites près de nids d'autour. A part cela je n'en ai trouvé que peu, certaines années même point du tout. Je remarque à ce propos que je n'ai pas réussi jusqu'ici à me procurer le plumage du freux et du choucas, bien que la première espèce soit fréquente en hiver dans nos parages, et que la seconde n'y soit pas rare. A en juger d'après ce fait la vie en société, qui est celle de ces oiseaux, les protégerait d'une ma- nières très efficace contre les attaques des rapaces. Geais. 100. Si le freux et le choucas paraissent jouir d'une certaine immunité, le geai est poursuivi avec d'autant plus d'acharnement par l'autour et l'épervier. Nous avons trouvé sa brillante parure jusqu'ici exactement cent fois. Pigeons domestiques. 95. Parmi ceux-ci un seul pigeon voya- geur, dont un de mes élèves a trouvé les rémiges marquées, dans la Forêt-Noire. J'ai renoncé à faire la preuve de la préten- due prédilection des rapaces pour les pigeons blancs. J'en ai trouvé passablement, vêtus de cette livrée, mais en présence — 124 — d'exemplaires tachetés de gris et de blanc, ou de brun et de blanc, on ne sait, en se plaçant au point de vue des oiseaux de proie, s'il faut les qualifier de blancs ou non. TÉTRAS A QUEUE FOURCHUE. 27. La plupart près de nids d'autour. Canards sauvages, (boschas). 23. Quelques-uns près de nids d'autour. Hirondelles de cheminées. 23. Trouvées en grande partie près d'un nid de hobereau. Insectivores. Il n'est pas étonnant que l'on ne trouve les insectivores que tout à fait isolément. Plus les oiseaux vivent cachés dans les buissons et plus leur séjour chez nous est de courte durée, plus leurs dépouilles sont rares. Rapaces. Il est remarquable combien souvent les rapaces se dévorent entre eux. 1 épervier, 1 hobereau, 3 cresserelles, 1 che- vêche, 3 moyens-ducs, 1 brachyote et 3 hulottes figurent sur notre liste. En ce qui concerne les hiboux, c'est l'autour qu'il faut incriminer, de même que pour l'une des cresserelles. Pour une autre cresserelle, et en tout cas pour le hobereau, le coupa- ble c'est la hulotte : auprès des restes du hobereau nous relevâ- mes en effet une pelote de hibou contenant une rectrice de hobe- reau et non loin de là une plume de hulotte. Canards plongeurs. Dans cette catégorie le nombre des trouvailles faites est petit, et j'en suis frappé : 1 morillon, 2 milouins. Le morillon et l'un des milouins étaient des jeunes, dont j'attribue la capture à un busard harpaye, observé dans la région cette année-là. Les canards plongeurs paraissent d'ail- leurs peu exposés aux poursuites des rapaces. Espèces rares. Il est intéressant de constater qu'il nous arrivait assez fréquemment de trouver les plumes de certains oiseaux avant d'avoir pu observer des représentants de l'es- pèce vivants. C'est ainsi que durant l'hiver 1910 nous recueil- lîmes à deux reprises les restes du sizerin avant d'avoir vu encore aucun de ces oiseaux, et par deux fois aussi nous trouvâmes ceux du bruant des neiges, dont on n'avait constaté jusque là la présence dans le pays qu'une seule et unique fois. De même l'épervier a contribué à plus d'une reprise à faire connaître la faune de notre région en semant çà et là les plumes de geais de — 125 — Bohême, de chardonnerets et de becs-croisés qui s'y étaient égarés, et en attestant par là leur passage. Aberrations. Dans deux occasions notre méthode de col- lectionner les restes des oiseaux plumés par les rapaces nous a procuré des cas d'aberrations; dans l'un il s'agissait d'un pinson mâle, dont la queue était barrée d'une bande claire sans lignes de démarcation bien nettes, dans l'autre d'un moineau femelle ayant l'une des rectrices décorée d'une grosse tache blanche cunéiforme. A l'œuvre on connaît l'ouvrier. Hiboux. On a rarement affaire à des hiboux comme auteurs de ce genre de méfaits; les hiboux à aigrettes ne mangent pres- que point d'oiseaux, les hulottes de temps à autre seulement. En outre, lorsqu'il s'agit de passereaux, ils paraissent les avaler sans les plumer et plument les oiseaux de plus grande taille beaucoup plus sommairement que les rapaces diurnes. Ce n'est qu'ici et là qu'une plume de hibou ou une pelote, trouvée près des restes de la victime, dénonce l'identité du criminel. Faucon pèlerin. Les rapaces auxquels nous devons notre collection appartiennent à un petit nombre d'espèces. 20 au plus de nos trouvailles proviennent du faucon pèlerin. La plupart du temps il est possible de reconnaître avec certitude la façon de procéder de cet oiseau, et les hypothèses publiées par nous antérieurement, à ce sujet, se sont toujours trouvées confirmées dans la suite. 1° Il plume sa victime en terrain découvert. 2° Il n'enlève pas les rémiges primaires et laisse les ailes attachées au bréchet. Comme exemples de sa manière je possède la per- drix, le ramier, le canard sauvage, 51a mouette, et, en plusieurs spécimens, le vanneau. D'après les plumes isolées et les pelotes que nous recueillîmes en 1910 près d'une aire de faucon pèlerin, situé dans les rochers abrupts de l'Oybin, nous pûmes détermi- ner, comme capturés par lui, 3 pigeons domestiques, 1 étour- neau et 1 pinson. Hobereau. Le hobereau plume fréquemment ses victimes sur les arbres; la plupart du temps en effet les plumes trouvées par nous — il s'agit de plusieurs hirondelles rustiques, d'une alouette des champs et d'un étourneau — étaient très éparpillées — 126 — dans le voisinage du nid. Nous trouvâmes un jour une hirondelle de rivage traitée tout à fait selon la méthode du faucon pèlerin. Au reste on peut reconnaître la prédominance des insectes dans le régime du hobereau -aux pelotes et au petit nombre d'oiseaux qu'on trouve dans le voisinage du nid, contrairement à ce qui a lieu pour le nid de l'épervier. En 1911 je ne suis parvenu à récol- ter en tout que 5 à 6 oiseaux près d'un nid de hobereau. Autour et épervier. Les neuf dixièmes au moins de nos trouvailles proviennent de l'autour et de l'épervier, et parmi celles-ci les restes d'oiseaux de grande taille sont attribuables à l'autour, tandis que ceux de petits oiseaux le sont pour la plu- part du temps à son image réduite, l'épervier. Leur façon de plumer est tout à fait identique. Leurs emplacements favoris se trouvent près des lisières des bois, à 50 ou 100 pas de la lisière vers l'intérieur du bois. Tous- deux manifestent une préférence marquée pour un terrain battu, dépourvu de végétation, comme on le trouve dans les jeunes plantations. Et si par hasard il s'y rencontre de petits tertres, des digues, des rebords de fossés, des fourmilières abandonnées, des tronçons d'arbres, on peut sou vent désigner d'avance la place où l'on trouvera les restes. Par- fois le rapace utilise, pour plumer sa victime, le sol battu des sentiers qui traversent la forêt ou encore les pistes du gibier. En terrain découvert il doit souvent se contenter de petits grou- pes d'arbres ou de simples buissons. En hiver les lieux d'exécu- tion se trouvent dans les jardins ou en général près des habita- tions. Lorsque la neige recouvre le sol le rapace a recours aux endroits restés découverts que l'on trouve sous la verdure épaisse des épicéas. Il est étonnant avec quelle régularité ces emplacements favoris sont fréquentés. C'est ainsi que l'automne dernier je trouvai sous un petit buisson les plumes d'un bruant jaune et, en y regardant de plus près, je découvris en dessous celles d'un loriot. Je connais une digue élevée, plantée d'épicéas, que, douze années durant, l'autour se plut à garnir de plumes de perdrix jusqu'au moment où ces arbres furent abattus. Observations diverses. Lorsqu'on surprend l'oiseau de proie pendant l'opération et qu'il est obligé de se déplacer pour la continuer ailleurs, l'on peut — 127 — constater qu'il y a de la méthode dans sa façon de procéder. Il arrive souvent en effet que l'on trouve à un endroit donné les plumes d'une aile ou de deux ailes, mais que la queue fait dé- faut. On a parfois dans ce cas la chance de pouvoir se procu- rer l'organe manquant dans la suite. C'est ce qui m'arriva pour le plumage d'un pic noir : le 17 février 1912 je trouvai l'aile gauche proprement plumée et, le 9 février 1913, à environ 400 mètres du lieu de la première trouvaille, je découvris la queue du même oiseau passablement décomposée et accompagnée de quelques fragments d'os. Chez les oiseaux qui ont le bec un peu fort, cet organe est fréquemment laissé de côté par le rapace; ainsi lorsqu'il s'agit de la corneille, de la pie, du geai, parfois aussi dans le cas de la perdrix, du tétras à queue fourchue et du faisan, très rarement en ce qui concerne les pigeons. Souvent aussi le rapace ne touche pas au bec du moineau, du pinson et du verdier, parfois aussi il évite d'avaler celui du bruant jaune et du proyer, de l'alouette des champs et de la mésange, et même ceux de la fauvette ba- billarde et du grimpereau. Quant aux os, même si la victime est d'une certaine taille, on n'en trouve néanmoins que fort peu près des plumes. On peut s'en étonner; cela s'explique toutefois par le fait que ces os ne tardent pas à être enlevés par les carnas- siers, car, sous l'aire de l'autour et de l'épervier, on peut consta- ter que les os les plus gros ne sont pas consommés. Il arrive que l'estomac et le contenu du jabot restent sur le théâtre de l'exploit, ainsi dans le cas d'un tétras tetrix femelle, nous recueillîmes quelques feuilles d'airelle, dans celui d'un merle, un cyiiorhodon. Ici je ne puis m'empêcher de relater le fait le plus curieux dont j'aie été le témoin au cours de ces obser- vations. Un de mes élèves m'apporta un jour un estomac d'oi- seau. Il l'avait trouvé à un endroit découvert, sans aucune trace de plumes ou autres vestiges dans le voisinage. Je l'ouvris et le trouvai plein de grosses fourmis femelles que je plaçai sur ma fenêtre. Quand je revins au bout d'un instant, je les vis se mou- voir péniblement. Elles avaient été dévorées, et, tandis que leur dévoreur, dévoré à son tour, était mort, elles vivaient. — 128 — Conclusions. Une liste de deux mille et quatre-vingt-dix oiseaux plumés, cela paraît à première vue un acte d'accusation très grave contre les rapaces; et l'on pourrait le faire apparaître plus noir encore en relevant certaines espèces qui y figurent. Toutefois cette façon d'envisager la question serait tout à fait fausse. Il faut noter d'abord que parmi les 101 espèces auxquelles appartiennent les victimes, il n'y en a que 20 qui soient représentées par un chiffre d'individus supérieur au 1 7o du total, et que la somme des individus représentant ces 20 espèces constitue à elle seule les quatre cinquièmes de ce total; que ce n'est que parmi ces espèces, très abondantes, que les rapaces exercent leurs déprédations d'une façon appréciable, et que ces espèces restent abondantes malgré ces déprédations ^ soit qu'elles soient douées d'une puissance de multiplication particulièrement grande, soit que les circonstan- ces leur soient favorables; enfin et surtout il faut considérer que parmi les 2090 victimes un très grand nombre doivent être ins- crites à l'actif des oiseaux de proie. Ici je ne pense pas seulement aux 143 moineaux, mais bien plus aux 42 corneilles mantelées, aux 12 pies et aux 100 geais, lesquels, s'ils se fussent multipliés sans restriction eussent causé, par la destruction des couvées, de bien plus grands ravages que les rapaces eux-mêmes. La nature est un organisme extrêmement délicat et complexe, dont les rouages, ingénieusement assemblés, engrenés les uns dans les autres, ne fonctionnent bien que s'ils sont au complet : plus le nombre des espèces est grand, plus sûrement l'équilibre est main- tenu ^ C'est à ce point de vue qu'il faut considérer même l'ac- tivité de l'autour et de l'épervier, les seuls rapaces de notre pays qui paraissent commettre des dégâts quelque peu considé- rables parmi la gent ailée. U • et ^ C'est nous qiii soulignons. (Réd.) — 129 — Moyens de protection. Nichoirs accaparés par les loirs. Dans un petit article intitulé : Les loirs et leurs méfaits (paru dans le Bulletin de novembre 1915, n°^ 11 et 12) i, nous avions exposé combien les loirs étaient destructeurs d'oiseaux. Dès lors, nous avons cherché par tous les moyens à nous débarrasser de ces petits malfaiteurs, mais ce n'est que fort rarement que nous som- mes arrivés à en prendre au piège ou à les tirer au fusil. Il est d'ailleurs difficile de les voir en plein jour, car leur activité est surtout nocturne, et leurs yeux presque phosphorescents les guident dans leur maraude. Mais ce qui était le plus important pour nous, c'était de mettre nos nichoirs à l'abri de leur brigandage. Nous avons ainsi remplacé une partie de nos nichoirs Berlepsch, recouverts d'écorce, par des nichoirs système Burnat, de Vevey. Ceux-ci sont d'une facture superbe, en pitchpin absolument lisse, et nous les avons encore fait recouvrir, sur le devant, d'une plaque de tôle unie. Puis, ces nichoirs ont été posés sur le tronc de certains arbres, dont nous avons soigneusement élagué les branches en contact peut-être trop direct avec le nichoir. Nous étions, semble-t-il, autorisés à croire que nos loirs ou lérots (ou encore grets, comme on les appelle dans notre région), ne pourraient désor- mais plus se faufiler dans ces demeures ainsi préparées. A l'arrière-automne 1917, visite des nichoirs Burnat, dont le fond mobile, très ingénieux, permet de vider la boîte. Oh ! quel désenchan- tement ! Presque tous les nichoirs étaient garnis de débris de noisettes, de noix, de glands, etc. Malgré toutes nos précautions, les loirs pou- vaient donc y entrer sans peine. Toutefois, une faible espérance nous restait : peut-être la prise de possession par les lérots n'avait-elle lieu qu'après la nidification des oiseaux ? Mais voici la suite : Cette année 1918 — le 12 août exactement — le jardinier, doué d'une vue perçante, aperçoit soudain la tête d'un loir sortant du trou d'un nichoir. Prendre son flobert, viser avec soin, tirer sur cette tête minus- cule, c'est l'affaire d'un instant.... le loir retombe dans la boîte I On descend alors le nichoir et on en sort une grosse femelle qui venait d'être atteinte par l'adroit tireur, puis six jeunes lérots, à la peau 1 Voir aussi Nos Oiseaux, volume I, page 98 (N^^ 4 et 5) : L'emploi du sine contre le lérot. (Réd.) — 130 — encore lisse, âgés de deux ou trois jours au plus. Bref, un nid complet de loirs. Le lendemain, 13 août, visite générale et solennelle des 17 nichoirs de la propriété. Très doucement on appuie les grandes échelles, puis avec rapidité on fixe et cloue une planchette contre l'ouverture du nichoir, afin de ne pas réveiller trop vite le loir, faisant son somme diurne. Autrement il s'échapperait incontinent ou même il se mettrait à mordre. L'opération totale amena la capture formidable de quatre nids, avec treize petits, tous encore nus, et huit adultes, dont une femelle encore portante. Ces nids de loirs, composés de mousse, de feuilles de chêne encore vertes, sont entremêlés de glands et de noisettes à peine mûrs, souvent en grande provision. Une fois les nids vidés, des herbes entre- croisées furent mises devant les trous des nichoirs, comme contrôle. Au bout de peu de jours toutes les herbes étaient forcées, preuve que les loirs y étaient retournés. 20 août. — Nouvelle visite générale, qui n'amène la capture que d'une femelle avec ses trois petits. Cette femelle avait probablement visité tous les nichoirs, mais les trouvant vides, elle avait choisi, pour y mettre ses petits, le seul nichoir encore garni. Il contenait un vieux nid de mésanges. La mère lérot préfère évidemment un lit douillet à une planchette nue. 26 août. — Sans miséricorde, on continue à traquer la tribu. Dans un tronc de noyer, quelque peu vermoulu, se trouve une cavité pro- fonde, où niche au printemps un couple d'étourneaux. Nous visitons donc cette cavité, mais l'opération demande de la prudence. Le trou est préalablement enfumé, puis on en retire une nouvelle famille de loirs, une mère et trois petits, déjà recouverts de leur pelage. Enfin, pour terminer la fructueuse chasse, tous les nichoirs sont pourvus à l'intérieur d'une trappe à rats américaine. Ils devenaient ainsi de véritables « pièges à loirs », De cette façon, on put capturer encore, du 7 au 11 septembre, deux adultes mâles, une femelle adulte et un jeune de l'année, déjà fort et robuste. En ajoutant au tableau général deux loirs tirés au fusil au courant de l'été — dont l'un dans un nid d'hirondelles — nous arrivons au total suivant : 7 nids de loirs avec 26 jeunes de l'année et 16 adultes. Soit donc -42 loirs capturés. Ce résultat n'est-il pas effrayant? Quelle invasion dans un seul jardin, sur une superficie ne dépassant guère un hectare! Les nichoirs destinés à la protection spéciale des oiseaux étaient donc devenus les repaires des loirs et ils servaient à leur reproduction en grand. — 131 — Nous espérons — nous n'en sommes pas sûrs — avoir débarrassé notre coin du pullulement de ces rongeurs, mais ce qui nous importe le plus maintenant, c'est de trouver des nichoirs pour oiseaux absolument à l'abri des loirs. Nous allons tenter plusieurs essais. D'abord, sur le conseil de M. Burdet, nous rendrons beaucoup plus exigus les trous de nos nichoirs^, bien que le lérot, d'une souplesse inouïe, puisse parfois se distendre assez pour pénétrer par des fentes minuscules. Ensuite nous fixerons sur le devant de quelques nichoirs des plaques de verre ou d'émail, celluloïde peut-être. Le loir ne pourra sans doute pas se cram- ponner au verre. Par contre, nous craignons que le miroitement du verre n'empêche les oiseaux de s'en servir. Il faudra s'en rendre compte. Puis encore nous essayerons d'un système de nichoirs imaginé par notre jardinier. Voici en quoi il consiste : Un fort pieux équarri supporte une planchette sur laquelle sont fixés l'un contre l'autre (avec du gypse, par exemple) deux simples pots de fleurs en terre cuite. Dans le pot supérieur est percé le trou d'entrée du nichoir. En guise d'abri et de capuchon, une assiette de terre cuite renver- sée, fixée à vis par un bâtonnet servant en même temps de perchoir, et c'est tout. La planchette, jouant le rôle des dalles sous les mazots valaisans, empêchera le loir d'attein- dre le nichoir. Et, à moins d'être aviateur, le loir ne pourra venir d'en haut. Naturellement ce système n'est pas très esthétique ; en outre, on perd l'avantage de placer le nichoir dans les arbres. Mais peu importe, s'il arrive à préserver certaines nichées d'oiseaux de tout danger. Les rouges-queues en particulier, si utiles dans les jardins fruitiers et potagers, l'adopte- ront très probablement. Nous verrons cela au printemps prochain. Bex-les-Bains, septembre 1918. Julien Gallet. Calendrier ornithologique. Grand pluvier à collier (Aegialitis hiaticnla L.). 25 juillet. Cet oiseau se montre remarquablement souvent dans nos parages cette année. Aujourd'hui un individu; le 7 septembre : plu- sieurs, adultes et jeunes; le 12 septembre de même, en compagnie ' On ne peut guère aller en dessous de 32 mm. de diamètre pour le "trou de vol destiné à la mésange charbonnière et de 27 mm. pour les petites espèces de mésanges. (Réd.) — 132 — de bécasseaux cocorlis, variables et minutes ; le 14 septembre : jeu- nes. Le 25 septembe un solitaire. Réserve du Seeland. A. R. Barge à queue noire (Limosa limosa L,). 25 juillet. J'ai déjà signalé la présence de cette espèce au bord de notre lac en plein été. Voici un nouveau cas : j'aperçois une superbe barge à queue noire se promenant dans les bas-fonds de la Réserve, ayant de l'eau jusqu'au niveau des ailes. A. R. Pouillot véloce (Phylloscopiis riifus Bechst.). 29 juillet. Entendu aujourd'hui le chant du pouillot véloce dans les der- niers mélèzes d'une forêt alpine, un peu au-dessous d'une aire d'aigle royal, à 1900 m. d'altitude. A. R. Milan noir (Milviis niigrans Bodd.). 9 août. Aperçu un dernier milan près de La Sauge. M. Reichel. Mouette (Lariis ridibimdus L.). 19 août. Trouvé une mouette, jeune de l'année, morte, sur les grèves du lac. M. Reichel. Bergeronnette printanière (Motacilla flava L.). 4 septembre. Le passage de cette espèce a commencé dans le Seeland : il durera tout le mois de septembre. Dates d'observation : 12, 14, 19, 29 et 30 septembre. Particulièrement fréquentes le 14 ; elles aiment beaucoup les parties de la grève du lac où l'eau a pénétré dans les prés avoisinants. A. R. Qobe-mouche becfigue (Muscicapa atricapilla L.). 12 septembre. Observé un individu en livrée d'automne dans les saules bordant la Broyé. Réserve. A. R. Traquet motteux (Saxicola œnanthe L.). 14 septembre. Les traquets en voyage apparaissent dans la Réserve. Leur passage s'y est prolongé jusqu'au 25 septembre. A. R. Huppe (Upupa epops L.). 14 septembre. Aperçu la dernière huppe au bord de notre lac à cette date. Réserve. A. R. Hirondelle de fenêtre (Delichon iirbica L.). 17 septembre. Grand rassemblement d'hirondelles de fenêtre à Tra- vers : je n'ai jamais observé ces gentils oiseaux en si prodigieuse quantité. EuG. Richard. Effarvatte (Acrocephahis ariindinaceiis Gm.). 19 septembre. Le chant de l'effarvatte retentit une dernière fois dans les roseaux du bord du lac : elle y séjournera encore longtemps, mais sans chanter. A. R. 29 septembre. L'effarvatte abonde encore au lac de Muzzano (Tessin). M. Reichel. f — =-^- — — —^ ' v^ ' l J"*"*^."'"'^ ■' >/ ■^i^^. . ^;f«"- \. ^ " \. / — '' A ? ,'\ c.~~'~ 1,.^-%. . ^sfer:— 1.^ ^^^^ ^^-^r*^ " ■ ' "^^i^^ V vA ^**»^ \ V: — > \lJ ^^-. ^ ^ N° 29 ^^===^^^W DECEMBRE 1918 NOS OISEAUX BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LA PROTECTION DES OISEAUX Etudes ornithologiques. La migration des oiseaux en Suisse. Assistons un moment, spectateurs attentifs, à ces grandes manœuvres des armées aériennes qui s'opèrent tous les six mois au-dessus de nos têtes, au printemps et à l'automne ; observons le défilé de chaque corps principal; dessinons à larges traits la cai'te itinéraire des bandes voyageuses en fixant sur le sol l'ombre de leurs ailes, et mar- quons d'un signe particulier les étapes, les lieux de réfection, les séjours. TOUSSENEL L'idée de figurer par des lignes tracées sur une carte les routes suivies par les oiseaux dans leurs voyages annuels appartient à l'ornithologue finlandais Palmen. Du moins est-il le premier à l'avoir exécutée \ dans un ouvrage qui a fait époque ^ et qui a eu le mérite de donner, en même temps qu'une nouvelle impul- sion, une nouvelle orientation à l'étude si intéressante, si pas- sionnante de ce grand et magnifique sujet. Grand il l'est en effet par la multiplicité des questions qu'il soulève^ biologic[ues, phy- siologiques, météorologiques, géologiques et autres, grand par l'étendue du domaine qu'il embrasse, soit la presque totalité de la surface de notre globe, grand enfin et surtout par la poésie qui s'en dégage et l'attrait qu'ont exercé de tous temps ses insondables mystères sur l'imagination des hommes. Et c'est encore un des mérites de l'auteur que nous avons cité tout à l'heure d'avoir compris qu'en attaquant de front, en cherchant * Toussenel a eu cette idée, comme il nous le dit lui-même (voir Ornithologie pas- siorvnclle 1859, Tome I, page 207), mais il n'y a pas donné suite. - Ueber die Zugstrassen der Vôgel, 1876. — 134 — . à saisir dans son ensemble un phénomène si complexe et dont il Drévoit lui-même «qu'il ne sera jamais épuisé » ^ on faisait fausse route, on n'avançait pas d'un seul pas vers la solution. Se souvenant sans doute du récit antique de l'athlète incapable d'arracher tout d'une pièce la queue d'un cheval, auquel un vieillard fait voir comment il faut s'y prendre, en enlevant un crin après l'autre, Palmen a montré que c'est en abordant le vaste problème par le détail, c'est-à-dire en étudiant la faune de régions déterminées et en coordonnant les faits ainsi obtenus qu'on avait le plus de chances d'arriver à chef. Dès lors et de toutes parts l'on s'est mis à l'œuvre dans cette voie nouvelle, des congrès ornithologiques se sont réunis dans les grandes capitales ^, des observations méthodiques ont été organisées dans divers pays et des enquêtes entreprises sur une vaste échelle. En Suisse c'est Victor Fatio et Th. Studer qui se mirent à la tête de ce mouvement : une première enquête fut terminée en 1892, et c'est pour en démontrer les résultats à son auditoire, à l'occasion d'une conférence donnée à Berne en 1893, que le pro- fesseur Studer traça à la planche noire le schéma que nous avons reproduit ici ^. Hauteur du vol. Pour l'intelligence de ce document il est nécessaire de s'arrê- ter un instant à l'un des nombreux problèmes que pose à ceux qui l'étudient le phénomène de la migration, à savoir celui de l'altitude que peuvent atteindre et à laquelle se maintiennent habituellement les bandes voyageuses. Cette altitude, pour le dire tout de suite, n'est pas illimitée et la plupart des ornitholo- gues rejettent même tout à fait l'opinion de Gàtke qui fait voyager les oiseaux à des hauteurs variant entre 11 000 et 12500 mètres. Si cette hypothèse était exacte, les Alpes, avec les 4810 mètres de leur plus haut sommet, ne constitueraient pas un obstacle pour les migrateurs et cette carte n'eût pas vu le jour. Il est vrai que certaines observations, anciennes déjà et devenues classiques, semblent donner raison aux théories quelque peu extravagantes du peintre-ornithologue d'Héligoland; ainsi celle ' « Es liegt in der Xatur des Gegenstandes dass er nie erschopft wird ». - Le premier Congrès ornithologique international, auquel Fatio fut délégué par le Conseil fédéral, eut lieu à Vienne, du 7 au 14 avril 1884. ' Avec l'autorisation de l'auteur. — 135 — de ce condor que Humboldt, étant au sommet du Cotopaxi (5960 m.), aperçut planant à une hauteur vertigineuse (estimée à 10,000 mètres), ou du vol de grues que Ricco, observant à Palerme, le 20 novembre 1880, découvrit dans le champ de son télescope, à une altitude de 8000 m., comme des calculs subsé- quents lui permirent de l'établir; mais il s'agit là de faits parti- culiers qui, si intéressants qu'ils soient par les indications qu'ils donnent sur les hauteurs atteintes dans certaines conditions, ne s'appliquent pas cependant à la grande masse des migrateurs. De nos jours, où l'homme commence à disputer à l'oiseau l'em- pire de l'air, de nombreuses constatations faites en ballon, en aéroplane semblent prouver au contraire que les hautes régions de l'atmosphère sont habituellement désertes; bien plus, des oiseaux captifs qu'on y transporta en ballon et qu'on y lâcha se hâtèrent de gagner, par un plongeon vertical, des couches plus conformes à leurs aptitudes physiologiques, plus propices au bon fonctionnement de leurs organes. D'après l'ensemble des constatations faites par des aéronautes, la plus grande partie de la migration s'accomplirait en dessous de 1000 mètres. Sui- vant une autre statistique, basée sur 60 observations faites au télescope entre 638 m. (bergeronnette) et 4731 m. (martinet), plus grande hauteur constatée, 41 % des oiseaux passèrent entre 1500 et 2000 mètres, 87 % entre 1000 et 3000 mètres i. Que les oiseaux voyagent plus volontiers en dessus qu'en dessous de 1000 mètres ou vice versa, les Alpes demeurent pour eux une formidable barrière. Seuls peuvent la franchir en la survolant certains échassiers de haut vol, tels les grues, les cigognes et, dit-on, les hérons. Seuls peuvent s'élever à une altitude sufTi- sante certains rapaces, certains palmipèdes aussi, telles ces oies sauvages que Sven Edin, perdu au milieu des neiges immacu- lées des hauts plateaux du Tibet, vit apparaître soudain au-des- sus de sa tête et disparaître presque aussitôt dans la brume, ne rompant que pour un instant son effrayante solitude. Lignes de passage. Les Alpes étant une digue qui s'oppose aux flots des oiseaux venant du nord-ouest et du nord, ceux d'entre eux qui ne peu- * W. Spill. Le vol des oiseaux migrateurs observé au téleseope. — 136 — vent les franchir d'un seul boncl et n'importe où, auront le choix de les contourner à l'ouest, ou de les traverser par les nombreuses brèches et entailles que la nature y a pratiquées. La plupart, tous ceux qui volent près de terre, et c'est la majorité, choisis- sent la première alternative. Ils s'engagent entre Alpes et Jura dans ce qu'on a nommé la plaine suisse, qui est en réalité un plateau de 550 mètres d'altitude moyenne, et suivent ce que nous appellerons la voie du plateau suisse. Voie du Plateau suisse. Cette route, la plus commode et la plus large, est parcourue, d'après Goldi, par les trois quarts de la totalité des migrateurs qui traversent notre pays. A cha- cune de ses extrémités se trouve un grand lac, le Bodan au nord, le Léman au midi, et sur tout son trajet le terrain ondulé est parsemé de lacs grands et petits, sillonné de rivières, et les collines boisées y alternent avec les plaines marécageuses les plus vastes de la Suisse, circonstances éminemment favorables au point de vue des étapes et du ravitaillement des bandes voyageuses. C'est la seule voie de \^^ ordre. Voie du Rheinthal. C'^est une route de 2'^^^ ordre, c'est-à- dire moins fréquentée que la précédente, située à l'est du pays. Elle remonte dès le lac de Constance la vallée du Rhin ^, se bifurque au sud en deux rameaux dont l'un franchit le Bernar- din (2063 m.) et l'autre le Spliigen (2117 m.). Voie de l' Inn (ou de l'Engadine). Encore une voie secondaire, qui rejoint la voie du Spliigen à Chiavenna après avoir escaladé le col de la Maloja (1811 m.). A propos de cette ligne Fatio remarque"^ que l'Inn qui nous relie au Danube ne nous amène cependant pas d'autres espèces que celles qui nous viennent par le Rhin. Cette route présente par contre cet intérêt qu'on y voit passer et séjourner beaucoup d'oiseaux aquatiques, échassiers et palmipèdes, grâce à la présence de grands lacs, à 1800 m. d'al- titude. Voie du Rhône (ou du Simplon). Remonte la vallée du Rhône, d'après notre carte, après avoir longé la rive droite du Léman, franchit le Simplon (2010 m.) et se soude sur le lac Majeur à la voie du Rheinthal, rameau Bernardin. A Martigny ' Cette description est faite par rapport au passage d'automne. - V. Fatio. Principales lignes de passage à travers la Suisse et les Aljyes. 1905. — 137 — s'en détache un einbiaiichenieiit sur l'Italie par le Grand St-Ber- nard (2492 m.). A Vevey s'y joint la route de la Broyé qui relie la grande voie du Plateau suisse à la voie du Rhône par les bas- sins de la Broyé et de la Veveyse. Voies du Jura. Certaines espèces, arrivées à Bâle par le Rhin, en amont et en aval de cette ville, s'engagent dans les vallées du Jura ou en suivent les crêtes par cks routes secondaires, parallèles à celle du Plateau suisse. Voies de 3'"^ ordre. Palmen remarque qu'il suffit des estuai- res ou des deltas de grands fleuves pour détourner les migra- teurs de la voie des côtes maritimes sur les voies fluviales. De même dans notre pays les nombreuses vallées qui débouchent sur le Plateau paraissent inciter certains d'entre les voyageurs ailés à se détacher de la grande armée du plateau, à remonter le cours de leurs rivières et finalement, il n'y a pas d'autre alter- native, à franchir quelque col alpestre de moyenne ou de grande altitude. Distinguons un premier groupe de ces voies, au nord, jusqu'à la Limmat, lequel ramène les émigrants, par un détour qui paraît bien inutile, dans la route du Rheinthal. Un second groupe, convergeant sur le lac des Quatre-Cantons, par les val- lées de la Reuss, de la Suren et de la Wigger et conduisant for- cément ceux qui s'y engagent dans la Voie centrale, voie qui traverse notre pays du nord au sud et aboutit au Gothard (2114 m.). Enfin un S'"*^ groupe, à partir de Soleure, détourne sur les cols de la chaîne bernoise (Grimsel, Rawyl, Sanetsch) les voyageurs qui se sont laissé séduire par les eaux bleues ou les grèves caillouteuses de l'Aar et de la Sarine, et les déverse dans la vallée du Rhône, « grand collecteur », comme l'appelle Fatio. A ce propos le même auteur dit encore ceci ^ : <^ Bien des oiseaux engagés dans les régions supérieures des bassins de l'Aar, de la Simme et de la Sarine sont amenés dans la vallée du Rhône par des cols élevés, comme le Grimsel à 2172 m., la Gemmi 2257 m., le Rawyl 2246 m. et le Sanetsch 2304 mètres s. m. où l'on a trouvé divers oiseaux morts sur la neige, une foulque (Fiilica atra) et une canepetière (Otis tetrax) par exemple. Un nombre relativement très restreint de ces oiseaux peut échapper du côté du sud, par le Simplon à 2010 mètres, le Théodule à * Dans l'opusculo déjà cité. . — 138 — 3322 mètres ou le Grand St-Beriiard à 2492 mètres s. m., quand il n'y a pas de neige fraîche sur les hauteurs. La plupart, guidés par le Rhône, sont amenés, après ce long détour, vers l'extré- mité orientale du lac Léman ^ et à Genève par la rive savoyarde. » Outre qu'elles sont utilisées comme voies de passage et de com- munication, ces routes de 3"^^ ordre ont encore un autre rôle : c'est elles en effet qui servent au repeuplement des vallées au printemps et les drainent de leurs habitants en automne. C'est ainsi qu'un observateur posté un jour de passage à l'entrée de la vallée de la Suren a pu voir les oiseaux, quoique partant tous pour le sud, voyager dans trois directions difîérentes et plus ou moins opposées : les uns allaient au nord, descendant la vallée pour rejoindre la voie du plateau, d'autres volaient au sud, remontant la vallée pour gagner la voie centrale, un 3"^^ groupe enfin tiraient droit vers l'ouest et, impatients de joindre la voie du plateau, franchissaient d'un seul vol les crêtes de 1500 mètres qui limitent la vallée de ce côté-là. Rappelons, en terminant cette description sommaire de notre carte itinéraire, qu'il s'agit, dans la pensée de son auteur, d'une simplification, d'un résumé destiné à illustrer certains faits constatés par la première en- quête, et antérieurement déjà, mais qu'elle est susceptible d'être complétée dans le détail, développée dans difîérentes directions, quand des observations nouvelles et suffisantes le permettront. S'il était possible en effet que l'image poétique de Toussenel devînt réalité, et que l'ombre des oiseaux qui sillonnent le ciel helvétique pendant la migration se gravât automatiquement sur le sol, on aurait sans doute sous les yeux un réseau plus compliqué, quoiqu'il pût ne pas s'écarter beaucoup, dans ses lignes essentielles, du schéma que nous venons de décrire. Etablissement de stations d'observation. Un vœu de Fatio. Le phénomène de la migration soulève une quantité de ques- tions, générales ou en rapport avec la nature spéciale de notre pays, que nous n'avons pu aborder dans le cadre restreint de 1 Ligne en pointillé sur la carte. — 139 — cette étude. Nous n'en avons touché que ce qui nous paraissait indispensable pour la compréhension de notre carte itinéraire. Et cette carte elle-même, comme nous venons de le dire, ne doit pas être considérée comme quelque chose d'absolument achevé, de définitif. L'enquête commencée se poursuit. De nombreux points restent à élucider. Si nous possédons par exemple des observations précises concernant un certain nombre de cols alpestres, comme le Gothard, le Bernardin, le Splûgen, le Grand St-Bernard, d'autres, et en grand nombre, sont encore inexplo- rés. C'est ici le lieu et le moment, nous semble-t-il, de rappeler un vœu de Fatio, vœu qu'il formula, voici 34 ans, devant la Société helvétique des sciences naturelles, réunie en assemblée générale à Lucerne (sept. 1884) ^. A cette occasion le naturaliste genevois, qui a consacré sa vie entière à l'étude de notre faune suisse, soumet à ses collègues de tous les cantons une idée qui lui tient particulièrement à cœur, à savoir Y Etablissement de stations d observations orniihologiqiies, disséminées sur tout le territoire de la Confédération. « La Suisse, sur la ligne des migra- tions annuelles, ainsi s'exprime Fatio dans le rapport présenté à Lucerne, est certes un des pays les plus admirablement situés et conformés pour permettre des observations utiles et variées. Sa configuration très accidentée, ses Alpes, ses glaciers, ses val- lées d'élévations et d'orientations différentes, ses lacs, ses riviè- res, ses forêts offrent à tous oiseaux, par leur diversité, des condi- tions nombreuses d'attraction et d'habitat que l'on trouverait difficilement ailleurs, réunies, sur un si petit espace, à une diffu- sion de l'instruction aussi favorable à l'observation. En même temps qu'une haute barrière à traverser, nos Alpes présentent, en effet, a différents niveaux, des milieux si variés qu'elles peuvent tenir lieu à beaucoup d'oiseaux de régions bien plus septentrionales. Nous devrions donc avoir à cœur de profiter de nos avantages incontestables, pour étudier non seulement la biologie de nos hôtes nombreux, cdlures, alimentcdion, nidification, abondcmce relative, distribution géographique, etc...., mais encore les circonstcmces de déplacement, les lignes de passage et, tout pcu'ticulièrement, les influences susceptibles de pousser, guider ou 1 On trouvera l'exposé de Fatio dans les Archives des sciences physiques et natu- relles de la Bibliothèque nniverselle, Novemb. 1884, 3""' période. Tome XII, page 420. — 140 — arrêter les oiseaux dans leurs migrations ^. » On ne saurait mieux dire. Quant aux stations et lieux d'observation à choisir, voici les propositions de Fatio à cet égard. « a. Dans le Jura, entre Bâle et Genève, sur quelques points, au pied et dans les vallées les plus importantes de cette chaîne; b. dans la plaine suisse, du lac de Constance au Léman, près des centres et dans difïé- rentes conditions, à l'est, au centre et à l'ouest; c. dans quelques vallées alpestres d'orientation et élévation différentes, au nord et au sud; cl. enfin, sur certains cols élevés de nos Alpes, plus particulièrement ceux où il y a déjà des postes d'observation ou au moins des habitants, comme à la Bernina et la Maloja (à Pontresina et Sils), le Bernardin, le Gothard, le Simplon, le Théodule, le St-Bernard, etc.... » Le vœu de Fatio, si justilié, si bien motivé et que, à ce qu'il nous dit lui-même, « le Conseil fédéral s'est engagé à favoriser » a t-il été pris en considération ? Pas que nous sachions, du moins pas sur ce point spécial. Sans doute nous avons la Commission ornithologique fédérale, créée à son instigation, qui accomplit un travail méritoire en recueillant les observations régulières de 1100 collaborateurs et en les con- signant, après triage, dans le Catalogue des Oiseaux de la Suisse, cette publication si utile à consulter et si riche en renseignements divers. Cela ne suffit pas toutefois. Il faudrait reprendre l'idée de Fatio (qui a vu grand et juste) et examiner de quelle façon elle peut être réalisée. En attendant nous demandons à la Com- mission ornithologique fédérale de bien vouloir soutenir de tout son pouvoir l'une de ces stations, créée par l'initiative de notre société, dans la plaine suisse, comme le conseille Fatio, sur la ligne de passage la plus importante, et dont l'utilité et l'intérêt sont, hélas ! si mal compris : nous voulons parler du point pré- cis où se font la plupart des observations publiées dans notre bulletin, de la Station ornithologique du Seeland. Puissions-nous obtenir de la part de nos Autorités fédérales la reconnaissance ofTicielle de cette création et l'appui nécessaire pour qu'elle vive. Alf. BiCHARD. ' C'est nous qui soulignons. (Réd.) 141 Protection. Les oiseaux, providence des vergers et des vignes. Il est curieux de constater combien souvent les vérités que nous nous ellorçons de faire comprendre et de répandre, à force de preuves scientifiques et de démonstrations pratiques, ont été saisies depuis longtemps instinctivement, intuitivement, d'une part par certains peu- ples, témoin les croyances qui ont cours parmi eux, d'autre part aussi par certains individus, grâce dans ce cas à cette sorte de révélation intime, à ces clartés que donne sur les choses l'intensité de l'amour qu'on a pour elles. Témoin la poétique et gracieuse dédicace dans laquelle Toussenel fait hommage de son œuvre principale à une grande amie des oiseaux, et donne les motifs de son choix. Si nous cédons au plaisir d'en reproduire ci-après quelques passages, c'est en manière de plaido^^er en faveur de notre belle cause, pour faire parler aussi de temps à autre les voix du passé, et dans la pensée que tel d'entre nos lecteurs, telle d'entre nos lectrices surtout, que la science et les raison- nements laisseraient froids, seront gagnés peut-être à cette noble cause par le charmant tableau tracé par Toussenel ; ils voudront sans doute faire régner à leur tour et dans le domaine qui dépend d'eux, ce frais paradis dont il y est question, ce paradis de parfait équilibre, de santé et de joie, ce paradis d'exubérance même parfois, où tous les arbres auront des fruits et où les sarments ploieront sous le poids des grappes. Voici du reste les termes mêmes du bel hommage que Toussenel rend à M'"^ Henriette L. : « Jamais le mal contagieux qui brûle les pêchers et les vignes ne s'est attaqué à l'espalier ni à la treille que votre regard protège ou que votre main a touchés ; et quand la chenille ignoble déshonore les ver- gers voisins, un génie protecteur semble veiller sur les vôtres, et leur réserver pour l'automne les fruits les plus superbes et les plus savou- reux. « Les gens simples qui vous servent croient que vous possédez l'art de charmer le fléau au moyen de paroles apprises dans les livres. Je m'explique mieux le secret de ces faveurs du ciel. « Votre demeure hospitalière est une demeure bénie où le rouge-gorge reste l'hiver, où chaque arbre a son nid et son nid respecté, où tous les rosiers portent des chansons et des roses. Les petits oiseaux, que leur heureuse étoile a fait naître près de vous, appellent leur patrie le jardin — 142 — des délices; ils en gardent le souvenir dans la terre d'exil, et sV don- nent rendez-vous au printemps pour aimer. « Et, les beaux jours venus, c'est du matin au soir, et du fond de la vallée jusqu'au sommet de la colline sur lequel est assis le manoir romantique, une adorable mêlée de cadences sonores, de réclames attendries, de petits cris joyeux et de battements dailes ; c'est une lutte sans fin d'infatigables virtuoses, un étrange concert où chaque exécu- tant, sans nuire à l'harmonie, chante son morceau à part et brode sa fantaisie sur le thème commun. Ce thème universel est le bonheur d'ai- mer, qui fait le fond de la poésie des oiseaux comme de celle des fleurs et de celle des humains. « Jamais solitude embaumée de l'Isère ou des Vosges n'abrita plus d'heureux que ce riant domaine. L'hj'mne d'amour y retombe du ciel par la voix de l'alouette et de la farlouse des bois, à mesure qu'il y monte par le gosier perlé des fauvettes et du rossignol. Les professeurs de musique vocale y sont en si grand nombre, que les jeunes élèves ne savent auquel entendre, et répètent fréquemment la leçon du voisin au lieu du grand air paternel. Et vous avez votre part en ces chants d'allé- gresse, vous, la bienfaitrice et la reine de ce frais paradis.... « Or, c'est là le secret de l'éclat et du parfum de vos fleurs, de l'abon- dance et de l'exquise délicatesse de vos fruits. Les petits oiseaux chan- teurs, ennemis nés des insectes, sont les génies ailés à qui Dieu a confié la garde des vergers de l'homme, en même temps que le soin d'égayer sa demeure; et les douces créatures dont vous protégez si charitable- ment les amours vous payent par leurs services et leur fidélité la ten- dre sollicitude que vous avez pour elles. » Moyens de protection. De nos jours cette sollicitude, qu'elle soit tendre, ou seulement utili- taire et intéressée, a des moyens divers deseraanifester. L'un de ceux-ci consiste a procurer aux petits oiseaux des abris pour leurs nichées et contre les intempéries. Ce moyen de protection est un de ceux sur les- quels les amis des oiseaux comptent le plus pour parer à leur lamen- table diminution, parce que calqué sur la nature et répondant à un pressant besoin, comme nous ne nous lassons pas de le dire. Nichoir horizontal. A ce propos nous sommes à même de pouvoir signaler à nos lecteurs un — 143 — modèle de nid que nous adresse M. E. Burnat. Notre vénérable corres- pondant de Vevey continue à s'occuper, comme son père avant lui, de cette intéressante question, par conviction personnelle, et avec une ardeur et une persévérance que les ans ne paraissent pas di- minuer. Souhaitons que son exemple soit conta- gieux et suscite à travers le pays une armée de plus en plus nombreuse d'imitateurs aussi conséquents, aussi persévérants que lui. Le succès de notre œuvre en dépend. Quant au modèle en question, il est figuré ici- même. Ajoutons qu'il est établi suivant les données d'un nichoir représenté au n" 18 de notre bulletin, mais se pose horizontalement. ^ Visite des nichoirs. M. Burnat nous écrit d'autre part ce qui suit : « Comme chaque année, les premiers jours de septembre, avant de quitter la campagne, j'ai pro- cédé à l'inspection des nichoirs que j'y avais laissés l'année précédente, et à cette occasion j'ai fait quel- ques observations qui intéresseront peut-être les lecteurs de Nos Oiseaux. Sur 20 nichoirs visités, 17 étaient du système Burnat, 2 en terre cuite, placés verticalement et consistant en un simple tuyau fermé à ses extré- mités, enfin le dernier du système Berlepsch. Or tandis qu'en 1917, il n'y en avait eu que six d'occupés, j'ai eu la satisfaction de constater cette année que le nombre de ces derniers était de seize. Cet heureux résultat est peut-être attribuable en partie au fait que les oiseaux furent en général plus abondants que l'année dernière, dont l'hiver si long et rigoureux leur avait été fatal. Les oiseaux dont j'ai constaté la présence étaient le gobe-mouche noir et blanc, trois espèces de mésanges, 1 étour- neau et la sitelle. Cette dernière donne la préférence aux nichoirs en terre cuite, ce qui s'explique peut-être par le fait que le mortier, dont elle se sert si adroitement pour façonner l'ouverture de son nid, adhère mieux à la terre qu'au bois. — En examinant le nid j'ai pu me convain- cre de l'exactitude des observations, si intéressantes, faites à ce sujet dans les numéros 24 et 27 de Nos Oiseaux. Ce nid en effet n'est qu'un Nichoir horizontal en pitchpin système Burnat. 1 Quelques exemplaires de ce modèle sont déposés a\i Bui-oau du journal, Sablons n° 35, où l'on peut en prendre connaissance. — 144 — amas de matériaux de petites dimensions, pour la plupart de minces lamelles d'écorce de pins, des petits morceaux d ecorce et de bois pourri, des feuilles sèches d'arbrisseaux à feuilles persistantes, tel que le buis. Pas un brin de mousse ni de crin. Il faut ajouter que les deux nichoirs dont je parle sont fixés contre le tronc de deux cèdres, à l'abri de la pluie et exposés au soleil, conditions auxquelles la sitelle paraît tenir avant tout. — J'avais fixé le nichoir Berlepsch au tronc d'un mé- lèze et les étourneaux qui l'ont habité, dès le mois de mai, y ont élevé deux nichées. Lors d'une inspection faite le 3 août, un loir qui s'3^ trou- vait put s'chapper, mais, supposant qu'il n'avait été que dérangé, j'y fis une nouvelle visite une huitaine de jours après, ce qui me permit d'en faire la capture, ainsi que de deux petits. On peut déduire de ce fait que la présence, en automne, de cet animal dans un nichoir, n'empêche nullement les oiseaux de l'utiliser au printemps. Je n'ai constaté la pré- sence de loirs dans aucun autre de mes nichoirs, ce dont je peux me féliciter, surtout après avoir lu l'intéressante communication qu'a faite à ce sujet M. Julien Gallet dans le dernier numéro du bulletin. Quant aux essais à tenter, je crois aussi qu'on aurait tort d'aller au-dessous de 82'"'" de diamètre pour l'ouverture d'un nichoir ; mais ne pourrait-on pas augmenter la saillie que fait sur l'ouverture la plaque de zinc qui protège le nichoir? par ce moyen on i'endrait impossible à l'adroit grimpeur d'y pénétrer, car, selon moi, c'est par là qu'il y parvient. Divers. Nichoir occupé par un merle. A propos du cas signalé dans le n" 27 de notre bulletin (page 108) et en réponse à la question posée par M. A. Bonard, nous avons reçu les communications suivantes. M. E. F., de Lausanne, a vu des mei*les utiliser, pour y établir leur nid, non pas précisément un nichoir, dans le sens habituel du terme, mais bien d'un appareil fabriqué de main d'homme. Il s'agissait dans ce cas de « muselières pour veaux », sortes de petits paniers en fils de fer, que M. E. F. avait eu l'idée de fixer, à l'usage des oiseaux, l'un dans des rosiers grimpants, contre la façade de la maison, à la hauteur du P' étage, l'autre dans un laurier-cerise, à 2 mètres du sol. Et, chose curieuse, ce sont des merles qui, à deux ou trois reprises, s'emparèrent de ces supports artificiels et y élevèrent leurs nichées. Nous souvenant d'autre part d'un cas que nous avait — 145 — signalé M. E. Burnat, de Vevey, en 1913, nous lui avons demandé des précisions à ce sujet. Voici sa réponse : « Je me rappelle, en effet, vous avoir fait part du cas unique à ma connaissance, d'un merle ayant pris possession d'un nichoir, placé contre un tilleul, dans le jardin du Musée, àVevey. Ce nid, du type Ber- lepsch, de 20 à 25 cm. de profondeur, à large ouverture, n'avait pas été nettoyé depuis qu'il avait été posé. Aussi se trouvait-il rempli jusqu'à la gueule, de un ou de deux nids de moineaux. Les merles avaient établi leur nid sur les matériaux empilés par ces derniers. » Il résulte des trois cas cités dans notre bulletin, que le merle, quoique nicheur de plein air, ne craint pas d'utiliser au besoin des nids artificiels, pourvu que l'ouverture en soit suffisamment grande. Jusqu'ici et, à notre connaissance du moins, on n'a pas encore observé de merle pénétrant dans un nichoir à orifice circulaire de petit diamètre, tels que ceux destinés aux étourneaux. Est=ce le renard ? Le renard mange-t-il les œufs et quelle est sa façon de procéder? telle était notre question (voir Nos Oiseaux n° 28, page 117). En" réponse à celle-ci, un chasseur nous a communiqué ce qui suit. Il n'a pas eu l'occasion de voir maître renard à l'œuvre, mais bien ses pro- pres chiens, qui, lorsqu'ils le peuvent, ne craignent pas de pénétrer dans son poulailler pour y voler les œufs. Dans ce cas ils ne prennent qu'un œuf à la fois, l'emportent au loin, et le dévorent tout à leur aise, mais sans avaler la coquille. On retrouve cette dernière sur les lieux du repas, témoin muet du larcin. Nulles traces du contenu, la pluie ne tardant pas à laver ce qui pourrait en être tombé à terre. Calendrier ornithologique. Vanneau huppé (Vanellus vanellus L.). 19 septembre. Depuis leur départ (aperçu les derniers le 15 juin), les vanneaux n'ont pas été observés dans la Béserve. Aujourd'hui il en paraît 5 ; le 25 septembre j'en vois 8, et c'est tout jusqu'au moment où j'écris ces lignes (17 octobre). A. R. 2() octobre. Le passage des vanneaux a commencé. Une bande de 80 de ces échassiers séjourne dans la Réserve. Revue le 2 novembre — 146 — au même endroit, puis le 9, où j'en compte 120. Le 28 novembre un individu isolé sur le grand môle de la Thièle, le 30, quatre, dans la Réserve. A. R. 30 novembre. Observé un vanneau solitaire au bord du lac de Cons- tance, à l'embouchure du Rhin, rive autrichienne. Caporal M. R. 14 décembre. Quelques-uns de nos vanneaux indigènes s'apprêtent, semble-t-il, à hiverner. Nous aurons sans doute un hiver doux? Aujourd'hui en effet, 6 vanneaux se sont montrés dans la Réserve. Gorge-bleue. 19 septembre. Deux de ces jolis oiseaux fréquentent la lisière des roseaux. Livrée d'automne, l'un avec, l'autre sans bleu. Réserve. A. R. Cormoran (Phalacrocorax carbo L.). 25 septembre. Un représentant de cette espèce s'est montré à l'embou- chure de la Rroye du 25 au 30 septembre. A. R. 19 octobre. Un second à cette date. A. R. Canard sauvage (Anas boscas L.). 25 septembre. Parmi des centaines de canards sauvages en séjour dans la Réserve du Seeland (j'en compte 200, mais ils ne sont pas tous visibles), je note le premier individu en plumage de noces. A. R. Hirondelle de cheminée (Hirundo nistica L.). 9 octobre. Observé un passage intéressant d'hirondelles dans la Réserve. Il souffle une bise de force moyenne au moment de la constatation (N. E.). Les migrateurs volant à une faible hauteur (10 à 20 m.) se succèdent un à un, à intervalles d'une Vs à 1 minute et, sans se voir, suivent exactement la même ligne, se dirigeant, bous- sole en main, vers le S. S. E. Il en résulte qu'ils ne voyagent point vent arrière, mais coupent obliquement le courant de la bise, la ligne du passage faisant avec la direction du vent un angle de 112°. A 3 h. ^/g le phénomène prit fin, et 80 hirondelles environ avaient défdé sous mes yeux, une à une, à intervalles réguliers et très espa- cés. Un vol de migrateurs, de la taille de pigeons, volant beaucoup plus haut, qui survint pendant l'observation, suivit la direction habituelle, c'est-à-dire celle de la rive du lac, ou du moins entre S. O. et S. A. R. 11 novembre. Vu, survolant la ville (Genève), une dernière hirondelle (nistica). H. E. Gans. Chant du Tithys (Phœniciiriis titys Rechst.). 13 octobre. Entendu encore le chant du rouge-queue à cette date. Montmirail. A. R. — 1 17 — Grèbe oreillard fPoiUceps nigricollis Brehm.). 19 octobre. Observé un individu de cette espèce dans la baie de Saint- Biaise, tout près de l'embarcadère. Il est plus brun que ceux vus l'an dernier à l'Evole. La tète légèrement baissée pour inspecter les profondeurs, il plonge, disparaît et reparaît près des pierres entas- sées le long du môle, cherchant constamment à se rapprocher du bord. A. R. Vanneau pluvier (SqiiataroUi squatarola L.). 30 octobre. Aperçu un vanneau suisse superbe, sur le petit môle de la Broyé, en compagnie d'une troupe de bécasseaux variables. Je remar- que qu'il est blessé à la patte (accident si fréquent chez les échas- siers) et progresse sur le môle en sautant à cloche-pied. Tache axillaire noire très distincte au vol. Dans l'après-midi je retrouve le même oiseau sur la grève et note qu'il doit avoir la patte cassée, car, au vol, il la laisse pendre inerte dans le vide. Le 13 novembre, nouvelle observation. Ce doit être le même indi- vidu que le 30 octobre, car il saute comme lui sur une patte. Il sup- porte fort bien mon approche et je puis étudier tout à mon aise sa livrée. Elle est d'une façon générale d'un gris-blanc qui me fait comprendre le nom de greij-plover que les Anglais ont donné à cet oiseau. Cri : tlû-ip. ^ R Tichodrome (Tichodroma imiraria L.). 30 octobre. J'ai eu le réel plaisir d'observer un tichodrome à la « Roche de l'Echo » au Creux-du-Van. Eug. Bersot. Autour (Astiir pahimharius L.). 2 novembre. Un autour est en passage dans la Réserve depuis le 30 octobre. J'ai déjà ramassé les restes de 5 de ses victimes soit : un pinson ordinaire, un étourneau, un grèbe castagneux, un râle d'eau et un canard sauvage. Les restes des 3 premiers se trouvaient sur le petit môle de la Broyé, ceux des 2 derniers, sur le rebord de deux lossés. Dans le cas du canard et du râle, je n'ai recueilli que des plumes, de même en ce qui concerne le pinson ; dans le cas de 1 étourneau, outre les plumes, la mandibule supérieure et dans celui du grèbe castagneux, où je surpris le rapace en flagrant délit, je récoltai le crâne, mis à nu, avec la cervelle et les yeux, mais sans le bec, la partie antérieure du bréchet, l'aile droite à moitié plumée, l'estomac et le ventricule enfin, en une seule pièce et ouverts. A. R. Effarvatte (Acrocephaliis streperas V.). (5 novembre. Le 5 octobre une ou deux effarvattes voltigeaient encore dans les roseaux de la Réserve, puis je n'en vis plus jusqu'au — 148 — 2 novembre, date à laquelle j'en découvris une seule cachée dans une touffe épaisse de roseaux à haute tige. Je revis la même, exacte- ment au même endroit, le 6 novembre. A, R. Dans la Réserve. 6 novembre. La température est douce ; à 7 h. ^/a ce matin on enre- gistre -f- 6,8° à l'observatoire de Neuchàtel. Je note dans la Réserve les oiseaux suivants : deux grèbes, jeunes de l'année, deux hérons cendrés, quatre ou cinq bécasseanx variables, un pipit spioncelle, une bande de canards sanvages; sur la grève, station inaccoutumée, cinq bécassines. On entend de temps à autres retentir dans le brouillard le cri d'appel du cinis, du chardonneret, du tarin et d'alouettes des champs seules ou en petites troupes. Sur un banc de sable à quelque distance du bord, se trouvent sept vanneaux, tandis qu'un couple de grands courlis préfère se tenir en vedette, en compagnie des hérons, à l'extrémité des môles de la Broyé. A. R. Litorne (Turdus pilaris L.). 23 novembre. Entendu le cri de la litorne prés du canal de la Thièle. A. R. Héron cendré (Ardea cinerea L.). 30 novembre. Des hérons cendrés, tantôt isolés, tantôt en petits grou- pes de 2 à 7, ont fréquenté la Réserve tout l'automne, jusqu'au 30 novembre, où je vis le dernier. Je n'en ai pas revu jusqu'ici (19 décembre). A. R. Draine (Turdus viscivorus L.). 7 décembre. Des draines apparaissent au bord du lac dans une région où se trouve du gui. A. R. Bécassine (Gallinago gallinago L.). 14 décembre. Les bécassines ont continué à se montrer dans la Réserve, en petit nombre jusqu'à cette date. A. R. 21 décembre. Il a neigé jusqu'au bord du lac; toutefois aux abords immédiats du lac la neige a déjà disparu. Je fais lever 2 bécassines dans leur mare favorite. A. R. Chant du merle. 14 décembre. Entendu chanter un merle, trompé sans doute par la douceur de la température. Au pied de l'arbre sur lequel il est per- ché fleurit une touff'e de primevères. E. D. Jeanprktre. Bécasseau variable. 21 décembre. Aperçu un représentant de cette espèce sur les môles qui forment l'entrée du canal de la Broyé. C'est l'observation la plus tardive enregistrée par moi jusqu'ici. A. R. N« 30 FEVRIER 1919 NOS OISEAUX BULLETIN DE LÀ SOCIÉTÉ ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LA PROTECTION DES OISEAUX Etudes ornithologiques. Le vanneau-pluvier. Le 13 novembre de l'an passé, étant en tournée à la station ornithologique, j'aperçois au loin sur la grève, un seul et unique échassier, La bise soufïle avec force, et malgré qu'il s'incline légèrement en avant pour résister aux assauts du vent, l'oiseau a quelque peine à se maintenir eu équilibre, d'autant qu'il ne se tient que sur une patte, l'autre étant blessée. Au ciel luit uu clair soleil dont les rayons inondent de dos l'hôte solitaire de la plage et font paraître grise, presque blanche sa livrée bariolée. Je m'en rapproche graduellement, avec de fréquents arrêts pour l'habituer à ma présence, et de petites ruses aussi, desti- nées à lui faire croire que je suis occupé d'autre chose. A 20 mètres je fais halte pour prendre des notes; un pas de plus.... deux pas et le voilà dans les airs : .... croupion blanc .... tache axillaire noire..., c'est bien un vanneau -pluvier (Sqiiatarola squatarola L.). D'où vient'il? Que n'ai-je pu l'interroger ! Qu£ n'ai-je pu apprendre par lui- même le pays lointain où il a passé l'été, les vastes contrées qu'il a survolées dans son voyage, les fleuves dont il a suivi le cours, les lacs qu'il a touchés, les montagnes qu'il a franchies, avant d'atteindre le point précis où je le vois aujourd'hui. Mais non, — 150 — ce serait trop facile. La nature ne livre ses secrets qu'au labor improbus, travail acharné à la fois et persévérant. Et puis le charme du mystère et le plaisir de la recherche que deviendraient- ils, si la vérité était à si bon compte ? Cherchons donc, et pour apprendre ce que nous désirons savoir, ayons recours aux moyens qui sont à notre portée ; interrogeons aussi, à défaut de l'oiseau lui-même, les hommes cjui comme nous l'ont vu passer dans leur pays et y ont surpris la direction de son vol, ou encore ceux qui, poussés par le désir insatiable de tout savoir et de tout connaître, se sont enfoncés jusque dans les brumes et les glaces des régions arctiques pour y chercher la réponse définitive à la question qui les préoccu- pait. La réponse des auteurs. Naumann, pour commencer par le plus riche en renseigne- ments, avait déjà remarqué que notre oiseau arrivait en Alle- magne du nord-est, et se dirigeait dans ses migrations, de l'est à l'ouest en automne, et en sens inverse au printemps. De son côté Toussenel avait fait en France une observation semblable, curieusement formulée, concernant les oiseaux de rivage en général : « Les oiseaux de rivage, dit-il, ont pour manie de suivre plus volontiers la ligne parallèle à V équateur que la perpendiculaire, c'est-à-dire de s'en aller et de s'en revenir de Vest à V ouest. » Sur- vint Palmen qui fit voir la raison de cette « manie » si tant est qu'on puisse l'appeler ainsi, en montrant, preuves à l'appui, qu'un certain nombre d'oiseaux arctiques, d'échassiers entre autres, suivaient dans leurs migrations les côtes maritimes du nord de l'Europe, orientées de l'est à l'ouest. Et le vanneau-pluvier figure précisément en tête de liste des 19 espèces qu'il choisit pour servir d'exemples à l'appui de ses théories. Il avait été frappé en effet de l'abondance de cet oiseau, au passage, le long des côtes de la Baltique et de la mer du Nord, jusqu'en Angleterre, et de sa rareté à l'intérieur du continent. En jalonnant les lieux de ses apparitions les plus fréquentes à l'aller et au retour, on établit donc d'une façon générale d'où venait et où allait le vanneau-pluvier. Sa patrie devait se trouver quelque part au nord-est de l'Europe, dans le — 151 — voisinage du cercle arctique.- Ce n'est toutefois qu'en 1843 qu'on obtint les précisions que l'on désirait. Cette année-là, au cours d'un voyage en Sibérie, Middendorf découvrit le premier nid dans la presqu'île de Taimyr, sur les monts Biranga, par 74° de latitude nord, et d'autres sur la Boganida, petit afïluent du Chatanga, par 71° de latitude. Il y recueillit une ponte com- plète composée de 4 œufs, le 26 juin, une autre sur le TaimjM-, le 1«^ juillet. Cependant des détails complets sur la nidification de l'oiseau qui nous occupe ne purent être donnés qu'en 1875, à la suite de l'expédition de Seebohm et de Harvie Brown aux toundras de la Petchora. Ces explorateurs trouvèrent un pre- mier nid le 22 juin, sur la rive orientale de cette rivière, en face d'Alexievka, et en recueillirent une dizaine d'autres en descen- dant son cours jusqu'à l'embouchure. La description qu'ils font du nid et des œufs pourrait s'appliquer au vanneau : dépression parfaitement ronde creusée dans le sol, garnie de ramilles et de mousse de renne, et contenant quatre œufs piriformes. Dès lors l'on a encore trouvé notre oiseau nichant dans l'île mourmane de Kolgujew et à l'embouchure du Jénisséi. Il résulte de ce qui précède que le vanneau-pluvier est un habitant de la toundra et que ceux qui nichent le plus près de notre pays ont à parcou- rir une distance de près de 4000 kilomètres à vol d'oiseau pour gagner les rives du lac de Neuchâtel. Ses passages en Suisse. Chaque année quelques individus, au lieu de poursuivre la voie littorale jusqu'en France et en Angleterre et de gagner le nord de l'Afrique par les côtes de France et d'Espagne, prennent à travers le continent européen et arrivent ainsi chez nous. Les apparitions du vanneau-pluvier en Suisse sont caractérisées de la façon suivante dans la Liste distrihiUive des oiseaux de la Suisse : De passage irrégulier et rare; en automne il recherche plutôt les régions montagneuses, au printemps plutôt la plaine, surtout le bassin du Léman, le Seeland, le Jura occidental et la plaine du Rhône en amont du Léman. En Savoie et en Suisse, selon Bailly, il serait plus commun au passage du printemps; en Alle- magne c'est le contraire d'après tous les auteurs. Deux captures rapportées par Necker (15 mai 1806 et 1818) et une autre par — 152 — Fatio (8 juin 1890), ainsi que les dates que de Coulon a eu la bonne idée d'inscrire sur le socle de 3 spécimens du musée de Neuchâtel (avril 1832, avril, mai 1844) semblent donner raison à Bailly. Le petit tableau ci-après, résultat d'observations personnelles faites à la station ornithologique du Seeland pen- dant les cinq dernières années, ne permet de trancher la ques- tion ni dans un sens ni dans l'autre. t Passages du vanneau-pluvier. Année Printemps Automne 1914 1914 1915 1915 1916 1916 1916 1916 1916 1916 1917 1918 1918 1918 1918 1918 21 mars, 1 individu 2 mai, 2 " .... 21 octobre, 1 individu. 23 octobre, 1 2 octobre, 2 » 7 octobre, 2 » 12 octobre, 2 » 14 octobre, 2 » 21 octobre, 1 » 25 octobre, 1 » 30 octol)re, 1 indivichi. 13 novembre, 1 » 16 juin, 1 individu 11 mai, 1 .) .... 18 nu^i, 3 ). .... 20 mai, 1 » .... 25 mai. 1 " » .... 15 juin, 1 » .... Station ornithologique du Seeland (1914-1918). J'ajoute qu'un exemplaire tué fin octobre 1903 ^ tout près de ce qui est actuellement la station ornithologique, présente les me- sures suivantes : Aile pliée : 19 cm. Queue : 73 mm. Tarse : 41 mm. Médian a. o. : 29 mm. Ongle : 5 mm. Bec au front : 26 mm. li porte la livrée grise d'automne; manteau ponctué de brun-noir, brun clair et de blanc; le blanc des parties inférieures est strié presque partout sauf sur un petit espace au milieu de la poi- 1 Collection de M. W. Rosselet, naturaliste-préparateur, à Renan (Jura bernois). — 15;:! — Irine el dans la région anale. C'est celui-là même que représente notre gravure. Ceterum censeo.... Comme on le voit en parcourant le tableau ci-dessus le van- neau-pluvier, rare el irrégulier en Suisse d'une façon générale, n'est pas très rare et presque régulier à la station ornithologi- que du Seeland. C'est que, ainsi que de nombreux migrateurs aussi intéressants que lui, il y trouve les conditions naturelles énumérées d'autre part. Maintenons donc cette station telle quelle, et créons d'autres asiles semblables à travers le pays. En face des destructions, des crimes de lèse-nature perpétrés par notre siècle matériel et avicide, une œuvre s'impose, œuvre pour laquelle nous sollicitons tous les concours, œuvre plus urgente et plus utile, même scientifiquement, que tous les musées, toutes les collections, tous les jardins zoologiques du monde et qui est celle-ci : Conserver les oiseaux dans la nature. Alf, Richard. Protection. Le rôle des oiseaux. DEVINÉ PAR LE POÈTE, DÉMONTRÉ PAR LE SAVANT ET l'oBSERVATEUR 2!d)^M S' EÙdccÀeTg viaQn:oô:, y.ieiojov Aristophane. « Bientôt le monde entier nous adressera ses vœux et ses sup- plications (à nous les oiseaux), car, des hauteurs où nous pla- nons rien ne nous échappe, nos regards embrassent toute la terre. Nous sommes le salut des récoltes, parce que nous tuons les bêtes qui leur nuisent, cjuelle qu'en soit l'espèce, aussi bien ces larves dont la dent vorace détruit le fruit dans la fleur, que ces — 154 - insectes qui ])osés sur les arbres s'attaquent aux fruits eux- mêmes; nous détruisons aussi ceux dont les hordes ennemies envahissent nos jardins embaumés et y exercent leurs ravages : tout ce qui rampe, tout ce qui ronge et picfue, rien ne nous échappe, grâce à nos ailes, » Telle est l'admirable définition du rôle des oiseaux, qu'Aristophane, le poète athénien, fait pronon- cer par leurs représentants. Il est remarquable que ce soit un poète à qui nous devions cette citation, et non au grand homme de science, qui, quelque cent ans plus tard, consignait dans son Histoire des animaux ces descriptions, ces observations qui fai- saient l'admiration d'un Cuvier, et qui, bien que vieilles de plus de 2000 ans, nous frappent encore par leur nombre et leur jus- tesse. Il est vrai que du tem])s d'Aristote les oiseaux étaient encore suffisamment abondants pour c|ue la question de leur rôle et de leur activité ne se posât pas. Il en est, hélas ! autrement de nos jours et voici bientôt 80 ans déjà que les premiers cris d'alarme au sujet de leur diminution ont été. poussés, cris de plus en plus forts à mesure que s'accentuait le déplorable phé- nomène. A ces cris, à cette inquiétude des savants, des agrono- mes et des amis des oiseaux, les gouvernements ont répondu par des prescriptions légales de plus en plus sévères, mais inca- pables à elles seules d'enrayer le mal, et d'ailleurs restées lettre morte dans plusieurs pays. C'est le mérite du baron de Berlepsch, souvent cité ici, d'avoir deviné l'insuffisance de ces prohibitions et d'avoir compris qu'elles demandaient à être complétées par des actes, par des mesures positives dont il'a imaginé lui-même et commencé par mettre à l'essai dans son domaine de Seebach les plus importantes avant de les lancer. Actuellement la tâche des amis des oiseaux consiste essentiellement à faire adopter ces mesures partout et par tous. Et pour atteindre ce but, rien ne vaut la persuasion, rien ne remplace les exemples tirés de l'ex- périence. L'on ne se contente plus des affirmations d'un poète, quelque bon prophète qu'il puisse être, l'on réclame la preuve scientifique, le fait d'observation. Aussi les défenseurs des oiseaux cherchent-ils à rassembler ces preuves en aussi grand nombre que possible, et à constituer ainsi en faveur de leurs clients un dossier assez riche et assez convaincant pour que triomphe défi- nitivement et à tout jamais leur cause. — 155 — Enumérons ci-après quelques-unes des plus frappantes de ces pièces à l'appui, nous bornant pour aujourd'hui à ce qui concerne la vigne. Nous avons déjà mentionné ici le cas de la vigne du D^'Bourget. En 1910, alors que tout le vignoble voisin est dans un état déplo- rable, le petit parchet du docteur est des plus prospères. C'est qu'il est attenant d'un côté à un cimetière, refuge des petits oiseaux, de l'autre à un bois, et que le propriétaire a complété ces avantages naturels en posant des nichoirs. Les oiseaux vont et viennent des arbres à la vigne, détruisant les insectes et sau- vant la récolte. Même expérience, faite la même année, à des centaines de lieues de là, par M. Gaudicheau. Cet observateur possède à Tigné une vigne entourée de haies épaisses et de hauts murs très vieux et lézardés. Dans les trous, chaque année, il trouve quelques nids de rouges-gorges, de mésanges et de troglodytes.' Il veille à leur conservation avec le plus grand soin. En outre il fait déposer à l'automne dans cette vigne des marcs qui attirent quantité de bruants, verdiers et autres passereaux. Résultat : jamais, même en 1910, il n'a eu aucune attaque de cigarier, de cochylis ou eudémis ^ D'un viticulteur saumurois, encore un docteur, recueillons cette affirmation : « J'observe chaque année aux vendanges que les ceps de vigne porteurs de nids d'oiseaux sont à peu près indemnes de cochylis et par suite bien plus char- gés de bons raisins. Je ne manque pas de le faire remarquer aux vendangeurs. » Dans sa brochure de propagande L'Oiseau et les récoltes, M. Henri Kehrig rapporte en outre le fait suivant : « En 1909, dans un enclos où se trouve un peu de vigne, nous observions chaque jour l'eudémis depuis un mois. Les papillons y étaient abondants. Tous les soirs, au coucher du soleil, ils pre- naient leur vol vivace en zigzag. Dans cet enclos nous ne voyions jamais entrer d'hirondelles; mais pour la circonstance elles y sont venues. Nous les avons vues, chaque soir, rasant une vigne haute de 3 m. 50 qui s'étale sur une dizaine de mètres. Elles passaient et repassaient comme des flèches, happant les papil- lons d'eudémis. En admettant que leurs captures, durant cette période, ne s'élevaient chaque soir qu'à cinquante papillons, ' Voir Nos Oiseaux N°^ 19 et 20, page 147, — 156 — €iui nous auraient donné 25 couples, si l'on veut, c'est plus de 700 œufs immédiatement et de milliers en seconde génération dont deux ou trois hirondelles nous débarrassaient en quelques instants. » Dans la même brochure nous lisons d'autre part ce qui suit : On évalue au chiffre de 20 millions de francs les pertes causées, en 1906, dans le seul département de la Gironde, par l'eudémis. C'est, en 1910, plus de 40 millions qui ont disparu par les ravages de la cochylis et de l'eudémis. Dans le vignoble français, en 1911, Taltise, la cochylis, l'eudémis et la pyrale ont causé pour cent millions de francs de pertes. Le seul dépar- tement de la Gironde chiffre ses pertes entre 15 et 20 millions. Rapprochons ces faits. D'un côté, là où les oiseaux sont assez abondants et peuvent pénétrer dans les vignes, grâce à la proximité d'arbres, de haies ou de murs, ravages des insectes nuls et récolte sauvée. Là où les oiseaux n'ont pas accès dans les vignes ou ont été décimés, comme dans le Midi de la France, récolte anéantie, dégâts se chiffrant par millious. Il est assez naturel d'en conclure, n'est-ce pas, que les oiseaux ont une influence directe sur la prospérité de la vigne. La difTiculté, comme nous l'avons déjà fait voir pré- cédemment, c'est de les y attirer. Des expériences très intéressantes ont été tentées à cet effet dans le vignoble du Palatinat et plus récemment dans les vignes communales de Wiesbaden. Voici ce qu'écrivait le sénateur Buhl à M. Kehrig, de Bordeaux, au sujet des premières. « Les résul- tats sont partout très satisfaisants. Nous avons réussi à repeu- pler de mésanges nos vignobles où se trouvent quelques arbres. Il est d'une grande importance que le vignoble soit en communi- cation avec la lisière des bois, par une allée d'arbres fruitiers, les mésanges étant très timides et craignant les oiseaux de proie. Nous constatons avec une vive satisfaction que les bandes de mésanges bleues et charbonnières voltigent dans nos vignes, se cramponnent aux souches pour y chercher les chrysalides de la cochylis et de l'eudémis, ainsi que les chenilles hivernant sous l'écorce et qu'elles sont très friandes de cochenilles. Vu leur appé- tit formidable (on a constaté qu'une mésange consomme tous les jours une fois et demie son propre poids de nourriture) la masse des insectes dévorés doit être considérable. » — 157 — A Wiesbadeii, par contre, le succès en ce qui coacerne les mésanges, a été douteux. Ces oiseaux consentirent bien à occu- per les nichoirs que l'on avait disposés à leur intention sur des pêchers, en pleine vigne, mais préféraient accomplir un long trajet pour chercher leur subsistance dans les arbres voisins de la vigne, plutôt que dans la vigne même. Il en tut autrement du gobe-mouche becfigue, du roiige-qiieiie, du rossignol de murailles et du torcol, es])èces auxquelles la vigne paraissait convenir par- faitement. Aussi y élevèrent-elles leurs nichées et tandis que les gobe-mouches et les rouges-queues happaient les papillons au vol, les torcols faisaient la chasse à terre. Fort du résultat de ces expériences, qu'il envisage comme très important et très concluant, Traulsen, l'auteur d'un traité sur cette question^, préconise la propagation dans les vignes du rouge- queue, du rossignol de murailles et du gobe-mouche becfigue, par le moyen de nichoirs placés sur des pêchers en plein vent, ou de trous pratiqués dans les murs par le descellement de quel- ques pierres. Du reste, après s'être uniquement placé au point de vue utilitaire, voici la conclusion de l'auteur, à laquelle nous nous associons pleinement : « L'attrait que les oiseaux donnent à la nature, l'animation qu'ils y entretiennent (choses que bien des gens considèrent comme allant de soi et auxquelles ils n'at- tachent pas une importance suffisante) les sentiments qu'éveil- lent en nous leurs cris et leurs chants, sont des biens qu'il nous faut placer au-dessus de leur valeur économique, car ce sont des biens qu'une fois perdus rien ne saurait remplacer. C'est pour- quoi nous ne devons pas nous borner à protéger les oiseaux dits utiles seulement; tout homme au contraire, pour peu qu"il aime sa patrie et son peuple, a le devoir de travailler à la conserva- tion de la faune ailée dans son ensemble, si possible sans qu'elle subisse la moindre diminution. » Godard ne conclut-il pas de même, lorsqu'il affirme que ce qui le préoccupe c'est « V intégra- lité de la faune ailée » et Menegaux ne nous a-t-il pas avertis que ce que nous devions redouter avant tout c'est « d' amoindrir la nature » ? A. R. 1 Praktischer Voffelschutz im Obst- und Weinbau. — 158 — Divers. Aux pisciculteurs. On peut lire ce qui suit dans le n" 1 (janvier 1919) de V Allgemeine FischereizeitiUKj : « Sur le Neckar moyen les hérons sont devenus rares malheureusement, car nous aurions grand besoin sur notre rivière infec- tée d'épidémies de cette « police des eaux » ^. Il nous plaît de voir un grand journal de pisciculture reconnaître l'utilité des hérons, bien cjne ces derniers soient mangeurs de poissons, et nous voudrions qu'on com- prît enfin au lac de Neuchâtel et ailleurs que tout oiseau piscivore n'est pas nécessairement nuisible, et qu'on cessât de persécuter les martins- pècheurs, les harles, les grêlées et les hérons puisque aussi bien c'est à eux qu'a été dévolue par la nature cette importante fonction de prépo- sés à Vhygiène des eaux. Supprimer ces oiseaux c'est aller contre l'ordre naturel, c'est déchaîner sur le poisson les épidémies dévastatrices. Cas d'albinisme. Hirondelle. Le 14 septembre 1918 passait dans la Réserve en compa- gnie de congénères normales une hirondelle albinos, qui m'a paru entière- ment blanche. Le vol ne s'arrêta pas, en sorte que je ne pus en déter- miner l'espèce d'une façon certaine. Je crois toutefois qu'il s'agissait d'une hirundo urhica. Sa livrée insolite paraissait agacer ou du moins intriguer ses compagnes, lesquelles sortaient à tout instant du rang pour aller poursuivre ou même houspiller la gentille voyageuse. Merle. Le 17 décembre (1918) on me signalait la présence, dans le voisinage du -Petit-Cortaillod, d'un merle blanc. Dès lors j'ai reçu de nomJireuses communications à ce sujet, dont il paraît résulter cpie l'oi- seau en question n'est pas entièrement blanc et se fait voir du Petit- Cortaillod jusqu'à Auvernier et Serrières. Un jeune membre de notre société a été interviewer cet hôte de "marque pour le compte de notre journal et m'en a envoyé un petit croquis d'après lequel je le décrirai et qui coiicorde d'ailleurs, dans ses parties essentielles, avec les rensei- gnements obtenus d'autre part. Ce dessin à la plume représente notre oiseau comme entièrement blanc, sauf à l'extrémité des ailes (rémiges primaires et le bout des secondaires les plus voisines) et de la queue (moitié inférieure); ces parties sont noires. Le bec ne serait pas orange mais jaune de corne. ' Il paraît que l'insuffisance sur le Neckar de ces gardes emplumés a eu pour consé- quence des épidémies dont souffrent particulièrement les barbeaux. — 159 — Bien que « merle blanc » signifie en français « personne ou objet introuvable » et qu'il en aille de même de ïalba anis des Latins, l'al- binisme paraît être plus fréquent chez cette espèce que chez d'autres. En effet, tandis qu'on me renseignait abondamment, oralement ou par écrit, sur le ou les merles d'Auvernier, je recevais de Morges la description d'un merle partiellement albinos, aj^ant tout autour du cou des stries longitudinales blanches. En consultant d'autre part mes carnets ornithologiques, j'y trouve consignée la mention d'une famille de merles blancs (le mâle entièrement blanc) qui hantait les jardins de l'Avenue Davel, à Lausanne, en 1906 et 1907. Au printemps et en été 1917, c'est de Bàle, intérieur de la ville, que me sont signalés un ou plusieurs merles, plus ou moins tachetés de blanc et de noir. Enfin un dernier cas en 1918 (albinisme partiel) des Bastions, Genève. Pinson. On peut observer actuellement aux abords de Valeyres-sous- Rances, un pinson eniièremenl albinos. M. G. G., professeur au collège d'Orbe, qui l'a aperçu lui-même, me le décrit comme tel. « Il n'a plus rien, m'écrit en date du 15 février M. G., de la livrée ordinaire du pin- son, dont il ne diffère du reste en rien par la forme. 11 vit exclusivement en société de pinsons et de bruants. » D'après les notes qui précèdent, il peut paraître que Valba avis est en train de perdre sa qualité de rara avis; tel n'est point le cas cepen- dant; j'ai plutôt lieu de penser que, s'il y a progression quelque part, c'est dans le nombre des correspondants assez aimables pour me faire part de leurs observations. A. R. Calendrier ornithologique. Corneille mantelée (Corvus cornix L.). 14 décembre. J'en observe une, en compagnie de corneilles noires, dans un champ fraîchement labouré, voisin de la Réserve. 15 janvier. Plusieurs (2 à 5) dans la Réserve même en compagnie d'un vol de corneilles noires (40) et de pies (10). Plongeon lumme (Colymbiis arciicus L.). 16 décembre. Un plongeon lumme a été tiré le 5 décembre, à 100 mètres du port de Neuchâtel, par vm pêcheur; ce dernier me donne les renseignements suivants. Poids de l'oiseau : 2 kg. 100 gr. Fort peu sauvage, il s'est laissé approcher à 20 mètres. Se contentait d'allonger la tête et le cou sur l'eau, pour se rendre moins visible. ^Mesures pri- ses sur l'oiseau empaillé : Bec au front : 52 mm. A la commissure : — 160 — 80 mm. Hauteur du bec au niveau des narines : 14 mm. Tarse devant : 09 mm. Médian a. o. : 92 mm. Ongle : 10 mm. Aile : 29,3 cm. Queue : 6,8 cm. A. R. Draine (Turdus inscinonis L.). 21 décembre. Entendu le chant de la draine, au bord du lac, dans la Réserve. A. R. 2 janvier. Entendu à midi, au milieu d'une forte giboulée de neige la « grive chanteuse » (draine ?), au pied des bois du Jura, entre Le Vaud et Marchissy. P. Champ-Renaud. Canard sauvage {Anas boscas L.). 21 décembre. 14 y a environ 70 canards sauvages sur les eaux de la Réserve, près de la station ornithologique, aujourd'hui. Ce sont, je crois, tous des canards indigènes, nés dans la région. Inaborda- bles, à ce que me dit un chasseur. Partent déjà à deux portées de fusil. Inquiétés sur le lac de Neuchâtel, ils franchissent le Vully et vont sur celui de INIorat, et vice versa. 29 janvier. A la suite des grands froids de ces derniers jours les canards ont beaucoup augmenté à la station, un superbe vol qui s'est vu refouler par la glace jusqu'à l'embouchure de la Broie et au delà compte de 250 à 300 individus. A. R. Cigogne (Ciconia ciconia L.). 4 janvier. Un important vol de cigognes a été vu, samedi après-midi, 4 janvier, près de INIontmirail. Après s'être nourris et reposés dans un champ, ces oiseaux ont repris leur vol dans la direction de l'est. (Journaux.) Chardonneret ( Cardiielis cardiielis L.). 15 janvier. Temps beau et très doux. J'entends retentir le chant du chardonneret dans les aulnes de la Réserve. En m'approchant je découvre dans ces arbustes un vol d'une centaine de petits oiseaux, composé en grande partie de superbes chardonnerets, suspendus par grappes aux branches flexibles et aux cônes des aulnes, et mêlés à des pinsons, des linottes et des mésanges nonnettes. Les pinsons, moins bons acrobates que les chardonnerets, picotent néanmoins les fruits de l'aulne, sans y mettre la même ardeur et la même habileté que ces derniers. Linottes et chardonnerets s'interrom- pent parfois de manger pour faire entendre un bout de chansonnette. A quelques jours de là, quel contraste ! Ce sera l'hiver dans toute sa rigueur, 14 degrés de froid, le lac gelé et un morne silence. A. R. Mouette (Laïus ridibimdus L.). 15 janvier. En hiver nos mouettes se tiennent massées sur la rive nord — 161 — (N. 0.) du lac, la plus habitée, comme je l'ai fait voir ailleurs. Sitôt que le temps est doux elles entreprennent des excursions sur l'autre rive (sud-est). C'est ainsi qu'aujourd'hui 25 mouettes apparaissent à la station ornithologique, à midi, et en repartent entre 2 et 3 heures. A. R. 17 janvier. Observé sur le lac de Zurich une mouette ayant son capu- chon complet. H. Marchand. 5 février. Parmi les mouettes qui s'ébattent devant les quais de Neu- châtel, j'en remarque une, ayant déjà son capuchon. A. R. Grand Harle (Mergus merganser L.)! 15 janvier. Les harles aiment beaucoup à se reposer sur les grandes jetées de pierre qui s'avancent à 1 kilomètre et plus dans le lac, aux embouchures de la Thièle et de la Broyé. Je compte aujourd'hui sur le grand môle de la Broyé 9 femelles et 4 mâles en plumage de noces. Ces derniers, fréquemment, font bande à part et ne se joi- gnent pas aux individus à tête rousse. A. R. Vanneau (Vanelliis vanellus L.) 15 janvier. Le 14 décembre j'ai aperçu 6 vanneaux à la station orni- thologique et j'ai prévu, à ce moment, qu'ils hiverneraient. Tel a bien été le cas : aujourd'hui j'en retrouve deux, dans les prés de laîches qu'ils affectionnent. A la suite des grands froids toutefois, survenus quelcfues jours plus tard, ils ont disparu de la Réserve. A. R. Bruant des roseaux (Emheriza schoenidus L.). 22 janvier. Entendu une fois le cri d'appel du bruant des roseaux près de la Broie, et observé deux de ces oiseaux dans le taillis où ils hivernent tous les ans, en petit nombre. 12 février. Le thermomètre marquait ce matin 11,4 degrés sous zéro, hier le minimum a été de prés de 15 degrés. Le lac fume, là où il n'est pas emprisonné sous une forte couche de glace, comme c'est le cas dans la Réserve. En me rendant à pied, par le lac, de la Broie à la Thièle, je surprends une bande nombreuse de bruants des roseaux en livrée d'hiver, perchés au sommet des roseaux pris dans la glace. A moitié cachés dans les panicules, ils en dévorent les graines avec avidité; je n'en compte pas moins de 15, tout près de moi, et me demande d'où ces oiseaux peuvent bien être arrivés soudain en si grand nombre. A. R. Tichodrome (Tichodioma miiraria L.). 30 janvier. Observé le 30 janvier, le 5 et le 14 février plusieurs ticho- dromes aux alentours de l'Abbaye de St-Maurice. A. Graxd.jeax. — 162 — 7 février. Un tichodrome, Faubourg du Crèt, Neuchâtel, à cette date. A. Châtelain. 21 février. Suivi les manœuvres d'un tichodrome contre le bâtiment de l'Ecole de commerce, à Neuchâtel. M. Reichel. Gros-bec (Coccolhrausles coccothrausles L.). 30 janvier. Entendu chanter un gros-bec, aujourd'hui, à Neuchâtel. M. Reichel. Oie sauvage (Anser sp. ?) 5 février. Etant en observation à la station ornithologique, j'entends soudain, au-dessus de ma tête, un bruit de tempête. En me retour- nant j'aperçois 6 oies sauvages au moment où elles descendent en vol plané du haut des airs pour aller se poser sur le lac, à côté d'un grand vol de canards sauvages. Durant la descente, je les entends s'entretenir entre elles par des ga.... ga.... ga, alternant avec les sons de trompette habituels. Foulque (Fulica alra L.). 12 février. Il y a deux ans, jour pour jour, on m'apportait une foulque trouvée morte dans le port de Neuchâtel. Aujourd'hui le même évé- nement se produit : on me remet une foulque recueillie flottant parmi les glaçons du port. Poids : 460 gr. Alouette (Alauda arvensis L.). 1.5 février. Le temps s'est soudainement radouci. Dans un champ, d'où la bise a déblayé la neige près de la gare de Marin, je suis sur- pris de découvrir une trentaine d'activés alouettes. On patine sur le lac. A. R. 23 février. Malgré une pluie battante, les alouettes chantent bien haut dans les airs, entre Marin et Montmirail. A. R. F' chant du pinson. 18 février. Entendu deux fois aujourd'hui, jquai Léopold Robert, à Neuchâtel, le chant complet du pinson. M. Reichel. 20 février. Depuis aujourd'hui le chant du [pinson nous annonce le retour du printemps; les primevères sont en fleurs; nos montagnes ont cependant encore de la neige jusqu'à l'altitude de 800 m. Aix-les-Bains. Cl. Vuillermet, l^ï" cliant du merle. 22 février. Le chant du merle a retenti ce soir à Neuchâtel. A. R. 27 février. Entendu le chant du merle à Aigle. J. M. Jaquerot. TABLE DES MATIÈRES des fascicules 21 à 30. (Vol. III). ÉTUDES ORNITHOLOGIQUES Bttrdet, Adolphe. La sitelle et le grimpereau 53-59 De CÉRENVILLE, D' F. Le merle de roche 69-78 Richard, Alfred. Un désastre 2-8 Le rouge-queue tithys en haute montagne 21 -^-29 L'œil de la chouette chevêche 37-41 La rousserolle turdoïde 78-84 Le bruant des roseaux 101 - 106 Est-ce le renard ? 120 - 128 La migration des oiseaux en Suisse 133 - 140 Le vanneau-pluvier 149 - 153 Uttendoerfer, Otto. Rôle et habitudes des rapaces 117 -120 PROTECTION DES OISEAUX Blanc, Henri. Destruction des rapaces dixuues dans le canton de Vaud et en Suisse pendant l'année 1915 43-46 Mariétan, Ignace. L'assèchement de la plaine du Rhône dans ses rapports avec l'ornithologie et la protection des oiseaux 8-15 Mayor, Alfred. Rapport sur l'exercice 1916-1917 30-35 Richard, Alfred. Comment favoriser la nidification 15-16 Le rôle des oiseaux, deviné par le poète, démontré par le savant et l'observateur 153 - 157 Par la Rédaction : Lettre au Conseil fédéral sur la destruction des rapaces 41 - 42 En lisant Godard 59-61 Deux récents articles sur la protection des oiseaux 84-88 Les oiseaux et la vigne 106 - 107 L'école et la protection des oiseaux 107 Les réserves en France 108 Les oiseaux, providence des vergers et des vignes 141 - 142 MOYENS DE PROTECTION Bonard, Arnold. Un cas intéressant 108 - 109 Gallet, Julien. Nichoirs accaparés par des loirs 129 - 131 VuiLLERsrET, Claudius. Nichoir Tavernier 46-47 Par la Rédaction : Le nichoir horizontal 62-64. Nichoir horizontal 142 - 143 Encore le nid de la sitelle 109 - 110 Visite des nichoirs 143 - 144 — 164 — DIVERS Aux pisciculteurs. Réd 158 Capture d'une rousserolle turdoïde. Réd 112 - 113 Cas d'albinisme Alf. Richaed 158-159 Destruction des hannetons par les moineaux. M. BOUBIER 110-111 Est-ce le renard ? Réd 145 La question des permis ornithologiques. D'' P. Naebel 89-92 Le pivert et les vers blancs. Jacot-Guillarmod 49-50 Le nid de la sitelle. E. Vebdon 92-93 Les pierrots voyageurs. A. Richard 93-94 Luther, protecteur des oiseaux. Réd 48-49 Nichée d'un pinson des Ardennes au Ziiricbberg. H. Marchand . . . . 111 - 112 Nichoir occupé par un merle. Réd 144 - 145 Un drame en rase campagne. A. Richard 64-65 CALENDRIER ORNITHOLOGIQUE (Illustré de 4 dessins originaux et d'une photographie prise sur 1© vif) 17 - 20 35 - 36 50 - 52 66 - 68 75 - 100 113 - 116 131 - 132 145 - 148 159 - 162 ASSEMBÉE GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ ROMANDE pour l'étude et la protection des oiseaux NÉCROLOGIE Emile Yung . . jVIme William Barbey-Boissier PLANCHES HORS TEXTE Nid de vanneau envahi par la crue du lac Nid de rouge-queue tithys Chouette chevêche Nid de sitelle Merle de roche (en couleurs) . . . . Nid de rousserolle tiirdoïde . . Nid de bruant des roseaux Coiivée détruite Carte itinéraire de la migration des oiseaux en Suisse Le vanneau-pluvier 20 68 100 1 -2 21 37 53 69 84 101 117 133 149 N°^ 31 et 32 ^=^=^^^ir MAI 1919 NOS OISEAUX BULLETIN DE LÀ SOCIÉTÉ ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LA PROTECTION DES OISEAUX Etudes ornithologiques. Le pivert et son nid. Quand nous entendons parler de nids d'oiseaux, la première image que présente à notre esprit ce simple mot est celle d'une légère et gracieuse construction faite de brins d'herbe, de foin et de mousse habilement entrelacés, souvent garnie de plumes, mer- veille d'habileté et d'intelligence, délicatement posée et fixée sur quelques branches, et cachée dans la verdure. Mais il est toute une catégorie d'oiseaux, et non des moins intéressants, qui nichent dans des demeures souterraines, des troncs d'arbres, des cavités naturelles ou qu'ils ont minées eux-mêmes ; la simple énumération en serait longue : torcols, sitelles, mésanges, rouges-queues, étourneaux, chouettes, pics, traquets motteux, huppes, tador- nes, pigeons bizet et colombin, hirondelles de rivage, martinets, martins-pêcheurs, pour ne parler que des oiseaux les plus com- muns de nos régions. Au nombre de ceux qui creusent eux- mêmes leur habitation se placent au premier rang la tribu des pics : ce sont de véritables charpentiers qui taillent avec une habileté extraordinaire dans le tronc des arbres l'abri destiné à élever leur famille. Cette habitude a fait le malheur de beau- coup d'entre eux, et leur vaut encore aujourd'hui la haine de certains gardes-forestiers qui ne voient que l'insignifiant dom- mage résultant des cavités creusées par les pics, et qui oublient entièrement les bénéfices immenses réalisés par la destruction des vers et des insectes qui se glissent sous l'écorce, rongent sournoisement le bois, arrêtent la sève et causent la mort de — 166 — l'arbre. Bien loin d'être un destructeur, le pic est un protecteur, un conservateur de nos forêts. C'est guidé par son instinct que l'oiseau creuse ses trous dans les arbres dont l'écorce et le bois sont déjà rongés par les insectes. Un auteur français, de la Blan- chère, écrit ce qui suit : « Si nous étions là-haut à côté du travailleur que nous voyons « occupé à piocher un point qui nous paraît absolument sain et «vif, nous verrions qu'en cet endroit une branche a été jadis « cassée, un chicot est demeuré saillant, qui a d'abord arrêté « quelques gouttes d'eau, puis, se pourrissant à son tour, est « devenu spongieux, s'imbibant à chaque ondée et laissant suin- « ter, peu à peu, cette humidité au-dessous de lui. Entre l'écorce « et le bois s'est formée une tache pourrissante, qui va chaque «jour en s'agrandissant ; les insectes sont entrés par la surface « dénudée spongieuse de la branche pourrie, et aujourd'hui cet « endroit est un refuge de ravageurs, un repaire de bandits « affamés de carnage. Le Pic arrive, il sonde le mal d'un coup « sec, commence son travail en enlevant les fibres les plus décom- « posées du bois, plonge dans le trou sa longue langue gluante «et armée de crans retournés" en arrière; il en amène toute cette « vermine, dont il fait curée. Les trous que creusent ainsi les Pics « sont beaucoup moins profonds que la renommée ne le pro- « clame; la plupart du temps ils ne vont que jusqu'à l'aubier, « et dans tous les cas ils n'empiètent jamais sur le bois sain, mais «ils suivent les veines déjà sillonnées dans tous les sens par les « galeries des larves xylophages. » Cessons donc d'accuser les pics d'être les ennemis de nos forêts : nous n'avons au contraire pas de plus précieux auxiliaires dans la lutte pour la conservation de nos bois. Parmi les oiseaux qui nous annoncent chaque année par leurs joyeux chants la fin de l'hiver et le retour de la belle saison, on peut citer le Pivert dont la voix monotone retentit à l'orée des bois dès que la température s'est un peu radoucie : voix bizarre, plaintive, qu'on entend à de grandes distances, et qui frappe par son étrangeté; c'est elle qui, selon nos campagnards, annonce la pluie, et qui lui a fait donner en Bourgogne et ailleurs le nom de Procureur du meunier; « Pic et meunier, si l'eau ne tombe, chôment et risquent de jeûner », dit J. Michelet. Quoi qu'il en — 167 — soit, si le pivert n'annonce pas la pluie, il éveille dans le cœur de tous ceux qui aiment la nature, dans ses diverses manifes- tations, des sentiments joyeux d'espoir et de confiance dans la saison nouvelle, la saison des fleurs et des chants d'oiseaux. « Tiou, tiou, tiou, tiou, tiou.... » Cette syllabe rapidement répé- tée, jusqu'à 15 fois de suite et ressemblant un peu au hennisse- ment d'un jeune cheval, voilà toute la chanson, l'hymne d'amour que le pivert mâle répète plusieurs fois par jour, dès le mois de mars, quelquefois plus tôt encore, pendant toute la saison des nids. Certes, sous ce rapport. Dame Nature ne l'a pas gâté : le don du chant mélodieux lui a été refusé. Il y a entre sa voix et celle de l'épervier une certaine ressemblance très fâcheuse pour le pivert et qui lui a fréquemment coûté la vie ; trompés par cette similitude de cris, des chasseurs à la poursuite de l'oiseau de proie ont abattu trop souvent un être absolument inofîensif, innocente victime de l'ignorance et des préjugés. Si, au point de vue du chant le pivert ne peut prétendre au titre d'artiste, il mérite bien ce nom comme architecte constructeur. Pour éta- blir son nid, il fait preuve d'un talent merveilleux; comme char- pentier surtout, il déploie une activité, une persévérance et une justesse de coup d'œil vraiment étonnantes. Comment arrive-t-il du premier coup à tailler dans le bois le plus dur une ouverture circulaire qui semble avoir été tracée au compas ? Il faut le voir à l'œuvre, avec le seul outil que la nature lui a donné, un bec long et fort, taillé en coin. Les éclats de bois volent de tous côtés et ne tardent pas à couvrir le pied de l'arbre. Il poursuit son travail avec une énergie inlassable; accroché au tronc de l'ar- bre, et appuyé sur sa queue, il redresse la tête en arrière aussi loin qu'il le peut et frappe à coups redoublés. L'outil attaque le bois successivement de gauche et de droite comme le ferait la hache du plus habile bûcheron, avec une dextérité et une vio- lence telles qu'on ne peut réprimer, en le voyant, un sentiment de compassion pour la tête qui doit subir le contre-coup de ces chocs puissants et précipités. Mais c'est à peine si cet ardent ouvrier s'accorde un moment de repos : il s'acharne à l'œuvre entreprise, il ne se laisse rebuter par aucune difficulté; il est sûr du résul- tat, il a si bien étudié, pesé, examiné toutes les faces du pro- blème à résoudre, ausculté l'arbre qui doit servir à abriter son — 168 — nid, que rien ne semble pouvoir l'arrêter avant qu'il ait achevé son pénible travail. Et comme tout est bien calculé pour donner à cette cavité le maximum de sécurité et de confort ! L'entrée légèrement inclinée en avant ne laissera entrer ni pluie, ni l'eau ruisselant le long du tronc ; elle est sufTisamment étroite pour en assurer la défense contre un ennemi du dehors; elle a 5 à 8 centimètres de long et communique avec une cavité verticale de 20 à 25 centimètres de profondeur, creusée dans l'épais- seur du bois. La partie inférieure s'élargit en forme de poire et mesure de 10 à 12 centimètres de diamètre. Les œufs d'un blanc lustré sont pondus généralement en avril et reposent sur une faible couche de sciure, versaie de"hî ^^ débris de bois. C'est là, dans une demi-obscurité, cavité creusée que la femelle couve pendant environ 18 jours, et pai epnei . q^'çj|ç ^i^yg g^ jeuue famille. Quand elle quitte le nid pour aller chercher sa nourriture, le mâle prend sa place sur les œufs; mais souvent aussi il apporte à manger à sa compagne, comme pour lui éviter la peine de sortir. Bientôt commence une période d'activité toute pleine de périls et d'angoisse pour les parents,- les petits sont éclos : les fréquentes allées et venues pourraient attirer l'attention et trahir l'emplacement du nid. Il faut redoubler de prudence, de circonspection; c'est à ce moment qu'on peut entendre un nou- veau cri de pivert, cri d'alarme bien différent de l'hymne d'amour du printemps. C'est peut-être le cri révélateur qui nous annonce, malgré lui, le joyeux événement que le bel oiseau vert voudrait bien nous cacher, mais qu'il vient justement de confier à ses proches voisins et à nos oreilles attentives, en ces premiers jours de mai, aux sons les plus subtils, aux voix les plus intimes de nos amis de la forêt. Cachons-nous dans notre tente ou notre hutte de feuillage, bien en face de l'ouverture du nid. Munis d'une bonne jumelle Zeiss, nous allons être les témoins des plus petites manœuvres, des gestes les plus insignifiants et des mani- festations de bonheur des parents ; rien ne nous échappera, notre attente sera bien récompensée. Aussi longtemps que nous étions encore visibles, les cris d'alarme n'ont pas cessé de retentir; mais maintenant que le danger semble avoir disparu, la voix du pivert _ 169 — s'est tue, et nous ne tardons pas à voir arriver en droite ligne, et volant en longues cadences, le mâle encore tout frémissant du danger couru et désireux d'entendre répéter l'heureuse nou- velle. Il se perche d'abord derrière le tronc, à deux ou trois mètres au-dessus de l'entrée, osant à peine montrer sa tête pour jeter un regard inquiet dans notre direction ; peu à peu ne voyant rien qui puisse justifier ses craintes, il s'enhardit, descend à reculons, lentement, prudemment, scrutant tous les environs; pendant ce manège, la femelle qui a déjà entendu le bruit des ongles grattant l'écorce de l'arbre, a montré la tête à l'ouverture du nid et jeté un petit cri d'interrogation : « C'est toi ? » Bientôt le mâle tout à fait rassuré, montre son corps tout entier et arrive tout près de sa compagne qui lui donne les dernières nouvelles de la nichée : « Tous les œufs sont éclos, nos petits sont en par- faite santé; que je suis heureuse ! Attends un peu, je vais te passer les coquilles.... » La femelle disparaît un instant, et ne tarde pas à revenir tenant dans son bec une des enveloppes blanches qu'elle tend à son époux; celui-ci s'envole pour emporter loin du nid cet indice qui pourrait trahir la présence de la nichée. Ce nettoyage achevé, les deux parents s'entretiennent encore quelques instants; leur léger murmure se fait de plus en plus ten- dre; de faibles mouvements de tête sufTisent pour exprimer leur bonheur, et discuter les arrangements pour l'avenir. Pour au- jourd'hui nous ne verrons plus grand'chose; les petits qui vien- nent d'éclore n'ont besoin que de chaleur, et la mère va rester couchée sur sa couvée tout le reste de la journée, pendant que le mâle redoublera de vigilance; il ne reviendra guère qu'une ou deux fois prendre des nouvelles et peut-être aussi donner à sa compagne l'occasion d'aller chercher son dîner pendant qu'il s'installera sur les petits pour les tenir au chaud. Mais dès les jours suivants, l'animation autour du nid ira en augmentant; les visites du mâle se feront de plus en plus fréquentes; la crois- sance des petits oiseaux est extraordinairement rapide et exige de la part des parents un labeur assidu, souvent épuisant. Pen- dant les dix premiers jours, nous ne pourrons pas nous rendre compte du mode de nourrissage; ce n'est que lorsque les petits seront en état de grimper le long des parois de leur nid et de mettre leur tête, déjà couverte de plumes rouges, à la porte de — 170 — leur demeure, que nous verrons comment les deux parents procèdent, à tour de rôle, à cette opération toujours si intéres- sante du repas des petits oiseaux. Voici justement le mâle qui arrive à tire d'ailes et se perche à l'endroit habituel, au-dessus du nid. En entendant le bruit des ongles sur l'écorce, l'un des petits est vite apparu à l'entrée et a poussé un léger cri; le père s'approche, mais, chose étrange, il ne tient rien dans son bec : aurait-il oublié que c'était l'heure du repas ? Ou bien sa chasse a-t-elle été infructueuse ? Son petit le regarde anxieusement, les yeux pleins de convoitise; son bec s'ouvre : «J'ai faim ! père, n'as-tu rien pour moi ? » Cehii-ci se retire légèrement sur la droite du nid, jette des regards tout autour de lui; puis, par de bizarres contractions il fait remonter du jabot la nourriture qu'il destine à son petit et que celui-ci vient prendre au fond de sa bouche entr'ouverte. C'est donc par une sorte de dégorgement que les piverts nourrissent leurs petits. Il n'en est pas de même du pic épeiche qui apporte dans son bec la nourriture, vers, lar- ves, chenilles, œufs de fourmis, etc. qu'il introduit directement dans la bouche des jeunes oiseaux. Dès que l'un des petits a reçu sa part, il disparaît à l'intérieur du nid; il est immédiatement remplacé par l'un de ses frères qui s'empresse de se faire nourrir à son tour. Quand le jabot est vide, le pivert remonte en grim- pant le long du tronc, jette un regard circulaire sur les environs, et s'envole à la recherche d'un nouveau repas. Souvent aussi, avant de s'envoler, il pénètre à l'intérieur du tronc pour procéder au nettoyage du nid, en éloignant les excréments qu'il emporte dans son bec. Au bout de 18 à 20 jours, les petits peuvent exer- cer leurs talents de grimpeurs en faisant de brèves promenades sur le tronc de l'arbre, autour de l'ouverture du nid; leurs ailes ne sont pas encore assez fortes pour voler; mais leurs ongles leur permettent de trottiner avec une grande agilité tout autour du tronc. A la moindre alerte, les petits rentrent précipitamment dans le nid. Bientôt ils seront accompagnés par les parents dans ces promenades jusqu'au sommet de l'arbre; bientôt aussi ils seront trop grands pour passer encore tous ensemble la nuit dans la cavité qui les a abrités jusqu'ici : C'est une nouvelle phase de leur existence qui commence; ils vont apprendre à chasser l'insecte destructeur qui se cache dans les écorces et /^7l <)' ^f'ii l^t'ot. M.B^'-ci PIVERT A L ENTREE DE SON NID — 173 — qui constitue la partie essentielle de leur nourriture. Ils iront aussi avec leurs parents près des fourmilières au pied des arbres, et ils verront comment il faut saisir avec leur longue langue la fourmi et ses œufs dont ils sont si friands; ils apprendront à découvrir sous l'herbe de nos prairies les demeures souterraines de certaines tribus de fourmis que rien souvent ne décèle à nos yeux, sinon les manœuvres persévérantes des piverts qui savent arracher ainsi aux entrailles mêmes de la terre une nourriture qui ne leur est disputée par aucun autre oiseau. Quand enfin les petits auront appris à se nourrir tout seuls, on pourra les voir isolés, comme leurs parents, dans les bois, à l'entrée des forêts et dans les prés, dans tous les terrains favorables à leur genre de chasse. A. Burdet. Neige d'avril. Il est intéressant de constater les effets de la « rebuse » dont nous avons été gratifiés au commencement d'avril. Le 29 mars Merle à plastron. après-midi, le vent se mit à souffler en tempête, accompagné d'une pluie diluvienne qui se changea en neige les jours suivants. Le l^'" avril tout est blanc, l'hiver est revenu, une couche de — 174 — 10, 20, voire même 30 centimètres suivant les endroits, recouvre le sol, en plaine. Comment vont se comporter, en face de ce phénomène, les nombreux migrateurs surpris dans leur voyage ? J'ai reçu à ce sujet d'intéressantes correspondances d'où il ressort qu'il a dû se produire un arrêt dans la migration, sinon même une régression du nord au sud et des hauteurs vers la plaine. 11 est toutefois difhcile .de dire dans chaque cas parti- culier duquel de ces phénomènes il s'agissait. Le passage de retour nord-sud semble être établi par deux communications, l'une verbale, l'autre écrite, provenant de Hauterive et de Mumpf (Argovie) respectivement. L'observateur stationné à Hauterive m'a affirmé que pendant une journée entière, il a assisté au spectacle de vols de toutes espèces d'oiseaux battant en retraite le long des côtes du Jura. Quant au second voici ses propres termes qui ne font que confirmer l'observation du pre- mier : .... De notre hôtel qui se trouve sur le bord du Rhin entre Stein- Sâckingen et Rheinfelden, soit à Mumpf, nous avons assisté à un for- midable passage de passereaux qui a duré du matin au coucher du soleil, le dimanche 30 mars, jour de la grosse chute de neige. Des bandes de verdiers, d'étourneaux, de vendangettes, de draines, de litornes et de pigeons refoulés par la neige et luttant contre la tempête descen- daient le Rhin de l'Est à l'Ouest par vagues successives et à toutes les hauteurs. Ces pauvres bêtes, épuisées, alourdies par les flocons de neige, s'abritaient partout où elles trouvaient un abri et c'est ainsi que le soir des centaines d'étourneaux se réfugièrent entre les lattes des contre- vents de l'hôtel, tandis que les grives s'amassaient sur les bords d'une petite rivière très encaissée, et que les verdiers et autres oiseaux s'abattaient dans les arbres ou à terre.... Jacques Chauvet. L'arrêt dans la migration ou plutôt le refoulement des hau- teurs vers la plaine s'est manifesté d'une manière tout parti- culièrement frappante pour deux espèces : la grive musicienne et le merle à plastron. Pour les grives, dont le passage a été hâtif cette année, puisque nous avons aperçu les premières au bord du lac le \^^ mars, il en est tombé du ciel une véritable pluie dans les premiers jours d'avril : sur les bords du lac et des ruisseaux, au fond des petits fossés, le long des moindres rigoles, — 175 - partout où apparaissait un peu de terre et un peu d'eau, sur les routes ou les chemins frayés par le triangle, jusque dans les jardins et les poulaillers, ces oiseaux affamés et affaiblis allaient cherchant abri ou pâture. Quant au merle à plastron, dont le passage suit de près celui de la grive, il est bien rare de l'apercevoir en plaine. Ainsi son apparition, en des endroits où on ne l'avait jamais vu a-t-il frappé nombre de nos abonnés, comme en témoignent les com- munications suivantes : .... Je prends la liberté de vous signaler pour la rareté du fait le pas- sage dans nos environs d'une trentaine de merles à collier (Turdus ior- quatus Temm.). Ces oiseaux sont établis depuis quelques jours dans les vergers entre Gilly et Bursins (ait. 500 m.) où j'ai eu l'occasion de les observer à loisir. Mêlés à quelques grives musiciennes, ils picorent des vers sur les espaces non recouverts de neige. Ils sont peu farouches et poussent fréquemment un petit cri très semblable à celui de la litorne. C'est la première fois que je rencontre ces hôtes dans nos environs et quoique j'aie eu bien souvent l'occasion de les voir nicher dans le haut Jura du lo avril au 15 mai environ, je vous signale leur présence comme une rareté en plaine. Evidemment ils ont été chassés des hauteurs par l'abondante couche de neige, ou reviennent peut-être du sud ^. Vincy par Gilly (Vaud), 3 avril 1919. René de Lessert. L'observation de notre correspondant se trouve confirmée par une autre lettre, datée de Bursins : .... Le 1^1' avril nous avons eu à la Côte 35 cm. de neige. Cela nous valut un passage considérable de merles à plastron. Plusieurs centaines de ces oiseaux s'arrêtèrent chez nous et animèrent de leurs joyeux ébats les vergers de Bursins et de Gilly. Les femelles paraissaient peu nom- breuses. La plupart des mâles étaient d'un noir foncé avec un plastron d'un blanc très pur. C'était un joli spectacle de voir ces «merles à bavette » comme les appellent nos paysans, se disputer les vers trou- vés le long des rigoles où la neige fondait plus vite. L'air était rempli de pépiements joyeux.... . ,., , F. Ansermoz, nistrtuteur. A une question que nous lui avons posée, M. A., répond qu'il croit que les oiseaux observés sont redescendus des hauteurs 1 Le merle à plastron hiverne aussi bien sur la rive nord que sur la rive sud de la Méditerranée. (Réd.) — 176 — où ils étaient déjà établis, le passage véritable s'étaut effectué vers le milieu de mars. A cette date on lui a en effet signalé la présence de merles à plastron dans les prés au-dessous du vil- lage de Bursins. Un habitant de Valeyres près Orbe (toujours le pied du Jura) paraît être du même avis. Il nous écrit en effet : En raison de la chute abondante de neige les oiseaux ont déserté la montagne. Ce ne sont plus seulement les grives, les bouvreuils, les pin- sons des Ardennes, mais hier en rentrant d'Orbe, j'ai aperçu trois mer- les à plastron. Nous sommes à 515 m. et je ne me souviens pas d'avoir vu ces oiseaux au-dessous de l'Abergement (entre 650 et 700 m.). G. Gaillard, prof. Enfin, fait plus rare encore, l'oiseau qui vient de se faire si abondamment remarquer est apparu. aussi sur les bords mêmes du Léman et du lac de Neuchâtel : .... Il est de mon devoir de vous signaler sans tarder la présence dans notre contrée de bandes d'oiseaux insolites. Le l^i' avril, au réveil, toute la campagne était couverte de 30 à 35 cm. de neige; les arbres ployaient sous le poids de cette neige lourde et par ci par là il y avait des branches cassées. En rentrant de l'école, vers midi, mon attention fut attirée par des oiseaux qui exploraient le bord des rigoles. Il y en avait de trois sortes. Les deux premières étaient, je suppose, des grives de deux espèces différentes, la S™*', dont il n'y avait qu'un ou deux couples, étaient des oiseaux que je n'avais jamais vus : tête et gorge noire, large collier blanc en feston se terminant de chaque côté en pointe vers la naissance de l'aile.... La Tour-de-Peilz. Victor Magnin, instituteur. Je crois vous intéresser en vous apprenant que j'ai aperçu un merle à plastron le 2 avril, à Monruz. A. Châtelain. Parmi les nombreuses et intéressantes observations qui nous sont parvenues, il y en aurait bien d'autres à relever; cela nous mènerait trop loin. Je me borne à mentionner pour terminer un fait relatif aux vanneaux de la station ornithologique. Le 2 avril je trouvai la station enfouie sous 30 cm. de neige, et comme replongée soudain dans le silence et le sommeil de l'hiver. Tout ce qui avait bec et ailes s'était donné rendez-vous sur une large voie ouverte par le triangle dans l'épaisse et blan- — 177 — che couverture : il y avait là des grives musiciennes, des draines, des alouettes des champs, une lulu, des bruants jaunes, des rouges-gorges, des pinsons, des étourneaux, des chevaliers gam- bettes et deux vanneaux. Les autres représentants de cette espèce étaient dispersés. J'en découvris 4 au bord d'une flaque dans l'an- cien marais de Cudrefin et 12 au bord du lac, les pattes dans l'eau, immobiles, l'œil morne et comme accablés par la tristesse. Adieu les joyeux exercices de voltige, les pirouettes hardies dans les airs, accompagnées du chant de victoire dès mâles. C'est que les cou- vées sont sous la neige, l'espoir de l'année est perdu. La neige fondue je découvris en effet 5 nids avec 1, 2, 2, 3 et 4 œufs res- pectivement. Les uns étaient souillés de boue et ternis, d'autres paraissaient frais pondus. Des questions très intéressantes se posaient, à la solution desquelles j'allais pouvoir me livrer. Il n'en fut rien cependant. La fonte rapide des neiges fit monter tout aussi rapidement le niveau du lac, et les 5 nids qui avaient passé sous la neige passèrent sous l'eau. Tels sont les déboires, telles sont les épreuves auxquels, un peu comme les humains, sont soumis les oiseaux. A. R. Protection. Pourquoi nous devons aimer et protéger les oiseaux '. L'oiseau est un des facteurs de la prospérité d'un pays. Les oiseaux ont une valeur économique, une valeur docu- mentaire (ou scientifique) et une valeur artistique, c'est donc notre devoir et notre intérêt de les protéger. Leur rôle économique dans la nature est important et a été mis en évidence par de nombreuses observations et expériences. * Extrait, d'une brochure de propagande, ayant pour titre : L'Ami des oiseaux, due à la plume de M. A. Menegaux, membre du Comité ornithologique international. — 178 — Le cultivateur n'a pas de plus grand ennemi de ses récoltes que les insectes qui sont herbivores à une phase de leur dévelop- pement. Ils s'attaquent non seulement aux feuilles de toutes les espèces, quelles que soient leurs dimensions, mais encore aux racines, aux troncs, aux branches, ainsi qu'aux graines et aux fruits. Ils sont si mobiles, si difTiciles à atteindre que le cultiva- teur n'en pourrait venir à bout s'il n'avait à sa disposition comme auxiliaires les oiseaux et les insectes carnassiers. Cer- taines années les dégâts dus aux insectes atteignent le dixième, le quart ou le cinquième de la récolte. Guérin-Meneville, savant entomologiste bien connu, les évaluait, en 1867, à plus de 600 millions par an. Cet impôt annuel est estimé officiellement, aux Etats-Unis, à la somme de 300 à 800 millions de dollars, soit 1 milliard 500 millions à 4 milliards de francs. • Sans trêve, ni repos, les mésanges, les fauvettes, les gobe- mouches mettent leur travail au service de l'homme, car ils voient et détruisent les parasites que le jardinier et l'horticul- teur le plus soigneux et le plus attentif ne sauraient apercevoir. Et leur utilité peut s'évaluer par des chiffres. Ainsi le roitelet dé- truit chaque année plus de 3 millions d'insectes de toute taille, comme œufs, pupes et insectes parfaits. On a calculé que la mésange bleue détruit plus de 6 millions et demi d'insectes par an et que pour élever sa couvée de 12 à 16 petits, il lui faut au minimum 24 millions d'insectes. Pour se les procurer l'animal effectue au moins 450 voyages dans sa journée aux environs de son nid. Une hirondelle, dans ces conditions, parcourt plus de 600 kilomètres dans sa journée d'environ quinze heures et détruit des millions de diptères. Une nichée de troglodytes (vulg. roitelet) a besoin de 9000 insectes depuis la naissance jusqu'à sa sortie du nid; un tro- glodj^te a porté 30 sauterelles à ses petits en une heure. Il est prouvé que les petits d'un couple de geais d'Europe, en une seule saison, dévorent au moins un demi-million de chenilles. Les chouettes se chargent d'entraver la multiplication des cam- pagnols et des souris. Un fait que l'on oublie trop, c'est que la plupart des petits des granivores ont un régime insectivore; les parents sont donc forcés de leur fournir des insectes en quantité, — 179 - puisqu'un petit consomme plus que son poids de nourriture en un jour. Nombreux sont les granivores qui ne vivent que de graines sauvages. Dans un estomac de bruant de neige, dans le Massachusetts, on en a trouvé plus de mille. Le professeur Beal a calculé que, dans le seul Etat d'Iowa, d'octobre à avril, les oiseaux détruisent au moins 745 tonnes de graines sauvages. Remarquons que les nids s'échelonnent au fur et à mesure de la multiplication des insectes. Quand il y a précocité des pontes, c'est que la végétation est hâtive. Sans oiseaux pas de fruits sains. N'oublions pas que toutes ces données sont certaines, et qu'elles ont été contrôlées par l'observation et par des nourris- sages en captivité. U oiseau est donc un des facteurs de la prospérité d'un pays; ses services, continus et obscurs, ne sont pas toujours appréciés à leur juste valeur, mais n'en existent pas moins. La protection des oiseaux ne nous apparaît donc plus simplement comme une question de sensiblerie ou une question d'amateur, c'est une question d'économie nationale et même internationale, car nul animal ne peut remplacer les oiseaux dans la nature et y rem- plir leur rôle. Si les oiseaux deviennent parfois nuisibles aux récoltes, c'est souvent notre faute, car nous rompons l'équilibre de la nature en faisant prédominer certaines cultures aux dépens d'autres plantes qui leur fourniraient de la nourriture. Et d'ailleurs les quelques dégâts commis sont le morceau de pain que donne l'homme pour payer les services rendus. Ce que l'oiseau prélève dans les champs, le verger ou la vigne, il le mérite comme salaire du travail de nettoyage long et obscur qu'il effectue continuelle- ment. On peut même affirmer qu'il n'y a pas d'oiseau qui soit tout à fait utile ou tout à fait nuisible, ce sont des êtres qui jouent un rôle nécessaire dans l'harmonie de la nature. Dans la lutte contre les parasites et les ennemis de nos récol- tes, nous avons à notre disposition une main-d'œuvre que nous n'avons su ni employer, ni augmenter, et nous faisons de plus en plus fausse route en dédaignant les moyens que la nature met presque gratuitement à notre disposition. Quand les oiseaux auront disparu de notre région, agriculteurs et viticulteurs — 180 — pourront alors lutter seuls, à grands renforts de bouillies, contre les bandes toujours grossissantes des insectes dévastateurs. * Au point de vue documentaire, la Convention de 1902 a con- tribué à faire de plus en plus de l'Oiseau un objet d'observations et d'étude. Les oiseaux nous offrent en effet un champ d'inves- tigation d'autant plus intéressant qu'il est constitué par des animaux hautement différenciés au point de vue de l'intelligence et de l'instinct. L'ornithologie ne consiste pas uniquement en l'étude des caractères extérieurs des dix-huit mille et quelques cents formes vivantes et des formes fossiles qui constituent le monde des oiseaux, en leur répartition géographique sous toutes les latitudes et sous tous les climats, mais elle nous pose d'au- tres problèmes très nombreux et de la plus haute importance : changement de plumage, mœurs, biologie, chant, nidification, psychologie (intelligence, instinct), migrations, orientation, hy- bridation, structure interne, maladies, élevage méthodique, domestication, protection, utilité et nuisibilité, sans oublier les études comparatives sur la variabilité des formes, sur l'étendue des variations dans les diverses patries et sous l'influence des climats, ainsi que la recherche des causes qui ont amené la for- mation des races locales ou géographiques, et ici avec quel coefTi- cient propre sont intervenues la nourriture, la radio-activité du sol et les conditions climatologiques. Le pourquoi et le comment des choses ne sont-ils pas les fins idéales de la science ? * Au point de vue artistique, l'Oiseau est tout simplement un chef-d'œuvre et une merveille par sa gracieuseté, sa délicatesse, l'harmonie de ses formes et de ses couleurs. Tout y est si bien approprié à son but : légèreté du squelette et des plumes, force des muscles, acuité des sens. Et ce sont ces chefs-d'œuvre de la nature que l'homme n'a pas hésité à sacrifier pour satisfaire la vanité féminine; il en est devenu ainsi le plus grand ennemi, car il poursuit sans trêve ni merci et par lucre les oiseaux dont les dépouilles sont cotées dans le commerce et ceci souvent dans — 181 — des conditions de cruauté que réprouve notre civilisation. Il s'ensuit que bon nombre des plus belles espèces sont en dimi- nution (sinon en voie de disparition ou même déjà éteintes. Réd.). Et ce fait justifie les critiques les plus sévères. Comme je l'ai déjà dit, beaucoup d'Etats ont pris des mesures pour enrayer cette dépopulation aviaire, mais, depuis, on a constaté partout que les lois restrictives ou de protection n'ont pas donné les résultats qu'on en attendait, tant l'homme sait mettre d'ingé- niosité à tourner la loi qui le gêne. Quelle que soit la direction dans laquelle les sociétés protec- trices exercent leur activité, qu elles fassent vite, le temps presse. Les seuls intérêts légitimes sont ceux de la collectivité. Ce serait une drôle de conception de vouloir établir notre souve- raineté sur le globe en anéantissant des trésors dont la dispa- rition sera une perte irréparable au point de vue esthétique et un crime devant nos descendants pour lesquels notre devoir est de conserver la nature dans toute sa beauté et sa variété. Par leurs chants et leur vivacité, les oiseaux ne sont-ils pas la joie et la vie de nos paysages et de nos campagnes? C'est par des mesures d'éducation populaire qu'on pourra arriver à supprimer les abus dont le monde animal est victime. Il faut à l'école cher- cher à développer chez les enfants la notion du beau, leur incul- quer le respect de la vie et leur montrer toute la cruauté du déni- chage. Dans tous les pays, pour l'art, pour le plaisir des yeux et pour l'éducation des générations futures, on a rassemblé à grands frais, et avec raison, des trésors artistiques dus à l'homme, et on con- serve pieusement les monuments de l'histoire; pourquoi ne met-on pas le même zèle à conserver des chefs-d'œuvre naturels que l'homme ne peut ni surpasser, ni même égaler ? A. Menegaux. Exemple à suivre. LA PROTECTION DES OISEAUX AU CANTON DE ZURICH « Quelle que soit la direction dans laquelle les Sociétés pro- tectrices exercent leur activité, qu elles fassent vite, le temps — 182 — presse », nous dit Menegaux. C'est ce que paraissent avoir com- pris les Autorités et les particuliers du canton de Zurich ^, ainsi que le démontre un article publié dernièrement par la Nouvelle Gazette de Zurich. Nous y lisons en effet ce qui suit : « Pendant longtemps la protection officielle des oiseaux au canton de Zurich s'est bornée à l'instruction de la jeunesse et à la punition des délits contre la Loi fédérale sur la chasse et la protection des oiseaux. Il en est autrement des particuliers qui, depuis plusieurs décades, mettent une grande activité et un entier dévouement au service d'une cause dont les intérêts leur paraissent, en l'état actuel de la civilisation, comme une impé- rieuse nécessité. Il faut mentionner aussi l'appoint fourni à cette cause humanitaire par les nombreuses sociétés ornithologiques du canton et les dépenses considérables faites par elles en sa faveur, anciennement déjà, et continuées de nos jours avec une égale énergie. Considérant les services inestimables que les oiseaux chan- teurs rendent à la société humaine, par le fait de la guerre vic- torieuse et incessante qu'ils livrent gratuitement dans nos jar- dins et dans nos champs aux parasites obscurs du règne végétal, le peuple zurichois s'est décidé, en 1908, à étendre les compé- tences officielles et à augmenter les moyens relatifs â la protec- tion des oiseaux; un décret, ayant force de loi, a été promulgué, en vertu duquel les communes, aussi bien que l'Etat, doivent veiller à la conservation et à la multiplication des oiseaux utiles. A cet efïet il est attribué aux communes une part du produit des permis de chasse. Une circulaire émanant des bureaux de l'Etat, invitait les communes, au printemps 1911, à employer avant tout les sommes mises à leur disposition à V acquisition de ni- choirs et à l'octroi de primes pour la destruction des carnassiers. Il y était en outre recommandé de favoriser la nidification par le moyen de nids artificiels placés en premier lieu dans les ver- gers, ensuite dans les arbres croissant en bordure des cours ^ Cette compréhension ne date pas de hier, ainsi qxi'il appert des nombreux actes publics relatifs au rôle et à la protection des oiseaux recueillis par M. K. Bretscher, docteur ès-sciences, dans les archives de la ville, et publiés par lui. Le plus ancien de ces vénérables documents remonte à l'an 1335 et débute par ces mots : « Der rat ist cinhelle und hant gesetzet umb aile die Vogel, die muggen und ander gewiirme tilg- gend und vertribent, sie sin gros oder klein, das die niemand vachen sol... — 183 — d'eau et des étangs, enfin dans les petits bois en plein champ et à la lisière des forêts. Au cours des années ces rangées de nichoirs doivent être complétées peu à peu et les espaces vides comblés sans relâche, par la pose de nouveaux appareils. On y rend d'autre part attentif à la nécessité qu'il y a à ne charger de ces opérations que des spécialistes consciencieux et à s'assurer du résultat par des observations suivies. De son côté l'Etat contri- bue à la protection des oiseaux en faisant placer lui-même des nichoirs d'une façon ininterrompue. C'est ainsi que dans les seules forêts de la ville de Zurich qui ne représentent qu'un peu plus du dixième des forêts du canton, des centaines de nids arti- ficiels ont été disséminés par le soin de gardes-forestiers instruits spécialement à cet effet, et l'opération se poursuit méthodique- ment, principalement le long des lisières, orientées vers l'est. Quant au nourrissage hivernal, par le moyen de cabanes- mangeoires \ ce sont principalement les sociétés protectrices; le public en général et les écoles qui s'en chargent. A enregis- trer enfin, comme une des manifestations les plus dignes d'atten- tion, dans le domaine de la protection des insectivores, l'établis- sement, en 1914, d'un Refuge biiissonnant, organisé suivant la méthode du baron de Berlepsch. Cette création si opportune est due à la Société protectrice de Horgen, qui a acquis dans ce but, au prix de 2000 francs, un terrain de 34 ares de superficie, boisé en partie, et l'a aménagé comme il est dit plus haut ^. » Divers. Quelques observations faites au cours d'une ascension à la Bella-Tola (3028 m.) les 4, 5 et 6 octobre 1906. En arrivant à St-Luc (1643 m.) où nous devions passer la nuit, je fis une première remarque, «'est que les rouges-queues (Ruticilla tithys L.) n'avaient pas encore quitté le village, tandis que les habitants, > Sorte de pavillons, ouverts sur les côtés, érigés dans les jardins publics ou pri- vés, et où la nourriture distribuée aux oiseaux en hiver est à l'abri des intempéries. - En fait de mesures protectrices montrant tout l'intérêt que le peuple zurichois porte à sa faune ailée, mentionnons l'interdiction de la chasse dans la rade de Zurich, la création d'un ou deux refuges près de l'ile d'Ufenau, l'interdiction de la chasse en canot-moteur sur toute l'étendue du lac. — 184 — occupés, si j'ai bonne mémoire, plus bas dans les vignes, l'avaient momentanément et complètement déserté. A propos du tithys, il faut que j'ajoute que nous trouvâmes encore un de ces oiseaux droit sous la cime, dans un petit vallon, tout encombré de gros blocs d'éboulis, à 2700 m. d'altitude. D'après les observations que j'ai pu faire ailleurs, c'est dans le courant d'octobre, en général vers le milieu du mois, que le tithys quitte les pâturages élevés de nos Alpes. En 1899, étant au lac Lauveneti (1677 m.), et aux chalets d'En l'Haut (1850 m.) déjà abandonnés par les hommes et les bêtes, j'y entendis encore chanter cet oiseau le 12 octobre. « En automne, dit Tschudi, alors que les troupeaux sont déjà redescendus vers les vallées, le roug£-queue voltige encore gaî- ment autour des chalets déserts. » Au cours de la même excursion, j'en vis un, le 14 octobre, au sommet de la Dent d'Oche (2225 m.). A mon retour dans la région, un peu plus tard, soit du 24 au 26 octobre, je n'en revis plus un seul. Ils étaient partis, de même que les spioncelles, malgré la douceur de la température. De St-Luc le chemin qui conduit à la Bella-Tola passe par une petite forêt, où les arolles abondent. Tandis que nous la traversions le 5 octobre, aux premières heures du matin, je pus y faire voir à mon compagnon des casse-noix (Nuci- fraga caryocatactes L.), fuyant devant nous dans le demi-jour du sous- bois et évoluant mystérieusement et sans pousser de cris parmi la colonnade des pins. Fréquemment on les voyait se poser sur le sol, à la recherche sans doute des graines d'arolle tombées à terre, aliment dont ils sont très friands. Au sortir de la forêt, au moment où le sentier débouche dans le pâtu- rage de Tignausa, à 2100 m. environ, une surprise nous attendait. En effet notre oreille fut soudain frappée par le cri de la litorne (Turdus pilaris L.) et nous aperçûmes un vol de ces oiseaux d'assez près pour que mon compagnon, qui les connaissait bien, pût les identifier encore d'après leurs couleurs. La présence de cette grive dans les Alpes, à une date si hâtive, me parut très intéressante. Jamais jusque là je n'en avais vu si tôt ^ en plaine du moins, où elles ne se montrent généra- lement qu'à la fin d'octobre et surtout en novembre. Dès lors en ou- vrant Bailly j'ai pu y lire cette remarque que la constatation faite aujourd'hui ne peut que confirmer : a La litorne commence d'abord par se montrer dans les hautes vallées de nos Alpes qu'elle habite jusqu'à ce que la neige vienne l'en chasser. » C'est peut-être et jusqu'à un certain point le cas d'un autre habitant du Nord, le pinson des Ardennes (Fringilla montifringilla L.) qui vient nous demander l'hospitalité pen- ^ Ou Lovenex (Valais), au-dessus de Novel (Savoie). ^ D'après le Catalogue des oiseaux de la Suisse il en arrivei'ait déjà en septembre. — 185 — dant la froide saison, et dont nous entendîmes retentir le cri au même endroit que celui des litornes. Dans le même pâturage de Tignausa également nous constatâmes la présence des spioncelles (Anlhus aqua- ticus Bechst.); à ce propos je remarquerai que suivant mes observations c'est dès le l'"'' octobre, et même parfois un ou deux jours avant, que ces oiseaux font leur apparition au bord de nos lacs de la plaine où ils passent l'hiver. Comme nous nous trouvions à peu près au niveau de la cote 2400 m. de la carte fédérale, un petit cri bien connu, tombant des hauteurs sereines de l'atmosphère, attira notre attention. C'était un cliardonneret, volant sans arrêt dans la direction de la vallée. Dans ses allures, dans ses cris d'appel.... stic-lil — stic-lit.... qu'il égrenait à intervalles réguliers sur les pâturages silencieux et déserts, il y avait un je ne sais quoi qui signifiait : je m'en vais. «Les prés ont jauni.... le soleil a pâli.... les fleurs sont fanées.... les troupeaux sont partis.... je m'en vais à mon tour. » Parvenus au bord d'un petit lac ou mare de peu de profondeur (30 cm,), situé à 2600 m. nous assistons à un char- mant spectacle : deux merles d'eau, dont l'un, plus petit que l'autre, doit être un jeune de l'année, habitent ce lac minuscule et l'animent de leurs joyeux ébats. Dans l'eau cristalline pas trace de poissons, mais bien des crevettes et les larves d'une phrygane, enveloppées de leurs gaines, pour la confection desquelles ces insectes encore imparfaits se sont servis tantôt de grains de sable, très régulièrement agglomérés et entremêlés de paillettes de mica, tantôt de débris végétaux. Larves et crevettes servent sans doute à la nourriture des merles d'eau et expli- quent leur présence dans ces lieux élevés. - A mesure que nous montons les oiseaux se font plus rares. Une mar- motte attirée hors de son terrier par le soleil, nous inspecte du faîte d'un petit tertre, assez étonnée et pas trop intimidée, semble-t-il, d'une rencontre aussi inattendue pour elle que pour nous. Ce fut avec le rouge-queue, observé à 2700 m., le dernier être vivant que nous aperçûmes à la montée. Sur l'une et l'autre cime ^ règne un silence solennel : seuls les yeux sont entretenus par la magnificence d'un spectacle, beau en tout temps, mais auquel cette journée d'au- tomne, d'une pureté, d'un calme si impressionnants, ajoute un charme particulier. A la descente, que nous opérons sur la vallée de Tourtema- gne, nous ne tarderons pas à retrouver d'ailleurs ces mille cris, ces appels, ces chants des oiseaux qui prêtent une voix au paysage, varient suivant sa nature et en sont pour ainsi dire l'interprétation musicale. A 2700 m. nous avons vu le dernier oiseau, à 2800 m. nous retrouve- rons les premiers. 1 La Bella-Tola a deux sommets; l'un de 3001 m., l'autre de 3028 m. — 186 — En elTet au moment de pénétrer dans un vallon sauvage que sa posi- tion isole complètement du reste du monde nous sommes accueillis par un retentissant tui.... tui.... suivi d'un tu.... eije.... tu.... eije.... qui nous révèle immédiatement l'identité de son auteur. Du coup nous voici transportés en plein hiver. Les flancs de ce val perdu, les blocs de rochers qui les recouvrent, les moindres aspérités sont saupoudrés de neige fraîche, et la voix métallique qui y retentit et rompt si étran- gement le silence de ces hauteurs est une voix qui, dans la plaine, s'as- socie au souvenir des froides et brumeuses journées de décembre et évoque un blanc paysage d'hiver : c'est encore une fois celle du pin- son des Ardennes (Fringilla niontifrinfjilla L.). Ainsi cet oiseau, en nous arrivant du nord, aimé à se fixer, comme la litorne, dans les hautes altitudes où il trouve un climat plus conforme à celui auquel il est habitué. De ce point nous plongeons directement sur la vallée de Tourtema- gne. Nous retrouvons une partie des oiseaux que nous avons observés à la montée, merles d'eau et spioncelles tout le long du Borterthal, merles à plastron et grives musiciennes en dessous de la Pletschenalp puis, parmi des arolles la voix rauque du casse-noix. Ici s'arrêtent mes notes ornithologiques. N'ayant d'autre indication pour nous diriger que l'inclinaison de la pente, étant depuis longtemps hors des chemins battus, nous nous égarons complètement et n'atteignons Meiden qu'à 11 heures du soir, surpris par la nuit et un violent orage, circonstances qui mettent fm aux observations. Toutefois je ne veux pas quitter l'intéressante vallée de Tourte- magne, que nous parcourûmes le lendemain par un temps radieux, sans mentionner une petite visite que nous fîmes à une colonie de pavots d'Islande (Papaver nudicaiile ) , plantés près de la chapelle de Meiden, par les soins de M. Henry Correvon, le grand ami de nos plan- tes alpestres et de nos arbres, ainsi que notre traversée du fameux Tau- benwald ou Dubenwald, aux sapins gigantesques (40 m. et plus), forêt vierge déjà décrite par Tschudi et que le temps dont nous dispo- sions ne nous permit pas d'étudier au point de vue ornithologique. Un fait cependant m'est resté : au sortir de la vallée de Tourtemagne nous entendîmes l'appel du bruant des prés ou bruant fou (Emheriza cia L.), et c'est le même appel qui nous avait frappés au aébut de notre excursion, à l'entrée du val d'Anniviers. J'en conclus que cet oiseau stationne volontiers, en cette saison du moins, au bas de nos vallées alpestres. A. R. — 187 — Les oiseaux assis. Une petite note que je trouve au bas de la page 2474 de la XII"^^ livraison du Catalogue des oiseaux de la Suisse et que j'ai lue non sans étonnement me fait dire que j'ai observé des bruants des roseaux « assis à terre dans des trous ». Pour celui qui connaît le bruant des roseaux et les passe- reaux en général l'observa- tion, ainsi conçue, paraît in- vraisemblable et bizarre, et je ne sais trop à quel acci- dent je dois une altération de texte aussi curieuse et aussi considérable, sinon à une traduction, suivie d'une re- traduction, et au fait que le mot allemand « sitzen » signifie à la fois « être perché », et « être assis ». Non, n'en déplaise à l'utile Catalogue, je n'ai jamais observé de bruant des roseaux, ni aucun passereau assis, ni à terre, ni dans des trous, ni sur des branches. S'asseoir signifie se mettre sur son séant. Or l'oiseau, de par ses formes, de par sa structure serait assez embarrassé à prendre cette position, et, encore que la nature l'y invitât ou l'y disposât, il n'y aurait certainement que rarement recours, obligé qu'il est à une attitude de perpétuel garde-à-vous par la guerre incessante que lui font les hommes. Toutefois certains oiseaux, dans certaines circonstances, s'assoient, et Toussenel est, je crois, le premier à l'avoir fait remarquer. « Aucune espèce d'oiseau volant d'aucun ordre ne partage avec l'échassier le bizarre privilège de s'asseoir sur ses tarses », écrit-il à la page 365 du tome l^r du Monde des oiseaux. Aucune est peut-être un peu trop dire car, sans parler de la poule recouvrant ses poussins, on peut voir, dans les jardins zoologiques du moins, certains coureurs comme l'autruche et le nandou et de grands vautours comme le condor et le gyps fauve affecter cette posture. Mais il est certain que c'est chez les oiseaux hauts sur jambes en général, et les échassiers en particulier, qu'elle est le plus fréquente, et surtout le plus frappante : les oiseaux que j'ai observés dans la nature, reposant sur leurs tarses, appartiennent tous à cet ordre. J'ajoute que c'est grâce à la jumelle Zeiss, qui permet 188 l'observation à grande distance, qu'on a quelque chance de les y sur- prendre. Sans le secours de cet instrument, c'est l'oiseau, doué d'une vue perçante, qui vous apercevra le pre- mier et cela bien avant que vous vous doutiez même de sa présence, et, s'il était tapi, il se redressera aussitôt, pour être prêt à l'envol au moment où il le jugera prudent. Si l'on compare la jambe de l'oiseau à celle de l'homme, on peut dire que lorsque l'oiseau est assis, il est compara- ble à l'homme debout, et lorsqu'il est debout, il est pareil à un homme marchant sur la pointe des pieds. Le tarse, en efîet, dont le nom exact est tarso-métatarse, résulte, comme on sait, de la fusion d'une partie des os du pied, en arrière des doigts, en un os unique, très allongé. C'est donc le pied que l'on voit appliqué contre le sol, lorsque l'oiseau est « assis », tandis que le « genou » se trouve caché sous l'aile et les plumes. Jusqu'ici j'ai observé trois espèces d'échassiers « assis », ce sont ceux qui sont représentés ici, soit le héron cendré (1), la bécas- sine (2) et le bécasseau variable (3). Dans le cas des deux derniers il ne s'agissait sans doute que d'une position commode pour la sieste et témoignant en outre d'un sentiment de parfaite sécurité. Pour le héron cendré un autre motif entrait en ligne de compte. Le jour de l'observa- tion il soufflait un fort vent qui faisait plier les ro- seaux et soulevait leurs feuilles en même temps que l'aigrette du héron. L'oiseau au long cou, face au y x_ vent, le corps horizontal, se reposait dans l'attitude où il offrît le moins de prise à l'élément déchaîné. .^-^ .^ 3 A. R. L'utilité du merle d'eau. Tandis que des merles d'eau élevés en captivité par Girtanner man- geaient en hiver des petits poissons, on constata dès le printemps qu'ils laissaient de côté cette nourriture pour se contenter de celle donnée aux rossignols et aux autres insectivores. Le professeur D^^ Stieglin écrit d'autre part : « Les merles d'eau doivent être considérés comme des oiseaux utiles quoiqu'ils s'attaquent aussi parfois à des alevins de poissons et probablement aussi aux œufs déposés sur le gravier du fond des cours d'eau. Si nous considérons le bec de ces oiseaux, nous voyons d'ailleurs au premier coup d'œil qu'il leur est impossible de capturer et d'avaler des poissons d'une certaine taille, quoiqu'on ait — 189 — souvent trouvé dans leur estomac des quantités assez considérables d'otolithes \ » Kônig-Warthausen, ornithologue célèbre, s'exprime sur le même sujet comme suit :' « Un examen très attentif et très minu- tieux des estomacs de merles d'eau vivant en liberté, a montré qu'ils ne contenaient que des restes de phryganes, qui sont, elles, comme on sait, des plus nuisibles à la pisciculture. » A la question : Doit-on les détruire ? — « Non, répond Girtanner, on doit au contraire les proté- ger ! Car premièrement le merle d'eau ne se nourrit que pendant peu de temps de petits poissons et encore n'arrive-t-ii pas souvent à s'en procurer lorsqu'il est en liberté. Pendant presque toute l'année, par contre, cet utile oiseau détruit une foule d'insectes et d'animaux nui- sibles tant dans l'eau que sur terre ferme. » Bulletin suisse de pêche et de pisciculture. La nourriture des canards colverts. M, Mac Atee, assistant au Biological Survey à Washington a analysé avec MM. Holt et Mabbott 1725 gésiers de canards maraîches. Leur nourriture comprend 90% de végétaux soit: joncs, herbes, blé noir, potamots, lemnas, cératophylles, valisnéries, plantain d'eau, fruits et graines d'arbrisseaux, nénuphars, hydrocotyles, charas. Les dix centièmes restants se décomposent comme suit : insectes 3, crustacés Vs, mollusques 5 Va, poissons V2, divers V4. Parmi les insectes le canard sauvage détruit un nombre énorme de larves de moustiques propagateurs de la fièvre. R. PONCY. CORRESPONDANCE Vanneau-pluvier. Le D^ Vouga, de St-Aubin, nous écrit que pen- dant plus de 25 ans qu'il a pratiqué en chasseur et en ornithologue ce qui est actuellement la Réserve du Seeland, il n'a observé le vanneau suisse qu'une seule fois, en 1873 ou 1875, lors du retrait des eaux de la dernière {inondation |du Grand |marais. Il remarque d'autre part, au sujet de l'habitat du vanneau-pluvier, que cet oiseau fait défaut à l'Islande, comme il a pu le constater lui-même, tandis que son proche parent le pluvier doré y est si abondant que pendant plusieurs mois notre correspondant a pu vivre quotidiennement de poitrines de plu- viers dorés et de courlis corlieux. Merle dans un nichoir. M"^^ E. Chapuis-Secrétan nous écrit de Chailly, sur Lausanne : « Dans un nichoir placé assez haut contre un érable (6 à 7 mètres) où les étourneaux nichent depuis nombre d'an- * Concrétions pierreuses qu'on trouve dans l'oreille interne des poissons. (Réd.) — 190 — nées, un couple de merles a élu domicile après que les étourneaux y eurent élevé une première couvée. Les merles y ont niché à leur tour et mené à bien leur couvée. Le nichoir a la forme que voici : (le dessin représente un nid vertical à petite ouverture circulaire) et l'orifice n'est pas très grand. » M. H. Rosat nous signale du Locle un autre changement dans les habitudes du merle : « Depuis plusieurs années les merles ont élu domi- cile, hivernent et viennent picorer dans le voisinage de nos maisons (un peu en dehors de ville, à Beau-Site), Le 3 mars ils nous ont gratifiés de leur premier chant, prélude d'un printemps qui arrive à grands pas. Ce n'est que depuis cinq ou six ans que nous constatons La présence de ces oiseaux qui restaient autrefois confinés dans la vallée plus tiède du Doubs, » Cas d'albinisme. Aux cas rapportés dans notre précédent bulletin, il faut ajouter celui d'une corneille, parfaitement blanche, que l'on peut observer entre Bière et Ballens. Nous recommandons cet oiseau inté- ressant à la protection des habitants de la région, car, vivant, il a plus de choses à nous révéler que mort et placé dans les vitrines d'un musée. Calendrier ornithologique. Vanneau huppé (Vanellus vanellus L,), 26 février. Les vanneaux réapparaissent à la station ornithologique. Aujourd'hui j'en aperçois cinq. Pour la première fois les mâles font entendre leur chant printanier, accompagné des pirouettes coutumières. l^r mars : je compte 54 vanneaux à la colonie. 12 mars : les vanneaux sont au nombre de 120 dont une partie sont des indi- vidus de passage. 12 avril : je découvre cinq nids qui paraissent avoir séjourné sous la neige, tombée les premiers jours du mois. 15 avril : par suite d'une crue rapide du lac, les cinq nids découverts le 12 sont sous l'eau. 26 avril : la colonie est durement éprouvée cette année; cinq nouveaux nids sont détruits par la mise en cul- ture des champs de laîches et marécages où les vanneaux nichent. 14 mai : je découvre le seul petit vanneau qui ait pu venir à bien jusqu'ici, par contre, en récapitulant, je trouve 43 œufs perdus ou écrasés recueillis par moi et provenant de douze nids; la colonie est menacée dans son existence. A. R. — 191 — Grand pluvier à collier (Aegialitis hiaticula (L.). 26 février. Un superbe exemplaire de cette espèce se montre en plu- mage de noces, le 26 février, à la station ornithologique. C'est la date la plus hâtive du passage de retour de cet oiseau notée par moi jusqu'à ce jour. A. R. Pic cendré (Picus canus Gm.). 1^^ mars. Nous avons le plaisir d'observer un pic cendré Ç, sur un bouleau, dans la Réserve du Seeland. Ce sont ses cris, différents de ceux du pivert, qui ont attiré notre attention. Il y a un compa- gnon ou une compagne dans le voisinage. Le pic cendré qui monte plus haut que le pivert dans les Alpes et va plus loin au nord, n'existe pas au midi de l'Europe, diminue à l'ouest, est inconnu en Angle- terre et très rare en Hollande. M. R. A. R. Litornes (T ardus pilaris L,). 5 mars. Malgré les beaux jours ensoleillés du commencement de mars, les litornes s'attardent dans la Réserve, alors que la grive musi- cienne revient déjà du raidi. Revu la même troupe le 8 et le 12 mars. A. R. Canard sif fleur huppé (Netta rufîna (PalL). 5 mars. On m'apporte un sifïleur huppé ,/ tué sur le lac de Morat le 1er mars, par le même chasseur que ceux mentionnés ici à la date du 18 novembre 1916 et du 6 novembre 1917. C'est le plus petit des trois : il ne pèse que 945 gm. Chose curieuse, comme longueur totale, ces trois mâles avaient exactement les mêmes dimensions, soit 53 cm., tandis que leurs poids respectifs étaient 1145 gm.; 1120 gm.; 945 gm. Autres dimensions de l'individu en question : Aile pliée 26,5 cm. Rec au front : 52 mm. à la commissure : 58 ram. Médian a. o. 65 mm. ongle : 9 mm. Tarse : 42 mm. A. R. Pouillot véloce (Phylloscopus riifus (Bechst.). 12 mars. Tout le long du bois du Chablais entre Cudrefm et La Sauge, retentissent les deux ou trois notes du pouillot véloce, si gaies, si joyeuses aux premiers beaux jours du printemps; ces oiseaux doi- vent être arrivés hier déjà, peut-être plus tôt encore. 24 mars. Le pouillot véloce se fait entendre à Neuchâtel pour la pre- mière fois. A. R. Rouge-queue tithys (Phoenicurus titys (Bechst). 10 mars. Le 10 mars dans l'après-midi le rouge-queue nous est arrivé à Peseux. E. Richard. 12 mars. Le retour des oiseaux paraît hâtif, cette année. Aperçu au- jourd'hui le premier rouge-queue, à Neuchâtel, rue de la Serre, au même endroit que l'an passé, mais un jour plus tard. A. R. — 192 — 14 mars. Vu un rouge-queue cf derrière le palais Rougemont. P. Robert, fils. 17 mars. Chant du rouge-queue à Neuchâtel, c'est la deuxième fois seulement. A. R. 17 mars. Un tithys à Monruz. M. R. 20 mars. Un autre tithys sur le Collège latin. Il chante, bien que le sol soit enfoui sous 10 cm. de neige. 25 mars. Le tithys occupe graduellement la ville, il se fait entendre sur l'Ecole de Commerce et l'hôtel Terminus. 26 mars. Le tithys est arrivé aux Sablons. A. R. Butor (Botaurus stellaris (L.). 14 mars. On m'apporte un superbe exemplaire de cette espèce, ra- massé encore vivant sur la route qui relie Chevroux-village à l'em- barcadère. Les lésions qu'il porte (contusions au grand pectoral et aux flancs, épanchements sanguins dans les poumons, rupture de la colonne vertébrale) me font supposer qu'il s'est heurté aux fils électriques qui vont au phare de la jetée. C'est un mâle aux organes bien développés. Poids : 1 kg 060. Longueur totale : 78 cm. Aile pliée : 34, 5. Bec au front : 79 mm. A la commissure : 104 mm. Médian a. o. 128 mm. Ongle : 27 mm., dentelé sur le bord interne, comme chez le blongios et le crabier. Estomac vide, à part quelques plumules d'un panicule de roseau. A. R. Fauvette à tête noire (Sijlvia atricapilla (L.). 25 mars. Entendu ce matin le premier chant de la fauvette à tête noire, à Genève. H. E. Gans. Barges à queue noire (Limosa limosa (L.). 26 mars. J'assiste aux évolutions d'un superbe vol de 18 barges, dans la Réserve. Ces oiseaux, généralement silencieux chez nous, font entendre leur cri à diverses reprises. Dès le 26 mars jusqu'à aujour- d'hui la barge s'est montrée à la station ornithologique aux dates suivantes : le 5 avril 4; le 12 avril 2; le 15 avril beau vol de 14 bar- ges en compagnie d'autant de combattants; 7 mai 2; le 8 mai 2. A. R. Corneille mantelée (Corvus cornix L.). 26 mars. Remarqué encore la présence d'une corneille mantelée dans la Réserve à cette date. Elle se trouvait en compagnie de corneilles ordinaires. A. R. Milan (Milvus migrans (Bodd.). 26 mars. Aperçu un milan au-dessus de la baie de l'Evole. W. POMY. 29 mars. Vu le premier milan aujourd'hui volant contre le vent, quai Osterwald. M. R. — 193 — 2 avril. Les milans apparaissent dans la Réserve, l'un d'eux pousse son cri plaintif. A. R. Hirondelle de cheminée (Hirundo rustica L.). 27 mars. Fidèle à ses habitudes et se conformant à la date indiquée par Necker, la première hirondelle s'est montrée à Genève aujour- d'hui, à ce que l'on me fait savoir. A. R. 29 mars. J'aperçois les premières hirondelles (il y en a 4) volant au- dessus du Rhin à Bâle. Henri Reichel. 1er avril. Vu cet après-midi une dizaine d'hirondelles volant bas sur le lac près de la Tour Haldimand (Ouchy). L'an dernier, les pre- mières que j'ai observées volaient également au-dessus du lac, à Morges, à la même date. A. G. %-^!ÇpH^pPKr »-^ ~£ ^•T'^f"* • <« Wl^^K^^""^ ^ ^^^H^^v j^r ^ -^^^L^fc ^k -qJB^ t'.m ^^^^^K ' ^-^^ÊÊ^^ « ' ^^I^^^VvB ^■Se^éi^^ ^^^^^^B^ '-* ^'^^F^KÊ^^- JH %j*T^^^ ";^K'^ g. "*«4._ ' r-^ ^^^E ^,.> ,4g^sm^^^^^m ^^H' 'l^^^^H ALF. RICHARD 12 juin 1919 L AIGLON DE NIN-ALE Agé de 6 à 7 semaines - 205 - ne se borne pas à prévenir les infractions, maïs à noter dans un agenda ad hoc les épisodes de la vie animale qu'ils sont à même de surprendre dans l'exercice de leurs fonctions. Du reste le parc est généralement respecté et les rares violations qui ont été constatées étaient dues à l'ignorance et non à l'intention. Au cours de son voyage d'inspection de sept jours, la commis- sion fédérale du parc a pu se convaincre à chaque pas des résul- tats réjouissants de la protection absolue, et de la vitalité iné- puisable de la nature vierge. Le cerf s'est acclimaté par petits troupeaux dans la plus grande partie du parc; partout les chevreuils animent les futaies et les taillis; les marmottes se sont fortement multipliées et les cha- mois se rassemblent en compagnies toujours plus nombreuses. Les divers gallinacés paraissent aussi être normalement repré- sentés dans tous les districts. Les espèces carnassières et rapaces et le gibier se maintiennent dans un équilibre conforme aux lois naturelles, et les vides causés par les gelées hivernales et les avalanches sont rapidement comblés par les nouvelles géné- rations. Ainsi, protégée contre les ravages de la chasse, la faune prospère, soumise aux seules lois de la nature. Le chasseur de la Basse-Engadine lui-même sait estimer à son juste prix la valeur idéale de l'asile que ne trouble jamais le bruit meurtrier du fusil. Des recensements mensuels, effectués par les gardes, permet- tent d'établir, approximativement du moins, le nombre des représentants des différentes espèces sédentaires (cerf, chevreuil, chamois, marmotte, gallinacés). Les chiffres obtenus de cette façon constitueront à la longue un tableau d'ensemble du déve- loppement des espèces animales du parc, et prendront en outre une valeur scientifique, lorsqu'il s'agira de déterminer le coeffi- cient de reproduction de ces espèces à l'état de liberté. Si le visiteur suit avec intérêt les animaux (qui se dérobent toutefois volontiers aux regards des curieux) son œil ne manque pas d'être frappé par la flore du parc, flore que son immobilité lui permet d'observer plus aisément. Les espèces rares se pré- sentent en grand nombre, et des espèces disparues ou à la veille de s'éteindre conquièrent de nouveaux territoires et voient s'ouvrir devant elles une nouvelle ère de prospérité. Rien ne — 208 — peut procurer à l'ami de la nature une plus grande jouissance qu'une promenade à travers les vallons verdoyants du parc, surtout à l'époque où la floraison printanière les pare d'un éclat magique. En 1920 le parc recouvrera un hôte ancien, exterminé par les hommes et qui avait disparu depuis longtemps des Alpes gri- sonnes : il s'agit du bouquetin que l'on va tenter de réinté- grer dans ses droits. Pour le repeuplement du territoire nous disposons d'un couple élevé dans le parc de St-Pierre et Paul, près de St-Gall. Cette tentative est au bénéfice d'un subside fédéral. Si, d'année en année, le Parc national présente au peuple suisse une image plus fidèle et plus complète du sol natal dans sa beauté primitive, il atteint en même temps un autre but : il procure à la science des documents précieux sur les conditions d'existence dans les hautes Alpes, sur les rapports mutuels des êtres, et sur les changements qui s'opèrent dans ce domaine au cours des temps. L'étude scientifique de la faune et de la flore du parc, de son climat et de ses particularités géographiques a déjà été méthodiquement entreprise et a pu enregistrer déjà de beaux succès. En 1918 plus de vingt naturalistes ont pour- suivi dans le parc les recherches les plus diverses. N'épargnant ni temps, ni peine, ni argent, les observateurs sont parvenus aux plus réjouissants résultats. La science forestière, en particu- lier, y a acquis la certitude — très importante au point de vue pratique — que l'abandon à elles-mêmes des forêts du parc n'en fait pas, comme on avait pu le craindre un instant, un ter- rain de culture pour les insectes xylophages i, et que, par consé- quent, le parc national ne constitue pas un foyer d'infection menaçant les territoires forestiers limitrophes. Il n'est guère besoin de rappeler que, par suite de circons- tances défavorables ainsi que de l'extension et du rapide déve- loppement du parc, les dépenses occasionnées par cette entreprise désintéressée, sont en augmentation constante. Il ne faut donc » Les conclusions de M. A Barbey, chargé de l'expertise, sont les suivantes : En résumé, à vues humaines et en se basant sur l'étude biologique des ravageurs du bois dars les forêts des hautes Alpes, le maintien dans le parc national d'arbres dépéris- sants à terre ou debout, ne peut niillement constituer un danger pour les forêts limi- trophe s non soumises à une exploitation forestière méthodique. — 207 — reculer devant aucun effort pour en assurer à tout jamais la situation financière. C'est à cette fin que sert avant tout le fonds inaliénable de la Ligue suisse pour la protection de la nature. Ce fonds s'est considérablement accru, l'an passé, grâce à la générosité d'une série de donateurs qu'enthousiasme notre cause. Mais tous ces efforts seraient infructueux -si la Protection de la nature ne pouvait compter sur l'intérêt toujours actif, sur l'aide sympathique et efficace du peuple suisse dans son ensem- ble. Malgré la guerre et la misère sociale, le nombre des mem- bres de la Ligue s'est élevé à 24,573. Il y a pourtant encore des milliers de citoyens qui pourraient et devraient se joindre à elle et témoigner par là leur volonté de ne pas négliger, malgré les difficultés momentanées, la poursuite d'une œuvre idéale et patriotique, dans le sens le plus élevé du terme. Divers. Destruction des vers blancs par des merles. Au cours de la longue période de sécheresse qui, en cette année 1919, s'est étendue sur mai et juin, j'ai été attiré au début par les allées et venues de merles constamment occupés à fouiller le sol d'une petite pelouse sise sur le devant de mon habitation. Tout d'abord, j'avais supposé que ces oiseaux cherchaient là des vers de terre et je n'\' attachai pas davantage importance. Mais, un jour, examinant la chose de plus près à la jumelle, je fus fort étonné de voir un merle avec un ver blanc ou larve de hanneton au bec. Je voulus dès lors approfondir le sujet et savoir comment le merle découvre et capture sa proie. L'herbe de la pelouse, rase, desséchée par le soleil, laissait voir aisé- ment le terrain et voici ce que je pus observer. Le man perce une très courte galerie d'aération, souvent de 1 à 3 cm. de long, qui s'ouvre à la surface du sol par un trou gros comme l'épais- seur d'un crayon. Les merles, en gens avisés, avaient eu connaissance de ce menu détail bien avant moi. C'était là leur point de repère. La chasse, sans cesse renouvelée, peut se décrire ainsi. Un merle s'abat sur la pelouse; il sautille, la tête bien droite, s'arrête de temps à autre pour inspecter les lieux, puis penche la tête de côté pour voir d'une façon plus précise le trou qu'il vient de découvrir. Maintenant, le voici — 208 — en arrêt devant l'ouverture de la galerie qui mène à la proie convoitée. Campé sur ses deux pattes, l'oiseau joue du bec, de droite et de gauche avec une extrême rapidité, enlevant ainsi un peu de terre pour creuser la cavité. Parfois son impétuosité est telle qu'il en est rejeté en arrière, mais d'un bond il revient à la charge; piquant dans l'ouverture, il en- fonce son bec long et effilé, bien approprié à cet usage, pique et repique et retire comme avec une pincette la larve de hanneton. Toute la scène s'est déroulée en quelques secondes. Victorieux, le merle se promène alors par petits sauts cadencés et mesurés, la larve au bec, se pavanant, fier d'exhiber sa capture. Puis, frappant à coups redoublés sur le sol, d'estoc et de taille, il découpe le man et en avale des lambeaux. Deux merles surtout, un superbe mâle et sa femelle, mais surtout le mâle, se sont en mai, juin et jusqu'aux premiers jours de juillet, achar- nés à dévorer ainsi les vers blancs de la pelouse. Jamais je n'aurais sup- posé que cejle-ci pût contenir pareille surabondance de vermine. A toute heure du jour, j'ai vu les merles au travail. Curieux de statis- tique, j'ai compté une fois, prise au hasard, cinq vers blancs capturés en un quart d'heure. En calculant au plus bas, on peut certifier qu'un de ces oiseaux a détruit une centaine de larves de hannetons dans la journée, ce qui fait un minimum de 10,000 (dix mille) larves dans la saison. Le couple m'a donc débarrassé de plus de 20,000 hannetons et cela sur une étendue de terrain très réduite, d'environ cent mètres carrés. Au commencement de juillet, le gibier s'est fait décidément plus rare et cela se conçoit aisément. Le 3 de ce mois, à 8 h. 22 du soir, le merle mâle est encore en chasse et attrape un man. Puis, il donne ci et là quelques coups de sonde, probablement dans des trous déjà pré- cédemment explorés, car les tentatives restent infructueuses. A 8 h. 34 cependant, nouvelle capture. ■ — ^ Le 6 juillet, les oiseaux exploraient encore le terrain à 8 h. 40 du soir, mais sans grand succès, alors que volait déjà la chauve-souris, à l'heure où le jour tombe et où le merle cesse de bien distinguer les objets. On a dit beaucoup de mal du merle, mangeur de fraises et de cerises : on peut bien lui accorder ce petit dessert, en considération des services qu'il nous rend d'autre part. Maurice Boubier, prof. liéligoland, paradis des oiseaux. The Royal Society for the protection of Birds, la puissante institution britannique pour la protection des oiseaux vient de suggérer au sujet — 209 — de cette île une idée aussi intéressante qu'originale : Héligoland de- viendrait le « paradis des oiseaux ». Voici comment et pourquoi : Le rocher d'Héligoland jouit, depuis un grand nombre d'années auprès des ornithologistes, d'une réputation d'un ordre tout à fait spécial : en aucune région de l'hémisphère nord on ne saurait rencon- trer autant d'oiseaux d'espèces difïérentes. Ces oiseaux, qui ne font d'ailleurs qu'un très court séjour à Héli- goland, appartiennent à trois cent quatre-vingt seize espèces variées K Héligoland est donc un lieu tout particulièrement indiqué pour per- mettre aux savants d'étudier ces oiseaux à loisir. Si la gent ailée affectionne tellement l'île en question, cela tient à ce que Héligoland se trouve exactement placée sur une des « routes » les plus importantes suivies par les oiseaux dans leurs migrations. Comme Héligoland se trouve, en outre, située à une distance de vingt milles de la côte la plus rapprochée (Schleswig-Holstein), et comme elle est le dernier vestige d'une immense étendue de terre au- jourd'hui submergée par les eaux, elle constitue pour les oiseaux migra- teurs, non seulement un excellent point de repère, mais encore un endroit de repos pour ceux qu'a fatigués un long voyage vers le Nord ou vers le Sud. C'est surtout à l'époque des migrations d'automne que les oiseaux abondent à Héligoland, lorsqu'ils reviennent des régions arctiques vers les climats chauds du Midi. Les naturalistes ont observé que l'île d'Héligoland était le point de jonction de trois routes différentes suivies par les oiseaux migrateurs, soit qu'ils viennent des pays Scandinaves, du Danemark ou de 1 "Alle- magne du Nord. La plupart de ces oiseaux traversent alors la mer du Nord, se diri- geant vers l'Angleterre, où ils arrivent sur les côtes du Norfolk et du Yorkshire. Jusqu'à l'heure actuelle, le séjour des oiseaux à Héligoland a été très meurtrier pour eux : en effet, les habitants y organisent périodique- ment de grandes battues pour revendre sur le continent les oiseaux qui sont tombés sous leurs coups. C'est cette destruction sauvage et systématique que la Société "de protection des oiseaux se propose d'arrêter. Mais il est encore une autre raison qui cause la mort d'un nombre considérable d'entre eux : les pauvres oiseaux migrateurs sont attirés ^ La faune d'Héligoland est surtout connue grâc^- à Touvi-age du peintre-ornitbo- logue Gâtke, intitulée : Die Vogelnarte Helgoland. — 210 — la nuit par les projecteurs des phares et, volant à toute vitesse, ils tournent jusqu'à épuisement autour des appareils lumineux. C'est surtout par les nuits de brouillard que se produit ce genre d'accidents. Les Héligolandais, qui en sont avertis, se rassemblent au pied des phares et ramassent, par charretées, les cadavres des oiseaux. Calendrier ornithologique. Qrèbe huppé (Podiceps cristatus L.). 8 mai. Soudain apparaissent un nombre inusité de grèbes dans la Réserve : on en compte 200 à la station ornithologique. Le 14 il n'y en avait plus que 2. Passage ? A. R. Canard sif fleur (Mareca penelope h.). 14 mai. Observé deux mâles superbes à la station. Revu les mêmes les 17, 21 et 29 mai. Des constatations faites les 5 juin, 15 juin, et 5 juillet me font supposer que ces oiseaux y ont niché, sans que j'aie pu en acquérir la preuve. A. R. Alouette lulu (Lululla arborea L.). 17 mai. Entendu le chant de l'alouette lulu près de la Marnière de Hau- terive. Cet oiseau aime les coteaux, les petits vallons à mi-hauteur, mais non la plaine du Seeland où je ne l'ai point entendu chanter jusqu'ici. • A. R. Hérons garzettes. — Observés et dessinés par M. H. — 211 — Héron garzette (Egrella garzetla h.). 17 mai. Etant en tournée à la station ornithologique, j'aperçois à une distance de 4 à 500 mètres deux hérons que leur blancheur imma- culée fait distinguer de loin. Ils me laissent du reste approcher à 50 mètres ; un héron cendré, perché à proximité, et qui me sert de point de comparaison, me permet de les reconnaître immédiatement pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire pour des garzettes et non des aigrettes. Le héron cendré ayant donné l'alarme les trois oiseaux se mettent à l'essor; je note les battements d'ailes beaucoup plus rapides des deux jolis hérons blancs, leurs pattes ramenées sous la queue et la dépassant de beaucoup, et leur cou qu'ils replient sur lui-même à la façon de leurs congénères lorsqu'ils sont au vol. Revus par moi le 21 mai, par les délégués de notre société et les autorités cantona- les et fédérales, à l'occasion d'un rendez-vous sur place, le 28 mai, par notre dessinateur le 29 mai, dernière observation. Ce bel oiseau est fort rare chez nous. Le dernier, dont j'aie connaissance, fut cap- turé par le D^" Narbel de Lausanne, à Vidy, le 10 mai 1899, et je me rappelle qu'à cette occasion le conservateur du Musée de Lau- sanne affirma qu'il y avait soixante ans qu'on n'avait plus vu cet échassier au bord du Léman. Selon Fatio toutefois, il paraîtrait en Suisse tous les trois ou quatre ans. Dans la Liste distributive il est marqué, avec raison je crois, d'un astérisque, ce qui signifie rare ou même très rare. La garzette est un oiseau plutôt méridional, très répandu en Afrique et en Asie. En Europe elle se reproduit dans les marais du Danube et sur les côtes des mers Noire et Caspienne. Grèbe huppé (Podiceps cristatus L.). ^- ^• 17 mai. Je reçois deux grèbes de provenance différente. Ce sont tous deux des mâles, dont l'un pèse 1106 gm., l'autre 1144 gm. L'esto- mac du premier, bourré de plumes, contient en outre les pharyn- giens d'un petit cyprin (ablette de 12 cm,). En outre les élytres d'une quantité de coléoptères. L'estomac du second ne renferme que des plumes. A. R. Coucou (Cuculiis canorus L.). 17 mai. Entendu au bois du Chablais deux coucous, dont l'un semble répondre à l'autre, mais chante de quatre ou cinq tons plus haut que lui; parfois les chants sont simultanés et produisent une con sonance harmonieuse. A. R. Blongios (Ardetta minuta h.). 23 mai. On m'apporte, de la part du D^' G. B. d'Auvernier, un héron blongios ramassé vivant mais avec une patte cassée sur la voie du tramwav. Cet oiseau a sans doute été victime du même accident — 212 — que le butor de Chevroux (voir bulletin précédent) : il aura heurté le fil conducteur, au crépuscule ou dans la nuit. L'exemplaire en question est une femelle dont l'habit de noces, pas encore parfait est très joli tout de même. Les œufs sont à différents stages de leur développement, les plus gros de 4 mm. Poids 114 gm. A. R. Petit gravelot (Aegialitis dubia Scop.J. 29 mai. Un individu solitaire à la station. M. Reichel. 31 juillet. Aperçu sur les môles de la Broyé trois ou quatre gravelots, en compagnie d'autant de guignettes. A. R. Chevalier gambette (Totanus calidris L.). 29 mai. 5 gambettes à la station. Ces oiseaux y ont passé l'été et y ont été aperçus les 5 juin et les 5 et 26 juillet entre autres. A. R. Pie=grièclie à poitrine rose (Lanius minor Gm.j. 5 juin. Observé sur un peuplier, au bord de la route, prés du pont de La Sauge, un représentant de cette espèce. M. Reichel. 7 juin. L'observation du 5 juin se confirme. Un couple de pies-griè- ches roses s'est fixé pour la première fois dans le voisinage immédiat de la station. A. R. Bruant jaune (Emheriza citrinella L,.). 15 juin. Un nid de bruant jaune découvert le 5 juin à 1 m. 30 du sol, avec quatre œufs contient aujourd'hui quatre petits encore aveu- gles. Ce nid est placé dans la claie de vernes d'une caponnière, ouvrage de fortification construit au bord du lac, dans la Réserve, pendant la guerre. 29 juin. Sortie du nid des quatre petits. M. Reichel. Vanneau huppé (Vanellus vanellus h.). 22 juin. Aujourd'hui à 8 heures du soir j'ai vu passer sur le lac, près de Genève, un vol d'environ 100 vanneaux se dirigeant vers le sud-ouest. S'agit-il d'une de nos colonies suisses, peut-être celle du Seeland, accomplissant sa migration estivale ? J. de MoRSiER. (Réponse de la Réd. : Nos vanneaux du Seeland ont quitté la colonie entre le 21 et le 28 juin. Toutefois le 21, il y avait encore des jeunes à la station ornithologique, provenant de couvées retardées, et les vanneaux ne paraissaient pas être à la veille de leur départ. Pour le moment il est difficile de se prononcer d'une façon catégorique sur l'intéressante observation de notre correspondant que nous nous bornons à enregistrer.) i^ ALF. RICHARD L AIGLON DE NIX-ALE Agé de 7 à 8 semaines 21 juin 1919 ^^HHi K^'^^BH^HI! ^^^ Hh^H B ^^^1 ■nnaM^ h ^"^# '^i^^^l ^^^^^^^^^^^^^k ^1 ^^^^^^^^H ^■K ^ i'^^'^^^H l^^l ^^M ^H| ^F '^^^Hjf^^^^^l ^P 1 IB^rimHi l^^^^^^^^^ll^^^l^^^^^^^l N«>34 NOVEMBRE 1919 NOS OISEAUX BULLETIN DE LÀ SOCIÉTÉ ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LÀ PROTECTION DES OISEAUX Etudes ornithologiques. Excursions au nid de l'aigle royal. III. ESCALADE D'UNE AIRE ET PHOTOGRAPHIE d'uN AIGLON Le 24 juin de cette année je partis pour Nïn-ale ^ par un temps douteux avec l'intention de parvenir si possible dans l'aire et d'en photographier l'occupant. Mes deux compagnons habituels m'y avaient pré- cédé, et lorsque je les rejoignis au pied de la muraille finale, je les trouvai en train de lier ensemble deux petits sa- pins ébranchés. C'est que nous avions décidé de procéder un peu autrement qu'il n'a été dit dans un précédent arti- cle et de caler notre mât improvisé, non sur l'éperon rocheux précédemment dé- crit, mais plus bas dans la fente, en l'y coinçant au moyen de grosses pierres, après l'avoir dressé verticalement con- tre la paroi. Malheureusement ce que l'appareil gagnait ainsi en hauteur, il le perdait en stabilité. En effet son extrémité supérieure étant libre, c'est-à-dire n'appuyant pas contre le rocher, il allait nécessaire- (1) Aiglon californien de 55 jours d'après photo, de H. T. Bohlman. ^ Voir Nos Oiseaux N° 33 : Un vieux nid. — 214 — ment fonctionner comme un levier, où le grimpeur représentait la force et les hommes placés au pied, la résistance. Et il était à craindre que le grimpeur s'élevant et le bras de levier s'allon- geant en proportion, la force ne vînt à triompher de la résis- tance. Sur quoi il serait arrivé ceci : la perche décrivant dans les airs un arc de cercle aussi superbe que redoutable eût projeté dans l'abîme, par-dessus l'éperon, l'homme agrippé à son som- met. Après une première tentative, où la pointe du sapin de faîte se mit à osciller d'une façon assez significative pour me faire battre en retraite, je repris mon ascension, bien décidé cette fois à parvenir au but. Tout en montant, obligé par des tronçons de branches coupés trop longs à écarter les jambes et les bras du tronc, tandis que je serrais celui-ci des mains et des pieds, je pensais involontairement aux ours de Berne, grimpant aux arbres polis et décharnés de leur fosse, avec la grâce qui leur est parti- culière. A mesure que j'approchais de l'aire, il fallait avancer plus prudemment et veiller à ne pas imprimer de secousse à ce mât de cocagne au bout duquel j'allais décrocher, comme piix de mes efforts, l'image d'un aigle au berceau. Le moment vint toutefois, où tenant de la main gauche la pointe de mon perchoir, je fouillai l'aire de la droite pour y trouver quelque prise. Les herbages desséchés que j'y rencontrai me restaient dans la main et je fus quelque temps avant de pouvoir me hisser sur le bord de l'ànfractuosité. Mes compagnons me criaient de ne pas lâcher la perche de salut qui me reliait à eux, craignant le moment où ils perdraient tout contrôle sur mes mouvements. Il fallut ce- pendant bien m'y résoudre et durant un instant, la poitrine et les coudes dans l'aire et les jambes dans le vide, je restai sans savoir trop comment avancer. Que se passa-t-il alors ? Mes amis à l'imagination trop vive et l'esprit trop tendu, crurent me voir glisser en arrière. L'un d'eux lâchant le pied du sapin bondit sur l'éperon pour me saisir au passage en cas de chute, tandis que là-haut, la face contre le sol et très absorbé par des questions d'équilibre et de rétablissement, je ne me doutais de rien et que l'instant d'après j'étais debout dans l'aire. L'aire. C'est avec je ne sais quel sentiment de respect, comme devant — 215 - un sanctuaire, sentiment auquel se mêlait de l'étonnement et même un certain saisissement, que j'explorai d'un coup d'œil rapide le lieu où je me trouvais. Et si tout au fond de mon être dominait la joie intime du succès, celle que ressent l'alpiniste debout sur une cime vierge, cette joie était cependant tempérée par le souci de ce qu'il me restait à faire. Tout d'abord il s'agis- sait de replacer l'aiglon dans son nid. J'ai oublié de dire en effet que, quelque temps auparavant, pour le sauver lui et ses parents d'un complot tramé contre son existence, mes compagnons avaient dû le dénicher (lors d'une première expédition à laquelle je n'avais pu prendre part). C'est au moyen d'un sac attaché au bout d'une longue corde et sans incident que je le remontai dans l'aire. Aussitôt arrivé il se coucha sur son nid, comme s'il ne l'avait jamais quitté. Ceci fait, j'abordai l'examen de l'aire. C'était une niche spacieuse au plancher parfaitement uni, autant qu'on en pouvait juger, et affectant la forme d'un triangle, dont la base ou le devant pouvait avoir de 3 m. 80 à 4 mètres de long, et dont le sommet, s'enfonçant en coin dans l'épaisseur de la roche, était à 2 m. 30 à 2 m. 50 de la base. A une certaine hauteur au-dessus de ma tête le plafond de la niche se recourbait en une voûte magnifique, faisant saillie sur l'abîme et abritant Je nid de la pluie, de la neige et des rayons trop ardents du soleil. Le nid proprement dit n'était qu'un amas formidable de maté- riaux, dans lequel les branches et branchettes de mélèze domi- naient et où je remarquai en outre quelques rameaux d'arolle plus ou moins frais, et des touffes de blette (Festuca duriuscida, L.). On comprendra mieux les vastes proportions de cet éfidice, si je dis qu'il remplissait si bien l'anfractuosité décrite plus haut qu'il ne me laissait qu'un très petit espace dans le coin, où me tenir debout. On aurait tort d'autre part de se le figurer comme creux au milieu : non, c'est une pyramide ou plutôt un cône tronqué dont le plan supérieur, à peine excavé, est à 1 m. 10 de la base. Et les matériaux en sont si bien tassés qu'ayant eu la curiosité de m'asseoir sur ce trône royal, c'est à peine si je le sentis céder sous mon poids ^. Je note qu'il est d'une propreté 1 Yarrell fait à ce propos et concernant les aigles d'Ecosse, la remarque suivante : The nest, of very large size, while it appears loose, is yet so firm as scarcely to yield to the weight of a man. — 216 — parfaite. Quelques petites taches excrémentielles seulement dans la partie du nid voisine du rocher. En fait d'ossements la récolte est mince (ce qui me paraît étrange pour un nid de cet âge) : deux de marmotte, un de gallinacé et un de lièvre. En outre une pelote composée entièrement des poils blancs du lièvre des Alpes et quelques plumes d'aigle, soit deux rectrices externes de 37 centimètres, une grande couverture et deux sus-caudales. Sur la droite de l'aire, hors de ma portée, tout au bord de l'abîme, s'épanouit une crucifère aux fleurs d'un jaune vif. Je crois recon- naître l'érucastre fausse-roquette (Eriicastrum obtusangulum R.) que j'ai recueillie également dans le nid du grand-duc. Les livrées successives de l'aiglon. L'examen de l'aire terminé je me dispose à en photographier l'hôte actuel. Ce n'est pas chose aisée. Il faut faire vite, car le temps se gâte, et cependant manœuvrer dans un espace si res- treint, que la moindre distraction serait fatale. Un pied au ras de l'abîme, un genou contre le nid et l'un des soutiens de l'ap- pareil planté profondément dans les flancs de cette solide cons- truction, je prends successivement six vues de mon client, à guère plus d'un mètre de distance, vu l'impossibilité où je suis de prendre du recul. Après quoi j'effectue la descente (il est plus difficile encore de sortir de l'aire que d'y entrer) sans accident, et rejoins mes compagnons aussi heureux que moi du succès de notre entreprise. Les vues de l'aiglon au nid que j'en ai rappor- tées, dont deux reproduites ici, m'ont fourni d'intéressantes comparaisons avec celles prises par H. T. Bohlman en Califor- nie (1904) et H. B. Macpherson en Angleterre (1909). A l'aide de ces documents et des observations que j'ai pu faire jusqu'ici, j'ai cherché à établir l'âge auquel correspondent chez le jeune aigle les livrées successives qu'il revêt au cours de son dévelop- pement. C'est ainsi que la période du duvet, celle où l'oiseau est parfaitement blanc, durerait quatre semaines environ. Après quoi l'on voit poindre les rémiges et les rectrices en même temps que des plumes noires, en particulier au haut du dos (région scapulaire), sur le devant du cou et des deux côtés de la poi- trine. A six semaines l'aiglon, encore revêtu en partie du duvet de l'enfance, porte déjà un joli petit manteau noir, qui fait avec — 217 — la parfaite blancheur du premier le plus charmant contraste i. L'on voit ensuite les plumes noires du devant du cou augmenter et former ce que j'appellerai la cravate ou le jabot; et conjointe- ment avec les plumes foncées apparues sur les flancs, celles de la cravate circonscrivent un espace blanc, de forme particulière : le plastron. La vignette en tête de cet article représente un aiglon californien à l'âge de la cravate et du plastron (55 jours). Notre seconde photographie du numéro précédent ^ montre l'aspect d'un jeune aigle suisse à la même époque de sa vie. Sur les deux vues publiées ici même enfin l'aiglon se trouve encore dans cette phase de la cravate et du plastron, mais ce dernier est déjà en voie de disparition, tandis que le blanc de la tête n'est déjà plus tout à fait pur; il s'en ira à son tour et l'on aura pour finir la livrée brune de l'aigle adulte. Ces phases successives s'accom- plissent pendant le séjour de l'oiseau dans l'aire, séjour qui peut durer trois mois et peut-être davantage. L'aiglon que j'obser- vai pendant 72 jours en 1915 (1^^ juin au 11 août) ^ et qui était né depuis quelque temps lorsque je le vis pour la première fois, ne quitta pas le nid de son plein gré. J'ai noté qu'au moment où cet événement se produisit, les grandes rémiges n'avaient pas encore terminé leur croissance (aile pliée : 62 cm.). L'aiglon attendrait donc pour quitter l'aire que son aile soit entièrement développée. Macpherson qui assista au départ, mais pas à la naissance de l'oiseau observé et décrit par lui, affirme que son séjour au nid fut de onze semaines. Braess, dans l'article qui accompagne les vues prises par Bohlman, lequel a suivi le déve- loppement de ses deux aiglons de l'éclosion au départ, constate que la durée du séjour au nid est de trois bons mois. En sorte que l'on a pu dire très justement que s'il faut quatre semaines à la nature pour produire une linotte, pour un aigle elle exige quatre mois. L'élevage d'un jeune aigle. L'éducation de l'aigle de Nïn-ale s'acheva non pas au nid, mais dans la station alpestre la plus voisine. Après le premier dénichage et la protection du nid une fois obtenue, mon inten- ■ Voir Nos Oiseaux N° 33, page 204. - Voir Nos Oiseaux N" 33, page 213. ^ Voir Nos Oiseaux N°« 11 et 12. — 218 — tioii avait été de le rendre à ses parents. Mais ceux-ci, crai- gnant sans doute une embûche, et n'ayant pas répondu de toute une journée aux appels désespérés de leur rejeton reporté sur les lieux, je dus à mon grand regret renoncer à ce projet. A propos de l'expédition-sauvetage à laquelle je ne pus mal- heureusement pas prendre part, je crois devoir consigner ici une observation étrange et dont tous les participants m'ont affirmé la véracité. Lorsqu'ils arrivèrent au pied de la paroi de Nïn-ale, ils eurent affaire à trois aigles adultes, dont l'un resta sur le nid, recouvrant le petit de ses ailes jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire jusqu'à l'arrivée du dénicheur au niveau de l'aire, et dont les deux autres, plongeant hardiment et à tour de rôle, du haut des airs sur la tête de leurs agresseurs, cherchaient par ce manège à les détourner de leur entreprise. Mes amis sont persuadés que le troisième aigle adulte n'était autre que l'aiglon de l'an passé prêtant assistance à ses parents. Quoi qu'il en soit de ce fait, et de l'explication qu'en donnent les témoins, force nous fut d'élever nous-mêmes, comme je l'ai déjà dit, l'aiglon ravi à sa famille. Et cet élevage, ayant eu lieu dans le milieu naturel du jeune oiseau, et dans une relative liberté, fut couronné d'un succès remarquable. Au début la nourriture de notre élève consiste surtout en viande désossée; peu à peu s'y ajoutent des animaux péris par accident, oiseaux, jeunes marmottes apportées par les bergers, campagnols et mulots pris au piège, et même des serpents et des grenouilles, ces dernières dépouillées de leur peau visqueuse. A ce régime l'aiglon prospère; je note dans mon carnet les mesures et les poids suivants : Poids 13 juin : 2 kg. 920. 24 juillet : 4 kg. 200 23 juin : 3 kg. 340. 27 août : 5 kg. Mesures 27 août : ongle du pouce : 6 centimètres ongle interne : 5,4 cm bec en suivant la courbe : 6,5 cm. 12 septembre : ongle du pouce : 6,5 cm. ongle interne : 6 cm. aile pliée : 70 cm. — 219 — Je cueille en outre dans le même carnet les observations que voici : 26 août. De joiir en jour l'aiglon augmente en vigueur et en beauté. Je remarque qu'après un repas copieux (il vient de déglu- tir les trois quarts d'un agneau nouveau-né), il éprouve le besoin d'exercer ses forces. Comme presque quotidiennement, je lui ai ouvert ce matin la porte de sa cabane pour une promenade dans les environs. A peine sorti, je le vois se précipiter sur un morceau de bois, (auquel il attribue sans doute, pour les besoins du moment, le rôle de marmotte), y planter ses serres, l'enlever dans les airs, le laisser retomber, le rattraper encore une fois et le travailler des ongles et du bec avec une vigueur ridicule, étant donné l'objet. Bientôt il ne s'en tiendra pas aux morceaux de bois et attaquera un jeune chien de chasse qui ne doit son salut qu'à une prompte intervention de son maître. Puis ce sera le tour d'un malheureux poulet. L'insouciant volatile s'est aventuré dans la petite cour de l'aigle, et aussitôt poursuivi, acculé contre un mur et saisi, a passé en un clin d'œil de vie à trépas. Que ne peut-on cultiver de si brillantes dispositions et les employer pour la chasse ! Le naturaliste russe Pallas, ainsi que Brehm, nous racontent que les Kirghiz dressent l'aigle royal pour traquer le renard, et même le loup, et qu'un de ces oiseaux dressés, à supposer que son maître veuille s'en dessaisir, a la valeur de deux chameaux ou d'un cheval de prix. Au moyen âge les fauconniers d'Europe s'en servaient pour le même usage, mais point couramment, car, ainsi que le remarque Belon « l'aigle est moult grande et lourde à porter sur le poing » et « pour ce qu'elle est audacieuse et puissante, pourrait faire violence si elle se courroussait contre le fauconnier, et lui blesserait le visage. » 31 août. Dimanche. Grand beau. Je fais faire à l'aigle sa pro- menade quotidienne. Notre but est un petit lac qui se trouve non loin de là et où mon élève aime à se baigner. Il en sait le chemin et court devant moi à longues enjambées. Onze heures viennent de sonner et, de la petite chapelle située sur une émi- nence, parmi les sapins, les fidèles commencent à déboucher dans la prairie. Un rassemblement ne tarde pas à se former et peu à peu les pentes voisines se couvrent de gens, indigènes et — 220 — hôtes de passage, arrêtés là pour assister au bain de l'aigle. On se tient à distance respectueuse dans l'attente des événements : enfin l'oiseau royal se décide à entrer dans l'eau et s'y trempe, malgré sa taille et sa dignité, à la façon des petits oiseaux. On le voit agiter ses grandes ailes à demi fermées, et faire bouillon- ner l'eau tout autour de lui, puis plonger et replonger sa tête au milieu des remous, et projeter sur son dos des ondées succes- sives et rafraîchissantes. Les assistants ne se lassent pas de ce spectacle, car, beaucoup s'en rendent compte, c'est une chose peu banale que de contempler, dans ce cadre magnifique, au bord de ce petit lac de montagne, le bain d'un aigle captif — et pourtant libre. 5 septembre. Je conduis mon élève dans un pâturage isolé pour l'y photographier une dernière fois. Sa force et sa vivacité augmentant, il est difficile de le faire tenir en place. Soudain, prenant le vent, l'aiglon, devenu aigle, déploie ses grandes ailes et accomplit son premier vol. Nous restons comme figés sur place, et, croyant à un adieu définitif, nous ne songeons pas même à le poursuivre. Mais non : après avoir parcouru une centaine de mètres, il s'abaisse et disparaît sur l'autre versant du pâturage, où nous ne tardons pas à le retrouver. Il paraît même nous y attendre; toutefois j'ai quelque peine à le ramener — invitas invitam — dans son bercail. Avant cette fugue, un peu prévue du reste, de notre intéressant client, nous avions pu en prendre différents clichés, soit perché sur quelque rocaille \ soit courant sur la pente les ailes déployées. C'est d'après un de ces derniers qu'a été fait le dessin reproduit ici. On remar- quera en comparant les deux gravures que si l'aigle à cette épo- que de sa vie et au repos, est d'une teinte uniforme, il n'en va pas de même lorsqu'il est à l'essor : dans cette position apparaît une zone blanche considérable à la queue, et un petit « miroir » de la même couleur à l'aile. On pourra y faire en outre une constatation d'une autre nature et se rendre compte à quel degré de prestance notre oiseau est parvenu. En le voyant si beau et si fort les nombreux visiteurs qui se sont succédé, au cours de cet été, devant le treillis de son humble cabane, ou qui ont pu le suivre dans son développement, ont tous fini par ^ Voir à la dernière page. Ai.F. p.icnAnn Xïn-ale. 2'f juin 1910 l'aiglon debout dans son aire — 221 — éprouver un même sentiment : c'est que cet oiseau superbe est fait pour la liberté, qui seule lui permettra de s'épanouir com- plètement. Et je me souviens du mot de Pline le naturaliste, à Premier vol. propos de Lélius Strabon, inventeur des cages, et je dis avec les amis de l'aigle de Nïn-ale : N'enfermons pas dans des prisons «des êtres que la nature a créés pour les espaces célestes.... » *quibus rerum natura caelum adsignavit. Alf. Richard. Protection. Les oiseaux aquatiques nuisent=ils à la pisciculture ? ^ Dans la nature règne la loi de Véquilibre et nulle part cela n'est aussi évident qu'en ce qui concerne les habitants de l'eau. Ceux-ci sont en effet absolument dépendants les uns des autres. Si l'homme s'avise d'intervenir en mettant son poids dans l'un des plateaux de cette balance, infailliblement le contre-coup ' Traduction faite pour Nos Oiseaux d'un article paru dans la Nouvelle Gazette de Zurich du 9 septembre 1919. — 222 — s'en fait sentir sur l'autre. Dans un lac il faut des poissons et des oiseaux. En détruisant les uns nous serons sûrs d'amener la mort des autres. Si ce sont les poissons que nous faisons dis- paraître, les oiseaux aquatiques piscivores n'ayant plus rien à manger dépériront ou émigreront. Si ce sont les oiseaux, les poissons sont irrémédiablement perdus. Nous pouvons observer comme quoi les oiseaux plongeurs (grèbes et plongeons) s'attaquent en premier lieu aux poissons présentant quelque anomalie dans la coloration, tels ces pois- sons marqués de taches claires aux endroits atteints par la ma- ladie. Il faut noter que ces individus-là, rendus plus visibles, sont en même temps moins agiles et par conséquent plus faciles à capturer. Ce n'est pas à dire que les plongeurs ne s'attaquent aussi à des poissons sains. Toutefois en faisant disparaître les poissons contaminés, ils exercent cette police des eaux capable de sauver d'une destruction complète les réserves ichtyologi- ques d'un lac entier. — La foulque est, comme il est facile de le constater, beaucoup plus végétarienne que piscivore. C'est non pas des centaines, mais des milliers de fois que nous l'avons vue remonter à la surface, le bec plein de plantes aquatiques, de myriophylles surtout. Tout ce que cet oiseau trouve sous l'eau, il a coutume de le ramener à la surface, afin de l'y réduire en morceaux assez menus pour être avalés commodément. Eh bien, au cours de près de trente ans d'observation, nous ne l'avons vu qu'à deux reprises ayant au bec quelque petit poisson dont une chance exceptionnelle lui avait permis de s'emparer. La foulque est en effet tout à fait incapable de poursuivre les pois- sons sous l'eau, pas plus qu'elle n'est organisée pour pouvoir nuire à leur frai. Son bec pointu ne lui permettrait guère que de prendre un œuf à la fois, et comme il lui faudrait à chaque reprise venir à la surface pour consommer si petite bouchée, un pareil système d'alimentation ne manquerait pas de la faire mourir de faim. Comme destructeurs de frai entrent en ligne de compte, outre les poissons eux-mêmes, certains canards. Or, on peut constater dans les établissements de pisciculture, que le frai une fois malade ou en voie de dépérissement se pare de vives couleurs, de rouge et de bleu par exemple, tandis que les œufs en santé ont une teinte aussi peu apparente que possible. Par — 223 — là la nature semble inviter les oiseaux à faire disparaître les organismes atteints de maladie. Nous avons sur nos lacs des canards nageurs et des canards plongeurs. Parmi les premiers le canard sauvage passe toute l'année chez nous, tandis que les plongeurs n'apparaissent qu'en hiver. Les canards nageurs ne peuvent s'emparer du frai que lorsqu'il se trouve sur des bas-fonds, parce qu'ils ne s'im- mergent jamais entièrement lorsqu'ils cherchent pâture. Pour eux n'entrent donc en ligne de compte que le frai des poissons blancs, se reproduisant en été, tels que la vandoise, le chevaine, le ro- tengle, etc., et peut-être le brochet. Les truites, qui frayent en automne et en hiver, protègent leur frai en le déposant dans des excavations et en le recouvrant de gravier et de sable. Quant aux frayeurs d'été ils sont extrêmement abondants et pondent leurs œufs par milliards, en sorte que les canards qui pourraient s'y attaquer sont tout à fait incapables de leur causer un dom- mage appréciable. Au reste les alevins de ces espèces-là éclosent déjà au bout de quelques jours, quinze au plus; le frai ne reste donc à la disposition des amateurs éventuels que fort peu de temps. Les canards-plongeurs nous arrivent à l'époque de la fraye des corégones. C'est un fait qu'ils s'attaquent aux œufs de ces poissons, mais là aussi sans causer de tort. Le plus abondant des canards plongeurs est le morillon. Or cet oiseau plonge le plus volontiers là où les eaux n'ont que deux à quatre mètres de fond. Quant au milouin c'est déjà trop pour lui. Il est vrai que le garrot ne redoute pas de plus grandes profondeurs (6 à 7 mètres); toutefois il n'est pas assez abondant pour causer grand mal. Notons que dans les lacs de la Suisse centrale les frayères des corégones se trouvent à des profondeurs allant de 2 à 20 mètres et plus, fonds où elles sont hors d'atteinte, aucun canard plongeur n'allant jusque là. Quant au frai de la truite, il est à l'abri de leurs tentatives pour les raisons indiquées à propos des canards nageurs. Du reste les premiers ne fréquen- tent point les ruisseaux. La profondeur à laquelle fraye l'omble- chevalier place ses œufs hors de portée. Les râles sont surtout insectivores et ne font pas de tort au frai. Les mouettes et les hirondelles de mer ne sont pas en état — 224 — de nuire à la pisculture : ces oiseaux ne s'attaquent pas au frai; comme d'autre part ils ne peuvent s'emparer que d'objets voi- sins de la surface, il est rare qu'ils puissent capturer des poissons en santé. Les hirondelles de mer sont surtout insectivores. J'ai vu certaines espèces de poissons, aussi bien les ordinaires que celles dites « nobles » disparaître d'un lac ou du moins diminuer à tel point que pendant des années on n'en péchait plus. Et j'ai pu constater que ce phénomène se produisait là où une chasse trop intense décimait les oiseaux aquatiques. Grâce à des mesures intelligentes les poissons disparus revinrent et augmentèrent à tel point qu'on peut de nouveau en prendre de grandes quantités. Cette augmentation du poisson correspond à la création sur le dit lac d'un Refuge pour les oiseaux aqua- tiques. Voilà la meilleure preuve que ces derniers ne peuvent entamer les réserves ichtyologiques de nos lacs. Une multi- plication excessive des canards n'est pas à redouter, par le fait de la chasse et du braconnage, en sorte que l'équilibre se main- tient. Les poissons eux-mêmes concourent à ce résultat, car bien des canetons et petits plongeurs sont les victimes du vorace brochet lorsqu'ils risquent leurs premiers plongeons ou qu'ils s'essayent à nager parmi les roseaux en agitant leurs petites pattes. Ajoutons que nos établissements de pisciculture élèvent de telles quantités d'alevins et les protègent si bien contre leurs ennemis et les maladies qu'il est impossible de concevoir même une diminution de nos poissons, à moins que les égouts des fabri- ques ne viennent tout empoisonner. Les lignes qu'on vient de lire ont trait aux conditions régnant en Suisse et ont pour but de combattre l'étroitesse et la partia- lité. Combien tristes seraient nos beaux lacs si, pour obtempérer aux désirs de quelques pêcheurs déraisonnables et bornés, l'on y massacrait tout ce qui vole. L'auteur de ces lignes a lui-même des intérêts dans la pisciculture, malgré cela il ne saurait approu- ver une rage aveugle de destruction, d'une part parce qu'il lui est impossible de voir dans les oiseaux d'eau, en leur état actuel, un danger pour la pisciculture, malgré une longue expérience et beaucoup d'observation, de l'autre parce qu'il ne voudrait point voir nos lacs privés d'un de leurs plus beaux ornements : les oiseaux aquatiques. Sch. — 225 Moyens de protection. Nous rappelons aux amis des oiseaux que l'arrière-automne est la meilleure époque pour la pose des nids artificiels '. Afin d'encourager les hésitants et de convaincre, s'il est besoin, les incrédules, voici quel- ques extraits de correspondances reçues à ce propos : A jCorsier. Depuis quelques jours que je suis à Corsier (sur Vevey) j'ai eu déjà la satisfaction de constater que 13 des nichoirs placés par moi sont occupés : 7 par des étourneaux. 4 par des gobe-mouches becfigues. 1 par des mésanges charbonnières. 1 par des sitelles. Corsier-les-Monts, le 10 juin 1919. E. Burnat. Nos protégés. Au mois de mars, un couple de mésanges charbonnières commença à apporter les matériaux (poils de lapin et surtout poils de notre hon- nête et gros St-Bernard) nécessaires pour feutrer le fond d'un nichoir du modèle qui a paru dans Nos Oiseaux, n»' 19 et 20. Ce nichoir, resté longtemps inhabité, est fixé à deux mètres du sol sur l'embranche- ment d'un jeune cerisier de cinq ans au-dessus d'un petit chemin où la circulation est active. Les œufs (5 à 8) firent éclosion entre le 5 et le 8 mai, et les parents eurent fort à faire à nourrir cette famille d'affa- més. C'était merveilleux de les voir arriver faisant jusqu'à dix voyages par minute, apportant un nombre considérable de chenilles et d'in- sectes, et d'observer la dextérité avec laquelle ces petits oiseaux grim- p ^ ent en tournant autour de chaque branche, de chaque rameau, le long du tronc des arbres, échenillant, faisant ample moisson de ver- mine, allant chacun de leur côté chercher pâture pour leurs petits. Lorsque je me trouvais au-dessous du nid, écoutant les piaillements des oisillons, les parents attendaient patiemment, posés sur une bran- che voisine, que j'eusse vidé la place. Plus tard, familiarisés, si j'avais le dos tourné et ne regardais pas dans la direction du nichoir, ils y 1 En s'adressant à la Direction de police, à Neuchâtel, on peut obtenir des nichoirs bien construits, aux prix suivants: fr. 1.15 le nid vertical, fr. 1.30 l'horizontal, port et emballage en sus. Envoi contre remboursement. — 226 — entraient furtivement. Vers le commencement de juin, un jour, tout le monde s'envola; et les jeunes mésanges voletaient d'un vol mal assuré, appelées par les cris de leurs parents les entraînant d'un arbre à l'autre. Plus tard, un couple de rouges-queues, après avoir essayé d'un nichoir du modèle paru dans Nos Oiseaux n» 3, qui avait l'an passé abrité un nid de merles, jetèrent leur dévolu sur un nid horizontal avec entrée large, non arrondie (voir Nos Oiseaux n» 24). Les petits sont très bien venus et piaillaient ces jours-ci dans le jardin. Le dit nichoir est placé à deux mètres du sol, dans un jeune cerisier, au-dessus du même sentier que celui du couple de mésanges cité plus haut; je ne me suis aperçu que tardivement que le nid était habité, car ces rouges- queues, peu familiers et très méfiants, prenaient beaucoup plus de précautions que les mésanges qui, probablement connaissaient déjà les lieux et avaient déjà passé une année dans ces parages. Les autres nichoirs Berlepsch ont été accaparés par des moineaux; j'ai eu toutes les peines du monde à les en débarrasser. C'est une leçon pour le printemps prochain. Les autres nids à ouvertures doubles sont encore inhabités. Les oiseaux les délaissent; ils préfèrent sans doute le fouillis de verdure qui entoure la maison, probablement parce qu'ils y sont à l'abri des regards indiscrets de personnes, qui pourtant cher- chent à les attirer et à profiter ainsi de leurs incomparables services, malgré la perte de quelques cerises qui font le régal de MM. les merles et surtout des moineaux, insatiables pillards. Mais, il faut faire la part du feu : ces utiles oiseaux nous les rendent sous une autre forme : ca'-, avant qu'ils habitassent si nombreux autour de la maison, il y a quatre ou cinq ans, la vermine dévorait les arbres du jardin. La verdure et les arbres étaient rares. Les chenilles, les moustiques et autres insectes disparaissent actuellement, grâce aux petites friandises distribuées régulièrement en hiver, grâce aux nichoirs et à la verdure; nous som- mes ainsi récompensés des efforts faits pour attirer nos petits protégés, par leurs services autant que par leur chant. Lausanne, le 25 juin 1919. Paul Bonard. Divers. Chants d'automne. L'on sait que la plupart des oiseaux cessent de chanter dans le cou- rant du mois de juillet, pour ne reprendre leurs joyeux concerts que — 227 — l'année suivante, à la belle saison. Il en est toutefois quelques-uns qui, le souci des nichées n'étant plus et la fraîcheur aidant, retrouvent en automne, et pour quelque temps, leur voix, tels entre autres le rouge- queue tithys, la fauvette à tête noire et le rouge-gorge. Ce phénomène s'est produit cette année même, comme d'habitude; et malgré le froid vraiment hivernal d'octobre le rouge-gorge a fait entendre sa douce complainte, autour des villes, parmi les jardins jonchés de feuilles mortes. Un ami de Genève, témoin peut-être de ce fait, en tout cas bien inspiré, nous communique à ce sujet les strophes suivantes, inconnues, pensons-nous, de la plupart de nos lecteurs et qu'ils auront sans doute du plaisir à lire. Seule l'âme intuitive d'un poète sait com- prendre si bien et traduire pour nous en paroles le chant d'un oiseau. Le rouge=gorge. Quand le printemps renaît, il éveille à la fois La fleur dans la prairie et l'oiseau dans les bois; Dans la campagne il n'est que grâce, que mystère, Tout embaume, tout chante et tout rit sur la terre : La Rose et l'Alouette exhalent dans les airs L'une ses doux parfums, l'autre de gais concerts. Mais dans son ciel d'azur, l'Été vole bien vite ! L'Automne est là, traînant des brouillards à sa suite. L'Arbre jaunit déjà, déjà règne le froid; Le chant des oiseaux cesse et leur nombre décroît; Ils quittent à regret leur asile champêtre. Le silence envahit le lieu qui les vit naître Et la feuille en tombant des bois découronnés Laisse voir au grand jour leurs nids abandonnés. Dans nos champs dépouillés, plus de bruit, de murmure. Un calme universel plane sur la nature; Dans l'immense concert jusques là confondu Le chant du rouge-gorge est tout seul entendu; Cette voix qui s'élève alors que le jour baisse Est l'hymne des adieux au soleil qui nous laisse; C'est un mélange heureux de tristesse et d'espoir. Comme un vif souvenir de jours qu'on veut revoir; Il semble à la nature adresser un reproche Sur la chaleur qui fuit et le froid qui s'approche. Dans sa note plaintive et tendre en même temps Il regrette un automne, il appelle un printemps. — 228 — Aimable Rouge-gorge, harmonieux emblème Du poète isolé qui s'inspire lui-même, Comme lui pour chanter en tout temps en tout lieu, Il écoute l'instinct que lui donna son Dieu. Il ne voit plus de fleurs, de soleil, de verdure. Du souffle des autans il subit la froidure, Mais aux beaux jours finis, sa voix le fait rêver. En célébrant leur charme, il croit les retrouver. Le 6 janvier 1844. , J. Petit-Senn. Calendrier ornithologique Gelinotte (Tetrastes bonasia h.). 8 juin. Découvert au pied d'un sapin un nid de gelinotte, contenant six œufs. Chose curieuse un septième œuf, ne présentant aucune anomalie, se trouve en pleines broussailles, à 20 cm. du nid. 13 juin. Visité le nid. Tout va bien, la couveuse est en place, et l'œuf isolé aussi. Le mâle paraît, mais il ne s'approche pas du nid, m'ayant aperçu. 25 juin. Je trouve le nid plein de coquilles brisées très régulièrement suivant le petit axe de l'œuf (preuve que tout s'est passé normale- ment. Réd.). L'œuf isolé n'a pas changé de place, mais paraît avoir subi quelque choc. Eug. Bersot. Sarcelle d'hiver (Nettium crecca L.). 15 juin. J'observe un couple de sarcelles d'hiver dans la Réserve du Seeland. Revu le même le 28 juin. M. Reichel. 12 juillet. Entendu dans la Réserve le cri de la sarcelle d'hiver mâle et observé l'oiseau d'assez près pour le déterminer sûrement. Aperçu un représentant de cette espèce le 2 et le 6 août; c'est la première fois que la sarcelle d'hiver se fixe dans la Réserve pour y passer l'été. A. R. Sizerin (Acanthis linaria L.). 16 juin. Nid de sizerin sur un mélèze, val de Bagnes, à 1650 m. d'alti- tude. 28 juin: Jeune sizerin échappé d'un autre nid, tout juste capa- ble de voler, l^r juillet: Eclosion de deux petits dans le nid du 16 juin. Un œuf non encore éclos (la couvée ne se composait que de trois œufs). A. R. Canard sif fleur (Mareca penelope (L.). 21 juin. Observé trois canards siffleurs dans la Réserve du Seeland. J'y ai revu des cfc/» des 9 9 ^t des jeunes de cette espèce le 26 août. M. Reichel. AI.F. RICHARD 1 sepleiiihre 1919 L AIGLON DEVENU AIGLE N° 35 DECEMBRE 1919 NOS OISEAUX BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ROMANDE POUR L'ÉTUDE ET LA PROTECTION DES OISEAUX Etudes ornithologîques. Nichée du tichodrome observée à Saint-Maurice. Nos Oiseaux a publié en 1916, X^ 13, une belle aquarelle et un excellent article sur le tichodrome (Tichodroma muraria L.). Ce magnifique oiseau, sa manière si curieuse de grimper sur les murs et les rochers y ont été décrits d'une manière ravissante : c'est la poésie unie à la précision scientifique. Le numéro suivant contient plusieurs com- munications sur sa distribution en Suisse. Il en résulte que, malgré son apparition dans de nombreuses stations, c'est cependant un oiseau peu commun. En été on le voit sur les parois rocheuses des Alpes et du Jura vaudois ou neuchâtelois où il habite comme oiseau nicheur. En hiver il descend jusqu'en plaine visitant les murs des édifices ou les escarpements de rocher. Pour le Valais le Catalogue des Oiseaux de la Suisse de Fatio porte les mentions suivantes : Comme oiseau sédentaire assez rare près de Martigny (Vairoli); assez commun près de Saint- ^Nlaurice (Besse) et de Sion (Wolf). Comme oiseau nicheur il est indiqué comme assez rare dans le Haut-Valais (Studer); niche à la Gemmi (Fatio); assez rare dans la région de Martigny (Vai- roli) et nicheur près de Sion (Wolf). Suivant Meisner et Schinz on observa des nids et des jeunes volant alentour, en juillet 1810, sur les « Gollern » entre Rarogne et Loèche. — 232 — En outre on l'a signalé à Sierre, à Erdes près de Conthey et au sommet de la Cime de l'Est. Dernièrement j'en ai vu deux naturalisés dans une petite collection particulière à Champéry. L'un a été tué sur les rochers de Bonaveau et l'autre sur les ro- chers de Chavalet. A Saint-Maurice j'ai observé cet oiseau pour la première fois le 26 novembre 1916. Il grimpait sur les rochers et aussi sur les bâtiments voisins. L'impression produite par ce spectacle est certainement l'une des plus belles que puisse rêver l'ami de la Nature. L'oiseau grimpe par saccades le long du rocher, étalant à chaque instant ses belles ailes rouges bordées de taches blan- ches, inspectant tous les insterstices de la roche; parfois il se déplace latéralement, puis ferme les ailes, se laisse tomber un peu plus bas et recommence ses exercices d'acrobate. C'est le vol léger et saccadé du papillon, rappelant parfois la douceur de celui de la chauve-souris. En 1917, j'en vois un dans les rochers de Sous-Vent, entre Bex et Saint-Maurice le 10 novembre. Le lendemain j'ai le plai- sir d'en admirer un sur la grande paroi de rocher qui domine le pont de Dorénaz. Le 14 novembre un tichodrome entre au dor- toir du collège de Saint-Maurice. Les étudiants le capturent et, après l'avoir admiré, lui rendent la liberté. Cette année je l'ai observé souvent en janvier, février, mars, avril. Au commencement de mai, sa présence presque continue dans le rocher qui domine l'Abbaye attira mon attention. Le 11 mai je constate avec surprise qu'un couple de tichodromes est en train de bâtir son nid dans une fente de rocher. Je me pro- mets de l'observer car les moeurs de cet oiseau si curieux sont peu connues; il niche d'habitude dans les parois inaccessibles des régions montagneuses « hors d'atteinte de tous ceux qui ne seraient pas disposés à se faire descendre au bout d'une corde, comme une araignée au bout de son fd ». Pourquoi ce couple est-il resté en plaine ? Serait-ce par suite du froid prolongé qui a retardé, cette année, l'arrivée du printemps ? Le nid est situé à la base du grand rocher qui surplombe Saint-Maurice, à une douzaine de mètres au-dessus de l'espla- nade créée par le prolongement du tunnel. Le site est admira- blement choisi : l'escarpement est tourné vers le sud, au-dessus, 233 - (ToVPE- VELRjlCALE. 3>u 1^oche:"r^ ■uaiSQnH par ie nid 6.0 .et : percboirs de J'e Ci u à- l'en h cl- «s. /c CL r, à gauche et à droite la roche en saillie abrite l'emplacement contre la pluie et le vent. Le nid lui-même est placé à l'intérieur d'une fente large en moyenne de 3 cm. produite par un bloc déta- , . ché de la paroi. Craignant d'efïa- roucher les parents, je ne l'ai visité qu'après le départ de la couvée. Les premiers débris de végétaux constituant le nid ap- paraissent à 30 cm. de profon- deur, le reste du nid n'est pas visible, la fissure formant une courbe ; il repose sur deux pierres superposées et serrées dans la fente. Comme il n'était pas pos- sible de le retirer intact afin d'en examiner la construction, je l'ai laissé en place, espérant un retour l'année prochaine ; du reste cette construction est con- nue, Girtanner donne la descrip- tion détaillée d'un nid de ticho- dromes pris le 29 juin 1867 dans le massif du Sàntis. Du 11 au 13 mai la construction du nid bat son plein. C'est la femelle surtout qui travaille; elle se distingue du mâle par l'étendue moindre et la nuance moins pure du noir de la gorge. (Après la mue d'automne les deux sexes présentent le même plumage, le noir de la gorge ayant fait place à un cendré clair.) La femelle vient prendre ses matériaux tout près de moi au Martolet ou encore sur le tunnel, s'avançant jusque dans l'herbe. Avant d'entrer au nid elle se pose sur une aspérité (cl) du rocher, et une fois dedans y reste quelques secondes. Pendant ce temps le mâle explore les rochers voisins; souvent il fait entendre son chant : petit sifflement doux et langoureux; une première note est lancée, puis léger intervalle et reprise de la même note, suivie d'une brève modulation. •Une fois le mâle descend au pied du rocher et vient se rouler dans la poussière. placement du h ici [vj , i^osc. S\jr des OlOCS tomCcs dans — 234 — Les jours suivants je n'ob- serve rien de spécial; les vols sont moins fréquents, je ne vois plus les petits construc- Vo^pc Ho^i^oNT^LE, x>.-RocHÊ:e,^ ^f^"'^ apporter des matériaux, ^^^ ^iv^^u i>w rvin j'entends souvent le chant du mâle, 29 mai : Le mâle arrive portant de la nourriture au bec; il se pose à deux mètres du nid, contre la paroi du rocher, fait enten- dre son chant; aussitôt la femelle sort du nid et le mâle lui donne sa provision. Les deux voltigent ensuite quelques instants sur le rocher, la femelle rentre au nid et le mâle disparaît bientôt clans le lointain. L'incubation est donc commencée, peut-être depuis quelques jours. Ce travail va durer jusqu'au 16 juin; l'in- tervalle entre les voyages du mâle dure parfois plus de 30 minutes. 16 juin : Le mâle et la femelle apportent tour à tour de la nourriture; ils entrent dans le nid par la fente à gauche et en haut (b) et ressortent presque aussitôt; parfois la femelle reste quelques minutes à l'intérieur, L'éclosion a donc eu lieu. Pen- dant une heure (5 h. 45 à 6 h. 45 du soir) je compte trois voya- ges pour le mâle et trois pour la femelle. 22 juin : De 1 h. 15 à 2 h. 15 le mâle fait cinq voyages et la femelle six. De plus, soit le mâle soit la femelle emportent les excréments des jeunes : quatre fois durant cette heure je cons- tate le phénomène. Ces excréments paraissent enveloppés d'une membrane blanche, on dirait un œuf que l'oiseau emporte à l'extrémité du bec. Chargé de ce fardeau, il s'envole directement à une centaine de mètres du nid et le laisse tomber dans les ter- rains qui sont à la base du rocher, mais jamais sur le rocher même. La visite du nid m'a fait constater cjne tous les excré- ments n'avaient pas été emportés, une partie avait été tout simplement rejetée à côté du nid. Maintenant les parents entrent à droite (a), voie la plus di- recte pour arriver au nid, et ressortent 40-50 cm. au-dessus de l'entrée. A plusieurs reprises je distingue des papillons dans la becquée. Il ne m'est pas possible d'identifier les autres bestioles qu'ils apportent. — 235 — Ils semblent quitter le nid à regret, en vol plané d'une douceur et d'une lenteur impossible à décrire. Les jours suivants même travail ininterrompu, le chant devient plus fréquent. 26 juin : 1 h. 15 à 2 h. 15. Le mâle et la femelle viennent chacun six fois au nid. 27 juin : De mon poste d'observation distant de 18 mètres j'entends les cris des petits dans le nid. 2 juillet : Les allées et venues continuent, le chant devient toujours plus fréquent, je ne constate que le chant du mâle; il le fait entendre seulement dans le voisinage du nid. 4 juillet, 6 h. du soir: Un pigeon domestique est ^perché, immobile au point où se posent les tichodromes avant d'entrer au nid. (d) Le mâle arrive, voltige au-dessous du nid, s'approche à 30 cm. du pigeon, repart effrayé, chante longuement et, après beaucoup d'hésitation, entre au nid par la partie supérieure. Il ressort aussitôt et chante pendant quelques minutes avant de s'éloigner. La femelle arrive et entre presque immédiatement par la partie supérieure. A sa sortie elle voltige autour du nid et pour la première fois je distingue son chant : il est semblable à celui du mâle mais plus faible et la chute finale se termine plus brusquement. Le tichodrome ne connaît donc pas le cri d'alarme que possè- dent beaucoup d'oiseaux; il l'aurait certainement fait entendre en cette circonstance, car il était visiblement effrayé. 6 juillet : J'entends le cri des jeunes presque continuellement. Les parents multiplient leurs voyages pour satisfaire les petits afïamés; en une heure la femelle vient sept fois et le mâle six; ils continuent à emporter les excréments. Les jeunes sortent du nid et s'essayent à grimper dans la fissure du rocher sans cepen- dant s'aventurer au dehors. Les parents semblent maintenant engager les petits à les suivre : ils voltigent autour du nid avant d'entrer et chantent à plusieurs reprises; à la sortie ils recom- mencent à papillonner et à chanter sur les roches voisines, par- fois même ils rentrent dans le nid sans provisions. Ces oiseaux habitués à la solitude des rochers de nos Alpes sont ici dans un milieu bien différent. Aujourd'hui ils font enten- dre leur chant doux et plaintif pendant que, à 50 mètres, la loco- — 236 — motive passe à toute vapeur; à une centaine de mètres une fanfare d'étudiants lance ses accords très bruyants et même là-haut les biplans venant du champ d'aviation de Bex déchi- rent l'air de leurs ronflements. 7 juillet : J'aperçois les petits, ils sortent du nid, grimpent dans la fente; l'un vient sur le bord pour recevoir la nourriture. Le bec est encore court, jaune; le plumage de la tête et du cou est gris, les ailes ont déjà leur belle couleur rose. J'en distingue trois, peut-être y en a-t-il plus. En apportant la nourriture les parents entrent maintenant par la partie supérieure (b. c). Est-ce pour préserver les petits d'une chute, car à l'arrivée les jeunes se précipitent pour rece- voir la becquée et au départ ils poursuivent les parents jusqu'au bord du précipice. 11 juillet : Le va et vient continue comme à l'ordinaire. J'épie le moment où les jeunes feront leur éducation de grim- peurs sur la paroi. 12 juillet 9 h. V2 • Silence et solitude : ils sont partis à mon insu. J'inspecte longuement le rocher dans le voisinage, les ju- melles Zeiss qui m'ont si bien servi jusqu'ici restent impuis- santes, je ne découvre rien. A 2 h. V2> j'entends à deux ou trois reprises le chant de la femelle, mais il m'est impossible de la voir. Elle était sans doute vers le clocher de l'Abbaye où de grands platanes ombragent le rocher. Ce fut son chant d'adieu; la famille a dû s'envoler par petites étapes vers la montagne. Chanoine Mariétan. — 237 Protection. L'homme, l'insecte et l'oiseau K I saiv icith open eyes I saïc in vision Singing birds siceet The icorm in ihe icheut, Sold in ihe shops And hi the shops nothlng For people to eut, For people to eut; Sold in the shops of Nothing for sale in Stupidity Street. Stupidity Street. ^ L'homme s'imagine être sur terre la principale puissance. Il n'en est rien toutefois. Les vrais maîtres du monde sont les insectes. Et s'il est vrai que, grâce aux engins de destruction inventés et perfec- tionnés par lui, l'homme est arrivé à dominer sur les mammifères les plus féroces et les plus forts, il est non moins évident qu'en présence d'une attaque d'insectes, lui et toutes ses inventions sont néant. Peu de gens se rendent suffisamment compte combien est grand le nombre des espèces chez les insectes et combien étonnant leur pou- voir de multiplication. A elles seules les espèces d'insectes sont plus nombreuses que la somme des espèces de tous les autres êtres. Plus de 300,000 ont été décrites à l'heure actuelle et l'on estime qu'il reste à en déterminer un nombre à peu prés égal. Au fait tous les animaux aussi bien que les plantes contribuent à l'alimentation de leurs innom- brables armées. Et si Kirby, dans son Introduction à V entomologie, a pu consacrer cinq chapitres entiers aux dommages qu'ils nous causent, deux ont suffi à l'énumération de leurs bienfaits. La fécondité de certains insectes est étonnante et presque incroya- ble. Riley a calculé que le puceron du houblon, ayant treize générations en une seule année, produirait au bout de la douzième génération, si rien ne s'opposait à sa multiplication, le nombre fabuleux de dix sex- tillions d'individus. Supposons qu'on dispose cette formidable armée sur une ligne droite, à raison de 35 unités par centimètre, cette ligne, partant de la terre, s'enfoncerait dans les profondeurs de l'espace à une distance telle qu'un rayon lumineux revenant de son extrémité * Traduit pour Nos Oiseaux de l'opuscule de James Buckland, intitulé : The value of birds to man, Washington, 1914. J'ai vu de mes yeux — • les gais chanteurs des bois — vendus comme gibier — • dans les boutiques — de la rue de la Bêtise. — Et puis j'eus une vision : — au dehors par milliers — les larves rongeaient le blé, — et dans les boutiques — rue de la Bêtise — plus rien à vendre, — plus rien à manger. Ralf Hodgson. - 238 - et parcourant comme l'on sait 300,000 kilomètres à la seconde, met- trait 2500 ans à atteindre la terre. Kirkland a établi que si on laissait se multiplier sans entraves un couple d'ocheria dispar (espèce de lépi- doptère), il aurait au bout de huit ans une progéniture assez abondante pour détruire tout le feuillage des Etats-Unis. Un entomologiste cana- dien affirme qu'un seul couple de chrysomèles de la pomme de terre (Doryphora decemlineala) peut produire en une saison soixante mil- lions d'individus. A ce taux-là et si rien ne s'opposait à un pullulement aussi intense, la pomme de terre ne tarderait pas à disparaître. Ceux qui ont visité le sud de l'Afrique ont pu y voir les sauterelles former des nuages capables de voiler momentanément l'éclat du soleil. Quelle puissance de destruction que celle contenue en germe dans chacun des petits œufs de ces ravageurs ! Si chaque œuf venait à bien et si chaque sauterelle parvenait à maturité, les conséciuences seraient telles qu'on n'ose pas y songer. La voracité des insectes est aussi étonnante que leur fécondité. La ration journalière d'une chenille n'est pas inférieure à deux fois son propre poids en feuilles. Un cheval doué du même appétit consommerait une tonne de foin en 24 heures. Certaines larves carnassières dévorent en un jour et une nuit 200 fois leur propre poids de nourriture : imaginons un bébé d'un jour engloutissant dans le même temps 1500 livres de bœuf ! Trouvelot, spécialiste en la matière, affirme que la quantité de nourriture absorbée par un seul ver-à-soie en 56 jours équivaut à 86,000 fois le poids de ce ver-à-soie à son éclo- sion. Quels ravages cette seule espèce d'insectes ne pourrait-elle pas produire, si la centième partie des œufs seulement venaient à bien. La mission de l'oiseau. Qui empêche ces hordes destructrices de submerger la terre et de dévorer à elles seules tout ce qui est destiné à servir à l'alimentation des autres êtres ? Ce n'est pas l'homme. Tant qu'il ne s'agit que de son jardin, celui-ci peut à la rigueur et jusqu'à un certain point se défendre, en recourant aux poisons, moyen d'ailleurs coûteux, contre nature, et dangereux. Mais en pleins champs et dans les forêts, il est battu d'avance. Ce ne sont pas non plus les maladies, les circonstances atmosphériques, certains animaux, ou encore les organismes crypto- gamiques, et les insectes parasites ou dévoreurs de leur propre espèce. Quelque considérable que puisse être. la part de ces agents naturels dans la répression du fléau, l'expérience a prouvé qu'ils sont insuffi- sants. Qui donc alors ? Rien autre, si ce n'est l'oiseau. L'oiseau, par suite de son régime, est la seule puissance capable de tenir tête à l'in- secte. — 239 — Les lois de la nature méconnues par l'homme. Et pourtant depuis un demi-siècle, il semble que les humains aient pris à tâche de contrecarrer le plan admirable de la nature en détrui- sant avec une passion aveugle et déréglée des êtres indispensables à l'exécution de ce plan. Ils ne se sont point préoccupés des besoins du moment, pas plus qu'ils ne se sont informés de ceux de l'avenir. Dans l'espace de quelques années, sans aucune nécessité, ils ont accompli une œuvre de destruction plus efficace que celle que la nature met des siècles à parfaire. jNIunis d'une arme qui supprime l'espace, ils se sont constitués eux-mêmes les souverains du monde animal et se sont arrogé le droit de juger de la valeur de tout ce qui vit d'après le profit immédiat qu'ils en retirent. Or ce n'est pas à l'homme de dire ce qui doit vivre et ce qui doit être détruit. La nature est un système de for- ces admirablement équilibrées et il n'est pas possible d'y toucher sans amener des troubles dans toutes les directions et à un point qu'il est impossible de prévoir. Si nous supprimons ou limitons seulement l'ac- tivité d'un organisme servant de contre-poids à un autre, ce dernier, libéré, se multipliera inévitablement. Si nous détruisons l'oiseau insec- tivore, les insectes dont il vit pulluleront jusqu'à nous submerger, pour notre châtiment, comme une plaie d'Egypte. Il y a de ce fait de nombreux exemples. Nous en citerons quelques-uns des plus frap- pants dans un prochain article. James Buckland. Moyens de protection. Le gracieux usage qui consiste à nourrir les oiseaux en hiver est de pratique très ancienne, surtout dans les pays du nord où les hivers sont longs et rigoureux. C'est le baron de Berlepsch toutefois qui, le pre- mier, a érigé cet usage en système, le fondant sur des observations qui peuvent se résumer comme suit : Les brusques changements de temps, le gel, le givre et le verglas causent la mort d'une quantité d'oiseaux. — Ce n'est pas le froid à lui seul qui les tue, c'est avant tout l'inani- tion. - — Nous pouvons intervenir en les nourrissant et aider ainsi à leur conservation. — Nous contribuerons en outre de cette façon à retenir chez nous et autour de nos habitations les oiseaux dits séden- taires qui, au printemps, viendront occuper les nichoirs placés pour eux. — Pour que le nourrissage soit efficace toutefois, il faut qu'il soit 240 Maisonnette-mangeoire • destinée à être placée sur la fenêtre. continu, que la nourriture distribuée soit toujours accessible, qu'elle soit à l'abri des intempéries et point sujette à se corrompre, qu'elle soit placée à certains endroits déterminés que la mémoire de l'oiseau lui fera retrouver sans peine, lorsque l'impérieuse nécessité l'obligera à y recourir. * La neige recouvre le sol jusqu'au bord de nos lacs, c'est le moment de venir en aide à nos amis ailés : soyons leur providence et qu'ils trouvent sur nos fenêtres ou ailleurs la table toujours mise pour eux. CORRESPONDANCE Genève, le 7 novembre 1919. Monsieur le Rédacteur, Le passage des hirondelles, à Genève, cet automne, a été fort curieux à observer, et ceux de vos lecteurs qui s'intéressent à ce phénomène seront peut-être disposés à prendre connaissance de quelques notes que ^ S'adresser à la Société protectrice des animaux. Neuchâtel. — 241 — j'ai prises à ce sujet, — notes que je serais heureux de voir compléter par d'autres observateurs de notre pays. Selon le calendrier de Necker, le passage d'automne des hirondelles de cheminée (Hirundo rustica) et de fenêtre (Hirundo iirbica) com- mence au plus tôt le 18 septembre (année 1820) et au plus tard le 25 septembre (année 1816), pour finir au plus tôt le 7 octobre (1816) et au plus tard le 23 octobre (1815). Tout d'abord, je dois dire que ces dates ne correspondent plus depuis longtemps à la réalité. Si, en effet, on prend le mot passage dans le sens de départ (et c'est bien ainsi que Necker l'envisage certainement à la page 198 de son calendrier), je dois déclarer que j'ai souvent vu, bien avant le 18 sep- tembre, les hirondelles «du pays», c'est-à-dire les. hirondelles ayant niché chez nous, se rassembler et nous quitter, à l'exception de celles qui avaient encore leurs petits de la seconde couvée, ou « recoquée «, comme on l'appelle familièrement chez nous. Ces départs précoces correspondent, je le pense du moins, à des nidifications avancées grâce à des chaleurs précoces favorisant la nutri- tion de la première couvée. D'autre part, j'ai très fréquemment, comme beaucoup d'autres sans doute, observé de forts passages d'hirondelles après la date du 23 octobre indiquée par Necker comme la plus tardive; mais il est parfaitement vrai qu'en général vers le 23 octobre le gros du passage est fait et que l'on n'aperçoit, à fin octobre ou au commencement de novembre, que des individus isolés. Le passage d'automne se compose des individus ayant niché dans notre pays ou qui y sont nés, et des hirondelles qui nous arrivent du nord-est, par le plateau suisse, pour sortir du bassin du Léman en sui- vant le Rhône, par le Fort de l'Ecluse. Les jeunes sujets provenant des secondes couvées n'étant souvent pas encore suffisamment développés pour entreprendre leur grand voyage, leurs parents restent avec eux tant qu'ils ont besoin d'eux pour la nutrition. Quand les jeunes se mettent en route pour partir, ou quand ils passent en venant des pays du nord-est, il est évident qu'ils souffrent les premiers des retours de froid si fréquents dans notre pays au printemps et en automne. Beaucoup d'entre eux périssent de ce fait, et même des adultes; non pas, je crois, par suite du froid lui-même (que les oiseaux supportent en général assez bien), mais de la faim; car le froid fait périr naturellement les mouches, moucherons, moustiques et autres insectes qui constituent la nourriture exclusive des hirondelles. - 2^2 — Ceci dit, voici en résumé les notes que j'ai pu prendre cet automne sur ce sujet très intéressant. Le 4 octobre, je remarque un passage considérable d'hirondelles de cheminée en ville, au-dessus du Rhône, comme d'habitude. Temps beau et froid, la bise souffle. Les 13, 16, 17, 23 et 27 du même mois et les 3 et 4 novembre, ce passage continue sans s'arrêter, par une température exceptionnel- lement froide pour la saison, la bise soufflant toujours, et les monta- "gnes environnantes étant couvertes de neige. Entre temps, les mouettes sont arrivées, et fraternisent avec les hirondelles : Ces deux espèces d'oiseaux volent, mélangées, au-dessus du Rhône, surtout entre le Pont de l'Ile et le Pont de Saint- Jean. Presque toutes ces hirondelles sont des hirondelles de cheminée, l'espèce ordinaire; cependant, le 17 octobre au matin, j'ai observé sur le Quai des Bergues un fort vol d'hirondelles de fenêtre, qui tantôt se chauffent au soleil sur les cor- niches de l'édifice de la Banque populaire suisse, tantôt volent et tourbillonnent, extrêmement agitées. Le même jour elles avaient dis- paru, et je ne les ai pas revues ! Le 3 et le 4 novembre, le temps est très froid, le thermomètre des- cend, dans la campagne genevoise, jusqu'à 3 et 4 degrés au-dessous de zéro, et le Journal de Genève annonce qu'un grand nombre de ces hirondelles ont péri. Cependant, hier encore, j'ai observé une grande quantité d'hiron- delles de cheminée volant gaiement au-dessus du Rhône de la ville jusque près de la Jonction, ou se posant sur les fils du téléphone, comme elles le font volontiers lors de leurs rassemblements. Il est vrai qu'au froid glacial dont nous avons été gratifiés pendant plu- sieurs semaines a succédé une température plus clémente, un fort veijt du sud-ouest avec élévation considérable de la température. Ce pas- sage dure encore aujourd'hui 7 novembre. Conclusion : Nous avons eu cet automne un passage d'hirondelles tout à fait remarquable et exceptionnel par sa dwée. A quelle cause faut-il l'attribuer ? La réponse n'est pas très facile. Pourtant, je crois qu'on peut sans risque de se tromper le faire remonter à la température. Le printemps a été magnifique, l'été aussi, sauf une partie du mois de juillet; la cha- leur a duré jusqu'au 21 septembre environ, époque à laquelle est sur- venu un refroidissement brusque, et, ajoutons-le, extrêmement désa- gréable et malsain, les rhumes et coups de froid ont été innombrables. Ces conditions atmosphériques ont dû favoriser et hâter le dévelop- pement et l'éclosion des jeunes de la première couvée; par conséquent. — 243 — logiquement, encourager les parents à « recoquer » plus tôt que d'ha- bitude, et d'une manière plus générale aussi. Résultat : Les jeunes de la « recoquée », surpris par le froid subit, ou bien ont péri, ou bien ont suspendu leur départ, ou bien encore ont interrompu leur voyage, leur instinct leur déconseillant de tenter celui-ci par-dessus un pays couvert de neige, ne présentant aucune chance de trouver les insectes nécessaires. De cette façon, des convois successifs, soit d'hirondelles de la Suisse, soit de sujets venant du Nord, se sont peu à peu accumu- lés, de façon à présenter l'aspect d'un passage à la fois tardif, conti- nuel et abondant. ^ Voilà la supposition que je livre à vos lecteurs; elle est confirmée par le fait, observé par moi pas plus tôt qu'hier en contemplant atten- tivement les hirondelles posées sur les fils du téléphone, savoir que presque toutes, quoique volant bien quand elles quittaient les fils, étaient de petite taille, à queue encore courte, et devaient, par consé- quent, être des jeunes de la seconde couvée. Agréez, INIonsieur le Rédacteur, mes salutations très dévouées. H.-E. Gans, avocat. Il serait intéressant d'établir un parallèle exact au point de vue du passage des hirondelles entre 1919 et 1911. Ces années ont plus d'une analogie et se distinguent en particulier par un été superbe, toutes deux aussi par un passage hâtif et abondant, non seulement d'hiron- delles, mais d'échassiers, comme on va le voir. On signale en outre en 1919 une passe tout à fait extraordinaire de bécasses. (Réd.) Calendrier ornithologique Merle à plastron (Turdiis torquahis L.). 28 juin. Il a neigé sans discontinuer pendant deux jours près de INIau- voisin (1850 m. d'altitude). Ce retour de l'hiver a causé la perte d'une nichée de merles à plastron découverts par moi il y a quel- ques jours : ce matin je trouve les cinq petits au nid, dans l'attitude où je les avais laissés, mais figés dans l'immobilité de la mort. A. R. Coucou (Cucuhis canorus L.). 30 juin. Constaté la présence d'un jeune coucou dans un nid de rouge- queue tithys, à 1650 m. d'altitude, au pied d'un rocher s'élevant — 244 — sur une pente absolument dénudée (les arbres les plus voisins sont distants de plusieurs centaines de mètres). A. R. 14 juillet. Entendu le chant du coucou au-dessus de Zinal, à l'altitude de 2000 mètres environ. Georges Baer. Engoulevent (Caprimulgus europaeus L.). 15 juillet. L'engoulevent chante tous les soirs au-dessus de Hauterive au pied de Chaumont. Ch^ Cornaz. 11 août. Dans une tournée nocturne faite dans la Réserve du Seeland, j'ai entendu retentir le curieux chant de l'engoulevent, au Chablais et dans le bois de Witzwyl, de 2 à 5 heures du matin. n. x-x , ^ . . . ,.;. , ,. o N M. Reichel. Petit gravelot (Aegialitis diibia Scop.). 31 juillet. Observé 4 ou 5 petits pluviers à collier sur le môle de bise de la Broyé. Cri simple. Pas de raie blanche sur l'aile déployée. A R. Hibou moyen^duc (Asio oliis L.). 2 août. Recueilli la dépouille complète d'un moyen-duc à la lisière du bois du Chablais, les plumes seulement, pas d'ossements. Les excréments découverts au milieu du tas désignent le renard comme auteur de ce méfait. M. Reichel. Barge à queue noire (Limosa limosa L.). 7 août. Observé une barge à queue noire dans la Réserve, à deux reprises, soit les 7 et 26 août. M. Reichel. Combattant (Macheles pugnax L.). 6 août. Ce soir j'ai aperçu sur les môles de la Broyé un combattant 9- Revu le même le 9 août. M. R. Phragmite (Acrocephalus phragmitis Bechst.). 6 août. Occupé à dessiner dans la Réserve, je vois s'approcher de moi deux phragmites jusqu'à un mètre : ils paraissent s'intéresser aux mouvements de mon crayon. M. R. Milan (Milvus migrans Bodd.). 6 août. Remarqué deux milans accroupis sur le grand môle de la Broyé ; vont aussi se percher sur les balises de l'entrée du canal. M. R. Faucon pèlerin (Falco peregrinus Tunst.). 8 août. Observé un représentant de cette espèce au sommet du Vully, un autre le 12 août, sur les falaises de Portalban. M. R. Grand pluvier à collier (Aegialitis hiaticula L.). 10 août. Le passage dans la Réserve du grand gravelot a commencé à cette date et a duré jusqu'au 29 septembre. A. R. Chevalier cul=blanc (Totanus ochropus L.). 10 août. Le passage d'automne du cul-blanc a commencé aujourd'hui. Dernière observation le 26 août. M. R. 245 — Chevalier Sylvain (Tolamis glareola L.). 13 août. Les premiers sylvains apparaissent dans la Réserve. Le der- nier s'y est montré le 29 septembre. M. R. Chevalier arlequin (Tolanus fuscus L.). Du 22 août au 18 septembre dans la Réserve. A. R. Courlis corlieu (Numenius phaeopus L.). 26 août. Deux demi-louis ont fait halte dans la Réserve, les 26 et 28 août. Vus de très près. Superbes. Cris perçants. M. R. Busard harpaye (Circus aeruginosus L.). 26 août. Différentes espèces de busards se montrent de temps à autres dans la Réserve sans qu'il soit toujours possible de les déterminer. L'espèce qui y séjourne aujourd'hui et y fut revue à plusieurs reprises jus- qu'au 25 septembre est vêtue d'une livrée reconnaissable de loin. Le mâle a en effet la tête d'un jaune clair qui tranche vivement sur le brun-chocolat du reste du corps. Ces busards se posent fréquemment à terre et ont une façon à eux de voler au-dessus des roseaux et d'y plonger soudain pour n'en plus ressortir. C'est cette manœu- vre caractéristique que notre dessinateur a cherché à repro- duire. Les 26 et 28 août nous observons deux de ces oiseaux dont l'un est un jeune ou une femelle. Le 11 septembre il n'y en a plus qu'un, de même le 24 et le 25. Le 24 je vois le mâle se poser à terre, de l'air le plus innocent du monde, entre deux hérons cen- drés, après avoir semé l'alarme parmi les canards. A. R. M. R. Phragmite aquatique (Acrocephalus aqualicus Gm.). 26 août. Aperçu dans la Réserve un becfm aquatique. i\I. R. 8 octobre. Nous avons le plaisir le D^ C, de Colombier et moi de pouvoir observer longuement et de fort près une rousserolle aqua- tique au bord du canal de la Broyé. Réserve. A. R. — 246 — Sanderling (Calidris arenaria L.). 10 septembre. Tiré deux représentants de cette espèce sur les grèves d'Yvonand, le 10 septembre, et un 3""^ le 6 octobre. Ch. Duc. Huîtrier=pie (Haematopus ostralegus L.). 10 septembre. Observé un liuîtrier parmi des mouettes à la pointe d'Yvonand. Ch. Duc. Fauvette à tête noire (Sylvia alricapilla L.). 15 septembre. Entendu près de Cologny le chant automnal de la fau- vette à tète noire. H.-E. Gans. Foulque (Fulica atra L.). 18 septembre. Je remarque un rassemblement extraordinaire de foul- ques dans un endroit déterminé de la Réserve. On me dit que ce phénomène s'est produit dès l'ouverture de la chasse sur le lac (1er septembre). Outre le motif de sécurité, il y en a cependant un autre qui retient ces oiseaux au dit endroit. Au cours de l'été une abondante végétation aquatique, qui sert à leur alimentation, s'y est en effet développée. Dans ces forêts sous-lacustres, toutes récen- tes, je note la présence de l'envahissante élodée du Canada (Elodea canadensis M.) que j'avais trouvée précédemment dans le canal de la Broyé, du potamot perfolié (P. perjoliatiis L.) du potamot crépu (P. crispus L.). Les tiges de ces trois espèces, arrachées du fond par les foulques vont flottant à la dérive et, suivant la direction du vent, s'accumulent sur les bords en gros paquets, où je démêle en outre la présence d'une espèce rare, nouvelle pour notre lac : la grande najade (Najas major L.). A. R. Barge rousse (Limosa lapponica L.). 18 septembre. J'ai le plaisir d'observer dans la Réserve un individu de cette espèce, sohtaire comme celui que j'y photographiai le 13 septembre 1917. A la même date (18 septembre) un autre exemplaire était tué à Anières, près de Genève. Enfin j'en découvrais de nou- veau deux dans la Réserve à la date du 25 septembre. A. R. Vanneau huppé (Vanelliis vanellus L.). 18 septembre. Les vanneaux réapparaissent dans la Réserve au nom- bre de 40. Ce sont, je suppose, nos vanneaux indigènes. Le 24 sep- tembre, j'en compte 30, le 25 sept. 100, le 8 oct. 50. Le 3 novembre M. Ghs Cornaz aperçoit 80 à 100 vanneaux entre Chavornay et Epen- des, le 16 nov. 35 me sont signalés près d'Estavayer, le 17 nov. 2 sont tués à Yvonand, le 19 nov. 100 à 200 passent sur Neuchâtel; ce même 19 nov. un individu est tué à Mézery et un autre à Donne- loye dans la vallée de la Menthue. A. R. ^^